# 21-03-58
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## ÉDITORIAL
### La France blessée par ses fils
LA PUBLICATION d'une enquête sur les torts de la France et de l'armée française en Algérie, commencée dans *La Croix* du 8 janvier, et poursuivie jusqu'au 15 janvier, est d'une extrême gravité. Elle était précédée d'un préambule du P. Antoine Wenger, dont la noblesse de ton, la hauteur d'inspiration appellent le respect. Le respect, mais non point un aveugle assentiment. « *Dieu seul peut savoir quelles conséquences aura une initiative comme la nôtre* », écrivait le rédacteur en chef de *La Croix,* demandant que l'on ne soupçonne ni la bonne foi ni le patriotisme des auteurs de cette enquête ou de « *ceux qui ont pris la responsabilité de la publier dans un journal comme* LA CROIX ». Ceux qui portent cette responsabilité sont donc eux-mêmes très conscients de l'exceptionnelle gravité de ce qu'ils ont fait. Leurs intentions, leurs sentiments ne sont certes pas en cause. La loyauté avec laquelle ils reconnaissent l'ignorance où ils sont des conséquences de leurs actes mérite elle aussi d'être saluée. On regrette que dans ce cas précis ils n'aient pas cru pouvoir appliquer le vieil adage : « Dans le doute, abstiens-toi ». On déplore qu'ils n'aient pas songé non plus à un certain nombre de précautions très concrètes, très pratiques et très faciles, susceptibles d'empêcher toute utilisation de leur initiative par les campagnes de démoralisation et de désagrégation.
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Ils ont pris leurs responsabilités en accord avec leur conscience. Nous prenons semblablement les nôtres en leur disant pourquoi le même souci de la morale chrétienne, de la doctrine catholique, de la patrie française nous conduit à des conclusions contraires et à une attitude opposée.
Les discutables motifs.
Si l'inspiration du P. Wenger est hors de cause, les motifs qu'il formule sont au contraire diversement discutables. Aucun ne peut véritablement être retenu. Les voici :
**1. --** « *A l'origine de notre enquête, il y a le souci d'informer nos lecteurs.* » Le rapport de la Commission de Sauvegarde ne les a-t-il donc pas informés suffisamment ? L'existence d'une telle Commission, tout le monde en était tombé d'accord, honore la France : peu de pays, engagés dans une guerre révolutionnaire, auraient pris une telle initiative. Les instructions données à cette Commission étaient justes : nous dirons tout à l'heure dans quelle mesure elle a été infidèle à la tâche qui lui était fixée. Son rapport de synthèse a été publié, et les extrémistes eux-mêmes ont proclamé : enfin on connaît la vérité. Ce n'est donc pas *l'information* qui fait défaut ([^1]). Ce qui nous manque plutôt, c'est une réflexion *morale* sur les moyens *réels* d'éviter les excès qui ont été constatés dans la répression. Recommencer indéfiniment à décrire ces excès eux-mêmes n'ajoute rien à « l'information » : mais cela ajoute beaucoup, en fait, à la campagne orchestrée en France même pour discréditer et déshonorer l'armée française.
**2. --** Le P. Wenger parle d' « abus », mais il ajoute : « *Ces méthodes sont inacceptables pour toute conscience.* » Il entend « *signaler les dangers que l'on court à continuer de pratiquer les méthodes qui nous ont valu sans doute des succès militaires* ».
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Alors il ne s'agit plus d' « abus » occasionnels, d' « excès » accidentels, comme l'avait souligné le rapport de la Commission de Sauvegarde. Il s'agit au contraire pour *La Croix* de « méthodes », ET DE CELLES-LA MÊMES QUI NOUS ONT VALU NOS SUCCÈS MILITAIRES. Voilà qui est aller très loin. L'équivoque est lourde, et elle n'est pas levée. Ce que *La Croix* semble discréditer, c'est l'idée même, le principe et l'existence d'une action militaire victorieuse contre la rébellion.
**3. --** Le P. Wenger mentionne l'objection : « Vous ne parlez pas des atrocités fellagha. » Il répond : « *Nous nous refusons, à établir une balance entre l'action de l'armée française et celle des terroristes, ce qui serait ravaler celle-là au niveau de ceux-ci. Nous ne sommes pas solidaires des fellagha, nous sommes solidaires de notre armée.* » Quelle étrange manière de raisonner. Quelle incroyable et triple méconnaissance de la réalité dont on parle.
Car premièrement on ne demande pas que soit établie une *balance* morale, mais que l'on tiennent compte des CONDITIONS RÉELLES de la lutte à laquelle notre armée doit faire face : et pour en tenir compte, qu'on les connaisse exactement. Les atrocités fellagha ne justifient pas toutes les représailles, mais elles expliquent et *l'existence* de certains excès dans la répression et la *difficulté* à les empêcher ([^2]).
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Les excès que les nôtres ont pu commettre n'appellent pas le même jugement moral s'ils sont en quelque sorte gratuits ou si au contraire ils ont été horriblement provoqués par l'ennemi. Et le problème pratique n'est pas le même, selon qu'il s'agit essentiellement de ne pas céder à des provocations atroces, ou qu'il s'agirait de protester contre une sauvagerie inhérente à l'armée française et au « colonialisme ». Secondement, il est trop facile et trop rapide de dire : *Nous ne sommes pas solidaires des fellagha.* Nous n'en sommes pas solidaires, mais nous en sommes responsables, dans la mesure où, sur un territoire dont nous avons la charge, nous n'accomplissons pas de manière suffisamment décisive le devoir de répression que nous impose la justice politique.
Troisièmement, un certain nombre de Français, et même de militants chrétiens, ont précisément été amenés à SE CROIRE SOLIDAIRES DES FELLAGHA, au point d'aider activement leurs organisations clandestines, d'entreposer et de transmettre les armes qui servent à massacrer des femmes et des enfants. A force d'insister unilatéralement sur les excès de l'armée française, on a provoqué, ou du moins on n'a pas empêché cette déformation de la conscience qui conduit des chrétiens à être solidaires des assassinats et des atrocités du F.L.N. : il serait temps d'y penser. Par *omission* aussi, l'on prend et l'on assume des *responsabilités.*
**4. --** « *La première condition pour rétablir la paix en Algérie est de mettre fin aux abus* », écrit le P. Wenger. Nous souhaitons que ce soit là une simple amplification oratoire ; mais elle est véritablement malencontreuse. Que là se trouve *la première* condition, c'est une thèse qui ne découle pas nécessairement des exigences de la conscience chrétienne. Si on l'admettait telle quelle, cela signifierait que *la rébellion est justifiée au moins dans son principe.* La première condition de la paix en Algérie est de faire cesser la cause principale de la guerre.
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Nous nions que la cause principale et première en soit dans les abus français, -- et spécialement dans les abus de la répression que l'on nous dénonce. Ce serait d'ailleurs une absurdité manifeste. Ce qui a provoqué la rébellion, ce ne sont évidemment pas les excès de la répression qui lui fut ultérieurement opposée.
Qu'il faille travailler à corriger les abus est une chose. Prétendre qu'y avoir mis totalement fin (et donc avoir atteint la perfection) serait la première condition de la paix, c'est autre chose.
Le P. Wenger fait abstraction, en s'exprimant ainsi, de l'existence d'un ennemi délibéré, qui *exploite* des abus soit réels, soit supposés. La lutte contre les abus est un devoir : mais, du moins jusqu'ici, il y a toujours eu des abus dans toutes les sociétés. Dans certains cas, mais dans certains cas seulement, et tout à fait exceptionnels, ils peuvent justifier l'illégalité et la rébellion (encore qu'ils ne puissent jamais justifier un terrorisme aveugle et sauvage comme celui qui est l'arme principale du F.L.N.). Oui ou non, les « abus » de la France en Algérie sont-ils tels qu'ils JUSTIFIENT la rébellion ? *La Croix* ne l'affirme point : mais elle conduit ses lecteurs à le penser plutôt qu'elle ne les en détourne.
La première condition pour rétablir la paix en Algérie est de neutraliser l'action d'un ennemi qui veut abolir le droit de la France et chasser les Français. Faire abstraction de l'ennemi et considérer que la paix dépend uniquement du bon vouloir de la France, c'est ne laisser *pratiquement* qu'une voie ouverte : celle de la capitulation, qui d'ailleurs ne rétablirait aucune paix, car ni l'anarchie, ni la domination du nationalisme arabe, ni la conquête soviétique ne sont LA PAIX.
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**5. --** A ce point, le P. Wenger se souvient brusquement de l'existence de l'ennemi ; non point pour modifier ce qu'il vient de penser et d'écrire, mais pour ajouter incidemment : « *Nous redoutons pour l'Algérie les entreprises du communisme et les excitations venues de plusieurs pays islamiques* ». On sait au demeurant que le P. Wenger a eu le mérite d'apporter à *La Croix* une connaissance exacte et lucide, qui avait plusieurs fois fait défaut à ce journal, des entreprises de domination mondiale du communisme soviétique. Nous voudrions en appeler à cette connaissance, qui dans ce cas précis se trouve comme estompée. Car enfin, l'action communiste et les « excitations venues de pays islamiques » ne sont pas un phénomène extérieur à la rébellion algérienne, accidentel, surajouté, et comme étranger au problème. C'est l'essentiel de ce qui est en jeu. Pourrait-on encore en douter après la conférence du Caire ? La rébellion algérienne est dirigée, soutenue, armée par le nationalisme arabe et par le communisme soviétique. Il y a « *l'exploitation qu'ils font de nos fautes* » ? Certes. Mais des fautes, nous en ferons toujours. Ce n'est évidemment pas une raison pour accepter de les commettre toutes. Mais si désormais les seules sociétés qui ont le droit de se défendre par la force contre les sécessions et contre le communisme sont les sociétés qui ne commettent aucune faute et aucun abus, qu'on le dise clairement. Et si la seule défense des sociétés humaines est *premièrement* d'atteindre la perfection *avant* d'avoir le droit de se défendre contre le communisme et contre les sécessions, qu'on le dise aussi. Dans cette exigence implicite, nous ne reconnaissons point la morale chrétienne, mais un sophisme. Et, ce qui est encore plus grave, un sophisme inconscient. Car nous croyons que le P. Wenger nierait avoir voulu dire cela ; nous croyons que ce n'est ni son intention, ni sa pensée consciente. Seulement, son propos n'est possible qu'avec une telle implication : celle-ci mise à jour et niée, alors il n'est plus soutenable que « *la première condition pour rétablir la paix en Algérie* » soit de « *mettre fin aux abus* ».
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Perfection chrétienne\
et sociétés humaines.
Le P. Wenger ne se croit pas infaillible : nous non plus. Il s'exprime selon sa conviction. De toutes les forces de la nôtre (qui est peut-être mal éclairée, nous sommes prêts à en discuter) nous lui disons qu'il se fourvoie. Nous disons que les motifs qu'il invoque, la perspective où il se place, la présentation qu'il fait de cette « enquête sur l'Algérie » reposent sur des demi-vérités transformées en erreurs complètes par la priorité exclusive qui leur est donnée. Bien sûr, il faut éviter ou réprimer les abus français : mais cette exigence morale, contemporaine de toute notre action, cette exigence qui n'est jamais suspendue et qui d'ailleurs ne sera non plus jamais satisfaite, n'est absolument pas un *préalable* à la paix, ni au droit de la France, ni à la souveraineté française en Algérie. En faire la « première condition » de quoi que ce soit, ce n'est pas fonder la société chrétienne, c'est établir l'anarchie. Car cette soi-disant « première condition », *elle est toujours à réaliser,* nous en sommes d'accord avec le P. Wenger, on ne peut jamais se dispenser d'y travailler : mais elle ne sera jamais suffisamment remplie. Si sa réalisation effective est la condition préalable de tout le reste, alors la société humaine est impossible et la paix est chimérique.
Le communisme soviétique nous fait la guerre, par lui-même et par l'intermédiaire des nationalismes qu'il arme et qu'il manœuvre. Dans cette guerre dite « froide », et qui est sanglante en Algérie, « l'exploitation de nos fautes » tient une place certaine. Pour cette raison, -- mais aussi et surtout pour une raison supérieure, qui n'est ni utilitaire ni tactique, mais morale, -- nous devons à tout moment nous efforcer de rectifier les fautes et de corriger les injustices que nous commettons. Il serait bon qu' « un journal comme *La Croix* » nous le rappelât en vérité. À temps et à contre-temps.
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Ce que nous reprochons à *La Croix,* ce n'est pas de faire cela, c'est de faire autre chose. C'est de confondre la dénonciation de l'injustice avec les thèses de l'ennemi qui justifie la rébellion par le fait qu'en Algérie nous n'avons point créé une société parfaite.
A chaque instant de sa vie, le chrétien est appelé à la perfection et à la sainteté. « *Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.* » (Mt V, 48). « *Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît* » (Mt VI, 33). Il serait bon que *La Croix* fit entendre cette Parole au milieu des tumultes et du sang versé. Mais le service d'une justice sociale et politique réglée par le bien commun n'est pas un souci extérieur de la perfection chrétienne et à la recherche du Royaume de Dieu. Et ce n'est point parce que les hommes sont pécheurs que l'existence du bien commun se trouverait anéantie, ou l'existence de son service suspendue. Il n'est écrit nulle part que les hommes pécheurs devraient être abandonnés jusqu'à leur conversion, et que la justice, le droit, la souveraineté, la légitime défense n'existent plus pour eux. Il n'est écrit nulle part que la recherche du bien doit être poursuivie même en assumant le risque certain de provoquer un plus grand mal.
Les campagnes publiques contre l'armée française, si elles partent sans doute d'une bonne intention (du moins quand il s'agit de *La Croix*), provoquent un plus grand mal que celui qu'elles veulent éviter : elles inclinent l'opinion française à abandonner l'Algérie ; elles inclinent même certains militants chrétiens à devenir les complices actifs des organisations terroristes.
« La première condition ».
La première condition, au temporel, n'est jamais celle que fixe le P. Wenger. Nous croyons que la première condition est celle que disait Léon XIII dans l'Encyclique *Rerum novarum *:
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« *La première condition à réaliser, c'est la restauration des mœurs chrétiennes, sans lesquelles même les moyens suggérés par la prudence humaine comme les plus efficaces seront peu aptes à produire de salutaires résultats.* »
Ce n'est pas la même chose de *restaurer des mœurs chrétiennes,* ou d'avoir *mis fin aux abus.* Mettre fin aux abus est un moyen suggéré par la prudence humaine, peu apte en soi à produire de salutaires résultats. C'est aussi une exigence de la conscience chrétienne, qui sera toujours en chantier et qui n'en aura jamais fini.
Les *mœurs chrétiennes* comportent *notamment* cette exigence, mais à sa place, et en sachant que ce n'est point un préalable. Les mœurs chrétiennes savent qu'il n'y aura pas de fin pour les abus dans la société, qui est une société de pécheurs, et qu'on ne peut guère boucher des trous sans en creuser de nouveaux. Les mœurs chrétiennes apprennent à corriger les abus mais aussi à les supporter sans révolte quand on ne peut les supprimer immédiatement sans provoquer un plus grand mal. Les mœurs chrétiennes ne suspendent aucun des devoirs naturels ou surnaturels, mais établissent dans la vie sociale leur hiérarchie en fonction du bien commun. Les mœurs chrétiennes ne demandent pas la proclamation chimérique et instantanée, comme par décret, d'une justice parfaite : elles s'efforcent vers la perfection en utilisant, en corrigeant, en améliorant *ce qui est.*
Nous ne pouvons être d'accord avec le P. Wenger quand il assure qu'avoir mis fin aux abus est la première condition de quoi que ce soit.
Nous serions immédiatement d'accord avec lui si, corrigeant son affirmation, il disait que la restauration des mœurs chrétiennes est la première condition de tout.
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Éviter le plus grand mal.
Certes, nous n'apprenons rien au P. Wenger : les principes dont nous nous réclamons, il les connaît, il les professe. Seulement, dans une situation complexe, où il faut « tenir les deux bouts de la chaîne », voici qu'il a lâché l'un des deux ; un instant à peine ; un instant pendant lequel a pu passer, toléré, approuvé, garanti par lui, ce réquisitoire public contre l'armée française ; et justement : « dans un journal comme *La Croix* ».
On ne parle pas en l'air ni dans le ciel des idées. On parle dans une certaine situation, après avoir distingué quel est le plus grand mal et comment éviter le pire, Car si l'effort vers la perfection est à tout moment la règle de la conscience personnelle, *il appartient à cette recherche de la perfection elle-même* d'apercevoir que, dans l'ordre politique, dans la conduite des sociétés humaines, qui sont faites de pécheurs, *éviter le pire* et choisir *le moindre mal* sont souvent le premier devoir et la seule possibilité. En mettant l'accent et le maximum d'insistance sur les excès de la répression, *La Croix* donne à penser, même si elle ne le pense pas, que là se trouve le pire pour l'Algérie.
Que nos « excès », que nos « abus » soient un mal, et qu'il faille éviter celui-là *aussi,* ce n'est pas nous qui le nierons. Que *La Croix* aperçoive en ce domaine des négligences ou des déviations morales qu'elle veuille avertir, reprendre, corriger, fort bien. Mais dans toute cette affaire d'Algérie, c'est là-dessus que *La Croix* insiste le plus souvent. Nous lui disons qu'en cela consiste son erreur pratique.
La crise du patriotisme.
Il fallait, il faudrait insister au moins autant sur le dangereux glissement qui conduit des militants chrétiens, parfois influents, à se solidariser en fait avec le F.L.N. contre la France.
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Il fallait, il faudrait remettre en honneur la *vertu de patriotisme,* dont *La Croix* ne contestera pas qu'elle traverse une crise grave et véritablement catastrophique. La Déclaration de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques du 14 mars 1957 remarquait « *des troubles et des doutes qui vont jusqu'à remettre en question* LES DEVOIRS ÉLÉMENTAIRES ENVERS LA PATRIE ». Dans un article de *La Croix* précisément, le 29 mai 1957, le P. Ducatillon décelait « *une crise du patriotisme au sein du catholicisme français* ». Il la déclarait « *l'une des plus aiguës et des plus graves du moment présent* », il affirmait qu'elle mettait en cause « *l'avenir du catholicisme français et celui de notre pays lui-même* ». Au nom de quoi, dans son comportement pratique, *La Croix* tient-elle cette crise du patriotisme pour beaucoup moins importante et moins grave que les « excès » commis en Algérie ? Au nom de quoi est-elle amenée à la tenir pratiquement pour secondaire, puisqu'elle s'en occupe beaucoup moins souvent, et avec beaucoup moins d'insistance ? Qu'est-ce donc qui fonde et qui justifie une telle OPTION ?
La crise du bien commun.
Pour notre part, d'ailleurs, nous pensons que ce sont là divers aspects d'une même crise ; nous ne les opposons pas les uns aux autres et nous croyons même qu'ils ne doivent pas être traités isolément les uns des autres. C'est encore une erreur pratique de *La Croix* de parler D'UNE PART de la crise du patriotisme, D'AUTRE PART des excès de la répression (et plus souvent de ceux-ci que de celle-là).
Car il ne s'agit pas de restaurer le patriotisme par les clichés sommaires d'une démagogie chauvine.
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Il ne s'agit pas non plus de lutter contre les injustices par des protestations unilatérales qui, contre leur gré sans doute, subissent presque fatalement elles aussi un glissement démagogique.
Il s'agit de restaurer LA DOCTRINE CATHOLIQUE DU BIEN COMMUN et, dans cette perspective, de rétablir et d'enseigner LA HIÉRARCHIE DES DEVOIRS.
Les requêtes actuelles de la conscience chrétienne sont diverses et parfois apparemment contraires, et elles se disputent la prééminence, ou au moins la priorité, parce qu'elles se sont affranchies de la doctrine et de la règle du bien commun. En *s'isolant*, elles deviennent des *idoles*, et tyranniques. Elles perdent et leur place, et leur fonction, et leur connexion intime avec les autres exigences de la morale : connexion qui constitue leur équilibre. Ce n'est certes pas d'aujourd'hui que les « vertus chrétiennes » sont devenues « folles », selon le mot de Chesterton, dont on a retenu la sonorité plus que la signification. Une vertu chrétienne devient folle lorsqu'elle échappe aux relations de voisinage, de complémentarité ou de subordination qu'elle entretient avec les autres vertus. Dans l'ordre politique, cette connexion et cette hiérarchie sont assurées, réglées, sauvegardées par la doctrine du bien commun : *celle dont on ne nous parle plus jamais.*
La vertu de patriotisme est une vertu devenue folle quand elle s'évade de la régulation que lui apporte la doctrine catholique du bien commun national et international. La vertu de justice, et notamment la justice politique, et tout autant la justice sociale, sont devenues folles par la même évasion.
Si l'on a l'impression, et plus que l'impression, qu'au sujet de l'Algérie la justice est « à gauche » et le patriotisme « à droite » ; si l'on a l'impression que la justice et le patriotisme s'opposent, et si l'on voit tant de débats et de querelles pour savoir lequel des deux doit passer le premier, c'est que l'on a perdu toute notion du bien commun.
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*Car le patriotisme et la justice sont du même côté et doivent passer ensemble.* Le patriotisme et la justice sont tous deux du côté du bien commun et passent ensemble par la porte du bien commun. Et s'il est vrai qu'il faille en quelque sorte une réconciliation de la justice et du patriotisme, jusque parmi les chrétiens, c'est parce que l'une et l'autre doivent retrouver leur place, leur rôle et leur connexion en fonction du bien commun.
Le P. Ducatillon avait entrepris cette tâche de restauration doctrinale et morale au moment de sa mort. Son livre posthume, *Patriotisme et colonisation* ([^3]), est comme la première pièce de cette entreprise, à la fois intellectuelle et pratique, concernant simultanément l'ordre des principes et l'ordre des urgences les plus immédiates. L'article si pathétique qu'il avait publié dans *La Croix* du 29 mai 1957 ([^4]) ne représente malheureusement pas la Ligne directrice de ce journal ; il y fait figure plutôt d'une intervention exceptionnelle, vite oubliée, presque d'une « tribune libre ». La préoccupation centrale du bien commun, c'est-à-dire de sa doctrine et de sa morale, et de ses exigences concrètes dans l'Algérie d'aujourd'hui, la situation étant ce qu'elle est, n'est peut-être pas un souci radicalement absent de *La Croix :* mais il n'est guère évoqué que par allusions occasionnelles et implicites, comme si l'on n'avait point compris que la réponse à nos angoisses divergentes, la solution de nos problèmes apparemment contraires, et le dépassement de nos divisions, se trouve là et là seulement.
Le P. Wenger a sur d'autres publicistes l'avantage irremplaçable de connaître cette doctrine et de savoir tout cela.
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Qu'il veuille bien Comprendre que nous ne lui jetons pas la pierre pour ce qui nous paraît une défaillance dans l'application de ces principes. Qu'il veuille bien comprendre aussi qu'il nous était impossible de ne pas formuler la présente contradiction. Car, sans qu'il l'ait voulu assurément, et sans que la pureté et la noblesse de son inspiration puissent être mises en cause, il vient d'accroître et non pas de diminuer le déséquilibre et la crise de conscience que traversent les catholiques français, tiraillés en des directions contraires par les requêtes opposées de vertus véritablement chrétiennes dans leur origine, mais devenues folles par l'absence d'une notion, clairement définie dans les principes et nettement discernée dans les faits, du bien commun à sauvegarder.
Par rapport au bien commun, le pire à éviter en Algérie est d'empêcher ce pays de tomber sous la domination du nationalisme arabe et dans la sphère d'influence du communisme soviétique. Oui ou non ?
La démocratie en temps de guerre.
C'est donc le principe même de la publication faite par *La Croix,* et les motifs qu'elle a invoqués, que nous contestons.
Nous contestons que l'on ait pu à bon droit présenter cette publication comme une exigence obligatoire de la morale chrétienne ; d'ailleurs, cela est inscrit et avoué dans *La Croix* elle-même. Car, dans cette enquête, de quoi s'agit-il, de quoi *s'agit-il surtout *? L'enquêteur, M. Jacques Duquesne, l'a précisé dès le début (8 janvier) :
« *Il s'agit surtout de savoir si une démocratie ne peut se défendre contre une agression terroriste qu'en utilisant des moyens qui nient les principes mêmes dont elle prétend s'inspirer*. »
S'il s'agit surtout de cela -- et l'on peut en croire l'auteur même de l'enquête, exposant ce qu'il a fait -- alors il s'agit d'une confusion dont on s'étonne qu'elle ait pu être cautionnée et garantie par le P. Wenger.
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Non que la question qui inquiète M. Duquesne soit irréelle. Elle existe. Elle est posée. Mais la réponse est connue, la réponse est *oui,* il en est bien ainsi.
Depuis plus de deux mille ans, les démocraties, même quand il s'agit de républiques qui ne sont que partiellement démocratiques, ont *toujours* dû suspendre l'application de leurs principes pendant les périodes de crise grave et spécialement pendant les guerres, -- fussent-elles de simples guerres classiques. La République romaine, en pareil cas, interrompait le fonctionnement normal de ses institutions et elle établissait une dictature provisoire. Qu'il s'agisse des guerres de 1914-1918 ou de 1939-1945, les démocraties ont très largement suspendu les libertés et garanties démocratiques pendant la durée des hostilités. Le simple *état de siège,* qui est prévu dans les lois en vigueur, et dans toutes les législations du monde, a un effet semblable.
Dans les circonstances présentes, la campagne contre l'armée française est fondée notamment sur le « respect des libertés démocratiques », mais il s'agit des libertés démocratiques *du temps de paix :* les conditions particulières de la guerre subversive, qui ont fait hésiter le gouvernement à décréter « officiellement » que nous sommes effectivement « en guerre », permettent aux communistes et à leurs auxiliaires de *feindre* que nous serions *en temps de paix,* et donc de réclamer le maintien inconditionnel des garanties et des libertés qu'en temps de paix assure en principe toute démocratie. M. Jacques Duquesne est plus ou moins influencé par cette feinte ? Peut-être. C'est son affaire. Mais « un journal comme *La Croix* » s'avance véritablement beaucoup, en confondant une suspension des libertés démocratique (qui est habituelle, et même légale, dans une démocratie en guerre) avec les atteintes à la morale naturelle et à la morale chrétienne.
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Nous voudrions bien savoir de quoi l'on nous parle dans « un journal comme *La Croix* », et il arrive parfois qu'il soit difficile de le savoir. Il arrive que l'on y tienne *en fait* pour identiques les dérogations aux principes démocratiques et les crimes contre la morale. Ici encore, l'équivoque est lourde ; ici non plus, elle n'est pas levée.
Confusion entre la religion\
et le régime établi.
Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de dire à *La Croix*, sans acrimonie et sans passion, mais avec netteté, qu'elle laisse trop facilement, dans l'esprit de ses lecteurs et peut-être dans celui de certains de ses rédacteurs, s'établir une confusion indue entre les principes démocratiques et les principes chrétiens. Le plus souvent, il s'agit sans doute de favoriser discrètement un parti politique qui compte au sein de *La Croix* des sympathies nombreuses et d'ailleurs compréhensibles ([^5]). Tant qu'il ne s'agit que de cela, ce peut bien être irritant, et même injuste de la part d' « un journal comme *La Croix* », mais cela reste irritant et injuste à un plan tout de même relativement superficiel. Quand la doctrine catholique et l'avenir de la patrie risquent de s'en trouver atteints, accidentellement mais réellement, ce n'est plus alors superficiel ni secondaire.
Nous avons assez contredit les confusions de sens inverse, qui tiennent toute démocratie pour incompatible avec le christianisme : nous avons parfaitement le droit -- et le devoir -- de nous élever contre cette confusion-là, que *La Croix*, d'ailleurs, ne soutient pas en doctrine (évidemment !), mais qu'elle pratique en fait.
Le régime démocratique, le régime monarchique, celui de Franco, celui de Salazar sont les uns et les autres parfaitement compatibles en droit avec le christianisme.
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Mais transformer cette *compatibilité* en une *exigence morale*, c'est tout simplement ce que l'on nomme, d'un mot qui n'est pas très heureux, mais qui est reçu par l'usage, du CLÉRICALISME.
On trouve « opportun » d'insister, de manière fort exclusive, sur la *compatibilité*, afin de montrer au pouvoir établi que l'on n'est pas suspect d'incivisme, ou que l'on ne laisse pas utiliser la religion par une opposition politique. Pour ces motifs sans doute, le catholicisme à « option » démocratique se trouve favorisé, mis en relief et particulièrement honoré en France. En Espagne, ce sont les catholiques à « option » monarchiste ou franquiste qui se trouvent chargés d'honneurs, de fonctions et d'influence. Cela, qui est normal en restant à l'intérieur d'une juste mesure, devient *cléricalisme* quand on laisse la confusion s'établir entre la religion et le régime établi.
Car les divers régimes qui sont compatibles *en droit* avec le christianisme ont en outre à l'être aussi *en fait.* Et pour que LES CHRÉTIENS PUISSENT Y VEILLER ET Y TRAVAILLER, IL EST IMPORTANT QU'ILS NE CONFONDENT PAS LE RÉGIME ÉTABLI ET LA RELIGION. Il est important *surtout pour les catholiques espagnols* de savoir très consciemment et très clairement que les principes chrétiens ne se confondent pas nécessairement avec les principes et les pratiques du régime qu'incarne le général Franco. Il est important surtout pour *les catholiques français* de savoir en toute conscience et en toute clarté que les principes chrétiens ne se confondent pas obligatoirement avec les principes et les pratiques de la démocratie. Quand l'Église d'Espagne, ou des catholiques espagnols, rappellent les distinctions nécessaires, ces rappels trouvent ordinairement un écho explicite et détaillé dans *La Croix.* Mais il est beaucoup moins fréquent, et même il me semble qu'il n'arrive jamais, que *La Croix* rappelle aux catholiques français qu'il n'y a aucune identité permanente et obligatoire entre les principes démocratiques et la morale chrétienne : et qu'au contraire les premiers, dans leur inspiration et dans leur mise en œuvre, doivent être constamment jugés à la lumière de la seconde.
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Nous disons que *La Croix* est en pleine confusion, quand son rédacteur en chef annonce :
-- *Nous avons le devoir de publier cette enquête, parce qu'elle dénonce des actes que réprouve la conscience,*
et que le premier mot de cette enquête est de nous dire :
-- *Il s'agit surtout de dénoncer des manquements aux principes démocratiques.*
Suspendre les libertés et les garanties démocratiques n'est ni criminel ni illégal, même du point de vue démocratique.
L'une des impostures de la campagne communiste est de prétendre que les circonstances où il est démocratiquement normal et légal de suspendre les libertés démocratiques ne sont pas réalisées.
En confondant et en bloquant cette question avec celles qui relèvent du droit naturel et de la morale chrétienne, non, *La Croix* ne sert pas les causes qu'elle prétend et désire servir.
La profonde blessure\
de la pensée catholique en France.
Nous ne reprochons à *La Croix* ni de méconnaître ni de déformer une doctrine qu'à coup sûr elle ne peut ignorer. Mais nous disons que, par une socle de distraction, il arrive à *La Croix* de mettre cette doctrine entre parenthèses, et de nous parler d'autre chose.
Nous constatons une ABSENCE.
Et cette absence, chacun peut la vérifier de la manière la plus concrète.
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On sait en effet, et *La Croix* le sait assurément aussi bien que nous, que la doctrine, la notion et le service du *bien commun* ont une valeur centrale, régulatrice, indispensable en matière de justice politique et sociale comme en matière de patriotisme. L'exercice de la vertu de justice ne se conçoit et c'est possible qu'en fonction du bien commun : l' « OBJET » même, l'objet réel et unique de la justice sociale, « C'EST LE SERVICE DU BIEN COMMUN » ([^6]).
Or voici la vérification concrète qui est à la portée de chacun : sans cesse on nous parle d'exigences chrétiennes en matière politique, et de justice politique et sociale, SANS AUCUNE RÉFÉRENCE A UN QUELCONQUE BIEN COMMUN. Cette absence de *l'objet* même qu'il s'agit de discerner, de défendre, de servir, de perfectionner, est assez visible, assez éclatante. Elle constitue la blessure essentielle de la pensée catholique contemporaine, la raison des malentendus et des divisions. Privées de la considération consciente et explicite de l'objet qu'elles doivent servir, les exigences morales, les vertus chrétiennes « deviennent folles » ([^7]).
Et des militants catholiques portent très réellement atteinte à la France, non point parce qu'ils manqueraient de bons sentiments, ni de sentiments patriotiques, mais parce qu'ils ont perdu la notion du bien commun.
« La Croix » renouvelle\
la carence de la Commission.
Si l'on désire des symptômes plus « concrets » encore, les voici.
Les instructions données à la Commission de Sauvegarde étaient catégoriques et non équivoques. Elles sont rappelées dans le texte même du rapport de la Commission :
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« *Elle n'aura pas seulement à connaître de l'éventuelle réalité des abus signalés, mais aussi du caractère calomnieux ou sciemment exagéré de certaines informations.* » Or la Commission n'a rempli que la moitié de sa tâche. Elle a étudié « l'éventuelle réalité des abus signalés » ; elle en a trouvé fort peu : infiniment regrettables, mais accidentels. Et elle a complètement ignoré le « caractère calomnieux ou sciemment exagéré » de la campagne de diffamation menée contre l'armée française. *La Croix* fait de même. Pour « informer » ses lecteurs, elle recense et décrit des « abus » commis par l'armée. Ce faisant, elle nous prie de croire à sa bonne foi et à son patriotisme : et nous y croyons volontiers. Mais nous craignons que cette bonne foi et ce patriotisme ne soient bien mal éclairés, quand ils croient pouvoir se dispenser, abordant un tel sujet, *d'informer* le lecteur sur la campagne d'exagérations et de calomnies menée, pour déshonorer l'armée française, par les communistes et par leurs auxiliaires conscients et inconscients.
Cette campagne, ses procédés, son imposture constituent une réalité sociologique, une agression politique et publicitaire contre la conscience française, un élément qui risque d'être déterminant dans les réactions de l'opinion et dans les décisions qu'elles entraîneront.
Cet élément bien réel, trop réel, *La Croix* choisit de ne pas le contrecarrer, de ne pas même le décrire ou le mentionner.
*La Croix* ne semble pas s'apercevoir que, faute de démasquer cette campagne, on lui laisse prendre du crédit jusque dans l'esprit de militants chrétiens. Et que, sous cette influence que l'on n'a pas su ou pas voulu contredire et combattre, des militants chrétiens sont entraînés à devenir, en pensée et quelquefois en actes, solidaires des assassins du F.L.N. contre nos compatriotes chrétiens et musulmans, contre notre patrie.
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Aperçus positifs\
et équivoques ruineuses.
Il est malheureusement fort ordinaire qu'une armée en campagne, surtout quand elle doit faire face à une guerre de partisans, commette des abus et des excès. Il est tout à l'honneur de la France que ces excès, que ces abus aient été accidentels, désavoués, voire sanctionnés. Il n'est pas vrai que l'opinion ignore leur existence : au contraire, influencée par les campagnes de la presse communiste et défaitiste, elle les imaginerait volontiers beaucoup plus nombreux et beaucoup plus systématiques qu'ils ne sont. Toute tâche d' « *information* » de l'opinion métropolitaine requiert d'apporter aux calomnies communistes et défaitistes une contradiction qu'exige l'équité mais dont *La Croix* s'est toujours dispensée : nous regrettons cette abstention.
Aux dernières lignes de l'enquête publiée par *La Croix,* M. Jacques Duquesne aborde néanmoins les vrais problèmes quand il écrit :
« *C'est un vieux défaut français que de toujours mettre en place des institutions* AVANT *l'évolution, alors qu'elles devraient normalement en découler* ([^8]). *Tout le drame de la loi-cadre réside en ce défaut, qu'il nous faut abandonner si nous voulons résoudre le problème algérien. Comme il faudra abandonner la tradition jacobine de coïncidence absolue entre la patrie, la nation et l'État.* »
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Voilà en effet à quel examen de conscience, à quelle révision des méthodes et des pensées politiques devrait nous conduire le problème algérien. Cela méritait plus de quelques lignes, et *La Croix* ferait œuvre positive en éclairant sur ces points une opinion catholique qui a fort besoin d'être éclairée ([^9]).
Nous ne croyons pas que ce soit l'éclairer d'invoquer, dans un grand mouvement d'éloquence imprécise, « *l'idéal de liberté et d'égalité qui hier a fait notre grandeur et qui aujourd'hui et demain doit faire notre fierté* » ([^10]). Car l' « idéal de liberté et d'égalité », cela désigne surtout, en France, le jacobinisme précisément, ce jacobinisme que l'enquête de *La Croix* a dû finalement mettre en cause. Y placer notre grandeur d'hier et notre fierté de demain est une équivoque démagogique. LA FIERTÉ ET LA GRANDEUR DE LA FRANCE SONT CHRÉTIENNES, oui ou non ? Et quand un journal comme *La Croix* parle d'un « idéal de liberté et d'égalité », nous aimerions que ce soit dans la clarté et non dans l'équivoque, et que l'on précisât et expliquât qu'il s'agit de la liberté chrétienne, de l'égalité chrétienne, et non pas de celles qui sont inscrites sur nos monuments publics et qui relèvent de la « tradition jacobine ». Nous aimerions qu'au chapitre de l'égalité, on nous exposât -- et que d'abord on n'oubliât point -- que l'égalité chrétienne entre les peuples est une égalité en dignité, mais non pas en capacité, en maturité, en civilisation ni en droits. Nous déplorons que, dans une situation dramatique, il y ait tant d'équivoques ruineuses dans le langage de *La Croix.*
24:21
Le défaitisme.
On constatera en outre que *La Croix* choisit de fermer les yeux sur le défaitisme et sur ses entreprises, ou de n'en parler que par dérision, comme s'il n'existait pas. *La Croix* considère peut-être que son patriotisme ne lui impose nullement le devoir de contrecarrer les manœuvres et la propagande des défaitistes : mais on se demande, et on peut lui demander, de quelle DOCTRINE et de quelle OPTION relève une telle omission.
Le défaitisme en tant que tel, le défaitisme avoué fait de profonds ravages dans l'opinion catholique : ils peuvent se mesurer à la diffusion et à l'audience qui sont encore celles de *Témoignage chrétien* jusque dans une partie de l'Action catholique et du clergé. On sait que *Témoignage chrétien* a pour rédacteur en chef un homme qui se définit lui-même comme « UN DÉFAITISTE » ([^11]). En face d'une telle situation, choisir de n'en rien dire, ou même présenter avec faveur un tel journal, sans jamais exprimer les réserves nécessaires, et simultanément mettre l'accent sur les excès et les torts de l'armée française, nous paraît une surprenante mise en œuvre de la vertu de prudence politique ([^12]).
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Conclusion.
C'est en fonction de cette situation que s'établissent les responsabilités de chacun. *La Croix* a pris les siennes. Nous avons pris les nôtres. *La Croix* insiste principalement et le plus souvent et le plus spectaculairement sur les abus français, comme si c'était le plus grand mal qui menace l'Algérie (ou alors pourquoi ?). Nous pensons que le pire à éviter et à combattre est ailleurs : dans l'entreprise du nationalisme arabe, derrière lequel se profile la mainmise soviétique sur l'ensemble du continent africain.
En ce qui concerne l'opinion métropolitaine, *La Croix* considère que le plus grand mal (sinon pourquoi insisterait-elle principalement et le plus souvent et le plus spectaculairement sur lui ?) est dans l'ignorance où l'on serait de la réalité d'abus commis par la France et son armée. Nous pensons que le plus grand mal est dans le glissement qui conduit des Français, et des chrétiens, à des propagandes et à des actes contre la France, auxiliaires inconscients mais efficaces du communisme soviétique ([^13]).
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Oui, nous avons les uns et les autres pris nos responsabilités ; et ce sont des responsabilités différentes ou même contraires. Et s'il faut en rendre compte un jour, nous n'irons pas prétendre que « nous ne savions pas » ce qu'invoque et révèle et répète *La Croix.* Nous avons pris nos responsabilités en connaissance de cause. Mais *La Croix* ne pourra pas prétendre non plus qu'elle « ne savait pas » ce qui vient de lui être dit.
Nous comprenons très bien que le Parti communiste s'efforce de mettre l'accent sur les torts de la France. Nous ne comprenons pas pourquoi *La Croix* y donne aussi sa plus grande et sa plus fréquente insistance : et pourquoi, simultanément, elle s'abstient de contrecarrer et de combattre -- avec une insistance au moins aussi fréquente les campagnes qui cherchent et parfois réussissent à discréditer dans l'esprit des Français le droit et le devoir de la France en Algérie.
Nous ne comprenons pas que *La Croix* reste passive devant LES TRÉSORS D'INTRIGUE ET D'ARGENT que le F.L.N. dépense en France métropolitaine : elle n'a même pas averti ses lecteurs de l'existence, dans les milieux politiques et journalistiques, d'une telle entreprise de trouble et de corruption ([^14]).
La France est aujourd'hui vulnérable. Elle est vulnérable par les Français. Avec de formidables moyens, avec une multitude d'auxiliaires conscients et inconscients, le Parti communiste poursuit son entreprise de démoralisation et de désagrégation. A tout moment, cette entreprise risque de décourager ou de tromper l'opinion, de lui faire abandonner l'Algérie et le Sahara, de faire sauter le verrou français, qui est sans doute le dernier point d'appui de la résistance à une soviétisation complète du continent africain. Cette soviétisation aura lieu dans les dix années à venir si la France lâche prise.
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Nous ne connaissons pas, à propos de l'Algérie, de plus grande menace qui pèse sur le bien commun national et sur le bien commun international.
Et *La Croix* met l'accent, avec infiniment plus d'insistance, sur AUTRE CHOSE ? Peu d'erreurs d'appréciation auront été aussi tragiques.
Jean MADIRAN.
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## CHRONIQUES
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### Apologie pour Jacques-Bénigne Bossuet, docteur de la foi
par Henri Massis
LES PRÉOCCUPATIONS des « intellectuels catholiques » d'aujourd'hui s'éloignent a un tel point de l'orthodoxie d'un Bossuet que sa doctrine est l'objet d'une désaffection qui recouvre une manière de disgrâce à l'endroit de celui qui l'incarne. Les grandes œuvres de controverse, de théologie et d'histoire qui ont fait il y a trois siècles la gloire de Bossuet n'ont plus désormais qu'une étroite audience. Ce sont ses œuvres d'un jour, celles qu'il improvisa, selon les occasions ou les nécessités, ce sont ses œuvres oratoires que notre temps a retenues jusqu'à leur vouer une admiration exclusive. Il « exalte l'écrivain et répudie le docteur ; il se plaît à louer l'orateur sans suivre le théologien et peut-être sans le comprendre » ([^15]). Et, pour beaucoup, Bossuet n'est plus que la grande voix des *Sermons* et des *Oraisons funèbres,* de ces discours de circonstances où il a prêché sa doctrine avant de la développer dans les écrits de sa maturité.
Jamais sans doute le style de Bossuet n'a révélé son ampleur et sa magnificence plus pleinement que dans ces grandes compositions. Maître de son verbe, il en use avec une liberté souveraine. Tour à tour il le retient ou le délivre comme une foule obéissante, sans rien perdre de sa hardiesse à la discipliner. Il y surgit dans toute sa force, mais jusqu'en ses éclats, sa voix reste accordée à celles qui l'entourent.
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Voilà justement la merveille ! Quel invisible chef a donc ainsi préparé tous les instruments de l'orchestre ? Soudain, en ces années 1660, comme à un mystérieux signal, le chœur s'élève, et c'est la perfection. Bossuet lui, le domine, le hausse jusqu'aux registres du divin, et alors même qu'il en exalte et amplifie les ondes, il règle son flot le dirige, il contient son abondance, apaise son tumulte, distribue son torrent. Ainsi fait-il sa partie dans le concert, dont il est le plus prodigieux musicien.
LA MUSIQUE DE BOSSUET n'a pas fini d'agir et de faire sentir ses prestiges. Et sans doute ne saurait-on mieux définir que Paul Valéry les ressources de cet art incomparable, le mécanisme des fonctions de ce style, le développement formel de ces puissances que l'auteur d'*Eupalinos* ne loue que pour en dissocier les idées, par une distinction aussi artificielle que fallacieuse. « Dans l'ordre des écrivains, dit Valéry ([^16]), je ne vois personne au-dessus de Bossuet ; nul plus sûr de ses mots, plus fort de ses verbes, plus logique et plus délié dans tous les actes du discours, plus hardi et plus heureux dans la syntaxe et en somme, plus maître du langage, c'est-à-dire de soi-même. Cette pleine et singulière possession qui s'étend de la familiarité à la suprême magnificence, et depuis la parfaite netteté articulée jusqu'aux effets les plus puissants et retentissants de l'art, implique une *conscience* ou une *présence* extraordinaire de l'esprit en regard de tous les moyens et de toutes les fonctions de la parole. » Et Valéry d'ajouter : « Bossuet dit ce qu'il veut. Il est essentiellement volontaire, comme le sont tous ceux que l'on nomme *classiques.* Il procède par constructions, tandis que nous procédons par accidents ; il spécule sur l'attente qu'il crée, tandis que les modernes spéculent sur la surprise. Il part puissamment du silence, anime peu à peu, enfle, organise sa phrase qui parfois s'édifie en voûte, se soutient de propositions latérales distribuées à merveille autour de l'instant, se déclare et repousse ses incidentes qu'elle surmonte pour toucher enfin à sa clé, et redescendre après des prodiges de subordination et d'équilibre jusqu'au terme certain et à la résolution complète de ses forces. »
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Mais ces forces, Bossuet les puise dans l'élément où il baigne, dans l'immense océan du christianisme. La fécondité, la vivacité, la splendeur de cette imagination qui semble ajouter à la création, tout s'alimente à ce fond d'indestructible certitude, de vérité inépuisable et perpétuellement jeune. On ne diminue pas son génie pour reconnaître ce qu'il doit à la substance immatérielle de sa foi ; on ne pénètre que davantage l'économie de ses beautés vivantes. Prendrait-il tant de part au drame de ses discours, s'élèverait-il si haut, entraînerait-il si loin, s'il n'y voulait conduire tout ce que Dieu a fait capable de Le connaître et de L'aimer ? Ce silence sur lequel il spécule, cette attente qu'il crée, c'est le silence où s'absorbe son âme, l'attente où elle médite, où elle contemple. Il s'y confond, il s'y perd, il l'écoute. Il oublie ceux qui sont là et dont l'oreille est encore pleine des cadences de sa voix. Qu'il est loin et comme tout semble muet autour de lui ! ... Attente sacrée où se consomme un grand mystère, aussi auguste que le mystère de l'autel : c'est l'instant où il s'unit à Celui qu'il a charge de manifester dans la chaire, et pour le peuple qui l'entoure, c'est le moment où Dieu va passer. Tout alors se subordonne, s'équilibre vraiment. Bossuet touche au terme de sa course. C'est sa religion qui parle, il n'a plus qu'à la laisser jaillir.
Et de lui on ne saurait mieux dire qu'en lui appliquant ce qu'il a dit d'un orateur sacré dont il faisait l'éloge : « La parole de l'Évangile sortait de sa bouche, vive, pénétrante, animée, pleine d'esprit et de feu. Ses sermons n'étaient pas le fruit d'une étude lente et tardive, mais d'une céleste faveur, mais d'une prompte et soudaine illumination... Toujours pressant, toujours animé, lumière ardente et luisante qui cherchait le cœur par l'Esprit et ensuite captivait l'esprit par le cœur. D'où lui venait cette force ? C'est qu'il était plein de doctrine céleste, c'est qu'il faisait régner dans ses sermons la vérité et la sagesse : l'éloquence suivait comme la servante, non recherchée avec soin, mais attirée par les choses mêmes.
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Ainsi son discours se répandait à la manière d'un torrent ; et s'il trouvait en son chemin les fleurs de l'éloquence, il les entraînait plutôt avec lui par sa propre impétuosité qu'il ne les cueillait avec choix pour se parer d'un tel ornement. »
Telle est l'éloquence d'un Bossuet ; tels sont les principes de son art, l'objet de son étude, le rythme de son esprit, ses éléments certains, ses ressources profondes. Et n'est-ce pas énerver tout l'efficace de ses discours que de n'y voir qu'un « trésor de figures, de combinaisons et d'opérations coordonnées », une sorte de mécanique transcendante ? On consent encore d'admirer ces compositions de grand style, mais comme on admire « l'architecture de temples dont le sanctuaire est désert et dont les sentiments et les causes qui les firent édifier se sont dès longtemps affaiblis ». « Les pensées qui se trouvent dans Bossuet, écrit Paul Valéry, il faut bien convenir qu'elles paraissent aujourd'hui peu capables d'exciter vivement nos esprits. C'est nous-mêmes qui leur devons prêter un peu de vie par un effort sensible et moyennant quelque érudition.
Ces inaltérables pensées, où Bossuet parle si directement à l'homme qu'il atteint au vif de son être, se voient aujourd'hui traitées comme un matériel archéologique, car ce qui fait appel aux principes permanents de l'intelligence est considéré désormais sous l'aspect changeant et précaire de sentiments momentanés qu'on ne saurait revivre que par une sorte de sympathie historique. L'idée qui se présente chez Bossuet dans sa généralité la plus haute n'apparaît plus que dans sa forme, et c'est à cette forme qu'on transfère la réalité, la valeur et le prix dont on frustre délibérément la pensée : celle-ci n'est plus rien qu'un support, quelque chose d'indéterminé qui varie avec les époques et les personnes... »
Sous la gageure d'un tel propos, reconnaissons le visage de l'erreur moderne la mieux faite pour nous exclure de l'intelligence d'un Bossuet et de la vérité qu'il défend. Sans doute appartenait-il à notre siècle de consommer le divorce de la pensée et de la forme jusqu'à donner à la structure de l'expression, à la figure des choses, une existence si audacieusement indépendante qu'elle détruit sa propre substance sous prétexte de la transcender : et l'on devait en arriver à ne plus voir que l'instabilité des événements dans les signes où se formulent les lois mêmes de toute connaissance.
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Mais cet idéalisme esthétique ne se dégage si hardiment des contraintes de l'évidence, il ne rompt les rapports nécessaires entre le langage et ce qu'il exprime que pour tomber dans une servitude qui lui fait payer au centuple les libertés qu'il se donne. Quand il croit se délivrer de toute entrave, s'évader, échapper aux vieilles lois du monde pour être toujours plus *avancé,* il subit à son insu la plus humiliante des sujétions, celle qui fait du changement, du nouveau, du transitoire, de l'éphémère le fond même de toute pensée : il ne fuit l'objectivité des idées que pour tomber dans la pure matérialité du temps.
QUE TROUVE, en effet, un Paul Valéry lorsqu'il cherche à se rendre compte du peu d'appétit qu'excitent en lui les idées d'un Bossuet ? C'est à leur inactualité qu'il en a. Si la substance de tels ouvrages lui paraît à ce point inconcevable, ce n'est pas qu'il possède quelque principe qui les contredise ; ou plutôt il ne leur refuse le consentement de son esprit qu'en fonction des circonstances et de l'époque où l'événement l'a fait naître. Il lui suffit qu'une idée ait pris de l'âge pour qu'elle perde, du même coup, ses rapports avec l'homme. Tout lui semble étrange, naïf, qui est vieux de plusieurs siècles, et rien, dans le monde, ne lui demeure intelligible qui n'est pas né de la dernière saison. Si périssable que, par essence, soit la nouveauté, et si persuadé qu'il en soit, il y voit une qualité si éminente que « son absence, dit-il, nous corrompt toutes les natures et que sa présence les remplace, formés que nous sommes à ne plus priser que l'étonnement, l'effet instantané du choc. » Pour les esprits de cette sorte, la vérité n'a d'autre norme que celle de l'insaisissable nouveauté, le progrès d'autre direction que celle de la fuite des jours. Mais s'agit-il encore de progrès, de vérité ? Sceptique sur l'une comme sur l'autre, ce n'est point pour ce qu'elles manifestent d'erreur ou de fausseté qu'on exclut les pensées d'un Bossuet de l'ordre des connaissances ; le fait seul d'appartenir à la postérité oblige à les déclarer nulles ou abolies. Mais la naïveté qu'on leur découvre n'est-elle pas moindre que celle qui accorde aux changements, aux événements, à tout ce qui est intervenu d'accidentel, de fortuit, le pouvoir de les détruire ?
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Et d'où vient, après cela, qu'on délègue au rythme du langage ce qu'on refuse à l'ordre de la pensée, qu'on donne à l'accent qui la marque ce qu'on ôte à la réalité qu'elle traduit ? Comment des œuvres « aussi mortes que tous les espoirs, tout l'idéal, toutes les croyances d'un siècle à jamais accompli », comment ces œuvres qu'on estime « affaiblies sans remède », produits inconcevables d'une autre espèce d'hommes, sont-elles placées ensuite au rang des exemples, des modèles ? Par quelle feinte donne-t-on une valeur d'insipidité merveilleuse à ce qui n'a plus rien à nous dire, à ce qui ne saurait trouver de quoi revivre en aucune âme et dont aucune n'a besoin ? Mais à ces amants de la forme, il suffit que « l'arche demeure » et profile son ombre vaine au-dessus des sépulcres et des ruines dont s'enchante la contemplation du néant.
CE QUI PLUTÔT nous émerveille, en lisant Bossuet, c'est que nos sentiments et nos pensées s'y définissent de façon si générale et si simple, que nous y touchons le fond même de toute humant té. S'il nous faut faire effort, ce n'est pas pour entrer dans les façons de sentir d'un temps trop différent du nôtre, pour sympathiser, « moyennant quelque érudition », avec des idées désormais inactuelles, c'est pour les reconnaître sous les signes abstraits où un Bossuet les range, sous les termes si vastes dont il les qualifie ; car ce que nous devons à trois siècles de changements très profonds et de révolutions dans tous les genres, au nombre énorme d'événements et d'idées intervenus, c'est d'avoir désappris à penser, de ne plus savoir remonter aux principes sous lesquels se laisse réduire tout ce que nous nous avisons d'éprouver. Et quand nous disons que tout, dans le monde, s'est renouvelé tête et corps, nous ne manifestons que notre impuissance à saisir l'essentiel, à percevoir les choses et nous-mêmes autrement que de façon psychologique, dispersée et fugace : l'immense règne du « concret » a fini par nous masquer les lois qui continuent à le régir. Mais c'est précisément contre ces lois immatérielles, ces espèces intelligibles, que le regard d'un Bossuet discerne à travers toutes choses,
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c'est là-contre que se retournent ses adversaires -- car il en a toujours -- et certains de ses critiques, plus férus de psychologie que de doctrine, de nouveauté que de vérité. Ce sont, au reste, les mêmes qui, nous le verrons, célèbrent d'autant plus le génie de l'orateur, le « ton extraordinaire et surprenant » de ses discours, qu'ils veulent atteindre par un autre biais le docteur de la tradition, le théologien de l'autorité ([^17]). Images sublimes, enthousiasme débordant, parole prestigieuse, dans cet ordre on lui accorde tout pour mieux rabattre le moraliste à travers l'homme. Les hommes, dit-on, ne sont pour lui que des ombres. Il n'aime que les belles idées et s'y attache plus qu'aux personnes. Et d'ajouter ensuite : « Pourquoi veut-on qu'il ait eu toutes les formes du génie ? Il a dramatisé magnifiquement les grands lieux communs que les deux antiquités nous ont légués... Il connaît l'homme universel bien mieux qu'il ne connaît les hommes et qu'il ne se connaît lui-même. A ce fantôme abstrait, il prodigue tour à tour sa compassion ou son ironie souveraine. Il nous sait mortels, vaniteux, inconsistants, ridicules, mais, tout cela, qui ne le sait aussi bien que lui ? Nous demandons autre chose à un moraliste : nous voulons qu'à force de s'être pénétré lui-même, il nous dise ses propres secrets. » Et tournant la louange en dérision, on ajoute : « Ce grand lyrique a-t-il jamais eu le temps de se regarder, s'est-il connu tel à peu près qu'il était ? Le miroir l'ennuyait et lui faisait peur. »
Le seul miroir qui convienne, ce n'est pas celui qui flatte la vaine curiosité des spectateurs, en leur renvoyant d'artificieux portraits ou d'adroites peintures, c'est celui où Jésus-Christ se montre dans sa vérité, par une interprétation fidèle qui n'altère, ni ne détourne, ni ne mêle, ni ne diminue sa parole. Et que veut-on dire quand on reproche à Bossuet de ne prêcher que les lieux communs du dogme et les principes de la sagesse ? Le dogme ne fait-il plus le fond de la morale, la parole divine ne suffit-elle plus à la conduite des âmes, l'Évangile n'a-t-il plus assez d'efficacité qu'il y faille mêler les inventions de l'esprit humain ?
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Bossuet n'a pas de mots pour flétrir « ces prédicateurs infidèles qui avilissent leur dignité jusqu'à faire servir au désir de plaire le ministère d'instruire ; qui ne rougissent pas d'acheter des paroles de flatterie par des paroles de vérité ; des louanges, vains aliments d'un esprit léger, par la nourriture substantielle que Dieu a préparée à ses enfants ». « Quel désordre, quelle indignité ! s'écrie-t-il. Est-ce ainsi qu'on fait parler Jésus-Christ ? Savez-vous, ô prédicateurs, que ce divin conquérant veut régner sur les cœurs par votre parole ? » Mais ces cœurs sont retranchés contre lui ; et pour les abattre à ses pieds, pour les forcer invinciblement au milieu de leurs défenses, que ne faut-il pas entreprendre, quels obstacles ne faut-il pas surmonter ? »
Suffirait-il de peindre au naturel le caractère des hommes, en leur donnant leurs péchés en spectacle dans un délai si merveilleux qu'ils les séduisent encore, suffirait-il d'étaler les misères du cœur humain pour vaincre ses résistances et renverser les délicieux rapports qu'il entretient avec lui-même ? Bossuet ne le pense pas, et c'est ici que le théologien révèle la profondeur de sa psychologie. Pour descendre utilement dans les ténèbres de notre nature perverse, l'atteindre jusqu'aux racines, jusqu'à l'immuable fond, il faut monter d'abord, en unissant son esprit à Dieu pour pouvoir y projeter ensuite sa lumière, car à qui veut aller jusqu'au plus intime de l'homme, il faut le discernement et le regard des anges. Aussi, définissant le caractère de la prédication sacrée, Bossuet cite-t-il les paroles de l'apôtre saint Paul : « Il faut renverser les remparts des mauvaises habitudes, il faut détruire les conseils profonds d'une malice invétérée, il faut abattre toutes les hauteurs qu'un orgueil indomptable et opiniâtre élève contre la science de Dieu, il faut captiver tout entendement *sous l'obéissance de la foi.* »
MAIS DE CE QU'UN BOSSUET se fonde sur la foi pour guider plus sûrement les âmes, de ce qu'il veut régler la croyance pour mieux régler les actes, de ce qu'il prêche les paroles de la vie éternelle pour l'appliquer selon les besoins de chacun, de ce qu'il n'absorbe pas l'homme dans son propre mystère, qu'il cherche à lui découvrir le mystère du Verbe divin, on lui refuse les dons du moraliste pour n'en faire qu'un lyrique ravi, perdu dans ses extases.
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C'est la foi que pareillement l'on déprime, car le dogme et la morale sont indissolublement liés : le dogme est partout, la morale partout aussi : ils se pénètrent, ils se justifient l'un l'autre, comme lui-même l'expose : « La foi me prouve les mœurs, dit-il, les mœurs me prouvent la foi. Les vérités de la foi et la doctrine des mœurs sont choses tellement connexes et si saintement alliées qu'il n'y a pas moyen de les séparer. » Sans doute a-t-on raison de vouloir de la morale dans les sermons, pourvu qu'on entende que la morale chrétienne est fondée sur les mystères du christianisme. Que ce soit celle de Bossuet, il faut autant d'absurdité que d'irrévérence pour s'en montrer surpris et lui faire un grief de n'être pas moraliste à la façon de Montaigne. Ces mystères n'ont-ils donc pas leurs effets salutaires que le prédicateur se doit de considérer ? Et veut-on dire que le détachement, l'humilité, la pauvreté volontaire, l'amour des souffrances, la charité envers Dieu et envers le prochain, l'étude du salut et la méditation de la mort ne soient que des lieux communs où s'exerce une éloquence magnifiquement inutile ?
MAIS C'EST ENCORE diminuer Bossuet que de l'imaginer tonnant sans cesse contre une sorte de pécheur abstrait, sans vérité et sans visage, et planant, du haut de la doctrine, au-dessus des humbles réalités vivantes. Dans cette guerre inlassable qu'il mène contre les passions, il ne lui suffit pas de dénoncer les ruses par où nous essayons d'échapper à la dure nécessité de bien vivre, il les décrit, il les montre, il les nomme, par des traits d'une vivacité singulière, qu'il emprunte à ce qu'il y a de plus contemporain, de plus actuel, de plus particulier. C'est à chacun de ses auditeurs qu'il s'adresse ; nul d'entre eux qui ne se sente personnellement mis en cause et ne se reconnaisse dans cette glace où ses traits se reflètent. On y voit de quelle connaissance réelle, directe, de quelle matière vivante est nourri un esprit classique. Et c'est fort justement qu'en l'opposant à Lamennais on a pu dire ([^18]) :
38:21
« Pour connaître le cœur humain, Bossuet puise à des sources qui ne sont pas seulement les manuels de piété, il n'a eu qu'à éprouver les tumultes de sa jeune force, qu'à se frotter à cette société de 1660 avec laquelle il a grandi, où la raison fait son chemin dans le tumulte des passions. Grands dogmes et grands mots ne viendront dans sa morale que donner plus d'évidence aux petits faits vrais d'une expérience de tous les jours. Que ferait le théologien s'il n'usait du psychologue ? Sans doute le docteur de la chaire édicte des règles universelles, mais si la leçon porte, c'est que la nature y est saisie au plus près de l'existence, à l' « état naissant », vive encore de chair humaine, de biens, de plaisirs, de gloire, de concupiscence très matérielles. Morale assez métaphysique pour que nul ne s'en croit indemne, mais assez romanesque pour que chacun y puisse entendre ce qui ne semble s'adresser qu'à lui et, ainsi, dans le secret même de son caractère, soit jugé par l'ordre commun. » Pour être soudaine et prompte, jetée comme en passant dans son sermon, mais à l'endroit qu'il a prémédité d'atteindre, l'allusion d'un Bossuet n'est pas moins décisive : impossible d'y échapper. Sans désigner personne, mais toujours aisément entendu, il frappe avec la même décision et la même sûreté, soit à droite, soit à gauche. Également ennemi de toutes les extrémités, retenu et fixé par la sûreté de la doctrine à laquelle il doit la stabilité de son génie, l'inaltérable équilibre de son bon sens, Bossuet nous la propose dans sa pure et divine simplicité. « Il ne faut, disait-il, ni élargir, ni étrécir les voies de Dieu. »
Tous les dons de l'esprit, de l'étude, tout l'immense savoir qu'il a pu rassembler ne sont là qu'aux fins de fournir « pour la gloire de Dieu et l'utilité des hommes les vives peintures et les mots efficaces ». Ainsi les œuvres oratoires de Bossuet se déroulent « sur un fond solide de théologie, d'où la morale sort naturellement, inséparable du dogme, embrassant l'homme tout entier, infiniment abondante et diverse, s'appliquant à toutes les formes les plus passagères de l'humaine faiblesse, apportant à toutes les conditions, à tous les individus, le remède de leurs maux et l'ornement de leur besoin. Elles s'organisent et se développent en raisonnements serrés et pressants que la charité enflamme et que la compassion tendre aux infirmités des hommes, l'ardent désir de les arracher aux misères de la nature déchue et de leur procurer en Dieu la paix et le bonheur, pénètrent d'une toute puissante émotion » ([^19]).
39:21
Ces vérités morales seraient-elles devenues si opaques et serions-nous devenus si sourds à ces appels d'en haut que, pour les entendre et leur prêter un peu de vie, il nous faudrait aujourd'hui faire effort, comme Paul Valéry l'assure ? Il n'y a point de grand style sans une pensée vivante. Des ouvrages comme les *Oraisons funèbres* rendent un tel son d'éternité qu'il n'y a pas à s'efforcer pour les entendre. Le thème qu'ils paraphrasent avec une majestueuse grandeur, auréolé d'espérance surnaturelle, ce thème de la mort, de notre condition périssable, reste une de ces évidences qu'un esprit, même moderne, admet encore dans sa décisive généralité. Dans ces discours traversés d'élans prophétiques, de sauts brusques, de secousses étranges, où la noirceur effrayante des nuages ne s'amoncelle que pour se déchirer sous l'aspect rayonnant des visions qu'il entr'ouvre, Bossuet ne fait que développer les deux idées qui l'émeuvent le plus profondément dans le christianisme : l'idée de la mort et l'idée de la Providence qui finalement en triomphe ([^20]). A quiconque les refuse, Bossuet n'a rien à dire, car c'est dans la religion qu'il trouve tout. Mais en déclarant ces idées inconcevables, c'est notre propre histoire qui devient obscure jusqu'à nous être inintelligible, et c'est le salut du genre humain qu'on met en cause. La prose pure n'a pas encore là-dessus un pouvoir de magistère infaillible.
C'EST LA COMMUNE CONDITION de tous les mortels que Bossuet nous fait contempler dans la solennité de ses discours. Tout y tend, tout y ramène. Et lui-même n'a-t-il pas pénétré dans le sanctuaire chrétien par le porche de la mort ? Rien chez Bossuet qui ne se trouve en cette *Méditation sur la brièveté de la vie* où, à vingt ans, il prélude à tout ce qu'il enseignera par la suite :
40:21
« *Ma carrière est de quatre-vingts ans tout au plus, prenons-en cent ! Qu'il y a eu du temps où je n'étais point ! Qu'il y en a où je ne serai plus, et que l'occupe peu de place dans ce grand abîme des ans ! Je ne suis rien ; ce petit intervalle n'est pas capable de me distinguer du néant où il faut que j'aille. Je ne suis venu que pour faire nombre ! Encore n'avait-on que faire de moi et la comédie ne serait pas moins bien jouée quand je serais demeuré derrière le théâtre !*
« *Ma carrière est de quatre-vingts ans tout au plus ! Pour aller là par combien de périls faut-il passer, combien de maladies ? ... A quoi tient-il que le cœur ne s'en arrête à chaque moment ? la mort nous dresse diverses embûches ; à la fin il faut venir entre ses mains. Il me semble que je vois un arbre battu des vents ; il y a des feuilles qui tombent à chaque moment : les unes résistent plus, les autres moins ; que s'il y en a qui échappent à l'orage, toujours viendra l'hiver qui les fera tomber.*
« *Ma carrière est de quatre-vingts ans, tout au plus, Et de ces quatre-vingts ans combien y en a-t-il que je compte pendant ma vie ? Le sommeil est plus semblable à la mort ; l'enfance est la vie d'une bête. Combien de temps voudrais-je avoir effacé de mon adolescence ? Et quand je serai plus âgé, combien encore ? Qu'est-ce que je compterai donc ? Le temps où j'ai eu quelque contentement, où j'ai acquis quelque honneur ? Mais combien ce temps est-il clairsemé dans la vie ! C'est comme des clous arrachés à une longue muraille dans quelque distance ; vous diriez que cela occupe bien de la place : amassez-les ; il n'y en a pas pour emplir la main.* »
Mais du grand spectacle où gisent dans une même cendre tant de grandeurs foudroyées, cela seul sait tirer un nouvel ordre de choses qui possède les promesses de la vie véritable. « La mort ne détruit pas tout qui peut tout rétablir. » C'est la grande leçon que Bossuet nous propose, l'espérance qu'il nous donne, la vérité qu'il enseigne pour le bien des hommes. Cette Vérité qu'on ne veut plus devant soi, mais derrière soi, l'orateur chrétien l'a posée au-dessus de ses discours, dans toute sa force, dans toute sa sainteté, dans toute sa sévérité.
41:21
Son éloquence, son art lui doivent de ne jamais périr, et c'est la « vertu singulière, et comme le signe d'élection d'un Bossuet, qu'il ait atteint la perfection de son art en ne cherchant que les victoires de sa foi » ([^21]).
\*\*\*
PLUS ENCORE que sa magnifique éloquence qui rassasie de sublime et entraîne dans son céleste vertige, ce qui étonne, déconcerte, c'est la merveilleuse familiarité d'habitude où Bossuet vit avec les vérités de la foi. Car la foi même a aujourd'hui quelque chose de travaillé, qui ne se reconnaît point dans cette possession sans effort. Notre inquiétude s'irrite d'une telle immobilité ; et cette paix audacieuse, où Bossuet trouve son propre affranchissement, demeure, pour nos « psychologues », une sorte d'énigme. On fait grief à ce croyant de n'avoir pas douté, et l'on se refuse à admettre qu' « un pareil être ait jamais pu exister en chair et en os ». C'est qu'à vouloir pénétrer les singularités du cœur humain, à dissocier complaisamment ses chétives aventures, à ne montrer que ses intermittences, on a perdu le sens de l'homme. De ce qu'un Bossuet l'établit sur la connaissance la plus profonde, la plus raisonnable et la plus générale, on l'accuse de n'avoir pas connu les hommes, de s'être grisé d'abstraction, de n'avoir cru qu'aux idées ; mais ces idées, ce sont les limites nécessaires des choses qui réduisent X^e^s mouvants espaces où s'égare l'éternelle illusion humaine, et qui donnent à la vie sa justesse, aux passions leur mesure, à l'intelligence sa rectitude.
*Idées simples, idées banales,* objectent les détracteurs de Bossuet qui poussent le goût du complexe et de l'indéterminé jusqu'au mépris de la vérité même, puisqu'ils ne peuvent imaginer qu'elle suffise à promouvoir une vie d'homme, à lui donner son caractère, à former le climat de son activité. On comprend que la personnalité de Bossuet, son ressort secret leur échappe. Impossible, en effet, de trouver une vocation plus directe, une âme moins divisée et qui, dans les hautes régions qu'elle habite, prenne position avec une plus parfaite aisance, sans combat, sans angoisse, sans retour, comme si ce grand esprit n'avait jamais cessé d' « être dans son ordre et dans sa voie ».
42:21
Mais ce quelque chose de « facile, de supérieur », où apparaît le signe du génie de Bossuet, voilà ce qu'on s'ingénie à rabattre jusqu'à n'y voir que faiblesse et que docilité.
Pour se représenter une telle existence si oublieuse de soi que l'individuel ne s'y manifeste que par la splendeur des dons, pour « humaniser » cette voix qui parle avec l'autorité d'un prophète et de Dieu même, on suppose qu'elle recouvre, sous ses éclats, une sorte de naïveté débonnaire, quelque chose de débile, de pliant et, pour tout dire, d'inoffensif. On s'ingénie, non sans un sentiment d'incertitude et de trouble, à chercher je ne sais quelle disparate entre cette imagination héroïque et cette âme candide ; et c'est pour y déceler comme un manque de proportion entre le prestige des puissances verbales et les habitudes de la volonté. « Qui n'arrive pas à le voir faible ne voit pas le vrai Bossuet », dit un malicieux psychologue que déconcerte un si bel équilibre. Mais Sainte-Beuve ([^22]), chez qui le goût de l'analyse intime s'accorde avec le sens de la grandeur, a par avance répondu aux critiques trop subtils qui soutiennent que l'âme, dans ce grand homme, était d'une trempe et le génie d'une autre : « Je ne crois pas, écrit-il, à cette contradiction chez Bossuet, la nature la plus une et La moins combattue qui apparaisse. » Sa parole mâle et ferme s'allie partout à une vraie piété, sa « hardiesse réglée » à une bonté compatissante ; il n'est faible que de la faiblesse sacrée du cœur chrétien et, s'il se montre dur, c'est de la dureté de la doctrine qui fait de son esprit une « sphère » dont on chercherait en vain la fissure. Docteur de la foi, Bossuet n'a jamais parlé que sous le regard de Dieu. Aussi ne porte-t-il ses vues qu'à l'heureux succès des choses, et n'ayant pour objet que l'enseignement, l'utilité publique, l'intérêt de l'Église, il travaille sans rien s'attribuer, pour la seule gloire de Dieu. « Ô souveraine vérité conçue dans le sein du Père, vous qui, échappée du Ciel, vous êtes donnée à nous dans les Écritures, nous nous enchaînons tout entiers à vous, nous vous consacrons tout ce qui respire en nous ; ceux-là ne peuvent épargner leurs sueurs à son service, qui doivent être, pour elle, prodigues de leur sang. »
43:21
Ce serment que fit Bossuet le jour où il fut reçu docteur, il le répétait encore au soir de sa vie, et il n'a jamais cessé de lui être fidèle.
QU'ON L'IMAGINE au sortir de ce collège de Navarre ou, déjà consacré par avance, il a passé dix années dans -- l'étude et la réflexion solitaire ; il est prêtre, et de son caractère sacré il prend la notion la plus haute. Tout de suite il veut agir, en acceptant son rang et son rôle dans l'armée des soldats de Dieu ; et c'est à un saint qu'il s'adresse pour démêler le vrai caractère de ses dons. Du colloque qui s'engage, sous les charmilles de Saint-Lazare, entre Vincent de Paul et son pénitent, nous ne savons rien, sinon qu'à la fin de cette retraite, Bossuet part pour Metz, où il va prêcher ses premiers sermons et engager ses premières controverses avec les protestants qui ont établi leur forteresse à la frontière du royaume. Le voilà, dès le départ, au poste de combat, et c'est là où sont le devoir et le danger qu'on l'envoie porter les armes de la parole. Ceux qui reprochent à Bossuet d'avoir choisi l'éloquence ont-ils réfléchi qu'il fut confirmé dans ce choix par l'homme le plus humble, le plus silencieux, le plus appliqué aux œuvres de charité qui fût jamais ? Sans doute la perspicacité d'un directeur tel que Vincent de Paul avait-elle discerné que le cœur d'un Bossuet était à l'abri des dangers où les mouvements de la parole risquent d'entraîner celui qui s'en fait l'esclave : sa modestie, sa simplicité suffirent : à le rassurer.
Doué, plus que nul autre, de cette éloquence prestigieuse qui, à seize ans, lui valait les louanges de la Chambre Bleue, le jeune lévite n'avait gardé de ses premiers triomphes qu'une plus profonde aversion pour qui n'a que le brillant du discours. « L'éloquence, dira-t-il, ne doit paraître qu'à la suite de la sagesse ; la sagesse marche devant comme la maîtresse, l'éloquence comme la suivante... Il faut qu'elle semble venir comme d'elle-même, attirée par la grandeur des choses, et pour servir d'interprète à la sagesse qui parle. » Aussi bien sa vocation d'orateur s'alimente au plus vif de sa ferveur de prêtre. Entre le mystère de l'Eucharistie et le ministère de la parole, il découvre une relation secrète ; et, lorsqu'il monte en chaire, c'est dans le même esprit qu'il monte les degrés de l'autel pour célébrer un semblable mystère.
44:21
« Le temple de Dieu, dit-il, a deux places augustes et vénérables, je veux dire l'autel et la chaire ; là, Jésus-Christ se fait adorer dans la vérité de son corps ; il se fait reconnaître, ici, dans la vérité de sa doctrine. Il va une très étroite alliance entre ces deux places sacrées, et les œuvres qui s'y accomplissent ont un rapport admirable. Le mystère de l'autel ouvre le cœur pour la chaire, le ministre de la chaire apprend à s'approcher de l'autel. » C'est assez dire quelle idée prenait Bossuet de la sainte prédication : il y voyait le plus grave, le plus important, le plus nécessaire emploi de l'Église.
Si l'orateur devait plus tard renoncer à faire valoir les talents qu'il avait reçus du ciel pour l'éloquence et laisser obtenir à un Bourdaloue, à un Massillon, à d'autres, le premier rang qu'il y pouvait occuper, il connut dès sa jeunesse de si grands succès de prédicateur qu'en peu de temps, il obscurcit la plus grande partie de ses rivaux. Cet emploi qu'il remplit pendant sept années à Metz, dix années à Paris, absorba le meilleur de son étude et de sa méditation ; ce qu'il lui laissa de loisir, il le consacra à la réunion des Églises, à la conversion des protestants. Pour s'associer à cette difficile entreprise où la charité de son zèle s'allie à la force de sa dialectique. Bossuet ne se montre attentif qu'aux seuls intérêts de l'Église : car ce fut toujours la règle de vie de ce grand serviteur que d' « abandonner ses occupations, quelque chères et quelque convenables qu'elles lui fussent, pour courir au plus pressé et se placer au poste où son action paraissait le plus utile ».
On le vit bien, lorsqu'à la fin de 1670, peu de mois après qu'il fut nommé évêque de Condom, Louis XIV le chargea de l'éducation du Dauphin. Sermons, oraisons funèbres, théologie dogmatique, controverses, il laisse tout pour se consacrer sans réserve, dix années durant, à cette œuvre de faire un roi de France, « où toute la chrétienté avait intérêt ». Lui qui n'a jamais rien sollicité pour lui-même et n'a point recherché les honneurs, il aborde cette fonction éminente dans l'esprit du ministère divin. Mais la Cour et le monde épouvantent un homme aussi simple :
45:21
« Sauvez-nous, Seigneur, sauvez-nous ! ... Hélas ! qui suis-je ? » écrit-il à son ami le maréchal de Bellefonds ; et près des princes et des seigneurs qu'il dirige, il ne songe qu'à s'enfoncer davantage dans son propre néant. C'est au plus profond de son âme croyante et pénitente qu'il cherchera la force, la patience, le labeur assidu qu'exige une si grande tâche ; et il ne se rassurera qu'en songeant que là encore Dieu l'a placé pour les mêmes fins hautes et désirables, et qu'il y pourra poursuivre la réalisation historique de ces grandes vérités chrétiennes dont il a été le défenseur dans la chaire.
Mais, en même temps, quel profit Bossuet ne va-t-il pas en retirer pour lui-même -- et cela à un âge où l'esprit éprouve un besoin de « renouveau », mais où il est bien rare qu'il puisse se le donner. Ce « renouveau », Bossuet le trouve dans les études qu'environ la quarantième année il aborde par fonction ([^23]). C'est pour lui l'occasion d'élargir le champ de ses connaissances, de s'enrichir d'autres notions, en s'ouvrant aux choses du droit, de la politique, en s'initiant aux découvertes de la science, car, dit Rebelliau, « si peu qu'il apprît avec son élève de physique et de physiologie, il lui en restera certains faits », et même lorsqu'il sera de retour dans son domaine religieux, Bossuet ne sera plus « un pur théologien ». Au milieu du chemin de la vie, il lui sera également donné de « refaire ses études », et si solides qu'elles eussent été, quel regain sa maturité ne trouva-t-elle pas à les recommencer, à fréquenter davantage les Grecs, à lire des historiens comme Hérodote et Thucydide, Polybe et Strabon, à rencontrer dans des poètes tels qu'Homère et Hésiode des images dont son commerce avec la Bible le préparait à sentir la grandeur, à connaître dans Aristote non plus seulement le logicien que ses maîtres du Collège de Beauvais lui avaient enseigné, mais « le penseur fécond, substantiel, suggestif, dont les vues morales s'adaptent merveilleusement au christianisme » !
46:21
Toutes les idées que Bossuet découvre alors dans l'étude de l'antiquité et celle des sciences lui sont un nouvel aliment dont, en fructifiant, se nourrira son génie, comme en témoignent les ouvrages qu'il rédigera pour son royal élève et notamment cette *Histoire universelle* où il n'avait d'autre dessein que de lui enseigner l'admirable « suite de la religion ». Lorsqu'il arrivera à l'étude du droit et qu'il composera les six premiers livres de la *Politique tirée de l'Écriture sainte,* il n'établira la doctrine de la monarchie héréditaire que pour mieux définir le devoir royal dans son essence : « Dieu, dit-il, n'a donné sa puissance aux rois que pour procurer le bien public et pour être le support du peuple. » Et encore : « Les pensées royales sont celles qui regardent le bien général. Les grands hommes ne sont pas nés pour eux-mêmes ; les grandes puissances que tout le monde regarde sont faites pour le bien de tout le monde. » Et aux princes qui l'entourent Bossuet ne cesse de rappeler que « Dieu n'a fait des grands que pour protéger les petits ». « Quoique l'orgueil, dit-il, ait trouvé le moyen de mettre une différence infinie entre le sang noble et le sang roturier, la grandeur n'a d'autre fondement que le don gratuit et fortuit de Dieu. Si les grands oublient cette unique raison d'être d'un privilège immérité et les devoirs de bonté qu'il leur impose, malheur à eux : leurs fautes ne peuvent presque jamais être médiocres ! »
Bossuet se définit ici par rencontre. S'il a l'esprit d'autorité, il sait et aime à se redire sans cesse que la puissance ne nous est appliquée que pour le dehors, qu'au fond, elle nous laisse faibles et qu'elle nous charge devant Dieu d'un grand compte. Aussi n'y tient-il pas pour elle-même, mais pour les obligations qu'elle comporte, pour les moyens périlleux qu'elle offre de mériter la félicité promise au juste, et dans les grands emplois qu'il occupe, il ne cherche qu'à collaborer à l'accomplissement du plan divin. Au terme de la tâche que lui a valu la redoutable faveur du Roi, il quitte la Cour avec la même simplicité qu'il y est entré. Dénué d'ambition, il ne brigue aucune faveur, il ne cherche à jouer aucun rôle. Nommé évêque de Meaux, intronisé en 1682, il ne désire plus rien qu'une vie chrétienne et épiscopale. « Que je ne scandalise pas du moins le troupeau dont je devrai être la forme et le modèle », dit-il modestement, et nul n'est plus soucieux d'acquérir ce caractère d'évêque où réside la plénitude de l'esprit de gouvernement et de conduite ».
47:21
Il en remplit toutes les charges avec « cette application régulière et calme qui réussit à faire tout ce qui se présente à chaque moment, grâce au retranchement sévère des inutilités de la vie » : il administre son diocèse, il prêche son troupeau, il dirige les religieuses qui lui sont confiées avec un zèle continu, inlassable. Mais du fond de son modeste évêché qu'il ne quitte que pour quelque retraite à la Trappe, il reste, malgré lui, l'organe des grandes institutions et de l'ordre établi, il apparaît plus que jamais comme « le grand évêque de la Monarchie », dont il est le conseiller et l'arbitre.
EN 1681, au lendemain du jour où le Pape Innocent XI venait d'excommunier deux vicaires généraux nommés par le Roi en vertu du droit de régale, c'est à Bossuet qu'échut la mission délicate de prononcer, à l'ouverture de l'Assemblée du Clergé de France, ce sermon sur l'Unité de l'Église qui est la véritable profession de foi de l'Église gallicane. Gêné, il ne l'est point ; prêt à capituler devant les illustres prélats convoqués par le Roi pour statuer sur la querelle de l'investiture, il l'est moins encore, et nul ne saura mieux que l'évêque de Meaux résister à la servilité courtisane du Cardinal de Paris. Mais, au fond de lui-même, il s'afflige d'avoir à remuer dans la chaire et devant le peuple des matières aussi difficiles. Le bien général néanmoins l'exige, car il s'agit d'éviter un schisme que les magistrats encouragent, -- et c'est grâce au bon sens de Bossuet qu'il fut épargné à la France. Gallican, il l'était sans doute, comme tout le clergé d'alors, quoiqu'il « penchât du côté de Rome plus qu'on n'a coutume de le dire ». Mais, pour contemplatif que fût Bossuet, il avait trop le souci des réalités de la terre, des difficultés de son temps, pour les éluder ou pour fuir l'événement ; et, dans cette occurrence, il songea surtout à l'état de l'Église, à sa récente division, au besoin d'y refaire l'unité, et, sans rien relâcher d'aucun point de la doctrine, il désirait trop le retour des protestants qu'irritaient les prétentions romaines pour ne pas choisir l'occasion qui s'offrait à lui de leur montrer que la suprématie du Pape pouvait être restreinte.
48:21
Son discours fut « un vrai tour de force » ; mais plus encore que son habileté, c'est sa franchise qui nous frappe : là encore -- comme partout -- Bossuet sut se tenir dans le *sage milieu.* S'il revendique l'indépendance du Prince à l'endroit du Pape, il n'entend pas faire de lui une sorte de pape laïque, et s'il se prononce pour l'autonomie de l'Église gallicane, il ne veut pas qu'elle soit réduite au rôle d'un simple organe de l'État, ni que l'obéissance du clergé au roi de France dégénère en humiliante servitude.
De cette difficile épreuve, où sa sagesse conciliatrice avait surmonté les pernicieux conseils de l'intrigue en maintenant les justes droits de l'Église et de la royauté, le prestige de Bossuet sortit encore accru. On respecte, on admire sa clairvoyance, ce qu'il y a en lui de sensé, de pratique avant tout. L'estime qu'on lui montre est égale à sa réputation. « Gallican, il est en bons termes avec Rome ; défenseur déclaré de la morale sévère contre les relâchements des casuistes et disciple de saint Augustin dans sa théologie, les jansénistes lui sont favorables ; les jésuites, dont il fut l'élève, ne se plaisent pas moins à ce que « son orthodoxie a de pacifique ». Considéré par les personnes de piété, il l'est aussi des honnêtes gens. Aux philosophes et aux savants, dont il suit les nouvelles recherches, il apparaît comme « le représentant d'une religion ouverte aux préoccupations du dehors » ; les protestants le regardent comme « l'ambassadeur d'une réunion possible » ; tous saluent en lui le plus digne représentant du catholicisme français » ([^24]).
C'est alors, à l'apogée du grand règne, qu'on aperçoit tout ce que ce beau génie dut à l'influence de Louis XIV. Sainte-Beuve, qui ne veut rien avancer que d'incontestable, n'a pas laissé de faire voir combien il lui fut utile, pour acquérir de la proportion et de la justesse, pour ne pas excéder et pour ne rien forcer, d'avoir en face de soi un tel régulateur. « Sans rien perdre de son étendue, ni de ses hardiesses de coup d'œil, dit-il, Bossuet trouva partout autour de lui ce point d'appui, cette sécurité, et cet encouragement ou avertissement insensible dont le talent et le génie lui-même ont besoin :
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et s'il mettait sans doute sa certitude avant tout dans le Ciel, il redoubla d'autorité et de force calme en sentant que, sous lui, la terre de France ne tremblait plus. » C'est l'époque où régna sa pensée, où Bossuet nous apparaît dans sa majesté souveraine, tel que Rigaud l'a peint.
(*A suivre.*)
Henri MASSIS.
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### Réforme des institutions et réforme des mœurs
IV\. -- Les présupposés moraux\
de la restauration sociale
LA SÉPARATION de la morale et du droit, dans les sociétés modernes, a joué un rôle déterminant pour fausser, dans les représentations collectives, la claire vision des rapports organiques qui normalement relient l'action morale personnelle aux institutions juridiques ou aux structures sociologiques.
Le Législateur individualiste, depuis la Révolution, a tenu, en substance, le langage suivant : « Que vous respectiez ou non la sainteté du mariage, que vous éleviez vos enfants selon la morale chrétienne ou selon une éthique naturiste, que vous soyez un investisseur honnête ou un spéculateur cupide, ce sont là autant de problèmes qui ne se posent qu'entre vous et votre conscience. Tout ce que la loi ne défend pas est, par le fait, permis. Tout ce que la loi interdit est, par le fait, mauvais. L'État ne connaît pas d'autre loi que celle qu'il fait. »
La conséquence de cette séparation radicale du droit et de la morale a été triple :
a\) Les esprits se sont habitués à considérer que *le Droit*, par nature, jouit d'une autonomie propre, qu'il est, en lui-même, *indépendant de la Morale* ([^25]) ;
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b\) La conviction s'est répandue que *l'activité morale individuelle est inefficace* pour réaliser les fins sociales ([^26]) ;
c\) Les hommes ont donc fondé sur *la réforme des structures* politiques ou économiques un *espoir mystique de restauration sociale* ([^27]).
Face à cette triple conviction, aujourd'hui établie dans le plus grand nombre des esprits -- même catholiques -- l'Église, par la voix du Souverain Pontife, nous invite à réviser nos perspectives et, le cas échéant, à les redresser.
Le texte de l'Encyclique commémorant le centenaire des apparitions de Lourdes est, à cet égard, aussi précis et univoque que possible : « *Sans doute, énorme est le poids des structures sociales et des pressions économiques qui pèse sur la bonne volonté des hommes et souvent la paralyse. Mais s'il est vrai, comme Nos Prédécesseurs et Nous-mêmes, l'avons souligné avec insistance, que la question de la paix sociale et politique est d'abord, en l'homme, une question morale, aucune réforme n'est fructueuse, aucun accord n'est stable, sans un changement et une purification des mœurs.* » ([^28]).
Nées de la séparation de la morale et du droit, les écoles politiques ne nous ont pas habitués à ce langage. La droite nationaliste nous avait habitués à penser « politique d'abord », la droite libérale, à penser « économique d'abord », la gauche, dans son ensemble, à penser « social d'abord » ... Or la politique a son importance et aussi la forme du régime. L'économie joue son rôle considérable, et la question sociale, ouvrière ou paysanne, est au premier plan de nos préoccupations. L'ordonnance des structures économiques ou sociales entraîne des conséquences énormes...
Toutefois, cela examiné, connu, compris et nettement formulé, nous nous trouvons en face d'une invitation nette à la réflexion. Pie XII nous disait, le 23 décembre 1956 :
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« *La réforme des institution n'est pas aussi urgente que celle des mœurs* » ([^29]). Il nous répète, à l'heure du pèlerinage de Lourdes : « *La question de la paix sociale et politique est d'abord, en l'homme, une question morale.* »
Cette affirmation nous conduit à reconsidérer les trois convictions généralement répandues et précédemment évoquées. Il est donc convenable d'examiner successivement comment :
1\. la subordination de l'ordre juridique à l'ordre moral ;
2\. l'efficacité de l'action morale dans la vie sociale ;
3\. la claire vision, dans les esprits, de ces deux points, présupposent, en dernier ressort, le primat de l'ordre moral et religieux, non seulement dans l'ordre d'intention, mais aussi dans l'ordre d'exécution. Car l'homme n'est pas seulement le but de la vie sociale. Il en est aussi le principal agent.
#### 1. -- La subordination de l'ordre juridique à l'ordre moral présuppose une réforme des mœurs
La cause sociologique de la crise moderne, comme nous y avons insisté, provient de la séparation de la morale et du droit. La condition fondamentale de la restauration sociale est donc de soumettre à nouveau les institutions juridiques aux exigences de la morale ([^30]). C'est là, en quelque manière, la visée fondamentale, où, si l'on préfère un langage plus énergique, la direction du coup principal, le BUT STRATÉGIQUE. « *L'intervention dans le monde* POUR SOUTENIR L'ORDRE DIVIN *est un* DROIT *et un* DEVOIR *qui font intrinsèquement partie de la responsabilité du chrétien est lui permettent d'entreprendre légitimement n'importe quelle action privée, publique ou organisée, capable d'atteindre son but.* » ([^31]).
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Et Pie XII insiste : « *Le chrétien qui n'*OSERAIT PAS *revendiquer pour lui cette* PLÉNITUDE DE LIBERTÉ *dénierait implicitement, au Christ lui-même, la prérogative de* « *cette puissance qui lui donne même de s'assujettir l'Univers* » (*Phil.* III*,* 21). *Il devrait* CONSIDÉRER COMME UNE HONTE *le fait de se laisser dépasser par les ennemis de Dieu en ardeur au travail, esprit d'entreprise et même de sacrifice.* IL N'EXISTE PAS DE TERRAINS CLÔTURÉS *ni de directions interdites à l'action du Chrétien ; aucun domaine de la vie, aucune institution, aucun exercice du pouvoir ne peuvent être défendus aux coopérateurs de Dieu* POUR SOUTENIR L'ORDRE DIVIN ET L'HARMONIE DU MONDE. » ([^32]).
Or, il ne sera possible de soumettre à nouveau le droit à la morale (ce qui seul peut garantir, dans la société, l'ordre divin et l'harmonie du monde) que lorsque cette réforme, tout à fait nécessaire *dans la thèse,* sera, *dans l'hypothèse,* SUSCEPTIBLE D'ÊTRE ENVISAGÉE EN ACCORD AVEC LES EXIGENCES DE LA PRUDENCE POLITIQUE.
Dans l'immédiat, nous n'en sommes pas là. D'aucuns même sourient, non sans ironie, en songeant que nous en sommes loin. Ils n'en savent rien. Car « *la politique du* XX^e^ *siècle ne peut ignorer ni admettre qu'on persiste dans l'erreur de vouloir séparer l'État de la religion au nom d'un laïcisme que les faits n'ont pas pu justifier.* » ([^33]). Donc, nous pouvons, nous devons travailler à ruiner le laïcisme des États, qui a fait le malheur des peuples, des classes sociales, des familles, sans parler du plus grand de tous les maux, car ces ténèbres conduisent à la révolte des âmes en face de Dieu, -- ou au refus désespéré de Sa miséricorde.
Le premier pas à accomplir pour ruiner le laïcisme, c'est de le ruiner dans les intelligences. C'est d'obtenir donc, de Dieu, par la prière, par la pratique fréquente et si possible, quotidienne, des sacrements, par l'esprit de sacrifice, la grâce de l'approfondissement de notre foi, de celle aussi de nos frères dans le Christ, le réveil des endormis, le retour des égarés, la conversion des autres.
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Il faut qu'à nouveau les catholiques, les chrétiens du monde entier sentent leur Chef, leur Dieu, le Christ invisible, mais présent au milieu du monde. Éclairant et affermissant son Église par Sa Grâce, conduisant tous les hommes par sa Providence, Maître du Ciel et de la terre, il veut régner sur les cœurs par Son Amour Infini.
Il faut que nous cessions d'avoir honte d'être chrétiens, d'invoquer des prétextes subtils pour justifier notre fadeur, notre tiédeur, notre lâcheté, parfois ou souvent, dans nos conversations ou dans nos actes. En ce premier sens, « *la paix sociale et politique est d'abord une question morale* », car la subordination de l'ordre juridique à l'ordre moral présuppose une réforme des mœurs, elle-même fondée sur un renouveau de la foi.
#### 2. -- L'efficacité de l'action morale dans la vie sociale présuppose une réforme des mœurs
La personne humaine, par nature, est sujet de droit, sujet de la vie sociale ([^34]). C'est là un mot dont le contenu risque de se vider de toute substance à une époque où l'État moderne connaissant presque parfaitement les possibilités de la technique et de l'organisation, n'a que trop tendance à retirer à l'individu, pour les transférer à des institutions publiques, le souci et la responsabilité de sa propre vie.
Pourtant, la personne humaine est sujet de droit, principe responsable de son initiative dans la vie familiale, politique, économique. Ce ne sont pas les structures qui doivent régler la vie des hommes, comme si l'État était le sujet actif, et les hommes des objets ou des pantins manipulés par le Pouvoir, ou par le Plan en vue de la Production, de la Puissance ou d'une Idéologie -- fût-elle de Grandeur nationale ou de Justice sociale. Ce sont les membres du corps social qui, comme sujets, doivent tous participer légitimement à la formation de l'ordre social.
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Il faut qu'ils puissent fonder librement des familles, élever librement leurs enfants, contracter librement dans les domaines du droit privé, s'unir solidairement dans les cadres municipaux, régionaux, professionnels de droit public et cela sous l'autorité, la conduite et l'arbitrage de l'État.
Nous avons quelque peine à concevoir une telle société. Peut-on encore tabler sur l'initiative et la responsabilité personnelle de personnes s'unissant activement en vue de la corporation incessante de l'organisme social ? Nous ne croyons plus guère à la capacité de la personne de servir de point d'appui à la vie communautaire.
Nous n'y croyons plus, parce que la décomposition morale de notre société s'étale sous nos yeux et que le matérialisme semble triompher dans l'ordre familial comme dans le politique et l'économique.
« *Ce matérialisme, il n'est pas seulement dans la philosophie condamnée qui préside à la politique et à l'économie d'une portion de l'humanité ; il sévit aussi dans l'amour de l'argent, dont les ravages s'amplifient à la mesure des entreprises modernes et qui commande, hélas ! tant de déterminations pesant sur la vie des peuples ; il se traduit par le culte du corps, la recherche excessive du confort et la fuite de toute austérité de vie ; il pousse au mépris de la vie humaine, de celle même que l'on détruit avant qu'elle ait vu le jour ; il est dans la poursuite effrénée du plaisir, qui s'étale sans pudeur et tente même de séduire, par les lectures et les spectacles, des âmes encore pures ; il est dans l'insouciance de son frère, dans l'égoïsme qui l'écrase, dans l'injustice qui le prive de ses droits, en un mot dans cette conception de la vie qui* RÈGLE TOUT EN VUE DE LA SEULE PROSPÉRITÉ MATÉRIELLE ET DES SATISFACTIONS TERRESTRES. » ([^35]).
Face à une telle situation sociologique comment espérer, d'une part, que les citoyens portent efficacement le souci et la responsabilité de leur propre vie ? Comment espérer, d'autre part, que leurs actions personnelles servent de régulatrices à la vie sociale ?
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Comment espérer sérieusement fonder la restauration sociale sur la pratique patronale de la justice, sur la volonté des commerçants d'assurer le progrès économique, sur l'apaisement des sentiments d'envie chez les moins fortunés, sur la collaboration des employeurs et des salariés, sur le labeur et l'esprit civique pour redresser la monnaie, sur la collaboration de l'industrie et de l'agriculture pour donner aux ruraux les possibilités de leur redressement ?
Comment espérer une telle réforme des mœurs non seulement dans l'ordre économique, mais d'abord dans l'ordre personnel et familial, et aussi politique, alors que Marx explique l'évolution humaine par le déterminisme de la cupidité, que Freud explique les actes humains par le déterminisme de la sensualité, ou Nietzsche par le déterminisme de la volonté de dominer ? Ne faut-il pas que l'observation des faits politiques et économiques se dégage de ces considérations morales et formule de simples lois physiques pour que l'on puisse édifier des structures mettant en œuvre ces lois ? N'est-ce pas plus « réaliste » que de rêver d'un « moralisme » ... kantien, voir rousseauiste ?
Si nous avons bien compris le message radiophonique de Noël 1956, c'est précisément ce « réalisme » là que Pie XII refuse et qu'il impute aux « faux réalistes » : « *Il ne faut pas, à leur avis, incriminer la conscience et le sens moral des hommes, mais bien leur impuissance temporelle à construire... Les partisans du prétendu réalisme affirment : ... de même qu'une connaissance plus étendue des lois et des fonctions naturelles a permis les réalisations techniques les plus audacieuses, ainsi* DANS LE DOMAINE DES STRUCTURES SOCIALES, *il suffira d'une* CONNAISSANCE *plus complète des* LOIS QUI COMMANDENT LEUR MÉCANISME *pour mettre debout une société parfaite.* » ([^36]).
A ce faux réalisme, Pie XII oppose la claire vision de l'homme, de la nature, de la faute originelle, de la Rédemption : « *Il n'y a plus d'autre remède, pour en triompher, que le retour au vrai réalisme, au réalisme chrétien, qui détermine avec la même certitude la dignité de l'homme, mais aussi ses limites, sa capacité de dépassement, mais aussi la réalité du péché... Dans la vie des États, eux mêmes, la force et la faiblesse des hommes, le péché et la grâce jouent un rôle capital.* » ([^37]).
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Il ne sert à rien de s'abuser : la cause réelle de la guerre, froide au chaude, c'est l'oubli ou le mépris de la loi de Dieu, l'esprit de domination, la pratique d'un utilitarisme brutal et à courte vue. La cause réelle des luttes de partis et des luttes de classes, c'est l'oubli ou le mépris de la loi de Dieu, l'esprit de violence, de cupidité, d'égoïsme ou d'envie. La cause réelle des désordres familiaux, c'est l'oubli ou le mépris de la loi de Dieu et la recherche effrénée du plaisir qui marque notre civilisation d'un signe d'abominable décadence. Et si ce sont là les vraies causes du désordre, la réforme des structures n'y peut rien faire et n'y fera rien. En cent cinquante ans, la France a changé quinze fois de constitution politique ! ... Certaines d'entre elles, sans doute, étaient meilleures que d'autres. Nous n'avons même pas pu nous en apercevoir car, sous ce rapport aussi, « *la question de la paix sociale et politique est d'abord, en l'homme, une question morale. Aucune réforme n'est fructueuse, aucun accord n'est stable, sans un changement et une purification des cœurs.* » L'efficacité de l'action morale dans la vie sociale présuppose une réforme des mœurs, elle-même fondée sur un renouveau de la foi.
Mais ce changement, cette purification, cette réforme, sont-ils possibles ?
C'est un point sur lequel nous reviendrons ([^38]). Pour l'instant, nous pouvons méditer ce passage de l'Encyclique sur Lourdes : « *Pour primordiale qu'elle soit, la conversion individuelle du pèlerin ne saurait ici suffire. En cette année jubilaire. Nous vous exhortons, chers Fils et Vénérables Frères, à susciter parmi les fidèles* UN EFFORT COLLECTIF DE RENOUVEAU CHRÉTIEN DE LA SOCIÉTÉ, EN RÉPONSE A L'APPEL DE MARIE. » ([^39]).
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#### 3. -- La fin des divisions entre chrétiens présuppose une réforme des mœurs
Non seulement c'est la réforme des mœurs, qui, seule, peut permettre de soumettre à nouveau l'ordre juridique à l'ordre moral, non seulement, seule, elle peut rétablir la société dans un état qui donne leur pleine valeur à de saines institutions, mais encore c'est la réforme intérieure profonde qui conditionne le retour des chrétiens eux-mêmes à la claire vision du primat de l'ordre moral dans la vie sociale.
En effet, sous ce rapport, la crise a pour origine le fait que les volontés des hommes, n'étant plus tendues vers l'avènement du Règne de Dieu, se sont tendues vers l'avènement des mystiques temporelles, institutions philosophico-juridiques plus ou moins détachées de la religion et de la morale, qui deviennent des idéologies, génératrices de fanatismes et de sectarismes.
On constate ce fait, non point seulement chez ceux qui se sont écartés de l'Église, mais aussi parmi les catholiques. Car, même si l'on n'affirme pas d'une façon *spéculative* que la réforme de structure envisagée est un absolu, cette réforme trop souvent est proposée, évoquée, répétée, méditée *pratiquement* au point de devenir un thème de concentration intellectuelle, de tension spirituelle, d'aspiration fervente. Peu à peu, la forme politique de l'État, la structure de l'entreprise, l'action syndicale, l'évolution vers des formes communautaires dans l'agriculture, ou n'importe quoi d'autre, semblent des buts si excellents qu'ils s'identifient avec l'avènement même du Christ -- ou qu'ils en apparaissent le préalable inconditionnel.
Ayant parfois perdu le sens de la vraie mystique, de l'inhabitation vivante de la Trinité dans l'âme, trop de catholiques sont tentés de se donner passionnément à une dégradation temporelle de l'avènement du Règne de Dieu. Au lieu que l'âme, spontanément, se recueille et se tienne dans la présence intime du Seigneur, elle se réfugie (sans s'en douter) dans un amour de complaisance pour une mystique temporelle.
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Cela ne signifie pas pour autant que Dieu ne tienne plus aucune place dans l'âme. Mais il n'y tient plus que la place des amis dont on est sûr, de ceux, même, qu'on ne voit plus qu'une fois l'an, aux occasions prescrites par les convenances. Jusqu'au jour où l'on doute de la légitimité de ce rendez-vous.
C'est précisément, là encore, l'un des « cas-limite » qu'envisage le message de Noël 1957. « *Si l'on rejette le concept même de l'éternité de Dieu et la possibilité pour lui de faire part aux créatures de quelque chose de lui-même, il est vain de parler d'ordre et d'harmonie du monde. Par de telles négations, cependant, on n'éteint pas en l'homme la soif d'harmonie, d'ordre, de bonheur. L'homme, alors se trouve* CONTRAINT D'ÉLEVER AU RANG DE VALEUR SUPRÊME *ce qui reste, c'est-à-dire* SON ÊTRE CONCRET FINI... *L'homme moderne qui ne* SE SENT PAS LIÉ *essentiellement à* l'ÉTERNEL, TOMBE DANS L'ADORATION DU FINI, *au milieu duquel il est en train de se déplacer et de travailler.* » ([^40])
Insistons nettement sur un point. Les développements qui précèdent n'insinuent pas que l'on ne doive pas songer à réformer les institutions politiques, voire le régime lui-même, ou que l'on ne doive pas envisager de resserrer par d'éventuelles modifications juridiques de droit privé la communauté d'entreprise, ou encore que l'on ne doive pas s'efforcer de promouvoir une organisation corporative professionnelle de toute l'économie... (Nous choisissons ces exemples intentionnellement, parce qu'ils sont de ceux qui fournissent à l'Ennemi de l'humanité des instruments pour diviser les catholiques, de France et d'ailleurs).
Mais cela signifie que nous sommes, le cas échéant, invités à rectifier le paysage de nos jugements et de nos aspirations secrètes. Car il y a une perspective d'ensemble, dans notre vie intérieure. Dieu y a sa place, -- et aussi la Démocratie, et la Sécurité Sociale, et les Nationalisations ! ... Et ce n'est pas la même !
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Toutefois, quand nous n'avons pas encore tout livré de nous-même à Dieu : notre intelligence, notre volonté ; quand nous n'avons pas encore décidé de laisser notre pensée se faire modeler au niveau des principes par le Docteur commun de l'Église, quand nous ne prenons, de sa doctrine, selon notre jugement, notre « prudence » ou nos passions, que ce qui nous convient, -- bref, lorsque nous nous improvisons nous-mêmes le « paysagiste » de notre âme, alors, sans nous en douter, nous travaillons au désordre du monde, à la rupture de son harmonie.
Ce n'est donc pas d'abord sur le plan *intellectuel* ([^41]), mais plus secrètement et profondément sur le plan *spirituel* que nous pouvons travailler à l'unité préalable à toute vraie restauration sociale. C'est en rendant à Dieu sa place dans notre vie intérieure. C'est en retrouvant le Dieu Amour qui comble le Cœur, le Dieu Sagesse qui ouvre, éclaire et élargit l'intelligence. C'est, enfin, en retrouvant le Dieu Créateur qui, à chaque instant, nous communique la respiration, le mouvement et l'être et qui veut qu'à tout moment, nous consentions à être créés par Lui, non seulement dans notre corps, mais aussi dans notre volonté, mais aussi dans notre intelligence.
Une telle conversion d'amour, un tel retour au véritable esprit de l'Évangile peut seulement restaurer les vraies proportions, le juste relief de notre paysage intérieur. Car lorsque la volonté de Dieu aura informé, déjà par le désir profond que nous en formons, notre propre volonté, c'est de nous-mêmes que nous nous efforcerons de « *sentire cum Ecclesia* ». Les points tout à fait fondamentaux de la doctrine sociale nous apparaîtront dans leurs vraies proportions. Ses motifs profonds qui, peut-être, nous échappaient *spirituellement*, nous deviendront intelligibles. Comme on le voit, sous ce troisième rapport, aussi, « *la paix sociale et politique est* D'ABORD *en l'homme une question* MORALE ». La fin des divisions entre chrétiens présuppose une réforme des mœurs, elle-même fondée sur un renouveau de la foi.
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AINSI, derrière le primat général de la réforme des mœurs, affirmé si nettement et fréquemment par le Saint-Père, se dissimule la question particulière de la Foi. N'est-ce pas d'ailleurs cela qui demeure la conclusion fondamentale du rapport doctrinal présenté le 30 avril 1957 par S. E. Monseigneur Lefebvre à l'Assemblée Plénière de l'Épiscopat : « *La cause la plus profonde de ce que nous avons à déplorer se trouve dans l'absence trop fréquente d'une foi suffisamment éclairée et vigoureuse... Aussi importe-t-il avant tout d'obtenir de tous les chrétiens, prêtres, religieux et fidèles, que, conscients de leur devoir et de leur responsabilité, ils se décident à approfondir courageusement leur foi pour en inspirer toute leur action et en pénétrer toute leur vie* » ([^42]). Nous ne saurions mieux faire que de nous appliquer, personnellement, cette directive de l'Église de France. Elle est pour maintenant, -- et elle est pour chacun de nous.
Marcel CLÉMENT.
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### NOTES CRITIQUES Le scandale des cinquante meilleurs
ON RECOMMENCE cette année à nous présenter publicitairement une *sélection des cinquante meilleurs livres catholiques.* Cette entreprise est menée, nous répètent les *Informations catholiques* du 15 janvier, « *sous le patronage de la sous-section de littérature religieuse du* SYNDICAT DES ÉDITEURS », et le choix est effectué par « *un Comité composé des* RR*.* PP*. Dalmais, o.p., de Parvillez, s.j., Odil, A.A., et de MM. Étienne Borne, Stanislas Fumet, Paul-André Lesort* ».
Nous avons longuement exposé les raisons pour lesquelles cette entreprise est inacceptable ([^43]). Rappelons brièvement les principales :
1. -- Il appartient aux éditeurs de choisir les livres qu'ils éditent, et de les proposer au public. Il n'appartient ni à des éditeurs, ni à des personnes employées ou « patronnées » par des éditeurs de juger et trancher quels sont les MEILLEURS LIVRES CATHOLIQUES.
Cette opération est *publicitaire et commerciale* ([^44]) ; il est abusif et trompeur de prétendre lui conférer une *valeur de sélection.*
2. -- Les éditeurs qui « *patronnent* » (mot admirable en l'occurrence !) cette opération la font accomplir par un Comité de cinq personnes (six cette année) qui peuvent paraître qualifiées ; elles le seraient peut-être, s'il était POSSIBLE que chacune d'elles ait personnellement étudié tous les livres catholiques parus en langue française au cours de l'année 1957.
Mais il est évident que, même si elles ne se consacraient qu'à cette seule tâche (or elles ont au contraire bien d'autres activités), ces personnalités ne pourraient mener à bien l'étude exhaustive que suppose leur « sélection des meilleurs livres ».
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Elles sont contraintes de CHOISIR SANS LIRE : en parcourant, en feuilletant, d'après des impressions fugitives, et selon leur « flair ». Cela est possible. Cela existe. C'est *le flair de l'éditeur.* C'est une qualité COMMERCIALE, pour une entreprise commerciale.
3. -- Le choix de *cinquante* livres est une atteinte publicitaire à la liberté des consciences. Car la plupart des catholiques qui lisent des livres n'en lisent pas un par semaine. Ne pouvant lire les 50 volumes de la sélection, ils seront du moins amenés à choisir UNIQUEMENT parmi ces cinquante les 5, 10 ou 20 livres qu'ils lisent dans l'année.
Ainsi tente de s'établir une tyrannie, *un magistère de fait sur les consciences,* orientant les fidèles vers ce qui est *le meilleur* du point de vue *catholique.*
Contre l'établissement d'un tel magistère *par des éditeurs*, c'est-à-dire *par des commerçants* -- fort honorables certes tant qu'ils accomplissent leur métier, et ne se mêlent pas de diriger les consciences -- nous renouvelons nos protestations les plus expresses.
\*\*\*
C'EST MAINTENANT la troisième année consécutive que nous exposons pourquoi cette entreprise est absolument inacceptable. Depuis trois ans, ni le « Comité », ni les éditeurs qui en sont les « patrons », n'ont avancé une explication ou une excuse. Mais *ils continuent*. Un organisme sans mandat, sans droit, sans qualification suffisante s'efforce toujours d'imposer sa direction aux consciences, en décrétant arbitrairement quels sont « *les meilleurs catholiques* » parmi les livres parus. Qu'il recommande parfois des livres importants et précieux, comme, cette année, *La Doctrine sociale de l'Église*, par Mgr Guerry, comme *Le Mystère de Jésus*, du P. Bernard, et comme trois ou quatre autres parmi les cinquante, ce n'est pas la question, Qu'il recommande aussi des ouvrages discutables, cela est grave, mais ce n'est pas non plus l'essentiel. La question posée est de savoir QUI a le DROIT de décider quels sont les MEILLEURS livres CATHOLIQUES.
Nous faisons remarquer que le public, les auteurs et les éditeurs qui subissent cette violence, et qui n'ont jusqu'ici répondu à un abus aussi provocant que par des protestations verbales et courtoises, ont fait preuve d'une grande patience. Cette patience est un titre supplémentaire à être entendu.
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### Notules diverses
- LE POSITIVISME EN SOCIOLOGIE. -- Un article important et lucide du P. Calvez dans la Revue de l'Action populaire de janvier : « Politique et civisme ».
*Le P. Calvez s'est fait connaître du public par son très remarquable ouvrage sur* La pensée de Karl Marx (*voir* Itinéraires*, n°* 11, *pp.* 49-59, *et n°* 12*, pp.* 67-80). *Son article* « *Politique et civisme* » *rejoint les travaux de Marcel Clément et propose un diagnostic analogue *:
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« Il a fallu que s'introduise dans les esprits une forte dose de positivisme sociologique pour que l'on en vienne à supposer que la réforme des institutions pourrait précéder celle de l'esprit public...
« ...Quand on parle de réformer le pouvoir ou les institutions, on ne va pas à la racine, on ne remonte pas vers la source d'où pourrait venir la réforme. »
*Le P. Calvez remarque en outre qu'* « il existe toujours un bien commun public », *quelles que soient les figures passagères, ou les défigurations, qu'en présente le régime institutionnel en vigueur *:
« C'est à ce bien commun jamais absent, quoique toujours présenté de manière insuffisante, que se rattache le civisme. C'est à ce bien commun que doit et *peut* toujours se dévouer, quelles que soient les circonstances, l'homme animé d'esprit civique.
« Le citoyen n'a donc pas à attendre des institutions meilleures pour pratiquer le dévouement à la cause publique. Ce n'est pas à dire, évidemment, qu'il n'ait pas à en promouvoir l'établissement, bien au contraire. Mais il ne le fera efficacement que s'il est d'abord dévoué sans réserve au bien public. Il ne convient pas d'attendre une quelconque crise du régime, un quelconque nouveau régime pour agir en bon citoyen, demain... »
*Dans ces lignes comme dans l'ensemble de son étude, le P. Calvez restaure vigoureusement quelques principes fondamentaux que les catholiques français ont bien méconnu, depuis le jour où ils ont laissé passer sans les comprendre les enseignements que Léon XIII donnait dans les Encycliques dites sur le* « *Ralliement* » : *car ceux qui ont prétendument* « *suivi* » *ces Encycliques en ont presque tous déformé le contenu, tandis que d'autres refusaient leur adhésion sans apercevoir ce qui leur était demandé ; et de cette incompréhension quasi-générale, tout a découlé, jusqu'à aujourd'hui* (*voir Madiran,* On ne se moque pas de Dieu, *chap. V :* « *Précisions historiques* »).
*De toutes parts aujourd'hui s'annonce et s'entreprend un retour médité aux principes catholiques du civisme. Il semble que ce soit la tâche, ou la vocation, de la nouvelle génération catholique qui depuis quelques années arrive à l'âge de la pensée et de l'action.*
*Mais les tendances diverses* (*diverses par leur origine, et convergentes*) *qui accomplissent ce travail de renouvellement, ou plutôt de* « *ressourcement* », *sauront-elles répondre à l'invitation de Pie XII et* « se rencontrer dans la vérité et la charité » ? *C'est là que s'inscrira leur véritable victoire, -- ou leur irrémédiable défaite.*
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- M. XAVIER VALLAT PREND POSITION*. --* Le travail de restauration doctrinale auquel nous venons de faire allusion se trouve au centre des préoccupations les plus actuelles qui se manifestent d'un bout à l'autre de l'horizon. De récentes réflexions de M. Xavier Vallat rejoignent le même propos (Aspects de la France, 10 janvier) :
« Tout comme Jeanne, Geneviève n'a pas négligé la cité terrestre pour la Cité de Dieu. Tout comme Jeanne d'Arc, elle a pensé que, pour le bien d'êtres humains que Dieu avait dotés d'un corps et d'une âme, il convenait certes d'assurer les âmes de la vraie foi, mais il fallait aussi protéger les corps grâce à des institutions qui fussent les mieux adaptées aux lois naturelles voulues par le Créateur. »
*C'est la vérité même. Et d'ailleurs, les institutions protègent non pas seulement les corps, mais beaucoup plus.*
*M. Xavier Vallat poursuit, et son expérience autant que sa foi lui fait ajouter cette remarque fondamentale *:
« Leur humble bon sens de filles de la terre rejoignait ainsi par avance la haute sagesse, nourrie de piété et de science, de S.S. Pie XII, dans la solution qu'il convient de donner au faux problème avec lequel trop de laïcs et de clercs d'aujourd'hui tentent d'embrumer les jeunes cervelles. Il n'y a pas à opposer « morale » et « politique », « réforme des mœurs » et « réforme des institutions ». Il faut les étayer l'une à l'autre. »
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*Voilà en effet ce que disent la sagesse et l'expérience, et ce qu'explique la doctrine catholique. Il faut étayer l'une à l'autre les deux réformes, pourquoi ? Point par une décision gratuite : mais parce qu'elles ont une* LIAISON ESSENTIELLE. *C'est cette liaison essentielle qui a été soit ignorée soit sous-estimée, et que l'œuvre de Marcel Clément remet en évidence.*
*La critique nécessaire que Marcel Clément a faite des systèmes qui* OPPOSENT *réforme des mœurs et réforme des institutions, ou qui les* SÉPARENT, *ou qui oublient ou sous-estiment leur liaison essentielle, -- cette critique n'a pas toujours été très bien comprise, et jusque parmi les amis politiques de M. Xavier Vallat. Marcel Clément a remis en lumière* (*voir notamment* Itinéraires, *n°* 9, *pp.* 20 *à* 39, *spécialement pp.* 34 *et* 38) *que l'on ne peut admettre une* « RÉFORME DES INSTITUTIONS ENVISAGÉE PLUS OU MOINS SÉPARÉMENT DE LA RÉFORME DES MŒURS », *comme le fait le positivisme sociologique ; et il affirmait* (p. 38) : « IL FAUT UNIR ÉTROITEMENT LA RÉFORME DES MŒURS ET LA RÉFORME DES INSTITUTIONS ».
*On se reportera aussi à l'article de Marcel Clément :* « Conclusion : les sciences sociales sont les sciences morales » (n° 14) *qui exposait *:
« L'expérience de l'enseignement (des sciences sociales) nous a permis de prendre conscience de la situation intellectuelle où se trouvent ceux qui considèrent que le fait social en tant que tel est impersonnel, donc immoral. ILS DEVIENNENT INCAPABLES DE RELIER DE FAÇON ORGANIQUE LA RÉFORME DES INSTITUTIONS A LA RÉFORME DES MŒURS. »
*M. Xavier Vallat, en professant semblablement qu'il ne faut pas les* opposer, *mais les* étayer l'une à l'autre, *contribue fort heureusement à orienter les esprits dans une juste direction, -- en une matière où des habitudes anciennes maintiennent encore beaucoup de confusions et de contresens.*
*De ces contresens, de ces confusions, on ne triomphera pas en un jour. Il y faudra encore beaucoup de travail persévérant. C'est pourquoi Marcel Clément a repris la question dans son ensemble, par son étude* « Réforme des institutions et réforme des mœurs », *actuellement en cours de publication dans* Itinéraires, *pour exposer la* LIAISON ORGANIQUE, *et que l'on ne peut méconnaître sans dommage majeur, entre les deux réformes.*
\*\*\*
*M. Xavier Vallat termine son article* d'Aspects de la France *en se référant à un texte récent de Pie XII, celui-ci *:
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« On pourrait dire que les institutions doivent être tellement parfaites qu'elles puissent par elles seules assurer la sauvegarde de l'individu, tandis que l'individu doit être formé à l'autonomie du catholique adulte, comme s'il n'avait à compter que sur lui-même pour triompher de toutes les difficultés. »
*C'est en effet la bonne méthode une méthode indispensable que met en œuvre M. Xavier Vallat *: *sur une question qui touche si intimement au droit naturel, à la morale et à la religion, il convient de se référer à l'enseignement de l'Église.*
*Or, en une telle matière, l'enseignement de l'Église est constant et répété.*
*Plus les Papes, dans la période moderne, ont été amenés à parler des institutions sociales et politiques, et plus ils ont souligné que leur saine réforme n'est possible qu'en corrélation et union intime avec une réforme des mœurs.*
*Dans Rerum novarum, parlant principalement des institutions économiques et sociales, Léon XIII enseignait que leur réforme nécessaire postule une première condition *:
« La première condition à réaliser, c'est la restauration des mœurs chrétiennes, sans lesquelles même les moyens suggérés par la prudence humaine comme les plus efficaces seront peu aptes à produire de salutaires résultats. »
*Parlant des institutions politiques, et des problèmes dramatiques qui nous sont aujourd'hui posés par l'évolution de la démocratie moderne, Pie XII disait dans son Message de Noël* 1956 :
« Le faux réalisme est appliqué aussi à l'actuelle structure démocratique. Ses insuffisances sont réduites à de SIMPLES DÉFAUTS D'INSTITUTIONS, et celles-ci, à leur tour, à une connaissance encore défectueuse des *processus naturels du fonctionnement* complexe de la machine sociale. »
*Tel est bien, en effet, le* « *faux réalisme* » *d'une physique sociale positiviste.*
*Pie XII poursuit *:
« En fait, l'État lui aussi et sa forme dépendent de la valeur morale des citoyens, à une époque où l'État moderne, pleinement conscient de toutes les possibilités de la technique et de l'organisation, n'a que trop tendance à retirer à l'individu, pour les transférer à des institutions publiques, le souci et la responsabilité de sa propre vie. Une démocratie moderne ainsi constituée devra échouer, dans la mesure où elle ne s'adresse plus, où elle ne peut plus s'adresser à la responsabilité morale individuelle des citoyens.
« Mais même si elle voulait le faire, elle ne pourrait plus réussir, parce qu'elle ne trouverait plus chez eux d'écho, dans la mesure du moins où le sens de la véritable réalité de l'homme, la conscience de la dignité de la nature humaine et de ses limites, ont cessé d'être sentis dans le peuple. « On cherche à remédier à cet état de choses EN METTANT EN CHANTIER DE GRANDES RÉFORMES INSTITUTIONNELLES, démesurées parfois, ou basées sur des fondement erronés, mais LA RÉFORME DES INSTITUTIONS N'EST PAS AUSSI URGENTE QUE LA RÉFORME DES MŒURS.
« Et celle-ci, à son tour, ne peut être accomplie que sur la base de la véritable réalité de l'homme, celle qu'on vient apprendre avec une religieuse humilité devant le berceau de Bethléem. »
69:21
*Dans le récent Rapport doctrinal de l'Épiscopat, nous trouvons le même enseignement* (p. 26)
« Où qu'on se tourne, on trouve le politique d'abord, l'économique d'abord, le social d'abord. L'Église répond : « Tout cela a une grande importance, mais dans son ordre propre, et EN RÉFÉRENCE A LA FIN DERNIÈRE DE L'HOMME qu'il n'est pas permis d'oublier. *Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît.* C'est le mot d'ordre que j'ai reçu de mon Chef, Vérité incarnée ; c'est celui que vous devez suivre si vous êtes véritablement chrétiens. Malheureusement, il en est qui refusent cet enseignement, où ils ne veulent voir que mysticisme inconsistant. »
70:21
*M. Xavier Vallat a bien raison de dire, dans son article* d'Aspect de la France, *qu'aujourd'hui* « *trop de laïcs et de clercs tentent d'embrumer les jeunes cervelles* » *par le* « *faux problème* » *d'une prétendue opposition entre* « *morale* » *et* « *politique* », *entre* « *réforme des mœurs* » *et* « *réforme des institutions* ».
*A vrai dire, il arrive souvent que ces clercs et ces laïcs soient excusables, que leurs erreurs soient compréhensibles : ils ne connaissent pas l'enseignement de Pie XII.*
*Compréhensibles et excusables, ces erreurs n'en sont pas moins des erreurs, et terriblement graves par leurs conséquences. Il est grave et funeste de réserver un domaine politique* « *où la morale n'aurait encore rien à voir* », *et de croire que* « *le fait social en tant que tel est impersonnel, donc amoral* » : *une telle pensée, contraire à la doctrine catholique, conduit logiquement et pratiquement à rechercher en priorité une réforme des institutions séparée de toute réforme des mœurs.*
*Il faut au contraire les* « *étayer l'une à l'autre* » (*Xavier Vallat*)*, les* « *unir étroitement* » (*Marcel Clément*)*, en se souvenant qu'aujourd'hui, dans la situation concrète créée par l'évolution de la démocratie moderne,* « *la réforme des institutions n'est pas aussi urgente que la réforme des mœurs* » (*Pie XII*) ; *et que* « *la première condition à réaliser, c'est la restauration des mœurs chrétiennes, sans lesquelles même les moyens suggérés par la prudence humaine comme les plus efficaces seront peu aptes à produire de salutaires résultats* » (*Léon XIII*)*.*
La science économique, la sociologie, l'anthropologie, etc., sont des sciences expérimentales. Mais on ne peut dire, il me semble, qu' « *elles n'ont rien de moral* ». Surtout, on ne peut laisser entendre qu'elles n'ont rien de moral parce qu'elles sont expérimentales. Cette distinction serait inacceptable...
... Cette distinction nous ferait verser dans une erreur des plus graves. Elle supposerait la possibilité de faire, en matière sociale, des recherches et des théories expérimentales d'une si parfaite objectivité que les soi-disant préoccupations morales, si bonnes fussent-elles par ailleurs, loin de contribuer à orienter la recherche et à suggérer les hypothèses expérimentales les plus plausibles, ne pourraient qu'entraver cette objectivité.
... Le seul fait de soustraire les sciences proprement sociales à une fin morale suppose une conception erronée de la naturel même du rôle de l'expérience et de l'hypothèse, de la méthode expérimentale appliquée à l'étude de l'agir humain... Cela supposerait la possibilité de formuler des hypothèses purement objectives, c'est-à-dire parfaitement indépendantes de toutes fins pratiques, comme on peut le faire en physique par exemple, et parfaitement détachées de toute idée proprement morale. Voilà qui nous assujettirait à une tyrannie pour le moins analogue à celle du scientisme marxiste... ([^45])
Charles DE KONINCK,
*Laval philosophique et théologique,* 1945, vol. I.
\*\*\*
*Dans la restauration de ces vérités fondamentales, il est humain de rencontrer des traverses, des incompréhensions -- et même des oppositions malveillantes, suscitées par le sectarisme des factions politiques. Il est humain aussi qu'il demeure, entre des esprits de vocations diverses, des divergences occasionnelles et des différences d'accent. Mais l'unité nécessaire sera retrouvée, sauvegardée et maintenue par une commune adhésion à l'enseignement de l'Église, qui est gardienne du droit naturel et de la Révélation. Ni la vérité ni la charité ne suffisent isolément -- à supposer qu'elles puissent encore être elles-mêmes quand on les sépare l'une de l'autre. L'appel de Pie XII, pour cette Année mariale, année du Centenaire de Lourdes, anniversaire de cette* « *insigne faveur faite à la France* », *l'appel de Pie XII est que les chrétiens* « cherchent à se rencontrer dans la vérité et la charité, à bannir les incompréhensions et les suspicions ».
*Nous croyons que c'est à la fois nécessaire et possible.*
\*\*\*
- « La FRANCE CATHOLIQUE » SE DÉFINIT (suite). Dans le cinquième article qu'il consacre aux positions de la France catholique (10 janvier), Fabrègues aborde la question politique :
« Il n'y a pas de position politique concrète, de position politique technique de la *France catholique.* Aucun de ceux qui la font n'est, de près ou de loin, attaché à un parti... »
*On touche ici à l'un des paradoxes de la presse catholique : des journaux comme* L'Homme nouveau *et comme* la France catholique, *qui cherchent à défendre avant tout une position* CATHOLIQUE, *et qui n'ont aucun lien avec aucun parti, sont pourtant réputés, parfois ou souvent -- et notamment à l'intérieur de l'Action catholique -- des journaux qui auraient des* « *options politiques* ».
71:21
*Et, au contraire, c'est l'envers du même paradoxe, La* Vie catholique illustrée, *que dirige M. Georges Hourdin, est souvent tenue pour un magazine simplement catholique : or c'est un fait que M. Hourdin appartient aux organismes dirigeants d'un parti politique et qu'il est même* (*à notre connaissance*) *le seul directeur de publication catholique qui se trouve dans ce cas.*
*Bien entendu, c'est parfaitement* LE DROIT *de M. Hourdin d'être militant politique dans la direction d'un parti. Mais il est vraiment bizarre que l'on croie que sa personne est une garantie d'* « *apolitisme* », *tandis que simultanément on tient la* France catholique *et* L'Homme nouveau *pour suspects de politique partisane !*
*Fabrègues continue *:
« Certes, nous avons une *doctrine* politique. Nous essayons de faire qu'elle soit avant tout catholique (...) Les laïcismes du siècle dernier et les neutralismes de celui-ci ont maintenant montré leur vrai visage : c'est celui de l'hostilité à la Foi (...)
« Il y a une politique chrétienne (...) Elle comporte essentiellement de n'oublier jamais :
-- Ni que l'homme est libre (donc respectable) créature de Dieu (c'est la dignité de la personne humaine) ;
-- Ni que l'homme est pécheur et même, comme y insiste saint Thomas à ce propos, que le péché est en lui généralement prédominant pour le plus grand nombre.
« Le fondement de la politique chrétienne (...) recherche donc un aménagement de la cité où l'homme :
-- soit respecté comme tel, et donc mis en situation de pouvoir recevoir la grâce et de pouvoir pratiquer la liberté ;
-- soit toujours considéré comme capable de piété... »
*Nous sommes pleinement d'accord avec Fabrègues.*
*Nous croyons seulement que ces positions nécessaires se révèleront* LOGIQUEMENT *et surtout* PRATIQUEMENT *tout à fait* INTENABLES, *si l'on omet de placer, au fondement même de la politique chrétienne, une doctrine du bien commun et de sa primauté.*
*Sur cette doctrine du bien commun, nous renvoyons le lecteur à ce que nous en disions dans les* « *Notes critiques* » *de notre précédent numéro, et à ce que nous en disons dans l'éditorial de celui-ci.*
\*\*\*
- « PROBLÈMES ACTUELS DU CATHOLICISME FRANÇAIS ». Sous ce titre, Pierre Andreu a publié un important article de synthèse dans la Revue des Deux Mondes du 15 janvier, il expose quelles déviations doctrinales ont porté leurs fruits ces deux dernières années, et montre l'effort de redressement entrepris. Voici sa conclusion :
« Si le redressement doctrinal voulu par les Évêques n'est pas entravé par les milieux puissants qu'il dérange, la situation du catholicisme en France n'est pas si sombre. »
\*\*\*
- LES LIBERTÉS... DÉMOCRATIQUES ? *--* Au mois de décembre 1956, nous avons lu dans l'éditorial d'une importante revue religieuse :
« Si nous tenons à la démocratie et aux libertés dont elle est la source -- quel est le Français qui n'y est attaché ? -- la tâche la plus importante, etc. »
72:21
*Voilà un présupposé bien abrupt. Tout le monde sait très bien -- qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore -- que tous les Français ne sont pas attachés à la démocratie.*
*C'est toujours avec une peine infinie que nous voyons une publication catholique nier jusqu'à l'existence de courants de pensée minoritaires peut-être, mais parfaitement légitimes et parfaitement honorables.*
*C'est même, disons-le comme cela est, avec une douloureuse indignation que nous voyons une publication religieuse contester soit le titre de* « *catholique* »*, soit celui de* « *français* »*, à des hommes qui sont certainement et Français et catholiques.*
*Des Français qui ne soient nullement attachés à la démocratie, il en est de connus, il en est de célèbres, il en est d'illustres ils jouent un rôle important dans notre* vie *intellectuelle et sociale ; ils sont écoutés d'une partie notable des élites et des cadres de la nation. Pourquoi feindre qu'ils auraient été disqualifiés ou anéantis *?
*Pour nous en tenir aux personnalités catholiques, il nous semble que le général Weygand ne professe aucun attachement particulier à la démocratie. M. André Frossard se déclare républicain, mais point démocrate. M. Gustave Thibon, M. Henri Massis sont très ouvertement monarchistes. L'attachement à la démocratie d'hommes comme MM. Louis Salleron, Jean de Fabrègues, Jean Ousset, Pierre Boutang, Henri Charlier, Xavier Vallat, l'amiral Auphan ne s'est jamais beaucoup manifesté : c'est même un sentiment contraire que plusieurs d'entre eux ont exprimé.*
*Un récent numéro de la* Revue française de science politique (*décembre* 1957) *a publié une étude scientifique de M. Raoul Girardet consacrée a*u *journal et au mouvement* La Nation française, *dirigé par M. Pierre Boutang : on y voit se développer un antidémocratisme réfléchi, dégagé des survivances artificielles et des rabâchages, parfaitement moderne.*
*On peut penser ce que l'on veut des personnes que nous venons de nommer, et de quantité d'autres que nous pourrions semblablement mentionner. Mais il est trop violent, trop injuste de prétendre les supprimer par décret. Il faut beaucoup de patience pour ne pas s'insurger contre de tels procédés.*
\*\*\*
*Nous voyons bien que l'auteur de l'éditorial en question a une excuse. Il aura confondu* « *la démocratie* » *avec* « *les libertés dont elle est la source* ».
*Certes, la plupart des Français sont attachés aux* « *libertés* ». *Mais si l'on ne précise pas lesquelles, et surtout si l'on professe que la démocratie en est* « *la source* »*, on crée une extraordinaire confusion.*
*Oui ou non, est-ce* LE CHRISTIANISME *qui est* LA SOURCE *des libertés ? Est-ce le christianisme, ou bien un régime politique particulier et privilégié ?*
*Il existe des* « *libertés démocratiques* ». *Elles ressemblent, mélangent, quelquefois presque inextricablement, et même contaminent à l'occasion, des libertés d'origine chrétienne, plus ou moins devenues folles, et des libertés proprement démocratiques. Nous ne comprenons pas quel avantage spirituel, apostolique ou intellectuel une revue religieuse peut trouver à maintenir et à cautionner une telle confusion. Nous ne comprenons pas qu'une revue religieuse, qui n'a en théorie aucun but, de prosélytisme politique, puisse écrire tranquillement *:
73:21
« La démocratie et les libertés dont elle est la source. » *Nous regrettons qu'une revue religieuse ne semble discerner ni que les véritables libertés ont pour source le christianisme, ni que la démocratie, qui peut être chrétienne, ne l'est pas forcément, ni que certaines formes de démocratie totalitaire et socialiste constituent la* menace *la plus* directe *pesant actuellement sur nos libertés.*
\*\*\*
*Et le dialogue entre catholiques, c'est ou ce sera, notamment, le dialogue entre catholiques plus ou moins attachés, plus ou moins indifférents et plus ou moins hostiles à la démocratie.*
*Du moins en France.*
*Car c'est peut-être en France qu'il est le plus sensible que la* « démocratie moderne » *suit une évolution qui, en fait, l'écarte des voies que lui proposait Pie XII dans son message de Noël* 1944, *et se condamne à cet* ÉCHEC *que Pie XII analysait dans son message de Noël* 1956.
*Les causes profondes de cet échec sont en effet annoncées dans le premier de ces deux Messages, celui de* 1944, *qui exposait en détail au moment où se terminait la guerre mondiale, à quelles conditions la démocratie pourrait être viable. Douze ans plus tard, dans son Message de Noël* 1956, *Pie XII constate que ces conditions n'ont pas été remplies* (*voir Madiran,* On ne se moque pas de Dieu, *pp.* 120-140).
*Il faut beaucoup d'aveuglement, ou beaucoup d'esprit partisan, pour ne pas apercevoir cet échec.*
*Dans* Le Monde *du* 15 *janvier. M. Georges Hourdin en a pris acte avec quelque éclat *:
« Pour être démocrate de tempérament et de conviction, je n'en suis pas pour autant aveugle. Il est sûr qu'une certaine forme de démocratie, la démocratie pluraliste et parlementaire, est en train d'agoniser sous nos yeux. »
*Voilà qui est net. Mais va-t-on, sous le prétexte d'une* « *inévitable socialisation de la société* » *nous proposer à la place une démocratie socialiste ?*
*Ou va-t-on au contraire s'engager enfin dans les voies que Pie XII nous désigne et nous recommande avec insistance ? Dans une telle situation, l'apport civique et politique d'une pensée et d'une action catholiques peut être décisif. A condition du moins que les catholiques français,* « *bannissant les incompréhensions et les suspicions* » *qui les divisent, sachent* « *se rencontrer dans la vérité et la charité* », *pour reconnaître, maintenir et promouvoir, dans l'unité, ce qu'ils ont de commun, -- et dont dépend le salut de la Patrie.*
*Nous répétons donc que le dialogue entre catholiques plus ou moins attachés, plus ou moins indifférents et plus ou moins hostiles à la démocratie est urgent et nécessaire, et qu'il sera infructueux s'il parvient à surmonter les vieux sectarismes.*
74:21
### Le Carême
LA SUITE des fêtes de l'Église est un catéchisme annuellement renouvelé ; elle nous rappelle la nécessité, les raisons, les moyens de notre salut en nous faisant revoir l'histoire de l'humanité et celle de la vie du Sauveur. Les églises orientales n'ont point d'autre catéchisme, et, encore que celui que nous enseignons aux enfants soit indispensable, l'enseignement tiré des fêtes et dimanches de l'Église est le seul véritablement complet et le seul qui s'adresse à tous les fidèles. Il est le seul véritablement complet parce qu'il réunit la doctrine, les exemples et l'histoire ; la doctrine dans les oraisons, les Épîtres et l'Évangile, les exemples par ceux de la vie de Notre-Seigneur, l'histoire par celle des saints qui ont pratiqué l'imitation de Jésus-Christ tout au long de l'histoire de l'Église.
Et il les réunit sous une forme qui est essentielle à la vraie piété comme à la nature de l'homme, sous la forme de louange. « Qui aime, chante » dit saint Augustin. L'instruction qu'on puise dans les offices n'est pas seulement intellectuelle et notionnelle, elle touche tout l'homme, elle touche le cœur, porte à l'imitation des vertus et à la reconnaissance et augmente la foi.
75:21
Elle est l'union de la vérité et de son existence concrète ; de la vérité et de la lumière que la vérité porte avec elle et qui la fait voir, de son éclat qui est le beau. La vérité n'a d'effet complet que si on lui conserve cette beauté qui lui est connaturelle et dont elle est pratiquement inséparable dans ce qui existe réellement. Les plus grands des Pères de l'Église sont de grands artistes et Notre-Seigneur a donné dans ses paraboles le modèle de l'art et d'un enseignement complet ; essayez de faire une parabole et vous verrez si c'est commode. La flotte des *pater* et des *ave* dans le mystère des Saints Innocents de Péguy, la petite Espérance, voilà des paraboles réussies.
QU'EST-CE DONC que le Carême dans ce cycle annuel des fêtes ? Il est de toute l'année le plus abondant des temps liturgiques en messes propres, en beaux textes, en offices d'une sublime grandeur, comme celui du Vendredi-Saint. Il rappelle les événements essentiels de la vie publique de Notre-Seigneur, de sa pénitence et de son sacrifice. Il devrait être pour nous un temps de pénitence, une retraite annuelle, qui, si elle était bien faite, rendrait à peu près inutiles les retraites fermées. On dira que le travail, les soucis empêchent de bien faire le carême. Mais le temps de carême a été institué pour que nous puissions faire retraite, quelle que soit notre condition, malgré les travaux et les soucis.
Est-ce que les travaux et les soucis ne devraient pas entrer dans la pratique d'un bon carême ? Est-ce que la dureté du travail, le souci du lendemain, les enfants qui crient et qu'il est si dur de plier à l'obéissance quand les parents eux-mêmes en ont perdu l'habitude, ne forment pas des pratiques de pénitence très agréables à Dieu quand on les lui offre ?
76:21
Alors, direz-vous, c'est carême toute l'année. Songez donc, au moins en carême, à en faire une source de mérites unis à ceux de Jésus ; les offices vous y invitent instamment et l'Église, pour vous le rappeler, a institué pendant ce temps des pratiques spéciales de pénitence. Toute l'année vous en garderez quelque chose jusqu'au carême suivant. Il y a cinquante ans, en France du moins, la pratique du jeûne et de l'abstinence était observée assez strictement. Deux guerres et l'abaissement des mœurs qui suit toujours les grandes guerres ont contribué à la faire abandonner. Les chrétiens se sont laissé prendre à l'esprit du monde, à l'espoir insensé de voir le bonheur s'installer ici-bas, au désir d'augmenter indéfiniment les commodités de notre séjour sur la terre. Les jeunes gens de France sont convaincus que tout ce dont ils jouissent actuellement est parfaitement normal, et que si ça n'existait pas avant eux, c'est à cause de la sottise de ceux qui les ont précédés. Ils ne songent nullement à en remercier le Créateur ; ils ne se doutent pas que l'humanité occidentale mange son blé en herbe, qu'elle jouit d'un privilège de confort et d'aises très peu répandu sur la terre. Or ces moyens extraordinaires de puissance ont été donnés aux peuples chrétiens pour porter l'Évangile aux extrémités de la terre et soutenir le poids de cette œuvre ; enfin pour former un capital pour les générations à venir. Les Français s'en servent pour eux, ils volent leurs nombreux enfants et ceux-ci n'auront pas de place préparée pour fonder un foyer et le nourrir.
C'EST DONC L'ESPRIT CHRÉTIEN QUI MANQUE. L'esprit de pénitence qu'a demandé Marie à chacune de ses visites sur la terre en fait partie : mais c'est un *esprit*. C'est-à-dire que bien des choses peuvent être faites en esprit de pénitence sans attenter à la santé ni diminuer la puissance de travail. Vous pouvez vous abstenir de toute parole oiseuse encore qu'innocente, accepter avec joie le soulier qui fait un peu mal, la maladresse d'un compagnon ou d'un employé, enfin faire quelques petits sacrifices.
77:21
On ne porte aucune atteinte à la santé des enfants en leur supprimant les bonbons et les friandises pendant le carême sauf le dimanche. Et c'est là une excellente formation morale quand on prend soin de leur expliquer leur acte. On peut se passer régulièrement de telle cigarette qu'on avait coutume de fumer à une heure donnée. Ce sera un véritable encens brûlé à la face de Dieu.
ENCORE faut-il comprendre la nécessité de cette pénitence ; or l'affaiblissement de la foi en a presque effacé l'intelligence. L'Occident chrétien est fier de sa réussite matérielle, il en est orgueilleux et ne voit même plus ses fautes. Or il n'est certainement aucun pays du centre de l'Asie ou de l'Afrique où on puisse trouver un art aussi bas, aussi vulgaire et immoral, aussi dangereux pour l'âme que ce que nous livre la radio d'État. La conséquence en est que l'Occident chrétien est plus bas moralement que les tribus païennes qui ont gardé quelques notions de la loi naturelle et qui l'observent. Et leur art ingénu est souvent très supérieur non seulement à notre art soi-disant populaire (faussement populaire), mais à l'art prétendu religieux qu'y introduisent les missionnaires.
Devant cette incroyable infidélité des nations jadis converties, infidélité qui va des idées aux arts, des mœurs à l'ordre social, les chrétiens qui lisent cette revue ne comprendront-ils point qu'ils ont une fonction réparatrice et que l'Église veut les aider à la remplir en leur offrant les exercices et les enseignements du carême ? Notre-Seigneur a dit lui-même : « Faites pénitence ou vous périrez tous. » Ce qui, d'après le contexte (Luc XIII, I, 5) fait allusion non seulement à la mort de l'âme mais à une catastrophe politique et sociale comme celle qui nous menace. Et Notre-Seigneur a fait lui-même pénitence pour des péchés qu'il était incapable de commettre, non quarante jours, mais toute sa vie.
78:21
L'IMITATION du Christ est pour nous une nécessité de la nouvelle nature à nous conférée par le baptême. Notre-Seigneur a dit : « j'ai vaincu le monde. » Avec son aide, nous avons à vaincre le monde. Dans la pensée du Père, Jésus doit mourir comme les hommes meurent, afin que les hommes puissent mourir dans l'esprit où est mort Jésus. Et par la mort de Jésus, la mort est devenue pour les hommes un trésor qui leur ouvre les portes du ciel. L'amour divin qui est l'être même de Dieu et se manifeste en Lui-même dans l'amour des Personnes divines l'une pour l'autre au point d'être une Personne, cet amour a fondu sur nous, ses créatures. Il est tout puissant, éternel, indéfectible : « Car j'ai l'assurance que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissance, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en le Christ Jésus notre Seigneur. » Ainsi parle s. Paul. Telle est la force infinie de l'amour divin. Cet amour ne nous quitte pas, soit que nous dormions, soit qu'éveillés nous pensions quelque sottise. Nous sommes incessamment mêlés aux grands événements issus de la pensée divine, même passivement. Ainsi les Saints Innocents furent martyrs sans le savoir ; unis d'avance à la Passion et payant pour Dieu ; c'est-à-dire, suivant la parole de s. Paul, « accomplissant ce qui manque aux souffrances du Christ ». Car nous sommes « *d'autres Christs* associés à son œuvre de rachat de nos frères » (18), « car, par lui nous avons accès les uns les autres en un seul esprit auprès du Père... » (20). « Vous avez été bâtis sur la fondation des apôtres et des prophètes, le Christ Jésus lui-même étant la pierre angulaire (21), sur lui la bâtisse bien ajustée grandit pour être un temple saint dans le Seigneur (22), sur lui, vous aussi vous entrez dans la structure pour être l'habitation de Dieu dans l'Esprit. » (Eph. II.)
Le ciment est le Corps et le Sang du Christ communiqués dans l'Eucharistie ; la Sainte Vierge est le gracieux conducteur des travaux, assistante de la foi et mère des pécheurs.
79:21
Ne nous étonnons donc point d'être unis à l'œuvre réparatrice du Christ et d'avoir à la faire d'une manière consciente soit dans les simples événements de l'existence journalière, soit dans ceux des grands jours de douleur et d'épreuve. Car les petites choses comptent dans la pensée divine pour l'achèvement du monde comme dans l'ordre du salut. Vous ne déplacez pas une pierre sans préparer la fin des temps et les petites choses deviennent grandes unies aux actes du Christ.
CAR JÉSUS a voulu être notre modèle, et là nous sommes portés par notre infirmité naturelle soit à le regarder comme Dieu trop uniquement, ou bien trop simplement comme un homme. Le mystère de l'Incarnation demande plus d'attention.
Comme Dieu, le Verbe éternel associé intimement à l'âme de Jésus a créé la lumière et la chaleur, le soleil et la terre, il a créé la fragilité humaine comme un équilibre étroit autour d'un petit foyer de chaleur interne qui est une merveille, car le soleil lui-même perd constamment de ses forces conformément à la loi d'entropie et le petit animal concentre des forces étrangères pour former un foyer autonome. Le Verbe, « par qui toutes choses ont été faites », les connaît par le dedans mieux qu'aucun savant ne les connaîtra jamais, mais extérieures à lui-même. Il lui fallait s'incarner pour les connaître comme nous. Jésus comme Verbe connaissait toutes les montagnes du monde, mais sans l'intermédiaire d'idées générales, comme *situation, climat, température, altitude ;* il connaissait les atomes individuellement. « *Tous vos cheveux sont comptés.* » Mais c'est encore là parler pour les hommes à la manière des hommes ; nos cheveux sont connus par Dieu un par un sans être comptés. Jésus savait quelles montagnes s'élèvent, quelles s'abaissent ; cependant, la première fois qu'il monta sur une montagne, il eut, arrivé en haut, un léger frisson et apprit à connaître en homme la fraîcheur des cimes.
80:21
Il savait « *ce qu'il y a dans le cœur de l'homme* », et connaissait très exactement la pensée du passant ou du pharisien qui allait l'interroger. Mais il éprouva ce petit pincement de cœur que provoque en nous l'injustice manifeste, même attendue ; la haine connue, mais non encore subie. Et il l'éprouva avec une délicatesse d'âme et de sensibilité que nous autres pécheurs ne pouvons avoir. *O quam dilectio caritatis !* Notre-Seigneur a connu comme nouveau pour lui tout l'apprentissage de l'homme, tout hors le péché.
Il a donc subi les douleurs des martyrs comme les martyrs les ont subies. La mort a été pour lui comme pour nous une épreuve nouvelle entièrement inconnue, une épreuve fatale pour tout être qui commence, une nouveauté horrible à la nature consciente, dont la nature ne sait rien sinon qu'elle la doit subir.
Ô merveille de l'amour ! Jésus a fait à notre faiblesse l'honneur de lui montrer ses appréhensions et d'hésiter un instant au jardin des olives devant ce calice dont tout homme goûtera ; et il s'écriait, en ses mortelles angoisses : « Ô Père, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie. » Il est en notre pouvoir de glorifier le Père en participant à la Passion de Jésus.
ET ICI, nous lisons avec regret dans un missel la citation d'un orateur sacré disant que Jésus devient au jardin des Olives « le réceptacle de toute la fange humaine, l'égout de la Création ». C'est un mouvement d'éloquence fait pour émouvoir, mais ce n'est pas vrai. « Jésus s'est fait péché pour nous », dit s. Paul. Cela veut dire, conformément aux expressions connues de l'Ancien Testament, qu'il a été fait sacrifice expiatoire pour le péché ; et c'est à cause de sa pureté et de son innocence absolues qu'il pouvait réparer l'offense à Dieu ; car Adam et ses descendants en étaient bien incapables ; ils ne pouvaient rien offrir de pur, ni vous ni moi, et Jésus est mort pour ces péchés que nous connaissons bien, vous et moi, car ils sont nôtres. Ô tragique dépendance dans la gratitude !
81:21
Jésus a donc été traité comme le sont les pécheurs que nous sommes tous, en passant par la mort qui est la suite du péché d'Adam. Et comme son âme était baignée dans l'infinie lumière divine, ses souffrances comme son amour avaient une qualité infinie pour racheter le monde. Jésus nous a montré une heure de son agonie, où son angoisse aboutit à une sueur de sang, mais cette agonie a duré toute sa vie parce que toute sa vie l'horreur du péché et des offenses à l'amour divin ont été présents à son esprit. L'Incarnation est un mystère, mais un mystère adorable si nous songeons à ce qu'est devenue l'âme de Jésus par son union au Verbe, à quelle profondeur de douleur et d'amour elle est parvenue par sa vision divine des actes et des pensées de chacun de nous et de tous les hommes depuis leur lointaine origine jusqu'à la fin des temps.
SI PEU CAPABLES D'AMOUR que soient nos faibles âmes au regard de celle de Jésus, lorsqu'elles sont baptisées, confirmées et nourries de l'eucharistie, elles sont des sœurs de l'âme de Jésus, et sont capables, à notre échelle, des mêmes sentiments et du même amour. Notre vraie misère, ce ne sont même pas nos péchés, c'est notre inattention devant l'amour de Dieu, car si nous étions attentifs, nous pécherions moins. Notre vraie misère c'est notre indifférence pour ce qui nous est offert : aimer comme Jésus, et dans l'amour, réparer à la manière de Jésus, nos propres péchés d'abord et ceux des membres du Christ ; car cela nous est offert. Le sort du monde, le sort de tant d'hommes de toute langue, de toute race, de toute nation est attaché à la bonne volonté des chrétiens à souffrir, réparer, aimer.
82:21
Oh, comme nous sommes loin d'avoir pris vraiment conscience de ces réalités profondes de la vie chrétienne ! La Passion n'est pas une aventure qui s'est passée une fois pour toutes afin de nous l'éviter à nous. Elle n'est pas seulement un modèle à imiter quand on veut bien, elle est une nécessité morale pour le corps mystique du Christ qui est son Église. Elle est une nécessité de son être dans sa partie militante et c'est une nécessité d'amour. Telle est l'action catholique dans son fondement.
Essayez de souffrir dans cet esprit et vous connaîtrez quelque chose de la qualité de l'amour de Jésus ; vous aimerez véritablement et vous voudrez aimer toujours. Le bûcheron qui a « la bête aux doigts » (l'onglée) l'hiver dans les bois, le missionnaire haletant de chaud et de soif sous les tropiques ; la mère qui souffre pour son enfant, le vieillard quasi abandonné de ses proches, chose si fréquente, avant-dernière croix d'une longue existence, ont un trésor à leur disposition. Chacun de nous, avec la grâce de Dieu, peut découvrir ce trésor et en jouir. Oui, en jouir. Car Jésus en a joui sur la croix. Sa Passion, ses souffrances sont des œuvres d'amour pour son Père et pour nous ; et l'amour, pas un seul instant, n'y a manqué. Sottise pour celui qui n'est pas appelé ; mystère toujours pour celui-là même qui l'est ; et nous le sommes par le baptême. Dieu nous donne des ouvertures pour y entrer bien des fois dans la vie. Refuserez-vous ? Vous aurez les souffrances sans l'amour. Sots, pauvres sots ! Vous hésitez à cause de votre indignité ? Mais c'est notre faiblesse même qui fait déborder l'amour de Dieu pour nous dans l'âme du Christ. « Jérusalem, Jérusalem... combien de fois ai-je voulu réunir tes enfants comme une poule réunit ses poussins sous ses ailes et tu n'as pas voulu ? » Que cela ne soit pas dit de nous chrétiens.
NOTRE SEIGNEUR disait à Josépha Ménendez : « Je t'aime parce que tu es misérable et petite. Ce sont les misères et les fautes des âmes qui inclinent ma bonté vers elles ».
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Et voici s. Paul « (17) Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ, *si toutefois nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui...* (29) Car ceux qu'il a connus d'avance, il les a aussi prédestinés à *être conformes à l'image de son fils,* pour que celui-ci soit le premier né d'entre beaucoup de frères. » (Rom. VIII.)
Or cet appel et cet héritage sont inclus dans les promesses que nous avons faites au baptême et renouvelées bien des fois depuis, lorsque l'Église nous y invite. Nous avons renoncé à Satan à ses pompes et à ses œuvres, c'est-à-dire non seulement au péché, mais aux vanités du monde qui conduisent au péché sous des apparences séduisantes ou peu dangereuses ou même indifférentes. Demandons, pendant ce carême, la grâce de tenir nos promesses.
D. MINIMUS.
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## Enquête sur la Corporation
### Un numéro spécial de la « Chronique sociale »
LA *Chronique sociale* vient de publier un numéro spécial intitulé ; *Organisation professionnelle et corporatisme.* Bien qu'elle fasse allusion, de manière imprécise, aux « débats actuels », la *Chronique sociale* n'a pas estimé opportun de donner à ses lecteurs la simple précision documentaire suivante :
Depuis bientôt un an, la revue *Itinéraires* poursuit une *Enquête* sur la corporation qui a déjà recueilli et publié l'avis de personnalités françaises et étrangères telles que MM. Marcel De Corte, François-Albert Angers, Braulio Alfageme, Hyacinthe Dubreuil, Louis Salleron, Xavier Vallat, Jean Ousset, l'amiral Auphan, Michel Vivier, Henri Charlier, Pierre Andreu, Henri Pourrat, etc., et qui se continue.
L'absence d'une telle précision documentaire nous paraît d'autant plus significative que le directeur de la *Chronique sociale,* M. Joseph Folliet, avait annoncé ce numéro spécial dans son article du 1^er^ juillet 1956, très précisément comme une « réponse » à la revue *Itinéraires* ([^46]).
En passant sous silence les causes au moins occasionnelles de son numéro spécial, et en s'abstenant très volontairement de seulement mentionner la somme de réflexions et d'expériences très diverses apportées par notre enquête au commun travail de recherche des catholiques sociaux,
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la *Chronique sociale* nous paraît manifester qu'elle est encore prisonnière d'un antique esprit d'ostracisme et de préjugés antédiluviens, dont nous lui souhaitons très cordialement de parvenir enfin à se libérer.
\*\*\*
SANS AUTRE MÉRITE, sans doute, que celui tout involontaire, et auquel nous ne pouvons rien, d'appartenir à une autre génération, libérée des querelles partisanes, maintenant très dépassées, où s'est divisée et épuisée la précédente génération catholique, nous n'avons aucune envie d'imiter les procédés de la *Chronique sociale *; nous informons donc nos lecteurs que son numéro spécial *Organisation professionnelle et corporatisme* est daté du 31 décembre 1957, qu'on peut se le procurer, 16, rue du Plat, à Lyon, au prix de 500 francs, et que son sommaire comporte deux parties :
I. *Histoire et doctrine,* par MM. Roger Voog, Joseph Folliet, Pierre Lanier, J.-M. Albertini, Gilbert Blardonne, le R.P. Calvez et le Chanoine Henri Vial ;
II\. *Expériences* par MM. Marcel Prélot, Pires Cardoso, David Philip, Émile Rodet, Marcel Lepoutre, Georges La Fay et Paul Ager.
\*\*\*
L'ARTICLE de M. Joseph Folliet, sans aucune allusion à l'enquête d'*Itinéraires*, mentionne sur un point de détail la position de Jean Madiran (p. 614). Il le fait en des termes qui du moins ont perdu l'agressivité polémique de sa manière précédente, celle de la *Chronique sociale* de juillet 1956.
Voici le passage en question de M. Joseph Folliet. Il est ici annoté par Jean Madiran :
« Si la doctrine sociale de l'Église est faite non seulement pour l'exposé, mais plus encore, pour l'application, le respect qu'on en professe doit amener à préférer le grain des réalités ou des projets à la paille de la terminologie. On nous dit -- entre autres, M. Madiran. (**1**) -- que le terme d'organisation professionnelle, synonyme, dans les documents pontificaux, de corporatisme (**2**), offre des inconvénients analogues, qu'il est aussi usé et propice aux malentendus.
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J'ignore quelle expérience a M. Madiran des contacts avec les syndicalistes ouvriers et patronaux ; la mienne, en tous cas, s'écarte de la sienne, surtout pour les syndicalistes ouvriers (**3**). Le mot de corporatisme les hérisse -- et point gratuitement, nous aurons l'occasion de le voir ; la profession, ses structures, ses besoins forment des réalités auxquelles demeurent sensibles ceux qui ne font point de Marx leur docteur -- et même des marxistes, quand ils raisonnent à froid et par eux-mêmes. Le terme d'organisation professionnelle présente des avantages : il ne comporte point d'isme (**4**), ce qui est déjà quelque chose ; il est aussi peu mystique que possible ; ce qu'il offre d'un peu terne a pour effet d'orienter la pensée vers des réalisations pratiques et immédiates. Il est à l'extrême opposé du mythe.
\*\*\*
NOTES DE JEAN MADIRAN :
(**1**) D'après le contexte, il apparaît que M. Folliet vise ici non pas la *Lettre* de notre numéro 6, mais ma réponse à l'Enquête sur la corporation (n° 17) ;
(**2**) En ce qui me concerne -- puisque je suis personnellement mis en cause -- je ne dis pas *corporatisme,* mais bien : CORPORATION. J'ai toujours admis que « corporatisme » puisse légitimement avoir un sens surtout péjoratif : cf. *Ils ne savent pas ce qu'ils disent,* p. 57. En dehors de ce sens péjoratif, je n'emploie jamais le terme de *corporatisme,* je n'ai jamais plaidé pour lui ni dit quoi que ce soit en sa faveur à l'adresse de M. Folliet.
C'est de CORPORATION, et d'ORDRE CORPORATIF PROFESSIONNEL, que l'ai dit que de telles expressions ne sont pas « politiquement marquées », en France, davantage que l'expression « ORGANISATION PROFESSIONNELLE », qui fut fort employée notamment par les Croix de Feu, le P.S.F., et par Vichy, ce que M. Folliet oublie pour les besoins de la cause ([^47]).
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(**3**) Voilà une prise à partie bien personnelle... Ne serait-ce que pour des questions d'âge, mon expérience est certainement moins étendue que celle de M. Folliet. J'en conviens très volontiers. Mais je pense que, de son côté, il conviendra que sa propre expérience des « syndicats ouvriers » est beaucoup moins étendue, et beaucoup moins directe, que celle de M. *Hyacinthe Dubreuil* (deux réponses à notre enquête : n° 15 et n° 20) et celle de M. *Georges Dumoulin* (réponse à paraître). Ces deux militants ouvriers, dont le nom appartient à l'histoire de la C.G.T., sont personnellement et psychologiquement aussi différents l'un de l'autre qu'on peut l'être ; ces deux travailleurs manuels ne viennent ni du même métier, ni des mêmes régions géographiques : le premier est un ouvrier métallurgiste, le second est un mineur. Tous deux nous disent pourquoi leurs expériences diverses les inclinent à conclure en faveur de la corporation. Il est dommage que les lecteurs de la *Chronique sociale* soient privés de connaître les motifs de leur conclusion, et jusqu'à son existence.
Vous me direz qu'il est absurde de se battre à propos d'un mot : mais, comme le remarque Chesterton, si au lieu de saluer votre épouse en lui disant : « *Bonjour Madame* », je lui disais : « *Bonjour guenon* », il est probable qu'il y aurait une sérieuse querelle à propos d'un mot. Les mots ont leur dignité et on les a bien assez déshonorés comme cela.
André FROSSARD,
*Patrie française et principes chrétiens* p. 60.
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D'autre part. M. Folliet ne semble pas -- malgré son expérience -- s'être aperçu que beaucoup de cadres syndicaux refusent le mot de corporation *et la chose* pour une raison bien simple : ce sont les politiciens du syndicalisme, ceux qui *en vivent,* et qui, *vivant de la lutte de classes,* sont hostiles à tout ce qui, en y mettant un terme, les priverait de leur gagne-pain. Toutes les belles paroles que l'on peut ajouter pour masquer cette réalité n'y changent rien. Et ce sont ces *bureaucrates permanents et appointés* du syndicalisme qui stérilisent l'effort de renouvellement auquel aspirent les militants ouvriers.
(**4**) J'ai dit pourquoi je préfère (sans y attacher plus d'importance qu'il ne convient) *corporation* plutôt qu'*organisation professionnelle*. M. Folliet me répond superbement qu' « organisation professionnelle » ne comporte point d'*isme*, à la différence du *corporatisme* qu'il m'attribue, mais qui n'est nullement mien. Je connais et j'excuse la distraction de M. Folliet, dont j'ai eu maints exemples analogues. Mais qu'il me permette de lui confier que j'ai peine à convaincre de sa bonne foi des personnes qui, ne le connaissant pas, croient déceler dans de telles distractions un procédé parfaitement irrégulier.
\*\*\*
CELA DIT, et qui est secondaire, il faut se réjouir du numéro spécial de la *Chronique sociale.* Non que nous en approuvions tout ce qui relève évidemment de tendances particulières et d' « options libres ». Mais, sans vouloir faire une recension complète, même résumée, de cet important travail, nous noterons quelques-uns des points sur lesquels il contribue à faire avancer ou à préciser la réflexion :
**I.** La « question de mots » est reconnue et située à sa place réelle par M. Folliet : « *Il convient de s'assurer un bon outillage verbal, condition d'un bon appareillage conceptuel. Les mots, en effet, ne sont pas de simples assemblages de sensations visuelles et auditives ; ils ont une vertu intrinsèque par les images qu'ils suscitent et les sentiments qu'ils émeuvent.* » (p. 613).
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**II.** La *Chronique sociale* entreprend un effort pour « dépassionner » le débat (p. 594) et même pour le « dépolitiser ». De tels efforts, il faut, fût-on la *Chronique sociale,* les entreprendre d'abord sur soi-même. La *Chronique sociale* ne s'y est pas dérobée : entre décembre 1957 et juillet 1956, nous constatons la permanence d'une même pensée, mais nous remarquons aussi les progrès très réels, très positifs, très manifestes qui ont été accomplis en un an et demi. Ce qui nous conduit à suspendre telles critiques, qui ne sont pas toutes de détail, qu'appellerait néanmoins ce numéro de la *Chronique sociale :* car l'ensemble de ce travail est bénéfique, compte tenu des incertitudes, des ignorances et des déviations qu'il contribue à mettre en question. Voilà une étape, non pas définitive, mais importante, dans la restauration d'une pensée sociale catholique.
**III.** On sera particulièrement heureux d'observations incidentes mais opportunes et précieuses formulées par le P. Calvez (p. 648). Il remarque que la corporation est défendue par certains comme un drapeau, « *avec une passion mal informée et parfois avec une rigoureuse intolérance* », et qu'il arrive que « *ceux-là qui ont sans cesse à la bouche le mot corporation maintiennent tout autant la doctrine qu'il recouvre que ceux qui s'en défient : ne l'associent-ils pas quelquefois à un système social d'allure bien profane, au bénéfice duquel l'Église n'a pas engagé la parole de son magistère *? » C'est la vérité même. On sait quelle lutte méthodique nous avons entreprise contre les confusions indues de cette sorte, qui veulent bloquer la doctrine de l'Église avec un régime politique particulier. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir le P. Calvez rejoindre les positions que nous avons défendues à ce sujet dans *On ne se moque pas de Dieu,* pp. 76-81.
Le P. Calvez a le courage d'ajouter : « *Des passions proprement politiques s'en mêlent et il arrive que le climat de la discussion sur ce thème devienne irrespirable.* » Cela est arrivé chez des laïcs, qui sont peut-être excusables, et aussi chez des clercs, qui le sont peut-être un peu moins : on en voit malheureusement, de tous les « côtés », dans tous les partis.
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Trop d'esprits confondent encore la doctrine sociale de l'Église avec un régime politique, et notamment avec le régime établi : ils confondent la doctrine sociale avec les « principes démocratiques » (d'ailleurs mal définis) ou avec une « inévitable socialisation de la société ».
**IV.** Le P. Calvez, le Chanoine Vial et M. Joseph Folliet *lèvent enfin l'interdit* jeté en fait sur la « corporation » : interdit qui avait eu quelque influence jusque dans les cours aux Semaines sociales et jusqu'à l'intérieur de la *Chronique sociale.* Ils disent combien a été ridicule, injuste, insoutenable (mais très soutenu) le procédé par lequel quiconque prononçait le mot de corporation était, pour ce seul fait, accusé d'être un politicien machiavélique et réactionnaire, relevant d'une tradition maurrassienne ou fasciste, *et non* du catholicisme social ([^48]). Ce procédé avait permis à plusieurs d'accuser « les bureaux du Vatican », « l'entourage du Pape », voire le Souverain Pontife lui-même, d'être « intégristes et réactionnaires », et d'en donner pour « preuve » l'insistance avec laquelle les documents pontificaux parlent de la *corporation* comme de l'une des « *cellules essentielles qui assurent la libération de l'homme* » et qui doivent demeurer « *intangibles* » (voir notamment le Radiomessage de Noël 1956). En dénonçant courageusement cet irrespirable climat de passions politiques, la *Chronique sociale* rend un service considérable à la pensée sociale des catholiques français. Elle peut en rendre de plus grands encore en poursuivant et prolongeant dans la même voie ce travail d'approfondissement. Car il y a encore beaucoup à faire. Et une hirondelle ne fait pas le printemps. Nous considérons ce numéro de la *Chronique sociale* non certes comme un point d'aboutissement, il serait médiocre, mais comme un point de départ : et il est précieux.
J. M.
91:21
## DOCUMENTS
### Pie XII et l'Europe.
*C'est un fait que la doctrine catholique de la communauté internationale, et du bien commun international, est particulièrement ignorée ou méconnue en France. Quelques-uns la tirent dans le sens d'un internationalisme suspect : devant de telles divagations, les autres se replient sur un étroit nationalisme.*
*C'est un autre fait, conséquence du premier, que les appels lancés par Pie XII en faveur de l'unité européenne ne sont pas toujours compris, et surtout, sont tenus sous le boisseau, si bien qu'une grande partie du public catholique ignore leur contenu et jusqu'à leur existence.*
*Nous avons intégralement reproduit les deux grands discours de Pie XII sur l'Europe : celui du* 13 *juin* 1957 (Itinéraires, n° 16 pp*.* 108-112) *et celui du* 1^er^ *novembre* 1957 (*n°* 19*, pp.* 115-119).
*Voici en entier le nouveau discours du Saint-Père sur le même sujet, prononcé le* 3 *décembre* 1957 *à l'occasion du III^e^ Congrès de la section italienne du Conseil des communes d'Europe, à laquelle s'étaient jointes d'importantes délégations étrangères *:
Le Congrès de la section italienne du Conseil des communes d'Europe, auquel ont pris part également d'importantes délégations des autres sections européennes, Nous offre l'occasion de saluer en vous, Messieurs, les représentants d'un des principaux mouvements qui TRAVAILLENT A CONSTRUIRE UNE COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE SUPRANATIONALE ([^49]). C'est, vous le savez, *un titre particulier à Notre bienveillance,* et Nous avons voulu en donner une preuve nouvelle en accueillant la requête de votre présidence.
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Une unité fédérale.
La voix des autonomies locales, leurs aspirations et leurs préoccupations, constituent un élément à la fois stimulant et pondérateur dans l'élaboration de l'unité fédérale européenne qui se cherche. Votre organisation peut, en effet, grâce à la multiplicité de ses centres d'action, exercer une propagande très efficace en faveur de l'idée fédéraliste et, par là, elle hâtera, Nous l'espérons, les décisions des gouvernements, et leur fournira l'appui d'une opinion publique éclairée.
Bien commun\
et personnalisme.
Mais il est non moins important de souligner les considérations que votre Conseil introduit, avec autorité, dans les projets des gouvernements.
Le caractère fortement centralisateur des nations modernes ayant pour conséquence de réduire à l'excès les libertés des communautés locales et des individus, vous rappelez le primat des valeurs personnelles sur les valeurs économiques et sociales : LE BIEN COMMUN, en vue duquel le pouvoir civil est établi, CULMINE DANS LA VIE AUTONOME DES PERSONNES. Seule une *communauté d'intérêts spirituels* peut durablement rassembler les hommes. Il faut donc constituer dans l'Europe qui se fait une vaste et solide majorité de fédéralistes qui tiennent pour les principes d'un *sain personnalisme* ([^50]), Nous voulons dire une conception de la société civile où les personnes trouvent un épanouissement normal et servent librement la communauté. Dans cette notion de service, un très grand nombre d'esprits généreux peuvent tomber d'accord, pourvu qu'on lui donne tout son sens, à l'exemple du divin Maître, qui « *n'est pas venu pour être servi, mais pour servir* » (Mt XX, 28).
Bien loin de verser dans un idéalisme sans vigueur, cette attitude est au contraire la plus réaliste qui soit, car elle subordonne les intérêts secondaires aux intérêts supérieurs, elle fait bon marché de l'égoïsme *et de susceptibilités trop facilement qualifiées de* « *légitimes* » ; elle ne revendique pas de privilèges et consent aux sacrifices nécessaires ; elle ne recule pas devant les longs efforts et sait prendre les moyens qui s'imposent.
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L'unification politique.
Il Nous semble que votre Conseil, fort de l'expérience acquise dans l'administration municipale, possède ces qualités et sait les manifester avec fruit. Nous n'en voulons pour preuve que les sages résolutions prises en face des traités européens récents, et des problèmes qui retardent encore l'unification politique si vivement souhaitée par vous. Sans doute est-ce pour cela que vos interventions rencontrent une audience favorable et que vos projets se présentent sous les meilleurs auspices.
Un statut juridique international.
Non contents, en effet, de promouvoir les jumelages de communes, qui suscitent de nombreuses sympathies et nouent des amitiés rayonnantes, vous avez fondé la « Communauté européenne de crédit communal », destinée à préparer la création d'un Institut européen de Crédit communal. Mais là ne se bornent pas ses objectifs, car elle ambitionne aujourd'hui d'obtenir un statut juridique international et, devenant ainsi une Communauté économique européenne des pouvoirs locaux, elle pourrait représenter dans les nouvelles structures inaugurées par le Marché commun un organe de consultation et de collaboration qui défendrait efficacement vos intérêts.
Pour l'organisation rationnelle\
de l'Europe nouvelle.
Parmi les problèmes qui intéresseraient une institution de ce genre, on relève la nécessité de fournir aux organismes supérieurs les données statistiques et techniques qui définissent la situation économique des administrations locales, l'étude d'une répartition plus convenable des fonctions de l'État et des pouvoirs locaux dans l'administration civile, une plus juste harmonisation des efforts financiers des communes avec les mesures générales tendant à l'amélioration économique des régions sous-développées ou momentanément en difficulté. L'expérience de vos spécialistes et l'importance de ces problèmes, sur lesquels vous pouvez adopter des positions communes, donneront un poids considérable à la collaboration permanente que vous comptez fournir à l'organisation rationnelle de l'Europe nouvelle.
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Pour ces raisons et pour l'esprit qui anime vos recherches, Nous sommes heureux de pouvoir vous adresser Nos encouragements et Nous formons les vœux les plus cordiaux pour la réussite des projets en cours. Que le Seigneur vous éclaire et vous soutienne sur la voie d'une fraternité plus vaste et plus profonde, Nous le demandons instamment à sa Divine providence, en vous accordant à tous ici présents, à vos familles, à vos communes, Notre Bénédiction Apostolique.
\*\*\*
*Sans faire état de ce nouveau discours du Saint-Père, mais en se fondant sur les deux précédents, ainsi que sur les Messages de Noël, M. Luc Baresta, dans* L'HOMME NOUVEAU *du* 19 *janvier dernier, a publié une importante étude sur* « l'Europe selon Pie XII » *et* « l'Europe des traités ».
*Nous en reproduisons les principaux passages, qui nous paraissent parfaitement exacts *:
L'inauguration effective des communautés instituées par les traités européens du « Marché commun » et de l' « Euratom » a eu lieu le 1^er^ janvier 1958. Dès lors, en ce début d'année, les craintes et les ferveurs concernant « l'Europe » se sont à nouveau abondamment exprimées.
L'attitude des deux plus puissants partis communistes d'Europe occidentale, le Parti communiste italien et le parti communiste français, est très nette. Cette « Europe des Six », ils la vomissent. Et chacune des deux nations latines où ils sont librement à l'œuvre prend part, précisément, à l'expérience : ils y développent en conséquence l' « agitation » et la « propagande », les tactiques syndicales et politiques susceptibles, selon la stricte discipline imposée par l' « internationalisme prolétarien », de faire échouer la tentative : c'est-à-dire susceptibles d'y maintenir et d'y exacerber les « *contradictions internes* », rivalités entre nations et lutte de classes. Voilà une première donnée objective du problème.
Des réticences graves, parfois mélancoliques, parfois véhémentes, se signalent en d'autres secteurs de l'opinion française. Tantôt l'on craint que la France ne soit un jour, pour le continent fédéré, ce que l'Auvergne est pour elle. Tantôt l'on voit dans les « traités » l'œuvre de matérialistes et de francs-maçons installant leur occulte règne sur les décombres des patries.
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A travers ces réticences ou ces phobies s'exprime parfois la conscience des risques très réels que comporte « l'Europe » en train de se faire (...) En tous ces traités, l'économique a la première place et, dépourvu d'un sérieux contre-poids politique, il peut aller à la démesure (...) Et la menace de technocratie n'est pas illusoire.
Ces problèmes humains et leurs implications morales et spirituelles ne pouvaient manquer de solliciter l'attention du Souverain Pontife. Or il nous faut loyalement constater que Pie XII ne semble pas donner aux risques signalés le caractère extrême et catastrophique dont on les marque tragiquement dans certains milieux français même catholiques.
Tout d'abord, il est connu et clair que des considérations de principe touchant le Bien commun des peuples, et des considérations de circonstances géographiques et historiques, ont incité le Souverain Pontife à demander aux nations européennes qu'elles s'associent dans une communauté organique. « Le temps semble mûr, dit-il, pour passer de l'idée à la réalité. » Et Pie XII sait fort bien que cette construction ne va pas sans un risque. Mais voici comment il parle de ce risque dans son Message de Noël 1953 :
« A QUI DEMANDERAIT D'AVANCE LA GARANTIE ABSOLUE DU SUCCÈS, IL FAUT RÉPONDRE QU'IL S'AGIT CERTES D'UN RISQUE, MAIS NÉCESSAIRE, D'UN RISQUE, MAIS ADAPTÉ AUX POSSIBILITÉS PRÉSENTES, D'UN RISQUE RAISONNABLE. »
Cette citation faite, il arrive qu'en France on nous rétorque : *L'Europe dont vous parlez, c'est l'Europe selon Pie XII. Alors, d'accord. Nous acceptons de courir ce risque nécessaire et raisonnable. Mais l'Europe des* « *traités* » *en est la caricature ou l'antithèse. Les risques gratuits et fantasques de celle-ci, nous n'en voulons point.*
Ces propos ne nous semblent pas correspondre à la pensée du Saint-Père. Car non seulement Pie XII a désigné, comme un but de l'action temporelle, l'édification d'une Europe véritable, mais il a jugé les « traités » en fonction de ce but. Or, si la « C.E.C.A. », le « Marché commun » et l' « Euratom » nous laissent loin de compte, s'ils ne sont pas exempts des ambiguïtés sérieuses dont nous avons parlé, il n'en reste pas moins que leur relief, pourrait-on dire, est cependant acceptable ; mieux encore ; IL A PLUSIEURS FOIS ÉTÉ L'OBJET, DE LA PART DU SOUVERAIN PONTIFE, DE SYMPATHIE EXPLICITE, ACCOMPAGNÉE D'ENCOURAGEMENTS A ALLER PLUS AVANT DANS LES RÉALISATIONS COMMUNAUTAIRES. C'est sans doute que ces « traités » ne sont point totalement étrangers ni contraires à l'Europe telle que la souhaite Pie XII.
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Deux textes nous semblent à ce sujet mériter d'être mieux connus. Le plus récent est le discours sur la C.E.C.A. Il contient un jugement nettement favorable, ainsi que de fortes directives. Il condamne « *l'inanité des politiques : étroitement nationalistes et du protectionnisme à courte vue* ». Il réaffirme certes l'irréductible légitimité des patries. Car il ne s'agit pas d'abolir celles-ci. « L'amour de la patrie », répète le Saint-Père, « découle directement des lois de nature ». Mais l'accent de la pensée pontificale passe alors dans un « toutefois » que nous détachons pour nos lecteurs, tant il nous paraît important :
« TOUTEFOIS LE DEVOIR DE RECONNAISSANCE POUR LES MÉRITES ET LES TRAVAUX DES AÏEUX ENGENDRE LE PLUS SOUVENT UNE PRÉFÉRENCE INSTINCTIVE POUR CERTAINES FORMES DE VIE ET DE PENSÉE, UN ATTACHEMENT A DES PRIVILÈGES QUI N'ONT PAS TOUJOURS, OU QUI N'ONT PLUS LEUR RAISON D'ÊTRE EN FACE DES OBLIGATIONS NOUVELLES CRÉÉES PAR L'ÉVOLUTION RAPIDE ET PROFONDE DU MONDE MODERNE. »
Souhaitant de « nouvelles étapes » dans les réalisations européennes, le Saint-Père donne alors ce jugement qu'il nous faudra désormais retenir dans nos mises en question du « *nationalisme* » :
« LES PAYS D'EUROPE QUI ONT ADMIS DE DÉLÉGUER UNE PARTIE DE LEUR SOUVERAINETÉ A UN ORGANISME SUPRANATIONAL ENTRENT, CROYONS-NOUS, DANS UNE VOIE SALUTAIRE, D'OÙ PEUT SORTIR POUR EUX-MÊMES ET POUR L'EUROPE, UNE VIE NOUVELLE DANS TOUS LES DOMAINES, UN ENRICHISSEMENT ÉCONOMIQUE ET CULTUREL, MAIS AUSSI SPIRITUEL ET RELIGIEUX. »
L'autre texte est le discours prononcé le 13 juin 1957 (...) Le Saint-Père ne manque pas d'y considérer favorablement, avec les congressistes, cette tâche d'avenir : « *Le renforcement de l'exécutif dans les communautés existantes pour arriver enfin à envisager la constitution d'un organisme politique unique.* » Il n'hésite pas à s'avancer dans une perspective d'unité d'action temporelle pour l'Europe, au point de préconiser « *une politique extérieure commune* »* *:
« ELLE DEVIENT INDISPENSABLE DANS UN MONDE QUI TEND A SE GROUPER EN BLOCS PLUS OU MOINS COMPACTS. LES POINTS D'APPUI NE MANQUENT HEUREUSEMENT PAS, POUR LA METTRE EN ŒUVRE, DANS LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES EXISTANTES, MAIS ELLE ATTEND ENCORE UN INSTRUMENT EFFICACE D'ÉLABORATION ET D'APPLICATION. »
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*Nous comprenons parfaitement les* « *réticences* » *auxquelles fait allusion M. Luc Baresta, et notamment celles qui sont loyalement exposées, par exemple par* LA NATION FRANÇAISE*, dans un esprit qui d'ailleurs n'est pas d'hostilité systématique à toute politique européenne.*
*Mais d'autres, soit par une extraordinaire ignorance, soit par une complète absence de scrupules, fourvoient une partie du public catholique et le trompent très réellement, par des campagnes insensées contre tout esprit* « *européen* » : *le mot lui-même d'* « *européen* » *devient une injure dans leur langage ordinaire. Ils sont allés jusqu'à utiliser des phrases isolées du Saint-Père, par exemple celles qui mettent en garde contre la technocratie et la primauté de l'économique, pour faire croire que le Souverain Pontife serait* « *contre* » *l'Europe des traités. Ils devraient rectifier leur position et faire spontanément connaître la véritable position du Saint-Père *: *car tôt ou tard leur public s'apercevra de la tromperie, quelles que soient les précautions qu'ils prennent pour embrouiller ou dissimuler la vérité. Dissimuler la parole du Pape est un bien pauvre expédient, qui ne saurait durer longtemps.*
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### L'Église nous guide dans la vérité et dans la charité.
*Mgr Guerry, archevêque de Cambrai, secrétaire de l'Assemblée des Cardinaux et des Archevêques, a prononcé d'importantes déclarations le* 30 *décembre* 1957, *en réponse aux vœux du clergé* (QUINZAINE RELIGIEUSE DU DIOCÈSE DE CAMBRAI*,* 12 *janvier* 1958) ([^51]) :
Tous les évêques de France, qui ont eu la joie d'être reçus par le Saint-Père cette année, à l'occasion de la visite *ad limina,* sont unanimes à déclarer combien ils ont été, une fois de plus, touchés de la bonté du Saint-Père, de ses délicatesses paternelles, de son souci de bénir et d'encourager toutes les initiatives apostoliques susceptibles d'étendre le Royaume de Dieu, de son amour profond pour notre pays, de l'intérêt très vif qu'il porte à tout ce qui se fait en France.
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Sans doute, il lui faut parfois intervenir, lorsque la doctrine est en cause, pour rectifier une tendance, corriger une erreur, inviter à revoir telle position. Il est là dans son domaine. Il remplit sa mission de gardien du dépôt de la foi. Avec un sens aigu de ses lourdes responsabilités, il le fait pour exercer la plus grande charité : celle qui donne la vérité aux âmes.
...Où et quand, dans l'Église, empêche-t-on les fidèles de dire ce qu'ils pensent dans les domaines où ils sont libres de penser et d'exprimer ce qu'ils veulent ? C'est même un sujet d'étonnement pour ceux qui sont au dehors, de constater parmi les catholiques l'extrême diversité des opinions, des partis, et la très grande liberté que l'Église laisse à ses fidèles pour leurs options temporelles, politiques ou sociales, dès lors que la doctrine du salut n'est pas en jeu.
Par contre, le Pape intervient quand celle-là est menacée. Mais ce sont précisément ces interventions du Magistère que l'on n'accepte pas : ce sont elles que l'on redoute... On voudrait bien entraîner l'Église dans une certaine voie, l'infléchir dans une certaine ligne politique : et Elle refuse.
Les interventions doctrinales du Magistère.
Citons seulement quelques exemples.
Ainsi, certains avaient-ils espéré que l'Église se déciderait à marcher dans le sens de l'histoire tel que les marxistes le conçoivent, et qu'elle accepterait la collaboration avec les communistes pour coopérer à une révolution d'ordre politique et social. Et le Pape a dit : non. Il a dénoncé le matérialisme athée du communisme et le péril de la collusion. Il a rappelé la vraie mission de l'Église. Puis le drame de la Hongrie éclata. Et beaucoup d'intellectuels comprirent alors et la clairvoyance du Saint-Père et la menace qui pesait sur l'esprit et sur le monde.
De même, certains avaient rêvé d'une Église purement spirituelle, étrangère à toutes les tâches civilisatrices, exclusivement consacrée à sa mission du culte divin et de prédication évangélique, une Église entrant à notre époque dans une période d'occultation, d'extrême réserve, de silence même : le témoignage individuel des chrétiens suffirait. Il fallait une Église de forme préconstantinienne, retrouver celle des catacombes. Et le Pape a dit : non encore, dans son dernier Message de Noël 1957. Responsable de la mission de l'Église dans le monde *d'aujourd'hui,* il a des vues autrement hautes et audacieuses pour assurer la présence et la liberté d'action de l'Église dans le monde contemporain...
99:21
Enfin, combien allaient jusqu'à nier le droit du Magistère de l'Église dans les domaines de la vie humaine, familiale, sociale, et de la civilisation, afin d'assurer une laïcisation progressive de la cité, de la culture humaine, des activités profanes. Il ne fallait plus parler de civilisation chrétienne, ni de doctrine sociale de l'Église, ni d'institutions chrétiennes, scolaires ou syndicales dans la société profane fondée sur la laïcité de l'État. Et le Pape a dit : non ! Pleinement respectueux de l'autonomie des États dans leur ordre propre, il définit la mission apostolique de l'Église en notre temps, la précise par sa doctrine sociale dans ses applications à la cité terrestre et demande aux catholiques d'avoir la fierté de leur foi, l'intrépidité dans l'affirmation de leurs convictions, le courage à traduire dans les institutions et la vie publique les exigences de leur christianisme, tout en souhaitant la collaboration avec tous les hommes de bonne volonté pour l'établissement d'un monde meilleur, et avec les organisations neutres pour le service du bien commun.
Nous posons la question :
« Dans ces domaines qui touchent à la doctrine, qui donc a autorité, et qualité, et secours du Saint-Esprit pour enseigner la Vérité et la défendre ? »
Or, c'est un fait assez instructif : chacune des tendances que nous avons indiquées et qui ont tant pesé sur la vie du catholicisme en France depuis dix ans, aboutissait à une limitation ou même à une négation des droits de l'Église, de son magistère doctrinal, de sa mission apostolique.
Songe-t-on alors aux répercussions qu'aurait eues la diffusion de ces courants d'idées, pour de longues années, sur la vie du catholicisme en France, si le Souverain pontife n'avait pas donné la lumière, indiqué la voie, protégé le dépôt sacré ? A-t-on réalisé tout ce qu'il y avait de pessimisme, de défaitisme, de manque de foi dans certaines de ces positions de retrait ou de recul ?
Dans sa Déclaration d'avril 1954, l'Assemblée plénière de l'Épiscopat français, qui dénonçait aussi chacune de ces erreurs, demandait à ses fils « de se garder d'une inquiétude maladive et impuissante comme d'une indifférence coupable » ; elle affirmait l'espérance de l'Église au sein du monde moderne et sa confiance dans la Bonne Nouvelle du salut.
100:21
Une œuvre de lumière et d'amour.
C'est pourquoi ils sont nombreux, les fils de l'Église qui, sans être jamais paralysés par la peur, vont de l'avant, à l'appel de la Hiérarchie, avec au cœur, spontanément, sincèrement, librement, une confiance toute filiale envers le Souverain Pontife et une gratitude fervente pour toute l'œuvre de lumière et d'amour qu'Il accomplit chaque jour dans l'Église.
Ils lui sont reconnaissants pour toute l'impulsion qu'il a donnée à la *vie liturgique,* en ouvrant à tout le peuple chrétien les trésors de la Rédemption du mystère pascal, les sources vives de l'Eucharistie par l'assouplissement de la discipline du jeûne et de l'institution des Messes du soir.
Ils lui sont reconnaissants pour tout le *dynamisme apostolique* qu'Il communique à la vie de l'Église, pour ses appels confiants à l'apostolat du laïcat, non pour brimer ses initiatives mais au contraire pour les susciter, et pour inviter les laïcs à prendre en charge des tâches qui découlent de la mission confiée par le Christ à son Église.
De même, bien loin de limiter leur champ d'action dans le domaine de la cité temporelle, Il leur demande d'avoir le courage d'assumer leurs responsabilités dans le monde moderne, de les affronter hardiment, et de se mêler intimement à la vie économique, sociale, politique de leur nation et de la communauté des peuples.
Bien loin de minimiser ou de nier les droits des laïcs dans l'Église, Il les affirme ouvertement et déclare que « le prêtre doit les reconnaître ». La Pape et l'Épiscopat ont confiance dans le laïcat apostolique : à une heure où d'autres ont douté et doutent encore, ils ont misé sur lui pour une action missionnaire en France et à travers le monde.
...Est-il possible d'ignorer toute l'action vigoureuse menée par le Saint-Père depuis 1939 pour *défendre l'homme* contre tout ce qui le menace et pour revendiquer la libération de la personne humaine et de la famille contre toutes les contraintes extérieures des techniques et de l'économie ? N'a-t-on jamais lu tous les Messages dans lesquels le Pape, accueillant à tout ce qui est vraiment humain, ne cesse de faire appel à la liberté de l'homme, à sa volonté, à ses énergies, à sa clairvoyance, à son génie inventif pour construire la cité terrestre ?
Plus que jamais, serrons-nous autour du Chef de notre Église, attendant, dans la confiance filiale du cœur et la docilité joyeuse de l'esprit, les lumières qui nous viendront de ses enseignements doctrinaux et de son gouvernement spirituel.
101:21
Ils ne savent pas, hélas, de quelles richesses ils se privent, ceux qui d'avance se ferment à toute la vision grandiose du dessein du salut que le Saint-Père projette sur le monde moderne pour nous appeler tous à le sauver, en le restaurant dans le Christ.
Enfin et surtout, au lieu de nous arrêter comme certains à l'aspect sociologique de l'Église, entrons généreusement par une foi vive d'adultes dans le grand mystère de l'Église, le mystère du Christ vivant dans son Église et la conduisant invisiblement par le Saint-Esprit, visiblement par le Souverain Pontife pour l'Église universelle, et par les Évêques, successeurs des Apôtres, dans leur Église particulière, en communion avec le Pape. Dans la lumière de la foi et le courant de la charité, il n'y a plus alors de place pour la peur. Notre esprit, l'Apôtre, saint Paul, l'a décrit en ces termes : « Ce n'est pas un esprit de timidité que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de maîtrise de soi. » (II Tim I, 7).
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### Le « Mouvement pour un monde meilleur » s'étend à la France
*Dans notre précédent numéro, nous avons, au sujet du* MOUVEMENT POUR UN MONDE MEILLEUR, *reproduit un article du P. Lombardi paru dans* L'Homme nouveau, *et un article de* l'Osservatore romano. *Sur ce mouvement de renouvellement général des âmes et des institutions, instauré dans toute l'Église par Pie XII et, par l'entremise de l'Église, dans le monde entier, nous sommes en mesure d'apporter à nos lecteurs des précisions pratiques.*
*Car, en janvier, ont paru les deux premiers tomes* (*traduction française*) *de l'ouvrage du P. Lombardi *: PIE XII POUR UN MONDE MEILLEUR. *En avril paraîtra le premier numéro en langue française du Bulletin du Mouvement. Une Association vient d'être créée à Paris pour son soutien et sa propagande.*
*I. -- Pour connaître le Mouvement, il faut lire l'ouvrage du P. Lombardi.*
*Ce Mouvement n'est pas une nouvelle association. Il s'agit d'un climat nouveau que le Saint-Père désire instaurer dans toutes les forces catholiques afin qu'elles resserrent les liens qui les unissent et redonnent au monde un visage vraiment chrétien : pour cela, promouvoir une véritable mobilisation des consciences et des volontés.*
102:21
*Le livre du P. Lombardi,* PIE XII POUR UN MONDE MEILLEUR, *a paru aux Éditions de la Colombe. Tome I :* 1195 *francs. Tome II *: 1175 *francs. Chez tout bon libraire ou, à défaut, aux Éditions de la Colombe,* 5, *rue Rousselet, Paris VII^e^* (*C.C.P. Paris* 3401-66) *contre envoi du prix, majoré de* 50 *francs pour frais de port.*
*II. -- Le* 15 *avril paraîtra* LE MONDE MEILLEUR, *bulletin ronéographié, traduit de la revue mensuelle éditée par le* « *Centre international Pie XII pour un monde meilleur* ». *On peut s'abonner dès maintenant ; dix numéros* : 1.000 *francs ; abonnement de soutien *: 5.000 *francs. Les abonnements sont reçus aux Éditions de la Colombe* (*adresse ci-dessus*)*.*
*III. -- Une Association vient d'être créée : l'A.S.P.E.M.* (*Association de soutien et de propagande pour l'extension du Mouvement pour un monde meilleur*), 33, *quai Voltaire, Paris VII^e^. Toute personne désirant contribuer à la propagation du Mouvement peut y écrire, en joignant un timbre pour la réponse.*
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### La guerre militaire et politique en Algérie et en France métropolitaine.
Sur la restauration du patriotisme :
Nous recommandons particulièrement à nos lecteurs les trois ouvrages suivants :
1\. *Patriotisme et colonisation,* par le P. Ducatillon. Desclée et Compagnie, éditeurs (sur cet ouvrage, voir l'éditorial du présent numéro) ;
2\. *Patrie française et principes chrétiens,* volume collectif rédigé par le général Weygand, le Prince Xavier de Bourbon, Léon Bérard, Raoul Follereau, André Frossard, etc. Ce volume contient l'étude de Marcel Clément sur *l'amour de la Patrie* (Nouvelles Éditions Latines) ;
3\. *Enquête sur le nationalisme,* par Marcel Clément, préface de Jean Madiran (Nouvelles Éditions Latines).
Sur l'Afrique du Nord et l'Algérie :
Nous avons publié dans *Itinéraires,* outre l'éditorial du présent numéro :
103:21
-- Un éditorial sur *la justice en Algérie* (n° 16) ;
-- Un éditorial sur *le mensonge et la trahison* (n° 4) ;
-- Un éditorial intitulé : « *Ce que nous faisons* » (n° 14), comportant les chapitres : *Le drame de l'Algérie *; *Un accord sur la loi naturelle ;* *Le devoir et le réel *;
-- Des DOCUMENTS nombreux, parmi lesquels on retiendra particulièrement :
1\. *L'Algérie française parle à la Métropole ; Nos soldats en Algérie ; L'emploi de la force en Afrique du Nord ; Le devoir militaire ;* *La crise du patriotisme au sein du catholicisme français* (n° 5) ;
2\. *Un mythe : la communauté* « *franco-musulmane* » (n° 6) ;
3\. *L'Égypte et le monde arabe ; L'Islam croit à l'Immaculée Conception ?* (n° 8) ;
4\. *Dix-huit remarques sur l'Algérie* (n° 9) ;
5\. *La tache d'huile de l'islam *; *Mœurs anciennes et récentes de l'Islam* (n° 11) ;
6\. *Le martyre du Capitaine Moureau* (n° 12) ;
7\. *La campagne contre l'armée française ; Le véritable problème moral ; On ment aux Français ; Contre une* « *morale* » *truquée : les réalités de la guerre de partisans ; La restauration du patriotisme ; La technique du mensonge* (n° 13) ;
8\. *Les thèses d'Hanna Zakarias sur le Coran* (n° 15) ;
9\. *Le problème moral et les droits de la répression en Algérie* (n° 15) ;
10\. *Légitimité de la répression en Algérie ; Situation de la rébellion *; *L'exposé de M. Maurice Papon* (I.G.A.M.E. de l'Est-Algérien) (n° 18).
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#### La situation militaire et politique
*Pour comprendre le développement de la situation politique et militaire en Algérie, il est indispensable d'avoir présentes à l'esprit les données fondamentales contenues dans l'exposé que M. Maurice Papon,* I.G.A.M.E. *de l'Est-Algérien, faisait en septembre* 1957 (*voir Itinéraires,* n° 18, pp. 109 et suiv*.*)*, ainsi que nos* DIX-HUIT REMARQUES SUR L'ALGÉRIE (n° 9 pp. 129 et suiv.)*.*
104:21
*Dans la* LETTRE D'INFORMATIONS POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES *du* 14 *janvier, M. André Noël apporte les précisions plus récentes que voici *:
Le rédacteur du *Monde,* -- pour constater la différence de climat dans la Kasbah où, en compagnie d'autres journalistes, il a pu se promener sans escorte, au milieu d'une population amicale, -- estime judicieux de faire la comparaison avec la période précédente, celle pendant laquelle les parachutistes imposaient leur dure loi à des populations que *Le Monde* décrit comme frappées de terreur. Ce n'est pas ce moment d'intervention chirurgicale qu'il fallait prendre comme référence, mais bien les mois antérieurs, lorsque civil ou militaire, aucun Français n'osait se risquer dans la Kasbah, fief incontesté des chefs F.L.N. qui s'y montraient pratiquement à visage découvert.
Si aujourd'hui la bataille est gagnée, la situation renversée, si la Kasbah est redevenu un quartier de ville française, plus sûr que Barbès, la Goutte-d'Or ou Aubervilliers, c'est que plusieurs centaines de rudes garçons, supérieurement entraînés et qui se sont révélés remarquablement aptes à toutes les missions qu'impose désormais la guerre subversive, ont pu extirper il deux reprises, par des méthodes, répétons-le, chirurgicales, le chancre du terrorisme.
Cette amélioration comporte un danger majeur : celui d'imaginer que la partie est définitivement gagnée, que nous pouvons relâcher notre effort, que l'Algérie, le Sahara et l'Afrique (dont le sort est conditionné par celui de l'Algérie) seront désormais maintenus sans peine dans la souveraineté française, grâce à quelques astuces de « table ronde » baptisées » solutions politiques », -- comme s'il pouvait y avoir une « solution politique » capable de résoudre le problème algérien en dehors du long effort *à la fois* militaire, humain, social et politique dont l'ensemble forme *la pacification.*
Parce que les alliés parisiens du F.L.N. se mobilisent pour lui éviter la catastrophe finale, -- parce que certaines grandes puissances financières ne se résignent pas à voir la France trouver, grâce au pétrole saharien, les conditions d'une prospérité et d'une indépendance économiques qu'elle n'a jamais connues depuis l'avènement de l'ère industrielle, -- parce qu'il faut toujours compter avec les prophètes de l'abandon, dépités de voir leurs oracles démentis par les faits et anxieux de faire cesser ce scandale en aidant la réalité à suivre leurs prévisions, -- la situation nous paraît aussi ou plus périlleuse qu'elle ne fut jamais : *nous pouvons, du jour au lendemain, nous voir imposer une majorité de rencontre, rameutée par une insidieuse campagne de propagande, une défaite politique qui nous frustrerait, à Paris, de la victoire aujourd'hui en marche sur la terre algérienne.*
105:21
C'est pourquoi, plus que jamais, nous devons dénoncer, à propos de l'Algérie, tout un arsenal de slogans vides et de dangers réels.
L'un des plus couramment employés est celui de L'AMÉLIORATION MILITAIRE OPPOSÉE A UNE DÉTÉRIORATION POLITIQUE. C'est un concept intellectuel élaboré en chambre, à Paris, que M. Mendès-France avait été l'un des premiers à énoncer, dont *L'Express* a fait ses choux gras et que nous avons la peine de voir aujourd'hui repris par *La Croix*, journal que nous avons connu plus objectif, plus intelligent et moins passionné. L'ingénieuse formule peut se résumer ainsi :
« Nous avons peut-être remporté en Algérie une victoire militaire, mais cela grâce à des méthodes si odieuses qu'elles nous ont aliéné ou qu'elles risquent de nous aliéner définitivement la confiance des populations musulmanes. »
Pour tenir ce raisonnement, il faut ne connaître ni les Algériens, ni les méthodes de la guerre subversive, ni celles de la pacification.
Dans une telle forme de guerre, *tout succès militaire présuppose* ET ENGENDRE *une amélioration du climat psychologique, donc de la situation politique.*
IL LA PRÉSUPPOSE, parce qu'il est impossible de remporter le moindre succès local si nos forces ne sont pas éclairées par ces *renseignements* que nous étions incapables d'obtenir voici dix-huit mois (du moins dans un délai de temps tel qu'ils fussent exploitables), et qui nous arrivent aujourd'hui avec une abondance telle qu'elle confine à la surabondance.
IL L'ENGENDRE, parce que l'arme de nos ennemis (une arme prévue, codifiée, réglementée dans ses détails les plus atroces) est *la terreur.* Or, chaque fois qu'une de nos unités élimine une des bandes qui font régner la terreur dans certains secteurs, elle enlève à la rébellion son arme essentielle, et les populations reviennent vers nous parce que nous avons démontré que nous sommes les plus forts, les vainqueurs désignés par Allah.
106:21
Tout le reste, toute opposition agréablement balancée entre une amélioration purement militaire et une dégradation proprement politique n'est que mauvaise littérature, jeux de l'esprit, transposition abusive de concepts intellectuels à peine valables pour la métropole et parfaitement controuvés en terre d'Islam.
*Cette invention d'une* « *amélioration militaire* » *qui aurait pour conséquence fatale de déterminer une* « *détérioration politique* » *a été, en effet, malencontreusement reprise et professée par* LA CROIX*, et dans des termes qui pourraient laisser croire que cette thèse très particulière est une* « *exigence de la conscience chrétienne* ».
*Contre cette thèse erronée, Fabrègues s'élève également dans la* FRANCE CATHOLIQUE *du* 17 *janvier *:
On dit, on écrit que (notre) victoire militaire risquait d'être, ou était déjà une défaite psychologique.
Ce qui est le fait majeur de ces temps-ci, c'est que la population a échappé au F.L.N. : il n'a plus sa confiance, s'il l'a jamais eue. En tout cas, il n'a plus la force, il n'est plus en état de la faire obéir, ni par la terreur, ni par le miroitement de l'avenir, comme il le faisait récemment. La sécurité qui règne dans les villes, la sécurité qui règne dans les plaines (et donc la possibilité de communiquer) ont été les signes de la victoire française. Mais d'autres signes ont suivi : le sourire sur les visages, la plaisanterie dans les conversations, le dialogue possible, ce sont des choses qui ne trompent pas l'observateur qui sait voir et qui connaît le monde musulman.
Il y a des signes plus manifestes encore : les écoles musulmanes sont pleines ; on a ouvert des classes, partout dans les cinémas, les salles des fêtes ; les jeunes arabes se sont remis à fumer, en public, dans les rues.
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#### Un article de M. Joseph Folliet
*M. Joseph Folliet, qui n'est plus co-directeur de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, mais qui donne encore quelquefois des articles à ce journal, y a publié le* 3 *janvier une philippique où on lit notamment *:
107:21
Le voilà donc enfin, ce rapport de la Commission d'enquête...
(*M. Folliet veut parler du rapport de synthèse de la Commission de Sauvegarde*.)
...si longtemps attendu, objet de tant de commérages, d'appréhensions et de polémiques ! (...)
Nous ne saurions oublier les démentis officiels qui font aujourd'hui figure de contre-vérités ; les poursuites engagées n'est-ce pas, Georges Montaron ? -- contre des journalistes qui n'en avaient pas dit plus long que le rapport de la Commission d'enquête. (...)
Je compare le rapport de la Commission d'enquête à la brochure de mon ami Pierre-Henri Simon et à nos articles de *Témoignage chrétien, --* textes qui nous ont valu tant d'injures, de calomnies et de menaces, oui, jusqu'à des menaces de mort ! Comme ils paraissent prudents, ces textes, et modérés, et précautionneux, et dubitatifs, et interrogatifs ! Quel soin de n'en pas affirmer plus que nous n'en savions, de ne pas généraliser indûment ni de conclure trop vite, de ne pas juger en bloc, de sauvegarder l'honneur de la France et de son armée ! (...) Et : pourtant, aux yeux d'une partie de l'opinion française et même de l'opinion catholique, nous resterons les défaitistes, les progressistes (etc.)
*M. Joseph Folliet expose avec beaucoup de chaleur et d'enthousiasme quelles furent ses intentions personnelles, et quelle bonne opinion il a de ses propres articles.*
*Seulement, il semble se solidariser avec toute la campagne de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, -- à tout le moins il ne s'en désolidarise pas.*
*Nous savons que M. Folliet n'est ni progressiste ni défaitiste* (*ce qui ne veut pas dire que nous approuvions tout ce qu'il écrit*)*.*
*Mais il ne devra pas trop s'étonner si, prenant acte de sa solidarité au moins apparente avec l'organe du défaitisme,* « *une partie de l'opinion* » *le confond avec d'autres.*
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *a publié sur l'Algérie des articles véritablement abominables* (*voir ci-dessous*)*.* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *a pour rédacteur en chef un homme qui se proclame lui-même* « UN DÉFAITISTE » (*voir plus loin*)*.*
108:21
*Pourquoi M. Joseph Folliet ne s'occupe-t-il pas de combattre ce défaitisme conscient et avoué répandu autour de lui, et pourquoi se donne-t-il l'apparence d'en nier l'existence ? Pourquoi M. Folliet n'a-t-il jamais eu un cri public d'indignation devant ce que publie* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN* ?*
*M. Folliet parle emphatiquement de ce qu'il appelle* « *nos articles de* Témoignage Chrétien ». *On distingue mal si ce* « NOS » *est en réalité un pluriel de majesté, et si M. Folliet a voulu dire :* « MES » *articles. Nous croyons que cette interprétation est la bonne. Mais elle n'est pas évidente. Au contraire.*
*La majorité des lecteurs comprend que M. Joseph Folliet se solidarise avec les articles de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *et qu'il se porte garant du fait qu'ils étaient tous* « *modérés* »*, et* « *précautionneux* »*, et* « *dubitatifs* »*, et qu'ils évitaient de* « *généraliser indûment* » *et de* « *conclure trop vite* ».
*C'est ce que nous allons voir, sur pièces, par un exemple.*
#### Les monstruosités de « Témoignage chrétien »
*Le* 4 *octobre* 1957, TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *publiait en quatrième page un article de son* « *correspondant particulier* » *en Algérie sous le titre :* « *Le moral de l'armée* ». *On y lisait notamment* (*c'est nous qui soulignons*) :
Pour douloureuses qu'elles soient, certaines évidences doivent être énoncées. *Le contingent, dans sa majorité, admet la torture.* Beaucoup l'encouragent. Et ceux qui la pratiquent sont plus nombreux qu'on le croit. Mis à part de très rares militants, *nous n'avons jamais rencontré personne, dans la troupe, pour en condamner le principe.*
...Un sous-lieutenant de parachutistes, RAISONNANT A LA « PARA » (nous a dit) : « La question qui va se poser, c'est de réadapter nos hommes à la vie civile. Pour certains d'entre eux, parmi lesquels des officiers et des sous-officiers, *il me semble que le mieux serait de les abattre nous-mêmes en Algérie,* car ils n'ont plus leur place dans un pays civilisé. »
109:21
*Ces lignes, faut-il insister sur ce qu'elles ont de monstrueux ? Est-ce que M. Folliet ne le voit véritablement pas ?*
1. -- *A supposer* (*ce qui est plus qu'invraisemblable*) *que le* « *correspondant particulier* » *de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ait réellement entendu un sous-lieutenant de parachutistes lui tenir ce langage, comment peut-il prétendre que ce soit* « UN RAISONNEMENT A LA PARA » ? *Ce corps d'élite de l'armée française aurait donc pour* RÉFLEXE TYPIQUE *de rêver de s'entre-tuer ? Ce serait raisonner caractéristiquement* « A LA PARA » *de vouloir* « ABATTRE » *ses compagnons d'armes ? C'est du délire. Mais un délire qui est parfois* CRU SUR PAROLE *par des militants chrétiens, qui vont alors aider les organisations clandestines et le terrorisme du F.L.N.*
2. -- *Le* « *correspondant particulier* » *de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *affirme très clairement que* « LA MAJORITÉ DU CONTINGENT ADMET LA TORTURE »*, et que* « PERSONNE DANS LA TROUPE N'EN CONDAMNE LE PRINCIPE ». *Cette abominable accusation, est-ce donc cela que M. Folliet appelle* « *ne pas généraliser indûment ni conclure trop vite* » ?
\*\*\*
*Lorsque fut publié le rapport de la Commission de sauvegarde,* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *prétendit* (20 *décembre* 1957, *page* 2) *que ce texte confirmait ce qu'il avait imprimé.*
*Le rapport de la Commission de Sauvegarde ne dit nulle part que les parachutistes, affolés par leurs propres crimes voudraient* S'ABATTRE EUX-MÊMES EN ALGÉRIE*, ni que* LA MAJORITÉ DU CONTINGENT APPROUVE LA TORTURE*, ni que* PERSONNE DANS LA TROUPE N'EN CONDAMNE LE PRINCIPE*.*
*Tout au contraire, ce rapport montre que les excès de la répression en Algérie n'ont été ni systématiques ni généralisés. Ce rapport précisément permet de mesurer à quel point* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *a calomnié la France et son armée.*
*Les observations que formule à ce sujet Fabrègues dans la* FRANCE CATHOLIQUE *du* 3 *janvier atteignent directement* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN* ; mais ces observations, nous craignons qu'elles n'atteignent aussi l'attitude, équivoque sur ce point, de M. Joseph Folliet *:
110:21
Ceux qui, lorsque nous affirmions : *la torture n'est ni institutionnalisée, ni généralisée, ni même tolérée, mais elle apparaît comme un cas sporadique,* nous répondaient : *elle est générale et généralement admise, --* ceux-là, devant la négation de la Commission, oublient leurs affirmations et parlent comme si elle avait confirmé leurs hypothèses, alors qu'elle a confirmé les nôtres.
Cela est déjà très grave. Très, grave en soi, mais plus encore pour l'état d'esprit que cela révèle et pour les conséquences que cela comporte.
Très grave en soi : les lecteurs de ces feuilles, l'opinion qui les suit, continueront de croire ce qui a été primitivement affirmé : le consentement général à la torture.
Très grave pour l'état d'esprit révélé : les esprits partisans n'entendent plus ce qui se dit, ne voient plus les faits, tout leur horizon étant occupé par la querelle passionnelle.
Très grave pour les conséquences : la légende de l'armée française coupable dans son ensemble continuera de courir le monde, les comparaisons avec les camps d'extermination resteront crues... et cela pèsera en Algérie comme au plan international.
Ainsi, le mal fait, objectivement fait, subsiste.
*Et c'est ainsi que des militants chrétiens sont conduits à* SE SOLIDARISER ACTIVEMENT *avec les assassins du F.L.N., à aider les organisations occultes et les transports clandestins d'armes, à* ÊTRE POSITIVEMENT COMPLICES DES ATROCITÉS TERRORISTES*.*
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#### Complicités actives avec le terrorisme.
*Des militants chrétiens, issus de l'Action catholique et débouchant dans l'action politique, y débouchent pour participer à l'action clandestine et terroriste du F.L.N. !*
*A propos d'un cas récent et particulièrement lamentable,* CITÉ FRATERNELLE*, l'hebdomadaire catholique de Besançon, a publié dans son numéro du* 22 *décembre* 1957 *une mise au point précise *:
111:21
1° Nous tenons à souligner fortement que les activités incriminées ne sauraient en aucune manière se réclamer de la morale chrétienne. Celle-ci prescrit sans équivoque le service loyal et fidèle de la patrie, l'attachement à la communauté nationale et l'obéissance à la loi. Elle considère comme une faute grave de pactiser avec tout ce qui menace l'unité et la vie même de la nation.
Il est indiscutable que l'action du F.L.N. se traduit par le meurtre de Français d'origine et d'Algériens -- ceux-ci en beaucoup plus grand nombre que les premiers. L'aide apportée à une telle action ne peut se justifier. C'est un fausse charité que celle qui s'exerce envers certains au détriment de la simple justice due aux autres. S'il est parfois légitime de secourir et d'abriter un fugitif, il n'est jamais permis de donner à un adversaire de son propre pays le moyen de poursuivre son combat.
Quelles que soient leurs intentions subjectives, de tels actes constituent objectivement de graves délits qui tombent sous le coup des lois.
2° On ne saurait cependant considérer et traiter les inculpés comme des criminels de bas étage. Il importe en effet de ne pas oublier qu'ils ont agi sous l'impulsion d'une générosité idéaliste dont ils ont donné de nombreuses preuves en d'autres domaines, incontestables ceux-là. Des convictions aberrantes mais sincères, si elles ne peuvent tout légitimer, constituent un élément d'appréciation dont la justice saura tenir compte.
3° Il serait injuste et peu honnête de prétendre, par des généralisations abusives, que les actes incriminés « engagent » toute la communauté protestante de Belfort ou tous les dirigeants et militants de la J.E.C. En ce qui concerne celle-ci, précisons que, si Francine Rapiné a fait jadis partie du mouvement, elle a cessé d'exercer une responsabilité depuis trois ans. Tout en lui gardant ses sympathies, elle s'en était éloignée précisément parce que ses opinions politiques ne pouvaient se concilier avec les exigences d'un mouvement d'Action catholique.
4° Il serait également injuste et abusif d'utiliser de tels incidents pour tenter de discréditer des hommes qui, usant dans le respect des lois de leurs droits et libertés de citoyens, préconisent, pour résoudre le problème algérien, des solutions différentes de celles qui ont été mises en œuvre jusqu'à présent. A plus forte raison ne saurait-on en profiter pour condamner ceux qui s'efforcent de conserver des contacts fraternels avec les Nord-Africains, en leur apportant notamment l'aide matérielle et morale dont ils ont tant besoin.
112:21
Si, pour notre part, nous réprouvons fermement toute activité de caractère antinational, nous croyons par contre à l'urgente nécessité de travailler au rapprochement des deux communautés européenne et musulmane, dans une commune recherche de la justice et de la paix.
*Cette mise au point est parfaite.*
MAIS *elle aurait eu plus de portée si elle avait été publiée* AVANT*, pour* METTRE EN GARDE*, et pour éviter les* « *glissements* »*, au lieu d'être publiée* APRÈS*, quand le mal est fait.*
*Elle aurait eu plus de portée, aussi, en ne restant pas à l'échelon local.*
\*\*\*
*Les accusations contre l'armée française portent leurs fruits.* LA CROIX *prétend* (9 *janvier*) *que les parachutistes ont* « SOUVENT » *violé des droits fondamentaux de la personne humaine, et qu'agissant ainsi, ils pensaient* « PARFOIS »*, -- parfois seulement, -- contribuer à sauver des vies innocentes.* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *publie ce qu'on a lu plus haut. Ces accusations, tombant dans un climat et un contexte déjà très troublés, ont pour résultat normal de favoriser les* « *glissements* » *par lesquels des chrétiens se sentent devenir moralement et parfois activement -- solidaires de la rébellion.*
*On a vu par l'éditorial du présent numéro que le P. Antoine Wenger, dans* LA CROIX*, estime devoir parler des excès de l'armée française,* ET NON POINT *des atrocités fellagha, en invoquant cette raison :*
Nous ne sommes pas solidaires des fellagha, nous sommes solidaires de notre armée.
*Sans doute, mais* QUI EST SOLIDAIRE, *ou qui est* RESPONSABLE, *de ces militants chrétiens qui* DEVIENNENT DES FELLAGHA ?
*La première partie de la mise au point parue dans* CITÉ FRATERNELLE *serait parfaitement à sa place dans* LA CROIX*, et mériterait une insistance explicite et répétée, bien qu'il soit déjà très tard.*
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113:21
CITÉ FRATERNELLE *a raison de demander que l'on* « *n'utilise point* » *ces dramatiques erreurs pour* « *discréditer* » *les hommes qui soutiennent, par des moyens licites et légaux, une certaine politique* (*disons* « *libérale* ») *à l'égard de l'Algérie.*
*Mais les hommes qui soutiennent une telle politique* SE DISCRÉDITENT EUX-MÊMES *quand systématiquement, obstinément, ils* S'ABSTIENNENT *de mettre en garde leurs lecteurs contre l'effroyable* « *glissement* » *qui conduit certains à devenir complices actifs de terrorisme.*
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#### Le rédacteur en chef de « Témoignage chrétien » se proclame défaitiste.
*M. Joseph Folliet, en de fréquentes occasions, notamment dans* LA CROIX*, et encore dans le texte cité de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, parle du* DÉFAITISME *comme s'il n'existait point parmi les catholiques ; comme s'il n'était qu'une accusation calomnieuse forgée par une polémique sans scrupules.*
*On pourrait en discuter. Bien entendu, il ne saurait être question d'englober M. Folliet lui-même dans le défaitisme. Mais depuis longtemps nous désirons lui faire remarquer l'existence très réelle d'un défaitisme caractérisé.*
*Or voici que ni l'analyse ni la démonstration ne sont plus nécessaires.*
*Le propre rédacteur en chef de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, M. Georges Suffert, déclare et proclame lui-même qu'il est très consciemment* « UN DÉFAITISTE » *et qu'il veut être tenu pour tel. Il le fait, au demeurant, en des termes cruels, insolents et injustes pour la France. Voici la confession, extraite d'un article paru sous sa signature dans* ESPRIT *de décembre* 1957 (*page* 627) :
Chacun s'est mis à parler de la France depuis quelques années ; la vieille dame a retrouvé un regain d'actualité, les grandes consciences prononcent son nom avec un ton ému (...)
114:21
*Remarquons au passage que* « *parler de la France* » *n'est pas un phénomène nouveau apparu* « *depuis quelques années* » *seulement. M. Suffert, qui a le bonheur d'être très jeune, a le tort de croire que ce qu'il voit aurait commencé avec lui.*
Remarquons aussi que le Saint-Père parle souvent de la France. M. Suffert sait-il, ou ignore t-il, en quels termes (notamment) *Léon XIII, saint Pie X et Pie XII ont parlé de la France ?*
...Les passionnés de la France manquent décidément de retenue, j'allais dire pudeur. Je préférerais sans doute me taire, ne rien ajouter à ce concert de pleureuses en mal de virilité. Néanmoins ces bonnes âmes commencent à faire un bruit énorme ; il faut probablement leur répondre et se déclarer, annoncer les ; couleurs, dire tout net que ces lignes sont l'œuvre d'un défaitiste, c'est-à-dire d'un bomme qui ne croit plus à ce qu'on appelle la France.
*Cette déclaration de M. Georges Suffert n'appelle ni la colère ni le mépris : nous dirons tout à l'heure pourquoi. Mais elle appelle qu'on en prenne acte, car les pensées qu'il exprime sont susceptibles d'attester que l'on ne rêvait pas, quand on discernait un* DÉFAITISME*.*
*Plus loin* (p. 631)*, M. Suffert écrit :*
...Je n'ai aucune honte à me déclarer défaitiste : les victoires que désirent mes compatriotes ne sont pas les miennes ; je pense même que ce ne sont pas celles de mon pays. Je pense que la France vaut mieux que les petites guerres médiocres dans laquelle (*sic*) on l'a jetée ; qu'elle me sera rendue, intacte, comme la fiancée de Kierkegaard, si j'ai aujourd'hui la simplicité de dire sans colère que je me sépare d'elle.
*Et plus loin* (p. 634) :
Je ne prétends pas avoir raison. J'essaie simplement de me retrouver à tâtons dans un drame qui me dépasse, je n'ai pas envie de juger mais de comprendre, là comme ailleurs je suis livré aux mystères d'une séparation et d'une communauté de destin dont l'explication n'appartient pas sans doute à cette terre.
115:21
*Il y a dans l'ensemble de cet article, et dans les passages que nous citons, un accent de sincérité, une honnêteté courageuse qui ne triche pas avec son désarroi et son abandon.* (*Mais on se demande comment un homme qui* SE SÉPARE DE LA FRANCE *peut conserver des responsabilités dirigeantes dans la presse catholique française.*)
*M. Georges Suffert n'a pas trente ans, ou les a tout juste. De cette crise de conscience qu'il analyse et qu'il exprime, il sortira peut-être, un jour prochain, avec un autre visage et une autre espérance. On ne l'enfermera pas dans son aveu et on lui laissera la porte ouverte. Il ne saurait être question de le railler ou de l'accabler.*
*On tiendra compte aussi, un compte malheureusement très large, des enseignements et des influences qu'a pu subir un jeune homme qui a trente ans aujourd'hui, qui en avait douze en* 1940. *Sans doute, et M. Suffert les évoque, les malheurs nationaux ont exercé une action dissolvante sur cette génération, qui n'a pas toujours été aidée ni éclairée par ses aînés. Les imprécations de M. Suffert contre* « *les hommes de cinquante ans* » (p. 629) *sont excessives : elles sont néanmoins un symptôme, un point de repère, un témoignage sur les jalons de son itinéraire.*
*Grandi en milieu catholique, et sous l'influence de certains docteurs catholiques, M. Suffert a été conduit à cette sorte de désespoir et à ce défaitisme où nous le voyons. Ce drame intérieur et personnel, on peut en parler puisqu'il le publie. On n'en peut parler qu'avec sympathie et respect, comme de tout ce qui est de cet ordre et de ce domaine. Mais on doit remarquer que dans son cas, et dans une multitude de cas semblables, s'inscrivent les responsabilités intellectuelles et spirituelles de docteurs catholiques. Le cas de Georges Suffert, comme celui de Robert Barrat, porte un témoignage qui crie vers le ciel contre ceux qui les ont littéralement poussés par les épaules aux confins d'un soi-disant* « *progressisme* » *ou ils les ont maintenant abandonnés, sans pouvoir et sans savoir réparer les ruines spirituelles dont ils sont les auteurs.*
*Victimes de l'influence directe de certains docteurs ou au moins du climat intellectuel qui avait été créé des hommes comme Georges Suffert et Robert Barrat ont tout perdu, et il ne leur reste que ce* DÉFAITISME *qu'on leur a vu si souvent manifester sans le dire dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*. M. Georges Suffert le dit désormais, ce qui a l'avantage de la clarté, et ce qui éclairera jusqu'à M. Joseph Folliet.*
116:21
*Dans les combats où la France se trouve engagée -- par l'agression universelle du communisme soviétique -- ni Robert Barrat ni Georges Suffert ne se sentent solidaires de la France. On l'avait remarqué. Georges Suffert l'énonce sans équivoque. Le* FAIT *lui-même ne pourra plus être nié.*
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*Cette crise de conscience est celle d'une génération. Non point d'une génération entière, mais d'éléments assez nombreux et souvent influents* (*notamment parmi les militants chrétiens*)*. Cette crise défaitiste doit donc être regardée en face et traitée sérieusement -- et non pas avec des imprécations.*
*Ce nihilisme défaitiste, M. Pierre Boutang y joint un phénomène* « *fasciste* » (LA NATION FRANÇAISE*,* 1^er^ *janvier*) :
Il s'agit d'un mouvement d'éloignement, presque de haine, pour l'objet jadis aimé, qui visite encore les songes, pour une patrie. Haine amoureuse, typiquement « fasciste », analogue à celle des « réprouvés » préhitlériens, bien qu'elle conduise à l'abandon des provinces françaises et non à des opérations d'amer courage comme celle du « Balticum » pour les Allemands d'après 1919.
Oui, si M. Georges Suffert (...) ne ment pas consciemment, il est un « fasciste » exemplaire par son pessimisme, son sentiment d'exil dans son propre pays, son angoisse -- non dépourvue d'une sorte de jouissance de l'agonie -- d'une France « moribonde » (...)
Le cas de M. Georges Suffert... pose le problème réel de l'action politique, de son style et de son contenu aujourd'hui même. La « dédicace » qui suit immédiatement son texte *d'Esprit* confirme notre sentiment : Alain Berger n'y rejette pas la question amère de son aîné : *la France existe-t-elle *? il lui substitue toutefois avec pudeur, la *moindre* interrogation : *la France peut-être encore être un projet commun pour les Français *?
Nous répondons, nous, que la France, avant d'être un projet, est une *situation,* dont en réalité les Français ne se peuvent abstraire ni exiler.
117:21
*En raison des postes dirigeants qu'occupent de tels défaitistes, le P. Ducatillon a pu dire de* « LA CRISE DU PATRIOTISME AU SEIN DU CATHOLICISME FRANÇAIS » *qu'elle est* « L'UNE DES PLUS AIGUËS ET DES PLUS GRAVES DU MOMENT PRÉSENT » *et que* « L'AVENIR DU CATHOLICISME FRANÇAIS ET CELUI DE NOTRE PAYS LUI-MÊME » *sont mis en cause.*
\*\*\*
*Et voici en effet l'autre aspect de la même question.*
*Sous son aspect personnel, la crise de conscience que décrit et qu'éprouve M. Georges Suffert appelle la réflexion, l'analyse et, s'il se peut, le dialogue fraternel.*
*Mais parce qu'un tel défaitisme met en danger* « L'AVENIR DU CATHOLICISME FRANÇAIS ET CELUI DE NOTRE PAYS LUI-MÊME », *il importe de considérer les instrument de sa propagande d'un œil sans faiblesse.*
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#### Le combat national contre « Témoignage chrétien »
*Dans ses* NOTES D'INFORMATION HEBDOMADAIRES *souvent précieuses, et qui s'inspirent ordinairement des meilleures sources, M. Mondange a publié le* 9 *janvier une information qui nous paraît entièrement inexacte.*
*A lire cette information, on pourrait croire qu'il s'agit d'une campagne maçonnique, athée, en tous cas anti-catholique, visant la Foi chrétienne et les journaux qui l'expriment :*
La campagne pour enlever et détruire les numéros de publications catholiques placées dans les stands de presse catholique, qui s'était atténuée, a repris en plusieurs points, soulevant des incidents locaux. C'est *Témoignage chrétien* qui est le plus visé parmi les différents titres.
118:21
*Il s'agit en réalité de tout autre chose : d'un combat national contre l'un des principaux organes politiques du défaitisme.*
*M. Mondange se trompe donc du tout au tout quand il imagine voir en cette affaire une* offensive *contre la presse* CATHOLIQUE : *c'est au contraire une* CONTRE-OFFENSIVE VISANT LE DÉFAITISME. *Il est extrêmement inexact, et en outre fort maladroit, d'écrire comme si* « *catholique* » *et* « *défaitiste* » *étaient désormais synonymes.*
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*Nous nous sommes informés sur cette* « *campagne de destruction* » *dont parle M. Mondange en termes fort vagues. Voici ce qui résulte de notre enquête.*
*Après avoir pris diverses formes improvisées, désordonnées, voire violentes, elle a souvent trouvé son équilibre et son juste point.*
*Elle consiste en* L'ACHAT *de* TOUS *les numéros de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *mis en vente d'un côté ou de l'autre de la porte des églises, ou dans d'autres* « *stands catholiques* ». *Il est parfaitement licite que quiconque en a le désir prenne,* EN ACQUITTANT LEUR PRIX, *tous les numéros de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *offerts au public. L'acquéreur devient ainsi leur* LÉGITIME PROPRIÉTAIRE, *et il est en droit de les détruire.*
*Une telle méthode ne comporte aucune sorte de violence ou d'illégalité. Quand elle est mise en œuvre dans un esprit de défense du bien commun, sans passion, animosité ou excitations partisanes, nous ne voyons pas ce qu'on pourrait lui reprocher. Elle n'impose de sacrifices qu'à ceux qui la pratiquent ; ils* PAYENT LE PRIX *pour que le défaitisme de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ne vienne pas provoquer le trouble et la discorde dans leur paroisse.*
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*Il faut insister toutefois sur la nécessité d'éviter des incidents. Il importe aussi de remarquer combien il est déplacé que divers journaux politiques soient proposés aux fidèles, en termes souvent violents, voire provocants, à l'entrée et à la sortie des messes du dimanche. A peine sort-on de cette Communion qu'est la messe, que l'on se heurte aux appels des partis politiques.*
*La rue est* « *à tout le monde* »* ; mais que des catholiques choisissent l'entrée et la sortie des messes du dimanche pour crier des appels aux combats politiques à des combats qui précisément opposent souvent les catholiques entre eux -- voilà une sorte de scandale, qui choque toutes les sensibilités chrétiennes qui n'ont pas été anesthésiées.*
119:21
*Ces crieurs ne sont certainement pas à leur place. Les fidèles qui, dès la sortie de la messe, sont assaillis par les hurlements de la lutte des parfis, devraient réagir fermement contre ces pratiques, quels qu'en soient les auteurs, qu'elle qu'en soit la tendance, et demander aux crieurs de choisir un autre lieu et un autre moment.*
*Une action persévérante des militants chrétiens pourrait parvenir à nettoyer les abords des églises. Si les crieurs ne sont plus chrétiens, qu'ils laissent en paix les chrétiens. S'ils sont catholiques, qu'ils ne viennent pas offenser l'unité dont la messe est plus qu'un symbole. En tenant courtoisement, mais avec une juste insistance, ce langage aux crieurs de journaux politiques, on arriverait probablement à les décourager et à les éloigner ; et sinon on détournera le peuple chrétien de se livrer, dès la sortie de la messe, aux excitations imprimées des factions politiques.*
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*Bien sûr, la méthode qui consiste, dans le cas particulier de TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN, à acheter tous les numéros mis en vente, ne saurait être qu'un expédient provisoire, dans l'attente et dans l'espérance de véritables solutions. La meilleure serait une rectification progressive de l'orientation de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN, *par laquelle ce journal, tout en conservant ses* « *options* » *légitimes, corrigerait le caractère provocant et agressif qu'il leur donne souvent, et remettrait en question le contenu de certaines positions dont la valeur doctrinale inquiète beaucoup de personnes qui sont loin d'être sans qualification en la matière.*
*Ainsi, la tension parfois extrême qui existe actuellement pourrait passer du plan du* « *combat* » *à celui du* « *dialogue* »*. C'est l'espérance de tout cœur chrétien. Difficile, certes, à réaliser : mais aucun catholique n'a le droit de la tenir pour chimérique. Tout est possible à la grâce Dieu, qui à Son heure transforme les hommes et les choses.*
#### « Témoignage chrétien » va-t-il rendre possible le dialogue ?
120:21
*Or voici que M. Georges Suffert, dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *du* 17 *janvier, pose la question :* « La politique fera-t-elle se battre les catholiques ? » *Et il demande que soient rétablies les conditions d'un dialogue *:
Certains chrétiens de gauche enverraient avec plaisir les lecteurs de la *France catholique* aux enfers ; la réciproque est au moins aussi vraie, comme on s'en aperçoit journellement. Les uns et les autres commettent une double erreur.
D'une part, ils absolutisent leurs options politiques ; d'autre part ils négligent le devoir de dialogue qui est sans doute le plus impérieux de tous (...)
On peut se demander si au point où en sont les choses, et le pluralisme étant acquis, il n'y aurait pas nécessité d'effectuer un pas de plus à l'intérieur de la communauté chrétienne pour tenter d'y voir plus clair.
1. -- Il y a des tâches communes pour tous les chrétiens, qu'ils soient de droite ou de gauche. Et ceci sur le plan temporel lui-même (...)
2. -- Pour discuter de ces problèmes, pour mesurer ce qui nous sépare et ce qui nous réunit, n'est-il pas temps d'aller plus loin que les polémiques de presse ? Puisqu'il échoit à la presse de représenter les divisions politiques, ne serait-il pas utile de réunir une fois par an un congrès des journalistes catholiques français de toutes tendances ? Pourquoi faut-il que les rencontres, lorsqu'elles ont lieu, se passent neuf fois sur dix à l'étranger ? Une discussion publique pourrait permettre de mesurer l'importance des problèmes en suspens, de mieux marquer aux yeux des catholiques qu'au-delà des divergences il existe des domaines d'entente (...) Une telle réunion ne serait possible que si les participants acceptaient de se dire clairement ce qu'ils pensent, ce qui n'exclut ni la mesure ni le tact.
... Si une telle aventure paraissait possible à nos amis et contradicteurs, nous sommes pour notre part prêts à y participer.
*Il convenait de donner acte à M. Georges Suffert d'une telle prise de position. Voici maintenant ce que nous en pensons *:
*I. -- Quand nous avons tenu un langage analogue, spécialement à l'adresse de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, nous nous sommes heurtés à une fin de non-recevoir brutale, totale et agressivement injurieuse. On trouvera le dossier complet de la question, y compris une reproduction intégrale des articles de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, dans nos articles* « *Déclaration de paix* » (*n°* 5) *et* « *Dernière réponse à* Témoignage chrétien » (*n°* 7).
121:21
*Malgré quoi, l'idée a fait son chemin de* SUBSTITUER ENTRE CATHOLIQUES LE DIALOGUE A LA POLÉMIQUE SUR TOUTES LES QUESTIONS DISPUTÉES, *selon les termes mêmes de la* « *Déclaration liminaire* » *de la revue* Itinéraires. *Nous sommes quant à nous, et quoi qu'il en soit des refus qui nous ont été précédemment opposés, toujours dans les mêmes dispositions.*
*II. -- Nous croyons que M. Suffert sous-estime les difficultés de l'entreprise. Lorsque nous nous sommes adressés à Jean de Fabrègues, en formulant des propositions concrètes, nous n'avons eu aucune espèce de réponse. Voir la* Lettre à Jean de Fabrègues sur la division des catholiques (*n°* 9). *Mais l'existence de difficultés considérables est une raison de redoubler d'efforts.*
*III. -- La proposition d'un Congrès annuel n'est peut-être pas la plus pratique. Dans la* « Lettre à Jean de Fabrègues » *de notre numéro* 9, *nous avons suffisamment détaillé non seulement quel esprit, mais encore quelles dispositions pratiques, quelles mesures concrètes nous paraissent susceptibles de faire avancer la question. En outre, il nous semble que ce n'est pas en* SE TRANSFORMANT *en orateurs de Congrès, mais bien* DANS L'EXERCICE MÊME DE LEUR MÉTIER DE JOURNALISTES, *que les journalistes catholiques ont à faire prévaloir l'esprit et les mœurs du dialogue sur les pratiques de la polémique partisane.*
*IV. -- Tous les dialogues personnels entre journalistes catholiques sont souhaitables, et susceptibles d'apporter des améliorations partielles et occasionnelles à un climat bien dégradé. Mais une amélioration d'ensemble ne nous paraît possible que par des conventions concrètes entre* DIRECTEURS RESPONSABLES. *Par là pourrait être esquissé, essayé, et traduit dans les mœurs, un Code d'honneur de la profession de journaliste catholique. L'existence* EN FAIT *d'une telle réalité pourrait avoir une influence et des conséquences sur l'ensemble de la profession, qui est l'une des plus gangrenées du monde contemporain.*
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#### Obstacles au dialogue
*Il n'y a sans doute aucune opinion de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, prise isolément, qui ne puisse faire l'objet d'une discussion et d'un dialogue ;*
122:21
*même les opinions les plus extrêmes ; et même, le* DÉFAITISME. *Car, à proprement parler* (*et c'est au sens propre que nous employons le mot* DÉFAITISME ; *c'est au sens propre que l'entend aussi, croyons-nous, M. Georges Suffert*) *le défaitisme c'est* L'OPINION ET LA POLITIQUE DE CEUX QUI MANQUENT DE CONFIANCE EN LA VICTOIRE, OU QUI ESTIMENT LA DÉFAITE MOINS ONÉREUSE QUE LA CONTINUATION DE LA GUERRE. *Telle est la définition du* Larousse universel *en deux volumes* (*ce mot n'étant pas dans le Littré*)*.*
*Il est permis d'avoir cette* OPINION *et cette* ESTIMATION. *Nous croyons qu'une telle opinion est une erreur en ce qui concerne l'Algérie. Mais qui pourrait, en un tel domaine, s'imaginer infaillible ? Sauf dans les combats qui engagent directement la foi, il peut être erroné, il n'est pas déshonorant* EN SOI *d'être défaitiste. C'est le jacobinisme, et non pas le patriotisme chrétien, qui a indûment fait du défaitisme une sorte de déshonneur automatique.*
*Mais autre chose est d'*EXPRIMER INDISCRÈTEMENT *son défaitisme* QUAND NOS SOLDATS SONT AU COMBAT.
*Autre chose encore est d'appuyer une propagande défaitiste sur de soi-disant informations qui sont de monstrueuses extravagances, comme nous l'avons vu faire à* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *dans le texte cité et commenté plus haut.*
*A y bien réfléchir, ce qui provoque contre* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *une indignation violente, ce sont moins ses positions de principe* (*dont on peut toujours discuter calmement*) *que la manière agressive et provocante avec laquelle ces positions sont mises en œuvre.* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ne cherche pas à éviter -- ou même semble s'efforcer volontiers -- d'offenser les sentiments légitimes de la plupart des catholiques ; et paraît vouloir* COMBATTRE, *et combattre* PAR TOUS LES MOYENS, *les idées et les personnes qui forment la majorité du catholicisme français, puisque, de son propre aveu,* « il n'est pas douteux que la majorité des catholiques français se classent politiquement à droite. » (*le P. Avril, dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *du* 18 *novembre* 1955). *Si cette attitude de combat par tous les moyens est une fausse apparence ou résulte d'un malentendu, bien sûr il serait utile de tirer cela au clair.*
\*\*\*
*Voici un exemple, dans le numéro même de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *contenant l'appel au dialogue de M. Georges Suffert* (17 *janvier*)*.*
123:21
*Deux pages plus loin figure en effet, sur toute la largeur de la page, une lettre de Louis Veuillot datant de mai* 1856, *où il parle des campagnes menées contre lui et contre son journal* L'UNIVERS.
*M. Georges Montaron, directeur de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, commente en ces termes *:
*L'Univers,* journal de ce grand catholique qu'était Louis Veuillot, n'était pas *Témoignage chrétien.* Sous le Second Empire la conjoncture religieuse, sociale et politique n'était pas ce qu'elle est en 1958, et pourtant les adversaires de *L'Univers* se conduisent déjà comme ceux qui veulent faire taire *Témoignage chrétien.* Ici et là j'ai SOUVENT TENU LE MÊME LANGAGE QUE LOUIS VEUILLOT. JE CONTINUE A LE TENIR...
*Eh ! bien, il importe que l'on sache que, lorsque nous lisons une telle déclaration, nous avons l'impression très nette que le directeur de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *se moque du monde, trompe le public et dit n'importe quoi, en ne songeant qu'à l'utilité qu'il peut y trouver.*
*Louis Veuillot défendait le Saint-Siège contre ceux qui, voici un siècle, s'imaginaient ridiculement* « *l'aile marchante* » *du catholicisme français. Ses adversaires étaient en quelque sorte les ancêtres de ceux qui, aujourd'hui, rédigent ou soutiennent* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*.*
*Il y a plus. Louis Veuillot est, aujourd'hui, constamment dénigré ou diffamé parmi les amis de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*.*
*M. Georges Hourdin qui, sans être entièrement d'accord avec* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, a tant fait pour la défense de ce journal, écrit dans son livre récent sur* La Presse catholique (*Fayard, p.* 25), *en parlant de Veuillot *:
Souvent, le Vatican ou (*sic*) la Hiérarchie durent le rappeler à l'ordre.
*Or, quoi qu'il en soit de certaines affaires un peu confuses, cette affirmation est fausse, surtout aggravée par un* « SOUVENT » *que rien ne justifie, même de loin. Trois papes successifs approuvèrent Veuillot, et saint Pie X écrivit que* « L'ENSEMBLE DE SA CARRIÈRE EST DIGNE D'ÊTRE PRÉSENTÉ COMME MODÈLE ». *On lit en effet dans le Bref de saint Pie X en date du* 22 *octobre* 1913 :
124:21
A l'exemple des deux Papes qui nous ont précédé sur ce Siège Apostolique, et principalement de Pie IX, il nous est agréable de rendre témoignage à ce grand homme de bien (...) L'ensemble de cette carrière illustre mérite d'être présenté comme modèle à ceux qui luttent pour l'Église et les causes saintes...
*Malgré quoi, un historien très soutenu par* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, M. Dansette, a osé écrire dans son* Histoire religieuse de la France contemporaine, *tome I* :
Ce génie malfaisant qui sait si bien faire haïr la religion (p. 487).
*...et beaucoup d'autres* « *jugements* » *du même genre sur Louis Veuillot. Nous n'avons pas entendu M. Montaron, qui* « TIENT LE LANGAGE DE VEUILLOT », *faire entendre un cri de douleur et de protestation. Nous ne l'avons pas entendu au moins s'étonner que M. Dansette puisse accuser trois Papes d'avoir* « *rendu témoignage* » *à un* « GÉNIE MALFAISANT QUI FAIT HAÏR LA RELIGION », *et prétendre que ce soit un tel* « *génie malfaisant* » *que saint Pie X a proposé en* « *modèle* ».
\*\*\*
*Ces précisions sur Louis Veuillot ne sont pas une digression.*
*Elles ne prétendent pas non plus porter au compte de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *ce qui appartient à M. Hourdin ou à M. Dansette.*
*Mais nous donnons là un exemple précis que ce qui nous paraît délibérément choquant et provoquant dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*.*
*Quand le directeur de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *prétend* TENIR LE LANGAGE DE LOUIS VEUILLOT, *il télescope tout. Nous ne mettons pas en cause sa sincérité au for interne. Mais, objectivement, un procédé semblable nous paraît contraire à l'honnêteté intellectuelle.*
\*\*\*
125:21
*Nous serions prêts à discuter avec* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, en esprit de dialogue, des raisons qu'il a d'être le représentant d'une famille spirituelle qui désapprouve et même honnit Louis Veuillot : mais quand* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *prétend simultanément* TENIR LE LANGAGE DE LOUIS VEUILLOT -- *de Louis Veuillot qui s'opposait aux* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *et aux* FRANCE-OBSERVATEUR *de l'époque -- alors nous ne pouvons admettre une comédie de cette sorte.*
*Et, encore une fois, Louis Veuillot est pris ici comme exemple, -- un exemple inoffensif. Car si nous n'étions en désaccord que sur le jugement historique à porter sur des événements, des actes et des personnages vieux d'un siècle, il n'y aurait finalement pas grand mal. Mais cet exemple montre caractéristiquement quelle sorte de comédie* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *nous* PARAÎT *introduire dans la discussion, ou plutôt dans sa propagande, disant* N'IMPORTE QUOI *du moment que* PAR N'IMPORTE QUEL MOYEN, *cela lui semble utile.*
*Si, comme il est possible et comme il est souhaitable, ce n'est pas une comédie ; si cette apparence que nous remarquons est une fausse apparence et un malentendu, alors qu'on s'explique !*
\*\*\*
*Nous pouvons discuter, en esprit de dialogue, toutes les positions par lesquelles* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *se trouve à la frontière de ce qui est permis à un catholique. A la frontière extrême. En deça ou au-delà de cette frontière : ce n'est pas à nous de trancher décisivement ce dernier point.*
*Mais quand* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, invoquant le patronage de Louis Veuillot -- et d'autres plus récents -- se donne pour le défenseur du Saint-Siège contre les incompréhensions et les oppositions qu'il rencontre en France, nous disons qu'il y a là soit une* TROMPERIE *soit un* MALENTENDU.
*Quand nous avons posé des questions de ce genre,* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *toujours a refusé l'explication et le dialogue. Beaucoup en ont conclu qu'il y avait donc tromperie plutôt que malentendu. Une forte apparence existe en ce sens. Et c'est ce qui explique des oppositions énergiques contre* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN*, que ce journal prétend inspirées par la* « *haine* », *mais qui expriment seulement une vigoureuse désapprobation, prononcée en conscience.*
126:21
*M. Georges Suffert demande que l'on situe aussi exactement que possible ce qui sépare les catholiques les uns des autres. Voici donc une contribution à un tel projet. Nous disons à* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *que ses positions sont une chose : mais que l'impression -- une impression très forte -- est largement répandue : à savoir que* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *défend ses positions* PAR TOUS LES MOYENS, *et notamment par des arguments et des procédés publicitaires violemment contraires à l'honnêteté intellectuelle.*
*Nous répétons qu'il s'agit d'une impression, nette, attentive, réfléchie, mais qui ne se croit pas infaillible. Nous répétons que cette impression peut résulter d'un malentendu. Et que, quant à nous, nous sommes prêts à tirer au clair ce malentendu par de raisonnables discussions.*
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*Nous croyons au dialogue entre les catholiques. Mais nous croyons qu'il n'est guère possible avec des catholiques qui n'ont pas clairement et définitivement renoncé à la* COLLABORATION ET AU DIALOGUE AVEC LE COMMUNISME. *Et, sur ce point, la position de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *conserve une part d'équivoque.*
*Le* 3 *janvier, sous le titre* « *Mounier vivant* », TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *a recommandé* « la lecture d'excellents périodiques étudiants », *parmi lesquels* PARIS-LETTRES*.*
*Or ce* PARIS-LETTRES *est l'organe de la* « *Fédération des Groupes d'études de Lettres* » (*Sorbonne*)*, dont le bureau comprend trois communistes.*
*Nous voudrions savoir si c'est là une erreur de* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN (*alors il faut rectifier*)*, ou s'il s'agit de la poursuite d'une collaboration avec le communisme. Cela aussi -- cela surtout -- peut faire l'objet d'un dialogue clarificateur.*
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127:21
### A propos de l'intégrisme
Nous avons reçu de M. Havard de la Montagne la lettre suivante :
« *Vous écrivez dans le numéro* 18 *d'*Itinéraires (*page* 56) *qu'ayant été accusé d'avoir effectué la liaison entre l'Action française et l'intégrisme,* « *ce qui paraît mettre en cause une conjonction directe avec le S.P. lui-même* », *j'ai souri de cette accusation plutôt que je ne l'ai démentie catégoriquement.*
*Vous faites appel à mon témoignage. Il sera bref et net : je n'ai appris l'existence de la Sapinière que par l'ouvrage de Nicolas Fontaine. Je n'ai jamais rencontré Mgr Benigni et n'ai jamais correspondu avec lui, quoique j'aie passé de longues années à Rome. Voilà donc un démenti catégorique.*
*Pourquoi ne l'ai-je pas donné aux polémistes qui m'avaient mis en cause ? Parce que, Mgr Benigni étant leur tête de Turc, j'avais jugé peu élégant de répondre :* « *Je n'ai pas connu cet homme* »*, comme s'il y avait quelque honte a l'avoir connu.*
*Vous m'invitez à fixer un petit point d'histoire, c'est autre chose, et je n'ai plus lieu de nourrir le même scrupule.* »
Dans la seconde partie de la même lettre, qu'il a bien voulu nous autoriser à publier également, M. Robert Havard de la Montagne aborde un autre point :
« *Dans le même numéro d'*Itinéraires (*page* 65) *vous citez une lettre du Cardinal Billot, redevenu simple Jésuite, au R.P. du Passage, en date du* 2 *mars* 1928 *et publiée dans les* Études du 20 *février* 1932, -- *soit après la mort de son auteur* (*le cardinal Billot est mort le* 18 *décembre* 1931).
*Mais n'avait-elle pas déjà paru de son vivant, dans les* Études *ou ailleurs *?
*Je me souviens en effet qu'un dimanche de juin* 1931 *j'allai rendre visite au cardinal Billot dans sa retraite de Gallora. L'un de ses premiers mots fut pour me dire :* « *Vous avez vu cette lettre qu'on m'a fait signer ?* » *Et, d'un geste qui lui était familier, il levait les bras au ciel en signe de désolation.*
*En évoquant ce souvenir, je n'entends pas du tout insinuer que le cardinal Billot aurait encouragé le* « *Non possumus* ». *Je rétablis simplement la vérité, à savoir que la lettre dont vous faites état lui avait été imposée par ses supérieurs.*
*Veuillez agréer, etc.* »
Tel est le témoignage de M. Havard de la Montagne.
Il nous paraît appeler les observations suivantes :
128:21
I. -- D'après *l'Ami du Clergé* (1^er^ mai 1952, p. 281), cette lettre du Cardinal Billot fut effectivement publiée « *après sa mort* ».
II. -- Dans le texte de la lettre lui-même, nous n'apercevons absolument rien qui soit tel qu'on puisse le croire *imposé par les supérieurs,* c'est-à-dire contraire à la pensée du Cardinal Billot. Il disait qu'il fallait obéir au Pape :
« *Depuis le commencement de la douloureuse crise que nous traversons, j'ai toujours répondu, soit de vive voix, soit par écrit, à tous ceux qui me consultaient sur la ligne de conduite à tenir, qu'il leur fallait non seulement éviter avec soin tout ce qui aurait un semblant d'insoumission et de révolte, mais encore faire le sacrifice de leurs idées particulières pour se conformer aux ordres du Souverain Pontife.* »
Fallait-il qu'on *imposât* au Cardinal Billot une telle attitude, si conforme à la doctrine de l'Église et à son propre enseignement ? Nous ne le croyons pas.
Cette lettre du Cardinal Billot disait encore :
« *Que tous, même au prix des plus douloureux sacrifices, finissent par se soumettre au Père commun des fidèles, car, en dehors de là, on ne peut que s'égarer, s'engager dans une voie des plus périlleuses, et par là même compromettre gravement son salut éternel.* » Cela aussi nous paraît parfaitement conforme à la doctrine de l'Église et à l'enseignement du Cardinal Billot.
III. -- Cette lettre, publiée dans *L'Ami du Clergé* (*loc. cit.*), est donnée comme ayant été antérieurement publiée dans *Catholicisme,* au mot « *Billot* », article signé du P. Lebreton ; et antérieurement encore, dans les *Études* du 20 février 1932. A notre connaissance, ces diverses publications n'ont jamais fait l'objet d'aucune rectification ou mise au point de la part de ceux qui connaissaient le Cardinal Billot.
IV. -- Quant au « *Non possumus* », l'ecclésiastique, le théologien ([^52]) qui porte l'effroyable responsabilité d'y avoir poussé les catholiques d'Action française n'est évidemment pas le Cardinal Billot. Ce théologien-là aura vu en 1953 Charles Maurras lui-même désavouer ce « *Non possumus* » affreux et fatal, dans son livre *Le Bienheureux Pie X,* p. 140. Si bien qu'à ce théologien il ne reste finalement rien, -- que « la douce pitié de Dieu » : c'est la grâce que nous lui souhaitons, et pour laquelle il faut prier.
============== fin du numéro 21.
[^1]: -- (1). C'est François Mauriac lui-même qui l'affirme dans *L'Express* du 23 janvier : « Tout a été dit sur les tortures, et nous en savons assez, et nous en savons trop. » Voilà qui juge le prétexte d' « information » avancé par *La Croix*.
[^2]: -- (1). Revenant sur la même question dans *La Croix* du 15 janvier, le P. Wenger note l'existence et le renouvellement des « consignes » gouvernementales pour empêcher les excès de la répression. Et il ajoute : « Nous avons le regret de dire qu'elles n'ont été suivies ni assez, ni assez vite. » Bien sûr : et ce n'est pas là un scandale ; C'EST L'ÉNONCÉ MÊME DU PROBLÈME, c'est la difficulté concrète. Car les excès de la répression ne viennent pas d'une sauvagerie foncière de la France, d'un sadisme gratuit. Ils viennent de la situation créée par le terrorisme : lorsqu'on met entre parenthèses et ce terrorisme et cette situation, l'on n'y peut plus rien comprendre. Faire que la répression soit humaine et juste, ce n'est pas un préalable, qui serait tout naturel, et dont l'absence serait monstrueuse ; c'est au contraire une nécessaire mais difficile conquête.
[^3]: -- (1). Desclée et Cie éditeur.
[^4]: -- (2). Cet article est reproduit dans le livre et en constitue le chapitre III ; « Actualité du patriotisme ». Le texte intégral en a été donné dans *Itinéraires*, n° 5, pp. 122 et suiv.
[^5]: -- (1). Encore que l'origine et l'institutionnalisation de ces sympathies ait été, en 1944, un peu brutale...
[^6]: -- (1). Mgr Guerry, *La Doctrine sociale de l'Église*, p. 142. Sur la véritable notion du bien commun, voir pp. 107-118 du même ouvrage.
[^7]: -- (2). Voir *Itinéraires*, n° 16, pp. 6 et suiv. : « La justice en Algérie ».
[^8]: -- (1). Ce n'est pas un défaut spécialement français, encore moins un vieux défaut français. C'est un défaut moderne, et très précisément c'est celui de la démocratie moderne (et idéologique) depuis la fin du XVII^e^ siècle. En outre, il ne s'agit pas de suivre une « évolution » vague et indéterminée, mais l'état des mœurs, qui. selon l'ordre normal des choses, précèdent les institutions et les transforment tout en subissant leur influence. Cet ordre normal des choses a été contrarié par l'emprise des idéologies, entraînant une priorité indue au souci constitutionnel et de la manie législatrice. Voir Marcel Clément. *Itinéraires*, n° 20 : « La réforme des institutions, idole et victime des idéologies ».
[^9]: -- (1). Croit-on par exemple que la mise en cause de « la tradition jacobine de coïncidence absolue entre la patrie, la nation et l'État » ait aujourd'hui, en France, un sens intelligible et précis pour beaucoup de catholiques en dehors des lecteurs de Marcel Clément ? (Voir Marcel Clément, *Enquête sur le nationalisme*, Nouvelles Éditions Latines. pp. 2230 et 195217).
[^10]: -- (2). R.P. Antoine Wenger. *La Croix* du 15 janvier.
[^11]: -- (1). Voir les « Documents » du présent numéro.
[^12]: -- (2). C'est le principe d'une telle publication, et les motifs qu'en a donné *La Croix*, que nous contestons. Nous devons ajouter que sa réalisation appelle également toute sorte de réserves. N'en retenons qu'un exemple, mais terriblement significatif, qui a été relevé par *La Nation française* du 15 janvier. L'enquêteur de *La Croix*, M. Jacques Duquesne, écrit le 9 janvier au sujet des parachutistes d'Alger (c'est nous qui soulignons deux mots) :
« On leur a donné, dans une situation extrêmement délicate, trop de pouvoirs. S'ils les ont utilisés de telle manière que les droits fondamentaux de la personne humaine ont été SOUVENT violés, beaucoup d'entre eux pensaient PARFOIS contribuer à sauver des vies innocentes. »
Le commentateur de la *Nation française* remarque avec pleine raison (et une très méritoire modération) :
« Les droits fondamentaux de la personne humaine ont été souvent violés (et non quelquefois, non par malheur, ou accident, comme effet d'une guerre dont *La Croix* admet le caractère très particulier, dérivé de la terreur qu'il faut juguler). En revanche, c'est parfois, d'aventure, que les « paras » ainsi coupables pensaient sauver des vies innocentes. N'allez pas répondre à M. Duquesne que les paras en question avaient presque toujours l'intention consciente de sauver des vies innocentes, et qu'ils les ont en effet sauvées. Il vous tiendrait pour un défenseur de la torture.
« Ce procédé, cet artifice du souvent là où la France est accusée, et du parfois là où elle risquerait d'être excusée, ne nous semble pas sans reproche. »
[^13]: -- (1). Dès le 9 janvier, *L'Express* triomphait, citait l'article du P. Wenger, et se félicitait que « les responsables » de *La Croix*, journal ordinairement « timide et très modéré » fassent entendre leur protestation « après François Mauriac, après le général de Bollardière, après l'archevêque d'Alger ». Bien sûr : *L'Express* ne demande qu'à annexer publicitairement l'Archevêque d'Alger et *La Croix*. Nous reprochons à *La Croix* de n'avoir ni prévenu, ni contredit les assimilations et annexions de cette sorte. Si l'on ne veut pas être confondu avec le défaitisme, il importe d'en prendre les moyens. au lieu de laisser faire, et de laisser s'accréditer les confusions.
[^14]: -- (1). Attestée notamment par M. Maurice Papon. I.G.A.M.E. de l'Est Algérien : voir son exposé nans *Itinéraires*. n° 11. pp. 109 et suiv.
[^15]: -- (1). Cf. Léon Bérard : *Au service de la pensée française.*
[^16]: -- (1). Cf. Paul Valéry : Variétés III.
[^17]: -- (1). Cf. Henri Bremond : *Bossuet*, 3 vol., 1913, et Apologie pour Fénelon. 1910.
[^18]: -- (1). Michel Mourre : *Lamennais ou l'hérésie des temps modernes*.
[^19]: -- (1). Gustave Lamon : *Bossuet*.
[^20]: -- (2). Cf. J. Brunetière : *Bossuet* et *Études critiques*, 6e série pp. 193245.
[^21]: -- (1). Gustave Lanson : *Bossuet*.
[^22]: -- (1). Cf. Sainte Beuve : *Lundis*, tomes X et XII.
[^23]: -- (1). Alfred Rebelliau, dans son chapitre sur l'instruction du Dauphin (*Bossuet*, 6^e^ édition revue, 1927, pp. 7185) a justement montré ce que fut alors le renouveau de la culture classique de Bossuet, et on ne saurait mieux faire, à cet égard, que de le citer.
[^24]: -- (1). Cf. Alfred Rebelliau, *op. cit*., p. 185.
[^25]: -- (1). Première partie de notre étude : « La genèse de la démocratie moderne (*Itinéraires*, n° 17).
[^26]: -- (2). Seconde partie : « La dialectique du moral et du social » (*Itinéraires*, n° 18).
[^27]: -- (3). Troisième partie : « La réforme des institutions, idole et victime des idéologies » (*Itinéraires*, n° 20).
[^28]: -- (4). Encyclique du 2 juillet 1957 sur le pèlerinage à Lourdes, intégralement reproduite dans *Itinéraires*, n°20, pp. 90 et suiv.
[^29]: -- (5). Message de Noël, 23 décembre 1956 (*Osservatore romano*, édition française, 28 décembre 1956).
[^30]: -- (6). Cf. notre article : « Pie XII et le droit », *Itinéraires*, n° 12, en particulier p. 55 à 62.
[^31]: -- (7). Pie XII : Message radiophonique du 22 décembre 1957 (O.R., édit. fr. du 27.12.57).
[^32]: -- (8). Idem.
[^33]: -- (9). Pie XII : Message radiophonique de 23 décembre 1956 (O.R., édit. fr. du 28.12.56).
[^34]: -- (10). Cf. *Itinéraires*, n° 12, page 6366 : « La personne, sujet de droit ».
[^35]: -- (11). Pie XII : Encyclique du 2 juillet 1957 (loc. cit.).
[^36]: -- (12). Pie XII : Message radiophonique du 23 décembre 1956 (loc. cit.).
[^37]: -- (13). Pie XII : Message radiophonique du 23 décembre 1956 (loc. cit.)
[^38]: -- (14). Dans un prochain article, sous le titre : « La dialectique du nécessaire et du possible ».
[^39]: -- (15). Loc. cit.
[^40]: -- (16). Pie XII : Message du 22 décembre 1957 (loc. cit.).
[^41]: -- (17). Cf. sur ce point notre étude : « Les conditions de l'unité des catholiques de France » (*Itinéraires*, n° 9, pages 20 à 40).
[^42]: -- (18). S. E. Mgr Lefebvre : *Rapport doctrinal*, page 58.
[^43]: -- (1). Voir *Itinéraires*, n° 3, pp. 108-110 ; n° 5, pp. 156-157 ; principalement, n° 11, pp. 60-67 ; n° 12, pp. 127-131 ; et la protestation de Pierre Andreu, n° 13, pp. 7980.
[^44]: -- (2). La preuve en a d'ailleurs été donnée par les *Informations catholiques* elles-mêmes, textes reproduits et commentés dans notre n° 12, pp. 127131.
[^45]: **\*** -- Se trouve p. 69 dans l'original.
[^46]: -- (1). Article de la *Chronique sociale* écrit à la suite de l'invitation que nous avions adressée à M. Folliet, l'avisant de notre enquête sur la corporation et le priant de bien vouloir y répondre. Cet article de M. Folliet est intégralement reproduit dans notre numéro 6, pp. 125 et suiv. ; il est suivi (pp. 131 et suiv.) de la Lettre à M. Joseph Folliet, de Jean Madiran.
[^47]: -- (1). On nous explique que le mot corporation peut s'employer sans inconvénients en Italie. mais non pas en France : où il serait fâcheusement marqué par... le souvenir du fascisme italien. Voilà une objection assez amusante.
[^48]: -- (1). M Lucien Guissard, dans *La Croix* du 22 janvier, s'élève lui aussi contre « les excommunications allègres auxquelles quelques uns se livrent ». Ainsi s'annonce la fin de ces anathèmes et de cet ostracisme qui ont empoisonné le climat, et qui confisquaient le « catholicisme social » au profit de tendances partisanes.
[^49]: -- (1). Les documents pontificaux ne comportent ni intertitres, ni passages soulignés. Il est admis par l'usage de les souligner et intertitrer librement.
[^50]: -- (1). Le personnalisme est sain dans la mesure où, loin d'abolir la primauté du bien commun, il conduit les personnes à « le servir librement » ; le bien commun lui-même « culmine dans la vie autonome des personnes », il n'y est ni inférieur ni extérieur. Le Saint Père évoque ici incidemment les difficultés soulevées par un personnalisme déréglé, qui ont fait l'objet du livre de Charles De Koninck : *La primauté du bien commun*, édition Fidès, 1943 (Note d'*Itinéraires*).
[^51]: -- (1). La première partie de ces déclarations a été reproduite par la *France catholique* ; la seconde partie a été reproduite par *La Croix*.
[^52]: **\*** Le R.P. de Tonquédec \[communication d'A. Sanders -- 2002\]