# 02-04-56
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### Droits de la personne ou privilèges politiques ?
*Éditorial des* INFORMATIONS CATHOLIQUES *du 15 février, par leur directeur, M. Georges Hourdin :*
... Depuis vingt ans, un certain nombre de chrétiens comme Emmanuel Mounier, dont nous rappelons le souvenir dans ce numéro, ont défendu avec une persévérance parfois méritoire la France et la démocratie. Ils aimaient assez leur pays et le libre régime que celui-ci s'était donné pour chercher à le sauver quand ils se trouvèrent, l'un et l'autre, à différentes reprises, menacés. Ils réussirent leur entreprise unis aux meilleurs éléments de leur peuple en sacrifiant parfois leur vie. Ils cessèrent alors d'être considérés comme des citoyens de seconde zone.
*M. Hourdin constate le fait : les Français qui ne croient devoir ni approuver ni défendre le régime politique de notre pays tel qu'il est et tel qu'il fonctionne sont traités en citoyens de seconde zone.*
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*C'est peut-être une bonne chose d'échapper à cette discrimination en s'en allant servir et défendre le régime. Mais ne serait-ce pas une chose meilleure, quand on est préoccupé de justice sociale et politique, de lutter contre le principe et la pratique de cette discrimination ?*
*Il y a plus grave encore : M. Hourdin, en s'exprimant comme il le fait, non seulement ne combat pas cette injuste discrimination, mais semble l'admettre implicitement comme légitime. On aimerait lui demander :*
*1° si, effectivement, il l'admet et l'approuve ;*
*2° au cas où il trouverait cette discrimination contraire à la justice, ce qu'il propose et ce qu'il met en œuvre pour l'abolir.*
*Cette double question prend toute son importance si l'on veut bien se souvenir que l'éditorial des mêmes INFORMATIONS CATHOLIQUES, le 15 octobre, s'élevait vivement contre toutes les espèces de discriminations. Mais cette discrimination politique, qui fait qu'un nombre considérable de Français sont, en raison de leurs opinions politiques, traités en citoyens de seconde zone, M. Hourdin ne la nommait pas le 15 octobre. Et quand il la nomme le 15 février, ce n'est apparemment pas pour la combattre. C'est seulement pour se réjouir d'y avoir échappé par une adhésion active au régime démocratique.*
*Ces Français, traités par l'État républicain en citoyens de seconde zone sont victimes souvent d'une discrimination analogue à l'intérieur des organismes de presse et de radio où l'influence de M. Hourdin est prédominante. Ce dernier fait augmente encore, croyons-nous, l'intérêt de la double question que nous venons de poser.*
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L'éclat de l'option qu'ils avaient consentie et où ils avaient entraîné des centaines de milliers de leurs frères rejaillit sur cette Église où ils avaient puisé les raisons d'aimer à la fois leur patrie et leurs frères, sans distinction de race, de croyance ou de classe.
*Certes, ils ont puisé les raisons d'aimer dans l'enseignement de l'Église. Mais on ne voit pas comment ils auraient pu y puiser aussi l'amour obligatoire d'un régime politique qui est loin de faire l'unanimité des Français ; et encore plus loin d'assurer leur bonheur matériel ou moral ; et qui est souvent le responsable direct des injustices sociales et du désordre établi que l'on dénonce d'autre part.*
*On aurait aimé, en outre, et comme suite à ce qui précède, que M. Hourdin écrivit aussi :* « *d'aimer leurs frères... sans distinction d'opinions politiques. *»
Je m'indigne aujourd'hui, au moment où la France et la démocratie sont à nouveau menacées...
*...sans doute, mais par qui ? écrirez-vous noir sur blanc que la France est menacée principalement par l'appareil international du communisme soviétique ?*
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...qu'on oublie la lutte commune menée depuis si longtemps pour la justice, et où nous nous révélâmes souvent les plus persévérants.
*La lutte... pour quelle justice ? Pour la justice sociale ? Celle-ci, un catholique la voit dans la doctrine sociale de l'Église. Et la partie principale de cette doctrine, a dit Pie XII, est dans l'ordre corporatif. Or nous situons mal le moment historique où M. Hourdin a mené, en faveur de l'instauration d'un ordre corporatif, la lutte qu'il dit. Il devrait nous renseigner sur ce point.*
Je crains les conséquences d'une telle aberration. J'attends les hommes de bon sens, chrétiens et incroyants, qui sauront maintenir l'union nécessaire et dompter le réveil néfaste de querelles sans objet.
Le retour à une laïcité mal comprise n'ajoutera rien à la gloire de M. Guy Mollet, s'il résout le difficile problème algérien. Il ne compensera pas sa défaite s'il échoue là-bas dans la tâche qu'il a entreprise.
*Si cette argumentation a un sens, c'est celui-ci : c'est uniquement parce que des chrétiens se sont faits les défenseurs du régime politique actuel que ce régime ne devrait pas étrangler administrativement l'enseignement libre. Cette argumentation est peut-être efficace sur les députés francs-maçons ou marxistes : que M. Hourdin la développe donc de son mieux auprès d'eux.*
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*Mais on aimerait trouver aussi sous sa plume une affirmation plus ferme et plus fière des droits et des libertés de la personne humaine et de la famille. On aimerait que le respect de ces libertés et de ces droits ne soit pas pratiquement subordonné à l'adoption préalable des opinions politiques recommandées par le régime.*
*Sans quoi, que M. Hourdin y prenne garde : il ne défendrait plus du tout les droits et les libertés de la personne humaine ; il défendrait seulement les privilèges des serviteurs* (*incroyants ou chrétiens*) *du régime actuel.*
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## CHRONIQUES
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### Dieu censuré
MONSIEUR LE DIRECTEUR du *Figaro,* vous n'êtes pas obligé d'affirmer l'existence de Dieu si vous n'y croyez pas. Vous n'êtes pas obligé de publier cette affirmation si, ayant de la religion, vous croyez que cette religion qui est vôtre doit être essentiellement une « affaire privée » qui ne regarde personne et qui ne comporte aucune conséquence manifeste. Suivez votre conscience, Monsieur le Directeur du *Figaro*, suivez-la en cela comme vous la suivez en tout le reste. Votre conscience n'est peut-être pas suffisamment éclairée : mais, éclairée ou pas, elle est votre guide naturel. Au demeurant, je n'ai l'intention de vous interroger ni sur votre conscience ni sur votre religion ; et ce préambule n'est là que pour vous éviter de vous méprendre sur la suite de mon propos. Il doit être bien entendu que c'est pour autre chose que je vous interroge.
Je vous interroge sur une information que vous n'avez pas donnée. Vous dirigez un journal d'information, Monsieur le Directeur du *Figaro *; un journal de commentaires aussi, mais d'abord un journal d'information. Vous publiez chaque jour les informations importantes ; les informations les plus importantes ; vous n'en ratez pas une de celles qui concernent les pensées et les actes des puissants de ce monde : on vous lit pour cela. Or en voici une que vous avez non pas ratée, mais dissimulée. Pourquoi ? Expliquez-vous, Monsieur le Directeur.
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VOUS AVEZ EU entre les mains la Déclaration commune Eden-Eisenhower faite à Washington le 1^er^ février. Vous en avez publié « l'essentiel », et non le texte intégral. Cela vous regarde. Vous êtes juge de ce qui mérite dans votre journal une reproduction complète et de ce qui appelle un résumé.
Seulement, l'essentiel, vous ne l'avez pas donné. L'essentiel, vous l'avez censuré. Complètement censuré.
Vous avez censuré cet essentiel qui serait pourtant allé droit au cœur de votre vaste clientèle chrétienne et catholique, clientèle qui vous fait vivre, Monsieur le Directeur du Figaro, et à laquelle vous le rendez bien mal. Vous avez censuré un essentiel qui aurait réconforté votre vaste clientèle chrétienne et catholique, au moment précis où elle s'inquiète des menaces que fait lever l'offensive communiste du laïcisme totalitaire ; un essentiel qui lui aurait été un signe d'amitié venu de nos plus puissants alliés, des deux chefs les plus considérables de la coalition occidentale. Vous avez censuré le début et la fin de la Déclaration.
Le début définit la nature réelle de l'affrontement qui oppose, aujourd'hui plus que jamais, le monde soviétique (et laïque) au mondé non encore soviétisé (et chrétien) :
« En cette année 1956, nous sommes conscients que persiste le conflit déjà ancien entre ceux qui croient que l'homme a son origine et sa destinée en Dieu et ceux qui traitent l'homme comme une machine au service de l'État. »
Après l'énumération de huit points concrets sur lesquels l'Occident s'oppose intraitablement au communisme soviétique, la conclusion affirme :
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« Tout en poursuivant résolument ces fins qui naissent de notre foi en Dieu et de notre confiance à l'égard des peuples de la terre, nous saisirons toute occasion favorable pour libérer l'humanité de la terreur et de la crainte de l'insécurité qui obscurcissent actuellement ce qui peut et doit être un glorieux avenir. »
Sans doute n'approuvez-vous pas ces passages, Monsieur le Directeur du Figaro : vous ne les auriez pas dissimulés si vous les aviez approuvés. Et je ne vous reproche pas d'être mentalement constitué de telle sorte que vous ne les ayez point approuvés. Mais vous avez empêché vos lecteurs chrétiens et catholiques de les connaître. Ils les ignorent aujourd'hui encore. Vous avez censuré Dieu, Monsieur le Directeur du Figaro.
Le Directeur de *L'Express* a opéré la même dissimulation : mais il est, lui, dans son rôle. Vous, c'est autre chose, Monsieur le Directeur du *Figaro*. Je n'ai pas besoin, je suppose, de vous faire un dessin. Le coup de crayon rouge que vous avez donné sur Dieu, pour le dissimuler à votre vaste clientèle de lecteurs chrétiens et catholiques n'a pas la même valeur que le coup de crayon rouge du Directeur de L'Express. J'entends bien que, ce faisant, vous êtes vous aussi dans votre rôle. Mais ce n'est pas le même rôle. C'est le vôtre, et de très loin, qui est le plus affreux.
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QUE *La Croix* me permette de n'être pas de son avis sur la Déclaration Eden-Eisenhower. *La Croix* trouve qu'elle ne contient que « peu de chose ». A la différence de *La Croix*, je pense que l'affirmation publique de la foi en Dieu, faite par des chefs d'État ou de gouvernement, en leur nom et au nom de leur peuple, n'est pas « peu de chose » : au contraire. Mais nous reviendrons sur ce point.
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Il est un autre point que *La Croix* n'a pas davantage aperçu dans cette déclaration qui est un acte capital. Je crois comprendre qu'en la réputant « *peu de chose *», *La Croix* pense seulement à son contenu politique, entendu au sens le plus temporel, disons le plus matériel. Mais c'est déjà un motif de souffrance, et de souffrance profonde, pour les catholiques français, que le seul grand quotidien parisien qui soit catholique ne juge une telle Déclaration qu'au point de vue politique le plus matériel. C'est un motif de souffrance, pour les catholiques français, qu'un quotidien qui met tant d'insistance à se proclamer « *apolitique *» et à se présenter comme principalement ou uniquement religieux, interprète et commente cette Déclaration en se plaçant seulement au point de vue politique le plus matériel. C'est un motif de souffrance que *La Croix* argue du seul contenu politique matériel d'une Déclaration qui contient l'affirmation publique de la foi en Dieu, pour réputer « peu de chose » cette Déclaration tout entière.
Mais enfin parlons-en, parlons politique, puisque tel est le propos de *La Croix*. Politiquement, cette Déclaration n'est pas non plus « peu de chose », car elle apporte une grande nouveauté. Elle manifeste une évolution fondamentale de la politique britannique. Jusqu'ici les Anglais considéraient, même au milieu de leurs plus vives contestations avec les Soviets, qu'il s'agissait de contestations concrètes d'États à États, portant sur des intérêts politiques ou économiques, et relevant en somme du type classique des oppositions d'intérêts. Ils n'en faisaient pas une question de principes et de civilisations. Ils n'apercevaient que la moitié du phénomène communiste, et, si je puis dire, la petite moitié. Les voici qui changent d'avis. Et ils le disent. Ils s'en dédiront peut-être. Mais qu'ils l'aient dit une fois est un événement politique considérable. Lequel est passé à peu près totalement inaperçu de ceux-là même qui avaient le nez dessus, et qui tournaient et retournaient l'événement pour le commenter.
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Il est vrai que c'est là le sort ordinaire des événements politiques considérables. Mais pourquoi donc *La Croix*, journal « *apolitique* », s'est-elle avec son « peu de chose » politique fourvoyée dans cette galère ?
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REMERCIONS *Le Monde* d'être l'un des très rares quotidiens (et même le seul, j'en ai peur) qui aient donné au public français la possibilité de lire en son texte intégral la Déclaration Eden-Eisenhower (numéro du 3 février). Mais ne le remercions pas de son commentaire :
« *Bien entendu, au début et à la fin du document on trouve une référence à Dieu, que le Directoire anglo-américain semble vouloir définitivement annexer.* »
La Déclaration n' « annexe » pas ; Eden et Eisenhower ne disent pas « *Gott mit uns* », au contraire, ils proclament que l'homme doit chercher à faire la volonté de Dieu. En voulant écrire une épigramme, *Le Monde* n'a réussi qu'à manifester une incompréhension épaisse et une étonnante bassesse de sentiments. Bassesse que manifeste plus encore son trait de la fin : « *L'Occident continue de manquer singulièrement d'imagination*. » Ceux qui manquent singulièrement d'imagination, ce sont ceux qui nous cassent les oreilles avec ce qu'ils appellent le « *communisme-athée-n'oubliez-pas-l'adjectif* » sans voir qu'à cette négation publique de Dieu la réponse première et primordiale est l'affirmation *publique* de Dieu par les peuples et par leurs représentants. C'est sur notre foi en Dieu *affirmée*, c'est sur l'affirmation de notre foi en Dieu que le communisme soviétique nous affronte et nous interroge d'abord.
Les deux grandes démocraties anglo-saxonnes ont répondu.
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ON M'ASSURE qu'à l'heure où j'écris ces lignes, celui qui se trouve être le représentant provisoire de la France, fille aînée de l'Église, M. Guy Mollet, croit en Dieu. Mais je n'ai aucune certitude sur ce point, qui reste mystérieux. Notre pays est aujourd'hui gouverné par des personnages dont on admet qu'ils puissent croire en Dieu, et ne surtout pas le manifester dans leur vie publique ; du moins si leur foi en Dieu est une foi chrétienne.
Car le fameux principe laïque selon lequel « la République ne reconnaît aucun culte » a, entre autres mérites, celui d'être une hypocrisie et une imposture caractérisées. Il ne s'applique qu'aux cultes chrétiens. Il est un instrument de persécution du christianisme ; et du seul christianisme. La République française reconnaît le culte coranique et subventionne les mosquées. On prête serment sur le Coran dans les prétoires. M. René Coty n'a jamais publiquement remercié le Saint-Père pour l'accueil fait à Rome aux pèlerins français ; mais M. René Coty a envoyé un télégramme de remerciements au roi d'Arabie pour l'accueil fait aux Français musulmans en pèlerinage à La Mecque. La République française censure Dieu, comme le censure Monsieur le Directeur du Figaro : mais seulement le Bon Dieu ; seulement le Dieu des chrétiens ; seulement le Dieu de Clotilde, qui est le Vrai Dieu et qui donne la victoire. C'est d'ailleurs Pourquoi la République française nous fait battre sur tous les champs de bataille et sur tous les terrains, ou n'y obtient parfois que des victoires qui, bientôt, ou à la longue, se révèlent pires que des défaites.
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QUAND ON DIT que la Déclaration Eden-Eisenhower est capitale, on ne veut point dire qu'elle soit parfaite. Du moins peut-on noter que, sur les moyens envisagés pour assurer la sécurité et la paix du monde, elle se rapproche souvent et beaucoup des deux derniers Messages de Noël du Saint-Père. Et, en tout cas, elle s'en rapproche nettement plus que les déclarations faites sur le même sujet par nos propres hommes d'État et ministres des affaires étrangères, de M. Pinay à M. Pineau. Si mortifiant que cela soit pour nous, il faut le regarder en face.
Et il convient, je crois, que nous en fassions reproche non point à nos voisins ou à nos adversaires, mais d'abord chacun de nous à nous-même. Nous perdons le sens, le goût et la fierté de l'affirmation de notre foi en Dieu. Nous en perdons le sens au point que nous ne la remarquons même plus quand l'exemple nous en est donné. C'est un fait que nous ne la remarquons plus. C'est un fait que nos journaux, notre presse, nos moyens d'expression, nos « instruments de diffusion » n'ont pas remarqué cette affirmation capitale et cardinale de la Déclaration Eden-Eisenhower. C'est un fait qu'ils n'ont rien vu, rien entendu et rien dit de cette affirmation qui commande notre destin et qui est la première clé de notre salut. Qui est entre autres choses la clé de notre salut temporel en face du communisme soviétique.
Nous laissons censurer Dieu et nous le censurons nous-mêmes. Monsieur le Directeur du Figaro connaît son public, et si son public chrétien et catholique était ce que nous devons être, il n'aurait pas osé censurer Dieu. Car, à défaut de la crainte de Dieu, la crainte de son public peut être pour le directeur d'un grand journal le commencement de la sagesse.
Le laïcisme n'est fort que de notre faiblesse, j'entends et je dis notre faiblesse non point numérique, politique ou matérielle, mais notre faiblesse spirituelle. Notre faiblesse à croire ce que nous croyons, notre faiblesse à accueillir les grâces que nous recevons, et n'allons point imaginer de grands desseins, il s'agit de notre faiblesse dans notre prière quotidienne et dans nos tâches de chaque jour, telles qu'elles se présentent à nous, telles qu'elles viennent nous chercher, nous les voyons bien venir nous chercher si nous ne détournons pas la tête.
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Le sort du monde entier se décide à chaque instant dans l'âme des chrétiens : nous ne savons pas comment, mais nous croyons que cela est.
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NOUS AUTRES catholiques français, nous nous montrons plus timides que les protestants anglo-saxons parce que nous redoutons, dans une situation politique incertaine et complexe, les conséquences assurément imprévisibles d'une catégorique et entière affirmation de notre foi. Mais nous avons tort de penser que la prudence consiste en de telles supputations et en de tels calculs. Car ce qui relève en ce domaine de chacun de nous, ce n'est pas de calculer et de supputer ; c'est précisément l'affirmation de notre foi.
Et quant aux conséquences de cette affirmation, ne craignons rien, c'est Dieu Lui-même qui s'en charge.
Jean MADIRAN.
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### Pas d'épée pour Saint Michel
Jusqu'ici la force était une vertu. Elle fut longtemps à l'honneur dans la statuaire antique et sur le marbre des cheminées bourgeoises où elle faisait pendant à la Science, à la Justice et, plus récemment, au Droit. Elle n'avait pas toujours une petite tête et un front bas, mais on la sentait toujours prête à offrir son glaive ou sa massue pour la défense des valeurs morales et, si besoin était, des vérités premières. Elle faisait même figure de vertu numéro un. Peu à peu le clan des cuistres malingres et des orgueilleux hydrocéphales réussit à jeter sur elle un discrédit dont il espérait bénéfice. Elle devint une vertu secondaire, puis expédient provisoire et auxiliaire inavouable.
Aujourd'hui la force est carrément exclue du cortège des vertus. Elle est condamnée, absolument. Quiconque en fait usage ou en prescrit l'usage, non seulement se voit honni par la conscience universelle mais sera flétri par le tribunal de l'histoire. Ce double châtiment donne à réfléchir. Rien de bon, rien de juste ne peut désormais rien devoir à l'usage de la force. Tel est, en particulier, le point de vue des bien-pensants d'une démocratie qui doit son salut et son triomphe à un million de tonnes de trinitrotoluène, au bas mot.
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L'énormité de la tartufferie est décourageante. On paye un tueur et, sa besogne étant faite, on le traîne en justice. Les mêmes qui, en 39, criaient aux armes et vomissaient les temporisateurs se font, aujourd'hui, anges de la paix-à-tout-prix, zélateurs de capitulation et voyageurs de Sidi bel Munik. Démocratie d'abord. La France africaine portant défi à la démocratie on s'empresse de faire condamner la force par tous les docteurs de vertu politique. Tout se passe comme si la force était l'ignoble et exclusif attribut de la réaction et comme si la démocratie ne pouvait triompher que dans la débandade française. Mais il n'est pas exclu qu'une vulgaire lâcheté se dissimule sous le masque doctrinaire.
Les Portugais, assez stupides pour jouer encore les conquistadores bénisseurs, se cramponnent à Goa. Ils défendent là-bas une espèce de vérité folklorique à laquelle ils ont la naïveté de croire. La civilisation chrétienne et l'ordre classique paraît leur tenir au cœur comme une juste cause, ni désuète ni caduque. Il n'y a pas d'encave insensée pour une vérité qui vous est chère. Ils ont résolu d'y combattre pour leur foi, attitude médiévale devenue suspecte aux yeux même des gens d'Église de plus en plus travaillés par un complexe d'anachronisme. Et pourtant l'éternité est anachronique.
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Les couards, traîtres, fanatiques ou hurluberlus qui s'attendrissent aux aspirations démocratiques de l'Islam et s'ingénient à restaurer dans le fil de l'Histoire les antiques libertés de la civilisation barbaresque ont accueilli tout naturellement dans leur complot ces chrétiens de l'espèce dialectique ou yogui, toujours honteux de Charles Martel et rougissant des croisades. Les clercs obsédés par la rengaine du sabre et du goupillon ne veulent plus savoir tout ce que la Chrétienté doit au merveilleux concours de la violence et de l'amour. Ils paraissent oublier que la Bible et l'Évangile nous proposent un arsenal de glaives qui ne sont pas toujours métaphoriques et cent témoignages de la colère divine. Certains commencent à insinuer que les marchands ne furent pas chassés du temple à coups de poing mais éloignés par la grâce d'un gentleman-agreement, de même que saint Michel n'a pas terrassé le dragon d'un coup de lance mais négocié avec lui. Le chrétien de gauche, déjà signalé dans les premières hérésies, se présente aujourd'hui comme un affreux mélange de Tolstoï, de Gandhi, de Gary Davis et de pope stakanoviste. Il a fait de la Providence un commis-voyageur de la fatalité historique en attendant que le diable soit enfin reconnu pour interlocuteur valable.
Jacques PERRET.
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### La question qui agite le monde est de l'homme à Dieu
*M. Henri Massis, trente ans après* Défense de l'Occident*, publie ces jours-ci aux Éditions Bernard Grasset :* L'Occident et son destin*. Rompant un long silence, il présente ce livre comme* « *l'ouvrage de sa vie* »*. Il a bien voulu en confier à ITINÉRAIRES un important fragment qui rejoint nos propres préoccupations.*
L'HOMME doit être la première notion à restaurer dans un monde où sa grandeur et son salut possibles sont absents de tous les calculs : Devant les idéologies qui le sollicitent de toutes parts et se le disputent comme une proie, il lui appartient de défendre son droit de choisir entre elles et de s'affirmer au-dessus d'elles comme une loi suprême. Les options fondamentales demeurent, car, dans quelque entreprise que ce soit, une question s'impose à nous, et cette question c'est : dans quel but sommes-nous venus au monde ? Quelle est la fin de l'homme ?
On ne battra pas la révolution de 17 avec les principes de 89. On ne battra pas le marxisme intégral avec le collectivisme honteux de la technologie industrielle. On ne s'en tirera pas avec une conception toute extérieure de l'ordre, mais « en rendant aux hommes ce dont les hommes de notre temps ont désespérément besoin : l'espoir temporel en l'Évangile. » ([^1]) Dans l'ordre de la civilisation terrestre et de ses réalisations temporelles, c'est là qu'est notre mission.
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Nous n'avons cessé de l'affirmer depuis trente ans, jusqu'à nous faire accuser de confondre christianisme et Occident, Église et civilisation. Prétendions-nous donc pour autant qu'en son âge moderne notre monde fût une authentique société chrétienne ? Nous en avons, au contraire, montré les abandons, les déchéances. Il n'en reste pas moins que c'est le christianisme qui l'a fait, et que les valeurs chrétiennes ont joué pendant toute son histoire un rôle moral assez opérant pour conditionner encore les formes mêmes de la civilisation : c'est là que sont toujours les sources profondes de la vie, celles où s'alimente notre espoir dans l'avenir du genre humain.
Comment n'y pas faire appel à une heure qui exige la mobilisation de toutes nos facultés spirituelles, si nous voulons sauver les sociétés humaines du péril qui les menace ? Et en quelle direction chercherions-nous la sécurité et l'assurance de la vie en commun, sinon dans un retour des esprits vers la conservation et le rappel des principes de notre vraie nature qui sont aussi les principes de la vraie civilisation, car « il y a un ordre naturel voulu par Dieu » ([^2]). « Qu'on ne s'y méprenne pas, disait déjà le cardinal Pie aux hommes du milieu du XIX^e^ siècle, la question qui agite le monde n'est pas de l'homme à l'homme ; elle est de l'homme à Dieu. » Cette question, notre monde ne peut plus l'esquiver. Bon gré, mal gré, les États comme les individus seront obligés de choisir pour ou contre Évangile ; ils seront formés par l'esprit totalitaire où par l'esprit chrétien, et leur destinée dépendra de leur réponse.
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DEVANT LE SPECTACLE des vieilles nations qui s'écroulent, certains ne nous opposent-ils pas : « Vous nous engagez à défendre la civilisation occidentale, mais l'occident chrétien issu de l'humanisme antique et judéo-chrétien, ce monde-là est mort. Dans l'état actuel des choses, peut-on d'ailleurs parler encore de civilisation ? Il n'y a plus que des fantômes de civilisation, même chez les peuples jeunes... Peut-être n'y a-t-il que de vieilles civilisations, qui achèvent de se consumer ».
Et ces voix déclinantes s'accordent aux plaintes et aux gémissements de l'univers blessé.
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Ce n'est pas seulement que l'homme soit ramené à l'état de « chose » et volé du secret de son âme par l'État totalitaire, ce n'est même pas l'éventualité d'une destruction atomique universelle qui jette les esprits dans de désastreux pressentiments de fin du monde. Si l'on nous annonce la « terreur de l'an 2.000 », et si tout se sent périr, c'est que l'esprit lui-même ne sait plus où il va. A de certains signes, on pourrait croire que la lumière de l'intelligence ne brille plus nulle part sur un monde en partie soumis à toutes les servitudes et à la plus grande de toutes, la servitude de l'esprit. La pire confusion règne dans les idées et c'est le « chaos » qu'on nous demande de penser. « Le chaos nous anime, disait Valéry, nous en vivons, nous le respirons, nous le fomentons, et il arrive que le chaos est pour nous un véritable besoin, et ce que nous avons créé nous-mêmes nous entraîne où nous ne savons et où nous ne voulons pas aller. » Dès le milieu du siècle dernier, Baudelaire ne tenait-il pas cette consomption pour fatale : « Le monde va finir, écrivait-il déjà. La seule raison pour laquelle il pourrait durer, c'est qu'il existe. Que cette raison est faible, comparée à toutes celles qui annoncent le contraire, particulièrement à celle-ci : qu'est-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel ? »
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C'EST BIEN LÀ ce que recouvre en son fond cette mystique de fuite qui désespère de tout effort humain d'ensemble, ce prophétisme désastreux qui n'a plus d'espoir sur cette terre, qui cherche des signes au Ciel, s'évade dans la « noosphère » et qui, parce qu'il y aura un Jugement dernier, abandonne tout jugement jusqu'à la Parousie. Pour le vaincre sur son terrain, qu'oppose ce « christianisme soi-disant pur, spirituel » au matérialisme historique qui lui aussi « croit » au Paradis et prétend même le réaliser ici-bas ?
Lorsqu'on nie, comme le font certains catholiques, qu'il y a une mesure possible et juste de l'action temporelle et que, grâce à l'effort, aux entreprises des générations successives, il y a eu des réussites plus ou moins fécondes, plus ou moins durables, mais cependant réelles, il faut, en conséquence, s'attendre à tout et s'apprêter à tout subir, puisque « tout peut arriver » dans l'ordre de l'événement. Alors pourquoi pas « autre chose », n'importe quoi, même le communisme ?
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C'est ainsi que par une contradiction plus apparente que réelle, ces mêmes catholiques qui mettent une si belle fureur à liquider l'héritage de la civilisation occidentale, regardent le communisme comme un phénomène ou une étape dans le cours de l'histoire, comme un moment nécessaire de son évolution, quand ils ne l'acceptent pas comme décrété par la divine Providence, car ici relativisme historique et providentialisme se rejoignent.
Ne serait-ce pas, pensent quelques-uns d'entre eux, le ressort secret que Dieu remue pour que puisse naître ensuite un monde nouveau, authentiquement chrétien celui-là ? « Manifestement, Dieu veut quelque chose de nous », disent-ils. Et du même ton prophétique qu'ils déclaraient notre monde irrémédiablement voué à l'échec ou contraint à « chercher sa consolation chez le diable », les voilà qui annoncent les épousailles de la politique et de la charité, l'établissement d'un ordre où seront abattues toutes les cloisons entre la vie temporelle et la vie religieuse, et qui ouvrira « l'ère des hommes libres de tout sauf de Jésus » sans acception de civilisations ni de races. Comment, en vertu de quelle miraculeuse transformation des choses ou de l'inclination des cœurs ? on ne nous le dit point ; on nous demande de croire, de faire le saut, d'affirmer « la possibilité et peut-être la nécessité d'une croyance d'inspiration chrétienne dans le progrès humain » (Étienne Borne). Au dénigrement systématique du passé réplique ainsi, par l'inévitable logique des extrêmes, l'exaltation systématique de l'avenir : « Pour moi, écrivait Emmanuel Mounier, plus je voyage des sources à la réalité présente du christianisme moderne, plus je me persuade que nous ne retrouverons, tous, la vraie foi qu'après un effondrement si total de la chrétienté moderne que beaucoup croiront à la fin du christianisme. » Ainsi, sous prétexte de préserver les valeurs chrétiennes de toute compromission terrestre, c'est à la Révolution qu'on va les offrir en renfort. On nous conjure de « passer aux barbares », sans pouvoir d'ailleurs nous assurer que ces « barbares » demandent le Christ et même qu'ils le tolèrent. On nous affirme seulement qu'ils sont la jeunesse, l'énergie et que cela doit nous suffire. Engagement audacieux, superbe folie chrétienne que celle de ces nouveaux apôtres ? Ou ne serait-ce pas plutôt une matière de gageure, de pari pour la « nouveauté », cet « opium » des intellectuels catholiques, -- pari d'âmes épuisées que fascine l'éternelle illusion des faibles : -- refaire, recommencer la vie ? La vie ne se recommence pas, elle se corrige, se recrée, s'accomplit, et il est bien vrai que l'Occident a besoin de se corriger, de se relever s'il veut reprendre sa mission qui est « non pas de régir le monde à son profit, mais de le servir en le guidant ([^3]) ».
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Oui, l'Église, mère et nourrice de la civilisation, sait comment on redresse un monde. Mais n'est-ce pas précisément à la « civilisation chrétienne » que beaucoup d'hommes d'aujourd'hui -- et de nombreux catholiques parmi eux -- ne craignent pas d'imputer le bilan négatif de l'occidentalisation du monde, comme si la civilisation chrétienne avait été responsable de la politique et de la morale européenne depuis deux siècles, comme si tout le XIX^e^ siècle démocratique et capitaliste ne s'était pas fait contre l'Église et MALGRÉ les incessantes condamnations de l'Église ! Ce que l'Europe moderne a ainsi apporté au monde, c'est son progrès technique, mais non pas sa foi essentielle, son christianisme fondamental, constitutif, qu'elle était elle-même en train d'oublier ou de renier. Ce sont ses HÉRÉSIES, son rationalisme, son matérialisme, son athéisme qui ont envahi l'Afrique et l'Asie. Aussi ce que nous trouvons en face de nous là-bas, ce de sont pas des races vierges et des cultures païennes, ce ne sont pas des « barbares » en attente du Christ, c'est l'occident matérialiste. La crise spirituelle ouverte depuis le XVI^e^ siècle entre pensée chrétienne et pensée moderne, cette crise qui a déchiré l'occident a pris à notre époque et en quelques années les proportions d'une guerre civile mondiale : « En réalité, écrit le R.P. Daniélou, le problème est celui d'un conflit intérieur de l'Occident, mais transposé à l'échelle du monde entier. C'est le conflit de l'occident matérialiste et de l'Occident chrétien. Car il apparaît bien en effet que les antiques civilisations d'Orient et d'Afrique ne peuvent résister à la poussée occidentale, qu'elles sont en train de s'effriter. Seul, l'occident chrétien pourrait sauver l'orient de l'Occident matérialiste ». (Les Études, octobre 1955.)
A cet instant d'occidentalisation intégrale du monde (et pour le pire), d'aucuns estiment, sous prétexte d'efficacité religieuse, qu'il faut « désoccidentaliser » le christianisme pour porter aux Orientaux son vrai message, et que s'il était possible de penser le dogme catholique dans les termes qui sont ceux de la Chine et de l'Inde millénaires, la conversion de ces peuples ne ferait plus de question. Hélas, le problème de l'universalité du christianisme ne se pose plus aujourd'hui de cette façon ; il ne consiste plus à incarner l'unique Vérité qui n'est ni d'un continent, ni d'une nation, ni d'une race, dans les cultures Chinoises ou indiennes traditionnelles.
24:2
Car que reste-t-il de ces cultures ? Ce n'est pas à Confucius ou à Bouddha, mais à Karl Marx que les animateurs de la Chine nouvelle et de l'Inde contemporaine demandent le secret d'une nouvelle puissance.
Nous n'avons plus un monde païen en face de nous, nous avons un monde communiste. Les « barbares » modernes n'attendent pas le Christ, ils se vantent de l'avoir « dépassé ». Ce ne sont pas des « gentils » mais des « hérétiques ». Dans ces conditions, « passer aux barbares » c'est à peu près comme si, pour sauver l'Église, un saint Dominique s'était écrié jadis : « Passons aux catarrhes ! » et un Bossuet : « Passons aux protestants ! » Est-ce donc pour « passer » à l'univers marxiste qu'on exige : au nom de la pureté du spirituel, que nous abandonnions l'antique tradition occidentale du christianisme ?
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AUSSI BIEN, les limites de notre choix sont nettes, contraignantes. La controverse d'où dépend le sort du monde est désormais ramenée aux termes mêmes du débat spirituel ouvert en Europe au début des temps modernes, depuis cette époque qu'on appelle la Renaissance et que l'auteur d' « Orthodoxie », l'admirable Chesterton, appelle la Re-Chute. Tout ce que nous enlèverons à l'occident chrétien profitera, non point à quelque chrétienté nouvelle en germe sur des terres païennes, mais à l'occident matérialiste. Ce sont les mêmes erreurs occidentales qui « travaillent » en ce moment à Moscou, à Washington, à Pékin. A cet égard, nous sommes bien dans l'ère de la « civilisation mondiale ». C'est pour le pire ? Ce peut être aussi, un jour pour le meilleur. Comme les débats intellectuels, moraux, religieux, tendent de plus en plus, en quelque endroit de la terre que ce soit, à se poser dans les mêmes termes, il se pourrait que la Vérité finisse par en sortir et qu'une véritable renaissance chrétienne, limitée, au début, à quelques « îlots de civilisation », puisse se propager ensuite avec d'autant plus de rapidité et de façon merveilleuse. Ainsi la véritable, la totale Chrétienté serait encore à venir, non pas CONTRE, mais en prolongement de la nôtre. Et que nous parle-t-on de « fin du monde » ! A chaque instant, la vieille terre est naissance et prenait, jeune et neuve, des mains divines.
25:2
La Création, n'est pas d'hier, elle est d'aujourd'hui, de chaque jour, de chaque heure, de chaque minute de le vie. Et Évangile, si secret pourtant sur les perspectives de l'histoire, nous assure que le monde ne finira point avant que la Parole ait été apportée à tous les hommes. Car pour l'Église du Christ à qui a été donnée la Royauté des temps, et pour qui « les siècles sont moins que ne nous sont les jours, tout ne fait encore que commencer. » ([^4])
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RESTE QUE LE LANGAGE et la raison de l'occident -- dont les hérésies seules sont en train d'imposer au monde un esprit commun -- sont CE langage et CETTE raison au moyen desquels le Christ a jusqu'à maintenant parlé au monde. D'un mariage de deux mille ans avec le christianisme, il résulte que certaines valeurs de l'occident se trouvent à ce point incorporées, fondues, dans le message universel du christianisme, qu'il n'est presque plus possible de savoir ce qui est d'occident et ce qui est l'Église Hors de l'héritage spirituel occidental, des concepts, des mots qui sont ceux de l'occident, comment penser, par exemple, des dogmes comme celui des personnes de la Trinité, comme celui de la Transsubstantiation ? Et quel sens pourrait donner au mystère fondamental de l'Incarnation, la vieille civilisation indienne qui ne croit qu'à la réalité de l'Invisible et regarde l'existence corporelle comme une déchéance ?
On parle beaucoup aujourd'hui du « sens de l'Histoire ». D'où vient que l'attention des catholiques ne soit pas davantage frappée par cette sorte de prédestination mystérieuse de l'occident, qui reste un des rares SIGNES certains où pourrait s'appuyer une philosophie chrétienne de l'histoire ? D'un point de vue simplement humain, le grand Européen qu'est M. Salazar le rappelait naguère dans cette profession de foi magnifique :
« On ne saurait qualifier de préjugé racial la constatation d'un fait historique tel que la supériorité très marquée de l'Europe dans le tâche de répandre la civilisation parmi les peuples de la terre. De cette Europe, engendrée dans la douleur des invasions, torturée par des guerres intestines, durcie par un labeur épuisant, sans cesse secouée par des avalanches d'idées et d'opinions
26:2
qui ressemblent à de furieuses tempêtes, découvreuse, voyageuse, missionnaire, mère des nations, de cette Europe à la fois tragique et glorieuse, on peut encore aujourd'hui affirmer qu'elle détient la primauté des sciences et des arts, qu'elle utilise au plus haut degré les secrets de la technique, qu'elle garde l'instinct de mettre au point les institutions et d'ennoblir la culture, qu'elle possède une incomparable expérience politique. Nous n'oublions certes pas pour autant ce qui est dû à d'autres en matière de créations artistiques, de beautés littéraires, de philosophies subtiles ; mais c'est seulement à propos de l'Europe que l'on peut affirmer qu'elle créa, sous l'inspiration chrétienne, les valeurs universelles généreusement, gratuitement mises à la disposition du monde, dans son désir ardent de propager la civilisation... »
Mais devant « la gravité des contradictions où l'Europe se débat, se stérilise, se diminue de plus en plus », M. Salazar n'avait pu ne pas ajouter : « Il serait insensé de fermer les yeux devant la crise que traverse l'Europe à l'heure présente ; dévastée, appauvrie, divisée, moralement défaite, rongée par le découragement mental et l'évident déclin des vertus qui l'ont formée, beaucoup se demandent si ce ne sont pas là des symptômes de décadence et si celle-ci ne sera pas définitive... »
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L'IDÉE DE RÉGRESSION nous hante, comme elle devait hanter les témoins de la fin de l'Empire romain et de l'invasion des Barbares. D'aucuns pensent que nous revivons la décadence romaine, que nos temps ressemblent singulièrement à ceux du V^e^ siècle que décrit Salvien, où « tout était dans une inaction, une lâcheté une paresse, une négligence inconcevable, où l'on ne songeait qu'à boire, à manger et à dormir, où personne ne voulait périr et où personne néanmoins ne cherchait les moyens de ne pas périr ». Il serait, certes, facile d'énumérer des faiblesses analogues : épuisement des facultés de sentir, relâchement moral, scepticisme intellectuel et, dans un autre ordre, croissance démesurée de l'appareil de l'État et, chez les citoyens, dégoût de l'activité politique. Mais, immédiatement, une différence capitale s'impose. La décadence politique de l'Empire ne s'est pas faite CONTRE, mais AVEC, et peut-être A CAUSE de sa décadence religieuse.
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La religion romaine était trop essentiellement liée au pouvoir politique pour que celui-ci ne l'emportât pas avec lui dans son désarroi et dans ses contradictions. La religion romaine finissait à l'État, valait ce que valait l'État et rien de plus. Ainsi la Rome de l'Antiquité n'était-elle pas en communion profonde avec l'universel vivant. Or, que voyons-nous dans cette « Europe tragique » qu'est l'Europe du XX^e^ siècle ? Du vieil édifice européen, seule la religion reste, et tout ce qui tient à elle. Les sources de sa vie ne sont donc pas taries, mais elles n'irriguent plus le corps des sociétés temporelles qui la composent. Ses organes subsistent néanmoins, nourris qu'ils ont été au cours des siècles par le sang chrétien ; c'est de ce sang chrétien qu'ils ont besoin pour guérir. Si déspiritualisé, si déshumanisé, si déchristianisé qu'il soit, c'est seulement dans la Croix romaine que l'occident trouve encore un sens, une unité. Tout ce qui reste vivant de son ordre politique, moral, social demeure illuminé par le foyer chrétien.
Voilà ce qui distingue essentiellement l'occident de toutes les autres civilisations passées. Celles-ci, à des degrés divers, ont toujours été des religions au service d'une cité. En Europe, au contraire, c'est seulement dans la religion que la civilisation a trouvé sa justification suprême, comme instrument temporel en vue des fins spirituelles de l'Église La culture, ici, n'a pas exprimé les instincts particuliers, la différence primitive, originelle, d'une certaine race en lutte contre d'autres races. Ce qu'elle a cherché d'abord, dès son aurore, c'est ce par quoi les êtres peuvent se ressembler et se rassembler, communiquer et communier : *l'homme, et non pas l'homme qui s'appelle Callias*. Au-delà des races, des espaces et des âges, c'est à l'unité qu'elle s'est rattachée : un seul Dieu, une seule humanité, et du même coup une loi, une raison, une morale commune et universelle. Pas une de nos idées qui ne trouve dans ce grand principe unitaire sa forme et sa substance. Aussi est-ce de cette culture gréco-latine, « la seule où la raison humaine ait à peu près réussi ([^5]) », que l'Église s'est servie pour la faire monter jusqu'au Christ. Ce n'est donc pas seulement un hasard géographique ni historique qui a suscité le mariage de l'occident et de l'Église Ce ne sont pas d'autres hasards qui pourraient le rompre demain. C'est au contraire vers l'Église que, par une volonté patiente, l'occident a ordonné, le long des siècles, tout son effort de philosophie, de morale, de politique.
28:2
Qu'a-t-il finalement voulu être, sinon une préparation à la vie surnaturelle, une préparation à Dieu ? Ainsi peut-on dire qu'en définissant les mesures certaines de l'homme, cet ordre naturel que la grâce vient sublimer sans le contredire, les valeurs de l'occident participent d'une certaine manière à l'éternité du message chrétien.
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MAIS, SI L'ESPRIT de l'occident est immortel, les NATIONS occidentales, elles, peuvent fort bien mourir. Elles font confiance à la jeune Amérique ; elles comptent sur son aide technique et militaire pour remonter les pentes où elles ont roulé si rapidement. C'est bien. Mais que peuvent les plans Marshall et les programmes d'aide à l'étranger, que peut la puissance économique américaine pour porter remède au vice interne qui menace la civilisation occidentale : le refus de Dieu ? Et que pourront les meilleures armes du monde entre les mains de peuples incertains, coupés de leur passé et de leurs traditions, prolétariats économiques et, surtout prolétariats spirituels, fascinés par le dynamisme idéologique de l'autre camp et prêts pour toutes les aventures du désespoir ? « Ce n'est pas de l'excès du mal, mais du refus de sa cause que peut venir le remède. Ayons le courage de chercher le mal et le remède où ils sont. C'est en perdant Dieu que l'homme a perdu la raison : il ne retrouvera pas la raison sans avoir d'abord retrouvé Dieu. » ([^6])
Aussi est-ce d'abord au-dedans de nous qu'il faut défendre, restaurer l'Occident. Nous le devons à nous-mêmes, parce que depuis des générations les principes d'Occident son± inscrits à la racine de notre être, qu'ils en sont la substance et que nous ne saurions les renier sans commettre un véritable suicide moral et spirituel, sans trahir ce qui est, envers et contre tout, notre mission, celle, à tout le moins, qui nous reste à accomplir. Nous le devons aussi aux autres, car la cause temporelle que nous avons à défendre est dans la relation la plus étroite avec le bien sacré des âmes.
29:2
Les machines de l'Amérique ne nous rendront pas une âme, mais l'âme de l'Europe retrouvée, son héritage d'humanisme authentique et son héritage de christianisme, pourrait faire prendre conscience à l'Amérique qu'elle a encore à se donner une sagesse qui s'appuie sur les constantes de la foi et de la raison, une vie spirituelle et religieuse qui se remette à la mesure des exigences divines. Ainsi, malgré notre faiblesse matérielle, est-ce peut-être nous, hommes d'Occident, qui tenons les clefs du destin.
Henri MASSIS.
30:2
### Se réformer ou périr
La confusion du Gouvernement\
et de l'Administration
*Henri Charlier a écrit pour ITINÉRAIRES une grande étude sur notre destin temporel :* Se réformer ou périr*. Cette étude comporte trois parties. En voici la première.*
Les ennemis des capitalistes ont cru, en nationalisant les entreprises, éviter les erreurs et les excès du capitalisme, empêcher qu'il n'y eut des esclaves de l'argent. Ils s'aperçoivent que leurs naïves idées les ont conduits à créer un capitalisme d'État contre lequel il n'y a point de recours d'aucune sorte, sinon la révolte et où l'administrateur dévore tous les profits sans que la dépendance de l'argent soit diminuée ; ils ont, en nationalisant, supprimé cet arbitre naturel que représente l'État entre les différents groupes de citoyens.
D'où vient ceci ? De leur méconnaissance de l'homme et de la nature des choses, de leur ignorance de ce qu'est une entreprise, enfin, de leurs *erreurs intellectuelles*. Le capitaliste est responsable personnellement et pécuniairement ; on ne supprime pas le problème économique en enlevant à l'administrateur, comme c'est le cas dans les entreprises nationalisées, la responsabilité personnelle et pécuniaire. On accroît seulement les difficultés. L'argent, depuis un siècle tend à se subordonner toutes les puissances spirituelles et même les autres puissances matérielles ; on ne supprimera pas la domination absolue de l'argent en niant des conditions économiques naturelles qui ne peuvent être éludées. La tâche de dominer l'argent n'est pas économique, mais spirituelle.
31:2
*L'argent ne sera mis à sa place qu'en donnant le pouvoir à des gens dans l'esprit duquel il sera à sa place* ; non qu'ils le méprisent, mais ils le placent en son lieu, après la santé morale. C'est le fait d'une aristocratie où chaque génération rassemble l'élite du pays, et qui est capable de discerner au sein des affaires où est le bien commun spirituel. Ce fut l'œuvre entreprise jadis par Charlemagne au sein de la barbarie mérovingienne, lorsqu'il créa l'école du palais ; c'est une œuvre de longue haleine et pour laquelle il est bon, au début, d'avoir un Charlemagne.
Nous ne sortons pas de la barbarie, mais nous y retournons à grande vitesse par la même confusion des idées qui l'amena au V^e^ siècle. En attendant un Charlemagne, nous pouvons essayer de redresser les erreurs intellectuelles qui enlèvent au citoyen toute initiative dans la production et atteignent même les libertés civiques. Les réformes administratives attendues, la décentralisation, n'aboutiront qu'à une plus grande puissance de gouvernement des administrations locales, non à une plus grande liberté de choix et de décision des citoyens. Et si les nationalisations s'étendent, tout le monde sera fonctionnaire. Or lorsqu'il en est ainsi, comme c'est le cas en Russie, il n'y a pour l'ancien citoyen aucune différence avec la condition de l'esclave antique, sinon que le prix de l'esclave importait à son maître qui essayait d'en éviter la perte ; elle est indifférente à l'État totalitaire.
Or nous courrons à un état semblable ; ceux même qui ont sans cesse à la bouche les mots de liberté et de démocratie nous enserrent de plus en plus en des règlements rigoureux qui détruisent d'ailleurs, avec la liberté, l'épargne, la richesse et les possibilités d'avenir. On ne saurait nier que, depuis trente ans, les lois sur les loyers n'aient arrêté la construction et créé la crise du logement avec toutes ses conséquences morales et sanitaires. Les villes, les collectivités qui voudraient y remédier s'aperçoivent qu'elles en sont moins capables que personne d'en faire les frais. Ce n'est la qu'un exemple entre mille.
Ceux qui nous ont ainsi mis à l'arrêt dans tous les modes d'activité s'aperçoivent bien que rien ne va plus, ils réclament sans cesse devant les assemblées, inventent sans cesse de nouveaux règlements pour remédier aux erreurs des anciens, insistent personnellement auprès des ministres, agissent auprès des administrations, qu'ils trouvent injustes, arriérées, tracassières, après les avoir mises eux-mêmes dans la condition de se montrer telles.
32:2
Enfin, on peut dire que, pratiquement, ils pallient par l'anarchie dans le gouvernement à la rigueur de l'administration. Le remède ne vaut guère mieux que le mal.
Car la cause leur échappe. Leur principale erreur est la confusion existant dans leur esprit entre l'administration et le gouvernement. Cette erreur s'insinue dans la pratique sans qu'on y pense, faute de véritables idées politiques. Elle peut exister sous tous les régimes, populaires ou aristocratiques, sous une dictature de droite ou de gauche, une fédération ou une monarchie. Elle a détruit l'empire romain ; là, une administration toute puissante a si bien supprimé le citoyen qu'il n'y en avait plus pour défendre l'empire quand les mercenaires qui remplaçaient les citoyens s'aperçurent qu'ils avaient plus de gain à piller l'empire qu'à le défendre.
Charlemagne a reçu cette erreur tout installée et accrue par la barbarie des Mérovingiens ; les remèdes qu'il essaya d'y apporter durèrent juste autant que lui, car ils s'appuyaient seulement sur le respect de sa puissance et non sur un lien naturel des institutions et sur leur équilibre. A sa mort, on se contenta de ne plus obéir et, sans révolte, il n'y eut plus d'État C'est le sort qui attend la république française ; c'est la maladie dont périra tout seul l'empire des Soviets.
Cette erreur touche donc à une idée politique fondamentale ignorée. Les partisans des régimes divers ne peuvent la prendre en considération, aveuglés qu'ils sont, soit par leurs intérêts immédiats, soit par des idéologies sans fondement dans la nature des choses que nos écoles transmettent à toute la nation. Nous tournons sous prétexte de progrès à la barbarie politique. Dans sa « Vie de Cobbet » Chesterton dit très justement : « Ce monde croyait se moderniser et élargir ses horizons, mais Cobbet fut le seul à voir que ce monde devenait monomane et mesquin. » Et cette barbarie naît d'une barbarie intellectuelle : les changements évidents des conditions de la vie font perdre de vue les conditions normales et fondamentales de la vie en société, beaucoup plus importantes que les changements et qui forment les vraies idées politiques.
33:2
La plus importante de celles-ci est de respecter les sociétés élémentaires qui se forment naturellement et même de les aider à se créer quand les changements sociaux et économiques sont propices pour le faire. Ainsi de la famille, des associations de métier ou de région. Le rôle de l'État est de coordonner des institutions libres en leur rendant justice ou en l'imposant ; non de les remplacer ou de les administrer.
C'est ce que fait entendre le Saint-Père dans son dernier message de Noël lorsqu'il dit : « Quiconque dans cette époque industrielle accuse à juste titre le communisme d'avoir privé de leur liberté les peuples qu'il domine, ne devrait pas omettre de noter que même dans l'autre partie du monde, la liberté sera une possession bien douteuse si la sécurité de l'homme ne dérive plus de structures correspondant à sa vraie nature. »
Mais le monde moderne se rue à l'esclavage. Voici les étudiants qui demandent un salaire ; comment pourront-ils empêcher un jour ou l'autre que l'État qui les paye leur dise : vous, allez ici, vous, faites cela, sans qu'ils puissent protester et quels que soient leurs goûts ?
Le collectivisme ne réussit nulle part lorsqu'on l'applique à l'agriculture car les profits en sont tout petits par rapport aux investissements en biens fonciers et en outillage ; ils ne s'obtiennent que par un grand labeur que personne n'est disposé à supporter s'il ne le fait pour lui, par un travail familial qui n'a de raison d'être que par un profit familial.
Le « mouvement Poujade » ne peut guère qu'augmenter l'anarchie si les institutions ne sont pas changées ; c'est une révolte des derniers hommes libres, agriculteurs, artisans et commerçants, de ceux qui acceptent tous les risques d'une entreprise personnelle ; ils forment la grosse part de l'élite *volontaire* d'une nation ; ils sont destinés sans recours aucun aux servitudes militaires les plus dures ; ils sont la source des futures élites. De cette sélection naturelle naîtra la génération qui fera de ses fils l'élite pensante et agissante de la nation. Or elle est accablée d'impôts par rapport aux salariés. L'État qui devrait protéger ces hommes de métier comme la promesse même de sa prospérité à venir, laisse son administration les poursuivre et tenter de les éliminer comme celle de l'empire romain a éliminé les citoyens.
C'est au moment où les États grandissent en population, en produits, en richesse, en instruction aussi, que l'on crée des administrations universelles qui essaient de remplacer des hommes beaucoup plus avisés qu'elles. Elles sont débordées par l'ampleur et la diversité des problèmes qu'elles résolvent au moyen de statistiques fausses s'appliquant uniformément à des cas très dissemblables, sans connaissance pratique de ce qu'elles réglementent.
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Un État qui veut pouvoir gouverner doit se contenter d'être l'arbitre entre des citoyens qui s'administrent librement ; l'inextricable mélange du gouvernement et de l'administration est la plaie des États modernes. Les caractères propres de la bonne administration et du bon gouvernement sont très différents et même si contradictoires qu'il y a grand intérêt à ce qu'ils soient aussi complètement séparés que possible.
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LA BONNE ADMINISTRATION consiste à établir les règles les plus simples et les plus générales ; ce sont les moins coûteuses, les plus sûres aussi pour le contrôle du fonctionnaire lui-même. S'il s'agit de tarifs, en réduire le nombre au minimum possible pour que le calcul en soit simple et la vérification aisée ; s'il s'agit d'hommes, les répartir en classes suivant leur activité en faisant le moins de classes possibles, sans toutefois assimiler ce qui est inassimilable. Il va de soi que plus une administration s'étend dans l'espace et plus elle comprend d'hommes, plus elle doit compliquer ses règlements. Il est impossible d'exploiter de même façon les forêts de chênes du Bourbonnais et les sapins des montagnes ; de donner le même statut agricole dans les Landes, le Biterrois ou la Champagne, car ni les terres, ni la propriété, ni le climat, ni les hommes ne sont les mêmes. C'est justement l'erreur qu'on fait. Mais il est clair que toute administration, de par sa nature même, résiste le plus qu'elle peut à cette diversité, et en somme pour des raisons administrativement bonnes, car la simplicité et l'uniformité des règles sont la gloire d'une administration.
Mais son caractère est aussi de ne pas connaître en elle-même la chose qu'elle administre. L'administration des finances ignore complètement comment *se créent* les richesses qu'elle exploite ; il peut lui arriver de les détruire par de mauvaises taxes. Son rôle est d'obtenir aux moindres frais et de la manière la plus simple, le plus d'argent possible. L'administration de l'agriculture à qui l'on dit : « il manque 200.000 ouvriers pour la récolte » négociera l'entrée de travailleurs étrangers, établira des règles justes, simples, pour les contrôler et les protéger, mais elle-même, par ses règlements, aura contribué à chasser les travailleurs français de la terre.
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En autorisant l'exploitation des coupes de bois sur neuf mois au lieu de six, elle a enlevé son travail d'hiver à l'ouvrier agricole. Celui-ci est occupé dès mars ou avril aux soins de la terre. Si l'on autorise la coupe des bois en été, l'exploitant ne peut la faire qu'avec des équipes d'ouvriers étrangers. Mais l'hiver suivant, l'ouvrier autochtone n'aura plus d'ouvrage ; comment resterait-il à la terre l'été, si on lui enlève son travail d'hiver ? On enlève aussi leur ouvrage, non seulement aux ouvriers sédentaires, mais même aux ouvriers de l'émigration saisonnière française, aux bûcherons d'Auvergne, par exemple, qui rentrent en avril dans leurs montagnes, dès que la culture reprend. Les exploitants forestiers ont pris l'habitude de constituer des équipes d'étrangers qui les suivent de coupe en coupe. L'administration peut ainsi gouverner sans s'en apercevoir et sans que personne de compétent ait été consulté ; on ne sait même pas qui consulter, tant nous manquons de vraies institutions représentatives. L'administration, je le sais, a cru faire son devoir : elle s'est intéressée de savoir s'il y avait quelque inconvénient pour la conservation des bois à ce qu'ils fussent coupés tard en saison ! Toutes les administrations sont ainsi, celles des entreprises privées comme celles de l'État ; cela tient à leur rôle normal. Ceux qui leur demandent ce qu'elles ne peuvent donner sont seuls dans leur tort. La production et l'usage des biens sont en dehors de l'objet propre d'une administration ; mais les administrations privées sont *gouvernées* par l'intérêt de l'entreprise. L'exemple plus haut cité montre qu'une administration discerne très mal le *bien commun*, alors qu'elle distingue très bien, professionnellement, où est la bonne administration ; elle sacrifie presque toujours le bien commun à ce qu'on appelle la routine administrative, qui est pour elle l'expérience de la bonne administration.
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LE SOUCI d'un bon gouvernement est tout différent de celui d'une administration ; il est précisément la production et l'usage des biens. Le bien commun dont il a la charge renferme certainement celui d'une bonne administration, quand l'État fait l'erreur de s'en charger, mais il faut qu'il y ait d'abord des biens à consommer. La simplicité et l'uniformité des règles n'est nullement un but pour le gouvernement comme elle l'est pour une administration.
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Ce qui importe pour lui, c'est la création des richesses, matérielles, morales, intellectuelles. Il accepte toutes les différences et les singularités si elles sont fondées en nature ; il doit même les *susciter*. Un bon gouvernement doit favoriser toutes les initiatives, individuelles, communales, provinciales. Les tourner au bien commun est sa vraie fonction ; il peut être obligé d'arrêter ou de modérer celles dont les conséquences seraient funestes pour la vie économique d'une autre province de la nation, par exemple l'initiative des marchands de bois d'exploiter les forêts en toute saison, car ils hâtent le dépeuplement des campagnes. Susciter l'initiative aboutit forcément à créer des entreprises très diverses à cause des hommes mêmes qui les créent, à cause aussi des lieux et des circonstances. L'administration de par la *nature même* de sa fonction a cette diversité en horreur ; quand elle gouverne, elle la supprime, mais elle empêche ainsi la création des biens : c'est ce qu'elle fait depuis la libération, sous prétexte de les répartir.
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L'ANCIEN RÉGIME se contentait de gouverner et administrait le moins qu'il pouvait. Il laissait les communes, les villes, les états provinciaux, les corporations, les collèges s'administrer eux-mêmes. Il était si soucieux de ne pas s'en mêler, qu'il confiait à une compagnie fermière la levée des impôts. Dès l'origine de la monarchie, les prévôts étaient les fermiers de l'impôt ; l'ordre du Temple en était le banquier. Et il est clair qu'un État qui n'a que très peu de fonctionnaires et où les administrateurs ne sont pas membres de l'État, mais dépendent d'un grand nombre de compagnies privées, est bien davantage libre dans sa fonction.
La ferme des impôts a excité la fureur des révolutionnaires de 1789. Lavoisier a payé de sa vie la rancune d'un employé de la ferme renvoyé pour malversations et devenu député. Cependant le prix de la levée des impôts directs était seulement de 3,8 %. Trois ans après la suppression de la ferme, malgré la dilapidation de trésors nationaux, comme les biens des universités et des corporations, les Français payaient six fois plus d'impôt que sous l'Ancien Régime. Les fermiers généraux ne pouvaient pas lever plus que ne le permettaient les ordonnances royales ; ils s'enrichissaient sur les économies dans l'administration. Voici ce que dit Marion dans son *Histoire financière de la France *:
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« Les bénéfices de la ferme dépassaient peu, et surtout plus tard, dépassèrent de moins en moins, au dire des gens impartiaux, la limite convenable dans une entreprise qui exigeait tant de capitaux et tant de soins... Le Trosne, quelque physiocrate qu'il soit, distinguera, à propos des impôts directs, entre les choses qu'il condamne et les personnes qu'il épargne, reconnaissant « que le fermier fait son métier et souvent ne le fait pas aussi strictement qu'il y est autorisé ». Un meilleur juge encore, Frédéric II, leur reconnaissait de sérieuses qualités puisqu'il n'hésite pas, se sentant volé par les employés de ses douanes et accises, à faire venir à Berlin toute une colonie de financiers français, que désigna Helvétius : M. de Crécy, de Candis, de Launay, de Lattre, Pernéty, qui pour 15.000 écus par an, eux et leurs 1.500 employés, réussirent à arrêter la fraude et se montrèrent actifs, laborieux, intègres, obligeants, excellents. » (p. 204). Et plus loin : « Il résulte des calculs de Lavoisier que le bail Laurent David discuté par le chancelier, l'abbé Terray, était calculé si juste que : « le chiffre de 152 millions ne laissait d'autre perspective aux fermiers que celle d'une perte sérieuse si le produit n'augmentait pas, ou si la régie ne s'améliorait point ; heureusement, pour eux, cette double hypothèse se réalisa... mais la raison en fut le développement de la consommation et de l'aisance publique, non une sous-estimation des droits affermés. » (p. 275).
La régie, c'est l'administration privée. Voici ce qu'en dit Marion, (T. I, p. 22) : « Au fond la complication était plus apparente que réelle. (Noms différents pour les mêmes impôts, durées variables à des taux inégaux, à des fermiers différents). De là une législation embrouillée et confuse. Pour sortir de ce désordre, il aurait suffi de faire table rase du passé et de confondre en un seul les différents droits de circulation et les différents droits de vente, en les étendant à tout le territoire, et en laissant d'ailleurs subsister les règlements très sages et très pratiques que la ferme avait imaginés pour l'exacte perception d'un impôt qui n'était ni pratique ni sage ; c'est ce qu'ont fait les lois de 1804, 1806, 1814, et surtout 1816, qui s'inspirèrent de l'habile réglementation de la ferme générale, car celle-ci avait enfermé dans un même réseau de prescriptions solides et efficaces les droits multiples et la taxation variable de l'impôt des Aides et derrière l'irrémédiable confusion des tarifs, elle avait su édifier une législation digne de former œuvre durable. »
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A la fin de l'Ancien Régime, le désordre des finances était grand. Mais ce n'était point l'administration qui était fautive ; elle était indépendante et intéressée à l'économie. L'Ancien Régime est mort de n'avoir pas gouverné, de n' « être pas assez roi », disait Péguy, il est mort de son impuissance vis-à-vis des privilégiés. Et il s'en faut que les privilégiés appartinssent tous à la noblesse : « Le procureur de l'élection de Sarlat écrit : « On s'est imaginé peut-être qu'il y avait peu de privilégiés dans les communautés de campagne, mais on ignore donc que surtout dans la malheureuse province de Périgord, les campagnes en sont peuplées et qu'outre la nombreuse noblesse et la magistrature, trois villes privilégiées qu'elle a dans son enclave en fournissent une fourmilière. Les fermiers des privilégiés sont taillables, mais en fait sont toujours ménagés. » Colbert lui-même avait souhaité étendre partout le régime de la taille réelle (sur les biens, ce qui supprimait les privilèges personnels), mais il n'avait pu y réussir. Chaque roi en était à craindre quelque ligue du Bien public, quelque Fronde nouvelle qui n'était qu'une ligue des privilégiés pour s'emparer d'un pouvoir qui défendait contre eux le bien commun. La Révolution fut, dans son origine, une Fronde qui réussit.
Notre régime périt lui aussi de ses privilégiés qui sont les fonctionnaires et les parlementaires auxquels il est incapable d'imposer les économies qui sauveraient la monnaie, les habitudes qui sauveraient l'économie. Avec une épaisse stupidité, comme leurs prédécesseurs de l'Ancien Régime, ils scient soigneusement la branche sur laquelle ils sont assis.
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COMMENT UN PAYS où les esprits sont si indépendants à-t-il pu en arriver là ? D'abord, toute révolution, par le désordre et l'anarchie qu'elle engendre, aboutit à un renforcement d'autorité. La Révolution n'a pas échappé à ces conséquences. Les Français n'ont jamais retrouvé les droits les plus élémentaires dont ils jouissaient auparavant, comme celui qu'avaient les communes de s'administrer elles-mêmes librement, de choisir leurs institutions. On oublie que si Louis XVI n'a pas envoyé un régiment pour sauver du massacre les malheureux vétérans qui gardaient la Bastille, c'est qu'il n'avait pas droit de garnison dans la Ville de Paris. Tel était ce régime, cru tyrannique, débonnaire en fait. Le roi, qui était, d'après les lois mêmes du régime, le grand justicier et l'ordonnateur des lois, n'a pas osé agir contre cette liberté des Parisiens, comme le bien commun lui en faisait un devoir.
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Enfin, la Révolution ayant détruit les institutions spontanées de l'Ancienne France, il a fallu créer de toutes pièces des administrations pour les remplacer. Justice, économie, finances, enseignement, travaux publics dépendirent désormais de l'État, non seulement en ce qui est légitime et nécessaire, parce que l'État est l'arbitre entre les citoyens et le juge du bien commun, mais en dépendirent aussi pour leur administration, ce qui est tout à fait superflu.
Mais il le fallait bien ; la Révolution n'avait pas seulement détruit les institutions libres de l'Ancienne France, mais elle avait dilapidé les biens permettant à ces institutions anciennes de vivre sans rien demander à l'État. Il fallut désormais recourir au budget, et l'administration d'État naquit alors. Napoléon n'en n'était pas fâché, car il avait l'esprit de domination. D'ailleurs, avec une autorité forte, ayant des idées, avec une administration peu nombreuse, les inconvénients de la confusion entre le gouvernement et l'administration ne se font pas d'abord sentir ; il y a même une simplification momentanée de l'art de gouverner.
Mais avec une autorité faible et changeante, il en va tout autrement. Les gouvernants ne savent pas leur métier et n'ont pas le temps de l'apprendre ; le plus clair de leur politique consiste à chercher les moyens de durer. L'administration devient indispensable ; elle assure quelque stabilité, elle est seule à avoir une tradition et devient le conseiller ordinaire du gouvernement. Et, il faut bien le dire, jusqu'à ce que l'administration fut corrompue elle-même par la politique, vers 1910, elle seule a maintenu une certaine cohésion dans l'action gouvernementale. Depuis, hélas ! les ambitieux sont entrés dans l'administration par goût de dominer, ils ont usé de cette confusion entre deux ordres aussi différents et ils l'ont accrue. Ces ambitieux ont introduit chez les administrateurs le goût du pouvoir et leur ont fait envisager l'administration comme un moyen de domination politique, sans qu'ils eussent pour cela les qualités nécessaires aux hommes de gouvernement. Aujourd'hui le mal ne peut guère s'accroître.
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CONSÉQUENCES : L'ancienne administration a longtemps empêché la dissolution de l'État. Mais à quel prix ! Elle a imposé ses méthodes, contraires aux méthodes d'un bon gouvernement ; il n'est pas d'initiative à laquelle elle ne veuille dès le début imposer les règles générales et uniformes qui sont en usage dans l'administration.
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L'initiative est tuée dans l'œuf. Elle introduit partout l'irresponsabilité, particulièrement l'irresponsabilité financière, car elle se désintéresse complètement des richesses qu'elle gère. Une administration privée est rétribuée sur les profits de la chose qu'elle administre ; on a vu le souci des fermiers généraux de rendre leur régie économique. Le propriétaire de quatre chalands sur nos rivières est obligé aujourd'hui d'avoir un comptable. Si les affaires sont difficiles, il réduira les frais d'administration et fera de sa femme ou de sa fille le comptable de la maison. Une administration d'État est bien incapable, on le sait, d'un tel effort, car la vie et le développement de l'administration deviennent pour elle le but véritable qu'elle poursuit instinctivement. Tout « chef », en développant son service, se donne des droits à un grade supérieur, il cherche à le rendre plus important et plus indispensable. Le gouvernement n'ayant point de stabilité, ni d'intérêt personnel véritable à l'économie, la puissance de l'administration est sans Contrôle et sans contrepoids. Tout a baissé en France depuis quatre vingt ans, la moralité, la population, la puissance navale, financière, commerciale, militaire, la vraie culture, la perfection technique, l'esprit d'entreprise, tout, sauf l'étendue et la puissance de l'administration.
Il y a quinze ans, les indigents étaient encore à la charge des communes. Les communes rurales s'ingéniaient pour en avoir le moins possible ; elles connaissaient les vrais indigents et leur faisaient faire autant que possible de menus travaux comme de ramasser des cailloux, entretenir les chemins. Pour faire nourrir par les campagnes les indigents des villes que multiplient l'absurdité du régime économique et les complaisances politiques, les indigents sont passés à la charge du département. Aussitôt personne n'eut plus aucun intérêt dans les communes rurales à diminuer le nombre des indigents inscrits sur les listes municipales : « Nous payons quand même pour tous, fut-il dit, ne restons pas les seuls à n'en pas profiter. »
Il en fut de même pour les adductions d'eau : si l'on ne trouvait pas d'eau, la commune n'avait rien à payer, c'est le département qui ouvrait sa bourse. Le maire regardait percer un trou dans un endroit quelconque choisi au petit bonheur par un fonctionnaire et un entrepreneur désintéressés du succès. Le maire n'avait rien à dire, la commune ne paye que si on trouve de l'eau. Le génie rural touchera son mois sans un centime de réduction ; quant à l'entrepreneur, il lui suffit de faire un trou ; il risque même d'en faire deux si on ne trouve pas d'eau dans le premier.
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Telle est la méthode générale dans notre démocratie : on déplace la responsabilité, ce faisant, on la supprime. C'est ce que recherchent des hommes politiques qui ne détiennent le pouvoir que pour un temps très court, et les administrations. Les personnes directement intéressées à une gestion économique sont éliminées. En unifiant l'administration, on les remplace par d'autres qui sont dans l'incapacité de vérifier la bonne gestion. Cette irresponsabilité des administrations serait normale si elles étaient *gouvernées*, c'est-à-dire surveillées et dirigées efficacement par un gouvernement intéressé, comme dans le cas des entreprises privées. Mais il est bien impossible de contrôler d'assez près ces énormes machines ; l'impuissance de la Cour des Comptes est bien connue. Enfin la prodigalité est quelquefois imposée à l'administration par la sottise d'un pouvoir changeant. On voit, vers la fin de chaque année, certaines administrations « épuiser les crédits » sans nécessité. Si elles ne le font, on les leur diminuera et elles pourront se trouver l'année suivante sans argent devant des nécessités urgentes : elles devront alors attendre le vote de crédits supplémentaires accordés avec d'autant plus mauvaise grâce qu'il s'agira de dépenses ne donnant aucun lustre électoral à ceux qui les auront votées. Tout ce que nous appelons *réserves, provisions* est impossible à l'État et à une administration d'État.
Tout finit par s'enrayer avec de telles méthodes. Rien ne se fait plus à temps et tout est mal fait, quand bien même hommes de gouvernement et administrateurs seraient moralement irréprochables. De la meilleure foi du monde, les administrateurs pensent que les choses ne vont pas mieux parce qu'elles ne sont pas assez unies et simplifiées alors qu'il vaudrait beaucoup mieux qu'il n'y eut point les mêmes règles pour les indigents des villes et ceux des campagnes, pour les fermiers de la plaine et ceux de la montagne, alors que le mal vient de ce que le gouvernement ne peut ni se renseigner, ni agir.
Henri CHARLIER.
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### Déguisements et réalité de la science économique
C'est une opinion qui s'est déjà largement répandue chez les chrétiens que le marxisme contient une analyse économique qui constitue une authentique contribution à la science économique elle-même Condamnable parce qu'il est athée, condamnable même en tant que « système social », le communisme n'en recèlerait pas moins un appareil conceptuel que l'économiste contemporain ne saurait mépriser sans trahir, par le fait même, sa propre objectivité scientifique.
A l'appui de cette affirmation, on lit par ailleurs que l'Église n'a pas de doctrine économique, au sens où il y a une doctrine économique libérale, une doctrine économique socialiste ou communiste. On ajoute que l'Église n'a pas à avoir de doctrine économique, car elle n'a aucune compétence propre sur le plan technique !
Finalement, puisque d'une part, l'Église n'a pas de doctrine économique et que, d'autre part, le marxisme contient les éléments d'une authentique « science économique », l'économie catholique semble pouvoir, dans la paix de sa conscience, dégager de l'analyse économique de Marx les lignes de forces d'une pensée scientifique en accord avec sa foi.
Or, la pensée *économique* de Marx, qui est aussi intrinsèquement perverse que le reste de sa synthèse intellectuelle, est plus dangereuse encore. Elle est, en effet, essentiellement matérialiste, essentiellement dialectique, mais elle ne l'est pas explicitement.
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C'est ce qui permet de comprendre pourquoi la pensée économique marxiste constitue le plan incliné qui fait basculer le catholique dans le « gauchisme » et, ultérieurement, dans l'indiscipline. C'est ce qui permet de comprendre pourquoi les communistes travaillent tant à organiser l'infiltration, au sein même de l'Église, de leur pensée économique. C'est ce qui permet de comprendre pourquoi on voit se développer la tendance à trouver que les enseignements pontificaux sont « réactionnaires ». C'est ce qui permet de comprendre pourquoi des hommes généreux, mais sans préparation doctrinale suffisante, ont pu parfois éprouver des doutes au sujet du Pape, de l'Église, -- finalement des doutes sur la foi elle-même, et cela POUR DES MOTIFS ÉCONOMIQUES.
#### I. -- LA SCIENCE ÉCONOMIQUE, DÉGUISEMENT DU LIBÉRALISME
A l'origine de la crise de la pensée économique, qui n'est qu'un des aspects de la crise contemporaine de l'intelligence -- on trouve le problème suivant.
La science économique étudie les ressources et les liens que l'homme exploite, transforme, vend, transporte, achète, consomme. Au XIX^e^ siècle, sous l'influence de l'individualisme libéral, les économistes pensaient que les biens économiques SE produisent, S'échangent, SE répartissent et SE consomment, que les prix et les salaires SE forment, et que la science économique a pour objet de formuler les lois de cette gigantesque physique des équilibres économiques. Impressionnés sans doute par le nombre et le poids des manuels d'économie politique qui envisagent ainsi les choses, d'aucuns pensent encore aujourd'hui qu'il s'agit là d'un ensemble de problèmes « techniques » et que, sous ce rapport, l'enseignement de l'Église ne peut que rester muet.
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La *doctrine sociale*, par ailleurs, envisage l'homme en tant qu'il a le droit à l'usage des biens matériels, le droit au travail, le droit de propriété, le droit au juste salaire, le droit d'association, -- et aussi en tant qu'il a les devoirs corrélatifs de pratiquer le respect de toits ces droits, c'est-à-dire les exigences multiformes de la vertu de justice. Dès lors, on est amené à considérer que c'est l'homme, raisonnable et doué de libre arbitre, qui exploite, qui transforme, qui vend, qui transporte, qui achète, qui consomme, et dont les actes responsables, même s'ils sont conditionnés par des éléments matériels, fixent les prix et les salaires.
On le sent, il y a là les germes d'un conflit inévitable. Par exemple : lorsque l'économiste libéral décrit comment *se forment* les salaires, le catholique social affirme la *responsabilité morale* des hommes qui contractent. Aussi, faisant allusion au libre jeu de la concurrence considérée comme « loi naturelle » scientifiquement mise à jour, Pie XI ajoutait : « *C'est en effet de cette illusion, comme d'une source contaminée que sont sorties toutes les erreurs de la science économique individualiste*. » ([^7])
Finalement, il est devenu évident que la position des catholiques du XIX^e^ siècle (et du XX^e^ siècle) qui dissimulait le postulat de la libre concurrence sous la description prétendument scientifique des « faits », était une position moralement condamnable et intellectuellement intenable. Le problème est le suivant : ou la production, la circulation et la répartition des biens sont soumises à des *lois physiques*, et les échanges sont soumis au mécanisme des prix ou des salaires, -- ou bien ils sont soumis à des *lois morales*. Dans le premier cas, la morale est une utopie. Le déterminisme économique est rigoureux. Dans le second cas, elle est une norme qui peut être suivie, ou plus ou moins gravement violée, et l'étude des faits ne peut être conduite scientifiquement qu'à la lumière des principes moraux qui gouvernent l'activité économique.
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#### II. -- LA SCIENCE ÉCONOMIQUE DÉGUISEMENT DU MARXISME
Le problème se pose alors dans de nouvelles conditions. La doctrine sociale de l'Église impose d'introduire des jugements moraux et sociaux au sein de la science économique. A défaut d'une telle intégration, la science économique reste individualiste et libérale. Malheureusement, depuis quinze ou vingt ans, cette intégration de la dignité humaine dans les concepts économiques a été faite sur des bases philosophiques erronées : celles de la mentalité scientifique et positiviste, qui tend à mouler toutes les sciences sur le modèle des sciences de la nature. Cette mentalité ne peut pas admettre que la science économique soit une science qui intègre dans ses principes premiers et ses concepts habituels le libre arbitre humain.
Nous touchons ici au cœur du problème présent, si douloureux. Il se trouve que depuis un demi-siècle la doctrine sociale de l'Église s'est frayé un chemin dans les intelligences et dans les volontés, mais elle n'est pas toujours passée tout entière. La conception scientiste et positiviste du déterminisme des faits sociaux, diffusée par l'enseignement officiel, a trop souvent modelé simultanément les mêmes intelligences. Ainsi, dans le même temps où des esprits ont été formés à désirer ardemment la justice, dans le même temps, ces mêmes esprits ont été déshabitués par le positivisme d'envisager les faits sociaux à la lumière du libre arbitre humain. Finalement, nous voyons aujourd'hui des hommes d'une générosité incontestable affirmer la *nécessité morale* d'une solution juste de la question sociale et aussi l'*incapacité morale* des employeurs de rectifier leurs appétits et de pratiquer volontairement à titre personnel ou corporatif, et Dieu aidant, cette justice que l'on revendique. Finalement on affirme la nécessité de la loi morale voulue de Dieu et l'on nie la possibilité personnelle et libre de se soumettre à cette loi ! Ce n'est donc plus la personne qui peut se soumettre à la loi morale, c'est la classe sociale définie en regard du déterminisme économique.
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C'est donc la *structure capitaliste* qu'il faut soumettre à la loi morale en la supprimant. C'est ce qui explique qu'aujourd'hui on discerne des tendances qui tendent à développer la notion de péché de classe au point de suggérer, et parfois d'affirmer, la notion de « responsabilité de classe ».
Ainsi, on voit que cette mutilation de la doctrine sociale de l'Église, dans des intelligences obscurcies -- il faut, hélas ! bien le dire -- par le positivisme, l'historicisme et le néo-kantisme, conduit presque nécessairement à envisager comme une issue intellectuelle l'appareil marxiste d'analyse économique. La théorie de la plus-value semble alors à des esprits une explication « scientifique » : elle satisfait, leur semble-t-il, à l'intégration de la « justice » dans l'économie et, néanmoins, elle n'est pas une morale, puisqu'elle n'appelle en aucune façon une réforme morale personnelle.
Que la volonté de progrès social s'établisse dans une intelligence qui ne croit pas pratiquement au pouvoir du libre arbitre humain, aidé par la grâce divine, pour restaurer la vie sociale, et la parodie scientifique du marxisme apparaît comme la solution « historique » du problème.
#### III. -- LA SCIENCE ÉCONOMIQUE EST UNE SCIENCE MORALE
C'est pourquoi il est nécessaire de rompre avec les vieux préjugés intellectuels qui identifient « l'économique » au « technique ». Cette vision aboutit à imposer, au nom de la « science » économique, tantôt les erreurs individualistes, tantôt les erreurs collectivistes.
Que sont donc les sciences morales ? Ce sont les sciences qui ont pour objet l'ordre que la raison introduit dans les actes volontaires en vue d'une fin. Qu'est ce que la technique ? C'est l'ordre que la raison humaine introduit dans les choses extérieures. D'où il suit qu'extraire du charbon, fabriquer un vêtement, mettre au point un système comptable ou un mode de rémunération sont des opérations *techniques*.
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Mais organiser socialement une entreprise, déterminer la nature d'une production, fixer des prix ou des salaires sont des opérations économiques et donc morales, car dans toutes ces opérations, la dignité et les autres droits de la personne sont en jeu. Le pur technique ne relève pas *essentiellement* de l'économique. Il relève de la géologie ou de la science agricole ou de la météorologie ou de la mécanique ou de la science comptable. Ces données jouent leur rôle pour *conditionner* l'activité économique de l'homme. Mais l'économie, elle, est essentiellement une *activité* de l'homme : S'embaucher ou embaucher, travailler moyennant une rémunération, acheter, vendre, louer sont des actes humains, des opérations volontaires à but économique mais résultant de l'usage du libre arbitre et, comme tels, soumis à la loi morale.
L'objet propre de la science économique est d'étudier ces *actes humains sociaux* à but économique. Pour cela, elle les étudie d'abord dans leur nature et à la lumière de la doctrine. Elle doit donc poser, non seulement la loi morale, mais aussi le libre arbitre humain. Puis elle peut, en présupposant les enseignements de la doctrine, les étudier dans le concret des réalisations historiques. L'économiste alors n'a pas, en tant que tel, à apprécier la responsabilité psychologique des acteurs de la vie économique. Il a à examiner des tendances, à mesurer des régularités statistiques, mais non sans apprécier la conformité ou la non-conformité des actes économiques qui sont des actes humains en regard de la loi naturelle. A défaut d'une telle intégration, il ne présente qu'un déterminisme, statique ou dynamique, inéluctable. Il donne une image faussée du réel.
On a si longtemps séparé le « social » et l' « économique » l'un de l'autre comme s'il s'agissait de deux univers séparés et cloisonnés que l'accord ne s'est pas encore fait sur la nécessité d'envisager non seulement le social, mais l'économique aussi en regard de la loi morale. Or, quelle est la différence entre les deux, considérés dans leur sens courant ?
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Prenons le cas du salaire. Du point de vue de celui qui le perçoit, c'est un problème « social » : il conditionne la vie d'une famille. Du point de vue de l'entreprise qui le verse, c'est un problème « économique » : il intervient dans les conditions de la production et de la vente Pourtant c'est la même somme d'argent que l'on envisage. Quelle conclusion en tirer ?
On est accoutumé d'appeler « social » un problème qui concerne les *droits* lésés de personnes vivant dans des *conditions matérielles* insuffisantes. On appelle « économique » le problème de la réalisation des conditions matérielles qui permettent -- ou non -- de satisfaire à de tels droits. *Dans les deux cas donc les droits humains sont en jeu*. La dignité humaine est en jeu. Dans les deux cas le libre arbitre humain est appelé à assumer sa responsabilité. Dans les deux cas l'explication scientifique (c'est-à-dire l'explication par les causes) ne peut éviter de faire intervenir, comme cause des faits, sociaux ou économiques, les actes humains, justes ou injustes. Dans les deux cas, la science est morale. Donc la science économique est une science morale. Par exemple, la production du miel et l'organisation du travail chez les abeilles relèvent du champ d'étude du biologiste, non de l'économiste. De même, on ne Parle pas de chômage ou de juste salaire chez les chevaux, ni de taudis allez les castors. Ils n'ont ni droits ni libre arbitre. Ils n'ont donc pas d'économie. L'économie se situe donc au niveau des *besoins matériels des créatures raisonnables et douées de libre arbitre*. Elle se situe au niveau de l'incarnation d'une âme spirituelle et immortelle dans un corps matériel. Il n'est pas étonnant que ce soit à ce niveau, précisément, que se porte l'attaque principale des forces du mal, actuellement.
C'est pourquoi Pie XI n'a pas craint d'affirmer : « LES SCIENCES PROFANES*, qui ont pour objet, comme on dit, la sociologie et l'*ÉCONOMIE SOCIALE*, le bien individuel et le bien collectif, ne peuvent se soustraire aux principes philosophiques et religieux qui regardent l'origine, la nature et la fin de l'homme*. » ([^8])
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Pie XI, de même, dans *Quadragesimo Anno* dit que « Léon XIII et ses successeurs ont continué à prêcher avec insistance la DOCTRINE SOCIALE ET ÉCONOMIQUE de l'Encyclique *Rerum Novarum* (N° 19) » et il y revendique par ailleurs à plusieurs reprises « *une souveraine autorité sur ces problèmes sociaux et économiques* (N° 44) ». Quant au Pape Pie XII, il a affirmé qu'il y avait un « *concept chrétien de l'économie sociale*. » ([^9])
Ce concept chrétien est incompatible avec l'appareil marxiste d'analyse économique, car il présuppose le libre arbitre et la responsabilité personnelle de l'homme, que nie pratiquement le matérialisme historique. C'est pourquoi nous conclurons, avec le doyen Charles de Koninck : « *Pour des raisons de succès réel, pour éviter d'avancer au hasard et de se fourvoyer dans des impasses, l'étude vraiment scientifique de la vie sociale dans sa dernière concrétion doit présupposer les notions et les vérités générales de ce que nous appelons philosophie morale : l'éthique, l'économie* (*au sens classique*) *et la politique*. » ([^10])
Dans ces conditions, l'appareil libéral et l'appareil marxiste d'analyse économique sont totalement inacceptables pour l'économiste catholique et plus généralement pour tout économiste qui reconnaît un Créateur, une nature humaine douée d'intelligence et de libre arbitre, et une loi naturelle. Ce sera l'œuvre de demain que de rétablir la science économique sur les fondements moraux que lui apporte la doctrine sociale et économique de l'Église.
Marcel CLÉMENT.
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### Mémoire de la Croix
NOTRE SEIGNEUR aussi était libre. Comme Dieu, cela va de soi, mais Il a voulu nous donner la preuve au jardin de l'Agonie qu'il l'était aussi comme homme.
Pendant trente ans de Sa vie cachée, Il avait paru un homme ordinaire, sauf pour un très petit nombre de personnes. Au début de Sa vie publique, on disait :
« N'est-ce pas le fils de l'artisan ? » Puis Il fit des miracles en si grand nombre, avec une telle facilité, que tous les hommes de bonne foi se rendirent compte qu'une puissance surhumaine habitait en Lui. « C'est Élie, c'est Jean ressuscité », disait-on. Si bien que, lorsqu'Il annonçait Sa Passion aux apôtres, saint Pierre lui-même rétorquait : « A Dieu ne plaise, Seigneur ! » Or, en ce Jeudi Saint, après l'institution de l'Eucharistie, Notre-Seigneur chante les psaumes désignés par la liturgie et que nous chantons toujours. Il sort du cénacle et suit avec les onze apôtres fidèles le chemin qui descend dans la vallée. Puis Il retient trois d'entre eux seulement, laissant les autres sous quelque hangar du pressoir à huile (c'est le sens de Gethsémani) et s'avance dans le jardin.
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Ce sont Pierre, Jacques et Jean qui L'accompagnent. Ils avaient assisté à Sa Transfiguration, ils vont assister à Son Agonie. Ils pourront témoigner qu'Il est « vrai Dieu et vrai homme ».
GRAND MYSTÈRE. Jésus avait toute puissance sur son âme. Depuis Sa conception, Il était entièrement maître de tous Ses sentiments et de leur expression. Il ne pleurait pas malgré Lui, mais quand Il voulait montrer la douleur de Son âme. Depuis Sa conception, Il jouissait de la vision béatifique. Elle ne L'abandonna jamais, même dans cette heure sainte de l'Agonie, car Son âme était unie substantiellement à la personne du Verbe. Lorsqu'Il Se transfigura devant Ses apôtres, ce n'était pas pour jouir momentanément des prémices de Sa gloire future ; Il jouissait de cette gloire, mais elle restait cachée. Notre-Seigneur n'était pas non plus surpris par les événements. Il savait ce qui se passerait le lendemain, les claques, les coups, les crachats, le fouet, le jugement dérisoire, la mort ignominieuse. Il savait aussi qu'Il allait accomplir les Écritures et ressusciter le troisième jour pour ne plus mourir.
Enfin, ce dur martyre n'était pas nécessaire. Le moindre des actes d'un Être infini avait une valeur infinie ; la première goutte de sang versée à la Circoncision suffisait en droit à payer la rançon du monde. Mais Notre-Seigneur voulut laisser Son âme d'homme apparaître avec Sa faiblesse d'homme devant la douleur et devant la mort, car Il savait que les hommes continueraient à souffrir et à mourir. Il voulut avoir passé par la mort, nécessité pour les hommes, horreur pour la nature, dont tout le monde a la certitude, personne n'a l'expérience. Il voulut dans ce combat, simple homme comme nous, passer par les pires misères qu'auraient à subir les martyrs et tous les hommes condamnés justement ou injustement.
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Mais, dans ce désastre qu'il s'imposait, Il voulut manifester que Sa volonté était libre et acceptait librement le martyre. « Abba, Père, tout T'est possible, éloigne de Moi ce calice, mais... non pas ce que Je veux mais ce que Toi Tu veux. »
Ainsi Notre-Seigneur instruisait encore dans ce qui était la grande œuvre de l'amour. Il voulait qu'à Son exemple, nous fissions de notre mort un acte positif et non passif. Il voulait que nous ne nous contentions point de nous résigner à la mort que nous subissons, mais qu'après avoir vécu avec le Christ, nous mourrions avec le Christ : « En effet, dit saint Paul, nul de nous ne vit pour soi-même et nul ne meurt pour soi-même. Car, soit que nous vivions, nous vivons pour le Seigneur ; soit que nous mourrions ; nous mourons pour le Seigneur » (Rm 14, 7-8). Jésus l'a fait le premier pour assurer à Son Père l'amour des hommes.
Il avait désiré cet instant. L'ordre que donnait Sa volonté divine à Sa volonté humaine de montrer Sa faiblesse d'homme et Sa liberté n'entravait nullement l'amour du Père et du Fils, l'amour de l'un et de l'autre pour leurs créatures. Dans le fond de Son âme, Notre-Seigneur désirait ardemment ce sacrifice d'amour qui libérait les hommes et leur rendait l'amour accessible. Si bien que Catherine de Sienne a pu dire que Jésus avait une soif très avide du calice de la Passion pour montrer au Père Son amour. La parole de Notre-Seigneur : « Je dois recevoir un baptême et combien Je suis angoissé jusqu'à ce qu'il soit accompli » était toujours traduite autrefois : « combien je suis pressé... »
53:2
Le latin et le grec ont le même sens ; les deux traductions françaises sont valables. Ne donnent-elles pas chacune un des aspects de la pensée de Notre-Seigneur ? Car, avec l'angoisse humaine de la mort et le désir du sacrifice, Jésus avait pareillement des motifs d'angoisse spirituelle ; Il savait que les hommes continueraient à pécher après Sa mort, et beaucoup à refuser le salut qui leur était offert. A l'amoureux désir d'achever promptement le salut de l'humanité se mêlait l'angoisse de voir repousser Son amour. C'est alors qu'intervient un ange.
COMMENT LE MONDE DES ANGES n'eût-il point été remué ? On touchait au sommet de l'histoire universelle ; tout menait à cet événement, tout allait en dépendre. Trente-trois ans auparavant, les anges avaient vu s'accomplir l'Incarnation du Verbe, grand mystère pour de pauvres hommes, mais grand mystère aussi pour de purs esprits. Ce mystère leur avait été exposé avant le commencement des temps ; il avait partagé pour toujours les bons et les mauvais anges. Ce jour même ils avaient contemplé l'institution de l'Eucharistie, œuvre si extraordinaire de la Toute Puissance divine, que Dieu ne pouvait faire plus. Notre-Seigneur avait remplacé la substance du pain et du vin par Sa chair et par Son sang sans modifier les apparences. Sa divinité y était présente dans le même moment et ce prodige était laissé au pouvoir de ces hommes misérables dont les anges étaient chargés d'assister la faiblesse ! Quel mystère que cette humanité même !
Et voici que le Roi immortel de tous les siècles suait le sang la face contre terre, prostré dans une douleur d'amour comme le dernier des esclaves punis ; tant de faiblesse voulue dans le maître du ciel et de la terre !
54:2
Afin que toute Sa création fût associée au mystère qui s'accomplissait, le Père envoie un ange pour consoler Jésus. Sans doute ce n'était pas une surprise pour les anges, l'Écriture avait tout annoncé : « Nous Le regardions comme un puni frappé de Dieu et humilié. » Ce n'était pas une surprise mais restait un mystère où on ne pénètre que par l'amour. Que put faire l'ange, sinon un chant d'amour ? Il chanta sa Reine : « *Tota pulchra es Maria*... » Et Jésus le prit comme le chant de l'oiseau à la fin d'un orage. Le Fils très aimant avait d'avance comblé Sa Mère, encore dans la grande ténèbre de la foi, des dons inouïs qui en faisaient le chef-d'œuvre de la création, celle qui devait par l'odeur de ses parfums, jusqu'à la fin des temps, attirer dans la voie du salut l'humanité tout entière. Le Saint-Esprit, avant que le Verbe S'incarnât, avait avancé à Jésus la part la plus précieuse de Son sacrifice. Les apôtres dormaient presque, juste assez conscients pour pouvoir se souvenir et raconter. L'ange fut la voix de la création louant l'œuvre de son Sauveur par le moyen de celle qui déjà était accomplie.
A cette heure, la Vierge était probablement en prière ; son Fils avait prédit Sa Passion prochaine. Il venait de dire le soir même, au milieu de cette cène instituée pour Le remplacer sur la terre : « Je ne mangerai plus... Je ne boirai plus... » ; Il avait mystiquement séparé Son sang de Son corps, comme lors du meurtre d'Abel et dans tous les sacrifices. La sueur de sang commençait ce déchirement de Sa nature humaine.
55:2
La Très Sainte Vierge attendait le glaive promis à son cœur, et priait la Très Sainte Trinité, son Père, son Époux, son Fils d'augmenter son amour. Ô mon Sauveur ! ô mon Sauveur ! ces mystères dépassent toute parole.
.........
NOUS SOMMES au Temps Pascal ; l'Église, on le sait y fait mémoire de la Croix jusqu'à l'Ascension. La voici faite comme nous pouvons. D'ailleurs la mort et le sacrifice sont le chemin obligatoire du salut et on ne saurait obtenir les promesses éternelles sans y passer. Saint Ignace, disciple de Jean, martyr en 107, écrivait aux Éphésiens : « ...Rompons un seul pain, qui est le remède de l'immortalité, un antidote contre la mort et un principe de vie en Jésus-Christ. » Et l'Église nous fait répéter à Prime durant tout le temps de Pâques cet enseignement de saint Paul : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où le Christ demeure assis à la droite de Dieu. Goûtez les choses d'en haut, non celles de la terre ; car vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. » Voyons ces choses d'en haut.
Nous avons trouvé, en fouillant une vieille bibliothèque, le bulletin paroissial d'un curé de campagne : juin 1879. Entre autres choses, il publiait, sous forme de dialogue, un catéchisme de la famille chrétienne. Voici le fragment intitulé : *Les trois naissances*, où se retrouve l'esprit familier des dialogues de Platon.
#### LES TROIS NAISSANCES
*Le père*. -- Les Pères nous ont enseigné trois naissances admirables de Jésus.
*Marie*. -- Trois naissances, oui, c'est bien fait pour étonner.
*Pierre*. -- Trois naissances, papa, cela demande explication.
56:2
*Le père*. -- Les Pères nous ont enseigné trois naissances admirables de Jésus : sa naissance au sein du père dans la vie éternelle ; sa naissance au sein de la Vierge dans la vie temporelle ; sa naissance au sépulcre dans la vie immortelle.
*Pierre*. -- La troisième naissance, voilà qui étonne.
*Marie*. -- Papa, dites encore les trois naissances.
*Le père*. -- La première naissance a pour son jour, le jour de l'éternité ; la seconde a pour son temps une nuit d'hiver, une nuit de décembre ; la troisième a pour son temps une aurore, une aurore de printemps, une aurore de mars.
*Pierre*. -- Le jour de l'éternité, la nuit d'hiver, l'aurore de printemps : tout cela est beau !
*Marie*. -- Oui, dans le *Confitebor*, on chante *Magna opera Domini*, j'aime cela, moi ; mais, papa, dites encore les trois naissances.
*Le père*. -- En la première, il reçoit une vie qui est sans commencement et sans fin ; en la seconde, il commence une vie qui va finir ; en la troisième, il commence une vie qui ne finira point.
*Pierre*. -- Oui, en la première, il naît Dieu de Dieu ; en la seconde, il naît de Marie, Dieu fait homme ; en la troisième, il naît de son tombeau pour ne plus mourir.
*Marie*. -- Je pense, mais je n'ose pas dire.
*Le père*. -- Puisque tu penses, dis, ma fille.
*Marie*. -- Il y aurait donc quelque rapport entre le sein béni de Marie, et le tombeau du Sauveur ? Quel rapport, dites-moi, papa, il y a entre ces deux choses ?
*Le père*. -- Ne sais-tu pas, chère enfant, que le sein de Marie, toujours vierge, a porté Jésus et Jésus seul ?
*Marie*. -- Je sais cela et je m'en réjouis.
*Le père*. -- Ne sais-tu pas que le tombeau de Jésus est un tombeau vierge, où personne ne fut posé avant Jésus et personne après Jésus ?
57:2
*Marie*. -- Ah ! Je vois les ressemblances.
*Le père*. -- Il y a plus.
*Marie*. -- C'est le plus qu'il me faut.
*Le père*. -- Pour compléter la ressemblance, il faut dire que comme Jésus est né de la Vierge la conservant vierge, il est né de son tombeau le laissant vierge.
*Pierre*. -- En effet, il ne toucha pas la pierre qui le recouvrait, et ne brisa pas le sceau que les Juifs y avaient apposé.
*Marie*. -- Pour le coup, j'y vois et je me félicite d'avoir pensé tout haut. Papa, dites encore les trois naissances.
*Le père*. -- En la première, il naît immortel et impassible ; en la seconde, il naît mortel et passible ; en la troisième, il sort de la puissance de la mort pour entrer dans une vie immortelle et glorieuse.
*Marie*. -- Plus je cherche et plus je trouve. Ici encore, vous le voyez, papa, j'ai appris quelque chose. Mais, papa, dites encore les trois naissances.
*Le père*. -- En sa première naissance, Notre-Seigneur est le premier né de Dieu ; en la seconde, il est le premier né de la Vierge ; en la troisième, il est le premier né d'entre les morts. Trois naissances et trois primogénitures du fils de Dieu auxquelles nous devons tout ce que nous sommes ; car nous devons notre être naturel à sa première naissance ; notre nouvel être en sa grâce à sa seconde naissance ; notre résurrection et notre gloire éternelle à sa troisième naissance.
.........
NOUS PENSONS que ce bon prêtre savait instruire comme l'Église le fait elle-même, en prenant soin de ne pas séparer le beau du vrai. Voici pour finir un des répons des matines de Pâques que nous chanterons avec elle ; l'histoire de Madeleine est l'histoire que nous désirons pour nos âmes pécheresses :
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Félicitez-moi, vous tous qui aimez le Seigneur,
Car celui que je cherchais m'est apparu.
Et, tandis qu'au tombeau je pleurais, j'ai vu le Seigneur,
Alléluia, Alléluia.
Les disciples s'en allèrent et je ne m'en allai point.
Enflammée de Son amour, je brûlais de désir.
Et, tandis qu'au tombeau je pleurais, j'ai vu le Seigneur,
Alléluia, Alléluia.
D. MINIMUS.
59:2
## DOCUMENTS
60:2
### Le P. Bigo et le progressisme
Depuis longtemps, je voulais parler de la conférence, de l'article, de la brochure du P. Bigo sur le progressisme. J'en ai été détourné par un souci de méthode. Ayant avancé à l'égard de cet auteur un certain nombre de critiques, j'attendais sa réponse aux premières objections avant de formuler les secondes. La réponse n'est pas venue. J'ai été patient. Aujourd'hui je tiens du P. Bigo lui-même qu'il ne répondra pas à ces premières objections. C'est ainsi, je n'y puis rien.
Le P. Bigo a écrit *Le Progressisme en France, aspects doctrinaux*. C'est le texte d'une conférence qu'il a eu le mérite de prononcer à plusieurs reprises, devant des auditoires que l'on supposait tentés ou influencés par le progressisme, et pour les mettre en garde. Ce texte a été publié en article dans la *Revue de l'Action populaire* de mai 1955. Il a également été édité en brochure et abondamment diffusé. Il est le principal ou pratiquement le seul texte de référence, en France, sur la question. Il existe bien, depuis janvier 1949, un certain nombre de communiqués et d'avertissements des évêques français : mais comme le P. Bigo les cite, c'est au *Progressisme en France* du P. Bigo que, sur le progressisme, on renvoie ordinairement le lecteur.
C'est un grand malheur : car si le P. Bigo est ferme, vigoureux, voire véhément contre le progressisme doctrinal et proprement dit, sa pensée conserve de dangereuses faiblesses à l'égard du communisme. Ce sont ces faiblesses qui appellent l'examen critique et la discussion.
61:2
#### PREMIÈRE OBJECTION
Nous tenons le communisme soviétique pour « intrinsèquement pervers ». Le P. Bigo le tient-il pour tel ? Je pose la question. Et je cite ce qu'il en dit :
« Qu'un chrétien n'hésite pas à reconnaître les réalisations matérielles des communistes et même les grandes idées dont ils s'inspirent en les déformant, ce n'est pas ce qui inquiète l'Église, pourvu que ne soient pas perdues de vue les erreurs de la dialectique matérialiste et les injustices parfois abominables qui en dérivent. Ce tri du vrai et du faux, du bien et du mal, c'est justement la tâche difficile du chrétien en face de la réalité communiste. » (*Revue de l'Action Populaire*, mai 1955, page 517).
I -- Si le P. Bigo consentait à entretenir des rapports intellectuels normaux, et conformes à la tradition des docteurs catholiques, avec ceux qui lui présentent des objections, nous lui demanderions quelles sont ces « *réalisations matérielles* » et ces « *grandes idées* » que le chrétien doit « reconnaître » chez les communistes « réalisateurs ». Le P. Bigo répondrait et les nommerait. Cela aurait un double avantage :
1° Nous pourrions examiner chacune de ces réalisations matérielles et chacune de ces grandes idées pour voir si, effectivement, elles sont valables.
2° En les désignant, le P. Bigo en ferait peut-être une liste limitative, et ce serait déjà un grand bien. Car, en ne les nommant pas, en laissant son lecteur dans le vague et l'incertitude, *il laisse à d'autres le soin de les nommer*. La « diabolique propagande » du communisme n'y manque pas, quotidiennement. Il est vraiment peu conforme à la prudence de dire aux catholiques que le communisme comporte des réalisations et des idées valables, et de laisser pratiquement au communisme lui-même le soin de les désigner et de les proposer à l'admiration, -- et à l'imitation.
II -- « *Ce tri du vrai et du faux, du bien et du mal*... » Ou bien cela ne veut rien dire, ou bien cela veut dire qu'il y a, dans le communisme, du bien authentique, du vrai assuré.
62:2
Contradictoirement, dire que « *le communisme est intrinsèquement pervers* » signifie (il me semble) qu'il n'y a en lui ni vrai ni bien à l'école desquels nous puissions nous mettre.
Si le P. Bigo acceptait le dialogue, et la confrontation, et la discussion, un tel débat apporterait des éclaircissements sur ce point capital. Il permettrait d'abord au P. Bigo de préciser sa pensée, et de la dégager des équivoques que l'on craint d'y relever. Ce serait fort utile, étant donné l'importance quasiment dogmatique que plusieurs attribuent à tout ce qui tombe de sa plume. En outre, l'incertitude qui serait ainsi levée est l'une des plus mortelles que connaisse présentement la pensée catholique en France. Oui ou non, y a-t-il du bien et du vrai dans le communisme ? Oui ou non, nous apporte-t-il une part de vrai inédit et de bien encore inconnu ? Je dis que non. Mais, à la différence du P. Bigo, je suis prêt à écouter et à examiner la contradiction.
Enfin, ce vrai et ce bien, s'ils existent, il serait urgent de les désigner, de les décrire, de les définir, de les délimiter. Il est incompréhensible que le P. Bigo laisse ses lecteurs et disciples en suspens sur un point aussi décisif. J'ai déjà souligné l'imprudence majeure qui consiste à proclamer que le communisme contient du vrai et du bien, sans montrer avec précision quel est ce bien, quel est ce vrai. Il ne suffit pas de prêcher un « tri » comme nécessaire : il faut alors le faire, au lieu de l'abandonner à l'infirmité ou à la fantaisie de chacun. Le P. Bigo se doit et nous doit de retirer sa proposition, ou de lui apporter toutes affaires cessantes le complément qu'elle exige. Qu'il nomme les choses par leur nom et qu'il entreprenne une publication intitulée (par exemple) : *Voici le vrai et le bien contenus dans le communisme*. Sinon, même en condamnant le progressisme, et parce qu'il le condamne de cette manière-là, le P. Bigo n'aura fait que renforcer la confusion installée dans les esprits.
63:2
III. -- Au milieu de l'alinéa cité, le P. Bigo a écrit : « ...*les injustices* PARFOIS *abominables qui en dérivent.* »
Ce *parfois* est indulgent, mais d'une indulgence qui n'est pas conforme à la vérité. Les injustices de la société communiste sont au contraire *fréquemment*, sont au contraire *constamment* abominables.
Toutes les sociétés, même les moins mauvaises, même d'inspiration chrétienne, ont leurs injustices, je dirai même leurs injustices *parfois* abominables. Mais par là aussi elles se distinguent de la société communiste, où les injustices sont *habituellement* abominables. Avec un seul mot, le P. Bigo a estompé, il a fait sauter cette distinction essentielle, il a contredit à une essentielle vérité, il en prive son lecteur et son disciple, qui en auraient tant besoin, et spécialement au chapitre du progressisme.
#### SECONDE OBJECTION
Le P. Bigo écrit plus loin :
« On aime que les progressistes stigmatisent les dénis de justice que provoquent, dans les pays occidentaux ou dans les colonies, les préjugés de classe ou les préjugés raciaux. Mais pourquoi taisent-ils les mêmes faits lorsque toute une humanité non criminelle en est victime dans certaines démocraties populaires ? » (*op. cit*., page 523).
I. -- *Les mêmes faits *: les mêmes injustices. Entre celles de l'Occident et celles de l'Empire des Soviets, le P. Bigo n'aperçoit aucune différence de nature. Il n'aperçoit même aucune différence de degré. Ce sont les mêmes faits.
II. -- Ces *mêmes* faits, il les aperçoit dans LES pays occidentaux, et dans CERTAINES démocraties populaires : dans tous les pays occidentaux et seulement dans certaines démocraties populaires.
III. -- Le P. Bigo a donc dit que le monde soviétique est moins injuste que le monde occidental : puisque les injustices y sont les mêmes, mais moins généralisées dans le premier que dans le second.
64:2
IV. -- Cela n'est pas du progressisme, mon Révérend Père, c'est entendu. C'est simplement une contre-vérité. Mais trouver le moyen de faire passer cette contre-vérité-là dans un écrit contre le progressisme est un beau tour de force.
Et la faire passer sans que personne, depuis un an, s'en soit aperçu ni inquiété, est encore plus fort.
V. -- Je vous présente toutes mes excuses, mon Révérend Père, pour le déplaisir que je vous cause, mais je ne puis pas faire autrement. Je découvre ce tour de force parce qu'il faut qu'il soit découvert ; et parce que personne ne l'a fait. J'aurais bien volontiers laissé ce soin à d'autres. Mais à quels autres ? Je ne les ai pas vu se manifester.
VI. -- Au demeurant, mon Révérend Père, c'est de votre part simple inadvertance de plume, simple défaillance de style, que vous vous hâterez de corriger. Mais il faut qu'elle soit corrigée.
VII. -- Et je suis bien d'accord avec vous, mon Révérend Père, quant à la note 4 de votre page 521, qui nous dit parfaitement : « *Ce passage est un exemple du style souvent employé par les progressistes : ce qu'ils affirment, qui heurterait de front la conscience chrétienne ; est aussitôt partiellement retiré par des corrections qui, en réalité, n'enlèvent rien à l'affirmation de départ*. »
Vous n'êtes pas progressiste, mon Révérend Père, puis que vous faites le contraire : *ce que vous affirmez, et qui correspond à la conscience chrétienne, est aussitôt précisé par des corrections qui, en réalité, ruinent l'affirmation de départ.* Non ?
#### TROISIÈME OBJECTION
Le P. Bigo écrit encore :
« Contre le libéralisme et contre le collectivisme, elle (l'Église) affirme la loi fondamentale de la société économique qui est d'être une communauté, un corps organisé, impliquant un agencement de pouvoirs publics et de libertés privées. Contre une doctrine de combat qui, des deux côtés de la barrière sociale, ne compte que sur la force pour faire triompher sa volonté, elle croit que la collaboration loyale est le meilleur outil de transformation sociale.
65:2
Elle (*c'est toujours de l'Église qu'il s'agit*) n'ignore pas que la force est parfois nécessaire pour avoir raison de positions conservatrices verrouillées, qui sont des positions de combat. Mais elle travaille pour que le conflit des classes puisse se résoudre sans guerre. » (*Op. cit*., page 528).
I. -- Le P. Bigo, qui connaît très bien la philosophie marxiste, montre ici, une fois de plus, qu'il ne connaît pas grand'chose à la réalité concrète du communisme soviétique. Il ne voit que le conflit social, la guerre des classes, qui est tout ou presque dans la *théorie* marxiste. Mais, passons, ce n'est pas l'essentiel de notre troisième objection.
II. -- « *La force est parfois nécessaire* » : oui, mais d'un seul côté. Du côté « collectiviste », pour avoir raison des positions conservatrices.
III. -- Il n'est pas dit, et c'est au moins une omission, que « la force est parfois nécessaire » pour « avoir raison » de l'appareil politique, militaire et policier du communisme.
IV. -- Cette « omission » du P. Bigo est d'autant plus déplaisante, et d'autant plus regrettable, qu'il prétend exposer là non ses vues personnelles, mais *celles de l'Église*.
L'Église, d'après le P. Bigo, reconnaît unilatéralement et seulement au « collectivisme » le droit d'employer parfois la force pour « avoir raison » des positions conservatrices verrouillées. Je n'en crois rien, mon Révérend Père.
V. -- Quant à « avoir raison » de l'appareil politique, militaire et policier du communisme, c'est un souci, est-ce que je me trompe ? qui est radicalement absent de la pensée du P. Bigo. Il ne nous dit pas comment il faut s'y prendre sur ce point. Il ne nous invite même pas à méditer cette question, à orienter notre recherche dans cette direction.
On aimerait savoir, selon le P. Bigo, si :
1° *il faut* essayer d' « avoir raison » de cet appareil ;
2° *comment*, par quels moyens, on peut espérer en « avoir raison ».
66:2
Voilà encore un sujet de conversation qui serait bien instructif. Mais nous ne serons pas instruits, le P. Bigo nous refuse ses lumières, il ne veut pas de débat là-dessus. Il doit avoir ses motifs.
#### CONCLUSION
La mise en garde du Cardinal Suhard à l'égard des chrétiens progressistes est du 31 janvier 1949.
Le *Progressisme en France* du P. Bigo est de mai 1955.
Entre janvier 1949 et mai 1955, il s'est passé ceci qu'en France le progressisme chrétien, doctrinal et déclaré, a disparu.
Je ne veux pas dire par là que le P. Bigo est donc arrivé comme les carabiniers. Son étude des « *aspects doctrinaux* » du progressisme, sous réserve des faiblesses qui ont motivé nos objections, a un puissant intérêt rétrospectif ; elle aide à comprendre pourquoi les catholiques qui se réclamaient du progressisme ont renoncé à s'en réclamer et l'ont explicitement désavoué ; elle aide à comprendre pourquoi cette bataille-là, en mai 1955, était déjà gagnée depuis longtemps.
En 1955, en 1956, il subsiste un progressisme qui n'ose pas dire son nom, un progressisme clandestin, avec des « *aspects* » nouveaux, et qui ne sont pas tous « *doctrinaux* » : le P. Bigo n'en parle pas.
Il subsiste les séquelles, les conséquences, les résurgences camouflées du progressisme ; il subsiste aussi certaines des confusions qui ont été créées par lui, et qui ont durablement atteint des esprits qui ne sont pas et ne veulent pas être progressistes : le P. Bigo n'en dit rien.
Il subsiste surtout la tendance à croire : 1° que l'emploi de la force est parfois justifié si c'est le communisme qui l'emploie, mais qu'il n'est pas justifié contre lui ; 2° que les injustices du monde soviétique et celles du monde occidental sont équivalentes, voire plus prononcées chez ce dernier ; 3° que le communisme contient une part de vérité.
Et là, il me semble, le P. Bigo est plutôt d'accord.
Jean MADIRAN.
67:2
### Les injures de la « Vie intellectuelle »
*M. Henri Muller, dans la* Vie intellectuelle *de février, porte des accusations et lance des injures d'une extrême gravité. Il écrit d'abord* (*page 78*) :
La carence intellectuelle de la droite est dans le cynisme des cadres de la nation qui ont abdiqué leur mission de direction sans vouloir abdiquer leurs privilèges, qui ne croient plus à rien ni à personne et surtout pas à eux-mêmes, mais veulent prolonger leur règne de quelque temps encore, etc. Ne croyant plus à rien ni à personne, ils se sont laissé complètement couper même de ceux des électeurs qu'ils auraient pu encadrer, etc.
*Cette analyse vaut peut-être pour certaines catégories sociales plus ou moins* « *bourgeoises* » *ou* « *capitalistes* »*, auxquelles l'on donne par habitude* (*ou par calcul*) *l'étiquette de* « *droite* » *bien qu'elles se situent au moins autant du côté de la gauche mendésienne, de L'Express, etc. Mais passons.*
*L'important est que M. Muller ajoute aussitôt :*
A ce cynisme des intellectuels de droite et des classes dirigeantes de droite...
*Holà ! M. Muller n'analysait pas seulement comme on l'aurait cru, le comportement de certaines classes dirigeantes, mais tout autant celui* (*il les met dans le même sac*) *des intellectuels de droite.*
Ce sont aussi les intellectuels de droite qui « ne croient plus à rien » et veulent « cyniquement » prolonger leur « règne » (?) et leurs « privilèges » (?)
*M. Muller ne nomme personne, ce qui fait que ses injures s'étendent à la catégorie tout entière ; sans aucune exception. Il ne connaît pas d'intellectuels de droite qui croient à quelque chose, qui ne soient pas des cyniques, etc.*
*Or l'intellectuel de droite, ce n'est tout de même pas M. Pierre Brisson, directeur du Figaro, ou M. Bony-Lazurick, directeur de l'*Aurore *?*
68:2
*L'intellectuel de droite, c'est Michel Dacier ; c'est Louis Salleron ; c'est Gustave Thibon ; c'est Pierre Boutang ; c'est Henri Pourrat ; c'est Jean de Fabrègues ; c'est V.-H. Debidour ; c'est Gabriel Marcel ; c'est Marcel Clément ; c'est Jean Madiran... Ils sont tous des cyniques qui ne croient plus à rien. Et voilà.*
*Donc, évidemment, pas de dialogue avec eux. Pas de discussion. Pas de débat. Ils ne méritent que l'injure, l'insulte et le mépris. Notre proposition de* substituer entre catholiques le dialogue à la polémique *ne peut être retenue. Nous ne sommes pas des catholiques, puisque nous* « *ne croyons plus à rien* »*.*
*Tel est, saisi sur le vif, dans la revue des Dominicains de Paris, le principe de l'immense entreprise de diffamation menée, notamment à l'intérieur du catholicisme, contre des écrivains auxquels on n'ose ou ne peut opposer d'autres arguments.*
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### « Témoignage chrétien » et le communisme
*Dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *du* 10 *février, un exposé de principes, où un paragraphe, celui-ci, concerne le communisme :*
Témoignage chrétien croit que le moyen le plus efficace de vaincre le communisme c'est de l'affronter doctrinalement et de réaliser un maximum de justice sociale.
*Deux remarques :*
1*° Réaliser* « *un maximum de justice sociale* »* : oui, mais pas au sens du communisme* (*c'est-à-dire pas au sens de M. Joseph Folliet écrivant naguère :* « *Nous engageons les chrétiens à faire mieux que les communistes et à les devancer sur le chemin de la justice et de la paix* »)*. La justice sociale se réalise par une chose dont* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ne parle quasiment jamais : la construction de l'ordre corporatif, qui est, selon Pie XII, la partie principale de la doctrine sociale de l'Église.*
2*° Quant au* « *moyen le plus efficace de vaincre le communisme* »*, il est dans la prière, la vie intérieure, la conversion de soi-même, les œuvres de la Foi, de l'Espérance et de la Charité. L'* « *affrontement doctrinal* » *et la* « *justice sociale* » *y ont une place, qui n'est ni la première ni la seule. En outre, cette* « *justice* » *et cet* « *affrontement* » *n'excluent pas non plus, ou ne devraient pas exclure, la résistance politique, dont* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ne parle guère.*
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### Les catholiques pour ou contre le Front populaire
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *n'a pas, sur le Front Populaire, une position aussi catégorique que celle exposée dans ses colonnes par M. Jacques Madaule* (*voir notre précédent numéro*)*. Son rédacteur en chef, M. Georges Suffert, écrit le* 3 *février :*
Les comités de Front populaire constitués à la base sont profondément malsains... Aujourd'hui, dans neuf cas sur dix, ce sera le Parti communiste qui animera plus ou moins discrètement ces comités. Accepter d'y participer, c'est donc très exactement faire le jeu du Parti communiste.
*Mais M. Georges Suffert croit pouvoir ajouter :*
L'acceptation par un gouvernement de gauche des voix communistes ne présente, en revanche, aucun inconvénient sérieux, sauf pour la droite qui se trouve du même coup minoritaire.
*C'est un peu vite dit. Dans le cas d'une majorité de gauche avec les communistes, divers intérêts spirituels se trouvent directement compromis : notamment ceux de la liberté de l'enseignement.*
*En outre, la nécessité d'organiser méthodiquement la résistance au communisme paraît totalement absente des préoccupations de M. Georges Suffert. Il ne se préoccupe que de combattre l'* « *anticommunisme* »* :*
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... Quand les anti-communistes prennent une voix sépulcrale pour déclarer que le soutien d'un gouvernement par les voix communistes amorce infailliblement « le coup de Prague », ELLE se sert de la panique pour conserver solidement son pouvoir.
*Nous avons souligné* elle *dans le texte de M. Suffert : grammaticalement, c'est* « *la voix sépulcrale* » *qui est ou qui veut être au pouvoir. Ce n'est pas très clair.*
*Trois remarques :*
1° *On ne dit pas que le soutien communiste amorce infailliblement le* « *coup de Prague* »*. On dit simplement qu'il en prépare ou en augmente les chances. M. Suffert est-il incapable d'entendre ce propos raisonnable, et de le réfuter, s'il le veut et s'il le peut, mais sans le caricaturer ?*
2° *On ne sème pas* « *la panique* »*. On essaie d'être lucide sur des périls très réels, que M. Suffert sous-estime ou même méconnaît complètement.*
3° *D'après le texte cité, il semble que M. Suffert et* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ne sont pas du tout anti-communistes, et qu'ils s'opposent à toute forme actuellement existante d'anti-communisme politique. Oui ou non ?*
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### « Témoignage chrétien » vu par son directeur
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *a reproduit le* 17 *février le discours prononcé par son directeur, M. Georges Montaron, à l'adresse de S. Em. le Cardinal Gerlier lors de la V^e^ Rencontre nationale des militants de ce journal à Lyon. En voici les principaux passages :*
Éminence,
« Au lendemain de la Libération « T.C. » aurait pu rester l'organe de ces anciens combattants héroïques de la Résistance gardant jalousement le souvenir de leurs luttes passées, de leurs espoirs et veillant avec fidélité sur leurs morts. Mais alors il n'aurait plus été « Témoignage Chrétien ».
71:2
Ses dirigeants d'alors et le Père Chaillet à leur tête ont voulu que « T.C. » continue sa mission, sans doute sous des formes différentes, sans doute avec une présentation nouvelle mais en gardant la même volonté de rechercher en tout la vérité et de défendre partout la justice.
Alors qu'il eût été sans doute plus prudent, au sens bourgeois du terme, de confier la direction et la rédaction de « T.C. » à quelques-uns de ces intellectuels catholiques équilibrés et nuancés comme notre époque en a tant produit, le Père Chaillet a voulu, renouvelant le pari de Pie XI, faire confiance aux laïcs et plus spécialement à ceux qu'avait formés -- à la veille de cette dernière guerre -- l'Action Catholique.
Voyez, Éminence, ce que nous sommes : d'anciens jécistes, d'anciens jocistes, d'anciens dirigeants de la F.F.E.C. Regardez si nous ne sommes pas, concrètement parlant, le témoignage de cette Promotion Ouvrière que vous souhaitez avec toute l'Église : sur sept membres permanents de l'équipe de « T.C. », quatre anciens jocistes, quatre anciens ouvriers, quatre anciens primaires sortis tout droit de l'école de l'Action Catholique, diplômés des Cercles d'études et encore aujourd'hui -- à titre personnel -- militant de l'Action catholique. Comme on comprend qu'aujourd'hui cela pose des questions !
*La promotion ouvrière qu'invoque ici M. Montaron est une promotion, à titre individuel, de quelques personnalités. C'est excellent.*
*Mais il ne faudrait pas oublier que la promotion ouvrière doit être recherchée pour l'ensemble du monde ouvrier, il ne faudrait pas oublier non plus que son moyen est la construction d'un ordre corporatif professionnel. Nous avons cherché en vain dans quels numéros de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *a été exposée la partie principale* (*Pie XII dixit*) *de la doctrine sociale de l'Église, à savoir précisément cette idée d'un ordre corporatif.*
On nous reproche parfois notre style, notre langage, notre manière d'être.
Sans doute manquons-nous parfois de ce qu'on appelle la prudence. Mais comment pourrions-nous parler autrement que ce que nous sommes. Notre style nous permet d'être compris de ceux qui nous lisent ; n'est-il pas important qu'un journal puisse être acheté ? Nous ne rédigeons pas un document officiel, nos écrits ne sont pas définitifs, nous écrivons chaque semaine un journal qui doit être vendu et acheté et pour cela qui doit d'abord être fait comme un journal.
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On a pu dire avec quelques raisons que dans notre pays « La Croix » était la voix officieuse de l'Église. Nous permettra-t-on de dire de la même façon que dans notre pays « T.C. » c'est la voix des laïques. Qu'on ne demande pas aux uns de parler comme les autres pourvu que la Foi qui anime les uns et les autres soit la même et qu'ils soient tous deux dans l'Église.
*Dire que* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *est* LA *voix des laïcs est entièrement inexact : nous y reviendrons plus loin.*
Et d'ailleurs chacun sait bien, aujourd'hui, qu'un journal catholique c'est tout autre chose qu'un sermon improvisé, qu'un catéchisme pour adulte ou même une partie officielle de Semaine Religieuse.
Là encore notre formation de militants d'A.C. nous a appris à ne pas cantonner le christianisme dans les églises ou les réunions de militants mais à faire qu'il imprègne toute la vie. Par la lecture du journal catholique le lecteur apprend à connaître cette pâte dans laquelle il doit être plongé s'il veut être vraiment un levain. Et l'incroyant trouve en ce journal un point d'accrochage, un reflet de la vie du monde, de cette vie qui est celle de tous les hommes croyants et incroyants.
Il arrive aussi qu'on nous reproche de donner trop d'importance au politique dans « T.C ». Je ne parle pas de ceux qui, nous faisant un véritable procès de tendance, vont jusqu'à affirmer que nous sommes au service d'un parti quand ce n'est pas d'un homme.
Ceci est faux !
*Nous n'avions pas eu connaissance de l'accusation portée* (*par qui ?*) *contre* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *d'être au service d'un homme ou d'un parti. Ce qui dans la politique de témoignage chrétien appelle des objections, c'est autre chose.*
1° *Se présentant comme un journal purement et simplement catholique, et parfois même en se prétendant un journal* « *uniquement missionnaire* » (*article de M. Montaron dans le supplément à T.C. en date du* 1^er^ *juillet* 1955) TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN n'en défend pas moins des positions politiques nullement obligatoires et soumises à la libre discussion.
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*Par suite il se produit souvent, dans l'esprit du lecteur, une confusion entre ce qui est donné par ce journal comme doctrine d'Église et ce qui est avancé comme simple opinion personnelle. Cette confusion n'est certainement pas dans les intentions de M*. *Montaron ;* *mais il n'est pas sûr qu'il se préoccupe suffisamment de l'éviter.*
2° *La politique de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *est ordinairement une politique de non-résistance au communisme. Cette non-résistance systématique est aussi apparente que le nez au milieu du visage. S'agit-il d'une apparence trompeuse ou d'une apparence révélatrice ? Telle est la question essentielle que se posent les trois quarts* (*ou davantage*) *du public catholique au sujet de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*. A cette question, dont il ne peut pourtant ignorer l'existence, M*. *Montaron ne répond pas dans le présent discours ; il n'y a jamais répondu, du moins jusqu'au moment où nous écrivons ces lignes. Si nous ajoutons cette dernière précision, c'est parce que nous pensons que M. Montaron sera forcément amené un jour ou l'autre, et probablement un jour prochain, à s'expliquer en détail sur ce point.*
Ce qui est vrai, c'est que nous nous préoccupons du politique et que notre manière d'aborder ces problèmes n'est pas toujours celle de la majorité des catholiques. Voilà le vrai problème.
*Si votre manière d'aborder les problèmes n'est pas celle de la majorité des catholiques, alors cessez donc de vous prétendre* LA *voix des laïcs. Vous êtes la voix de certains laïcs, qui sont d'ailleurs, le P. Avril l'a indiqué justement dans vos colonnes, une* « *petite minorité* » *parmi les catholiques français.*
...Mais aussi faut-il rappeler que dans notre France où le pluralisme correspond si bien à notre tempérament il n'y a pas qu'un seul journal catholique, qu'un seul hebdomadaire catholique. Si certains pays peuvent connaître une situation différente, il est faux de dire que la vérité est ici ou là. Telle est la solution pratiquée et conforme à la mentalité du pays.
*Ces autres journaux catholiques, ces autres hebdomadaires, auxquels il est fait ici allusion indirecte, sont eux aussi, pour une part,* « *la voix des laïcs* »*. C'est pourquoi il est extrêmement déplaisant, pour eux et pour leurs lecteurs, d'entendre M. Montaron affirmer, comme il le faisait plus haut :* « T.C. *est* LA *voix des laïcs* ».
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*En outre, M. Montaron ne sait peut-être pas qu'en maints endroits, animés par une ardeur quelque peu excessive, en tous cas déplacée, les militants de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *font exclure des tables de presse catholique* L'HOMME NOUVEAU *et la* FRANCE CATHOLIQUE *elle-même. Et ne parlons pas de* VERBE *qui, malgré les encouragements publics reçus du Saint-Siège, est dénigré, combattu, voire insulté par les mêmes militants avec un acharnement dans lequel des spectateurs peut-être superficiels croient discerner une sorte de haine. Pourtant, autour de la revue* VERBE*, et à l'intérieur de son organisation* LA CITÉ CATHOLIQUE *on remarque aussi cette* « *promotion ouvrière* » *à laquelle* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *attache tant d'importance.*
*Ces militants trop ardents dépassent les intentions de M. Montaron ? Sans doute. Mais on craint, non sans motifs, que cette inimitié violente et active contre leurs frères catholiques étiquetés* « *de droite* » *n'ait précisément pour origine la lecture habituelle de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *et l'influence générale qui s'en dégage.*
Chacun a sa manière de parler de tel événement. Je pense par exemple aux grèves d'août 1953. D'en parler à la page une ou à la page 8. En haut de page avec un gros titre ou en bas de page. Ou encore de n'en pas parler. Sans qu'il soit besoin de citer les différences de position.
*Très juste remarque. Elle ne s'applique plus seulement aux grèves d'août* 1953*. Elle s'applique aussi aux manœuvres et aux crimes de l'appareil communiste.*
*Et à quantité d'autres questions. Ainsi, le même numéro de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, en première page, parlant des manifestations du* 11 *février sur les Champs-Élysées à Paris, en parle sans aucun scrupule de mesure ni d'exactitude, parce qu'il s'agit de manifestants* « *de droite* » (*ou supposés tels*) TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *écrit en effet :*
« *Une centaine de fanatiques de droite se groupèrent sur les Champs-Élysées, se livrant à des gestes démentiels* »*. Ce fanatisme démentiel consista très exactement à renverser un triporteur* (*dont le conducteur avait traité de* « *fascistes* » *les manifestants*) *et à briser une vitrine* (*celle de L'Express*)*.*
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*Ce ne sont pas des actes recommandables. Néanmoins il est fréquent que les manifestants communistes se livrent à des violences équivalentes, voire beaucoup plus graves, sans que jamais* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *parle à leur sujet de* « *fanatisme démentiel* »*. Voilà, saisie sur le vif, la partialité politique que l'on reproche à ce journal, et qui est véritablement insupportable parce qu'elle se manifeste dans une publication qui se prétend* « *uniquement missionnaire* »*.*
*Encore un détail : tous les journaux l'attestent, le nombre des manifestants* « *de droite* » *du* 11 *février était de* 300 *à* 500*. Chiffre assez modeste pour que* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *préfère dire :* « *une centaine* »*. Petit mensonge sans conséquence. Mais point exemple éminent de journalisme* « *uniquement missionnaire* »*.*
Aucun journal catholique n'a mandat d'Église, aucun ne saurait être assimilé à un mouvement d'A.C. La hiérarchie pour cette tâche particulière fait confiance au laïcat aussi bien pour diriger un journal que pour le diffuser. Et les comités de presse eux-mêmes qui ont fleuri ces dernières années ne peuvent devenir un mouvement d'Église : ils sont un service de diffusion de l'ensemble de la presse catholique au service des paroisses ainsi que l'a si bien précisé la F.N.A.C.
En ce domaine encore la lumière nous vient de Rome. Alors que tous les organismes du Saint-Siège sont confiés à la direction de Monseigneurs, d'Évêques ou de Cardinaux, c'est à un laïc, le Comte Dalla Torre que revient la responsabilité de la direction du seul quotidien édité au Vatican, lequel ne craint pas de porter en manchette, « quotidien politique et religieux ».
*Excellent exemple, mais que M. Montaron cite sans l'imiter.*
*Si* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, comme l'*OSSERVATORE ROMANO*, portait en manchette* « *journal politique et religieux* » *au lieu de se prétendre* « *uniquement missionnaire* »*, bien des équivoques, des malentendus et des malaises seraient au moins partiellement dissipés.*
Éminence, vous m'excuserez de cette allocution un peu longue, mais je tenais, devant vous, à affirmer tout à la fois notre fidélité à l'Église et notre souci de prendre toutes nos responsabilités de laïcs.
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Cette fidélité nous l'avons prouvée en méritant pendant quinze ans la confiance de l'Église, en refusant le mirage du progressisme, ce qui nous valut de perdre tant de lecteurs parmi les plus généreux.
Notre responsabilité, nous sommes décidés à l'assumer dans l'Église, avec les conseils de la hiérarchie dans le respect des enseignements de l'église mais comme des hommes responsables.
Ce langage n'apprend sûrement rien et n'étonnera sûrement pas celui qui fut le président de cette A.C.J.F. dans laquelle nous avons milité, celui qui est l'actuel président de la commission Épiscopale de l'Action Catholique. Celui qui, aujourd'hui, Archevêque de Lyon, a tenu à venir parmi nous.
Éminence, par la volonté des militants d'hier et d'aujourd'hui, par la volonté de l'Épiscopat, parce que Pie XI a voulu qu'il en soit ainsi, les laïques que nous sommes ne sont plus des enfants de chœur. Vous nous avez appris à être des hommes responsables. Aidez-nous, aujourd'hui encore par vos conseils à mettre notre métier de journalistes catholiques davantage au service de l'Église.
*M. Montaron devrait ici nous fournir les références. Nous n'avons pu retrouver les textes de l'Épiscopat et du Magistère romain où il serait dit qu'il ne faut plus être* « *des enfants de chœur* »*.*
*Cette assurance de M. Montaron produit en tout cas un pénible effet. Il prend la succession de M. Laudet, en somme, il ne croit pas, ou plus, à* « *la Jeanne d'Arc des petits enfants* »*. C'est un bien grand malheur pour lui, et une étonnante disgrâce. Nous le renvoyons à ce que Péguy en écrivait à M. Laudet, il est remarquable que ceux-là même qui ont, parfois d'une maniéré indiscrète et excessive, voulu accaparer la mémoire ou le patronage de Péguy, tombent si régulièrement dans les travers que Péguy dénonçait avec le plus de vigueur.*
*Combien de pages de Péguy pourrait-on rééditer en inscrivant M. Montaron aux lieu et place de M. Laudet. Exemple :*
Il faudrait d'abord savoir si M. Montaron est devenu grand. M. Montaron n'a pas l'air de se douter un seul instant que nous devons entendre dans son sens le plus rigoureux et le plus littéral cette parole de Jésus, comme toutes les paroles de Jésus :
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« Et il dit : « *En vérité je vous le dis, si vous ne vous convertissez point, et ne vous faites point comme ces petits, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.* » Matthieu, 18,3. (*Un nouveau théologien*, édition Gallimard, 1936, page 14.)
... Enfin si M. Montaron méprise les saints petits, les saints enfants, qu'est-ce qu'il fait de Bernadette. De tant d'autres. Il est constant que la Vierge aime mieux apparaître aux enfants, (*op. cit*., page 49.)
... Bannir de chrétienté l'enfance même, qui en est certainement la source la plus pure. La source première. La plus antique, la plus aimée, la plus profonde source. Enfin M. Montaron n'a donc jamais entendu parler, même dans le monde, il n'a donc jamais entendu passer ces expressions, même en musique : *la sainte enfance*, l'enfance du Christ. M. Montaron n'a donc jamais vu passer dans les rues une bande de petites pensionnaires, et on ne lui a jamais dit : « *C'est la Sainte-Enfance* ». Si M. Montaron supprime, si M. Montaron abroge de la sainteté l'enfance, qu'est-ce que M. Montaron fait des saints enfants, les plus purs, les plus tendres, les plus célestes, et sans parler des saints innocents qu'est-ce que M. Montaron fait de cette glorieuse enfance de sainte Geneviève, qui demeurera dans les siècles la lumière de Paris, comme l'échec de Jeanne d'Arc en demeurera la grande ombre (*op. cit*., page 69).
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### L'inquiétude augmente
*Nous disons dans le chapitre précédent de ces* « *Documents* » *que M. Montaron sera nécessairement amené à préciser, en toute clarté et en détail, sa position à l'égard d'une politique de résistance au communisme. Mais il faut dire aussi que cette précision se fait attendre et que, plus elle se fait attendre, et plus le malaise et l'inquiétude grandissent au sujet de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*.*
*L'inquiétude et le malaise grandissent d'autant plus que l'on ne peut pas ne pas remarquer les efforts, les véritables tours de force de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *pour retarder l'heure des claires explications.*
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, en fait, est aussi un journal politique. Que pense-t-il d'une résistance politique au communisme ? Comment la conçoit-il ? Que fait-il pour la promouvoir, l'encourager, l'organiser ?*
*Ou bien est-il en politique, pour reprendre une formule de M. Georges Bidault,* « contre toute forme existante ou même concevable de résistance au communisme » ?
\*\*\*
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*L'un de ces plus extraordinaires tours de force auxquels nous venons de faire allusion est celui réalisé par* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *dans son numéro du* 24 *février, numéro spécial intitulé* « Le communisme n'a pas pu tuer Dieu »*. Il y a là un ensemble de faits racontés d'une manière qui mériterait un examen ligne à ligne. Mais il y a surtout l'éditorial de ce numéro spécial. Voici le texte intégral de cet éditorial :*
Le communisme n'a pas réussi à faire disparaître la pratique religieuse : c'est un fait confirmé par de nombreux témoignages et reconnu par les dirigeants soviétiques eux-mêmes.
*On ne nous dit pas* à quelles conditions politiques *subsiste en U.R.S.S, une certaine pratique religieuse. On ne nous dit pas, mais nous posons la question, si* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *serait prêt à accepter ces conditions politiques. On ne nous dit pas non plus les conséquences,* sur la foi *elle-même, de ces conditions politiques.*
Les optimistes ne seront-ils pas tentés d'en conclure que le communisme n'y parviendra jamais ? Et puisque, en bonne doctrine, le marxisme considère les religions comme un phénomène accidentel appelé à disparaître, n'en tireront-ils pas argument pour dire qu'il se trompe sur ce point comme sur tant d'autres ?
*Vous avez bien lu : ce sont les optimistes qui peut-être en tireront argument pour dire que le marxisme se trompe sur ce point. Ce sont les optimistes qui risquent d'en tirer argument pour contester que les religions soient un phénomène accidentel appelé à disparaître.*
*On le demande : est-ce un optimiste qui a tracé ces lignes de l'éditorial ? Est-ce un chrétien ? On le demande : qu'est-ce que cela signifie, qu'est-ce que cela veut signifier ?*
De la confrontation des faits et de la doctrine marxiste, telle que nous la réalisons dans ces pages, on ne saurait dégager aucune conclusion définitive.
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*Voyez-vous cela ! Aucune, dit-on, aucune conclusion définitive. Il faut donc que cette* « *confrontation* » *ait été bien merveilleusement* « *réalisée* »*.*
Il faut simplement nous réjouir que la persécution n'ait pas éliminé tous les croyants, et en remercier Dieu.
*Oui, il faut en remercier Dieu. Mais il faut aussi demander comment il se fait que l'idée de persécution n'amène sous la plume de l'éditorialiste de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *qu'un sentiment de* « *réjouissance* »*. Bien présenté, certes, bien amené. Quel beau tour de force ! Il faut enfin remarquer ce qui n'est pas dit : parmi les* « *conclusions définitives* » *que l'éditorialiste se garde de* « *dégager* »*, il y a celle que nous pourrions peut-être prier pour nos frères persécutés ; il y a celle que nous pourrions peut-être nous préoccuper d'éviter à la France une persécution semblable... Mais non : rien de cela n'est dit.*
Il faut aussi constater que les besoins spirituels que l'homme porte en lui peuvent se faire plus pressants lorsqu'il vit dans une société matérialiste, mais qu'il devient alors beaucoup plus difficile de répondre à l'appel que chacun porte en lui.
*Mais quelle est cette religion ? Cette religion qui se réduit à être définie par les* « *besoins spirituels* » *et par* « *l'appel* » *que* « *chacun porte en lui* »* ? Nous avons rarement lu dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *un éditorial aussi étrange* (*et aussi inacceptable*)*.*
Au-delà de ces simples remarques, toute apologétique, dans un sens ou dans l'autre, serait aussi dangereuse que choquante. Les faits que nous présentons ici méritent plus de respect.
*C'est là le dernier alinéa de ce bref éditorial. C'en est peut-être le pire, encore que tous s'éclairent les uns par les autres, et que cet éclairage soit à faire peur.*
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*En tous cas :*
1*. --* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *reconnaît, et même avertit, que son numéro spécial sur le communisme et Dieu est tel qu'on n'en peut tirer aucune conclusion définitive, et aucune* « *apologétique dans un sens ou dans l'autre* »*.*
2*. --* « Dans un sens ou dans l'autre »*, vous dit-on. C'est-à-dire : ni dans le sens de Dieu, ni dans le sens du communisme.*
3*. -- Et ces* « *faits* » *sont tels qu'ils* « *méritent le respect* »*. Vous leur manqueriez de respect si, à partir d'eux, vous argumentiez* « *dans un sens ou dans l'autre* »*... Si vous vous serviez de ces faits pour argumenter dans le sens de Dieu, vous manqueriez de respect aux faits.*
Nous ne voulons ni insister davantage, ni pousser plus loin l'analyse. Tout cela est d'une affreuse misère, et tout cela risque de finir très mal.
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### A propos du P. Teilhard : mœurs et procédés intolérables
*On pouvait lire dans* COMBAT *du* 16 *février, sous le titre* « A propos d'une soi-disant affaire Teilhard de Chardin »*, un* « *communiqué* » *que nous citons ici intégralement, parce qu'il est un exemple parfait des intolérables mœurs intellectuelles qui s'établissent en France.*
*Le titre lui-même est un non-sens, par l'emploi de* « *soi-disant* » (*qui signifie : qui dit de lui-même*)*, sans doute à la place de* « *prétendu* »*.*
*Mais le texte, à la différence du titre, n'est pas un non-sens. Il a un sens, et scandaleux. Cela commence par :*
Les ayant-droits nous communiquent.
*Quels* « *ayant* »*, et quels* « *droits* »* ? On ne précise ni leur nom, ni l'étendue de leur pouvoir. C'est pourtant par là qu'il faudrait commencer. Il ne semble pas que le jésuite Teilhard de Chardin ait, selon l'usage, légué ses textes à la Compagnie de Jésus. On aimerait savoir pourquoi, et ce qu'en pense la Compagnie. Voilà pour les* « *ayant* »*.*
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*Quant aux* « *droits* »*, ils peuvent bien être des droits de propriété sur les textes et leur publication. Ce sont des* « *droits d'auteur* »*. Bon. On ne voit plus comment ils pourraient devenir un pouvoir de fixer l'interprétation obligatoire de ces textes eux-mêmes. Or c'est cette prétention-là qui se manifeste :*
Il est infiniment regrettable qu'ennemis et faux amis s'acharnent à voiler la rayonnante figure du R.P. Teilhard de Chardin. Nous n'opposerons pas des attaques aux attaques.
*Ainsi, ce* « *communiqué* » *commence par la diffamation et la calomnie. On y parle d'* « *attaques* »* : qu'est-ce que ce langage militaire ? On y parle d'* « *ennemis* » *et de* « *faux amis* »* : qu'est-ce que ce langage sentimental et accusateur ?*
*Il ne s'agit ni d'agression ni d'inimitié il s'agit du droit de libre critique ; du droit d'interpréter, de commenter, voire de rejeter des textes, dont on ne sache pas qu'ils aient pouvoir de s'imposer universellement soit par l'argument d'autorité soit par l'argument d'amitié. Au demeurant, les critiques formulées par le P. Villain dans les* ÉTUDES (*décembre* 1955)*, par le P. Bosio dans la* CIVILTÀ CATTOLICA (17 *décembre ; article repris par l'*OSSERVATORE ROMANO *du* 23 *décembre*) *et par Louis Salleron dans notre précédent numéro sont aussi modérées que fermes et restent très largement en deçà de leur droit. En parler sur le ton et avec les termes du* « *communiqué* » *est très certainement calomnieux.*
Nous attesterons seulement, à titre de seuls dépositaires de la totalité des inédits de l'éminent religieux, que tout en ceux-ci témoigne du catholicisme le plus authentique.
*Comment supporter une aussi extravagante* « *attestation* »* ? Les* « *ayant-droits* » *croient-ils donc avoir le droit exclusif de juger du caractère* « *authentiquement catholique* » *d'écrits dont ils sont -- simplement -- les dépositaires ?*
*Un tel jugement appartient à l'Église, et à l'Église seule. Il n'exclut d'ailleurs plus la libre critique. Il est parfaitement permis à tout un chacun d'énoncer, sous réserve du jugement ultérieur de l'Église, qu'il trouve le catholicisme du P. Teilhard* « *sincère* » *mais point totalement* « *authentique* »*.*
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*A de telles critiques, les* « *ayant-droits* » *ont comme tout le monde le droit d'opposer des arguments ; mais ils ne détiennent aucun argument d'autorité. Va-t-on tolérer sans rien dire la comédie qu'ils nous jouent ?*
La publication que nous poursuivons, dans le respect absolu des textes, le prouvera à tous ceux qui n'ont pas intérêt, conscient ou inconscient, à en fausser le sens.
« *Prouvera* » *est un futur : une preuve future n'a aucune valeur présente. Attendons la preuve. N'anticipons pas en ce qui concerne les inédits. Les textes édités, tels que* Le Phénomène humain*, sont déjà assez significatifs.*
*Mais ici encore le langage du* « *communiqué* » *est intolérable, il faut le dire très haut. La publication des inédits prouvera..., ou ne prouvera pas. Une preuve, parfois, n'est qu'apparente et peut être réfutée. Accuser d'avance ceux qui n'accepteront pas cette preuve d'être mus obligatoirement par des* « *intérêts* » *est une imputation radicalement inacceptable. Qu'est-ce que cette entreprise de terrorisme intellectuel ?*
Dans ces inédits même, le P. Teilhard, prévoyant les fausses interprétations qui en seraient faites, s'est explicitement défendu contre l'accaparement possible des monistes et des panthéistes.
*Bon : il s'est défendu. Encore faut-il voir et apprécier ce que vaut cette défense explicite. C'est le propre de la vie de l'esprit de peser le pour et le contre, d'opposer arguments et réfutations. Au nom de quelle autorité les* « *ayant-droits* » *voudraient-ils l'interdire ?*
Cette déclaration, rendue nécessaire par divers articles de presse et des comptes rendus tendancieux du *Phénomène humain*...
*L'extravagance redouble :*
1*. -- Les* « *ayant-droits* » *s'appuient sur l'existence d'inédits pour qualifier de* « *tendancieux* » *les commentaires sur* Le Phénomène humain.
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2*. -- Si les inédits sont vraiment de nature à modifier l'interprétation du Phénomène humain, la faute en revient aux* « *ayant-droits* » *qui auraient publié un texte sans le contexte qui l'éclaire. Qu'ils s'en prennent donc à eux-mêmes.*
3*. -- Ils ont publié un livre. On a le droit de le juger. Mais eux n'ont pas le droit d'affirmer gratuitement que ces jugements sont* « *tendancieux* »*. Qu'ils se taisent ; ou qu'ils disent pour quels motifs ils se croient fondés à les réputer* « *tendancieux* »* : cela fait partie des bonnes mœurs intellectuelles, auxquelles ils semblent totalement étrangers.*
... est faite sans amertume. Nous entendons suivre de notre mieux l'exemple de courage et de charité toujours sereine de celui qui écrivait :
« Il me semble que je n'ai jamais été simultanément plus « passionné et solide dans ma foi... et plus profondément indifférent à ce qui est petitement humain... Si Dieu est avec moi, je passerai à force d'obéissance et de fidélité. »
N'en déplaise aux révoltés, qui voudraient se faire du P. Teilhard de Chardin un drapeau, ce ne sont pas là paroles d'hérétique, mais paroles de saint.
*Ainsi, le délire s'aggrave encore : les* « *ayant-droits* »*, qui croient décidément avoir tous les droits, prononcent la canonisation.*
*Et sur quelle* « *parole* »*... S'il suffisait de prononcer une fois une telle parole pour être canonisé, quel chrétien ne le serait ?*
*Concluons : ou bien les* « *ayant-droits* » *veulent s'ériger en chefs d'une école teilhardienne ; alors qu'ils argumentent ; ou bien ils n'en ont pas l'envie ou la capacité : alors qu'ils se taisent.*
*Mais qu'ils sachent bien qu'être les* « *ayant-droits* » *-- ne leur donne aucun droit de se constituer en entreprise de diffamation non motivée à l'égard de ceux qui se refusent à accepter aveuglément, sans examen critique ni débat, la pensée du P. Teilhard.*
*Certains auteurs ou docteurs nous font le même coup pour eux-mêmes et à leur profit : ils se veulent au-dessus des objections qu'on leur fait, ils disent ou laissent dire que leur faire des objections est attentatoire à leur dignité. Comportement plus vaniteux qu'orgueilleux, et finalement plus ridicule que scandaleux.*
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*Mais si un tel comportement se généralisait pour tous les auteurs vivants et morts, c'est la vie de l'esprit elle-même que l'on supprimerait. Derrière ce ridicule s'avance le moyen d'un abêtissement universel, dont on commence d'ailleurs à constater les effets sur la pensée contemporaine. En voilà assez de tels procédés. Nous les combattrons avec toute la vigueur qu'il faudra.*
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### Le droit de la famille en matière d'éducation
*De M. Jean Le Cour Grandmaison, dans la* FRANCE CATHOLIQUE *du* 24 *février :*
La question scolaire n'est pas d'abord une question religieuse ; elle est une question familiale, et met en cause la notion fondamentale de liberté, qui est de droit naturel. Il ne s'agit pas d'abord de savoir si l'école enseignera l'athéisme (que suppose la neutralité) ou le catéchisme. Il s'agit de savoir si les parents ont le droit de choisir les auxiliaires auxquels ils confient ce qu'ils ont de plus précieux, l'esprit et le cœur de leurs enfants. Ou, en d'autres termes, si le droit de la famille, en matière d'éducation, est antérieur au droit de l'État. Conclure à la priorité du droit de l'État -- comme le font les « laïques » -- c'est, qu'on le veuille ou non, s'engager sur la route qui mène au totalitarisme.
*Cela est très vrai. Il est intéressant et utile de poser la question dans cette perspective. On peut néanmoins se demander si, en dehors des esprits éduqués par le christianisme, l'antériorité du droit de la famille sur le droit de l'État est très bien comprise ou même seulement perçue.*
*On connaît peu d'incroyants qui aient clairement conçu et exposé les exigences du droit naturel. On en connaît peu qui, spécialement, aient vu l'antériorité du droit de la famille sur le droit de l'État C'est une idée sur laquelle a beaucoup insisté Charles Maurras ; l'une de ses préoccupations essentielles a été de combattre l'étatisme et le totalitarisme, et principalement ce totalitarisme qui résulte nécessairement de l'antériorité du droit de l'État sur celui de la famille. Il est de fait qu'il n'a pas dû être très bien compris, puisque parmi les catholiques beaucoup croient devoir classer Maurras au nombre des auteurs* « *totalitaires *»*.*
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*C'est un fait historique que le droit naturel n'est ordinairement compris et défendu que par l'Église catholique. Il n'y a aucune nécessité qu'il en soit ainsi : la seule raison naturelle devrait y suffire. Mais, dans l'univers du péché originel, la raison naturelle est bien embarrassée pour être spontanément droite. Elle a, en fait, souvent besoin d'être éclairée par la foi pour arriver à être simplement raison et simplement naturelle.*
Certes, notre foi nous fait un devoir de défendre la liberté effective (et pas seulement théorique) de l'enseignement, mais en ce faisant, nous défendons un droit naturel qui touche au même titre que nous tous ceux, chrétiens, païens ou athées qui croient à la liberté, à la dignité de la personne humaine et qui veulent les sauvegarder.
*M. Le Cour Grandmaison a certainement raison, il en est ou plutôt il devrait en être ainsi. Mais nous vivons au milieu d'une effroyable confusion mentale. Et notamment au milieu d'une confusion permanente* (*malheureusement pensée et vécue*) *entre le droit naturel et les* « *droits de l'Homme* » *de* 89*. Celui-ci et ceux-là peuvent paraître coïncider sur certains points ; cette coïncidence est parfois réelle ; elle est presque toujours verbale : ce sont les mêmes mots, mais parfois ils expriment des idées contraires. Quand on se réfère* (*et on doit se référer*) *à la liberté et la dignité de la personne humaine, les esprits formés par la déclaration des droits de* 89 *entendent souvent tout à fait autre chose que ce que nous entendons. Et notamment, et très précisément, leur conception de la* « *liberté* » *et de la* « *dignité* » *de la personne humaine ne comporte pas l'antériorité du droit de la famille sur celui de l'État ; elle comporte même, presque toujours, le contraire.*
*Il est de fait que l'enseignement, et quasiment le seul enseignement net et authentique du droit naturel se trouve dans les Encycliques modernes des Papes.*
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*Il est aussi de fait qu'au chapitre du droit naturel plus peut-être qu'à n'importe quel autre se manifeste ce que Maritain a nommé* « *la terrifiante inattention des catholiques aux enseignements pontificaux* »*. C'est pourquoi S. Exc. Mgr Girbeau a pu dire, au début de cette année, que l'enseignement libre et chrétien compte, au nombre de ses ennemis, en France, les* « *intellectuels catholiques* »*.*
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### Unité derrière l'épiscopat
*L'article de M. Le Cour Grandmaison continue par plusieurs remarques de la plus haute importance :*
Lorsqu'en 1919 je suis entré à la Chambre des députés, aucune autorité ecclésiastique, aucune organisation laïque n'étaient qualifiées pour formuler le programme scolaire des catholiques ou orienter et coordonner notre action. Nous nous battions en ordre dispersé. Il m'est arrivé souvent d'aller consulter, par exemple, le Cardinal Verdier sur la position à prendre dans une conjoncture délicate. Sa réponse était toujours assortie d'un rappel catégorique : « Je ne puis vous donner qu'une opinion personnelle, je n'ai pas qualité pour savoir ce que pense l'Épiscopat français. » Il suffisait que l'un de nous prenne une initiative ou fasse une proposition pour être aussitôt désavoué par d'autres catholiques, non moins bien intentionnés, sinon par certains de nos chefs. Nous discutions sur les mérites respectifs de la répartition proportionnelle ou de l'école agréée, du bon scolaire et d'autres formules, et, faute de pouvoir dire ce que nous voulions, nous laissions passer, comme en 1934, de précieuses occasions d'obtenir quelque chose. J'entends encore tel ministre me dire : « J'en ai assez de recevoir chaque semaine une personnalité catholique différente, qui me demande d'agir, mais commence par contredire celle que j'ai reçue la semaine précédente. Qui puis-je entendre ? Si vous voulez obtenir quelque chose, mettez-vous d'accord entre vous. »
*C'est l'évidence même. Il est parfaitement légitime, et même nécessaire, que ne soit pas tarie l'initiative de la pensée, et que tous ceux qui ont étudié ces questions présentent leurs observations et leurs projets de réforme, concernant le statut de l'enseignement libre ou l'Université elle-même* (*qui a grand besoin d'être réformée*)*.*
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*C'est à cette initiative légitime et nécessaire que l'on doit les deux livres d'esprit parfois différent, mais de conclusions souvent convergentes, en tous cas les deux livres vraiment fondamentaux qui aient paru au cours de ces dernières années sur la réforme de l'enseignement :* Culture, École, Métier, *d'Henri Charlier, et* Les Libertés universitaires*, de Jean Rotin. On a des chances de pouvoir les consulter dans les bonnes bibliothèques municipales ou dans les bibliothèques de Faculté. Car ces deux livres fondamentaux sont épuisés, et leurs éditeurs, malgré le besoin que l'on en aurait, s'obstinent à ne pas les rééditer. On connaît suffisamment la misère de l'édition en France. Nous voulons dire sa misère mentale. Mais, cela dit, il faut en revenir aux justes remarques de M. Le Cour Grandmaison : pour défendre ce qui existe comme pour obtenir ce qui est nécessaire et possible, l'unité et la discipline sont indispensables. Elles ne sont réalisables que dans la soumission aux autorités religieuses. Ainsi que le dit la* « *Déclaration liminaire* » *d'*ITINÉRAIRES*,* « *la fidélité dans la doctrine et l'unité dans la discipline ne peuvent être maintenues que sous l'autorité du Pape et des Évêques en union avec le Pape* »*.*
*M. Le Cour Grandmaison continue :*
Grâce à Dieu, la situation a changé du tout au tout. Si on nous impose la lutte pour l'école, nous l'aborderons demain dans des conditions infiniment meilleures.
Avec l'institution de son Secrétariat et de ses Commissions spécialisées, l'Épiscopat s'est donné les moyens d'étudier les problèmes qui se présentent et d'arrêter, en connaissance de cause, une attitude commune. La déclaration publiée dimanche dernier en est une preuve, entre beaucoup d'autres. Parallèlement, le Comité National de l'Enseignement Libre et le Secrétariat d'études pour la liberté de l'enseignement permettent à tous les groupements d'éducateurs, de parents, d'anciens élèves et de sympathisants, de coordonner leurs efforts, aussi bien sur le plan parlementaire que sur le plan civique et familial.
Nous ne serons jamais assez reconnaissants à ceux -- hiérarchie et responsables divers -- à qui nous devons ces progrès dont seuls ceux qui ont, comme moi, souffert de la dispersion d'autrefois, peuvent apprécier la valeur et mesurer le prix.
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*Encore faut-il, plus que jamais dans la grave situation présente, que les catholiques suivent la pensée de l'Épiscopat et appliquent ses directives :*
Ces progrès seraient vains si les directives de la hiérarchie et les consignes des organismes qualifiés n'étaient ni écoutées ni suivies ; si chacun de nous prétendait décider lui-même de l'action à mener et, en dépit d'une information toujours moins complète que la leur, s'arroger le droit de critiquer nos chefs et de décrier ceux qui agissent ; si, perdant notre sang-froid, nous nous laissions prendre aux provocations de ceux qui cherchent à nous attirer dans leurs pièges.
*Voilà en effet un point sur lequel il convient d'être particulièrement vigilants. Les partis politiques n'ont pas à s'emparer de la question de l'enseignement : ils sont priés de bien vouloir sur ce chapitre respecter lu justice et le bien public, point c'est tout. Méfions-nous particulièrement de ce que Péguy appelait* « *le sale pelotage des libéraux* »*. Souvenons-nous de la parole récente de S. Exc. Mgr Théas :* « *L'espérance chrétienne n'a jamais reposé sur un Parlement. Son objet et son motif sont en Dieu seul.* »* Plus encore aux heures incertaines ou menaçantes, pratiquons avec une entière exactitude l'unité dans la discipline derrière l'Épiscopat français.*
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### La J.E.C. a-t-elle une politique ?
*Les étudiants nationaux de la Sorbonne ont transmis à tous les journaux, le* 17 *février, un communiqué où nous relevons l'indication suivante :*
La Fédération des Groupes d'Études de Lettres, qui est l'association des étudiants en lettres de la Sorbonne, est dominée par les communistes grâce à la complicité de la Jeunesse Étudiante Chrétienne (J.E.C.) : collusion qui peut paraître incroyable, mais qui est courante dans toutes les Universités de France, et nous ne craignons aucun démenti sur ce point.
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Nous défions en effet quiconque de citer, depuis les trois dernières années, un seul cas de Jéciste s'étant présenté à des élections universitaires contre une liste communiste. Ils sont toujours sur les listes communistes.
*En effet, une telle collusion nous paraît absolument incroyable. La* J.E.C. *est un organisme d'Action catholique ayant mandat d'Église. Elle ne peut pas avoir mandat d'Église de collaborer habituellement avec les communistes.*
*Quelle est donc la confusion qui est à l'origine des affirmations du communiqué des étudiants nationaux ?*
*Nous serions reconnaissants à nos lecteurs, particulièrement à nos lecteurs étudiants, de nous préciser de quelle manière la* J.E.C.*, loin de collaborer avec le communisme et de présenter des listes communes avec lui, s'applique au contraire à le combattre sur le terrain des élections universitaires comme sur tous les terrains. Nos colonnes sont naturellement ouvertes à toutes mises au point, de la part des dirigeants de la* J.E.C.*, susceptibles de dissiper ce malentendu.*
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### A l'Institut catholique : écrasante majorité pro-communiste
*Le* 23 *février, les étudiants votaient pour l'élection des administrateurs de la section de Paris de la Mutuelle Nationale des Étudiants de France.*
*Deux listes étaient en présence : l'une, apolitique et non-communiste, présentée par la Fédération des Étudiants de Paris ; l'autre, communiste et, quoique communiste, comprenant des Jécistes et même un abbé d'un grand séminaire.*
*A une écrasante majorité, les étudiants de l'Institut catholique ont voté pour la liste Parti communiste-*J.E.C.* :*
800 *suffrages pro-communistes ;*
50 *seulement pour la liste corporative de la Fédération des Étudiants de Paris.*
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*Les étudiants de l'Institut catholique ne sont pas communistes. Mais ils votent comme s'ils l'étaient : le fait est là. Par conviction marxiste ? Nous ne le croyons pas. Mais parce qu'ils sont désarmés en face des manœuvres communistes qui, dans une confusion savamment organisée, gagnent à tout coup.*
*Si cela ne suffit pas à démontrer la nécessité d'une résistance politique organisée et d'un anticommunisme méthodique, quelles démonstrations faudrait-il donc ?*
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### Publications « politiques » ou « apolitiques » ?
*M. Robert Havard de la Montagne relève* (ASPECTS DE LA FRANCE *du* 6 *janvier*) *une phrase de M. Pierre Limagne parue dans* LA CROIX* :*
Depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, les collaborateurs du service politique de *La Croix*, peu nombreux dans un journal volontairement apolitique, redoublent d'efforts pour informer au mieux nos amis, etc.
*Et M. Havard de la Montagne commente :*
... L'*Osservatore romano* lui-même s'intitule *giornale* POLITICO *religioso*. Comment concevoir un quotidien qui se tiendrait en dehors de la politique...
*La Croix* ne se confine pas dans l'information pure et simple. Elle ne se dérobe pas aux commentaires. Elle ne cache pas, à l'égard de tel groupe ou de telle tendance, ses sympathies ou ses antipathies. Tout cela, c'est essentiellement de la politique. *La Croix* est un journal politique... Pourquoi s'en défendre ?
C'est qu'à la faveur de cette équivoque, elle pénètre dans maints établissements religieux, dans les couvents d'où l'on exclut la presse qui s'avoue politique. Elle doit son monopole à cette prétention d'être un journal apolitique, prétention contraire à la vérité...
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*A notre avis, c'est surtout le mot politique qui comporte une équivoque* (*dans le vocabulaire français actuel*)*. Cette équivoque, M. Limagne en est la victime, puisque dans la même phrase il parle des* « *services politiques* » *d'un journal* « *volontairement apolitique* »*. S'il était* volontairement apolitique*, cette volonté se traduirait* (*à s'en tenir à la logique des termes*) *par la suppression desdits* services politiques*.*
*Énoncer qu'* « *à la faveur de cette équivoque,* La Croix *pénètre dans maints établissements religieux... d'où l'on exclut la presse qui s'avoue politique* » *est apparemment excessif. L'*Osservatore romano *précisément, qui s'avoue* « *politique* »*, n'est pas, de ce fait,* « *exclu* »*.*
*En se disant* « *apolitique* »*,* La Croix *veut sans doute dire qu'elle ne fait pas de politique* partisane*. En* « *excluant* » *la presse* « *politique* »*, les maisons religieuses entendent exclure les journaux* partisans*. La difficulté est qu'une telle classification ne relève pas d'une claire définition, mais d'appréciations forcément mouvantes, fatalement discutables...*
*Pour notre part, nous préférons* (*si parva licet...*) *suivre l'exemple de L'Osservatore romano, et nous avouer* « *politiques* »*, quitte à faire un peu moins de politique que l'on pourrait s'y attendre* (*ce que personne ne nous reprochera*)*, plutôt que de nous déclarer* « *apolitiques* »*, et faire un peu plus de politique qu'une telle déclaration semblerait l'annoncer...*
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LIVRES REÇUS
- Paul SCORTESCO : *Un Monde en folie* (136 p., éditions de la Colombe, 5, rue Rousselet, Paris VII^e^).
- Jean LEFEUVRE : *Shanghai, les enfants dans la ville* (364 p., Casterman, éditeur).
- Pierre SAINT-CHARLES : *La Franc-Maçonnerie au Parlement* (188 p., La Librairie française, 64, rue de Richelieu, Paris 2^e^).
- Pierre FERNESSOLE : *En face du laïcisme contemporain : Sa Sainteté Pie XII et l'éducation de la jeunesse* (192 p., P. Lethielleux, éditeur, 10, rue Cassette, Paris VI^e^).
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### Note de gérance
Qu'on veuille bien nous excuser : il nous est impossible de répondre à tous ceux qui nous écrivent, de remercier tous ceux qui nous aident. Abonnements personnels et abonnements de propagande vont leur chemin : de leur volume dépendra dans un proche avenir la possibilité d'augmenter ou la nécessité de diminuer le nombre de nos pages.
Les « *Documents* » pourront se développer, notamment par des *Enquêtes et témoignages* actuellement en préparation, dans la mesure où le nombre de pages de la revue sera maintenu et de préférence augmenté.
Nous risquons aussi d'être un peu à l'étroit avec nos 96 pages pour accueillir les collaborations nouvelles qui s'offrent à nous.
Auto-critique : nous avions commis l'erreur d'annoncer au dos de notre premier numéro les collaborations qui nous avaient été explicitement et fermement consenties ; cette annonce a provoqué bien des démarches inutiles mais déplaisantes auprès de ceux que nous avions ainsi exposés.
Encore un mot : que nos lecteurs, amis et propagandistes veuillent bien lire avec attention les *Avis pratiques* (page 96) et au besoin se reporter à ceux du numéro un (page 92). Cela leur fera gagner du temps, et à nous aussi.
============== Fin du numéro 2.
[^1]: -- (1). Jacques Maritain.
[^2]: -- (2). PIE XII, Message de Noël 1955.
[^3]: -- (3). Jacques Maritain.
[^4]: -- (4). Étienne Gilson.
[^5]: -- (5). Jacques Maritain.
[^6]: -- (6). Étienne Gilson.
[^7]: -- (1). PIE XI : Encyclique *Quadragesimo Anno*, n° 95.
[^8]: -- (2). Actes de Pie XI, tome XVII, Bonne Presse, p. 165. Texte original en latin : «* Scientae enim profanae, quas vocant rei socialis atque œconomicae doctrina bonum sive singulorum sive societatis nequeunt subduci principiis philosophici ac religiosis, quae attinent ad homini originem, naturam et finem. *»
[^9]: -- (3). Allocution du 2 avril 1950.
[^10]: -- (4). Charles DE KONINCK : *Sciences Morales et Sciences Sociales*, in « Laval Philosophique et Théologique », 1945, vol. l, n° 2.