# 07-11-56 1:7 ## Éditorial DITES AUX FRANÇAIS QUE LE PAPE AIME LA FRANCE D'UN AMOUR SPÉCIAL. QU'IL L'A MONTRÉ DANS UN MESSAGE OÙ IL MIT TOUT SON CŒUR. MAIS QUE CE MESSAGE N'EST PAS PARVENU A LA CONNAISSANCE DE LA PLUS GRANDE PARTIE DU PEUPLE FRANÇAIS. Nous sommes tous atteints par cette plainte, par ce reproche, implicites et tellement discrets. Mais si nets. Car c'est le Saint-Père lui-même qui parle. Il a dit à S. Em. le Cardinal Gerlier, le 24 septembre à Castelgandolfo (déclaration manuscrite reproduite dans *La Croix* du 2 octobre et dans la *Documentation catholique* du 14) : **« Dites à Nos chers fils que l'Église et son pauvre chef connaissent leurs angoisses, leurs doutes, les problèmes qui les inquiètent.** **Que le Pape les aime d'un amour d'autant plus ardent et paternel qu'il les sait dans la peine.** **Qu'il est anxieux de les aider, anxieux de faire parvenir le message du salut aux multitudes qui l'ignorent.** **Qu'il s'occupe sans cesse de la question sociale.** 2:7 **Qu'il aime d'un amour spécial la France, comme il l'a montré, même tout récemment, dans un Message où il mit tout son cœur, mais qui n'est pas parvenu à la connaissance de la plus grande partie du peuple français.** **Qu'il désire la prospérité, le bonheur, la grandeur de leur patrie.** **D'autre part, le Pape a le devoir de garder et de défendre la pureté et l'intégrité de la doctrine et de la morale catholiques**, *depositum custodi* (I^ re^ Ép. à Tim.). **Courage, chers fils. Travaillez avec ferveur. Ayez confiance dans la protection divine. Recevez Notre paternelle bénédiction, et qu'elle répande sur vous les grâces les plus choisies et les plus fécondes. »** La veille du 24 septembre, un peu avant midi, j'avais vu S. Em. le Cardinal Gerlier traverser Saint-Pierre de Rome, et j'hésitais à aller le saluer. Je connais mal les usages. Je n'ai pas surmonté cette hésitation. Je pensais pourtant à la réputation de grande bonté du Cardinal, j'en voyais les signes sur son visage. J'aurais voulu lui dire... Sans doute n'était-ce pas le lieu ni le moment. Et puis, la piétaille doit rester dans le rang. Mais aujourd'hui, je revois en pensée la démarche du Cardinal, l'expression pleine de dignité et de paix de celui qui allait recevoir le plus émouvant des messages du Saint-Père. Disons au Messager que nous recevons les paroles qu'il a eu l'insigne privilège de rapporter, que nous les gardons dans notre cœur, et que nous aiderons autant qu'il est en nous à les transmettre aux Français. \*\*\* 3:7 PLUS QU'AUCUN AUTRE de ses prédécesseurs, le Pape Pie XII exerce et illustre quotidiennement le ministère de la parole, au prix d'un travail que l'on sait immense et comme surhumain. L'homme du vingtième siècle étouffe dans un monde irrespirable, il meurt de soif, et sans même savoir que cette soif est celle de la Vérité. Et sans entendre que chaque jour le Pape Pie XII lui parle, pour lui donner ce dont il a le plus besoin. Jour après jour, en personne, le Saint-Père lance « le message du salut aux multitudes qui l'ignorent ». Et « sans cesse il s'occupe de la question sociale » : ses lettres, ses interventions, ses allocutions, particulièrement nombreuses et détaillées en ce domaine, donnent à la doctrine catholique un degré de précision et d'achèvement paradoxalement méconnu. Jour après jour, par la parole, le Saint-Père « défend la pureté et l'intégrité de la doctrine et de la morale catholiques » : peut-être est-il le Souverain Pontife qui aura le plus expliqué et le moins condamné, le plus enseigné et le moins rejeté. Il ne frappe pas, il expose, il reprend, il corrige, s'efforçant inlassablement de persuader ses fils orgueilleux et aveuglés. Jour après jour, il porte le poids des « angoisses, des doutes, des problèmes qui nous inquiètent », et plus que d'anathématiser nos défaillances il est « anxieux de nous aider ». Le Souverain Pontife nous entr'ouvre son cœur paternel et douloureux. Et, si doucement, il nous dit qu'il n'est pas entendu. \*\*\* 4:7 NOUS RETOURNONS EN NOUS-MÊME ces confidences murmurées à l'oreille de chaque Français, et nous faisons le compte de tout ce que nous n'avons pas fait. Le compte de nos distractions profondes et de nos indocilités rebelles. Le compte de nos négligences et de nos lâchetés. N'accusons personne que nous-mêmes, ne frappons d'autre poitrine que la nôtre. A chaque instant nous oublions que nous sommes les hérauts et les témoins de la parole du Vicaire de Jésus-Christ : nous n'y mettons ni la fierté, ni l'humilité, ni la patience, ni la constance que le Père attend et réclame de ses fils. Et ainsi son message « n'est pas parvenu à la connaissance de la plus grande partie du peuple français ». Devançant les confidences du Saint-Père, allant pour ainsi dire à leur rencontre, S. Exc. Mgr Rupp nous disait en août : « *Il faut connaître l'enseignement de l'Église qui se récapitule en celui du Pape. Chacun d'entre nous a le droit et le devoir de se faire le héraut des paroles pontificales... Chaque chrétien est le paroissien du Pape, docteur universel, pasteur immédiat de tout le troupeau. Répandons, vivons son message. C'est le vœu de l'Épiscopat, de toute l'Église de France.* » 5:7 S.S. Pie XII disait de saint Pie X, lors de sa canonisation, que lui et nul autre a décisivement fixé l'attitude de l'Église en face du monde moderne. Or saint Pie X nous avait avertis : « La société est malade, toutes les parties de son corps sont touchées, les sources de la vie sont atteintes. L'UNIQUE REMÈDE, C'EST LE PAPE. » Que la France prête l'oreille, et elle est sauvée. J. M. ### Le Message aux Français *Notre tâche n'est pas d'éditer in extenso le texte des Messages du Souverain Pontife* (*c'est le rôle de la* Documentation catholique*,* 5*, rue Bayard, des* Nouvelles de Chrétienté, 25 *boulevard des Italiens ; etc.*)*, mais plutôt de les étudier, de les méditer et de les appliquer, d'abord à nous-mêmes et à nos responsabilités personnelles et civiques, par exemple comme le faisait D. Minimus dans notre précédent numéro* (*Encyclique sur le Sacré Cœur*) *et comme le fait ordinairement Marcel Clément. L'insistance attristée du Souverain Pontife sur son Message aux Français, où* « *il mit tout son cœur* »*, et dont il constate qu'* « *il n'est pas parvenu à la connaissance de la plus grande partie du peuple français* »*, nous conduit à le donner ici en son entier.* *Ainsi nos lecteurs auront-ils l'occasion de le relire et un moyen supplémentaire de le faire connaître autour d'eux. Nous y soulignons en italiques les vérités qui nous paraissent actuellement les plus méconnues du peuple français.* (*Message du* 24 *juin* 1956*, adressé par radio au peuple de France, à l'occasion des fêtes de la restauration de la cathédrale de Rouen et du V^ e^ centenaire de la réhabilitation de Jeanne d'Arc.*) 6:7 En cette heure solennelle, en laquelle *toute une nation chrétienne, représentée par ses personnalités les plus éminentes, offre au Seigneur une messe d'action de grâces* sous les voûtes d'une merveilleuse cathédrale qui renaît à la vie, tel un malade qui a surmonté une crise grave à force d'énergie et d'endurance ; en cette heure où vous célébrez le V^e^ centenaire de la réhabilitation de sainte Jeanne d'Arc, comme une grande famille qui retrouve en l'un de ses enfants l'incarnation de ses valeurs les plus hautes et les plus représentatives, ce Nous est une grande consolation de manifester Nous aussi la joie qui remplit Notre âme et de vous féliciter, fils bien-aimés, pour cette fête d'une maison de Dieu et d'une héroïne de la sainteté, qui sont vos légitimes gloires. Qui donc, en cette triste journée du printemps de 1431, regagnant sa demeure les yeux baissés et le cœur abattu, après avoir assisté à la tragédie de la place du Vieux-Marché, s'il eût fixé les yeux sur l'édifice grandiose de votre cathédrale pour y chercher réconfort, aurait jamais pensé que la présente journée historique réunirait Jeanne et ce temple, comme si sur eux eut pesé un commun destin de vocation divine, de souffrance et de martyre, de mort apparente et de glorieuse résurrection, pour les dresser devant le monde comme *symbole tangible des vertus d'une race, comme authentique expression de l'âme nationale ?* Il faudrait remonter jusqu'aux siècles où l'histoire se confond avec la légende, pour retracer les vicissitudes subies par votre cathédrale, en évoquant les noms des saints et des hommes illustres qui en ont occupé le siège, et pour la suivre à travers les âges comme une vivante image du peuple, de la cité et de la région, dont elle partagea les joies et les peines. C'est en elle, comme dans une Bible de pierre, que vos aïeux lurent les vérités de la foi, suivirent avec admiration les hauts faits de leurs ancêtres, admirèrent les beautés les plus pures mises au service de l'idéal le plus élevé, *apprirent à prier et, en même temps, se sentirent plus frères* sous l'étreinte de ses grandes voûtes. Ses lignes élancées leur montraient le chemin du ciel et la légèreté de ses masses leur enseignait le détachement du monde. Dans le ciel clair de Normandie allaient passer des lueurs d'incendie, les nuées de la guerre chargées de désolation et d'épouvante, et même *les ténèbres que créent l'abandon des hommes et les excès sacrilèges de la Révolution. *Mais la cathédrale restera toujours debout, elle trouvera toujours la main et le cœur qui lui donneront une vie nouvelle, parce qu'elle exprime des réalités immortelles et que ses fondements s'appuient sur le rocher de la foi, *d'une foi sentie et transformée en substance de vie jusqu'à former pour un peuple son caractère le plus essentiel.* Et voici que, onze ans à peine après la dernière tourmente, vous revenez l'admirer dans toute sa splendeur. Votre constance, votre générosité et votre enthousiasme méritent un éloge spécial que Nous sommes heureux de vous accorder. Cet éloge s'adresse en particulier aux autorités publiques, grâce auxquelles la cathédrale a pu être relevée de ses ruines ; il va aussi à ceux qui ont soulevé ces pierres de leurs propres mains et renouvelé ainsi les traditions vénérables des siècles passés. 7:7 Aimez-la, fils bien-aimés, parce qu'elle est vôtre, parce qu'elle vous représente, parce qu'elle vous est un bienfait ou, comme dit un hymne : *Elle est la barque qui nous porte sans péril,* *Le bercail dont le toit nous abrite,* *La colonne de la vérité et notre sûr appui* ([^1]) Quel contraste entre cette inaltérable stabilité et les frêles apparences de l'humble jeune fille qui devait avoir une si grande part dans l'histoire de France ! Et pourtant, cette enfant, à première vue si fragile, devenait elle aussi un solide édifice. Telle une cathédrale enracinée dans le sol, elle creusait *ses fondements dans l'amour de la patrie, dans un désir véhément de paix et une soif de justice* qui devaient l'arracher de l'ombre où elle semblait confinée pour la jeter dans le cours violent de l'histoire. Choisie par Dieu, une conscience inébranlable de sa mission, un désir ardent de sainteté alimenté par la volonté de mieux correspondre à sa très haute vocation, lui feront surmonter les obstacles, ignorer les périls, affronter les grands de la terre, se mêler aux problèmes internationaux du temps, et même se transformer en capitaine habillé de fer, pour monter, terrible, à l'assaut. Plus d'une année de campagne, semée de combats et de victoires, la prise d'Orléans, le sacre de Reims, les chevauchées interminables, les blessures et les prisons, semblent les pages magnifiques d'une légende dorée. Mais en face de la simplicité exemplaire, du parfait désintéressement, de l'idéal sans tache, se dressent la prudence du monde, la cupidité, l'incompréhension et la corruption, qui vont tisser leurs filets pour l'isoler, l'immobiliser et la faire périr comme un ennemi dangereux. Dans le ciel de Normandie ont repassé des ombres sinistres, l'obscurité revient couvrir pour un moment la Rouen lumineuse. Et voilà qu'une fois encore les flammes d'un bûcher ravivent l'incendie sur l'une de ses places ; dans le silence, résonnent les paroles d'une martyre fidèle à sa vocation, pleine de foi en l'Église, à laquelle elle en appelait, invoquant le très doux nom de Jésus, son unique consolation. A travers la fumée qui monte, elle fixe la Croix, certaine qu'un jour elle obtiendra justice. Plus tard, sur les ruines de la cathédrale, une croix aussi serait l'espérance de la reconstruction future. Vie longue ou brève, triomphe ou déroute apparente, solidité de la pierre ou fragilité d'une pauvre jeune fille mortelle : peu importe, s'il existe une Vérité immuable, une Foi qui ne peut passer, l'amour d'une Patrie immortelle, l'attente d'une Paix qui est une exigence naturelle du cœur humain, la soif d'une Justice qui nécessairement l'emportera à l'heure fixée par l'histoire, à l'heure de la reconstruction, de la réhabilitation, de la résurrection. *Loi nécessaire, qui unit toujours le sacrifice au triomphe, l'humiliation à la gloire, le mystère du calvaire à l'aube lumineuse du matin de la résurrection.* Heureux le peuple qui s'en souvient, même pour affronter, s'il le fallait, le jugement des hommes, comme Jeanne l'a su faire avec une admirable constance et une inaltérable sérénité, 8:7 pour ne pas refuser le sacrifice qu'elle vit venir sans craindre personne et avec une énergie merveilleuse, pour être toujours fidèle à sa vocation, spécialement aux moments les plus difficiles. Jeanne d'Arc se présente ainsi aux chrétiens de notre temps comme un modèle de foi, solide et agissante, de docilité à une mission très haute, de force au milieu des épreuves. Mais son exemple doit être spécialement éloquent pour vous, fils bien-aimés, dont *la patrie a mérité, en vertu d'un appel divin, de renaître en un moment si difficile*. Vous êtes les frères d'une héroïne, simple fille de votre peuple. Par sa vie exemplaire, sa consécration à un idéal et son parfait sacrifice, *elle enseigne à tous le chemin sûr,* en ce siècle de sensualité, de matérialisme, de laisser-aller, qui voudrait faire oublier le sentier tracé par les héros les meilleurs, et la voie qui mène au portail grandiose des vieilles cathédrales. Il n'est pas rare qu'aux instants les plus critiques, ainsi qu'un coup de vent rompt les nuages et laisse voir l'étoile qui guidera le navigateur au port, le Seigneur envoie l'inspiration surnaturelle qui doit faire d'une âme le salut de son peuple. Levez donc les yeux, fils bien-aimés, dignes représentants d'une nation qui se glorifie du titre de fille aînée de l'Église, et regardez les grands exemples qui vous ont précédés ; levez les yeux et admirez ces splendides cathédrales qui demeurent parmi vous un vivant symbole de cette Église catholique au sein de laquelle vous avez grandi. Mieux encore, entrez d'un pas assuré dans la cathédrale de Dieu, vénérez les saints qui se trouvent sur ses autels, tombez à genoux devant le Dieu qui vous attend au tabernacle, *renouvelez votre profession de foi, promettez-lui de nouveau votre fidélité la plus parfaite, et soyez sûrs que ce faisant, vous répondrez à votre vocation d'hommes, de chrétiens, de Français. *S'il arrive que souffle au dehors le vent mauvais, si le mensonge, la cupidité, l'incompréhension trament le mal, *s'il vous semble, même, devenir victimes à votre tour, regardez vos héros réhabilités, vos cathédrales reconstruites et vous vous convaincrez une fois de plus que toujours la dernière victoire est celle de la foi,* de la sainte foi, que rien ne peut abattre et dont l'Église catholique est l'unique dépositaire. Catholiques français, dignes représentants *d'une nation qui dans son titre de catholique a toujours trouvé le stimulant le plus fort pour écrire les pages les plus glorieuses de son histoire !* Des tours de vos cathédrales tombent les notes graves ou joyeuses des cloches, comme la rosée qui descend sur La terre pour la rafraîchir et la féconder, du sol généreux de ce jardin de l'Europe qu'est la France, germent les héros de la Patrie et de la Foi, qui, par amour pour leur mère, si sa défense l'exige, savent batailler, souffrir et mourir, dans la certitude que les lauriers du triomphe ne sauraient jamais manquer à qui accepte de se sacrifier pour une cause grande et juste. *Et s'il peut sembler un moment que triomphent l'iniquité, le mensonge et la corruption, il vous suffira de faire silence quelques instants et de lever les yeux au ciel pour imaginer les légions de Jeanne d'Arc qui reviennent, bannières déployées, pour sauver la Patrie et sauver la Foi*. 9:7 Par l'intercession de tant de saints qui ont occupé le siège de Rouen, par l'intercession surtout de cette grandiose figure dont vous commémorez aujourd'hui la réhabilitation, que la bénédiction du Très Haut descende sur vous tous ici présents, sur nos frères dans l'épiscopat, le clergé et les fidèles, sur les très dignes autorités qui, par leur présence et leur appui, ont tant contribué à l'éclat de ces solennités, et, par-dessus tout, sur la France, qui Nous est si chère, et à laquelle Nous souhaitons la paix et le bonheur *dans la plus parfaite adhésion à ses destinées de grande nation catholique.* ## 10:7 ## CHRONIQUES ### Pie XII et la vocation de la France *Marcel Clément, qui n'est pas actuellement en Europe, a écrit cet article et nous l'a envoyé avant que S. Em. le Cardinal Gerlier ait rapporté les paroles que le Saint-Père l'avait chargé de dire aux Français* (*voir notre éditorial*)*.* AU FUR ET À MESURE que le Pontificat du Pape Pie XII se développe, les peuples du monde perçoivent mieux l'immense paternité spirituelle qu'Il exerce sur tous les hommes de notre temps. Sa prière pour la paix, depuis tant d'années, n'est pas seulement montée jusqu'à Dieu. Elle a retenti dans tous les cœurs droits. Son œuvre doctrinale, même si elle n'est pas encore suffisamment comprise et méditée, n'en est pas moins manifestée par l'imprimé ou portée sur les ondes au point de faire tomber, peu à peu, les barrières de l'incompréhension et de l'indifférence. Il est toutefois un aspect plus intime de la pensée et de l'action du Saint-Père, et qui nous concerne plus directement encore. On sait de quel amour universel Il enveloppe l'Église dont Il est le chef visible. On sait moins de quelle affection particulière Il entoure chaque pays. Parce que les circonstances et aussi les progrès de la technique le permettaient, parce que Son cœur le lui commandait, Pie XII s'est adressé, à plusieurs reprises, à chaque peuple en particulier. Il l'a fait avec une si exacte connaissance de la culture et de l'histoire de chacun d'eux, avec une intuition si sûre de son caractère et de ses aspirations, que dans les diverses parties du monde, les chrétiens se savent compris et se savent aimés mieux et plus encore qu'ils n'auraient osé l'espérer. 11:7 C'est dans cette perspective, où le Pape, de façon réelle et vivante, apparaît comme le père de la famille des nations, qu'il faut se placer si l'on veut connaître profondément le sens de l'attitude de Pie XII à l'égard de la France. A chaque fois que s'est produite « *l'affectueuse rencontre du Père de la grande famille chrétienne avec sa fille aînées, la France catholique* ([^2]) », Pie XII lui a adressé des paroles qui ne sont pas seulement conventionnelles. Comme un père s'entretient avec sa fille aux heures graves de la vie, Il lui a rappelé ses talents particuliers, Il lui a confirmé ses aspirations profondes, Il l'a encouragée à les réaliser. Celui qui devait accéder au Souverain Pontificat le 2 mars 1939 était encore le Cardinal Pacelli lorsque le 13 juillet 1937, à Paris, en un discours inoubliable, Il rappela à la France sa vocation catholique. Ce texte, pourrait-on penser, n'est pas un acte du Magistère. Sermon de circonstance donné par un Légat, il ne peut être mis sur le même plan que les messages pontificaux eux-mêmes. Comme pour éviter qu'il y ait un doute à ce sujet, le Pape Pie XII a tenu à renouveler, le 6 janvier 1945 dans une lettre à l'Épiscopat français, l'appel qu'Il avait lancé huit ans auparavant : « *Avec plus de conviction encore qu'il y a bientôt huit ans, Nous vous redisons les paroles que nous prononcions du haut de la chaire de Notre-Dame* ([^3]) ». De ces deux documents, il faut encore rapprocher le Message radiophonique aux familles françaises du 17 juin 1945, l'Allocution aux journalistes français du 17 avril 1946, le Discours prononcé le 20 mai 1050 à l'occasion de la canonisation de sainte Jeanne de France et le Message radiophonique, récent, du 24 juin 1956 donné à l'occasion du V^e^ Centenaire de la réhabilitation de Jeanne d'Arc. Il faut lire à la suite toutes ces paroles du Pape à la France. Elles forment un tout qui contient la charte de notre vie nationale. L'heure est venue d'en méditer la leçon, de l'accepter intérieurement et de demander à Dieu la grâce d'y correspondre en plénitude. #### I. -- LA VOCATION DES PEUPLES L'ignorance religieuse, longtemps, a embué dans l'esprit d'un trop grand nombre de chrétiens le vrai sens de la vie intérieure. 12:7 De la vie chrétienne, beaucoup en étaient venus à faire une simple morale, un code juridique de préceptes et d'interdictions. A les voir vivre, on songeait spontanément à la définition que Trotski donnait de la religion : « une technique pour s'abstenir du péché » Ce formalisme, qui fut la faiblesse secrète du XIX^e^ siècle, est d'autant plus contraire au véritable esprit religieux qu'il contribue à faire perdre de vue jusqu'à l'hypothèse de la vocation. Vivre chrétiennement en effet, ce n'est pas seulement faire le bien et éviter le mal ; ce n'est pas seulement respecter, fût-ce scrupuleusement, les normes de la morale. C'est beaucoup plus. Vivre chrétiennement, c'est entrer chaque jour davantage dans la pensée de Dieu sur nous. C'est correspondre, chaque jour davantage, aux exigences de l'amour de Dieu sur nous. C'est savoir que nous avons reçu par nature -- et par grâce -- des talents, des aptitudes qui sont profondément ordonnés à la vocation que nous sommes appelés à réaliser par toute notre vie, conformément à un plan divin. Il dépend de nous d'accepter ce plan, de le réaliser. Il dépend de nous d'entrer dans la conception de Dieu, ce qui revient à s'unir profondément au *fiat* de Marie et à préférer, autant que cela nous est demandé, la volonté de Dieu à notre volonté propre. A la lumière de ces remarques, on peut mesurer l'énorme portée de l'affirmation faite le 13 juillet 1937 par le Cardinal Pacelli : « *Les peuples,* a-t-il dit, *comme les individus, ont leur vocation providentielle ; comme les individus, ils sont prospères ou misérables, ils rayonnent ou demeurent obscurément stériles, selon qu'ils sont dociles ou rebelles à leur vocation* ([^4]) ». Ce n'est pas une simple approbation intellectuelle que demande cette phrase. Il ne nous suffit pas ici de comprendre, tout en restant *à l'extérieur* de la pensée. De même que chacun de nous, en une heure de grâce, en vient quelque jour à pénétrer et à accepter au plus profond de lui-même, le fait qu'il a été créé par Dieu *pour* quelque chose et qu'il lui est demandé de livrer sa plus secrète liberté à la volonté divine pour réaliser ce dessein, de même, si les peuples ont une vocation, il ne suffit pas de l'affirmer, de s'en réjouir, puis de songer à autre chose. Il faut à tout prix que les fils de ce peuple, chacun dans son particulier, puis tous ensemble, se sachent, se sentent se veuillent appelés à réaliser le dessein divin, Si les nations ont une vocation, leur destin se joue un peu à la manière dont se joue le destin d'une âme. Le Cardinal Pacelli fait plus que le suggérer. 13:7 Il l'affirme lorsqu'il remarque que, comme les individus, les peuples « *rayonnent ou demeurent obscurément stériles selon qu'ils sont dociles ou rebelles à leur vocation* ». Il ne s'agit pas ici d'un problème mineur. Il s'agit tout au contraire de la question préalable à toute vie communautaire au sein de la Patrie. Les événements actuels, hélas ! ne le prouvent que trop puisqu'en définitive nos dissensions intérieures n'expriment pas autre chose que l'affrontement des conceptions contradictoires que des frères ennemis se font de ce que la France est, de ce qu'elle doit être, -- de sa vocation. Parmi les catholiques, deux familles d'esprits sont convoquées à l'examen de conscience par la redécouverte, vive et aiguë, de cette vocation de chaque peuple. Les uns, qui, au dire des autres, y croient « trop »... Ce n'est peut-être pas qu'ils y croient trop ; c'est plutôt que, parfois, ils n'en vivent pas assez ! C'est le péril même de toute vie chrétienne que d'affirmer que Dieu est notre Père, et de vivre pourtant en fils indigne. C'est le péril de toute vie politique que d'affirmer La vocation de la patrie mais de le faire avec plus d'orgueilleuse fierté d'esprit que de sacrifice... Quant aux autres, à l'inverse, ils n'entendent plus parler sans un certain agacement de la vocation de la France. Sa dignité même de « Fille aînée de l'Église » leur semble un anachronisme désuet. Pensant que dans le Christ, c'est littéralement qu' « *il n'y a plus ni Grec ni Juif* ([^5]) » ni aucune patrie terrestre, ils ne craignent pas de repousser, parfois même avec sarcasme, le vieil acte de foi : « catholique et français toujours ». Nous sommes tous pécheurs. Dieu seul est juge des intentions. Dans les heures tragiques que nous vivons, il importe que la rectitude de la conscience et La loyauté profonde du cœur permettent aux uns et aux autres de se retrouver dans l'unité. Que ceux qui croient encore à la vocation de la France sachent que La sainteté de leur vie, alimentée aux sources sacramentelles de la grâce, est le meilleur garant et le plus immédiat, de la fidélité de la Patrie à l'appel de Dieu. Que ceux qui n'y croient plus s'examinent et tentent de déceler en eux-mêmes le ressort intime de leur refus. Ils verront que si l'esprit d'orgueil peut inspirer aux uns de se glorifier d'une vocation à laquelle ils ne répondent qu'imparfaitement, le même esprit peut inspirer aux autres de refuser, unilatéralement, un appel clairement formulé du Seigneur, transmis par son Vicaire à tous les Évêques de France et, au-delà, à tous les Français. 14:7 #### II. -- LA VOCATION DE LA FRANCE Le 6 janvier 1945, en effet, le Pape Pie XII adressait à l'Épiscopat français une lettre qui se terminait par l'appel suivant : « *Avec plus de conviction encore qu'il y a bientôt huit ans, Nous vous redisons les paroles que Nous prononcions du haut de la chaire de Notre-Dame *: « *Soyez fidèles à votre traditionnelle vocation ! Jamais heure n'a été plus grave pour vous en imposer les devoirs, jamais heure plus belle pour y répondre. Ne laissez pas passer l'heure, ne laissez pas s'étioler des dons que Dieu a adaptés à la mission qu'il vous confie ; ne les gaspillez pas, ne les profanez pas au service de quelqu'autre idéal trompeur, inconsistant ou moins noble et moins digne de vous* ([^6]). » De cette vocation, le Cardinal Pacelli avait développé les thèmes le 3 juillet 1937. Les trois parties de son discours s'ordonnaient autour de trois mots d'ordre : *orate ; amate *; *vigilate. *Répondre à sa vocation, c'est, pour la France, obéir à ces trois mots d'ordre. Leur choix est déjà un enseignement. Le premier et le dernier : « Veillez et priez », sont les propres mots adressés par Jésus à ses apôtres lors de l'agonie de Gethsémani ([^7]). Quant au deuxième mot d'ordre : « Aimez », il résume la Loi et les prophètes, l'ancien et le nouveau Testament : c'est le commandement unique. Ainsi, par ces trois mots, se trouve largement mais clairement définie la vocation de la France : vocation *chrétienne* et vocation *d'apostolat. *Elle a été conçue, elle est née, elle a été baptisée pour se donner au Christ comme Peuple et pour donner le Christ aux autres nations. C'est pourquoi, « *si d'autres nations peuvent l'emporter et l'emportent tour à tour sur elle par la puissance des armes, par la puissance de l'or, par la puissance des machines, par la puissance de l'organisation, la vraie force de la France est dans les valeurs spirituelles. Tant que celles-ci se maintiendront dans leur vigueur, aucun revers ne saurait définitivement l'abattre, et, de toutes les crises, elle pourra sortir purifiée, rajeunie, plus grande et apte à s'acquitter de sa mission. Mais si jamais Dieu Nous garde d'accueillir un tel pressentiment -- elle venait à y être infidèle, les dons merveilleux qu'elle a reçus du Ciel à son baptême de Reims seraient désormais stériles ; son prestige moral resterait affaibli et le monde qui comptait et qui compte toujours sur une France forte et pleine de vie, contemplant avec effroi son déclin, sentirait qu'elle lui manque* ([^8]) ! » 15:7 Cette vocation catholique et apostolique de la France ne s'inscrit pas dans un contexte vague ou indéterminé. Elle est soutenue par les aspirations que, malgré la grande variété de leur manifestation, on retrouve à chaque génération française depuis les origines. Aujourd'hui comme hier, « *la génération présente rêve d'être une génération de défricheurs, de pionniers, pour la restauration d'un monde chancelant et désaxé *: *elle* se *sent au* cœur *l'entrain, l'esprit d'initiative, le besoin irrésistible d'action, un certain amour de la lutte et du risque, une certaine ambition de conquête et de prosélytisme au service de quelque idéal.* » Il suffirait de telles lignes pour établir cette divination qu'inspire la charité, et avec laquelle Pie XII sait s'adresser à un peuple et l'atteindre dans sa plus intime essence. Ils valent d'être médités, ces mots qui nous peignent si bien à nous-mêmes. Trois grandes idées s'en dégagent, trois grands caractères, si justement choisis, si ressemblants qu'à les reconnaître, on ne peut s'empêcher de sourire. Défricheurs ! Pionniers ! Telles sont les qualités qui, semble-t-il, paraissent d'abord aux yeux, puisque le Saint-Père les choisit pour les mettre en avant. Nous ne pouvons guère protester ! Trop de signes manifestent la vérité de la remarque. Trop d'exemples historiques l'attestent. Le Français veut être le premier. Il sent obscurément, en face d'une œuvre à faire, qu'il y est convoqué par priorité. Il brûle de s'y rendre, d'arriver avant les autres. Son enthousiasme lui ferait même volontiers dédaigner la vertu de prudence... « *Peuple, les peuples de la terre te disent léger* *Parce que tu es un peuple prompt.* *Les peuples pharisiens te disent léger* *Parce que tu es un peuple vite.* *Tu es arrivé avant que les autres soient partis* ([^9]). » Comment ne pas songer que cet élan, cette volonté de passer en premier et d'ouvrir le chemin aux autres, -- volonté qui peut jouer pour le meilleur ou pour le pire -- doivent manifester l'un de ces « *dons merveilleux* » que la France « *a reçus du Ciel à son baptême de Reims* ». N'est-il pas même le don principal, celui qui la constitue ce qu'elle est : Fille aînée, celle qui répond à Dieu la première lorsqu'Il convoque les nations à se ranger sous Son sceptre. 16:7 Mais tout de suite, le Légat de Pie XI va donner l'orientation profonde de cette aptitude à précéder les autres. C'est, dit-Il, « *pour la restauration d'un monde chancelant et désaxé* ». Le Français en effet est peut-être parmi tous les peuples, le plus soucieux de la vie politique. Il ne lui suffit pas, en effet, qu'un certain ordre matériel soit assuré dans la cité. Ce qu'il désire, au fond de lui-même, ce n'est pas tant le bien-être collectif que le Bien Commun. Le vœu de son cœur c'est une société politique profondément organique, communiant au même idéal. « *Or si,* remarquait le Cardinal, *selon les hommes et les partis, l'idéal est bien divers -- et c'est le secret de tant de dissensions douloureuses, -- l'ardeur de chacun est la même à poursuivre la réalisation, le triomphe universel de son idéal ; et c'est en grande partie l'explication de l'âpreté et de l'irréductibilité de ces dissensions* ([^10]). » En particulier, cette aspiration politique, cette aspiration à l'unité des intelligences et à l'union des volontés en vue du bien commun, qui jaillit si profondément des cœurs français, explique notre catastrophique et presque comique instabilité ministérielle. Les Français ne jugent pas, le plus souvent, l'œuvre concrète accomplie par ceux qui les gouvernent. Ils se bornent à constater que ceux-ci repoussent l'idéal qui leur est cher. Cette vocation de la France, dans l'ordre politique, cette aspiration permanente à restaurer la société correspond, profondément, à un désir *d'incarnation. *Nous voulons spontanément faire passer dans les institutions et dans les mœurs notre conception du monde. Mais, depuis l'avènement du rationalisme individualiste de 1789, qui a mis sur le même plan l'erreur et la vérité et qui a disloqué la communauté politique dans ses racines spirituelles, nous sommes semblables à des ouvriers maçons qui, discutant sans fin sur les choix de l'architecte, sont incapables de se mettre au travail. Aussi, le discours de 1937 nous rappelle-t-il que nous n'avons pas à incarner les philosophies sociales passagères, -- idées anglaises aux XVIII^e^, allemandes au XIX^e^, russes ou américaines aujourd'hui ! En effet « *du jour où le premier héraut de l'Évangile posa le pied sur cette terre des Gaules et où, sur les pas du Romain conquérant, il porta la doctrine de la croix, de ce jour-là même, la foi au Christ, l'*UNION AVEC ROME*, divinement établie centre de l'Église, deviennent pour le peuple de France* LA LOI MÊME DE SA VIE ([^11]) ». 17:7 La fidélité à cette loi a enfanté les époques de grandeur et de rayonnement chrétiens. Au contraire, les pages douloureuses de notre histoire ont correspondu aux heures « *où l'oubli des uns, la négation des autres, obscurcissaient dans l'esprit de* ce *peuple la conscience de sa vocation religieuse et* LA NÉCESSITÉ DE METTRE EN HARMONIE LA POURSUITE DES FINS TEMPORELLES ET TERRESTRES DE LA PATRIE AVEC LES DEVOIRS INHÉRENTS A UNE SI NOBLE VOCATION ([^12]) ». Aussi est-ce sans hésiter que le Cardinal Pacelli précise à quel genre d'incarnation nous devons travailler en faisant appel à « *la généreuse ardeur de la jeune France* POUR LA RESTAURATION DE L'ORDRE SOCIAL CHRÉTIEN ([^13]) ». Il ne suffit pas à ce Peuple d'incarner sa conception du monde. Il y a enfin en lui « *un besoin irrésistible d'action, un certain amour de la lutte et du risque, une certaine ambition de conquête et de prosélytisme* » ([^14]). Catholiques ou athées militants, il faut que les Français répandent leur foi. Qu'ils en aient conscience ou non, ils sont apôtres. C'est sûrement, là encore, l'un des dons du baptême de Reims. Comme les autres dons de la France, il peut devenir périlleux lorsqu'il est mis au service d'une cause qui n'est pas celle de Dieu. C'est bien la conclusion à laquelle on arrive lorsque l'on médite sur ces aspects divers de notre vocation. Elle suppose une vie chrétienne intégralement vécue. Comment, en effet, celle que Dieu appelle à être fille aînée pourra-t-elle l'être comme il faut, si elle n'est point enracinée dans *l'humilité ?* Comment le peuple que Dieu appelle à réaliser un modèle de l'ordre social chrétien pourrait-il y parvenir s'il n'est pas profondément fortifié dans la *vérité ?* Comment la nation que Dieu appelle à porter le Christ dans toutes les parties du monde peut-elle mener cette tâche à bien, si ses fils ne sont pas entre eux affectueusement unis par les liens de la *charité* vivante qui nous vient du Ciel ? A défaut de ces vertus chrétiennes intensément vécues, nos dons, nos talents, nos aspirations deviennent insupportables. Ils sont trop lourds pour nous et nous en sommes comme affolés. Au lieu d'être les premiers dans l'esprit de pénitence et de sacrifice, nous voulons être les premiers dans le domaine des seules valeurs naturelles, d'où parfois même la morale a été chassée par nos soins. 18:7 Au lieu d'incarner dans les institutions et dans les mœurs l'ordre social chrétien, nous nous épuisons en luttes stériles, et cela de façon si profonde qu'elles se manifestent même entre les catholiques. Au lieu d'être enfin les apôtres du Christ Jésus, nous portons dans le monde des idées et des philosophies à la mode, dont nous nous fatiguons nous-mêmes rapidement, mais dont pourtant, de notre faute, la nocivité se prolonge douloureusement dans le monde entier. #### III. -- LA TACHE D'AUJOURD'HUI Un examen superficiel pourrait porter à penser que dans les circonstances où nous nous trouvons, l'évocation de la mission de la France dans le monde est au moins inopportune. N'assiste-t-on pas, en quelque manière, à une succession précipitée d'événements qui manifestent bien plutôt l'échec, un échec presque définitif, de notre vocation. Ne devons-nous pas constater que la France n'est plus, selon le jugement des hommes, la première nation du monde et que d'année en année, son prestige décline. Ne devons-nous pas déplorer que nos divisions intérieures aient atteint une gravité sans précédent du fait de l'affrontement des idolâtries temporelles auxquelles s'abandonnent parfois même les chrétiens ? Ne devons-nous pas enfin dénombrer les pays d'où la présence française est en train de disparaître ? Si la vocation chrétienne de la France s'exprime dans sa primauté spirituelle, dans son unité chrétienne et dans son rayonnement apostolique, aujourd'hui, comme aux heures les plus sombres de Son histoire, on semble enregistrer, en ces années de deuil, comme le triple échec de notre vocation. Il n'en est que plus nécessaire de faire notre examen de conscience. Ce n'est point par hasard, que précisément depuis vingt ans, et à plusieurs reprises, le Pape Pie XII nous a rappelé cette vocation, qu'Il a réaffirmé notre mission. Ce rappel est rendu plus opportun encore par nos échecs. Le plan de Dieu ne change point. Le monde d'aujourd'hui n'a pas moins besoin de la France catholique que le monde d'il y a cinq cents ans. C'est encore Pie XII qui nous l'affirme : « *Regardez-le, notre temps, avec ses misères et ses angoisses, avec ses erreurs et ses égarements, avec ses soulèvements et ses injustices : ne vous offre-t-il pas une trop fidèle peinture de l'horreur qui menace l'humanité tout entière et chacun des individus qui la composent, dès qu'ils prétendent se soustraire au joug aimable de l'esprit de Dieu ?* 19:7 *Seule une France docile à cet esprit divin, purifiée, obéissante à son essentielle vocation, appliquée à valoriser toujours davantage ses plus belles ressources, sera capable d'apporter à l'humanité, à la chrétienté, en toute plénitude, une contribution digne d'elle pour l'œuvre de réconciliation et de restauration* ([^15]). » NOUS N'AVONS DONC PAS A NOUS INTERROGER SUR LES CHANCES DE SUCCÈS. NOUS AVONS A NOUS INTERROGER SUR LA VOLONTÉ DE DIEU. Qu'il y ait peu ou beaucoup de chance que la France revienne à sa vocation catholique et qu'elle renonce au laïcisme, que ses fils retrouvent dans la croix du Christ le principe de leur salut et de leur résurrection et qu'ils aillent comme par le passé porter son nom à tous les peuples de La terre, n'est pas le problème que nous avons à régler. Il nous suffit de savoir, de par la bouche du Pape et par le message transmis à l'Épiscopat français, que là est la volonté de Dieu. Avec foi, avec amour, avec la prudence aussi qui doit inspirer toutes les grandes œuvres, il nous appartient donc d'y travailler. Dira-t-on que nous n'avons pas, sous plusieurs rapports, cessé de le faire ? On pourrait en discuter. Ce qui, de toutes façons, nous est demandé, au spectacle de nos échecs et de nos deuils, c'est d'unir nos prières, d'offrir nos sacrifices, de discipliner nos pensées afin de nous retrouver nous-mêmes comme Catholiques unis au Pape et aux Évêques, de nous retrouver aussi comme Français n'ayant honte ni de la grandeur de leur vocation catholique ni de l'aveu de leurs fautes. Un tel redressement ne peut s'opérer, âme par âme, que si chacun de nous prend à la lettre les trois mots d'ordre de Pie XII : priez ; aimez ; veillez. Nous devons prier pour la France. Ce n'est pas par la puissance matérielle d'abord, ce n'est pas par La richesse économique d'abord, ce n'est pas non plus par la vertu quasi magique d'un régime politique d'abord, que la France peut se retrouver. C'est par la sainteté. Trop de chrétiens sont attiédis, trop de chrétiens sont endormis, trop nombreux surtout sont ceux qui mettent leur effort principal à faire triompher telle ou telle forme d'organisation politique ou économique, abstraction faite du développement de la vie divine dans les âmes. Pie XII insistait sur ce point dans sa lettre à l'Épiscopat français : « *Ne vous lassez pas de rappeler à vos fils qu'ils ne pourront rien donner au monde que dans la mesure où eux-mêmes auront su participer à la* « *plénitude du Christ* »*. Qu'ils sachent bien que,* APPELÉS A RÉPONDRE AUX INTIMES ASPIRATIONS DE LA SOCIÉTÉ*. Ils n'accompliront leur mission que selon le degré où ils seront parvenus dans la connaissance du Christ, de son œuvre. de sa doctrine. de l'Église qu'il a fondée en vue de perpétuer sa vie dans les âmes* ([^16]) ». 20:7 Le deuxième mot d'ordre n'est pas moins exigeant : *aimez !* Nous ne devons pas nous faire trop d'illusions. Nous sommes tous, en quelque manière, coupables à ce sujet. L'infusion de l'esprit de l'Évangile ne nous a pas encore trouvés suffisamment dociles, ni suffisamment vidés de nous-mêmes. Mais si nous nous supportons mal, si nous ne nous comprenons pas, c'est d'abord parce que notre amour du Maître n'est pas enraciné dans nos cœurs de façon suffisamment profonde. « *Un amour qui sait comprendre, un amour qui se sacrifie et qui, par son sacrifice secoure et transfigure ; voilà le grand besoin, voilà le grand devoir d'aujourd'hui. Sages programmes, larges organisations *; *tout cela est fort bien ; mais avant tout, le travail essentiel est celui qui doit s'accomplir au fond de vous-mêmes, sur votre esprit, sur votre cœur, sur votre conduite. Celui-là seul qui a établi le Christ roi et centre de son cœur, celui-là seul est capable d'entraîner les autres vers la royauté du Christ. La parole la plus éloquente se heurte aux cœurs systématiquement défiants et hostiles. L'amour ouvre les plus obstinément fermés.* ([^17]) » La réconciliation des Français peut sembler actuellement l'entreprise la plus utopique. Passionnés comme nous sommes, elle peut être celle à laquelle, tout d'abord, nous sommes le moins fermement résolus. Elle n'en est pas moins tout à fait fondamentale. Elle demandera une force d'âme peu commune. Quels que soient les événements et les circonstances qui s'offrent à nous, elle est l'objectif que Pie XII nous assigne, en particulier comme le Seul susceptible d'anéantir le marxisme dans son essence même. « *Quand j'y songe, de quel cœur, mes Frères, j'invoque la Providence divine, qui n'a jamais manqué, aux heures critiques, de donner à la France les grands cœurs dont elle avait besoin, avec quelle ardeur je lui demande de susciter aujourd'hui les héros de l'amour, pour triompher des doctrines de haines. pour apaiser les luttes de classes, pour panser les plaies saignantes du monde, pour hâter le jour où Notre-Dame de Paris abritera de nouveau sous son ombre maternelle tout son peuple.* ([^18]) » Mais cette union dans la charité ne peut être que la couronne d'un édifice bâti sur la vérité. Il faut veiller. Le Cardinal Pacelli l'a dit à Notre-Dame de Paris dans un sens bien précis. 21:7 Veiller, c'est se méfier de la séduction des idées fausses, de la magie des mots abstraits, de tout ce qui peut nous écarter, par ignorance, par légèreté, ou par orgueil, de la doctrine authentique de l'Église. « *Vigilate !* Ce *n'est pas aux seuls insouciants que ce cri s'adresse. *Il *s'adresse aussi à ces esprits ardents, à ces cœurs généreux et sincères, mais dont le zèle ne s'éclaire pas aux lumières de la prudence et de la sagesse chrétiennes. Dans l'impétueuse fougue de leurs préoccupations sociales, ils risquent de méconnaître les frontières au-delà desquelles la vérité cède à l'erreur, le zèle devient fanatisme, et la réforme opportune passe à la révolution.* ([^19]) » Cela aussi, le futur Pie XII le disait à propos de la vocation de la France, il y aura bientôt vingt ans. On ne peut dissocier la Charité de la Vérité sans à nouveau, en quelque façon, écarteler le Fils de Dieu. \*\*\* LES PEUPLES, comme les individus, ont leur vocation providentielle. Dans la famille chrétienne, dont le Père visible est le Vicaire du Christ, la France a été appelée à ouvrir en tant que peuple et pour le profit de toutes les nations, les voies qui mènent à Dieu. La laïcité, qui est ignorance volontaire et collective de Dieu, l'individualisme, qui est destruction de la famille chrétienne, les idoles intellectuelles qui ont dévoyé notre mission d'apostolat ont concouru, depuis plus d'un siècle et demi, à conduire la France dans l'impasse où elle se trouve aujourd'hui. Notre devoir de catholiques et de Français est de travailler à la rendre à sa vocation. Pour cela, le Pape nous donne trois mots d'ordre : la prière, l'amour fraternel, la vigilance devant l'erreur. Il dépend de nous d'agir en conformité avec ces mots d'ordre et de travailler activement autour de nous pour que, de proche en proche, les intelligences et les cœurs s'unissent à nouveau dans l'amour du Seigneur Jésus, dans la dévotion à la Vierge Marie, Reine de France, afin de rétablir la patrie de la terre en conformité avec les desseins de la Patrie du Ciel. « *Les hommes combattent,* disait notre grande Jeanne --, *c'est Dieu qui donne la victoire.* »* *En ces jours où tant d'hommes sacrifient la foi elle-même à l'efficacité immédiate, une certaine force d'âme est nécessaire pour travailler avec humilité et en profondeur à la résurrection *chrétienne* de la patrie. Cela aussi Pie XII nous l'a dit. Comme s'Il avait voulu prévenir une ultime objection, Il a voulu tout récemment profiter du cinquième centenaire de la Réhabilitation de la Sainte de la partie pour nous rassurer : 22:7 « *Il n'est pas rare, qu'aux instants les plus critiques, ainsi qu'un coup de vent rompt les nuages et laisse voir l'étoile qui guidera le navigateur au port, le Seigneur envoie l'inspiration surnaturelle qui doit faire d'une âme le salut de son peuple. Levez donc les yeux, fils bien-aimés, dignes représentants d'une nation qui se glorifie du titre de fille aînées de l'Église, et regardez les grands exemples qui vous ont précédés* (...) *S'il peut sembler un moment que triomphe l'iniquité, le mensonge et la corruption, il vous suffira de faire silence quelques instants et de lever les yeux au ciel, pour imaginer les légions de Jeanne d'Arc qui reviennent, bannières déployées pour sauver la patrie et sauver la foi* (...) *S'il vous semble même* DEVENIR VICTIMES A VOTRE TOUR*, regardez vos héros réhabilités, vos cathédrales reconstruites, et vous vous convaincrez une fois de plus que la dernière victoire est celle de la Foi, que rien ne peut abattre, et dont l'Église catholique est l'unique dépositaire.* ([^20]) » Marcel CLÉMENT. 23:7 ### La Réforme de l'Enseignement Réponse à un professeur (I) UN PROFESSEUR de lycée, nous l'avons annoncé précédemment, nous a fait des objections au sujet de cette partie de *Se réformer ou périr* qui a trait à l'administration de l'enseignement et qui a paru dans le n° 3 de cette revue. En fait les objections ne portent pas sur notre sujet lui-même ; nous voulions montrer que les fonctions du gouvernement sont distinctes de celles de l'administration, que leur confusion amène de grands malheurs et aboutit à l'arrêt de la vie. Or, là-dessus, notre correspondant est d'accord et nous donne des armes : « Professeur de lycée depuis trente-cinq ans, je sais autant que quiconque ce que l'on peut reprocher à l'Université. Mais je sais aussi ses qualités ; je sais que la majorité de ses membres souffrent d'être bridés par des règlements, des horaires, des programmes stupides qui leur sont imposés ; et je voudrais persuader M. Charlier que la faute en incombe non au corps professoral ni aux administrateurs locaux, mais à la Haute Administration de l'Enseignement, c'est-à-dire au personnel politique qui est censé gérer ce service public, et qui n'y fait que la preuve que de son incompétence. » Les malheurs dont souffre la France viennent d'une impuissance à voir les faits tels qu'ils sont et du désir qu'ont les gens qui ne font que passer au pouvoir de les cacher. Mais ils ne pourraient être cachés à des intelligences lucides. Il s'agit donc là d'un abaissement de l'intelligence. Or une crise de l'esprit ne peut se guérir que par des soins donnés à l'esprit : c'est avant tout une question de formation de la jeunesse, donc une question d'école ou d'atelier. 24:7 « Pour améliorer la situation je refuse de croire à la nécessité d'un chambardement total ; la réforme de l'enseignement, dont on nous bourre le crâne depuis des années, et qui est commencée sans que l'on sache dans quel sens on veut la développer, n'a fait qu'aggraver le mal. Il y aurait lieu bien plus de supprimer la plupart de ces modifications que d'en ajouter de nouvelles. » Nous sommes entièrement d'accord ; nous savons que dans L'ensemble les professeurs de l'enseignement secondaire sont capables de la tâche élevée qui leur est demandée. Malheureusement ils ne font pas ce qu'ils voudraient et de plus ne sont nullement triés d'après leurs aptitudes pédagogiques. Le « chambardement total » que nous désirons n'est pas celui de la vraie culture mais l'arrêt du despotisme de l'administration sur l'enseignement. Notre correspondant fait porter sa critique sur les réformes proprement dites indiquées dans cette première étude. Nous avouerons qu'une constitution préparée d'avance dans des bureaux ou dans le cabinet d'un homme d'étude est toujours inapplicable ; un projet complet d'organisation de l'enseignement le sera de même. Il est donc bon que les projets soient critiqués par des hommes expérimentés. Les critiques de notre correspondant concernent : a\) la collation des grades ; b\) le choix des matières ; c\) les divisions administratives de l'enseignement. « M. Charlier critique le fait que la collation des grades soit entre les mains de l'État. Les inconvénients de ce fait paraissent minimes ; ne voit-on pas que, si l'on charge chaque école de délivrer les diplômes à ses propres élèves (ou étudiants) tous les élèves seront bacheliers, tous les étudiants licenciés ou agrégés ? » Il ne s'agit pas de donner la collation des grades à toutes les écoles. Le principe de la réforme est de *séparer l'administration de l'enseignement et le gouvernement de l'État *: et pour commencer de donner la liberté administrative aux universités ; il faut que les professeurs élisent leur recteur, que le conseil de l'Université soit librement composé, qu'il comprenne les notabilités, qu'on puisse admettre des hommes éminents sans titres universitaires, qu'ils puissent donner des leçons. L'organisation des programmes et des examens suivra. Le rôle du gouvernement demeurera très grand : il sera de consulter, comme en Angleterre, toutes les *organisations libres*, familles, corps de métiers, pour prendre les mesures générales que ces organisations pourraient souhaiter. 25:7 Aujourd'hui *les usagers* de l'enseignement, ceux qui utilisent les jeunes gens qui en sortent, ne sont *jamais* consultés. Il n'est pas étonnant que les programmes soient stupides et surchargés. En 1936 il n'y avait pas 13.000 bacheliers par an. L'an passé ils étaient 40.000 ; cette année il y a 100.000 candidats à la première partie. On ne nous fera pas croire que notre élite a triplé depuis 1936. Il est certain au contraire que le niveau des études a baissé. Il y a donc, *pour sauver la culture*, besoin d'un « chambardement » profond de *l*'*administration* de l'enseignement. Les trois quarts des jeunes gens qui vont au lycée devraient entrer dans des écoles techniques. LA CULTURE N'EST PAS comme on le croit communément le pouvoir de parler de tout ; ce n'est pas une question de *quantité de savoir*, mais de *qualité de jugement *: rien ne s'oppose à ce que fût dominée dans les écoles techniques une culture appropriée à l'âge et aux aptitudes des élèves. Qui empêche de faire un cours suivi de philosophie à l'école des Mines ? Les élèves s'y intéresseraient sûrement davantage à vingt ans qu'à dix-sept. De plus, chaque groupe de connaissances suppose une culture générale qui lui est propre. Expliquons-nous. Par l'étude de l'agriculture, sa situation économique, sociale technique en différents pays, par son histoire technique, sociale et religieuse, toutes les questions les plus profondes touchant la nature et la destinée de l'homme peuvent être abordées. De même dans l'art de l'ingénieur, de même pour un artiste ou un mathématicien. Ces vues profondes issues des métiers sont inconnues des purs intellectuels qui se croient des spécialistes de l'universel ; ils ne sont spécialistes que du catalogue des idées et des classifications. FAISANT ENSUITE ALLUSION à une phrase de Péguy citée dans ce même article, notre correspondant écrit : « L' « assurance admirable », c'est exactement ce que l'on appelait autrefois *l'esprit primaire. *J'ai toujours détesté ce nom : il laisse supposer que c'est l'esprit de tous les instituteurs, alors que beaucoup d'entre eux ont un sens critique qui ne laisse rien à désirer, et aussi qu'il n'existe que dans l'enseignement primaire, alors que j'en ai vu infestés certains professeurs en Sorbonne. Mais il reste que l'on appelait cette tendance : *l'esprit primaire* par opposition à *l'esprit secondaire. *Celui-ci consistait essentiellement à apprendre à l'élève à réfléchir, à comprendre, à acquérir des idées personnelles. « Apprendre à apprendre. » La culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié. Que reste-t-il de la diatribe de Péguy ? 26:7 Et si, malheureusement, devant la surcharge des programmes, l'enseignement secondaire a plus de peine à réaliser cette noble mission, est-il juste d'en faire porter la responsabilité aux professeurs, alors que tous déplorent cette situation ? » Nous savons très bien, et Péguy le disait lui-même, que c'est dans l'enseignement secondaire que s'est réfugié l'esprit de la véritable culture. Mais notre correspondant ajoute : « Je ne vois pas non plus en quoi « les divisions administratives de l'enseignement » sont surannées et sont un obstacle à toute réforme intelligente. » Or l'esprit primaire vient précisément de cette division administrative. Les instituteurs font des études aussi longues qu'un bachelier et devraient faire les mêmes. D'où vient que la plupart ont l'esprit primaire, sinon de cette division administrative même et des vues politiques qu'elle comportait ? Enfin je puis assurer notre correspondant que tous les enfants intelligents perdent leur temps dans l'enseignement primaire passée leur onzième année, précisément à cause de l'esprit primaire. C'est ce qu'ont très bien vu les Anglais : le premier degré se termine à onze ans. Les enfants passent un examen à la suite duquel si les parents le désirent les meilleurs sont admis aux « Grammar Schools » de l'enseignement secondaire. Une partie des autres va aux écoles techniques ; le reste est absorbé par les cours complémentaires. Nous avons expliqué qu'en Angleterre le candidat au diplôme d'études secondaires choisit les matières sur lesquelles il sera interrogé. Nous ne voyons pas pour cela que l'Angleterre manque de savants. Elle en a plus que nous et qui obtiennent plus de résultats. Sans doute chez elle la classe cultivée est très restreinte, mais d'une qualité tout à fait supérieure. Malheureusement la démocratie élimine petit à petit de toute influence, moins brutalement que chez nous, mais aussi sûrement. J'EN REVIENS à l'enseignement primaire. Or, *experto crede Roberto*, la base de la formation secondaire est, avec l'histoire de l'humanité, l'explication des textes. Dans une école primaire (libre) où nous sommes allés tous les jours pendant vingt ans nous expliquions tous les samedis l'office du lendemain dimanche : sens des mots, histoire, géographie, sens du texte, allusions morales à leurs petits défauts d'enfants. C'est exactement la formation secondaire ; les enfants avaient beaucoup de goût pour cette classe. 27:7 Comme j'avais en même temps dans mon atelier des élèves qui me quittent généralement vers leur trentième année, je connais ainsi ce qu'est l'enseignement supérieur. Eh bien, c'est partout le même, adapté aux différents âges. Enfin on sait que beaucoup de membres catholiques de l'enseignement de l'État sont partisans de cet enseignement et même du monopole de l'État : l'exemple de mon propre enseignement devrait leur montrer comme ils sont à côté de la question. Quoi de plus *rationnel *: mais quoi aussi de plus profond, de plus fructueux que de former l'esprit des enfants par les explications de textes de l'Écriture sainte et de la prière qu'ils devront toute leur vie, relire et vénérer, dont ils auront toute leur vie à faire usage pour continuer leur ascension vers Dieu ? c'est une monstruosité pédagogique de tenir de petits chrétiens pendant toutes leurs études à l'écart de. textes sur lesquels est fondée toute leur vie morale. Le prêtre au catéchisme ne peut guère expliquer que le dogme. Qui expliquera les mots, qui fera comprendre aux enfants que l'histoire, la géographie, l'analyse, le catéchisme, étudiés par eux séparément et sans qu'ils fassent aucun rapprochement entre ces classes du savoir, sont de la vie et sont leur vie ? Qui ? Si on l'école même qui a découpé ces « matières » et leur enlève la vie ? Les membres catholiques de l'Université ne voient même plus cette monstruosité parce qu'ils sont formés par l'Université ; leur aveuglement témoigne pour la nécessité d'un enseignement libre, comme la nécessité de la liberté dans les programmes impose d'enlever à une administration d'État le monopole de les établir, et la collation des grades, car tant que la collation des grades appartiendra à une administration d'État, il ne peut y avoir aucune liberté dans les programmes. Il s'agit donc moins de donner la collation des grades à *toutes* les écoles que de la donner à des Université *libres* reconnues par l'État. AUJOURD'HUI les écoles secondaires catholiques elles-mêmes**,** tenues par les programmes et les diplômes de l'État, font une part bien petite à ce qui devrait être fondamental pour leurs élèves. Croit-on qu'on ne trouverait pas dans St Augustin**,** dans St Bernard et même dans Abélard, dont le latin est si original et si beau (nous pensons à cet admirable dialogue entre un philosophe, un Juif et un Chrétien (Migne p. 1611) *Aspiciebam in visu noctis...*) des textes de version aussi adaptés à une vraie culture de l'esprit de l'homme moderne que ceux de Tite-Live ou de Cicéron ? Car enfin il s'est passé quelque chose de très important dans l'humanité depuis Tibère César. Nous faisions allusion tout à l'heure à l'histoire de l'humanité.  28:7 Depuis cent cinquante ans l'*Université étudie le christianisme avec les méthodes du matérialisme historique*, comme le produit d'un certain état de civilisation et de certaines circonstances qui ont évidemment changé et le rendent comme une survivance du passé. Depuis Guizot (*Histoire de la civilisation*) la papauté est étudiée comme l'histoire d'une puissance politique qui cherche à s'agrandir et n'a d'autre intérêt que celui-là. Où trouve-t-on un enseignement sérieux de l'histoire de l'Église ? Si les maîtres et professeurs catholiques de l'Université ont suivi quelques instructions de l'aumônier de leur jeunesse sur ce grand sujet, ils les ont considérées sans doute avec le même intérêt intellectuel qu'une histoire de l'administration des Ponts et chaussées, depuis le *Summus Pontifex* de Rome et les frères pontifes du Moyen Age jusqu'à nos cantonniers sur la route de Vouziers. Or, l'histoire, de l'Église n'est autre chose que l'histoire de l'action de Dieu dans le monde par son Église. *Que des professeurs catholiques n'en sentent pas le manque dans nos écoles, qu'ils ne voient pas que cet enseignement est possible seulement dans la liberté, montre à quel point l'esprit contraire au christianisme, qui est l'esprit des dirigeants de l'Université depuis plus de cent ans, a formé leur intelligence.* VOYEZ dans une histoire ancienne telle qu'on l'enseigne, la place occupée par le peuple juif. Tout petit peuple, dans un tout petit pays long comme de Paris à Sens, sa place est toute petite dans le livre. Or la théologie de ce petit peuple méprisable règne encore sur le monde et tout est mort des grands empires dont on nous détaille l'histoire, sauf ce qui fût accepté d'Israël : « La ville des rois dissidents d'Israël, dit André Frossard dans son *Voyage au pays de Jésus*, jonchée des débris sculptés de ses hommages à Baal, à Osiris, à Jupiter, a été enterrée dans le décor de ses différentes apostasies, avec le matériel complet de ses fêtes galantes et la panoplie de ses adorations frauduleuses. Des étiquettes de terre cuite, intactes, nous donnent l'âge et le cru des énormes quantité de vin englouties à Sébaste par d'increvables festoyeurs parfumés d'huiles coûteuses, produit d'un traitement compliqué, et dont les jarres brisées portent, encore lisible, l'adresse du fabricant. Çà et là, une de ces tablettes sur lesquelles princes et conquérants du temps faisaient inscrire le résumé de leurs campagnes : « Moi, Sargon, j'ai pris la ville de... », « Moi, Nabuchodonosor, j'ai vaincu à... ». Rien d'autre ne reste de ces grands hommes que ce « moi » cuit dans la brique, pépite d'orgueil enfouie que l'on extrait aujourd'hui avec précaution de son enveloppe de détritus. » 29:7 Il n'est pas exagéré de dire que si l'administration de l'enseignement tient à son monopole, c'est pour imposer une vue de l'histoire et de la pensée qui est antichrétienne. Elle est héritière de Michelet. Celui-ci intitule le premier chapitre de son *Histoire de la Révolution française *: « Qu'on ne fait rien sans se croire Dieu » et il dit p. 228 : « Un phénomène plus grand que tout événement politique apparut dans le monde ; la puissance de l'homme, pourquoi l'homme est Dieu ». On dit que le XIX^e^ siècle est le siècle de l'Histoire, disons que c'est le siècle des passions déchaînées dans l'Histoire. Il en reste beaucoup de traces dans l'enseignement et on peut dire que la Révolution française, origine de nos plus grands malheurs, d'une décadence qui va s'augmentant chaque jour, d'un abaissement visible maintenant de tous, est admise et endossée par la plupart des catholiques qui ont fait leurs études à la Sorbonne et dans les écoles de l'État. Ils s'essaient naïvement à guérir le mal actuel par les principes qui l'ont causé. Notre correspondant cite comme savants éminents des professeurs tels que Martonne et Mathiez et que tout le monde honore. Mais la Sorbonne a caché tant qu'elle a pu l'ouvrage de Taine, ne laissant lire que le premier volume, celui où il montre les tares de l'Ancien Régime. Et l'histoire de la Révolution a été renouvelée, contre la Sorbonne et Aulard, par un grand historien, tué en 1916 à trente-neuf ans. Augustin Cochin, qui n'était ni fonctionnaire ni universitaire. Jean Madiran a relevé comme il convient l'incroyable manifestation des Dominicains de la *Vie intellectuelle* déclarant : « La polémique contre l'école publique, la contestation de la laïcité de l'État républicain ne sont que le fait de quelques fanatiques attardés et au demeurant sans mandat. » Tous les parents d'élèves ont un mandat de Dieu, car ils ont le devoir naturel de juger et de contester cet ordre de chose. Nous ajouterons simplement ceci : *Les chrétiens se sont laissés martyriser pendant trois siècles pour obtenir ce droit que des religieux abandonnent si aisément aujourd'hui.* Depuis 1900 ans les hommes vivent au pied du Calvaire. Qu'on le veuille ou ne le veuille pas ils y vivront jusqu'à la fin des temps. Il en est qui tournent le dos pour ne pas voir. Certains pleurent, d'autres ricanent ou hochent la tête. Dans cette agitation, cette obscurité menaçante, ce sang qui coule, ce flanc percé, les religieux coupables des paroles plus haut citées représentent ces vaillants Témoins qui, le cœur léger, assis au pied de la croix, jouent au sort la robe du Christ. Prions Dieu pour qu'ils lèvent seulement la tête. 30:7 NOUS AVONS FAIT NOS ÉTUDES AU LYCÉE. Nous avons aimé, respecté tous nos maîtres, avec la naïveté de l'enfance, sans distinguer, car tous étaient savants, tous se donnaient du mal pour nous de façon évidente. Nous avions un serrement de cœur lorsque nous voyions s'annoncer un chahut. Et nous étions pourtant en récréation un joueur intrépide et infatigable. Nous leur devons à tous quelque chose. Cependant ceux que nous avons le plus aimés, en rhétorique et en philosophie, ont failli nous causer un mal profond. Le professeur d'histoire, un jour, avec une certaine hésitation tout de même, je dois le dire, et elle ne m'échappa pas, excusa les massacres de septembre, pour des raisons analogues aux sentiments de Michelet. Et c'était un si bon homme, si vraiment sincère ! La raison naturelle me fit réagir et je me promis d'étudier la chose par moi-même, ce qui me mena loin. Le professeur de philosophie était un professeur d'Université qui avait échangé son poste pour celui d'une classe d'un lycée de Paris afin de pouvoir assister aux concerts. C'était un homme simple, jeune encore, avec de beaux et longs cheveux tout blancs. De temps en temps il se rendait dans le quartier que j'habitais assez loin du lycée et me demandait de l'accompagner. Il fallait être bien bon pour passer ainsi trois quarts d'heure avec un gamin de dix-sept ans ; il est vrai que j'avais comme lui une connaissance sérieuse de la musique, ce qui nous rapprochait. Un soir donc, dans une grande avenue je lui dis : « Monsieur, j'ai trouvé l'origine des erreurs des philosophes. » « Ah ! » fit-il et j'entends encore cet « Ah ! » légèrement amusé. « Eh bien, c'est qu'ils partent de leur esprit au lieu de partir des choses. » Ce qu'il me répondit, la nature humaine est ainsi faite, est inséparable pour moi d'une poissonnerie devant laquelle il le fit. « Mais, s'exclama-t-il, ils ne seraient pas philosophes s'ils ne partaient pas de leur esprit ! » Profondément humilié par la constatation de ma sottise, j'essayai de comprendre. Ce disciple de Renouvier me fit Kantien. Et c'était moi qui avais raison malgré la forme naïve de ma pensée. Je mis dix ans à me débarrasser de ce faux problème. Je n'y pensais pas du matin au soir bien entendu, j'avais autre chose à faire. Mais mon travail me donnait une autre idée de la logique, un mode de pensée dont le moyen d'expression n'utilise pas la succession (les arts plastiques), présente le syllogisme comme un *état* et comme une interdépendance, non comme une chaîne. C'en est assez pour ne pas se confiner au : « Je pense donc je *suis*. » Nous croyons d'ailleurs que Descartes, trop doué pour les mathématiques, trop formé par leur langage, a mal présenté sa pensée ; même pour lui c'était un fait : en en faisant une déduction il a donné prise à ce qu'on sait et ouvert une porte aux idéalistes. 31:7 La Sorbonne croit représenter toute la pensée et c'est ce qui l'empêche de réussir une réforme de l'enseignement car les trois quarts de l'humanité ne pense pas avec ses méthodes. Nous nous expliquerons là-dessus quelque jour s'il plaît à Dieu. LES HOMMES DE MÉTIER que nous savons être d'accord avec nous, s'ils critiquent la mainmise de l'État sur ce qui devrait être laissé aux corporations responsables, laisseraient volontiers l'enseignement général et l'enseignement supérieur à l'État. Or c'est là que cette mainmise est le plus grave. Il est impossible d'admettre qu'un professeur d'histoire ou un professeur de philosophie, non choisi mais obligé, puisse sans l'assentiment des parents troubler l'esprit d'un jeune homme, l'engager dans une voie de l'esprit fausse sans qu'il ait jamais les moyens matériels, le temps ou l'intelligence suffisants pour s'en tirer. Mais il est impossible à un catholique d'exposer ses enfants nourris dans la foi à la tentation du doute sans qu'il lui soit possible de savoir quel enseignement sera donné et sans pouvoir contrôler cet enseignement. Un enfant de seize ou dix-sept ans n'est nullement armé pour se défendre contre un homme instruit. Il n'y a de formation possible que si le maître, le directeur et les parents pensent la même chose. Alors ils collaborent au lieu de se contrarier. Les professeurs catholiques appartenant à l'Université qui en défendent le monopole sont mus sans doute par *un* esprit de corps naturel et parfaitement honorable ; mais ils sont victimes aussi de la formation qu'ils ont reçue dans l'Université. Très peu sont capables de la redresser d'eux-mêmes, d'ailleurs ils n'en ont jamais eu le temps. Ils passent trop de concours, ils ont de la liberté l'idée très fausse qu'on y propage et certains sont Kantiens sans s'en apercevoir ou sans se rendre compte que c'est une hérésie. QUANT AUX SCIENCES, où je n'ai aucune compétence, voici l'opinion d'Auguste Lumière. Il a publié en 1953 une étude sur « l'impuissance novatrice des savants dans leur spécialité » où il dit : « Pour inspirer et diriger les recherches, on place généralement à la tête de ces Instituts les savants les plus érudits, les plus compétents ou les plus réputés dans la branche scientifique à laquelle appartient le problème pour l'étude duquel chacun de ces Instituts a été fondé. « Or ce grand Maître -- imbu du dogmatisme des théories classiques -- ne permettra jamais que l'on s'écarte des principes de la Science académique dont il a toujours proclamé l'intangibilité et, comme les découvertes nouvelles et les vérités se trouvent, dans presque tous les cas, en dehors des chemins 32:7 qu'il a toujours suivis, durant toute sa carrière, il ne consentira jamais que ses élèves et ses collaborateurs s'engagent dans des voies différentes et, à plus forte raison, opposées à celles sur lesquelles ont invariablement porté toutes ses investigations. Aussi, non seulement le grand Chef ne découvrira-t-il rien, mais il empêchera encore les travailleurs sous ses ordres d'orienter leurs recherches dans des directions qui seraient seules capables de les conduire vers la solution du problème qu'ils poursuivent. » (Cité dans le *Bulletin de la Société préhistorique française,* p. 411.) Rappelons que Boucher de Perthes, fondateur de la science préhistorique avec son livre *Antiquités celtiques et diluviennes*, était fonctionnaire des douanes, ce n'est pas très ancien ; que Pasteur n'était pas médecin, que Curie était un simple licencié et Einstein un petit professeur d'école technique, que Georges Claude n'était pas même bachelier. Pierre Curie avait eu une formation d' « amateur ». Fils d'un médecin de la banlieue parisienne, il avait été élevé à part et sans autre éducateur que son père, sa mère et son frère aîné ; on l'avait laissé libre de suivre ses goûts qui le révélaient observateur ; à l'âge de quatorze ans seulement un répétiteur de mathématiques intervint dans sa formation. Si j'ai parlé d'*amateurs* pour désigner Fermat magistrat, Descartes officier, Lavoisier fermier général, c'est pour dire qu'ils étaient *des savants sans diplômes officiels *: mais je pense bien qu'ils ont fait comme dit notre correspondant des études « prolongées et préalables ». Mais on *invente* par des méthodes *très différentes des méthodes d*'*exposition* qui sont le sort du professorat. Et c'est pourquoi les savants officiels combattent généralement les inventeurs. Les grandes inventions sont souvent faites par des gens très jeunes qui n'ont pas encore eu le temps de songer à l'agrégation. Einstein a vingt-cinq ans lors de ses découvertes. Descartes a vingt-trois ans lors de ce fameux songe où il eut conscience de l'unité de la science, le 10 novembre 1619**,** et après lequel il fit vœu d'aller à pied en pèlerinage à N.-D. de Lorette. Pascal a vingt-deux ans lorsqu'il achève la construction, de la machine à calculer, vingt-quatre lors du début de ses expériences sur le vide. QUELLES SONT LES MÉTHODES employées par ces grands esprits ? Elles dépendent d'une vue, ce que les artistes appellent l'inspiration, les philosophes l'intuition. C'est la démarche essentielle de l'intelligence humaine. A Claude Bernard on doit la théorie de la méthode expérimentale ; mais personne mieux que lui n'a décrit l'intuition : 33:7 « Il arrive... qu'un fait ou une observation reste très longtemps devant les yeux d'un savant sans lui rien inspirer ; puis tout à coup vient un trait de lumière et l'esprit interprète le même fait tout autrement qu'auparavant et lui trouve des rapports tout nouveaux. L'idée neuve apparaît alors avec la rapidité de l'éclair comme une sorte de révélation subite ; ce qui prouve bien que, dans ce cas, la découverte réside dans un sentiment des choses qui est non seulement personnel, mais qui est même relatif à l'état actuel dans lequel se trouve l'esprit. » Et lui-même ajoute : « La méthode expérimentale ne donnera donc pas des idées neuves et fécondes à ceux qui n'en ont pas : elle servira seulement à diriger les idées chez ceux qui en ont et à les développer afin d'en retirer les meilleurs résultats possibles ». Tandis qu'une méthode d'exposition part des principes et en déduit (ou essaie d'en déduire) les faits constatés, la méthode des inventeurs est inverse. L'esprit placé au cœur des choses**,** frappé par un certain lien qu'il constate, cherche quel est ce lien, quel est ce principe ; ou à quelle forme encore inconnue d'un principe connu se rattachent les faits constatés. C'est ainsi que Descartes s'est rendu compte que le principe d'inertie en physique n'était que la forme physique du principe de causalité. Quant aux méthodes baconiennes, elles n'ont jamais servi aux découvreurs. C'est le type d'un exposé professoral très intelligent. « Les tables de Bacon, dit Péguy (Bergson, p. 50) n'ont jamais servi qu'aux historiens des inventions à expliquer comment ces inventions avaient été faites, *après* qu'elles avaient été faites. Et même comme il était fatal qu'elles se fissent ; et qu'elle se fissent ainsi. » Et Claude Bernard avait exactement la même opinion : « Les grands expérimentateurs ont apparu avant les préceptes de l'expérimentation, de même que les grands orateurs ont précédé les traités de rhétorique. Par conséquent, il ne m'est pas permis de dire, même en parlant de Bacon, qu'il a inventé la méthode expérimentale, méthode que Galilée et Torricelli ont admirablement pratiquée et dont Bacon *n*'*a jamais pu se servir*. » Dans l'exposé scolaire qu'on fait de la méthode expérimentale on cache tout ce que Claude Bernard dit de ce qu'il appelle le « sentiment » ; la constatation d'un mystère est probablement indigne d'un enseignement scientifique. POUR MONTRER que ces distinctions s'appliquent à tous les modes de penser, nous citerons un cas personnel. Obligé sur nos vingt ans d'étudier la perspective théorique, nous achetâmes un gros ouvrage qui en traitait. Passées les vingt premières pages, où se trouve en somme l'expérience du passé condensée dans la définition des mots, le livre nous ennuya. 34:7 Nous allâmes directement à la dernière épure, la plus compliquée et la plus difficile, et nous nous mîmes à l'analyser. Quand ce fut fait nous connaissions tout ce qu'il y avait dans le livre. On apprend ainsi en un mois autant qu'en deux années d'un cours suivi. Ce n'est pas, j'en suis bien persuadé, une méthode pédagogique normale. C'est seulement un modeste analogue des méthodes de découverte d'un Descartes ou d'un Einstein. Henri CHARLIER. 35:7 ### A propos des « Étendards du Roi » Essai de critique indirecte Il m'a paru intéressant d'essayer de dégager des nombreux comptes rendus qui ont été consacrés à la pièce de M. Costa du Rels, les *Étendards du Roi,* quelques lignes directrices qui permettent de voir les points sur lesquels les réflexions des critiques ont buté. De la plupart des comptes rendus, il ressort -- et la constatation est d'une extrême importance, puisqu'elle rejoint, sur le plan de la fiction, en le recoupant, le hiatus qui a existé, pendant la crise, entre les réactions de l'opinion publique et l'attitude de la Hiérarchie -- que le rôle du Messager de l'Ordre qui vient annoncer aux deux prêtres la fin de l'expérience n'a pas été compris. Les critiques sont d'accord, à l'exception de celui de *Témoignage Chrétien --* ce qui est quand même assez drôle -- pour trouver que le personnage du P. Laboureur est raté, que le partage n'est pas égal, que les deux prêtres-ouvriers enlèvent trop facilement toute la sympathie. « Le langage que l'auteur prête au visiteur du soir... rend parfois un son étrange », écrit *l'Aurore. --* « on ne croit pas toujours totalement aux arguments du messager de l'Ordre » écrit *Paris-Presse. *Le *Parisien Libéré* va plus loin : « Lucien Nat -- l'acteur qui joue ce rôle -- n'a-t-il pas poussé un peu au noir le rôle ingrat, certes, du P. Laboureur, messager intransigeant ? » Pourquoi ces adjectifs, *noir, ingrat, intransigeant ?* Le rôle du Père n'est ni noir, ni ingrat. -- Il est pénible, douloureux, ce qui n'est pas la même chose -- et son intransigeance n'est pas plus grande que celle des prêtres-ouvriers qui ont refusé de se soumettre et qui n'avaient pas des raisons d'intransigeance aussi pures. 36:7 Même *L'Express,* fort favorable, pendant toute la crise, aux thèses les plus risquées des prêtres-ouvriers, après avoir rappelé la belle pièce d'Hochwalder, *Sur la terre comme au ciel,* écrit : « Nous ne sentons ni la présence des ouvriers, ni la grandeur du prêtre. Le P. Laboureur n'invoque guère d'autre argument que celui de l'obéissance. Il ne nous rappelle ni la grandeur du Sacerdoce, ni les dangers terribles de confusion entre le spirituel et le temporel. Ses adversaires sont plus éloquents, si bien que la soumission finale du plus intelligent, du plus sympathique des deux hommes déroute plus qu'elle ne satisfait le spectateur, sinon le catholique. » *Témoignage Chrétien,* nous l'avons dit, trouve, par contre, les arguments du P. Laboureur fort bons : « M. Costa du Rels a mis dans la bouche du P. Laboureur les arguments les meilleurs en faveur de l'attitude de l'Église. » Pour T.C.*,* la Hiérarchie ne pourrait-elle tenir que le langage de la dure incompréhension ? « Hiérarchie, Hiérarchie... écrit Robert Kemp, dans le *Monde,* c'est le fond de son raisonnement... Il est le moins éloquent des trois. » Les *Étendards du Roi* ne déplaisent pas fondamentalement à *l'Humanité. *Bien entendu, le journal communiste fait des réserves sur les *vues simplistes* de l'auteur qui a parlé de la « solitude » de la classe ouvrière -- comment la classe ouvrière se sentirait-elle seule, puisqu'il y a les communistes -- mais, dans l'ensemble, le critique marxiste trouve la pièce « digne d'intérêt ». Pourquoi ? « L'auteur a cherché visiblement à se limiter au conflit humain » -- ce dont il est loué pour son « honnêteté » -- et il confond dit *l'Huma,* « le plus souvent ouvrier et communisme ». Cette confusion n'était, sans doute, pas dans l'esprit de M. Costa du Rels, qui ne la formule pas explicitement, mais c'est bien elle qui a été à la base de tous les malheurs des prêtres-ouvriers et qui égare encore maintenant tant de catholiques français. Le critique de l'hebdomadaire protestant *Réforme* fait une remarque très profonde qui nous ramène au cœur du débat : « la tentation du marxisme est évoquée au cours d'un dialogue sans consistance. On ne comprend plus très bien, dès lors, les raisons du rappel. » Les spectateurs comprendront-ils, eux, les raisons du rappel ? Malgré *la Croix* qui atteste « l'orthodoxie de l'œuvre », j'en doute aussi. M. Gabriel Marcel, dans un très remarquable article des *Nouvelles Littéraires,* suggère ce qu'aurait pu être une autre pièce qui aurait voulu restituer le vrai drame des prêtres-ouvriers.  37:7 C'eût été autant la pièce de la lente dégradation de l'idéal apostolique de l'abbé Godin que du drame final : « Peut-être aurait-il mieux valu, théâtralement parlant, traiter le problème autrement et montrer comment des prêtres trop jeunes, trop inexpérimentés, et d'ailleurs animés d'un zèle évangélique admirable, étaient, en fait, exposés au risque de se laisser prendre dans un engrenage politique. Ce qui dans la pièce était présenté comme un *résultat* aurait peut-être dû être mis sous les yeux du spectateur dans son *processus* presque fatal. Car l'erreur principale a été sans doute de confier une tâche aussi délicate à des prêtres insuffisamment armés pour l'entreprendre. » Et ici la critique rejoint l'Histoire. Pierre ANDREU. 38:7 ### L'imposture paie... L'ATTENTION qui s'est déjà portée sur la « mécanisation » a surtout considéré, jusqu'ici, celle des gestes et des habitudes du travail. Mais au-delà de l'apparence des gestes matériels, il est une forme de la mécanisation à laquelle on prend moins garde, car nous l'absorbons sans nous en douter, par des moyens qui sont merveilleusement adaptés à une tendance naturelle de l'esprit humain. Dans le domaine de l'esprit règne également, en effet, la « loi du moindre effort ». Ainsi, comme l'acquisition de certaines connaissances, mettons celle des mathématiques, requiert une application intense de l'attention, cette acquisition est laborieuse, lente, et souvent pénible, car il faut surmonter de durs obstacles. J'ignore si, par quelque méthode de mécanisation future, l'assimilation des sciences abstraites sera un jour rendue facile, et le latin vraiment appris « sans peine », comme l'assurent déjà d'ingénieux professeurs. Mais ce que nous pouvons constater, dès maintenant, c'est que la mécanisation a fait son entrée dans ce domaine, par une application méthodique et continue de procédés empruntés à la psychologie. Ce sont les moyens par lesquels la publicité arrive à persuader la ménagère que telle lessive vaut mieux qu'une autre ! Le marchand avisé qui veut vendre -- à tout prix, c'est le cas de le dire**,** si l'on considère les dépenses énormes que la publicité entraîne -- a depuis longtemps reconnu la puissance mécanique de la simple mais inlassable répétition. Les « slogans », et aussi l'influence des couleurs -- abondance du rouge et du jaune dans les affiches -- sont les agents mécaniques par lesquels on arrive à diriger dans un certain sens l'esprit du consommateur... afin que son argent afflue dans la caisse de l'astucieux vendeur. LA PUBLICITÉ est l'appareil mécanique que l'on utilise pour « faire de l'argent ». Elle a donc démontré que par des moyens appropriés, on peut façonner la pensée des individus dans une certaine mesure. Pour employer une expression précisément *mécanique*, elle a mis au point des procédés qui sont pour ainsi dire tout prêts pour de nouveaux usages : Les nouveaux usages que pratiquent des gens animés par une autre ambition que celle des commerçants : l'ambition du pouvoir. 39:7 Alors, et exactement par les mêmes moyens qui imposent insidieusement l'usage d'un produit industriel, on va persuader à cette même foule que son intérêt serait de confier son sort à de nouvelles mains : La « publicité » est devenue la « propagande », mais ses moyens et ses résultats sont identiques. L'audacieuse répétition peut faire admettre les mensonges, même les plus évidents, avec la même efficacité que leur lecteur a déjà été persuadé que sa pâte dentifrice est la meilleure... J'AI PENSÉ à toute cette technique lorsque j'ai lu, avec stupéfaction, les invitations à « faire mieux que les communistes ». Quand on a assisté à tout le déroulement de l'action communiste depuis son origine, on ne peut être qu'abasourdi par une telle déclaration. Il faut quelque temps « pour se remettre ». Il faut le temps de la réflexion pour apprécier exactement par quels moyens on a pu ainsi abuser l'esprit des « intellectuels » naïfs qui ont pu proférer une invitation aussi énorme. Il faut du temps pour s'avouer que des consommateurs d'idées -- si j'ose employer ces termes bizarres -- peuvent être persuadés par les mêmes moyens qui sont en usage pour les consommateurs de lames de rasoir ! Mais c'est pourtant vrai ! Voilà ce qu'on peut faire de l'intelligence, et la mécanique va aujourd'hui beaucoup plus loin, comme on voit, que la détermination automatique de certains actes matériels : On fabrique aujourd'hui des opinions aussi bien que le papier sur lequel on les imprime ! Et lorsque l'on connaît un peu les procédés de la mécanique proprement dite**,** il faut bien constater qu'il est beaucoup moins compliqué de fabriquer des opinions que, par exemple, des moteurs d'automobile**,** où il faut apporter une science consommée : La propagande se contente des procédés les plus grossiers. Oserais-je écrire les plus « bêtes » ? « Faire mieux que les communistes ! » C'est à vous couper le souffle. On se trouve, en effet, devant une telle énormité qu'on se demande par quels moyens, hélas beaucoup moins simples, il serait possible de redresser une opinion aussi absurde. Moyens beaucoup moins simples ! En effet, il faudrait un volume**,** évidemment moins facile à assimiler que de simples slogans, pour exposer l'histoire de la propagande qui a pu aboutir à ce fait que de braves gens candides ont pu proférer l'affirmation effarante que je commente ici. Il faudrait par exemple, remonter aux débuts de la propagande communiste, entre les années 20 et 30. 40:7 Rappeler que c'étaient aussi des années « d'après guerre » déjà placées en face d'un énorme travail de reconstruction. Il fallait non seulement réparer des destruction considérables**,** mais il fallait aussi essayer de réaliser les promesses faites aux soldats qui avaient subi sur le front un calvaire de quatre ans. On leur avait fait des promesses. Clemenceau, parlant d'eux, avait dit : « Ils ont des droits sur nous ». Autrement dit, c'était déjà une époque de préoccupations sociales, et la C.G.T. -- l'ancienne -- exigeait que les promesses soient tenues. Elle lançait, par exemple, dans ces années-là, la campagne qui aboutit plus tard à l'organisation de la Sécurité Sociale. Pourrait-on inviter ces messieurs qui incitent à « faire mieux », à faire quelques investigations historiques sur cette époque, pour y voir à quoi les communistes étaient occupés ? Car j'imagine qu'on peut consulter les collections des journaux de ce temps-là. Afin que chacun sache quel fut le caractère et l'étendue de la collaboration communiste à cette action passée. On y verrait -- les preuves dorment là, imprimées -- que la principale activité de certains militants de cette époque, dont on voit encore les noms dans la presse communiste, était de couvrir d'injures et d'accusations calomnieuses ceux de leurs camarades qui s'attachaient à étudier les dispositions possibles de la future loi des Assurances Sociales. Quand à une collaboration positive : Zéro. Ce qui n'empêche pas aujourd'hui les mêmes gens de s'attribuer, avec une audace effrontée, les mérites de l'action des autres. Prétentions que prennent aujourd'hui, pour du bon argent les naïfs qui proposent « de faire mieux »... Je prends ce fait entre beaucoup d'autres, car, je l'ai dit, il faudrait un volume pour rétablir la vérité. Basile avait déjà dit qu'il « en resterait toujours quelque chose ». Il avait ainsi exprimé tout le suc de la méthode qui a abouti à former la conviction des intellectuels naïfs dont il est question ici. Il en restera toujours quelque chose... Autrement dit, et nous en avons la preuve sous les yeux, *l*'*imposture paie...* Et pourtant tout ce qu'on offre en exemple à suivre n'est en fait qu'une énorme hypocrisie. Hypocrisie savante, dont voici un exemple, parmi beaucoup d'autres choses qu'on pourrait montrer, dans le volume qu'il faut renoncer à faire : Autrefois, dans les réunions populaires, une procédure invariable était appliquée, en vue de : la libre collaboration de l'auditoire à quelque discussion que ce soit. La liste des orateurs étant épuisée, le président devait obligatoirement demander si quelqu'un d'autre désirait prendre la parole. C'était là, bien entendu, un respect de la liberté qui n'allait pas sans inconvénients ! 41:7 Mais malgré cela, on n'aurait pas eu l'idée d'éluder cette obligation, qui devait remonter aux « clubs » du passé. Or, dans les mêmes années que j'évoquais tout à l'heure, les mêmes personnages que l'on nous invite à dépasser se mirent à annoncer les réunion publiques sous un nouveau titre, d'apparence bénigne : Réunions *d*'*information*. Ce qui voulait dire que les ouvriers étaient invités à venir entendre des « informations » et que, par conséquent, il n'y serait pas question d'ajouter à la liste des orateurs prévus sous prétexte de discussion. Les assistants viendraient pour écouter, sans plus, des choses définitives. C'est ce qu'on appelle la « démocratie populaire » ! Silence dans les rangs... On sait que c'est la méthode par laquelle on obtient des majorités de 95 %. Et ce qui n'est pas rassurant c'est que de bons bougres de Français n'y ont vu que du feu ! VEUT-ON un autre fait, entre beaucoup d'autres ? Je pense que chacun sera d'accord si je rappelle que si nous voulons élever la condition des travailleurs, il est nécessaire de se préoccuper non seulement des aspects matériels de cette condition**,** mais aussi, de leur éducation. Par exemple, faire des efforts pour les détourner de l'alcoolisme. Or, où a-t-on vu que les communistes soient au premier rang de cette bataille ? Il est pourtant indéniable que grâce à leur influence sur les ouvriers, ils pourraient faire beaucoup dans ce domaine. Mais nous les voyons au contraire garder le silence. Cette seule question de l'élévation morale des travailleurs peut faire songer aussi à l'un de ses plus puissants moyens : La culture morale par le développement de l'apprentissage et des métiers. Mais cela ne les intéresse guère, car ils ont surtout besoin, pour leurs manœuvres, des sans-métier qui peuplent nos « banlieues rouges ». L'ignorance ouvrière est l'un de leurs plus puissants atouts -- avec celui de la naïveté monumentale des intellectuels qui, au fond, ne sont pas moins ignorants**,** malgré leurs grands airs. Ainsi, loin d'élever les ouvriers, les communistes font tout pour les abaisser, en s'efforçant d'entretenir parmi eux l'envie et la haine... Je n'indique rien qui ne soit contrôlable. Par exemple, ne voyons-nous pas les communistes pousser sans cesse les ouvriers à réclamer de l'État ou des entreprises des mesures de caractère paternaliste, sous prétexte de primes pour ceci ou cela, c'est-à-dire d'avantages présentant un caractère arbitraire, et offrant tout à fait le caractère du « fait du prince ». 42:7 Je m'étonne que l'on ne constate pas davantage que la plupart des mesures ainsi réclamées ne peuvent avoir pour conséquence que de développer chez les travailleurs le sentiment qu'ils sont des mineurs *pour* lesquels on doit prendre toute sorte de mesures de bienveillance, au lieu d'agir pour que toute amélioration désirable soit faite *avec* eux, avec leur participation active, c'est-à-dire demandant de leur part un effort de pensée et de compréhension. au lieu de leur faire tout attendre d'une manière passive. C'est ainsi que, sous nos yeux, au lieu d'enseigner aux travailleurs les moyens de recevoir ce qui leur est régulièrement dû, on les transforme en mendiants, qui multiplient des réclamations souvent sans dignité. S'il y eut jamais un « paternalisme », celui vers lequel poussent les communistes est bien le plus méprisable... Mais je m'arrête, reculant devant le volume à faire, pour démontrer en long et en large l'imposture communiste, et montrer l'étendue de l'inconscience qui s'étale dans l'invitation que je viens de commenter. « Faire mieux que les communistes !... » Non ! c'est à casser sa plume ! Hyacinthe DUBREUIL. 43:7 ### L'équivoque est levée. Dernière réponse à « Témoignage Chrétien ». A NOS PROPOSITIONS de paix, *Témoignage chrétien* a répondu par des insultes. A notre demande d'un dialogue sur les idées, *Témoignage chrétien* a répondu en calomniant nos intentions, en nous accusant d'astuce et de perfidie. A notre désir de substituer le dialogue à la polémique, *Témoignage chrétien* a répondu en SUBSTITUANT L'ATTAQUE CONTRE LES PERSONNES A LA DISCUSSION DES IDÉES. Dont acte. \*\*\* JE RAPPELLE ce qui était en question. M. Georges Montaron, directeur de *Témoignage chrétien,* a publié le 11 mai 1956 un éditorial accusant tous les « hommes de droite » sans exception d'être, par « tempérament », voués à la bassesse, à l'ordure, à l'impudence, à la calomnie. A l'intérieur de ce cadre général, un autre article de M. Montaron, dans le même numéro en page 4, me reprochait nommément : 1. -- un assaut contre la presse catholique ; 2. -- la destruction spectaculaire des journaux aux portes des églises ; 3. -- l'incapacité d'avoir une autre action que négative ; 4. -- le fait de crier victoire parce que dans plusieurs diocèses la vente des journaux a été interdite dans les églises ; 5. -- le fait d'avoir toujours été contre ce qu'il y a de vivant dans l'Église. \*\*\* 44:7 LE 12 MAI, j'adressais à M. Montaron une lettre, nettement plus courte que l'article qui me mettait en cause, et dont je demandais, conformément à l'usage, à la loi et à la plus élémentaire loyauté, l'insertion dans *Témoignage chrétien.* Cette lettre démentait les accusations de *Témoignage chrétien* et proposait à M. Montaron de bien vouloir s'en expliquer avec moi, contradictoirement et dans la paix, soit dans *Témoignage chrétien* soit dans *Itinéraires,* à son choix. M Montaron ne fit ni réponse ni insertion. \*\*\* DANS ITINÉRAIRES de juillet, je publiai cette lettre et, malgré le refus et le silence de *Témoignage chrétien,* je renouvelai, en les détaillant et les explicitant avec le plus grand soin, mes propositions de confrontation pacifique. Or, dans le même temps, Fabrègues, attaqué par plusieurs articles de *Témoignage chrétien,* envoyait à ce journal deux lettres successives. Elles ne furent pas davantage publiées. M. Pierre Lemaire, directeur de la revue *Paternité,* attaqué à plusieurs reprises par *Témoignage chrétien,* envoyait lui aussi une lettre de rectification qui était semblablement tenue pour nulle et non avenue. La non-publication par *Témoignage chrétien* des réponses faites par les personnes que ce journal attaque n'est donc pas occasionnelle : c'est un système. \*\*\* FABRÈGUES AYANT FAIT ÉTAT, dans *La France catholique,* de la non-publication de ses deux lettres, *Témoignage chrétien* était contraint de sortir, d'une manière ou d'une autre, de son silence. Ce fut alors la « *Mise au point* » publiée dans son numéro du 10 août, page 2. La voici : 45:7 « Dans *La France catholique,* notre ami de Fabrègues se plaint que nous n'ayons jamais publié les lettres qu'il nous avait adressées. Effectivement, nous avons reçu deux lettres, dont une très longue (six pages dactylographiées) où notre confrère précisait ses positions. A l'époque, nous lui avons répondu en lui demandant de le rencontrer, afin d'engager d'abord un dialogue direct. Il a cru devoir refuser. Nous le regrettons. Quant à MM. Madiran ou Lemaire, qui formulent des regrets du même ordre, nous les renvoyons à notre éditorial. Nous comprenons fort bien que ces polémistes qui ne disposent dans leurs publications que de quelques milliers de lecteurs souhaitent faire entendre leur voix du haut de la tribune de *Témoignage chrétien* à cent mille personnes. Mais l'astuce est un peu grosse. Si nous nous y laissions prendre une fois, les colonnes de notre journal ne suffiraient pas à leur prose abondante. Nous avons mieux à faire. *Témoignage chrétien,* en ce domaine, n'a pas à craindre les critiques. Peu de journaux dans la presse française donnent autant de place que nous-mêmes aux lettres et aux critiques de ses lecteurs comme à des positions différentes des siennes. » Cette « *Mise au point* » renvoyant à l'éditorial du même numéro de *Témoignage chrétien,* voici donc le texte entier de cet éditorial : « Les récentes déclarations épiscopales condamnant l'offensive menée contre *Témoignage chrétien* n'ont pas ralenti l'ardeur de ceux qu'il faut bien appeler nos adversaires. Ils continuent à saboter notre diffusion et à mener cette savante campagne d'insinuations où ils excellent particulièrement. Des tracts anonymes où l'on nous compare à l'*Humanité* sont diffusés. Des numéros spéciaux de publications sont édités sous le titre *Encore Témoignage chrétien* et les articles virulents se multiplient dans une certaine presse, -- toujours la même ([^21]). 46:7 Sans doute cette puissante offensive ne porte-t-elle pas les fruits escomptés par ses auteurs. Il n'empêche que là où la vigilance de nos amis se laisse surprendre, *Témoignage chrétien* n'est plus vendu qu'en cachette, des sympathisants hésitent à nous soutenir, et dans ces secteurs notre diffusion s'en ressent... Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose... » (Les « secteurs » où *Témoignage chrétien* n'est plus vendu qu' « en cachette » s'appellent en réalité des diocèses, où l'évêque a interdit l'affichage de ce journal dans les églises ou à leur porte. On appréciera la manière dont *Témoignage chrétien* parle de cette situation, de ses causes, et de la « vigilance » qui doit y remédier...) « ...Si nous réprouvons les campagnes de dénigrement, le sabotage, les insinuations non fondées, en un mot l'offensive systématique dirigée aujourd'hui contre notre journal et nos amis, nous n'avons jamais refusé à d'autres chrétiens d'avoir sur tels sujets littéraires, sociaux ou politiques des opinions et des positions différentes des nôtres. Bien au contraire. Nous sommes prêts à discuter leurs points de vue quand cela peut servir à faire progresser la recherche du vrai ou la découverte de solutions plus valables. Nous acceptons -- et nous l'avons prouvé... » (quand ?) « ...d'engager le dialogue avec ceux qui défendent des positions différentes des nôtres. Mais cependant (*sic*) à certaines conditions. Une saine polémique n'est pas possible avec celui qui se veut d'abord un adversaire recherchant avant tout, et à tout prix, votre disparition. 47:7 La première règle en la matière pour les deux parties c'est d'accepter le pluralisme, en reconnaissant à l'adversaire le droit d'avoir dans le domaine des positions libres des opinions différentes des siennes. Quel intérêt y a-t-il à dialoguer avec ceux qui vivent de la polémique ? Ils ont besoin, pour remplir les colonnes de leurs journaux, d'adversaires qu'ils attaquent et des réponses de ces adversaires pour sortir de nouveaux articles. Mais surtout, à côté de ces polémiques trop souvent stériles, il y a mieux à faire. Nos amis attendent de nous autre chose que ces combats de plume. Nous avons besoin d'informations vraies sur les événements du monde, de mieux communier à la vie de l'Église, de prendre une place plus active dans la communauté des hommes. Les enseignements de la hiérarchie, les réflexions spirituelles, l'analyse des situations sociale, économique et politique, sont plus nécessaires à notre vocation de laïcs chrétiens que toutes ces polémiques. Ce sont d'abord les tâches positives qui retiennent notre attention. Il convient également, dans ces combats souvent rudes, de ne pas mettre en cause la personne de l'interlocuteur, ni sa foi, ni même ses intentions. Il suffit de lire la prose de ceux qui ont juré notre mort pour voir dans quelle boue nous sommes traînés. Le polémiste se déshonore à jouer les procureurs. Il n'a aucune grâce d'état à s'ériger en juge. » \*\*\* JE N'EXAMINE que ce qui me concerne, parce que cela me *regarde.* (En ce qui regarde Fabrègues et M. Pierre Lemaire, je note simplement que la violence qui leur est faite est aussi grande.) 1. -- *Témoignage chrétien* a mis trois mois, et attendu l'intervention publique de Fabrègues, pour consentir une allusion à ma lettre. 2. -- Témoignage chrétien pouvait en contester les termes, mais à condition de la publier. 48:7 3. -- *Témoignage chrétien* avoue l'existence d'une lettre, mais laisse ignorer à ses lecteurs que cette lettre est un *démenti* aux accusations portées contre moi (et donne même à entendre qu'il s'agirait de toute autre chose que d'un démenti : d'un texte général que j'aurais voulu astucieusement porter sur la « haute tribune » de *Témoignage chrétien*)*. *Non seulement les lecteurs de *Témoignage chrétien* ignorent le contenu de mon démenti, mais ils ignorent jusqu'à son existence. 4. -- Ainsi *Témoignage chrétien* maintient toutes ses accusations, en dissimulant jusqu'au fait que je les conteste. Ce qui n'était jusqu'alors qu'accusations inexactes devient par là, de la part de *Témoignage chrétien,* autant de MENSONGES CARACTÉRISÉS. Auxquels s'ajoutent au moins deux autres, dans le texte même de la « Mise au point » : A. -- *Témoignage chrétien* met en cause la « prose abondante » que je destinerais à ses colonnes. Or, *Témoignage chrétien* a simplement reçu de moi une lettre *plus courte* que l'article qui me diffamait ([^22]). B. -- *Témoignage chrétien* me désigne comme un « polémiste », un point c'est tout. Ce n'est pourtant ni ma définition, ni ma profession, ni mon état ordinaire. M. Joseph Folliet se donne lui-même, dans le *Who's Who in France* (1^re^ édition : *Paris*) pour un « collectionneur de noms prédestinés et faits divers extraordinaires ». Il l'est donc. Ce titre qu'il mérite, il est des circonstances et des propos où l'on ne pourrait le lui donner sans lui faire injure ; on lui ferait injure si l'on feignait de ne voir jamais en lui que cela. Mais en outre, mais surtout, me désigner comme « polémiste » à l'occasion de mon *invitation à rechercher ensemble les moyens de substituer le dialogue à la polémique,* c'est assurément un MENSONGE CARACTÉRISÉ. Pour pouvoir me faire passer pour un « polémiste », *Témoignage chrétien* tait mon invitation. \*\*\* 49:7 JE VIENS D'ÉCRIRE et de souligner les termes de MENSONGES CARACTÉRISÉS. Ces termes sont graves. Mais ils sont incontestables. Ils sont même évidents. Parce qu'ils sont graves, je les affirme gravement, en mon âme et conscience. Je suis prêt à en rendre raison à *Témoignage chrétien,* s'il le désire, et à les soutenir sous la foi du serment devant quiconque serait appelé à en connaître, qu'il s'agisse d'un jury d'honneur, des tribunaux ecclésiastiques ou des tribunaux civils ; ou devant les autorités spirituelles par lesquelles *Témoignage chrétien* se prétend approuvé et couvert. \*\*\* ON REMARQUERA que *Témoignage chrétien* fixe (unilatéralement) des conditions au dialogue : ces conditions étaient, et bien au-delà, remplies ici. On remarquera que *Témoignage chrétien* déclare vouloir exclure tout ce qui est mise en cause des intentions : or, c'est UNIQUEMENT EN METTANT CALOMNIEUSEMENT EN CAUSE MES INTENTIONS que *Témoignage chrétien* refuse et la publication de ma lettre et la confrontation pacifique que j'avais proposée. *Témoignage chrétien* parle, avec un optimisme notable, de ses « cent mille lecteurs » et de son désir orgueilleux de me refuser une telle tribune. Je ne la demandais pas. Je laissais LE CHOIX à M. Montaron entre *Témoignage chrétien* et *Itinéraires* pour cette confrontation. Mais justement parce que *Témoignage chrétien* atteint (ou croit atteindre) cent mille lecteurs, il importe que l'on ne puisse être diffamé et calomnié devant un public aussi vaste sans avoir le DROIT de se défendre devant lui. C'est ce qu'assurent et l'usage, et la loi, et la loyauté, par le droit de réponse. En me refusant l'exercice de ce droit, *Témoignage chrétien* a agi contrairement à l'usage, contrairement à la loi, contrairement à la loyauté. \*\*\* ON VOUDRA BIEN remarquer d'autre part que j'ai toujours très peu parlé de *Témoignage chrétien* avant la *Déclaration de paix* que je lui ai adressée dans *Itinéraires* de juillet. 50:7 Et quand d'aventure j'en ai parlé antérieurement, ce fut toujours avec beaucoup de réserve. Cette réserve m'a paru commandée par un *état de tait* bien connu, je ne révèle aucun secret : *ce journal est vendu dans les églises et interdit dans les casernes. *Quelles que soient les causes d'une telle situation, elle est d'une extrême gravité. Elle est d'autant plus grave que 400.000 jeunes Français sont sous les armes et risquent quotidiennement leur vie. Parmi eux se trouvent des « militants des comités de presse » qui, conformément aux déclarations de *Témoignage chrétien,* tiennent *Témoignage chrétien* pour un journal « *uniquement missionnaire* » et qui ont été conduits à se dévouer à la diffusion de ce journal en considérant cette tâche comme essentiellement et entièrement apostolique : et elle leur est interdite par l'autorité militaire. Cela regarde l'autorité militaire et l'autorité religieuse. Nous ne pouvons que souhaiter qu'une solution soit apportée à cette situation effroyable. Je n'ai jamais désiré la disparition de *Témoignage chrétien,* mais sa conversion. C'est pourquoi j'ai insisté dans le sens du dialogue. J'avais semblablement proposé le dialogue à la revue *Esprit,* dont on sait l'influence intellectuelle sur ceux qui étaient les prêtres-ouvriers : un tel dialogue aurait pu mettre en question certaines idées mortelles et simultanément rattacher ceux qui les professaient à leurs frères dans la foi, les retenir peut-être sur la voie de l'apostasie. Aujourd'hui, cinquante-huit parmi ceux qui furent les prêtres-ouvriers (c'est-à-dire près ou plus de la moitié d'entre eux) ont rompu avec ce qu'ils appellent « une religion bourgeoise » et sont passés au marxisme. Si la revue *Esprit* avait consenti à nous désigner non plus comme des « bourgeois » ennemis que l'on combat, mais comme des frères dans le Christ avec lesquels on discute, cela aurait établi, en un point sensible et peut-être décisif, un *lien* qui eût pu, avec la grâce de Dieu, retenir ceux qui s'orientaient vers la rupture. 51:7 A *Témoignage chrétien,* je dis en toute clarté, et en toute franchise, que je souhaite assurément la disparition d'un journal qui attaque et diffame des catholiques dans leurs personnes et dans leurs intentions ; qui diffuse ces attaques dans les églises et par le moyen des comités de presse ; qui refuse de faire état des démentis et de publier les rectifications, ce qui le situe en dehors de l'honnêteté ; qui tourne volontairement le dos à la confrontation fraternelle, transformant ainsi en divisions et hostilités les divergences d'opinions entre chrétiens. Mais j'attends cette disparition de *Témoignage chrétien* lui-même, j'attends de lui qu'il s'efforce, comme nous devons tous nous y efforcer, de faire disparaître en lui le vieil homme. J'attends de lui qu'il s'efforce, comme nous devons tous nous y efforcer, d'aller vers la fraternité chrétienne et l'unité catholique, au lieu de les blesser par des ruptures violentes et des exclusives sectaires. Voilà mes intentions. Et de ces intentions, mes actes et mes écrits répondent publiquement. \*\*\* POUR TOUS CEUX qui voudront étudier objectivement la question, je rappelle que les pièces du débat sont les suivantes : 1. -- L'éditorial de *Témoignage chrétien* du 11 mai 1956. 2. -- L'article de M. Montaron en page 4 du même numéro de *Témoignage chrétien.* 3. -- Ma lettre du 12 mai reproduite dans : 4. -- L'article Déclaration de paix dans le numéro 5 d'*Itinéraires*. 5. -- La « mise au point » (page 2) et l'éditorial de *Témoignage chrétien* du 10 août. 6. -- Le présent article. Je remarque que tous ces textes, je veux dire ceux de *Témoignage chrétien,* ont été intégralement et scrupuleusement publiés dans *Itinéraires :* nos lecteurs ont en main toutes les pièces et sont en mesure de juger par eux-mêmes si nos affirmations sont exactes ou excessives. On n'en peut dire autant, malheureusement, des lecteurs de *Témoignage chrétien :* M. Montaron les maintient dans l'ignorance et des réponses faites à ses calomnies, et de nos propositions pacifiques. 52:7 J'écrivais ici, en conclusion de ma « Déclaration de paix » à *Témoignage chrétien *: « Un refus motivé de sa part appellerait l'examen public de ses motifs. Un refus non motivé, venant après ce qui vient de lui être dit en détail, serait une autre manière de lever toute équivoque. » Ceux qui étudieront objectivement, en leur entier, les textes dont les références sont rappelées ci-dessus s'apercevront en effet, je pense, que L'ÉQUIVOQUE EST DÉSORMAIS LEVÉE, et que l'incertitude n'est plus possible au sujet de *Témoignage chrétien.* Jean MADIRAN. 53:7 ### Retour aux vérités premières (II) Une religion, une Église L'ÉGLISE M'ÉTAIT HOSTILE. Elle m'a mis dans le cas de réagir contre elle à un âge qui ne connaît pas la mesure des coups et qui n'entend rien aux jeux de la Politique. Au moment où il me fallait prendre contact avec l'enfer de la Mine, l'Église s'interposait entre l'esclave et le maître, lequel n'acceptait l'embauchage que s'il était appuyé d'un billet du Curé attestant que le postulant avait fait sa première communion. Je remplissais cette condition mais l'un de mes frères, qui n'avait pas satisfait à la première communion, ne fut pas admis au travail. Un tel état offert à un adolescent devait le conduire fatalement aux virulences de l'anticléricalisme, à la haine du prêtre, au dégoût des Offices religieux, à l'ironie amère à l'égard de la Charité, de la Piété, de la dévotion. C'était après l'affaire Dreyfus, l'époque du Combisme et des combats anti-religieux. Fort heureusement, ma nature ne s'accommoda pas des clubs et des groupes de soi-disant libres-penseurs qui mangeaient des tripes le vendredi saint et ordonnaient les cérémonies des enterrements civils. Mais l'Église m'était toujours hostile et je ne lui pardonnais pas son ingérence dans les questions du travail. Il m'a paru que le syndicalisme était capable de mettre un terme à une équivoque minable. La condition prolétarienne des Hommes exigeait autre chose qu'une guerre contre les Curés et le Culte. Encore fallait-il que je comprenne et que je m'élève au-dessus de moi-même par des voies difficiles. 54:7 GRANDIR ET EXPIER : Connaître les effets de la vindicte patronale, les congédiements brutaux, la prison, le trimard et vaincre malgré tout les passions mauvaises et la haine stérile, n'était-ce pas la meilleure forme de guérison pour l'âme ? Il me fallut devenir un pèlerin dans le Monde Social en présence d'une Église qui conservait toujours la faculté de me traiter en adversaire, mais j'avais désormais des yeux qui me permettaient de la voir autrement que je ne l'avais vue. Elle mettait alors ma curiosité à l'épreuve par la variété et le volume de sa splendeur. Roulant à travers le Pays de France, je visitai toutes les cathédrales et tous les hauts-lieux de sa Juridiction spirituelle. Seul sous les voûtes imposantes, face aux Autels Mystérieux, perdu parmi les merveilles du Monde Catholique, je me suis souvent recueilli sans prier et j'ai longtemps médité sans croire. J'ai compris, plus tard, que de tels Chefs-d'Œuvre résultaient d'une foi ardente. A Rome, j'ai subi, comme d'autres, l'écrasement des proportions grandioses d'un monument de gloire, portant le nom du Principal témoin de la résurrection du Christ. Quel ébranlement dans mon âme ! L'Église Catholique, son Souverain Pontife, ses dignitaires, ses Ministres et ses humbles prêtres... J'ai pensé qu'il fallait les voir mieux encore et tenter de les comprendre. Alors, comme d'aucun parmi les nôtres, j'ai mêlé à nos leçons de syndicalisme les meilleurs sentiments exprimés par les encycliques pontificales issus d'abord de *Rerum Novarum* et de *Quadragesimo Anno*. Je n'étais pas pour autant sur le chemin du Syndicalisme Chrétien ni sur la route qui conduit à la C.F.T.C. ou au M.R.P. Je demeurais syndicaliste Cégétiste, étoffé par la Charte d'Amiens, farouchement épris d'indépendance et de liberté. Mais il y avait en moi une lumière nouvelle, un rajeunissement d'âme, un assouplissement du cœur, qui ne permettaient plus le retour dans l'étroite caverne de la haine. CE LONG PÉRIPLE d'une existence militante n'était cependant pas suffisant pour déterminer le retour vers une religion et une Église. Des épreuves supplémentaires étaient sans doute nécessaires. Elles me vinrent parce que j'avais approuvé l'armistice signé par le Maréchal Pétain qui avait épargné à la France des centaines de milliers de morts et des ruines complémentaires. Elles me furent prodiguées pour avoir cru à la nécessité du travail national pour que les Français mangent et que le Pays ne meure pas.  55:7 Elles me furent infligées pour avoir tenté d'expérimenter la Charte du Travail qui était l'œuvre commune de l'État, de son Chef et des Représentants des Professions. CETTE CHARTE DU TRAVAIL valait cent fois mieux que les caricatures actuelles du Mouvement syndical : elle procurait aux Travailleurs une base humaine et un fondement spirituel dans l'exercice de leur métier. Il n'était pas connu de nous que cette Charte conten**t**ait, en plus ou en moins, des vues qui la rattachaient à l'encyclique *Quadragesimo Anno*. Le savoir aujourd'hui ne fait que renforcer ma conviction d'avoir bien agi et d'avoir bien mérité les rigueurs des Gens du Système autour duquel évolue leur Quatrième République. Les épreuves subies ne s'accommodent pas d'un roman d'aventures qui ne serait, somme toute, qu'un jeu de cache-cache dépourvu de péripéties et privé d'épisodes, selon lequel il fallait éviter le gibet de ces Messieurs. Plus près de toi, mon Dieu ! En prise directe avec la nature, parmi les Paysans du Pays d'Ouche, vêtu de hardes, l'outil en mains, le cœur et les poumons largement ouverts, c'est là que mon âme s'est assainie. Qu'importait le froid ou l'ardeur du soleil : qu'importait la pluie qui trempait ma vêture ou la sueur ruisselant sur mon corps : qu'importait la fatigue ou les meurtrissures du labeur : ces disgrâces charnelles n'étaient qu'une faible part de l'humiliation offerte au Créateur. SINGULIER PAYS D'OUCHE que l'on finit par aimer parce qu'il vous livre des secrets et des mystères mis en conserve au fond de ses forêts et qu'il garde dans les ruines de ses monastères, et dans les murailles de ses abbayes restaurées. Je suis allé sur la route de Nonancourt au Merle-Haut sur les traces de « Nez de cuir » et j'ai lu La Varende. A proximité du village, là où deux chemins forment un Y, sur un petit monticule, un Christ en Croix appuyé contre un mur de briques : c'était le Calvaire, le lieu où j'allais souvent seul pour le regarder, Lui. Les grands vents d'Ouest, les rafales de pluie et de grêle flagellaient son corps. Il était pour moi l'image de la souffrance qui sait se taire. 56:7 Si bien que le Pays, l'écrivain et le Calvaire ont embelli mes épreuves et les ont rendues plus légères. Il n'était plus question des grandes artères, en bordure desquelles surgissent les cités massives et les merveilleuses cathédrales : ici c'était le village, lei hameau, le groupe de fermes, la paroisse, l'église toute petite surmontée d'un clocher pointu audacieusement planté dans le ciel de Normandie. J'AI RETROUVÉ L'ÉGLISE et j'ai connu le curé. Il était clair qu'en retrouvant la maison du Seigneur, le lieu ne serait pas pour moi l'occasion de dévotions publiques. Comment revivre les cérémonies du culte, suivre la messe et participer aux offices ? Je n'en étais plus capable. Les églises de C... et de C... furent pour moi des lieux de pèlerinage et de prières. C'est en ces lieux que j'ai connu mon curé, l'abbé P... Il était long et maigre, son visage était pâle, son front ridé, sa bouche amère et le regard imprécis de ses yeux gris se noyait dans l'alternance de l'extase et des petits calculs de ses affaires paroissiales. Mal vêtu d'une soutane râpée, engoncé dans un col de caoutchouc formant virole autour de son cou ascétique, mal chaussé de brodequins boueux, menant par le guidon un vélo vétuste, il réalisait le type pitoyable du prêtre prolétaire. Il avait la charge de trois paroisses éloignées les unes des autres par plusieurs kilomètres de plaines et reliées entre elles par des chemins vicinaux mal empierrés. Il pédalait à travers champs pour officier, dire ses messes et ses obits, baptiser, marier, enterrer, porter les sacrements et rentrer chez lui, le soir, dans le lugubre isolement d'une cure déserte. De quoi vivait-il ? Quel était son salaire ? Il ne me l'a pas dit. J'ai pu constater cependant qu'il vivait de peu. Les bigotes du village lui trouvaient beaucoup de défauts : il n'avait pas le sens de la discrétion et passait volontiers pour quelqu'un qui raconte. C'est sans doute pourquoi je ne lui ai jamais dit qui j'étais ni pourquoi j'étais là. Les bigotes lui menaient la vie dure parce qu'à leurs yeux il n'était pas beau et qu'il chantait mal. Cet aspect du prêtre et ce côté du village méritaient d'être connus. Il m'invita chez lui et m'accueillit dans une grande bâtisse que le châtelain du village lui avait accordée comme cure. Son logement sentait le moisi, la solitude, le désordre, l'abandon. Sa bibliothèque, ses livres pieux étaient en pagaille dans une pièce poussiéreuse. Singulier bonhomme, drôle de prêtre, mais quel chrétien et comme il aimait son sacerdoce de curé prolétaire. Il me prêta des livres et voulut que je lise et relise saint Augustin. Il était allé jusqu'à me proposer de vivre avec lui. J'aurais été son jardinier en même temps que son élève. Il était plus convenable que je respecte sa solitude en demeurant libre vis-à-vis de lui. 57:7 En fouillant les arcanes de son église, il découvrit sous des gravats un tableau représentant la Vierge en voyage vers les cieux. Ayant ainsi mis à jour une preuve de l'assomption, il crut possible d'en faire un objet de propagande. C'était un tableau sans signature, de dimensions respectables, mettant en lumière une Vierge brune aux cheveux ondulés, des tons à la « Goya » et des formes de l'école italienne décadente, et aux pieds de cette image, des personnages barbus exprimant tous les sentiments que fait naître un acte considérable, c'est-à-dire la joie, la crainte, l'espérance mêlées à la tristesse. C'est ainsi que je vis son tableau, qui, pour lui, était un chef-d'œuvre et un moyen d'accroître le prestige de son église. Je l'ai aidé et encouragé. Je ne donne pas d'autres détails. APRÈS DES ANNÉES, je repense à ce curé de village qui m'a fait comprendre ce qu'est une religion et ce qu'il faut entendre par Église. Inutile maintenant de tourner autour du pot et de chercher des biais pour fixer mon attitude : je suis chrétien et catholique. Les autres chapelles qui m'ont parfois accordé audience n'auront pas mon adhésion. La science dont les vues sur l'avenir et sur les profondeurs du passé ne manquent pas d'audace demeure impuissante devant le grand mystère et ne parvient plus à troubler mon âme. Celle-ci demeure inébranlable devant la Foi et la certitude. Mais, en toute franchise, je dois me demander si j'aurais encore les moyens et la force de devenir un pratiquant, un activiste fidèle et assidu. Il me répugnerait d'être celui qui va à la Messe pour faire comme les autres et qui communie pour être comme tout le monde. Il ne me conviendrait pas d'être parmi ceux qui s'acquittent d'une corvée hebdomadaire sans engager à fond leur conscience. L'espérance viendra à mon aide et d'autres lumières me seront certainement prodiguées. Georges DUMOULIN. 58:7 ### Notes critiques Pie XII, 31 janvier 1952 M. l'abbé Claude Roffat a répondu aux paragraphes qui le concernaient dans *Itinéraires,* numéro 5 (pages 131 et suivantes). Il a répondu dans *La Croix* du 9 août, jour de la fête du saint curé d'Ars. L'oraison du jour nous fait dire : « Dieu tout-puissant et miséricordieux... faites, nous vous en supplions, que nous puissions gagner au Christ les âmes de nos frères et obtenir avec eux la gloire éternelle. » Il ne semble pas que ce soit dans cet esprit-là que le rédacteur de *La Croix* nous a répondu. Nous déplorons vivement la manière de cette réponse. Cela ne nous détournera pourtant point de la reproduire intégralement. I. -- L'ÉTONNANT PRÉAMBULE M. Roffat commence, en termes qui cherchent à être blessants et méprisants : « On me communique un article de la revue *Itinéraires* qui me met en cause à l'occasion de mon article du 24 mai : « Publiée il y a vingt-cinq ans, l'Encyclique Quadragesimo Anno demeure l'Encyclique de l'avenir. » Je ne connaissais pas la revue *Itinéraires,* et je ne lui connais encore aucun abonné dans mon entourage. Mais un ami, à qui elle est servie gratuitement, a bien voulu me faire passer le numéro où je suis accusé de « dénaturer la doctrine sociale de l'Église ». L'histoire des « services gratuits » est une clause de style un peu trop usée pour qu'il soit indispensable d'y répondre. On m'a, une fois déjà, tenu un propos semblable au même endroit, et l'on s'en est mordu les doigts (*Ils ne savent pas ce qu'ils disent,* pages 117-121 et page 143).  59:7 Je donne l'avis, à qui voudra bien le prendre en considération, que je suis très loin d'avoir épuisé le sujet, et qu'il ne faudrait pas trop me pousser sur ce chapitre. \*\*\* M. Roffat poursuit : « L'accusation est grave, et elle me touche. L'accusateur est malheureusement anonyme, l'article n'étant pas signé. Mais il engage, me semble-t-il, la responsabilité du directeur de la revue... » Cela est aussi faux que méchant. M. Roffat se plaint d'avoir affaire à un accusateur *anonyme *: mais l'accusation, lui *semble-t-il,* engage la responsabilité du directeur... Il feint d'en être réduit aux hypothèses. Or dans chacun de nos numéros on peut lire, et dans celui-ci à cette place : Juridiquement, le directeur est le principal responsable des articles qu'il publie ; l'auteur n'est que son complice ; c'est la loi, il n'y a rien à y faire. Moralement, le premier et principal responsable est celui qui signe. Il convient de lui laisser cette responsabilité primordiale, garantie de sa liberté. *Ce qu'il signe est aussi ce qui le distingue de ce qui est signé par un autre*. D'écrire tous dans la même revue ne nous « amalgame » nullement les uns aux autres, ni en fait ni en droit. *Les textes non signés*, soit en raison de leur nature (communiqués, avis, brèves notes, etc.), soit pour d'autres raisons, *engagent naturellement la seule responsabilité, morale et juridique, du directeur*. 60:7 Très peu de revues (si même il en est) publient, et de manière aussi visible, un tel avis, qui d'ailleurs va sans dire, car il est simplement conforme au droit et au fait. *Même sans cet avis,* IL N'EXISTE NI EN FAIT NI EN DROIT D'ARTICLES ANONYMES DANS UNE PUBLICATION PORTANT ADRESSE ET NOM DE DIRECTEUR. *La Croix, Témoignage chrétien, Les Informations catholiques, La Vie catholique illustrée* publient une grande quantité d'articles *non signés :* ils ne sont nullement *anonymes,* puisque le directeur signe le journal tout entier. Dans tous les cas, le propos de M. Roffat serait donc injuste. Il l'est encore plus à l'égard d'une revue, la nôtre, *où les responsabilités sont clairement définies et revendiquées,* et même affichées dans chaque numéro en didot corps 12 fondu en ligne de 14, comme on vient de le voir. Ce n'est pas assez gros ? Faudrait-il les imprimer en 24 fondu 48 ? II. -- « L'ÉCOLE D'ACTION FRANÇAISE » Voici la fin de ce méchant préambule : « ...du directeur de la revue, qui inscrit comme collaborateur, au sommaire du même numéro me condamnant, un illustre défunt : Charles Maurras. C'est assez indiquer le bord d'où viennent les coups, mais rassurer en même temps sur leur portée véritable, l'école d'Action française n'ayant jamais passée pour interprète authentique de la doctrine sociale de l'Église. » Cela est passablement affreux. Ce que nous avons contre de telles mœurs intellectuelles, nous le disons : 1. -- La réponse d'Henri Massis à notre *enquête* sur le nationalisme comportait une lettre inédite de Charles Maurras. *Il n'en faut pas plus* pour être catalogué et réputé par M. Roffat comme APPARTENANT A L'ÉCOLE D'ACTION FRANÇAISE ? Oser publier, dans le cadre d'une enquête, un texte de Maurras sans couvrir simultanément l'école d'Action française d'insinuations injurieuses, c'est s'avouer maurrassien ? 2. -- La lettre de Maurras a été citée dans le cadre d'une enquête DONT L'OCCASION EST LA CRITIQUE, PAR UN COLLABORATEUR DE LA REVUE, DU NATIONALISME MAURRASSIEN. La vérité est donc le contraire de ce que M. Roffat veut faire croire à ses lecteurs. Si une lettre de Charles Maurras a été publiée dans *Itinéraires,* ce n'est point parce que la revue appartient à l'école d'Action française, c'est *parce qu'un collaborateur de la revue a critiqué l'une des thèses de l'Action française.* 61:7 3. -- Mais peut-être citer Maurras, et ne point partager toutes ses vues, et dire honnêtement pourquoi, c'est encore être d'Action française ? En effet plusieurs journaux catholiques, et nous craignons d'apercevoir *La Croix* parmi eux, parlent de Maurras non point pour dire en quoi ils se séparent de lui, mais pour l'injurier et pour le réputer abominable en tous points. Disons à M. Roffat que la revue *Itinéraires,* qui n'appartient point à l'école d'Action française, ne croit pas que l'injustice et l'injure à l'égard de cette école soient impérativement commandées par la morale chrétienne. Disons-lui encore que les catholiques qui collaborent à notre revue peuvent *être,* ou ne *pas être,* ou *n'être plus,* ou *devenir* maurrassiens, ou être *d'accord en ceci* et *point d'accord en cela* avec tel ou tel aspect de la pensée maurrassienne ; mais que de toutes façons le choix et la réunion de ces collaborateurs ne prennent nullement pour critère leur position ou leur absence de position à l'égard de l'Action française. M. Roffat examine « *le bord d'où viennent les coups* ». Nous ne comprenons rien et nous ne voulons rien comprendre à ces sectaires histoires de « bords », parce qu'elles perpétuent des mœurs de guerre civile. Nous n'y voulons rien comprendre pour une autre raison aussi. M. Roffat se croit innocent en examinant « le bord d'où viennent les coups », et en fondant là-dessus son jugement. Nous lui faisons remarquer que cela, c'est *juger le fruit à l'arbre,* et c'est l'attitude fondamentale de tous les sectarismes. Il nous a été dit au contraire de *juger l'arbre au fruit. *Non ? 4. -- Sans aucune qualité, donc, pour parler au nom de l'école d'Action française, nous nous élevons catégoriquement contre la manière injuste dont elle est traitée. Sans doute le sectarisme existera-t-il jusqu'à la fin du monde : nous pouvons du moins protester contre lui chaque fois que nous le rencontrons. C'est du sectarisme le plus pur de nier que l'on puisse appartenir à l'école d'Action française et être un (au moins) aussi bon interprète de la doctrine de l'Église que M. Roffat. Il n'est pas vrai que l'appartenance à l'école d'Action française doive entraîner automatiquement et a priori la suspicion d'être plus mauvais chrétien ou moins orthodoxe catholique que les autres. IL N'EST NULLEMENT INTERDIT AUX CATHOLIQUES D'APPARTENIR A L'ÉCOLE D'ACTION FRANÇAISE. La communion spirituelle est en droit, et devrait être en fait, plus importante et plus profonde que les diversités d'opinions temporelles. 62:7 Nous devons considérer comme également catholiques et comme également nôtres les catholiques d'Action française et les catholiques du M.R.P., et les catholiques poujadistes, et les catholiques de droite et de gauche, et TOUS les catholiques, quelles que soient leurs « options légitimes » en politique. L' « option » d'Action française est légitime depuis 1939 : M. Roffat l'ignore-t-il donc ? Il y a eu la condamnation en 1926 et sa levée en 1939. Ces deux décisions ne sont pas contradictoires mais complémentaires. Elle ne s'annulent pas, elles s'additionnent. La levée de l'interdit ne signifie pas que les justes motifs de condamnation n'auraient *jamais* existé, mais qu'ils ont *cessé* d'exister. Je n'ignore pas que les justes motifs sont une chose, et l'opportunité une autre. Je n'ignore pas que, chez plusieurs, les avis restent partagés aussi bien sur l'opportunité de la condamnation en 1926 que sur l'opportunité de sa levée en 1939. L'opportunité est d'ailleurs, par nature, variable suivant les circonstances. Mais les *justes motifs* et de la condamnation et de sa levée sont hors de discussion pour les catholiques. Ou du moins, ils devraient l'être. Aller raconter aujourd'hui qu'un catholique d'Action française ne peut pas être, autant qu'un autre, un « interprète » soumis et fidèle de la « doctrine sociale de l'Église », manifeste une regrettable absence d'objectivité). 5. -- M. Roffat va plus loin. *Le seul fait* d'être critiqué par quelqu'un (qu'il croit) d'Action française le « *rassure* », indépendamment de ce qui est en question. Cela aussi est énorme. Voilà à quels excès conduit le sectarisme. III. -- MÉPRISE « *Venons au fait* », continue M. Roffat. Enfin. Il est dommage qu'il n'y soit pas venu tout de suite. Dommage qu'il nous ait retenus par ce préambule plus que superflu. Venons au fait, donc : « Venons au fait. L'auteur de l'article me reproche de donner une importance exagérée au texte de Pie XI que je citais à propos du relèvement du prolétariat, quand le Pape, « après avoir rappelé la légitimité institutionnelle du salariat », écrit les lignes suivantes, qu'on ne soulignera jamais assez : « Nous estimons cependant plus approprié aux conditions présentes de la vie sociale, de tempérer, dans la mesure du possible, le contrat de travail par des éléments empruntés au contrat de société » et le Pape se félicite des initiatives qui permettent dès maintenant aux « ouvriers et employés de participer en quelque manière à la propriété de l'entreprise, à sa gestion et aux profits qu'elle apporte ». 63:7 Là-dessus, l'auteur prend feu et me reproche d'ignorer les réserves mises par le Pape Pie XII, en 1952, sur les interprétations abusives du texte de Pie XI. Je les ignorais si peu que, dans mon second article sur l'Encyclique « *Quadragesimo Anno* et l'Action catholique » du 8 juin, je les mentionnais ouvertement en écrivant : « C'est à tort que certains ont voulu s'autoriser de l'Encyclique pour parler d'un "droit naturel de cogestion" et le Pape Pie XII a, sur ce point, fait les réserves qui s'imposent. » Mais mon recenseur n'a pas dû lire ces lignes-là. » M. Roffat n'a pas compris quel enseignement de Pie XII nous lui désignions. Il parle des « réserves du Pape Pie XII » et il les cite : or, *ce ne sont pas celles-là. *Nous avions invoqué et reproduit un texte de Pie XII qui exprime beaucoup plus que des « réserves » sur une « interprétation » : celui du 31 janvier 1952. Que M. Roffat veuille bien s'y reporter. Il se rendra compte de sa méprise. IV. -- QUESTION Reprenons donc, point par point, posément, patiemment : I. -- M. Roffat assure avoir « *mentionné ouvertement* » les « réserves du Pape Pie XII » que nous lui avions rappelées ; et il cite l'endroit où il croit l'avoir fait, relisons : « C'est à tort que certains ont voulu s'autoriser de l'Encyclique pour parler d'un « droit naturel de cogestion » et le Pape Pie XII a, sur ce point, fait les réserves qui s'imposent. » II. -- Mais ce n'est pas cela. M. Roffat a cité *un autre* texte que celui qui avait été produit par nous : un autre texte pontifical que celui qui contredit son article du 24 mai. Donnons-le donc à nouveau. Il s'agit du discours du 31 janvier 1952 (traduction de *l'Osservatore romano,* édition française du 8 février 1952 ; traduction littéralement un peu différente, mais semblable quant au fond, dans la *Documentation catholique* du 24 février 1952) : « *Nous ne pouvons ignorer les altérations avec lesquelles sont dénaturées les paroles de haute sagesse de Notre glorieux prédécesseur Pie XI, en donnant le poids et l'importance d'un programme social de l'Église, en notre époque,* 64:7 *à une observation tout à fait accessoire au sujet des éventuelles modifications juridiques dans les rapports entre les travailleurs, sujets du contrat de travail, et l'autre partie contractante : et en revanche, en passant plus ou moins sous silence la partie principale de l'Encyclique* QUADRAGESIMO ANNO*, qui contient en réalité ce programme, c'est-à-dire l'idée de l'ordre corporatif professionnel de toute l'économie.* » III. -- M. Roffat veut-il bien considérer et comprendre que c'est cela, et non autre chose, que nous avons opposé à son article ? IV. -- M. Roffat voudra-t-il citer ce texte pontifical en première page de *La Croix,* où nous ne nous souvenons pas l'avoir jamais vu ? V. -- Et s'expliquer (puisqu'il veut nous répondre) sur celui-là, non sur un autre ? V. -- POURQUOI\ « GARDIENS DE L'ORTHODOXIE » ? M. Roffat poursuit : « Au reste, le reproche essentiel n'est pas dans cette chicane. Il est dans l'omission, de ma part, de ce qui constituerait l'essentiel de l'Encyclique : « l'idée de l'ordre corporatif profes­sionnel... » M. Roffat met entre guillemets « ordre corporatif professionnel », mais il laisse ignorer à son lecteur que cette expression est de Pie XII. « ...omission dont je ne suis pas seul coupable, écrit-on, car elle est aujourd'hui le fait de l'ensemble des intellectuels catholiques et journalistes chrétiens de France, que viennent heureusement rappeler à l'ordre les publicistes d'*Itinéraires,* gardiens de l'orthodoxie. » Ce n'est pas nous, cher Monsieur, c'est le Souverain Pontife -- qui est peut-être gardien de l'orthodoxie, non ? -- c'est le Souverain Pontife, dans le texte que je cite et recite *parce qu'on le cache et parce que vous ne le citez pas,* c'est le Souverain Pontife qui reproche l' « omission » dont vous parlez. 65:7 C'est le Souverain Pontife qui reproche de *passer plus ou moins sous silence l'idée de l'ordre corporatif professionnel,* et qui déclare que ce plus ou moins de silence altère et dénature la doctrine sociale de l'Église. Nous autres, « publicistes d'*Itinéraires* », nous ne nous prenons nullement pour les « gardiens de l'orthodoxie ». (Nous pensons même qu'à cet égard les fonctions, les devoirs, les responsabilités d'un rédacteur de *La Croix* sont infiniment plus *terribles* que les nôtres). Nous avions pris soin de préciser à quel titre nous rendions témoignage à la parole du Saint-Père : « en simples catholiques du dernier rang, en simples lecteurs de *La Croix* ». Alors, pourquoi M. Roffat va-t-il chercher cette histoire de « gardiens de l'orthodoxie » ? \*\*\* Non, nous ne sommes ni ne nous croyons « gardiens de l'orthodoxie », *mais nous nous efforçons à l'orthodoxie.* Et ce n'est pas le rôle de *La Croix* de moquer (avec quelle pesante ironie) des catholiques qui s'efforcent à l'orthodoxie. Qui s'y efforcent dans l'esprit qui était clairement exposé par notre éditorial du même numéro : « Nous ne cherchons à faire la leçon à personne, sauf à nous-mêmes. Les erreurs que nous examinons, et que nous combattons avec la plus grande. énergie, nous les combattons afin de défendre ou de retrouver pour nous-mêmes la sûreté du cœur, la vérité de la pensée, la justice et la paix de l'âme. Peut-être, ce faisant, pourrons-nous aussi les procurer à d'autres : nous le pourrons dans la mesure où notre exigence spirituelle et intellectuelle porte sur nous-mêmes. « C'est en portant sur nous qu'elle pourra aussi, avec la grâce de Dieu et si telle est Sa Volonté, porter sur d'autres, et les toucher, et les convaincre, et les défendre, et les sauver. » VI **--** MISE AU POINT\ « AUTORISÉE » M. Roffat poursuit : « Les lecteurs désireux d'une « mise au point » autorisée sur ce sujet délicat... » 66:7 On aimerait savoir pourquoi et en quoi la simple fidélité à la doctrine constante des Papes sur l' « ordre corporatif professionnel » peut être un *sujet délicat...* « ...sur ce sujet délicat se reporteront avec profit à l'article de Joseph Folliet paru dans le dernier numéro de *La Chronique sociale de France* (juillet 1956) sous le titre : « Le corporatisme, dada ou cheval de bataille ? » L'article cité de M. Joseph Folliet fit l'objet, de notre part, d'une lettre ouverte (*Itinéraires,* numéro 6, pp. 130 et suiv.) Mais nous comprenons mal en quoi, pourquoi et comment cet article de M. Folliet est présenté comme « une mise au point autorisée ». M. Roffat esquive les quatorze interventions personnelles du Souverain Pontife en faveur de l'ordre corporatif professionnel, et il oriente ses lecteurs vers M. Folliet. La pensée et les écrits doctrinaux ou polémiques de M. Folliet méritent une considération que nous ne leur avons jamais refusée. Leur « autorité », qui est grande, est celle de leur auteur et de leur valeur intrinsèque. Mais pas davantage. \*\*\* Nous préférons dire, quant à nous, que « les lecteurs désireux de mises au point autorisées se reporteront avec profit » *aux très claires et très impératives interventions personnelles des Souverains Pontifes sur ce sujet* (quatorze depuis vingt-cinq ans). VII. -- INADVERTANCE M. Roffat poursuit : « Au fond, il s'agit d'une querelle de mots. Il n'est aucun catholique social qui n'attache la plus grande importance à la partie de l'Encyclique qui traite de la restauration de l'ordre social, par la collaboration des divers corps professionnels au bien commun de la société. C'est, en effet, le nœud de la doctrine sociale de l'Église. » Bon. Mais dans son article en question du 24 mai, M. Roffat n'en parlait pas. Il parlait de « *l'observation tout à fait accessoire* » (dit Pie XII) faite par Pie XI sur le contrat de travail. Et de cette observation tout à fait accessoire, il disait : 67:7 « *C'est sur ce point, précisément, que l'Encyclique Quadragesimo Anno reste l'Encyclique de l'avenir.* » Ce faisant, M. Roffat faisait très exactement ce que Pie XII appelle « altérer » et « dénaturer » *Quadragesimo Anno. *M. Roffat faisait ce que Pie XII appelle « *donner le poids et l'importance d'un programme social de l'Église à une observation tout à fait accessoire* ». M. Roffat aurait pu s'en expliquer : nous l'y invitions. Mais il ignore le texte de Pie XII que nous lui avons présenté. Il prétend le « mentionner ouvertement », et il en cite un autre. Si même il *cite *: je n'en sais rien. En effet, M. Roffat ne donne pas la référence du 31 janvier 1952. Il dit simplement : « en 1952 ». C'est vague. Et en outre, je vois mal quand, en 1952, Pie XII aurait nommé la co-gestion. Ou plutôt, je ne vois que la lettre aux Semaines sociales d'Italie, qui est du 21 septembre 1952, et qui a été écrite, au nom du Souverain Pontife, par Mgr Montini, alors substitut de la Secrétairerie d'État. Mais chacun sait que l'intervention explicite du Saint-Père sur le droit de co-gestion n'est pas de 1952 : elle est de 1950. Et la lettre de Mgr Montini, en 1952, ne faisait que rappeler le sens de l'intervention de 1950 ([^23]). Cette intervention prit la forme d'une copieuse incidente dans son allocution aux membres du Congrès international des études sociales de l'Université de Fribourg. Chacun sait aussi que cette intervention de 1950 eut un grand retentissement : les réactions suscitées furent analysées dans la *Documentation catholique* du 2 juillet et dans celle du 3 décembre 1950. Il est donc clairement établi que les « réserves » de Pie XII auxquelles M. Roffat fait allusion, en les datant de 1952, sont de 1950. M. Roffat a fait une double confusion de textes et de dates. Je signale à nouveau à son attention que je lui ai parlé et que je lui parle de 1952, du 31 janvier, et du texte cité ici, dont je me demande pourquoi on se refuse à le prendre en considération. \*\*\* Dans son article du 9 août, M. Roffat renonce à son affirmation extrême du 24 mai, que nous avions critiquée. Fort bien. Il ne veut pas reconnaître publiquement qu'il s'était trompé. Une telle reconnaissance l'eût honoré. Mais nous ne lui en demandons pas tant. 68:7 Nous lui demandons de ne pas escamoter les termes de sa position première et de la critique que nous lui avions faite. Car il les escamote. Par inadvertance, assurément. Mais cette inadvertance est regrettable. VIII. -- « NOUS PRÉFÉRONS\ EN FRANCE » M. Roffat poursuit : « Mais nous préférons parler, en France, depuis toujours et surtout depuis l'occupation allemande, d' « organisation professionnelle » plutôt que de « corporatisme ». » Vous *préférez* parler *en France* d' « organisation professionnelle » ? Mais quand vous en parlez, on ne vous reproche rien. Si vous aviez dit, dans votre article du 24 mai, que l'Encyclique Quadragesimo Anno « reste l'Encyclique de l'avenir » *parce qu'elle énonce les principes de l'organisation professionnelle. qui constitue le programme social de l'Église,* nous ne vous aurions adressé aucune critique. Mais cette « organisation professionnelle », dont vous *préférez parler,* vous N'EN PARLIEZ POINT. Vous parliez au *contraire* de « l'observation tout à fait accessoire » que vous présentiez comme le (seul) point sur lequel Quadragesimo Anno reste l'Encyclique de l'avenir. N'ALLEZ DONC PAS DONNER A CROIRE QUE L'ON VOUS AURAIT ICI REPROCHÉ DE PRONONCER « ORGANISATION PROFESSIONNELLE » PLUTÔT QUE « CORPORATION ». ON VOUS A REPROCHÉ DE N'AVOIR PARLÉ NI DE L'UNE NI DE L'AUTRE, ET D'AVOIR SITUÉ L'ESSENTIEL DE LA DOCTRINE SOCIALE DANS UNE REMARQUE TOUT A FAIT ACCESSOIRE. Donc, encore un coup, et de grâce, n'escamotez pas, fût-ce par inadvertance et distraction, les termes du débat. \*\*\* Pour nous, *en France* comme ailleurs, nous « préférons » adopter le vocabulaire du Souverain Pontife, parce que l'avantage de conserver un langage commun avec l'ensemble de la catholicité nous semble infiniment plus important que les inconvénients (réels ou imaginaires, en tous cas occasionnels) auxquels s'arrête M. Roffat. 69:7 Mais ce n'était pas cette « querelle de mots » qui était faite à M. Roffat. On ne lui reprochait nullement (répétons patiemment) de n'avoir pas employé *les mots* d' « ordre corporatif professionnel ». On lui reprochait d'avoir passé sous silence *la chose elle-même,* quel que soit le nom qu'il « préfère en France » lui donner. D'ailleurs, si ce n'avait été qu'une « querelle de mots », aurait-elle valu que M. Roffat nous fit tout ce méchant préambule que l'on a lu, et cette méchante conclusion que l'on lira ? IX. -- L'ALLUSION EMPOISONNÉE M. Roffat poursuit témérairement : « ...plutôt que de corporatisme. Par suite de circonstances politiques indépendantes de notre volonté, l'expression d' « ordre corporatif » est chez nous, qu'on s'en réjouisse ou qu'ou s'en désole, devenue équivoque, parce qu'elle rappelle inévitablement le temps des comités d'organisation de Vichy, avec la dissolution des syndicats ouvriers et patronaux et les mesures, d'un paternalisme désuet, qui prétendaient imposer une Charte du travail difficilement applicable et, d'ailleurs, jamais appliquée. Quelques-uns, à cette époque, défendaient vigoureusement ces mesures. Nous pourrions citer les textes. » Il est extraordinaire qu'une telle *menace* ait pu être publiée, là où elle l'est, par M. Roffat. Ces allusions empoisonnées à l'attitude du catholicisme français sous l'occupation ne sont pas à leur place sous la plume d'un rédacteur de *La Croix.* Je pense, et j'espère, qu'il suffira de le dire une fois. X. -- « DES ITINÉRAIRES DOUTEUX » M. Roffat termine : « Nous étions déjà, pour notre part, en résistance contre de telles conceptions, leurs tenants et leurs aboutissants. Nous n'avons pas changé, les uns ni les autres, je le vois bien : mais nous pensons, en n'invoquant pas maintenant le corporatisme à tout propos, être au moins aussi fidèle à l'inspiration foncière de l'Encyclique et à la pensée profonde du Pape, que le petit groupe de doctrinaires agressifs qui semblent nous conduire en des « itinéraires » douteux. » 70:7 Ce mot de la fin est indigne. Nos « itinéraires » vont à l'Église catholique, à sa prière, à son enseignement, à son Magistère. Nous y allons chacun comme nous pouvons. Nous trébuchons tous en route, à commencer par M. Roffat dans son article du 24 mai. En quoi, pourquoi *douteux ?* Pourquoi, avec une méchanceté insigne, nous appliquer cette qualification de « *petit groupe de doctrinaires agressifs* »* ?* Nous demandons si un rédacteur de *La Croix* est bien dans son rôle en qualifiant de « petit groupe de doctrinaires agressifs » et de « douteux » des écrivains catholiques qui se nomment Gustave Thibon, Marcel De Corte, Louis Salleron, Henri Massis, l'amiral Auphan, Henri Charlier, Marcel Clément, Henri Pourrat ([^24]). \*\*\* JE RÉPÈTE à M. Roffat ce que j'ai dit ici à M. Montaron, directeur de *Témoignage chrétien,* et à M. Joseph Folliet, directeur de la *Chronique sociale* et co-directeur de *La Vie catholique illustrée. *Je vous propose de substituer méthodiquement le dialogue à la polémique. Je vous demande de ne pas, au contraire, substituer l'attaque contre les personnes à la discussion des idées. Je vous tends la main pour une confrontation loyale, menée dans la paix, afin que nous dissipions les erreurs que je vous reproche ; et dans la pensée que nous nous nourrissons peut-être ici des erreurs symétriquement opposées, que vous nous aideriez à discerner. Nous n'offrons tous que des images imparfaites de notre foi : la confrontation et le dialogue, qui sont pour les publicistes l'équivalent de la correction fraternelle, nous permettraient de mieux nous en apercevoir. Il me semble que ma proposition est claire. Je me demande pourquoi ceux à qui elle s'adresse ne veulent pas la prendre en considération *telle qu'elle est. *pour lui répondre en toute franchise par un oui ou un non clairement motivé. 71:7 A L'OCCASION DE NOTRE ENQUÊTE sur la corporation, M. Roffat peut, soit chez lui soit chez nous, exposer plus complètement et plus pacifiquement sa pensée. Celle-ci, dans son dernier état, notablement rectifié par rapport à l'article du 24 mai qui avait provoqué notre protestation, semble admettre la chose et l'esprit mais non le terme de *corporation. *C'est dire que nous sommes beaucoup plus proches en août qu'il ne l'apparaissait le 24 mai. Il est d'une importance moindre, mais il reste d'un intérêt historique et psychologique évident, de déterminer avec précision pourquoi le mot lui-même est rejeté. M. Roffat assure qu'il l'est en France « *depuis toujours et surtout depuis l'occupation allemande* ». Or : 1. -- M. Roffat expose pour quelles raisons il l'est « depuis l'occupation allemande ». (Et ses raisons sont à notre avis singulièrement imprudentes. Car si ce type de raisonnement est valable contre la corporation, il sera employé aussi contre récole libre.) 2. -- Mais M. Roffat ne précise pas pourquoi il l'est « *depuis toujours* ». Du moins il confirme, par ces deux mots, qu'il y a « toujours » eu en France une opposition au moins au nom lui-même de cette corporation que les Souverains Pontifes nous proposent avec une extrême insistance. Si cette opposition existe « depuis toujours », les motifs tirés de l'occupation allemande, même exprimés en termes vigoureux, ne sauraient évidemment en rendre compte. La cause est plus ancienne et plus profonde. Peut-être notre enquête la découvrira-t-elle. Peut-être aussi devrons-nous ne pas négliger de considérer que le rejet du mot facilite beaucoup l'oubli de la chose elle-même : témoin l'article qu'avait fait, le 24 mai, M. Claude Roffat. J. M. 72:7 ### Rachetez le temps NOTRE-SEIGNEUR, au Ch. X de l'évangile de s. Matthieu, déclare à ses apôtres : « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups... ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme... les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés ; ne craignez donc point... Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je suis venu apporter non la paix mais le glaive. Je suis venu mettre en lutte le fils avec le père... on aura pour ennemis les gens de sa propre maison. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n'est pas digne de moi. Celui qui sauvera sa vie la perdra ; et celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » « Je suis venu apporter non la paix, mais le glaive. » Il ne s'agit pas là, bien sûr de la paix de l'âme et du cœur ; car Jésus, au contraire, l'a promise à tous ses disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » Non pas la paix, mais *sa* paix, celle que Jésus a gardée sur la croix même, celle de Marie au pied de la croix, celle qui demeure en toute circonstance en l'âme consciente de faire la volonté de Dieu et qui l'aime. 73:7 Mais ce n'est pas une idylle. Ceux des bons chrétiens qui voudraient installer le paradis sur la terre sont dans l'illusion. Il faut sans doute s'essayer à être juste et à faire régner la justice autour de soi, et qui donc peut se croire sans faute à cet égard ? Mais c'est une erreur de penser que les réformes en ce sens peuvent aider à augmenter la foi, qui. est un pur don gratuit de Dieu. D'abord, c'est un fait d'expérience que les populations les plus riches et où la vie est le plus aisée sont les moins religieuses. Elles oublient facilement Dieu. Enfin, une justice distributive naturelle ne saurait satisfaire les hommes, parce que « l'homme ne vit pas seulement de pain ». Il lui faut dans son travail un intérêt de nature intellectuelle, comme celui dont jouissent les artisans, et un intérêt spirituel qui consiste à prendre conscience que nous travaillons tous à l'œuvre de Dieu, avec Lui, par Lui et en Lui. Sans cette pensée, sans cette régulation supérieure des appétits, les hommes confondent facilement la justice et leur intérêt. Seule la charité, c'est-à-dire l'amour de Dieu et du prochain, permet de voir clairement où est la justice ; et des cœurs vivant de la paix du Christ auraient tôt fait d'établir La paix sociale, qui, obligatoirement, doit régner dans les âmes avant d'apparaître dans l'intelligence et dans les actes. 74:7 D'ailleurs, « le disciple n'est pas plus grand que le maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur. » Notre-Seigneur a-t-il réclamé l'égalité, cette hideuse fille de l'envie ? A-t-il choisi une vie aisée et tranquille ? Non, mais une vie pleine de peines et de souffrances morales, car il lisait dans les cœurs et, devant certaines personnes, le sien était soulevé de dégoût : « Ô race incrédule, jusques à quand serai-je avec vous ? » Et cette apostrophe qui serait dans notre bouche un mouvement d'humeur peu charitable, dans celle de Notre-Seigneur, qui connaissait l'intime des cœurs, est une flèche de la grâce. Le pécheur qui avait dit : « Si tu y peux quelque chose, guéris mon fils » fond en larmes et s'écrie : « Seigneur, je crois, aidez mon incrédulité. » Et jusqu'à la fin des temps, tous les hommes répéteront cette parole, qui est comme un étendard de la grâce pour sortir de l'abîme de misère et d'ingratitude où se meuvent nos âmes. Lire dans les cœurs était pour Jésus une agonie continue, et les saints qui ont eu ce charisme le considéraient tous comme une croix. OR, NOTRE RÔLE est de continuer, avec son aide, l'œuvre du Christ. Et quelle autre voie que la sienne ? L'imitation de Jésus-Christ comporte l'amour de la croix : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n'est pas digne de moi. » N'être pas digne du Christ, c'est se fermer le ciel. Saint Paul, à la fin de sa première captivité, en l'an 62, écrivait aux Colossiens : « Maintenant, je suis plein de joie dans mes souffrances, et ce qui manque aux souffrances du Christ, en ma propre chair, je l'achève pour son corps qui est l'Église. » Saint Augustin, méditant ces paroles, ajoute : « Toutes les souffrances étaient parfaites dans la tête, elles devaient l'être dans les membres, et jusqu'à la fin des temps. » C'est ce qui faisait dire à un ancien Père : « Une est la Passion du Christ, des martyrs et des fidèles. » Dieu est en nous par la nature et par la grâce, comme créateur et comme sauveur. Son amour veut nous voir nous assimiler à son Fils même : 75:7 « Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui par leur prédication croiront en moi, pour que tous ils soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi et moi en vous, -- pour que eux aussi ils soient un en nous, afin que le monde croie que vous m'avez envoyé. » Telle est l'union, telle est la solidarité des chrétiens et du Christ. Rien ne manque à la Passion de Notre-Seigneur, c'est en nous qu'il manque toujours quelque chose, tant que nous n'aimons pas cette communication et cette participation aux souffrances et à l'amour du Christ. Dieu proportionne les croix à notre faiblesse et à notre lâcheté coutumière. Notre tâche est ajustée à nos forces par une Providence pleine d'amour qui, d'ailleurs, a préparé elle-même notre vocation, notre besogne et notre avenir. Mais notre vocation à tous est cette union au Père par le Fils et la Passion du Fils imprimée en nous par les sacrements. TELLE EST LA VOIE de la béatitude céleste ; et comme l'homme est fait pour vivre en société, les rapports sociaux ont pour fondement l'entraide spirituelle que les hommes s'apportent les uns aux autres pour accomplir leur destinée. Ainsi le chrétien, qui ne se sauve pas tout seul (c'est Dieu qui le sauve) ne se sauve pas seul non plus. L'ordre naturel même fait que le père et la mère de famille ont un pouvoir sanctificateur sur leurs enfants, par la parole et par l'exemple, l'égal sur ses égaux, et même, tant l'ordre surnaturel est abondant en surprises gracieuses, le petit enfant sur des vieillards. 76:7 Le désir de saint Paul « plein de joie dans ses souffrances pour nous, et qui achève dans sa propre chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l'Église », n'est pas seulement l'œuvre confiée à un grand saint, c'est l'œuvre de toute la chrétienté. D'ailleurs, il n'y a pas de milieu : il faut devenir saint ou périr. UNE FOIS, dans le temps, Jésus a fait une œuvre parfaite. Il la continue dans son Église par sa présence réelle et les sacrements, et son Église, « dans la force prise à cette nourriture », comme Élie, entraîne l'humanité « à la montagne de Dieu ». L'histoire de l'Église est l'histoire de l'action de Dieu dans le monde, c'est l'histoire de l'action de Dieu par les chrétiens pour la conversion et le salut du monde. « Reconnais, ô chrétien, ta dignité », car, comme le dit saint Paul dans l'épître aux Éphésiens (V, 16), il faut « racheter le temps » : « *Ayez donc soin, mes frères, de vous conduire avec prudence, non en insensés mais comme des hommes sages, rachetez le temps, car les jours sont mauvais.* » Saint Paul emploie deux fois cette expression. Une fois dans une sens faible, une fois dans un sens fort. La première, dans l'épître aux Colossiens (IV, 5) : « Conduisez-vous avec prudence envers ceux qui sont hors de l'Église, rachetant le temps. » Il s'agit là d'une expression grecque sans équivalent exact en latin et en français. La traduction latine est littérale, suggestive, mais vague. Crampon traduit la première citation par « ...saisissant l'occasion favorable. » Traduction juste, mais faible. En grec, *to Kairon* veut bien dire : le temps opportun. C'est ce même mot qui sert à saint Paul dans la deuxième épître aux Corinthiens (VI, 2) : « Voici maintenant le *temps favorable,* voici le jour du salut. » Il s'agit donc bien de saisir l'occasion favorable, mais en la *rachetant,* ce qui manque dans la traduction. Le verbe indique un trafic sur la place publique, comme « marchander des occasions ». 77:7 Dans l'épître aux Éphésiens, le contexte renforce l'expression, et Crampon traduit cette fois : « Rachetez le temps, car les jours sont mauvais. » Saint Paul était en prison, mais libre de recevoir et de faire de l'apostolat. *Dies mali sunt* (Ep 5, 16.) en latin peut vouloir dire : il y a de mauvais jours. Mais le grec, plus précis, dit : les jours sont mauvais. Ils le seront pour les chrétiens jusqu'à la fin des temps, dit saint Jean (XV, 19) : « Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le premier. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartiendrait en propre, mais parce que vous n'êtes pas du monde, et que je vous ai choisi du milieu du monde, à cause de cela, le monde vous hait. » C'est donc bien évidemment une grave erreur, pour tant de bons chrétiens, de chercher les applaudissements du monde et de faire effort pour ressembler au monde le plus possible. Il faut tout au moins se résigner à vivre dans le monde sans en partager les mœurs ni les idées, car, Joël l'a dit (IV, 18) : « Une source sortira de la maison du Seigneur pour arroser la vallée des épines... » Et la source est sortie. (*A suivre*.) D. MINIMUS. 78:7 ## ENQUÊTE ### Le Nationalisme français MARCEL CLÉMENT a bien raison de dénoncer au préalable la confusion du langage. Cette moderne Babel pourrait d'ailleurs être le signe de la grande confusion annoncée dans l'Apocalypse. Avant donc d'entrer dans le débat proposé, peut-être faudrait-il, d'abord, se mettre d'accord sur les définitions avancées par Marcel Clément. État, nation, patrie : s'agit-il là de « représentations intellectuelles » ou de « diverses notions » ? Marcel Clément utilise successivement les deux termes. Il semblerait que les idées de patrie et d'État fussent des notions -- connaissance élémentaire de ce qui est. La nation, par contre, pourrait bien être une représentation intellectuelle, c'est-à-dire un concept, une création de l'esprit qui peut varier d'aspect selon les fluctuations et les options de la pensée créatrice. C'est pourquoi, il peut y avoir différents nationalismes. C'est pourquoi, en toute logique objective, les marxistes peuvent flétrir le nationalisme français et allemand, et exalter en même temps le nationalisme malais et algérien. La définition de la nation par Marcel Clément -- communauté de valeurs spirituelles, morales, culturelles (j'ajouterai : historiques et linguistiques) -- est-elle recevable ? Oui, peut-être, si le concept nation s'actualise, et dans l'État, et dans la patrie. S'il ne s'actualise que dans l'État (exemple, la Yougoslavie où la communauté des valeurs ci-dessus énumérées n'existe pas). C'est le nationalisme qui tendra à créer la nation, que combattent les différents patriotismes groupés de force dans l'état. C'est alors le mal condamné par S.S. Pie XII, « l'État dominateur et centralisateur (qui fait) de la nationalité sa force d'expansion ». 79:7 Et lorsque le nationalisme ne s'appuie ni sur l'État, ni sur la patrie, l'abstraction nation devient fiction (exemple, l'Algérie). Par contre, la Bretagne apparaît bien comme une « communauté de valeurs spirituelles, morales, culturelles », historiques et linguistiques. Elle fut même longtemps État indépendant. Cependant l'idée de « nation bretonne » paraît farfelue, alors que l'on peut très bien dire : « Bretagne, ma patrie », sans être autonomiste pour autant. Qui donc nous donnera de la nation une définition recevable par tous ? Mais, il semble possible de se mettre d'accord sur la notion majeure et primordiale de patrie. Notion oubliée, méconnue, inconnue même. Inconnue au point que la plupart des mobilisés de 39 pouvaient s'exclamer de bonne foi : « Mais qu'est-ce qu'on f... ici ! ». Oubliée au point que le débat ouvert par Jean Madiran nous paraît à tous utile, et même nécessaire, et même indispensable. « La Patrie... semble désigner une réalité moins déterminée que l'État et même que la nation ». Pas d'accord, cher Marcel Clément, pas d'accord, et ce que vous ajoutez me semble bien restrictif. La patrie m'apparaît comme une réalité tangible, parfaitement déterminée, bien qu'extrêmement complexe. Patrie : terre de nos pères. Bien sûr. Sans la terre nourricière il ne saurait y avoir de patrie, en aucun cas. Mais il faudrait préciser : la terre colonisée (c'est-à-dire mise en valeur) par nos pères. Bien plus que la conquête, c'est la mise en valeur du sol, du terroir, qui assure le droit naturel de propriété. Les valeurs intellectuelles s'ajoutent par la suite pour constituer le patrimoine. Car la patrie, c'est d'abord un patrimoine que nous recevons de nos pères pour le transmettre à nos fils, intact si c'est possible, et enrichi de préférence. Ici, les considération. du R.P. Sertillanges sont restrictives. La Patrie possède bien tous les droits d'une mère. Mais nous avons de surcroît envers elle les devoirs d'un père, puisque chaque jour nous l'engendrons pour les générations à venir. C'est pourquoi le patriotisme ressortit beaucoup plus de l'amour -- c'est-à-dire de la charité -- qu'à la justice. La justice cherche à équilibrer dans sa balance le doit et l'avoir, le droit et le devoir. La charité ne pèse ni ne compte. Le fils ne pourra jamais donner à sa mère autant qu'il a reçu d'elle. Mais le père donne sans compter à ses enfants, sans esprit de retour. Il n'existe nulle balance, nul compteur de Geiger pour mesurer ce que Péguy a reçu de la patrie, et ce qu'il lui a donné. Son apport au patrimoine-France a été considérable, cela doit nous suffire. 80:7 Après le bombardement de Billancourt, en 1943, une amie est venue me trouver, hilare : « Ils ont fait du bon boulot ! » Moi, j'avais le cœur serré. Jamais je n'ai été actionnaire, employé, client ou fournisseur de Louis Renault. Son attitude sociale m'était même antipathique. Mais la destruction de ses usines était une sérieuse atteinte au patrimoine, et je ne pouvais qu'en pleurer. De même pour la vétusté de Versailles, et pour les oliveraies ravagées par le gel l'hiver dernier. *Right or wrong, my country*. Parce que le patriotisme est surtout d'ordre affectif l'adage britannique est beaucoup moins immoral qu'il n'en a l'air, puisque l'amour est la première des vertus. Ce n'est pas toujours, réjouissant de compulser l'inventaire du patrimoine-France. Certains peuvent s'affliger d'y trouver Voltaire et Robespierre (et la Tour Eiffel). C'est comme ça, le patrimoine est un tout que nous devons aimer tel qu'il est. Sans Voltaire, sans Robespierre (et sans la Tour Eiffel) la patrie serait autre (et nous ne savons pas ce qu'elle serait). Le crime de certains, et pis encore, leur faute, est d'avoir falsifié des pages du livre d'inventaire, d'en avoir arraché des chapitres entiers. Ainsi, les manuels laïques d'histoire escamotent-ils complètement la part prépondérante qu'a pris le catholicisme -- donc l'Église -- dans la constitution du patrimoine-France. Sans le christianisme, on ne sait pas très bien ce qu'il pourrait y avoir à l'heure actuelle à l'intérieur de l'Hexagone, et comment s'y présenteraient les rapports humains. Alors, parce qu'ils méconnaissent les immenses richesses du patrimoine, les mobilisés de 1939 ne peuvent pas savoir pourquoi on les a arrachés à leur foyers et à leurs occupations. Alors, nombre de nos compatriotes s'interrogent de bonne foi sur le « fait national algérien ». L'Algérie est-elle ou non une province française ? La question est de peu d'importance. Ce sont des Français -- nos pères -- qui, avec leur sang, leur sueur, leur intelligence, leur génie et leur foi ont colonisé -- c'est-à-dire mis en valeur -- des terres que les autochtones laissaient incultes depuis des siècles et des siècles. L'Algérie fait donc partie du patrimoine-France et notre devoir impératif de pères est de la transmettre intacte et embellie à nos fils. La Patrie, nous en avons une vibrante image, une sorte de digest, à Chartres, où nombre de nos compatriotes se rendent en en simple touristes curieux (plus ou moins) de richesses archéologiques et artistiques. Chartres, c'est d'abord l'énorme tâche des moines qui ont défriché et fait défricher l'immense forêt qui couvrait la Beauce. C'est le sang de tous ceux qui repoussèrent les invasions normandes. C'est la fatigue et la peine des obscurs -- nos pères -- qui ont tiré de la terre et charrié les grosses pierres qui soutiennent les clochers. C'est l'audace des architectes, la patience des bâtisseurs, l'amour du métier, la foi en l'avenir, l'opiniâtreté de fourmis de tous ceux qui construisaient et reconstruisaient la cathédrale. 81:7 C'est l'émulation, de génération en génération, entre artistes jaloux de faire mieux que les pères. C'est la fantaisie et la piété du sculpteur, c'est la munificence du seigneur et l'humble offrande du manant, c'est l'art secret du verrier, c'est le couvreur qui se rompt les os. Tout cela pour édifier le patrimoine, pour apporter le témoignage de la présence de nos pères, l'enseignement de leur art, le message de leur foi, de leur espérance et de leur amour. Amour pour Dieu, amour pour nous, leurs fils. Chartres, c'est encore le vœu de Louis XIII, c'est l'immense somme des prières qui se sont élevées dans la nef, c'est la protection maternelle de Marie, c'est l'ineffable grâce que Dieu répand sur ses enfants. Chartres, c'est le pèlerinage solitaire de Péguy, et c'est la grande foule estudiantine du jour de la Pentecôte. Image de la Patrie. D'une patrie tour à tour souffrante et glorieuse, mais vivante. *Car la patrie vit*. Plus ou moins à l'aise dans le cadre des institutions d'un État. Toujours prête à secouer le joug de l'immobilisme sclérosé dans lequel voudraient la figer les nationalismes. Comme celui de tout être vivant, il change sans cesse, le visage de la Patrie. Hier débordant de santé, aujourd'hui émacié par l'anémie. C'est à nous, à notre génération, qu'il appartient de lui modeler une nouvelle beauté. Mais sans doute faudrait-il d'abord guérir notre Mère de certaines maladies infectieuses et peut-être mortelles. Car, l'histoire nous le montre, les patries peuvent mourir, pour n'offrir plus que des ruines et des vestiges à la curiosité des touristes étrangers. Benjamin LEJONNE. ~===============~ ### A propos du nationalisme de Charles Maurras Parmi tant d'excellentes choses que nous rappelle l'étude de M. Marcel Clément sur « Pie XII et le Nationalisme », pourquoi faut-il que de nombreux Français aient trouvé un sujet d'inquiétude et de déception ? C'est que définitions et nuances s'imposent quand on aborde un tel sujet. Elles diffèrent avec les auteurs, les patries, la conception de l'homme, le génie de la race, les mobiles qui l'inspirent. 82:7 Ainsi, la comparaison entre le nationalisme jacobin et celui de Charles Maurras, même avec l'affirmation qu'il n'y a pas entre eux « symétrie parfaite », exige de si importantes réserves qu'il nous est impossible de les taire. Notons d'abord où et quand se situe le texte étudié par M. M. Clément. Il appartient au message pontifical de Noël 1954. Le Saint-Père y exprime les conditions de la Paix et les obstacles à la Paix, en signalant tout de suite que, dans le monde, deux blocs s'opposent toujours dans la « guerre froide ». L'un des deux représente la destruction de toute civilisation chrétienne par la poursuite forcenée d'un idéal purement terrestre. Il affirme « sa capacité d'organiser la libération de la vie humaine de toutes les privations et de tous les maux dont elle souffre et d'opérer ainsi une sorte d'autorédemption ». L'autre redoute la réussite du premier pour son économie déjà atteinte et l'expansion illimitée qu'il recherche. « Il répand la conception selon laquelle il faut attendre de l'économie -- et, en particulier, d'une de ses formes spécifiques qui est le libre-échange -- la solution du problème de la Paix. » Cette première erreur en entraîne une autre : Les deux blocs ne peuvent survivre qu'en faisant servir jalousement à la conquête des biens qu'ils convoitent toutes les valeurs, toutes les énergies qui relèvent de leur domination. Et c'est ce besoin de domination sans mesure et sans contre-poids qui conduit à l'exercice du nationalisme tel que Pie XII le définit : « Énorme accumulation de sacrifices de vies et de biens extorqués par ce type d'État, ainsi que les charges économiques et spirituelles qu'il imposait. Mais le fond de l'erreur consiste à confondre la vie nationale au sens propre avec la politique nationaliste ; la première, droit et gloire d'un peuple, peut et doit être développée ; la seconde, source de maux infinis, ne sera jamais assez rejetée. » (...) « La vie nationale est de sa nature, l'ensemble actif de toutes les valeurs de civilisation qui sont propres à un groupe déterminé... La vie nationale ne devint un principe dissolvant pour la communauté des peuples que lorsqu'elle commença à être exploitée comme moyen pour des fins politiques, à savoir quand l'État dominateur et centralisateur fit de la nationalité la base de sa force d'expansion. On eut alors l'État nationaliste, germe de rivalités et source de discordes. » A la lumière d'un tel enseignement, nous pensons qu'il est facile d'établir un critère. C'est, du reste, de celui-ci qu'use M. M. Clément quand il range le Nationalisme jacobin dans les erreurs condamnées par le Pape. Il est trop facile de montrer ce que coûta à la France l'idéal de 1789. C'est pour lui que la Révolution, oublieuse du réel et des conditions de l'Ordre, déclara la guerre « aux tyrans », prétendit « donner au monde et la Paix et la Liberté », décréta la Conscription obligatoire avec tout ce qu'elle comporte de troubles sociaux, de centralisation à outrance, d'exploitation éhontée de l'homme, de ruines financières et politiques. 83:7 Mais le côté négatif de ce bilan s'aggrava encore d'une conséquence dont ce nationalisme était porteur : Le principe des Nationalités. Ainsi est-il l'auteur de l'unité prussienne et de l'unité italienne ; c'est de lui que Jacques Bainville a pu écrire. « Il a fait et fera couler encore plus de sang que tous les conquérants réunis. » Offensif, exacerbé, centralisateur, idéologique, sectaire, bâtisseur d'un rêve insensé à l'encontre du plan divin, il est et demeure un principe de gauche, à telle enseigne que des intelligences libres qu'il réussit à égarer un instant ne purent se ressaisir et déclarer leur erreur qu'au prix de l'étiquette de renégat et de suppôt de la réaction. Face à ce Nationalisme-là, qu'est donc celui de Maurras ? Justement, une réaction. Ironie du même mot qui peut être employé pour exprimer des contraires ! Mais pourquoi cet emploi ? Maurras nous le dit : « C'est Barrès, en 1892, qui détourna nationalisme de son sens européen. Il le fit dans un article qui parut au Figaro sous le titre « La Querelle des Nationalistes et des Cosmopolites ». Il n'y traitait point d'une querelle politique, mais d'un simple débat qui s'était élevé entre les poètes partisans de la tradition classique française et les romantiques admirateurs de Tolstoï, d'Ibsen et de Metterlinck. La transition du nationalisme littéraire au nationalisme politique était dès lors facile. » Autant le nationalisme jacobin est offensif, autant celui de Maurras est défensif. Souvenons-nous qu'il est né, que l' « Action Française » est née (en tant que revue ou que quotidien) d'un mouvement de défense enfin esquissé au moment de l'affaire Dreyfus. Ce mouvement qui réunissait croyants et incroyants n'avait d'autre but que de rendre à la Patrie menacée par la trahison de l'anti-France et les crises terribles qui se succédaient, la confiance venue du rappel de son Histoire, des conditions de son salut, la force que donnent la cohésion et une doctrine sûre. Pour Maurras « national » (*natus*) ne peut s'entendre sans l'idée précédente de Père et « nationalisme » est synonyme de patriotisme cultivé. Juger des affaires de la France dans le sens de la prééminence de l'intérêt français, c'est la règle de sa politique : « Le Nationalisme réagit contre l'égoïsme du vieux parti républicain, en même temps qu'il réagit contre l'indifférence de ce parti aux grands intérêts nationaux. » Ces lignes sont de 1900. En 1907, Lucien Moreau pouvait écrire : « L'intérêt français, l'intérêt de la Civilisation, l'intérêt du Catholicisme, ce sont pour nous trois expressions équivalentes ; voilà pourquoi des catholiques, surtout après les admirables leçons du grand Pape Pie X, ne peuvent trouver à redire à notre nationalisme français. » Pourtant, on y trouva à redire comme aujourd'hui. Certes, nous entendons bien n'avoir répété jusqu'ici que des définitions ou des constatations sur lesquelles il n'y a aucun désaccord entre M. M. Clément et nous, mais là où une barrière s'élève, c'est quand M. Clément trouve deux conséquences contradictoires résultant du patriotisme et de l'agnosticisme de Ch. Maurras. 84:7 Il reconnaît celui-ci comme « le défenseur des valeurs sociales les plus certaines du point de vue du droit naturel », mais décèle néanmoins dans le nationalisme intégral la même erreur que dans le jacobin parce que « Maurras ne pouvait pas, intellectuellement, soumettre l'ordre qu'il défendait à la suprême majesté de Dieu et de sa Loi ». Et nous qui avions toujours pensé qu'à ce point de vue, la position de Maurras était identique à celle de M. Jourdain ! Avouons que nous ne comprenons pas très bien. Si, en effet, le nationalisme intégral n'est pas parti d'une affirmation métaphysique, s'il n'a pas déclaré explicitement s'en référer au Quatrième Commandement de Dieu, comment nier que la route qu'il suit mène à l'Église romaine. C'est, sans doute, ce que saint Pie X voulait marquer en déclarant : « Maurras est un beau défenseur de la Foi. » Ce nationalisme exalte les vertus naturelles auxquelles la Révélation de Notre-Seigneur a mis le sceau de la Rédemption, il se refuse comme sa propre fin et ne trouve son terme logique qu'en aboutissant à une institution essentiellement catholique : La Monarchie de droit divin. Ou l'adjectif « intégral » ne signifie rien, ou, placé après nationalisme, il le déclare monarchiste. Par là même il reconnaît l'éternelle Paternité de Dieu. Rappelons les caractères de la monarchie que Maurras voulait rendre à la France. Elle doit être traditionnelle et héréditaire, antiparlementaire et décentralisée. *Traditionnelle* et héréditaire, c'est le contraire de la souveraineté populaire considérée par la Révolution comme la « source ultime » du pouvoir, puisque le monarque n'est point sorti du suffrage changeant des hommes, ni de la volonté d'une faction, ni des puissances de l'argent, mais c'est Dieu qui l'a fait Roi. Le baptistère de Reims, l'onction du sacre, la leçon politique de Jeanne d'Arc, autant de faits toujours présents, toujours nouveaux dans l'institution royale. Antiparlementaire. Avons-nous besoin d'insister ? C'est la mise à l'abri de l'incompétence, de la lutte stérile et immorale des partis, des *exemples* scandaleux que donnent leurs marchandages, *leurs* désordres, leur routine invétérée, leur incapacité de prévoir et de juger. Décentralisée. Cela revient à soustraire les individus, les familles et les biens aux abus de l'étatisme, c'est favoriser la paix sociale par la discipline de la production, la défense du métier, l'ordre corporatif. Notons au passage ce que, dans l'ordre décentralisateur, Maurras doit au félibrige de Mistral et à l'œuvre du Marquis de la Tour du Pin : *Vers un Ordre Social Chrétien*. Ne sont-ce pas là les conditions de la vie nationale au sens propre, dont Pie XII dit qu'elle est le droit et la gloire d'un *peuple,* qu'elle peut et doit être développée ? Qui pourrait nier qu'elles suscitent le rejet du mal, rendent le bien *possible* et, par-delà les vicissitudes terrestres inséparables de ce temps d'épreuve, introduisent à la Paix dans l'unité et la concorde, fortifient et illustrent la Foi des croyants, acheminent vers Elle ceux qui ne l'ont pas ? 85:7 L'illogisme est impossible : La Révolution étant la négation et la haine de Dieu, comment se pourrait-il que la Contre-Révolution puisse se passer de Dieu ? Et c'est précisément parce que les quatre états révolutionnaires confédérés, dénoncés par Maurras : Juif, protestant, franc-maçon, métèque, ont senti le risque terrible que le nationalisme français faisait courir à leur entreprise qu'ils ont tout mis en œuvre contre lui et la Restauration n'a pas eu lieu. Pendant un demi-siècle environ, Maurras est donc resté seul avec son Nationalisme, sans pouvoir l'intégrer dans l'ordre monarchique, appliquant lui-même, au milieu de fortunes diverses et par une sorte de lieutenance quotidienne, les principes qu'il avait codifiés. Épreuve terrible où son nationalisme aurait dû s'égarer dans quelque folie, s'il n'avait répondu à un postulat naturel et permanent, si ses bases avaient été fragiles. L'expérience demeure la pierre de touche de la théorie. Or, non seulement le nationalisme français s'est gardé d'être offensif, mais quand nous nous représentons son chef au cours des nombreuses campagnes qui le firent, tout ensemble, haïr et aimer, c'est pour le revoir toujours avec la même véhémence précise qui était la sienne quand il fonçait sur une porte, à l'extrême pointe du combat, en défenseur avare du sang français. Plus la paix était menacée, plus il se donnait sans mesure. Ses colères de tigre, ses polémiques les plus violentes, ses combats les plus acharnés furent contre la guerre civile (Lettre à Schrameck), ou religieuse (Le Pape, la Guerre et la Paix, le Dilemme de Marc Sangnier), ou étrangère (Les avertissements d'avant 1914 : « 500.000 Français couchés froids et sanglants sur leur terre mal défendue », la campagne contre le « Bonnet Rouge », la campagne pour le séparatisme rhénan et la résurrection des traités de Westphalie, « Mayence, Mayence », l'affaire des sanctions contre l'Italie, la « Paix » de Munich, les suprêmes appels à la raison de 1939-40, les campagnes d'après 1940, la sublime leçon du prisonnier). Pouvait-il exister une solution de continuité entre le Chef du Nationalisme français et son Chef ? Dieu ne permit pas davantage cet autre illogisme et, pour couronner une vie de sacrifice et d'Amour, Maurras retrouva la Foi sans avoir rien à renier à sa doctrine. Robert Havard de la Montagne a judicieusement remarqué que « les chutes se font à gauche ». Nous pourrions dire, fort de l'exemple de Maurras et de tous ceux que la vérité politique a introduits au catholicisme romain, que les recouvrements se font à droite. Il y a dans et autour du nationalisme français beaucoup plus de surnaturel qu'on ne le croit. La très douloureuse période à laquelle M. M. Clément fait allusion à propos de l'interdit et de la levée de l'interdit nous en donnerait des preuves multiples. Mais c'est un autre chapitre de la même histoire. 86:7 A ces réflexions très incomplètes, nous voudrions seulement ajouter ceci : Depuis quelques années, il existe en France, un mouvement très sympathique, très exactement conforme au vœu de M. Clément. Ce mouvement s'est donné pour but de poursuivre la lutte contre-révolutionnaire et de rendre notre Patrie à Dieu en y instaurant la Royauté Sociale de N.-S. Jésus-Christ. Ses membres sont catholiques fervents, ils s'engagent à étudier la doctrine de l'Église et à en appliquer les pratiques. Donc, de deux choses l'une : ou bien ce mouvement avortera et ira grossir le nombre de ces associations éphémères dont on oublie jusqu'au nom et cela, faute d'application au réel, ou bien -- ce que nous croyons très volontiers, il sera, dans un avenir immédiat -- obligé, pour être fidèle à sa position de départ, d'employer des moyens humains, disons politiques. Dès lors, nous tenons pour radicalement impossible qu'il ne se serve pas des armes que nous définissions tout à l'heure. Voudra-t-il s'en remettre à une « bonne démocratie » officiellement soumise à la Loi divine ? Il faudra d'abord penser à la démophilie et puis vider la démocratie de son contenu actuel : Les quatre états confédérés. Voudra-t-il assurer la compétence et la responsabilité du gouvernement, rendre moins débordante une administration qui envahit tout et regarde tout, redonner aux Français le goût du risque raisonnable et du travail ? Il faudra chasser le Parlement, amodier les monopoles, dénationaliser les entreprises, toucher à l'Enseignement, instaurer des libertés et des franchises. Et ce sera le retour -- qu'on le veuille ou non -- à l'ordre professionnel Corporatif, dont les Papes, depuis plus de 70 ans, ne cessent de rappeler les bienfaits. Voudra-t-il assurer la sauvegarde du territoire, les excès essentiellement anti-chrétiens du panarabisme, de l'Islamisme ou de toute autre poussée de désordre favorisée par notre déclin ? Force lui sera de faire du nationalisme défensif, d'avoir une armée et une marine (la force est par définition une vertu et les alliances lui viennent aisément) et puis, de songer à la permanence du pouvoir qui doit se transmettre sans heurt et que, seule, garantit, à la mesure humaine, l'institution monarchique. En un mot, il faudra reprendre, soit une à une, soit synthétiquement, ce qui serait moins coûteux, toutes les conclusions du nationalisme français. La Royauté sociale de Notre-Seigneur a des exigences surnaturelles et naturelles. Les premières, heureusement, sont de Foi. Les secondes sont, hélas, d'expérience. Mais l'expérience est faite. Les conditions naturelles sont établies. Elles passent par le Nationalisme français C'est lui qui, par une prédestination indéniable, a les clefs de l'opposition aux erreurs des deux blocs, désignés par Pie XII.  87:7 C'est lui qui prouve qu'au-delà des dangers du libéralisme, des combinaisons mesquines de l'opportunisme, des vaines tentatives prétendues nouvelles, il y a, pour des besoins toujours les mêmes, pour des biens toujours actuels et de plus en plus menacés, une politique éternelle. André DUVAL. ~===============~ ### Le Nationalisme français au regard de la volonté divine La seule réalité vivante et salutaire, pour les peuples comme pour les individus, est l'accomplissement de la volonté divine, en tout, pour tout, partout. La seule chose qui importe est donc de chercher cette volonté de Dieu -- qu'elle plaise ou non -- afin de travailler à la réalisation du plan divin sur le monde. La seule politique des peuples, comme tous les actes des individus, doit donc tendre à assurer le Règne de Dieu sur la terre. Dieu est libre de choisir Ses instruments pour établir Son Royaume. Or tout au long de l'Histoire, les Papes ont affirmé la volonté divine, exposé le plan divin sur la France par rapport à ce Règne. Entre d'innombrables témoignages pontificaux, citons celui de Grégoire IX écrivant à saint Louis : « LE RÉDEMPTEUR A CHOISI LE BÉNI ROYAUME DE FRANCE COMME L'EXÉCUTEUR SPÉCIAL DE SES DIVINES VOLONTÉS... POUR CE MOTIF, LE ROYAUME DE FRANCE EST LE ROYAUME DE DIEU MÊME ; LES ENNEMIS DE LA FRANCE SONT LES ENNEMIS DU CHRIST. LE ROYAUME DE FRANCE EST AU-DESSUS DE TOUS LES AUTRES PEUPLES, COURONNÉ PAR DIEU LUI-MÊME DE PRÉROGATIVES EXTRAORDINAIRES... » Et Jeanne d'Arc est venue confirmer solennellement -- d'ORDRE DE DIEU -- cette mission divine. Elle écrit aux Anglais : « Vous ne tiendrez pas le Royaume de France DE DIEU LE ROY DU CIEL... mais le tiendra le Roi Charles, vrai héritier, car DIEU LE ROI DU CIEL LE VEUT... » au Roi Charles VII : « Vous serez LIEUTENANT DU ROI DES CIEUX QUI EST ROI DE FRANCE. » 88:7 au duc de Bourgogne : « TOUS CEUX QUI GUERROIENT AU SAINT ROYAUME DE FRANCE GUERROIENT CONTRE LE ROY JÉSUS, ROI DU CIEL ET DE TOUT LE MONDE. » et elle fait procéder -- SUR L'ORDRE DE DIEU -- et par-devant notaires à la triple donation du Royaume par le Roi à Jeanne, par Jeanne à Dieu, enfin par Dieu au Roi. Acte CAPITAL qui proclame la Royauté du Christ sur le monde et spécialement sur la France et est l'éclair fulgurant qui explique, illumine et irradie toute notre Histoire. Ainsi, qu'on le veuille ou non*,* le Christ a choisi la France et ses Rois pour établir Sa Royauté sur le monde. Telle est la mission divine de notre Pays : mission qui constitue -- après celle du peuple d'Israël et y faisant suite -- le privilège le plus glorieux et le plus transcendant qui ait jamais été accordé à aucun peuple : *non fecit taliter omni nationi !* Le patriotisme français, le nationalisme français consistent donc essentiellement dans l'accomplissement de cette mission divine. En conséquence, il convient que les Français connaissent cette mission et en pénètrent l'exceptionnelle grandeur afin qu'ils puissent être les dociles instruments de la Providence dans l'exécution des desseins divins sur le monde, et, par l'élan de leur dévouement, la profondeur de leur foi et l'ardeur de leur amour envers Dieu, se montrent dignes de cette mission qui est la clé de voûte de l'Histoire de France, l'explication du glorieux passé de notre Patrie et de son écroulement actuel, conséquence et châtiment du reniement de ses traditions depuis la révolution satanique de 1789, mais est aussi le garant de sa pérennité tant de fois affirmée par les Papes et très particulièrement par saint Pie X qui disait avec amour, parlant de la France : « ELLE NE PÉRIRA JAMAIS... Je n'ai pas seulement l'espérance, J'AI LA CERTITUDE DU PLEIN TRIOMPHE. » Il importe également que les autres Peuples et leurs Gouvernements se convainquent de la réalité de cette mission divine de la France. Car, alors seulement, ils s'inclineront devant la volonté divine et reconnaîtront cette primauté de la France et de ses Rois comme établie par Dieu en vue du bien commun de l'Humanité, afin que triomphe la Royauté Universelle du Christ, seule garante de la paix générale et de la prospérité dans la charité et l'amour ici-bas, et de la béatitude éternelle en vue de laquelle *les* hommes ont été créés. C'est ainsi seulement que la France et le monde pourront répondre à la norme tracée par le Souverain Pontife dans son Message de Noël 1954 : « La vie nationale, droit et gloire d'un peuple, peut et doit « être développée... La vie nationale est, de sa nature, l'ensemble » actif de toutes les valeurs de civilisation qui sont propres à un « groupe déterminé, le caractérisent et constituent comme le *lien* » de son unité spirituelle. Elle enrichit en même temps, par sa « contribution propre, la culture de toute l'humanité. » 89:7 A ceux qui seraient tentés de désespérer de la France, le Souverain Pontife, à l'occasion du cinquième centenaire du Procès de Réhabilitation de la Pucelle et de la restauration de la cathédrale de Rouen, vient dire : « Et s'il peut sembler un moment que triomphent l'iniquité, le « mensonge et la corruption, il vous suffira de faire silence quelques instants et de lever les yeux au Ciel pour imaginer LES LÉGIONS DE JEANNE D'ARC QUI REVIENNENT, BANNIÈRES DÉPLOYÉES, POUR SAUVER LA PATRIE ET SAUVER LA FOI. » M^is^ de LA FRANQUERIE. P. S. -- Dans le but d'éclairer les âmes et les intelligences, avec l'appui d'un généreux Ami du Canada Français, vient de paraître la cinquième édition de notre étude *La Mission divine* de *la France* au prix de 430 francs franco, C.C.P. 379-46 Toulouse, château de la Tourre à Condom (Gers). ~===============~ ### A travers la presse #### L' « OSSERVATORE ROMANO » ET LE NATIONALISME *Voici plusieurs extraits d'un article paru dans l'*OSSERVATORE ROMANO*, édition en langue française du 31 août, intitulé :* « *Le sentiment national et les catholiques.* » *Il existe en France, pourra-t-on dire, un nationalisme partiellement différent, dans ses intentions, de celui que met en cause l'*OSSERVATORE ROMANO*. Mais l'importance de cet article est de nous confirmer un point de vocabulaire. Le mot nationalisme, dans le langage catholique, est devenu un mot péjoratif. Il ne l'a pas toujours été. Il l'est devenu peu à peu. On peut étudier cette évolution du langage : et à cet égard on trouve d'intéressantes indications dans le livre du Chanoine Barthas, Le Christ devant la question nationale, principalement au chapitre* VI* :* « *Nationalisme et patriotisme.* » *L'auteur a bien voulu nous adresser son livre entier comme réponse à notre enquête. Nous aurons l'occasion d'en extraire prochainement plusieurs passages, concernant précisément cette évolution du vocabulaire. Quoi qu'il en soit, le fait lui-même ne nous paraît pas contestable : le mot nationalisme a maintenant un usage catholique uniquement péjoratif. Et l'usage est un grand maître quant au sens des mots.* 90:7 (*L'adresse de l'édition française de l'*OSSERVATORE ROMANO *est, pour la France,* 6, *rue Christophe-Colomb, Paris VIII^e^ *; *et pour la Belgique,* 79, *rue du Laekenweld, Bruxelles.*) ...L'on pense que le mouvement social et politique prôné par les catholiques, qui s'inspire partout d'une doctrine et suit un magistère universel, suppose la négation du nationalisme. Il y a du vrai, et c'est là un signe de la sagesse de l'Église, si l'on veut tenir compte de toutes les conséquences douloureuses, atroces même, pour la société humaine, de cet « isme » fatal ; mais ce n'est pas vrai s'il est question de la « nationalité », dans sa réalité pratique et dans son principe, en tant que non atteinte par cette abstraction systématique et cette violence idéologique qu'est le « nationalisme ». Les catholiques, leur école, et avant tout, leurs principes, leur doctrine religieuse, sont favorables à la nation, à la « nationalité » ; mais pas au « nationalisme » ; ils sont partisans de l'affirmation et de la défense de la première ; mais ils sont hostiles à ce dernier, dont un État national, lorsqu'il est catholique, doit se garder autant que de toute menace de cet autre « isme », non moins dangereux, que constituerait un « internationalisme »... ...... ...Le nationalisme contient un germe morbide, d'une psychopathie nuisible et à la nation intéressée et aux peuples voisins. Il est aspiration instinctive à la suprématie, croyance en une élection ; il prétend à une vocation de prépondérance ; il l'impose et la justifie en professant une mission de guide qu'il estime irréfutablement évidente ; il juge que cette tâche historique est perpétuelle, en raison d'une supériorité innée à l'égard de tous les autres ; ou bien, il s'attribuera au moins un mandat périodique, au nom d'un appel, d'un tour de rôle dans l'histoire ; appel, tour de rôle qu'il ne saurait refuser sans faire rien moins que d'être infidèle à soi-même, et de trahir les peuples destinés à le suivre, lui peuple élu par le destin, et à gravir avec lui les cimes de la civilisation, quitte d'ailleurs à pousser le char du triomphateur. D'où le conflit, l'opposition et les heurts avec les autres nationalismes, incapables de compréhension, de collaboration : toutes attitudes, par contre, dont le sentiment national est capable, et que même il exige. La pensée chrétienne et la vision des choses catholiques concilient très bien ce sentiment national avec le respect des autres peuples ; elle accorde entre eux le principe de coopération et celui de l'inviolabilité de chaque nation caractérisée par son génie propre ; sans cette estime de chaque pays en particulier, le progrès humain ne profiterait pas de l'apport vraiment indispensable, « spécialisé » dont est capable en raison de ses aptitudes propres, chaque nation en particulier ; réciproquement, chaque nation en particulier pourrait craindre pour son patrimoine propre et caractéristique, car la plus sûre sauvegarde de ce dernier est encore l'intérêt que tous les autres peuples ont à ne pas le laisser s'étioler ou disparaître. 91:7 Joseph Toniolo illustrait cette idée d'un sentiment national et chrétien, en reconnaissant dans la société des peuples comme la grande usine du progrès humain, où tout procèderait selon une division du travail ordonnée et progressive, conforme au génie et à la tâche donnée par Dieu à chaque nation. Cette conception de la vie, non seulement pour les individus, mais encore pour les peuples, donne à tous des raisons d'être, une tâche, un mandat : tous ont le droit, des plus inviolables, d'y répondre ; tous mettront leur fierté à y être fidèle avec conscience ; tous, surtout, considéreront comme inadmissible d'y renoncer. « Malheur écrivait-il --, malheur au peuple qui résiste à sa vocation, qui néglige sa mission historique, qui refuse les invitations et les occasions que la Providence lui prépare pour reprendre la place et la fonction qui lui reviennent dans l'œuvre de civilisation. » Le nationalisme, lui, n'a pas une inspiration plus élevée, une source de devoir plus profonde, un principe de droit naturel plus capable d'atteindre à l'ordre divin, même s'il s'agit de sauvegarder la « personnalité » et l'œuvre historique d'un peuple. En revanche, il a en puissance, et trop souvent en acte, contre lui-même, le fait qu'il aboutit à l'exaspération de la vocation de la patrie et, contre le prochain international, à la méconnaissance de toutes les raisons d'être qui valent également pour tous. #### INTERVENTION DE « L'HOMME NOUVEAU » *Le bi-mensuel catholique* L'HOMME NOUVEAU (1*,* *place Saint-Sulpice, Paris*) *a fait le* 23 *septembre, par la plume de son directeur, l'Abbé Richard. une très importante intervention dans* le *débat* (*sous le titre :* Le nationalisme toujours en question) : Dans *Itinéraires,* Marcel Clément condamne le nationalisme. Certains font écho : il a raison. D'autres disent : cela dépend. Enfin les disciples de Maurras interviennent : condamnation dangereuse, surtout en ce moment ; Maurras a préconisé un nationalisme qui reste valable. Bien plus, tout récemment, les services de presse du Vatican ont bien fait attention de ne pas englober l'État nationaliste portugais dans une condamnation du nationalisme, et ont traduit une phrase de Pie XII défavorable à une politique nationaliste en employant un néologisme qui ferait à peu près en français : nationalitaire (fait cité par M. Ploncard d'Assac dans *La Nation française* du 23 mai). Il y aurait donc nationalisme et nationalisme. On souffre d'une simple pénurie de vocabulaire. 92:7 Il s'agirait donc d'une querelle de mots ! Nous ne le pensons pas. C'est au contraire un débat fondamental qui s'est engagé, où sont intervenus déjà, avec une argumentation souvent serrée, des hommes comme V.-H. Debidour, Henri Charlier, André Frossard, Pierre Debray, Pierre Boutang, Michel Vivier, Henri Massis... et Charles Maurras si abondamment cité qu'il reste au centre de la controverse. A dire vrai, la grosse difficulté n'est pas de trouver un mot nouveau -- qui s'impose peut-être -- pour distinguer entre nationalisme et nationalisme, mais plutôt de définir à quelles conditions un État peut défendre ou promouvoir les valeurs nationales sans courir le risque de pratiquer La « politique nationaliste », condamnée par Pie XII, qui consiste dans l'exploitation du sentiment national à des fins d'expansion, sans correctifs ni limitations d'ordre moral. A *l'Homme Nouveau,* nous défendrons le point de vue que nous avons soutenu autrefois dans une controverse avec Pierre Boutang, qui en parut impressionné. Nous persistons à penser qu'à l'heure actuelle un État qui refuse de reconnaître sincèrement l'existence d'une loi naturelle *reliée au Créateur* se trouve dans l*e* danger prochain de ne pouvoir pratiquer qu'une politique nationaliste condamnable. Ici les disciples de Maurras interviennent énergiquement et disent : « Les Français ne sont pas d'accord sur la métaphysique et la religion. Il est impossible de partir de l'autorité de Dieu. Mais sans aller jusqu'à la base fondamentale de l'ordre naturel, on peut reconnaître l'existence de cet ordre. On peut mettre d'accord *les* Français sur la poursuite de certains biens positifs, par exemple la stabilité de la famille si compromise par le divorce ». Michel Vivier, qui rapporte cet exemple donné par Maurras, devrait bien se demander si Maurras, aujourd'hui, n'aurait pas des doutes sur la valeur de son argument ? Nous gageons qu'il serait plus facile de faire accepter à la généralité des Français l'existence de Dieu que la nocivité du divorce. Il appartiendrait à des observateurs vraiment positifs de tenir compte du fait que le monde a parcouru beaucoup de chemin depuis le Maurras des années de la maturité. Aujourd'hui, une terrible logique a entraîné une certaine « Intelligentsia » à déduire, à partir de la position absurde de la non-existence de Dieu une autre absurdité : l'inexistence d'une loi naturelle, utile au bien de l'homme et de l'État. Maurras disait : « Le divorce détraque la famille et la Cité, il n'y a pas besoin de croire en Dieu pour reconnaître cela. » Aujourd'hui, ses interlocuteurs lui répondraient : « Puisqu'il n'y a pas de Dieu, il n'y a pas de modèle imposé, il n'y a pas de direction voulue. Pourquoi n'essayerions-nous pas d'organiser la cité sur une autre base que la famille monolithique d'autrefois ? » Un œil réaliste devrait voir que nous sommes arrivés à un stade de la vie de l'humanité où la référence *implicite* à Dieu ne suffit pas. A partir du moment où Dieu est nié ouvertement par beaucoup, la méthode de prétérition, le : « ne pas en parler » joue dans le sens de la négation, et ne permet pas le redressement essentiel qui s'impose.  93:7 Au contraire, la neutralité des croyants, leur mutisme rend, pour tout le monde, de plus en plus problématique l'existence d'une loi naturelle et renforce l'opinion qu'il appartient à la société, c'est-à-dire à l'État -- mondial ou national --, démocratique ou dictatorial -- de décider ce qui est bien et ce qui est mal. Il nous semble donc que Marcel Clément est bien allé au fond de la question lorsqu'il précise, en citant Pie XII, le critère du nationalisme condamnable : « La vraie notion de l'État est celle d'un organisme fondé sur l'ordre moral du monde ; et la première tâche d'un enseignement catholique est de dissiper les erreurs, celles en particulier du positivisme juridique qui, en dégageant le pouvoir de son essentielle dépendance à l'égard de Dieu, tendent à briser le lien éminemment moral qui l'attache à la vie individuelle et sociale. » (Pie XII : Lettre aux Semaines Sociales de France du 14 juillet 1954.) En d'autres termes, il devient de plus en plus difficile de « moraliser » l'État qui s'est dégagé de toute dépendance reconnue à l'égard du Créateur. *L'Abbé Richard a enregistré plus haut le fait que* « *les services de presse du Vatican ont bien fait attention de ne pas englober l'État nationaliste portugais dans une condamnation du nationalisme* ». *Mais il cherche à en découvrir la raison.* *La raison qu'il donne comporte une conséquence immédiate pour le nationalisme français, particulièrement pour le nationalisme maurrassien. Cette conséquence, l'Abbé Richard la tire en quelques mots, mais avec une grande netteté *: Il est clair que si Rome a scrupule de jeter une note défavorable sur l'État nationaliste de Salazar, c'est précisément parce que l'État Portugais est fondé sur la reconnaissance explicite de l'autorité de Dieu, auteur de l'ordre moral naturel. Salazar a reconnu qu'on ne peut pas bâtir la cité sans ce minimum ; et Rome que ce minimum est de nature à limiter en quelque manière la poussée nationaliste, à maintenir l'État dans l'ordre moral. Sur ce point, nous avons pressé autrefois Pierre Boutang de prolonger son maître. Maintenant que nous savons les circonstances de la conversion finale de Maurras, nous dirions volontiers à ses disciples qu'il s'agit moins de le dépasser que de le suivre, en explicitant ce que la mort l'a empêché d'exprimer. ...... Dans son livre « Le Christ devant la question nationale », le chanoine Barthas donne une définition et fait une critique pénétrante du principe des nationalités, théorie d'après laquelle toute nation aurait le droit de former un État. 94:7 Le Souverain Pontife Pie XII, dans son message du 24 décembre 1914, justifie la même distinction entre la vie nationale et la souveraineté politique. Il peut y avoir une vie nationale authentique, c'est-à-dire permanence et développement des valeurs de civilisation qui sont propres à un groupe d'hommes et font le lien de leur unité spirituelle, en dehors du pouvoir politique souverain. Ainsi, selon un exemple apporté par Marcel Clément, il y a une nation chrétienne française au Canada se développant côte à côte avec une nation anglaise, au sein d'un même État Canadien. Il aurait pu donner l'exemple de la Suisse ou de la Belgique. En sens contraire il peut fort bien exister un État soi-disant national, qui étouffe la vie nationale et les valeurs spirituelles qui la constituent essentiellement. A quel Russe sincèrement chrétien fera-t-on croire que l'U.R**.**S.S. respecte les valeurs authentiques de la vie nationale de la vieille Russie. Qu'il me soit permis un autre exemple. J'estime personnellement que le jour où, en France, le jacobinisme laïque ou quelque super-nationalisme nous arracherait les dernières libertés concernant l'école et l'expression de la pensée religieuse (c'est déjà fait en grande partie au moyen du monopole de la Radio, et du quasi monopole scolaire) je préfèrerais un gouvernement étranger qui respecterait les valeurs humaines essentielles. Sans doute la vie nationale a plus de chance de s'épanouir dans un État qui lui corresponde. Mais c'est à condition que cet État respecte -- avant même les valeurs culturelles particulières du pays -- les droits primordiaux de l'individu et de la famille ; et aussi qu'il soit prêt à accepter les limitations de souveraineté imposée par un bien commun supérieur à celui des États. Pour saisir la portée de ces conditions il suffit de nous demander que les garanties du respect de leur culture française peut offrir à nos colons algériens la farouche intransigeance des leaders nationalistes arabes qui, en fait de souveraineté, veulent tout, et tout de suite, et qui exploitent aux fins d'éviction totale du Français, les valeurs religieuses elles-mêmes du monde Musulman ? Quel Français d'Algérie et d'ailleurs quel autochtone peut même conserver la moindre illusion sur ce qui resterait des droits essentiels de l'homme, si les tueurs du terrorisme finissaient par prendre le pouvoir ? Il est vrai qu'en sens contraire, les Arabes raisonnables peuvent n'avoir pas toute confiance en une France trop soumise encore à ce jacobinisme laïque qui a une si grosse responsabilité dans le nivellement des valeurs culturelles de nos provinces françaises, et qui se promet encore d'arracher à l'Alsace son statut particulier, ses libertés scolaires, sa langue. La grande solution à remettre en honneur pour venir à bout des difficultés nationales du monde d'aujourd'hui n'est pas le principe des nationalités, mais d'abord le respect absolu des droits primordiaux de l'homme ; puis le respect des valeurs de civilisations représentées par les différentes vies nationales ; puis la recherche de formules fédératives pour un meilleur épanouissement des particularités légitimes, mais dans la reconnaissance des faits politiques du passé que le présent ne peut abolir brutalement, et en dehors de la superstition du pouvoir politique souverain à tout prix. 95:7 Avant le triomphe de ces solutions de bon sens, par quelles épreuves devrons-nous passer ? Les nations européennes commencent à comprendre, mais elles ont oublié les bases spirituelles d'unité qui ont déjà réalisé au Moyen Age une famille des nations « où provinces et royaumes n'étaient qu'une diversité superficielle laissant intacte l'unité foncière du genre humain ». Tant qu'elles n'auront pas ressaisi toutes les richesses de leur patrimoine chrétien, elles seront impuissantes à remplir leur mission providentielle au service d'une saine unité du monde. L'Europe, héritière de vingt siècles chrétiens, ne veut pas sortir du chaos des nationalismes par le recours à une dictature universelle. Elle ne veut pas en appeler à César. Elle a raison. Mais alors, il faut qu'elle en appelle au Christ. #### DIVERSES CONTESTATIONS D' « ASPECTS DE LA FRANCE » *Après M. Pierre Boutang dans* LA NATION FRANÇAISE *du* 11 *juillet* (*voir* Itinéraires, n° 6*, p. *114)*, M. Pierre Debray a répondu à M. André Frossard dans* ASPECTS DE LA FRANCE *du* 24 *août.* *Cette réponse de M. Debray paraît dans le cadre d'une série d'articles sur* « *le nationalisme en* 1956 »*. Le mot* nationalisme *y est constamment employé comme désignant une doctrine, une méthode, une attitude indiscutablement bonnes.* *Voici le passage de l'article de M. Debray se rapportant à l'enquête d'*Itinéraires* :* Faut-il croire à une déformation professionnelle ? A force de faire métier de son esprit, André Frossard pratique l'à peu près des matières qui ne le souffrent pas. D'où des inconséquences pour le moins curieuses. C'est ainsi qu'il soutient tout à la fois que le nationalisme intégral est mort et que Marcel Clément lui pose des questions auxquelles il ne pourra répondre que malaisément. Il n'est que les spirites pour interroger les ombres ! Frossard s'est-il donc, tout à trac, converti aux mystagogies d'Allan Kardec ? Pour invoquer l'esprit des autres, il faut soi-même n'en point avoir. Nous n'avions jamais eu jusqu'à ce jour le sentiment que le célèbre « rayon Z » de *l'Aurore* ait souffert, en ce domaine, de carence. Je crois plutôt qu'il a cédé à un mouvement d'humeur. Frossard, comme tant d'autres avant lui, voudrait se persuader que le nationalisme intégral n'est qu'un souvenir historique mais ne peut s'empêcher de se colleter avec ce fantôme bien en chair qui vient le tirer par les pieds. 96:7 Que le nationalisme intégral soit bien vivant, je n'en veux pour preuve que ce numéro spécial que la revue *Itinéraires* est contrainte de lui consacrer, pour avoir voulu l'exécuter d'un article dédaigneux. On ne discute pas avec un cadavre. On le salue d'un coup de chapeau et on passe son chemin. MM. Madiran et Clément n'ont pas pu passer leur chemin. *Dans cette prise à partie, deux choses nous étonnent : l'hostilité du ton, l'inexactitude du propos.* \*\*\* *L'hostilité du ton : est-ce bien sûr ? Nous nous interrogions là-dessus. L'article précédent de M. Debray ne nous avait pas paru hostile, bien qu'un peu raide par endroits* (Aspects de la France *du* 4 *mai, reproduit dans* Itinéraires, n° 5, p. 106)*. Lisions-nous mal en apercevant cette fois un sentiment hostile ?* *Non, sans doute : car* Aspects de la France *est revenu à la charge le* 21 septembre*, cette fois avec la grosse artillerie non équivoque des clichés classiques, nous accusant de* « *manœuvre* » *et de* « *perfidie* »*. On examinera ce texte en son temps, c'est-à-dire plus loin.* *Pourquoi cette hostilité ?* *Nous n'avons été, nous ne sommes jamais* « *dédaigneux* » *d'aucune pensée, fût-elle de qualité modeste ; nous n'avons le dessein d'* « *exécuter* » *personne ; nous n'avons dans cette enquête sur le nationalisme fait aucun tort à qui que ce soit, et certainement pas au nationalisme maurrassien. Ce n'est pas faire tort à une pensée politique, ni se montrer* « *dédaigneux* »*, que de la discuter : c'en est même tout le contraire. Il faut être bien irascible pour n'en pas convenir.* *Mais d'ailleurs, les* « *maurrassiens* » *en ont convenu.* *Parmi eux il nous suffira de mentionner Henri Massis, dont* Aspects de la France *ne saurait contester ni l'ancienneté, ni l'authenticité, ni l'éminente qualité maurrassienne : Henri Massis ne nous a pas trouvés* « *dédaigneux* »*, il a répondu aux objections faites par Marcel Clément parce qu'il les a jugées sérieuses et dignes de considération. Après comme avant sa réponse, Henri Massis demeure un ami et un collaborateur de la revue Itinéraires ; cette collaboration et cette amitié, qui nous honorent, il ne nous les aurait pas conservées si l'hostilité d'*Aspects de la France *avait une justification objective et valable* \*\*\* *L'inexactitude du propos : d'après M. Debray, Marcel Clément aurait voulu* « *exécuter dédaigneusement* » *le nationalisme, et* « *passer son chemin* »* ; mais il aurait été* « *contraint* » *de s'arrêter... Contraint par qui ?* *Peindre Marcel Clément sous les traits d'un bourreau méprisant, et soudain intimidé, est d'une grande cocasserie.* *M. Debray a oublié comment les choses se sont passées : le jour même où paraissait l'article de Marcel Clément, c'est-à-dire avant que personne l'ait lu et qu'aucune réaction ait pu se manifester, nous invitions les nationalistes à donner dans nos colonnes leur avis sur les difficultés ici soulevées à l'égard du nationalisme. Et parmi les nationalistes, nous invitions en tout premier lieu les nationalistes maurrassiens ; et parmi ceux-ci, M. Olivier de Roux, ès-qualités de chef politique de la* Restauration nationale*, dont* Aspects de la France *est l'organe hebdomadaire.* *La* Restauration nationale*, à la différence d'autres nationalistes maurrassiens, à la différence d'Henri Massis, n'a pas cru devoir répondre à notre invitation. C'est son droit et cela ne nous regarde pas. Nous n'ambitionnons de* « *contraindre* » *personne, et nous n'imaginons pas, pour notre part, que nous aurions* « *contraint* » *qui que ce soit. Ce qui nous regarde, c'est que l'on n'aille pas, fût-ce par mégarde, défigurer nos intentions et nos actes.* 97:7 *M. Debray avait d'abord présenté Marcel Clément comme un disciple plus ou moins conscient du Sillon* (Aspects de la France*,* 4 *mai*)*. Il n'a point remarqué, ou point su, en tout cas point dit à ses lecteurs que la* Restauration nationale*, comme les autres groupements maurrassiens. était invitée à lui répondre dans nos propres colonnes ; ni que, dans notre revue, le point de vue maurrassien s'était largement exprimé, notamment par la réponse d'Henri Massis, avec une lettre inédite de Charles Maurras lui-même.* Aspects de la France *faisant le silence sur un article de Massis et sur la publication d'une lettre inédite de Maurras, on avouera que ce n'est pas banal.* \*\*\* *Et M. Debray allègue un* « *numéro spécial* » (*!?*) *que nous aurions fait sous la* « *contrainte* »*. Au lieu de parler d'un* « *numéro spécial* » *qui n'existe pas, M. Debray serait bien aimable de parler d'une enquête qui existe un peu. Nous sommes fondés à trouver vraiment violente cette histoire d'* « *exécution dédaigneuse* »*, de* « *contrainte* » *et de* « *numéro spécial* »*.* \*\*\* *Certes, il est vrai que la revue* Itinéraires *n'appartient pas à l'école d'Action française ; ou, pour parler avec plus de rigueur : qu'elle n'appartient à aucun des groupements qui se partagent plus ou moins la succession politique de l'Action française.* *La revue* Itinéraires *ne demande pas aux écrivains catholiques qui sont ses collaborateurs d'être maurrassiens ; ou anti-maurrassiens.* *Parce qu'elle ne leur demande pas d'être obligatoirement antimaurrassiens, cela suffit à M. Roffat, dans* La Croix*, pour nous réputer horriblement d'Action française. Parce qu'elle ne leur demande pas d'être obligatoirement maurrassiens, cela suffirait-il symétriquement à* Aspects de la France *pour prendre des libertés inverses avec la réalité de notre action ?* *Beaucoup de catholiques, soit maurrassiens, soit anti-maurrassiens, soit étrangers à de telles classifications, ont parfaitement compris que notre travail et notre entreprise se situent bien en dehors de cette discrimination politique-là.* *Ils ont compris que si nous avons donné la parole, dans le cadre de notre enquête sur le nationalisme, aux* NATIONALISTES MAURRASSIENS EN TANT QUE TELS*, ce n'est ni pour servir ni pour desservir leurs groupements, mais par un souci de méthode, qui s'appelle l'examen contradictoire des idées ; c'est-à-dire peser le pour et le contre.* *Nous demandons que, dans le catholicisme français, les catholiques maurrassiens soient considérés et traités en catholiques et non en ennemis : mais ce n'est point par parti pris pro-maurrassien que nous le faisons.* *Nous attirons leur attention, à eux notamment, sur le plus récent enseignement de Pie XII concernant le nationalisme : mais ce n'est pas davantage par parti pris anti-maurrassien que nous le faisons.* (*Ni par* « *passion antimaurrassienne* »*, -- cette* « *passion anti-maurrassienne* » *que M. Debray inscrit un peu trop vite au compte de M. André Frossard. Il faut ne rien connaître de M. Frossard pour pouvoir le suspecter de* « *passion anti-maurrassienne* ».) *Tout cela est peut-être assez clair pour que l'on veuille bien ne pas le défigurer.* \*\*\* *Nullement* « *dédaigneux* »*, tout au contraire attentifs, nullement* « *contraints* »*, mais au contraire parfaitement fibres à son égard, nous reproduisons la suite du propos de M. Debray :* 98:7 Venons-en au grief cardinal qu'André Frossard formule contre le nationalisme intégral. Celui-ci serait mort (étrange mort, avons-nous vu) parce que « *sa métaphysique est inachevée, de sorte qu'il est d'emblée exposé au danger de n'avoir d'autre fin que lui-même* ». Peut-être pourrait-on objecter à Frossard qu'il est de l'essence de la métaphysique (entendons de la métaphysique authentique) d'être inachevée puisqu'elle a besoin d'être couronnée par la théologie. Mais laissons cela qui nous mènerait trop loin. Qu'il nous suffise d'observer que la métaphysique du nationalisme intégral ne saurait être inachevée que s'il se donnait un objet métaphysique. Or il a toujours eu la modestie de ne donner son objet que pour physique, ce qui précisément l'a gardé de la tentation de n'avoir d'autre fin que lui-même. Frossard, pour autant qu'il ne laissera pas une passion antimaurrassienne à tout le moins suspecte l'aveugler, n'y contredira point, qui écrit que « *l'évidence de la patrie... joue en politique le rôle du* "*monde extérieur*" *en philosophie* ». Le monde extérieur a ses lois auxquelles l'homme doit se plier, s'il veut les ordonner à ses fins propres, qui sont spirituelles Ce n'est pas simple coïncidence historique si les fondateurs de l'*Action Française* ont dû livrer de durs combats au néo-kantisme, alors fort à la mode dans l'université. Faire du monde extérieur une simple projection de notre esprit aboutit à transformer la patrie en une idée justiciable seulement des impératifs de la raison pratique. Or la patrie est d'abord un fait -- une évidence comme l'écrit Frossard -- que nous ne saurions nier sans nous-mêmes nous rejeter au néant, comme ce serait nous rejeter au néant que de refuser l'existence d'un monde extérieur. Que l'on ne me fasse surtout pas dire plus que je ne veux. Qu'il existe une physique politique dont nous avons à connaître et à suivre les lois ne signifie pas que la politique se réduit à une physique. Nul plus que Maurras n'a médité l'admirable mythe d'Antigone. Nul n'a été plus que lui éloigné du machiavélisme de ce naturalisme politique qui prétend récuser au nom de la raison d'État les fins spirituelles de l'homme. Notre ami Mériadec Paquet a écrit là-dessus de très fortes pages dans un récent numéro des « *Libertés Françaises* », la revue de notre cher François Daudet. Du moins, ne devons-nous jamais oublier que méconnaître au nom d'un quelconque idéalisme les lois de la physique politique compromet les plus hautes valeurs de civilisation. Que demain, les remparts de la cité viennent à s'effondrer sous les coups des nouveaux barbares, les dommages ne seraient pas seulement matériels. Imagine-t-on assez l'affreux danger que courraient les âmes ? *Cet article de M. Debray est antérieur à la parution de notre numéro* 6*.* *Après la parution de celui-ci,* Aspects de la France *a publié le* 21 *septembre une note vivement hostile, dont nous examinons maintenant les principaux points.* \*\*\* *Cette note s'en prend d'abord à la réponse que M. Paul Sérant a faite à l'enquête sur le nationalisme.* *M. Sérant avait écrit :* « *Maurras condamnait totalement, au nom du nationalisme, et les collaborationnistes, et les résistants.* » Aspects de la France *affirme en propres termes qu'une telle phrase* « est une injure (sic) pour Charles Maurras »*. M. Paul Sérant répondra, s'il l'estime utile, à cette appréciation pleine d'une évidente mesure et d'une sage modération.* 99:7 *Il nous appartient de relever sa présentation :* Aspects de la France *présente le texte de M. Sérant comme un article qu'aurait publié* Itinéraires*.* Aspects de la France *ne dit pas qu'il s'agit d'une réponse à une enquête.* *Ayant parlé au moins quatre fois de cette enquête sur le nationalisme,* Aspects de la France *n'a jamais dit qu'*IL S'AGIT D'UNE ENQUÊTE*.* Aspects de la France *a toujours caché à ses lecteurs que, dans le cadre de cette enquête :* 1*. -- le point de vue maurrassien avait été exposé* (*notamment*) *par Henri Massis et par une lettre inédite de Charles Maurras ;* 2*. -- que toutes les réponses d'*Aspects de la France *avaient été reproduites ici.* Aspects de la France *n'a relevé dans ce débat que les critiques à l'égard du nationalisme maurrassien, pour donner l'impression à ses lecteurs qu'*Itinéraires *est une revue de propagande systématiquement anti-maurrassienne ; de la même façon que M. Roffat donnait aux lecteurs de* La Croix *l'impression qu'*Itinéraires *est une revue de propagande systématiquement pro-maurrassienne.* *Dans cette perspective, on trouve l'explication de ce phénomène extraordinaire et sans précédent :* Aspects de la France *faisant le silence sur la publication d'une lettre inédite de Charles Maurras.* *Non seulement* Aspects de la France *a caché la vérité à ses lecteurs, mais encore* Aspects de la France *veut leur faire croire une contre-vérité : que la revue* Itinéraires « *insulte* » *Charles Maurras.* *Nous supposons bien que ces procédés discutables ne résultent pas de quelque mauvais dessein froidement délibéré, mais d'une extrême susceptibilité sur tout ce qui touche à la personne et aux idées de Charles Maurras. C'est pourquoi nous voulons croire que si nous en appelons à une appréciation plus calme, plus équitable, plus exacte, il nous reste encore une chance d'être entendus d'*Aspects de la France*.* *Ce journal avait d'abord accepté le dialogue* (*article du 4 mai*)*. Ce n'est plus sur le plan du dialogue que se situe la suite de ses réactions : nous voyons mal en quoi c'est la revue* Itinéraires *qui serait responsable de ce changement d'attitude.* \*\*\* *Nous ne sommes pas du même avis qu'*Aspects de la France *sur plusieurs points. les uns secondaires, les autres plus importants. Est-ce une raison pour en venir aux invectives ? Et pour nous accuser* (*comme on va le voir*) *de* « *perfidie* »* ?* *Nous ne pouvons pas être de l'avis de* Aspects de la France *sur la suite de cette même note, qui concerne la conversion de Maurras :* *Aspects* a relevé, le 20 juillet dernier, dans le *Phare-Dimanche* qui paraît à Bruxelles, un excellent article de M. Paul Dresse consacré au beau livre de M. le chanoine Cormier « La vie intérieure de Charles Maurras ». Nous avons noté, avec l'auteur, que l'on ne saurait parler d'une « conversion » de Charles Maurras au catholicisme, puisque notre Maître « n'eut pas à quitter un système philosophique ». Pourquoi M. Madiran, citant notre article, le présente-t-il comme un « point de vue sur la conversion de Maurras », puisque justement, il n'y eut pas de « conversion » ? Que l'on ne voie pas là une simple querelle de mots. Dans un autre article du même numéro d'*Itinéraires,* et sous la signature, toujours de M. Madiran, il est, à plusieurs reprises, parlé d'un Maurras « converti ». 100:7 L'histoire de la prétendue « conversion » de Maurras va beaucoup plus loin qu'une question de vocabulaire ; la manœuvre qu'elle cache (assez mal) et qui s'est découverte lors du premier anniversaire du 16 novembre 1952, n'est au fond qu'une reprise de la vieille et folle entreprise de Georges Bernanos après 1926 ; elle n'était pas, non plus, dénuée de perfidie. *Ne nous arrêtons pas plus qu'il ne convient à l'assertion selon laquelle le simple mot de* « *conversion* »*, appliqué à Charles Maurras,* « *cache* » *toute une* « *manœuvre* »*. Quelle belle langue que le français : toute une* « *manœuvre* » *en un seul mot !* Aspects de la France *pourra avoir* (*ou n'avoir pas*) *la bonté de nous épargner ses clichés omnibus sur les* « *manœuvres cachées* » *et la* « *perfidie* »* : cette terminologie est vraiment incompréhensible, parce qu'elle est plus que désobligeante non pas simplement pour le directeur d'*Itinéraires (*qui personnellement n'y attache aucune importance*)*, mais aussi pour des personnalités, comme Henri Massis, qu'*Aspects de la France *n'avait pas jusqu'ici coutume d'insulter, et dont il est bizarre qu'*Aspects de la France *puisse soudain croire qu'elles participent de près ou de loin à une* « *manœuvre perfide* »*.* \*\*\* *Sur le fond, nous croyons et nous affirmons que Charles Maurras s'est converti, comme en témoignent les deux livres du chanoine Cormier : Mes entretiens de prêtre avec Charles Maurras* (*Plon, éditeur ; ouvrage couronné par l'Académie française*) *et* La vie intérieure de Charles Maurras (*Plon*)*.* *Charles Maurras ne croyait pas que Jésus-Christ soit le Fils de Dieu, mort sur la Croix pour notre Rédemption et ressuscité le troisième jour. Charles Maurras ne croyait pas que cet événement est le centre de l'histoire humaine. Il n'y croyait pas, et à la veille de sa mort il l'a cru. Nous appelons cela une conversion, au sens le plus général et le plus obvie du terme :* le passage de l*'*incrédulité à la foi. *Que Charles Maurras ait dû ou non* « *quitter un système philosophique* » *ne change rien au fait qu'il ne croyait pas en Jésus-Christ, et qu'il a été converti à Jésus-Christ.* \*\*\* *Et si cette conversion s'était produite non pas à la veille de sa mort, mais* (*par exemple*) *lorsqu'il avait vingt ans ?* *Maurras chrétien n'aurait pas pour autant dit et fait le contraire de ce qu'il fit et dit. Mais Maurras chrétien aurait parlé, agi, enseigné différemment.* *Ou alors, être chrétien et ne l'être pas, cela revient pratiquement au même ?* *Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a dit :* « Sans moi, vous ne pouvez rien*.* » *Ce mot n'est-il pas la clef de l'histoire de l'Action française ?* \*\*\* *En tout cas, quel que soit l'avis que l'on ait là-dessus, une question est ainsi posée. Une question qui est en marge de notre enquête sur le nationalisme, mais qui n'est pas étrangère au débat. Nous comprenons qu'il puisse paraître commode d'esquiver cette question. Mais on ne la supprime pas pour autant. Et il est fort maladroit, pour ne pas dire plus, de prétendre qu'il s'agit d'une manœuvre et d'une perfidie.* *Cette question, l'Abbé Richard l'a parfaitement mise en lumière dans un passage de son important article cité plus haut *: « Si Rome a scrupule à jeter une note défavorable sur l'État nationaliste de Salazar, c'est précisément parce que l'État portugais est fondé sur la reconnaissance explicite de l'autorité de Dieu, auteur de l'ordre moral naturel. « Salazar a reconnu qu'on ne peut pas bâtir la cité sans ce minimum ; et Rome que ce minimum est de nature à limiter en quelque manière la poussée nationaliste, à maintenir l'État dans l'ordre moral. 101:7 « Sur ce point, nous avons pressé autrefois Pierre Boutang de prolonger son maître. Maintenant que nous savons les circonstances de la conversion finale de Maurras, nous dirions volontiers à ses disciples qu'il s'agit moins de le dépasser que de le suivre, en explicitant ce que la mort l'a empêché d'exprimer. » *Voilà en quoi la conversion de Maurras concerne, pour les maurrassiens, le débat sur le nationalisme.* *Ce que le Saint-Père reproche au nationalisme, c'est la non-reconnaissance* (*ou les conséquences de cette non-reconnaissance*) *de Dieu comme auteur de l'ordre naturel et fondement de toute autorité légitime ; c'est la non-reconnaissance* (*ou les conséquences de cette non-reconnaissance*) *de la* royauté sociale de Jésus-Christ *comme condition indispensable du salut des nations.* *Nier que la conversion de Maurras ait été une conversion, c'est, de la part d'*Aspects de la France*, si nous comprenons bien, vouloir que cette* « *non-conversion* » *laisse entièrement intacte et infaillible la pensée politique de Charles Maurras.* *Il nous paraît au contraire évident que la conversion chrétienne est pleine de conséquences capitales, même pour une pensée politique fondée* (*uniquement*) *sur des vérités naturelles. Et l'Abbé Richard, à notre avis, pose aux héritiers politiques de l'Action française la question juste, en leur demandant d'* « EXPLICITER CE QUE LA MORT DE MAURRAS L'A EMPÊCHÉ D'EXPRIMER »*.* \*\*\* *Toujours dans la même note d'*Aspects de la France*, cette querelle sur la corporation :* Pour ne pas quitter *Itinéraires,* on admirera le tour de force qui permet de parler de « corporatisme » chrétien, sans prononcer le nom du colonel de La Tour du Pin. *...Comme quoi le mieux est l'ennemi du bien.* *A trop vouloir nous quereller et nous noircir,* Aspects de la France *se met en singulière posture.* *Voici pourquoi.* *Marcel Clément a fait dans* Itinéraires *un article sur ce qu'*Aspects de la France (*et non pas nous, malgré ses guillemets*) *appelle le* « *corporatisme* » *chrétien. Marcel Clément a fait cet article sans prononcer le nom de La Tour du Pin.* *Et* Aspects de la France *en a écrit le* 8 *juin :* « Félicitons par ailleurs Marcel Clément pour son article de la page voisine consacré aux textes pontificaux sur l*'*organisation corporative*.* » *Parler de la corporation sans parler de La Tour du Pin, cela ne méritait que des* « *félicitations* » *en juin.* *En septembre de la même année, dans le même* Aspects de la France*, cela est devenu un condamnable* « *tour de force* »*.* *C'est tout.* 102:7 ## DOCUMENTS 103:7 #### UNE NOUVELLE « DROITE » ? *Voici plusieurs textes que nous reproduisons non point principalement pour leur pensée. Non que leur pensée soit négligeable ; au contraire. Mais autre chose y importe aussi.* *Nous les reproduisons pour leur manière, pour leur ton, pour leur honnêteté Cette honnêteté du ton et de la manière, dans des organes classés à* « *droite* » *et même à l'* « *extrême-droite* »*, tranche singulièrement sur les procédés plus que discutables actuellement employés par une certaines presse de gauche, notamment catholique.* \*\*\* *Il s'agit d'Emmanuel Mounier, qui était pour la pensée de droite l'adversaire, au moins autant que* (*par exemple*) *Charles Maurras pouvait l'être pour la pensée de gauche.* *Voici comment, dans* LA NATION FRANÇAISE (7*, rue Cadet, Paris IX^e^*)*, M. Pierre Andreu s'exprime à son sujet le* 25 *avril* 1956*. On remarquera que* LA NATION FRANÇAISE *est un hebdomadaire politique dit d'* « *extrême-droite* »*, et d'opposition catégorique au régime établi en France. Nous nous demandons s'il y a actuellement une publication de* « *gauche* » *capable de s'exprimer avec cette honnêteté, cette sérénité, cette objectivité sur la pensée et la personne de ses adversaires de droite.* (*On sait comment, au contraire, la* VIE INTELLECTUELLE *et* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *affirment hautement que tous les intellectuels de droite sont des cyniques qui ne croient plus à rien, que tous les hommes de droite sont par tempérament voués à la bassesse et à l'ordure, etc. ; quant à la revue* ESPRIT *elle-même, qui est allée jusqu'à traiter le Pape de clown, il est inutile d'attendre d'elle le moindre respect de l'adversaire.*) *M. Pierre Andreu écrit :* On ne peut lire *Mounier et sa génération* sans une profonde émotion. A travers ces lettres, ces « entretiens » -- Mounier baptisait *Entretiens* les carnets sur lesquels il notait, depuis 1926, non seulement ses rencontres, mais aussi ses réflexions et ses pensées -- c'est l'homme intérieur qui apparaît, c'est le Mounier le plus vrai qui se dévoile ; ce Mounier-là nous avait été beaucoup voilé par les luttes politiques, les polémiques et les ardeurs partisanes des dernières années. Et cet homme intérieur était très grand. C'était l'ami de Mlle Silve, demandant de faire une aussi bonne communion que la dernière des Davidées, le disciple de Jacques Chevalier, l'ami de Jean Guitton, du Père Pouget, qui disait de Mounier, en 1930 -- le mot est rapporté par Jacques Chevalier dans ses *Logia* du P. Pouget : 104:7 « C'est un esprit sérieux et une âme fervente. Je crois qu'il ira loin », le jeune révolutionnaire, si pur, de 1932, le père malheureux, frappé terriblement dans son enfant, malheur qui lui dicta des lettres admirables qu'aucun homme ne peut lire sans en être bouleversé et élevé. Ce n'est pas que *Mounier et sa génération --* la génération, en dehors de quelques figures d'*Esprit,* apparaît, d'ailleurs, assez mal -- ne contienne pas des indications de caractère politique, mais étant, presque toujours, situées au plan des motivations, elles restent élevées. On y trouve, au plan de la conscience même de Mounier, des indications très précieuses sur la fondation d'*Esprit,* l'évolution de la revue avant la guerre, la rupture de Mounier avec Izard, en 1934, la guerre, l'Armistice, l'interdiction d'*Esprit* en août 1941 par le gouvernement du maréchal Pétain, l'emprisonnement de Mounier en 1942, sa retraite studieuse à Dieulefit, pendant les deux dernières années de la guerre, la Libération, indications qui permettent d'apporter de sérieuses retouches à sa pensée, particulièrement, au cours de ces années 1940-44, qui n'ont pas fini de poser, pour nous, leurs questions. A la Libération, j'avais beaucoup attendu de Mounier et d'*Esprit. *J'avais espéré alors que Mounier serait le Péguy de la Résistance : résistant dénonçant la curée de ses frères. Les premiers numéros d'*Esprit* me détrompèrent. Je me rappelle encore la peine avec laquelle je lus dans *Esprit,* en janvier 1945, un article de Domenach qui y commençait sa sinistre besogne -- ce Domenach, dont Mounier, quelques mois avant sa mort, voyait très clairement le destin, « *mauvais homme d'action* », « *mauvais directeur de revue* » -- dans lequel celui-ci déplorait que le jugement condamnant à mort l'ancien préfet régional de Lyon, Angeli, ait été cassé pour vices de forme. Or tous les témoins -- même les témoins à charge -- étaient venus apporter des preuves du patriotisme sans tache de l'ancien préfet. J'écrivis à Mounier pour lui dire mon indignation et ma peine. Mounier ne me répondit pas ; il pensait, sans doute, que nos chemins s'étaient définitivement écartés, lui avec les masses populaires, moi avec les forces du passé, lui, vainqueur, moi, vaincu. Sa mort nous a déjà rapprochés. Où sont aujourd'hui les vainqueurs, les vaincus, l'avenir, le passé ? En lisant ces pages admirables, je pensais qu'il faudrait que Dieu nous pardonne à tous bien des erreurs et bien des fautes. *L'hebdomadaire* CARREFOUR (114*, Champs-Élysées, Paris VIII^e^*) *est lui aussi de* « *droite* » *assez* « *extrême* »*, lui aussi d'opposition catégorique au régime établi. Dans son numéro du* 15 *août, M. Paul Sérant écrit, toujours sur Emmanuel Mounier :* *...*(A la même époque) Emmanuel Mounier fondait la revue *Esprit. *On sait le rôle de premier plan que cette revue devait jouer dans la vie intellectuelle française de l'entre-deux-guerres. Dans le prospectus qui, en février 1932, annonçait la publication d'*Esprit,* on pouvait lire : « *Notre hostilité est aussi vive à l'égard du capitalisme, de sa pratique actuelle et de la doctrine qui* s'en *dégage, qu'à l'égard du marxisme ou du bolchevisme.* » 105:7 Le personnalisme, que Mounier proposait comme remède à l'humanité des temps modernes (et qui, notons-le, n'était pas sans présenter certaines analogies avec le fédéralisme) suscita beaucoup d'espérance et de ferveur, comme on pourra s'en rendre compte à la lecture des volumineux Carnets d'Emmanuel Mounier, publiés par les soins de sa veuve et de ses amis. Peut-être l'erreur d'Emmanuel Mounier fut-elle, en prétendant plier l'action politique aux exigences de la morale personnelle, de vouloir concilier l'inconciliable. Brûlant de participer pleinement au combat de son époque, le directeur d'*Esprit,* craignant par-dessus tout l'impureté inhérente à toute politique, ne parvint jamais à définir une action concrète. Dans les années qui précédèrent la guerre, Mounier préconisait la résistance au fascisme, mais il craignait également le militarisme auquel l'organisation de cette résistance pouvait conduire les nations occidentales. Vinrent la défaite et l'occupation : Mounier, adversaire de Vichy, fit néanmoins reparaître sa revue... qui fut bientôt supprimée par décision gouvernementale, tandis que son directeur était mis en prison pendant près d'un an. La libération pouvait offrir de nouvelles chances au personnalisme. C'est alors qu'Emmanuel Mounier adopta une attitude qui devait être imitée par tant d'autres : il se refusa à combattre le communisme, sous prétexte que le mouvement communiste incarnait le remplacement historiquement nécessaire de la bourgeoisie par le prolétariat. Ainsi la revue personnaliste, née d'une révolte contre le visage inhumain du capitalisme et du marxisme, donna-t-elle une sorte d'excuse à toutes les iniquités du totalitarisme vainqueur, ce qui lui valut notamment les véhémentes protestations de Bernanos. Mais combien d'hommes, même parmi les meilleurs, auront su, dans le chaos européen, garder la tête lucide et demeurer fidèles à leurs principes ? *Voilà comment deux journaux d'* « *extrême-droite* » *parlent d'Emmanuel Mounier et de quelle manière ils le critiquent. La compréhension. la charité, la générosité intellectuelle* (*nullement exclusives de la fermeté du jugement*) *sont en train de passer à* « *droite* »*, voire* « *extrêmement* » *à droite, tandis que la* « *gauche* » *intellectuelle, même catholique, même celle d'écrivains ecclésiastiques, a tendance à devenir chaque jour plus hargneuse, plus agressive, plus incapable de discussion sérieuse et de dialogue honnête.* *Il y a là un trait de mœurs dont nous suivrons le développement avec la plus grande attention.* \*\*\* *Avec la même honnêteté, M. Paul Sérant a publié un livre :* Gardez-vous à gauche*, dans la collection* « *Libelles* » *des éditions Fasquelle. Puissent tous les* « *libelles* » *être de cette catégorie ! M. Michel Vivier en écrit très justement dans* LA NATION FRANÇAISE *du* 5 *septembre :* 106:7 Paul Sérant n'écrit rien dans ce livre qui soit diffamatoire ou injurieux. Et s'il lui arrive de montrer quelque ironie, la gauche n'en est pas plus victime que la droite. C'est même celle-ci qui d'abord essuie ses traits, comme on peut le voir aux trois premières pages de ce livre qui évoquent « les jeunes bourgeois d'hier » et le temps bigarré des ligues... Oui, c'est avec sérénité que Sérant engage et poursuit le débat, et si la gauche était vraiment à la recherche d'un « interlocuteur valable », il était là tout trouvé. Or, de *L'Express* à *Demain,* la gauche pensante a répondu à cet adversaire de bonne foi soit par l'affectation du mépris, soit par des épithètes malsonnantes. Autant dire qu'elle n'a pas répondu. Je n'épiloguerai pas sur les raisons de cette attitude. Il en est plusieurs, assez évidentes. Mais la première est dans l'extraordinaire bonne conscience que la gauche actuelle a d'elle-même. « Bonne conscience » est d'ailleurs insuffisant ; il faut dire conscience d'incarner à la fois l'Intelligence et la Vertu, conscience que toute critique à son endroit est le fait de la sottise ou de la malice, conscience donc que les gens d'en face, dans le meilleur des cas sont des imbéciles, et dans l'autre cas, selon la rhétorique chère à Sartre et à ses enfants de chœur, qu'ils sont des *salauds.* La gauche d'aujourd'hui que la bénédiction de François Mauriac et du Père Avril confirme dans l'idée qu'elle est bel et bien la droite de Dieu vue d'en face, répète avec une conviction accrue la devise secrète des Grands Ancêtres : « Nul n'aura de vertu que nous et nos amis. » Au terme de ce libelle, que demande donc Paul Sérant aux intellectuels de gauche ? Qu'ils soient antitotalitaristes, même lorsque le totalitarisme s'appelle Krouchtchev ou Tito, qu'ils soient antifascistes, même quand le fascisme s'appelle Nasser ou Bourguiba. Qu'ils soient anticapitalistes même lorsque le capitalisme des trusts s'incline devant le capitalisme d'État. Bref, il ne leur demande pas de se renier. Il leur demande de s'affirmer. Qu'on ne voie pas là une ruse. On parle beaucoup, à droite notamment, de la nécessité de dépasser le dilemme gauche-droite. Je crois pour ma part que la droite et la gauche correspondent à des réalités très anciennes et nullement périmées dans la vie sociale et spirituelle du pays. Des enquêtes analogues à celles que le chanoine Boulard a menées sur la pratique religieuse aux XV^e^ et XVII^e^ siècles montreraient que même au cœur de l'Ancien Régime existait dans certaines zones de la France un tempérament de gauche, une mentalité de gauche**. **Cette gauche permanente -- et dont la gauche actuelle sous ses diverses formes n'est qu'un avatar -- il serait vain de vouloir l'exclure ou la briser. Il serait au contraire aussi juste qu'habile de tout faire pour l'incorporer dans la société française de demain. Les idées constitutionnelles de la gauche ont fait faillite et nous avons certes mieux à faire qu'à choisir entre la démocratie populaire et policière du type soviétique et la république décadente qui est notre lot. Mais si les idées de la gauche sont politiquement nocives, si ses mœurs partisanes sont moralement douteuses, certaines des *valeurs* qui lui sont chères sont humainement respectables. 107:7 La liberté de conscience, une volonté réelle et non verbales de progrès social, le désir légitime qu'ont les simples gens de ne pas être humiliés par les riches et les importants, voilà quelques-uns de ces soucis de gauche auxquels un État national aurait à cœur de donner satisfaction. J'ajoute que cet État national étranger aux partis ne saurait être par définition la revanche des hommes de droite sur les hommes de gauche. D'autant que, à peu d'exception près, les premiers comme les autres ont de lourdes responsabilités dans la décadence actuelle. Il faudra que demain, sous l'impulsion et le contrôle de cet État, chaque famille spirituelle donne le meilleur d'elle-même. N'en doutons pas, une France renaissante ne pourra se passer du concours actif des milieux, des classes, des syndicats que de façon traditionnelle la Gauche représente chez nous**.** *Non que toute la droite française soit entièrement gagnée à ce sérieux et à cette honnêteté que manifestent MM. Michel Vivier, Pierre Andreu et Paul Sérant. Mais elle y vient chaque jour davantage. dans le temps même où la* « *gauche* » *s'en éloigne de plus en plus.* \*\*\* *Les textes qui viennent d'être cités ne sont pas des exemples isolés : on en pourrait citer bien d'autres : toute l'œuvre d'Henri Massis et de Gustave Thibon, les éditoriaux de M. Michel Dacier dans les* ÉCRITS DE PARIS*, les amples chroniques hebdomadaires de M. Robert Poulet dans* RIVAROL (354*, rue Saint-Honoré, Paris-*1^er^)*, les informations objectives et les solides analyses des* NOUVELLES DE CHRÉTIENTÉ (25, *boulevard des Italiens, Paris* 2*^e^*)*, les études politiques du* COURRIER DU C.E.P.E.C. (18*, rue d'Anjou,* PARIS 8^e^), *etc., manifestent la même haute tenue intellectuelle, le même souci de comprendre avant de juger, le même désir de persuader honnêtement. Inversement, les excès verbaux, passionnels et polémiques sont en passe de devenir l'Attitude ordinaire de la* « *gauche* »*.* *Ce phénomène est de grande conséquence sur le mouvement des idées en France. Nous savons que la* « *gauche* » *honnête s'inquiète de cette évolution et déplore que les journaux et revues où s'expriment ses opinions soient dirigés et rédigés d'une manière trop souvent tendancieuse, injustement agressive, fondamentalement étrangère aux nécessités du dialogue intellectuel et de la discussion sérieuse des idées.* *L'honnêteté intellectuelle, dans les débats d'idées en France, était sortie par la porte de gauche : elle fait sa rentrée par la porte de droite.* \*\*\* 108:7 *En regard des textes cités plus haut, et pour mieux faire comprendre ce que nous voulons dire, nous donnons maintenant un exemple de grossièreté intellectuelle. C'est un article paru dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *du* 7 *septembre. Justement, il parle des hommes d'* « *extrême-droite* »*, de* TOUS*, sans aucune exception. Voici en quels termes :* Depuis quelques semaines, il y a des gens que je plains de tout mon cœur, bien qu'ils me donnent un peu envie de « ricaner respectueusement » comme disait un personnage de Robert de Flers. Je pense à mes compatriotes d'extrême-droite qui sont à la fois soviétophobes, arabophobes et judéophobes. Je les vois, par les complications de la politique internationale, pris dans un tourbillon d'embarras dont je me demande comment ils pourront sortir. Foncer contre l'Égypte et son actuel Pharaon, M. Nasser ? Tonner contre la Ligue Arabe ? Prêcher une nouvelle croisade contre l'Islam ? Bien sûr. Oui, mais Nasser et la Ligue Arabe sont les ennemis de ces abominables Juifs dont, chacun sait, viennent tous nos maux passés, présents et futurs. M. Nasser a relevé le flambeau de la tradition anti-sémite et, pour être plus sûr de la bien continuer, il confie sa propagande contre les affreux youpins à des spécialistes, formés à la bonne école hitlérienne et venus d'Allemagne en Égypte après un petit détour par Buenos Aires, ville qui, au temps du colonel Peron, fut un si accueillant dépotoir aux résidus fascistes. Prendre parti, contre M. Nasser, c'est, dans la conjoncture présente, appuyer, qu'on le veuille ou non, l'État d'Israël, et, par conséquent, la « judéo-maçonnerie internationale ». Cruel embarras ! Dénoncer les Soviets et mener le bon combat anti-communiste ? Cela va de soi. Mais, MM. B. K. ayant la fâcheuse idée de faire risette à l'Égypte et grise mine à Israël, cet anti-communisme sert pratiquement d'atout au jeu de la « judéo-maçonnerie ». Cruel embarras ! Accepter l'Islam, le pan-arabisme et le colonel Nasser pour en finir une bonne fois avec l'immonde juiverie ? L'hypothèse serait tentante, s'il ne fallait pas, du même coup, avaler M. Chepilov et l'U.R.S.S., donc renoncer aux vertus de l'anti-communisme, et finir par ratifier l'indépendance algérienne, ce qui, pour un nationaliste, est, comme disent les gens cultivés, impensable. Cruel embarras ! Je ne vois qu'un moyen de sortir de cet embarras : c'est de trancher le nœud gordien par un bon coup de sabre. Le père Ubu, ce profond penseur a montré la voie quand il a pris cette mâle résolution : « Je tuerai tout le monde et puis je m'en irai. » Judéo-Arabo-Soviétophobe, voilà votre ligne de conduite**. **Tuez-les tous, arabes, juifs, communistes. Après quoi, vous pourrez vous en aller**.** Nous y gagnerons au moins d'être débarrassés de vous -- si nous survivons à l'opération. *L'auteur de cet article croit peut-être avoir composé une plaisante caricature. Et sans doute la caricature, comme la polémique, est permise. A condition pourtant de ne pas constituer une sorte de diffamation intellectuelle.* \*\*\* 109:7 *Ce serait une intéressante contribution à l'étude de nos mœurs intellectuelles que d'étudier le procédé diffamateur qui consiste à ne* « *nommer personne* »*.* *Du moment que l'on ne* « *nomme personne* »*. on est réputé n'avoir* « *attaqué* » *personne.* *A l'abri de ce prétexte,* ON DIFFAME TOUTE UNE CATÉGORIE SOCIALE ET POLITIQUE*.* *La* VIE INTELLECTUELLE *ne* « *nomme personne* » *quand elle assure* (*et depuis des mois se refuse à démentir, à rectifier, à préciser, à distinguer ou à nuancer*) *que* TOUS *les intellectuels de droite sont des* « *cyniques qui ne croient plus à rien* »*.* *Dans le texte cité,* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ne* « *nomme personne* » *lorsqu'il présente tous les Français d'* « *extrême-droite* » *comme d'odieux imbéciles.* *De cette manière, ne nommer personne revient à nommer tout le monde, puisque l'on ne fait aucune exception dans les catégories politiques ou sociales que l'on couvre de diffamations. En prétendant ne pas faire d'* « *attaques personnelles* »*, on fait plus grave : on excite des ressentiments collectifs, on développe des sentiments de guerre civile. Et on le fait en rendant quasiment impossible la défense des diffamés : car n'ayant nommé ni une personne, ni un journal, ni un groupement, mais une catégorie arbitraire, on évite toute réplique représentative et qualifiée.* *Et chaque fois* (*du moins jusqu'ici*) *que l'on dit aux diffamateurs : de qui parlez-vous ? expliquez-vous ! alors ils se dérobent ou ils se taisent. Et leurs diffamations, leurs excitations à la haine ou au mépris continuent de courir dans le public et d'y produire leurs effets empoisonnés.* \*\*\* *Dernière remarque : M. Michel Vivier avait exposé, dans le texte cité de* LA NATION FRANÇAISE*, comment et pourquoi il ne désire pas la disparition des hommes de gauche, dans lesquels il voit non pas uniquement des adversaires, mais aussi des interlocuteurs. *TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *répond par un souhait non pas symétrique, mais inverse : par le souhait ouvertement avoué de la disparition des hommes dits d'* « *extrême-droite* »*, où il ne voit que des ennemis à supprimer, -- après en avoir fait une peinture outrageante, diffamatrice, d'une extraordinaire injustice.* *Notre commentaire est-il excessif ? Chacun peut juger. Nous avons reproduit les textes, et nous invitons le lecteur à les comparer, précisément sous le rapport de l'honnêteté et de la malhonnêteté intellectuelle.* 110:7 *Ce disant, nous n'avons point traité le sujet de la* « *nouvelle droite* » *tel qu'on l'agite présentement : nous apportons simplement une considération qui a peut-être son importance.* *Nous reviendrons à l'occasion sur les mêmes ou sur d'autres aspects de cette question.* ~===============~ #### L'A.C.J.F. *Interrogé par un rédacteur de* LA CROIX*, S. Em. le Cardinal Gerlier a déclaré :* Je ne vous dirai rien, et j'aurais souhaité que tout le monde fit de même, pour le moment**.** Dans le contexte d'aujourd'hui, c'est rendre un mauvais service à une cause très chère, très grave, et très menacée, que de se livrer à des réflexions qui sont forcément incomplètes, parfois erronées, ou qui semblent introduire dans ce problème douloureux des aspects politiques qui ne s'y trouvent pas. L'heure n'est pas encore venue de porter un jugement, ni, surtout. de prévoir une conclusion**.** *Cette déclaration a paru dans* LA CROIX *du* 2 *octobre.* *Malgré quoi, on pouvait lire dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *du* 5 *octobre, sous la signature de son directeur, M. Georges Montaron :* Voilà une question, l'A.C.J.F, qui touche à la vie même de l'Église... et la presse catholique se tait. Prudence ou indifférence ? J'ai cherché vainement chez nos confrères catholiques ce désir de connaître, de comprendre les difficultés de l'A.C.J.F. qui vit une crise dont nous avons entretenu nos lecteurs. Je n'ai à peu près rien trouvé : où sont les laïcs majeurs prêts à prendre leurs responsabilités ?... ...Certes, en la matière, la décision appartient à la Hiérarchie. C'est à elle seule, avec les dirigeants de l'A.C.J.F., qu'il appartient de régler cette crise. Mais nous devons aussi nous rappeler nos responsabilités de laïcs et pour nous, journalistes catholiques, notre devoir d'état d'éveilleurs de l'opinion publique... *Où sont les* LAÏCS MAJEURS* ?* *demande* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*. Ils sont à* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*. Et l'on voit ce qu'ils y font.* 111:7 TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *constate avec dépit que* « *la presse catholique se tait* » *quand S. Em. le Cardinal Gerlier le lui demande. Les excitations et les sarcasmes de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *sont une trop évidente provocation pour avoir l'effet attendu.* \*\*\* *Paraissant également le* 5 *octobre,* LA FRANCE CATHOLIQUE *ignorait l'article provocateur de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*. Mais elle connaissait celui de M. Henri Fesquet dans* LE MONDE*. Fabrègues le relève en mettant nettement en cause les* INFORMATEURS *et les* INSPIRATEURS *du* MONDE*. Nous avons d'ailleurs déjà eu l'occasion de citer une remarque de M. Pierre Andreu sur le* « *double jeu* » *de M. Fesquet : on s'y reportera utilement* (ITINÉRAIRES*,* n° 3, p. 114). *M. Fesquet prétend que* « le caractère ambigu de certaines questions touchant à la fois le domaine spirituel et le domaine temporel » *serait allé croissant dans le monde actuel. Fabrègues répond :* Peut-être... Tout de même, la réflexion et, si l'on peut dire, la législation de l'Église touchant les « *matières mixtes* « ne datent pas d'aujourd'hui ni même d'hier. Ce n'est pas la faute de l'Église si les laïcs ont appliqué leur réflexion (fort utile) à cent sujets (intéressants) mais ont oublié (ou simplement TOUJOURS IGNORÉ) tout ce que l'Église leur disait sur ce point et que S.S. Pie XII répète plusieurs fois chaque mois qui passe. *M. Fesquet était allé jusqu'à écrire :* On minimise aujourd'hui la responsabilité des laïcs... Même si les évêques se prononçaient avec netteté, il faudrait tenir compte des réactions des laïcs dont les opinions semblent bien ancrées et que le dernier épisode de la crise a vraisemblablement contribué à durcir. *Fabrègues répond :* Les laïcs ? Quels laïcs ? Qu'est-ce que ce « *laïcat* » constitué en corps ? Où s'exprime-t-il, mon Dieu, on dirait presque infailliblement ? Il a été beaucoup question du « laïcat », ces années-ci. Est-ce que le voici *institué ?* Qui en est ? Qui parle en son nom ? Et AU NOM (théologiquement) de QUOI ? *Attention : tout cela est plus que sérieux. S. Em. le Cardinal Gerlier l'a dit, il s'agit d'* « une cause très chère, très grave et très menacée »*.* 112:7 *Il s'agit de l'Action catholique.* *Quelles que soient, entre catholiques, nos différences d'opinions ; quelles que soient les imperfections* (*ou les partialités*) *que notre sens propre et notre expérience personnelle croient remarquer dans certains secteurs ou dans certaines attitudes de l'Action catholique, nous devons sans hésitation faire bloc derrière le Pape et les Évêques, avec une confiance filiale : même si cette confiance filiale contredit l'idée* (*confuse*) *d'un laïcat* majeur*.* *C'est l'Église qui est directement mise en cause par une conspiration de presse orchestrant partout le thème de l'opposition entre le* « *laïcat* » *et la* « *hiérarchie* ». *Au lieu de* « *distinguer pour unir* »*, on s'applique à* DISTINGUER POUR OPPOSER*. Si cette entreprise se développe dans la presse, il importera de la contrecarrer par une contradiction motivée.* III:7 ## Note de gérance Comment aider matériellement la revue ? -- Premièrement, en souscrivant et en faisant souscrire des ABONNEMENTS DE SOUTIEN. -- Secondement, en nous envoyant DES ADRESSES auxquelles faire parvenir des numéros spécimens. -- Troisièmement, EN RECRUTANT VOUS-MÊMES DES LECTEURS ET DES ABONNÉS NOUVEAUX -- Quatrièmement, en diffusant dans tous les milieux notre tiré à part : *Le programme social de l'église *: *la corporation* (commandes uniquement par correspondance, Prix franco : les 10 exemplaires, 150 francs ; les 50 exemplaires : 650 francs ; les cent exemplaires : 1.000 francs.) \*\*\* Nous vous avons posé la question : une revue de cette sorte doit-elle, PEUT-ELLE exister ? La question est toujours posée. La revue a pu exister jusqu'ici. Elle n'est pas assurée du lendemain. Nous avons à peine dépassé la moitié du nombre des abonnements qu'il nous est indispensable de recueillir en une année : et nous atteignons notre huitième mois d'existence. Aidez-nous. Nous en avons besoin. ============== Fin du numéro 7. [^1]:  -- Séquence de la Dédicace des églises (propre de Paris). [^2]:  -- Pie XII : Allocution du 29 mai 1950 aux Pèlerins français, pour la canonisation de sainte Jeanne de France. [^3]:  -- Pie XII : Lettre du 6 janvier 1945 à l'Épiscopat Français (cf. *Doc. Cath. *du 4 mars 1945). [^4]:  -- Cardinal PACELLI : Discours du 13 juillet 1937 sur la vocation de la France. [^5]:  -- SAINT PAUL : **1** Cor. XII, 13. [^6]:  -- Pie XII : Lettres du 6 janvier 1945 à l'Épiscopat Français. [^7]:  -- MAT. XXVI, 41**.** [^8]:  -- Pie XII : Allocution du 17 août 1946 à des journalistes français. [^9]:  -- Charles PÉGUY : *Le mystère des Saints Innocents,* N.R.F., p. 105. [^10]:  -- Cardinal PACELLI : Discours du 18 juillet 1937**.** [^11]:  -- Cardinal PACELLI : Discours du 13 juillet 1937. [^12]:  -- *Idem.* [^13]:  -- *Idem.* [^14]:  -- *Idem.* [^15]:  -- Pie XII : Allocution du 20 mai 1950**.** [^16]:  -- Pie XII : Lettre du 6 janvier 1945. [^17]:  -- Cardinal PACELLI : Discours du 13 juillet 1937. [^18]:  -- *Idem***.** [^19]:  -- Cardinal PACELLI : Discours du 13 juillet 1937. [^20]:  -- Pie XII : Message radiophonique du 24 juin 1956. [^21]:  -- (1). Il est difficile de voir à quoi *Témoignage chrétien* fait ici allusion. Les « numéros spéciaux » sont apparemment un pluriel que nous appellerons de majesté pour ne pas lui donner une autre qualification. Un seul numéro a paru sous le titre cité, c'est un numéro des *Documents-Paternité* de M. Pierre Lemaire. Si le titre dit « *encore* », c'est parce qu'il y est *encore* question d'attaques personnelles parues dans *Témoignage chrétien,* et au sujet desquelles *Témoignage chrétien* refuse de publier les rectifications qui lui sont adressées. Quant aux articles « virulents », ils ont paru dans *France-Observateur* et dans *L*'*Express* (toujours les mêmes, oui) : et il serait fort intéressant de connaître *l'origine* des notes parues dans ces deux journaux, le 12 et le 13 juillet. On remarquera que *Témoignage chrétien* évite toute allusion explicite ou implicite à la « *Déclaration de paix* » et à la proposition de dialogue fraternel qui lui étaient adressées dans *Itinéraires,* numéro 5 de Juillet-Août, paru le 1^er^ juillet. (Note d'*Itinéraires.*) [^22]:  -- (1). On peut comparer les longueurs respectives de l'article et de la lettre, dans *Itinéraires,* n° 5, pp. 27-32. [^23]:  -- (1). Intervention elle même précédée et comme préparée par l'allocution du Souverain Pontife aux membres de l'Union Internationale des Associations patronales catholiques (7 mai 1949)**.** [^24]:  -- (1). *La Croix* a publié, le 6 octobre, un compte rendu très objectif du dernier livre d'Henri Massis, *L'Occident et son destin. *Ce qui m'incline à penser que lorsque M. Roffat stigmatise « les publicistes d'*Itinéraires* » comme « un petit groupe de doctrinaires agressifs » qui proposent des « itinéraires douteux », c'est par mégarde qu'il emploie le collectif et le pluriel. Sans doute ne visait-il que moi. En ce cas, cela n'a aucune importance, n'en parlons plus.