# 04-06-56
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### Après le mensonge et la trahison
*Les Français ont été trompés et la France trahie : par ceux-là même qui s'étaient arrogés la fonction de guider, d'instruire, de protéger.*
*Depuis l'arrivée et le passage au pouvoir d'un homme qui n'avait d'abord pris à la patrie que son nom, la France a perdu l'Indochine, les comptoirs de l'Inde, le Maroc et la Tunisie. Et l'Algérie est en question. Et bientôt l'Afrique noire. Toute la France d'outremer. L'œuvre d'un siècle et plus.*
*En quelques mois.*
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*Nous arrivons au terme d'une série de catastrophes nationales dont le pays commence à peine à prendre conscience. Au terme ? C'est sur le vieux pré-carré lui-même que maintenant vont se développer les terribles conséquences matérielles et morales de tant de défaites rassemblées en si peu d'années.*
*Notre tâche n'est pas ici d'examiner si, militairement, politiquement, on ne pouvait pas, en Indochine, en Tunisie, au Maroc, faire autre chose que ce qui a été fait. Chacune de ces blessures profondes et cruelles était accompagnée d'une dose chaque fois plus forte de poison. C'est du poison que nous parlons.*
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*On pouvait, on devait nous dire, si on le croyait : nous abandonnons l'Indochine, et la Tunisie, et le Maroc, parce que nous avons été battus militairement ou politiquement, et parce que nous ne pouvons plus faire autrement.*
*Mais on ne nous a pas dit cela.*
*On nous a dit le contraire. On nous a dit, chaque fois, que c'était victoire et progrès, grandeur et générosité, source de paix dans le monde, de force pour nous, de civilisation pour tous. On nous a dit, chaque fois, que l'on avait trouvé une méthode meilleure, et plus noble, et plus sûre, d'assurer la* « *présence française* »*.*
*Car on nous l'a dit. Car on ne nous a dit que cela. On nous a dit que nous mettions en œuvre -- et que nous en avions le devoir --, une manière nouvelle, et moderne, et compréhensive d'assurer* « *l'amitié des peuples* » *et les* « *liens indissolubles* »*.*
*On nous mentait. On nous trahissait. C'est d'abord des idées fausses qui recouvrent cette trahison que nous devons nous débarrasser : nous y travaillons ici comme nous pouvons.*
*A coup sûr, nous devons aussi nous libérer des hommes du mensonge et de la trahison : mais ce dernier point n'est pas l'affaire d'une revue.*
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*En nous parlant de progrès et d'amitié, de communauté des peuples et d'indépendance dans l'interdépendance, on a livré l'Afrique du Nord au racisme le plus aveugle, au fanatisme, à la haine, à la barbarie qui, depuis des siècles, derrière le Croissant, sème le désert et la mort.*
*Où est donc le visage amical de nos* « *interlocuteurs valables* » *de Tunisie et du Maroc, où sont donc la solidarité et l'aide qu'ils devaient nous apporter, à coup sûr et éternellement, à partir du moment où la France leur aurait consenti ces abandons* « *généreux* » *que nous imposaient prétendument la morale laïque et la morale chrétienne, étrangement assemblées, mêlées, confondues et unifiées par le grand mouvement de l'Histoire qui, en dernière analyse, se fabrique à Moscou ?*
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*Au nom de la fraternité des peuples, au nom de la civilisation, au nom de la morale, vous avez déchaîné la haine et la barbarie.*
*La fraternité dont vous parliez, et votre civilisation, et votre morale n'étaient donc ni la vraie fraternité, ni la vraie civilisation, ni la vraie morale. Elles étaient autant d'impostures.*
*Mais c'est un drame inimaginablement profond et inimaginablement tragique, parce que ces impostures, qui ont servi à trahir la France, ont été, par des intellectuels catholiques et même par des hommes d'Église, présentées aux Français comme la Parole même de Notre-Seigneur Jésus-Christ.*
*Et ce n'est pas fini.*
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*Le poison des peuples est toujours le mensonge. On nous a menti sur tout. On nous a menti sur le plus sacré et sur le plus quotidien. On nous a menti et on nous ment encore sur Saint Pie X, dont la récente canonisation est une éclatante et capitale leçon que l'Église donne au monde contemporain, et l'on a voulu priver la France de la lumière de cette leçon. On nous a menti et on nous ment sur la doctrine sociale de l'Église. On nous a menti et on nous ment par omission sur le patriotisme, sur le devoir national, sur le devoir militaire. On nous a menti et on nous ment sur l'État laïque, anonyme et totalitaire, ce monstre esclavagiste des temps modernes auquel on nous livre au nom de la civilisation et du progrès. On nous a menti et on nous ment sur la* « *colonisation* » *et la* « *décolonisation* »*. On nous a menti et on nous ment autant sur les principes que sur les faits. Le pays vit dans les vertiges du mensonge.*
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*Par le mensonge, le peuple français est privé à la fois du naturel et du surnaturel, des leçons de l'événement et des leçons de l'Église, qui sont les unes et les autres les leçons de Dieu.*
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*On nous dit, dans une* « *excellente revue chrétienne* »*, que les visions du Pape font partie des jeux du cirque au même titre que l'* « *âme de Minou* » *et la* « *danse sacrée de M. Faure* »*.*
*Et c'est le mensonge, et c'est ce mensonge-là qui est honoré, recommandé, congratulé, félicité, décoré, -- qui est au pouvoir dans l'État et dans la société.*
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*La France blessée, trompée, trahie, s'enfonce à l'intérieur d'un grand désarroi, comme dans une malédiction ou un châtiment. Et les* « *élites dirigeantes* » *de la société française, responsables des catastrophes et du mensonge, les donnent pour autant de progrès.*
*Que faire, ah ! que faire ? sinon d'abord et toujours prier, c'est toujours la prière qui manque le plus. Prier le Dieu de Clotilde et de Jeanne d'Arc, les saints et saintes de France, la Très Sainte Vierge de Lourdes et de Pontmain, de la Salette -- et de Fatima.*
*Prier. Dans cet immense désarroi, nous supplions le Père, par la Croix et les mérites de son Fils, de nous envoyer le Saint-Esprit. Nous le supplions de nous faire adhérer profondément à la prière de l'Église et à la parole du Vicaire de Jésus-Christ, qui sont le point fixe, et la Voie dans les ténèbres, et la Vie, et la Vérité qui nous délivrera.*
*Nous le supplions de nous donner la force de ne pas abandonner notre tâche personnelle de chaque jour, et de nous guider chacun à cet humble, à ce seul rempart quotidien.*
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*Il n'y a rien d'autre. Il n'y a plus rien d'autre.*
*Mais en vérité il n'y a jamais eu rien d'autre, et le reste a toujours été donné par surcroît.*
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*Nous supplions le Père de nous donner la soumission confiante à Sa Volonté, dans l'épreuve de la France et de chaque Français.*
*Nous Le supplions de nous donner, dans ce désordre et cet effondrement sans issue visible, la fidélité à la prière quotidienne et à la tâche de chaque jour, qui sont le prix, la peine et le moyen de l'Espérance.*
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## CHRONIQUES
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### Le « positif » et le « négatif »
QUE FONT LES CHRÉTIENS, que doivent-ils faire « face au marxisme » qui colonise la France et l'Afrique ? Un intellectuel catholique renommé, et breveté, nous l'explique dans une « excellente revue chrétienne », à la page 465 de son numéro de mars. Ou, du moins, s'il n'explique pas, il décrit ce qu'est leur attitude, et ce qu'elle doit être :
« *Face au marxisme, ils sont tentés d'élaborer un antimarxisme, alors qu'il s'agit bien plus d'assumer les découvertes du marxisme que de le condamner.* »
Voilà qui est beaucoup dire en peu de mots. Il n'existe pas d'anti-marxisme, mais seulement la tentation d'en élaborer un. Fuyons les tentations, mes amis, et connaissons mieux le marxisme, que voici aussitôt défini :
« *Le marxisme est une doctrine du retour de l'homme à lui-même, de la réconciliation* de *l'humanité avec elle-même et* de *la fin* de *l'inhumain dans l'humain. Son humanisme athée pose au christianisme une question à laquelle le christianisme ne peut se dérober.* »
Ainsi le christianisme est mis en demeure, il doit comparaître au tribunal de l' « humanisme athée ». Et la question qu'il s'entend alors poser (je cite toujours le même auteur) est celle-ci :
« *Dieu est-il un obstacle ou une aide pour l'homme ?* »
L'excellent auteur catholique de l'excellente revue chrétienne, chaudement recommandée comme telle, ajoute :
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« *A cette question, la réponse n'est ni la peur, ni l'évasion, mais l'affrontement.* »
Donc, nous en sommes là. Il nous faut assumer les découvertes du marxisme bien plutôt que le condamner. Et aussitôt l'on assume l'une des découvertes centrales de cet « humanisme athée » : le « problème de Dieu » est entièrement rénové, posé en termes inédits, en une alternative impérieuse : « Dieu est un *obstacle* ou une *aide* pour l'homme. » Si l'on n' « assumait » pas cette alternative, on serait aussitôt convaincu d'avoir voulu « se dérober », par « peur » bien entendu, dans une honteuse « évasion », cela va de soi.
Nous avions appris, mais peut-être étions-nous de mauvais élèves, cancres et bornés, que la première question posée au sujet de Dieu est celle de son existence et de sa vérité. Nous avions cru comprendre que là se trouvent l'oméga de la raison naturelle et l'alpha de la révélation. Dieu parlant aux hommes affirme d'abord son existence, laquelle est son essence même ; il s'affirme comme la Vérité et la Vie. Nous avions cru comprendre que la raison naturelle, quand par chance ou par grâce elle est droite, découvre l'existence nécessaire de Dieu. Nous avions cru comprendre qu'un Dieu qui serait en même temps un « obstacle » serait une absurdité dans les termes. Mais sans doute n'étaient-ce là que préjugés et rêveries pré-marxistes.
Le marxisme découvre et révèle que le problème de Dieu avait été mal posé (par Dieu). Gardez-vous de condamner le marxisme, assumez plutôt ses découvertes, mettez-vous à l'école de ses révélations. Énoncez correctement la question : *Dieu est-il un obstacle ou une aide pour l'homme ?* La question de Dieu sera posée désormais sous forme de « test », Dieu sera « testé » par le test de l'utile et du gênant, de l'*aide* et de l'*obstacle*.
Et la question ainsi posée, débrouillez-vous. L' « excellente revue chrétienne » et son auteur catholique breveté n'apportent aucune réponse. Ils ont fait surgir cette inquiétude dans votre esprit, ils ont déposé cette semence dans votre âme, et ils vous laissent le soin de vous en tirer comme vous pourrez.
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MAIS L'AUTEUR CATHOLIQUE et l'excellente revue chrétienne paraissent assez injustes pour « les chrétiens » qu'ils accusent de tous succomber aux « tentations » de l'antimarxisme. C'est là une critique trop systématique et une condamnation sans nuances, qui ne tiennent pas compte d'illustres exceptions. D'exceptions si nombreuses qu'elles sont plus que des exceptions. Les intellectuels et publicistes catholiques, et plusieurs des docteurs à la mode dont ils s'inspirent, ne vont sans doute pas jusqu'à dire catégoriquement *qu'il s'agit bien plus d'assumer les découvertes du marxisme que de le condamner :* mais leur comportement et leurs affirmations n'ont pas tellement démérité d'un tel principe. Si je cherche dans leurs écrits ce qu'il faut penser du communisme, et quelle attitude adopter à son égard, je trouve bien des considérations et des conseils encourageants :
1. -- Sans qu'aucune contestation s'élève, sauf la mienne, un important docteur enseigne : « *Afin de ne* *pas favoriser le communisme, il faudra bien se garder de prendre systématiquement le contre-pied* de *son action, quand il aura fait choix d'objectifs conformes aux exigences chrétiennes.* » Il enseigne aussi qu' « *une opposition systématique à toutes les réformes concrètes proposées par des communistes serait pour les catholiques à la fois injuste et dangereuse* ».
2. -- Sans davantage de contestation, un autre docteur, plus important et plus renommé encore, enseigne que « la tâche du chrétien en face de la réalité communiste » est d'y faire « *le tri du vrai et du faux, du bien et du mal* », car les communistes ont à leur actif des « *réalisations matérielles* » parfaitement valables, et l'on doit même « *reconnaître les grandes idées dont ils s'inspirent en les déformant* ». Non déformées, ou rétablies dans leur authenticité, les grandes idées de l'humanisme athée dont s'inspirent les communistes seront donc « reconnues » par les chrétiens.
3. -- Au milieu d'un consentement universel, au moins tacite, « le plus grand hebdomadaire catholique d'opinion » étudie la situation religieuse en U.R.S.S. et conclut : « Toute apologétique, dans un sens ou dans l'autre, serait aussi dangereuse que choquante. »
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4. -- Avec le même consentement universel, la même absence de contestation, un autre journal catholique nous adresse cet appel solennel :
« *Nous engageons les chrétiens à faire mieux que les communistes et à les devancer sur le chemin de la justice et de la paix.* »
5. -- Sans soulever non plus aucune critique, en un autre lieu encore plus intellectuel et encore plus catholique, on nous ôte nos derniers préjugés, on fait table rase de nos dernières réticences en nous donnant l'enseignement, apparemment qualifié, que « la contestation de la laïcité de l'État n'est le fait que de fanatiques attardés et au demeurant sans mandat ».
Le lecteur voudra bien remarquer que je n'écris aucun nom de personne ou de publication, que je n' « attaque » ni les individus ni leurs journaux. Je voudrais ainsi, mieux encore que précédemment, manifester que je ne soutiens aucune « polémique » et que je m'intéresse seulement au contenu, vrai ou faux, d'idées qui nous sont proposées avec une extrême insistance.
Ces idées sont d'origines diverses, diversement exprimées par des auteurs différents. Mais elles sont singulièrement cohérentes. Elles se recoupent. Elles se renforcent et se complètent l'une l'autre. On pourrait croire qu'elles sont simplement les aspects multiples d'une seule et même thèse, conçue et développée par un seul et même docteur. Mais non : elles sont partout. L'une figure dans un traité d'apparence considérable et sérieuse, l'autre est extraite des propos familiers d'un illustré vendu à la porte ou à l'intérieur d'un nombre d'églises d'ailleurs décroissant ; celle-ci vient de l'éditorial d'une revue intellectuelle, celle-là appartient à une forte brochure recommandée dans toutes les bonnes bibliographies. La communauté de pensée, l'unité d'inspiration ne sont pas de vains mots. A tous les échelons, à tous les niveaux de « l'éventail des instruments de diffusion » se manifeste, presque avec les mêmes mots, une orientation identique. Par delà les divergences légitimes et d'ailleurs inévitables, on retrouve une attitude semblable à l'égard de la pensée marxiste et de la réalité communiste.
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FAUT-IL ADHÉRER à ces vues, entrer dans cette communauté de pensée, se joindre à ce consentement universel au moins tacite, réciter les mêmes axiomes et « assumer » le même comportement ?
On m'y invite de façon pressante.
On me dit que les auteurs divers de ces affirmations convergentes ont une attitude *positive* en face de la réalité contemporaine et de ses « grands problèmes », tandis que mon refus de les suivre est affreusement *négatif.*
On me dit qu'ils font *œuvre constructive,* et qu'en apercevant dans cette « œuvre constructive » une dangereuse non-résistance au communisme, je formule des *critiques stériles.*
On me dit enfin qu'ils sont *généreux,* tandis que je suis un bloqué, un fermé, un constipé.
J'écoute tout, sans préjugé ni discrimination, je pèse le pour et le contre, j'examine. Peut-être a-t-on raison de me tenir ce langage. Je vois bien que cela ferait plaisir à beaucoup de monde, si je me montrais à mon tour généreux, constructif, *positif* de cette manière-là, et si, selon l'enseignement qui m'est ainsi donné et les exemples qui me sont proposés, je tenais moi aussi le discours suivant :
« Ne condamnons pas le marxisme : assumons ses découvertes. Reconnaissons les grandes idées dont s'inspire le communisme, les réalisations matérielles qu'il compte à son actif, discernons le vrai et le bon qu'il contient. Ne nous opposons pas « systématiquement » à son action, puisqu'il fait choix, parfois ou souvent, d'objectifs conformes aux exigences chrétiennes ; réputons injustice et péché le refus des réformes concrètes proposées par les communistes. Sachons avouer que les communistes font bien, et tâchons de faire mieux ; ils sont sur la voie de la justice et de la paix, efforçons-nous de les y devancer. »
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*C'est cela qui est en question.* C'est cela que l'on m'enseigne et que l'on veut me faire répéter.
Et si j'ai trop mauvaise tête pour adhérer à cette doctrine et l'enseigner à mon tour, qu'au moins je me taise comme tant d'autres. Qu'au moins j'offre la complicité de mon silence. Qu'au moins j'avoue, sans autre précision, que les auteurs qui proposent cette attitude à l'égard du communisme sont gens de sûre doctrine, de parfaite générosité, qui méritent la plus entière confiance et des louanges sans réserves.
Tel est le choix qui m'est proposé : *ou parler comme les uns, ou me taire comme les autres.*
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CE QUI ACCROCHE, c'est d'abord cette histoire de la « laïcité de l'État » qu'il ne faudrait plus « contester ». Je trouve un peu fort (et je trouve encore plus fort que personne ne trouve un peu fort) qu'une revue cléricale, en ce sens qu'elle est dirigée et éditée par des clercs, et des clercs réguliers, enseigne éditorialement que « *la contestation* de *la laïcité de l'État n'est le fait que de* (gens) *sans mandat* ». Voyons, voyons, mes Révérends Pères, il me semble que S.S. Pie XII en personne « conteste », et avec quelle vigueur, et avec quelle insistance, votre incontestable laïcité de l'État**.** En arriver à qualifier de « *sans mandat* » le propre Vicaire de Jésus-Christ, est-ce donc cela le genre d'attitude « positive » que l'on me donne en exemple ? Dois-je donc admettre et croire cela, sous peine d'être suspect de critiques stériles et de propos négatifs ?
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MON PREMIER MOUVEMENT est pourtant de croire ce que l'on me dit, surtout quand ce sont des publicistes et professeurs si éminents qui me le disent. Il me faut un effort d'esprit critique pour me défaire de croyances semblables, quand elles sont professées par de véritables compétences et admises par tant de notabilités intellectuelles**.** Il me faut un grand effort de non-conformisme pour ne pas me laisser convaincre par tant d'invitations finalement convergentes répandues par le parti intellectuel dans la bonne société bien-pensante.
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Et encore je ne suis pas toujours certain d'avoir raison, car d'autres maîtres, tout à fait sûrs ceux-là, m'ont enseigné la méfiance à l'égard de moi-même. J'aligne donc mes motifs de ne pas partager la croyance communément reçue, prêt à les tenir pour des motifs sans consistance si l'on me montre leur vanité. Je cherche simplement à en avoir le cœur net : non pour faire la leçon à qui que ce soit, mais pour savoir avec certitude quoi penser. Je vois bien que je refuse des idées qui ont pour elles une sorte de consentement universel parmi les « intellectuels catholiques », et je sais bien que le consentement universel mérite considération.
Je ne suis sûr de rien quand c'est moi qui affirme : je cherche à me rendre sûr des choses et à assurer les vérités que d'aventure j'aurais entrevues. Ce qui est parfois malaisé, mais certainement très *positif,* ou alors les mots n'ont pas de sens ; c'est une résistance très positive aux tentations permanentes de l'opportunisme, de la lâcheté, de l'erreur. Et je « procède » selon les « procédés » que j'ai appris à l'école ; et dans la vie ; et dans des livres qui sont ceux de saint Thomas, de Pascal, de Péguy, de Chesterton, et d'abord, chronologiquement, de Platon et d'Aristote. Mais ce furent peut-être de mauvais maîtres. Je vois bien qu'aujourd'hui on les appellerait des polémistes, terriblement *négatifs* comme tous les polémistes. On le leur disait déjà de leur temps. Ce saint Thomas était tellement possédé par le plus méchant esprit de contradiction qu'au lieu de faire œuvre constructive, il discutaillait et ferraillait sans cesse, commençant tous les articles de sa « Somme » par « sed contra » : pas besoin de lire plus avant, n'est-ce pas ? on est fixé. Lui et les autres, d'ailleurs, doivent tous quelque chose à Socrate, qui était un mauvais sujet, négatif en diable, il l'a bien montré, passant sa vie à des critiques stériles, c'est trop évident, la critique est toujours stérile, il aurait dû croire sur parole les savants professeurs de son époque, qui étaient la sagesse même, puisqu'ils portaient *le* beau nom, un peu immodeste pourtant, de Sophistes.
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A défaut de Socrate, s'il y avait aujourd'hui quelque écolier de sa méthode (de sa méthode interrogative et critique, furieusement négative, lamentablement stérile), le beau nom, peut-être un peu immodeste, d'*intellectuels catholiques,* connaîtrait sans doute une fortune semblable à celle du beau nom de Sophistes, et deviendrait assez vite, comme lui, un terme péjoratif.
Vous voyez donc les dangers que le simple exercice de la pensée (« critique », et donc « négative » vous dit-on, et par suite « stérile ») fait courir aux professeurs, aux docteurs, aux Sophistes, aux intellectuels catholiques de tous les temps, -- et du nôtre.
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LA PREMIÈRE ANNÉE où j'ai eu des élèves à enseigner, je leur interdisais de poser des questions. Ce n'était point parce que je me croyais très fort, mais parce que je me sentais très faible.
Ce souvenir me donne aujourd'hui beaucoup de compréhension à l'égard des docteurs qui, par tous les moyens imaginables, essaient de m'empêcher de leur poser des questions et, faute de mieux, font mine de n'avoir point entendu celles que je leur ai posées.
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MAIS, cette compréhension leur étant acquise, il me reste à me défendre contre les séductions que ces docteurs, ces intellectuels, ces publicistes font danser autour de moi, avec le consentement universel des gens de leur catégorie. Car, bien sûr, je suis aussi tenté qu'eux tous par le commode et le facile**.** Comme il serait facile, comme il serait commode, au lieu de chercher les moyens de résister au communisme, de se laisser aller dans la même direction, en disant et en se persuadant qu'il faut simplement le « devancer » dans la voie où il est engagé, et où il fait tout pour nous attirer. Comme il serait commode et facile d'admettre la « laïcité de l'État » et de se convaincre qu'il n'y a plus, pour la « contester », que des « fanatiques attardés et au demeurant sans mandat ».
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Car c'est une tâche sans facilite ni commodité, de contester une laïcité aussi solidement établie. C'est même, à vues humaines, à pronostics humains, une tâche impossible, ou chimérique. L'envisager seulement est déjà un acte de foi (et redoutablement positif, non ?).
Moi aussi, j'aurais pu être plus ou moins mollement marxiste : il existe mille facilités pour l'être, mille pressions qui y conduisent, mille prétextes d'y consentir et mille récompenses matérielles pour ceux qui le sont devenus. Pierre Boutang expose parfois qu'un boursier de la République comme lui avait toutes les chances d'aller au marxisme et au communisme : il y trouvait mille invitations dans les mœurs, les prestiges et les idées de la société bien-pensante. Moi aussi je suis un boursier de la République : je sais ce qu'il veut dire là pour l'avoir vécu tout autant. Et aujourd'hui encore, quand je subis toutes ces invitations catholiques, toutes ces pressions, toutes ces persuasions convergentes, il m'arrive tout comme un autre de me demander si c'est moi qui rêve, ou si c'est eux. Je ne suis moi aussi qu'un boursier de la République, et si l'on trouve dans mes propos quelque rudesse, elle est simplement la trace de l'effort pour me déprendre de tant de prestiges, de séductions, d'influences, dont aujourd'hui encore je ne puis nier la puissance publicitaire.
Si j'en niais la puissance, ou si par chance je n'en sentais plus l'effet, il me suffirait, pour me rappeler son immense efficacité, de voir les boursiers de la République, mes cadets, qui subissent ces influences, ces séductions, ces prestiges, et qui de bon cœur, en rangs serrés, galopent à toutes jambes vers le communisme, vers ses « objectifs conformes aux exigences chrétiennes », et ils galopent à en perdre haleine, parce qu'il ne leur suffit pas de rejoindre le communisme, il leur faut encore le « devancer ».
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ALORS, pardonnez-moi, je crois qu'il serait très *positif* que ceux qui détiennent cette influence, et font jouer de telles séductions, et ont un tel prestige, aient un peu moins de tout cela. Il serait *positif* que quelque polémiste les prive un peu de leur notoriété. Un bon polémiste, comme Péguy ou Chesterton, avec au besoin la violence d'un Bernanos.
Pour ma part, n'ayant ni le goût ni le don de la polémique, j'aligne laborieusement, timidement, craintivement, j'aligne mes objections et mes questions, je les aligne comme autant de barrières sur le chemin qui conduit à trouver « conformes aux exigences chrétiennes » les « objectifs du communisme ».
Parce que je crois, comme le croyait autrefois M. Mauriac, que « ce qui paraît bon dans le communisme sert à tromper et à perdre les âmes ».
Aurais-je contribué à retenir une seule âme sur la voie de cette tromperie et de cette perdition-là, j'aurais accompli, contre le consentement universel des « intellectuels catholiques », une tâche très « positive ».
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TOUTES LES CONSIDÉRATIONS qui précèdent évoquent-elles de manière « positive » l'un des « grands problèmes de notre temps » ? En tout cas, j'ai l'impression qu'il s'agit d'un problème assez immédiat et assez irrécusable. *Je parle* de *choses qui existent,* et qui sont même l'une des clefs, à mon avis la plus importante, de la non-résistance à la pénétration, à la colonisation de notre pays par l'appareil idéologique, politique, militaire et policier du communisme soviétique. Les auteurs qui favorisent cette non-résistance, je les traite comme l'on traite Descartes, Spinoza, Leibniz ou Kant. Leur pensée requiert mon adhésion : *j'éprouve* donc leur pensée par la critique et la contradiction, j'essaie de rendre claires et précises les raisons qui m'empêchent d'adhérer à leur système. C'est leur faire beaucoup d'honneur ? Ils n'ont jamais, semble-t-il, été lus et discutés avec autant d'attention, ils trouvent cela insolite et inquiétant. Ils ont peur que ce soit une blague. Ce qui les conduit, sans rien articuler de précis, à se fâcher contre un « procédé » qui consiste à les traiter comme on traite ordinairement les penseurs.
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Peut-être que je n'ignore pas tout à fait les « grands problèmes de notre temps » que l'on me propose : Hegel et Marx, et la phénoménologie, et l'étonnant progrès de la sociologie religieuse, et l'admirable croissance par laquelle tous les intellectuellement faibles de la presse et des congrès sont devenus des adultes intégraux. Des adultes devant Dieu, ils n'en savent rien, et moi non plus, ou peut-être savons-nous le contraire, mais en tout cas des adultes sous leur propre regard. Des grands, quoi. Aussi grands que leurs problèmes, que nos problèmes, que les problèmes de notre temps.
Mais cette dimension, grande, et cette maturité, bien à point, ne sont peut-être elles-mêmes qu'un tout petit problème de tous les temps, vieux comme le monde, simplement habillé à la dernière mode, qui est fort « intellectuelle » depuis quelques saisons. Et pourquoi même un problème. L'une des données du problème. Une simple donnée. Et point la meilleure, loin de là. Une donnée constante. L'une des données du problème de l'âme devant Dieu, mais voilà, ce problème est autre chose qu'un problème, et la philosophie (contemporaine) ne nous y est pas d'un grand secours, parce qu'elle nous montre beaucoup de choses, sauf le Visage de Quelqu'un, crucifié par nos péchés.
Votre très théorique maturité politique est, dans les faits, une déroute politique très constatable. Votre très théorique maturité de la conscience est, dans les faits, un très manifeste délabrement de la conscience. Et même pas inédits. Des adultes, conscients et mûrs, l'histoire en est pleine : cette histoire-là, c'est au Paradis terrestre qu'elle a commencé, et elle a commencé par mal finir, et elle n'a pas fini de mal finir. On s'en expliquera quand vous voudrez. Mais vous ne voulez jamais vous expliquer. Vous enseignez, mais comme moi pendant ma première année d'enseignement : il faut vous écouter sans jamais poser de questions.
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ENCORE UNE CONFIDENCE, puisque tout cet article n'est en somme que l'esquisse d'un discours de la méthode, de ma méthode personnelle, sans garantie du gouvernement, sans brevet, sans autre autorité que celle qui résulte d'une argumentation peut-être bonne, peut-être mauvaise, c'est à voir, en tout cas non encore réfutée. Encore une confidence, dis-je : tout bien réfléchi, et malgré vos dénégations, pour ce qui est du *positif* je ne crains personne. Parce que tout ce que je pense de « positif », je l'ai reçu de la doctrine de l'Église. Parce qu'en cas d'équivoque ou d'incertitude, d'obscurité dans mon propos, je prie le lecteur de n'entendre et de ne recevoir rien qu'au sens de la doctrine de l'Église telle que l'Église l'enseigne et la définit. Prenons un exemple parmi tous ceux que j'ai à votre disposition.
A la question : « Que proposez-vous donc en matière sociale ? », j'ai répondu : la *doctrine sociale et économique* de l'Église, le *concept chrétien* de *l'économie sociale.* C'est simple, clair, et peu original. Mais attendez la suite. Où trouve-t-on cette doctrine sociale et économique ? J'ai répondu : d'abord dans l'Encyclique Quadragesimo Anno*.* Aucune originalité de ma part, aucune profondeur de pensée. L'on me demande alors à quelle interprétation de cette Encyclique se référer. J'ai dit : l'interprète le plus qualifié est sans aucun doute le Souverain Pontife actuellement régnant. Encore rien que de très banal, de très simple, de très assuré. Et j'ai cité l'interprétation qualifiée : « l'ordre corporatif professionnel de l'ensemble de l'économie. » ([^1])
Après quoi, j'ai simplement fait remarquer que nos intellectuels catholiques parlent très souvent du « corporatisme » pour le flétrir, et quasiment jamais de l' « ordre corporatif », pour le prôner.
Mes propos vous ont paru très simplets, très courts, n'apportant rien à la connaissance des « grands problèmes de notre temps ». Mais si l'étude des « grands problèmes » vous laisse quelque loisir pour considérer aussi, quelquefois, les faits concrets, les événements qui arrivent réellement, le train du monde où nous vivons, vous verrez que mes propos simples et simplets ont produit un effet extraordinaire. Ils ont suscité une intense agitation et de considérables mouvements divers. *J'ai parlé* de *quelque chose,* à la différence de ceux qui parlent très savamment pour finalement ne rien dire d'intelligible.
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On m'a fort bien compris, et pourtant je n'avais certes pas tout dit. Un simple propos de chroniqueur, en passant. Il y a des publicistes et des professeurs qui s'en sont trouves brusquement tirés de leur sommeil, et ils sont furieux d'avoir été aussi brusquement réveillés, et ils m'en veulent très fort, comme si c'était par ma faute qu'ils dormaient. J'ose dire qu'il s'est passé là quelque chose de *positif,* mais oui, de très positif, et que : beaucoup de ceux qui me reprochent d'être « négatif » ne pourraient montrer dans leurs œuvres un épisode aussi positif que celui-là.
Spectateur de mon simple propos et du retentissement qui lui a été donné, le R.P. Grenet notait dans *L'Homme nouveau* du 29 janvier :
« Ce n'est tout de même pas une simple habitude de langage qui fait que les Papes ont constamment préconisé, depuis Léon XIII, le retour aux groupements locaux et professionnels ! *Et pourquoi faut-il que tant de juristes et de sociologues chrétiens laissent à Jean Madiran le monopole de la revendication corporative ?* Il y a un souci bien peu scientifique dans la condamnation de l'*ordre corporatif* par les chrétiens de gauche. Pourquoi s'obstinent-ils à ignorer que cet ordre corporatif fait partie de l'essentiel de la doctrine sociale de l'Église ? »
Je n'ai pas fini d'interroger sur leurs motifs les publicistes et professeurs qui, selon la parole du Saint-Père, *altèrent et dénaturent la* doctrine enseignée en *passant plus ou moins sous silence* la partie principale de l'Encyclique « *Quadragesimo Anno* », c'est-à-dire *l'idée de l'ordre corporatif professionnel de toute l'économie.*
J'ai bien le droit de leur dire que je ne suis pas d'accord. J'ai bien le droit de dire qu'il est étrange que les uns rejettent la partie principale de la doctrine sociale de l'Église, pendant que les autres expliquent qu'il faut « assumer les découvertes du marxisme ».
21:4
J'ai bien le droit de dire que ces deux attitudes simultanées sont aussi, qu'elles le veuillent ou non, convergentes. J'ai bien le droit de remarquer que ce sont souvent les mêmes qui, d'une part, nous disent qu'il ne faut aucun anti-communisme politique, que la prédication de la doctrine sociale de l'Église suffit, et qui, d'autre part, oui, les mêmes, et cela donne à penser, présentent cette doctrine mutilée, privée de sa « partie principale »... La seule arme qu'ils consentent à employer contre le communisme, ils en enlèvent l'essentiel.
Voilà ce que je dis de très vrai, de très « positif », parce c'est du *vécu.* Je le dis sans autorité aucune, sans aucune autre autorité que celle de mon argumentation. Mais je signale que l'autorité de mon argumentation restera entière tant qu'elle n'aura pas été réfutée.
\*\*\*
BIEN SÛR, j'entends ce que l'on veut me dire en me conseillant de traiter les *grands problèmes* dans un esprit *positif* et *constructif.* On aimerait me voir faire comme les autres, présenter de grandes constructions verbales, sans aucun rapport avec la réalité, qui ne feraient ni chaud ni froid à personne. Ce serait évidemment de tout repos pour tout le monde, à commencer par moi. Mais je n'ai aucun goût ni aucun don pour cette manière-là d'être « positif ».
Je préfère l'autre manière. Celle qui consiste à regarder les faits actuels, et à dire à leur propos quelque parole qui, avec la grâce de Dieu, puisse toucher et mettre en mouvement les esprits. Telle est la méthode de ma chronique. Il apparaît très positivement que ce n'est pas une méthode sans effet.
Voyez-vous, le fait actuel le plus considérable et le moins considéré est celui-ci : nous marchons vers l'esclavage et personne n'en sait rien parmi les intellectuels catholiques. Nous marchons vers un esclavage où vous abandonnez progressivement votre liberté à un maître unique, l'État laïque, anonyme et totalitaire. Nous marchons vers l'esclavage soviétique et nous en réalisons, déjà dans nos institutions et dans nos mœurs, toutes les conditions préalables et plus que préalables. Je le dis, je le combats, je suis contre, -- au moment où vous ne voyez ni ne comprenez rien à ce processus, qui vous intègre à lui et vous consent mille avantages matériels très positifs. Mais c'est vous qui êtes négatifs.
22:4
C'est moi qui suis positif. Parce que vous êtes du côté de l'esclavage et parce que je suis du côté de la liberté. Parce que je résiste à ce glissement vers l'esclavage et parce que, ne voyant même pas à quel point vous le subissez, vous n'avez aucune idée d'une résistance de ce genre. « Positif », « négatif » ? Je vous le dis comme le mois dernier, je le disais à Fabrègues : l'avenir jugera.
Mais le plus grave, c'est que le présent déjà, le présent immédiat, et le passé le plus récent, ont jugé. Et vous n'en savez rien. Vous avez eu Péguy pour vous montrer cet esclavage-là, et vous n'y avez rien compris, ou vous en avez tout oublié. Et vous avez eu Bernanos qui criait : « On ne nous aura pas vivants. » Vivants, on vous a eus, vous êtes du côté de l'État laïque, anonyme et totalitaire, vivants mais comme morts, « aliénés » comme vous dites, esclaves plus qu'à moitié.
Pas nous.
Jean MADIRAN.
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23:4
### Le programme social de l'Église : la corporation
Depuis tantôt dix ans, la pensée sociale chrétienne, en France et dans le monde, est marquée par une contradiction.
Jamais, semble-t-il, l'opinion publique n'a été aussi sensible à l'exposé des misères sociales, des problèmes du prolétariat, du chômage, du taudis. Livres, revues et articles sont venus répondre en grand nombre à l'ouverture des cœurs et des âmes qui s'est ainsi révélée.
Or, simultanément, la solution que le magistère de l'Église nous donne comme le grand « programme social » de notre époque a été passée sous silence *avec un ensemble impressionnant*. Ainsi, depuis dix ans, les fils, en chœur, clament leur misère, dépensent des efforts innombrables pour y remédier, et cependant ne parviennent pas, pour des causes diverses, à entendre la solution que leur montre le Père commun : l'organisation corporative professionnelle de toute l'économie.
Il y a là, insistons-y, une contradiction. Une contradiction d'une taille imposante. En style familier, on dirait : « C'est énorme ». Une contradiction d'une *ampleur* extraordinaire. Il ne semble pas qu'il y ait eu *un* journal, *une* revue un peu importante, qui depuis la fin de la guerre ait mis cette formule en avant dans un relief vraiment puissant. Une contradiction d'une *durée* insolite ; dix ans et plus...
On nous dit : « *Organisation corporative ? Corporation ?... Vous avez bien prononcé ce mot-là ? *»
...Déjà, on se sent moins sûr ! On sent vaguement que l'on a commis, sinon un péché, au moins une faute de goût ! Peut-être même une impolitesse... Mais l'interlocuteur poursuit :
24:4
« *Corporation !... Vous n'allez quand même pas revenir avec ça !... *»
De fait !... Car le sentiment de culpabilité se précise. Quelle audace de vouloir « *revenir avec ça* ».
Dès lors, l'interlocuteur consolide notoirement sa position avec des arguments d'une rigueur toute scientifique :
« *Vous voulez nous ramener au Moyen-Age !... L'expérience de Vichy ne vous a pas suffi ? il est pénible de voir un homme comme vous tomber dans un pareil conservatisme*. »
Ici ce n'est plus la culpabilité que l'on éprouve, -- c'est la peur ! Accepterons-nous de passer pour des gens qui veulent « *revenir au Moyen Age *» ? Nous tenons quand même à l'estime de nos contemporains. L'accusation de « *Vichyssois *» en elle-même, n'est pas non plus -- fût-ce pour un résistant authentique -- une situation bien confortable. Enfin, l'idée de « tomber dans un conservatisme » aussi attardé achève de déterminer une secrète panique intérieure. On sent bien, « *maintenant *», que la corporation est « *dépassée *».
Telle est -- il faut bien l'avouer -- la douloureuse superficialité d'esprit qui, trop souvent, a orienté les idées sociales depuis dix ans. Nous ne l'évoquons ni pour condamner, ni pour nous lamenter. Nous l'évoquons seulement dans L'espoir d'éviter que la contagion d'une semblable débilité spirituelle et intellectuelle se répande pendant dix nouvelles années.
\*\*\*
Afin de travailler de façon positive à ce sujet, nous allons nous efforcer d'établir, sur textes, la vérité de la proposition suivante :
L'ORGANISATION CORPORATIVE DES PROFESSIONS EST EXPLICITEMENT ET INCESSAMMENT DEMANDÉE PAR LE MAGISTÈRE ORDINAIRE DE L'ÉGLISE DEPUIS UN QUART DE SIÈCLE. ELLE CONSTITUE AUTHENTIQUEMENT LE « PROGRAMME SOCIAL DE L'ÉGLISE ».
On pourrait, si l'on voulait, rechercher l'origine de cette attitude dès la fin du dix-neuvième siècle, car en 1891, le Pape Léon XIII indiquait que l'Église « *ambitionne de resserrer l'union des deux classes jusqu'à les unir l'une à l'autre par les liens d'une véritable amitié *» **(**[^2]). En effet, remarquait-il, « *dans la société, les deux classes sont destinées par la nature à s'unir harmonieusement et à se tenir mutuellement dans un parfait équilibre. *»
25:4
**1931**
Toutefois, c'est seulement en 1931, dans la deuxième grande encyclique sociale, que le Pape Pie XI a indiqué la forme que devait revêtir cette union des classes. « *On ne saurait arriver à une guérison parfaite que si, à ces classes opposées, on substitue des organes bien constitués, des* « *ordres *» *ou des* « *professions *» *qui groupent les hommes non pas d'après la position qu'ils occupent sur le marché du travail, mais d'après les différentes branches de l'activité sociale auxquelles ils se rattachent. De même en effet, que ceux que rapprochent des relations de voisinage en viennent à constituer des cités, ainsi la nature incline les membres d'un même métier ou d'une même profession quelle qu'elle soit, à créer des groupements corporatifs, si bien que beaucoup considèrent de tels groupements comme des organes, sinon essentiels, du moins naturels, dans la société* » ([^3]).
**1937**
En 1937, dans l'encyclique par laquelle il condamnait le communisme comme « *intrinsèquement pervers *» **(**[^4]), Pie XI insiste à nouveau : « *Ce n'est que par un corps d'institutions professionnelles, fondées sur des bases solidement chrétiennes, reliées entre elles et formant sous des formes diverses, adaptées aux circonstances, ce qu'on appelait la Corporation, ce n'est que par ces institutions que l'on pourra faire régner dans les relations économiques et sociales l'entraide mutuelle de la justice et de la charité *» ([^5]).
**1945**
Au cours des six premières années de son pontificat, le Pape Pie XII traite peu d'économie sociale : c'est la guerre, et ses enseignements comme ses exhortations, tendent à la paix.
26:4
Mais celle-ci est à peine rétablie en Italie que, dans une importante allocution aux travailleurs chrétiens d'Italie, il reprend à son compte la pensée semée par Léon XIII et explicitée par Pie XI : « *C'est le moment désormais* D'ABANDONNER LES PHRASES VIDES*, et de penser, avec *« QUADRAGESIMO ANNO » *à une nouvelle organisation des forces productives du peuple *» pour qu' « *elle ouvre le chemin à toutes les classes laborieuses pour acquérir honnêtement leur part de responsabilité dans la conduite de l'économie nationale* » ([^6]).
**1946**
En 1946, le Pape s'adresse lui-même aux Semaines Sociales de France. Il les met en garde contre des nationalisations systématiques et leur rappelle que la « *forme corporative de la vie sociale, et spécialement de la vie économique, favorise pratiquement la doctrine chrétienne concernant la personne, la communauté, le travail et la propriété privée *» **(**[^7]).
**1947**
Dans la lettre qu'il adresse à nouveau Lui-même en 1947 aux Semaines Sociales de France, le Saint-Père insiste sur le fait que l'enseignement de L'Église sur ce point est sans rapport avec les interprétations malveillantes que la presse socialiste et communiste en a donné : « *Il en va de même de notre position à l'égard de l'organisation professionnelle ou* « *corporative *» *qui a été, elle aussi, tirée en sens divers dans les polémiques publiques -- peut-être de la part de certains, pour avoir été mal comprise. Elle aussi correspond identiquement à l'enseignement de l'Encyclique* QUADRAGESIMO ANNO *et est au-dessus de tout reproche d'immixtion dans les affaires purement politiques du temps présent* » ([^8]).
**1949**
Le 7 mai 1949, le Saint-Père s'adresse, pour la première fois aux chefs d'entreprises catholiques du monde entier. Que leur dit-il ? De réaliser le programme de QUADRAGESIMO ANNO :
27:4
« *Pourquoi ne serait-il pas légitime d'attribuer aux ouvriers une juste part dans la constitution et le développement de l'économie nationale ?* (...)*. Cette communauté d'intérêt et de responsabilité, Notre inoubliable prédécesseur Pie XI en avait suggéré la formule concrète et opportune lorsque, dans son encyclique* QUADRAGESIMO ANNO*, il recommandait* « *l'organisation professionnelle *» *dans les diverses branches de la production* » ([^9]).
Mais le Pape, pour la première fois, va faire allusion aux résistances qui se sont manifestées à ce sujet : « *Ce point de l'Encyclique,* poursuit-il, *fut l'objet d'une levée de boucliers ; les uns y voyaient une concession aux courants politiques modernes, les autres, un retour au Moyen Age. Il eut été incomparablement plus sage de* DÉPOSER LES VIEUX PRÉJUGÉS INCONSISTANTS *et de se mettre, de bonne foi et de bon cœur à la réalisation de la chose elle-même et de ses multiples applications pratiques *» ([^10]).
La même année, comme pour témoigner de l'importance de ce point de l'enseignement de l'Église, Pie XII revient deux fois encore sur la question. S'adressant au congrès des catholiques allemands, il souligne que : « *l'Église ne laisse pas d'intervenir activement pour que l'opposition apparente entre capital et travail, entre patrons et employés, se résolve en une unité supérieure, en une coopération des deux parties indiquée par la nature suivant les entreprises et les secteurs économiques, en groupements corporatifs* » ([^11]). Et par ailleurs, s'adressant aux syndicalistes belges, le Pape insiste : « *Voilà pourquoi* NOUS NE NOUS LASSONS PAS *de recommander instamment l'élaboration d'un statut de droit public de la vie économique, de toute la vie sociale en général, selon l'organisation professionnelle* » **(**[^12]).
**1950**
En juin 1950, Pie XII affirme l'efficacité d'une « *politique organisée sur le plan professionnel *» ([^13]).
28:4
**1951**
En avril 1951, il déplore que ce soit la « classe » qui répartisse « *artificiellement les hommes dans la société et non plus la coopération dans la communauté professionnelle *» ([^14]).
**1952**
En 1952, s'adressant aux patrons italiens, le Pape leur confie qu'il « NE PEUT PLUS IGNORER *les altérations avec lesquelles sont dénaturées les paroles de haute sagesse de Pie XI* » *en donnant le poids et l'importance d'un programme social de l'Église en notre époque à une observation tout à fait accessoire au sujet des éventuelles modifications juridiques dans les rapports entre les travailleurs, sujets du contrat de travail et l'autre partie contractante ; et en revanche,* EN PASSANT PLUS OU MOINS SOUS SILENCE LA PRINCIPALE PARTIE DE « QUADRAGESIMO ANNO » *qui contient en réalité ce programme, c'est-à-dire* L'IDÉE DE L'ORDRE CORPORATIF PROFESSIONNEL DE TOUTE L'ÉCONOMIE » ([^15]).
En juillet de la même année, parmi d'autres remarques, Pie XII rappelle Lui-même aux Semaines Sociales de France son discours sur l'organisation professionnelle de mai 1949, leur demandant si cette observation n'est pas alors plus opportune encore qu'auparavant.
En septembre s'adressant aux Autrichiens, le Pape affirme avec concision : « *la lutte des classes doit être dépassée par l'instauration d'un ordre organique unissant patrons et ouvriers* » ([^16]).
**1955**
Enfin dans son récent message de Noël, le Saint-Père a clairement situé la place des communautés professionnelles organisées dans l'ensemble de la vie sociale : « *les lignes essentielles ont toujours été et demeurent les mêmes ; la famille et la propriété, comme facteurs complémentaires de sécurité, les institutions locales et les* UNIONS PROFESSIONNELLES *et finalement l'État* » ([^17]).
\*\*\*
29:4
En conclusion :
1° *En vingt-cinq ans* (1931-1956) *le Souverain Pontife a* *affirmé et réaffirmé Lui-même* QUATORZE FOIS que l'organisation corporative des professions est un point de la doctrine catholique ([^18]).
2° *Cette doctrine de l'organisation corporative* n'est pas un point secondaire ou mineur. C'est la « principale partie » de *Quadragesimo Anno*, c'est le « *programme social de l'Église *».
3° Pie XII a demandé à ce propos « *d'abandonner les phrases creuses *» (11 mars 1945), « *de déposer les vieux préjugés inconsistants *» (Moyen Age et Fascisme -- 7 mai 1949), de cesser « *de passer plus ou moins sous silence *» l'idée corporative (31 janvier 1952). Dans ces conditions on peut se demander si un problème n'est pas posé -- un problème qui engage notre conscience ?
Marcel CLÉMENT.
30:4
### Se réformer ou périr (III) La barbarie autrefois et aujourd'hui
IL NE FAUT PAS CROIRE, comme sembleraient le faire penser nos analyses ([^19]), que la *confusion du gouvernement et de l*'*administration* soit chose nouvelle et seulement amenée par les conditions si complexes de la vie moderne. Ce serait plutôt une ancienne barbarie ; c'est une faiblesse de l'esprit, une confusion mentale qui s'est déjà vue dans l'histoire en des temps très différents.
C'est arrivé premièrement à l'empire romain, qui était, on le sait, une monarchie militaire, où le chef de l'armée était le chef de l'État. Il est naturel que le chef de l'État devienne le chef de l'armée et prenne la responsabilité morale du commandement pendant la guerre. La politique d'un État est trop mêlée aux opérations militaires pour qu'il n'y ait pas avantage à ce qu'il n'y ait qu'un seul chef. Mais il est généralement mauvais que le chef de l'armée, en tant que soldat, devienne par cela même chef de l'État. A Rome, pourtant, c'était devenu une habitude d'autant plus détestable que ces chefs d'armée l'étaient d'une armée de mercenaires, mercenaires eux-mêmes, souvent étrangers et même barbares.
On conçoit qu'il fallait une administration civile quasi inamovible, pour suppléer au manque d'un véritable gouvernement. Cette administration était pratiquement toute puissante, car il n'y avait pour ainsi dire plus de citoyens. Depuis le temps des Gracques, l'aristocratie romaine avait usurpé toutes les terres, réduisant les anciens citoyens au rang de colons ou de clients. L'Afrique du Nord appartenait à une dizaine de grands propriétaires, comme l'Irlande, naguère**,** à cinq lords anglais.
31:4
L'administration romaine, cependant, fit une grande œuvre : le droit romain. Mais cette entreprise ne pouvait remédier à aucun des maux de l'Empire. C'est une œuvre considérable, puisque pour la première fois dans l'histoire on s'essayait à déceler les éléments de justice naturelle que contenaient les coutumes diverses d'un immense empire. Mais elle est l'œuvre principalement des siècles de la décadence ; elle s'achève longtemps après la chute même de Rome. L'administration qui l'élaborait continuait sous Justinien à envoyer les nouveaux décrets juridiques aux fils de Clovis. Les Romains ne désespéraient pas de la civilisation.
\*\*\*
MAIS IL FAUT BIEN VOIR que lorsque cette grande œuvre fut achevée, l'empire pour lequel elle était faite n'existait plus. L'administration l'avait détruit elle-même. *Il n*'*y avait plus d*'*empire parce qu*'*il n*'*y avait plus que des administrés et pas de citoyens.* Toutes les institutions naturelles régionales avaient disparu : quand elles renaissaient par nécessité, l'administration les supprimait aussi vite qu'elle pouvait. Plus de citoyens indépendants, plus de soldats nationaux. Car une administration centralisée est ennemie par nature de toutes les initiatives communales, provinciales. L'administration romaine considérait comme des révoltes toute initiative de ce genre. Le Sénat essaya bien de réagir à plusieurs reprises, pour réintroduire dans le gouvernement les représentants des citoyens, très riches, trop riches, qui demeuraient. Il eut manifestement contre lui non seulement le chef militaire qui était censé gouverner l'empire, mais toute l'administration qui le gouvernait réellement. En 261 les Sénateurs furent exclus de tous les commandements militaires.
L'empire romain périt faute de citoyens et de soldats, car *l*'*administration qui remplaçait le gouvernement était par nature incapable de réagir contre de tels maux : sa nature était, au contraire, de les accroître.* Pour elle toute initiative, toute variété communale, provinciale, corporative n'est qu'une complication administrative, un désordre administratif. Or c'est là la vie et la santé : *seuls des citoyens indépendants, engagés dans les métiers qui produisent les richesses, des prêtres connaissant à fond le train du menu peuple, des contremaîtres, des ingénieurs, des hommes d*'*étude qui ne sont pas fonctionnaires, peuvent remonter ces pentes intellectuelles, morales, sociales qui mènent les nations à leur ruine.* Il leur faut alors créer des associations, introduire de nouveaux genres de contrat, bouleverser des règlements étatiques, faire enfin tout ce que rend impossible une administration.
32:4
L'enseignement lui-même était entre les mains de l'État. Les rhéteurs (comme les agrégés chez nous) y parvenaient aux plus hautes charges administratives et gouvernaient des provinces. C'est dire que la réforme intellectuelle était aussi impossible que la réforme civique et sociale. La routine d'un enseignement d'État vient de ce qu'il tient avant tout à ses cadres administratifs, il ne modifie ses programmes qu'à grand peine, comme l'ordonnance de ses diplômes. Nous le voyons de nos jours incapable de faire une réforme de l'enseignement parce qu'une administration n'est capable que d'une réforme administrative, et qu'une réforme de l'enseignement est une réforme intellectuelle.
La vraie vie intellectuelle, qui avait brillé à Athènes puis à Alexandrie, s'éteignit peu à peu. Les chrétiens, éloignés de toutes les charges publiques par la nécessité d'y accomplir des actes d'idolâtrie, et par les persécutions, vécurent dans l'ignorance des réformes nécessaires. Il semble qu'ils ne les ont pas conçues. Les Pères de l'Église eux-mêmes avaient une formation de rhéteurs.
\*\*\*
CEPENDANT, sous la nécessité, il y eut quelques essais. Pendant les invasions, les évêques devinrent « défenseurs de la cité ». Il était bien tard. Nous connaissons au moins un exemple d'un esprit clairvoyant : Synésios de Cyrène. La Cyrénaïque était une ancienne colonie de Lacédémone que Pindare célébrait comme le « Jardin de Vénus ». Autrefois riche et prospère, elle avait été ruinée par une révolte des Juifs qui avaient tout détruit. (Aujourd'hui, en Cyrénaïque, le désert avance d'un kilomètre par an sur les cultures, depuis que les Italiens en sont partis ; les Bédouins mettent leurs animaux dans les villas italiennes et plantent leur tente à côté.) Synésios fut chargé par la ville de Cyrène de porter une couronne d'or à l'empereur Arcadius ; mais il lui dit : « *Le législateur ne doit pas donner des armes à ceux qui n*'*ont pas été nourris dans la pratique de ses lois ; car il n*'*a point de gage de leur affection. Il n*'*y a qu*'*un imprudent ou un devin qui puisse voir sans effroi une jeunesse nombreuse, gardant des mœurs étrangères, s*'*exercer sur notre sol aux choses de la guerre. Ne pas préparer contre elle une force égale, et comme si ses bras étaient les nôtres, exempter de la milice les Romains, est-ce autre chose que courir à la ruine ?*
33:4
*Plutôt que de souffrir les Scythes en armes parmi nous, il faudrait demander à l*'*agriculture indigène des hommes prêts à combattre pour sa défense, et les enrôler. N*'*est-il pas honteux qu*'*un empire puissant en hommes laisse à d*'*autres que ses citoyens l*'*émulation militaire ? *» Il conseille à l'empereur de ne pas se laisser aller à la mollesse asiatique : « C'est à cela que la philosophie t'exhorte ; l'empereur doit regarder comme usages romains, non les choses introduites hier ou avant-hier, dans l'empire affaibli, mais celles qu'il pratiquait aux jours de sa grandeur. »
Synésios, en ce temps-là, était encore païen. Lié avec tous les savants du monde grec de son temps, avec Hypathie, avec le patriarche d'Alexandrie aussi. Il finit par se convertir et le peuple de Ptolémaïs le réclama pour évêque, ce qu'il finit par accepter après d'infinis scrupules. Il écrivit des hymnes dont quelques-uns furent chantés dans tout l'Orient. Il eut un grave conflit avec le gouverneur romain, qui était un nouveau Verrès. Il l'excommunia. L'Empire interdisait aux provinciaux, sans y suppléer, le droit de s'armer et de se défendre. Pendant que le gouverneur romain se tenait en rade sur deux bateaux chargés de ses richesses, afin de pouvoir s'enfuir à coup sûr, l'évêque faisait avec les jeunes gens de la ville, la nuit, des rondes à cheval autour des murailles, pour prévenir les coups de main des Bédouins du désert. « Ô Cyrène ! s'écrie-t-il, dont les registres publics font remonter la naissance jusqu'à la race des Héraclides ! tombeaux antiques des Doriens, où je n'aurai pas de place ! Malheureuse Ptolémaïs, dont j'aurai été le dernier évêque ! » Ptolémaïs repoussa encore cette fois les barbares, mais nous ne savons rien de plus. Synésios est devenu saint Synésios, mais nous ignorons la date de sa mort, et nous savons que ces tentatives d'organisation, enrayées par l'administration impériale (qui continuait de lever les impôts) n'eurent point de suite. L'antique colonie grecque était détruite.
\*\*\*
PARTOUT, aussi bien en Gaule qu'en Cyrénaïque, l'administration romaine avait empêché que fussent créées ces sociétés naturelles qui sont la vraie base de tous les États, parce qu'au contact des difficultés du lieu et du moment, elles sont seules capables de s'adapter aux circonstances.
*Il est clair que la question sociale, aussi bien dans l*'*empire romain que de nos jours, aura cent solutions différentes suivant les métiers et les provinces.* On ne saurait comparer le bonnetier, qui au bout de six mois d'apprentissage peut conduire cinq à six métiers, et ne fera rien d'autre toute sa vie,
34:4
avec le teinturier qui manie des produits chimiques sans cesse différents, dans des conditions très définies, à qui un soin, un jugement et une vigilance constante sont sans cesse demandés. Le premier métier ne peut être qu'une sorte de fonctionnariat. Le second suppose un travail d'équipe dont le rendement sera très différent suivant les hommes qui la composent. La solution du problème social, c'est-à-dire la justice dans la rémunération, ne peut être la même dans les deux cas. N'en vouloir qu'une et l'imposer du centre de l'empire, c'est empêcher à jamais toute justice et toute solution.
Les mêmes problèmes se posaient en Gaule. Une excellente vie de saint Sidoine Apollinaire par Paul Allard (chez Lecoffre) nous renseigne sur une époque d'un siècle environ postérieure à celle de saint Synésios Nous y voyons les efforts tardifs des Gallo-romains pour s'organiser eux-mêmes. Ils essayèrent d'avoir un empereur gaulois, Avitus, beau-père de saint Sidoine ; puis ils essayèrent de s'armer eux-mêmes. Lors de l'invasion des Wisigoths, Ecdicius, beau-frère de saint Sidoine, avec dix-huit cavaliers gaulois, traverse au galop le camp des Wisigoths qui assiégeaient Clermont, tuant plusieurs chefs, s'enferme dans la ville et force les assiégeants à quitter la place. L'Auvergne, défendue par son évêque, fut finalement vendue par l'empire, mais non conquise. Ces armées barbares n'étaient pas tellement terribles. Elles ne passaient même point pour braves. Grégoire de Tours dit d'elles : « Ut Gothorum pavere mos est. » C'est la coutume des Goths d'avoir peur. Et ailleurs : « Cumque seundum consuetudinem Gothi terga vertissent. » Selon leur habitude, les Goths tournèrent le dos. Mais il n'y avait rien devant eux. Clovis avait trois mille guerriers ; l'erreur séculaire qui avait amené la chute de Cyrène faisait qu'il n'y avait pas trois mille Gaulois à leur opposer.
\*\*\*
L'ŒUVRE POLITIQUE DE CHARLEMAGNE, la reconstitution d'un État occidental, a péri du même mal que l'empire romain : la confusion du gouvernement et de l'administration. Seule l'œuvre intellectuelle du grand empereur a survécu. Ce grand homme s'est rendu compte qu'il ne pouvait gouverner sans une élite, et il a de tout son pouvoir essayé de former une aristocratie ; pour ce faire, il a retenu et encouragé tout ce qui pouvait subsister de la culture gréco-latine. Deux siècles plus tard, l'aristocratie française était une pépinière de troubadours et de trouvères et de savants hommes d'église. L'école du palais de Charlemagne est le point de départ de notre civilisation.
35:4
Mais son œuvre politique s'est défaite au lendemain de sa mort parce qu'il n'avait pas été maître de remédier d'un coup à la barbarie des Mérovingiens. Ceux-ci avaient laissé se dissoudre l'État et en même temps supprimé toute liberté. Sous l'empire romain, l'autorité était très forte, mais faisait effort pour que justice fut rendue. Il existait des assemblées provinciales, sans pouvoirs, mais capables d'obtenir, par leurs réclamations le changement ou la condamnation d'un gouverneur, ou bien une remise d'impôts ; les corporations s'administraient elles-mêmes, l'Église nommait ses évêques sans intervention du pouvoir civil. Il y avait un droit : telle est la civilisation.
Tout droit disparut avec les rois barbares ; les Mérovingiens ne songeaient qu'à emplir leurs coffres d'or. Ils donnaient les impôts, les douanes de telle villa ou de telle province, à un compagnon qui leur avait rendu service ou qui leur plaisait, à un évêque, sans se soucier de diminuer leur revenu : n'étaient-ils pas les maîtres ? et capables de reprendre ce qui leur plaisait ? Chaque printemps ils partaient en campagne pour piller. Grégoire de Tours raconte qu'en 531 « les Francs qui étaient fidèles au roi Thierry lui dirent : « Tes frères mènent leurs guerriers en Bourgogne ; si tu ne nous y mènes aussi, nous te quitterons et nous irons avec tes frères. » Thierry leur répondit : « Je ne vous mènerai point en Bourgogne, mais je vais vous mener en Auvergne, où vous trouverez en abondance de l'or, de l'argent, des troupeaux, des étoffes, des esclaves à emporter. »
La France vécut plus de trois siècles sous cet affreux régime. Le résultat en fut la destruction des classes moyennes, source des élites, la destruction des études, et aussi la confusion immédiate du gouvernement et de l'administration, avec l'arbitraire, les excès, la routine et l'impuissance que cette confusion entraîne. Le gouverneur militaire d'une ville leva les impôts lui-même, se payant sur leur produit et nommant des sous-ordres qui se payaient de même.
Il se développa aussitôt, en dehors des institutions publiques, un système de fidélité personnelle ou de vassalité. Pour se protéger, les hommes se lièrent les uns aux autres, particulièrement les faibles avec les puissants par un serment solennel. La forme de la propriété n'avait pas changé depuis l'empire romain : c'était dans l'ensemble une grande propriété, mais beaucoup d'hommes libres possédaient bien peu de choses. C'était parmi cette classe d'hommes que les Romains avaient établi le « patronage ». Les Carolingiens le transformèrent en contrat de « recommandation », par lequel l'homme libre s'engageait au service d'un personnage plus puissant qui se chargeait de le nourrir et de le protéger.
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Le grand propriétaire concédait une ferme, un village, un château, un canton sur lequel l'autre vivait à condition de certaines redevances et du service militaire. Les grands fonctionnaires agirent de même avec les sous-ordres par eux choisis. Ils n'avaient aucun droit héréditaire, mais ils firent tout ce qu'ils purent pour transformer la fonction publique en droit héréditaire. Inutile de dira qu'entre des fonctionnaires de gouvernement, maîtres de l'administration des choses, et des grands propriétaires ayant une clientèle armée, les Mérovingiens devinrent de moins en moins capables de se faire obéir.
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LES CAROLINGIENS (qui pendant plusieurs générations furent héréditairement maires du palais, gouvernèrent sous le nom de leurs rois et finirent par les remplacer) formaient la famille la plus riche de France en biens héréditaires et en hommes liés à elle par la fidélité. Elle imposa son pouvoir par cette puissance civile, et, quand elle succéda aux Mérovingiens, elle unit en elle la puissance de l'autorité publique et celle du grand seigneur riche du plus grand nombre de vassaux. Ce pouvoir fut momentanément extrêmement fort et extrêmement dur. Le service militaire y était une servitude intolérable, que l'âge ne limitait pas, auquel chaque printemps on était astreint à ses frais. Les moyens de contrôle qu'employait Charlemagne, les missi dominici, ces enquêteurs perpétuels, ne purent empêcher à la confusion du gouvernement et de l'administration de produire ses effets ; aucun corps indépendant, villes, provinces, corporations, ne pouvait limiter la puissance des fonctionnaires royaux et par là les rendre fidèles au roi. Les vassaux de la famille carolingienne, tant que celle-ci ne fut pas famille royale, avaient fait de leur fidélité un moyen de puissance dans l'État. Quand la famille carolingienne fut l'État lui-même, il y eut une ligue silencieuse des vassaux et des fonctionnaires pour garder leur place au détriment du roi. Ils n'obéirent plus. Le pouvoir royal fut renversé sans guerre, sans révolte, et passa aux fonctionnaires héréditaires pour le malheur de la nation.
Dans ce pays sans gouvernement, l'ennemi étranger fit ce qu'il voulut. Quand une nation possède des libertés, le fonctionnaire se serre autour du gouvernement ; il est obéissant. Quand elle n'en n'a point, le gouvernement devient l'esclave de ses fonctionnaires. C'est ce qui est arrivé du temps de Charles le Chauve. La vie se rassembla en chaque province, en chaque canton ; ce fut l'avènement de la féodalité.
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Le chef d'un canton voyait réunis sur lui tous les pouvoirs ; chef de guerre, il rendait la justice, levait l'impôt, battait monnaie et avait droit de paix et de guerre. Bien que la séparation du pouvoir spirituel et du temporel fût beaucoup mieux observée qu'aujourd'hui, la tyrannie état fréquente, mais elle n'était pas générale. Cette société, née de la désagrégation de l'État et de la barbarie des idées politiques, dut s'armer sérieusement et s'organiser pour résister aux invasions des Normands ; elle y mit un siècle, et ne fut pas sans force, puisqu'au bout de ce temps, elle était capable de jeter en Orient des centaines de mille soldats.
Le communisme n'est pas sans force non plus, mais une force haïssable, parce que née d'une idée politique barbare ; la tyrannie n'y est plus le fait d'un homme mortel dans un canton (et le canton voisin jouit d'un bon maître) ; elle s'étend à tout dans un immense empire, et jamais le vrai responsable n'est connu.
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NOS GOUVERNEMENTS ont cru accroître leur pouvoir en accroissant le nombre de leurs créatures et en augmentant le nombre des administrations d'État. Ils se sont rendu le gouvernement impossible. Maintenant que ces administrations s'étendent aux métiers principaux d'une économie moderne, leurs fonctionnaires sont ou veulent être les maîtres de l'État sans avoir les responsabilités du pouvoir. Comme les comtes de Charlemagne ils tendent à l'inamovibilité, et le public s'en va vers la servitude. La propriété, seul fondement terrestre de la liberté, deviendra aussi précaire que lors des invasions normandes. Elle l'est déjà par les impôts successoraux ; l'aboutissement, c'est le communisme et la tyrannie.
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LA RUSSIE est probablement incapable de se libérer de sa bureaucratie, car les institutions naturelles de la civilisation n'y ont jamais existé. Elle a retrouvé, sous une forme moderne, le despotisme d'Ivan le Terrible, un despotisme oriental. C'est l'histoire d'un peuple qui n'ayant plus, depuis mille ans, d'Église libre pour l'instruire et le protéger, pour affirmer la distinction du spirituel et du temporel, a reporté son mysticisme naturel sur la mystique matérialiste qui fait le fond du marxisme.
Chez nous, on « nationalise » ou par malice, avec le secret désir de « prolétariser » le plus de monde possible et de grossir ainsi l'armée communiste ; ou par sottise, pour que les profits de l'entreprise aillent, dit-on, à ceux qui travaillent.
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Mais au bout de très peu de temps, quand une entreprise ainsi nationalisée est devenue une administration d'État, il n'y a plus de profits à partager, plus d'argent à investir. La solution simpliste est alors de tout nationaliser ; la suite en est la routine, la pauvreté et l'esclavage.
Le comte de Chambord écrivait en 1852 : « *Le régime représentatif a échoué en France : on ne saurait gouverner une nation avec des institutions faites pour l'administrer. *» Le régime représentatif a réussi en Angleterre parce qu'il avait un fondement dans un ordre social aristocratique très ancien et admis de tous ; enfin la mer mettait l'Angleterre à l'abri des conséquences immédiates des sottises de son Parlement. Jamais, chez nous, le Parlement n'a représenté les intérêts profonds du pays, ni les groupes sociaux véritables. Il représente, encore aujourd'hui, seulement des partis que lui seul a créés pour son propre usage ; on voit bien par les interventions des syndicats ouvriers et patronaux où se trouve la représentation véritable du pays réel. *En 1852, l*'*échec du régime représentatif avait amené le despotisme des Bonaparte. Son échec d*'*aujourd*'*hui, bien visible, je pense, nous mène à la tyrannie des Soviets.* La cause est la même, nous avons des institutions faites pour administrer, non pour gouverner.
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LE DIRIGISME dont on parle tant est une confusion du même genre ; on confond sous ce mot administration et gouvernement. Car l'économie est toujours dirigée, c'est-à-dire gouvernée. Bien ou mal, mais toujours. Athènes, Rome, Sully, Colbert. Méline, ont dirigé l'économie, mais ils n'ont pas voulu l'administrer. Or c'est précisément l'erreur qu'on fait aujourd'hui ; tandis que personne ne doute que le gouvernement qui a seul souci, par devoir d'état, du bien commun, n'ait le devoir de diriger le sauvetage de nos ruines.
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POUR RETROUVER LA LIBERTÉ et la prospérité possibles dans les circonstances présentes, il faut séparer à nouveau ces fonctions et créer spontanément, en dehors de l'État, les institutions utiles. Il y en a à l'étranger mille exemples.
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Suivant en cela les traditions de l'ancienne France, le gouvernement anglais (depuis 1870 seulement) a créé des écoles pour subvenir aux manques de l'enseignement privé ; mais il subventionne très largement toutes les écoles privées dites « volontaires ». Les universités sont entièrement libres ; elles s'administrent elles-mêmes, assistées de représentants du personnel administratif, du corps enseignant et de l'assemblée des anciens élèves diplômés. Les subsides de l'État sont donnés sous forme de bourses d'étude ; et comme les universités anglaises jouissent toujours des anciens revenus, que chez nous la Révolution a dilapidés, et qu'il s'en ajoute toujours, les subsides de l'État ne font que le tiers du budget des universités, qui pourtant ne se plaignent pas de l'état de leurs laboratoires.
Passons à des institutions qui paraissent plus immédiatement pratiques : *le plus grand port du monde, le port de Londres, est une coopérative s*'*administrant elle-même,* personne n'ayant aucun bénéfice particulier du fait de son exploitation. Les recettes doivent simplement couvrir les dépenses. *Les représentants du gouvernement ne font qu*'*un tiers des membres du conseil.* Soixante ports anglais, dont Liverpool, et, en Australie, Sydney et Melbourne, ont les mêmes institutions.
En Belgique, la société nationale des chemins de fer vicinaux, qui exploite 5.300 kilomètres de voies ferrées (davantage que les chemins de fer d'intérêt général), est une régie coopérative. Seules les collectivités peuvent être actionnaires. Elles libèrent leurs actions par le versement d'une annuité équivalent à l'intérêt et à l'amortissement des actions.
Il y a en Belgique une société nationale de distribution d'eau qui a pour but d'alimenter en eau potable toutes les communes belges qui voudront bien confier ce soin à la société. Elle rend aux abonnés une ristourne quand le prix auquel elle fait payer l'eau lui laisse un bénéfice net. Qu'on relise plus haut ([^20]) ce qui se passe en France pour les adductions d'eau sous la paternelle autorité du préfet et du génie rural, et l'on sera édifié sur les deux systèmes.
En France, la compagnie générale du Rhône (qui construisait le barrage de Génissiat) était une régie coopérative. Étaient actionnaires les futurs usagers : ville de Paris, chemins de fer, sociétés privées d'industriels ou d'agriculteurs désireux d'utiliser la force ou l'eau. L'énergie électrique de la Moyenne Dordogne était une coopérative ayant pour membres les onze chambres de Commerce de la région et diverses, collectivités d'usagers.
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Ces entreprises sont aujourd'hui nationalisées sans utilité pour personne, sinon pour les nouveaux fonctionnaires. On a nationalisé même les chutes d'eau équipées par les sociétés industrielles pour fournir la force à leurs usines. On leur a payé ces installations, ou plutôt on a fait semblant de payer ce qui n'était qu'une spoliation et maintenant, on leur fait payer la force à un prix qui leur interdit la concurrence internationale.
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CES STUPIDITÉS ÉCONOMIQUES s'étendent à bien d'autres secteurs. L'office du blé est une administration d'État imposée aux producteurs en 1936 par le Front populaire. Le prix du blé de la première campagne était convenable, mais comme dans les six mois le gouvernement dévaluait le franc, on se demande si cet office ne fut pas conçu en vue de la dévaluation, car le prix du blé eût monté au niveau des cours mondiaux. Mais cet office dure ; les producteurs payent deux milliards de francs de taxes pour alimenter les services de l'office, et ils n'ont jamais eu la possibilité d'en contrôler la gestion. L'administration, non gouvernée, administre au profit des administrateurs.
Car au point de vue économique, l'office du blé aboutit à un désastre. Au moment où il fut institué, la question, débattue entre les producteurs était celle de la valeur boulangère des blés. Les hybrideurs avaient créé des espèces très productives sans rechercher leur teneur en gluten, et les boulangers refusaient la farine de certaines de ces espèces, ce qui orientait naturellement les laboureurs vers la production des blés de qualité. Nous songions même, dans notre village, pour nous assurer du bon pain, à ne livrer à un certain meunier que de certaines espèces pour fournir notre boulanger de leur farine.
Mais les bonnes méthodes administratives vont à simplifier ; l'Office fixa le même prix pour toutes espèces de blé et les producteurs n'eurent plus aucune espèce d'intérêt à cultiver des blés de qualité, mais seulement des blés très fertiles. Quant aux boulangers ils demandèrent l'importation de bonnes farines, ou de bonnes variétés de blé, et ils l'obtinrent. Et maintenant où les cultivateurs (encouragés par les planistes de l'administration) produisent plus de blé qu'il ne nous en faut, il est invendable à l'étranger, sinon pour la nourriture du bétail, à des prix inférieurs. Les producteurs payent alors de nouvelles taxes pour « la résorption des excédents. »
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Tels sont les effets d'une administration d'État : arrêt des initiatives naturelles compétentes, surproduction, mauvaise qualité, dilapidation de la richesse publique.
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TOUS LES PAYS AGRICOLES qui veulent exporter ont à résoudre les mêmes, problèmes. Ils ont besoin d'une forte organisation pour renseigner les producteurs et limiter les à-coups de la vente, que sans cela le commerçant fait toujours tomber sur le producteur. Que l'État ait son mot à dire, cela va de soi ; sa fonction est de maintenir la justice et d'aider les citoyens industrieux à bien faire. Comparons une fois de plus ce qui se fait chez nous et à l'étranger.
Pour organiser les marchés agricoles, de nombreux comités se sont constitués. Il fut question d'un *Fonds de garantie mutuelle* alimenté par des taxes. Mais ce mutualisme est inquiétant pour l'administration. Il fut remplacé par décret, avant d'avoir fonctionné, par un *Fonds d*'*orientation de la production agricole* dont le titre dit assez les ambitions. Il est pratiquement aux mains du ministère des finances qui resta maître des fonds dont disposera cet office, *conseillé,* non dirigé, par un comité où les fonctionnaires sont aussi nombreux que les professionnels de la production et du commerce réunis. Sa malfaisance égalera celle de l'Office du blé.
En Hollande, les producteurs de fruits et légumes ont formé une association. La superficie cultivée est limitée pour chacun, mais chacun cultive ce qui lui plaît. *Il faut avoir fait la preuve d*'*être du métier.* Le fils n'obtiendra la licence de son père que s'il fait preuve à son tour de son savoir professionnel. Chaque producteur ne peut vendre qu'à sa coopérative ; les licences nouvelles ne sont accordées que suivant les besoins de la population, les extensions des cultures suivant l'extension des ventes. Voilà, une organisation qui ne coûte rien à l'État, dont les membres sont intéressés à l'économie et qui peut suivre avec compétence les besoins du marché. *C*'*est l*'*antique corporation adaptée à notre temps.* Les citoyens y limitent eux-mêmes leur liberté au lieu de vivre dans l'anarchie économique au détriment de tous. Vaut-il mieux se voir imposer par l'État l'arrachage des vignes, payer des impôts pour résorber des « surplus » impossibles à vendre, payer des taxes pour la « reconversion, des cultures », reconversion que les cultivateurs font d'eux-mêmes si les conditions économiques ne sont pas faussées par les mesures administratives, enfin nourrir une administration incompétente et *entièrement irresponsable ?* La liberté absolue n'existe pas en société ; la liberté n'est qu'une parcelle d'autorité, libre de décider dans les limites de sa responsabilité.
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Dans ce sens, le gouvernement n'est libre de gouverner que s'il ne prend pas des tâches administratives au-dessus de ses moyens de contrôle et de sa compétence, et dont les méthodes sont par nature contraires à celles qui devraient être *les* siennes. L'administration n'est vraiment libre de choisir son personnel et de faire prévaloir chez elle les bonnes règles administratives que si elle ne dépend pas, en tant que telle, du gouvernement. *Les citoyens ne sont libres que s*'*ils s*'*administrent eux-mêmes et en font les frais *: ces frais sont toujours moins élevés que ceux d'une administration d'État. *Ces conditions,* sans doute, *ne sont pas suffisantes,* tant les causes de tout acte humain sont complexes, *mais elles sont nécessaires.*
Le problème n'est pas seulement dans l'honnêteté ou la malhonnêteté des hommes, il est dans la conception du gouvernement ; mais nul doute que les idées fausses et l'irresponsabilité n'aident à la corruption des hommes. Or l'irresponsabilité est installée, non sans intention, tant dans le gouvernement que dans l'administration. La décentralisation, telle qu'on l'entend en général, lorsqu'on veut, par exemple, créer des régions, faciliterait peut-être le commandement mais n'aurait aucun effet politique, économique et social *tant que l*'*administration et le gouvernement seront confondus.* Les séparer le plus possible est une des premières tâches à entreprendre pour réformer l'État.
Henri CHARLIER.
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### Notes critiques
#### Histoire de la Démocratie chrétienne
Ce livre de M. Maurice Vaussard, malgré diverses qualités, est navrant et inquiétant.
Navrant, parce qu'un ouvrage qui se veut historique pourrait être serein. M. Vaussard, au contraire, s'efforce de ranimer jusqu'aux plus anciennes, aux plus féroces, aux plus mal engagées des querelles qui ont divisé les catholiques. Son livre est rédigé de manière à rendre impossible tout dialogue au sujet de la démocratie chrétienne. Les catholiques qui ne sont pas démocrates sont décrits en termes injurieux, comme de mauvais chrétiens, appartenant à la « coterie intégriste » ou influencés par elle, comme des « dénonciateurs » dont les « mobiles » ne sont pas « louables », comme des « rétrogrades », etc. (pp. 14, 75 et *passim*)*.*
Il est de fait pourtant que les démocrates chrétiens ont été et demeurent en France une petite minorité parmi les catholiques. Le P. Avril, dans ses déclarations à *Témoignage chrétien* du 18 novembre 1955, a fortement marqué l'indiscutable réalité de cette situation. M. Vaussard n'y contredit pas. Or, si cette petite minorité entend traiter systématiquement la grande majorité des catholiques, comme le fait M. Vaussard jusque dans un livre d'histoire, par le mépris, l'invective, l'ostracisme, il faut bien lui faire remarquer qu'elle n'agit ni selon la Charité ni selon la loi du nombre : elle n'est ni démocrate ni chrétienne en cela. Elle use et elle abuse du fait que dans l'édition, dans les organisations et dans la presse catholiques, elle occupe, bien que minoritaire, la plupart des postes de commande et des fonctions honorifiques. Elle détient les clefs matérielles à la fois de l'influence, du prestige et de la publicité. Malgré quoi elle reste minoritaire. Est-ce par dépit qu'alors elle se conduit avec tant de violence et si peu de justice ?
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Le cas de M. Maurice Vaussard pose un problème psychologique. Il se montre, souvent avec talent, pénétrant et compréhensif à l'égard d'à peu près tous les hommes, toutes les familles spirituelles, tous les courants d'idées, tous les événements, *sauf* ceux qui relèvent du catholicisme non démocratique. Cette *exception unique* est aussi remarquable qu'affligeante. M. Vaussard a parfaitement le droit de penser que la majorité de ses frères catholiques se trompent depuis cinquante ou cent ans. Raison de plus pour comprendre leur pensée et ne pas systématiquement caricaturer ou diffamer leurs « mobiles » et les positions.
\*\*\*
Il faudra bien en venir à un dialogue, à un vrai dialogue entre catholiques sur la démocratie chrétienne. Sur ce sujet, nous avons eu jusqu'ici beaucoup (trop) de querelles ; et s'il peut y avoir de bonnes querelles, celles-ci ont été *mal engagées de part et d'autre.*
Disons « droite » et « gauche » pour la commodité de l'expression. Nous dirons alors que le tort de la droite a été de considérer toute forme de démocratie politique comme une hérésie et de ne pas comprendre que la forme démocratique du gouvernement *peut être,* mais n'est pas *de soi* incompatible avec la doctrine catholique.
Le tort de la gauche a été de « bloquer » ensemble démocratie chrétienne et catholicisme social, comme si la première était la traduction obligatoire, la seule traduction possible du second.
Je schématise et j'abrège ; mon propos n'est ici que d'indiquer une direction pour le dialogue à venir. Mais je vois bien qu'un tel dialogue n'intéresse pas M. Vaussard, qui dans son livre en ferme jusqu'à la possibilité. *On ne parle pas* avec un catholique non démocrate : on l'injurie et on l'exclut. J'espère que M. Vaussard ne l'a pas délibérément voulu ; mais il l'a fait. S'en rend-il compte ?
\*\*\*
D'emblée (p. 7) la démocratie chrétienne est définie par M. Vaussard comme un « *essai d'insertion dans la vie publique de l'esprit de l'Évangile et des principes moraux par l'Église catholique.* » Ce serait vrai au sens, au seul sens que Léon XIII voulait attribuer à « démocratie chrétienne » dans l'Encyclique *Graves de communi* (pp. 14, 21, 22) : une démocratie chrétienne qui n'aurait « *aucun sens politique* » et serait, essentiellement et seulement, une *action populaire chrétienne.*
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M. Vaussard a correctement posé la question en remontant à cette origine-là, à l'Encyclique *Graves de communi.* Mais aussitôt il l'escamote, probablement parce qu'il ne l'aperçoit pas. Il se montre constamment attentif à « l'effort pour donner du catholicisme une traduction sociale », mais il n'est attentif en règle générale que si cette traduction est démocratique. Quand d'aventure il consent à apercevoir un « légitimiste » parmi les « précurseurs du catholicisme social », comme Villeneuve-Bargemont (pp. 26-27), il est à peine juste pour lui.
Si M. Vaussard était plus disposé au dialogue, nous lui soumettrions les propositions suivantes : 1. -- le catholicisme peut donner sa « traduction sociale » indépendamment de la forme du gouvernement, démocratique ou non, à la seule condition que cette forme de gouvernement ne viole pas le droit naturel ; 2. -- on peut être « catholique social » aussi bien en n'étant pas démocrate qu'en l'étant ; 3. -- on peut travailler au développement du catholicisme social dans le cadre d'un régime démocratique sans qu'il soit nécessaire d'être soi-même démocrate ; 4. -- on peut également être un bon artisan du catholicisme social tout en travaillant d'autre part, selon les moyens conformes à l'honnêteté et à la morale, soit à une réforme profonde du régime existant, soit à son remplacement par un régime moins démocratique ou même radicalement non-démocratique.
Je ne dis pas que ces propositions s'imposent d'elles-mêmes dans l'état actuel des esprits. Je dis seulement qu'il vaudrait mieux les examiner, et en discuter sérieusement, dans un esprit de dialogue et de compréhension, plutôt que d'exclure de tout débat, comme « rétrogrades » et « intégristes », ceux qui les avancent.
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M. Vaussard passe à côté de ce problème fondamental. (Fondamental parce que, autour de telles propositions, les catholiques peuvent se réconcilier ; non pas être ramenés à une unité politique absolue : mais ramener leurs divergences politiques à leur place réelle, et se mettre ainsi en mesure de *supporter* fraternellement -- et peut-être de comprendre ces divergences.).
Si M. Vaussard passe à côté du problème, c'est parce qu'il traite avec beaucoup trop de légèreté les recommandations de Léon XIII qu'il a eu pourtant le mérite et la lucidité de rappeler.
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M. Vaussard pose en principe que « *pendant la première décade du XX^e^* *siècle, la démocratie chrétienne* (est) *encore très combattue dans les milieux rétrogrades* ». Ce n'est de bonne méthode ni pour l'historien, ni pour le philosophe, ni pour le chrétien ; c'est de la polémique et non de l'histoire ; et de la mauvaise polémique.
Il note ensuite : « *Léon XIII... a accepté nettement le vocable* (*de démocratie chrétienne*)*, mais en déclarant condamnable de le détourner à un sens politique* ». Condamnable, c'est net. M. Vaussard objecte : « *C'était là, sans nul doute, réduire la portée du mouvement et les intentions de ses fondateurs, en Italie notamment, où il avait surgi en 1896 sous l'impulsion principale de l'abbé Murri*. » Sans doute. Mais la condamnation portée par le Pape est plus importante (non ?) que la portée du mouvement et les intentions des fondateurs. Ces intentions et cette portée, le Pape a précisément voulu les réduire. D'autant que l'abbé Murri rompra bientôt avec l'Église ; M. Vaussard le note (p. 14), mais en quels, termes étonnants : « *Ce sont des raisons d'un autre ordre, l'adhésion qu'il donnera au modernisme de Loisy et de Tynell, qui motiveront la rupture de Murri avec l'Église, nullement son programme politico-social* ». C'est esquiver bien commodément la question des contaminations modernistes subies par la démocratie chrétienne.
Mais voici qui est plus singulier encore. M. Vaussard croit pouvoir écrire (p. 14) : « *Le fait que le Pape eût accepté une dénomination alors si controversée n'en constitue pas moins une victoire de principe pour la démocratie chrétienne* ». Ainsi, quand le Pape condamne l'emploi de « démocratie chrétienne » en un sens politique, c'est une *victoire*, et une victoire de principe, pour la démocratie chrétienne politique ? Avec de tels escamotages, il est fatal que l'on paisse à côté des problèmes.
Plus loin (p. 21), M. Vaussard assure : « *La démocratie chrétienne possède une charte précisant ses droits et ses limites... c'est l'encyclique* Graves de communi ». Et il ajoute (à bon droit dans cette perspective) : « *Il est clair que la démocratie chrétienne se confond avec le catholicisme social* ».
Mais la conséquence immédiate est la suivante : quand la démocratie chrétienne ne reste pas à l'intérieur des « limites » fixées par *Graves de communi*, quand elle devient *politique* alors *elle ne se confond plus* avec le catholicisme social. Cela ne signifie pas que, nécessairement, elle le contredit pour autant, comme l'ont prétendu des adversaires trop pressés. Cela signifie simplement que la question est posée. La démocratie chrétienne politique *peut* soit être fidèle au catholicisme social, soit le contredire. Elle peut le contredire partiellement et y être fidèle dans une autre partie. Elle n'est plus *une seule et même chose* que le catholicisme social.
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Or M. Vaussard, *pratiquement,* dans tout son ouvrage, fait *comme si* l'identification entre catholicisme social et démocratie chrétienne était maintenue, *en droit et en fait,* même après que la démocratie chrétienne se soit évadée des « limites » imposées par *Graves de communi.* C'est là sans doute ce qui l'entraîne à rédiger toute son « histoire » dans un esprit de violente querelle à l'égard de la majorité des catholiques français d'hier et d'aujourd'hui.
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Il y a plus grave encore : cette « histoire » est rédigée dans un esprit de querelle à l'égard d'un Pape, le Pape Pie X, qui est justement le seul Pape de l'époque contemporaine que l'Église ait canonisé. Sans doute cela a-t-il une signification.
Si l'histoire de M. Vaussard avait paru avant la canonisation, on aurait pu parler de la malchance de l'historien et de son erreur de jugement : il s'en prend à un Pape, et c'est justement celui-là, le seul, qui sera canonisé. Mais l'histoire a paru après la canonisation. M. Vaussard y reste insensible, à moins que son esprit de querelle à l'égard de Pie X n'en ait été que renforcé. La *Lettre sur le Sillon* est escamotée en une page (p. 75) ; *aucune* des raisons doctrinales exposées par Pie X n'est rapportée par l' « historien » ni seulement évoquée. Le lecteur d'une telle « histoire » est radicalement condamné à l'ignorance là-dessus. *L'histoire de la démocratie chrétienne* se trouve amputée de ce *fait historique essentiel.* M. Vaussard nous dit seulement que la lettre de Pie X témoigne d'une « *exagération manifeste* »*,* et il ajoute simplement que *le Sillon* « *devait fatalement inquiéter tous ces représentants de l'autorité religieuse soucieux de maintenir en serre chaude et sous leur contrôle exclusif la jeunesse catholique* »*.* C'est tout, ce qui est vraiment bien peu pour nous renseigner sur le contenu de la Lettre de Pie X, mais ce qui est beaucoup trop, et plus que trop, à l'égard d'un Pape qui vient d'être canonisé par le Souverain Pontife actuellement régnant. Si M. Vaussard croyait avoir des critiques à faire à Pie X, et s'il croyait devoir les exprimer publiquement, il aurait pu d'abord traiter Pie X *honnêtement, --* avec cette honnêteté qui est due déjà à la plus humble des personnes privées : il aurait pu rapporter exactement sa pensée au lieu de la caricaturer ; ensuite, il aurait pu *au moins* exprimer ses critiques d'une autre manière et sur un autre ton. Son ton et sa manière de la page 75 sont une véritable provocation.
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Une provocation fort bien accueillie, hélas, dans la plupart des journaux catholiques français, c'est un fait. C'est un fait que les journaux et journalistes catholiques qui trouvent quasiment sacrilège, et le disent très haut, la moindre objection faite à eux-mêmes, accueillent très bien le livre qui contient cette provocante querelle contre Saint Pie X. Ils recommandent le livre de M. Vaussard. ([^21]) Les jeunes catholiques, sur cette recommandation explicite, iront le lire ; ils y apprendront ce qu'il faut « historiquement » penser de Saint Pie X ; et s'ils en viennent tout naturellement à se demander comment le Souverain Pontife actuellement régnant a pu canoniser un tel Pape, eh ! bien, tant pis (ou peut-être : tant mieux ?).
Oui, tout cela est navrant, mais tout cela est, aussi, scandaleux, et Profondément inquiétant. Il y a là une opposition délibérée, avouée, ouverte à la Papauté, une opposition qui s'affiche, cynique et provocante. M. Maurice Vaussard, ou son éditeur, a fait inscrire à l'avant-dernière page de la couverture les titres de cet « historien ». Il est depuis 1920 membre de la Commission générale des Semaines sociales de France. Il est vice-président de la section française de *Pax Christi.* (Il est donc « mandaté » ? Mais il reste, tout de même, moins *mandaté* que le Souverain Pontife). Cela aussi est profondément inquiétant. Un homme qui répand de telles idées, dans un tel esprit, *a été et il est toujours* chargé de responsabilités importantes dans les organisations catholiques : quel rapport y a-t-il entre ses responsabilités et ses idées ?
Et peut-on trouver normal qu'il invoque ces responsabilités, qu'il se pare de ses titres, qu'il les fasse mentionner comme caution, sur un ouvrage aussi querelleur et aussi injuste à l'égard de Saint Pie X ? ([^22])
\*\*\*
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Après tout cela, on comprend que le cœur nous manque pour suivre encore la pensée de M. Vaussard, qui est pourtant pénétrante parfois (par exemple au sujet de la guerre de 1914), et pour marquer notre accord ou notre désaccord sur des points qui, fort intéressants en eux-mêmes, deviennent secondaires à côté de ce que nous avons relevé. Nous voyons bien au demeurant que cet « historien » se moque de son lecteur quand il écrit (p. 121) :
« *Au Viêt-Nam nous avions pour interlocuteur en Ho Chi Minh un homme qui avait déjà fait adhésion au communisme mais dont en* 1944 *les liens avec Moscou et avec la Chine étaient loin d'avoir le degré d'étroitesse qu'ils devaient acquérir par la suite.* »
La biographie d'Ho Chi Minh est pourtant connue avec assez de précision (voir notamment le supplément au B.E.I.P.I. du 1^er^ mai 1953) pour qu'un « historien » ne puisse plus être excusable d'ignorer qu'il s'agit d'un très ancien agent de l'appareil soviétique*, fabriqué* et tenu par cet appareil, formé dès 1923 dans les écoles spéciales de Moscou, et que depuis 1923 il n'a jamais rien fait d'autre que d'obéir aux ordres de l'appareil.
Après tout, ce n'est là qu'un détail, mais sur ce détail faux M. Vaussard n'hésite pas à construire toute une politique à l'égard de l'Indochine. On voit la méthode... Nous sommes inclinés à penser que M. Vaussard est un esprit brillant et doué, mais qu'en lui l'historien, le sociologue, le politique et le démocrate chrétien sont également légers et partisans. Nous ne lui en tiendrions pas autrement rigueur si son livre ne tenait sa place dans le chœur qui empêche les catholiques français de comprendre et de méditer les leçons que l'Église a voulu donner au monde contemporain par la canonisation de Pie X.
J. M.
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#### Le Sacré-Cœur
LE CHRISTIANISME est toujours branlant et persécuté. Pas de génération qui n'ait l'occasion d'en savoir quelque chose. Depuis le début du siècle nous avons vu l'Église dépouillée, ses pauvres volés, les religieux chassés, en France d'abord, il ne faut pas l'oublier pour mesurer la responsabilité des Français ; et c'est un grand châtiment pour la France d'être gouvernée par des gens prêts à recommencer. Les Russes ont pris la relève, puis le Mexique, l'Espagne ensuite, aujourd'hui la Chine et le Vietnam du Nord. Enfin, les chrétiens eux-mêmes se détachent trop facilement, non des dogmes eux-mêmes, mais des mœurs chrétiennes. Les nations dites chrétiennes, par la force d'une tradition séculaire, gardent encore un fond d'habitudes venues du christianisme. Toutes les mamans transmettent à leurs petits enfants des manières d'être chères à leur cœur, même si elles n'en savent pas l'origine, et la société dite occidentale repose sans bien le savoir sur une distinction fondamentale qu'elle tient du Christ, la séparation du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel et leur indépendance réciproque : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »
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Partout ailleurs, au nom de l'unité nationale et de l'État totalitaire cette distinction est attaquée comme elle le fut par Néron. Tous les gouvernements d'inspiration païenne veulent nationaliser l'Église, quand ils ne peuvent la supprimer, pour abolir cette distinction essentielle. Chez nous elle est attaquée hypocritement au nom de la liberté, car, dit saint Pierre (I, II, 16) « Il y a des hommes qui se font de la liberté un manteau pour couvrir leur malice ». Or cette distinction et l'existence d'une Église indépendante des gouvernements nationaux est le seul garant d'une véritable liberté. Pour les citoyens c'est la seule défense ; le seul appui de leur conscience, c'est le pouvoir qu'a l'Église de les enseigner. La société occidentale est aveuglée par sa passion de ne pas avoir à compter avec un pouvoir moral indépendant ; elle fait ce qu'elle peut pour s'en débarrasser, mais ce faisant elle se débarrasse en même temps, du même geste, des conditions naturelles de toute société normale, en dissociant la famine, le métier, le canton, la province. La société surnaturelle qu'est l'Église, au contraire, protège en les ennoblissant les sociétés naturelles fondamentales, tandis que l'État essaye d'imposer son enseignement à une société dissoute en individus isolés ne dépendant que de lui ; les lois actuellement en gestation sur la « retraite des vieux » en enlevant aux enfants le souci de leurs parents, contribuent à détruire la famille. La métaphysique de l'État est là par derrière, et cette métaphysique ne peut être que le matérialisme ou le scepticisme.
POURTANT, Dieu est tout puissant, et Il laisse ainsi faire. Et la grâce de Dieu peut tout ; elle le montre, car elle choisit souvent les plus grands pécheurs et les plus misérables pour en faire les joyaux de sa couronne. « *Les hommes que Dieu veut avoir,* dit Péguy (*Clio,* p. 170), *il les a.*
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*Les peuples que Dieu veut avoir, il les a. Les humanités que Dieu veut avoir, il les a. L'humanité que Jésus a voulu avoir, la grâce de Dieu l'a donnée à Jésus. Quand la grâce ne vient pas droit, c'est qu'elle vient de travers. Quand elle ne vient pas à droite, c'est qu'elle vient à gauche. Quand elle ne vient pas droite, c'est qu'elle vient courbe, et quand elle ne vient pas courbe, c'est qu'elle vient brisée. Il faut se méfier de la grâce, dit l'histoire. Quand elle veut avoir un être, elle l'a. Quand elle veut avoir une créature, elle l'a. Elle ne prend pas les mêmes chemins que nous. Elle prend les chemins qu'elle veut. Elle ne prend même pas les mêmes chemins qu'elle-même. Elle ne prend jamais deux fois le même chemin. Elle est peut-être libre, dit l'histoire, elle est la source de toute liberté.* »
La grâce est si bien libre que malgré les persécutions et les désastres, l'Église s'étend toujours davantage sur la terre, car suivant la parole de Tertullien, le sang des martyrs est semence de chrétiens ; elle s'enrichit tous les jours d'un trésor d'âmes incomparable qui fait l'équilibre voulu par Dieu aux ignorances et aux misères du reste des hommes.
Il y a donc dans les souffrances de la chrétienté une vue providentielle de sa mission sur la terre. L'Église militante combat sur la terre comme a combattu Jésus par la prière et par la Croix. Comme a souffert Jésus, l'Église souffrira. Par où est passé Jésus, l'Église passera, et l'Église, ce n'est pas une administration qui nous demande des sous, l'Église, c'est nous-mêmes, et l'Église, c'est le Christ.
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« *L'Église, c'est Jésus-Christ,* dit Bossuet, *mais Jésus-Christ répandu et communiqué.* »* *Ce n'est point là une image, un symbole, mais une réalité. Quand saint Paul persécute l'Église, le Christ lui apparaît ; Il ne lui dit pas : « Tu persécutes mon Église » mais : « Je suis Jésus que tu persécutes. » Saint Paul a compris ; il prêche désormais l'union au Christ : « Ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ et chacun en particulier, nous sommes membres les uns des autres » (Rom. XII). « Il est la tête du corps de l'Église, lui qui est le principe, le premier né d'entre les morts, afin qu'en toute chose Il tienne, Lui la première place, car Dieu a voulu que toute plénitude habitât en Lui » (Eph. I, 20). La plénitude de l'être dans la nature et dans la grâce. Et pour dire avec force ces choses nouvelles, saint Paul forge des mots. Il leur ajoute la préposition *sun, avec,* si bien qu'au lieu de traduire : « Je suis crucifié avec le Christ et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi », nous devrions dire : je suis *concrucifié* au Christ, nous sommes co-vivants, co-ensevelis dans le baptême, co-ressuscités. Et les Pères l'ont répété. Saint Jean Chrysostome écrit : « Il en vient à faire une seule masse avec nous, et cela non par la foi seulement, mais en toute réalité il fait de nous son corps. » Et saint Ambroise : « Nous ne vivons plus notre vie, nous vivons le Christ. »
On voit de quel mystère fondamental se privent les soi-disant chrétiens qui rejettent l'Eucharistie et les sacrements. La conséquence de ce mystère est qu'il faut prendre, la Croix et suivre Jésus. Notre-Seigneur l'a dit si fortement qu'on ne devait pas avoir besoin de le répéter : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi » ; et saint Paul, écrivant aux Colossiens (I, 24) leur dit : « Maintenant, je me réjouis de souffrir pour vous et je complète dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l'Église ». Comment s'étonner de voir l'Église souffrir constamment de ses péchés d'abord, et de la persécution ? Il en sera ainsi jusqu'à la fin des temps.
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C'EST POURQUOI Notre-Seigneur, par ses saints et par le magistère de l'Église a voulu rappeler au monde chrétien ce qu'est sa vie intime au sein de son corps ecclésial. La dévotion au Sacré Cœur est la dévotion d'amour à l'Amour pénitent, qui par un mystère ineffable, continue dans, pour et par ses membres, la vie de sacrifice qu'il inaugura par l'Incarnation. Ce n'est point une nouveauté, mais une illumination, car dans l'Évangile, Notre-Seigneur, qui pleurait sur le sort de Jérusalem et sur celui de ses compatriotes qu'il aimait, nous a parlé de son Cœur : « Venez à moi, vous tous qui êtes las et trop chargés, et je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et recevez mes leçons, car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est bénin et mon fardeau léger. » Tout est léger à l'amour ; cette douceur du Cœur de Jésus, c'est cet amour, qui après lui avoir fait créer l'homme, lui a fait prendre notre nature. Mais votre humilité, ô Sauveur, serait plus mystérieuse si elle ne devait être le secret de la nôtre. Tout puissant et humble ; n'est-ce pas étonnant ? Faire voir les aveugles, parler les muets et demeurer humble ! Ressusciter les morts et rester humble ? Mais votre âme d'homme, ô Jésus, en tout semblable à notre âme, sauf le péché, était unie substantiellement à Dieu ; elle se sentait comme anéantie dans la puissance divine ; votre âme d'homme se sentait dans un état d'humilité effrayant pour nous d'être unie à Dieu même, et cette humilité était de tous les instants puisqu'à tout instant, sans discontinuité, ni diminution, ni faiblesse, cette présence divine était unie à votre âme, puisqu'elle était Vous-même, Dieu et homme. Or Dieu est présent en tout homme comme source de son être. Pour l'œil de l'âme il n'est point de créature qui ne porte sur elle quelque trace de Dieu, quelque marque divine.
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Combien autrement et combien plus pour les chrétiens qui sont membres du Christ et temples du Saint-Esprit ! « Je vous salue, s'écriait sainte Gertrude, Sacré Cœur de Jésus, source vive et vivifiante de la vie éternelle, trésor infini de la divinité, fournaise ardente du divin amour, vous êtes le lieu de mon repos et mon asile... » Notre humilité devrait dépasser celle des païens autant que le ciel domine la terre. Elle doit être fondée sur la présence de Dieu, à l'image de celle du Cœur de Jésus, humble devant son Père, et qui mendie notre amour.
Aussi, la dévotion au Sacré Cœur, non sentimentale, fut-elle toujours ferme et virile et portée à la pénitence, puisque Jésus fut, toute sa vie, pour nous racheter, l'Amour pénitent ; et elle demeure jusqu'à la fin des temps dans le saint sacrifice de la messe, comme dans les âmes de ses membres qu'il s'est assimilées.
Et par une conséquence normale, fondée sur l'histoire de notre rachat, c'est l'heure sainte de l'agonie de Notre-Seigneur qui est la dévotion essentielle du culte du Sacré Cœur, car si, par tout l'Évangile nous voyons affirmer la réalité de votre nature humaine, votre liberté et votre amour des hommes, ô Jésus, c'est au jardin des olives que votre liberté d'homme se manifeste avec le plus d'évidence en face des plus durs sacrifices, de la plus douloureuse pénitence chez un innocent, dans une agonie rigoureusement amoureuse supportée pour nous.
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Notre-Seigneur déclarait à Marguerite-Marie : « C'est ici où j'ai plus souffert qu'en tout le reste de ma Passion, me voyant dans un délaissement général du ciel et de la terre, chargé de tous les péchés des hommes. J'ai paru devant la sainteté de Dieu, qui sans avoir égard à mon innocence, m'a froissé en sa fureur, me faisant boire le calice qui contenait tout le fiel et l'amertume de sa juste indignation, et comme s'il eût oublié le nom de Père. Il n'y a point de créature qui puisse comprendre la grandeur des tourments dont je souffris alors. »
Qu'est-ce que l'un de nous dans l'immensité des mondes parmi la multitude des hommes ? Mais Dieu est en nous et la conscience nous en a été donnée, c'est là notre unique et vrai trésor. Jésus s'applique à nous le faire comprendre dans la vie de son Cœur, parce que ce trésor est aussi le sien : Dieu est en lui et lui-même. Il accomplit la parole de Jérémie (XXX, 21) : « Je le ferai venir et il s'approchera de moi, car quel est l'homme qui disposerait son cœur de manière à s'approcher de moi ? » Jésus accomplit de même cette parole du psaume invitatoire : « Venez adorer ; prosternons-nous devant Dieu et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits. C'est Lui notre Dieu, nous sommes son peuple et les brebis de son pâturage. »
Voici le texte d'un petit opuscule publié du vivant de Marguerite-Marie par une de ses sœurs en religion et sur les indications de la sainte. Il est pratique et simple. Toute vie spirituelle commence, continue et finit par la présence de Dieu ; le « Divin Rendez-vous » peut en être le début pour les âmes bien intentionnées, mais à qui la simplicité de la vie spirituelle n'a pas été dévoilée.
**Le divin rendez-vous**
« *Les Associés de l'Adoration perpétuelle du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ sont invités à se trouver tous les jours ensemble, sur les neuf heures du matin ou sur les quatre heures du soir, dans ce Sacré-Cœur, comme dans un divin rendez-vous, pour y rendre leurs hommages, chacun suivant son attrait, et la mesure de sa grâce : les uns pleureront leurs péchés ;*
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*les autres brûleront de l'amour de Dieu, les autres adoreront par ce seul et unique adorateur, pour ceux qui ne connaissent et n'adorent point Dieu ; d'autres chanteront les louanges divines, par ce cœur adorable, en réparation de toutes les injures et les outrages des pécheurs ; d'autres s'uniront à la très sainte Vierge, à saint Joseph, aux saints Anges ou à d'autres Saints pour glorifier et aimer Dieu par son Fils unique : tous s'uniront à aimer et prier les uns pour les autres, et dans l'union de ce Sacré-Cœur, prieront pour les nécessités de la Sainte Église, pour la prospérité des nations chrétiennes, et pour l'entière victoire de ce divin Cœur sur ses ennemis.* »
Dieu sait se mettre au niveau de chacun de ceux qu'il a créés. La vie spirituelle n'est pas « *une entreprise aride et contractée* ». La Sagesse divine déclare (Prov. IX, 4) : « Que celui qui est simple entre ici. » Dieu n'exige ni intelligence ni savoir de ceux à qui il n'a pas donné la possibilité d'en acquérir. Il y a dans le ciel une multitude d'illettrés qui n'ont jamais eu la possibilité de lire eux-même l'Évangile ; mais qui ont vécu des sacrements et pratiqué l'union à Dieu. François Villon a laissé une peinture immortelle de l'état d'âme de ces chrétiens si humbles, comme nous souhaitons de devenir, dans la *Ballade que Villon feit à la requeste de sa Mère pour prier Notre-Dame *:
A vostre Filz distes que je suis sienne,
.........
Femme ie suis povrette et ancienne,
Qui rien ne sçay, oncques lettre ne leuz.
.........
Car Dieu se donne lui-même et fournit au petit enfant sans malice, au dernier des hommes, la possibilité de le recevoir et de vivre en sa présence. Et cela est même plus facile le balai à la main ou sur un ouvrage de couture, en piochant les vignes, en suivant sa charrue, ce qui occupe peu l'esprit, qu'en compulsant une concordance, en collationnant de vieux manuscrits ou organisant une kermesse (quel est ce nouvel office ? me disait un bon chrétien).
58:4
Notre légèreté seule nous rend inattentifs à cette présence de Dieu en nous comme Créateur et comme Sauveur. Il suffit de se répéter tout le long du jour les effusions des grandes âmes et des Anges : mon Jésus, ou *Ô beata trinitas,* ou *gloria patri...* ou je vous salue Marie... ou telle autre qu'inventera notre amour.
Offrons donc à Dieu ce Cœur si tendre et si pur, chargé et surchargé d'amour, de mérites, de gloire et d'humilité pour obtenir à nos cœurs qui ne valent rien, rien, rien, quelque chose de cet humble amour qui est Dieu.
Et si nous ne prenons le chemin de l'amour, nous nous trouverons comme Jésus même lors de son agonie, mais sans innocence devant la sainteté de justice, car voici la fin de la citation de Jérémie : « Le feu de la colère de Dieu ne retournera pas en arrière qu'il n'ait agi et réalisé les desseins de son Cœur. A la fin des temps, vous comprendrez. »
D. MINIMUS.
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## ENQUÊTE
### Le Nationalisme français
L'article de Marcel Clément, *Pie XII et le nationalisme*, paru dans ITINÉRAIRES de mai, est proposé à l'examen des écrivains politiques de la droite française et des écrivains catholiques qui étudient les problèmes politiques.
Les premiers ne sont pas tous catholiques : les seconds sont loin d'être tous « de droite ». Aux uns et aux autres, nous demandons leur avis sur les positions exprimées par Marcel Clément. Nous attendons de cette enquête un inventaire des positions actuelles à l'égard d'un nationalisme, et peut-être un progrès de la réflexion en un moment où la nation française elle-même est mise en question.
\*\*\*
Dès aujourd'hui, nous croyons utile de remettre sous les yeux de nos lecteurs les passages du Message de Noël 1954 qui concernent le nationalisme. On aura d'ailleurs intérêt à replacer ces passages dans leur contexte en se reportant au texte complet du Message, que l'on trouvera notamment dans la DOCUMENTATION CATHOLIQUE du 23 janvier 1955.
« ...Les récents accords qui ont, croit-on, ouvert la voie à la paix froide ([^23]), n'ont plus comme base l'idéal d'une plus large unification européenne. Beaucoup estiment, en effet, que la haute politique s'oriente à nouveau vers un type d'État nationaliste, fermé sur lui-même concentrant ses forces, et instable dans le choix de ses alliances, qui, de ce fait, n'est pas moins pernicieux que celui qui fut en honneur au siècle dernier.
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On a trop vite oublié l'énorme accumulation de sacrifices de vies et de biens extorqués par ce type d'État, ainsi que les charges économiques et spirituelles écrasantes qu'il imposait.
Mais le fond de l'erreur consiste à confondre la vie nationale au sens propre avec la politique nationaliste : la première, droit et gloire d'un peuple, peut et doit être développée ; la seconde, source de maux infinis, ne sera jamais assez rejetée.
La vie nationale est, de sa nature, l'ensemble actif de toutes les valeurs de civilisation qui sont propres à un groupe déterminé, le caractérisent et constituent comme le lien de son unité spirituelle. Elle enrichit en même temps, par sa contribution propret la culture de toute l'humanité. Dans son essence, par conséquent, la vie nationale est quelque chose de non politique ; c'est si vrai que, comme le démontrent l'histoire et l'expérience, elle peut se développer côte à côte avec d'autres, au sein d'un même État, comme elle peut aussi s'étendre au-delà des frontières politiques de celui-ci. La vie nationale ne devint un principe dissolvant pour la communauté des peuples que lorsqu'elle commença à être exploitée comme moyen pour des fins politiques, à savoir quand l'État dominateur et centralisateur fit de la nationalité la base de sa force d'expansion. On eut alors l'État nationaliste, germe de rivalité et source de discordes.
......
Qu'on ne vienne pas nous dire que dans les circonstances nouvelles le dynamisme de l'État nationaliste ne représente plus un péril pour les autres peuples, du fait qu'il est privé, dans la majorité des cas, d'une véritable force économique et militaire ; en effet, le dynamisme d'une imaginaire puissance nationaliste, même exprimé par des sentiments plus que manifesté par des actes, choque également les esprits, alimente la méfiance et le soupçon dans les alliances, et il empêche la compréhension réciproque et par suite la collaboration loyale et l'aide mutuelle, ni plus ni moins que s'il était appuyé sur une effective puissance.
......
L'Europe attend encore que se réveille sa propre conscience. Entre temps, pour ce qu'elle représente comme sagesse et organisation de vie associée et comme influence de culture, elle semble perdre du terrain en bien des régions de la terre. En vérité, un tel repli regarde les fauteurs de la politique nationaliste, qui sont contraints de reculer devant des adversaires ayant adopté leurs propres méthodes.
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En particulier chez quelques peuples considérés jusqu'à présent comme coloniaux, le processus d'évolution vers l'autonomie politique, que l'Europe aurait dû guider avec prévoyance et attention, s'est rapidement transformé en explosions de nationalisme avide de puissance. Il faut avouer que ces incendies imprévus, au détriment du prestige et des intérêts de l'Europe, sont, au moins partiellement, le fruit de son mauvais exemple. »
62:4
## DOCUMENTS
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### La traite des blanches en France
*Des chiffres ont été produits : chaque jour, en France, 34 personnes disparaissent sans laisser de traces et ne sont jamais retrouvées. Cela fait chaque année l'équivalent d'une ville de 12.000 habitants. Et il s'agit de personnes qui disparaissent contre leur gré : jeunes femmes, jeunes filles, et aussi jeunes garçons, enlevés pour alimenter le marché international de la prostitution. Mme Francine Lefebvre a posé la question à l'Assemblée nationale* (*16 mars 1956*)*, et à sa suite quelques rares journaux ont informé le public : le* BULLETIN DE PARIS (*22 mars*)*,* COMBAT (*3 avril*)*, la* VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE (*15 avril*)*.*
*Plusieurs œuvres catholiques travaillent depuis des années contre ce fléau. Elles ont un secrétariat de liaison, le S.L.O.C.E.F., 11, rue Perronet, à Paris VII^e^.*
*Le difficile est d'alerter l'opinion. Les marchands d'esclaves ont une influence considérable dans certains milieux politiques, d'énormes possibilités financières qui leur assurent le silence de beaucoup de journaux, sans parler de moyens de pression plus directs et plus brutaux. Les pouvoirs publics nient officiellement une réalité dont l'ampleur effroyable est attestée par les statistiques de leurs propres services.*
*A quoi s'ajoutent l'indifférence des uns et l'incrédulité* (*partielle ou totale*) *des autres. La* VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE*, comme on le verra plus loin, minimise les proportions réellement gigantesques du trafic en France des marchands d'esclaves.*
64:4
*D'autres ne croient pas qu'il soit seulement possible de livrer* contre leur gré*, pour toujours, des femmes à la prostitution.*
*C'est là le premier point qu'il importe de faire connaître.*
#### Livrées de force à la prostitution
*Le S.L.O.C.E.F. dispose d'une documentation propre à lever tous les doutes et à éclairer, pour le cas où ils ne le seraient point, les pouvoirs publics sur la manière dont procèdent les marchands d'esclaves.*
*Voici un cas :*
Jeanne B..., 19 ans, sans travail, fait la connaissance d'une autre chômeuse ou soi-disant telle, qui lui indique une excellente place à Oran. Voyage payé, accueil charmant. Mais, le soir même, sans qu'elle s'en doute, on la fait boire avec de la drogue, et on la livre toute la nuit à plusieurs hommes : le métier commence. Quatre ans après, le tenancier la revend au Maroc. Peu après, elle échoue à l'hôpital de Marrakech.
*Un autre cas* (*extrait, comme le précédent et comme le suivant, de la documentation du* *S.L.O.C.E.F.*)* :*
Odette C..., divorcée avec un bébé, travaille normalement dans un restaurant de L... Un client lui fait la cour, parle mariage et lui trouve une place merveilleuse à l'autre bout de la France, dans une ville de garnison. Au bout de quelques jours, après lui avoir fait fumer des cigarettes à l'opium, *et sous menace contre le bébé,* il l'oblige à faire le trottoir. Désormais elle sera sa chose et devra lui remettre ses gains. Après quelques semaines, comme elle manque de cran pour le racolage, il la place en maison close. Elle ne peut en sortir qu'après la loi de 1946. Mais elle a beaucoup de mal à ne pas retomber sous la griffe de son ancien souteneur.
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*Autre cas *:
Madeleine H..., 17 ans, échoue à un examen de secrétaire.
A la sortie de l'école, elle pleure sur un banc, avec une camarade qui a réussi. Une « mère de famille très bien » s'approche, explique que sa fille, étudiante, a les mêmes ennuis, et la persuade de venir la voir. Le « mari » de la dame est justement là en voiture, et on embarque la petite... Trois jours après, la radio donnait son signalement. On la retrouvera dans dix ou vingt ans, quand elle aura été chassée comme impropre, si elle était vendue à une tenancière, ou quand elle aura été « *réformée* » par l'autorité militaire, si elle a servi dans les casernes.
*Voici un cas rapporté par le* BULLETIN DE PARIS (*22* mars) :
Tout récemment des Parisiens furent témoins d'une scène bien étrange. Ils attendaient l'autobus à l'angle de la rue Jouffroy et de l'avenue de Villiers. Une jeune fille d'aspect sage et rangé était parmi eux. Elle ne le resta pas longtemps. Le temps qu'une voiture s'arrête, que deux individus en jaillissent, la jettent malgré ses cris sur la banquette arrière. La voilà partie, sous les yeux incrédules de plusieurs personnes, pour une destination inconnue.
*Et un cas rapporté par la* VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE (*15* avril) :
Une jeune fille se trouve avec sa vieille bonne chez elle dans l'appartement de sa mère. Une religieuse bouleversée survient et lui explique que sa mère vient d'avoir un accident d'automobile et a été hospitalisée à la clinique X... Elle se propose d'y conduire la jeune fille. En taxi pour aller plus vite. On ne l'a jamais revue ;
66:4
*Et encore un fait rapporté par le même journal :*
Mai 1951 : l'attention de la police avait été attirée sur un certain Ambrosino... On le prit en surveillance. A sa descente d'avion à Maison-Blanche, Ambrosino était accompagnée d'une jeune fille. Interrogatoire. La jeune fille semblait dans un état étrange... Elle révéla qu'elle avait été emmenée contre sa volonté, jetée dans une voiture, droguée et séquestrée une nuit dans un hôtel de la rue de Ponthieu. Munie de faux papiers, elle avait dû prendre l'avion à Orly, sous la surveillance d'Ambrosino. Il s'agissait d'une mineure de 18 ans. On a retrouvé trace à Blida et à Bône de sept autres femmes qui avaient mystérieusement disparu à Paris.
*Cas exceptionnels, dira-t-on, cas très rares ?*
*Hélas ! non.*
*Les estimations les plus sérieuses parlent de* 12*.*000 *enlèvements de cette sorte chaque année. Pour une seule année, le S.L.O.C.E.F. parle de* 15*.*000 *disparitions forcées.*
*La* VIE CATHOLIQUE *écrit avec raison :*
N'y aurait-il qu'une seule Française par an à être kidnappée et livrée à cet esclavage -- le pire de tous -- que déjà la publication de cet article se justifierait.
*Assurément. Mais on conçoit d'autre part que les pouvoirs publics ne puissent, à coup sûr, éviter absolument tout crime de ce genre.*
*En revanche ils pourraient certainement et en tous cas ils doivent ne pas tolérer un vaste trafic organisé qui s'empare en France de 12.000 à 15.000 personnes par an pour les envoyer sur les marchés de la prostitution de deux ou trois continents.*
*La question des chiffres est donc capitale.*
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*Nous publions sur ce point le document le plus récent et le plus important : la question orale de Mme Francine Lefebvre et la réponse du ministre de l'Intérieur, M. Gilbert Jules* (*séance de l'Assemblée nationale du* 16 *mars* 1956*,* Journal Officiel *du* 17 *mars, pages* 1014 *et suivantes*)*.*
#### L'ampleur du trafic
*La question orale de Mme Francine Lefebvre était la suivante :*
Mme Francine Lefebvre demande à M. le ministre de l'intérieur si les faits relatés dans de nombreux articles et qui sont de nature à émouvoir profondément l'opinion publique sont exacts ; à savoir que, chaque année, des milliers de femmes et de jeunes filles disparaissent pour des destinations que la police devrait parfaitement connaître. Est-il en mesure de donner un démenti ou, ce qui serait regrettable, des précisions sur ces faits ? Qu'envisage-t-il contre cette forme moderne du trafic d'esclaves, tant sur le plan intérieur que sur le plan international ?
*Et voici l'inacceptable réponse du ministre de l'Intérieur :*
Un démenti formel peut être opposé...
*On sait ce que valent les* « *démentis formels* » *des hommes qui nous gouvernent. Ou, si l'on ne le sait pas, on va le savoir avec précision.*
... à l'affirmation que plusieurs milliers de femmes ou jeunes filles disparaissent annuellement pour être dirigées, contre leur gré, vers des destinations inconnues ou, selon l'honorable parlementaire, trop connues.
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*Comme le répondra Mme Francine Lefebvre, ce sont les propres statistiques des services de son ministère que le ministre de l'Intérieur dément formellement.*
Les mesures de police prises au moment du départ dans les gares aériennes ou maritimes sont telles qu'il n'est pas possible de faire quitter la France contre son gré à qui que ce soit.
*Catégorique contre-vérité : le cas cité plus haut d'une jeune fille ayant, contre son gré, quitté la France par Orly est assez clair. Ce cas a pu être connu, et cette jeune fille délivrée, uniquement parce qu'une surveillance de police était déjà établie autour de celui qui l'emmenait.*
Le chiffre de milliers de jeunes filles ou jeunes femmes soi-disant enlevées relève de la plus haute fantaisie. Certes, la prostitution existe en Afrique du Nord ou à l'étranger et il est exact et regrettable que, parmi les prostituées, Se trouvent des Françaises.
Ce qui peut être affirmé c'est que, dans la quasi-totalité des cas, lorsque les intéressées quittent notre pays, elles le font en connaissant exactement leur destination, ce qui empêche une intervention efficace des services ; de police.
*On remarquera au passage que le ministre embrouille dans ses explications. Tout à l'heure il affirmait* IMPOSSIBLE *de faire quitter la France contre son gré à* QUI QUE CE SOIT*. Maintenant, il n'en est plus aussi sûr : il dit que la* « *quasi-totalité* » *des victimes sont consentantes et informées.*
*Et ces victimes qu'il ne peut ou ne veut protéger, il les insulte, en disant qu'elles partent consentantes.*
*Cette réponse ministérielle mérite d'être retenue par l'Histoire. Mais ce n'est pas fini :*
D'ailleurs, afin de tromper la surveillance de la police et éviter, au cours de leur voyage, des difficultés de déplacement ou d'embarquement, généralement elles souscrivent, avant leur départ, des contrats de barmaids, figurantes, mannequins de cabaret ou serveuses.
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En tout état de cause, une surveillance constante du proxénétisme est effectuée...
*Il le dit. Le croit-il ?*
... et, malgré les difficultés, des résultats substantiels ont déjà été obtenus.
*Ces prétendus résultats, on ne nous donne aucune précision à leur sujet, et pour cause. Si ces résultats existaient, véritablement* « *substantiels* »*, le ministre les aurait exposés. Les ministres n'ont pas l'habitude d'être discrets à ce point, en ce qui concerne leurs* « *réalisations substantielles* »*.*
Je puis assurer à Mme Francine Lefebvre que les efforts des services de police ne se relâcheront pas en la matière, mais, au contraire, seront accrus.
Voilà donc les explications du ministre responsable.
Mme Francine Lefebvre y fit la vigoureuse, l'irréfutable réponse que l'on lira plus loin.
Nous voulons d'abord citer, pour nous en étonner, le commentaire de la *Vie catholique illustrée* en date du 15 avril :
« Cent mille Françaises ont disparu depuis dix ans », a dit Mme Francine Lefebvre.
A quoi le ministre de l'Intérieur a répondu avec raison qu'il était impossible d'avoir là-dessus des statistiques.
Pourtant il y a un fait : il existe en France des femmes qui disparaissent. Peu importent les statistiques.
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*Mais si, les statistiques importent. Et d'abord, elles existent. Ensuite, elles permettent de savoir quelle est l'ampleur du sinistre marché, et d'avoir une idée de l'importance des organisations qui enlèvent des Françaises* (*et de jeunes Français*)*. S'agit-il de crimes isolés, difficilement réprimables, ou s'agit-il d'un trafic tellement immense qu'il suppose de toute nécessité une passivité coupable* (*sinon davantage*) *des pouvoirs publics ?*
*La* Vie catholique illustrée *prétend que le ministre a raison.*
*Mais, pour pouvoir lui donner raison, elle lui fait dire tout autre chose que ce qu'il a dit.*
*Nous avons cité plus haut, intégralement, les propos du ministre.*
*Il n'a pas dit du tout, comme le prétend la Vie catholique illustrée, qu'il serait* « *impossible d'avoir des statistiques* » *sur ce phénomène.*
*Il a, ce qui est tout différent, nié radicalement l'existence et jusqu'à la possibilité du phénomène lui-même.*
\*\*\*
*Voici maintenant le texte de la réponse faite par Mme Francine Lefebvre au ministre de l'Intérieur.*
*Réponse, nous le répétons, décisive, et écrasante.*
*Un ministre, un gouvernement, un régime, qui, sur une telle question, celle de la prostitution forcée, reçoivent une telle réponse, et ne la contestent pas, et ne peuvent pas la contester, sont un régime, un gouvernement et un ministre définitivement jugés.*
*On verra dans cette réponse que la IV^e^ République,* « *régime que la France s'est librement donné* »*, a jusqu'ici refusé de ratifier la convention internationale de 1949 contre la traite des femmes.*
*On y verra aussi que les chiffres existent, tout à fait officiels.*
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*Mme Francine Lefebvre a dit :*
Monsieur le Ministre, le démenti formel que vous avez apporté ne change malheureusement rien aux faits.
La question que je vous ai posée m'a valu un nombreux et émouvant courrier. Dans ce courrier on me cite des cas précis *et certains que vous connaissez bien, monsieur le Ministre, car des plaintes ont été déposées.*
Vous connaissez, comme moi, les méthodes employées. On peut être effaré par l'habileté de ces trafiquants.
Ces méthodes sont nombreuses. D'abord, on fait appel à la pitié et à la charité des jeunes, qui font facilement confiance à la personne âgée qui leur demande de porter un paquet ou une lettre. Vous connaissez la suite.
Des personnes de bonne foi me citent encore le procédé de l'offre de billets de théâtre à des jeunes filles. Ensuite, on ne revoit plus les jeunes filles.
Il y aussi l'enlèvement brutal. *Vous connaissez celui qui a eu lieu récemment à Paris, en plein jour.* Une jeune fille attendait à un arrêt d'autobus. Une voiture a stoppé et la jeune fille a été vivement embarquée, c'est le cas de le dire, avant que personne ait même pu réaliser ce qui venait d'être fait.
Vous connaissez aussi le procédé de l'accident provoqué à la suite duquel on ramasse la jeune femme et l'emmène ?
Mais le cas le plus fréquent est celui auquel vous avez fait allusion, celui du contrat. On peut imaginer que les jeunes filles, les jeunes femmes sont consentantes ; mais peut-être certaines ne sont-elles pas suffisamment averties.
Lorsque le contrat magnifique est fait pour un pays lointain, il est bien évident qu'on devrait se méfier. Mais il y a d'autres méthodes. On commence par appâter la victime. D'abord, on lui procure une place beaucoup mieux rétribuée que celle qu'elle occupe, par exemple sur la côte d'Azur, ce qui n'est pas très dangereux ; puis, on propose un déplacement bien payé, à Gênes. En suite de quoi c'est le silence et personne n'entend plus parler de la jeune femme.
J'ajoute, monsieur le Ministre -- *ce que vous savez, du reste --* que dans les cas qui m'ont été cités il ne s'agissait pas seulement de filles et de femmes, *mais aussi de jeunes garçons* qui avaient été l'objet de ces tentatives.
Vous avez déclaré tout à l'heure, monsieur le Ministre, que les chiffres donnés relèvent de la plus haute fantaisie. Cependant, je crois bien *qu'ils émanent du service des recherches dans l'intérêt des familles, qui dépend de votre département ministériel.*
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Voici ces chiffres, pour la période comprise entre 1945 et 1954 : personnes recherchées, 181.715 personnes retrouvées, 58.953 ; personnes disparues, 122.762. Cela donne un pourcentage assez important de disparus, *composé en grande majorité de femmes et de jeunes filles.*
Je reconnais bien volontiers, monsieur le Ministre, que la tâche de la police n'est pas facile en un tel domaine. Je vous demande cependant de donner des instructions renforcées, -- si j'ose dire -- de surveillance, de vigilance dans les gares, les aéroports, les aérodromes, partout où peuvent se faire ces enlèvements.
Je vous demande aussi *de ne pas vous opposer à la création d'un corps d'assistantes de police,* qui me paraîtraient particulièrement qualifiées pour apporter toute leur intuition, toute leur intelligence à *un dépistage qui, malheureusement, n'a pas été tenté jusqu'à présent.* (Applaudissements au centre, à droite et à l'extrême droite.)
Si l'on pouvait mettre la main sur un des maillons des chaînes de trafiquants -- *car le trafic n'est pas le fait d'individus isolés, vous le savez, monsieur le Ministre ;* certains de ces maillons ont été signalés, mais on n'est pas allé plus loin, parce que, paraît-il, on était en présence de personnes ayant des activités honnêtes -- je demanderais qu'une filature soit poursuivie aussi longtemps que nécessaire pour remonter toute la chaîne et mettre un terme à l'activité des gangsters. Surtout, il faut imaginer des méthodes de répression plus forte, impitoyable.
En 1946, la police a institué les brigades territoriales pour essayer de combattre les attaques des tractions contre les banques. Je pense que la sécurité et l'honneur des filles et des femmes de France méritent autant que la sauvegarde et sécurité des capitaux. (Applaudissements.)
Il conviendrait, monsieur le Ministre, de mener une grande campagne d'opinion par la presse, la radio. Les familles, les écoles devraient être alertées, afin que les jeunes femmes soient averties, qu'elles sachent à quels dangers elles sont constamment exposées et que cette confiance instinctive des jeunes se transforme en une méfiance raisonnée et parfaitement justifiée.
Voici, monsieur le Ministre, quelques propositions concrètes :
N'est-il pas possible de vérifier le nombre des Françaises qui vivent en Amérique du Sud, de contrôler les départs, de savoir si le nombre des arrivées coïncide avec celui des départs et, sinon, d'être informé des fuites ?
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Si ces femmes qui sont ainsi parties le désirent, il faut permettre leur rapatriement.
Je vous demande, monsieur le Ministre, de faire en sorte que le Gouvernement ratifie la convention internationale de 1949 contre la traite des femmes, puisque, paraît-il, c'est de votre département ministériel qu'est toujours venue l'opposition à cette ratification.
On a dit que le ministère de l'Intérieur faisait opposition parce que la loi de 1946 n'était pas appliquée à l'Algérie. A cet égard, je demande que cesse toute discrimination.
On nous propose de reconnaître la personnalité algérienne. J'en suis d'accord ; je voudrais, monsieur le ministre -- je pense que l'Assemblée m'approuvera -- qu'on reconnaisse et respecte d'abord la personnalité humaine. (Applaudissements.) Croyez-vous que ces malheureuses qui sont victimes d'un esclavage dégradant n'ont pas droit, elles aussi, au respect de leur dignité ?
Monsieur le Ministre, *si vous fermez les débouchés,* pour parler de façon réaliste, le mal sur lequel j'ai voulu appeler votre attention disparaîtra de lui-même.
Nous vous demandons, monsieur le Ministre, *non pas seulement d'étudier, mais d'appliquer* les mesures que nous avons réclamées. Bientôt, nous vous poserons une nouvelle question pour savoir ce qui a été fait.
De telles mœurs sont intolérables dans un pays qui se dit, qui veut être, qui est civilisé. La sauvegarde de l'honneur des femmes et des filles de France vaut tous les sacrifices. (Vifs applaudissements.)
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### L'anti-communisme de M. Joseph Folliet
*Nous sommes heureux de pouvoir manifester notre accord avec une partie de ce qu'écrit M. Joseph Folliet dans la* CHRONIQUE SOCIALE *d'avril :*
Qui combat efficacement le communisme, celui qui prêche l'anti-communisme à des convaincus ou celui qui dispute au communisme, sur son propre terrain, sa « clientèle », avec des arguments propres à la toucher ?
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Celui dont l'anti-communisme rabique rejette sur le communisme les hésitants ou celui qui, les prenant où ils sont et comme ils sont, les détache du communisme ? Celui qui injurie et répand les malédictions, ou celui qui convainc ? Celui qui se contente d'écrire ou de parler ou celui qui dispute au communisme sa puissance dans les syndicats, les comités de quartier, les conseils de la Sécurité sociale ?
*Cette prise de position de M. Joseph Folliet nous paraît extrêmement opportune, importante, excellente. Elle mérite d'être lue et méditée avec la plus grande attention, phrase à phrase. Reprenons donc :*
Qui combat efficacement le communisme, celui qui prêche l'anti-communisme à des convaincus ou celui qui dispute au communisme, sur son propre terrain, sa « clientèle » avec des arguments propres à la toucher ?
*Prêcher l'anti-communisme à ceux qui sont convaincus de sa nécessité est en effet totalement superflu. C'est à ceux qui n'en sont pas convaincus qu'il faut le prêcher, et c'est un peu plus difficile.*
*Plus difficile encore est de* « *toucher* » *des communistes convaincus : mais c'est justement le plus utile. Nous sommes bien d'accord avec M. Joseph Folliet. Car cette tâche extrêmement difficile n'est pas impossible. Des membres de l'appareil communiste, comme Hamish Fraser en Angleterre, comme Henri Barbé en France, se sont convertis à la vérité chrétienne. Il est important, il est indispensable de savoir très précisément par quels arguments ils ont été touchés, où ils sont allés, et de les consulter sur les formes pratiques et méthodiques qu'il convient de donner à l'anti-communisme. Hamish Fraser a publié à ce sujet une étude passionnante dans* L'HOMME NOUVEAU *et il est militant du* « *Mouvement pour l'Unité* ».
*La méthode de M. Folliet rejoint donc la nôtre, sur un point qui nous paraît décisif : en matière d'anti-communisme, examiner les* « *arguments* » *qui ont pu* « *toucher* » *les communistes effectivement venus au catholicisme.*
Celui dont l'anti-communisme rabique rejette sur le communisme les hésitants ou celui qui, les prenant où ils sont, les détache du communisme ?
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*Sous la réserve qu'on ne voit pas très bien quel est l'anti-communisme* « *rabique* » (?)*, sous réserve aussi que les hésitants sont conduits au communisme, en règle générale, plutôt par le progressisme que par autre chose, il est bien certain qu'il faut penser aux hésitants, les prendre tels qu'ils sont et les détacher du communisme par lequel ils sont tentés sans y avoir encore adhéré. A ce point de vue M. Folliet pense sans doute à des cas comme celui de M. Pierre Debray, qui milita à* « *France-U.R.S.S.* »*, et qui a été* « *détaché du communisme* »*. M. Folliet a raison : il est intéressant, il est indispensable d'examiner par qui et par quoi un homme comme M. Debray a pu être incliné à s'éloigner du communisme dont il s'était un moment rapproché.*
Celui qui se borne à un anti-communisme politique, trop souvent verbal, ou celui qui, dans la vie économique et sociale, s'attache à faire disparaître les conditions sur lesquelles pousse le communisme ?
*Encore un point essentiel, et sur lequel, pour notre part, nous avons beaucoup insisté. L'anti-communisme politique est largement insuffisant. Limité à lui seul, il équivaut à rien :* « *Nisi Dominus aedificaverit...* » *M. Folliet affirme pour son compte les propositions mêmes de la Déclaration liminaire d'*ITINÉRAIRES*. Nous ne pouvons que nous réjouir publiquement de cette rencontre.*
*M. Folliet ajoute qu'il faut* « *faire disparaître les conditions sur lesquelles pousse le communisme* »*. Il vise ainsi, apparemment, le* « *désordre établi* »*, les injustices sociales et politiques du régime établi. Nous pensons comme lui que le régime politique et social de la IV^e^ République assure en permanence, par ses injustices, des conditions favorables à la croissance du communisme.*
*Le remède ? M. Folliet le voit certainement où nous le voyons nous-même : dans la mise en œuvre de la doctrine économique et sociale de l'Église, et très précisément de ce que Pie XII appelle* « *le concept chrétien de l'économie sociale* »*.* (*On se reportera utilement, sur ce point, à l'article fondamental de Marcel Clément paru dans notre numéro d'avril.*)
*Et la partie principale de la doctrine sociale de l'Église est, a dit Pie XII, l'idée de l'ordre corporatif étendu à l'ensemble de l'économie. Une attitude vraiment positive, face au communisme, est en effet de travailler à la construction de cet ordre corporatif, dans l'unité de l'Église, selon les indications du Pape et des évêques en union avec le Pape.*
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Celui qui injurie et répand les malédictions ou celui qui convainc ?
*Pas plus à l'égard des communistes qu'à l'égard de quiconque, injures et malédictions ne servent à rien : il faut persuader, débattre, argumenter. C'est l'un des points sur lesquels nous avons le plus insisté depuis notre premier numéro. Notre insistance n'était pas inutile, elle était opportune, puisque M. Folliet, de son côté, insiste sur le même point.*
Celui qui se contente d'écrire ou de parler ou celui qui dispute au communisme sa puissance dans les syndicats, les comités de quartier, les conseils de la Sécurité sociale ?
*Ce propos nous plaît tout particulièrement. Nous avons, pour notre part, essayé de réagir contre la suffisance des publicistes qui croient avoir tout fait quand ils ont écrit et parlé. Il est bon qu'un écrivain et journaliste de la notoriété de M. Folliet rappelle ses confrères à une saine modestie.*
*Et qu'il leur rappelle aussi l'importance du travail que font, sur le tas, les militants anti-communistes, notamment ceux des syndicats. Un exemple particulièrement significatif, et qu'il serait utile d'étudier dans sa réalité concrète : l'action des syndicats chrétiens d'Alsace, sous la direction de M. Henri Meck.*
*On comprend la juste colère de M. Henri Meck précisément, quand la direction nationale de la C.F.T.C. et plusieurs journaux catholiques, dont un quotidien, refusèrent absolument, lors des dernières élections à la Sécurité Sociale* (1955) *de s'associer à ce travail positif qui leur était proposé par un homme compétent et expérimenté. Pour disputer au communisme sa puissance dans les syndicats, les comités de quartier, les conseils de la Sécurité Sociale, conformément au dessein de M. Folliet et au nôtre, on interrogera utilement l'expérience et la compétence d'un homme tel que M. Henri Meck.*
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### Deux articles du « TABLET »
*Le grand hebdomadaire catholique de Londres,* THE TABLET*, a publié les* 10 *et* 17 *mars deux articles de M. Frank MacMillan intitulés :* Les Chrétiens de gauche en France*. Les deux livres de Jean Madiran,* Ils ne savent pas ce qu'ils font *et* Ils ne savent pas ce qu'ils disent*, s'y trouvent présentés avec la haute autorité internationale qui est celle du* TABLET*.*
*Faute de place dans ce numéro, nous ne pouvons en reproduire les principaux passages comme nous en avions l'intention. Ce sera pour le mois prochain. Ces deux articles ont été suivis de plusieurs* « *Lettres au Directeur* » *du* TABLET *qui retiendront également toute notre attention.*
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### Contre le Souverain Pontife
LA PENSÉE CATHOLIQUE (N*°* 42) *relève ces lignes publiées dans* ESPRIT *de février,* « *excellente revue chrétienne* » *comme chacun sait, page* 243*, par M. Georges Suffert, qui est d'autre part plus ou moins rédacteur en chef de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN* :*
Gay Paris... Cette année nous aurons été gâtés. Cœur de Margaret, âme de Minou, *visions du Pape,* M. Faure et sa danse sacrée, la dissolution et la réminiscence de l'histoire, Noël, les vœux, Chaban-Delmas, la gauche et la droite, n'en jetez plus, rien n'a manqué, les Romains sont vaincus, *en fait de jeux de cirque nous avons battu l'antiquité...*
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### Le vote pro-communiste de l'Institut catholique
*Le Président de l'Association des Étudiants de l'Institut catholique de Paris nous a adressé deux lettres successives qui mettent parfaitement en lumière de quelle manière la majorité écrasante des suffrages exprimés par les étudiants de la Catho a pu se porter sur une liste soutenue par les communistes et comportant diverses variétés de militants et sympathisants communistes, crypto-communistes et para-communistes.*
*Voici la première de ces deux lettres :*
MONSIEUR,
Dans le numéro d'avril de la revue que vous dirigez a paru page 89, dans la partie « Documents », un article intitulé : « A l'Institut catholique : écrasante majorité pro-communiste ».
Le Bureau de l'Association des Étudiants de l'Institut catholique proteste énergiquement contre cette interprétation des élections à la Section de Paris de la Mutuelle nationale des Étudiants de France.
Des journaux dont les sources d'information étaient aussi fantaisistes que les vôtres ont bien voulu insérer le rectificatif que nous leur avons communiqué. Nous espérons que vous ferez de même et que nous aurons le plaisir de lire la mise au point suivante dans votre prochain numéro, en lieu et place de l'article cité ci-dessus.
Le Bureau de l'Association des Étudiants de l'Institut catholique s'élève contre l'interprétation politique donnée au vote de ses étudiants en faveur de la liste Favret, liste où figuraient leurs représentants.
Le Bureau a présenté ses candidats sur la liste Favret pour les raisons suivantes :
1. -- La liste Favret est la seule liste représentant l'ensemble des Facultés et Écoles.
2. -- La liste Favret est constituée par les membres du Bureau sortant dont la bonne gestion a été appréciée par tous les étudiants.
Nous rappelons d'autre part que la Fédération des Étudiants de Paris a affirmé dans un communiqué de presse du 26-2-56 que les seuls différends qui l'opposaient à la liste Favret étaient des différends d'ordre technique.
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Les étudiants de l'Institut catholique se sont toujours efforcés de juger les problèmes syndicaux estudiantins hors de toute optique politique.
Ils regrettent que les partis politiques, quels qu'ils soient, se servent du mouvement étudiant pour une propagande qui n'a rien à voir avec la défense des intérêts corporatifs de ces mêmes étudiants.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de nos sentiments distingués.
18 avril 1951.
Le Président de l'Association des Étudiants de l'Institut Catholique de Paris :
Claude SAND.
*Comme ce* « *rectificatif* » *ne rectifiait rien du tout, et que l'affirmation concernant* « *les sources d'informations fantaisistes* » *paraissait entachée de précipitation et de prévention, Jean Madiran répondit par la lettre suivante :*
MONSIEUR,
Je vous accuse réception de votre lettre du 18 avril. Le numéro de mai d'ITINÉRAIRES étant déjà sous presse, c'est dans le numéro de juin que je pourrai la publier.
Je tiens à vous prévenir que le numéro de mai contient de nouvelles précisions sur le vote de l'Institut catholique. Les voici :
« *Diverses contestations se sont élevées au sujet du vote pro-communiste* (*800 voix contre 50*) *des étudiants de l'Institut catholique. On s'est notamment demandé si la liste qui a recueilli auprès des étudiants catholiques cette écrasante majorité, la liste Favret, était véritablement communiste, ou n'aurait pas mérité plutôt, et plus exactement, d'être appelée soit* « *progressiste* »*, soit* « *crypto-communiste* »*, soit* « *para-communiste* »*.*
*Sans nier la valeur descriptive de ces nuances, sur lesquelles on peut discuter à l'infini, on ne peut leur reconnaître une grande valeur pratique : la liste Favret était la seule liste que les communistes voulaient faire élire, et ils y ont réussi.*
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*Voici au demeurant les éléments d'appréciation que nous pouvons soumettre à nos lecteurs :*
1*. -- La liste Favret comprenait des communistes et crypto-communistes avérés, tels M. Pierre Gilhodes, membre du bureau de la Fédération des groupes d'études de lettres.*
2*. -- M. Favret lui-même a fait partie d'une des premières délégations en U.R.S.S. à l'un des moments les plus tendus de la guerre froide* (*1952*) : *à cette époque un tel geste avait nécessairement une signification politique.*
3*. -- La liste Favret comprenait des Jécistes pour qui les communistes ont fait voter aux élections des* « *Corpos* »* : M. Brossons, Cossé, Bosc-Bierne, La Fournière.*
4*. -- Plusieurs de ces Jécistes n'appartiennent pas seulement à la catégorie qui est soutenue par les communistes : ils appartiennent simultanément à la catégorie des ennemis de l'enseignement libre. Ainsi M. La Fournière, par des motions votées au groupe d'histoire de la Sorbonne et à la Fédération des Lettres qu'il préside, avait demandé à l'U.N.E.F. de se prononcer pour la laïcité.*
5*. -- La seule liste concurrente de la liste Favret, la liste London, n'était justiciable d'aucun de ces griefs. En outre, elle comprenait plus d'administrateurs sortants que la liste Favret. Toutes les Facultés y étaient représentées, ainsi que tous les bureaux des* « *Corpos* » *non-communistes. Le seul reproche que l'on pouvait lui faire est qu'elle était appelée liste* « *réactionnaire* » *par les communistes.*
6*. -- Le 25 février, commentant le succès de la liste Favret, L'Humanité écrivait :* « *Les étudiants ont bien voté* »*.*
*Le fait est donc que l'écrasante majorité des suffrages exprimés à l'Institut catholique a bien voté au sens des communistes, et en a reçu les félicitations de* L'Humanité*.* »
En face de ces précisions, votre lettre du 18 avril ne me paraît pas constituer un démenti très sérieux. Mais peut-être avez-vous des rectifications à apporter aux précisions ci-dessus : je serai heureux de les connaître.
De toutes façons, je publierai votre lettre du 18 avril, ainsi que toute nouvelle mise au point que vous paraîtrait appeler le texte cité ci-dessus, qui est exactement conforme à celui qui paraîtra dans ITINÉRAIRES de juin.
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En souhaitant que cette confrontation précise puisse permettre une appréciation exacte du vote en question, je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
21 avril 1596,
Jean MADIRAN.
*La seconde lettre de M. Claude Sand, président de l'Association des étudiants de la Catho, permet en effet cette appréciation exacte ; on peut même dire, hélas, qu'elle ne laisse subsister aucun doute :*
MONSIEUR,
Je vous accuse réception de votre lettre du 21 avril et vous remercie de bien vouloir insérer la rectification que je vous ai communiquée.
Comme vous le suggérez dans votre lettre je vous apporte à nouveau quelques précisions sur notre position que vous ne semblez pas avoir parfaitement comprise.
De quoi s'agit-il en effet ? De l'élection des administrateurs d'un organisme technique chargé de gérer la Sécurité sociale des étudiants.
Peu nous importe que M. Pierre Gilhodes soit communiste ou que M. Favret ait visité l'U.R.S.S. s'ils remplissent convenablement la mission qui leur a été confiée.
Les opinions politiques et confessionnelles (*sic*) des individus n'entrent pas en ligne de compte lorsqu'il s'agit de remplir une charge technique. D'ailleurs, même si nous rentrions dans des considérations de personnes, nous n'accepterions pas vos jugements sur la liste Favret. Sur les 63 candidats de cette liste une trentaine en effet sont des militants de la J.E.C., mouvement mandaté par l'Église et que la Hiérarchie n'a pas encore désavoué, je suppose ! Mais peut-être mes informations sont-elles en retard sur les vôtres ? ([^24])
De plus, de même qu'il n'est pas question de faire de la politique dans ces élections à la Mutuelle, il n'est pas non plus question d'y juger l'Enseignement libre. Notre présence sur cette liste en est une preuve supplémentaire.
En ce qui concerne la représentativité des listes, nous vous signalons que les écoles ayant moins de 1.000 élèves n'étaient pas représentées sur la liste Mondan.
82:4
Nous vous faisons savoir enfin, si vous n'en étiez pas averti, que la liste Mondan a proposé au bureau sortant (liste Favret) les cinq premières places sur sa liste, si Favret consentait à retirer la deuxième liste. On ne peut mieux reconnaître les capacités de ceux que vous dénigrez.
Pour clore ces échanges de vues qui pourraient dégénérer en querelles de mots et de définitions, je vous propose de juger l'arbre à ses fruits et de confronter à nouveau nos opinions dans un an lorsque les récents élus auront fait leurs preuves.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
27 avril 1956, Le Président de l'Association des Étudiants de l'Institut catholique de Paris :
Claude SAND.
*Cette lettre est un document extraordinaire de la non-résistance au communisme.*
*Sur le détail des faits, elle confirme notamment que :*
1*. -- La liste Favret a été formée après la liste Mondan.*
2*. -- La Catho a d'abord refusé de participer à la liste Mondan.*
3*. -- La liste Mondan a proposé toutes concessions utiles pour arriver à un accord éliminant les communistes.*
*Sur l'attitude générale, elle manifeste une ignorance totale de l'usage que les communistes font des postes* « *techniques* » *d'administrateurs qu'ils obtiennent dans les organismes de Sécurité sociale.*
*La lettre de M. Claude Sand apporte en outre une réponse à la question posée par M. Joseph Folliet, dans un article de la* CHRONIQUE SOCIALE *cité et commenté d'autre part :*
Qui combat efficacement le communisme... Celui qui se contente d'écrire et de parler, ou celui qui dispute au communisme sa puissance dans les syndicats, les comités de quartier, les conseils de la Sécurité sociale ?
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*Il apparaît que ni les Jécistes de la liste Favret, ni le Bureau de l'Association des Étudiants de la Catho n'ont compris l'opportunité de la question de M. Joseph Folliet : parce qu'ils ignorent qu'un élément essentiel de la puissance du communisme vient des postes* « *techniques* » *que des communistes, des para-communistes et des non-résistants occupent dans les organisations professionnelles et dans celles de la Sécurité sociale.*
*A la lettre de M. Sand, Jean Madiran a répondu par la lettre suivante :*
MONSIEUR,
Je vous remercie de votre lettre du 27 avril : elle sera, comme la précédente, publiée dans notre numéro de juin.
Rien ne vous permet de dire qu'il puisse s'agir d'une manière quelconque des « capacités » de ceux que je « dénigre ». Cette affirmation est étrangement abusive de votre part, à moins qu'il s'agisse simplement d'une clause de style polémique, mais qui n'a vraiment rien à faire ici.
Je n'ai aucunement parlé des « capacités » des personnes constituant la liste Favret, ni « dénigré » en rien ces personnes. Leurs capacités peuvent très bien être éminentes sans que cela change rien à la question posée.
Votre position est en tous cas très clairement exposée, et les lecteurs d'ITINÉRAIRES la connaîtront dans votre texte même, ce qui offre toute garantie.
Vous estimez que pour des élections de cette sorte, peu importe que l'on vote avec les communistes pour une liste comportant des communistes. Et le fait d'avoir, ce faisant, été publiquement félicité par *L'Humanité* pour avoir « *bien voté* » ne modifie en rien votre conviction d'avoir eu raison.
Permettez-moi de vous suggérer que si *L'Humanité* approuve ce vote, c'est parce que, elle aussi, ne tient aucun compte des opinions politiques lorsqu'il s'agit de remplir une charge technique. Cela est bien connu, et si les communistes se sont tellement réjoui de ce vote, ce n'est pas parce qu'ils en auraient tiré un avantage politique quelconque : c'est leur seul souci du bien public qui les fait parler.
Il ne me reste plus qu'à vous adresser moi aussi mes félicitations pour le brillant résultat obtenu, et à vous remercier de vos démentis précis, qui sont du plus haut intérêt.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées,
28 avril 1956,
Jean MADIRAN
*D'autre part, nous recevons d'un lecteur la lettre suivante, qui complète les éléments d'appréciation déjà publiés :*
84:4
Le fond de l'affaire, c'est la présence de communistes sur la liste Favret et le soutien communiste tout à fait officiel dont elle a bénéficié, non seulement de la part de *L'Humanité* se réjouissant après les résultats, mais encore à l'avance de la part de *Clarté* (journal des étudiants communistes), de divers tracts et journaux de cellules, bref la propagande faite pour cette liste par l'appareil communiste. La qualification politique, et très exactement communisante, de la liste Favret, c'est cela et cela seul qui est en question.
La liste Favret a été *formée et déposée après* la liste Mondan. La liste Mondan est la liste traditionnellement formée par la Fédération des Étudiants de Paris et les Associations générales d'étudiants de Paris, comme chaque année, et sous le même titre que les années précédentes, depuis que la Mutuelle existe.
La différence avec les années précédentes est que les A.G. progressistes ont cette année refusé les places qui leur étaient offertes sur cette liste. Ces places sont toujours réparties à la proportionnelle (1 pour 1.000 étudiants) selon le nombre des étudiants fréquentant chaque Faculté ou École.
La véritable raison de ce refus est que, la plupart des A.G. parisiennes étant anti-communistes, le jeu de la proportionnelle donnait automatiquement une majorité anti-communiste. L'année dernière, les progressistes détenaient la majorité parce que nous avions désigné non des anti-communistes, mais les opposants les plus remuants, pour nous en débarrasser en les envoyant à la Mutuelle. Ce fut agir avec beaucoup de légèreté, et nous ne voulions pas recommencer cette année.
Ceci établit en tout cas que la Catho *n'a pas eu à choisir entre deux listes composées en même temps :* elle a dû *refuser* de figurer sur la liste Mondan *avant de savoir quelle serait* la représentativité fictive ou réelle de la liste Favret.
Pourquoi ce refus ? Par complicité, ou au moins par copinage avec les progressistes de l'équipe sortante. Les non-résistants de la Catho ont voulu rester avec leurs petits copains progressistes. Cela tient à une infiltration progressiste assez ancienne à la Mutuelle, puisqu'elle remonte à un président d'honneur de celle-ci (un protestant progressiste).
*Concernant la représentativité de la liste Favret, notre correspondant apporte les précisions suivantes :*
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Toutes les Facultés étaient représentées sur la liste Mondan, mais seulement une partie des écoles. L'Union des grandes écoles était avec Favret (pour les mêmes raisons de complicité), ce qui empêcha la liste Mondan de trouver des représentants dans deux ou trois petites écoles de cinquante élèves où elle ne connaissait personne.
En revanche, Favret n'a pas eu de peine à trouver pour sa liste des représentants des Facultés non-communistes : il y a en effet, grâce au P.C. et à la J.E.C., une opposition organisée et prête à prendre la place de l'A.G. dans chaque Faculté non communiste. C'est l'appareil bien connu qui leur permet d'être présents partout.
*Cette situation sera renversée quand une organisation de l'importance de la* J.E.C. *fera figurer ses représentants sur la liste non-communiste au lieu de les faire figurer sur la liste communiste.*
La liste Mondan comprenait 13 administrateurs sortants, la liste Favret en comprenait 12. La liste Mondan, outre la caution de la Fédération des étudiants de Paris et des A.G. non communistes (Droit, Médecine, Sciences, Pharmacie, Dentaire, Langues orientales, Cartel des Arts, Travaux publics) avait un membre du bureau de l'U.N.E.F. (Lesuisse), l'ancien trésorier de la Mutuelle nationale (Pappon), un commissaire aux comptes de la Mutuelle nationale (J. Martin). Elle avait le patronage de 4 membres du bureau de l'U.N.E.F., dont celui qui en est devenu depuis le président : Raffoux ; et le patronage d'Etcheverry, président d'honneur et ancien président (1952 à 1955) de la Mutuelle nationale ; le patronage de Balland, président d'honneur de l'U.N.E.F...
Bref, on ne voit pas ce qui empêchait la Catho d'y figurer. L'absence de communistes ?
*Nos lecteurs ont donc sous les yeux les diverses thèses en présence. Nous ajouterons, pour conclure, que même si l'on contestait les qualités invoquées en faveur de la liste Mondan, cela n'était pas une raison suffisante pour adhérer à la liste des communistes.*
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86:4
### La J.E.C. a-t-elle une politique ?
*Telle est la question que nous avions posée dans notre numéro d'avril. Nous disions que nous avions peine à croire à la collusion habituelle des Jécistes et des communistes. Nous ajoutions que nous serions heureux de publier sur ce sujet les témoignages de nos lecteurs étudiants, ainsi que les éventuelles mises au point des dirigeants de la* J.E.C.
*De ceux-ci, nous n'avons rien reçu.*
*En revanche, il nous est parvenu un important courrier d'étudiants qui se plaignent d'une situation qui leur paraît incompréhensible.*
*Voici ce que nous écrit M. Michel Ledoyen :*
Je profiterai de deux années passées à la tête d'une équipe d'Action catholique pour vous apporter mon témoignage.
Le cas si douloureux des élections universitaires : il est de fait que des membres de la J.E.C. et des adhérents du Parti communiste se présentent conjointement sur les mêmes listes, face à d'autres listes ne contenant ni un seul Jéciste ni un seul communiste. S'il n'y a pas, à proprement parler, collusion de *la* J.E.C. et des communistes, il y a bien *collusion de certains Jécistes et de certains communistes* et progressistes. Or, *cette collusion n'a jamais été condamnée par les dirigeants de la* J.E.C. Bien mieux, comme, l'an dernier, je m'en inquiétais auprès d'un membre de l'Équipe nationale-préparations, Jéciste de sixième année et rédacteur en chef de *l'Action catholique étudiante,* il me répondit qu'on ne pouvait rien reprocher aux Jécistes « quand ils font participer les communistes à ce travail de construction du royaume ».
Ainsi les Jécistes croient à la participation des communistes à leur œuvre d'Église... Qui trompe-t-on ? Une chose est sûre : sur le terrain des élections universitaires, la J.E.C. ne pratique aucun anti-communisme.
Son attitude est d'ailleurs strictement la même sur les autres terrains. Si je feuillette la collection de son mensuel, l'*Action catholique étudiante,* je n'y trouve ces deux dernières années aucun article rédigé contre le communisme. A propos des problèmes « coloniaux », à propos du chrétien dans la Cité, etc., je ne relève aucune allusion à un anti-communisme jéciste. Même chose dans les brochures qu'elle publie ou recommande.
87:4
Parfois, tel ou tel cite « le communisme » ou les « communistes », mais comme un stratège tient compte des accidents du terrain : il les utilise pour son propre jeu, ne les combat pas...
*Une autre lettre se réfère au numéro* 29 *de Clarté, organe des étudiants communistes. On y trouve un manifeste qui déclare notamment :*
Les associations d'étudiants soussignées :
-- constatent l'inadmissible climat de violence qui tend à s'installer au Quartier Latin...
-- protestent contre toute manifestation visant les opinions politiques d'un professeur dans l'exercice de son enseignement ; -- constatent que cette intolérance brutale, indigne d'étudiants parisiens, coïncide avec la réapparition des journaux nazis et maurrassiens (*Contre-Révolution, Aspects de la France, Liberté du peuple,* etc.)...
*Notre correspondant précise :*
Ce manifeste est signé par le « Comité étudiant de l'Union des chrétiens progressistes », par les « Étudiants membres du Parti communiste », par l' « U.J.R.F. » (Jeunesses communistes) et par la *Fédération de Paris de la* J.E.C. La collaboration, la voilà, signée et contresignée !
*Le même correspondant ajoute les commentaires suivants :*
La J.E.C. se rendait là coupable d'une imposture affreuse et intolérable : elle confondait volontairement les « maurrassiens » avec les nazis, alors que les maurrassiens sont souvent des catholiques, et des catholiques qui sont des fils respectueux et soumis de l'Église depuis 1939.
Dire cela, ce n'est pas défendre les « maurrassiens », c'est défendre l'honnêteté.
De plus, cette protestation qui se veut vertueuse, les événements ultérieurs ont montré qu'elle était menteuse jusque dans son principe.
88:4
Ce n'est pas vrai que la J.E.C. de Paris était vraiment soucieuse de combattre un « climat de violence » et de défendre les professeurs qui subiraient des manifestations en raison de leurs opinions politiques.
La preuve :
Quand ce climat de violence a été créé par les communistes contre le professeur Jean Guitton, alors la J.E.C. de Paris n'a signé aucun manifeste de protestation.
*D'autres lettres nous apportent des faits et des témoignages analogues. Notre méthode est de peser le pour et le contre, et de les comparer : mais jusqu'ici nous n'avons reçu aucune communication défendant ou expliquant ce comportement de la* J.E.C.
*Faut-il donc tenir pour exact ce que nous affirme un autre correspondant :*
... Le mal est fait, mais il n'est pas sans remède. On s'en préoccupe. Il y faudra du temps, certes, et bien des âmes auront été engagées dans une voie où l'on ne pourra peut-être jamais les rattraper. Du moins, cet état de désordres extrêmes, de confusions mortelles, *in sinu gremioque* de certaines organisations, est clairement repéré et déjà combattu. Il n'y aura plus de Jécistes se présentant aux élections universitaires sur les mêmes listes que les communistes, sous quelque prétexte que ce soit...
*Concluons donc, au moins en espérance, sur cette note optimiste.*
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89:4
### L'Évangile... de Tolstoï ?
*Dans* L'AURORE *du* 28 *avril, en quelques mots, M. André Frossard situe l'essentiel d'une des questions les plus graves du temps présent :*
Personne n'en doute : le métier de chrétien, en Algérie, n'est pas facile.
Mais on ne parvient ni à le grandir encore, ni à le simplifier en écrivant par exemple ceci :
« Nous n'avons pas le droit (il s'agit d'une « équipe sacerdotale » définissant, pour elle et pour « ceux qui se sentent chargés de la même mission », les devoirs de la charité chrétienne) de nous laisser enfermer dans l'un ou l'autre camp ; nous devons, au contraire, faire tout le possible pour demeurer Un trait d'union entre les deux camps. »
On voit sans peine tout ce que cette vue du devoir chrétien peut avoir de décevant et pour le devoir et pour le chrétien. Car c'est précisément d'appartenir à un camp qui donne un sens aux conflits de devoirs et une valeur aux actes de justice ou de charité du chrétien. A choisir la position idéale du « trait d'union », on croit pratiquer une forme supérieure de morale, et l'on ne fait jamais que du Tolstoï.
Le meilleur moyen de résoudre les difficultés de conscience ne consiste pas à se placer, par hypothèse, au-dessus du niveau où elles se posent.
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### Livres reçus
-- Henri MASSIS : *L'Occident et son destin* (353 p. ; Grasset).
-- Maurice BARDÈCHE : *Les Temps modernes* (219 p. ; Les Sept Couleurs, 35, rue Cortambert, Paris XVI^e^).
-- Walter LIPPMANN : *Crépuscule des démocraties* (240 p. ; traduction de Maria Luz ; Fasquelle).
-- André DHOTEL : *L'Île aux oiseaux de fer* (140 p. ; collection *libelles* ; Fasquelle).
-- Guy-Jean AUVERT : *Défense et illustration de l'art sacré* (234 p. ; Nouvelles Éditions Latines).
-- Joseph SCHYNS : *Aveux spontanés* (105 p. ; réédition ; Omega, Anvers).
-- Jacques PETIT : *Laurier celtique, poèmes* (63 p. ; Le Cercle de Brocéliande, 54, rue Poullain-Duparc, Rennes)
-- Ferdinand ALQUIÉ : *Descartes, l'homme et l'œuvre* (174 p. ; Hatier-Boivin).
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### Livres non reçus
-- *L'Église et les civilisations,* Semaine des intellectuels catholiques 1955 (251 p. ; Pierre Horay, éditeur).
-- Maurice VAUSSARD : *Histoire de la démocratie chrétienne* (333 p. ; Éditions du Seuil).
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90:4
### Note de gérance A l'attention de tous nos Amis
Notre précédent numéro nous a valu un volumineux courrier, notamment parce qu'il comportait 128 pages au lieu de 96. Courrier trop volumineux, une fois de plus, pour qu'il nous soit possible de répondre à chacun personnellement. Nous y répondons ici, et cette réponse s'adresse aussi à *tous ceux qui ne nous ont pas écrit,* mais qui suivent avec sympathie notre entreprise.
\*\*\*
Nous avons voulu vous montrer ce que serait *Itinéraires* non plus sur 96 pages mais, au moins, sur 128. Nous avons pensé que cette démonstration par le fait serait plus parlante que tous les discours.
Cela ne signifie malheureusement pas, contrairement à ce qu'ont cru comprendre les plus optimistes de nos amis, que nous ayons d'ores et déjà les moyens de paraître régulièrement sur 128 pages.
Nous ne savons pas encore si nous pourrons augmenter jusque là le nombre de nos pages. Nous ne savons même pas encore avec certitude si nous ne serons pas obligés de le diminuer.
Cela dépend de la réponse qui nous sera faite, et qui, à ce point de vue, se traduit numériquement : le nombre des abonnés.
Ce nombre n'est pas encore ce qu'il peut et doit être.
91:4
Nous répétons donc : *de ce nombre dépendra dans un proche avenir la possibilité d'augmenter ou la nécessité de diminuer le nombre de nos pages*.
\*\*\*
Nous voudrions être compris de *tous* nos amis. Plusieurs nous ont admirablement soutenus, soit en souscrivant personnellement de multiples abonnements, soit en recrutant autour d'eux des abonnés et souscripteurs.
Mais beaucoup d'autres ne nous ont pas encore envoyé leurs 1.000 ou leurs 5.000 francs.
L'abonnement de soutien (5.000 francs) : si *tous* ceux qui *peuvent...*
Nous avons besoin de la contribution de *tous.*
\*\*\*
Ce n'est là ni plainte, ni reproche, mais simple avis. Nous n'avons pas de motifs de nous plaindre : en trois mois, nous avons reçu plus du quart du nombre d'abonnements qu'il nous est nécessaire de recevoir dans l'année. C'est un succès encourageant, à condition que le mouvement ne s'arrête pas. Mais ce n'est pas encore une indication très nette. Pourrons-nous nous agrandir à 128 pages ? Pourrons-nous même en conserver 96 ? *C'est vous qui répondez. Nous attendons votre réponse.*
\*\*\*
Il est évident qu'il faudrait absolument éviter d'avoir à descendre au-dessous de 96 pages.
Il est non moins évident que 112 ou 128 pages nous sont quasiment indispensables.
92:4
*Nous sommes à l'étroit pour accueillir les collaborations nouvelles qui s'offrent à nous.* Nous sommes à l'étroit pour donner aux *Documents* les développements actuellement préparés sous forme d'*enquêtes* et de *témoignages.* Nous sommes à l'étroit pour donner aux *débats* la place qu'il faudrait.
\*\*\*
A ces considérations en quelque sorte d'économie interne s'ajoute une considération externe qui n'est pas la moins importante.
Pour *qu'Itinéraires* tienne vraiment sa place dans l'éventail des publications de tendances diverses, pour que son influence intellectuelle puisse s'affirmer dans le public, en un mot pour que notre revue joue pleinement son rôle, il lui faut atteindre régulièrement 112 ou 128 pages.
Cela dépend de chacun de vous.
93:4
ATTENTION !
VOUS NE RECEVREZ PLUS « ITINÉRAIRES ».
Vous avez jusqu'ici bénéficié d'un abonnement de propagande souscrit sans être accompagné d'adresse.
Mais l'envoi D'ITINÉRAIRES ne va pas vous être continué pendant un an.
En cinq ou six mois, vous avez eu la possibilité de juger si cette revue vous intéresse, si elle vous paraît utile, si elle mérite votre abonnement et votre soutien.
TOUS LES ENVOIS QUI NE CORRESPONDENT PAS A UN ABONNEMENT NOMINAL SERONT SUSPENDUS SANS PREAVIS APRÈS LE n° 6 OU APRÈS LE n° 8.
Si vous tenez à recevoir la revue, ne négligez pas de vous abonner personnellement en temps utile.
Le délai de quinze jours (voir au bas de la page 2 de la couverture) fait que si votre abonnement nous parvient le 16 du mois, il n'entrera pas en vigueur avec le numéro du 1^er^ du mois suivant :
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94:4
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96:4
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I. -- ATTENTION : beaucoup de ceux qui reçoivent ITINÉRAIRES sans s'y être abonnés n'y ont pas été, comme peut-être ils le croient, personnellement abonnés. Nous utilisons à leur profit les abonnements non accompagnés d'adresses. Mais nous arrêterons ces envois avec le numéro 6, pour en faire bénéficier d'autres destinataires. Les bénéficiaires actuels ont donc intérêt à s'abonner personnellement en temps utile, s'ils ne veulent pas être privés du numéro 7 en raison du délai de 15 jours (voir au bas de la page 2 de la couverture). Nous n'acceptons en aucun cas d'abonnements rétrospectifs.
II. -- Parmi ces bénéficiaires, ceux qui n'ont pas l'intention de s'abonner sont priés de nous le faire savoir en joignant la bande d'envoi.
III. -- Pour toute réclamation concernant un envoi, joindre la bande d'envoi. Pour tout changement d'adresse, joindre la bande d'envoi et 45 francs (en timbres si l'on veut).
IV. -- Nous avons reçu beaucoup d'adresses, et nettement moins d'abonnements non accompagnés d'adresses. Nous ne pouvons donc servir toutes les adresses qui nous ont été fournies. Il nous faudrait recevoir un plus grand nombre d'abonnements non accompagnés d'adresses (ou d'abonnements de soutien à 5.000 fr.).
V. -- CANADA : renseignements et facilités auprès de PERIODICA, 5090 avenue Papineau, Montréal-34.
Directeur de la Publication : Jean ARFEL.
*Les Presses Bretonnes,* 12, rue Poulain-Corbion, Saint-Brieuc.
N° d'impression : 635. Dépôt légal : 2^e^ trimestre 1956.
97:4
### Lettre (5 mai 1956)
Mon cher Madiran,
Puisque vous accueillez les lettres, je voudrais vous en écrire une à mon tour, pour faire suite à celle de Jean de Fabrègues -- et pour *prendre sa défense.*
« Mais, direz-vous, je n'ai pas attaqué Fabrègues ». Non, rassurez-vous. Ce n'est pas contre vous que je veux prendre sa défense, c'est CONTRE LUI-MÊME...
Fabrègues est un vieil ami à moi. Nous sommes à moitié brouillés la moitié du temps. Mais je l'aime bien tout de même et c'est pourquoi je veux le défendre contre lui-même. Il ne m'en saura d'ailleurs aucun gré.
J'ai donc lu sa lettre dans votre dernier numéro. Elle m'a désolé.
Il vous avait promis de vous donner un article. Il s'est ravisé. Il pouvait vous en fournir de bonnes raisons : qu'il est le directeur d'un journal plus ou moins officiel ou officieux, qu'il a des tas de relations compliquées avec la hiérarchie complexe du catholicisme, etc. C'étaient des raisons discutables, mais valables.
Il a préféré vous écrire une longue tartine où s'étalent toutes ses qualités et tous ses défauts.
98:4
Ses qualités ? Il est généreux et il a le goût de la générosité. Il avait fait écho à vos livres dans *La France catholique,* ce qui n'est pas sans mérite. Il a la nostalgie d'une action courageuse et simple avec les amis contre les ennemis, avec le vrai contre le faux. Tout cela se voit, se sent, se retrouve dans sa lettre.
Ses défauts ? Ce sont ses qualités mêmes, mais aux prises avec la vie, qui oblige à des choix qu'il hésite à faire, à des décisions qu'il hésite à prendre.
Le résultat, c'est qu'il se sent seul. Il n'a pas fait un ami chez ses ennemis. Ceux qui devraient être ses amis le demeurent, mais de loin. Et il tombe sous la tutelle de nécessités qu'il baptise amitiés. Il en souffre parce qu'il demeure honnête. Mais il est menacé, parce qu'il a besoin de chaleur humaine autour de lui et que la solitude lui pèse.
C'est pourquoi je veux le défendre contre lui-même à propos des lignes insensées qu'il vous a écrites vers la fin de sa lettre et que je dois reproduire. Critiquant vos « Documents » (c'est son droit), il écrit :
« Il y a là-dedans un angle de vue qui me paraît -- pardonnez-moi -- un peu « étroit ». Surtout, il y a cette reproduction in fine d'un texte concernant un homme qui est pour moi plus qu'un ami déjà ancien : un inséparable compagnon de travail, de lutte et d'espérance.
« Sur la route où nous sommes -- et où nous sommes effroyablement solitaires, n'étaient ces jeunes hommes que je vois surgir depuis quelques mois et qui nous éclairent d'un avenir certain -- l'amitié est une des choses auxquelles il ne faut rien refuser. Le plus grand de nos amis est mort. Il est pour nous, cependant, toujours vivant : Bernanos reste parmi nous. Je veux aussi préserver l'amitié des vivants. »
99:4
A la lecture de ces lignes, j'ai bondi (je n'ai pas été le seul).
Ce monsieur qui est « plus qu'un ami » pour Fabrègues, c'est M. Henri Rollet. Vous l'avez nommé dans votre commentaire.
Eh ! bien, *primo* on ne compare pas M. Rollet à Bernanos ; *secundo* on ne traite pas pour rien M. Xavier Vallat parce qu'il présente quelques observations aussi courtoises que pertinentes à M. Rollet.
Je n'ai jamais écrit une ligne contre M. Rollet, mais puisqu'il est à ce point pernicieux qu'il accule aujourd'hui Jean de Fabrègues à une attitude et à des expressions infiniment regrettables, j'en dirai le mal que j'en pense.
Je le dirai avec d'autant plus de tranquillité que, comme toujours en ce genre de questions, le dommage n'en sera que pour moi. Pour lui, ce ne sera qu'un beau tapis moelleux qui rendra plus confortable encore sa marche à l'Institut que lui ouvrent, paraît-il, ses bouquins sur le catholicisme social. (C'est une joie, quand on y réfléchit, de penser que notre sainte religion, si secouée de l'intérieur et de l'extérieur, garde encore de petits secteurs de rentes à grappiller, et qu'on puisse y faire, comme aux belles époques et contrairement au mot de Péguy que vous citiez le mois dernier, sa carrière et son salut).
Évidemment, il est un peu bizarre que n'ayant jamais écrit contre M. Rollet, je le fasse aujourd'hui à cause de quelques mots fâcheux de Fabrègues. Mais tant pis, mieux vaut tard que jamais.
100:4
Du reste, c'est indispensable, car si Fabrègues voit en lui « plus qu'un ami », un « inséparable compagnon de travail, de lutte et d'espérance », c'est qu'il est capable de faire beaucoup de dégâts. Mieux vaut prévenir ces dégâts, quitte à le mettre tout de suite à l'Institut.
D'où vient mon ire ?
De ce qu'on ne remplace pas un Castelnau et un Le Cour Grandmaison par un Rollet.
Quand j'ai vu M. Rollet, il y a deux ou trois ans, devenir président de la Fédération Nationale Catholique, j'ai compris qu'il y avait encore quelque chose qui fichait le camp en France, et j'en ai ressenti une grande mélancolie. De la guimauve à la place du granit.
Que connaissais-je de M. Rollet ? Qu'en connais-je encore ? Je l'ai rencontré quelquefois. Mais je ne le connais pas. Je ne connais que ses articles. Ils suffisent. *Bla-Bla-Bla* et *Beni-oui-non.* Le style, c'est l'homme.
Son style est au-dessous du médiocre.
C'est un style qui a l'air de rassembler, composer, harmoniser, mais qui dissout, décompose, désagrège. C'est un style qui prend toutes les précautions de la vérité pour ne secréter que du mensonge.
Un style diplomate -- à la mesure de notre diplomatie moderne.
Je garde le souvenir indigné d'un article qu'il publia le 28 mai 1954 dans *La France catholique.* Un article en l'honneur de Pie X, intitulé « Une grande voix chrétienne dans le monde nouveau des travailleurs ».
En voici les deux premiers paragraphes :
101:4
« *Je voudrais que tous les prêtres de la campagne connaissent les choses qui intéressent les paysans comme leur théologie. Ils n'en feront jamais trop pour montrer combien l'Église aime ceux qui travaillent*. »
« A ce souhait que formulait Pie X, en mars 1904, quand il accueillait le premier missionnaire agricole, l'abbé François, du diocèse de Cambrai, les catholiques français devaient déférer du meilleur de leur cœur. Ni le conflit avec l'État et les persécutions qui s'ensuivirent, ni la condamnation de l'erreur moderniste et l'exploitation que tentèrent d'en faire les tenants de l'intégrisme, n'empêchèrent des hommes, au demeurant très divers, d'accomplir un vaste effort d'approfondissement doctrinal et d'action sociale où l'on retrouve Albert de Mun et l'abbé Lemire, les amis d'Henri Bazire et ceux de Marc Sangnier, les fidèles de la Chronique sociale et celles de l'action sociale de la femme. De sorte que, dans une vue d'histoire, le pontificat de Pie X se distingue par le remarquable développement des initiatives sociales préparées sous Léon XIII. »
Si vous ne trouvez pas cela un chef d'œuvre, c'est que vous êtes difficile !
Je regrette de ne pas pouvoir citer tout l'article. Mais il est vraiment trop long. C'est dommage, car vous y trouveriez un modèle insurpassable dans l'art de citer les noms et de faire à chacun sa part -- avec une bonne petite touche silloniste dominante.
« *Ah !* dira le malin, *je vois le bout de votre oreille. Vous n'aimez pas Monsieur Rollet parce qu'il est silloniste et que vous ne l'êtes point*. »
Justement, là n'est nullement mon reproche. Que M. Rollet soit silloniste, c'est son droit. Je ne suis contre le droit de personne. Mon reproche est bien plus grave. Je reproche à M. Rollet, sous les apparences de rendre hommage à Pie X, de le diffamer purement et simplement. De le diffamer non pas en le blâmant, en discutant le bien-fondé de ses actes et de sa pensée, mais en ayant l'air de le suivre, de s'agenouiller devant lui et en l'emberlificotant dans un pathos où sa figure devient une caricature.
102:4
Pie X a été canonisé. C'est un saint. Son pontificat est marqué par quelques actes essentiels : condamnation du modernisme, lettre sur le Sillon, première communion des enfants, restauration du chant grégorien, etc. Il est comme il est. Pour moi, comme il est, c'est non seulement un saint, mais encore un homme qui a sauvé l'Église de périls immenses, par un mélange extraordinaire de douceur et de fermeté qui se sont révélés des instruments d'une valeur politique incomparable.
On peut être d'un avis différent. On ne peut défigurer l'homme et altérer le saint.
Le faux respect, la fausse vénération, le faux hommage sont inadmissibles.
Si M. Rollet pense : « *Pie X* *est un saint, mais c'est un imbécile* », qu'il l'écrive ! D'autres l'ont écrit avant lui. Ils se croient bien intelligents. Tant mieux pour eux !
Si M. Rollet pense : « *Pie X* *est un saint, mais il a eu tort de condamner le modernisme* », qu'il l'écrive : ça ne donnera pas une idée bien fameuse de sa jugeote, mais ce sera franc.
Mais écrire que *la condamnation du modernisme n'a pas empêché un vaste effort d'approfondissement doctrinal,* c'est un peu se moquer du monde.
« Ce n'est pas cela qu'il a écrit » gémiront les « imbéciles » chers à l'ami mort de Fabrègues.
103:4
Excusez-moi : je sais lire. Je sais parfaitement que l'illettré comme le lettré qui se sentiraient d'accord avec Pie X ou qui s'inclineraient devant sa sentence, écriraient quelque chose comme ceci :
« La condamnation du modernisme et la Lettre sur le Sillon redressèrent les esprits et obligèrent à un nouvel approfondissement doctrinal, sans freiner pour autant un vaste développement de l'action sociale. »
Et si l'on n'est pas d'accord avec Pie X ?
Si l'on n'est pas d'accord, on le dit, ou on se tait.
En tous cas, on n'est pas président de la Fédération Nationale Catholique avec une duplicité pareille dans le style. Imaginez-vous un Castelnau ou un Le Cour Grandmaison écrivant ce qu'écrit M. Rollet ?
On me dira que M. Rollet a été mis là où il est pour opérer des rapprochements entre fractions diverses, courants opposés, etc. Je répondrai que l'équivoque fait la division et non pas l'union. Aujourd'hui plus que jamais c'est la clarté, la fermeté, le caractère qui peuvent rassembler. M. Rollet ne rassemblera rien ni personne.
Quand Jean de Fabrègues met M. Rollet au rang de Bernanos et ne veut même pas considérer qu'en face de M. Rollet, son plus qu'ami, il y a M. Xavier Vallat qui existe et qui peut avoir quelque signification au plan humain et chrétien, je me sens devenir méchant contre M. Rollet parce que je me dis que ce Monsieur doit être tout de même bien puissant pour dénaturer Pie X et mettre Fabrègues en si déplorable posture.
104:4
C'est pourquoi je vous dis, mon cher Madiran, de ne pas en vouloir à Fabrègues. Manifestement son M. Rollet est sa tunique de Nessus. Un homme heureux n'a pas de tunique. Avec son « inséparable compagnon de travail, de lutte et d'espérance », Fabrègues est solitaire. On s'en doute un peu.
Bon courage (comme il dirait). Ne souffrez pas trop. Surmontez votre solitude. Ce sont les grâces que je vous souhaite.
Louis SALLERON.
IMPOSSIBLE de se sentir seul, mon cher Salleron, quand des hommes de votre trempe et de votre cœur non seulement sont auprès de moi, mais encore tiennent à le manifester.
Je pourrais publier votre lettre, vous en remercier et m'en laver les mains. Mais j'ai une chose à dire et je vais la dire : je suis d'accord avec votre jugement sur M. Rollet et je le contresigne.
Quand j'ai reproduit dans le n° 1 les objections de M. Xavier Vallat sans les prendre à mon compte, je n'y voyais ni malice, ni scandale : je ne connaissais pas M. Rollet.
Mais les étranges phénomènes qui se sont alors produits autour de lui, sinon par lui, et qui vous ont indigné, m'ont intrigué. J'ai voulu m'instruire. Au moment où vous m'écriviez votre lettre, j'achevais de lire la plume à la main le livre contesté de M. Rollet, dont le titre exact est : *Sur le chantier social.* Je peux dire que, maintenant, et en connaissance de cause, je reprends à mon compte les objections de M. Xavier Vallat concernant l'attitude de M. Rollet à l'égard du Sillon. Je redis après vous et comme vous que la sympathie affichée de M. Rollet pour le Sillon n'a aucune importance à nos yeux, il faut de tout pour faire un monde, mais que *la manière dont il traite Pie X*, *à propos du Sillon*, est inacceptable. Cette manière, dans son livre, est identique à celle que vous relevez dans son article ; sinon plus nette, du moins plus étalée.
Souhaitons que votre propos soit compris, s'il rencontrait trop d'incompréhension, et si elle se manifestait trop, je serais dans la nécessité (et dans le devoir) de reproduire et de commenter la collection des textes de M. Rollet concernant Saint Pie X.
Jean MADIRAN.
============== Fin du numéro 4.
[^1]: -- (1). *Osservatore romano,* édition française, 8 février 1952.
[^2]: -- (1). LÉON XIII : Encyclique Rerum Novarum, n° 18.
[^3]: -- Pie XI : Quadragesimo Anno, n° 90.
[^4]: -- Pie XI : Divini Redemptoris, n° 58.
[^5]: -- *Idem,* n° 54.
[^6]: -- Pie XII : Allocution du 11 mars 1945.
[^7]: -- Pie XII : Lettre du 10 juillet 1946.
[^8]: -- Pie XII : Lettre du 19 juillet 1947.
[^9]: -- Pie XII : Allocution du 7 mai 1949.
[^10]: -- *Idem.*
[^11]: -- Pie XII : Message radiophonique du 4 septembre 1949**.**
[^12]: -- Pie XII : Allocution du 11 septembre 1949.
[^13]: -- Pie XII : Allocution du 3 juin 1950.
[^14]: -- Pie XII : Allocution du 6 avril 1951.
[^15]: -- Pie XII : Allocution du 31 janvier 1952.
[^16]: -- Pie XII : Allocution radiophonique du 14 septembre 1952.
[^17]: -- Pie XII : Message radiophonique du 24 décembre 1955.
[^18]: -- Voici les dates de ces interventions :
Pie XI : 15 mai 1931 ; 19 mars 1937.
Pie XII : 11 mars 1945 ; 10 juillet 1946 ; 19 juillet 1947 ; 7 mai 1949 ; 4 sept 1949 ; 11 septembre 1949 ; 3 juin 1950 ; 6 avril 1951 ; 31 janvier 1952 ; 5 juillet 1952 ; 14 septembre 1952 ; 24 décembre 1955.
Ces interventions se répartissent comme suit : 6 appels au monde entier ; 3 appels aux Semaines Sociales de France ; 2 à des Associations italiennes ; 1 aux Ouvriers belges ; 1 aux Allemands ; 1 aux Autrichiens. Pour alléger, nous n'avons pas mentionné les interventions signées de la Secrétairerie d'État.
[^19]: -- Voir *Itinéraires* d'avril et de mai (n°2 et 3).
[^20]: -- *Itinéraires,* numéro d'avril, pages 40-41.
[^21]: -- Du moins les *Études* (numéro de mai) indiquent ou suggèrent que des réserves sont à faire : « ...*Beaucoup trouveront sans doute que ces pages auraient demandé plus de nuances... Dans l*'*ensemble des chapitres consacrés à la France, un peu plus de recul aurait été nécessaire...* »
[^22]: -- Cette inquiétude a été confirmée dans l'esprit de tous ceux -- j'en suis -- qui ont entendu à *Paris-Inter,* le 2 mai à 20 h. 30, l'émission consacrée au livre de M. Vaussard en sa présence et avec sa participation. Les fonctions qu'il occupe dans les organisations catholiques ont été mentionnées, une fois de plus, comme autant de cautions pour les thèses développées dans son ouvrage**.** Puisqu'il y a répétition et insistance, je répète et j'insiste moi aussi : je répète que c'est un scandale douloureux de voir et d'entendre invoquer de telles fonctions au profit d'un livre aussi injuste et aussi méchant à l'égard de saint Pie X.
[^23]: -- Il s'agit des accords qui, à la demande de M. Mendès, alors président du Conseil, ont été substitués en Europe aux projets dits de C.E.D. (N.D.L.R.)
[^24]: -- Trois candidats sont ceux de notre Association et un autre est élève d'un grand Séminaire. (Note de M. Claude Sand).