# 15-07-57 2:15 ## ÉDITORIAL ### L'Action catholique OUI CERTES, l'abbé Richard a raison ([^1]) : ne parlons pas seulement de *crise* de l'Action catholique, mais aussi, mais surtout, de *retour à l'Action catholique.* Et prenons conscience de notre espérance. En ce siècle où la Foi semble, à vues humaines, menacée d'asphyxie, en un moment où, selon le mot du Saint Père, « *la nuit est tombée sur le monde et oppresse les hommes* » ([^2]), l'Action catholique est l'incarnation de l'espérance. Une espérance qui a été plusieurs fois brouillée ou obscurcie, détournée ou mélangée, une espérance qui devenait incertaine et vacillante : tel est le sort de l'espérance en ce monde. Mais l'Église, à son heure, ranime la flamme, et fait briller d'un éclat nouveau une lumière dont nous savons qu'elle ne s'éteindra pas. \*\*\* PRÉPARÉE PAR SAINT PIE X, instituée par Pie XI, l'Action catholique est l'instrument de la renaissance chrétienne au XX^e^ siècle, la voie et le moyen vers une nouvelle Chrétienté. Comme toutes les œuvres divines, comme le fut l'Église elle-même, elle est d'abord le grain de sénevé, la plus petite de toutes les choses. Et cette graine, parfois ou souvent, est tombée sur le roc aride ou au milieu des ronces. Les vicissitudes déjà ont été nombreuses. Elles ont provoqué des jugements, des appréciations, des partis pris, voire des passions, tout un complexe intellectuel, psychologique, politique dont il faut se défaire si d'aventure l'on y est encore emprisonné. 3:15 Il faut s'en défaire, pour deux raisons parmi d'autres, nous semble-t-il, et chacune des deux est suffisante à elle seule ; ou n'est qu'un aspect de la même raison : 1. -- L'Action catholique n'a que trente ans. On ne peut raisonnablement tirer aucune conclusion définitive de ses « erreurs » ou de ses « échecs ». Et ce ne sont même pas des échecs ou des erreurs. Il y a eu, c'est bien normal, il y aura encore peut-être des tâtonnements et des balbutiements, non dans l'ordre des principes et de l'institution, mais dans l'ordre d'exécution. Y enfermer l'Action catholique, prétendre la juger là-dessus, serait une absurdité. Elle a devant elle cette tâche immense et formidable : la rechristianisation du monde moderne. Ce n'est pas l'œuvre d'un jour ni de trente ans. Elle s'y cassera plus d'une fois les dents, et plus d'une fois ne saura comment s'y prendre, comme les Apôtres eux-mêmes devant le monde romain. Mais le monde romain est mort et l'Église est vivante. Si l'on arrêtait l'histoire du christianisme à la veille de la Résurrection, ou à la veille de la Pentecôte, ou à la veille de l'avènement de Constantin, on pourrait à vues humaines, et par savantes analyses sociologiques, en faire l'histoire d'une erreur tactique, l'histoire d'un échec pratique. Nous sommes toujours à la veille de la Résurrection et à la veille de la Pentecôte. Nous sommes toujours au lendemain de la descente au tombeau et nous y serons toujours. Et toujours nous retournant vers le passé et jugeant sur lui seul, avec (s'il était possible) une foi sans espérance, nous risquerions de n'apercevoir que la désolation et la mort. L'œuvre de la foi n'est pas le contentement de soi et de son passé, l'œuvre de la foi est l'espérance. Nous sommes toujours au lendemain du péché et à la veille de la conversion. Nous sommes toujours au lendemain du péché qui recommence, innombrable et lamentable : nous sommes toujours à la veille de la conversion, qui jamais en ce monde n'est terminée. « Le jour précédent ne doit pas juger le jour présent, ni le jour présent ne doit pas juger le jour précédent : il n'y a que le dernier qui les juge tous ([^3]). » 4:15 Nous sommes toujours à la veille du jour où paraît le Dieu qui est, qui était et qui vient. La religion chrétienne est tournée vers l'au-delà et vers l'en demain. L'Action catholique n'est pas une entreprise qui peut déposer son bilan et le soumettre au jugement des experts sociologues : l'Action catholique, c'est la Chrétienté de demain. 2 -- L'Action catholique est un certain rapport entre la Hiérarchie et les laïcs, une certaine organisation de l'apostolat des laïcs par la Hiérarchie apostolique : « *Il est naturel que ceux qui n'ont pas la foi ou qui n'ont qu'une foi vacillante n'envisagent les rapports des laïcs avec la Hiérarchie que sous un angle humain et souvent dans une optique politique. Ils* en *parlent comme ils le feraient des revendications d'un groupement à l'égard d'une autorité extérieure, contre les empiétements de laquelle ils entendent bien se défendre. Du même coup, ils s'interdisent de s'ouvrir au mystère de l'Église... Les rapports du laïcat avec la Hiérarchie* ne *s'éclairent que dans la lumière de la foi, de la foi au mystère du Christ vivant et agissant dans son Église par le magistère de la Hiérarchie apostolique, son ministère sacramentel et sa juridiction* ([^4]). » Hors de cette perspective, et sous UN ANGLE HUMAIN, ET SOUVENT DANS UNE OPTIQUE POLITIQUE, des préventions et des oppositions ont existé et se sont plus ou moins formulées à l'égard de l'Action catholique. Parlant d'oppositions et de préventions, n'allons pas d'abord rechercher celles du voisin ou de l'adversaire. La méthode chrétienne consiste à d'abord se demander compte à soi-même de ses propres erreurs. Une considération extérieure, une vue exacte de la nature humaine en général, et en particulier des conditions sociologiques actuelles, nous invite aussi à la méthode chrétienne et nous y conduit. Dans le monde où nous vivons, les phénomènes publicitaires envahissent tellement la vie intellectuelle qu'il est bien difficile et peut-être impossible d'y échapper totalement : les erreurs régnantes atteignent même ceux qui croient être le mieux prévenus contre elles. 5:15 On a remarqué parfois l'existence de ces contagions. Les démocraties, pour vaincre les fascismes totalitaires, ont assez largement adopté les méthodes du totalitarisme. Le progressisme, au moment même où il veut combattre les forces conservatrices et réactionnaires, invente le « préalable » des « réformes de structure », qui est analogue (encore qu'inverse) au préalable de la « réforme des institutions politiques » défendu par ceux qu'il combat. C'est la même fausse croyance qu'il peut exister des « préalables » au retour à Dieu. Alors que le retour à Dieu, unique nécessaire, est l'universel préalable. D'ailleurs, notre temps de communications intellectuelles opérées sous une pression sociologique et publicitaire sans précédent, n'a pas créé, mais seulement accentué ce phénomène de contagion. Nous l'avons déjà noté ([^5]), nous croyons devoir y insister : nous sommes profondément de notre temps, principalement à notre insu et même quand nous croyons ne point en partager les préjugés. 6:15 Les plus grands esprits de l'humanité, on montrerait facilement que très souvent leurs insuffisances et leurs erreurs ne leur sont pas personnelles, mais sont les insuffisances et les erreurs de leur temps, qu'ils ont partagées à un degré moindre que leurs contemporains, mais dont ils ne sont pas exempts néanmoins. On s'en aperçoit plusieurs siècles après coup, sans difficulté et sans mérite. C'est, à plus forte raison, un avertissement pour les esprits ordinaires, c'est un avertissement pour chacun d'entre nous. Les erreurs et les travers que nous voyons si nettement chez nos adversaires ou contradicteurs, c'est une grâce qui nous est faite de les voir ainsi, pour être en mesure de les discerner en nous par ce détour. Bernanos fait dire à la Prieure, dans le *Dialogue des Carmélites *: « QUI S'AVEUGLE VOLONTAIREMENT SUR LE PROCHAIN, SOUS PRÉTEXTE DE CHARITÉ, NE FAIT SOUVENT RIEN AUTRE CHOSE QUE BRISER LE MIROIR AFIN DE NE PLUS SE VOIR DEDANS. CAR L'INFIRMITÉ DE NOTRE NATURE VEUT QUE CE SOIT D'ABORD EN AUTRUI QUE NOUS DÉCOUVRIONS NOS PROPRES MISÈRES. PRENEZ GARDE DE VOUS LAISSER GAGNER PAR JE NE SAIS QUELLE BIENVEILLANCE NIAISE QUI AMOLLIT LE CŒUR ET FAUSSE L'ESPRIT. » Cette remarque est très profonde : que le lecteur prenne le temps d'y songer. Accessoirement, il s'apercevra aussi qu'elle n'est pas étrangère à notre propos sur l'Action catholique. \*\*\* Coïncidences. Pourquoi ne pas le dire ? Plusieurs d'entre nous, dans cette revue, ont eu à l'époque de leur formation intellectuelle, ou plus tard, diverses préventions à l'encontre de l'Action catholique. Ils les ont eues *sous un angle humain* et *souvent dans une optique politique.* Et ces préventions n'étaient pas sans raisons ; raisons humaines, raisons politiques. 7:15 Il s'est trouvé, c'est ainsi et personne n'y pouvait rien, que les grandes formations de jeunesse de l'Action catholique spécialisée ont été instituées en France de 1926 à 1931 : au plus fort de la crise d'Action française. Il s'est trouvé que le développement de l'Action catholique s'est effectué en France, *si on le considère sous un angle humain et politique,* dans un climat de concurrence et de rivalité ; et même, d'opposition parfois violente à l'égard de l'Action française ; et non seulement de l'Action française, qui fut frappée d'interdit de 1926 à 1939, mais encore d'autres organisations ou tendances politiques, civiques ou religieuses accusées d'être « trop à droite », soupçonnées de connivence clandestine, ou inconsciente, avec la politique d'Action française. Dans les livres de M. Dansette, qui excelle à ranimer les querelles d'autrefois, on trouve l'écho et plus que l'écho d'une féroce hostilité qui s'exerce -- et avec quelle injustice -- jusque contre la Fédération Nationale Catholique du général de Castelnau. Par voie de conséquence, non pas justifiée mais explicable, beaucoup de catholiques français qui n'appartenaient pas à ce que M. Dansette appelle « la gauche chrétienne » sont longtemps restés sceptiques, ou réticents, voire agressifs, en face de l'Action catholique. Phénomène *humain,* se développant dans une *optique politique.* Ce que l'on aperçoit « sous un angle humain et dans une optique politique », ce sont aussi des réalités, mais qu'il faut toujours situer à leur place exacte, c'est-à-dire subordonnée ; et dont parfois même il faut savoir se détacher. « Quiconque aura quitté maison, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs à cause de mon nom recevra le centuple et aura la vie éternelle » (Mt XIX, 29). Ordinairement le Seigneur ne nous en demande pas tant, ou plutôt ne nous le demande qu'en un sens bien atténué. Et nous le Lui refusons. C'est ainsi que nous perdons tout : car nous ne pouvons plus alors garder ni cela ni le reste. L'Action catholique s'est trouvée, non pas toujours, mais plus ou moins souvent, quelque peu coupée, ou séparée, de « certains milieux politiques » : d'autre part, ces certains milieux politiques coïncidaient en fait très largement, et coïncident encore parfois, avec les zones sociales les plus nombreuses, les plus anciennes, les plus solides du catholicisme français. 8:15 Cette réalité psychologique, nous sommes quelques-uns, dans cette revue, à l'avoir connue de l'intérieur, et à pouvoir en témoigner. A travers beaucoup de malentendus, d'insuffisances et d'erreurs, ce fut aussi, nous l'avons vu dans la génération précédente, une grande souffrance pour les âmes, souvent saintement et silencieusement offerte à la Miséricorde divine. On ne l'a pas toujours su. Quelquefois, on n'a pas voulu le savoir. Mais Dieu le sait. L'Action catholique, qui est d'Église, devait, comme l'Église, être et même apparaître clairement exempte de toute compromission politique. Il est certain que les apparences, et peut-être parfois quelques réalités, n'étaient pas toujours satisfaisantes à cet égard vers les années 20. Il est peu contestable que l'effort terrible qui fut nécessaire pour dégager l'Église des apparences, ou des réalités, d'une « politisation » de droite ne put toujours éviter les excès dans la mise en œuvre. On avait abusé de la coïncidence apparente ou réelle entre plusieurs des positions politiques de la droite traditionnelle et certains points de la doctrine de l'Église : on en avait abusé au profit temporel de la droite. En réagissant contre cet abus, des laïcs zélés, et même des prêtres, furent amenés à réputer comme non chrétiennes des positions, des idées, des traditions qui se situaient au point de coïncidence ; et à mettre en sommeil, ou à minimiser, comme étant « de droite », des points quelquefois fondamentaux de la doctrine de l'Église. Ce qui se produisit à l'égard des idées se produisit aussi à l'égard des personnes... Très vigilante, et plutôt avec excès qu'avec insuffisance, à l'égard des dangers d'une politisation de droite, l'Action catholique était beaucoup moins avertie des formes et des visages que pourrait prendre une politisation de gauche. Elle ne reconnut pas toujours cette autre politisation quand elle vint à se présenter. Elle resta mieux armée intellectuellement contre le péril qui passait que contre le péril qui venait. Elle était sans connaissance suffisante de la croissante pression sociologique et publicitaire du marxisme sur les sociétés contemporaines. 9:15 Le risque de politisation, lors de la naissance de l'Action catholique, était surtout traditionnel, occasionnel, et de droite. Aujourd'hui, le risque de politisation est surtout sociologique, universel, et de gauche. \*\*\* L'appréciation du temporel. Le dirons-nous aussi ? Mais pourquoi ne pas le dire ? L'Action catholique a eu de la conjoncture temporelle une appréciation souvent faussée, ou du moins, accentuée à contre-temps. L'appréciation du temporel n'est pas le principal de l'Action catholique, mais un inévitable accompagnement du principal. Les maux temporels de la société moderne, elle a bien vu que les Papes les nommaient : le règne de l'argent et le laïcisme. Mais elle a été peut-être plus constamment attentive au premier qu'au second. Et pourtant, c'est le second qui est le plus profond. Sans le laïcisme, le règne de l'argent n'aurait jamais pu être ce qu'il a été. Faut-il le dire... mais oui, disons-le comme nous le voyons : le règne de l'argent était situé comme un mal « de droite », et le laïcisme comme un mal « de gauche ». On a cru trop souvent que le plus grand des deux était celui de droite. Et puis, on s'est trompé sur le règne de l'argent. On a cru, on croit encore que le règne de l'argent, c'est le capitalisme, et le capitalisme seul, et volontiers l'on s'en prend au capitalisme aussi fort et plus souvent que (par exemple) au communisme. L'Action catholique avait une conscience aiguë du retard qu'avaient mis les catholiques à comprendre *Rerum novarum* et à discerner les abus du capitalisme. Avec une générosité souvent profonde, elle s'est acharnée à rattraper ce retard. Mais à trop ne voir que lui, elle risquait au contraire de s'y enfermer d'une autre manière. Car le monde changeait. Nous ne sommes plus en régime capitaliste. Nous sommes en régime mi-capitaliste mi-socialiste. Et le socialisme n'est pas venu tempérer le matérialisme de l'économie capitaliste : *il l'a augmenté.* Le socialisme n'a pas diminué le règne de l'argent : il lui a donné des formes nouvelles, plus tyranniques encore, plus sûrement esclavagistes. 10:15 L'Action catholique est lente à prendre conscience du *péril social numéro un,* de LA PLUS GRAVE ATTEINTE TEMPORELLE, SYSTÉMATIQUE ET COLLECTIVE, A LA JUSTICE ET A LA CHARITÉ, qui est aujourd'hui *la socialisation des personnes et des biens.* Les enseignements de Pie XII sont formels sur ce point : mais l'enseignement de Pie XII en matière D'ÉCONOMIE SOCIALE est pratiquement peu accessible, voire inaccessible au public français. Le livre de Marcel Clément sur *L'Économie sociale selon Pie XII,* son livre sur *Le Chef d'entreprise,* qui sont en France uniques en leur genre, des INQUISITEURS SANS MANDAT ont détourné, par voie de presse, ou de bouche à oreille, les mouvements d'Action catholique de seulement y lire les recueils de documents pontificaux. Comme ces mêmes inquisiteurs sans mandat ne se sont pas souciés eux-mêmes de faire une édition accessible des documents en question, ou n'en ont pas été capables, en tout cas ne l'ont pas fait, la pensée sociale du catholicisme français est restée en retard, et infléchie vers les périls d'hier, et parfois ou souvent distraite devant ceux d'aujourd'hui. \*\*\* Le mal du siècle :\ la politisation. Mais ces remarques sont accessoires. Non pas superflues ; ni sans importance. Elles sont d'une importance à la fois réelle et secondaire. L'erreur dramatique serait de donner une importance primordiale à l'approbation ou à la contestation de remarques de cet ordre : tentation résultant de l'universelle politisation contemporaine, qui constamment nous entraîne à négliger, au profit du temporel, l'unique nécessaire. Cette politisation est profonde : on ne la combattra au niveau des organisations qu'avec un fort médiocre succès. C'est au niveau des consciences, des cœurs et des esprits qu'il faut l'atteindre. *C'est la* VIE INTÉRIEURE *qui est* POLITISÉE, *violentée par le publicitaire, absorbée dans le sociologique.* On n'y portera pas remède avec de simples discours moraux, même excellents. 11:15 Il ne s'agit pas (seulement) de rendre à l'homme la maîtrise sur ses passions : les passions politiques contemporaines sont assurément un phénomène passionnel par bien des aspects, mais elles ne relèvent pas entièrement de la psychologie classique des passions. Elles relèvent de la sociologie. Et l'on n'y voit pas encore très clair en ce domaine, parce que la sociologie française fait de très rapides progrès, comme chacun sait, mais le plus souvent a reculons. \*\*\* Les capitaines Nemo. Les jeunes de la J.E.C., ceux de la Route, qui écrivent plus d'un contresens, sont bien excusables. Ils le sont en tout cas infiniment plus que ceux qui les leur ont appris ; que les journaux où ils en ont trouvé l'inspiration ; que les « penseurs » qui sont à l'origine de ces fausses maximes. Mais nos penseurs sont infaillibles, savez-vous. Ni après les événements de Hongrie, ni après le Message de Noël 1956 qui leur a paternellement administré une correction choisie, ni après les mises au point de la Hiérarchie en France concernant l'Action catholique, il ne s'en est trouvé un seul, non, PAS UN SEUL pour dire : *Je me suis trompé,* et pour en avertir, et pour en détourner ses disciples. C'est admirable. C'est lamentable. Le Pape et les Évêques s'emploient, avec une patience infinie, à rétablir la doctrine, dont la vérité est gravement offensée : mais offensée par personne. Le Pape et les Évêques nous défendent contre de formidables erreurs : mais ce sont les erreurs de personne. Personne n'avait dit ça. *Outis,* en grec ; ils s'appellent *Outis,* comme dans l'histoire du Cyclope, et leur histoire à eux est véritablement homérique. *Nemo,* en latin. Personne. La pensée française a de grands capitaines, mais ce sont des capitaines Nemo. Les seuls coupables seraient donc quelques écervelés généreux de la Route et de la J.E.C. Ah ! non. S'ils ne savent pas ce qu'est la doctrine sociale de l'Église, ce n'est pas toujours leur faute. Loin de là. Les jeunes gens de la J.E.C. et ceux de la Route qui ont donné une démission collective ont peur de passer à côté des problèmes réels et d'être cantonnés en des jeux enfantins. 12:15 Ils ont peur de ne pas faire œuvre éducative réelle et complète si leur action apostolique n'est pas, *en même temps* et *sous le même rapport,* un « engagement politique ». L'équipe nationale de la Route voulait ne pas se couper des « responsabilités sociales, politiques et missionnaires » au nom de quoi elle rejetait « l'apolitisme ». L'équipe dirigeante de la J.E.C. manifestait un sentiment analogue. Ils pensent en somme, selon la formule d'un des maîtres de la publicité intellectuelle qu'ils ont subie, que « *la lutte apostolique ou politique, ce sera parfois tout un* ([^6]) ». Ils ne sont pas loin de croire, selon la formule d'un autre maître de la même publicité, à « *l'insuffisance des œuvres spécifiquement catholiques qui, tout en maintenant le catholicisme le confinent dans un cercle fermé a côté duquel passe la vie* ([^7]) ». Plusieurs pensées de ce genre ont pris de l'influence sur des laïcs, voire sur des aumôniers, de l'Action catholique. Et ces pensées provoquent la confusion, parce qu'elles jouent sur l'équivoque de notions telles que *le social* et surtout *le politique :* l'équivoque, du moins, qui existe dans l'usage courant de ces vocables. Les récents documents épiscopaux sur l'Action catholique rétablissent les distinctions et les hiérarchie ([^8]). \*\*\* La doctrine sociale de l'Église. On sous-estime la doctrine sociale de l'Église. On la sous-estimera toujours et nous la sous-estimons tous, parce que toute la doctrine de l'Église, et tous ses chapitres, sont un trésor insondable dont on n'aura jamais fini de tirer « *nova et vetera* », des choses anciennes et des choses nouvelles (Mt XIII, 52). 13:15 A cet égard comme à d'autres nous pouvons nous aider les uns les autres, et le dialogue, quand on se décidera à le *rétablir* entre *tous* les catholiques, sera fructueux. Dans l'ordre intellectuel aussi, le Seigneur a voulu que « les hommes aient besoin les uns des autres ». Les occasions ou les causes les plus actuelles de sous-estimation de la doctrine sociale de l'Église nous paraissent notamment celles-ci : 1. -- On n'a pas toujours suffisamment vu que la doctrine sociale de l'Église n'est pas une sorte de programme occasionnel plus ou moins rajouté, comme de l'extérieur, aux vérités dogmatiques. La doctrine sociale de l'Église fait partie de la doctrine de l'Église. Elle est implicitement contenue dans la doctrine proprement religieuse. Elle n'est pas une conséquence arbitraire, facultative ou fantaisiste de la foi chrétienne. Elle est contenue dans la foi, ou elle lui est liée, au point que « *nul ne peut s'en écarter sans danger pour la foi* ([^9]) ». 2. -- On n'a pas toujours suffisamment aperçu combien la doctrine sociale est pratique et actuelle. On y voit souvent de vieux principes généraux, et simultanément l'on ne sait plus très bien ce qu'est un principe, ni où se situe son caractère pratique et actuel. La crise de l'intelligence contemporaine, dans ses aspects existentialistes, détourne les esprits de saisir convenablement la nature, l'importance et le rôle de ce qui est d'ordre *doctrinal.* Le scientisme qui s'est introduit en sociologie religieuse provoque le même détournement, le même divertissement. Les livres de M. Dansette sont à cet égard un excellent exemple, où l'on peut analyser sur pièces, avec précision et en profondeur, comment une orientation positiviste et scientiste de la sociologie (même religieuse) affaiblit tout ensemble la perception du *doctrinal,* du *spirituel,* du *surnaturel.* Dans cette perspective, la sous-estimation actuelle de la doctrine sociale de l'Église est un cas particulier d'une crise spirituelle et intellectuelle beaucoup plus générale. 14:15 Aussi n'est-ce pas sans motifs que la Note doctrinale d'octobre 1956 sur l'Action catholique désigne, à la racine des erreurs et des confusions contemporaines, « *l'affaiblissement ou la perte du sens du péché* et *de la Rédemption* ». 3. -- On croit en outre -- on va même assez souvent jusqu'à le dire, l'écrire et l'imprimer -- que la doctrine sociale de l'Église n'est pas adaptée aux problèmes du temps présent. Il faut ici remarquer, non pas dans une intention polémique, mais parce que c'est la vérité, et précisément la vérité qui peut libérer et sauver les esprits qui croient constater une telle inadaptation, -- il faut ici remarquer que ceux qui parlent ainsi sont victimes *d'une double méconnaissance de fait *: *a*) Ils se prononcent sur l' « inadaptation actuelle » d'une doctrine dont précisément *ils ne connaissent pas* les explicitations actuelles. Ils ne connaissent pas l'œuvre sociale de Pie XII. Souvent d'ailleurs, s'ils ne la connaissent pas, ce n'est pas principalement leur faute : ils ne savent pas où en trouver seulement le texte ! *b*) Ils se prononcent sur l'inadaptation à des réalités *sociales qu'eux-mêmes ne connaissent pas, --* tout en croyant les connaître. Ils ont des connaissances livresques concernant le capitalisme du XIX^e^ siècle, ils constatent l'accord de leurs connaissances livresques avec la publicité socialiste actuelle, et dans cet accord entre les livres d'hier et les journaux d'aujourd'hui (les journaux, et les manifestes, et les congrès, et les discours), ils croient discerner un signe objectif de vérité. La réalité sociale à laquelle ils trouvent que la doctrine de l'Église n'est pas adaptée, c'est une réalité qui a existé, qui n'existe plus, sauf dans les consciences colonisées par les propagandes. A force de le leur faire remarquer, on finira peut-être par les libérer de leur séquestration intellectuelle. \*\*\* LES DIFFICULTÉS de l'Action catholique sont très normalement le reflet, l'écho ou la conséquence de la crise profonde que traverse en France la pensée catholique. 15:15 Elles ne tiennent pas à l'Action catholique elle-même, à son institution, à son principe. Elles ne sont pas propres à l'Action catholique, mais à toute la société française, voire à toute la société moderne. D'autres mouvements, comme celui des Routiers Scouts de France, les connaissent. On ne prétend d'ailleurs pas en avoir fait ici le tour. Il faudrait y ajouter notamment la fausse croyance que le nombre, l'efficacité, le succès, l'avenir sont « à gauche ». A cet égard, les faits répondent. C'est en 1951 en effet ([^10]) que l'équipe dirigeante de la Route s'est lancée dans cette voie. Au point de vue du nombre précisément, et de cette « efficacité » statistique à laquelle on attache tant d'importance, l'expérience a été un désastre, la Route y a perdu plus des trois quarts de ses effectifs : « En 1951, la Route avait 17.500 cotisants. En 1957, elle n'en a pas 4.000 ([^11]). Dans les « milieux » et les « masses » que l'on veut atteindre, il existe une grande lassitude à l'égard des formules de la politisation de gauche. Une lassitude qui n'est peut-être pas encore très consciente, qui est surtout instinctive, mais qui est bien réelle, et qui se traduit notamment par cette hémorragie constante, depuis des années, des effectifs de tous les mouvements, politiques ou syndicaux, marqués par une orientation, une inspiration ou une contamination socialiste. N'allons pas croire qu'il serait malin d'en profiter pour tenter la revanche d'une politisation de droite. Nous sommes tous invités, même par les événements, à une dépolitisation des consciences. Une dépolitisation qui ne conduit nullement à l' « apolitisme », mais simplement à remettre la politique à sa place, qui est une place subordonnée. Au prix de cette dépolitisation, nous pourrons retrouver, restaurer ou approfondir l'unité catholique dans le Christ, dans son Église, dans sa doctrine. Et tout le reste nous sera donné ou rendu, à la sueur de notre front, certes, mais par surcroît. 16:15 Et la France reviendra à sa vocation chrétienne. « *Regardez favorablement, Seigneur, la nation française, et après lui avoir accordé, sur les pieuses instances de sainte Clotilde, le don de la foi, donnez-lui par son intercession les sincères sentiments de la piété chrétienne.* » Oraison de ce jour, en la fête de sainte Clotilde, 3 juin 1957. « Devant le regard de l'Église se présente aujourd'hui la première époque des luttes sociales contemporaines. Au centre dominait la question ouvrière : la misère du prolétariat et le devoir d'élever cette classe d'hommes, livrée sans défense aux aléas de la conjoncture économique, jusqu'à la dignité des autres classes de la cité dotées de droits précis. Ce problème peut être considéré aujourd'hui comme résolu, au moins dans ses parties essentielles... ...Si les signes des temps ne trompent pas, d'autres problèmes dominent la deuxième époque des luttes sociales où nous semblons déjà entrés. Nous nommerons deux de ces problèmes : le dépassement de la lutte des classes et la défense de la personne et de la famille. La lutte des classes doit être dépassée par l'instauration d'un ordre organique unissant patrons et ouvriers... Il faut empêcher la personne et la famille de se laisser entraîner dans l'abîme où tend à les jeter la socialisation de toutes choses, socialisation au terme de laquelle la terrifiante image du Léviathan deviendrait une horrible réalité. C'est avec la dernière énergie que l'Église livrera cette bataille où sont en jeu des valeurs suprêmes : dignité de l'homme et salut éternel des âmes. » S.S. PIE XII, 14 septembre 1952. 17:15 ## CHRONIQUES 18:15 ### Pie XII et le sens de l'histoire LE MESSAGE PONTIFICAL prononcé à l'occasion de la fête de Pâques 1957, appelle la méditation. Il est insolite. En une langue admirable, avec autant de force dans l'évocation que de nuances dans la description, le Pape Pie XII a marqué, cette année, son espoir dans une résurrection de notre société. Tout ce message radiophonique au monde est construit pour nous porter à espérer une aube tendre et lumineuse après une nuit d'orage, à réchauffer notre foi dans la résurrection du Christ Jésus sortant du tombeau, à lire dans les événements d'aujourd'hui, marqués des ténèbres de la confusion, « *les signes clairs d'une aube qui viendra, d'un jour nouveau caressé par un soleil nouveau et resplendissant* » ([^12]). #### I. -- Sens de l'histoire et matérialisme historique De nos jours, l'usage des mots est si gravement perturbé que l'on oublie parfois de s'étonner des attaques les plus directes contre le bon sens. C'est ainsi que, sous l'influence de la pensée marxiste, le mot « histoire », qui désignait naguère le récit explicatif des actions humaines dans le passé, en est venu, presque insensiblement, à suggérer une anticipation des actions humaines dans l'avenir. Il a suffi pour cela de cesser de parler de l'histoire tout court et de se mettre à évoquer, comme une évidence, le « sens de l'histoire ». 19:15 Il y aurait beaucoup à dire sur le rapprochement de ces deux vocables. On peut parler en effet du sens d'un *mot *: cela revient à expliquer de quelle réalité il est le signe. On peut, dans cet esprit, tenter de rechercher la signification de l'histoire. C'est proprement l'objet de ce que l'on nomme philosophie de l'histoire. On peut parler aussi du sens d'un *chemin.* On veut alors par là indiquer son orientation, le lieu où il conduit. Dans ce cas, parler du sens de l'histoire, c'est évoquer, comme en pointillés, la direction à venir des sociétés, direction espérée, ou encore « extrapolée » d'après un passé récent ou plus ancien. Cela relève soit de l'anticipation, soit de la prévision, soit de la prophétie. Lorsque, de notre temps, les hommes, influencés par le matérialisme dialectique, parlent du « sens de l'histoire », ils emploient ces quatre mots de façon ambiguë. Ils entendent par là une certaine *signification* de l'histoire. Ils impliquent aussi une certaine prévision de *l'avenir.* Dans la pensée de Karl Marx, la signification de l'histoire, sa philosophie, se définit par le matérialisme historique. C'est l'infrastructure des forces productives qui détermine les structures de propriété et de répartition. La causalité qu'exerce le progrès technique sur l'évolution sociale de l'humanité constitue l'explication la plus profonde, le ressort ultime de cette évolution. Il n'y a rien de plus, en effet, dans la nature de l'homme que dans son histoire, et toute la « prétendue histoire du monde » n'est rien d'autre que *la production de l'homme par le travail humain.* Cette signification de l'histoire commande sa direction. L'histoire de l'humanité se ramène à l'histoire de la lutte des classes. Cette lutte se poursuivra nécessairement jusqu'à ce que la propriété privée, base matérielle qui permet l'exploitation de la classe laborieuse, soit abolie. Or, la mission historique du prolétariat est de sonner le glas de la propriété privée, et d'établir une dictature capable de conduire l'humanité, par étapes, vers la phase supérieure du communisme. Le matérialisme historique n'a pas été sans exercer une influence parmi les chrétiens. Les uns sont séduits par l'explication du développement de l'histoire en fonction du déterminisme technologique. D'autres sont persuadés que la lutte des classes est un facteur, regrettable peut-être, mais nécessaire, de progrès social. D'autres encore « savent » que le communisme laissera à l'humanité une nouvelle technique de dévolution du pouvoir économique, et que la propriété personnelle des biens de production est « condamnée par l'histoire ». 20:15 D'autres, qui ont fait de la démocratie moderne ([^13]) une obligation chrétienne de conscience, s'apprêtent à en faire autant pour le socialisme. Depuis une discrète « ouverture à gauche » jusqu'aux malheureux qui croient lutter contre le communisme en adoptant son vocabulaire et son « appareil d'analyse », elles sont diverses, les modes du jour. Quelles qu'elles soient, ces modes ont en commun de considérer qu'il y a un « sens » de l'histoire, c'est-à-dire une évolution irréversible des structures vers le socialisme, et que cette orientation a une signification philosophique, parfois sentie plus que comprise, -- ce qui n'est, hélas ! une excuse qu'en apparence. #### II. -- La signification de l'histoire selon Pie XII Au niveau où se situe le débat institué par le matérialisme historique, on n'est pas amené à aborder directement la question de la signification *théologique* de l'histoire. Les chrétiens progressistes eux-mêmes admettent que le but suprême de l'histoire c'est le Christ et l'achèvement de son Corps Mystique. Directement, ce qui est en question, c'est la signification *philosophique* de l'histoire : qu'est-ce qui explique de façon ultime le développement des actions humaines au cours des temps ? Est-ce le travail humain, lui-même conditionné par la technologie ? Est-ce l'instinct de domination ? Ou l'instinct sexuel ? Est-ce une loi immanente, plus ou moins mystérieuse, du devenir humain ? Est-ce une contingence aveugle, et absurde ? L'homme moderne se pose la question avec d'autant plus d'anxiété qu'il a le sentiment d'avoir, intérieurement, perdu la maîtrise de son destin. Il se sent à la merci de découvertes techniques, à la fois capable de les faire et incapable de maîtriser leur emploi. Il éprouve le désir de la justice mais se sent intérieurement porté à l'injustice. Il cherche le secret du sentiment de tant de puissance et de tant d'impuissance, le secret de ce désir d'unité face à la réalité de tant de conflits. Le matérialisme historique le séduit... 21:15 Mais Pie XII l'en détourne : « *C'est une erreur de prétendre que le progrès technique condamne ce régime* (*de propriété privée*) *et qu'il emporte dans son courant irrésistible toute l'activité vers les entreprises et organisations gigantesques devant lesquelles tout système social fondé sur la propriété privée des individus doit inéluctablement s'effondrer. Non !* LE PROGRÈS TECHNIQUE NE DÉTERMINE PAS, COMME UNE LOI FATALE ET NÉCESSAIRE, LA VIE ÉCONOMIQUE. *Il est bien vrai que, trop souvent, il s'est plié docilement devant les exigences des calculs égoïstes avides de grossir indéfiniment les capitaux. Pourquoi ne se plierait-il donc pas aussi devant la nécessité de maintenir et d'assurer la propriété privée de tous, pierre angulaire de l'ordre social *? *D'ailleurs, ce n'est pas le progrès technique lui-même, en tant que fait social, qui doit être préféré au bien général *: *il doit au contraire lui être ordonné et subordonné.* » ([^14]) Il est donc bien vrai que, *trop souvent,* les actions humaines s'expliquent par l'appétit du gain. Il est vrai qu'elles s'expliquent par l'orgueil, ou la sensualité. Il est vrai que, dans cette mesure, la mise en œuvre du progrès économique par des appétits exaspérés a imposé sa loi à la vie économique et à ses structures. Mais il est vrai aussi d'affirmer que ces faits ne résultent pas d'une loi d'évolution, immanente, irréversible, unilatérale, suprême explication de l'histoire. Toutefois, seul le chrétien, seul le croyant, peuvent lire le mot de cette énigme. Seul « *l'adorateur de Dieu nouveau-né sait aussi que la faute originelle et ses conséquences ont privé l'homme non pas de son empire sur la terre, mais bien de la sécurité dans l'exercice de cet empire ; il sait aussi que, malgré la déchéance consécutive à la première faute,* L'HOMME DEMEURE CAPABLE, *selon sa destinée,* DE CRÉÉR L'HISTOIRE, *mais qu'il lui faudra avancer péniblement...* » ([^15]) Ainsi, la signification de l'histoire, selon Pie XII, c'est non pas la domination nécessaire, inéluctable, de la loi de la concupiscence dans la vie sociale, mais la possibilité permanente pour l'homme d'un triomphe intérieur, « *qui n'est pas possible sans la grâce* » ([^16]), triomphe intérieur susceptible de lui permettre de « *concourir également à la recherche d'une solution sur le plan de la vie publique.* » ([^17]) 22:15 Dans cette perspective, nous n'avons pas à nous demander quelles sont les structures sociales que l'histoire condamnera, ou quelles seront celles qu'elle apportera. Nous avons à rechercher aujourd'hui les problèmes qui se posèrent demain, en fonction de ce que nous pouvons raisonnablement connaître. Nous avons à nous demander quelles solutions, respectueuses du droit naturel et pratiquement réalisables, nous devrons nous efforcer, pieu aidant, de leur apporter. Les problèmes qui se poseront demain ? Pie XII, précisément, les évoquait à Pâques, et la fresque qu'il dresse témoigne de l'acuité de son regard : « *L'énergie nucléaire a déjà pratiquement inauguré une époque nouvelle : les maisons sont déjà éclairées par une énergie provenant de l'utilisation de la fission nucléaire, et le jour ne semble pas trop lointain où les villes seront éclairées et les machines actionnées par des processus de synthèse semblables à ceux qui font briller depuis des milliards d'années le soleil et les autres étoiles.* *L'électronique et la mécanique sont en train de changer le monde de la production et du travail par l'automation *; *l'homme devient ainsi toujours plus maître de ses œuvres et voit son travail s'élever en qualification et en intelligence. Les moyens de transport unissent un point à un autre de la planète en un réseau unique qui peut être bouclé avec une rapidité supérieure à la vitesse apparente du soleil. Les projectiles labourent la profondeur des cieux, et les satellites artificiels sont sur le point d'étonner l'espace de leur présence.* *L'agriculture multiplie avec la chimie nucléaire les possibilités d'alimenter une humanité beaucoup plus nombreuse que celle d'aujourd'hui tandis que la biologie gagne de jour en jour du terrain dans la lutte contre les maladies les plus terribles.* » ([^18]) Quant aux solutions qui devront être mises en œuvre pour permettre à l'organisation sociale de tirer le meilleur parti des forces dont l'humanité s'apprête à disposer, Pie XII ne les emprunte pas au matérialisme historique. Face au développement de la lutte des classes, suscitée par les révolutionnaires professionnels du Parti communiste, Pie XII ne conclut pas à l'inéluctable disparition de l'entreprise personnelle et de l'économie privée. Il conclut au contraire à la nécessité d'une ferme orientation en vue d'une réconciliation organique des classes sociales. 23:15 Face au mouvement croissant de socialisation que l'État nationalisateur, planificateur de la production et de l'emploi, distributeur de la sécurité et redistributeur des revenus, accentue chaque jour davantage, Pie XII ne conclut pas à une société socialiste en formation à laquelle les chrétiens devraient inévitablement adhérer, de bon gré ou de force. Il conclut, à l'inverse, à LA NÉCESSITÉ D'UNE LUTTE A OUTRANCE, D'UNE LUTTE VICTORIEUSE CONTRE LA TENDANCE TOUJOURS CROISSANTE A ÉLARGIR L'INTERVENTION DE L'ÉTAT. Dans un message radiophonique adressé aux Autrichiens, mais dont la portée dépasse largement les problèmes particuliers de ce peuple, le Saint-Père a nettement défini sa pensée sur le sujet qui nous occupe : « *Si les signes des temps ne trompent pas, d'autres problèmes dominent la deuxième époque des luttes sociales où nous semblons déjà entrés. Nous nommerons deux de ces problèmes : le dépassement de la lutte des classes et la défense de la personne et de la famille.* « a) *la lutte des classes* DOIT ÊTRE DÉPASSÉE *par l'instauration d'un* ORDRE ORGANIQUE *unissant patrons et ouvriers. La lutte des classes ne saurait jamais être un objectif de la doctrine sociale catholique. L'Église se doit toujours à toutes les classes de la société.* « b) *Il faut empêcher la personne et la famille de se laisser entraîner dans l'*ABÎME *où tend à la jeter la* SOCIALISATION DE TOUTE CHOSE, *socialisation au terme de laquelle la terrifiante image du Léviathan deviendrait une horrible réalité. C'est avec la* DERNIÈRE ÉNERGIE *que l'Église* LIVRERA CETTE BATAILLE *où sont en jeu les valeurs suprêmes : dignité de l'homme et salut éternel des âmes* ([^19]). » Dépassement de la lutte des classes par la corporation professionnelle et interprofessionnelle, sauvegarde de l'économie privée contre la socialisation dans le cadre de cet ordre corporatif, tel est le sens que l'Église assigne à nos efforts devant l'histoire de demain. Insistons sur un point. Ce n'est pas là un discours isolé. Ce n'est pas là une interprétation qui nous est personnelle. Ce n'est pas là un message qui ne s'adresse qu'aux Autrichiens. C'est là le centre de toute l'œuvre sociale de Pie XII. A quinze reprises, en comptant le discours de Noël dernier, le Pape, depuis 1931, a demandé la restauration corporative de l'ordre social. 24:15 Plus nombreuses encore ont été ses interventions tendant à repousser l'étatisation et la socialisation comme remèdes sociaux systématiques et généralisés. Longtemps, ces choses ont été plus ou moins passées sous silence, longtemps, ON A ÉVITÉ DE LEUR DONNER LE RELIEF DE PREMIER PLAN QUI EST LE LEUR. Longtemps, on a tenté d'imposer aux catholiques, au nom d'un faux réalisme, une vision évolutionniste et socialisante de l'avenir. Ce temps est révolu. Le « programme social de l'Église » est connu chaque jour davantage. La signification philosophique de l'histoire, selon Pie XII, ce n'est pas le déterminisme inéluctable exercé par les réalités technologiques sur les structures sociologiques, c'est à l'inverse la solution respectueuse de la liberté et de la dignité humaine qu'une communauté organique et solidaire peut apporter en réponse historique aux problèmes techniques de demain. Ainsi, la signification philosophique de l'histoire, selon Pie XII, c'est bien « *que malgré la déchéance consécutive à* *la première faute,* L'HOMME DEMEURE CAPABLE, *selon sa destinée,* DE CRÉER L'HISTOIRE ([^20]) ». #### III. -- La direction de l'histoire selon Pie XII Si l'on considère ainsi la pensée du Saint-Père dans sa totalité, si l'on s'efforce de rester fidèle à son enseignement, on est amené à considérer que le jugement que notre époque porte sur elle-même sous l'influence plus ou moins consciente de la propagande communiste constitue un contresens fondamental. Non ! Le développement d'une mentalité de lutte des classes n'est pas un progrès : c'est une régression. Non ! Le développement de la socialisation systématique des rapports sociaux n'est pas une étape vers plus de clarté : c'est un obscurcissement du respect de la vraie liberté. Non ! Le triomphe de 17 démocraties populaires instaurant la dictature (mythologique) du prolétariat n'est pas le signe d'une élévation spirituelle présente de l'humanité. C'est une mise au tombeau. Non ! Le sens de l'histoire n'est pas celui d'une ascension rectiligne, toujours montante, en direction d'une société toujours mieux faite. C'est « *un enchevêtrement d'espérance et de doutes, de richesse* et *de misère, de haut et de bas, de vie et de mort, de sécurité et d'incertitude, jusqu'à l'ultime décision, aux portes de l'Éternité* ([^21]) ». 25:15 Dans le développement contingent de ces événements, la période présente n'est pas une période de progrès et de lumière, c'est une période de nuit. Cette nuit, Pie XII l'avait annoncée, un an juste avant les événements de Hongrie : « *Chaque fois que Nous devons Nous occuper du* « *ministère de la parole* » *Nous Nous appliquons à ne pas cacher à Nos yeux et à ceux de Nos auditeurs le spectacle d'un ciel couvert de nuages au point de donner l'impression que s'approche un triste crépuscule et que* LA NUIT VA DESCENDRE SUR LE MONDE ». Cette nuit, Pie XII en la fête de Pâques 1957 nous l'a décrite. Elle est désormais tombée sur le monde ([^22]) : « *Tout est devenu relatif et provisoire, parce que toujours moins efficient, et par conséquent moins efficace. L'erreur, dans ses formes presque innombrables, a asservi les intelligences de créatures par ailleurs fort remarquables,* et *le dérèglement des mœurs sous toutes ses formes a atteint un degré de précocité, d'impudence, d'universalité tel qu'il préoccupe sérieusement ceux qui ont souci du sort du monde...* » ([^23]) Sans doute, au-delà de l'horizon, s'inscrivent les possibilités mystérieuses des découvertes les plus récentes. Mais, « *tout cela est encore nuit, nuit à vrai dire pleine de frissons et d'espérances, mais nuit. Nuit qui pourrait même devenir tout à coup tempétueuse, s'il apparaissait çà et là des lueurs d'éclairs et si on entendait éclater des coups de tonnerre. N'est-il pas vrai que la science, la technique et l'organisation sont devenues souvent sources de terreur pour les hommes* ([^24]) ? » Dans ces conditions, le sens de l'histoire ne nous apparaît pas comme une montée linéaire vers le progrès social. Le sens de l'histoire, la direction qu'elle doit suivre, c'est le sens, c'est la direction de toute vie chrétienne : la succession des croix et des résurrections, des persécutions et des chrétientés, l'alternance des tempêtes nocturnes et des matins glorieux. 26:15 « *Beaucoup entrevoient déjà -- et l'avouent -- qu'on est arrivé à cette nuit du monde parce que Jésus a* *été arrêté, parce que l'on a voulu le rendre étranger à la vie familiale, culturelle et sociale, parce que le peuple s'est soulevé contre lui, parce qu'il a été crucifié et rendu muet et inerte.* » ([^25]) Il n'est donc pas possible d'imaginer ou de souhaiter une résurrection pour le monde qui serait une résurrection fondée sur le seul progrès de la science, de la technique, de l'organisation. C'est d'une résurrection morale que la société contemporaine a besoin. Très précisément, c'est d'une résurrection chrétienne. Pie XII, pourtant l'envisage. Pie XII, pourtant, l'espère. « *Tout le monde sait avec combien de sécurité et avec combien de confiance nous répétons que rien n'est perdu si les hommes de bonne volonté se réveillent et s'unissent pour agir immédiatement avec hardiesse et concorde. Nous ne manquons pas non plus de manifester notre espérance, que, peut-être plus tôt qu'on ne pourrait s'y attendre, réapparaîtront les rayons du soleil dans le triomphe d'un nouveau printemps chrétien.* » ([^26]) \*\*\* TOUT LE MESSAGE PASCAL est composé pour que nous méditions sur le rythme qui fait sortir la lumière des ténèbres, le Christ du tombeau, et la corporation fraternelle des membres du Christ, d'un communisme blafard et vidé d'âme. Tout le discours de Pâques est composé pour nous faire peser, mot à mot, ces lignes finales qui nous apportent le sens que, par sa prière, Pie XII demande à Dieu de donner à l'histoire : « *Dans les individus, Jésus doit détruire la nuit de la faute mortelle par l'aube de la grâce reconquise. Dans les familles, à la nuit de l'indifférence et de la froideur doit succéder le soleil de l'amour. Dans les lieux de travail, dans les villes, dans les nations, dans les terres de l'incompréhension et de la haine, la nuit doit devenir lumineuse comme le jour :* NOX SICUT DIES ILLUMINABITUR ; *et la lutte cessera, et l'on fera la paix.* » ([^27]) 27:15 A cela, Pie XII ne nous convoque point à assister en spectateur incrédule, apeuré ou méfiant. Mais pour cela, il nous invite à prier le Seigneur, à agir avec Lui, *per ipsum et cum ipso et in ipso.* Pour cela, il nous convoque à écouter sa parole, à y adhérer, à la faire connaître, à la transformer en substance vécue, à l'incarner. Car si c'est l'homme qui crée l'histoire, il le fait en servant un Maître. Et il dépend de nous de retarder ou de hâter le moment de la Résurrection espérée par Pie XII qui confiait, il y a deux ans, aux cheminots romains réunis dans la basilique vaticane : « Quand nous célébrions, ce matin, la sainte messe et lisions dans l'Évangile comme la multitude était pressée autour de Jésus pour entendre la parole de Dieu, se confirmait en Nous la confiance que cette scène symbolisait les temps que nous nous préparons à vivre et que viendra sans tarder le jour où*,* l'erreur étant vaincue et la solution chrétienne du problème social manifestée dans toute sa justice, il sera possible de commencer un vrai retour des masses ouvrières à Jésus-Christ, unique Maître et divin Sauveur ([^28]). » Marcel CLÉMENT. ACTES DE S.S. PIE XII Tome VI : années 1943-1944. Tome VII : année 1945. Bonne Presse, 5, rue Bayard, Paris Ville. *Les tomes suivants n'ont toujours pas paru. La publication, à l'intention du public français, des Actes de S.S. Pie XII, textes originaux et traduction française, se trouve toujours arrêtée à la fin de l'année* 1945. 28:15 *Les quatre causes (II)* ### Raison de l'impuissance des intellectuels *Simultanéité et interdépendance des causes* La première partie de cet article d'Henri Charlier a paru dans notre numéro 12 (avril 1957). En voici la seconde et dernière partie. L'ANTÉRIORITÉ LOGIQUE n'est pas forcément une antériorité réelle ; elle ne l'est pas souvent. Et chacun néglige qu'il n'y a là qu'une image, très défectueuse. Le mot *d'abord* avec lequel on exprime cette antériorité logique est pris en deux sens ; ou bien il veut dire *avant* dans le temps, ou bien il indique une simple antériorité logique. On les confond souvent ; c'est un des défauts du langage ; il s'écoule dans le temps ; dès que la pensée qui est une vue *intemporelle* se sert des mots, elle doit se soumettre à l'écoulement du temps. Lorsque le plan du discours a la logique pour base, on donne à la priorité logique la première place d'où ce nom d'antériorité ; mais la variété des causes donne lieu à plusieurs chaînes logiques qui auront ou auraient droit chacune à leur tour à ce genre d'antériorité. *L'étant* (*ens*) est souvent trahi par le langage, même si la pensée est juste. 29:15 Examinons les faits : la vraie fin d'un cantonnier est son entrée au ciel, voilà la priorité logique. Il n'y arrivera pas sans accomplir son devoir d'état aussi parfaitement que possible (comme mari, comme père s'il y a lieu) certainement comme cantonnier. Et il aura des difficultés intellectuelles et morales en même temps, suivant la nature de la route (cause formelle) celle du caillou (cause matérielle) et sa nature propre à lui cantonnier (cause efficiente). Il devra apprendre son catéchisme, mais il doit aussi dès le plus jeune âge apprendre à se servir de ses doigts, et apprendre à casser des cailloux ; et il est clair que ce n'est pas dans le catéchisme qu'il l'apprendra, mais dans la nature des choses. Toutes ces causes sont liées et simultanées. Certes la béatitude éternelle du futur petit cantonnier est primordiale, cependant vous ne le baptisez juste au moment de sa naissance que s'il est en danger de mort. Autrement vous le laissez crier et prendre le sein. Où est l'antériorité logique ? La prière du matin est certainement un pas essentiel dans la conversion des mœurs ; que fera le médecin appelé auprès d'un malade ou le pompier qui entend sonner le tocsin ? Tout ce qu'on peut espérer de mieux c'est qu'ils feront leur prière tout en courant où les appelle leur devoir d'état. Que fait pendant ce temps l'antériorité logique ? Elle est purement intellectuelle. Cependant le philosophe dira : « Considérons *d'abord* la cause formelle, la forme à donner à la route » ; le moraliste voudra *d'abord* former la cause efficiente, la volonté du cantonnier ; le théologien pense qu'il faut *d'abord* lui enseigner sa fin. Et si la priorité logique de cette fin est incontestable : on sait très bien qu'il faut donner une bonne quantité de biberons et d'assiettes de soupe au petit cantonnier avant de lui en parler. La logique n'est pas un art si simple ni si rectiligne qu'on croit. C'est ce qui fait dire à Pascal : « j'aurais bien pris ce discours d'ordre. Nulle science humaine ne peut le garder. Saint Thomas ne l'a pas gardé. La mathématique le garde, mais elle est inutile en sa profondeur. » En effet les causes elles-mêmes ne gardent pas constamment le même caractère et elles s'entremêlent. Il est impossible de leur donner un ordre logique immuable. Il y a nécessairement des retours en arrière. J'imagine un cheval qui tire la charrue ; cet exemple est favorable car tout est simultané. Le cheval tire *en même temps* que le soc retourne la terre. La confusion entre l'antériorité logique et l'antériorité réelle se trouve éliminée, car la cause finale, qui est primordiale, avoir un champ labouré, qui a pour elle la primauté logique sera certainement la dernière à être accomplie dans le temps. Saint Thomas le dit : « La fin est première dans l'intention, mais elle suit dans l'exécution. » 30:15 Revenons aux causes : comme *cause formelle* le soc a la priorité logique ; comme *cause matérielle,* la terre ; comme *cause efficiente,* le cheval ; comme *cause finale,* le sillon. Mais ici, attention ! Ces causes changent de nature, et plusieurs fois ; la cause efficiente n'est pas seulement efficiente, la cause matérielle n'est pas seulement matérielle. La force du cheval, cause efficiente, devient aussi, premièrement, cause matérielle car le poids du cheval et non seulement sa force conditionne le poids du soc ; deuxièmement, cause formelle, car la hauteur de ses épaules, la longueur de son corps conditionnent le point d'application de la force sur le soc et la *forme* de la charrue. Ainsi non seulement les causes sont interdépendantes, mais elles changent de fonction vis-à-vis les unes des autres. Et il ne saurait être question de rien oublier, et les « *d'abord* » ont un sens tout relatif car, par les nécessités du langage, la logique est un art occupé essentiellement à transformer du *simultané* en *successif.* Plusieurs ordres logiques peuvent être bons parce que chacun répond à des causes diverses. Il est très imprudent de confondre l'ordre logique avec l'ordre de l'être ou avec l'ordre de l'action. C'est ce qui arrive fréquemment chez les intellectuels habitués à n'envisager que les causes formelles. Et quand l'un de ces esprits logiciens vous dit dans une conversation : « De deux choses l'une... ou ceci, ou cela », vous pouvez être à peu près certain qu'on aboutira à une sottise. Et c'est pourquoi Pascal disait encore : « C'est une plaisante chose à considérer, de ce qu'il y a des gens dans le monde qui, ayant renoncé à toutes les lois de Dieu et de la nature, s'en sont fait à eux-mêmes qu'ils obéissent très exactement, comme par exemple les soldats de Mahomet... les voleurs, les hérétiques. Et ainsi des logiciens. » Le syllogisme n'est pas en cause, mais pour notre intelligence les différentes causes s'entrecroisent d'une manière à peu près inextricable ; il faut soupeser le poids d'être de chaque cause. Cela dépend du jugement et de l'expérience plus que de la logique. Dans l'exemple que nous avons pris plus haut la cause matérielle est la terre ; mais le cheval qui représente la force (cause efficiente) a un poids qui compte comme cause matérielle ; le soc dont la forme est essentielle au travail, est aussi efficient par sa forme. Nous pourrions poursuivre, mais craignons de fatiguer le lecteur. Chacun d'entre nous retrouve cet entrecroisement de causes dans chacun des actes de sa vie publique et privée. 31:15 L'ART DE GOUVERNER *comprend* une idée très générale, celle du bien commun, mais cette idée *s'étend* a tous les actes de l'homme, religieux, moraux, économiques. Son but principal est même très certainement de faciliter à chaque citoyen l'accès à ses fins dernières par le bon ordre dans la société, le respect des consciences, la punition des malfaiteurs, la protection donnée à tout ce qui favorise l'enseignement de la morale naturelle. Quand la forme d'un gouvernement exclut la souveraineté de Dieu, l'enseignement du Décalogue, quand ce gouvernement persécute l'Église, chasse les religieux, oblige les pauvres à recevoir un enseignement antireligieux et les prive de toit, il manque certainement à sa fonction naturelle de protéger le bien commun et les chrétiens devraient être unanimes à vouloir le changer. On sait qu'il n'en est rien et cela tient à ce que beaucoup ont puisé dans les écoles de ce même gouvernement persécuteur les idées fausses qui leur permettent de s'en accommoder. Mais cela peut passer pour un choix relatif à l'opportunité du changement nous resterons dans les problèmes logiques. Car la vie morale *comprend* aussi une seule idée très simple, l'accomplissement de la volonté de Dieu, mais cette idée *s'étend* à toutes les actions de l'homme et même au solitaire, que l'homme agisse comme producteur, comme père de famille, comme citoyen, ou qu'il agisse en homme politique. Ainsi toutes les formes du bien commun qui sont la fin des sociétés, et sont régies par les gouvernements des États, ont exactement la même extension que la vie morale et religieuse proprement dite car dans les sociétés chrétiennes le bien commun auquel doivent veiller les gouvernements comporte de faciliter l'accès de tous aux fins surnaturelles de l'homme. Veiller à la justice dans les rapports sociaux c'est diminuer la quantité des péchés. Former les âmes à éviter le péché, c'est faciliter la vie sociale (bien que ce n'en soit pas la fin). Mais l'ordre dans la société a pour but de préparer aux fins dernières. La politique et la religion ne peuvent avoir qu'une même fin, mais *en même temps.* Nous touchons là au mystère propre à la nature humaine chez qui l'âme humaine poursuit sa carrière dans un vase d'argile. 32:15 L'union de l'âme et du corps, telle est la réalité créée. On ne peut déduire l'une de l'autre dans aucun sens. La logique discursive, parlant toujours d'un terme, ne peut que s'y briser. Il y a un pouvoir spirituel et un pouvoir temporel qui ont chacun des logiciens pour se heurter tour à tour. Il n'y a pas d'autre solution que dans la charité parce que c'est la charité divine qui est l'auteur de la création ; la nature humaine, faite analogiquement à l'image de la charité divine ne trouve que dans la charité l'accomplissement de sa nature et la solution des difficultés que lui offrent sa propre constitution et l'état transitoire par *où* elle passe. La distinction entre les deux pouvoirs spirituel et temporel vient de ce que la fin surnaturelle de l'homme implique ses moyens d'y atteindre qui sont confiés aux successeurs des apôtres ; ces moyens touchent l'intime de l'âme sur lequel nul gouvernement temporel n'a de droit ; la distinction des pouvoirs assure la liberté des âmes vis-à-vis de César, qui n'est pas souvent un saint. Dans ses *Mémoires,* dom Célestin Lou, ancien ministre des affaires étrangères de la République chinoise et moine bénédictin raconte comment son maître M. Shu ambassadeur de la Chine à Saint-Pétersbourg lui fit remarquer ce caractère de la civilisation occidentale : « La force de l'Europe ne se trouve pas dans ses armements ; elle ne se trouve pas dans sa science ; elle se trouve dans sa religion. Au cours de votre carrière diplomatique, vous aurez l'occasion d'observer la religion chrétienne... Lorsque vous aurez compris et capté le secret de cette vie, lorsque vous aurez saisi le cœur et la force de la religion du Christ, emportez-les et donnez-les à la Chine. » Cet homme perspicace avait donc saisi le caractère des sociétés occidentales et qu'elles ne remarquent même plus : un esprit surnaturel distinct de toutes les forces matérielles et intellectuelles et que celles-ci doivent respecter. La distinction des Jeux pouvoirs a toujours empêché la société dite occidentale de succomber entièrement à l'avarice et à l'esprit de domination, elle a assuré une liberté spirituelle qui a profité à l'intelligence naturelle, au savoir matériel, et à tous les faibles. En vertu de cette distinction due au Christ, la science a été donnée aux nations chrétiennes pour que celles-ci puissent porter l'Évangile aux extrémités de la terre. Et malgré l'infidélité des nations chrétiennes, c'est un fait que par le moyen des connaissances naturelles qu'elles ont conquises, l'Évangile pénètre plus loin qu'elles-mêmes et que leur civilisation. 33:15 Mais il faut que ces deux pouvoirs vivent en paix. Ils ont la même fin, l'un mène directement à la vie divine, l'autre prépare à cette fin la société naturelle où par le moyen de la génération se complète le nombre des élus. Nous retrouvons là dans leur plein l'interdépendance des causes et leur *simultanéité.* Bannissons donc tous ces *d'abord,* fausse expression de priorités logiques dont les chaînes entrecroisées ne sont jamais bien démêlées que par la charité. RIEN NE PEUT CHANGER en mieux sans le secours de Dieu. Mais Dieu agit comme il lui plaît ; ce secours peut commencer par la crucifixion d'une personne consacrée à Dieu dans une chambre ignorée, il peut commencer par l'envoi d'un grand homme, comme Henri IV, qui était loin d'être un saint, mais qui en ramenant l'ordre et la paix, dans le pardon des injures et la liberté des consciences, a rendu possible la pacification des cœurs. Il l'a d'ailleurs payé de sa vie. Mais la faveur, pour la France, d'avoir un Henri IV lui fut obtenue certainement par la prière ; de qui ? De la Vierge et des saints d'abord. Le monde est double ; l'Église triomphante agit sans cesse avec bien plus d'efficacité que la militante ; il n'y a plus de commencement proprement ([^29]) dit, sinon pour toute âme nouvelle. 34:15 Dieu se moque de nos difficultés logiques. L'âme elle-même, qui a évidemment la primauté en l'homme, trouve, lorsqu'elle est créée, une matière préordonnée qu'elle est chargée d'informer. Et cette matière en même temps que du péché originel est chargée d'hérédités heureuses ou malheureuses que cette âme devra dominer, mais dont elle dépendra dans une certaine mesure, comme on dépend de la nature d'une épreuve. Ici encore la primauté logique n'est pas antériorité temporelle. Le temps est matériel. Dieu en joue et s'en joue comme il lui plaît ; notre âme qui doit le subir et s'y adapter, en fait une qualité, la *durée,* sans proportion avec le temps matériel proprement dit et par l'âme le monde surnaturel qui est en dehors du temps, intervient dans ce monde transitoire. Quant à la réforme des mœurs, elle n'a pas plus de commencement absolu que les réformes institutionnelles et, dans l'État comme en nous elle demandera toujours un acte qui est bien forcé d'entrer dans la série logique des choses temporelles où celles-ci mettront leur marque *en même temps.* Les conversions les plus longuement préparées finissent quand même par une décision instantanée. Les théologiens présentent la justification du péché comme provenant de quatre causes, l'infusion de la grâce, l'amour du souverain bien, la détestation du péché et le pardon de Dieu ; mais ils avouent que ces causes *subordonnées* sont néanmoins *simultanées.* Avec son bon sens habituel, sainte Jeanne d'Arc a coupé ce nœud gordien : « Les hommes d'armes combattront et Dieu donnera la victoire. » C'est-à-dire qu'elle rétablit la simultanéité du temporel et du spirituel. \*\*\* ENTRONS MAINTENANT dans une série de faits qui nous rapprochera davantage encore du but général de cet article : les causes de l'impuissance des intellectuels. Ces causes sont dans l'idée qu'ils se font de la logique. L'interdépendance des causes leur échappe faute d'avoir recours à l'expérience ; et par conséquent faute de connaître les causes autres que les causes formelles et leur interaction, ils confondent l'ordre de la logique qui est une nécessité d'art, avec la réalité et n'envisagent généralement qu'une série de causes. Aussi la formation qu'ils donnent à la jeunesse est très insuffisante, et plus ils multiplient les écoles où ils imposent cette méthode, plus il y a d'écart entre ce que demandent la nature et la vie et ce qu'ils fournissent. 35:15 Voici l'exemple d'un autre système logique. Nous sommes dans une église : comment expliquez-vous ce qu'elle est ? Partirez-vous de l'entrée, partirez-vous du chœur ? ou bien du plan ? Mais d'où vous voudrez ; c'est le langage qui vous impose une suite, non la pensée. Vous pouvez très bien dire : une entrée très vaste, attirante, mène à un chœur... ou bien : le centre de l'édifice est un chœur, etc. auquel on accède... Ce sera une description envisagée au point de vue des causes finales et formelles. Mais tout a été pensé ensemble. L'architecte vous dira -- si vous êtes du bâtiment -- : le matériau ici est... cela m'a conduit à... ou bien : le terrain m'obligeait à... ou encore : l'importance des salles d'œuvre m'a poussé à... Les causes matérielles deviennent formelles, les formelles deviennent matérielles. La cause finale, le culte, est sous entendue parce que la manière de la réaliser a cent conditions extérieures. Mais est-ce le plan qui dépend des voûtes ou les voûtes qui dépendent du plan ? Mais *l'un* et *l'autre.* Vous me direz : on a tout de même construit la base des colonnes avant la voûte. Sans doute, lorsqu'on a réalisé matériellement le plan ; on n'a pas non plus commencé par l'autel comme étant la partie la plus noble de l'édifice. Mais lorsque l'église a été *pensée,* en logique pure, c'est le poids de la voûte qui a été *cause* de l'épaisseur des points d'appui (cause matérielle) ; elle a été aussi cause formelle car sa forme a eu une influence sur la forme de ses appuis. Le terrain choisi, cause matérielle des dimensions de l'église devient cause formelle d'une église plus longue ou plus large suivant la figure du terrain. Il va de soi que la cause efficiente a ici une grosse importance ; la première est l'architecte dont l'expérience, le savoir et l'imagination sont prépondérants ; mais la qualité des ouvriers aussi. De même qu'un musicien renonce à certaines difficultés quand il ne dispose que d'un orchestre médiocre, un architecte peut renoncer à certaines formes s'il n'a pas de bons ouvriers. Voici la cause efficiente devenant cause formelle. #### Les métiers de l'enseignement La logique se présente donc dans la plupart des occupations humaines comme si elle était *réversible.* 36:15 C'est là une manière simpliste de présenter le fait ; elle donne l'impression d'être réversible, puisque vous pouvez parler des voûtes pour expliquer le plan, ou l'inverse et rester parfaitement logique. En fait *les causes sont causes les unes des autres mais à des points de vue divers.* Or c'est là l'aspect normal de la logique dans tous les métiers, et c'est celui qui est négligé dans les écoles parce que les professeurs ne s'occupent généralement que des causes formelles et sont très peu renseignés sur les autres. Ensuite la logique linéaire imposée par le langage les oblige à transformer tout simultané eu successif ; ils cherchent donc un ordre logique qui n'a souvent pas d'autre raison d'être que la nécessité de parler d'abord d'une chose et puis d'une autre. Si nous analysons les puissances de l'âme, force est de parler d'abord de l'une ou l'autre, intelligence, volonté, mémoire, car le langage impose une succession ; on choisit un ordre et on lui cherche des raisons ; or, pour comprendre, il faut *vouloir* comprendre, pour aimer, il faut avoir dans l'intelligence l'idée de ce qui est à aimer. C'est l'âme qui a seule l'antériorité réelle et logique. S. Thomas, ce prodige de bon sens et de fine observation dit : ce ne sont ni les sens ni l'intellect qui comprennent, mais l'homme par l'un et par l'autre. Ou, si vous aimez mieux : c'est l'homme tout entier, non l'intellect seul qui est intelligent. Quand Taine avec une naïveté incroyable croit expliquer la peinture de Poussin par l'homme du temps de la Fronde et l'état des mœurs et la politique de ce temps, il essaye simplement d'éliminer le mystère éclatant de l'originalité des âmes ; on peut à bon droit lui rétorquer que c'est l'état d'esprit qui se manifeste en Poussin qui est cause de l'état des mœurs et de l'histoire. Voilà qui intéresse la *direction du syllogisme.* Bien entendu, l'architecte n'a pas ce genre de soucis, car il échappe à la nécessité littéraire d'exposer successivement les chaînes logiques qui s'entrecroisent dans sa pensée. Ni l'ébéniste, ni le sculpteur, ni le charpentier, ni l'inventeur. Tous ont de la logique une idée très différente, à force d'être bien plus fine et bien plus vraie que celle de l'université. L'inventeur d'une machine doit avoir une vue simultanée, car le dernier rouage commande le premier matériellement et formellement, aussi certainement que le premier commande le dernier matériellement et formellement ; l'oubli d'une seule des multiples causalités qui s'entrecroisent cause la ruine de son invention. Les logiciens ont des avertissements moins sûrs. 37:15 Cette différence entre les habitudes logiques imposées par la réalité à tous les hommes de métier et celles que la discursion force les professeurs à employer est cause du peu d'effet des études. Et *plus on prolonge la scolarité, plus longtemps on écarte les jeunes gens des méthodes logiques naturelles, plus longtemps on les prive de l'apprentissage : logique dont ils ont besoin.* La formation aux métiers, quand elle se fait dans les *écoles* au lieu de se faire à l'atelier et par des maîtres qui ont une formation logique complètement différente et rudimentaire ne peut être que mauvaise et implique une simple perte de temps. #### Les mathématiques On croit dans l'université que l'esprit gagne beaucoup en rigueur et en logique à sa formation par les mathématiques ; tout ce qui précède montre qu'il n'en n'est rien. La rigueur logique des mathématiques, pure construction de l'esprit est aussi éloignée que possible de celle que nous offre la nature où l'esprit ne peut procéder que par allers et retours, et de celle que demandent les métiers, obligés de tenir compte d'une *nature des choses.* D'où ces paroles de Pascal : « La nature a mis toutes les vérités chacune en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres, mais cela n'est pas naturel, chacune tient sa place. » Il est vraisemblable que les vrais mathématiciens, qui sont les mathématiciens créateurs, ont une méthode de recherche qui ressemble à celle de tous les esprits dans tous les langages de la pensée et présente aussi ces allers et retours. Je n'en sais rien, je parle par analogie. Mais la méthode d'exposition diffère en mathématiques comme partout de la méthode de recherche et c'est celle-là qui est connue. Les mathématiciens créateurs sont aussi rares que les grands artistes. Quant aux philosophes, ceux qui ont voulu appliquer à leurs propres recherches la méthode des mathématiques, ils s'en sont ressentis : il ne reste d'eux que ce qui ne vient pas de la méthode des mathématiques. On demande dans l'administration à des polytechniciens de diriger l'organisation professionnelle, on veut leur faire gouverner l'aménagement du territoire. Il faut s'attendre à beaucoup de sottises. L'abbé Lefèvre, dans la « pensée catholique » cite cette prédiction de Stuart Mill : 38:15 « parce que la logique disparaît des programmes de nos universités, qu'on remplace par la mathématique, *avant cent ans,* les hommes ne sauront plus penser. » Mais il faudrait que la logique ne soit pas enseignée sur le modèle des mathématiques. #### Formation de l'esprit dans le métier et par le métier Il suit de tout cela que c'est une erreur de confier la formation professionnelle au ministère de l'Éducation Nationale ; on ne saurait apprendre les métiers qu'à l'atelier et non dans des écoles : celles-ci sont toujours en retard sur l'atelier pour les méthodes, et les maîtres formés dans l'université ont une formation logique trop simpliste. Dans les conditions actuelles, la prolongation de la scolarité serait un désastre national, à cause de la perte de temps et de forces à quoi elle aboutirait et à cause de la mauvaise formation donnée à l'intelligence. Sans doute il faut instruire la jeunesse, mais à *créer,* non à enseigner ; le défaut de l'université et des méthodes d'exposition qu'elle emploie, on peut dire nécessairement, est d'aboutir à ne former que de nouveaux instituteurs et de nouveaux professeurs. Nous ne nions pas son utilité ; elle exagère seulement son importance et se fait illusion sur ses capacités. Nous demandons aux maîtres de la jeunesse de former des hommes capables de *faire* l'histoire et non de l'enseigner. Cela ne peut s'obtenir que par une connaissance approfondie de l'interdépendance des causes acquise dès le jeune âge par l'expérience. L'université se croit spécialiste de l'universel ; mais il y a autant de formes de l'universel que de forme des langages de la pensée ; l'université n'en connaît qu'une. Croit-on qu'un enfant n'apprend pas la logique en ajustant un tenon et une mortaise, autant qu'avec des robinets qui coulent et des réservoirs qui se vident ? A régler sa charrue ? suivant la nature de la terre, son état et les bêtes qui le servent ? Il y apprend en outre la nécessité de réussir ; il y apprend enfin qu'il y a une nature des choses à connaître qui est inattaquable à la salive. 39:15 Il ne faut pas croire que de simples, mais excellents ouvriers n'aient pas l'esprit formé à de hautes spéculations sous une forme non scolaire. Voici ce que raconte Daniel Halévy dans son livre récent sur la vie de Proud'hon ; il y parle de la correspondance de Karl Marx avec Engels : « Humbles débuts, émouvants par l'humilité même. Les tailleurs du faubourg Saint-Marcel et les ébénistes du faubourg Saint-Antoine avaient grosse importance pour Engels et pour Marx. Du côté des tailleurs, tout allait bien : ils étaient communistes (marxistes, dirions-nous aujourd'hui). Du côté des ébénistes, les dispositions étaient différentes. Ils se réunissaient nombreux dans un groupe d'études sociales dont la police tolérait les réunions, parce qu'elles n'avaient pas un caractère politique. L'auteur de ces lignes a été bien surpris, en lisant ces textes vieux d'un siècle, de reconnaître en eux ces mêmes corporations, ce même faubourg Saint-Antoine qu'il avait lui-même connu il y a un demi-siècle, c'est-à-dire à mi-route des cent ans qui nous séparent des jeunes années de Marx et de Proudhon. Les tailleurs de 1898 étaient toujours communistes, les ébénistes toujours libertaires, et l'appellation de leur groupe, *Études sociales,* était restée. Me trouvais-je en face d'une tradition d'ordre historique, ou l'ordre psychologique ? De cette deuxième hypothèse, un intelligent ébéniste m'avait donné l'explication : « *Les tailleurs sont communistes parce qu'ils taillent à coup de ciseaux dans une étoffe étale sur un plan. Nous autres, ébénistes, nous travaillons sur trois plans, ça change tout.* » Daniel Halévy est un observateur intelligent et sagace. Combien eussent pris cette observation pour une boutade ! Son ébéniste est un esprit profond ; celui qui travaille sur trois plans voit le nombre des causes passer au cube (*sic*) : neuf au lieu de trois, seize au lieu de quatre ; les ébénistes savent qu'aucune question n'est simple, ils ont l'esprit formé à l'interdépendance de causes très complexes ; ils ne peuvent accepter les solutions simplistes de Karl Marx et soucieux surtout de leur indépendance, ils sont libertaires. Un artisan abstrait et généralise sur des bouts de bois, comme un peintre sur des couleurs ; et il lui faut de toute nécessité réussir : grand apprentissage inconnu de *l'homo loquax.* Et il peut arriver ainsi par réflexion sur son métier aux plus hautes conceptions. Nous avons entendu l'un d'eux dire à un autre : « Mon petit, je t'ai enseigné tout ce que je sais, mais il y a un grand secret que je n'ai pu pénétrer, c'est celui des proportions. » 40:15 Cela ne dit rien aux intellectuels, ni probablement aux directeurs de l'enseignement technique, mais le problème des proportions est celui de l'un et du multiple, celui que se posait Parménide ; parmi les architectes eux-mêmes, il en est peu qui s'en soucient ; cet ouvrier était un esprit profond. Était-il nécessaire qu'il se posât le problème comme Parménide se le posait ? Nullement. Qu'il sache que Parménide ait existé ? Pas davantage. Il est tout à fait inutile qu'il se le pose dans un langage autre que le sien ; la pensée n'y gagne rien. Puisse cet exemple faire entrevoir aux intellectuels que le langage des arts est un langage de la pensée où les problèmes métaphysiques se posent sous des formes qu'ils ne soupçonnent pas et que peuvent connaître ceux-là seulement qui manient aisément ces langages. La réforme de l'enseignement, la réforme intellectuelle consistent à *réformer les intellectuels et non à faire de tout le monde des intellectuels.* Un très grand architecte, dom Bellot a retrouvé il y a vingt cinq ans le mode d'emploi des systèmes de proportion employés par les Égyptiens, par les Grecs et par nos architectes du Moyen Age. Ces systèmes sont d'une admirable profondeur, car ils usent de nombres incommensurables. Dans un métier où il faut donner des mesures précises aux ouvriers, les proportions, qu'on peut tracer géométriquement, échappent au nombre ; l'architecture, par un moyen où l'infini entre en jeu, donne le sentiment d'une unité interne parfaitement équilibrée et qui anime la multiplicité d'une vie spirituelle. Mais il reste un autre mystère ; connaître la méthode n'est rien ; il faut *créer* tout en l'employant. #### Diriger le syllogisme Or c'est en *dirigeant* le syllogisme que la logique devient créatrice. Voici encore un exemple. Je me souviens d'un dialogue entendu dans ma jeunesse entre un avocat socialiste, orateur du parti, et un horloger guesdiste que nous trouvâmes à son établi la loupe à l'œil. L'avocat avait la formation universitaire commune, l'horloger était un fin ouvrier plein d'expérience. L'horloger disait en parlant des ouvriers : « Rien à faire avec eux ! Ils se saoulent. » L'avocat répond : « Bien sûr ! ils sont malheureux, alors ils se saoulent ! -- Non répond l'autre, c'est parce qu'ils se saoulent qu'ils sont malheureux, et ne peuvent rien obtenir. » 41:15 A voir son coup d'œil triomphant en répondant à l'avocat, l'horloger montrait l'importance qu'il attachait à la direction du syllogisme ; il admettait que le bonheur de l'homme dépendait de sa valeur morale et dirigeait son syllogisme en conséquence. Les guesdistes étaient les « durs » de ce temps-là. L'avocat était « réformiste » et politicien ; il ne faisait que généraliser une observation psychologique vulgaire et d'une vérité accidentelle. C'est l'époque où Péguy au dos d'un *Cahier* imprimait : « La révolution sociale sera morale ou ne sera pas. » L'exemple de l'horloger prouve qu'il y a certainement chez les communistes d'aujourd'hui des hommes au sens droit, ayant gardé des principes de morale naturelle, très capables de fournir, au sujet de l'organisation professionnelle et de la question sociale, des solutions pratiques plus justes que ne peuvent le faire soit les planistes de leur parti, soit les sociologues en chambre les mieux intentionnés. Il faudrait seulement que les gens bien intentionnés se rendent compte que c'est à la base et au niveau de la personne morale de l'ouvrier que doit être repris le problème et non dans les sphères supérieures d'une planification idéologique. L'avocat et l'horloger n'étaient pas sur le même plan. Le métaphysicien, l'esprit supérieur était l'horloger et non l'avocat pseudo-hégélien et marxiste. Car tout homme qui réfléchit se propose une fin, qui est bien entendu de vivre dans le vrai, le vrai dans le bonheur ou le bonheur dans le vrai. Ici encore nous retrouverions une *simultanéité* obligatoire du spirituel et du temporel, qu'une antériorité logique artificielle ne peut effacer. Il y a toujours primauté de l'*étant.* L'homme doit soumettre sa conduite à la raison, mais il commence par prendre le sein et il n'y a pas beaucoup de raison dans l'acte qui lui donne naissance. La raison, par l'hérédité, est pleine de conditions physiologiques antérieures à la création de l'âme ; l'homme est un tout, il n'est ni ange ni bête, et qui fait l'ange fait la bête. L'horloger, très sagement ne séparait pas la question des salaires de la valeur morale de l'homme, mais sauf en des cas exceptionnels où l'homme déjà saint choisit une vie misérable, la misère rend impossible la vie morale. La primauté du salut pour l'homme ne retire rien à la simultanéité de ses actes moraux et des actes de sa vie pratique, qui sont d'ailleurs toujours un seul et même acte, ce qui se traduit en disant qu'il n'y a pas d'acte indifférent. 42:15 Punir un enfant est un acte moral, mais la manière de le punir dépend des goûts de cet enfant, de sa santé, de sa sensibilité, de sa formation morale et des circonstances ; et l'acte moral de punir lui-même est commandé par les conditions de la faute, les témoins, et les circonstances. L'opportunité de le faire est commandée par un jugement où toutes les causes interviennent avec la même complexité que dans l'œuvre de l'architecte. Pour mettre les choses au point, disons que c'est l'amour en Dieu et pour Dieu qui seul peut éclairer le jugement avec sûreté. Évitons donc les discussions inutiles sur une image, l'antériorité, d'une qualité douteuse et même très défectueuse, que les intellectuels sont portés à prendre pour la réalité, parce qu'ils usent du langage sans se douter qu'il est aussi étrangement arbitraire que le dessin qui pour représenter l'espace, doit commencer par supprimer une de ses dimensions. Nous voulons montrer par l'exemple de l'horloger et de l'avocat que le raisonnement n'est pas une simple déduction qui serait infaillible si on suit les règles, mais qu'il est dirigé vers une fin. Lorsqu'on n'envisage qu'une série de causes (comme les causes formelles par exemple) la logique reste simple. Dans les métiers elle est au contraire très compliquée par l'enchevêtrement des causes et la diversité de leur caractère causal. Qu'on pense à l'ensemble des causes agissant sur une récolte, depuis l'état de la terre au moment des semailles (et de telle terre) jusqu'à l'état du ciel au moment des récoltes ! Il faut un long apprentissage du métier pour saisir en chaque cas la méthode à suivre. Les méthodes universitaires, fondées sur la théorie sans recours à l'expérience fatiguent inutilement l'esprit des élèves sans les instruire. Car les esprits spéculatifs sont extrêmement rares qui peuvent s'intéresser à la théorie pour la théorie. Les autres, s'ils ont une bonne mémoire, peuvent aisément retenir, réciter correctement et être reçus facilement aux concours, sans aucun profit intellectuel pour eux, sans aucun progrès du jugement qui est certes infiniment plus rare et plus précieux que le savoir des écoles. Ils croient tout savoir et, en fait ne savent que parler de tout sans en rien connaître que ce qu'ils en ont lu ou entendu dire. Ce sont eux qui nous dirigent et on s'étonne que rien ne marche bien en France. Le jugement ne s'acquiert que par l'expérience ; l'Université écarte la jeunesse du moyen de l'acquérir. Il s'ensuit que cette génération regorge, *comme* disait Pie XII dans son allocution du 1^er^ mai 1955, « *d'idées fausses sur l'homme et sur le monde, sur l'histoire, sur la structure de la société et de l'économie.* » 43:15 Cela est vrai aussi bien de l'ensemble de la jeunesse que des administrateurs nourris dans les écoles pour remplacer les élites naturelles. Celles-ci sont formées par l'expérience de l'administration de leurs biens, de leurs ateliers, de leurs usines, des communes et des villes ; elles se soucient peu de concours. Les administrateurs diplômés qui les remplacent à la tête des provinces et de l'État, contre tout bon sens, sont bien incapables d'accomplir la tâche qui reviendrait naturellement à ces élites naturelles. Pendant ce temps, l'Université manque à la tâche essentielle pour laquelle elle est faite : apprendre à se servir du langage, pour délimiter, sur des œuvres de premier ordre de tous les temps, le sens des mots ; distinguer les idées, leur extension et leur compréhension ; *préparer un bon instrument à la pensée.* \*\*\* VOICI LA PLAINTE d'un capitaine de pêche : « Le brevet de capitaine de pêche n'existe plus ; il faut passer les mêmes examens qu'un capitaine à la marine marchande ; ces examens sont très difficiles, *si bien que le candidat n'a pas le temps de naviguer avant son service militaire.* Sa valeur pratique s'en trouve donc diminuée et inférieure à celle des titulaires du vieux brevet de capitaine de pêche. » Se rendra-t-on compte enfin de l'absurdité d'une pareille formation ? Le résultat est qu'on peut être reçu à l'examen, entrer à l'école navale et n'avoir aucune des qualités nécessaires à un marin. Mais nos architectes diplômés n'ont jamais construit ni appris à construire sinon théoriquement. Je ne sais ce qui en est aujourd'hui, mais il y a quinze ans, le règlement d'entrée à Saint-Cyr prévoyait encore une majoration de vingt à trente points au profit des candidats licenciés en droit ou en mathématiques. Celui qui avait le brevet de pilote ou de navigateur, ne recevait que dix points. Celui qui se présentait à Saint-Cyr avec une citation à l'ordre de la division (entre dix-huit et vingt ans) ne bénéficiait que de quinze points. C'est-à-dire que celui qui a montré des qualités militaires indéniables est désavantagé par rapport à un licencié en droit. 44:15 Quoi de plus stupide ? Tous les grands militaires d'autrefois, qu'ils fussent princes, comme Condé ou Turenne ou fils d'aubergiste comme Hoche entraient au service et se battaient dès treize ou quinze ans. Ceux qui étaient vraiment doués pouvaient commander une armée à vingt-deux ans. Les lieutenants et capitaines devraient avoir de vingt à vingt-cinq ans. Mais l'expérience ne leur viendra pas sur les bancs d'une école ; et les mieux doués peuvent n'y être pas reçus. C'est à quoi aboutissent les concours. Rabindra Nath Tagore écrit : « Quand l'esprit est privé de la vérité, qui est sa nourriture naturelle et de sa libre croissance, il laisse développer en lui un besoin anormal de réussir, et nos étudiants sont devenus les victimes de cette folie du succès dans les examens. Le succès consiste à obtenir le maximum de points avec le minimum de savoir. C'est... une folle imposture par laquelle l'esprit est encouragé à se voler lui-même. Mais comme nous sommes encouragés par là à oublier l'existence même de l'esprit, nous sommes suprêmement heureux du résultat. » « Nous devons nous souvenir toujours que l'amour et l'action sont les seuls moyens par lesquels la connaissance parfaite peut être atteinte, car son but n'est pas le pédantisme mais la sagesse. » (Introduction à Rabindra, pp. 17 et 15.) Nous nous souvenons de l'article d'un Anglais paru en 1940, où il était dit « qu'en dépit des apparences, la décadence de la France était intellectuelle ». Cela tient certainement à l'Université, qui, dirigée par des politiciens soucieux de domination temporelle, pleine de bons pédagogues ne songeant qu'à répéter ce qu'ils ont appris, place un voile entre les vrais penseurs et la jeunesse. La quantité de savoir est grande chez nos étudiants, mais elle étouffe l'aptitude à créer et la formation du jugement. Tous sont formés comme s'ils devaient être d'autres professeurs chargés d'enseigner tout le savoir connu ; alors qu'il faut des hommes aptes à créer. Le physicien sir Joseph Thompson, à la question « Pourquoi l'Angleterre produit-elle tant de savants illustres ? » répondait : « Parce que nous n'enseignons guère les sciences dans nos écoles, les esprits qui, chez nous viennent à la physique arrivent au laboratoire avec une fraîcheur que ne ternit aucune routine. » Auguste Lumière pensait de même, nous avons cité son opinion page 37 n° 7 d'*Itinéraires.* \*\*\* 45:15 CONCLUONS. L'université manque de liberté. Quand elle sera débarrassée des fonctionnaires politiciens qui la gouvernent, quand chaque recteur sera l'élu des maîtres, il est probable qu'elle retrouvera sa vraie fonction, car elle ne manque pas d'esprits remarquables tout à fait capables de faire les réformes nécessaires s'ils en avaient la liberté. Cependant l'Université ne peut pas tout faire en matière d'enseignement. Nous venons de montrer combien les méthodes logiques nécessaires à la plupart des métiers diffèrent de celles qu'emploient généralement les professeurs, sans qu'ils se doutent combien elle est simpliste et particulière, alors qu'ils se croient les maîtres de la méthode. Ils se croient aussi les spécialistes de l'universel, alors qu'il y a autant d'universels que de langages. Les universitaires se fourvoient généralement lorsqu'ils veulent parler musique ou plastique ; ils cherchent toujours à expliquer ces arts par la psychologie, qui est un moyen propre à un langage qui *nomme* au lieu de représenter ; la musique et la plastique sont des langages où l'universel est envisagé dans les conditions propres à chacun d'eux. Par exemple, le *mode* musical est un système de proportion entre les sons qui, comme les systèmes de proportion en architecture est une manière d'envisager *l'un* et *le multiple* sur des exemples concrets, comme la science le fait avec des expériences. Il en est de même de la modulation et de la dissonance. De plus, les routines intellectuelles sont les plus tenaces de toutes. On peut en donner en exemple les sciences expérimentales, où la méthode d'Aristote a duré jusqu'au XVII^e^ siècle malgré Archimède ; et il n'est pas douteux que le vaste esprit d'Aristote eut certainement compris la portée de la méthode d'Archimède s'il ne l'eut précédé. De même le phlogistique a duré trente ans après la mort de Lavoisier, Rien de tel qu'une administration pour prolonger les routines au-delà de toute mesure ; dans l'ensemble, ce sont les idées sottes et surannées du XVIII^e^ siècle qui sont à la base de notre enseignement, idées sur le progrès, sur la religion, sur la science et sur l'histoire. Rien d'étonnant à ce que, lorsqu'ils accèdent au pouvoir, les universitaires qui ont cette ambition n'y font rien qui vaille. Ils n'ont pas la formation logique et expérimentale utile ; ils ont les idées préconçues qu'apporte une formation livresque. 46:15 Platon l'a déjà dit dans *Phèdre* (275 a) « ...confiant dans l'écriture... ce que tu vas procurer à tes disciples, c'est la présomption qu'ils ont de la science (ils se croiront devenus sages contre les sages) car lorsqu'ils auront beaucoup lu sans apprendre, ils se croiront très savants... » Il est indispensable de rendre aux métiers la formation de la plupart des jeunes gens. Or l'Éducation Nationale s'efforce par tous les moyens d'éliminer les gens de métier de l'enseignement professionnel. Dans un journal économique, aujourd'hui même nous lisons ce titre : « *Le bachot des fermiers formera des cadres pour la vulgarisation.* » Les futurs capitaines de pêche n'ont pas le temps de naviguer avant leurs vingt ans. Les bacheliers agricoles n'auront pas le temps de cultiver. Or il faut à un homme déjà exercé deux ans de stage dans une *contrée donnée* pour se rendre compte de ce que la terre, le climat et les marchés rendent économiquement possible. L'enseignement postscolaire agricole ne devrait être donné que par des hommes ayant cette formation. En faire d'abord des universitaires aboutirait à éloigner leur esprit des méthodes logiques indispensables. Mais nous sommes « au jour des nuages et de l'obscurité », comme dit Ézéchiel. L'université devrait se réserver pour la tâche qu'elle est très apte à accomplir, la préparation à la culture générale. Elle ne peut la donner ; son erreur est de le croire ; car c'est l'œuvre de toute la vie, mais elle doit y préparer par l'étude des lettres, de l'histoire et de la philosophie. Elle peut le faire en proportionnant cette étude aux aptitudes et à la durée de cette préparation, aussi bien dans une ferme-école et dans une école d'Arts et Métiers que dans un lycée. La simple explication du Bourgeois Gentilhomme, on l'a vu au début de cette étude, peut être un exercice de logique des plus précis et des plus formateur. Je suis certain que beaucoup de professeurs de l'enseignement secondaire soupirent après ce retour à la raison. Mais là encore, l'histoire littéraire d'auteurs que les enfants ne lisent même pas a remplacé la formation de la pensée. L'enseignement supérieur lui aussi est devenu une préparation à l'agrégation plutôt que l'acquisition des méthodes de recherche propres à chacune des sciences. Nous aboutissons ainsi à une surcharge pour les enfants ; il y avait autrefois dans une école d'Arts et Métiers une heure et demie de cours théoriques pour trois heures d'étude. 47:15 Aujourd'hui c'est l'inverse ; le gavage a augmenté, et diminué le travail personnel. Avec beaucoup de travail, un surmenage intellectuel néfaste à la santé physique et morale de jeunes gens qui devraient à cet âge avoir beaucoup de temps pour jouer au ballon, on aboutit à une véritable dilapidation des qualités intellectuelles, à un gaspillage de l'effort et à un abaissement général de l'intelligence. Cela s'est déjà vu sous l'empire romain, qui lui aussi était maître de tout l'enseignement ; lettres, art, philosophie, science n'ont plus rien donné qui valût. Ce sont les conséquences du despotisme. Celui qui nous régit a beau user constamment des mots de démocratie, de liberté, de justice, il n'est qu'un despotisme hypocrite et il abaisse chaque jour le niveau intellectuel et moral de la nation, non seulement par ses erreurs de pensée, mais par l'ignorance où il est des méthodes normales de celle-ci. Henri CHARLIER. 48:15 ### Un pamphlet signé Dansette Cette étude, dont la première partie a paru dans notre numéro 13 (mai), et dont voici la fin, est écrite sous réserve des réponses éventuelles de l'auteur incriminé, que je suis prêt à examiner, et du jugement éventuel de l'Église, auquel je suis prêt à m'en remettre. J. M. #### IV. -- Le scientisme en sociologie religieuse. La caractéristique essentielle du livre, on a pu la pressentir dans ce qui précède : M. Dansette y manifeste *le contraire d'un esprit religieux.* Il fait systématiquement abstraction de la sainteté. Il la remplace par la sociologie. Il considère l'Église comme une entité sociologique davantage que comme Jésus-Christ répandu et communiqué. Il apporte l'esprit et les méthodes du scientisme dans la sociologie religieuse. C'est une omission ; ou une lacune ; ou une incompréhension : ce n'est pas une faute positive, dira-t-on, ce n'est pas un crime délibéré. Je ne suis pas de cet avis. Rien n'obligeait M. Dansette à écrire une histoire *religieuse* de la France plutôt qu'une histoire *politique* de l'Église. On peut composer des traités de politique ecclésiastique ; cela est certainement licite, peut-être intéressant. Mais on n'a pas le droit de mettre délibérément la politique ecclésiastique à *la place* de l'histoire religieuse. On peut, par méthode et point de vue, ou par hypothèse de travail, considérer l'Église comme une entité sociologique : c'est une recherche permise, je crois, et qui peut être, à un certain niveau et dans certaines limites, de quelque utilité. 49:15 Mais on n'a pas le droit de situer dans ces considérations sociologiques l'essentiel du destin religieux d'un peuple. M. Dansette opère très effectivement une *substitution.* On ne lui reprocherait pas de faire l'analyse sociologique des institutions ecclésiales et l'histoire anecdotique de la politique ecclésiastique. On ne peut accepter que ces réalités très circonscrites soient substituées aux réalités religieuses. Le dessein même de M. Dansette est en cause, et la méthode qu'il y apporte, et donc sa responsabilité intellectuelle. Ajoutons que des phénomènes extérieurs à son œuvre viennent en alourdir encore la gravité : ce dessein est avalisé, couvert, développé par tous ceux qui proposent ou imposent au public M. Dansette comme l'historien religieux de la France contemporaine. L'œuvre de M. Dansette est l'instrument actif d'une déchristianisation des esprits. Avec M. Dansette, le scientisme, qui était moribond, renaît sous une forme plus subtile, et s'installe dans la sociologie religieuse. Évidemment M. Dansette n'est pas l'auteur de cette réforme intellectuelle à l'envers. Il n'est guère sociologue et point théologien ; il n'est pas philosophe ; on ne va pas le prendre pour un penseur. Il est le porte-parole d'une certaine, d'une soi-disant pensée religieuse française, au niveau du grand public. Il en diffuse les thèmes dans la conscience commune. Aucun chrétien ne peut rester neutre en face d'une telle entreprise. \*\*\* #### V. -- Les avertissements motivés de « L'ami du clergé ». Et malheureusement ce n'est pas, dans l'œuvre de M. Dansette, une passagère inadvertance ou l'erreur d'une saison. C'est un système qui s'aggrave d'un livre à l'autre. Il était déjà dans son *Histoire religieuse de la France contemporaine :* le concert de louanges avec lequel presque toute la presse catholique accueillit cet ouvrage fondamentalement inacceptable dans son principe même et dans sonesprit, aura rendu un mauvais service à M. Dansette, en même temps qu'il contribuait à fourvoyer la pensée chrétienne. 50:15 Mais enfin, à l'écart de ce concert, une voix nette et claire avait averti M. Dansette, lui avait montré en quoi son œuvre était essentiellement viciée. Il faut aujourd'hui constater que M. Dansette n'a rien retenu de ces avertissements, et qu'au contraire, dans son dernier livre, il accentue encore cette tendance centrale. C'est pourquoi nous craignons qu'il ne soit bien tard pour le convaincre ; en tous cas, il est urgent de le combattre. Les avertissements dont je parle furent ceux de *l'Ami du Clergé,* le 17 avril et le 1^er^ mai 1952. Ils étaient d'ailleurs sympathiques, compréhensifs et amicaux. Ils rendaient hommage aux qualités littéraires de M. Dansette, qui sont évidentes et que je ne nie pas : un style clair, alerte, un don du trait et du portrait ; de la couleur et même, oui, du charme ; de la vigueur, des raccourcis bien dessinés. M. Dansette est un véritable écrivain. Nos sévérités sur le fond ne contestent ni sa force ni son art, -- ni sa séduction, et personnellement je n'y suis nullement insensible. Mais c'est une raison supplémentaire d'être avec lui d'autant plus exact et rigoureux. M. Dansette n'est pas un scribouillard de trente-sixième ordre. Au demeurant, le soin que nous apportons à le contredire manifeste autant l'estime où nous tenons son talent que notre opposition catégorique aux idées soutenues par un tel talent. 51:15 *L'Ami du Clergé* ne formulait pas seulement des réserves secondaires, encore que significatives, montrant par exemple que beaucoup de pages de l'*Histoire religieuse* relèvent de la caricature et du pamphlet, non pas de l'objectivité historique. J'ai moi-même entendu S. Exc. Mgr Blanchet dire publiquement à M. Dansette, avec un aimable sourire, qu'il est « un historien pour lequel il y a ses amis, et puis... les autres » ([^30]). Au vrai, M. Dansette est un pamphlétaire, ce qui est une chose, et un pamphlétaire injuste, ce qui en est une seconde. Mais son injustice n'est pas forcément méchante ni consciente. Quant à être un pamphlétaire, ce n'est pas un péché ; d'autres l'ont été, parfois ou souvent, depuis saint Jérôme jusqu'à Joseph Folliet, en passant par Pascal, Veuillot et Bernanos ; et Péguy (l'un des plus beaux livres de Péguy, et des plus *profonds,* n'est-il pas un pamphlet, ce *Laudet* qui, comme le remarque Henri Charlier, est UN PAMPHLET ÉCRIT POUR LA DÉFENSE DE DIEU ?). Mais le rédacteur de *l'Ami du Clergé* allait beaucoup plus avant. Il reprochait à M. Dansette de constamment « *rabaisser* » son sujet ; de ne pas atteindre « le fond des choses » ; de *négliger systématiquement la sainteté* dans son histoire « religieuse ». Il notait : « Comment donc se fait-il que dans les deux volumes de M. Dansette, il ne soit pas fait mention -- mais pas la moindre mention -- du saint curé d'Ars ? ...Et pas un mot de l'importance du fait de Lourdes, pas une ligne sur les miracles qui s'y produisent sans arrêt, et qui constituent la réponse la plus étonnante à la négation du miracle et du surnaturel qui est la caractéristique de l'incrédulité contemporaine. » La conclusion de l'*Ami du Clergé* était double. Elle affirmait premièrement qu'on ne peut faire confiance à l'historien Dansette : « *Il y a lieu de se tenir sur ses gardes et de vérifier tantôt les doctrines et tantôt les faits eux-mêmes.* » Elle affirmait surtout, secondement, que M. Dansette devrait « *refondre entièrement* » son histoire « religieuse ». On le voit : c'était un procès fondamental, un avertissement et une critique portant sur l'essentiel. 52:15 Situer le débat au centre même de la méthode et de la pensée de M. Dansette, et en contester non pas seulement des détails, mais principalement l'esprit, n'est pas une exagération ou une fantaisie qui nous serait personnelle. C'est bien ainsi que se pose la question. \*\*\* #### VI. -- Parenthèse. Une parenthèse qui n'est pas une digression. M. Dansette, notait *l'Ami du Clergé,* ignore le Curé d'Ars, et c'est un cas particulier de son ignorance systématique de la sainteté. C'est le trait le plus visible, le plus grave, et qui va s'accentuant davantage encore dans son *Destin du catholicisme français :* Lourdes ne tient toujours aucune place dans ce « destin ». Mais, à peu près en même temps que le *Destin* de M. Dansette, paraissait en librairie un livre de Fabrègues : *Jean-Marie Vianney, curé d'Ars* ([^31]). Je ne veux ni faire l'éloge de ce livre, dont le style me surprend parfois (mais c'est affaire de goût personnel), ni surtout prétendre opposer, sans son aveu, Fabrègues à M. Dansette. Simplement, je conseille aux lecteurs du *Destin* de M. Dansette de lire le *Curé d'Ars* de Fabrègues, qui me tient compagnie depuis plusieurs semaines, et qui me console des pages misérables de M. Dansette. On dit *oui* au livre de Fabrègues et *non* au livre de M. Dansette, et ce n'est pas une question de tempérament, de divergence légitime ou de famille d'esprit. Ce n'est pas non plus que l'on veuille contester l'utilité, à sa place et à son rang, de la sociologie religieuse. Mais le livre de Fabrègues, profond, émouvant et vrai, est un livre *religieux,* qui fait comme toucher du doigt que l'essentiel dans l'Église, c'est la sainteté. Le livre de M. Dansette remplace la sainteté par la sociologie religieuse. Je ne sais si je me fais bien comprendre : mais lisez le *Curé d'Ars* de Fabrègues, c'est une lumière pour les âmes. \*\*\* 53:15 #### VII. -- M. Dansette et les évêques. M. Dansette ne voit pas l'Église de Jésus-Christ. Il voit une réalité « sociologique » composée d'ecclésiastiques. Son regard passe à bon compte pour lucide et perspicace : il se situe au niveau des faiblesses et des sottises humaines, il ne s'élève pas au-dessus. Sa méthode est de collectionner des ragots d'antichambre. Il donne ainsi triste mine aux Princes d'Église : ce faisant (et sous réserve de ses injustes et systématiques exagérations) il ne nous apprend rien en vérité, car nous savons bien que chaque homme est une intelligence bornée et un pécheur. En connaître le détail anecdotique ne nous avance pas beaucoup ; ou même ne nous avance pas du tout. M. Dansette excelle, dans son *Destin,* à prêter des mobiles mesquins au comportement des évêques. Il les montre fâchés contre Rome pour des motifs de protocole et de vanité. Il les montre animés d'insurmontables préventions à l'égard des prêtres qui n'ont pas été formés dans leur séminaire diocésain. Il les montre préoccupés de prérogatives superficielles, et plus ou moins détournés ou distraits, par de tels soucis, des problèmes réels. Je proteste ici que M. Dansette, c'est l'avis de *Ami du Clergé* et c'est le mien ne saurait, surtout en de telles matières, être cru sur parole. Il est d'ailleurs remarquable que M. Dansette, si habile à expliquer le comportement des Princes d'Église par des motifs mesquins, s'en abstienne lorsqu'il s'agit de personnes beaucoup moins éminentes, d'écrivains, de docteurs, de journalistes. Son réalisme à courte vue n'est pas un système universel. Il est réservé aux autorités religieuses et aux personnalités qu'il n'aime pas. Il ne s'applique point aux ténors mondains de la pensée ou de la presse catholique. On reconnaît d'ailleurs là un trait de mœurs contemporaines. Plusieurs auteurs catholiques évitent de se traiter entre eux, et refusent d'être traités par d'autres, avec la désinvolture et la sévérité qu'ils se permettent à l'égard du Pape et des évêques. 54:15 C'est pourtant l'attitude inverse qui devrait être recommandée et qui pourrait être utile. Dénoncer les faiblesses, les erreurs, les échecs d'un journaliste, d'un homme politique, d'un intellectuel pontifiant, voilà qui est souvent profitable, et d'intérêt public. Car ces personnages, on peut en changer. On peut aussi limiter leur influence quand elle est funeste. Nous avons même quelques devoirs de cette sorte dans une société démocratique. Mais on ne change pas d'évêques : ce n'est pas notre affaire, ni celle de M. Dansette. On ne limite pas non plus leur influence, car ce n'est pas leur influence qui est en question, mais leur autorité, leur autorité qui est de l'Esprit Saint. Il ne nous appartient pas de défaire ce que l'Esprit Saint a fait. Cela n'appartient même pas aux gouvernements : le Souverain Pontife actuellement régnant eut l'occasion de le rappeler à certain gouvernement, il y a un peu plus d'une dizaine d'années. A la limite, et dans l'hypothèse extrême où des catholiques croiraient remarquer, dans la manière dont un évêque exerce sa fonction de paternité spirituelle, les faiblesses qu'expose M. Dansette, ils n'auraient que deux choses à faire (sans oublier la troisième, qui est de prier) : premièrement, se dire qu'ils ont en cela toutes chances de se tromper, secondement recouvrir leur sentiment propre de l'équivalent spirituel du manteau de Noé. Tout ce qu'on enlève à l'évêque, c'est à l'Église qu'on l'enlève. Tout ce qu'on détruit de l'autorité épiscopale, c'est de l'Église que l'on détruit. Tout ce que l'on espère pour l'Église, et surtout ses renaissances, passera forcément, d'une manière ou de l'autre, par l'autorité épiscopale, et d'autant mieux qu'elle sera demeurée intacte. L'un des plus sûrs moyens qu'a toujours notre liberté de faire obstacle aux desseins de Dieu, c'est de diminuer en nous-mêmes l'autorité des évêques en communion avec le Saint-Siège. Car ce sont eux d'abord, ce sont eux surtout qui sont et peuvent être en communion avec le Siège apostolique, dans la plénitude du sacerdoce. Ils le sont plus ou moins, ce sont des hommes, ils le sont plus ou moins bien : par vocation et par fonction, ils le sont plus que nous ; et ils le sont autant sans doute que nous le méritons, car ce n'est peut-être pas seulement au temporel que « les peuples ont les gouvernements qu'ils méritent ». 55:15 C'est l'évêque qui fait son peuple, par son gouvernement, mais c'est aussi son peuple qui, par sa prière, fait l'évêque. Ces réalités de la foi, de la Communion des Saints, du Corps Mystique, sont hors des prises de la sociologie religieuse : et ces réalités-là sont les plus réelles. « L'Église est dans l'évêque », s'écriait saint Cyprien, et le Cardinal Feltin, rappelant ce mot, ajoute : « L'évêque est un *mystère,* autrement dit une réalité invisible, très haute, et supérieure à ce que notre intelligence et nos sens peuvent percevoir sans la foi ([^32]). » Une récente Note doctrinale de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques ([^33]) rappelait : « Les rapports du laïcat avec la Hiérarchie ne s'éclairent que dans la lumière de la foi, de la foi au mystère du Christ vivant et agissant dans son Église par le magistère de la Hiérarchie apostolique, son ministère sacramentel et sa juridiction. » Dans ces perspectives, on peut écrire une histoire *religieuse* de la France contemporaine, et un « destin du catholicisme français », qui ne soient pas une caricature et une mutilation. Les mutilations caricaturales opérées par M. Dansette proviennent moins, croyons-nous, d'une facilité polémique que d'une pente de l'esprit, que d'un système de pensée, qui traite du *religieux* en faisant constamment abstraction du *surnaturel.* « Ôtez le surnaturel, disait Chesterton, il ne reste que ce qui n'est pas naturel. » M. Dansette ôte le surnaturel. Il l'ôtait dans son *Histoire.* Il l'ôte plus encore dans son *Destin.* La confusion actuelle des idées en France, l'opposition des passions, les rivalités idéologiques et autres, les illusions généreuses et les déceptions, les interférences occasionnelles de l'apostolique et du politique, et toute sorte de circonstances analogues, jointes à une grande absence de « formation doctrinale », créent une conjoncture et un climat où il faut être particulièrement attentif à ce qui pourrait atteindre l'Épiscopat. L'autorité épiscopale est actuellement vulnérable, non en elle-même, mais dans les esprits et les cœurs d'un grand nombre ; et de plusieurs côtés, de côtés divers, des catholiques subissent la *tentation* de la mettre plus ou moins en cause. 56:15 Tombant dans ce climat et cette conjoncture, le livre de M. Dansette est terriblement dangereux (sans ce livre, les dirigeants de la J.E.C. auraient-ils osé proclamer leur *non possumus*)*.* Ce sont là des motifs particuliers, s'ajoutant aux motifs généraux, de le contredire, de le combattre, et d'empêcher qu'il ne prenne sur les esprits l'autorité que s'est malheureusement acquise son *Histoire religieuse.* Celle-ci a radicalement faussé la pensée historique du catholicisme français pour une génération au moins. Son *Destin* frappe maintenant l'Église au cœur. Et plusieurs, hypnotisés, ne sentent même pas le coup. \*\*\* #### VIII. -- Contre la sainteté. C'est à chaque page que M. Dansette passe à côté de la sainteté, la nie ou la supprime. D'abord par ses silences. Une « omission », chez un historien, est plus qu'une omission. C'est une suppression effective. Car, si les faits historiques se moquent bien en eux-mêmes des omissions de M. Dansette, d'autre part, ils ne sont connus, ils n'existent pour nous que par les historiens. C'est par M. Dansette que le public catholique le plus vaste connaît aujourd'hui l'histoire religieuse de la France contemporaine : en oubliant ou omettant Lourdes et le Curé d'Ars, M. Dansette ne les a pas seulement omis ou oubliés. Ils les a supprimés dans la conscience que beaucoup de Français ont de leur histoire religieuse. Dans l'histoire religieuse contemporaine, il y a un Pape que l'Église a canonisé. On sait comment il le traite, justement celui-là, dans son *Histoire.* Quand la sainteté se manifeste, M. Dansette est contre. Il y revient, dans son *Destin* (page 79) : 57:15 « Pie X a demandé aux laïcs de se grouper sur le plan confessionnel pour assurer la défense des intérêts catholiques sous la direction des évêques. La rupture du concordat impose à l'Église un travail de réorganisation qui l'absorbe à tel point qu'elle ne peut fournir dans l'immédiat le vaste effort de renouvellement intérieur auquel ne doivent jamais renoncer les institutions anciennes qui veulent rester dignes de leur passé. » Tout sonne faux et tout est faux dans ce passage (et dans combien d'autres). L'Église n'est pas essentiellement une institution ancienne qui veut rester digne de son passé : l'Église est Jésus-Christ *vivant,* répandu et communiqué. Le « renouvellement intérieur » auquel elle « *ne doit jamais renoncer* », Pie X, selon M. Dansette, s'est pourtant laissé imposer par les circonstances d'y renoncer : telle est la part du pamphlet doucereux. Mais c'est une contre-vérité, et le plus important est de bien saisir pourquoi et comment M. Dansette est conduit à contredire la vérité. Ce *renouvellement intérieur,* il ne le conçoit que comme un renouvellement sociologique, dans les structures, les méthodes, les institutions. Il ne lui vient pas à l'idée que *le grand renouvellement* INTÉRIEUR de l'Église, au XX^e^ siècle, s'est opéré sous Pie X, par Pie X, à partir de Pie X : le saint Pape, en faisant entrer dans les mœurs la COMMUNION DES ENFANTS, a inauguré un *renouvellement intérieur* qui est une immense révolution spirituelle, peut-être l'acte religieux historiquement le plus important du siècle par la profondeur de ses conséquences. Conséquences qui s'inscrivent « au plan » de la Communion des Saints et du Corps Mystique. C'est-à-dire zéro, pour M. Dansette. \*\*\* Mais c'est à chaque page, vous dis-je, ou presque. Page 46, à côté du mot *solidarité,* M. Dansette inscrit une parenthèse explicative : « *en langage chrétien, charité* ». Entre solidarité et charité, il ne discerne qu'une différence de langage ; deux mots qui pour lui expriment la même réalité... La charité *amputée du surnaturel,* c'est peut-être en effet la solidarité. Et encore. C'est plutôt moins, ou pis, que la solidarité. Parce que la charité amputée du surnaturel, c'est la charité amputée de ce qui lui est essentiel, et elle risque de n'être plus qu'un mensonge : « Ôtez le surnaturel, il ne reste que ce qui n'est pas naturel. » 58:15 Page 30, M. Dansette affirme « *l'insuffisance des œuvres spécifiquement catholiques qui, tout en maintenant le catholicisme, le confinent dans un cercle fermé à côté duquel passe la vie* ». La vie ! Quelle vie ? La vie, c'est Jésus-Christ, -- et le reste est moindre vie, ou apparence, ou tromperie. La vie, c'est la sainteté. Quant à la soi-disant « vie » qui « passe à côté », le Curé d'Ars ne s'en souciait pas beaucoup, sinon pour lui fermer sa porte, la chasser de sa paroisse ; ne l'accueillir qu'en pénitente, à son confessionnal : ET ALORS LES FOULES SONT VENUES A LUI. En employant la méthode inverse, sous prétexte d'attraper les foules, on n'a rien attrapé du tout, mais on a perdu cinquante-huit prêtres sur quatre-vingt-dix. Nos discoureurs et penseurs, et M. Dansette, parlent toujours d'atteindre les foules et les masses, comme si c'était un problème nouveau. C'est simplement ce que le Curé d'Ars a réussi. Ils veulent en somme réussir à leur tour ce que le Curé d'Ars avait réussi, mais en faisant le contraire de ce que faisait le Curé d'Ars. C'est malin. Ils ne s'avisent pas qu'il y a une condition unique, un unique nécessaire : la sainteté. Le reste peut être utile, ou même précieux, mais il est donné par surcroît ; ou il est facultatif. Les « méthodes nouvelles » d'apostolat, l'Église en a essayé à chaque époque : mais à chaque époque, celles qui ont « réussi » avaient été inventées par un saint. Je ne veux pour autant détourner personne de la sociologie religieuse ; je crois seulement que, si elle est utile, et elle l'est, c'est surtout aux saints qu'elle l'est. Elle est le plus utile à ceux qui seraient le plus capables de s'en passer. Elle est beaucoup moins utile à ceux qui en ont trop besoin ; ou même, elle peut alors les fourvoyer. Avec M. Dansette, la sociologie religieuse devient en quelque sorte l'unique nécessaire : ce n'est pas là une proposition explicite qu'il soutient, c'est beaucoup plus, c'est le principe même de son rouvre et de ses jugements. Son *Destin* est un livre déchristianisateur. Il semble que M. Dansette ait une aptitude particulière à affirmer le contraire même de l'essentiel du christianisme. 59:15 Il en découvre partout l'occasion et ne la laisse pas échapper. Page 250, au sujet des séminaristes de Lisieux, il écrit : « *La générosité est la première de leurs qualités et c'est du don de soi à ses frères qu'ils remontent à Dieu.* » M. Dansette affirme, ne le croyons pas sur parole ; mais notons qu'il approuve et s'extasie. Il possède une sûreté extraordinaire pour formuler et pour prôner le contraire de la vérité religieuse. Car justement : la démarche chrétienne est la démarche inverse ; l'amour de Dieu y est obligatoirement premier ; l'amour du prochain est fécond, et d'abord il est vrai, et d'abord il est possible, et d'abord il est autre chose qu'un mensonge, quand il est *pour l'amour de Dieu.* (Non que l'amour du prochain qui n'est pas fondé sur l'amour de Dieu automatiquement soit menteur : mais il risque toujours de le devenir ; il est fragile, menacé, vite équivoque et dangereux.) M. Dansette n'épargne rien, il atteint jusqu'au commandement central et premier. Dans le christianisme de M. Dansette, on aime Dieu pour l'amour du prochain. Parce que M. Dansette, une fois de plus, a ôté le surnaturel, il aboutit une fois de plus à ce qui n'est pas naturel. \*\*\* CE LIVRE de M. Dansette est faux ; il est dangereux ; il est offensant. Il est provoquant et provocateur. Il exprime d'ailleurs avec exactitude et insolence, les pensées de ce qu'il appelle (page 287) le « *mouvement réformateur qui entraîne une fraction importante de l'Église de France* ». Appellation et appréciation excessives, au demeurant, car ce « mouvement » est limité à des cercles intellectuels et militants bien déterminés, encore qu'ils disposent d'une grande puissance matérielle, par le volume de leur publicité, par l'importance des publications et des organisations qu'ils ont plus ou moins colonisées. *La Croix* a fait sur ce livre plusieurs réserves graves ([^34]). Mais d'autres le portent aux nues. Une importante et centenaire revue catholique, rédigée par des religieux, qui était autrefois réputée pour sa modération, sa retenue, son objectivité, 60:15 et qui depuis quelques mois sacrifie cette réputation et prend des positions d'un extrémisme délirant, vante dans son numéro d'avril la « *réussite étonnante* » de M. Dansette dans son dessein de « *retracer l'histoire du catholicisme français depuis trente ans* »*.* Le pamphlet de M. Dansette y est chaudement recommandé aux « *pasteurs* » et aux « *militants laïques* » (qui, après une telle lecture, s'en vont tout naturellement donner des leçons d'apostolat à la Hiérarchie apostolique). On y vante aussi, naturellement, son « *objectivité* » et son « *impartialité* »*.* Ce livre contre le Pape, qui malmène les Évêques et supprime dans la religion chrétienne tout surnaturel et toute sainteté, ce livre est approuvé, est soutenu par une revue catholique qui hier encore passait pour sûre et respectable et théologique ! Et qui aujourd'hui ne formule même pas les réserves faites par le chroniqueur de *La Croix !* Certains religieux, comme s'ils avaient été avertis que leurs tours de force touchent maintenant à leur fin, et qu'ils n'en ont plus que pour quelques mois, abandonnent toute précaution oratoire et toute prudente habileté. Ce qu'on craignait de leur entendre insinuer naguère, voici qu'ils l'étalent en clair, qu'ils le proclament ouvertement. Comme s'ils préparaient un scandale pour l'heure prochaine de leur retraite. En tous cas, pour le scandale, ils ont gagné : l'article sur le Dansette, c'en est un, et volumineux ([^35]). Le soi-disant « *mouvement réformateur qui entraîne une fraction importante de l'Église de France* » a su coloniser, dans son entreprise véritablement *fractionnelle,* plusieurs « instruments de diffusion ». L'attitude à l'égard du livre de M. Dansette est un test, car ce livre, je le répète, appelle une prise de position qui est une sorte de révélation des cœurs. 61:15 Nous refusons cette bouillie sociologique, rehaussée parfois de condiments sentimentaux, que M. Dansette, ses inspirateurs et ses souteneurs sont en train d'installer *à la place* de la religion chrétienne. Nous la refusons, c'est une chose. Mais, seconde chose, nous appelons contre cette entreprise, pour la sauvegarde de l'intelligence française, pour la défense des âmes et pour le salut de la Patrie, une lumière et une protection. Jean MADIRAN. ### ANNEXES Les prêtres-ouvriers et la situation sociale. -- Ni redresser ni supprimer... -- L' « aile marchante » et la fausse soumission. -- Une dissimulation calculée. -- Sévérités à sens unique. -- A propos de la paroisse. -- Les diversités politiques. -- La tyrannie publicitaire et la « gauche chrétienne ». LES PRÉSENTES ANNEXES complètent, à propos du même livre mais sur d'autres sujets, l'article qui précède. -- On y traite d'abord de ce qui, dans le livre de M. Dansette, concerne *l'analyse de la situation sociale* en France. On y relève ensuite divers traits ou détails, de plus ou moins grande importance, qui appellent quelque remarque, sans aucunement prétendre être exhaustif. Le *Destin du catholicisme français,* comme *l'Histoire de la France contemporaine,* requiert une opposition catégorique : c'est aller au plus pressé, mais ce n'est que cela. C'est contrebattre l'influence d'une œuvre qui est en train de fourvoyer la pensée chrétienne en France pour une génération au moins. La critique est donc indispensable mais -- nous ne nous le dissimulons point -- insuffisante. *L'Ami du Clergé* appelait M. Dansette, en 1952, à « *refondre entièrement* » son *Histoire.* M. Dansette ne l'a pas fait : avec son *Destin,* il persévère dans son système et il l'aggrave. 62:15 Pour arrêter ce massacre des esprits, il faudra qu'un véritable historien, et véritablement religieux, compose une véritable Histoire religieuse de la France contemporaine. Nous ne savons pas si un tel historien existe quelque part. Puissent ces notes contribuer à éveiller ou encourager une telle vocation, en montrant à quel point la vérité est trahie et la conscience offensée par l'œuvre de M. Dansette ([^36]). \*\*\* #### Les prêtres-ouvriers et la situation sociale. Le livre de M. Dansette nous parle longuement des prêtres-ouvriers : nous avons déjà noté qu'il est muet sur les raisons précises pour lesquelles le Souverain Pontife estimait que « l'intégrité du sacerdoce est en cause ». C'est au moins une lacune grave. M. Dansette n'est pas muet sur la situation sociale dans laquelle s'est déroulée « l'expérience des prêtres-ouvriers » : mais il en présente une analyse complètement erronée. Il affirme vaillamment des faits qui n'existent pas. Non qu'il les invente : dans un certain milieu *intellectuel catholique,* tout le monde croit à leur existence. Ils existent dans les consciences, et cette existence est une conséquence de la publicité communiste. Exemple (page 188) : « *Les salaires de famine et les journées de travail de dix et onze heures, fréquentes dans les moyennes et petites entreprises où on les subit par peur du chômage.* » Telle est la situation réelle et FRÉQUENTE qui, selon M. Dansette, a fait impression sur les prêtres-ouvriers. Cela existait au XIX^e^ siècle. Cela n'existe plus et *ne peut plus exister* aujourd'hui de manière fréquente (sauf difficultés économiques particulières à une profession : dans le textile, pendant plusieurs années, il y a eu un *chômage partiel,* diminuant le nombre d'heures de travail et par suite le salaire : mais les bas salaires ne s'accompagnaient justement pas de journées de travail de dix ou onze heures). 63:15 Les ouvriers n'ont pas peur du chômage, sauf circonstances provisoires et particulières, dans un pays, le nôtre, où il n'y a plus de chômage. Les ouvriers qui *travaillent dix ou onze heures par jour* n'ont pas des *salaires de famine,* justement pas : ils bénéficient automatiquement des majorations pour heures supplémentaires. M. Dansette et ceux qui l'ont « informé » ignorent, ou oublient, qu'il existe des lois à ce sujet, et que ces lois sont généralement appliquées. Elles ne le sont pas toujours ? Mais précisément : les situations alléguées par M. Dansette ne sont ni *fréquentes,* ni *légales.* Et leur illégalité est encore plus importante que leur rareté. Car dans cette illégalité, passée sous silence, tient la différence FONDAMENTALE entre les problèmes sociaux, les misères sociales de notre siècle, et du siècle précédent. Hypnotisés par la publicité communiste, nos sociologues catholiques ne s'en sont pas aperçus. Mais quelqu'un l'a vu. Quelqu'un qu'ils disent mal informé et qui, sur ce point comme sur les autres, l'est beaucoup mieux qu'eux : le Souverain Pontife. Pie XII a discerné et défini la MODIFICATION ESSENTIELLE survenue dans le problème social. Il ne s'agit pas seulement, ni principalement, de l'amélioration d'ensemble du niveau de vie des travailleurs. Cette amélioration est très réelle ; quand vous la constatez, on vous répond aussitôt qu'elle est insuffisante. MAIS CE N'EST PAS LA QUESTION. Ce n'est pas essentiellement cette amélioration matérielle, appréciable ou insuffisante, ou les deux à la fois, qui a fondamentalement bouleversé les données réelles du problème social. C'est autre chose, que dissimule la propagande communiste, qu'ignorent les victimes directes ou indirectes de cette propagande, et que le Saint-Père nous expose : « Devant le regard de l'Église se présente aujourd'hui la première époque des luttes sociales contemporaines. Au centre dominait la question ouvrière : la misère du prolétariat et le devoir d'élever cette classe d'hommes, livrés sans défense aux aléas de la conjoncture économique, jusqu'à la dignité des autres classes de la cité dotées de droits précis. Ce problème peut être considéré aujourd'hui comme résolu, au moins dans ses parties essentielles. » ([^37]) 64:15 Les travailleurs ne sont plus *sans droits légaux* dans la société « capitaliste » occidentale. Le problème n'est plus de *faire reconnaître* leurs droits : pour l'essentiel c'est fait. Pas toujours très bien fait. Pas toujours leurs droits exacts mesurés par une parfaite justice. Pas toujours d'une manière inspirée par le droit naturel. Trop souvent sous l'inspiration de fausses doctrines, qui ont hypothéqué et vicié le contenu des réformes sociales. Et le tout dans un contexte socialiseur, étatiseur, qui risque de conduire, s'il s'aggrave et s'étend, à un esclavage pire que le premier. Aussi le Saint-Père ne dit-il point que les réformes accomplies pour élever le monde du travail aient été irréprochables. Mais ce qui a été fait a *supprimé l'injustice massive* de la société capitaliste du XIX^e^ siècle : l'injustice massive qui consistait à exploiter économiquement une classe sociale tout entière privée de droits précis. Les injustices et les misères qui subsistent appellent, certes, qu'on s'en occupe (elles concernent beaucoup plus le logement, par exemple, que les salaires) : ELLES N'APPELLENT PLUS LA RÉVOLTE D'ENSEMBLE DE TOUTE UNE CLASSE. Elles ne peuvent plus la provoquer, sinon par artifice publicitaire et politique. Tout l'effort du communisme, efficacement secondé *sur ce point* par M. Dansette, est de faire croire aux consciences, contre la réalité des faits, que la situation de « la classe ouvrière » est toujours telle qu'elle doive provoquer la lutte de classe et d'insurrection. Toute la non-résistance des catholiques tient principalement dans leur acceptation sur parole du mensonge communiste. Toute la résistance instinctive et spontanée des travailleurs tient dans leur désaffectation progressive à l'égard des formes traditionnelles et dépassées (activistes, grévistes, insurrectionnelles) du mouvement ouvrier : autant que d'autres, ils croient (et encore pas toujours) ce que leur dit la propagande et ils se révoltent en paroles ; mais, simultanément, ils ne se *sentent* plus dans une situation telle qu'elle les pousse aussi vivement qu'autrefois aux luttes violentes et aux révoltes effectives. \*\*\* 65:15 Une injustice sociale concrètement constatée n'est pas essentiellement la même selon qu'elle est ou bien un état de fait, clandestinement toléré mais condamné par l'état de la conscience commune et de la législation, ou bien une situation admise par l'esprit public et conforme aux stipulations (ou aux carences) de la légalité existante. Dans les deux cas, elle appelle, elle requiert une action sociale : mais point la même. Au XIX^e^ siècle, l'action sociale avait pour principal obstacle une certaine bonne conscience capitaliste, libérale, légaliste. Aujourd'hui, le principal obstacle réside dans la publicité communiste, qui annexe à la révolte politique les énergies et les générosités qui devraient aller à l'organisation sociale. \*\*\* Les prêtres-ouvriers ont été les *victimes* de certains théologiens et sociologues catholiques, dont la théologie et la sociologie passait à côté des réalités sociales existantes et se fondait sur les réalités supposées qu'allègue la propagande communiste. Je ne dis pas que cette théologie, que cette sociologie eussent été bonnes si la situation dont elles parlaient avait effectivement existé : mais je dis surtout que cette situation n'existait pas. Quand M. Dansette note (page 287) la « *liaison entre l'apostolat des prêtres-ouvriers et la théologie dominicaine française* », ce n'est pas une notation entièrement inexacte. Bien sûr, ce n'étaient pas tous les Dominicains de France. Ce n'étaient pas non plus les seuls Dominicains. La pensée *installée* du catholicisme social en France porte d'effroyables responsabilités dans la catastrophe des prêtres-ouvriers, parce qu'elle a raisonné à partir des données de l'analyse marxiste et de la propagande communiste, au lieu de partir des données du réel concret et actuel. Mais elle était elle-même victime, elle l'est toujours : ce n'est certes point par perversité morale qu'elle part de l'idéologie et débouche dans le mythe et la propagande au lieu de partir du réel pour y retourner : c'est par méthode, et c'est tout le problème de cette *réforme intellectuelle des intellectuels,* mise en chantier par Péguy, par Augustin Cochin, par Henri Charlier, mais contrecarrée jusqu'ici par tout ce qu'il y a d'officiel dans l'État, dans l'Université, dans l'édition et les journaux... \*\*\* Cet état de l'intelligence n'est pas sans conséquences. Les conséquences négatives sont que les intellectuels (et leurs lecteurs, auditeurs et disciples) se trouvent détournés des tâches sociales réelles, et n'en comprennent même pas l'énoncé que leur en propose le Souverain Pontife. 66:15 Les carences spectaculaires en ce qui concerne le Premier Mai chrétien ou la *recorporation* de l'organisme économique et social manifestent ces conséquences négatives. Les conséquences « positives » sont aussi tragiques, mais d'une autre manière : les travailleurs qui ne sont plus très chauds pour la lutte des classes et les formes activistes et grévistes du syndicalisme s'entendent dire que là pourtant est leur vérité, puisque *même* des bourgeois catholiques, même des docteurs en soutane, même des intellectuels cléricaux sont bien forcés d'en tomber d'accord... Les intellectuels, et spécialement les intellectuels catholiques, en bronchant devant la réforme intellectuelle, qui consiste pour eux à se réformer eux-mêmes (et non pas à réformer l'Église !), portent de capitales responsabilités. M. Dansette n'en est qu'un parmi d'autres : mais puisqu'il est leur porte-parole et qu'il a en quelque sorte, avec son dernier livre, rédigé leur manifeste, c'est à son œuvre en particulier que nous en avons. Elle est un symptôme exemplaire de la crise intellectuelle qui ravage le catholicisme français. \*\*\* Comme tous ses pareils, M. Dansette concède que le Parti communiste est le parti de la classe ouvrière, et que les communistes sont l'élite consciente du monde ouvrier (page 189) : « Parmi leurs camarades, les prêtres-ouvriers recherchent les militants, d'un mouvement naturel parce qu'ils se détachent comme eux de la masse, et d'un mouvement réfléchi parce que ces militants sont les ouvriers les plus intéressants et les plus influents. Or, ces militants sont en général communistes. Les prêtres-ouvriers qui déjà arrivent dans les secteurs les plus prolétarisés de la classe ouvrière, seront conduits à voir la classe ouvrière à travers son élite communiste, et leur optique s'en ressentira. Certes, il serait puéril de nier que cette élite du Parti communiste et de la C.G.T. entraîne la grande majorité de la classe ouvrière. On ne gagne rien à tricher avec une telle évidence, et les arguties qu'on lui oppose ne résistent pas à l'examen. 67:15 La chute récente du chiffre des inscrits au Parti n'affecte guère le pourcentage des électeurs communistes, parce que ces électeurs, en majorité ouvriers, tiennent ce parti pour le leur. Les variations d'effectifs qui sont un trait caractéristique du syndicalisme français n'empêchent pas les ouvriers de suivre les mots d'ordre de la C.G.T., parce qu'ils estiment qu'elle défend les intérêts ouvriers. » Je ne sais qui, en cette page du pamphlet signé Dansette, est accusé de « tricher » avec des « arguties ». Peut-être moi. Car, à propos précisément de l'orientation concrète des prêtres-ouvriers et des réalités sociales, j'ai contesté cette identification pratique entre *ouvrier* et *communiste* ([^38]). On ne m'a jamais rien répondu ; à moins que la réponse ne soit le texte cité de M. Dansette. Il me suffira de souligner que ses jugements tranchants sur une réalité sociale qu'il ignore sont couronnés par la plus éclatante des contre-vérités de fait : « *les ouvriers suivent les mots d'ordre de la C.G.T *»*.* Justement : ILS NE LES SUIVENT PAS. M. Dansette et beaucoup d'intellectuels de son espèce n'ont jamais entendu parler d'un phénomène que tout le monde, sur le tas, connaît bien : dans presque tous les cas, la C.G.T. a besoin d'une caution extérieure pour être *suivie.* Quand elle est isolée, elle n'est pas écoutée, les cégétistes eux-mêmes répugnent aux actions qu'elle est *seule* à proposer. Il lui faut avoir l'accord de la C.F.T.C. ou de F.O. pour être entendue. De n'importe quel mouvement revendicatif, on peut dire avec raison neuf fois sur dix qu'il tourne court quand aucun syndicat non-cégétiste n'y participe. La conscience ouvrière commune *ne croit pas* que la C.G.T. défende les intérêts ouvriers pour eux-mêmes, elle sait que la C.G. T. les utilise plus souvent qu'elle ne les sert. Qu'une autre centrale syndicale soit d'accord avec la C.G.T., la conscience ouvrière commune y voit le test indispensable prouvant qu'il s'agit bien d'intérêts ouvriers, et d'actions propres à les défendre : et ce test est nécessaire dans chaque cas. 68:15 Les travailleurs votent en majorité C.G.T. ([^39]) parce que l'organisation cégétiste est matériellement la plus puissante, et celle qui proteste et qui combat le plus fort : avec elle, on peut faire peur aux bourgeois, impressionner M. Dansette, embêter les patrons. Mais simultanément les travailleurs savent, ou pressentent, que le combat cégétiste n'est pas pour eux, que le combat cégétiste n'est pas le leur, ou qu'il ne l'est que par occasion et que par accident. Ils n'ont pas CONFIANCE en la C.G.T. et très précisément, M. Dansette a une fois de plus trouvé le mot juste, ils ne la SUIVENT pas. Pour « suivre » et passer à l'action -- à la lutte revendicative qui est pourtant aujourd'hui plus verbale et symbolique que physique, et ordinairement sans danger grave -- ils attendent dans chaque cas que l'assentiment d'un autre syndicat vienne apporter comme une attestation objective, comme une raison de croire, comme un motif de suivre. A la différence de beaucoup d'intellectuels catholiques, et de M. Dansette, les travailleurs même cégétistes *ne croient pas la C.G.T. sur parole.* Tout le monde en France sait cela, tous ceux qui ont un contact professionnel, concret, vécu avec le monde ouvrier. Dans les sphères intellectuelles et journalistiques, radiophoniques et sociologiques, dans les congrès et les cercles d'études, où l'on étudie en chambre et à travers les livres (marxistes), on l'ignore : dans ces sphères-là règne la mythologie communiste, par le volume matériel de sa publicité, par sa puissance d'intimidation et ses techniques obsessionnelles, par les préjugés acquis et les routines mentales. Jamais peut-être la conjoncture réelle n'a été aussi propice, aussi ouverte à une ACTION SOCIALE CATHOLIQUE qui rejetterait *sans biaiser* la lutte de classe et organiserait la négociation à l'intérieur d'une profession « recorporée ». Mais les historiens et docteurs, les orateurs et penseurs du catholicisme social sont occupés et égarés ailleurs. Ils cherchent *l'ouvrier* là où est *le communiste :* là où n'est pas le communiste, ce n'est pas vraiment pour eux de l'ouvrier ; de l'ouvrier adulte et conscient ; la propagande communiste, avec ses auxiliaires hypocrites et ses auxiliaires imbéciles, leur a fait admettre cette équivalence, ils n'arrivent pas à en sortir, et elle les mène loin. \*\*\* 69:15 Un exemple extraordinaire nous en est rappelé par M. Dansette. Pour lui, « *le monde ouvrier et ses institutions* » (page 191), ce sont essentiellement le Parti communiste et la C.G.T. ; c'est ce que nos docteurs ont fait croire a priori aux prêtres-ouvriers. Pour aller à ce qui était *ouvrier,* ils sont allés, électivement et sélectivement, à ce qui était *communiste.* Mais ILS ONT FOURNI EUX-MÊMES UNE DÉMONSTRATION EXEMPLAIRE DE LA FAUSSETÉ FONCIÈRE D'UNE TELLE IDENTIFICATION. Ils l'ont fournie par leurs actes : ils sont allés au Mouvement de la Paix. Ils y sont allés par un « enchaînement logique des circonstances » (page 195), et pour participer aux « *engagements* » du monde *ouvrier.* Or, le Mouvement de la Paix est effectivement *communiste,* mais il N'EST PAS *ouvrier.* C'est un mouvement *bourgeois,* pour pénétrer la bourgeoisie. A la base, et à divers niveaux, le Parti communiste fournit des cadres et des militants (ouvriers ou autres) pour assurer la marche, et d'abord le contrôle, de l'organisation ; l'armature, l'appareil. Mais ceux que l'on met en avant sont des bourgeois. Les milieux que vise principalement l'action du Mouvement de la Paix sont des milieux bourgeois. *Et les prêtres-ouvriers y sont allés !* Cela devrait suffire à montrer, il me semble, quelle fausse méthode sociale on avait suggérée aux prêtres-ouvriers, et juger la méthode aux résultats : voulant aller au monde ouvrier par l'unique chemin communiste, on débouchait par ce chemin au sein d'un mouvement intellectuel et bourgeois, -- mais communiste. \*\*\* J'insiste, et je crois qu'il faut insister, sur l'erreur de perspective concernant les réalités sociales : le choc des faits sera peut-être susceptible de réveiller un jour ou l'autre les dormeurs debout, les somnambules suggestionnés par la mythologie communiste et par ce que Pie XI nommait sa « propagande diabolique ». 70:15 Je ne parlerai pas du problème « apostolique », sinon pour dire que M. Dansette, mais il n'est ni le premier ni le dernier, le considère avec une satisfaction qui fait mal au cœur. Il dit que cette entreprise fut « *une des plus étonnantes expériences religieuses des temps modernes* » (page 180). ÉTONNANTE, en effet... Car il y avait 90 prêtres-ouvriers, dit M. Dansette (page 179), si l'on ne compte pas les religieux réguliers. Sur ces quatre-vingt-dix engagés dans l' « expérience », il y en eut cinquante-huit, plus de la moitié, cinquante-huit prêtres de Jésus-Christ, pour rompre avec l'Église de Jésus-Christ. L'expérience des prêtres-ouvriers s'est terminée par la plus grande catastrophe spirituelle qu'ait connue depuis longtemps le catholicisme français. Cinquante-huit prêtres quittant l'Église. Cinquante-huit âmes de prêtres d'un coup. Je ne pense pas qu'on nous conteste le droit d'être attentifs à la diabolique et dévastatrice puissance du communisme, et de nous sentir insuffisamment consolés par certaines affirmations selon lesquelles « du point de vue apostolique cette expérience a été un succès ». Que ces cinquante-huit prêtres aient été victimes de leur propre générosité humaine n'est vrai qu'en un sens et ne diminue pas l'ampleur épouvantable de la catastrophe. Ils ont surtout été VICTIMES D'UN DOUBLE MENSONGE. M. Dansette, qui paraît insensible à la catastrophe, adhère au mensonge. J'en rappelle les termes pour conclure sur ce chapitre : 1. -- Le premier aspect du mensonge est l'équivalence frauduleusement établie, et jusque dans le livre de M. Dansette, entre classe ouvrière et communisme. Je dis que c'est un mensonge frauduleux, inventé et obsessionnellement imposé par la propagande communiste. Qu'il n'y ait chez les catholiques que peu de complices et agents conscients d'un tel mensonge, c'est évident : mais des victimes, par milliers. 2. -- Le second aspect du mensonge est de prétendre que le « mouvement ouvrier » -- conçu d'ailleurs uniquement sous la forme du syndicalisme communiste -- serait en période de croissance et de cohésion accrue, alors qu'il est en période de crise, cherchant à tâtons des formules nouvelles pour répondre à des situations nouvelles : le communisme étouffe et paralyse cette recherche, qui n'a pas jusqu'ici reçu du « catholicisme social » (ni même, je le crains, de la tendance dominante de la C.F.T.C.) le renfort pratique et concret qu'il eût été facile de fournir, à la seule condition d'écouter et de suivre les enseignements sociaux de Pie XII. 71:15 On s'apercevra un jour qu'ils sont aussi prophétiques et aussi décisifs au milieu du XX^e^ siècle que l'étaient ceux de *Rerum novarum* à la fin du XIX^e^ siècle : mais il semble que l'on prenne le chemin de ne s'en apercevoir qu'après coup, comme pour *Rerum novarum.* Quelle misère mentale. Quel esprit attardé, quel conservatisme, quelles routines intellectuelles. Quel silence de l'âme et du cœur. \*\*\* #### Ni redresser, ni supprimer... Il existe dans le livre de M. Dansette une correspondance bien étrange, remarquée par Pierre Andreu, et bien suggestive, entre la page 222 et la page 286. Page 222, M. Dansette expose que « *la tentative épiscopale en vue de redresser le mouvement des prêtres-ouvriers a échoué* ». Page 286, M. Dansette assure : « On *conçoit l'embarras extrême des trois cardinaux qui* (...) *doivent appliquer une suppression qui* ne *correspond pas à leurs vœux.* » Nous laissons à M. Dansette l'entière responsabilité de ces deux affirmations, en remarquant simplement qu'elles n'ont jusqu'ici suscité ni rectification ni démenti. Ces deux affirmations résument très exactement le récit de M. Dansette. Selon lui, l'épiscopat français *n'a pas pu* REDRESSER le mouvement des prêtres-ouvriers ; mais *il n'aurait pas fallu* non plus le SUPPRIMER comme Rome le fit. QUE FALLAIT-IL DONC ? Et que peuvent en conclure les dizaines de milliers de lecteurs auxquels cette histoire est présentée (notamment par les *Études*) comme objective et sérieuse, voire comme officieuse ou quasiment officielle ? M. Dansette n'écrit nulle part que ce « mouvement », dévié au point de faire perdre à l'Église 58 prêtres sur 90, devait néanmoins *continuer tel quel,* et que les Évêques français, et que le Siège romain n'y comprirent rien. M. Dansette ne l'écrit clairement nulle part, mais c'est bien ce que croiront devoir comprendre ses dizaines de milliers de lecteurs. \*\*\* 72:15 #### L' « aile marchante » et la fausse soumission. Les décisions romaines de fin 1953 à l'égard des prêtres-ouvriers furent accompagnées de certaines mesures concernant plusieurs Dominicains de Paris. M. Dansette note (page 287) : « Il paraît évident que l'aile marchante du catholicisme français reçoit un vigoureux coup d'arrêt. » Au vrai, ce n'était pas *l'aile marchante,* pour ce motif d'abord que l'aile marchante de l'Église n'est pas composée de journalistes, contrairement à ce que trop de journalistes laïcs ou ecclésiastiques ont le tort de raconter. L'aile marchante de l'Église, essentiellement, est ailleurs ([^40]). Il s'agissait en fait d'une aile bruyante, et souvent divagante. Quelle que soit l'estime où l'on tient certaines de ses qualités de cœur ou de ses aptitudes publicitaires, quel que soit le jugement que l'on forme sur son esprit, il apparaît en effet que Rome estima nécessaire de lui donner un « coup d'arrêt », il est bon que M. Dansette en prenne acte et ne le cache point. Il ajoute, au bas de la même page : « Le P. Avril, provincial de Paris, démissionnaire, écrira discrètement dans les *Amitiés dominicaines,* après avoir fait allusion à la liaison entre l'apostolat des prêtres-ouvriers et la théologie dominicaine française : « Il n'est pas douteux qu'au-delà de cette question particulière (où notre engagement n'était pas plus marqué que celui d'autres ordres religieux ou des prêtres séculiers de la Mission de Paris) notre attitude générale en face des problèmes de l'apostolat d'aujourd'hui n'ait fait depuis longtemps l'objet de nombreuses critiques, attaques et dénonciations. » 73:15 Cette manière de s'exprimer, soigneusement recueillie par M. Dansette, ne dit pas, mais laisse supposer que Rome aurait pu être trompée et se tromper quant au contenu et à la valeur de la « théologie dominicaine française » ([^41]). Dans le même sens, M. Dansette parle (page 288) des « *obscurités de l'affaire* » et du fait que le Pape est « *alors très malade* », etc. Des considérations de ce genre furent abondamment répandues dans la presse à l'époque, principalement dans les journaux où les RR. PP. Avril, Chenu et Boisselot avaient leurs entrées. M. Dansette est fort imprudent et bien peu sérieux : une chronologie tirée de son propre livre suffit à montrer que les décisions de la fin de l'année 1953 furent arrêtées avant la maladie du Saint-Père. Seulement, le lecteur oublie les dates, et retient l'insinuation sur les « obscurités de l'affaire » et la maladie du Souverain Pontife. D'ailleurs le Vatican, qui néglige de démentir, dans presque tous les cas, les insinuations, fausses nouvelles et calomnies, prit la peine de démentir celles-là, par un communiqué en date du 3 mars 1954, précisant : « *C'est en accord avec la volonté du Saint-Père et en vertu de décisions antérieures à sa maladie qu'agissent les évêques de France.* » \*\*\* Encore page 228, M. Dansette prétend, au sujet des Dominicains « spécialement visés », qu'ils « *se soumirent sans la moindre hésitation* ». C'est une contre-vérité caractérisée. Le texte du P. Avril, cité par M. Dansette à la page précédente, et reproduit ci-dessus, expliquant les décisions romaines par l'existence de « *critiques, attaques et dénonciations* », ne respire pas la soumission. C'est un fait notoire que le P. Boisselot sut parfaitement, jusqu'au printemps dernier, s'arranger pour passer au travers de la mesure qui l'éloignait de la vie parisienne. 74:15 Et puis, tout de même, il y a les textes. Directement visée, la *Vie intellectuelle* proclamait, dans son éditorial d'avril 1954, qu' « *il est nécessaire que la revue continue son œuvre dans l'esprit qui est le sien depuis vingt-cinq ans* »*,* que sa « *méthode ne subira pas de changement* » et que tout ira « *comme par le passé, avec les mêmes équipes de direction et de rédaction* ». A la fin de son numéro du 1^er^ avril 1954, l'*Actualité religieuse* précisait en ce qui la concernait : « *Si le* P. *Boisselot n'assume plus la direction, la revue n'en poursuit pas moins son travail avec la même équipe* »*.* (Le P. Boisselot, d'ailleurs, s'il n'assumait plus *en titre* la direction, restait pratiquement en place). M. Dansette offense la vérité, et traite son lecteur avec un grand mépris, quand il raconte que les auteurs de ces insolentes proclamations « se soumirent sans la moindre hésitation ». Mais il y a une moralité à cette affaire, sur laquelle M. Dansette pourrait utilement méditer. De telles insolences, et une insoumission aussi affichée, ne portèrent pas bonheur à ces deux publications. *L'Actualité religieuse* disparut en mai 1955 ([^42]) ; la *Vie intellectuelle* en décembre 1956. On ne peut indéfiniment se moquer du monde ; et du Pape. \*\*\* #### Une dissimulation calculée. M. Dansette laisse ignorer quels liens ont existé entre le « progressisme » de la *Quinzaine* et certains des plus influents ténors de la presse catholique. Il écrit par exemple (page 287) : « Le P. Boisselot joue un rôle important dans la direction de périodiques d'inspiration dominicaine tels que l'*Actualité religieuse dans le monde* et la *Vie intellectuelle.* » Ce rôle important, le P. Boisselot le jouait, autant et davantage encore, à la *Vie catholique illustrée* et aux Éditions du Cerf. Omettre de le mentionner fausse singulièrement les perspectives. 75:15 Surtout si l'on omet simultanément de mentionner que le même P. Boisselot fut l'un des fondateurs de la *Quinzaine* ([^43]), en compagnie de Mme Sauvageot. De cette *Quinzaine* trop voyante qu'ils avaient imprudemment fondée, le P. Boisselot et Mme Sauvageot se retirèrent : mais ils lui continuèrent leur appui (tout en arguant qu'ils lui donnaient des conseils de modération). Le groupe de la *Quinzaine* fut soutenu, même après la condamnation et la disparition du journal, par la Société des Éditions du Temps présent, dont les moyens financiers provenaient notamment des bénéfices considérables réalisés dans le public catholique par la *Vie catholique illustrée.* Il n'est pas contesté, il est public, il est connu que M. Joseph Folliet, quelle que soit sa position personnelle sur le fond, tient à assumer sa part de responsabilité dans cette aide matérielle de la Société des Éditions du Temps présent à la *Quinzaine* ([^44]). M. Dansette ne connaît pas la question, ou ne veut pas la connaître. Le P. Boisselot a été, pendant toutes ces années dramatiques, le principal ecclésiastique du groupe « amical » Sauvageot-Hourdin-Beuve-Méry, qui se réunissait tous les mardis dans les conditions que l'on sait ([^45]), et qui eut une influence décisive sur les « prises de position », diverses parfois dans le détail, mais conjuguées et convergentes, de toute une presse, de la *Quinzaine* au *Monde.* Ces journalistes ont assumé de très graves responsabilités, il est remarquable que M. Dansette les traite avec une discrétion, un respect, une prudence qui lui font regrettablement défaut lorsqu'il parle des Évêques. Mais ce n'est pas seulement omission. C'est inexactitude calculée. Sur la fondation de la *Quinzaine,* il écrit page 246, en note : 76:15 « La *Quinzaine* est fondée en novembre 1950 avec le concours d'éléments provenant de l'*Union des chrétiens progressistes* et de *Jeunesse de l'Église.* » C'est inviter le lecteur à comprendre que la *Quinzaine* fut fondée par des « éléments », non désignés, peu connus, peut-être irresponsables ou secondaires, venant de ces deux organisations progressistes. Une lecture plus attentive (mais qui sait lire ?) fait remarquer néanmoins que la fondation, d'après M. Dansette, eut lieu *avec le concours* de ces éléments. *A qui* était apporté ce concours ? *Qui* furent les fondateurs responsables ? M. Dansette le sait, je suppose. Il le sait parce que c'est sa fonction d'historien de le savoir. Il le sait, sa rédaction prudente le donne à penser. Il le sait mais le tait. C'est un point important. Savoir que les fondateurs de la *Quinzaine* furent plusieurs des principaux ténors d'une certaine presse catholique n'est pas un savoir indifférent. C'est même l'une des clefs de notre histoire récente, et des influences qui se sont exercées sur l'opinion publique. M. Dansette a mis cette clef dans sa poche. Il ne veut pas la montrer. Il suggère qu'elle n'existe pas. Rappelons donc que la *Quinzaine* a été fondée par Mme Sauvageot, qui en fut la première gérante, et par un groupe qui comprenait le P. Chenu, le P. Boisselot et M. Georges Suffert (aujourd'hui rédacteur en chef de *Témoignage chrétien* et propagandiste affiché du parti radical de M. Mendès). Sans ces personnes, et sans les moyens financiers provenant des bénéfices de la *Vie catholique illustrée,* la *Quinzaine* n'aurait pas vu le jour. Il est possible ou vraisemblable que plusieurs de ces personnes soient désormais partiellement revenues de leurs erreurs d'alors, et il ne nous appartient pas de démêler ce qui, dans leurs attitudes actuelles, relève de la conversion et ce qui relève de la prudence, ou de la tactique temporisatrice. Nous n'entendons pas non plus éternellement accabler ces personnes par des reproches rétrospectifs, et l'on voudra bien remarquer que nous ne parlons jamais de cet épisode ancien. Mais, quand M. Dansette prétend expliquer ce qui s'est passé dans l'opinion catholique en 1950-1953, il n'a pas le droit de cacher le rôle historique joué par ces personnes influentes. Du simple point de vue professionnel de l'historien, M. Dansette commet une dissimulation qui est une effective, une positive tromperie. \*\*\* 77:15 #### Sévérités à sens unique. *L'Ami du Clergé* (1^er^ mai 1952) avait cité ce passage de l'*Histoire religieuse* de M. Dansette, tome II, page 570 : « L'erreur initiale des catholiques d'*Action Française* a été de penser qu'ils pouvaient se mettre d'accord avec des incroyants, non pas seulement sur des constatations partielles, mais sur des principes qui mettent en cause les points fondamentaux de la doctrine chrétienne. » Et *L'Ami du Clergé* faisait suivre cette citation du commentaire fort opportun que voici : « Fort bien. Mais il faudrait appliquer la même règle, ENCORE AVEC PLUS DE FERMETÉ ET DE PERSÉVÉRANCE, à la collaboration avec des erreurs aussi graves que le laïcisme et le socialisme athée, et à plus forte raison le communisme. » Dans son *Histoire,* et plus encore dans son *Destin,* M. Dansette n'applique pas « la même règle », au contraire. Le commentaire si exact de *L'Ami du Clergé* est resté sans effet sur son esprit. \*\*\* #### A propos de la paroisse. On nous dit beaucoup, et M. Dansette y fait écho, que la paroisse n'est plus *le cadre de la vie quotidienne.* Mais de quoi s'agit-il et que veut-on ? Christianiser le « milieu de vie » ? C'est alors surtout celui du travail. La nouvelle organisation du travail industriel et urbain a créé des « milieux » nouveaux, qui sont en effet, parfois ou souvent, extérieurs au cadre paroissial. Mais alors, c'est le problème de la corporation. Car on n'évangélise pas le néant. On évangélise des personnes. Et aussi, certes, des « milieux de vie » : à condition qu'ils soient *corporés,* à condition qu'ILS AIENT UNE EXISTENCE AUTRE QUE DE RENCONTRE. 78:15 Tout ce que l'on dit *contre* la paroisse ne prouve pas que la paroisse soit « dépassée ». Mais tout ce que l'on dit contre la paroisse plaide en faveur de la corporation. Seulement, ceux qui parlent contre la paroisse ne se sont pas encore aperçus de la conséquence de leurs propos. Dans la vie moderne, presque tout ce qui échappe au « cadre paroissial » relève directement du cadre corporatif, -- et par là, d'une manière nouvelle, se rattachera au cadre paroissial, ou se conjuguera avec lui. \*\*\* #### Les diversités politiques. Nous retrouvons chez M. Dansette une pensée qui ne lui est pas personnelle, qui est fort largement répandue, et que l'on peut résumer en deux propositions contradictoires, simultanément soutenues en substance : 1. -- D'une part : l'évangélisation s'accompagne *nécessairement* d'une action sur les structures sociales et les cadres de vie. 2. -- D'autre part : concernant les transformations politiques et économiques de la cité terrestre, les chrétiens sont *libres* de diverger. Comme si l'Évangile, et l'évangélisation, commandaient NÉCESSAIREMENT une action politique, mais que celle-ci restât INDÉTERMINÉE. Certes, les deux propositions ci-dessus contiennent toutes deux une bonne part de vérité, et leur contradiction peut être surmontée, si l'on *précise,* en matière politique, économique et sociale, le triple domaine respectif : 1. -- de la doctrine ; 2. -- de la prudence ; 3. -- de la technique. Mais justement : on omet en général d'opérer cette précision et cette clarification. Ou quelquefois on l'esquisse, mais en la limitant à une distinction entre la *doctrine* et la *technique *: en oubliant le domaine de la *prudence,* on aboutit alors, pratiquement, à ce que la distinction entre « doctrine » et « technique » devient une totale séparation, et une sorte d'absurdité. Il existe une autre conséquence pratique, de portée considérable. En formulant les deux propositions simultanées rapportées ci-dessus, et en omettant de les préciser et clarifier par rapport aux domaines respectifs de la doctrine, de la prudence, de la technique, on provoque premièrement une grande confusion dans les esprits. Et secondement, on *exploite* cette confusion de manière unilatérale et arbitraire. 79:15 Cette exploitation est monnaie courante dans une certaine presse et dans certaines organisations, où telles tendances politiques très particulières jouent à leur profit, et alternativement, de la *nécessité* et de la *liberté* ci-dessus énoncées. Exemples : Si vous défendez telle « structure » actuelle (comme l'entreprise privée), on vous oppose les *nécessités* de l'évangélisation, qui conduisent obligatoirement à mettre en cause les structures (voir proposition n° 1). Si vous voulez contrecarrer la socialisation prônée par certains catholiques, on subdistingue : -- si vous critiquez la socialisation à partir de considérations techniques, économiques et sociales, on vous oppose encore les *nécessités* (évidemment supérieures) de l'évangélisation (proposition n° 1) ; -- mais si vous remarquez que la socialisation ne paraît pas conforme à la doctrine catholique, on vous oppose alors la *liberté* (proposition n° 2) : vos critiques vont contre cette liberté temporelle, vous êtes coupable de cléricalisme ou d'intégrisme. Si vous refusez de dénoncer et de combattre, en tant que chrétiens, les affreuses institutions du « colonialisme » français, on vous rappelle la *nécessité* à laquelle vous manquez coupablement (proposition n° 1). Mais si vous allez contredire les campagnes peu compatibles avec le patriotisme que mènent certains catholiques au sujet de l'Algérie, on vous accuse d'attenter à la *liberté* de ces catholiques (proposition n° 2). Si vous êtes attaché à votre paroisse, on vous reproche d'être insensible aux *nécessités* de l'évangélisation (proposition n° 1). Si vous répondez que la paroisse, d'après l'enseignement de la Hiérarchie, conserve aujourd'hui, pour un chrétien, une valeur certaine, on invoque la *liberté* (proposition n° 2), et vous êtes à nouveau, en offensant cette « liberté », un intégriste et un clérical. 80:15 Ainsi, ce que M. Dansette appelle « la gauche chrétienne » disqualifie vos positions sociales au nom des *nécessités* impliquées par l'évangélisation ; elle vous interdit de rien objecter à ses propres positions au nom de la *liberté* temporelle dont elle jouit (mais pas vous). Vous êtes condamné par les nécessités (proposition n° 1) ; elle-même est au-dessus de vos remontrances (proposition n° 2). Cette démarche idéologique, que plusieurs journalistes exécutent en permanence avec beaucoup de brio, n'est possible que dans l'*imprécision doctrinale.* \*\*\* Autre conséquence : la proposition n° 2 permet des *divergences légitimes,* notamment en politique. Mais ces « divergences » ne sont accordées qu'aux diverses tendances de la « gauche chrétienne ». On en fait d'ailleurs une mise en scène publicitaire. Exemple : dans *le Monde* du 20 avril 1957 (page 5), on pouvait lire que le mouvement « Vie nouvelle »... « *groupe des Français de tendances diverses *: *Nouvelle Gauche, Jeune République, etc. *». Ce n'est pas moi qui arrête l'énumération : « *etc.* » est dans le texte. Du moment qu'on a cité la Nouvelle Gauche et la Jeune République, on considère que la « diversité » des opinions permises est respectée par le mouvement qui groupe dans son sein ces deux tendances. Certes, il existe des « diversités » distinguant la Nouvelle Gauche et la Jeune République. J'accorde même que ces diversités sont plus effectives que celles qui distinguent par exemple le Mouvement de la Paix, la C.G.T. et le Parti communiste. Mais enfin, entre la Nouvelle Gauche et la Jeune République, ces diversités politiques ne sont pas politiquement énormes. Si les *diversités* permises aux chrétiens SE LIMITENT PRATIQUEMENT AUX NUANCES qui distinguent ces deux groupements (et quelques autres politiquement voisins), qu'on ose le dire. D'ailleurs on nous le dit chaque jour, mais implicitement. On nous le démontre par le fait, on nous l'expose par l'exemple. Personnellement, je serai disposé à croire au *respect des diversités légitimes* quand je verrai un mouvement d'inspiration chrétienne grouper EFFECTIVEMENT, et POINT POUR SOUMETTRE POLITIQUEMENT LES UNS AUX AUTRES, des catholiques vraiment *divers,* de la « Jeune République » sangniériste à la maurrassienne « Restauration nationale » par exemple. Ils ne peuvent « coexister » dans une même organisation, dans un même mouvement chrétien ? Pourtant, chaque dimanche au moins, ils « coexistent », et même ils communient, à la messe. 81:15 Leur divergence est un fait. Légitime ou illégitime ? partiellement ou totalement ? en thèse ou en hypothèse ? En tous cas, cette divergence doit être soit *réduite* soit *supportée,* mais dans la clarté et d'abord dans la loyauté. Depuis des années, on travaille à la réduire *au profit* de ce que M. Dansette appelle *la gauche chrétienne,* par des moyens plus ou moins détournés ou inavoués. Depuis des années, dans certaines organisations catholiques ou d'inspiration chrétienne, les postes de direction sont aux mains d'une « gauche chrétienne » qui réclame la plus entière liberté pour ses audaces les plus extrêmes et qui, simultanément, dénonce comme un scandale intolérable la seule existence d'hommes de droite qui osent dire leur nom et n'acceptent pas d'être systématiquement réputés imbéciles rétrogrades, égoïstes cyniques, intégristes cléricaux. Car cette diffamation permanente contre toute une catégorie de catholiques -- et justement la plus nombreuse -- est en certains endroits un peu trop constante. \*\*\* #### La tyrannie publicitaire de la « gauche chrétienne ». Nous prenons notre bien où nous le trouvons, et la vérité jusque chez M. Dansette. Page 133 (c'est moi qui souligne) : « Il existe... une gauche chrétienne notable. Nous désignons par ces mots non pas une organisation déterminée... mais un ensemble de forces hétérogènes, les unes sacerdotales, les autres laïques, que rapprochent certaines affinités idéologiques. Elles exercent par la valeur de leurs élites et la qualité de leurs *moyens d'action* une influence considérable, *disproportionnée à leur importance numérique.* » Ce qui rejoint le célèbre témoignage du P. Avril selon lequel la gauche chrétienne est une petite minorité, la grande majorité des catholiques se classant politiquement « à droite ». Et qui confirme et justifie nos propres analyses. (*Ils* ne *savent pas ce qu'ils disent,* pages 148-152 ; *Itinéraires* numéro 9, pages 76-82, et numéro 10, pages 102-103.) 82:15 Les postes de direction et d'influence, dans les organisations laïques et les publications catholiques, sont monopolisés par des chrétiens qui ont opté pour la « gauche chrétienne », comme dit M. Dansette. C'est leur droit ? Mais ce n'est pas la question. Journaux et organisations sont dirigés par des hommes qui ne sont pas représentatifs des tendances permises, en matière libre, de la grande majorité des catholiques français. Non seulement ils n'en sont pas représentatifs, mais *ils les combattent,* à l'intérieur même de ces organisations et de ces journaux. Cette situation de fait est une situation violente. Elle est l'un des motifs objectifs du « malaise » que l'on a constaté depuis des années dans le catholicisme français. Je crois avoir été à peu près seul à mettre nettement en lumière l'existence réelle de ce motif de trouble. Que cette réalité, attestée par le P. Avril, soit maintenant confirmée par M. Dansette, cela fait un second témoin que l'on peut croire, car son intérêt, à lui aussi, serait plutôt de la minimiser que de l'exagérer. QUE L'ON VEUILLE BIEN SONGER A CE QUE SERAIT L'ESSOR DES ORGANISATIONS ET DES JOURNAUX CATHOLIQUES EN FRANCE, SI LA GRANDE MAJORITÉ DES CATHOLIQUES FRANÇAIS POUVAIENT ENFIN Y ENTRER, ET LES SOUTENIR, SANS Y RENCONTRER UN ARBITRAIRE POLITIQUE S'EXERÇANT DIRECTEMENT CONTRE EUX. C'est le vœu que je forme. Je ne vois pas en quoi il serait illégitime, -- ou irréalisable. Je crois même qu'il est en voie, timidement, discrètement, de commencer à se réaliser. J. M. 83:15 ### Les pouvoirs de l'homme IL Y A DES PROPHÈTES, il y a des voyants. Catherine Emmerich avait vu les monastères des Esséniens, les avait décrits, indiquant les sites de la Mer Morte où ils se trouvaient. Josèphe d'ailleurs disait avoir été Essénien dans sa jeunesse ; Philon Juif parlait d'eux ; Tacite même... Mais ces textes étaient si anciens ! On choisissait de penser que tout cela n'était que fiction. Puis les fouilles, dans ces parages de la Mer Morte, ont fait retrouver les ruines des monastères, les corps saints, tout ce qu'avait vu Catherine Emmerich. -- C'est à se demander même si le roman de Jean, 44^e^ évêque de Jérusalem, sur Notre-Dame au Mont-Carmel, ce roman que le Moyen Age a tant aimé, est pure légende... Reste que depuis le déchiffrement des manuscrits fameux, bibliothèque de ces monastères retrouvée dans des grottes, on voit mieux que tout part d'Élie : l'organisation épiscopale, reçue par les apôtres des Esséniens, -- le cadre était tout donné, la continuité a été parfaite -- et l'organisation monastique, la vie spirituelle et mystique. Faut-il regretter que tout cela n'ait pas été marqué plus fortement dans les deux volumes que les *Études Carmélitaines* ont consacré à *Élie le Prophète *? (Desclée de Brouwer éd.). On comprend le propos des Pères Carmes : ne rien donner qui prête à la discussion, s'en tenir à une documentation certaine : textes et exégèse, geste d'Élie dans l'Ancien Testament, Élie dans le Nouveau, Élie chez les Pères Grecs, les Syriaques, les Pères Latins, son culte, son iconographie ; Élie dans l'ordre du Carmel, dans le Judaïsme et dans l'Islam... Ces parties sont forcément d'inégal intérêt. Au total le livre invite à réfléchir sur la grande imagination populaire, mais bien davantage sur les hautes figures, peut-être innées en l'âme comme le veut Jung, les archétypes ; et davantage encore, sur les limites de l'être humain, sa possible montée, sa destinée réelle, voulue du Créateur. 84:15 Élie, c'est celui qui a anéanti les faux prophètes, qui a commandé à la pluie, à la sécheresse, ressuscité les morts, séparé les eaux du fleuve, l'homme enfin qui est allé à la Montagne de Vision. -- Et sur ce qu'on a nommé « l'agressivité éliaque », la mise à mort des 450 prophètes de Baal, il y aurait sans doute fort à dire. Elle est en clef avec les démarches nationales d'alors et ce que paraissait exiger la fidélité du peuple élu. En ce temps les procédés de l'histoire restaient surtout chirurgicaux. Du moins l'épée Élie était-elle une épée flamboyante. Ce qu'il importe de voir, c'est qu'il est essentiellement l'homme qui peut dire à ces faux prophètes : « Dieu est vivant, en présence de qui je me tiens. » Le Dieu vivant est père de la vie, auteur de toutes choses, et l'homme est né pour être son serviteur : celui qui, comme Abraham, à son appel, est là qui répond, prêt à agir comme il le lui est demandé. Le Dieu vivant, ce n'est pas encore le Père, mais c'est le Créateur, celui qu'ont vu les pères profonds du *Livre de Job,* des Psaumes, le Tout-Puissant qui opère sans cesse. -- Une feuille d'herbe, quel miracle, ce brin vert qui se tire de terre, monte vers la lumière, ayant vaincu la pesanteur. Une fleur : elle sort de rien et se bâtit du dedans, sur un exact dessin : par quel génie infus en elle ? Si l'on pensait bien à cela ! L'homme est la créature, la seule, qui puisse y penser, et sa destination n'est-elle pas de le faire et de se tenir alors en présence de Dieu ? On sait que les Carmes se rattachent au mont Carmel, à Élie, -- ils allaient jusqu'à faire des procès aux peintres qui représentaient Élie autrement qu'en habit de carme. Comment ne pas songer à ce Carme du XVII^e^ siècle, le Fr. Laurent de la Résurrection, dont les écrits, limpides et fort beaux, oubliés, reparus (Desclée de Brouwer), épuisés, ont été republiés (Éditions du Seuil) par S. M. Boucheraux. « Je vis le Frère Laurent pour la première fois, écrit l'abbé de Beaufort dans ses *Entretiens ;* il me dit que Dieu lui avait fait une grâce singulière dans sa conversion, étant encore dans le monde âgé de dix-huit ans. 85:15 Qu'un jour en hiver, regardant un arbre dépouillé de ses feuilles, et considérant que quelque temps après ces feuilles paraîtraient de nouveau, puis des fleurs, puis des fruits, il reçut une haute vue de la providence et de la puissance de Dieu, qui ne s'est jamais effacée de son âme ; que cette vue le détacha entièrement du monde », etc. Il n'était qu'un laquais, un gros lourdaud « qui cassait tout », soldat, vivant de pillage, selon les nécessités d'alors, et un jour, avec une naïve hardiesse de jeunesse, il découvre la Création, le Créateur. Lui aussi homme de la théophanie. Il y a un Créateur et ce que sa créature peut faire de mieux est d'essayer de se remettre en sa présence. Vision et prière perpétuelles. Celle d'ailleurs de tous les grands mystiques, et qui semble s'être particulièrement maintenue dans l'église orthodoxe. Une vie dès lors dépouillée comme le l'OC et dévorée par la lumière. On songe au Sinaï : des bouleversements ardus et nus, une demi-douzaine de cyprès autour d'un couvent, mais pas un saxifrage, pas même quelque sèche brindille. Le soleil et son feu ; dans les distances, le troupeau des monts, des étendues de silence, et la lumière, la lumière, la lumière. N'est-ce pas quelque chose, avec des hommes comme Élie, ou même comme le Fr. Laurent de la Résurrection, de revenir aux données premières, de retrouver, dans un surnaturel qui n'est que le naturel ayant enfin pris feu, en leur rapport essentiel d'enfant à Père, la créature, le Créateur ? Élie est l'homme des commencements, et de la fin ; celui qui est venu au temps d'Achab et de Jézabel et qui doit venir pour le second avènement : tout extraordinaire et cependant gardant un certain chiffre ordinaire. (D'une totale intrépidité devant Achab, devant Jézabel, par un retour à la condition humaine, il prend peur, il s'enfuit.) Une des figures les plus passées qui soient, et des plus futures. Figure si hautement mythique qu'elle a permis aux théologiens catholiques et aux psychologues jungiens d'entrer en mutuelle compréhension. Sur la puissance de l'archétype, le P. Bruno de J.-M., avec la collaboration du professeur Jung, de Ch. Baudouin et de R. Laforgue, a écrit une importante étude. -- Le P. Rudin, s.j., définit l'archétype « une disposition structurelle de l'âme tendant à se concrétiser toujours de nouveau dans des symboles et à animer les êtres ». Et Élie, selon Jung, a le caractère d'un « archétype inné dans la structure de la psyché elle-même ». 86:15 Faut-il s'étonner qu'Élie soit prophète pour chrétiens, juifs et musulmans ? -- L'étude du P. M.-J. Stiassny sur *Élie dans le judaïsme* est bien curieuse, apportant un typique exemple du fonctionnement de l'imagination populaire : tel conte des métiers, provençal ou auvergnat, est déjà là, dans ces historiettes préchrétiennes... Curieuses aussi les fortes pages de Louis Massignon sur *Élie et son rôle en Islam.* Sur la personnalité du saint voyant, son rôle transhistorique, devant un prophète tel Élie, on peut songer. Son histoire a des significations infinies, venant enseigner que l'homme a d'autres pouvoirs que ceux qu'il se reconnaît modestement. On comprend les précautions des *Études Carmélitaines,* leur minutie, leur retenue. « Au terme d'une enquête comme celle qu'on a tentée ici, écrit le P. Hervé de l'Incarnation, on peut sans doute éprouver un certain désappointement. Le texte saint dans sa vigueur, dans sa brièveté, dépasse les gloses. » Les gloses cependant ne seront pas inutiles si elles font mieux voir devant le texte saint la relation essentielle de la créature au Créateur. La créature, fille du Créateur, ne le sait pas encore comme il le faudrait. Le progrès capital, par-delà toutes les conquêtes techniques, ne serait-il pas là, dans cette conquête des nouveaux pouvoirs ? Ces pouvoirs que certains hommes seuls ont eus, si rares, les prophètes. Et qui pourtant seraient notre héritage. -- Certains croient que le prophétisme a cessé du jour où Israël n'a pas reconnu Jésus pour le Messie. Mais n'est-ce pas une vue de l'esprit, que les faits ne confirment pas ? -- Peut-être sur cette terre même l'homme a-t-il son héritage à conquérir encore ? Peut-être demain ira-t-il à lui, comme Élie est allé à la vraie vie, y montant dans un char de feu... Et si cet avènement d'une humanité supérieure n'est que rêverie, il n'est pas mauvais d'avoir au moins vu de quel côté peut s'ouvrir véritablement l'espace. Henri POURRAT. 87:15 ### NOTES CRITIQUES M. Étienne Borne, Grand Inquisiteur. *Quand l'Église condamna le* « *modernisme* », *on raconta qu'il y avait* de *l'autre côté un mal aussi dangereux, ou plus dangereux, nommé* « *intégrisme* ». *Quand l'Église condamna le* « *progressisme* », *même chanson. Les théologiens des ÉTUDES ont récemment découvert que d'ailleurs l'* « *intégrisme* » *sévissait au XVI^e^* *siècle* (*voir les ÉTUDES, numéro de juillet-août* 1956, *article du P. Rouquette sur le* « *Paris intellectuel du XVI^e^* *siècle* »). *De leur côté, des théologiens dominicains ont découvert, et ils exposent dans l'introduction aux Épîtres de saint Paul, dans la* BIBLE DE JÉRUSALEM*, que l'* « *intégrisme* » *existait déjà aux premiers temps du christianisme, et que plusieurs passages de l'Apôtre sont écrits contre lui...* *Ce qui sous-entend une coupable distraction, prolongée pendant vingt siècles, du Siège romain ; celui-ci en effet a condamné des travers mineurs ou excusables comme le* « *modernisme* » *et le* « *progressisme* », *mais* JAMAIS *il n'a seulement dit un mot sur l'*intégrisme, *ce mal capital qui ronge la Chrétienté depuis vingt siècles. Heureusement que nos certains théologiens veillent pour suppléer à cette défaillance du Magistère. Leur inquisition est un peu là pour nous défendre.* \*\*\* *Après avoir été opposé à* « *modernisme* », *puis à* « *progressisme* », *ce fameux* intégrisme *est opposé maintenant à* « *laïcisme* ». *Dans* FORCES NOUVELLES *du* 11 *mai, M. Étienne Borne, secrétaire général des intellectuels catholiques d'appellation contrôlée, dénonce* deux idéologies fanatiquement ennemies et secrètement complices, le laïcisme et l'intégrisme. 88:15 *M. Étienne Borne stigmatise* cet intégrisme qui avait voulu voir dans la Séparation une abominable apostasie de la France officielle. *Et M. Borne assure *: La Séparation, en dépit des prophètes de malheur, a assuré à l'Église une utile et précieuse indépendance. *M. Étienne Borne est vraiment un grand inquisiteur. Cette hérésie* « *intégriste* » *qu'il pourfend est inconnue dans les documents pontificaux. Mieux encore : ce sont les Papes qu'incrimine là le Grand Inquisiteur.* *Car* « *les prophètes de malheur* », *comme il dit,* ce *sont les Papes ! Et au premier rang, le Pape du* « *Ralliement* », *Léon XIII, qui, dans l'Encyclique même qui est dite* « *sur le Ralliement* », *a fait la prophétie que le Grand Inquisiteur dénonce en termes insolents et définitifs.* *Léon XIII écrivait en effet dans cette Encyclique *: Vouloir que l'État se sépare de l'Église, ce serait vouloir, par une conséquence logique, que l'Église fût réduite à la liberté de vivre selon le droit commun à tous les citoyens. Cette situation, il est vrai, se produit dans certains pays. C'est une manière d'être qui, si elle a de nombreux et graves inconvénients, offre aussi quelques avantages, surtout quand le législateur, par une heureuse inconséquence, ne laisse pas que de s'inspirer des principes chrétiens ; et ces avantages, BIEN QU'ILS NE PUISSENT JUSTIFIER LE FAUX PRINCIPE DE LA SÉPARATION, NI AUTORISER A LE DÉFENDRE, rendent cependant digne de tolérance un état de choses qui, pratiquement, n'est pas le pire de tous. *Mais en France,* nation catholique par ses traditions et par la foi présente de la grande majorité de ses fils, l'Église *ne doit pas être mise dans la situation précaire* qu'elle subit chez d'autres peuples. *Et Léon XIII résume ainsi* « *l'idéal* de *ces hommes* » *qui veulent la Séparation *: 89:15 Pour tout dire en un mot, l'idéal de ces hommes serait le retour au paganisme : l'État ne reconnaît l'Église qu'au jour où il lui plaît de la persécuter (Encyclique *Au milieu des sollicitudes,* dans les *Actes de Léon XIII,* édition de la Bonne Presse, tome III, pages 121-122). *M. Étienne Borne connaît certainement l'Encyclique du* « *Ralliement* ». *M. Étienne Borne, animateur et représentant des intellectuels catholiques en France, sait certainement que* ce *n'est pas là une doctrine d'occasion et d'opportunité, qui serait maintenant dépassée, Il sait que ce fut la doctrine de Pie X, de Pie XI.* *M. Étienne Borne a certainement entendu le Pape Pie XII nous dire, dans son dernier message de Noël *: La politique du XX^e^ siècle ne peut ni ignorer ni admettre qu'on persiste dans l'erreur de vouloir séparer l'État de la religion au nom d'un laïcisme que les faits n'ont pas pu justifier. *L'hypothèse selon laquelle M. Borne ignorerait une telle doctrine, n'en aurait jamais entendu parler, et ne connaîtrait pas même l'Encyclique de Léon XIII sur le* « *Ralliement* », *et n'aurait pas davantage connaissance du dernier message* de *Noël de Pie XII, -- cette hypothèse est hautement invraisemblable.* *Le Grand Inquisiteur Étienne Borne* DOIT *savoir* QUI *il accuse en l'occurrence de l'hérésie* « *intégriste* ». *Il est bien placé pour concourir dans le championnat de l'* « inquisition *sans mandat* ». ~===============~ ### Services gratuits de « La Croix ». *Le temps semble révolu où* LA CROIX*, et d'autres à l'appel* de LA CROIX*, faisaient systématiquement campagne contre les* « *services gratuits* » *au point de donner à entendre que toute publication reçue gratuitement, à titre de propagande, devait être catégoriquement tenue, de ce fait, pour* SUSPECTE. 90:15 *Au vrai, toute publication, selon ses moyens, modestes ou puissants, assure ou s'efforce d'assurer un certain nombre* (*minuscule ou immense*) de *services de propagande pour se faire connaître par quelques spécimens à de nouveaux lecteurs éventuels.* *C'est ce que fait présentement* LA CROIX*. Selon les informations que nous avons pu recueillir dans diverses régions de France,* LA CROIX *assure un grand nombre de services gratuits d'un mois, accompagnés ou suivis d'une invitation à l'abonnement.* *Une personnalité éminente et bien renseignée nous adresse à ce sujet les remarques suivantes *: Faire des services gratuits de propagande ne saurait être tenu pour une méthode suspecte ou malhonnête, contrairement à ce qu'avait souvent imprimé *La Croix* contre ses adversaires, -- puisque cette méthode est aujourd'hui avalisée et employée par *La Croix* elle-même. On peut tenir ce comportement actuel de *La Croix* pour une réparation (malheureusement implicite) des accusations -- ou délations -- non fondées que ce journal a si copieusement répandues dans le passé... Dont acte. Mais ce que l'on ne voit pas bien, c'est comment *La Croix* se procure : 1. -- les moyens financiers ; 2. -- les adresses nécessaires pour effectuer ces distributions gratuites. Les publications qui opèrent des services de propagande ouvrent en général des souscriptions à cet effet, et demandent à leurs lecteurs de leur fournir à : la fois l'argent et les adresses. *La Croix* n'a rien fait de tel. Il y a là un petit mystère... *Nous croyons quant à nous que l'origine des énormes moyens financiers mis en œuvre par* LA CROIX depuis novembre 1956 *est une origine parfaitement honorable *: LA CROIX *a le tort, à notre humble avis, d'être sur* ce *chapitre d'une discrétion totale, que certains lecteurs* (*formés à une pointilleuse suspicion sur ce chapitre par les appréciations antérieures de* LA CROIX) *trouvent équivoque.* *Il faut se réjouir que le seul quotidien catholique de diffusion nationale ait assez d'argent pour faire une aussi vaste propagande. Nous ne pouvons nous réjouir sans réserve, en raison du caractère souvent unilatéral, voire carrément partial, des informations et commentaires* de *la rédaction politique de* LA CROIX*.* *De grands progrès ont été réalisés par ce journal, notamment en ce qui concerne une plus ample publication des documents pontificaux, conformément au désir manifesté par l'ensemble du public catholique français.* 91:15 *Le point noir reste encore celui des préférences politiques particulières de* LA CROIX*, ou plus exactement de sa rédaction politique : ces préférences peuvent bien être légitimes, elles ne sont pas les seules permises, et celles de* LA CROIX *choquent à angle droit une grande partie du public catholique, cette* « *grande majorité des catholiques français* » *qui, selon le témoignage non suspect du P. Avril dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *du* 18 *novembre* 1955, « *se classe politiquement à droite* ». *Que* LA CROIX *soit toujours, ou paraisse, systématiquement fermée à des écrivains catholiques tels que* (*citons au hasard*) *MM, André Frossard, Gustave Thibon, Pierre Boutang, Marcel Clément, Pierre Andreu, Louis Salleron, etc., qu'il n'y ait même pas pour eux dans* LA CROIX *d'occasionnelles* « libres opinions », *ou d'épisodiques* « tribunes libres » -- *voilà qui empêche de considérer* LA CROIX *comme étant vraiment le journal de tous les catholiques français.* *C'est pourquoi beaucoup hésitent à soutenir et à diffuser* LA CROIX* ; certains vont même jusqu'à refuser de s'y abonner, comme M. Louis-Georges Planes, l'éminent journaliste catholique de Bordeaux, qui* a *manifesté son sentiment par une lettre ouverte au Directeur de* LA CROIX*, publiée dans* LA NATION FRANÇAISE *du* 2 *mai, et dont nous reproduisons le principal passage *: > Monsieur le Directeur, Vous avez pris l'initiative de me faire envoyer gratuitement *La Croix* pendant un mois. Je vous en remercie, mais j'aurais scrupule à profiter de ce service, car je n'ai pas l'intention de m'abonner. J'ai donné des preuves très onéreuses et très douloureuses de l'intérêt que je porte à la presse catholique. Par conséquent, un journal qui s'appelle *La Croix,* s'il était catholique ET RIEN QUE CELA, pourrait compter a priori sur toute ma sympathie. Malheureusement, *La Croix* a pris à différentes reprises des OPTIONS POLITIQUES très contestables. C'est peut-être son droit (bien qu'il soit très dangereux de présenter comme spécifiquement catholiques des thèses fort sujettes à discussion), mais c'est certainement mon droit d'affirmer mon désaccord. C'est ce que je fais par le seul moyen qui soit à : ma disposition : en refusant de souscrire un abonnement... *Ce divorce très réel entre* LA CROIX *et la plus grande partie de l'opinion catholique comporte de multiples et graves inconvénients ; il est dommageable à* LA CROIX *elle-même. Nous voulons continuer à espérer que* LA CROIX *s'en apercevra.* 92:15 *Ce n'est pas à* 150*.*000 *exemplaires que tirerait le seul quotidien catholique de diffusion nationale, s'il cessait de contredire,* EN MATIÈRE LIBRE*, les pensées et les sentiments de la plus grande partie de l'opinion catholique : c'est à* 2 *millions d'exemplaires ou davantage. Surtout avec les moyens matériels et les appuis de toute sorte dont il dispose, et qui n'arrivent guère à le faire progresser à case du handicap des positions particulières de sa rédaction politique.* ~===============~ ### NOTULES - Depuis la célébration de son centenaire, la revue ÉTUDES, dirigée maintenant par le P. Le Blond, s.j., opère une spectaculaire évolution. *Elle devient extrémiste et polémique, dans la forme et dans le fond, tournant résolument le dos à la réputation de modération et de retenue qu'elle s'était précédemment acquise.* *Sur plusieurs points elle prend ostensiblement la relève de la revue* ESPRIT *et de la* VIE INTELLECTUELLE*.* *On sait que la* VIE INTELLECTUELLE *a disparu en décembre dernier ; on sait moins que la revue* ESPRIT*, depuis le milieu environ de l'année* 1956*, est devenue -- non sans motif -- d'une extrême prudence extérieure sur tout ce qui touche directement ou indirectement à la doctrine catholique, et parle d'autre chose.* *La relève assurée en quelque sorte par les* ÉTUDES *est l'œuvre du P. Rouquette, dans une rubrique nouvellement créée sous le titre :* « *La vie religieuse* »*. Il s'y manifeste, en effet, quelque* « *vie* »*, ou* « *vitalité* »*, avec une violence verbale et une accentuation idéologique assez surprenantes.* *Dans cette rubrique, les* ÉTUDES *ont approuvé entièrement, et sans aucune réserve exprimée ou suggérée, l'orientation qui était celle de la* VIE INTELLECTUELLE (*voir les Notes critiques de notre numéro* 12*, pp.* 93 *et suiv.*) - Dans cette même rubrique, la politique socialiste de MM. Mollet et Lacoste en Algérie a été accusée de « colonialisme » et de « chauvinisme » : *Si, maintenant, pour les* ÉTUDES*, le* CHAUVINISME *et le* COLONIALISME *commencent, dans l'éventail politique français, à partir de la S.F.I.O., on peut en conclure que sur l'Algérie aussi, les* ÉTUDES *ont adopté une position véritablement extrême : pour n'être ni* « *chauvin* » *ni* « *colonialiste* »*, il faudrait donc être encore plus à gauche que les socialistes ?* *Le texte des* ÉTUDES *à ce sujet* (*numéro de mars, page* 440) *contenait d'ailleurs une insinuation qui a fait du chemin depuis lors ; la voici :* « Il n'est peut-être pas inutile de signaler une sorte de marchandage-chantage qui semble s'esquisser dans certains milieux socialistes chauvins : on promettrait un statut de l'enseignement catholique à condition que l'Église soutienne le colonialisme et le nationalisme français outre-mer. Il va sans dire qu'un tel chantage est absolument inacceptable. » 93:15 *Non seulement les socialistes sont devenus des* « *chauvins* » *et des* « *colonialistes* » *pour les* ÉTUDES*, mais encore ils veulent soutenir le colonialisme et le chauvinisme par un* « *marchandage-chantage* »* !* *Des histoires de ce genre, on en trouve dans* L'HUMANITÉ *et dans* L'EXPRESS *: on ne s'attendait pas à en trouver dans les* ÉTUDES*...* *La caution des* ÉTUDES *a servi aux attaques contre le voyage de M. Coty au Vatican en même temps qu'à la campagne contre la présence française en Algérie, Le journal* NOUVELLE GAUCHE*, dans son numéro* 23*, daté du* 12 *au* 24 *mars* 1957 (*page* 2)*, racontait ceci, trop heureux de l'aubaine :* « M. Mollet réclame actuellement un traité avec le Vatican... Ce traité... règlerait entre autres la question scolaire et serait avantageux pour l'Église. Il permettrait aussi d'abroger la loi Barangé tout en sauvegardant les avantages acquis pour l'enseignement libre par le bénéfice de cette loi. Mais ces avantages ne seront pas donnés sans contrepartie. M. Mollet tient à obtenir le soutien inconditionnel des milieux catholiques sur sa politique, notamment sur sa politique algérienne. Mais ces exigences créent des remous dans les milieux intéressés où ce marchandage rencontre une vive opposition. A tel point que le R.P. Rouquette écrit dans le dernier numéro des *Études* (revue dirigée par les Pères, de la Compagnie de Jésus) : « Il n'est peut-être pas inutile de signaler une sorte de marchandage-chantage... etc. » *La fable lancée par les* ÉTUDES *a fait du chemin. On l'a insinuée dans les milieux de* « *gauche* » *pour* « *expliquer* » *la récente déclaration du Cardinal Feltin d'hommage à l'armée française... Nous voyons bien que plusieurs croient faire pénétrer le christianisme dans ces milieux de gauche en se montrant compréhensifs à l'égard de leurs positions politiques les plus extrêmes : cette manœuvre nous apparaît ridicule, nous ne nions pas pour autant qu'elle part d'un bon sentiment, mais nous constatons aussi son résultat, qui est de cautionner des diffamations contre l'Église, en* CONDUISANT CONSTAMMENT A EXPLIQUER LES POSITIONS RELIGIEUSES ET DOCTRINALES PAR DES MARCHANDAGES POLITIQUES. - La nouvelle orientation des ÉTUDES s'est manifestée encore dans l'approbation totale donnée au manifeste de M. Dansette contre la Papauté (numéro d'avril, pages 127-129). Cet article procède du même esprit, on y trouve cette remarque significative : « Rien, à la fin du XIX^e^ siècle, n'annonçait l'apparition d'une solide intelligentsia catholique. » *Rien, assurément, ne l'annonçait, si l'on fait abstraction de l'impulsion religieuse et doctrinale donnée par le Pape.* *Mais tout l'annonçait, si l'on se souvient que Léon XIII, durant tout son pontificat, et dès le début, travailla à la restauration de la philosophie chrétienne* (*son encyclique Æterni Patris est de* 1879)*.* *Cet aspect de l'œuvre de Léon XIII, et ses immenses conséquences, notamment en France, ce n'est évidemment pas dans l'* « *Histoire religieuse* » *de M. Dansette qu'on peut l'apercevoir.* - Dans le même article des ÉTUDES, on retrouve de vieilles attaques contre l'Action catholique (page 128) : « M. Dansette... a bien vu comment l'Action catholique s'est affrontée à une difficulté qui explique toute son évolution : les mouvements spécialisés, surtout la J.O.C., se sont trouvés *incapables* de transformer le milieu comme ils s'en donnaient la mission. De cette crise, qui est une saine crise de croissance, sont sortis les mouvements dits « missionnaires »... L'aspect le plus spectaculaire de ce mouvement missionnaire a été la tentative d'un sacerdoce ouvrier... » 94:15 *Une telle présentation des choses est fondamentalement inexacte et tendancieuse.* 1. -- *Les mouvements d'Action catholique spécialisés ne* SE SONT *donné aucune mission :* ILS L'ONT REÇUE. Et ils l'ont toujours. *Il n'est pas question de l'abandonner, en conséquence d'un prétendu échec, ou d'une* « *incapacité* » *constatée, comme les* ÉTUDES *le donnent malencontreusement à croire. Il n'est pas question qu'un mouvement missionnaire du type des prêtres-ouvriers vienne absorber ou supprimer l'A.C.O. Ces confusions ont été officiellement contredites et démenties maintes fois.* 2. -- *C'est nous qui, dans le texte des* ÉTUDES*, avons souligné le mot :* INCAPABLES. *C'est une injustice, une méchanceté, une contre-vérité. Quelle incapacité *? *Voudrait-on que la* J.O.C. *ait pu opérer l'évangélisation du monde ouvrier en trente années seulement *? *Comment peut-on* se *permettre un tel jugement *? *L'Action catholique n'a que trente ans *: *autant dire, quand on songe à la tâche qui lui a été donnée, qu'elle vient tout juste de naître. Elle n'en est qu'à ses premiers balbutiements. Elle est la grande espérance du siècle. Le risque qu'elle court, c'est de s'écarter de ses principes, ou encore de se décourager, sous l'influence de considérations du genre de celles qu'on a le regret de trouver dans les* ÉTUDES*.* *Mais enfin, le propos qui figure aujourd'hui dans les* ÉTUDES *n'est pas nouveau. Il figurait hier dans* ESPRIT*.* *Qu'on se reporte au grand article-manifeste d'*ESPRIT *sur* « *les prêtres-ouvriers et l'espé­rance des pauvres* » (*mars* 1954) : *déjà il parlait de* « l'Action catholique ancien style », *qui* « ne répondait en rien aux urgences qui ont inspiré l'abbé Godin et les prêtres-ouvriers », -- *déjà* IL PARLAIT DE L'ACTION CATHOLIQUE AU PASSÉ, *déjà il prétendait* LA JUGER SUR SON PASSÉ. *Mais l'Action catholique n'a pas de passé. Elle n'a pas plus de passé qu'un enfant qui arrive à peine à l'âge de raison.* *L'Action catholique a des principes, un esprit, un avenir : tout* ce *que défend, rappelle, restaure la note doctrinale de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques d'octobre* 1956 ; *tout ce avec quoi plusieurs tendances idéologiques sont en rupture ; tout ce à quoi les dirigeants de la* J.E.C. *viennent d'opposer leur* « *non possumus* ». *Vraiment, les* ÉTUDES *comprenaient mieux l'Action catholique il y a quelques mois, -- c'est-à-dire avant leur dernière évolution. Et nous formons le vœu, et même nous avons l'espoir, que dans quelques mois, que nous souhaitons courts, les* ÉTUDES *reviennent à une appréciation plus exacte et plus mesurée des réalités.* - Notons d'ailleurs que dans la même rubrique des ÉTUDES, deux mois plus tard (numéro de juin), on trouvait, à propos de l'A.C.O., le premier signe de cette appréciation plus exacte et plus mesurée, quoiqu'encore partielle et partiale. - Toujours dans la même rubrique, numéro de juin, une très violente polémique contre « certaines feuilles politiques françaises » (page 431). Elles ne sont pas nommées dans le corps de l'article, mais une note (au bas de la page 432) indique que sont visés le magazine mensuel C'EST-A-DIRE et le quotidien LES DEBATS DE CE TEMPS. Le second a cessé de paraître ; le premier est assez grand pour se défendre tout seul. Nous ferons seulement deux remarques : 1. -- C'EST-A-DIRE *avait publié sur la Compagnie de Jésus un article que la Compagnie a pu trouver indiscret et peut-être exagéré sur certains points. Du moins, il était beaucoup plus nuancé et beaucoup moins violent que la réplique des* ÉTUDES*. Que les religieux des* ÉTUDES*, pour contester un article qu'ils ont le droit de trouver inexact ou excessif, y mettent plus de passion et plus de violence verbale que les laïcs de* C'EST-A-DIRE*, il nous semble que c'est le monde renversé.* 95:15 2. -- *Quoi que l'on puisse penser de leurs positions,* LES DÉBATS *et* C'EST-A-DIRE *sont, parmi les journaux de droite, les plus modérés de ton. Il n'existe donc* aucune *publication de droite dont les* ÉTUDES *croient pouvoir parler sans se mettre en colère ? Ceci est une simple question.* - Dans la même page 431, les ÉTUDES ajoutent que LE BULLETIN est le plus « à gauche » des journaux catholiques, et continuent : « ...pour autant que cette expression « de gauche » ait un sens. Quant aux feuilles catholiques qu'on dit « de gauche », quelles sont-elles ? Sans doute entend-on celles qui n'approuvent pas systématiquement des positions politiques ultra-nationalistes. » *L'excès polémique, comme toujours, se condamne lui-même à une démesure croissante, jusqu'au point où* LES MOTS VIENNENT A LUI MANQUER, *c'est-à-dire* JUSQU'A EN PERDRE LA VOIX. *On a vu plus haut que le P. Rouquette se servait du mot* NATIONALISME (*et des mots* COLONIALISME *et* CHAUVINISME) *pour qualifier les positions socialistes S.F.I.O. de* MM. *Lacoste et Mollet.* *Il lui faut donc parler d'*ULTRA-NATIONALISME *pour qualifier la position des* DÉBATS *et de* C'EST-A-DIRE*.* *Il ne lui restera plus aucun mot, il ne lui restera plus qu'à s'étrangler en silence, s'il veut qualifier la position de ceux qui peuvent être* VÉRITABLEMENT *appelés* « nationalistes », *ceux qui le sont, plus ou moins, mais réellement, comme par exemple* LA NATION FRANÇAISE*,* LES NOUVELLES DE CHRÉTIENTÉ *ou* (*peut-être, dans une certaine mesure*) CARREFOUR*.* *L'excès polémique conduit ainsi à une véritable destruction du langage, à une contre-vérité foncière de la nomenclature, et à une regrettable contusion intellectuelle.* (*Et par parenthèse, nous nous demandons si la revue* Itinéraires, *qui a été* LA SEULE PUBLICATION FRANCAISE DEPUIS UN AN A CRITIQUER LE NATIONALISME DANS LA LIGNE DU MESSAGE DE NOËL 1954 CONDAMNANT LA « POLITIQUE NATIONALISTE » ET « L'ÉTAT NATIONALISTE », -- *nous nous demandons, disons-nous, si la revue* Itinéraires *serait qualifiée par les* ÉTUDES *de* « *nationaliste* » ? *ou* « *d'ultra-nationaliste* » *? ou de pis encore ?*) - Ce n'est pas tout. Les ÉTUDES nient que l'expression « de gauche » ait un sens, concernant les catholiques. *Voilà encore un autre procédé polémique qui est inacceptable. Car les mêmes* ÉTUDES*, dans la même rubrique, sous la signature du même auteur, ont approuvé sans réserve le récent livre de M. Dansette.* *Or M. Dansette y expose l'existence d'une* « *gauche chrétienne* », *il en fait le plus vif éloge, ainsi que du soi-disant* « *grand mouvement réformateur qui entraîne une fraction de l'Église de France* ». *Cela existe, et on peut en parler, quand c'est pour dire que c'est très bien. Mais par enchantement cela n'existe plus quand on vient contredire* ce *que de tels éloges ont d'excessif et de dangereux.* *Si c'est un* « *mythe* », *ou une* « *calomnie* », *de parler d'une* « *gauche chrétienne* », *alors c'est à M. Dansette et à son livre qu'il fallait en faire le reproche.* *Et cela eût été opportun, au moins en ceci :* de *cette manière, les* ÉTUDES *auraient exprimé une réserve, tût-ce une seule, et petite, sur* ce *livre qu'elles ont au contraire* si *totalement,* si *malencontreusement approuvé et recommandé.* - Enfin, le même article des ÉTUDES s'élève -- à vrai dire avec plus d'énergie que de dignité -- contre des accusations de « rébellion endémique » et de « pourriture progressiste » portées contre le catholicisme français. 96:15 *Telles du moins que les rapportent les* ÉTUDES*, de telles accusations sont en effet stupides.* *Mais il est remarquable que le polémiste des* ÉTUDES *passe simultanément sous silence les critiques et objections visant non pas un* progressisme *qui, à l'état pur, est en effet un phénomène très limité, et dépassé* (*voir l'éditorial de notre numéro* 11), *mais visant une* non-résistance, *mais visant d'autre part une complaisance envers la* socialisation : *certes, c'est un procédé polémique connu, celui qui consiste à feindre d'ignorer les objections sérieuses et fondées, et à faire mine de n'entendre que les sottises.* *Mais, encore une fois, les bras nous en tombent de constater que, passée sa centième année, la revue* ÉTUDES *s'engage maintenant dans une telle voie intellectuelle.* - Simultanément néanmoins, le P. Le Blond a publié en tête des ÉTUDES de mai un article intitulé « Charité et vérité » qui est d'une grande noblesse de ton. Fabrègues y a fait écho dans la FRANCE CATHOLIQUE du 10 mai. Cet article relève de la grande tradition des ÉTUDES. *De quoi s'agit-il *? *Essentiellement d'exhorter les publicistes catholiques à servir la vérité dans la charité, et à ne pas faire* d'INQUISITION SANS MANDAT. *Le P. Le Blond ne nomme personne.* *Il nous semble pourtant deviner que nous sommes en cause. Et que c'est notamment notre défense qu'a ainsi très généreusement voulu prendre le directeur des* ÉTUDES*.* *Car quiconque examinera les choses sur pièces s'apercevra que personne autant que nous n'a été victime, en France, depuis plus d'un an, de cette* INQUISITION SANS MANDAT. *De quoi ne nous a-t-on pas accusés !* *L'article du P. Le Blond tend à modifier ce climat de suspicion systématique dont nous avons eu tant à souffrir, et à le remplacer, comme nous y travaillons nous-mêmes depuis notre premier numéro, par un climat de dialogue et de confrontation fraternelle.* *Le propos du P. Le Blond rejoint notre* Déclaration liminaire *et nous nous en réjouissons. Nous pensons comme lui que c'est l'une des urgences du moment. Nous croyons simplement que le propos du P. Le Blond est insuffisant, dans la mesure où il demeure théorique : une théorie très vraie, que tout le monde approuvera, mais il reste à la mettre en pratique, et c'est là qu'une grande partie de la presse catholique nous paraît manquer d'imagination et de sens du concret. C'est pourquoi nous avons formulé des* PROPOSITIONS CONCRÈTES, *exposées notamment dans la* Lettre à Jean de Fabrègues *publiée dans notre numéro* 9. *Nous croyons que,* PRATIQUEMENT*, la situation ne s'améliorera guère tant que n'interviendra pas un* ACCORD EXPLICITE *sur les* PROPOSITIONS CONCRÈTES *que nous avons présentées ou, bien entendu, sur d'autres, meilleures, que l'on proposerait.* *Nos quatre propositions principales figurent aux pages* 45 *et* 46 de *notre numéro* 9. *Un accord de ce genre ne serait d'ailleurs pas une fin en soi, mais le* MOYEN *de procéder tous ensemble, et contradictoirement, à une* CLARIFICATION INTELLECTUELLE, *dans la lumière de la doctrine de l'Église : une telle clarification,* refusée par ceux qui bénéficient sociologiquement de l'état actuel de confusion, *est une étape indispensable sur le chemin de l'unité restaurée.* *On pourra se reporter à ce sujet -- toujours dans notre numéro* 9 -- *à l'article de Marcel Clément :* Les conditions de l'unité des catholiques de France. *Et, d'autre part, aux chapitres IV et V du livre de Madiran *: On ne se moque pas de Dieu. *Car les divisions entre catholiques ont aussi des causes intellectuelles, que l'on ne supprimera pas en les traitant par prétérition.* - Nous n'en avons pas reçu de service de presse, mais nous lisons dans LA CROIX du 29 mai que la Maison de la Bonne Presse annonce l'édition en brochure de la Lettre encyclique Fidei donum du 21 avril 1957 sur la situation des Missions catholiques, notamment en Afrique. 97:15 *En félicitant la Maison de la Bonne Presse pour cette heureuse initiative, nous lui rappelons notre réclamation.* *L'édition des* Actes de S.S Pie XII, *textes originaux et traduction française, s'arrête toujours au tome VII, c'est-à-dire à la fin de l'année* 1945. *Faudra-t-il organiser des pétitions publiques pour obtenir que ce retard soit promptement rattrapé ?* « Sur cette terre beaucoup de choses terreuses et terriennes nous doivent occuper. Il y a toujours quelque chose à ajuster pour nous conformer à la nature des choses et à la justice, car les circonstances changent chaque jour et on ne saurait trop bien faire. Mais notre faiblesse est telle que notre justice n'est jamais juste si la charité ne l'éclaire. Pour faire régner la justice, il faut d'abord enseigner l'amour de Dieu et du prochain. Depuis la venue du Christ, faire autrement, c'est mettre la charrue avant les bœufs. Ceux qui croient devoir réformer la société avant que de la convertir font l'erreur des Juifs et des apôtres avant la Résurrection... Ils estiment que ce n'est pas encore le temps d'adorer Dieu en esprit et en vérité. » D. MINIMUS, *Itinéraires*, n° 3. 98:15 ### La Visitation VOICI LA PLUS DOUCE DES FÊTES ; elle n'est mêlée d'aucun trouble, d'aucune misère. Noël même arrive à la fin d'une journée pleine de fatigue et d'inquiétude. Ici la Très Sainte Vierge est toute à l'Espérance, non point humaine mais à une espérance qui est l'œuvre de la Foi. Marie n'avait pour croire que la parole de l'Ange. Mais elle avait cru et portait Jésus dans son sein sans probablement que la présence de l'enfant se fût encore manifestée. Elle avait reçu un signe : « Voici qu'Élisabeth ta parente elle aussi a conçu un fils dans sa vieillesse... » Mais Marie avait cru aussitôt et complètement, et c'est dans l'allégresse qu'elle partit en toute hâte vers la montagne pour se réjouir avec sa cousine. « Elle y alla, dit saint Ambroise, non pour vérifier la prédiction et comme incertaine de la nouvelle ou doutant du miracle, mais joyeuse de son vœu, pénétrée de sa mission et se hâtant par allégresse. » Zacharie et Élisabeth étaient certainement de ceux qui parmi les Juifs attendaient le Messie avec le plus de ferveur, et eux aussi avaient leur mission dans sa venue. 99:15 Mais Zacharie avait commencé par douter, c'est-à-dire ne pas croire que « rien n'est impossible à Dieu » suivant la parole de l'ange à Marie. C'est ce qui arrive à beaucoup de gens tout proches de la foi ou même chrétiens par le baptême et qui se butent à l'institution de l'Eucharistie, à la présence réelle. Il y aurait donc quelque chose d'impossible à Dieu ? Zacharie eut son signe lui aussi. Il fut à l'instant frappé de mutisme et peut-être même de surdité, car lors de la naissance de Jean ses proches faisaient des signes à son père « pour savoir comment il voulait qu'il s'appelât » au lieu de lui parler. Le signe convertit instantanément Zacharie, très probablement, et la conception de Jean-Baptiste ne le surprit plus ; lui et Élisabeth n'en attendirent qu'avec plus de ferveur la venue du Messie promis. Pour quand ? Ils l'ignoraient. Du vivant de leur fils : c'était leur seule certitude, mais peut-être après leur mort. Marie se hâte de leur porter le Messie. La Rédemption avait commencé son effet dès la Conception de Marie, par l'existence d'une créature raisonnable débarrassée du péché originel. Marie hâta la venue du Messie par la qualité d'une prière toute pure, et telle qu'il n'en fut ni n'en sera jamais de semblable et maintenant que Jésus est conçu, dès avant sa naissance, voici que Marie est faite principal ministre de l'Église : elle porte Jésus à ceux qui l'attendent. Elle entre et salue Élisabeth : « Béni soit celui qui nous a fait vivre et subsister dans l'attente de ce temps. » C'était la bénédiction usitée quand on revoyait un ami dont on était séparé depuis plus d'un mois. 100:15 Aussitôt les miracles se précipitent et s'accumulent. Élisabeth à ce coup « remplie de l'Esprit Saint » reconnaît la mère du Messie que son fils précéderait. Elle élève la voix avec un grand cri : « Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de ton sein est béni ! Et d'où m'est-il donné que la mère de mon Sauveur vienne à moi ? Car dès que le son de ta salutation est arrivé à mes oreilles, mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. » Élisabeth était une femme âgée, Zacharie avait joué le rôle d'un tuteur pour Marie lorsqu'elle était au temple. Marie était par l'âge presqu'une fillette encore ; Élisabeth est à ce moment une prophétesse qui s'humilie devant la grandeur de Marie : « Et heureuse celle qui a cru à l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! » Au son de la voix de Marie, saint Jean-Baptiste « fut rempli de l'Esprit Saint dès le sein de sa mère », comme l'Ange l'avait annoncé à Zacharie. La voix de Marie était la voix de Dieu incarné en elle, saint Jean se trouve lavé du péché originel et doué dès cet instant ou pour cet instant d'un certain usage de la raison et d'une joie surnaturelle de l'âme. Sa vocation de prophète commence, il communique il sa mère l'avertissement de l'Esprit Saint, le mystère des voies de la Rédemption est révélé à Élisabeth Et Marie constatant ces miracles nés de sa venue et du germe qu'elle apportait exulte de joie et entonne le *magnificat.* Dans cette explosion de joie surnaturelle, Marie pleine des dons du Saint-Esprit ne se contente pas de louer et remercier Dieu, cette fleur de l'humanité, parfaitement pure, était parfaitement raisonnable. Elle jubile, mais elle enseigne, elle raccorde le passé à l'avenir, les anciennes promesses et leur accomplissement actuel. Son cantique est la paraphrase et l'aboutissement de celui d'Anne, la mère du prophète Samuel, qui longtemps anxieuse de n'avoir point d'enfant avait consacré au Seigneur le fruit qu'elle espérait. 101:15 Nous mettons côte à côte ([^46]) le cantique d'Anne et celui de Marie. On verra que Marie connaissait parfaitement l'Écriture sainte et qu'elle avait médité l'histoire de son peuple. > CANTIQUE D'ANNE Mon cœur tressaille de joie en Dieu, ma corne a été élevée par Dieu, ma bouche est ouverte sur mes ennemis car je me suis réjouie de ton secours. Nul n'est saint comme Dieu, car il n'y a pas d'autre Dieu que toi : il n'y a pas de rocher comme notre Dieu. Ne prononcez pas tant de paroles hautes, que votre bouche ne soit pas arrogante. Car Yaweh est un Dieu tout sachant et que nos actions ne subsistent pas. L'arc des puissants est brisé, et les faibles ont la force pour ceinture. Ceux qui étaient rassasiés se louent pour du pain, et ceux qui étaient affamés sont repus ; même la stérile enfante sept fois, et celle qui avait beaucoup de fils se flétrit. Dieu fait mourir et fait vivre il fait descendre au schéol et en fait remonter Dieu appauvrit et enrichit il abaisse et il élève. De la poussière il retire le pauvre, du fumier il retire l'indigent, pour les faire asseoir avec les princes, sur un trône de gloire. Car à Dieu sont les colonnes de la terre, sur elles il a posé le globe ; il gardera les pas de ses fidèles, mais les méchants périront dans les ténèbres. Car l'homme ne l'emportera pas par la force, Yaweh ! ses ennemis seront brisés ; du haut du ciel il tonnera sur eux. Dieu jugera les extrémités de la terre. Il donnera la puissance à son roi, il élèvera la corne de son Oint. > CANTIQUE DE MARIE Mon âme glorifie le Seigneur, Et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur Parce qu'il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante Voici, en effet, que désormais, toutes les générations m'appelleront bienheureuse, Parce qu'il a fait en moi de grandes choses, Celui qui est puissant Et son nom est saint, et sa miséricorde s'étend d'âge en âge Sur ceux qui le craignent. Il a déployé la force de son bras Il a dissipé ceux qui s'enorgueillissaient dans les pensées de leur cœur ; Il a renversé de leur trône les potentats Et il a élevé les petits ; Il a comblé de bien les affamés et renvoyé les riches les mains vides ; Il a pris soin d'Israël son serviteur, se ressouvenant de sa miséricorde (ainsi qu'il avait promis à nos pères) Envers Abraham et sa race pour toujours. 102:15 Les ressemblances sont manifestes, la différence de ton est éclatante. Le cantique d'Anne a une saveur juive très prononcée. Marie était aussi juive que cette Anne, descendante de l'*Oint* dont Anne annonçait la venue, élevée aux mêmes mœurs et aux mêmes pratiques. Mais le chant de Marie est chrétien, c'est « une flamme de l'amour jubilant », dit saint Bernardin de Sienne. Il est joyeux, tendre est *universaliste :* « Toutes les générations m'appelleront bienheureuse » et non plus seulement les descendants d'Israël. Il en appelle à la miséricorde, non à la puissance. Il a sa source dans la présence du Christ en Marie. Marie est membre du Christ et nous répétons solennellement son cantique avec la même jubilation, comme membres du Christ. Nous, aussi, avons Jésus en nous, et nous sommes les temples du Saint-Esprit. « Ô chrétien, reconnais ta dignité ! » Nous sommes les rameaux de la vigne sainte dont Marie est la racine naturelle. Mais c'est Dieu qui donne la *sève* à la racine même ; et notre devoir consiste à donner les fruits attendus. Les plus humbles donneront les meilleurs ; les vignerons savent que ce ne sont pas les plus gros bourgeons qui donneront le plus de fruit : ces bourgeons-là sont appelés des *gourmands,* ils prennent la sève sans donner de fruit et on les retranche. 103:15 Notre-Seigneur savait cela ; il avait taillé la treille de saint Joseph. Cette grandeur spirituelle des humbles est cachée, comme dit Pascal, aux grands de la terre et aux savants, elle est d'un autre ordre. Essayons de nous maintenir dans cet ordre. Toutes les actions et pensées de Marie étaient un gain pour l'humanité tout entière, bien qu'elles fussent cachées et comme obscures pour toute la terre. Voyez quels fruits de sainteté et de bénédictions rapporte sa première démarche après l'Incarnation. Or nous sommes aussi en voyage sur la terre : rien qui ne change, rien qui ne passe, tout chrétien doit se reconnaître en état de visitation ; il porte Dieu et s'il est fidèle, le Saint-Esprit le meut. Ses actions et ses pensées sont-elles un gain pour l'humanité ? La prière suffit, et l'exemple, et en outre ce à quoi Dieu nous invite par les dons qu'il fait, par les circonstances qu'il offre, par l'enseignement de l'Église : Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'En-Haut. Non celles de la terre. Et maintenant en présence du mystère de la Visitation, comment ne pas s'étonner de l'aveuglement de ceux qui se refusent à honorer la Très Sainte Vierge dans son action présente ? Marie a raconté elle-même à saint Luc ce que cet évangéliste a rapporté : Saint Luc avait l'esprit d'un historien et voulait connaître les tenants et les aboutissants, mais Marie, épouse du Saint-Esprit, ne lui a raconté que ce qu'elle jugeait utile à l'Église. Après le miracle de Cana elle ne parle plus de tout l'Évangile. Or ce miracle établit, avec la liberté de la Sainte Vierge, son action sur l'âme du Christ. Par une merveille de la grâce et de la Providence divine, Marie, mue par la Sainte Trinité, agit sur le Verbe en tant qu'incarné, et c'est en quoi elle peut être appelée corédemptrice. Pure en vue de l'Incarnation, rachetée d'avance par le sang de son Fils, cette pureté même et son rôle de Mère unissent ses souffrances à celles de la Croix dans une action concurrente en agissant sur l'âme du Christ. C'est en quoi elle est Reine. 104:15 Dans le mystère de la Visitation Marie est très manifestement l'instrument de Dieu pour apporter le Christ aux : âmes prédestinées ; par sa venue portant le Christ, saint Jean-Baptiste est sanctifié dès le sein de sa mère, Élisabeth prophétise. Mais rien n'est fini avec la vie de Notre-Seigneur, ou celle des apôtres, ou celle de Marie ; tout commence, ou tout continue. Jésus a fondé une Église visible où le successeur de Pierre continue à paître agneaux et brebis, où la Sainte Vierge Marie continue ses « Visitations ». Elles s'accomplissent d'abord par sa prière dans la Gloire, où elle continue comme sur la terre à mêler sa causalité à la causalité divine du Fils de l'Homme. Elle agit ainsi sans que nous en prenions garde, mais en vertu de ce qu'elle nous fait connaître dans l'Évangile et que nous devrions savoir. Elle montré enfin par ses interventions dans le siècle, rue du Bac, à la Salette, à Lourdes, à Fatima que cette visitation spirituelle continue et qu'elle est dans l'ordre providentiel du salut. Oui, dans une simple ruelle crottée menant à un bac par où le passeur faisait autrefois traverser la Seine en face des Tuileries, dans cet amoncellement de matière et de mécaniques où si peu de gens pensent à lui, le ciel vient en visite hier, aujourd'hui, demain : c'est la Reine du ciel qui est la Messagère de Dieu. Et pour remédier à la grossière insuffisance qui est la nôtre à parler de ces merveilles, finissons par un répons de l'office de la Visitation où l'Ancien Testament rend au Nouveau la lumière qu'il en reçoit : « Lève-toi et avance, mon amie, ma toute belle ; voici l'hiver passé, la pluie cesse et s'en va ; la voix de la tourterelle s'est fait entendre sur notre terre. -- Marie entre dans la maison de Zacharie et salue Élisabeth Et la voix de la tourterelle s'est fait entendre sur notre terre. » D. MINIMUS. 105:15 ## Enquête sur la Corporation *Pour le dossier du corporatisme* par Hyacinthe DUBREUIL CHACUN SAIT qu'il y a des mots qu'une propagande prolongée a tellement chargés d'un sens particulier qu'ils sont devenus comme des armes équivalentes au fameux « argument massue », mais avec cet avantage immense qu'ils n'imposent aucun effort cérébral. Ainsi du mot réactionnaire. Ainsi du mot « fasciste », dont ceux qui l'emploient auraient souvent de la peine à définir ce qu'ils entendent par là. Et dans ce catalogue figure naturellement le mot corporatisme, que bien entendu il est interdit de considérer tranquillement. Cependant, le fait est que ces mots suffisent parfois à faire reculer de braves gens qui ont grand crainte de se voir désigner par une telle épithète. Pour ne pas paraître fasciste ou réactionnaire, combien sont prêts, sans examen, aux plus dangereuses concessions. Le courage nécessaire pour affronter le mensonge audacieux qui passe n'anime pas toujours ceux qui seront un jour ses victimes. C'EST PEU A L'HONNEUR de la nature humaine, mais il arrive souvent que l'hostilité éloquente que l'on emploie contre certaines idées n'est qu'un paravent destiné à cacher des préoccupations très vulgaires. Considérez les choses attentivement, et vous découvrirez que toute opposition violente dissimule presque toujours et tout simplement des intérêts. Et rien n'est plus difficile que de déplacer des intérêts. Rien n'est défendu avec plus d'acharnement. 106:15 Car on peut remarquer, par contraste, qu'une opposition fondée sur de bonnes raisons s'exprimera généralement sans donner les marques d'une fureur particulière ou d'un parti pris fermé à tout examen tranquille. Comme si celui dont les intentions sont pures était convaincu, au fond de sa conscience, qu'il pourra triompher seulement grâce à la vertu de sa bonne foi... L'opposition à toute idée d'une organisation sociale basée sur le corporatisme ne fait naturellement pas exception à cette règle des intérêts, dissimulés sous l'apparence de raisons inspirées par le souci du bien public. Quelle est en effet ra question essentielle que pose ce système d'organisation ? Rien de moins que de provoquer le transfert du pouvoir en d'autres mains que celles qui le détiennent actuellement. Si l'on ne perd pas de vue cet aspect, on comprend tout de suite que la question en jeu justifie, ou plutôt explique, la puissance mise dans une opposition qui ne reculera devant aucun moyen pour conserver ses positions. Il faudrait une longue analyse pour éclairer complètement une telle question. Aussi faut-il résumer son caractère en disant que l'organisation corporative introduirait une transformation qui ne se fera pas sans peine, mais qui devra un jour traduire, dans l'élaboration du pouvoir, une évolution qui se poursuit depuis longtemps et en silence dans la vie des sociétés. Que voit-on quand on examine l'action de nos gouvernements d'aujourd'hui ? Ne sont-ils pas re plus souvent occupés de poursuivre l'établissement d'un équilibre dans la vie économique ? Cet équilibre qui est sans cesse remis en question par les secousses qui résultent des poussées désordonnées de la « production » ou de la « consommation ». Ou bien de la préservation de ressources vitales, comme le montre l'affaire de Suez. Or, si l'on considère l'origine et les capacités réelles des hommes qui détiennent le pouvoir de gérer ces énormes intérêts, on est bien obligé de constater que le suffrage universel n'a pas été en mesure de sélectionner, parmi les valeurs que compte certainement la nation, celles qui possèdent la compétence nécessaire. ([^47]) 107:15 Si, en face de ce personnel politique, on considère celui qui possède la charge réelle de la vie économique, sous ses aspects production, consommation, ou échange, on peut constater que par le maniement et l'expérience d'intérêts considérables, des hommes nouveaux apparaissent. Des hommes qui sont obligés de s'élever à des conceptions générales dont le petit fabricant ou commerçant d'autrefois n'avait pas la moindre idée. Car les problèmes qui se posent à l'intérieur des grands organismes économiques d'aujourd'hui, prennent de plus en plus l'aspect de véritables problèmes de gouvernement. Il faudrait exposer en détail les difficultés qu'il faut résoudre pour tenir une grande entreprise en équilibre, pour mesurer la valeur des capacités intellectuelles dont il faut y faire preuve. On sait d'ailleurs que ceux qui occupent de si hautes fonctions ne s'y maintiennent qu'en s'entourant de conseillers. Pour éclairer là-dessus le public, il faudrait, par exemple, l'initier aux perspectives nouvelles qui sont maintenant ouvertes devant les administrateurs par ce qu'ils appellent la « recherche opérationnelle ». Ils y verraient comment on explore tous les aspects d'un problème avant de prendre une décision. Le public a une vague idée de la stratégie militaire. Mais il ne se doute généralement pas que la gestion d'une grande entreprise pose devant ses administrateurs des problèmes non moins complexes. Il ne voit que ce qui lui arrive chez le détaillant, mais les responsabilités qu'il a fallu prendre depuis la découverte de la matière première lui échappent complètement. Quel est le résultat de cette activité, nouvelle dans l'Histoire ? N'est-elle pas forcément de former aussi des hommes nouveaux, dont la compétence serait hautement profitable, si elle était appliquée au soin des affaires publiques autant qu'aux affaires privées ? Mais j'entends tout de suite qu'on va essayer de me barrer la route avec un autre mot, de création récente, celui de « technocrate ». Mais s'il suffit de mots pour nous barrer la route, alors ce serait une démission trop facile à obtenir. Nous repousserons donc cette idée de démission, sans nous décourager de regarder les choses comme elles sont, et de dire que l'on doit mettre fin à la « Républiques des professeurs », sans pour cela accepter d'être gouvernés par des hommes qui, eux aussi, ne seraient que des techniciens. 108:15 ALORS QUE L'HOMME tant soit peu informé comprend quelle est la fragilité et l'incertitude de ce qu'on appelle l'Histoire, il faut se souvenir que les masses, sans leur besoin de certitude, ne s'embarrassent pas des scrupules de l'honnête historien qui connaît ses limites. On leur a fait accepter des images sommaires, et la tranquillité de leur esprit est assurée. C'est pourquoi vous pouvez demander à la première personne venue quelle est son opinion sur le corporatisme, et l'entendre aussitôt répéter les clichés de l'école primaire sur la malfaisance des associations professionnelles de l'ancien régime, l'étroitesse de leur point de vue, et surtout leur fameux « égoïsme ». Ce préjugé populaire de l'égoïsme corporatif est si profondément ancré que même dans nos syndicats modernes il règne encore souvent comme un véritable dogme, ce qui peut paraît ; contradictoire -- et l'est en effet -- avec le sens même du syndicat, qui est cependant fondé sur les affinités professionnelles. Très souvent, les éléments les plus « avancés » repoussent l'idée de solidarité professionnelle, pour lui substituer une base assez large pour que les liens du métier y disparaissent, sans s'apercevoir qu'en voulant détruire ces liens ils font sortir le syndicat du plan économique pour le faire passer sur le plan politique. En effet, dans un « Parti », les adhérents sont groupés autour de théories et d'idées, et non pas en vue des intérêts « économiques et professionnels », tels qu'ils sont prévus et définis dans la loi de 1884. Ce sont là des détails qui nous montrent les conséquences de la manière dont on nous a enseigné l'Histoire, en fixant dans l'esprit les mots qui empêchent tant de citoyens de regarder les choses en dehors de tout préjugé. D'ailleurs, il faut bien avouer que les ouvriers eux-mêmes ne savent pas toujours tirer la leçon des faits que la vie syndicale peut mettre sous leurs yeux. Car souvent des faits éclairent tout à coup des problèmes devant lesquels le simple raisonnement pouvait nous laisser perplexes. Je me souviens ainsi d'un épisode dans lequel le fameux « égoïsme corporatif » avait trouvé automatiquement sa contrepartie et son remède, justement par le simple jeu de l'organisation corporative elle-même. 109:15 Un jour, dans l'organisme directeur de la C.G.T., le représentant d'une Fédération, en l'occurrence celle du personnel des Manufactures des Tabacs, réclamait la solidarité des autres organisations en faveur d'une revendication de salaire, alors pendante devant le Ministère des Finances. Le Ministère refusait cette augmentation en se basant sur les traditionnelles difficultés budgétaires. Or, en exposant tous ses arguments devant les autres Fédérations, le représentant de celle des Tabacs laissa finalement échapper une parole malheureuse : Après tout, dit-il, s'il n'y a pas de fonds pour nous payer davantage, « il n'y a qu'à » augmenter le prix du tabac... Mais j'entends encore la brusque explosion des protestations des autres délégués présents : Tous étant des fumeurs ! N'est-ce pas là un trait de lumière qui nous montre que s'il est réel que l'on trouve dans un corps particulier l'égoïsme corporatif, il trouve automatiquement son contrepoids dans celui des autres corporations qui, devant chacune des autres, se trouvent inversement dans la position du consommateur, et auront par conséquent des réactions de consommateur. Ce qui nous montre comment un régime corporatif trouverait en lui-même son propre antidote. C'EST AINSI que la seule vie syndicale normale serait de nature à nous permettre de faire maintes observations valables, pour répondre aux mots que l'on nous oppose, si l'on prenait la peine de les faire en toute indépendance d'esprit. Ainsi, on se rappelle que la fameuse Loi Le Chapelier, de 1791, avait qualifié de « prétendus » les « intérêts communs » des membres d'une profession. Cependant, comme ces forces de la nature auxquelles rien ne saurait résister, les intérêts communs ont reconquis droit de cité, au cours du XIX^e^ siècle, principalement grâce aux efforts des ouvriers. Et si le sociologue voulait bien examiner attentivement les phénomènes intérieurs de l'élaboration syndicale depuis un siècle et demi, il y trouverait d'utiles enseignements pour la formation d'une nouvelle société politique, qui émanerait cette fois de la vie réelle de la population, au lieu d'être basée sur des idéologies dont nous voyons de plus en plus l'impuissance devant les responsabilités qui sont issues des temps nouveaux. Pour créer le fameux « ordre nouveau » dont chacun rêve, il ne serait pas inutile de considérer l'apport que les syndicats ouvriers nous offrent dans ce domaine. L'élaboration progressive de la structure interne de la Confédération Générale du Travail, 110:15 qui fut réalisée en dehors de toute conception théorique préalable, est probablement la préfiguration de la structure qui devra un jour soutenir la société tout entière ([^48]). Par des tâtonnements successifs, entièrement similaires à ceux qui avaient amené les constructions sociales du passé, la C.G.T. avait trouvé des solutions pratiques à maintes difficultés qu'elle avait rencontrées au cours de cette élaboration. Par exemple, il s'était posé dans son sein un problème entièrement identique à l'un de ceux que l'on observe actuellement dans cette grande Fédération inachevée qu'on appelle les Nations Unies. On sait qu'on y constate combien il est anormal que des États minuscules jouissent du même droit de vote que les plus grands. Or, dans le champ des professions ou industries, il en est de même. Il est des Fédérations qui possèdent de gros effectifs et d'autres dont les possibilités de recrutement sont très réduites. Par exemple, il n'y a pas autant de bijoutiers que d'ouvriers de la Métallurgie. Si alors, dans un collège formé par les seules Fédérations, chacune dispose d'une seule voix, il est évident que l'on pourrait y être en présence de la même situation que l'on critique aux Nations Unies. Mais il y a longtemps que les syndicats ouvriers ont trouvé une solution à cette anomalie par le moyen d'une double représentation. Les syndicats, en effet, sont affiliés à deux sortes de groupements secondaires. D'abord un groupement interprofessionnel à caractère territorial, les Unions Départementales, dans lesquels les syndicats de toute professions sont réunis pour des raisons d'intérêt commun à tous, par exemple pour les questions relatives à la législation sociale. Dans l'organisme qui détermine la politique générale de la C.G.T. les Fédérations et les Unions Départementales siégeant ensemble et y jouissant du même droit de vote, le déséquilibre des effectifs fédéraux se trouve ainsi réduit. Ce qui permet d'observer que, dans cette instance supérieure, chaque syndiqué se trouve représenté deux fois, puisque son influence s'exerce par deux canaux. Peut-être est-ce dans un système analogue de double représentation que, les Nations Unies trouveront un jour le remède à l'impasse actuelle ? 111:15 LA VIE PASSÉE de la C.G.T. permet ainsi de répondre à beaucoup de questions ou d'objections qui peuvent venir à l'esprit de celui qui réfléchit aux problèmes corporatifs. Par exemple aussi, le cas de très petites corporations qui ne sauraient avoir les ressources suffisantes pour constituer une administration autonome. Dans des cas semblables il est arrivé que le collège des autres Fédérations a pu les prendre en charge ou les aider d'une manière quelconque. Un aspect curieux de la vie de la C.G.T. se trouve dans son mode de financement, que les personnes occupées de la réforme de notre système fiscal pourraient peut-être étudier avec profit. Vers 1910, la C.G.T. n'avait pas encore été reconnue comme un « organe représentatif » des intérêts ouvriers. On ne faisait pas appel comme aujourd'hui à la collaboration de ses représentants dans maints organismes d'État, comme par exemple le Conseil Économique. Elle n'était qu'au stade préliminaire des batailles qui précédèrent ce nouvel état de choses, et ses rapports avec le « Pouvoir » étaient parfois si mauvais que ses militants prenaient plus souvent le chemin de la prison que celui des Ministères. Circonstances qui donnaient souvent lieu à des perquisitions dans ses bureaux. Or, lors d'une telle perquisition, et comme on n'avait trouvé qu'une très faible somme d'argent dans le coffre-fort, la presse était fort perplexe à ce sujet. On s'y demandait comment, avec de si faibles ressources, cette organisation pouvait entreprendre des actions d'une telle envergure et exercer sur l'ensemble du pays une telle influence. Cela paraissait une énigme. Mais c'était une énigme facile à expliquer et qui pourra peut-être aussi ouvrir des horizons, sur un système fiscal futur, dans lequel un État enfin décentralisé ne pomperait plus toutes les ressources du pays. L'explication du vide du coffre-fort de la C.G.T. était fort simple : La plus grande partie des cotisations des adhérents des syndicats restait entre les mains des syndicats eux-mêmes, le financement des divers organismes ou instance supérieures s'opérant de la manière suivante. Sur la cotisation de chaque adhérent, un faible pourcentage était prélevé pour constituer la cotisation du Syndicat à sa Fédération, organe secondaire. A son tour, sur les sommes ainsi encaissées, la Fédération prélevait un autre pourcentage destiné au financement de la troisième instance, la C.G.T. Cette dernière assurant ainsi seulement ses frais administratifs et sa propagande générale. 112:15 C'est, on le voit, l'inverse de notre système fiscal, où tout passe directement entre les mains de l'État, qui redistribue ensuite comme vous savez les fonds reçus de contribuables... Sans vouloir pousser plus loin cet examen sommaire, je voudrais néanmoins verser au dossier du corporatisme un autre argument dont chacun appréciera la valeur. Ceci par une indication qui montrera que si les bénéficiaires du régime politique actuel protestent bruyamment à chaque occasion contre toute idée de corporatisme, ils savent garder un prudent silence sur le fait que nous avons déjà de grands organismes nationaux qui présentent toutes les caractéristiques de la corporation. Mais comme ces corporations disposent d'une grande puissance électorale, bien loin d'en critiquer l'existence, on les protège de mille manières, et on peut même ajouter qu'on les comble de véritables privilèges qui tendent fortement à ressembler à ceux que l'on attribue à l'ancien régime. Il est même probable qu'en raison du nombre des bénéficiaires, ils doivent être plus coûteux... En effet, sans que le public s'en rende compte, nous avons des corporations, aussi étroitement organisées que pouvaient l'être celles de l'ancien régime, et certainement mieux protégées par le pouvoir que celles d'autrefois. Ce sont tout simplement les industries et services d'État dans lesquels six ou sept cent mille citoyens de ce pays bénéficient d'une situation entièrement différente de celle du personnel des entreprises privées, sous le couvert de ce qu'on appelle pudiquement les « régimes spéciaux ». On sait que, par exemple, le personnel des Assurances sociales jouit d'un régime entièrement différent de celui qui fait la queue à ses guichets. Ou bien que le laboureur jouit d'un régime très inférieur à celui du facteur qui lui apporte ses lettres. S'il y a une injustice sociale, celle-ci est bien caractérisée, et l'attends que l'on me démontre pourquoi le laboureur est un citoyen moins intéressant pour la République que le porteur de lettres. Les observations de ce genre pourraient être longuement multipliées. Par exemple l'ouvrier qui paie sa note de gaz paie en même temps celle de l'employé qui vient vérifier son compteur... Ce qui fait que, dans la République, soi-disant « une et indivisible », il y a deux catégories de citoyens. 113:15 Ceci est un autre sujet qui rentre aussi dans le cadre des études corporatives, car dans ce seul cadre de la solidarité sociale, l'organisation sur la base professionnelle serait seule en mesure d'assurer à tous un traitement équitable. Car les observations que je viens de faire ne sauraient signifier que je désapprouve les « régimes spéciaux ». Bien au contraire, j'estime qu'ils constituent un exemple qui devrait être étendu à toute la nation. L'organisation dont jouissent par exemple les Cheminots devrait être appliquée dans toutes les autres industries. Pourquoi, je le demande, les ouvriers du Bâtiment, de la Métallurgie, et tant d'autres, n'ont-ils pas le droit d'être couverts par des institutions autonomes identiques à celles des Cheminots ou des Employés des Postes ? Parmi tant de choses « qui ne peuvent pas durer », il paraît évident que cette division en deux catégories du personnel de la nation ne saurait être prolongée indéfiniment. Mais je ne me fais aucune illusion là-dessus, pour la raison que l'ai mentionnée plus haut, à savoir que rien n'est plus difficile que de déplacer des intérêts. Et ceux du personnel politique qui s'est si agréablement installé dans le régime actuel ne se laisseront évidemment pas faire, sans utiliser toute l'artillerie des mots dont la foule aime à se repaître... Cependant l'Histoire n'est pas terminée. Relisons alors Berdiaeff : « On sera obligé de retourner de nouveau à la nature, à l'économie rurale et aux métiers... » Les anciennes classes et castes disparaîtront, et à leur place on verra surgir des groupes professionnels de travail spirituel et matériel. Un grand avenir attend les unions professionnelles, les coopératives, les corporations... Hyacinthe DUBREUIL. Note I. Pour répondre complètement à la question posée par M. René Gillouin dans le n° de décembre, il faudrait procéder à une analyse des comptes rendus sténographiques des Congrès ouvriers des années 1910, et par exemple de ceux de la Fédération des métaux. C'est en effet à cette époque que, selon l'expression de M. René Gillouin le mot de corporation a été « banni du vocabulaire prolétarien ». A mon avis, ayant vécu cette période syndicale, il faut voir là une réapparition de l'esprit centralisateur jacobin, par une nouvelle et inattendue aversion des libertés locales et professionnelles. La dispersion des ouvriers en groupements de faible étendue parut une raison d'impuissance. Préoccupés d'augmenter leur capacité de combat, les ouvriers en virent un moyen dans un processus de centralisation, par la « fusion » -- terme populaire à l'époque -- d'organisations jusque là autonomes, en cédant ainsi à une curieuse illusion. En effet, l'organisation qui recevait ainsi de nouveaux effectifs croyait augmenter sa puissance. 114:15 Mais en face de la réalité du travail ce n'était bien entendu qu'une apparence, puisque rien n'était changé à la base, où le syndicat n'était pas augmenté d'une unité. De fait, ce fut une opération dans laquelle l'idée de la centralisation fut substituée à celle du fédéralisme. L'auteur de ces lignes peut-il ajouter qu'il fut le secrétaire d'une organisation qui portait encore en 1912 le titre d' « Union Corporative... » Note II. Pour la recherche d'une future structure sociale, puis-je sans indiscrétion attirer aussi l'attention sur... l'organisation ecclésiastique. Si je prends la liberté -- dont on m'excusera -- de la mettre en parallèle avec l'organisation ouvrière, c'est que je crois que l'on pourrait aussi probablement y trouver des dispositions qui résultent également d'une longue expérience beaucoup plus longue évidemment que celle des syndicats. Je ne saurais y insister, mon information étant bien entendu fort sommaire. Je prendrai seulement un exemple à rapprocher de ceux que j'ai invoqués sur le plan syndical : celui des procès en béatification. Si je suis bien informé, il y a là une disposition admirable de sagesse, et certainement dictée par l'expérience pour se garder des emballements passagers. D'après ce que je crois savoir, toute proposition dans ce sens ne sera examinée que cinquante ans après son dépôt ! Si cette heureuse disposition était appliquée pour nos célébrités éphémères, nul doute qu'il y aurait moins de « navets » sur nos places publiques ! H. D. « Il y a une attente du monde vis-à-vis des chrétiens. Ce que le monde attend n'est pas un changement de structures économiques pour être heureux sur la terre, car les hommes savent qu'ils ne peuvent l'être ; il attend des chrétiens un sens pour la mort et une raison de vivre. » D. MINIMUS, *Itinéraires,* n° 8. 115:15 ## DOCUMENTS 116:15 ### LA VISITE À ROME L'OSSERVATORE ROMANO*, édition française du* 17 *mai, rappelle, à propos de la visite du Président Coty au Vatican, les rapports de la France et du Saint-Siège *: La visite du Président de la République française au Souverain Pontife est une page lumineuse à l'histoire plus que millénaire des relations entre la France et le Saint-Siège. Particulièrement lumineuse, justement parce qu'il s'agit d'une manifestation rarissime de ces relations. On ne compte à ce jour que quatre visites d'un Chef d'État franc ou français au Latran ou au Vatican. Charlemagne y vint en 781 pour le baptême de ses fils Pépin et Ludovic, célébré par Adrien 1^er^ qui introduisit alors dans les prières liturgiques l'oraison pour les rois de France, étendue ensuite à tous les chefs d'État ; en 787... et finalement en 800 pour être couronné « empereur romain ». Ce fut ensuite le tour de Charles VIII, qui se rendit auprès du Pape le 18 janvier 1495 pour « attester » à Sa Sainteté les sentiments filiaux de ses prédécesseurs... Pie XII est le successeur de saint Léon qui rendit visite à Charlemagne en 800 ; de Pascal II, qui fut accueilli à Paris par Philippe I^er^ en 1106 ; de Pie VII, qui se rendit dans cette même ville pour le couronnement de Napoléon I^er^ en 1804. *L'allocution prononcée en français par S.S. Pie XII le* 13 *mai a été reproduite par l'ensemble de la presse française. Elle se terminait par ce souhait *: Que la doctrine du Christ, qui est pour les nations source intarissable de lumière, de civilisation et d'amour, resplendisse et brille de toutes parts sur votre douce et grande Patrie, et lui apporte, à la vue des glorieux exemples du passé et des clairs besoins du présent, un regain de vie et d'ardeur en vue des conquêtes pacifiques les plus hautes, pour le bien-être et le vrai progrès de tout le genre humain. ~===============~ 117:15 ### L'ENCYCLIQUE DU 16 MAI 1957 *Le Saint-Père a publié le* 16 *mai une Encyclique dont les première lignes définissent l'objet *: A la fin du troisième siècle écoulé depuis sa mort, Nous désirons que *tous les catholiques du monde entier,* et particulièrement les fils de la très chère Pologne qui ont en lui un titre d'honneur et un exemple sublime de courage chrétien, se souviennent avec piété du martyre et de la sainteté d'André Bobola, cet invincible athlète du Christ. *Le texte de cette Encyclique a paru dans* L'OSSERVATORE ROMANO*, édition* en *langue française, numéro du* 31 *mai.* *La première partie* « *retrace brièvement les traits principaux de la vie et de la sainteté d'André Bobola, pour que, dans le monde entier, tous les fils de l'Église catholique non seulement le regardent avec admiration, mais imitent avec une égale fidélité son orthodoxie, sa foi intacte et le courage de celui qui a combattu jusqu'au martyre pour l'honneur et la gloire de Jésus-Christ* ». *La seconde partie déclare notamment *: Aujourd'hui, hélas, en plusieurs endroits, la foi chrétienne s'affaiblit ou risque même de s'éteindre. Beaucoup ignorent presque la doctrine de l'Évangile ; d'autres, ce qui est pis, la rejettent tout à fait comme dépourvue de sens pour les hommes d'un siècle en progrès et qui croient pouvoir, sans Dieu et par eux-mêmes, c'est-à-dire par leur intelligence, leurs forces et leur puissance, se procurer sur cette terre tout ce qu'il leur faut pour vivre, travailler, triompher des secrets de la matière et les mettre à leur service pour le bien commun de tous leurs concitoyens. Il y en a même qui s'efforcent d'arracher complètement la foi chrétienne de l'âme des autres, en particulier des ignorants et des simples, ou de ceux qui sont déjà contaminés par leurs erreurs -- cette foi qui reste, pour les plus malheureux surtout, la seule consolation de cette vie mortelle -- et leur promettent un bonheur merveilleux, impossible à conquérir sur cette terre d'exil. 118:15 Quoi qu'elle cherche, quoi qu'elle tente, la société humaine, quand elle erre loin de la loi de Dieu, ne jouit pas de la tranquillité désirée et de l'accord des esprits dans la paix, mais connaît le trouble et l'angoisse comme un homme tourmenté par la fièvre ; lorsqu'elle cherche anxieusement les richesses terrestres, les commodités, les plaisirs et met en eux seuls sa confiance, elle poursuit une ombre et s'attache à ce qui passe. SANS UN DIEU SOUVERAIN ET SA LOI SAINTE, il n'existe pour les hommes AUCUN ORDRE STABLE, aucun vrai bonheur, PUISQU'IL N'Y A PLUS DE FONDEMENT SOLIDE POUR LA VIE PRIVÉE NI POUR L'ORGANISATION DE LA VIE SOCIALE. En outre, vous le savez, seuls les biens célestes et éternels, et non ceux qui passent, peuvent entièrement combler et rassasier notre âme. \*\*\* On ne peut affirmer non plus ce que plusieurs prétendent témérairement : que la doctrine chrétienne obscurcit les lumières de la raison. Elle accroît plutôt leur clarté et leur force en la détournant des fausses apparences et en l'amenant à une compréhension des choses plus large et plus profonde. ...... Il ne faut donc pas croire que l'Évangile, c'est-à-dire la doctrine de Jésus-Christ que l'Église catholique interprète légitimement par mandat divin, est périmé et dépassé. Il est vivant et fort, et seul capable d'indiquer aux hommes le chemin sûr et direct vers la vérité, la justice et toutes les vertus, de leur assurer l'entente fraternelle et la paix, et de conférer à leurs lois, à leurs institutions, à leur communauté, des garanties solides et inébranlables. ...... Puisque, Vénérables Frères, la religion catholique connaît aujourd'hui en de nombreux endroits une situation difficile, il faut PAR TOUS LES MOYENS LA PROTÉGER, L'ÉTENDRE, LA PROPAGER. Vous serez aidés dans une tâche aussi grave non seulement par les ministres sacrés qui doivent vous assister en vertu de leur charge, mais aussi par tous les laïcs généreux qui sont prêts à combattre les combats pacifiques de Dieu. Plus grande est l'audace que les ennemis de Dieu et du christianisme mettent dans leurs attaques contre Jésus-Christ et l'Église qu'Il a fondée, plus vive doit être la réaction non seulement des prêtres 119:15 mais aussi de tous les catholiques, par la parole, par leurs écrits et surtout par leur exemple, en épargnant toujours les personnes mais en défendant la vérité. Si, dans ce but, il est nécessaire de vaincre beaucoup d'obstacles et de sacrifier ses biens et son temps, qu'on n'hésite jamais en se souvenant de la maxime : faire des choses difficiles et souffrir beaucoup, c'est le propre du courage chrétien, et Dieu lui-même le récompensera du plus grand prix, la béatitude éternelle. Si vraiment nous voulons tendre chaque jour à la perfection de la vie chrétienne, ce courage implique toujours quelque forme de martyre ; car ce n'est pas seulement par le sang versé que l'on rend à Dieu témoignage de sa foi, mais aussi en résistant constamment à l'attrait du vile et en consacrant entièrement, avec générosité et libéralité, ce que l'on est et ce que l'on a, à celui qui est notre Créateur et Rédempteur et sera un jour dans le ciel notre joie sans fin. ~===============~ ### Pie XII : Les intellectuels catholiques et la communauté mondiale en formation *Le* 25 avril 1957, *le Saint-Père s'est adressé aux participants de la XI^e^ assemblée plénière de* « *Pax romana* », *et leur a parlé du sujet de leur réunion *: « *La situation et le rôle des intellectuels catholiques dans la communauté mondiale en formation* ». *Le texte français est celui de* L'OSSERVATORE ROMANO *du* 28 *avril. Nous imprimons en capitales certains des passages qui nous ont plus particulièrement frappés *: Depuis quelques années surtout, les hommes et les peuples assistent, non sans étonnement ni angoisse, A L'ÉVOLUTION ACCÉLÉRÉE DES STRUCTURES INTERNATIONALES : si les merveilleux progrès des relations humaines en de nombreux domaines, matériel, intellectuel et social les réjouissent, ils ne peuvent s'empêcher parfois de CRAINDRE QUE L'UNIFICATION VERS LAQUELLE LE MONDE MARCHE A GRANDS PAS NE S'EFFECTUE DANS LA VIOLENCE ET QUE LES GROUPES LES PLUS PUISSANTS NE PRÉTENDENT IMPOSER A L'HUMANITÉ ENTIÈRE LEUR HÉGÉMONIE ET LEUR CONCEPTION DE L'UNIVERS. L'inquiétude est d'autant plus grande que, d'un conflit mondial, les armes modernes feraient un désastre épouvantable. Certains se demandent donc si l'évolution précipitée du monde ne conduit pas toute la famille humaine vers la catastrophe ou la tyrannie. Et ceux qui, comme vous, perçoivent par la foi l'immense et éternelle tragédie du salut des âmes, ressentent un plus profond besoin de lumière et de certitude. Comment le Vicaire de Jésus-Christ pourrait-il ne pas entendre cet appel et ne pas apporter une fois de plus à l'anxiété du monde LE RÉCONFORT DE LA VÉRITÉ CATHOLIQUE ? \*\*\* 120:15 Quand il s'agit de définir le rôle que certains hommes sont invités à jouer dans la communauté mondiale en formation, IL EST NÉCESSAIRE DE RAPPELER D'ABORD LE BUT LE PLUS ÉLEVÉ, CELUI AUQUEL TOUS LES AUTRES DEMEURENT SUBORDONNÉS. Pour un chrétien, la volonté du Christ est la raison dernière de ses choix et de ses décisions. Or, le Sauveur s'est fait homme et a donné sa vie « pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés » ; il a voulu « être élevé de terre » sur la croix Dour « attirer tous les hommes à lui », les réunir sous sa conduite en « un seul troupeau et un seul bercail », « afin que Dieu soit tout en tous ». Un chrétien ne peut donc rester indifférent devant l'évolution du monde : s'il voit s'ébaucher, sous la pression des événements, une communauté internationale de plus en plus étroite, IL SAIT QUE CETTE UNIFICATION, VOULUE PAR LE CRÉATEUR, doit aboutir à l'union des esprits et des cœurs dans une même foi et un même amour. Non seulement il peut, mais IL DOIT TRAVAILLER A L'AVÈNEMENT DE CETTE COMMUNAUTÉ ENCORE EN FORMATION, car l'exemple et l'ordre du divin Maître constituent pour lui une lumière et une force incomparables ; tous les hommes sont ses frères, non seulement en vertu de l'unité d'origine et de la participation à une même nature, mais encore d'une façon plus pressante par leur commune vocation à la vie surnaturelle. Appuyé sur une telle certitude le chrétien mesure à quel point Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité, car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous. » \*\*\* La vérité révélée, dont il est question dans cette affirmation de l'Écriture, a été confiée au Magistère infaillible de l'Église, mais elle forme le patrimoine de la communauté catholique, qui s'en nourrit et en vit. Elle fournit à chaque fidèle un cadre de pensée, une norme selon laquelle il juge les hommes et interprète les évènements. Ce point de vue catholique, il vous appartient, chers fils, d'en pénétrer toujours davantage la grandeur et la beauté, d'en apprécier et d'en mettre en valeur la cohérence et la profondeur. Qu'il soit vraiment la lumière de votre intelligence, le ressort de votre action le réconfort de vos âmes. Mais vous n'êtes pas des chercheurs isolés, des penseurs autonomes ; vous êtes des INTELLECTUELS CATHOLIQUES, C'EST-A-DIRE CHARGÉS D'UNE RESPONSABILITÉ SOCIALE UNIVERSELLE EN CE QUI CONCERNE LE RAYONNEMENT DE LA VÉRITÉ CHRÉTIENNE ET SON APPLICATION CONCRÈTE dans tous les secteurs d'activité. Par l'autorité que vous confèrent votre culture et la compétence acquise dans votre profession, vous constituez pour votre entourage une question et une réponse. Vous êtes par la grâce une lumière qui attire et qu'on ne peut rejeter sans se condamner implicitement, si du moins il s'agit d'une véritable lumière du Christ. Cette réserve, que l'imperfection humaine justifie toujours à quelque titre, mesure cependant toute la responsabilité des intellectuels catholiques dans le désarroi d'une société où LES QUESTIONS ESSENTIELLES SONT LE PLUS SOUVENT LAISSÉES DE COTÉ, soit dans les affaires courantes, soit dans les décisions de portée universelle qui engagent l'orientation politique, sociale, culturelle des pays ou des continents. \*\*\* Est-ce à dire que L'ON NE PEUT COLLABORER AU SERVICE DE LA COMMUNAUTÉ MONDIALE DANS LES INSTITUTIONS OÙ DIEU N'EST PAS RECONNU EXPRESSÉMENT COMME L'AUTEUR ET LE LÉGISLATEUR DE L'UNIVERS ? Il importe de distinguer ici les niveaux de coopération. 121:15 Sans oublier, en effet, que son but ultime est de contribuer au salut éternel de ses frères, le chrétien se souviendra que L'AVÈNEMENT DU RÈGNE DE DIEU DANS LES CŒURS ET LES INSTITUTIONS SOCIALES REQUIERT LE PLUS SOUVENT UN MINIMUM D'ÉPANOUISSEMENT HUMAIN, simple requête de la raison à laquelle tout homme se soumet normalement, même s'il n'a pas la grâce de la foi. Le chrétien sera donc prêt à travailler au soulagement de toutes les misères matérielles, développement universel d'un enseignement de base, en un mot à toutes les entreprises visant directement l'amélioration du sort des pauvres et des déshérités, certain en cela de remplir un devoir de charité collective, de préparer l'accession d'un plus grand nombre d'hommes à une vie personnelle digne de ce nom, de favoriser ainsi leur entrée spontanée dans le grand concert d'efforts qui les achemine vers un état meilleur qui leur permet de regarder en haut, d'accueillir la lumière et d'adhérer à la seule vérité qui les fera vraiment libres. Ceux, toutefois, qui jouissent d'une certaine notoriété et peuvent par là influer sur l'esprit public, se sentent chargés D'UNE TACHE BEAUCOUP PLUS CONSIDÉRABLE, car la vérité ne tolère de soi ni mélange ni impureté, et LEUR PARTICIPATIQN A DES ENTREPRISES INCERTAINES POURRAIT SEMBLER CAUTIONNER UN SYSTÈME POLITIQUE OU SOCIAL INADMISSIBLE. Là encore, cependant, il existe un vaste domaine sur lequel les esprits affranchis de préjugés et de passions peuvent se mettre d'accord et s'entraider en faveur d'un BIEN COMMUN RÉEL et valable, car la saine raison suffit à établir les bases du droit des gens, à reconnaître le caractère inviolable de la personne, la dignité de la famille, les prérogatives et les limites de l'autorité publique. C'est pourquoi la coopération des catholiques est souhaitable dans toutes les institutions qui respectent, en théorie et en pratique, LES DONNÉES DES LOIS NATURELLES. Ils chercheront, en effet à les maintenir dans leur droite ligne et à jouer par leur présence active un rôle bienfaisant que le divin Maître compare à celui du sel et du ferment. Ils trouveront dans les organismes qui se proposent un but humanitaire universel des âmes généreuses et des esprits supérieurs, qui sont susceptibles de s'élever au-dessus des préoccupations matérielles, de comprendre qu'UNE DESTINÉE VRAIMENT COLLECTIVE DE L'HUMANITÉ SUPPOSE LA VALEUR ABSOLUE DE CHACUNE DES PERSONNES qui la constituent et l'établissement en dehors du temps de la véritable société dont la communauté terrestre ne peut être que le reflet et l'ébauche. \*\*\* Soulignons aussi une composante essentielle de l'esprit en formation, celle d'une plus grande abnégation. Des chrétiens ne s'étonneront pas de Nous entendre prononcer ce mot. C'est d'ailleurs un fait d'expérience et une nécessité logique : UNE COMMUNAUTÉ RÉELLE IMPOSE DES SACRIFICES MUTUELS. Vous vous rappellerez comment le Fils de Dieu fait homme ENSEIGNANT AUX HOMMES LES CONDITIONS DE L'UNITÉ, lui qui « n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner Sa vie pour la multitude ». C'est par là, en effet, qu'il a voulu illustrer lui-même la NÉCESSITÉ ET LA FÉCONDITÉ DU SACRIFICE POUR SUSCITER UNE FORME DE VIE SUPÉTIEURE A LAQUELLE LES HOMMES SONT INVITÉS PAR VOCATION SURNATURELLE : FORMER L'UNITÉ DES FILS DE DIEU. Est-il besoin d'évoquer pour finir la victoire et la joie de Pâques ? Oui, vraiment, vous avez, chers fils une belle mission à remplir : au milieu du monde inquiet, portez l'espérance et la paix d'un dévouement fraternel à l'échelle de l'univers ; soyez le sel, sans lequel tout risque de dégénérer et de se corrompre ; soyez le ferment qui soulève la masse compacte et qui fera d'une pâte amorphe le pain de la communauté humaine ; que chacun, grâce à vous, comprenne qu' « il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir », plus de noblesse à servir qu'à se laisser servir, plus de joie à donner sa vie pour ses frères qu'à la réserver pour soi seul. ~===============~ 122:15 ### Le cardinal Feltin : hommage à l'Armée Française *Dans son allocution à l'Assemblée des Unions paroissiales, le* 10 *mai, S. Em. le Cardinal Feltin a prononcé notamment les paroles suivantes, reproduites par la* SEMAINE RELIGIEUSE DE PARIS du 18 *mai, sous le titre :* HOMMAGE A L'ARMÉE D'ALGÉRIE*. En voici le texte intégral :* L'an dernier j'étais amené, dans cette même circonstance, à préciser les devoirs des Français envers l'Algérie et la réponse à donner à l'appel de la Patrie. Je puis aujourd'hui exprimer mes félicitations à tous ces jeunes hommes, recrues du contingent, maintenus ou rappelés qui, depuis des mois, accomplissent là-bas leur devoir de Français avec courage et générosité. La situation reste grave et le conflit se prolonge. Je n'ai pas ici à proposer de solution politique : ce n'est pas mon affaire. Je puis seulement renouveler le souhait tant de fois exprimé de voir les deux communautés, européenne et africaine, recourir au dialogue et trouver le moyen d'établir la paix. Mais une agitation s'est récemment manifestée au sujet d'exactions et de tortures. Que de tels faits se soient produits, il faut le reconnaître. La Hiérarchie y a fait allusion, avec sérénité, dans une récente déclaration. Mais on a exagéré. Notre armée est là-bas en condition particulièrement difficile. Elle fait son devoir courageusement. Elle souffre de ces exagérations : a\) on répète indéfiniment les mêmes faits, la plupart du temps sous le couvert de l'anonymat ; dans plusieurs cas précis, les faits allégués se sont révélés faux ; les versions multiples qui en sont données laissent faussement l'impression d'un comportement devenu habituel ; b\) On oublie de faire état des sanctions prises par le commandement quand il a connaissance d'exactions commises par la troupe ; c\) on ne tient pas compte de la difficulté de la tâche que nos soldats ont à remplir. L'action pacificatrice pour laquelle ils ont été envoyés est devenue une guerre. Et une guerre dans laquelle il n'y a pas deux armées en présence, mais une armée d'un côté, de l'autre une population comprenant : 1. -- des *adversaires,* parmi lesquels il faut encore distinguer des meneurs politiques ; des terroristes et tueurs agissant à la bombe ou au couteau, des combattants faisant partie d'unités constituées ; des partisans civils, qui sont complices, par conviction ou par crainte. Ces adversaires de nos soldats ne sont pas un corps homogène mais ils sont tiraillés entre des tendances diverses. 2. -- Des *neutres,* qu'on cherche à gagner par tous les moyens : contrainte, terrorisme, finances... 123:15 3. -- Des *amis,* musulmans ou européens, qui vivent perpétuellement sous la menace. La tâche de notre armée est donc de protéger les amis, de gagner la confiance des neutres, de maîtriser les adversaires. Dans l'accomplissement de cette tâche, nos soldats exposent souvent leur vie ; ils sont parfois victimes. On ne parle pas de ces victimes ; on dirait qu'il n'y a plus de Champ d'Honneur. Les 1.770 tués, les 4.000 blessés, les 500 disparus ont droit qu'on se souvienne de leur sacrifice. Ils témoignent de l'âpreté du Combat et de la difficulté de l'œuvre entreprise. d\) Enfin, on passe complètement sous silence les faits positifs de pacification : Un grand nombre de nos militaires font la classe, dans les villages, aux petits musulmans. Nombreux aussi sont les médecins militaires qui parcourent les douars pour y porter les soins, indistinctement, à toute la population. Et cela n'est pas sans péril, car ils ne sont pas à l'abri des embuscades. Si l'on veut juger l'action de notre armée, on n'a pas le droit de taire ses bienfaits. En parlant ainsi, je ne défends pas une politique. Je remplis mon rôle non seulement d'Évêque chargé de l'Aumônerie militaire, mais d'Évêque français qui tient que justice soit rendue à nos soldats qui méritent, même s'il y a eu quelques fautes, notre admiration et notre confiance. L'armée constitue une des forces et une des gloires de la France. Ne soyons pas de ceux qui la discréditent. Reconnaissons ses efforts. C'est notre devoir de chrétiens et de Français. *Le même numéro de la* SEMAINE RELIGIEUSE DE PARIS rappelle *en quels termes, à l'Assemblée des Unions paroissiales de l'année précédente* (20 *avril* 1956), *le Cardinal Feltin avait défini les devoirs envers la Patrie. La* SEMAINE RELIGIEUSE *ajoute que* « le besoin se fait toujours sentir » *d'un tel rappel, et que l'on* « relira avec profit » *cette déclaration *: Chacun doit aimer particulièrement Ceux qui sont nés sur le même sol que lui, qui parlent la même langue, ont hérité des mêmes richesses historiques, artistiques, culturelles, qui constituent dans l'humanité cette communauté spéciale que nous appelons notre Patrie, véritable mère qui a contribué à former chacun de ses enfants. Elle a droit à un amour de préférence. C'est du reste en vivant dans un groupe défini que j'apprends à connaître et à aimer tous les hommes. Je ne m'élève à l'amour de l'humanité qu'à partir de l'amour du prochain le plus proche, et la Patrie est le lieu de rencontre privilégié où les communications entre hommes sont suffisamment faciles pour que chacun prenne conscience des problèmes de l'autre. C'est aussi en servant cette communauté nationale à laquelle j'appartiens, au sein de laquelle j'ai été engendré, élevé, nourri, éduqué, qui m'a enrichi de corps et d'esprit, que je sers l'humanité. Car on sert la famille humaine en servant d'abord la famille nationale. Ce service peut aller très loin, jusqu'au sacrifice de ma vie personnelle, me commande l'Église. ~===============~ 124:15 ### LA CRISE DE LA J. E. C. *Au milieu du mois de mai, les* 80 *dirigeants de la* J.E.C. *ont donné leur démission,* en *alléguant que la Hiérarchie donnait une nouvelle orientation à l'Action catholique, y introduisait un changement fondamental, et qu'ils ne peuvent suivre ces nouvelles directives.* *Cette démission est analogue à celle de M. André Vial, quittant la présidence de l'*A.C.J.F. *pour devenir co-directeur de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*.* *Le* « *non possumus* » *des dirigeants de la* J.E.C. *a été exposé dans une lettre publiée le* 18 *mai par* LA CROIX *et* LE MONDE*.* *Cette lettre déclare notamment *: La définition de l'Action catholique sur laquelle s'appuyait la Hiérarchie pour réorienter l'A.C.J.F. devait nécessairement s'appliquer à ce mouvement d'Action catholique de jeunes qu'est la J.E.C. Cette définition réside essentiellement dans une distinction très nette entre l'Action catholique, d'une part, et l'action sociale et civique d'inspiration chrétienne, d'autre part. Or, c'est en approfondissant sa tâche apostolique que la J.E.C. avait été amenée à envisager la nécessité d'une éducation de l'ensemble des jeunes scolaires, entre autres domaines sur le plan social et civique, acquérant par là un caractère de mouvement de jeunesse. Ainsi, la Note doctrinale d'octobre intéressait-elle la J.E.C. à trois titres : en lui retirant la garantie (*sic*) que représentaient pour elle l'ancienne A.C.J.F. et ses orientations prises en 1949 ; en mandatant une nouvelle orientation de l'A.C.J.F. qui constitue le signe de la volonté de la Hiérarchie sur les mouvements d'Action catholique de jeunes ; en donnant à l'Action catholique une définition stricte avec laquelle ne coïncide pas la réalité du mouvement. ...... Les faits allaient traduire progressivement le fondamental changement de situation introduit par le texte de la Note... Parmi ces signes révélateurs d'un nouvel état de fait, il faut signaler certains avertissements et certaines directives plus précises et peut-être plus nombreuses que par le passé, en particulier au plan fédéral. C'est ainsi que fut demandé un moindre engagement du mouvement en tant que tel dans le travail avec les étudiants d'outre-mer ou dans certaines tâches représentatives, prolongement normal de son action... ... Tout ceci, on le comprend aisément, va profondément modifier la nature du mouvement. La Hiérarchie, s'associant plus intimement les mouvements, est amenée à se sentir plus étroitement engagée par leurs actes et leurs prises de position, qui n'expriment plus seulement la position d'un certain nombre de chrétiens mais en quelque sorte une attitude officielle de l'Église. Il apparaît donc de plus en plus clairement que la définition de l'Action catholique spécialisée de jeunes, telle qu'elle a été maintenant précisée par la Hiérarchie, fait disparaître certaines conditions nécessaires à notre action. Ainsi ne correspond-elle plus à l'expérience que nous avons développée dans nos mouvements depuis plus de dix années. 125:15 *On remarquera que ce texte est profondément marqué par l'influence idéologique de certaines publications catholiques dont nous avons ici noté la nocivité intellectuelle.* *Nous ferons trois observations :* I. -- *La bonne foi des dirigeants de la* J.E.C. *n'est évidemment pas en cause. Néanmoins, par passion peut-être, ou pour toute autre raison, peu importe, ils en prennent un peu trop à leur aise avec l'exactitude.* *Ils font comme s'ils découvraient aujourd'hui que leurs positions de mouvement d'Action catholique engagent l'Église. Ils font comme si la* *Note doctrinale d'octobre* 1956 *leur avait retiré la faculté d'exprimer, en tant que mouvement, des positions qui seraient simplement celles* « *d'un certain nombre de chrétiens* ». *Mais nous sommes bien obligés de constater que, bien avant la Note doctrinale d'octobre* 1956, *les dirigeants de la* J.E.C. *présentaient leurs positions comme positions d'Église et non comme positions personnelles.* *Ils refusaient de soumettre leurs positions à la libre discussion, comme il eût été normal pour des positions représentant seulement les tendances d'* « *un certain nombre de chrétiens* ». *Ces positions -- et notamment celles qui concernent la constante collusion de fait, dans les élections universitaires, de la* J.E.C. *avec les communistes -- ils les présentaient comme couvertes par l'Église.* *On se reportera notamment aux documents contenus dans notre numéro* 4, *pages* 78 *et suivantes, et principalement au texte de la lettre publiée page* 81. *Nous nous étions émus du vote massif des étudiants de l'Institut catholique de Paris en faveur de la liste soutenue par les communistes. On nous répondait, avec une ponctuation exclamative *: « Sur les 63 candidats de cette liste, une trentaine sont des militants de la J.E.C., mouvement mandaté par l'Église et que la Hiérarchie n'a pas encore désavoué, je suppose ! ». *Nous citons cet exemple parce que l'on peut s'y reporter immédiatement dans la collection d'*Itinéraires. *Il en existe malheureusement beaucoup d'autres semblables. Avant la Note doctrinale d'octobre* 1956, *les positions politiques de la* J.E.C. *étaient, de cette manière, constamment présentées comme au-dessus de la critique.* *Il est de fait que la* J.E.C. *a usé et abusé de cette sorte d'arguments pour écarter sans y répondre les objections graves qu'appelait son attitude politique. On peut donc trouver surprenant, et fort peu conforme à la vérité, que les dirigeants jécistes prétendent maintenant avoir* « exprimé seulement la position d'un certain nombre de chrétiens », *alors qu'ils invoquaient leur mandat d'Église pour couvrir leur collusion électorale systématique avec les communistes.* 126:15 II. -- *La lettre des dirigeants de la* J.E.C. *oppose* LA RÉALITÉ DU MOUVEMENT *de la* J.E.C. *à la* VOLONTÉ DE LA HIÉRARCHIE. *Il est frappant de constater que cette* réalité -- *c'est-à-dire ce que la* J.E.C. *a été en fait dans la dernière période -- soit allégué comme une référence décisive, opposable aux définitions de la Hiérarchie.* *Si la réalité de la* J.E.C. *ne correspond pas aux directives de la Hiérarchie, c'est donc qu'il faut corriger, rectifier cette réalité : telle est du moins la conclusion qui s'impose dans une perspective catholique.* *La conclusion de la* J.E.C. *a été au contraire un* « *non possumus* ». *Sa formulation sur ce point, cette référence à la* réalité du mouvement *estimée plus décisive que* la volonté de la Hiérarchie, *voilà qui révèle de façon très significative quelles influences idéologiques s'exercent sur ces jeunes gens et les ont conduits à leur détermination.* *Ces influences idéologiques s'exercent par l'intermédiaire de certaines publications catholiques dont nous avons critiqué et combattu les erreurs intellectuelles. L'épisode douloureux de la* J.E.C. *nous apporte une confirmation dont nous aurions préféré qu'elle ne soit pas aussi éclatante.* III. -- *Les dirigeants de la* J.E.C. *parlent d'*orientation nouvelle *et de* changement fondamental, *qui auraient été introduits par la Note doctrinale de* l'*Assemblée des Cardinaux et Archevêques d'octobre* 1956. *Les passages principaux de cette Note, et particulièrement ceux auxquels les dirigeants de la* J.E.C. *ont opposé leur* « *non possumus* », *avaient été cités dans* Itinéraires, *numéro* 9, *pages* 126 *et* 127. *Cette Note rappelait et restaurait les* PRINCIPES PERMANENTS DE L'ACTION CATHOLIQUE. *En y voyant une nouveauté et un changement fondamental,* les *dirigeants de la* J.E.C. *attestent et avouent à quel point ils s'étaient fondamentalement écartés des principes permanents de* l'*Action catholique.* *Ici encore, leur bonne foi n'est plis en cause, mais les influences intellectuelles qu'ils ont subies. Ils s'étaient fait une fausse idée de l'Action catholique. Ils ne se l'étaient point faite tout seuls. Mais ils prenaient leur inspiration dans des revues, des publications et des journaux qui ont répandu cette idée fausse et qui, tout comme les livres de M. Dansette, ont opéré ce que nous avons appelé un massacre des esprits : et ont fourvoyé la pensée catholique en France pour une génération au moins.* *Il est d'ailleurs intéressant et instructif de comparer, point par point et ligne à ligne, le texte du* « *non possumus* » *des Jécistes avec ce qu'écrit, sur les mêmes questions, M. Dansette dans son* Destin du catholicisme français (*voir notamment, dans ce livre, les pages* 401 *à* 406). *M. Dansette y soutient cette contre-vérité qu'en octobre* 1956 *la Hiérarchie aurait modifié sa position de principe concernant l'Action catholique* (*pp.* 404-405). 127:15 *Dans les semaines qui ont précédé leur* « *non possumus* », *les dirigeants jécistes ont probablement tous lu l'exposé* « *historique* » *du pamphlet-manifeste de M.* *Dansette, qui leur était malheureusement recommandé, notamment par la revue ÉTUDES, d'avril, pour son* « information complète », *pour sa* « réussite étonnante », *pour son* « objectivité », *pour son* « impartialité », *etc., etc., notamment en ce qui concerne l'Action catholique !* *Les ÉTUDES ont engagé à fond dans cette affaire leur autorité morale et leur influence, qui sont grandes. Ce mauvais usage d'une telle influence et d'une telle autorité n'aura pas contribué à retenir les dirigeants jécistes, au contraire... Il est inévitable que cette autorité morale, que cette influence, qui furent très souvent méritées, s'en trouvent désormais diminuées. Cette diminution est non seulement inévitable, mais elle est simultanément souhaitable, et* même *indispensable, dans la mesure du moins où les ÉTUDES n'opéreront pas sur ce point un redressement aussi explicite et aussi net que la été leur singulière défaillance.* \*\*\* *La sincérité des dirigeants de la* J.E.C. *est évidente et même émouvante. Eux aussi, comme d'autres, comme les prêtres-ouvriers, ils ont été victimes de ces idées fausses.* *Quand la Hiérarchie leur demande de revenir aux principes permanents de l'Action catholique, ils croient vraiment, et c'est tout le drame, que la Hiérarchie impose à l'Action catholique un* « *changement fondamental* »*.* *Il est important de mettre en lumière la vérité, qui est tout à l'opposé de ce que croient les dirigeants de la* J.E.C.* : il n'y a pas de* « *changement* »*, il y a seulement correction des déviations --* fondamentales, *oui, leur mot est juste -- auxquelles avaient été entraînés* les *dirigeants jécistes.* *On ne peut mieux mettre en lumière ce point qu'en citant la déclaration de S. Exc. Mgr Guerry, parue dans* LA CROIX *datée des* 30 *et* 31 *mai *: Il est regrettable que l'on puisse penser et écrire que la Hiérarchie a modifié sa conception de l'Action catholique spécialisée en ces derniers temps, notamment dans sa Note doctrinale d'octobre 1956, car il y a là une erreur. La Hiérarchie a constamment enseigné et sans cesse rappelé la même définition de l'Action catholique spécialisée : un apostolat organisé du laïcat dans un milieu de vie, en coopération à la mission apostolique de l'Église. L'Épiscopat de France a reçu des Souverains Pontifes eux-mêmes cette définition. Il l'a confirmée précisément dans cette Note doctrinale d'octobre 1956, en indiquant les raisons profondes pour lesquelles il tenait à cette conception apostolique de l'Action catholique spécialisée, à plusieurs reprises combattue en ces dernières années. Un Épiscopat tout entier, à l'appel du Pape, voici trente ans, a engagé son autorité et son ministère dans cette ligne, de l'apostolat du laïcat. 128:15 Il a expérimenté les bienfaits et le rayonnement de cette action apostolique, sa valeur éducative, qui a formé des générations d'apôtres : comment pourrait-il la modifier ? Comment pourrait-il ne pas la protéger lorsqu'elle est menacée ? ...... Il est regrettable que la distinction entre l'Action catholique et l'action sociale et civique n'ait pas été comprise. Elle est cependant classique depuis la création de l'Action catholique ; les documents pontificaux distinguaient celle-ci de l'action appelée par eux « économico-sociale » et de l'action politique des partis. En clair, que veut signifier cette distinction ? Cela veut dire qu'un mouvement d'Action catholique ne doit être ni un syndicat, ni une coopérative, ni une mutualité, ni un comité d'action civique, ni un mouvement politique. ...... La Hiérarchie a le plus grand souci de sauvegarder la liberté des chrétiens dans le domaine des options libres et de protéger l'indépendance d'un mouvement d'Action catholique ainsi que son unité, au-dessus de tout ce qui serait susceptible, par définition même, de diviser les chrétiens et de les opposer les uns aux autres. La Hiérarchie connaît les expériences du passé : elle a des raisons très profondes de s'en tenir à cette règle de sagesse pour l'Action catholique, alors qu'elle proclame avec insistance le devoir des chrétiens de s'engager, par ailleurs, courageusement, dans l'action sociale et l'action politique et dans le risque de leurs options concrètes. Enfin, il est regrettable que l'on puisse penser et dire que c'est seulement par les dernières décisions que le mouvement d'Action catholique devient mouvement d'Église, une activité de l'Église elle-même. Ainsi, il y aurait eu un changement là encore et un resserrement de l'action des laïcs. On invoque pour cela la Note doctrinale de mars 1946 qui rappelait la notion et le rôle du mandat. On cite un passage qui exprime la confiance aux laïcs et leur précise leurs responsabilités. Mais on omet de reproduire les passages qui, dès cette date, montraient les liens « de subordination et de coordination » que l'apostolat collectif et organisé impliquait avec la Hiérarchie, ainsi que le caractère officiel et public de cette action ainsi mandatée... ~===============~ ### L'abominable manœuvre *Les militants de l'Action catholique spécialisée, comme tous les groupes humains et comme tout le monde, subissent une formidable pression sociologique et publicitaire. Nous la subissons tous. Nous y résistons chacun comme nous pouvons. Nul ne peut se vanter d'y résister parfaitement. C'est la pression d'une politisation à tendance marxiste. Elle est dans l'air du temps* (*ce qui ne veut pas dire qu'elle soit tombée du ciel et que nul n'en soit responsable*)*. Elle est dans les journaux, surtout dans certains.* 129:15 *La* J.O.C. *est l'une des organisations qui résiste le mieux à cette universelle pression publicitaire et sociologique. Ce qui ne veut point dire qu'elle y résiste parfaitement. Qui est partait ? Certaines déclarations de la* J.O.C. *contiennent de douloureuses équivoques, comme celle qui a paru dans* LA CROIX *du* 21 *mai* (*page* 4). *En voici le texte intégral *: Deux fois déjà, en septembre 1955 et avril 1956, la J.O.C. a porté devant l'opinion publique les inquiétudes et les aspirations des jeunes travailleurs face aux événements d'Algérie. Nous disions qu'une conscience d'homme et de chrétien ne peut se résigner à l'effusion du sang et nous demandions que tout soit mis en œuvre pour qu'un dialogue s'établisse entre les deux communautés. Au point où en sont les choses actuellement, nous constatons douloureusement : -- que l'épreuve de force continue ; -- que disparaît de plus en plus l'espoir d'un rapprochement fraternel. Le témoignage des rappelés et des maintenus libérés vient renforcer pour nous ces constatations. Unanimes à *dénoncer les conditions de sous-prolétariat qui affectent les populations arabes,* ils reconnaissent pour la plupart que *l'usage de la force et l'emploi des méthodes de répression créent un climat de crainte, d'insécurité et de haine.* Ils sont nombreux à se demander si l'œuvre qu'on leur a fait accomplir a contribué à rétablir la paix. Sensible à un tel état de fait et à ses conséquences dans la vie des jeunes travailleurs, la J.O.C. déplore : -- le profond désarroi occasionné par ces événements dans leur conscience ; -- la souffrance ressentie par eux devant l'indifférence ou l'ignorance de l'opinion publique concernant les événements d'Algérie, dues à un manque d'informations objectives ; -- *la perte chez beaucoup d'entre eux du respect de la personne,* du sens de la responsabilité morale et civique, *de la confiance dans les institutions.* Devant la gravité de ces constatations, la J.O.C. réaffirme : -- que tout être humain, créature de Dieu, rachetée par le Christ, a une valeur inestimable ; -- *que seul l'amour permet de construire un monde où règnent la paix et la justice.* Elle demande : -- *la recherche immédiate, de part et d'autre, d'un accord pacifique* respectant les aspirations des deux communautés. Elle appelle tous les libérés et les jeunes travailleurs ; -- à poursuivre le soutien des soldats, ceux d'Afrique du Nord notamment, pour les aider à faire œuvre de paix ; -- à intensifier les efforts d'amitié, de respect et de justice avec tous les Nord-Africains et étrangers vivant en France, en agissant avec eux pour améliorer leurs conditions de vie ; -- à favoriser l'information objective de l'opinion publique sur les événements actuels ; -- *à demander aux pouvoirs publics une solution rapide et pacifique du problème algérien.* \*\*\* *Nous avons souligné quelques-uns des passages de cette déclaration.* *Ils sont regrettables à des titres divers, que nous allons préciser. Ils donnent prétexte aux attaques, aux manœuvres, aux accusations, dans l'ensemble injustes, et dont nous parlerons ensuite, qui sont lancées contre la* J.O.C. *depuis un an.* 130:15 I. -- « Dénoncer les conditions de sous-prolétariat qui affectent les populations arabes » *est une injustice envers la France : car les populations arabes d'Algérie sont à peu près les seules populations arabes à travers le monde dont on ait sérieusement commencé à élever le niveau de vie. Il se peut que beaucoup de jeunes rappelés l'ignorent : mais ne serait-ce pas le rôle de la* J.O.C. *de leur donner un jugement plus exact sur ce qu'a fait leur Patrie *? *Plutôt que de* dénoncer *unilatéralement un état de choses qui certes réclame* toutes *les améliorations* possibles, *il conviendrait d'en prendre une mesure objective et juste.* II. -- *Dire que* « l'usage de la force et l'emploi de méthodes de répression créent un climat de crainte, d'insécurité et de haine » *est une formule qui contient deux redoutables... équivoques, c'est le moins qu'on en puisse dire *: *a*) *on pourrait croire, d'après ce texte, que la France, et la France seule, a* créé *ce climat d'insécurité et de haine : ce serait une véritable infamie, qui appellerait les plus énergiques protestations ; mais il est évident qu'il s'agit d'une maladresse de rédaction ; elle est d'autant plus regrettable qu'à notre connaissance elle n'a pas été rectifiée *; *b*) *on pourrait croire aussi que* TOUTES *les* « *méthodes de répression* » *sont condamnées, et que toute répression est réputée illégitime en elle-même, au nom de la doctrine catholique ; c'est bien dans le texte, malheureusement ; sans doute est-ce* encore *une maladresse de rédaction.* III. -- « La perte du respect de la personne » : *il est bon et courageux d'attirer l'attention sur ce point. On aimerait que la* J.O.C. *mît autant d'insistance explicite et solennelle à dénoncer la perte du respect de la personne qui résulte de la propagande et de l'action communistes. Trop souvent, semble-t-il, ce phénomène énorme qu'est le communisme est traité par prétérition.* IV. -- *La* J.O.C. « déplore... la perte de la confiance dans les institutions ». *Lesquelles, et pourquoi ? Voilà qui est bien obscur. On ne savait pas que nos institutions actuelles* (*politiques ? économiques ? sociales ?*) *avaient une valeur religieuse et sacrée, qu'elles méritaient une confiance entière...* V. -- « Seul l'amour permet de construire, etc. » *L'amour *? *Pas n'importe lequel. Pourquoi ne pas affirmer explicitement, avec l'Église, que* SEULE LA RELIGION CHRÉTIENNE *permet d'avancer à coup sûr en direction de la paix et de la justice *? 131:15 VI. -- *La* J.O.C. « demande la recherche immédiate, de part et d'autre, d'un accord pacifique ». *Là encore, l'équivoque est lourde.* De part et d'autre ? *De quelle part ? Faut-il comprendre que la recherche d'un accord avec le F.L.N. est présentée comme un devoir moral imposé par l'Église *? *Non certes, ce n'est pas cela qu'il faut comprendre. Et la* J.O.C. *a eu l'occasion de préciser, dans* LA CROIX *du* 17 *mai, que son* « désir de voir s'instituer un dialogue fraternel entre les deux communautés d'Algérie » *ne doit pas être* « interprété comme une négociation avec les fellagha ». *Seulement, ce que la* J.O.C. *ne voit peut-être pas, en tous cas ne dit pas, c'est que les Musulmans qui sont favorables au dialogue sont* EXÉCUTÉS PAR LES FELLAGHA. *Les victimes du terrorisme fellagha sont, numériquement, beaucoup plus musulmanes qu'européennes, et de très loin. C'est pourquoi on comprend mal que la* *Déclaration de la* J.O.C. *paraisse condamner toute forme de répression.* La justice, *cela consiste aussi à ne pas laisser les assassinats impunis. La justice, c'est notamment d'assurer contre le terrorisme la sécurité des personnes et des biens. On ne voit pas comment l'assurer sans* « *l'emploi de la force et des méthodes de répression* ». *Nous croyons que, dans la Déclaration citée, la pensée et les positions de la* J.O.C. *s'expriment de façon beaucoup trop incomplète, d'où l'équivoque. Il serait injuste de tirer cette Déclaration dans un sens anti-national : mais il est impossible de ne pas constater que le texte même de la Déclaration se défend mal contre une telle interprétation. Une distinction explicite entre* « *la communauté musulmane* » *et* « *les fellagha* » *aurait levé l'équivoque.* VII. -- *La* J.O.C. invite « à demander aux pouvoirs publics une solution rapide et pacifique ». *Certes. Mais peut-on ignorer que, dans la lettre, c'est la formule même de ce que demandent les communistes *? *Et qu'ils le demandent pour énerver les énergies françaises *? *La volonté de ne même pas nommer les communistes est-elle doublée d'une volonté de s'exprimer en formules suffisamment équivoques pour que les communistes ne puissent en prendre ombrage ? Il est incroyable que l'on puisse parler systématiquement* COMME SI LES COMMUNISTES N'EXISTAIENT PAS, *comme s'ils n'étaient pas en France, pour la Patrie et pour la Foi, et pour la* J.O.C.*, le plus grand ennemi et le plus grand péril...* \*\*\* *Cela dit -- et cela dit pour montrer que l'estime où nous tenons la* J.O.C. *ne va pas jusqu'à nous aveugler sur les équivoques de certaines de ses déclarations -- il faut mettre en lumière l'abominable manœuvre qui a été montée contre la* J.O.C. 132:15 *Parce qu'elle est l'une des organisations catholiques qui résistent le mieux à l'universelle pression sociologique et publicitaire de la politisation marxiste, on va partout racontant, depuis un an, que c'est elle qui résiste le moins bien.* *On l'accuse d'* « *ouvriérisme* » *et de* « *passage au marxisme* ». *Ces accusations, qui seraient* BEAUCOUP MOINS INEXACTES POUR LA J.E.C*.* QUE POUR LA J.O.C.*, on ne les fait pas à la* J.E.C.*, on les réserve à la* J.O.C. *La manœuvre a atteint son point culminant et son maximum d'intensité avec le livre récent de M*. *Dansette.* *Contre les reproches que M. Dansette a eu le tort de faire à la* J.O.C. (*et qu'il a eu le tort simultané de taire en ce qui concerne la* J.E.C.)*, la* J.O.C. *a protesté par une mise au point parue dans* LA CROIX *du* 17 *mai.* *Cependant, les accusations de M. Dansette ne sont qu'un point d'aboutissement. Elles avaient été formulées déjà, au printemps* 1956, *dans* ESPRIT *et dans la* VIE INTELLECTUELLE*. C'était le moment où ce que l'on a appelé* « *la crise de l'*A.C.J.F. » *commençait à faire quelque bruit. La* J.E.C. *voulait entraîner l'*A.C.J.F. *tout entière dans sa conception faussée -- et disons : politisée -- de l'Action catholique. A l'intérieur de l'*A.C.J.F.*, ce fut surtout la* J.O.C. *qui résista. Pour neutraliser cette résistance, la* J.E.C. *voulut obtenir qu'à l'*A.C.J.F. *les décisions ne soient plus prises à l'unanimité, mais à la simple majorité. La Hiérarchie n'ayant pas cédé, M. André Vial comprit alors qu'il était davantage à sa place à la co-direction de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *qu'à la présidence de l'A.C.J.F....* *Tout ce qui est aujourd'hui en question l'était déjà, mais de manière moins visible. Dès mars* 1956, *S. Exc. Mgr Guerry avait prononcé une mise en garde, et une mise au point, qui éclaire toute la question quand on la relit aujourd'hui. On peut en dire, selon la formule de Jean Madiran à ce propos, qu'* « *on touche là du doigt que les évêques ont non seulement des moyens naturels d'information que nous n'avons pas, mais encore d'irremplaçables grâces d'état* ». *La Lettre de S. Exc. Mgr Guerry fut publiée dans la* QUINZAINE DIOCÉSAINE DE CAMBRAI *du* 25 *mars* 1956 ; *elle est reproduite dans la* DOCUMENTATION CATHOLIQUE *du* 28 *octobre* 1956 ; *elle disait notamment, contre les articles d'*ESPRIT *et* de *la* VIE INTELLECTUELLE : Ces articles s'en prennent à la conception de l'Action catholique spécialisée pour l'évangélisation des milieux de vie : ils lui reprochent d'être plus « spirituelle et désincarnée », dit l'un, « un simple (!) mouvement d'évangélisation » dit un autre. Depuis dix ans, l'Assemblée des Cardinaux et des Archevêques a, dans ses divers documents doctrinaux, réfuté cette objection, montré comment et pourquoi l'Action catholique spécialisée pour l'évangélisation des milieux de vie n'était pas une action spirituelle désincarnée... ...... ... Par suite d'une confusion entre deux domaines distincts, *on rêve d'une Action catholique qui s'orienterait vers une perspective d'ordre* « *politique* » *et deviendrait une action temporelle et civique.* 133:15 La Hiérarchie a maintes fois rappelé la nécessité impérieuse de l'action politique et de l'action civique ou sociale. Elle fait un devoir aux laïcs de prendre, comme citoyens, leurs responsabilités dans l'organisation et l'aménagement de la cité terrestre, en s'engageant dans les mouvements familiaux, sociaux, syndicaux et politiques. Mais, si nécessaire que soit cette action, la Hiérarchie l'a toujours nettement distinguée de l'Action catholique. ...... Parce qu'on ne se place pas au point de vue de l'Église, on ne donne plus à l'apostolat et à la primauté du spirituel la place qui doit lui revenir dans l'Action catholique. Ce qui frappe celui qui lit attentivement les articles des revues en question, c'est que, dans l'un, pas une seule fois on ne se réfère à la pensée de l'Église, aux actes de la Hiérarchie et que, dans l'autre, s'il est fait allusion à la Note doctrinale de l'A.C.A. de mars 1955, c'est pour nous apprendre qu'elle remettait en cause les orientations traditionnelles de l'A.C.J.F. et pour rejeter la conception de l'Action catholique qu'elle défend. Un peu plus loin, on nous déclare que le Pape Pie XI a voulu l'Action catholique pour « préserver les œuvres des catholiques italiens de l'emprise de l'État mussolinien. Historiquement, l'Action catholique apparaît davantage comme une parade de la société religieuse contre la société civile envahissante, que comme une extension du champ libre laissé au chrétien laïc dans sa participation à la vie sociale. » Voilà comment est jugée l'Action catholique ! Voilà comment est déformée la grande pensée du Pape Pie XI sur l'apostolat du laïcat ! Vraiment, la perspective apostolique n'est pas perçue par certains. L'optique « politique » fait perdre de vue la primauté du spirituel et de l'apostolat... *C'est bien l'Action catholique qui se trouve mise en cause et attaquée, dans son principe même, par ceux que M. Dansette nomme* « *la gauche chrétienne* ». *Et cette attaque se poursuit, jusque dans les ÉTUDES, hélas, quand elles écrivent dans leur numéro d'avril* 1957, *page* 128 : ... L'Action catholique s'est affrontée à une difficulté qui explique toute son évolution : les mouvements spécialisés, surtout la J.O.C., se sont trouvés incapables de transformer le milieu comme ils s'en donnaient la mission. De cette crise, qui est une saine crise de croissance, sont sortis les mouvements dits « missionnaires », qui estiment illusoire l'attente d'une transformation rapide des masses et qui cherchent d'abord, comme étape préalable, à établir un contact vivant entre ces masses et le christianisme. L'aspect le plus spectaculaire de ce mouvement missionnaire a été la tentative d'un sacerdoce ouvrier... *Ce texte incroyable est discuté comme il le mérite dans les* Notes critiques *du présent numéro.* *Sous diverses formes plus ou moins explicites, plus ou moins atténuées, la* « *gauche chrétienne* » *répand l'idée de* préalables *à l'évangélisation. Nous assistons à une sorte d'inversion des positions intellectuelles tenues par ce que l'on appelle sommairement la* « *droite* » *et la* « *gauche* ». Le politique d'abord *était de droite, et dès sa création en France, de* 1926 *à* 1930, *l'Action catholique spécialisée était en défense contre le risque d'une politisation de droite.* 134:15 *Aujourd'hui, c'est par une politisation de gauche qu'elle est menacée, et c'est à gauche qu'on oppose à la priorité de l'apostolat la priorité de* « *réformes de structure* » *d'ordre politique et social. C'est à gauche maintenant que l'on fait peser sur la pensée catholique française l'équivalent d'un* politique d'abord. *L'effort qui est demandé à la pensée catholique en France est de se* DÉGAGER DES FAUX PRÉALABLES. *Venant tantôt de droite, tantôt de gauche, renaît* l'illusion politique *de ces préalables prétendus. Une telle illusion est excusable, ou du moins explicable, dans un pays comme le nôtre si profondément marqué et divisé par les luttes politiques. Mais c'est une illusion. Dans son livre* On ne se moque pas de Dieu, *Jean Madiran note à* ce *propos* (*page* 116) : « Cette illusion politique est souvent renaissante chez ceux qui cherchent à promouvoir une politique propre à protéger la religion : illusion, parce que c'est rechercher l'impossible, et parce qu'en vérité c'est la religion qui protège la politique. Ni au politique ni au social il n'existe de préalables au christianisme. C'est au contraire le christianisme, unique nécessaire, qui est l'unique préalable. » *La crise de l'Action catholique est une conséquence de la crise de la pensée catholique en France. Une crise dont on peut espérer qu'elle est en train de sortir, non sans de pénibles difficultés. Les erreurs dont nous subissons présentement les conséquences pratiques sont celles des intellectuels catholiques, nous voulons dire de ceux qui avaient monopolisé, à leur profit et au profit de leurs erreurs -- et au profit de leur politique -- les* « *instruments de diffusion* ». *Pour ne prendre qu'un exemple, les deux revues* ESPRIT *et la* VIE INTELLECTUELLE*, dont* on *vient de voir plus haut à quel point elles méconnaissaient et contredisaient l'esprit même de l'Action catholique, étaient très largement diffusées, précisément, à l'intérieur de l'Action catholique. Cette influence installée depuis des années* ne *sera pas rectifiée en un jour. Nous ne sommes certainement pas au bout de nos peines. Du moins, nous apercevons, grandissante, une lueur, qui marque la fin du tunnel.* ~===============~ 135:15 ### Chez les Routiers Scouts de France *Une crise distincte, mais analogue, et même identique en ce qui concerne ses causes idéologiques, a éclaté à la direction des* « *Routiers* », *qui sont la branche aînée du mouvement Scout de France.* *Peu de temps avant que cette crise ne devienne publique, un remarquable article de* LA NATION FRANÇAISE (*2* *mai*) *avait fait le point de la question *: Les Routiers de la première époque, guidés par le R.P. Doncœur, dans la joie de l'amitié et de l'action, dans le renoncement du service personnel, marchaient les yeux fixés sur cette « étoile au grand large » dont parla Guy de Larigaudie, le plus légendaire d'entre eux. La Route d'alors donna à la France et à la Chrétienté nombre de garçons de valeur, de héros et de saints. En 1942, vingt mille d'entre eux montèrent de partout, pieds nus et chapelet en main, vers Notre-Dame du Puy, priant pour leur Patrie et pour la paix du monde. Ceux qui ont connu cela ont aujourd'hui les larmes aux yeux et l'angoisse, sinon la rage, au cœur... L'année 1951 marque le tournant... Les inoubliables textes du cérémonial du « Départ » sont sacrifiés et remplacés par une bibine insipide où le mot France disparaît... Se met à fonctionner le Cercle politique de la Route d'Ile-de-France, dirigé par Cruiziat qui, avec une partialité -- pardon ! une orientation -- avouée, aborde les problèmes les plus délicats devant des auditoires d'adolescents non formés... Commence à sévir parallèlement le Club de la Route... Représentée au Conseil français des Mouvements de Jeunesse, la Route prit bel et bien, à plusieurs reprises, sous la signature de Paul Rendu, d'inadmissibles options temporelles à propos notamment de l'Algérie. Certains Routiers convoquèrent même les jeunes gens au fameux meeting de la Mutualité... ... *celui où fut déployé et honoré le drapeau des fellagha...* ... On en était là, à l'alliance directe, ouverte, avec le marxisme révolutionnaire et ses complices. Le Congrès de Versailles des premiers jours de 1954 marque le triomphe de l'équipe Rendu et de son aumônier le P. Liégé, dominicain. 136:15 La quasi-unanimité des 700 chefs routiers présents applaudit un porte-parole de l'opposition naissante qui demandait, contre Cruiziat, des références constantes, dans la chronique sociale de *La Route,* à l'enseignement traditionnel de l'Église et, contre Rendu, le retour à la patrie dans la formation du jeune routier. Mais ces deux vœux essentiels furent escamotés par les prestidigitateurs de l'équipe dirigeante, comme en témoignent le numéro de *La Route* de février 1954, consacré à ce Congrès, et les numéros suivants. Au contraire, l'orientation s'aggrava, et ce furent, à côté du silence total sur l'Indochine, les monstrueux articles sur l'Algérie, la Yougoslavie, etc. Plus de citations des Souverains Pontifes, mais des phrases de n'importe qui, jusqu'à celle du liquidateur Mendès, en page de couverture du numéro de novembre 1954... Un étonnant unisson avec l'extrême-gauche se confirme au long des étapes successives : agitation sociale, grèves, agitation coloniale, rébellion... C'est le 10 octobre 1955, le soir où Cruiziat proclama qu'il y avait « *autant d'honneur à refuser de partir en Algérie qu'à accepter d'y aller* », qu'une victorieuse opposition montra que tout n'était pas perdu au sein de la Route Scout de France. L'affaire fait du bruit. Des conseillers généraux posent une question écrite au Préfet de Police sur cette atteinte au moral de l'armée ; Cruiziat devient indésirable dans les locaux de la C.F.T.C., et son Cercle politique doit successivement chercher bien des asiles provisoires avant de se fixer au Centre Saint Yves. Des jeunes s'unissent, puis s'organisent. Un peu partout en France naissent les Cercles Saint Thomas d'Aquin, soutenus par de grands noms du scoutisme et même de l'Église. Ils alertent l'Épiscopat français et le Saint-Office romain. L'équipe en place réagit. Une dizaine des promoteurs de ces Cercles sont destitués de leur mandat de chef par une « Cour d'Honneur » dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle fit bon marché du sien. L'affaire semble se tasser, mais la salubre réaction s'amplifie. Le travail d'assainissement se poursuit dans la métropole et en Afrique du Nord. Les cadres s'émeuvent, la position de l'équipe dite nationale devient précaire, elle est attaquée même au sein du quartier général. Conséquente avec elle-même, *La Route,* dans la personne de ses dirigeants, est à deux doigts de se détacher du scoutisme catholique. Mais les mandats des membres de cette équipe ne seront pas renouvelés : « Pour des raisons personnelles qui sont évidentes (!), l'équipe nationale envisage son départ progressif mais prochain », avoue un des derniers numéros de l'année 1956. 137:15 *On le voit : la démission de l'équipe dirigeante de la Route, annoncée en mai* 1957 *comme un fait nouveau, était en réalité un fait virtuellement acquis depuis la fin de l'année dernière.* *L'incident décisif de mai* 1957 *est que l'équipe dirigeante de la Route voulait faire participer la revue* LA ROUTE *à la campagne contre l'armée française menée par* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN ! *Et cela, au moment où S. Em. le Cardinal Feltin prononçait les paroles d'hommage à l'armée française que nous citons d'autre part...* Le Routier qui aurait suivi à la lettre les conseils de ses dirigeants serait devenu lecteur assidu de feue *La Quinzaine* (condamnée), de *L'Express* et de *Témoignage chrétien,* avec toutes les conséquences qu'entraîne cette massive intoxication. Il aurait pris parti contre le Pouvoir romain et contre la Hiérarchie chaque fois qu'ils condamnaient quelqu'un ou quelque chose ; systématiquement nié -- avec son aumônier national -- l'existence d'une doctrine sociale de l'Église ; tenu Mauriac pour un Père de l'Église, et Madiran pour un calomniateur intégriste ; béni tous les nationalistes pourvu qu'ils ne fussent pas français ; et mobilisé en toutes occasions une charité à sens unique en faveur de ceux qui souillent ou attaquent une patrie « dépassée ». Oui, nous accusons *La Route,* après tant d'autres d'ailleurs, d'avoir par son action pendant cette dernière décade, contribué à répandre ce climat de non-résistance au communisme. Malgré tous les avertissements, elle n'a jamais mis en garde ses jeunes lecteurs contre les forces qui assiègent l'âme de l'Église, l'âme de la France... *La Route Scout de France, école de chevalerie, d'héroïsme et de sainteté, était visée au cœur comme l'Église elle-même. Mais partout se lève la résistance : qu'elle soit commencée est un grand point.* ~===============~ 138:15 ### Le problème moral et les droits de la répression en Algérie *Dans* L'HOMME NOUVEAU *du* 12 *mai, l'abbé Richard écrit au sujet* de *l'Algérie *: Il ne suffit pas de condamner dans une phrase bien balancée à la fois la sauvagerie de la rébellion et les abus de la répression. Il faudrait s'attaquer concrètement à ce problème de la répression de la sauvagerie, qui est un problème d'ordre moral, puis juridique, puis militaire ou de police. *Sur ce problème moral, que passent sous silence certaines* « *protestations catholiques* », *nous avons pris position dans notre numéro* 13, *pages* 112-120. *Nous disions notamment, et nous répétons, et nous répéterons avec toute l'insistance qu'il faudra *: Qui éclairera les consciences ? Et comment ? Si nos moralistes n'ont jamais le courage de nous dire *quelles sont les représailles* PERMISES dans une guerre de partisans ? Car leur silence est total. Ils flétrissent les représailles excessives. Ils crient que le sang coule. Qu'il y a de grandes souffrances. Certes ! Mais *ils se taisent* là où précisément ils devraient parler... Sous prétexte de condamner une répression excessive, *c'est la répression elle-même qu'ils veulent décourager.* C'EST LE DROIT DE RÉPRESSION QU'ILS METTENT EN CAUSE. Ils ne lui reconnaissent aucun moyen pratique. Ils condamnent les moyens immoraux : bon. Mais quels sont les moyens moraux ? C'est à eux de le dire, et c'est ce qu'ils devraient dire d'abord. Mais il faudrait du courage à ces moralistes pour dire cela... Il est certain que toutes les représailles ne sont pas moralement permises. Mais il est également certain que, dans une guerre de partisans telle que celle qui nous est imposée par l'ennemi en Algérie, TOUTES LES REPRÉSAILLES NE SONT PAS MORALEMENT INTERDITES. 139:15 ... Tant que les soi-disant moralistes prétendront condamner les représailles excessives *sans jamais dire quelles sont les représailles moralement permises dans une guerre de partisans,* leurs prétendues protestations morales resteront une criminelle comédie. *Avec des intentions certainement excellentes le Comité lyonnais* « *pour le respect des droits de la personne* », *qui a été constitué sous la présidence de M. Joseph Folliet, a publié un manifeste qui présente le même caractère strictement unilatéral de critique négative.* *Nous ne confondons pas* ce *Comité avec les mouvements politiques qui font campagne contre l'armée française, sous l'inspiration des communistes et au profit des fellagha.* *Mais nous constatons que ce Comité, ou du moins le texte de son manifeste constitutif, laisse subsister une redoutable équivoque.* *A son intention notamment, nous reproduisons les conclusions de l'abbé Richard, dans le même article de* L'HOMME NOUVEAU*, -- conclusions qui rejoignent explicitement les nôtres.* *L'abbé Richard souligne que le véritable problème moral est celui* non seulement de la légitimité d'une répression, mais de la légitimité des moyens efficaces de répression. *L'abbé Richard rapporte* ce *témoignage, recueilli au cours* de *son récent voyage en Algérie *: Pour me faire comprendre, je pose le problème dans les termes mêmes où il me fut posé par l'un des dirigeants arabes d'une exploitation agricole qu'il m'a été donné de visiter : « Le jour de la paye, m'a-t-il dit, nos ouvriers sont rançonnés par un émissaire des fellagha qui leur enlève une grosse partie de leur argent... » *Remarquons au passage que ceux qui se soucient si bruyamment de l'insuffisance de certains salaires en Algérie ne se soucient jamais des prélèvements forcés opérés par les fellagha sur ces salaires *: *un tel silence équivaut* pratiquement *à une approbation implicite.* 140:15 « ...Si l'un d'entre eux refusait sa cotisation, il risquerait d'être trouvé dans les champs, saigné à la gorge comme un poulet. Si je signale ce fellagha à la police, il sera condamné à une peine insignifiante. Et, sans tarder, il se chargera de la vengeance, qui s'abattra sur moi inévitablement. C'est parce que la police ne sait pas mettre immédiatement cet homme dans l'impossibilité totale de nuire, que nous restons tous soumis à ses exactions, que la guérilla continue, et que notre désastre à tous s'accroît sans fin ». *L'abbé Richard commente *: Faut-il « laisser aller », c'est-à-dire jeter ceux qui défendent l'Algérie dans l'alternative, ou de la justice expéditive et irresponsable, ou de la capitulation sans condition aux mains des fellagha... ? SI LES CRITIQUES MÉTROPOLITAINS NE SAVENT PAS DONNER UNE RÉPONSE SUFFISAMMENT CLAIRE A CETTE QUESTION, ILS NE SONT PAS FONDÉS A CONDAMNER CEUX QUI, PRESSÉS PAR L'URGENCE DE L'ACTION, PAR LA TACHE DU SALUT DE DEUX COMMUNAUTÉS A ASSURER, FONT CE QU'ILS PEUVENT AVEC LA LUMIÈRE QU'ILS ONT. Un article de la revue *Itinéraires* de mai INVITE LES MORALISTES A PRÉCONISER DES MOYENS MORAUX D'ASSURER LA NÉCESSAIRE RÉPRESSION, AU LIEU DE SE BORNER A CONDAMNER LA RÉPRESSION EXCESSIVE. C'est une lacune qu'on peut reprocher en effet au livre de Pierre-Henri Simon. Disons que nous n'avons pas le droit, ni de fermer hypocritement les yeux sur les abus réels ou possibles de la répression, ni de décourager Une répression efficace. Cela veut dire qu'il faut doter les pouvoirs militaires ou de police des moyens légitimes et légaux de libérer effectivement de la contrainte et de la terreur l'immense majorité des habitants de l'Algérie, qui ont l'ardent désir de vivre en paix. ~===============~ ### Un livre de M. Raymond Aron *M. Raymond Aron vient* de *publier une nouvel et volumineux essai politique :* Espoir et peur du siècle (*Calmann-Lévy*)*. Il suggère lui aussi le jugement porté par Jean Madiran sur le livre précédent du même auteur,* L'Opium des intellectuels : 141:15 ... M. Raymond Aron n'est jamais si décisif que lorsqu'il écrit *L'Opium des intellectuels,* mais en dix ou vingt pages, ce qui lui arrive quelquefois. Je sais bien qu'ainsi l'on reste inaperçu de la plupart des intellectuels en place. Ils ne savent pas dire une chose en quelques mots. C'est pourtant de cette manière que le mouvement des idées avance -- ou change de direction (*Itinéraires,* n° 11, page 53). *Ce nouveau livre,* Espoir et peur du siècle, *contient une thèse déplorable sur l'abandon de l'Algérie, une thèse que les Français dans leur ensemble refusent absolument, et ont raison de refuser.* *Mais il serait injuste de ne voir que cela dans l'œuvre de M. Raymond Aron, et de sous-estimer l'importance que revêtent par ailleurs les analyses de l'auteur et leur contenu positif.* *C'est ce que note très heureusement M. Pierre Boutang dans* LA NATION FRANÇAISE *du* 8 *mai *: L'opinion publique, telle que la traduit une presse « fille des rues », ne connaît guère (de ce livre) et n'en a retenu, pour l'instant, que la thèse de l'abandon de l'Algérie. Or ce n'est que la plus contestable part de l'un des trois essais qui composent le livre. *M Pierre Boutang examine le premier de ces trois essais : il est* « *sur la droite* ». *Cet examen critique contribue, croyons-nous, à évoquer ou suggérer plusieurs des problèmes qui se posent aujourd'hui à la droite politique en France.* ~==============~ #### Une pensée politique de « droite » *Le premier chapitre de M. Raymond Aron s'intitule *: « *En quête de la droite française.* » *Il refuse l'imposture officielle *: 142:15 Il n'y a plus d'intellectuels de droite, décrétait, l'an passé, un hebdomadaire parisien qui voyait dans MM. Marcel Aymé, Roger Nimier et Jacques Laurent les derniers représentants d'une espèce en voie d'extinction. De l'autre bord, on répondait avec indignation que *L'Express* oubliait les authentiques penseurs de droite : Charles Maurras, Henri Massis, Gabriel Marcel, Jean Guitton, Jacques Chevalier, A. Fabre-Luce, P. Gaxotte. On pourrait ajouter à cette liste Pierre Boutang, qui est disciple de l'*Action française.* Et la gauche revendiquerait-elle Bertrand de Jouvenel ? *Dans son ensemble, la pensée politique dite* « *de droite* » *a été en France marquée par les idées de Charles Maurras, soit qu'elle se rattache directement ou indirectement à l'Action française, soit qu'elle ne s'y rattache pas du tout mais en ait plus ou moins consciemment subi l'influence.* *C'est pourquoi M. Raymond Aron, à propos de la pensée* « *de droite* »*, parte surtout de ce qu'a été l'Action française et de ce qui en survit.* *Il en parle d'ailleurs avec une grande liberté à l'égard des poncifs de gauche :* Des hommes de gauche ont été sincèrement surpris ou indignés que je ne fasse pas de différence *morale* entre les deux camps. Je l'avoue : je ne crois pas que l'homme de gauche soit plus intelligent ou plus généreux que l'homme de droite. On me répond que l'intellectuel de gauche prend la défense des pauvres et des opprimés. Je réponds qu'il défend surtout *une* catégorie de victimes... La protestation contre les « injustices » n'entraîne pour les intellectuels d'aujourd'hui aucun risque. Au contraire. Les communistes, les progressistes font carrière dans la presse ou dans l'université avec autant de facilité que les conservateurs. *en vérité, avec* BEAUCOUP PLUS DE FACILITÉ*,* *spécialement dans la presse, à la radio, au cinéma, à la télévision, etc.* 143:15 ... Dès lors, quand on suggère que l'intellectuel passant de la gauche à la droite renie la noble révolte pour servir les puissances d'argent, on sacrifie à un mythe auquel l'embourgeoisement de la gauche enlève toute signification (*Espoir et peur du siècle,* pages 14-15). *M*. *Raymond Aron est à cet égard un observateur pénétrant et sans préjugé. On n'admettra pas sans examen tout ce qu'il dit : mais il mérite d'être entendu. M. Pierre Boutang le situe *: Raymond Aron n'est pas de l'école des « machiavéliens », comme le prétendent ses ennemis. Il est pourtant de la trempe ou de la famille de Machiavel... Aron s'adresse aux partis, *n'en étant pas,* comme Machiavel s'adressait aux princes, *étant un républicain toscan.* *Voyons donc ce que dit M. Raymond Aron de la pensée politique* « *de droite* » ; *et ce que M. Pierre Boutang lui répond. C'est un débat de haute tenue, de grande qualité, et fort instructif.* ~==============~ #### LA CRISE QUI EST A DROITE *Après avoir remarqué que la* droite parlementaire *paraît* « *tantôt* se *réclamer de sa doctrine pour condamner l*e *mouvement des idées et des événements, tantôt trahir ses propres principes* », *M. Raymond Aron ajoute *: La pensée de droite subit, elle aussi, une crise. La tradition contre-révolutionnaire avait été quasi-monopolisée par l'Action française. Le prétendant au trône a désavoué avec éclat Maurras et les maurrassiens. Il est acquis à l'idée d'une réconciliation entre la monarchie et la démocratie... Le maurrassisme est aujourd'hui soucieux de défendre et illustrer l'action de Charles Maurras... De même que le maurrassisme s'épuise à défendre la mémoire de Maurras plutôt qu'à exalter l'Ancien Régime ou à préparer une restauration monarchique, les fascistes, après la défaite d'Hitler et de Mussolini, sont, quoi qu'ils en aient, tournés vers le passé. 144:15 Ils dénoncent l'injustice de l'épuration, les atrocités commises par les libérateurs soviétiques, anglo-américains ou français. Comme tous les vaincus, ils dressent contre les vainqueurs un acte d'accusation impressionnant. ...Image de l'Ancien Régime effacée, espoir de la rénovation fasciste perdu : la pensée de droite devient essentiellement négative. Les circonstances, il est vrai, offrent à la polémique une riche matière. Dix ans après la Libération, l'Empire n'existe plus, l'Union française se décompose avant même d'avoir été constituée, 25 % des votants accordent leurs suffrages au Parti communiste... Pour détruire le III^e^ Reich, on a livré la moitié de l'Europe au communisme. A tous les niveaux, la critique fait mouche, qu'il s'agisse du destin de la France, de la stratégie adoptée par les démocraties durant la dernière guerre ou de l'aboutissement historique de la gauche révolutionnaire. (*Espoir et peur du siècle,* pages 35-37.) *A quoi M. Pierre Boutang répond, en ce qui concerne le groupe de* LA NATION FRANÇAISE *dont il est l'animateur *: Les disciples de Maurras que sont quelques-uns des collaborateurs de ce journal... ne « s'épuisent » pas, comme dit Aron, « à défendre la mémoire de Maurras plutôt qu'à préparer une restauration monarchique ». La mémoire de Maurras n'a pas à être « défendue ». (*La Nation française,* 8 mai.) *Si nous comprenons bien, M. Boutang veut dire que la défense de la mémoire de Maurras ne saurait être l'objectif essentiel d'une action politique ; et qu'une action politique qui y consacrerait le principal de ses efforts mériterait en effet les critiques de M. Aron.* *M. Boutang, croyons-nous, exprime plus encore : à savoir que la mémoire de Maurras n'a pas besoin de chiens de garde. Maurras n'appartient plus à l'action politique ; il a commencé sa vie posthume, et son œuvre appartient maintenant non plus à un groupe ou un parti, mais au trésor commun de l'histoire et de la pensée françaises.* 145:15 *Sur le passé, M. Pierre Boutang n'accepte pas, ou pas tout à fait, que M. Raymond Aron fasse des hommes d'Action française une variété* de « *conservateurs* » : ...Ils étaient des *fondateurs* plus que des *conservateurs.* L'objectivité exige de reconnaître qu'ils n'ont rien encore fondé, même s'ils ont beaucoup sacrifié à la survivance de leur patrie. Mais leur histoire n'est pas close. Même si l'analyse historique et le bon sens prouvaient que l'Action française, comme mouvement politique soumis aux terribles normes du succès et de l'échec, n'a pas d'avenir qui lui soit propre (sa fin et sa justification n'ont jamais été autre chose que le retour de la monarchie), les idées et les méthodes de Charles Maurras, sans cesse appliquées a des situations nouvelles, garderaient leur valeur intacte. (*La Nation française,* 8 mai.) *La pensée maurrassienne a donc nettement conscience qu'elle est appelée à s'appliquer à* DES SITUATIONS NOUVELLES. *Mais, à ces situations nouvelles, la nouvelle droite maurrassienne appliquera-t-elle* « *les idées et les méthodes* » *de Charles Maurras* SEUL ? *Ou, pour poser la questions d'une autre manière, sera-t-elle amenée à considérer que ses* « *idées et méthodes* » *doivent être perfectionnées, corrigées, complétées, enrichies *? *En d'autres termes encore, la pensée politique de droite, que nous voyons renaître, s'organiser et préparer les moyens d'une action, -- cette pensée restera-t-elle* essentiellement *l'héritière de Maurras, et accessoirement seulement de* (*par exemple*) *Péguy, Bernanos, Augustin Cochin, etc. ? L'héritage d'Augustin Cochin, de Bernanos, de Péguy, etc., ne sera-t-il repris par cette pensée -- et par cette action -- que* dans la mesure *où il peut être intégré à une* synthèse POLITIQUE maurrassienne ? *Ou bien, sera-t-elle amenée à rechercher* une inspiration qui ne soit pas exclusivement politique, *et un principe de synthèse supérieur à* *l'ordre politique *? ~===============~ 146:15 ### La nouvelle droite monarchiste *En tous cas, le groupe de* LA NATION FRANÇAISE *manifeste, avec beaucoup de vigueur, et d'originalité à l'intérieur de la tradition, une renaissance de l'idée monarchique.* *M. Pierre Boutang en résume les positions :* La « jeune droite », dont il a été parfois question à propos de l'équipe rassemblée ici, retient de l'hypothèse monarchique quelques données simples et stables : a\) Que la monarchie, limitant la souveraineté capricieuse de l'opinion, incarnant le pouvoir indépendant, étranger à l'opinion, et *devant qui* elle est représentée, permet une synthèse de l'exigence du gouvernement et de celle de la représentation. Elle permet cette synthèse, mais nous ne pouvons savoir, *a priori,* sous quelle forme particulière elle l'accomplirait. b\) Que la monarchie oppose à la souveraineté absolue de l'argent ou des techniques une espèce de pouvoir qui leur est étranger, contre lequel technique et argent « butent » en quelque sorte, et qui permet leur remise en place, leur mesure, sans fausse dialectique et sans passion. c\) Que la monarchie place au sommet de l'État un pouvoir différent de la force pure, et du désir de son individualité effrénée : pouvoir *dynastique,* c'est-à-dire initialement modelé par les règles de la transmission héréditaire et les lois cérémoniales de son exercice. Aussi est-elle, aujourd'hui comme au temps de Bodin, aussi éloignée de la tyrannie (du « fascisme » si l'on veut) que de l'anarchie. *Les deux premiers points* (a *et* b) *exposent des* conséquences techniques *de l'existence d'un pouvoir* monarchique *à la tête de l'État. Le troisième* (c) *laisse entrevoir* CE QU'EST *un tel pouvoir.* *A l'alinéa précédent, M. Pierre Boutang précisait *: Si une théorie politique est possible, qui concilie quelques constantes de l'humaine nature avec les variations de l'Histoire (les rendant tantôt moins funestes, tantôt plus heureuses), on ne voit pas ce qui peut être reproché, pour l'essentiel, à l'empirisme organisateur de Maurras. 147:15 *L'empirisme organisateur de Maurras semble beaucoup plus propre à distinguer les* CONSÉQUENCES TECHNIQUES *de l'existence d'un pouvoir monarchique, qu'à pénétrer la* NATURE *d'un tel pouvoir, ou même, plus généralement, la nature de* TOUT *pouvoir politique. Dans cette perspective, la nouvelle droite monarchique peut être conduite à mettre l'accent sur* UN COMPROMIS D'ORDRE TECHNIQUE, ENTRE FRANÇAIS, SUR LA MANIÈRE D'ORGANISER LA FONCTION GOUVER­NE­MEN­TALE. *Les Français à qui ce compromis technique est proposé ont-ils* une juste idée morale *du pouvoir politique *? *Nous croyons que cette question se* *posera ou s'imposera tôt ou tard à la nouvelle droite monarchiste.* *Elle* se *pose déjà dans les perspectives mêmes de l'empirisme organisateur de Charles Maurras. Car cet empirisme organisateur proposait ses méthodes et ses conclusions à* l'amour de la patrie, l'amour de la religion, l'amour de la tradition, l'amour de l'ordre matériel, l'amour de l'ordre moral (cf. Maurras, *Dictionnaire politique,* tome I, page 9.) *Mais quand de tels sentiments sont mis en cause, quand de telles vertus sont moins vivantes, quand de telles traditions ont été au moins partiellement interrompues ?* *La méthode maurrassienne postulait un préalable, d'ailleurs explicitement affirmé : que* « *le moral* » *de la France était intact, que seul* « *le mental* », *et spécialement cette partie du* « *mental* » *qui concerne le* « *politique* », *avait été atteint par des idées fausses et de mauvaises institutions.* *Il peut se créer une situation* (*sommes-nous aujourd'hui dans une telle situation *?) OÙ, DANS UNE PERSPECTIVE MAURRASSIENNE ELLE-MÊME, *il apparaît que la méthode maurrassienne* N'EST PLUS APPLICABLE PARCE QU'ELLE N'A PLUS (*en suffisantes quantité et qualité*) A QUI S'ADRESSER. 148:15 *Quand l'état de la civilisation, des esprits et des mœurs sont tels que* « *l'amour de la patrie, l'amour de la religion, l'amour de la tradition, L'amour de l'ordre matériel, l'amour de l'ordre moral* » *ont été énervés et recouverts, découragés ou estompés chez le plus grand nombre, et jusque dans la plus grande partie des cadres de la nation ; et quand on s'aperçoit que ces sentiments et ces vertus ont été souvent, chez ceux qui s'efforcent d'y rester fidèles, et jusque chez les meilleurs, profondément dénaturés, falsifiés, pervertis, -- alors l'empirisme organisateur de Maurras ne se trouve-t-il pas en présence d'une situation, et d'une difficulté, auxquelles il n'a pas de réponse ? A moins* (*hypothèse de raisonnement*) *d'être réformé, ou complété, ou de recevoir l'approfondissement d'une dimension supplémentaire ?* \*\*\* *Nous ne prétendons point par là formuler des objections, mais* situer *quelques-unes des difficultés avec lesquelles, croyons-nous, les héritiers et continuateurs de la méthode maurrassienne auront à se mesurer, -- ne serait-ce que pour examiner si de telles difficultés sont chimériques ou réelles.* *Au demeurant, de telles préoccupations ne sont certes pas absentes de* LA NATION FRANÇAISE *: ce que peut-être l'on ne voit pas très bien encore, c'est dans quelle mesure ces préoccupations sont susceptibles de provoquer une révision critique* (*ou un ressourcement*) *de la méthode politique.* #### Une droite « négative » *Nous avons cité plus haut le jugement de M. Raymond Aron selon lequel* « *la pensée* de *droite devient essentiellement négative* ». *Elle l'est, selon lui, même quand elle* « *s'élève au-dessus de événement* » : 149:15 La critique de droite qui s'élève au-dessus des événements prend pour objet le régime parlementaire, la planification autoritaire, la civilisation industrielle, enfin le rationalisme dont toutes les sociétés modernes sont imprégnées. Cette critique, souvent plus lucide que l'optimisme de la gauche, suggère une opinion désenchantée sur l'avenir du monde plutôt qu'un programme d'action. La polémique contre le parlementarisme français est facile : que peut-on mettre à la place, au XX^e^ siècle, dans un pays déchiré par les conflits d'idéologies ? (*Espoir et peur du siècle,* page 37.) *M. Pierre Boutang répond *: Nous répondons que notre critique du régime parlementaire ne préjuge pas d'une théorie positive de la *représentation,* celle des intérêts, celle des valeurs. Mais, à la différence d'Aron, nous ne croyons pas que les « conflits d'idéologies » dont il connaît l'absurdité dévastatrice soient une donnée irréductible : c'est le régime parlementaire, c'est l'idée absurde que les hommes puissent se gouverner par la seule discussion reprise à chaque instant, qui exaspère ces conflits. Le problème demeure, en son fond, celui de l'Orestie, où le conflit n'est pas idéologique, mais purement tragique : INSTAURER UN TRIBUNAL DE JUSTICE SUPÉRIEURE QUI ENLÈVE A LA GUERRE INTÉRIEUIRE SON CARACTÈRE ABSOLU... La monarchie nous paraît être ce tribunal permanent d'arbitrage entre les passions, entre le monde moderne et l'ancien, entre les dialectiques de l'individu et du bien commun, qui se fraie, empiriquement, un chemin de justice. *Et plus loin :* Une droite acceptant les exigences de la civilisation industrielle, *à la condition qu'elle demeure une civilisation,* n'est pas étrangère à nos projets ou à nos rêves. Les fidélités traditionnelles, la juste méfiance à l'égard de la démocratie, ne la conduirait nullement à vitupérer un présent au demeurant fragile, mais à fonder un avenir solide et juste. 150:15 Nous demandons seulement à Raymond Aron ne pas *éterniser* faussement et *canoniser* les mauvaises, les mortelles habitudes de la démocratie parlementaire. Au-delà de la vaine querelle sur le nom de *démocratie,* nous lui demandons aussi de chercher avec nous si l'institution monarchique n'est pas la condition fondamentale de la politique *sage...* (*La Nation française,* 8 mai.) *C'est en tous cas démontrer par le fait, et M. Raymond Aron en conviendrait sans doute, qu'il existe une pensée politique de droite qui n'est essentiellement ni* « *négative* » *ni* « *polémique* ». *On peut la considérer comme le dernier aboutissement d'une longue tradition, point c'est tout. On peut aussi y voir germer et poindre une volonté neuve, un dessein créateur, et cela* (*quels que puissent être les accords ou les désaccords avec son contenu*) *appelle certainement l'estime et l'attention.* ~===============~ PARMI LES LIVRES REÇUS - Joseph THEROL : *L'Évangile de Jeanne d'Arc* (Nouvelles Éditions Latines). - Michel MASSENET : *Contre-poison *: *la morale en Algérie* (Grasset). - Gilbert RENAULT : *Fatima, espérance du monde* (Plon). - A. ROSSI : *Autopsie du stalinisme,* avec le texte intégral du rapport Krouchtchev, postface de Denis de Rougemont (Éditions Pierre Horav). - Branko LAZITCH : *Tito et la révolution yougoslave,* 1937-1956 (Fasquelle). - Jean BONIFACE : *Fables* (Au Pigeonnier). - Frantz BRUNET : *En compagnie* de *Charles Péguy* (Imprimerie Barguet-Comptour. Mâcon). 151:15 ## Note de gérance MALHEUREUSEMENT, un nombre non négligeable de nos amis se sont laissés gagner, ces derniers mois, par un optimisme trompeur. Comme ils entendent partout autour d'eux parler d'*Itinéraires,* ils s'imaginent que le succès de la revue est considérable, et qu'elle « marche bien ». Mais ce succès moral est loin d'être accompagné d'un succès matériel correspondant. Beaucoup de personnes en effet lisent la revue : mais beaucoup moins l'achètent personnellement ou y sont personnellement abonnés. Cela prouve que la revue circule : et c'est fort bien. Mais ce n'est pas aussi bien pour notre budget. Un pourcentage important de nos abonnés se réabonnent avec deux ou trois mois de retard. Gagnés par le même optimisme trompeur, ceux d'entre eux qui l'auraient pu s'abstiennent de souscrire un abonnement de soutien (ou une partie d'abonnement de soutien). Nous recevons même des lettres du genre de celle-ci : « J'approuve entièrement votre revue. Je la lis toujours avec *beaucoup* d'intérêt, mais comme je peux maintenant la lire chez un ami, je vous informe que je ne me réabonnerai pas. Continuez votre œuvre courageuse. » C'est une erreur de croire que l'on pourra continuer à lire la revue *Itinéraires* de cette manière. On ne la lira plus du tout, parce qu'elle cessera de paraître. \*\*\* CET OPTIMISME TROMPEUR a en effet de graves conséquences. Voici où nous en sommes : nous avons dû suspendre presque tous nos services de propagande. C'est lamentable. 152:15 Surtout à un moment où, sous l'influence des événements, beaucoup d'esprits sont particulièrement ouverts à ce qu'apporte la revue *Itinéraires.* Ce serait précisément le moment de multiplier les services de propagande, pour atteindre des lecteurs, pour atteindre des milieux jusqu'ici indifférents ou réservés, et qui commencent à désirer ou rechercher une voix qui fasse entendre ce que la revue fait entendre. Et c'est dans cette conjoncture si favorable que nous avons dû arrêter les services de propagande, faute d'argent. Pensez-y. Pensez-y activement. Pensez-y concrètement. \*\*\* VOILA DONC où nous en sommes. Voici maintenant où nous allons : l'existence même d'*Itinéraires* va matériellement être remise en question, si la plupart de nos amis ne sortent pas promptement de cette distraction, de cette négligence, de cette croyance que leur effort de propagande et de souscription n'est plus nécessaire. Il est toujours indispensable. Que tous nos amis veuillent bien entendre ce cri d'alerte et cet appel. ============== Fin du numéro 15. [^1]:  -- *L'Homme nouveau du* 26 mai. [^2]:  -- Message de Pâques 1957. [^3]:  -- (1). Saint-François de Sales. [^4]:  -- (2). Note doctrinale de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques d'octobre 1956. [^5]:  -- (1). *Itinéraires,* numéro 13, éditorial, page 14. [^6]:  -- (1). Hourdin, *Le Monde* du 4 mai 1957. [^7]:  -- (2). Dansette, *Destin du catholicisme français,* p. 30. [^8]:  -- (3). Cf. notamment : la lettre de S. Exc. Mgr Guerry, dans la *Quinzaine religieuse de Cambrai* du 23 mars 1956, reproduite dans la *Documentation catholique* du 28 octobre ; la Note doctrinale de l'A.C.A. d'octobre 1956, dans la *Documentation catholique* du 11 novembre ; la Déclaration de S. Exc. Mgr Guerry dans la *Croix* des 30-31 mai 1957. La Lettre et la Déclaration de S. Exc. Mgr Guerry sont citées dans les « Documents » du présent numéro. La Note doctrinale, dans les « Documents » de notre numéro 9. [^9]:  -- (1). Pie XII, 29 avril 1945, discours à l'Action catholique italienne. *Actes de S.S. Pie XII,* Bonne Presse éditeur, tome VII, page 90 : « *La doctrine sociale de l'Église... est claire en tous ses aspects, elle est obligatoire ; nul ne peut* s'en *écarter sans danger pour la foi et l'ordre moral.* » [^10]:  -- (1). Voir dans les « Documents » du présent numéro : *Chez les Routiers S. D. F.* [^11]:  -- (2). Précision donnée par Fabrègues dans la *France catholique* du 31 mai. [^12]:  -- (1). Pie XII : Message radiophonique de Pâques 1957. [^13]:  -- (2). Cf. sur ce point : J. Madiran, « la démocratie moderne », dans *On ne se moque pas de Dieu,* pp. 61-139. [^14]:  -- (3). Pie XII -- Message radiophonique du 1^er^ septembre 1944. (in « *Économie Sociale selon Pie XII* », Tome II, p. 81). [^15]:  -- (4). Pie XII -- Message radiophonique de Noël 1956. [^16]:  -- (5). Idem. [^17]:  -- (6). Idem. [^18]:  -- (7). Pie XII : Message radiophonique de Pâques 1957. [^19]:  -- (8). Pie XII : Message radiophonique du 14 septembre 1952. [^20]:  -- (9). Pie XII : Message radiophonique de Noël 1956. [^21]:  -- (10). Pie XII : Message radiophonique de Pâques 1957. [^22]:  -- (11). Pie XII : Allocution du 6 novembre 1955. [^23]:  -- (12). Pie XII : Allocution du 6 novembre 1955. [^24]:  -- (13). Idem [^25]:  -- (14). Idem. [^26]:  -- (15). Pie XII : Allocution du 6 novembre 1955 (Édit. fse de l'O.R 18 nov. 55). [^27]:  -- (16). Pie XII : Message radiophonique de Pâques 1957. [^28]:  -- (17). Pie XII : Allocution du 26 juin 1955 Édit. fse de l'O.R. du 8 juillet 55). [^29]:  -- (1). Voici la lettre que s. François de Salles écrivit sur la mort de Henri IV (lettres t. I, 30e lettre.) : Annecy, 27 mai 1610. -- Ah ! monsieur mon ami, il est vrai, l'Europe ne pouvait voir aucune mort plus lamentable que celle du grand Henri IV. Mais qui n'admirerait avec vous l'inconstance, la vanité et la perfidie des grandeurs de ce monde ? Ce prince ayant été si grand en son extraction, si grand en valeur guerrière, si grand en victoires, si grand en triomphes, si grand en bonheur, si grand en paix, si grand en réputation, si grand en toute sorte de grandeurs, hé ! Qui n'eut dit, à proprement parler que la grandeur était inséparablement liée et collée à sa vie ?...... Au demeurant, le plus grand bonheur de ce roi défunt fut celui par lequel se rendant enfant de l'Église, il se rendit père de la France, se rendant brebis du grand pasteur, il se rendit pasteur de tant de peuples ; et convertissant son cœur à Dieu, il convertit celui de tous les bons catholiques à soi. C'est ce seul bonheur qui me fait espérer que la douce et miséricordieuse providence du Père céleste aura insensiblement mis dans ce cœur royal en ce dernier article de sa vie, la contrition nécessaire pour une heureuse mort. Ainsi priai-je cette souveraine bonté, qu'elle soit pitoyable à celui qui le fut à tant d'ennemis, et qu'elle reçoive cette âme réconciliée à sa gloire, qui en reçut tant en sa grâce après leur réconciliation. [^30]:  -- (1). Lors de la conférence donnée par M. Dansette, à l'Institut catholique, à l'occasion du centenaire des *Études.* [^31]:  -- (1). Amiot-Dumont éditeur. [^32]:  -- (1). « L'évêque, cet inconnu », par le Cardinal Feltin, dans *Panorama* de mars 1957. [^33]:  -- (2). Note doctrinale d'octobre 1956, citée dans *Itinéraires,* numéro 9, pages 126-127. [^34]:  -- (1). Article de M. Jean Pélissier, le 12 avril 1957. [^35]:  -- (1). Cette même revue adopte depuis peu de temps des procédés de diffamation intellectuelle. Elle assure dans le même article que M. Dansette « *a fait un effort d'objectivité et d'impartialité remarquable qui irritera sans doute les extrémistes opposés, intégristes comme progressiste* ». Alors. *La Croix,* maintenant, est intégriste, ou progressiste ? Et la J.O.C., qui a publié contre le livre de M. Dansette des protestations très fondées (cf. *La Croix* du 17 mai) est elle aussi intégriste ou progressiste ? [^36]:  -- (1). Que le lecteur nous permette de le renvoyer aussi au chapitre V : *Précisions historiques,* de notre volume : *On ne se moque pas de Dieu.* Sur un point précis, le « Ralliement » de Léon XIII, on y voit notamment les contre-vérités et les fausses perspectives de M. Dansette (qui va jusqu'à mutiler les documents pontificaux) ont pour résultat non seulement de déguiser la vérité historique, mais encore de fourvoyer la pensée catholique contemporaine. [^37]:  -- (1). Message radiophonique du 14 septembre 1952. [^38]:  -- (1). *Ils ne savent pas ce qu'ils font,* principalement au chapitre V. pages 84-91. Cette analyse de la situation sociale en France, de la situation du mouvement ouvrier, et du contenu *contraire* de la publicité communiste, est reprise et développée dans *On ne se moque pas de Dieu,* chapitres VI, VII et VIII. [^39]:  -- (1). Ils votent en majorité C.G.T. dans les élections sociales, (*le plus. souvent, ils* S'ABSTIENNENT. Car enfin, il serait temps de s'apercevoir que la C.G.T. ne *recueille presque jamais la moitie des suffrages des électeurs inscrits* dans les élections ouvrières. Il serait temps aussi de s'apercevoir, que la C.G.T. trouve aujourd'hui des militants, des adhérents et des électeurs beaucoup plus parmi les *fonctionnaires et assimilés* que parmi les *ouvriers.* [^40]:  -- (1). L' « aile marchante » de l'Église, c'est la sainteté : voir *Ils ne savent pas ce qu'ils font,* pages 37-39. [^41]:  -- (1). Expression d'ailleurs fondamentalement inexacte bien qu'elle soit attribuée au P. Avril par M. Dansette (page 287). Il s'agissait de *certains* Dominicains, placés il est vrai à des postes de direction ou d'influence notamment dans la presse, l'édition et même la Radio d'État. Il ne s'agissait *pas seulement* de Dominicains. Rappelons que les *Études* ont approuvé, sans aucune réserve exprimée, ou suggérée, « *le rôle considérable et heureux dans l'orientation de la pensée catholique* », joué par la *Vie intellectuelle* des Dominicains de Paris, en allant jusqu'à accuser de maladie mentale tous les catholiques qui seraient d'un autre avis (*Études,* numéro de mars 1957, page 446). [^42]:  -- (1). Pour être continuée sous un nouveau titre : *Les Informations catholiques* (cf. *Ils ne savent pas ce qu'ils disent*, pages 97-98.) [^43]:  -- (1). Le groupe de la *Quinzaine* continue ses activités sous un autre nom. Il organise des réunions et publie *Le Bulletin,* « documents et recherches » (mensuel). A lire M. Dansette, on pourrait croire que ce groupe aurait complètement disparu. Il ne faut pas d'ailleurs exagérer son importance propre, qui est minime. Ce sont ses liaisons personnelles et idéologiques avec d'autres organes catholiques qui sont importantes. [^44]:  -- (2). Voir *Ils ne savent pas ce qu'ils disent* pages 77-78. [^45]:  -- (3). Voir *Ils ne savent pas ce qu'ils font*, chapitre I. [^46]: **\*** -- Ici : *d'abord* et *ensuite*. [^47]:  -- (1). Il serait superflu, et d'ailleurs impossible, vu le nombre de cas à prendre comme exemple, de préciser ceux qui font ressortir une incapacité notoire. On peut seulement montrer dans l'actualité les mesures par lesquelles on a pataugé en ce qui concerne la répartition de l'essence. Le « pouvoir » ignore que lorsqu'un chef d'entreprise est perplexe devant quelques problèmes d'organisation, il fait appel à des spécialistes de ce genre d'études. Mais nos gouvernants ne savent probablement même pas que cette profession existe. [^48]:  -- (1). Il est à peine besoin de préciser qu'il n'est pas question ici de la C.G.T. actuelle, mais de ce qu'elle était devenue au début du siècle.