# 2. Quelques approfondissements sur la science politique
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Nous allons tenter d’approfondir les notions vues précédemment. Il faut distinguer la science politique des autres sciences intellectuelles ou spéculatives. En effet, la science politique n’est pas de la philosophie spéculative ni de la métaphysique. Par ailleurs, la philosophie réaliste ou la science politique réaliste ne sont pas dépendantes de l’enseignement dogmatique ou pastoral particulier à l’Eglise catholique.
### Textes de Marcel De Corte et Charles De Koninck commentant saint Thomas sur la distinction déja abordée entre un savoir spéculatif et un savoir pratique.
**Marcel De Corte :** « Je ne crois pas en effet que le savoir pratique au sens propre ait besoin du savoir spéculatif pour être...Selon nous, le savoir pratique est rigoureusement distinct du savoir théorique par son objet. Le savoir pratique porte sur des actes, c'est-à-dire sur des réalités dont il dépend de nous qu'elles soient conformes ou non au bien commun visé, et donc sur des réalités contingentes (qui peuvent être autrement qu'elles ne sont), le savoir théorique porte sur des réalités nécessaires (qui ne peuvent être autrement qu'elles ne sont) et qui fondent une connaissance scientifique ou philosophique inébranlable. Entre la politique et la métaphysique la distinction est rigoureuse. Dans l'Ethique à Nicomaque, Aristote suivi par saint Thomas, affirme que la politique a pour point de départ le fait, tandis que la métaphysique s'adosse au pourquoi. »[^1]
[^1]: Marcel De Corte, *Réflexions sur la nature de la politique*, L'ordre français n° 191 de mai 1975 p 9
« La politique ne s'oppose pas en l'occurrence à la métaphysique...mais elle s'en distingue en ce sens que la métaphysique découvre l'ordre de l'univers et le ramène à sa cause efficiente, tandis que la politique engendre, accomplit, instaure l'ordre social et l'organise en fonction de sa fin : le bien commun. La politique est par essence un empirisme organisateur, selon l'admirable définition de Maurras.
Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement ? La métaphysique est l'apanage d'un petit nombre d'hommes, alors que tous les hommes vraiment hommes sont voués à des titres divers, infimes chez les uns, éminents chez d'autres, à vivre politiquement, à contribuer effectivement par les seuls moyens dont ils disposent : leurs actes humains, intelligents, volontaires et libres, à l'édification de la société ? »[^2]
[^2]: Marcel De Corte, *op cit*, p 11
**Charles De Koninck :** « ...j'affirme que la philosophie morale ne découle pas de la métaphysique... »
« Ce que nous devons éviter, c'est de vouloir faire admettre que, dans notre raison, il existe un rapport analytique entre la métaphysique et la philosophie morale... »
« Pour en revenir au rapport entre la métaphysique (et) la philosophie morale...ce qu'il faut éviter en cette matière c'est...un simplisme qui ferait dire : Si vous êtes un homme de bien, vous connaissez la philosophie morale et cette philosophie est bonne ; si cette philosophie morale est bonne, vous êtes un bon métaphysicien. »[^3]
[^3]: Charles de Koninck, *Liberté des consciences et droit naturel*, Itinéraires n°66
### Résumons. Une science pratique n’est pas une philosophie au sens courant du terme.
L’ordre politique diffère de l’ordre « philosophique » et tout particulièrement de l’ordre métaphysique.[^4] L'objet de la métaphysique, science "ultime" est celle-ci : Non pas comment existent telles ou telles choses, mais qu'est-ce que c'est que d'exister ? En quoi l'existence consiste-t-elle ? C'est donc la science de l'existence par-delà les autres sciences des manières d'exister.[^5]
[^4]: Louis Lachance, *L’humanisme politique de saint Thomas d’Aquin - individu et Etat*, éd Sirey 1965 p 44
[^5]: Etienne Gilson, *Le réalisme méthodique*, éd Téqui, p 70. Etude qui comporte le Vade-mecum du débutant réaliste paru initialement dans la Revue de philosophie n°4 de 1935 éd Téqui. Une suite a été donnée à cet ouvrage : *Réalisme méthodique et critique de la connaissance*, éd Vrin 1986
Certes le moraliste politique se sert de formes conceptuelles empruntées à la psychologie ou à la métaphysique.[^6] Mais pour autant ce ne sont pas les matériaux qui spécifient un savoir mais qui spécifie « l’ordre recherché et selon les exigences duquel ceux-ci sont organisés »[^7] dans le but de produire un agir.
[^6]: Cf. par exemple de Midelt Bernard, *Nature de la société politique*, éd REP 2004
[^7]: Louis Lachance, *op cit*, p 43
La science politique est un savoir pratique, il se doit de se produire dans la réalité. Dans un sens trivial et dit avec des raccourcis : la science politique possède en plus de sa particularité intellectuelle à comprendre la cité, une particularité essentielle à apprendre en pratiquant et corrélativement à devoir être pratiquée et devoir être appliquée pour exister.
### La politique consiste essentiellement en la poursuite du bien commun. Ce qui implique la possession du pouvoir politique
Le bien commun est « dans l’ordre des choses terrestres, fin absolue » et « est fin des fins »[^8]. L’Etat qui ne poursuit pas le bien commun est une contrefaçon, dit Thomas d’Aquin.[^9]
[^8]: Louis Lachance, *L’humanisme politique de saint Thomas d’Aquin – individu et Etat*, éd Le lévrier 1965, p 197 et 330.
[^9]: Louis Lachance, *op cit*, p. 259.
La politique est le centre du dispositif divin naturel[^10] concernant tous les hommes. (L’homme animal social et politique[^11]). (Alors que l’Eglise, si elle invite tous les hommes en son sein, de fait, ne les contient pas tous). Dispositif évidemment antérieur à la fondation de l’Eglise et – d’après Thomas d’Aquin – contemporain de nos premiers parents. Dispositif qui n’est donc pas une conséquence du péché originel.
[^10]: « Il y a un ordre divin naturel et un autre surnaturel » Julio Meinvielle, *Conception catholique de la politique*, 1932, Edition Iris 2009, p25,
[^11]: Cf par exemple Thomas d’Aquin, *Somme théologique* : « l’homme est par nature un animal politique et social, comme le prouve Aristote, il doit nécessairement exister un troisième ordre pour ordonner l’homme à ses semblables avec lesquels il doit vivre. », Ia IIae, 72, 4.
### Une première conséquence pratique : la science politique exige le pouvoir.
L’autorité politique est constituée par sa relation avec la poursuite du bien commun. Si cette autorité dégénère parfois en tyrannie, en particulier en un complot contre le bien commun, gérer cette éventualité fait nécessairement partie intégrante de la politique.
Dans un gouvernement électif il peut arriver qu’il faille apporter un nouveau projet de gouvernement pour modifier la réussite de la poursuite du bien commun, passer par exemple d’un bien commun par analogie à un véritable bien commun. Ce pose donc aussi la question de l’accession au pouvoir.
Prendre possession du pouvoir, c'est avoir et déployer la force nécessaire pour se faire obéir. Le premier occupant ne peut donc pas être le premier venu... Le pouvoir va naturellement à la supériorité de force, d'aptitude et de mérite. C'est, en d'autres termes, reconnaître que la vertu a droit à la primauté, que c'est elle qui constitue le véritable titre au pouvoir. Mais le titre ni l'aptitude ne suffisent, il faut les faire valoir. Il faut entrer en possession par le fait. « N'était-ce pas l'idée de saint Thomas, dans le commentaire sur la politique, lorsqu'il autorisait le citoyen apte au pouvoir à s'en emparer ? »[^12]
[^12]: Edouard Crahay, *La politique de saint Thomas*, éd ISP 1896, p 64
Nous étudierons la relation entre autorité politique et bien commun dans deux podcasts l’un sur la nature de la société politique et l’autre sur l’autorité et l’Etat.
Revenons à la science politique en tant que sagesse pratique détenue par l’homme politique. Une personne militante qui désire faire quelque politique ou une personne douée de sensibilité politique avec la fibre politique doit donc comprendre qu’il faut se concentrer sur l’étude de la science politique et sur une action véritablement politique pour « changer les choses ».
### Le véritable projet c’est « Politique d’abord ». Toute autre action dans la cité est secondaire et sera en fin de compte prisonnière d’une sphère infra-politique, le social. Voilà le débat comme il fut proposé Charles Maurras.
« Quand nous disons *politique d’abord*, nous disons : la politique la première, la première dans l’ordre du temps, nullement dans l’ordre de la dignité. Autant dire que la route doit être prise d’abord que d’arriver à son point terminus ; la flèche et l’arc seront saisis avant de toucher la cible ; le moyen d’action précédera le centre de destination. Mais n’est-ce pas le bon sens même ? On m’épargnera de chercher aujourd’hui dans la Somme théologique l’axiome élémentaire d’après lequel les voies et les moyens sont disposés en avant des fins.»[^13]
[^13]: Charles Maurras, Action française du 16 février 1923, repris dans Loubier Adrien, *Echec au ralliement*, éd Ste Jeanne d'Arc 1995
### La véritable Morale c’est la Politique
« Nous nous croyons donc autorisé à affirmer que la moralité de notre agir, sur le plan de la nature...s'estime en définitive par le rapport de nos actes au bien commun. » [^14]
[^14]: Louis Lachance, op cit p 334
### Qu’entend-on par *premier* dans la formule « politique d’abord » ?
Une chose peut être première de différents points de vue :
- parce qu’elle est première dans un rang, plus proche dans un ordre de succession,
- parce qu’elle est produite en premier, parce qu’elle vient en premier,
- parce qu’elle est plus parfaite que les autres, par sa perfection.[^15]
[^15]: Bernard de Menthon, université de REP 2005, qui explique : Le tout est premier par rapport à la partie, mais dans l’ordre de perfection.
Ce qui n’est pas premier selon sa nature comme le Politique, peut être néanmoins premier en un autre sens. Thomas d’Aquin prend l’exemple de la vie active qui d'une certaine façon est première car elle nous dispose à la vie contemplative. Et quand on parle de vie active il faut bien voir que c’est la politique qui est l’agir humain naturel intégral car c’est en accédant à l’existence politique que l’homme devient véritablement humain.[^16]
[^16]: Yves Cattin, *L’anthropologie politique de Thomas d’Aquin*, éd L’harmattan 2001 p 150, p 150
### Car il faut distinguer l’action individuelle, familiale ou sociale de l’action politique. Contre le familialisme et le militantisme social : la spécificité du politique
La politique est une science architectonique. Nous y reviendrons dans le podcast dédié (distinction social et politique). Car la famille, n’est pas la sphère du social, qui, l’un comme l’autre, ne sont pas non le politique. Plus qu’une distinction, il y a une subordination et une subalternation entre politique, social et famille ou individus.
**Aristote :** « Ils s'imaginent, en effet, que ces diverses formes diffèrent les unes des autres selon le grand ou le petit nombre de gens concernés et qu'il n'y a aucune différence spécifique entre leurs pouvoirs : ainsi on serait maître quand on commanderait à peu de gens, le pouvoir économique s'exercerait sur un groupe plus important, et le pouvoir politique ou royal sur un groupe encore plus nombreux, comme s'il n'y avait pas de différence entre une famille et une petite cité. »[^17]
[^17]: Aristote, *La Politique*, livre I chapitre I Aristote critique la position de Platon et celle également de Socrate, qui, d'après Xénophon (Mémorables, III, 4, 12, 6, 14), soutenait qu'il n'y avait qu'une différence de quantité entre l'art de bien administrer sa famille et l'art de bien administrer la Cité.
**Thomas d’Aquin :** « Puisque certains s'exprimaient comme si la famille ne différait en rien de la cité si ce n'est par le nombre plus ou moins grand des individus - de sorte qu'une grande famille serait l'équivalent d'une petite cité, et inversement - nous montrerons par les arguments qui vont suivre que cela est faux. » [^18]
[^18]: Thomas d’Aquin st, *Commentaires de La Politique d'Aristote*, chapitre I § 15, § 23 & 24, § 31, § 34 &35
La conclusion s'impose : à mal individuel, remède individuel, à mal social remède social mais à mal politique remède politique.
### Le politique un devoir moral naturel
Marcel De Corte expose dans *Réflexions sur la nature de la politique*, L'Ordre Français n°191 mai 1975 : L’homme est un animal politique, autrement dit, la nature de l'homme fait qu'il n'atteint sa fin naturelle, qu'il ne se réalise vraiment, que dans l’ordre politique. L’accomplissement d’un être c’est la finalisation de ses capacités actives et passives, c’est à dire l’accomplissement de sa nature (son essence actualisé). Le bien commun n'est pas une condition de son développement, c'est la cause de ce développement et de son accomplissement. « Même les vertus apparemment les plus personnelles, le courage ou la tempérance, s'y réfèrent, car il n'y a pas une seule vertu dont les actes ne soient pas médiatement ou immédiatement ordonnables au bien commun. »[^19]
[^19]: Thomas d’Aquin, *ST*, Ia IIae, Q 96, a 3, ad 3. Cité par De Corte Marcel, *op cit*, p 15.
« C’est en accédant à l’existence politique que l’homme devient véritablement humain. »[^20]
[^20]: Cattin Yves, *L’anthropologie politique de Thomas d’Aquin*, éd L’harmattan 2001 p 150.
« Il est impossible que quelqu'un soit bon, s'il n'est pas bien disposé à l'égard du bien commun ».[^21]
[^21]: Thomas d’Aquin, ST, Ia IIae, q. 92, a. 1, ad 3.
« Celui qui a le mépris du bien commun peut être conduit à tous les péchés et à tous les vices ».[^22]
[^22]: Thomas d’Aquin, ST, IIa IIae, q. 59, a. 1.
### Ordre naturel et politique
L’homme est à la fois le couronnement de la création et le chef de celle-ci. C’est un fait, l’activité humaine exerce une influence déterminante sur la planète et même au-delà, c’est donc un fait que l’homme est le “roi” de la création, et cela devrait impliquer qu’il la respecte bien davantage.
Si la nature humaine est politique, et si l’homme s’accomplit dans la participation au bien commun, il est évident que « le politique est le dispositif central de l’ordre naturel »[^23] et donc du plan divin en tant qu’intelligence ordonnatrice de la création.
[^23]: Bernard de Midelt, *Peut-il exister une politique chrétienne ?*, p 75.
### Dernière précision : il faut distinguer science pratique réaliste et science pratique utopiste :
Thomas d’Aquin, saint Augustin, Suarez et Maritain ont chacun une pensée politique divergente voir antagoniste. Il n’y a donc pas de doctrine catholique *traditionnelle* en politique. Il existe la science politique de Thomas d’Aquin et les autres « sciences » politiques utopistes (augustiniste, suarézienne, personnalistes, etc.).
Autre aparté pour les catholiques. La doctrine sociale de l’Eglise n’est pas non plus la science politique de l’Eglise. Elle est un corpus de documents dénués de la note d’infaillibilité. Des documents de jugements historico-prudentiels d’ailleurs mal circonscrits et éparses, dont les contradictions et les problèmes d’exhaustivité intrinsèque invalident sa pertinence en tant que science. (Qu’on veuille bien juger de cette seule difficulté : aujourd’hui la doctrine du Christ-Roi est elle-même en débat. *[^24]* )
[^24]: Les carences sur la DSE ont été pour une grande part dans la débandade de l’Office de Jean Ousset après la crise conciliaire *Cf*, *Pour en finir avec la Doctrine Sociale de l'Eglise*, Thomas Audet, Stageiritès, en ligne, 2015.
### “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”
On notera l’importance de cette phrase du Christ qui se trouve dans trois des quatre évangiles : Marc 12,17, Matthieu 22,21 et Luc 20,25
André de Muralt dit qu’il faut connaître César pour comprendre le « rendez à César » (et que la révélation n’en dit rien). Par suite il est donc impérieusement recommandé aux catholiques d’étudier la science politique, l’analyse politique et la prospective politique avant d’entreprendre d’agir ou même d’émettre un avis qui se voudrait non-facultatif sur la question politique et sortir du fidéisme, sur cléricalisme et du surnaturalisme.
## ADRESSE AUX CATHOLIQUES
### ANNEXE 1 rappels de notions fondamentales : morale naturelle et morale surnaturelle
a) Il existe deux morales, la morale naturelle dans l’ordre naturel et la morale surnaturelle dans l’ordre surnaturel parce qu’il existe une seule double finalité ultime.
« Or la fin vers laquelle Dieu oriente ses créatures est double. L’une dépasse la mesure et le pouvoir de la nature créé, et cette fin est la vie éternelle, qui consiste en la vision divine, activité qui dépasse la nature de tout être créé, ainsi qu’on l’a établi plus haut. L’autre fin est une fin proportionnée à la nature créée, de telle sorte que la créature puisse y atteindre par les ressources de sa nature. » [^25] Deux finalités donc deux morales correspondantes.
[^25]: Thomas d’Aquin, *ST*, Ia Q 23, a 1.
b) Pour comprendre l’importance des finalités sur la moralité ; il importe de sortir du système kantien très répandu, même chez les catholiques : La morale n’est pas un catalogue de préceptes auxquels il faudrait se conformer.
Sous l’influence d’Emmanuel Kant une déviation fréquente est apparue : la morale se définit à tort de nos jours comme « l’ensemble des règles de conduite que la personne se donne à elle-même pour se perfectionner ».[^26]
[^26]: Marcel De Corte, *Réflexions sur la nature de la politique*, L’ordre français n°191, mai 1975 p 20.
c) Pour définir la (véritable) morale naturelle il faut considérer quatre points :
un ordre, une finalité, une ou des sciences, une ou des prudences.
L’ordre est l’ordre politique, un ordre particulier de l’ordre naturel, c’est-à-dire celui de l’action par opposition à la spéculation et plus particulièrement le domaine de l’Agir humain par opposition au Faire. [^27]
[^27]: **L’agir humain**, au sens de "j’agis", l’action de l’homme sur l’homme, se contredistingue du **faire**, au sens de "je fabrique", action de l’homme sur les choses.
Dans l’ordre moral, c’est la fin qui sert de principe.
Les sciences qui nous intéressent ici sont les sciences morales (ou pratiques) et plus particulièrement la science politique, architectonique des autres sciences, éventuellement la théologie morale (et non pas la théologie ou la métaphysique qui n’interviennent ici qu’indirectement en tant que sciences subalternées).
Enfin la prudence, « c'est elle…qui décide que, dans telle circonstance, c'est cette règle morale de la doctrine, et non celle-là, qu'il convient d'appliquer. »[^28]
[^28]: Madiran Jean, *L'unité*, NEL 1960 page 17.
d) La nature humaine ne "contient" pas de surnaturel en ce sens qu’"il n'y a pas de substance surnaturelle". Et la grâce ne remplace pas la nature.
### ANNEXE 2 Primauté du politique.
« Mais un État chrétien est impossible tant qu’il n’y a pas d’État du tout… »[^29]
[^29]: Julio Meinvielle, *Conception catholique de la politique*, éditions Iris, texte français 2009, p 92.
Ainsi le politique est premier par rapport à nous, au niveau du développement, car en nous ordonnant au bien commun naturel, il nous dispose au bien commun surnaturel. La réalisation du bien commun temporel est antérieure, chronologiquement, à la conversion de la plupart des hommes et il est donc légitime, sous cet aspect, de parler de "politique d'abord". En effet, pour que la semence produise du fruit, il faut d'abord que la terre ait été bien labourée. Certes les labours eux-mêmes ne font pas pousser le fruit. Il y faut le travail spécifique de l'Eglise. Mais ils sont la condition de l'abondance de la moisson ou, à défaut, de son extrême pauvreté. Le concept de « famille d’abord » est à laisser dans les zones poétiques de la métaphore loin des lieux habités par la raison. Qui en désirant construire une maison dira « briques d’abord » plutôt que de construire un plan et de solliciter l’ensemble des ouvriers et fournisseurs nécessaires ?
#### Condition du salut du plus grand nombre
Celui qui cherche également l’apostolat doit se plier à cette primauté chronologique et à la centralité du politique dans le plan divin. Rappel : surnaturel signifie sur-naturel. Pas de société politique poursuivant le bien commun au plan naturel, pas de chrétienté, pas d’apostolat de masse possible.
« De la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien et le mal des âmes »[^30]
[^30]: Pie XII, *Message de la Pentecôte pour commémorer le cinquantième anniversaire de l’encyclique Rerum Novarum* de Léon XIII. Ce message a été diffusé par Radio-Vatican, le 1er juin 1941.
La société qui poursuit le bien commun est condition et non pas cause du salut du plus grand nombre. Cependant sans cette condition, pas de salut du plus grand nombre possible.
Par suite ne pas rechercher la restauration du bien commun est un mauvais calcul pour le chrétien et encore plus pour l’Eglise qui devrait l’encourager.
#### Un *Tout d’ordre* peut être condition d’un autre *Tout d’ordre*
« 224. - On appellera en général une *condition,* tout principe réel dont un autre découle, même sans dépendance dans l'être ou sans communication de perfection; ainsi la dessiccation du bois est une condition pour qu'il s'enflamme… »[^31] On voit facilement que le Tout d’ordre (la société politique) qui est condition comme l’affirme Pie XII[^32], est forcément antérieur au « conséquent » (l’église militante dans son action d’évangélisation). La dessiccation du bois doit intervenir avant la mise à feu qui, dans le cas contraire, se soldera par un échec.
[^31]: Thonnard FJ, *Précis de philosophie*, éd Desclée 1950 p 271
[^32]: Pie XII : « De la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes… » *Message de la Pentecôte pour commémorer le cinquantième anniversaire de l’encyclique Rerum Novarum* de Léon XIII. Ce message a été diffusé par Radio-Vatican, le 1er juin 1941.
« La double finalité humaine**[^33]**
[^33]: Le titre est de la main même de Louis Jugnet, *Connaitre la pensée de Saint thomas d’Aquin*. Chap I, p33, Ulysse.
« Jusqu’à présent nous avons raisonné comme s’il était évident que pour Saint Thomas il y avait deux finalités de l’être humain, l’une naturelle et portant sur un terme ultime exigible en rigueur, l’autre surnaturelle et gratuite. Telle est d’ailleurs bien notre manière de voir, et, n’en déplaise à certains auteurs contemporains, dont la position vient de recevoir du renfort, nous sommes persuadés, non seulement que telle est bien la position exigée par l’orthodoxie catholique, mais encore que saint Thomas, historiquement parlant, l’a fermement soutenu. (…) toute concession sur ce point nous semble faire de saint Thomas un augustinien. »[^34]
[^34]: Louis. Jugnet, *op cit*.
« Or le bien ultime de l’homme, qui meut en premier comme une fin ultime la volonté, est double. L’un d’eux est proportionné à la nature humaine, car les puissances naturelles suffisent pour l’obtenir ; et ce bien est la félicité dont les philosophes ont parlé : soit la contemplative, qui consiste dans l’acte de la sagesse ; soit l’active, qui consiste d’abord dans l’acte de la prudence, et conséquemment dans les actes des autres vertus morales.
L’autre est le bien de l’homme qui dépasse la mesure de la nature humaine, car les puissances naturelles ne suffisent pas pour l’obtenir, ni même pour le connaître ou le désirer, mais il est promis à l’homme par la seule libéralité divine ; 1 Cor. 2, 9 : « l’œil n’a point vu, etc. », et ce bien est la vie éternelle.[^35] »
[^35]: Thomas d’Aquin, *De veritate* Q 14 [La foi], a 2.