# 16-09-57 2:16 ## ÉDITORIAUX ### Le Rapport doctrinal VOICI LA PENSÉE DES ÉVÊQUES, qui ont mission d'enseigner la doctrine. Dans la confusion actuelle des idées, les erreurs les plus dangereuses pour la pensée et la vie chrétiennes sont celles qui portent atteinte à l'Église : car l'Église, selon la parole de saint Paul, est « la colonne et le support de la vérité ». Avec clarté, avec autorité, le Rapport doctrinal de l'Épiscopat français expose le mystère de l'Église, et le propose à notre méditation. Beaucoup de chrétiens, même parmi les plus savants en connaissances profanes, n'ont en matière de foi et de doctrine religieuse que des notions élémentaires, qui résistent mal aux influences intellectuelles et politiques. Nous sommes donc appelés non pas à méditer n'importe quoi, n'importe comment, avec n'importe quel maître d'occasion, nous sommes appelés à connaître et à vivre les vérités qu'enseigne l'Église. \*\*\* 3:16 LE RAPPORT DOCTRINAL a été présenté le 30 avril 1957 à l'Assemblée plénière de l'Épiscopat français. Il est le fruit d'un commun effort de réflexion de tous les Évêques de France : il en est la synthèse, rédigée par Mgr Lefebvre, archevêque de Bourges. Il exprime la pensée de nos Évêques, qui en ont décidé la publication. Sa fonction est double : d'une part, chaque Évêque s'en servira pour donner, dans son diocèse, les orientations qu'il jugera utiles au clergé et aux fidèles ; d'autre part, il apporte une vue d'ensemble des questions doctrinales actuellement posées par le mouvement des idées en France. Publié au mois de juin en une brochure de soixante-deux pages, d'impression très lisible le texte est d'un style clair, et abondamment intertitré. On le trouve dans toutes les librairies catholiques, au prix très accessible de cent vingt francs. Matériellement et psychologiquement (techniquement, pourrait-on dire) il a voulu être et il est à la portée de chaque catholique. L'intention de l'Épiscopat nous paraît manifeste d'avoir réalisé une publication dont chacun puisse prendre personnellement et directement connaissance. Nous croyons que le meilleur moyen pratique de respecter cette intention est de n'interposer, entre le contenu du Rapport et l'attention du lecteur, aucun commentaire préalable risquant de prévenir les esprits en éveillant leur intérêt sur un point plutôt que sur un autre. C'est pourquoi nous avons décidé de remettre à de prochains numéros l'application explicite de l'enseignement du Rapport doctrinal aux problèmes qui nous occupent et aux tâches que nous avons entreprises. 4:16 Que nos lecteurs commencent donc, s'ils ne l'ont déjà fait, par prendre connaissance du Rapport tel qu'il se présente, par entendre la voix des Évêques de France telle qu'elle se fait entendre. Qu'ils l'écoutent sans intermédiaire ni traduction ; sans autre intention que d'ouvrir filialement leur cœur et leur esprit à ce que l'Épiscopat français juge opportun et nécessaire de dire aux catholiques français. Ensuite seulement, nous aurons à examiner ensemble comment cette doctrine, qui est celle de l'Église, rappelée sous la forme dont il était besoin hic et nunc, en France, en 1957, éclaire et inspire les initiatives que nous avons à prendre dans le cadre de nos responsabilités personnelles, familiales, professionnelles et civiques. \*\*\* PEUT-ÊTRE PLUSIEURS auront-ils le sentiment qu'il serait souhaitable en effet de méditer calmement « le mystère de l'Église », « notre adhésion au mystère de l'Église », et notre rôle de « chrétien, témoin du Christ vivant dans l'Église », mais que les circonstances y sont peu propices, ne nous en laissent guère le loisir, ne nous consentent pas ce minimum de silence extérieur -- et de silence intérieur -- nécessaire à la méditation. 5:16 Les événement politiques et sociaux sont dramatiques. Nous vivons au milieu des désordres et des périls, des combats et du sang répandu, et menacés peut-être par un redoublement des périls et des désordres avec lesquels déjà nous sommes aux prises. Mais précisément le chrétien est celui qui fait oraison. Non pas celui qui se retire du monde, à moins qu'il en ait la vocation particulière et exceptionnelle. Celui qui vit dans le monde comme n'en étant pas. Celui qui fait retraite, assurément, de temps en temps. Mais aussi celui qui doit garder la paix intérieure jusqu'au milieu des guerres, et retrouver le silence intérieur au milieu des tumultes. Celui qui fait oraison dans les périls, et tout en y faisant face. Celui qui, tout en accomplissant les tâches temporelles qui le réclament, et auxquelles il répond, pratique simultanément, comme disait saint Grignion de Montfort, « l'oraison perpétuelle ». C'est pourquoi il est parfaitement possible et certainement nécessaire qu'aucun chrétien, aujourd'hui, ne se laisse distraire d'accueillir et de méditer le Rapport doctrinal de l'Épiscopat français. 6:16 ### La justice en Algérie ON NOUS PARLE BEAUCOUP de la justice en Algérie. Toute une presse est pleine de dissertations et de proclamations sur la justice. Nous sommes peu convaincus ou même mal satisfaits par la manière dont on nous en parle, et nous allons dire pourquoi. Non pas que nous soyons opposés à ce que la politique française en Algérie soit placée sous le signe de la justice, au contraire : c'est précisément notre avis. La justice est par excellence la vertu sociale et politique. Elle doit normalement gouverner les entreprises politiques et sociales. A condition qu'il s'agisse de la justice vertu naturelle et vertu chrétienne, et non pas d'une justice « vertu chrétienne devenue folle ». \*\*\* ON NOUS DIT, concernant l'Algérie, que certains sont plus sensibles à l'efficacité immédiate et pratique : protéger les vies humaines contre le terrorisme ; tandis que d'autres sont plus sensibles aux exigences permanentes de la justice et de la dignité humaine. Il est impossible d'admettre une telle manière de fausser la question. Car protéger les vies humaines contre le terrorisme, ce n'est pas simple souci d'efficacité ; ce n'est pas simple dessein pratique et « réaliste ». Cela aussi, ou cela d'abord, appartient à la justice et au respect de la dignité humaine. 7:16 Il n'y a pas d'un côté « les exigences de la justice » et de l'autre les « besognes » de protection et de répression. La protection des vies humaines, la répression des crimes et des séditions, cela fait partie de la justice. Et ce n'en est pas une annexe secondaire. C'est un des points essentiels, c'est une des « exigences permanentes » de la justice politique. C'est même une exigence qui s'étend bien certainement jusqu'à la répression des responsabilités idéologiques et des complicités politiques du terrorisme. Une certaine propagande s'attache à disqualifier, à déshonorer toute idée de « répression ». Elle le fait au nom de la « justice ». C'est une des tactiques publicitaires de la « propagande diabolique » ([^1]) du communisme soviétique. Elle ne devrait pas mordre sur les catholiques, si du moins ils connaissaient, ou s'ils n'oubliaient pas, la doctrine catholique de la justice. \*\*\* LA JUSTICE est une vertu naturelle et une vertu chrétienne. La vertu de justice est la disposition permanente à rendre à chacun son dû et à traiter chacun selon son droit. Elle gouverne nos rapports avec autrui. *La justice sociale et politique* est la mise en œuvre de cette vertu de justice de manière à ce que chacun contribue pour sa part au *bien commun.* Or voici le paradoxe. 8:16 On nous parle sans cesse de la justice en Algérie sans aucune référence à aucune sorte de bien commun. Comme si le bien commun n'avait plus aucune place dans le vocabulaire, la pensée, la morale catholiques. Comme s'il n'existait plus. Ou comme s'il était une préoccupation sordidement « réaliste », n'ayant rien à voir avec la justice. Une justice sociale et politique qui ne connaît que des individus supposés isolés, hors de toute situation historique, sans aucune considération du bien commun actuel, -- une telle justice, sociale et politique parfaitement abstraite se prête aux rhétoriques et aux propagandes, mais elle est une justice devenue folle. \*\*\* LE BIEN COMMUN lui-même n'est pas (seulement) une vue de l'esprit, une construction abstraite, un invariable idéal défini une fois pour toutes. Il dépend partiellement du réel et du possible. L'établissement de l'esclavage a été un très réel progrès vers la justice naturelle, en son temps, quand il s'est substitué au massacre pur et simple des prisonniers de guerre (et des considérations d'intérêt, tout autant que des considérations de justice, ont suggéré cette substitution). Le servage a été un très réel progrès de la justice sociale, souvent le seul possible et le seul réel à l'époque, quand il s'est substitué à l'esclavage. Le travail forcé, en certains lieux et temps, est un progrès vers la justice et le bien commun, comparé à l'état antérieur. On ne peut, en tous lieux et à tous moments, sans considération de l'état effectif dans lequel se trouve une communauté humaine, placer les hommes qui la composent, par décret immédiatement exécutoire, dans un état de justice parfaite. 9:16 Ce que l'on peut, et que l'on doit, c'est constamment faire progresser la justice sociale et politique. Une justice sociale et politique inspirée de la dignité humaine et réglée dans chaque cas par le bien commun de chaque communauté humaine. Les pouvoirs et les réalisations de l'homme sont *limités.* C'est l'un des thèmes fondamentaux du dernier Message pontifical de Noël. Il nous rappelle que l'une de ces limites est la réalité historique : « *Quand il s'agit de réalités sociales, le désir de créer des choses entièrement nouvelles se heurte à un obstacle insurmontable, à savoir la société humaine avec ses organismes consacrés par l'histoire. La vie sociale, en effet, est une réalité qui est venue à l'existence de façon lente et à travers de nombreux efforts, et par l'accumulation, en quelque sorte, des contributions positives fournies par les générations précédentes. C'est seulement en appuyant les nouvelles fondations sur les couches solides qu'il est possible de construire encore quelque chose de nouveau. La domination de l'histoire sur les réalités sociales du présent et de l'avenir est donc incontestable, et ne peut être négligée de quiconque veut y mettre la main pour les améliorer ou les adapter aux temps nouveaux.* » Si on les néglige ou les méconnaît, on n'améliore rien du tout, on multiplie les massacres et les ruines. Nous croyons que cela ne devrait pas être oublié au chapitre de la justice et du bien commun en Algérie. \*\*\* DANS CETTE REVUE, à plusieurs reprises, nous avons apporté notre contribution à une évaluation de la situation algérienne, et d'une justice sociale et politique réglée sur le bien commun ([^2]). 10:16 Nous devons remarquer que, si nos lecteurs nous ont parfaitement suivis dans cette étude, elle semble être passée à côté des préoccupations qui se manifestent chez beaucoup de leaders de la pensée catholique en France. Qu'il s'agisse d'apprécier la situation de fait, ils en ignorent ou en oublient les premiers éléments ; qu'il s'agisse du dessein de mettre en relief les exigences chrétiennes de la justice sociale, ils en méconnaissent ou en contredisent les principes les plus assurés. Sur l'un et l'autre sujet, ils développent, avec des talents divers et parfois brillants, les thèmes les plus sommaires et les moins exacts d'une publicité politique qui méprise également les faits concrets et la doctrine morale de la pensée chrétienne. C'est pourquoi nous exposons souvent des vérités bien élémentaires. Ces vérités élémentaires sont aussi les plus importantes. Leur méconnaissance est la plus sûrement catastrophique. Que toute une partie, fort remuante, bruyante, influente, de la pensée catholique, et de l'action des catholiques en politique, notamment en ce qui concerne la politique algérienne, soit fondée sur *les exigences théoriques, ou plutôt rhétoriques, d'une* JUSTICE SOCIALE CONÇUE A L'ÉCART DE TOUTE NOTION DE BIEN COMMUN, voilà une aberration bien élémentaire en effet. Élémentaire et lamentablement décisive. Quand cette aberration inspire une propagande systématique, une pression sociologique sur les esprits par des orchestrations journalistiques et des mots d'ordre uniformément orientés dans les organisations et mouvements, on obtient alors le double résultat de désorienter les consciences et de paralyser toute politique française. 11:16 La politique française en Algérie est la politique faible et hésitante d'un État qui a peu de vigueur et peu de moyens pour promouvoir le bien commun. Il aurait, aujourd'hui plus que jamais, besoin du renfort vigilant des catholiques, l'éclairant par leur pensée, le soutenant par leur action civique. Mais c'est le moment où un grand nombre de militants, de publicistes, de penseurs catholiques, parmi les plus en vue et les plus influents, ont oublié ou perdu jusqu'à la notion du bien commun. Une justice politique et sociale « libérée » du bien commun est une machine de guerre civile, qui ne peut produire que haines et massacres, qui les produit déjà, qui les suscite, ou les excite, ou les amplifie ; qui les cultive atrocement. Ils ne s'en doutent évidemment pas, ils croient bien faire. C'est pourquoi nous leur donnons cet avertissement : non pas pour les attirer dans quelque « option » qui nous serait particulière, mais pour les inviter à se souvenir précisément des vertus et des principes qui, pour le bien temporel et spirituel de tous, règlent le comportement social et politique du chrétien. \*\*\* DANS LA PENSÉE et dans l'action, la question n'est pas d'être « pour » ou « contre » LA JUSTICE, mais de la restaurer, et d'en retrouver cette vue et cette pratique exactes qui ont été tellement brouillées dans les consciences et dans les mœurs. Pour tous, croyants et incroyants, la justice sociale et politique doit être à nouveau conçue en fonction du bien commun : le bien commun ne pouvant lui-même être décrété abstraitement, mais recherché en fonction de la situation historique de l'Algérie. 12:16 Il y a là un vaste terrain de travail et d'entente : les propagandes partisanes réussissent assez bien jusqu'ici à en détourner les Français. Ce que le chrétien apporte en outre, ou plutôt simultanément, par sa vie intérieure et par ses actes plus que par ses discours, c'est la charité sans laquelle notre justice ne réussit guère à être tout à fait juste, comme D. Minimus le rappelait à notre méditation ([^3]) : « Sur cette terre beaucoup de choses terreuses et terriennes nous doivent occuper. Il y a toujours quelque chose à ajuster pour nous conformer à la nature des choses et à la justice, car les circonstances changent chaque jour et on ne saurait trop bien faire. Mais notre faiblesse est telle que notre justice n'est jamais juste si la charité ne l'éclaire. Pour faire régner la justice, il faut d'abord enseigner l'amour de Dieu et du prochain. Depuis la venue du Christ, faire autrement, c'est mettre la charrue devant les bœufs. Ceux qui croient devoir réformer la société avant que de la convertir font l'erreur des Juifs et des Apôtres avant la Résurrection... Ils estiment que ce n'est pas encore le temps d'adorer Dieu en esprit et en vérité. » 13:16 ## CHRONIQUES 14:16 ### Présentation d'Henri Charlier Henri Charlier a l'air d'un de ces hommes à la veillée qui savent plaisanter, mais aussi tout démêler en trois paroles. Plein de feu, plein de mordant, plein de bonne humeur, plein de choses. Industrieux et solide, solide comme celui qui se sait sur la voie, avec le manque entier de vanité, d'amertume, de doute, que celui-là peut avoir. Henri POURRAT, *Le secret des compagnons,* p. 219. HENRI CHARLIER vient de publier un ouvrage ([^4]) qui est de la plus haute importance, non seulement pour la pensée artistique, mais encore pour l'ensemble de la pensée catholique et de la pensée moderne. Par ce livre, Henri Charlier continue l'œuvre de Péguy et d'Augustin Cochin pour une réforme intellectuelle. Il a d'emblée autant d'audience, dans l'agitation contemporaine, qu'en eut Péguy de son temps : c'est-à-dire qu'elle n'apparaît pas en surface, qu'elle est appelée à cheminer pendant des années en profondeur ([^5]). 15:16 Nous avons nommé Péguy et Augustin Cochin. Celui-ci est encore presque inconnu : son œuvre inachevée, ou plutôt, à peine commencée, n'est pas encore découverte par tous ceux qui cherchent à tâtons cela même dont Augustin Cochin avait esquissé le chemin ([^6]). Quant à Péguy, tout le monde croit le connaître et tout le monde ou presque ignore en réalité la direction de son dessein et le contenu de son œuvre. De tous ceux qui approchèrent Péguy, de tous ceux qui lui ont parlé, qui l'ont connu, qui l'ont vu, qui l'ont écouté et entendu, combien sont-ils qui se soient seulement aperçus de cet effroyable « détournement de succession spirituelle », selon le mot de Fabrègues, dont Péguy comme Bernanos, comme Léon Bloy, comme quelques autres, a été victime ? Au vrai, ce n'est pas Péguy, c'est nous-mêmes qui sommes les victimes de cette opération, c'est nous-mêmes et notre temps. Témoins véritables de Péguy, nous n'avons plus guère que Daniel Halévy et Henri Charlier*.* \*\*\* L'ŒUVRE D'HENRI CHARLIER n'a aucun besoin de nous pour cheminer selon son destin. Elle se suffit à elle-même. Mais c'est nous qui avons besoin d'elle. Elle raccourcit les délais et prévient les catastrophes, si nous savons n'être point trop paresseux ni trop Lents a en étudier la leçon, a en assimiler la substance, a en vivre la pensée. 16:16 Si nous la négligeons, il est certain que les mêmes vérités nous seront enseignées par une autre voie : celle de la souffrance et du malheur, celle de l'humiliation nationale, celle du triomphe provisoire d'une épouvantable barbarie. C'est pourquoi nous travaillons autant qu'il est en nous à faire connaître la pensée d'Henri Charlier. Il aime à dire que depuis cinquante ou soixante-dix ans, il a été donné à la France tous les grands esprits et tous les grands hommes dont elle avait besoin, mais qu'elle n'a pas su les écouter, ou qu'elle en a été détournée. Il oublie seulement de s'inscrire à leur suite. Il l'oublie ou plutôt il n'en sait rien : car cela ne le regarde pas. Cela nous regarde et c'est à nous de le savoir. C'est à nous qu'il appartient de reconnaître Henri Charlier ; de prêter l'oreille, d'ouvrir notre cœur autant que nous le pouvons. De nous mettre au travail. \*\*\* NOUS PUBLIONS ce mois-ci l' « enquête » qui constitue le dernier chapitre du Martyre de l'art. C'est en quelque sorte une présentation d'Henri Charlier par lui-même, et c'est à ce titre d'abord qu'elle trouve place ici. Mais c'est en même temps beaucoup plus. Attaqué par des religieux dont on ne connaît que trop les tendances, et dont le procès intellectuel -- le procès des idéologies, non des personnes -- approche de sa conclusion, Henri Charlier défend non pas sa personne, 17:16 mais ce à quoi il tient plus qu'à lui-même, et que ces mêmes religieux avaient indiscrètement mis en cause, avec une lamentable incompréhension : cette paroisse champenoise du Mesnil-Saint-Loup, qui fut convertie par son curé, le P. Emmanuel, entre 1850 et 1900. L'œuvre du P. Emmanuel s'y continue. Dans ce haut lieu de la grâce, dans cette paroisse de NOTRE-DAME DE LA SAINTE-ESPÉRANCE, Henri Charlier s'est retiré depuis trente ans. Il nous dit lui-même pourquoi. Dans nos prochains numéros, on trouvera la conversation que nous avons eue avec Henri Charlier autour de ces sujets et de quelques autres. Mais voici d'abord l' « enquête ». Enquête sur Henri Charlier. Il a imaginé un « critique », qu'il nomme E.B.T. LICHARD, venant enquêter sur son compte selon les méthodes « modernes » de la sociologie positiviste et de l'évolutionnisme historique, qui ont envahi et annexé jusqu'à certaines parties de la pensée catholique. Le supposé E.B.T. Lichard a consigné dans le récit que l'on va lire les péripéties de son enquête. J. M. Sculpteur et peintre. Henri Charlier n'expose pas. Dans la « Conversation » avec lui que nous publierons dans nos prochains numéros, il nous dira lui-même pourquoi il ne veut pas exposer. Il a des peintures et des sculptures en Belgique, en Hollande, au Canada et même au Japon. En France : le tombeau de Dom Guéranger dans la crypte de Solesmes et la Vierge de l'ancien cloître ; le tympan, les chapiteaux et le maître autel de l'église de la Bourboule ; le Sacré-Cœur placé sur le Dôme de la Colombière à Paray-le-Monial ; etc. A Paris : une « *Virgo fidelis* » dans le jardin du Séminaire des Carmes ; le maître autel de l'église du Prieuré (construit par Dom Bellot) des Bénédictines, missionnaires à Vanves ; et dans l'église Saint-Germain-des-Prés, une œuvre de jeunesse : le petit bas-relief de la consécration de Mgr de Montmorency Laval (en face de la porte de la sacristie). [^7] CHARGÉ D'ÉDITER ces quelques écrits d'Henri Charlier, nous avons voulu faire les choses comme il se doit, c'est-à-dire, vérifier les dates, les lieux, corriger les fautes d'orthographe, rétablir la vérité si elle n'était pas bien présentée, enfin mettre toutes choses au point, ce qu'on ne saurait attendre d'un artiste qui n'a point été formé aux sévères méthodes de nos grandes écoles. Nous avons même pensé qu'il n'était pas mauvais de connaître M. Charlier personnellement pour nous faire une idée de son état d'esprit et de ses tendances. Nous fûmes donc le voir en son petit village. 18:16 Le P. Régamey ([^8]) a bien raison : il est difficile de tenir conversation avec Henri Charlier ; on ne sait jamais ce qu'il va dire. Il commença par me déclarer : « Ah ! vous êtes critique ? Alors vous venez pour me juger ? Montrez-moi vos papiers. » J'étais un peu interdit et il reprit : « Pour vous remettre, commençons par trinquer ensemble. » Nous nous assîmes sous un pommier auprès d'une table de pierre et il me versa cinq ou six grands verres d'une liqueur inoffensive qu'il nommait *ratafia.* Il l'avait faite lui-même, disait-il, avec du jus de raisin et de la goutte ; goutte de quoi ? me demandais-je ; mais je me souvins d'un ancien refrain militaire cité dans nos anciennes chroniques : « *Y* a *d'la goutte à boire là-haut !* » Après avoir trinqué plusieurs fois, après quelques considérations œnologiques, il prit un livre de couleur ocre et me lut le début du *Premier Alcibiade.* Je ne sais pourquoi les réflexions de Socrate me faisaient rire aux larmes. « Alcibiade, quel est le sujet dont les Athéniens vont délibérer et quel motif as-tu de vouloir les conseiller à ce propos ? N'est-ce pas parce qu'il s'agit d'une question que tu connais mieux qu'eux ?... Eh bien, ce que tu as appris, je peux à peu près te le dire moi aussi ; d'ailleurs si j'oublie quelque chose, reprends-moi. Tu as appris, autant qu'il m'en souvient, à lire, à écrire, à toucher de la cithare, à lutter ; quant à jouer de la flûte, tu ne l'as pas voulu. Voilà exactement ce que tu sais, à moins que tu n'aies appris quelqu'autre chose à mon insu... -- Non, je n'ai pas pris d'autres leçons. -- En ce cas, est-ce lorsque les Athéniens délibéreront sur une question d'orthographe que tu te proposes de donner ton avis ? » 19:16 Ah ! ah ! ah ! *Ma Di'ouk egôge ô Sôcratès !* Oui, ce sont les paroles qui me reviennent. Et ceci encore : « Concluons donc qu'au sujet du juste et de l'injuste il a été dit : que le bel Alcibiade, fils de Clinias était dans l'ignorance, mais qu'il se croyait savant et se proposait d'aller dans l'assemblée donner des conseils aux Athéniens sur ce qu'il ignorait totalement. N'est-ce pas exact ? » Oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah ! J'en ris encore. Il m'est difficile aujourd'hui, même en relisant le texte à tête reposée, de retrouver cette impression délicieuse que me donna ce jour-là la philosophie grecque. Après quoi, M. Charlier me chanta une petite chanson de son pays que sa grand-mère jadis, disait-il, chantait en lui chatouillant le cou pour le faire rire : *En passant par la Bourgogne,* *J'ai rencontré un petit homme* *Qui mangeait du pain, des pommes.* *Et qui buvait du ratafia* *Ah ah ah ah !* *Ah ah ah ah !* 20:16 Je la cite à cause de la référence linguistique au nom de la liqueur : c'est un document. Ensuite, M. Charlier alla chercher un vieux livre où se trouvait le catalogue d'une certaine librairie Saint-Victor ; il m'en lut les titres et me montra qu'on allait beaucoup plus loin et qu'on faisait encore mieux de notre temps. J'en suis intimement persuadé, mais je m'étonnai que M. Charlier pensât de même. La gaieté provoquée par la maïeutique de Socrate commençait à passer ; un peu fatigué, par le voyage sans doute, une légère céphalée commençante, je me retirai pour me reposer et au bout de quelques heures je me ressaisis. En somme, Socrate faisait le procès de la critique et du parlementarisme ; et malgré ses bonnes intentions, M. Charlier était dans une erreur profonde. La pensée de Socrate est bien dépassée aujourd'hui et il ne pouvait connaître les problèmes du monde moderne. Il n'est nullement besoin de connaître un métier pour en parler, ni même pour le diriger ; tout notre enseignement tend à nous éviter cette servitude. Notre État, nos grandes administrations sont fondées sur cette séparation du savoir et du gouvernement. Notre Sorbonne, l'école des Sciences Politiques fabriquent des spécialistes de l'universel, bons à tout et qui ne peuvent évidemment avoir le temps de connaître les métiers qu'ils prennent en charge ; il suffit de savoir en parler. La critique est une invention de notre temps, et chacun sait qu'elle consiste essentiellement à parler de travaux qu'on ne prétend pas être en mesure de faire soi-même. Heureuse division du travail ! par laquelle les uns font le travail et les autres peuvent en vivre sans y toucher. M. Charlier me paraît injuste : quel moment de l'histoire où nous pouvons voir sous nos yeux une conscience religieuse de l'art chrétien entièrement distincte des œuvres qui se font, débarrassée de tout moyen de les réaliser ! Quel poids donne aux jugements de la critique cette incapacité foncière de se mêler à la pensée qui se crée, et quelle présomption d'impartialité ! Oui vraiment, M. Charlier est injuste pour le P. Régamey. Le point de vue a changé depuis deux siècles et il a été défini, il y a un siècle déjà, par un homme qui... je ne sais comment dire, par un homme que... par un homme enfin, Ernest Renan, et voici ses paroles : « La cause de la critique est la cause du rationalisme et la cause du rationalisme, c'est la cause de l'esprit moderne. Dans les écrits, ce qui nous intéresse le plus est précisément ce à quoi les contemporains ne songeaient pas : particularités de mœurs, traits historiques, faits de linguistique. 21:16 L'admiration absolue est toujours superficielle. Nul plus que moi n'admire les Pensées de Pascal, les Sermons de Bossuet ; mais je les admire comme œuvres du XVII^e^ siècle. Si ces œuvres paraissaient aujourd'hui, elles mériteraient à peine d'être remarquées. L'histoire littéraire est destinée à remplacer en grande partie la lecture directe des œuvres de l'esprit humain. » Notre baccalauréat est évidemment suspendu à ces heureuses méthodes ; et un très grand homme que nous avons enterré solennellement naguère, Paul Valéry, renchérissait sur ce langage : « Ce n'est pas assez de périr : il faut devenir inintelligible, presque ridicule. » Et il cite comme exemples Racine et Bossuet. C'est pourquoi probablement, Valéry a préféré être inintelligible de son vivant. SANS DOUTE les conclusions de Renan sont bien dépassées aujourd'hui, et nous sommes prémunis par d'anciennes traditions contre certains excès, mais la méthode reste et triomphe. Verrions-nous sans cela un simple journaliste prétendre à diriger l'art chrétien ? C'est l'accomplissement de ces magnifiques paroles de d'Alembert dans la préface à l'Encyclopédie : « Quiconque est jaloux d'acquérir ou de conserver l'estime et la confiance publiques doit ménager les écrivains de sa nation : ils sont auprès de leur siècle et de la postérité les distributeurs de la renommée et du blâme, les juges des opinions et les appréciateurs des hommes. » Voilà bien décrite cette admirable conquête de l'esprit humain qui permet, sans expérience des hommes ni de leurs travaux, de les juger et de les conduire. A une condition, bien entendu, qui est de délimiter scientifiquement l'objet de la reconnaissance. Il est bien établi que ce qui importe, ce n'est pas du tout ce qu'ont pensé les artistes, les problèmes qu'ils ont essayé de résoudre, ce qu'ils ont pensé être vrai et qui est inclus dans leurs modes d'expression même ; mais de voir leur place dans une évolution qui vous mène de progrès en progrès par la voie de la raison. Il suffit de principes généraux ; celui qui ne connaît rien de rien à tous ces métiers et arts spéciaux n'a pas d'idées préconçues et est seul à même de faire des synthèses qui éclairent l'esprit du public. 22:16 Que demande ce public ? De retrouver dans nos écrits les méthodes qui lui ont permis de passer le bachot et d'être un homme dit cultivé ; c'est-à-dire d'obtenir des séries et des successions bien établies qui évitent ensuite d'avoir à penser. Qu'un artiste passe sa vie à élucider un mystère métaphysique, cela le regarde ; nous sommes tenus par l'esprit même de la science à rester en dehors, et étant incapables de pénétrer dans la pensée même, nous devons tourner autour et rechercher toutes les causes extérieures qui expliquent l'extérieur de la pensée, par exemple, la femme blonde qui peut avoir été à l'origine de la théorie de la relativité. L'ART est d'abord (mais pour les artistes) un amour du vrai qu'ils expriment par sa splendeur ; nous nous occupons en outre d'examiner les différences de leurs opinions et de leur savoir sans jamais toucher au fond des choses, ce qui est le vrai point de vue moderne. C'est pourquoi il est peu important de savoir si, dans l'art chrétien, le vrai point de vue de la foi se trouve exprimé ; mais si l'artiste répond bien aux influences de son époque et aux idées régnantes nécessitées par l'évolution. Aucun homme n'a pu se dispenser en certains temps du port de la perruque ou de la moustache (à part des originaux inclassables comme Jean Bart ou Pascal) et des faits aussi généraux doivent attirer avec force l'attention du savant. Le conseil de Taine est toujours valable : « Pour faire de belles œuvres, la condition unique est celle qu'indiquait déjà le grand Gœthe : « Emplissez votre esprit et votre cœur, si larges qu'ils soient, des idées et des sentiments de votre siècle, et l'œuvre viendra. » Voilà pourquoi les critiques sont si souvent appelés à morigéner les artistes, qui trop souvent indociles ne se soucient pas d'être de leur temps. La raison vient tard aux artistes ; ils ne commencent souvent à être de leur temps que vers soixante-dix ou quatre-vingts ans, témoin M. Claudel. Ceux qui meurent trop jeunes, comme Gauguin ou Van Gogh, n'y arrivent jamais, et ce n'est pas faute d'avoir été avertis par les critiques. Georges de la Tour a mis trois siècles pour y parvenir. 23:16 DE NOS JOURS, la consigne est de faire n'importe quoi pourvu que ce n'ait jamais été vu. Un artiste risque fort de n'être pas de son temps lorsque son œuvre a plastiquement une signification ; nous n'y pouvons rien et c'est de notre devoir de le rappeler aux artistes. Sans doute il nous arrive de placer très haut des médiocrités et de nous méprendre sur de grands artistes, trop imprudents généralement (ce fut même le cas habituel depuis cent ans). La raison en est que les premiers sont dans le sens de l'évolution, à laquelle les grands artistes font constamment des accrocs sous prétexte de liberté, et il est nécessaire de sacrifier les cas particuliers à une grande idée. Le maître de la Pietà d'Avignon, exact contemporain de Léonard de Vinci, était un homme en retard sur l'évolution. Peu importe que nous le trouvions aujourd'hui beaucoup plus complet, beaucoup plus savant et profond que Léonard de Vinci ; de son temps, c'était un homme en retard, qui n'avait pas vu la nécessité évolutive de la « Rechute » comme Chesterton nommait la Renaissance. Michel-Ange lui-même est un homme qui n'a fait autre chose que *conserver* les qualités *plastiques* de tout l'art du Moyen-Age. Son génie leur a donné un aspect personnel, mais ses moyens d'expression plastique sont ceux de Giotto, de Masaccio, de Fouquet et du portail de Chartres. Il est manifestement dans une impasse de l'évolution. De son temps, déjà, et pendant trois siècles, les artistes allaient abandonner complètement le système plastique de Michel-Ange et du Moyen-Age. Si les critiques avaient existé en ce temps, c'eut été leur devoir de lui signaler son erreur sur le sens de l'évolution. Sans doute, à la fin du XIX^e^ siècle, les artistes, particulièrement Rodin, Gauguin et Van Gogh, ont essayé de retrouver ces qualités plastiques perdues depuis le temps de Michel-Ange et de Jean Goujon : mais c'était chose si contraire à l'évolution qu'ils sont morts à la peine sans que la critique daignât s'en inquiéter, sinon pour mettre en garde contre une tentative si téméraire. Au contraire, les artistes contemporains les plus connus ont parfaitement réussi dans le monde, en s'aidant des méthodes commerciales les plus modernes, et les Pères Dominicains de l'Art *Sacré* ont parfaitement raison, je le dis sans fard à M. Charlier, d'y voir un signe qu'ils sont vraiment dans le sens de l'évolution. -- Laquelle ? me répondit celui-ci. Vers un homme à queue ou un homme à cornes ? -- « Comment ? lui répondis-je, ne voyez-vous pas que la noblesse dans l'évolution consiste à ne pas savoir ce qu'on fait ni où on va ? » 24:16 Chacun sait que l'Évolution est l'explication définitive du changement dans l'univers. On a toujours échoué à démontrer le mécanisme de ce changement, et ce qu'on veut éviter, c'est de le rapporter à l'opération de Dieu. Cette solution pourrait sans doute avoir sa place, mais l'évolution consiste précisément à essayer des solutions mécaniques des problèmes métaphysiques : inclinons-nous. Mais il y a cette force, l'Évolution ! Un docteur célèbre du XVII^e^ siècle, Jean-Baptiste Poquelin, qui mourut jeune, malheureusement, et lors même qu'il prononçait le *Juro* du serment de docteur, a laissé, non de l'Évolution elle-même mais de la méthode intellectuelle qu'elle suppose, une définition éternelle. Elle ne se rapporte qu'à un fait particulier, mais elle vaut pour tous les faits du même genre. A la question : « *cur opium facit dormire* » il répondit : *Quia est in eo* *Virtus dormitiva* *Cujus est natura* *Sensus assoupire.* Nous n'avons qu'à transposer ; l'évolution est une *virtus mutativa cujus est natura chosas mutare.* Et cette vertu occulte fait en outre, comme chacun le voit, que les choses vont toujours de mieux en mieux ; les conquêtes de l'esprit moderne depuis trois siècles et la puissance acquise par l'homme en sont une preuve incontestable. Cette théorie est très consolante ; elle nous permet de penser que nous sommes ce qu'il y a jamais eu de mieux dans l'humanité. Le Père Régamey a donné un exemple admirable de ces vues profondes de la critique moderne et l'équité nous oblige à les rapprocher des opinions de M. Charlier. Le Père a montré les efforts dispersés et divergents des artistes chrétiens depuis quarante ans cherchant petit à petit en des demi-ténèbres la route royale que le P. Régamey leur montre aboutissant à la chapelle de Vence. La place de M. Charlier dans cette évolution, on doit le dire, n'est pas très favorable ; elle est dépassée, par en haut ou par en bas, nous ne savons, et peu importe, elle est dépassée. L'échec pratique de Gauguin, de Van Gogh, de Rodin, aurait dû apprendre à M. Charlier qu'il avait tort de suivre leur exemple. Il a voulu, à la fois, FAIRE DESCENDRE LEUR RÉFORME DANS LES MÉTHODES TEÇHNIQUES, ET LA RATTACHER A DIEU. Peut-on bouleverser ainsi les habitudes ? Peut-on être aussi inactuel ? 25:16 NOUS AVONS FAIT à M. Charlier toutes ces réflexions. Il s'est contenté de nous offrir un verre de ratafia en disant que l'évolution comporte des veaux à deux têtes et à cinq pattes ; qu'il trouvait tout naturel qu'on mît ces phénomènes dans un musée spécial ; que pour lui, il n'avait que quatre pattes et se contentait d'en user de façon tout à fait personnelle, comme l'ont fait les artistes des siècles passés. Et, trinquant à nouveau, il ajouta : -- Ne savez-vous pas que l'homme, qui a déjà perdu deux mains et une queue pour devenir homme, va bientôt perdre la tête ? -- D'où tenez-vous cet approfondissement des vues communes ? lui demandai-je. -- De l'un des auteurs de la librairie Saint-Victor, fut sa réponse. J'étais perplexe : sans doute quand il naît un veau à cinq pattes, il y a dans l'évolution un moment un peu pénible. L'évolution fait sentir aux veaux le besoin qu'ils auraient d'une patte supplémentaire pour je ne sais quelle nouvelle fonction (se gratter ? se moucher ? on sait quel moyen de fortune les veaux emploient à cet usage), fonction dont nous ne voyons pas bien la fin. La fin que se proposent les artistes du musée d'art moderne peut aussi bien nous échapper ; l'impartialité oblige à mettre de côté la pensée qu'ils veulent être à la mode et gagner de l'argent. Le progrès des lumières a rendu extrêmement rares d'aussi basses pensées. Je vais employer une image un peu risquée peut-être, et qui peut offenser les délicats, mais je n'en trouve point de plus significative et nos maîtres nous ont enseigné que ces hardiesses mises au bon endroit ajoutent des beautés nouvelles aux recettes éprouvées de la bonne littérature. Avez-vous remarqué ces veaux crevés descendant le courant des rivières ? Leur tragique destinée, le travail intérieur qui s'accomplit en eux et leur entière soumission à une aventure dont ils ignorent le terme m'a toujours paru profondément émouvante. Voilà l'image de l'art contemporain suivant le fil de l'évolution et les critiques sur la rive essayent de rattraper celui qui va le plus vite. 26:16 J'AI PEUR que M. Charlier ne demeure insensible à cette grandeur ; dans son petit bateau, à force de rames, il remonte à contre-courant vers les sources ; il ne doit pas s'étonner s'il est bien seul. Et comme malheureusement tout me fait croire qu'il ne s'en soucie guère, c'est une charité que fait le P. Régamey de l'avertir de son aveuglement. Aussi, après avoir situé M. Charlier à sa place dans le temps, très en arrière, remontant la douloureuse file de ces évolués évoluants plus haut décrite, il le place en son lieu. Il applique soigneusement l'immortelle méthode que Taine a révélée dans son *La Fontaine.* On sait que Taine a expliqué par les collines et les rivières de Champagne le génie de La Fontaine. A vrai dire Racine est né dans le même temps, dans le même pays, à quelques lieues de là, et il a fait des tragédies et non des fables. Il faut qu'il y ait à La Ferté-Milon quelque disposition spéciale du terrain (Claudel aussi est Champenois), un courant d'air, peut-être (« *le vent qui souffle de la montagne me rendra fou* », phénomène attesté par Victor Marie, comte Hugo), qui fasse des gens de La Ferté-Milon des tragiques, comme tous ceux de Château-Thierry sont notoirement des fabulistes. L'incertitude où l'on demeure sur quelques détails de ce genre n'infirme en rien la théorie, dont le fondement métaphysique est inattaquable devant la science moderne. Nous-mêmes avons apporté notre modeste contribution à ces travaux dans notre ouvrage sur *l'Emploi du vert Véronèse par les impressionnistes,* où nous avons montré que l'extension considérable des prairies artificielles au XIX^e^ siècle avait changé la couleur de la campagne, donné naissance à la nouvelle école et imposé l'emploi du vert Véronèse. M. Charlier habite au Mesnil-Saint-Loup, village dont le nom seul est étrangement archaïque. « *Or,* dit notre critique, *de même que le Mesnil-Saint-Loup refuse autant qu'il peut, comme des principes essentiellement antichrétiens, les données mêmes qui commandent le monde moderne, Charlier se tient a l'écart de l'art contemporain* ([^9]). » M. Charlier étant un contemporain, beaucoup plus jeune que Matisse, croit sans doute faire de l'art contemporain, et mettre sa note dans l'accord dissonant, j'en conviens, de notre époque. 27:16 Erreur profonde ! je regardais M. Charlier en face de moi derrière une table de jardin ; dans l'herbe, sur les pâquerettes, tombaient des fleurs de pommier ; M. Charlier semblait se plaire à ma conversation, il souriait, et j'étais pris d'une émotion croissante à l'idée que cet homme vivant *n'était pas un contemporain.* L'évolution l'a rejeté ; par une rencontre admirable, qui ne peut être l'effet du hasard et qui donne un poids unique à l'œuvre critique du P. Régamey, il se trouve que l'évolution suit exactement la pensée du R. Père. M. Charlier, *pensant par lui-même* s'est rayé de l'évolution. Mais, revenons au Mesnil-Saint-Loup. Le Mesnil-Saint-Loup est, non pas une antique paroisse, mais une paroisse convertie par son curé entre 1850 et 1900, où Charlier est allé vivre pour essayer de se convertir lui-même. Bien entendu, notre critique n'y est jamais venu voir. Ce serait contraire à l'impartialité. Si vous voulez étudier la flûte, par exemple, et que vous questionnez un joueur de flûte, il faut bien vous attendre à ce qu'il ait des idées préconçues ; il ne sera pas impartial. Pour le demeurer vraiment et pouvoir juger d'après les principes de sa profonde pensée, notre critique a donc évité d'y aller voir. Il y a des « sources » pour remplacer des documents bien morts, embaumés et qui ne bougeront plus. Comme me le disait un éminent professeur d'histoire de la Sorbonne qui m'honore de son amitié (je crois bien qu'il l'a écrit dans un livre récent) *le présent est inintelligible.* Les professeurs d'histoire qui arrivent au pouvoir en sont bien vite convaincus, car les grands principes qu'ils ont découverts dans l'histoire du passé, lorsqu'ils les appliquent, versent généralement dans les ornières du présent. Aussi, *on veut en savoir beaucoup plus long que ce qu'ont su et pu savoir les contemporains,* ajoute ce distingué professeur, et plus le présent est mort depuis longtemps, plus cela est facile. Je lui demandai, naïvement je m'en rends compte, si on pouvait dire tout de même que Richelieu avait compris le règne de Louis XIII. « Très peu, me dit-il, il ne se doutait même pas qu'il préparait l'avènement de la démocratie et la domination des intellectuels, et même qu'il entravait une évolution nécessaire. » Chaque fois qu'on peut remplacer la vie par des « sources » il faut en profiter, c'est évident ; les principes s'y appliquent plus aisément qu'à la vie. 28:16 Ne croyez-vous pas, repartit M. Charlier, que cela permet aussi d'éviter les faits eux-mêmes, souvent troublants et peu disposés à entrer dans les théories ? votre critique aurait pu voir au Mesnil des autos, des moteurs ; des tracteurs, que les bonnes gens de ce village se procurent autant qu'ils peuvent. Car ils sont chargés de famille par fidélité à la loi de Dieu. Huit, dix, douze enfants, c'était, il n'y a guère, se condamner à la pauvreté et ses enfants avec soi. Mais la pauvreté est considérée dans ce village, comme un état privilégié. Nous commençons d'entrevoir par où le Mesnil-Saint-Loup refuse les données mêmes qui commandent le monde moderne, puisqu'ils n'écartent ni ses inventions, bonnes en elles-mêmes, ni ses machines, pourvu qu'elles restent soumises à la loi de Dieu et ne travaillent pas le dimanche. Ces bonnes gens pensent que les « *données qui commandent le monde moderne* », comme le monde passé et le monde à venir, CE SONT LES ENSEIGNEMENTS DU CHRIST ET DE SON ÉGLISE. Ils pensent qu'on ne peut servir deux maîtres ; qu'ils sont faits pour le ciel, qu'il n'y a qu'une voie, celle du Christ, la voie de la Croix. Vous les rencontrez au labour, vous leur dites : « *la terre a l'air d'aller bien mal aujourd'hui* » et ils répondent : « *je gagne mon Ciel* ». Se référant aux Apôtres, ils pensent qu'un adversaire très puissant, *comme un lion rugissant,* cherche à les dévorer, et présentement mène par le bout du nez d'honnêtes gens qui ne s'en doutent guère. On voit que ce sont là des idées très désuètes, très anciennes et sur lesquelles le monde moderne n'a pas l'habitude de se régler. Nous voyons une nation chrétienne, mandatée par toute la chrétienté pour administrer les Lieux Saints, les abandonner aux Juifs et aux Arabes. L'État français subventionne un enseignement ennemi de Dieu, refuse justice aux catholiques, fait profession de ne pas croire au péché originel (qui se rattrape bien) mais à la nature qui, suivant l'Imitation « *n'a d'autre fin qu'elle-même, travaille pour son intérêt propre,* aime les honneurs et l'oisiveté, convoite les biens du temps, sourit aux puissants, et flatte les riches. » Que feront donc des chrétiens soucieux d'être de leur temps ? 29:16 -- Mais, cher Monsieur, lui dis-je, il leur faut s'accommoder de l'évolution ! J'ai vu dans les rues de New-York une affiche ainsi conçue : « Mlle X... prix de beauté est PRESBYTÉRIENNE, *oui, elle est* PRESBYTÉRIENNE ! » Quel apostolat intelligent et bien moderne ! et nous l'espérons fructueux. Ne voyez-vous pas les jeunes gens se précipiter à l'église pour y voir le prix de beauté : quelle chance de se convertir ! De même chez nous on a eu la finesse de se servir d'une des concupiscences, l'orgueil de la vie. Cette concupiscence, si forte dans la jeunesse, aide à grouper celle-ci en de puissants bataillons bien plus que ne ferait la grâce. « *Jeunesse -- Accueille l'ivresse -- De la liberté !* *Le passé jaloux -- Meurt à nos genoux -- Et l'avenir est à nous !* ». Voilà ce qu'on leur fait chanter, et j'ai vu de bons prêtres les suivre en souriant au pas cadencé. Comment croirais-je que l'orgueil de la vie est encore une concupiscence ? L'évolution et le progrès ont changé tout cela. -- Hélas ! repartit M. Charlier, les gens du Mesnil-Saint-Loup se redisent les paroles d'un Apôtre, écrites il y a 1900 ans : « Conservez-vous purs du siècle présent. » Et d'un autre : « je vous ai écrit, jeunes gens... n'aimez point ce monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est point en lui. » Ils ne se rendent pas compte qu'ils font une erreur de dix-neuf siècles. Saint Pierre, disent-ils, a écrit : « Femmes, que votre parure ne soit pas celle du dehors, les cheveux tressés avec art, les ornements d'or et l'ajustement des habits. » Et saint Paul : « La femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête un signe de sujétion. » Ils disent donc que saint Pierre et la Vierge Marie, qui vivaient avec les Apôtres, sont contre les indéfrisables et que la soumission aux vanités de la mode est la mesure de la vie spirituelle. Ces pauvres gens ont la simplicité de croire que les véritables données qui commandent le monde moderne sont la parole de Dieu, les enseignements du pape et les révélations de la T. S. Vierge reconnues par l'Église, à la Salette, Lourdes, Fatima, et cette parole du Christ : « *Faites pénitence, ou vous périrez tous.* » Ils se fient donc à la prière et à la grâce de Dieu. Ils se réjouissent à chanter des graduels et des alleluias, des offertoires, dont tous les gens intelligents, même dans l'Église, ont reconnu la parfaite inutilité pratique. Enfin, un ensemble d'idées qui ont deux mille ans et plus, qui n'ont pas évolué, qu'il est impossible de joindre aux « données qui commandent le monde moderne. » -- Mais pour conserver des idées aussi anciennes, répliquai-je, il faut que ces bonnes gens soient en quelque sorte des « fossiles », comme me le faisait remarquer récemment un jeune prêtre très distingué ! On comprend qu'il soit recommandé aux jeunes prêtres dans les congrès de se méfier d'un pareil excès. 30:16 M. Charlier reprit : « Les données principales qui commandent le monde moderne » comme dit le P. Régamey, tous les papes l'ont dit, C'EST LE LAÏCISME ET LA DOMINATION DE L'ARGENT. Il ne restait plus guère à contaminer que l'art chrétien. *Il était resté à l'abri parce qu'il rapportait peu ;* la domination de l'argent s'était établie depuis longtemps avec l'art de St-Sulpice ; mais *il y avait toujours une partie de la société s'obstinant à demander à l'art chrétien non seulement d'avoir une qualité d'art, mais d'exprimer le point de vue de la foi ;* il y avait toujours des artistes religieux pour TRAVAILLER SANS SOUCI DU MONDE A LA LOUANGE DIVINE. Ce manquement à l'authentique esprit moderne est enfin réparé et nous le devons aux RR. PP. dominicains de l'Art *Sacré.* Enfin l'art religieux lui-même s'est empli d'esprit laïque et cet art n'est d'ailleurs plus *chrétien,* mais « sacré ». -- Mais, répliquai-je, c'est une trouvaille, cela, une excellente trouvaille de l'apostolat moderne ; les RR. PP. en sont légitimement fiers ! M. Léger ne voudrait sans doute pas entendre dire qu'il fait de l'art catholique, ni de l'art chrétien, mais faire de l'art sacré est beaucoup mieux porté. -- Ne voyez-vous point, me dit M. Charlier, que ce titre fut choisi avec l'intention de ne pas paraître trop catholique, de cacher la Croix et l'Église, grande finesse pour faire risette au diable et l'amadouer ? M. Charlier me parut alors très naïf et incroyablement retardataire. Nous estimons au contraire que le choix de ce terme « art sacré » est très heureux puisqu'il permet de CONFONDRE L'ART PAÏEN ET L'ART CHRÉTIEN ET D'ACHEVER LA DERNIÈRE CONQUÈTE DU LAÏCISME. Il y eut toujours un art païen sacré ; l'art païen n'est même que cela à ses origines. Aujourd'hui, comme au temps des apôtres, il y a beaucoup plus de païens que de chrétiens, mais l'échec des apôtres, qui ont tous été martyrisés, montre bien que leur méthode n'était pas parfaite. C'est pourquoi la méthode contemporaine nous paraît mieux adaptée aux circonstances ; on fait RENTRER L'ART PAÏEN DANS L'ART CHRÉTIEN et les chrétiens, *toujours en retard sur le monde païen dans* L'ART D'UTILISER LE PÉCHÉ, s'initient aux découvertes intellectuelles du monde païen, dont la dernière est que la grandeur de l'homme est de pouvoir aller contre la nature. 31:16 Désormais les agnostiques et les athées pourront travailler dans l'Église pourvu qu'ils soient bien dans le sens de l'évolution. Car il y a encore des païens qui croient devoir respecter la nature et pensent qu'il y a des lois naturelles pour l'homme même ; ils sont en ce sens aussi retardataires que les chrétiens de l'Évangile. Je regardais machinalement le dos des livres sur les rayons. M. Charlier me dit : « Ces anciens ont souvent bien de l'esprit et leurs réflexions sont parfois bien actuelles. » Il attira l'un de ces livres et l'ouvrit. Je vis que c'était la *Satire Ménippée : Les pièces de Tapisseries dont la salle des Estats fut tendue.* Et je lus : « La douzième et dernière auprès des fenêtres contenait le portrait fort bien tiré de son long, de Monsieur le Lieutenant, habillé en *Hercules Gallicus,* tenant en sa main des brides sans nombre, desquelles étaient enchevestrées des veaux aussi sans nombre. Au-dessus de sa teste comme en une nuë y avait une Nymphe qui avait un escriteau portant ces mots : GARDEZ VOUS DE FAIRE LE VEAU. Et par la bouche dudit Sieur Lieutenant en sortait une autre, où éstaient écrits ces mots, JE LE FERAY. » C'est un conseil de morale pratique qui est caché sous cette image, me dis-je en moi-même ; en ce sens, certes, il est toujours actuel. Mais M. Charlier s'était mis au piano et me jouait un air pour les fous gais et un air pour les fous tristes que J. Ph. Rameau avait composés, me dit-il, pour François Mauriac et les Pères de l'Art *Sacré.* Je ne suis pas musicien, mes études et mes diplômes ne me permettent pas d'avoir une opinion. Je souris par politesse, mais rentré chez moi, je vérifiai les dates. Le musicien en question est mort depuis près de deux cents ans ! Il est clair qu'il faut se défier des allégations d'Henri Charlier. Il a cru à un on-dit sans même se soucier de vérifier les dates. Les artistes se plaignent que nous ne comprenions ni leur état d'esprit, ni leurs méthodes, ni leurs idées. Mais comment accepter une pareille insouciance des méthodes objectives ! 32:16 CES DIVERSIONS ne me faisaient pas oublier l'objet de ma venue : Juger M. Charlier non seulement sur ses œuvres, non seulement sur ses écrits, mais sur ses paroles et sa manière d'être. Or M. Charlier a été jusqu'à dire, devant moi et à moi-même, qu'on *trouve des puces sous les plumes des poules* et *des critiques sur le dos de l'art.* Ces propos agrestes nous paraissent bien déplacés sinon entre deux verres de *ratafia ;* le *ratafia* est bon et fait passer le propos qui est mauvais et même offensant ; M. Charlier enfreint toutes les règles, celles de l'Évolution, celle de l'École des Beaux-Arts et celles du savoir-vivre. Un critique qui n'est ni architecte, ni peintre, ni sculpteur, de par la place qu'il occupe dans un journal ou une revue a le droit de condamner l'œuvre de cet architecte, de ce peintre, de ce sculpteur et de prouver qu'il est sans talent. C'est son droit ; du temps de Boileau ce droit *s'achetait* (à la porte, en entrant). Aujourd'hui, *il rapporte ;* il s'est largement étendu, et si l'architecte, le sculpteur, le peintre répondent au critique qu'il n'entend rien à leur métier, le critique s'en indigne avec juste raison comme d'une atteinte à ses droits, d'une menace pour ses profits légitimes et tout le monde sent qu'il y a là un véritable manque de tact. Quelles conclusions tirer de tout cela ? L'étroitesse d'esprit de ces chrétiens du Mesnil-Saint-Loup qui s'en réfèrent toujours à la parole de Dieu, sans s'apercevoir que le monde a marché, se reflète dans les œuvres de Charlier par cette même nécessité qui fait de La Fontaine un produit du climat de Château-Thierry au XVII^e^ siècle. Croire à des données permanentes au sujet de la nature humaine, des buts et des méthodes de l'art, quand c'est le propre de notre temps de les nier toutes, c'est le signe d'un manque d'à-propos qu'il est bon de relever. Le Père Régamey a donc fait une excellente critique et bien digne de notre temps en faisant remarquer cette influence fâcheuse d'un milieu retardataire sur l'art de M. Charlier. Notre visite au Mesnil-Saint-Loup ne peut que confirmer son opinion. Nous avons trouvé un homme joyeux en train de pincer des poiriers, très paysan, très ignorant des usages du monde et privé de cet exquis « je ne sais quoi » que donne la civilisation urbaine, un artisan sur son chantier, fort affable quand on dit comme lui, mais qui n'a pas l'air de se douter que l'avenir est non aux créateurs, mais aux critiques, non à ceux qui font l'histoire à venir, mais à ceux qui enseignent celle du passé, enfin, que les critiques ont acquis par leur courage éprouvé, leur savoir, leur intelligence, et leurs vues grandioses, ce pouvoir exceptionnel de diriger l'avenir en éliminant les artistes indociles. 33:16 Il nous semble avoir, dans le cours de ce récit, consolidé, contre les vues trop personnelles de M. Charlier, les grandes idées modernes qu'il semble mettre en cause. Nous plaignons M. Charlier, si plein par ailleurs de gentillesse et de bon *ratafia.* C'est ce qui nous décide à publier ses écrits, pour que ne soit pas ignoré le point de vue des artistes chrétiens, trop exclusif à mon sens, injuste pour des situations acquises et pour toutes les grandeurs du monde moderne. L'impartialité nous en faisait un devoir. Puissions-nous avoir contribué à hausser le débat. En relisant ces pages avant de les confier à l'imprimeur, nous sommes surpris de la place qu'y tiennent les veaux. Nous avons désiré, dans cette étude sur la querelle de l'art sacré, faire œuvre vraiment scientifique. Nous aurait-il échappé, malgré nous, quelque pensée d'art entièrement subjective et symbolique ? Le lecteur excusera cette défaillance dans un témoignage aussi sincère. E.B.T. LICHARD, Ancien Élève de l'École du Louvre,\ Officier de l'Instruction publique. 34:16 ### Travail et argent par Louis SALLERON « GAGNER » DE L'ARGENT SANS TRAVAILLER. (*Examen de conscience* par les RR. PP. L.-J. Lebret et Th. Suavet.) IL Y A ENCORE DES DIFFÉRENCES DE REVENUS EN U.R.S.S., MAIS TOUS LES REVENUS (A L'EXCEPTION DES INTÉRÊTS VERSÉS AUX SOUSCRIPTEURS DES EMPRUNTS D'ÉTAT) SONT DES REVENUS DU TRAVAIL. (Extrait d'un cours à la *Semaine sociale* de Pau, 1953.) CHAQUE SERVICE MÉRITE SON SALAIRE, C'EST LA JUSTICE ; MAIS LE GENRE DU SERVICE DÉCIDE DU GENRE DE SALAIRE. L'AMITIÉ SE PAIE PAR L'AMITIÉ, LA CONFIANCE PAR LA CONFIANCE, L'HONNEUR PAR L'HONNEUR, L'ARGENT PAR L'ARGENT. (*L'Ami de hommes,* par le marquis de Mirabeau, 1756.) LE SUJET DONT NOUS TRAITERONS dans cet article est un de ceux où la plus parfaite confusion règne dans les esprits. Il n'est pas facile à débrouiller parce que, sans être particulièrement compliqué, il souffre de la dislocation actuelle du langage. Il exigerait un accord certain sur le sens des mots ; or les mots ont perdu leur sens avec l'éclatement de la philosophie et de la civilisation. En écrivant ces très simples vocables : « travail » et « argent », nous éveillons des images substantiellement différentes dans les cerveaux qui les reçoivent. 35:16 Comme il nous est impossible, pour en venir aux réflexions que nous voulons soumettre au lecteur, de prendre l'immense détour d'un exposé préalable sur la nature de l'homme et de la société, nous procéderons par tranches successives, espérant par ce procédé ramener vers une plus juste conception des rapports du travail et de l'argent ceux qui, inconsciemment, en ont une vue fausse à cause du climat marxiste dans lequel nous vivons. \*\*\* LES DEUX PREMIÈRES CITATIONS que nous plaçons en épigraphes à ces pages nous aideront à poser le problème. Nous les choisissons parce que nous les avons sous la main, mais on en trouverait des centaines analogues. L'une et l'autre évoquent la relation de l'argent au travail comme une relation de justice. Si vous travaillez, vous avez droit à l'argent. Si vous recevez de l'argent, vous ne le recevez légitimement que s'il est le fruit du travail. « Eh ! bien, dira-t-on, n'est-ce pas là une vue correcte de la question ? » Oui et non. Il faudrait ; faire tout un cours de sociologie pour bien montrer le « oui » et le « non ». Mais nous allons tâcher de nous faire comprendre en éclairant la question sous des aspects divers. On remarquera d'abord que les deux phrases n'ont pas du tout la même résonance. Quand les Pères Lebret et Suavet invitent le pénitent à se demander s'il a « *gagné* » *de l'argent sans travailler,* ils usent d'un vocabulaire de fait qui correspond assez exactement à une situation de fait. L'homme normal gagne sa vie en travaillant. Il peut se trouver en mesure de « faire de l'argent » en dehors de son travail, soit d'une manière purement malhonnête, soit en « spéculant » (bourse, jeux, courses, etc.), soit en abusant d'une situation passagère de « monopole » lui permettant de « vendre » des services ou des objets à un prix sans rapport avec le travail fourni, soit en s'installant dans un pseudo-métier à base de courtage, commission, pourboire, etc., soit enfin en « touchant » des rentes, dividendes, intérêts et autres produits du capital. Ces divers gains, du point de vue moral, peuvent aller de l'escroquerie intégrale à la licéité intégrale. 36:16 Mais encore une fois, pour l'individu moyen, ils sont exceptionnels ou secondaires. Pour le salarié, et surtout pour le petit ou moyen salarié, ils risquent de constituer une rupture dans les habitudes du travail et du gain normal. La question « Ai-je gagné de l'argent sans travailler ? » a donc un sens simple pour le plus grand nombre de ceux qui « travaillent ». Elle est, à cet égard, admissible, quoique un peu équivoque (comme nous allons le voir). La seconde citation ([^10]) est, elle, tout à fait critiquable. Elle l'est pour plusieurs raisons. Toute sorte d'idées s'y entremêlent qu'il faudrait décortiquer avec soin pour bien montrer comment le poison marxiste s'insinue dans des propositions apparemment bénignes. En une trentaine de mots, elle fait la profession de foi (larvée) que les seuls revenus légitimes sont ceux du travail, que l'égalité des revenus est la suprême justice, que cette égalité ne peut procéder que d'un système économique ou le travail seul procure des revenus, que l'U.R.S.S. est précisément la société qui n'admet que les revenus provenant du travail et qu'elle est, de ce fait sur la voie de l'égalité. Deux petites failles seulement dans le régime communiste : il y a *encore* des différences de revenus en U.R.S.S., et il y a des revenus provenant du capital (mais ce sont seulement les intérêts des emprunts *d'État*). En ce qui concerne les *faits,* on notera la tranquille assurance de l'auteur. « Il y a *encore* des différences de revenus en U.R.S.S. » Vraiment ? Il nous invite donc à croire 1° que les différences de revenus diminuent régulièrement en U.R.S.S. 2° qu'elles sont, de toute manière, bien moins grandes que dans les pays capitalistes. Que ne nous le manifeste-t-il par quelques statistiques ! D'autre part, il affirme qu'il n'y a de revenus provenant du capital que les intérêts des emprunts d'État. En est-il sûr ? Outre qu'on ne voit pas très bien, du point de vue du bénéficiaire, quelle supériorité a l'intérêt de l'emprunt d'État sur l'intérêt de l'emprunt privé, on voudrait savoir comment il se fait que les conditions de vie soient tellement différentes en U.R.S.S., et cela selon le témoignage unanime des voyageurs. Cette différence dans les conditions de vie provient nécessairement soit de revenus du travail (en argent ou en nature) eux-mêmes très différents, soit de gains extérieurs au travail. 37:16 Nul ne peut mettre en doute que l'inégalité sociale en U.R.S.S. soit au moins équivalente à celle des pays capitalistes. Tout ce que l'on peut prétendre, c'est qu'elle n'est pas issue du capitalisme. Ce qui est l'évidence même (à moins qu'on préfère parler de tautologie). La question se déplace alors, et il s'agit de savoir quelle est la meilleure source de l'inégalité, ou la moins mauvaise. Le postulat intime de l'auteur cité, c'est qu'un régime anticapitaliste est de toute façon moralement supérieur à un régime capitaliste : ce qui peut se défendre, à condition de préciser qu'il s'agit d'un anticapitalisme *non-marxiste* et d'un capitalisme *libéral.* Mais, avec certains auteurs, on est toujours dans l'ambiguïté. En ce qui concerne les *idées,* on voit que le même auteur considère que la justice sociale est dans l'égalité *des* revenus, et dans le travail comme source exclusive des revenus. Sur le premier point, il suffit ici d'observer que l'égalité absolue est impossible et qu'on ne peut souhaiter que la plus grande égalité compatible avec la réalité économique. En pure logique, l'égalité absolue exigerait le salariat d'État généralisé ou l'esclavage. C'est pourquoi l'égalitarisme tend spontanément à l'Étatisme, et de préférence à l'Étatisme le plus fort et le plus autoritaire, c'est-à-dire à l'Étatisme communiste. Dans le concret on est obligé de constater que l'égalité moyenne est au moins aussi bien réalisée (et probablement beaucoup mieux) aux États-Unis qu'en U.R.S.S. Le second point est celui qui retient notre propos. Le conférencier de Pau -- pas lui seul, d'ailleurs, à peu près tout le monde -- pense qu'il est bon que « tous les revenus » soient des « revenus du travail ». Ici, nous entrons dans la grande confusion. \*\*\* QUE FAUT-IL ENTENDRE par « revenus du travail » ? Au premier abord, l'expression semble claire. Mais il suffit d'y réfléchir cinq minutes pour voir les difficultés se lever de tous côtés. Car à quoi s'oppose le « travail » ? Au non-travail, évidemment. Mais ce n'est pas du non-travail qu'il s'agit en première instance. C'est de l'élément qu'on oppose traditionnellement, en Économie politique, au travail : le « capital ». On dit communément que les deux facteurs de la production sont le travail et le capital. Les revenus provenant du travail sont honnêtes. Ceux qui proviennent du capital ne le sont pas. 38:16 Nous voici, immédiatement, en présence du vieux problème de la légitimité de l'intérêt. Presque toutes les civilisations anciennes ont condamné l'intérêt. Les philosophes le condamnent, les pères de l'Église et l'Église elle-même le condamnent. On sait le motif majeur de cette condamnation : l'argent « ne fait pas de petits ». Il est donc contre nature d'exiger de lui des petits. Saint Thomas ne dit pas autre chose, mais admet, avec tous les théologiens, le gain d'argent issu du capital, dans plusieurs cas, et notamment quand il y a risque. (Ce qui fait qu'on pourrait dire, en termes financiers modernes, que saint Thomas accepte *l'action* et pas *l'obligation.*) La littérature illimitée qui existe sur cette question nous interdit d'essayer de la résumer. Contentons-nous de renvoyer aux dictionnaires théologiques (au mot « intérêt »), au livre de la Justice de la Somme théologique (2-2æ qu. 78), aux divers ouvrages sur le capital et l'intérêt. D'un point de vue pratique, la querelle de l'intérêt n'a plus grand sens. On sait maintenant que si l'intérêt était condamné autrefois, ce n'est pas seulement, ni principalement, comme on le dit partout, parce qu'il était exigé de prêts de consommation, mais parce qu'en économie statique il était pratiquement irremboursable. A cet égard, il constituait presque par définition de l'usure, quel que fût son taux, lequel était presque toujours excessif (comme il est encore aujourd'hui dans les pays pauvres et à économie statique). Quand l'expansion économique a commencé, grâce aux découvertes géographiques puis aux découvertes techniques, le prêt s'est analysé en crédit à la production. Il devenait remboursable, et l'intérêt, du même coup, licite. Le Pape Pie XII n'hésite pas à recevoir les associations de banquiers et à faire l'éloge de l'épargne. Dans ces conditions, peut-on dire qu'il soit injuste de recevoir de l'argent « gagné » par le capital ? Le socialisme, héritier de la philosophie antique et de l'Église médiévale, s'inscrit, en la matière, dans une tradition dont il garde la lettre davantage que l'esprit. Et peut-on dire qu'une civilisation qui n'admet que les « revenus du travail » soit supérieure à celle qui admet les revenus du capital à côté de ceux du travail ? Nous ne le pensons pas pour diverses raisons. 39:16 *Primo,* parce que la négation de la réalité économique ne paraît pas être de nature à fonder une civilisation supérieure. *Secundo,* parce que le principe, dès qu'affirmé, est aussitôt violé. L'U.R.S.S. monopolise l'emprunt, mais elle en use ; et elle paye le crédit de la même façon qu'on le paye partout : par l'intérêt. En quoi, nous le répétons, l'intérêt est-il plus pur, pour celui qui le reçoit, quand il provient de l'État ? Il ne devient pas, de ce fait, un « revenu » du travail. *Tertio,* parce que le « revenu du travail » dès l'instant qu'il n'est pas dépensé en totalité dans la consommation, devient lui-même du capital, dont les fruits, en nature ou en argent, sont des revenus du capital. Or il est pratiquement impossible d'empêcher la formation de ce capital. C'est pourquoi l'U.R.S.S. admet la propriété et l'héritage. D'où naissent aussitôt les différences de vie, de nature capitaliste, qu'on observe dans ce pays. *Quarto,* parce qu'à côté des revenus du capital et du travail il y a les revenus « mixtes » qui sont tous ceux d'une activité non directement salariée. Partiellement autorisées en U.R.S.S., ces activités foisonnent illégalement au dire de tous les voyageurs. *Quinto,* parce que la seule manière de distribuer les « revenus du travail » étant le salariat, le salaire devient la rémunération d'une fonction ou d'un poste beaucoup plus que du travail lui-même. Il a beaucoup de chances de payer également la paresse et le travail. On pourrait allonger indéfiniment cette liste de raisons. La vie sociale est une réalité complexe dont les deux facteurs économiques, le travail et le capital, ne rendent absolument pas compte. Considérer que la société communiste, même si elle a par ailleurs des défauts, a *du moins* cette supériorité de ne connaître que les « revenus du travail », c'est émettre une double contre-vérité : contre-vérité de fait, puisque l'U.R.S.S. connaît d'autres revenus que ceux du travail ; contre-vérité de principe, puisqu'il n'y a pas supériorité dans le fait de n'admettre que les revenus du travail. Si maintenant nous prenions une société comme la nôtre, celle de la France en 1957, nous serions curieux de savoir, soit à la lumière de la référence communiste, soit autrement, quels revenus sont considérés comme revenus du travail. 40:16 La statistique, nous le rappelons, distingue revenus du travail, revenus du capital et revenus mixtes. Faut-il suivre la statistique ? C'est-à-dire, faut-il, par exemple, considérer que tout salarié, quel qu'il soit et quoi qu'il fasse, est un travailleur, gagnant un « revenu du travail », tandis que le paysan, l'artisan et le commerçant ne sont que partiellement travailleurs et ne perçoivent qu'une portion légitime de revenu, celle qui est afférente à leur travail, tandis que la partie afférente au capital est illégitime et injuste ? Faut-il admettre que le retraité, le pensionné, l'assuré reçoivent des revenus du travail ? Et si l'on rétorque qu'il s'agit là de revenus qui procèdent *indirectement* du travail, nous demanderons si les revenus d'un rentier qui a épargné toute sa vie sont de nature différente. Nous demanderons plus généralement si l'on peut concevoir des revenus dont la source première ne soit pas (en dehors de la terre) le travail et qui, dès l'instant qu'ils ne sont pas immédiatement dépensés en objets de consommation, ne deviennent pas eux-mêmes du capital générateur de revenu. Les vieux économistes définissaient le capital comme du « travail accumulé ». Nous pourrions dire de même façon que tout revenu capitaliste est un revenu indirect du travail. Le problème est de savoir à quel moment, se détachant du travail, soit chez l'individu, soit dans la société, il devient immoral. C'est un problème incontestable et que les injustices du capitalisme libéral ont mis fortement en lumière. Il faut le résoudre. On ne le résout pas en refusant purement et simplement les revenus du capital. Si donc on objecte qu'il y a des situations de revenus qui sont totalement détachées du travail, totalement injustes et totalement immorales. Nous en conviendrons sans nulle peine, puisque ce n'est hélas ! que trop certain, en France comme en U.R.S.S. et ailleurs. Mais on doit bien convenir également que ni la justice, ni la moralité ne seront satisfaites par l'établissement (disons : par le rêve) d'une société fondée sur l'instauration exclusive de « revenus du travail ». La vérité, elle est dans le bon sens, ou si l'on préfère dans une saine philosophie, ou si l'on préfère encore dans la doctrine sociale de l'Église. Nous allons y revenir. 41:16 Mais dans la perspective de justice qui est celle à laquelle se tiennent les partisans de l'exclusive légitimité des revenus du travail, nous dirons que ce qui fait principalement la légitimité d'un revenu, c'est l'usage qu'on en fait, étant entendu que dans une société économique en expansion la justice sociale ne peut être satisfaite que par la plus grande égalité et la plus grande mobilité sociale possibles. \*\*\* DEUX QUESTIONS. Quand Mlle Françoise Sagan gagne une somme qui doit avoisiner le milliard de francs avec deux romans, d'ailleurs pleins de promesses, ce petit milliard (mettons cinq cent millions pour éviter les contestations) est-il « un revenu de travail » ? Bonjour Travail ! Quand le camarade X gagne la même somme de la même façon en U.R.S.S., est-ce un « revenu du travail » ? \*\*\* EXISTE-T-IL une « Histoire du concept du Travail » ? Je n'en connais pas. Ce serait un livre intéressant à écrire. Les matériaux seraient faciles à rassembler. En tout cas, il n'est pas inutile de rappeler à ceux qui exaltent le « Travail » pour faire pièce au « Capitalisme », que c'est précisément le capitalisme qui est à l'origine de l'exaltation du travail. Le capitalisme est essentiellement un travaillisme. Le travaillisme actuel, de coloration socialiste ou communiste, est l'héritier du capitalisme, en partie par opposition (travail contre capital), en partie et bien davantage par filiation directe. Le catholicisme avait promu le travail à la dignité par la condamnation de l'esclavage, par la mise au rang des péchés capitaux de la paresse, par la place donnée au travail manuel dans les règles monastiques, par la double signification de châtiment et de rédemption attachée au « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». Il n'avait pas été au-delà ; et dans la concurrence entre l'action et la contemplation, il tranchait en faveur de la contemplation. « Marie a choisi la meilleure part... » Rien n'a changé dans cette hiérarchie. 42:16 C'est le protestantisme qui, dans son contexte hollandais, puis anglo-saxon, a donné la première part au travail, dans le capitalisme, dont il est demeuré la religion. (Je parle ici en termes sociologiques). Ce sont les pays protestants et capitalistes, Hollande, Angleterre, États-Unis, qui ont été les pays du travail le plus acharné. Dans les pays catholiques, ce sont les milieux protestants et les classes capitalistes qui ont été les milieux et les classes du travail le plus acharné. Mais surtout le travail prend un éclairage nouveau dans le capitalisme protestant. Il n'est plus seulement un labeur pénible ; il devient un labeur industrieux et productif. Autrement dit, il se pénètre d'une *finalité économique.* Cette finalité prendra vite sa référence dans *l'argent,* mais même si elle a un aspect subjectif désintéressé, elle vise essentiellement à la *transformation de la nature.* C'est-à-dire qu'elle se détourne de la contemplation. Elle n'en est plus le complément ou l'humble approche. Elle en est en quelque sorte l'opposé. Non plus une peine rédemptrice, mais une sorte de damnation acceptée, dans l'attente de la Justice divine. Le marxisme n'aura qu'à prendre la suite de tout cela pour en faire sa doctrine propre, la volonté de puissance du travail balayant Dieu, l'individu et l'argent pour installer directement l'homme et son œuvre dans un matérialisme athée parfaitement logique. Bien sûr, nous résumons. Il faudrait introduire mille nuances, mille distinctions. Mais le fil d'Ariane est tout de même bien celui que nous indiquons. \*\*\* LE XVIII^e^ SIÈCLE, qui préside à la naissance du capitalisme libéral, oppose constamment le « travaillisme » protestant au « contemplativisme » catholique, pour condamner celui-ci. Le bon marquis de Mirabeau, dans un chapitre de *l'Ami des Hommes,* intitulé précisément « travail et argent », défend sa religion en termes délicieux : « ...Revenons au travail, écrit-il. La Réforme se vante d'en avoir accru la somme dans les États qui l'ont embrassée, par la suppression des Fêtes (...) Mais qu'on se souvienne toujours qu'une Fête supprimée n'est jamais que neuf heures ajoutées dans l'an tout au plus, au lieu qu'une heure de sommeil en compose trois cents soixante cinq. 43:16 Il ne faut pas croire d'ailleurs que toutes les fêtes fussent en pure perte ; l'homme veut du délassement, et il lui est si nécessaire que Dieu ordonna dans l'institution première un jour de repos en sept. Ce jour redonne des forces à l'homme courbé sous le poids du travail hebdomadaire. Cet intervalle de relâche lui donne le temps de la réflexion si nécessaire à tout, et qu'un travail mécanique affaisse à la longue sans ressource. » (p. 150 de l'éd. in-4° 1756.) Il y en ainsi des pages et des pages, avec une vision prophétique de la productivité. « Si nous pouvions sans cesse aller comme des machines, il faudrait au pouce et à la ligne calculer le temps et n'en pas perdre la minute ; mais il n'en est pas ainsi, et quelque haut que ce ressort fût monté, peut-être y perdrions-nous... » (*Id.,* p. 153.) \*\*\* LE XIX^e^ SIÈCLE fait encore souvent écho à cette opposition entre protestantisme et catholicisme. J.-B. Say note que « dans les religions où le nombre des fêtes chômées excède ce que réclame le repos de l'homme, on perd non seulement les profits que l'industrie aurait gagnés pendant ces fêtes, mais les profits des capitaux qui restent oisifs... Cela concourt à expliquer pourquoi les pays catholiques sont en général plus pauvres que les pays protestants ». (*Cours complet d'Éco. Po.,* 3^e^ éd. 1^re^ partie, ch. IX, note p. 121.) Si le monachisme est combattu par le parti des « lumières » au XVIII^e^ siècle, c'est parce qu'il est source de dépopulation et de paresse. Il faudra attendre le XIX^e^ siècle pour que les lumières opposent le malthusianisme au populationisme. Il faudra attendre le XX^e^ pour qu'elles opposent les loisirs au travail. Les « fêtes chômées » sont redevenues progressistes. Ce n'est plus Monsieur le Curé qui, de quelque nouveau saint, charge toujours son prône ; c'est l'État. Le saint trouve des dénominations laïques. \*\*\* QUE LE PROTESTANTISME, sous les espèces du capitalisme libéral, ait érigé le culte du travail en véritable religion, c'est *ce* dont, je crois, tout le monde tombe d'accord. 44:16 Mais, dira-t-on, si le capitalisme établit la religion du travail, c'est pour enrichir le capitaliste au détriment du travailleur. Le capitaliste tire son argent du capital. Le travailleur ne reçoit pas la juste récompense de son travail. Il y a du vrai dans ce jugement, mais une portion de vrai seulement. En effet, le capitaliste anglo-saxon, protestant, est un travailleur acharné. Il ne jouit pas d'un revenu non gagné. Si son profit est considérable (quand la concurrence ne l'élimine pas) c'est par le fait d'un travail sans répit qui n'est, à aucun degré, le revenu d'un capital détaché de son activité personnelle. La théorie anglo-saxonne ne conçoit d'ailleurs pas le profit comme la rémunération du capital, mais comme celle de l'entrepreneur. Capital et travail ne produisent que par une association dont la formule et la fécondité sont le fait de l'entrepreneur, appelé capitaliste. La réalité confirme cette vue dont, de nos jours, les États-Unis nous offrent l'exemple le plus frappant. Le patron, là-bas, est fier de ses gains, qu'il considère comme ceux de son travail et qui sont considérés comme tels par tout le monde. C'est en France que la théorie économique, du moins autrefois, a voulu voir dans le profit l'addition de deux revenus, ceux du travail et ceux du capital. Si, dans les pays protestants anglo-saxons comme dans la France catholique, il y a des patrons, des entrepreneurs, le capitaliste anglo-saxon, c'est *d'abord* l'entrepreneur (même s'il touche des intérêts ou des dividendes par ailleurs), tandis que le capitaliste français, c'est *d'abord* l'homme qui touche des revenus de son capital (même s'il est patron). J'ai eu déjà souvent l'occasion d'écrire que le capitalisme français, et plus généralement le capitalisme catholique, est un capitalisme déformé, à cause du catholicisme, en partie ([^11]). Une tradition millénaire, bonne ou mauvaise (bonne pour une part, mauvaise pour une autre part), a créé, en France, un certain mépris de l'argent, et aussi un certain mépris du travail. L'homme « libre », sous l'ancien régime, devait à la société un *service *; mais ce service n'était pas payé directement. Des rentes, des « bénéfices », des pensions de toutes espèces, permettaient aux clercs et aux nobles d'exercer leur métier. 45:16 Dans une civilisation non fondée sur l'argent le système marchait assez bien malgré tous les risques d'abus qu'il comportait. Effectivement ces abus devinrent si grands qu'ils furent une des causes de la Révolution. Mais les structures mentales changent moins vite que les structures sociales. Quand le capitalisme libéral créa la royauté de l'argent au XIX^e^ siècle, le bourgeois, homme essentiellement travailleur, n'eut plus qu'une ambition : substituer le revenu du capital au revenu du travail pour devenir un homme « libre ». L'éthique protestante lui faisant défaut, il travailla avec acharnement, mais pour sortir du travail. Le paysan devint propriétaire, pour vivre de ses fermages et de ses loyers. Le commerçant devint capitaliste, pour vivre de ses rentes et de ses dividendes. Tout un chacun n'eut plus l'idée que de « monter dans l'échelle sociale » en dégageant son revenu d'une relation directe avec le travail effectué, c'est-à-dire en sortant du salariat pur et simple. Nous en sommes à peu près là aujourd'hui. Ce qui revient à dire que, d'une part, tout le monde ou à peu près essaye de vivre d'un revenu aussi détaché que possible du travail et, d'autre part, tout le monde professe et proclame que le travail seul a droit à l'argent. Cette contradiction s'explique par le fait que, quand l'argent est présenté comme l'objectif premier à des esprits peu faits pour l'argent, la comparaison et le ressentiment s'installent partout. Nul ne peut avoir deux maîtres, Dieu et Mammon. \*\*\* QUAND ON ÉCRIT ou quand on pense que l'argent non gagné par le travail est un argent plus ou moins volé, on écrit ou on pense sottement parce que sommairement. On est sensible à des injustices, à des excès, à des abus, et on en déduit une conception fausse de la société, dont la référence implicite, ou explicite, est fatalement le communisme. Établir la relation argent-travail, c'est confesser le culte (excessif) du travail, et le culte (non moins excessif) de l'argent. 46:16 Au fond, ceux qui pensent sérieusement qu'il n'y a d'argent légitime que « gagné », c'est-à-dire gagné « par le travail », sont des capitalistes qui s'ignorent. La réalisation la plus approchée de leur idéal, c'est l'Amérique qui la leur fournit. Pourquoi sont-ils anticapitalistes ? Parce que « l'argent », précisément, ne s'obtient pas normalement par les voies de l'humble travail du plus grand nombre. Alors ils se révoltent et veulent qu'on supprime ceux qui l'obtiennent, et le régime qui permet de l'obtenir. Le communisme est au bout. \*\*\* RAISONNER « TRAVAIL-ARGENT », c'est raisonner « capitaliste », c'est raisonner « bourgeois ». Le véritable non-bourgeois méprise l'argent et la relation travail-argent. Ce mépris est encore, Dieu merci ! très répandu chez l'artiste, l'intellectuel, l'artisan, le soldat. Il tend malheureusement à disparaître. \*\*\* DANS LA MESURE où l'on entend faire du travail la vertu par excellence, on corrompt cette vertu en voulant que sa récompense normale soit l'argent. Mépriser l'argent et vouloir qu'il soit la récompense du travail, c'est mépriser le travail. Considérer que la meilleure société est celle où la différence des revenus est abolie et où tous les revenus sont des revenus du travail, c'est déshonorer le travail, déshonorer la société, déshonorer l'homme. \*\*\* MON VIEIL AMI, le marquis de Mirabeau, écrit encore, dans *l'Ami des hommes,* ces lignes admirables dont j'ai extrait le plus beau passage pour fournir la troisième épigraphe de mes réflexions : « On accuse un grand Prince d'avoir dit à un pauvre Officier estropié qui lui demandait du pain sous le titre de justice, *tout est grâce dans mon Royaume.* Ses ennemis lui en ont prêté d'autres, et le fait ne mérite aucune croyance attendu que ce Prince ne fut jamais personnellement dur et moins encore insensé. Mais il pourrait se faire dans un État où l'abondance de l'or amènerait la corruption, que cet axiome devînt très véritable. 47:16 Chaque service mérite son salaire, c'est la justice ; mais le genre du service décide du genre de salaire. L'amitié se paie par l'amitié, la confiance par la confiance, l'honneur par l'honneur, l'argent par l'argent. En conséquence, si nous demandons tous de l'argent, il faut savoir si nous en avons acquis au Prince. A moins de cela, tout ce qu'il nous en donne par-delà notre nécessaire absolu, s'il nous manque, est pure grâce. » (*L'ami des hommes,* I^e^ partie, ch. VII, p. 130 de l'édition in-4° de 1756.) Je connais peu de textes aussi beaux que celui-là, et qui aille aussi loin dans la vérité sociale. L'amitié se paie par l'amitié, la confiance par la confiance, l'honneur par l'honneur, l'argent par l'argent. Là où est ton trésor, là est ton cœur. La société est faite d'activités multiples qui appellent chacune son genre de salaire. Aujourd'hui que tout s'achète et se vend, il faut bien que ce salaire ait lui-même une référence minima d'argent, afin que le « nécessaire absolu » soit assuré. Mais l'argent proprement dit, c'est-à-dire l'enrichissement, demeure et doit demeurer l'apanage des métiers d'argent. \*\*\* SIMONE WEIL a bien vu ce problème. Elle l'a même si bien vu que nos progressistes taisent son œuvre qu'ils jugent réactionnaire, quoiqu'elle fût juive, qu'elle ait combattu en Espagne aux côtés de Durruti, qu'elle ait été « résistante » sous l'occupation, et que, toute sa vie, elle ait été une militante du syndicalisme ouvrier. Il faudrait citer d'elle cent passages, tous plus significatifs les uns que les autres. Contentons-nous de celui-ci : « Les bourgeois ont été très naïfs de croire que la bonne recette consistait à transmettre au peuple la fin qui gouverne leur propre vie, c'est-à-dire l'acquisition de l'argent. Ils y sont parvenus dans la limite du possible par le travail aux pièces et l'extension des échanges entre les villes et les campagnes. Mais ils n'ont fait ainsi que porter l'insatisfaction à un degré d'exaspération dangereux. La cause en est simple. L'argent en tant que but des désirs et des efforts ne peut pas avoir dans son domaine les conditions à l'intérieur desquelles il est impossible de s'enrichir. Un petit industriel, un petit commerçant peuvent s'enrichir et devenir un grand industriel, un grand commerçant. 48:16 Un professeur, un écrivain, un ministre sont indifféremment riches ou pauvres. Mais un ouvrier qui devient très riche cesse d'être un ouvrier, et il en est presque toujours de même d'un paysan. Un ouvrier ne peut pas être mordu par le désir de l'argent sans désirer sortir, seul ou avec tous ses camarades, de la condition ouvrière. » (*La condition ouvrière,* p. 263.) En termes de revenu national, on montrerait facilement que si tous les revenus du « capital » étaient distribués au « travail », l'augmentation de salaire qui en résulterait serait peu de chose. Et elle serait faite une fois pour toutes. Si, en U.R.S.S., tous les revenus sont des « revenus du travail » (comme le veut innocemment le conférencier de Pau), ces revenus sont infiniment inférieurs à ceux des États-Unis. Pas un ouvrier américain ne voudrait travailler en U.R.S.S, et neuf ouvriers russes sur dix voudraient travailler en Amérique s'ils connaissaient la vie américaine et qu'il leur fût possible d'en goûter. \*\*\* ON COMPREND que la pauvre Simone Weil, juive, non baptisée, anarcho-syndicaliste, soit dédaignée par nos travaillistes chrétiens. N'écrit-elle pas : « Dans notre société, la différence d'instruction produit, plus que la différence de richesse, l'illusion de l'inégalité sociale. Marx, qui est presque toujours très fort quand il décrit simplement le mal, a légitimement flétri comme une dégradation la séparation du travail manuel et du travail intellectuel. Mais il ne savait pas qu'en tout domaine les contraires ont leur unité dans un plan transcendant par rapport à l'un et à l'autre. Le point d'unité du travail intellectuel et du travail manuel, c'est la contemplation, qui n'est pas un travail. » (*Id.,* p. 270.) \*\*\* EN GROS, on pourrait dire qu'il y a trois conceptions du travail et de l'argent dans le monde moderne : 1° La conception capitaliste protestante, incarnée aujourd'hui par les États-Unis. Le travail et l'argent y sont honorés au maximum. L'argent va au travail. Les inégalités sociales sont réduites au minimum. 49:16 Une telle conception ne peut être soutenue que par une morale sociale extrêmement vigilante, morale que fournit le protestantisme. 2° La conception communiste, incarnée aujourd'hui par l'U.R.S.S. Le travail y est honoré au maximum (théoriquement) et l'argent y est méprisé (théoriquement). L'argent va aux privilégiés du régime. Les inégalités sociales sont considérables. D'un bout à l'autre de la société il y a contradiction entre les principes et les faits. Une telle conception ne peut être soutenue que par un appareil policier extrêmement contraignant, appareil que fournit le parti. 3° La conception catholique, nulle part incarnée, mais sous-jacente à notre désordre français. Dans ce désordre, le travail est honoré en relation et en opposition avec la contemplation. L'argent est recherché (un peu trop) et méprisé (un peu trop). Les inégalités sociales proviennent des différences de castes plus que des différences de classes. D'un bout à l'autre de la société il y a heurt et difficulté faute d'une assise doctrinale certaine. Une telle conception ne retrouvera sa pureté et (donc) sa valeur que par la foi. Faute de s'affirmer et d'être affirmée, elle traîne dans les esprits comme un remords et nourrit les voies du communisme à travers un comportement capitaliste. \*\*\* LA doctrine catholique du travail et de l'argent, si elle est la moins répandue, devrait trouver quelque encouragement dans le fait que le capitalisme libéral est en déclin et que le communisme a échoué. On doit pourtant constater objectivement que les catholiques français sont peu portés à revendiquer la doctrine de leur religion, ils sont fascinés par le protestantisme et le communisme. Un homme comme le P. Bigo a l'audience des vieux et jeunes patrons parce qu'il leur parle le langage du capitalisme dans une philosophie marxiste. Soyons patients. La vérité finira bien par retrouver ses droits. Louis SALLERON. 50:16 ### Conception chrétienne de l'entreprise par Marcel CLÉMENT Ce texte est l'analytique du rapport présenté ce mois-ci par Marcel Clément au Congrès mondial de l'UNIAPAC. L'UNIAPAC est *l'Union internationale des associations patronales catholiques,* à laquelle sont affiliées quatorze associations : France, Allemagne, Angleterre, Argentine, Belgique, Canada, Chili, Cuba, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suisse et Uruguay. L'ENTREPRISE MODERNE, fondée sur la séparation du capital et du travail, est apparue et s'est développée XIX^e^ siècle dans une Europe rongée par l'individualisme. Il faut dire plus : ceux-là mêmes qui ont créé ce type d'institution économique l'ont fait en accord profond avec la philosophie individualiste et comme une illustration exemplaire de ses possibilités. Ils ont voulu montrer que la destruction de toute solidarité de caractère organique au sein de la vie économique permettrait à des lois mécaniques de jouer sur le marché du travail aussi bien que sur le marché des produits. Dès lors, l'entreprise capitaliste s'est constituée sur deux fondements erronés : a\) *Sociologiquement,* l'entreprise capitaliste, de facture individualiste, réunit des individus qui n'ont aucun but commun, au sens profond du mot. Leur but individuel est le profit, ou le salaire, et ils n'agissent en commun que pour atteindre ce but individuel. 51:16 De même, l'employeur et les salariés sont reliés les uns aux autres par un contrat individuel qui ne crée entre eux rien qui ressemble à une communauté. b\) *Économiquement,* l'entreprise capitaliste de conception libérale ne produit pas en fonction d'une échelle hiérarchisée des valeurs et compte tenu de l'urgence humaine et sociale des besoins. Elle recherche comme visée unique, le profit, et produit les biens susceptibles de rapporter un gain maximum, ou encore elle s'efforce d'imposer la vente des biens qu'elle a produits ou stockés. c\) *Techniquement,* l'entreprise est organisée selon un certain ordre correspondant aux fonctions des divers services. Cet ordre technique dispose les hommes aussi bien que les choses. Les lois sociologiques sont établies par l'observation, mais leur nécessité dérive de la nature de l'homme. Les lois sociologiques dégagées par l'observation sont, de ce fait, expérimentalement vraies ; mais elles peuvent être expliquées en regard de l'activité morale de l'homme. Elles présentent, sous ce rapport, une nécessité de caractère universel. Marcel CLÉMENT, *Itinéraires,* n° 14. C'est dans une société ainsi façonnée par la sociologie individualiste et l'économie libérale que l'entreprise capitaliste s'est développée. Sous l'influence du Catholicisme social et sous la double pression des luttes ouvrières et des réactions du marché, des modifications se sont produites : développement de la législation sociale, meilleure connaissance des faits économiques et intervention de l'État. Des limitations ont été apportées à l'action individuelle de l'entrepreneur, comme aux actions collectives des sociétés de capitaux ou des organisations ouvrières. Il est sorti de ces rectifications et de ces retouches notre société contemporaine, encore imprégnée d'individualisme et de libéralisme, et encombrée d'autre part, surtout en Europe, de superstructures socialistes. 52:16 Au sein même de cet échafaudage disparate, l'Église, par la voix du Pape Pie XII, nous invite à travailler, par l'intérieur, à rétablir les conditions d'une solidarité organique dans l'économie, et, pour cela, à refaire de chaque entreprise, une cellule vivante, unie, véritable « *société, dont les membres, distincts entre eux, constituent, chacun selon sa fonction, l'unité d'un seul corps* ». C'est cette conception chrétienne de l'entreprise dont il nous faut approfondir le concept et mesurer les exigences concrètes. #### I. -- L'ENTREPRISE, CELLULE DE LA VIE ÉCONOMIQUE De même que la famille est la cellule de toute la vie sociale, l'entreprise est la cellule de la vie économique. L'une et l'autre, en effet, ont en commun une triple vocation : la fécondité, l'unité dans la hiérarchie, la coopération au bien commun du corps social. C'est bien à juste titre que saint Augustin notait, il y a quinze siècles, que « *la famille doit être l'élément initial et pour ainsi dire une cellule* (*particula*) *de la cité* ». Dans l'organisme vivant, la cellule est en effet caractérisée non seulement par le fait qu'elle constitue l'unité élémentaire des tissus, mais encore qu'elle est capable de se reproduire elle-même. La cellule apparaît donc dans le plan de la vie organique comme le principe de tout renouvellement vital. Or, l'entreprise aussi est une source de vie. Non pas, cela va sans dire, que l'on puisse lui attribuer une fécondité comparable à celle de la famille. La famille transmet la *nature.* L'activité de l'entreprise communique une certaine *utilité.* Si l'on envisage la fin que poursuit l'entreprise elle-même, fin distincte de la fin poursuivie par l'entrepreneur -- on est amené en effet à considérer que la fin première de l'entreprise, c'est de produire les biens ou les services nécessaires ou utiles à une société donnée. 53:16 C'est ici le premier aspect de l'effort du chef d'entreprise. Il s'agit pour lui que tous les membres de son affaire prennent une conscience personnelle et communautaire du but productif qu'ils poursuivent. Facile à réaliser dans l'entreprise artisanale, cette prise de conscience est plus difficile à obtenir dans l'entreprise capitaliste, commerciale ou industrielle : 1° Les travailleurs ne connaissent que rarement les clients ; 2° Chacun d'eux ne coopère qu'à un segment de production ; 3° Le travail souvent très mécanisé n'est pas très personnel. Il appartient en propre au chef d'entreprise de veiller à ce que, dans l'intelligence même de tous ceux qui coopèrent, la connaissance claire du but productif et des résultats obtenus soit réalisée. Pour cela, il faut en tout premier lieu qu'il ait une conscience vive des services que rend l'entreprise, qu'il y voie, au secret même de sa vie intérieure, non pas d'abord l'occasion de profits, mais l'occasion d'un service à rendre, -- d'un service payant, sans doute, mais fraternel néanmoins. Si le patron se sait et se veut membre du corps social, et par grâce, du Corps Mystique, la racine spirituelle de la christianisation de l'entreprise est solidement plantée. Qu'il s'agisse ensuite de faire prendre conscience du but productif, ou de la complémentarité des différents services, ateliers et bureaux, ou qu'il s'agisse enfin de « personnaliser » le travail de chacun en développant l'initiative et la responsabilité, tout cela devient possible dès que le patron « y croit ». Les moyens dont il dispose pour faciliter cette *triple* prise de conscience : *a*) du service rendu, *b*) de la complémentarité des efforts, *c*) de la responsabilité personnelle de chacun, peuvent être très variables. Le chef d'entreprise, sous ces trois rapports, peut beaucoup en informant opportunément et de façon vivante tous ses collaborateurs. Que ce soit par la parole, ou par un journal d'entreprise -- éventuellement par un film -- il peut et, semble-t-il doit, se soucier d'obtenir que tous comprennent quels sont les fruits pour les autres de leur travail quotidien, combien de gens en bénéficient, de quelle façon ils en bénéficient. De même, il peut et doit veiller à ce que ses collaborateurs de tous grades soient amenés à comprendre les grands rouages de l'entreprise afin de situer leur travail, leur personne, et finalement d'apprécier leur propre responsabilité. 54:16 #### II. -- L'ENTREPRISE, COMMUNAUTÉ DE VIE Cellule de la vie économique, l'entreprise l'est aussi en ce sens qu'elle constitue la communauté de base à l'intérieur de laquelle est appelée à se réaliser une profonde unité morale dans le cadre d'une saine hiérarchie. Dans le Message qu'il adressait à l'U.C.I.D. ([^12]) le Pape Pie XII précisait, à propos de cette conception chrétienne de l'entreprise : « *Cette fonction, cet idéal -- avons-nous dit -- c'est le plein exercice sublime et chrétien de votre entreprise, inspiré de sentiments humains dans la plus large et la plus haute acception du mot. Ce sens humain, il faut qu'il pénètre, comme la goutte d'huile dans l'engrenage, tous les organes de l'entreprise : les dirigeants, les collaborateurs, les employés, les travailleurs de tous grades, de l'artisan à l'ouvrier le plus qualifié, jusqu'au plus modeste manœuvre* (...) *La grande misère de l'ordre social est qu'il n'est ni profondément chrétien, ni réellement humain, mais uniquement technique et économique et qu'il ne repose nullement sur ce qui devrait être sa base et le fondement solide de son unité, c'est-à-dire le caractère commun d'homme par la nature, et de fils de Dieu, par la grâce de l'adoption divine.* » (Pie XII : Allocution du 31 janvier 1952). Il apparaît clairement dans ce texte que le Saint-Père oppose deux conceptions de l'ordre : l'ordre qui règne entre les choses et l'ordre qui règne entre les hommes. Selon la scolastique, une science peut être spéculative ou pratique soit sous le rapport de son objet, soit sous le rapport de la méthode, soit sous le rapport du but poursuivi par le savant. Dans cette lumière, il apparaît clairement que la distinction d'Auguste Comte entre les sciences normatives et les sciences positives conduit à la confusion. Marcel CLÉMENT, *Itinéraires,* n° 8. 55:16 L'ordre qui règne entre les choses établit entre elles une *unité* en vue de *l'utile,* ou même du *beau.* Il en va ainsi de l'ordre d'un meuble, d'une machine ou d'une maison. L'ordre qui règne entre les hommes établit une *unité* en vue du *bien.* Entre les pièces d'une machine, il suffit que les proportions physiques se conviennent et s'articulent. Entre les personnes, il faut quelque chose de plus. Dans l'entreprise, tous les hommes ont une égale dignité. Ils ont tous les droits corrélatifs de cette dignité. Entre autre, dans le plan chrétien, ces hommes sont fils adoptifs de Dieu. Ils aspirent donc profondément à vivre, non seulement selon la justice et le droit, mais selon la charité surnaturelle et donc dans l'amitié fraternelle. Car les collaborateurs de l'entreprise ne sont pas appelés seulement à *faire effort ensemble.* Ils sont appelés à *vivre ensemble.* Faire effort ensemble tend à un but extérieur à ceux qui le fournissent. Vivre ensemble est différent. La simple coexistence n'est pas digne de l'homme. Il ne convient pas que dans une entreprise le patron, les ingénieurs, les salariés coexistent. Il faut qu'ils pensent ensemble, qu'ils veuillent et qu'ils agissent ensemble, en un mot il faut qu'ils communiquent. Quel sorte de communication vitales peut caractériser l'entreprise ? Principalement celle de l'estime mutuelle, puis de la bienveillance et de l'entraide, celle qui permet que, par un mot, un geste empressé, un sourire, la vie soit plus douce, et que l'atelier, ou le bureau, en soit illuminé. Communication de la joie, communication des peines et des soucis, la vie communautaire dans le travail ne peut être supportable que si, lorsqu'il quitte sa famille pour l'usine ou le bureau, celui qui va gagner sa vie trouve dans sa journée, non pas exactement la chaude et profonde intimité du foyer familial, mais comme un écho discret et assourdi, un climat d'amitié où la réserve n'exclut pas la cordialité, et où les différences de sexe, au lieu d'être des occasions de heurts ou de chute, sont des moyens d'exprimer, de façon vivante, la délicatesse de la charité. Le rôle du chef d'entreprise est, ici encore, un rôle de premier plan. Dira-t-on que ses soucis financiers, commerciaux, techniques, lui interdisent absolument de jouer un rôle en vue d'animer les communications vitales dans l'entreprise ? C'est renverser les perspectives et trouver de faciles excuses à des routines qui ont déjà fait beaucoup de mal. 56:16 Par le simple rayonnement de ce qu'il est, par son ouverture spirituelle aux exigences de l'amour divin, par son aptitude à se vaincre lui-même, par sa prière, paternelle et fraternelle, pour ceux qu'il guide, le chef d'entreprise joue déjà son rôle d'animateur. Et aucune « technique sociale » ne saurait remplacer cette réalité profonde de sa vie intérieure. 57:16 Par ailleurs, l'attention qu'il porte à la vie sociale de son entreprise, personnellement lorsque les circonstances le permettent, ou par l'intermédiaire de personnel spécialisé lorsque l'entreprise est trop vaste, reflète utilement son souci intérieur à ce sujet. Enfin, son amitié pour tous, sa compétence, son courage à l'ouvrage et les autres qualités que les travailleurs apprécient chez ceux qui les conduisent s'exprimeront aussi bien dans la vie quotidienne que dans les cas exceptionnels, les circonstances graves, ou sa présence ne saurait être remplacée par aucune autre. #### Conclusion : exigences chrétiennes de la charité sociale Une telle conception chrétienne de l'entreprise demande à celui qui la dirige de grandir chaque jour davantage dans un amour fervent du Seigneur, et dans un amour sincère et profond pour ses frères. « *Chez l'individu comme dans la société, l'aspiration vers le mieux et la perfection naturelle et surnaturelle exigent une progression continue et souvent même un pénible détachement pour suivre cette marche ascendante, pour l'orienter et y entraîner les autres, un dur travail s'impose. Nous voyons avec joie qu'il ne vous effraie pas et que vous êtes prêts à assumer toutes les responsabilités qui dérivent de votre fonction dans la société chrétienne.* » (31 janvier 1952) Ces paroles que Pie XII dédiait plus spécialement aux chefs d'entreprise chrétiens d'Italie s'appliquent aux patrons chrétiens du monde entier. Et c'est pour les patrons du monde entier que le 7 mai 1948, bien que s'adressant directement aux membres de l'UNIAPAC, Pie XII remarquait : « *Nombre d'hommes, industriels comme vous, catholiques et non catholiques aussi, ont, en maintes circonstances, expressément déclaré que la doctrine sociale de l'Église -- et elle seule -- est en mesure de fournir les éléments essentiels pour une solution de la question sociale. Assurément, la mise en œuvre et l'application de cette doctrine ne peuvent être l'ouvrage d'un jour. Sa réalisation exige de tous les participants une sagesse clairvoyante et prévoyante, une forte dose de bon sens et de bon vouloir. Elle réclame d'eux surtout une réaction radicale contre la tentation de chercher chacun son propre avantage aux dépens des autres participants -- quelles que soient la nature et la forme de leur participation -- et au détriment du bien commun. Elle requiert enfin un désintéressement tel que seule une authentique vertu chrétienne soutenue par l'aide et la grâce de Dieu peut inspirer.* » 58:16 C'est en définitive un appel à la charité sociale, c'est-à-dire à la charité ordonnée à une communauté -- que l'Église lance aux chefs d'entreprise pour qu'ils s'efforcent de réaliser, au sein même de leurs affaires, une communauté d'hommes soucieux de servir ensemble, de s'entraider pour constituer, de façon organique, une image temporelle qui ne soit pas trop imparfaite de la cité chrétienne, voulue de Dieu, et ardemment attendue par les hommes. Marcel CLÉMENT. Nous avons, dans *L'Économie sociale selon Pie XII,* été conduit à établir la nature morale des sciences sociales et économiques. Nous ne l'avons pas fait sans de très graves motifs. L'expérience de l'enseignement de ces disciplines nous a permis de prendre conscience de la situation intellectuelle où se trouvent ceux qui considèrent que le fait social en tant que tel est impersonnel, donc amoral. Ils deviennent incapables de relier de façon organique la réforme des institutions à la réforme des mœurs. Cette pensée, nous la proposons, nous ne l'imposons point. Mais nous avons des motifs sérieux de la croire conforme à l'enseignement de l'Église et à la philosophie de saint Thomas, et nous disons lesquels. Nous accueillons la discussion courtoise, la contradiction fondée, d'où qu'elle vienne, et dans un esprit bienveillant. Mais nous ne comprenons pas le procédé d'agression. Marcel CLÉMENT, *Itinéraires,* n° 14. ([^13]) 59:16 ### NOTES CRITIQUES La presse catholique *On connaît la distinction entre* « *catholique* » *et* « *d'inspiration chrétienne* ». *Elle a été rappelée avec beaucoup de netteté en ce qui concerne les organisations et mouvements, de manière à marquer la différence entre *: -- *d'une part, les groupements d'Action catholique, mandatés par la Hiérarchie pour participer à l'œuvre apostolique de l'Église *; -- *d'autre part, les mouvements* « *d'inspiration chrétienne* », *agissant sous leur responsabilité, avec des buts civiques, sociaux ou politiques.* *Une distinction analogue s'applique valablement aux publications.* *On se souvient de la déclaration du Cardinal Feltin* (27 *septembre* 1956, *citée dans* Itinéraires, *numéro* 9, *pages* 41 *et* 42) : Les catholiques peuvent légitimement appartenir à différentes tendances politiques et sont en droit d'avoir leurs journaux d'inspiration chrétienne qui correspondent à leur option. *Invoquant la même distinction, le P. Rouquette écrit dans les* ÉTUDES *de juillet-août, page* 125 : (Il existe) des syndicats d'inspiration chrétienne qui ne sont pas des organismes d'Église... il existe des partis pratiquement d'inspiration chrétienne... il existe des revues ou des journaux politiques, comme *Témoignage chrétien* et la *France catholique,* qui sont d'inspiration chrétienne sans être des organes ecclésiaux... 60:16 *Mais on aperçoit immédiatement une première difficulté pratique. Définir la* FRANCE CATHOLIQUE *comme un* « journal politique », *c'est en réduire la portée réelle et en sous-estimer considérablement le contenu. C'est aussi mettre en cause le mot* « *catholique* » *contenu dans son titre.* *D'autre part, on voit mal un journal, surtout hebdomadaire ou quotidien, qui n'aurait aucun contenu politique, et qui ne pourrait être défini, au moins sous un rapport, comme un* « journal politique ». LA CROIX *n'est pas seulement, mais elle est aussi un journal* « *politique* », *avec des* « *options* » *qui ne découlent pas nécessairement de la doctrine chrétienne, et qui d'ailleurs n'engagent pas l'Église.* \*\*\* *Existe-t-il, peut-il exister un journal purement et simplement* « *catholique* » ? *On connaît la prudence de l'Église à ce sujet. Les* SEMAINES RELIGIEUSES *ont une* « *partie officielle* » (*et l'autre non*)*.* L'OSSERVATORE ROMANO *porte en manchette, dans son édition quotidienne :* « journal politique et religieux ». *Il semble qu'en dehors des textes officiels publiés par certains organes directement contrôlés par la Hiérarchie apostolique, toute la presse serait plus aisément classée dans la catégorie* « *inspiration chrétienne* » *que dans la catégorie* « *catholique* ». *Peut-il exister une presse officiellement catholique, qui publie autre chose que des textes et communiqués officiels *? \*\*\* *Difficulté en sens inverse : peut-on refuser le titre de* « *catholique* » *à des journaux dont la direction, la rédaction sont catholiques et affirment leur foi *? *Ces problèmes sont examinés dans l'ouvrage que M. Georges Hourdin, en qualité de directeur de la* VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE*, vient de publier sous le titre :* La presse catholique (Fayard). *Ce petit livre est riche en vues de toute sorte, judicieuses ou surprenantes, parfois contestables ; on sait gré à l'auteur d'avoir exposé ses positions particulières en s'efforçant visiblement de n'être ni sectaire ni même tendancieux.* 61:16 *Sur le sujet qui nous occupe, M. Hourdin apporte une considération, trop souvent négligée, qui est en effet décisive* (*page* 62) : La préoccupation apostolique permet de classer les journaux en journaux chrétiens et profanes. C'est l'objet poursuivi par une entreprise de presse, et non l'opinion professée par ses dirigeants, qui détermine sa nature. La règle de la profession sur ce point est constante. Un journal est considéré comme d'informations générales ou spécialisées, national ou régional, suivant la nature des nouvelles qu'il donne ou suivant l'étendue du territoire qu'il atteint. De même le fait d'appartenir à la presse chrétienne se base suivant... *...on a dû faire ici une coquille, ou imprimer un mot pour un autre ; la tournure de la phrase est bizarre ; mais on comprend néanmoins sa signification...* 62:16 ...se base suivant l'objet que le journal poursuit, quelle que soit la nationalité ou la croyance de ses dirigeants. *Le contexte* (infra) *indique que par* « *croyance* », *M. Hourdin entend les opinions* (*par exemple*) *politiques et non les croyances religieuses.* Si un catholique fonde une entreprise de presse pour défendre une idéologie politique ou pour gagner de l'argent, celle-ci n'est pas chrétienne... Par contre, si un périodique est lancé ayant pour but, en diffusant des nouvelles, de faire mieux connaître l'Église du Christ, il appartiendra à la presse catholique. Il est évident qu'une certaine coïncidence doit exister dans toute entreprise de presse, pour que le but poursuivi soit atteint, entre l'objet qu'elle se propose d'une part, et la personnalité de ses dirigeants d'autre part. Cette correspondance est naturellement plus étroite et plus rigoureuse lorsqu'il s'agit d'un journal chrétien. *Ainsi, M. Georges Hourdin met fortement en relief le fait qu'un journal* « *catholique* » *n'est pas* (*seulement*) *un journal dirigé par des catholiques, mais encore un journal ayant un but* (*exclusivement, ou principalement*) *catholique.* *A côté du* but, *il faudrait aussi faire entrer en ligne de compte, croyons-nous, les* moyens *employés et les* résultats *effectivement obtenus* (*ce qui est d'ailleurs d'une appréciation infiniment délicate*)*.* *Ou, pour prendre la question autrement, à côté de la cause* finale *du journal, sur laquelle M. Hourdin a raison de mettre l'accent, il faudrait aussi examiner la cause* efficiente, *la cause* formelle *et la cause* matérielle. *Ce vocabulaire très ancien, et très classique, n'est nullement inadéquat aux entreprises de presse. Il permettrait même de clarifier méthodiquement bien des questions équivoques.* \*\*\* *On remarquera que dans le passage cité, et d'ailleurs dans l'ensemble de son livre, M. Hourdin ne fait aucune distinction entre la presse* « *catholique* » et *la presse* « *d'inspiration chrétienne* ». 63:16 *Il appelle indifféremment* « *chrétiens* » *ou* « *catholiques* » *les journaux de l'une et de l'autre catégorie. Il ne fait aucune allusion à la distinction dont nous parlons. C'est que cette distinction, si elle est très claire en théorie, est aussi, en pratique, très difficile à appliquer aux entreprises de presse. Et en fait, elle n'a jamais encore été méthodiquement appliquée dans ce domaine.* *En raison des difficultés de fait et des particularités propres à la presse, nous aurions tendance, quant à nous, à classer tous les journaux catholiques* (*exception faite des publications du type des* Semaines religieuses) *dans la catégorie* « *inspiration chrétienne* ». *M. Hourdin fait l'inverse : il classe tous les journaux que l'on considérerait plutôt comme* « *d'inspiration chrétienne* » *dans la catégorie* « *catholique* ». *Au fond cela revient au même, à condition de bien savoir qu'en matière de presse,* « *catholique* » *n'a pas alors le sens strict qu'il a par exemple dans* « *Action catholique* ». (*Nous ne parlons pas ici de la question, beaucoup plus circonscrite, de l'emploi du mot* catholique *dans le titre d'un journal.*) *L'annexe I du livre de M. Hourdin est une* « chronologie de la presse catholique en France de 1700 à 1957 ». *Voici, cités d'après leur date de fondation, les titres qui paraissent encore aujourd'hui* (*ou qui ont récemment cessé de paraître*)*, avec éventuellement le commentaire signalétique de M. Hourdin *: *Semaine religieuse de Paris* (1853) : ce fut la première *Semaine religieuse* conforme à la formule devenue classique. Les *Études* (1856). -- *Le Pèlerin* (1872). -- *L'Ami du Clergé* (1878) : fut jusqu'à la seconde guerre mondiale... *...et aujourd'hui encore !*... ...l'une des principales publications destinées au clergé. *La Croix* (1883) : le tirage était de 160.000 exemplaires en 1895, 280.000 en 1900. -- *Chronique sociale de France* (1892), publiée d'abord sous le titre : *Chronique des comités du Sud-Est pour la diffusion de la Croix. -- Croisade de la Presse* (1902), remplacée en décembre 1955 par *Presse-Actualité. --* *Revue de l'Action populaire* (1908.).  64:16 -- *Prêtre et Apôtre* (1919). -- *La Documentation catholique* (1919). -- *La Vie spirituelle* (1919). -- *La France catholique* (1925). -- *La Vie intellectuelle* (1928) : elle disparaît en décembre 1956, -- *Cœurs Vaillants* (1929) : première brèche dans le monopole de la Bonne Presse. *Esprit* (1932) : revue mensuelle destinée à être le moyen d'expression du personnalisme communautaire chrétien. -- *Cahiers d'action religieuse et sociale* (1933). -- *Missi* (1935). -- *Cahiers Laënnec* (1935), revue médicale du C.C.I.F. *A vrai dire, le C.C.I.F. n'existait pas encore. Il n'a été fondé qu'après la guerre.* *Monde ouvrier* (1937), bi-mensuel traitant des questions politiques, ouvrières et familiales. *Après la guerre, ce journal est passé* (*à travers diverses péripéties*) *aux mains de compagnons de route du Parti communiste.* *Âmes vaillantes* (1938). -- *Art sacré* (1938). -- *L'Anneau d'or* (1945), -- *Maison Dieu* (1945). -- *Messages* (1945), revue mensuelle du Secours catholique. -- *Masses ouvrières* (1945), revue mensuelle consacrée aux problèmes de l'apostolat ouvrier, *La Vie catholique illustrée* (1945), Éditions du Temps présent, hebdomadaire populaire imprimé en héliogravure qui renouvellera la presse populaire chrétienne. -- *Fêtes et Saisons* (1945). -- *Témoignage chrétien* (1945) : hebdomadaire d'opinion destiné aux militants chrétiens (issu des *Cahiers clandestins du témoignage chrétien,* publiés en 1941 et devenus en 1942 le *Courrier français du témoignage chrétien*)*. -- L'homme nouveau* (1946) : bi-mensuel du Mouvement pour l'Unité et du R.P. Filières, -- *La Pensée catholique* (1947) : revue mensuelle de synthèse et de doctrine catholique ; ces cahiers sont publiés par une équipe de collaborateurs de tendance très traditionaliste. -- *Ecclesia* (1949). -- *Radio-Cinéma-Télévision* (1950) créé par la *Vie catholique illustrée,* les Éditions du Cerf et *Témoignage chrétien. -- La Quinzaine* (1950), sur petit format en typogravure, qui a pour objet de traduire les préoccupations des milieux ouvriers chrétiens. En février 1955 ce bi-mensuel sera condamné. 65:16 -- *Pax Christi* (1951). -- *L'Actualité religieuse dans le monde* (1953), qui sera transformée à partir du 1^er^ mai 1955 : le 1^er^ juin, change de titre et devient les *Informations catholiques internationales,* éditées sous la seule responsabilité de la *Vie catholique illustrée. -- Christus* (1954). -- *Clair foyer* (1954), -- *Catéchistes d'aujourd'hui* (1955). -- *Panorama chrétien* (1957). -- La Maison de la Bonne Presse reprend *Bible et Terre sainte* (1957), fondée en 1955. *Nous avons félicité M. Hourdin de l'effort accompli dans l'ensemble de son livre pour n'être ni sectaire ni tendancieux. Effort méritoire, car M. Hourdin est l'un des journalistes catholiques les plus* engagés *dans l'action politique : il est l'un des rares, ou même* LE SEUL *directeur de publication catholique* QUI APPARTIENNE SIMULTANÉMENT A LA DIRECTION D'UN PARTI POLITIQUE (*le M.R.P.*)*. Il est, pour cette raison, notamment, probablement celui des directeurs catholiques dont l'impartialité a été le plus contestée. Dans son livre, il s'élève au-dessus des injustices partisanes et des considérations de parti.* *A deux exceptions près néanmoins, que l'on regrette, et que l'on doit lui signaler.* *La première est dans cette nomenclature faussée des publications catholiques. La seconde, que nous signalons simplement au passage, est dans son chapitre historique, le chapitre III :* « *La presse catholique en France au* XIX^e^ *siècle* ». \*\*\* *La nomenclature de l'annexe I est discrètement tendancieuse dans ce qu'elle dit, et carrément tendancieuse dans ce qu'elle ne dit pas.* *On a remarqué qu'en mentionnant* LA PENSÉE CATHOLIQUE*, M. Hourdin note sa* « *tendance très traditionaliste* ». *Nous en parlons, quant à nous, avec un détachement complet, et une objectivité entière, car cette revue nous a, au moins à deux reprises, vivement attaqués, sans nous nommer il est vrai, mais en nous désignant sans équivoque possible. Nous n'avons aucune intention de la* « *défendre* » *ou de plaider en sa faveur. Nous recherchons simplement la vérité.* 66:16 *Et c'est dans cet esprit que nous présentons à M. Hourdin deux remarques *: 1. -- LA PENSÉE CATHOLIQUE *ne contestera probablement pas la qualification de* « *traditionaliste.* » *Mais pourquoi M. Hourdin ajoute-t-il *: « *très* » *traditionaliste ? Quelles sont alors les publications qui seront* « *traditionalistes* » *sans l'être* « *très* » *?* 2. -- *Et surtout, pourquoi préciser la* TENDANCE *de cette* (*presque*) *seule publication ? Pour les autres, en général M. Hourdin indique seulement leur* OBJET. *même pour* LA QUINZAINE*, dont il note la condamnation, il précise* l'objet, *il tait la* tendance. *Pareillement pour* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*. Nous avons cité plus haut leurs commentaires signalétiques. Qu'on les relise, et que l'on compare.* *Cela est important. Car en ne mentionnant pas la tendance de certaines publications, alors qu'il précise celle de certaines autres, il laisse croire que les premières sont purement et simplement catholiques, tandis que les secondes auraient, et auraient seules, des options particulières. Sous une apparence strictement documentaire, M. Hourdin défavorise très réellement* LA PENSÉE CATHOLIQUE *par une documentation unilatérale et orientée.* 67:16 *Ce genre de procédé, on le sait, est l'une des causes du* « *malaise* » *qui existe, parmi les catholiques, au sujet de la presse catholique.* *La* FRANCE CATHOLIQUE*, dans son numéro du* 19 *juillet, a relevé, par la plume de M. Nobécourt, cet aspect regrettable du livre de M. Hourdin *: ...(M. Hourdin) a marqué des préférences. Celles-ci sont légitimes, certes ; ne peut-on cependant regretter qu'en s'exprimant ainsi, même discrètement ou avec des précautions assez visibles -- elles aient incliné dans un certain sens une étude dont l'entière objectivité eût rehaussé le prix ? Cette orientation est sensible même dans la « chronologie de la presse catholique en France de 1700 à 1957 »... le sort ménagé aux divers journaux y est inégal. Si l'on décide, dans une semblable nomenclature, nécessairement sommaire, de donner de brèves précisions documentaires sur chacune des feuilles citées, on doit le faire pour toutes. *Bien sûr. Et nous venons de montrer comment le jeu des précisions documentaires, spécifiées ou omises selon les cas peut devenir tendancieux.* *M. Nobécourt s'en tient à ce qui concerne la* FRANCE CATHOLIQUE* *: Bornons-nous à relever que la *France catholique* est tout juste signalée comme l'organe de la Fédération catholique publié en 1925 ; et que *France-Monde catholique,* qui est devenu l'organe de cette Fédération... *...de cette Fédération elle-même transformée en F.N.A.C., puis en Action catholique générale des hommes...* ...(alors que la *France catholique* ne l'est plus), et qui tire à 280.000 exemplaires, n'est même pas nommé. \*\*\* *M. Georges Hourdin fait plus encore. Il* SUPPRIME *purement et simplement des publications qui ont au moins autant de titres que* LA QUINZAINE *à figurer dans une nomenclature de la presle catholique.* 68:16 *Il n'est pas normal, dans une nomenclature qui mentionne* LA QUINZAINE*, de supprimer* VERBE*, organe de* la Cité catholique, *qui a reçu les encouragements explicites du Saint-Siège, de l'*OSSERVATORE ROMANO*, de plusieurs Évêques.* *Pareillement, il est paradoxal de taire l'existence de la revue* PATERNITÉ* : on peut l'approuver ou la désapprouver, c'est une autre question, mais comment pourrait-on nier qu'il s'agit d'une publication catholique, et qui a beaucoup fait parler d'elle ?* *M. Hourdin aurait pu éviter de supprimer* LA FAMILLE ÉDUCATRICE*, qui a sans doute sur la liberté de l'enseignement une position différente de la* VIE CATHOLIQUE ILLUSTRÉE*, mais qui n'en tire pas moins à* 600.000 *exemplaires.* *Peut-être s'agit-il d'oublis plutôt que d'une machination volontairement partisane. En effet, M. Hourdin a oublié la revue* ÉCONOMIE ET HUMANISME* ; il a oublié la revue du P. Daniélou,* RÉSURRECTION*, contre laquelle* (*à notre connaissance du moins*) *il n'a aucun motif de rancune. Il a* *oublié la revue* RECHERCHES DE SCIENCE RELIGIEUSE*. Et* PRÉSENCES*. Et quelques autres sans doute.* *Nous souhaitons donc qu'il n'y ait dans tout cela que de simples oublis, promptement réparés dans une éventuelle réédition.* \*\*\* *Car nul ne contesterait à M. Hourdin le droit de formuler, sur les publications dont il désapprouve l'orientation, des critiques rigoureusement motivées et fermement exprimées : la critique est toujours utile, au moins par quelque côté, à celui qui la reçoit* (*à la condition qu'il veuille bien la recevoir : ce qui, il est vrai, ne se produit pas toujours...*) *Mais* L'OSTRACISME *n'est utile à personne* (*à moins qu'il n'ait une utilité partisane, -- ou commerciale*)*.* *Il faut enfin que finissent ces ostracismes qui* EMPOISONNENT LE CLIMAT, *qui* DURCISSENT *les oppositions entre catholiques et qui ont pour résultat de créer, là où il y avait simples divergences, des* HOSTILITÉS *inexpiables et dont ensuite on n'arrive plus à sortir ; en raison de l'inextricable* « *contentieux* » *que l'on a ainsi développé et laissé pourrir.* \*\*\* 69:16 *Nous n'avons aucun moyen de savoir si les ostracismes relevés dans le livre de M. Hourdin sont l'effet de la distraction ou de la préméditation. Dans un cas comme dans l'autre, nous le prions de bien vouloir y renoncer, ou y porter remède.* *Nous l'invitons à n'avoir pas honte de ses frères catholiques, même s'il désapprouve leurs idées* (*ce qui est une tout autre question*)*.* *Nous lui désignons cette tâche manifeste et urgente, qui s'impose à tous ceux de notre profession : rétablir entre les journalistes catholiques,* OÙ QU'ILS SOIENT ET TELS QU'ILS SONT, *les sentiments et les mœurs de l'unité catholique.* ~==============~ ### Les violences verbales De la Nation française (5 juin 1957) : Nous croyons que rien ne peut dévaluer la violence comme son emploi à jet continu. Nous croyons en outre que le public actuel est bien moins sensible qu'on ne l'était il y a vingt ou cinquante ans aux grandes joutes polémiques : les violences physiques de la guerre et de l'après-guerre ont rendu quelque peu dérisoires les violences purement verbales. *Cela est très vrai. Les violences verbales sont aujourd'hui bien anachroniques, quand elles sont un style ordinaire, habituel.* *Mais* LA NATION FRANÇAISE *ajoute une remarque beaucoup plus profonde *: Nous croyons enfin qu'un ton de hargne perpétuelle est surtout propre à entretenir chez ceux des lecteurs qu'il ne rebute pas une mauvaise humeur et un sectarisme que nous ne leur souhaitons certes pas. 70:16 *La plupart des sectarismes hargneux qui divisent les Français sont artificiellement créés ou entretenus par des journalistes qui opèrent des exercices de style, auxquels eux-mêmes ils ne croient qu'à moitié, mais qui trouvent encore des fanatiques pour s'y laisser prendre.* *Pourquoi ne pas créer, entre journalistes qui respectent leur public, un code d'honneur *? *La profession de journaliste est intellectuellement aussi pourrie aujourd'hui que l'était celle de soldat au moment où naquit la chevalerie. On n'en sortira, cette fois encore, qu'en visant très haut.* \*\*\* *Viser très haut n'empêche nullement d'avoir les pieds sur terre. Dans un autre numéro de la même* NATION FRANÇAISE (3 *juillet*)*, M*. *Pierre Boutang remarque *: La polémique ne nous semble plus indispensable que dans quelques cas d'exception. *Il y a là deux idées, dont la première est implicite *: l. -- *on ne doit consentir à la polémique que lorsqu'elle est* « *indispensable* » ; *ce qui veut dire *: *indispensable* AU BIEN COMMUN ; 2. -- *de tels cas existent ; ils sont exceptionnels.* *Certains croient au contraire que plus les périls qui menacent la France sont graves et pressants, plus il convient que les journalistes crient fort. Mais le plus clair résultat d'une telle méthode est d'augmenter le trouble et le désordre, d'exciter les passions, de créer un climat de guerre civile.* *Dans le même sens, M. André Frossard* (L'AURORE *du* 3 *juillet*) *rappelle aux journalistes* l'ignorance où ils sont des conséquences immédiates de leurs paroles ou de leurs écrits, qui peuvent pousser les antagonistes à un surcroît de violence... *En temps de guerre, on* *écrit avec du sang.* \*\*\* 71:16 *Plus particulièrement, le rôle du journaliste chrétien n'est certainement pas d'accélérer, de relancer les processus de division, d'opposition et d'hostilités réciproques qui déchirent l'opinion française.* *Nous avons dû dans nos précédents numéros, et encore dans celui-ci* (infra), *demander a un polémiste qui écrit aux* ÉTUDES *s'il se rend bien compte des conséquences de ses exagérations.* *Les dons de vie, de vivacité, l'allant que manifeste le P. Rouquette ne lui ont pas été donnés pour qu'il les applique à inventer des* RELANCES *et des surenchères dans nos discordes civiles.* *Que la polémique du R. Rouquette ait eu des conséquences déplorables, cela est trop visible, Jean Madiran a exposé comment et pourquoi en juillet *: Toute une presse expose quel mal font à la France, dans l'affaire d'Algérie, les « chauvins », les « colonialistes » et les « ultras ». Les mêmes journaux racontaient en même temps que ces « ultras » et ces « chauvins » sont un petit groupe d'extrémistes, peu nombreux et totalement discrédités, rétrogrades, dépassés par les événements, sans influence sur le train du monde. Il n'y avait donc pas de quoi s'exciter ni aller les massacrer. Leur impuissance les rendait manifestement inoffensifs. Le mythe n'était pas au point. 72:16 Or un Père de la Compagnie de Jésus, qui apporte périodiquement sa contribution personnelle à nos divisions politiques, a trouvé le joint par lequel ranimer l'intérêt et remettre en mouvement les passions. De la haute et respectable tribune des *Études,* avec toute l'autorité morale que l'on reconnaît aux réflexions qui paraissent dans cette centenaire revue, il a dénoncé à son tour le « chauvinisme » et le « colonialisme », mais en le situant CHEZ LES SOCIALISTES AU POUVOIR. Cela fut imprimé dans les *Études* de mars, page 440. Après quoi, il y eut un long silence. Les audaces de la pensée demandent du temps pour être comprises et pour que l'on aperçoive bien tout le parti pratique que l'on en peut tirer. Mais nous y voici. Nous savons maintenant à quelle vitesse marche la pensée. Il lui faut trois mois pour aller de sa conception rue Monsieur à sa mise en œuvre dans le faubourg Poissonnière. En juin, *Témoignage chrétien* est passé aux applications pratiques. Le 14 juin, la première page de *Témoignage chrétien* raconte que « *la majorité du Parti socialiste a explicitement* (sic) *choisi une politique ultra en Algérie* ». Le 28 juin, le même journal, en même place, dénonce le gouvernement de la République qui soumet la France à « *un nouveau vichysme* »*.* \*\*\* Ultras, chauvins, néo-vichystes, tels sont donc les dirigeants de la S.F.I.O. Bon. Et l'on sait combien de telles positions sont extrêmes, déplorables et nuisibles. Contre ces socialistes, une rude campagne de presse était évidemment nécessaire. C'est pourquoi ils ont été qualifiés, à *Témoignage chrétien* comme dans les *Études,* en des termes d'une grande sévérité. Tout cela est logique. Mais si les socialistes sont tels, et méritent un tel traitement, comment nommera-t-on, et comment traitera-t-on tous ceux qui, sur l'Algérie, *ont une position un peu moins à gauche que la position socialiste *? Ceux-là sont AU DELA des ultras ; au-delà du chauvinisme ; au-delà du vichysme. Il n'y a plus de mot qui les définisse. Ce sont des monstres. Et c'est bien ce que nous voyons. Pour *Témoignage chrétien,* l'extrême-droite ultra est constituée par la tendance majoritaire du parti socialiste. Nul ne peut *normalement,* par définition, être plus à droite que l'extrême droite. Et s'il en est pourtant, ce ne peut être que par une *monstruosité* que de respectables ecclésiastiques ont, d'ailleurs, étudiée avec une compréhension charitable : ils y ont vu une maladie mentale, ou un « psychisme sado-anal » (*sic*)*,* et leurs thèses ont eu quelque célébrité. \*\*\* 73:16 Je ne vois aucun inconvénient à ce que des religieux zélés s'occupent des affaires politiques. Je ne me scandalise pas de leur découvrir un avis contraire au mien. Je m'étonne seulement de la passion furieuse qui les anime et des méthodes qu'ils emploient. Ils mettent en œuvre une publicité journalistique meurtrière, qui persuade l'opinion que MM. Lacoste et Mollet sont des ultra-colonialistes. Où est alors, je le demande, le « colonialisme » simple, le colonialisme qui n'est pas ultra, le colonialisme modéré ? De même, la publicité communiste impose aux militants de croire que Beria était un réactionnaire et Léon Blum un fasciste. Dans un cas comme dans l'autre, on fanatise les esprits, on abrutit les consciences. \*\*\* Ne vous indignez pas. Mais réfléchissez. Ce phénomène publicitaire doit être considéré de sang-froid, avec une attention méthodique, par tous ceux qui en France sont capables encore d'une calme réflexion. Ce que l'on manie ainsi, c'est véritablement un « pousse au crime ». En faisant croire que Beria était un réactionnaire et Léon Blum un fasciste, la propagande communiste rend MORALEMENT ET PHYSIQUEMENT INTOLÉRABLE, pour des communistes, TOUT CE QUI EST AU DELA DE BERIA ET DE LÉON BLUM. *Témoignage chrétien,* en faisant croire à ses lecteurs, c'est-à-dire à des militants et à des aumôniers de l'Action catholique, que les socialistes sont déjà des ultra-colonialistes, REND INTOLÉRABLE ET MONSTRUEUX TOUT CE QUI EST UN PEU MOINS A GAUCHE QUE LES SOCIALISTES... *Ainsi, en faussant systématiquement la nomenclature, on ne détruit pas seulement le langage ; on n'augmente pas seulement la confusion intellectuelle et morale.* *On fait plus et autre chose.* *Sans le savoir, ou en le sachant, ce n'est pas la question, on met en* *œuvre* UNE TECHNIQUE MEURTRIÈRE. *Ce n'est pas simple déviation. C'est déjà, virtuellement, guerre civile.* \*\*\* 74:16 *L'idée du P. Rouquette a eu malheureusement un grand succès. Elle a été exploitée non plus seulement par* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, mais un peu partout dans une certaine presse.* *M. Maurice Duverger, dans* L'EXPRESS *du* 5 *juillet, assimilait le ministre socialiste Lejeune à... Hitler, en l'accusant de* « *colonialisme* » *et de* « *chauvinisme borné et satisfait* ». *M. Duverger a ultérieurement repris et développé des thèmes analogues dans* LE MONDE*.* *Ainsi, quiconque défend sur l'Algérie une position un peu moins à gauche que celle du ministre socialiste Lejeune se trouve automatiquement* au-delà *d'Hitler, et manifeste donc une monstruosité qu'il ne saurait être question ni de comprendre ni de tolérer.* \*\*\* *Nous allons faire maintenant une comparaison.* *Quand nous avons analysé soit une* NON-RÉSISTANCE AU COMMUNISME, *soit des* INFILTRATIONS MARXISTES *dans certaines entreprises de presse catholiques, nous les avons appelées par leurs noms, ceux-là précisément : non-résistance et infiltrations.* *Nous n'avons pas dit pour autant : ces entreprises de presse* SONT COMMUNISTES. *Si les* ÉTUDES *et* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *avaient bien voulu imiter nos* « *procédés* » -- *qui se résument en un effort* de *rigoureuse exactitude -- ils auraient peut-être été amenés, à la limite, à discerner des* INFILTRATIONS CHAUVINES, *ou tout au moins une certaine* NON-RÉSISTANCE AU COLONIALISME *chez tels et tels socialistes. Mais ils auraient évité les assimilations* (*intellectuellement*) *grossières, par lesquelles ils affirment que les leaders socialistes* SONT *des* « *chauvins* » *et des* « *ultra-colonialistes* ». *Seulement, le respect de l'exactitude est évidemment impropre à exciter ou relancer les passions...* \*\*\* *Si, inversement, nous suivions l'exemple, comme on nous le recommande parfois fort imprudemment, des* ÉTUDES *et de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, et* SI NOUS PARLIONS D'EUX SELON LES PROCÉDÉS QU'EUX-MÊMES EMPLOIENT, *nous aurions pu alors écrire par exemple que* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN EST COMMUNISTE. 75:16 *Dire que* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *est communiste serait évidemment inexact.* MAIS PAS PLUS INEXACT, ET PEUT-ÊTRE MOINS, *que de dire que les socialistes sont des ultra-colonialistes.* \*\*\* *Cette double comparaison, chacun peut en vérifier les termes.* (*Nous sommes d'ailleurs en mesure, s'il le faut, de multiplier à son propos les précisions circonstanciées.*) *Puisse-t-elle incliner à la réflexion des esprits* (*trop*) *passionnés, ou insuffisamment informés.* \*\*\* *Conclusion *? *Tout en exposant nos positions, et en les défendant, nous devons tous chercher à* FAIRE BAISSER *et non pas à* ÉLEVER *le ton des contestations et des disputes politiques... ou autres.* *Seulement, comme nous le remarquions dans notre numéro* 15 *à propos du bel article du P. Le Blond,* Charité et vérité, *paru dans les* ÉTUDES *de mai, le climat ne s'améliorera guère tant que n'interviendra pas un* ACCORD EXPLICITE *sur des* PROPOSITIONS CONCRÈTES. *Sur les propositions concrètes que nous avons formulées dans notre Lettre à Jean de Fabrègues* (*Itinéraires,* n° 9, *pp.* 45-46). *Ou, bien entendu, sur d'autres, meilleures, que l'on proposerait.* ~==============~ ### Notules - LA POLÉMIQUE DES « ÉTUDES ». -- Dans sa rubrique, récente et déjà fameuse, dite de « la vie religieuse », le P. Rouquette s'occupe du Rapport doctrinal de l'Épiscopat présenté par Mgr Lefèvre. Il écrit (numéro de juillet-août, pages 117-118) : « L'auteur du rapport a voulu et su éviter un danger : celui de voir sa pensée exploitée unilatéralement. C'est pourquoi, à plusieurs reprises, il déclare avec une grande netteté qu'il entend ne pas donner de gages à un « intégrisme » qu'il condamne et qu'il définit ainsi : 76:16 « incapable de distinguer ce qui dans la doctrine est définitivement fixé, susceptible de progrès ou laissé à la libre discussion des théologiens, il en arrive à vouloir arrêter tout progrès et semble se complaire en condamnations sommaires » (page 14). Le rapporteur rejette, également, les vues de ceux qui rêvent d'un retour aux institutions du passé et qui voudraient donner comme but à l'action des chrétiens la restauration d'une chrétienté de type médiéval. » *Telle est* LA SEULE *citation que le P. Rouquette fasse du Rapport, tel est* LE SEUL *passage de son article comportant une référence explicite au Rapport.* *Cette référence unique, cette seule citation sont faites, bien entendu, en protestant qu'on ne saurait* « *exploiter unilatéralement* » *la pensée de l'Épiscopat.* *Mgr Lefèvre avait donné, dans la préface, cet avertissement *: 77:16 « Voici donc ce rapport doctrinal. Il forme un tout indivisible Nous souhaitons vivement que chacun le considère dans son ensemble, et que personne ne tente d'en extraire simplement ce qui correspond à son personnel état d'esprit, en vue d'une utilisation partisane. » *On regrettera donc d'autant plus que la revue* ÉTUDES*, par la plume du P. Rouquette, ait cru devoir n'extraire du Rapport qu'une seule citation.* *Mais il parle du reste *? *Il en parle, oui, en termes d'une grande généralité, pour ne pas dire d'un grand vague, et pour aboutir à cette conclusion fort réservée* (*page* 119) : « Tout cela demanderait de nombreuses précisions et nuances qu'un court rapport ne peut matériellement pas apporter. » *Le P. Rouquette a donc cité le Rapport, si nous comprenons bien, sur le seul point où des précisions plus nombreuses et des nuances supplémentaires ne lui paraissaient pas nécessaires.* *Disons une fois de plus, sans élever la voix que nous ne contestons pas aux* ÉTUDES *le droit d'avoir une rubrique de polémique, si cela leur plaît et leur paraît utile. Nous sommes simplement étonnés des procédés que l'on y emploie.* *Procédés vraiment* « *unilatéraux* », *comme dit le P. Rouquette.* \*\*\* *L'essentiel du Rapport doctrinal, et ce qu'il comporte de plus net et de plus important, n'est apparemment pas, comme pourrait le croire le lecteur du P. Rouquette, de rejeter l'intégrisme.* *L'essentiel du Rapport est de formuler tout un enseignement, en demandant explicitement que cet enseignement ne soit pas déformé ou exploité dans un sens* « *intégriste* » intégrité de la doctrine chrétienne, *oui*. Intégrisme, *non.* *Or, sur l'essentiel du Rapport, sur son* CONTENU POSITIF, *le P. Rouquette écrit, citons à nouveau, car vraiment cette formule attire et retient l'attention *: « Tout cela demanderait de nombreuses précisions et nuances qu'un court rapport ne peut matériellement pas apporter. » *Tout de même ! Tout de même !* *Le P. Rouquette nous dit en somme -- car c'est cela qu'il nous dit -- que le Rapport manque de précisions et de nuances. Et non pas sur un point on un détail. Dans son objet même *: « tout cela » *écrit-il. En* « *tout cela* », *des nuances, des précisions, et nombreuses, lui font défaut !* *Le commentaire de M. Georges Hourdin, dans les* INFORMATIONS CATHOLIQUES *du* 1^er^ *juillet, nous paraît beaucoup plus heureux *: « Le rapport doctrinal de Mgr Lefèvre rappelle en termes clairs des choses, il est vrai, fort anciennes. » *Mais oui : ce Rapport a voulu être clair, et il l'est. Il est rédigé de manière à pouvoir être lu par tout catholique ayant, en matière doctrinale, une formation et une information moyennes.* *Bien sûr, il donne sur chaque point les directions essentielles, il n'épuise pas chaque sujet dans tous ses détails. Mais si le P. Rouquette a besoin de* « *nombreuses précisions et nuances* » *complémentaires, il peut les trouver, elles existent. Ce Rapport n'est pas une pensée isolée.* 78:16 *Il dit* « *des choses fort anciennes* », *comme le remarque M. Hourdin, voulant signifier par là, avec pleine raison, qu'il ne s'agit pas d'un phénomène original, unique, inédit, mais d'une expression, particulièrement adaptée à la conjoncture actuelle, de la doctrine de l'Église.* *Ce Rapport doctrinal, qui est un immense bienfait pour tous les catholiques français, et un grand acte de lumière et de charité, vraiment, le P. Rouquette en a parlé, dans les* ÉTUDES *d'une manière qui fait mal au cœur.* \*\*\* - ET ENCORE LA POLÉMIQUE DES « ÉTUDES ». -- Dans le même numéro, le P. Rouquette traite aussi de la J.E.C., et de sa crise, d'une manière aussi vivement polémique. *Cela est déplorable parce que ces excès polémiques sont* UTILISÉS *dans la presse, et qu'elle les présente non point comme des excès polémiques, mais comme l'expression mesurée d'une réflexion sérieuse, ayant toute l'autorité morale qui s'attachait traditionnellement à la haute tenue des* ÉTUDES*.* *Les journaux sont d'ailleurs excusables : ils n'ont aucune raison de supposer que les* ÉTUDES *auraient -- dans l'une de leurs rubriques -- changé de ton et de manière sans crier gare, sans avertissement préalable. Ils sont fondés à croire que tout ce qui se publie dans les* ÉTUDES *est toujours aussi sérieux.* *C'est pourquoi nous mettons quelque insistance à avertir l'opinion du changement qui s'est produit avec l'apparition de cette rubrique régulière qui est abusivement intitulée :* « *La vie religieuse* »*.* *La polémique* (*du moins quand elle est correcte*) *n'est pas un péché, mais* « *la vie religieuse* »*, à notre avis du moins, ne consiste pas essentiellement à cogner comme un sourd dans toutes les directions.* *Dès son numéro du 4 juillet,* LE MONDE *a reproduit et utilisé* (*en page* 8) *l'article du P. Rouquette sur la* J.E.C. LE MONDE *reproduit ce passage :* « Les évêques de France ont pris des décisions sur la forme et l'orientation à donner à l'Action catholique. Il n'est que de les suivre. Certes, il y a à cette obéissance des difficultés qu'il ne faut pas nier. D'abord parce que l'autorité à qui doivent obéir les mouvements nationaux n'est pas encore juridiquement bien déterminée... Il n'y a pas d'autorité prévue par le droit canon actuel qui ait le droit strict d'imposer des directives impératives... » *Nous n'ignorons nullement quels sont les arguments canoniques, concernant l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques, auxquels le P. Rouquette fait une brutale allusion.* *Nous ne les avons, pour notre part, jamais invoqués ; nous n'avons même jamais laissé supposer leur existence.* *Quand le P. Rouquette les met en avant, et de cette manière, il accomplit un acte que nous nous garderons de qualifier.* *Le prétexte qu'il allègue pour soulever une telle querelle juridique* EST UN PRÉTEXTE ENTIÈREMENT INEXACT. *Non, non et non : ce qui fait la difficulté de l'obéissance, ce ne sont absolument pas les arguments juridiques qu'il invoque. Ce n'est pas pour des raisons juridiques, mais pas du tout, que les dirigeants de la* J.E.C. *ont prononcé leur* « *non possumus* ». 79:16 *C'est pour des raisons de fond et non pour des raisons de forme. L'obéissance est difficile tout simplement parce qu'elle demande de faire ce que l'on ne voulait pas faire.* *L'argument juridique du P. Rouquette apporte une excuse et suggère une justification à ceux qui n'obéissent pas. Il aurait mieux fait de laisser dormir cette excuse explicite, cette justification insinuée :* CAR IL RÉVÈLE SON EXISTENCE A CEUX QUI L'IGNORAIENT. *Nous disons son existence et non pas son bien-fondé, car la thèse juridique invoquée par le P. Rouquette est au demeurant fort délicate et fort discutable.* *Le P. Rouquette prétend ne soulever cette question que par souci d'analyse objective de la situation. Mais il se trompe, parce que* CETTE QUESTION JURIDIQUE N'A EU AUCUNE INFLUENCE SUR LES DÉCISIONS DES DIRIGEANTS DE LA J.E.C. *Il est bouleversant de voir avec quelle inconscience, dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, des écrivains ecclésiastiques prêchent explicitement l'obéissance* TOUT EN METTANT EN RELIEF DES MOBILES OU DES MOTIFS SUSCEPTIBLES DE POUSSER A UNE MOINDRE OBÉISSANCE OU A UNE DÉSOBÉISSANCE. *Et c'est* en *quelque sorte une attitude constante, depuis des années.* *Hier certains publicistes, même ecclésiastiques, ont prêché aux prêtres-ouvriers la soumission, mais leurs exhortations contenaient* SIMULTANÉMENT *toutes les considérations de fait ou de droit* (*vraies ou fausses*) *susceptibles de renforcer en fait l'esprit d'insoumission.* *Maintenant les* ÉTUDES*, par la plume du P. Rouquette, déclarent qu'il faut obéir, mais* EN MÊME TEMPS *vont chercher une thèse juridique susceptible de durcir la résistance à l'autorité de la Hiérarchie apostolique. Une thèse que personne n'invoquait. A laquelle on ne pensait pas. Et qui ne peut* EN AUCUN CAS AIDER *les esprits troublés à surmonter leur crise. Une thèse qui ne peut au contraire, dans tous les cas, qu'*AUGMENTER LE TROUBLE *de ceux qui sont en crise.* \*\*\* *Était-il en outre bien indispensable d'aller raconter cette histoire étrange *: « Il faut reconnaître encore que le fait que le prélat qui représentait l'épiscopat auprès de la J.E.C. résidait dans un des diocèses les plus difficiles d'accès n'a pas aidé un dialogue qui n'est pas incompatible avec l'esprit d'obéissance. » *Qu'est-ce donc, on peut se le demander, et on peut le demander, qu'est-ce donc que cette histoire ?* UN DES DIOCÈSES LES PLUS DIFFICILES D'ACCÈS, *cela avait un sens au temps des diligences. Aujourd'hui, c'est se moquer du monde que d'invoquer de telles* « *difficultés* », *du moins en France.* *On ne va pas nous faire croire que les dirigeants de la* J.E.C. *avaient besoin d'une boussole, d'une carte, de quinze jours de vivres et de l'équipement complet du petit explorateur pour atteindre le diocèse en question,* « *l'un des plus difficiles d'accès* » (*!?*)*, On croit rêver.* \*\*\* *Ce n'est pas tout.* 80:16 *Chaque nouvelle protestation d'obéissance est suivie de commentaires propres à troubler ceux qui hésitent à obéir. Le P. Rouquette écrit encore :* « C'est le droit et la mission de l'épiscopat de prendre une telle décision. La première règle est de s'y conformer. Le danger serait d'y voir un absolu, d'en faire proprement un dogme, alors qu'elle est un moment dialectique de la tension « hors du monde » -- « dans le monde ». *Le* « *danger* » *invoqué n'existe pas. Personne ne songe à faire* « un dogme » (!?) *de la décision en question. Encore moins à en faire* « proprement un dogme », *ce qui veut dire, si les mots ont un sens :* UN DOGME AU SENS PROPRE. *Si le P. Rouquette contrôlait mieux sa plume, il aurait écrit plus modérément, plus exactement :* « une sorte de dogme » ; *un dogme* AU SENS FIGURÉ. *En écrivant :* « proprement un dogme », *un dogme* au sens propre, *il manifeste dans quelles perspectives d'exagération systématique se situent ses propos.* *Si nul ne songe à faire, au propre ou au figuré,* « un dogme » *d'une décision épiscopale, le P. Rouquette, lui, en fait autre chose.* *Il en fait, écoutez bien,* « Un moment dialectique de la tension ». *C'est clair.* *Le P. Rouquette vous invite à obéir.* *Il vous invite à obéir à quelque chose qui n'est pas un dogme.* *A quelque chose qui est* « *un moment dialectique de la tension* ». *Un* moment dialectique de la tension ? *Qu'est-ce que c'est que ça ?* *Et comment peut-on obéir à ça ?* \*\*\* - LA FORMATION CIVIQUE ET SOCIALE. -- Le P. Rouquette écrit encore : « Il serait souhaitable que naissent des centres indépendants de formation à la vie politique et sociale d'inspiration chrétienne. » *LE MONDE a mis en relief cette phrase dans son titre.* *Sous cette forme, c'est une catégorique contre-vérité. C'est la contre-vérité par omission.* *Car de tels* « *centres* » *existent *; *et la conspiration du silence faite par* LE MONDE*, par les* ÉTUDES*, et même par* LA CROIX*, contre certains ou contre la plupart d'entre eux ne les empêche pas d'exister.* *Citons au hasard quelques-uns des premiers qui nous viennent à l'esprit *: - *Le Centre d'études supérieures de psychologie sociale,* 15, *rue d'Argenteuil à Paris, dirigé par M. Georges Sauge.* - *L'Alliance Jeanne d'Arc,* 81, *rue Madame à Paris, présidée par le général Weygand.* - *La Cité catholique,* 3, *rue Copernic à Paris, animée par M. Jean Ousset.* - *Les Semaines sociales,* 16, *rue du Plat à Lyon, animées par M. Joseph Folliet.* - *Le Centre français de sociologie, à Beaumont-Monteux* (*Drôme*)*, dirigé par M. Marcel Clément.* - *etc., etc.* *Ce sont bien là des centres indépendants, d'inspiration chrétienne, travaillant directement à la formation civique ou sociale.* *Leur existence, leur activité posent parfois de délicats problèmes théoriques et pratiques. Mais ces problèmes ont été étudiés, expérimentalement et théoriquement, depuis dix ans et plus, avec beaucoup de précision.* 81:16 *Dans les* « *Documents* » *du présent numéro, on trouvera justement le fruit des expériences et des réflexions de M. Jean Ousset.* *Ce que dit le P. Rouquette est donc triplement inexact *: 1. -- *parce que ces centres existent *; 2. -- *parce qu'il est bien léger d'ignorer les résultats* (*positifs et négatifs*) *de tant d'expériences et de réflexions : résultats que l'on devrait au contraire faire connaître, pour qu'ils puissent être profitables à tous *; 3. -- *parce que le P. Rouquette fausse gravement les réalités en laissant croire que l'existence de tels* « *centres* » *serait* UNE ÉVENTUALITÉ FUTURE DONT LA HIÉRARCHIE POURRAIT, UN JOUR OU L'AUTRE, PRENDRE L'INITIATIVE OU AUTORISER LA RÉALISATION. *Tout au* *contraire, le Pape et les Évêques, depuis vingt ans au moins, ont positivement invité les catholiques a constituer sous leur responsabilité, à côté et en dehors de l'Action catholique, des* « *centres* » *ou des mouvements de ce genre, ayant une activité directement sociale, civique ou politique.* *Que certaines de ces réalisations aient appelé des réserves, des mises au point ou des rectifications, bien sûr : le contraire serait étonnant.* *Mais laisser ignorer que cela existe, que cela est permis, que cela a constamment été* DEMANDÉ *par le Pape et les Évêques, que plusieurs des réalisations existantes ont été explicitement encouragées par la Hiérarchie, c'est tout de même un peu fort.* *Ou plutôt, ou plus exactement, c'est de* la *polémique. C'est un exemple de cette sorte de polémique, certainement nuisible, contre laquelle nous avons entrepris de mettre méthodiquement en garde le public,* D'ABORD PARCE QU'ELLE EST FONCIÈREMENT INEXACTE. La société, telle que Dieu l'a créée Lui-même, est non seulement naturelle mais morale. La société ne sort pas d'un contrat de volontés, mais d'un fait de nature, sans doute, *mais la volonté ou bien altère la nature, ou s'y conforme, ou la perfectionne.* Mgr SAGOT DE VAUROUX. \*\*\* - OUVERTURE EN POÉSIE... MAIS A GAUCHE SEULEMENT. -- On a beaucoup remarqué, cela a même pris l'allure d'un événement, le grand article que le P. André Blanchet a consacré, dans la partie de tête des ÉTUDES de juillet-août, au dernier ouvrage poétique d'Aragon. *Le P. Blanchet commence ainsi *: 82:16 « Les Français sont-ils à ce point divisés qu'ils ne puissent plus lire que les poètes de leur parti ? Aragon est un communiste. L'un des plus officiels. N'importe : son poème m'appartient, je lirai Aragon comme je voudrais que les communistes lisent Péguy, par exemple. » *Et il termine son article par cette phrase *: « Salut, Aragon, vieux Compagnon de la marjolaine ! » *Le propos et l'attitude du P. Blanchet auraient beaucoup plus de poids, et de force persuasive, si la même revue avait été susceptible de publier un article de même importance et de même ton par exemple sur la* Balance intérieure *de Charles Maurras ou sur les* Poèmes de Fresnes *de Robert Brasillach.* *Quand l'ouverture d'esprit est à la fois affichée avec fracas mais* « *unilatérale* », *le lecteur se défend mal d'une impression assez pénible.* *Pourquoi faut-il que les* ÉTUDES *-- en vertu même du principe affirmé par le P. Blanchet --* *ne puissent pas traiter le poète Brasillach, ou le poète Maurras, avec autant d'honneur et d'attention que le poète Aragon ?* *Au moment même où le P. Blanchet* PARLE *de son absence d'esprit partisan, il* MANIFESTE *malheureusement une attitude contraire, car sous le prétexte invoqué*, IL FAIT POUR ARAGON CE QUIL NE FAIT PAS POUR LES POÈTES DE L'AUTRE CÔTÉ. *Nous soumettons très respectueusement au P. Blanchet cette remarque motivée. Et encore celle-ci *: *parler élogieusement du poète Aragon ne méritait pas cet exorde fracassant. Ce n'est pas aussi extraordinaire qu'il le donne à entendre. M. Robert Poulet le fait chaque saison, et depuis longtemps, dans RIVAROL.* \*\*\* - PRÉSENCE OU DÉMISSION ? -- En marge de la crise survenue à la direction des Routiers Scouts de France, LA FRANCE CATHOLIQUE a publié le 28 juin la lettre suivante : « Routier de la Région parisienne, on m'a demandé d'assister au Cercle politique de la Route. J'ai dû cesser d'assister à ses réunions, dont toute l'orientation consistait à tourner en ridicule les mouvements politiques -- du M.R.P. aux Indépendants -- qui ne « s'ouvraient » pas aux influences marxistes. Lorsqu'un d'entre nous citait ou évoquait les encycliques pontificales, il était lui-même tourné en dérision par un animateur habile et d'ailleurs personnellement sympathique que tout le monde aura déjà reconnu. Le nombre des Routiers qui, étant venus « tâter le pouls » du Cercle politique, l'ont abandonné après les premiers contacts, est considérable. Ceux qui sont restés peuvent prétendre représenter le mouvement -- puisqu'ils sont restés en place. En réalité, ils ont fait le vide autour d'eux. La vraie Route, ce sont tous ceux qui se sont détournés, dégoûtés. Il faut qu'on le sache. Mais en « occupant » les organismes centraux comme le Cercle politique, les éléments de la tendance dite plus haut ont vidé le mouvement de sa substance. » *Cette brève lettre pose, sur un cas concret, tous les problèmes que nous avons connus, et vécus, depuis plus de dix ans, dans d'autres organisations que celles des Routiers Scouts de France.* 83:16 *Beaucoup de* « *militants* » *étaient soit brutalement écartés, soit discrètement ou sournoisement poussés à la démission parce que leur fidélité aux enseignement du Saint Père était jugée inopportune et gênante, -- gênante pour les acrobaties que l'on voulait faire, et que l'on a faites.* *Ceux qui restaient maîtres de la place, appuyés par la pression sociologique et publicitaire d'une presse partisane, se prétendaient alors les seuls laïcs missionnaires, et* LA *voix unique du laïcat.* *Ils arguaient que les autres-ceux qu'ils avaient exclus ou poussés à la démission n'étaient pas des chrétiens* « *généreux* », *ni des* « *militants* », *mais de malheureux isolés, enfermés dans leur égoïsme : puisqu'ils quittaient les mouvements...* *Cette page est en train de se tourner, ou d'être tournée. Un certain mensonge publicitaire a été déchiré. Il faudra maintenant des années de travail persévérant...* \*\*\* - « LA CROIX » ADOPTE LE « POLITIQUE D'ABORD »... CONTRE FRANCO. -- M. Pierre Donissan (?) est le « correspondant particulier » de LA CROIX en Espagne. Pour la nième fois, il annonce le *18* juillet « une crise de régime ». Il rappelle « l'immobilisme habituel de la politique de Franco ». Il dénonce « l'instabilité et l'insuffisance du gouvernement actuel ». Il note « le mouvement de protestation sociale » et « le mécontentement des masses ouvrières » ; et « la corruption qui paralyse la politique économique » ; et « la corruption administrative ». *M. Pierre Donissan remarque bien que* « la législation est aussi avancée, dans le domaine de la sécurité sociale et de la protection des travailleurs, que la plus socialiste de l'Occident » ; *mais c'est pour assurer qu'en dépit de cette législation,* « la crise sociale est insoluble ». *M. Donissan parle encore de* « l'isolement international » *de l'Espagne. Il ajoute *: « Tout cela joint à une politique de dépenses somptuaires, d'investissements improductifs et de gaspillage budgétaire. » *En résumé, donc, qu'est-ce qui va bien en Espagne ? -- Rien. Qu'est-ce qui va mal ? -- Tout. Nous nous demandons si les lecteurs de* LA CROIX *trouvent plausible un tel jugement...* \*\*\* *Contre Franco, la rédaction politique de* LA CROIX *nourrit une ancienne inimitié* *qui va jusqu'à lui faire perdre la tête.* *Et jusqu'à lui faire écrire *: « La solution est d'abord politique. » LA CROIX *qui se rallie au* « *politique d'abord* »*, on aura tout vu.* *Mais contre Franco, tout lui est bon.* \*\*\* - LE CONGRÈS DE LA « CITÉ CATHOLIQUE » A POITIERS : en voici un aperçu d'après la FRANCE CATHOLIQUE du 26 juillet : « *La Cité catholique,* œuvre de formation civique dont l'organe a pris le beau titre de *Verbe, -- l'Osservatore romano* la définissait naguère : *toute une Cité pour un monde meilleur.* 84:16 Au cours de trois journées d'études et de prière, les 13. 14 et 15 juillet, l'enceinte du Collège Saint-Joseph abrita de substantiels travaux sur *l'unité catholique, salut de la France et du monde.* Dans une atmosphère de retraite, les inépuisables richesses de ce thème furent présentées par une dizaine de rapporteurs, dont Mgr Le Couëdic, évêque de Troyes... ...La bénédiction du Pape avait été transmise par un télégramme de S. Exc. Mgr Dell'Acqua, et une lettre d'encouragement envoyée par S. Em. le Cardinal Ottaviani. Plusieurs évêques exprimèrent leurs vœux : NN. SS. Vion, de Poitiers ; Le Couëdic, de Troyes ; Morilleau, de La Rochelle ; Rupp, auxiliaire de Paris. De nombreuses personnalités civiles et religieuses assistèrent en amis à ces journées si denses. » *On comprend mal qu'un tel événement n'ait pas trouvé dans* LA CROIX *la place à laquelle il avait droit.* *La bénédiction du Saint Père, le télégramme de Mgr Dell'Acqua, la lettre du Cardinal Ottaviani, la présence effective de quatre évêques français,* QUE FAUT-IL DONC DE PLUS POUR QUE CE SOIT UN ÉVÉNEMENT DONT LE PUBLIC CATHOLIQUE AIT LE DROIT D'ÊTRE INFORMÉ EN DÉTAIL PAR LE SEUL QUOTIDIEN CATHOLIQUE DE DIFFUSION NATIONALE ? \*\*\* - A PROPOS DE LA SEMAINE SOCIALE DE BORDEAUX. -- Consacrée à la « Famille 1957 », la Semaine sociale de Bordeaux a connu, de l'avis de tous, un succès sans précédent d'affluence, d'intérêt, d'attention. *Ce succès montre à la fois l'importance, l'utilité de ce grand carrefour entre catholiques, et le désir croissant des catholiques d'envisager en chrétiens les réalités sociales.* *Le sujet choisi était en outre très actuel. Il se situe au centre de cette bataille contre la socialisation que l'Église, à l'appel du Souverain Pontife, se prépare à livrer avec la dernière énergie. Ce sont les propres paroles de Pie XII* (14 *septembre* 1952) « Il faut empêcher la personne et la famille de se laisser entraîner dans l'abîme où tend à les jeter la socialisation de toutes choses, socialisation au terme de laquelle la terrifiante image de Léviathan deviendrait une horrible réalité. C'est avec la dernière énergie que l'Église livrera cette bataille où sont en jeu des valeurs suprêmes : dignité de l'homme et salut éternel des âmes. » *Sur le même sujet, on se reportera avec profit au beau livre, préfacé par M. Gustave Thibon, que vient de publier M. Roger de Saint-Chamas *: Amour, Famille, Christianisme (*Nouvelles Éditions Latines*)*.* *On regrettera que cette pensée, ou cet aspect de la pensée catholique, ou cette* « *tendance* » *si l'on veut, ait été comme tenue à l'écart de la Semaine sociale de Bordeaux.* *Et même, qu'elle y ait été abondamment brocardée par M. Jean Lacroix.* \*\*\* - LA LEÇON DE M. LACROIX. -- M. Henri Fesquet est le rédacteur ordinairement chargé de parler des choses catholiques aux lecteurs du journal LE MONDE. 85:16 Dans le numéro du 23 juillet, il a présenté une sorte de bilan de la Semaine sociale de Bordeaux. Qu'il s'efforce d'y mettre en vedette, tout à fait hors de pair, les interventions de M. Jean Lacroix, cela est compréhensible puisqu'il s'agit d'un homme de sa tendance et de sa maison : M. Lacroix est un collaborateur régulier du MONDE et d'ESPRIT. *Mais M. Fesquet a cru bon de rehausser son propos par la note suivante :* « A l'issue du cours de M. Jean Lacroix sur les conceptions hégélienne, marxiste, traditionaliste et chrétienne de la famille, Mgr Richaud, archevêque de Bordeaux, a tenu à féliciter personnellement le conférencier et à lui manifester son approbation pour la façon élogieuse dont il avait parlé du philosophe Friedrich Hegel. » *M. Henri Fesquet est à notre connaissance le seul des auditeurs qui ait entendu ces paroles, ou du moins qui ait cru pouvoir leur donner le sens qu'il leur donne. Ce n'est malheureusement pas la première fois que le rédacteur du* MONDE *fait un* « *compte rendu* » *tellement* « *orienté* » *qu'il en devient tendancieux.* \*\*\* *Les* INFORMATIONS CATHOLIQUES*, dans leur compte rendu* (*numéro d'août, page* 7)*, nous rapportent ce propos de M. Jean Lacroix, tenu dans la chaire magistrale des Semaines sociales *: « La réflexion hégélienne sur la famille est sans doute la plus profonde de celles qui ont été jusqu'ici proposées par les philosophes. » *Le même compte rendu nous confirme que M. Lacroix a traité par l'ironie et la caricature polémiques ce qu'il appelle le* « *traditionalisme catholique* »* :* « Il est significatif que M. Lacroix ait provoqué une hilarité générale dans l'auditoire lorsqu'il a exposé ensuite les conceptions familiales des « traditionalistes catholiques », qui débouchent, au fond, dans le conservatisme social, dans le corporatisme, et dans un extrême manque de foi en l'homme. » *On retrouve le même esprit de combat et de caricature dans l'article sur la Semaine sociale que M. Georges Hourdin a donné à* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *du* 2 *août :* « Je crois vraiment que du bon travail a été fait à Bordeaux. Une certaine démystification a été menée à bien, et rien n'était plus nécessaire. Lorsqu'ils pensent aux valeurs familiales, les chrétiens ont tendance à devenir nostalgiques et amers. Ils rêvent à la famille agricole et semi-patriarcale de la France d'autrefois. Ils voudraient voir renaître les institutions sociologiques à l'intérieur desquelles le groupe familial prenait autrefois forme et gardait sa consistance. Ils ont tendance à lier indissolublement les valeurs familiales qui sont durables et la forme qu'elles prirent à un moment donné de notre histoire. Ils se lamentent et concluent de la disparition de l'une à la menace contre les autres. Les conférenciers de la Semaine sociale se refusèrent au mensonge (*sic*) et aux chimériques nostalgies... » 86:16 *Si M. Georges Hourdin reconnaît loyalement que la tendance qu'il combat n'est pas une tendance isolée, mais au contraire très répandue parmi les catholiques, d'autre part, il se donne le tort de la caricaturer avec beaucoup de méchanceté et d'injustice, en parlant de* « *nostalgie* »*, de* « *lamentation* »*, de famille* « *semi-patriarcale* »*, etc.* *En outre, il prononce une très grave affirmation. Il assure que* « RIEN N'ÉTAIT PLUS NÉCESSAIRE » *que d'attaquer la conception dite* « *traditionaliste* ». *C'était l'objectif numéro un.* *Il nous dirait que cet objectif numéro un était* d'analyser et de discuter *la conception* « *traditionaliste* », *nous pourrions l'entendre.* *Mais comme, en fait, cet objectif numéro un est réalisé, dans la leçon de M. Lacroix et jusque dans l'article cité de M. Hourdin, par les procédés de la caricature, de l'ironie, du discrédit systématique, de l'atteinte portée aux réputations* (*M. Hourdin va jusqu'à écrire le mot de mensonge*)*, nous ne pouvons que regretter l'existence d'un tel état d'esprit chez des leaders du catholicisme sociologiquement installé.* RIEN N'ÉTAIT PLUS NÉCESSAIRE, *a écrit M. Hourdin *: *non vraiment, il nous est impossible de* *croire que* RIEN, *aujourd'hui, ne soit plus* NÉCESSAIRE *que de dresser les catholiques les uns contre les autres, d'utiliser une Semaine sociale comme une machine de guerre, et de rendre quasiment* OFFICIELLES, *dans les institutions sociologiques du catholicisme français, ces méthodes de mépris systématique, de caricature et de guerre contre d'autres catholiques.* *Ce n'est pas là le rôle des Semaines sociales. Ce n'est pas non plus, croyons-nous, l'intention de leurs organisateurs. Nous voulons dire : de tous leurs organisateurs. Car M. Hourdin est l'un d'eux. L'esprit dans lequel il conçoit cette tâche, tel qu'il ressort de son propre exposé, nous paraît indéfendable.* *Il nous arrive assez souvent* (*et encore dans le présent numéro*) *de faire un écho explicite à ce que l'œuvre de M*. *Hourdin contient par ailleurs de positif, pour que nous puissions exprimer, en toute netteté, à quel point nous déplorons la persistance chez lui du dessein de combattre et d'exclure toute une partie du catholicisme français.* *Il nous est impossible de ne pas protester contre la discrimination et l'arbitraire que manifestent un tel esprit et de tels procédés. Nous croyons que M. Georges Hourdin serait fort capable de s'en garder, il l'a montré parfois ; nous croyons même qu'il a tous les talents, et peut-être la vocation, d'un homme qui atténuerait les heurts à l'intérieur du catholicisme français, au lieu de les durcir et de les institutionnaliser. Nous ne pouvons donc que l'y inviter.* \*\*\* 87:16 *Dans la* FRANCE CATHOLIQUE *du* 26 *juillet, M. Jean de Fabrègues a discuté les thèses, le ton et les procédés de M. Lacroix :* « Le brillant philosophe lyonnais a écrit sur la famille un des livres les plus excitants pour l'esprit : sa pensée a cheminé depuis, mais dans un sens qu'on peut juger pour le moins étonnant. Trouver dans la pensée de Hegel et de Marx la découverte de l'essence de la famille, quelle étrange erreur pour un homme qui cependant connaît si bien ses philosophes traditionnels, mais qui n'en aborde la pensée qu'avec une ironie incapable de lui permettre d'en tirer la substance. Car enfin, si c'est bien comme une « institution *naturelle* ayant ses racines dans l'ordre de la création » que la famille s'impose à nous, cela est vu (mal encore, certes) dans toute la pensée chrétienne traditionnelle si maltraitée à Bordeaux par M. Lacroix... ...Et l'œuvre de Bonald, bien qu'elle apporte des éléments non négligeables, n'est nullement *toute* la pensée traditionnelle sur l'amour et la famille. Le laisser entendre est un trop facile jeu de massacre : c'est vraiment la mariée à la foire. » *On retiendra aussi les observations formulées par M. Georges Daix dans* LA NATION FRANÇAISE (24 *juillet*) : « Avec beaucoup de sérieux et de gravité, M. Lacroix exposa ce qu'était la famille dans la réflexion hégélienne et dans la réflexion marxiste. Puis, changeant de ton, il se mit à ironiser sur les théories de M. de Bonald, qui ne voyait dans la famille qu'une cellule sociale ! Il alla même jusqu'à faire rire son auditoire en évoquant tel religieux qui, il y a une centaine d'années avait pris pour thème d'un carême une phrase de Bonald fort sensée pourtant ! Comte et Proudhon sont, eux aussi, malmenés, et M. Jean Lacroix en arrive à ce qu'il appelle « l'école catholique moderne de l'amour institué »... « Comme nous a appris Hegel », « ainsi que le montrent les profondes analyses de Marx », « la formule hégélienne reste vraie », telles furent, plusieurs fois répétées, ses expressions. Il y avait de nombreux jeunes dans l'auditoire, des séminaristes en particulier. Ceux-ci seront conduits à penser non seulement que les systèmes de Marx et de Hegel sont importants, mais qu'ils rendent compte de la réalité. Ils seront séduits par eux et croiront nécessaire de s'y référer, même s'ils ne le : ; connaissent pas ou mal. Ils voudront avoir une teinture d'hégélianisme ou de marxisme pour la placer dans leurs conversations ou leurs sermons. Au lieu d'enseigner une doctrine saine et simple, M. le philosophe aura sapé encore un peu plus le respect qu'on devrait porter à ce qu'on n'ose plus appeler la *philosophia perennis.* Au lieu d'aller chercher dans le thomisme, par exemple, des normes de pensée, les jeunes auditeurs de M. Lacroix iront de préférence à Marx ou à Hegel... » *Ce débat est utile et même nécessaire. Il est bon que cela soit dit. Nous en relirons quelques conclusions que nous exprimerons, quant à nous en forme de vœux.* \*\*\* 88:16 - NOS VŒUX POUR LA SEMAINE SOCIALE. -- Car ce qui est frappant et même choquant, c'est que ce débat ait eu lieu, c'est que ces choses aient été dites seulement après coup et seulement dans la presse. *A la Semaine sociale de Bordeaux, un philosophe distingué, certes, qui est en même temps un militant extrémiste d'*ESPRIT*, a pu ironiser sur ce qu'on appelle, de manière d'ailleurs inadéquate et équivoque, la* « *tendance traditionaliste* »*.* *Pourquoi l'inverse est-il inimaginable ? Pourquoi paraît-il actuellement* « *impensable* » *qu'un chargé de cours de la Semaine sociale puisse traiter semblablement, par l'ironie et la caricature, la tendance extrémiste d'*ESPRIT* ?* *Nous ne comprenons pas pourquoi l'extrémisme d'*ESPRIT *surtout dans sa réalité actuelle bénéficie aux Semaines sociales de ce privilège exorbitant : le droit d'attaquer ses adversaires par l'ironie et la caricature, et sans que l'on puisse, de la même chaire magistrale, lui en faire autant. Nous pouvons nous tromper, mais jusqu'à preuve du contraire nous sommes sûrs d'une chose : c'est que ce privilège, en tout cas, n'est pas consenti à la tendance actuelle d'*ESPRIT *en raison de son orthodoxie exemplaire ou des services qu'elle rendrait à l'Église.* \*\*\* *Qu'on nous comprenne bien *: *nous ne demandons nullement que la caricature et l'ironie aient droit de cité dans la chaire magistrale des Semaines sociales.* *Nous préférerions que tous les maîtres de la Semaine sociale soient priés de garder le sérieux, la tenue, le ton que manifestent d'ailleurs la plupart d'entre eux.* *Et qu'aucune* « *tendance* » *catholique, qu'aucun groupe catholique n'y soient traités par l'ironie et la caricature, qui risquent d'être une forme du mépris systématique.* *Ce qui est choquant, c'est que cette forme polémique d'expression soit comme* UN PRIVILÈGE DES UNS CONTRE LES AUTRES. \*\*\* *Que la tendance extrémiste d'*ESPRIT *soit invitée à s'exprimer elle aussi dans le cadre des Semaines sociales, nous n'avons pas là-contre d'objection de principe, à la condition pourtant que son représentant soit capable d'avoir* AU MOINS *autant de respect pour ses frères catholiques qu'il en manifeste à Hegel et à Marx.* *Certes, une telle* « *ouverture* » *allant jusqu'à l'extrême-gauche comporte de sérieux inconvénients. Mais elle a aussi l'avantage de maintenir des contacts humains et de ne pas rejeter a priori des extrémistes qui sont peut-être récupérables pour l'unité catholique. La Semaine sociale a raison de ne pas exclure ceux que le magistère de l'Église -- seul habilité à prendre une aussi grave mesure* -- *n'a pas personnellement et explicitement exclus.* *Cette* « *ouverture* » *jusqu'à l'extrême-gauche catholique serait donc une louable ouverture d'esprit* si *elle s'accompagnait d'une ouverture analogue jusqu'à l'extrême-droite catholique.* *Faute de quoi, elle a plutôt fait d'une ouverture* « *unilatérale* » *et partisane.* \*\*\* *Nous croyons que les animateurs de la Semaine sociale peuvent entendre notre propos.* 89:16 *Quand M. Joseph Folliet fit dans la CHRONIQUE SOCIALE* (*numéro de décembre* 1956) *une enquête sur* « *les catholiques de droite et les catholiques de gauche* »*,* *il ne craignit pas de l'étendre jusqu'à l'équivalent dans l'extrémisme de droite de ce qu'est* ESPRIT *dans l'extrémisme de gauche.* *Sans doute, il est plus facile de mettre des textes côte à côte dans un même numéro de revue que de réunir des hommes dans une même salle...* *Mais enfin, nous avons pu vérifier nous-mêmes, publiquement, dans notre enquête sur le nationalisme, que les catholiques dits d'extrême-droite, et par exemple la plupart des catholiques maurrassiens, ont un sens souvent exemplaire de la courtoisie intellectuelle et du dialogue : dans le livre de l'*Enquête sur le nationalisme, *on se reportera aux réponses de MM. Gustave Thibon, Henri Massis, Pierre Boutang, Henri Rambaud, Michel Vivier, etc. Des esprits de cette qualité, si on leur demandait un cours à la Semaine sociale, ils exposeraient évidemment leurs idées et non celles du voisin : ils ne s'abaisseraient certainement pas, à cette place et dans cette fonction, aux procédés caricaturaux du philosophe et militant extrémiste de la revue* ESPRIT*.* *Bien sûr, ces dénominations de* « *droite* » *et de* « *gauche* » *sont, au moins en partie, très artificielles *; *et encore plus si on les conçoit comme exactement symétriques : le philosophe d'*ESPRIT*, M. Jean Lacroix, se comporte souvent comme un extrémiste ; M. Gustave Thibon, jamais.* *C'est pourquoi nous n'utilisons ici ces dénominations que comme points de repère, sans aucunement prétendre qu'elles auraient en elles-mêmes une parfaite exactitude. Et sans prétendre non plus résoudre en quelques mots toutes les questions qu'évoque notre propos.* *Simplement, nous avons voulu attirer l'attention des Semaines sociales sur quelques-uns des aspects les plus visibles d'un fait à la fois choquant et douloureux *: *une exclusive, une exclusion* de facto, *qui n'a aucun motif raisonnable.* \*\*\* *Il est même très possible que cet état de choses, résultant partiellement de situations qui ont existé* (*mais qui n'existent plus guère*)*, ne soit plus aujourd'hui qu'habitude, vitesse acquise, et nullement calcul conscient.* *En tout cas, il est déplorable de donner à des penseurs parfaitement honorables, et respectables, à une importante fraction d'intellectuels et de militants catholiques souvent très remarquables, l'impression que, pour défendre leurs idées,* ON LEUR INTERDIRAIT TOUTE AUTRE RESSOURCE ET TOUTE AUTRE POSSIBILITÉ QUE CELLE-CI : SE DURCIR DANS UNE OPPOSITION EXTÉRIEURE ET SYSTÉMATIQUE. *C'est une bien lourde responsabilité morale que l'on assume là, peut-être sans y avoir suffisamment ou assez exactement réfléchi. Nous ne croyons pas que ce douloureux état de fait -- moins tranché, d'ailleurs, aux Semaines sociales qu'au Centre des intellectuels catholiques -- soit bénéfique pour l'Église. Nous sommes même parfois assez bien placés pour entrevoir quels ravages, profonds et quasiment irréparables, cet état de fait opère dans les consciences, et dans les âmes.* \*\*\* 90:16 - LE R.P. DUCATILLON. -- Provincial de France de l'Ordre des Frères Prêcheurs, supérieur provincial des Dominicains de la Province de Paris, le P. Ducatillon est mort le 26 juin à l'hôpital Cochin ; il avait été renversé quelques jours plus tôt par une automobile, rue de la Glacière, près du Couvent dominicain de Saint-Jacques. *Né le 31 août 1898 dans le département du Nord, le P. Ducatillon avait publié avant la guerre deux ouvrages fondamentaux :* Le vrai et le faux patriotisme ; La doctrine communiste et la doctrine chrétienne. *Très attentif aux publicités idéologiques qui, aujourd'hui, menacent directement la Patrie et la Foi, le P. Ducatillon avait publié dans* LA CROIX *du 29 mai 1956 un avertissement solennel, intégralement reproduit dans notre numéro 5* (*pages* 122-131). *Le P. Ducatillon disait *: 1. -- *il y a une* « crise du patriotisme au sein du catholicisme français » ; 2. -- *cette crise* « est l'une des plus aiguës et des plus graves du moment présent » ; 3. -- « l'avenir du catholicisme français » *et* « celui de notre pays lui-même » *dépendent de son évolution.* *On relira aujourd'hui avec profit ce grave avertissement. Au cours des seize mois écoulés, tous les événements sont venus en confirmer l'exactitude et l'importance.* *Le P. Ducatillon concluait sur l'Algérie *: « Le patriotisme qui nous est demandé se rapporte aussi à notre patrie dans ses prolongements au-delà d'elle-même, qui sont, ne rougissons pas de le dire, sa gloire et son patrimoine. Pour les défendre, elle a le droit de réclamer la coopération unanime et, s'il le faut, le sang de ses fils. C'est sur un point de cette sorte -- nous ne le savons que trop bien -- que la crise actuelle du patriotisme se manifeste comme dans un de ses abcès de fixation. C'est sur ce point, aussi, qu'aujourd'hui le sort de notre patrie se joue. » *On annonce que le P. Ducatillon, au moment de sa mort, corrigeait les épreuves d'un livre où cet article avait été recueilli.* \*\*\* - SÉPARATION, GALLICANISME ET CONCORDAT : sous ce titre, un grand article de M. Léon Bérard dans la REVUE DES DEUX MONDES du 15 juillet. L'ancien ambassadeur auprès du Vatican, dont on connaît la haute autorité morale en France et ailleurs, fait parfaitement le point de la question. \*\*\* - VIVE CONTROVERSE SUR L'ÉVOLUTION : l'ensemble du débat est résumé dans TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN du 28 juin. Contre André Frossard, qualifié de simple « journaliste » (comme s'il n'était pas, sous une apparence volontairement discrète et souriante, l'un des premiers écrivains et penseurs catholiques de ce temps), TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN tient à défendre non seulement l'évolution comme un « fait constaté » et comme une « hypothèse de travail », mais encore l'évolutionnisme comme philosophie. *A propos de l'évolutionnisme comme philosophie,* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *publie cette profession de foi :* « Chacun est libre de choisir la philosophie qui lui convient, qui lui semble la plus apte à expliquer sa (sic) propre (sic) vie. En ce sens toute philosophie est « tendancieuse » et on ne voit pas pourquoi A. Frossard s'en étonne. 91:16 La philosophie est admise par l'Église, à condition qu'elle ne soit pas close sur elle-même, qu'elle n'exclue pas la *révélation,* mais qu'au contraire elle lui laisse la porte ouverte. » *De telles propositions sont évidemment fausses à force d'insuffisance. Tout catholique ayant quelque peu pratiqué la philosophie naturelle sait -- ou devrait savoir -- qu'il n'est nullement* « *libre de choisir la philosophie qui lui convient* »* ; il sait que ce* « *choix* » *n'est pas commandé par la recherche de la* *philosophie* « *la plus apte à expliquer sa propre vie* » (!). *Il sait enfin que la* « *condition* » *fixée par l'Église n'est pas celle dite par* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*. Il ne suffit pas à une philosophie de laisser* « *la porte ouverte* » *à la Révélation. Il lui faut indispensablement reconnaître un certain nombre de vérités* naturelles *que l'Église n'abandonne certes pas au* « *libre choix* ». *Il est très remarquable que cette controverse ait pu se dérouler à* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *comme* si *personne* ne *connaissait l'Encyclique* Humani generis, *ou comme si cette Encyclique n'avait* aucune *valeur.* *Sur les rapports de la philosophie et de la foi en général, et sur l'évolutionnisme en particulier, Pie XII a voulu, dans* Humani generis, *donner la pensée de l'Église.* *Mais on feint de l'ignorer.* *Ou peut-être même, on l'ignore tout à fait.* *Il faut reconnaître, en effet, que l'Encyclique* Humani generis (12 *août* 1950), *texte original et traduction française, ne sera publiée en France que vers* 1962 *dans l'édition officielle* des Actes de S.S. Pie XII, *assurée par la Maison de la Bonne Presse, si elle conserve la même lenteur et le même retard.* *Tous ceux qui s'occupent de philosophie ont un indispensable besoin non seulement d'une* traduction française *de cette Encyclique, mais encore du* texte original. *La Bonne Presse, qui peut le donner, qui est habilitée à le publier en France, continue à le faire attendre.* \*\*\* 92:16 - CONTRE-POISON. -- Le livre de M. Michel Massenet, Contre-poison ou la morale en Algérie (Grasset, éditeur) répond assez bien à son titre. Effort de réflexion morale sur les problèmes algériens, non pas au niveau des publicités mais au niveau des réalités concrètes, il mérite l'attention et l'audience qui lui ont été accordées d'emblée par un vaste public. Voilà une pensée « constructive » qui se distingue heureusement des polémiques unilatérales et négatives menées sur le même sujet soit par M. Pierre-Henri Simon, soit par ESPRIT et TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN. \*\*\* - LA GRANDE PASSION DES CATHOLIQUES VIETNAMIENS : il faut lire *Mille bonheurs paisibles*, admirable récit recueilli par Jacques Despuech (Fasquelle éditeur). \*\*\* - « PRÉSENCES » est la revue trimestrielle du monde des malades (publiée au Prieuré Saint-Jean, 33, rue Alphonse-Daudet, Champrosay-Draveil, Seine-et-Oise). *Les deux derniers numéros parus, intitulés* « Malades et médecins » (*I. -- enquête et situations particulières ; II. -- quelques aspects psychologiques*) *sont particulièrement remarquables.* *Rédigés avec la collaboration de MM. Jean Rolin, le professeur Jean Rivière, Gabriel Marcel, et de nombreux médecins et malades, ils apportent une contribution de premier ordre à l'étude de la relation humaine qui s'établit entre le praticien et le patient.* \*\*\* - « L'ANNEAU D'OR », « revue internationale de spiritualité familiale » (9, rue Gustave-Flaubert à Paris) publie un important numéro spécial, daté de mai-août 1957 : Seigneur, apprends-nous à prier, études et enquêtes sur la prière personnelle, la prière familiale, la prière de l'enfant. Ce numéro s'ouvre sur un remarquable article du P. Daniélou : Les grands priants de l'Ancien Testament. \*\*\* - POUR UNE HISTOIRE RELIGIEUSE. -- L'histoire vraie, la seule histoire, est religieuse. Et les historiens non religieux peuvent difficilement comprendre, en vérité, l'histoire d'un monde où tous les hommes furent religieux à leur manière. *C'est ce que remarque M. Georges Hourdin, à propos du XVII^e^ siècle français *: « Parmi les figures les plus marquantes de cette époque qui en compte beaucoup, on trouve celle du Cardinal de Bérulle, fondateur de l'Oratoire, et celle de saint Vincent de Paul, ministre de la Charité sous Louis XIII, animateur inépuisable tant en ce qui concerne les missions intérieures que les missions en terre païenne. On peut dire que ces hommes ont sauvé la religion en France. Je suis toujours irrité, lorsque je lis une histoire de notre pays, de constater le peu de place que les historiens de profession consacrent à ces grands moments de renaissance religieuse qui refont les mœurs en même temps qu'ils rénovent et purifient la foi. On dirait que seuls les soldats, les princes, les écrivains et les hommes d'État les intéressent. 93:16 Mlle Acarie et sainte Jeanne de Chantal eurent plus d'importance pour la vie de notre pays que n'en eurent Mme de Lafayette ou Mme de Maintenon. Le Cardinal de Bérulle fut plus original, en un sens, que le Cardinal de Richelieu, mais quel historien lui accorde la place qui lui convient ? » (*Informations catholiques,* éditorial, 1^er^ juillet.) *Ne sous-estimons pourtant ni l'* « *importance* » *de Mme de Maintenon, ni l'* « *originalité* » *du Cardinal de Richelieu.* *Mais M. Hourdin a raison et même il a encore plus raison qu'il ne croit.* *Nous voulons dire que l'histoire de saint Vincent de Paul est utile à tous et dans tous les cas ; et celle du Cardinal de Richelieu à quelques-uns seulement, ou à certaines conditions.* *Il y a une histoire du monde qui peut servir à chacun dans la conduite de sa vie : c'est celle que l'on n'enseigne pas.* *Et il y a une histoire politique qui n'est profitable qu'à partir d'un certain degré de culture intellectuelle et de formation morale : et c'est celle-là que l'on enseigne obligatoirement, et beaucoup trop tôt, à tous indistinctement.* *Mais allez donc expliquer cela au Ministre de l'Éducation !* *Car nous avons un ministre de l'Éducation, et omnipotent, et dont ces choses dépendent...* *On aura plus vite fait, encore que ce ne soit pas aisé dans le totalitarisme contemporain, de lui retirer ses pouvoirs despotiques. En rendant une liberté convenable aux universités et aux écoles, chacune pourra mettre en chantier sur ce point et sur les autres, des expériences qui opéreront peu à peu la réforme, la restauration, le progrès de l'enseignement en France.* \*\*\* - LIMITES ET DÉCEPTIONS DE L'HUMANISME. -- Dans le même article, et en marge du Rapport doctrinal de l'Épiscopat, M. Georges Hourdin note très justement l'insuffisance de l' « humanisme ». C'est bien de cette insuffisance que souffre le monde contemporain, et la France aujourd'hui : « Chaque époque de transition a tendance à résoudre naturellement les problèmes auxquels elle est affrontée en faisant appel aux seules forces de la raison ratiocinante, en oubliant la dépendance dans laquelle nous nous trouvons à l'égard du surnaturel. C'est ce qu'il est convenu d'appeler l'humanisme, dont les formes sont changeantes à travers les siècles, mais qui présentent toujours le même fonds d'optimisme excessif, les mêmes traits trop incertains. Tous les humanismes manquent de rigueur. Parce qu'ils méconnaissent les droits de Dieu sur l'homme, ils mènent individus et sociétés qui s'y abandonnent à une impasse, à d'intolérables déceptions. Il n'est d'humanisme véritable que dans le sacrifice personnel et l'ouverture sur le monde de la grâce. » \*\*\* - SUR FRANÇOISE SAGAN. M. André Frossard écrit dans L'AURORE du 11 juillet : « Elle n'a pas vingt-trois ans, et un livre sur sa personne va paraître, qui portera le titre attendu de *Bonjour, Françoise.* 94:16 Je pense avec douceur à tous les hommes de génie morts dans la misère, comme notre cher Léon Bloy, ou dans l'obscurité totale, comme le pauvre Hello, philosophe admirable et si parfaitement inconnu que son nom dans une conversation fait l'effet d'une exclamation anglo-saxonne saluant l'entrée d'un nouveau venu. « Mon Dieu, s'écriait un jour Léon Bloy, que l'on est fort quand on n'a rien à dire et que l'on n'a jamais rien dit ! »... Confectionnez d'une main découragée de petits cocktails de *Nausée* sartrienne exprimant avec l'acidité convenable le prodigieux ennui de toute une jeunesse privée de foi, et il se trouvera jusqu'à d'austères directeurs de conscience pour détourner à votre profit quelques grains de l'encens dû à la vérité. Mon confrère Jean-François Devay rapporte ce mot d'un ancien professeur de Françoise Sagan : -- Cette élève promettait beaucoup, mais je préfère qu'elle ne soit pas ma fille. Mais elle est sa fille ! N'est-on pas l'enfant de ses maîtres ? Ce monde que Françoise Sagan trouve si vide, c'est la peau du fruit que nous avons mangé. » 95:16 ### Avec Marie LA TRADITION donne à la Vierge Marie de longues années vécues après la Résurrection et l'Ascension. Environ trente ans. On montre encore dans le Liban je crois une maison où elle aurait vécu. Les traditions orales, quand elles partent d'un fait exact sont étonnamment fidèles, aussi fidèles que ces sentiers qui grimpent la colline et s'enfoncent dans les bois ; nous y mettons nos pas sans le savoir dans les pas des Gaulois, des Ligures, et des hommes de la pierre partant pour la chasse. Car ces anciens piétons ont tracé par monts et par vaux pour l'économie de leur peine des lignes presque droites que nous suivons encore. Et la Sainte Vierge elle-même ne méprise aucune des anciennes traditions des hommes. Elle continue de faire des miracles en des sources dont les plus anciens hommes honoraient le mystère et la bienfaisance. Et cela se comprend car elle est au joint de deux mondes, au joint de la loi naturelle et de la loi de grâce. Elle est elle-même ce joint, ayant donné le jour à Celui qui nous a ouvert le Ciel. Et c'est la raison de sa longue vie sur la terre après l'Ascension. Entre l'Ascension et la Pentecôte elle fut le seul guide de l'Église, car elle était seule à posséder la plénitude des dons : 96:16 elle pria et fit prier, c'est le fond de l'Action catholique. Après la Pentecôte elle laisse à Pierre le commandement et l'élaboration de la doctrine ; elle obéit elle-même, donnant à tous l'exemple de la foi. Sa perfection était pour les apôtres un objet d'admiration, car leur foi était une œuvre directe du Christ. Ils avaient entendu sur les bords du Jourdain cette voix tombant du ciel leur dire : « Celui-ci est mon Fils Bien-Aimé, écoutez-le » ils l'avaient vu transfiguré sur le Thabor. Écoutons saint Jean dans sa première épître : « Ce qui était au commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont palpé, concernant le Verbe de la vie... ce que nous avons vu et entendu, nous l'annonçons aussi à vous... » Si bien que c'était en quelque sorte Jésus qui leur prouvait Marie, et telle est la raison de leur silence à propos de la Sainte Vierge. Saint Matthieu écrivit très tôt son évangile, du vivant de Marie, en araméen, pour prouver aux Juifs de Palestine que Jésus était bien le Messie attendu. Il affirme la naissance virginale de Jésus, mais il est bien davantage question de Joseph descendant de David et père légal de Jésus que de Marie sa mère. La seconde génération de chrétiens, ou plutôt ceux qui n'avaient pas connu Jésus, tels que S. Luc, agirent différemment. Ils connaissaient par les premiers disciples les merveilles de la vie de Jésus, les miracles, la Résurrection, l'Ascension, ils étaient témoins des miracles obtenus par les apôtres au nom de Jésus, il devenait plus difficile de croire non que Jésus était Dieu, mais qu'il était un vrai homme. Or, voici sa mère : à ceux-là Marie prouvait l'humanité de Jésus. Et c'est en effet S. Luc qui nous a laissé presque tout ce que nous savons de Marie. Elle est pour nous cette Arche d'Alliance, Maison d'or où étaient conservés les signes de la puissance de Dieu, la Verge d'Aaron qui avait fleuri, et un peu de manne, le pain du ciel dont s'étaient nourris les Juifs dans le désert. Or Marie avait nourri de son sang et de son lait, avait formé en elle le vrai pain du ciel. S. Luc après avoir raconté (Actes I, 14) : 97:16 « Tous ceux-là étaient d'un commun accord assidus à la prière, avec quelques femmes, et Marie mère de Jésus, et avec ses frères », nous dit (II, 42) : « ils étaient assidus à la prédication des apôtres, et à la vie commune, à *la fraction du pain* et aux prières. » Marie était digne du ciel aussi bien après la naissance qu'après l'Ascension ; elle eut toujours la simplicité requise pour entrer dans le royaume de Dieu : celle des enfants ; elle la conserva dans l'âge mûr et dans la vieillesse pour l'émerveillement de S. Jean chez qui elle logeait, et celle des autres apôtres. Il semble que ceux-ci aient vécu une douzaine d'années à Jérusalem après l'Ascension. Les *Actes* nous disent (VIII, 1) : « il y eut en ce temps-là (après le martyre de S. Étienne) une grande persécution contre l'Église de Jérusalem ; et tous se dispersèrent à travers les cantons de la Judée et de la Samarie, excepté les apôtres. » Donc excepté la Sainte Vierge, qui vivait avec S. Jean. Ce n'est probablement qu'après le premier concile de Jérusalem en l'an 49 que les apôtres se dispersèrent, c'est-à-dire lorsqu'eut été fixée définitivement la conduite à tenir vis-à-vis des païens qui se convertissaient. Jusqu'en ce temps ils vécurent donc sous l'influence directe des vertus de la Sainte Vierge. Or ces vertus s'accroissaient sans cesse. Toujours digne du ciel dès sa Conception immaculée, elle gagnait toujours en amour et en intelligence des paroles divines. S. Jean est l'apôtre théologien qui nous a conservé les instructions de Jésus après la Cène, mais il est aussi l'apôtre à qui Notre-Seigneur a confié sa Mère pour que celle-ci l'instruisît plus spécialement du mystère de l'amour divin. 98:16 Marie a donc connu jour par jour les menus faits de la vie des premiers chrétiens à Jérusalem, les arrestations, les tumultes dans le Temple, le premier miracle de S. Pierre, le baptême d'un prosélyte, l'eunuque de la reine Candace, celui d'un premier païen, le centurion Corneille, elle a été tenue au courant de l'émoi des Hébreux chrétiens quand ils virent les païens baptisés et admis à la fraction du pain sans qu'ils fussent obligés de « judaïser ». Bien des regards en ces jours ont dû se tourner vers Elle pour savoir ce qu'Elle en pensait. Elle ne pouvait penser autrement que S. Pierre et dans le silence de l'oraison elle le protégeait par sa prière. Elle contribuait ainsi à établir les fondements de l'Église dans la tradition apostolique. Que ne lui doivent pas les apôtres en ces temps de la chrétienté naissante ? On lui rapporta la mort d'Étienne répétant les paroles du Christ sur la Croix : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché. » Que ne lui doit pas Saul le persécuteur : « Les témoins déposèrent leurs manteaux aux pieds d'un jeune homme nommé Saul » et « Saul était consentant à l'exécution d'Étienne ». Ce fut pour Marie la nouvelle du matin ou du soir, et elle pria pour Saul. La lumière qui environna celui-ci sur le chemin de Damas eut une source dans la perfection et la prière de Marie. COMMENT Marie n'eût-elle pas joué ce rôle, Elle avait consolé Jésus. Dans le jardin des Olives au moment de la sueur de sang, il apparut à Jésus « un ange du ciel qui le réconfortait » raconte S. Luc. Il suffisait à l'ange de chanter sa Reine : « Vous êtes toute belle, Marie, et la tache originelle n'est point en vous. » L'ange ne pouvait mieux réconforter Jésus qu'en lui présentant la louange de celle qui devait rester pour toujours la plus parfaite de toutes les créatures. *A toutes les créatures il manque quelque chose, et non point seulement de n'être pas Créateur.* *A celles qui sont charnelles, nous le savons, il manque d'être pures.* *Mais à celles qui sont pures, il faut le savoir, il manque d'être charnelles.* 99:16 *Une seule est pure étant charnelle.* *Une seule est charnelle ensemble étant pure.* *C'est pour cela que la Sainte Vierge n'est pas seulement la plus grande bénédiction qui soit tombée sur la terre.* *Mais la plus grande bénédiction même qui soit descendue dans toute la Création.* (Péguy, *Le poème du mystère de la deuxième vertu.*) Au moment même où Jésus payait, il pouvait voir d'avance réussie et parfaite la plus merveilleuse partie de son œuvre accomplie pour toujours. Marie avait joué ce rôle tout au long de la vie de Jésus. Notre-Seigneur lisait dans les cœurs : « Il savait ce qu'il y a dans l'homme. » Quelle souffrance tout au long de sa vie de connaître ce que pensaient tous ces pécheurs qui passaient devant lui et dont beaucoup le détestaient. Alors le Maître du Monde, le Verbe Éternel, le Créateur du ciel et de la terre, mais encore de la liberté et de l'amour, allait regarder Marie. Quelle merveille que nos yeux ! Mais ils ne nous servent guère qu'à juger des quantités, la distance, le volume, l'espace. Nous regardons très peu. Mais quand les yeux se plongent dans d'autres yeux, ils prennent connaissance de l'amour, de la force, de la faiblesse d'une âme, de son refus ou de son acquiescement et de son bon vouloir. Nous n'osons parler de ce que Jésus voyait dans les yeux de Marie ; comment les pécheurs pourraient-ils le faire ? Mais ce qu'il y a de bon en nous par la grâce de Dieu, en est tout de même une faible et lointaine image : et nous pouvons l'enrichir en regardant Marie comme Jésus la regardait. 100:16 Jésus contemplait donc son œuvre dans les yeux de Marie, et il était consolé parce que Marie avait mis tout ce que sa prière et sa liberté pouvaient avoir de poids dans l'œuvre de la Rédemption et l'immensité de l'Amour divin. Ainsi faisaient les Apôtres et les premiers disciples ; ainsi S. Luc. Ce qu'ils n'étaient pas, ce qu'ils essayaient d'être, ils le voyaient parachevé. L'œuvre principale de Jésus demeurait sous leurs yeux pour les encourager et les consoler. Mais Marie ! Elle désirait le ciel. S. Jean était bien bon. Plus tard, dans son extrême vieillesse, caressant la perdrix familière qui mangeait dans sa main, il ne faisait que répéter : « Mes petits enfants aimez-vous les uns les autres. » S. Jean était bien bon, il devait devenir l'apôtre de l'Amour Divin ; mais pour Marie qui avait connu l'adolescence et la maturité de Jésus, qui avait mis au monde le nouvel Adam, qui avait été, dit S. Léon, le paradis terrestre de ce nouvel Adam, comme la bonté déférente de Jean était distante de la déférente bonté du Verbe de Dieu ! Elle se savait en mission cependant, en mission pour composer dans l'esprit de Jean le quatrième évangile, mais désirait ce ciel où son fils était monté. Sa passion avait été celle de son Fils ; pour achever d'imiter Jésus il ne lui restait plus qu'à mourir ; elle mourut pendant trente ans d'amour et de désir. MARIE est, nous l'avons dit, le joint de deux mondes ; elle assuma ce rôle toute sa vie. Mais ces deux mondes continuent d'exister ensemble, et le rôle de Maire continue de s'exercer entre eux. Elle reste ce joint pour la durée des temps entre les infidèles et les chrétiens. C'est un juste instinct de la foi qui pousse les chrétiens islamisants de notre temps à demander à Marie de rapprocher les musulmans de la vraie foi ; mais il n'est aucun besoin pour cela de s'appuyer sur le Coran ; on n'y trouve à propos de Marie que des contes assez dégradants. La vérité et l'Évangile suffisent. L'islamisme est une contrefaçon diabolique de la religion juive pour détourner de la foi des hommes animés d'un sentiment religieux parfaitement respectable... 101:16 Et tandis que les Juifs, Notre-Seigneur le dit, « parcourent la terre et la mer pour faire un seul prosélyte » (Matt. XXIII, 15), l'Islam conçoit l'apostolat comme une guerre : « Crois ou meurs ». Il repousse comme une faiblesse ce qui est la marque du Christ sur la société humaine, la distinction des deux pouvoirs. Le rôle de Marie ne peut être que de prier pour les hommes de la loi naturelle, et pour les hommes de la loi de la grâce, afin que les uns et les autres se convertissent, car nous en avons tous besoin. Les chrétiens ne doivent pas diminuer les vérités pour les rendre soi-disant plus accessibles, mais prier davantage pour qu'animés d'une doctrine pure et d'une foi intègre, ils puissent être des exemples vivants de la charité divine. Après S. Augustin, S. Louis Grignion de Montfort, le grand théologien de la dévotion à la Très Sainte Vierge, écrit : « C'est avec elle et en elle, et d'elle, que le Saint-Esprit a produit son chef-d'œuvre, qui est un Dieu fait homme et qu'il produit tous les jours jusqu'à la fin du monde les prédestinés et les membres du corps de ce chef adorable. » Ô Marie donnez-nous, avec les grâces pour y parvenir, votre désir du ciel ! D. MINIMUS. 102:16 ## Enquête sur la Corporation ### Réponse de M. Braulio Alfageme M. Braulio Alfageme, ingénieur, animateur de plusieurs entreprises madrilènes, membre de la Commission des Semaines sociales, auteur de nombreux travaux et articles sur la doctrine sociale de l'Église, est l'un des chefs de file de la pensée sociale dans l'Espagne actuelle. La revue *Itinéraires* le remercie d'avoir bien voulu nous apporter sa réponse et son témoignage. L'ÉTUDE QUE MARCEL CLÉMENT a publiée dans la revue « Itinéraires » fait tout d'abord ressortir l'éloignement, et parfois le silence, où se sont gardés nos sociologues, quant au programme social qui se dégage des enseignements de l'Église et n'est autre que l'idée de l'ordre corporatif professionnel de toute l'économie. La corporation naît des exigences mêmes du droit naturel et de la dignité de la personne humaine, pour permettre aux hommes de s'associer et participer -- dans la mesure de la capacité de chacun, librement et dans des condition équitables, -- à tout ce qui peut les affecter, c'est-à-dire dans le cas présent à tout ce qui est en rapport avec leur profession. Il convient, naturellement, pour éviter toute confusion, d'insister sur le fait qu'il ne suffit pas qu'un ordre social soit corporatif ou qualifié tel pour le proclamer catholique, si cet ordre ne reste pas fidèle en même temps aux principes de la doctrine sociale catholique. Il en irait ainsi, par exemple, là où l'on méconnaîtrait le principe de subsidiarité et où les associations professionnelles essaieraient d'envahir le domaine de l'initiative privée, ou encore seraient entièrement liées à l'État, ou bien tenteraient de dominer l'État lui-même ou de s'arroger des privilèges en contradiction flagrante avec le bien commun. 103:16 Du reste nous savons également, pour la raison essentielle que tout système économique est fait de partis assemblés et interdépendants, nous savons, dis-je, que toute espèce de programme social -- qu'il suive ou non les enseignements de l'Église -- doit embrasser l'économie dans toute son étendue, et qu'une politique qui ne traiterait exclusivement qu'un secteur de cette économie ou des relations sociales, ne saurait être valable, parce qu'incomplète. Cela, deux qui ont inspiré les systèmes d'organisation collectiviste ou totalitaire, ne l'ont jamais oublié. Ce silence que nos sociologues ont fait autour de l'ordre social corporatif est dû, pour une grande part, dit Marcel Clément, « à la douloureuse superficialité d'esprit qui a dominé très souvent les idées sociales depuis dix ans ». Avec les vieux préjugés subsistent encore nombre d'erreurs de concept et d'interprétation, auxquelles, à notre sens, est soumise de nos jours l'idée de la corporation en tant que programme social de l'Église. L'une de ces erreurs est de croire que l'idée d'ordre social corporatif est identique à l'idée d'État corporatif. « L'organisation corporative selon la doctrine sociale de l'Église -- nous suivons le P. Nell Breuning -- est une contexture organisée de la société, tandis que l'État corporatif est une formation constructive de l'État ». Il est indubitable qu'une certaine interdépendance doit exister entre l'État, qui règle le pouvoir dans la société et veille au bien commun, et l'organisation de cette société, mais il faut éviter la confusion dans le concept et la complète liaison. Contrairement au système de centralisation des régimes collectivistes, notre doctrine plaide en faveur d'un système de décentralisation, selon le principe de subsidiarité, et en faveur du renforcement des associations intermédiaires qui ont leur place entre l'individu et l'État. Une autre erreur consiste à supposer qu'une solution de programme social de caractère corporatif, équivaut à un mécanisme d'organisation agencé selon les règles de l'Église et dont seule l'Église possèderait le secret. Il convient de préciser que toute forme d'association professionnelle incombe spécialement aux sujets eux-mêmes, -- qui en sont responsables -- et non à l'Église. 104:16 A l'Église il appartient de défendre la vie en société et d'exercer son action éclairante principalement quant à l'enseignement en matière de morale sociale, morale dont la connaissance nous conduit, dans l'état actuel des choses, à une forme de programme social de caractère corporatif. Mais l'organisation particulière et le mécanisme de ce programme, dans une très large mesure, relèvent des intéressés eux-mêmes, lesquels ont le droit et l'obligation de les établir librement et sous leur propre responsabilité, selon les circonstances, les nécessités du temps, leurs propres désirs et préférences et le bien commun. Un programme d'ordre professionnel juste et raisonnable pourrait ainsi revêtir différentes modalités et, suivant les cas, se proposer d'atteindre des objectifs immédiats, plus ou moins vastes, et donc aucune forme particulière d'organisation ne saurait être considérée en elle-même comme étant la plus représentative de la doctrine sociale catholique. Cette idée fausse qu'un programme social conforme aux enseignements de l'Église est entièrement chose de l'Église a été cause, au cours de ces dernières années, que l'initiative a perdu de sa vigueur dans nombre de secteurs du catholicisme, principalement au sein des associations professionnelles catholiques et elle a, dans d'autres secteurs, constitué un motif de méfiance injustifiée, et même de répulsion. Si nous en venons à l'aspect politique, c'est-à-dire à l'étude de ce qui est possible au sein des nationalités respectives, et selon les circonstances particulières, nous avons d'abord à exprimer le regret que certains programmes politiques manquent d'ampleur de vue, de précision et n'embrassent pas l'ensemble de l'économie, selon que le requiert le sens de notre doctrine sociale aussi bien que la nécessité d'un appui ferme, indispensable à toute espèce de réalisation politique. Ainsi, par exemple, ces programmes qui envisagent d'éventuelles réformes de l'entreprise et ne tiennent pas compte que le régime de l'entreprise ne saurait être déterminé sans se rapporter immédiatement au régime politico-juridique de la profession. L'opinion s'est fort répandue, au cours de ces dernières années, que la communauté d'entreprise est une institution capable par elle-même d'atteindre un objectif de rénovation sociale au moyen de projets de réforme de caractère radical, parfois et, parfois, à travers un système comme celui que l'on appelle en ce moment de relations humaines (ce dernier, fort conforme à le doctrine sociale chrétienne, est une contribution recommandable en tous points, sauf dans le cas où elle nous induirait à penser que le système des relations humaines dans l'entreprise serait capable de tenir lieu de système d'organisation professionnelle appropriée). 105:16 L'entreprise, en raison de son objectif même, qui est la production, possède une organisation hiérarchisée et manque de constitution corporative. Elle n'est donc pas apte par elle-même comme l'est la corporation, à créer une source de droit social. Une autre caractéristique très particulière de la communauté d'entreprise est son caractère de dépendance vis-à-vis du milieu social et économique où elle évolue. La réforme de l'entreprise ne saurait être accomplie le dos tourné à l'organisation professionnelle. Bien au contraire, cette organisation professionnelle (ou éventuellement la politique générale de l'État lui-même), modèle inéluctablement les formes de l'entreprise et les contraint à une adaptation qui soit son expression propre. Ainsi, dans un système politico-social d'inspiration collectiviste, n'importe quelle prétendue réforme de l'entreprise doit tendre forcément, par-dessus sa trompeuse apparence, à la création d'une forme de direction toute puissante, qui dépende plus ou moins de mécanismes d'organisation collective et, en conséquence, elle conduit à un processus de « massification » de tous ses membres. Il en irait tout au contraire dans une organisation professionnelle corporative d'orientation chrétienne, source décentralisée de droit social. Grâce à ce droit, les problèmes sociaux de l'entreprise dans leur diversité naturelle trouveraient une solution plus facile et qui rendrait possible la libre implantation du contrat de société entre les parties, avec ou sans participation économique, de même que toute autre initiative de progrès social au sein de l'entreprise. Dans les organisations supérieures, cet ordre chrétien assurerait une division plus satisfaisante, selon la règle morale, des pouvoirs et des responsabilités respectifs et, de la part du monde du travail et de la production, un mode de contribution adéquate à la politique générale, économique et sociale, et en particulier à la politique du juste salaire. Elle délivrerait l'État de nombreuses charges qui ne lui incombent point et, à leur tour, les associations se plieraient à une autorité supérieure en vue de l'établissement d'une économie ordonnée, tant sur le plan national qu'international. Cet ordre social chrétien ouvrirait également les voies à l'instauration d'une forme plus humaine par rapport aux actuels systèmes centralisateurs des assurances sociales. 106:16 Cette enquête d' « Itinéraires » au sujet de l'étude de Marcel Clément est du plus haut intérêt. En raison de l'extrême importance du problème et de ses dérivations, et en raison du risque qu'elle pourrait courir d'être froidement accueillie même dans les milieux catholiques inexplicablement plus éloignés de cette préoccupation, un travail d'étude préparatoire s'impose à ce sujet, travail qui devrait s'accomplir dans des cercles plutôt limités. Nous nous sommes bornés dans ces lignes à repasser l'ouvrage de mémoire et à en signaler, cursivement et sans système, quelques points. Le seul fait de cette enquête constitue la preuve de l'intérêt majeur qu'éveille aujourd'hui cette idée de l'ordre corporatif professionnel, idée qui redevient l'objet d'un vaste examen dans l'espoir de créer un esprit de plus grande solidarité entre les hommes, de donner une saine structure à la société industrielle moderne et dans l'espoir de conserver la liberté. Braulio ALFAGEME. On a omis de regarder le fait économique dans toute son ampleur, à la fois matériel et humain, quantitatif et moral, individuel et social ; au-delà de son insertion dans des rapports sociaux de production, *il fallait envisager l'activité vraiment libre,* personnelle et communautaire, du sujet de l'économie. S.S. PIE XII, 9 septembre 1956. 107:16 ## DOCUMENTS 108:16 ### L'encyclique sur Lourdes Le jour de la fête de la Visitation, le Saint Père a publié une Encyclique, écrite en français, sur le Centenaire des Apparitions de la Très Sainte Vierge à Lourdes. Comme le dit Mgr Théas, évêque de Lourdes, cette Encyclique est « *le meilleur guide spirituel des pèlerins de Lourdes* » ; elle indique aux catholiques comment se préparer spirituellement au grand événement qu'est le Centenaire. Le texte intégral de cette Encyclique se trouve notamment dans *l'Osservatore romano,* ÉDITION EN LANGUE FRANÇAISE, numéro du 26 juillet 1957. Rappelons à cette occasion que l'on peut, en France, s'abonner à l'édition française de *l'Osservatore romano* en s'adressant 6, rue Christophe-Colomb à Paris-8^e^. (En Belgique : 79, rue du Laekenveld, Bruxelles.) Le *Journal de la Grotte de Lourdes* a naturellement publié (en supplément à son numéro du 28 juillet) le texte complet de l'Encyclique. Pour se tenir au courant de la préparation matérielle et spirituelle du Centenaire, et pour être en mesure de s'y associer activement, nous invitons nos lecteurs à s'abonner au *Journal de la Grotte de Lourdes *; le prix de l'abonnement est très accessible : France, 350 francs ; étranger, 500 francs (à verser à M. l'Économe, Œuvre de la Grotte, Lourdes, Hautes-Pyrénées ; C.C.P. Toulouse. 275-77). Le texte de l'Encyclique sur Lourdes est en vente, au prix de 30 francs l'exemplaire, au *Journal de la Grotte :* adresser directement les commandes à l'Imprimerie de la Grotte, Lourdes (Hautes-Pyrénées). ~===============~ 109:16 ### Pie XII et l'Europe *Nous donnons ici le texte intégral du discours prononcé par Pie XII, le* 1^er^ *Juin* 1951, *à l'occasion du Congrès d'Europe, tenu à Rome sur l'initiative du Conseil italien du Mouvement européen* (*texte de* l'Osservatore romano, *édition française, numéro du* 21 *juin ; les intertitres sont de notre rédaction*)*.* *La pensée de Pie XII sur l'Europe n'est peut-être pas connue en France aussi exactement qu'il serait souhaitable* (*ni d'ailleurs la doctrine catholique sur la communauté internationale*)*.* *Ce discours du* 13 *juin a été plus souvent commenté* (*dans divers sens*) *qu'intégralement lu, reproduit, médité dans son texte même, qui est fort clair.* *C'est pourquoi le voici en son entier *: Nous sommes heureux de vous recevoir, Messieurs, à l'occasion du Congrès d'Europe, réuni sur l'initiative du Conseil italien du Mouvement Européen. Vous avez voulu par vos travaux contribuer à renforcer la collaboration entre les organisations et les forces politiques en vue de constituer sans retard l'unité de l'Europe. Les progrès\ de l'idée européenne. Vous savez avec quelle sollicitude Nous suivons les progrès de l'idée européenne et des efforts concrets, qui tendent à la faire pénétrer davantage dans les esprits et à lui donner, suivant les possibilités actuelles, un commencement de réalisation. Bien que passant par des alternatives de succès et de revers, elle a, pendant ces dernières années, gagné beaucoup de terrain. Aussi longtemps en effet qu'elle ne s'incarnait pas dans des institutions communes douées d'une autorité propre et indépendantes, dans une certaine mesure, des gouvernements nationaux, on pouvait la considérer comme un idéal très beau sans doute, mais plus ou moins inaccessible. Marché commun\ et Euratom. Or, en 1952, les Parlements de six pays d'Europe occidentale, ont approuvé la formation de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (C.E.C.A.), dont les résultats s'avèrent actuellement encourageants sur le plan économique et social. La Communauté Européenne de Défense (C.E.D.), qui devait engager les efforts d'unification sur le plan militaire et politique, se heurta par contre à de vives résistances qui la firent échouer. 110:16 A ce moment, beaucoup pensèrent que les premiers espoirs d'aboutir à l'unité mettraient longtemps à renaître. En tout cas, le moment d'aborder de face le problème d'une communauté supranationale n'était pas encore venu, et l'on dut se replier sur la formule de l'Union de l'Europe Occidentale (U.E.O.) qui, outre l'assistance militaire, avait pour tâche de favoriser la collaboration dans le domaine social, culturel et économique. Mais, comme le principe de la décision majoritaire au Conseil des Ministres y est soumis à d'étroites limitations, et comme l'Assemblée n'est pas capable d'imposer sa volonté et d'exercer le contrôle parlementaire, on ne peut La considérer comme un fondement suffisant pour y édifier une vraie communauté d'États. Dès le printemps de 1955, s'amorçait ce qu'on a nommé « la relance européenne » ; elle allait aboutir le 25 mars 1957 à la signature des traités de l'Euratom et du Marché commun, Bien que cette communauté nouvelle soit restreinte au domaine économique, elle peut conduire, par l'étendue même de ce champ d'action, à affermir entre les États membres la conscience de leurs intérêts communs d'abord sur le seul plan matériel, sans doute, mais si le succès répond à l'attente, elle pourra ensuite s'étendre aussi aux secteurs qui engagent davantage les valeurs spirituelles et morales. Le point décisif :\ une autorité politique. Votre Congrès a regardé franchement vers l'avenir et examiné en premier lieu le point décisif, dont dépend la constitution d'une communauté au sens propre : l'établissement d'une autorité politique européenne possédant un pouvoir véritable qui mette en jeu sa responsabilité. De ce point de vue, l'exécutif de la Communauté Économique Européenne (C.E.E.) marque un recul par rapport à celui de La Communauté du Charbon et de l'Acier, où la Haute Autorité jouit de pouvoirs relativement vastes et ne dépend du Conseil des Ministres qu'en certains cas déterminés. Parmi les tâches, qui vous attendent maintenant, se place d'abord la ratification, par les divers Parlements, des traites susdits signés à Rome le 25 mars ; puis vous aurez à chercher les moyens de pourvoir au renforcement de l'exécutif dans les communautés existantes, pour arriver enfin à envisager la constitution d'un organisme politique unique. 111:16 Une politique extérieure commune\ devient indispensable. Vous avez étudié aussi la question d'une politique extérieure commune et noté à ce sujet que, pour être applicable et produire d'heureux résultats, elle ne suppose pas nécessairement que l'intégration économique soit déjà un fait accompli. Une politique extérieure européenne commune, susceptible d'ailleurs d'admettre des différenciations selon qu'elle s'exerce dans le cadre de tel ou tel organisme international, repose également sur la conscience d'intérêts communs économiques, spirituels et culturels ; elle devient indispensable dans un monde, qui tend à se grouper en blocs plus ou moins compacts. Les points d'appui ne manquent heureusement pas pour la mettre en œuvre dans les institutions européennes existantes, mais elle attend encore un instrument efficace d'élaboration et d'application. L'Europe et l'Afrique. Enfin vous avez considéré les problèmes de l'association de l'Europe et de l'Afrique, auxquels le récent traité du Marché commun a réservé une place notable. Il Nous paraît nécessaire que l'Europe garde en Afrique la possibilité d'exercer son influence éducative et formative et qu'à la base de cette action, elle déploie une aide matérielle large et compréhensive, qui contribue à relever le niveau de vie des peuples africains et à mettre en valeur les richesses naturelles de ce continent. Ainsi prouvera-t-elle que sa volonté de former une communauté d'États ne constitue pas un repliement égoïste, qu'elle n'est pas commandée par un réflexe de défense contre les puissances extérieures, qui menacent ses intérêts, mais procède surtout de mobiles constructifs et désintéressés. Rôle du message chrétien\ dans la communauté supra-nationale. A l'heure actuelle, on aperçoit de plus en plus la nécessité de l'union et celle de poser patiemment les bases sur lesquelles elle s'appuiera. Tantôt dans la joie, tantôt dans La peine, la construction s'élève et, malgré les tentatives avortées, on la poursuit avec courage. Vous osez dépasser hardiment le stade des réalisations actuelles pour préparer déjà les pierres nécessaires à l'édifice de demain. 112:16 Nous Nous en réjouissons, persuadé que l'inspiration qui vous anime procède d'un sentiment droit et généreux. Vous voulez procurer, par les meilleurs moyens possibles, à l'Europe tant de fois déchirée et ensanglantée, une cohésion durable, qui lui permette de continuer sa mission historique. S'il est vrai que le message chrétien fut pour elle comme le ferment déposé dans la pâte, qui la travaille et en fait lever la masse, il n'est pas moins vrai que ce même message reste, aujourd'hui comme hier, la plus précieuse des valeurs dont elle est dépositaire ; il est capable de garder dans leur intégrité et leur vigueur, avec l'idée et l'exercice des libertés fondamentales de la personne humaine, la fonction des sociétés familiale et nationale, et de garantir, dans une communauté supra-nationale, le respect des différences culturelles, l'esprit de conciliation et de collaboration avec l'acceptation des sacrifices qu'il comporte et les dévouements qu'il appelle. Aucune tâche d'ordre temporel n'arrive à son terme sans en susciter d'autres, sans soulever par sa réalisation même d'autres besoins, d'autres objectifs. Les sociétés humaines restent toujours eu devenir, toujours en quête d'une meilleure organisation et souvent ne se survivent qu'en disparaissant et en donnant naissance par là même à des formes de civilisation plus brillantes et plus fécondes. A chacune, le christianisme apporte un élément de croissance et de stabilité ; surtout il dirige leur marche en avant vers un but bien défini et leur donne l'immuable assurance d'une patrie, qui n'est pas de ce monde et qui seule connaîtra l'union parfaite, parce que procédant de la force et de la lumière de Dieu même. Conclusion. Nous souhaitons de tout cœur que cet idéal guide toujours vos recherches et vous permette de supporter sans découragement les fatigues, les amertumes, les déceptions inhérentes à toute entreprise de cette envergure. Puissiez-vous préparer aux hommes de ce temps une demeure terrestre qui ressemble davantage au Royaume de Dieu, Royaume de vérité, d'amour et de paix, auquel ils aspirent dans leur être le plus profond. En gage des faveurs divines que Nous implorons sur vos travaux, Nous vous accordons pour vous-mêmes, vos familles et tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction Apostolique. ~===============~ 113:16 ### La prière pour l'Église du silence *Le Saint Père a composé une prière à l'intention des chrétiens qui subissent l'oppression et la persécution communistes *: Seigneur Jésus, roi des martyrs, réconfort des affligés, appui et soutien de tous ceux qui souffrent par amour, pour vous et pour leur fidélité à votre épouse, notre Mère la Sainte Église, écoutez avec bonté nos ferventes prières pour nos frères de l' « Église du Silence », afin que non seulement ils ne fléchissent pas dans la lutte, ni ne vacillent dans la foi, mais qu'ils puissent éprouver la douceur des consolations réservées aux âmes que vous daignez appeler à être vos compagnes au sommet de la croix. Pour ceux qui doivent supporter tourments et violence, faim et fatigue, soyez la force inébranlable qui leur donne courage dans les épreuves, et leur infuse la certitude des récompenses promises à ceux qui persévéreront jusqu'au bout. Pour ceux qui sont soumis à des contraintes morales, bien souvent d'autant plus dangereuses qu'elles sont plus insidieuses, soyez la lumière qui illumine leur intelligence, afin qu'ils voient clairement le droit chemin de la vérité, soyez la force qui soulève leur volonté, surmontant toute crise, toute tentation et toute lassitude. Pour ceux qui sont dans l'impossibilité de professer ouvertement leur foi, de mener régulièrement leur vie chrétienne, de recevoir fréquemment les sacrements, de s'entretenir filialement avec leurs guides spirituels, soyez vous-même l'autel caché, le temple invisible, la grâce surabondante et la voix paternelle, qui les aide, les anime, guérit les esprits endoloris, et qui leur donne joie et paix. Puisse notre fervente prière leur être secourable ; que notre solidarité fraternelle leur fasse sentir qu'ils ne sont pas seuls ; et que leur exemple soit un sujet d'édification pour toute l'Église, et spécialement pour nous, qui nous souvenons d'eux avec tant d'affection. Accordez, ô Seigneur, que soient abrégés les jours d'épreuve, et que bientôt, tous ensemble -- avec leurs oppresseurs convertis, -- ils puissent librement Vous servir et vous adorer, vous qui, avec le Père et l'Esprit Saint, vivez et régnez dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. ~===============~ 114:16 ### Le livre de Mgr Guerry sur la doctrine sociale de l'Église *Une récente Lettre pastorale de Mgr Guerry au clergé et aux militants du diocèse de Cambrai concernait* « *la doctrine sociale de l'Église* »*.* *L'Archevêque de Cambrai, secrétaire de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques, a publié, au mois de juin cette Lettre pastorale en un volume de* 180 *pages* (*Bonne Presse éditeur*)*. Elle traite de la* « *conception de l'homme* » *et de la* « *conception de l'économie sociale* »*, réservant pour une prochaine étude la* « *conception de la communauté humaine* ». *Cet exposé qualifié de la doctrine sociale de l'Église est à la fois un livre d'initiation, un remarquable instrument de travail et une mise au point opportune.* *Voici les principaux passages de l'article que notre ami Marcel Clément a* *publié à son sujet dans* L'HOMME NOUVEAU *du* 21 *juillet *: Le livre que vient de publier Mgr Guerry marque une date dans le développement de la pensée catholique en France. En très peu de semaines, ce livre est déjà difficile à trouver dans les librairies et sans doute une nouvelle édition sera-t-elle nécessaire dans les jours qui viennent. C'est que, de tous les points de l'horizon du catholicisme français, par réflexion ou par pressentiment, les militants de l'Action Catholique, ceux de l'Action Sociale, ceux de l'Action Politique ont pris conscience du message d'unité que, par Grâce, ils venaient de recevoir. Le livre du Secrétaire de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques nous apporte un résumé puissant, précis et complet de la pensée du Pape Pie XII. Notre premier sentiment est de gratitude. De grand cœur, nous l'exprimons à Mgr Guerry, et, à travers lui au Seigneur. Il nous semble qu'une lumière, grâce à lui, est en train de grandir. La lumière qui à *l'Homme Nouveau* nous est la plus chère : celle de l'Unité. \*\*\* 115:16 Nous ne parlons pas ici d'une unité abstraite. La seule unité, c'est l'unité dans le Christ Jésus lui-même. Parce qu'il est la Tête. Parce que nous sommes les membres. Parce que, par le baptême, nous sommes greffés sur lui. Parce que Sa vie est notre vie. Parce que Sa pensée est notre pensée. Parce qu'il est la Vérité et qu'en le recevant nous recevons non seulement Sa vie, mais Sa vérité, qui est La Vérité. Nous avions naguère, nous autres, catholiques de France, eu plus ou moins la tentation de penser que nous pouvions « *élaborer une doctrine* ». Nous découvrons aujourd'hui que le problème n'est pas d'inventer la vérité, mais de la recevoir. Cette vérité, nous savons aussi que nous n'avons pas à la recevoir d'abord en nous appuyant sur notre propre sagesse. Quelques que soient nos options temporelles, comme on aime à dire aujourd'hui, nous prenons de plus en plus conscience qu'au dessus des positions prudentielles qui peuvent être les nôtres il y a une vérité doctrinale qui, doit tout éclairer, et qui reçoit elle-même sa lumière, de Rome et de la Hiérarchie. Comme le souligne avec force Mgr Guerry citant Pie XII : « *Les points principaux de la doctrine sociale de l'Église sont contenus dans les documents du Saint-Siège, c'est-à-dire dans les Encycliques, les Allocutions et les Lettres Pontificales. A ce sujet, diverses écoles sociales ont vu le jour qui ont expliqué les documents pontificaux, les ont développés et les ont mis en systèmes. Et cela, Nous estimons qu'on eut raison de le faire* ». Mais il n'en faut pas moins « *veiller à ne pas confondre la doctrine authentique de l'Église avec les positions différentes propres à chaque école : ces deux aspects doivent toujours être distingués avec grand soin*. » Ce que nous apporte Mgr Guerry n'est pas une position d'école. C'est la doctrine authentique de l'Église. C'elle dont il nous dit par ailleurs qu'elle est « obligatoire ». \*\*\* Si le livre de Mgr Guerry donne à ce point le sentiment qu'il apporte la lumière de l'unité, c'est évidemment parce qu'il est inspiré par une charité vraiment universelle. 116:16 En lisant ce volume, nous songions qu'il n'est pas un catholique de France ayant vraiment le sens théologal qui n'y puisse trouver du point de vue doctrinal une nourriture vraiment totale. C'est que la charité qui a inspiré ces pages n'est point seulement universelle et forte. Elle est aussi délicate. Ceux ; qui ont suivi les discussions, les oppositions même, si douloureuses parfois, qui ont marqué les dix dernières années, ne pourront pas ne pas remarquer avec quelle justesse de touche Mgr Guerry donne, sur les points les plus litigieux, la note harmonique où toutes les aspirations légitimes, en apparence contraires, deviennent soudain convergentes. Ceux qui liront ce livre dans un respect filial seront dominés par une certitude : il n'est en rien teinté de cet esprit d'agression, ou de revanche, ou d'opposition, qui, malheureusement, a parfois jeté un voile, à droite comme à gauche, sur des exposés où le caractère des auteurs ajoutait inutilement des « souvenirs » ou parfois des passions à des points doctrinaux -- en eux-mêmes justes, ou même opportuns. Si nous entendons être « d'Église » avant d'être quoique ce soit d'autre, si nous désirons recevoir en nous une vision de la vie sociale dans la lumière même de la doctrine du Corps mystique, nous nous réjouirons sans réserve d'une publication qui donne un exemple de ce que peut l'esprit d'une charité vivante quand il s'appuie sur la docilité intellectuelle à la vérité que diffuse le Père commun. \*\*\* Car le livre de Mgr Gerry nous porte à de graves réflexions sur ce point. Ce livre rayonne tant d'affection, tant d'admiration, tant d'intelligente compréhension pour la pensée sociale des Papes qu'il en communique la séduction et qu'il en porte la grâce. Lumière pour l'intelligence, le livre de Mgr de Cambrai est aussi une lumière pour le cœur. Il est une lumière pour le cœur, parce que ce livre ne nous apporte pas un rappel de vérité extérieure ou abstraite. Ce livre est un acte paternel et nous invite par là à approfondir davantage en nous-mêmes l'attitude filiale à l'égard du Pape et de la Hiérarchie. Il oriente notre cœur parce qu'il nous fait comprendre, à tous, militants ouvriers ou militants patronaux, parfois trop exclusivement attachés au droit naturel ou encore séduits par un surnaturalisme unilatéral, que nous ne devons renoncer à rien de vrai, à rien de bon, à rien de juste. Ce livre nous apporte plus que ce que nous avions, parce qu'il complète, quelle qu'elle soit, notre vision. 117:16 Ouvrage précieux pour l'A.C.O., cet ouvrage le sera autant pour la J.A.C. ou le M.F.R., pour le C.F.P.C. ou le C.J.P. ou encore pour l'A.C.I. ou la C.F.T.C. Il le sera pour tous les chrétiens sociaux. Il le sera pour tous. En lisant *La Doctrine sociale de l'Église* on songe que la pensée de Pie XII, plus encore que nous ne l'avions cru, plonge dans l'avenir avec une clairvoyance surprenante, Les individus voient et comprennent les horizons sociaux sur quelques dizaines d'années. Aux lumières de la foi et par sa prudence éminente, le Pape découvre les horizons des siècles, et Pierre, unique pasteur du troupeau, guide avec sûreté de toute sa taille spirituelle, les brebis parfois insouciantes et souvent imprudentes. Pour notre pays et pour notre époque, les pages de Mgr Guerry nous apportent la connaissance de la vie sociale telle que Dieu la voit et telle que le Pape la formule. Puisse Marie, Siège de la Sagesse, nous obtenir, à nous, catholiques de France, soucieux de retrouver les conditions de l'unité perdue, la grâce de faire cet acte d'humilité, d'un seul cœur et d'une seule âme, de nous unir dans la méditation de ce bréviaire parfaitement fidèle de la pensée sociale de Pie XII. Lisons-le. Parlons-en. Faisons-le connaître. Répandons-le. Dans la nuit où nous sommes, et que Pie XII décrivait à Pâques, voici, comme une douce pâleur à l'horizon, le signe d'une aube et d'une résurrection. \*\*\* La vocation de la France n'est pas *d'inventer* la vérité. Elle est de *l'incarner.* La vocation de l'Europe, au sein de laquelle notre pays, fidèle à sa vocation, doit jouer son rôle propre, est de servir de point d'appui à un monde unifié sur des fondements vraiment chrétiens. Tout cela, le Pape nous l'a dit. L'entreprise peut sembler vaste : Mais n'a-t-elle pas été commencée il y a deux mille ans ? N'est-elle pas l'entreprise même de Dieu ? Plutôt que de nous mettre en travers par nos durcissements ou même par nos générosités parfois indisciplinées, pourquoi ne pas consentir les premiers pas vers l'unité au moment même ou passe la grâce de Dieu, Peut-être, si nous en consentons les sacrifices intérieurs, l'entreprise nous semblera-t-elle déjà plus proche de nous, plus familière. Et peut-être commencerons-nous de pressentir les jours que le Saint Père semble entrevoir, comme une application des fruits de la Rédemption à notre époque, lorsqu'il manifeste son « *espérance que peut-être plutôt qu'on ne pourrait s'y attendre, réapparaîtront les rayons du soleil, dans le triomphe d'un nouveau printemps chrétien* » (Pie XII, 6 novembre 1955). ~===============~ 118:16 ### Action catholique et action politique *L'une des questions du jour est celle des rapports et des distinctions entre l'Action catholique et l'action politique. Question du jour, certes, par certains aspects un peu tapageurs, un peu trop spectaculaires, et véritablement douloureux* *Mais aussi, question du jour, en un sens plus profond, parce qu'elle est actuellement soumise à la réflexion de tous les catholiques.* *La Hiérarchie apostolique en France a fait entendre sa voix, disant le vrai, le droit, le devoir. La publication, au mois de juin, du Rapport de Mgr Lefebvre, rédigé au nom de l'Épiscopat, et de la Lettre pastorale de Mgr Guerry sur* « *la doctrine sociale de l'Église* »*, apportent à tous :* 1. -- *une information sur les principes qui parfois avait pu faire défaut ;* 2. -- *souvent, les indications nécessaires pour une révision de positions hasardeuses, voire carrément fausses ;* 3. -- *enfin, dans tous les cas, les moyens d'un approfondissement.* \*\*\* *L'action des catholiques, depuis son inspiration jusqu'à son exécution, se déroule sur trois plans* (*distincts mais non disjoints*)*, trois et non deux, et trop souvent le second reste implicite -- quand il n'est pas oublié -- ce qui contribue à détériorer la distinction entre la doctrine et la technique, soit en l'exagérant* (*ce qui provoque une séparation*) *soit en la minimisant* (*ce qui engendre une confusion*)*.* *Ces trois plans sont les suivants :* 1*. -- Celui de la doctrine, enseignée par l'Église.* 2*. -- Celui de la prudence, vertu naturelle* (*bien oubliée*) *et en outre vertu chrétienne que Dieu donne avec la vie surnaturelle, l'une des quatre vertus dites* « *cardinales* »*. La prudence ne définit pas les principes et les buts de l'action, elle ne crée pas non plus les moyens techniques : elle choisit ceux-ci en fonction de ceux-là. Le domaine* « *prudentiel* » *est la* CHARNIÈRE *entre le plan et la doctrine et le plan de la technique. Au plan de la doctrine, l'Église est seule qualifiée pour enseigner.* 119:16 *Au plan de la prudence, l'Église est parfaitement qualifiée, mais, selon les temps et les lieux, selon les problèmes et ceux qui en portent la responsabilité temporelle, elle est plus ou moins discrète, plus ou moins silencieuse, plus ou moins explicite, et elle est seule juge de l'opportunité de son intervention ou de sa non-intervention.* 3*. -- Celui de la technique* (*politique, économique, scientifique, etc.*) : *l'Église n'y intervient pas... Il importe néanmoins de remarquer que le domaine de la technique ne doit pas être indûment étendu. On dit couramment que l'Église laisse la pleine liberté aux catholiques de choisir les solutions techniques capables de mettre en œuvre les principes qu'elle enseigne. C'est vrai dans la mesure où l'adaptation d'une solution technique à la fin poursuivie est effectivement un problème* TECHNIQUE*. Mais cette adaptation, ou ce choix,* NE RELÈVE PAS SEULEMENT DE LA TECHNIQUE. *Sous un autre rapport tout aussi décisif, il relève de la prudence, il pose un problème moral, l'Église peut* EN DROIT *y intervenir, encore que souvent,* EN FAIT, *elle préfère soit rester provisoirement silencieuse, soit ne donner que des indications discrètes ou implicites.* \*\*\* *Le développement des techniques est l'œuvre des laïcs. L'enseignement qualifié de la doctrine est l'œuvre de l'Église et de ceux, clercs et laïcs, qu'elle mandate à cet effet. Au plan intermédiaire de la prudence, les laïcs font* « entendre leur voix »*, et cette voix, l'Église l'écoute, la recueille, la rejette, la tolère ou l'ignore.* *Il est de fait qu'aujourd'hui les laïcs tiennent beaucoup à* « *faire entendre leur voix* »* ; il est de fait aussi que leurs responsabilités sont devenues plus nombreuses, ou plus vastes, ou plus voyantes, ou plus explicites ; on remarque enfin que des laïcs, et avec eux des ecclésiastiques non mandatés* (*non mandatés pour cela*)*, nous voulons parler surtout de ceux que M. Dansette désigne comme* « le grand mouvement réformateur qui entraîne une fraction de l'Église de France »*, font* « *entendre leur voix* » *non seulement au plan numéro* 3 (*technique*)*, mais encore, indiscrètement et indûment, au plan numéro 1* (*doctrine*)*, pour beaucoup de motifs, et notamment parce qu'ils n'ont pas une conscience suffisamment claire, de l'existence et des limites du plan-charnière numéro* 2 (*prudence*)*.* *Remarque latérale : par un artifice publicitaire et sociologique, on prétend nous faire entendre* LA *voix des laïcs, alors qu'aujourd'hui, en France, il n'y en a pas* UNE*, mais* PLUSIEURS*, et même* BEAUCOUP*.* 120:16 *Si ceux que M. Dansette appelle* « le grand mouvement réformateur » *et* « la gauche chrétienne » *se donnent tyranniquement pour* LA *voix des laïcs, et non pas, comme il se devrait, pour* UNE *voix parmi toutes celles, actuellement fort diverses, des laïcs, cet abus ne provient pas* (*ou pas seulement*) *d'une assez comique absence de modestie ou de mesure : cet abus provient principalement d'un* PROCÉDÉ PUBLICITAIRE*, tendant à brimer et étouffer, par des moyens d'ordre publicitaire et sociologique, les* AUTRES *voix des laïcs.* *Pour notre part, nous combattons avec la plus entière énergie non pas l'*EXISTENCE *de cette voix parmi d'autres mais* LE MONOPOLE PUBLICITAIRE ET SOCIOLOGIQUE *qu'elle s'est attribué à elle-même.* *C'est pourquoi nous faisons entendre une voix différente, la nôtre. C'est pourquoi, aussi, nous aidons à se faire entendre d'autres voix que la nôtre, ou nous leur faisons écho, chaque fois qu'elles paraissent apporter une contribution positive à la réflexion et à l'action des catholiques français.* \*\*\* *Une contribution positive, en voici une, dont la qualité, l'opportunité, l'actualité nous paraissent de premier ordre.* *Il s'agit des réflexions très précises et très profondes publiées par M. Jean Ousset dans les numéros* 82 *et* 83 (*avril et mai* 1957) *de* VERBE*, organe de* LA CITÉ CATHOLIQUE*.* *Ces réflexions sont extraites par nos soins d'une très vaste méditation, en cours de publication, sur les objectifs et les moyens d'action de* LA CITÉ CATHOLIQUE*, mouvement dont on sait quels encouragements il a reçus de la Hiérarchie apostolique. Ce mouvement existe maintenant depuis onze années, et ne serait-ce qu'à ce titre, les réflexions de M. Jean Ousset mériteraient audience, car elles sont précisément le fruit d'une longue expérience, acquise dans des conditions parfois difficiles et méritoires.* *Les passages que nous citons ici comme document -- et qui constituent en effet un document de travail et de réflexion d'une grande valeur -- sont évidemment extraits de leur contexte. Ce contexte est celui d'une analyse de l'action passée, présente et future de* LA CITÉ CATHOLIQUE*. Ce que nous en reproduisons* (*et en prenant la liberté d'y souligner certains passages ou certaines formules sur lesquelles nous souhaitons attirer plus particulièrement l'attention*) *ne pourrait donc donner qu'une idée fragmentaire de ce mouvement civique catholique à ceux qui ne le connaissent pas. Aussi bien, tel n'est pas notre but : mais de mettre en lumière, à l'usage de tous, et en les choisissant sous notre seule responsabilité, des précisions, documentaires et des thèmes de réflexion d'une utilité à la fois immédiate et profonde. Et que vous ne risquez pas de trouver dans votre journal habituel.* 121:16 #### Misères et difficultés de l'action politique *Voici le problème* (*fort actuel*) *que son expérience même, et la situation présente, posent à M. Jean Ousset :* ... Charnière, trait d'union à trouver entre le spirituel et le temporel. Ou -- si l'on préfère l'emploi de formules moins abstraites -- charnière, trait d'union entre l'Action catholique, strictement entendue, et l'action politique. La difficulté des relations entre ces deux domaines ne parvient-elle pas à décourager, en effet, trop de bonnes volontés ? D'une part, estime-t-on, l'action catholique ; ou, selon les propres termes de Pie XII (14 oct. 1951) « *l'apostolat officiel des laïcs* » ; ou bien encore : « *la participation des laïcs à l'apostolat de la Hiérarchie* »... D'autre part, l'action politique : c'est-à-dire l'action des laïcs s'exerçant dans ce domaine où la Hiérarchie, une fois la doctrine donnée, n'a plus à commander directement. Domaine que l'on appelle parfois d'une façon équivoque : les options libres. Non que le chrétien y puisse soutenir ce qui lui plaît et promouvoir ce qu'il veut, puisqu'il n'est « libre de vouloir », en droit, que ce qui est essentiellement conforme à la doctrine. Mais, dans cette perspective même, mille options sont possibles sur le choix desquelles l'Église a toujours refusé et refusera toujours de prendre dogmatiquement parti. Et c'est bien là qu'apparaît la difficulté. On comprend, en effet, que l'Action catholique, au sens strict, puisse se réclamer ouvertement de la Hiérarchie, puisqu'elle est sous son impulsion, sous ses ordres directs. Tout se complique, au contraire, sur le plan de l'action politique car, *bien qu'elle ait aussi le devoir d'être chrétienne et de se référer à l'enseignement de l'Église,* elle ne peut, en ce qui relève chez elle des « options libres », se réclamer explicitement de l'autorité ecclésiastique. Si elle le faisait, elle se trouverait, comme on dit souvent, « compromettre l'Église » en l'engageant au-delà des limites de son pouvoir. D'où les misères de l'action politique pour le laïc catholique. 122:16 D'une part, l'Église elle-même et l'expérience historique sont là qui lui rappellent l'influence, indirecte certes, mais excessivement puissante, d'un climat social, d'un régime institutionnel conformes aux impératifs de la doctrine catholique ; et, d'autre part, pour instaurer en fait cette « cité chrétienne », le laïc se voit comme abandonné à lui-même, aux contradictions des opinions humaines, aux défaillances de son savoir. Cette référence à l'Église qui a été, peut-être, le seul argument de sa résolution d'agir au temporel et dans laquelle il puisait tout son courage, voici qu'il doit l'atténuer, sinon la taire, au moment le plus important : celui de la réalisation. -- Pourquoi, peut-il se dire, pourquoi prendre parti quand l'Église elle-même refuse de le faire ? Si elle se prétend indifférente à cet endroit, pourquoi l'être moins qu'elle ? Pourquoi me dépenser dès que le sens de cet effort ne m'est plus explicitement donné par cette Mère prudente et sage ? Bien loin de tenir à quelque opinion personnelle, je tends, au contraire, à m'en méfier. Le mieux n'est-il pas d'en rester où en reste l'Église elle-même ? Aussi, maints chrétiens s'effacent-ils, en quelque sorte, au moment de l'action temporelle. Fermes, sans doute, en matière doctrinale -- ce qui peut être une excellente façon de n'aboutir à rien -- leur volonté mollit dès qu'ils abordent le plan où l'ennemi se trouve, lui, solidement installé... D'où le malaise d'un très grand nombre des nôtres. Ils ne demandent qu'à se battre (au temporel) pour le Christ-Roi et la doctrine sociale de l'Église ; mais la nécessité d'avoir à transposer leurs références catholiques au moment le plus difficile les désarme et les paralyse. -- A quoi bon, nous ont-ils dit souvent, épiloguer sur la nécessité de nous unir pour promouvoir une cité catholique puisqu'à l'heure du combat nous serons condamnés à une espèce d'éclatement ? Dispersion après laquelle chacun se débrouillera en fait et devra se débrouiller en droit selon ce que certains appellent « le libre jeu des options permises », Et donc, puisqu'il faut en arriver là, pourquoi ne pas s'installer tout de suite et organiser directement le combat sur ce plan ? partons de moins haut, peut-être, et sans tant de mystiques considérations, mais de telle sorte que nous puissions aller jusqu'au bout. L'obligation catholique d'avoir à changer de plan est vraiment trop décevante. Tel est le discours entendu bien des fois... Il est plein d'équivoques. Et on doit lui reprocher surtout de ne présenter qu'une caricature de la réalité. 123:16 Les avantages de la distinction du spirituel et du temporel y sont totalement oubliés ; avantages considérables pourtant quand on sait les voir et les utiliser ; avantages d'adaptations plus faciles aux circonstances de temps et de lieu... Il serait vain, pourtant, de nier ici une difficulté. Et le fait est que ce passage de l'Action catholique à l'action politique n'est pas sans péril. #### Insuffisance de l'action catholique ...Si l'on devait croire que l'Action catholique suffit ou suffira pour assurer le triomphe social de Notre-Seigneur et que, partant, les catholiques peuvent se dispenser d'un engagement temporel plus direct, ce serait la preuve que la distinction des deux pouvoirs (spirituel et temporel) et la doctrine qui en découle sont une supercherie... Bien au contraire, les textes de la Hiérarchie surabondent qui rappellent aux chrétiens ce devoir impérieux d'une action politique à mener au-delà des frontières de l'action catholique. Notamment, ce texte péremptoire de Pie XI à la Fédération italienne des hommes catholiques (30 octobre 1926) : « L'Action catholique se déroule en dehors et au-dessus de tout parti politique. Elle n'entend pas faire partie d'un parti, ni être un parti politique. Les catholiques ont cependant entendu et compris que cela ne veut pas dire qu'on doive se désintéresser de la politique, quand politique veut dire l'ensemble des biens communs, par opposition aux biens singuliers et particuliers. Les biens communs regardent la « polis », c'est-à-dire la cité, la nation, la communauté, au sens complet du mot. Comment pourrait-on se désintéresser de ces choses qui sont les plus grandes et les plus importantes, de ces choses où le devoir de charité l'emporte et dont dépendent les biens mêmes donnés par Dieu, les biens domestiques, les biens privés et les intérêts de la religion elle-même ? Nous ne pouvons donc nous désintéresser de ces choses ; d'où la conclusion suivante qu'il faut tirer : l'Action catholique, tout en ne faisant pas de la politique de parti, veut préparer à faire de la bonne politique... » 124:16 « Bien que, comme chacun sait, écrit Pie XII (21 juin 1951), l'Action catholique soit principalement destinée à promouvoir les œuvres d'apostolat, rien n'empêche que ceux qui en font partie soient également membres d'associations dont le but soit de conformer les institutions sociales et politiques aux principes chrétiens. Bien plus, le droit dont ils jouissent permet, et le devoir auquel ils sont tenus demande, qu'ils prennent part à ces associations, non seulement comme citoyens, mais aussi comme catholiques. » S. Exc. Mgr Guerry, de son côté, écrivait récemment : « L'Action catholique et l'action sociale ou civique d'inspiration chrétienne sont distinctes. Toutes les deux sont nécessaires dans leur ordre respectif. Elles ont besoin l'une de l'autre. Étant distinctes dans leur objet, leur nature et leurs moyens, elles doivent s'exercer par des mouvements distincts sous peine de tomber dans une confusion paralysante et des équivoques dangereuses. » Et, de S. Exc. Mgr Le Couëdic, évêque de Troyes : « Ne disons pas que l'Action catholique comme telle suffit à tout et à tous, et que, pour l'équipement de la future Chrétienté et son unité -- ce qui n'est pas synonyme d'uniformité -- il faut écarter tous les mouvements auxiliaires comme étant de surcroît... » Telle est, à n'en pas douter, la pensée de la Hiérarchie. Telle est la doctrine. Que parfois l'esprit de boutique, aggravé par une certaine jalousie des effectifs, puisse rendre ombrageux tel pasteur ou tel directeur des œuvres, c'est là un défaut trop humain pour qu'il nous étonne beaucoup et dont il est impossible de croire qu'il parvienne à troubler réellement une conscience chrétienne sérieusement formée. *Ce n'est pas seulement l'esprit de boutique et la jalousie des effectifs qui sont en cause ici. Les causes sont plus complexes. Parmi elles, il faut faire une place singulière à l'influence excessive d'une presse excessivement politique, qui, se prétendant* « *uniquement missionnaire* »*, abuse de la confiance de son public, exerce une influence partisane à l'intérieur de l'Action catholique. Et c'est pourquoi les mêmes vont, au nom de l'Action catholique, et en abusant de leur fonction, déconseiller ou disqualifier des mouvements tels que* LA CITÉ CATHOLIQUE*, et simultanément, autorisent ou conseillent l'engagement dans des partis politiques fort discutables...* 125:16 (*Nous apprenons avec une profonde, douleur et un profond scandale que des* PRÊTRES*, prétendant agir* EN TANT QUE PRÊTRES*, sont allés, et non pas en un seul endroit, demander à des libraires catholiques de ne pas mettre en vente le livre de Madiran, que d'ailleurs ils avouent n'avoir même pas lu :* On ne se moque pas de Dieu*. C'est* L'INQUISITION SANS MANDAT *dans toute son horreur et même sous sa forme la plus extrême, puisqu'elle s'exerce contre un livre dont on avoue ignorer totalement quel peut être le contenu.*) « Le chrétien fort, lui, s'intéresse à la chose publique, a dit le Cardinal Saliège (dans une Lettre pastorale de 1944). A le faire, il sait qu'il court quelques risques. Mais il sait aussi qu'il n'a pas le droit de se désintéresser de la famille, de la profession, de l'État, qu'il a le devoir de pénétrer d'esprit chrétien ces institutions nécessaires... » ...Mais, d'autre part, comment l'action politique parviendrait-elle à instaurer concrètement une cité chrétienne, si ceux qui mènent cette action ne se réfèrent pas à la doctrine de l'Église, ou bien l'ignorent, ou sont insuffisamment soutenus par une opinion résolument hostile au règne de Dieu sur la société ? D'autant plus que *la tentation est grande,* même pour des chrétiens fervents, de se comporter en toute indépendance du pouvoir spirituel. Invoquer la doctrine catholique, c'est par là-même reconnaître son droit de regard et de contrôle en matière de doctrine. Or, IL EST SI COMMODE DE RAISONNER A CE DEGRÉ SELON DES VUES PUREMENT NATURELLES ! C'est tellement plus simple ! On risque d'avoir tellement moins d'histoires en affectant ainsi de se trouver sur un plan où, pense-t-on, « les curés n'ont rien à voir » ! Et donc, la rupture est toujours là, profonde et nette, entre le spirituel et le temporel... Il est trop évident surtout que l'Action catholique, même quand elle en vient à donner ces principes fondamentaux de sagesse politique que les Souverains Pontifes lui ont réservé le droit de dispenser, ne le fait, si l'on peut dire, *qu'en fin de course et comme à la frange de ses activités.* Appelée à participer directement à l'apostolat de la Hiérarchie, comment s'étonner qu'elle soit relativement tenue aux mêmes prudences que cette dernière ? Dans un monde où le seul mot de cléricalisme suffit à établir l'unité du front révolutionnaire, il est fatal que l'Action catholique, puisqu'elle est directement sous le pouvoir des clercs, 126:16 et pour peu qu'elle apparaisse efficacement hostile au laïcisme triomphant, soit accusée par les sectaires de réaliser les prétendus rêves de puissance séculière des hommes du sanctuaire. On comprend pourquoi une préparation sérieuse et profonde à l'action politique, avec la clairvoyance contre-révolutionnaire qu'elle implique, ne peut pas être parmi les réalisations les plus spectaculaires de l'action catholique. Il suffit de voir, à l'occasion, le trouble de certains cercles quand on insiste un peu sur ces questions. Et surtout, il suffit de voir à quel point un trop grand nombre de ses membres, même parmi les plus zélés, peuvent être mal informés en ce domaine : en matière de corporation, par exemple, ou en ce qui concerne plus simplement la condamnation du socialisme. Comment, dans ces conditions, attendre de la seule Action catholique la constitution de cette troupe qu'il faudrait pouvoir opposer à l'armée particulièrement exercée des militants de la Révolution ?... Il est puéril de croire suffisante une formation élémentaire en un pareil conflit. Car non seulement nous avons à mettre en ligne des combattants aussi bien formés que ceux de l'ennemi, mais nous avons encore à leur demander un effort d'autant plus grand qu'il y a contre nous l'hostilité, d'une opinion particulièrement bien tenue par toutes les puissances de propagande, toutes les puissances de perversion du laïcisme universel. Entreprise gigantesque, donc, et qui ne peut être conduite avec des militants superficiellement formés. Et puisqu'il apparaît qu'on ne peut attendre de l'Action catholique la formation de cette troupe, qui nous la donnera ? Sera-ce l'action politique ? #### Insuffisance de l'action politique Il semble impossible de le soutenir parce que, SI CETTE ACTION EST VRAIMENT POLITIQUE, elle SE SITUE, de ce fait, BEAUCOUP TROP BAS pour pouvoir exercer comme il faut cette ACTION GÉNÈRALE DE FORMATION CIVIQUE CATHOLIQUE. Autrement dit : ce n'est pas un parti politique, ce n'est pas une organisation politique, au sens étroit de ce mot, 127:16 qui pourra former cette troupe de choc du règne social de Jésus-Christ, dont il faut admettre que, pour être efficace, elle a à se répandre, à pénétrer partout, et d'abord DANS TOUS LES PARTIS ET MOUVEMENTS dont les programmes sont susceptibles d'être « informés » par la doctrine sociale de l'Église. Il faut donc ici quelque chose de *supérieur* aux partis politiques et même *d'essentiellement différent.* Car, par nature, les partis, les organisations, les mouvements ou rassemblements dits politiques sont particulièrement ombrageux dès qu'il est question de leur recrutement ou de leurs effectifs. Leur tendance est de réunir, d'enrégimenter, de grouper, de retenir leurs membres, alors qu'il faut, en cet endroit, une œuvre centrifuge, si l'on peut dire, et non centripète, une œuvre qui ne retienne ses membres que le moins possible, les préparant au contraire et les poussant à aller partout où il est possible d'aller se battre pour le Christ-Roi... *Tel est bien le défaut des mouvements politiques. Mais point d'eux seuls. Peut-être en raison de la politisation des consciences, l'esprit sectaire, de nature politique ou para-politique* (*au sens partisan du terme*)*, se retrouve ailleurs aussi. Plus haut, M. Jean Ousset a noté l'existence de* « *l'esprit de boutique* » *et de* « *la jalousie des effectifs* » *jusque chez certains directeurs d'œuvres. C'est un point sur lequel nous aurons à revenir tout à l'heure, dans une* « *parenthèse sur l'esprit de boutique* »*.* En bref, si l'on nous permettait cette image, nous dirions que si l'Action catholique est, en un sens, trop haut placée pour faire ce travail, l'action politique, elle, *est située : beaucoup trop bas pour le réaliser.* Le plus grand nombre est souvent victime ; ici de ce que les formules ont de conventionnel et de théorique. Ce qui n'est pas Action catholique *ne peut relever à leurs yeux que de l'action politique,* tant leur semble nette la ligne que les règlements tracent entre les deux. En réalité, les choses sont très différentes et plus complexes. Cf. S. Exc. Mgr Renard, évêque de Versailles : « La situation terrestre du catholique est incommode : on ne peut jamais prétendre la résumer dans une idée claire ; la clarté satisfait l'esprit : mais c'est souvent au prix d'une simplification qui sacrifie une partie de la richesse et de la complexité d'une vie totale... » (2 sept. 1956.) 128:16 Il est vrai que les règlements définissent fort clairement ce qu'est, d'une part, l'Action catholique proprement dite et ce qu'est, d'autre part, l'action politique (entendue à la moderne) ; mais les dits règlements *n'ont jamais affirmé que l'ordre immense de ce qui nous intéresse ici pouvait et devait se ranger sous ces seules étiquettes.* Les règlements soutiennent même le contraire, prévoyant autour de l'Action catholique *la possibilité de groupements satellites plus ou moins éloignés...* *C'est l'évidence même.* *Et à propos, quelque chose nous étonne.* *Nous ignorons si cet étonnement est fondé *: *aussi nous exprimons simplement son existence sous toutes réserves, et sans prétendre juger au fond.* *Le mouvement de* LA CITÉ CATHOLIQUE *existe depuis onze années. Il a fait ses preuves. A le considérer de l'extérieur, comme nous le considérons, et en tenant compte des marques d'estime et des signes d'encouragement qu'il a publiquement reçus du Saint-Siège et de plusieurs évêques, comment se fait-il qu'il n'ait point encore* UN STATUT *fixé ou approuvé par l'autorité ecclésiastique ?* ([^14]) *Ce serait un remède décisif à diverses difficultés latérales et à plusieurs malentendus. Cela couperait court aux campagnes d'insinuations malveillantes et très manifestement non fondées par lesquelles des inquisiteurs sans mandat tentent, avec une affreuse persévérance, de faire croire que ce mouvement serait en fait, et secrètement, désavoué et disqualifié par la Hiérarchie. Cela mettrait fin à un malaise que personne n'a un intérêt avouable à voir se prolonger.* Le Souverain Pontife n'a-t-il pas insisté pour qu'une conception trop simpliste de l'ordre ou de l'unité, voire les tracasseries d'un caporalisme qui tendrait à se prendre pour la forme suprême de l'autorité, ne viennent pas, en ce domaine, *paralyser des initiatives peut-être décisives *? 129:16 Cf. Pie XII, Discours au Congrès les laïcs, 14 oct. 1951 : « *L'apostolat des laïcs au sens propre est sans doute, en grande partie, organisé dans l'action catholique et dans d'autres institutions d'activité apostolique approuvées par l'Église ; mais, en dehors de celles-ci, il peut y avoir et il y a des apôtres laïcs... Vous les voyez à l'œuvre, tous ces laïcs ; ne vous inquiétez pas de demander à quelle organisation ils appartiennent ; admirez plutôt et reconnaissez de bon cœur le bien qu'ils font*... » *Le Saint Père demande en somme que l'on veuille bien* « *juger l'arbre au fruit* » : *il est vrai que trop souvent, dans le catholicisme français, et spécialement dans la presse catholique, on s'efforce au contraire de* JUGER LE FRUIT A L'ARBRE *; c'est l'inverse de la formule évangélique, c'est la formule de toutes les politisations sectaires...* *Le discours du Saint Père, cité par M. Jean Ousset, continue *: « ...*Dans notre allocution du* 3 *mai* 1951, *Nous avons laissé entendre que la dépendance de l'apostolat à l'égard de la Hiérarchie admet des degrés. Cette dépendance est la plus étroite pour l'Action catholique : celle-ci représente, en effet, l'apostolat officiel des laïcs... D'autres œuvres d'apostolat des laïcs peuvent être laissées davantage à leur libre initiative, avec la latitude que demanderaient les buts à atteindre.* » Ce n'est pas une ligne qui marque et peut marquer la frontière entre l'Action catholique et l'action politique. La réalité est qu'il existe entre les deux un vaste *no man's land...* Le sens militaire du mot *intervalle* conviendrait peut-être mieux ici que l'expression *no man's land.* Le malheur veut, en effet, *qu'entre l'Action catholique et l'action politique la liaison soit comme perdue,* Comment s'étonner dès lors que LA PLUS EXPOSÉE, LA PREMIÈRE (l'action politique) SOIT TOMBÉE AU POUVOIR DE L'ENNEMI ? Si l'on veut reconquérir et surtout conserver cet « avant-poste » capital de l'action politique, il est nécessaire de prévoir une troupe véritablement organisée qui tienne l'intervalle en question, et de faire en sorte que cet avant-poste soit, par là, moins exposé ; moins coupé de cette Action catholique qui doit être la grande réserve, mais qui, à ce titre, ne saurait impunément s'exposer au feu des avant-postes politiques. Tels sont les premiers éléments de la solution qu'il conviendrait d'apporter au problème de cette *charnière...* 130:16 Nécessité d'une troupe d'intervalle, nécessité d'une œuvre (ou de plusieurs) pour occuper le *no mans'land* et assurer au mieux la liaison, les communications, les échanges de forces entre l'action politique et l'Action catholique. #### Parenthèse : « l'esprit de boutique ». *Ayant écrit :* « *une œuvre, -- ou plusieurs* »*, M. Jean Ousset place ici une note, celle-ci :* Car il ne saurait être question, bien sûr, en d'aussi graves périls, de prétendre à l'exclusivité, ou de s'abandonner le moins du monde aux réactions ordinaires de l'esprit de boutique. *Nous avons ici un mot à dire, et même plusieurs.* *Nous les dirons, comme on peut l'attendre de nous, et comme on commence à s'y habituer de notre part, en toute franchise.* *Le principe énoncé par M. Jean Ousset est excellent. Il est d'ailleurs identique et analogue à celui que d'autres ont énoncé de leur côté.* *Et l'énoncé de tels principes ne rencontre aucune difficulté.* *Les difficultés commencent au moment de la mise en œuvre.* *On pourrait croire qu'il s'agit alors de difficultés insurmontables. Du moins, si l'on s'en tient à cette constatation manifeste qu'elles ne sont pas souvent surmontées.* \*\*\* *Le public a l'impression fâcheuse que les organisations qui énoncent de tels principes, et qui visiblement sont animées des meilleures intentions, n'en continuent pas moins à* S'IGNORER LES UNES LES AUTRES*. Et s'ignorer est, pour certains cas, un terme vraiment discret.* *Le public catholique, dans l'état d'information où le tiennent ces organisations elles-mêmes, se demande, sans pouvoir trouver de réponse, si ces organisations sont voisines, rivales, hostiles, amies. Il les suppose* (*et il a raison*) *complémentaires les unes des autres. Mais ce n'est jamais qu'une supposition, et une espérance, qui ne trouvent que peu de confirmations effectives et précises dans le comportement de ces organisations.* 131:16 *Certaines d'entre elles ont un bulletin, un journal, une revue, une publication quelconque, qui est leur organe. Bien sûr, chacune de ces publications est essentiellement faite pour parler de l'organisation ou du mouvement dont elle est l'organe. Mais pourquoi est-il si rare qu'elle parle des autres ?* *Nous savons, certes, que chaque mouvement est jaloux de son indépendance. Nous savons aussi qu'il est soucieux de n'être pas engagé ou compromis par les initiatives d'un autre mouvement, dont il n'est pas responsable. Ces considérations ont leur valeur. Elles ne devraient point pourtant conduire jusqu'à* CE SPECTACLE D'IGNORANCE RÉCIPROQUE ET COMME CONCERTÉE *que nous donnent presque toujours ces mouvements et leurs organes.* *Qu'est-ce donc que cette étrange constipation qui semble empêcher les divers groupements catholiques de* PARLER LES UNS DES AUTRES ET DE SE PARLER LES UNS AUX AUTRES* ?* *Et vraiment, est-ce que la peur de se compromettre n'est pas poussée un peu trop loin, -- jusqu'au point où elle conduit à une situation dont on ne peut que déplorer la réalité, si elle est réelle, ou du moins l'apparence, si ce n'est qu'apparence, car même si ce n'est qu'apparence, c'est une apparence fâcheuse.* *Comment se fait-il en outre que ces mouvements, ou certains d'entre eux, n'aient jamais cherché, ou en tout cas réussi, à organiser quelques manifestations communes, à l'occasion d'événements* (*la révolte de la Hongrie, les Messages du Pape, etc.*) *qui les concernent tous et qui appellent une manifestation d'unité ?* *Nous sommes bien persuadés que les dirigeants de ces mouvements n'agissent point par* « *esprit de boutique* »*. Ou, du moins, que s'ils en ont la tentation, comme il est humain et normal, ils y résistent de leur mieux. Ils veillent à* S'ABSTENIR *d'actes positifs, effectifs, qui seraient inspirés par* « *l'esprit de boutique* »*. Et c'est déjà beaucoup. Et c'est déjà très bien. Et leur mérite est certain, car ce n'est pas toujours commode. Mais qu'est-ce qu'une vertu qui ne se déclarerait et ne se manifesterait jamais que par l'abstention ?* \*\*\* *Selon l'occasion, et la direction de notre propos, nous mentionnons, nous citons ici, nous faisons connaître ce qui nous paraît remarquable ou important dans l'activité des publications, organisations et mouvements les plus divers, car ils sont en vérité complémentaires les uns des autres.* 132:16 *Ce que, depuis dix-huit mois maintenant, nous faisons ici* POUR EUX*, ne pourraient-ils se décider enfin à le faire* ENTRE EUX *?* *Ne pourraient-ils se décider à se connaître et se faire connaître mutuellement ? à ouvrir des fenêtres les uns sur les autres, à jeter des ponts ?* *Ils ont souvent peur de se* « *compromettre* » *les uns avec les autres. Entre chrétiens ! Depuis quand le frère compromet-il le frère ?* *Mais il est vrai qu'il y a quelque chose qui, objectivement, les rend* « *compromettants* »*. C'est leur propre attitude, précisément, à l'égard les uns des autres :* ils se regardent mutuellement comme des pestiférés. Ils persuadent ainsi tout le monde que peut-être ils le sont : mais qu'ils le sont tous indistinctement. *Nous soumettons ces réflexions à ceux qu'elles concernent.* #### Insuffisance de l'action politique (suite) *Après cette parenthèse, poursuivons notre lecture de l'étude de M. Jean Ousset *; Un climat social chrétien, ce que Joseph de Maistre appelait un « *consensus* » catholique, voilà la charnière par excellence entre le spirituel et le temporel. L'Action catholique peut alors développer toutes ses conséquences sociales et politiques. Les incompréhensions, sinon les oppositions dont nous parlions, ou n'ont plus lieu ou ne sont plus redoutables par le fait même du dit *consensus,* lequel n'est rien d'autre qu'un courant d'esprit favorable aux exigences de la doctrine chrétienne... Quand le *consensus* est réellement catholique, le monde politique, pour divisé qu'il soit (comme il lui est relativement permis de l'être) agit et réagit chrétiennement, au moins dans ses grandes lignes ; tout comme les partis et mouvements tendent à réagir selon la dialectique de la Révolution, quand le *consensus* est révolutionnaire. La détermination de ce *consensus* dépend, il est vrai, pour une grande part, du régime institutionnel et de l'esprit qui l'a fondé, mais pas entièrement. 133:16 *On retrouve ici, en effet, la croyance de ceux qui se confient* d'abord *en une action politique entendue comme une* *modification préalable du régime institutionnel.* *Or, remarque très justement M. Jean Ousset, quand un régime est mauvais, c'est d'abord à l'esprit qui l'inspire qu'il faut s'en prendre, et non pas d'abord aux conséquences politiques de cet esprit *; C'est même par là qu'un régime peut être renversé : quand un courant d'idées hostiles à l'ordre qu'il prétend maintenir parvient à gagner l'opinion. *Mais un tel courant d'idées ne saurait être, ni essentiellement ni d'abord, un courant d'idées politiques :* Une action *intellectuelle et spirituelle,* rayonnante et dynamique, victorieusement menée *contre l'état d'esprit* entretenu par un régime institutionnel donné : telle est *l'indispensable première phase* de toute réforme sociale ou politique profonde : renversement ou, tout au moins, ébranlement d'un *consensus.* ... Tant qu'un *consensus* catholique, seule « *charnière* » normale entre le spirituel et le temporel, n'aura pas été rétabli, une œuvre, au moins, apparaîtra nécessaire pour essayer de combler la faille qui ne peut pas ne pas exister entre l'Action catholique et l'action politique. Œuvre charnière. Œuvre qui, à ce titre, aura quelque chose de commun ou de contigu aux deux domaines à réunir sans qu'on puisse dire qu'elle appartienne strictement à l'un ou à l'autre. Œuvre qui, par un côté, se rapprochera de l'Action catholique et, par l'autre, de l'action politique, sans que l'on puisse jamais l'assimiler à la première ou à la seconde. Œuvre charnière qui sera et devra être dite catholique, puisqu'elle a pour but de travailler à cette fin éminemment catholique du règne social de Notre-Seigneur en France et dans le monde. Œuvre distincte, pourtant, et bien différente de l'Action catholique, puisque totalement ordonnée au combat temporel, selon les exigences d'un certain contexte national. Combat dont l'Action catholique peut indiquer, sans doute, la suprême finalité et les principes généraux, mais sans pouvoir le mener comme l'exigent, en fait, les conditions de la lutte contre-révolutionnaire moderne. 134:16 ...Cette œuvre apparaît donc très différente de l'Action catholique, Elle ne peut pas se dire, comme celle-ci, prolongement direct de l'apostolat de la Hiérarchie. Elle est, elle veut être une entreprise de salut public, le fait de Se dire catholique n'étant pour elle que la suprême indication du seul remède, du seul nom par lequel le monde puisse être sauvé. Or il est stupéfiant de voir à quel point l'esprit de routine, un manque absolu d'imagination, continuent à tout obstruer. Les Cardinaux et Archevêques de France ont pu « *demander...* (que) *de nombreux laïcs, agissant comme citoyens, prennent hardiment leurs responsabilités, dans l'action temporelle... et qu'ils cherchent le bien propre de la cité* », la hardiesse de cette recherche n'en est pas moins freinée par l'incompréhension d'une opinion hostile. *Cette* « *opinion hostile* » *dont parle ici M. Jean Ousset est, si nous comprenons bien, l'opinion, ou du moins, une opinion catholique.* *Cette opinion n'est pas responsable de ses routines, de ses erreurs, de ses partis pris partisans et sectaires. Cette opinion est faite par une certaine presse catholique, par certains* « *instruments de diffusion* »*, par certains procédés de tyrannie publicitaire.* Nul ou presque ne songe à s'écarter de formules ou modes d'action dont il faudra quand même dire un jour qu'ils clament leur impuissance depuis deux siècles. *...ou depuis un demi-siècle...* Malheur à qui cherche pourtant à s'écarter des sentiers battus ! Il a tôt fait de se rendre compte que cette hardiesse qu'on lui demande ne sera acceptée du plus grand nombre, VOIRE DE CERTAINS CLERCS ABUSIFS, que si elle consiste à ne rien faire d'autre que tout ce qui a été fait jusqu'ici. On dirait que les divers types d'œuvres catholiques et de mouvements d'action civique ou politique existant aujourd'hui sont les seuls que puisse autoriser le droit canon, voire le simple droit naturel. 135:16 C'est bien là, pourtant, le domaine de cette « *liberté d'option* », d'initiative et d'action qui a toujours été reconnue aux laïcs dans la conduite des affaires temporelles. Au chapitre des méthodes, notamment, ou, pour être plus clair, au chapitre de la stratégie, au chapitre de la tactique, il faut dire que cette liberté serait un leurre, *si elle* ne *permettait même pas de croire à l'impuissance de l'appareil actuel de prétendue défense sociale et contre-révolutionnaire.* Cette liberté serait un leurre s'il apparaissait que, pour sauver leur patrie, des laïcs ne peuvent pas faire observer L'EFFROYABLE INADAPTATION DES MOYENS ACTUELS DANS LA LUTTE QUI S'IMPOSE CONTRE LA RÉVOLUTION. Quand on sait avec quelle rigueur, par exemple, quelle énergie féroce et méthodique, quelle science, quelle perfection technique, les marxistes accomplissent leur travail, IL FAUT ÊTRE FOU POUR S'EN ALLER CROIRE QUE CE QUI EXISTE ACTUELLEMENT DE NOTRE CÔTÉ PEUT VRAIMENT FAIRE OBSTACLE A L'ENVAHISSEMENT D'UNE SUBVERSION AUSSI DIABOLIQUEMENT PRÉPARÉE. *Une action temporelle définie seulement en termes politiques est effroyablement insuffisante. Nous dirions quant à nous qu'elle est insuffisante même* politiquement. *On dit, en voyant nos maux politiques : à maux politiques, remèdes politiques. Nous affirmons que c'est un* SOPHISME, *et terriblement dangereux.* *Il suppose que nos maux ne seraient* QUE *politiques,* ce qui n'est pas vrai. *Il suppose surtout -- et c'est là le centre de ce dangereux sophisme -- que* nos malheurs politiques auraient des causes (*seulement, ou principalement*) politiques*,* CE QUI EST ABSOLUMENT FAUX. *Les causes politiques de nos malheurs politiques existent :* on ne pourra rien contre elles SI L'ON CONTINUE A NE REMARQUER QU'ELLES. *Les causes véritables, véritablement premières, de nos malheurs nationaux, ne sont pas politiques.* NOS MALHEURS POLITIQUES SONT LES CONSÉQUENCES DE CAUSES AGISSANT DANS UN DOMAINE SUPÉRIEUR A CELUI DE LA POLITIQUE. *De nos malheurs politiques, les remèdes premiers, pas plus que les causes premières, ne sont pas politiques. Ils ne sont politiques que secondairement.* 136:16 *Par là nous rejoignons la pensée de M. Jean Ousset, qui ajoute à l'adresse, semble-t-il, des monarchistes* (*ou de certains d'entre eux*) : Sans doute, il peut y avoir, au plan des prises de position politiques particulières, d'énormes possibilités de combat contre-révolutionnaire. Il est faux de croire cependant qu'on puisse atteindre, à ce degré, la Révolution comme dans son « essence » ; car LA RÉVOLUTION SAURA FORT BIEN, A L'OCCASION, SE FAIRE MONARCHISTE, VOIRE ROYALISTE, SANS CESSER D'ÊTRE PLEINEMENT ELLE-MÊME. ELLE A SU S'ENTENDRE, NE SERAIT-CE QUE TEMPORAIREMENT, AVEC TOUS LES RÉGIMES. UNE SEULE CHOSE NE S'EST JAMAIS VUE : L'ALLIANCE DE LA RÉVOLUTION AVEC L'ÉGLISE ROMAINE. Un autre argument, d'ailleurs, peut encore être avancé pour démontrer que la plénitude du combat contre-révolutionnaire *ne peut être mené au seul plan des options politiques :* et c'est que LA RÉVOLUTION EST BEAUCOUP PLUS QUE CELA. Elle est une conception générale de la vie, une conception générale de l'humain, une conception générale de l'histoire. *S'en prendre à elle, par exemple, au seul nom des avantages du régime monarchique, c'est se condamner à ne pouvoir l'ébrécher que sur un coin.* *Et un coin qui n'est pas décisif, car *: Elle conserve intacte, pourrait-on dire, la virulence de l'universalité de son esprit. *En* 1789-1793, *ce qui s'est passé de plus important, ce n'est pas un changement de régime politique : mais une révolution religieuse.* Pour s'opposer victorieusement à l'universalisme révolutionnaire, un autre universalisme est nécessaire. Dès lors, il n'en reste qu'un et que Lénine n'a pas manqué de désigner comme le seul qu'ait à craindre la Révolution : le catholicisme. Voilà pourquoi il importe que l'œuvre dont nous parlons, non seulement NE SOIT PAS une œuvre dite d' « *action politique* », mais qu'elle puisse encore, ouvertement, s'affirmer catholique. 137:16 Mais sans être pourtant *d'Action catholique.* Car, si elle se situait à ce degré spécifiquement apostolique, elle se trouverait « trop haut », comme l'Action catholique ; elle devrait, de cette hauteur, porter « trop bas » son effort et serait littéralement condamnée à l'hypertrophie de ses activités les plus inférieures, si l'on prétendait obtenir d'elle la pleine conduite de CETTE GUERRE SPÉCIFIQUEMENT TEMPORELLE QUE LE SALUT DU MONDE EXIGE DE MENER, AUJOURD'HUI, CONTRE LA RÉVOLUTION. Cette œuvre... ne cherche qu'à occuper *la brèche trop longtemps dégarnie de troupes par laquelle l'ennemi est parvenu, jusqu'ici, à conduire ses armées au succès.* ...Il serait puéril, cependant, de nourrir trop d'illusions. L'esprit ordinaire des relations entre groupes humains est tel qu'il est prudent de s'attendre à de multiples et pénibles incompréhensions. Nous serons pris à parti de part et d'autre. Du côté de l'Action catholique comme du côté de l'action politique, nous serons considérés comme des rivaux. Nous aurons beau dire bien haut notre formule d'œuvre qui n'enrégimente pas, qui ne groupe pas, œuvre centrifuge et non centripète, on refusera de nous croire. Nous aurons donc à progresser malgré cela jusqu'au moment où l'ampleur de notre action sera telle qu'elle démontrera d'elle-même à ces voisins ombrageux que notre entreprise, bien loin de les affaiblir, facilite au contraire leur combat en constituant autour d'eux un *consensus* plus compréhensif et en renforçant leurs groupes de militants qu'il leur aurait été impossible de former comme nous espérons le faire avec la grâce de Dieu. *Écartant l'idée d'un* « *parti politique catholique* » *qui serait unique et* « *monopolisateur* », *M. Jean Ousset poursuit *: La clef de toute *unité des forces catholiques au temporel* reste donc l'unité du *consensus* que leur soumission à la doctrine sociale de l'Église devrait faire naître et entretenir. Unité des esprits, unité doctrinale qui, si elle existait réellement, harmoniserait les rapports de multiples groupements catholiques. Multiplicité qui ne signifierait plus, dès lors, impuissance et anarchie, mais surcroît de souplesse et de force, adaptation plus fidèle aux exigences du réel, « *complémentarité* » des œuvres. 138:16 *Mais que de* légèreté, *et d'incompréhension, chez certains qui s'obnubilent sur une action politique, à laquelle il accordent une importance hypertrophiée, et cela au moment même où les moyens d'une action politique véritable leur échappent, en fait, plus que jamais *: N'est-il pas étonnant d'entendre si souvent autour de nous préconiser -- *assez platoniquement il est vrai --* l'action violente pour la prise du pouvoir, sans préparation idéologique ou presque. Ainsi apparaît-il que, *du côté de ceux qui se prétendent fidèles aux idées d'ordre et de vérité,* on tend à se comporter EN FAIT comme si la diffusion systématique de ces idées et la création du *consensus* qui en découle n'étaient d'aucune utilité dans l'action... Les missionnaires expulsés de Chine par la Révolution ont beau nous dire que c'est *par l'action idéologique,* les cercles d'études, la multiplication de *retraites fermées* d'un nouveau genre, plus que par les armes, que l'Extrême-Orient est en train de devenir marxiste, la leçon ne porte pas et nous continuons à sourire, sceptiques, quand nous lisons dans *Quadragesimo anno,* par exemple, que les *Exercices spirituels* de saint Ignace pourraient avoir une certaine place DANS NOTRE COMBAT POUR LA RESTAURATION DE L'ORDRE SOCIAL. *Ces remarques de M. Jean Ousset sont une utile mise en garde contre les tentations d'un certain activisme. Cela ne veut pas dire, M. Jean Ousset le précise, que l'usage de la force soit toujours à proscrire *: Notre intention n'est pas de prétendre que tout recours à la force est à proscrire absolument. L'histoire des siècles chrétiens est riche en exemples contraires que nous pourrions citer. Pour nous borner à deux cas plus récents, il n'est pas douteux que, par sa prompte décision d'envoyer un nonce à Burgos, Pie XI n'a pas craint, par là, de légitimer la « *reconquête* » de leur patrie par les armées catholiques et nationalistes espagnoles. Et, plus récemment encore, par une série de messages vibrants, Pie XII tint à encourager sans délai le coup de force héroïque de la contre-révolution hongroise. 139:16 *Mais on voit trop, en France, n'importe quel lieutenant de réserve se prendre en rêve pour le général Franco, comme, sur un autre plan, n'importe quel intellectuel se prend volontiers pour Aristote en personne.* *M. Jean Ousset note encore :* Pour un pouvoir contre-révolutionnaire plus que pour tout autre s'impose la vérité de la parole de Joseph de Maistre : « *Il est impossible d'imaginer l'établissement d'une souveraineté sans imaginer un peuple qui consente à obéir.* » *Dans le même sens, on peut citer cette juste observation de Maurras, trop oubliée aujourd'hui par l'activisme politique :* « Pour le succès d'un commandement, il faut que le besoin d'y obéir ait, de lui-même, fait la moitié du chemin. » \*\*\* *Il est certain qu'une révision critique de beaucoup d'idées reçues, notamment dans certains milieux politiques, s'impose aujourd'hui, sous la double leçon, d'une part, des événements et de l'expérience, d'autre part de la doctrine sociale de l'Église. A cette révision nécessaire, M. Jean Ousset apporte une contribution dont on aurait gravement tort de sous-estimer l'opportunité et la valeur. Plus largement, l'animateur de* LA CITÉ CATHOLIQUE *manifeste une conscience aiguë et précise des besoins de la résistance au communisme, et de la contre-attaque. Nous souhaitons que son apport très positif trouve, pour le salut de la France, et pour le retour à sa vocation chrétienne, une audience étendue.* ~===============~ ### Positions de la nouvelle droite *Dans notre numéro* 15 (*pages* 140-150), *nous avons reproduit les analyses de M*. *Raymond Aron concernant la droite française, et les réponses qu'y faisait M. Pierre Boutang dans* LA NATION FRANÇAISE*.* 140:16 *Ce qui nous conduisit à* « *situer* » *la* *pensée de la nouvelle droite monarchiste au regard de certaines questions.* *Dans* LA NATION FRANÇAISE *du* 10 *juillet, M. Pierre Boutang a précisé sa position sur l'essentiel, qui est en l'occurrence la question des rapports de la* POLITIQUE NATURELLE *et de la* VIE SURNATURELLE. *Cette réponse de M. Pierre Boutang est doublement importante : par son contenu, qui fait avancer la réflexion politique et morale sur ce sujet capital ; par son esprit, qui est celui du dialogue dans l'amitié française : dialogue dont la possibilité, comme celle du mouvement, se prouve en marchant.* #### Filiation et héritage (Pour Jean Madiran). Le dernier numéro d'*Itinéraires* est du plus grand intérêt « pour bien d'autres raisons, mais encore pour celle-ci » comme on dit dans la langue la plus étrangement logique que les hommes aient jamais parlée. Pour bien d'*autres* raisons, tenant à l'analyse des difficultés présentes de l'action catholique, à l'étude d'Henri Charlier sur l'impuissance moderne des intellectuels, etc. Pour celle-ci, d'autre part, qui nous concerne directement : avec générosité et exactitude, *Itinéraires* rend compte de notre effort pour définir ce qu'il est convenu d'appeler une « droite » nouvelle, et se réfère aux pages publiées par *La Nation Française* à propos de l'essai de Raymond Aron sur la droite (8 mai). Au passage notre confrère nous pose des questions très graves, auxquelles toute la collection du journal (passée et *future*) a tenté et tentera de fournir un commencement de réponse. Il nous demande en particulier si « la pensée politique de droite, que nous voyons renaître, s'organiser, préparer les moyens d'une action... restera *essentiellement* l'héritière de Maurras, et, *accessoirement seulement,* de (par exemple) Péguy, Bernanos, Augustin Cochin, etc. » Dès maintenant, la diversité des origines spirituelles dans l'équipe de ce journal constitue une réponse. Les relations de parenté, lorsqu'il s'agit de l'esprit, ne sont pas faciles à établir. Mais la filiation ou l'héritage ne sont pas contestables, pour la plupart d'entre nous : nous ne serions pas ce que nous sommes sans Maurras, sans sa méthode héroïque, sans son retour à l'horizon de la *naissance.* 141:16 Le saluer du nom de père nous est une nécessité. Non pas au sens où les philosophes grecs et Platon lui-même saluaient le Père en Parménide : ils étaient d'ailleurs, du même mouvement, acculés à une sorte de « parricide ». Non, Maurras ne nous a jamais proposé une synthèse totale, une philosophie ou une religion dont nous dussions briser le bloc pour trouver notre voie ; il nous a seulement attirés sur ce sentier particulier, dans l'immense forêt de l'être, qui est le sentier « politique », où la chasse de la vérité a ses lois propres (qui dépendent plus du gibier que du chasseur). Je ne veux pas dire que ces lois particulières (qui se révèlent par exemple dans l' « ordre » de la naissance, dans l'évidence logique et le mystère ontologique de la transmission du nom et du langage, à l'intérieur des familles, et de la cité) soient plus essentielles, importantes, que les lois générales qui constituent l'être ; il n'est même pas certain que jetés sur ce « sentier » politique, nous n'y découvrions, ou n'y ayons déjà découvert, un gibier plus étrange que le positivisme originel de Maurras ne le croyait ; ni que les chasseurs d'un autre chemin, ayant souci d'autres clairières, comme Péguy et Bernanos, n'aient pas éveillé dans nos âmes des harmonies que notre maître et père ne voulait pas entendre... Pourtant ce n'est pas « un principe de synthèse supérieur à l'ordre politique » qui nous semble indispensable pour parfaire ou rectifier notre chasse, notre recherche de l'objet politique et du bien qui lui est propre. Voyez-vous, cher Madiran, on est ce qu'on est, on fait ce qu'on peut. Le débat sur le nationalisme, avec Marcel Clément et tant d'amis très éclairés, n'était guère fait pour moi ; j'avais sans cesse envie de répondre en paysan -- parce que je ne puis être que paysan là où il serait déplacé d'être philosophe ; or, il ne s'agissait quand même pas de philosophie ; la philosophie est en dessus ou en dessous de ce débat -- ceci : la politique est au niveau des pauvres hommes, croyants ou non, qui naissent dans des familles, s'il se peut, et sous des toits ; elle a pour objet les communautés de naissance, une lumière naturelle suffit pour y découvrir et y faire le bien ; ce qui n'empêche pas la lumière surnaturelle et la Providence, d'y faire autre chose et mieux. Mais cela ne dépend pas de nous ; et ce n'est pas la lumière surnaturelle, ni une « synthèse ontologique » qui s'opposent à Maurras et à la politique naturelle, ou qui se composent avec eux : ce sont de pauvres chrétiens qui risquent, eux aussi, de se tromper ; 142:16 et plus encore sans doute lorsqu'il est question de la cité que lorsqu'il s'agit de leur salut. Vous ne me presseriez pas beaucoup pour me faire dire que, sans rien *séparer,* je crois que le chrétien n'a pas, comme tel, plus de lumières en politique que le païen ; que l'homme le plus vertueux n'est pas plus sûr qu'un autre d'obtenir le bien commun pour la cité ; mais j'ajouterais aussitôt que rien n'est plus beau qu'un roi chrétien, ou qu'un chrétien qui rencontre, qui « attrape » la vérité politique ; non pour le gibier : il est le même ; mais parce que le chrétien, à plus forte raison le roi chrétien, ne risque pas l'idolâtrie, ni d'être victime de sa prise ; et encore parce que le chrétien verra dans sa prise, dans la vérité atteinte, l'analogie de vérités supérieures, dont elle n'est pas *déduite,* mais que lui fournissent ses harmoniques, la « mettent en monde ». Sans doute est-ce là ce qui me retient dans le sentier politique où m'a jeté Maurras. Toutefois, nos frères ou nos fils qui n'entendent pas cette musique, avec qui nous devons faire le salut temporel, avec qui nous devons nous tirer le moins mal possible de l'aventure temporelle, les obligerons-nous à admettre nos analogies ? Feindrons-nous de *déduire* une politique, quand il convient en hâte de tirer les leçons d'une *expérience *? Mais cela dit, nous ne rejetons rien des grâces que vous unissez sous le nom de « synthèse supérieure ». Nous faisons même ce vœu : que Péguy y aille, que Bernanos y aille, là où Maurras ne peut aller, et où vous allez vous-même, avec assez de bonheur ! ~===============~ #### La politique naturelle et la vie surnaturelle *Avisé du contenu de la réponse que comptait faire Jean Madiran au texte qui vient d'être cité, le directeur de* LA NATION FRANÇAISE *a spontanément proposé de la publier dans son journal.* *Ainsi se poursuit, dans la clarté, le dialogue amical avec l'école maurrassienne qu'a institué l'Enquête sur le nationalisme.* *En s'attachant principalement aux rapports de la politique naturelle et de la vie surnaturelle, ce dialogue s'attaque au problème principal. Non seulement un tel dialogue est possible, mais encore il est susceptible de faire avancer la réflexion en commun. Ici aussi, cela se prouve en marchant.* 143:16 LA NATION FRANÇAISE *du* 24 *juillet a présenté en ces termes la lettre de notre directeur :* Jean Madiran a bien voulu nous confier sa réponse au chapitre de la politique de Pierre Boutang qui lui était destiné. Nous la publions avec joie cette semaine. Pierre Boutang se réserve de revenir prochainement sur ce sujet. *Voici la lettre de Jean Madiran :* Vous avez dit un jour, mon cher Boutang -- je vous cite de mémoire, et peut-être très mal -- que l'unité des catholiques est un bien évident, mais que vous travaillez à une unité plus large, celle des Français, croyants et incroyants, en vue du bien commun français. L'inverse aussi est vrai : l'unité catholique est à son tour, et à son point de vue, plus large que cette unité politique qui ne lui est pas extérieure, et qui est comme une partie de son programme, L'unité catholique intègre les incroyants au niveau du droit naturel, de la loi naturelle, de l'ordre naturel. Il faudra peut-être un jour examiner, comme disent les philosophes, la *compréhension* et *l'extension* du « politique » et du « religieux » (car l'un et l'autre, *en même temps mais sous un rapport différent,* s'étendent à tous les actes humains). Je préfère, présentement, prendre la question par un autre biais, et vous m'en donnez l'occasion, en écrivant à l'adresse d'*Itinéraires *: « LA POLITIQUE EST AU NIVEAU DES PAUVRES HOMMES, CROYANTS OU NON, QUI NAISSENT DANS DES FAMILLES, S'IL SE PEUT, ET SOUS DES TOITS ; ELLE A POUR OBJET LES COMMUNAUTÉS DE NAISSANCE. LA LUMIÈRE NATURELLE SUFFIT POUR Y DÉCOUVRIR ET POUR Y FAIRE LE BIEN ; CE QUI N'EMPÊCHE PAS LA LUMIÈRE SURNATURELLE, ET LA PROVIDENCE, D'Y FAIRE AUTRE CHOSE, ET MIEUX... » Plutôt que d'exprimer un accord insinuant une contradiction, je voudrais exposer, en forme de contradiction, ce qui nous conduit à un accord. L'ordre naturel\ n'est pas un compromis. En forme de contradiction : non, la lumière naturelle ne suffit pas. 144:16 Elle ne suffit plus. Je veux dire qu'elle ne suffit plus dans son ordre même. Je vois bien qu'il a existé une sagesse païenne, infiniment plus sage que la déraison des modernes, et (d'aventure) des chrétiens modernes. Et même un esprit religieux des païens, infiniment plus juste que le laïcisme pratique de certain christianisme moderne. Dans leur sagesse, les païens ont souvent fait là où ils se trouvaient, ce qu'ils pouvaient, selon ce qu'ils étaient. On pourrait donc *au moins* faire comme eux. Puisque nous sommes devant l'évidence pratique d'avoir à travailler avec des incroyants au bien commun de la cité. Au salut de la France. A la défense de l'Algérie... Mais nos catholiques oublient-ils que nous ne pourrons plus jamais être des païens. Nous sommes baptisés. Dieu ne donne rien de trop, et l'on ne peut se passer de ses dons que lorsqu'Il ne les a point encore donnés. Nous ne serons plus jamais des païens, nous ne pourrons plus être que des apostats. En faisant, là où nous nous trouvons, ce que nous pouvons, selon ce que nous sommes, nous ne pouvons plus faire ce que faisaient les païens. Nous ne sommes plus ce qu'ils étaient. L'homme n'a pas changé, mais il a été racheté et baptisé, et Dieu, à chaque instant, confronte les hommes et les peuples au Fils crucifié pour eux. Cela n'empêche pas une coopération (notamment politique) avec les « incroyants ». D'ailleurs, elle se fait tous les jours. Mais elle se fait mal : non parce que les incroyants sont incroyants ; parce que nos catholiques ne savent pas assez où situer et comment vivre cette coopération. Ils pensent la rendre possible en se plaçant, par hypothèse de méthode, comme en dehors de leur religion, ou en marge ; et comme abstraction faite de la doctrine catholique, puisqu'elle n'est pas universellement admise dans la cité. Ils ne voient pas, ou ils voient mal, qu'à cette situation cruelle et irrécusable, la doctrine catholique répond : elle est même la seule à répondre, par ses chapitres sur la loi naturelle et l'ordre naturel. Mais l'ordre naturel n'est pas un compromis entre le chrétien et l'incroyant : l'ordre naturel nous est montré et démontré, souvent par l'absurde, en ces leçons de choses que nous infligent les événements publics et privés ; il est défini dans la doctrine chrétienne ; il est CETTE RÉALITÉ QUE LE CHRÉTIEN APERÇOIT EXACTEMENT S'IL LA CONSIDÈRE DANS UNE PERSPECTIVE SURNATURELLE, et que, *simultanément, l'incroyant peut admettre dans une perspective naturelle.* 145:16 L'hypothèse impossible. Mais le chrétien fausse tout, imperceptiblement, fondamentalement, s'il vient ici faire *comme si *; s'il joue au païen ; s'il fait abstraction (fût-ce méthodologique) de la Croix ; s'il se persuade -- et il s'en persuade, ce n'est pas une tentation réservée à une famille politique plutôt qu'à une autre, c'est une tentation qui est dans la situation même de la France, et du monde moderne, et c'est ce qui a conduit par exemple la démocratie chrétienne à être obligatoirement démocratique et facultativement chrétienne ([^15]) -- le chrétien, dis-je, fausse tout s'il se persuade qu'il est ici sur un « terrain » antérieur ou extérieur à la foi et à la vie chrétienne. Hypothèse de raisonnement, supposition de méthode ? mais supposition, mais hypothèse impossibles, Le chrétien fausse tout, et d'abord en lui-même, s'il croit rejoindre l'incroyant sur un « terrain », à un « niveau » où la foi n'aurait encore rien à voir. Depuis deux mille ans, ce terrain-là n'existe plus, ce niveau a été nivelé. Toutes les vérités naturelles, le chrétien les saisit, toutes les actions naturelles, le chrétien les accomplit dans la lumière surnaturelle. Il ne peut plus, il ne pourra jamais plus voir la nature en païen. Il ne peut la voir qu'en pécheur, dans l'état de grâce ou hors de l'état de grâce. Ceci n'est pas l'expression d'une exclusive à l'égard de celui qui n'a pas la foi, On se trompe toujours là-dessus, on comprend toujours en sens inverse. Ceci est une exigence pour le chrétien. On ne dit pas que l'incroyant ne peut pas avoir une lumière naturelle très véritable. On dit que le chrétien la mutile désormais quand il la sépare de la lumière surnaturelle. On ne reproche pas à l'incroyant de faire comme s'il n'était pas chrétien. Puisqu'il ne l'est pas. Il ne fait pas, lui, « comme si ». C'est le *comme si* du chrétien qui fausse tout, C'est le chrétien qui fausse tout en imaginant une zone de pensée et d'action où il lui serait possible de faire comme s'il n'était pas (encore) chrétien. Sur ce point, ce ne sont pas les incroyants qui ne suivent plus : ce sont (trop souvent) les chrétiens. Pour des motifs politiques et même pour des motifs « apostoliques » ; parce qu'ils subissent la plus forte pente intellectuelle et morale du temps, ils jouent très gravement à être de bons païens, et même à beaucoup moins que des païens : des modernes, je parle du modernisme positiviste et laïciste. 146:16 Le chrétien qui ferme les yeux. Le philosophe distingue tranquillement un ordre naturel et un ordre surnaturel, qui vient le compléter, l'éclairer, le transfigurer, sans le détruire. Bien sûr. Mais cela ne se fait point en deux temps successifs et isolables. Ou plutôt, nous sommes d'emblée dans le deuxième temps. Nous sommes dans la seconde partie de l'histoire humaine. Nous ne pouvons, fût-ce par hypothèse de travail, supposer que nous serions avant la venue de Jésus-Christ, et que nous n'aurions pas encore été baptisés. Nous ne pouvons, fût-ce par méthode, feindre une ignorance qui, désormais, ne peut plus être qu'un refus. Mais nous pouvons à chaque instant appeler les Français qui sont hors de la foi à reconnaître et reconstruire un ordre naturel. Nous pouvons *avec eux* travailler à la découverte, à la restauration de cet ordre naturel. Nous pouvons même supposer qu'ils ont des grâces analogues peut-être à celles que reçurent manifestement tant de païens pour concevoir la loi naturelle et pour s'y conformer, Mais nous mettons tout par terre si nous allons, si peu que ce soit, faire *comme eux,* prendre leur attitude d'esprit, Nous : venons alors à leur manquer, à manquer à la tâche commune, à lui refuser en esprit et en vérité ce que seuls nous pouvions y apporter. Les chrétiens qui feraient abstraction de leur grâce et de leur vocation, il ne faut pas croire qu'ils pourraient normalement garder la vue de l'ordre naturel. Car ils seraient comme des hommes qui fermeraient les yeux. L'expérience elle aussi\ est chrétienne. Vous mettez l'accent sur *l'expérience politique,* vous vous méfiez comme par réflexe d'une politique qui serait « déduite ». Peut-être nous faudra-t-il, tous ensemble, (re)construire une langue exacte, ou plus simplement retrouver le langage catholique, qui distingue une doctrine (les buts), une technique (les moyens) et, entre elles deux, une prudence (mise en œuvre des moyens en fonction des fins). Beaucoup de nos équivoques contemporaines au sujet de « la politique » tomberaient d'elles mêmes si l'on précisait à quel niveau se situe chacun de nos propos politiques. 147:16 Et peut-être tout le débat, et le dialogue, et la contestation qui ont remué tant d'esprits, depuis cinquante ans, autour de « la pensée politique » de Charles Maurras, se ramènent-ils à savoir si l'on en fait une doctrine politique, si l'on en retient une prudence politique ou si on y voit une technique politique. Je sais bien que ces distinctions, imposées à une pensée qui n'a jamais voulu s'exprimer sous une forme systématique, ni même méthodique, ont une allure chirurgicale, voire charcutière. Il ne faut pas en abuser. Il ne faut pas non plus renoncer à en user. Une politique expérimentale, ou « induite », est l'inverse ([^16]) d'une politique « déduite » : mais le christianisme n'est pas (enfermé) du côté de la déduction. Et le naturalisme, ou le positivisme, ne sont pas forcément du côté de l'expérience. Expérience, déduction, l'une et l'autre ont été païennes, et parfois fort bien menées ; l'une et l'autre peuvent être chrétiennes. Comment a-t-on pu s'imaginer qu'en parlant du positivisme de Maurras -- qui est pour vous un « langage », et pour Marcel Clément plus qu'un langage -- on met en cause l'expérience et les méthodes expérimentales ? Le positiviste Auguste Comte, précisément, *déduisait* sa politique, C'est chez Le Play qu'elle était « induite ». Et la conclusion de l'enquête expérimentale, chez Le Play, c'est le Décalogue comme règle fondamentale des sociétés. Lorsque Maurras veut citer un exemple de politique déduite, il cite Auguste Comte ; lorsqu'il veut citer un exemple de politique induite, il cite Le Play (faut-il donner des références ? Voir notamment : *Dictionnaire politique,* article Fustel). La question du positivisme dans la politique, et spécialement dans la politique maurrassienne, n'est absolument pas celle de la méthode expérimentale. La foi chrétienne, la doctrine catholique ne rejettent évidemment pas l'idée d'une politique expérimentale. Expérimental n'est pas l'antithèse de chrétien. Quand vous mettez l'accent sur expérimental et quand je mets l'accent sur chrétien, nous sentons et nous savons que nous ne plaidons pas deux thèses contraires, Vous voulez exclure un moralisme et je veux exclure un modernisme. Vous songez au mépris de la loi naturelle et je songe au mépris de la loi surnaturelle. Les deux propos se rejoignent. 148:16 Parenthèse :\ une précision ([^17]). Notre langage pourtant risquerait d'être trompeur s'il laissait supposer que la loi naturelle et la loi surnaturelle sont comme extérieures, comme ajoutées l'une à l'autre. La loi naturelle est une *participation* à la loi surnaturelle. L'ordre surnaturel n'est pas l'ordre de la grâce abstraitement considéré : il est celui, « *dans lequel convergent nature et grâce* », selon l'expression de Pie XII. Entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, il y a beaucoup plus, et bien autre chose, qu'une rencontre ou qu'une articulation. Les deux mystères. Mais « le chrétien comme tel », « l'homme le plus vertueux », vous n'êtes pas sûr, dites-vous, qu'ils aient en politique plus de lumière que le païen. Certes, en ce sens qu'ils peuvent manquer de savoir, ou de savoir-faire, ou de jugement -- souvent dans la mesure où ils manquent d'expérience (d'expérience concrète et personnelle plus encore que d'expérience dite historique). Ils peuvent assurément faire beaucoup de sottises ; ils peuvent aussi ne rien faire du tout, ce qui est une autre sottise, et tout laisser aller. « *Il ne suffit malheureusement pas d'être catholique. Il faut encore travailler dans le temporel... Il ne suffit pas de dire : je suis catholique. Il y a encore tout à faire.* » Vous, avez reconnu le Péguy de *L'Argent, suite,* celui qui a votre préférence. Il ne suffit pas d'être catholique ? Du moins, quand on l'est, il faut l'être. Ou alors tout est par terre. La loi naturelle est la loi inscrite par Dieu dans le cœur des hommes, c'est là sa définition même : je la trouve en l'un des endroits de saint Thomas que vous aimez le mieux, l'un de ceux où il s'appuie sur *votre* saint Augustin (*Somme théologique,* Ia-IIae, qu. 94, art. 6, *sed contra*) ([^18]). 149:16 Si les catholiques oublient ou taisent que la loi naturelle est la loi inscrite par Dieu dans le cœur des hommes, alors bientôt personne ne saura plus ce qu'est la loi naturelle, ni ce qu'elle dit, ni même qu'il en existe une, et l'on aura perdu cette possibilité d'un accord minimum, humain, naturel, politique, entre Français. Vous aviez naguère commencé d'explorer le mot de Chesterton : « Ôtez le surnaturel, il ne reste que ce qui n'est pas naturel. » Ce mot terrible est vrai pour celui qui *l'ôte* effectivement plutôt que pour celui qui en est privé. Les païens n'ont pas *ôté* le surnaturel. Ce sont nos chrétiens baptisés, c'est nous-mêmes qui, chaque jour l'ôtons. Nous ne pouvons plus être naturels, désormais, que dans la lumière surnaturelle. C'est dans la lumière surnaturelle que nous pouvons, nous catholiques, concevoir, proposer, restaurer un ordre naturel qui, en tant que tel, et sur le « terrain » temporel, ralliera les Français qui n'ont pas la foi. « C'est un grand mystère » disait Péguy, qu'il ne suffise pas d'être catholique : « *Les catholiques ont hermétiquement la vérité en matière de foi*. *Ils n'ont pas le monopole du relèvement d'un peuple. En* 1813, *la Prusse n'était pas catholique.* » Oui, c'est un grand mystère qu'il ne « suffise » pas d'être catholique, et vous avez comme la charge de nous le rappeler, et vous avez raison de n'en point démordre. Mais c'est un autre grand mystère, que la lumière naturelle ne « suffise » pas non plus, ne suffise plus jamais, dans son ordre même, aux chrétiens baptisés, Désormais, la Croix nous sauve ou nous perd. Avant elle, pendant des milliers d'années, les hommes emplirent le monde de leurs œuvres : l'histoire de leurs sociétés, l'exemple de leurs lois, les monuments de leur pensée plastique ou discursive ont traversé les siècles. Et puis a retenti une Parole, au centre de l'histoire, à l'heure où était tracée la ligne de partage : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » 150:16 Parole de salut et de condamnation, nous n'y échapperons jamais plus, pas même par hypothèse de raisonnement ou par supposition méthodique. Nous n'avons plus jamais vu, nous ne verrons plus jamais le miracle grec ni l'heureux labeur romain. Nous sommes dans l'âge chrétien jusqu'à la fin du monde, les sagesses et les bienfaits de l'ordre naturel ne nous sont plus accessibles que par la Croix. Nous ne savons guère comment les mystères vivent ensemble, s'ils se complètent ou se limitent. Nous savons seulement qu'il faut n'en lâcher aucun. Que ce n'est pas commode. Que ce n'est jamais terminé : et c'est pourquoi quand vous me renvoyez à la collection de *La Nation française --* la collection passée *et future --*, c'est une réponse que j'entends. ~===============~ ### Bernanos, Maurras, Massis, Mauriac *D'un article de M. François Mauriac, dans le* FIGARO LITTÉRAIRE *du* 8 *juin, voici les principaux passages *: ...André Rousseaux, dans sa dernière chronique, inscrit deux jugements très durs de Bernanos, l'un sur Montherlant..., l'autre sur Henri Massis ; et ici le doigt du critique appuie sur l'une de ces blessures qui ne se cicatrisent pas ; car Massis fut l'un des premiers compagnons de Bernanos écrivain et, avec Robert Valléry-Radot, il a aidé à la révélation de *Sous le soleil de Satan.* Ce qui plus tard a séparé les deux amis, ce qui a entraîné Bernanos à tenir les propos cruels rapportés par André Rousseaux, il appartient à Massis lui-même de nous le dire, s'il le croit nécessaire, et s'il ne l'a déjà fait. Mais cette mobilisation de Bernanos, maintenant qu'il n'est plus là, nous concerne tous, nous surtout qui demeurons dans la confuse mêlée où, sans le remplacer, nous lui survivons. Il n'en est guère parmi ses maîtres et ses camarades, contre lesquels, à certaines heures, Bernanos ne se soit retourné avec une sorte de fureur inspirée. Qui n'a-t-il tour à tour adoré et brûlé ? Maurras, Daudet, Claudel, Maritain, tant d'autres ! Et moi-même... Et Dieu sait de quels sarcasmes il accablait de plus obscurs ! 151:16 ...Aucun de ceux que Bernanos a outragés ne lui en a, à ma connaissance, gardé rancune, comme si chacun était seul à connaître les liens très secrets qui l'unissent à lui. Et je ne crois pas qu'un seul s'inscrive en faux contre la raison que j'en ose livrer ici : c'est que nos rapports avec Bernanos sont de l'ordre de l'intercession. Si donc nous nous croyons en droit d'invoquer son jugement contre l'un de ses frères (et c'est un acte spirituellement grave), il conviendrait d'abord de nous assurer qu'il s'agit bien d'une pensée critique, sereinement exprimée, et non d'un accès de cette rage amère qui le saisit parfois. Et notre méfiance devrait redoubler dès que nous nous penchons sur le ressac de la pensée bernanosienne, autour de Maurras et de l'Action française, -- ressac d'une passion divisée contre elle-même. Or ce propos contre Massis, qui apparaît à André Rousseaux comme « une page de critique souveraine », je n'y vois rien quant à moi qui convienne à l'auteur de *Défense de l'Occident,* que je connais bien, comme nous connaissons un adversaire de toute la vie, -- un adversaire, non un ennemi, -- avec lequel, durant trente années, nous nous sommes trouvé face à face. Henri Massis, selon Bernanos, se serait épousé lui-même au sortir de l'enfance « *sous les espèces de Pascal, ou tout au moins de quelque bourgeois notable de Port-Royal, comme M. de Montherlant s'est collé, au même âge, avec un grand seigneur anarchisant et misogyne qui peut-être empruntait le visage et les manières de son premier confesseur jésuite. C'est moi qui suis fou de penser à ces couples bizarres comme à des êtres uniques, fou de crier à l'imposture en face de malheureux qui, nés plus ou moins dépourvus de sincérité profonde, se sont travaillés vingt ans pour s'en faire une, par le truchement d'un personnage imaginaire.* » S'il est vrai (d'une vérité d'ailleurs superficielle et qui ne suffit certes pas à nous introduire dans le secret de l'homme et de l'écrivain) que Montherlant s'est appliqué à ennoblir son titre, à le modeler sur des figures romaines ou espagnoles, Henri Massis, en revanche, écrivain d'idées, n'a jamais manifesté des préoccupations de cet ordre ; ou s'il en a eu, ce ne fut pas le trait dominant de ce maurrassien catholique, engagé dans un débat intellectuel qui était devenu un conflit d'amitiés. Maurras, Maritain, Bernanos prêtaient leurs visages à des doctrines, par un mouvement inverse de celui qui entraînait Bernanos à dépasser le réalisme politique de l'Action française ; ce catholique s'est battu, lui, toute sa vie, au cœur même du maurrassisme, pour y intégrer sa foi et pour l'y maintenir, même quand Rome fulminait. 152:16 Aussi longtemps qu'aura duré la lutte, je me serai tenu dans le camp opposé à celui de Massis. Dieu le sait ! Mais enfin, après toutes ces sombres années, le combat s'est déplacé et Massis, je le vois immobile à la même place du champ de bataille maintenant presque désert, dans les ténèbres commençantes, debout près la tombe de son maître vaincu. Fidélité, c'est le mot qu'aujourd'hui je choisirais si j'étais condamné à n'en retenir qu'un seul. Et certes, on peut l'entendre dans des sens différents. C'est par fidélité au Christ que Bernanos se dressa contre le catholicisme sans le Christ de son premier maître. Et pourtant, si elle est authentique... *Voir* Mes entretiens de prêtre avec Charles Maurras, *par le chanoine Cormier* (*Plon éditeur*)*.* ...la parole de Maurras mourant que rapportait le duc de Lévis-Mirepoix dans son discours de réception à l'Académie française, s'il a vraiment prononcé ce mot, le plus beau que l'approche de l'éternité ait jamais inspiré à un homme aux oreilles fermées depuis l'enfance (je cite de mémoire) : « *Pour la première fois, j'entends venir Quelqu'un* », si c'est là vraiment l'une des dernières paroles du maître de l'Action française, Henri Massis, qui aura monté jusqu'au bout sa garde fidèle, s'en trouve lui aussi justifié. Les invectives les plus sanglantes de Bernanos demeurent liées à une nappe souterraine de charité qui a baigné et embrasé toute sa vie. Aussi faut-il nous garder de les isoler, de les séparer de ce secret contexte : lui-même d'ailleurs ne l'a jamais fait. Sur ce point, il ne s'est embarrassé d'aucune contradiction... ...Si la liberté de la critique ne doit en aucun cas être mise en cause, les écrivains, quand leur journée touche au déclin, ont le devoir de rendre manifeste cette fraternité qui les unit dans « la douce pitié de Dieu », quoi qu'ils aient pu dire et écrire les uns des autres... ~===============~ 153:16 ### COURRIER DES LECTEURS *La revue Itinéraires existe depuis dix-huit mois, et presque jamais encore nous n'avons fait écho au courrier que nous recevons.* *A ce courrier, nous avons résolu de faire de temps en temps une place, d'abord pour l'honorer comme il le mérite, ensuite, éventuellement, pour donner à son propos des précisions ou des réponses qui peuvent intéresser l'ensemble de nos lecteurs. Nous ne pouvons assurément, il s'en faut, tout citer. Nous devons choisir, et en l'occurrence c'est un choix souvent arbitraire.* *Que nos lecteurs sachent du moins -- mais ils le savent que si nous ne pouvons répondre personnellement à toutes leurs lettres, ni toutes les citer dans nos colonnes, du moins toutes sont lues avec attention. Nous remercions tous nos correspondants du grand nombre d'informations précises de réflexions, de suggestions qu'ils nous apportent quotidiennement.* CE QU'APPORTE\ LA REVUE *Les lettres de nos lecteurs nous renseignent d'abord sur ce qu'ils trouvent, dans la revue, qui leur soit utile ou qui leur paraisse nécessaire.* *En voici quelques aspects caractéristiques, choisis un peu au hasard parmi des dizaines.* D'un lecteur des Basses-Pyrénées : « Dès le premier numéro j'ai été agréablement surpris par le ton de votre revue, le crois qu'elle occupe maintenant une place qui était terriblement vide et où *Itinéraires* serait sans doute irremplaçable. Obliger les gens à repenser leurs idées toutes faites, à dégonfler les slogans, à réfléchir, à ne pas prendre a priori le contradicteur pour un imbécile ou un malfaisant, c'est je crois le grand service à rendre aux Français et spécialement aux catholiques. » D'un agriculteur de la Drôme : « Votre revue correspond à une nécessité ; maintenant que je la connais, elle me paraît indispensable. Je suis très heureux de vos articles sur S.S. Pie XII en particulier, vous me le faites connaître mieux et aimer plus (je prie pour lui depuis, car je comprends mieux son travail et sa peine). Les articles de D. Minimus me vont droit au cœur. Il n'y a rien à y ajouter. » D'un lecteur africain : « Lorsque vous avez débuté, je vous avais écrit pour vous dire mon étonnement d'une nouvelle revue qui me semblait devoir faire double emploi avec celles déjà existantes. 154:16 Vous avez eu la gentillesse de me répondre pour me dire que ce *que je trouverai chez vous, je ne le trouverai pas ailleurs.* Et il m'est très agréable de vous dire aujourd'hui, et en toute honnêteté, que vous ne m'avez pas trompé... je m'efforce donc de vous trouver des abonnés... ... Pour terminer, je veux également vous féliciter de votre sérénité, laquelle vous permet de conserver tout votre sang-froid et de ne jamais céder à un ressentiment envers vos adversaires par des mots blessants ou injurieux à leur égard. Cela a été le tort à mon avis de l'ancienne XXX, où, malgré leur immense talent, XXX et même XXX se départissaient fréquemment de la mesure dans l'invective (si l'on peut parler de mesure en pareil cas !), ce qui n'a pas été sans beaucoup de mal non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour leur entreprise... » D'un lecteur de Paris : « Je viens de trouver dans un kiosque votre numéro 13. Cette lecture m'a donné de telles satisfactions et m'a fait un tel bien que je m'abonne. J'ai repris confiance grâce à vous. Qu'au moins mes quatre garçons et mes trois filles connaissent encore, et apprécient (pour en vivre) ce vieil idéal qui fut le mien, au temps des premiers syndicats chrétiens et de cette première A.C.J.F. de Jean Lerolle et de Gerlier. En ce temps-là nous étions fiers de nous dire « catholiques sociaux » et nous prétendions suivre à la lettre les enseignements pontificaux ! Hélas ceux d'aujourd'hui... j'avais perdu tout espoir... mais par vous je reprends courage. » D'un lecteur de l'Ain : « Vos études critiques des thèses soutenues par le Père XXX étaient nécessaires. Il faut combattre cette dangereuse attitude de non-résistance au communisme, la tentation du siècle. Le communisme obsède les consciences au point de les égarer ; il exerce une mortelle séduction auprès de ceux qui, épouvantés d'abord, ébranlés ensuite, cherchent à justifier sa « réussite » par l'apparente « générosité » de ses conceptions sociales. Mais croyez-vous que le Père XXX reconnaîtra un jour la valeur de vos arguments et qu'il devienne « le grand docteur de la résistance au communisme » ? je suis sceptique... » *En l'occurrence nous n'avons rien fait d'autre que de respecter une évidente vocation particulière. Le reste ne dépend pas de nous.* LA CALOMNIE *En certains lieux, ou dans certains milieux, la calomnie contre nous arrive avant nous : on nous condamne sans nous connaître, avant même d'avoir eu l'occasion de nous lire.* *Il faut alors un hasard pour que les esprits loyaux puissent se rendre compte à quel point on les avait trompés.* *Sur ce chapitre, nous pourrions citer des centaines de témoignages !* *Aucune publication autant que la nôtre n'a été victime, auprès du public catholique, de* CONDAMNATIONS SOMMAIRES ET SANS MANDAT *se diffusant souvent de bouche à oreille, à croire qu'il existe de véritables* « *réseaux* » *pour accomplir une telle besogne.* De Seine-et-Oise on nous écrit : « On m'avait représenté votre revue comme « *intégriste* » ! je vois bien qu'il y a des attaques se rapprochant de la polémique : je les souhaiterais moins fougueuses. Mais on ne peut tout de même pas prétendre que vous seriez une continuation de la « Sapinière » ! Vous donnez votre pensée sur des *écrits publics ;* les auteurs en cause n'ont qu'à vous répondre pour légitimer leur point de vue. Après la lecture d'une dizaine de numéros d'*Itinéraires,* j'encourage votre œuvre, qui n'est pas destructrice ni diviseuse, au contraire. » 155:16 De Paris : « ...Ayant reçu des numéros d'*Itinéraires,* elle a demandé en réunion l'avis de M. le Curé. Celui-ci lui a dit ne pas connaître spécialement *Itinéraires* mais que ce devait être une revue d'intégristes, dangereuse ; et puisque le service était fait gratuitement, qu'elle devait être payée par la Haute Finance ! » \*\*\* *M. le Curé de XXX est certainement de bonne foi ; il répète, sur un sujet qu'il ne connaît pas, ce que lui auront dit des personnes qui prétendaient le connaître...* *Chacun fait des services de propagande selon ses moyens ; nous en faisons pour notre part autant que nous le permettent les souscriptions de nos amis. Nous profitons même de cette occasion pour leur dire une fois encore que, leurs* « *abonnements de soutien* » *étant devenus rares, parce qu'ils nous croient prospères, nous ne faisons presque plus de services de propagande. Et c'est* LAMENTABLE*, surtout dans les circonstances actuelles.* *Quant à l'origine d'une certaine suspicion répandue par un certain journal contre ses adversaires, et qui a vu ensuite cette même suspicion lui retomber sur le nez. Voir* Itinéraires, *numéro 15, pages 89-90.* \*\*\* Que nos personnes soient diffamées, de cette manière-là et de beaucoup d'autres, n'a aucune importance véritable. Ce qui est plus grave c'est qu'en prévenant frauduleusement contre la revue *Itinéraires* les personnes qui ne la connaissent pas encore, on les détourne et on les prive de pouvoir y trouver ce dont elles ont besoin. Il faudrait que la revue *Itinéraires* puisse arriver AVANT la calomnie : car la calomnie ne fait aucune impression sur ceux qui nous connaissent déjà, et qui sont en mesure de juger sur pièces. ATTEINDRE TRÈS VITE UN PUBLIC BEAUCOUP PLUS ÉTENDU est pour nous absolument indispensable. Mais cela dépend uniquement de vous, chers lecteurs et amis. Vous pouvez aussi NOUS DONNER LES MOYENS MATÉRIELS d'établir des services de propagande. Si vous voulez aider et SOUTENIR la revue, souscrivez et faites souscrire des « abonnements de soutien ». C'est la réponse la plus, efficace aux calomnies qui cherchent à entraver l'action et le rayonnement de la revue. \*\*\* On arrive d'ailleurs très bien, chaque fois que l'on en prend la peine à surmonter les préventions. Un lecteur de Savoie nous le montre et nous l'explique : « Hier, ayant chez moi un ami dominicain qui n'avait jamais lu votre revue et qui était prévenu contre elle, j'ai réussi à vaincre ses préventions et à lui lire les titres de votre revue qui définissent le plus clairement les positions d'*Itinéraires.* Il fut *tout étonné...* et d'accord dans l'ensemble. Par solidarité ou esprit de corps, l'ensemble des Dominicains a assez mal pris vos « attaques ». Beaucoup n'ont pas vu les raisons objectives et ont réagi affectivement : le Père XXX est un homme avec lequel on ne peut vivre sans sympathie ; le père YYY est d'un dévouement admirable : d'où le raisonnement (si l'on peut dire !) : ceux qui les critiquent sont des calomniateurs, etc. C'est ainsi que beaucoup refusent de seulement lire *Itinéraires.* Heureusement quelques-uns, de tête froide, commencent à accepter l'examen objectif des pièces du débat et, parmi ceux-là, presque tous reconnaissent que vous avez visé juste tout en ayant le cœur bien gros de voir intellectuellement déboulonner ceux qu'ils aiment... » 156:16 *Il suffit d'ailleurs souvent de montrer à l'interlocuteur que nous n'attaquons pas les personnes, mais que nous cherchons à y voir clair dans les idées que l'on nous propose. Nous pesons en toute rigueur le pour et le contre, sans aucunement nous croire infaillibles.* *Cette activité très normale, très légitime, très nécessaire, provoque des colères violentes : nous attendons patiemment qu'elles se calment.* Un petit mystère *De Belgique, un ecclésiastique nous envoie un témoignage qui en recoupe plusieurs autres *: « J'ai eu, au sujet d'*Itinéraires,* avec l'un ou l'autre de mes confrères, des conversations fort intéressantes. Ce qui me frappe et me surprend le plus, c'est qu'il est extrêmement difficile à ceux qui s'opposent à vous de garder leur calme en face de vos écrits. Vous atteignez en eux quelque chose de très sensible et ils ont la plus grande peine à croire que vous êtes « de bonne foi » et que vous faites « du travail positif ». *Nous l'avons même parfois personnellement constaté : on se met beaucoup en colère contre nous, sans prendre le temps d'écouter ou de lire ce que nous disons ; et en nous reprochant avec la plus extrême violence des choses que nous n'avons jamais dites ni écrites, ni de près ni de loin.* *Notre correspondant explique ce phénomène par la passion qui anime nos détracteurs, et leur brouille le regard *: « Pour moi, je crois que vous contribuez à rétablir dans la pensée des catholiques un équilibre qui était pour le moins compromis. Voici une des raisons de l'opposition violente que vous rencontrez : chrétiens catholiques, nous avons tous la même foi mais, bien souvent, notre charité n'est pas à la mesure de cette unique foi. Il s'en suit que nos puissances affectives, pour n'avoir pas la force de s'attacher exclusivement à Dieu, et au prochain en Dieu, retombent plus ou moins inconsciemment sur des choses connexes, souvent très nobles, mais déjà profanes ou du moins secondaires par rapport à la foi. Dès lors on ne comprend pas que, sur ces questions, d'autres chrétiens puissent penser différemment. La passion tend à faire taire la raison, peut-être même la charité, et tout dialogue devient impossible. Je crois d'ailleurs que je ne fais ici que rejoindre certaines conclusions de *Ils ne savent pas ce qu'ils disent.* » *Et c'est pourquoi nous n'avons jamais dissimulé de quelles prières, de quelles grâces a indispensablement besoin notre dessein méthodique de* SUBSTITUER ENTRE CATHOLIQUES LE DIALOGUE A LA POLÉMIQUE SUR TOUTES LES QUESTIONS DISPUTÉES. \*\*\* *Au demeurant la colère et la violence que nous rencontrons, nous ne les rencontrons pas d'un seul côté. Un lecteur lyonnais nous assure que nous atteignons :* « ...une sorte de record dans la mauvaise foi dont *Témoignage chrétien* ne réussit pas toujours l'équivalent. Je recevrai donc encore *Itinéraires* jusqu'à la fin de mon abonnement, ne fût-ce que pour que mon exemplaire refusé ne serve pas une détestable propagande, mais je le mettrai au feu sans même faire sauter la bande. » 157:16 #### Le premier samedi du mois D'un ecclésiastique du Tarn-et-Garonne : « ...Toutes mes félicitations pour le courageux éditorial de votre numéro 6. Au milieu des incompréhensions, des disputes qui rendent impossible le dialogue entre catholiques, il est bon d'entendre rappeler qu'à un tel scandale, il y a un remède et un seul remède : celui que Notre-Dame est venue apporter à Lourdes : prière et pénitence. Vous lancez une idée magnifique. Que le premier samedi de chaque mois, allusion discrète à Fatima, s'établisse comme vous le suggérez une messe où les écrivains et journalistes catholiques, si opposés de tendances soient-ils, se réunissent sans autre but que de participer ensemble au Saint-sacrifice. Si votre vœu se réalise et si vos confrères, tous vos confrères, se serrent ainsi, chaque mois, autour du même autel, le Christ et sa Mère auront bien vite fait de rendre possible et facile un dialogue cordial, amorce nécessaire pour une union, dans la Foi vraie et totale, unie à une Charité vraie et totale. » #### A propos de la Légion de Marie *Un correspondant particulièrement qualifié s'élève contre l'incompréhension que rencontre trop souvent la Légion de Marie *: « Vous ne direz jamais assez l'importance de la prière. Je vous le redis à cause d'un certain chagrin que j'éprouve en entendant mettre la Légion de Marie au-dessous des mouvements spécialisés. Or la Légion de Marie est en train de prendre une extension extraordinaire sans porter aucun tort aux organisations d'Action catholique. Lorsque j'entends dire que la Légion de Marie n'a reçu aucun mandat d'Église, j'ai envie de citer un texte de Pie XII qui me semble topique et définitif. Peut-être que vous, vous pourriez le citer. Le voici (27 octobre 1948) : « ON NE PEUT DÉNIER AUX CONGRÉGATIONS MARIALES, EN CONSIDÉRANT LEURS RÈGLES, LEUR NATURE, LEUR BUT, LEURS EFFORTS, LEURS ACTES, AUCUNE DES CARACTÉRISTIQUES QUI DISTINGUENT L'ACTION CATHOLIQUE, PUISQUE, AINSI QUE L'A PROCLAMÉ SI SOUVENT NOTRE PRÉDÉCESSEUR D'HEUREUSE MÉMOIRE, PIE XI, L'ACTION CATHOLIQUE EST DÉFINIE OFFICIELLEMENT : L'APOSTOLAT DES LAÏQUES, QUI APPORTENT LEUR COLLABORATION A L'ÉGLISE ET L'ASSISTENT DANS L'ACCOMPLISSEMENT DE SA TACHE PASTORALE. NI LEUR STRUCTURE, NI LEURS NOTES PARTICULIÈRES N'EMPÊCHENT LES CONGRÉGATIONS MARIALES D'ÊTRE APPELÉES DE PLEIN DROIT : ACTION CATHOLIQUE ENTREPRISE SOUS LE PATRONAGE ET L'INSPIRATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE. » La Légion de Marie exerce son action dans un millier de diocèses à travers le monde. N'y a-t-il pas une petite mesquinerie à contester ses services, surtout quand on sait l'obstacle qu'elle constitue eu Chine, par sa seule présence, pour le communisme ? J'ai interrogé une fois XXX sur cette question, il me répondit : « La Légion de Marie ne peut pas être regardée comme une organisation d'Action catholique, parce qu'elle ne s'attaque pas directement aux réformes de structure. » Mais l'Action catholique n'oblige nullement ses adhérents à s'attaquer directement à des réformes de structure ! C'est toujours la même fausse conception... ...Les activités de la Légion de Marie l'ont fait apprécier par plus de mille Évêques dans le monde actuel, et lui ont valu les plus chaleureux encouragements du Pape. » ~===============~ 158:16 ### PARMI LES LIVRES REÇUS - Mgr GUERRY : La doctrine sociale de l'Église, son actualité, ses dimensions, son rayonnement, (Bonne Presse). - Jean de FABREGUES : la révolution ou la foi (Desclée). - R.P. Jean DANIELOU : Les manuscrits de la Mer Morte et les origines du christianisme (Éditions de l'Orante). - Bernard de VAULX : Les églises de couleur (Bibliothèque Ecclésia, Librairie Fayard). - Antoine ÉGRET : La Voie triomphale (Nouvelles Éditions Latines). - Docteur A. STOCKER : De la psychanalyse à la psychosynthèse (Beauchesne). - Roger de SAINT CRAMAS : Amour, Famille, Christianisme (Nouvelles Éditions Latines). - TRAN : Mille bonheurs paisibles, récit recueilli par Jacques Despuech (Fasquelle). - A. MULLER : L'Église et la politique (Procure de l'Assomption, 6, rue de Lübeck, Paris). - A. MULLER : La question du roman catholique (Même adresse). - Jacques PERRET : Rôle de Plaisance (Gallimard). - Robert POULET : Le livre de quelques-uns (Plon). - Père POUGET : Mélanges, préface de Jacques Chevalier (Plon). - Pierre CORNET : Sahara, terre de demain (Nouvelles Éditions Latines). Ils se trompent, ces catholiques promoteurs d'un nouvel ordre social qui soutiennent : tout d'abord la réforme sociale, puis on s'occupera de la vie religieuse et morale des individus de la société. On ne peut en réalité séparer la première chose de la seconde, parce qu'on ne peut désunir ce monde de l'autre, ni diviser en deux parties l'homme qui est un tout vivant. S.S. PIE XII, 14 mai 1953. ============== Fin du numéro 16. [^1]:  -- (1). Pie XI, Encyclique *Divini Redemptoris*. [^2]:  -- (1). Voir notamment : *Le monde arabe* (n° 8 pp. 98 et suiv.) ; Dix-huit remarques sur l'Algérie (n° 9, pp. 129 et suiv.) ; l'éditorial de notre numéro 14, spécialement : Le drame de l'Algérie et Un accord sur la loi naturelle (pp. 6 et suiv.) ; etc. [^3]:  -- (1). *Itinéraires*, n° 3. [^4]:  -- (1). *Le Martyre de l'art*, Nouvelles Éditions Latines. Voir l'éditorial de notre numéro 14, pages 5 et 6. [^5]:  -- (2). Le livre précédent d'Henri Charlier : Culture, École, Métier, est ÉPUISÉ ET NON RÉÉDITÉ DEPUIS DES ANNÉES Nous pouvons dire, en pesant nos termes, que parmi les scandales de l'édition française, ce n'est certes pas le moins volumineux. De même, les ouvrages les plus importants de Chesterton, et notamment son Orthodoxie, sont eux aussi épuisés dans leur édition française, et non réédités depuis des années. Cette carence n'a même pas d'excuse « commerciale » : car ces ouvrages se sont « commercialement » très bien vendus (c'est même pour cela qu'ils sont épuisés), et se vendraient mieux encore aujourd'hui. [^6]:  -- (1). Plon, éditeur. [^7]: **\*** -- Figure page 19 dans l'original. [^8]:  -- (1). Le P. Régamey est le principal animateur du périodique L'art sacré, publié par les Dominicains de Paris et leurs « Éditions du Cerf ». Cette publication, qui a milité (notamment) pour l'introduction dans les églises de l'art dit « moderne » sous ses formes les plus anti-naturelles et anti-surnaturelles. a été simultanément conduit, et c'est bien normal, à méconnaître et à combattre l'œuvre intellectuelle et artistique d'Henri Charlier. Sur l'influence catastrophique de L'Art Sacré et du P. Régamey dans l'orientation des catholiques en matière d'art, on trouvera les précisions les plus circonstanciées et les plus irrécusables dans Le Martyre de l'Art. (Note d'Itinéraires). [^9]:  -- (1). *Art sacré*, mars-avril 1948. [^10]:  -- (1). Voir le texte entier du passage dans *Itinéraires* de mars 1957, p. 47. [^11]:  -- (1). Cf. Les catholiques et le capitalisme (La Palatine, Plon). [^12]:  -- (1). Union chrétienne des chefs d'entreprise italiens. [^13]: **\*** -- Figure page 56 dans l'original. [^14]: **\*** -- Voir « La situation canonique de la Cité catholique », It 17, p. 116. [^15]:  -- (1). Du moins en France ; beaucoup moins en ce qui concerne la démocratie chrétienne d'Italie, de Belgique, d'Allemagne. Voir sur ce point : On ne se moque pas de Dieu, pages 76-81 et 87-90. [^16]:  -- (1). L'inverse par la démarche de l'esprit. Les deux démarches inverses peuvent se rejoindre par leurs conclusions, [^17]:  -- (1). Cette « parenthèse » a été supprimée dans la Nation française, pour des raisons de mise en page, avec l'accord de Jean Madiran. [^18]:  -- (2). Citons ici le texte de saint Thomas auquel il est fait référence. Car il importe de savoir que parler d' « INSCRIPTION » de la loi naturelle dans l'homme est une formule constamment employée par la philosophie chrétienne depuis saint Augustin ; elle figure dans la langue de saint Thomas ; elle est fréquemment reprise dans les Encycliques pontificales. A la simple mention d'une loi « inscrite » dans l'homme, toute la tradition philosophique chrétienne reconnaît sans équivoque et sans risque d'erreur qu'il s'agit de la loi naturelle. Voici le texte de saint Thomas : « Sed contra est quod Augustinus dicit in 2 Confess. : « Lex tua SCRIPTA est in cordibus hominum, quam nec ulla quidem delet iniquitas ». Sed lex SCRIPTA in cordibus hominum est lex naturalis. » TRADUCTION : « Mais voici ce qu'écrit saint Augustin dans la seconde partie des Confessions : « La loi (Seigneur) est INSCRITE dans le cœur des hommes et aucune iniquité ne l'en efface. » Or la loi INSCRITE dans le cœur des hommes est la loi naturelle. »