# 01-03-56 1:1 ## DÉCLARATION LIMINAIRE *Le Christ est la Voie, la Vérité, la Vie. Nous sommes d'accord sur la soumission à la doctrine qu'enseigne l'Église catholique. Nous la recevons telle qu'elle se définit elle-même. Nous y trouvons la règle suprême de nos pensées et de nos actes. Nous lui rendons le témoignage de notre foi publiquement exprimé et, s'il plaît à Dieu, de nos œuvres.* *Nous sommes d'accord pour penser qu'en ce domaine la fidélité dans la doctrine et l'unité dans la discipline ne peuvent être maintenues que sous l'autorité du Pape et des évêques en union avec le Pape.* *Nous sommes d'accord pour croire qu'un catholique se reconnaît pratiquement à ce que rien ne peut l'empêcher de répondre *« *oui* » *à la question* « *êtes-vous catholique ? *» *chaque fois que cette question lui est posée et chaque fois qu'elle ne lui est pas posée. Nous ferons donc entendre ce* « *oui* » *même lorsqu'on ne nous interrogera pas, à temps et à contre-temps.* \*\*\* *Nous sommes d'accord sur l'identification du plus grand péril temporel de notre époque : l'appareil publicitaire, idéologique, politique, militaire et policier du communisme soviétique.* *Nous sommes d'accord sur la première urgence temporelle, aujourd'hui et sans doute pour longtemps : le combat politique contre l'organisation communiste internationale et ses dépendances.* *Nous sommes d'accord pour estimer que cette tâche politique est très humble auprès de nos urgences spirituelles. Mais, surtout dans une démocratie, chaque citoyen a des devoirs politiques. Ces devoirs sont publics pour le publiciste : nous nous efforcerons de les remplir.* *Nous sommes d'accord pour affirmer qu'aujourd'hui et sans doute pour longtemps toute activité politique qui ne se situe pas clairement par rapport au communisme, et pour le combattre, risque d'être une activité sans signification ou une entreprise de diversion. En l'absence actuelle d'un fédérateur temporel, la fédération politique des bonnes volontés et des énergies peut s'accomplir sous la pression extérieure du péril démasqué et repéré pour ce qu'il est.* *Nous sommes d'accord pour penser que la solution au communisme soviétique, et à tout le reste, se trouve essentiellement dans la prière de l'Église, dans la vie intérieure, dans la conversion permanente, dans les œuvres de la Foi, de l'Espérance et de la Charité. Nous pensons que notre activité de publicistes doit trouver dans ces réalités essentielles sa règle et son inspiration, et sa place modeste au milieu d'elles.* \*\*\* *Nous sommes d'accord pour considérer que les constatations qui précèdent laissent non résolus, les concernant ou ne les concernant pas, un grand nombre de problèmes concrets. Nous sommes d'accord pour examiner ces problèmes, autant qu'il se peut, sans préjugés et sans passions, et pour supporter sans les taire nos différences à leur sujet.* *Nous sommes d'accord pour tenter de surmonter les profondes divisions actuelles entre catholiques en substituant le dialogue à la polémique dans toutes les questions disputées.* *Nous sommes d'accord pour demander aux publicistes catholiques, et d'abord à nous-mêmes, de prendre conscience de ce qui n'est que préférences personnelles et positions temporelles particulières : non point pour les passer sous silence, encore moins pour les suggérer discrètement ou les insinuer sous le couvert du dogme, mais pour les exprimer clairement, d'une manière qui évite toujours de les confondre avec l'enseignement de l'Église. Nous sommes d'accord pour les soumettre à l'épreuve salubre et nécessaire de la libre critique. Nous sommes d'accord pour penser que telle est la condition pratique : 1. -- du respect entre catholiques de la liberté d'opinion en toutes les questions sur lesquelles l'Église ne s'est pas prononcée ; 2. -- de la charité compréhensive avec laquelle doivent être considérés, voire contestés, les efforts généreux déployés par des chrétiens loyaux et de bonne volonté.* \*\*\* *Nous sommes d'accord pour accueillir ceux même qui ne sont d'accord avec rien de ce qui précède : non point les accueillir parmi nous comme nôtres, mais leur offrir une hospitalité réglée par une critique courtoise, et confronter dans nos colonnes nos convictions avec les leurs. Les lieux de libre discussion se font rares. Nous proposons le nôtre à ceux qui voudront en user.* *Nous sommes d'accord pour entreprendre, dans ces perspectives, la chronique mensuelle des idées et des faits actuels, travaillant ainsi, pour autant qu'il est en nous, et par les moyens propres à notre métier, à remplir notre* « *devoir de rendre l'Église présente et compréhensive au monde d'aujourd'hui.* » 7:1 ## CHRONIQUES Juridiquement, le directeur est le principal responsable des articles qu'il publie ; l'auteur n'est que son complice ; c'est la loi, il n'y a rien à y faire. Moralement, le premier et principal responsable est celui qui signe. Il convient de lui laisser cette responsabilité primordiale, garantie de sa liberté. Ce qu'il signe est aussi ce qui le distingue de ce qui est signé par un autre. D'écrire tous dans la même revue ne nous « amalgame » nullement les uns aux autres, ni en fait ni en droit. Les textes non signés, soit en raison de leur nature (communiqués, avis, brèves notes, etc.) soit pour d'autres raisons, engagent naturellement la seule responsabilité, morale et juridique, du directeur. 8:1 ### Contre le désordre établi Pour un anti-communisme méthodique CETTE REVUE paraît en un moment de trouble profond. Dans notre pays, la confusion est (presque) partout. Depuis une quinzaine d'années au moins, nous entendons dire : « Le difficile aujourd'hui n'est pas de faire son devoir, mais de le connaître. » C'est une boutade, je veux bien, mais elle exprime quelque chose, -- qui est parfois ou souvent le découragement des meilleurs -- et l'absence d'autorités légitimes, ou de confiance en elles. Et l'*aujourd'hui* invoqué se prolonge singulièrement. Rien ne garantit que la confusion et l'obscurité ne vont pas croître encore. Peut-être n'y pouvons-nous rien. Nous pouvons du moins défendre notre esprit et notre âme contre cette confusion qui vient nous chercher, qui nous assaille, et qui nous annexera de gré ou de force, si nous n'y veillons. \*\*\* NOUS N'ALLONS PAS DONNER des mots d'ordre et des consignes : nous n'en avons pas ; et ce n'est pas le rôle d'une revue de chroniqueurs. Chroniqueurs et non docteurs. Chroniqueurs et non pamphlétaires. Mais il faut bien croire qu'il y a des choses à dire et qui ne sont pas dites, puisque la plupart de ceux qui m'ont encouragé dans cette entreprise, auteurs confirmés ou jeunes écrivains, m'ont confié presque dans les mêmes termes que, sur les événements actuels, ils ne savaient où exprimer l'essentiel de leur pensée, ce qui leur tient le plus à cœur. Je n'en tire pas de conclusions : je note le fait. Plusieurs de ceux qui m'ont consenti leur collaboration pour cette revue estiment, à tort ou à raison, qu'ils ne peuvent pas pleinement dire ailleurs ce qu'ils se proposent de dire ici. 9:1 MOMENT DE TROUBLE PROFOND, temps d'atroce confusion quand un journal vendu dans les églises est interdit dans les casernes. Je ne dis pas que ce fait me scandalise : je dis qu'il *est,* et qu'il doit être considéré, car il est caractéristique. Et caractéristique de quelque chose qui n'est certainement pas un bien. Temps de terrible confusion quand *Témoignage chrétien,* journal catholique qui se recommande à nous de tant de manières, constate dans son éditorial que le Parti communiste est « l'arbitre de la situation politique française » (13 janvier) : il le constate à tort ou à raison, on peut en discuter, mais l'important, mais le caractéristique est qu'il puisse le constater, le dire, et donc le croire, sans en tirer la conclusion qu'il est urgent d'organiser une méthodique résistance au communisme. Temps de terrible confusion quand *Monde ouvrier,* au lendemain des élections de janvier, crie en lettres énormes : « *Plus que jamais, Front populaire !* ». Qu'est donc *Monde ouvrier *? Fabrègues le rappelait dans la *France catholique* du 13 janvier : « le premier débouché de ce qui prolongeait la J.O.C., l'arrivée sur le terrain des adultes et du temporel de la première action catholique ouvrière avant la lettre ». Quelle récolte, mon Dieu ! Qu'avait-on donc semé ? Quel arbre porta de tels fruits ? Tout cela n'est peut-être que méprises et malentendus ? Mais des malentendus de cette sorte, des méprises de ce volume (à supposer qu'il n'y ait rien de plus que méprises et malentendus) contribuent au désarroi général. Devant de telles anomalies, on peut admettre bien des commentaires, sauf ceux qui voudraient nous faire prendre ces anomalies pour parfaitement normales. On peut admettre bien des attitudes, sauf celle qui consiste à systématiquement parler d'autre chose. \*\*\* 10:1 LES JOURNAUX ET PUBLICATIONS qui condamnent avec une rigueur inquisitoriale « *l'anti-communisme systématique* » (ou négatif) se sont mis à pratiquer, depuis le 2 janvier, sans aucune retenue, un anti-poujadisme systématique (ou négatif). Ils nous disaient : ce que nous condamnons dans *l'anti-communisme systématique,* c'est qu'il soit *systématique.* Mais puisque eux-mêmes ne craignent pas d'être « systématiques », par exemple dans l'anti-poujadisme, il faut nous demander si ce qu'ils condamnent dans « l'anti-communisme systématique » ne serait pas plutôt qu'il soit *anti-communiste.* Ce qui nous conduit à tenir pour vraie la remarque de M. Pierre Andreu : « A force de ne pas vouloir s'associer à un « anti-communisme négatif » l'on en arrive à ne plus désirer s'associer à aucun anti-communisme du tout. L'anti-communisme n'est plus jamais assez positif et assez pur pour emporter l'adhésion. » Cette querelle faite à l'anti-communisme est au centre de la confusion actuelle. Allons aux sources les plus sérieuses, les moins contestables : cherchons ce qu'est donc « l'anti-communisme systématique » non pas chez ceux qui font de cette expression un usage brouillon et sans mesure, mais chez ceux qui en donnent une définition précise et mesurée. Le R.P. Jean Villain, directeur des *Études,* qui sont probablement la plus considérable et la mieux tenue des revues françaises, a publié récemment un *Enseignement social de l'Église* en trois volumes ([^1]). Quand il y parle du communisme, il nous met en garde contre l'anti-communisme systématique. Assurément l'esprit de système n'est pas bon : mais pourquoi le combattre surtout ou seulement chez les anti-communistes ? Pourquoi ne l'apercevoir jamais chez ceux qui pratiquent une non-résistance systématique au communisme ? ou chez ceux qui prônent un co-existentialisme systématique ? Que vise-t-on au juste par *systématique* lorsqu'on parle de l'anti-communisme ? Le R.P. Villain nous éclaire très exactement à ce sujet (tome I, page 209) : « *En tous cas un anti-communisme systématique, c'est-à-dire une opposition systématique à toutes les réformes concrètes proposées par des communistes, serait pour les catholiques à la fois injuste et dangereux.* » 11:1 L'anti-communisme systématique se trouve là nettement défini. Il est dénoncé comme dangereux et comme contraire à la justice : comme *injuste.* Non seulement vous vous conduisez d'une manière impolitique, mais encore, mais surtout vous commettez très certainement un péché si vous croyez devoir faire « une opposition systématique à toutes les réformes concrètes proposées par des communistes ». Un peu plus haut (pp. 202-203), le R.P. Villain avait écrit : « *Afin de ne pas favoriser le communisme, il faudra bien se garder de prendre systématiquement le contre-pied de son action, quand il aura fait choix d'objectifs conformes aux exigences chrétiennes, tels que la paix ou certaines réformes sociales ; il conviendra alors de poursuivre par des voies parallèles des campagnes ayant les mêmes objets, etc*. » Ainsi, condamner l'anti-communisme systématique oblige en même temps à affirmer implicitement, et même explicitement dans le dernier texte cité, que le *communisme peut faire choix d'objectifs conformes aux exigences chrétiennes.* Cette étonnante proposition, ce n'est pas moi qui l'invente : elle est clairement formulée. Je dis au contraire, *a priori,* que le communisme (intrinsèquement pervers) ne *peut* pas choisir des objectifs conformes aux exigences chrétiennes ; et je dis *a posteriori* que cela ne lui est, en fait, jamais arrivé. Très loyalement, le R.P. Villain cite dans son livre tout ce qu'il faut pour dissiper cette confusion d'esprit à laquelle il s'abandonne : ce qui montre que cette confusion est particulièrement redoutable, et qu'il ne suffit pas de faire des citations pour la dissiper ; il faut encore y attacher son attention. Le R.P. Villain cite (p. 201) l'avertissement de Pie XI (12 mai 1936) d'après lequel le communisme s'efforce « d'attirer les foules par toute sorte de tromperies, en dissimulant ses propres desseins sous des idées en elles-mêmes bonnes et attrayantes ». Ce qui veut dire que lorsque le communisme *semble* faire choix d'objectifs conformes aux exigences chrétiennes, il s'agit d'une *tromperie.* Le P. Villain, devant ce qui est en réalité tromperie, déconseille d'en prendre le contre-pied et recommande au contraire de « poursuivre par des voies parallèles des campagnes ayant les mêmes objets ». C'est une tactique bien étrange. 12:1 Si, avant toute chose, la tromperie n'est pas démasquée, alors « poursuivre par des voies parallèles des campagnes ayant les mêmes objets » que ce qui est essentiellement *tromperie,* c'est augmenter la confusion au milieu de laquelle nous nous débattons. Le R.P. Villain croit et écrit que le communisme peut prendre *la paix* pour objectif. Mon Dieu ! Est-il possible de méconnaître à ce point d'une part *ce qu'est* le communisme, d'autre part *ce qu'est* LA PAIX ? Le R.P. Villain croit que le communisme peut proposer des « réformes concrètes » qui seraient bonnes. Il n'a donc jamais entendu parler de *l'anti-réformisme* (tantôt avoué, tantôt dissimulé) qui est une méthode constante du communisme soviétique dans tous les pays où il ne détient pas le pouvoir absolu ; Faut-il encore expliquer cela ? Bon ; nous l'expliquerons un jour ou l'autre ; une fois de plus. Mais quel désordre dans les esprits. Et quel abus de pouvoir ! Le P. Villain a écrit : *injuste*. Il en fait un péché. Il faudrait aller s'en confesser. Il y a peut-être des fidèles qui vont s'en confesser. Qui s'accusent de s'être opposés aux « réformes concrètes » proposées par les communistes. Qui s'accusent d'avoir pris le contre-pied de l'action du communisme, lequel avait choisi la paix comme objectif ; lequel avait choisi, voyez-vous, des objectifs conformes aux exigences chrétiennes. Il y a peut-être des fidèles qui s'efforcent à la contrition et au ferme propos. Que ne fait-on pas subir aux âmes... Le P. Villain s'est peut-être mal exprimé. Il ne voulait pas dire cela. Alors je l'adjure, à cette place, d'avertir ses lecteurs qu'il s'est mal exprimé. Je l'adjure de dire qu'il n'est pas *injuste,* je l'adjure de prévenir que ce n'est pas un péché de s'opposer à « la paix » des communistes ; de s'opposer à « certaines réformes sociales » des communistes ; de s'opposer aux « objectifs (soi-disant) conformes aux exigences chrétiennes » du communisme. Je l'adjure de parler. Je l'adjure de préciser qu'il n'a pas voulu dire qu'il faudrait aller s'en confesser. \*\*\* 13:1 SI L'ON VEUT SIMPLEMENT dire (ce qui n'est pas le cas du P. Villain) qu'il ne faut pas pratiquer l'anti-communisme avec un esprit de système, on a certainement raison. L'esprit de système n'est pas (à ma connaissance) un péché mais c'est un travers, un ridicule, une infirmité. Corrigeons-nous tous de l'esprit de système. Ayons une méthode et non pas un système. Professons, pratiquons, organisons l'anti-communisme méthodique. Le premier point de la méthode consiste à faire éclater la *tromperie* qui « dissimule les desseins communistes sous des idées en elles-mêmes bonnes et attrayantes », comme nous en avertissait déjà Pie XI il y a vingt ans. Il consiste à rechercher, et à dire très clairement, ce qui se cache derrière « la paix » des communistes ou derrière les « réformes concrètes » que paraît-il ils « proposent ». Je voudrais bien, d'ailleurs, que l'on m'en citât, de ces réformes concrètes. On s'apercevrait dans le cas de chacune qu'il s'agit de réformes *imaginées et proposées par d'autres*, notamment par les catholiques ; on s'apercevrait qu'il s'agit de réformes auxquelles les communistes ont fait une opposition acharnée (en 1928-1930 pour les assurances sociales) ; ensuite, pour en tirer un bénéfice tactique ou pour les dénaturer, ils les ont reprises à leur compte. Et une fois qu'ils les ont reprises à leur compte, il se trouve toujours un Révérend Père ou un « intellectuel catholique » pour parler de réformes concrètes *proposées par les communistes.* C'est aider à la tromperie, alors que le premier devoir est de la démasquer ; c'est laisser croire aux catholiques que le communisme aurait *inventé* des « réformes concrètes » souhaitables et nécessaires. Je défie que l'on me cite une seule de ces réformes bienfaisantes dont le communisme serait authentiquement le promoteur et l'auteur. Il n'y en a pas. Le second point de la méthode est de ne laisser aucun mensonge communiste sans réfutation, aucun mensonge renouvelé et répété sans réfutation renouvelée et répétée. Mais pour cela, il faudrait une presse quotidienne : celle qui existe actuellement est, *sans une seule exception,* inapte à une telle vigilance, incapable de remplir une telle fonction, et en outre fondamentalement distraite à l'égard d'une telle tâche. 14:1 L'anti-communisme méthodique, M. François Mauriac en a donné la formule il y a très longtemps, en écrivant admirablement, le 25 août 1933, dans un hebdomadaire belge qui était alors l'organe d'un mouvement consacré au Sacré-Cœur : « *Il ne peut rien y avoir de bon dans le communisme puisque ce qui en paraît bon sert à tromper et à perdre les âmes.* » Essentiellement, le communisme est un mensonge. Un mensonge porté, imposé par un formidable appareil publicitaire, politique et policier ; par une « *propagande vraiment diabolique* » qui est *l'explication* de sa diffusion. ([^2]) Ce mensonge *paraît bon ?* Il faut saisir ce qui « paraît bon », et montrer que ce n'est qu'apparence et tromperie, servant à perdre les âmes. L'anti-communisme, c'est la réfutation permanente du mensonge communiste et la contre-propagande pour libérer les esprits de son imposture. Cet anti-communisme est méthodique quand sa méthode est de restaurer chaque vérité que dissimule ou que défigure chaque mensonge communiste ; il est méthodique quand il pose en principe de sa méthode que le communisme soviétique apporte et propose *seulement* mensonge, imposture et perdition. Suis-je « injuste » envers le communisme et faudrait-il, mon Révérend Père, que j'aille me confesser d'avoir écrit cette vérité très certaine ? \*\*\* TEMPS D'ATROCE CONFUSION, quand le plus connu, le plus célèbre, peut-être le plus écouté des conférenciers de la dernière « Semaine des intellectuels catholiques » s'en est allé dire à la Radio quinze jours plus tard : « *Catholique, à quoi me servirait d'avoir des écoles libres au sein d'une nation déchue ?* » 15:1 Il a même ajouté : « *Je veux bien me battre à propos de l'école, mais dans une France souveraine. D'abord qu'elle vive, mais non d'une vie diminuée*. » ([^3]) Ce charabia mental ne contient aucune pensée, si ce n'est une pensée de démission et de suicide. Aucune parole de cet habit vert n'a eu plus de portée, en ce sens qu'aucune n'a eu plus d'auditeurs : mais aucune non plus n'a été moins contredite. La presse quotidienne que nous avons, sans aucune exception, nous habitue à tout supporter en silence, à tout admettre, à ne rien dire et laisser faire. Que la France devienne (ou soit) une nation déchue, à la vie diminuée, nous ne nous y résignons pas. Mais même s'il fallait, par impossible, s'y résigner, même s'il faut, pendant longtemps, le subir, comment y trouver une raison de renoncer non pas seulement à telle ou telle disposition législative, mais aux écoles libres, à leur existence même, c'est bien ce qu'il a dit ? C'est dans l'âme des petits enfants que se prépare la renaissance d'une nation. Et c'est l'école, nous le savons bien, c'est l'école notamment qui étouffe les âmes enfantines, qui les prive de leur respiration naturelle et surnaturelle. Je parle d'une renaissance nationale parce que l'habit vert en parle. Mais elle aussi, elle nous sera donnée par surcroît. Et le bienfait national des écoles libres, qui est immense, n'est que le plus petit des motifs, n'est que la dernière des raisons impératives pour lesquelles l'enseignement de la vérité chrétienne doit être à tout prix maintenu. \*\*\* NOUS MARCHONS A TATONS dans le brouillard et dans la nuit. Pèlerins aux terres et aux temps du désordre établi, nous n'avons choisi ni le moment ni la patrie qui nous ont été donnés, auxquels nous avons été donnés, c'est notre lot et nous l'aimons, et il faut bien que nous l'aimions, et si c'est notre croix nous ne pouvons qu'aimer notre croix. 16:1 Dans ce désordre établi, dans cette nuit et ce brouillard, nous n'avons rien d'assuré que ce qui est immédiatement à portée de la main. Mètre par mètre, nous avons un immense champ de confusion morale et mentale à défricher, dont nous n'arriverons peut-être jamais à bout, en tous cas point seuls. Il ne s'agit pas pour nous de faire la leçon à qui que ce soit, il s'agit de nous-mêmes et chacun pour soi, en nous aidant les uns les autres : nous battre contre les équivoques et les mensonges qui nous assaillent de toutes parts, refuser d'en être victimes, refuser d'en être complices ; reconnaître et assurer une à une nos vérités de chaque jour, les arracher une à une aux brouillards artificiels qui, incessamment, les pénètrent jusqu'à l'os, et qui obscurciraient le ciel lui-même. Cela servira bien à quelque chose. Cela servira peut-être à nos prochains les plus proches ou les plus lointains. Peut-être à la France. Peut-être à rien ; à la grâce de Dieu ! Mais nous n'avons pas autre chose à faire, et nous ne pouvons pas faire autrement. Jean MADIRAN. 17:1 ### Le beau est une valeur morale indispensable à la société L'ART N'EST PAS CONSIDÉRÉ avec beaucoup de sérieux dans la société contemporaine. Ce n'est pas très étonnant, car aujourd'hui, l'économie a le pas sur les valeurs morales. L'économie libérale, ou bien le marxisme, le capitalisme ou le socialisme placent avant tout les forces économiques et leur demandent de donner la direction convenable à la société. Or, c'est l'homme qui devrait être la *fin* de toute évolution sociale, et chaque transformation mécanique de la production devrait être précédée d'un examen sérieux de ses conséquences pour l'homme et de la situation morale qu'amènerait cette transformation. On sait qu'il n'en est rien. La Révolution française a détruit chez nous les institutions naturelles qui pouvaient s'opposer à l'hégémonie de l'argent, entre autres les corporations. L'art dit de Saint-Sulpice n'a pas d'autre cause que la destruction des corporations d'artistes qui n'eussent jamais autorisé ces entreprises de moulage. La « question sociale » en est une parce qu'on n'a jamais envisagé avant tout de mettre l'homme dans les conditions morales de son bonheur. Et le pis de la question sociale n'est pas dans les rapports entre patrons et ouvriers ; elle est dans l'immoralité profonde des uns et des autres ; et dans leurs idées fausses. C'est l'aboutissant d'un siècle de matérialisme. 18:1 Une société matérialiste ne saurait envisager l'art autrement que comme un amusement, n'y chercher qu'une distraction. Son état d'esprit déteint, hélas, sur les chrétiens, comme en beaucoup d'autres choses. Un jeune prêtre me disait un jour : « *Je me demande pourquoi l'abbé X... tient tellement à ce que les églises soient belles. Quelle importance cela peut-il avoir ?* » Celui-là se croyait probablement un pur spirituel très au-dessus de ces considérations naturelles. Mais qui fait l'ange fait la bête. C'est l'homme naturel qu'il faut convertir à Dieu, et il n'y perd pas sa nature, mais si sa nature se trouve haussée jusqu'à Dieu, elle reste sa nature. On sait quel usage fait de l'art le clergé en général, dans ses kermesses, les fêtes de ses patronages, et même ses églises, pour être amené à penser qu'il en a la même opinion que les matérialistes. Or, le beau n'est pas un superflu. Il est lié à l'existence même des choses et de l'homme. Il n'est pas ajouté à ce qui est, il en fait partie. Il n'est pas une conséquence de ce qu'une chose est ; il est à l'origine de ce qu'elle est, comme elle est. Le beau, c'est la puissance créatrice elle-même dans son acte. C'est ce que les anciens philosophes exprimaient en disant que le beau est l'éclat du vrai. Le beau n'est pas en soi distinct du vrai, c'est son éclat. La raison le distingue, mais il n'est pas de beau sans un vrai dont ils sont l'éclat, mais aussi le vrai n'est pas sans cette lumière propre qui est la beauté, et de ce fait, *pratiquement le vrai n'est pas connu, sans cet éclat qui le fait voir*. C'est pourquoi les grands penseurs, comme saint Paul, saint Augustin, Pascal, comme les Pères de l'Église, sont tous de grands écrivains, c'est-à-dire de grands artistes qui ont su présenter le vrai avec l'éclat qui leur est naturel. 19:1 D'ailleurs, Notre-Seigneur a donné l'exemple. Les Paraboles sont le modèle de l'art. Toute œuvre d'art est une parabole, c'est-à-dire un conte, où l'on part d'une réalité pour en signifier une autre toute spirituelle. Cézanne peint trois pommes et cela veut dire : tout est divers, mais tout est d'accord ; il y a un principe d'harmonie et ce principe dure, tel est le vrai et le vrai est beau. C'est une parabole. Elle est réussie si l'artiste est très doué, s'il a le don de pénétrer l'être, tout comme chez un philosophe. Bien entendu, il y a beaucoup plus de professeurs de philosophie que de philosophes, beaucoup plus de professeurs de dessin que d'artistes parce que ce n'est pas l'apprentissage des *moyens*, et d'un métier qui enseigne à *créer* dans ce métier. Aucun homme n'étant semblable à son voisin, les uns sont mieux doués pour exposer les problèmes de l'âme et de l'être sous la forme verbale, ce sont les philosophes et les poètes, d'autres sous la forme plastique ou musicale. Comme, en général, les écrivains ne comprennent rien à ces dernières formes de la pensée, ils n'y voient que l'éclat du vrai, c'est-à-dire le beau (c'est déjà quelque chose ; nous voudrions bien qu'ils le reconnaissent plus souvent et plus tôt) ; ils ne se doutent nullement que tous les vrais artistes sont passionnés pour le vrai, et quand les artistes eux-mêmes le leur disent, ils ne les en croient pas. Mais Picasso lui-même lorsqu'il dit sous cette forme agressive faite pour étonner les gens : « Le beau, ça m'est égal... Ce qui nous intéresse, c'est le drame de l'homme », il ne fait que reconnaître cette profonde vérité de La Palisse qu'il n'y a pas de beau sans quelque chose de beau, sans un *étant* (*ens*), et qu'il ne saurait être question de faire quelque chose de beau sans dire quelque chose de l'être. Au rebours, ceux qui pensent s'occuper du vrai seul sont inintelligibles s'ils ne lui donnent son éclat. Comment eux-mêmes reconnaissent-ils le vrai sans cette lumière intellectuelle qui émane de l'être ? Et cependant l'un d'eux, auteur d'un bon ouvrage sur l'analogie, écrit : 20:1 « *Tributaires de la métaphore parce que se mouvant tous dans l'extra rationnel, le poète et le théologien sont très près l'un de l'autre, si près et pourtant si loin ! Car le domaine du poète c'est l'infra rationnel ; c'est tout ce qui n'arrive pas à se hausser à la claire lumière de l'intelligence : le sensible, l'individuel, le sentimental, le fluide et le mouvant de la vie intérieure, le rythme palpitant de la durée*. » Citons un peu de cet infra-rationnel : *Source délicieuse en misère féconde,* *Que voulez-vous de moi, flatteuses voluptés ?* *Honteux attachements de la terre et du monde,* *Que ne me quittez-vous, quand je vous ai quittés ?* Je m'arrête ici pour ne pas forcer mon avantage, et je prends Verlaine. Voici encore de l'infra rationnel : *Un grand sommeil noir* *Tombe sur ma vie ;* *Dormez, tout espoir,* *Dormez, toute envie !* *Je ne vois plus rien* *Je perds la mémoire* *Du mal et du bien...* *Ô la triste histoire !* *Je suis un berceau* *Qu'une main balance* *Au creux du caveau :* *Silence, silence !* Le sommeil de la conscience, l'indifférence au bien et au mal, le désespoir d'un pécheur qui sent s'abolir en lui le libre arbitre, tout cela de l'infra rationnel ? Bigre ! Et puisque manifestement nous nous complaisons dans cet « infra-rationnel », citons encore : 21:1 *Les pas des Légions avaient marché pour Lui.* *Les voiles des bateaux pour Lui s'étaient gonflées.* *Pour Lui les grands soleils d'automne avaient lui* *Les voiles des bateaux pour Lui s'étaient pliées.* Ne nous embarrassons pas des incompréhensions mutuelles des gens qui n'ont qu'un mode de pensée à leur usage. Si notre théologien se fait bergsonien pour rabaisser les poètes, les poètes lui repartiront que son bréviaire est plein de cet infra-rationnel. Les psaumes sont de la poésie et leurs auteurs ne se doutaient pas toujours qu'ils faisaient de la théologie. Les psaumes ont pris tout leur sens depuis l'Incarnation. Et l'Église a continué ; ses offices sont pleins, pour notre instruction, pour notre méditation de chaque jour, de la plus audacieuse poésie. Citons : *Il m'a laissée, désolée. -- Tout le jour accablée de douleur. -- Désolée. Gloire au Père, au* *Fils, au Saint-Esprit. -- Il m'a laissée, désolée.* *Lève-toi mon amie, ma belle, et viens. Voici l'hiver fini ; la pluie cesse, elle est passée. -- La voix de la tourterelle s'est fait entendre sur notre terre. -- Marie entre dans la maison de Zacharie et salue Élisabeth.* -- *La voix de la tourterelle s'est fait entendre sur notre terre.* Et encore : *Sous la forme d'une colombe, le Saint-Esprit est apparu. -- La voix du Père s'est fait entendre ; Celui-ci est mon Fils chéri, en qui je me suis complu.* -- *Les Cieux se sont ouverts au-dessus. -- Et la voix du Père a tonné : -- Celui-ci est mon Fils chéri, en qui je me suis bien complu.* Ce qui pourrait démoraliser les artistes, ce n'est pas l'incompréhension des théologiens, mais la comparaison de ce qu'ils font avec ces textes saints. 22:1 Malheureusement, les philosophes et les écrivains se croient mission de classer et inventorier l'artiste. Et quand ils veulent « *l'expliquer* », ils sont perdus. Autant il est naturel à l'intelligence d'analyser les conditions communes à tout être, dans l'abstraction, c'est-à-dire en tant qu'être, autant il lui est impossible « *d'expliquer* » ce qui est réellement l'être existant lui-même en ce moment, ce monsieur, cette pomme. Et d'expliquer pourquoi ce monsieur, cette pomme sont d'une beauté ravissante lui est plus impossible que tout, car leur beauté est liée au mystère de leur existence. D'ailleurs, l'Écriture le dit, Dieu est Amour. C'est-à-dire avant tout, par-dessus tout Amour. Elle ne dit pas Dieu est raison, car Dieu n'a pas besoin de raisonner, et l'intelligence n'est pas la raison. Or, l'amour est fait de beau et de bon, et c'est cela le vrai : l'amour du beau et du bon. C'est pourquoi un des esprits les plus profonds de l'histoire de la pensée, Denys, dit l'Aréopagite, disait : « *Nos théologiens indiquent par là* (*le mot amour*) *une certaine vertu qui rassemble et unit et maintient toutes choses en une merveilleuse harmonie ; qui existe éternellement dans la beauté et la bonté infinie éprise d'elle-même, et de là dérive dans tout ce qui est bon et beau ; qui étreint les êtres égaux dans la douceur de communications réciproques, et dispose les supérieurs à des soins providentiels envers leurs subalternes et excite ceux-ci à se tourner vers ceux-là pour en recevoir stabilité et force.* » L'œuvre de l'intelligence est de scruter l'œuvre de l'amour divin sans oublier jamais cet amour fondement et aboutissant de toute la création. C'est pourtant ce que fait tout rationalisme avec une application désolante, et l'oubli du beau est la conséquence de l'oubli de l'amour. 23:1 « Aussi le bon et le beau sont identiques, toutes choses aspirant avec une force égale vers l'un et vers l'autre et n'y ayant rien en réalité qui ne participe de l'un et de l'autre... Le bon et le beau, essentielle unité est donc la cause générale de toutes les choses belles et bonnes. De là vient la nature et la subsistance des êtres, de là leur unité et distinction, leur identité et diversité, leur similitude et dissemblance ; de là les contraires s'allient, les éléments se mêlent sans se confondre... En un mot, tout ce qui est, vient du beau et du bon, subsiste dans le beau et dans le bon, et aspire vers le beau et le bon. C'est par lui que toutes choses existent et se produisent, c'est par lui que toutes choses se meuvent et se conservent. » Nous n'hésitons pas à citer longuement l'Aréopagite, car ces textes sont peu connus. Ils ont eu pourtant au Moyen Age une énorme influence ; saint Denys est l'auteur le plus souvent cité par saint Thomas, après saint Augustin. Son livre est le livre de spiritualité du Moyen Age. Ces textes sont injustement dédaignés. Les philosophes sont prédisposés par leur métier au rationalisme. Mais le vrai n'est autre chose qu'une connaissance adéquate de l'être, c'est-à-dire du beau et du bon. Il ne faut pas oublier, pour classer logiquement le vrai, que ce vrai est le beau et le bon. Qui meut les philosophes eux-mêmes, sinon l'amour ? L'amour du vrai, qui est le beau et le bon. \*\*\* Vous me direz : Voilà des considérations bien abstraites pour lesquelles ni ma tête, ni la vôtre peut-être, ne sont faites. Eh ! ne voyez-vous pas que c'est l'absence de ces considérations dans les têtes qui sont censées nous gouverner ou nous diriger qui fait une des causes du malheur des temps ? Elles montrent que le beau est si bien lié à l'être qu'il est une valeur morale indispensable à l'existence d'une société normale. Car une société normale a pour règle et fondement, non la productivité et le revenu par tête d'habitant, mais les valeurs morales. Une société de fourmis aussi. Si les ouvrières y amassaient pour elles seules, si la reine se refusait à pondre pour s'éviter de la peine, la guerre civile s'installerait, et elle ne durerait guère. Mais Dieu leur a imposé le bon ordre par un instinct inflexible. A nous, par amour, il a donné la liberté, participation de la sienne. A nous, avec Ses enseignements et Sa grâce, de ne pas dérailler. 24:1 Si vous refusez la beauté à l'ensemble du peuple, si vous ne la lui offrez pas avec la qualité requise pour mettre ces bonnes gens en présence des vérités essentielles à la vie de l'âme, le peuple la cherchera quand même, car c'est un besoin de la nature lié à la nature des choses. Mais où et comment, s'il n'est dirigé ? Il se précipite sur le roman feuilleton, il court au cinéma. Il achète la chanson bête et trop souvent graveleuse fabriquée par des hommes qui visent seulement l'argent à gagner. Il faut le protéger contre ces misères. Le faire matériellement, par l'interdiction de certaines bassesses, est l'affaire d'un gouvernement qui aurait le souci des valeurs morales, mais ce serait insuffisant ; il faut remplacer ce qu'on interdit, car on ne saurait contraindre le besoin naturel du beau. Il faut faire aimer au peuple le beau par le bon, le bon par le beau. Les Grecs, ces premiers philosophes, n'avaient-ils pas un seul mot pour unir ces transcendantaux ? Mais bien loin de cantonner ce bon à la morale pratique dans la médiocrité de la pensée, du style et de l'art, comme on le fait dans les cantiques dits populaires, il faut aller à la source du beau et du bon. C'est ce que fait la liturgie de nos grandes fêtes. Elle est, disait Péguy, « de la théologie détendue. Il faut comprendre par là que le fidèle qui chante le *Dies irae* dans l'Office des Morts affirme par là-même et en dedans les propositions théologiques qui gouvernent le Jugement et les fins dernières de l'homme et qu'il en fait une affirmation pour ainsi dire psychologiquement antérieure, desserrée et peut-être encore plus profonde (...) » « De même qu'en matière de foi, Péguy ([^4]) était descendu à ces profondeurs où la liturgie et la théologie, c'est-à-dire la vie spirituelle et la proposition spirituelle ne sont pas encore distinguées, de même et comme écrivain il est redescendu à ces profondeurs où l'image et l'idée sont jointes encore d'une liaison elle-même charnelle et non encore résolue. 25:1 « L'un des résultats obtenus immédiatement est que toute séparation arbitraire entre l'abstrait et le concret tombe. L'abstrait est incessamment nourri du concret, le concret est incessamment éclairé par l'abstrait. L'œuvre renvoie dos à dos les intellectualistes et nos intuitionnistes, puisque les uns et les autres sont plus occupés actuellement et ont peut-être toujours été plus occupés à nier que de produire. » L'office de l'Église a été pensé ainsi et voilà qui confère en même temps à cette éminente prière un pouvoir évocateur de pensée dans les genres les plus divers, un pouvoir d'instruction et un pouvoir de formation, une plénitude d'être capable de combler tous les cœurs. Tous ceux qui rabaissent l'art et la pensée pour les mettre soi-disant à la portée du peuple ont un grand mépris de celui-ci. Ils oublient d'abord que le Saint-Esprit passe partout, que la grâce seule peut faire pénétrer l'ordre surnaturel dans notre misérable nature ; qu'elle ne semble pas avoir connaissance des classes sociales ni des diplômes d'études, et qu'à l'homme touché par la grâce (et on ne sait jamais qui la grâce a touché), il faut une vérité intègre, ni amortie ni adoucie, ni diminuée ni transformée en pilules pour personnes pâles. Le peuple renferme une élite qu'il faut former, le peuple renferme des élus à qui il ne faut rien moins que tout. Or, l'art, le style de nos offices appartiennent nécessairement en tant que poésies et musiques à l'ordre naturel. Les réflexions de Péguy montrent comment, par quel mystère de création naturelle, par quelles analogies ils peuvent faire pénétrer en même temps dans les âmes le vrai avec le beau et le bon, le surnaturel avec le naturel. 26:1 Et cette méthode est indispensable. Elle précise le moment où se distinguent pour la philosophie (mais pour elle seule et non dans l'être) le vrai abstrait du bien vécu et du beau recherché. Car dans l'être ils sont unis. Mais les habitudes scolaires d'analyse et de dissection font aller tout au rebours des méthodes de création et les atrophient souvent. L'illusion qu'on peut se passer du beau, c'est-à-dire de la propre lumière de l'être, pour faire voir le vrai, vient de ces distinctions pratiques. Mais faire ces distinctions, les faire justes et utiles c'est pourtant aussi un art et un art de lumière. Pour le faire bien, une méthode de création est toujours nécessaire. Henri CHARLIER. 27:1 ### En lisant « Le Phénomène Humain » du Père Teilhard de Chardin par Louis SALLERON LES ÉDITIONS DU SEUIL ont publié, dans le dernier trimestre de 1955, le premier volume des « Œuvres de Pierre Teilhard de Chardin » : *Le Phénomène Humain*. La publication est faite « sous le Haut Patronage de Sa Majesté la Reine Marie-José et sous le patronage I. d'un Comité scientifique, II. d'un Comité général ». Une soixantaine de noms de savants et d'intellectuels figurent dans ces deux Comités. Un avant-propos de N.M. Wildiers, docteur en théologie, nous informe que « Parmi les nombreux essais élaborés, où (le P. Teilhard de Chardin) a voulu, sous des angles différents ou des aspects déterminés, exprimer ses vues sur l'événement cosmique, *Le Phénomène Humain* occupe une place importante et, sans doute, centrale, en raison, non seulement de son étendue, mais aussi de sa portée fondamentale. Il l'a écrit entre juin 1938 et juin 1940, donc à l'époque où sa vision du monde avait déjà atteint sa pleine maturité ; plus tard, notamment en 1947 et 1948 il l'a encore remanié et complété » (p. 12). Dans un « avertissement » de deux pages, le P. Teilhard de Chardin nous met en garde contre une erreur possible de lecture : « Pour être correctement compris, écrit-il, le livre que je présente ici demande à être lu, non pas comme un ouvrage métaphysique, encore moins comme une sorte d'essai théologique, mais uniquement et exclusivement comme un mémoire scientifique. Le choix même du titre l'indique. Rien que le Phénomène. Mais aussi tout le Phénomène » (p. 21). 28:1 L'intention de l'auteur est donc claire. Il ne veut pas entrer dans le domaine des causes premières ou des causes profondes, il ne veut même pas *expliquer *: il veut voir et nous aider à voir. « Qu'on ne cherche donc pas dans ces pages *une explication*, mais seulement une *Introduction à une explication* du Monde. Établir autour de l'Homme, choisi pour centre, un ordre cohérent entre conséquents et antécédents ; découvrir, entre éléments de l'Univers, non point un système de relations ontologiques et causales, mais une loi expérimentale de récurrence exprimant leur apparition successive au cours du temps : voilà, et voilà simplement, ce que j'ai essayé de faire. Au-delà de cette première réflexion *scientifique*, bien entendu, la place reste ouverte, essentielle et béante, pour les réflexions plus poussées du philosophe et du théologien. Dans ce domaine de l'être profond, j'ai soigneusement et délibérément évité, à aucun moment, de m'aventurer » (p. 21). Encore une fois, l'intention est claire. Le P. Teilhard de Chardin veut faire œuvre uniquement scientifique. Il ne veut connaître « *rien que* le phénomène ». Mais *tout* le phénomène, aussi. « Et voilà ce qui, sans contradiction (quoi qu'il puisse paraître) avec ce que je viens de dire, risque de donner aux vues que je suggère l'*apparence* d'une philosophie. Depuis quelque cinquante ans, la critique des Sciences l'a surabondamment démontré : il n'y a pas de fait pur ; mais toute expérience, si objective semble-t-elle, s'enveloppe inévitablement d'un système d'hypothèses dès que le savant cherche à la formuler. Or, si à l'intérieur d'un champ limité d'observation cette auréole subjective d'interprétation peut rester imperceptible, il est fatal que *dans le cas d'une vision étendue au Tout* elle devienne presque dominante. Comme il arrive aux méridiens à l'approche du pôle, Science, Philosophie et Religion convergent nécessairement au voisinage du Tout. Elles convergent, je dis bien ; mais sans se confondre, et sans cesser, jusqu'au bout, d'attaquer le Réel sous des angles et à des plans différents. Prenez n'importe quel livre écrit sur le Monde par un des grands savants modernes, Poincaré, Einstein, Jeans, etc. Impossible de tenter une interprétation scientifique générale de l'Univers sans *avoir l'air* de l'expliquer jusqu'au bout. Mais regardez-y seulement de plus près ; et vous verrez que cette « Hyperphysique » n'est pas encore une Métaphysique » (p. 22). 29:1 On voit que le P. Teilhard de Chardin est pleinement conscient de la nature des controverses auxquelles son livre donnera lieu, comme y ont donné lieu ses divers travaux déjà connus. Il répond d'avance aux objections. Il se veut savant, rien que savant. Il ne fait pas de philosophie, même s'il a l'air d'en faire. Pour la troisième fois, nous dirons que l'intention est claire. Mais intention et exécution ne sont pas une seule et même chose. La lecture du *Phénomène Humain* nous convainc que le P. Teilhard de Chardin ne reste aucunement dans les limites de la science. Pouvait-il y rester ? Le problème du domaine de la science est sujet à contestation. L'auteur le sait bien qui écrit : « Il n'y a pas de fait pur. » Mais son sujet même rend son intention plus fragile. Il invoque les précédents de Poincaré, d'Einstein, de Jeans. Ceux-ci s'attaquaient à l'Univers proprement dit. Lui s'attaque à l'Homme, et à l'Homme total, centre conscient de l'Univers. Il nous avertit d'ailleurs que « pour décrire scientifiquement le Tout il est naturel que se manifeste, avec un maximum d'ampleur, l'influence de certains présupposés initiaux d'où dépend la structure entière du système en avant ». Dans son essai, « deux options primordiales s'ajoutent l'une à l'autre pour supporter et commander tous les développements. La première est le primat accordé au psychique et à la Pensée dans l'Étoffe de l'Univers. Et la seconde est la valeur « biologique » attribuée au Fait Social autour de nous » (pp. 22-23). On ne s'étonnera pas qu'à partir de tels « présupposés initiaux » l'intention scientifique du P. Teilhard de Chardin se réalise dans une œuvre d'une rigueur très contestable. Disons, en termes simples, qu'une perpétuelle confusion s'établit chez lui entre la démonstration et l'affirmation, entre l'observation et l'intuition, entre la logique et la foi. Le « Prologue » dont il fait suivre son « avertissement » est, d'ailleurs, en quelque sorte, la négation de celui-ci. *Voir* est son titre, et six pages brodent sur ce mot. « *Voir*. On pourrait dire que toute la Vie est là, *--* sinon finalement, du moins essentiellement. Être plus, c'est s'unir davantage : tels seront le résumé et la conclusion même de cet ouvrage. Mais, le constaterons-nous encore, l'unité ne grandit que supportée par un accroissement de conscience, c'est-à-dire de vision » (p. 25). 30:1 Le style (ici, comme dans tout le livre) trahit le genre de l'œuvre. Scientifique ? Que non pas : prophétique. Il est d'ailleurs caractéristique que le substantif du verbe « voir » soit « vision » pour le P. Teilhard de Chardin. Il ne nous offre pas une vue des choses, mais une vision. Il est lui-même un visionnaire, au moment qu'il se croit un savant. Sa vision se nourrit des données de la science qu'il possède ; elle n'en reste pas moins vision, en ce sens qu'il n'y a pas de commune mesure entre ses connaissances scientifiques et l'hypothèse cosmique qu'il propose. C'est en quoi il quitte le terrain scientifique. Car l'hypothèse scientifique inclut certes, nécessairement, des « présupposés » qui ne sont pas d'ordre scientifique, et elle se soutient aussi par des adjuvants poétiques, philosophiques, religieux etc. ; mais ce qui fait qu'elle demeure hypothèse scientifique c'est qu'elle tend à la construction d'un ordre limité (la lumière, l'atome, l'univers, etc.) qui, à son tour, soutiendra le pouvoir de l'homme sur les choses. Ici c'est l'ordre *total* qui est en cause, l'ordre du Tout -- lequel est d'essence philosophique. Que si le P. Teilhard de Chardin répondait que, principalement, il a entrepris de faire une hypothèse du Tout qui demeure d'ordre scientifique, alors il résorbe, qu'il le veuille ou non, la philosophie et la métaphysique dans la Science. C'est bien, en effet, à quoi il aboutit, d'une manière inconsciente. « Le moment est venu de se rendre compte, écrit-il, qu'une interprétation, même positiviste, de l'Univers doit, pour être satisfaisante, couvrir le dedans, aussi bien que le dehors des choses, -- l'Esprit autant que la Matière. La vraie Physique est celle qui parviendra, quelque jour, à intégrer l'Homme total dans une représentation cohérente du monde » (p. 30). Il est impossible d'être plus clair dans la confusion. Car ou l'on estime que la science des « phénomènes » n'épuise pas l'être des choses (et à plus forte raison l'être de l'homme) et il est vain de rêver d'une Physique de l'Homme total ; ou l'on croit que l'Homme total est justiciable de la vraie Physique, et il est contradictoire de prétendre laisser sa place à la philosophie. Quelle serait cette place en effet ? Vision prophétique donc, et non pas hypothèse, scientifique, tel se présente dans son ensemble -- sinon dans certaines de ses parties -- *Le Phénomène Humain*. 31:1 Aussi bien, comment s'y tromper à ces lignes ? « Quand, j'essaierai de me figurer le Monde avant les origines de la Vie, ou la Vie au Paléozoïque je n'oublierai pas qu'il y aurait contradiction cosmique à imaginer un Homme-spectateur de ces phases antérieures à l'apparition de toute Pensée sur Terre. Je ne prétendrai donc pas les décrire comme elles ont été réellement mais comme nous devons nous les représenter afin que le Monde soit vrai en ce moment pour nous : le Passé, non en soi, mais tel qu'il apparaît à un observateur placé sur le sommet avancé où nous a placés l'Évolution. Méthode sûre et modeste, mais qui suffit, nous le verrons, pour faire surgir, en avant, de surprenantes visions d'avenir » (p. 30). De surprenantes visions d'avenir liées à d'éblouissantes visions du passé autour de présupposés initiaux inspirés du désir que le Monde soit vrai en ce moment pour nous, voilà qui ne nous invite pas à lire *Le Phénomène Humain* uniquement et exclusivement comme un mémoire scientifique. Lisons-le cependant, tel qu'il est, et voyons ce qu'on en peut tirer. \*\*\* *Le Phénomène Humain* comprend quatre parties : I. La Prévie, II. La Vie, III. La Pensée, IV. La Survie. Un Épilogue traite du Phénomène chrétien. Un Résumé ou Postface nous dit « l'essence du Phénomène Humain ». Un Appendice présente « quelques remarques sur la place et la part du Mal dans un monde en Évolution ». A ceux qui ont déjà lu des articles du P. Teilhard de Chardin, ce livre n'apprendra pas grand'chose. Il y redit ce qu'il a dit déjà cent fois. Ce qui est normal, car, comme l'a expliqué Bergson, un philosophe (ou un savant) n'a jamais qu'une intuition centrale qu'il ne peut qu'approfondir indéfiniment. A cet égard, *Le Phénomène Humain* offre, sur les articles déjà lus, la supériorité d'une œuvre élaborée, bien construite et, dans sa confusion essentielle, cohérente. On sait l'intuition centrale du P. Teilhard de Chardin (sa thèse, ou son hypothèse) : le cosmos, matière et esprit, est essentiellement esprit -- esprit en construction qui va de la matière à la vie, de la vie à la pensée, de la pensée à la survie. Le noyau central de cette évolution est l'homme. 32:1 Tout cela est parfaitement résumé dans les douze pages de la postface. Le P. Teilhard de Chardin y présente le condensé de sa pensée « sous forme de trois propositions enchaînées ». Première proposition : « Un monde qui s'enroule : ou la loi cosmique de complexité-conscience. » -- L'Univers apparaît au P. « comme en voie d'*enroulement* organique sur lui-même (du très simple à l'extrêmement compliqué) -- cet enroulement particulier « de complexité » se trouvant expéri­mentalement lié à une augmentation corrélative d'intériorisation, c'est-à-dire de psyché ou conscience » (p. 334). Seconde proposition : « La première apparition de l'homme : ou le pas individuel de la réflexion. » -- Si la Vie est « une fonction universelle d'ordre cosmique », il faut, au contraire, attribuer « valeur de « seuil » ou de changement d'état, à l'apparition, sur la lignée humaine, du pouvoir de réflexion » (p. 336). Troisième proposition : « Le Phénomène social : ou la montée vers un pas collectif de la réflexion. » -- L'évolution n'est pas terminée. La course humaine continue. Par delà « l'hominisation élémentaire culminant dans chaque individu, il se développe réellement au-dessus de nous une autre hominisation, collective, celle-là, et de l'espèce » (p. 340). Le « groupe zoologique humain » se dirige « vers un deuxième point critique de Réflexion, collectif ou supérieur : point au-delà duquel (justement parce qu'il est critique) nous ne pouvons directement rien voir ; mais point à travers lequel nous pouvons pronostiquer... le contact entre la Pensée, née de l'involution sur soi de l'étoffe des choses, et un foyer transcendant « Oméga », principe à la fois irréversibilisant, moteur et collecteur de cette involution » (p. 341). Les trois cents pages du livre ne sont que le développement de ces trois propositions. De la « vision » globale du P. Teilhard de Chardin, c'est celle qui concerne le passé qu'on peut considérer comme scientifique. Elle est scientifique en ce qu'elle est une interprétation de faits constatés -- faits géologiques, biologiques, anthropologiques, etc. On peut la discuter. On peut l'estimer aberrante. Mais elle a un sens. 33:1 Certains s'y opposent ou s'en inquiètent pour des raisons religieuses. Opposition mal fondée ; vaine inquiétude. Dès l'instant que sont confessées ou acceptées la création du monde et l'action directe de Dieu dans l'apparition de l'homme, toutes les hypothèses évolutionnistes sont admissibles. Sous réserve de la philosophie sous-jacente à son hypothèse scientifique, celle-ci est une des innombrables approches possibles du passé de l'univers. Pour ma part, elle me plaît beaucoup. Non pas que je la croie vraie -- qu'est la vérité d'une hypothèse scientifique ? -- mais parce qu'elle enrichit mon champ d'images cosmiques. J'ai toujours eu un goût extrême pour la Genèse. Quand un savant m'apporte un nouveau film de déroulement de ces « jours » prodigieux, je l'accueille avec joie. Où notre plaisir se gâte, le mien du moins, c'est lorsque nous quittons le passé pour entrer dans l'avenir. Il faut la candeur d'un savant pour parler d'un « mémoire scientifique ». Le P. Teilhard de Chardin a une vision du futur, et même du présent, qui fait honneur à son imagination, mais qui ressemble à la science comme le professeur Nimbus ressemble à Einstein. Aussi bien, prendre une courbe (hypothétique) du passé pour la prolonger dans le futur est un procédé très peu scientifique. (A moins qu'il s'agisse d'un passé récent et d'un futur proche, et dans un champ d'exploration bien délimité). L'erreur du P. Teilhard de Chardin provient, me semble-t-il, du simplisme extrême de son intuition centrale. Derrière les revêtements compliqués de son analyse, à quoi, en effet, se réduit celle intuition ? A une spiritualisation toujours plus grande du cosmos. Il voit le monde comme une orange dont la pression de l'évolution tirerait un jus toujours plus pur. Puisque, de la matière, nous avons vu surgir la vie et la pensée, celle-ci doit continuer à progresser vers une essence totalement dématérialisée où elle rejoindra Dieu, le point Oméga. Nous avons bonne mine de rire des vieilles cosmogonies quand nous voyons celle qu'engendre la découverte de crânes aux dimensions variées ! Une chose qui frappe, dans les développements du P. Teilhard de Chardin, c'est la contradiction entre sa conception de l'espace-temps et sa foi évolutionniste. Il sait et il dit que l'espace et le temps changent de signification et peut-être de nature en sortant du champ de nos sens. A une certaine distance (si on peut s'exprimer ainsi), ils tendent à se confondre en devenant une réalité que l'imagination soutenue par le langage des mots ne peut plus saisir. Dans ces conditions, l'évolution cosmique ne peut plus s'analyser en termes temporels. 34:1 On pourrait même dire qu'à l'infini « évolutionnisme » et « fixisme » coïncident, comme deux représentations identiques dont les symboles seraient simplement, l'un à base de temps et l'autre à base d'espace. Mais si l'on choisit le symbole du temps, il ne faut pas en être dupe (pas plus qu'il ne faut être dupe du symbole de l'espace). Le drame du P. Teilhard de Chardin, c'est qu'il est dupe. Sa vision cosmique est temporelle. Il donne au temps une consistance d'être. La querelle que certains voudraient lui chercher au sujet de ses hypothèses scientifiques dans le domaine de la paléontologie et de l'anthropologie n'est, me semble-t-il, que la séquelle des vieux débats du XIX^e^ siècle autour de Lamarck et de Darwin. Mais on peut lui chercher la querelle plus grave d'ériger en philosophie quelques relations fragiles dégagées par la science des sols et des fossiles. Cette philosophie, c'est le pur monisme, c'est-à-dire ce qui est le plus contraire, sinon à la religion, du moins à la religion catholique. Je n'entends pas dire par là, est-il besoin de le souligner, que je mets en doute le moins du monde la foi catholique du P. Teilhard de Chardin. Outre que sa foi personnelle ne me regarde pas, je suis tout à fait convaincu qu'elle était aussi profonde que sincère. Tout son livre respire la sincérité. Le savant est très souvent un naïf, au meilleur sens du mot. C'est un enthousiaste. C'est un croyant. Le P. Teilhard de Chardin est un croyant scientifique. Il a acquis la foi évolutionniste sans renier la foi chrétienne. Il marie fort bien l'une et l'autre, parce que leur mariage ne lui pose pas de problèmes personnels. Ces problèmes existent peut-être cependant. Ce n'est pas par hasard que des affirmations catégoriques sont posées par-ci par-là concernant l'existence d'un Dieu personnel, transcendant, créateur, etc. On peut conjecturer que des amis vigilants ont conseillé à l'auteur ces précisions. Avouons qu'elles font figure de précautions et qu'elles « collent » assez difficilement avec l'ensemble du livre. Chose curieuse, d'ailleurs : alors que la religion catholique ne semble pouvoir se loger qu'assez inconfortablement dans les visions du P. Teilhard de Chardin, elle les nourrit très certainement. A la page 328, il écrit : « L'Univers s'achevant dans une synthèse de centres, en conformité parfaite avec les lois de l'Union. Dieu, Centre de centres. Dans cette vision finale culmine le dogme chrétien. -- Exactement, et si bien, le point Oméga, que jamais sans doute je n'aurais osé de celui-ci envisager ou formuler rationnellement l'hypothèse si, dans ma conscience de croyant, je n'en avais trouvé, non seulement le modèle spéculatif, mais la réalité vivante. » 35:1 Je dois dire que quand j'ai rencontré cette phrase, vers la fin du livre, elle n'a fait que confirmer l'impression que j'avais. Si le monisme du P. Teilhard de Chardin est à coloration déiste plutôt qu'à coloration matérialiste, c'est déjà certainement, à cause de son catholicisme, mais, de toute évidence, quand sa « noogénèse » se lance dans l'aventure d'un achèvement logique du cosmos, le souvenir du catéchisme devient bigrement utile au cher Père pour donner figure humaine (si j'ose dire) à ses « méga-synthèses » échevelées. \*\*\* DANS UN ARTICLE publié il y a quelques années, Alfred Sauvy s'amusait à indiquer les recettes du succès pour un livre important. J'ai conservé le souvenir de deux de ces recettes. Pour réussir, un livre doit 1°) répondre à une attente généralisée des esprits. 2°) avoir une dose suffisante d'obscurité et de confusion sur l'essentiel. C'est ainsi que Sauvy explique le succès de Keynes. J'y ajoute, pour ma part, une troisième condition. Le livre doit être très assuré dans ses conclusions, surtout si elles concernent l'avenir. De même que le bon médecin, pour le malade, n'est pas le médecin savant et consciencieux, mais celui qui dit « Je vois ce que c'est. Voici ce qu'il faut faire », de même l'auteur qui séduit est celui qui s'affirme docteur et prophète. Le P. Teilhard de Chardin s'inscrit dans la lignée des Marx et des Keynes. Il sait. Il sait ce qui a été. Il sait ce qui est. Il sait ce qui sera. Face à l'inquiétude du monde, il rassure parce qu'il dit où le monde va. Et il dit sa science et sa foi avec tout le vocabulaire tarabiscoté sans lequel les Diafoirus et les Knock n'impressionneraient jamais favorablement leurs malades. Cosmogénèse, Noogénèse, Méga-Synthèse (dans le Tangentiel !), Centre Oméga... tous ces « super-arrangements » vous saisissent, vous emportent et vous convainquent. « L'évasion hors de l'Entropie par retournement sur Oméga. La mort elle-même hominisée ! » Comment résister ? 36:1 « Ainsi, à partir des grains de Pensée, formant les véritables et indestructibles atomes de son Étoffe, l'Univers -- un Univers bien défini dans sa résultante -- va se construisant sur nos têtes, en sens inverse d'une Matière qui s'évanouit : Univers collecteur et conservateur, non pas de l'Énergie mécanique, comme nous le pensions, mais des Personnes. Une à une autour de nous, comme une continuelle effluve, « les âmes » se dégagent, emportent vers le haut leur charge incommunicable de conscience... » (p. 302-303). Comment n'y pas croire ? Comment être insensibles à tant de majuscules ? Le messianisme du P. Teilhard de Chardin correspond, hélas ! aux tendances du siècle. Sa foi au Progrès, à la Socialisation, à la Totalisation paraît d'autant plus saine qu'elle se veut spiritualiste, déiste et même catholique. Elle enchante les hommes de science -- savants, ingénieurs, mathématiciens. Ils peuvent être ainsi communistes sans l'être : ils peuvent être progressistes. Je me permets de conseiller aux Éditions du Seuil de traduire ce livre en anglais. *Le Phénomène humain* est vraiment le livre qu'attend l'Amérique. Il lui permettra de prendre enfin, conformément à son vœu diffus, la main que lui tend patiemment L'U.R.S.S. A ce moment-là, nous aurons peu de loisir pour philosopher sur l'événement. Louis SALLERON. 37:1 ### Communisme et droit naturel Le message de Noël du Saint-Père, adressé aux « fils et filles de la chrétienté ainsi qu'à tous les hommes indistinctement », ([^5]) a évoqué un problème dont la méditation semble, de ce fait, opportune. Il a rejeté le communisme, mais non point en tant que fondé de fait sur un postulat athée. Il l'a rejeté « en tant que système social ». Il a clairement montré que comme système social, le communisme est contraire aux normes du droit naturel. Il a rejeté, enfin, l'opinion qui veut que le communisme corresponde à une évolution inéluctable de l'humanité. A l'heure où tant d'esprits doutent, c'est une grande source de paix intérieure que de pouvoir s'en remettre filialement à l'enseignement de l'Église. De plus en plus, d'ailleurs, on constate que, particulièrement, l'enseignement de Pie XII éveille l'attention publique, fait l'objet de cercles d'études, pénètre même en des milieux intellectuels où pourtant l'on préfère généralement inventer la vérité que la recevoir. Aussi, étant donné l'importance et la gravité du problème, est-il bien dans une ligne de soumission doctrinale qui va s'affirmant de plus en plus, de mettre en relief une question sur laquelle le Père Commun lui-même a entendu attirer l'attention. « *Nous rejetons, a-t-il dit, le communisme comme système social en vertu de la doctrine chrétienne et Nous devons affirmer, en particulier, les fondements du droit naturel. Pour la même raison, nous rejetons aussi l'opinion selon laquelle le chrétien devrait aujourd'hui considérer le communisme comme un phénomène ou une étape dans le cours de l'histoire, comme* « *moment* » *nécessaire de son évolution et par conséquent l'accepter comme décrété par la Providence divine.* » 38:1 #### I. -- LE COMMUNISME COMME SYSTÈME SOCIAL Qu'est-ce donc que le communisme comme système social ? C'est le système qui abolit la propriété privée, Marx et Engels sont précis à ce sujet : « *La propriété privée bourgeoise des temps modernes est l'expression dernière et accomplie d'un état de choses où la production et l'appropriation des produits sont conditionnées par une lutte de classes, par une exploitation de l'homme par l'homme. En ce sens, les communistes ont le droit, en effet, de résumer leur théorie dans cette formule : abolition de la propriété privée.* » ([^6]) Pourquoi les communistes veulent-ils abolir la propriété privée ? Parce que la propriété privée, surtout des biens de production, entraîne la domination d'un homme sur un autre, et que la domination d'un homme sur un autre entraîne l'exploitation de l'homme par l'homme. Le seul moyen de mettre un terme à l'esclavage économique, c'est donc d'abolir la propriété privée et de la remplacer par la propriété collective. Comme il s'agit d'un commun-*isme*, c'est-à-dire d'un *système* social, cette propriété collective n'est évidemment pas de la nature de celle des co-propriétaires en droit privé « bourgeois ». Elle correspond à une volonté systématique, ouverte ou dissimulée, de passer d'un système fondé sur la responsabilité personnelle d'un ou de plusieurs individus à un régime fondé sur la responsabilité de formes anonymes collectives. Le régime communiste, d'ailleurs, ne succède pas immédiatement, on le sait, à l'abolition de la propriété privée. Des étapes successives doivent permettre d'atteindre à la « phase supérieure de la société communiste » que Lénine décrit ainsi : 39:1 « *Quand tout le monde, en effet, aura appris à administrer et administrera réellement, directement, la production sociale, quand tous procèderont, en toute indépendance, à l'enregistrement et au contrôle des parasites, des fils à papa, des coquins et autres* « *gardiens des traditions capitalistes* »*, il sera si incroyablement difficile, pour ne pas dire impossible, d'échapper à cet universel recensement et contrôle ; ce sera une si rare exception ; toute tentative dans ce sens entraînera vraisemblablement un châtiment si prompt et si exemplaire* (*car les ouvriers armés, qui sont des gens pratiques, et non de petits intellectuels sentimentaux, n'aiment pas qu'on plaisante avec eux*)*, que la nécessité d'observer les règles simples et fondamentales de toute société humaine passera très vite à l'état d'habitude. La porte s'ouvrira alors toute grande vers la phase supérieure de la société communiste.* » ([^7]) A quelque type de « phase » qu'on le considère, on voit dans quel sens évolue le communisme comme système social. #### II. -- LE COMMUNISME, ÉTAPE DANS LE COURS DE L'HISTOIRE L'intervention du Saint-Père, semble-t-il, vient de ce que plusieurs chrétiens -- dont, est-il besoin de le dire, les intentions ne sont pas en cause -- distinguent dans le communisme une philosophie « athée » et un système économico-social qui, en lui-même, serait « neutre ». Ils repoussent la première, mais croient reconnaître dans le second un certain nombre de valeurs. Celles-ci, une fois purifiées de l'athéisme qui les masque, devront être, selon eux, assumées par les chrétiens. Les motifs de cette attitude semblent se ramener, essentiellement, à un désir d'efficience. Il s'agit, au fond, de désarmer la critique communiste de la religion. Karl Marx s'attache à prouver que la religion, en affirmant que Dieu est, et qu'il est un juste Juge, abandonne, sur terre, les victimes des injustices surtout sociales. Dieu est un prétexte commode pour remettre à une autre vie l'heure de la justice sociale. 40:1 « *L'homme, dit-il, c'est le monde de l'homme, l'État, la Société. Cet État et cette société produisent la religion, conscience faussée du monde, parce qu'il est un monde faussé... La critique de la religion se trouve donc le début d'une critique de cette* « *vallée de larmes* » *sur laquelle la religion met son auréole.* » ([^8]) Cette critique est efficace, semble-t-il, auprès des membres de la classe ouvrière persuadés de la collusion de l'Église et des intérêts de la classe bourgeoise. La charité ne doit-elle pas conduire, alors, à montrer que la critique est sans fondement, que l'espérance du Ciel ne correspond pas nécessairement à la consolidation du désordre établi par l'exploitation de l'homme par l'homme ? Ne doit-elle pas conduire à tenter un vigoureux dépassement de ce qui n'est, après tout, que structures sociologiques ? La charité et le réalisme qu'elle implique ne doivent-ils pas conduire enfin à rompre avec ce que trop souvent on a pris pour la religion elle-même, et qui n'est en réalité que routine conservatrice dans un état social qui n'a que trop retardé l'apostolat en milieu prolétarien ? Telle est l'orientation dont il s'agit. Elle s'exprime dans des directives concrètes. La critique du droit de propriété des biens de production aboutit à montrer que l'évolution conduit aujourd'hui au-delà du capitalisme, vers des formes de nationalisation ou de co-gestion de l'entreprise industrielle. Pourquoi les catholiques ne montreraient-ils pas que la doctrine sociale de l'Église contient aussi des possibilités dans ce sens ? De même, l'évolution commanderait une prise de conscience, par la jeunesse paysanne, du caractère désormais anti-économique de l'exploitation familiale agricole. Un dépassement des vieux réflexes conservateurs doit conduire à des formes collectives de propriété agricole plus en accord avec la technique moderne. Pourquoi les catholiques ne prendraient-ils pas la tête de ce mouvement ? Ainsi, par une action sociale et une présence lucide, tenant compte des impératifs de l'évolution, les chrétiens peuvent encore empêcher l'athéisme d'imprégner les structures du monde de demain. Il faut pour cela qu'ils sachent à temps les reprendre à leur compte. 41:1 Ce qui légitime finalement ce désir d'efficience, c'est la conviction que la critique marxiste de l'économie politique bourgeoise contient des éléments véritablement scientifiques. Elle a mis l'accent sur la puissance de création et l'efficacité du travail humain : l'homme est capable de se changer lui-même en transformant la nature et en créant une culture. Cette transformation de la nature par la technique peut s'envisager dans la perspective paulinienne d'un achèvement de la Création. Cet achèvement suppose des réformes de structures en accord avec les impératifs de la technique moderne. Une étape gigantesque attend l'humanité : le passage à un monde prométhéen où la production sociale, mise entre les mains du peuple, permettra de lutter efficacement contre la misère. Le communisme est comme le signal historique de l'étape. #### III. -- PRIMAT DE L'EFFICIENCE, -- OU DE LA VÉRITÉ Les enseignements donnés par le Pape Pie XI dans l'Encyclique *Divini Redemptoris*, ceux que donne le Pape Pie XII, en particulier dans les deux derniers messages de Noël, ne posent pas d'abord le problème du communisme sur le plan de l'efficacité chrétienne en face d'un monde en évolution. Ils le posent d'abord sur le plan de la vérité et de la doctrine chrétienne en face de ce même monde. Non que le Saint-Père soit indifférent à l'efficacité, « *car la vérité, spécialement la vérité chrétienne, est un talent que Dieu met entre les mains de ses serviteurs afin que, par leurs entreprises, il porte ses fruits pour le salut commun* ». ([^9]) Mais c'est l'efficacité de la vérité à laquelle il nous convoque, et c'est ici que l'on pressent une sorte de disjonction entre l'orientation que nous avons évoquée et la pensée de l'Église. Car cette orientation qui semble d'un grand réalisme du point de vue pratique tend toutefois, consciemment ou inconsciemment, à limiter la vérité chrétienne au domaine religieux. Le communisme serait mauvais seulement parce qu'il est athée ; mais du point de vue générique de l'organisation sociale, et plus spécifiquement économique, il y aurait en lui une technique à retenir parce que neutre en elle-même. Dans tous les cas, il y aurait en lui un fait nécessaire d'évolution historique à découvrir et se pénétrer. 42:1 Or, le discours de Noël 1955 élargit le point de départ de ce raisonnement -- en pleine continuité d'ailleurs avec des enseignements antérieurs. Ce n'est pas seulement l'athéisme qui est à rejeter dans le communisme. C'est le communisme lui-même en tant que mode d'organisation sociale. Pie XII, en bref, semble considérer qu'en un tel domaine, la vérité chrétienne n'est pas seulement une vérité religieuse, mais une vérité doctrinale en matière sociale. C'est ici que se situe le point le plus critique des difficultés auxquelles nous avons fait allusion. Certains esprits éprouvent une sorte de gêne, sinon même d'inquiétude, lorsqu'ils voient l'Église affirmer que l'ordre social reposant sur la propriété privée des biens de production, sur l'entreprise privée ou sur l'exploitation familiale agricole est un ordre auquel on ne peut pas délibérément renoncer sans se mettre en contravention avec la doctrine chrétienne. L'origine de cette inquiétude est d'ailleurs très apparente : comment, avec une doctrine chrétienne aussi précise sur le plan social, espérer que les communistes, si nombreux dans le monde d'aujourd'hui, tournent jamais leur regard vers l'Église ? Ne serait il pas opportun de détacher du contenu révélé, dont l'Église a le Dépôt, ces points doctrinaux qui ont pu répondre à divers besoins, mais qui ne font aujourd'hui que s'attacher dangereusement à des types de structures sociologiques en voie d'effritement ? Ne pourrait-on élaborer d'autres structures de type communautaire, plus adaptées à la technique contemporaine, et que les chrétiens précisément pourraient mettre au point, en accord aussi avec la doctrine chrétienne en tant que telle ? Il y a quelque chose de trop douloureux, de trop profondément sincère dans un tel plaidoyer pour que l'on ne s'applique pas à le comprendre de l'intérieur. Cet effort, d'ailleurs, bien dans la ligne, croyons-nous, de la charité vivante du Christ, est demandé de même à ceux des chrétiens que les paroles du Saint-Père, à Noël, ont pu surprendre. Car celui qui ne ferait que les aborder extérieurement, risquerait d'interpréter trop humainement l'intervention pontificale. 43:1 #### IV. -- LE DROIT, PRODUIT HISTORIQUE OU VOULOIR DIVIN ? La difficulté, insistons-y, porte sur ce point précis : on a tendance à considérer comme « structures historiques », des institutions que tous les Papes, sans exception, ont déclaré institutions de droit naturel. A préciser davantage encore, en ce qui concerne le communisme comme système social, il s'agit de savoir si le droit de propriété privée, appliqué aux biens de production et la liberté d'entreprise qui en découle, est le fruit d'une situation historique qui l'a rendu opportun pour un temps, ou s'il est inscrit par le Créateur, dans le plus intime des éléments permanents de la dignité de la personne humaine. Poser une telle question, c'est en définitive poser la question des fondements du droit. Les divers, droits qui sont l'apanage de la dignité humaine viennent-ils de Dieu, ou viennent-ils des hommes ? Sont-ils une expression de la volonté du Créateur et la participation dans la raison humaine de la Loi éternelle ? Ou sont-ils le résultat d'une décision purement humaine, résultant elle-même essentiellement de la causalité matérielle exercée par les conditions techniques de la production ? C'est là le véritable problème, et c'est ici que marxisme et catholicisme s'affrontent, dans la pleine lumière de ce qu'ils ont d'irréductible. C'est ici qu'il faut faire un effort pour comprendre, de l'intérieur, la pensée de l'Église en regard de la pensée communiste. Les communistes, à l'école de Marx, considèrent que c'est l'infrastructure des rapports de production qui détermine le régime juridique et donc le système des droits : « *Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté. Ces rapports de production correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles.* 44:1 « *L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle, sur quoi s'élève une* SUPERSTRUCTURE JURIDIQUE *et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées*. » ([^10]) Les catholiques ne peuvent pas accepter un tel point de vue, qui revient à fonder le droit sur des éléments contingents eux-mêmes à l'appréciation arbitraire des hommes. C'était déjà le jugement de Pie XI sur le communisme : « *Doctrine subversive de l'ordre social puisqu'elle en détruit les fondements mêmes, système qui méconnaît la véritable origine, la nature et la fin de l'État, ainsi que* LES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE*, sa dignité et sa liberté*. » ([^11]) Et Pie XII montre bien l'inéluctable aboutissement du matérialisme historique appliqué au fondement du droit : « *Si l'on enlève en effet, au droit, sa base constituée par la loi divine naturelle et positive, et par cela même immuable, il ne reste plus qu'à le fonder sur la loi de l'État absolu*. » ([^12]) #### V. -- LE COMMUNISME CONTRE LA CRÉATION Ainsi, nous en arrivons à mettre à jour ce qui nous paraît le sens le plus profond de l'intervention de Pie XII à Noël. Il a voulu nous dire qu'avant même de s'attaquer aux fruits de la Rédemption, le communisme S'ATTAQUE A LA CRÉATION. La Grâce, on le sait, élève la nature. Elle ne la détruit pas. Donc, l'ordre chrétien n'est pas l'ordre de la grâce *abstraction faite de la nature*. C'est l'ordre de la grâce assumant la nature, la perfectionnant, l'élevant incomparablement, mais ne détruisant rien de tout ce que Dieu y a mis. Or, les droits naturels sont conférés par Dieu à l'homme en tant qu'homme. Ces droits font donc partie intégrante de la doctrine chrétienne, car, encore une fois, la vie morale naturelle est assumée dans la vie de la grâce, mais non point détruite. 45:1 Déjà l'an dernier, à Noël 1954, Pie XII avait orienté les esprits dans cette direction. Parlant de la coexistence entre l'Est et l'Ouest, il avait dit : « *On ne peut toutefois construire dans la vérité un pont entre ces deux mondes séparés, si ce n'est en s'appuyant sur les hommes qui vivent de part et d'autre, et* NON PAS SUR LES RÉGIMES OU SYSTÈMES SOCIAUX*. En effet, tandis que l'une des deux parties s'efforce encore, dans une large mesure, consciemment ou non, de préserver le droit naturel, le système en vigueur dans l'autre s'est complètement détaché de cette base. Qu'un surnaturalisme unilatéral ne veuille point faire cas de semblable attitude, sous prétexte que nous vivons dans le monde de la Rédemption et sommes soustraits de ce fait à l'ordre de la nature ; ou bien qu'on prétende reconnaître comme* « *vérité historique* » *le caractère collectiviste de ce système, en ce qu'il correspond lui aussi au pouvoir divin ; ce sont là erreurs auxquelles un catholique ne peut en aucun cas souscrire*. » ([^13]) Ainsi, la position de l'Église n'est pas une position conservatrice au sens d'une alliance dépassée avec des structures sociales bonnes à un moment, périmées à un autre. C'est une position qui engage le droit naturel, autrement dit la dignité que le Créateur a conférée à la personne humaine. Cette position peut sembler, sous un certain rapport, compliquer dans l'immédiat l'attitude des catholiques en face de la marée montante du communisme. C'est vrai. Mais la position inverse serait plus dangereuse encore. Elle conduirait à l'abandon, en un moment historique difficile, de la défense de la dignité humaine par l'Église. Or, « *ces réflexions valent avant tout dans les questions du droit privé relatives à la propriété.* (...) *La reconnaissance des droits et des devoirs tient ferme ou croule avec la reconnaissance des droits et des devoirs imprescriptibles inséparablement inhérents à la personnalité libre qu'il a reçue de Dieu*. » ([^14]) \*\*\* 46:1 C'est donc le communisme comme type d'organisation sociale, et non seulement son athéisme, que l'Église condamne. Et ce n'est pas par « conservatisme attardé » qu'Elle reste attachée au droit de propriété privée, même des biens de production et au libre établissement personnel, -- mais parce que c'est là un ordre moral voulu de Dieu, et qu'Elle est fidèle à Dieu, quelques difficultés que cela comporte. « -- Mais si l'histoire évolue irrésistiblement dans ce sens, que va-t-il arriver ? « -- *Nous rejetons aussi l'opinion,* a dit le Saint-Père*, selon laquelle le chrétien devrait aujourd'hui considérer le communisme comme un phénomène ou une étape dans le cours de l'histoire, comme un* « *moment* » *nécessaire de son évolution et par conséquent l'accepter comme décrété par la Providence divine*. » ([^15]) Quant à l'avenir, quels que soient nos impressions, nos calculs, nos plans humains, -- il n'est pas à nous. Il n'est pas non plus au communisme. Il est à Dieu. Et c'est à Lui d'abord, à son Amour, à sa Providence, à Son Église, que nous nous confions. Marcel CLÉMENT. 47:1 ### Le conte de saint Pierre mangeant le pain, faisant les blés Il y avait une fois, saint Pierre, -- qui n'était pas encore saint Pierre tout à fait, qui n'avait pas les clefs du Paradis. Le bon Dieu a eu besoin de patience pour le former ! Mais ne lui en faut-il pas avec tous les humains ? Le bon Dieu donc a emmené saint Pierre en ses courses sur la terre. Et il lui a fait emporter une livre de pain : c'était pour leur dîner, quand ils feraient la pause. Avant midi sonné, saint Pierre avait grand faim, déjà. Ils ont passé près d'un étang : toutes ces grenouilles coassaient à qui mieux mieux. « Seigneur, ce doit être qu'elles ont faim. Vous voulez bien ? Je leur jette quelques bouchées de notre miche ? » Voilà saint Pierre faisant semblant de jeter du pain aux grenouilles. C'était lui, morceau par morceau, qui le mangeait. Mais il jetait des cailloux. Sous ces cailloux, les grenouilles ont pris peur : elles ont plongé dans l'eau, la vase, à travers les roseaux. Et, plus de coassements. « Ha, elles ne coassent plus, a dit saint Pierre. Elles devaient mourir de faim, pauvres petites bêtes ! Mais notre miche a fait merveille. » Un peu plus loin, ils se sont assis au bord d'un champ. « Voilà ! a dit alors saint Pierre : si nous n'avions donné tout notre pain, maintenant nous le mangerions. 48:1 -- Mais les grenouilles l'ont mangé, n'est-ce pas, Pierre ? a dit le bon Dieu. -- Hé oui, Seigneur, a répondu saint Pierre. Voyez-vous, sur la terre, tout n'est pas arrangé comme il faudrait, encore. Ainsi du pain, du blé : il n'y a jamais assez de blé ! Si c'était moi... Vous devriez me laisser gouverner cela. -- Eh bien, Pierre, l'an qui vient, tu gouverneras le blé ! » Saint Pierre était tout glorieux de gouverner le grain, car c'est la grosse chose. La vie de notre humain lignage Tient à la pointe d'une paille. Hé oui, la vie est dans le pain, la vie est dans l'épi. \*\*\* Mais voilà-t-il pas que saint Pierre, tant il était content de soi a oublié de faire fleurir les blés ! Il l'a bien oublié... Le moment venu, le bon Dieu a ramené saint Pierre dans les champs. Les paysans, faucille en main, sous le soleil, étaient tous aux moissons. Mais par moments, ils n'y pouvaient tenir : lâchant l'ouvrage, ils s'arrachaient les cheveux : point de grain, rien que de la paille !... De bout en bout du pays. « Alors, enfants, a demandé le bon Dieu, les blés sont-ils beaux, cette année ? -- Ha, beaux ? Malheur de nous ! Ce n'est point la paille qui manque, mais le grain, où le prendre ? Que va-t-on devenir ? » Saint Pierre se faisait tout petit et baissait le nez vers la terre. 49:1 Un peu plus loin le bon Dieu a dit : « Te rappelles tu, Pierre ? L'autre année, nous nous sommes arrêtés en ce lieu. Tu avais oublié sans doute que tu venais de manger notre pain : tu m'as dit que c'étaient les grenouilles, et tu m'as demandé de te laisser gouverner les blés. Mais, cette année, n'aurais-tu pas oublié tout de bon de les faire fleurir ? -- Seigneur, a dit saint Pierre en se jetant aux pieds du bon Dieu, n'y aurait-il pas du pardon ? Et n'y aurait-il pas du remède ? sinon les gens vont tous mourir de faim. » Le bon Dieu a voulu que dans les gerbes mêmes des épis se formassent. Et, malgré l'oubli de saint Pierre, il y eut du grain plus qu'il n'y en avait jamais eu. Si bon est le bon Dieu qu'il fait tourner au profit des humains même leurs manquements et leurs sottises. Suffit qu'ils sachent revenir à lui et le lui demander de tout cœur. Voilà ce que saint Pierre a pu apprendre après avoir battu sa coulpe. A lui dès lors de porter les clefs, d'ouvrir les portes, et sans doute qu'il voit à ce que tout aille à peu près sur la terre pour acheminer mieux les gens au Paradis. *Saint Pierre, Saint Simon,* *Prenez garde à la maison* *S'il y vient un pauvre,* *Donnez-lui l'aumône.* *S'il y vient un capucin,* *Donnez-lui un verre de vin.* *Et s'il y vient un voleur,* *Percez-lui le cœur.* Henri POURRAT. 50:1 ### La liberté et la prière IL N'EST PAS AISÉ de parler du libre arbitre : c'est un fait ; on ne prouve pas un fait, on le constate. Il en est du libre arbitre comme de la conscience, autre aspect de la nature de l'homme. Quand même il serait prouvé, ce qui ne peut être, que tout ce qui arrive est déterminé nécessairement, le fait de la conscience de soi et du monde sur un point de cet immense circuit resterait un événement entièrement inexplicable, et son existence remet en cause toutes les explications déterministes. Le libre arbitre appartient au même fait de conscience. Toutes les délibérations de l'intelligence avant qu'on ne se décide à quelque action sont elles-mêmes des jugements du libre arbitre, si bien que plus on a de bonnes raisons d'agir, moins on dépend des causes physiques et physiologiques qui agissent sur l'esprit et plus on est libre. La volonté ajoute enfin un tout petit poids dans la balance, la décision est prise. C'est un instant dans la vie et toute la vie en dépendra. C'est ainsi que se décident la plupart des vocations ; elles résultent d'un choix entre des carrières trop souvent également honorables et bonnes. Le goût du risque ou de la recherche, l'amour du bien et du vrai, la confiance en Dieu sont des vêtements du libre arbitre, bras droit de la conscience. 51:1 Avant cette décision, l'homme qui l'a prise n'en savait pas plus long que vous sur ce qu'il ferait. C'est ici qu'intervient souvent la grâce pour débarrasser l'homme des fausses craintes, des illusions de l'imagination, de tout ce dont la nature déchue et sujette aux concupiscences embarrasse le libre arbitre ; car, selon la parole profonde de saint Bernard : « Sans la grâce, rien qui sauve, sans la liberté, rien à sauver. » Or Dieu respecte notre libre arbitre. Il a respecté la liberté de Judas. Il ne lui en coûtait pas plus de convertir Judas que de convertir saint Paul sur le chemin de Damas. L'Église, dans une oraison, Lui demande de convertir nos volontés *même rebelles* ; il faut croire que Judas n'avait pas fait cette prière. Pourquoi une pareille différence entre ces deux hommes ? Dieu a respecté leur liberté ; quand ? comment ? Nous l'ignorons et ne connaissons que les résultats. Était-ce lorsque saint Paul étudiait aux pieds de Gamaliel qu'il fit ce bref acte volontaire qui plût au Seigneur ? Il se promit sans doute alors de ne servir que Dieu seul -- tel qu'il le connaissait -- de tout son cœur et de toute son âme. Il fallut que Jésus se montrât lui-même à cette tête de fer. Alors sa liberté fut débarrassée du bandeau de la synagogue. Demeurée droite dans l'erreur où elle était fixée, elle put s'orienter vers sa véritable fin. Pour Judas, il n'est pas possible de supposer quoi que ce soit. C'est un trop grand mystère qu'un appelé qui fut traître. Il faut croire qu'il avait réprouvé le pardon donné à la femme adultère, sans quoi il n'eut pas désespéré ; mais le fait évident est que Dieu a respecté sa liberté. 52:1 Nous en avons d'autres exemples dans l'Évangile encore, car Dieu a demandé son acquiescement à la Très Sainte Vierge avant qu'elle conçût le Sauveur. Les objections, la délibération de Marie sont connues de tous ; nous n'osons pas introduire ces merveilles hors de leur contexte dans une misérable paraphrase. Dieu a respecté la liberté de Marie. On voit ici que ce serait se faire une idée assez pauvre de la liberté que de croire qu'elle consiste seulement à choisir entre le bien et le mal. Car la Très Sainte Vierge n'eut jamais à faire ce choix ; il lui a été offert des tentations, sûrement ; mais elle ne s'en est même pas aperçue, semblable à ces enfants devant qui, sans qu'ils les comprennent, on tient des propos équivoques. La liberté serait plutôt un pouvoir de choisir sa fin et les moyens de sa fin. Mais l'idée de choisir implique cette liberté qu'on veut définir ; comme le temps et l'espace, la liberté ne peut se définir sans tautologie, c'est-à-dire sans employer l'idée même qu'on voudrait définir. C'est ce que, dans les sciences, Meyerson appelle un irrationnel, un fait non déductible. L'intelligence peut bien l'analyser, mais la raison ne peut l'expliquer. Et, conclut Meyerson, « la raison n'a qu'un seul moyen d'expliquer ce qui ne vient pas d'elle, c'est de le réduire au néant ». C'est ce que les rationalistes tentent de faire pour la liberté : Un autre miracle tout gracieux et aimable nous montre encore la Très Sainte Vierge dans l'exercice se sa liberté, et Dieu lui-même semble l'y provoquer. C'est aux noces de Cana. Notre-Seigneur et la Sainte Vierge étaient parents des mariés. Quatre des apôtres sont des cousins germains de Notre-Seigneur et comme l'apôtre Simon était de Cana, beaucoup des Anciens ont cru qu'il s'agissait de ses noces. Et le vin manqua. Sans savoir exactement ce que son Fils ferait, la Sainte Vierge savait que son Fils pouvait beaucoup. Librement, elle dit : « Ils n'ont plus de vin. » Notre-Seigneur voulant faire constater cette liberté, répond comme si son intention était autre. Il dit : « Mon heure n'est pas encore venue. » Son heure, c'est celle d'un autre banquet, celle de la Cène et de la Passion, c'est celle du vin changé en son Sang. Il sait qu'il va changer la substance de l'eau en celle du vin « premier miracle que Jésus fit devant ses disciples ». Pour rendre manifeste la liberté et la puissance de la Sainte Vierge, il parle de la grande transsubstantiation qu'il devait accomplir le Jeudi Saint et qui se continuerait jusqu'à la fin des temps ; et Il dit : « *Que vous importe à vous et à moi ?* » qu'il n'y ait plus de vin. 53:1 Mais la Très Sainte Vierge se sait exaucée et dit : « Faites tout ce qu'Il vous dira. » Les serviteurs se sont pliés les premiers à cette parole éternelle ; puissions-nous faire comme eux en tout temps. Il est incompréhensible que tant de fidèles chrétiens, dont il y a bon nombre chez les protestants, se refusent à honorer la Très Sainte Vierge comme il se doit, quand l'Évangile, tel que l'Esprit Saint a inspiré à saint Jean de l'écrire, montre ici au clair son rôle dans l'Église. Dieu même provoque la leçon par un propos familier ; il prouve la liberté et la toute puissance de supplication de la Très Sainte Vierge. Celle-ci se trouve à l'origine de l'Incarnation, librement ; elle ouvre ici librement la carrière de son Fils comme docteur et comme prophète. Jusque là, Jésus était simplement désigné par Jean-Baptiste ; il se manifeste à la demande de la Sainte Vierge. C'est un exemple pour tous les temps ; car, à Lourdes comme ailleurs, c'est toujours Dieu qui fait les miracles, Marie ne fait pas autre chose que ce qu'elle a fait aux noces de Cana. Elle approuve ainsi la simple foi des bonnes gens qui demandent à saint Antoine de Padoue de retrouver leurs clefs perdues et prennent ainsi modestement leur part de la toute puissance divine ; elle prie pour une simple noce de campagne où le vin manque, pour toutes les petites misères si douloureuses aux pauvres et pour les misères morales devant lesquelles il n'est dans l'humanité que des pauvres. 54:1 La Sainte Vierge est intervenue par une prière ; c'est la liberté qui fait le prix et le poids de la prière ; la prière est le plus parfait usage de la liberté, car Dieu a établi la prière, comme le dit magnifiquement Pascal, « *pour communiquer à ses créatures la dignité de la causalité* ». Telle est l'œuvre de l'amour. L'image de Dieu, en l'homme, c'est la liberté. Ces deux libertés communiquent par la grâce et la prière pour que l'homme et Dieu soient uns par l'amour comme Jésus est un avec son Père. Il convient donc de protéger notre liberté et de bien diriger notre prière. Tous les actes par lesquels on gagne une habitude sont des actes libres, mais certaines habitudes sont bonnes, ce sont les vertus et d'autres sont mauvaises et finissent par abolir en nous cette liberté qui les a créées. Il n'y a point d'acte indifférent. Je ne pense pas que les ivrognes invétérés soient encore libres. Le tabac est un narcotique, léger, j'en conviens, mais étant un narcotique il atteint notre liberté. Il vaut mieux n'en pas user. Pour former les enfants à l'usage de la liberté, on leur faisait faire beaucoup de petits sacrifices, afin qu'ils s'habituent à vaincre les concupiscences, à obéir et à faire de bonnes œuvres avec le fruit de leurs sacrifices. Dans ma jeunesse, toutes les tirelires des gamins, même chez les pauvres, étaient destinées aux plus pauvres ou aux missions, afin que les enfants ne s'attachent point à l'argent. Enfin l'obéissance à Dieu est bien plus facile lorsqu'on est habitué dès l'enfance à obéir à ses parents et même à confondre ces deux obéissances dans le même acte de foi. D'après les supérieurs de communautés et les maîtres des novices que j'ai pu connaître, cette éducation manque beaucoup aujourd'hui dans les familles chrétiennes elles-mêmes et les noviciats s'en ressentent. Les jeunes gens sont très peu disposés à l'obéissance. Or *celle-ci est le maître d'école de la possession de soi, donc de la liberté*. Claude Duboscq naguère chantait « Saint François était un grand roi. -- Saint François était maître de soi. -- Il avait épousé la Croix. » « Je ne suis pas venu faire ma volonté » dit Notre-Seigneur, « mais la volonté de Celui qui m'a envoyé. » Nous sommes tous des envoyés. 55:1 Derrière toute mauvaise éducation, en dehors des faiblesses morales des parents, il y a une fausse idée de la liberté, et très probablement une direction médiocre de la prière. L'Église, dans une oraison, demande : « Que les oreilles de votre miséricorde, Seigneur, s'ouvrent aux prières de ceux qui vous implorent, et, pour qu'ils obtiennent ce qu'ils sollicitent, faites-leur demander ce qui vous est agréable ». Nous savons très bien ce que Dieu désire de notre liberté, car Notre-Seigneur nous en a instruits : « Notre Père... » Il dirige notre prière et l'Église continue de la diriger dans le cycle annuel de ses offices qui sont la prière même du Saint-Esprit proposée aux fidèles. Les demandes concernent essentiellement la foi, l'espérance et la charité, par toutes les raisons de miséricorde qu'offrent les actes de la vie de Notre-Seigneur au courant de sa courte vie sur la terre. Elles sont si importantes que l'ordre dans le monde et la conversion de l'univers dépendent de la prière et de la foi des chrétiens, car Dieu, *par la prière leur a communiqué la dignité de sa causalité*. Et comme le monde (qui n'a jamais bien été) va fort mal à cette heure, il est probable que les chrétiens n'ont jamais suffisamment prié et qu'ils prient plus mal en ce moment que jamais. Quand on en voit subordonner le don de la foi à des *réformes de structure* sociales, on peut dire qu'ils ne savent plus bien leur Pater, même s'ils sont généreux et clairvoyants au point de vue naturel. Toute vie chrétienne implique l'imitation de Jésus et le fardeau de la Croix, toute prière chrétienne se rattache à la Croix dans l'espérance de la vie éternelle. Jésus n'a demandé que des réformes de structure mentale et non sociale. 56:1 L'Église n'a triomphé de l'esclavage, plaie sociale du temps des apôtres, que par la prière et la folie de la croix, comme Jésus. Saint Paul a renvoyé à son maître un esclave qui s'était échappé, en demandant seulement à ce maître de faire avec son esclave une société chrétienne ; il n'a pas demandé qu'on changeât la légalité juridique avant de prêcher Jésus crucifié. Aussi, parlant de l'action catholique, Pie XI (et c'en est le document essentiel de nos jours), Pie XI disait : « Elle doit (l'action de l'apostolat) s'entendre de bien des façons, mais il faut avant tout comprendre la prière qui est toujours le premier, le plus facile et le plus important apostolat, apostolat possible à tous et interdit à personne ; en même temps que moyen le plus puissant et le plus infaillible. » (Discours de S.S. Pie XI aux associations catholiques de Rome, le 19-4-31.) Demandons à saint Paul de conclure : « Que le Dieu de patience et de consolation vous donne donc d'avoir les uns à l'égard des autres les mêmes sentiments que Jésus-Christ, afin que d'une seule âme et d'une seule bouche vous honoriez Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » D. MINIMUS. 57:1 ## DOCUMENTS Les textes les plus remarquables ou les plus caractéristiques de notre temps sont en général dispersés dans un tel nombre de publications diverses qu'il est matériellement impossible au public, même averti et cultivé, de les connaître autant qu'il le voudrait. C'est pourquoi nous en recueillerons quelques-uns dans ces « Documents ». A l'occasion, nous marquerons notre accord ou notre désaccord. Ce sera l'une des fonctions permanentes de ces « Documents ». Les autres (enquêtes et témoignages) se développeront ultérieurement. ~===============~ 58:1 #### Une prise de position d'une importance capitale *Dans les* « *Libres opinions* » *du* Monde (8 *janvier*). *M. Georges Hourdin a exposé ses opinions politiques. Il est partisan d'un M.R.P.* « *orienté à gauche* » *et simultanément du* « *Front républicain* » *de MM. Mendès et Mollet.* *Cette prise de position est extrêmement importante, en raison de l'influence considérable dont jouit M. Georges Hourdin. Il est co-directeur de la* Vie Catholique Illustrée, *directeur des* Informations Catholiques, *directeur de* Radio-Cinéma-Télévision, *vice-président des programmes de la Radio-Télévision française, administrateur de la* Sofirad*, etc.* *Voici la pensée politique de M. Georges Hourdin :* J'ai voté le 2 janvier 1955 une fois de plus pour le Mouvement républicain populaire. Quoi qu'en pense François Mauriac, je n'en ai point honte, et j'espère ne pas avoir à m'en repentir. Ce faisant j'ai voulu expressément voter pour le Front républicain. Je ne parviens pas en effet à distinguer, même en écarquillant très fort les yeux, ce qui sépare actuellement quant au programme politique immédiat les radicaux mendésistes et les socialistes d'une part, les républicains populaires d'autre part. Ne nous attardons pas à discuter les responsabilités passées. Ce sont là des thèmes valables pendant la période électorale, mais qui sont au fond peu sérieux. Il est plus franc de reconnaître, je le dis comme je le pense, que les responsabilités sont assez également partagées en ce qui concerne la question de savoir pourquoi la France se trouve dans la situation où elle est aujourd'hui, et qui n'est pas, après tout, lorsqu'on fait un bilan d'ensemble, si désespérée. Je reviendrai sur ce point avec les détails nécessaires quand on voudra... Il y aurait donc, pour empêcher les collaborations nécessaires, la fameuse question religieuse. Voici un argument plus sérieux, et, puisqu'il faut bien en parler, parlons-en tout de suite pour ne plus avoir à y revenir. La question religieuse a séparé en effet pendant soixante ans, jusqu'en février 1934, les deux principales fractions de la Chambre française. Il ne saurait en être de même aujourd'hui. Les républicains populaires, pour la plupart d'entre eux tout au moins, ont appartenu dans leur jeunesse aux organisations d'Action catholique, mais ce qui les a mis en mouvement, le jour qu'ils ont décidé de faire de la politique, c'était la volonté de faire connaître l'exigence sociale de l'Église. 59:1 C'était aussi l'amour de la démocratie, le désir de ne pas rester séparés de leur peuple, le besoin que la liberté profitât à tous. Les collaborateurs et les appuis de M. Mendès-France sont, eux, souvent d'origine juive, mais ils ont lutté avec nous au coude à coude pendant cinq très longues années contre le fascisme persécuteur. Il serait bon de ne pas l'oublier aujourd'hui. Ses plus proches amis politiques sont d'appartenance maçonnique, mais ils ont épuisé leur anticléricalisme en réalisant complètement leur programme, qui était de laïciser l'État républicain, opération que les catholiques ont dans l'ensemble fort bien acceptée car elle est à l'origine d'une extraordinaire renaissance du sentiment religieux dans notre pays. Quant aux socialistes, leur marxisme, déjà bien tempéré au temps de Jaurès et de Blum par l'idéalisme kantien et l'humanisme libéral, s'est brisé comme une chimère de jeunesse au contact brutal du totalitarisme stalinien. Eux aussi ont choisi de préférer la liberté de conscience et de réaliser progressivement dans la paix l'inévitable socialisation de la société moderne. Qu'ils soient croyants ou incroyants, ces deux cent cinquante députés entre les mains de qui repose désormais le sort du pays n'ont donc aucune raison de ressusciter la vieille querelle religieuse. Celle-ci est morte pour avoir épuisé ses raisons d'être. Les causes profondes d'accord : attachement à la démocratie, à la paix et au progrès social, sont désormais entre les partis dont nous parlons beaucoup plus vivantes, sur le terrain politique en tout cas, que ne sont vivaces les différences de leurs fois. Je ne crois pas que mon raisonnement soit jusqu'ici contestable. On m'objectera sans doute en revanche que les députés populaires, radicaux et socialistes, s'ils sont également attachés à la République, n'ont pas adopté en face des problèmes posés aujourd'hui au pays la même attitude. C'est sur ce point qu'il est bon de s'expliquer. Le Mouvement républicain populaire est essentiellement un parti de centre. C'est dire qu'il est destiné à collaborer successivement, pour assurer la bonne marche de nos institutions, avec les modérés, au nombre desquels j'inscris les radicaux lorsque je laisse tomber la mousse soulevée par l'action de M. Mendès-France, et avec les socialistes. On ne peut pas conclure de ses alliances électorales ou gouvernementales à son orientation définitive. ......... 60:1 Il est aussi faux de le situer à droite lorsqu'il s'apparente avec les modérés que de le qualifier de marxiste parce qu'il gouverne avec des socialistes républicains lorsque le bien de la nation l'exige. Il reste que, parti de centre par nature, le Mouvement républicain populaire possède un programme orienté vers la gauche -- que tous ses dirigeants en aient ou non conscience -- du fait de ses origines et de cette ouverture que donne toujours le christianisme vers les problèmes que posent la réalisation de la justice ou l'établissement durable de la paix. Les socialistes désirent la justice sociale. Nous aussi, sans aucun doute. Nous voulons accélérer la construction des logements et sortir une fois pour toutes les familles françaises des taudis innommables dans lesquels vivent un trop grand nombre d'entre elles. Nous acceptons d'augmenter les salaires, puisque le pays connaît une relative prospérité et qu'il n'est pas d'autre moyen de faire tourner une économie de production. Nous réaliserons la justice fiscale, mais sans doute pas à la façon dont M. Poujade l'entend. Nous établirons progressivement à travers l'Europe ce grand marché commun dont l'étendue comme la richesse peuvent équilibrer la puissance des autres continents et donner à tous ceux qui y travaillent déjà l'aisance économique et l'indépendance politique... Il est inutile, je pense, de poursuivre cette énumération. Elle suffit à prouver qu'il existe dans ce pays une majorité de centre gauche apte à résoudre les problèmes actuels... *Cette prise de position appelle quatre remarques :* 1*. --* « ...laïciser l'État républicain, opération que les catholiques ont dans l'ensemble fort bien acceptée, car elle est à l'origine d'une extraordinaire renaissance du sentiment religieux. » *Cela signifie surtout, croyons-nous, que M. Hourdin a fort bien accepté l'actuelle laïcisation de l'État. Mais il n'y a aucun devoir de l'accepter, surtout telle qu'elle a été pratiquée. La renaissance d'un* « *sentiment* » (*??*) *religieux n'est pas une consolation ; ni une conséquence. De toutes façons, la Foi, l'Espérance et la Charité ne sauraient se confondre avec le sentiment religieux.* 61:1 2*. --* « Le M.R.P. possède un programme orienté vers la gauche... du fait de cette ouverture que donne toujours le christianisme vers les problèmes que posent la réalisation de la justice ou l'établissement durable de la paix. » *Nous nions que la paix et la justice soient le monopole de la* « *gauche* » *nous nions que le christianisme conduise obligatoirement* « *à gauche* »*. Identifier* « *christianisme* » *et* « *gauche* »*, fût-ce par l'intermédiaire de* « *justice et paix* »*, est inacceptable.* 3*. --* « Les socialistes désirent la justice sociale. Nous aussi. » *Ce qui signifie* (*apparemment*) *que M. Hourdin conçoit et désire la justice sociale à la manière des socialistes. Mais si ce* « *nous* » *prétendait désigner les chrétiens, il faudrait nier l'affirmation que les chrétiens puissent vouloir la même justice que les socialistes.* 4*. --* « Une majorité de centre gauche »* : les suffrages et les élus du Front républicain, même si on y ajoute ceux du M.R.P., ne font pas une majorité. Mais cela n'est qu'une inexactitude mineure, comparée à ce qui précède.* \*\*\* *A cet article,* Témoignage Chrétien *du* 13 *janvier a réagi en ces termes *: Georges Hourdin (...) en signant une tribune libre dans *Le Monde*, ne fait pas suivre son nom de son titre de directeur de *La Vie catholique*. Il n'empêche qu'il est d'abord connu ainsi. Il est en tous cas significatif de voir aujourd'hui une telle prise de position publique. Tout le monde n'a pas de tel droit. *La réaction de* Témoignage Chrétien *semble provoquée par la prise de position de M. Hourdin en faveur du M.R.P.* (*et bien qu'il s'agisse très explicitement d'un M.R.P. *« *orienté à gauche* »*, et conçu comme l'allié obligatoire de MM. Mendès et Mollet*)*.* Témoignage Chrétien *pense même que M. Hourdin a écrit cet article sur commande :* 62:1 Le M.R.P. fait appel aujourd'hui à l'un de ses dirigeants très connus dans le monde catholique, Georges Hourdin... *M. Hourdin, outre toutes les fonctions que nous avons mentionnées plus haut, est en effet membre des organismes dirigeants du M.R.P. Mais considérer son article comme écrit sur commande en restreint abusivement la portée. D'autre part, il exprimait le point de vue de la tendance favorable à MM. Mendès et Mollet : or cette tendance était certainement très minoritaire à l'intérieur du M.R.P. au moment où il publiait cet article, ce qui exclut l'hypothèse d'un article commandé.* *La formule employée par* Témoignage Chrétien *nous laisse perplexe :* « Tout le monde n'a pas de tel droit ». *Qu'est-ce à dire ? Qui donc est actuellement privé du droit d'exposer, dans un journal politique, ses positions politiques propres ?* *Nous comprenons mal que* Témoignage Chrétien *paraisse regretter qu'une telle prise de position ait pu se manifester. Nous trouvons au contraire très utile et très important que les opinions de M. Hourdin sur la laïcité, sur le christianisme qui conduit à gauche* (*selon lui*) *et sur le socialisme aient été nettement énoncées sous sa signature. Nous ne verrions que des avantages à ce que M. Montaron, directeur de* Témoignage Chrétien*, énonce lui aussi ses positions politiques. Cette netteté et cette publicité sont indispensables à un dialogue fructueux.* ~===============~ #### La diffamation des missionnaires de Chine *Malentendu ? Défiance systématique provoquée par une idéologie qu'influence la propagande communiste ? Les deux à la fois ?* *Toujours est-il que les missionnaires français expulsés de Chine ont été en France invraisemblablement décriés. Les communistes ne peuvent que s'en réjouir, pour de multiples raisons, parmi lesquelles celles-ci : les missionnaires nous apportent une connaissance des réalités concrètes du communisme soviétique qui est à la fois la plus récente et la plus sûre. Jamais encore nous n'avions eu le témoignage de témoins aussi nombreux et aussi qualifiés. Discréditer ce témoignage, c'est se condamner à ignorer la réalité communiste.* (*Voir notamment le livre écrit par cent cinquante missionnaires et signé Dufay *: L'Étoile contre la Croix, *Casterman éditeur ; et aussi celui du R.P. Monsterleet,* L'Empire de Mao Tsé Toung, *même éditeur*.) 63:1 *Le R.P. Bonnichon, lui-même ancien missionnaire en Chine, donne dans diverses revues des articles extrêmement utiles sur les missions et sur le communisme. Dans les* Études *de décembre, il a étudié la fameuse* Vie du Père Lebbe *publiée par M. le Chanoine Leclercq. Voici les principaux passages de cet article capital :* ... Si cette biographie ne faisait qu'exagérer un peu les succès et l'importance du héros, on ne songerait pas à lui en faire reproche. L'auteur a prétendu écrire un livre de lecture facile sur son célèbre compatriote, et un certain grossissement mythique est peut-être une loi du genre. Il importe assez peu après tout que le P. Lebbe ait été le saint qu'on nous présente ou seulement un homme très bien doué, joignant à de très belles qualités quelques défauts. Les simplifications de l'hagiographie ne datent pas d'hier et ne sont pas près de disparaître. Mais il y a bien plus sérieux : on prétend, par des accusations graves, faire le procès des missionnaires catholiques de Chine, qui se voient, pour rehausser la figure du P. Lebbe, littéralement traînés dans la boue. C'est toute l'Église chinoise, celle des chrétiens chinois, qui apparaît sous des couleurs misérables et presque répugnantes. Qu'un tel livre soit diffusé dans le public catholique, lu respectueusement au réfectoire des séminaires et des couvents, loué de confiance par des revues qui n'ont pas le loisir de le critiquer, en dit long sur le décri où est tombé le missionnaire. ... Les Missionnaires partagent l'orgueil européen et méprisent les Chinois et leur civilisation (p. 54, 60). Ils considèrent les Chinois comme un peuple inférieur (pp. 60, 68, 85). Ils accablent les païens et les chrétiens de continuelles humiliations (p. 106). Les missionnaires s'opposent au P. Lebbe parce que celui-ci aime la Chine (p. 109). Aucun missionnaire n'est capable de nouer des relations avec des Chinois cultivés (p. 230). Les missionnaires sont impopulaires même parmi les chrétiens, et il existe entre prêtres et fidèles un abîme (pp. 63, 71, 105). Ils sont dépourvus de tout zèle et n'ont jamais tenté la conversion des païens : éclairé par le P. Lebbe, Mgr Reynaud « découvrit comme une nouveauté qu'un missionnaire est envoyé aux païens » (p. 200, 283). 64:1 Les missionnaires usent de moyens despotiques, de pressions et de violence... Ils paient des conversions... Ils ont seulement fondé des chrétientés débiles... Les évêques résistent aux encycliques pontificales... Les missionnaires favorisent les visées expansionnistes de la France... Les missions sont « intimement liées au brigandage international »... Les missionnaires proposent une formule de christianisme qui empêche d'être chinois... En conclusion, l'auteur s'étonne (et nous avec lui) qu'il y ait encore des chrétiens en Chine, et qu'il y ait eu des conversions... Voilà, en 1955, à l'heure où la chrétienté chinoise donne au monde l'exemple de l'héroïsme et du martyre, le portrait qu'en trace un écrivain catholique européen. Et tout cela est avancé comme la chose la plus naturelle du monde, la plus prouvée et admise par tous, et qui ne doit mène pas étonner le lecteur. Bien sûr, on ne prétendra pas qu'aucun missionnaire de Chine n'ait jamais commis de maladresse entre 1850 et 1950 ; ce serait opposer, bien futilement, une invraisemblance à une invraisemblance. Mais si un incident minuscule et passablement embrouillé a pris place à Tientsin, en 1917, à propos d'une affaire de terrains, entre un consul de France trop entreprenant, un évêque trop timide et un bouillant missionnaire, il est tout à fait abusif, pour ne pas dire déloyal, d'en tirer des conclusions sur l'apostolat catholique dans toute la Chine. L'auteur enlève d'ailleurs toute force à ses affirmations en avouant que tous les missionnaires, sauf un, étaient de l'avis du P. Lebbe (p. 180). Si l'on songe à l'immensité du pays, à l'extrême compartimentement des vicariats confiés à des congrégations différentes, on saisira l'injustice de ces généralisations : une querelle de 1917, et voilà jugé tout l'apostolat de Pékin et de Tientsin ; et puis on étend faussement ces conclusions déjà fausses à tout le reste du grand Empire. 65:1 Les missionnaires aimèrent-ils la Chine et les Chinois, ou au contraire ne furent-ils que les « agents étrangers » occupés des intérêts de leur patrie ? On a presque honte d'être obligé d'en parler. Ceux qui quittaient leur pays natal, où il faisait bon vivre, pour un autre qui leur ferait sentir souvent, et avec complaisance, leur qualité d'étrangers, ceux qui partirent et ne revinrent jamais devenus si Chinois qu'ils n'auraient pu vivre en Europe, ceux-là aimèrent, non par des déclarations imposées, mais par une existence laborieuse, difficile et obscure, un don total d'eux-mêmes qui n'attendait pas de récompense en ce monde. Cela seul devrait inspirer comme une pudeur à l'historien et lui montrer combien il est invraisemblable que cette somme se dévouement ait été appliquée à un travail « d'agent étranger ». Mais, mieux que tous les arguments, c'est l'Église de Chine elle-même, par son existence, son développement, sa fidélité, qui réfute les noires fantaisies du biographe. A qui fera-t-on croire que ces misérables fidèles « achetés » et ces odieux prêtres gonflés d'orgueil européen aient pu bâtir ensemble cette chrétienté si vivante et en pleine expansion à la veille de la mainmise communiste ? Cette dévotion pour l'Église de Rome et l'unité chrétienne, dont on pourrait donner tant de témoignages émouvants, et qui soutient actuellement des milliers de chrétiens chinois prisonniers pour leur foi, l'ont-ils puisée auprès d'agents étrangers, ou auprès des plus authentiques prêtres catholiques ? ......... L'Évangile, croit-on communément, s'est propagé aux premiers siècles avec la rapidité d'un incendie dans les pinèdes, et maintenant il creuse son sillon lentement comme un bœuf de labour. Telle est la conviction courante Si donc on voulait bien adopter des méthodes renouvelées de l'antique, on en reviendrait immanquablement à ces succès passés. Mais il y a là une double erreur historique. La conversion de l'Europe a été très lente. Quand saint Martin commence à prêcher, trois cents ans après la Résurrection du Christ, les campagnes de Gaule sont encore païennes. Il faut attendre le XII^e^ siècle pour que la Bonne Nouvelle soit portée aux Scandinaves. Et il s'agit d'une petite Europe à population clairsemée. 66:1 Or, en Afrique, bien des missions n'ont pas cent ans. En Asie, les distances sont immenses et les populations pullulent comme les poissons sur le banc. En outre, les conditions sociologiques ont changé du tout au tout. On a pu parfois convertir des peuples en baptisant leur roi (Clovis, Wenceslas, Wladimir) ; au XX^e^ siècle, chaque individu est son roi et requiert son odyssée spirituelle particulière... Les doctes croient faire merveille en préconisant une adaptation aux philosophies traditionnelles des peuples à convertir... Fort bien ; mais il se trouve que justement ces philosophies du passé, les peuples d'aujourd'hui les renient. Emportés par un courant de modernisme généralisé, les voilà déjà loin du point où les théoriciens continuent à les croire fixés. Parler de Confucius à la jeunesse chinoise des trente dernières années (donc bien avant le communisme), c'est se fermer toute audience. Un prédicant bouddhiste en France qui prendrait appui sur Victor Cousin ne ferait pas sourire davantage et n'éloignerait pas plus sûrement de sa prédication. Seul le missionnaire peut saisir la rapidité de cette évolution, qui fait passer toute l'Asie, en deux générations, de l'âge de François I^er^ à celui de Roosevelt et de Staline. Si le monde, comme il semble, marche vers une unification des idées et des mœurs, allons-nous lier le message à un passé mort, sous prétexte de le dégager ? ......... On suppose, gratuitement, que le message évangélique n'a pas été plus généralement accepté, parce que les peuples infidèles y ont vu un message étranger apporté par des étrangers. Bien évidemment, tout ce qui chez le prêtre peut choquer et rebuter les âmes constitue un obstacle à l'évangélisation... Pourquoi souligner de telles évidences ? Bien sûr, le message doit être rendu intelligible et accessible ; tout catéchiste le sait... Mais l'opinion générale va plus loin. Elle s'est convaincue que l'obstacle majeur dressé entre le païen et la foi c'est le fait que cette foi lui est apportée par un étranger. 67:1 En réalité -- il faut le dire, quitte à étonner -- cet obstacle n'est rien, comparé à celui que représente l'adhésion au mystère de l'Homme-Dieu ressuscité, présent dans l'Eucharistie, maître d'une morale existante. « Cette parole est dure, qui peut l'écouter ? » redit-on encore après les hommes de Capharnaüm ; dure non pas parce que partie de Rome et de Jérusalem, non pas parce que portée par des hommes blancs, non pas parce qu'exprimée d'abord en grec et traduite après en japonais ou en turc, mais parce que c'est *cette* parole. On suppose qu'un missionnaire fait chinois avec les Chinois, ou africain avec les Africains (dans la mesure où cela a un sens, non pas pour le missionnaire, mais pour l'autochtone) entraîne par cela même au bercail du Christ ; mais on devrait s'étonner alors que tant de prêtres européens, aussi européens que leurs ouailles, y réussissent si mal, et que le prêtre autochtone en pays de mission ne fasse pas lever les conversions comme la poussière sur les routes. La nomination d'évêques chinois a été une bénédiction pour l'Église de Chine ; elle n'a pas entraîné dans leurs diocèses un mouvement sensible de conversions. Je n'ai jamais rencontré d'étudiants chinois qui tinssent la religion catholique pour étrangère, mais beaucoup qui n'acceptaient ni mystères ni miracles et voulaient garder leur liberté (par exemple -- et ils le disaient -- en vue du divorce)... *Dans une note, le R.P. Bonnichon ajoute :* « *Si le livre de M. Leclercq parvient en Chine, nul doute qu'on en fasse de judicieux extraits pour la propagande antichrétienne. M. Leclercq aura bien servi l'église communiste.* » *Dans une autre :* « *Un liminaire de* (*la revue*) Dieu Vivant *affirme audacieusement que le christianisme chinois s'est évanoui comme un rêve devant la prédication communiste, ce qui est très exactement le contraire de la vérité. Il en rend responsable les missionnaires. L'affirmation est donnée comme s'appuyant implicitement sur une réalité, bien connue et acceptée de tous, qui n'a besoin d'aucune preuve supplémentaire : nul n'est censé ignorer les tares de l'apostolat catholique en pays infidèle* (Dieu Vivant, juin 1955.) » 68:1 *Le R.P. Bonnichon prend l'état de l'opinion catholique française tel qu'il est : il ne s'interroge pas sur les causes. Pour notre part, publicistes, hommes du métier, nous voyons très bien par quels moyens, par quelles techniques, on a orienté l'opinion française de cette manière-là. Cette orientation n'est pas tombée du ciel comme la pluie ; elle n'est pas spontanée. D'ailleurs l'accueil systématique, et comme concerté, fait par les publicistes au livre du Chanoine Leclercq* (*accueil auquel le P. Bonnichon a fait en commençant une allusion rapide*) *est un exemple éminent de ce que nous voulons dire.* ~===============~ #### La déformation du message *Un autre exemple de l'usage insidieux des techniques journalistiques nous est donné par la manière très imparfaite dont le public français dans son ensemble* (*et sans préjudice d'heureuses exceptions*) *est informé des Messages du Saint-Père. Voici l'analyse qu'en a faite, sur un cas précis, M. Pierre Boutang, dans* La Nation Française (*hebdomadaire politique créé à l'automne dernier et se présentant comme l'organe d'une* « *nouvelle droite* » *monarchiste*) : Se servir du silence est la pratique la plus sûre de l'information dite moderne. Tout ce vacarme, ces titres énormes, ce fatras ont une fin : taire et cacher l'essentiel, *tromper les pauvres*. Il est deux espères de pauvres que ce monde désordonné prive de l'esprit de pauvreté : les uns manquent d'argent, les autres manquent de temps. La hâte est même pis que pauvreté, elle est misère. Cette misère est organisée par de grands forbans qui tiennent la presse mondiale, mais qui, en France, ont moins de vergogne qu'ailleurs. J'en ai la preuve cette semaine. Qu'y puis-je si elle me vient du journal ambigu, du très riche journal qui a cour sur l'Argent et jardin sur l'Évangile détourné, où Mauriac jette la droite « ploutocratique » aux chiens dans une maison qui doit la vie au milliard de Mendès ? 69:1 Or, les lecteurs de *L'Express*, lendemain de Noël, apprenaient que Nehru prépare une conférence à quatre, et accessoirement, que le message de Pie XII appelant à l'interdiction des armes atomiques, avait, « en larges extraits » été reproduit par la presse soviétique. La suite de ces nouvelles (nos informations) étaient promises à la page 7. J'y courus. Là, rien, ou plutôt trois lambeaux de phrases, avec hommage aux Soviets d'en avoir dit un peu plus. Les moujiks sont mieux informés sur la parole romaine que les victimes de *L'Express*. La raison pour laquelle les Servan-Schreiber donnent plus de place à la lettre du fou qui voulait faire sauter le Sacré-Cœur qu'au message de Pie XII, est simple : il y a dans ce texte un ordre de pensée et un corps de doctrine qui, pris au sérieux, ruineraient leurs luxueuses baraques. Je renvoie nos lecteurs au texte intégral paru dans *La Croix* ; et pour l'ordre des idées, leur enchaînement qui intéresse chrétiens et gentils, je crois être fidèle à la seule actualité véritable de la semaine, qui n'est pas l'urne et ses vétilles solennelles, en le retrouvant avec eux. A l'origine de cette méditation publique de Pie XII se trouvent, comme chez Bossuet, les bergers de Noël : « Nous voudrions qu'à l'égal des simples bergers... ». C'est, en effet, l'étonnement, le sens de la merveille qui manque au monde moderne. Ou plutôt à la pointe de cette modernité il y a une ivresse qui tient la place de l'antique étonnement. Ivresse de l'héritage technique, qui appelle le souvenir mythique de Babel. Quelques-uns réagissent, mais en émigrés d'une « vie intérieure » tout humaine ; la masse est confinée par ses nouveaux maîtres dans une insensibilité aveugle ; elle vit « dans une maison pourvue de tout », luxueuse, mais « sans toit », sans sécurité ni loisir lumineux, dévorée par son présent. Tel est le mal, le désordre, la seule sécurité, l'ordre vrai étant dans le Christ : « L'oubli du Christ a conduit à méconnaître jusqu'à la réalité de la nature humaine établie par Dieu comme fondement de la vie en commun dans l'espace et dans le temps. » 70:1 Sur quoi peut être fondée cette assurance naturelle ? la réponse est claire : « Les lignes essentielles... demeurent les mêmes : la famille et la propriété comme base d'assurance personnelle, puis comme facteur complémentaire de sécurité les institutions locales et les réunions professionnelles et, finalement, l'État. » Il n'y a de progrès technique et de sécurité vraie que dans le respect de ces structures originelles. Le cauchemar qu'est le monde moderne est d'abord un attentat contre la nature de l'homme dont l'Incarnation a « confirmé la dignité comme règle et fondement d'un ordre moral ». Il en résulte une condamnation très nette de l'idolâtrie moderne de la « productivité croissante », dernière forme de l'adoration de l'argent. Idolâtrie commune au monde marxiste et à l'Occident décomposé. La « coexistence pacifique » est même fondée sur cette seule superstition où marxistes et libéraux, également « progressistes », sacrifiant les structures politiques et sociales à leur prophétisme économique, se retrouvent et communient. C'est par là, ose dire Pie XII, « *que les prétendus réalistes de l'Ouest sont induits à rêver de la possibilité d'une véritable coexistence* ». Il n'y a donc pas d'anti-communisme raisonnable sous la forme libérale, « la liberté étant une possession bien douteuse quand la sécurité de l'homme ne dérive plus de structures répondant à sa vraie nature ». Ce n'est pas la défense *d'une liberté vide de tout contenu*, mais l'édification d'une société réelle qui s'impose aujourd'hui aux chrétiens et aux gentils. Cette société exige la reconnaissance des limites du pouvoir humain : tout n'est pas possible ensemble ni matériellement ni spirituellement : « Notre programme de paix ne peut approuver une coexistence inconditionnée avec tous et à tout prix, certainement pas au prix de la vérité et de la justice. » ......... 71:1 Quant à l'ordre ou au désordre qui met la paix en danger, Pie XII avertit du péril : le conflit des peuples « coloniaux » et des vieux pays d'Europe ne peut profiter qu'au tiers, à la révolution mondiale qui le suscite ou l'exaspère. *Une liberté politique juste et progressive* doit être accordée à ces peuples. (La forme *démocratique* de la liberté lui interdit, selon nous, d'être juste et d'être progressive.) Mais leur faux nationalisme risque de les jeter dans le chaos et l'esclavage. Admirons, entre parenthèses, l'information « moderne » qui n'est pas le privilège de *L'Express* : un sous-titre de *Combat*, qui donnait, lundi, des extraits du message, était « condamnation du colonialisme ». Or, voici le texte qu'il résumait : « Les peuples d'Occident, spécialement de l'Europe, ne devraient pas, sur l'ensemble des questions dont il s'agit, demeurer passifs, dans un regret stérile du passé, ou s'adresser des reproches mutuels de colonialisme. Ils devraient, au contraire, se mettre à l'œuvre de façon constructive pour étendre, là où cela n'aurait pas encore été fait, les vraies valeurs de l'Europe et de l'Occident. » Il ne s'agit pas, on le voit, d'*anticolonialisme*, ni de « passage aux barbares » à la manière des orateurs de la semaine des intellectuels catholiques, mais de l'extension des *vraies* valeurs de l'Occident. Les *fausses,* celles du libéralisme et du mercantilisme, ont donc fait déjà beaucoup de mal sur la planète ? Moins que la chrétienté d'Occident n'y a fait de bien. ~===============~ #### La question du « nationalisme » *A propos du même Message, l'hebdomadaire monarchiste* Aspects de la France *a tenu à souligner, dans un éditorial signé* « *A.F.* »* :* Le Pape tient au reste à prévenir tous les peuples -- qu'ils soient encore colonisés ou qu'ils aient depuis longtemps accédé à l'indépendance -- des dangers, du « *faux nationalisme* » -- de cette idéologie « nationalitaire » héritée de la révolution française que nul n'a su plus fortement que Maurras dénoncer. 72:1 S.S. Pie XII, faut-il le faire remarquer au passage, ne dénonce que « le faux nationalisme » nullement, comme l'ont prétendu quelques exégètes trop pressés, toute forme de nationalisme. Le nationalisme français n'est que la constatation de ce fait d'expérience que la France ne saurait avoir d'existence que nationale et que cette existence nationale s'étiole, sitôt que sont méconnues les exigences de cet « ordre naturel et surnaturel » qui inspirèrent les pères de la Patrie, nos Rois. *Il ne semble pas* (*à notre connaissance du moins*) *qu'à la date de cet article* (30 *décembre* 1955) *il y ait eu des* « *exégètes* » *trop pressés qui aient présenté de ce Message l'interprétation contre laquelle s'élève* Aspects de la France. *A notre sens, c'est à propos du précédent Message de Noël du Saint-Père, traitant en détail du* « *nationalisme politique* »*, qu'une telle interprétation a pu être proposée.* *Sur ce sujet, d'ailleurs, nous publierons dans notre prochain numéro une étude de Jean de Fabrègues.* ~==============~ #### Condamnation renouvelée du communisme *M. Georges Hourdin, dans la* Vie Catholique Illustrée*, du* 8 *janvier, se félicite de trouver dans la condamnation du communisme, renouvelée dans le Message de Noël, une confirmation de son propre anti-communisme de toujours :* Le pape actuel a renouvelé la condamnation que l'Église porte contre le communisme « en tant que doctrine sociale ». Mais, en même temps, Pie XII demande aux chrétiens « de ne pas se contenter d'un anti-communisme fondé sur le principe et sur la défense d'une liberté vide de tout contenu ». Il les exhorte à édifier une société juste. Nous n'avons jamais ici adopté une autre attitude. *M. Georges Hourdin conclut donc tranquillement :* « *Nous n'avons jamais ici adopté une autre attitude* »*. Nous préférons la conclusion formulée par M. l'abbé Richard dans* L'Homme nouveau (15 *janvier*) : 73:1 Le Pape vient de déclarer : « Nous repoussons l'opinion suivant laquelle le chrétien devrait regarder aujourd'hui le communisme comme une étape dans le cours de l'histoire, comme un « moment » nécessaire de l'évolution de celle-ci, et par conséquent l'accepter comme décrété par la Providence. Mais en même temps nous avertissons à nouveau les chrétiens de l'âge industriel actuel de ne pas se contenter d'un anti-communisme fondé sur le principe et sur la défense d'une liberté vide de tout contenu. » Sur la base de cette parole du Pape DEVRAIENT SE RÉCONCILIER TOUS LES FILS DE L'ÉGLISE, CEUX QUI SE DÉFIENT DE TOUT ANTI-COMMUNISME ET CEUX QUI SE CONTENTENT DE N'IMPORTE LEQUEL. *Puisse cette parole de M. l'Abbé Richard, être entendue ! Pour nous en tenir aux réalités les plus immédiates, le résultat des dernières élections et les événements politiques qui ont suivi montrent à quel point il est grave de se contenter de n'importe quel anti-communisme ou de n'en accepter aucun. Tous les catholiques français ne pourraient-ils adhérer à la formule de M. l'Abbé Richard, au moins comme base d'une recherche en commun, d'une définition et d'une mise en œuvre de la résistance nécessaire ?* ~===============~ #### L'Église du silence ? *Sous ce titre, M. Jean Le Cour Grandmaison, directeur de la* France Catholique*, a publié dans ce journal, le* 4 *novembre* 1955*, de graves réflexions qui s'adressent à la conscience de chacun de nous :* Nous sommes libres, mais nous usons de notre liberté pour boucher nos yeux, nos oreilles et pour nous taire. Nous ne parlons pas de ce qu'endurent nos frères, nous n'élevons pas la voix pour dénoncer les bourreaux, pour protester contre les mensonges dont ils accablent leurs victimes, pour réclamer que cesse un état de choses qui supprime brutalement, dans la moitié du monde, les droits les plus élémentaires et les plus sacrés de la personne humaine. 74:1 Nous traitons avec les responsables, comme s'ils étaient des hommes d'État honnêtes et loyaux, et nous cherchons à nous persuader qu'ils sont sincères quand ils parlent de leur amour du peuple, de la liberté, de la justice -- nous entrons ainsi, plus ou moins consciemment, dans le jeu d'une atroce et odieuse imposture. En pensant à tout cela, devant l'affiche de l'Apostolat de la Prière, j'ai fait un douloureux retour sur moi-même et me suis demandé si l'Église du silence -- du silence volontaire et lâche -- ce n'est pas trop souvent nous. Nous savons parler quand il s'agit de critiquer l'égoïsme des bien-pensants, la cupidité de nos colons, la brutalité de nos militaires ; de blâmer le conservatisme ou le progressisme de tel prêtre ou de tel militant ; de dénoncer le cléricalisme de tel État voisin, ou le racisme de tel pays lointain. Mais nous nous taisons quand il s'agit de ce milliard d'hommes pour lesquels il n'est plus ni liberté, ni sécurité, ni vie de famille, dont une propagande diaboliquement habile s'ingénie à tuer l'âme et à détruire la personnalité. Nous nous taisons. Heureux si nous ne chassons pas cette pensée importune en répétant qu'un peu d'intelligence du sens de l'histoire eût évité à ces pauvres gens des épreuves dont il ne faut au surplus, nous assurent de bons apôtres, exagérer ni la fréquence, ni la rigueur. L'opinion se passionne pour les Rosenberg. L'O.N.U. s'émeut du sort des populations de l'Afrique du Nord ; mais l'opinion et l'O.N.U. restent muettes devant l'angoisse d'un milliard d'êtres humains et devant les prisons, les camps de concentration, les pouvoirs de justice qui assurent, dès à présent, dans la moitié du monde, un « ordre rigoureux ». Si nous nous taisons, nous aussi, nous nous faisons, au moins par omission, complices de l'injustice et de la tyrannie. Quelques voix, certes, s'élèvent. Au premier rang, celle du Pape, vibrante d'indignation, de douleur et d'amour, des voix d'évêques ; des voix de témoins aussi. Des voix de prêtres, de religieux qui ont vu, souffert, versé leur sang, et qui nous disent ce qui se passe au-delà des rideaux de fer ou de bambou, qui nous transmettent l'appel des persécutés et des martyrs. 75:1 Trop souvent ces voix se perdent dans notre silence. On m'a rapporté le mot effrayant d'un prêtre, à propos précisément du témoignage que rendent les missionnaires expulsés de Chine : « Il faut les excuser, ils ont beaucoup souffert ! » Comme si le récit des actes des martyrs était une incongruité ! Mot effrayant ? Avant de nous indigner, faisons notre propre examen de conscience... N'est-il pas vrai que notre tranquillité trouve ces récits gênants, notre veulerie ces exemples indiscrets, notre aveuglement ces avertissements importuns, notre pharisaïsme cet évangile vécu trop dur à contempler ? Je repense, pour ma part, au mot cruellement lucide d'un juge chinois au missionnaire qu'il venait de condamner à l'expulsion. Comme le religieux lui disait : « Prenez garde, une fois rentré dans mon pays, je dirai partout ce que vous faites ici, ce juge, haussant les épaules, répondit : -- A votre aise, personne ne vous croira. » Ne soyons ni sourds, ni muets ; ne donnons pas notre adhésion à quelque honteuse Église du silence. Si notre voix trop faible ne peut atteindre les hommes, elle peut toujours atteindre Dieu. Il y aurait déjà quelque chose de changé si, répondant à l'appel de l'Apostolat de la Prière, chacun de ceux qui liront ces lignes, récitait, en ce mois du Rosaire, quelques dizaines de chapelet aux intentions qui nous sont proposées. *Il nous semble qu'il est un peu court, un peu sommaire, et même, pour tout dire, fondamentalement injuste, de répondre à de telles réflexions :* « *Calomnie !* »*. C'est pourquoi on a été fort surpris de lire dans les* Études (*janvier, page* 126) *les lignes suivantes :* Une légende commence à s'instaurer : par peur ou complaisance, la presse catholique en France se tairait systématiquement sur la persécution en Chine. Ceci est redit un peu partout et jusque dans les plus hautes sphères, mais c'est une calomnie (sic). 76:1 *Ce serait une calomnie si l'on accusait de ce silence les* Études (*où ont paru au contraire, notamment, les excellents articles du R.P. Bonnichon*)*. La note des* Études *poursuit, comme si cette revue était spécialement en cause :* L'opinion catholique française n'a peut-être (sic) pas réagi avec assez d'ampleur, mais ce n'est pas faute de l'avoir alertée par des livres et des articles. Pour notre part nous avons, depuis 1948, publié seize articles ou notes sur cette persécution... *Assurément. Il faut encore ajouter qu'en* 1955 *on a commencé à vaincre certains silences tenaces. Et point seulement des silences : un discrédit systématique jeté sur les Missionnaires de Chine. Sur ces silences et sur ce discrédit, le* Bulletin des Missions étrangères de Paris *a plusieurs fois publié des faits aussi navrants que caractéristiques : était-ce donc calomnie ?* *En novembre* 1953*, pour la rentrée des Instituts catholiques, S.E. le Cardinal Feltin déclarait *: « N'avons-nous pas la douleur de constater que certains journaux et revues, qui se prétendent d'esprit chrétien, font un silence total sur ces persécutions ». *Cette parole serait donc, pour les* Études*, une calomnie ?* La Semaine Religieuse du Diocèse de Nevers*, le* 14 *janvier* 1956*, écrivait *: « La presse, dans son ensemble, n'a donné aucune information sur la situation de l'Église en Chine et sur les persécutions que connaissent nos frères catholiques chinois »*. Calomnie ?* *Exactement dans les mêmes termes, les* Cahiers d'Action Religieuse et Sociale*, édités par l'*Action Populaire*, que dirige le R.P. Bigo, faisaient le* 15 *janvier* 1956 *la même constatation : est-ce donc, pour les* Études*, encore une calomnie ?* *Sur le même sujet, on a lu plus haut les précisions apportées par le R.P. Bonnichon, justement dans les* Études*. Avant de crier* « *calomnie* » *bien à la légère, les* Études *de janvier se seraient utilement souvenues de ce qu'avaient dit, et fort bien dit, les* Études *de décembre.* ~===============~ 77:1 #### Comment faire face aujourd'hui au monde païen *Les* Informations Catholiques Internationales *sont la continuation de* L'Actualité Religieuse*. Il s'y exprime une pensée catholique qui mérite l'attention, et qui parfois appelle d'utiles discussions. Le* 1^er^ *novembre dernier, cette revue a publié un* « *Tour d'horizon* » *qui nous permet de saisir les orientations actuelles de cette pensée et les points d'accord certain avec elle.* *Oui, pour que les hommes vivent en paix, il est indispensable qu'* « *ils reconnaissent tous la loi naturelle* »*. Le contenu de cette loi naturelle est bien méconnu par le monde contemporain, et souvent par les catholiques eux-mêmes. Il est donc urgent d'y insister avec précision. Les Encycliques les plus récentes rendent à cet égard un irremplaçable service.* *Oui,* « *l'enracinement du christianisme est compromis par le déracinement des hommes* »*. D'où l'importance d'institutions politiques et sociales, conformes à la loi naturelle, qui facilitent l'enracinement des hommes.* *Voici le passage principal de ce* « *Tour d'horizon* »* :* « Comme en 955 ([^16]), les chrétiens ont à décider de l'attitude qu'ils doivent adopter en face du monde païen. Vont-ils consacrer leurs efforts à le refouler, à le contenir, ou à le convertir ? 78:1 En 955, l'évêque Ulrich a choisi la politique du « *containment* ». En gagnant la bataille de Lechfeld, il a, dit-on, sauvé l'Occident chrétien, la civilisation chrétienne. En fait, l'évêque Ulrich, prince de l'Église, était en même temps prince d'Augsbourg, prince temporel. A ce titre, le souci de convertir les barbares entrait chez lui en conflit avec son devoir de protéger la vie et les biens de ses sujets. En triomphant des Hongrois à Lechfeld, il a protégé l'Occident contre les barbares plus qu'il n'a sauvé le christianisme des païens. Il faut, autant que possible, éviter la confusion. On sait bien aujourd'hui que le christianisme ne se défend pas par des rafales de mitrailleuses, comme on savait sans doute il y a mille ans qu'on ne lutte pas contre paganisme à coups d'épée. En 1955, il n'est plus de princes-évêques. Il n'est plus, quoi que l'on puisse penser des civilisations non chrétiennes, de païens barbares. Voilà qui semble simplifier les choses. Et c'est sans doute ce qui explique la conviction croissante de l'Église que la coexistence est non seulement souhaitable, mais possible entre peuples chrétiens et peuples non-chrétiens. On se souvient de ce qu'écrivait Pie XII à l'évêque d'Augsbourg, précisément à l'occasion de l'anniversaire de la bataille de Lechfeld. On se souvient aussi du dernier message de Noël de Pie XII sur la coexistence. Le Pape est encore revenu ces jours-ci sur ce thème devant les membres du Centre Italien d'Études pour la Réconciliation Internationale. Les hommes peuvent vivre en paix, non point seulement s'ils connaissent tous Dieu et s'ils acceptent tous le message de l'Église, mais déjà s'ils reconnaissent tous la loi naturelle, dont Pie XII énumère quelques composantes. Et c'est là pour l'humanité un espoir plus prochain que celui d'une paix fondée sur la conversion universelle au christianisme. Simplifié d'un côté, l'affrontement chrétiens-païens s'est compliqué d'un autre côté. A la différence des hordes hongroises, le monde païen, s'il se dresse encore en 1955 face au monde chrétien, hors de lui, se dresse surtout et bien davantage au-dedans de lui. Aux païens de l'extérieur sont venus s'ajouter ceux de l'intérieur. 79:1 D'où viennent ces « païens » ?... L'enracinement du christianisme est compromis par le déracinement des hommes. Et le déracinement des hommes est une donnée sociologique fondamentale actuelle aussi importante que le phénomène des « masses ». Les hommes bougent. Ils ne sont plus stables. L'ampleur des migrations intérieures en France n'a d'égale que l'ampleur des problèmes apostoliques qu'elles posent et qui ne peuvent trouver de solution que dans l'invention de méthodes nouvelles. » *Deux objections :* 1. -- « *En* 1955, *il n'est plus de païens barbares* ». *Voilà qui est singulièrement indulgent pour le communisme soviétique. C'est ignorer que sa législation et ses pratiques* (*particulièrement en matière de travail*) *sont esclavagistes. Pourtant, dans le même numéro des* Informations Catholiques Internationales*, rendant compte du livre d'Henri Chambre* (Le marxisme en U.R.S.S.)*, cette conclusion :* « *L'incompatibilité entre le marxisme soviétique et le christianisme ne tient pas seulement à son athéisme, mais à ce que le primat donné à l'efficacité entraîne des* mutilations inacceptables de la personne humaine ». *Ces mutilations, n'est-ce point* barbarie *effective ?* 2. -- « Les problèmes apostoliques (actuels) ne peuvent trouver de solution que dans l'invention de méthodes nouvelles ». *Une formulation aussi catégorique et tout à la fois aussi sommaire, ne risque-t-elle pas de faire oublier au lecteur le rôle primordial de la grâce ? ne risque-t-elle pas de le lui faire oublier au profit d'une humaine industrie ? et de lui faire oublier que l'invention de méthodes nouvelles, précisément, relève davantage de la grâce que de l'humaine industrie, fût-elle* « *sociologique* »* ?* ~===============~ #### Le mouvement Poujade et l'inventaire des besoins et des taches *Phénomène nouveau depuis deux ans, électoralement enregistré depuis le* 2 *janvier, le mouvement Poujade a donné lieu à beaucoup d'invectives et à quelques analyses sérieuses. Parmi ces dernières, nous avons retenu celle de M. Pierre Boutang* (La Nation Française, 4 janvier) : 80:1 Le poujadisme est un phénomène très singulier, que des noms aussi divers que Degrelle ou de Gaulle n'expliquent nullement. Comme tout ce qui a chance de réussir, il comporte un mélange nullement évident ni prévisible, où l'arbitraire de l'homme ajoute à la simple composition des intérêts, passions et idées. Entendons-nous ! Cet arbitraire n'est pas rebelle à toute connaissance. Poujade composant à sa manière le national et le social, selon la loi et la pente de sa situation propre, n'innove pas radicalement par rapport aux épreuves et aux exigences de ce qu'on peut appeler le fascisme européen occidental. Il greffe pourtant à sa manière, irréductible aux schémas marxistes ou libéraux, un souci du bien commun national sur une réalité à la fois faible et forte, celle de la classe moyenne « horriblement » française pour le meilleur et pour le pire, des artisans et des commerçants. Il greffe et transplante. L'arbre de base, il ne l'a pas choisi, c'était le sien, celui de sa classe et de son sol ; mais ceci est de sa volonté et fantaisie propres : de n'avoir pas accepte sa mort, ni son isolement. Une telle action, enracinée dans la réalité particulière, ne fut possible que par la nature propre de cette réalité. Par exemple Lemaigre-Dubreuil, autour de 1935, avait aussi rêvé, avec sa « Ligue des Contribuables », de dresser les Français contre le fisc. Mais son opération, mécaniquement et statistiquement raisonnable, était trop générale pour ce qu'elle avait de visiblement particulier : les intérêts d'un grand capital « progressiste » y étaient agressivement présents... Or, en France, le verbe avoir a mauvaise réputation ; à partir d'un certain volume, la propriété y est à la fois socialement despotique et politiquement honteuse ; la démocratie s'est donnée pour tâche de *faire honte* aux intérêts. Conséquence : les intérêts acceptent d'avoir honte et de régner secrètement. Il y a des banques et des puissances industrielles derrière *tous* ses hommes politiques, Mendès, Faure, Mitterrand, ou même Pinay. Mais ces réelles ombres qui les meuvent et poussent ne sont pas avouées ; elles en deviennent inavouables. ......... 81:1 Ce qui m'intéresse dans le phénomène Poujade est sa logique interne sous les grosses apparences : commençant par la reconnaissance d'intérêts particuliers, mais communs à un grand nombre de familles, il s'y assure sans s'y arrêter. Il ne *consacre* pas ces intérêts comme un bloc intouchable et immobile : il s'élève très vite à la nécessité d'une intégration dans le bien commun national et impérial. Il rend au verbe avoir un sens politique concret de telle sorte que le ressentiment et la colère d'une vaste couche de Français mécontents exige une véritable conversion : les *États généraux* qu'il réclame n'ont pas d'autre sens ; *il faut*, dit cette logique que nos raffinés trouvent boutiquière, *que l'inventaire soit fait des besoins et des tâches d'où résultera une nouvelle définition des devoirs et des droits*, une France en un ordre nouveau, réinventée. La nouveauté, ici, n'est pas, comme dans la rhétorique de Mendès, subordonnée à l'action autoritaire d'un « *brain trust* » d'origine douteuse ; elle n'est pas, comme dans le projet révolutionnaire, fondée au départ sur l'excommunication des possédants et le reniement de l'Histoire nationale : elle est appelée par une classe ou un « ordre » autour duquel des centaines de milliers de Français mécontents se sont groupés pour le vote du 2 janvier. Je ne vois pas comment les partis *immobilistes* (en ce sens le front républicain l'est aussi) trouveraient à répondre à cet appel si évidemment populaire et raisonnable. *Car la France n'évitera pas la grande enquête sur son avenir*. La stabilité redoutable des voix communistes dont parle Paul Sérant ne sera atteinte que de deux manières. Ou bien par le reflux, la défaite pratique des forces mondiales, et d'abord soviétiques, dont elle est l'effet et le reflet. Cela ne semble pas pour tout de suite. Ou bien par un civisme nouveau, par l'institution d'une communauté nationale, fraternelle, où le droit du pauvre et celui de la patrie se trouveront conjugués. ~===============~ 82:1 #### Pour le Front populaire *Conférencier à la dernière* « *Semaine des intellectuels catholiques* »*, M. Jacques Madaule a pris position, dans* Témoignage Chrétien *du* 27 *janvier, pour une nouvelle expérience de Front populaire.* *M. Madaule constate, ou croit constater,* « *sans fausser la vérité* »*, dit-il, que* « l'immense majorité des électeurs de gauche s'est prononcée en faveur du Front populaire ». *Une telle interprétation n'accorde donc aucune importance au fait que la campagne électorale du parti socialiste S.F.I.O ait été placée sous le signe de la formule catégorique de son secrétaire général, M. Guy Mollet :* « Les communistes ne sont ni de gauche, ni de droite, mais de l'Est »*.* *Et de sa* « *constatation* »*, M. Madaule tire la conclusion suivante :* Il faudrait donc, je pense, en (du Front populaire) tenter pour la troisième fois en vingt ans l'expérience, et il le faudrait d'autant plus que la menace poujadiste n'est pas négligeable et que le succès du mouvement Poujade, joint à celui du parti communiste, a une signification qui n'est pas douteuse. Il veut dire qu'un très grand nombre d'électeurs, et sans doute d'électeurs jeunes, nouvellement inscrits, se détournent du « système ». *Le succès poujadiste est une menace non négligeable. Mais le communisme n'est apparemment pas, pour M. Madaule, une menace. En tous cas il ne dit pas qu'il le soit. Ou peut-être le tient-il pour une menace* « *négligeable* »*.* *Quant au* « *succès* » *communiste, que veut-il dire par là ? Le Parti communiste avait obtenu en novembre* 1946*,* 28*,*6*% des suffrages exprimés ;* 25*,*9*% en juin* 1951* ; et il en a obtenu* 25*,*6* % en janvier* 1956*.* Pourquoi donc ce rapprochement (avec les communistes), qui apparut possible et qui fut fécond en 1936 et en 1944, malgré d'inévitables déboires, ne serait-il pas tenté une troisième fois, sous une forme renouvelée, en 1956 ? 83:1 Il aurait l'immense avantage d'associer la quasi-totalité de la classe ouvrière à une politique de mouvement qui, si elle est tentée en dehors d'elle, échouera fatalement. Je ne prétends pas, en écrivant ceci, que le parti communiste représente à lui seul cette totalité. Mais il faut bien reconnaître honnêtement que le parti communiste en représente une grande partie et que la fraction du corps électoral qui vote communiste est remarquablement stable. C'est un fait dont on devra tenir compte, si l'on veut faire en France une politique qui se fonde sur autre chose que sur de fallacieuses chimères. *Ainsi l'* « *intellectuel catholique* » *Madaule plaide ouvertement pour une col­laboration constante et nécessaire avec le Parti communiste.* *Il poursuit :* Qu'on le veuille ou non, toute formule gouvernementale autre que celle du Front populaire, ou bien se heurte à l'arithmétique, ou bien aboutit à l'immobilisme, dont nous goûtons depuis des années les fruits amers, et que le peuple de France, dans sa majorité, qu'il votât poujadiste, communisme ou Front républicain, a catégoriquement rejeté. On m'objectera que le Front populaire présente des risques graves. Je ne le conteste pas, mais aucune politique active ne fut jamais sans risques. *M. Madaule ne conteste pas les* « *risques graves* »*. Mais si graves que soient ces risques, il se garde bien de les nommer et de les décrire. Il estime inutile de mettre en garde contre eux ses lecteurs et ceux de* Témoignage Chrétien*. Ces risques reconnus graves, mais non désignés, sont donc comme s'ils n'existaient pas : on ne saura pas quelle est leur nature, quelle sorte de périls ils recèlent.* *La seule chose un peu précise* (*si l'on peut dire*) *qui soit énoncée au sujet de ces risques, c'est qu'* « aucune politique active ne fut jamais sans risques ». *Ce qui signifie donc qu'il s'agit uniquement de risques ordinaires, tels qu'en comporte toute politique active.* *Et Voilà le travail ! Vous voyez la technique ?* ~===============~ 84:1 #### A propos de l' « Histoire du catholicisme social » d'Henri Rollet *Dans* Aspects de la France (18 *novembre* 1955)*, M. Xavier Vallat a formulé un certain nombre d'objections à l'égard de l'*Histoire Générale du Catholicisme social de 1820 à 1940 *récemment publiée par M. Henri Rollet. A notre connaissance, M. Rollet n'a pas encore répondu à ces objections, qui sont celles de M. Xavier Vallat, et que nous nous garderons de faire nôtres tant que nous n'aurons pas vu si la réponse les dissout ou non.* J'ai salué naguère comme il convenait l'accession de M. Henri Rollet à la présidence de la F.N.A.C., en remplacement de mon vieil ami Jean Le Cour Grandmaison. J'avais lu à Clairvaux avec un vif intérêt son *Histoire du Catholicisme Social de 1870 à 1900,* qui a le mérite certain de fournir au lecteur quantité de renseignements précis, sans solliciter son esprit vers des préférences partisanes, et je m'étais en conséquence réjoui sans réserves de sa présence à la tête de l'Action Catholique masculine. Aussi, lorsque j'ai vu annoncer la publication d'une « *Histoire générale du catholicisme social de 1820 à 1940 *» par le même M. Rollet me suis-je précipité pour l'acquérir. Hélas ! comme j'ai dû déchanter ! J'espérais que, pour la période 1900-1930, M. Henri Rollet allait rectifier et compléter de main de maître le livre où Georges Hoog, à travers le prisme déformant de son sangniérisme passionné, a accumulé les parti pris, les lacunes et les erreurs. Or, M. Rollet s'est contenté de s'inspirer de l'ouvrage de Georges Hoog et d'y puiser, sans souci de vérifications personnelles, les éléments des chapitres consacrés à cette époque. Si bien que les hommes de ma génération, dont, tout de même, l'adolescence et l'âge mûr croyaient avoir connu ces temps encore tout proches, découvrent avec étonnement que le *Sillon* est à l'origine d'à peu près tout ce qui a été tenté ou proposé alors pour le bien-être des travailleurs ! 85:1 Ce *Sillon*, dont les effectifs furent toujours des plus minces, est présenté au jeune lecteur de 1955 comme une organisation puissante, nombreuse, à l'avant-garde de toute idée généreuse, et efficacement réalisatrice. Par contre, ce jeune lecteur ignorera absolument qu'une Lettre de Saint Pie X a solennellement averti les adhérents du *Sillon* qu'ils suivaient une voie dangereuse ! Ce qui, de la part d'un historien visant à l'impartialité, est tout de même un oubli excessif. Que M. Henri Rollet ne pense pas que mon mécontentement vient du fait que ni mon nom, ni celui de certains de mes amis, ne figurent au palmarès qu'il dresse des parlementaires qui ont eu des préoccupations sociales ! Du moment où il se borne à répéter G. Hoog, je ne puis m'en formaliser puisqu'il n'a pas rencontré ces noms sous la plume de son informateur. Mais, si M. Henri Rollet s'était donné la peine d'aller à la bibliothèque du Palais-Bourbon et d'y consulter la table des matières de chaque législature, il eût constaté aisément que d'infâmes réactionnaires comme votre serviteur, ou René Dommange, ou François de Saint-Just, avaient déposé des propositions de lois sur l'organisation professionnelle, sur les assurances sociales, sur le prêt au mariage, qui auraient dû retenir son attention. Et il y eût découvert que le père de l'Ordre des Médecins, première organisation corporative mise sur pied depuis la loi Le Chapelier de 1791, était Léon Daudet ! Cela pour la période contemporaine. Je n'ai pas de meilleurs compliments à faire à M. Henri Rollet pour le premier âge du catholicisme social. Là pourtant, il avait le pain et le couteau pour se servir. M. Duroselle a écrit sur *Les Débats du Catholicisme social* (1822-1870), un livre en tous points remarquable, qui est le plus dense et le plus sûrement informé que l'on puisse rêver d'avoir sur ce sujet. Il y réunit une masse énorme de documentation, qui n'est jamais fastidieuse et dont l'objectivité est totale. Hélas ! je vous défie bien de retrouver un condensé de toutes ces qualités dans les cinquante pages qui devraient être, sous la plume de M. Rollet le résumé de cette œuvre magistrale. 86:1 Alors que, chez Duroselle, se détachent en vigueur, au milieu d'une nombreuse cohorte d'amis et de collaborateurs, les statures de deux gentilshommes légitimistes infiniment attachants, Alban de Villeneuve-Bargemont, préfet de l'Empire et de la Restauration, précurseur du catholicisme social en France, et Armand de Melun, fondateur de vingt œuvres charitables, M. Henri Rollet en fait de falotes silhouettes, qu'efface l'éclat d'un Lamennais et d'un Buchez ! Pourtant, il a lu M. Duroselle. Il sait bien que Lamennais, devenu libéral, n'a pas élaboré de doctrine sociale et s'est spécialisé dans la démagogie politique. Il sait bien que le seul article de Lamennais où l'on peut trouver trace d'un programme social date de sa période légitimiste et a paru dans le Drapeau Blanc ! Il sait bien que Buchez n'a rien laissé derrière lui qui témoigne du réalisme de ses rêveries collectives. Alors ? Reste, dans le dernier-né de M. Rollet, ce qui est le résumé de sa propre grande thèse sur le *Catholicisme social de 1870 à 1940*. Là, je ne lui reprocherai pas d'être infidèle à lui-même, car ce serait tout de même un comble, mais je relèverai ce qui m'avait assez vivement surpris dans son premier ouvrage : son incompréhension de l'action catholique sociale dans les milieux ruraux, et la part vraiment restreinte qu'il lui réserve. Le fait que le syndicat agricole n'ait pas de côté revendicatif comme un syndicat d'ouvriers ou d'employés, qu'il s'oriente nécessairement vers des réalisations pratiques : coopératives d'achat et de vente, caisses et assurances mutuelles de toute sorte, lui paraît, me semble-t-il, ne pas relever de l'action sociale telle qu'il l'entend, et mériter le qualificatif méprisant d'*épicerie*. Certes, M. de Gailhard-Bancel a bien employé, lui aussi ce mot, mais pas dans un sens dédaigneux. Quand il disait à ses paysans d'Allex : « *Il ne faut pas que votre syndicat soit seulement une épicerie moins chère que les autres* », il leur rappelait qu'à côté des avantages matériels *que le syndicat avait été créé pour leur procurer*, il fallait qu'ils se souvinssent en tant que laboureurs chrétiens d'appartenir à une communauté qui avait des besoins spirituels. D'où ces fêtes de la Terre, ordonnées dans nos villages du Sud-est autour de la masse corporative ressuscitée. 87:1 J'affirme que c'est le syndicalisme agricole qui est la grande réussite du catholicisme social, et je suis surpris qu'en face de l'effort lent à démarrer de la C.F.T.C., qui n'a pris force qu'avec l'apport massif des syndicats alsaciens et lorrains après notre victoire de 1918, M. Henri Rollet n'ait pas été séduit par le long catalogue à dresser de toutes les œuvres qui se sont mises si vite à fleurir, à partir des années 1884, autour des initiatives des Milcent, des Fontgalland et des Gailhard-Bancel, aussi bons royalistes que chrétiens fervents. Et, ma foi ! je veux si peu de mal à M. Henri Rollet qu'il ne m'a pas été agréable de critiquer, que j'aimerais le voir entreprendre ce dénombrement historique avec tout le sens scrupuleux de l'abondante vérité qui m'avait fait tant apprécier sa première -- et seule véritable -- contribution à l'histoire du catholicisme social. 88:1 ## Note de gérance Le 30 janvier 1956, Jean Madiran adressait aux lecteurs connus ou inconnus qui lui avaient écrit au cours de l'année précédente la lettre suivante : *Le* 1^er^ *mars paraîtra le premier numéro d'une revue mensuelle,* ITINÉRAIRES*, dont j'assume la direction.* *Vous connaissez mes idées, qui ont été exprimées publiquement avec assez de précision pour que je puisse me dispenser de longues explications de principe :* *Cette revue publiera des chroniques et des documents d'actualité.* ......... *A tous ceux qui m'ont manifesté leur approbation et leur accord pour les idées que j'ai soutenues, -- et qu'il s'agit désormais de mettre en œuvre, -- je demande de souscrire dès maintenant, selon leurs moyens, un ou plusieurs abonnements à* ITINÉRAIRES*.* *Dès la parution du premier numéro, des exemplaires-specimen seront envoyés à ceux qui en demanderont, dans la mesure de nos possibilités. Ces possibilités dépendront de la réponse qui sera faite à la présente lettre.* *Vous pouvez des maintenant non seulement vous abonner et abonner vos amis* (1 *an :* 1*.*000 *francs ; étranger :* 2*.*000 *francs*)*, mais encore nous envoyer autant de fois qu'il vous sera possible la somme de mille francs : ce seront autant de services gratuits de propagande que nous pourrons établir dès le premier numéro.* *Une revue vivante est une revue qui circule. Dès sa parution, vous la ferez circuler autour de vous. Mais avant sa parution, il dépend de vous de donner à la revue* ITINÉRAIRES *les moyens matériels de circuler et d'être présente, dès son premier numéro, dans le public qu'elle veut atteindre.* 89:1 *Je ne puis compter que sur les amis connus et inconnus dont l'existence, dans toute la France, s'est manifestée au cours des derniers mois avec une émouvante ardeur. Je fais appel à leur bonne volonté pour faire circuler autour d'eux la présente lettre, et pour y répondre comme ils le pourront.* \*\*\* Que ceux qui ont répondu à cet appel, inaccoutumé mais indispensable, soient ici remerciés de leur confiance. La revue ITINÉRAIRES est née. Il dépend de chacun de vous de la faire circuler dans tous les milieux. Nous insistons pour que les lecteurs qui sont d'accord avec nous s'abonnent, recrutent des abonnés, souscrivent autant d'abonnements de propagande qu'ils le pourront. ITINÉRAIRES ne fait de concurrence à aucune publication existante, parce qu'il n'existe actuellement aucune publication du genre de celle-ci. Que, ceux qui la trouvent utile veuillent bien nous apporter leur soutien actif. \*\*\* COURRIER DES LECTEURS*. --* Le nombre des lettres reçues nous a empêché de répondre personnellement à toutes comme nous l'aurions voulu. Que ceux qui n'ont pas reçu de réponse veuillent bien trouver ici nos excuses, et l'assurance que toutes leurs communications sont lues avec attention. 90:1 Extrait d'une lettre reçue de Lyon : « Le lundi 26 décembre, j'ai lu dans le journal catholique XXX des extraits du Message de Noël du Pape Pie XII. Ces extraits comportaient une phrase où il était dit que tous les hommes « *pourraient et devraient accepter de la doctrine* DU COMMUNISME *au moins ce qui est fondé sur le droit naturel*. » « Le 28 décembre, le même journal catholique invoquait « une erreur de transmission » et, sans dire en quoi avait consisté cette erreur, publiait vingt lignes du Message de Noël. Il s'agissait DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE et non de la doctrine DU COMMUNISME. « Je vous avoue qu'avant d'avoir étudié vos deux livres, en lisant dans un message du Pape qu'on doit « accepter de la doctrine du communisme au moins ce qui est fondé sur le droit naturel », j'aurais cru que le Pape pouvait parler ainsi. Ayant lu vos livres, je me suis dit : droit naturel et communisme ! Le Pape n'a certainement pas dit cela ! « La pensée du Pape est si peu connue et l'habitude de croire qu'il faut être « charitable » pour le communisme est si répandue que : 1. -- Aucune personne pieuse interrogée par moi à ce sujet ne s'est montrée étonnée que le Pape ait assuré l'accord de la doctrine communiste avec le droit naturel ; 2. -- Aucune personne pieuse interrogée par moi le 28 décembre n'avait remarqué ni même lu la rectification... » Ce n'est qu'une anecdote ? Sans doute. Mais elle comporte, croyons-nous, un début d' « enquête », ayant une valeur « sociologique » certaine. Extrait d'une lettre envoyée par un missionnaire vivant ordinairement hors d'Europe : « Le point de vue qui règne dans beaucoup de milieux catholiques français, actuellement, est de mettre l'accent sur l'amélioration de la condition matérielle des travailleurs. Elle est dans certains cas lamentable : mais elle ne doit jamais être un obstacle à la conversion chrétienne... Je suis né dans une famille prolétaire, de parents absolument chrétiens, qui ont eu dix enfants. Cinq sont entrés en religion. Et notre jeunesse fut d'une austérité marquée, parce qu'à cette époque n'existaient ni les allocations familiales ni la sécurité sociale. 91:1 « Lors de mon dernier congé en France, j'ai entendu un jeune prêtre déclarer que l'on convertissait davantage les gens, aujourd'hui, en leur assurant la sécurité sociale, plutôt que par des arguments proprement religieux : j'ai été scandalisé. Ici, les partisans des mouvements spécialisés transposent purement et simplement certaines méthodes de France. Ils nous accusent de nous « encroûter » dans les « réunions de piété ». La Légion de Marie devient souvent la bête moire de ces « modernes », et ils l'accusent de ne pas s'occuper des réformes de structure qu'eux préconisent. J'ai bien vu qu'en France la Légion de Marie n'a souvent que peu de crédit, et que dans certaines régions elle est comme interdite... Je me demande parfois si la conspiration du silence qu'on a faite sur la persécution en Chine ne tient pas précisément à ce fait que c'est au premier rang la Légion de Marie qui a été atteinte, avec un millier de martyrs et des milliers d'emprisonnés. Et pourtant la Légion de Marie se développe et il n'y a rien de mieux, selon moi, en nos pays de mission, pour donner le sens de l'action catholique à nos néophytes. Au demeurant, toutes les manières peuvent être bonnes : c'est une question de vocation. A condition pourtant de ne pas tomber dans l'erreur de l'activisme pur et des revendications purement matérielles... » Extrait de la lettre d'un curé de paroisse française à Jean Madiran : « Un directeur diocésain des Œuvres de Jeunesse est allé jusqu'à dire que vous êtes Franc-Maçon et payé par les Loges pour faire une « sinistre besogne »... Cette calomnie ayant fait son chemin sous le manteau, j'ai, au cours d'une réunion ecclésiastique, déclaré que vous êtes chrétien, sans appui financier autre que celui de votre plume (je connais un peu votre vie par M. l'Abbé XXX...). Ce fut un beau tollé ; je fus pris à partie par des confrères et insulté à tel point que pour la première fois de ma vie j'ai quitté sans plus la réunion. J'ai eu une petite revanche : sans mettre de guillemets, dans une conférence faite à des confrères de..., j'ai fait une large citation de « Ils ne savent pas ce qu'ils font ». Cette fois, j'ai recueilli des éloges : j'avais choisi les pages où vous faites un parallèle entre la Morale chrétienne qui oriente vers la lutte contre ses propres défauts et péchés, et le Communisme qui vise uniquement ceux des autres... » 92:1 ## Avis pratiques I. -- LA REVUE N'EST PAS EN VENTE AU NUMÉRO A NOS BUREAUX. Nous ne recevons 4, rue Garancière, que les abonnements, de préférence par versement au C.C.P. d'ITINÉRAIRES, Paris 13.355.73. II. -- LES ABONNEMENTS ENTRENT EN VIGUEUR APRÈS UN DÉLAI DE QUINZE JOURS, comme il est indiqué au bas de la page 2 de la couverture. Ce délai est nécessaire pour des raisons de simplification et d'économie dans le service des abonnements. Si les abonnements entraient en vigueur dès leur réception, cela nécessiterait des envois séparés réclamant une dépense et un personnel supplémentaires. Autrement dit : les abonnements reçus par exemple entre le 1^er^ et le 15 mars entrent en vigueur par l'envoi du numéro d'avril ; les abonnements reçus entre le 15 et le 31 mars entrent en vigueur par l'envoi du numéro de mai. 93:1 III. -- L'ABONNEMENT EST D'UN AN : pour les mêmes raisons de simplification et d'économie, nous ne pouvons envisager de servir des abonnements de trois ou de six mois. IV. -- LA DIFFUSION PAR ABONNEMENTS est la principale forme de diffusion de la revue ITINÉRAIRES. La première tâche pratique de nos amis est donc : 1. -- de s'abonner ; 2. -- de recruter des abonnés ; 3. -- de souscrire des abonnements de propagande (même non accompagnés d'adresses correspondantes). C'est seulement sur la base de ce recrutement d'abonnés que la revue pourra se développer et grandir. C'est la seule source de moyens matériels assurés nous permettant d'envisager diverses extensions : nombre de pages, rubriques nouvelles, etc. V. -- L'ABONNEMENT D'UN AN DONNE DROIT A DOUZE NUMÉROS, comptés d'après leur numérotage ; c'est-à-dire : le 1^er^ août, ITINÉRAIRES publiera un numéro double, daté « août-septembre » et numéroté 6-7, comptant pour deux numéros. VI. -- LA VENTE AU NUMÉRO est de faible rapport, pratiquement négligeable, et n'est entreprise que comme un moyen de toucher des lecteurs nouveaux et d'éventuels abonnés. VII. -- TOUTE LA VENTE AU NUMÉRO est distribuée uniquement par les N.M.P.P., 111, rue Réaumur, Paris 2^e^. 94:1 VIII. -- C'EST DONC AUX N.M.P.P. que doivent exclusivement adresser leurs commandes les libraires et les dépositaires qui mettront en vente ITINÉRAIRES. *Les libraires qui ne font pas partie du circuit de distribution des N.M.P.P. peuvent néanmoins s'y approvisionner.* *Ils adresseront directement leurs commandes au siège central des N.M.P.P., 111, rue Réaumur, à Paris *2^e^. IX. -- LES CONDITIONS consenties par les N.M.P.P. aux libraires sont moins favorables que celles qui leur sont ordinairement consenties par les éditeurs. Mais comme nous savons ne pouvoir guère compter que sur les libraires amis, et comme ils savent aussi bien que nous que la vente d'ITINÉRAIRES ne leur sera pas, de toutes façons, un profit commercial, nous pensons que la nécessité de s'approvisionner aux N.M.P.P. ne constituera pas pour eux un obstacle sérieux. 95:1 X. -- IL N'Y A NI VENTE NI ABONNEMENT RÉTROSPECTIFS. Nous ne pourrons, ni par voie d'abonnements, ni par voie de vente au numéro, fournir des numéros anciens. L'amateur pourra peut-être les trouver chez des libraires qui les auront conservés. Mais pour notre part, pour les mêmes raisons de simplification et d'économie exposées plus haut, nous ne pouvons accepter sous aucune forme des commandes portant sur des numéros déjà parus. Directeur de la Publication : Jean ARFEL. Les Presses Bretonnes, 12, rue Poulain-Corbion, Saint-Brieuc. N° d'impression : 635. Dépôt légal : 1^er^ trimestre 1966. 96:1 Un dossier écrasant qui fait date dans l'histoire de la presse : ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS DISENT par Jean MADIRAN « Ce qui est sûr, c'est que ce livre est à lire pour divers mérites incontestables. D'abord parce que c'est toujours une bonne chose de voir de la belle escrime. Madiran se défend d'être un pamphlétaire. Il a raison en ce que ses sarcasmes s'habillent toujours d'une fine courtoisie, si fine qu'elle en devient aiguë, et ce qui est aigu blesse bien ; d'un irénisme indéfinissable, chaleureux et ironique à la fois... Un tel homme est un rude adversaire. Je pèse mes mots en évoquant sinon les polémiques de Bernanos, beaucoup plus fiévreuses et éloquentes, du moins telles pages des Provinciales et du Laudet... Il était nécessaire et salubre qu'en cette année fussent écrites certaines choses propres à faire réfléchir. Madiran précise quelques périls qui devraient sauter aux yeux et qu'on ne veut pas voir... » V.H. DEBIDOUR (Le Bulletin des Lettres). Demandez-le chez votre libraire. N.E.L., 1, rue Palatine, Paris 6^e^. ============== Fin du numéro 1. [^1]:  -- Spes, éditeur. [^2]:  -- PIE XI écrivait très nettement, déjà en 1937 (texte cité dans les *Études* dirigées par le P. Villain, n° de janvier) : « La diffusion si rapide des idées communistes s'explique par une propagande vraiment diabolique (...) propagande dirigée par un centre unique (...) propagande qui dispose de grands moyens financiers, d'organisations gigantesques. » [^3]:  -- Allocution radiophonique. Texte intégral dans *L*'*Express* du 2 janvier 1956. [^4]:  -- (1). C'est une critique de l'*Ève* que Péguy écrivit lui-même sous un pseudonyme, d'où son propre nom à cette place. [^5]:  -- (1). Message radiophonique du 24 décembre 1955. -- Nous utilisons la traduction française publiée dans L'*Osservatore Romano*, édition en français du 30 décembre 1955. [^6]:  -- (2). K. MARX et F. ENGELS : Manifeste communiste, n° 36. [^7]:  -- (3). LÉNINE : *L'État et la Révolution*, chapitre V, reproduit en partie dans le recueil Marx, Engels, Marxisme ; Bibliothèque Marxiste E. S. I. Paris, 1935, pp. 232-239. [^8]:  -- (4). K. MARX : Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. (Cité par H. LEBEBVRE : *La pensée de K. Marx*, Bordas, édit. p. 16.) [^9]:  -- (5). Message radiophonique du 24 décembre 1955. -- Nous utilisons la traduction française publiée dans L'*Osservatore Romano*, édition en français, du 7 janvier 1956. [^10]:  -- (6). K. MARX : Contribution à la critique de l'économie politique. Giard, édit. Paris, 1928, p. 4. [^11]:  -- (7). PIE XI : Encyclique *Divini Redemptoris*, n° 14 in fine. [^12]:  -- (8). PIE XII : Allocution du 13 novembre 1949. (In Kothen : Documents Pontificaux. Année 1949. -- Labergerie, édit.) [^13]:  -- (9). 24 décembre 1954. Loc. cit. [^14]:  -- (10). PIE XII : Allocution du 20 mai 1948, recueillie dans notre ouvrage : *L'Économie sociale selon Pie XII*. -- Nouvelles Éditions Latines, tome II, p. 14, Paris, 1953. [^15]:  -- (11). Message de Noël 1955. [^16]: **\*** -- (*date de la bataille de Lechfeld au cours de laquelle l'évêque Ulrich repoussa les Hongrois ; pour le millième anniversaire de cette victoire, S.S. Pie XII a adressé à l'évêque d'Augsbourg une importante lettre, le* 27 *juin* 1955*, connue sous le nom de* « Lettre à l'évêque d'Augsbourg » *ou* « Lettre sur le christianisme et la civilisation occidentale ». *La presse quotidienne n'en a publié que des extraits insuffisants ; il faut se rapporter au texte intégral, paru notamment dans la* DOCUMENTATION CATHOLIQUE *du* 18 *septembre* 1955) \[cette parenthèse se trouve dans le corps du texte dans l'original\]