# 11-03-57 2:11 ## Éditorial ### Le progressisme doctrinal... et les autres. PLUSIEURS se plaignent d'être soupçonnés de progressisme ; d'être confondus avec le progressisme ; d'être calomnieusement accusés de progressisme. Cette protestation est recevable. On voudra bien, au demeurant, remarquer que cette accusation dont ils se plaignent n'est pas notre fait, pour la simple et majeure raison que nous n'avons quasiment jamais parlé de progressisme. Nous avons beaucoup parlé de la non-résistance au communisme. Mais du progressisme, point. Le mot lui-même ne figure que très exceptionnellement dans notre vocabulaire. Il faut pourtant en parler, au moins une fois. Abordons ce sujet presque entièrement nouveau pour nous ([^1]). \*\*\* UNE GRANDE CONFUSION règne dans les esprits à propos du progressisme, et il y a bien, effectivement, des accusations de progressisme qui sont ressenties comme des accusations injustes, parce que, parlant du progressisme, beaucoup ne savent pas exactement de quoi ils parlent. 3:11 Ils ne le savent pas, ou le savent mal, parce qu'il existe (au moins) deux progressismes. On peut être progressiste en (au moins) deux sens, notablement distincts. Le premier sens est doctrinal et précis ; le second est politique et assez flou. Le progressisme doctrinal est un système nettement défini. Le progressisme politique est une tendance ou une pente. Le premier n'existe plus (à l'état avoué), le second demeure. \*\*\* DOCTRINAL, le progressisme est une position apostolique, selon laquelle l'évangélisation des travailleurs ne sera rendue possible que par une préalable réforme des structures sociales. Ainsi entendu, le progressisme professe que « la classe ouvrière redeviendra chrétienne, mais ce ne sera vraisemblablement qu'après qu'elle aura elle-même, par ses propres moyens, guidée par la philosophie immanente qu'elle porte en elle, conquis l'humanité » ([^2]). Il professe que « la communauté eucharistique n'est pas possible dans les structures capitalistes » ([^3]). Il imprègne le livre des prêtres-ouvriers insoumis ([^4]). Il croit que « nulle évangélisation de la classe ouvrière n'est possible tant que durera le capitalisme » ([^5]). Ce progressisme-là est une erreur repérée, critiquée, condamnée. Les catholiques qui y inclinaient en apparence ou en réalité ou bien se taisent ou bien l'ont explicitement désavoué. Certains ont même adopté à son égard une position extrême et ont prétendu contre l'évidence qu'il n'avait jamais existé nulle part ([^6]). 4:11 Or l'opinion catholique courante dénomme volontiers « progressisme » tout ce qui manifeste une non-résistance au communisme. Les non-résistants répondent qu'ils sont calomniés par cette qualification. Effectivement, le *progressisme doctrinal* a été désavoué par la plupart ou par la totalité des non-résistants. Beaucoup ont été impressionnés et peut-être marqués par les manières de penser du progressisme : mais il serait injuste de ne pas leur donner acte de leur profession de foi (et souvent de leur effort réel) contre le progressisme doctrinal. En un sens, en ce sens-là, le progressisme n'existe plus parmi les catholiques français. Il n'existe plus à l'état conscient et avoué. Peut-être même qu'il n'existe quasiment plus d'aucune manière. \*\*\* SEULEMENT, ce progressisme-là, qui est en somme une position de méthode concernant l'évangélisation du monde ouvrier, n'est pas le seul. Il est bien évident que les députés qui portent le non de *progressistes,* et qui se groupent autour de M. Pierre Cot, n'ont pas été élus sur un programme d'apostolat plutôt qu'un autre ; et même qu'ils se moquent tout à fait de l'évangélisation des travailleurs. Il y a donc un *progressisme politique,* qui n'est pas essentiellement une prise de position au plan de la doctrine de l'Église mais qui, essentiellement, est une attitude pratique. N'en concluons pas que les attitudes pratiques de ce second progressisme échappent par nature au jugement de l'Église ; n'en concluons pas non plus qu'entre le second et le premier il n'existe aucun lien logique. Simplement, distinguons ce qui doit l'être. \*\*\* 5:11 OR, la profession de foi anti-progressiste porte toujours sur le progressisme doctrinal et beaucoup moins souvent sur le progressisme politique. Celui-ci étant une tendance pratique plus qu'une position théorique, il est multiforme et malaisément définissable. Quand il est intégral, il est ce que disait M. Pierre Cot : « Je ne suis pas communiste, mais je considère que le communisme est un mouvement irrésistible... Notre devoir est de préparer une période d'évolution politique pacifique comme en connaissent maintenant les démocraties populaires. Tel est le rôle du progressisme. » ([^7]) On conçoit qu'une telle croyance politique puisse logiquement avoir des conséquences, implicites ou explicites, sur la manière dont un chrétien envisage l'apostolat. Mais enfin ce progressisme ne définit rien d'autre qu'une attitude pratique, en politique, en face du communisme et de la transformation des « structures sociales ». Il *n'est pas* communiste. Simultanément, il ne croit pas que l'on puisse empêcher la victoire temporelle du communisme. Le rôle qu'il s'attribue est de faire en sorte que cette victoire inévitable soit le résultat d'une évolution pacifique plutôt que d'une révolution sanglante. Ce progressisme commande un certain comportement. Il repousse et même combat tout anti-communisme comme inutile (vaincu d'avance) et comme nuisible (empêchant l'évolution pacifique vers le communisme). Il cherche le contact et le dialogue avec le communisme. Il risque de conduire au progressisme doctrinal : mais il ne l'impose pas nécessairement. 6:11 On peut très bien adopter les attitudes politiques de M. Pierre Cot sans croire aucunement que « nulle évangélisation de la classe ouvrière n'est possible tant que durera le capitalisme ». Et même, le problème est modifié, la position doctrinale du progressisme s'en trouve dépassée. En effet, le progressisme doctrinal *requiert* la destruction du « capitalisme » comme une nécessité apostolique ; comme un préalable à l'évangélisation. Le progressisme pratique considère comme *un fait inévitable* la destruction des structures dites « capitalistes » et leur remplacement par des structures socialistes : à la limite, il n'a même pas à se demander si cet inévitable est bon ou mauvais, il peut à la rigueur le trouver regrettable. Mais, en face de cet inévitable, il se souciera surtout d'empêcher « des décades d'incompréhension et de batailles inutiles » entre marxisme et christianisme ([^8]) ; il s'occupera de « réaliser progressivement dans la paix l'inévitable socialisation de la société ([^9]) ». Cela *n'est pas être progressiste* au sens doctrinal ; c'est autre chose ; *c'est adopter, sur un certain nombre de points, une attitude conforme à celle du progressisme pratique.* Pour la clarté du discours, et pour seulement entendre de quoi l'on parle, il y a certainement intérêt à distinguer ces deux formes de progressisme ; et il serait utile de donner un autre nom à la seconde. \*\*\* POURQUOI la victoire du communisme, ou au moins une « socialisation de la société », seraient-elles *inévitables ?* C'est une vue philosophique sur « le sens de l'histoire » ; ou c'est un simple pronostic. Pronostic ou théorie, cela se discute. Mais en outre, pronostic ou théorie, cette théorie et ce pronostic portent sur l'avènement d'une structure sociale qui ne concerne pas seulement la technique ou le décor. 7:11 Elle concerne des réalités de droit naturel, qui sont donc des valeurs morales. La « socialisation de la société » met en cause et contredit des habitudes, des intérêts, c'est entendu : elle met en cause, aussi, beaucoup plus que cela. Qu'elle soit opérée par une évolution pacifique ou par une révolution brutale, « *il s'agit de questions qui concernent les valeurs absolues de l'homme et de la société* » ; en effet, « *les structures sociales comme le mariage et la famille, la communauté et les corporations professionnelles,* L'UNION SOCIALE DANS LA PROPRIÉTÉ PERSONNELLE, *sont des cellules essentielles qui assurent la liberté de l'homme et, par là, son rôle dans l'histoire ; elles sont donc intangibles et leur subsistance ne peut être sujette à révision arbitraire* ([^10]) ». Le progressisme pratique considère comme structures simplement « historiques », et donc appelées à être « dépassées », des structures qui sont essentielles à l'homme et qui relèvent du droit naturel. Le problème réel n'est donc pas de faire que la « socialisation de la société » s'opère « progressivement et dans la paix » plutôt que dans le sang et les ruines de la guerre civile. Le problème est d'ARRÊTER CETTE SOCIALISATION. \*\*\* EN vérité, il n'est pas injuste d'appeler « progressisme » la tendance selon laquelle on devrait éviter, entre le marxisme et le christianisme, des « décades d'incompréhension et de batailles inutiles ». Il n'est pas injuste en vérité d'appeler « progressisme » la tendance selon laquelle on devrait « réaliser progressivement dans la paix l'inévitable socialisation de la société ». Sous deux réserves néanmoins. La première est que ce progressisme-là n'est pas le progressisme doctrinal et apostolique du P. Montuclard, mais qu'il se rattache plutôt au progressisme pratique, politique, social, de M. Pierre Cot. 8:11 La seconde est qu'il s'y rattache, ou le rejoint, sur certains points seulement (mais souvent décisifs dans l'ordre pratique précisément). Ce progressisme-là ne croit pas forcément à la victoire inévitable du communisme tel qu'il est. Il pose des conditions, il espère une évolution, il reste attaché aux libertés de l'Église et à celles de la personne ; il *ne voit pas* que la reconnaissance théorique de ces libertés est une duperie dans le cas d'une « socialisation de la société » qui justement les supprime en supprimant « les cellules essentielles qui assurent la liberté de l'homme ». Il ne voit pas, ou pas assez, à quel point la propriété personnelle et la structure corporative, qu'il sous-estime, sont liées aux libertés auxquelles il reste attaché. Pratiquement, il approuve, il accélère le processus de « socialisation de la société » qui est effectivement le grand problème social de notre temps. C'est le grand problème non point parce que ce processus serait inévitable, ou serait un progrès, mais parce qu'il est un péril majeur qu'il faut à tout prix trouver le moyen d'enrayer. Ce progressisme-là demande qu'on ne l'appelle point progressisme. On peut, croyons-nous, faire droit à sa demande. Il n'est progressiste qu'en un sens et sous réserve d'explications, de nuances et de précisions. C'est pourquoi nous-même ne l'avons jamais appelé progressisme : la part d'inexactitude, d'imprécision ou d'équivoque que contient en l'occurrence une telle appellation dissimule sa part de vérité. Ce progressisme-là, il faut lui donner son vrai nom. *Il est socialiste.* Il est socialiste pour toute sorte de motifs, qui sont, parfois ou souvent, mais non toujours, plus ou moins, mais non totalement, progressistes. Quelle que soit son attitude théorique, d'ailleurs variable, à l'égard du marxisme, quelle que soit son attitude pratique, d'ailleurs également variable, à l'égard du communisme, il participe à la tendance ou à la pente essentielle du socialisme : ACCROITRE INDÉFINIMENT LES POUVOIRS ET LES FONCTIONS DE L'ADMINISTRATION D'ÉTAT. 9:11 Le socialisme consiste à retirer toute sorte de choses aux individus, aux familles, aux collectivités privées, aux communautés locales, pour les donner à « la collectivité ». L'expérience montre que ce qui est retiré aux individus, aux familles, aux collectivités privées, aux communautés locales, n'est donné à « la collectivité » que par une fiction juridique qui n'est qu'une fiction. Ce qui est ainsi retiré aux hommes libres est en réalité donné à un État anonyme et totalitaire, qui devient par là même encore plus totalitaire et encore plus anonyme, et il n'y a pas moyen qu'il en soit autrement. Aucune réforme de la Constitution ou du gouvernement ne modifiera ce processus. La « socialisation de la société » n'est nullement inévitable ; ce qui est inévitable, c'est que, dès lors qu'on y consent, le profit en aille aux administrations d'État et non à « la collectivité ». On voudra bien remarquer que l'*attribution définitive de fonctions sans cesse nouvelles* aux administrations d'État est une chose, le *pouvoir d'intervention du gouvernement* en est une autre. Si l'on y réfléchit, on s'apercevra même que ce sont deux choses contraires. \*\*\* Tous apaisements peuvent donc, semble-t-il, être consentis, quant à la terminologie, à ceux qui repoussent le progressisme doctrinal mais acceptent « l'inévitable socialisation de la société ». Nous leur avons fait observer que, n'ayant jamais accusé personne de « progressisme », ce n'est pas nous qui leur avons accroché cette étiquette. Qu'ils veuillent s'en débarrasser, nous n'allons pas leur imposer de force une dénomination qu'ils récusent, et qu'en un sens (important) ils ont raison de récuser. Contrairement à la réputation, d'ailleurs flatteuse, qui nous est faite parfois, nous n'avons quant à nous jamais combattu le progressisme. 10:11 Nous combattons deux tendances, souvent conjointes, en laissant à d'autres le soin de rechercher dans quelle mesure elles relèvent d'un progressisme doctrinal et jusqu'à quel point l'étiquette progressiste leur convient : 1. -- la non-résistance au communisme soviétique ; 2. -- l'extension des pouvoirs et des fonctions de l'administration d'État. L'ennemi, celui de l'homme, de sa liberté, de sa vocation, l'ennemi en cette seconde moitié du XX^e^ siècle, c'est l'État laïque, anonyme et totalitaire. C'est contre lui que doit être pratiquement conçue et organisée la résistance. Cette résistance, nous la voyons fondée sur le droit naturel, lequel est une réalité spirituelle définie par la doctrine sociale de l'Église. J. M. 11:11 ## CHRONIQUES 12:11 ### Méditation sur l'unité Nous avons un souci : l'unité. Non pas n'importe laquelle. Non pas l'unité pathologique de ceux qu'anime une passion commune. Non pas l'unité de façade de ceux qui veulent la fonder sur une monstrueuse charité viscérale à l'égard de l'erreur et du péché. Notre souci est d'unité spirituelle, d'unité dans la vérité et d'union dans l'amour de volonté que la grâce communique. Ce sont les itinéraires vers cette unité dont nous cherchons à scruter la carte. Or, il y a des obstacles à cette unité. Ce sont les tentations qui séduisent vers la droite ou vers la gauche. Ces tentations sont puissantes. On pourrait les croire irrésistibles. Nous avons décidé de les combattre. De combattre les tentations, non les personnes. De combattre les idées, non de juger les intentions. Dieu aidant, nous avons commencé de le faire. Nous continuerons en Lui demandant de le faire dans la lumière. Et avec des armes de lumière. Nous avons commencé de mettre en évidence la racine commune des erreurs qui nous divisent : un positivisme sociologique et juridique fixé aux profondeurs mêmes de notre vie intellectuelle. Ce positivisme, qui le plus souvent est inconscient, détermine en particulier deux idolâtries : le nationalisme et le socialisme. 13:11 Il fut un temps où les idoles étaient de pierre, de bois, ou d'or. Aujourd'hui, les idoles sont intellectuelles. Les conflits des systèmes en « isme » signalent leur sarabande invisible à travers les intelligences, qu'ils marquent puissamment de leur sceau, et au secret des volontés, qu'elles tendent vers des buts temporels trop absolument désirés. On contestera ce point. On dira que l'on peut être chrétien et nationaliste. Que l'on peut être chrétien, et socialiste. On le démontrera théoriquement. Mais, trop souvent, on sera nationaliste avant d'être chrétien. On sera socialiste, -- ou socialisant, -- avant d'être chrétien. De plus, *on ne s'en apercevra pas.* Parce que, plus ou moins, on aura confondu l'amour intérieur, vivant et docile, du Christ Jésus, avec la *volonté propre* de Le servir *d'une certaine manière, dans l'ordre politique ou social.* L'orgueil est le péché invisible. Et tous, il nous sollicite. Seul, l'Esprit Saint, peu à peu, nous laisse deviner combien nous nous sommes durcis nous-mêmes, en prenant notre orgueil, parfois, pour de la fidélité, ou pour du réalisme ! Être catholiques, d'abord. Livrés intérieurement à Dieu et à Sa volonté, d'abord. Le prier, le supplier de nous détacher de tout ce qui en nous n'est pas Lui, dans notre intelligence, dans notre volonté, -- d'abord. D'abord et avant tout rechercher le royaume de Dieu et sa Justice. Et pratiquer le second commandement, A CAUSE DU PREMIER. N'est-ce pas la seule manière d'être vrai, autant qu'il est permis, par grâce, à notre nature faillible. L'INTELLECTUALISME nous menace. Il a failli nous dessécher. Nous n'en pouvons plus de nous échiner à vivre un christianisme conceptuel. Un christianisme accommodé à quelque idolâtrie intellectuelle. Oui, nous aimons la France, -- mais par Amour de Dieu. Oui, nous voulons le relèvement du prolétariat, -- mais par amour de Dieu. Et selon l'ordre qu'Il veut. A la place qu'Il veut. *Per ipsum, et cum Ipso, et in Ipso.* Mais c'est le Christ Jésus, Sa personne vivante, la Trinité en nous, que nous adorons. Les Trois, seulement. Les Trois, uniquement. Par la Vierge Marie, pour qu'elle fasse agréer nos prières, et pour qu'elle nous guide, nous façonne jusqu'à la plénitude de l'âge de Son Fils. 14:11 Si c'est cela être intégriste, nous sommes intégriste. Si c'est cela être sillonniste, nous sommes sillonniste. Mais nous savons bien que ces malheureuses définitions sont sans rapport avec notre propos. Nous ne les évoquons que pour écarter les équivoques. Nous avons reçu l'adoption divine. Nous sommes, au sens vivant, fort, au sens total, fils de Dieu, enfants du Père. Malgré nos péchés, qu'il pardonne et qu'il continue d'expier, dans les membres de Son Corps mystique. Malgré notre indignité. C'est parce que nous avons cette foi que nous refusons de suivre des Maîtres simplement humains. Suivre Jésus, sur cette terre, ce ne peut être dans l'ordre doctrinal suivre des autorités d'hommes, -- mais d'abord Pierre et les Apôtres, le successeur de Pierre et les successeurs des Apôtres. En ces temps de confusion, la Providence a permis que le Pape soit plus présent au monde entier qu'en aucune autre époque. C'est une grâce. Elle nous a donné un Pape dont la Science et la Sagesse illuminent les intelligences dans les domaines les plus divers. C'est une autre grâce. En ce début de mars, qui voit revenir au firmament les étoiles qui brillèrent lors de la naissance de celui que Dieu prédestinait à être le Pape de l'Assomption, c'est le Cœur plein de joie reconnaissante que nous bénissons Dieu d'avoir donné un tel Pilote à la barque de Pierre en notre époque. LA PRIÈRE du Christ, après la Cène, fut la prière pour l'unité. Après la Cène et avant l'Agonie. Après -- l'Offrande et avant la Consommation. Prière pour l'unité de ses apôtres. « *Je ne prie pas pour le monde. Je prie pour ceux que vous m'avez donnés, et qui sont à vous... Je leur ai donné votre parole ; le monde les a haïs, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde... Ce n'est pas seulement pour eux que je prie, mais encore pour tous ceux qui croiront en moi, en ajoutant foi à leur parole,* AFIN QUE TOUS SOIENT UN, *comme vous, Père, vous êtes en moi, et moi en vous ; afin qu'eux aussi soient en nous* ET QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST VOUS QUI M'AVEZ ENVOYÉ ([^11]). » 15:11 Ou ces mots n'ont pas de sens, ou ils valent pour l'Église, du commencement à la fin du monde. Et quelle autre unité pourrions-nous faire, en dehors de celle pour laquelle Jésus a prié Son Père. Quelle œuvre Jeanne a-t-elle conduite à bien, sinon la réunité de l'Église de France. Dira-t-on qu'elle faisait de l'angélisme, elle que sa ferveur rendit plus vaillante que les capitaines et plus prudente que les politiques ? Elle témoigne, au contraire, aujourd'hui comme il y a cinq cents ans, que la piété vécue n'a point à se cacher, que le témoignage à rendre au Christ Jésus est de tous les jours, et, comme dit saint Paul, doit l'être « à temps et à contre-temps ». Elle montre surtout que la foi vivante ne rend ni sot, ni inculte, ni pusillanime, ni précipité, -- et que l'humilité ne consiste pas en quelque tartufferie réussie, mais à se livrer à Dieu, pieds et poings liés, lorsqu'il permet que le seul témoignage qui reste à lui rendre soit celui de la Croix, -- ou du Bûcher. Mais la Croix domine l'univers, et appelle sans cesse les fidèles à l'unité. Et les flammes du bûcher de Jeanne éclairent les incrédules, les pharisiens, les politiciens, qui découvrent, soudain, que l'on vient de brûler une Sainte. Ils étaient bien sûrs d'eux pourtant. Comme sont sûrs, toujours, ceux qui ont choisi quelque plan temporel vraisemblable qu'ils identifient à la volonté de Dieu. Jeanne a mis en œuvre un plan temporel -- mais ce n'était pas le sien. Elle l'a découvert, jour après jour, en priant Dieu. Il ne sortait pas de sa volonté propre. Il venait de Dieu et la volonté de Jeanne fut de faire la volonté de Dieu. Elle n'en eut point d'autre, et ce ne fut pas facile. Car elle dut tout le temps se vaincre. Tout le temps renoncer à elle-même. Pour monter à cheval. Pour affronter les Grands. Pour voir couler le sang des autres. Pour s'offrir, enfin, dans une confiance absolue à l'heure de l'échec apparent, mais total, à Celui qu'elle aimait et pour qui elle achetait ainsi l'unité de la France. Sainte Jeanne d'Arc, priez pour nous. C'EST dans le Christ Jésus et dans la réalité totale de l'homme et de la création qu'Il récapitule que se pose à nous le problème national, et politique, que se pose à nous le problème social, et économique. 16:11 C'est pour souligner cet aspect que nous avons conduit notre « enquête sur le nationalisme ». C'est dans la même intention que nous poursuivrons « l'enquête sur la Corporation » qui commence avec le présent numéro d'*Itinéraires.* C'est en vue d'examiner sur le plan intellectuel les renoncements qui seuls peuvent nous conduire à « tout instaurer dans le Christ » que nous avons écrit des « conditions de l'unité des catholiques de France ([^12]) ». Or cet article a eu un écho. Il a déterminé des réactions. En France. Au-delà de nos frontières. Nous avons lu des articles, reçu des lettres. Et parmi ces réactions, on peut distinguer, immédiatement, trois groupes. a\) Il y a l'attitude de ceux qui ont confronté notre thèse à l'œuvre de Charles Maurras. Fut-il vraiment positiviste ? Pierre Boutang estime qu'il ne faut pas à ce sujet l'interpréter trop littéralement : « Je ne discuterai pas, écrit-il, ce que dit Marcel Clément sur la « physis », la physique politique de Maurras et son langage positiviste. Je n'ai jamais cru qu'il y eut là plus qu'un langage, et le langage du moment où Maurras pouvait se faire entendre ([^13]). » Pourtant, l'article des *Libertés françaises* n'est pas si ancien, où l'on rappelait et interprétait à la lettre cette affirmation de Charles Maurras : « *Il s'agit des lois suivant lesquelles se présentent certains faits qui ont coutume de ne point surgir séparément. Lois comparables à celles dont la nature et le laboratoire suivent l'action chaque jour. Elles consistent en liaisons constantes et telles que l'antécédent donné, on peut être sûr de voir apparaître le conséquent.* » Simple question de vocabulaire. Langage d'un moment. Si ce n'est que cela pour Pierre Boutang, ce n'est point simple commodité d'expression pour le rédacteur des *Libertés françaises* puisque celui-ci n'hésite pas à écrire : « *On peut même se demander si le fait social,* CONSIDÉRÉ EN TANT QUE TEL ([^14]) *peut être volontaire. La volonté est une faculté personnelle, et la Société, comme le Pirée, n'a pas de libre arbitre.* 17:11 *La Société n'est même pas une somme de volontés personnelles ; elle est d'un autre ordre : en soi, par essence, par définition, le fait social est impersonnel, donc involontaire. L'objet propre de la science sociale, c'est justement l'une des parts d'involontaire que comporte tout acte humain* ([^15]). » Ne s'agit-il que d'un langage ? Ou, à supposer que Charles Maurras n'y ait vu qu'un langage, n'est-il pas évident, à la lecture d'un semblable commentaire, que ses disciples les plus strictement fidèles prennent le vocabulaire à la lettre ? Ceux-là, si nous en croyons le courrier reçu, ont fort apprécié notre critique du positivisme de gauche, mais non point celle du positivisme de droite. b\) Il y a les réactions de ceux qui, à l'inverse, ont aimé notre critique du positivisme de droite, mais non point l'autre : « Votre critique du positivisme de droite est excellente », écrit l'un de nos correspondants. « Je ne pense pas, par contre, que votre critique du positivisme de gauche porte contre la majorité de ceux que vous appelez « catholiques de gauche ». Elle vaut seulement contre les progressistes, c'est-à-dire une toute petite minorité. » Au vrai, le problème n'est pas là. Nous N'AVONS PAS ÉCRIT UN ROMAN A CLEF POUR QU'ON PUISSE METTRE DES NOMS SUR DES IDÉES. Nous avons tenté de marquer que les esprits séduits par le positivisme de gauche considèrent « *l'évolution sociale comme un* FAIT *résultant d'une* LOI *immanente et qui, à ce titre, s'impose définitivement au réalisme politique et à l'efficacité temporelle du chrétien. Dans cette perspective, par exempte, la laïcité historiquement attachée au régime républicain, l'appropriation collective historiquement attachée à la conception communiste, ne s'imposent pas seulement aux chrétiens comme des* FAITS. *Ils s'imposent à lui comme des faits* IRRÉVERSIBLES. » Cette critique, nous dit-on, ne vaut que contre les « progressistes », non contre les catholiques « de gauche ». 18:11 C'est donc que les catholiques « de gauche » dont il s'agit combattent avec énergie la laïcité de l'État et de l'école et considèrent que le programme social de l'Église, c'est la corporation professionnelle, et non point l'amorce de la disparition progressive du contrat de salariat et de l'entreprise privée. Dans ces conditions, on peut se demander comment ces catholiques font pour être encore « de gauche ». Ils n'ont vraiment plus aucune raison de le faire, -- en dehors peut-être du souci d'être à la mode. Mais c'est un faux calcul, -- de plus en plus. c\) Enfin, il y a les lettres qui manifestent que la tâche entreprise n'est pas vaine. Il y a les mots qui n'apportent pas nécessairement une adhésion totale -- ces questions sont complexes -- mais qui montrent que nombreux sont ceux qui sont prêts à fournir l'effort intellectuel pour fonder l'unité non pas sur n'importe quoi, mais, au plan de la doctrine, sur une adhésion explicite aux enseignements les plus certains, les plus souvent répétés, et l'on peut dire aujourd'hui, depuis le Message radiophonique de Noël 1956, les plus célèbres du Saint-Siège et de la Hiérarchie. « Vous dire ma joie m'est tâche impossible. Je ne trouve pas les mots qu'il faut. C'est plus qu'une joie, une réelle et très profonde « jubilation », au sens scripturaire du mot. » « Enfin quelqu'un qui dit clairement ce qui doit être dit. Ce numéro 9 d'*Itinéraires* marque une des dates les plus importantes des temps que nous vivons. Vous avez mis courageusement le doigt sur la plaie qui déchire depuis des années les fils de France. Vous indiquez le remède, en écho fidèle à la voix du Magistère. » Nous avons cru devoir évoquer ces échos, ces articles, ces lettres, ces réactions. Elles montrent clairement que, de toutes les batailles, la bataille de l'unité spirituelle est la plus difficile. Elle n'engage pas seulement les forces matérielles du tirage et de la diffusion. Elle n'engage pas seulement les forces intellectuelles de l'évidence et de la démonstration. Elle engage les âmes, et dans un combat intérieur. Faut-il vraiment réviser des positions ? Faut-il vraiment se défaire d'habitudes intellectuelles ? 19:11 Se peut-il vraiment qu'en revenant à l'essentiel : au Christ Jésus et à son Vicaire, la France retrouve ce qu'elle cherche vainement depuis tant d'années ? Se peut-il que la vérité ne soit ni dans le gallicanisme de droite, ni dans le gallicanisme de gauche ? Nous le croyons. Nous l'écrivons. Nous nous consacrons à le faire comprendre. Mais, répétons-le, il s'agit d'un combat spirituel. C'est celui qui atteint l'homme dans ce qu'il a de plus profond : l'orgueil. Et dans l'orgueil auquel nous tenons le plus : celui de l'intelligence. Il y a entre le positivisme et l'orgueil des connivences profondes. Et c'est seulement la prière fervente pour l'unité, l'humiliation de l'arrogance spontanée de notre raison permettant un effort pour plus de hauteur et plus de largeur d'esprit qui peut nous permettre, par des itinéraires différents, d'arriver à temps au rendez-vous de l'Unité des chrétiens, qui, pour la France, est le préalable de toute résurrection politique, de toute prospérité économique et de tout progrès social. On dira : « Mais en matière d'options temporelles, les chrétiens sont libres. » Nous savons cela. Nous savons aussi que les options temporelles sont légitimes dans la mesure où elles respectent la doctrine sociale enseignée par le Saint-Siège. Elles sont légitimes dans la mesure où elles expriment des attitudes prudentielles, divergentes parfois, mais ensemble respectueuses des principes de la philosophie sociale et du droit naturel. Or le positivisme n'est pas une option temporelle. C'est un poison intellectuel. Dans la mesure donc où la gauche et la droite s'opposent pour défendre chacune une application particulière d'un positivisme commun, elles n'expriment nullement les légitimes diversités de jugements prudentiels divergents. En ce sens précis, la droite et la gauche ne sont nullement des divergences légitimes entre catholiques. *C'est du moins ce qu'enseignait le Pape Pie XII il n'y a pas si longtemps :* « *Nous tenons à vous exhorter,* VOUS ET TOUS LES CATHOLIQUES, *à suivre fidèlement* LA LIGNE NETTE DE LA DOCTRINE SOCIALE CATHOLIQUE, *dès le commencement des nouvelles luttes* ([^16]), SANS DÉVIER NI A DROITE NI A GAUCHE. 20:11 *Une déviation de quelques degrés seulement au début pourrait sembler sans portée. A la longue, cette déviation entraînerait un écartement dangereux du droit chemin et des suites graves. Pensée sereine, maîtrise de soi-même*, FERMETÉ EN FACE DES SÉDUCTIONS DES EXTRÊMES : *voilà les exigences de l'heure présente en ce domaine* ([^17]). » Marcel CLÉMENT. 21:11 ### Naissance d'une nouvelle administration d'État NOUS avons essayé de montrer, principalement dans nos numéros 2, 3 et 4, les graves inconvénients qu'amène la confusion du gouvernement et de l'administration. S'en suit la ruine des États qui s'y sont laissés entraîner. Et c'est vrai d'une monarchie militaire comme l'empire romain, d'un empire religieux et chrétien comme celui des tzars ou de la République française. Les buts d'une administration et ceux d'un gouvernement sont différents et leurs méthodes opposées (voir notre n° 2). S'ils sont entièrement confondus, comme dans le système communiste (qui en crèvera certainement, sans autre cause) l'ensemble est si lourd et si lent, toujours tellement en retard, si opposé aux besoins de justice et d'initiative de la nature humaine qu'il ne se maintient que par la tyrannie, et si coûteux qu'il ne peut durer que par la misère des petites gens. Chez nous, en l'absence de toute stabilité dans le gouvernement, livré aux divisions des partis, ce qui équivaut à l'absence de gouvernement, l'administration le remplace. Étant la véritable souveraine, mais *sans aucune responsabilité,* elle se sert. Elle vise à accroître ses services, occasion d'avancement et de puissance. Tous les gouvernements éphémères trouvent l'occasion bonne pour placer leurs créatures ou leurs électeurs et s'en faire des clients. Le parti socialiste, à son origine, partant de cette idée simpliste que pour remédier à la misère du monde ouvrier, il suffisait de remplacer le patron par l'État, a toujours été résolument étatiste. 22:11 *Aujourd'hui, la grosse majorité de ses électeurs est faite non pas du monde ouvrier, mais des fonctionnaires qui voient en lui le théoricien même du fonctionnariat, prêt à étendre leurs attributions et leurs privilèges. Fondé par des intellectuels universitaires, sans aucune expérience réelle de l'économie, ce parti est le plus inapte de tous à voir les choses comme elles sont. Par leurs origines, ses fondateurs étaient imbus de toutes les idées fausses répandues par l'université sur l'origine du pouvoir, sur la fatalité d'une évolution à sens unique, sur la formation des idées morales et leur évolution ; les socialistes sont donc restés le plus antireligieux, le plus anticlérical, le plus arriéré, le plus aveugle aux réalités de tous les partis.* Car le malaise moral ne cesse de croître ; la décadence d'un État ainsi dirigé est bien visible ; le prix d'une administration dispendieuse parce qu'elle est sans responsabilité pécuniaire nous rend à peu près incapables de lutter avec l'étranger sur un marché commun. L'électricité nationalisée est vendue à nos industriels cinq francs contre deux francs en Suède. L'aboutissement de la politique intérieure que nous suivons depuis cinquante ans et surtout depuis la libération, c'est un rideau de fer à nos frontières pour protéger une production trop coûteuse, c'est une compression des salaires, même ceux des employés de l'État, due à l'accroissement déraisonnable d'une administration dépensière et inutile. Quand il y a deux hommes là où il en faudrait un, on ne peut ni les payer cher, ni vendre à bon marché. Le ministère qui tient à nous faire participer au marché commun, guidé par ses idées mythiques sur l'internationalité, est le même qui rend impossible d'y parvenir par ses idées mythiques sur le rôle de l'État. Faire l'Europe serait souhaitable ; l'Allemagne eût accepté avec reconnaissance en 1945 ce qu'elle fait mine de prendre du bout des doigts aujourd'hui. Il eût fallu y joindre aussitôt l'Espagne. Les démagogues qui ont dans la tête le mythe du pauvre contre le riche ne réussiront pas mieux à unir l'Europe que leurs ancêtres à unir l'ancienne Grèce. Enfin, malgré des avantages très sérieux et qu'il apprécie, le monde ouvrier n'est pas content ; le malaise est moral ; la classe moyenne n'est pas davantage satisfaite ; c'est elle qui réunit les hommes entreprenants, capables de faire généralement à moindres frais ce dont les administrations ont l'idée vingt ans après eux et qu'elles rendent long et coûteux ; elle se sent brimée et voit ses efforts gâchés. 23:11 Il faut croire que *l'homme ne vit pas seulement de pain* et qu'il désire des conditions *morales* du travail ; toute administration par sa nature (et c'est en quoi elle diffère essentiellement d'un vrai gouvernement) est réfractaire à ces conditions morales, celles d'une grande entreprise, celles de l'État ; mais une grande entreprise est *gouvernée ;* on y exige au moins du travail et de la responsabilité. Les administrations d'État tuent, avec l'esprit d'initiative, le goût du travail et la responsabilité ; elles sont aussi loin que possible des conditions dans lesquelles se forment des volontés libres, c'est-à-dire des citoyens. L'étatisme ne peut produire que des esclaves. Il n'y a rien de fatal, comme le croient beaucoup de gens, au développement des administrations d'État. Il faut seulement que le public en soit convaincu, et c'est pourquoi nous présentons aujourd'hui, alors qu'il est encore temps de l'arrêter, une de ces excroissances inutiles. IL S'AGIT du ministère de la reconstruction. Qu'il y eût après la guerre un petit groupe de fonctionnaires chargés de veiller à la réparation de nos ruines, c'était une nécessité de gouvernement ; mais que le gouvernement voulût lui-même administrer ce travail au lieu de le surveiller, c'est là l'erreur. Nous avons demandé à un de nos amis qui fait partie de cette administration de nous dire ce qu'il en pensait. Voici sa lettre : « Le M.R.U. est le dernier de nos ministères, mais le plus caractéristique de notre époque : le champ de la vie s'est élargi et est devenu plus collectif -- au moment même où *on n'a plus de Chef* ou Seigneur de droit divin -- c'est donc à ce ministère à organiser les grands ensembles, les réalisations typiques de notre temps : la Cité, comme autrefois la cathédrale ou la Pyramide. Et d'une manière plus modeste, on a enfin compris qu'en notre siècle de parvenus et d'individualisme, on ne pouvait laisser n'importe qui construire n'importe quoi. Les résultats sont désastreux à tous points de vue : gaspillage des efforts, des finances publiques (pour les réseaux de canalisations, les services collectifs) et désordre artistique. » 24:11 Ces raisons sont excellentes : il est tout à fait dans les fonctions du *gouvernement* de donner des ORDRES à ce sujet et de donner des DIRECTIVES. Chaque gros village, petit à petit, devrait avoir son plan d'urbanisme, économie certaine, s'il se développe, pour les adductions d'eau ou de force à venir. Mais pourquoi le gouvernement veut-il LE FAIRE LUI-MÊME, alors que les gens compétents existent partout sur place sans coûter rien à l'État ? Il suffit de les réunir et de les prier d'organiser eux-mêmes le travail. L'étatiser ne profite qu'aux membres d'une administration qui en vivront sans *aucune responsabilité.* « Le M.R.U. gère deux domaines : l'Urbanisme, et l'Aménagement du territoire. Dans l'Urbanisme, il étudie la croissance des villes et cherche à y apporter un peu d'ordre et d'harmonie après une enquête très poussée sur le terrain (une soixantaine de planches, depuis la géologie, le relief, le régime des vents, etc. jusqu'au comptage de circulation, au pourcentage de vieillards, etc.) qui remplace l'instinct et la vision de l'individualité de la ville qu'avaient les anciens. C'est généralement du très beau travail, que j'admire beaucoup, et qui ne contient pas trop de bêtise parce que son sujet n'est pas trop loin de *la réalité concrète.* Depuis 1950, Claude Petit (socialiste) a lancé ce ministère dans l'Aménagement du Territoire, les plans de villes particulières étant donnés par contrat à des architectes ne faisant pas partie du Ministère. » Il fallut bien au début, et devant l'immensité du travail à accomplir, que cette administration provisoire par son but même, fit appel aux gens compétents ; c'est ainsi que Perret fut chargé de la reconstruction du Havre. Mais l'administration, on le verra ensuite, désire vivement s'en passer et remplacer les hommes de métier par des administrateurs cuirassés de diplômes et sans compétence autre qu'administrative. 25:11 « Il s'agit en principe de faire la synthèse des activités économiques (agriculture, pêche, forêt, industrie, transports, etc.) d'une région, *toujours plus vaste qu'une région naturelle individualisée.* Ces régions d'Urbanisme comportent de 4 à 10 départements, très différents par la forme de la propriété et la population. » Ces régions naturelles sont parfois très petites et parfois très vastes. Le vignoble champenois est une ligne de collines d'un kilomètre de large et le vignoble bourguignon de même. La vallée de la Garonne, au contraire, est uniforme sur plusieurs départements. La région bourguignonne comprend les montagnes boisées et les prairies du Jura, la vallée de la Saône qui est en culture et prairies, le vignoble où la population est très dense, l'arrière côte, boisée et pauvre. La contenance des propriétés, fondée en général sur ce qui permet à une famille de vivre est très inégale en chacune de ces régions ; le climat et l'habitat pareillement ; il est impossible de leur imposer une uniformité quelconque. « Les grands chefs à Paris sont des Polytechniciens qui ont un grand pouvoir d'abstraction. Cependant, nous faisons une œuvre utile : il n'y a que nous qui sommes sur place, qui puissions coordonner les aspirations et les vœux de chaque groupe humain, de comprendre l'ensemble, et soyons (théoriquement) susceptibles de reconstituer le visage de la région, dont chaque technicien particulier ne connaît qu'un aspect. » Ce devrait être l'œuvre d'un bureau régional confié aux notabilités de la région, architectes, ingénieurs, commerçants industriels sur un budget régional, alimenté comme l'entendrait et le pourrait la région. C'est tout le problème des libertés locales. « Je dois dire que nous n'y arrivons pas, probablement parce que nous agitons des problèmes auxquels nous ne connaissons rien. Le Commissariat au Plan d'expansion économique du Ministère de l'Intérieur nous a demandé de lui présenter un rapport sur notre région, et nous avons à y traiter des problèmes aussi variés que les débouchés des vins, l'aménagement de grands canaux ou les possibilités d'utilisation des gaz naturels, pour lesquels nous ne sommes pas préparés (pas plus d'ailleurs que les parlementaires membres de la Commission). Que faire ? 26:11 Nous ne devrions pas nous occuper de questions économiques, mais seulement de *localisation,* de bâtiments et d'activités qu'on nous indiquerait. » Notre correspondant est un architecte ayant une longue expérience dans le secteur privé : la présence d'un tel homme est nécessaire, elle n'est pas suffisante. C'est pourquoi ce bureau régional devrait comprendre des représentants des principales activités de la région. C'est ainsi que font les Américains ; c'est le simple bon sens pratique. La Révolution a détruit ces libertés locales conformes à la nature des choses et le despotisme de Napoléon a empêché de renaître ces sociétés naturelles. Les reconstituer est une tâche d'une extrême urgence. La nation s'y prêtera-t-elle ? Le Saint-Père, dans son dernier message de Noël, nous montre où est la difficulté : « En fait, l'État lui aussi et sa forme dépendent de la valeur morale des citoyens et cela plus que jamais à une époque où l'État moderne, pleinement conscient de toutes les possibilités de la technique et de l'organisation, n'a que trop de tendance à retirer à l'individu, pour les transférer à des institutions publiques, le souci et la responsabilité de sa propre vie. Une démocratie moderne ainsi constituée devra échouer dans la mesure où *elle ne peut plus s'adresser à la responsabilité morale individuelle des citoyens.* Mais même si elle voulait le faire, *elle ne pourrait plus y réussir parce qu'elle ne trouverait plus chez eux d'écho,* dans la mesure du moins où le sens de la véritable réalité de l'homme, la conscience de la dignité de la nature humaine et de ses limites ont cessé d'être sentis dans le peuple. » Notre correspondant continue : « Mais la Reconstruction devant être terminée en 1958, nous devons bien regarder vers le futur. » Voilà le grand mot lâché ; il faut pour les administrateurs que l'administration dure, même si ses raisons d'être ont disparu. 27:11 Aussi cherche-t-elle à éliminer les hommes du secteur privé auxquels elle avait dû faire appel à ses débuts. Notre correspondant avoue ensuite : « 1° Les régions étudiées sont trop vastes, et on veut faire marcher ensemble des territoires de caractéristiques et de vocations sans rapport entre eux. 2° Je ne connais pas les problèmes agricoles ou forestiers auxquels je fais allusion (sols, engrais, assolements, etc.). 3° Je ne connais pas la région, et (théoriquement) ne suis jamais sorti de mon bureau. On me fait parvenir une copie des études des différents spécialistes ; je ne me rends pas toujours bien compte de ce que cela indique. 4° Je ne suis renseigné que par les statistiques officielles, qui sont généralement établies par département, c'est-à-dire en découpant les régions naturelles entre différents départements, et en en mélangeant les morceaux au hasard. Des phénomènes typiques (exemple : mortalité, taille des exploitations agricoles, densité des agriculteurs, nombre d'automobiles, etc.) sont ainsi escamotés. Et on raisonne sur des chiffres creux. » Un département comme celui de l'Yonne traverse trois grandes régions géologiques très différentes ; l'une d'entre elles est très particulière et très uniforme, c'est le Morvan granitique ; mais il s'étend sur quatre départements. Il faudrait un bureau régional du Morvan. Une statistique départementale d'ensemble sur la population, l'habitat, etc. n'a aucun sens pour le département de l'Yonne. Et voici la fin de la lettre : « Le M.R.U. fait des bêtises, mais les Ingénieurs des Ponts et Chaussées et les Inspecteurs des Finances (qui n'ont pas la formation d'architecte, qui donne l'esprit de synthèse et le sens du caractère) en font de plus énormes lorsqu'ils s'occupent d'Aménagement du Territoire. » On le croit volontiers. Aussi veulent-ils se donner cette formation d'architecte, mais *en chambre,* dans une école où ils apprendront à parler de tout sans rien connaître. Car voici les projets du ministère de la reconstruction ; il a ajouté à son titre : *et du Logement.* 28:11 Faisons un crochet, rappelons les méfaits de la démagogie, car les gens oublient vite et même ils ne savent pas. Partout en France, on souffre du manque de logements. Les lois sur les loyers ont arrêté toute construction. Or en 1914, il y avait dans chaque rue des logements à louer. Tous ceux qui voulaient se rapprocher de leur travail le faisaient et n'avaient que l'embarras du choix. Quand j'ai cherché un logement à Paris, fin 1906, j'ai choisi entre trois maisons dans le même quartier. Les lois sur les loyers ont été faites contre les propriétaires considérés comme des « vampires » par la phraséologie romantique. L'auteur principal de toutes ces lois était un petit fonctionnaire élu député de Paris en avril 1914 et il m'en reste un souvenir charmant. Dans les huit jours de son élection, il vint me trouver avec son grand électeur, qui était le violon de notre trio de musique de chambre, pour me demander de donner des leçons de piano à sa fille. Je me souvins aussitôt des propos du philosophe dans le second acte de la *Louise* de Gustave Charpentier : « L'idéal des ouvriers, c'est d'être des bourgeois, l'idéal des bourgeois, être des grands seigneurs, l'idéal des grands seigneurs, devenir des artistes. -- Et l'idéal des artistes ? -- Être des dieux. » Et comme, là-dessus, l'orchestre attaquait le thème de Wotan dans le *Tétralogie,* notre joie était grande. Comme à la lecture du quadrille écrit par Chabrier sur des thèmes de Tristan et Yseult. Ces hommes-là n'étaient point bégueules et s'intéressaient vivement à la structure de la pensée. Ces souvenirs reposent un peu. Or quelles furent les conséquences de ces lois sur les loyers faites, paraît-il, pour le peuple ? Une multitude de petites gens qui avaient fait faire dans une grange inutile ou un jardin bien placé quelque logement afin d'avoir un petit revenu pour leurs vieux jours, se sont trouvés misérables. Un logement se louait, dans les petits bourgs, de quinze à vingt francs par mois ; à Paris mon loyer d'un trimestre était de cent francs ; voilà les vampires. Les lois sur les loyers ont permis de dépenser pendant longtemps davantage pour le tabac que pour le logement ; et tout le monde sait qu'aujourd'hui encore, avec les impôts sans cesse augmentés, un propriétaire n'a plus de quoi faire les réparations. 29:11 De plus, il y avait en 1914 *le double* d'ouvriers du bâtiment qu'il n'y en a aujourd'hui. Comme on ne construisait plus, quelque 400.000 ouvriers (sauf ceux qui furent tués pendant la guerre) durent chercher un autre métier. Et aujourd'hui on se plaint du manque d'ouvriers qualifiés du bâtiment. Le manque de logements est donc une conséquence directe d'une démagogie que la grosse majorité des assemblées a toujours approuvée ; comme toutes les démagogies de tous les temps elle aboutit à un asservissement supplémentaire. On sait de plus quelles misères morales suivent l'insuffisance des logements et la promiscuité. Et tout le monde s'en lave les mains, car il n'y a jamais de responsable. COMME il était à prévoir, et comme tout le monde le sait, l'administration des logements ne fait que ralentir la construction ; un dossier qui fait huit ou dix bureaux ne revient qu'au bout d'un an au moins, quand les prix ont déjà changé. Les ambitions de l'administration sont avant tout de durer et nous sont révélées par le bulletin d'une administration concurrente : LE ROLE DU CORPS DES PONTS ET CHAUSSÉES\ AU MINISTÈRE DE LA RECONSTRUCTION\ ET DU LOGEMENT Le cabinet du M.R.L. envisageait en 1955 la création d'un cadre supérieur unique d' « ingénieurs urbanistes » compétents dans les trois branches essentielles de la construction, de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, recrutés en majeure partie à la sortie de l'X et se perfectionnant ensuite dans une école d'application appelée « École nationale de la Construction et de l'Aménagement du Territoire ». Le corps ainsi projeté devait comprendre 300 personnes, dont 30 ingénieurs généraux, 105 ingénieurs en chef, 165 ingénieurs ordinaires ; le recrutement initial devait s'effectuer par intégration des cadres actuels qui appartiennent, comme on le sait, aux deux corps des inspecteurs d'urbanisme et urbanistes en chef d'une part, des ingénieurs, ingénieurs principaux et ingénieurs en chef de la Reconstruction, d'autre part. 30:11 Un tel projet ne pouvait nous laisser indifférent. Le besoin d'un corps à recrutement stable et homogène est parfaitement compréhensible pour un ministère dont les tâches *tendent à devenir permanentes.* On peut toutefois se demander si ce corps doit obligatoirement être nouveau, ou au contraire s'il ne serait pas possible d'utiliser plutôt un corps déjà existant. La multiplication des corps présente en effet, du point de vue de l'organisation administrative et sur le plan local notamment, de sérieux inconvénients : elle aggrave les problèmes de frontière, complique la tâche de coordination des préfets, cependant qu'elle se traduit pour le budget de l'État par des dépenses supplémentaires. Précisément, dans le cas qui nous occupe, il nous est apparu que le corps des Ponts et Chaussées, moyennant peut-être un léger infléchissement des études à l'École nationale des Ponts et Chaussées, a vocation pour constituer les cadres supérieurs du M.R.L., car dans les trois domaines de base du M.R.L., construction, urbanisme, aménagement du territoire, les ingénieurs des Ponts et Chaussées ont déjà ou pourront acquérir facilement une compétence suffisante aussi bien technique qu'administrative. A l'appui de cette thèse, je précise d'ailleurs qu'on avait envisagé au départ de faire suivre aux élèves « ingénieurs urbanistes » l'enseignement de l'école des Ponts et Chaussées, qui comporte déjà, comme vous le savez, des cours d'architecture et d'urbanisme et dont beaucoup d'autres cours traitent déjà -- ou pourraient traiter moyennant une très légère augmentation du nombre des leçons -- de problèmes se rapportant à la construction immobilière (matériaux de construction, procédés généraux de construction, constructions métalliques, etc.). Cette extension du rôle du corps des Ponts et Chaussées comporterait néanmoins une obligation de notre part : accepter l'intégration dans notre corps d'un certain nombre de cadres actuels du M.R.L. -- choisis tant parmi les ingénieurs principaux et les ingénieurs en chef du M.R.L. que parmi les inspecteurs de l'urbanisme, les urbanistes en chef. 31:11 Le comité avait là une grosse responsabilité à prendre : il n'a pas hésité à accepter l'éventualité du sacrifice que constitue l'intégration, car il a estimé que la création d'un nouveau corps distinct du nôtre, à recrutement stable et de bonne qualité, s'occupant entre autres d'aménagement du territoire et d'urbanisme, serait de nature à réduire le nôtre à un rôle d'exécutant ; dans une telle hypothèse, les ingénieurs des Ponts et Chaussées n'auraient plus, en somme, pour prendre une image concrète, qu'à poser des pierres ou des tuyaux là où d'autres le leur indiqueraient. En outre, un grand corps comme le nôtre ne peut se désintéresser de problèmes aussi importants à l'échelon national que celui de la construction immobilière, qui implique chaque année maintenant des dépenses de plusieurs centaines de milliards. Une fois cette décision prise -- et encore une fois je souligne que nous ne nous sommes nullement dissimulé les sacrifices qu'elle comportait -- nous avons pris contact avec le cabinet du M.R.L. de l'époque pour lui faire part de notre position. Notre proposition a reçu le meilleur accueil, mais la chute du ministère a malheureusement tout remis en cause. Nous avons donc repris ces derniers jours contact avec le nouveau cabinet du M.R.L. et il est encore trop tôt pour préjuger de la suite des événements : comme vous pouvez l'imaginer, notre suggestion ne rencontre pas une approbation unanime parmi les cadres actuels du M.R.L. Si une solution d'ensemble, conforme à ce que je viens de vous exposer, ne pouvait être adoptée dans les mois qui viennent, nous nous efforcerions de faire prévaloir des mesures partielles qui permettraient aux ingénieurs des Ponts et Chaussées d'essaimer plus nombreux qu'auparavant au M.R.L. Dans le même bulletin on lit que la commission de l'agriculture souhaite l'augmentation du nombre des ingénieurs du génie rural ; voici : Le rapporteur rappelle les motifs impérieux qui militent en faveur d'une augmentation des effectifs du corps des ingénieurs du Génie Rural : -- Poursuite et achèvement rapide de l'équipement rural (électrification, alimentation en eau potable, remembrement, hydraulique agricole, voirie rurale, installations de stockage, etc.) ; 32:11 -- Augmentation des crédits budgétaires affectés à ces travaux ; -- Difficultés d'augmenter proportionnellement le rythme des travaux ; -- Nécessité d'augmenter les effectifs du Génie rural. Il n'y a, bien entendu, aucune nécessité à cela. Toutes les sociétés de travaux publics ont des ingénieurs dont la compétence est très supérieure à celle que peuvent acquérir des fonctionnaires sans responsabilité financière qui n'ont jamais dirigé d'entreprises. Ces entreprises ont besoin d'être surveillées, mais il y a des *vérificateurs* libres au courant de toutes les astuces qu'un entrepreneur peut employer pour truquer un devis et qui y seront bien plus aptes qu'un ingénieur du génie rural. Ceux-ci ne feront que doubler les ingénieurs qui leur fourniront des projets et tout ralentir. Nous avons rapporté qu'en Belgique, il y a une société nationale de distribution d'eau qui est une coopérative, comme l'est aussi l'administration des chemins de fer vicinaux, comme le plus grand port du monde, Londres, comme chez tous les peuples qui tiennent à l'efficacité et ont gardé les mœurs de la liberté. Pour en revenir au M.R.L., il désire simplement se surajouter aux frais du contribuable et commander sans responsabilité à ceux qui les prendront à leurs risques et périls. Car un architecte ou un entrepreneur est responsable pendant trente ans de la solidité d'une construction. Et on ne pourra plus construire une grange dans un de nos villages sans que le M.R.L. ait vu le plan et donné son autorisation. Et pour cela, il prendra des polytechniciens, c'est-à-dire des mathématiciens, les gens les moins propres par leur formation à observer la nature des choses concrètes et à en tirer parti. Ils passeront dans une école spéciale où ils feront *en chambre* de l'architecture et de l'urbanisme, non sur le terrain. 33:11 Or le défaut de nos écoles d'architectes est déjà qu'on n'y apprend pas à construire ; on fait faire des plans pour l'immeuble de la Société des Nations ou pour une cité de l'Euratom, alors qu'ils devraient d'abord apprendre à construire des cabanes à lapins. C'est l'incapacité congénitale de toutes les écoles qui, depuis la suppression des corporations ont remplacé l'atelier. Au XVIII^e^ siècle les futurs architectes entraient comme apprentis chez un architecte et suivaient au dehors les cours de mathématiques dont ils pouvaient avoir besoin. Pratiquement, ce sont les entrepreneurs qu'ils sont censés surveiller, qui enseignent leur métier aux jeunes architectes. Jamais les ingénieurs sortant des écoles du M.R.L. n'auront autant d'expérience que les simples architectes qui ont tant soit peu construit à leurs risques et périls. Les théoriciens sans aucune expérience en matière de construction et en matière de devis commanderont aux hommes d'expérience. Nous avons vu de nos yeux dans un village sinistré les méfaits de l'administration. Dans un vaste carrefour on a si bien su faire le plan des terre-pleins qu'un camion un peu long devait s'y reprendre à deux fois pour tourner ; les travaux ont été refaits deux fois et à quel prix ! On y pose en ce moment, probablement pour épuiser les crédits à la fin de l'année, deux lampadaires qui coûtent à l'État un million et demi (sur une place de village). Sur les grandes avenues de Montréal, au Canada, les fils électriques et téléphoniques sont encore soutenus par de grands fûts de sapin, comme le long de nos routes. Nous venons de voir le M.R.L. essayer de s'implanter définitivement dans l'économie de la nation et de supplanter les *Ponts et Chaussées.* Voici la lutte de l'Éducation Nationale contre l'Agriculture. Une personne généreuse a fondé, il y a *dix-huit ans,* des écoles ménagères dans plusieurs villages voisins de sa demeure. Ces cours fonctionnent normalement et sont prospères. Ils sont *agréés* par le ministère de l'agriculture, qui les *subventionne.* Le ministère de l'Éducation nationale force une de ces communes à construire deux classes pour abriter le cours ménager qu'il projette d'installer dans cette même commune qui en possède un depuis dix-huit ans. Coût pour la commune : quinze millions, et pour l'État des traitements à payer. Pendant ce temps l'enseignement primaire manque de classes et d'instituteurs. 34:11 Le ministère de l'E.N. tient à son monopole et veut anéantir des écoles privées qui ont eu pourtant l'intelligence de naître vingt ans avant que l'administration n'y songe et coûtent peu à l'État. On peut dire que notre argent est au service d'une métaphysique d'État. Et l'administration va forcer ces monitrices libres dont beaucoup ont vingt ans d'expérience à passer un examen de l'État pour pouvoir désormais enseigner. Coup double : l'administration occupe une place de plus, et on fait pièce à la religion ; car bien entendu ce sont des catholiques qui ont songé vingt ans avant l'administration aux vrais besoins du petit peuple. Nous sommes en plein despotisme à la russe. DANS UN ARTICLE précédent nous supposions que l'essai de mainmise de l'administration des Eaux et Forêts sur la propriété privée était due à la pléthore des cadres. Il n'en est rien : c'est pure malice. Un de nos lecteurs, très bien placé pour le savoir, nous dit que le recrutement de l'école forestière est tombé au-dessous de dix élèves par an. Ce correspondant est d'ailleurs d'accord sur le tort que font les lois successorales à la forêt française et il est hostile aux atteintes à la propriété privée. Nous étant renseignés par ailleurs, nous savons qu'en effet, le recrutement annuel était de 13 fonctionnaires entre 1825 et 1845 ; il est passé à 25 entre 1850 et 1875, à cause des 3 millions d'hectares des forêts algériennes d'abord, des forêts tunisiennes, marocaines, indo-chinoises ensuite. Mais de 1950 à 1955 les promotions sont tombées à 15 en moyenne par année, dont moitié de coloniaux. On serait étonné qu'il y eut désaffection de la jeunesse pour une si belle profession. Mais la carrière est peut-être *bouchée.* Beaucoup de jeunes gens ont renoncé à entrer dans la marine après le sabordage de notre flotte : qu'y faire sans bateaux ? On ne nous dit pas combien de fonctionnaires des Eaux et Forêts sont rentrés d'Indo-Chine, combien sont ou devront rentrer du Maroc et de Tunisie. Mais c'est une question secondaire. Il y a certainement des fonctionnaires intelligents et énergiques qui se rendent parfaitement compte de ce qu'il y aurait à faire dans les limites des attributions de l'État, c'est-à-dire dans les lieux et les circonstances où il est impossible que l'initiative privée se charge de la besogne. 35:11 Mais, nous l'avons vu à nos côtés, ils ne peuvent agir, tant à cause des règles administratives, que de l'immixtion des assemblées démagogiques et de l'irresponsabilité financière, car la responsabilité est à la base de l'efficacité. Ce qui a été fait dans les Landes et en Sologne par l'administration l'a été sous l'influence personnelle de Napoléon III ; c'est un des rares bienfaits de son règne. L'administration des Forêts, tout comme celle des écoles d'apprentissage, élimine les gens de métier. Il y a un « Conseil supérieur de la forêt privé ». Un décret vient de modifier sa composition ; il y a huit représentants des sylviculteurs (les fournisseurs de plans pour le reboisement), neuf des travailleurs de la forêt (les bûcherons), *aucun* de la Fédération nationale des propriétaires forestiers qui, par une taxe sur les coupes de bois, fournissent l'argent du Fonds forestier national. On sait qu'il en est de même pour l'Office du blé ; les paysans qui payent deux milliards par an uniquement pour les *frais d'administration* de cet office, n'ont aucun droit de regard sur l'emploi de ces fonds. \*\*\* NOUS AVONS, ce me semble, très peu besoin de conclure ; les lecteurs l'auront fait. Cette mainmise des administrations sur ce qui devrait demeurer libre, asphyxie le pays, tout simplement. Nous sommes en état d'infériorité vis-à-vis de nos voisins non pas tellement à cause de nos lois sociales, car cette infériorité demeure dans les métiers qui emploient peu de main-d'œuvre, mais à cause des frais exagérés d'administration qui, par les impôts, alourdissent tous les prix ; un gouvernement socialiste fera des économies sur les dépenses utiles, non sur l'administration elle-même ; il serait étonnant qu'il n'aboutisse pas à une dévaluation de la monnaie dont la stabilité est indispensable à l'esprit d'entreprise. Les Français aiment travailler et travaillent vite et bien quand ils sont libres dans leurs activités. Le fonctionnariat habitue à la paresse, au laisser-aller, au gaspillage. Il faut changer les méthodes de gouvernement ; celles qui sont employées empêchent les particuliers d'investir, leur font craindre d'être spoliés par de nouvelles nationalisations ou de nouvelles lois contre la propriété. 36:11 Le gouvernement actuel vient de rabaisser à deux millions le montant des successions en ligne directe exonérées d'impôts : toutes les maisons acquises à grand peine par des gens très modestes seront frappées ; voilà pour encourager le peuple à avoir son chez-soi. Et pendant que l'administration voit les problèmes qui se posent à la nation comme des problèmes d'administrations (ce qui serait très bien si elle ne voulait en même temps gouverner), le gouvernement oublie ses tâches gouvernementales les plus urgentes, qui échappent forcément aux administrateurs qui le remplacent. Les centaines de milliards dépensés en trop par l'administration devraient servir à préparer une place aux cinq cent mille jeunes gens qui d'ici dix ans seront sans travail faute de prévoyance. Nourris, élevés, instruits aux frais des Français, ils s'expatrieront et iront enrichir à peu de frais les nations qui les accueilleront. Le gaspillage des hommes s'ajoute au gaspillage des richesses et jamais personne n'est responsable. C'est un métier ingrat que de montrer aux Français les progrès de leur esclavage ; pourtant il ne manque plus qu'un ordre de mobilisation générale pour qu'il soit complet. Alors l'administration viendrait contrôler les œufs de poule dans le nid, le nombre d'allumettes dans les poches. A demeurer dans l'aveuglement, les Français perdent leur dernière liberté, celle du travail, ils se ruinent et volent leurs enfants. Henri CHARLIER. 37:11 ### Retour aux vérités premières (V) Les saisons de mon enfance SI LE SOUVENIR des Noëls de mon enfance est demeuré dans le vague de l'imprécision, faute d'avoir été vécu, par contre, les printemps de ma prime jeunesse ont largement bénéficié du voisinage immédiat du créateur de toute chose. La Noël supposait un Avoir, des biens, des habits, des chaussures, une cheminée mystérieuse, des dons miraculeux, une cérémonie nocturne dans une église embellie par la présence d'une naissance depuis longtemps attendue. C'est-à-dire ce que nous n'avions pas. Tandis que le Printemps apportait gratuitement sa lumière, la chaleur de son soleil, les premières fleurs, la verdure des prairies, les bourgeons des arbres, le chant des oiseaux, le grouillement des insectes, la joie et l'espérance. Pour jouir de ces bienfaits, il n'était pas nécessaire de se croire environné par le privilège de la fortune et les facilités de l'aisance sociale. La nature, issue de la conception divine, s'accommodait parfaitement de nos pieds nus, de nos haillons, de nos cheveux en broussailles, de nos poumons d'air pur, de nos yeux affamés, d'espace libre et des couleurs du ciel. Les printemps de mon enfance ont eu pour cadre la terre, un coin de plaine en pays d'Artois, privé d'usine et de mine. Courbés sur une terre saine, la binette au bout des bras, il nous était permis de redresser nos corps, d'explorer de nos regards curieux les lointains boisés, les coteaux harmonieux et de contempler là-haut le mouvement vigoureux des nuages chassés par le vent et qui laissaient derrière eux des trous bleus comme les yeux de l'infini et du mystère. C'est que notre travail d'enfant apparenté à la nature n'était pas soumis aux règles et aux disciplines de la condition prolétarienne obéissent aux appels de la sirène et à l'horloge de pointage. Notre travail familial s'exécutait à la tâche pour un fermier ou pour plusieurs qui ne pouvaient exiger que la bonne façon, la besogne bien faite. Pour gagner notre vie, il fallait comme l'on dit « en abattre », mais nous étions libres de notre horaire, de nos mouvements, de notre pensée. 38:11 Les propos que nous échangions, les rêves que nous partagions, nos querelles et nos jeux, avaient une source commune que seuls nos cœurs alimentaient. Si nous avions regret d'avoir trop tôt quitté, l'école, si l'humiliation nous frôlait quand les jeudis passaient sur le chemin le groupe des écoliers en promenade pédagogique, le noir de l'amertume et le gris de la haine ne pénétraient pas nos esprits. Une certaine fierté se dégageait de notre attitude, nous étions au travail. Et le travail nous plaisait parce qu'il était dans la nature féconde et qu'il s'intégrait dans la création que les saisons renouvelaient. Ce germe éclos, cette cellule de vie qui perce la croûte du sol et qui dresse une pointe délicate vers le ciel, va devenir une tige qui portera des épis gonflés de nourriture. Il a été dit que les intellectuels sont ceux dont le cerveau est capable de créer. La joie de celui qui pense résulte de l'œuvre issue de son esprit et cette œuvre est belle si elle exprime la vérité et la beauté dans leur forme originale. Le paysan qui laboure et qui sème n'est-il pas celui qui confie au créateur le soin de traduire son œuvre en lui donnant la vie ? Et n'étions-nous pas, nous, sarcleurs de blé, bineurs de betteraves, les artistes de la culture attachés à la beauté de l'œuvre ? Évidemment, quand nous étions à l'ouvrage, ces considérations ne s'exprimaient pas mais elles étaient à la surface de nos âmes pour envelopper notre bonheur. A 12 ans, des talismans et des souvenirs m'accompagnaient au travail, le plus tendre était celui de l'école d'asile, portant le sceau de l'amitié que m'avait prodiguée Sœur Philomène. Le plus troublant était celui de ma première communion qui m'avait entr'ouvert la voie de la connaissance divine. Le plus respecté était mon certificat d'Études Primaires qui devait servir à empierrer le douloureux chemin de ma vie et à me rappeler la gratitude que je devais à mon instituteur Charles Latour. Ces petits événements se passaient il y a 70 ans. La vie était encore simple. Le cinéma, la radio étaient inconnus : la presse était seulement à la portée d'une minorité de lecteurs, les enfants n'étaient pas noyés dans l'imagerie d'aventures et nous ne disposions que des produits de M. Lavisse et nos parents des romans de M. Dumas. On parlait chez nous des deux Napoléons, des grandes guerres du premier et des guerres plus médiocres du second, de celle de Crimée où était allé mon Grand'Père et celle de 70 que ma Mère avait connue. Mon Père avait une politique rudimentaire : faire payer les riches pour que les pauvres puissent manger. 39:11 Cela veut dire qu'en travaillant, nous ne menions pas une existence biblique et nous étions loin de figurer les bergers et les pasteurs du désert. Mais notre travail, sous la voûte des cieux, dans le calme de la nature, procédait d'un idéal qui nous rapprochait de Dieu. Combien il est doux de rappeler ces souvenirs du printemps de mon enfance. Il justifie à lui seul et il explique le retour de l'homme aux vérités premières, mieux que ne sauraient le faire les livres savants et les compétences des érudits. Le travail, sous sa forme printanière, est une sanctification. \*\*\* POURQUOI y eut-il pour nous, à l'instar du poète douloureux, une saison en enfer ? Pourquoi avons-nous quitté ce coin de notre enfance, enfoui dans la verdure, pour aller vivre en des lieux noirs parmi les excréments de la terre ? Pourquoi ce transfert de nos âmes et de nos corps dans un métier qui devait nous projeter à cinq cents mètres sous terre ? Pourquoi ? c'est bien simple : les hivers nous étaient contraires : le froid durcissait la terre : elle refusait nos bras et vidait notre huche. Des lettres s'échangèrent, des appels nous parvinrent et ce fut l'exode au Pays noir. La mine sentait le goudron l'aloès, l'huile rance, elle puait. Au fond de ses galeries nos jeunes poumons étouffaient dans la poussière et nos yeux distinguaient à peine les spectres et les fantômes qui s'agitaient dans les ténèbres. Le travail était une lutte, un combat contre une matière hostile. Les hommes, jeunes et vieux, réalisaient des tours de force, se tordaient dans des poses acrobatiques auxquelles participaient les mains, les bras, les pieds, les hanches et tout le corps ! Les hommes étaient nus ou presque, nus et noirs comme l'obscénité naturelle de leur langage. Tout contribuait à mettre en échec la divine Providence. Les lumières du Ciel étaient éteintes dans les profondeurs de la nuit. La nature n'avait que des témoins usés par les millénaires et qui rappelaient l'existence des cadavres pétrifiés depuis toujours. Certainement Dieu n'était pas là. Il ne s'était pas mêlé de ces plissements sédimentaires : de ces tassements forestiers, de ces dépôts carbonifères, de ces érosions glaciaires. Et pourtant ? Si Dieu n'était pas là, qu'en savions-nous ? Que prétendions-nous connaître ? Un fragment de géologie terrestre, une parcelle des bouleversements planétaires, quelque chose qui semblait rejoindre les thèses des savants matérialistes et les théories des militants de l'athéisme. 40:11 Quoiqu'il en soit, un voile obscurcissait la vérité que la nature divine nous avait donnée. Et ce voile était noir. La vie sociale dans ce cadre funèbre reposait sur l'injustice. Elle était faite d'abus, de privilèges et de gains scandaleux que s'étaient accordés les investisseurs de l'époque. Et ces placeurs d'argent, qui se gonflaient des flots de notre sueur, allaient à l'Église où ils ne priaient pas. Cette saison de mon enfance versa du dégoût dans mon âme et marqua mon cœur et mon corps des stigmates du doute et de la révolte. Autour de moi, c'était la plainte permanente, profonde et noire d'une multitude de condamnés, le ruissellement continu de la colère engendré par un salariat primitif qui ne servait qu'à lubrifier des muscles au jour le jour et qui n'ouvrait pour les hommes aucune fenêtre sur l'avenir. Si l'évasion était permise, elle n'offrait que le purgatoire du chômage à la place de l'enfer du travail. Les Maîtres pouvaient vous en chasser et vous envoyer au purgatoire. Ils m'ont chassé quand, plus tard, et à cause d'eux, j'étais devenu un dur. IL ME RESTAIT donc à oublier cette seconde saison de mon enfance qui m'avait éloigné du Créateur. Et je devais revenir à la première pour retrouver la vérité perdue, les lumières éteintes, la grâce dont j'étais privé. Revenir aux vérités premières, c'est retourner au printemps de sa vie, sous le ciel pur inondé de soleil, parmi les fleurs et la sève qui monte. Tant mieux si ce printemps s'accompagne d'un effort et que cet effort s'appelle le travail. On apprendra plus tard le sens et la portée de cette offrande quand on aura vérifié, la valeur exacte du sacrifice. Le Monde actuel, dit-on, marche vers les robots, vers les maîtres de la technique, vers les synarchies d'État. La culture humaine est en péril. D'aucun pensent que pour la sauver, il faut repaver les chemins qui conduisent à Athènes, à Jérusalem et à Rome. Je n'ai pas les moyens d'entreprendre d'aussi beaux pèlerinages. Je me contente de revivre la première saison de mon enfance. Georges DUMOULIN. 41:11 ### L'inscription POURQUOI, quand cela se rencontre, ne pas saluer les pères anciens ? On peut toujours remonter à la communauté indo-européenne et même songer à Orphée..., il y aurait un cousinage entre l'orphéisme, le pythagorisme et le druidisme. Toujours ces vieux mystères agraires faisant lueur au fond des âges. Communications, influences ? Plus ou moins ceux de Marseille se mettaient à l'école des Grecs : ils usaient pour l'écriture de lettres grecques. Mais les autres ? César rapporte dans sa campagne des Gaules qu'ayant à envoyer une missive qui risquait d'être interceptée, il l'écrivit en grec afin que les Gaulois ne pussent la lire. A Gergovie, on retrouve des monnaies, -- c'est avec la collaboration des taupes : les poussant du nez, elles les ramènent de leurs galeries souterraines jusque dans les taupinières. Or ces monnaies sont frappées de caractères latins. (Ne dateraient-elles que d'après la conquête ? A Gergovie, curieusement, ce qu'on trouve est d'un peu avant ou de passablement après Vercingétorix.) AU SUD de Champétières, monte un très vieux chemin. Au haut, deux pierres brutes dressées font une espèce d'entrée, d'autres s'en vont, en cordon, dans les genêts. Et d'ici on domine une conque d'un vert râpeux, tranquille entre ces bois dont les échines de plus en plus pâlissantes s'enchevêtrent. Au levant elle descend vers la plaine d'Ambert -- on voit, plus outre, le bleu fumeux des monts, pareil à quelque songe dont on arriverait mal à démêler le sens. Dans cette conque dorment les ruines d'un château du XIII^e^ siècle, ruiné avant la Révolution, dont on a fait alors une maison de domaine, ruinée de nouveau depuis. Au mur du midi, est encastré un bloc de granulite : donc de grain particulièrement fin. Il porte une inscription parfaitement nette et indéchiffrable. Cette pierre avait toujours intrigué tout le monde. 42:11 Les lettres sont latines, quelques unes grecques ; d'autres on ne savait. Au vrai, c'est l'alphabet étrusque, et c'est celui dont usaient les Gaulois. L'inscription est celtique, de cinquante ans avant ou après Jésus-Christ. M. Vendryès y lit : Monument d'Assedomaros\ fils de feu Orbiotalos A cause de sa fraîcheur, et parce que les noms propres figurent sur d'autres inscriptions, on a pu croire de loin à une mystification d'étudiants. Mais la pierre fait bloc avec cette muraille, à n'en pas douter ramassée dans le voisinage et utilisée là par ceux qui ont bâti le château. Ce château a été celui des comtes de Champétières et avant eux des Motier de La Fayette. Et avant tous ceux-là, peut-être, sur la motte, à cent pas de nous où est une pierre à cupules, il y avait cet Assedomaros... Comme cela dit l'antiquité des campagnes. Entre le canton montueux des pins et les divagations marécageuses de la rivière dans la plaine, le site est favorable au pommier, au noyer, à l'épi et à l'herbe. Avec sa bonne fontaine, il était une bonne campagne, des centaines, peut-être des milliers d'années avant l'Assedomaros de l'inscription. En tout cas, voilà deux mille ans, dans ce val, sous cette même forme de carreaux de seigle et de prés à cerisiers sauvages, était déjà établi sur son domaine le chef de terres. C'est parce qu'ils définissent à priori la féodalité « le temps où des particuliers se sont emparé des pouvoirs de l'État », que des historiens tels que Guizot et les romantiques la datent du Moyen Age. Il suffit de lire César. On y voit que la Gaule était féodale. « Les traducteurs d'autrefois, ceux qui écrivaient, non « les Lémovices » « les Arvernes », mais « les Limousins », « les Auvergnats », avaient beaucoup plus que ceux d'aujourd'hui le sens de l'histoire. Notre idée du progrès en marche fausse tout », me dit mon ami J.V. L'âge d'or non pas devant nous mais en arrière de nous ? Dans cette torpeur agricole, une paix sans histoire. Sous les nuées de mai, en sombre velours gris, et en accord avec ce bleu des monts recueillis en leur songe, la paix même qu'on respire ici entre colzas et cerisiers en fleurs. A notre époque d'histoire accélérée, on peut penser quelque bien d'elle. L'âge d'or, le trésor perdu. 43:11 Après tout, les gens de Champétières avaient raison, qui croyaient que la pierre mystérieuse parlait en cette muraille de quelque trésor caché. C'est le trésor de la pérennité terrienne : travailler avec la terre et tout lui demander ; vivre d'elle, avec elle, dans sa tranquille certitude. On peut penser à ceux qui ont vécu là, il y a deux mille ans, gardant les vaches, quelque bâton de noisetier en main et rêvant de faire élever un tombeau à inscription selon la mode du jour. Penser à ces vies, tellement submergées, mais qui, avant la lumière, portaient en elles la lueur humaine. ON AIMERAIT MIEUX savoir de quelle façon le monde s'est peint au fond des yeux d'Orbitalios ou d'Assedomaros. Ce que fut pour eux le songe de la destinée. Sous Gergovie, au bord du lac disparu, un homme de la campagne, carrier et cafetier, a mis à jour une nécropole. Il ne se souciait que de tirer du sable. Mais il déterrait des squelettes. Soigneusement d'abord, il a fait disparaître ces débris compromettants. Puis il y en a eu de trop. Il est allé prévenir le maire. « Faudrait tout de même pas qu'on prenne mon café pour quelque auberge sanglante ! -- Pas : question, père Bonabry : on : vous connaît. On ne vous accusera pas d'avoir tenu un coupe-gorge ! » Il osa ne plus mettre en poussière les Gaulois apparus là avec équipement et parure. Il fallait aux gens de ces temps si peu pourvus un sentiment religieux bien fort pour laisser à leurs morts tout ce précieux fourniment. Mais ne consentaient-ils pas des prêts remboursables en l'autre monde ? L'idée de la survie, évidemment, jouait sur leur vie d'une façon qu'on a depuis désapprise. Cela pouvait tenir à un autre régime cérébral. Couvert par les autorités, M. Bonabry respecta donc les Gaulois exhumés. Il les exposa même dans son local. On voyait dans la sablière les squelettes à demi enfouis, traversés par des racines d'arbres. Une supercherie était impensable. Mais c'était au temps de Glozel. -- Glozel ? Est-on certain d'avoir éclairci cette affaire ? -- Les savants peuvent aimer l'Histoire : ils n'aiment pas les histoires. Ils ont tous eu si peur des plaisanteries des journalistes ou des acrimonies des spécialistes plus spécialistes qu'eux, qu'ils ont préféré ne pas aller à Sarliève. Dans cette plaine au pied des vignes, ne se sont risquées que des personnalités sans mandat. Ces promeneurs du dimanche ont emporté les bracelets de bronze, les poignards, les fibules encroûtées d'arène grise. Le père Bonabry n'attachait pas tant d'importance à ces bricoles. 44:11 Les Auvergnats n'avaient pas tout à fait laissé éteindre les volcans mais ils ont laissé réensabler Sarliève. Les Ligures, qui aimaient les fontaines et les blés, les serpents et la terre, les Gaulois qui aimaient la chose militaire et l'éloquence, même quand on les retrouve d'aventure au fond des siècles, On ne tient pas à les voir. Henri POURRAT. 45:11 ### NOTES CRITIQUES Le mystère du P. Bigo par Louis Salleron Nous terminons la publication des trois articles écrits par Louis Salleron en 1952, 1953 et 1954, sur la pensée du P. Bigo à l'égard du communisme. Pendant que nous poursuivions cette publication a paru aux Éditions du Seuil un ouvrage du P. Calvez, s.j., *La pensée de Karl Marx*, qui confirme sur plus d'un point les positions de Louis Salleron et de Jean Madiran. De l'étude de la pensée du P. Bigo qui a été poursuivie dans les numéros 2, 6, 8, 9, 10 et 11 d'*Itinéraires*, Jean Madiran tire plus loin quelques « conclusions provisoires », confrontées avec les observations du P. Calvez. JE N'AI PAS ENCORE LU le compte rendu de la *Semaine Sociale* de Pau. J'ai lu, par contre, l'un des « cours » qui y a été donné : celui du R.P. Bigo, publié par la « Revue de l'Action populaire » (numéro 71, de septembre-octobre 1953). Ce cours a pour titre : *Les fondements matériels et idéologiques du désordre contemporain.* Par deux fois déjà, j'ai parlé du R.P. Bigo. La première fois, c'était pour dire combien me choquait certain article paru sous sa signature dans *Témoignage Chrétien* du 24 octobre 1952. La seconde fois, c'était pour rendre compte de son important ouvrage *Humanisme et Marxisme.* Le R.P. Bigo est directeur de la *Revue de l'Action populaire* et directeur de *l'Institut d'études sociales.* A ce double titre, il exerce une immense influence sur la pensée catholique. Sa Revue et son Institut, en effet, informent et enseignent les clercs et les laïcs qui assument ou assumeront les plus hautes responsabilités sociales (aumôniers, directeurs d'œuvres, chefs d'entreprises, ingénieurs, syndicalistes, militants ouvriers). 46:11 Or, à travers ce que j'ai lu du R.P. Bigo, j'aperçois, sans qu'il soit besoin de lunettes grossissantes, un complexe d'infériorité redoutable. Il n'est pas communiste ; mais il est tellement frappé par le fait communiste que ce qu'il produit ne peut qu'apporter de l'eau au moulin communiste. C'est ce qui me semble grave, et c'est ce que je lui ai reproché. Je le lui reproche une fois de plus, après la lecture de son cours à la *Semaine sociale de Pau.* \*\*\* JE PRENDS l'épithète la plus bénigne que puisse me fournir le vocabulaire français pour dire que le cours du R.P. Bigo à la *Semaine Sociale* de Pau est absolument *décevant.* La pensée s'y fuit ou s'y poursuit de manière insaisissable. Ce ne sont qu'approches, dérobades, pas en avant, glissades, virages sur l'aile, montées en flèche, descentes en piqué. Il faut lire et relire dix fois pour saisir une pensée dont, finalement, on ne sait s'il faut écrire qu'elle est claire ou obscure, tant elle se réduit à peu de choses. Le P. Bigo entend montrer qu'une co-existence pacifique est possible entre le bloc U.R.S.S. et le bloc U.S.A., si on débarrasse leurs structures juridico-économiques des « fausses mystiques » qui les empoisonnent. Parbleu ! Mais qu'est-ce que cela signifie ? Dans quelle utopie cette « démystification » (comme il dit) pourra-t-elle se réaliser ? Et alors, j'en reviens à mon propos. A travers une analyse objective, le R.P. Bigo ne véhicule que le marxisme, par l'espèce d'arbitrage impartial qu'il veut exercer au nom de l'Église entre des idéologies également condamnables, et par les hypothèses gratuites qu'il forge au bénéfice du communisme en action. Il écrit par exemple : « En Russie, il fallait *du premier coup* ([^18]), c'est là le point, jumeler des bassins de charbon et de fer distants de plusieurs milliers de kilomètres, prospecter des régions aurifères inaccessibles, irriguer des déserts en déviant vers la Caspienne de grands fleuves de l'Océan glacial Arctique, corriger des contresens géographiques. *Et il fallait commencer par là* ([^19]). La Russie n'a pas eu le temps de se constituer progressivement le réseau d'entreprises privées qui auraient pu, peut-être, en s'organisant, faire face à de telles tâches. « Elle a été obligée de passer brusquement de l'artisanat au combinat » (p. 698). Que de commentaires appelleraient ces phrases ! Car il s'agit d'affirmations contestables sur des faits contestables. Et quelles conclusions en tirer ? Est-ce le communisme, le marxisme, la dictature, qui ont à leur actif ces transformations ? Faut-il les en louer ? etc., etc. Mais l'impression de *nécessité* s'impose et une sourde admiration pour le régime soviétique envahit le lecteur ou l'auditeur. Le P. Bigo continue : « Combien d'autres pays se trouvent actuellement dans une situation semblable, par suite de problèmes économiques ou démographiques massifs et urgents ? Combien d'autres pays sous-développés se trouvent placés brusquement devant des tâches géantes qui dépassent complètement leurs entreprises artisanales ? 47:11 Il faut le dire, si le collectivisme est un attrait pour des peuples comme les Indes, pour l'Asie Extrême-Orientale ou Proche-Orientale, demain peut-être pour l'Afrique, en un mot : pour les pays sous-développés, c'est qu'il apparaît comme capable d'assurer, au rythme d'aggravation des problèmes qui se posent, le développement d'une économie arriérée où le capitalisme privé n'a pas réussi à créer une industrie vraiment nationale et indépendante » (p. 698-699). Alors ? Si cette analyse est exacte, que doit faire la France ? Que doit faire l'Occident ? Pas de réponse. C'est la manière du P. Bigo. Il *sème* dans l'esprit, il *insinue.* Des affirmations, des interrogations, des incidentes feront leur chemin... Par exemple, regrettant (semble-t-il) la perte des libertés personnelles en économie soviétique, il écrit : « Du moins la planification permet-elle de mettre fin aux scissions sociales engendrées par le capitalisme libéral et aux difficultés économiques que fait naître la liberté d'entreprendre quand elle tourne à l'anarchie. Il y a encore des différences de revenus en U.R.S.S., mais tous les revenus (à l'exception des intérêts versés aux souscripteurs des emprunts d'État) sont les revenus du travail. Qui oserait prétendre que les revenus de l'argent, là où on en accepte le principe, ne risquent pas d'introduire une cause dangereuse d'inégalités, dès lors que le capital majore le service qu'il rend, la privation qu'il subit, le risque qu'il court ? Il y a encore des difficultés en U.R.S.S. ; du moins la surproduction y est-elle impensable et du travail y est-il offert largement à tous les citoyens. Du moins le progrès de la production est assuré de profiter à tous sans discrimination, par le moyen des baisses de prix massives » (p. 701). Voilà ce qui fut proposé, sur un petit ton tranquille, aux centaines d'auditeurs de la Semaine sociale de Pau. Voilà ce qui est proposé aux milliers de lecteurs de la *Revue de l'Action populaire.* Voilà ce qui est diffusé dans tous les milieux du catholicisme social sous l'autorité du directeur de *l'Institut d'Études sociales.* \*\*\* DIRE qu'entre l'Est et l'Ouest « les structures économiques ne se heurtent pas », renvoyer dos à dos comme des mystiques également fausses les idéologies qui inspirent ces structures, se désolidariser de la civilisation à laquelle on appartient sous prétexte qu'elle est impure (comme si la pureté existait ailleurs que dans l'abstraction), c'est tout bonnement du défaitisme ; et le défaitisme travaille toujours, nécessairement, au bénéfice de l'adversaire. C'est pourquoi je parle, dans le titre de cette note, du « mystère » du P. Bigo. Que veut-il ? Et même que pense-t-il ? Je me le demande. Je suis très convaincu qu'il n'a pas l'intention de faire de la propagande communiste. Malheureusement je suis tout autant convaincu que ses propos et son action ne servent que le communisme. Peut-être arguerait-il qu'il faut dire la vérité, sans se soucier des conséquences. Je l'admettrais volontiers si c'était bien la vérité qu'il disait. Mais ses thèses et ses hypothèses sont très fragiles. Et surtout, c'est sa manière de présenter les questions qui est déplorable. 48:11 Supposons que le P. Bigo veuille montrer la force de l'Union Soviétique, ses progrès techniques, sa marche possible ou probable vers la prospérité, ce qu'il y a de justifiable dans ses conceptions juridiques, économiques et politiques, etc. Il pourrait expliquer tout cela en montrant la nécessité *d'autant plus grande* pour nous de lutter contre le marxisme, contre les persécutions, contre le totalitarisme des Soviets. Le P. Bigo écrit : « L'objection particulière spéciale qu'elle (l'Église) continue à faire au communisme, elle ne l'élève pas au nom d'une conception de l'entreprise, mais au nom de la défense des libertés humaines et religieuses fondamentales. L'option collectiviste est liée, en fait, à une attitude de persécution qui constitue l'une des plus graves menaces qui ait jamais mis en péril la foi en Dieu au cours de l'histoire. Elle est liée aussi à une entreprise de dictature qui s'enracine dans la philosophie matérialiste. Tout changerait dans les attitudes de l'Église s'il n'en était plus ainsi... » (p. 705). Quel secret, dans son sein, roule le P. Bigo ? Espère-t-il qu'un beau matin le communisme va se réveiller en simple « conception de l'entreprise » ? S'il ne l'espère pas, comment ne voit-il pas que son rôle, à lui P. Bigo, n'est pas d'expliquer en long et en large les mérites éventuels de « l'option collectiviste », mais qu'il est bien plutôt de dénoncer « l'attitude de persécution », l' « entreprise de dictature » et « la philosophie matérialiste » qui accompagnent cette option ? Il faut bien le dire : nous autres laïcs, nous sommes choqués qu'un prêtre fasse tant d'économie politique pour nous inviter à nous placer avec le Christ et l'Église au-dessus de la mêlée. Quand il nous dit que la tâche des économistes est de fournir « les bases scientifiques dont les forces spirituelles ont besoin pour avoir raison des dures réalités qui leur font obstacle dans l'entreprise de la paix » (p. 706), nous sommes gênés qu'il veuille assumer la tâche des économistes et non celle des forces spirituelles. Cette gêne se mue en irritation quand nous voyons l'économiste mettre au crédit de l'U.R.S.S. le plein emploi, la suppression des scissions sociales, la mise à la disposition de tous des progrès de la production, etc. Si c'est sur ces « bases scientifiques » que le P. Bigo croit devoir assurer le triomphe des « forces spirituelles », on peut craindre que celles-ci ne connaissent de douloureuses surprises. Le mystère du P. Bigo reste entier. Louis SALLERON. 49:11 ### Conclusions provisoires sur la pensée du P. Bigo avec l'aide du P. Calvez VOILA DONC terminée la publication des trois articles que Louis Salleron avait consacrés, en 1952, en 1953, en 1954, à la pensée et à l'attitude du P. Bigo concernant le communisme. Notre étude de cette pensée comporte donc maintenant les éléments suivants : 1. -- « Le P. Bigo et le progressisme » (*Itinéraires,* n° 2, pages 60 et suivantes) : analyse critique de ses *Aspects doctrinaux du progressisme.* 2. -- « La pensée du P. Bigo » (*Itinéraires,* n° 6) : étude critique de sa communication à la Semaine des intellectuels catholiques, en novembre 1955 (*L'Église en présence du communisme*) à la lumière des thèmes parallèles ou analogues de son livre *Marxisme et Humanisme.* 3. -- La lettre (n° 8) et les trois articles de Louis Salleron (n° 9, 10, 11). 4. -- Une précision de méthode, qui ne concerne pas seulement la pensée du P. Bigo, mais qui la concerne aussi (n° 9, pages 62 à 68, à propos de « quelques pensées de M. Étienne Borne »). Nous aurions aimé qu'à n'importe quel moment de cette étude dont il était l'objet, le P. Bigo nous apportât son renfort en nous disant ce qu'il en pensait. Qu'en pense-t-il ? Nous devons informer le lecteur que nous n'en savons à peu près rien, du moins quant au fond. 50:11 Nos efforts publics et privés, répétés plus de sept fois, pour obtenir du P. Bigo soit une conversation publique, soit une rencontre privée, sont jusqu'ici restés vains. Nous n'avons que les textes de cet auteur : nous l'étudions comme s'il était mort. Nous ignorons jusqu'à quel point le P. Bigo se sent satisfait ou flatté de voir son œuvre étudiée comme on étudie celle de Fénelon, de Fontenelle ou de Rousseau. Le P. Calvez, dans un ouvrage dont nous allons parler, limite à quelques lignes (mais décisives) sa critique de *Marxisme et Humanisme :* le P. Bigo aura peut-être jugé cette dimension un peu courte. Auprès de nous du moins, et pour la première fois, il a trouvé une audience explicite et motivée, qui prend suffisamment sa pensée au sérieux pour lui consacrer des mois de travail et soixante pages de revue. Le P. Calvez au contraire s'en joue et s'en moque, avec une gravité de pince-sans-rire (et des objections définitives). Nous avons formulé nos réserves personnelles, qui ne prétendent à aucune autre espèce d'autorité que celle de leur argumentation, 1. -- sur la manière dont le P. Bigo présente les réalités communistes ; 2. -- sur la connaissance effective qu'il peut en avoir ; 3. -- sur le comportement pratique qu'il préconise à leur égard ; 4. -- sur l'influence et les conséquences d'une telle pensée. Ce faisant, nous enfoncions une porte qui n'était pas ouverte, mais plutôt fortement barricadée. Barricadée pour des raisons générales et particulières. Générales : l'objection n'avait plus droit de cité en un temps qui glisse vers des mœurs totalitaires. On aime beaucoup le monologue parmi les intellectuels catholiques. On aime monologuer même sur le « dialogue ». On montre du doigt comme un affreux « polémiste » celui qui à haute voix se déclare en désaccord. S'il donne en outre, à son désaccord, des motifs raisonnables, s'il prétend argumenter, on l'appelle « pamphlétaire ». Le ridicule, la sottise, le mensonge de telles mœurs intellectuelles commence heureusement à apparaître. Des raisons particulières : le P. Bigo ne semble pas personnellement très disposé au dialogue. Ou plutôt, il s'est fait malencontreusement l'apôtre du dialogue qu'il ne fallait pas : le dialogue *avec le communisme,* présenté par lui comme *nécessaire* ([^20]). 51:11 Il a été dit ou confirmé depuis lors qu'un tel dialogue est inopportun et même interdit. Lorsque le P. Bigo aura digéré cette mésaventure (qu'il aurait pu éviter si seulement il nous avait écouté), il sera, nous le souhaitons du moins, récupérable pour ce dialogue fraternel entre catholiques auquel il avait montré si peu d'empressement. Nos observations n'ont pas été l'œuvre d'un jour : peut-être le P. Bigo a-t-il de son côté besoin de plusieurs années pour préparer sa réponse, pour mettre au point sa pensée ? Nous demeurons patients et attentifs. \*\*\* UN LIVRE considérable vient de paraître aux Éditions du Seuil : *La pensée de Karl Marx.* Son auteur est un jeune Père jésuite, Jean-Yves Calvez. L'œuvre manifeste une grande érudition, un énorme travail. Nous y consacrerons un compte rendu quand nous en aurons fait l'étude approfondie qu'elle requiert. On ne peut en juger la pensée sur une simple lecture. On peut dire du moins, sans attendre davantage, que c'est une précieuse et immense compilation, ordonnée et animée par une intelligence singulièrement vigoureuse. Une telle somme de travail, une telle maturité d'esprit, chez un homme qui n'a pas trente ans, sont peu communes. Il apparaît que l'œuvre du P. Calvez est implicitement un utile antidote des thèses aventurées du P. Bigo. Elle l'est même explicitement. D'une main légère, bien sûr, mais dont le mouvement est net. Qu'un Père de la Compagnie de Jésus, et aussi, croyons-nous, de l'Action populaire, écrive tranquillement, au sujet du P. Bigo et de son livre : « *Interprétation intéressante, mais discutable* » (Calvez, pages 649-650), cela ne nous surprend point de la part de la Compagnie, qui a un grand respect de l'activité intellectuelle et de la pensée personnelle, et qui les développe éminemment chez ses membres par des méthodes dont on connaît le sérieux et la fécondité ; 52:11 mais enfin, cette affirmation selon laquelle le P. Bigo a proposé une « *interprétation discutable* » est une affirmation presque inédite. Hier encore, l'enseignement du P. Bigo était présenté comme *indiscutable,* et celui qui le discutait dénoncé comme, de ce fait, *mauvais catholique.* Aujourd'hui, la porte n'est plus barricadée, elle est ouverte, elle est béante. \*\*\* UN TRAVAIL aussi fort qu'apparaît celui du P. Calvez à première lecture n'est jamais un travail inutile. On a besoin de cette sorte d'œuvres. Je voudrais dire, sans diminuer en rien le mérite de l'auteur, que ce n'est pas de cette sorte d'œuvres que l'on a présentement le plus besoin pour connaître et combattre le communisme. Le P. Calvez a tenté une étude exhaustive de la pensée de Marx : en plusieurs endroits il indique que les travaux antérieurs lui semblent plus sommaires ou moins complets que le sien : son entreprise est donc opportune ; on aurait tort de croire qu'elle est la plus urgente. Car le travail du P. Calvez me fait invinciblement penser à cette affreuse méthode historique que Péguy a raillée, et qu'il n'a pas seulement raillée, mais démolie, selon laquelle on devrait « épuiser la littérature d'un sujet avant d'en traiter » : « Nous savons bien que s'il fallait *épuiser* LA LITTÉRATURE d'un homme ou d'un sujet avant d'en écrire, avant d'en traiter, avant d'en faire un livre, un cours et conférences, une note même pour les *Archiv* et une imperceptible notule, avant d'en penser même, s'il fallait aussi et encore épuiser la réalité d'une question, hein, ça nous mènerait loin. Nul ne verrait jamais le bout de rien. Nul ne verrait la fin du commencement ([^21]). » Quand le P. Calvez, du haut de son formidable travail en 659 pages, et tout plein de son sujet, et tout piaffant, et tout content d'en avoir tant fait, marque au passage les distances avec un geste gentil et un peu hautain, et suggère qu'on a dû l'attendre, ou presque, pour entreprendre une critique philosophique de Marx suffisamment complète ; 53:11 et quand il souligne le caractère incomplet ou fragmentaire de ses prédécesseurs, peut-être même de *Divini Redemptoris* de Pie XI (p. 599) ; alors le P. Calvez nous fait un peu sourire. Avec beaucoup de sympathie. Il est si entier et si sincère, il croit tellement au progrès de la pensée par les méthodes historiques et compilatoires, il a mis tellement de cœur et d'ardeur à son travail... Je songe que quelque part peut-être, dans le silence, un autre P. Calvez prépare un ouvrage semblable, mais en 1.318 pages, ou en 2.636 pages, à moins que ce ne soit en 5.272 pages, du haut desquelles il consacrera bien une note bibliographique, amicale et condescendante, au livre assurément remarquable, mais un peu court, un peu léger, un peu hâtif, au livre un peu mince du P. Calvez... On peut toujours ajouter des pages, des références et des citations. Mais on aimerait que maintenant, tout au contraire, le P. Calvez écrivît à nouveau sa *Pensée de Karl Marx* dans le style et les dimensions, par exemple, du *Discours de la Méthode*. J'ignore s'il en est capable ; je le suppose, en voyant la fermeté concise de sa réfutation du P. Bigo. De même que M. Raymond Aron n'est jamais si décisif que lorsqu'il écrit *L'opium des intellectuels*, mais en dix ou vingt pages, ce qui lui arrive quelquefois. Je sais bien qu'ainsi l'on reste inaperçu de la plupart des intellectuels en place (et il est bon que leur attention soit accrochée par les 659 pages de *La pensée de Karl Marx*, qui les fera peut-être réfléchir). Ils ne savent pas dire une chose en quelques mots, et surtout ils n'entendent rien de ce qu'on leur dit en quelques mots. C'est pourtant de cette manière que le mouvements des idées avance, -- ou change de direction. \*\*\* MAIS le marxisme relève-t-il encore essentiellement du mouvement des idées ? C'est cela surtout que je voudrais nier. La critique du marxisme est faite, et depuis longtemps. Elle n'a jamais été aussi bien faite que la fait le P. Calvez dans son ordre, et je ne discute plus le point de savoir si cet ordre-là est le meilleur. 54:11 Mais je crois qu'au marxisme s'applique parfaitement ce que Péguy écrivait du matérialisme, je le cite une fois encore, parce que c'est l'essentiel, un essentiel que presque personne n'aperçoit : « Il est parfaitement vrai qu'il y a en philosophie des systèmes que l'on a rendus insoutenables : ils seront donc soutenus, et même ils seront les plus soutenus. On les a rendus insoutenables pour la raison, mais on ne les a pas rendus insoutenables pour le pouvoir. On les a rendus insoutenables pour le véritable philosophe. Ils seront donc soutenus par l'école, par l'État, par la Sorbonne, par les bureaux, par les puissances, par le gouvernement, par tout le temporel. Et peut-être par les professeurs de philosophie. On les a rendus insoutenables pour Platon et pour Épictète : ils seront soutenus par César. Par les partis politiques. Par les partis populaires. Par les masses parlementaires... C'est une sottise de croire qu'il suffit qu'une idée ait été rendue indéfendable, une fois pour toutes, pour qu'on n'en entende plus parler. ...Le matérialisme est devenu intenable. Mais le matérialisme se tient très bien. Et même il nous tient. Car il est au pouvoir. » (*Note conjointe*, édition Gallimard, 1935, pages 284 et 287.) Le marxisme a été rendu insoutenable pour Platon et pour Épictète, il a été rendu insoutenable pour le philosophe. Et pourtant il est soutenu, et pourtant il est le plus soutenu, par l'école et par les bureaux, par les journaux et par les professeurs de philosophie. Et le P. Calvez, et le P. Bigo l'étudient gravement, impressionnés par l'immensité du phénomène, le premier pour tailler cette pensée en pièces, et même en dix mille pièces, ce qui est beaucoup, le second non sans lui faire les concessions qui lui paraissent inévitables en face d'une telle énormité. Mais ce n'est pas une énormité d'ordre intellectuel. L'un et l'autre traitent le marxisme comme un phénomène qui serait essentiellement de l'ordre de la pensée. Ce n'est plus vrai. Je leur soumets ce thème de méditation. 55:11 Et j'ajoute (par exemple) qu'il y a dans l'école officielle de la République française, aujourd'hui, en 1957, vingt mille instituteurs communistes qui préparent les petits Français à être communistes : cela est conforme à ce que disait Péguy. Le marxisme, insoutenable comme pensée, est le plus soutenu par l'école. Ces vingt mille instituteurs travaillent selon les consignes et les techniques que leur donne chaque mois *L'École et la nation :* publication et entreprise du Parti communiste sur laquelle nous nous efforçons, sans grand succès jusqu'ici, d'attirer l'attention de ceux qui devraient y être constamment attentifs. Et sur cette grave situation, le livre du P. Calvez, et plus encore celui du P. Bigo, sont sans effet. Mais le P. Calvez s'en aperçoit, ou s'en apercevra, qui écrit déjà : « La connaissance de cette philosophie (marxiste) ne saurait dispenser un contemporain de l'étude soigneuse de la réalité historique, politique, économique et sociale des régimes marxistes. Elle ne peut remplacer l'analyse quotidienne de l'évolution des idées et des institutions dans les pays d'obédience communiste, ni celle de la structure, de la tactique et de l'action des partis communistes. » (pages 14-15) « Devant tout argument purement intellectuel, le communiste donnera rendez-vous à son contradicteur, non pas à la fin de l'histoire, comme on le pense trop souvent, mais dans l'histoire tout court, sur le terrain de la vérité. » (page 18) Cela est dans l' « introduction ». L'introduction d'un livre sert ordinairement à rattraper quelque chose d'essentiel que l'on a un peu trop perdu de vue dans le livre. \*\*\* LA CRITIQUE du P. Bigo occupe les pages 576 à 580 de l'œuvre du P. Calvez, -- l'œuvre qui a été accueillie avec de grands éloges, avec de justes éloges, par les Études (janvier, pages 135-137). Le P. Bigo (dit le P. Calvez) a montré qu'il est impossible de dissocier philosophie marxiste d'une part et économie marxiste d'autre part. Mais il n'en propose pas moins cette « *espérance* », à la dernière page de *Marxisme et humanisme :* 56:11 « ...Que le marxisme limite ses ambitions à la transformation d'une structure et qu'il abandonne, en théorie, comme il l'a abandonné en fait (!?), sa prétention de résoudre tout le problème humain. » Le P. Calvez cite cette « espérance » et remarque doucement : « *Cette conclusion ne peut évidemment se comprendre que comme un vœu à l'adresse des marxistes et non comme un jugement sur la doctrine de Karl Marx.* » C'est du meilleur comique. Ainsi que la suite. Avec de grands égards, et en louant très fort le P. Bigo, et en lui faisant mille sourires, le P. Calvez le met par terre, sans brusquerie mais irrésistiblement, comme par une prise de judo. Car il ajoute en un murmure toujours aussi doux et aussi respectueux, mais féroce quant au fond : « *Demander au marxisme de se* « *limiter* », *c'est lui demander de cesser absolument d'être ce qu'il est, à savoir justement une* PHILOSOPHIE ; *c'est l'inviter à devenir une simple recette d'organisation économique qui pourrait* *chercher ailleurs le supplément d'âme qui lui manquerait du fait de l'abandon de ses prétentions philosophiques*. » Encore en la dernière page de Marxisme et humanisme, le P. Bigo avait écrit : « Peut-être le marxisme peut-il s'ouvrir à l'idée qu'à côté des mystiques temporelles qui changent les structures de la société, il y a place pour des forces spirituelles qui changent l'homme lui-même... » Le P. Calvez cite avec respect, et objecte simplement : « *L'essentiel du marxisme n'est-il pas dans une volonté de* CHANGER L'HOMME LUI-MÊME ? » Quand le P. Bigo, au même endroit, demande que le marxisme accepte de « se soumettre aux légitimes exigences que les forces spirituelles posent, au nom de l'homme, à cette transformation des structures mêmes », le P. Calvez lui oppose : « *Peut-on, pour convaincre le marxiste, faire appel à des* « *forces spirituelles* » que justement il récuse ? » (Il est parfaitement vrai qu'on ne le peut dans la perspective du P. Bigo, à l'affût d'une évolution naturelle du marxisme et du communisme ; 57:11 on le peut, en un sens différent, dans les perspectives proprement religieuses d'une conversion des hommes, EN COMMENÇANT PAR LES NON-COMMUNISTES, ET PARMI EUX, CHACUN COMMENÇANT PAR SOI-MÊME ; l'on rejoint ici l'une des principales critiques que nous adressions au P. Bigo, *Itinéraires*, n° 6, spécialement pages 79 et 87-89.) Le P. Calvez multiplie ses effets comiques aux dépens du P. Bigo. Il demande à mi-voix, comme s'il ignorait la réponse : « *Bigo ne suppose-t-il pas chez Marx un humanisme* PERSONNALISTE *bien différent de l'humanisme* NATURALISTE *affirmé par lui ?* » Et il suggère : « *Il est difficile d'attribuer implicitement à Marx un postulat humaniste de type personnaliste.* » Dans ces équivoques ou ces erreurs fondamentales du P. Bigo se trouve l'origine de sa méconnaissance des réalités communistes, et de sa non-résistance pratique, que nous avons plus particulièrement relevées, Faut-il insister davantage ? Il me semble, sous réserve des explications et mises au point que le P. Bigo pourrait éventuellement apporter lui-même, que tout cela est parfaitement clair ([^22]). \*\*\* APRÈS CELA, qui est plutôt définitif, le P. Calvez couvre de fleurs sa victime inanimée et désossée, et lui tient compte de diverses choses qu'elle a « *perçues de manière aiguë* », bien sûr, et surtout, dit-il : 58:11 « ...Il a surtout montré aux économistes, de manière très pertinente, que la science économique de Marx est elle-même philosophique. » Dire que le P. Bigo, quant à la partie positive de son œuvre, a surtout fait cela, est une double férocité, dont le P. Calvez aurait pu faire l'économie, après avoir si radicalement anéanti les positions essentielles de *Marxisme et humanisme*. C'est une première férocité : parce que le P. Bigo l'a fait, certes, -- mais que cela précisément rend insoutenables les attitudes qu'il préconise ensuite à l'égard ou marxisme et du communisme. C'est une seconde férocité en ce que cette idée qu'a surtout découverte le P. Bigo, en fait il ne l'a pas du tout « découverte », elle avait été souvent exposée avant lui. Louis Salleron en témoigne : « Ayant vingt fois exposé la même idée (voir notamment « Marx et l'économie » dans l'ouvrage collectif *De Marx au marxisme*, aux éditions de Flore, 1948), je ne peux que me réjouir d'une coïncidence de pensée avec le P. Bigo sur cette interprétation de Marx... Est-ce très nouveau ? Plusieurs fois le P. Bigo insiste sur le caractère inédit de sa thèse qui irait selon lui « à l'encontre des interprétations courantes ». A des nuances près, j'ai l'impression que sa vision du *Capital* est celle d'un assez grand nombre. C'est peut-être le vocabulaire qui est neuf. Les mots « existence », « présence », « situation » sont fréquents sous sa plume. Ils n'étaient pas à la mode avant la guerre... (Le P. Bigo) ne fait, semble-t-il, qu'habiller selon le style existentialiste des points de vue assez habituels ([^23]). » Mais le P. Calvez, pour n'aller point jusqu'au bout de sa férocité, a très significativement omis, dans sa bibliographie, de seulement citer Louis Salleron et *De Marx au marxisme *; il a semblablement omis, dans le même sens, de seulement citer M. Jean Daujat et quelques autres. Omission qui ne peut être que parfaitement volontaire de la part d'un auteur aussi érudit, et qui a pour raison manifeste la charitable pensée de sauver quelque chose, dans l'ordre des apparences, de l'apport « nouveau » du P. Bigo « découvrant » que « la science économique de Marx est elle-même philosophique »... \*\*\* 59:11 NOTRE SOUCI PROFOND, et d'ailleurs clairement exprimé, était d'inviter et (pour autant qu'il est en nous) d'aider le P. Bigo à devenir le grand docteur français de la résistance au communisme. Il pouvait l'être. Il ne l'a pas été. Sans lui, la résistance s'organise et s'affirme. Nous aurions souhaité que ce fût avec lui. Nous ne voudrions pas que ce doive être contre lui. Nous avons tout fait pour éviter au P. Bigo de se trouver cruellement contredit par les événements, par la marche des idées, et par des précisions d'un autre ordre. Car le voilà bien contredit, -- nous ne parlons plus ici, on l'entend assez, du livre du P. Calvez. Nous lui avions tendu la main et nous la lui tendons, encore. Nous pensons toujours que lui-même, beaucoup plus complètement que nous, peut apporter à son œuvre les nuances et les corrections qu'elle réclame. Nous nous sommes efforcés de lui en donner une idée en temps utile. D'une certaine manière, il a laissé passer le temps opportun. Mais d'une autre manière, il n'est jamais trop tard. Jean MADIRAN. « A l'heure où tant d'esprits doutent, c'est une grande source de paix intérieure que de pouvoir s'en remettre filialement à l'enseignement de l'Église. » Marcel CLÉMENT, *Itinéraires*, n° 1. 60:11 ### Encore la « sélection » des « cinquante livres » NOUS AVIONS DÛ l'année dernière protester contre une soi-disant sélection des cinquante meilleurs livres catholiques parus en 1955 ([^24]). Il nous faut y revenir puisque l'on y revient pour les livres parus en 1956. Nous avions exposé qu'une sélection de cinquante livres par an n'a pas pour effet de GUIDER le choix du public, mais de le SUPPRIMER. Cinquante livres par an, cela fait un par semaine. L'homme cultivé qui n'est pas intellectuel de profession ne lit pas un livre par semaine. Par l'existence d'une telle liste, il est pratiquement invité, lui qui ne peut lire les cinquante ouvrages, à choisir du moins ceux qu'il lira uniquement parmi ces cinquante. Nous disions en conclusion : *Il y a donc là censure et ostracisme de fait, exercé à l'encontre des autres livres, par un organisme qui ne dit pas son nom, qui ne formule pas ses motifs et qui n'est absolument pas qualifié.* \*\*\* VOICI QUE CELA RECOMMENCE. Nos remarques ont eu néanmoins quelques résultats. Les sélectionneurs sont sortis de l'anonymat. « *Ces livres*, lisons-nous dans la Bibliographie de la France, numéro 2, *ont été choisis par un Comité composé des RR. PP. Dalmais, o.p. ; de Parvillez, s.j. ; et de M. Étienne Borne, Stanislas Fumet, Paul-André Lesort.* » Ces cinq personnes ont donc lu tous les livres catholiques publiés en France au cours de l'année 1956 ; elles les ont lus et relus, de manière à pouvoir comparer, juger et sélectionner. Nous les en félicitons. C'est une puissance de travail peu commune. 61:11 Une autre de nos protestations motivées a été entendue. Non qu'on y ait fait droit en réalité. Mais on s'est occupé de la tourner en apparence. La liste ne parle plus des cinquante meilleurs livres catholiques. Elle s'intitule plus modestement : « Sélection de 50 livres catholiques parus en France en 1956 ». Cette suppression d'un mot ne change pas grand chose. Personne ne supposera que l'on aurait sélectionné les plus mauvais livres, ou les moins bons. Quand on disait : « sélection des 50 meilleurs », c'était clair. On dit maintenant : « sélection de 50 livres ». L'effet produit sera le même. La formule est simplement plus obscure. Sélection pourquoi et comment ? D'ailleurs, la liste signale : « La Bible de Jérusalem a été classée hors concours » ([^25]). Il s'agit donc d'un classement et comme d'une distribution de prix. Comme si un jury couronnait les meilleurs. Une sélection est un « choix raisonné ». On aurait aimé connaître les raisons, puisque raisons il y a. Elles ne nous sont pas plus données que précédemment. Beaucoup chercheront à les imaginer, ou tout au moins à les supposer. Dans la liste de l'année dernière, les Éditions du Cerf et les Éditions du Seuil se taillaient la part du lion. Le même phénomène se reproduit cette année. Une fois, c'est peut-être un hasard, une simple coïncidence. Deux fois, si l'on a l'esprit scientifique, on commence à s'interroger. La revue *Ecclesia* aurait donc eu parfaitement raison -- raison non pas littéralement, mais en un sens -- de définir ce Comité comme un « *comité de libraires et d'éditeurs* ». (Voir *Ecclesia*, mai 1956, page 35). Au demeurant, cette liste donne lieu à insertions publicitaires : qui les paie ? 62:11 Sont-ce les cinq personnes du Comité, ou bien un certain groupe d'éditeurs ? \*\*\* FAUTE DE CONNAÎTRE les raisons de ce « choix raisonné », on attribuera à cette sélection exactement l'autorité que l'on reconnaît aux cinq personnes qui en sont données comme seules responsables. Petite ou grande, cette autorité n'enlève rien à l'inconvénient majeur d'une telle liste : l'inconvénient de son existence, qui frappe d'un discrédit injuste tous les ouvrages qui n'y sont point cités. L'utilisation publicitaire de cette « Sélection » aura pour effet immanquable de rejeter dans l'ombre des livres dont la valeur est, parfois ou souvent, aussi grande ou plus grande que celle des livres retenus. Examinons sur pièces. \*\*\* EN 1956 A PARU, aux Éditions de la Bonne Presse, le tome VII des Actes de S.S. Pie XII (année 1944-1945) ; et aux Éditions Saint-Augustin : Documents pontificaux de S.S. Pie XII (1953 et 1954), préfacés par S. Em. le Cardinal Feltin et par S. Em. le Cardinal Léger. Ces deux livres ont une importance catholique considérable. Les actes pontificaux sont recueillis en volume avec un grand retard, qu'expliquent sans doute des difficultés techniques que l'on n'a pas su encore surmonter. Qu'au moins, lorsque paraissent les volumes, on leur donne leur place dans les « sélections » et dans la publicité catholiques ! Nous sommes assaillis, à *Itinéraires*, et je suppose qu'il en est de même ailleurs, par les demandes de renseignements d'un public avide de se procurer les textes du Souverain Pontife. Nous recommandons L'ÉDITION FRANÇAISE de L'Osservatore romano (6, rue Christophe Colomb, Paris VIII^e^), mais il est difficile, paraît-il, en plus d'un endroit, de se la procurer commodément. En outre, beaucoup de lecteurs préfèrent conserver des livres plutôt que des collections de journaux. Pour ces raisons, et pour d'autres, il eût été bon qu'une « sélection de 50 livres catholiques parus en 1956 » mentionnât ces deux volumes de Pie XII. 63:11 Or, on doit le déplorer, ils ne figurent pas sur la liste élaborée « par un Comité composé des RR. PP. Dalmais, o.p. ; de Parvillez, s.j. ; et de MM. Étienne Borne, Stanislas Fumet, Paul-André Lesort ». \*\*\* ON REMARQUERA qu'en 1956 ont paru une traduction des écrits de saint François d'Assise (Éditions franciscaines) ; une traduction de *L'être et l'essence*, de saint Thomas d'Aquin (Vrin) ; une réédition ([^26]), en octobre, de la Sainte Bernadette de Mgr Trochu, préfacée par Mgr Théas ([^27]) ; et Ces Français qui furent des saints, par S. Em. le Cardinal Grente (Fayard) ; et du même auteur, chez le même éditeur : Le pape des grands combats : saint Pie V ; et Absence et présence de Dieu, par Mgr Blanchet (Spes). Aucun de ces livres ne figure sur la liste élaborée « par un Comité composé des RR. PP. Dalmais, o.p. ; de Parvillez, s.j. ; et de MM. Étienne Borne, Stanislas Fumet, Paul-André Lesort ». \*\*\* NOUS REMARQUIONS l'an dernier que la « sélection » frappait d'un ostracisme inattendu (mais peut-être explicable) Péguy et Bernanos. Après le *détournement de leur succession spirituelle* dénoncé par Fabrègues ([^28]) et par nous-mêmes, on en vient à écarter leurs œuvres. Que l'on publie un livre d'eux, il est maintenant passé sous silence, il n'est pas sélectionné. Qui, d'ailleurs, s'intéresse à Bernanos, qui s'intéresse à Péguy ? Il y a Bernard Voyenne. Il y a Fabrègues. Il y a nous. Et un immense public. Mais le « parti intellectuel », comme disait Péguy, et celui des « bien pensants », comme disait Bernanos, où sont-ils aujourd'hui, je le demande, où sont-ils en esprit et en vérité, sinon au C.C.I.F. de M. Étienne Borne ? En 1956, on a publié les *Lettres et entretiens* de Péguy (Éditions de Paris). On a publié *Le Crépuscule des vieux* de Bernanos (Gallimard). On a réédité *La Joie* (Librairie générale française) : je rappelle que DES RÉÉDITIONS FIGURENT DANS LA SÉLECTION. Mais pas celles-là. 64:11 Et point celles, non plus, de Claudel ! On a réédité en 1956 *L'Annonce faite à Marie*, en un volume, et en un autre : *L'Otage, Le Pain dur, Le Père humilié* (tome IX et tome X des œuvres complètes, Gallimard). Ce n'est pas rien... Beauchesne a édité en 1956 *La Vie intérieure de l'apôtre*, de Léonce de Grandmaison. Silence. On peut demander si l'ostracisme frappe ici l'auteur, ou l'éditeur ? En tous cas, aucun de ces livres ne figure dans la sélection faite « par un Comité composé des RR. PP. Dalmais, o.p. ; de Parvillez, s.j. ; et de MM. Étienne Borne, Stanislas Fumet, Paul-André Lesort ». \*\*\* UN CERTAIN NOMBRE D'AUTEURS semblent systématiquement écartés. En 1956, Jean Guitton a publié son Jésus (Grasset), *Le temps et l'éternité* chez Plotin et saint Augustin (Aubier), *Invitation à la pensée et à la vie* (A. Blaizot). Jean de Fabrègues a publié sa vie du *Curé d'Ars* (Amiot-Dumont) ; Marcel Clément son *Chef d'entreprise* (N.E.L.) ; Jean Daujat : *Idées modernes, réponses chrétiennes* (Téqui) et *La grâce et nous chrétiens*. (Fayard). Aucun de ces livres ne figure dans la sélection faite « par un Comité composé des RR. PP. Dalmais, o.p. ; de Parvillez, s.j. ; et de MM. Étienne Borne, Stanislas Fumet, Paul-André Lesort ». \*\*\* SIMPLE COUP D'ŒIL : nous avons certainement omis beaucoup d'excellents ouvrages. Nous ne nous sommes pas réunis en « Comité ». Nous remarquons des absences significatives dont voici une liste très incomplète : - *Actes de S.S. Pie XII*, année 1944-1945 (Bonne Presse). - *Documents pontificaux* de S.S. Pie XII (1953 et 1954), préfaces des Cardinaux Feltin et Léger (Éditions Saint-Augustin). - Saint FRANÇOIS D'ASSISE : *Écrits*, traduction française (Éditions franciscaines). 65:11 - Mgr TROCHU : *Sainte Bernadette*, préface de Mgr Théas (Desclée de Brouwer). - Cardinal GRENTE : *Ces Français qui furent des saints* (Fayard). - Cardinal GRENTE : *Le Pape des grands combats : saint Pie V* (Fayard). - Mgr BLANCHET : *Absence et présence de Dieu* (Spes). - Anne LEFLAIVE : *Épouse du Christ*, préface du Cardinal Feltin (Nouvelles Éditions Latines). - PÉGUY : *Lettres et entretiens* (Éditions de Paris). - BERNANOS : *Le Crépuscule des vieux* (Gallimard). - BERNANOS : *La Joie* (Librairie générale française). - CLAUDEL : œuvres complètes, tomes IX et X (Gallimard). - Léonce de GRANDMAISON *La vie intérieure de l'apôtre* (Beauchesne). - Jean GUITTON : *Jésus* (Grasset). - Jean GUITTON : *Le temps et l'éternité* chez Plotin et saint Augustin (Aubier). - Jean GUITTON : *Invitation à la pensée et à la vie* (A. Blaizot). - Gaétan BERNOVILLE : *Lourdes, cité des âmes* (Maredsous). - Gaétan BERNOVILLE : *Saint Ignace et les Jésuites* (Fayard). - Jean de FABRÈGUES : *Le Curé d'Ars* (Amiot-Dumont). - Marcel CLÉMENT : *Le Chef d'entreprise* (Nouvelles Éditions Latines). - Jean DAUJAT : *Idées modernes, réponses chrétiennes* (Téqui). - Jean DAUJAT : *La grâce et nous, chrétiens* (Fayard). - Odette PHILIPPON : *Le trafic des femmes* (Téqui). - R.P. GUETTIER : *Terreur sur le monde* (Nouvelles Éditions Latines). - P. FERNESSOLE : *Pie XII et l'éducation de la jeunesse* (Lethielleux). - M. M. D'HENDECOURT : *La perfection de l'amour d'après sainte Thérèse de l'Enfant Jésus* (Nouvelles Éditions Latines). - Henri MASSIS : *L'Occident et son destin* (Grasset). - Régis JOLIVET *Le Dieu des philosophes et des savants* (Fayard). - Saint THOMAS D'AQUIN : *L'être et l'essence* (Vrin). - Jean-Yves CALVEZ : *La pensée de Karl Marx* (Éditions du Seuil). 66:11 Voilà donc trente livres dont nous ne prétendons pas qu'ils sont forcément les meilleurs : ce sont ceux qui nous viennent à l'esprit, rien de plus. Ces trente livres ne figurent point parmi les cinquante de la « sélection ». Or, LA PLUPART de ces trente livres non sélectionnés SONT SUPÉRIEURS à la plupart des cinquante livres sélectionnés. Ce qui est ainsi mis en cause, ce n'est pas, ou ce n'est pas seulement, la composition du Comité sélectionneur ; ou le résultat de ses travaux. C'est le but poursuivi. Par des raisons et des exemples, qui ne sont pas les seuls que l'on pourrait invoquer, nous avons voulu montrer que sélectionner cinquante livres catholiques est une entreprise regrettable. C'est une entreprise probablement irréalisable avec une pleine justice. C'est une entreprise qui dépasse les capacités de cinq personnes, même si certaines d'entre elles sont distinguées. C'est une entreprise qui introduit, par un artifice publicitaire, une censure de fait et un totalitarisme insupportable dans nos mœurs intellectuelles. Sélectionner cinq livres, ou dix à la rigueur, ne supprimerait pas la liberté de choix du public. Lui en proposer un par semaine supprime le choix. C'est une entreprise tendancieuse, qui cherche à exclure, par un moyen indirect, des tendances et préférences dont l'acceptation ou le refus ne devrait relever que de l'argumentation ouverte et avouée. Mais le mal contient peut-être son remède. Si cette entreprise se poursuit dans de semblables conditions, elle amènera finalement le public à considérer une telle sélection comme la liste des cinquante livres à ne pas lire. Et ce sera injuste pour trois ou quatre d'entre eux. J. M. POST-SCRIPTUM. -- Et voici que la machine publicitaire se met en marche. La « sélection » est présentée, naturellement, comme celle des meilleurs livres. Dans La Croix du 25 janvier, un titre sur deux colonnes : « LES 50 MEILLEURS LIVRES CATHOLIQUES DE 1956. » 67:11 Et le texte de présentation assure qu'il s'agit bien des « cinquante meilleurs livres catholiques de l'année 1956 ». Par distraction, et même par étourderie, *La Croix* n'a pas remarqué que le Comité présente désormais sa liste comme UNE « *sélection* DE *cinquante livres* », et non plus comme LA « *sélection* DES *cinquante* MEILLEURS *livres* ». Il est vrai que la seule existence de cette liste est bien faite pour donner publicitairement l'impression qu'il s'agit des cinquante *meilleurs*. Étourderie quand même assez sensationnelle de la part de *La Croix*. Comment peut-elle admettre et diffuser une liste des *meilleurs* livres *catholiques* qui omet les Actes de S.S. Pie XII et les livres de S. Em. le Cardinal Grente, de LL. EE. Blanchet et Trochu, de saint Thomas d'Aquin, de saint François d'Assise ? L'année dernière, la revue *Ecclesia*, dans son numéro de mars, avait publié la liste des « cinquante *meilleurs* ». Dans son numéro de mai (page 35), la même revue *Ecclesia* rectifiait loyalement et précisait : « *La liste des* 50 *livres sélectionnés... attire simplement l'attention sur des ouvrages dignes d'intérêt, mais ne présuppose pas le jugement que l'on peut porter sur eux.* » Il ne s'agit pas en réalité des MEILLEURS ; il ne s'agit pas d'une SÉLECTION véritable et valable. Il s'agit d'une opération publicitaire présentant les inconvénients majeurs que nous avons dits. La Croix s'y est associée par distraction ; nous espérons qu'elle sera attentive à se dégager. « L'abaissement des nations européennes vient de la lutte intestine qu'elles ont menée en elles contre le christianisme et entre elles pour la domination temporelle. » D. MINIMUS, *Itinéraires*, n° 9. 68:11 ### Entre Noël et la Passion L'ÉGLISE dans ses offices nous propose de revoir chaque année l'ensemble de notre histoire religieuse qui est celle de notre salut. Elle commence la lecture de la Genèse à la Septuagésime : « Au commencement Dieu créa le Ciel et la Terre », et poursuit l'histoire de l'humanité jusqu'à l'Annonce de la fin des Temps. Dans le cours d'une même année elle fait passer sous nos yeux toute la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, aboutissement et renouvellement de l'histoire du monde, début des temps qui nous mènent à ce Ciel nouveau et à cette Terre nouvelle, à ce nouvel état de la matière où nos corps vivront dans la gloire. C'est un catéchisme annuel où se trouve rappelée et enseignée l'économie de notre salut. Les orthodoxes n'en ont point d'autre : la liturgie des dimanches et des fêtes, c'est là toute l'instruction religieuse. Sans doute c'est insuffisant si cette liturgie n'est expliquée (et c'est ce qui manque en Orient) car l'*attention* est très mal partagée, elle est très difficile pour beaucoup, soit à cause de la nature de leur intelligence, soit à cause de la fatigue : il est souvent, il sera toujours très dur de gagner sa vie. 69:11 Mais en Occident l'excès contraire a prévalu ; le catéchisme l'emporte sur la liturgie, la prédication n'en tient pas souvent compte ni même la vie spirituelle. Nous nous souvenons d'une retraite à laquelle nous assistions : le sujet proposé à la méditation, le jour même de l'Invention de la Sainte Croix, était l'Annonciation. Ceux qui n'étaient pas prêtres servirent chacun plusieurs messes de l'Invention de la Sainte Croix, les autres en dirent tout l'office, après avoir médité sur l'Annonciation. On ne peut pas dire que ce soit bien intelligent. Le pouvoir d'attention étant généralement faible, les cérémonies liturgiques sont faites pour la retenir. Une procession bien ordonnée avant la grand-messe est une préparation physique même autant que morale au respect que nous devons au saint sacrifice. Au jour de l'Épiphanie la procession suit le chemin inverse des processions ordinaires : voilà pour rappeler que les Mages s'en retournèrent par un autre chemin. Bien entendu si on n'enseigne pas aux fidèles que les Mages étaient des païens et qu'après avoir connu Jésus ils ne pouvaient pas mener la même vie et suivre la même voie qu'auparavant, beaucoup n'y penseront pas. Mais il est certain que l'encouragement à se convertir gagnera en force par la vertu de l'exemple et des images apportées par la liturgie. D'ailleurs en toute procession *on suit la Croix *; elle va devant ainsi que les bannières des Saints : n'est-ce pas toute notre vie de suivre la Croix en compagnie des Saints ? 70:11 Si on le leur dit, fût-ce une seule fois, bien des âmes y songeront car c'est une pensée simple et frappante comme les paraboles de l'Évangile, et l'action symbolique d'une procession y prendra tout son sens. Nous nous souvenons encore d'une prédication où il était dit : « Souvenez-vous que le prêtre est un homme *intérieur*. Foin de ces *rites méticuleux, de ces observances extérieures*... » Là dessus les séminaristes entonnèrent d'une seule -- voix à l'Offertoire un cantique à la Sainte Vierge : « Ô tendre Mère... » pendant que le prêtre récitait : « Ma fidélité et ma bonté l'accompagneront et par mon nom grandira sa puissance... » Paroles qui s'appliquent très facilement à la Sainte Vierge si on y pense, tout comme au saint du jour ; mais les paroles du cantique étaient pauvres et vulgaires et sottes et le chant de même ; les paroles de l'Offertoire étaient du Saint-Esprit lui-même et le chant, lui, vraiment *intérieur*. Il était remplacé par une platitude. Que fait-on en ce cas de l'union des assistants avec le prêtre qui justement à l'Offertoire se retourne vers les fidèles et dit : « Priez pour que ce sacrifice qui est aussi le vôtre... » Une pareille méthode n'encourageait certes pas les séminaristes à user de la liturgie et je ne pense pas qu'ils étaient pour cela plus intérieurs car la prière de l'Église est la prière de l'Esprit Saint, et le florilège de l'Écriture Sainte qui nous est donné dans le missel est l'œuvre de l'Esprit Saint agissant dans l'Église. Sans doute l'Esprit Saint passe quand Il le veut à travers toutes nos sottises (et que deviendrions-nous s'il ne le faisait pas ?). Il peut faire un saint d'un homme qui méprise sans s'en douter l'œuvre même du Saint-Esprit dans la prière de l'Église. Dans notre inconséquence ne le faisons-nous pas du matin au soir sur un point ou sur un autre ? Mais ne nous fions pas à la miséricorde sans observer tout ce que nous comprenons de l'œuvre de Dieu, et d'abord l'obéissance à la Sainte Église. 71:11 Nous avons connu un curé très digne, excellent homme et zélé ; son zèle le portait surtout à polycopier un nombre étonnant de circulaires et de bouts de papier. Nous lui dîmes un jour : « Pourquoi faites-vous chanter un cantique à l'Offertoire ? Vous savez bien que c'est interdit aux grand-messes chantées. » Il me répondit avec vivacité : « Mais il faut bien distraire les fidèles pendant l'office. » Que répondre à pareille innocence ? \*\*\* ENTRE Noël et la Passion se trouve donc concentrée dans la liturgie toute la vie enfantine de Notre-Seigneur sur laquelle Marie a renseigné saint Luc, et toute la vie cachée : depuis cette douzième année où Jésus monta pour la première fois au Temple après la Purification, jusqu'à sa venue sur les bords du Jourdain auprès de Jean-Baptiste. Le Verbe de Dieu a si bien voulu emplir la nature humaine qu'Il attendit l'âge de trente ans avant de commencer à paraître aux yeux des hommes pour ce qu'Il était. Et dans l'intervalle il était soumis à ses parents, il travaillait avec saint Joseph à tous ouvrages de bois. Quand il disait : « Mon joug est léger », il avait fait des jougs. S'il prononçait : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour le royaume de Dieu », il avait fait des charrues avec leurs mancherons, il avait pris les mancherons dans sa main pour voir si leur prise était commode. Il avait obéi à Joseph en toutes ces choses comme un apprenti et un compagnon au maître. Les gens de Nazareth plus tard disaient : « Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée et comment de tels miracles s'opèrent par ses mains ? N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie ? » (Marc VI, 3). Jésus a passé la plus grande part de sa vie à travailler de ses mains et a réhabilité aux yeux du monde le travail manuel. Non pas pour les Juifs ; Dieu avait créé l'homme dans le Paradis Terrestre *pour y travailler* et pour le garder ; leurs plus célèbres rabbins étaient qui tailleur, qui cordonnier ou boucher. 72:11 Mais l'antiquité païenne a méprisé tout travail manuel, même celui des grands artistes. Aristote (Pol. 18, 8) considère toute profession mécanique « comme un travail dégradé et contraire à la vertu ; la constitution parfaite jamais n'admettra l'artisan parmi les citoyens ». « Il n'est pas un homme bien né, dit Plutarque dans la vie de Périclès, qui pour avoir vu le Jupiter de Pise ou la Junon d'Argos, se soit pris du désir d'être Phidias ou Polyclète. » Lucien évoque la Science (déjà) et met dans sa bouche les propos suivants : « Si tu te fais sculpteur tu ne seras qu'un manœuvre... Quand tu serais un Phidias, un Polyclète, quand tu ferais mille chefs-d'œuvre, c'est ton art que chacun louera ; et parmi ceux qui les verront, il n'y en a pas un seul, s'il a le sens commun, qui désire te ressembler, car quelqu'habile que tu sois, tu passeras toujours pour un artisan, un vil ouvrier, un homme qui vit du travail de ses mains. » (Citations empruntées au livre de Paul Allard : *Les esclaves chrétiens*.) Nous faisons ces citations qui paraissent étrangères à la liturgie pour montrer quelle immense réforme dans la pensée apporte la vie cachée de Jésus, sa vie d'artisan. Il a racheté le monde, mais en même temps il a donné le modèle d'une vie chrétienne, c'est-à-dire d'une vie cachée, qui ne recherche ni les honneurs, ni la richesse, une vie passée sans aucun souci d'*arriver*, sinon à la gloire éternelle. 73:11 Quelques commentateurs de la Renaissance ont pensé -- contre la lettre de saint Marc -- que Notre-Seigneur avait passé le temps de sa vie cachée non comme un ouvrier mais comme un religieux dans la prière, la méditation et la pénitence. Peut-on errer davantage ? Quel obstacle à ce que Jésus ait mené la vie d'artisan dans la prière, la méditation et la pénitence ? Jésus a précisément voulu montrer qu'il était possible de mener la vie de fils de Dieu dans la plus humble des situations sociales. Depuis ce temps où Jésus a fait reluire du frottement de la paume de ses mains les outils dont il usait, tous ceux qui par la grâce de Dieu sont cohéritiers du Christ ont le pouvoir de mener une vie de prière, de méditation et de pénitence en serrant les mancherons de la charrue, ou bien en vissant des écrous. Ô inestimable amour qui fait trouver la joie, la pénitence et la prière dans le manche d'un outil qui s'enfonce, qui met la vie surnaturelle la plus intense à la portée de ceux qui paraissent les derniers des hommes et qui même la leur rend plus facile, car tous les travaux où l'intelligence doit s'exercer intensément rendent plus difficile la présence de Dieu. Et puis : bienheureux les pauvres, bienheureux les doux, bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice. Notre-Seigneur a été sans logis, il a souffert de la faim, de la soif. Il a été pauvre parmi les pauvres, et aujourd'hui il est crucifié dans la personne des pauvres contraints par la loi d'élever leurs enfants en des écoles où on les détourne de Dieu et de la foi. Or les Béatitudes sont la charte du christianisme ; les commandements de Dieu, le Décalogue ne sont que la loi naturelle, tous les peuples en ont eu connaissance plus ou moins clairement. Réduire le christianisme au Décalogue, c'est l'abolir. Hélas pauvre Jésus, nous consolerons-nous de l'abandon que font les chrétiens des Béatitudes ? De même que Jésus a permis au plus humble des hommes, par l'exemple que lui-même a donné, de vivre de vie divine, de même il a rendu possible aux mieux doués, aux plus riches et aux puissants de vivre les béatitudes : 74:11 « Tous les jours il (saint Louis) donnait à manger à grand foison de pauvres sans compter ceux qui mangeaient en sa chambre ; et maintes fois je vis que lui-même leur taillait leur pain et donnait à boire. » C'est Joinville qui parle. Saint Louis était pauvre en esprit. ENFIN cette vie caché de Notre-Seigneur est une vie passée en famille dans le respect et l'amour mutuels. Les parents respectant le fils dont ils connaissaient l'origine, le Verbe éternel incarné respectant ceux que son Père avaient préposés à sa garde, et leur obéissant. La vie de la plupart des hommes est une vie cachée, nous sommes connus de vingt ou trente personnes sur le milliard que compte l'univers. Plaise à Dieu que ces trente personnes songent à prier pour nous maintenant et à l'heure de notre mort. Notre-Seigneur a voulu donner l'exemple d'une vie qui devait être celle de l'immense majorité des hommes. Et longtemps il a été écouté chez les peuples chrétiens. L'éducation dans une famille chrétienne visait à imiter celle dont la Sainte Famille donnait le modèle. On y respectait les enfants qui sont tous enfants de Dieu et les enfants obéissaient à celui qui est l'image du Père comme saint Joseph l'était. Un jour dans la salle d'une ferme où de nombreux travailleurs et domestiques soupaient avec les maîtres et quelques adolescents, des propos légers, racontars ou plaisanteries, s'élevèrent du rang des domestiques qui parlaient librement. La fermière leur dit : « Taisez-vous, il y a ici des oreilles chastes. » Les hommes changèrent de propos. Il y a longtemps. Qui ose aujourd'hui parler ainsi. Le respect humain devant le vice est une des plaies de notre temps. Pour ne pas se gêner les parents emmènent leurs enfants à des spectacles ou les envoient à des réunions qui détruisent la fleur du sens moral et l'innocence baptismale. Comment les mères même chrétiennes enseigneraient-elles la pudeur à leur fils et leurs filles ; elles l'ont perdue. 75:11 L'aumônier d'une grande école nous parlait des difficultés de sa tâche : « Je leur enseigne le respect dû aux parents, disait-il, et de grands élèves me disent ensuite à part : « Comment voulez-vous que je respecte ma mère ? » Parbleu, ils la voyaient chaque été toute nue sur les plages. » Ces affreuses paroles feront-elles comprendre aux chrétiens qu'il n'existe plus de société chrétienne ? Et comment les jeunes filles d'aujourd'hui quand elles seront mères enseigneront-elles la pudeur à leurs enfants, elles n'ont jamais su ce que c'était. Les anges gardiens pleurent à ce spectacle car ils voient une beauté charnelle préférée à la beauté surnaturelle. Or celle-ci est parfaitement visible sur les corps même, dans les manières et dans les mœurs. La décadence morale est bien manifeste aujourd'hui chez les nations chrétiennes. Il n'y a pas d'autre moyen de reconstituer une société chrétienne que de reconstituer la famille sur le modèle de la Sainte Famille. La bonne foi et l'ouverture de cour y sont liées par l'obéissance dans l'amour. Car le Verbe éternel obéissait à Marie et Joseph. L'Immaculée Conception obéissait à Joseph. Mais tous trois s'aimaient et aimaient par-dessus tout le Père éternel. « Une famille modèle, dit Péguy dans *Un nouveau théologien*, a pour ainsi dire fonctionné devant nous sous nos yeux, une famille à imiter. Jésus a revêtu ce quatrième commandement, l'a exercé, et par cela même, par cela seul, (devant nous) le laissant le même, il nous l'a rendu nouveau. Jésus a revêtu, et généralement et dans ce commandement particulier, cette première Loi, l'a exercée, et par cela même, par cela seul (devant nous) la laissant la même, le respectant justement, il l'a rendue nouvelle... Un atelier et une famille brillent éternellement devant nous. Si M. Laudet avait quelque idée des mœurs chrétiennes et de ce que c'est qu'une famille chrétienne et de nos habitudes les plus incorporées et des plus anciennes traditions de nos paroisses il saurait qu'il n'y a certainement pas un enfant chrétien à qui on n'ait proposé des milliers de fois le petit Jésus... 76:11 C'est depuis ce temps pourtant, c'est depuis lors que la famille chrétienne a été instituée. Non pas instituée par une loi seulement et par un commandement. Mais instituée par et sur un exemple vivant. Sur un exemplaire et quel exemplaire. Depuis ce jour tout père et toute mère chrétienne est une image de Joseph et Marie, tout fils et toute fille chrétienne est une image de Jésus. Tout père et toute mère est un ou une élève, un suivant, une suivante de Joseph et de Marie, tout fils et toute fille est un petit élève, une petite suivante de Jésus. » L'avenir du monde est entre les mains des chrétiens. Ils peuvent tout s'ils veulent suivre Jésus. D. MINIMUS. 77:11 ## ENQUÊTE : ### La corporation NOTRE SECONDE ENQUÊTE a pour sujet : « Le programme social de l'Église : la corporation » : Elle a pour point de départ l'article publié sous ce titre dans notre numéro 4, le 1^er^ juin 1956 ([^29]). Elle est menée par Marcel Clément, Directeur du Centre Français de Sociologie. Concernant cette enquête, nous avons déjà publié : -- dans notre numéro 6, la *Lettre à M. Joseph Folliet sur la corporation, l'Action française, le* « *vichysme* » *et sur la fraternité chrétienne*, par Jean Madiran, et ce que nous avons appelé les « avant-réponses » de MM. Hourdin et Folliet ; -- dans notre numéro 8, des notes de Louis Salleron et de René Gillouin, montrant que le mot « corporation » faisait partie, à la fin du XIX^e^ siècle et au début du XX^e^, du vocabulaire syndical et socialiste ; -- dans notre numéro 9, une « conversation avec Henri Charlier » dont la dernière partie concerne l'organisation corporative. \*\*\* Nous commençons maintenant la publication des réponses reçues. Ce mois-ci, l'importante communication de Marcel De Corte : *L'ordre corporatif et les obstacles qu'il rencontre.* Dans nos prochains numéros : les réponses de MM, Braulio Alfageme, Pierre Andreu, Charles Convent, A. Daupbin-Meunier, Pierre Debray, Hyacinthe Dubreuil, Michel Josseaume, F. F. Legueu, Jean Ousset, Émile Petit, Henri Pourrat, Louis Salleron, Xavier Vallat, etc. 78:11 ### L'ordre corporatif et les obstacles qu'il rencontre par Marcel DE CORTE JE VOUDRAIS accrocher simplement quelques apostilles au remarquable article publié ici même par Marcel Clément. Pour résoudre le problème que mon collègue soulève, il faudrait, on peut s'en douter, tout un livre. Marcel Clément souligne la contradiction fondamentale de la pensée sociale chrétienne en France et dans le monde : jamais, note-t-il, « l'opinion publique n'a été aussi sensible à l'exposé des misères sociales, des problèmes du prolétariat, du chômage, du taudis », et jamais les chrétiens n'ont été plus sourds « à la solution que le magistère de l'Église nous donne comme le grand programme social de notre époque », à savoir : le corporatisme ou plus exactement « l'organisation corporative professionnelle de toute l'économie ». Et il ajoute, au sujet de cette même contradiction, qu'elle est « énorme ». Faut-il s'en étonner ? **1. --** Comment l'homme moderne, fût-il chrétien, pourrait-il comprendre la possibilité « d'un ordre organique unissant patrons et ouvriers », dont le but avéré -- ce sont les propres paroles de Sa Sainteté Pie XII -- est de « dépasser la lutte des classes ». La structure politique de la démocratie des grands nombres et des vastes espaces que nous connaissons aujourd'hui, ainsi que les « institutions » -- si l'on peut dire ! -- qui en dérivent, sont précisément fondées sur la suscitation et le déchaînement de cette lutte. Entre ce type de démocratie dont la fin est le maintien et l'exploitation des conflits sociaux, et un ordre corporatif qui vise à supprimer les tensions sociales, l'incompatibilité est aussi foncière que possible. 79:11 La démocratie actuelle ne peut tolérer ce corporatisme -- on verra plus loin la nuance du démonstratif ! -- sous aucun prétexte : la naissance d'un tel ordre signifie sa disparition et sa mort à elle. Tout le crie. Existe-t-il un seul démocrate qui ne soit pas adversaire farouche du corporatisme ? Comme la démocratie est aujourd'hui un *tabou*, comme la plupart des chrétiens sont démocrates et plus démocrates que chrétiens et que les autres n'osent pas avouer qu'ils ne le sont pas, comme le nombre des esprits libres qui s'embarrassent peu des préjugés magiques de leur époque est très restreint, l'appel réitéré des Papes doit rester sans réponse : *Vox clamantis in deserto*. **2. --** Les uns et les autres ont une excuse : le nettoyage de la notion de démocratie n'a jamais été effectué dans l'Église et par l'Église. L'immense majorité des chrétiens, enseignants, et enseignés, en est restée à juger la politique selon des catégories périmées : monarchie, aristocratie, démocratie, et leurs perversions possibles, cliniquement analysées par la sagesse traditionnelle. L'Église a toujours proclamé son respect de tous les régimes politiques, pour autant que ceux-ci lui accordent la liberté qu'exige la mission que Dieu lui a dévolue. Cette position est parfaitement défendable. Elle est même la seule qui s'impose et qui réponde aux leçons de l'histoire. Mais à une condition : c'est qu'il n'existe pas un quatrième régime dont la nature soit en dissonance radicale avec l'enseignement de l'Église sur Dieu et sur l'homme. S'il n'y a pas de *quatrième régime*, les chrétiens sont autorisés à penser que la démocratie des grands nombres et des vastes espaces est une démocratie qui rentre dans le canon classique des systèmes politiques et qu'ils doivent uniquement en réprouver les excès. Cette conviction est profondément ancrée dans l'esprit de nombreux chrétiens : la démocratie actuelle est pour eux un système aussi « valable » que l'étaient la monarchie et l'aristocratie pour leurs pères. N'est-il pas de plus en plus visible qu'il n'existe plus aujourd'hui ni monarchie, ni aristocratie, ni démocratie, ni déviation quelconque de ces régimes, mais *un autre système qui n'a pas encore reçu de nom ?* N'est-il pas évident que les chrétiens ne vivent plus aujourd'hui sous aucun de ces régimes, mais dans des décors de théâtre, baptisés de noms anciens, où se joue une action politique *radicalement différente* de toutes celles qui l'ont historiquement précédée ? Qu'il en soit ainsi, bien des faits le prouvent. 80:11 La monarchie et l'aristocratie du XX^e^ siècle ne sont plus des structures, mais des superstructures, sinon même, en de nombreux cas des conventions. Il y a encore des monarques, il y a encore des aristocrates : il n'y a plus guère de monarchie ni d'aristocratie. De même, les démocrates existent encore, ils se multiplient même si l'on veut, mais il n'y a plus de démocratie. La démocratie des grands nombres et des vastes espaces n'existe pas *comme démocratie*. Elle se pare d'un nom qui n'est pas le sien. Il n'y a et il ne peut y avoir de démocratie réelle et agissante, de pouvoir exercé par le peuple, que dans des aires géographiques relativement restreintes et peuplées de citoyens qui se connaissent *effectivement* les uns les autres et qui connaissent effectivement les problèmes qu'ils affrontent. Je dis *effectivement*, à savoir par expérience, par contact direct et concret, non par ouï-dire, par inflation verbale, par audition ou lecture, par mots qui ne correspondent à aucune réalité saisie par la vie et par la pensée. Le pouvoir réel inclut manifestement la connaissance réelle des êtres et des choses sur quoi le pouvoir s'exerce. Le peuple, le *démos*, la *multitudo* sont aujourd'hui incapables d'exercer un pouvoir politique quelconque, pour la bonne et simple raison qu'il n'y a plus de peuple, de *démos*, de *multitudo*. Ils ont été remplacés à l'époque moderne par une entité fantomatique, fluide et insaisissable qui s'appelle l'*opinion*. Le régime de la plupart des nations de la planète, donc celui sous lequel vivent la plupart des chrétiens, est un régime inédit, inconnu des autres périodes de l'histoire, et qu'on pourrait nommer d'un mot pédant et barbare qui épouse d'ailleurs sa nature prétentieuse et destructrice : la DOXOCRATIE, de *doxa*, opinion, et *cratos*, pouvoir. La « démocratie » des grands nombres et des vastes espaces est en fait une *doxocratie* où « le peuple » est appelé à décider de ce qu'il ne sait pas et à ne pas décider de ce qu'il sait. Qui le niera ? L'examen de *n'importe quelle* opinion politique révèle immédiatement ou peu s'en faut qu'elle ne repose *sur rien*, sauf sur une subjectivité, individuelle ou collective, complètement affolée. On rétorquera sans doute que les problèmes ont pris au XX^e^ siècle une « dimension » planétaire et qu'il ne s'agit que « d'informer » « le peuple » pour qu'il décide « en connaissance de cause ». N'est-ce pas le contraire qui est vrai ? Les problèmes ne sont-ils pas « planétarisés » en fonction même de l'élasticité de l'opinion et de sa présomptueuse complaisance à tout embrasser ? 81:11 En doxocratie, ce ne sont plus 100 citoyens en chair et en os qui détiennent le pouvoir, ce n'est pas davantage cette entité malléable qui s'appelle l'*opinion*, dont les citoyens ne sont que le support occasionnel et en quoi ils se sont en quelque sorte dilués, mais *les manieurs de la matière plastique en question*. Cette technique politique est analogue à celle que l'ingénieur applique à la transformation de la matière et de l'énergie. Le citoyen est aussi passif que possible en face d'une minorité active. Il ne vit pas la politique qu'il est sensé mener, *il est vécu par elle*. Il devient *chose, no man's land*, désert stérile à prendre, mais que l'occupation par la minorité active, ou, si l'on veut, « la colonisation », transforme en territoire dont le sous-sol, méthodiquement exploité, contient d'inépuisables richesses. La doxocratie est livrée à tous les conquérants, aux *magna latrocinia* dont parle saint Augustin. D'où les conséquences. D'abord, un système social organique tel que le corporatisme ne peut en aucune manière s'articuler à un système politique mécanique tel que la doxocratie. Ensuite, entre les intérêts des producteurs, patrons et ouvriers, assujettis à l'opinion et les intérêts des producteurs, patrons et ouvriers, groupés en corps, il n'y a pas la moindre commune mesure. Les premiers divergent. Les seconds convergent. En outre, entre les producteurs que la doxocratie transforme en éléments passifs et les producteurs socialement actifs que suppose le corporatisme, il est impossible de jeter un pont quelconque, même en imagination. Enfin, la doxocratie ne peut aboutir qu'à la suppression de l'État et au remplacement de celui-ci par l'étatisme, c'est-à-dire par la centralisation totale que le conquérant opère ou tente d'opérer. Le corporatisme inclut au contraire la plus large décentralisation, l'élimination de l'étatisme arbitraire et la restauration de l'autorité arbitrale de l'État. Les deux systèmes s'excluent l'un l'autre. Concluons sur ce point. Le réalisme corporatif est l'antithèse de l'évanescente opinion. Entre les deux, il faut choisir. La doxocratie est « intrinsèquement perverse ». Il serait du reste facile de montrer qu'elle est essentiellement socialiste et communiste. Le virage vers « la gauche » de toutes les doxocraties le souligne. Il y a là une logique immanente au sujet de laquelle le progressisme porte témoignage. Il ne suffit donc pas de préconiser la fécondité de la formule préconisée par les Papes. 82:11 Aussi longtemps que sévira la doxocratie en Chrétienté, les appels et les rappels de la Hiérarchie s'adresseront à des sourds. A l'action sociale du corporatisme chrétien, il faut indubitablement joindre *une action politique*. La première est inopérante sans la seconde. C'est à mon sens la seule explication de la contradiction mise en relief par M. Marcel Clément. Depuis « dix ans et plus », la doxocratie triomphe et le prestige du corporatisme, « programme social » de l'Église, est en baisse constante. On ne résout pas les questions sociales *par la voie de l'opinion publique,* même si elle est « sensible à l'exposé des misères sociales, des problèmes du prolétariat, du chômage, du taudis ». Il n'y a là aucune intrusion de l'Église dans la politique. C'est la dénonciation par l'Église d'une absence totale de politique. La doxocratie, vulgairement nommée « démocratie » des grands nombres et des vastes espaces, est l'agent destructeur le plus efficace de toutes les réalités et de tous les régimes sociaux et politiques sous tous leurs aspects : monarchie, aristocratie, démocratie au sens propre, État, autorité, liberté, fonction de citoyen, responsabilité, communautés naturelles, etc. Là où l'opinion est *regina del mondo*, comme dit l'auteur italien que Pascal aurait voulu connaître, tout*, indistinctement tout* est converti par elle en spectres volatiles et impalpables. Rien ne lui résiste. C'est ce que certains appellent « le mouvement de l'histoire ». L'être s'évapore dans l'apparence, la vérité dans le sophisme, le bien concret dans sa caricature abstraite et, en général, *le signifié dans le signe*. **3. --** Aux raisons politiques de l'*énormité* que dénonce à juste titre M. Marcel Clément, il faut en ajouter d'autres, disons morales, au sens large du mot, qui tiennent aux mœurs actuelles des producteurs, chrétiens ou non chrétiens, patrons et ouvriers. Ce n'est un secret pour personne, sauf pour les hommes politiques et pour les intéressés eux-mêmes, que les ligues patronales et les syndicats ouvriers constituent, tantôt séparés, tantôt opposés, tantôt unis également, des groupes de pression qui orientent la doxocratie selon les impératifs de leurs seuls intérêts matériels de producteurs. Le trait fondamental de notre époque est sans doute là : *dans l'action collective* que les syndicalismes patronaux et ouvriers entreprennent pour subordonner le politique à l'économique. L'État moderne, découronné de son indépendance, ouvert à toutes les propagandes, à toutes les menaces, à toutes les influences de l'opinion, *préfabriquée* par ses modeleurs, converti en étatisme, s'y prête volontiers. 83:11 Les interventions de plus en plus nombreuses et profondes de ce pseudo-État dans le domaine économique *ne proviennent pas de sa force, mais de sa faiblesse*, et moins encore de son souci de l'intérêt général que de son abdication devant les nouvelles féodalités qui se constituent dans son sein et ont presque complètement perdu *le sens du service* immanent à toute activité économique saine. Elles résultent non d'un accroissement, mais d'une perte de la souveraineté de l'État authentique. Les serviteurs du bien commun en deviennent les maîtres et les interprètes. Ce sont évidemment les industries lourdes et les industries qui exploitent les sources d'énergie, c'est-à-dire les collectivités qui correspondent au niveau économique à la « démocratie » des grands nombres et des vastes espaces au niveau politique qui contribuent le plus à la désorganisation de l'État et qui répandent ces mœurs féodales. Dans le cas précis de la C.E.C.A., divers États ont même abandonné leur fonction d'arbitre à un Super-État strictement économique où voisinent les hommes politiques, les représentants du patronat (et de la finance) et les représentants ouvriers. La féodalité économique est devenue une institution supranationale juridiquement investie de pouvoirs souverains sur laquelle se greffent des intentions politiques avérées. La communauté européenne était jadis la Chrétienté. Elle tend à être aujourd'hui une corporation supranationale de gros producteurs à tous les échelons d'une hiérarchie. Celle-ci se nivelle par ailleurs en ce sens que les délégués ouvriers perdent de plus en plus le contact avec les masses et, selon l'expression consacrée, « passent de l'autre côté de la barrière ». La primauté de l'Économique dans l'État est en train de sceller l'alliance entre les deux grandes puissances qui se partagent le domaine de la production : groupements patronaux et groupements ouvriers. Ces organisations collectives ont actuellement un *intérêt commun* qui atténue leurs antagonismes antérieurs : le démantèlement de l'État, gardien du bien commun. Sans la présence, provocatrice de surenchère, d'éléments communistes ou communisants dans les syndicats de certains pays, ce mouvement s'accentuerait. Les patrons de style XIX^e^ siècle et les capitaines d'industrie font place à des organisateurs dont la mentalité est très voisine de celle de hauts fonctionnaires. Les chefs syndicaux « s'embourgeoisent » et se fonctionnarisent à leur tour : la pyramide ouvrière dont ils sont le sommet a une base trop vaste pour leur permettre un autre comportement. 84:11 Les responsables de l'économie moderne, jadis ennemis, travaillent aujourd'hui les uns comme les autres dans les grands nombres et dans l'anonymat des signes, chiffres et statistiques, Leur rapprochement devait s'opérer. Un très gros industriel me disait, voici peu, qu'il serait « parfaitement tranquille » le jour où Monsieur X..., chef d'un important syndicat, entrerait « dans son conseil d'administration ». Les deux « compères » chassent et déjeunent du reste fréquemment ensemble. Le même processus s'observe dans les accords de contrats collectifs qui se nouent entre les organisations du capital et du travail. Les juristes en ont été très déconcertés. Ces conventions leur apparaissent comme « une trêve très précaire entre deux combats ». Aussi ont-ils voulu les cantonner sur le terrain ferme du droit privé contractuel auquel leur mentalité était habituée depuis le début du XIX^e^ siècle. Peu à peu cependant ils leur ont reconnu la valeur d'une « règle de la profession ». C'était ouvrir la porte du Droit à l'interprétation corporatiste et subordonner le droit de l'individu à des réglementations émanant d'un seul corps professionnel, non point permanent, mais du moins temporaire et qui tiendrait peut-être à se solidifier dans l'espace et dans la durée. Il est indubitable que ce *corporatisme-là* -- qui n'ose pas dire son nom -- est en train, avec des progrès et des reculs, de se constituer dans de nombreux pays. Ce n'est encore qu'une nébuleuse, mais il existe. On peut se demander à cet égard s'il n'est pas opposé à la véritable organisation corporative que les Pape, suggèrent et à l'essence même de la corporation. En ce cas, ces mœurs nouvelles feraient échec au programme social de l'Église et expliqueraient la contradiction dont parle M. Marcel Clément. Un clou chasse l'autre ! En d'autres termes, il n'y a pas de place pour deux choses au même endroit. Pour ma part et au titre de simple observateur aussi attentif que possible, je n'hésite pas un seul instant à voir en tous ces phénomènes la caricature du corporatisme. Ce sont de simples ententes entre producteurs qui s'établissent le plus souvent en dehors de toute référence au bien commun et de tout respect de la finalité de l'économie, dans le seul intérêt d'une féodalité économique. Elles atténuent la lutte des classes dans un secteur, mais en engendrent une autre, moins visible, et dont personne ne parle, et qui est tout aussi meurtrière : la lutte entre le pouvoir politique et le pouvoir économique *au détriment du peuple consommateur*. L'intérêt des producteurs coalisés s'oppose à l'intérêt général. 85:11 D'autre part, *ce corporatisme-là* n'engendre aucune solidarité réciproque entre patrons et ouvriers *au niveau humain*. Il n'est qu'une simple coïncidence d'intérêts strictement matériels dont la valeur sociale est à peu près nulle. C'est un mécanisme et non un organisme. Le corporatisme authentique naît de l'accord *entre deux hommes* et non de conventions nouées *entre des collectivités anonymes*. En outre, le vrai corporatisme est pareil à la plante : il germe de *bas en haut* parce qu'il est vivant. L'ordre corporatif ne pourra jamais pousser de *haut en bas*, à partir seulement d'un cadre constitutionnel ou à partir d'un cadre féodal. L'exemple du premier cas au Portugal est typique à cet égard. Il est cependant le plus favorable. Salazar sait très bien que la structure institutionnelle qu'il a recréée n'a d'autre fonction que protectrice : sans des mœurs sociales *bien dirigées*, elle n'est rien. Il faut toute la patience et toute la ténacité que Salazar déploie *depuis trente ans* pour amener l'institution corporative à une vie embryonnaire qui mettra longtemps à se développer selon lui. Les *habitus* sociaux sont les plus lents de tous à croître. Il n'est pas d'un réalisme excessif de penser même que les mœurs et les coutumes doivent en l'occurrence précéder la codification institutionnelle sans laquelle l'organisation corporative serait incapable de poursuivre son élan initial. C'est à transformer en flamme le feu qui couve encore sous la cendre que s'applique un Salazar. Les chrétiens actuels ne font plus guère confiance à cette temporisation concrète : ils travestissent le temps en une abstraction linéaire. Quant au second cas, il faut poser en principe que le contraire d'une vérité est moins dangereux que la caricature de cette même vérité. On se garde de celui-là, on s'englue en celle-ci comme en un piège. **4. --** Ce qui s'oppose le plus à l'instauration et même simplement à l'acceptation du programme corporatif de l'Église chez les chrétiens de notre époque, c'est -- sauf exception -- l'habitude qu'ils ont prise *de se passer de toute philosophie économique*. La Chrétienté moderne est aussi disparate à cet égard que la Chrétienté médiévale était unie. Elle compte des savants, des techniciens, des théologiens même en matière économique : elle n'a pas de philosophie de l'économie. 86:11 Les Chrétiens actuels acceptent avec bienveillance, avec enthousiasme, quelquefois avec délire (surtout chez les intellectuels), des homélies sur l'amour que les hommes doivent éprouver les uns pour les autres dans leurs relations économiques, mais ils refusent cette forme, peut-être supérieure de la charité en cette matière, qu'est *l'intelligence de l'économie*. Rien d'étonnant alors si un certain nombre de chrétiens se tournent vers ce misérable *ersatz* de philosophie économique qu'est le marxisme et que les autres Se contentent de misérables petits « trucs », « ficelles » ou « recettes » qui les aident à vivre au jour le jour, économiquement, au sens le plus bas du terme : C'est « nouveau, allons-y, essayons » ! *Le sens de la finalité de l'économie* -- sauf exceptions individuelles encore -- *s'est perdu en chrétienté*. Les chrétiens, plongés dans l'atmosphère collectiviste de notre époque ne pensent plus que des abstractions collectives. Ils ignorent que l'économie est *une science pratique* et qu'elle est faite *par des hommes en chair et en os* POUR *des hommes en chair et en os*. Ce sont des individus qui consomment : les biens matériels sont radicalement individualisés par leur matière même et les hommes qui les produisent et les consomment sont dans la même situation irréductible. Comment alors les unir entre eux dans une même communauté d'interdépendance et de solidarité mutuelle ? Les biens matériels ne sont-ils pas fatalement le champ clos de conflits nécessaires ? Mais n'est-il pas *évident* que l'économie de notre époque peut, *par son dynamisme et par sa fécondité*, résoudre ce problème ? Je renvoie ici M. Marcel Clément au beau livre d'Henri de Lovinfosse et de Gustave Thibon, intitulé *Solution Sociale*, qui fraie un tiers chemin entre le libéralisme et le socialisme, et qui, du même coup, ouvre la voie à un corporatisme rénové. Marcel DE CORTE, professeur à l'Université de Liège. 87:11 ## DOCUMENTS 88:11 #### LE MESSAGE DE NOËL Deux éditions en brochure du Message de Noël sont parvenues à notre connaissance ; nous les recommandons l'une et l'autre à nos lecteurs. La première est celle de la Bonne Presse, 5, rue Bayard à Paris VIII^e^ (prix inconnu). La seconde est celle des « Discours du Pape », 27, rue Madame à Paris VI^e^. Prix : 30 francs. On peut se la procurer à cette adresse, ou encore au « Secrétariat des Croisés de Notre-Dame », chez Mlle Roussel, 13, rue de Strasbourg, Asnières, Seine (C.C.P Paris 6835-96). Rappelons en outre, pour répondre aux nouvelles demandes de renseignements qui nous sont encore parvenues, qu'à notre connaissance le meilleur moyen de se procurer, au moment de leur parution, tous les textes du Souverain Pontife, est l'édition **française** de « L'Osservatore romano ». C'est la source la plus sûre et la plus complète qui soit actuellement à la disposition du public français. Chacun peut demander l'édition française hebdomadaire de « l'Osservatore romano » au Comité de presse de sa paroisse. On peut aussi s'abonner. Les abonnements pour la France doivent être souscrits auprès de M. Ausano Baroni, 6, rue Christophe Colomb à Paris VIII^e^ (C.C.P. Baroni, Paris 5633-42). Les abonnements pour la Belgique doivent être souscrits à l'adresse belge de « l'Osservatore romano », 79, rue du Lækenveld, Bruxelles. Les abonnements pour la Suisse doivent être souscrits à l'Imprimerie Saint-Paul, 38, avenue de Pérolles, Fribourg. ~===============~ #### PIE XII : L'ÉCOLE CATHOLIQUE *Recevant le* 31 *décembre un pèlerinage d'instituteurs catholiques, le Saint-Père a prononcé un discours dont voici le passage central* (*d'après* L'OSSERVATORE ROMANO*, édition française, numéro du* 11 *janvier*) : L'enseignement d'école donné au jour le jour agit comme une très grande force, lente mais persistante, pour ainsi dire invisible mais par cela même plus radicale. Qu'on ne dise pas que les maîtres devraient être contraints à écarter leurs convictions religieuses, durant leur activité dans l'école. 89:11 On leur demanderait une chose impossible, même en ce qu'on appelle les matières « neutres », sans parler des autres disciplines scolaires. Ce serait une offense aux droits les plus élémentaires de l'homme, si l'on voulait obliger les parents à confier leurs enfants à une école où l'influence des maîtres s'en tiendrait à une attitude indifférente, négative et même hostile à l'égard des convictions religieuses et morales de la maison paternelle. Personne n'a peut-être autant d'expérience que l'Église Catholique à propos de l'influence idéologique de l'école sur la jeunesse. Elle a pu recueillir des expériences dans le monde entier et sa conviction est celle-ci : sans tenir compte de l'école laïque, dans les autres écoles biconfessionnelles, interconfessionnelles ou « neutres », l'Église catholique apparaît la plus combattue et pour ce simple motif que sa foi religieuse est bien plus riche et plus complète qu'on ne saurait l'imaginer. C'est pourquoi il faut tenir en juste considération le fait que l'Église catholique défendra jusqu'au bout l'école catholique et la formation de ses maîtres, afin d'assurer l'intégrité et le bien de la famille catholique. Que l'on n'objecte pas contre les chrétiens que l'école doit aussi former de bons citoyens. Comme si l'école catholique ne l'avait pas fait ou ne continuait pas à le faire ! L'Église catholique reconnaît pleinement cette nécessité. Et quant à sa contribution dans ce sens, l'école catholique peut -- Nous le croyons -- se présenter le front haut devant n'importe quelle autorité de l'État. ~===============~ #### PIE XII ET LA CROISADE *Des interprétations inattendues, mais apparemment qualifiées, ont été formulées dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *concernant le Message de Noël du Souverain Pontife. Comme elles contredisent notre sentiment, exprimé dans notre éditorial du n°* 10*, nous devons leur prêter la plus grande attention et les faire connaître à nos lecteurs.* *Le Pape* RÉCUSE *toute croisade : c'est le qu'expose le P. Martelet, s.j., dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *du* 11 *janvier :* Il ne s'agit certes pas de prêcher -- dans l'Église ou hors d'elle -- une croisade que Pie XII explicitement récuse. *Nous n'avions pas compris cela. Pie XII* RÉCUSE *la Croisade, il la récuse* EXPLICITEMENT *?* *Que signifie donc* RÉCUSER *? D'après le Larousse universel en deux volumes, tome *II*, page* 628* :* 90:11 RÉCUSER : refuser de reconnaître la compétence d'un tribunal, d'un juge, d'un témoin ; REJETER, NE PAS ADMETTRE. *Donc, selon le P. Martelet, dans son Message de Noël Pie XII a explicitement déclaré qu'il rejette toute croisade, qu'il ne l'admet pas.* *Cet enseignement du P. Martelet a beaucoup plus d'autorité que notre sentiment propre, tant en raison de sa personne qu'en raison du journal où il s'exprime. On sait en effet que* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ne pourrait pas faire dire à la doctrine du Saint-Père le contraire de ce qu'elle dit.* *Le Saint-Père avait dit :* Quant à Nous, en tant que Chef de l'Église, Nous avons évité, dans le cas présent, comme dans les précédents, d'appeler la Chrétienté à une Croisade. Nous pouvons cependant demander que l'on comprenne bien le fait que, là où la religion est un vivant héritage des ancêtres, les hommes conçoivent comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l'ennemi. *Donc, quand le Saint-Père* DEMANDE *explicitement* QUE L'ON COMPRENNE BIEN LE FAIT*, cela signifie en réalité, enseigne le P. Martelet, qu'il n'admet pas et qu'il rejette ce même fait. Avouons que nous ne nous en serions pas doutés.* *Nous n'irons certes pas contredire le P. Martelet en une matière où il est très évidemment plus compétent et qualifié que nous. D'ailleurs, si le P. Martelet s'était trompé, il aurait certainement rectifié.* *Nous n'avons aucune qualité, aucun pouvoir, aucune intention d'empêcher le P. Martelet et* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *d'enseigner aux catholiques français que dans son Message de Noël le Saint Père a récusé le fait de la croisade.* *Simplement, nous demandons une explication complémentaire, car nous ne sommes pas pleinement convaincus par un tel enseignement.* \*\*\* *Dans le numéro suivant de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN (18 *janvier*)*, c'est le P. Bigo qui revient sur le même sujet :* 91:11 (Pie XII) a « évité », dans le cas présent comme dans les précédents, d'appeler la chrétienté à une croisade. Mais il n'est pas en son pouvoir de faire que les hommes qui défendent leur religion, « héritage vivant des ancêtres », ne conçoivent pas « comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l'ennemi ». *Le P. Bigo ne dit point, quant à lui, que le Pape aurait* RÉCUSÉ *la croisade.* (*Il ne le nie pas non plus : il fait par ailleurs allusion, sans aucune réserve implicite ou explicite, au commentaire du P. Martelet*)*.* *Le P. Bigo s'exprime, dans les lignes que nous venons de citer, comme si le Saint-Père avait dit :* IL N'EST PAS EN NOTRE POUVOIR DE FAIRE que, LORSQUE les hommes DÉFENDENT LEUR RELIGION, vivant héritage des ancêtres, ils ne conçoivent pas comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l'ennemi. *Or le Saint-Père a dit en réalité* (*citons de nouveau*) : NOUS POUVONS CEPENDANT DEMANDER QUE L'ON COMPRENNE BIEN LE FAIT que, LA OÙ la religion EST un vivant héritage des ancêtres, les hommes conçoivent comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l'ennemi. *Entre le texte supposé et le texte réel, il existe apparemment une importante nuance* (*et même deux*)*.* *Mais nous n'irons pas contester l'interprétation du P. Bigo en une matière où il est plus qualifié que nous.* *Simplement, sa formule :* « il n'est pas en son pouvoir*...* »*, qui est d'ailleurs exacte en un sens, nous paraît avoir le tort de faire disparaître une demande explicite du Saint-Père.* \*\*\* *Nous devons en outre avertir nos lecteurs que dans son numéro du* 1^er^ *février* (*page *4)*, le mensuel* FRANCE-MONDE CATHOLIQUE*, qui est l'organe de la Fédération nationale d'Action catholique, vient confirmer l'interprétation de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*.* 92:11 *Le Message de Noël y est présenté en un* « *résumé* » *rédigé sous forme de questions et de réponses. Concernant la croisade, voici :* -- J'ai entendu dire qu'il (le Pape) appelait le monde à une « croisade » contre les Russes... -- Au contraire, le Pape repousse ce mot et cette idée. *Dans la même page de* FRANCE-MONDE CATHOLIQUE *est donné le passage où le Saint-Père aurait repoussé le mot et l'idée de croisade. C'est le texte que nous connaissons, avec néanmoins un mot de plus :* Quant à Nous, en tant que chef de l'Église, nous avons évité dans le cas présent comme dans les précédents d'appeler la Chrétienté à une croisade. Nous pouvons cependant demander que l'on comprenne bien le fait que, là où la religion est un héritage vivant des ancêtres, les hommes conçoivent *aussi* comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l'ennemi. *Le mot* aussi *ne figurait ni dans la traduction donnée par l'édition française de L'*OSSERVATORE ROMANO*, ni dans le texte de* LA CROIX*. En revanche, on le voit apparaître dans celui de la* DOCUMENTATION CATHOLIQUE *et dans celui* (*en brochure*) *de la Bonne Presse.* *Quoi qu'il en soit, nous ne croyons pas que ce soit la présence ou l'absence du mot* aussi *qui puisse expliquer que, lorsque le Saint-Père demande explicitement que l'on comprenne bien le fait, le résultat de cet effort de compréhension aboutisse à dire qu'Il repousse ce mot et cette idée.* *Il y a là pour nous une difficulté, dont nous avouons qu'elle nous dépasse.* ~===============~ 93:11 #### PIE XII ET LES « COLLOQUES » ET « RENCONTRES » *A l'endroit cité au chapitre précédent, le P. Bigo ajoute une note, celle-ci :* Ici le passage sur « les colloques et les rencontres », passage déjà commenté par le R.P. Martelet dans *Témoignage chrétien* du 11 janvier 1957. *Le P. Bigo ne commente donc pas personnellement ce* « *passage* »* ; mais, si nous comprenons bien, il renvoie le lecteur au commentaire du P. Martelet et ne formule aucune réserve sur ce commentaire.* *Voici ce commentaire du P. Martelet* (*c'est nous qui soulignons*) : On comprend qu'*en fonction d'un christianisme ainsi conçu*, et qui voit dans le Fils de Dieu nouveau-né la révélation de « notre réalité objective et totale », Pie XII puisse tancer fortement prêtres et laïcs qui se laissent aller à des compromissions équivoques avec ceux qui ouvertement nient « les principes absolus de l'homme et de la société ». De telles remontrances, avec leurs allusions directes à un vocabulaire précis de « rencontres » et de « colloques », *avec leurs allusions directes aussi à des tractations entre autorité ecclésiastique et* « *hommes responsables de la politique* », semblent concerner davantage *la situation de certains pays d'Europe centrale*. Mais nous avons tous en France à faire notre profit de telles remontrances auxquelles le laïcisme souvent désigné dans le message comme une solution inacceptable des rapports entre l'Église et l'État n'échappe certainement pas non plus. *Donc, ce commentaire du P. Martelet, auquel renvoie le P. Bigo, affirme :* *I. -- que les* « *rencontres* » *et les* « *colloques* » *indésirables sont essentiellement ceux qui ont lieu en Europe centrale ;* *II. -- que la preuve en est l'allusion directe aux tractations* ENTRE *autorité ecclésiastique et hommes responsables de la politique ;* *III. -- qu'en France ce n'est pas à l'égard du communisme, mais à l'égard du seul laïcisme, que s'est manifestée une regrettable non-résistance.* \*\*\* *Sur ces trois points, l'interprétation du P. Martelet contredit ce que nous avions cru comprendre à la lecture du Message.* PREMIER POINT*. -- Nous n'avions vu nulle part dans ce Message que les* « *rencontres* » *et* « *colloques* » *déconseillés soient principalement ou uniquement ceux d'Europe centrale.* 94:11 *Mention en est faite par le Saint-Père dans un développement qui ne comporte aucune limitation géographique, et qui, au contraire, commence par :* Mais ce que nous affirmons POUR TOUS, en face de la tentative de faire apparaître comme inoffensives certaines tendances nocives... SECOND POINT. -- *Le P. Martelet fonde son interprétation sur une allusion directe qu'aurait faite le Saint-Père* (*non pas à cet endroit, d'ailleurs, mais un peu plus loin*) *aux tractations* ENTRE *l'autorité ecclésiastique et les hommes responsables de la politique.* *S'il ne s'agissait pas du P. Martelet, nous penserions que le commentateur a mal lu le texte qu'il invoque.* *En effet, après avoir dit que le* DIALOGUE *et la* COEXISTENCE DANS LA VÉRITÉ *sont* IRRÉALISABLES *avec le communisme, le Saint-Père expose que les contacts doivent être limités au minimum indispensable ; et c'est en définissant ce minimum qu'il dit *: Il faut cependant, fait-on observer, ne pas couper les ponts, mais conserver des relations mutuelles ? Mais, pour cela, les mesures que les hommes responsables de l'État et de la politique croient devoir prendre en fait de contacts et de rapports pour la paix de l'humanité et non pas en vue d'intérêts particuliers sont entièrement suffisantes. Il suffit de ce que l'autorité ecclésiastique compétente estime devoir accomplir pour obtenir la reconnaissance des droits et la liberté de l'Église. *Nous n'avions vu là, à la différence du P. Martelet, aucune* « *allusion directe à des tractations* ENTRE *l'autorité ecclésiastique et les hommes responsables de la politique* »*, mais une* DOUBLE *allusion à* DEUX CHOSES DISTINCTES*.* *La première : les contacts décidés en vue de la paix par* « *les hommes responsables de la politique* »*.* *La seconde : ce que l'autorité ecclésiastique accomplit pour la reconnaissance de la liberté et des droits de l'Église.* *En d'autres termes* (*et cela est important*)*, les* « HOMMES RESPONSABLES DE LA POLITIQUE »*, que le P. Martelet cite entre guillemets, désignent dans le Message du Saint-Père, selon nous, les hommes politiques non-communistes. Selon le P. Martelet, ils désignent au contraire l'interlocuteur communiste.* 95:11 *Le certain, c'est qu'il y a en l'occurrence quelqu'un qui ne sait pas lire. C'est ou bien le P. Martelet, ou bien nous-mêmes. Nous voulons bien admettre que ce soit nous.* \*\*\* TROISIÈME POINT*. -- Assurément, le P. Martelet a raison de penser et de dire que nous avons parfois ou souvent, en France, des complaisances excessives à l'égard du laïcisme.* *Mais il expose* (*si nous comprenons bien*) *qu'en France il y a non-résistance au laïcisme et qu'il n'y a pas non-résistance au communisme. Il ne croit pas qu'il y ait eu* « *colloques* » *et* « *rencontres* » *avec les communistes. Il ne sait pas qu'en France notamment, on a présenté le dialogue avec le communisme comme nécessaire.* *Dans la mesure où il s'agit là d'un point de fait, nous pouvons dire très fermement au P. Martelet que son information est en l'occurrence bien incomplète.* \*\*\* *Nous ne pouvions nous dispenser de mettre sous les yeux de nos lecteurs les textes du Saint-Père et l'interprétation que leur donnent les Pères Bigo et Martelet. Cette interprétation contredit ce que nous avions cru comprendre, et que d'ailleurs nous croyons toujours, car ils ne nous ont pas convaincu. Mais, pour éviter d'induire nos lecteurs en erreur, nous portons à leur connaissance les thèses qui contredisent notre point de vue.* *Nous ne pouvons davantage nous dispenser d'observer que notre sentiment propre est celui de simples catholiques du dernier rang, ayant écouté, lu, relu, médité le Message que le Saint-Père adressait directement à tous les hommes.* *Nous nous sommes efforcés de comprendre et de faire connaître ce Message, comme c'était notre devoir de catholiques, de citoyens, de journalistes.* *Nous sommes faillibles.* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *et les Pères Bigo et Martelet le sont aussi.* *Nous devons souligner explicitement et nettement que, en matière de doctrine catholique, nous n'avons aucune autorité particulière. Les Pères Bigo et Martelet en ont une, qu'ils emploient comme on l'a vu. Le journal où ils écrivent,* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, présente en outre, sociologiquement, une apparente ou réelle garantie d'orthodoxie doctrinale, puisqu'il fait partie du Centre national de presse catholique.* *Donc, si nous disons, parce que c'est vrai, que les Pères Bigo et Martelet ne nous ont pas convaincu, nous reconnaissons volontiers, et nous en avertissons le lecteur, que dans le catholicisme français c'est leur avis qui a du poids, et non pas le nôtre.* \*\*\* *Rappelons en outre, pour éviter toute confusion au sujet de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *: c'est dans l'armée, et comme contraire au patriotisme, que ce journal a été interdit par l'autorité militaire compétente.* 96:11 *Dans les églises, ce même journal n'a nullement été interdit comme contraire à l'orthodoxie catholique par l'autorité religieuse seule compétente, -- à l'exception de quelques diocèses. Précisons, de plus, que dans la plupart de ces diocèse, il semble bien que* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ait plutôt été écarté pour des raisons d'opportunité ou d'organisation, qu'interdit pour des raisons doctrinales.* *Il importe donc de ne pas confondre ces deux domaines, et de se souvenir de la mise au point précise de S. Em. le Cardinal Feltin* (*Semaine religieuse, 29 septembre 1956, pages 954-955*)*. Cette mise au point avait une portée générale : elle s'applique donc à tous les journaux et à toutes les revues catholiques, y compris* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *:* Tant qu'un journal ou une revue, qui a pu recevoir des avertissements de la Hiérarchie, ne sont pas interdits par l'autorité compétente, nul n'a le droit de s'opposer à leur vente. Et toute accusation ou condamnation en matière doctrinale ou disciplinaire, faite par des individus sans mandat, doit être considérée comme un procédé contraire à la constitution de l'Église et qui relève des méthodes insurrectionnelles. ~===============~ #### LE DÉPART DU P. GABEL *Au mois de janvier le P. Gabel a quitté la rédaction en chef de La Croix. Des informations contradictoires ayant été publiées à ce sujet, les moins incertaines nous paraissent celles du* COURRIER CATHOLIQUE DE L'INFORMATION (12*, rue Edmond-Valentin*)*, dirigé par M. Mondange, qui puise ordinairement ses renseignements à des sources officielles ou officieuses.* *Après avoir rappelé la* « *lourde épreuve de santé* » *qui avait atteint le P. Gabel, et qu'il surmonte avec un courage et une sérénité admirables, M. Mondange expose* (17 *janvier*) : Rétabli, le P. Gabel avait repris le gouvernail et de récents articles montraient qu'il n'avait jamais perdu contact avec l'actualité durant ses épreuves. Son Supérieur Général, évoquant sa santé, lui a imposé de se retirer et l'a remplacé par le R.P. Linder, responsable de la province Assomptionniste de Lyon. Cette désignation annoncée à titre temporaire montre combien ce poste est important. 97:11 Ce départ a provoqué des commentaires dans les milieux professionnels et catholiques. En effet, une note de la Correspondance de Presse signale : « ...*D'après des informations de source directe, le R.P. Gabel conteste que les raisons de santé invoquées par* La Croix *soient les véritables raisons de son remplacement.* » Le communiqué de *La Croix*, d'ailleurs de lecture difficile, n'infirme pas cette remarque. Elle ne surprend pas ceux qui suivent la vie des maisons d'édition. L'orientation dans laquelle le P. Gabel avait placé l'organisation générale de la Bonne Presse n'avait pas été sans se heurter à certaines réserves au sein même de la maison... Rappelons que la nomination du rédacteur en chef de *La Croix* dépend du Conseil d'Administration de la Maison de la Bonne Presse. Le R.P. Gabel comme son successeur ont été désignés sans que les autorités hiérarchiques soient consultées. Elles sont prévenues après désignation. La majorité des actions de la Maison de la Bonne Presse est sous contrôle de la Congrégation des Augustins de l'Assomption. *Un mot ou, plus exactement, deux :* *I. -- Plusieurs pensent et disent que le départ du P. Gabel est un coup porté aux tendances de* « *gauche* » *au sein de* LA CROIX*. nous n'avons pas là-dessus d'informations particulières, mais nous pensons qu'il n'en est rien. La position personnelle du P. Gabel pouvait paraître discutable sur certains points : néanmoins il est évident, et connu, qu'en plusieurs occasions c'est le P. Gabel qui retint ses collaborateurs, ou du moins plusieurs d'entre eux, de s'engager davantage à gauche. On ne peut oublier surtout qu'au moment de l'Appel de Stockholm, et alors que le flottement était quasiment général en face de cette initiative communiste, le P. Gabel eut le courage de se prononcer catégoriquement contre, avant même de savoir s'il serait approuvé et couvert. Nous tenons ce fait* « *de source directe* »*. Au moment où le P. Gabel s'en va, nous préférons taire certaines critiques qu'appelait une partie de son action et lui apporter cet hommage public qu'il mérite.* *II. -- Jean Madiran eut avec le P. Gabel des discussions et même des différends. Le P. Gabel lui reprochait sans beaucoup de compréhension d'être un* « *polémiste* »*.* 98:11 *Quoi qu'il en soit, le rédacteur en chef de* LA CROIX *eut la loyauté et le courage de reconnaître et de marquer publiquement des différences qu'il fut SEUL dans la presse catholique à reconnaître et à marquer. Dans* LA CROIX *du* 21 *mai* 1955*, le P. Gabel protesta contre les procédés* « *inqualifiables* » *du Piasecki français. M. Jean-Marie Domenach, de la revue* ESPRIT*, et il écrivit :* M. Domenach a pris un ton et une méthode de polémique que M. Madiran n'avait pas utilisés. *Au moment d'un départ qui a dû être infiniment douloureux au P. Gabel, et nous souvenant de son entier et noble dévouement à des idées qui parfois n'étaient pas les nôtres, il nous a paru juste de rappeler à son honneur les deux faits ci-dessus.* \*\*\* *Le P. Linder n'avait été nommé rédacteur en chef de* LA CROIX *qu'à titre temporaire. Au début du mois de février, cette fonction a été attribuée au P. Wenger.* *En annonçant cette nomination l'éditorial de* LA CROIX *du* 5 *février, signé* « *La Direction* »*, apporte sur la procédure de désignation des précisions qui n'infirment pas celles données par M. Mondange, et citées plus haut, mais qui les complètent :* Le R.P. Antoine Wenger vient d'être désigné comme rédacteur en chef de *La Croix*. La Direction de *La Croix* remercie très respectueusement S.E. le Cardinal-Archevêque de Paris et la Commission permanente de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques d'avoir bien voulu donner leur assentiment à la désignation du R.P. Wenger, et en même temps d'avoir tenu à exprimer au R.P. Gabel leur « reconnaissance pour le dévouement éclairé et généreux avec lequel il a servi les grands intérêts de l'Église dans notre pays. » *Le même éditorial présente le nouveau rédacteur en chef :* 99:11 Le R.P. Wenger, docteur en théologie, diplômé d'études supérieures de lettres (...), professeur depuis 1949 aux Facultés catholiques de Lyon, est très spécialement informé de toutes les questions relatives aux mœurs, aux habitudes, aux idées des populations de l'Est et du Moyen-Orient. Ce n'est pas sans regret que le R.P. Wenger renonce à des travaux qui l'intéressaient vivement pour s'adonner à des tâches nouvelles auxquelles le préparaient d'ailleurs et ses curiosités de sociologue, et sa solide formation doctrinale, et ses contacts avec les jeunes, et ses fréquentes incursions dans le journalisme. \*\*\* *A propos de* LA CROIX *et de sa* « *nouvelle formule* »*, plusieurs se sont émus de la suppression du Crucifix en première page* (*suppression limitée aux départements de la Seine et de la Seine-et-Oise*)*. Nous nous sommes abstenus de faire écho à ces protestations parce que, tout en comprenant le sentiment respectable et légitime qui les dicte, nous ne sommes pas sûrs qu'elles soient fondées.* LA CROIX *a expliqué cette suppression de la manière suivante* (17 *novembre*) : ...L'ancienne présentation du journal ne s'accommodait pas de la diffusion très large que nous souhaitons et ne permettait pas de dépasser les quelques milliers d'exemplaires que nous étions arrivés, malgré des efforts répétés pendant plusieurs années, à écouler par les kiosques. C'est pourquoi nous nous sommes résolus, entre autres choses, à modifier la graphie du titre et à supprimer le Crucifix. Certains diront (on nous l'a d'ailleurs déjà dit) que, ce faisant, nous mettons notre drapeau dans notre poche. Mais à quoi sert un drapeau s'il ne rassemble pas autour de lui une troupe compacte et enthousiaste ? A lui seul, le titre de notre journal, aujourd'hui comme hier, n'est-il pas un drapeau ? *Évidemment, la première partie de cette explication ne nous paraît guère convaincante. Nous ne voyons pas quel rapport nécessaire existerait entre la présence ou l'absence de Crucifix et tel système de vente au numéro plutôt que tel autre... Ce raisonnement se retourne d'ailleurs contre ce qu'il voudrait justifier. Si le Crucifix constituait vraiment un obstacle à une vente plus large, s'il fallait vraiment choisir entre les deux, alors, effectivement, le choix fait par* LA CROIX *s'explique mal et la justification laisse au lecteur une pénible impression.* 100:11 *Retenons que* LA CROIX *n'avait pas réussi à avoir autour d'elle* « *une troupe compacte et enthousiaste* »*. D'après un article de* PRESSE-ACTUALITÉ *dont nous allons devoir parler, l'effort financier et publicitaire considérable qui a été entrepris pour lancer la nouvelle formule de* LA CROIX *ne lui a fait gagner que* 10*.*000 *lecteurs nouveaux. Nous croyons que* LA CROIX *ne se fait pas une idée juste des raisons qui l'empêchent de progresser plus rapidement et plus largement : nous avons exposé ces raisons dans notre numéro* 9*, pages* 78 *à* 80*, dans nos notes critiques à propos de* « *quelques pensées de M. Étienne Borne* » (*annexe sur l'unité catholique et la démocratie chrétienne*)*.* \*\*\* *La fin de l'explication donnée par* LA CROIX *nous paraît plus solide.* LA CROIX*, s'appelle toujours* LA CROIX*, et l'on sait bien de quelle croix il s'agit. Elle porte en manchette :* « *quotidien catholique d'information* »*. A notre avis, on ne peut pas dire qu'elle ait mis* « *son drapeau dans sa poche* »*.* \*\*\* *Mais enfin, nous n'avons pas pris parti et nous ne prenons pas parti dans un tel débat.* *Nous n'en sommes que plus libres de protester contre un entrefilet abominable qui a paru dans* PRESSE-ACTUALITÉ*,* « *revue mensuelle de l'information* » *éditée par la Maison de la Bonne Presse. Le voici ; il est vraiment affreux :* Certains pharisiens de la presse de Paris ont hypocritement insisté sur le reniement que constituerait à leurs yeux la suppression du Crucifix. Une *Croix* « fidèle à la tradition », mais absente des circuits de distribution et des points de vente, n'était pas gênante, n'était pas un *concurrent dangereux*. Mais une *Croix* qui bouge, c'est une *Croix* qui trahit ! La ficelle est un peu grosse ! *Ces attaques gratuites contre la bonne foi des personnes sont, oui, abominables. Cet entrefilet suppose que tous ceux qui regrettent la disparition du Crucifix ont des motifs honteux de le faire. Ayant en outre le tort grave* (*mais habile*) *de ne nommer personne, cet entrefilet a pour conséquence inévitable de faire peser une suspicion sans limites.* 101:11 *Nous désirons ardemment, quant à nous, que cessent entre catholiques ces polémiques injurieuses et intolérables. Nous sommes entrés en lutte ouverte contre tous ceux, quels qu'ils soient, qui transforment ainsi le journalisme français en une entreprise de diffamation morale. Les discussions d'idées peuvent être vives : mais dans la courtoisie. Nous protestons catégoriquement contre l'accusation de* « *pharisaïsme* » *et* « *d'hypocrisie* » *témérairement lancée par* PRESSE-ACTUALITÉ*. Si l'on suivait l'exemple ainsi donné par cette publication, on irait loin !* \*\*\* *De plus, cette accusation est en l'occurrence doublement malencontreuse. D'une part, elle est insultante pour tous les lecteurs de province de* LA CROIX*. Si regretter la suppression du Crucifix est automatiquement une preuve de* « *pharisaïsme* » *et d'* « *hypocrisie* »*, il faudrait admettre que* LA CROIX *tient ses lecteurs de province pour d'hypocrites pharisiens, et qu'elle les ménage en tant que tels, puisque les éditions qui leur sont destinées conservent le Crucifix ? C'est absurde.* *D'autre part,* PRESSE-ACTUALITÉ *prétend que ces mauvais sentiments sont inspirés par la concurrence. Or* LA CROIX *ne fait concurrence à aucun autre journal, sauf, dans une certaine mesure, au* MONDE *de M. Beuve-Méry. C'est donc sur M. Beuve-Méry que retombe d'abord, et directement, l'accusation ainsi lancée. Nous ne sommes pas suspects d'indulgence excessive pour le directeur du* MONDE*, mais nous devons préciser, contrairement à ce que laisse supposer l'entrefilet de* PRESSE-ACTUALITÉ*, que ce n'est pas lui, à notre connaissance du moins, qui a protesté contre la suppression du Crucifix.* ~===============~ #### LA TACHE D'HUILE DE L'ISLAM *Nous ne sommes pas beaucoup en France à dire quel péril l'Islam constitue, et pourquoi. Pourtant la France, de par sa situation actuelle, est le premier pays visé par ce péril.* *En revanche, ils sont nombreux ceux qui, souvent pour les mauvaises raisons d'une mauvaise politique, s'engagent dans un syncrétisme religieux appuyé sur des contre-vérités. Nous avons, dans notre numéro 8* (*pages 102-105*) *relevé les plus voyantes, et nous sommes étonnamment seuls à les avoir relevées. Pour les lecteurs du* MONDE*, toujours bien informés, pour ceux de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, toujours à l'avant-garde de la vérité, il est établi que l'*ISLAM CROIT AU DOGME DE L'IMMACULÉE-CONCEPTION*. A notre connaissance, il n'y a eu ni rectification ni démenti.* 102:11 *Si une chose aussi énorme passe comme lettre à la poste et si elle est enseignée comme une vérité assurée, on comprend que des impostures moins volumineuses, mais non moins dangereuses, puissent aussi impunément être mises en circulation.* *On tente d'abrutir les Français par toute sorte de mensonges, jamais rectifiés par leurs auteurs.* *De tels mensonges, c'est un fait, ne rencontrent guère de contradiction en dehors de la nôtre. Et souvent même, ils ne rencontrent que la nôtre.* *Il paraît qu'apporter une telle contradiction, c'est être affreusement et coupablement* « *polémiste* »*.* *Eh ! bien, non.* *C'est exercer un droit indiscutable.* *C'est accomplir un devoir certain.* \*\*\* *La nature même de l'Islam a été définie dans nos colonnes par Henri Charlier. Nous le citons une fois encore :* Deux civilisations vont s'affronter : -- celle du Christ, fondée sur la connaissance des faiblesses de l'homme, avec l'humilité comme base, qui assure à l'homme, avec la liberté des âmes vis-à-vis de César, une AIDE SURNATURELLE POUR UNE DESTINEE SURNATURELLE ; -- celle de Mahomet, où la confusion du Spirituel et du Temporel est complète, et qui NE PEUT RIEN CONTRE LE PÉCHÉ. *Mais voici que nous entendons quelques premiers échos à nos avertissements. Dans* ESOPE *du* 1^er^ *janvier, M. Boris Souvarine, qui n'est pas catholique, mais qui est un observateur attentif des réalités politiques et sociales, proteste avec une grande énergie :* L'engouement ridicule d'Occidentaux influents pour les hommes et les choses de l'Orient a pris tournure d'aberration politique et l'on en voit les effets dans les relations internationales actuelles. L'arabophilie professée par des gens que les Musulmans appellent « chiens de chrétiens » aboutit à des tueries interminables et crée en Afrique du Nord et au Levant des problèmes insolubles autrement que par la force. 103:11 Et la considération distinguée autant qu'imméritée offerte à Jawaharlal Nehru, indigne héritier politique de Gandhi ne vaut à l'Occident que des déboires, en attendant d'impliquer des désastres. *Dans* CARREFOUR *du* 19 *décembre, sous le titre* La tache d'huile de l'Islam grandit en Afrique*, M. Daniel-Rops expose des faits qui ne sont quasiment jamais portés à la connaissance des Français* (*on leur raconte même, très explicitement, le contraire*)*.* *C'est pourquoi nous reproduisons cet article en son entier :* Alors que le monde entier a les regards tournés vers ce Proche-Orient où la Ligue arabe tient une place capitale dans le terrible jeu de la diplomatie et de la force, ne serait-il pas singulièrement utile que le grand public comprit que le problème, le vrai problème, ne se pose pas seulement en termes politiques, économiques et militaires, et que *ce n'est pas seulement, pas d'abord, de pétrole qu'il s'agit ? A l'arrière-plan* de tous les épisodes récents dont nous sommes les témoins, *il y a une question religieuse qui est posée*, et à laquelle les événements, l'un après l'autre, visent à formuler la réponse définitive. Mais qui le comprend, parmi les chrétiens ? Une fois de plus, cependant, c'est de Rome que sera venu l'avertissement, un de ces avertissements auxquels on ne prête pas assez attention... *Le* 9 *juin* 1956, *Radio-Vatican a lancé un pathétique appel contre le danger que représente l'Islam, associé en bien des cas au communisme*. Voilà le fait majeur, et celui que la presse d'information néglige de révéler à son public dans son étendue. Révolte en Afrique du Nord, crise de Suez, guerre contre Israël, ce ne sont là en vérité que les épiphénomènes d'un phénomène de taille planétaire. On saura le plus vif gré aux Pères Blancs belges, de Namur, d'avoir consacré un récent numéro de leur magnifique revue Grands Lacs à placer, sous les yeux de trop de négligents, des faits et des chiffres. Ils ne concernent que l'Afrique noire, mais, mutatis mutandis, les grandes données valent pour d'autres régions de la terre. Le fait capital est que *nous assistons à une expansion prodigieuse de l'Islam*, de cet Islam qu'on croyait naguère décrépit, déchiré, pourri de sectes et de dissidences et qui, depuis une trentaine d'années, se révèle d'une conquérante ardeur. 104:11 Les preuves de cette renaissance abondent, et des résultats tangibles sont obtenus. « *Lorsqu'on consulte attentivement une carte religieuse de l'Afrique, écrit Georges Rhodius, on est littéralement stupéfait ! Jusque tout autour de la cuvette congolaise, des groupes musulmans, compacts ou fluides, ont pris pied en Afrique équatoriale française, et dans toute l'Afrique orientale et méridionale d'ancienne obédience britannique ! Le mystique limes de la forêt vierge est bien oublié !* » Des chiffres précisent encore ce que disent les cartes. Empruntons-les à une étude du R.P. Piera Gheddo, de l'Institut pontifical des missions étrangères : « *En* 1931*,* 44 *millions de musulmans en Afrique, soit* 31* % de la population. En* 1951*,* 80 *millions, soit* 40* % de la population. Au cours de la même période, les catholiques sont passés de* 5 *millions* (3*,*5* %*) *à* 15 *millions* (7*,*5* %*)*.* » Le fait n'est pas propre à la seule Afrique noire, ou même à la seule Afrique. Si, dans le continent noir, le progrès de l'Islam est saisissant, il est la conséquence directe d'une renaissance religieuse, laquelle fut dans une large mesure l'œuvre, au début du XVIII^e^ siècle, d'Abd-ul-Wahrab, fondateur du Wahrabisme, « ce wahrabisme que Bonaparte, fasciné par son rêve d'Empire Oriental, encouragea par un traité signé en 1812 avec Séoud le Grand ! » Et ce renouveau religieux se fait sentir, plus ou moins, de Gibraltar aux îles de la Sonde, de Madagascar à l'Himalaya, parmi les 400 *millions de musulmans* (*un cinquième de la population du globe*) *qui trouvent, dans une prise de conscience de leur foi, le sens d'une unité que les siècles antérieurs avaient fort compromise, et qui s'impose désormais à eux comme le premier moyen de réaliser la mission que le Prophète a proposée à ses fidèles : la conquête du monde au nom d'Allah...* \*\*\* Les raisons d'un tel succès sont nombreuses. « *Auprès des populations primitives, écrit le R.P. Gheddo, le succès de l'Islam tient surtout à la simplicité de sa doctrine, à sa supériorité sur le fétichisme et à sa morale accommodante qui accepte la polygamie. C'est ainsi que les commerçants arabes et indiens, qui ne font pas précisément profession d'ascétisme, figurent parmi les plus ardents propagandistes de l'Islam. *» Mais il serait certainement insuffisant d'expliquer par là des progrès qui se manifestent aussi bien dans les classes intellectuelles que parmi les anciens fétichistes de la forêt et les boutiquiers des ports de l'Océan Indien. 105:11 Il faut avoir l'honnêteté de le dire : un très grand effort a été accompli par l'intelligence islamique (notamment par la célèbre université El Azhar, au Caire) pour repenser sa religion, en asseoir les bases, remonter à ses traditions. Et surtout pour mettre en relief les aspects de la religion musulmane qui prêtent le plus à une conception universaliste et largement humaine. Par là on rejoint une autre des raisons profondes des progrès de l'Islam, que les Pères Blancs formulent en ces termes : « *Pour l'Africain de couleur, adhérer à l'Islam est à la fois promotion et agrégation dans une communauté nouvelle. Rompant avec l'animisme aujourd'hui périmé, id s'intègre à une société puissante qui lui vaudra force et protection, d'où ce sentiment caractéristique de solidarité et de supériorité. *» En ce point précis, religion et politique se confondent, ce qui, théologiquement parlant, est vrai dans l'Islam. Le *Jihad* comporte pour le musulman tout ensemble une obligation intérieure de prière, de pèlerinage, d'aumône, et une obligation extérieure de porter au monde la vérité islamique par la parole, l'exemple et, s'il le faut, le sabre. Ce n'est donc pas seulement, comme on le dit souvent, la « guerre sainte » : c'est la puissance même d'apostolat et d'expansion, religion et politique substantiellement associées. Lorsque, dans sa brochure *Philosophie de la Révolution*, le colonel Nasser écrit : « En aucune façon nous ne pouvons, rester en marge de l'horrible et sanglante lutte qui se déroule au centre de l'Afrique entre 5 millions de blancs et 200 millions de noirs... Il nous est impossible de renoncer à des responsabilités d'aide et d'assistance ni de nous dérober à la tâche de répandre notre civilisation, fût-ce jusqu'au centre de la forêt vierge », il est exactement fidèle à l'esprit du *Jihad*. En ce point, l'impérialisme de la Ligue arabe rejoint l'intention religieuse et l'utilise, cependant que l'Islam fait servir à sa cause la révolte de « l'homme de couleur » contre l'homme blanc. \*\*\* Il resterait à dire quels sont les moyens utilisés par l'Islam dans cette expansion. Mais ils sont innombrables et révèlent, dans leur diversité, une souplesse, une faculté d'adaptation aux lieux et aux hommes, assez remarquable. Remontant le Nil ou suivant la vieille route des caravanes qui part de Mombasa, sur l'Océan Indien, les propagandistes pénètrent au cour de l'Afrique pour aller enseigner les plus modestes tribus. Mais aussi bien, de tous les coins du monde musulman, d'Iran comme de Nigeria, d'Albanie comme de Turquie, des étudiants viennent en nombre grandissant suivre les cours de l'Université El Azhar, au Caire, où l'enseignement leur est donné gratuitement et où une bourse d'entretien leur est même allouée : en 1954, El Azhar avait 400 étudiants noirs. 106:11 Les vieilles méthodes des marabouts vendeurs de talismans et d'amulettes ne sont pas abandonnées : elles réussissent encore auprès des fétichistes convertis de frais ; mais des techniques de propagande moderne leur sont adjointes. *La Voix des Arabes* ne diffuse pas seulement, comme le croient les Européens, des discours violents à leur adresse ; ses émissions travaillent à la prise de conscience de tous les musulmans qui l'écoutent, d'un idéal et d'un destin communs. On a vu, dans diverses régions de l'Afrique, par exemple au moment des graves inondations de Kena, en 1954, de véritables équipes de missionnaires, formés à El Azhar, travailler des régions entières par groupes de trente à la fois, avec des autos munies de haut-parleurs... L'Islam ne se contente pas d'ensemencer rapidement des contrées : il cherche à s'y implanter. Il y a toute une politique de la mosquée, menée avec des *moyens financiers considérables*, et dont les résultats sont saisissants. Un exemple parmi des dizaines d'autres : dans le centre administratif de Ouahigouya en Haute-Volta, il y avait en 1920 une seule mosquée, d'ailleurs modeste ; il y en a dix maintenant, et seize écoles coraniques. Un des grands bâtisseurs de mosquées est l'aga Khan que les turfistes de Paris et de Londres considèrent comme un aimable propriétaire de chevaux de course, mais qui ne prend nullement à la légère sa mission de descendant du Prophète, de chef des ismaéliens (c'est-à-dire des partisans d'une autorité spirituelle centrale et permanente, transmise par héritage) : on assure qu'il double automatiquement le montant des quêtes faites parmi ses fidèles pour la défense de la foi et qu'ainsi le fonds de construction des mosquées aurait dépassé en dix ans 250 millions de livres. En tout cas, il est certain qu'en Afrique Orientale, il a ouvert en dix ans quatre-vingt-sept mosquées et quatre-vingt-deux écoles coraniques. \*\*\* Qu'une telle situation pose aux chrétiens, et spécialement à l'Église catholique, de très graves problèmes, personnes de sensé n'en saurait douter. Laissons de côté les répercussions politiques : *certains États, qui se sont voulus résolument* « *laïcs* » *et ont délibérément gêné l'évangélisation, quand ils n'ont pas -- oh ! Lyautey ! -- encouragé l'islamisation, s'en mordront les doigts, le jour où ils auront compris *: et ce sera trop tard. 107:11 *Encore aujourd'hui l'infiltration en éventail de l'Islam dans tout l'Est africain et jusqu'au Cap n'est-elle pas plus ou moins aidée par certains services anglais*, dans l'illusion -- contre laquelle Radio-Vatican s'est élevée avec tant de sagesse -- que l'Islam pourrait constituer une barrière contre le communisme, selon les déclarations mêmes du colonel Nasser ! C'est sur le plan proprement religieux que cette situation angoisse tout cour de chrétien. Tous les missionnaires, tous les observateurs sont d'accord. « *Au centre africain*, dit le Père Gheddo, *c'est une vraie course entre le Christianisme et l'Islam pour la conquête des populations. La société animiste se disloque dans la mesure où elle prend contact avec la nouvelle conception de la vie et avec le progrès technique importé d'Occident. Le Paganisme semble appelé à disparaître de toute l'Afrique d'ici cinquante à soixante ans. Perspective redoutable si l'on pense qu'en abandonnant le paganisme les Africains n'ont qu'une alternative : passer à l'Islam ou se convertir au christianisme, à moins de devenir pratiquement athées... Et les convertis à l'islamisme sont à jamais perdus pour le christianisme*. » La solution à ce dramatique problème, la seule solution, deux papes de génie l'ont nettement formulée. L'immense et courageux effort accompli par les missionnaires catholiques débouche devant nous sur une réalité nouvelle, que tour à tour Pie XI et S.S. Pie XII ont affirmée : *une Église indigène*, puisant ses forces par de profondes et vivaces racines dans la terre africaine elle-même, une Église qui, aux yeux des masses, n'apparaît plus en rien liée à la domination de l'homme blanc, une Église qui conserve tout ce qu'il y a de vivant dans les traditions et les cultures indigènes mais les consacre au service du Christ. Le développement du clergé de couleur et l'épiscopat indigène constitue la seule réponse efficace à une menace qu'on ne saurait surestimer. C'est dans la mesure où la jeune Église africaine s'affirmera dans sa spécificité, selon les intentions des souverains pontifes, qu'elle empêchera la tache d'huile islamique de gagner le continent noir tout entier. *Ce cri d'alarme de M. Daniel-Rops rejoint les nôtres. Nous avions publié dans notre numéro* 6 *des documents sur l'Islam intitulé :* « Un Mythe : la communauté franco-musulmane » (*pages* 146*-*152)*. On s'y reportera utilement.* *Dans* CARREFOUR *du* 2 *janvier, M. Georges Bidault formule des avis fort voisins des nôtres :* 108:11 Je voudrais dire ici que s'il y a une expression entre toutes insupportable, encore qu'elle soit largement employée, c'est celle qui consiste à parler de communauté franco-musulmane. Pendant qu'on y est, pourquoi ne pas parler de communauté franco-chrétienne ? Car l'expression dont il s'agit signifie que l'on ne peut être à la fois Français et musulman, en d'autres termes qu'un musulman n'est pas Français, ou qu'un Français ne peut être musulman. Le sang versé a démontré le contraire. Sous la III^e^ république, c'était un lieu commun de l'élégance dominicale que de proclamer la France grande nation musulmane. Pour des motifs qu'on trouvera dans tous les manuels d'histoire, il n'était pas dit à l'époque que la France était une grande nation chrétienne. Je regrette de devoir ajouter qu'en ce qui concerne la fille aînée de l'Église l'oubli où sont tenues les Croisades et diverses tentatives de fabrication de syncrétisme placées sans son avis sur le nom d'Abraham ne sont pas de nature à nous faire croire que le péché par omission ne soit pas tous les jours commis, avec cette particularité que des chrétiens ne savent même plus qu'ils le commettent. ~===============~ ### Mœurs anciennes et récentes de l'Islam *Voici le décret religieux rédigé par le Grand Mufti et présenté au Sultan Selim II vers* 1568*, avant que les Turcs n'entreprissent la guerre de Chypre. Ils attaquèrent en pleine paix quelques Cyclades et l'île de Chypre, pour lesquelles Venise payait un lourd tribu au Sultan. C'est ce qui amena Saint Pie V à former une Sainte Ligue qui aboutit à la bataille de Lépante* (1571)*, dans laquelle fut détruite la flotte turque : nous en célébrons encore l'anniversaire en la fête du Saint Rosaire.* FETTOUAH (Décret religieux) Louange à Dieu l'Unique, le Miséricordieux, etc. Moi, humble moufti consulté, ai rendu cette décision : DEMANDE. -- Si, dans un pays jadis soumis à l'Islam, mais arraché ensuite à son règne, les Khafirs (infidèles) établissent leur culte dans les mosquées et oppriment la foi ; si poussé par le zèle de la foi, le prince de l'Islam veut enlever ce pays aux Khafirs et le remettre sous la puissance des moslins (croyants) ; 109:11 mais si l'on se trouve en pleine paix avec lesdits Khafirs et que le pays dont il s'agit soit expressément compris et nommé dans cette paix : « *L'obstacle du traité et de la foi jurée doit-il empêcher d'agir ?* » RÉPONSE. -- Cet obstacle ne peut aucunement exister. Car un prince de l'Islam ne conclut jamais une paix légitime avec les Khafirs ; elle n'est valable que pour le temps qu'elle profite aux moslims ; quand cet avantage cesse, la paix doit cesser à la première occasion favorable, puisqu'il est écrit : Dâr El Islam, dâr el djihad (l'Islam c'est la guerre). Exemple : Le Prophète (sur lui le salut) conclut avec les koréischites infidèles, l'an six de l'Hégire, une paix rédigée en traité par Ali (honneur à sa face !) ; elle devait durer jusqu'à l'an X ; mais il la rompit dès l'an VIII, parce qu'il le jugea plus utile ainsi et s'empara de la Mecque. L'infidèle n'a qu'un droit : se soumettre ou croire. Kalife de Dieu, la Haute Majesté comprendra et saura limiter la noble conduite du prophète envoyé de Dieu. Écrit par moi, le Moufti Abou-Sound. *On pense que c'est là le témoignage de mœurs très anciennes ?* *Or Bourguiba et le Sultan du Maroc font exactement de même avec les moyens dont ils disposent. Rien de ce qu'ils ont promis ne compte plus dès qu'on leur a accordé ce qu'ils demandaient.* ~==============~ ### Subsides de l'État ? danger ! *Un de nos lecteurs nous adresse son témoignage de moniteur dans l'enseignement post-scolaire rural.* *Son témoignage vient appuyer le propos d'Henri* ([^30]) *Charlier dans notre numéro* 3 (*page* 64)*, qui disait :* La France a détruit au moment de la Révolution toutes les institutions naturelles qui étaient le produit vivant de sa civilisation et elles les a remplacées par des administrations. Les Français... ont pris l'habitude de tout demander à l'État et de ne rien oser sans lui. 110:11 Désirer la sécurité absolue sur cette terre, pour le travail, pour la maladie, la vieillesse et la mort, sans s'y efforcer par une application libre et personnelle, c'est vouloir se placer dans la condition des esclaves car c'est forcément abandonner à des maîtres le choix des conditions économiques, administratives et politiques qui permettront cette sécurité. C'est leur abandonner le souci, le risque et la responsabilité, c'est-à-dire toute puissance. *A ce sujet, M. Bernard Plant*i*ve nous écrit :* Oui, les Français ont pris l'habitude de tout demander à l'État et de ne rien oser sans lui. Il est navrant qu'aujourd'hui on n'envisage de faire instruire ses enfants qu'avec le concours financier de l'État. La justice et la liberté scolaire la plus réelle consisterait à obtenir la suppression du financement par l'État de tout enseignement quel qu'il soit. Car accepter le financement de l'État en matière d'instruction, c'est lui abandonner notre liberté, c'est se livrer à son despotisme, à son administration. A l'origine de cette emprise étatique, il y a l'obligation scolaire. A l'époque où la loi d'obligation fut voté, au siècle dernier, des milliers de familles rurales et artisanales avaient besoin de l'aide de leurs enfants dès leur jeune âge. L'obligation scolaire créa dans ces familles une gêne financière, une charge supplémentaire. Les voilà contraintes d'accepter un secours. Ce secours le voici, c'est la rétribution scolaire du gouvernement. Ce secours devient normal, indispensable, inévitable. Ainsi peu à peu l'État s'arroge des droits sur l'enfant au détriment de ceux des parents. Il en vient progressivement à imposer ses programmes, puis ses professeurs, pour en arriver enfin à cette mainmise monstrueuse qu'on appelle l'administration de l'enseignement... Mais la leçon n'est pas comprise. Qui ne demande aujourd'hui subventions et aide du gouvernement, oubliant à quel esclavage nous sommes ainsi entraînés. Telle est la politique familiale des familiaux d'aujourd'hui, qui trouvent normal que l'État subventionne davantage pour aider davantage les familles. Bien sûr, quand les familles se verront trop enlacées, elles regimberont, elles protesteront, mais ce sera avec effet nul, ou presque, si elles n'ont pas la clairvoyance d'attaquer le mal jusqu'à ses racines : c'est-à-dire revendiquer et défendre les droits intangibles du père de famille dans le domaine si délicat et si important de l'éducation et de l'instruction. Telle serait la vraie politique familiale. 111:11 Mais, objectera-t-on, l'obligation scolaire était devenue une nécessité car il y avait trop d'illettrés en France ? S'il y avait trop d'illettrés et si c'était un mal social, d'autres moyens efficaces auraient pu y remédier. Faire ce qu'on appellerait aujourd'hui une campagne de propagande en faveur de l'instruction primaire par l'intermédiaire des paroisses et de toutes autres institutions naturelles locales. Prévoir des récompenses et des prix. A la limite, l'État pourrait aider la fondation d'écoles de villages pour les confier ensuite à des enseignants qualifiés choisis et approuvés par les familles... Il serait souhaitable que les écoles de village soient et restent exclusivement les écoles des familles de la paroisse, et défendues comme telles. Selon une progression méthodique : obligation scolaire jusqu'à douze ans, puis jusqu'à quatorze ans ; actuellement nous en sommes à l'obligation post-scolaire chez les ruraux. Certes ce ne serait pas un mal que les jeunes ruraux soient dans l'ensemble plus instruits et qu'une élite se forme, mais là aussi il y a d'autres moyens, pour y arriver, que l'obligation légale. L'obligation légale est le premier pas qui nous mènera plus tard à l'étatisation de cet enseignement. Déjà l'obligation post-scolaire a son terrain préparé : les familles ne bénéficient des allocations familiales pour leurs jeunes de 14 à 17 ans que s'ils suivent assidûment les cours postscolaires. Moniteur à l'un de ces cours post-scolaires, je constate combien il est ridicule de vouloir instruire malgré eux des jeunes qui n'ont aucune aptitude pour l'étude. Dans notre département de Loire-Inférieure où la population des communes rurales est en grande majorité catholique pratiquante, sous l'impulsion de l'enseignement diocésain un comité départemental de l'enseignement post-scolaire rural est créé. Il a fondé quatre écoles familiales rurales de garçons et des cours ruraux dans tous les cantons. Les professeurs de ces cours sont recrutés sur place : instituteurs, religieux prêtres, jeunes agriculteurs... Ils sont rétribués en grande partie par les familles et les communautés locales. Louable initiative, pour parer au pire, c'est-à-dire à l'administration étatique de cette branche de l'enseignement. *Entre autres choses, cette communication nous montre :* *I. -- Que l'État se sert des allocations familiales pour imposer ses volontés aux familles au sujet de l'instruction des enfants. D'où l'intérêt évident, et urgent qu'il y aurait à enlever les allocations familiales au contrôle des administrations d'État.* 112:11 *II. -- Qu'il est infiniment dangereux de demander à l'État des subsides pour l'enseignement libre.* *L'État profite de tout ce qu'il donne, d'ailleurs très chichement, pour s'introduire partout. Il ne faut jamais oublier que la loi Barrangé est un expédient provisoire, provisoirement nécessaire, mais absolument pas une solution. La solution n'est pas en effet de taire progressivement passer les écoles libres sous le contrôle de l'administration d'État, mais au contraire de libérer de cette administration toutes les écoles de l'État.* *III. -- Que présentement l'État cherche à s'emparer de l'enseignement post-scolaire, alors qu'il commence à être très bien organisé par des institutions libres.* \*\*\* *La résistance à cet esclavage progressif n'existera que si les personnes et les familles gardent ou retrouvent le goût de la liberté ; si elles cessent d'offrir leurs libertés à l'État ; si elles retrouvent le sens de leur vocation et de leurs responsabilités morales. Une réforme des institutions ne servirait à rien, si elle n'était pas précédée, appelée, provoquée par une réforme morale, celle-là. C'est ce que dit le Saint Père dans son Message de Noël :* L'État lui aussi et sa forme dépendent de la valeur morale des citoyens, et cela plus que jamais à une époque où l'État moderne, pleinement conscient de toutes les possibilités de la technique et de l'organisation, *n'a que trop tendance à retirer à l'individu, pour les transférer à des institutions publiques, le souci et la responsabilité de sa propre vie.* Une démocratie moderne ainsi constituée devra échouer dans la mesure où elle ne s'adresse plus, où elle ne peut plus s'adresser à la responsabilité morale individuelle des citoyens. Mais, même si elle voulait le faire, elle ne pourrait plus y réussir parce qu'elle ne trouverait plus d'écho, dans la mesure du moins où le sens de la véritable réalité de l'homme, la conscience de la dignité de la nature humaine et de ses limites, ont cessé d'être sentis dans le peuple. On cherche à remédier à cet état de choses en mettant en chantier de grandes réformes institutionnelles, démesurées parfois ou basées sur des fondements erronés. Mais la réforme des institutions n'est pas aussi urgente que celle des mœurs, et celle-ci, à son tour, ne peut être accomplie que sur la base de la véritable réalité de l'homme, celle qu'on vient apprendre avec une religieuse humilité devant le berceau de Bethléem. 113:11 *Dans* LA NATION FRANÇAISE *du* 16 *janvier, M. Pierre Boutang expose qu'il pense comme nous que* la réforme des mœurs... est une fin constante du chrétien. Que la démocratie moderne, avec sa part d'étatisme et ses zones de folle anarchie, ait énervé les mœurs, affaibli la communauté, ruiné les corps intermédiaires au point qu'un mécanisme politique ne puisse, sans réforme morale et sociale profonde, restaurer le bien commun, voilà qui est sûr. *Cet accord nous est précieux. D'autant plus précieux qu'il aurait pu ne pas exister ; qu'il n'existe pas toujours.* *M. Pierre Boutang ajoute plus loin :* La réforme des institutions n'est pas un bien suprême, nous dit Marcel Clément, mais un moyen ordonné aux fins religieuses et morales de la vie sociale. Parbleu ! Mais pourquoi ce moyen serait-il le fruit de la réforme des mœurs ? *Cette question est aussi une négation.* *A la négation, nous répondrons par le texte de Pie XII qui vient d'être cité.* *A la question, au pourquoi, nous tâcherons d'apporter une réponse. Dont l'idée générale est que* « *le mal et la mort* »*, pour les sociétés, ce n'est pas la démocratie moderne, qui n'est elle-même qu'une conséquence ; le mal et la mort sont le péché ; le Vainqueur du mal et de la Mort est le Christ.* « *Réforme des mœurs* » *ne signifie pas d'abord pratique des vertus personnelles et sociales, cette pratique aussi est conséquence : la réforme des mœurs, c'est de vivre dans le Christ et par le Christ.* *Quant au fait, il est clair. C'est l'histoire du christianisme. Où la vie chrétienne a précédé et provoqué la naissance d'institutions chrétiennes dans la cité.* ~===============~ 114:11 #### ORGANISER LA RÉSISTANCE *Contre l'étatisation croissante de l'enseignement, aggravée constamment par les* « *décrets* » *et les* « *projets de réforme* » *du Ministère dit de l'Éducation nationale,* LA VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE *a fait entendre le* 3 *février une catégorique protestation :* Tout se passe comme si le ministère de l'Éducation nationale ignorait complètement qu'il existe un enseignement privé et que cet enseignement privé assure l'instruction du quart de notre jeunesse. Le ministre actuel, M. Billères (...) a mis au point un grand projet de réforme de l'enseignement. Voilà bien quelque chose qui intéresse tous les enfants et toutes les familles. Eh ! bien, non seulement les responsables -- maîtres et parents -- des 1.700.000 enfants qui sont instruits dans les écoles privées n'ont pas été consultés, mais tout le texte, qui ne concerne que l'enseignement public, ne tient aucun compte des répercussions de la réforme sur le secteur privé ! ...Ce qui est grave, ce qui est inquiétant, c'est l'esprit qui semble animer cette réforme. Quand on lit bien le texte, on sent à toutes les pages la tentation du monopole. Oui : la tentation de l'État de devenir le seul instituteur, le seul maître des Français, de six ans à leur mort (grâce à l'enseignement permanent !). La tentation d'absorber tout ce qui, jusqu'à présent, restait à l'initiative des professions, des syndicats, des œuvres ou des associations privées. La menace ne pèse pas seulement sur les écoles chrétiennes, mais sur les centres d'apprentissage d'entreprises, les associations culturelles ou sportives, les organisations rurales, etc. Quand le ministère de l'Éducation nationale aura la haute main et le droit de vie et de mort sur tout ce qui touche de près ou de loin, à l'éducation des jeunes et des adultes, il n'y aura plus qu'à mettre la clef sous la porte ; c'en sera fait de la liberté de pensée, de la liberté d'expression, de la liberté des familles, de la liberté politique, de la liberté tout court. *Les catholiques sont unanimes dans le refus et la résistance. Et leur résistance unanime est de nature à freiner ou retarder l'étatisation. Notre accord là-dessus avec* LA VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE *est entier.* \*\*\* 115:11 *Mais, par-delà cette nécessaire opposition cette indispensable légitime défense, nous croyons ici au besoin urgent de propositions, de solutions constructives pour l'enseignement, et nous y travaillons.* *Nous avons fait connaître, nous rappelons à l'attention publique les deux ouvrages fondamentaux qui apportent ces solutions : Culture École Métier, d'Henri Charlier, et Les libertés universitaires, de Jean Rolin.* *Nous soulignons que l'étatisation croissante de l'enseignement ne provient pas de la fantaisie personnelle d'un ministre* (*encore que celui-ci, qui répète partout que* « *l'école, c'est la révolution qui continue* »*, soit un idéologue particulièrement dangereux*)*.* *L'étatisation de l'enseignement tient :* 1*. -- à l'état des esprits ;* 2*. -- à la* « *socialisation* » *croissante de la société* (*voir sur ce point l'éditorial de notre présent numéro*)*.* *Contre l'étatisation de l'enseignement, répétons-le, il faut d'abord encourager, aider les personnes et les familles à garder ou à retrouver le goût de la liberté, le sens de leur responsabilité morale.* *Il faut d'autre part comprendre l'ampleur du processus auquel nous avons affaire. Il est immense. Il est socialiste. Contre lui, l'altitude positive est de proposer et promouvoir, à la place de ces solutions qui sont essentiellement esclavagistes, des solutions vraies. Celles de la doctrine sociale de l'Église.* ~===============~ ### La médecine ne regarde pas les médecins ! LA VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE *a donc pleinement raison dans sa critique. Elle a mis le doigt sur le point crucial :* Les responsables -- maîtres et parents -- n'ont pas été consultés... La menace ne pèse pas seulement sur les écoles chrétiennes, mais sur les centres d'apprentissage d'entreprises, les associations culturelles et sportives, les organisations rurales, etc.. 116:11 *La suite d'articles d'Henri Charlier, parus dans Itinéraires, sur la confusion du gouvernement et de l'administration, a exposé les raisons et les modalités de ce processus.* *Consulter les personnes, les familles, les associations privées, c'est ce que fait un gouvernement.* *Annexer progressivement ce qui appartient aux personnes, aux familles, aux associations privées, c'est ce que fait l'administration d'État.* *Quand il y a confusion du gouvernement et de l'administration, et absorption de celui-là par celle-ci, l'État travaille* (*et c'est même la chose à laquelle il travaille vraiment*) *à devenir le maître unique et absolu des corps, des esprits, des écoles et des métiers. C'est l'esclavage moderne.* \*\*\* *Dans tous les domaines, l'État laïque, anonyme et totalitaire, tend à absorber les activités et les responsabilités privées.* LA VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE *a raison de souligner que, dans les entreprises, les centres d'apprentissage sont menacés.* *Tous les métiers sont en péril.* *Les médecins n'ont même pas été consultés sur l'élaboration du projet de réforme de la médecine !* *M. André Frossard note à ce sujet dans* L'AURORE *du* 14 *janvier :* Le conseil national de l'ordre des médecins s'étonne, et se plaint, de n'avoir pas été admis à participer aux discussions ministérielles qui ont abouti au découpage de la médecine française en deux tranches inégales : la médecine nationale à prix fixe, remboursable par la sécurité sociale, et la médecine du secteur libre, entièrement à la charge du client. Mais si le gouvernement devait recueillir l'opinion des compétences chaque fois qu'il a une décision à prendre, il ne déciderait jamais rien. Quelle idée vous faites-vous de la démocratie ? Nous ne sommes plus, que diable, sous l'ancien régime, où c'était toute une histoire de modifier le cérémonial ordinaire de la fête patronale des aplatisseurs d'édredons. Auriez-vous déjà oublié la Nuit révolutionnaire du 4 août, durant laquelle la noblesse a solennellement aboli les privilèges du Tiers-État ? 117:11 Pas plus qu'il ne consulte le contribuable avant d'établir un nouvel impôt, un gouvernement d'aujourd'hui ne consulte le médecin sur la médecine ; il n'interrogera pas davantage, demain, le biologiste sur l'opportunité de délivrer aux citoyens une carte de maladie donnant droit chaque année, contre ticket à trois millions de microbes, quarante heures de virus et une jambe cassée (obligatoire). *La plupart des métiers sont presque totalement sans moyens de défense, parce qu'ils n'ont pas d'organisation corporative.* *La profession médicale a quelque chose qui ressemble à un ordre corporatif : dans cette mesure elle se défend mieux.* *Les nécessités de la légitime défense des métiers feront peut-être naître, dans la lutte pour la vie, dans la résistance à l'État, la première esquisse d'une organisation corporative professionnelle.* *Le péril qui menace l'enseignement est exactement de même nature. Il est plus grave et plus scandaleux. Il se heurte heureusement à l'existence d'organisations familiales. Celles-ci combattent pour une liberté sacrée. En faisant échec au socialisme sur un point décisif, elles combattent aussi, par le fait même, pour toutes nos libertés.* *Nous invitons tous nos lecteurs à rejoindre les organisations familiales de leur paroisse et à militer dans leur sein.* ~===============~ #### PARMI LES LIVRES REÇUS - Claude NAUROIS : *Dieu contre Dieu ?* (Le drame des catholiques progressistes dans une église du silence ; préface de Mgr Lemaire, Supérieur général des Missions étrangères de Paris ; Éditions Saint-Paul, Fribourg, Paris.) - Odette PHILIPPON : *Le trafic des femmes* (Téqui). - Jean DAUJAT : *La Grâce et nous chrétiens* (Fayard). - Robert RUMILLY : *L'infiltration gauchiste au Canada français* (118, avenue Lazard, Montréal 16, Canada). - Paul SCORTESCO : *Occident, tu perds la face !* (Éditions Etheel). - Alain LE BRETON : *Le pain de la joie* (poèmes, éditions Debresse). - Gabriel GERMAIN : *Chants pour l'âme de l'Afrique* (Éditions Debresse). - et : Henri POURRAT : *Le Trésor des contes*, tome VII (Gallimard). Parmi les 76 contes de ce tome VII, nos lecteurs retrouveront avec plaisir trois contes qu'Henri Pourrat avait d'abord publiés dans *Itinéraires* : le conte de l'Annette, le conte de Saint Pierre et les blés et le Fondeur de vieilles. #### PARMI LES LIVRES NON REÇUS. -- Jean-Yves CALVEZ : La pensée de Karl Marx (Éditions du Seuil). -- La Bible de Jérusalem (Éditions du Cerf). -- Gaëtan BERNOVILLE : Lourdes, cité des âmes (Fayard). 118:11 ## Note de gérance A TOUS, MERCI ! Dans notre précédente « note de gérance », nous vous exposions 1. -- qu'il fallait que le rythme de rentrée des abonnements nouveaux se maintienne en février, pour assurer la parution mensuelle sur 96 pages ; 2. -- qu'EN OUTRE, avec mille abonnés de plus, la parution mensuelle sur 128 pages serait assurée. Pendant que ce message à nos amis était rédigé, puis composé, imprimé, broché, expédié, pendant toutes ces journées venait par avance la réponse que vous y faisiez. L'indispensable était atteint et dépassé au début de février. Les mille abonnés de plus que cet indispensable nous arrivaient. Ils nous arrivent chaque jour. Ils ne sont pas mille encore. Mais presque. Ce n'est donc pas une imprudence majeure d'écarter la réduction à 96 pages à laquelle nous nous étions un moment décidé, et d'envisager au contraire dès maintenant une parution mensuelle sur 128 pages environ. \*\*\* LA RÉPONSE NETTE. que nous attendions du public depuis un an, la voici donc qui commence à s'affirmer. Nos lecteurs et amis nouveaux ont pris le relais dans la campagne pour les abonnements. Nos lecteurs et amis du début ont, souvent, poursuivi ou renouvelé leur effort. Chaque jour, de nouveaux lecteurs découvrent avec une surprise infinie que nous ne sommes, malgré tout ce qu'on leur avait raconté, ni des bandits, ni des polémistes, ni des sectaires. (Je n'ai pas besoin de vous dire ce qu'ils se mettent alors à penser de ceux qui leur avaient raconté ces histoires à dormir debout.) Il est maintenant confirmé que notre audace initiale, en lançant *Itinéraires* sans capital, sans publicité, sans appui commercial, était grande, elle n'était pas folle. Un public existe, qui VEUT que la revue *Itinéraires* continue et qui veut LUI EN DONNER LES MOYENS. Ce public, le seul problème est de l'atteindre. Nous n'en avons encore atteint qu'une partie, peut-être seulement le quart ou le cinquième. Cela suffit pour assurer l'existence de la revue. Mais maintenant, ELLE DOIT GRANDIR. 119:11 Nous pouvons répéter, avec une certitude accrue : UN PUBLIC TRÈS VASTE, TRÈS NOMBREUX, EST DISPOSÉ A LIRE ET A SOUTENIR LA REVUE : IL FAUT LA LUI MONTRER, IL FAUT L'EN SOLLICITER, AVEC PATIENCE ET PERSÉVÉRANCE. \*\*\* ET LA VENTE AU NUMÉRO ? Nous n'en sous-estimons nullement l'importance. Elle coûte à peu près autant qu'elle rapporte : c'est pourquoi nous l'avons limitée Mais elle est fort utile pour atteindre un plus large public c'est pourquoi nous ne la négligeons pas. Actuellement, la revue *Itinéraires* est mise en vente chez certains dépositaires des N.M.P.P., principalement dans le villes universitaires. En outre, tout dépositaire local des N.M.P.P., quel qu'il soit et où qu'il soit, fournit la revue quand on lui en fait la commande. Ainsi, celui qui déjà connaît, fût-ce par ouï-dire, la revue et désire l'acheter au numéro peut se la procurer partout. C'est déjà beaucoup. Ce n'est pas assez. Nous devons en ce domaine progresser prudemment et lentement. Pour mettre la revue plus largement en vente au numéro, ce qui représente un effort et un risque financiers, il nous faut avoir d'autre part une plus large assise d'abonnements et d'abonnements de soutien. \*\*\* DANS le domaine matériel de la vente et de la diffusion, LA REVUE DOIT GRANDIR. Elle est en chemin : ELLE GRANDIT. Il est très important qu'elle s'affirme de cette manière-là aussi. Ce qui demeure décisif, c'est toujours le recrutement d'abonnés nouveaux et la souscription d'abonnements de soutien : ce recrutement, cette souscription mesurent nos possibilités matérielles. Un pas considérable vient d'être fait. Il faut maintenant continuer d'aller de l'avant. Nous vous tiendrons au courant. J. M. 120:11 ## AVIS PRATIQUES I. -- La revue n'a jamais accepté et n'accepte pas de publicité payante. Les livres signalés ou recommandés, même sous forme de « placards » encadrés, le sont uniquement par décision de la rédaction. La publicité que nous faisons à certains ouvrages plutôt qu'à d'autres est entièrement gratuite, et donc entièrement libre. Il est inutile de nous adresser quelque demande que ce soit à ce sujet. On peut seulement nous envoyer en « service de presse » un exemplaire des ouvrages que l'on estime devoir retenir notre attention. II. -- Le livre de l'Enquête sur le Nationalisme paraîtra fin mars, avec une préface inédite de Jean Madiran. Pour le commander, prière de ne pas s'adresser à la revue, mais aux Nouvelles Éditions Latines, 1, rue Palatine à Paris. III. -- Les changements d'adresse (accompagnés de 45 francs en timbres), les abonnements, les réabonnements doivent nous parvenir avant le 15 du mois pour pouvoir intervenir dès le numéro suivant. Sinon, ils ne peuvent intervenir qu'avec le numéro qui paraît deux mois plus tard. ============== Fin du numéro 11. [^1]:  -- (1). Il y a eu, dans le n° 6 d'*Itinéraires*, l'article de Marcel Clément : Étapes vers le progressisme, auquel on se reportera utilement. [^2]:  -- (1). Montuclard, *Les événements et la foi*, p. 57. [^3]:  -- (2). Cité (et critiqué) par le P. Bigo, *Revue de l'Action populaire*, mai 1955, page 522. [^4]:  -- (3). *Les Prêtres Ouvriers*, Éditions de Minuit, Paris, 1954. [^5]:  -- (4). *Esprit*, novembre 1954, page 592. définissant (sans l'approuver) « la conclusion du P. Montuclard ». [^6]:  -- (5). « (On affirme...) que, si l'Évangile est vrai, la condition prolétarienne n'empêche point de reconnaître cette. vérité et de la vivre. Qui donc a prétendu le contraire ? » (*Actualité religieuse* du 1^er^ mai 1955). Qui donc ? Mais justement : tout le progressisme doctrinal. [^7]:  -- (1). *Paris-Presse* du 16 juin 1951. [^8]:  -- (1). P. BIGO, *Marxisme et humanisme*, Paris, 1954, page 261. [^9]:  -- (2). Georges HOURDIN, *Le Monde*, 8 janvier 1956. [^10]:  -- (1). Pie XII, Message du 23 décembre 1956. [^11]:  -- (1). Saint Jean, XVII, 9-22. [^12]:  -- (2). cf. *Itinéraires* n° 9 (janvier 1957) pp. 20-39. [^13]:  -- (3). Pierre BOUTANG : « La physique politique », *Nation française* du 16 Janvier 57, p. 2. [^14]:  -- (4). Souligné dans le texte. [^15]:  -- (5). *Les Libertés françaises*, pp. 45-46 Juin 1956). [^16]:  -- (6). Il s'agit, d'après le contexte, des luttes et pour l'instauration de « l'ordre corporatif professionnel » et pour faire reculer la « socialisation de toutes choses ». [^17]:  -- (7). Message radiophonique du 14 septembre 1952 aux Autrichiens. [^18]:  -- (1). C'est le P. Bigo qui souligne. [^19]:  -- (1). Idem. [^20]:  -- (1). Voir P. Bigo, *L'Église en présence du communisme*, dans *L'Église et les civilisations*, textes de la Semaine des intellectuels catholiques de novembre 1955 (Pierre Horay, éditeur), pages 115 et 119-120. Cité et commenté dans *Itinéraires*. n° 6, pages 68-73. [^21]:  -- (1). *Clio*, édition Gallimard, 1932, page 9. [^22]:  -- (1). Dans *La Croix* du 23 janvier, M. Lucien Guissard fait une présentation très sympathique et très élogieuse du livre du P. Calvez. Sur la réfutation de *Marxisme et humanisme*, M. Guissard note seulement : « *Le R.P. Calvez ne partage d'ailleurs pas tous les points de vue du R.P. Bigo.* » Voilà un fameux exemple de la figure de rhétorique nommée litote. On comprend et on approuve cette discrétion de la part de *La Croix*. Elle n'enlève d'ailleurs rien à sa fermeté sur le fond. Dans son paragraphe de conclusion, M. Guissard reprend et approuve, sans dire qu'il s'agit du P. Bigo la critique fondamentale du P. Calvez : « *Ce trop bref aperçu sur un ouvrage si important ne peut se terminer sans dire que le R.P. Calvez conteste la possibilité d'une séparation entre les catégories économiques du marxisme et son athéisme. Une telle opération n'est pas imaginable au plan de la doctrine. Si elle devait se réaliser au plan de l'action historique nous serions en présence d'autre chose que le marxisme. A une époque d'adaptations politiques, de schismes plus ou moins tolérés dans le monde communiste, il est bon de garder présente à l'esprit cette cohérence de la pensée de Marx. Les disciples ont trop bien durci la tradition venue du maître pour abandonner le maillon central de la chaîne : l'athéisme.* » *Oui, c'est bien cela que le P. Calvez a démontré contre le P. Bigo.* [^23]:  -- (1). On confrontera utilement avec les critiques du P. Calvez l'article entier de Louis Salleron sur *Marxisme et humanisme *: voir *Itinéraires*. n° 10. [^24]:  -- (1). Voir *Itinéraires*, n° 3, pages 108-110, et n° 5, pages 156-157. [^25]:  -- (1). Je n'ai rien à dire ni pour ni contre la Bible de Jérusalem, du moins pour le moment, sauf une remarque que voici. On sait qu'il existe parmi les chrétiens un mal mystérieux, l'intégrisme, qui présente cette caractéristique étonnante de n'avoir jamais attiré l'attention du Magistère romain qui ne le nomme nulle part. Cette distraction du Magistère est jugée d'autant plus sévèrement, par certains docteurs français, que leurs recherches érudites découvrent à l'intégrisme une amplitude historique sans cesse accrue. Dans les Études de juillet-août 1956. le P. Rouquette nos a révélé que l'intégrisme existait déjà dans « le Paris intellectuel du XVI^e^ siècle ». Mais ce n'était rien encore. La Bible de Jérusalem, dans son Introduction aux Épîtres de saint Paul, nous apprend maintenant que l'intégrisme sévissait déjà aux temps apostoliques, et que plusieurs passages des Épîtres sont écrits contre lui. Je n'ai rien contre l'esprit de canular, mais je suis abasourdi des lieux où il se manifeste parfois. [^26]:  -- (1). La « sélection », en effet, mentionne aussi bien des rééditions : par exemple celle, effectivement très importante, des *Quatre essais sur l'esprit* de Jacques Maritain (Alsatia). [^27]:  -- (2). Sur ce livre, qui apporte à la pensée catholique française ce qui lni manque peut-être le plus, voir l'éditorial de notre n° 6. [^28]:  -- (3). Dans *Itinéraires,* n° 3, pages 16-17. [^29]:  -- (1). Il nous reste encore quelques tirés il part de cet article de Marcel Clément. commandes uniquement par correspondance et seulement par quantités. Les 10 exemplaires : 150 francs ; les 50 exemplaires : 650 francs ; les cent exemplaires : 1.000 francs. Commandes et versements à l'intitulé suivant : *Itinéraires,* C.C ; P Paris, 13.355.73, 4, rue Garancière, Paris VI^e^. [^30]: **\*** -- Original : *André*. \[2007\]