# 10-02-57 1:10 ## ÉDITORIAUX ### Résistance et croisade CONTRE LE COMMUNISME SOVIÉTIQUE, le Saint-Père n'a pas appelé à une croisade, Il le dit Lui-même dans son Message de Noël : « *Quant à nous, en tant que Chef de l'Église, Nous avons évité dans le cas présent* (celui de la Hongrie), *comme dans les cas précédents, d'appeler la Chrétienté à une Croisade.* » Cependant... Car il y a un CEPENDANT. Le Saint-Père continue : « *Nous pouvons cependant* DEMANDER QUE L'ON COMPRENNE BIEN LE FAIT *que, là où la religion est un vivant héritage des ancêtres, les hommes conçoivent comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l'ennemi* » communiste. Il n'y a donc pas lieu de déshonorer, comme on s'y occupe beaucoup, l'idée de croisade. Il y a lieu, *au contraire,* de COMPRENDRE, et de comprendre UN FAIT. L'esprit de croisade contre le communisme est un fait très naturel en certains lieux. S'il ne l'est pas dans d'autres lieux, c'est que certaines conditions n'en sont pas réalisées, et il n'y a peut-être pas à tellement s'en vanter. \*\*\* LA LUTTE contre le communisme soviétique est menée comme une croisade, c'est *un fait qu'il faut comprendre,* là où 1. -- le communisme prononce une injuste agression ; et où 2. -- les groupes humains visés par cette agression ont reçu, comme un *vivant* héritage de leurs ancêtres, la religion chrétienne. 2:10 Cette double condition n'est pas réalisée pour l'ensemble de l'Occident : et c'est pourquoi, si nous comprenons bien, le Saint-Père a « évité d'appeler la Chrétienté à une Croisade ». Un tel appel n'est jamais plus qu'une *constatation :* en ce sens que l'Église jamais ne prend l'initiative d'une guerre offensive. Elle nomme et désigne les périls ; au moment opportun, elle confirme à ceux qui voyaient, elle révèle à ceux qui étaient aveuglés, qu'il n'est plus possible de différer une mise en œuvre générale des moyens de défense, y compris la guerre : l'appel à une croisade est cela et non autre chose. Le Souverain Pontife n'a pas lancé cet appel. Il le lancera ou ne se lancera pas demain : il en est juge. La croisade n'est pas une éventualité chimérique ou « dépassée » et elle n'est pas non plus une éventualité que l'on doive témérairement désirer ; simplement, elle demeure une éventualité possible, un devoir qui peut-être un jour sera le nôtre, et déjà aujourd'hui, à Budapest, une réalité qu'il faut comprendre. \*\*\* LA CROISADE est une guerre, lorsque cette guerre est *injustement imposée par l'ennemi.* L'agression communiste est permanente et universelle : elle n'est pas partout et toujours militaire. Les Soviets mènent contre l'Occident une « guerre froide », c'est-à-dire une guerre principalement politique et morale. Nous avons des moyens moraux et politiques pour y répondre. Encore devons-nous comprendre que cette légitime défense n'est ni un crime ni un péché ; et qu'à cette agression politique permanente, la morale chrétienne ne nous demande nullement de riposter par des « rencontres » amicales et des « colloques » souriants, comme « *certains catholiques, ecclésiastiques et laïcs* » ont voulu nous en persuader par la parole et par l'exemple. Le Saint-Père déclare : « C'est avec un profond regret que nous devons déplorer l'appui prêté par certains catholiques, ecclésiastiques et laïcs, à cette tactique d'obscurcissement qui vise un effet qu'eux-mêmes ne veulent pas. » 3:10 Si ces ecclésiastiques et ces laïcs ont APPUYÉ UNE TACTIQUE conduisant à UN EFFET QU'EUX-MÊMES NE VEULENT PAS, cela veut assez clairement dire qu'en l'occurrence ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS FONT*.* « Par simple respect pour le nom chrétien, *dit le Saint-Père*, on doit cesser de se prêter à ces manœuvres, car selon l'avertissement de l'Apôtre, il est contradictoire de vouloir s'asseoir à la table de Dieu et à celle de ses ennemis. » La seule coexistence véritable, le Message de Noël 1954 l'avait longuement dit, mais trop souvent on n'avait point voulu en apercevoir les claires conséquences pratiques -- la seule coexistence véritable est celle qui a lieu *dans la vérité *: cette coexistence-là, cette seule coexistence qui ne soit point trompeuse et décevante, est « *irréalisable *» avec le communisme soviétique. Le Message de Noël 1956 le dit d'une manière plus irrécusable encore. Aucun DIALOGUE n'est possible avec le communisme, contrairement à la plus fameuse formule du plus célèbre sociologue ecclésiastique français : « *coopération impossible, dialogue nécessaire *». Aucun dialogue n'est possible parce qu'il n'y a AUCUN LANGAGE COMMUN : « C'est avec un profond regret que nous devons déplorer l'appui prêté par certains catholiques, ecclésiastiques et laïcs à cette tactique d'obscurcissement qui vise un effet qu'eux-mêmes ne veulent pas. *Comment peut-on encore ne pas voir* que tel est le but de toute l'agitation trompeuse qui se cache sous les noms de *colloques* et de *rencontres ?* A quelle fin, du reste, raisonner *quand on n'a pas de langage commun*, ou comment est il possible de se rencontrer si les voies divergent et si, d'un côté, on repousse et on nie obstinément les valeurs communes absolues, *rendant ainsi irréalisables toute coexistence dans la vérité ? *» Face à l'agression permanente et universelle du communisme soviétique, c'est dans la résistance que se trouve le devoir. Le Saint-Père déclare : « *La triste réalité nous oblige à définir en langage clair les termes de la lutte.* » Cette lutte n'est pas une croisade militaire, parce que l'ennemi n'a pas militairement entrepris une guerre mondiale et parce que le premier but de l'Occident est de l'en empêcher. 4:10 Cette lutte est morale et politique. La paix, au sens militaire du terme, doit être sauvée et le sera non par le dialogue ou le compromis, mais au contraire par la résistance : « Aujourd'hui encore, en face *d'un ennemi résolu à imposer à* TOUS *les peuples,* D'UNE MANIÈRE OU DE L'AUTRE, *une forme de vie* particulière et *intolérable,* SEULE *une attitude unanime et forte* de la part de tous ceux qui aiment la vérité et le bien peut sauver la paix et la sauvera. Ce serait une erreur fatale de renouveler ce qui, en des circonstances semblables, arriva dans les années qui précédèrent le second conflit mondial, quand *chacune des nations* menacées, et non seulement les plus petites, chercha à *se sauver aux dépens des autres,* à s'en servir comme d'un bouclier, et même à tirer des difficultés d'autrui des avantages économiques et politiques fort discutables. L'épilogue fut que toutes ensemble se virent bouleversées dans la conflagration. » Il faut donc s'efforcer non point vers un compromis avec ce qui est *intolérable,* mais vers *une attitude unanime et forte*. Il faut non point *prendre contact* avec le communisme, mais au contraire *limiter les contacts* au minimum inévitable : « Il faut cependant, fait-on observer, ne pas couper les ponts mais conserver des relations mutuelles ? Pour cela, les mesures que *les hommes responsables* de l'État et de la politique croient devoir prendre en fait de contacts et de rapports pour la paix de l'humanité *et non pas en vue d'intérêts particuliers* sont ENTIÈREMENT SUFFISANTS. Il *suffit* de ce que *l'autorité* ecclésiastique compétente estime devoir accomplir pour obtenir la reconnaissance des droits et de la liberté de l'Église. » Les initiatives privées, en matière de contacts avec le communisme, sont donc déclarées inutiles ou nuisibles. Le communisme est L'ENNEMI : on ne peut prendre contact avec l'ennemi sans trahison. Qu'un contact soit ici ou là nécessaire ou opportun, seule l'autorité responsable et compétente peut en décider, seule elle peut l'opérer. Le contact avec l'ennemi fait partie des fonctions de l'autorité, qui en a le strict monopole. Cela est vrai dans toutes les guerres. Cela est vrai aussi dans la guerre morale et politique que nous fait le communisme. \*\*\* 5:10 DONC, la première raison pour laquelle le Pape n'a point appelé la Chrétienté à une Croisade n'est pas qu'on devrait dialoguer, composer, s'entendre avec le communisme : cette première raison est qu'il faut éviter et non pas provoquer la guerre mondiale ; l'éviter par une ferme et unanime résistance morale et politique aux entreprises, aux manœuvres, aux infiltrations des Soviets. La seconde raison est qu'une croisade ne peut être faite que pour une religion *vivante.* L'Occident est convoqué, et non pour la première fois, à l'examen de conscience : « Dans les temps modernes... on en est arrivé à cette singulière situation que *nombre d'hommes remplissant des charges publiques*, bien qu'ils MANQUENT DE SENS RELIGIEUX, veulent et doivent, pour le bien commun, *défendre des valeurs fondamentales* QUI NE TROUVENT LEUR CONSISTANCE, en RÉALITÉ, QUE DANS LA RELIGION ET EN DIEU. Les soi-disant réalistes n'aiment pas reconnaître la vérité d'une telle affirmation. Ils en prennent au contraire prétexte pour accuser la religion de transformer en luttes religieuses ce qui ne serait qu'une difficulté du domaine politique et économique. Ils dépeignent en couleurs vives la terreur et la cruauté des anciennes guerres de religion POUR FAIRE CROIRE *que les conflits actuels entre l'Occident et l'Orient* sont au contraire inoffensifs et qu'*il suffirait d'un peu plus de sens pratique* de part et d'autre pour obtenir satisfaction d'intérêts économiques et de rapports concrets de puissance politique. *Faire appel à des valeurs absolues* fausse de façon malheureuse, disent-ils, l'état réel des choses, attise les passions et rend plus difficile l'acheminement vers une *union pratique raisonnable*. » Aux faux réalistes, le Saint-Père répond que *faire appel à des valeurs absolues* n' « attise » rien du tout, et qu'Il n'a pas appelé la Chrétienté à une croisade. Mais que, premièrement, *pour certains* (comme la Hongrie) la croisade est UNE SITUATION DE FAIT, non provoquée, imposée, et qui doit être comprise. 6:10 Et que, secondement, *pour tous,* c'est-à-dire pour tous les hommes, dans la résistance au communisme IL S'AGIT DES VALEURS ABSOLUES DE L'HOMME ET DE LA SOCIÉTÉ : « Ce que Nous affirmons *pour tous,* en face de la tentative de faire apparaître comme inoffensives certaines tendances nocives, c'est *qu'il s'agit de questions qui concernant les valeurs absolues de l'homme et de la société.* A cause de notre grave responsabilité, nous ne pouvons dissimuler ceci dans la brume des équivoques. » « A cause de notre grave responsabilité » : à cet endroit comme à plusieurs autres du même Message, le Saint-Père souligne explicitement qu'il s'exprime en Souverain Pontife, en Pasteur et en Chef de tous les catholiques, selon les devoirs et les droits de sa charge apostolique : « Si la triste réalité nous oblige à définir en langage clair les termes de la lutte, personne ne peut honnêtement Nous reprocher de favoriser le raidissement des fronts opposés, et encore moins de Nous être en quelque façon éloigné de Notre charge apostolique. *Si Nous Nous taisions, Nous aurions bien plus à craindre le jugement de Dieu*. » Ce n'est pas l'Église qui transforme la résistance au communisme en l'analogue moral d'une guerre de religion : C'EST LE COMMUNISME qui s'attaque aux *valeurs absolues de l'homme et de la société* et qui entreprend *d'imposer à* TOUS *les peuples* une forme de vie *intolérable.* Faut-il rappeler que le Saint-Père, en l'occurrence, ne s'exprime ni par métaphores approximatives ni par hyperboles ? Notre drame, et l'objet de notre examen de conscience, est que l'Occident n'est plus la Chrétienté. *Mais il la représente :* et c'est dans la mesure où il la représente que le communisme mène contre lui une lutte à mort. Beaucoup parmi nos gouvernants « manquent de sens religieux », et pourtant, par position et par fonction, ils ont la charge de défendre contre le communisme « les valeurs absolues qui ne trouvent leur consistance que dans la religion et en Dieu ». Et chacun de nous peut prendre d'abord pour soi-même l'admonition du Père commun. Qui de nous échappe au reproche de « manquer de sens religieux » ? Qui donc peut s'en estimer suffisamment pourvu ? Qui est assuré de suffisamment penser, aimer et vivre en Dieu, par Dieu, pour Dieu ? 7:10 Ce serait un grand malheur que la guerre mondiale devienne inévitable. Mais il y aurait un malheur pire encore. C'est qu'au jour où cette guerre nous serait imposée par l'agression militaire du communisme, le Saint-Père ne puisse dire pour nous ce qu'il dit pour les Hongrois. Qu'il ne puisse porter en notre faveur le même témoignage. Qu'il ne croie pas pouvoir *constater comme un fait* que, dans une telle guerre, nous défendons une *religion vivante* et que nous sommes les combattants d'une nouvelle Croisade. Que cette guerre ne soit que l'inexpiable déchirement d'aveugles dans les ténèbres, s'arrachant des faux-semblants et des intérêts superficiels. Présentement la guerre n'est que morale et politique. L'Occident n'y tient pas la place qui est la sienne. Son erreur est de « *vouloir séparer État de la religion au nom d'un laïcisme que les faits n'ont pas pu justifier* ». Par le laïcisme, on gouverne les nations chrétiennes en tournant le dos à la Chrétienté. Le communisme nous livre une lutte à mort parce que nous *représentons* la Chrétienté. Mais nous ne la *sommes* point, ou trop peu. Notre salut est de L'ÊTRE ENFIN. \*\*\* IMMENSE ET CAPITAL, ce Message de Noël est un enseignement qui guidera notre réflexion et notre action. Nous n'en avons encore évoqué qu'un aspect. Nous n'en oublierons aucun autre. Nous l'attendions avec une confiance filiale. Même quand le propos est triste ou grave, c'est une joie de simplement entendre la voix du Père commun, Vicaire de Jésus-Christ, manifestation visible de l'universelle Paternité divine. Cette voix et cette présence nous dirigent, nous éclairent, nous protègent. Elles nous protègent d'abord contre l'erreur, qui est sans cesse renaissante autour de nous et en nous. 8:10 C'est avec une joie que ne trouble aucune malice, nos interlocuteurs peuvent nous en croire, que nous avons entendu le Saint-Père nommer « LES CORPORATIONS » au nombre des structures sociales qui doivent ou devraient demeurer « INTANGIBLES ». Avec une joie aussi dépourvue de malice nous l'avons entendu rappeler que l'action des chrétiens ne saurait être politique d'abord, que la première tâche n'est pas aujourd'hui de « *mettre en chantier de grandes réformes institutionnelles* », que jusque dans l'ordre d'urgence la morale conserve une priorité certaine sur la politique : « LA RÉFORME DES INSTITUTIONS N'EST PAS AUSSI URGENTE QUE CELLE DES MŒURS ». Le Saint-Père précise très explicitement que seul un « *faux réalisme* » peut croire que « *la démocratie moderne* » serait vouée à l'échec simplement pour des raisons politiques, pour de « *simples défauts des institutions* »* *; seul un « *faux réalisme* » peut imaginer que les défauts institutionnels de l' « *actuelle structure démocratique* » viennent uniquement, ou principalement, de la méconnaissance des « *processus naturels du fonctionnement complexe de la machine sociale* », c'est-à-dire de la méconnaissance d'une physique sociale. Les « *angoissants problèmes posés par la démocratie moderne* » ne seront pas résolus par une physique sociale et un politique d'abord. Dans L'ORDRE D'URGENCE aussi, la tâche de l'homme du XX^e^ siècle est D'ABORD religieuse et morale. A propos des corporations que nous avions indiquées comme nécessaires, à propos du politique d'abord et de la physique sociale dont nous avions montré l'insuffisance, diverses contestations, qui ne furent pas toutes très cordiales ni même très correctes, nous avaient été adressées. Qu'on veuille bien lire ce qu'enseigne très catégoriquement, sur tous ces points, le Message de Noël. Nous ne disons pas que la parole du Souverain Pontife vient nous donner raison, car en vérité ce n'étaient pas des opinions personnelles que nous défendions là, mais la vérité catholique. Notre sentiment est un regret, ayant convaincu plusieurs de nos interlocuteurs, de n'avoir pu les convaincre tous, ni toujours leur faire comprendre notre intention fraternelle. 9:10 Le témoignage que nous avons rendu à la doctrine catholique n'a pas eu tout l'effet que nous désirions, nous ne devons pas ignorer notre faiblesse et nous n'avons pas lieu d'en être surpris ; nous avons du moins la consolation de constater que, précisément sur ces chapitres-là, ce témoignage n'était ni inexact ni inopportun. La parole du Saint-Père mettra fin aux contestations, elle est source de certitude et d'unité. \*\*\* PUISQUE, du Message de Noël, nous avons surtout évoqué ce qui concerne la résistance au communisme, nous voudrions dire que les directives du Saint-Père, sur ce point comme sur les autres, ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, et explicitement annoncé comme tel, c'est une volonté supplémentaire de clarté, de lumineuse netteté, pour répondre à des erreurs persistantes dont beaucoup sont de l'ordre de l'équivoque et du malentendu. Déjà le 10 novembre, le Souverain Pontife nous avait dit que la résistance au communisme doit être l'objectif primordial et fondamental, devant lequel passent au second plan, « même au prix de lourds sacrifices », tous autres problèmes et tous autres intérêts : « Nous ne Nous dissimulons pas combien sont actuellement compliqués les rapports entre les nations et les groupes continentaux dont elles font partie. Mais que l'on écoute la voix de la conscience, de la civilisation, de la fraternité, que l'on écoute la voix même de Dieu, Créateur et Père de tous, et qu'on fasse passer au second plan, même au prix de lourds sacrifices, tout autre problème et tout intérêt particulier devant celui -- primordial et fondamental -- des millions de vies humaines réduites en servitude. » (Message du 10 novembre 1956, reproduit dans *Itinéraires,* n° 9, pages 121-123). Voici deux ans, dans son Message de Noël 1954, le Saint-Père demandait « quelle pourrait être », en face du communisme, « l'idée grande et efficace qui rendrait les États fermes dans la défense et actifs pour un commun programme de civilisation » : 10:10 « Certains veulent voir cette idée dans un refus unanime du genre de vie, attentatoire à la liberté, propre à l'autre camp. Sans doute l'aversion pour l'esclavage est-elle chose importante, mais c'est une valeur négative incapable de stimuler les âmes à l'action avec la même efficacité qu'une idée positive et absolue. » Autrement dit : l'anti-communisme négatif, tel qu'on le pratique ordinairement sur le plan politique, en invoquant la défense d'une « liberté » plus ou moins appelée « démocratique », est un anti-communisme utile et « important ». Mais il ne suffit pas. Il est plus positif de se fonder non pas sur la « liberté démocratique », mais sur la *liberté voulue par Dieu* et sur les exigences du *droit naturel,* qui sont des réalités et des idées spirituelles : « Cette idée positive et absolue pourrait être l'amour de la liberté *voulue par Dieu et accordée aux exigences du bien général ;* ou bien l'idéal du *droit naturel* comme base de l'organisation des États et de l'État. *Seules ces idées spirituelles et d'autres semblables,* que déjà depuis de nombreux siècles s'est acquis la tradition de l'Europe chrétienne, peuvent soutenir la comparaison ; elles pourraient même l'emporter *dans la mesure ou elles seraient vivifiées.* » On pourrait citer d'autres indications convergentes depuis dix ans et plus. Elles montrent, sur ce point comme sur les autres, que la doctrine de l'Église ne progresse pas par adjonctions et nouveautés, mais par explicitations et développements (il y a des raisons profondes à cela). Le dernier Message de Noël développe et explicite. Aux problèmes actuels, et au problème « primordial et fondamental » du communisme, à cette réalité communiste qui fait que « LA SITUATION ACTUELLE N'A PAS D'ÉQUIVALENT DANS LE PASSÉ », le dernier Message de Noël applique l'enseignement essentiel et immuable de l'Église. Le salut du monde est toujours en Jésus-Christ. Il l'est aussi dans cette situation qui n'a pas d'équivalent historique. Le Saint-Père nous le dit en détail, et avec précision. \*\*\* UNE FOIS ENCORE, S.S. Pie XII a parlé pour convaincre et pour persuader, pour guider et pour sauver. Il ne prononce aucune condamnation : il regrette, il déplore, il indique, il conseille, il enseigne. 11:10 Les condamnations ont été portées quand elles devaient l'être. D'autres peut-être seront malheureusement nécessaires. Mais ces « condamnations » et ces « mesures disciplinaires », dont on parle tant, dont on parle trop en un sens, comme si elles étaient l'alpha et l'oméga du Magistère romain, ne sont jamais que des conséquences, toujours douloureuses, et décidées à contre-cœur, quand il est devenu impossible de faire autrement. Les condamnations sont un enregistrement, elles sont une codification, une sanction aussi, elles sont une manifestation disciplinaire de l'essentiel, elles ne sont pas l'essentiel. L'essentiel est la Parole de Dieu, parole de Vérité et d'Amour, parole lumineuse et patiente, mystérieuse et insondable, dure et douce, infinie. Et qui ne passera point. Que Dieu nous ait donné un Pape qui exerce de manière aussi impressionnante le ministère essentiel de la Parole ; un Pape qui illustre d'une manière aussi frappante les recommandations de l'Apôtre (II Tm. IV, 1-5) ; c'est assurément un signe de la Miséricorde divine : mais Elle ne fait rien en vain, et c'est aussi l'indication, sans doute, que l'histoire du monde atteint un moment de péril extrême. Jean MADIRAN. « L'abaissement des nations européennes vient de la lutte intestine qu'elles ont menée en elles contre le christianisme et entre elles pour la domination temporelle. » D. MINIMUS, *Itinéraires,* n° 9. 12:10 ### Un an d'existence *CE dixième numéro boucle notre première année d'existence. Dix numéros et* 1*.*296 *pages, soit l'équivalent de douze numéros à* 108 *pages, ce qui matériellement, est plus que nous n'avions promis. Nous vous avions annoncé* 96 *pages chaque mois. Cette considération paraîtra peut-être bien arithmétique. Elle exprime pourtant un souci vital, qui est aussi celui de nos lecteurs. Nous leur avons demandé au début de décembre un effort particulier : trois mois de souscriptions, d'abonnements et de propagande. Les résultats de décembre et de la première moitié de janvier nous permettent d'annoncer à nos amis que la revue est, grâce à eux, confirmée dans son existence, et que la parution mensuelle peut actuellement être maintenue. Nous restons incertains du lendemain, et menacés par les constantes augmentations du prix de toutes choses. Mais* « *à chaque jour suffit sa peine* » (*Mt VI,* 34)*. Si remarquables ou si agaçantes qu'aient été nos insuffisances, un public déjà important et actif a compris notre effort et l'a soutenu. Nous le remercions de son indulgence et de son affection.* \*\*\* CE SERAIT LE MOMENT *d'un premier bilan. Une revue indépendante, sans capital, sans appui commercial, partout plus ou moins sournoisement combattue et diffamée par divers bons apôtres qui* « *s'efforcent de détruire, sous toute sorte de prétextes, le travail loyal et consciencieux du voisin catholique* »*, une revue vivante et écoutée malgré la formidable hostilité des puissances financières de la presse installée, voilà ce que tous ensemble nous avons fait. Et nous ne sommes pas au bout de nos difficultés.* 13:10 *Ces difficultés matérielles devraient s'atténuer au cours de notre seconde année d'existence, à mesure que s'étendra le cercle de nos lecteurs, et si nos amis anciens et nouveaux veulent bien travailler à l'étendre. Dans le concert d'une presse où les monopoles et les privilèges ont été très jalousement gardés, nous faisons entendre une voix différente. Nous le faisons calmement, sans animosité et sans hausser le ton. Nous pensions que cela suffirait à provoquer, par voie de conséquence directe ou indirecte, d'heureuses modifications, limitées sans doute, mais déjà appréciables, dans les publications installées. Et cela a suffi. Il serait immodeste d'en dresser un catalogue détaillé. Nous enregistrons simplement que certaines choses ne sont plus jugées possibles, et que nous n'y sommes pas pour rien. Nous savons aussi que ceux qui ont partiellement rectifié leurs positions publiques à cause de notre présence mensuelle et attentive ne nous en ont aucune reconnaissance, bien au contraire : mais cela est dans l'ordre.* *Nous avons mécontenté beaucoup de monde : il était impossible de faire autrement. Nous nous sommes appliqués à ne pas mécontenter plus qu'il n'était nécessaire. Cette mesure que nous nous sommes efforcés de garder n'a pas diminué, elle a redoublé la fureur de nos adversaires. Cela aussi est dans l'ordre. Si nous n'avions formulé, comme on nous en accuse parfois, que des* « *critiques injustes ou excessives* »*, elles n'auraient pas eu grand effet, et l'on ne nous en aurait pas longtemps tenu rigueur. Ce sont nos justes critiques que l'on ne nous pardonne pas. Évidemment.* \*\*\* NOUS AVONS PU AUSSI*, d'aventure, mécontenter ici ou là nos amis. Péguy disait :* « Une revue n'est vivante que si elle mécontente chaque fois un bon cinquième de ses abonnés. La justice consiste seulement à ce que ce ne soient pas toujours les mêmes qui soient dans le cinquième. Autrement, je veux dire quand on s'applique à ne mécontenter personne, on tombe dans le système de ces énormes revues qui perdent des millions, ou qui en gagnent, pour ne rien dire. Ou plutôt à ne rien dire. » 14:10 *Précisément, nous disons quelque chose.* *Et tel est en effet le rôle d'une revue.* *On ne la lit pas seulement pour y trouver une confirmation de ce que d'avance l'on pensait. On y trouve aussi des faits, des documents, des idées qui contredisent, qui font réfléchir, qui invitent à l'approfondissement, qui conduisent à éprouver, à nuancer, à rectifier* (*ou à finalement confirmer*) *les points de vue antérieurs. La plupart de nos lecteurs l'ont compris et admis. D'ailleurs deux esprits ne peuvent jamais penser absolument de la même façon sur tous les points. Le dialogue est d'abord entre nous.* *Notre Déclaration liminaire disait en sa troisième partie :* « *Nous sommes d'accord pour considérer que les constatations qui précèdent laissent non résolus, les concernant ou ne les concernant pas, un grand nombre de problèmes concrets. Nous sommes d'accord pour examiner ces problèmes, autant qu'il se peut, sans préjugés et sans passion, et pour supporter sans les taire nos différences à leur sujet.* » *Nous continuerons, à la grâce de Dieu.* \*\*\* ON NOUS REPRÉSENTE*, parfois ou souvent, comme gens aux* « *idées arrêtées* »*, sûrs d'eux-mêmes et de* « *détenir la vérité* » *ou même d'en avoir le* « *monopole* »*. Quelle extravagante incompréhension. Ceux qui nous lisent avec attention savent qu'il n'en est rien. Nous n'avons de certitude absolue que pour les vérités de Foi. Nous sommes sûrs que l'Église de Jésus-Christ possède et enseigne la Vérité. Pour le reste, l'humaine condition est de progresser dans la recherche, le doute, l'épreuve, par approximations et révisions. C'est pourquoi nous sommes préoccupés de peser le pour et le contre, d'évaluer dans chaque question la valeur des arguments en présence, de rechercher objectivement la part de vérité que peuvent contenir, sous un rapport différent, des propos contraire... Et c'est pourquoi nous sommes attentifs et accueillants à toute critique, à toute contradiction honnête et sérieuse, persuadés qu'elle peut nous instruire. Nos adversaires même les plus violents nous ont trouvés occupés à discerner, par-delà leurs injures et leurs calomnies, la pensée qui les anime ; à comprendre cette pensée ; à en retenir ce qu'elle peut apporter de positif ; à leur signaler ce qu'elle manifeste de négatif.* 15:10 *Cela est le propre, croyons-nous, de l'activité intellectuelle. On peut caricaturer cette démarche en la représentant comme une* « *polémique* »* : ceux qui nous lisent sans trop de passion ou de parti pris s'aperçoivent, quelquefois avec une profonde surprise* (*car on leur en avait tant dit*) *que nous faisons tout autre chose que de la polémique.* \*\*\* CERTES*, tout autant que d'autres, nous avons droit à la légitime défense ; et peut-être n'y sommes-nous point manchots. Mais nous usons bien rarement de la plénitude de notre droit. Nous sommes lents à nous défendre, nous ne le faisons jamais sans réflexion préalable, ni sans laisser la porte ouverte à tontes les conversations possibles. La revue* Itinéraires *n'est pas un pamphlet. Pour schématiser, nous dirions volontiers qu'elle contient* 1* % de polémique,* 9* % de controverse,* 15* % de débats et* 75* % d'exposés. Le tout tendant explicitement à une conversation pacifique et fraternelle, soucieuse seulement de vérité et de justice, dans l'unité catholique. Les initiatives et les propositions concrètes que,* SEULS *jusqu'ici dans la presse, même catholique, nous avons soumises à la réflexion de tous pour rendre pratiquement possible la substitution du dialogue à la polémique sur toutes les questions disputées, -- ces initiatives et ces propositions concrètes* EXISTENT*, elles sont* NÔTRES*, et c'est* UN FAIT*.* \*\*\* QUELQUEFOIS *l'on croit, ou l'on dit, que nos* « *attitudes* » *sont tactiques : on nous en félicite ou bien l'on nous en blâme. On nous dit que notre douceur, que notre patience est* « *clause de style* » *qui ne trompe pas. Ou au contraire qu'elle est une fameuse habileté.* *Ni l'un ni l'autre n'est vrai. Nous écrivons ce que nous pensons. Nous sommes derrière chacune de nos phrases, non pour nous dérober, mais pour en répondre. Non pour les maintenir obstinément contre une évidence contraire que l'on nous manifesterait, mais pour en discuter avec qui voudra.* 16:10 *Nous croyons à ce que nous disons, et nous savons que nous sommes faillibles. On peut nous demander compte de toutes nos propositions, on en obtiendra toujours soit l'aveu soit le désaveu, en toute clarté.* *Sans doute avons-nous autant ou plus que d'autres nos colères et nos indignations, car il y a de quoi. Il nous faut parfois quelque effort pour en surmonter le mouvement passionnel. Nous ne le faisons point par tactique ou faux semblant, ni pour aucun motif superficiel : mais parce que nous croyons qu'entre chrétiens la conversation est toujours possible, toujours utile, et qu'il nous appartient, pour autant qu'il est en nous, de travailler à lever les obstacles qui s'y opposent. Nous combattons des idées dont personne encore n'a pu nous démontrer qu'elles seraient vraies. Nous le faisons sans haine ni mépris à l'égard des personnes. Qu'on ne nous le rende point ne suffit pas à nous décourager.* \*\*\* LE MONDE MODERNE*, l'Occident, la France sont en péril de mort, à cause de l'apostasie implicite ou explicite à laquelle les ont conduits leurs idées fausses. Pour les détromper, pour les sauver, il faut plus que des idées contraires. Il faut des idées vraies, c'est-à-dire plus que des idées. Il y faut toutes les vérités de la Foi et tous les mystères de Dieu. La réponse à nos énigmes est une Énigme, le mystère s'inscrit au centre de la Création et au cœur de l'homme, et c'est lui qui nous éclaire :* « L'ironie des grands tragiques, écrit Chesterton, trouve dans le livre de Job son dénouement mystique ; au mystère, *il ne répond que par le mystère ;* et Job, *consolé par énigmes, se trouve consolé.* Symbole prophétique car, où l'esprit qui doute ne sait que répéter : « Je ne comprends pas », celui qui sait ne peut que répliquer : « Non, tu ne comprends pas » ; et ce reproche éveille toujours au fond du cœur comme un espoir soudain, le sentiment d'un secret qui vaudrait d'être compris. » *Les idées fausses du monde moderne sont souvent des mensonges qui n'ont même pas la nouveauté à laquelle ils prétendent.* 17:10 *Le grand mensonge soi-disant moral* (*voire soi-disant chrétien*) *par lequel on amène la France à lâcher sa mission colonisatrice est une atroce vieillerie. Chesterton encore en témoigne dans un texte de* 1925* :* « Voyez par exemple ces anciens empires du Mexique et du Pérou, aussi policés que l'Égypte et que la Chine, et qui ne le cèdent qu'en esprit d'entreprise à la civilisation centrale, la nôtre. Les critiques de notre civilisation, en flétrissant comme il se doit ses crimes, ont un curieux penchant à idéaliser outre mesure ses victimes. Avant l'expansion européenne, le monde aurait été, s'il faut les croire, un vrai jardin d'Éden. Swinburne parle de l'Espagne et de ses conquêtes en des termes qui m'ont toujours surpris : « ...Les péchés de ses fils semés à travers des terres sans péché », et qui ont « rendu maudit le nom d'homme et trois fois maudit le nom de Dieu ». Or les Espagnols, j'en conviens, étaient de forts pécheurs : mais où a-t-il pris que les Américains fussent « sans péché » ? Eh quoi, tout un continent peuplé exclusivement d'archanges, de chérubins et de séraphins ? On n'oserait en certifier autant de la paroisse la mieux pensante. Mais en l'espèce cette affirmation devient d'un comique particulièrement réjouissant. Nul n'ignore en effet que les impeccables pasteurs de ces peuples d'albes colombes adoraient des dieux immaculés qui ne supportaient dans leur benoît paradis d'autre nectar et d'autre ambroisie que des sacrifices humains continuels, enjolivés d'abominables tortures... Je ne plaide pas la cause de l'Espagne contre le Mexique : je constate qu'elle est analogue, en plus d'un point, à celle de Rome contre Carthage. Dans l'un et l'autre cas, IL NE MANQUE PAS DE GENS POUR PRENDRE PARTI CONTRE LEUR PROPRE CIVILISATION et toujours absoudre de tout péché des sociétés dont les péchés ne crient pas, mais hurlent vers le ciel. Blâmer notre race ou notre religion d'avoir FAILLI A LEUR IDÉAL est fort bien, mais LA SOTTISE EST DE LES METTRE POUR CELA PLUS BAS QUE LES RACES ET LES RELIGIONS QUI SE FONDAIENT SUR L'IDÉAL DIAMÉTRALEMENT opposé. Oui, certes, le chrétien fut, DANS UN CERTAIN SENS, pire que le païen, l'Espagnol que l'Indien, le Romain même que le Carthaginois : mais EN CE SENS TOUT RELATIF que leur raison d'être était de s'avérer meilleurs. » 18:10 *On peut relire ce texte ligne à ligne, mot à mot : mot à mot et ligne à ligne, il vaut pour la France en face de l'Islam. Le mensonge contre notre civilisation, le mensonge contre notre religion est le même. Avec cette différence qu'aujourd'hui, tout le monde ou presque croit à ce mensonge, tout le monde en est plus ou moins victime parmi nos docteurs. Et la France plie sous le mensonge.* *Mais il n'est qu'un Maître du Mensonge. Et contre lui, il n'est qu'un Vainqueur de la Mort.* \*\*\* A L'INTENTION DE NOS LECTEURS NOUVEAUX*, nous redonnons ici la* « *Déclaration liminaire* » *qui figurait en tête de notre premier numéro. Nous* « *persistons* » *dans cette Déclaration. Elle n'est pas un manifeste mais plus simplement, un programme de travail :* LE CHRIST EST LA VOIE, la Vérité, la Vie. Nous sommes d'accord sur la soumission à la doctrine qu'enseigne l'Église catholique. Nous la recevons telle qu'elle se définit elle-même. Nous y trouvons la règle suprême de nos pensées et de nos actes. Nous lui rendons le témoignage de notre foi publiquement exprimé et, s'il plaît à Dieu, de nos œuvres. Nous sommes d'accord pour penser qu'en ce domaine la fidélité dans la doctrine et l'unité dans la discipline ne peuvent être maintenues que sous l'autorité du Pape et des évêques en union avec le Pape. Nous sommes d'accord pour croire qu'un catholique se reconnaît pratiquement à ce que rien ne peut l'empêcher de répondre « oui » à la question « êtes-vous catholique ? » chaque fois que cette question lui est posée et chaque fois qu'elle ne lui est pas posée. Nous ferons donc entendre ce « oui » même lorsqu'on ne nous interrogera pas, à temps et à contre-temps. \*\*\* 19:10 NOUS SOMMES D'ACCORD sur l'identification du plus grand péril temporel de notre époque : l'appareil publicitaire, idéologique, politique, militaire et policier du communisme soviétique. Nous sommes d'accord sur la première urgence temporelle, aujourd'hui et sans doute pour longtemps : le combat politique contre l'organisation communiste internationale et ses dépendances. Nous sommes d'accord pour estimer que cette tâche politique est très humble auprès de nos urgences spirituelles. Mais, surtout dans une démocratie, chaque citoyen a des devoirs politiques. Ces devoirs sont publics pour le publiciste : nous nous efforcerons de les remplir. Nous sommes d'accord pour affirmer qu'aujourd'hui et sans doute pour longtemps toute activité politique qui ne se situe pas clairement par rapport au communisme, et pour le combattre, risque d'être une activité sans signification ou une entreprise de diversion. En l'absence actuelle d'un fédérateur temporel, la fédération politique des bonnes volontés et des énergies peut s'accomplir sous la pression extérieure du péril démasqué et repéré pour ce qu'il est. Nous sommes d'accord pour penser que la solution au communisme soviétique, et à tout le reste, se trouve essentiellement dans la prière de l'Église, dans la vie intérieure, dans la conversion permanente, dans les œuvres de la Foi, de l'Espérance et de la Charité. Nous pensons que notre activité de publicistes doit trouver dans ces réalités essentielles sa règle et son inspiration, et sa place modeste au milieu d'elles. \*\*\* NOUS SOMMES D'ACCORD POUR CONSIDÉRER que les constatations qui précèdent laissent non résolus, les concernant ou ne les concernant pas, un grand nombre de problèmes concrets. Nous sommes d'accord pour examiner ces problèmes, autant qu'il se peut, sans préjugés et sans passions, et pour supporter sans les taire nos différences à leur sujet. 20:10 Nous sommes d'accord pour tenter de surmonter les profondes divisions actuelles entre catholiques en substituant le dialogue à la polémique dans toutes les questions disputées. Nous sommes d'accord pour demander aux publicistes catholiques, et d'abord à nous-mêmes, de prendre conscience de ce qui n'est que préférences personnelles et positions temporelles particulières : non point pour les passer sous silence, encore moins pour les suggérer discrètement ou les insinuer sous le couvert du dogme, mais pour les exprimer clairement, d'une manière qui évite toujours de les confondre avec l'enseignement de l'Église. Nous sommes d'accord pour les soumettre à l'épreuve salubre et nécessaire de la libre critique. Nous sommes d'accord pour penser que telle est la condition pratique : *1*. -- du respect entre catholiques de la liberté d'opinion en toutes les questions sur lesquelles l'Église ne s'est pas prononcée ; *2*. -- de la charité compréhensive avec laquelle doivent être considérés, voire contestés, les efforts généreux déployés par des chrétiens loyaux et de bonne volonté. \*\*\* NOUS SOMMES D'ACCORD POUR ACCUEILLIR ceux même qui ne sont d'accord avec rien de ce qui précède : non point les accueillir parmi nous comme nôtres, mais leur offrir une hospitalité réglée par une critique courtoise, et confronter dans nos colonnes nos convictions avec les leurs. Les lieux de libre discussion se font rares. Nous proposons le nôtre à ceux qui voudront en user. Nous sommes d'accord pour entreprendre, dans ces perspectives, la chronique mensuelle des idées et des faits actuels, travaillant ainsi, pour autant qu'il est en nous, et par les moyens propres à notre métier à remplir notre « devoir de rendre l'Église présente et compréhensive au monde d'aujourd'hui. » NOUS NE VOYONS GUÈRE *qu'un mot à y ajouter. Un mot que nous avons souvent dit à qui voulait l'entendre au cours de cette première année d'existence.* 21:10 *Il s'adresse à ceux qui, trouvant nos intentions irréprochables, déclarent que nous y sommes lamentablement inférieurs* (*ce qui est simplement le sort commun et l'humaine condition*)*. Nous leur disons de nous apporter leur aide et leur renfort. Ou bien, s'ils nous trouvent vraiment aussi méprisables qu'ils le disent, nous les prions de n'attendre point davantage pour eux-mêmes, de leur côté, faire mieux.* *Car de notre programme de travail l'urgence n'est guère contestable. Et l'on n'a pas vu jusqu'ici, parmi les intellectuels installés, beaucoup d'empressement à nous y seconder, ni beaucoup de capacité à nous y devancer.* 22:10 ## CHRONIQUES 23:10 ### Le livre du P. Bigo : « Marxisme et humanisme » *Nous poursuivons la reproduction des trois articles publiés en* 1952*,* 1953 *et* 1954 *par Louis Salleron sur la pensée du P. Bigo à l'égard du communisme.* *Celui-ci, le second, concerne le livre* Marxisme et humanisme*, dont on commence un peu partout à s'occuper non sans inquiétude. La revue* L'ORDRE FRANÇAIS *en a fait dans son numéro de décembre une critique méthodique et sévère ; elle estime comme nous que la pensée et les activités du P. Bigo sont* « responsables au premier chef » *de l'attitude du catholicisme français en face du communisme ; elle accorde néanmoins que ce livre aurait réellement* « renouvelé de fond en comble l'interprétation du marxisme »*... Voici l'avis de Louis Salleron.* J'AVAIS SIGNALÉ un article du P. Bigo, « L'appel de nos frères de l'Est », pour en regretter le ton qui trahissait, à mes yeux, soit un marxisme latent chez son auteur, soit une sorte d'indulgence fâcheuse au marxisme plus ou moins conscient de ses lecteurs. C'est donc avec une vive curiosité que je vis annoncer, il y a quelques semaines, un livre dudit P. Bigo sur *Marxisme et Humanisme*. Ce livre a paru dans les premiers jours de mars, avec le sous-titre : « Introduction à l'œuvre économique de Karl Marx ». Je l'ai lu aussitôt, avec un intérêt que ne pouvait qu'exciter la préface du très savant et sympathique Jean Marchal, professeur d'Économie politique à la Faculté de Droit de Paris. Jean Marchal commence ainsi : « Un livre passionnant ! Un grand livre ! -- Incontestablement, l'ouvrage de M. Pierre Bigo est l'un des plus remarquables et l'un des plus suggestifs qu'il m'ait été donné de lire au cours de ces dernières années » ; et il termine par ces mots, qu'il adresse à l'auteur : 24:10 « Il me serait infiniment agréable que vous récoltiez des éloges ou des critiques courtoises, faites avec une bonne foi égale à celle que vous avez manifestée, mais je crains bien, en vérité, qu'à ces éloges et critiques de bon aloi se mêlent beaucoup d'attaques sectaires, beaucoup d'incompréhension, beaucoup de malveillance. Je ne crois pas que cela puisse vous effrayer. Vous savez bien que la vérité n'est jamais agréable à tous et que ceux qui la disent, ou simplement la cherchent, doivent être prêts à souffrir pour elle ». On voit que Jean Marchal, bon juge, fait un très grand cas du livre du P. Bigo. Je crois qu'il se trompe sur les « attaques sectaires », l' « incompréhension » et la « malveillance » dont l'auteur pourra avoir à souffrir. Je suis très convaincu que celui-ci récoltera, au contraire, des compliments très nombreux et qu'il sera compris avec une bienveillance qui, à son terme, sera probablement de l'incompréhension. Pour moi, je tiens beaucoup à m'attribuer les paroles de Jean Marchal, en disant ou simplement en cherchant la vérité sur un livre qui est assuré, vu la personnalité de son auteur, d'une lecture très étendue et qui bénéficie, grâce à son préfacier, et pour beaucoup d'autres raisons, d'un préjugé favorable dès son apparition. MARXISME ET HUMANISME se présente en deux parties : la première, « Lecture de Marx », est un exposé de la doctrine marxiste (à partir des thèmes économiques) ; la seconde, « valeur de Marx », est une discussion de cette doctrine. L'exposé (p. 9 à 125) est excellent. Après avoir rappelé, très brièvement mais exactement, l'apport des économistes libéraux et des philosophes (Hegel à Marx), le P. Bigo centre son analyse du marxisme sur les trois thèmes de la *valeur ;* de la *monnaie* et du *capital.* Il insiste sur le fait que dans le domaine économique proprement dit, dans la théorie si l'on veut, Marx n'a rien inventé, même rien apporté : « Les économistes classiques ont fourni à Marx tout le matériel économique dont il s'est servi. Il n'y a rien ajouté. Il n'a rien apporté en économie politique pure. N'étant pas un économiste, il est forcément étroitement dépendant de ses auteurs. Il en adopte toutes les catégories. Mais il n'édifie pas une construction ayant sa cohérence sur le plan économique. Il soumet le donné économique à une réflexion dialectique, afin d'en tirer des conclusions révolutionnaires, et c'est seulement sur un plan d'explication générale de l'homme et de l'histoire que sa pensée trouve sa cohérence » (pp. 2 et 3). Ayant vingt fois exprimé la même idée (v. notamment « Marx et l'économie » dans l'ouvrage collectif *De Marx au Marxisme,* aux Éditions de Flore, 1948), je ne peux que me réjouir d'une coïncidence totale de pensée avec le P. Bigo sur cette interprétation de Marx. Je crois, avec lui, que « la clé de l'économie politique marxiste se trouve dans la philosophie marxiste » (p. 25) ; je crois même que « l'économie politique marxiste n'est pas une physique », « c'est une métaphysique » (p. 23). EST-CE TRÈS NOUVEAU ? Plusieurs fois le P. Bigo (pp. 1, 5, 6) insiste sur le caractère inédit de sa thèse, qui irait, selon lui, « à l'encontre des interprétations courantes ». A des nuances près, j'ai l'impression que sa vision du *Capital* est celle d'un assez grand nombre. 25:10 C'est peut-être le vocabulaire qui est neuf. Les mots « existence », « présence », « situation » sont fréquents sous sa plume. Ils n'étaient pas à la mode avant la guerre. Mais quand le P. Bigo nous dit que Marx « prend le capital et la valeur comme des situations d'hommes en présence » (p. 1) ou que « c'est comme *modes d'existence* que la valeur, la monnaie et le capital l'intéressent » (p. 3), ou encore que « l'analyse de la valeur n'est pas, chez Marx, analyse conceptuelle d'une essence, elle est analyse existentielle d'une situation en développement dialectique, la situation de l'homme dans une économie marchande » (p. 43), il ne fait, semble-t-il, qu'habiller selon le style existentialiste des points de vue assez habituels. Cette observation ne diminue en rien la valeur de l'exposé du P. Bigo qui est particulièrement vigoureux et cohérent. Pour ma part, en tous cas, je l'admets dans la courbe de son développement général. Et c'est même parce que je l'admets que sa seconde partie ne me satisfait pas. Il est, en effet, bien évident que, *dès l'instant qu'on a montré que l'économie marxiste n'est qu'une philosophie, c'est sur le plan philosophique qu'elle peut être combattue ou dépassée*. Et dans la mesure où le contenu économique de la philosophie marxiste est tout à la fois celui du libéralisme classique et celui du début du XIX^e^ siècle, il doit être rectifié pour alimenter ou étayer des raisonnements modernes, voire une « dialectique » nouvelle. Comment discuter une philosophie existentielle datant d'un siècle en acceptant ses éléments, désormais inexistants ? Or, le P. Bigo *n'apporte pas de solution philosophique au problème marxiste* (ou plutôt au problème posé par l'existence du marxisme). D'autre part, *il ne tente aucune analyse existentielle de la situation actuelle en développement dialectique*. Alors qu'il interprète Marx fort exactement dans sa première partie, il n'interprète plus la *réalité économique* dans la seconde. Certes, il montre comment les faits ont évolué, depuis Marx, soit dans le monde capitaliste, soit dans le monde soviétique, mais il retrace (très rapidement d'ailleurs) cette évolution *dans la perspective des analyses marxistes*, c'est-à-dire à partir de la valeur, du capital, de la propriété. Les ébauches de synthèse qu'il propose sont, en conséquence, très peu consistantes et dans la forme traditionnelle du : « à mi-chemin entre » (le libéralisme et la planification, l'individualisme et l'étatisme, la propriété privée et les nationalisations, etc.). EST-CE À DIRE que le P. Bigo n'ait pas vu le problème ? Pas du tout. Il l'a fort bien vu, au contraire. Il a fort bien vu que, finalement, derrière les histoires de la plus-value et du capital, *c'est la philosophie* même de l'échange, c'est-à-dire *de l'acte économique* en soi qui est en cause. Un anti-Marx positif consisterait dans une philosophie de l'économie, s'insérant dans une philosophie de la société, suspendue elle-même à une métaphysique et à une théologie. « Il a manqué à Marx une philosophie de la relation esprit-matière et de la relation individu-société », écrit le P. Bigo (p. 131). Très exactement. Mais une telle philosophie (correcte) annihilerait Marx. 26:10 Et nous pouvons dire que, si elle a manqué à Marx, elle manque toujours à notre société. Marxisme sur capitalisme, c'est exactement Hegel sur Descartes ; on n'en sortira pas par l'association capital-travail. Le péché mortel de Marx, c'est son idéalisme, son angélisme. Il n'accepte pas la relation humaine née de l'objet. Le P. Bigo le souligne très fortement, et à maintes reprises. « La dépersonnalisation de la vie économique n'est achevée qu'avec le capital. Si Marx a voulu l'analyser déjà dans l'Argent et même dans la Marchandise, c'est pour en montrer les racines les plus lointaines. Dans le rapport d'échange le plus simple au sein d'une société où règne la division du travail, il aperçoit déjà tout le développement capitaliste. *La marchandise, comme le capital, n'est pas une chose, elle est un rapport de production, une relation humaine devenue chose* » (pp. 121-122). C'est pourquoi Marx, soulignant la déshumanisation croissante de l'Économie, du Moyen-Age au Capitalisme, en passant par le mercantilisme, trouve ses deux pôles référentiels de l'Économie humaine dans l'individualisme robinsonien et dans le communisme totalitaire. Son âge d'or, comme tous les âges d'or, est au commencement et à la fin. Mais il a des douceurs pour l'économie familiale et même pour l'économie féodale, parce qu'alors « la société est basée sur la dépendance personnelle » et que « tous les rapports sociaux apparaissent comme des rapports entre les personnes » (p. 66). Encore une fois, le P. Bigo voit très bien tout cela. Il y revient constamment. Alors pourquoi, au lieu de construire du neuf face à Marx, ruse-t-il avec l'homme et avec sa philosophie ? SE FONDANT SUR « l'ambivalence » de Marx, le P. Bigo estime que le « courant matérialiste » qui existe chez celui-ci ne doit pas faire oublier le « courant humaniste » qui y existe également. « Il y a une affirmation de l'homme chez Marx », écrit-il (p. 133). (Naturellement, il y a toujours une affirmation de l'homme chez tout le monde). « Nous reprenons son analyse, déclare le P. Bigo au seuil de son ouvrage, au nom des principes mêmes qui la sous-tendent..., au nom d'une affirmation de l'homme que nous avons trouvée presque à chaque page du *Capital.* Nous situant à l'intérieur de cette perspective humaniste, en acceptant tous les prolongements, mais rejetant tout ce qui nous paraît en contradiction avec elle, nous sommes amenés à dissocier les éléments valables et les éléments discutables de la critique marxiste. Et nous tentons de reprendre cette critique sur la base d'idées immanentes au marxisme lui-même et pourtant en contradiction avec lui » (p. 4). Cette idée n'est pas jetée au passage et comme par hasard. La conclusion répond à l'introduction, et dans l'avant-dernière page du livre nous lisons : « Un double destin est donc inscrit au cœur du marxisme. Les jeux sont-ils faits ? Entre la fidélité à la lettre de Marx et la fidélité à l'homme dont Marx a aperçu l'exigence et sur lequel il a tenté de construire, le marxisme a-t-il définitivement opté ? Les hésitations de la réalité soviétique et ses désaccords partiels avec la théorie font penser que le marxisme, tout en gardant celles de ses options qui représentent son accord historique, peut revenir sur ceux de ses choix qui l'éloignent de l'homme » (p. 260). Ô générosité du P. Bigo ! Ô candeur ! 27:10 Le P. Bigo pense, d'autre part, que le marxisme peut abandonner sa mystique pour devenir une simple structure. Il prend la comparaison de la démocratie. « De religion laïque, qu'elle était au départ, un siècle et demi d'évolution l'a peu à peu ramenée à une grande doctrine et à une haute technique du pouvoir, à une certaine conception et à une certaine organisation de la relation entre gouvernants et gouvernés, à une *politique* en un mot, au sens le plus large du terme » (p. 126). Rapprochant la Révolution « ouvrière » de la Révolution « bourgeoise », le P. Bigo pense que « comme religion et comme métaphysique des valeurs », le socialisme subira une « décantation » analogue, et que finalement on peut espérer que le marxisme « s'affirmera de moins en moins comme une philosophie totale, il se muera en une grande doctrine politique, en une haute technique de dévolution du pouvoir économique » (p. 128). « Quelque chose commence, une ère nouvelle s'ouvre, l'ère d'un pouvoir économique s'appuyant sur la volonté des masses » (p. 129). On voit l'idée. Rousseau mué en Marx doit trouver ses Lamennais pour nous faire une démocratie économique semi-collectiviste le plus rapidement possible. Mais Rousseau a trouvé Robespierre et Napoléon, comme Marx a trouvé Lénine et Staline. Baptiser un marxisme épanoui en humanisme, c'est vraiment le rêve absolu. Je pense que le P. Bigo est mû par deux sentiments, plus ou moins conscients : le premier, que le marxisme étant la religion de beaucoup d'esprits honnêtes, il faut leur ouvrir les portes de l'espérance, le second, que le communisme ayant conquis la moitié de la planète, il faut bâtir à partir de lui là où il est. Bref un mélange de zèle apostolique et de réalisme teinté de défaitisme. AU TOTAL le livre du P. Bigo me fait la même impression que m'avait faite son article. J'y discerne sans peine une grande sensibilité, un désir très sincère d'atteindre les consciences, un souci profond du destin des « masses ». J'y observe aussi une intelligence puissante et de beaux moyens d'expression. Mais je considère que la direction de la pensée est radicalement fausse. Par sa complaisance à Marx, par une certaine manière de s'insérer dans la dialectique et le vocabulaire marxistes, par le défaut de toute construction philosophique et économique sérieuse en face du marxisme, le P. Bigo me semble faire œuvre négative beaucoup plus que positive. Je ne reconnais à sa thèse qu'un mérite véritable -- grand d'ailleurs à mes yeux --, c'est de *marquer avec netteté que l'économie marxiste est une philosophie.* Mais alors *que ne nous apporte-t-il lui-même une philosophie nouvelle* fût-elle la plus ancienne du monde ? Et si cette philosophie devait être aussi religion, je n'y verrais pas d'inconvénient majeur. On ne peut tout de même pas tout demander à cette pauvre païenne de Simone Weil ! Louis SALLERON. 28:10 ### Retour aux vérités premières (IV) Le Jour de Sa Naissance JE CROIS N'AVOIR RIEN RETENU des Noëls de mon enfance. Le Petit Jésus dans l'étable, la crèche, sa Mère, les animaux, les bergers et les Rois Mages n'ont pas pénétré l'esprit de mes jeunes années au point d'y laisser une marque profonde. Mes frères et moi, nous n'avions pas notre place à l'église parmi les merveilleux décors de la Nativité. Nous étions écartés des splendeurs et des chants de la Messe de Minuit. Notre pauvreté expliquait sans doute ce repli sur nous-mêmes et le tassement de nos corps dans un logement sordide. Ce qui nous était conté sur la cérémonie nocturne nous faisait comprendre qu'elle n'était pas faite pour nous. Pour aller nous placer dans le cadre du miracle, parmi les lumières mystérieuses et les décors fabuleux, il nous eût fallu des habits et nous n'en avions pas. Et puisque la cérémonie n'était pas faite pour nous, nous n'y pensions pas. Dans notre état primitif, le jour de Sa Naissance était aussi celui d'un autre miracle qui avait pour cadre légendaire l'intérieur de la maison, le toit de notre demeure, la cheminée par laquelle le Père Noël, envoyé du Bon Dieu, devait s'introduire pour garnir de jouets et de friandises les chaussures des enfants discrètement déposées dans l'âtre ou derrière le foyer. A ce propos, il nous était également conté des choses étonnantes qui nous transportaient dans le domaine des fées et qui peuplaient nos rêves de petits clairons, de petits tambours, de chevaux mécaniques, de crayons de couleur, de tablettes de chocolats et de belles oranges. Il nous était encore conté qu'en certains lieux et dans les riches demeures, un beau sapin vert ornait une pièce et que dans les branches de l'arbre on avait fait mûrir des fruits délicieux que les lumières rendaient appétissants. Nous apprenions ainsi que les familles aisées se réunissaient autour du sapin prestigieux pour glorifier la naissance du Seigneur. 29:10 Il nous était enfin conté que dans les grandes villes lointaines, dans les bourgades et aussi dans les villages, le miracle se traduisait par des agapes, des repas somptueux accompagnés de chants, de rires et de joie bruyante. Nous apprîmes plus tard que cette cérémonie gastronomique s'appelait le Réveillon. Et nous n'avions à l'époque qu'une pauvre petite cheminée, un toit minuscule et des chaussures indignes de figurer dans l'âtre. Aussi, le Père Noël n'est pas venu souvent chez nous. Et, s'il a quelquefois marqué son passage, sa générosité n'est pas allée au-delà de quelques oranges ou d'un bonhomme en pain d'épices. C'est sans doute pourquoi je crois n'avoir rien retenu des Noëls de mon enfance. Les autres enfants, dont les parents connaissaient l'aisance, ne croyaient plus au Père Noël : ils disaient que leur Mère était allée au magasin pour acheter de quoi garnir leurs souliers. Et nous qui n'avions rien, on croyait toujours au Père Noël mais il ne venait pas chez nous. PLUS TARD, après avoir marché dans la vie, je me suis fait une règle personnelle pour célébrer le jour de Sa Naissance. Mon âme d'enfant n'avait pas été satisfaite : je cherchais à satisfaire mon âme d'homme. C'est ainsi que chaque année, le jour de Sa Naissance, je sortais de ma modeste bibliothèque une vie de Jésus de Renan et je lisais un chapitre de son existence. Que le lecteur veuille bien ne pas se formaliser à propos de l'auteur de l'ouvrage. Je n'avais pas les moyens de faire un choix, ni la possibilité de me prononcer sur le caractère d'un aperçu historique. En fait, il ne s'agissait pas pour moi de Renan mais de Jésus avec lequel je passais ma nuit de Noël au sein de sa Galilée natale. Cette lecture m'éloignait sans regret de la Messe de minuit. Il me plaisait de le suivre et d'être avec lui au bord du lac où il se mêlait aux pêcheurs. Il me semblait l'entendre dans sa langue naturelle que le cœur des hommes comprenait. Car l'instrument de sa propagande n'était que la parole inspirée par l'idéal de sa mission, sans le secours de la scolarité. Son pays m'enchantait parce qu'il y trouvait des fleurs, des fruits, des jardins fertiles, des vallées heureuses, des Montagnes Sacrées, de la fraîcheur pour son âme et des lieux pour prier. En lisant, il m'arrivait de comparer sa vie militante à la mienne qui avait pour théâtre des terrils de mines, des puits profonds, des usines noires, des cortèges de haine, des meetings de violence. Et je rêvais de sa Galilée merveilleuse. 30:10 Par la pensée, je l'ai accompagné dans ses voyages jusqu'à l'endroit de son baptême, sur la route caillouteuse qui le conduisait à Jérusalem avec ses paysans galiléens. De même, j'ai vécu ses interventions à l'intérieur du Temple quand sa douceur s'est transformée en indignation et j'ai suivi son calvaire jusqu'au moment où la plus durable des cruautés, celle de la multitude, s'est exercée. Le jour de Sa Naissance, il m'est arrivé de refuser d'accompagner à l'église des jeunes hommes de mon âge qui se rendaient à la Messe de Minuit pour s'y distraire. Ces jeunes compagnons avaient ajouté à leur programme un retour en galante compagnie à la lueur des étoiles. Une expérience religieuse de cette nature ne m'a pas convenu. LE JOUR DE SA NAISSANCE je me suis trouvé dans une île des Açores, sur un bateau ancré au port de Ponte Delgada. -- Je suis allé à la Messe de minuit dans une petite église rappelant le Moyen Age. Les fidèles, la sobriété des ornements, les bancs rustiques, tous les hommes pieds nus, les dos courbés, le silence rappelaient également des temps lointains. Confusément, j'ai senti le choc de la Foi en courbant la tête comme les autres. Cette longue distance que nous venions de parcourir, cette étendue océanique que nous venions de franchir à travers des brumes et des vagues mugissantes, n'était-elle pas l'image de notre vanité et la déformation de notre esprit ? La réalité vivante n'était-elle pas, dans cette petite église médiévale, parmi les humbles et les simples, comme ceux de la Galilée des premiers jours ? Le jour de Sa Naissance, le temps pour les hommes se compte par année : chaque année, ils doivent espérer. Le jour de Sa Naissance est un jour d'espérance. Parmi les hommes il y a de la joie, de l'allégresse. On aimerait que la joie et l'allégresse surgissent d'une certitude, d'une Foi, d'une conviction. Quand on suit la gamme des réveillons, depuis le boudin populaire arrosé de gros rouge jusqu'à la dinde rôtie et le rond de foie gras truffé noyé de champagne, on a l'impression qu'un choix a été fait pour satisfaire le ventre. On a choisi une circonstance favorable, une occasion permise, une place à prendre obligatoirement dans la galerie du monde. Il s'agit d'être vus et de voir. Dans le plain chant de la Messe de minuit, il en est beaucoup qui pensent au réveillon qui va suivre. 31:10 Si j'ai parfois abordé cette forme de réjouissance : s'il m'est arrivé de réveillonner plusieurs fois, la gueule de bois du lendemain avait des relents d'âme insatisfaite, de hontes secrètes, d'amertumes de cœur. Il me semblait qu'en engloutissant à table plus que notre part, nous avions dévoré celle d'un plus pauvre que nous. Si le réveillon n'est pas chrétien, il ne peut être que vulgaire, malgré les satisfactions qu'il procure, malgré le luxe des tables et l'éclat des toilettes. Cette vulgarité est choquante. On me dira que l'Église, à travers les âges, ne s'est jamais montrée hostile aux fêtes ; qu'elle a créé, perpétué, renouvelé les réjouissances populaires ; qu'elle se souciait de détendre les instincts, de débrider les passions dans la joie collective. Il lui convint de conserver l'usage de certains vestiges du paganisme dont les hommes avaient besoin. Oui, mais c'était l'Église et c'est d'elle que venait l'initiative des jours de liesse qui demeuraient apparentés à la croyance et desquels Dieu n'était pas absent. J'AI APPRIS A CONNAÎTRE le monde moderne et je sais quels sont ses besoins, ses goûts et ses ambitions. Je sais aussi quelles sont ses peines, ses douleurs, ses craintes. Je sais surtout ce qui accable le monde du travail en marche vers l'automation et les métiers sans âme. Dans ce monde moderne, la joie et le plaisir s'industrialisent comme le travail, en des lieux qui ressemblent à des usines. Il faut rire, admirer, contempler, s'émouvoir et pleurer en masses dans des salles de spectacle et devant l'écran du cinéma. La joie et les plaisirs ont comme règle le snobisme et des casernes comme refuge. Évidemment, nous sommes au siècle de la radio, de la télévision et de la vitesse. Naturellement, ils sont 60.000 sur les gradins du stade qui acclament les 22 poussant le ballon vers le but. Bien sûr, il y a les jeux, les paris, les petits chevaux, les tripots, les bals, la coco, le strip-tease et le rock and roll. Et il y a aussi la presse, les romans noirs, les westerns, les fictions et les aventures. Le Réveillon est bien à sa place dans ce cortège ; il a son jour ; il en a même deux puisqu'il est permis de répéter le 31 décembre ce qui s'est passé le 24. Il est dans le snobisme du siècle. Ce siècle est celui du fléchissement de la civilisation occidentale. Alors mon retour aux Vérités Premières conduit vers ce qui s'affaiblit et non pas vers les nouveaux détenteurs de la force. Ceci dit le jour de Sa Naissance. Georges DUMOULIN. 32:10 ### NOTES CRITIQUES Le « Moïse » de Dom Jean de Monléon DOM JEAN DE MONLÉON vient de publier aux Éditions de la Source ([^1]) le second volume de son Histoire Sainte. Le premier parlait d'Abraham ; celui-ci raconte la vie de Moïse et l'histoire du peuple élu sous le commandement de ce plus grand des conducteurs de peuples. L'auteur suit fidèlement la tradition pour qui Moïse est un homme extraordinaire dans l'histoire de l'humanité. Élevé dans le palais du roi d'Égypte, au sein d'une civilisation brillante, il y est instruit du savoir des Égyptiens. A quarante ans, il s'enfuit au désert, par défiance de lui-même et de sa violence, par goût de la contemplation et dégoût du monde ; bien des années plus tard, alors qu'il était un vieillard, il reçoit de Dieu l'ordre de conduire Israël hors d'Égypte. Il était devenu « le plus doux d'entre les hommes » et le plus dénué d'ambition. Une telle vie suffirait à illustrer Moïse, mais Dieu lui donnait cette préparation ascétique et mystique pour en faire le canal de sa parole. Moïse a fixé pour toujours la loi naturelle de l'homme. L'auteur a enrichi le texte de la Bible de ce que rapportent les traditions juives anciennes, en particulier celles qu'on trouve dans Josèphe et dans Philon. Il a ajouté un commentaire spirituel qui est au fond celui de la liturgie de l'Église. Mais la liturgie est « de la théologie détendue », disait Péguy ; elle a vu dans l'histoire du peuple hébreux la *figure* de l'histoire du Christ et du peuple chrétien. Comment douter que ce soit là une vue normale de l'âme chrétienne, lorsque, plus de mille ans après le premier repas pascal, saint Jean-Baptiste s'écrie, voyant le Seigneur : « Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde » ? 33:10 Le salut du peuple élu s'était joué une fois, sur un plan ; il se rejouait à nouveau, complètement et de manière définitive, sur un autre plan, mais analogue ; nous le jouons à notre tour, membres du Christ, par une nouvelle analogie. L'analogie n'est-elle pas le mode de relation essentiel en un monde où joue la liberté divine et la liberté humaine ? C'est de ces profondeurs que la prière traditionnelle de l'Église loue, contemple et chante le nom trois fois saint de notre Père. DANS UNE EXCELLENTE PRÉFACE, l'auteur nous apprend que certains exégètes l'ont pris à partie. Il y eut toujours deux races parmi les historiens ; ceux qui ne recherchent, ne voient que les différences, de temps, de milieu, de race, et ceux qui savent que la nature humaine n'a pas changé. Il faut, bien entendu, pour que l'étude de l'histoire soit fructueuse, unir à la curiosité des premiers le sens humain des seconds. Les premiers, qui abondent depuis le XVIII^e^ siècle, sont des révolutionnaires ; nous en avons été abondamment pourvus ; mais maintenant, ils retardent. Ils veulent prouver qu'il n'y a rien de si bien qu'eux ; il leur faut prouver que l'humanité a fait des progrès constants et qu'ils sont « ce qu'on a fait de mieux dans le genre ». Dieu seul sait si une humanité mérite mieux qu'une autre, mais à nos yeux elles se distinguent par leur obéissance ou leur désobéissance à la loi morale de l'homme ; il y a de longues et profondes décadences, et rien ne s'oppose au contraire à ce qu'Abraham ou Moïse et des hommes beaucoup plus anciens aient eu une idée très pure et très juste de Dieu et de l'âme, tandis que nous voyons de nos jours une multitude d'intellectuels qui manient ces mots et beaucoup d'autres sans se douter de ce qu'ils contiennent d'expérience et de réalité. LES EXÉGÈTES d'il y a cent cinquante ans prétendaient que Moïse ne pouvait être l'auteur des livres qui lui sont attribués parce que l'écriture était inconnue de son temps. Les archéologues nous ont rassurés là-dessus. Les docteurs juifs qui sous les Rois ont réuni des écrits d'origine diverse ont eu un si grand respect pour les anciens documents qui leur demeuraient qu'ils se sont contentés de les juxtaposer plutôt que de les fondre, ce qui leur eût été très facile ; ces documents se répètent ou se développent sans se confondre. 34:10 Le scrupule des rassembleurs de ces vieux écrits est le signe d'un grand amour de la vérité et d'une grande vénération, sentiments qui nous obligent à leur faire confiance au sujet du rôle de Moïse et au sujet de ses écrits, qui forment le fond le plus ancien du Pentateuque. Le labeur des exégètes est utile mais il n'est pas de savoir reposant sur des bases plus fragiles et plus conjecturales que le leur. Il peut éclairer la tradition, il ne saurait la détruire. Prendre pour des preuves scientifiques ce qui demeure conjectural est dangereux. Avec des conjectures, on peut prouver que Napoléon et ses douze maréchaux sont un mythe solaire. D'autre part, n'est-ce pas aussi faire œuvre historique que de rappeler l'histoire et l'unité de la tradition à travers les siècles ? D. M. « A l'heure où tant d'esprits doutent, c'est une grande source de paix intérieure que de pouvoir s'en remettre filialement à l'enseignement de l'Église. » Marcel CLÉMENT, *Itinéraires,* n° 1. 35:10 ### L'attente avec Marie LES PLUS GRANDS ENNEMIS de la foi chrétienne vivent de la foi par nécessité. C'est par un acte de foi que chacun de nous sait que son père est son père et que sa mère est sa mère, que le pôle antarctique est une grande montagne et le pôle nord un trou. Messieurs B. et K. eux-mêmes ne savent tout cela que par un acte de foi envers des témoins. Seulement, dans la religion chrétienne, l'acte de foi vise des faits surnaturels, et bien que le mystère nous entoure et se manifeste à chaque instant, notre orgueil fait que nous essayons de l'expliquer naturellement ; et malgré les milliers d'années passées à cette explication, elle n'est en fait pas plus avancée qu'au premier jour. Substituer, comme le font les mathématiques, une analogie quantitative à la nature, ne fait pas faire un pas à la question. Cependant, les témoins des faits surnaturels se sont fait tuer plutôt que de nier leur expérience : « Ce qui était au commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, et ce 36:10 que nos mains ont touché, du Verbe de vie -- car la vie a été manifestée, et nous l'avons vue, et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était dans le sein du Père et qui nous a été manifestée -- ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous, et que notre communion soit avec le Père et avec son fils Jésus-Christ. Et nous vous écrivons ces choses, afin que votre joie soit complète. » (1 Jean, I, 1-4.) Tel est le témoignage des apôtres. La grâce de Dieu donne des témoignages directs et parfois extraordinaires et personnels, parfois discrets et pourtant évidents aux esprits attentifs. Mais nous sommes si étourdis ! En ce temps de l'Avent nous attendons une fête ; est-ce suffisant ? Nous sommes tous des mourants, le petit enfant comme le vieillard ; nous devrions attendre notre juge et faire en sorte que sa venue soit une fête ; nous vivons dans une incroyable miséricorde de Dieu ; mais un jour il nous manifestera sa justice : voilà ce que nous attendons. A qui demander le modèle de cette attente sinon à la Très Sainte Vierge ? MARIE a passé le temps de l'Avent elle aussi, et de deux manières : d'abord avant l'Incarnation, comme tous les juifs pieux qui attendaient le Messie. Suivant la tradition, MARIE fut élevée au Temple de Jérusalem. Chaque jour, de la tribune des femmes, elle assistait aux sacrifices du matin et du soir ; la trompette sonnait neuf fois, l'armée des lévites entrait par la porte du Nord et onze prêtres, dans les jours ordinaires, procédaient au sacrifice ; puis le sacrificateur entrait seul dans le « Saint ». Il y faisait une aspersion de sang, un encensement, une courte prière. Il en ressortait pour ordonner aux prêtres présents de bénir l'assemblée ; un prêtre lisait quelques versets du décalogue et trois sections de l'Écriture. Telle était la vie journalière de MARIE. La Sainte Vierge était élevée par des pharisiens dans une stricte observance des préceptes divins et aussi de beaucoup de traditions qu'ils avaient inventées. Et comme les enfants s'entendent dire à longueur de journée : tiens-toi tranquille, ou tu vas tomber, tu vas te brûler, MARIE entendait : « Ne touchez point ceci ou cela, vous seriez impure » et aussi : « Ne la touchez pas, vous la rendriez impure. » Ô mystère des figures de l'Ancien Testament ! 37:10 Mais tout est pur aux purs et la moindre de ces observances accroissait en MARIE la qualité de son union à Dieu. Elle apprenait les « bénédictions » dont voici un exempte pour le coucher du soleil : « Je te bénis, Éternel mon Dieu et Dieu de mes pères de ce que tu m'as permis de voir le soleil au coucher comme au lever. » Les gens instruits arrivaient à en dire jusqu'à cent dans une journée. (*Myriam,* par G. Marnas). Ceci prouve que les Israélites avaient d'excellentes méthodes, trop peu comprises aujourd'hui, pour nourrir la vie spirituelle. On se moque de telles observances et on a grand tort ; la lettre tue ce que vivifie l'esprit ; les pharisiens cachaient le Décalogue même sous des règles par eux inventées. Mais la vie spirituelle consiste à garder la présence de Dieu ; quoi de plus simple pour ce faire que ces bénédictions répétées ? Il est seulement inutile qu'il y ait cent bénédictions différentes qu'il faille savoir par cœur, inutile qu'on ait de la mémoire et qu'on soit instruit. La moindre oraison jaculatoire suffit. Qu'il est facile de remercier Dieu à chaque salade qu'on tire de terre, à chaque coup de marteau qu'on donne, à chaque poignée de cerises qu'on détache d'un arbre, à chaque personne qu'on rencontre, et sans rien dire, même mentalement, de garder le sentiment de la bienfaisance de Dieu ! C'est surtout très simple. Pour que ce soit facile, il suffit de le demander ; la seule condition est la prière : « Demandez et vous recevrez. » Mais beaucoup d'hommes aujourd'hui, hélas, croient devoir tout à eux-mêmes et sont incapables de remercier Dieu. Beaucoup de chrétiens sont détournés de ces méthodes essentielles, populaires et universelles par leurs « intellectuels ». 38:10 LA SAINTE VIERGE, au temple, s'initiait donc au culte hébraïque, et comme on a pu le remarquer en lisant la page précédente, le nôtre y ressemble fort ; elle apprenait en outre à connaître l'Écriture Sainte. MARIE en était certainement très instruite. Dans le cantique du *Magnificat* il n'y a pas moins de seize citations ou allusions à des passages des livres saints Ce n'est pas certes une œuvre apprêtée, ni un centon, mais le résultat des méditations de la Sainte Vierge entre l'Annonciation et sa visite à Élisabeth, où sa joie explose en paroles éternelles ; et comme l'Ancien Testament est la figure du Nouveau, dans lequel s'accomplissent les promesses de l'Ancien, le *Magnificat* est nourri des promesses et les applique à Jésus. Les Juifs attendaient le Messie ; on se demandait, en ce temps, si les soixante-dix semaines d'années de la prédiction de Daniel n'étaient pas accomplies. On agrandissait et embellissait le temple (la Sainte Vierge y vécut au milieu des plâtras) ce second temple dont le prophète avait dit que sa gloire dépasserait celle du premier. Les Juifs se faisaient une idée fausse de cette gloire, ils la voyaient semblable à celle de Salomon, comme une gloire charnelle, temporelle et matérielle, unie à l'observation de l'ancienne Loi ; mais il y avait pourtant dans tout le peuple une immense espérance très religieuse, comme en témoigne la foule de ceux qui allèrent trouver saint Jean-Baptiste au désert, et parmi laquelle se rencontrèrent les premiers apôtres. MARIE, tout en ignorant à quel point elle était privilégiée, avant même que le Saint-Esprit devint son Époux, était le plus parfait habitacle des Dons qui pût jamais paraître. C'est avec le Saint-Esprit qu'elle lisait l'Écriture ; elle lisait dans Jérémie (XXIII, 15) : « En ces jours-là, je susciterai à David un germe juste qui exercera le droit et la justice sur la terre. » Et dans Isaïe (IV, 2) : « En ce jour-là, le germe de Yaweh fera l'ornement et la gloire ; et le fruit de la terre fera l'orgueil et la parure des réchappés d'Israël. » « Il arrivera à la fin des jours que la Montagne de la maison d'Yaweh sera établie au sommet des montagnes... et vers elle toutes les nations afflueront... » (II, 2, 3) « Voici que la Vierge a conçu et qu'elle enfante un Fils. » (VII, 14) 39:10 « Comme le premier temps a couvert d'opprobre le pays de Zabulon, le pays de Nephtali, le dernier temps remplira de gloire le chemin, de la mer... la Galilée des nations... Car un enfant nous est né, un Fils nous est donné... l'empire a été posé sur ses épaules et on lui donne pour nom, Conseiller admirable, Dieu fort, Père éternel, Prince de la paix. » (VIII à IX) « C'est peu que tu sois mon serviteur pour rétablir les tribus de Jacob et pour ramener les préservés d'Israël ; je t'établirai lumière des nations, pour que mon salut arrive jusqu'aux extrémités de la terre. » (XLIX, 6) Mais elle lisait aussi ce qui concerne le Serviteur de Dieu : « J'ai livré mon dos à ceux qui le frappaient et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe ; je n'ai pas dérobé mon visage aux outrages et aux crachats. » (L, 6) « ...Il était méprisé et abandonné des hommes... comme un objet devant lequel on se voile la face... » (LIII, 3) Elle méditait le psaume 21 : « Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mes os. » et dans le psaume 39 : « Vous ne désirez ni sacrifice, ni oblation, mais vous m'avez formé un corps. Vous ne demandez ni holocauste ni sacrifice pour le péché ; alors j'ai dit : me voici. En tête du Livre il est écrit de moi que je ferai votre volonté. Ô mon Dieu, je le veux, votre loi est au milieu de mon cœur. » MARIE voyait bien que tous les hommes saints et les prophètes avaient souffert ; docile au Saint-Esprit, devant ce mystère, elle comprenait que l'amour de Dieu demanderait à son Serviteur de satisfaire à la Justice divine. Elle priait donc dans l'espérance de la venue prochaine du Messie, et sans qu'elle soupçonnât quel serait son rôle, sa prière, plus puissante que celle de tous les anciens hommes réunis, allait compléter l'œuvre du salut. Les prières de MARIE étaient le poids attendu de Dieu pour manifester sa miséricorde. 40:10 MARIE AVAIT VOULU être toute à Dieu et lui avait voué sa virginité. Elle n'espérait donc pas, comme beaucoup de femmes en Israël l'on en secret désiré, être la mère du Messie. Toute pure et toute belle, elle s'estimait la dernière des dernières. Sa charité lui faisait excuser les fautes qu'elle constatait chez les autres, elle songeait à Adam et Ève, et sans connaître encore le privilège dont elle jouissait et le prix qu'il coûtait au Fils qu'elle devait mettre au monde, elle estimait simplement que Dieu épargnait sa faiblesse. Or si MARIE était aussi humble, c'est qu'elle était dans la *vérité.* Comme dit l'auteur du *Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge,* « MARIE, n'étant qu'une pure créature, sortie des mains du Très-Haut, comparée à sa Majesté infinie, est moindre qu'un atome, ou plutôt n'est rien du tout, puisqu'Il est seul *Celui qui Est.* » C'est précisément l'humilité parfaite de la Sainte Vierge, sa parfaite conscience du néant des créatures qui était la condition pour devenir mère du Sauveur. Et le vœu de virginité, fait par MARIE, si contraire aux conditions naturelles de la maternité et qui dans sa pensée, excluait qu'elle devint mère du Messie, parachevait cette humilité sainte. MAIS LA SAINTE VIERGE fut mariée sans qu'on lui demandât son avis, non plus qu'à saint Joseph. Il fallut l'amour très grand et très pur de cet homme extraordinaire pour compléter l'œuvre de la Providence. Car, quels qu'aient pu être les vœux prononcés par la jeune femme avant le mariage, le jeune époux avait le droit de l'en délier au moment où l'épouse franchissait le seuil de la maison de son mari (Nombres, XXX, 7, 9). MARIE avait certainement averti Joseph de son vœu un an auparavant, lors des fiançailles. Au jour du mariage, Joseph dans ses habits de fête attendait MARIE à la porte de sa maison ; MARIE franchit le seuil et Joseph n'usa pas de son droit ; il ne dit rien et MARIE restait tenue par son vœu. 41:10 En devenant Mère du Verbe incarné, MARIE, devenue l'épouse du Saint-Esprit, est maintenant siège de la Sagesse, maison de Dieu, porte du Ciel ; les biens de son Fils sont les siens et ce qui est dit de la Sagesse éternelle par l'Écriture appartient de droit au siège de la Sagesse. L'attente de MARIE, après l'Annonciation est celle de la Nativité comme c'est la nôtre en ce saint temps de l'Avent. Mais quel mystère ! Dieu se formait dans le sein de MARIE une chair et des sens pour souffrir, des yeux pour voir et pleurer, des mains et des pieds pour être percés, des os pour qu'on les compte, un cœur pour aimer les hommes qui le devaient transpercer. Ce Verbe ne peut parler ; il s'est réduit à l'impuissance ; il ne peut se mouvoir ; il se forme des yeux qui ne voient point, des membres qui n'ont point d'usage. L'âme du Fils jouissait dès le premier instant de sa création de la béatitude et de la gloire ; dès ce moment, pour la plus grande gloire du Père, elle l'adorait d'une adoration parfaite, dans la plénitude de ses facultés d'homme et cependant, elle demandait à MARIE le sang et la chair dont elle avait besoin pour vivre, souffrir et mourir. MARIE sentait en elle ce travail de Dieu, et premier apôtre, poussée par ce germe en elle, portait Jésus visiter ses prédestinés ; et Jésus faisait tressaillir saint Jean avant sa naissance et prophétiser Élisabeth. Tel fut le premier voyage de Jésus à travers la Judée ; MARIE n'a jamais cessé depuis lors d'accomplir cette tâche ; elle continue la Visitation dans la chrétienté, et comme elle demanda à Jésus son premier miracle, elle lui fit porter la bonne nouvelle pour la première fois dans la terre de Judée. Comme toutes les jeunes mères, la Sainte Vierge était émue du mystère qui s'accomplissait en elle, car c'est toujours un mystère, mais cet enfant était « le Fils du Très-Haut... et son règne n'aurait point de fin. » Et au lieu qu'une jeune mère se dit : sera-ce un fils ou une fille ? à qui ressemblera-t-il ? à son père, à mon père ou à moi ? Que sera-t-il ? La Sainte Vierge pouvait converser tendrement avec un être parfait dans l'obscurité des développements animaux que MARIE sentait s'élaborer en elle. PASSONS DONC NOTRE TEMPS avec Jésus, comme MARIE ; dans l'espérance du ciel avec la mère de la Sainte-Espérance. « Vous avez été rachetés d'un grand prix. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps », dit saint Paul (I Cor. VI, 20) 42:10 Nous avons Dieu en nous par la grâce, par le Saint-Esprit ; chaque messe est une Nativité en même temps que le renouvellement du sacrifice de la Croix ; nous recevons Jésus et le portons, dans notre corps quelque temps, comme MARIE. Le Saint-Esprit nous demeure comme en MARIE. Songeons-y souvent, tout le temps, avec une grande humilité. Car MARIE était pure et nous sommes loin de l'être et c'est elle qui était humble et nous qui ne le sommes pas, même quand nous croyons l'être, tant notre misère est incomparablement plus grande que notre capacité de l'entrevoir. Que Dieu donc nous accorde quelque trace de l'humilité de MARIE et de son amour. D. MINIMUS. 43:10 ## ENQUÊTES *La première des enquêtes* d'Itinéraires*, concernant le nationalisme, s'achève.* *La seconde, sur la* corporation*, ouverte depuis juin* 1956*, est en cours : la publication des réponses commencera dans notre prochain numéro.* *La troisième, sur la démocratie moderne, est en préparation.* *Les deux premières ont été confiées à Marcel Clément, directeur du Centre Français de Sociologie. Dans les pages qui suivent, il tire les conclusions générales et particulières de l'enquête sur le nationalisme, qui s'est déroulée de mai à décembre* 1956*. Cette enquête et ses conclusions sont recueillies en volume. Ceux de nos lecteurs qui désirent se le procurer sont priés de ne pas s'adresser à la revue, mais aux Nouvelles Éditions Latines,* 1*, rue Palatine, Paris VI^e^.* 44:10 ### Enquête sur le nationalisme *Conclusions\ par Marcel Clément* INTRODUCTION. -- *Les lignes de fracture du monde moderne : droite nationaliste et gauche socialiste.* I. -- LES OBJECTIONS EN FAVEUR DU NATIONALISME : 1. -- La question n'est pas de circonstance. 2. -- Pie XII n'a pas condamné le « nationalisme » en soi. 3. -- L'empirisme organisateur préserve le nationalisme intégral de l'absolutisme. 4. -- Le « compromis nationaliste » est légitime. II. -- MAIS LA CONTRE, Charles Maurras estimait en 1912 que « c'est, quand on y songe, une extrémité odieuse et abominable qu'il ait fallu susciter un état d'esprit nationaliste pour permettre la défense de la nation ». PREMIÈRE PARTIE** **: LES EXIGENCES CHRÉTIENNES DE LA POLITIQUE NATURELLE. 1. -- Définition de la société. 2. -- La dignité humaine. 3. -- Famille, État, propriété privée. 4. -- Institutions naturelles et groupements historiques. 5. -- La nation. 6. -- La classe sociale. 7. -- De la justice sociale. 8. -- L'apostasie politique... 9. --... et sa conséquence. 10. -- Le fondement du Droit. CONCLUSION : « Dieu premier servi ». 45:10 DEUXIÈME PARTIE : LA QUESTION DU NATIONALISME (Réponse aux objections). Ad primam : *La Vérité libère.* a\) la lettre de Charles Maurras ; b\) la crainte d'Henri Rambaud ; c\) l'argument d'opportunité de Pierre Boutang. Ad secundam : *L*'*essence du nationalisme est condamnée.* a\) la définition de Charles Maurras ; b\) la définition de Pie XII ; c\) l'intégrité du vocabulaire ; d\) un nationalisme « intégral » est impossible ; e\) J. Ploncard d'Assac, Marie-Madeleine Martin, André du Val ; f\) l'essence du nationalisme est condamnée ; g\) quant à l'usage du mot... h\) Fabricius Dupont et Maurice Bardèche. Ad tertiam : *Le Bien commun sans Dieu dégénère en absolutisme.* a\) André Frossard et le nationalisme jacobin ; b\) la réponse de Michel Vivier ; c\) la réponse d'Henri Rambaud ; d\) Charles Maurras et le Bien commun. Ad quartam : « *La réforme des institutions n*'*est pas aussi urgente que celle des mœurs* »*.* \*\*\* LA FAMILLE HUMAINE, créée dans l'amour et pour la gloire de Dieu, n'en est pas moins, depuis la faute originelle, livrée par ses infidélités, à des forces de désagrégation. Depuis deux mille ans néanmoins, le message de salut atteint chaque génération et, pour chacune d'elle, les possibilités sont offertes, non seulement de l'application des mérites de la Rédemption aux âmes, mais de la restauration, dans le Christ Jésus, des sociétés et de la famille des nations. #### Les lignes de fracture du monde moderne : Droite nationaliste et Gauche socialiste Le combat, depuis deux mille ans, n'a pas cessé. Il a eu ses temps forts et ses temps faibles. Notre époque donne la manifestation d'une offensive générale des légions de l'Ennemi invisible de l'humanité. 46:10 Ouvertes, les portes de l'enfer s'efforcent de séduire les élus eux-mêmes. D'effrayants tourbillons d'orgueilleuses erreurs, de subtiles déviations, des passions affolées, sollicitent les esprits et affaiblissent les cœurs. Pour servir le projet de l'œuvre de destruction, deux lignes de rupture, depuis cent cinquante ans, ont été dessinées, approfondies, à travers le relief des royaumes où s'exerce la liberté de l'homme : la discorde des nations et la lutte des classes. Ces divisions sont douloureuses. Elles aggravent, en outre, la menace des périls présents. Le monde, aujourd'hui, est scindé en deux. Du côté des démocraties populaires, l'unité est appuyée sur la peur et l'esclavage. De l'autre côté, l'unité est sans fondement positif. Certaines des nations associées ne comprennent pas que les échecs politiques et économiques des unes ne peuvent, à la longue, constituer en aucune partie du monde, un gain pour les autres. Nous ne pouvons donc pas travailler seulement à empêcher l'œuvre de ceux qui, séduits par le socialisme, cherchent à anéantir dans les esprits les normes imprescriptibles du droit naturel. Il nous faut aussi, pour fonder l'unité de ceux qui respectent encore ces normes quoique affaiblies, travailler à faire reculer, en Europe comme en Afrique, et même par-delà l'Atlantique, la « politique nationaliste », la conception de « l'État nationaliste ». Il faut travailler à faire progresser l'étude de l'Europe, communauté chrétienne. Notre sécurité l'exige. La vocation de la France lui suggère d'en prendre l'initiative. La sagesse du Père commun nous y convoque. Ceux qui, pendant un demi-siècle, ont identifié le plus noble, le plus généreux combat pour la patrie avec les enseignements du nationalisme français ne se trouvent-ils pas, de ce fait, en face des nationalismes, comme en face d'une difficulté immédiate ? Entendent-ils lutter, comme nous entendons le faire nous-même, contre la « politique nationaliste » qui est devenue un instrument de la politique soviétique ? Sont-ils prêts à travailler, pendant les années qui viennent, à faire que la France catholique prenne l'initiative de donner un solide fondement juridique à une Europe chrétienne ? Ne sont-ils pas prêts à soumettre, dans ces conditions, le concept même de « nationalisme » et ses fondements philosophiques à une révision opportune ? 47:10 Tels sont les motifs profonds de cette enquête sur le nationalisme. C'est dans cette lumière que nous tenterons successivement deux études, l'une sur les exigences chrétiennes de la politique naturelle, l'autre sur la question du nationalisme et les objections soulevées à son propos. #### Les objections en faveur du nationalisme. Dans l'article qui a servi de base à cette enquête, nous avions principalement avancé les points suivants : **1 --** Devant la douloureuse crise intérieure qui s'aggrave actuellement en France, crise qui aboutit à mettre en accusation toutes les formes de piété nationale, il semble opportun de soumettre à révision la notion même de nationalisme, qu'il nous est difficile, comme chrétiens, d'affirmer mauvaise chez les autres, et bonne chez nous. **2 --** Le point fondamental qui nous interdit d'être nationaliste, c'est la nécessité de ne pas considérer l'État politique comme le mandataire de la nation, ou, ce qui revient au même, de ne pas faire de la nation la base d'une politique absolutiste, intérieure ou extérieure. **3 --** Or, c'est là nécessairement l'une des erreurs où l'on tombe dès que l'on cesse d'affirmer en doctrine que l'État comme tel est, par nature, soumis à Dieu et à sa loi. **4 --** Les circonstances actuelles nous conduisent, comme chrétiens et quelles que soient, par ailleurs, nos options républicaines ou monarchistes, à réaffirmer en doctrine la souveraineté de Dieu sur la société, comme position commune de base, et aussi les exigences morales, -- en morale chrétienne -- de la vertu de patriotisme. CES QUATRE POINTS ont donné lieu à des objections que nous ne résumons ici que pour faciliter une discussion méthodique, mais sans aucunement prétendre substituer cette formulation à celle que leurs auteurs ont choisie, à laquelle nous renvoyons, et à laquelle nous nous efforcerons de répondre dans la seconde partie de notre propos. Voici les objections : 1^re^ *objection. --* Tout ce qui peut affaiblir, dans les circonstances actuelles, les volontés tendues vers le bien commun est mauvais. 48:10 Or une critique du nationalisme, actuellement, fait le jeu de ceux qui sapent le patriotisme dans les intelligences. Donc, une critique du nationalisme est actuellement inopportune, pour ne pas dire plus. 2^e^ *objection. --* L'invitation à renoncer au « nationalisme » est fondée sur les récents messages du Pape Pie XII. Or, le Chef de l'Église a condamné le « nationalisme avide de puissance » (Noël 1954), et aussi le « nationalisme aveugle », le « faux nationalisme » (Noël 1955), mais en aucun cas, il n'a condamné le nationalisme en soi. Donc, c'est la démesure qui est condamnable, et non l'essence du nationalisme. 3^e^ *objection. --* La « politique nationaliste » et l' « État nationaliste » sont mauvais dans la mesure où ils expriment un absolutisme, intérieur ou extérieur. Or, le nationalisme intégral est fondé sur un empirisme organisateur qui, d'une part, reconnaît et formule les humbles lois du réel, d'autre part, prescrit une politique naturelle. Donc, le caractère intégral de ce nationalisme, s'il conduit à la monarchie, ne conduit pas à l'absolutisme d'État. 4^e^ *objection*. -- On fait grief à Charles Maurras de ne pas affirmer l'origine divine de l'autorité. Or, pour rassembler les Français au service de leur patrie temporelle, il est nécessaire que cette patrie et son gouvernement ne soient point l'objet d'une dispute métaphysique. Donc le « compromis nationaliste » est une nécessité pour fonder l'unité entre les Français, croyants et incroyants. Il semble donc, à méditer certains documents de réponse à l'enquête, que la réflexion critique au sujet du nationalisme est inopportune, que le nationalisme est bon en soi et que le nationalisme intégral ne souffre en rien du fait que Charles Maurras n'ait pas cru, pendant la majeure partie de sa vie, que le Christ Jésus était le Fils de Dieu. \*\*\* *MAIS, LÀ CONTRE, Charles Maurras, lui, estimait, en 1912, que* « *c'est, quand on y songe, une extrémité odieuse et abominable qu'il ait fallu susciter un état d'esprit nationaliste pour permettre la défense de la nation *». 49:10 ### *Première partie *Les exigences chrétiennes de la politique naturelle Il y a une démarche naturelle de l'intelligence. Les philosophes de la Grèce ancienne la découvrirent en tâtonnant. Transmettant à chaque génération nouvelle l'héritage d'une sagesse accrue, ils constituèrent comme l'échafaudage d'une pensée vivante avec l'appui duquel s'éleva l'édifice de la philosophie d'Aristote. Elle n'était pas exempte d'erreurs accidentelles, graves parfois. Elle n'en a pas moins apporté aux hommes la saine méthode intellectuelle, la méthode naturelle, celle qui dérive de la structure intime de la droite raison. Thomas d'Aquin élaguera, purifiera la philosophie du Grec en la confrontant aux lumières vives de la Révélation. Il l'élèvera, l'assumera dans la science sacrée, et la définira comme sa servante : *ancilla theologiae.* Aujourd'hui, comme au temps du Stagirite, l'avenir de l'intelligence, providentiellement, dépend de la fidélité à la méthode requise par la constitution même de l'esprit humain. Une logique fautive conduit à des conclusions erronées. La confusion des esprits dans les sociétés du vingtième siècle s'explique, au niveau de la vie intellectuelle, par une crise de la logique. Ouverte par la Réforme, systématisée par Descartes, aggravée par Kant et par Comte, portée à son degré suprême par l'intrinsèque perversité de la dialectique marxiste, cette détérioration intime de la pensée a successivement atteint les trois opérations de l'esprit. Elle a entraîné la corruption du vocabulaire, l'inconsidération du jugement, la falsification du raisonnement. Cette crise de l'intelligence a porté ses fruits d'erreurs en tous domaines. Elle a affecté, avec une particulière violence le domaine des sciences politiques, économiques et sociales. Nulle part peut-être, on n'a vu naître autant de concepts sans contenu objectif. Nulle part on n'a vu porter tant de jugements imprudents. Nulle part surtout, on n'a utilisé le raisonnement avec aussi peu de précaution. C'est là, sans doute, ce qui explique que, depuis cinquante ans surtout, l'Église, puisant dans les vérités naturelles et dans les vérités révélées dont elle a le double dépôt, ait dû entreprendre, à travers l'enseignement de la doctrine sociale seule conforme au Droit naturel et à l'Évangile, de reformer l'intelligence des chrétiens eux-mêmes. 50:10 Une telle restauration de la démarche naturelle de la raison éclairée et élevée par la grâce était d'autant plus urgente que le succès croissant de la domination technique de l'homme sur le monde extérieur lui inspire d'aborder la vie sociale comme il aborde l'univers physique : un technicien qui, comme dans un laboratoire, formule les lois de la nature dans l'espoir ensuite de les utiliser, et ainsi d'obtenir à volonté le résultat qu'il poursuit. OR, LA SOCIÉTÉ N'EST PAS D'ABORD SOUMISE À DES LOIS PHYSIQUES, mais à des lois morales ([^2]). C'est en accord avec la loi morale voulue de Dieu que s'ordonnent la société familiale, la société politique, l'économie sociale. C'est en accord avec la loi morale que doivent être réglés un juste esprit de nationalité et un raisonnable esprit de classe. C'est en accord avec la loi morale, qui trouve en Dieu son fondement, que doivent s'édifier, dans la communauté que constitue la famille des nations, un organisme juridique qui mérite pleinement le nom de Société des États. C'est, à l'inverse, dans la mesure où les hommes s'écartent, dans leurs actes humains sociaux comme dans leurs institutions publiques et privées, des normes imprescriptibles du droit naturel, que l'on assiste aux déchirements ou même, comme c'est le cas aujourd'hui, à la décomposition de l'organisme social. C'est donc à la pleine réalité de la Politique, comme discipline formellement pratique, que nous devons revenir. C'est seulement en nous situant de nouveau dans la totalité du plan de Dieu, principe et fin de toutes choses, que nous pourrons tenter d'éviter les erreurs auxquelles conduit trop souvent l'esprit d'analyse, mis en œuvre unilatéralement. Il y a des desseins de Dieu, non seulement sur chaque personne, mais sur la vie des États. Il n'y a pas de questions temporelles plus graves, actuellement, que la Paix sociale et la Paix internationale. Et le Christ Jésus seul est le Prince, -- le Principe de la Paix. « *Sans moi,* nous dit-il, *vous ne pouvez rien faire.* » 51:10 #### 1. -- Définition de la société. Puisqu'il est conduit par sa raison, qui n'agit jamais sans but, l'homme a une fin, à laquelle sa vie et sa conduite tendent naturellement. A défaut d'une telle fin, il serait semblable à un bateau ivre, livré au vent, battu des flots, tôt ou tard promis aux récifs. Ainsi, toutes les actions des hommes sont faites en vue d'un bien, auquel ils tendent comme à une fin. Que ce bien soit vraiment tel ou qu'il n'en ait que l'apparence ne change rien à la structure essentielle de l'acte humain. Mais, dépourvu des moyens naturels que la nature a prodigués aux animaux, un homme seul, pourtant doué d'intelligence, serait impuissant à se procurer ce qui est nécessaire à la conservation de sa vie. A plus forte raison ne pourrait-il la développer. Il est donc par nature appelé à vivre avec d'autres hommes, pour que tous s'entraident mutuellement et s'appliquent, à l'aide des lumières naturelles, à coordonner leurs actions pour mieux obtenir le but commun. Ce qui le montre avec évidence, c'est que, là où les animaux ne communiquent que leurs passions, les hommes, par l'usage de la parole, sont aptes à communiquer leurs pensées, à unir leur volonté, à organiser leur vie sociale, ce que ne sauraient faire les autres animaux, pas même ceux qui sont poussés par un instinct précis à constituer des groupes qui présentent certains caractères de la société, comme les abeilles ou les fourmis. C'est donc dans la mesure précise où la société est constituée d'hommes capables, par nature, de se mouvoir eux-mêmes en vue de leur fin, qu'elle est vraiment une société unie par un principe interne, et non une masse, agitée de l'extérieur. C'est dans cette même mesure que l'on ne peut accorder à Auguste Comte que la sociologie soit issue de la biologie, et comme sa fille. La Sociologie et ses trois branches : la Domestique, la Politique, et l'Économique, sont filles de l'Éthique. C'est à l'Éthique qu'elles sont essentiellement subalternées, car l'étude des actions volontaires dans la société familiale, dans la société politique et dans l'économie sociale relève en droite ligne de la définition, formulée par la science morale, de l'acte humain. Cette affirmation de la nature essentiellement morale de la société, définie comme *union organique de membres posant des actes volontaires en vue d'un bien* n'exclut pas, pour autant, de retrouver dans l'organisme social un principe formel *analogue* à celui qui ordonne les membres à la fin, dans la matière vivante organisée. 52:10 Car il y a de la différence entre ce qui est particulier et ce qui est général. Le premier divise et le second unit. Le bien particulier de chaque organe est distinct de l'ordre entre tous les organes, dont le fruit est dans la santé. De même, le bien particulier de chacun, dans toute société, est distinct de l'ordre entre tous les membres du corps social, dont le fruit est le bien commun. Outre les directions qui tendent aux biens particuliers, il faut donc une direction qui tende au bien de tous. C'est pourquoi en tout ce qui doit produire l'unité de l'ordre, une chose est toujours réglée par un autre. Ainsi, dans l'homme, l'intelligence et la volonté sont appelées, par nature, à rectifier les appétits et à commander le corps. Ce que l'on constate, puisque parmi tous les membres du corps, il y en a un qui est le principal et qui fait mouvoir tous les autres, selon les rapports, le cœur et la tête. De même, dans la société, les membres divers ne peuvent ordonner leurs actions dans une harmonieuse coopération qu'à la condition que l'un d'entre eux ait la charge de les gouverner. Il lui appartient de ramener en permanence les membres du corps social vers les exigences du but commun, sans nier ou entraver pour cela la poursuite des fins particulières légitimes, dont la protection elle-même est d'ailleurs contenue dans le bien commun. De ce qui précède, il résulte qu'en nous soumettant à la saine doctrine de la causalité, nous pouvons définir la société comme *l'union ordonnée par une autorité* (cause formelle) *de membres* (cause matérielle) *posant les actes volontaires* (cause efficiente) *en vue d'un bien* (cause finale). #### 2. -- La dignité humaine. Nous avons admis, tout en restant dans la ligne de la philosophie naturelle qui remonte de l'effet à la cause, de la création au Créateur, que la société est constituée de membres capables de poursuivre des fins parce que doués de raison et de libre arbitre. Telle nous apparaît leur nature, leur constitution intime. Est naturel, par rapport à une chose, en effet, ce qui dérive de cette chose comme de son principe. Mais cette raison, ce libre arbitre que l'observation générale constate chez l'homme, et par quoi il est spécifiquement différent des autres vivants organisés, sont-ils de simples variantes biologiques ? 53:10 Devons-nous enregistrer que l'homme est capable de disposer de soi en vue d'une fin comme nous enregistrons que l'animal est mû par son instinct ? Y a-t-il entre les deux natures, une simple différence de FAIT ? Ou bien y a-t-il entre elles une différence de DROIT ? Et la nature de l'homme inclut-elle une certaine dignité, exige-t-elle d'être respectée dans son intégrité, -- ce que la nature de l'animal ne requiert pas ? La nature raisonnable de l'homme fait-elle de lui le *sujet* de ses actes, ou peut-elle être considérée comme une simple étape de l'évolution biologique, et l'homme, même doué de raison, peut-il, comme l'animal mi-même, être traité par ses semblables comme un simple *objet* dont on peut disposer à sa guise. Autre, en effet, est la fin d'une société d'hommes libres, autre celle d'une société d'esclaves. L'homme libre est celui qui s'appartient. L'esclave, celui qui appartient à un autre. Immédiatement, la raison humaine, par l'évidence intérieure de son essence, affirme que sa nature est d'opérer selon une norme de justice, c'est-à-dire respectant comme *droit* l'exercice naturel de son activité. Sous ce rapport le droit naturel apparaît comme un indémontrable. Il rappelle, dans l'ordre de la connaissance pratique, ce que sont les principes premiers dans l'ordre spéculatif ([^3]). Mais cette position n'est pas définitive, -- même en philosophie naturelle. Car nous savons que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu, et par conséquent aussi, démontré d'une manière certaine par la lumière naturelle de la raison, au moyen des ouvrages visibles de la création, comme la cause par l'effet. Dès lors, la nature et l'ordre qu'elle manifeste ne sont plus seulement découverts et reconnus empiriquement : ils sont connus par leur Cause. La rationalité de l'homme et sa volonté libre n'apparaissent pas seulement comme des faits de nature, respectable dans la seule mesure où la nature elle-même semble digne de respect. Elles apparaissent comme des vouloirs de Dieu, comme un ordre qui reflète une Justice transcendante, non pas abstraite et présente seulement dans la représentation des hommes, mais personnelle, mais vivante. « *La science de juste et de l'injuste suppose donc une sagesse plus élevée, qui consiste à connaître l'ordre du créé* et *conséquemment son Ordonnateur.* 54:10 LE DROIT, ainsi que l'enseigne saint Thomas, est OBJECTUM JUSTICIAE (S. Th. IIa IIae Qu. LVII) ; c'est la norme dans laquelle se concrétise et se réalise la grande et féconde idée de la justice, et comme tel, S'IL CONDUIT A DIEU, éternelle et immuable justice dans son essence, IL REÇOIT DE DIEU lumière et clarté, vigueur et force, sens et contenu ([^4]) » Il n'est donc pleinement possible de fonder, en raison, la dignité humaine, c'est-à-dire le droit de la personne d'être reconnue comme ayant une fin propre qu'elle doit poursuivre conformément à sa nature raisonnable et douée de libre arbitre, qu'à la condition de fonder ce droit sur la connexion ontologique par laquelle il est lié à sa cause transcendante. #### 3. -- Famille, État, propriété privée. La dignité humaine est le fil d'Ariane, qu'il suffit de ne point lâcher pour acquérir, de la vie sociale, une connaissance certaine par les causes. Le maintien des conditions de cette dignité apparaît comme l'inclination même de l'ordre politique naturel. De toutes les sociétés, la plus naturelle est celle qui naît du mariage. Son but n'est pas laissé au libre choix des hommes, mais imposé par la structure interne de la vie sociale : la transmission, l'entretien et l'éducation de nouvelles vies par des époux appelés, ce faisant, à se compléter dans la plénitude de l'entraide domestique. Ses membres sont spontanément désignés par la nature qui a ordonné que, comme dans l'organisme corporel le cœur et la tête s'harmonisent, ainsi s'harmonise dans l'organisme conjugal, la nature féminine et la nature masculine. Le plan même de la vie familiale transparaît, avant toute délibération humaine, tant il est évident que la pluralité des maris va contre la fin primaire du mariage, et que la pluralité des épouses empêche cette unité dans l'aide mutuelle qui en constitue la fin secondaire. Dans la société qui naît du mariage, une seule liberté est donnée aux époux : celle de décider s'ils veulent fonder un nouveau foyer, et avec quelle personne, pour une durée que Dieu lui-même, au matin de la Création, a fixée à la vie entière comme l'atteste l'Évangile. L'aptitude de la famille à éveiller l'exercice de la dignité chez l'enfant et à en épanouir le plein développement chez les parents n'est pas à souligner ici. Mais ce qui doit être noté, c'est que de l'accomplissement, par les époux, de leur devoir de parents naît une dette, dont ils sont les créanciers. 55:10 Non que l'enfant puisse espérer jamais leur rendre, en justice, ce qu'il a reçu d'eux, non pas même qu'il doive y tendre. Mais il n'en reste pas moins qu'il doit pratiquer à leur égard cette justice imparfaite que nous désignons sous le nom de piété filiale. Justice impuissante, qui rappelle en quelque façon notre impuissance en face des dons de Dieu, mais qui ne nous dispense pas des devoirs que, dans cette ligne, nous avons à pratiquer. Une famille isolée ne saurait se suffire à elle-même. Elle ne pourrait se donner ni la prospérité matérielle suffisante, ni le développement culturel. Elle ne pourrait pas même marier ses enfants. Il est donc nécessaire qu'une multitude de familles s'unissent, de façon organique, et œuvrent ensemble à établir entre elles un ordre juste à la faveur duquel chacune puisse aisément trouver son bien propre. De même, en effet, que dans le corps humain, chaque organe est ordonné au bien commun de l'organisme total, -- et non à son seul bien particulier, de même en va-t-il des familles dans la société civile. Le but de la société civile, ou politique est donc *la réalisation permanente des conditions extérieures qui protègent les droits et facilitent l'accomplissement des devoirs de tous les membres qui la constituent*. C'est l'ensemble de ces conditions que nous appelons LE BIEN COMMUN. Ayant pour fin le bien commun, pour membres la multitude des familles, la société politique a pour principe formel concret son gouvernement. C'est en permanence que les membres doivent être ramenés vers la fin commune selon un principe d'unité ordonnant harmonieusement les éléments divers. Le gouvernement est donc l'organe qui a pour rôle essentiel d'imprimer l'unité dans la protection des droits et la pratique des devoirs : ce souci constitue précisément la gérance du bien commun. Aristote et après lui saint Thomas s'accordent pour affirmer que le Gouvernement d'un seul, le gouvernement de quelques-uns et le gouvernement de tous sont tous trois conformes à la raison dans la mesure où ils sont ordonnés au bien commun. Ils sont tous trois contraires à la nature s'ils s'écartent, de façon grave et habituelle, de cette fin. Le gouvernement d'un seul, considéré dans l'abstrait, est nécessairement le meilleur puisqu'il est naturellement plus apte à communiquer l'unité politique qui est sa fin propre. Mais cela ne signifie nullement que ce gouvernement est universellement le meilleur dans des circonstances concrètes. Il relève de la vertu de prudence de juger si, pour un peuple particulier, compte tenu de sa psychologie, de ses traditions, l'une des trois formes lui convient mieux. 56:10 La société civile, enfin, est constituée par les actes politiques de ses membres. De leur droiture et de leur vigueur dépend pour une large part l'obtention du bien commun, vers laquelle le gouvernement doit conduire, mais auquel intérieurement, tous les membres doivent tendre. Il est vrai sous ce rapport de dire que les peuples ont les gouvernements qu'ils méritent. La société politique reçoit d'une façon éminente le nom de Patrie, à cause de ce qu'elle apporte à ceux qui peuvent, légitimement, être appelés ses fils. Pendant des siècles, à la faveur de l'organisation politique, des générations successives ont reçu un héritage, l'ont accru et l'ont transmis. A l'égard, donc, de la Patrie, nous avons des devoirs analogues à ceux qui sont les nôtres vis-à-vis d'un père ; nous ne pouvons en justice, espérer lui rendre ce que nous en avons reçu. Mais notre dette existe, d'honneur et de fidélité en tous temps, de service et de sacrifice, jusqu'au don de la vie elle-même, si les circonstances l'exigent. Ainsi, la dignité de la personne requiert, comme organisation sociale fondamentale, la société familiale et la société politique, L'une et l'autre tendent, à des échelles différentes, et selon une admirable perfection interne, à protéger de façon organique la personne et ses droits, à favoriser le développement de sa responsabilité et l'accomplissement de ses devoirs. Le mariage et l'État ne sont pas les deux seules institutions ordonnées essentiellement par la nature vers cette fin. Il faut aussi y ajouter la propriété privée, qui établit l'homme sur un domaine dont il peut user pour une fin qui est sienne. La reconnaissance de ce droit tient ferme ou croule en entraînant la dignité humaine dans sa chute. Il importe donc à un ordre normal que le dynamisme même de la personne puisse rayonner sur les biens et les féconder, au service de la dignité et de la sécurité de la famille, mais aussi au bénéfice du progrès économique de toute la société. Ainsi, « *le mariage et la famille, l'État, la propriété privée tendent, par leur nature, à former et à développer l'homme comme personne, à le protéger, et à le rendre capable de contribuer, par sa collaboration volontaire et sa responsabilité personnelle au maintien et au développement, personnels également, de la vie sociale* ([^5]) ». 57:10 #### 4. -- Institutions naturelles et groupements historiques. On ne saurait en dire autant de deux groupes sociaux qui tiennent, depuis un siècle ou un siècle et demi, une place considérable, et sans doute désordonnée, dans les sociétés modernes et contemporaines : la nation et la classe sociale. Autour d'elles gravitent les mythes de « droite » et de « gauche », pour le plus grand malheur de nombreux pays, singulièrement de la France. Pour apprécier l'essentielle différence qu'il y a entre les institutions de droit naturel que sont la famille et l'État, et les groupements résultant de faits historiques contingents que sont la Nation et la classe, il faut évoquer deux constantes sociologiques dont le rapprochement jette une vive lumière sur notre propos. Deux forces inclinent les hommes vers la vie sociale et donnent à celle-ci sa cohésion. L'une d'elles résulte de l'attrait qui incline les uns vers les autres les êtres qui sont faits pour se compléter, comme l'homme et la femme, les parents et les enfants. Les familles adonnées à des activités économiques très diverses qui constituent toute société politique s'unissent de même, pour se compléter. L'attrait déterminé et très conforme à la raison (parce que profondément pénétré de finalité) qui pousse à s'unir les êtres complémentaires, n'est pas essentiellement un *fait d'histoire,* mais un *fait de nature.* L'autre force qui tend à grouper les hommes et à donner à la vie sociale sa cohésion résulte de l'attrait qui incline les uns vers les autres les êtres semblables. Ainsi voit-on, spontanément, dans une réunion familiale, les enfants se détacher du groupe des adultes, ou encore les femmes se désintéresser des discussions de leurs maris pour converser entre elles. AINSI PEUT-ON DISTINGUER LES SOCIÉTÉS FONDÉES SUR LA COMPLÉMENTARITÉ, TRÈS FORTEMENT PÉNÉTRÉES DE FINALITÉ, ET LES COMMUNAUTÉS FONDÉES SUR LA SIMILITUDE, BEAUCOUP MOINS RATIONNELLES ET EN QUELQUE MANIÈRE PLUS INSTINCTIVES ET PLUS GRÉGAIRES. 58:10 #### 5. -- La Nation. La nation, au sens que ce mot a pris en Europe dans les premières années du dix-neuvième siècle avec les « Discours à la nation allemande » de Fichte, est une création de l'histoire : Le Moyen Age occidental, qui n'était pas incapable de concevoir l'idée d'une communauté de langage, ne connaît rien qui ressemble à des nations. La communauté de langage elle-même est sans rapport avec la société politique. La France de cette époque en est une vivante illustration. Ce fut la Réforme qui, opposant la souveraineté de la raison humaine à la souveraineté de l'Église et à celle de l'État, affirma implicitement, mais en germe, ce qui devait devenir la souveraineté de la nation. « *C'est presque un lieu commun*, note à ce sujet M. Pierre Vergnaud dans une thèse récente, *que de placer la Réforme aux origines du principe des nationalités : c'est elle, en effet, qui, avant les doctrines de la souveraineté du peuple, a renversé l'équilibre des valeurs traditionnelles en substituant à l'autorité de l'Église la conscience individuelle* ([^6]). » Et le même auteur cite l'une de ses sources : « *La révolution religieuse du XVI^e^ siècle fut une réaction de ce qu'il y a d'individuel dans la religion contre l'unité absorbante de Rome ; elle réagit en même temps au nom des nations contre l'idée de monarchie incarnée dans la Papauté. Voilà pourquoi les États protestants sont les organes des nationalités*. » ([^7]) Voilà pourquoi, historiquement, la réalité de la nation s'est développée à la faveur d'une similitude ethnique en réaction contre l'autorité politique comme principe formel de l'unité civile et au-delà, en réaction contre l'autorité divine comme principe formel de l'unité de la famille humaine. Ce n'est toutefois qu'avec le dix-neuvième siècle que la nation, ayant pris conscience d'elle-même, cherchera à s'affirmer politiquement à travers le principe des Nationalités que Littré formule comme « *celui d'après lequel les portions d'une race d'hommes tendent à se constituer en un seul corps politique* »*.* Quoiqu'il en soit de ces développements historiques, les nations existent. L'inspiration rationaliste qui a suscité leur formation est une chose, leur existence en est une autre. Il reste à savoir, face à cette existence, quelle est leur véritable essence. 59:10 Accepter de définir la nation comme un État-Nation, c'est-à-dire comme la légitime coïncidence d'une unité ethnique et d'une unité politique, c'est par le fait même sanctionner le principe des nationalités, reconnaître l'État nationaliste et légitimer la politique nationaliste. Agir ainsi, c'est aller contre le droit naturel, car c'est fonder la société politique non plus sur la *complémentarité* de familles qui peuvent être de nationalités et de classes diverses, mais sur la *similitude* religieuse, ethnique, linguistique ou culturelle. Il faut donc, si l'on veut rester dans les normes du droit naturel, considérer la nation comme une communauté fondée sur la similitude qui vient d'être évoquée, envisagée indépendamment de la société politique, qui est d'un autre ordre. On peut donc penser que c'est précisément pour lui permettre de rester dans les limites du droit naturel qu'à Noël 1954, Pie XII enseignait que « *la vie nationale est de sa nature l'ensemble actif de toutes les valeurs de civilisation qui sont propres à un groupe déterminé, le caractérisent et constituent comme le lien de son unité spirituelle. Elle enrichit en même temps, par sa contribution propre, la culture de toute l'humanité.* DANS SON ESSENCE*, par conséquent,* LA VIE NATIONALE EST QUELQUE CHOSE DE NON POLITIQUE *; c'est si vrai que, comme le démontrent l'histoire et l'expérience, elle peut se développer côte à côte avec d'autres, au sein d'un même État, comme elle peut aussi s'étendre au-delà des frontières politiques de celui-ci.* » #### 6. -- La classe sociale. On peut faire des remarques analogues à propos des classes sociales. De tous temps, un même milieu de vie, un même niveau de vie, une profession et la culture qui s'y attache ont été partagés par des familles qui ont trouvé dans cette similitude un attrait. Toutefois, la notion de classe sociale, telle qu'elle s'est dégagée depuis que le libéralisme économique et le socialisme conjuguent leur nocivité, est quelque chose de différent. La classe sociale aussi, après la nation, a voulu affirmer ses droits au pouvoir politique. C'est essentiellement la nature d'un parti socialiste que d'affirmer la quête du pouvoir d'un groupe de citoyens, non en raison de leur compétence ou de leur dévouement au bien commun, mais en raison de leur reconnaissance des problèmes d'une classe particulière et de leur dévouement au bien particulier de cette classe. 60:10 Incidemment, c'est la raison pour laquelle à chaque fois qu'un parti socialiste est au pouvoir, il cherche à remédier à des plaies sociales particulières, certaines et urgentes, par des moyens qui habituellement, compromettent le bien commun, surtout les finances publiques et la monnaie. Le communisme va plus loin encore. La classe prolétarienne n'est pas simplement appelée par lui à la souveraineté politique, mais à une souveraineté mystique. De même que le nationalisme hitlérien, fondé sur l'affirmation de la supériorité universelle d'une race, atteignait au nationalisme absolu, de même le communisme, fondé provisoirement sur la dictature du prolétariat, tend à la « liquidation » des autres classes comme telles. Le même problème, donc, se pose pour les classes sociales et pour les nations. Affirmer la vocation politique de la classe comme telle, ainsi que la postule la dictature du prolétariat, c'est fouler aux pieds le droit naturel, et accorder à ce groupement fondé sur une similitude, d'origine historique, des prérogatives qui ne conviennent qu'à la société politique, plus large, et profondément ordonnée, elle, à la collaboration des diverses classes sociales. Dans son essence, par conséquent, la classe sociale n'est pas une réalité politique. « *Elle résulte d'une similitude de condition de vie et de travail, d'une communauté d'intérêts matériels et moraux, qui font spontanément s'assembler et se solidariser des hommes et des familles, obéissant à d'identiques nécessités d'existence, partagent une même culture, les mêmes besoins, les mêmes aspirations*. » ([^8]) En bref, la famille et l'État sont des sociétés organiques fondées sur une *complémentarité* de nature. La classe et la nation sont des groupes fondés sur une *similitude* culturelle ou ethnique qui s'est dégagée *au cours de l'histoire.* Il en résulte que les fils d'une famille et les fils d'une patrie sont tenus à pratiquer la piété filiale et le patriotisme, vertus dérivées de la justice. Les membres d'une nation et les membres d'une classe n'ont pas, à l'égard de l'une ou de l'autre, de dette comparable. La conscience raisonnable d'appartenir à une classe sociale, un sain esprit de nationalité demeurent légitimes dans la mesure où la nation n'est pas identifiée à la société politique, ni la classe avec un messianisme historique. L'une et l'autre enfin ont des droits qu'il appartient à la société politique de protéger et de promouvoir. 61:10 #### 7. -- De la justice sociale. De même que l'équilibre organique d'un corps vivant est complexe et que des troubles locaux ont une résonance, parfois, sur l'organisme entier, de même, l'équilibre juridico-moral de la société politique est soumis à des correspondances qui unissent les unes aux autres les trois institutions sociales fondamentales : la famille, l'État et la propriété. Ces trois institutions ne s'édifient pas dans l'indépendance réciproque. De l'aptitude de l'État à promouvoir le véritable bien commun dépendent les droits concrets des familles. De l'enracinement de ces familles dans une propriété privée sainement répartie dépend leur juste indépendance. Et de la rectitude de vie et de gestion des familles dépendent aussi l'étendue et l'efficacité de l'action de l'État. Aussi, toute hypertrophie de l'une de ces trois institutions fondamentales correspond nécessairement à l'atrophie des autres. Sous la monarchie, l'hypertrophie de quelques grandes familles a menacé périodiquement l'autorité du roi et les libertés du peuple, et l'équilibre politique n'a été conquis que lentement. Ce n'est qu'au treizième siècle que saint Louis a pu interdire les guerres privées et, après lui, l'abaissement des grands restera l'un des soucis périodiques de la monarchie. Au dix-neuvième siècle, l'individualisme conduit à l'hypertrophie des droits des propriétaires. Simultanément, on assiste à l'atrophie de l'État libéral, à l'exploitation éhontée des familles paysannes. Au vingtième siècle, le socialisme conduit à l'hypertrophie de l'État, nationalisateur des biens, planificateur de la production, redistributeur des revenus. Il absorbe la grande entreprise, décourage la moyenne et condamne la petite, coupable de « marginalisme » : atrophie de la propriété. Simultanément, les familles économiquement faibles, sont « assistées » au point qu'elles doivent en tout dépendre de l'État pour pouvoir prendre les décisions les plus graves de leur vie : logement, natalité, emploi, maladie, chômage... Si l'État fait tout PAR LUI-MÊME, si la société fait tout PAR ELLE-MÊME, ils ont beau vouloir le faire POUR l'homme : le privant de son initiative et de sa responsabilité de sujet de droit, ils le font contre lui. 62:10 Si à l'inverse, l'État laisse tout faire PAR les individus, PAR les détenteurs de la puissance matérielle, il est incapable de les maintenir dans le respect des droits des plus faibles, il ne gouverne plus POUR l'homme. Dans ces conditions, une politique consciente de la véritable nature du bien commun et désireuse de le procurer aujourd'hui ne peut pas ne pas voir que l'hypertrophie de l'État, comme l'hypertrophie de la propriété sont incompatibles avec la dignité humaine et que seules, une saine autonomie des familles et l'union sociale dans la propriété personnelle largement diffusée constituent les points d'appui nécessaires à l'ordonnance de toute société vraiment soucieuse de la justice sociale. Si ces lois sont si évidentes, comment se fait-il qu'elles soient si mal vues, et si peu suivies ? C'est ce qu'il nous faut maintenant examiner. #### 8. -- L'apostasie politique. Comme nous l'avons indiqué déjà ([^9]), la substitution de la république à la monarchie n'a pas constitué l'essentiel de ce qu'on nomme la Révolution française. Celle-ci n'a pas été principalement le passage d'une forme politique raisonnable, à une autre forme politique également conforme à la raison et simplement considérée comme plus adaptée aux circonstances nouvelles. La république, depuis un siècle et demi, en France, n'a pas été d'abord l'affirmation de la souveraineté populaire comme *mode d'exercice de l'autorité,* mais l'affirmation de la souveraineté populaire, de la souveraineté nationale comme source ultime, comme *fondement suprême de l'autorité.* Ce qu'a introduit la révolution française dans l'organisation politique, c'est moins la forme républicaine du gouvernement que l'affirmation de la laïcité absolue de l'État. Celle-ci est elle-même le fruit du rationalisme de la pensée moderne. L'erreur du rationalisme moderne a consisté précisément dans sa prétention de vouloir construire le système des droits humains et la théorie générale du droit en considérant la nature de l'homme comme un être existant par lui-même, N'AYANT DE RAPPORTS NÉCESSAIRES D'AUCUNE SORTE AVEC UN ÊTRE SUPÉRIEUR, de la volonté créatrice et ordonnatrice duquel dépendent son essence et son activité ([^10]). 63:10 Les auteurs de la Révolution française sont rationalistes en ce sens. A l'époque, ils font figure de gens de gauche. Leur rationalisme les conduit à l'individualisme, au nationalisme, au libéralisme. Ils sont *individualistes.* La dignité humaine n'est plus pour eux le droit d'agir librement en accord avec la loi divine. Ils se la représentent comme le droit pour l'individu de se donner à soi-même sa religion, sa morale et sa philosophie. Ils sont *nationalistes.* La souveraineté politique ni aucune autorité n'ont, affirment-ils, leur source en Dieu. Le principe de toute souveraineté réside dans la nation. Ils sont *libéraux.* L'économie sociale ne saurait plus être ordonnée par la coopération des groupements professionnels et de l'État. Elle doit être livrée au mécanisme de la loi de l'offre et de la demande jouant sans aucune entrave dans la société individualiste. Il faut le remarquer : les révolutionnaires ne nient pas l'ordre naturel. Ils ne nient pas le droit. Ils n'ont même que ces mots à la bouche : « droits de l'homme », « droits des peuples », « lois naturelles de l'économie ». Donc, ils affirment une loi naturelle. Ils affirment un droit naturel. Mais cette loi est faussée. Ce droit est utopique. Pourquoi ? La tentation, pour réussir, doit être insidieuse, progressive. L'apostasie des sociétés modernes ne s'est pas faite en dix ans. Elle est œuvre de longue haleine. Les étapes en ont été habites. Au dix-huitième siècle, on a opposé un déisme abstrait à l'adoration du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ce qui semblait par trop dévot dans une société en pleine décomposition morale. La Révolution passe du Dieu des philosophes et des savants à la déesse Raison, et aux « lois de la Nature ». Ces lois, les hommes les formulent selon leur arbitraire. On ne saurait, dans le cas particulier de cette expérience historique, mettre assez en évidence un fait : la connaissance des lois morales naturelles et singulièrement la connaissance du droit naturel, lorsqu'elles ne sont plus élevées et confirmées par la Révélation, sont immédiatement menacées. L'individualisme personnel et l'individualisme national sont en germes dans la Réforme. Ils viennent à maturité lors de la Révolution et commencent, avec elle, à porter leurs fruits. 64:10 #### 9. -- La corruption du droit naturel. Ce qu'ont été ces fruits est trop connu pour qu'il soit besoin de le développer longuement. **a**) *La société individualiste,* pour avoir substitué l'autonomie absolue de la raison à la régulation interne de la vie morale fut livrée à un principe interne de désagrégation sociale. Il n'y a plus, au-dessus des hommes, un Législateur Suprême à la volonté duquel l'ordre social est soumis dans l'unité. Chaque homme est son propre législateur suprême, livré en fait au dynamisme de ses appétits. La vie de la grâce ne vient plus l'aider à les rectifier. L'homme, au dix-neuvième siècle, devient chaque jour davantage, un loup pour l'homme. Et cela, SOUS LA MONARCHIE, au moment du développement du progrès technique, entre 1820 et 1840. Ce n'est pas un régime politique traditionnel qui fait alors défaut : la France le possède. En réaction pendulaire, il était inévitable qu'à la déification de l'individu vienne répondre la déification de la société. A défaut d'une régulation morale personnelle, d'une régulation interne des actes humains en accord avec la Loi divine, le besoin se faisait sentir d'une régulation sociale, anonyme et obligatoire, nécessaire pour rétablir de façon externe l'unité perdue au secret des consciences. A l'individualisme succède logiquement le socialisme. **b**) Parallèlement, *les États nationalistes,* pour avoir refusé de fonder la vie politique et les relations entre les États sur le droit naturel, la sincérité de conscience et la vertu de prudence, appliquèrent le principe des nationalités comme fondement de l'ordre politique et le principe de l'utilité comme base et règle du droit. Des millions de morts ont été pour l'Europe le prix de cette erreur. Le mauvais exemple de l'Europe a, de plus, éveillé les nationalismes de populations qui, en Asie et en Afrique, sont aujourd'hui victimes de ce principe dont les origines philosophiques et historiques leur sont fort étrangères. Deuxième réaction pendulaire : le nationalisme, après avoir absorbé tant d'amour et exigé tant de sang, devait inspirer la haine. Il détermina la réaction internationaliste, qui est au même niveau idéologique et passionnel que lui, mais conduit en plus à mépriser le patriotisme, perçu comme un alibi hypocrite de l'erreur nationaliste. 65:10 **c**) *L'économie libérale,* enfin, sous l'effet d'une concurrence désorientée, déboucha dans les crises périodiques de surproduction, le prolétariat, le chômage et la lutte des classes. Troisième réaction pendulaire : contre la liberté désordonnée qui avait produit ces fruits de misère se développèrent les tentatives du dirigisme et de planification de la production et de la répartition des biens et des services. Ayant perdu, en renonçant à l'Alliance avec Dieu, la source vivante de la vérité et la lumière indispensable à l'intelligence même du droit naturel, les peuples modernes ont été livrés aux dynamismes déréglés d'exigences sociales devenues contradictoires par l'effondrement de leur clef de voûte. Aussi l'histoire, spécialement de la France depuis deux cents ans, est l'histoire d'un glissement sur un plan incliné qui conduit les sociétés toujours plus à gauche de l'ordre naturel voulu de Dieu. L'individualisme, le nationalisme, le libéralisme, sont en 1789, des erreurs de gauche. Elles sont devenues aujourd'hui, par la logique historique de l'évolution, des erreurs de droite, ayant par réaction déterminé de nouvelles erreurs, plus éloignées qu'elles-mêmes de la loi naturelle : le socialisme, l'internationalisme et le dirigisme. Quant au communisme, il représente, dans cette direction, une étape limite. Il est essentielle négation de l'ordre naturel et, envisageant toutes choses au niveau de la seule causalité dialectique de la matière en évolution, il est, sous ce rapport, la gauche absolue. Il est donc intrinsèquement pervers. #### 10 -- Le fondement du droit. L'expérience historique, qui va d'accord avec la raison, prouve jusqu'à l'évidence que la loi qui ordonne la vie des sociétés ne peut être que *donnée* par Dieu, ou *affirmée* par l'homme, ou *imposée* par l'État. **a**) Lorsque la loi naturelle est donnée par Dieu, formulée par l'Église, et que les hommes la reconnaissent comme telle, la société tend spontanément à la justice sociale, à l'équilibre des trois institutions fondamentales, à la collaboration des classes et à la fraternité des nationalités dans une société des États. Le Moyen Age, en Occident, a montré que cet ajustement n'est pas hors des pouvoirs de l'homme, lorsqu'il coopère avec la grâce de Dieu. 66:10 La société ne peut être constituée *pour* l'homme, elle ne peut respecter tous ses droits, que si ces droits eux-mêmes sont reconnus de tous, dans leur fondement comme dans leur substance, et si les devoirs corrélatifs sont suffisamment pratiqués. La société, par ailleurs, ne peut être constituée *par* l'homme que si chaque personne conserve les conditions extérieures d'une vraie liberté, tant dans l'accomplissement de ses devoirs que dans l'usage de ses droits. Si ces conditions sont réalisées en plénitude, chacun des membres de la société familiale et politique se veut, à sa place et selon son rang, le serviteur des autres. Dès que l'un des membres cesse de se renoncer, cessant de servir les autres, il ne peut que se servir d'eux. L'équilibre délicat de la justice sociale est rompu. **b**) Lorsque la loi naturelle est formulée par l'homme en dehors de l'Église, et sur la base d'une méthode intellectuelle simplement naturelle, elle peut, en théorie, et à parler *simpliciter* rester intacte. Mais l'expérience de l'histoire, comme celle de la vie, montre qu'en pratique, *secundum quid,* elle se corrompt en quelque façon, inévitablement. Aristote lui-même n'a pas su dépasser le stade d'une société étayée PAR la servitude des esclaves POUR assurer la liberté des citoyens. C'est ici le point, il faut le souligner, qui fait que l'examen des faits sociaux naturels et l'analyse de l'histoire politique ne conduisent pas *nécessairement,* dans le concret, à des démonstrations politiques certaines, même si la raison, par sa seule force, est capable de telles démonstrations. La raison en est capable théoriquement, comme il est vrai théoriquement que « *la raison humaine, à parler en théorie, puisse vraiment par ses forces et sa lumière naturelles, arriver à une connaissance vraie et certaine d'un Dieu personnel, protégeant et gouvernant le monde par sa Providence, ainsi que d'une loi naturelle mise par le Créateur dans nos âmes* ». Cependant, poursuit Pie XII, « *il y a bien des obstacles qui empêchent cette raison d'user efficacement et avec fruits de son pouvoir naturel. Les vérités qui concernent Dieu et les relations qui existent entre Dieu et les hommes dépassent absolument l'ordre des choses sensibles et, lorsqu'elles doivent se traduire en action et informer la vie, elles demandent qu'on se donne et qu'on se renonce.* 67:10 *L'esprit humain, pour acquérir de semblables vérités, souffre difficultés de la part des sens et de l'imagination, ainsi que des mauvais désirs nés du péché originel. De là vient qu'en de telles matières les hommes se persuadent facilement de la fausseté ou du moins de l'incertitude des choses qu'ils ne voudraient pas être vraies. C'est pourquoi il faut dire que la Révélation divine est moralement nécessaire pour que les vérités religieuses et morales qui, de soi, ne sont pas inaccessibles à la raison puissent être, dans l'état actuel du genre humain, connues de tous, sans difficulté, avec une ferme certitude et sans mélange d'erreur* ([^11]) ». C'est ici l'explication du motif pour lequel des hommes d'un génie politique certain n'ont pas pu atteindre même à la simple connaissance philosophique du Dieu Créateur, alors que théoriquement celle-ci peut être acquise par la seule raison ; c'est-à-dire par la même puissance qui dégage les lois morales et politiques naturelles. De même, si les lois statiques de la société étaient vraiment des lois physiques, pourquoi les hommes seraient-ils si peu dociles à leur égard, alors qu'ils s'inclinent devant les lois des réactions chimiques ? L'empirisme organisateur, tel que l'a conçu son fondateur, s'imposerait avec la même évidence que les expériences cruciales des physiciens et des biologistes. Or, *les faits* nous montrent l'inverse. Le monde est aujourd'hui dominé par le marxisme, qui est une explication aussi profondément anti-scientifique que possible du devenir social. Et nous savons bien que le marxisme n'est pas une erreur physique, mais une erreur morale : la négation du droit naturel. Les lois auxquelles les sociétés doivent se soumettre sont comme les lois auxquelles les personnes doivent se soumettre. Elles sont morales. En cette matière, la raison est théoriquement suffisante. Sans la grâce, elle est pratiquement défaillante en quelque façon et « *en de telles matières,* LES HOMMES SE PERSUADENT FACILEMENT DE LA FAUSSETÉ OU DE L'INCERTITUDE DES CHOSES QU'ILS NE VOUDRAIENT PAS ÊTRE VRAIES*.* » L'impudique, par exemple, se persuade facilement de l'inexistence de Dieu. Et l'envieux, du caractère purement historique et contingent du droit de propriété. **c**) Enfin, lorsque la loi naturelle est niée non seulement comme vouloir divin mais aussi, par suite des réactions pendulaires que nous avons évoquées, comme simple vouloir humain, il ne reste plus qu'à fonder la société sur le Vouloir arbitraire de l'État. 68:10 « *Si l'on enlève, en effet, au* DROIT *sa* BASE*, constituée* PAR LA LOI DIVINE *naturelle et positive, et par cela même immuable, il ne reste plus qu'à le fonder sur la loi de l'État comme sa norme suprême, et voilà posé le principe de l'État absolu.* » ([^12]) Le glissement à gauche mène jusque là, et ce glissement commence au moment précis où l'on disjoint la création et le Créateur. Le fondement du Droit, c'est Dieu. #### Conclusion : « Dieu premier servi » La plupart des objections qui nous ont été faites à l'occasion de cette enquête sur le nationalisme ont été fondées, par leurs auteurs, sur la possibilité d'une politique naturelle certaine et efficace, coexistant avec une déclaration d'ignorance touchant sa justification dernière. Il ne nous était pas possible de reprendre ces objections sans, auparavant, énoncer les points de doctrine qui précèdent. Nous croyons avoir établi, par cette étude, que si la science politique naturelle est *théoriquement possible abstraction faite de la Révélation et de l'enseignement de l'Église,* elle ne peut être *pratiquement connue dans son intégrité et mise en œuvre efficacement* que dans la lumière directe de cet enseignement, et avec la grâce de Dieu. « *Tout ce qui se trouve de bien et de juste dans les autres systèmes est renfermé déjà dans la doctrine sociale catholique*. » ([^13]) Nous croyons avoir établi qu'en conséquence notre option première, au niveau de la DOCTRINE POLITIQUE, ne saurait être POLITIQUE D'ABORD, mais d'abord SE RÉFÉRER A DIEU : « *Qui cherche vraiment la liberté et la sécurité doit rendre la société à son Ordonnateur véritable et suprême en se persuadant que* SEULE LA NOTION DE SOCIÉTÉ DÉRIVANT DE DIEU *le protège dans ses entreprises les plus importantes*. » ([^14]) Nous croyons avoir établi, enfin, en nous inspirant d'aussi près que possible des enseignements pontificaux, les principales définitions de politique naturelle dont nous aurons à user pour examiner, dans la perspective même des objections soulevées par l'enquête, la question du nationalisme. 69:10 ### *Deuxième partie *La question du nationalisme Il fut un temps, dans les dernières années du dix-neuvième siècle, où la seule évocation du mot « social » résonnait aux oreilles comme un cri révolutionnaire. Chez les catholiques eux-mêmes, la sensibilité individualiste avait si bien imprégné les âmes qu'elle avait influencé la connaissance des vérités religieuses. Les choses en vinrent au point que l'enseignement que Léon XIII donna, en 1891, dans la « Rerum Novarum » provoqua, chez certains catholiques, de la défiance, et chez d'autres, du scandale. Plusieurs même songèrent que c'était un grand malheur que l'esprit révolutionnaire ait pu atteindre le Chef de l'Église. Les temps ont bien changé. Nous assistons aujourd'hui à une opération exactement inverse. La seule évocation du mot « national » résonne aux oreilles d'un grand nombre de catholiques comme un cri réactionnaire. La sensibilité socialisante s'est si bien infiltrée, depuis dix ans, dans les intelligences, et parfois aussi, hélas, plus profondément, dans les âmes, que la connaissance du message évangélique est imprégnée, chez un trop grand nombre, de notions socialistes et parfois même marxistes. Les choses en sont au point que Pie XII doit aujourd'hui « *déplorer à ce sujet l'appui prêté par certains catholiques, ecclésiastiques et laïcs, à cette tactique d'obscurcissement qui vise un effet qu'eux-mêmes ne veulent pas* ([^15]) ». Également douloureuses sont ces deux constatations. Nous avons, dans le précédent numéro d'*Itinéraires,* tenté d'analyser les condition de l'unité des Catholiques de France. Dans la même ligne, et à l'occasion de l'examen des réponses à cette enquête sur le Nationalisme, nous croyons pouvoir tenter d'examiner ce qui, dans la doctrine du nationalisme français, peut prêter le flanc à critique. Des catholiques considèrent, de bonne foi, que le nationalisme est une vertu. D'autres se persuadent, à l'inverse, que le patriotisme est un péché. Les oppositions se durcissent. La confusion augmente. Ces oppositions et cette confusion ne peuvent profiter qu'aux ennemis de l'Église et à ceux de la France. Nous n'avons pas d'autre but que de contribuer, par un effort de réflexion, dégagé autant qu'il se peut des optiques toutes faites, à rendre à la vertu de patriotisme et à l'esprit national toute leur exigence. 70:10 Le même travail est à faire, pour dégager la juste aspiration sociale des adhérences du socialisme. L'enquête sur la corporation nous en fournira l'occasion. Les travaux de l'esprit dégagés des soucis de l'immédiat et libérés des servitudes d'écoles deviennent rares. Il serait dommage, toutefois, que les esprits en perdent le souvenir au point de les considérer comme nécessairement inopportuns ou polémiques. Nous reprendrons, pour examiner les problèmes que pose cette question du nationalisme, les objections soulevées au cours de l'enquête, dans l'ordre que nous avons nous-même indiqué dès les premières pages de cette étude. #### I. -- La vérité libère. PREMIÈRE OBJECTION : *Tout ce qui peut affaiblir, dans les circonstances actuelles, les volontés tendues vers le bien commun est mauvais. Or, une critique du nationalisme, actuellement, fait le jeu de ceux qui sapent le patriotisme dans les intelligences. Donc une critique du nationalisme est actuellement inopportune, pour ne pas dire plus.* Nous croyons que ce sentiment a été le plus profond, le plus immédiat que l'enquête d'*Itinéraires* ait suscité chez les Nationalistes. Il a, pour ainsi dire, jailli des cœurs avant même que la réflexion ait pu se donner cours. Chez plusieurs, la réflexion elle-même a élargi, approfondi la conviction. La lettre inédite de Charles Maurras qu'a bien voulu publier Henri Massis donne d'ailleurs, à trente-trois ans de distance, la même résonance. a\) La lettre de Charles Maurras. La position ainsi prise « *met tout le nationalisme français en posture d'hérésie et d'erreur. Et pour quels motifs ! Je vois l'intérêt électoral, intellectuel, intentionnel de vos adversaires. Je ne vois ni le vôtre, ni le nôtre. Vous réduisez le front sans y être obligé. Pardon de vous parler si vivement et si vite...* » En date du 13 septembre 1923, c'est déjà, spontanément, la première réaction en face d'une éventuelle réflexion critique sur le nationalisme. Elle peut se résumer en deux mots : reculade inutile. 71:10 L'école nationaliste existe. Elle est solide. Elle a un chef, des troupes, une influence. La moindre réserve faite sur la doctrine de cette école peut l'ébranler gravement et sans profit pour elle, avec profit pour l'adversaire. En outre, il ne s'agit pas d'une réserve concernant un aspect particulier : elle met tout le nationalisme français en posture d'hérésie et d'erreur. b\) La crainte d'Henri Rambaud. En conclusion de son étude, complète et précise, et d'un style d'amitié dans la contradiction qui a inspiré à son interlocuteur un vrai regret de n'avoir pas été convaincu, Henri Rambaud exprime une crainte : « *A forcer les nationalistes français à changer d'appellation, vous jetteriez sur eux une suspicion qu'ils ne méritent pas ; vous ne purifieriez pas le patriotisme français ; vous lui donneriez mauvaise conscience et fortifieriez ses adversaires et vraiment croyez-vous qu'il en ait besoin aujourd'hui ?* *C'est un peu comme si vous répétiez tous les jours à un fils qui n'aime pas sa mère qu'il n'a pas le droit de l'idolâtrer : affirmation en soi parfaitement véridique, mais en l'espèce, peu indiquée* (...) *L'heure est trop grave pour le patriotisme français pour qu'on brouille les cartes et coure, sans nécessité, le risque de l'affaiblir encore*. » c\) L'argument d'opportunité de Pierre Boutang. En tête de sa « *Première lettre sur le nationalisme* », Pierre Boutang invoque un argument prudentiel, qui rejoint les deux précédents : « *La vieille idée du Bien le définit convenable, suffisant à soi, mais aussi* « *Kairon* », *de circonstance. Est-il bien de circonstance de prescrire des limites au Nationalisme français ? La fierté nationale, le souci exclusif ou prédominant du bien commun national encombrent-ils à ce point notre présente histoire ?* » Nous voudrions ici dire à Henri Rambaud, à Pierre Boutang, et à tous ceux dont ils ont exprimé la crainte, que de tous les arguments qui ont été développés, par eux et par d'autres, c'est celui-là, qui nous a le plus profondément obligé à l'examen de conscience. Il ne porte pourtant pas sur le fond. Mais c'est la France qu'il met en cause. Et cela suffisait, -- et cela devait suffire -- à mettre en cause le sentiment d'une responsabilité réelle, d'une responsabilité grave. 72:10 Depuis des années des Français, nos frères, ont les membres, et la poitrine, et la tête troués, et tombent, en Asie et en Afrique, pour la France. Pendant ce même temps, des bommes dont on voudrait qu'ils fussent irresponsables, se font les alliés d'un totalitarisme athée qui « *voudrait offusquer jusqu'aux plus élémentaires principes de vie civique* » ([^16]). Pendant que les nôtres donnent leur vie, ceux-là présentent leur sacrifice comme le châtiment du colonialisme et du capitalisme. Ils vont plus loin encore : ils appellent les jeunes à l'insoumission et même tentent parfois de justifier, en morale chrétienne, l'objection de conscience. Tels sont les faits. Telles les circonstances au travers desquelles nous avons publié l'article qui a servi de base à cette enquête, et dont nous avons précédemment rappelé les points fondamentaux. \*\*\* LE FAIT de poser publiquement et clairement le problème de la légitimité du nationalisme français n'aurait pu, en regard des circonstances, nuire à la patrie que sous deux rapports : ou bien la question soulevée fournit argument à ceux qui mènent campagne contre le patriotisme, ou bien elle est de nature à donner mauvaise conscience à ceux qui vivent de cette vertu et travaillent à l'affermir ou à la ressusciter autour d'eux. Le débat sur le nationalisme peut-il fournir, aujourd'hui, un argument à ceux qui mènent campagne contre le patriotisme ? Charles Maurras, en 1923, l'estimait, et ses arguments ont inspiré à Henri Massis une conviction qui a déterminé celui-ci à renoncer, à l'époque, à publier la réponse qu'il n'a point jugé inopportun de donner à *Itinéraires.* Pour aujourd'hui, en effet, il n'y a guère de doute à avoir. Ceux qui se sont donné pour tâche de saper, plus ou moins insidieusement, en France, la piété due à la Patrie et l'amour qu'elle inspire ne sont pas, hélas, susceptibles de tirer argument d'un débat honnête et public tel que celui-ci. Les faits, d'ailleurs, ont confirmé ce pronostic. Ils n'en ont pas soufflé mot. Par ailleurs, ce débat sur le nationalisme peut-il donner mauvaise conscience aux Français conscients de leurs devoirs civiques ? 73:10 S'il s'agit des Français qui ne sont pas nationalistes, il peut tout au plus attirer leur attention sur le problème. Et s'il s'agit des Français qui sont nationalistes, on avouera qu'ils ont montré un trop grand souci de faire que cette enquête ne puisse porter atteinte au patriotisme pour qu'on imagine qu'ils en sortent moins conscients de leur dette à l'égard de la patrie ou moins ardents dans leur amour pour elle. Reste une question -- moins grave, mais peut-être d'une acuité immédiate plus certaine : Cette enquête n'est-elle pas susceptible de mettre « *en posture d'hérésie et d'erreur tout le nationalisme français* »* ?* -- et le plus évident, le plus immédiat sentiment de fidélité n'interdit-il pas aux nationalistes de se rendre à des arguments, quels qu'ils soient, car ce serait démentir cinquante années de luttes menées, par eux et souvent par leurs Pères, au service de la France, de services réels, et qui ont été menées sous l'étendard du nationalisme ? C'est bien là, nous semble-t-il, ce qu'inspire la vivante charité d'Henri Charlier lorsque après avoir indiqué que le nationalisme évoque pour lui une théorie « *qui masque un sentiment naturel* », il ajoute immédiatement que le nationalisme français a été « *un moyen intellectuel de défendre par des arguments tirés de l'histoire et la philosophie le sentiment naturel d'amour de la patrie qui y était combattu par toute sorte d'idéologies et un enseignement falsifié de l'histoire auquel beaucoup de catholiques se laissent prendre encore* ». Oui, incontestablement, le nationalisme français a été cela. Incontestablement, Charles Maurras a répondu à une vocation profonde en combattant pour rétablir la vérité sur l'histoire de la France, pour s'opposer, non sans le courage d'un lutteur infatigable et passionné, à des erreurs mortelles et souvent avec succès. Tout cela, avec ses compagnons, il l'a fait sous les bannières du nationalisme français, et cela doit suffire pour que ce nom soit respecté de tout homme sachant de quoi il parle et ayant le courage de l'écrire. Mais il ne s'agit pas de cela. Précisément, il ne s'agit pas de *l'œuvre* accomplie par les nationalistes. Il s'agit d'un fait nouveau. Il est question de la définition de la nation. Car elle vient d'être définie par le Pape. Il est question des conséquences qui en résultent pour l'essence même du nationalisme. 74:10 Il est question de la condamnation explicite de la politique nationaliste ; de l'État nationaliste ; et de la situation qui en résulte. Il est question du fait que les pires ennemis du patriotisme sont actuellement les meilleurs alliés des nationalismes manipulés par Moscou, et que l'équivoque qui en résulte, loin de profiter en France au patriotisme, lui est contraire. Il est question, enfin, du fait que l'expansion du marxisme dans dix-sept pays, le Calvaire du peuple hongrois, ne nous permettent pas, maintenant moins que jamais, de nous contenter du « compromis nationaliste ». Ce sont les événements qui nous invitent à songer que, dans les temps que nous vivons, comme au temps de Jeanne d'Arc, il n'est pas possible, pour reprendre des expressions d'Henri Massis, d'envisager « *l'ordre des moyens au temporel* » sans envisager, en connexion même avec ces moyens, « *l'ordre des fins au spirituel* »* !* \*\*\* TELS SONT LES MOTIFS pour lesquels nous croyons que ce débat, non seulement ne peut être mauvais, en soi, ou inopportun dans les circonstances, mais au contraire est capable de résultats positifs fort souhaitables. Maurras n'est plus parmi nous. Sa doctrine était celle d'un homme qui n'avait pas retrouvé Dieu. A cause de cela, on peut être certain que, s'il avait vécu encore, réconcilié du fond de l'âme avec le Seigneur et avec l'Église, il aurait, de tout son génie et de toute sa vaillance, confronté les moindres nuances de son œuvre avec la doctrine pontificale. Aussi, est-ce sans hésitation que nous conclurons sur ce point avec l'Abbé André Richard : « *Maintenant que nous savons les circonstances de la conversion finale de Maurras, nous dirions volontiers à ses disciples qu'il s'agit moins* de *le dépasser que* de *le suivre,* en *explicitant ce que la mort l'a empêché d'exprimer* ([^17]). » La vérité libère. #### II. -- L'essence du nationalisme est condamnée. DEUXIÈME OBJECTION : *L'invitation à renoncer au* « *nationalisme* » *est fondée sur les récents messages du Pape Pie XII.* 75:10 *Or, le Chef de l'Église a condamné le* « *nationalisme avide de puissance* » (Noël 1954), *et aussi le* « *nationalisme aveugle* », *le* « *faux nationalisme* » (Noël 1955), *mais en aucun cas, il n'a condamné le nationalisme en soi. Donc, c'est la démesure qui est condamnable et non l'essence du nationalisme.* Le respect même qu'inspire l'œuvre française qui a été poursuivie sous le nom du nationalisme invite à comprendre la vivacité avec laquelle les nationalistes se sont portés à la défense de la notion, et du mot lui-même. Hélas ! C'est ici que nous sommes amenés à les contredire, et cela, avec un profond déplaisir. a\) La définition de Charles Maurras. Charles Maurras, qui raisonnait dans le cas de la France, et à une époque où nos colonies ne posaient pas, dans les départements français d'Algérie, le problème nationaliste qu'on tente d'y soulever aujourd'hui, ne distinguait pas et refusait de distinguer entre la nation et la patrie. Sa lettre à Henri Massis ne permet de nourrir aucun doute à ce sujet : « *La distinction entre patrie et nation, patriotisme et nationalisme ne tient pas. Le culte de la patrie est le respect, la religion de la terre des pères ; le culte de la nation est le respect et la religion de leur sang* (...). *A mon sens, il ne faut pas distinguer entre nation et patrie ; tout le mal que vous pensez de l'une tomberait sur l'autre, tout le bien qui justifie patrie pourra justifier nation ; l'un et l'autre par définition ressortissent au IV^e^ commandement, qui n'a jamais signifié pourtant que l'on doit voler et assassiner pour honorer ses père et mère.* » Ce texte est parfaitement clair, et la précision finale interdit toute équivoque. La patrie à laquelle Charles Maurras songe ici, c'est bien la *société politique* telle que nous en avons évoqué la nature (cf.. supra, I, 3), puisque c'est à elle qu'est due la dette de justice pour le bienfait de l'organisation politique et la continuité qu'elle garantit dans la transmission de l'héritage. C'est donc bien une équivalence essentielle qu'il établit, *dans le cas de la France,* entre la société politique et la Nation. Il s'agirait de la même réalité envisagée sous deux rapports différents, celui de la terre où s'exerce l'autorité politique, celui de la continuité du sang au profit de laquelle elle s'exerce. 76:10 b\) La définition de Pie XII. Or, nous l'avons vu (cf. supra, I, 5), c'est avec un soin particulier que le Pape Pie XII, dans le message de Noël 1954, distingue la nation de la réalité politique. Sur un point, son enseignement corrobore la pensée émise par Charles Maurras : « *Nation n'est pas un mot révolutionnaire* », souligne Maurras comme pour exorciser le dynamisme péjoratif dont l'histoire a pu gonfler ce vocable. Et le Pape, dans le même sens, va plus loin encore : « *la vie nationale* (...) *droit et gloire d'un peuple, peut et doit être développée.* » Sur un autre point, l'enseignement de Pie XII ne corrobore pas l'affirmation de Charles Maurras. Celui-ci identifie Patrie et Nation, société politique et vie nationale. Le Pape, au contraire, affirme la nécessité de les distinguer. « *Dans son essence,* (...) *la vie nationale est quelque chose de non-politique ; c'est si vrai que, comme le démontrent l'histoire et l'expérience, elle peut se développer côte à côte avec d'autres, au sein d'un même État, comme elle peut aussi s'étendre au-delà des frontières politiques de celui-ci.* » Dira-t-on que Pie XII, ici, parle de la vie nationale, et Maurras de la nation, et que l'on peut tenter quelque subtile distinction entre l'une et l'autre. Nous ne le croyons pas, car déjà, dans l'Encyclique *Summi Pontificatus* Pie XII avait formulé exactement la même pensée qu'à Noël 1954, condamnant « *l*'ÉTAT*, considéré comme mandataire de la* NATION ([^18]) ». En bref, la nation, pour Maurras, c'est la société politique considérée sous un rapport particulier. Pour Pie XII, et pour la politique naturelle qui s'inspire de l'enseignement de l'Église, c'est une communauté fondée sur la participation active à un ensemble de valeurs de civilisation, où la religion et la langue, comme la race et la psychologie tiennent leur rôle. c\) L'intégrité du vocabulaire. On dira que Pie XII parle pour l'Église, et qu'il se tient au niveau des essences universelles, alors que la pensée de Charles Maurras vaut pour la France dans ce que le jargon contemporain nommerait volontiers le « contexte existentiel ». 77:10 C'est justement ici que commencent les confusions, parce que c'est ici que s'insinue le positivisme. Si l'essence universelle de la nation est vraiment ce que dit Pie XII, les qualificatifs que l'on peut lui ajouter ne sauraient modifier cette essence. Que la nation soit française, espagnole ou allemande, son existence historique concrète ne peut changer son essence. Autrement, nous élevons nous-mêmes notre Tour de Babel deux mille ans après la Pentecôte. Il faut bien tenir bon à ce sujet, car c'est non seulement l'intégrité de la pensée qui est en jeu, mais même sa simple possibilité. Aucune unité n'est possible sans un vocabulaire commun, et n'est-ce pas à la restauration de l'objectivité et de l'universalité des concepts qu'il convient de travailler ? « *A quelle fin, du reste, raisonner, quand on n'a pas de vocabulaire commun* ([^19]) *?* » Si l'on accepte délibérément d'introduire la confusion au sein même de la première opération de l'esprit, pense-t-on sérieusement qu'il en sortira quelque bien dans les jugements et les raisonnements qui suivront ? La gravité de cette difficulté est telle qu'elle constitue l'un des aspects du mécanisme de l'opposition entre la « droite » et la « gauche » catholique : le Pape a condamné le socialisme, observe la droite ! Pie XI a condamné le socialisme « *de 1931* », rétorque la gauche, mais il y a bien des formes de socialisme ; celui qui s'ébauche actuellement échappe d'ailleurs aux critiques de l'Église !... Le Pape a condamné la politique nationaliste observe la gauche. Pie XII n'a pas condamné la politique du nationalisme *français,* réplique la droite !... N'a-t-on pas été jusqu'à souligner le fait que le Pape avait condamné le communisme *athée,* si bien qu'à Noël 1955, le Saint-Père a dû aller jusqu'à préciser que le communisme avait été condamné « comme système social » ! Hélas ! Voilà le genre de guérilla intellectuelle, non exempte d'une frondeuse légèreté, qui se poursuit depuis quelques années entre les catholiques de France. Voulons-nous l'unité, oui ou non ? Rome est-elle le Centre de cette unité ? Et l'unité des esprits commence-t-elle dans le vocabulaire ? A ces trois questions, nous répondons par l'affirmative. 78:10 d\) Un nationalisme « intégral » est impossible. De ce qui précède, il résulte nécessairement que si le mot nationalisme a un sens, ce sens ne peut être celui de patriotisme. Le patriotisme exprime une certaine dette à l'égard de la société politique. Le nationalisme ne peut être que relatif à la nation. Si l'on admet la portée universelle de la définition pontificale de la nation, le nationalisme est nécessairement distinct de la vertu de patriotisme. « *La distinction entre patriotisme et nationalisme ne tient pas* », écrivait Maurras. Et Michel Vivier de préciser, dans une réponse qui met dans une forte et légitime lumière la volonté des nationalistes intégraux de se dissocier des partisans de l'absolutisme d'État, que ce nationalisme « *est intégral, c'est-à-dire monarchique* ». Ainsi, des déclarations les plus explicites de ses représentants qualifiés, le *nationalisme intégral* se définit lui-même comme un patriotisme monarchique. Or, le patriotisme est une vertu. Comme toutes les vertus, elle doit être pratiquée aussi intégralement que possible, dans la charité vivante du Christ. Par ailleurs, l'option monarchique est une attitude *prudentielle* légitime, qui de ce fait, n'est pas au niveau de la doctrine, mais de la mise en œuvre de la vertu de prudence. Des esprits également droits peuvent, sur un tel sujet, différer légitimement d'opinion mais n'en conservent pas moins une pleine liberté de faire valoir, de façon opportune et efficace, leurs arguments. Il n'y a rien dans tout cela qui puisse susciter la moindre critique en doctrine. Et l'œuvre accomplie par les patriotes monarchistes n'est pas moins belle lorsqu'elle est affirmée de cette manière. Car si on l'affirme de l'autre manière, et comme un nationalisme intégral, on fausse le vocabulaire. *Intégral* veut dire qu'il s'agit d'un nationalisme *monarchique,* donc d'une option *politique.* Mais, « la vie nationale, dans son essence, est quelque chose de *non politique* ». Voilà donc un accouplement de deux mots qui, par substitution *inutile* du vocable « nationalisme » à celui de « patriotisme » aboutit à qualifier politiquement une réalité essentiellement non politique, et dont Pie XII nous indique qu'elle se corrompt précisément au moment où l'État (ou la politique) s'identifie en quelque façon avec la réalité essentiellement non-politique qu'est la nation. 79:10 En précisant donc que le mot nationalisme n'a pas dans le cas du « nationalisme intégral » d'autre sens que celui de patriotisme, on tend à établir que l'essence nationaliste condamnée par Pie XII ne se trouve pas dans l'essence du nationalisme intégral. Mais on n'empêche pas le vocabulaire de desservir la cause même du patriotisme monarchique dans l'Église. N'y a-t-il pas assez d'années que cette confusion est entretenue par les ennemis du droit naturel pour que les vrais patriotes comprennent enfin qu'il serait sage de briser les équivoques du vocabulaire. C'est à la faveur de ces équivoques que ces mêmes patriotes continuent d'être traités, dans l'ombre, mais efficacement, par un trop grand nombre, selon une méthode de ségrégation qu'il n'est vraiment pas utile d'encourager. Elle nous fait trop de mal. e\) Variations sur le mot « Nationalisme » :\ J. Ploncard d'Assac, Marie-Madeleine Martin, André du Val. Dans leur désir de préserver le nationalisme intégral des conséquences de la condamnation portée par Pie XII contre la « politique nationaliste », l' « État nationaliste », « le nationalisme avide de puissance », le « nationalisme aveugle » et le « faux nationalisme », nombreux sont ceux qui prétendent que le « nationalisme en soi » n'est pas atteint par ce faisceau groupé de projectiles percutant à son entour. **1**) C'est ainsi que dans un article publié dans la Nation française, M. Jacques Ploncard d'Assac signale que « *lorsque les services de presse du Vatican envoyèrent au Portugal le texte du message pontifical* (de Noël 1954), *ils n'employèrent pas dans leur traduction l'expression estado nationalista qui aurait été la traduction littérale d'* « *État Nationaliste* », *et aurait pu sembler porter condamnation du régime du Dr Salazar, qui se proclame justement nationaliste ; ils forgèrent le néologisme nécessaire* « ESTADO NATIONALISTICO » *nationalitaire, et ce fut le terme qu'employa toute la presse portugaise* ». A nous en tenir à l'emploi des mots, nous devons observer que cette importante information vient *confirmer* ce qui précède. Cela souligne que *les mêmes services de presse* du Vatican ont bien *traduit le terme italien original par le mot français* « *nationaliste* » et qu'en conséquence, *il n'y avait pas les mêmes raisons d'éviter, dans notre pays, des conséquences jugées regrettables au Portugal.* 80:10 ILS ONT TENU COMPTE DE CE QUE LE MOT DÉSIGNE, EN FAIT, DANS CHAQUE LANGUE ET CHAQUE PAYS. (Sur ce même sujet, nous reviendrons, à propos de la troisième objection, pour mettre en relief une remarque fondamentale de M. l'abbé Richard.) **2**) De même, Mlle Marie-Madeleine Martin, citant le R.P. de la Brière, distingue deux nationalismes. L'un, qui « *se confond avec la théorie des nationalités, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, pour se séparer, quand il leur plaît, de l'État auquel ils appartiennent ou pour se réunir à un autre, suivant leurs aspirations passagères* ». L'autre est la « *conception politique, qui, dans le gouvernement de l'État, considère surtout l'intérêt national, de préférence à toute autre conception juridique ou sociale* ». Nous ne pouvons que répéter que si la nation est essentiellement quelque chose de non-politique, toute définition du nationalisme comme « conception politique », ou bien tombe dans l'erreur décrite par Pie XII, ou bien maintient une confusion de vocabulaire de nature à jeter le discrédit soit sur les valeurs nationales, soit sur les devoirs politiques et patriotiques. **3**) M. André du Val, dont il est évident qu'il a depuis longtemps intégré la pensée de Charles Maurras à sa propre synthèse chrétienne, propose de son côté une définition du nationalisme qui rejoint l'observation déjà relevée d'Henri Charlier : « *Nationalisme,* écrit-il, *est synonyme de* « *patriotisme cultivé* ». Nous dirions volontiers avec lui que l'œuvre des nationalistes a contribué d'une façon éminente à la restauration d'une culture nationale non moins que d'une réflexion politique, -- sans néanmoins lui concéder que le mot « nationalisme » soit adéquat pour désigner cette restauration. f\) L'essence du nationalisme. Pie XII a-t-il, oui ou non, condamné l'essence du Nationalisme ? A-t-il, en outre condamné l'usage du mot ? Il ne nous semble pas douteux qu'il ait condamné l'essence du nationalisme, pour une raison précise. Il définit la nation comme une réalité non politique et il la définit comme quelque chose de bon. Immédiatement après, il définit l'erreur qui « *consiste à confondre la vie nationale au sens propre avec la politique nationaliste* »*.* Et pour terminer ce même passage de son discours, il parle des « *explosions de nationalismes avides de puissance* ». 81:10 Pour affirmer que l'exploitation de la nation « comme moyen pour des fins politiques » ne constitue pas la définition même de l'essence du nationalisme, il faudrait donc admettre que Pie XII emploie le qualificatif *nationaliste* dans un sens péjoratif, mais non pas le substantif *nationaliste,* employé quelques lignes au-dessous, et cela pour la seule raison que le nationalisme est lui-même qualifié « avide de puissance ». Cette hypothèse est invraisemblable. D'une part, du point de vue logique. Imagine-t-on le Pape condamnant la *politique* communiste et le communisme *athée,* mais ne condamnant pas le *communisme* en soi ? Est-ce parce que les Encycliques condamnent le « libéralisme amoral » que l'on doit en conclure qu'il existe un libéralisme moral ? On voit où mènerait une telle théorie ! Elle conduirait à *nier qu'un qualificatif puisse expliciter un des caractères compris dans l'essence même du substantif qualifié.* Ce qui est absurde. D'autre part, du point de vue de l'exégèse des textes pontificaux, cette hypothèse ne semble pas plus soutenable. Le Saint-Père aurait pris tant de soin à définir la nation, et sa corruption par la politique nationaliste, pour en venir à user du mot nationalisme comme d'un mot positif sans le signaler en quelque manière ? En effet, ni Pie XI, ni Pie XII n'ont, à notre connaissance, utilisé le mot « nationalisme » dans un sens positif. Pie XI, préfigurant la distinction de Pie XII, avait, dans l'encyclique *Caritate Christi compulsi,* distingué entre « *le sentiment de piété que l'on doit à sa propre nation* » et le « *légitime amour de la patrie* », les envisageant l'un et l'autre comme un devoir de charité ; mais C'EST FORT ABUSIVEMENT QU'UNE TRADUCTION FRANÇAISE du texte latin qui seul fait foi, a pu traduire les mots « *debitae erga suam nationem pietatis sensus* » par « *un sentiment de juste nationalisme* ». Si le Pape AVAIT VRAIMENT VOULU DIRE CELA, IL AURAIT FORGÉ LE NÉOLOGISME LATIN CORRESPONDANT. Il en use ainsi, d'ailleurs, dans la même encyclique, quelques dix lignes plus loin, où il se sert du néologisme « *communistae* » ([^20]). 82:10 C'est pourquoi nous croyons que le discours de Noël 1954 constitue à la fois la définition et la condamnation de l'essence du nationalisme. Dans son livre *Le Christ devant la question nationale*, le chanoine Barthas écrit ceci : « *L'enquête de la revue* Les Lettres *sur la question du nationalisme concluait à la nécessité de fixer spécialement l'usage des mots* « *nationalisme* » *et* « *patriotisme* » *qui sont*, *déclarait-on*, « *abusivement confondus* » (...) *La constatation très nette de l'enquête des* Lettres *fut que l'usage tendait à prévaloir de désigner par le mot nationalisme, non pas l'expression de l'amour pour son propre pays, mais la tendance à en exagérer les mérites et la puissance.* » « *Parmi tant d'exemples que nous pourrions citer pour confirmer cette constatation, signalons seulement celui de Pie XI, distinguant* « *l'amour de sa patrie et de sa race, source puissante de multiples vertus* » et le « *nationalisme immodéré* » *qui est trop souvent le* « *germe d'injustices et d'iniquités nombreuses* ». *Il semble bien que le grand Pape qui avait si profondément senti le danger doctrinal du nationalisme moderne ait ajouté l'adjectif immodéré uniquement parce qu'il n'a pas encore voulu consacrer l'usage de réserver le mot* « *nationalisme* » *pour désigner les excès ou les errements du sentiment national*. » ([^21]) g\) Quant à l'usage du mot... Ceci nous amène au second aspect de la question : Pie XII a-t-il condamné *l'usage* du mot en le consacrant dans un sens seulement péjoratif ? Une chose est certaine : Pie XII est allé plus loin que Pie XI : il a condamné la politique nationaliste, l'État nationaliste, -- et cela, absolument, sans y ajouter d'épithète. En outre, il a employé les mots « nationalismes avides de puissance » dans le contexte de cette condamnation. 83:10 Disons que l'on ne pouvait pas aller plus loin dans *l*'*orientation d'une évolution du langage,* sans toutefois vouloir pour autant mettre comme juridiquement « en posture d'hérésie et d'erreur » le mot « nationalisme » employé absolument. Mais l'orientation porte ses fruits. Dans un article publié dans l'*Osservatore Romano* pendant notre enquête, sous le titre « le sentiment national et les catholiques », le rédacteur de l'organe officieux du Vatican écrit : « *Les catholiques, leur école, et avant tout, leurs principes, leur doctrine religieuse, sont favorables à la nation, à la* « *nationalité* »* *; *mais pas au* « *nationalisme* » (...) *Le nationalisme contient un germe morbide, d'une psychopathie nuisible et à la nation intéressée, et aux peuples voisins* (...) *Il a, en puissance, et trop souvent, en acte, contre lui-même, le fait qu'il aboutit à l'exaspération de la vocation de la patrie et, contre le prochain international, à la méconnaissance de toutes les raisons d'être qui valent également pour tous*. » ([^22]) Pour cette raison, nous avons terminé l'article-thème de cette enquête en montrant que des fruits d'unité doctrinale, et la fin d'une équivoque qui hypothèque depuis trop d'années notre vie nationale et notre vie politique, pouvaient résulter du sacrifice que peut représenter pour plusieurs l'abandon du nationalisme, du mot, et s'il y a lieu, de l'erreur elle-même. h\) Deux autres objections : Fabricius Dupont et\ Maurice Bardèche. Latéralement à ces questions, il nous faut ici mentionner la position de M. Fabricius Dupont. Il a voulu « *souligner que le procès ainsi fait au nationalisme ne repose pas sur l'opposition d'une réalité à une construction* » mais sur l'affrontement de deux idées : celle qui met l'accent sur la primauté des valeurs nationales, celle qui veut les « dépasser » au profit de valeurs qu'elle estime plus compatibles avec le vœu chrétien de fraternité universelle. Cet affrontement n'est-il pas précisément celui qui dresse les *nationalistes* contre les *internationalistes, --* dans la mesure où les uns et les autres cherchent un absolu politique. Mais si l'on veut bien renoncer à chercher l'absolu dans le temporel ? L'amour de sa propre famille, s'il est raisonnablement réglé, ne tourne pas l'individu vers un égoïsme hostile à toutes les autres familles. 84:10 Ainsi, le patriotisme n'exclut pas l'harmonie avec les autres États. Il y conduit. A l'inverse, le nationalisme cherche le bien particulier et l'utilité d'un pays au détriment, sinon nécessaire, du moins éventuel, des autres. C'est pourquoi le patriotisme, apparaissant dans la ligne de la raison, est dit une *réalité* en accord avec l'ordre naturel, et le nationalisme, une *construction* résultant d'une déviation de cette vertu de patriotisme, si naturelle qu'il n'en est peut-être aucune que les anciens aient vantée davantage. C'est ainsi dans ce sens que nous aurions répondu à Maurice Bardèche, s'il avait eu la possibilité d'expliciter davantage sa pensée. Il parle d'une « *évolution du nationalisme au-delà du cadre des anciennes nations* ». Ne s'agit-il pas plutôt du sentiment nouveau d'une solidarité plus haute, dans le cadre d'une société des États, capable de fonder organiquement la Paix, et dont les efforts s'ils sont fondés sur la loi divine, ne sauraient détruire les autres valeurs naturelles que sont le patriotisme et le sentiment national ? La belle étude qu'a bien voulu nous donner Victor-Henri Debidour ([^23]) contient d'admirables pages, qui doivent être non pas seulement lues, mais méditées, car elles vont très profondément au cœur des motifs qui font que le patriotisme simplement vécu, loin d'être un obstacle vers plus grand que lui, y conduit naturellement. Étant reconnaissance d'une paternité, il conduit à la plus haute Paternité et à la prise de conscience de l'universelle Fraternité. Pour cela, il n'a besoin que de se rectifier selon la raison, -- non de s'anéantir. #### III. -- Le bien commun sans Dieu dégénère en absolutisme. TROISIÈME OBJECTION. La « *politique nationaliste* » et « *l'État nationaliste* » *sont mauvais dans la mesure où ils expriment un absolutisme, intérieur ou extérieur. Or, le nationalisme intégral est fondé sur un empirisme organisateur qui, d'une part, reconnaît et formule les* « *humbles lois du réel* »*, d'autre part, prescrit une* « *politique naturelle* ». *Donc, le caractère intégral de ce nationalisme, s'il conduit à la monarchie, ne conduit pas à l'absolutisme d'État.* 85:10 Nous avons jusqu'ici examiné si la présente réflexion critique sur le nationalisme était opportune ; nous avons essayé de comprendre l'exacte portée de la condamnation faite par Pie XII de l'essence du nationalisme, et du doute sérieux qui incline à renoncer au terme lui-même. Il nous faut maintenant aborder une question plus particulière : celle de la nature des deux nationalismes qui, dans notre tradition, se sont successivement dégagés et d'ailleurs, opposés : le nationalisme jacobin et le nationalisme intégral. a\) André Frossard et le nationalisme jacobin. Le nationalisme jacobin n'a guère été évoqué. Nul ne s'est porté à sa défense. André Frossard nous a, en peu de lignes, donné de ses nouvelles : elles sont mauvaises. « *Il est,* écrit-il*, depuis des années tellement aplati qu'il se tient bien au-dessous des condamnations papales. Il ne retrouve de faibles forces qu'au spectacle du nationalisme des autres ; c'est un nationalisme de voyeurs, impuissant et ficelé de complexes. Il ne s'appuie pas sur l'évidence de la patrie, qui joue en politique le rôle du* « *monde extérieur* » *en philosophie, mais sur une certaine idée de l'homme métaphysiquement informe.* » Il n'est pas douteux que le nationalisme jacobin a été, en France, aussi totalement que possible, un modèle du nationalisme condamné par Pie XII. C'est lui qui a, le premier, fondé l'État sur la nation, en mettant dans le peuple la source ultime de la souveraineté. Une remarque est ici nécessaire. Cet absolutisme d'État a déterminé les guerres idéologiques de la Révolution et de l'Empire. Surtout, il a servi de modèle concret au principe des nationalités appliqué en Europe et dans les autres continents. Nous ne devons pas oublier, devant les incendies qui se sont multipliés en Asie et en Europe, qu'ils ont été allumés par les principes de la Révolution française. Mais André Frossard n'en a pas moins pleinement raison de dire qu'en France, le nationalisme jacobin est aplati, impuissant, vidé de sa substance. Il ne s'appuie pas, il ne s'est jamais appuyé sur l'évidence de la Patrie, mais effectivement sur une monstrueuse idée de l'homme. Le nationalisme des « Grands Ancêtres » n'était pas en réalité un nationalisme français. Le France n'était pour lui que l'instrument d'une idéologie rationaliste : la substitution de la souveraineté du Peuple aux lieu et place de la souveraineté de Dieu. 86:10 Dans une large mesure, cette abominable mission a malheureusement réussi. De ce fait, le dynamisme nationaliste qui l'inspirait a perdu sa raison d'être. Il en demeure des vestiges : la célébration du 14 juillet, fête laïque de première classe avec octave privilégiée, lâcher de pigeons, fêtes sportives, feux d'artifices et bals des rues. Mais nul n'y croit plus. Ce n'est qu'une survivance. Nos problèmes d'aujourd'hui ne sont plus là. Un jeune homme, en 1957, est catholique militant, existentialiste ou bien marxiste. Mais ce n'est plus un nationaliste dans le style du 14 juillet. C'est une réflexion profonde que nous a livrée André Frossard, selon laquelle « *l'évidence de la patrie joue en politique le rôle du* « monde extérieur » en *philosophie.* » Car, en philosophie, on ne démontre pas le monde extérieur. Il existe et il est évident en soi. Cela ne signifie pas, malheureusement, qu'il est également évident pour tous. L'idéalisme dérivé de Kant, cette maladie de l'esprit, en témoigne. *Il en va de même de la Patrie.* Elle nous prodigue ses dons avant que nous nous en doutions. Elle nous accueille, nous entoure, nous porte mille richesses que nous ne voyons plus tant elles nous semblent dues, -- comme nous semble dû l'air que nous respirons. Mais c'est à travers ses dons, et à travers elle, que nous découvrons la vie politique, ses principes et ses fins. Le nationalisme jacobin n'a pas voulu ni pu s'appuyer sur cette évidence. Il eût fallu accepter Rémi et Clotilde, Geneviève et Jeanne, -- et saint Louis !... Il a voulu la nation sans eux. Il n'est plus que chimère vieillie, passion écœurée d'elle-même, cendres tristes d'un dimanche sans Dieu. b\) La réponse de Michel Vivier. Nous voulons exprimer une gratitude singulière à Michel Vivier. Les deux parties de son étude manifestent avec une netteté et une force remarquable *l'effort que la génération présente des monarchistes catholiques a fait pour enrichir un ordre intellectuel essentiellement chrétien de tous les éléments positifs de la pensée de Charles Maurras.* La réponse de Michel Vivier comprend deux parties. La première porte sur l'origine de l'autorité et expose « le compromis nationaliste ». Nous l'examinerons, en conclusion, à propos de la quatrième objection. La seconde s'intitule « le nationalisme et l'ordre chrétien ». 87:10 Reprenant les mots mêmes de Pie XII, qui demandent de ne pas faire de la nation la base d'une politique absolutiste, Michel Vivier a brossé, en moins de cinq pages, un exposé des thèmes fondamentaux de la politique intérieure et extérieure de Charles Maurras pour montrer ainsi « *la vraie nature du nationalisme intégral, et combien il est foncièrement différent des absolutismes de toutes couleurs* ». c\) La réponse d'Henri Rambaud. Henri Rambaud a patiemment suivi, avec son étonnante puissance discursive, le chemin des cimes de la pensée politique de Maurras, -- nous voulons dire des sommets où cette pensée, qui s'élève vers le Ciel, avoue son impuissance à monter plus haut, s'enveloppant, parfois, de nuages, pour dissimuler son échec. Cette analyse est précieuse sous bien des rapports. En particulier, elle permet de définir les difficultés avec une grande précision. Résumons les problèmes évoquées et les réponses qu'apporte Henri Rambaud. 1. -- Charles Maurras a-t-il ordonné les institutions fondamentales de la société à la seule valeur politique de la nation, ou à un impératif politique quelconque ? Non, ce qui règne sur lui, et le meut, est tout autre chose : une certaine notion de l'homme, elle-même commandée par une certaine idée de l'Être. Notion juste ? ou fausse ? Certainement insuffisante pour un chrétien ; suffisante pour soustraire Maurras à l'étroitesse essentielle des nationalismes. 2. -- Charles Maurras fondait-il sa pensée politique sur la seule industrie humaine, sur la seule mise au point de la méthode qu'il a nommée un « empirisme organisateur » ? Non, il y a pour Maurras, une nature des choses. Il a simplement disjoint Dieu et son œuvre. Mais son analyse est fondée sur l'ordre créé, non sur un système conceptuel né de l'industrie de l'homme. 3. -- Maurras donc voyait l'ordre créé et n'en concevait pas la cause. Faute de logique ? Contradiction ? Non pas, nécessairement, contradiction, mais inconséquence. Il voyait l'ordre de l'Univers, mais il en percevait les échecs, les souffrances et les deuils, et ses doutes renaissaient sans cesse. 88:10 d\) Charles Maurras et le Bien commun. Les réponses qui précèdent tendent essentiellement à prouver que la pensée politique de Maurras incroyant reste valable sinon intégralement, du moins essentiellement pour des croyants. Nous croyons avoir établi le contraire ([^24]). Il ne nous reste qu'à évoquer le fil conducteur de la démonstration. Les défenseurs de Maurras, à ce sujet, constatent que sa doctrine est fondée sur un empirisme auquel il a manqué, jusqu'aux derniers temps de sa vie, le couronnement de Dieu. Ils constatent en outre que la mise en œuvre pratique des normes ainsi dégagées correspond donc à l'ordre social naturel. Ils en citent des exemples probants et concluent que Maurras est exempt de tout absolutisme. Tous ces points sont discutables : Dans l'ordre spéculatif, l'empirisme de Maurras est imprégné de positivisme. Maurras a explicitement indiqué que cet empirisme conduisait à une *physique sociale.* Il n'a pas seulement emprunté le mot à Auguste Comte ([^25]), mais aussi l'erreur. Celle-ci est manifeste quand elle aboutit à établir systématiquement des constantes entre des formes institutionnelles, considérées comme causes essentielles de l'ordre politique, et les bonheurs ou les malheurs français. Charles Maurras fait, ainsi, abstraction de la nature morale des lois sociologiques et par le fait même de la causalité fondamentale de l'acte humain dans l'intégralité du développement de la vie sociale. Il ne suffit pas de couronner une telle représentation en l'attribuant à Dieu comme à sa cause pour la rendre pleinement satisfaisante. Dans l'ordre pratique, ce positivisme sociologique se projette en positivisme juridique. Il se réfracte sous deux rapports. En premier lieu, Charles Maurras entraîne à une mise en œuvre très incomplète, il faut même dire profondément désordonnée, de l'action politique. Il veut mettre en œuvre les lois de la physique sociale en la livrant aux pouvoirs du libre arbitre. 89:10 L'action politique se présente alors non pas d'abord comme la régulation interne que la personne s'impose à elle-même, puis que les groupes s'imposent ensemble, sous tous rapports, dans le respect ou en vue du bien commun. Elle se présente comme la mise en œuvre externe d'une transformation institutionnelle par elle-même efficace. Elle aboutit finalement, non pas d'ailleurs dans l'ordre d'intention, mais dans l'ordre d'exécution, à séparer de façon exagérée la réforme des institutions de la réforme des mœurs, et à donner, en doctrine politique, le primat pratique à la première sur la seconde. Or, ce n'est pas le Sillon qui affirme le primat nécessaire de la réforme des mœurs sur la réforme des institutions, c'est l'Église. En second lieu, n'affirmant pas Dieu, DANS L'ORDRE SPÉCULATIF au principe de la société, *Maurras ne peut pas*, DANS L'ORDRE PRATIQUE, *ordonner la Cité à Dieu. Il ne peut pas non plus ne l'ordonner à rien. Alors, en pratique, dans sa vie intérieure comme dans le développement de sa pensée politique.* A QUOI MAURRAS ORDONNE-T-IL LA CITÉ POLITIQUE ? A ce sujet, Henri Rambaud répond : « *à une certaine idée de l'homme, commandée par une certaine idée de l'Être* ». Michel Vivier remarque que Maurras demande à ce sujet de « *quitter la dispute du Vrai et du Beau pour la connaissance de l'humble Bien positif* ». Et André du Val considère que l'adjectif intégral signifiant monarchiste, Maurras « *par là même reconnaît l'éternelle Paternité de Dieu* ». Ces réponses sont-elles satisfaisantes, alors précisément que nous sommes DANS L'ORDRE DE L'AGIR, DANS L'ORDRE DE LA TENSION ENTRE L'AME ET SA FIN, dans l'ordre suprême qui dispose les anges et les mondes, les sociétés et la société, et dans lequel l'homme est appelé à s'inscrire librement, mais selon l'ordre voulu par la Sagesse, la Justice et l'Amour de Dieu. En vérité, nous ne le croyons pas. Nous comprenons que l'amitié que Maurras a méritée de ceux qui le défendent et qui sont catholiques, puisse leur inspirer de recouvrir ce douloureux problème d'un manteau de charité. Elle les honore et, dans l'ordre des relations particulières qui ont pu les unir à lui, elles sont profondément légitimes. Mais cet ordre n'est pas le seul. Au-dessus de lui, il y a l'ordre du bien commun, non pas simplement politique mais du bien commun universel, du bien commun catholique. 90:10 De ce point de vue, nous devons insister plus qu'il ne le font -- car au vrai, ils le font, -- sur la tragédie de *cette crise de finalité au sein de la conception politique* de Charles Maurras. Car Henri Rambaud sait bien que l'idée de l'Être à quoi Maurras ordonne son action n'est pas fondée sur l'humilité d'intelligence qui seule situe la connaissance du monde dans ses perspectives véritables. Michel Vivier sait bien que si l'on quitte la dispute du Vrai pour la connaissance de « l'humble Bien positif », le Bien positif dont parle Maurras ne reçoit ce B majuscule que pour masquer le positivisme qui fait que, n'étant ordonné à aucun Bien suprême, ce bien positif n'est, EN FAIT, ordonné qu'à lui-même. André du Val lorsqu'il dit que Maurras étant monarchiste, reconnaît par là même l'éternelle paternité de Dieu, sait bien que l'on peut être républicain et comprendre que l'autorité du gouvernement vient de Dieu, -- et que l'on peut être monarchiste et ne pas le comprendre. Alors ? Admettrons-nous que dans sa vie intérieure, Maurras a disposé toutes choses COMME SI DIEU avait été le but de sa pensée et de sa volonté ? Admettrons-nous que dans l'élan même de sa vie, Maurras a disposé ses actes avec l'équilibre et l'ordre que requiert la seule nature, peut-être, mais que seule la grâce permet de réaliser pleinement ? Nous ne le croyons pas. Dans l'ordre pratique, Maurras a ordonné la Cité politique à ce qu'il nomme « l'humble Bien positif » : ce qui, si les mots ont un sens, signifie en bonne métaphysique, à son propre bien de Cité. La curieuse rencontre de cette *humilité* (qui est vertu non pas naturelle, mais chrétienne), de cette *majuscule* (qui ne convient qu'aux fins dernières) et du relativisme juridique qu'introduit, comme un démenti de cette majuscule, le mot *positif,* ne constituent-ils pas un aveu textuel ? Le Bien commun est la fin prochaine de l'action politique. Si cette action n'est pas elle-même ordonnée à sa fin dernière, le Bien commun sans Dieu dégénère en absolutisme. Et l'élan même de Maurras vers la France n'est-il pas d'un mystique, plus que d'un citoyen ? Prenons un exempte, pour nous faire mieux comprendre. 91:10 Si la visée entière de la vie de Maurras avait porté sur le drame social ? S'il avait mis sa passion au service de la misère du prolétariat ? S'il avait mis son génie au service de l'élaboration d'une doctrine sociale, et non d'une doctrine nationale ? S'il avait fondé cette doctrine sur l'empirisme organisateur et sur l'élaboration de lois physiques du progrès social maniées par le libre arbitre humain, Maurras, dans sa quête de toute une vie vers Dieu, mais amoureux toute sa vie de l'absolu, eut-il été social ou socialiste ? Parallèlement, a-t-il été national, ou nationaliste ? Il n'a pas tiré les conclusions pratiques de ce nationalisme essentiel sous la forme d'un absolutisme politique intérieur ou extérieur pour une raison étrange, et protectrice : c'est que « l'humble Bien positif » à quoi il ordonne tout, son âme en douloureux conflit avec elle-même *le situe dans la tradition chrétienne.* C'EST POUR CELA QUE MAURRAS EST UN TEL CHAMP DE BATAILLE. Les chrétiens qui l'aiment retrouvent en lui leur bien. Ceux qui le combattent découvrent en lui le noyau, sombre et mystérieux, d'un absolutisme contenu qui, défiant de lui-même, s'est protégé en s'enveloppant dans le manteau de la Patrie, avec un cœur qui dans son Centre, savait que cette Patrie est fille de Dieu, Fille aînée de l'Église, et qu'elle saurait, par son intercession, par Lourdes ou par Lisieux, l'empêcher d'errer et de faire tout le mal que le Refus de son adolescence aurait pu lui inspirer de commettre. Maurras, n'ayant pu se placer en Marie comme au sein d'une Armée rangée en bataille, s'est protégé en se réfugiant dans l'âme de la France chrétienne. Elle fut moins exigeante pour lui dans l'ordre de l'intimité de l'âme, mais n'en parvint pas moins, par les mérites accumulés pendant tant de siècles, à le protéger contre lui-même dans l'ordre du service de la Patrie, et parfois même à l'utiliser comme un instrument, dans les itinéraires, si divers, qui mènent ou qui ramènent à Dieu. Mais quel Apôtre du Christ il eût fait ! Quel Saint ! Et quel échec ! Pour lui, dont la vocation réussie aurait pu, peut-être, déterminer la résurrection chrétienne de la France et, par la France, des autres nations ! Quel échec pour la Patrie, qui a souffert des conséquences de cette infidélité d'une vie que Dieu voulait consacrer à la France à condition que cette vie d'abord, soit consacrée à Lui ! Quel échec pour l'Église, qui a bien pu louer en lui un défenseur, pour rendre hommage aux indirectes conséquences chrétiennes de son action, mais qui a perdu son amour, sa prière, son sacrifice, la pure flamme de la vie divine dans son cœur, -- pendant les dizaines d'années où se jouaient tant de choses. 92:10 Car si Charles Maurras, au lieu d'être le Maître du nationalisme intégral, avait été, pour promouvoir une politique naturelle et chrétienne, un Apôtre, humble et fort, du Christ Jésus, l'histoire de l'Église de France aurait été tout autre. Pour dire toute notre pensée, il y aurait peut-être aujourd'hui moins de chrétiens qui ne savent pas ce qu'ils font. \*\*\* ET MAINTENANT ? Aurons-nous encore l'affreux courage d'achever notre démonstration ? Nous faut-il répondre encore à Pierre Boutang, qui nous dit que l'on peut nier l'origine divine de l'autorité et être ou n'être pas nationaliste ? Nous faut-il répondre à Pierre Debray, qui évoque les humbles loi du réel ? Nous faut-il répondre à Henri Massis, qui redoute que l'on confonde l'ordre des moyens au temporel et l'ordre des fins au spirituel ? Nous faut-il reprendre avec Gustave Thibon les amicales conversations de notre automne canadien ? Nous ne le ferons qu'en empruntant à l'abbé Richard une réflexion terminale : « *Un œil réaliste devrait voir que nous sommes arrivés à un stade de la vie de l'humanité où la référence implicite à Dieu ne suffit pas. A partir du moment où Dieu est nié ouvertement par beaucoup, la méthode de prétérition, le* « ne pas en parler » *joue dans le sens de la négation, et ne permet pas le redressement essentiel qui s'impose* (...) » Et l'abbé Richard poursuit, un peu plus loin : « *Il est clair que si Rome a eu scrupule de jeter une note défavorable sur l'État nationaliste de Salazar, c'est précisément parce que l'État Portugais est fondé sur la reconnaissance explicite de l'autorité de Dieu, auteur de l'ordre moral naturel.* » #### Conclusion « la réforme des institutions n'est pas aussi urgente que celle des mœurs ». QUATRIÈME OBJECTION. *On fait grief à Charles Maurras de ne pas affirmer l'origine divine de l'autorité. Or, pour rassembler les Français au service de leur patrie temporelle, il est nécessaire que cette patrie et son gouvernement ne soient point l'objet d'une dispute métaphysique.* 93:10 *Donc, le* « *compromis nationaliste* » *est une nécessité pour fonder l'unité entre les Français, croyants et incroyants.* Dans la première partie de sa réponse à l'enquête, Michel Vivier invoque l'argument du « compromis nationaliste ». Il écrit en particulier : « *Pour rassembler les Français, au service de leur Patrie temporelle, il est nécessaire que cette Patrie et son gouvernement ne soient point l'objet d'une dispute métaphysique, il est nécessaire que la désunion sur les principes n'empêche point l'accord sur les actes* (...). *Les esprits purs se récrieront, et pourtant rien n'est plus naturel : cette méthode que Maurras applique sur le Forum, nous voyons les chrétiens les plus stricts la mettre en œuvre dans leur vie quotidienne*. *Au chevet d'un malade, le médecin athée et la sœur de charité ne disputent point de la Providence, mais unissent leurs efforts pour vaincre la maladie. Et les soins que la Sœur prodigue à son malade ne la dispensent pas de prier pour lui. Et il se peut bien que ses prières soient autrement puissantes que ses soins. N'empêche qu'avec toute sa foi, elle ne refuse point son concours au médecin athée, ni même ne tente de lui prêcher son credo : elle consent à parler avec lui, non le langage de la prière, mais seulement le langage des soins, le langage tout terrestre de la Médecine. Le compromis d'ordre médical qui s'instaure ainsi entre la Sœur et le Médecin est à l'image exacte du* « *compromis nationaliste* » *que Maurras souhaite instaurer entre les Français.* Michel Vivier nous permettra-t-il de lui faire remarquer, d'une part, qu'il simplifie un peu systématiquement le compromis d'ordre médical, et d'autre part, que le compromis nationaliste n'est pas l'image exacte du compromis médical. Il schématise trop systématiquement le compromis d'ordre médical. Au cours d'une opération, ou d'un accouchement difficile, il y a des problèmes moraux qui se posent, des problèmes religieux. Et il peut arriver que la religieuse choisisse de détourner le médecin d'orienter son intervention dans le sens qu'il envisage, plutôt que de l'aider. Dans un tel cas, qui est de plus en plus fréquent, au fur et à mesure que les progrès de la science scrutent plus profondément les frontières de la matière, de la vie et de l'esprit, la dispute métaphysique l'emporte en urgence, dans l'ordre d'exécution, sur le compromis technique. En un mot, le compromis technique ne vaut que dans la mesure où le médecin se fait de la dignité humaine une idée conforme au réel. 94:10 Or, déjà sur ce plan, le compromis nationaliste est voué à l'échec. Ce qui s'effondre, en notre vingtième siècle, c'est la claire conscience du droit naturel et de la dignité humaine. On ne peut rendre cette conscience, nous croyons l'avoir montré, que par la Révélation et avec le secours de la grâce de Dieu. Mais, surtout, le compromis nationaliste n'est pas l'image exacte du compromis médical. En effet, le compromis médical est souvent possible et souhaitable, précisément parce qu'il se situe au niveau de la mise en œuvre de la vertu de prudence. Cette vertu n'a pas pour objet de prescrire des fins, mais seulement de régler les actes tendant vers une fin. Dans la mesure où la fin prochaine est commune, le croyant et l'incroyant peuvent, le premier en prenant certaines précautions, unir leurs efforts pour la poursuivre ensemble. Mais le nationalisme intégral n'a pas été une simple prudence, se développant essentiellement dans le cadre de la doctrine de l'Église, susceptible à ce titre de poursuivre accidentellement ou même fréquemment des buts politiques bons en union avec des incroyants. Le nationalisme intégral est une doctrine. Le compromis auquel il convoque n'est pas un compromis prudentiel, c'est un *compromis doctrinal.* Ce compromis doctrinal consiste à payer l'adhésion des incroyants au prix de la négation du *caractère essentiellement moral de la réalité politique.* Il conduit à désarticuler la connexion intime qui existe ontologiquement entre le Droit et son Auteur. Logiquement enfin, ce *compromis doctrinal* conduit à un *compromis prudentiel* illégitime : celui qui demande de faire, dans l'ordre d'exécution, L'ACCORD SUR LA RÉFORME POLITIQUE D'ABORD EN NE DONNANT PAS SA PLACE LÉGITIME A LA RÉFORME DES MŒURS. Or, le Pape Pie XII vient de nous rappeler, dans son Message radiophonique de Noël 1956, que « *la réforme des institutions n'eut pas aussi urgente que celle des mœurs. Et celle-ci, à son tour, ne peut être accomplie que sur la base de la véritable réalité de l'homme, celle qu'on vient apprendre avec une religieuse humilité devant le berceau de Bethléem. Dans la vie des États eux-mêmes, la force et la faiblesse des hommes, le péché et la grâce jouent un rôle capital* ». 95:10 « *La politique du XX^e^ siècle ne peut ignorer ni admettre qu'on persiste dans l'erreur de vouloir séparer l'État de la religion au nom d'un laïcisme que les faits n'ont pas pu justifier*. » \*\*\* DIEU EST LE PÈRE de la famille des nations. Il est l'Auteur de la société des États. Un juste sentiment national, un nécessaire patriotisme ne peuvent être réglés que sous Son regard. Nous aimons la France à cause de Lui. Nous aimons les autres Nations, nos sœurs, à cause de Lui. Nous aimons la France, du fond du cœur, parce qu'elle est nôtre, c'est-à-dire parce que dans son ordre, elle nous a, sous un certain rapport, engendrés. Mais si nous l'aimons tant, si les autres peuples l'aiment tant, à travers ses fautes, ses effondrements et ses résurrections, c'est à cause de la Vocation qu'elle a reçue de Dieu. C'est à cause de l'invisible, mais séculaire et présente Fidélité qu'elle a mis à répondre, génération après génération, à cette Vocation ([^26]). Elle ne peut, aujourd'hui comme hier, être fidèle à cette vocation qu'en étant d'abord, avant tout et sans condition, fidèle à Dieu. Le Pape Pie XII a confirmé ce que, comme légat du Pape, le Cardinal Pacelli avait affirmé à ce sujet, le 13 juillet 1937, sous les voûtes de Notre-Dame de Paris. La charte de la France, ce n'est point le nationalisme intégral. C'est l'appel que Pie XII lui a lancé : « *Orate, amate, vigilate.* » Elle ne peut, aujourd'hui comme hier, être fidèle à cette vocation qu'en s'appuyant d'abord, non sur ses propres forces, non sur une sagesse simplement naturelle, mais sur le Dieu de Clotilde. Car la France catholique est née à Reims, du baptême de Clovis donné par saint Rémi. Elle a jailli de la conversion d'un peuple, uni à son chef, répondant à l'appel de Dieu. Mille ans plus tard, le royaume, occupé aux deux tiers depuis quatre-vingts ans, semble voué, par le sens de l'histoire, à une perte certaine. Le Seigneur, fidèle au pacte de Reims, suscita une jeune fille qui, par sa prière, par son obéissance et par son sacrifice, obtint le sacre du Prince, la délivrance de la Patrie, et donna à jamais à l'amour de la France sa merveilleuse saveur. 96:10 Il y a quelques mois, au moment où s'accumulaient dans notre ciel les nuages qui sont aujourd'hui si pesants, le Pape Pie XII nous a donné comme un viatique, la précieuse assurance que le pacte de Reims, s'il est oublié de tant d'hommes, n'est pas oublié de Dieu : « Il n'est pas rare qu'aux instants les plus critiques, ainsi qu'un coup de vent rompt les nuages et laisse voir l'étoile qui guidera le navigateur au port, le Seigneur envoie l'inspiration surnaturelle qui doit faire d'une âme le salut de son peuple. Levez donc les yeux, fils bien-aimés, dignes représentants d'une nation qui se glorifie du titre de fille aînée de l'Église, et regardez les grands exemples qui vous ont précédés (...). S'il peut sembler un moment que triomphent l'iniquité, le mensonge et la corruption, il vous suffira de faire silence quelques instants et de lever les yeux au ciel, pour imaginer les légions de Jeanne d'Arc qui reviennent, bannières déployées, pour sauver la patrie et sauver la foi ([^27]). » Marcel CLÉMENT. 97:10 ## DOCUMENTS 98:10 #### LE MESSAGE DE NOËL *D'emblée, le Message de Noël du Saint-Père a connu un immense retentissement.* *L'A.F.P. en avait transmis aux journaux non point des extraits, mais le texte intégral. Parmi les quotidiens politiques,* L'AURORE *du* 24 *décembre en donna les plus larges reproductions. La publication complète fut assurée par* LA CROIX *dans ses numéros du* 25 *et du* 27 *décembre ; on peut l'y demander* (5*, rue Bayard*) ; *ou encore à la* DOCUMENTATION CATHOLIQUE (*même adresse*) ; *aux* NOUVELLES DE CHRÉTIENTÉ (25*, boulevard des Italiens*) ; *aux* DISCOURS DU PAPE (8*, rue Thiers, Angers*) ; *et naturellement à l'édition française de* L'OSSERVATORE ROMANO (6*, rue Christophe-Colomb à Paris, VII^e^*)*.* *Les sous-titres et intertitres du Message de Noël, dans* L'OSSERVATORE ROMANO (*édition française,* 28 *décembre*), *dans les* NOUVELLES DE CHRÉTIENTÉ (*même date*) *et dans la* DOCUMENTATION CATHOLIQUE (6 *janvier*)*, sont ceux de la traduction officielle. De même, pour les deux premières parties du moins, dans* LA CROIX (25 *décembre*)*. Dans la dernière partie,* LA CROIX (27 *décembre*) *a supprimé, sans doute pour gagner de la place, les intertitres suivants :* « *Contrastes dans le domaine religieux* »*,* « *Tendances nocives* »*,* « *Colloques et rencontres* »*,* « *Le service militaire, les armes et la guerre* »*.* \*\*\* *Des écrivains et journalistes qui ne sont pas catholiques, comme principalement ceux de* L'AURORE*, ont exprimé leur émotion, leur respect, leur reconnaissance au Père commun de tous les hommes.* *M. Robert Bony, dans* L'AURORE *du 24 décembre :* Le Pape a adressé hier matin à la Chrétienté son message annuel. Un message qui est une véritable Charte pour les hommes libres, car les paroles pontificales ont rendu cette année un son particulièrement grave... *M. Jules Romains, qui pas davantage n'est catholique, dans* L'AURORE *du* 28 *décembre :* 99:10 Le Pape Pie XII s'est arrangé pour tout dire ; tout ce qu'il était essentiel de dire dans le moment présent ; tout ce qu'il est capital de ne pas perdre de vue dans les temps qui viennent. Il l'a dit avec une carrure et un cran magnifique ; avec le dédain des précautions et des euphémismes... *Certes, les commentaires ont été surtout* « *politiques* »*. Pierre Boutang le remarquait dans* LA NATION FRANÇAISE *du* 26 *décembre :* Le Message de Noël constitue un fait majeur, en politique et en morale, de cette fin d'année... Dès maintenant il faut noter que la presse française (*La Croix* mise à part), tout en donnant une large place à ses affirmations pratiques, l'a tristement tronqué des principes qui les éclairaient et qui les fondaient. *Le P. Gabel a repris et développé cette remarque de M. Boutang* (LA CROIX *du* 29 *décembre*) : On a insisté sur les jugements et les orientations concernant les événements actuels... N'a-t-on pas oublié de mettre en relief l'essentiel, c'est-à-dire les principes immuables qui éclairent les prises de position du Saint-Père ? ~===============~ #### PARENTHÈSE : UNE INQUIÉTUDE LA CROIX *fait naître en nous une inquiétude. Nous avions pris acte de sa résolution d'être, selon la lettre-circulaire du P. Gabel,* « *plus loyale et plus dynamique* »*. Nous avions fait connaître à nos lecteurs, avec objectivité, avec sympathie, la mise en route, à partir du* 19 *novembre* 1956*, d'une* « *nouvelle formule* » *qui était prometteuse.* *Nous avons des motifs de craindre que notre espérance ne soit déçue.* *Nous avons même été choqués, nous l'avouons tout uniment, par la manière dont l'éditorialiste de* LA CROIX *a, le* 8 *décembre, pour la fête de l'Immaculée Conception, couvert d'injures un écrivain catholique aussi estimable, aussi respectable que M. André Frossard.* *Le* 7 *décembre, M. André Frossard avait posé une question, qui est apparemment une question de bon sens. Il avait écrit avec une parfaite courtoisie, nous citons intégralement :* 100:10 Dans son allocution du 10 novembre, le Pape évoquant les souffrances de la Hongrie, demandait « que l'on s'occupe au plus tôt de resserrer à nouveau les rangs et de grouper dans un solide pacte public tous ceux qui, gouvernements et peuples, veulent que le monde suive le chemin de l'honneur et de la dignité des enfants de Dieu, un pacte qui soit capable aussi de défendre efficacement ses membres de toute attaque injuste contre leurs droits et leur indépendance ». Le message du Souverain Pontife m'avait paru clair : les nations en état de disposer d'elles-mêmes, instruites par les événements de Hongrie, étaient invitées à grouper leurs moyens de défense contre les entreprises de totalitarisme armé. Étais-je dans l'erreur ? Le principal journal catholique de Paris, *La Croix,* avertit en effet ses lecteurs : « Ici, dit-elle, lisons bien le texte du Souverain Pontife. « Il ne s'agit nullement d'un pacte réservé au monde occidental ou aux nations dites libres, mais d'un pacte destiné à tous les peuples de l'Est et de l'Ouest, membres de la commune famille humaine. » Les commentaires ont généralement pour effet de clarifier les textes difficiles. Par malheur, c'est ici tout le contraire qui arrive, et l'exhortation à « bien lire » qui nous est faite est suivie d'une petite exégèse qui m'enlève presque tout espoir de lire désormais avec fruit. Oh ! je ne doute pas que *La Croix* ne soit infiniment plus qualifiée que moi pour dégager le sens des documents pontificaux, mais son interprétation me déconcerte. Acceptera-t-on de m'expliquer comment, si le « solide pacte public » recommandé par le Pape ne concerne pas seulement les nations « dites libres », les nations enchaînées de l'Est parviendront à s'y associer SOLIDEMENT et PUBLIQUEMENT ? *Point de vue erroné ? Question sotte ? La Croix pouvait au moins y répondre.* *Sur le fond, nous croyons que* LA CROIX *n'a pas serré de suffisamment près le texte ; ou du moins, qu'elle en a donné une interprétation qui laisse en effet place au malentendu, et qui justifiait la question de M. André Frossard.* *En tous cas, et quelle que soit la réponse à la question, la question se trouve toujours pendante : aucune réponse n'a été fournie sur le fond, par* LA CROIX*, à la question posée.* \*\*\* 101:10 *Mais si* LA CROIX *n'a pas répondu sur le fond, elle a trouvé opportun, dans son éditorial du* 8 *décembre, de couvrir d'injures M. André Frossard, à cause de la question qu'il avait courtoisement posée.* *L'éditorial de* LA CROIX*, selon un procédé indéfendable, commence par* « *amalgamer* » *l'écrivain catholique André Frossard avec toutes les particularités réelles ou supposées du journal politique dont il n'est qu'un des rédacteurs. Elle l'accuse de* ...se faire lire par beaucoup de catholiques tout en exploitant les réflexes les plus rassurants pour la bonne conscience et les moins inquiétants pour ce qu'il appelle l'ordre. *Puis l'éditorial de* LA CROIX *ajoute ceci, qui est foncièrement inexact, et qui donne une idée tout à fait fausse de la question posée par M. Frossard* (*si bien que les lecteurs de* LA CROIX *ignoreront toujours en quoi consistait exactement cette question*)*.* A vrai dire, son exégèse de la parole pontificale procède par questions et insinuations, ce qui est bien la manière la plus insidieuse de jeter le trouble dans les esprits. En réalité, ces bons apôtres visent très exactement à nous mettre en contradiction avec le texte du Saint-Père. *Là-dessus,* LA CROIX *expose que M. André Frossard aurait voulu, ce faisant,* « *attaquer* » *S. Em. le Cardinal Feltin ! Et elle continue, en s'efforçant à des grimaces de mépris :* Si les exégètes d'occasion avaient pris connaissance de tous les textes, ils éviteraient de faire aux autorités ecclésiastiques un procès de tendance. Mais n'est-ce pas ce procès qui constitue le fond de leur politique ? *En fait d'* « *insinuations insidieuses* »*, il y en a plusieurs dans cet éditorial de* LA CROIX*, qui dit encore :* 102:10 Pour comprendre chrétiennement ces exhortations (du Saint-Père), il faut renoncer à certains simplismes politiques, s'abstenir de tirer à soi l'enseignement pontifical, se placer dans une perspective de catholicité. *De tels propos ressemblent fort à une recherche volontaire d'incidents polémiques. Adressés à M. André Frossard, ils sont violemment choquants. L'auteur du Sel de la terre et du Voyage au pays de Jésus est l'un des premiers et des plus profonds écrivains catholiques français de notre temps. L'accuser de* « *simplisme politique* »*, le traiter d'* « *exégète d'occasion* »*, le soupçonner d'* « *exploiter les réflexes les plus rassurants* »*, prétendre qu'il ne se place pas* « *dans une perspective de catholicité* » *sont autant d'injustices éclatantes.* *Trouver ces injustices dans l'éditorial de* LA CROIX *nous a causé une peine profonde et une cruelle déception : nous avions cru comprendre qu'avec sa* « *nouvelle formule* »*,* LA CROIX *s'efforcerait loyalement d'éviter des procédés qui avaient tant nui à l'audience de son ancienne formule.* *M. André Frossard avait peut-être tort sur le fond ; ce n'est pas notre avis ; mais ce n'est nullement impossible : quel écrivain, quel journaliste, fût-il de* LA CROIX*, est infaillible ?* *On pouvait le lui dire avec la courtoisie et la bienveillance* QUI SONT DUES*, qui sont* OBLIGATOIREMENT ET STRICTEMENT *dues, qui sont impérativement dues par* LA CROIX *à tous les catholiques, -- et à plus forte raison qui sont dues à un écrivain catholique dont la pensée religieuse est probablement, par sa profondeur, par sa finesse et par sa loyauté, sans égale parmi les hommes de sa génération.* \*\*\* *Un symptôme ne suffit pas pour un diagnostic. La violente injustice de* LA CROIX *à l'égard de M. André Frossard ne doit pas nous conduire à conclure hâtivement.* *Nous nous refusons à en déduire que la nouvelle* CROIX *aura, comme trop souvent l'ancienne, un préjugé systématiquement défavorable à l'égard des catholiques classés* (*à tort ou à raison*) *à* « *droite* »*.* *Nous espérons au contraire que* LA CROIX *s'efforcera, comme nous le souhaitons de tout cœur, de faire cesser les tensions et les malentendus entre elle et la* « *majorité des catholiques français* » *qui, au témoignage non suspect du P. Avril,* « *se classe politiquement à droite* »*.* *Nul journal n'étant infaillible ni parfait, pas même* LA CROIX*, nous ne lui retirons pas l'attention bienveillante et sympathique que nous portons à sa* « *nouvelle formule* »*, par laquelle elle peut devenir le journal de tous les catholiques français.* 103:10 *Elle nous a chagrinés en outrageant bien injustement M. André Frossard. Il était loyal de le lui dire en toute simplicité. Il nous était impossible de ne pas apporter publiquement à M. André Frossard le témoignage de notre profonde affection et l'hommage d'admiration et de reconnaissance qu'appelle son œuvre catholique.* ~===============~ #### LES « ORIENTATIONS PRATIQUES » *Dans* L'HOMME NOUVEAU *du* 13 *janvier, l'abbé Richard a fait aux propos* « *profanes* » *de M. Jules Romains un accueil plus compréhensif que* LA CROIX*.* *Moins engagé dans* « *la politique* »*, ou moins sollicité par elle qu'un journal quotidien,* L'HOMME NOUVEAU *a souvent une attitude plus sereine et un jugement plus objectif.* *Certes, il était difficile, et en un sens impossible, de donner une juste idée du Message de Noël en un article. C'est pourquoi nous avons lu avec joie l'article de M. Georges Hourdin dans la* VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE *du* 6 *janvier. Nous le reproduisons ici, pour que nos lecteurs puissent partager cette joie. Parmi les commentaires de courte dimension, c'est certainement l'un des meilleurs :* Le Pontificat actuel se prolonge heureusement. L'autorité de celui qui est le chef de l'Église catholique s'en trouve accrue. Après la réforme continue de la liturgie et l'autorisation donnée de lire certaines parties de la messe en langue vulgaire, voici un nouveau geste de Lui qui nous atteint. En ce début d'année 1957, alors que tant de problèmes et d'angoisses nous prennent littéralement à la gorge, les paroles importantes prononcées par le Pape dans son message de Noël trouvent partout un écho profond. Elles nous réconfortent dans notre action. Nous voulons en tirer pour nos lecteurs la leçon qu'elles comportent... L'homme moderne a perdu sa dimension spirituelle. Les écrits de Bloy, Bernanos ou Péguy ont connu beaucoup de succès auprès du public français parce que leurs auteurs, jaillis de notre terre chrétienne, ont dénoncé à grands coups de pamphlets vengeurs la civilisation contemporaine, celle de la quantité, de l'agitation et du bruit. L'homme d'aujourd'hui est dévoré par les découvertes techniques galopantes, qui sont nées de son génie et dont il fait souvent de monstrueuses idoles. C'est le temps de Noël. Le souvenir du Christ incarné, du Sauveur Jésus né dans la pauvreté totale de la crèche est plus présent à nos esprits que de coutume. 104:10 Le Pape en profite pour s'adresser à nous. Il nous rappelle ce qu'est la nature humaine, le péché et comment nous ne pouvons nous passer de Dieu si nous voulons retrouver notre pleine dimension humaine. L'acceptation de nos limites, la dépendance à l'égard du surnaturel, la chaleur fraternelle que peut prendre en nous le visage de l'amour divin, la réforme des mœurs, telles sont les conditions premières de notre salut. Le Pape insiste, en outre, sur les leçons de l'Histoire, sur le poids dont celle-ci pèse sur nous. A tous ceux qui cherchent des solutions sociales qu'ils croient nouvelles, il rappelle l'enseignement intangible de l'Église : « La religion et la réalité du passé, dit-il, enseignent que les structures sociales comme le mariage et la famille, la communauté et les corporations professionnelles, l'union sociale dans la propriété personnelle sont des cellules essentielles qui assurent la libération de l'homme et par là son rôle dans l'Histoire. Elles sont donc intangibles et leur substance ne peut être sujette à révision arbitraire. » Le Pape parle enfin des événements récents. Il renouvelle, à la lueur des événements de Hongrie, la condamnation formelle du communisme et de toute collaboration avec lui. Il demande aux chrétiens de laisser aux seuls responsables politiques le soin de préparer les aménagements nécessaires. Il précise, à cette occasion, quelques dures vérités sur la légitimité de la guerre lorsqu'elle prend le caractère d'une lutte défensive et sur la nécessité pour les citoyens des pays libres de remplir leurs obligations militaires. Il appelle enfin les catholiques à l'union. Je regrette de résumer si incomplètement un texte si important. Du moins me suis-je efforcé de donner à mes lecteurs la certitude qu'il s'agit dans ce message d'une vue d'ensemble, d'un rappel total des grandes vérités catholiques, et non pas d'une intervention politique. Ce que je ne puis rendre, c'est l'accent de conviction et la force avec lesquels Sa Sainteté Pie XII s'est adressée au monde. Lourd des préoccupations qui l'accablent, le Pape a voulu crier aux esprits désorientés, à travers les micros de Radio Vatican, ces grandes vérités de bon sens que les chrétiens connaissent bien, mais qu'il est bon de répéter à temps et à contretemps, auxquelles enfin la voix pontificale donne un relief nouveau. « *Mais ceci n'est pas une nouveauté : les* 17 *Messages de Noël qui ont précédé celui-ci sont de la même encre* »*, remarque l'abbé Richard dans* L'HOMME NOUVEAU*.* ~===============~ 105:10 #### PAS DE NOËL POUR NOS SOLDATS *Contrairement à tous les précédents connus, et pour la première fois, l'armée française s'est trouvée au combat le 25 décembre 1956 sans que les diverses autorités de la République française lui aient adressé un message de Noël.* ~===============~ #### LA FRANCE, NOTRE PATRIE *Par notre enquête sur le nationalisme, nous avons apporté notre contribution à la nécessaire restauration du patriotisme français et de la notion chrétienne de patrie. L'opportunité de notre propos se manifeste à plusieurs signes. En voici deux parmi d'autres.* *Le P. Daniélou publie en tête des* ÉTUDES *de janvier un important article sur* L'avenir du patriotisme*.* *Les Journées annuelles de l'Union des catholiques de l'enseignement public, convoquées à Besançon, ont pris pour thème le patriotisme. Dans leur organe, les* CAHIERS UNIVERSITAIRES CATHOLIQUES (84, *rue d'Assas*)*, M. Joseph Hours formule de justes réflexions :* Celui qui ne prononce jamais le nom d'une personne qu'il connaît bien, qui ne peut entendre prononcer ce nom sans agacement ou mauvaise humeur, qui en toute circonstance donne tort à la personne qui le porte ou prend parti pour ses adversaires, ne disons-nous pas qu'il éprouve pour cette personne de la haine ? Et qui niera que ce comportement ne soit aujourd'hui en France celui de bien des chrétiens à l'égard de leur patrie ? *Le Souverain Pontife parle de la France avec l'affection que l'on sait* (*voir* Pie XII et la vocation de la France*, article de Marcel Clément dans Itinéraires, n°* 7)*. Mais, sur ce point comme sur certains autres, le Souverain Pontife n'est pas autant suivi qu'on le souhaiterait.* *M. Joseph Hours distingue entre le* « *patriotisme* » *et le* « *danger nationaliste* »*, et il remarque :* 106:10 Comme le disait récemment un fort bon esprit, il n'y a pas d'idoles, il n'y a que des idolâtres et l'objet que choisissent ces idolâtres pour lui rendre un culte est généralement en lui-même chose excellente (sans quoi ils ne commettraient pas leur erreur). Ainsi en fut-il de la patrie. Elle eut ses idolâtres qui la mirent jusqu'à la place de Dieu. *Ici M. Joseph Hours commet une légère inexactitude matérielle. Certes, il s'agit d'un* « *fort bon esprit* »*, puisqu'il s'agit de M. Henri Rambaud.* *Mais il ne* DISAIT *pas cela ; il l'*ÉCRIVAIT *: dans* Itinéraires, n° 8, pages 64-65. *Comme quoi* (*ceci est une remarque de détail*) *nous n'avions pas tort de dire à nos lecteurs que la revue Itinéraires est celle que tout le monde lit, et dont tout le monde parle* (*en privé*)*, et que* « *trop de monde cache* »*.* ~===============~ 107:10 ## Note de gérance AU DÉBUT DE DÉCEMBRE, nous avons demandé à nos amis un effort tout particulier pendant les trois mois de décembre, janvier et février : un effort portant principalement sur l'abonnement et sur l'abonnement de soutien. Nous leur avons demandé, pour maintenir et assurer l'existence *d*'*Itinéraires,* de doubler en trois mois le nombre de nos abonnés. Beaucoup ont répondu avec une grande générosité. Nous les en remercions. Si l'effort est poursuivi, au cours du mois de février, au même rythme que pendant le mois de décembre et la première quinzaine de janvier, le résultat demandé sera atteint. \*\*\* IL NE L'EST PAS ENCORE. Les résultats acquis nous permettent cependant -- en supposant d'autre part que les réabonnements s'opéreront normalement -- d'envisager sans trop de témérité le maintien de notre parution mensuelle. Résultat considérable en lui-même, on s'en apercevra si l'on veut bien y réfléchir : avoir pu, sans capital, sans appui commercial, sans publicité, atteindre en une seule année d'existence le nombre d'abonnements qu'il nous est strictement indispensable de recevoir dans l'année. Ce résultat dépasse de beaucoup les prévisions que font ordinairement ceux qui lancent une revue mensuelle : ils estiment qu'il faut au moins deux années pour en arriver là. Notre audace initiale était grande, elle n'était pas folle. Une revue telle qu'*Itinéraires* s'est donc avérée à la fois nécessaire et possible. \*\*\* CE RÉSULTAT CONSIDÉRABLE reste néanmoins, bien sûr, un résultat limité. Il nous laisse un grave souci, et même un double souci. Le premier concerne le nombre de pages. 108:10 Il serait imprudent de ne pas le limiter à 96 à partir de notre prochain numéro, -- à moins d'un afflux d'abonnements nouveaux égal, en février, à celui de décembre et janvier réunis. Nos lecteurs savent que dans ce nombre limité de pages se trouve une grave gêne, un handicap certain pour l'influence qu'exerce la revue. La diversité, la complexité des questions actuelles devant lesquelles nous avons à prendre position ; l'importance qu'ont prise d'emblée nos enquêtes et débats, par le nombre et la qualité des écrivains qui viennent y participer ; les collaborations nouvelles qui s'offrent pour seconder notre action ; tout cela est bien à l'étroit dans 96 pages. Avec 96 pages, nous serons amenés, dans chacun de nos numéros, à réduire ou à sacrifier tantôt une partie de la revue et tantôt l'autre, soit les « chroniques », soit les « enquêtes », soit les « documents ». Que le lecteur se reporte par exemple à notre numéro 5, à notre numéro 6 ou à notre numéro 9. Il y verra quel visage et quelle carrure pourrait avoir, chaque mois, la revue *Itinéraires,* et par suite quelle influence elle exercerait sur le mouvement des idées, sur le comportement des hommes, sur l'ensemble de la presse. Pour cela, ce ne sont pas les concours intellectuels qui nous manquent. Ce sont les moyens matériels. La propagande de nos amis, après avoir, par un effort exceptionnel, assuré la « soudure » de décembre-janvier-février, devra maintenant non pas être suspendue, mais prendre en quelque sorte son « régime de croisière ». *Avec mille abonnés de plus,* nous pourrons envisager de paraître chaque mois sur 128 pages. Il n'est pas impossible que ces mille abonnés nouveaux nous viennent au cours des prochains mois. Il est certain qu'ils nous viendront, et même plus de mille, si vous allez les chercher. Nos amis les plus anciens ont accompli un très grand effort et la plupart d'entre eux sont naturellement à bout de souffle : ils nous ont aidés de leurs souscriptions ; ils ont fait le tour de leurs relations. *Nos amis et lecteurs nouveaux doivent maintenant prendre le relais.* C'est à eux principalement qu'il incombe de faire connaître *Itinéraire* dans de nouveaux milieux, dans de nouvelles zones géographiques. Un public très vaste, très nombreux, est disposé à lire et à soutenir la revue : il faut la lui montrer, il faut l'en solliciter. \*\*\* 109:10 DANS LA PLUPART DES CAS, nous ne pouvons le faire nous-même, et ceci est notre second souci matériel. Répondant à notre appel, vous nous avez donné un grand nombre d'adresses utiles. Nous devrions y envoyer un numéro spécimen, ou plutôt, deux ou trois numéros successifs. Nous n'en avons pas les moyens. Nous ne pouvons assurer qu'une quantité extrêmement réduite de services de propagande. Plus que jamais, pour les progrès de la revue, nous devons donc compter sur le bouche à oreille et sur le porte à porte, réalisés par nos amis, *et spécialement par les plus récents.* \*\*\* TOUTES CES DIFFICULTÉS nous sont particulières, elles sont celles d'une publication qui a tout juste un an d'existence, qui n'a pas de réserves financières et qui doit peu à peu trouver et atteindre son public. Il s'y ajoute des difficultés générales, que vous n'ignorez pas, celles dont tout le monde parle, et qui se manifestent par la disparition de publications pourtant anciennes et solidement établies ou par l'échec retentissant de périodiques lancés à grand renfort de centaines de millions. Les conditions d'existence sont, chaque jour, matériellement plus malaisées pour la presse quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle. Des revues paraissant depuis des années, ayant un public acquis et une longue réputation, ont été contraintes de fixer très haut le prix de leur abonnement annuel. *Esprit,* depuis longtemps déjà, l'a porté à 2.400 francs. La *Table ronde* l'a élevé de 2.100 à 2.500 francs. L'abonnement annuel coûte 1.950 francs à la *Nouvelle Revue Française,* 2.000 francs au *Mercure de France,* 1.500 francs à la *Vie intellectuelle* (qui d'ailleurs a dû cesser sa parution). Les *Écrits de Paris* sont passés de 1.500 à 1.700 francs. Une revue qui paraît seulement tous les deux mois, comme *La Pensée catholique,* a son abonnement à 1.200 francs ; une revue qui ne publie que huit numéros par an, comme la *Chronique sociale de France,* vient d'élever son abonnement annuel de 1.200 à 1.400 francs. 110:10 Or toutes ces revues sont établies depuis longtemps. Leur renommée n'est plus à faire. Leur public est ancien. Plusieurs d'entre elles sont soutenues par une puissante maison d'éditions, bénéficient en permanence d'une réclame multiforme, sont fréquemment citées et recommandées par les journaux, par la radio... M. Georges Hourdin n'est pas pour rien vice-président de la commission des programmes à la Radio et à la Télévision d'État... La revue *Itinéraires* est au contraire tout à fait seule. Elle ne peut compter que sur son public, qui est lui-même en voie de constitution. Cette simple comparaison explique, plus et mieux qu'un long discours, pourquoi nous avons dû fixer notre abonnement annuel à 1.500 francs. \*\*\* NOUS TERMINONS donc notre première année d'existence. C'est beaucoup et c'est peu. C'est beaucoup, -- dans les conditions d'indépendance et de pauvreté où nous sommes, et alors que ceux qui veulent notre mort sont si nombreux, si puissants, si riches, si organisés. C'est peu, -- pour une revue qui a besoin de *temps* pour se faire connaître et atteindre tout son public. Nos abonnés du début vont avoir ce mois-ci à se réabonner : qu'ils n'oublient ni ne tardent. A tous, merci. J. M. ============== Fin du numéro 10. [^1]:  -- (1). 5, rue de la Source à Paris. [^2]:  -- (1). Nous renvoyons sur ce point aux trois articles que nous avons publiés dans les numéros 7, 8 et 9 d'*Itinéraires :* « Pie XII et la vocation de la France » ; « Les sciences sociales sont-elles des sciences morales ? » ; « Les conditions de l'unité des catholiques de France ». [^3]:  -- (2). Cf. Saint Thomas : *In Eth.* L. V. lect. XII, n° 1018 sqq, et aussi Ia IIae Qu. 91 art. 3. co et Qu. 94 art. 2. co. [^4]:  -- (3). Pie XII : Allocution du 6 novembre. 1949. [^5]:  -- (4). Pie XII : Message radiophonique du 24-XII-1953. [^6]:  -- (5). Pierre VERGNAUD : *L'idée de la nationalité et de la libre disposition des peuples dans ses rapports avec l'idée de l*'*État,* p. 20 (Édit. Domat. Montchrestien 1955). [^7]:  -- (6). LAURENT, *Histoire du droit des gens,* t. X, I, 9, Édit. de 1869. [^8]:  -- (7). Lettre du Cardinal Secrétaire d'État aux Semaines Sociales de France du 11-VII-1939. [^9]:  -- (8). Cf. *Itinéraires,* n° 3, p. 27. [^10]:  -- (9). Cf. PIE XII : Allocution du 6 novembre 1949. [^11]:  -- (10). Pie XII : Encyclique *Humani Generis.* [^12]:  -- (11). Pie XII : Allocution du 13 novembre 1949. [^13]:  -- (12). Pie XII : Message du 11 mars 1951. [^14]:  -- (13). Pie XII : Message de Noël 1956. [^15]:  -- (14). Pie XII : Message radiophonique de Noël 1956 (3^e^ partie). [^16]:  -- (15). Pie XII : Lettre au Cardinal Grente du 9 mars 1956 (in Lettre Pastorale de S. E. le Cardinal Grente : Aimer et Servir la patrie, Bonne Presse édit.). [^17]:  -- (16). *L*'*Homme Nouveau* du 23 septembre 1956**.** [^18]:  -- (17). Nous avions cité ce texte dans l'article soumis à l'enquête (*Itinéraires,* n° 11, p. 29). [^19]:  -- (18). Pie XII : Message radiophonique de Noël 1956. [^20]:  -- (19). Voici, au surplus, le texte officiel complet de ce passage (*Acta Apostolicae Sedis,* 1932, page 179) : « *Quod si legitimo in patriam studio abutens debitaeque erga suam Nationem pietatis sensus plus aequo extollens* (*quam quidem pietatem rectus christianae caritatis ordo, nedum improbet, at suis normis sanctam vivacioremque efficit*)*, nimius id genus sui suorumque amor in mutuas inter populos rationes ac necessitudines subrepserit, nihil iam erit tam ab norme, quod culpa carere non videatur ; adeo ut quod facinus a privatis hominibus perpetratum omnium iudicio vituperandum haberetur, idem, patriae caritatis causa interposita, et honestum et laude dignum censeatur.* » [^21]:  -- (20). Chanoine BARTHAS : *L*'*Évangile et le Nationalisme* (Toulouse 1945). [^22]:  -- (21). *L*'*Osservatore Romano :* Édit. française du 31 août 1956. [^23]:  -- (22). Cf. *Itinéraires* n° 5, spécialement les pages 80 à 82. [^24]:  -- (23). L'ensemble des éléments de cette démonstration est constitué par nos articles : « Les sciences sociales sont-elles des sciences morales ? » (*Itinéraires,* décembre 1956). « Les conditions de l'unité des catholiques en France » (*Itinéraires,* janvier 1957) et par la première partie du présent travail : « Les exigences chrétiennes de la politique naturelle ». [^25]:  -- (24). De même qu'il n'a pas inventé l'expression *empirisme organisateur *: il l'a empruntée à Sainte-Beuve. [^26]:  -- (25). Cf. notre article : « Pie XII et la vocation de la France » dans *Itinéraires,* n° 7. [^27]:  -- (26). Message du 24 juin 1956, adressé par radio au peuple de France ; voir *Itinéraires,* n° 7, pages 1 à 9.