# 14-06-57 2:14 ## ÉDITORIAL ### Ce que nous faisons SANS la revue *Itinéraires,* certains événements passeraient inaperçus, et les efforts pour les faire connaître demeureraient isolés. Ce ne sont pas des événements que l'on trouve à la première page des journaux ; ou quand par exception ils y figurent un instant, ils sont déformés au point d'en être méconnaissables. C'est pourquoi ils sont ici étudiés méthodiquement et proposés à la méditation. La manière dont la plupart des publications, même catholiques, se sont systématiquement abstenues de donner son relief et son importance à la Fête chrétienne du Travail suscite diverses réflexions : leur conclusion pratique est que nous avons à remplir une tâche singulière et immense, pour laquelle nous ne demanderons jamais assez d'aide. A Dieu d'abord. Et à tous ceux qui sont en mesure de nous apporter leur renfort. \*\*\* QUELLE carence presque générale, lors de ce Premier Mai 1957. Quelle carence sociale. Quelle carence de l'esprit et du cœur. Un mois à l'avance, dans notre numéro 12, en deux éditoriaux, nous nous étions efforcés de dire ce qu'est et doit être le 1^er^ mai chrétien : on peut aujourd'hui les relire et les comparer. Les comparer au silence partiel ou, plus souvent, *total,* au silence effroyable de ceux qui ont quasiment monopolisé le « social » et les « instruments de diffusion » et qui sont terriblement rétrogrades. Rétrogrades et distancés. Distancés par le Pape : mais pourquoi ne le suivent-ils pas ? ([^1]). 3:14 Ce mois de mai qui vient de s'achever, ce mois de la Très Sainte Vierge, nous apportait la Fête du Travail et la Fête de la Patrie. La Fête chrétienne du Travail le 1^er^ mai, la fête de la sainte de la Patrie le dimanche 12 mai. Que penser vraiment d'un hebdomadaire catholique, que nous ne nommerons pas, qui *ignore* ces deux fêtes ? Qui ignore à la fois la fête de saint Joseph artisan et la fête de sainte Jeanne d'Arc ? Que penser d'un hebdomadaire catholique qui a fait un numéro spécial sur le Premier Mai, sans un mot pour la Fête chrétienne du Travail ? En mai 1957, la France a fêté sainte Jeanne d'Arc, a fêté saint Joseph artisan dans le *silence* de ceux qui ont pour fonction, ou pour métier, de parler. Ce silence est une des formes de la nuit où maintenant le monde se trouve plongé, et qui est particulièrement manifeste en France : et c'est normal, car ce sont toujours des voix françaises qui ont percé certains silences, ce sont toujours des lumières françaises qui ont percé certaines ténèbres. Quand la France se tait, quand la France ne donne plus sa lumière, il se fait un silence et une nuit épouvantables. Qui s'épaississent encore lorsque la France parle à contresens, donne une fausse lumière, et met au service du mensonge les vertus et les dons de sa vocation. 4:14 Nous sommes plongés dans « *cette nuit qui est tombée sur le monde et qui oppresse les hommes* », selon la parole du Saint-Père, le jour de Pâques 1957. Cette nuit était en France atrocement sensible, à l'unanimité presque complète des abstentions et des silences le 1^er^ mai. Aux silences et aux abstentions du 12 mai. \*\*\* L'ŒUVRE sociale du Pape Pie XII, œuvre capitale, est méconnue ou ignorée. Elle est à peu près aussi ignorée ou méconnue, en fait, que le fut *Rerum novarum* par les contemporains de Léon XIII. Après trois quarts de siècle, on s'étonne ou on s'indigne que les avertissements sociaux de Léon XIII aient été si mal compris ou si négligés ; si lents à trouver l'adhésion des catholiques. Et dans le temps même où l'on s'indigne, où l'on s'étonne, *le même phénomène recommence* pour les avertissements sociaux de Pie XII. Si ce phénomène n'est pas contrarié et surmonté rapidement, il aura une fois encore des conséquences aussi tragiques. Ou plus tragiques même. Nous en avons parlé, nous en reparlerons. Nous ne prétendons pas le faire parfaitement : nous le faisons autant qu'il est en nous, à notre place et selon notre état. Nous croyons simplement que nous le faisons mieux que ceux qui ne le font pas du tout. \*\*\* MAIS cela, et d'autres choses analogues, nous donne le droit et le devoir d'attirer explicitement l'attention du lecteur non pas sur nos personnes, qui sont ce qu'elles sont, mais sur l'œuvre ici entreprise. Nous répétons que nous avons besoin d'aide. La diffusion de la revue *Itinéraires,* le recrutement d'abonnés nouveaux et de souscriptions de soutien, sont indispensables à ce que nous faisons. Car nous ne le faisons pas pour avoir une belle collection dans une bibliothèque, nous y complaire et y chercher une justification personnelle. Nous le faisons pour faire connaître ce qui doit être connu. Le lecteur qui aura compris notre entreprise comprendra aussi qu'il a lui-même quelque devoir sur ce point. 5:14 Beaucoup de Français, nous disons *beaucoup,* seraient d'emblée des nôtres si seulement ils connaissaient la revue *Itinéraires.* Ils y trouveraient ce que présentement ils attendent plus ou moins consciemment. Nous invitons donc tous nos lecteurs à un effort de souscription, à un travail de diffusion absolument nécessaires pour que notre entreprise atteigne sa dimension réelle et pour qu'elle ait son plein effet. \*\*\* VOICI un autre événement dont on parlera peu, ou pas du tout, ailleurs qu'ici ; un événement de la même catégorie, qui touche aux réalités les plus profondes et les plus méconnues : la parution du livre d'Henri Charlier. Il concerne l'art chrétien, et c'est une préoccupation capitale en elle-même : qu'elle soit étudiée par quelqu'un de compétent, comme artiste, et comme artiste chrétien, oui, cela est un événement tout à fait rare. Mais de plus, le livre d'Henri Charlier apporte de vives lumières sur le monde moderne, sur la société dans laquelle nous vivons, sur les contresens catastrophiques commis par les intellectuels catholiques, sur les principes et les moyens d'une réforme intellectuelle qui est nécessaire non seulement pour l'art profane et pour l'art chrétien, mais pour tous les domaines de l'activité contemporaine. Même les esprits les plus éloignés des problèmes de l'art ont beaucoup à découvrir, beaucoup à apprendre dans le livre d'Henri Charlier. Henri Charlier n'écrit guère, et il n'a peut-être jamais tant écrit que depuis qu'il s'y est astreint pour la revue *Itinéraires.* C'était une grande chance pour nous-mêmes et pour nos lecteurs. C'est une grande chance pour tous nos contemporains. Nous pouvons bien profiter de cette occasion pour l'en remercier publiquement, et pour convier le public à méditer l'une des pensées les plus profondes de notre temps. Henri Charlier avait publié un volume important : *Culture, École, Métier,* qui est épuisé chez l'éditeur et qu'il faudra rééditer. Nous parlerons prochainement de son *Martyre de l'art,* ou plutôt nous publierons ce qu'il dit de lui-même, et les réponses qu'il a faites aux questions que nous lui avons posées. 6:14 On en pénétrera d'autant mieux le contenu que l'on aura déjà fait au moins une première lecture du livre. Que la pensée d'Henri Charlier soit exprimée par écrit et qu'elle soit connue comme elle doit l'être, cela est bien certainement un événement dont chacun pourra mesurer, d'abord sur lui-même, l'importance pratique. \*\*\* Le drame de l'Algérie. Les événements dont nous parlons ne sont pas ceux dont on parle ordinairement. Nous n'entendons pas pour autant nier l'importance immédiate, la portée souvent dramatique de ceux qui figurent (presque toujours déformés) à la première page des journaux. Ni détourner ou distraire ceux qui s'occupent d'y faire face. Au contraire : nous leur suggérons un approfondissement, une dimension supplémentaire, qui commandent notre destin de chaque jour. La tragédie algérienne nous y invite de façon pressante. On ne s'avise guère, semble-t-il, que la présence et la fonction de la France en Algérie n'ont même plus une signification manifeste sur laquelle s'accordent les Français ; n'ont même plus un *nom* pour les désigner. Cette constatation n'interrompt nullement le devoir quotidien et permanent de maintenir ou de rétablir, dans les territoires dont nous avons la charge, la sécurité des personnes et des biens (la rétablir, la maintenir par la force, car c'est notamment par la force que l'on peut dans le temporel servir la justice). Mais cette constatation nous convoque simultanément à l'examen de conscience. La présence et la fonction de la France en Algérie ne peuvent être officiellement définies et nommées comme une présence et une fonction *chrétiennes,* puisque, et dans la mesure où, l'État français est laïque, et impose même en Afrique le totalitarisme d'un « ministre de l'Éducation » et d'une école matérialiste et athée. L'État français tire argument et fierté du nombre d'écoles qu'il y construit : il est vrai que ces constructions témoignent, en elles-mêmes, d'une volonté qui n'est pas d'oppression ni d'exploitation « colonialistes » ; mais elles sont l'instrument d'une entreprise qui contredit activement la vocation chrétienne de la France. 7:14 La présence et la fonction de la France en Algérie ne peuvent officiellement être définies et nommées comme une présence et une fonction *françaises :* les populations musulmanes d'Algérie sont « françaises » elles aussi, nous leur avons donné cette citoyenneté et ce titre. D'autre part, défendre en Algérie les positions militaires, économiques ou politiques d'un impérialisme national n'est nullement dans les intentions avouées ou secrètes de l'État et du gouvernement français. Un tel impérialisme, en outre, quand il est détaché de toute référence à Dieu, de toute soumission à la loi divine, de toute reconnaissance d'une vocation chrétienne, ne conduit jamais qu'à des impasses et des échecs. Il existe en Algérie une population que l'on peut nommer, avec suffisamment d'exactitude, une population musulmane. Mais l'autre population d'Algérie, celle qui vient de chez nous, *n'a plus de nom* officiellement : qu'est-ce qui la distingue, qu'est-ce qui la définit ? Elle ne peut être nommée *chrétienne :* elle l'est pourtant, de conviction, ou de tradition, -- de civilisation. Mais les institutions et la philosophie de la République française font du christianisme une affaire strictement personnelle et privée, et LUI NIENT TOUTE RÉALITÉ PUBLIQUE. Elle ne peut être nommée *française,* puisque les institutions et la philosophie de la République font de la population musulmane d'Algérie une population également française. La France, -- la France telle qu'elle est actuellement gouvernée et enseignée, -- a retiré aux chrétiens d'Algérie jusqu'à leur nom et refuse de *reconnaître* ce qui les caractérise et les définit. Elle ne sait plus, ou ne veut plus savoir, ce qu'ils sont. Ce n'est pas là une simple difficulté de vocabulaire : la confusion du vocabulaire ne fait en l'occurrence que traduire et manifester une confusion plus profonde. Les autorités civiles et autres de la République française sont condamnées présentement à ne dire, au sujet de l'Algérie, que des non-sens : mais ce n'est point simplement par une désorganisation superficielle du langage. C'est par une désorganisation de l'esprit, par une dévastation de la conscience. 8:14 Si les mots eux-mêmes viennent à nous manquer, ce n'est point par quelque faiblesse d'ordre littéraire. C'est parce que, pour exprimer l'absurde, on ne trouve que des mots absurdes. Parler d'édifier en Algérie une communauté « franco-musulmane » est doublement absurde. Premièrement parce que les musulmans ont été faits « français » eux aussi. Secondement parce que « français » désigne une nationalité et « musulman » l'équivalent d'une religion, les deux termes ne sont pas sur le même plan. Il faudrait dire en vérité que la République française veut édifier une communauté « LAÏCO-MUSULMANE » : cela du moins aurait un sens, et un sens malheureusement assez conforme à ce que souvent l'on a tenté en fait. Mais on n'ose pas le dire aussi clairement. On n'ose pas l'avouer. Et d'autre part, les catholiques qui répètent comme des perroquets l'absurde formule d'une « communauté franco-musulmane » pour camoufler à leurs propres yeux une réalité « *laïco-musulmane* » seraient dans l'obligation de ne plus accepter cette réalité si elle perdait son camouflage verbal. La présence française en Afrique est *par vocation* une présence chrétienne. Il y a aujourd'hui un immense décalage entre cette vocation et la situation de fait. Les difficultés les moins aisément surmontables que nous connaissons en Algérie proviennent de ce décalage. \*\*\* Un accord sur la loi naturelle ? L'infidélité à la vocation n'a pourtant point pour effet d'abolir la *situation,* et ses conséquences, et ses devoirs. Il est vrai que la présence française n'est justifiée en Afrique que dans la mesure où elle est une présence chrétienne. Mais, même non reconnue par la République, même affaiblie dans sa substance, même terriblement laïcisée, la présence française reste encore une présence de civilisation, chrétienne. 9:14 De plus, la situation est celle-ci : la France, bien qu'actuellement fort peu consciente de sa vocation chrétienne, a en fait la charge politique des territoires algériens. Elle ne sait plus très bien *pourquoi* elle a cette charge. Elle constate simplement que cette charge est *un fait.* Ce fait commande de s'acquitter d'une telle charge au moins selon l'état actuel des consciences, à défaut de mieux. A savoir : imposer en Algérie le respect de la loi naturelle. On ne sait plus très bien ce qu'elle est. On a oublié qu'elle a été inscrite par Dieu dans l'âme humaine. On en a néanmoins gardé quelque chose, imparfaitement, incomplètement, quelque chose tout de même, et que la République française ne conteste pas, et qu'elle reconnaît, et qu'elle admet. Le respect de la vie humaine. Cette forme élémentaire de sécurité qui consiste à interdire aux hommes de s'entre-tuer et à leur procurer les moyens de gagner leur pain quotidien. Cela du moins est hors de discussion. Ce minimum de justice est d'ailleurs, tout élémentaire qu'il soit, un bienfait capital, et sans cesse menacé. Le défendre, le rétablir ; le maintenir est une tâche militaire et politique que la République française ne pourrait abandonner sans commettre un crime épouvantable, une inexpiable trahison, une forfaiture sans rémission. Des propagandes et des manœuvres l'invitent pourtant à cet abandon, et tentent d'y incliner l'opinion : les combattre est un devoir politique tout à fait immédiat. Nous y aidons quant à nous selon nos moyens. *Mais simultanément,* nous proposons davantage. Outre le commun devoir civique immédiat, nous avons une fonction propre, qui est de rendre témoignage à une vérité plus profonde. \*\*\* Le devoir et le réel. Par le drame algérien, la France peut constater aujourd'hui qu'elle ne sait plus ce qu'elle est. Elle ne sait plus ce qu'est une nation chrétienne et elle ne sait plus qu'elle en est une. Par suite, elle ne sait plus ni ce qu'elle fait ni ce qu'elle doit faire. Le sens du devoir qui subsiste chez beaucoup de Français n'est lui-même ni officiellement *reconnu,* ni soutenu, ni honoré : on le laisse exister (et encore pas toujours) à titre de particularité personnelle. 10:14 Parfois ou souvent, les autorités administratives sont heureuses de le rencontrer, de l'utiliser, de pouvoir faire confiance à des hommes qui tiennent leur parole et qui obéissent aux ordres reçus. Parfois aussi, les mêmes autorités y trouvent une gêne ou un obstacle pour leurs pratiques et leurs combinaisons. De toutes façons, les autorités de la République ne savent plus ce qui fonde le sens du devoir et ce qui peut le développer. Elles n'y voient qu'un phénomène tantôt souhaitable et tantôt embarrassant, mais parfaitement incompréhensible ; un instinct ou un hasard, une conformation singulière, qui se manifeste ici ou là, et point ailleurs. Les autorités de la République ne croient plus guère qu'à la « course au bonheur », et en conséquence elles ne comprennent rien au drame algérien ni à ce qui se passe dans le monde. Elles encouragent la diffusion, dans les écoles et dans l'opinion, des idéologies les plus vaines, pourvu qu'elles aient l'air de pouvoir combler le vide des consciences. Pareillement, on ne nous a jamais tant parlé des beautés de la « foi adulte » que depuis le grand affaiblissement de la Foi tout court. Et jamais tant parlé d'un catholicisme dont la spécificité serait d'être « social » que depuis la crise interne du catholicisme tout court. Et jamais tant parlé de la pureté des consciences que depuis qu'elles sont désertes. Et de tout ainsi. On ne veut plus penser à rien, bien que penser soit la caractéristique de l'homme, et l'on s'en est rendu incapable : penser n'est pas autre chose que connaître et interpréter les faits réellement existants. C'est une opération pleine de modestie et d'humilité. Elle est diamétralement opposée, ou directement contraire, aux opérations de publicité idéologique par lesquelles, même dans les organisations catholiques, on s'imagine aujourd'hui que l'on pourra commander aux faits eux-mêmes, sans les connaître autrement que par la place et la forme que leur donnent les scolastiques rabâchées des idéologies régnantes. Régnantes sur les esprits, ou sur ce qu'il en reste, mais point sur le cours des événements, qui se venge d'être méconnu. \*\*\* 11:14 Notre effort. C'est là que se situe le principal effort de la revue *Itinéraires.* De bons apôtres viennent nous dire que dans notre innocence, et sans avoir l'air d'y toucher, nous traversons, nous transperçons des problèmes extrêmement compliqués où eux-mêmes sont occupés, immobilisés, égarés. Ils se plaignent que nous ayons renversé par mégarde la table où ils avaient installé leurs graphiques et leurs jeux. Ce n'est point par mégarde, c'est très délibérément que nous bousculons les constructions intellectuelles, les châteaux de cartes idéologiques interposés entre la conscience des Français, d'une part, et d'autre part les réalités actuelles de la Patrie et les réalités permanentes de la Foi. Les réalités permanentes de la Foi sont celles que l'Église propose à notre attention par sa prière et par sa doctrine. Les réalités actuelles de la Patrie s'inscrivent dans le décalage entre la situation présente et la vocation chrétienne de la France. Ces réalités requièrent des Français qu'ils se convertissent, chacun en commençant par soi cette tâche qui est au début, au milieu et à la fin, car elle est à la fois celle qui est la plus urgente et celle qui n'est jamais terminée. \*\*\* *Si vous ne faites pénitence vous périrez tous.* Les intellectuels et les politiques croient souvent qu'ils échappent, ou que du moins leur activité professionnelle échappe à cette règle. Le premier moyen de la leur faire comprendre est d'abord de s'appliquer soi-même à plus profondément la comprendre et la vivre. La préparation du centenaire de Lourdes est un immense événement qui peut nous y aider naturellement et surnaturellement. Cet événement lui non plus n'est guère mentionné par certains journaux : et pas du tout par les autres. D'une manière manifeste, il convoque les Français à la pénitence et à la conversion, mais précisément on l'empêche de se manifester, ou on néglige de participer à sa manifestation. 12:14 C'est pourquoi nous y avons insisté à plusieurs reprises : il n'est pas trop tôt. Il n'est jamais trop tôt, et presque jamais trop tard, dans la vie chrétienne. Nous vivons une époque bizarre, qui n'est pas de persécution directe et physique, du moins en France, mais de décomposition et d'avilissement organisés. Les vérités les plus certaines sont « sociologiquement » réduites à l'état d'opinions discutables. Être pour la Patrie et contre ses ennemis est devenu une « option » légitime parmi d'autres. Prendre pour guide actuel l'enseignement actuel du Vicaire de Jésus-Christ est semblablement devenu une « option » permise, considérée comme une particularité personnelle que l'on veut bien tolérer (et encore pas toujours), à condition qu'elle ne se prétende pas plus fondée que les options différentes ou contraires (...) Nous voyons tous les jours d'éminents intellectuels qui constatent le DÉCALAGE entre le « résultat de leurs travaux » et la doctrine du Souverain Pontife : ils n'en concluent pas *ipso facto* qu'ils ont donc tort. Ils en concluraient plutôt le contraire. Ils s'installent en tout cas dans ce décalage, et le rangent au chapitre des divergences bien naturelles dans les opinions légitimes et les options permises. C'est ainsi que toute une nation, la nôtre, est amenée à perdre progressivement conscience des réalités les plus profondes de la Patrie et de la Foi. C'est ainsi qu'une nation chrétienne, la France, est amenée à perdre progressivement conscience d'elle-même, à perdre conscience de sa *réalité* pour ne plus apparaître que comme une représentation intellectuelle, que comme une opinion, que comme une « option » parmi d'autres. \*\*\* Les autorités religieuses de notre pays. Cette situation morale, ce déboisement des consciences, posent aux autorités religieuses de notre pays des problèmes non pas insolubles, mais qui réclament beaucoup de prudence. Nous n'avons pas à nous en mêler à ce niveau et à ce point de vue, sinon, simplement, pour comprendre, avec un esprit de filiale confiance, cette prudence attentive et précautionneuse. 13:14 Il arrive que des catholiques s'en étonnent, s'en indignent, ou du moins s'en impatientent : ils ont tort, premièrement, de se croire en mesure de juger ; ils ont tort, secondement, de ne pas s'apercevoir que les autorités religieuses ont le souci (et le devoir) de ne pas tuer le malade en frappant la maladie : et nous sommes arrivés à un point où cela sans doute est extrêmement délicat. Pour prendre une comparaison, il arrive qu'un chirurgien suspende toute intervention en raison de l'état du malade. N'allons pas presser le chirurgien d'intervenir sans retard, ni lui reprocher quelque complaisance pour ce tissu contaminé dont il retarde l'ablation. Il est compétent et responsable. S'il remise provisoirement son bistouri et se contente de quelques pansements anodins, s'il assure au malade qu'il ne va pas si mal que ça, c'est parce que pour le moment il ne croit pas pouvoir faire autrement. Il nous est fortement recommandé de le laisser faire. Il ne nous est pas interdit, au contraire, de prier pour lui. \*\*\* Options. Une fidélité entière à la Patrie, une fidélité absolue à l'enseignement contemporain du Souverain Pontife nous sont permises à titre d'options personnelles. Mais qu'avons-nous besoin de demander davantage, puisque précisément nous ne sommes pas des officiels et ne cherchons pas à le devenir. Qu'avons-nous besoin de plus ou d'autre chose, puisque notre dessein est de nous réformer et nous convertir nous-mêmes, et d'en répandre, s'il plaît à Dieu, la contagion. Nous savons bien, certes, que la Vérité demande aussi une reconnaissance officielle. Mais nous savons qu'une telle reconnaissance officielle serait vaine, ou plutôt impossible, -- ou menteuse, -- si elle ne se fondait sur une profonde adhésion personnelle des membres de la communauté nationale. Ce qui dépend de nous, c'est d'approfondir notre adhésion personnelle à la Vérité, et d'y inviter notre prochain. 14:14 Nous y travaillons comme nous pouvons. Nous engageons chacun soit à venir avec nous pour nous y aider, s'il le veut bien, soit à faire mieux de son côté, s'il en est capable. Nous n'avons ni ne recherchons aucune autorité, aucune juridiction sur les esprits ou sur les personnes. Il nous suffit d'exposer et d'argumenter, d'analyser et d'expliquer, de proposer à la liberté du lecteur le résultat de nos réflexions. \*\*\* L'esprit critique contre l'esclavage. Nous y mettons peut-être quelque esprit critique. Ce n'est pas une mauvaise chose, nous le disons non point par boutade mais *gravement,* car il s'agit d'une grave réalité. Dans l'état actuel de la presse, et des méthodes modernes de publicité intellectuelle, l'esprit critique est indispensable à quiconque lit régulièrement un journal. Sans esprit critique, il deviendrait à son insu moralement *esclave* du journal qu'il lit. Il n'est sans doute aucun journal, en aucun temps, qui mérite cet esclavage mental. Mais aujourd'hui moins que jamais. Les informations et commentaires publiés par les journaux ne doivent être acceptés que sous réserve d'examen méthodique ; ils sont faits pour être critiqués et jugés. Bien sûr, il arrive que des journalistes en soient fort mécontents et même qu'ils cherchent à s'en venger par divers moyens. Mais cela est sans importance. Sinon pour eux, qui tôt ou tard s'y trouvent quinauds. \*\*\* Vous qui nous lisez... Pour toutes ces raisons, il nous paraît utile et même indispensable que la revue *Itinéraires* soit connue de tous ceux à qui elle peut être de quelque utilité. Nous n'avons pas les moyens de les atteindre tous du premier coup : car ces moyens se ramènent à un seul, qui est l'argent, et son immense pouvoir dans la société actuelle. L'argent qui est le moteur de la publicité sous toutes ses formes. 15:14 On voit des publications, et même des revues mensuelles, apparaître avec un tirage de lancement de 200.000 exemplaires ou davantage : volontiers d'ailleurs, elles exposent qu'elles sont du côté des pauvres contre les riches, ou du côté de l'esprit contre l'argent, et que les capitalistes, bien entendu, c'est nous-mêmes. Ainsi va le monde, il n'y a pas à s'en indigner outre mesure. Ces riches moyens de diffusion ne nous ont pas été donnés, et c'est sans doute mieux ainsi. Nous en avons d'autres, qui se ramènent, eux, à l'amitié, à l'activité, au dévouement de nos lecteurs. A l'obligation où nous sommes de leur rappeler que l'influence intellectuelle et l'existence matérielle de la revue *Itinéraires* dépendent de leur bonne volonté et de leurs efforts. Cette humble condition qui est la nôtre, nous l'assumons volontiers. Ce que nous faisons a déjà eu quelques résultats notables. Nous ne prétendons pas, comme d'autres, que nous sommes « seuls » à le faire, nous n'insinuons pas que nous le ferions parfaitement. Nous remarquons que l'existence de la revue *Itinéraires* encourage ceux qui étaient malheureusement trop timides et rend plus prudents ceux qui étaient malencontreusement trop audacieux. Nous remarquons en outre que pour assurer, pour étendre, pour approfondir de tels résultats, et pour en atteindre d'autres, il nous est indispensable de multiplier le nombre de nos abonnés. Telles sont les mœurs intellectuelles aujourd'hui : le nombre d'abonnés fait au moins autant d'impression sur les esprits que le bien-fondé des raisons exprimées. Nous en avertissons nos lecteurs en toute simplicité : puisque cela dépend d'eux. La collaboration qu'ils nous apporteront par là sera extrêmement efficace. Nous les prions d'y pourvoir. Ce que nous faisons requiert ce renfort de tous. Car ce que nous faisons n'est en somme que faire connaître quelques vérités fondamentales, qui commandent le salut des individus et des nations. Ce que nous faisons n'est en somme que faire connaître les événements qui manifestent ces vérités fondamentales, et les pensées qui leur rendent témoignage. De cette tâche, une part essentielle revient à nos lecteurs : faire connaître et reconnaître la revue *Itinéraires* par tous ceux qui l'attendent sans le savoir encore. ITINÉRAIRES. 16:14 ## CHRONIQUES 17:14 ### Un « sed contra » pour Marcel Clément DEPUIS LONGTEMPS, mais plus encore depuis la publication de son livre *Le Chef d'entreprise,* Marcel Clément me paraît mettre en œuvre la doctrine sociale de l'Église avec une vigueur, une lucidité, une exactitude qui manquent à beaucoup et que l'on n'aperçoit pas souvent, aujourd'hui, sur les mêmes sujets, chez d'autres auteurs. Je l'ai dit. J'ajoute que deux choses principalement me frappent. La première est que Marcel Clément, plus profondément il me semble que n'importe quel autre écrivain catholique français, a pris conscience de l'importance théorique et pratique que revêt l'enseignement de Pie XII : et qu'il nous fait comprendre la signification et la portée de cet enseignement, devant lequel plusieurs restent distraits parce qu'ils professent (à juste titre) qu'il n'y a jamais rien de nouveau dans la doctrine de l'Église et parce qu'ils s'imaginent (ce qui est plus discutable) que cette doctrine, ils l'ont apprise une fois pour toutes : ils administrent en quelque sorte ce savoir acquis en se privant des développements, des explicitations, des précisions et des applications que sans cesse l'Église nous propose. Secondement, Marcel Clément aborde hardiment les sujets les moins explorés, notamment dans *Le Chef d'entreprise,* les sujets parfois les plus délicats, à la lumière de l'enseignement pontifical. Il le fait sous sa seule responsabilité, n'engageant évidemment que lui-même. 18:14 Il appelle la discussion et la critique, car il ne s'imagine point être infaillible ; et ces questions sont complexes : les objections, la multiplicité des points de vue sont susceptibles d'en faire avancer l'étude méthodique. Il faudrait pourtant que les objections formulées soient sérieuses. Les hommes les plus savants ne sont pas toujours exempts de quelque légèreté accidentelle, de quelque précipitation provoquée d'aventure par des motifs extérieurs à l'analyse des textes et à l'examen des raisons. Un thomiste émérite a récemment condamné en Marcel Clément un « *surnaturalisme excessif* » : mais un autre théologien, aussi connu et beaucoup plus influent, appartenant d'ailleurs au même Ordre religieux, accuse au contraire Marcel Clément de « *laïciser la pensée de Pie XII* ». Ces deux reproches diamétralement opposés ne suffisent pas à prouver que Marcel Clément se tient sur la ligne de crête où passe la vérité : du moins, ils le suggèrent fortement. \*\*\* CE QUE MARCEL CLÉMENT apporte d'unique, me semble-t-il, dans la littérature catholique française, honore la revue *Itinéraires.* La revue a pu lui offrir un moyen d'expression régulier qui lui aurait peut-être été refusé ailleurs. Je dis peut-être : par discrétion ; par litote ; par indulgence. Grâce à *Itinéraires,* il devient de plus en plus difficile de maintenir autour des œuvres fondamentales de Marcel Clément la conspiration du silence qui était organisée, en France du moins, depuis une demi-douzaine d'années. Néanmoins, l'exercice du jugement intellectuel est une opération délicate. Il arrive, il arrive même souvent, que les esprits les plus distingués y soient quinauds. Notre époque de confusion mentale en multiplie les exemples, spectaculaires pour le public, cruels pour leurs auteurs. 19:14 A fortiori, je n'ai pour ma part aucune raison de me fier sans précaution ni vérification à mon sentiment propre. C'est pourquoi lai été attentif à quelques oppositions qui se sont manifestées récemment dans certains périodiques. Oppositions isolées, mais venant de deux points extrêmes de l'horizon catholique : d'une part *Économie et Humanisme,* d'autre part les *Nouvelles de Chrétienté.* On peut dire, avec la part d'approximation que comporte un tel langage, que ces deux publications catholiques sont l'une à l'extrême-gauche, l'autre à l'extrême-droite dans l'éventail des opinions divergentes. Parlant du *Chef d'entreprise,* la revue *Économie et Humanisme* ([^2]) a tranché avec une brutalité surprenante : « ...L'auteur distingue trois opinions : l'opinion de gauche, l'opinion de droite et l'opinion chrétienne. Sous cette dernière rubrique, *c'est évidemment sa conception personnelle* qu'il propose. *Le lecteur averti n'aura pas de peine à reconnaître qu'il ne s'agit pas de l'opinion chrétienne.* » On verra tout à l'heure pourquoi cette invocation, pleine d'assurance, du « LECTEUR AVERTI », est en réalité assez comique. Pour le moment, c'est la brutalité tranchante qui retient l'attention. La *Chronique sociale* elle aussi a cru devoir avancer que *Le Chef d'entreprise* relève d' « interprétations propres à l'auteur » : du moins elle l'a fait avec prudence, nuançant son jugement d'un « *il nous paraît* » qui est de bonne compagnie, et qui en tout cas laisse la porte ouverte au dialogue, à la confrontation, à la discussion. 20:14 Le jugement d'*Économie et Humanisme* est affirmé au contraire comme évident et sans appel. C'est bien catégorique. Moins pourtant que ne le sont les *Nouvelles de Chrétienté* ([^3]). Celles-ci s'en prennent non pas au *Chef d'entreprise* en particulier mais, beaucoup plus généralement, aux principes mêmes que Marcel Clément met en œuvre ; elles accusent, comme condamnée par l'Église, la perspective essentielle dans laquelle il développe ses études sociologiques, et qui est l'âme même de tous ses livres : à savoir, que les sciences sociales sont des sciences morales. C'est un procès fondamental, et une condamnation qui ne l'est pas moins. Elle aussi portée avec pleine assurance, affirmée comme évidente et sans appel. Des condamnations aussi sûres d'elles-mêmes ont provoqué en moi une grande inquiétude. #### Sed contra... Ayant rassemblé les objections, dont quelques-unes sont parfois formidables et apparemment décisives, saint Thomas écrit : « *Sed contra...* » Le contenu d'un *sed contra* n'est ni le tout d'une argumentation, ni même forcément son début. Il ne préjuge pas nécessairement de la manière dont on résoudra les objections. Il ne prétend pas les résoudre par lui-même. Le *sed contra,* qui est souvent une simple citation, apporte une raison sérieuse de ne pas croire que la cause soit entendue ; une raison déterminante de poursuivre l'examen, de mettre en doute les objections, de ne pas les tenir d'emblée pour décisives. \*\*\* Mon *sed contra* est une citation de S. Em. le cardinal Ottaviani. Je ne révèle d'ailleurs rien qui ne soit déjà public. 21:14 Cette citation est tirée de la Revue de l'Institut Pie XI (Montréal), numéro du 13 octobre 1956, article écrit par son Directeur, l'abbé Desrosiers, et intitulé : « Un catholique social : Marcel Clément ». Il s'agit de l'œuvre de Marcel Clément, orale et écrite ; concernant particulièrement son *Chef d'entreprise,* l'abbé Desrosiers écrit, je cite : *Il ne semble pas indiscret de le dire, S. Em. le Cardinal Ottaviani, dans une lettre personnelle à l'auteur, en date du* 11 *juin* 1956, le « FÉLICITE CHALEUREUSEMENT D'AVOIR SI BIEN MIS EN ŒUVRE LES ENSEIGNEMENTS DES DERNIERS PAPES EN MATIÈRE SOCIALE SUR UN SUJET PARTICULIÈREMENT IMPORTANT ET DÉLICAT ». L'abbé Desrosiers, dont on connaît la prudence, la science et la sûreté de jugement, ajoute : UNE TELLE APPRÉCIATION VENANT DU SECRÉTAIRE DU SAINT-OFFICE CONSTITUE UN TÉMOIGNAGE INHABITUEL CONCERNANT LA PARFAITE INTÉGRITÉ DE LA DOCTRINE D'UN COMMENTATEUR. \*\*\* Les publications citées plus haut voudront bien comprendre que l'inquiétude qu'elles avaient fait naître en moi n'est pas diminuée, mais qu'elle change d'objet et de direction. #### L'article de « L'Ami du Clergé » Dans le difficile exercice du jugement interviennent plusieurs aptitudes et plusieurs savoirs ; et l'expérience ; et l'objectivité ; et aussi une sorte de flair intellectuel -- si je puis m'exprimer ainsi -- sans lequel tout le reste peut être dévoyé. 22:14 Ce flair intellectuel, Gustave Thibon en a donné un exemple remarquable en écrivant ([^4]) : « *Qu'aurais-je d'essentiel à ajouter à la lumineuse analyse de Marcel Clément *? *La vision catholique de la cité des hommes s'y déploie avec toute son ampleur et toute sa fermeté. On peut approfondir ou nuancer, on ne peut pas contredire...* » En voici un autre exemple tout aussi remarquable. Il nous est donné par le rédacteur de *L'Ami du Clergé,* la plus sûre, la plus lue des publications ecclésiastiques en France. Le rédacteur de *L'Ami du Clergé* aurait pu être influencé par les articles antérieurs d'*Économie et Humanisme* et des *Nouvelles de Chrétienté,* ou par d'autres considérations extérieures. Mais voici son article, intégralement reproduit. Il n'ajoute évidemment rien à l'importance du *sed contra* cité plus haut, qui se suffit à lui-même ; mais il manifeste qu'un sain jugement, même sur les questions délicates abordées par Marcel Clément, n'est pas forcément au-dessus d'une compétence privée : « L'auteur, professeur de doctrine sociale à l'École du Chef d'entreprise du Centre Français du Patronat chrétien, présente les grandes lignes d'une déontologie patronale. Il s'inspire constamment des enseignements du Saint-Siège ; les plus récents messages ou discours de S.S. Pie XII sont heureusement groupés en fin de volume. Plusieurs chapitres et des pages méditatives font le raccord entre la déontologie et la spiritualité ; toute la mission du chef d'entreprise est ainsi inspirée et dirigée par sa vie théologale. Une vie intérieure profonde apprend au chef d'entreprise à se dégager des points de vue trop exclusivement économiques ou techniques, à dominer les raidissements passionnels, à s'ouvrir avec sympathie aux aspirations de ses collaborateurs. 23:14 La perspective générale de cet essai est l'entreprise privée à direction personnelle, où le patron est à la fois le principal propriétaire (sinon le seul) et le directeur (donc travailleur au sens éminent). Dans cette perspective se précise la conception de l'autorité, fondée non sur la propriété des choses, mais sur une responsabilité dans une solidarité humaine. Autorité garde une résonance de paternité, à l'instar de la Paternité divine qui gouverne des hommes pleinement libres ; cette paternité n'est donc pas à confondre avec le paternalisme, qui en est la caricature, tandis que « l'esprit technique » en est l'oubli. Le problème de la promotion ouvrière est abordé avec franchise et générosité allant de pair avec la prudence ; d'aucuns lui reprocheront de ne pas être assez sensible à certaines revendications ouvrières, fondées non certes sur les exigences du droit naturel, mais sur un désir d'aboutir à une société plus fraternelle ; ces pages sont d'ailleurs à compléter par maints autres passages, par exemple sur « les réalisations communautaires dans l'entreprise » (pages 65-66) et sur l'organisation professionnelle (pages 207 et suiv.). Cet ouvrage se place dans la ligne des directives de Pie XII pour sauvegarder l'entreprise privée comme facteur de progrès et de responsabilité personnelle, à l'encontre des forces anonymes dépersonnalisantes (argent, masses ou puissance politique). Outre sa valeur d'enseignement, ce livre possède, on peut le dire, le caractère d'un témoignage. Il révèle la transformation qui est en train de s'accomplir dans certains milieux patronaux, sous l'influence de l'Évangile vécu. Nous lui souhaitons une large diffusion qui contribuera à ce renouveau. » ([^5]) 24:14 « Une large diffusion qui contribuera à ce renouveau » : plusieurs ont omis d'y aider ou se sont même positivement employés à l'empêcher. A part quelques lignes, d'ailleurs très chaleureuses, dans *L'Homme nouveau* ([^6]), la plupart des autres grandes publications catholiques n'ont rien dit du *Chef d'entreprise* ni des principaux ouvrages de Marcel Clément. Peut-être la parution en volume de *L'Enquête sur le nationalisme,* où est débattue la question d'une politique chrétienne, réussira-t-elle à attirer leur attention. #### Après le « sed contra » Ayant cité le *sed contra,* il reste à argumenter pour dissoudre les objections. C'est là une tâche que je n'entends pas mener à bien moi-même, ni tout seul, à moins d'y être véritablement contraint par les circonstances. Je désire plutôt y inviter ceux que le *sed contra* contredit. Nous avons dit en effet que la fonction d'un *sed contrat* est de mettre sérieusement en doute les objections, d'indiquer qu'il n'y a pas lieu de les croire sur parole, mais au contraire de procéder à un examen critique. C'est à quoi se limite mon propos. Certaines apparences auraient pu engager le public à croire sur parole le témoignage d'*Économie et Humanisme* et des *Nouvelles de Chrétienté.* Il y a lieu AU CONTRAIRE de le mettre en question, de le soumettre à un examen critique : voilà ce qui ressort du *Sed contra* que j'ai produit, et dont on ne contestera pas, je pense, la portée. 25:14 Cette mise en question, cet examen critique des jugements sommaires ou trop absolus avancés par ces publications, il me semble qu'il faut laisser à ces publications elles-mêmes une chance (assortie d'un loisir convenable, mais non illimité) de l'opérer par leurs propres moyens. Je ne veux donc ni les presser d'aucune manière, ni même leur proposer dès maintenant ce que pourrait être leur jugement rectifié. Je leur laisse la parole. Jean MADIRAN. 26:14 Conclusion  ### Les sciences sociales sont des sciences morales par Marcel CLÉMENT Directeur du Centre Français de Sociologie. NOUS avons, dans *L'Économie sociale selon Pie XII,* été conduit à établir la nature morale des sciences sociales et économiques. Nous ne l'avons pas fait sans de très graves motifs. L'expérience de l'enseignement de ces disciplines nous a permis de prendre conscience, en effet, de la situation intellectuelle où se trouvent ceux qui considèrent que « *les faits sociaux sont des choses* » ([^7]), ou, ce qui revient au même, que « *le fait social en tant que tel est impersonnel, donc amoral* » ([^8]). Ils deviennent INCAPABLES DE RELIER DE FAÇON ORGANIQUE LA RÉFORME DES INSTITUTIONS A LA RÉFORME DES MŒURS, ET DONC DE METTRE EN ŒUVRE, COMME IL CONVIENT, LA DOCTRINE SOCIALE DE L'ÉGLISE. Nous avons, à deux reprises, explicité notre pensée à ce sujet dans *Itinéraires.* Cette pensée, nous la proposons, nous ne l'imposons point. Mais nous avons des motifs sérieux de la croire conforme à l'enseignement de l'Église et à la philosophie de saint Thomas, et nous disons lesquels. Nous accueillons la discussion courtoise, la contradiction fondée, d'où qu'elle vienne, et dans un esprit bienveillant. 27:14 Mais nous ne comprenons pas le procédé d'agression que viennent de mettre en œuvre un article publié par les *Libertés françaises* ([^9]) et repris partiellement dans *Aspect de la France* ([^10]), et un second article publié par les *Nouvelles de Chrétienté* ([^11]), et reproduit entièrement par *Les Libertés françaises* ([^12]). Ces articles donnent à leurs lecteurs une idée fausse de notre pensée. Nous ignorons si telle a été l'intention des rédacteurs. Mais les faits sont tels. Nous avons le devoir de rétablir la vérité. En suite de quoi, nous nous efforcerons de montrer que nos contradicteurs, sur le fond du problème, se fourvoient. #### I. -- Sur le chapitre des mœurs intellectuelles Notre pensée a été présentée de façon gravement inexacte sur les points suivants : a\) SCIENCES SOCIALES ET SCIENCES MORALES : Nous avons écrit : « L'exercice du libre arbitre est conditionné, très largement d'ailleurs, par le biologique, par le géographique, par l'historique, etc. Mais enfin, cela ne prouve pas que la société, telle que le sociologue ou l'économiste l'étudient, peut être intégralement ou même essentiellement expliquée en ne retenant que ce qui, dans la société, conditionne la liberté (...) La seule attitude scientifique est donc d'admettre que l'étude explicative des faits sociaux porte essentiellement sur les actes volontaires envisagés dans leur conditionnement biologique, géographique, etc. » ([^13]). Ce faisant, nous avons affirmé que les sciences sociales sont des sciences morales. Mais nous avons affirmé *en même temps* que les sciences sociales embrassent aussi l'objet de sciences expérimentales non morales (en particulier l'objet de la biologie) qui se rapportent à l'objet des sciences sociales strictement morales. 28:14 On peut s'en prendre à cette position. On peut la critiquer. Il nous appartient de la défendre. Nous n'y manquerons pas. Mais on ne peut pas, sans donner une idée gravement inexacte de l'article auquel on se réfère, écrire ceci, même sous le vêtement de l'ironie : « M. Marcel Clément a perdu son corps (...) C'est son libre arbitre qui écrit que les sciences sociales sont des sciences morales et non des physiques (...) M. Clément, d'un mot, nous apprend lui-même que la nature des hommes tels que lui est *morale,* donc constituée seulement par une volonté. Il n'appartient plus à l'Église militante dont les membres *sont composés de corps et d'âme.* C'est avec un respect tout particulier que nous écouterons sa voix intemporelle » ([^14]). L'ironie ne nous gêne pas. Elle serait de bonne guerre si nous avions écrit la sottise que l'on nous attribue. Mais nous ne l'avons pas écrite. Nous avons écrit LE CONTRAIRE. Nous avons écrit que l'objet des sciences sociales était « *les actes humains envisagés dans leur conditionnement* BIOLOGIQUE ». On nous fait dire que la nature des hommes est constituée SEULEMENT par une volonté. Or, les trente pages des *Libertés françaises* qui suivent ARGUMENTENT A PARTIR DE CETTE OMISSION PRIMITIVE. Nous ne croyons pas qu'elles y gagnent en solidité. *Elles s'attaquent à une position ridicule qui, textes en mains, n'est pas la nôtre.* Le rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* pousse notre pensée dans le même sens. Il écrit : « M. Marcel Clément affirme, sans nuance aucune, que les sciences sociales ne doivent pas seulement rester soumises aux principes de la morale, mais qu'elles n'en sont qu'une partie, un département, bref qu'elles SONT par essence, purement et simplement, des sciences morales. Je ne sache pas que l'Église, les Papes aient jamais enseigné cette IDENTITÉ » ([^15]). 29:14 On observera le *procédé* qui consiste à affirmer que nous « *identifions, sans nuance aucune* », alors que, de la façon la plus explicite, nous affirmons que les actes humains sociaux qui constituent l'objet essentiel des sciences sociales ne peuvent être étudiés abstraction faites des sciences expérimentales non-morales (actes humains *envisagés dans leur conditionnement biologique, géographique etc.*) qui se rapportent à l'objet des sciences sociales. Ici encore, les dix pages de développement qui suivent dans les *Nouvelles de Chrétienté* ARGUMENTENT A PARTIR DE CETTE OMISSION PRIMITIVE. Ici encore, nous ne croyons pas qu'elles y gagnent en solidité. *Elles s'attaquent à une position ridicule qui, textes en mains, n'est pas la nôtre.* b\) EXISTE-T-IL DES LOIS EN SOCIOLOGIE ? Nous avons écrit : « Il faut cesser d'appeler « physique sociale » les lois sociologiques et économiques » ([^16]). Et nous avons distingué : 1° les régularités *imaginaires* des physiocrates et des libéraux ; 2° les régularités *empiriques* que la statistique fait apparaître. Elles constituent une « empirie » mais ne revêtent pas un caractère de nécessité universelle. La courbe de fréquence des divorces n'est pas la même en France, dans le Québec ou en Suède. 3° *Les lois sociologiques* (*et économiques*) ÉTABLIES AUSSI PAR L'OBSERVATION MAIS DONT LA NÉCESSITÉ DÉRIVE DE LA NATURE DE L'HOMME et dont nous avons donné un exemple en formulant la loi qui fait qu'une société individualiste devient nécessairement centralisatrice. Nous avons montré qu'il y avait là « *une loi sociologique dérivant de la transgression de la loi morale naturelle* », loi susceptible d'être « *formulée scientifiquement, c'est-à-dire en montrant la cause et la nature de sa nécessité* » ([^17]). Il s'agit donc ici d'une véritable loi scientifique de portée universelle. 30:14 On peut s'en prendre à cette classification. On peut la critiquer. Mais on ne peut pas, sans donner une idée gravement inexacte de l'article auquel on se réfère, écrire à notre propos, ceci : « Les actions humaines sont par nature contingentes, dit-il encore. D'OÙ IL CONCLUT QU'ELLES N'ONT PAS DE LOIS » (12). On ne peut pas non plus écrire ceci : « Un autre argument de M. Clément CONTRE L'ÉTABLISSEMENT DES LOIS DANS LA SCIENCE SOCIALE est qu'elles ne seraient jamais que « des lois empiriques » ce qui les empêcherait d'être vraiment « scientifiques » ([^18]). Nous avons distingué entre des régularités statistiques, dont la « loi » est vraie localement, mais n'a pas de caractère universel, et des lois sociologiques, *qui elles aussi sont dégagées par l'observation* et sont donc de ce fait « expérimentalement vraies » ([^19]) mais qui *peuvent être expliquées en regard de l'activité morale de l'homme.* Elles présentent, sous ce rapport, UNE NÉCESSITÉ DE CARACTÈRE UNIVERSEL. En tout état de cause, le sociologue doit faire cette distinction pour éviter d'universaliser des généralisations qui n'ont de portée que dans un pays donné pour un moment donné. Qu'est-ce qui, dans ces distinctions, autorise le rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* à affirmer à ses lecteurs que nous concluons « *qu'il n'y a pas de lois en sciences sociales* » et que nous fondons cette négation sur le fait que ces lois « NE SERAIENT JAMAIS QUE *des lois empiriques* » ? Il fait cela à propos du texte où précisément nous nous efforçons de montrer qu'à côté des simples régularités empiriques, IL Y A DE VRAIES LOIS SCIENTIFIQUES EN SOCIOLOGIE. 31:14 Quel but poursuivent ces auteurs, à ainsi fausser et ridiculiser notre pensée ? Quelle cause leur inspire d'agir ainsi ? c\) SUR LA DISTINCTION DU SPÉCULATIF ET DU PRATIQUE. Nous avons écrit : « *La distinction entre science normative et science positive est une distinction apparemment claire. En réalité, elle est une source permanente de confusion.* » ([^20]) 1°. -- Par « source de confusion », nous entendons, non pas le fait d'établir une distinction, mais la difficulté d'en saisir la portée pour l'esprit. 2°. -- A cette distinction d'origine *positiviste,* nous avons opposé la distinction *thomiste* du spéculatif et du pratique : « *Selon la scolastique, une science peut être spéculative ou pratique, soit sous le rapport de son objet, soit sous le rapport de la méthode, soit sous le rapport du but poursuivi par le savant.* » ([^21]) On peut s'en prendre à l'opposition que nous établissons entre la classification de Comte et celle de saint Thomas et d'Aristote. On peut essayer de montrer que cette opposition n'est pas légitime et que la notion de *spéculatif* s'identifie absolument à celle de *positif,* comme aussi la notion de *pratique* s'identifie absolument à celle de *normatif.* Ce serait imprudent, mais loyal. Mais on ne peut pas supposer résolue cette assimilation que précisément nous mettons en doute et écrire les phrases suivantes : « Toutes les erreurs et confusions que nous avons relevées jusqu'ici procèdent de la négation massive inscrite au fronton de la thèse de M. Clément : pas de distinction entre la science spéculative et la science pratique. Dès le début de son exposé, il prononce hardiment que cette distinction « apparemment claire est en réalité une source permanente de confusion ([^22]). » 32:14 Insistons avec toute la précision requise. Nous avons écrit que la distinction entre science « positive » et « normative » apparemment claire, était source de confusion. Nous proposons pour la remplacer, parce que plus adéquate à la méthodologie sociale, la distinction entre science « spéculative » et « pratique ». Sur quoi, le rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* explique à ses lecteurs que nous faisons « négation massive » de la distinction thomiste, celle que précisément nous préconisons. NOUS AVONS ÉCRIT : « *Selon la scolastique,* une science peut être spéculative ou pratique soit sous le rapport de son objet, soit sous le rapport de la méthode, soit sous le rapport du but poursuivi par le savant. DANS CETTE LUMIÈRE, *il apparaît clairement que la distinction d'Auguste Comte entre les sciences normatives et les sciences positives conduit à la confusion* ([^23]). » NOTRE CRITIQUE AFFIRME : « La négation massive inscrite au fronton de la thèse de M. Clément : pas de distinction entre la science spéculative et la science pratique » ([^24]). Le rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* a-t-il eu le regard brouillé en nous lisant ? Ou est-ce le regard de son esprit qui a été si malicieusement prévenu contre nous qu'il en est devenu impuissant à nous prêter une pensée simplement cohérente ? Il est à peine besoin d'ajouter que cette invraisemblable confusion initiale entraîne un extravagant et systématique contresens sur toute notre pensée. 33:14 Poursuivons sur le même sujet : NOUS AVONS ÉCRIT : « *L'objet de science :* il peut être PAR NATURE spéculatif ou pratique. Lorsque l'objet de science est un non opérable (...) on dit qu'il est spéculatif (...) Lorsqu'il est un opérable (...) on dit que l'objet de science est pratique. » ET PLUS LOIN : « *Le but poursuivi par le savant :* Nous avons déjà dit que le but était *spéculatif* lorsque le savant ne se soucie que de connaître, et qu'il était *pratique* lorsque le savant se préoccupe d'agir de prescrire ou de réformer ([^25]). » NOTRE CRITIQUE ÉCRIT : « M. Clément ramène la distinction du spéculatif et du pratique à une simple différence dans l'attitude de l'esprit. En effet, IL TRANSPORTE CETTE DISTINCTION DE L'OBJET DANS LE SUJET. C'est, dit-il l'attitude du savant qui est positive (c'est-à-dire spéculative), ou normative, l'objet restant identique, inchangé ([^26]). » Ainsi, au moment précis où nous montrons qu'à la distinction du caractère spéculatif ou pratique de l'*objet* matériel de science doit *s'ajouter* la distinction du caractère spéculatif ou pratique de la *fin* poursuivie par le savant, le rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* affirme sans cause, non que cette nouvelle distinction vient S'AJOUTER à la précédente, mais que nous « TRANSPORTONS » cette distinction de l'objet dans le sujet... Qu'est-ce qui autorise notre contradicteur à faire de pareilles affirmations ? Nous avions explicitement affirmé LE CONTRAIRE en écrivant : « une science peut être spéculative ou pratique, SOIT SOUS le rapport de son objet, SOIT sous le rapport de la méthode, SOIT sous le rapport du but poursuivi par le savant ([^27]). » Nous posons à nouveau la question : Quel but poursuit cette attaque, en faussant et ridiculisant ainsi notre pensée ? Veut-on apprécier l'extrême gravité de tout cela ? Quelle cause inspire d'agir ainsi ? #### II. -- Sur la nature morale des sciences sociales Les deux articles en question, celui des *Nouvelles de Chrétienté* et celui des *Libertés françaises,* soutiennent en substance, l'un et l'autre, une position semblable. 34:14 L'un et l'autre défigurent notre pensée. L'un et l'autre tendent à établir que le fait social, en tant que tel, est impersonnel et amoral. L'un et l'autre se livrent à tout ce travail pour défendre explicitement la « physique sociale » telle qu'Auguste Comte l'a léguée à ses disciples. Toutefois, leur langage est différent. Évoquons-les successivement. a\) L'ARTICLE DES « LIBERTÉS FRANÇAISES ». Pour prouver que la sociologie est une physique sociale, le rédacteur part d'un texte de Pie XII que nous avions proposé à sa méditation. Dans cette allocution, adressée le 9 septembre 1956 aux économistes, le Saint-Père repousse l'attitude des hommes de sciences qui « *crurent faire une œuvre solide en traitant les faits économiques comme s'ils eussent été des phénomènes physiques et chimiques soumis au déterminisme des lois de la nature* ». Il repousse aussi le marxisme et conclut : « *De part et d'autre on a omis de regarder le* FAIT ÉCONOMIQUE *dans toute son ampleur : à la fois matériel et humain, quantitatif et moral, individuel et social. Au-delà des besoins physiques de l'homme et des intérêts qu'ils commandent, au-delà de son insertion dans des rapports sociaux de production, il fallait envisager l'activité vraiment libre, personnelle et communautaire, du sujet de l'économie* (...). *Ainsi,* POUR APPRÉCIER *exactement* LES FAITS *économiques,* LA THÉORIE *doit-elle envisager à la fois l'aspect matériel et humain, personnel et social, libre et cependant pleinement logique et constructif parce que commandé par le sens véritable de l'existence humaine* ». Le rédacteur des *Libertés françaises* part de ce texte. Il le loue. Il le fait sien. Il le commente. Il y introduit des distinctions. Il affirme qu' « abstraire n'est pas séparer ». Puis il conclut, par ces lignes incroyables (mais vraies) : « *L'expression de Physique sociale ne devrait donc pas effaroucher M. Clément. Elle ne contredit en rien l'enseignement pontifical. Bien plutôt, Sa Sainteté,* PAR DES ANTITHÈSES REMARQUABLES, *nous invite à distinguer* (*sans les disjoindre*) *l'état des sociétés de l'acte personnel ou volontaire.* 35:14 *La réalité peut être personnelle et sociale,* MAIS LE FAIT SOCIAL EN TANT QUE TEL EST IMPERSONNEL, DONC AMORAL. » Qu'on médite sur ce texte et sur la conclusion du commentateur des *Libertés françaises *: TEXTE PONTIFICAL On a omis de regarder le FAIT ÉCONOMIQUE dans toute son ampleur : à la fois *matériel* ET HUMAIN, *quantitatif* ET MORAL, *individuel* ET SOCIAL (Pie XII, 9 septembre 1956). COMMENTAIRE « LE FAIT SOCIAL en tant que tel est IMPERSONNEL, donc AMORAL » (M. Paquet, *Les Libertés françaises,* février 1957). Pour arriver à cette conclusion, le rédacteur des *Libertés françaises* distingue entre *l'objet matériel :* la société telle que la décrit Pie XII avec son aspect matériel et humain, personnel et social, et *l'objet formel* de la sociologie qui abstrait (sans séparer) l'aspect simplement physique des faits sociaux. La conclusion s'impose : « *La réalité peut être personnelle et sociale, mais le fait social en tant que tel est impersonnel, donc amoral.* » Il n'est que trop évident que le Saint-Père, dans ce discours, parle précisément de l'objet formel de la science économique. Il n'y a absolument aucun doute à cet égard, puisque précisément, il dit : « *Ainsi, pour apprécier exactement* LE FAIT ÉCONOMIQUE, la THÉORIE *doit-elle envisager* A LA FOIS *l'aspect matériel* ET HUMAIN, PERSONNEL ET SOCIAL, LIBRE, *mais cependant pleinement logique et constructif parce que commandé par le sens véritable de l'existence humaine.* » Si le rédacteur des *Libertés françaises* persévère dans son erreur, il sera intéressant de suivre la méthode qui lui permettra de montrer comment, quand le Pape parle de théorie, il s'agirait en réalité de pratique, laquelle seule, fonderait une science morale... A moins qu'il comprenne soudain -- ce que nous souhaitons -- que l'objet formel de la science peut être moral cependant que la fin du savant reste spéculative... 36:14 b\) L'ARTICLE DES « NOUVELLES DE CHRÉTIENTÉ ». L'article des *Nouvelles de Chrétienté,* comme le précédent, tend à établir la légitimité de la physique sociale. Mais il y va moins rondement, et comme à pas feutrés. Il n'en conclut pas moins, avec de nombreuses précautions de langage : « Pourquoi dès lors, ne pourrait-on pas les formuler en lois ? Lois DE NATURE, PHYSIQUES, au sens étymologique du mot (...) » Pour aboutir à cette conclusion, le rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* apporte sa contribution à la méthodologie en sciences sociales : « Toute sociologie correctement bâtie et complète enferme plusieurs parties bien distinctes : D'abord, une partie purement spéculative, toute d'observation et d'expérience, ou LA MORALE N'A ENCORE RIEN A VOIR, qui fournit au sociologue les matériaux, l'objet même de son étude : les phénomènes sociaux tels qu'ils se déroulent EN FAIT : « C'est ainsi que les choses se passent. » Puis une seconde partie où le sociologue, s'il est chrétien ou simplement honnête homme, appréciera et jugera lesdits phénomènes selon le BIEN et le MAL qu'ils comportent (...). Quant à la cause, d'où proviennent en suprême ressort la bonté, la justice des actions humaines (...) ce n'est plus l'observation pure, ni même cette intuition du bien et du mal, commune à toutes les consciences droites, qui peuvent la découvrir, mais le raisonnement métaphysique ou la foi religieuse ([^28]) ». Après avoir ainsi établi ce qu'il nomme les « parties » de la sociologie, le rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* affirme qu'il est possible de s'établir en chacun des trois paliers. Par exemple, au premier, où la morale n'a encore rien à voir : « Un esprit qui s'arrêterait là, cherchant à savoir et arrivant à découvrir comment se produisent les phénomènes sociaux, NE SE TROMPERAIT NULLEMENT DE CE FAIT. Il professerait seulement une vérité incomplète, mais qui se tient par elle-même et, bien plus, constitue le degré nécessaire pour monter aux degrés supérieurs ([^29]). » 37:14 Ainsi semble établie la légitimité de la physique sociale (telle que Charles Maurras l'a héritée d'Auguste Comte) au sein de la vision chrétienne du monde. Au rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* nous opposerons la thèse d'une autorité qu'il ne contestera probablement pas. C'est celle de M. Charles de Koninck, doyen de la Faculté de philosophie de l'Université Laval. Elle établit que l'on peut être un disciple authentique de saint Thomas et affirmer la nature formellement pratique des sciences sociales. A ceux qui, comme le rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté,* affirment qu'une sociologie purement spéculative, toute d'observation et d'expérience, « où la morale n'a encore rien à voir », « ne se tromperait nullement de ce fait », le doyen Charles de Koninck expose : « La science économique, la sociologie, l'anthropologie, etc. sont des sciences expérimentales. Mais on ne peut dire, il me semble, qu' « elles n'ont rien de moral ». Surtout, on ne peut laisser entendre qu'elles n'ont rien de moral parce qu'elles sont expérimentales (...) Cette distinction serait inacceptable. Le genre de la connaissance spéculative s'oppose au genre pratique et dans celui-ci « moral » s'oppose non à « expérimental » mais à « artisanal ». La science expérimentale, au sens moderne, peut se rencontrer dans les deux genres. « Les conséquences d'une telle distinction seraient des plus fâcheuses. Cette distinction nous ferait verser dans une erreur des plus graves. Elle supposerait la possibilité de faire, en matière sociale, des recherches et des théories expérimentales d'une si parfaite objectivité que les soi-disant préoccupations morales, si bonnes fussent-elles par ailleurs, loin de contribuer à orienter la recherche et à suggérer les hypothèses expérimentales les plus plausibles, ne pourraient qu'entraver cette objectivité. 38:14 Or, vous n'auriez qu'à lire, en matière d'anthropologie sociale, *Les formes élémentaires de la vie religieuse* de Durkheim, *Origin and development of moral ideas* et *History of human marriage* de Westermarck, pour voir à quel point cette objectivité est illusoire. Leur principe méthodologique une fois accepté, les mêmes phénomènes peuvent être tout aussi bien expliqués par une infinité d'autres hypothèses. Si ces mêmes auteurs avaient des notions spéculatives et pratiques plus parfaites de la religion et de la morale, non seulement leurs théories seraient fort différentes de celles qu'ils ont formées, mais leurs recherches elles-mêmes auraient mis en relief d'autres faits. Aux recherches des sciences expérimentales se trouve toujours et inévitablement mêlée une part de théorie si rudimentaire soit-elle. Cependant ces auteurs, ainsi que la plupart de leurs collègues, prétendent, sinon en principe, au moins en fait, parvenir à une objectivité dont la science expérimentale la plus exacte -- la physique -- n'oserait se prévaloir. Ils prônent les résultats de leurs travaux avec une assurance qui serait de l'outrecuidance chez un physicien. « Pour des raisons de succès réel, pour éviter d'avancer au hasard et de se fourvoyer dans des impasses, l'étude vraiment scientifique de la vie sociale, dans sa dernière concrétion doit présupposer les notions et les vérités générales de ce que nous appelons philosophie morale : l'éthique, l'économie (au sens classique) et la politique. Or ces sciences sont formellement pratiques. Les sciences sociales proprement dites sont comme une continuation de la dernière vers une concrétion toujours plus poussée. Nous les disons expérimentales, non par opposition aux sciences morales qui dépendent elles aussi de l'expérience, mais parce qu'elles relèvent d'une expérience beaucoup plus circonstanciée. « L'étude de la vie sociale, soit générale, soit expérimentale au sens que nous venons d'indiquer, doit avoir son principe dans le bien commun humain. Elle est, du coup, pratique. Si on lui enlevait cette fin pratique, les recherches en matière sociale ne pourraient jamais présenter qu'un intérêt spéculatif des plus ténus. Aristote et saint Thomas disaient déjà de toute la philosophie morale : « Non est propter contemplationem veritatis, sicut alia negocia scientiarum speculativarum, sed est propter operationem. 39:14 Non enim in hac scientia scrutamur quid sit virtus ad hoc solum ut sciamus hujus rei veritatem ; sed ad hoc, quod acquirentes virtutem, boni efficiamur. Et hujus rationem assignat (Aristoteles) : quia si inquisitio hujus scientire esset ad solam scientiam veritatis parum esset utilis. Non enim magnum quid est, nec multum pertimens ad perfectionnem intellectus, quod aliquis cognoscat variabilem veritatem contingentium operabilium ; circa quae est virtus ». *In II Ethic...,* (éd. Pirotta) lect. 2, n° 256. Mais, comme je l'ai déjà insinué, le seul fait de soustraire les sciences proprement sociales à une fin morale suppose une conception erronée de la nature même du rôle de l'expérience et de l'hypothèse, de la méthode expérimentale appliquée à l'étude de l'agir humain. Cela supposerait d'abord la possibilité de séparer nettement et à tout niveau, la part de l'expérience de la part de l'hypothèse dans la science expérimentale, en l'occurrence, cela supposerait en outre la possibilité de formuler, dans les disciplines qui nous occupent, des hypothèses purement objectives, c'est-à-dire parfaitement indépendantes de toutes fins pratiques, comme on peut le faire en physique, par exemple, et parfaitement détachées de toute idée proprement morale. Voilà qui nous assujettirait à une tyrannie pour le moins analogue à celle du scientisme marxiste qui soutient que nous pouvons et que nous devons inférer le « quoi faire » d'une étude purement objective, parfaitement détachée, de la vie sociale. C'est de l'intellectualisme dans le mauvais sens ; ce qui n'est d'ailleurs qu'une facette du volontarisme ([^30]). » Tel est, du point de vue de l'argumentation, l'exposé le plus précis et le plus convaincant que nous connaissions de l'impossibilité SCIENTIFIQUE à constituer de façon autonome une « physique sociale » où « la morale n'aurait encore rien à voir ». Du point de vue de l'affirmation de la même vérité par la doctrine de l'Église, nous avons déjà cité ce texte de Pie XI : 40:14 « Les sciences profanes, qui ont pour objet, comme on dit, la sociologie et l'économie sociale, le bien individuel et le bien collectif, NE PEUVENT SE SOUSTRAIRE aux principes philosophiques et religieux qui regardent l'origine, la nature et la fin de l'homme ([^31]). » Et il s'agit bien, non de morale sociale mais de sciences PROFANES, de cette étude de la vie sociale qui, soit générale, soit expérimentale, doit avoir son principe dans le bien commun humain. #### III. -- Nos raisons de parler Il nous reste un devoir a remplir. Nous avons écrit, en janvier dernier, les lignes suivantes : « La physique sociale statique énonce des constantes sociales qui existent objectivement. Toutefois, elle ne les décrit pas objectivement, car elle les formule non comme l'expression d'un ordre moral immanent, mais comme l'expression d'un déterminisme physique. Il en résulte d'une part un éclairage philosophique faussé des réalités politiques décrites. Il en résulte, d'autre part, une atteinte accidentelle mais véritable à la conscience intime de l'efficacité spirituelle dont chaque membre du corps social -- et du Corps Mystique -- est capable, en vue du bien commun. C'est ici, il faut le dire, sans que cela entrave le respect ou interdise l'admiration, la défaillance centrale de la pensée de Charles Maurras ([^32]). » A l'heure où la pensée de Pie XII nous apporte, avec une ampleur et une précision incomparables, la doctrine de l'Église pleinement adaptée à notre temps, nous ne pouvons plus, par une fidélité littérale, respectable peut-être, mais dépassée, maintenir l'affirmation d'une sociologie dont l'objet formel ne serait point la réalité même des mœurs, -- au sens moral du mot. Nous ne pouvons plus nous attacher à la physique sociale. Les plus âgés d'entre nous, eux-mêmes, n'y gagneront rien. Car la doctrine que défendent avec une ardeur égale et une habileté diverse les rédacteurs des *Libertés françaises* et des *Nouvelles de Chrétienté* n'est pas défendable. Elle a été condamnée. Elle demeure condamnée, comme le livre qui la contient. 41:14 Cette doctrine, en effet, se trouve dans la *Politique Religieuse,* aux pages 78 et 79. En voici le texte : « Il fallait, écrit Charles Maurras, de toute nécessité, récuser constamment l'obsédant fantôme de la morale, de la morale individualiste étudiée sous Kant, en Sorbonne ou bien à l'impasse Ronsin. En examinant la structure, l'ajustage et les connexités historiques et sociales, on observe la nature de l'homme social et non sa volonté, la réalité des choses, et non leur justice : on constate un ensemble de faits dont on ne saurait dire après tout s'ils sont moraux et immoraux, car ils échappent de leur essence à la catégorie du droit et du devoir, puisqu'ils ne se rapportent pas à nos volontés. « Comme il y eut des phénomènes purement chimiques ou physiques dans l'organisation d'un Descartes ou d'un saint Vincent de Paul, toute société se construit suivant des nécessités naturelles dont il s'agit de connaître exactement l'essence, non d'affirmer ou de contester la justice et le bien fondé. Nous ne savons s'il est juste qu'un fils ne puisse choisir son père, ou qu'un citoyen soit jeté dans une race avant d'avoir manifesté le libre vœu de sa conscience. Nous savons que les choses ne sont pas maîtresses de se passer autrement. Est-il juste qu'une opinion bien intentionnée, quand elle est absurde, puisse perdre un État ? Peut-être, mais, pour le salut de cet État, l'important ne sera point de décider si la chose est juste, mais de la connaître pour l'éviter. L'infaillible moyen d'égarer quiconque s'aventure dans l'activité politique, c'est d'évoquer inopinément le concept de la pure morale, au moment où il doit étudier les rapports des faits et leurs combinaisons. Telle est, du reste, la raison pour laquelle l'insidieux esprit révolutionnaire ne manque jamais d'introduire le concept moral à ce point précis, où l'on n'a que faire de la morale ; il a toujours vécu de ce mélange et de cette confusion, qui nuisent à la vraie morale autant qu'à la vraie politique. La morale se superpose aux volontés : or, la société ne sort pas d'un contrat de volontés, mais d'un fait de nature. 42:14 « C'est ainsi que Vaugeois se trouve amené à s'écrier un jour : « Nous ne sommes pas des gens moraux. » Et, à le bien voir, il est impossible de rien faire de plus moral que cette honnête distinction entre deux ordres que l'on confond malhonnêtement. » Et voici le commentaire que Mgr Sagot de Vauroux, évêque d'Agen, donnait de ce passage : « J'ai cité tout entier ce long passage parce qu'il me semble d'une importance capitale pour mesurer la distance séparant de la doctrine catholique les théories philosophico-politiques et sociales professées par M. Ch. Maurras. Nous y remarquons d'abord ce mélange de vérités et d'erreurs que l'on aperçoit souvent dans les œuvres du chef de l'Action Française et qui les rend si dangereuses aux esprits peu familiarisés avec l'analyse des principes. La société comme la famille, comme la nature de l'homme, c'est parfaitement exact de le dire, existe sans que notre volonté ait concouru le moins du monde à la créer ou bien à établir ses lois fondamentales. Un second fait, lui aussi indéniable, est l'impuissance du législateur lorsqu'il s'avise de mettre au monde une constitution politique à l'aide de quelque système à priori. Joseph de Maistre l'a très bien démontré en parlant de l'Angleterre, si je ne me trompe : les meilleures constitutions naissent de la tradition, car elles correspondent alors aux possibilités, aux besoins, aux habitudes d'une nation. Dans son ouvrage sur les origines de la France contemporaine, Taine critique avec une merveilleuse logique les prétentions absurdes des hommes de 1789 et de 1793. Faire table rase du passé, reconstruire tout l'édifice national sur un modèle idéal et donc nulle part réel, quelle folie ! Jusque là nous sommes d'accord avec M. Maurras, mais nous différons de lui sur deux points essentiels. 1° La société, telle que Dieu l'a créée lui-même, est *non seulement naturelle mais morale,* car le signe de la moralité, c'est l'adaptation de moyens honnêtes à une fin honnête elle aussi. Or tout, dans l'œuvre divine, est organisé de telle sorte que les moyens permettent d'atteindre et de posséder le bien, cette fin nécessaire de tout ce que la sagesse infinie de la Providence établit en ce monde. 43:14 2\. La liberté humaine pervertit facilement les œuvres divines, lorsqu'elle subit l'influence de l'instinct et de la passion. La morale doit par conséquent intervenir pour réformer, par la direction qu'elle donne à nos actes, ce que les vices ou simplement l'absence de travail ont produit de nuisible. La société « ne sort pas d'un contrat de volontés, mais d'un fait de nature », sans doute, *mais la volonté ou bien altère la nature, ou s'y conforme, ou la perfectionne.* On voit ici l'erreur de M. Maurras. De son exposé résulterait une sorte de déterminisme politique. Il faudrait tout accepter dans l'état des choses, tandis que l'Église, en tenant grand compte des réalités, a toujours essayé d'élever plus haut le niveau de la civilisation. La méthode fondée sur l'expérience, mais inspirée par des principes tour à tour rationnels et surnaturels, est de mettre à profit ce qu'elle découvre de bon dans les faits afin de s'en servir pour combattre les insuffisances et les abus, abus toujours trop nombreux. » Les sciences sociales sont des sciences morales. Notre conviction est que Maurras converti, s'il avait vécu, eût été le premier à l'établir. Marcel CLÉMENT. ACTES DE S.S. PIE XII Tome VI : années 1943-1944. Tome VII : année 1945. Bonne Presse, 5, rue Bayard, Paris VIII^e^. *Les tomes suivants n'ont toujours pas paru. La publication, à l'intention du public français, des Actes de S.S. Pie XII, textes originaux et traduction française, se trouve toujours arrêtée à la fin de l'année* 1945. 44:14 ### Mise au point A propos de l'enquête sur le nationalisme DEPUIS DES MOIS, la revue *Itinéraires* est prise à partie par un groupe politique qui a organisé contre elle une campagne fondée sur des imputations fausses, des citations tronquées, des contre-vérités injurieuses. Pendant des mois -- on peut consulter la collection d'*Itinéraires --* nous avons écouté ces critiques, nous n'avons rien dit. C'est maintenant notre tour de parler. \*\*\* L'origine. Ce groupe politique est celui de la « Restauration nationale », dirigée par M. Olivier de Roux, ayant *Aspects de la France* pour organe hebdomadaire. Nous ne jugeons en ce moment ni l'ensemble de son action politique, ni les mérites ou les démérites qu'il peut y avoir, mais son effort pour diffamer la revue *Itinéraires* en général, Jean Madiran et Marcel Clément en particulier. Ce groupe politique est appuyé en l'occurrence par la revue mensuelle *Les Libertés françaises,* que dirige M. François Daudet. Il a eu le renfort de deux articles parus dans les *Nouvelles de Chrétienté :* articles plus dignes dans leur forme, mais aussi gravement inexacts et injustes quant au fond ([^33]). \*\*\* 45:14 Les positions prises par Marcel Clément ont vivement déplu à ce groupe politique ; il les a trouvé fausses ; il a voulu les discuter : c'était parfaitement son droit, et il n'y avait pas de quoi en faire un drame, ni même un incident, encore moins une campagne de diffamation. Car ce n'était pas son droit de déformer les positions de Marcel Clément, de tronquer les textes, d'insulter les personnes et de mettre en circulation dans le public des accusations infamantes et sans fondement. Ce n'était pas son droit de lancer, pour les commodités supposées d'une telle polémique, une campagne de propagande diffamatrice contre la revue *Itinéraires* et d'aller jusqu'à répandre contre nous des accusations aussi énormes, aussi monstrueuses que celles de *travailler à la destruction de la France* et de *tromper sciemment le lecteur.* Notre propos est aujourd'hui de rétablir, au moins sur l'essentiel, la vérité des faits, la vérité des textes : à tous les hommes de bonne foi s'adresse la mise au point précise et circonstanciée que voici. \*\*\* Notre numéro de novembre 1956. D'emblée, le groupe de la « Restauration nationale » (*Aspects*) et la revue *Libertés françaises* avaient refusé de participer à notre enquête sur le nationalisme et décliné l'invitation qui leur était faite de *présenter leur point de vue dans nos colonnes :* c'était leur droit. On en parla néanmoins dans *Aspects ;* M. Olivier de Roux nous confirma, sur notre demande, que l'exposé de M. Pierre Debray exprimait valablement le point de vue de la « Restauration nationale ». Sans y être en rien obligés, puisque ce groupement s'était tenu lui-même en dehors de l'enquête, et puisque nous avions d'autre part des réponses de maurrassiens autrement qualifiés que M. Debray, nous reproduisîmes dans nos colonnes, par simple objectivité documentaire, les articles d'*Aspects* (ce journal n'a jamais reproduit dans ses colonnes ceux de nos textes qu'il a contestés, ce qui est une chose, et déformés, ce qui en est une autre). 46:14 Là-dessus, M. Debray publiait dans *Aspects* du 24 août un article (dont nous avons reproduit la plus grande partie) qui contenait diverses inexactitudes sur l'enquête d'*Itinéraires ;* M. Debray a d'ailleurs reconnu et rectifié l'une d'entre elles dans un article du 9 novembre : article encore reproduit dans nos colonnes. Puis, le 21 septembre, paraît dans *Aspects* une note accusant la revue *Itinéraires* de « manœuvre » et de « PERFIDIE » (sic) : pour la seule raison que nous avions commis le crime de parler de la *conversion* de Maurras ; la thèse (aventurée...) d'*Aspects* étant que Maurras n'a eu aucun besoin de se convertir, mais seulement de combler une absence de foi... \*\*\* Avec modération et cordialité, ces inexactitudes furent démenties, ces attaques contredites dans notre numéro 7 (novembre 1956), pages 95 et suivantes. Nous n'imaginions pas encore une volonté arrêtée de préparer contre nous une campagne de diffamations, et nous écrivions : « *Nous supposons bien que ces procédés discutables ne résultent pas de quelque mauvais dessein froidement délibéré, mais d'une extrême susceptibilité sur tout ce qui touche à la personne de Charles Maurras. C'est pourquoi nous voulons croire que si nous en appelons à une appréciation plus calme, plus équitable, plus exacte, il nous reste encore une chance d'être entendus d'Aspects de la France. *» Nous supposons bien... disions-nous. Hélas ! \*\*\* Nous leur laissons\ le premier et le dernier mot. Cet appel à une appréciation plus calme et plus exacte était tout naturel de notre part. On sait que nous ne pratiquons aucune exclusive à l'égard des personnes : nous l'avons suffisamment prouvé. Nous nous élevons contre toute ségrégation à l'encontre de catholiques : même à l'encontre de ceux qui nous insultent. M. Olivier de Roux répondit à notre appel par un article du 16 novembre, dans *Aspects,* nous signifiant qu'il n'avait vu dans notre appel que « *déchaînement des foudres d'une hargne caustique* », et nous accusant d' « *injure à la mémoire de Charles Maurras* », de « *croc en jambe* » et de « *tricherie* ». 47:14 Nous en avons pris acte dans notre numéro de janvier (numéro 9, page 109), et nous avons simplement ajouté : « *Nous ne le suivrons pas sur un tel terrain, où nous lui laissons très volontiers et le premier* et *le dernier mot.* » ([^34]) Nous manifestions clairement notre refus d'une « *polémique* », notre volonté de ne point « *attaquer* » qui que ce soit. Nous n'avons que faire des attaques et des polémiques. Nous pratiquons l'examen contradictoire des idées ; nous proposons des thèmes de réflexion ; le reste n'est pas notre affaire. Tout l'effort d'*Aspects* et des *Libertés françaises* a été dès lors, au contraire, de TRANSFORMER LE DÉBAT EN POLÉMIQUE : et comme nous nous y refusions, de multiplier les imputations scandaleuses, de mettre en cause les personnes et leur bonne foi par des injures provocantes, de répandre sur nous des accusations infamantes hâtivement fabriquées, afin de nous entraîner contre notre gré dans une bataille de chiffonniers. Ils n'y ont pas réussi. Ils n'ont pu saboter la sérénité et le sérieux avec lesquels s'est effectuée jusqu'au bout l'enquête sur le nationalisme. Le livre de l'enquête, qui vient de paraître en librairie, porte un témoignage contre lequel cris et insultes ne peuvent rien. Le directeur d'*Itinéraires* remercie ses collaborateurs et ses amis d'avoir accepté, tant dans la revue que dans d'autres publications, de ne pas souffler mot sous cette pluie d'outrages, et d'avoir provisoirement sacrifié leur droit de légitime défense à l'accomplissement préalable de la tâche intellectuelle qui avait été entreprise. \*\*\* La diversion Madiran. Pour créer à tout prix une polémique, l'attaque mit personnellement en cause Madiran. Ce fut la trouvaille de l'article, délicatement inspiré, et signé Mériadec Paquet, dans les *Libertés françaises* de février 1957. M. Pierre Debray répercuta et diffusa dans *Aspects* (8 mars 1957). 48:14 Pour discuter Marcel Clément, on attaquait Madiran, on notait son *silence* sur la question, on en déduisait toute sorte de conclusions. Mais c'était une contre-vérité de fait. Car, au lendemain même du Message de Noël 1954 condamnant la « *politique nationaliste* », Madiran avait -- l'un des premiers en France -- reproduit et commenté ce passage du texte pontifical, et nettement donné son avis personnel. Il l'avait fait dans les *Écrits de Paris* (numéro de mars 1955), revue politique qui n'est pas précisément clandestine. Il avait en outre rappelé sa position à l'égard du nationalisme dans son livre *Ils ne savent pas ce qu'ils disent,* regrettant qu'un mot -- nationalisme -- « employé en un sens péjoratif » dans le vocabulaire de l'Église puisse être, par des catholiques français, « brandi comme le drapeau ou l'étiquette de la vérité ». Dans *Itinéraires* même, Madiran avait lui-même commenté les passages du Message pontifical de Noël 1956 qui marquent l'insuffisance actuelle du « politique d'abord » et l'erreur de la « physique sociale » ([^35]). Si donc *Aspects* et *Libertés françaises* trouvaient habile ou commode de répondre à l'enquête de Marcel Clément, aux positions de Marcel Clément, aux objections formulées par Marcel Clément, en allant rechercher ce que pouvait bien en penser Madiran, ces deux publications auraient pu examiner, commenter ou contredire ce que Madiran en avait effectivement écrit, au lieu *d'inventer* le roman d'un prétendu *silence.* \*\*\* La diversion Lagor. Simultanément, les *Libertés françaises* exhumaient *La philosophie politique de saint Thomas,* de Lagor, et M. Debray faisait encore chorus dans *Aspects,* et la propagande de la « Restauration nationale » diffusait toujours. 49:14 Pour les besoins de la cause, MM. Paquet et Debray transformaient soudain Lagor en autorité thomiste incontestable et incontestée, universellement reconnue, et ils traitaient d'ignorant et d'imbécile quiconque ne professait pas les thèses de Lagor. Ils ne s'étaient même pas aperçus que les thèses de *La philosophie politique de saint Thomas* n'étaient nullement des thèses admises : mais, concernant spécialement la *physique sociale,* des thèses nouvelles, personnelles et aventurées, que l'on est parfaitement en droit de ne pas admettre ou même, plus simplement, d'ignorer. Ils ne s'étaient pas aperçus non plus que, loin d'être un exposé classique de la philosophie de saint Thomas, ce livre modifiait la terminologie scolastique et *proposait* de faire « entrer dans le vocabulaire thomiste » (p. 96) ce qui ne s'y trouvait point encore (et ne s'y trouve toujours pas) (et ne s'y trouvera probablement jamais). MM\. Paquet et Debray ne se sont pas aperçus davantage que ce livre répondait POUR LA PREMIÈRE FOIS, d'un point de vue thomiste, à certaines difficultés d'origine thomiste soulevées contre la « physique sociale ». Charles Maurras porte témoignage dans sa préface (p. 25) que l'école d'Action française avait « cru pouvoir les négliger ». Cette réponse est donc la première. Il est plus que douteux qu'elle ait été, du premier coup, la bonne. MM. Paquet et Debray ont néanmoins le droit de la tenir pour parfaite et définitive, s'ils en jugent ainsi. Mais ils n'avaient en tout cas pas le droit de la présenter comme une acquisition définitive de l'esprit humain, comme une vérité universellement reconnue par les thomistes, *au point que quiconque l'ignore ou la méconnaît puisse être automatiquement accusé de trahir saint Thomas.* L'agressivité systématique de MM. Paquet et Debray s'est ainsi révélée infiniment supérieure à leur connaissance de l'état de la question ([^36]). \*\*\* 50:14 L'escamotage. Toutes ces diversions peuvent difficilement être interprétées comme le signe objectif que, *sur le fond,* nos contradicteurs étaient très à l'aise. On peut *supposer* que s'ils sont allés chercher des diversions tellement extérieures à l'exposé de Marcel Clément, et s'ils leur ont artificiellement donné une telle importance, c'est parce qu'ils croyaient en avoir besoin. Du moins, les *conclusions* de Marcel Clément, qui occupent cinquante pages de notre numéro 10, ont une existence réelle. Si l'on voulait *répondre au fond,* on était bien forcé d'en parler. M. Debray choisit, par une mise en scène qui fut sans doute jugée « habile », de faire semblant. Notre numéro 10 avait paru au début de février. Deux articles de M. Debray, dans *Aspects* du 22 février et du 8 mars, furent apparemment consacrés aux conclusions de Marcel Clément. M. Debray y déclarait bien que la cause était entendue, que Marcel Clément est un imbécile, etc. ; il attestait longuement, il citait les *Libertés françaises :* mais ni les *Libertés françaises* ainsi attestées et citées, ni le propos de M. Debray NE CONCERNAIENT LES CONCLUSIONS DE MARCEL CLÉMENT. 51:14 Ils concernaient seulement des articles *antérieurs* de notre ami, et spécialement son article sur les sciences sociales (numéro 8). Avec de grands gestes et des paroles tonitruantes, on s'efforçait ainsi de *donner l'impression* que l'on avait « répondu ». Répondu peut-être, mais, en fait, PAS AUX CONCLUSIONS SUR LE NATIONALISME. Des cinquante pages de conclusions motivées, M. Debray n'a rien retenu dans le second de ces deux articles *d'Aspects* (8 mars) ; et, dans le premier (22 février), il avait retenu SEULEMENT le *sed contra !* Il écrivait en effet : « M. Clément résume (...) les objections en faveur du nationalisme. *C'est pour les renverser d'une chiquenaude *: « Mais, là-contre, Charles Maurras, lui, estimait... etc. » Et là-dessus M. Debray commente la phrase de Maurras citée par Marcel Clément en *sed contra.* Il fait COMME SI MARCEL CLÉMENT N'AVAIT RIEN DIT D'AUTRE contre les objections, et naturellement il s'exclame que citer une seule phrase contre les objections, ce n'est *qu'une chiquenaude.* Il fait comme si le *sed contra* était la réfutation des objections. Et, bien sûr, il se garde de dire à ses lecteurs que cette « chiquenaude », que cette citation d'une phrase de Maurras, n'est rien de plus qu'un *sed contra,* et que l'argumentation vient ensuite. Le lecteur *d'Aspects* qui n'a pas d'autre source d'information a donc cru, pour l'avoir lu dans son journal, que *toute la réponse de Marcel Clément aux objections nationalistes tenait dans la citation d'une seule phrase de Maurras !* Notons pourtant que très vraisemblablement M. Debray a commis cette erreur en toute bonne foi. Il a dû croire que le *sed contra* représentait le tout, ou l'essentiel, d'une argumentation. M. Debray a des raisons particulières de n'être pas encore très familier avec les méthodes classiques d'exposition philosophique, et sa méprise est excusable. On comprend moins bien qu'il n'y ait eu personne à ses côtés pour la lui signaler, et qu'on l'ait laissé s'enferrer dans une telle bévue. Sans doute aura-t-on trouvé cette bévue « utile ». Faut-il y voir une application, étroite et indue, du fameux « par tous les moyens » ? \*\*\* 52:14 La calomnie. Ces diversions et cet escamotage, leurs auteurs ne les auront sans doute trouvés ni décisifs ni suffisants. Ils y ont donc ajouté la calomnie. Et pas à moitié. La plus énorme constitue la péroraison de M. Debray, dans *Aspects* du 8 mars : « *Que l'on ne nous objecte pas que Madiran ou son commis Clément sont catholiques. Mauriac l'est aussi, et Barrat, et Suffert. Pourquoi serions-nous plus indulgents pour les uns que pour les autres, puisqu'ils* TRAVAILLENT FINALEMENT A LA MÊME FOLIE : LA DESTRUCTION DE LA FRANCE EN TANT QUE NATION ? » On a bien lu. Madiran et Clément TRAVAILLENT A LA DESTRUCTION DE LA FRANCE. M. Debray, qui n'a rien su lire des conclusions de Marcel Clément, et l'hebdomadaire *Aspects,* qui n'a jamais osé reproduire dans ses colonnes un seul des textes qu'il contestait (et souvent défigurait), en ont néanmoins tiré cette conclusion catégorique : Madiran et Clément TRAVAILLENT A LA DESTRUCTION DE LA FRANCE. Cette calomnie et cet outrage sont du 8 mars. Depuis des mois, nous n'en avons pas dit un mot. Pendant ce temps, la calomnie, portée par *Aspects,* par sa propagande, par son organisation, a été répandue dans une partie du public. Le lecteur aura largement eu le temps de voir qui cherche à créer -- et par quels moyens ! -- d'inexpiables hostilités. \*\*\* Un test. La déclaration de Jean Madiran du 27 février 1957 (en tête du numéro 12 d'*Itinéraires*) a reçu un accueil qui est UN TEST DÉCISIF. Cette déclaration ne contenait rien de nouveau. Elle rassemblait d' « un seul tenant », et le disait, les mises au point déjà faites par Madiran, concernant les erreurs contraires à la doctrine de l'Église qu'il avait pu professer dans telles œuvres de jeunesse, et qu'il a repoussées et combattues depuis des années. 53:14 De ces erreurs, Madiran assumait la responsabilité personnelle, publiquement et clairement identifiée, ne laissant ignorer à aucun lecteur qu'il en était bien l'auteur responsable. Cette déclaration notait que la mise en cause personnelle opérée par trois organes de presse (*Aspects, Libertés françaises, Nouvelles de Chrétienté*) était faite « *sans aucune raison sérieuse, du moins exprimée, et apparemment par simple procédé agressif* ». Cette déclaration disait : « N'ayant fondé rien qui ressemble à une école ou à une doctrine, je vois très clairement que l'histoire de ma pensée personnelle n'a aucune importance publique, sauf celle qui lui est donnée pour les besoins supposés d'une polémique peu exigeante sur le choix des moyens... » Elle disait encore : « *Les trois organes de presse qui ont soulevé ces questions ne me paraissent pas réellement préoccupés -- ni personne d'ailleurs -- de l'histoire de ma pensée personnelle depuis ses premiers balbutiements. Si, contre toute probabilité, ces trois organes de presse, ou l'un d'entre eux, estiment que cette histoire personnelle a une importance ou un intérêt quelconque pour leurs lecteurs, je reste prêt à leur donner, dans leurs colonnes, tous les éclaircissements précis et détaillés qui sont en mon pouvoir.* » Il était enfin précisé : « *Je les autorise, eux et quiconque le jugera utile, à la reproduire* (*cette déclaration*) *intégralement dans leurs colonnes.* » Seules, les *Nouvelles de Chrétienté* ont eu la loyauté de reproduire intégralement la déclaration de Madiran. Cet acte -- qui est simplement normal -- nous montre, ou nous fait espérer, que les oppositions qui se sont élevées entre les *Nouvelles de Chrétienté* et nous relèvent pour une part de divergences légitimes et honnêtes, pour une part aussi de malentendus. 54:14 Nous remarquons en outre que les deux articles des *Nouvelles de Chrétienté* gravement injustes à l'égard de Marcel Clément sont d'un collaborateur extérieur et occasionnel, et que les *Nouvelles de Chrétienté* ont évité de les prendre explicitement et formellement à leur compte. Le rétablissement de la paix, dans la mesure où elle a pu être troublée entre les *Nouvelles de Chrétienté* et nous, ne nous semble donc soulever aucune difficulté particulière. Nous croyons comprendre que les *Nouvelles de Chrétienté* le souhaitent autant que nous et que, passé cet orage (comme il est ordinaire, malheureusement, qu'il en survienne parfois dans toutes les relations humaines), nous allons nous retrouver dans le même combat pour la Patrie et la Chrétienté, dans la même amitié française, dans la même fraternité chrétienne. Ou même que c'est déjà virtuellement fait. \*\*\* Mais les deux autres ? Hélas ! Ils ont montré que leurs mises en cause personnelles étaient vraiment opérées « par simple procédé agressif ». Ils ont montré qu'ils ne portaient réellement aucun intérêt sérieux à l'histoire de la pensée personnelle de Madiran « depuis ses premiers balbutiements ». Leurs questions à ce sujet étaient feintes artificieuses et procédés de basse polémique ; elles n'étaient nullement le désir de rechercher et de publier la vérité (une vérité qui d'ailleurs, en l'occurrence, n'a guère d'importance publique) : *ils n'ont pas publié la déclaration de Madiran qui répondait à leurs questions.* On a fait pis encore. Dans *Aspects,* on a évoqué cette déclaration par quelques citations tronquées, de manière à en défigurer totalement la signification. M. Debray, exécutant de cette opération, y a trouvé l'occasion de nouvelles insultes et de calomnies nouvelles (*Aspects du* 5 avril), allant jusqu'à accuser Madiran de « TROMPER SCIEMMENT LE LECTEUR » ! Il est temps de rappeler M. Debray à un peu de mesure. \*\*\* Le cas\ de M. Debray. Nous n'avions rien contre la personne de M. Debray : nous l'avons abondamment cité dans nos colonnes. Nous n'avons rien contre sa personne encore aujourd'hui, même après ce qu'il a fait, et nous tournerons volontiers la page. Mais il faut s'expliquer une bonne fois. 55:14 M. Debray revient de très loin ([^37]). C'est la raison principale pour laquelle la revue *Itinéraires* l'a toujours traité avec cette précaution attentive et sympathique, indulgente aussi, due aux grands convalescents. Néanmoins, quand un grand convalescent a des rechutes manifestes, quand il se jette à bas de son lit, casse le mobilier, lance sa potion à la tête des gens, on ne saurait rester totalement passif. On doit au contraire lui rappeler son état réel, *et tout* ce *que cet état lui impose.* \*\*\* M. Debray a personnellement collaboré à *une entreprise communiste contre la France en guerre.* Dans le journal communiste *Action,* sous les ordres du communiste Pierre Hervé, M. Pierre Debray participait, notamment en décembre 1951 et en janvier 1952, à la campagne communiste de démoralisation de l'armée. M. Pierre Debray y exposait qu' « *au* XX^e^ *siècle il ne peut plus y avoir de guerre juste* » et y développait les thèmes de l'objection de conscience. LA FRANCE ÉTAIT EN PLEINE GUERRE D'INDOCHINE ET M. DEBRAY FAISAIT CELA DANS LE DOS DE NOS SOLDATS. Nous ne prétendons pas juger si cela qualifie vraiment M. Debray pour pontifier comme docteur du patriotisme français dans « l'hebdomadaire d'Action française ». Nous notons simplement qu'il ne s'agissait pas là uniquement d' « erreurs » théoriques, mais d'actes : d'une participation active, en pleine guerre, à la campagne communiste de défaitisme révolutionnaire. Pour ce motif : en matière de patriotisme, NOUS RÉCUSONS LE JUGEMENT DE M. PIERRE DEBRAY. \*\*\* Nous ne voulons point dire pour autant que les fautes de M. Debray contre la patrie, qui furent lourdes, doivent le disqualifier définitivement. « Puisque la bonté de Dieu est si grande, quelle assurance pouvons-nous avoir qu'un homme qui était hier pécheur le soit aujourd'hui ? 56:14 Le jour précédent ne doit pas juger le jour présent, ni le jour présent ne doit pas juger le jour précédent : il n'y a que le dernier qui les juge tous... (Nous) ressouvenant et faisant ressouvenir la compagnie que ceux qui ne tombent pas en faute en doivent toute la grâce à Dieu. » (Saint François de Sales, *Introduction à la vie dévote,* III, 29.) Nous pensons que M. Debray peut réparer ces fautes, en les avouant, *et surtout,* en démontant publiquement *les mécanismes idéologiques,* ou autres, qui l'y avaient entraîné : afin d'éclairer ainsi, et de prémunir, LES CATHOLIQUES QUI SONT AUJOURD'HUI AMENÉS, EN PLEINE GUERRE D'ALGÉ­RIE, A FAIRE L'ÉQUIVALENT DE CE QUE FAISAIT M. DEBRAY EN PLEINE GUERRE D'INDO­CHINE. Nous voulons bien l'aider à compenser par là, s'il se peut, les destructions irréparables auxquelles il a coopéré. Mais ce n'est pas à lui de nous donner des leçons. C'est même l'inverse. \*\*\* M. Debray était encore en 1952 membre de la « Commission permanente » qui dirige en France le « Mouvement (soviétique) de la Paix » ; et membre du « secrétariat national » qui dirige l' « Association France-U.R.S.S. » : le caractère très spécial de cette dernière organisation est notoire. D'ailleurs M. Debray signait la pétition en faveur des espions communistes grecs qui venaient d'être condamnés à Athènes (*Humanité* du 5 mars 1952.) M. Debray a fait en U.R.S.S. un voyage organisé par l'appareil communiste. Il en a rapporté un livre : *Un catholique retour d'U.R.S.S.,* diffusé par la « Librairie France-U.R.S.S ». Que nous sachions, M. Debray n'a jamais contredit explicitement et réparé point par point le mal fait par ce livre. Il a sans doute encore besoin de réfléchir à ces questions. Quand il s'estimera suffisamment éclairé sur la réalité des persécutions religieuses en U.R.S.S., il pourra utilement s'atteler à cette tâche de réparation avant de prétendre juger son prochain. Dans la revue *France-U.R.S.S.,* sous les ordres du communiste Fernand Grenier, M. Pierre Debray a raconté ce qu'il avait « *vu* » en U.R.S.S., à savoir : « *La liberté du culte, la liberté de prédication sont entières* (sic) *en U.R.S.S.* » 57:14 « *En U.R.S.S., les croyants sont convaincus qu'aucune atteinte n'est portée à leur foi* ([^38]). » M. Debray a vu et entendu cela en U.R.S.S. : il l'a *observé* en personne (à moins de supposer qu'il ait délibérément menti). Il ne s'agit pas là de quelque erreur théorique sur quelque point délicat ou contesté de philosophie. Il s'agit d'observation et de témoignage. Quand aujourd'hui M. Debray prône les méthodes d'*observation* sociale, c'est une manifestation de bonne volonté que nous apprécions et dont nous le félicitons : mais on ne peut pas supposer que M. Debray soit très doué pour une telle observation, ni très qualifié pour en enseigner les méthodes. En U.R.S.S., M. Debray avait tout de même remarqué qu'il y avait peu de prêtres. Mais il avait découvert une explication : c'est parce que « *le Patriarcat de Moscou sacrifie délibérément la quantité à la qualité* » !!! ([^39]). D'ailleurs, assurait-il dans un autre numéro de la même revue *France-U.R.S.S.,* « *la constitution stalinienne normalise les rapports entre l'Église et l'État* » ([^40]). Et en octobre 1952, dans la même revue *France-U.R.S.S.,* M. Pierre Debray faisait l'éloge de Staline. Il pouvait le faire et on pouvait l'en croire, puisqu'il était allé en U.R.S.S. : c'était le témoignage d'un homme féru d'observations concrètes. Le tirage de la revue *France-U.R.S.S.* oscillait alors entre 110.000 et 125.000 exemplaires. M. Debray pourrait s'occuper de détromper, sur ces points précis, l'immense public qui a été abusé par son témoignage. M. Debray pourrait, fort utilement, révéler au public français *en quoi, pourquoi et comment* il a pu être aussi complètement trompé. Voilà qui serait œuvre profitable. Il pourrait aussi révéler comment fonctionne « France-U.R.S.S. » : il doit le savoir, puisqu'il était de la direction. Nous n'avons pas vu qu'il l'ait jamais fait. Quand il s'y décidera, il accomplira une tâche d'intérêt public, *directement utile à la défense nationale du pays,* et nous serons avec lui pour l'aider à diffuser les leçons d'une aussi affreuse expérience. 58:14 Car, enfin, *savoir par quels moyens* techniques, psychologiques, politiques, ou autres, un catholique peut être amené par les communistes à faire tout cela, à croire tout cela, -- voilà qui est vraiment, et aujourd'hui plus que jamais, d'intérêt national. \*\*\* Le 5 avril, en tronquant dans *Aspects* la déclaration de Madiran, M. Debray a fait une rechute spectaculaire dans les procédés et les techniques dont il avait fait l'apprentissage et pris l'habitude lorsqu'il travaillait sous les ordres des communistes Fernand Grenier et Pierre Hervé. C'est d'ailleurs un motif objectif, du moins pour nous, de considérer cette rechute avec indulgence. Avec la même indulgence que nous considérons l'ensemble des excès auxquels il s'est porté dans les colonnes *d'Aspects.* Ce que nous comprenons mal, c'est que la direction d'*Aspects,* connaissant le passé récent de M. Debray, ne lui ait pas représenté qu'il est beaucoup trop tôt pour lui de se poser en docteur du catholicisme, ou en juge du patriotisme de ses compatriotes. \*\*\* Mieux conseillé, M. Debray, qui a déjà compris tant de choses, aurait certainement compris aussi qu'il devait de toute urgence s'employer à faire le bilan explicite et détaillé de ses erreurs et de ses fautes publiques contre la patrie et la religion, pour en tirer les leçons précises et *prévenir les catholiques contre les pièges* dont il avait fait cruellement l'expérience, en y tombant lui-même si totalement. Sur ce terrain, L'APPORT DE M. DEBRAY SERAIT IRREMPLAÇABLE. A condition du moins d'exister. Comment a-t-il pu se faire que personne n'ait songé à le guider dans cette voie, la plus utile, la seule honorable ? Comment se fait-il que personne n'ait expliqué à M. Debray qu'il doit premièrement mener à bien cette tâche de réparation, d'information publique, de mise en garde, qui seule lui donnera le droit de parler *ensuite* d'autre chose ? Il ne faut pas reprocher à M. Debray de n'y avoir pas songé de lui-même. Revenant à la patrie, il aura naturellement fait confiance aux anciens et à leurs conseils. 59:14 Mais ces anciens, dont le patriotisme est généralement éclairé sur les points les plus classiques, et sur la défense de la Patrie telle qu'elle s'effectuait traditionnellement, par exemple entre 1890 et 1914, au moment de l'affaire Dreyfus ou de Kiel et Tanger, sont souvent mal informés et mal avertis de la forme concrète et précise des périls que l'action communiste fait actuellement courir à la nation française, avec celles de ses techniques particulières qui se sont plus particulièrement développées en France depuis 1944 ([^41]). Sans doute n'auront-ils pas compris l'intérêt majeur qu'il y aurait à analyser et dénoncer publiquement ces techniques -- qui font aujourd'hui plus de victimes que jamais -- avec le concours de quelqu'un ayant personnellement travaillé, *à des postes de direction,* à la mise en œuvre de telles techniques. Pour cette raison probablement, le *conseil profitable* a manqué à M. Debray. Si bien qu'*il le trouve seulement ici,* et dans des circonstances qui lui seront amères. Mais, s'il a du caractère, et nous croyons qu'il en a, qu'il passe sur cette amertume, et qu'il retienne le contenu du conseil, qui lui est très cordialement donné. IL N'EST PAS TROP TARD. \*\*\* En tout cas, ayant dit ce que nous avions à dire, nous tirons un trait sur les torts que nous a faits M. Debray. Nous demandons à M. Debray de *ne plus se souvenir que de ses torts envers la religion et la patrie :* pour les éclairer, et pour éclairer tous ceux qui chaque jour sont tentés par les mêmes séductions artificieusement ourdies par l'appareil communiste. Nous serons alors, fraternellement, à ses côtés. \*\*\* Et maintenant ? Maintenant, *Aspects* et les *Libertés Françaises* peuvent choisir de continuer dans la même voie, ou de se reprendre et de ne pas continuer. 60:14 Continuer dans cette voie d'hostilités aussi violentes qu'artificielles, inexactes et injustes ? Dans cette voie, il sont sur une pente qui les a conduits déjà, semaine après semaine et mois après mois, à laborieusement *en remettre* toujours davantage. S'ils continuent, il leur faudra *en remettre* encore plus. En nous accusant de *travailler à la destruction de la France,* ils ont déjà dépassé l'odieux pour tomber dans le grotesque : nous le leur disons sans élever la voix, sans colère et, croyons-nous, sans rancune, nous le leur disons calmement, parce que cela est ; et pour qu'enfin ils s'en aperçoivent. S'ils ne décident pas de s'arrêter, ils seront condamnés à aller plus loin encore. Il leur faudra nous accuser maintenant d'avoir tué père et mère, d'avoir volé les tours de Notre-Dame... Contrairement à ce que le proverbe fait croire aux machiavels, ces accusations ne trouvent pas toujours crédit. Il arrive au contraire qu'elles se retournent contre leurs auteurs, et en l'occurrence c'est dommage. Certes, nous ne partageons pas toutes leurs positions théoriques, nous n'approuvons pas tous leurs procédés, loin de là, mais nous pensons au renfort utile qu'ils peuvent apporter à la défense de la patrie et de la chrétienté. Pourquoi s'obstinent-ils à se discréditer et s'isoler eux-mêmes par des injures, des excès, des contre-vérités que désapprouvent même ceux qui sur d'autres points leur font encore confiance ? Nous sommes disposés à considérer, malgré les apparences fâcheuses, répétées et concordantes, que tout cela ne fut qu'étourderie ou passion, et à ne plus nous en souvenir. La France a besoin de tous les Français, l'Église a besoin de tous les catholiques. Dans nos débats, dans nos confrontations, N'ALLONS PAS OUTRAGER, DIFFAMER ET EXCLURE. Au demeurant, ceux qui croient pouvoir prononcer des exclusives entre Français, ou entre catholiques, s'aperçoivent souvent, mais ordinairement trop tard, qu'ils n'ont en définitive exclu qu'eux-mêmes. Pour nous, nous travaillons et nous continuerons de travailler à faire cesser entre Français, entre catholiques, ces mœurs de guerre civile. A ceux d'*Aspects,* à ceux des *Libertés françaises* comme aux autres, nous proposons de tirer un trait sur ces pénibles incidents, et de replacer nos discussions, quand discussions il y a, dans le cadre de l'amitié française, de la fraternité chrétienne, de l'unité catholique. \*\*\* 61:14 L'occasion. Voici d'ailleurs une occasion. *L'Enquête sur le nationalisme* paraît en volume. On peut la relire calmement et en prendre une vue d'ensemble. On y retrouvera les textes de Marcel Clément dont on avait méconnu la signification et sous-estimé la portée lors de leur parution dans *Itinéraires.* On y trouvera aussi les compléments qu'il y a apportés. Et la préface de Jean Madiran. Sur le nationalisme, sur la physique sociale et sur le politique d'abord, nos positions ne sont pas celles d'*Aspects* ou des *Libertés françaises :* mais ils pourraient peut-être s'apercevoir, avec quelque attention méthodique, que nos positions sont COMPLÉMENTAIRES des leurs, plus souvent que CONTRAIRES. Ils peuvent, bien sûr, discuter et contredire : une enquête, un débat, un livre sont faits pour cela. Mais défigurer systématiquement nos positions et systématiquement insulter nos personnes n'a rien à voir avec une discussion sérieuse et une contradiction motivée. Prétendre, comme l'ont fait, sans l'ombre d'un motif valable, les *Libertés françaises* (numéro 18, page 104), que nous entendrions « démontrer par a + b » que la levée de l'index survenue en 1939 serait aujourd'hui contredite ou supprimée, c'est déformer tout ce que nous avons écrit, c'est nous faire dire le contraire de ce que nous avons dit ([^42]). 62:14 Tout à l'opposé, nous luttons contre les injustes *ségrégations,* et notamment contre la ségrégation dont sont souvent victimes, à l'intérieur du catholicisme français, les catholiques dits « maurrassiens ». Nous croyons qu'en 1926 avaient existé de *justes* motifs de condamnation, et qu'en 1939 ils avaient *cessé d'exister* ([^43]). Nous ne voudrions, nous ne souhaitons pas que ces motifs, ou d'autres, renaissent aujourd'hui. D'ailleurs, ce n'est pas nous qui en sommes juges d'aucune façon. 63:14 Nous croyons, comme l'enseigne Pie XII dans son dernier Message de Noël, et nous professons après lui et avec lui, qu'aujourd'hui, dans la situation créée en Occident par le développement de la démocratie moderne (et laïque), « *la réforme des institutions n'est pas aussi urgente que la réforme des mœurs* » ([^44]). Nous prenons acte du fait que ni *Aspects* ni *Libertés françaises,* qui nous accusent de déformer l'enseignement de Pie XII, n'ont ni publié ni commenté dans leurs colonnes cette très claire et très impérative indication du Souverain Pontife, et ont jusqu'ici omis -- à la différence des *Nouvelles de Chrétienté --* de la confronter avec leur interprétation du « politique d'abord » ([^45]). 64:14 Nous n'avons jamais prétendu pour autant, comme nous l'ont fait dire les *Libertés françaises* (numéro 18, pages 115, 116 et *passim*) que la politique ne comporterait « que des problèmes de pure morale », ou que Maurras n'aurait « saisi aucune vérité politique ». Nous avons même très clairement dit le contraire de ce que nous font dire là les *Libertés françaises* ([^46]). Marcel Clément a très précisément rendu hommage, notamment dans ses conclusions, à l'œuvre accomplie « sous les bannières du nationalisme français » : 65:14 « Charles Maurras a répondu à une vocation profonde en combattant pour rétablir la vérité sur l'histoire de France, pour s'opposer, non sans le courage d'un lutteur infatigable et passionné, à des erreurs mortelles, et souvent avec succès. Tout cela, avec ses compagnons, il l'a fait sous les bannières du nationalisme français, et cela doit suffire pour que ce nom soit respecté de tout homme sachant de quoi il parle et ayant le courage de l'écrire ([^47]). » On peut trouver cet hommage insuffisant. On peut aussi, d'ailleurs, le trouver excessif ou insuffisamment nuancé. Mais on ne peut pas, du moins honnêtement, le mettre sous la table et dire qu'il n'existe pas. \*\*\* Une question de conscience. Nous croyons et nous disons que l'on peut parfaitement être « maurrassien » et catholique. Mais nous pensons, nous croyons, nous professons que, dans ce cas, on ne peut se contenter d'extraire occasionnellement quelques bribes de l'enseignement pontifical pour les intégrer à une synthèse politique maurrassienne. 66:14 Nous croyons qu'un catholique ne peut pas non plus se construire une DOCTRINE politique abstraction faite de l'Évangile. Nous croyons qu'il faut juger la pensée de Maurras à la lumière de l'enseignement pontifical, et non l'inverse. Nous croyons et nous professons que le *maître à penser,* comme le Maître tout court, pour tous les catholiques, est Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous parle par la bouche de son Vicaire, Notre Saint Père le Pape. Nous le croyons en conscience. Peut-être le croyons-nous *mal,* c'est-à-dire avec insuffisance ou (si cela a un sens) avec excès. Nous sommes prêts à en discuter, et à bénéficier des observations et critiques que l'on voudrait bien nous faire. Mais ce ne sont pas des injures, des campagnes de presse, des propagandes systématiquement hostiles, des intimidations verbales qui nous feront abandonner cette position. L'Action française a répété pendant cinquante ans qu'elle apportait une DOCTRINE... Nous sommes prêts à reconnaître, nous n'avons attendu personne pour le faire, nous l'avons fait maintes fois dans cette revue, peut-être même l'avons-nous fait trop plutôt que pas assez, -- nous sommes prêts à reconnaître -- dans chaque cas concret -- et quand il y a lieu -- la vérité *d'observations politiques* faites ou formulées par Maurras, ou rénovées par lui, A CONDITION QU'ON LES INTÈGRE -- ce qu'il n'a point fait -- et ce qu'il aurait certainement fait après sa conversion --, à condition, disons-nous, qu'on les intègre DANS UNE SYNTHÈSE CHRÉTIENNE qui seule leur donne avec exactitude et certitude leur place réelle, leur portée véritable, leur signification valable. Il se peut que le rappel des exigences chrétiennes gêne telle ou telle politique concrète : nous ne l'avons pas voulu et nous n'y pouvons rien. Si cette gêne n'est pas une apparence superficielle, si cette gêne est réelle, cela signifie très vraisemblablement que la politique en question aurait besoin de se mettre en règle soit plus *explicitement,* soit plus *exactement,* soit les deux, avec les exigences chrétiennes. Mais organiser une campagne de diffamations contre nos personnes parce que nous portons autant qu'il est en nous témoignage de ces exigences chrétiennes est un mauvais calcul, même politiquement. Va-t-on se condamner à attaquer systématiquement tous ceux qui professent avec Pie XII qu'aujourd'hui « *la réforme des institutions n'est pas aussi urgente que la réforme des mœurs* » ? 67:14 Va-t-on mettre en accusation le général Weygand parce qu'il donne semblablement la consigne chrétienne d'un redressement à accomplir DANS L'ORDRE MORAL D'ABORD ? Parce qu'il affirme et nous rappelle que L'UNITÉ DE LA FRANCE EST EN RÉALITÉ UN BIENFAIT D'ORDRE SPIRITUEL DONT IL CONVIENT DE RENDRE GRÂCES A DIEU PLUTOT QU'AUX HOMMES ? Parce qu'il invite les Français à retrouver, à renouer avant tout LA FIDÉLITÉ A DIEU DES HOMMES ET DES INSTITUTIONS ? A l'appel de Weygand, quelque chose déjà a bougé dans l'âme de la France. Va-t-on se tenir à l'écart ? Ou y faire obstacle ([^48]) ? \*\*\* Sur le nationalisme :\ le mot et la chose. On ne pourra en tout cas indéfiniment prétendre qu'aucune question n'est posée, qu'aucune difficulté n'est soulevée concernant le « nationalisme ». Pie XII, dans son Message de Noël 1954, s'élève contre la « *politique nationaliste* ». Dire que « *la politique nationaliste* » est condamnée mais que « *le nationalisme politique* » ne le serait pas est malaisément soutenable. Le FAIT MANIFESTE est que les termes *nationalisme, nationaliste,* DEVIENNENT dans le vocabulaire catholique DES TERMES UNIQUEMENT PÉJORATIFS. Cette évolution, ou cette précision progressive, du vocabulaire catholique sur ce point, le Chanoine Barthas l'a étudiée en détail : nous avons cité le passage de son travail où il résume son étude, nous avons cité l'approbation qu'il avait reçue dès 1945 du Cardinal Saliège (voir *Itinéraires,* numéro 8, pages 89-91). Le Cardinal Saliège écrivait : « Il y a des vertus qui, dépassant certaines limites et n'étant pas modérées, équilibrées par d'autres vertus, aboutissent à des catastrophes. C'est ainsi que le patriotisme peut devenir le nationalisme. » 68:14 Telle est la manière dont sous nos yeux, depuis dix et vingt ans, ou même trente, se précise la vocabulaire catholique. Nous répétons que c'est là un fait. Un fait visible. Et même manifeste. Regretter ce fait, ou vouloir en limiter la portée, est une chose. Mais le nier, prétendre qu'il n'existe pas, est une commodité artificielle et inexacte qui ne pourra durer bien longtemps, et qui réserve d'amères déceptions à ceux qui s'y confient. Si l'on conteste les commentaires de Marcel Clément, du moins n'a-t-on pas le droit de les présenter comme une fantaisie qui lui serait personnelle. On n'a le droit ni de nier ni de taire l'article très explicite et très catégorique de l'*Osservatore romano* sur le nationalisme (édition française, numéro du 31 août 1956 ; cité dans *Itinéraires,* numéro 7, pages 89 et suivantes). C'est bien un *fait manifeste* que par une évolution, ou une précision, du langage catholique, *nationalisme* est devenu un mot désignant une erreur. \*\*\* On peut dire qu'il existe un nationalisme français partiellement ou totalement exempt des erreurs dénoncées par le Souverain Pontife sous les termes de « *politique nationaliste* ». Il faut alors le démontrer : prétendre que la question ne se pose pas est enfantin. Et, si une telle démonstration est valable (ce qui demande examen, d'autant plus que certains nationalistes semblent ne plus savoir exactement où ils en sont avec leur nationalisme : ce qui est une raison supplémentaire de procéder à une telle réflexion), il reste encore une difficulté : est-il vraiment souhaitable de continuer à nommer d'un terme qui est péjoratif dans le vocabulaire catholique, une attitude ou une méthode politiques que l'on tient pour entièrement bonnes ? \*\*\* Ce sont ces questions, BIEN RÉELLEMENT POSÉES PAR LES FAITS, que Marcel Clément examine dans le livre de l'*Enquête sur le nationalisme.* Ce n'est pas Marcel Clément, ni Madiran, qui auraient imaginé ou fabriqué ces difficultés, comme a voulu le faire croire une campagne de propagande entièrement inexacte dans son principe même. Ce n'est pas la revue *Itinéraires* qui aurait INVENTÉ CES QUESTIONS. 69:14 Le prétendre, c'est travestir complètement les faits (ou en avoir une ignorance monumentale). Ces questions existent. Ces questions sont posées par l'état actuel du langage catholique, et par les explicitations et précisions que Pie XII apporte à la doctrine de l'Église (et que plusieurs théologiens ignorent, en considérant la doctrine de l'Église comme une chose qu'ils auraient apprise et comprise une fois pour toutes, ce qui est bien présomptueux). La seule initiative de la revue *Itinéraires* est d'avoir institué un examen méthodique de ces questions objectivement posées, et d'y avoir convié notamment ceux qui sont les premiers concernés : les nationalistes. Reprocher à *Itinéraires* d'avoir « soulevé une telle question » peut provenir d'un bon et noble sentiment. Mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'un tel reproche ne signifie rien. Ou qu'il ne pourrait en définitive signifier que ceci : que l'on préférerait tenir le public nationaliste DANS L'IGNORANCE des problèmes *de doctrine et de vocabulaire* qui sont effectivement posés au sujet du nationalisme ? En étudiant le livre de *l'Enquête sur le nationalisme,* on se rendra compte que ces questions réclament, dans l'intérêt de tous, et dans l'intérêt même des nationalistes, un examen approfondi. \*\*\* La responsabilité de chacun. En vérité, les travaux de Marcel Clément appellent l'étude et la réflexion. Certains ont cru pouvoir les parcourir rapidement, cueillir un mot ici, une phrase là, et crier à l'injustice, à la profanation, à l'ignorance. Ils ont fait ainsi des contresens énormes et manifestes. Mais enfin, là non plus, il n'est pas trop tard. Voici le livre de l'*Enquête sur le nationalisme,* qui pourrait s'appeler aussi : ESSAI D'UNE POLITIQUE CHRÉTIENNE. On aurait tort de ne pas l'étudier avec le sérieux, la méthode, l'attention -- et le sang-froid -- qu'il requiert. On s'exposerait de nouveau à n'y rien comprendre et à donner cette incompréhension en spectacle. Si l'on sait lire et si l'on s'en donne la peine, on s'apercevra que Marcel Clément n'exclut ou ne dévalorise ni l'observation, ni l'expérience, ni l'histoire ; ni les méthodes inductives ; ni, plus généralement, la raison naturelle. Mais il les intègre à leur place dans une synthèse chrétienne. Il les assume dans la perspective d'une pensée et d'une action qui consistent à *tout instaurer dans le Christ,* comme nous y invite, avec une insistance dramatique, le Saint-Père. 70:14 Enfin, Marcel Clément n'impose ni ne prétend rien imposer ; il propose. A chacun d'en prendre ce qu'il peut, d'en laisser ce qu'il veut. Ou de proposer d'autres solutions aux questions posées. Ou d'apporter ses objections et ses critiques. Mais ce qu'il faudrait comprendre surtout, c'est l'urgence, véritablement tragique, d'un tel dessein, d'une telle pensée, d'un tel effort. Le délai qui nous est encore laissé par la Miséricorde divine pour *tout instaurer dans le Christ,* y compris la politique, est peut-être assez long ; il est peut-être très court. \*\*\* Et la responsabilité de chacun d'entre nous est réelle et terrible. Ce n'est pas Madiran qui « ne peut écrire une page sans invoquer Notre-Seigneur Jésus-Christ », comme le lui reprochait bizarrement *Aspects* du 5 avril. C'est le général Weygand -- un soldat -- qui nous dit : « QUE TOUT CE QUE VOUS DIREZ SOIT PENSÉ DEVANT VOTRE FOI : N'OUBLIEZ PAS QU'IL Y VA DU SALUT DE VOS ÂMES. » C'est encore le général Weygand qui donne la consigne civique de « *remonter tous les degrés descendus *DANS L'ORDRE MORAL TOUT D'ABORD, *dans l'ordre matériel ensuite.* » Ceux qui n'entendent pas l'enseignement de Pie XII, ceux qui accusent Marcel Clément de le commenter « en y ajoutant des vues personnelles et discutables », entendront-ils du moins le témoignage civique, l'appel patriotique de Weygand ? \*\*\* NOUS REMARQUONS -- il n'est que d'ouvrir le livre de l'*Enquête sur le nationalisme* pour s'en apercevoir -- que les plus connus, les plus qualifiés intellectuellement, les plus influents des catholiques dits « maurrassiens » ont répondu à notre enquête avec attention et sérieux ; avec courtoisie ; parfois ou souvent, avec cette amitié d'esprit et de cœur qui manifestent une claire conscience de tout ce que, catholiques et Français, nous avons en commun d'essentiel : la Patrie et la Foi. 71:14 Le groupe politique qui s'est distingué par une campagne hostile et calomnieuse contre nous s'est en l'occurrence *isolé,* même à l'égard de l'ensemble des nationalistes maurrassiens. Nous remarquons cet isolement parce qu'il est un fait objectif. Mais nous ne cherchons nullement à y enfoncer ou à y maintenir ce groupe politique. Ce n'est pas notre affaire. Et nous sommes opposés à toutes les exclusives sectaires. Nous souhaitons que le groupe politique en question fasse oublier les procédés que nous avons dû relever, et qu'il revienne, nous le répétons, aux dispositions et aux usages que commandent l'amitié française, la fraternité chrétienne, l'unité catholique. Notre porte reste ouverte. \*\*\* PARMI LES NOMBREUSES LETTRES qui sont venues nous manifester, face aux calomnies et aux outrages, une émouvante amitié, une compréhension exacte de nos positions, une volonté déterminée de nous soutenir, il en est beaucoup que nous voudrions citer ici. Nous n'en citerons qu'une, une de celles qui rappellent l'essentiel, et qui en ce sens résument toutes les autres. Elle évoque un souvenir personnel : « La Ferronnays me disait quelques jours avant sa mort, alors que j'étais allé le voir à la clinique où les abominables traitements qu'il avait subis en prison l'avaient cloué sur un lit de douleurs : « L'ADVERSITÉ M'A FAIT COMPRENDRE CECI, ET NE L'OUBLIEZ JAMAIS : IL N'Y A PLUS POUR NOUS GUIDER QU'UN SEUL PHARE : LE PAPE ; UNE SEULE LUMIÈRE : ROME ; UNE SEULE VOIX : CELLE DU SAINT-PÈRE. » C'est l'avertissement capital que formulait saint Pie X, alors patriarche de Venise. Il n'était pas encore Pape, il était déjà saint. Devant le développement des tares fondamentales de la société moderne, il déclarait : « LA SOCIÉTÉ EST MALADE. TOUTES LES PARTIES DE SON CORPS SONT TOUCHÉES ; LES SOURCES DE LA VIE SONT ATTEINTES. L'UNIQUE REFUGE, L'UNIQUE REMÈDE, C'EST LE PAPE. » Telle est, pour les sociétés modernes en perdition, pour les nations chrétiennes qui sont comme dépossédées elles-mêmes, « la voie de salut bien repérée ». La seule. Suivre le Pape pour tout instaurer dans le Christ. 72:14 TOUT INSTAURER dans le Christ ne signifie pas détruire ou exclure quoi que ce soit, ni la politique, ni le patriotisme, ni la raison naturelle : mais tout ce qui ne sera pas instauré dans le Christ -- y compris la raison naturelle, le patriotisme et la politique -- sera condamné à la confusion et se trouve déjà, dans les ténèbres, aux portes de la mort. 73:14 ### Contre l'omnipotence des administrations d'État : la corporation A la suite de notre article : « Naissance d'une nouvelle administration d'État », qui a paru dans le numéro 11 de cette revue (mars 1957), nous avons reçu la lettre suivante du président de la « Fédération nationale des syndicats de propriétaires forestiers sylviculteurs » 6, rue de la Trémoille, Paris VIII^e^ : Monsieur le Directeur, L'article publié dans votre numéro de Mars 1957 sous le titre « Naissance d'une nouvelle Administration d'État » contient (page 35), en ce qui concerne le seul de ses objets qui appartienne au domaine de notre compétence technique, de lourdes erreurs de fait : Le Conseil Supérieur de la Forêt privée contient, dit-il, 8 représentants des sylviculteurs (qui seraient les fournisseurs de plants pour le reboisement) et les représentants de la Fédération Nationale des propriétaires forestiers en seraient au contraire écartés... Or les sylviculteurs ne sont nullement des fournisseurs de plants. Ce sont les propriétaires forestiers que l'on désigne de ce nom, et les 8 sylviculteurs membres du Conseil Supérieur y sont précisément les représentants de la Fédération Nationale des propriétaires forestiers. Jusqu'à présent, l'Administration des Forêts n'a pas mérité le reproche que vous adressez très justement à la plupart des administrations publiques, et le Fonds forestier, notamment, est géré dans un esprit très libéral et très raisonnable. Un changement peut évidemment survenir et notre Fédération montre beaucoup de vigilance, mais il lui a paru utile de vous signaler que, pour le moment au moins, votre critique n'est aucunement fondée. Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de nos sentiments les plus distingués. *Le Président :* A. DUBOIS. 74:14 Cette réclamation est très bien fondée quant à ce que représentent réellement les « syndicats de propriétaires forestiers sylviculteurs ». Malheureusement il y a deux sociétés de ce genre. Celle qui dit comme l'administration forestière de l'État est représentée au Conseil supérieur de la Forêt privée. Celle qui combat les projets de l'administration en est exclue. \*\*\* OR CES PROJETS ne sont pas peu de chose : c'est une mainmise de l'État sur la propriété privée, une quasi-socialisation, une dictature de technologues, dirigeant la production d'un bureau de Paris : TITRE VI, DE LA LOI CADRE AGRICOLE\ CONSERVATION DU PATRIMOINE FONCIER ARTICLE 20. -- Le gouvernement est autorisé à prendre par décret les mesures propres à permettre une délimitation des zones forestières et des zones agricoles et à réglementer les semis et plantations d'arbres forestiers dans les zones agricoles à des distances supérieures à celles prévues à l'article 671 du Code Civil. LES SEMIS ET PLANTATIONS D'ARBRES FORESTIERS DANS LES ZONES AGRICOLES FERONT L'OBJET DE DÉCLARATIONS QUI SERONT ADRESSÉES A L'ADMINISTRATION DES EAUX ET FORÊTS DANS UN DÉLAI QUI N'EXCÉDERA PAS QUATRE MOIS A COMPTER DE LA DATE DE DÉCLARATION, LE PRÉFET POURRA S'OPPOSER A LA RÉALISATION DE CES TRAVAUX. L'absence de déclaration de semis ou de plantation expose le contrevenant à une amende de 4.000 à 24.000 frs. ARTICLE 21. -- LE GOUVERNEMENT ÉDICTERA TOUTES DISPOSITIONS propres à assurer la préservation du territoire agricole et la mise en valeur des terrains dont le défaut ou l'insuffisance d'exploitation agricole apparaît, dans le cadre de la politique démographique, contraire à l'intérêt national. IL POURRA NOTAMMENT PRÉVOIR : a) la constitution de groupements, sociétés, organismes publics ou privés ; b) DES TRANSFERTS DE PROPRIÉTÉS OU DE JOUISSANCES ; c) la modification du régime fiscal afférent aux terrains ci-dessus désignés ; d) l'octroi d'une aide financière de l'État. 75:14 ARTICLE 22. -- AUCUNE COUPE assise dans une propriété boisée non soumise au régime forestier et faisant partie d'un massif d'une contenance supérieure à 50 hectares NE PEUT ÊTRE EXPLOITÉE SANS UN PERMIS DÉLIVRÉ AU PROPRIÉTAIRE PAR L'ADMINISTRATION DES EAUX ET FORÊTS. Par dérogation aux dispositions qui précèdent, le permis n'est pas nécessaire pour les coupes prévues par un règlement d'exploitation préalablement approuvé par l'Administration des Eaux et Forêts ni pour les coupes exclusivement destinées à la consommation rurale et domestique. UN DÉCRET PRÉCISERA LES CONDITIONS D'APPLICATION DU PRÉSENT ARTICLE AINSI QUE LES SANCTIONS à l'égard des contrevenants. ARTICLE 23. -- LES INFRACTIONS SONT CONSTATÉES PAR LES FONCTIONNAIRES DE L'ADMINISTRATION DES EAUX ET FORÊTS. Les dispositions du Titre XI du Code forestier sont applicables à la poursuite de ces infractions et à l'exercice du droit de transaction de l'Administration des Eaux et Forêts. L'action se prescrit par six ans, à compter de l'époque où l'infraction a été commise. ARTICLE 24. -- LES MODALITÉS DE LA DÉLIVRANCE DU PERMIS, ainsi que les conditions auxquelles elle peut être subordonnée, SONT FIXÉES PAR UN DÉCRET pris en Conseil d'État. Nous attirons l'attention de nos lecteurs sur ces projets. Même ceux qui n'ont pas d'intérêts forestiers doivent lire ce texte qui leur montre où aboutit la domination des administrations qui remplacent chez nous le gouvernement. C'est un état analogue à ce qui se voit en Russie. Sans doute il y a des prétextes à tout cela. Par exemple : quelqu'un s'avise de vouloir planter un bois au milieu des cultures. Il empoisonne tous ses voisins car la distance de plantation à la rive d'un champ (six pieds, soit deux mètres) est beaucoup trop faible. Dans les régions montagneuses, il peut y avoir intérêt à un remembrement forestier. Mais ce sont toujours des cas régionaux qu'il est absurde de vouloir régler d'une manière uniforme pour toute la France. Et M. André Dubois, et la plupart de ses émules de l'une et de l'autre société, sont parfaitement capables de s'entendre pour faire des règlements utiles sans passer par l'administration d'État. \*\*\* 76:14 VOYONS MAINTENANT comment le syndicat dessus dit défend ces libertés régionales et la liberté tout court. M. VERHILLE : Au sujet du permis d'exploiter, dont nous allons discuter cet après-midi, pouvons-nous demander à M. le Directeur Général des Eaux et Forêts l'engagement très formel que nous serons entendus et écoutés LORS DE LA RÉDACTION DES DÉCRETS D'APPLICATION, si un texte quelconque est voté qui pose le principe du rétablissement de ce permis ? Si nous obtenions cette assurance, nous resterions neutres, sinon nous serions sans doute hostiles. M. MERVEILLEUX DU VIGNAUX : Cet article 22 n'est pas le fait de mon Administration. Il reproduit le règlement N° 16 en l'appliquant au propriétaire et non plus à l'exploitant forestier. Il est certain que s'il passe, VOUS SEREZ APPELÉS, je vous en donne l'assurance, À CONCOURIR À LA RÉDACTION DES TEXTES RÉGLEMENTAIRES. Mais j'irai plus loin : si c'était possible, JE VOUDRAIS bien, Messieurs, VOUS ASSOCIER À CETTE ŒUVRE JUSQU'À L'ÉCHELON DÉPARTEMENTAL. IL FAUDRAIT EN SOMME QU'IL Y AIT, DANS CHAQUE DÉPARTEMENT, UN PETIT « TRIBUNAL » où les propriétaires seraient largement représentés et qui serait chargé D'ÉTUDIER les cas difficiles et de donner un avis (ce pourrait être la Commission de la Forêt privée) et qu'il puisse y avoir APPEL sur le plan national devant un conseil de composition analogue et qui pourrait être le Conseil Supérieur de la Forêt privée. Ainsi donc, si cette loi passe, IL SERA INDISPENSABLE, non seulement que vous donniez votre avis lors de la rédaction des textes réglementaires, mais aussi QUE VOUS CONSENTIEZ À VOUS ASSOCIER A LEUR APPLICATION. M. DUBOIS : Je veux remercier solennellement M. le Directeur général. Je serai bref : SES PAROLES ONT ÉTÉ D'OR. On voit que cette Fédération accepte tous les projets de l'Administration, et demande simplement d'être consultée sur l'application. D'où vient la faiblesse de ces sociétés (de celle qui proteste comme de celle qui accepte), devant l'Administration ? Au fond elles ne représentent qu'elles-mêmes. Il n'y a pas de Fédération nationale des propriétaires forestiers, mais une fédération de syndicats départementaux qui eux représentent vraiment, dans leurs régions respectives, les « autorités sociales » en matière de forêts. Un propriétaire forestier demande à y être agréé. Il le demande lorsqu'il est à peu près sûr qu'il le sera. 77:14 Nous n'insistons pas : nous avons d'excellents amis dans chacune des sociétés rivales ; nous avons réussi à les faire collaborer dans un cas particulier. \*\*\* MAIS PUISQUE CETTE REVUE fait une enquête sur la corporation, nous croyons bon de montrer que le malheur est qu'elle n'existe pas. Dans le cas qui nous occupe il n'y a pas de véritable corporation représentant réellement les intérêts de tous les propriétaires forestiers et ayant un droit à participer à l'élaboration des règlements forestiers. Nous sommes là comme partout, dans l'agriculture comme dans l'Université, devant un despotisme qui nous vient de Napoléon I^er^ et de la Terreur. Toutes les libertés locales sont abolies : or les autorités sociales des provinces sont seules vraiment à même de juger des conditions locales qui demandent telle ou telle modification des règlements. Il n'y a guère que des cas particuliers en agriculture. Enfin une représentation corporative véritable demande la suppression du pluralisme des sociétés. L'administration est maîtresse devant la division des intéressés. Nos institutions « politisent », comme on dit, tout ce à quoi elles s'appliquent ; elles organisent la guerre civile à l'état endémique. Les ouvriers sont partagés en trois syndicats sans qu'il y ait là aucun intérêt pour l'organisation juste et rationnelle du travail, qui devrait être le but de l'association. Les propriétaires forestiers le sont aussi sans plus de profit pour la forêt française. Et tout le monde tombe ainsi sous la domination de gens irresponsables, ce qui est la pire des situations morales, économiques, sociales. Henri CHARLIER. 78:14 ### Retour aux vérités premières (VII) *En présence du monde actuel* LES PERSONNES qui me lisent ont maintenant dépassé les limites de la surprise et les bornes de l'étonnement. Elles savent qu'il ne s'agit pas d'une fantaisie, d'un mouvement d'humeur pour me payer « la tête des autres ». Emprunter un chemin difficile, c'est en effet courir le risque de n'être pas pris au sérieux et de passer pour un mystificateur. Le risque a été couru : les obstacles ont été franchis à mon avantage. Cette constatation étant faite, il convient que je dise à mes lecteurs de quel poids ont été les vérités premières dans ma détermination. Sans leur secours, sans la puissance de leur jeunesse, sans la grâce de leur souvenir, sans le charme de leur printemps, il est probable que je serais demeuré à mi-chemin de ma conversion. Témoin du recul de la civilisation occidentale, alarmé par la poussée constante du communisme, je me serais sans doute inscrit comme un soldat dans l'armée chrétienne, formant barrage contre la barbarie asiatique. C'eut été, tout bonnement, un acte politique n'ayant qu'un caractère temporel. Je suis allé beaucoup plus loin, jusqu'à la Foi, jusqu'à la volonté d'atteindre la Lumière du Créateur. Je le dois aux vérités premières ; je ne le dois pas aux réalités présentes ni au milieu dans lequel je vis. 79:14 Je suis en présence du monde actuel dans une région et dans une ville où l'énergie sociale, politique et religieuse atteint les plus hauts degrés. L'ambiance qui est la mienne connaît toute la gamme des variétés et des diversités actives. C'est une ambiance qui m'est familière. Ce sont des réalités qui m'ont empoigné à bras le corps, et dans lesquelles mon âme s'est durcie. Du haut de ce beffroi flamand, on peut voir tous les abords et les lointains truffés de cheminées, de terrils et de crassiers. La vue porte jusqu'au Valenciennois, jusqu'au Douaisis, jusqu'aux approches de Dunkerque. Les yeux s'emplissent de filatures, de tissages, de hauts-fourneaux, de laminoirs, de puits de mines, d'usines chimiques et de centrales thermiques. Cet amas de puissances est sillonné de voies ferrées, de routes pavées et de rivières navigables entre lesquelles les paysans fertilisent une terre féconde. C'est dans cette réalité qu'a pris corps et que s'est développé le fait social le plus expressif. Il repose sur la quantité des hommes occupés à produire dans les différentes entreprises. Cette quantité est considérable. Les contingents du textile, ceux des mines, ceux de la métallurgie et des produits chimiques, totalisent plus d'un million de salariés auxquels s'ajoutent les cheminots, les ouvriers des garages, les transporteurs, les bateliers, les employés et les paysans. Un fait social aussi puissant est animé par la masse énorme des salaires qu'il met en circulation. C'est par elle que l'activité se déverse à travers les établissements bancaires, les grands et les petits magasins, les monoprix et les prisunics, tous se distinguant par le luxe de leurs étalages, l'éclat de leurs vitrines et leurs mouvements publicitaires. Ce déversement nourrit à son tour une foule disparate de courtiers, d'agents d'affaires et de publicité dont les gains rejoignent la masse en circulation. En peignant cette image du fait social, mon propos n'est pas de la faire servir à dénoncer la vanité de la science marxiste. Mon propos est de la situer à l'endroit où je me trouve, au moment où je reprends le chemin qui conduit à Dieu. Le fait social ne trouve ici sa place que comme élément principal et moteur essentiel de l'évolution des hommes sur le plan matériel, laquelle s'accompagne d'une poussée permanente vers l'accroissement des biens. Dès lors, le fait dont il s'agit influence la politique, commande le comportement des groupements et des partis, détermine la position des salariés de la fonction publique, contraint les administrations, les institutions et l'État lui-même à un rôle subalterne. \*\*\* 80:14 DU HAUT DU BEFFROI, regardons à nos pieds. Je vois des syndicats ouvriers qui s'agitent pour l'accroissement des biens. D'autres pratiquent le jeu des débrayages et des grèves tournantes d'autres s'adonnent à la recherche des accords paritaires. Je vois se construire le socialisme dans le cadre du système capitaliste. Les réformes sont déclarées valables par les structures nouvelles des industries nationalisées, par le développement des services de la Sécurité Sociale, par les bienfaits qui résultent des vacances et des congés payés. Peut-être le socialisme n'ira-t-il pas beaucoup plus loin que sa construction actuelle. Il aura ainsi passé sur le monde. Car l'idéal du socialisme s'amenuise et s'estompe à mesure que ses charges augmentent. Le parti qui parle au nom du socialisme administre et gouverne. Il administre à son profit et au profit des siens, qu'il s'agisse des municipalités ou des autres institutions qu'il contrôle. Le phénomène est humain. Le parti gouverne par le moyen du dirigisme empirique. Il crée des emplois et ne peut pas en supprimer. Il case du monde à lui dans les services qui résultent de ses réformes. Quand un autre parti le remplacera au gouvernement, il fera comme lui. Du haut de mon beffroi, ma vue s'élargit à nouveau pour voir le cortège des fonctionnaires parmi lesquels il y a les grands et les petits, les : nantis et les humbles, entraînés eux aussi vers la course au bonheur. Un autre cortège suit : ce sont des artisans acharnés à vivre, des maîtres imprimeurs, des animateurs de grands quotidiens, des typographes, des journalistes, des éditeurs, des libraires, des artistes de théâtre, des cinéastes, des garçons de café, des avocats, des avoués, des huissiers, des notaires, des médecins et des magistrats. J'en oublie quelques-uns. Pourtant toute la ville est en vue ; toute la région m'est familière. Ce rassemblement d'hommes et de femmes, salariés, patrons, artisans, est pourvu d'un droit, celui de voter. Ce rassemblement forme la masse électorale et chaque individu homme ou femme est un électeur. C'est dans cette masse d'électeurs que les partis politiques plongent respectivement leur crépine pour extraire des avantages électoraux, pour avoir des élus et s'attribuer une part du pouvoir législatif et pénétrer dans les administrations locales et départementales. 81:14 Les partis politiques du Nord sont au nombre de cinq : le parti socialiste S.F.I.O., le parti communiste, le M.R.P., le parti des Indépendants et le parti radical-socialiste. Rien de nouveau en ce qui les concerne. Ils ne disent pas tous les mêmes choses mais poursuivent les mêmes desseins et visent à atteindre le même but. Ils dureront autant que la démocratie qui est leur domaine. \*\*\* ÉLEVONS, EN MÊME TEMPS que notre pensée, nos regards plus haut. Lille est une ville universitaire, une cité d'études, une patrie d'étudiants. Le nombre des élèves, du plus petit, au plus grand, est considérable. Les maîtres, nombreux, ont la réputation de posséder une grande valeur professionnelle. Ce qui frappe c'est la masse imposante des bâtiments abritant chacune des Facultés. Ce qui retient l'attention c'est le nombre des lycées et collèges et la répartition judicieuse des écoles primaires et maternelles dans les cités et les quartiers de la ville, Ceci n'amoindrit pas les arguments de ceux qui réclament des constructions scolaires nouvelles pour satisfaire à la progression démographique du pays et qui voudraient que l'enseignement des sciences et de la technique soit de plus en plus développé. A vrai dire, la scolarité laïque du Nord impressionne parce qu'elle est une force vivante et aussi un excellent outil au service de l'État. Mais cette force n'est pas unique. Elle n'a pas le privilège d'être seule à enseigner la jeunesse nordique. Si les palais de la laïcité impressionnent, les immeubles de la Faculté catholique réconfortent ceux qui s'affirment pour la liberté de l'enseignement. Lycées, collèges, institutions diverses, écoles de quartier se sont fait une large place dans la cité lilloise. La Faculté catholique enseigne le droit, la médecine, les sciences ; elle forme des missionnaires pour les contrées lointaines et elle prépare des techniciens et des administrateurs pour les besoins modernes du pays. L'enseignement libre qu'elle propage s'attache à développer chez les enfants les richesses du corps, du cœur et de l'âme, pour faire d'eux des chrétiens actifs et cultivés. 82:14 Le Nord procède d'un vieil esprit religieux et d'un atavisme flamand nourri de spiritualité. Ceci explique pourquoi l'enseignement libre y est défendu avec tant de vigueur et d'âpreté. Je me trouve ainsi au sommet du véritable problème. Quelle est en effet la contrepartie des matériaux rassemblés sur le divers plans sociaux, politiques, commerciaux et administratifs ? C'est d'une part l'enseignement libre merveilleusement outillé, animé par la Foi chrétienne, servi par une élite intellectuelle, fréquenté par des milliers d'élèves. Mais c'est en plus l'Église, l'Église catholique, puissance incontestée. Du haut de mon beffroi on voit se dresser les clochers des paroisses : le Sacré-Cœur, Saint-Maurice, Vauban. Saint-Michel, Saint-Pierre, Saint-Paul et tous ceux dont les noms m'échappent. La cathédrale de la Treille a pris place dans le ciel et toutes les années la voient grandir et se perfectionner. Les cloches sonnent, les fidèles vont aux offices, les prêtres exercent leur sacerdoce. On sent, on entend, on voit qu'il existe une organisation, une hiérarchie organisée, une autorité qui s'affirme, une puissance d'ordre et de discipline. Cette puissance vient du fond des siècles. Elle plonge ses racines dans un sol fécondé par des sacrifices. Elle correspond à une mystique et à la raison d'être d'une race. Les morts en ont été les témoins. Ils reposent dans deux nécropoles, celle du Sud et celle de l'Est, presque toutes les tombes sont surmontées d'une croix et portent chacune le signe religieux. Rares sont les monuments funéraires desquels ces signes sont absents. Cela veut dire sans doute qu'on a pu blasphémer beaucoup pendant la période active de sa vie mais qu'au bout du compte c'est la Croix du Christ qui prend sa place. \*\*\* POUR conclure je désire que l'on comprenne que l'humilité seule pouvait convenir à mon état, Par quel abus de l'outrecuidance me serais-je permis de m'intégrer dans une telle puissance religieuse sans un retour préalable sur moi-même ? J'ai choisi de retourner d'abord à mes « vérités premières ». Je peux maintenant devenir un humble paroissien. Georges DUMOULIN. 83:14 ### La Sainte Vierge et le Saint-Esprit L'AMOUR ET L'ADMIRATION que nous portons à la plus parfaite des créatures, la grandeur de son rôle, nous empêchent de voir que la Sainte Vierge a vécu de la foi, dans les obscurités de la foi tout comme nous. Saint Joseph de même. Tous deux ont vécu avec l'Enfant Jésus dont ils connaissaient par révélation surnaturelle l'éminente destinée. Mais l'Évangile nous apprend combien cette révélation demeurait obscure et exigeait la foi. « Et il arriva qu'après trois jours ils le trouvèrent dans le Temple assis au milieu des Maîtres et les écoutant et les interrogeant, et tous ceux qui l'écoutaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. A cette vue ils furent saisis d'étonnement et sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi, fort en peine, nous te cherchions. » Et il leur dit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être auprès de mon Père ? » Et ils ne comprirent pas la parole qu'il leur avait dite. » (Luc II, 46-50) 84:14 Jésus comme Socrate enseignait en interrogeant. Il préparait les docteurs à recevoir saint Jean-Baptiste. C'est la Sainte Vierge qui vraisemblablement a renseigné saint Luc. Admirons sa modestie et son humilité pour avoir fait cet aveu déjà longtemps après la Résurrection. Mais elle le fit par charité et pour notre instruction à nous qui « croyons sans voir ». Et quand saint Thomas voulut voir, Notre-Seigneur soupira : « Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. » La Sainte Vierge et saint Joseph ont cru sans rien voir de la puissance divine de leur enfant et saint Joseph est probablement mort sans en avoir rien vu. Jésus les traita de cette manière précisément pour leur donner le mérite de la foi et pour qu'ils soient en cela notre modèle. Il est certain qu'à l'âge de douze ans Jésus n'avait rien fait pour les éclairer, qu'il ne leur avait pas même enseigné le Notre Père et que ses parents vivaient alors entièrement sous le joug de la Loi avec la seule espérance du Messie qu'ils ne touchaient que par la foi. Il semble que Jésus ait voulu préparer les docteurs à sa venue et rappeler à ses parents sa transcendance pour confirmer leur foi. Tout est mystère dans cette aventure rapportée à dessein par la Sainte Vierge comme un mystère : un enfant parfaitement docile et obéissant qui disparaît ! Ses parents trompés par l'habitude d'une conduite toujours parfaite le croient dans la petite troupe des enfants mêlés aux pèlerins de Nazareth revenant ensemble de Jérusalem. Cette incroyable tranquillité d'une journée passée sans le voir. Mais il n'avait jamais donné d'inquiétude. Et pour finir l'incompréhension d'une parole si claire pour nous. L'histoire du Messie était à faire, elle n'était pas faite et ses principaux témoins ont voulu marquer par le récit de cette anecdote quel mystère elle était pour eux-mêmes et nous enseigner la vertu de foi. 85:14 Il nous reste sept paroles authentiques de la Sainte Vierge ; saint Bernard de Sienne les décrit comme *les sept flammes d'amour de la Vierge Marie* et il qualifie celle-ci : « Mon enfant... », *flamma amoris saporantis.* Il semble que cet « assaisonnement » de l'amour qui le rend « savoureux » est la crainte de perdre l'objet de l'amour et la crainte pour l'objet de l'amour. C'est une des douleurs de la Sainte Vierge que ces deux jours passés à chercher le Messie confié à sa garde. Les paroles des psaumes lui revenaient à l'esprit : « Les rois de la terre se soulèvent et les princes de la terre tiennent conseil ensemble contre Yaweh et son Oint ». La fuite en Égypte n'était pas si ancienne : dix ans seulement étaient passés depuis le massacre des saints Innocents : « Ils m'ont cruellement opprimé depuis ma jeunesse ; qu'Israël le dise. » (Ps. 128 1) Elle récitait avec Joseph sur la route qui les ramenait à Jérusalem : « Souviens-toi, Seigneur, de David et de toutes ses peines. Il fit ce serment à Yaweh, ce vœu au fort de Jacob : je n'entrerai point dans la tente où j'habite, je ne monterai point sur le lit où je repose, je n'accorderai point de sommeil à mes yeux ni d'assoupissement à mes paupières jusqu'à ce que j'aie trouvé un lieu pour Yaweh, une demeure pour le fort de Jacob. » (Ps. 131) L'Église chante ce psaume aux deuxièmes vêpres de Noël, dans son amour pour l'humanité du Sauveur, et elle est dans les sentiments mêmes de la Vierge Marie se hâtant vers Jérusalem. 86:14 Comme ils avaient chanté avec joie huit jours auparavant sur la même route le psaume 121 : « J'ai été dans la joie quand on m'a dit : « Nous irons à la maison du Seigneur. Enfin nos pieds s'arrêtent à tes portes, Jérusalem. » Vous ne saviez pas, Marie, que ce psaume ferait partie de votre office ; vous êtes la maison de Dieu, la porte du ciel, la cité du grand Roi. Vous êtes bâtie dans la paix, conçue dans la grâce... Mais Marie ignorait la grandeur de ses privilèges. Ils ne lui furent peut-être révélés par son fils qu'au moment où Il commençait sa vie publique et afin de faire participer plus étroitement cet être parfaitement pur à la Rédemption dont elle devait rester pour toujours la fleur la plus belle. Elle a lu et chanté les psaumes jusqu'à l'Annonciation dans l'esprit où les chantaient tous les Juifs pieux ; elle a lu l'histoire des patriarches et les écrits des prophètes sans savoir aucunement qu'elle était reine des patriarches et reine des prophètes. Récitons donc les psaumes avec la Sainte Vierge, essayons de le faire dans l'esprit où elle les a lus elle-même, c'est-à-dire dans l'obscurité de la foi. Sans doute beaucoup d'entre eux peuvent être lus avec Notre-Seigneur dont ils nous décrivent d'avance les voies et les sentiments, et Marie les récitait elle-même avec le Messie futur en se demandant ce que voulaient dire « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite... » (Ps. 109) ou le psaume 115 : « J'élèverai le calice du salut... Elle a du prix aux yeux du Seigneur la mort de ses fidèles. Ô Seigneur parce que je suis ton serviteur et le fils de ta servante, tu as détaché mes liens... » Elle appliquait au futur Messie les images du psaume 18, concernant la loi : « Et lui semblable à l'époux qui sort de la chambre nuptiale s'élance joyeux comme un héros... Le témoignage de Dieu est sûr : il donne la sagesse aux simples. » Avec ferveur elle chantait (Ps. 19) : « Maintenant je le sais, Dieu a sauvé son Christ. » 87:14 Sauvé ? Comment ? Tant de textes des prophètes et des psaumes parlaient pour lui de souffrances ! Que penser du psaume 21 : « *Eloi, Eloi lamma sabactani *», prophétie du crucifiement, paroles qu'elle devait entendre répéter sur la croix par son fils, pour nous apprendre qu'il réalisait les Écritures. Mais nous pouvons lire l'ensemble des psaumes avec la Sainte Vierge, dans les sentiments de la Sainte Vierge elle-même (Ps. 118) : « *Beati immaculati in via*... Heureux ceux qui sont irréprochables dans leurs voies... Je te cherche de tout mon cœur, ne me laisse pas errer loin de tes commandements... Je garde la parole cachée dans mon cœur, afin de ne pas pécher contre toi... Ouvre mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. Je suis un étranger sur la terre, ne me cache pas tes commandements. Mon âme est brisée par le désir qui la porte vers tes préceptes... Mon âme est attachée à la poussière, rends-moi la vie selon ta parole ! » Nous saisissons ici l'incroyable humilité d'une créature qui était cependant toute pure : Marie était une créature, et le Saint-Esprit l'ayant ornée de ses dons depuis sa naissance avait mis en elle une connaissance si profonde de la grandeur de Dieu et du rien qu'est une créature vis-à-vis du Seigneur, qu'elle disait avec une componction d'amour les paroles du psalmiste. Nous avons beau veiller : nous nous croyons tous un peu quelque chose d'important ; le maréchal parce qu'il ferre mieux les chevaux que pas un autre à la ronde, le laboureur parce qu'il réussit généralement les semailles mieux que les voisins ; le traînard parce qu'il sait choisir les lieux ensoleillés, les coins à l'abri du vent. Marie s'estimait réellement rien et elle était dans la vérité car « Qu'est-ce que nous avons que nous ne tenons de Dieu ? » 88:14 Marie savait bien avoir agacé parfois les Pharisiens qui l'enseignaient au Temple parce qu'elle n'avait jamais vu dans la Loi les arguties sur lesquelles ils discutaient sans fin, ce qu'ils voulaient lui enseigner. Et cette enfant se croyait peu intelligente. Si le Saint-Esprit lui faisait douter (à bon droit) de l'équilibre mental de ces vénérables docteurs, elle se rejetait dans l'amour de Dieu de peur d'être présomptueuse. Plus tard elle remarqua la haine dont certains cœurs malheureux peuvent brûler pour la pudeur et l'innocence. Marie était parfaitement raisonnable et pratique, le Saint-Esprit la maintenait à l'écart du scrupule, mais parfaitement humble avec l'horreur du péché, non des pécheurs. Elle a donc récité le *Miserere* comme nous et mieux que nous : « Aies pitié de moi, Seigneur, selon ta bonté et selon la multitude de ta miséricorde efface mon iniquité. » C'était fait, Marie, c'était fait pour vous, d'avance, en vertu du sacrifice de Jésus. Le temps n'est pas pour Dieu ; la logique qui pour nous et extérieure aux choses est pour Dieu interne à l'être ; les causes ne sont ni antérieures ni postérieures, elles s'emboîtent. Le temps est interne aux créatures pour leur épreuve et comme un développement à leur usage et dans leur manière d'être de la pensée divine sans avant ni après. En priant ainsi, Marie, vous accomplissiez le temps du pardon et vous deveniez telle que Dieu voulait que vous fussiez pour devenir la mère du Messie. Et ainsi Marie devint la mère de l'humanité, mais avant que son destin s'accomplît son cœur très pur souffrait du péché qu'elle voyait régner autour d'elle, et ce fut la douleur constante et universelle de Marie avant même que l'ange vînt lui annoncer qu'elle serait mère du Sauveur : et cette douleur s'accrut encore lorsqu'elle sut que son fils devait payer la dette de toutes ces misères. 89:14 Ainsi disait-elle le *Miserere* tout entier avec componction : « Voici que je suis née dans l'iniquité et ma mère m'a conçue dans le péché ». Comment Marie aurait-elle pu savoir qu'elle était hors de cause ? Et certes son père et sa mère n'auraient pu par eux-mêmes que lui transmettre le péché originel. Marie en récitant le *Miserere* commençait cette intercession pour les pécheurs de tous les temps qu'elle continue pour nous. « Annonce-moi la joie et l'allégresse et les os que tu as brisés se réjouiront. » Et les hommes des plus anciennes cavernes qui avaient observé ce qu'ils connaissaient de la loi de Dieu ressentaient à la prière de Marie quelque chose d'indéfinissable à quoi ils avaient obscurément aspiré. Car comme le dit la 8^e^ antienne des Rameaux, « le Père la envoyé dans le monde comme victime salutaire et tous les saints l'attendaient depuis le commencement du monde. » Et devant l'universalité du mal Marie disait avec les fils de Coré : « Comme le cerf soupire après l'eau des fontaines, ainsi mon âme soupire après ta loi, mon Dieu... Mon âme a soif du Dieu vivant, quand irai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu... » Marie fut la première à voir Jésus. Et c'est ainsi que cette prière, pour une fois si pure, dans la bouche de Marie devenait les prémices de l'Incarnation. Mais en continuant le *Miserere* Marie rencontrait le Saint-Esprit : « Ô Dieu crée en moi un cœur pur... Ne me rejette pas loin de ta face, ne me retire pas ton Esprit Saint. » Quelle merveille d'entendre Marie chanter ce verset, elle qui possédait la plénitude des dons. Mais Marie était comme nous en route pour sa destinée, en route pour ce qu'elle fait au jour de son Assomption ; au lieu de partir comme nous d'un état de misère, elle partait d'un état très pur et très saint qui n'était cependant que le germe parfait, mais le germe seulement de la sainteté exceptionnelle qui est la sienne. L'accroissement des mérites dans la Sainte Vierge suivait l'accroissement des grâces et l'accroissement des grâces suivait l'accroissement des mérites. 90:14 Mais pour la Sainte Vierge -- comme pour nous -- ces mérites ne sont pas une tirelire à gros sous, un carnet où on additionne sacrifices, prières, bonnes actions, un total d'actif opposé à un passif. *Le mérite est une modification de l'être même de la personne qui l'acquiert.* Acquérir des mérites est une image qui fausse un peu trop ce qui se passe. La personne qu'on a dit acquérir des mérites est simplement une personne qui change en mieux et contracte l'habitude de vertus de plus en plus surnaturelles. La Sainte Vierge, parfaite dès sa naissance, a changé ; elle est réellement devenue, petit à petit, d'enfant très pure, épouse du Saint-Esprit, Mère de Dieu, Mère de la divine grâce. Comment un pécheur peut-il parler de ces merveilles ? Ce n'est pas par aptitude, ce ne peut être que par nécessité d'amour et, si pauvre que soit cet amour, l'effet, s'il y en a, n'en peut être qu'une œuvre de Dieu. La Sainte Vierge connaissait le Saint-Esprit par le dedans d'elle-même : « Je veux écouter ce que dira au-dedans de moi le Seigneur Dieu : il a des paroles de paix pour son peuple. » (Ps. 84, 8) « Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils en vos cœurs, qui crie Abba, Père » (Gal. 4, 5). « L'Esprit aussi soutient notre faiblesse. Car que demander pour prier comme il faut, nous ne savons, mais l'Esprit lui-même intercède par des gémissements inénarrables. » (Rom. VII, 27) Les gémissements du Saint-Esprit dans le cœur de la Sainte Vierge son épouse sont une source inépuisable de grâces dont hélas nous profitons peu. Mais Marie a vécu ces splendeur dans la foi : « Ce sont, comme il est écrit, des choses que l'œil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, qui ne sont pas montées au cœur de l'homme, toutes choses préparées pour ceux qui L'aiment. 91:14 C'est à nous que Dieu les a révélées par l'Esprit, car l'Esprit scrute tout, même les profondeurs de Dieu. » (Cor II, 9, 10) Saint Paul cite Isaïe de mémoire : ce sont ces textes mêmes que Marie méditait. Elle y lisait : « Sur Toi reposera l'esprit de Dieu, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de Dieu. » Elle méditait sur la crainte de Dieu, y distinguait la crainte d'amour dont l'Église a fait le don de Piété. Elle savait que ces dons étaient inséparables. Lisant Joël (2, 28) : « Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, vos jeunes gens verront des visions », elle se disait que ce temps était le sien. Zacharie, l'ange Gabriel, saint Joseph, ce vieillard Siméon, et cette vieille Anne fille de Phanuel, en étaient témoins ; accomplissement des paroles d'Isaïe (XLIV 2, 3) « Ne crains point, Jacob mon serviteur et toi Israël que j'ai choisi... Je répandrai mon esprit sur ta postérité et ma bénédiction sur tes rejetons. » Marie a donc vécu avec le Saint-Esprit mais dans la foi ; dans la foi illuminée par les dons, en particulier les dons d'intelligence et de science. Beaucoup d'hommes mûrs à qui Dieu a donné la foi se rendent compte d'une illumination de leur intelligence par la vertu de foi et seraient portés à l'attribuer à l'intelligence naturelle. C'est une confusion avec le don du Saint-Esprit, celui-ci n'a pour objet que les vérités révélées et les mystères. L'intelligence naturelle s'en trouve soutenue mais ne saurait être la source du progrès dans la foi. Cette confusion est source d'erreurs dans l'apologétique. Marie certes est grandement privilégiée, en vue du bien commun de l'humanité, mais elle a vécu dans la simple foi. Il semble bien d'après saint Jean qui avait recueilli chez lui la Sainte Vierge, que le miracle des noces de Cana fut vraiment le premier miracle de Jésus : « Tel fut, à Cana de Galilée, le premier des miracles que fit Jésus » (2, 11). Jésus le fit à la demande de sa mère, tant était grande la foi de celle-ci, mais c'était un acte de foi. Elle ignorait ce qu'il allait faire. 92:14 Or le sacrement de baptême rend possible l'accomplissement des promesses qu'il propose. C'est la voie de la perfection qui nous est ouverte. Nous pouvons vivre la vie de Jésus et de Marie (en droit ; hélas, ne parlons pas du fait), nous sommes un même corps avec le Christ, nous vivons sa vie et sans nécessité absolue il a voulu vivre la nôtre et passer par la mort pour que nous passions par la mort avec lui et ressuscitions avec lui. Nous sommes les temples du Saint-Esprit, nourris du Verbe, et la vie chrétienne parachève en nous l'image de la Très Sainte Trinité. La Très Sainte Vierge en est le premier modèle, purement humain. Répétons avec elle qui a dit cette prière avant l'Église : « Venez, Père des pauvres, venez semeur de vos dons, venez lumière des cœurs. » D. MINIMUS. 93:14 ## Enquête sur la Corporation Dans nos prochains numéros : les réponses de MM. Braulio Alfageme, Pierre Andreu, M. Buisson, Charles Convent, J.-M. Cortez Pinto, A. Dauphin-Meunier, Hyacinthe Dubreuil, F.-F. Legueu, Jacques Navailles, Henri Pourrat, Louis Salleron, etc. ### Les corporations de la marine (1941-1944) par l'amiral Auphan LA GRANDE MASSE des Français connaît mal les problèmes que le ravitaillement de la métropole a posés à la Marine après l'armistice de juin 1940. Soumis aux servitudes de l'occupation, désorientés par toute sorte de fausses nouvelles, absorbés par les difficultés matérielles de l'existence, la plupart d'entre eux ignorent ce qui se passait en mer. Sans compter le pétrole, la France recevait avant la guerre, reçoit encore maintenant, les deux tiers au moins de ses importations par voie de mer. Il était nécessaire, malgré le statut de l'armistice, d'entretenir des liens économiques et politiques avec l'Afrique et les divers territoires coloniaux, n'eut-ce été que pour les alimenter en produits manufacturés, y maintenir la souveraineté et préparer leurs forces à une revanche éventuelle. Il était non moins nécessaires de ravitailler la métropole en produits exotiques. 94:14 Je ne peux mieux faire pour montrer la valeur de cet appoint que de citer ici les conclusions d'un petit livre que j'ai consacré naguère à cette question ([^49]) : « Ce sont les engrais importés par la Marine qui ont fertilisé la terre de France : sans l'apport des phosphates africains, les récoltes métropolitaines eussent été diminuées d'un tiers... Sans les arachides de Dakar la ration individuelle de corps gras aurait du être diminuée de 50 % et la production de lait -- faute de tourteaux pour le bétail -- aurait baissé de 25 %. Sans les céréales d'Afrique du nord nous n'aurions jamais pu faire la soudure du pain. » Sans les fruits et les légumes d'Algérie, dont les importations dépassèrent les meilleures moyennes d'avant guerre, la zone Sud aurait encore davantage pâti de la famine. Sans les prouesses accomplies par les pêcheurs, Paris n'aurait pas reçu, comme ce fut le cas, autant de poisson qu'en temps de paix. Si je rappelle ces faits, c'est pour montrer que, de l'armistice au tournant décisif de novembre 1942, les marins n'ont pas chômé. Pour eux la guerre continuait, avec des pertes non négligeables. La marine militaire avait hérité de la marine marchande. Manquant de bateaux autant que de combustible, soumis aux pressions de l'Axe dans la Métropole, à celles des Anglais en mer, les deux marines, unies, peinaient pour le bien commun des Français. C'est dans ce climat moral, où les luttes des classes s'évaporaient, que furent créées le 13 mars 1941, la Corporation des Pêches maritimes et, un an après, le 27 mars 1942, la Corporation de la Marine de commerce. Plus tard, la « Libération » devait épousseter ces institutions, bien que, m'a-t-on dit, des traces de la première subsistent encore, mais naturellement sous une nouvelle étiquette. Puisque cette revue a ouvert un débat sur le système corporatif, je voudrais simplement exposer à ses lecteurs ce qu'elles étaient. \*\*\* L'ENSEMBLE DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE avait un statut qui était issu de circonstances différentes ; il faut se garder de vouloir tout ratisser au même niveau ou couler dans le même moule. 95:14 Le 2 décembre 1940 l'agriculture paysanne avait été organisée en une Corporation agricole, qui est loin d'être oubliée dans nos campagnes... Quant au secteur industriel, une loi du 16 août 1940 lui avait imposé en hâte un minimum de structure professionnelle pour lui permettre de résister aux pressions des représentants de l'Axe, arrivés en France derrière la Wehrmacht. On s'est totalement -- et stupidement -- mépris sur cette loi en imaginant, après coup, qu'elle avait été conçue par la « synarchie » pour asservir le social à l'économique. Elle ne constituait en fait qu'une sûreté prise pour la défense du patrimoine. C'est la Charte du Travail qui posa le 4 octobre 1941 les bases d'une organisation corporative générale. Le texte n'en a pas vieilli, pas plus que le préambule de mon éminent ami Henry Moysset, alors ministre d'État, dont les aperçus profonds font encore réfléchir : « Tous les régimes qui ont accepté la lutte des classes comme un fléau national contre lequel il n'y a qu'à payer une prime d'assurance sont morts... Tous les États décidés à ne pas périr dans une incessante guerre de sécession sociale, larvée ou déclarée, sont condamnés à trouver la solution de ce problème. » Mais la loi organique ne pouvait s'abstraire des contingences économiques dues à la guerre qui durait. Elle était obligée de s'accommoder des dispositions prises le 16 août. Elle se bornait à poser les bases d'un rapprochement social qu'il appartiendrait aux générations suivantes de poursuivre et d'achever. La Marine eut l'ambition d'aller tout de suite au stade ultime. Elle n'avait pas à s'alourdir des « Comités d'organisation » de la loi du 16 août puisque, tout entière réquisitionnée, la flotte de commerce était préservée, par l'interposition même de l'État, des infiltrations et des pressions du Reich. Dans la vie dangereuse que menaient les équipages, il fallait dissiper les préventions d'avant guerre. La mer, avec ses risques et sa technique, est un facteur puissant d'union. Le métier de marin est peut-être le seul où une fois son travail achevé, le salarié ne rentre pas chez lui et reste encore, à bord, à la disposition de son employeur. Pourquoi ne pas essayer -- suivant les conseils mêmes donnés par Pie XI trois ans plus tôt -- de « ce qu'on appelait autrefois une Corporation... pour faire régner dans les relations économiques et sociales l'entraide mutuelle de la justice et de la charité » ([^50]). 96:14 Pour la pêche les choses allèrent très vite. Le système corporatif qui rassemble au lieu d'opposer, correspondait admirablement à la forme encore en partie artisanale de cette profession et aux désirs profonds de la plupart de ceux qui vivent des produits de la mer. L'Amirauté française fut efficacement aidée dans sa tâche de regroupement et d'union par les personnalités les plus diverses : le R.P. Le Bret, officier de marine de réserve, spécialiste réputé des questions sociales maritimes avant guerre, actuellement directeur d' « Économie et Humanisme » ; M. F. Sarraz-Bournet, un des meilleurs armateurs de Boulogne, et M. E. Lamort, magnifique figure de marin de Saint-Servan ; M. G. Charié-Marsaines, secrétaire général, et M. Paul Colin, secrétaire général adjoint, qui exerce aujourd'hui les mêmes fonctions au « Parisien Libéré »... etc. A la base, tout le monde était syndiqué, comme on est obligatoirement assuré social. Il y avait dans chaque port de pêche trois syndicats distincts : celui des armateurs, celui des patrons-pêcheurs propriétaires, celui des marins. Chaque syndicat élisait librement son conseil d'administration pourvu que les élus aient au moins trois ans de métier et que la moitié d'entre eux, au moins, fussent chefs de famille. La réunion des bureaux des syndicats formait localement une « communauté » assurant l'union entre toutes les catégories et faisant respecter les règles professionnelles. A l'échelle intermédiaire se plaçaient les « Unions régionales », essentiellement chargées des questions sociales (formation, recrutement, emploi de la main-d'œuvre -- organismes d'assistance, de prévoyance et d'entraide). A titre transitoire, en attendant l'émancipation totale, les membres de ces Unions étaient choisis par le ministre de la Marine sur propositions établies par les syndicats de base. Au sommet siégeait un « Comité Central Corporatif » de 48 membres, petit parlement où toutes les activités professionnelles étaient représentées (y compris les mareyeurs, saleurs, fabricants de conserves, conchyliculteurs... etc.), sous le contrôle d'un commissaire du gouvernement. Comme à l'étage intermédiaire, les membres de ce comité étaient nommés sur proposition des Unions. Cette assemblée agissait aussi bien sur le social -- par les Unions régionales -- que sur l'économique par des comités interprofessionnels chargés d'organiser sur des bases rationnelles la pêche, la vente et la transformation des produits de la mer. 97:14 Bien qu'elle se prêtât moins bien à une organisation corporative, la marine de commerce reçut un statut analogue, qui aurait d'ailleurs évolué avec le temps. La base n'était pas le port ou la région, mais l'entreprise. Au sein de l'entreprise, tout le monde était syndiqué par catégories. Il y avait dans chaque entreprise un comité social, comme le prévoyait la Charte du Travail. On sait qu'à la Libération le gouvernement provisoire retint l'idée, mais supprima le mot « social » et, n'en trouvant pas d'autre, appela simplement notre innovation « comité d'entreprise ». On peut se demander aujourd'hui dans quelle mesure la chose n'a pas été bannie en même temps que le mot. Comme pour la pêche les syndicats et les Unions régionales traitaient des questions professionnelles ; les comités sociaux d'entreprise et les comités sociaux régionaux (Manche, Atlantique, Méditerranée métropolitaine, Méditerranée algérienne) travaillaient surtout sur le plan social ; le Comité Central Corporatif et les comités économiques, qui en dépendaient, assuraient « le mariage entre l'économique et le social ». Le difficile eût été de développer ces liens sans nuire à la liberté nécessaire aux chefs d'entreprise. Il eût fallu pendant longtemps l'arbitrage d'un État supposé honnête et fort. Une des prérogatives essentielles du Comité Central était de résoudre en appel les différends collectifs du travail. Les grèves n'étaient pas interdites ; mais elles étaient pratiquement impossibles par la confrontation obligatoire aux échelons régionaux, puis à l'échelon central, des vues des employeurs et des employés. C'est en partie grâce aux corporations maritimes et à l'état d'esprit qui y régnait que purent être définis, avant 1944, en liaison entre les armateurs et l'Amirauté française, les programmes de constructions neuves (types de chalutiers, de cargos,... etc.) qui permirent le redressement rapide de notre marine marchande après la guerre. \*\*\* Ces institutions n'avaient pas été échafaudées sans une attentive consultation de tous les milieux intéressés ; même les chefs des syndicats communisants d'avant guerre avoient été consultés ; quelles que soient les préventions que chacun pouvait garder à l'égard d'une évolution sociale aussi peu conforme au « sens de l'histoire », la bonne volonté de tous les hommes « vrais » qu'ils fussent armateurs, officiers ou marins -- était indéniable. 98:14 Ces corporations ne se rattachaient en rien à ce qui pouvait exister en Allemagne ou en Italie. Elles étaient un pur produit français, en donnant à ce qualificatif la part d'esprit chrétien qu'il comporte. La seule enquête menée à l'étranger fut faite auprès des « gremios » du Portugal, organisations corporatives de pêche très prospères, créées par le président Salazar. Les deux corporations maritimes françaises (Commerce et Pêche) avaient évidemment des connexions puisqu'elles encadraient toutes deux la même population, celle du littoral. Chacune d'elles percevait d'importantes cotisations, qui étaient fonction de la vente du poisson ou du chiffre d'affaires. Elles auraient possédé rapidement un patrimoine corporatif suffisant pour leur permettre de prendre elles-mêmes en charge les jeunes et les vieux de la profession. Beaucoup mieux qu'à l'État, mieux qu'au seul patronat, c'est, à mon avis, à la profession organisée que devraient revenir l'apprentissage des jeunes, l'orientation et le placement des adultes, la concession d'un pécule au moment du mariage. Jadis les jeunes marins faisaient leur apprentissage comme ils pouvaient et les mousses passaient davantage leur temps à piquer la rouille ou à laver la vaisselle qu'à s'initier à un métier où la technique prend comme partout une place de plus en plus grande. Ne chasse-t-on pas maintenant les bancs de poissons à l'ultra-son ? Parti de zéro en 1940, l'apprentissage maritime, géré par les Corporations, comprenait déjà le 1^er^ janvier 1943, malgré la guerre, 27 écoles en zone occupée, 4 sur la côte méditerranéenne de la zone libre, 7 en Algérie. De même, chaque corporation avait un service social fonctionnant à l'échelle humaine, en liaison avec les entreprises et l'administration de l'Inscription maritime, sans être fonctionnarisée par l'État. Pour la pêche, c'était le Secrétariat Social Maritime, qui avait son siège à Saint-Malo et entretenait une vingtaine de centres sur la côte. Pour les entreprises de navigation commerciale, c'était l'Union Sociale Maritime, qui était présente dans tous les ports de commerce avec plus de cinquante assistantes sociales à son service. Certains de ces organismes existaient déjà avant la guerre ; mais le propre d'une corporation, institution vivante, nouée au passé, n'est-il pas d'abord de soutenir et de fédérer ce qui existe au lieu, comme il arrive parfois avec d'autres systèmes, de le scléroser peu à peu sous le poids d'une bureaucratie ? \*\*\* 99:14 CETTE TENTATIVE, malgré ses imperfections, était-elle viable ? Les corporations maritimes auraient-elles pris racine et prospéré si elles n'avaient pas été tuées dans l'œuf en 1944 ? Il est difficile de l'affirmer. Chaque régime porte ses fruits. La croissance d'une plante ne dépend pas seulement du sol ou d'elle-même : elle a besoin d'une certaine atmosphère... En gros, les esprits en France se divisent en deux grandes catégories : ceux qui croient au péché originel et à ses suites, et ceux qui -- consciemment ou non -- n'y croient pas. Pour les premiers la destinée humaine s'écoule dans un cadre qui dépend de la nature que Dieu a donnée à l'homme et qui comprend essentiellement une vie familiale, une vie professionnelle, une vie civique ou politique ; d'où une conception réaliste de la société, fort éloignée des constitutions dressées à priori par les idéologies partisanes. Les seconds au contraire nient ce cadre ou plutôt cette perspective. Déifiant l'individu, le peuple, le prolétariat, l'État ou tout autre faux absolu, ils décrochent des valeurs réelles et se perdent dans des abstractions. C'est parce que le système corporatif s'harmonise assez bien avec la loi naturelle que l'Église le recommande en principe, de préférence au système syndicaliste de lutte des classes ; celui-ci n'apparaît que comme un pis aller dans une société envahie par le laïcisme. Comme l'a dit Mgr Bruno de Solages à la Semaine Sociale d'Angers, le corporatisme « suppose une éducation chrétienne des mœurs et de l'opinion ». Il ne saurait s'implanter dans le milieu au sein duquel nous vivons puisque celui-ci est le fruit de principes anti-naturels ou, comme on dit, révolutionnaires. Pour pouvoir réaliser l'idéal qui reste celui de la nature et des enseignements pontificaux, il faudrait changer tout le système. Amiral AUPHAN. 100:14 ### Le corporatisme dans la presse royaliste au XIX^e^ siècle par Michel-Vivier LE PUBLIC ATTENTIF à l'histoire des idées n'ignore plus tout à fait que *catholicisme social* et *démocratie chrétienne* ne sont pas synonymes, et que les promoteurs du corporatisme moderne se sont recrutés généralement dans les milieux les plus hostiles à la démocratie. Ce public connaît en effet les noms d'un La Tour du Pin, et d'un Albert de Mun, et rend volontiers hommage à leurs efforts courageux, sinon efficaces, pour réconcilier la classe ouvrière avec l'Église et la société. L'hommage rendu ne va d'ailleurs pas sans excès : on fait gloire à La Tour du Pin et à ses amis d'avoir été des précurseurs. Le titre de rénovateurs leur conviendrait mieux si l'on pense que bien avant la fondation des fameux Cercles -- et, par parenthèse, vingt ans avant l'Encyclique *Rerum Novarum* *--* le Comte de Chambord publiait sa Lettre *Sur les Ouvriers* et que ladite Lettre n'est elle-même que l'aboutissement et la continuation d'une tradition déjà longue. L'excellent ouvrage de J.-B. Duroselle ([^51]) a fort bien mis en lumière le caractère précoce et vigoureux du christianisme social dans le monde légitimiste, et a révélé à beaucoup l'importante action entreprise au lendemain de 1830 par un Villeneuve-Bargemont et un Armand de Melun. Chemin faisant, J.-B. Duroselle cite de nombreux extraits de la presse de droite, et si plusieurs expriment une pensée encore timide et incertaine, d'autres contiennent déjà une condamnation rigoureuse du capitalisme libéral et une apologie fort claire du corporatisme. Je m'assure qu'en dépouillant plus avant la presse royaliste du siècle dernier, on recueillerait un florilège bien plus riche encore et qu'on aurait ainsi beau jeu de prouver à ceux qui les nient ou plus nombreux, qui les ignorent, l'ancienneté et la permanence de l'idée corporative dans la Droite catholique au dix-neuvième siècle. Sur quoi fonder cette assurance ? D'abord sur des raisons logiques, tirées de l'histoire des partis. Ensuite sur des raisons de fait, je veux dire sur des textes peu connus mais ayant une valeur exemplaire. \*\*\* 101:14 LES RAISONS LOGIQUES sont de plusieurs sortes. Commençons par les moins nobles qui ne sont pas toujours les moins fortes. On pourrait dire, en langage marxiste, que le parti ultra, sous la Restauration, le parti légitimiste, sous la Monarchie de juillet, représentent *grosso modo* les intérêts de la propriété foncière alors que le parti libéral est le porte parole habituel des milieux bancaires et industriels. Les légitimistes peuvent compatir d'autant mieux à la misère ouvrière qu'ils en rendent responsables leurs adversaires politiques. Ils peuvent d'autant mieux prôner le retour aux corporations que pareille réforme qui limiterait la liberté et les profits des chefs d'industrie n'atteindrait que fort peu leurs intérêts propres. A cette raison économique s'ajoute une raison politique. Ou plutôt deux. Dans l'immédiat, la droite royaliste espère trouver dans la classe pauvre un allié contre la bourgeoisie libérale. Telle est dès 1817, la position d'un Villèle qui réclame que le cens électoral soit abaissé de 300 à 25 fr. Telle est, après 1830, la position de l'abbé de Genonde et de la *Gazette* de *France* **(**[^52]) qui réclament contre le privilège de l'argent l'instauration du suffrage universel. Une formule corporative, favorable aux artisans et aux ouvriers, peut paraître aux tacticiens de la droite plus efficace encore et moins périlleuse qu'une réforme électorale. De fait, les royalistes conservateurs de la Quotidienne ([^53]), hostiles au suffrage universel prôné par Genonde, semblent avoir été plus que lui favorables au corporatisme. Cette attitude ne répond pas d'ailleurs qu'à un souci tactique. Il est naturel qu'à la France individualiste issue de la Révolution et du Code Civil, les royalistes fidèles aux souvenirs de l'Ancien Régime souhaitent substituer une France hiérarchique et communautaire, dans laquelle les corps de métiers reprendraient la place qu'ils avaient jadis. Et de même qu'à leurs yeux une aristocratie puissante est le meilleur rempart contre l'absolutisme, un système généralisé de corporations leur semble le meilleur remède au paupérisme et à toutes les tentations qu'il engendre. 102:14 A la liberté abstraite des constituants, ils opposent les libertés régionales et locales d'une monarchie décentralisée. A l'égalité civile proclamée par le Code mais rachetée par une inégalité sociale fertile en misères et en injustices, ils opposent la fraternité chrétienne dont les corporations, fondées sous saint Louis leur fournissent une très édifiante image. Les raisons sentimentales, évidemment, ne sont pas les moindres de celles qui peuvent incliner vers le corporatisme l'opinion royaliste. On sait quelle fut après 1815 la vogue littéraire du « bon vieux temps ». Si certains, et surtout les vieilles gens, n'ont que regret pour les belles années qui précédèrent la Révolution, et jugent qu'il faut les avoir connues pour savoir ce qu'est la douceur de vivre, la nouvelle génération royaliste, et d'abord les jeunes gens que séduit le premier romantisme, éprouvent une sympathie fort mince pour le prêche impie des Voltaire et des Rousseau, et s'ils saluent avec respect les fastes de Louis XIV, c'est à une plus vieille France que va leur nostalgie. A l'origine de cet état d'esprit il convient de ne pas oublier les expériences de l'Émigration, et notamment la séduction qu'exercèrent sur beaucoup d'exilés les images d'une Allemagne encore patriarcale où survivent, bonhommes et pittoresques, nombre de traditions héritées du Moyen-Age. Enfin, s'agissant de chrétiens, on ne croit pas pécher par idéalisme en leur attribuant aussi des raisons chrétiennes. La part étant faite et bien faite aux mobiles d'ordre économique, politique, et sentimental, il convient de ne pas oublier les réactions de la foi et de la charité devant un ordre social fondé sur le mépris de l'une et de l'autre. Il était naturel que des catholiques sérieux ne prissent point leur parti des misères qui résultaient de la concentration capitaliste et du libéralisme économique. Renouant avec le meilleur d'elle-même, une grande partie de la noblesse tient à remplir de nouveau ce rôle de patronage dont l'ordre chrétien lui a toujours fait un devoir. Aussi prend elle une part prépondérante dans toutes les sociétés charitables qui se fondent sous la Restauration : Société des Bonnes œuvres qui visite les hôpitaux et les prisons, Société de saint Joseph qui veille aux intérêts moraux et matériels des apprentis, etc. On ne s'étonnera pas que parmi les membres fondateurs ou bienfaiteurs de ces associations, plus d'un aient jugé à l'expérience que la charité privée ne suffisait pas à résoudre les problèmes posés par la misère du peuple et qu'il était nécessaire de promouvoir une réorganisation de l'ordre social en revenant à la tradition corporative. \*\*\* 103:14 EN FAIT, (et bien qu'on en ait seulement un inventaire très partiel), nombreux sont les articles de la presse royaliste qui entre 1820 et 1870 font l'éloge du système corporatif et opposent ses vertus aux vices du système libéral. Deux remarques pourtant s'imposent. La première c'est que certains de ces éloges ont une forme si théorique et si vague qu'ils nous font un peu douter, non certes de la sincérité, mais de la compétence de leurs auteurs : il s'agit sous leur plume d'un exercice littéraire et rhétorique et non d'études économiques et sociales concluant à l'élaboration de réformes précises. La seconde remarque est que, pour être fréquent, le son de cloche corporatiste est loin d'être général, et qu'il est même curieusement absent des lieux où l'on croirait avoir le plus de chances de l'entendre. Il parut en 1837-38 un hebdomadaire intitulé *Le Populaire Royaliste* à la fondation duquel avaient participé les personnalités les plus diverses du parti légitimiste, de Chateaubriand au comte Walsh et de Nettement à Berryer. Dans ce journal destiné au peuple, il est largement question des bénéfices indus de la banque et de l'agiotage, de la nécessaire réforme des hôpitaux, de la limitation du travail des enfants, etc. mais on y cherche en vain le moindre programme corporatif. Manque d'à propos ? Manque d'audace ? Peut-être désir d'éviter un sujet sur lequel les fondateurs et actionnaires du journal pouvaient ne pas être d'accord. Peut-être encore souci de ne pas lancer démagogiquement un mot mal défini, une doctrine mal élaborée qu'un public peu instruit risquerait d'interpréter à contresens. Quoiqu'il en soit, l'abstention en pareille matière d'un journal comme le *Populaire royaliste* montre assez qu'au lendemain de 1830 le corporatisme ne fait pas encore partie du programme officiel de l'extrême-droite. Ces réserves faites, il convient de mettre en lumière l'ancienneté et la permanence du courant corporatiste, tel qu'il se manifeste dans divers secteurs de la presse de droite depuis la Restauration. Sans prétendre offrir une anthologie, je ne crois pas inutile de citer ici à titre d'exemples quelques textes peu connus. 104:14 Le premier est extrait du *Drapeau Blanc* et date de 1823. Fondé par le joyeux Martainville, le *Drapeau Blanc* est devenu peu après l'organe de La Mennais et de ses amis. La Mennais parti, il reste, avec plus de prudence dans la forme, mais autant de chaleur dans les convictions, l'organe de la fraction « cléricale » et « ultramontaine » du parti ultra ([^54]). Les 3 et 17 février, 9 et 19 mars 1824, le baron d'Eckstein, disciple de la Mennais et attaché au cabinet du baron de Damas, ministre de la guerre, publie dans le *Drapeau* une suite d'articles sur les corporations d'arts et métiers. En voici les passages les plus significatifs : « S'unir à ce qu'on envisage comme prolétaire, à cette classe inférieure du peuple qu'on paie et qui travaille, ne viendrait jamais à l'esprit de nos oligarchies qui forment les membres de la démocratie moderne. « Il n'y a rien en vérité d'aussi inconcevable que l'attitude de nos libéraux en face de toutes nos libertés. Selon eux, la société ne doit offrir que l'aspect d'une vaste uniformité : il n'y aura que des individus, ou tout au plus des clubs, ou, si l'on veut, des associations secrètes en permanence (la maçonnerie par exemple, puisqu'elle est avouée) : pour tout le reste, veto. « (...) L'expérience a prouvé depuis la violente destruction des antiques corporations d'arts et de métiers que des classes entières de la population y tenaient avec force et persévérance, qu'elles les désiraient et les réclamaient. Faut-il donc ne pas adhérer à ces vœux, parce que la haute démocratie en prend ridiculement l'alarme ? « Un avantage incontestable des corporations consiste dans la surveillance de l'honneur de ses membres, dans la bonne-foi et dans la probité du métier... La haute démocratie, forcée d'estimer la partie inférieure de la démocratie, qu'elle a jusqu'ici traitée dédaigneusement, verrait non seulement la morale se fortifier mais encore les libertés publiques, les capacités politiques des classes inférieures s'accroître : et n'est-ce pas là son constant désir et son vœu légitime ? » Les textes qu'on va lire maintenant et qui furent écrits vingt ans plus tard montrent quels progrès l'idée corporatiste a faits dans l'intervalle et combien la situation sociale, bien plus grave sous Louis-Philippe que sous Louis XVIII, rend alors urgente aux yeux des journalistes clairvoyants une vaste réorganisation du travail. 105:14 Ces textes parurent sous la signature de Joseph Morand dans la *Gazette de France* des 7, 16, 26 avril, 12 juin et 9 septembre 1843. Or la *Gazette* était d'ordinaire plus « politique », que « sociale », et mettait l'accent sur la nécessité de faire entendre « les droits de tous » par l'instauration du suffrage universel grâce à quoi, pensait-elle, la royauté légitime pourrait être rétablie. A vrai dire, Joseph Morand ne contredit pas cette ligne générale. « C'est principalement par des réformes politiques, dit-il, qu'on parviendra à changer l'état social. » Et là où le baron d'Eckstein se refusait à faire intervenir le gouvernement, Morand affirme au contraire cette intervention nécessaire : « Comment former sans le concours du gouvernement cette vaste association par arts, métiers et professions ? » Morand est, avant la lettre, un adepte du politique d'abord. On trouve dans ces articles de la royaliste *Gazette* un accent d'âpre hostilité contre la société fondée sur l'argent et dominée par les rois de la banque et de la bourse, et Morand écrit en toutes lettres (serait-il l'inventeur de la formule ?) que l'ouvrier n'a *d'autre liberté que celle de mourir de faim*. Mais le grand mérite de ces articles est de proposer un plan de réformes très précises. Dans les corporations rétablies, écrit-il, *chaque association aurait des règlements écrits, et nommerait à la majorité des voix et pour un temps déterminé, ses représentants ou délégués, ou syndics, peu importe leur nom. Les dispositions du règlement et les fonctions conférées aux syndics, seraient relatives à deux principaux objets : savoir les intérêts généraux de la corporation et de chacun de ses membres, et les intérêts généraux de la grande famille, c'est-à-dire ceux de la nation. Par là toutes les associations pourraient être coordonnées entre elles et subordonnées à la légitimité générale du pays*. Aujourd'hui, ajoute Morand, « *l'ouvrier qui manque de travail en cherche quelquefois pendant des journées entières sans pouvoir en trouver. Comment fait-il pour vivre pendant ce temps-là ; et s'il a une femme et des enfants à nourrir, d'où peut-il attendre des secours ? Des bureaux de charité ? Mais il y a pour cela des formalités à remplir, et d'ailleurs les secours de ce genre sont ordinairement insuffisants. Dans le système des corporations, au contraire, les syndics présideraient, en temps de crise, à la répartition la plus équitable du travail et à la fixation des salaires* (...)*. La masse totale du travail serait répartie autant que possible, suivant l'aptitude et l'habileté de chacun, et proportionnellement au nombre des enfants et des vieillards que chaque ouvrier aurait à nourrir* ». 106:14 Les autres textes qu'on va lire, et qu'à notre connaissance seul Duroselle a relevés, furent écrits à la veille de 1870, dans un livre très peu lu, par un autre légitimiste, le mal nommé Bourgeois ([^55]). Collaborateur de la *Gazette*, J. Bourgeois -- selon Duroselle -- est quasiment socialiste et son langage n'est pas éloigné de celui qu'on trouvera vers 1930 dans nos quotidiens d'extrême-gauche : « *Depuis quatre-vingts ans bientôt,* écrit-il, *la bourgeoisie règne en souveraine. Qu'a-t-elle fait pour le peuple ? *» Ou encore : « *La Compagnie d'Anzin traite ses ouvriers comme une partie de son matériel. *» Et ceci, qui préfigure assez bien le fameux slogan des deux cents familles : « Le capital et la gérance de toutes les sociétés financières, industrielles, commerciales, sont à la discrétion de quelques centaines d'individus. » Bourgeois -- Duroselle le note -- a été influencé par Proudhon : « *Ce qui fait l'originalité de Proudhon, c'est l'alliance dans son argumentation de la morale pratique du christianisme avec l'athéisme* (...) *Il a puisé dans les livres catholiques presque tous ses arguments, soit contre l'ordre catholique actuel, soit contre les communistes*. » La loi syndicale de 1864 paraît à Bourgeois une initiative heureuse, mais timide encore et incomplète : « *Elle ne pourra porter d'heureux fruits que par la réorganisation de corporations libres, représentées par des chambres syndicales où toutes les conditions du travail seront discutées et réglées d'un commun accord par les délégués des ouvriers et des patrons. C'est ce que réclament les ouvriers eux-mêmes, et ils ont pour adversaires les partisans de la vieille économie et les démocrates autoritaires qui s'imaginent voir surgir à leurs yeux le spectre de l'Ancien Régime. *» A ces précurseurs généreux et hardis qui retiennent l'attention du Comte de Chambord, la Commune de Paris apportera une justification tragique. Mais le spectacle de tant de misère et de tant de sang, suscitera de nouvelles vocations sociales parmi les chrétiens. Le temps est venu de La Tour du Pin et des promoteurs du corporatisme moderne. Michel VIVIER. 107:14 ## DOCUMENTS 108:14 #### Actes du Souverain Pontife Le jour de Pâques, S.S. Pie XII a adressé au monde un Message que l'on trouvera dans *l'Osservatore romano,* édition française, numéro du 26 avril. Le Saint-Père a publié, datée du même jour, l'Encyclique *Fidei donum* sur la situation des Missions catholiques notamment en Afrique. On la trouvera dans l'*Osservatore romano,* édition française, numéro du 3 mai. Rappelons que l'édition hebdomadaire *en langue française* de l'*Osservatore romano* apporte au public français la traduction intégrale de toutes les interventions de S.S. Pie XII (On peut s'abonner à cette édition française hebdomadaire auprès de M. Baroni, 6, rue Christophe-Colomb, à Paris VIII^e^). ~===============~ #### Pie XII : La politique chrétienne *Dans une allocution prononcée le* 28 *mars* 1957*, le Saint Père a déclaré :* Vous êtes les partisans d'une « politique chrétienne », c'est-à-dire d'une politique dont les bases fondamentales sont les vérités ou les principes chrétiens, bases selon lesquelles toute autorité vient de Dieu ou est rattachée à Dieu. L'État n'est pas un absolu et il n'y a pas de toute-puissance de l'État, mais seulement un pouvoir de l'État : et c'est en considération de celui-ci que la « politique chrétienne » est de la plus grande importance. Sans pouvoir en effet, l'État ne serait pas en mesure de réaliser son but, qui est de garantir et de promouvoir le bien commun par un ordre juridique et social respecté de tous. Ces mêmes bases comprennent le respect de la personne humaine avec ses droits intangibles, les droits des individus comme ceux des familles, le libre exercice du vrai culte divin et le droit des parents sur leurs enfants et sur leur bonne éducation. 109:14 C'est pour cette raison que l'Église doit lutter et luttera jusqu'au bout pour le droit des parents catholiques à une école conforme à leurs convictions. ~===============~ #### Pie XII : L'Europe unie *Dans la même allocution, le Saint-Père a déclaré :* Les hommes d'État sont sur le point de créer une Europe unie. C'est une grande œuvre, et Nous n'avons jamais cessé de dire Notre profonde joie chaque fois que des progrès ont été accomplis vers la réalisation de ce but. Puissent tous ceux qui ont des responsabilités dans la vie publique et aspirent directement ou indirectement à l'accomplissement de ce sublime idéal politique, BIEN VOIR A QUEL POINT LA POSSIBILITÉ D'Y ARRIVER DÉPEND DU SAIN ÉTAT MORAL DES PEUPLES ET DES ETATS INTÉRESSÉS. CETTE SANTÉ MORALE NE PEUT S'OBTENIR SANS DE VIGOUREUSES FORCES RELIGIEUSES DONT L'EFFET SE FASSE SENTIR DANS TOUS LES DOMAINES ET JUSQUE DANS LES DERNIÈRES CELLULES DE L'ORGANISME SOCIAL. A défaut d'autres considérations dans le domaine de la moralité publique, les difficultés économiques intérieures des États, qui s'avèrent de plus en plus menaçantes, devraient du moins ouvrir les yeux de tous les intéressés. ~===============~ #### La « droite » et la « gauche » vues par André Frossard *L'Alliance Jeanne d'Arc, présidée par le général Weygand* (*voir à son sujet notre numéro* 12*, pages* 117*-*119)*, a tenu une réunion publique à la Salle Wagram, le* 15 *février à Paris.* *Au cours de cette réunion, M. André Frossard a prononcé un discours dont plusieurs passages méritent d'être proposés à la réflexion du lecteur.* *Ces passages n'ont rien perdu de leur actualité depuis le* 15 *février dernier ; au demeurant, le lecteur ne risque pas de les avoir lus dans son journal habituel.* 110:14 Je ne me fais pas d'illusions : on nous traitera de réactionnaires parce que nous avons à notre tête une Pucelle et un Général ; la chasteté et la discipline sont des vertus de droite, de celles qu'on ne pratique à gauche qu'en désespoir de cause et par manière de médication... Je me souviens qu'un jour, ayant eu l'idée très discutable de présenter ma candidature à une élection législative, je fus très surpris de l'insistance des électeurs à me demander mon programme, alors que je venais d'expliquer très longuement qu'à mon avis, dans l'état présent des institutions, aucun programme n'avait de chance d'aller plus loin que son préambule. Ce fut un auditeur qui me donna le motif de cette obstination : « On ne vous demande pas votre programme, dit-il, pour savoir ce que vous avez l'intention de faire, mais pour savoir si vous êtes à gauche ou à droite. » Les gens de gauche ou de droite peuvent faire n'importe quoi sans cesser pour cela d'être à gauche ou à droite... Il faut constater que ces notions sont vides de contenu intelligible... aujourd'hui où la droite perd le Maroc tandis que la gauche garde l'Algérie. \*\*\* La droite, la bonne vieille droite qui a aujourd'hui pour fonction principale de donner à la gauche la sensation d'exister, la droite classique enfin, est en proie depuis sa naissance à la tentation permanente de l'idolâtrie. Je ne veux pas seulement parler de sa vénération instinctive pour tout ce qui porte les attributs du pouvoir, ni de ce culte de la personnalité qui a, vous le savez, beaucoup plus de ministres encore à gauche qu'à droite. Je prends l'idolâtrie dans le sens plein, antique du mot ; il ne faudrait tout de même pas prendre les Grecs ou les Romains pour des imbéciles sous le prétexte qu'ils adoraient des morceaux de marbre ou de bronze. Ils avaient de très bonnes raisons pour cela ; si les idoles étaient taillées ou fondues dans les matières les moins sujettes au changement, c'est qu'elles avaient pour mission de fixer un moment la fuite éternelle, inéluctable et pathétique des êtres et des choses. Le monde bouge, le monde passe ; la vie est un miracle fragile ; ceux que nous aimons disparaissent ; nos doigts ne retiennent rien de cette terre. Quoi de plus naturel que le désir d'arrêter un instant ce flux perpétuel, de retenir ce que l'on aime, de garder ce que l'on possède ? Ainsi l'idole antique, plantée dans la fluidité de ce monde précaire comme un bâton dans le ciment liquide qui se coagule autour de lui, avait pour mission de maintenir les choses dans un ordre favorable à la dégustation et au repos. Et c'est pourquoi on lui savait gré de ne remuer ni pied ni patte. 111:14 Eh bien ! cette tentation pratique et presque irrésistible d'idolâtrie est la tentation familière de ceux que l'on appelait autrefois les hommes d'ordre. Oh ! je ne dis pas qu'ils y succombaient toujours, mais ils étaient visiblement tentés de demander au Dieu de l'Évangile le même genre de service qu'à Mercure ou à Jupiter ; le service inappréciable de conserver les choses en état, en équilibre d'une génération à l'autre, de sorte que l'on pût faire fond sur elles quelque temps, en user sans trop de crainte de les voir échapper brusquement à la prise, les transmettre enfin à ceux qui nous suivent et fixer un taux à la rente. \*\*\* Si la droite se montre parfois idolâtre, la gauche, elle, est carrément, et inconsciemment d'ailleurs, panthéiste. Je sais bien qu'il existe des catholiques de gauche, mais je me demande comment ils s'arrangent pour ne pas s'apercevoir que la gauche a pour fondement le refus radical du Dieu des catholiques, assorti d'un refus conséquent du surnaturel et de la grâce. Sans doute tiennent-ils de fort beaux discours : « Il existe, nous disent-ils, bien des façons de rendre témoignage à la vérité. On peut être chrétien sans le savoir et même sans le vouloir. Après tout, à l'image des institutions, l'erreur a droit à sa juste part de représentation proportionnelle au sein des âmes. L'athée croit à sa manière ; au fond c'est peut-être la même chose de croire ou de ne pas croire en Dieu. » Ils ont même inventé de convertir les masses populaires en leur parlant de Karl Marx, dans l'espoir constamment déçu que les masses populaires, en retour de politesse, montreraient de la curiosité pour l'Évangile. Pour ces chrétiens bizarres, le christianisme est n'importe quoi, une espèce de mastic apte à recevoir toutes les formes. Il n'empêche que la gauche nie le surnaturel et que la négation du surnaturel équivaut pour nous à un suicide doctrinal. \*\*\* Telles sont les deux erreurs entre lesquelles jadis la pensée chrétienne élevait ses tours et ses clochetons, car autrefois la pensée chrétienne (je ne parle pas du dogme, qui est immortel, je parle de la pensée des docteurs laïcs), -- cette pensée était autrefois un sommet entre la double pente des erreurs opposées. 112:14 Aujourd'hui ce serait plutôt une cuvette entre deux montagnes de sottise, un réceptacle de toutes les idées fausses dégringolant des hauts lieux du délire et de l'abstraction modernes. \*\*\* Eh bien ! nous avons décidé de sortir de cette cuvette. Et puisque personne ne s'empresse à nous aider, nous en sortirons tout seuls. A ce qui précède, vous aurez compris que nous ne ferons pas de politique, non que nous ayons le moindre dédain pour cette forme d'activité excessivement répandue, mais parce que nous avons le sentiment *qu'aucune politique ne peut suffire à* *sauver l'unité française* menacée d'éclatement, ni à restaurer la vie spirituelle d'un pays qui a littéralement rendu l'âme dans les nausées caractéristiques de l'empoisonnement par le mensonge et l'imposture. Nous avons choisi une méthode d'intervention dans la vie publique qui doit nous épargner jusqu'au soupçon de servir telle ou telle politique, tel ou tel groupe d'intérêts. Dès l'une de nos premières réunions, le général Weygand a réglé la question : « *Que tout ce que vous direz,* nous a-t-il dit, *soit pensé devant votre foi ; n'oubliez pas, Messieurs, qu'il y va du salut de nos âmes.* » C'est un genre de recommandation qu'aujourd'hui les généraux sont seuls à nous faire. ~===============~ #### La politique et l'unité française vues par Gustave Thibon *A la même réunion de l'Alliance Jeanne d'Arc. M. Gustave Thibon a prononcé un discours également remarquable, et que le lecteur ne risque pas davantage d'avoir lu dans son journal habituel.* *En voici plusieurs passages :* Si je suis présent ici, c'est, comme vous tous, parce que je fais confiance à un homme : le général Weygand. J'insiste tout particulièrement, parce que rares sont les personnes -- je ne dis pas les personnages -- les personnes en qui on peut avoir confiance. ...... 113:14 L'homme de la rue se monte la tête sur des choses dont il ignore parfaitement le contenu et le contenant. Il s'emballe pour ou contre telle nation, pour ou contre tel homme politique. Attrapez-le par le bouton de la veste et demandez-lui ce qu'il sait de ce pays, de cet homme, insistez et vous le verrez peu à peu se dégonfler, comme on dit vulgairement, jusqu'au moment où, repoussé dans ses derniers retranchements, il finira par vous avouer : « Moi, je ne sais rien personnellement, seulement *on* me dit... » ...... Les hommes politiques présentent des idées, des programmes ; on a envie de leur dire : « Enfin, oui ou non, pourriez-vous vivre comme vous pensez ? » Non, ils ne peuvent pas vivre comme ils pensent, tant s'en faut, et c'est du reste la raison pour laquelle tant d'hommes de gauche, lorsqu'ils sont au pouvoir, font une politique de droite. ...... Il faut commencer par dominer ces antagonismes fictifs, car la réalité française est une réalité organique... La première condition d'un organisme c'est l'unité ; le corps vit par cette force mystérieuse que nous appelons l'âme et qui maintient assemblés les organes les plus divers ; il se désagrège très vite lorsque cette entité mystérieuse s'envole, autrement dit à la mort. *Cela nous interdit d'être des hommes de parti,* j'entends parti au masculin. Un organisme comporte des parties au féminin, c'est-à-dire des membres, mais il ne comporte pas des partis, au sens actuel du mot, c'est-à-dire des principes de division. Un corps divisé contre lui-même cesse d'être un corps, ou ce n'est qu'un corps mort. C'est précisément à cela que nous mène le régime des partis. ...... Je ne veux pas vous parler des conditions politiques de l'unité française, mais des conditions morales. La première c'est une Foi, une Foi commune. La Foi : voilà ce qui manque aujourd'hui à bien des individus ; quand on dit d'un homme qu'il ne croit plus à rien, c'est qu'il est déjà en partie mort... Nous assistons dans le monde à une fuite devant la Foi, à une sorte de refus du sens du sacré... 114:14 Foi : foi dans notre pays d'abord, puisque c'est de notre pays que nous parlons. Mais *la foi dans notre pays est subordonnée à une autre foi,* la foi en Celui qui a créé le pays, c'est-à-dire la religion. Le lien religieux est le plus fort et le plus universel. Il est partout, mais particulièrement dans un pays comme la France, dont je n'ai pas à évoquer ici la vocation chrétienne. Celle-ci fait partie des fibres les plus intimes de son être même ; c'est aux forces nourricières que nous devons revenir si nous voulons refaire l'unité de la France. Il faut *quitter les idéologies pour revenir au spirituel ;* il faut au-delà des idées qui vident l'homme et qui l'épuisent sans rien lui donner, revenir aux réalités, nourrices de l'homme. ... Jeanne d'Arc le savait ; parmi les saints, elle est une des rares à avoir eu vocation spécifiquement temporelle, dans la mesure du moins où le temporel rejoint l'éternel. Sa mission était de sauver le corps de la France ; on l'appelle la Sainte de la Patrie ; elle disait pourtant : « *Dieu premier servi* ». LE SAUVETAGE DU TEMPOREL EST LIÉ A NOTRE FIDÉLITÉ A L'ÉTERNEL. \*\*\* *En conclusion de cette réunion, le général Weygand a déclaré :* Nous nous trouvons, ou plutôt je me trouve, puisqu'on m'a fait l'honneur de me charger de la Présidence, en présence d'une œuvre considérable : car c'est une œuvre considérable que de remonter tous les degrés descendus, *dans l'ordre moral tout d'abord, dans l'ordre matériel ensuite.* C'est pourquoi, humblement, je vous demande de nous aider. *Rappelons que l'adresse de l'Alliance Jeanne d'Arc est :* 8, *rue de la Néva, Paris III^e^ et* 81, *rue Madame, Paris VI^e^.* ~===============~ #### Un message du Général Weygand *Au mois d'avril, le général Weygand, en qualité de président de l'Alliance Jeanne d'Arc, a adresse aux Français et plus spécialement aux chrétiens d'Algérie, un message que la presque unanimité des journaux métropolitains a passé sous silence.* *En voici le texte :* 115:14 Un effort persévérant, qui trouve des complices en France, et même parmi les chrétiens, tache de séparer l'Algérie de la France. La fidélité tenace des Algériens a réussi jusqu'à présent à empêcher le succès de cette entreprise. On s'efforce maintenant d'exploiter une lassitude bien explicable chez ceux qui supportent depuis de longs mois le poids de la lutte ; des déclarations, au moins ambiguës, qui, de façon authentique ou frauduleuse, sont attribuées à des personnalités très diverses -- politiques, militaires, ecclésiastiques -- travaillent à transformer cette lassitude en désarroi. S'il a été commis des excès, la conscience ne saurait les approuver, mais elle ne peut pas ignorer le climat de terreur et de provocation suscite par les ennemis de la France. L'Alliance Jeanne d'Arc tient à affirmer solennellement que nul n'a le droit de mettre en doute la légitimité de l'action menée par la France pour défendre la vie et les droits de ses enfants. Elle dénonce comme une injure à la France et à la religion chrétienne l'argument selon lequel le patriotisme français serait un obstacle à l'évangélisation. Elle tient à assurer les serviteurs fidèles de la France en Algérie de son admiration fraternelle et prend l'engagement de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour apporter à leur combat l'appui sans réserve de la France chrétienne. ~===============~ #### Les thèses d'Hanna Zakarias sur le Coran *Nous avons déjà parlé d'Hanna Zakarias, et de l'importance de ses travaux, qui bouleversent la connaissance de l'Islam* (*voir Itinéraires, numéro* 6*, pages* 146 *et suivantes : Un mythe : la communauté franco musulmane*)*.* *L'ouvrage d'Hanna Zakarias : De Moïse à Mohammed, comporte deux tomes déjà parus, en vente chez l'auteur, boîte postale* 46*, Cahors* (*Lot*)*, C.C.P. Toulouse* 1687*.*34 (*les deux tomes, port compris :* 5*.*250 *francs*)*. Le troisième tome est à paraître.* *Dans le mensuel* C'EST-A-DIRE (*numéro d'avril*)*, Hanna Zakarias a donné un* « *aperçu de sa thèse* »* :* 116:14 On connaît la thèse traditionnelle : pour les musulmans, le Coran a été dicté par Allah à Mohammed. Celui-ci apprenait par cœur les révélations que Dieu, après une première insufflation complète mais inadaptée à la mémoire de l'inspiré, lui distilla goutte à goutte pendant une vingtaine d'années. A son tour, Mohammed les aurait dictées à ses secrétaires qui les transcrivaient sur des omoplates de moutons ou morceaux de vaisselle cassée. Pour les coranisants rationalistes, Mohammed n'est pas un inspiré ; mais essentiellement un enquêteur religieux. Il aurait, dans ses caravanes, noué de nombreuses relations avec les moines chrétiens de Syrie. D'autre part, à la Mecque, il aurait beaucoup fréquenté les juifs ; par eux il aurait connu les faits principaux de l'A.T. En possession des dogmes chrétiens et juifs, Mohammed aurait opéré un choix, et c'est à la suite de ce choix qu'il aurait composé le Coran et fondé l'Islam. A notre avis cette thèse traditionnelle n'est que pure imagination. Des relations de Mohammed avec les moines chrétiens, on n'a absolument aucune preuve. On ne possède que les « racontars » fantaisistes de la SIRA, sorte de monstrueuse biographie de Mohammed, comme dit le Père Lammens. Ce qui est certain, c'est qu'il existe un Coran arabe divisé en 114 sourates, comprenant globalement 6.226 versets. Dans sa forme actuelle, ce recueil est attribué à Othman, troisième khalife. Que ce recueil soit d'Othman ou d'un autre khalife, peu importe ; le problème dépasse la forme même de ce Coran arabe. Il s'agit essentiellement de savoir comment un Arabe que la tradition désigne sous le nom de Mohammed parvint à acquérir les connaissances religieuses contenues dans ces 114 sourates. Par conséquent c'est le contenu spirituel des sourates que l'historien des religions se doit d'analyser en tout premier lieu. Or, cette analyse est révélatrice. Dans les sourates mecquoises -- les sourates médinoises seront étudiées plus tard dans un troisième volume -- on ne découvrira, en effet, que les histoires bibliques ; la trame fondamentale de ces sourates est formée de récits concernant Adam, Noé, Lot, Joseph, Abraham, Moïse, David, Salomon. Il y a plus : tous ces récits bibliques sont présentés dans une atmosphère et une ambiance talmudique. En un mot, dans les sourates mecquoises, le lecteur ne retrouvera que le judaïsme tel que le connaissent les enfants du catéchisme. Il n'y a absolument rien de plus. 117:14 Les esprits superficiels sont généralement frappés par la Sourate XIX, dans laquelle il est parlé de Jean-Baptiste, de Marie et de Jésus, et ils en tirent des conclusions sur l'infiltration chrétienne dans le Coran et sur les possibilités et les bases d'un rapprochement christiano-musulman. Or, les textes que les coranisants interprètent dans un sens chrétien sont en fait essentiellement et fondamentalement *anti-chrétiens *: Jean-Baptiste est un prophète, mais il n'est pas précurseur du Christ ; la Vierge Marie présentée comme une sœur de Moïse et d'Aaron, est Mère de Jésus, *mais n'est pas la Mère d'un Dieu ;* quant à Jésus lui-même, il est prophète, *mais il n'est pas Dieu.* L'auteur du Coran a été forcé par ses polémiques avec le curé de la Mecque de parler de Jean-Baptiste, de Marie et de Jésus ; il en parle, mais en repoussant toute interprétation chrétienne pour conserver dans son intégrité et sa rigidité la religion mosaïque. Le problème coranique est désormais simplifié. Le Coran arabe n'est qu'une adaptation en arabe du « Coran » hébreu, adaptation enrichie des commentaires juifs de la *Tora.* Mohammed était-il capable de faire pareille adaptation ? Pour répondre par l'affirmative, il faudrait supposer que Mohammed ait suivi des cours oraux fort nombreux, rigoureusement précis, qu'il ait parfaitement retenu de mémoire ses leçons orales et qu'il les ait dictées sans erreur. Tout cela rend parfaitement invraisemblable la composition du Coran par l'arabe Mohammed. Il y a tant de versets bibliques dans les sourates mecquoises, tant de points communs avec le Talmud et la littérature juive, que la conclusion la plus normale et la seule raisonnable est *d'attribuer la paternité du Coran arabe a un juif lettré, un rabbin en contact journalier avec Mohammed, en un mot le rabbin de la Mecque.* L'Islam repose donc en définitive sur l'enseignement donné à Mohammed par un rabbin juif. Tout désormais devient clair dans les origines de l'Islam : Mohammed n'a rien d'un prophète, rien d'un fondateur de religion nouvelle. Son rôle unique a été de se laisser instruire de la religion juive et de l'annoncer à ses compatriotes arabes. *L'Islam est essentiellement le plus puissant effort fait par le judaïsme pour judaïser l'Arabie, et le Coran n'est que l'adaptation en arabe du Coran hébreu de Moïse, seul Coran originel.* Ces conclusions sont naturellement à l'antipode des conclusions traditionnelles. Mais l'analyse minutieuse qu'elles supposent nous offre la seule possibilité de comprendre dans le total repos intellectuel le Coran et l'Islam. *Il n'y a* *dans la religion arabe aucune originalité :* le Coran arabe n'est que le double du Coran hébreu et, dans son origine, l'Islam n'est qu'une communauté d'arabes convertis au judaïsme. ~===============~ 118:14 #### Le premier samedi du mois *Notre excellent confrère* L'HOMME NOUVEAU *nous communique : depuis le mois de mai, chaque mois, le premier samedi du mois, une messe est célébrée à Notre-Dame des Victoires* (*dédiée au Cœur Immaculé de Marie*)*, à 18 heures, dans l'esprit du message de Fatima :* « *Pour la paix du monde... Pour la conversion de la Russie...* » L'HOMME NOUVEAU *nous fait remarquer, d'autre part, que le 13 mai dernier était le quarantième anniversaire du sacre épiscopal de SS. Pie XII : et que ce sacre, qui eut lieu le 13 mai 1917, à la Chapelle Sixtine, eut lieu au moment même de la première apparition à Fatima de la Très Sainte Vierge.* ~===============~ #### Parmi les livres reçus - Henri CHARLIER : *Le Martyre* de *l'art,* ou l'art livré aux bêtes (Nouvelles Éditions Latines). - Raymond ARON : *Espoir et peur du siècle,* essais non partisans (Calmann-Lévy). - SAINT LOUIS-MARIE GRIGNION DE MONTFORT : *Textes choisis,* présentés par Raymond Christoflour (Éditions du Soleil Levant, Namur, Belgique). - Dom Jean-Marie BEAURIN, o.s.b. : *La Croisade* de *la paix,* l'Armée de Marie en marche (Librairie du Carmel). - Michel DE SAINT PIERRE : *Les Écrivains,* roman (Calmann-Lévy). - Jean GAUTIER directeur au Séminaire de Saint-Sulpice : Ces *Messieurs de Saint-Sulpice* (Bibliothèque *Ecclésia,* Librairie Arthème Fayard). - Jules CHAIX-RUY, professeur à la Faculté des Lettres d'Alger : *Donoso-Cortès, théologien* de *l'histoire et prophète* (Bibliothèque des Archives de philosophie, Beauchesne). - Georges GAUDY : *L'agonie du Mont-Renaud* (réédition ; Nouvelles Éditions Latines). - André COMBES : La Bienheureuse Thérèse Couderc, fondatrice du Cénacle (Éditions Albin Michel). ============== Fin du numéro 14. [^1]:  -- Dans la *Revue de l'Action populaire* (mai), un article, intéressant et important, de M. Pol Échevin : « *Perspectives ouvrières* ». Il est consacré au Premier Mai. Il note, comme nous l'avions fait dans *Itinéraires* d'avril, le « *peu d'éclat* » que revêt aujourd'hui le 1^er^ mai de tradition socialiste et l'oubli de ses origines. Il note aussi que le mouvement ouvrier aurait besoin d'un « *souffle nouveau* » et que d'ailleurs « la phase de *stricte défense sociale est terminée* ». Nous sommes bien d'accord. Mais pourquoi ne pas chercher ce « souffle nouveau » dans l'institution du nouveau Premier Mai par Pie XII et dans tout ce que, il ce point de vue précisément. nous apporte le Pontife régnant ? L'analyse de la conjoncture sociale et morale que fait M. Échevin aux deux premières pages de son article rejoint assez exactement les analyses de Pie XII ; M. Échevin semble l'ignorer. En tout cas, il ne dit rien de ce que Pie XII propose pour répondre a cette situation ; Il n'a même pas un mot, ou une allusion, pour le 1^er^ mai chrétien. Ceux qui, comme M. Échevin, posent correctement les questions sociales actuelles, c'est ceux-là surtout, ou d'abord, que nous voudrions convaincre : la réponse à ces questions se trouve dans l'œuvre sociale du Saint-Père. Il faut la connaître et la faire connaître. [^2]:  -- (1). Numéro de novembre-décembre 1956, pages 573-574. [^3]:  -- (1). Numéro du 15 mars 1957, seconde partie, pages 13 et suivantes. [^4]:  -- (1). *Itinéraires,* numéro 8, page 61. [^5]:  -- (1). *L'Ami du Clergé,* 14 mars 1957. page 175. [^6]:  -- (2). *L'Homme nouveau,* 3 juin 1956 : « Après sa très forte étude sur *L'Économie sociale selon Pie XII,* après les *Scènes de la vie sociale* qui a eu tant de succès dans le monde rural, Marcel Clément répond aux principaux problèmes d'ordre humain et moral que se pose ou doit se poser le chef d'entreprise, et d'abord sur la légitimité et la fierté de son propre rôle dans une économie mondiale qui doit s'arrêter sur la pente inhumaine du socialisme. L'ouvrage de Marcel Clément éclairera et réconfortera le chef d'entreprise privée qui ne saurait trouver un meilleur guide pour dégager la conception chrétienne et efficace de l'entreprise et de sa direction. Ce livre doit se trouver en bonne place dans toute bibliothèque patronale. » [^7]:  -- E. DURKHEIM : *Les règles de la méthode sociologique,* 11. édit. p. 19. [^8]:  -- *Les Libertés françaises,* n° 17, p. 103. [^9]:  -- *Les Libertés françaises,* février 1957, n° 17, pp. 93-128. [^10]:  -- *Aspects de la France,* 8 mars 1957. [^11]:  -- *Nouvelles de chrétienté,* 15 mars 1957, pp. 13 à 22. [^12]:  -- *Les Libertés françaises,* avril 1957. pp. 67 et suiv. [^13]:  -- *Itinéraires,* décembre 1956, n° 8, p. 32. [^14]:  -- *Les Libertés françaises,* n° 17, p. 94. [^15]:  -- *Nouvelles de Chrétienté, lac.* cit. page 13. [^16]:  -- *Itinéraires,* n° 8. p. 37. [^17]:  -- *Itinéraires,* n° 8, p. 36. [^18]:  -- *Nouvelles de Chrétienté,* loc. cit., p. 17. Les majuscules sont de nous. [^19]:  -- *Itinéraires,* n° 8, p. 27. [^20]:  -- *Itinéraires,* n° 8, p. 27. [^21]:  -- *Itinéraires,* n° 8, p. 29. [^22]:  -- *Nouvelles de Chrétienté,* loc. cit., p. 18. [^23]:  -- *Itinéraires,* n° 8 pp. 28-29. [^24]:  -- *Nouvelles de Chrétienté,* loc. cit., p. 18. [^25]:  -- *Itinéraires,* n° 8, pp. 28-29. [^26]:  -- *Nouvelles de Chrétienté,* loc. cit., p. 19. [^27]:  -- Cf. saint Thomas, *Sum. theol*. I a, qu. 14, art. 16. [^28]:  -- *Nouvelles de Chrétienté,* loc. cit., pp. 13-14. [^29]:  -- *Nouvelles de Chrétienté,* loc. cit., p. 14. [^30]:  -- Charles DE KONINCK : Sciences Morales et Sciences Sociales, in *Laval Philosophique et Théologique* 1945, vol I, n° 2. [^31]:  -- *Actes de Pie XI *: Tome XVII, Bonne Presse. p. 165. [^32]:  -- *Itinéraires,* n° 9, p. 28, [^33]:  -- (1). Dans son article du présent numéro : *Conclusion : les sciences sociales sont des sciences morales,* Marcel Clément montre avec précision, et sur pièces, en quoi et pourquoi ces deux articles des *Nouvelles de Chrétienté* sont gravement inexacts et injustes : les textes qu'il cite en regard les uns des autres mettent irrécusablement en lumière quels incroyables procédés intellectuels y ont été employés. Nous n'y reviendrons pas ici. [^34]:  -- (1). Dans les *Libertés françaises* de mars 1957, M. François Daudet expose que Madiran est un misérable individu, et qu' « *on trouvera du reste un indice probant* (sic) *de son état d'esprit dans la rage froide* (sic) *avec laquelle ce passionné du dialogue a naguère refusé* (sic) *la moindre discussion* (sic) *avec un homme* comme *Olivier de Roux* ». [^35]:  -- (1). Ces passages du Message pontifical de Noël 1956 n'ont pas été portés à la connaissance de leurs lecteurs par *Aspects* ni par les *Libertés françaises :* ces deux publications ont négligé de confronter avec eux leur interprétation du « politique d'abord » et de la « physique sociale ». On trouvera cette partie du Message pontifical citée et commentée dans le livre de Madiran : On *ne se moque pas de Dieu,* à la fin du chapitre IV. [^36]:  -- (1). Nous n'allons évidemment pas relever, dans la campagne d'*Aspects* et des *Libertés françaises,* tous les traits par lesquels se manifestent un mépris de l'exactitude et une absence de scrupules vraiment extraordinaires. En voici du moins deux exemples caractéristiques : 1. -- Dans les *Libertés françaises* d'avril, pages 106-107, M. Mériadec Paquet écrit : « M. Philippe Ariès, dans son livre *Le Temps de l'histoire,* pousse la faiblesse d'esprit jusqu'à dire, avant M. Marcel Clément, que les notions bainvilliennes de ressemblance et de causalité dérivent d'une « mécanisation de l'intelligence de l'histoire ». Or, ni après M. Philippe Ariès, ni avant, Marcel Clément n'a dit cela : il n'a en rien parlé des « notions bainvilliennes » ni de Jacques Bainville. Il ne s'agit donc pas ici d'une erreur d'interprétation, -- puisqu'il n'existe aucun texte de Marcel Clément sur Jacques Bainville. Il s'agit d'une contre-vérité *inventée* de toutes pièces. 2. -- Dans *Les Libertés françaises* de mars 1957, M. François Daudet raconte que Madiran est « *incorporé à des groupements antidémocratiques mais européanisants* ». Or Madiran n'appartient ni n'est « incorporé », pas plus aujourd'hui qu'hier ou avant-hier, à *aucun* groupement anti-démocratique, ni démocratique, ni européanisant, ni anti-européen : à AUCUN GROUPEMENT POLITIQUE D'AUCUNE SORTE. Très précisément, Madiran est adhèrent à *l'Union paroissiale* (A.C.G.H., ex F.N.A.C.) de sa paroisse et au... Touring Club de France. Il n'existe même pas la moindre apparence que Madiran appartienne à un groupement politique quelconque. Cette contre-vérité a été *inventée* de toutes pièces. [^37]: **\*** cf. Itin. 94-06-65, p. 174. -- 103-05-66, pp. 170 sv. 169-01-73, pp. 224 sv. [^38]:  -- (1). Revue mensuelle *France-U.R.S.S.,* numéro de décembre 1951. [^39]:  -- (2). Même numéro. [^40]:  -- (3). Revue *France-U.R.S.S.,* numéro d'octobre 1951. [^41]:  -- (1). On sait par exemple, ou l'on devrait savoir, que la technique communiste des *actions parallèles -- *celle à laquelle M. Debray a été intimement mêlé -- n'avait été qu'esquissée et essayée avant la guerre. C'est un des traits d'extrême clairvoyance de l'Encyclique *Divini Redemptoris* de l'avoir dénoncée dès 1937. L'action *para-communiste* a développé ses techniques et pris une ampleur incomparablement plus considérable après la dernière guerre. [^42]:  -- (1). Au demeurant, cela n'aurait aucun sens. Ce qui a été levé en 1939, c'est « la mise à l'Index prononcée contre le journal *L'Action française* ». Ce journal n'existe plus aujourd'hui. On ne voit donc pas comment ce *même* interdit pourrait être éventuellement rétabli, ou comment sa levée pourrait être éventuellement annulée. Mais, d'autre part, rien n'a été changé en 1939 au fait que plusieurs livres de Charles Maurras, parmi lesquels *La Politique religieuse,* étaient, sont et demeurent inscrits à l'Index. *Les Libertés françaises* (numéro 17) se sont appuyées précisément sur ce livre de *La Politique religieuse* pour démontrer la parfaite orthodoxie de Maurras, ce qui est paradoxal, et ont recommandé ce livre à leurs lecteurs (dont beaucoup sont catholiques) sans leur dire qu'il est à l'Index, ce qui est imprudent. Dans le même sens, *Aspects* ose écrire (26 avril) que « *Charles Maurras est à l'index de M. Madiran* », ce qui est une manière, supposée « habile », de nier implicitement que Maurras soit à un autre index que « celui de M. Madiran », et de cacher aux lecteurs d'*Aspects* que plusieurs livres, mêmes politiques, de Charles Maurras, sont bien réellement inscrits à l'Index. Quand *Aspects* cite et recommande ces livres, il omet toujours de formuler les réserves nécessaires. [^43]:  -- (1). Et cela avait été très clairement exposé et affirmé par Madiran, tant dans sa « Lettre à M. Joseph Folliet » (*Itinéraires,* numéro 6, pages 133-135) que dans sa réponse à M. l'abbé Roffat (numéro 7, pages 60-62). On n'a voulu tenir aucun compte de l'existence et du contenu de ces précisions, de ces prises de positions. Certes, nous voyons bien ce qui gêne certains ; ils préfèrent laisser supposer que LES JUSTES MOTIFS DE CONDAMNATION N'AURAIENT JAMAIS EXISTÉ. pas même en 1926. Ceci est d'ailleurs *un débat historique distinct* de notre *enquête sur le nationalisme.* Remarquons néanmoins que laisser supposer, ou insinuer, que les *justes motifs* n'auraient pas existé en 1926 est à la fois inexact et imprudent, et qu'en tout état de cause on ne devrait pas avoir à revenir sur ce point. En effet, l'existence de ces *justes motifs* a été reconnue par la Lettre des Comités directeurs de l'Action française en date du 19 juin 1939 (publiée dans *l'Action française* du 16 juillet 1939), qui déclare notamment ; « Nous osons demander au Père qui tient les clefs de la miséricorde et de la justice de daigner considérer, en poursuivant l'examen déjà commencé par S. S. Pie XI, si, selon Son jugement souverain, les *justes motifs* de prohibition ayant, ce nous semble, *cessé d'exister,* celle-ci ne pourrait légitimement tomber à son tour. » Plus haut, la même Lettre disait : « Pour tout ce qui concerne en particulier la doctrine, tous ceux d'entre nous qui sont catholiques, *en réprouvant tout ce qu'ils ont pu écrire d'erroné,* rejettent complètement tout principe et toute théorie contraires aux enseignements de l'Église, etc. » [^44]:  -- (1). Le livre de Madiran, *On ne se moque pas de Dieu,* est un essai de méditation, dans plusieurs de ses chapitres (II, III, IV et V) sur la situation créée par la démocratie moderne, telle que le Saint-père l'analyse et la définit, et sur la valeur des moyens et la hiérarchie des urgences qu'Il indique à ce propos. [^45]:  -- (2). Pour « démontrer » que Marcel Clément déforme très vilainement l'enseignement pontifical et la philosophie traditionnelle, les *Nouvelles de Chrétienté* et *Les Libertés françaises* ont commis une bévue qui serait simplement comique, si elle n'était aussi une inconvenance à l'égard de deux Souverains Pontifes au moins. En effet, le distingué rédacteur des *Nouvelles de Chrétienté* (15 mars 1957), dans un article reproduit et repris à leur compte par *Les Libertés françaises* (numéro 19, page 80), accuse Marcel Clément d'avoir employé une formule « *philosophiquement inexacte* » lorsqu'il a écrit que la loi naturelle est INSCRITE dans l'homme. S'il fallait croire, avec le théologien émérite des *Nouvelles de Chrétienté* et des *Libertés françaises,* que c'est vraiment là une inexactitude philosophique, c'est-à-dire une erreur, Pie XI et Pie XII en seraient tous deux responsables ! Pie XI, qui dans *Divini Redemptoris* parle de « la *loi naturelle gravée par Dieu dans l'âme humaine* ». Pie XII, qui dans *Humani generis* parle d' « *une loi naturelle mise par le Créateur dans nos âmes* ». Cela tranche la question. Le théologien émérite des *Nouvelles de Chrétienté* et des *Libertés françaises* a donné de sa bévue des explications fort embarrassées, -- mais sans consentir à la retirer, comme il l'aurait manifestement dû (*Nouvelles de Chrétienté,* 19 avril 1957, pages 50-51 de la seconde partie). Explications qui sont en outre inexactes ; il explique en effet pourquoi la formule des Papes pourrait être considérée comme *métaphorique *: cependant, il... OUBLIE (si l'on peut s'exprimer ainsi) qu'il n'avait pas dit seulement « métaphorique », mais aussi, et surtout : « *philosophiquement inexact* ». [^46]:  -- (1). Il faut d'ailleurs noter que les *Libertés françaises* n'y regardent pas de trop près dans le choix de leurs accusations et de leurs reproches. Il arrive plusieurs fois à cette revue d'imprimer vraiment n'importe quoi : dans son numéro d'avril 1957 (page 109), elle range Marcel Clément parmi les « *dévots* de la *métaphysique teutonne* » (sic!!!), qui « *prêchent la* *démission de l'intelligence* » (sic) « *et la trahison du vouloir* » (sic) ; et qui « *livrent le monde au devenir de leurs humeurs populaires ou intestines* » (!?). Le théologien émérite des *Libertés françaises* ne pourrait-il faire remarquer à cette revue à quel point ces... « métaphores » (si l'on peut dire) sont « philosophiquement inexactes » (et gravement injurieuses) ? Des « jugements » à ce point délirants sur la pensée et l'œuvre de Marcel Clément, nous ne croyons pas que même la plus extrême malveillance puisse suffire à en expliquer l'énormité. Il doit y falloir aussi une grande absence d'information philosophique. Il existe sans doute une tradition de violence et d'injure verbales qui est l'une des traditions d'Action française. Ce n'est pas la meilleure, surtout quand elle conduit à écrire des sottises. Cette tradition requiert assurément l'application d'une remarque de Maurras (*Mes idées politiques,* page 67) : « La vraie tradition est *critique...* Dans toute tradition comme dans tout héritage, un être raisonnable fait et doit faire la défalcation du passif. » Plusieurs aujourd'hui semblent s'acharner à démontrer (à leur propre détriment) qu'il leur est infiniment plus facile d'imiter certaines insuffisances doctrinales et certains excès verbaux de Charles Maurras que de suivre ou prolonger sa recherche de la vérité. A la « vraie tradition qui est *critique* », ils préfèrent apparemment la fausse tradition, celle du rabâchage littéral et mécanique de tout ce qu'a pu écrire Maurras, avec interdiction formelle, sous peine d'injures majeures, de risquer le moindre examen critique. Ces énormes injures appartiennent à une méthode d'intimidation : mais ils devraient enfin s'apercevoir qu'ils n'intimident plus personne en France avec leurs cris et leurs insultes, -- et que ce faisant ils tournent le dos à la chance qui leur restait d'être entendus : la persuasion patiente, la discussion sérieuse, l'exactitude scrupuleuse de la critique intellectuelle, la précision et la solidité des observations et des argumentations. Précisons néanmoins que fort heureusement, cette attitude regrettable d'aveugle violence verbale n'est pas le fait de tous les « maurrassiens », loin de là : la plupart d'entre eux, et les plus représentatifs, manifestent une tout autre attitude et un tout autre esprit, comme on le voit irrécusablement dans le livre de *L'Enquête sur le nationalisme.* [^47]:  -- (1). *Itinéraires,* numéro 10, page 73. C'est sans doute à ce texte, et à dix autres semblables dans *Itinéraires,* que pense M. François Daudet lorsqu'il vent faire croire à ses lecteurs qu'il a « observé » dans la revue *Itinéraires* « un a priori trop certain et une systématique à peine voilée contre le nom (sic) de Charles Maurras » (*Libertés françaises,* numéro de mars 1957, page 103 ; précisons qu'en écrivant cet article de mars, M. Daudet avait déjà lu l'article de Marcel Clément de février (numéro 10), puisqu'il en parle et le cite en référence. M. Daudet écrit en outre un peu plus loin, page 115 : « *ce ne sont pas les conceptions personnelles de MM. Marcel Clément et Madiran dont nous avons voulu débattre aujourd'hui* ». Ce qui ne l'empêche pas, en attendant un examen de ces « conceptions » qui viendra ou qui ne viendra pas, d'en insulter copieusement les auteurs. C'est toujours une bonne chose de faite, et M. Daudet a sans doute commencé par ce qui lui paraissait le plus urgent. Les motifs raisonnables, s'il en a, il les exprimera peut-être un jour. En tout cas, PLUS DE TROIS MOIS après la parution des conclusions de Marcel Clément SUR LE NATIONALISME, nous constatons qu'aucune discussion n'en a été faite ni dans les *Libertés françaises* ni dans *Aspects.* Nous ne verrions aucun inconvénient à ce délai, nous voulons bien laisser à tout le monde le temps de la réflexion ; mais il n'était vraiment pas nécessaire de meubler ce (très) long temps de réflexion par un concert d'injures, d'onomatopées et de rugissements divers.) [^48]:  -- (1). Il est significatif qu'*Aspects,* presque totalement, et totalement les *Libertés françaises,* aient fait silence sur la fondation par le général Weygand, de l'*Alliance Jeanne d'Arc,* et sur la plupart de ses déclarations et activités. [^49]:  -- (1). *La Lutte pour la Vie* (1940-42). [^50]:  -- (1). Encyclique *Divini Redemptoris.* [^51]:  -- (1). J.-B, DUROSELLE : *Les débuts du catholicisme social en France* (1822-1870). Éd. des Presses Universitaires de France. [^52]:  -- (2). *La Gazette de France,* doyenne des journaux français, a, comme on sait, traversé tous les régimes du XIX^e^ siècle et survécu jusqu'en 1915, C'est dans la vieille *Gazette* que Maurras et Bainville ont publié quelques-uns de leurs premiers articles. [^53]:  -- (3). *La Quotidienne,* fondée par Michaud, deviendra en 1847 *L'Union monarchique,* et, l'année suivante, *L'Union*, et paraîtra sous ce titre jusqu'à la mort du comte de Chambord. [^54]:  -- (4). Créé en 1819. le *Drapeau Blanc* ne survivra pas à la Révolution de 1830, [^55]:  -- (5). J. BOURGEOIS est l'auteur d'un important ouvrage sur *Le Catholicisme et les questions sociales* (1867). Ouvrage qui, selon Duroselle passa inaperçu. Il participera plus tard à la rédaction de *l'Association catholique,* journal des Cercles catholiques d'ouvriers.