# Qu’est-ce que la science politique ?
1er épisode du podcast de l'INARES sur Savoir Gouverner
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# 1 - La science politique
## Qu’est-ce que la science politique ?
La science politique c’est la science du gouvernement de la Cité, c’est la science du gouvernement des Etats. Cette science a pour objet la réalisation, la poursuite du bien commun. Car la politique est la réalité humaine supérieure à tous les arts et toutes les sciences particulières. En effet l’homme aspire de tout son être au bonheur, et ce bonheur il le vit dans la société. C’est-à-dire dans la réalité concrète de tous les jours. La société est là. Nous sommes dedans. C’est un fait.
L’homme est un animal politique qui se réalise pleinement par sa participation à la vie de la cité et précisément par sa participation au bien commun. Comme la partie d’un tout, l’homme est finalisé dans son existence même, par la collaboration au bien commun, il est en même temps acteur et récipiendaire de ce bien.
L’homme est un animal naturellement politique. Il ne peut vivre seul de façon pleinement vertueuse, c’est-à-dire dans le but d’accomplir toutes les compétences et les aspirations de sa nature. Car vivre ce n’est pas survivre. Et Thomas d’Aquin distingue même le bien vivre du simple vivre. Parmi les attributs humains, le langage ou la capacité à engendrer et à aimer autrui, autant qu’à contempler l’ordre des choses font de lui un être éthique et politique. Il conçoit la nécessité d’une morale ordonnant les choses à la finalité correspondant à leur nature, et il conçoit pour la vie communautaire qu’il y ait une nécessité d’unité de but et de moyen pour la pérennité de l’ensemble. Ces choses ne sont pas réalisables sans une unité des volontés en vue du bien général. Car le bien commun est un état vertueux de paix, de joie, de tranquillité et de prospérité que l’on vit concrètement en y participant. Le citoyen y pourvoit tout en en recueillant les fruits par le fait même d’y contribuer, c’est-à-dire en étant à sa place dans l’ordre naturel des choses sous la direction de l’agent qui unifie le tout en vue de la fin, qui préside l’ensemble en vue du bien commun : l’Etat.
La science politique c’est la sagesse nécessaire à cette présidence. Marcel de Corte est clair : « La conclusion est immédiate, si paradoxale qu'elle soit à nos esprits imprégnés d'individualisme et de défense des droits de la personne humaine : la personne[^1] n'a aucune existence réelle dans la vie humaine prise comme telle, au plan de la nature.[^2] » La morale tout entière existe en définitive en conséquence d’autrui et par là-même est ordonnée à la Cité. La science politique c’est la morale architectonique comme l’ont exposé Aristote et Saint Thomas d’Aquin dans *L’Ethique* et *la Politique*. Par conséquent, une Cité désordonnée dont le pouvoir a été usurpé et le bien commun confisqué à des fins privées entraine non seulement le mal-être chez le citoyen mais converti son devoir politique de sujet poursuivant le bien commun, en un devoir de concourir à sa restauration car telle est l’aspiration de sa nature. C’est cette aspiration principielle au bonheur qui nécessite la prise de conscience de l’obligation d’étudier et d’obtenir la science politique. Un travail de la raison capable de produire dans la réalité le bien commun. La science politique n’est pas une science spéculative ou intellectuelle, c’est une science pratique ordonnée à l’agir, à construire et garantir le bien commun. Un bien quasiment infini, toujours capable d’augmenter en qualité, car c’est un bien divin. « Plus un bien est commun et plus il est divin » [^3]. Voilà la véritable aspiration de l’homme au progrès.
[^1]: La définition de la personne telle qu'elle est donnée par Boèce, au V° siècle est celle-ci : la substance **individuelle** d'une nature raisonnable (Persona est rationalis naturae individua substantia) (Lalande André, *Vocabulaire technique et critique de la philosophie*, éd PUF col quadrige 1997 p 760 - Mourral Isabelle, *Le sens des mots*, éd de Paris 1997 261p p 170 et Madiran Jean, *L'hérésie du XX° siècle*, éd NEL 1968 308p p 57). Mais la définition la plus couramment retenue de nos jours est : la personne est un « individu raisonnable et **autonome** ». (Jolivet Régis, *Vocabulaire de la philosophie*, éd Vitte 1942 p 131). Cette définition est acceptable sous réserve de ne pas comprendre l’autonomie comme les kantiens, à savoir l’homme fondement dernier de l’obligation morale. Cf. Verneaux Roger, *Philosophie de l’homme*, éd Beauchesne 1985 p 186. En substance ces deux définitions sont néanmoins identiques. Par suite *personne* n’est pas synonyme de *créature raisonnable* puisque des éléments complémentaires, confortés par la simple définition du mot, sont présents lorsqu’on affirme que « Paul est une personne ».
[^2]: Marcel de Corte, *Les droits de l'homme et la révolution permanente*, Cahiers Charles Maurras n° 67, 1978.
[^3]: « Plus général (communius) est un bien, plus il est divin. » Aristote, Ethique ; Thomas d’Aquin, Com. Pol.
## Définition de la science
La science est un savoir organisé qui se caractérise par la démonstrativité de son discours. C’est un ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d'objets ou de phénomènes obéissant à des lois et/ou vérifiés par les méthodes expérimentales.
On évitera de ramener les sciences aux connaissances des choses par les quantités et les relations quantitatives incluses dans leurs manifestations sensibles.[^4]
[^4]: Jean Daujat, *Physique moderne et philosophie traditionnelle*, éd Téqui 1983 p 50.
## L’ordre
La science politique comme toute science est une observation de l’ordre des choses. « L’ordre que nous constatons dans le monde (et que le désordre partiel ne supprime pas mais implique) n’est pas juxtaposé aux choses d’une façon extérieure : il leur est immanent, il fait corps avec leur nature même, il est celle-ci en tant qu’ordonnée. »[^5] La cité est avant tout une unité d’ordre. Corrélativement « Le problème de l’État se rattache à celui de l’Un et du Multiple » considérant l’homme et la cité. D’où la synthèse de Louis Lachance : « Aristote, au contraire (de Socrate et Platon), maintient que la cité n'a qu'une unité relative, et que l'un, bien que compris dans le multiple, ne se résorbe pas en lui - chacun possédant et conservant une activité spécifique. Sans doute, celle de la cité n'est pas autre que celle des individus coordonnés, mais celle de ceux-ci contient déjà, antérieurement à leur incorporation à un organisme politique, une perfection et une valeur intrinsèques. Elle présente en elle-même un intérêt propre, qui fait qu'elle peut être étudiée pour elle-même et qu'elle constitue en soi un objet de science spécifiquement distinct de celui considéré par la *Politique.* Le Stagirite fut le premier à apercevoir cela. C'est pourquoi il fut aussi le premier à séparer l'éthique de la politique, confiant à la première le soin d'étudier l'activité de l'un et abandonnant à la seconde celui de diriger celle du multiple. »[^6]
[^5]: Louis Jugnet, Connaître la pensée de Saint Thomas d’Aquin.
[^6]: Lachance Louis op, *L'humanisme politique de saint Thomas - Individu et Etat*, éd Le Lévrier 1965
## Constituer une science politique
Le phénomène politique est objet d'une science : la science politique. Selon saint Thomas, la science politique est fondée en raison, pratique, architectonique et sa méthode est spéculativo-pratique. Ses fondements doivent être inspirés par l'ordre naturel et conformes aux exigences du concept[^7] de totalité.
[^7]: Il n’existe pas la mention de « principe de totalité » chez Thomas d’Aquin. Dans un autre ordre d’idée, le « principe » de subsidiarité n’existe pas davantage dans son œuvre, ni chez les thomistes authentiques.
Malgré l’état de religion et la sainteté reconnue par l’Eglise Catholique de la personne historique de Saint Thomas et malgré son immense travail théologique, sa politique réaliste et sa philosophie ne découlent pas de sa théologie, ni du catéchisme. C’est pourquoi il arrive que des agnostiques qui ne peuvent accéder qu'aux vérités naturelles soient souvent plus compétents en politique que certains catholiques prétendument thomistes qui ne sont en fait que de simples fidéistes[^8].
[^8]: Cette attitude se nomme le fidéisme. Le fidéisme au sens large désigne toute doctrine d’après laquelle les vérités fondamentales de l’ordre naturel au plan spéculatif et pratique (i.e. politique) ne peuvent être établies ou justifiées par la raison ; et par conséquent ne peuvent être connues et établies que par la Foi. L’Eglise a condamné les fidéistes : S. 3, c. 4 ; *Denzinger*, 1796
## Textes clé de la pensée de Thomas d’Aquin dans son Commentaire de la politique d’Aristote
« La cité se présente comme l'œuvre maîtresse parmi les produits de la raison... »[^9] et également « La raison humaine ne doit pas seulement pouvoir disposer des matériaux...mais ...des hommes, en tant qu'elle les gouverne... »[^10]
[^9]: Thomas d'Aquin, *Commentaire de la Politique d'Aristote*, Préface n 7 éd NEL 1974
[^10]: Thomas d'Aquin, op cit n 4
Cette science se fonde sur l’expérience et l’analyse politique. C’est ce qui fit dire à Saint Thomas sur le meilleur régime politique que « D'une manière générale, l'observateur attentif de l'histoire d'hier et de celle d'aujourd'hui reconnaîtra que les tyrans ont sévi plus nombreux dans les pays gouvernés par une collectivité que dans ceux où le pouvoir n'appartenait qu'à un seul. Si donc la royauté, qui est le meilleur gouvernement, semble devoir être évitée surtout à cause de la tyrannie, celle-ci en revanche se rencontre non pas moins, mais plus facilement dans le gouvernement de plusieurs que dans le gouvernement d'un seul. »[^11]
[^11]: Thomas d'Aquin, *De regno*, I, V
## Dans les science pratiques naturelles comme en toutes science naturelle l’argument d’autorité est dernier
On peut noter la remarque de Pascal Ide[^12] à partir de saint Thomas : sauf dans le domaine de la Révélation l'argument d'autorité est le plus faible de tous[^13]. Et donc tout particulièrement en politique, pour ce motif mais également d'autres motifs, comme la contingence de l'agir humain.
[^12]: Pascal Ide, *L'art de penser*, 1992, p 44
[^13]: Thomas d’Aquin st, *ST,* Ia q 1 a 8 : Nam licet locus ab auctoritate…sit infirmissimus [« l’argument d’autorité fondé sur la raison humaine est le plus faible »].
Enfin : M de Corte : « Pour st Thomas la politique est un fait, un donné plus exactement mais qui n'est pas octroyé à l'homme d'un seul coup, sans la médiation de son intelligence et de sa volonté comme (à l'inverse de ce qui se passe dans) les sociétés d'insectes immuablement fixées dès leur origine. »[^14]
[^14]: Marcel de Corte, *Réflexions sur la nature de la politique*, L'ordre français de mai 1975 n°191
## Commentaire de saint Thomas de la Politique d'Aristote, Introduction n 5 : l’observation du tout dégage une science universelle et permanente
« Le premier caractère concerne, comme il est normal la nécessité d'une telle science politique. »
Il faut entendre par là que cette science politique est fondée : le tout constitué par la cité est sujet de jugements rationnels. Autrement dit puisqu'il existe une réalité politique, il doit donc y avoir une science correspondante à cet objet.[^15] Cela signifie que dégager de ce tout, les principes supportés par l’expérience et la vertu de prudence engendrent des jugements permanents sur le politique : c’est l’élaboration d’une science politique.
[^15]: Thomas d'Aquin, *op cit*, n4 « La raison humaine ...doit pouvoir disposer des hommes eux-mêmes, en tant qu'elle les gouverne... ». Marcel de Corte fait remarquer : « Saint Thomas, non plus qu'Aristote, ne considère la politique comme une construction de l'esprit, élaborée par un penseur ou par un faiseur de constitution qui commencerait au préalable par écarter tous les faits à la manière de Rousseau ou de Sieyès. » in L'ordre français de mai 1975
A l’inverse, la connaissance seule des principes de la politique de Thomas d’Aquin ne sont pas une véritable science politique. Il y manque l’analyse historico-prudentielle actuelle. D’ailleurs il est même impropre de parler de « politique thomiste. »[^16]
[^16]: Cf. des penseurs actuels comme Jean-Marie Vernier (*Principes de Politique*, Hora decima, 2023) ou Jorge Martinez Barrera (*A política em Aristóteles e Santo Tomás*, 2007).
## La science politique est une science pratique. Commentaire de saint Thomas de la Politique d'Aristote, Introduction n 6
La science politique est la philosophie de l'agir humain et non pas une science à classer parmi les sciences de la connaissance. Ce n’est pas une métaphysique ou une science contemplative. La cité est un ensemble que la raison humaine ne se contente pas de connaître mais qu'elle fait, elle produit le bien commun dans la cité.
**Remarque n°1** : connaître pour agir n'est pas connaître pour savoir. Cette science ne se préoccupe pas du bien comme d'un objet d'analyse, ce que l'on nomme le bien ontologique. Le bien politique est objet et terme de l'action ; il est ce qui doit être fait. Dans cette optique il n’est pas moral d’étudier la science politique pour savoir. La science politique nécessité l’action politique.
**Remarque n°2** : Par suite la science politique ne découle pas de la discipline philosophique (de la nature), ni même de la philosophie suprême qui est la métaphysique.[^17] Autrement dit on peut être bon historien, bon économiste, bon militaire, bon métaphysicien ou bon théologien et singulièrement carencé en science politique.
[^17]: Louis Lachance, *L'humanisme politique de saint Thomas d'Aquin - Individu et Etat*, éd Sirey 1965 p 44. On évitera de conclure que la théologie et (ou) la métaphysique ne servent de rien aux politologues. Ce n'est pas du tout ce que nous expliquons ci-dessus
## Pour conclure contre le moralisme politique
« En bref, pour saint Thomas comme pour Aristote l'acte humain, raisonnable, volontaire et libre (au sens du libre choix des moyens, et non du libre choix de la fin) est essentiellement et exclusivement politique : son axe, en son aspect objectif, est la justice qui consiste à rendre à autrui, considéré non pas individuellement, mais *in communi*, en tant qu'articulé en société avec tous les autres, ce qui lui est dû, et, en son aspect affectif, l'amitié. Il n'a pas à être en plus ou autrement « moral ». Politique qui fait régner par la loi une vie vertueuse moyenne dans la Cité, et morale ne font qu'un, humainement parlant, dans l'ordre de la nature. Il n'y a donc pas, selon nous, « une même loi morale qui dominerait la moralité des individus et des États », comme le pense Hugues Kéraly (p 151). Il n'y a qu'une loi naturelle dont la Politique est le moteur, et une loi surnaturelle que le Christ a révélée aux hommes. »[^18]
[^18]: Marcel de Corte, *op cit*, p 21