# 23-05-58
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## ÉDITORIAL
### Pratique communiste et vie chrétienne
QUAND DES CATHOLIQUES, par inconscience, par opportunité, ou en croyant servir la justice, diffusent les mêmes mots d'ordre politiques que le Parti communiste ; quand, sans aller jusqu'à une collaboration ouverte, ils poursuivent par des voies parallèles les mêmes objectifs concrets, ils travaillent à la destruction de l'Église : *ils font exactement ce que le communisme attend d'eux pour cette destruction.*
Le Parti communiste ne demande pas aux catholiques leur adhésion à l'idéologie « marxiste-léniniste ». Il ne leur demande pas d'adhérer au Parti. Pour détruire l'Église, il demande aux catholiques une chose et une seule : TRAVAILLER DE LEUR CÔTÉ A LA RÉALISATION DES OBJECTIFS PRÉCIS ET LIMITÉS QUI SONT LES OBJECTIFS COMMUNISTES DU MOMENT.
Il ne s'agit pas ici d'une supputation théorique des chances, des risques et des dangers. Il s'agit de connaître *ce qui est.* Le Parti communiste a détruit l'Église visible sur un tiers des terres habitées. Il l'a fait selon une méthode annoncée par Lénine, constamment mise en œuvre par l'appareil publicitaire et policier du Parti, et la plupart des catholiques ignorent encore et la nature exacte de ce dessein et les faits où s'inscrivent sa réalisation.
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La force du communisme\
n'est pas son idéologie.
La critique du « marxisme » a été faite, cent fois et davantage, l'idéologie marxiste a été réfutée par la parole, par l'écrit et par les événements. Cela ne gêne guère l'action du communisme. Il trouve même un intérêt majeur à ce que le « débat » porte sur la philosophie marxiste, sans cesse recommencé : car ce débat, où la philosophie marxiste est triomphalement mise en pièces, divertit et déroute les esprits.
Voici vingt et un ans déjà que Pie XI posait la vraie question :
« Comment se fait-il qu'un tel système, depuis longtemps dépassé scientifiquement et démenti par la réalité des faits, puisse se répandre aussi rapidement dans toutes les parties du monde ? » ([^1]).
Oui : *comment se* FAIT*-il *?
Vingt et un ans plus tard, la plupart des catholiques ignorent encore -- ou plutôt : oublient -- que le système idéologique et économique du marxisme-léninisme est « depuis longtemps dépassé scientifiquement et démenti par la réalité des faits ».
La plupart des catholiques méconnaissent le véritable problème théorique et pratique qui est posé par la diffusion du communisme : c'est la diffusion croissante d'un système dépassé, d'une idéologie périmée, d'une philosophie réfutée. Cette diffusion n'a pas pour cause les vertus philosophiques du système ou la séduction propre de l'idéologie. Elle a pour cause l'ignorance où la plupart sont encore de *ce que le communisme* FAIT EN RÉALITÉ *pour progresser.*
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Telle était en effet la réponse de Pie XI à la question posée :
« C'EST QUE BIEN PEU DE PERSONNES ONT SU PÉNÉTRER LA VRAIE NATURE DU COMMUNISME. »
Les trois facteurs.
Le communisme progresse sous le couvert de cette ignorance.
Sous le couvert de cette ignorance, trois facteurs, disait Pie XI en 1937, jouent pour assurer ses progrès.
Le premier et le troisième concernent la non-résistance de ceux qui ne sont pas communistes.
Le second facteur définit *la réalité* de l'action communiste.
Voici ces trois facteurs, dans l'ordre où Pie XI les a énoncés :
1. -- L'abandon religieux et moral où ont été laissées les populations parmi lesquelles progresse le communisme : c'est-à-dire le *laïcisme* et la *déchristianisation* ([^2]).
2. -- « *la diffusion des idées communistes* S'EXPLIQUE PAR *une propagande vraiment diabolique, telle que le monde n'en* a *peut-être jamais vue* » ([^3]).
3. -- « la conjuration du silence dans une grande partie de la presse mondiale non-catholique » ([^4]) : cette conjuration a pu, depuis 1937, changer de formes et de modalités, et gagner jusqu'à certains journaux catholiques ; ce n'est pas notre propos actuel.
Laissant de côté les deux facteurs de non-résistance, nous allons examiner le facteur positif et actif de la progression communiste, celui qui constitue la réalité de son entreprise.
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Pratiquer la lutte politique.
Cette « propagande vraiment diabolique » ne consiste pas en une prédication abstraite du marxisme-léninisme. Le Parti communiste n'est pas une assemblée de philosophes cherchant à conquérir les esprits par voie d'argumentation savante. Si le matérialisme dialectique, si la « théorie révolutionnaire » sont très fortement enseignés aux cadres communistes, ce n'est point essentiellement pour qu'ils les enseignent à leur tour : c'est pour qu'ils les pratiquent et les fassent pratiquer.
L'attaque communiste contre cette réalité que tous les Papes définissent, désignent et nomment « *la civilisation chrétienne* » ([^5]) n'est pas une attaque de professeurs, de théoriciens et de rhéteurs.
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Lénine l'a dit, et le communisme ne cesse de suivre la méthode léniniste. Ce texte de Lénine, et dix autres analogues, sont assez connus, -- mais ils sont plus connus que compris :
« Nous devons lutter contre la religion. Ceci est l'alphabet de chaque matérialisme et par conséquent du marxisme. Mais le marxisme n'est pas un matérialisme qui s'en tient à l'ABC. Le marxisme va au-delà. Il dit : il faut savoir lutter contre la religion (...). On ne doit pas limiter la lutte contre la religion, d'une manière abstraite, à une propagande idéologique : il faut que cette lutte marche d'accord avec UNE PRATIQUE CONCRÈTE DE LA LUTTE DES CLASSES. »
La réalité de l'action communiste, et l'instrument de ses victoires, sont dans cette *pratique.* Pascal disait à l'incroyant : « Prenez de l'eau bénite... » Le communisme, lui aussi, fait pratiquer d'abord. Sa prise n'est pas d'abord idéologique, sauf grimace ou exception. En règle générale, et pendant que tout le monde s'emploie à critiquer le « marxisme » par raison démonstrative, *il invite même ses adversaires à une pratique concrète.*
La lutte de classe qu'il s'agit de pratiquer n'a d'ailleurs que peu de rapports avec la réalité des classes sociales. C'est la publicité qui est systématiquement « prolétarienne » et « anti-capitaliste ». Car le militant ouvrier anticommuniste est placé par cette publicité « dans le camp impérialiste » ; et le milliardaire progressiste est « dans le camp socialiste ». Quand des féodaux arabes s'insurgent contre la tutelle des démocraties plus ou moins socialisées de l'Occident, ce sont les féodaux esclavagistes qui sont réputés représenter le « mouvement ouvrier » et qui bénéficient de la « solidarité active » organisée par l' « internationalisme prolétarien ». Que cette lutte soit « *de classe* », c'est le prétexte, et la mythologie publicitaire.
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La réalité concrète de l'action communiste consiste à exploiter les « contradictions internes » inhérentes à toute société humaine dans l'univers du péché originel ; elle consiste à créer *deux camps politiques* à propos de chaque contradiction (mais pas de n'importe laquelle, ni n'importe quand), et à pousser l'un des deux camps, baptisé « camp de la classe ouvrière », à lutter contre l'autre jusqu'à son élimination totale.
La ligne de partage entre les deux camps peut être plus ou moins arbitraire : il suffit que le Parti communiste soit en mesure de l'imposer aux consciences par le volume de sa publicité. Il suffit que sa propagande persuade les consciences de ceux qui sont dans un camp que les autres sont l'ennemi à abattre. Il suffit enfin au succès de son entreprise que des adversaires de l'idéologie communiste acceptent d'adopter comme objectif concret, provisoire, limité, ce qui est l'objectif communiste du moment : l'élimination politique de l'ennemi désigné.
Peu importe qu'au départ l'on soit « marxiste » ou non : car précisément, c'est ainsi qu'on le devient, et d'abord sans le savoir. C'est par cette propagande -- d'action politique concrète et non d'idéologie abstraite -- que le marxisme-léninisme « *pénètre* PRESQUE INSENSIBLEMENT *et toujours davantage les esprits et les cœurs* » ([^6]). Ce n'est point par la conversion individuelle des consciences à un matérialisme dialectique abstraitement enseigné que le communisme progresse. Il progresse moins en prêchant le matérialisme dialectique qu'en le faisant pratiquer (*sur un point limité, pour un objectif provisoire*) à ceux qui refusent -- ou qui ignorent -- cette idéologie. Le communisme progresse dans la mesure où, *toute idéologie soi-disant mise à part,* des non-communistes acceptent provisoirement de *lutter, fût-ce de leur* côté *et par d'autres moyens, contre l'ennemi désigné du moment.*
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A toute vie en société, dans l'univers du péché originel où « continue la lutte du bien et du mal » ([^7]), est inhérente une multitude de « contradictions ». Parmi ces contradictions, il en est une, ou quelques-unes, que la propagande communiste met en relief, excite et exacerbe, présente comme insupportables, transforme en urgence première, et traite par un combat politique.
Le Parti communiste demande simplement aux catholiques de mener au même moment un combat politique contre le même ennemi.
Le reste suivra.
Restez chrétiens, mais...
Le reste suivra, parce que le communisme est *une pratique.* IL PRÉFÈRE UN « ANTI-MARXISTE » QUI PRATIQUE, AU MÊME MOMENT, LE MÊME COMBAT POLITIQUE QUE LUI, PLUTÔT QU'UN « MARXISTE » EN DÉSACCORD SUR L'OPPORTUNITÉ TACTIQUE ET L'OBJECTIF CONCRET. Il progresse dans la mesure où sa « propagande diabolique », « par toute sorte de tromperies », « dissimule ses propres desseins sous des idées en elles-mêmes bonnes et attrayantes : « en proposant parfois même des choses entièrement conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église » ([^8]) : il ne s'agit *jamais* pour le Parti communiste de réaliser effectivement l'objectif-prétexte « bon et attrayant » sous lequel il *dissimule son propre dessein.* Il s'agit, par ce prétexte, d'entraîner des non-communistes A PRATIQUER ET A VIVRE UN MOMENT DE LA « LUTTE DE CLASSE ».
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C'est ainsi que, plus ou moins vite, plus ou moins complètement, le matérialisme dialectique « pénètre presque insensiblement et toujours davantage les esprits et les cœurs » des chrétiens eux-mêmes. Car le christianisme n'est pas (seulement) une pensée. Le christianisme est une vie. Il consiste à vivre en chrétien. Or le communisme est une *pratique politique* qui est contraire à la *vie chrétienne.* Il amène des chrétiens, sous UN PRÉTEXTE POLITIQUE, A VIVRE AUTREMENT QU'EN CHRÉTIENS. C'est, si l'on veut, une « gymnastique ». C'est un entraînement pratique à devenir inconsciemment accueillant à l'idéologie.
-- *Restez chrétiens,* dit le Parti communiste : *mais protestez contre les responsables politiques de l'injustice que je combats en ce moment.*
L'injustice du moment, celle que la tactique communiste choisit, celle que la publicité communiste met en relief et impose en priorité absolue à l'attention publique, est soit exagérée soit inventée par la propagande. Souvent il s'agit d'une injustice réelle, qui réclame vraiment des réformes et des remèdes. C'est pourquoi la propagande communiste est « véritablement diabolique ». Car elle ne conduit ni à des remèdes ni à des réformes, mais toujours, essentiellement, à abattre un ennemi.
Les bons et les mauvais.
La lutte politique est rarement belle et pure. Entre les mains du Parti communiste, elle devient intrinsèquement perverse. Car elle *implique toute l'idéologie* que le Parti communiste ne peut faire admettre théoriquement aux chrétiens, mais *qu'il leur fait vivre.*
Pour le chrétien, l'injustice dans le monde appelle certes des réformes sociales : mais elle relève essentiellement du péché et du pardon, de la conversion intérieure, *de la justice qui consiste d'abord à s'efforcer d'être juste et non pas d'abord à protester contre l'injustice du voisin.*
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A cette attitude DE L'ÂME, à cette attitude fondamentale et première, la pratique communiste en substitue une autre, qui est entièrement inverse : l'injustice dans le monde relève spécifiquement de la lutte politique, elle a pour cause non point un pécheur à convertir mais un ennemi à abattre. La contradiction interne, qui est en réalité intérieure à chaque homme (à la fois bon et mauvais), une telle lutte politique ne la considère que sur le plan social, en y distinguant « les mauvais » qu'elle désigne et « les bons » qui les combattent. La « *lutte entre le bien et le mal* » ([^9]) entre le bien et le mal que définissent la loi naturelle et la loi surnaturelle -- se transforme en *une lutte politique entre* « *les bons* » *et* « *les mauvais* ».
Une telle tentation n'est pas nouvelle : elle a toujours existé. Avec le communisme, elle reçoit une systématisation et une organisation sans précédent, elle est exacerbée et exploitée par « une propagande vraiment diabolique, telle que le monde n'en a peut-être jamais vue », et qui *transporte jusqu'à l'intérieur de l'Église* cette lutte entre « les bons » et « les mauvais », substituée à la lutte entre le bien et le mal.
Sous un prétexte en lui-même « bon et attrayant », voire « entièrement conforme à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église », sous un prétexte de justice sociale et politique, des catholiques sont entraînés à poursuivre, par des voies parallèles, les objectifs du moment, précis et limités, que propose le Parti communiste. Ce faisant, ils rencontrent l'opposition d'autres catholiques, opposition *clairvoyante* ou opposition *égoïste,* peu importe : car à partir du moment où ils considèrent leurs adversaires catholiques NON PLUS COMME DES PÉCHEURS, LEURS FRÈRES, A CONVERTIR RELIGIEUSEMENT, MAIS COMME DES ENNEMIS A ABATTRE POLITIQUEMENT, alors le communisme a gagné sa principale bataille contre l'Église.
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Car ainsi, sous un prétexte politique, par entraînement politique, par pratique politique, des catholiques sont amenés à *vivre le contraire* de l'Évangile.
Ils lapident les « coupables » politiques sans se demander qui peut jeter la première pierre. Ils introduisent dans la communauté catholique une discrimination arbitraire entre « *les* bons » et « les mauvais ». Ils se croient eux-mêmes politiquement « bons ». Leur préoccupation de combattre et d'éliminer politiquement « les mauvais » prend le pas sur la préoccupation de leur conversion personnelle et de la conversion de leurs frères ennemis. Ils ne vivent plus en chrétiens leur vie politique. Et la politisation croissante des consciences entame de plus en plus profondément leur vie chrétienne.
Cela s'est passé en Chine comme ailleurs. Mais on l'a mieux connu pour la Chine, en raison du nombre et de la qualité des témoins qui l'ont vu, qui l'ont vécu, qui l'ont analysé et qui l'ont exposé au monde : les missionnaires catholiques. Aucune conquête du communisme n'est aussi scientifiquement connue que la conquête de la Chine. Et c'est pourquoi c'était d'un intérêt vital pour le communisme de discréditer le témoignage des missionnaires de Chine, ou d'en détourner l'attention. Jamais l'action communiste n'avait eu autant de témoins intellectuellement et moralement aussi qualifiés.
Le témoignage des missionnaires de Chine, s'il fallait le résumer en quelques mots, tiendrait dans le schéma suivant :
1. -- L'action anti-religieuse du communisme a pour ressort essentiel d'instituer une discrimination entre les catholiques politiquement bons et les catholiques politiquement mauvais.
2. -- Les « mauvais catholiques » sont ceux que le Parti communiste, pour une raison politique, désigne comme tels.
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3. -- Les « bons catholiques » sont ceux qui mènent un combat politique pour l'élimination des mauvais.
C'est tout : cela suffit.
L'objectif du moment peut concerner la réforme agraire, l'indépendance nationale, la lutte pour la paix, la « politique impérialiste » ou « réactionnaire » du Saint-Siège : tous prétextes circonstanciels qui ont pour objectif réel l'élimination politique, voire la liquidation physique d'une catégorie de citoyens plus ou moins arbitrairement délimitée. L'objectif du moment peut être la guerre d'Algérie, la défense de la République, la liberté de la presse, n'importe quoi, pourvu que ce soit bien l'objectif du moment, et non pas celui d'hier ou celui de demain. Autour de cet objectif-là et non d'un autre, la *seule* collaboration que le Parti communiste attend véritablement des catholiques est qu'ils *introduisent dans l'Église cette contradiction, cette discrimination et cette lutte politiques,* affectées d'un coefficient prioritaire qui en fasse l'urgence provisoire n° 1. Les autres collaborations ([^10]) sont plus voyantes mais superflues, sauf en ce qu'elle jouent un rôle de diversion et, par leur scandale trop visible, détournent l'attention du processus réel d'autodestruction clandestinement introduit dans la communauté catholique.
Cela ne s'opère évidemment pas sans agents conscients, auxiliaires inconscients, courroies de transmission, noyautages internes et pressions publicitaires externes, dont les résultats visibles sont bruyamment attribués à l' « influence du marxisme », au « sens de l'histoire » et à la « pression des masses populaires », mais qui relèvent en réalité du plus formidable appareil de pénétration, d'espionnage, de corruption, de manipulation, d'intoxication et de chantage qui ait jamais existé.
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La riposte difficile.
Ce que M. Dansette a nommé « la gauche chrétienne » met l'accent sur la revendication de la justice : cela n'est pas en soi illégitime, cela est même souvent un devoir (à la condition que la revendication de la justice ne prenne point le pas sur la pratique personnelle de la justice). Cette « gauche chrétienne » n'est pas toujours exempte, d'autre part, d'infiltrations idéologiques plus ou moins marxistes qui peuvent fausser sa conception même de la justice sociale. Mais cela n'est pas encore l'essentiel. La plus grave tentation de la gauche chrétienne est de pratiquer un combat politique : 1. -- qui coïncide avec le combat communiste du moment, et 2. -- dans lequel l'adversaire catholique, éventuellement réputé coupable des plus grands crimes, soit considéré davantage comme un ennemi à abattre que comme un frère à convertir. Cela se produit en fait, au niveau de la paroisse et de la profession, dans les divers « milieux de vie ». Cela se produit aussi à un autre niveau : la contradiction et la lutte politiques opposent alors la gauche chrétienne non pas simplement à d'autres chrétiens, mais aux détenteurs mêmes de l'autorité enseignante et disciplinaire dans l'Église. La considération de leurs positions politiques réelles ou supposées prend, dans l'esprit et le comportement de la gauche chrétienne, le pas sur la considération de leur qualité et de leur fonction de Successeurs des Apôtres, surnaturellement chargés du gouvernement de la communauté catholique.
D'autre part, ceux que l'on nomme « catholiques de droite » subissent une tentation analogue mais inverse. Frappés par une discrimination politique, attaqués par un combat politique, ils ont le sentiment de se trouver en état de légitime défense politique. Un tel sentiment correspond plus d'une fois à la réalité. Mais il ne suffit pas de combattre politiquement ceux qui font le jeu du communisme pour ne pas le faire soi-même.
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Ce qui fait le jeu du communisme, c'est l'attaque *et la riposte,* à partir du moment où *l'une et l'autre* passent avant la réalité du Corps mystique. Ce qui fait le jeu du communisme, c'est l'état de division et de combat où se trouve la communauté catholique. C'est la pratique entre catholiques de toutes les formes de lutte politique qui donnent le pas aux opérations de combat sur les exigences de l'unité.
Les difficultés ainsi posées à la gauche chrétienne et à la droite catholique sont des difficultés effroyables, -- et pratiquement insolubles au plan humain. On n'améliorera évidemment rien en mettant ces difficultés entre parenthèses, en les recouvrant d'un voile supposé pudique et en les laissant pourrir sur pied. La « diffusion du communisme », dans l'immédiat et à terme, a pour condition nécessaire et suffisante la division des catholiques en deux camps, chacun se considérant comme le « bon » et travaillant à la liquidation politique du « mauvais » ([^11]).
L'unité.
Parmi les « remèdes et moyens » qu'il faut apporter à la progression mondiale du communisme, le Pape Pie XI inscrivait la concorde entre catholiques ([^12]) :
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« A tous Nos fils enfin, de toute classe, de toute nation, de tout groupement religieux et laïque dans l'Église, Nous voulons adresser de nouveau le plus pressant appel à la concorde. Bien des fois, Notre cœur paternel a été navré des dissensions, souvent futiles dans leurs causes, mais toujours tragiques dans leurs conséquences, qui mettent aux prises les fils d'une même Mère, l'Église. Et alors on voit les fauteurs de désordre, qui ne sont pas tellement nombreux, profiter de ces discordes, les envenimer, et finir par jeter *les* catholiques eux-mêmes les uns contre les autres... Nous le répétons une fois encore pour ceux qui n'ont pas compris ou qui peut-être ne veulent pas comprendre. Ceux qui travaillent à augmenter les divisions entre catholiques se chargent devant Dieu et devant l'Église d'une terrible responsabilité. »
L'unité, œuvre de la Foi, de l'Espérance et de l'Amour, est le signe de reconnaissance, le bien le plus précieux, la réalité essentielle du Corps mystique. Il ne s'agit pas simplement ni d'abord d'être « unis » parce que « l'union fait la force » : cette sagesse naturelle est très véritable, mais une considération tactique de cette sorte a toujours été insuffisante à fonder et à maintenir durablement l'unité. L'unité est *la réalité du christianisme,* la réalité de l'Église, sa vie même. L'unité n'est pas le fruit des compromis, des arrangements, des concessions réciproques (encore que tout cela ait son rôle, mais à sa place). L'unité est à la fois *le* signe et le résultat de la présence de Jésus-Christ dans son Église, -- *dans la mesure* où cette présence, qui nous est donnée, est acceptée et vécue par chaque chrétien :
« Que tous soient un : comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé » ([^13]).
Le communisme vise l'Église dans sa réalité essentielle, parce qu'il défait l'unité.
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La vertu d'Espérance.
Pour détruire la Foi, le communisme commence par la « respecter » ; pour détruire l'Amour, il l'annexe et l'exploite. C'est au niveau de la vertu d'Espérance que portent son attaque frontale et son effort de rupture.
On peut entrer dans le jeu communiste sans le savoir, avec une Foi qui paraît entière, et sans avoir conscience qu'elle est tournée puis atteinte par l'ennemi.
On peut entrer dans le jeu communiste avec l'Amour, sans apercevoir que l'Amour est dévié et perverti.
Avec la Foi et la Charité, on peut entrer dans cette lutte politique contre l'injustice du moment, sans distinguer comment elle contredit et blesse la Charité et la Foi. On peut mener, par des voies différentes, un combat parallèle au combat communiste contre l'ennemi politique du moment qui a été désigné par le Parti. On peut condamner la répression française en Algérie *quand* le Parti la condamne, on peut protester contre les atteintes aux « libertés démocratiques » *quand* le Parti proteste, en laissant tout le reste au second plan *tant que* le Parti le laisse au second plan. On peut se mettre à prendre un autre objectif et à revendiquer contre une autre injustice *dès que* le Parti le fait. Cette concordance, cette simultanéité, qui sont la condition nécessaire et suffisante des réussites tactiques du communisme, on peut s'y livrer avec la Foi et par la Charité, ou du moins le croire en conscience : puisque la propagande communiste utilise des prétextes « parfois entièrement conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église » ([^14]). Mais on ne peut pas le faire sans rompre avec l'Espérance ou sans l'avoir oubliée.
Car cette *pratique* politique, qui atteint indirectement la Foi, qui pervertit clandestinement la Charité, substitue clairement et directement à l'Espérance une autre espérance. Cette *pratique* politique atteint la Foi *dans ses œuvres,* elle fait mettre en œuvre une espérance autre que l'Espérance œuvre de la Foi.
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Cette pratique politique, qui implique secrètement le contraire de la Foi et le contraire de la Charité (et l'on ne s'en aperçoit pas d'abord, et l'on est anesthésié ensuite), implique ouvertement et dès le début l'espérance d'une autre rédemption, d'un autre rachat du mal et de l'injustice dans le monde, -- cette pratique supprime l'Espérance parce qu'elle la remplace.
Elle ne remplace pas la Foi, et ne semble pas d'abord l'atteindre. Elle ne remplace pas la Charité, mais réussit à la séduire et c'est par amour qu'elle entraîne souvent des chrétiens à organiser une lutte politique pour la défense des victimes et des opprimés : ils ne voient pas qu'une seule catégorie d'opprimés et de victimes, tactiquement opportune, est proposée à leur charité, ils ne voient pas non plus que cette pratique politique les conduit à combattre et à détester non pas l'injustice, mais ses responsables supposés ou réels.
Les victoires du communisme sont remportées directement sur la vertu d'Espérance, parce que cette pratique politique fait accomplir au moins, pour commencer, les gestes extérieurs des deux péchés contre l'Espérance : la présomption et le désespoir.
On pèche par présomption contre l'Espérance quand on compte sur ses propres forces pour faire le bien et pour éviter le mal. Or cette pratique politique consiste à *lutter* contre l'injustice *comme si* l'on comptait sur ses propres forces pour réaliser le bien et pour éviter le mal dans la société.
On pèche par désespoir contre l'Espérance quand on perd confiance en la bonté de Dieu et qu'on ne croit pas pouvoir aller au Ciel : or cette pratique politique consiste à *lutter* contre l'injustice *comme si* l'on mettait entre parenthèses la bonté de Dieu et comme si la justice et l'injustice sociales étaient sans rapport avec le salut éternel. D'ailleurs, qui parle aujourd'hui d' « *aller au Ciel* » ? la Foi et la Charité parlent encore, l'Espérance se tait.
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Ce n'est pas dans le silence de la Foi, ce n'est pas dans le silence de la Charité que « la diffusion du communisme s'explique par une propagande vraiment diabolique », c'est dans le silence de l'Espérance.
L'Espérance des pauvres et des riches.
Aux riches et aux pauvres, Pie XI, contre le communisme, a recommandé l'Espérance :
« Tous les chrétiens, riches ou pauvres, doivent tenir toujours leurs regards fixés vers le Ciel, et ne jamais oublier que nous n'avons pas ici-bas de demeure permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir. » ([^15])
« Qu'ils se souviennent qu'on ne réussira jamais à faire disparaître de ce monde les misères, les douleurs et les tribulations, qu'à cette loi personne n'échappe, pas même ceux qui, en apparence, semblent très heureux. » ([^16]).
« Dans l'Espérance du Royaume céleste qui déjà leur appartient, car le Royaume de Dieu est à vous, a proclamé Notre-Seigneur, combien de pauvres trouvent un bonheur que des riches cherchent en vain dans leur fortune, toujours inquiets et tourmentés par le désir insatiable de posséder davantage. » ([^17])
C'est alors et c'est dans cette perspective, c'est sous l'inspiration de l'Espérance que peut s'opposer au communisme « un remède encore plus efficace » : cette « charité chrétienne patiente et bonne » ([^18]), qui « commande aussi les obligations de stricte justice » ([^19]), *car voilà enfin la justice.* La justice que commande et qu'éclaire la Charité. La Charité qui est animée par l'Espérance. L'Espérance qui est œuvre de la Foi.
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La Foi, l'Espérance et la Charité ne sont elle-mêmes que toutes trois ensemble. Mais la première qui soit visiblement atteinte par le communisme est l'Espérance.
Le recul général de l'Espérance.
Les blessures reçues, les batailles perdues au XX^e^ siècle sur le front de l'Espérance sont innombrables et profondes. La *politisation* des consciences se manifeste avec éclat quand elle contredit à la Charité. Mais avant de se manifester avec éclat, elle s'est installée peu à peu, par la brèche ouverte dans l'Espérance. Nous ne parlons plus beaucoup d' « aller au Ciel », non point parce que nous serions devenus plus savants et tiendrions un langage plus théologique où il serait question de la « Fin dernière » et de la « béatitude ». Nous n'en parlons plus parce que nous n'y pensons plus.
Mais nous pensons à beaucoup de choses, et même à faire progresser la Foi, à prolonger l'histoire religieuse de la France contemporaine, à poursuivre le destin du catholicisme français. Il est vrai que nous y pensons drôlement, La plus célèbre, la seule histoire religieuse de la France contemporaine ignore Lourdes et le Curé d'Ars. Le dernier livre paru sur le destin du catholicisme français les ignore pareillement. Ce sont pourtant des ouvrages pleins de considérations apostoliques et missionnaires : mais un esprit apostolique qui n'est pas celui du Curé d'Ars, un esprit missionnaire qui se passe de Lourdes. Car maintenant, c'est aux méthodes et aux tactiques que nous pensons surtout.
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Nous concevons les tâches apostoliques et missionnaires en y donnant une place croissante à une méthodologie, à une stratégie, à une organisation empruntées à celles de la propagande politique : elles conduisent à publicitairement « se faire bien voir », comme si l'on recherchait des suffrages, plutôt qu'à enseigner aux hommes qu'ils sont tous pécheurs. A la limite, elles prêcheraient un Sauveur qui serait venu pour les justes, et pour les libérer d'injustices dont ils seraient seulement les victimes et nullement les responsables.
Nous recherchons toujours plus ou moins le Royaume de Dieu, mais *pour* avoir tout le reste, et en considérant qu'il nous est dû, notre espérance prend de plus en plus pour objet ce qui « sera donné par surcroît », et *c'est vrai* que le surcroît est promis et donné, mais il *n'est pas* l'objet essentiel de l'Espérance.
Il n'est pas non plus toujours celui que nous avions imaginé et espéré. Il ne l'est même quasiment jamais. Il est souvent autre et toujours meilleur.
\*\*\*
LA CONSTANTE fondamentale de l'action communiste est de faire éclater les communautés naturelles (et surnaturelles) en les divisant politiquement contre elles-mêmes, et en persuadant les consciences, par voie de propagande, d'être plus attentives aux contradictions internes qu'à l'unité réelle. La destruction des liens familiaux, professionnels, nationaux, religieux ne laisse plus subsister finalement qu'une sorte de communauté organisée : le Parti.
La lutte politique est intrinsèquement mauvaise quand sa nature est de *prendre inconditionnellement le pas* sur toutes les autres réalités. La lutte politique que suscite, soutient et propage la propagande communiste, « toute idéologie mise à part », s'installe dans une famille quand la division politique passe inconditionnellement avant le lien familial.
21:23
Elle s'installe dans le métier quand la lutte de classe prend inconditionnellement le pas sur le bien commun de l'entreprise et de la profession. Elle s'installe dans la nation quand les oppositions politiques y prennent inconditionnellement le pas sur le bien commun national. Elle s'installe dans la vie internationale quand les nationalismes ou les impérialismes y prennent inconditionnellement le pas sur le bien commun de la famille humaine. Elle s'installe dans l'Église quand les divisions politiques y ont constamment le pas sur la réalité du Corps mystique. Le communisme ne demande pas aux catholiques que cette priorité inconditionnelle soit conçue et professée : la plupart s'y refuseraient. Il faut et il suffit au communisme que cette priorité soit *pratiquée :* et beaucoup la pratiquent sans savoir ce qu'ils font.
J. M.
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## CHRONIQUES
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### Tactique et stratégie
M. Georges Sauge, (directeur du CENTRE D'ÉTUDES SUPÉRIEURES DE PSYCHOLOGIE SOCIALE) développe dans toute la France, et même hors de France, avec beaucoup de succès, l'action méthodique qu'il avait annoncée : voici tout juste un an que nous avons publié, dans notre numéro 13 de mai 1957, une *Conversation avec M. Georges Sauge,* à laquelle on se reportera utilement.
Aux éditions des Iles d'Or (diffusion Plon) va paraître ce mois-ci un important ouvrage de M. Georges Sauge : *Échec au communisme.* En voici un chapitre essentiel.
IL NOUS FAUT examiner la différence qui existe entre la stratégie et la tactique, et comment celles-ci sont appliquées à la désagrégation de l'histoire.
Nous ne pouvons mieux faire que de reprendre le commentaire que Staline faisait aux élèves de l'Université Sverdlov après la mort de Lénine. Lorsque les *Cahiers du Communisme* de janvier 1953 publièrent ces données, ils les firent précéder de cet avertissement même de Staline :
« Il me semble que cet article ne sera pas sans utilité pour la nouvelle génération des militants de notre Parti. Je tiens cependant à spécifier que je ne prétends pas apporter quelque chose de nouveau quant au fond. Ce point de vue doit être considéré comme un exposé succinct et schématique des *idées fondamentales du camarade Lénine.* »
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Précisons que l'Université Sverdlov fut en 1918 la première école du Parti officiellement organisée par le Comité exécutif central des Soviets de Russie à l'intention des *agitateurs* et des *propagandistes.* Ces cours devinrent, en janvier 1919, l'École d'Administration soviétique, qui servit de base à l'École centrale d'Administration soviétique et du Parti, créée par décision du VII^e^ Congrès du Parti Communiste bolchevique et transformée, au cours du deuxième semestre de 1919, en Université Internationale Communiste ouvrière et paysanne.
La *stratégie* est ce qui fixe le coup principal à porter dans le minimum de temps. La stratégie est la ligne droite. La stratégie gagne la guerre ; la stratégie définit un mot d'ordre pour une longue période.
La *tactique,* au contraire, n'est pas la ligne droite, c'est la ligne sinueuse. C'est un morceau de la stratégie ; elle ne gagne pas la guerre, elle gagne une bataille *ou même elle peut savoir la perdre.*
La tactique est de même nature que la stratégie : tel le serpent sculpté dans le bâton : si l'artiste a travaillé habilement, l'œil trompé suit l'enroulement du serpent et oublie la réalité même de la canne. La poignée de cette canne coïncide avec la tête du serpent et c'est dans la coïncidence de la tactique enroulante et de la stratégie droite qu'apparaît le moment dialectique, *mais il est trop tard pour réagir.*
Et le rôle de la stratégie et de la tactique, d'après Lénine, c'est littéralement *d'accélérer ou de ralentir le mouvement de l'histoire,* d'introduire la loi de contradiction et de la développer dans la lutte de classes là où elle n'existerait pas et de l'exacerber là où elle existe. Le travail ne consiste pas, pour la stratégie et la tactique menées par le Parti communiste international, à libérer tel ou tel peuple, le travail consiste à mener à bien le mouvement de l'histoire au terme de la deuxième phase, c'est-à-dire à la *dictature mondiale du prolétariat.*
C'est pourquoi ceux qui ignorent la théorie fondamentale du Parti et son application stratégique et tactique trouvent le communisme inconséquent, voire contradictoire dans son principe. Or les stratèges et les tacticiens du Parti ne sont pas inconséquents, ils sont, et d'une façon redoutable, des *dialecticiens retors.*
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Si à telle période on les entend soutenir le capitalisme, la réforme agraire, la rénovation des institutions quasi-féodales et le passage à un état bourgeois, comme en Chine par exemple, et simultanément prêcher le passage de la bourgeoisie au socialisme, ou même en d'autres régions parler du passage du socialisme au communisme, ce n'est pas inconséquence de leur part, c'est stratégiquement et tactiquement jouer sur la réalité humaine comme sur un immense clavier.
La tâche des communistes qui, suivant Lénine, *ne sont pas des réformistes* mais *des révolutionnaires,* consiste, NON A ÉMANCIPER LES HOMMES MAIS A FAIRE LA RÉVOLUTION.
En effet, si nous comparons l'état de la Chine et de la France en 1938, il tombe sous le sens que l'état de ces deux pays n'était pas comparable ; l'état de la Chine restait encore un état féodal, l'état de la France était un état plus avancé. Il fallait donc ralentir en France le mouvement révolutionnaire, car en le précipitant on risquait d'inquiéter prématurément la bourgeoisie internationale.
La stratégie consista donc à introduire et accélérer le mouvement en Chine, à le faire passer par toutes les étapes successives établies et prévues par la sociologie marxiste, en d'autres termes précipiter le mouvement pour amener un jour ces deux pays et puis les autres à la même plate-forme psychologique, condition nécessaire sur le plan international à la dictature du prolétariat.
Suivant cette perspective, « la tactique usera de tous les procédés, scellera la vérité » (Lénine, *Maladie Infantile*)*,* « mais fera malgré tout la tâche communiste ».
La tactique jouera sur le désir d'indépendance d'un peuple, sur l'orgueil de tel groupe humain, sur la rancœur de tel autre.
« Nous ne serions pas des Marxistes révolutionnaires », rappelle Dimitrov au 7^e^ Congrès mondial de l'Internationale Communiste en 1935, « si suivant la situation changée et les transformations intervenues dans le mouvement ouvrier mondial, nous ne remaniions pas de façon appropriée notre politique et notre tactique ».
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« La tactique en général peut varier, mais la ligne générale de l'Internationale Communiste, sa stratégie, donc son orientation vers la révolution prolétarienne, demeure inébranlable et immuable ».
(Manouilski, rapport au 7^e^ Congrès mondial de l'Internationale communiste en 1935).
Et Marcel Cachin, au 7^e^ Congrès national du Parti Communiste français, en 1936 (sténogramme 51), disait :
« Le Parti communiste est le disciple de Lénine et Lénine, lui, a dit : « Quand tu auras un obstacle que tu ne pourras attaquer de front, tu tourneras un peu, tu sauras reculer de temps en temps c'est pour mieux avancer ».
Marcel Cachin, dont Maurice Thorez disait dans son discours prononcé à la Salle Pleyel le 23 février 1958 : « Il commence en 1906 cette longue activité d'agitateur et de propagandiste, qui devait durer autant que son existence. » On se demande, à ce propos, ce que peut bien connaître de la théorie, de la stratégie et de la tactique internationales du Parti communiste, M. François Mauriac qui a pourtant écrit au lendemain de la disparition de ce désagrégateur chevronné : « toute une vie vouée à la classe ouvrière, cela commande le respect ».
C'est pourquoi, en un sens, nous pouvons affirmer qu'il n'y a pas de problème algérien, qu'il n'y a pas de problème hongrois ; je ne veux pas prétendre qu'il n'y a pas de difficultés et de problèmes en Algérie, en France et en Hongrie ; mais, dans un cadre naturel, et même très grosso-modo chrétien, ces difficultés sont solubles. A partir du moment où la stratégie et la tactique infernales du Communisme *s'en sont emparées,* la loi de la dialectique va jusqu'au bout.
Comme il serait souhaitable qu'au niveau des problèmes internationaux existent des dirigeants répondant à l'analyse que le 19 mars 1937 le Pape Pie XI faisait du Communisme, dans l'Encyclique *Divini Redemptoris *:
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« Mais comment se fait-il, s'interroge Pie XI, qu'un tel système depuis longtemps dépassé scientifiquement et démenti par la réalité des faits, puisse se répandre aussi rapidement dans toutes les parties du monde ? »
et le Pape répond par cette phrase très lourde de sens :
« C'est que bien peu de personnes ont su pénétrer la vraie nature du Communisme »,
phrase confirmée par les faits.
Lénine précise encore : « *L'art de la tactique c'est de dissimuler jusqu'au dernier moment l'intention stratégique.* » Et l'une des illustrations les plus tragiques de l'histoire contemporaine s'applique précisément à la question religieuse sous l'angle de la stratégie et de la tactique. Cette question est étudiée et connue au sein du Parti, pour employer son jargon, sous le nom de « sixième proposition d'Erfurt ».
Laissons s'exprimer encore par la bouche de Staline, récemment confirmé par Krouchtchev, les cyniques expressions de Lénine :
Deux cotés du mouvement ouvrier
La stratégie politique, de même que la tactique, a affaire avec le mouvement ouvrier. Mais le mouvement ouvrier se compose lui-même de deux éléments : l'élément objectif ou spontané, et l'élément subjectif ou conscient. L'élément objectif, spontané, c'est cette catégorie de processus qui ont lieu indépendamment de la volonté consciente et régulatrice du prolétariat. Le développement économique du pays, le développement du capitalisme, la désagrégation du pouvoir ancien, les mouvements spontanés du prolétariat et des classes qui l'environnent, les conflits entre classes, etc. : autant de faits dont le développement ne dépend pas de la volonté du prolétariat ; c'est le côté objectif du mouvement. La stratégie n'a que faire de ces processus, car elle ne peut ni les supprimer ne les modifier ; elle ne peut qu'en tenir compte et les prendre pour point de départ. C'est un domaine qu'il appartient à la théorie du marxisme et au programme du marxisme d'étudier.
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Mais le mouvement a en outre un côté subjectif, conscient. Le côté subjectif du mouvement est le reflet des processus spontanés du mouvement dans le cerveau des ouvriers ; *c'est le mouvement conscient et méthodique* du prolétariat *vers un but précis.* L'intérêt que présente pour nous ce côté du mouvement réside précisément en ceci qu'à la différence du côté objectif, il se prête entièrement à l'action directrice de la stratégie et de la tactique. Si la stratégie est *impuissante* à modifier quoi que ce soit dans les processus objectifs du mouvement, elle trouve ici, dans le côté subjectif, conscient, du mouvement, un champ d'application *étendu* et *varié,* car elle peut selon ses qualités ou ses lacunes, accélérer ou ralentir le mouvement, l'engager dans la voie *la plus courte ou l'entraîner dans une voie plus pénible et plus douloureuse.*
Accélérer ou ralentir le mouvement, le faciliter ou l'entraver : tels sont le domaine et les limites d'application de la stratégie et de la tactique en politique.
THÉORIE ET PROGRAMME DU MARXISME
La stratégie n'étudie pas les processus objectifs du mouvement. Force lui est néanmoins de les connaître et d'en tenir compte judicieusement si elle ne veut pas commettre des erreurs grossières et funestes dans la direction du mouvement. C'est d'abord la théorie du marxisme, puis le programme du marxisme, qui étudient les processus objectifs du mouvement. Aussi la stratégie doit-elle prendre *entièrement* appui sur les données de la théorie et du programme du marxisme.
Étudiant les processus objectifs du capitalisme dans leur développement et leur disparition, la théorie du marxisme aboutit à cette conclusion que la chute de la bourgeoisie et *la prise du pouvoir* par le prolétariat sont *inévitables,* de même que le remplacement du capitalisme par le socialisme, la stratégie du prolétariat ne peut être qualifiée de réellement marxiste que si elle a mis cette conclusion fondamentale de la théorie du marxisme à la base de son activité.
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Partant des données de la théorie, le programme du marxisme définît scientifiquement dans ses différents points les buts du mouvement prolétarien. Le programme peut embrasser toute la période de développement du capitalisme, en y comprenant le renversement du capitalisme et l'organisation de la production socialiste, ou bien envisager une phase déterminée du développement du capitalisme : par exemple, l'anéantissement du régime féodal absolutiste et la création de conditions propres à assurer *un libre développement du capitalisme.* Par suite, le programme peut se composer de deux parties : d'un programme maximum et d'un programme minimum. Il va sans dire que la stratégie conçue en vue du programme minimum, différera nécessairement de celle conçue en vue du programme maximum et qu'une stratégie ne peut être qualifiée de réellement marxiste que si elle s'inspire des objectifs du mouvement formulés dans le programme du marxisme.
LA STRATÉGIE
La tâche essentielle de la stratégie est de déterminer la direction générale *que doit prendre le mouvement de la classe ouvrière,* et où le prolétariat pourra porter à l'adversaire *le coup principal* avec le plus d'efficacité afin de réaliser les objectifs fixés par le programme. Le plan stratégique est un plan qui vise à organiser le coup décisif dans la direction où il est susceptible de donner *dans les moindres délais l*e maximum : de résultats.
LA TACTIQUE
La tactique, partie de la stratégie, lui est subordonnée et s'applique à la servir. La tactique s'occupe non de la guerre dans son ensemble, mais de ses différents épisodes, des combats, des batailles. Si la stratégie s'attache à gagner la guerre ou, pour prendre un exemple, à mener à bonne fin la lutte contre le tsarisme, la tactique, elle, s'efforce de gagner telles ou telles batailles, tels ou tels combats, à mesurer le succès de telles ou telles campagnes, de telles ou telles actions *plus* ou *moins* conformes aux conditions concrètes de la lutte à un moment donné.
La tactique a essentiellement pour tâche de déterminer les voies et moyens, les formes et méthodes de lutte qui répondent le mieux à la situation concrète au moment donné, et préparent le mieux le succès stratégique.
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Aussi les actions tactiques et leurs résultats doivent-ils être appréciés *non en eux-mêmes,* non *au point de vue de leur effet immédiat,* mais au point de vue des tâches et des possibilités de la stratégie. »
Se prémunir contre les ruses du Communisme reste une des grandes tâches à accomplir pour quiconque veut sauver la civilisation chrétienne.
Georges SAUGE.
Certes, les injustices sociales peuvent aveugler le peuple et faire le jeu des communistes. Mais n'allez pas croire que la haine des marxistes soit réservée aux patrons injustes : ceux-ci font l'affaire du communisme.
Mais les patrons justes, mais les employeurs qui traitent leurs employés comme des hommes et leur font des conditions de vie honnêtes, mais tous les chrétiens conscients d'avoir à rendre compte à Dieu de toutes leurs actions, voilà les ennemis contre lesquels le communisme dirige toute sa haine.
Charles DE KONINCK, avril 1950.
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### Les lois sociologiques et la loi naturelle
Nous avons déjà souligné la nécessité de distinguer entre les simples *régularités empiriques* de la vie sociale, telles que, par exemple, les statistiques les font apparaître, et les *lois sociologiques* proprement dites. Les premières, fort importantes lorsqu'il s'agit de connaître un milieu social concret, n'ont de valeur que pour un lieu donné à une époque donnée. Les secondes, véritablement scientifiques expriment une constante générale, une liaison nécessaire observable dans toute vie sociale. Ces lois sociologiques ne se confondent pas avec la loi naturelle, mais elles en dérivent. C'est ce point précis que nous voudrions illustrer sur quelques exemples significatifs.
#### I. -- Loi de finalité.
Les hommes en société ne peuvent éviter d'entretenir des relations, de nouer des rapports. Les uns vis-à-vis des autres, ils peuvent se comporter, selon des proportions variables, soit par l'effet d'une délibération réfléchie et d'une décision droite, soit sous l'influence, insidieuse ou brutale, des appétits et des passions. Par le simple *fait* de la vie en société, un problème *pratique* se trouve donc posé : selon quelles normes, selon quelles règles les membres de cette société se traiteront-ils ? Chez les animaux déjà, le problème se pose. C'est l'instinct qui le résout, tantôt, comme dans la jungle, selon la loi du plus fort, tantôt, comme dans la ruche, selon une loi de collaboration organique.
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Chez l'homme, l'instinct joue lui aussi son rôle et, s'il était la seule règle, on peut penser que, sous des formes diverses, la loi du plus fort l'emporterait. Parce que les hommes sont doués de raison, ils s'efforcent spontanément, à travers toutes les civilisations, de fonder les relations sociales sur des règles. C'est une loi sociologique fondamentale de l'organisation de toute communauté qui fait que l'on peut ramener à trois les sources auxquelles les hommes empruntent les normes de la vie sociale :
*a*) les normes suprêmes de la vie en société peuvent et doivent être reçues de Dieu ; connues dans leur pureté et leur intégrité, elles ne sont rien d'autre que l'application aux relations humaines du double dépôt de la Révélation et du droit naturel.
*b*) Les normes suprêmes de la vie en société peuvent, à l'inverse, être laissées au choix entièrement indépendant de chaque individu. Il appartient dès lors à chacun de se donner à soi-même sa loi, d'être son propre législateur.
*c*) Les normes suprêmes de la vie en société peuvent être imposées par l'autorité sociale, mais sans nullement respecter les données de la Révélation ni du droit naturel, et donc en application d'une idolâtrie intellectuelle, d'une idéologie quelconque.
A ces trois orientations sociologiques correspondent trois manières d'envisager la dignité de la personne humaine :
*a*) Selon la *conception chrétienne,* l'homme, doué d'un corps et d'une âme spirituelle et immortelle, a Dieu pour Créateur et pour Fin dernière. Il a reçu de Lui une intelligence et une volonté libre afin de se conduire selon la droite raison, c'est-à-dire afin de choisir les moyens les mieux adaptés pour atteindre sa fin. Sa dignité, sur le plan de la nature, consiste dans le droit de se mouvoir lui-même en Vue de sa fin. Il est *sujet* raisonnable de ses actes, et non *objet* de la société, du capital, ou encore de ses propres instincts.
*b*) Selon la *conception individualiste,* l'homme est doué d'une raison qui doit lui permettre de choisir, en toute indépendance, la fin suprême qu'il entend donner à sa vie. Il peut choisir sa religion, sa morale, et ne doit de compte qu'à sa conscience. En conséquence, sa dignité doit logiquement se définir comme le droit de ne dépendre, en toute chose, que de soi.
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*c*) Selon la *conception de l'état absolu,* ce n'est point la raison de la personne individuellement considérée qui est le support de sa dignité. C'est la raison de la collectivité ou de l'État qui est la source de toute dignité. Selon les idéologies nationalistes, raciste, socialiste, communiste, la conception de la dignité humaine varie, mais dans tous les cas, elle ne comporte que les droits que l'État absolu, méprisant la loi naturelle, veut bien conférer arbitrairement aux individus.
En bref, l'ordre social ne peut s'édifier que par rapport à un Absolu : Dieu, -- l'individu ou la société. Il faut que l'une de ces trois réalités soit pratiquement considérée et traitée comme fin suprême. En accord avec chacune des trois conceptions de la dignité humaine s'établissent donc trois grandes conceptions de l'ordre social :
*a*) Selon *l'ordre social chrétien,* les hommes ne sont pas moins soumis à Dieu et à sa loi de justice et d'amour lorsqu'ils sont considérés individuellement que lorsqu'ils sont considérés dans leur vie sociale. C'est donc une loi qui s'impose en même temps à la communauté et à chaque personne et dont Dieu seul est l'auteur, comme il est le Souverain juge des hommes.
*b*) Selon *l'ordre individualiste,* les personnes ne sont essentiellement soumises qu'à leur propre volonté. L'expérience de l'histoire, qui va d'accord avec l'enseignement de l'Église à ce sujet, fait apparaître que dans toute société fondée sur le rationalisme individualiste, très rapidement, la société se décompose comme sous l'effet d'une force centrifuge. Même dans les sociétés antérieurement chrétiennes, on voit les individus, en majorité, se donner chacun une loi en accord, non avec la raison, mais avec les passions. L'amour déréglé du plaisir détruit la famille, la recherche effrénée des biens matériels bouleverse l'économie, la passion de dominer exaspère les rivalités politiques et affaiblit la patrie.
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*c*) C'est donc une réaction inévitable qui fait que le développement de la société individualiste appelle, sous une forme quelconque, un *absolutisme d'État.* A la désagrégation politique de la Convention et du Directoire succède la tyrannie de Napoléon ; à la désagrégation sociale déterminée par l'individualisme libéral succède le socialisme et la planification économique... Au fur et à mesure que, sous l'effet des passions, les relations sociales, devenant plus injustes, se détériorent, le besoin se fait sentir d'une *centralisation externe* destinée à compenser la désagrégation interne. Au fur et à mesure que les liens organiques entre les personnes et les groupes sociaux se relâchent, l'État s'efforce, tôt ou tard, de les remplacer par des contraintes mécaniques.
\*\*\*
Nous avons maintenant tous les éléments nécessaires pour formuler une loi sociologique que l'on peut nommer loi de finalité, puisqu'elle montre le lien qui existe entre la manière dont se développe la vie sociale et la fin ultime à laquelle cette vie sociale est profondément ordonnée : *Lorsque, dans une société quelconque, la raison divine cesse d'être respectée comme la source suprême de la justice et du droit, cette source suprême ne peut plus être recherchée que dans la raison de l'individu ou dans la raison de la société. L'idolâtrie de la raison individuelle détermine la désagrégation des liens sociaux organiques. En réaction, l'idolâtrie de l'État absolu détermine la centralisation, la mécanisation de toute la vie sociale.*
Cette loi, l'expérience des cent cinquante dernières années l'atteste suffisamment pour qu'il soit inutile de la vérifier davantage. Elle revient à dire que lorsque l'ordre social n'est pas fondé sur l'ordre moral, ou bien la vie sociale est détériorée par la déification de l'individu, ou bien les personnes sont mutilées dans leurs droits naturels par la déification de l'État.
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Il est trop évident que ce n'est point là une simple loi physique, la manifestation d'une « physique sociale », *où la morale n'aurait encore rien à voir ! ...* C'est une loi sociologique, établie par expérience, mais qui n'en dérive pas moins de la nature *morale* de l'homme. Comme nous l'avons indiqué déjà ([^20]), c'est cette loi de finalité qui nous semble *être* l'explication profonde de la constante qui nous a été présentée comme une pure loi physique : « la démocratie électorale a pour effet de centraliser. » C'est évidemment le caractère individualiste de la démocratie, contraire à la nature morale de l'homme, que l'on trouve à l'origine du mouvement de désagrégation sociale que la centralisation administrative s'efforce de compenser par des moyens artificiels.
#### II. -- Loi de subordination.
Lorsque l'on considère la manière dont se constituent les diverses formes de groupes sociaux, on est amené à constater que l'instinct et la raison y jouent des rôles variables, et que le problème moral de leur subordination est loin d'être indifférent à la constitution de l'ordre social.
Chez les animaux, l'impulsion générale et très élémentaire que l'on peut qualifier de « sociale » est évidemment l'instinct grégaire, l'instinct du troupeau. A ce niveau, et à ce niveau seulement on peut parler de loi « physique » ; il s'agit en fait d'un pur instinct biologique. Mais cet instinct, incontestablement présent chez les humains, ne s'y trouve plus présent de la même manière, ni avec le même déterminisme. En me promenant, je passe non loin d'un attroupement et je suis attiré à la fois par une curiosité vague et par une inclination spontanée à courir avec les autres vers le même endroit. Mais je songe que je risque ainsi de manquer un rendez-vous et dès lors, j'ai le choix soit de passer mon chemin, soit de me mettre en retard. Quelle que soit ma décision, elle sera une décision morale en ce sens que, bonne ou mauvaise, c'est d'un acte humain qu'il s'agit, plus ou moins délibéré c'est vrai, mais volontaire néanmoins, même si ma volonté m'incline le plus souvent à suivre l'impulsion instinctive plutôt que la raison droite.
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Ainsi, il est vrai que l'une des lois de la formation des sociétés volontaires est la *loi de l'attraction des semblables.* Innombrables sont les groupements où l'on voit les hommes se rassembler simplement par contagion, par imitation, ou, ce qui revient au même, parce qu'ils se ressemblent. C'est spontanément que dans une réunion, on voit les hommes se grouper dans un coin et leurs épouses dans un autre, c'est généralement que l'on assiste à la fondation de sociétés de gens qu'unissent une communauté de souvenirs, de culture, de genre de vie, de langue, etc.... Mais dans tous les cas, ce n'est pas une simple attraction physique qui les meut. Même très peu délibéré, c'est un acte humain qui consacre chaque geste personnel tendant à l'association. Que la décision soit conforme ou non à la droite raison, l'homme poussé par son instinct à faire société avec d'autres par la loi de l'attraction des semblables, agit en subordonnant l'inclination biologique à un consentement ou à un refus de nature spirituelle.
Il est une autre grande loi qui pousse les humains à vivre en société, c'est la *loi de l'attraction des complémentaires.* Ici, il faut remarquer que la raison joue un rôle plus éminent que dans les groupes précédemment envisagés. Sans doute, c'est l'instinct de transmettre la vie qui incline l'homme et la femme vers *l'union conjugale.* Mais ce n'est pas cet instinct qui les incline vers la constitution d'une *société* conjugale et familiale. Si l'on considère ce qui se passe chez les animaux, on constate que l'instinct à lui seul est tout à fait incapable de réaliser une telle société ; même chez les oiseaux où le père reste avec la femelle pour donner la becquée aux petits, on ne voit rien qui ressemble à l'admirable unité que la cellule familiale réalise lorsque, par grâce, elle est aussi conforme qu'il est humainement possible au plan divin. C'est seulement la décision volontaire irrévocable de deux époux qui peut constituer un vrai mariage. De même, ce n'est point seulement par instinct, mais par une décision profondément spirituelle dans sa source que les parents élèvent leurs enfants et que s'établit cette complémentarité des plus forts et des plus faibles.
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C'est encore la loi de l'attraction des complémentaires qui incline les familles que rapprochent les relations de voisinage à constituer des cités, des États. Les activités professionnelles des divers groupes sociaux se complètent en même temps que les familles entretiennent des relations parentales et culturelles, et cette intense activité qui traverse, maille par maille tout le réseau de l'organisme social a évidemment pour ressort la volonté d'entraide de tous les membres. Lorsque cette volonté s'affaiblit, les « problèmes sociaux » se multiplient. Ainsi la société politique est une société naturelle enracinée sans doute dans une tradition, mais qui n'atteint sa perfection que dans la mesure où chaque génération découvre et poursuit, avec intelligence et volonté, le bien commun temporel.
Au sein de la société politique, tous les corps de métier sont complémentaires. Les sociétés professionnelles et interprofessionnelles, dans la mesure où elles reposent aussi sur l'attraction des complémentaires, exigent de même une activité d'origine spirituelle pour se constituer et jouer leur rôle dans le corps social.
Enfin, la société des États, fondée sur l'unité d'origine et de fin de la nature humaine, rassemble, elle aussi, des complémentaires. Les obstacles séculaires que les passions humaines dressent pour entraver cette société des États témoignent ici encore du fait qu'une telle société ne peut se réaliser que sur une subordination pratique des passions à la raison, du principe de l'utilité égoïste au principe de la justice internationale.
Ainsi, deux lois sociologiques inclinent à tous moments les sociétés à se constituer, à se maintenir ou à se reconstituer : l'attraction des semblables et l'attraction des complémentaires. Ces deux attractions, dans les sociétés humaines, se présentent non comme des impulsions purement instinctives mais comme des inclinations où le rationnel, enraciné dans le charnel, possède le contrôle légitime. La loi d'attraction des semblables lorsqu'elle joue selon l'ordre de la raison a pour objet de constituer des tissus sociaux sains. La loi d'attraction des complémentaires lorsqu'elle aussi joue selon l'ordre de la raison, a pour objet de constituer les cellules : famille, les organes : corps intermédiaires, l'organisme tout entier, sous l'autorité légitime du pouvoir souverain. Enfin, la formation des tissus et des organes sociaux doit elle aussi se développer selon une loi de subordination :
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les classes sociales sont faites pour se compléter dans la prise de conscience du bien commun, non pour se détruire. Les nations ont aussi pour mission, non de s'exterminer mais de se compléter dans la prise de conscience du bien commun international.
En bref, *toute société volontaire, qu'elle résulte de l'attraction des semblables ou de l'attraction des complémentaires, ne se constitue selon les exigences du droit naturel que dans la mesure où les membres de ces sociétés agissent selon la droite raison et respectent librement dans leur vie personnelle et dans leur vie communautaire, l'ordre universel des subordinations requis par l'ordre social naturel.* Cette loi de subordination entre les hommes, entre les sociétés, ne joue point par l'effet nécessaire de quelque loi physique, mais elle ne peut que résulter de la prise de conscience de sa vocation et de ses devoirs par chacun des membres du corps social, par chaque cellule, par chaque organe, par l'organisme tout entier. C'est dans la mesure où une véritable rectitude de l'intelligence et de la volonté permet à la loi de subordination de jouer à tous les niveaux de la vie sociale que cette vie sociale peut atteindre, dans une saine hiérarchie, toutes les fins qui lui conviennent. Que si au contraire, ce sont les appétits et les passions qui viennent à l'emporter et que ces dernières viennent à lier la volonté et celle-ci à obscurcir l'intelligence, dès lors, c'est la vie sociale tout entière qui se trouve pervertie :
« On *ne saurait, en effet, imaginer peste plus mortelle que la* CONCUPISCENCE DE LA CHAIR, *c'est-à-dire la recherche effrénée du plaisir pour bouleverser non seulement la famille, mais les États-mêmes ; la* CONCUPISCENCE DES YEUX, *c'est-à-dire la soif des richesses, donne naissance à cette lutte acharnée des classes, attachée chacune outre mesure à ses avantages particuliers ;* *quant à* L'ORGUEIL DE LA VIE, *c'est-à-dire la passion de dominer tous les autres, il a en propre d'inciter les partis politiques à des guerres civiles... C'est* (*aussi*) *à ses convoitises déréglées qu'il faut attribuer sans contredit les haines et les conflits qui s'élèvent périodiquement entre les peuples.* » ([^21])
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On sait que le communisme bolchevique, en s'efforçant d'introduire la dialectique, particulièrement dans les sociétés naturelles, ne fait rien d'autre que de subvertir méthodiquement, à tous les niveaux de la vie sociale, les exigences de la loi de subordination. Il introduit le ferment de la contradiction entre époux, entre parents et enfants, entre classes sociales, entre peuples riches et peuples pauvres, en exaspérant et en survoltant les passions de l'envie, de la jalousie, en attisant systématiquement le sentiment de révolte. Ce faisant, c'est d'abord et essentiellement à la vie morale de l'homme qu'il porte atteinte. Plus profondément, c'est à sa vie spirituelle tout entière qu'il s'attaque, car non seulement il cherche à libérer le plus de haine possible dans le monde, mais encore, il le fait en s'efforçant de légitimer, aux yeux de la raison, le bien fondé de cette haine même. Il exploite les injustices pour donner un semblant de justification à des injustices plus grandes.
On ne saurait vérifier expérimentalement, de façon plus manifeste le caractère *moral* de cette seconde loi sociologique fondamentale. C'est en travaillant à pervertir le sens moral des sociétés que le marxisme-léninisme s'efforce de disloquer par l'intérieur toutes les sociétés naturelles en vue de finalement rendre inintelligible, pour les générations à venir, la loi de subordination qui doit régler le développement de l'ordre social.
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SUR CES DEUX LOIS sociologiques, on peut vérifier le caractère essentiellement *moral* des constantes qu'elles décrivent. Nous poursuivrons cette illustration dans un prochain article. D'ores et déjà, on peut constater que les deux lois de finalité et de subordination qui viennent d'être exposées sont de véritables lois sociologiques, valables universellement, dérivant de la nature morale de l'homme et établissant en définitive que l'ordre ou le désordre social, ne sont, dans les cas envisagés, rien d'autre que les conséquences du respect ou du mépris de la loi divine.
Marcel CLÉMENT.
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### Le triple refus qui est à droite (II)
POURSUIVANT NOTRE « analyse de laboratoire » sur le cas des *Libertés françaises,* qui présentent à l'état pur, et rigoureusement systématique, les trois refus fondamentaux que l'on trouve sous une forme plus diffuse dans d'autres milieux de la droite française, -- et qui sont la cause de son anachronisme relatif et de sa partielle paralysie, -- il nous reste à examiner :
-- le refus de l'attitude catholique à l'égard de l'Europe, et plus généralement de la communauté internationale ;
-- le refus de l'attitude catholique à l'égard du « politique d'abord ».
A l'égard de l'Europe\
et de la communauté internationale.
La collection des *Libertés françaises* offre mainte page où il est parlé du « Boche » (*sic*) dans le style de 1916. L'observateur superficiel hausse les épaules et passe outre. C'est pourtant beaucoup plus qu'un phénomène anachronique : la manifestation d'un état d'esprit sur lequel M. Pierre Gaxotte écrivit naguère quelques pages savoureuses. État d'esprit de ceux qui ne veulent la réconciliation de la France avec l'Allemagne ni quand elle est victorieuse, ni quand elle est vaincue. Quand l'Allemagne a été victorieuse, il faut préparer la revanche. Quand elle a été vaincue, il faut en profiter pour pousser son avantage et l'écraser complètement. Et tous ceux qui n'en tombent point d'accord sont dénoncés comme des « malfaisants », voire des « traîtres ».
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L'Allemagne est appelée « l'ennemi numéro un » et « le chien enragé de l'Europe » : ces dénominations, qui ont pu naguère correspondre plus ou moins à certaines situations historiques, sont transformées en principes permanents de la politique nationale par la scolastique décadente et psittaciste qui revendique l'héritage de l'école maurrassienne ([^22]).
Plus généralement, l'attitude des *Libertés françaises* à l'égard de l'Europe, et plus généralement encore, son attitude à l'égard de la communauté internationale nous paraissent contraires aux enseignements et aux orientations les plus explicites de l'Église catholique.
C'est ici que le *nationalisme* est mis à l'épreuve. A l'issue des débats de philosophie politique qui sont recueillis dans le livre de Marcel Clément : *Enquête sur le nationalisme* ([^23]), il reste qu'on peut concevoir en théorie un « nationalisme » accordé à la doctrine catholique : nous l'avons dit ([^24]).
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De savants et pieux Bénédictins, entre autres travaux plus religieux et fort opportuns, apportent dans les *Nouvelles de Chrétienté,* à la défense des idées politiques de Charles Maurras une ardeur que l'on peut trouver parfois excessive ou insuffisamment critique et qui, pour être prudente et enveloppée dans la forme, n'en est pas moins exclusive et jalouse à l'occasion. Dans le cadre de cette préoccupation, ils exposaient récemment qu'il faut avoir un « sain nationalisme » : sage terminologie, qui mériterait peut-être de figurer dans une Encyclique ([^25]). Mais enfin, quoi qu'il en soit des débats théoriques, dont certains ont tort de sous-estimer l'importance, voici le test, voici l'épreuve, dans le concret : les diverses formes de « nationalisme » se jugent elles-mêmes, par l'attitude qu'elles adoptent à l'égard de l'Europe et à l'égard de la communauté internationale.
\*\*\*
En effet, tous ceux qui, par « nationalisme », s'opposent radicalement à l'édification de l'Europe et à l'organisation de la communauté internationale, devraient s'apercevoir qu'en cela ils ne sont pas en accord avec l'Église.
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L'Europe « des traités », en voie d'édification, comporte des risques et des insuffisances : le Saint Père lui-même l'a explicitement noté. Mais, à la différence de ce « nationalisme » qui en tire argument pour une attitude négative d'opposition et de combat, il recommande une attitude positive de présence, de collaboration, de rectification, de complément ([^26]).
De même, concernant l'O.N.U., le Souverain Pontife a eu l'occasion d'en marquer les faiblesses et même les injustices, avec une discrétion qui n'excluait par la netteté. Mais, à la différence de ce « nationalisme » qui en tire argument pour ridiculiser et pour disqualifier toute tentative d'INSTITUTIONS INTERNATIONALES, Pie XII définit comme *une stricte obligation,* encore dans son dernier Message de Noël, le développement de telles institutions :
« La loi divine de l'harmonie dans le monde impose strictement à tous les gouvernants l'obligation d'empêcher la guerre par des institutions internationales capables de placer les armements sous une surveillance efficace et d'effrayer par la solidarité assurée entre les nations qui veulent sincèrement la paix celui qui voudrait la troubler. »
Si donc il existe un « nationalisme » qui soit « sain » au regard des exigences chrétiennes et de l'enseignement catholique, on trouve ici un test de sa « santé ». Un test très pratique, très concret, qui permet à chacun de procéder lui-même à une vérification décisive.
Un « sain nationalisme » ne s'aveugle certes pas sur les imperfections, les insuffisances et les risques de « l'Europe des traités » : mais il en voit aussi tout l'utile et tout le nécessaire, il collabore à cette difficile et lente édification, dans un esprit de critique constructive, et selon les orientations -- et les appels insistants et pathétiques -- du Vicaire de Jésus-Christ.
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Ces orientations, ces appels ne font point partie du « dogme » ? Leur degré d'autorité, leur caractère obligatoire pour un catholique n'est pas le même que, par exemple, celui des enseignements concernant la Présence réelle ? Sans doute. L'opposition radicale du « nationalisme » à l'Europe n'est pas une hérésie dogmatique. L'Église n'a pas déclaré « anathèmes » ceux qui mènent une telle opposition. Les recommandations du Saint-Père sont, en un tel domaine, plus ou moins insistantes, plus ou moins impératives : *mais elles ne sont pas nulles.* Elles ne sont pas non plus un *encouragement à faire le contraire de ce qu'elle préconisent.* Il est extraordinairement abusif de croire -- ou d'agir comme si l'on croyait -- que le Pape, quand il n'engage pas son infaillibilité, parle en somme pour ne rien dire, et que l'on peut n'en tenir aucun compte.
L'infaillibilité du Souverain Pontife est une chose ; son droit de commander aux catholiques en est une seconde, qui n'est pas limitée par les frontières de la première.
Sans entrer dans une discussion théologique sur le degré d' « obligation », nous nous contenterons de remarquer que lorsque le Souverain Pontife dit -- comme dans le texte cité ci-dessus : « la *loi divine impose strictement l'obligation...* », cela ne ressemble tout de même pas à une parole en l'air, ni à une « opinion probable ».
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Car ces orientations pratiques concernant l'Europe et la communauté internationale ne relèvent pas seulement d'une opportunité prudente et circonstancielle. Elles relèvent aussi d'une *doctrine,* que le « nationalisme » méconnaît, sous-estime, ou parfois ignore totalement : *la doctrine catholique de la communauté internationale.*
Dans le Message de Noël 1954, Pie XII rejetait sans aucune atténuation verbale la « politique nationaliste » et « l'État nationaliste » : on a beaucoup discuté la portée littérale et doctrinale de ces phrases ([^27]) ; je n'y reviens pas. Mais je remarque que le même Message parlait très clairement du « *bien commun qui devrait rassembler les divers États dans l'unité* », le bien commun de la « *famille humaine* ».
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Dans la mesure où il méconnaît, rejette ou ignore le bien commun international -- au profit du seul bien commun national -- le nationalisme se trompe. Dans la mesure où le nationalisme défend *en priorité absolue* et *inconditionnelle* les seuls intérêt nationaux, le nationalisme a tort, car il est des cas où le bien commun international exige, comme le rappelle Pie XII dans son dernier Message de Noël, que l'on « *sacrifie mutuellement des aspirations particulières légitimes* ».
Il ne peut y avoir de « sain nationalisme » dans la négation ou dans l'absence du bien commun international. Et nous sommes là sur un plan doctrinal, où l' « obligation » est certaine, où le doute n'est pas possible. Ce qui ne veut pas dire, comme certains nationalistes feignent de l'entendre, pour pouvoir mener un grand tapage indigné qui fasse diversion, que les nationalistes sont « *condamnés* » : cela veut dire que les nationalistes sont *invités,* mais de façon pressante et impérative, à voir ce qui leur manque, à compléter leurs positions, à les situer à leur place dans une hiérarchie totale qui les rectifie, les limite -- et les sauve.
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Ces considérations doivent évidemment conduire à rectifier et compléter *soit* le nationalisme de Charles Maurras, *soit* ce qu'il est devenu, dans l'état où nous le présente aujourd'hui l'école du psittacisme maurrassien : entre les deux, il y a sans doute quelque différence, ce n'est pas notre propos ni notre affaire, cela regarde les maurrassiens. Ce que j'ai personnellement à dire sur cette différence -- sur la manière dont des observations empiriques et circonstancielles ont été figées en une scolastique dogmatique -- je le dirai peut-être un jour, mais certainement beaucoup plus tard. Pour le moment, il appartient aux diverses écoles maurrassiennes de prendre leurs responsabilités intellectuelles et morales, je ne puis aucunement le faire à leur place. Il leur appartient de se rappeler que « la vraie tradition est *critique* », sans quoi « le passé ne sert plus à rien, ses réussites cessant d'être des exemples, ses revers d'être des leçons » ([^28]).
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Une tradition maurrassienne peut *survivre* dans la politique française, si elle est *vivante ;* si elle sait que « dans toute tradition comme dans tout héritage, un être raisonnable fait et doit faire la défalcation du passif » ([^29]) ; et que « la tradition n'est pas l'inertie, son contraire » ([^30]). Elle peut survivre, ce qui veut dire *vivre,* si elle regarde en face les problèmes que lui pose la nécessité de transformations et de compléments inspirés par la doctrine catholique, -- laquelle a été considérablement *explicitée par Pie XII* sur diverses questions temporelles où elle n'était encore, parfois, qu'implicite, et c'est une grande chance, et une grande grâce. Mais je répète que cela est l'affaire des écoles maurrassiennes et non la mienne.
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Quand le « nationalisme » nous dit : « *La nation passe avant tous les groupes de la nation,* *la défense du tout s'impose aux parties* » ([^31]), nous en sommes évidemment d'accord (nous doutons simplement qu'il soit indispensable de donner à une telle vérité le nom de *nationalisme,* qui comporte tant d'équivoques). Quand le « nationalisme » ajoute : « *La nation est le plus vaste des cercles communautaires qui soient, au temporel, solides et complets* » ([^32]), cela commence à faire question. Cela ne fait plus question du tout quand, supprimant « solides et complets », on passe de cette expression nuancée à celle-ci : *La nation est le plus vaste des cercles communautaires au temporel.* Car l'école du psittacisme maurrassien laisse volontiers tomber les nuances, et même son psittacisme est sommaire et partiel.
Et quand le « nationalisme » prend pour règle littérale et absolue ces deux phrases (qui furent peut-être énoncées en un sens relatif et circonstanciel) :
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« *La nation occupe le sommet de la hiérarchie des idées politiques. De ces fortes réalités, c'est la plus forte, voilà tout* » ([^33]),
alors on comprend pourquoi et comment un tel nationalisme se trouve en désaccord de principe avec la doctrine catholique du bien commun international, et en désaccord pratique avec les recommandations pontificales concernant l'unité européenne.
\*\*\*
Le Prétendant que la revue *Les Libertés françaises* veut porter sur le trône de France a, sur le nationalisme maurrassien, un jugement beaucoup plus radical et beaucoup plus sévère que le nôtre.
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Le Comte de Paris disait à Maurras, et il a lui-même rappelé ce propos en septembre dernier, car il l'estime toujours exact :
« *En intégrant la monarchie au nationalisme, qui est d'origine jacobine, vous avez fait naître une équivoque qu'il est indispensable de dissiper.* »
Nous ne croyons pas, pour notre part, que le nationalisme maurrassien soit « d'origine jacobine » ([^34]). Nous remarquons qu'en tous cas le terme de *nationalisme,* qui a un usage péjoratif dans l'Église catholique, est tout autant ou davantage discrédité dans l'esprit du Prétendant dont se réclame l'école du psittacisme maurrassien.
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Si bien que, lorsque nous venons *constater* ce discrédit d'un mot, -- sans rien ajouter ou retrancher à ce discrédit, mais en prenant simplement la mesure d'un fait manifeste, -- les invectives dont on nous couvre s'adressent, en réalité, à d'autres qu'à nous. C'est, si l'on peut dire, de l'insulte par procuration. C'est aussi une tactique, pour faire croire que j'aurais méchamment inventé ce discrédit, et pour en cacher la réalité à un public que l'on espère naïvement pouvoir toujours conserver en vase clos, dans l'ignorance de ce qui se passe en France, et dans le monde, et dans l'Église.
Car, selon une pratique assez courante dans l'école du psittacisme maurrassien, un silence total a été fait sur les déclarations du Comte de Paris en septembre 1957. Ce qui est gênant pour « l'inlassable répétition d'un formulaire stéréotypé » ([^35]), on le tait. L'autruche cache sa tête sous ses pieds ([^36]). Se réclamant à la fois de Pie XII et du Comte de Paris, l'école du psittacisme maurrassien défend un nationalisme qui contredit simultanément Pie XII et le Comte de Paris. Et plutôt que d'entreprendre, par une révision doctrinale, un effort pour clarifier une telle situation, elle se satisfait d'en dissimuler à ses adeptes la réalité.
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Que l'école du psittacisme maurrassien reproduise les déclarations de son Prétendant, *sauf* celles qui CONCERNENT LE NATIONALISME, cela n'a *pour nous* qu'une valeur anecdotique, notée au passage, pour donner au lecteur une occasion de sourire : de telles occasions ne sont malheureusement pas trop fréquentes en la matière.
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Mais le même boisseau recouvre d'autres déclarations, celles du Pape. Des catholiques (et même des prêtres), parfaitement honorables et de bonne volonté, mais qui font aux organes du psittacisme maurrassien une confiance trop peu critique, sont tenus dans l'ignorance des paroles du Saint Père. Certains d'entre eux ont tout de même entendu parler d'enseignements pontificaux sur la démocratie, sur l'Europe, sur la communauté internationale (et sur le « politique d'abord », nous allons y venir) : vague connaissance par ouï-dire, qui risquait de mettre leur curiosité en éveil. L'école du psittacisme maurrassien a pourvu à ce risque, et c'est la raison fondamentale de sa campagne de diffamations, menée avec une grande violence dans ses publications, et avec une violence encore plus extrême de bouche à oreille, dans ses organisations, ses cercles, ses conférences. Elle répand que tous ces enseignements pontificaux *n'existent pas,* que ce sont des INVENTIONS ou des DÉFORMATIONS forgées par Madiran, par Marcel Clément ou même par Fabrègues ([^37]). L'école du psittacisme maurrassien, parce qu'elle refuse de seulement envisager sa propre réforme intellectuelle, en est réduite à ces diversions.
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Le boisseau de la droite\
et celui de la gauche.
Les attaques que nous subissons, ici encore, sont en quelque sorte des attaques par procuration. Et c'est pourquoi nous les tenons pour un honneur. Mais il ne s'agit que très secondairement de nos personnes. Il s'agit d'une partie du public catholique, qui est trompée, au moins par omission. Il s'agit d'un obstacle à l'unité catholique à laquelle tous les catholiques français sont appelés. Il s'agit d'un abus d'influence et d'un détournement, qui sépare de la communauté catholique une partie des catholiques.
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Une certaine gauche a utilisé les mêmes pratiques : l'analogie est frappante. Les paroles du Pape sur le communisme et sur la socialisation y ont été tenues sous le boisseau. Ceux qui les rappelaient, et nous fûmes du nombre, ont été représentés comme des « *intégristes* », qui MAJORAIENT l'enseignement pontifical, qui le DÉFORMAIENT ou qui l'INVENTAIENT, mus par les bas motifs d'une canaillerie politique.
Quand nous portons témoignage de l'enseignement pontifical sur la démocratie chrétienne, sur la communauté internationale (et sur le « politique d'abord », j'y viens), on nous présente comme des « *progressistes* », on répand que nous avons adhéré à l'extrême-gauche *d'Esprit* et de *Témoignage chrétien,* et que, pour ces bas motifs de canaillerie politique, nous MAJORONS, nous DÉFORMONS, nous INVENTONS.
Bien sûr : le témoignage que nous portons est imparfait. Nous sommes les premiers à le dire et nous en sommes convaincus. Nous en sommes *beaucoup plus convaincus* que nos diffamateurs de droite ou de gauche, car ce qui les heurte, ce n'est pas l'imperfection de notre témoignage, *c'est la vérité qu'il contient.*
Contre le témoignage qu'autant qu'il est en nous, nous rendons à la vérité, ils en sont venus à inventer, et à tenter de faire croire, que *peu nous importe vérité ou erreur.* Ils en sont là.
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A l'égard du « politique d'abord ».
Sur le fameux « politique d'abord » et sur son interprétation, il a coulé beaucoup d'encre, mais c'est bien naturel, et l'on aurait tort de n'y voir que vains débats : car c'est une porte ouverte sur les plus profondes et les plus décisives réflexions concernant notre condition temporelle. Ce sont des discussions cycliques, des méditations d'extension presque infinie, où des nuances, des différences d'accent, sont possibles et même normales.
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Si l'on rassemblait tous les emplois que Charles Maurras a pu faire de la formule *politique d'abord,* on y trouverait, dans des contextes divers, pour des occasions changeantes, bien des significations plus ou moins variables.
« Politique d'abord » signifie premièrement une priorité relative du « politique » sur le « militaire » et sur l' « économique ». Cela n'est point l'objet de notre contestation ([^38]). Mais le « politique d'abord » est devenu davantage, pour signifier alors :
1. -- une constante priorité d'urgence du « politique » sur le « moral » : priorité du moyen (politique) sur la fin (morale) ; *l'action politique protège la vie religieuse *;
2. -- spécialement, une priorité de la réforme politique (changement de régime) sur la restauration morale (réforme des mœurs), la seconde étant rendue possible, ou même *causée* par la première.
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On va jusqu'à dire que « le fait social en tant que tel est impersonnel, donc amoral » ([^39]). Cette dernière position soustrait totalement à la morale une « physique sociale » uniquement spéculative ([^40]).
Mais l'action politique, considérée comme un « art » éclairé par la connaissance des lois de la physique sociale, reste soumise à la morale, même pour l'école du psittacisme maurrassien : « Les fins prochaines sont ordonnées à la fin dernière ; l'action politique, directement ordonnée au bien temporel de la nation, vise indirectement au bien spirituel, sainteté personnelle des Limes, etc. » ([^41]). Si bien que « l'exercice des règles de l'art politique est subordonné à la morale » ([^42]).
Dans une telle perspective, la politique est le moyen et la morale est le but : la morale entendue au sens le plus large, c'est-à-dire « la religion », « pour les incroyants la civilisation », et « la société », qui, « dans ses traits les plus généraux, exprime un ordre d'idées et d'intérêts plus vaste que l'ordre strictement national » ([^43]).
La morale étant le but, la politique étant le moyen, on applique l' « aphorisme » de saint Thomas : « *Finis est prior in intentione, sed est posterior in executione* ». (« Le but est premier dans l'ordre de l'intention, mais il est dernier dans l'ordre de l'exécution »). Donc, dans l'ordre d'urgence : politique d'abord.
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Cette logique linéaire n'est qu'apparemment rigoureuse. Car, comme l'a remarqué Marcel Clément à ce propos, les hommes et leur valeur morale et leur sainteté ne sont pas *seulement le but* de la vie politique, ils en sont aussi *l'agent :* présents DÈS LE DIÉBUT DE TOUTE ACTION. Présents avec leur être et leur manque d'être. Présents et actifs *selon* leur être. Présents avec tout ce qu'ils peuvent avoir ou n'avoir pas de sainteté, de grâce, de bonne volonté, d'espérance.
C'est pourquoi :
1. -- L'ACTION POLITIQUE, à sa manière politique, PROTÈGE LA MORALE ET LA RELIGION ; *mais* inversement, LA RELIGION ET LA MORALE PROTÈGENT simultanément -- à leur manière religieuse et morale -- L'ACTION POLITIQUE. Ces deux points de vue inverses, que l'on oppose parfois, ne sont pas opposés et ne s'excluent pas, ils sont vrais *en même temps* et *sous un rapport différent.*
Si l'on croit, unilatéralement et exclusivement, que *l'action politique protège la morale et la religion,* en oubliant que l'inverse est vrai simultanément, on méconnaît les réalités religieuses, et l'on glisse vers un « naturalisme ».
Si l'on croit seulement que *la religion et la morale protègent l'action politique,* en négligeant la réalité inverse, on risque de tomber dans cette méconnaissance des réalités politiques que l'on nomme ordinairement le « moralisme ».
2. -- Entre la réforme des institutions politiques et la réforme des mœurs, il n'y a pas un ordre de succession temporelle et de causalité à sens unique. Il y a au contraire connexion organique et inter-causalité réciproque.
Dans cette inter-causalité réciproque et cette connexion organique, il faut pourtant, dira-t-on, « commencer par un bout » et considérer un « ordre d'urgence ». Je ne dis pas le contraire. Mais nous ne sommes pas au commencement. Nous ne sommes pas en train de tracer à la charrue, dans un champ vide, le sillon qui sera le pourtour de la cité à fonder. Nous ne sommes pas au début, et précisément il s'agit de réformer, et de restaurer (*instaurare*)*,* non de construire sur une table rase.
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Quand même nous disons que chacun doit commencer par soi (réforme morale), cela, qui est très vrai, est relatif pourtant : nos devoirs d'état n'en sont pas suspendus ou remis à l'année suivante. C'est *dans* (et non *avant*) l'accomplissement de nos tâches ordinaires que nous introduisons un souci nouveau, une conversion permanente : et ce n'est pas un commencement, car le commencement est au baptême. Il n'y a pas un « ordre d'urgence » fixe avec une étape n° 1 qui rejetterait *ensuite* l'étape n° 2. Il n'y a pas un « préalable » constant, il n'existe que des préalables variables et occasionnels.
L' « ordre d'urgence » pour la réforme de la société française, c'est-à-dire pour *la restaurer dans le Christ,* n'est pas un « politique d'abord » immuable. L'urgence la plus grande peut varier chaque jour selon les possibilités, les circonstances, les occasions. Elle varie en outre (et ce point surtout a été trop constamment oublié) selon l'état et la *vocation* de chacun. Tout le monde -- dans une démocratie plus encore -- a des devoirs politiques : mais ils ne sont pas toujours les mêmes, ils ne sont ni aussi urgents ni aussi importants pour tout le monde. Et en outre, l'accomplissement plus exact de ces devoirs politiques *fait partie* de la « réforme des mœurs ».
Le moine, le soldat, le chef d'entreprise, l'ouvrier, le paysan, le poète, l'évêque ont tous une relation au bien commun, et des devoirs politiques, mais qui ne sont ni indistinctement les mêmes, ni aussi urgents pour chacun d'eux. Et s'il peut arriver qu'un « politique d'abord » s'impose véritablement, dans une circonstance donnée, à l'un d'Entre eux, ce n'est jamais qu'un cas particulier et qu'une urgence provisoire. Ce qui arrive le plus ordinairement, c'est que tout se fasse en même temps, par la diversité des individus, de leurs états et de leurs vocations.
Faire du « politique d'abord » une urgence permanente, c'est bloquer la vie sociale et morale, la civilisation et la sainteté dans la situation de *but* (à atteindre ou à défendre par le moyen politique), c'est les bloquer dans un rôle mal entendu de *cause finale,* rejetée *après, --* comme si la cause finale n'était pas *causa causarum *; c'est supprimer la simultanéité des diverses causes.
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Et non seulement leur simultanéité. Mais plus encore : car les causes peuvent changer de fonction selon le rapport où elles sont envisagées. La vie sociale et morale, la civilisation et la sainteté sont bien *causes finales* sous un rapport ; sous un autre, elles sont *causes efficientes,* elles sont *causes formelles,* il peut même arriver qu'elles soient *causes matérielles.* L'homme et sa valeur morale et sa sainteté sont le but de la vie sociale, bien sûr ; mais ils en sont aussi l'agent ; et aussi la forme ; ils peuvent même en être la matière : sous un rapport différent ([^44]).
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Pour cette raison, le « politique d'abord » érigé en principe permanent mutile la philosophie naturelle.
Quand il est proposé indistinctement à tous les citoyens, sans tenir compte de la diversité des états et des vocations, et sans situer l'action politique comme *intérieure* à la « réforme des mœurs », il incline à une politisation totalitaire des consciences.
S'il est pratiqué de manière constante -- même en spécifiant qu'il s'agit d'un priorité d'urgence -- il blesse la communauté catholique : il conduit en effet à *donner le pas,* fût-ce « provisoirement », à *l'action politique et aux divisions politiques sur l'unité religieuse.* Je ne fais pas là une hypothèse : je constate une réalité, vérifiable quotidiennement.
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Ce « politique d'abord » formulé et pratiqué à droite est *aussi* pratiqué à gauche, sans y être formulé ([^45]) : et avec les mêmes conséquences pratiques, blessant la communauté catholique, la dévalorisant, la rejetant dans un avenir qui ne viendra *qu'après* la réalisation préalable d'un dessein politique et d'une réforme des structures.
Le positivisme sociologique commun à la « physique sociale » de la droite et à la « dynamique sociale » de la gauche ([^46]) sous-tend et suscite, à droite et à gauche, la pratique d'un « politique d'abord », avoué ou inavoué, qui relève de la même erreur logique, qui inspire la même erreur pratique, et qui anesthésie la conscience chrétienne de la même façon. La communauté catholique est assaillie et blessée des deux côtés à la fois, en *cela* identiquement, -- tandis que la volonté de la servir demeure réelle, différente et dissymétrique sous les autres rapports, diversement éclairée ou obscurcie, mais ce serait un autre propos.
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-- *Quand on voit un homme qui se noie, on ne pense qu'a le tirer hors de l'eau, ce qui ne veut pas dire que l'on mette le salut de son corps au-dessus du salut de son âme. Ainsi Mourras devant le corps de la France si souvent mis en péril par une politique incohérente.*
J'entends bien ce propos d'un maurrassien éminent. J'en suis d'accord. Et c'est justement POUR CETTE RAISON que je récuse le « politique d'abord » : celui-ci en effet ne peut être acceptable, quand il l'est, *que* dans les limites de cette métaphore, et à y regarder de près ce sont des limites fort étroites.
On peut *ne penser qu'à* tirer de l'eau un homme qui se noie, pendant trois minutes, trois heures ou une journée, sans avoir le loisir de songer au salut de son âme : *mais on ne peut passer sa vie entière uniquement à cela.* On ne peut pas inviter toute une génération, et même plusieurs, à *ne penser qu'à.*
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La « priorité d'urgence », quand il s'agit d'une urgence politique telle qu'elle n'est jamais remplie, qu'il faut encore et toujours y pourvoir, que le moment ne vient pas encore, après un demi-siècle et plus, de passer enfin à l'urgence numéro 2, -- cette priorité d'urgence devient EN FAIT l'équivalent d'une primauté absolue. Une « urgence » qui requiert et accapare en priorité toute une vie d'homme, et qui demeure toujours prioritaire, pendant plusieurs générations, prend, non en théorie, mais en pratique, une prééminence exclusive. On du moins elle y tend (car les âmes résistent, même sans le savoir, même inconsciemment ou obscurément). On s'occupera du reste *après,* selon l' « ordre d'urgence » : mais c'est un *après* qui ne vient jamais, et le présent est livré à une politisation croissante des consciences.
Dans cette remarque, je trouve l'indication *a posteriori* que l'on avait donc dû se tromper en fixant l' « ordre d'urgence », ou en lui conférant un caractère rigoureux et permanent.
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Sur ces matières, l'œuvre de Pie XII a considérablement explicité la doctrine de l'Église (pourtant déjà nette, dans ce domaine, chez Léon XIII, chez saint Pie X et chez Pie XI), et il est bien regrettable que l'on se prive de connaître et de méditer ces enseignements.
Le Saint Père constate *l'échec de la démocratie moderne *: échec qui n'est pas du tout celui que croit et que dit l'école du psittacisme maurrassien. Ce n'est point « la démocratie » qui serait en elle-même impraticable ou hérétique, qui serait « le mal et la mort ». Ce n'est point non plus parce qu'elle serait contraire aux lois d'une « physique sociale ». C'est une erreur, c'est « *un faux réalisme* », dit Pie XII, de croire que les « insuffisances » de l' « actuelle structure démocratique » se réduiraient à « de simples défauts d'institutions », et que ces défauts eux-mêmes auraient pour cause « une connaissance encore défectueuse des processus naturels du fonctionnement complexe de la machine sociale » ([^47]).
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Non, le défaut majeur de l' « actuelle structure démocratique » n'est pas de méconnaître une *physique sociale,* ou d'y contredire. Et le remède aux déficiences catastrophiques de cette « actuelle structure démocratique » n'est nullement un *politique d'abord* qui aurait pour fonction d'appliquer en priorité les lois d'une « physique sociale ». Ce ne sont pas les institutions *qu'aujourd'hui* il faut (ou qu'on peut) réformer *d'abord :* dans la situation actuelle, cette réforme institutionnelle peut assurément paraître urgente, et sans doute elle l'est : mais, précise le Souverain Pontife, « *la réforme des institutions n'est pas aussi urgente que celle des mœurs* ».
Voilà l'une des paroles du Pape qui, pour l'école du psittacisme maurrassien, NE DOIT ÊTRE ENTENDUE A AUCUN PRIX. Le barrage, le silence sont absolus. Celui qui la cite, la reproduit, la commente, est assailli par des injures qui ont pour but principal, je le demande, de l'injurier, ou de couvrir sa voix ?
\*\*\*
En nous appelant à Lourdes, en cette année mariale, le Saint Père a souligné « *l'insistance* » avec laquelle lui-même et ses prédécesseurs ont enseigné que « *la question de la paix sociale et politique est* D'ABORD *en l'homme une question morale* » ([^48]).
Tous les « politique d'abord » de droite et de gauche, implicites ou explicites, sont ligués contre un tel enseignement.
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La droite française n'est pas tout entière formée au dogmatisme rigide de la *physique sociale* et du *politique d'abord* qu'enseigne l'actuel psittacisme maurrassien. Mais, d'une manière moins systématique, plus diffuse, une grande partie de la droite (et une grande partie de la gauche) participe en quelque manière à ce « faux réalisme ».
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Le « politique d'abord », elle le pratique assez souvent, et même quelquefois l'énonce. Elle en est à un certain degré prisonnière. Elle n'aperçoit pas que nos *maux politiques* (bien visibles) n'ont ni tous ni toujours des *causes politiques *: les plus graves sont des CONSÉQUENCES, DANS LE DOMAINE POLITIQUE, DE CAUSES QUI SE SITUENT PLUS HAUT, dans l'ordre intellectuel et moral, dans l'ordre spirituel. L'axiome si simple : « à maux politiques, remèdes politiques » ([^49]) se révèle plus d'une fois simpliste, -- et en outre, inapplicable, comme on peut le constater : depuis le temps qu'on nous prépare, qu'on nous prêche et qu'on s'efforce de nous administrer des remèdes « d'abord politiques », nos malheurs politiques n'ont fait que croître. On s'attaque aux conséquences politiques en négligeant les causes spirituelles. Et, bien sûr, l'on n'aboutit à rien. Cela aussi est une indication : les doctrinaires qu'elle contredit, au lieu d'entrer en fureur, feraient bien de corriger leurs doctrines d'après les mesures et les leçons du réel. Et les praticiens de la politique n'ont rien à perdre, mais tout à gagner, à comprendre que la pratique de la politique n'est pas extérieure à la réforme des mœurs.
La France est menacée jusque dans son unité politique : mais où avez-vous pris que la politique serait l'instrument premier ou unique de cette unité ?
61:23
Le général Weygand, qui n'est pas un rêveur, ni suspect de « surnaturalisme excessif », le général Weygand, qui est un chef de guerre, et quel chef ! qui a commandé dans les circonstances les plus diverses et qui a exercé toutes les vertus de l'action, rappelle aux Français que « *l'unité de la France est en réalité un bienfait d'ordre* SPIRITUEL *dont il convient de rendre grâces à Dieu plutôt qu'aux hommes* ». Et la plus récente Déclaration des Cardinaux et Archevêques ([^50]) nous enseigne : « *Le retour à Dieu, qui est l'essentiel du message de Lourdes, s'impose comme le remède nécessaire au mal profond de notre société.* » Quand le spirituel se défait, le politique s'écroule, et l'unité politique se dissocie. Le cataplasme du « politique d'abord » sur la jambe de bois de la « physique sociale » n'y fera rien, -- que détourner des catholiques dans une impasse.
\*\*\*
LES CHEFS RESPONSABLES des publications et des organisations du psittacisme maurrassien peuvent continuer à déchaîner contre nous les représailles d'une fureur qui peut-être les possède, -- ou d'une fureur feinte qui a l'avantage tactique d'une diversion. Ils peuvent redoubler d'injures et multiplier les forgeries. Ils peuvent s'essayer à nous porter des coups que d'ailleurs nous ne leur rendons jamais : c'est bien facile. Nous craignons qu'ils n'aient pas le fier courage de déclarer brusquement : « Vous devez avoir raison, au moins par quelque côté : nous mettons à l'étude cette réforme intellectuelle de nos doctrines, de nos méthodes, de nos attitudes, de notre comportement, qui est d'ailleurs une exigence permanente du christianisme, et qui n'est jamais suffisamment remplie. » Nous ne leur en demandons pas tant. Nous ne leur demandons pas ce qui serait pour eux perdre la face, -- croiraient-ils, et à tort. Mais derrière leurs attaques quasiment incessantes, peut-être, sans rien dire, auront-ils le sentiment qu'il convient effectivement de réviser quelque chose dans leur pensée et dans leur attitude.
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Peut-être mettront-ils cette révision en chantier. Peut-être y aura-t-il, imperceptiblement d'abord, quelque chose de changé. Peut-être, tout en continuant à insulter le témoignage que nous avons dû porter, bien imparfaitement, mais sans faiblesse, car la faiblesse n'est plus possible, peut-être en tireront-ils l'amorce d'un renouveau.
Ce sera soit un éclatement soit une renaissance de leur école maurrassienne, et peu nous importe. Ce sera une libération pour la droite française, jetant par-dessus bord le poids mort qui l'écrase, et cela est déjà plus important. Ce sera une contribution, aux conséquences incalculables, apportée à l'unité catholique, à la restauration chrétienne, *omnia instaurare in Christo,* et par surcroît, mais certainement, au salut de la Patrie : et pour payer cela, les insultes qu'il faut recevoir, les diffamations qu'il faut traverser auront été un prix bien léger.
Jean MADIRAN.
On n'oppose pas à l'autorité du Pape celle d'autres personnes, si doctes soient-elles, qui diffèrent d'avis avec le Pape. D'ailleurs, quelle que soit leur science, la sainteté leur fait défaut, car il ne saurait y avoir de sainteté là où il y a dissentiment avec le Pape.
Saint PIE X, 2 décembre 1912.
63:23
### NOTES CRITIQUES
### Débat sur le catéchisme.
La *Nouvelle revue théologique,* publiée à Louvain sous la direction du Collège philosophique et théologique de la Société de Jésus, contient dans son numéro de janvier un important article du P. Delcuve : « Le mouvement catéchistique en France ». Cette étude est implicitement, et souvent explicitement, une réponse aux trois articles de Mgr Lusseau parus dans la *Revue des cercles d'études d'Angers* ([^51]). Jusqu'ici les observations de Mgr Lusseau, traitées avec impatience par beaucoup de publications, n'avaient fait l'objet d'aucune tentative de réfutation : on s'était contenté de lancer à leur adresse des allusions cursives, assez insidieusement polémiques et même malveillantes. Il est bon qu'un point de vue différent, et opposé, s'exprime enfin dans toute son ampleur doctrinale.
\*\*\*
Dans la controverse le P. Delcuve se donne, d'ailleurs avec beaucoup de discrétion, quelques commodités polémiques assez arbitraires, qui risquent d'affaiblir l'exposé de sa thèse plutôt que de le renforcer.
Il n'était pas indispensable d'écrire que les oppositions qui se manifestèrent à l'égard du catéchisme progressif venaient « surtout des intégristes ». Ou bien cette affirmation est inexacte, ou bien elle emploie *intégriste* en un sens fantaisiste, n'ayant que peu de rapports avec la définition précise qui lui a été donnée en 1957 par Le Rapport doctrinal de l'Épiscopat français. Il n'était pas non plus indispensable d'affirmer que les opposants « englobaient dans leur réprobation tout l'effort catéchétique si prometteur » : cela s'est produit, il ne nous semble pas que ce fut la règle constante ni la plus fréquente.
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Le P. Delcuve note encore que « l'affaire du catéchisme, comme on dit, a causé un malaise dans les milieux intéressés à la formation religieuse ». Il désigne par « *affaire du catéchisme* » les mesures de rectification et l'écho qu'elles ont soulevé. A la page précédente, il suggère, à propos de ces mesures, que « peut-être n'avait-on pas suffisamment prévu les répercussions psychologiques probables ». C'est une perspective bien unilatérale. Car il ne faut ni oublier ni taire qu'un malaise au moins aussi profond, et des répercussions psychologiques tout aussi dignes de considération, mais de sens inverse, avaient été provoqués par les insuffisances, les erreurs et les outrances du catéchisme progressif. Et ce malaise n'était pas extérieur aux « milieux intéressés à la formation religieuse ». Il serait fort inexact de donner à entendre que de tels « milieux » étaient unanimement favorables aux nouvelles méthodes, unanimement inconscients de leurs inconvénients, -- et que seuls des milieux *ne* s'intéressant *pas* à la formation religieuse auraient formulé des objections et des réserves.
D'ailleurs, Mgr Lusseau commençait son étude de la nouvelle « littérature catéchétique » par cette précision qui n'a pas été démentie, et qui ne saurait l'être (mais que l'on s'efforce parfois de passer sous silence ou de nier implicitement) :
« *C'est pour répondre aux inquiétudes que suscitent les procédés nouveaux chez de nombreux prêtres qualifiés, chez des catéchistes expérimentés, et surtout dans les familles chrétiennes, que nous avons accepté, sur de hautes instances, de donner notre modeste avis.* »
Il serait donc tout à fait excessif de supposer ou d'insinuer que ces inquiétudes existaient seulement dans des milieux « surtout intégristes » ; et encore plus excessif d'admettre implicitement que le malaise et l'inquiétude de prêtres et de parents catholiques n'ont aucune importance, ne méritent aucune considération, n'appellent aucune charité à partir du moment où ces parents et ces prêtres peuvent, à tort ou à raison, être qualifiés de « surtout intégristes ».
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Il semble en outre que le P. Delcuve passe à côté d'un aspect important de la question quand il souligne que les réserves à l'égard du catéchisme progressif « *procédaient souvent d'une mentalité étrangère aux problèmes abordés et d'une compétence incertaine* » (p. 41). Et pareillement, quand il cite sans indulgence M. Pierre Lemaire (p. 60, en note), pour énoncer avec une sévérité glacée : « *Dans de telles protestations, ni la compétence, ni la modestie chrétienne ne trouvent leur compte.* » Facilité polémique qui est regrettable, dans la mesure où elle est inexacte : le lecteur du P. Delcuve, en effet, sera conduit à penser qu'il y avait d'un côté des spécialistes modestes et compétents, de l'autre des intégristes incompétents et immodestes. Or, il n'en fut pas ainsi. L'immodestie et l'incompétence ont été -- comme il est très ordinaire et très humain -- assez bien partagées entre les tendances diverses. Et les incompétences, et les immodesties qui se sont manifestées en faveur du catéchisme progressif, jusque dans des journaux laïcistes et anti-cléricaux comme *France-Observateur* ([^52]), ont été, de très loin semble-t-il, les plus bruyantes, les plus spectaculaires et les plus acharnées. Il est étonnant que le P. Delcuve paraisse ignorer jusqu'à leur existence.
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Pour notre part, sans nier les « erreurs » et les « insuffisances » du catéchisme progressif en lui-même ([^53]), nous croyons que quelques-unes des plus vives, des plus dramatiques difficultés auxquelles il s'est heurté provenaient de l'indiscrétion, de la brutalité, de l'autoritarisme de certains exécutants, au niveau des paroisses, au contact du peuple chrétien ([^54]). Parmi ceux qui ont fait l'apologie publique du nouveau catéchisme, qui l'ont mis en œuvre, et qui ont trop souvent rudoyé les parents inquiets au lieu de les persuader, il n'est pas sûr, pour parler comme le P. Delcuve, que « la compétence et la modestie chrétienne » aient toujours « trouvé leur compte ». Si l'on fait abstraction de cet autre aspect des choses, ou si on l'ignore, on ne peut comprendre comment la question du catéchisme avait pu amener une tension aussi vive, et parfois aussi tragique. Ou alors, pour expliquer cette tension, il faut recourir au roman noir d'un complot gratuit méchamment fomenté par les intégristes.
La sorte de « manichéisme » par laquelle on suggère plus ou moins implicitement que, dans les désaccords entre catholiques français, il y a d'un côté les savants, les compétents, les modestes, les intelligents, et de l'autre côté les stupides, les immodestes, les incompétents, les ignorants, est une représentation aussi pharisaïque que radicalement inexacte. Le P. Delcuve ne va pas jusque là. Mais au passage, on dirait qu'il sacrifie un peu à une telle représentation ; et en tout cas il ne fait rien pour la contredire : ce qui pourtant eût été opportun et pacificateur.
Sous ces réserves, l'exposé du P. Delcuve mérite d'être mis en regard de celui de Mgr Lusseau, si l'on veut avoir un large panorama des positions en présence.
\*\*\*
La déchristianisation de la France.
Nous n'avons aucune intention de trancher le débat entre Mgr Lusseau et le P. Delcuve : il nous suffit, sur un tel sujet, d'indiquer au lecteur l'état de la question et de lui donner, par des références précises, les moyens de se documenter ([^55]).
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Mais deux considérations, à propos de ce débat, retiendront notre attention : la première est d'une portée générale, la seconde est une remarque annexe.
Voici la première. Les promoteurs du catéchisme progressif ont considéré que les méthodes antérieures portaient une large part de responsabilité dans la déchristianisation de la France. C'est même le premier point qu'examinait Mgr Lusseau ; il écrivait à ce propos :
« ...La méthode traditionnelle n'a pas donné que des résultats déficitaires. Il est juste de reconnaître qu'elle a formé d'excellents chrétiens. S'il est exact d'accorder qu'une trop grande quantité de baptisés sont peu instruits ou tout à fait ignorants des vérités chrétiennes, ce n'est certainement pas à la méthode jusqu'ici en usage qu'il faut s'en prendre, mais à une utilisation déficiente, disons paresseuse, de l'instrument. Est-on bien sûr que la nouvelle méthode ne donnera jamais lieu aux mêmes observations ? ... Il convient d'ailleurs d'inscrire en lettres majuscules, parmi les causes de la déchristianisation actuelle, l'atmosphère de libéralisme doctrinal et de laïcisme dissolvant dans laquelle baignent depuis des décades les esprits de nos contemporains. L'école laïque a son énorme part de responsabilité dans le mal dont nous souffrons... »
Le P. Delcuve ne répond pas sur ce point : aussi n'est-ce pas pour intervenir dans la discussion que nous l'abordons, mais pour formuler quelques observations sur ce phénomène de déchristianisation.
On en parle beaucoup, et chacun, cherchant les causes dans sa spécialité, trouve aisément des causes secondes (ou même secondaires), et travaille à les corriger. Mais ce qui nous frappe, c'est en ce domaine comme en d'autres, ce que Maritain a justement nommé la terrifiante inattention des catholiques aux enseignements pontificaux.
Car enfin, les Papes ont beaucoup parlé de la France et beaucoup parlé à la France, spécialement depuis trois quarts de siècle. On étudie la déchristianisation comme s'ils n'en avaient rien dit. On met en cause les méthodes du catéchisme, celles de l'apostolat,
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on analyse les changements économiques et sociaux, on découvre des causes *sociologiques,* des causes *tactiques* et même quasiment *techniques* à la déchristianisation. Nous ne nions pas leur rôle, -- à leur place. Mais il est une cause plus générale qui est complètement oubliée.
Non seulement les Papes ont clairement indiqué cette cause, fiais ils l'ont désignée *avant* qu'elle n'ait produit ses effets. Léon XIII a *prévu et annoncé* la déchristianisation de la France : et elle a eu lieu comme il l'avait prévue et annoncée. Mais qui s'en doute, qui le sait, qui le dit ?
Léon XIII a étudié *la législation* qui allait déchristianiser la France ; et il écrivait :
« Pauvre France ! Dieu seul peut mesurer l'abîme de maux où elle s'enfoncerait si *cette législation,* loin de s'améliorer, s'obstinait dans une telle déviation qui aboutirait à *arracher de l'esprit et du cœur des Français la religion qui les a faits si grands.* »
Et où donc Léon XIII a-t-il fait cette prédiction ?
-- Dans les deux Encycliques dites « sur le Ralliement », auxquelles on ne reporte jamais au sujet de la déchristianisation de la France, alors que c'est très précisément *le sujet qu'elles traitent.*
On s'y reporte au sujet de la « question du régime », alors que Léon XIII y explique pourquoi *ce n'est pas cela qui est essentiellement en question* ([^56]). Il parle de la « question du régime » principalement pour L'ÉCARTER ; pour distinguer entre *régime et législation ;* pour recommander, et même ordonner, *l'unité catholique* en face de cette législation.
Ni à ce moment (1892), ni depuis lors, les catholiques français dans leur ensemble n'ont été capables de comprendre et d'adopter l'attitude *religieuse* qui leur était indiquée comme seule susceptible d'empêcher la déchristianisation de notre pays. Les uns ont dit que le Pape adhérait à « la démocratie ». D'autres n'ont pas saisi l'immense portée de la distinction faite entre la législation et le régime, ils ont incriminé les deux simultanément, et indistinctement, sans voir que l'essentiel était *l'attitude catholique, la leur, la nôtre,* en face de ce péril prévu et prédit, -- et aujourd'hui largement réalisé. La plupart n'ont aperçu en ces deux Encycliques que « de la politique », excellente ou funeste, alors qu'il s'agissait au contraire, d'*écarter les divisions politiques pour renforcer l'unité religieuse.* Et c'est toujours de cela qu'il s'agit. Et l'on ne comprend toujours pas.
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Les premiers chrétiens eurent à refuser de prononcer *Divus Cæsar,* ils eurent à refuser d'adorer l'Empereur. Mais point à refuser l'Empire romain, ni à lui désobéir, ni à préparer un mouvement politique pour « changer le régime ». Parce que la République a imposé en quelque sorte l'équivalent d'un *Divus Cæsar,* les uns ont compris qu'il fallait renverser César ; que Léon XIII se trompait à son endroit ; les autres que Léon XIII acceptait César, et donc qu'on pouvait en somme l'appeler *Divus *; et les catholiques se sont disputés sur l'acceptation ou le renversement de ce *Cæsar,* alors qu'il leur était demandé de s'en tenir, dans l'unité, au refus de prononcer le *Divus.* Et c'est toujours la question.
\*\*\*
On ne comprend pas les Encycliques d'abord parce qu'on les range par (fausses) catégories. On range celles sur le « Ralliement » dans la catégorie « question du régime », ce qui fait qu'elles ne sont lues que par ceux qui s'intéressent à une telle question, et seulement dans une telle perspective. Et l'on ne sait pas où les Papes ont traité en temps utile de la déchristianisation de la France ; on ne sait même pas qu'ils l'ont fait.
De même, on range l'Encyclique *Divini Redemptoris* dans la catégorie « communisme » ; on croit et on dit qu'elle est complètement et uniquement consacrée à l'étude du communisme. Ce qui fait qu'elle n'est lue que par ceux qui veulent étudier le communisme : et ils n'en retiennent ordinairement que ce qui concerne leur sujet d'étude. Alors qu'il s'agit de la Rédemption de l'humanité, la vraie, celle du Christ, et de la fausse, celle du marxisme-léninisme. Et qu'il s'agit en outre de *toute la stratégie* (si l'on peut ainsi parler) *d'application de la doctrine sociale de l'Église.*
Après les 24 premiers paragraphes ([^57]), Pie XI déclare :
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« Après avoir exposé les erreurs et les moyens d'action violents et trompeurs du communisme bolchevique et athée, il est temps de leur opposer brièvement la vraie notion de la Cité humaine... »
Suivent : *cinquante-sept* paragraphes, plus des deux tiers, presque les trois quarts de l'Encyclique, cinquante-sept paragraphes, dont deux ou trois seulement sont consacrés directement et explicitement au communisme. Il y est question, dans la situation qui est la nôtre sans doute, et qui est certes l'agression universelle du communisme, -- il y est question de la manière dont nous devons vivre notre foi chrétienne dans la cité, et spécialement de la manière dont nous devons appliquer la doctrine sociale précédemment exposée dans *Quadragesimo anno.* Il y a là des enseignements que l'on ne trouve pas ailleurs, du moins quant à certaines précisions et explicitations. Et l'on voit bien que, trop souvent, la pensée catholique est privée de les connaître ; l'on voit bien à quel point ils lui font défaut. Hélas ! il y aurait beaucoup à dire là-dessus...
\*\*\*
« Témoignage chrétien »\
au catéchisme.
Voici maintenant notre remarque annexe. Elle est très terre-à-terre. Mais la vie est faite aussi de choses terre-à-terre, qui ont souvent de graves conséquences, surtout quand on les néglige un peu trop.
L'un des catéchismes que critiquait Mgr Lusseau comportait, et comporte toujours, tel qu'il est mis entre les mains des enfants, en certains lycées, au cours de la présente année scolaire, un détail d'illustration, simple détail bien sûr, mais très visible. En la page 176 de son tome III, il est énoncé : « *un chrétien lit un journal vraiment catholique, qui fait connaître la bonne nouvelle. Il soutient la presse vraiment catholique.* »
Ce texte est illustré par une image qui montre la presse vraiment catholique, celle que l'on a le devoir de lire et de soutenir. On y voit : deux titres, et deux seulement : *la Croix,* et *Témoignage chrétien.*
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Un tel détail d'illustration n'a pas retenu l'attention des théologiens. On les comprend : ils sont allés à l'essentiel.
Mais peut-être la théologie morale aurait-elle son mot à dire pour rétablir les frontières nécessaires entre le catéchisme, la propagande politique et la publicité commerciale.
En outre, ceux qui s'intéressent à la psychologie sociale pourraient utilement examiner ce détail, à un double point de vue :
1. -- Le privilège accordé à *Témoignage chrétien,* dans le livre même du catéchisme, est exorbitant. A lui seul, il explique les réactions parfois violentes des parents. Car enfin, le catéchisme était, est, et demeure, croyons-nous, « *l'enseignement des vérités surnaturelles nécessaires à notre salut éternel* ». La promotion de *Témoignage chrétien,* fût-ce à titre d'illustration, au nombre ou en compagnie de telles vérités, est un phénomène extrêmement riche en signification. Nous sommes surpris non point que l'on ait protesté, mais que les protestations n'aient pas été plus nombreuses encore et plus vives, et qu'au premier rang des protestataires on n'ait point vu les rédacteurs et les lecteurs de *Témoignage chrétien :* que ces rédacteurs et ces lecteurs aient une excellente opinion d'eux-mêmes et de leur journal est une chose ; mais qu'ils trouvent normal d'être inscrits dans le catéchisme... ils vont fort !
Les parents qui ont protesté sont peut-être « incompétents » en théologie. Mais là, ils n'ont pas besoin qu'on leur fasse un dessin : car précisément on leur en a fait un. Ils saisissent très bien ce qui est en question, même s'ils le formulent d'une manière maladroite ou immodeste.
Justement, M. Georges Hourdin écrivait dans les *Informations catholiques,* le 15 octobre dernier : « *Je voudrais bien que l'on me fasse un dessin pour m'expliquer ce qu'est la gauche quand il s'agit de catéchisme.* » M. Hourdin a souvent des formules heureuses. Le dessin, c'est dans le catéchisme même qu'il le trouvera, tome III, page 176.
2. -- L'autre point de psychologie, mais c'est un point d'interrogation, est de savoir ce que pensent les auteurs responsables, ce qu'ils ont bien pu avoir dans l'esprit en prenant une telle responsabilité. Ignorent-ils tout de *Témoignage chrétien *? Ou au contraire le connaissent-ils avec une sympathie tellement passionnée qu'ils n'ont pu se tenir de le propager par le moyen du catéchisme ?
72:23
*Témoignage chrétien* est un journal en butte à de grandes oppositions. Il est discuté, il est même rejeté par beaucoup. ALORS ON LE MET DANS LE CATÉCHISME. Nous ne disons rien de *La Croix :* sa présence en une telle place n'exprime peut-être rien de plus qu'une situation effective, un monopole de fait, que l'on peut approuver ou désapprouver, mais qui existe. Encore qu'il ne semble pas que les dirigeants de *La Croix* considèrent leur journal comme *une publication pour enfants ;* ni que, s'adressant à des enfants, ce soit la lecture de *La Croix* qu'il faille spécifiquement leur recommander. Quoi qu'il en soit de ce dernier point (qui ne fait que redoubler les difficultés psychologiques que l'on trouve à comprendre ce qui a bien pu pousser les auteurs du catéchisme, si ce n'est pas une passion politique), il reste que *Témoignage chrétien* ne jouit d'aucun monopole : c'est une publication d'opinion qui s'oppose à d'autres publications d'opinion. On l'a mis SEUL. On n'a mis ni *La France catholique,* ni *L'Homme nouveau,* ni les *Études,* ni *Itinéraires,* ni aucun autre. On a mis *Témoignage chrétien.* On a fait un livre de CATÉCHISME QUI ENSEIGNE AUX ENFANTS qu'il faut lire et soutenir *Témoignage chrétien.*
La vente des journaux dans les églises a entraîné ou toléré bien des abus, bien des passe-droits, bien des privilèges ; elle a soulevé bien des questions délicates et bien des rivalités, qui reçoivent peu à peu une solution, mais au milieu de grandes difficultés, et après des années de troubles. Qu'on veuille bien nous épargner semblables rivalités et semblables troubles à propos d'une éventuelle inscription des journaux dans le catéchisme !
\*\*\*
Le P. Delcuve s'est efforcé, il le dit et nous le croyons, de « *mieux comprendre l'inquiétude de ceux que le renouveau : catéchistique n'a pas ralliés* ». Il a examiné la question en théologien, il a constaté la « *compétence incertaine* » des opposants. Compétence incertaine en théologie, c'est possible, Mais toute âme chrétienne est compétente, si sa conscience n'est pas anesthésiée, pour SENTIR immédiatement ce que représente l'inscription de *Témoignage chrétien* dans le catéchisme.
73:23
Un tel acte, plus que tout le reste, a contribué à détériorer le climat. Un tel acte -- non encore réparé -- a créé une grande méfiance, une grande suspicion, et même davantage, en laissant supposer que des arrière-pensées politiques n'étaient pas totalement absentes du catéchisme en question. Il faut comprendre que cette impression plus que fâcheuse persistera tant que *Témoignage chrétien* demeurera en cette page 176.
Et qu'ensuite, cette impression sera longue à effacer. Il y faudra plus de bienveillance, de patience, de charité vraie, que de morgue théologique ou d'autoritarisme sans mandat.
Car beaucoup d'âmes ont été profondément blessées dans leurs sentiments légitimes et dans leur conscience.
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### Notules diverses.
- SUR DANILO DOLCI. -- Une grande propagande est orchestrée autour du « réformateur » sicilien. Son action, écrit le P. Régamey dans la Vie spirituelle est « un christianisme vécu très authentique ». Trois livres au moins ont paru ces derniers temps en langue française pour exposer que « Danilo Dolci est l'un des plus grands apôtres d'aujourd'hui ». Le P. Journet estime que « l'esprit du Dieu de Jésus-Christ anime cette action ».
*M. Lucien Guissard, en rapportant ces jugements dans la* Croix *du* 12 *mars, s'en montre passablement effaré ; il proteste avec bon sens qu'il y a lieu de* « tempérer certaines interprétations qui laissent croire à un témoin de la foi ».
*Il semble en effet que, pour être un authentique* APÔTRE *aux yeux de certains, il soit indispensable de n'être pas chrétien.*
*Une publicité analogue fut faite voici quelques années, en France, autour de l'action sociale de M. Giorgio La Pira. Il serait intéressant d'examiner les conditions de son* crescendo *et celles de son* decrescendo. *A cause de l'allure hardie d'une telle action sociale, on nous garantissait que M. Giorgio La Pira était un grand chrétien.*
*Seulement, pour M. Giorgio La Pira,* C'ÉTAIT VRAI. *On ne le savait pas. On le fit venir en France et l'on s'aperçut qu'il avait une regrettable absence d'esprit dissident,* *qu'il était profondément enraciné dans la foi chrétienne et dans la doctrine catholique. Alors tout* se *passa comme si non seulement la gauche laïque, mais encore et surtout la gauche chrétienne avait été atrocement déçue par une telle découverte. C'était à la fin de* 1955. *Au journal* Combat *qui l'interwievait, M. Giorgio La Pira répondait *:
74:23
« La prière des contemplatifs est la plus grande force du monde. »
*Et ce n'était pas de sa part une boutade. Il expliquait que son action sociale, sa pensée et son espérance avaient pour unique inspiration la prière et la doctrine de l'Église. Non pas une doctrine inédite et une prière nouvelle, mais bien la prière et la doctrine catholiques, On s'aperçut que M. Giorgio La Pira agissait non par esprit révolutionnaire mais par esprit chrétien. Et qu'il était profondément* « *papiste* ».
*A partir de ce jour-là, on vit baisser puis disparaître la publicité faite en France autour de lui : comme si elle avait soudain pris conscience de s'être trompée sur le personnage. La prière des contemplatifs ! C'en était trop pour certains de nos* « *apôtres* » *et de nos* « *théologiens* ». *On ne nous parla plus de son* « christianisme authentiquement vécu ». *On réserve une telle louange à ceux qui ne croient pas à la prière des contemplatifs mais plutôt à l'agitation sociale et politique.*
*Tout cela pourrait suggérer quelques réflexions.*
\*\*\*
*On a donc remplacé Giorgio La Pira par Danilo Dolci : C'est lui maintenant qui incarne* « un christianisme vécu très authentique », *précisément parce qu'il n'est pas chrétien.*
*M. Lucien Guissard remet les choses au point dans la* Croix, en *rappelant que si Danilo Dolci a été* « formé dans le catholicisme », *aujourd'hui* « il ne se réclame plus de lui ». *C'est à partir du moment où Danilo Dolci ne se réclame plus du catholicisme qu'un certain catholicisme français commence à se reconnaître en lui. Avec, bien sûr, la caution d'éminents théologiens.*
*M. Guissard précise :*
« Certains de ses écrits nomment Dieu ou le Seigneur mais l'inspiration religieuse ne va pas plus loin que le déisme ou une religiosité mal étayée. Quand il parle, comme à Paris, aucune référence évangélique. »
*Ce serait précisément le moment de consulter M. Giorgio La Pira.*
*Il avait fait de très belles et très substantielles déclarations à* La Croix *précisément numéro du* 10 *novembre* 1957 *et nous les avons reproduites dans notre numéro* 20 (*pp.* 18 *et suiv.*)*. Il est dommage que M. Guissard ne s'en soit pas souvenu *: *elles auraient renforcé utilement sa mise au point.*
*Interrogé sur Danilo Dolci, Giorgio La Pira avait répondu en effet :*
« Je trouve son mouvement plus dangereux qu'un mouvement franchement socialiste. Mis en présence d'un mouvement socialiste, négateur de Dieu, le chrétien sait à quoi s'en tenir. Le mouvement de Danilo Dolci manque de clarté. Il a bien quelque vernis de christianisme, mais il lui manque une animation chrétienne. L'extérieur trompe sur l'intérieur. Je tiens cela pour très dangereux.
« Nous autres chrétiens, nous avons deux commandements : amour de Dieu, amour du prochain. Le second s'appuie sur le premier. Ôtez le premier, vous privez de fondement le second. Que reste-t-il de l'action sociale chrétienne lorsqu'on la sépare de son fondement dogmatique ? Une vague sentimentalité sociale, une doctrine sans consistance... C'est à la lumière de la Révélation chrétienne qu'il faut considérer les sans-travail et les prolétaires pour découvrir la plénitude de leur dignité et de leurs droits. »
75:23
*Quand on lit -- et surtout quand on médite -- cette déclaration, on comprend pourquoi l'orchestration publicitaire de ce que M. Dansette appelle la* « *gauche chrétienne* » *et* « *le mouvement réformateur qui entraîne une fraction importante de l'Église de France* », -- *on comprend, disons-nous, pourquoi cette orchestration publicitaire, entre le démocrate* CHRÉTIEN *Giorgio La Pira et le socialiste* LAÏQUE *Danilo Dolci, choisit le second pour en faire l'exemple d'* « UN CHRISTIANISME VÉCU TRÈS AUTHENTIQUE ».
*Des choix de cette sorte permettent de mesurer quelles atteintes profondes une certaine publicité intellectuelle, implantée et organisée parmi l'édition et le journalisme catholiques, porte à la foi chrétienne.*
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- NOUVELLES DÉCLARATIONS DE GIORGIO LA PIRA. -- Nous venions d'écrire les lignes qui précèdent quand nous est arrivée *La France catholique* du 21 mars, où M. Giorgio La Pira renouvelle et complète la netteté et la sévérité avec lesquelles il s'est exprimé sur le cas de Danilo Dolci :
« Un communiste, c'est clair. Dieu n'existe pas. Pour un communiste, seule l'humanité existe... Sa position est claire, il ne trouble pas la Foi. La position de Dolci est équivoque... L'extérieur trompe sur l'intérieur, je tiens cela pour très dangereux.
« Il y a chez Dolci tout un appareil qui s'inspire de la tradition chrétienne, mélangé à un humanitarisme combatif qui lui est étranger ; et par ailleurs une importation de gandhisme ;
« Cette attitude confuse, cette ambiguïté troublent la Foi des pauvres. On n'a pas le droit de troubler le pain spirituel des populations. »
*Le rédacteur de la* France catholique *objecte :* « *On dit que le clergé sicilien n'est pas à la hauteur de sa tâche *? »
*M. Giorgio La Pira répond *:
« Il y a beaucoup d'exagération en tout ceci.
« D'une part, il faut nous rappeler le mot du Christ sur les pharisiens : « *Faites ce qu'ils vous disent, ne faites pas ce qu'ils font.* »
« D'autre part, pour secourir des populations misérables, on n'a jamais le droit de troubler leur Foi.
« Sur ces deux points, l'action de Danilo Dolci n'est pas claire. Or toute action qui se veut charitable doit être claire. Où il n'y pas de clarté il n'y a pas de charité. »
*Cette remarque de M. Giorgio La Pira rappelle les remarques analogues faites, à d'autres propos, par Louis Salleron* « *L'équivoque fait la division et non pas l'union : aujourd'hui plus que jamais c'est la clarté, la fermeté, le caractère qui peuvent rassembler* » (Itinéraires, n° 4). « *la clarté est la condition de l'unité *; *elle est, dans la division, le moyen privilégié de retrouver l'unité perdue* » (La Nation française, 19 *mars*)*.*
*Tandis qu'en France le P. Regamey voit en Danilo Dolci* « UN CHRISTIANISME VÉCU TRÈS AUTHENTIQUE », *tandis que le P. Journet prétend que* « L'ESPRIT DU DIEU DE JÉSUS-CHRIST ANIME CETTE ACTION », *M. Giorgio La Pira, qui sait, lui, de quoi il est question, nous prévient *:
« Danilo Dolci est catholique par le baptême. Mais son action n'est pas catholique... Danilo Dolci trouble la Foi des pauvres, CAR IL CROIT POUVOIR FAIRE LA CHARITÉ SANS LA FOI. Or le pêché fondamental du monde, celui qui engendre tous les péchés, est le péché contre la Foi. »
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*La plus humble conscience,* SI ELLE EST CHRÉTIENNE, *et si elle n'a pas été* ANESTHÉSIÉE PAR LES PUBLICITÉS INTELLECTUELLES ET PSEUDO-THÉOLOGIQUES *que nous subissons en France, comprend ce que dit M. Giorgio La Pira, et le remercie de son témoignage, qui nous aide à nous défendre contre cette publicité* QUI ATTAQUE NOTRE FOI.
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- CONTRE GIORGIO LA PIRA. -- Cette publicité intellectuelle multiplie ses entreprises et ses conquêtes. Nous n'avons pas à trancher si les rédacteurs des Cahiers universitaires catholiques (publiés par la Paroisse universitaire des catholiques de l'enseignement public) sont *VICTIMES OU AGENTS* d'une telle publicité : il nous semble qu'ils sont les deux à la fois.
*En effet, le numéro de mars* (p. 308) *choisit Danilo Dolci* CONTRE *Giorgio La Pira. On y mentionne :*
« Les réserves récentes des catholiques italiens engagés dans l'action politique comme Giorgio La Pira. »
*Ainsi, Giorgio La Pira n'est plus l'homme d'une* « ACTION CHRÉTIENNE AUTHENTIQUE », *il est devenu un* « CATHOLIQUE ENGAGÉ DANS L'ACTION POLITIQUE ». *Par de telles nuances, qui pourraient paraître minimes au lecteur peu attentif, on est passé en réalité d'une publicité emphatique à une publicité péjorative.*
*Pourtant ce n'est pas* EN TANT QU' « ENGAGÉ DANS L'ACTION POLITIQUE », *ce n'est nullement pour des* MOTIFS POLITIQUES *que M. Giorgio La Pira s'est prononcé : mais les* Cahiers universitaires catholiques, en *s'exprimant* de *cette manière* LE FONT CROIRE *à leurs lecteurs, et cela constitue une* TROMPERIE.
*On a lu plus haut les motifs pour lesquels un Giorgio La Pira s'oppose à un Danilo Dolci *: *ce ne sont pas de simples* « *réserves* », *c'est beaucoup plus. Et ce n'est pas une raison d'* « *engagement politique* », *c'est* POUR LA DÉFENSE DE LA FOI.
Les *lecteurs des* Cahiers universitaires catholiques *n'en sauront* RIEN. *Ils seront même* PRÉVENUS, *pour le cas où ils pourraient l'apprendre par ailleurs. On leur a insinué le soupçon que l'opposition de M. Giorgio La Pira serait une opposition* POLITIQUE.
*Dans toute cette affaire on touche du doigt à quel effroyable régime d'*INFORMATION FAUSSE *et de* PUBLICITÉ TROMPEUSE *sont soumis les catholiques français en des matières où* LA FOI EST EN QUESTION.
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- CATHOLICISME ET SOCIALISME. -- Le premier écho un peu précis à notre connaissance, que nous ayons eu en France de l'important débat de Munich (11 et 12 janvier) est le compte rendu critique de M. Heckel dans la Revue de l'Action populaire de mars :
« *Christianisme et socialisme démocratique* ».
*L'Académie catholique de Bavière avait organisé un débat auquel participèrent des socialistes allemands de tout premier plan *: *MM. Carlo Schmid et Arndt, et deux éminents jésuites, les Pères Gundlach et von Nell Breuning. La question posée est de celles qui occupent à juste titre la réflexion des catholiques sociaux. Il existe, au moins sous forme de déclaration d'intentions, un* « *socialisme démocratique* » *qui se dit dégagé du marxisme, respectueux des convictions religieuses, plus ou moins libéré en somme des erreurs théoriques et pratiques pour lesquelles l'Église, notamment dans* Quadragesimo anno, *repousse et condamne le socialisme. Cette évolution d'un certain socialisme est-elle suffisamment réelle pour que les catholiques puissent lui en donner acte ? Existe-t-il des points d'accord éventuel, subsiste-t-il des points de désaccord insurmontables *?
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- EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE. -- On sait que la question a été beaucoup débattue en France depuis 1944. Elle y fut viciée par l'existence d'un progressisme doctrinal que soutenait ou favorisait un opportunisme impressionné par la puissance du communisme soviétique. Il a fallu plus de dix ans pour surmonter une telle crise -- qui a laissé de nombreuses séquelles. L'erreur progressiste a fondamentalement dévié et stérilisé ce qui aurait pu théoriquement être entrepris de constructif dans cette direction. Il nous en reste des périls encore redoubles et bien peu d'acquisitions positives.
*S'adressant à l'* « *humanisme socialiste* », *c'est le communisme soviétique qu'en réalité l'on a eu en France comme interlocuteur, et c'est par lui que souvent sans le savoir, on a été influencé ou même manipulé. Tout se passait sous l'énorme pression sociologique et publicitaire du communisme, que beaucoup de docteurs mettaient entre parenthèses. C'est-à-dire qu'ils refusaient de considérer cette réalité ; ce qui les mettait en état de la subir d'autant plus.*
*En Allemagne, cette pression communisme est beaucoup moins forte. De plus, des socialistes comme MM. Carlo Schmid et Arndt manifestent un* « *humanisme* », *voire un* « *spiritualisme* », *que l'on ne trouve guère chez les socialistes français, qu'il s'agissent de la S.F.I.O. de M. Guy Mollet* (*anti-communiste, mais encore très laïciste*)*, ou qu'il s'agisse de la nouvelle gauche socialiste* (*noyautée par les militants hors cadre du Parti communiste*)*.*
*Devant un socialisme allemand qui offre de réels points de contact et de dialogue, les catholiques allemands n'ont refusé ni le dialogue ni le contact, avec beaucoup de prudence néanmoins, et beaucoup de fermeté doctrinale.*
*En France au contraire, dans une situation beaucoup plus trouble, avec des interlocuteurs moins préparés* (*voire véritablement suspects*)*,* *plusieurs docteurs catholiques s'étaient lancés sans prudence -- et oserons-nous dire sans trop de fermeté doctrinale ? dans un* « *dialogue* » *qui ne pouvait être qu'un faux dialogue et n'a donné aucun résultat.*
*Ou plutôt, qui a donné des résultats terriblement négatifs : l'évolution* « *humaniste* » *du socialisme n'en a été ni encouragée, ni accélérée, ni approfondie* (*il est vrai que l'immobilisme intellectuel du socialisme est en France presque sans fissure ; quand il bouge, c'est plutôt pour déboucher sur le progressisme*)*. Mais en revanche, toute une partie du catholicisme a été influencée et même profondément atteinte, contaminée par un* POSITIVISME SOCIOLOGIQUE, *qui a pour conséquence de mettre en danger jusqu'à la foi elle-même.*
*On a manifesté beaucoup d'optimisme, de précipitation, pour parler* en *termes discrets, et les blessures que cette fausse manœuvre a* *faites à la pensée et à la spiritualité catholiques ne sont pas cicatrisées. Du moins, un net redressement est commencé *; *et quand la* Revue de l'Action populaire *met en cause le positivisme sociologique, elle met le doigt sur l'un des points décisifs* (*voir l'article du P. Calvez dans la* Revue de l'Action populaire *de janvier ; cf.* Itinéraires, n° 21, *pp.* 64-65).
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*La prudence et la fermeté du débat de Munich sont un exemple et une leçon.*
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- UN SOCIALISME SANS POSITIVISME ? -- M. Heckel note qu'à Munich « la clarté avec laquelle chacun est intervenu sur la base de sa situation propre a permis, plus que tout concordisme facile, une tension très enrichissante entre les divers points de vue ». Les catholiques ont nettement affirmé leurs principes fondamentaux.
« Le Père Gundlach établit l'affirmation que l'homme est *causa principalis* de tout le devenir social, et qu'il faut tout mettre en œuvre pour laisser se développer son initiative et sa responsabilité ; ne pas le traiter en dépendance de quelque déterminisme que ce soit ni non plus trop compter sur des mécanismes ou sur un État-providence. »
*L'interlocuteur socialiste ne l'a pas nié :*
« Au niveau des principes, l'accord semble aller très loin. Carlo Schmid a dénoncé avec force l'erreur positiviste ; de ce qui est, on ne peut déduire ce qui doit être ; ailleurs il précise que le socialisme n'entendait pas faire de l'homme un « pensionnaire de l'État », et que la liberté de l'esprit était plus fondamentale dans l'histoire humaine que le déterminisme de la matière... »
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- VOCABULAIRE ÉQUIVOQUE. -- Nous renvoyons volontiers le lecteur à l'article de M. Heckel, non sans noter toutefois quelques réserves concernant son vocabulaire, qui d'aventure est un peu mou, ou trop vague, et risque de trahir la pensée. Nos réserves portent sur deux points principaux.
I. -- *Page* 306*, soulignant l'ampleur de l'exposé du P. Gundlach, M. Heckel, remarque néanmoins *: « *Il le fait sans ménagement, sans compromis, sans sortir même de* SON PROPRE *univers mental* ». (*C'est nous qui soulignons.*) *Et cet* UNIVERS MENTAL PROPRE AU P. GUNDLACH, *c'est* « *l'homme créé à l'image de Dieu* », *et qui* « *doit agir moralement, c'est-à-dire conjuguer son action avec celle de Dieu* », *etc.*
*Il apparaît immédiatement que cela n'est pas du tout un* « *univers mental* » *qui serait* « *propre au* » *P. Gundlach, mais* LA RÉALITÉ, *que l'on aperçoit ou que l'on n'aperçoit pas, que l'on accepte ou que l'on refuse. Un peu plus loin* (p. 307), *parce que le P. Gundlach a* *énoncé les propositions de* Quadragesimo anno, *M. Heckel remarque :* « *Apparemment, des thèses aussi massives semblaient offrir peu de prise à la discussion* ». (*Il note d'ailleurs aussitôt qu'il* n'en *fut rien, et que les débats ont été très réels.*) *Sans doute par simple souci de courtoisie pour l'interlocuteur incroyant, M. Heckel prend ainsi quelque distance -- dans son vocabulaire -- avec le simple et clair énoncé de la vérité : mais ce souci courtois l'entraîne trop loin et peut induire en erreur. Il n'y a aucun avantage, il y a de grands inconvénients à suggérer, par une nuance discrètement péjorative, que les vérités fondamentales de* Quadragesimo anno *seraient des* « thèses massives » (!?) *et qu'elles* « *offriraient peu de prises à la discussion* ». *D'ailleurs l'exemple du débat de Munich manifeste que de telles craintes ne sont nullement fondées.*
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*Ajoutons que la vérification inverse a été faite en France : en voilant ces prétendues* « *thèses massives* »*, on n'a inauguré aucune discussion utile, mais on a en revanche créé d'inextricables confusions dans l'esprit de beaucoup de catholiques.*
*De même,* « *l'univers mental* » *qui serait* « *propre* » *au P. Gundlach est aussi, très certainement, celui de M. Heckel. Et certes, sous un certain rapport, on peut dire que* « *l'homme créé à l'image* de *Dieu* » *est en effet l'univers mental propre aux catholiques. Mais c'est aussi beaucoup plus. C'est* LA VÉRITÉ. *Inviter les catholiques à* « *en sortir* », *nous comprenons bien que cela veut dire simplement, sous la plume de M. Heckel : se mettre à la portée de l'interlocuteur non-catholique. Mais, ici encore, il apparaît que,* « *sans sortir de son propre univers mental* », *le P. Gundlach s'est* MIEUX *fait entendre* (*M. Heckel en est d'ailleurs d'accord*) *que par les commodités ruineuses d'un* « *concordisme facile* ».
*Et il ne faudrait pas donner à croire* (*c'est le risque du vocabulaire de M. Heckel*) *que l'affirmation de* « *l'homme créé à l'image de Dieu* » *serait une vérité dont il serait opportun de faire parfois abstraction dans le dialogue avec les socialistes. En sortant de cet* « *univers mental* », *dans l'intention de faciliter le dialogue, on tombe immanquablement dans l*e *positivisme sociologique, -- dans ce positivisme sociologique dont précisément le socialisme doit* « *sortir* », *et dont il commence à sortir, semble-t-il, en Allemagne.*
*Ne devient-il pas de plus en plus clair que, même dans le cadre d'un débat sociologique, le choix explicite entre Dieu et l'athéisme est fondamental -- et clarificateur ? Parlant d'un point de vue plus pratique et plus engagé, l'éditorial de* L'Homme nouveau (2 *mars*) *conclut pareillement *:
« Il faudrait qu'un certain nombre de croyants commencent l'œuvre d'un grand rassemblement des Français, en dehors des partis politique usés, mais autour de quelques principes majeurs dont le premier serait qu'entre l'athéisme et Dieu, ils choisissent Dieu. »
*Ils choisissent Dieu non point parce que tel est* « *leur propre univers mental* », *mais parce que Dieu* EST.
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II. -- *L'autre ambiguïté que nous relevons dans le vocabulaire de M. Heckel se trouve dans la note de sa page* 307, *et dans toute sa page* 309. *M. Heckel examine la possibilité de recevoir des* « *valeurs* » *sans se prononcer sur ce qu'il nomme leur* « fondement ultime » *ou* « *fondement dernier* ».
*M. Heckel précise d'ailleurs avec pleine raison *:
« Supposons ce point acquis : sur la base de valeurs, que l'on reçoit d'ailleurs, on se consacre aux objectifs concrets de l'organisation de la cité. Il reste alors que l'attitude même d'un parti qui refuse de se prononcer sur le fondement ultime des valeurs qu'il reçoit répand en fait un agnosticisme. »
*Remarque très juste* (*et qui, soit dit en passant, s'applique directement, en France, aux nouveaux statuts et à plusieurs tendances de la C.F.T.C.*)
*Mais le vocabulaire est ici trompeur : car le fondement* ultime, *ou dernier, est* EN MÊME TEMPS *le fondement premier. La Fin* « *dernière* » *est aussi la Cause* « *première* ». *Déjà au plan de la philosophie naturelle, la cause finale est causa causarum*, *cause des causes. Le positivisme sociologique n'est possible que par une méconnaissance de la réalité naturelle et de la réalité surnaturelle de la finalité.*
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*C'est une telle méconnaissance qui rend possibles les* « *politique d'abord* », « *social d'abord* », « *économique d'abord* » (*les deux derniers n'étant fondamentalement qu'une variété, qu'une spécification du premier*)*. Sur ce point peut-être délicat, mais certainement capital, on se reportera, dans le présent numéro, à l'article :* « Le triple refus qui est à droite », *seconde partie :* « *A l'égard du politique d'abord* ».
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- A PROPOS DE BLONDEL. -- Nous avons récemment parlé de l'importante, de la précieuse publication de la Correspondance Blondel-Valensin (voir *Itinéraires*, n° 17, pp. 48 et suiv.). La plupart des commentateurs ont passé sous silence une question qu'ils ont sans doute jugée délicate : l'attitude de Maurice Blondel à l'égard de Pie X. Nous avons montré comment Pie X comprenait mieux Blondel que Blondel ne comprenait Pie X : et Blondel avait l'illusion trop commune que c'était le Souverain Pontife qui ne comprenait pas.
*De Pie X*, *Blondel écrivait* (*notamment*) *dans sa correspondance *:
« Que le Pape blanc ou le Pape noir soient ce qu'ils voudront, je ne me scandaliserai pas de leurs infirmités ; je verrai, au-delà de la laideur, la beauté de la docilité. »
*Nous y avons vu, chez Blondel, ce que nous avons appelé* « *un témoignage de la fragilité humaine, même chez les plus grands* ». *Il est remarquable et instructif de constater qu'un esprit aussi sérieux, aussi profond, aussi chrétien que Blondel, ait pu à ce point se méprendre sur le Pape, et passer à côté de la plus manifeste, de la plus éclatante, de la plus moderne* SAINTETÉ *du* XX^e^ siècle.
*Nous comprenons que les commentateurs, gênés, aient fait silence sur ce point. Nous le regrettons aussi, à cause des leçons opportunes que l'on peut tirer d'un tel épisode.*
*Mais nous comprenons mal* *la manière dont la revue* L'Union *vient de rompre ce silence.*
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*En effet, dans son numéro de mars* (*pp.* 94-95), L'Union *cite largement le passage évoqué plus haut, où Blondel manifeste tant d'incompréhension et d'injustice à l'égard de saint Pie X. Et elle donne cette attitude pour* EXEMPLAIRE. *Elle fait précéder la citation de cet étonnant commentaire *:
« Rien n'ébranle la confiance de ce philosophe chrétien en l'Église. »
*Ce qui est admettre implicitement que les* « *infirmités* » *et la* « *laideur* » *de saint Pie X, alléguées dans le texte cité, étaient bien réelles, et susceptibles effectivement d'ébranler la confiance en l'Église, -- et que Blondel eut un grand mérite de rester fidèle en un moment où un Pape aussi infirme et aussi laid se trouvait à la tête de la Chrétienté.*
*Certes, Blondel ayant cette* ILLUSION, *c'est par la confiance, par la fidélité, par la foi qu'il la surmonta. Mais on nous donne à croire, ou on nous laisse croire, qu'il eut à surmonter ainsi non pas une illusion* (*qui en dit long sur beaucoup de choses*)*, mais bien une fâcheuse* RÉALITÉ.
*Nous arrêterons là notre analyse.* L'Union, *qui est éditée* 31, *rue de Fleurus à Paris, est une* « *revue mensuelle de pastorale* ». *Son point de vue s'affirme* PASTORAL.
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*Notre point de vue est beaucoup plus modeste : il est simplement l'histoire des idées. A ce second point de vue, nous sommes conduits à une perspective différente, qui reconnaît beaucoup plus d'importance objective à la sainteté de Pie X*.
*Notre propos n'était que de noter la différence des deux points de vue.*
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- MISSION DE FRANCE. -- La Mission de France a publié des « conclusions » sur les « problèmes causés par la guerre d'Algérie » : le texte intégral en a paru dans *La Croix* du 11 mars.
*Dans la* France catholique *du* 14 *mars Fabrègues leur a opposé, sur le plan doctrinal, le livre du P. Ducatillon que nous avons plusieurs fois indiqué à nos lecteurs *: Patriotisme et colonisation (Desclée *et Cie*)*.*
*Il semble en effet que la doctrine du P. Ducattillon et celle des* « *conclusions* » *de la Mission de France fassent* DEUX *doctrines et non pas* UNE.
*Nous n'avons pas à trancher une difficulté de cette sorte. Mais nous* ne *pouvons ignorer qu'elle est d'une énormité tragique. Chaque fois que l'on s'est trouvé en présence de* DEUX *doctrines catholiques, on est allé à de terribles drames. Si ce n'est en l'occurrence qu'une apparence trompeuse, il est souhaitable qu'elle soit clairement dissipée.*
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*Dans la* France catholique *du* 21 *mars, revenant sur le même sujet Fabrègues fait une* « CONSTATATION STUPÉFIANTE » : *il établit, textes en mains, que les* « *conclusions* » *de la Mission de France ont tronqué, modifié, déformé les textes pontificaux et épiscopaux qu'elles allèguent.*
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- ZÈLE APOSTOLIQUE ET « MÉTHODES » D'APOSTOLAT. Dans Carrefour du 12 mars, M. Louis Terrenoire a rendu un juste hommage aux prêtres de la Mission de France :
« Nous professons une sincère admiration pour le zèle apostolique de ces prêtres, que nous avons vus personnellement à l'œuvre dans les campagnes déchristianisées. »
*Il faut le dire en effet, et il faut le savoir : car cela doit rester hors de cause.*
*Mais une certaine méthode intellectuelle et plus qu'intellectuelle se manifeste trop visiblement pour qu'on puisse feindre d'en ignorer l'existence. Une méthode qui n'est pas inédite ; à laquelle on n'a pas voulu renoncer ; elle avait été contrariée et même stoppée : elle survit sous des formes partiellement différentes mais fondamentalement analogues.*
*Cette méthode, M. Louis Terrenoire en trace le schéma d'un trait vif et bref. On dira peut-être que ce schéma manque de nuance. Mais s'il manque de nuance, c'est pour s'efforcer de mieux désigner et retenir un point véritablement essentiel *:
« De même, semble-t-il, que certains prêtres-ouvriers, ils estiment que, pour amener au Christ les milieux populaires, il est indispensable d'en épouser toutes les tendances. Les sentiments des masses travaillées par le communisme leur sont indistinctement sympathiques. Ils considèrent comme un devoir de s'en pénétrer. Ils s'en nourrissent de même que le missionnaire des papous se nourrit de limaces grillées, afin d'apparaître comme un des leurs. Les masses, en tant que telles, semblent détenir une manière de vérité révélée... »
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- UN NATIONALISME ABSOLUTISTE. -- L'un des plus étranges passages des « conclusions » de la *Mission de France* est celui qui déclare :
« L'Église considère comme un bien la formation de nations nouvelles. Les déclarations de la Hiérarchie en font foi. »
*Fabrègues, dans la* France catholique, *a contesté cette extraordinaire affirmation.*
*M. Louis Terrenoire la conteste dans* Carrefour.
*Dans la* Nation française *du* 12 *mars, M. François Léger la conteste également.*
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*Disons, comme il nous semble que c'est notre devoir, que jusqu'à plus ample informé, ni les déclarations de la Hiérarchie que nous connaissons ni la doctrine catholique telle qu'elle nous a été enseignée, ne contiennent un tel principe.*
*Nous avons appris* qu'IL N'EST PAS VRAI QUE CHAQUE NATION AIT UN DROIT ABSOLU A SE CONSTITUER EN PATRIE POLITIQUE, *Nous avons appris* qu'UNE NATION PEUT POSSÉDER ET EXERCER LE DROIT A L'INDÉPENDANCE DANS CERTAINS CAS, QUAND ELLE NE LÈSE LE DROIT D'AUCUN TIERS ET QUAND CELA EST CONFORME TANT A SON PROPRE BIEN COMMUN NATIONAL QU'AU BIEN COMMUN INTERNATIONAL.
*Nous rendons témoignage à ce que nous avons appris. Nous portons ce témoignage sous notre seule responsabilité, attentifs à ce qui pourrait éventuellement venir avec autorité modifier ou corriger une telle doctrine.*
*Mais jusqu'ici, nous n'avons rien vu s*e *manifester qui ait autorité pour édicter une telle modification, dont l'éventualité est d'ailleurs peu vraisemblable.*
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*D'ailleurs, d'un bout à l'autre des* « *conclusions* », *le mot* NATION *est employé de manière équivoque et variable : c'est sans doute la raison de l'allure inacceptable qui s'attache à certaines propositions.*
*Les rédacteurs de ces* « *conclusions* » *ne font apparemment aucune différence entre la réalité qui s'appelle une* NATION *et cette autre réalité qui s'appelle une* PATRIE POLITIQUE. *Ils paraissent intellectuellement victimes d'une confusion que dénonçait la* Croix *lorsqu'elle écrivait *: « Il faudra renoncer à la tradition jacobine de coïncidence absolue entre la patrie, la nation et l'État » (*voir* Itinéraires, n° 21, *pp.* 22-23).
*Nous avions déjà noté que l'opinion catholique a grand besoin d'être éclairée sur ce point, et que la coïncidence ou la distinction entre* NATION, PATRIE, ÉTAT *n'a guère de sens intelligible et précis pour beaucoup, en dehors des lecteurs de Marcel Clément* (*voir* Enquête sur le nationalisme, *Nouvelles Éditions Latines, pp.* 22-30 et 195-217).
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- INJUSTICE ET IGNORANCE. -- M. Louis Terrenoire a parfaitement raison de protester contre un autre passage des « conclusions » de la Mission de France, qui déclare :
« Nous devons rappeler aux chrétiens dont nous avons la charge qu'un pays riche ne peut utiliser purement et simplement un territoire à son profit : la mise en valeur qui en est faite doit profiter en premier lieu à tous les habitants de ce territoire, et ceci à l'encontre d'opinions ou de propagandes actuelles inspirées par l'égoïsme national.
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*Premièrement il apparaît que les rédacteurs de ces conclusions* » *n'ont pas une information suffisante sur les* « *opinions et propagandes actuelles* » *qu'ils prétendent mettre en cause : car* L'ÉGOÏSME NATIONAL, *aujourd'hui, ne conclut pas à* l'EXPLOITATION de *l'Algérie, il conclut à son* ABANDON. *M. Louis Terrenoire a raison de répondre *:
« Les plus authentiques représentants de l' « égoïsme national » préconisent l'abandon de l'Algérie parce qu'elle n'est pas suffisamment rentable et qu'il s'y trouve un trop grand nombre de bouches à nourrir. »
*Cela, les prêtres de la Mission de France semblent l'ignorer : on dirait que leur information leur vient d'une certaine mythologie publicitaire, et non d'une connaissance directe et réelle des pensées, des opinions, des thèses qui sont effectivement en présence.*
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*Secondement, écrire cela à propos de l'Algérie ou bien n'a aucun sens, ou bien constitue un jugement sur ce qui y a réellement été fait par la France.*
*Ici encore manquent une information sérieuse et une réflexion objective.*
*Au milieu de beaucoup d'imperfections et de péchés* (*c'est la condition ordinaire des sociétés humaines*)*,* LA FRANCE A FAIT DAVANTAGE EN ALGÉRIE QUE N'IMPORTE QUEL PAYS POUR N'IMPORTE QUEL TERRITOIRE OU N'IMPORTE QUELLE POPULATION SOUS-DÉVELOPPÉS.
*Si on l'ignore, c'est phénoménal. Et il n'est pas moins phénoménal que l'on se permette, avec une telle ignorance, de trancher de telles questions, qui sont fort complexes.*
*Mais si le sachant, on le fait ; si, le sachant, on prétend en faire totalement abstraction dans ses jugements que l'on porte sur l'œuvre française, alors on descend au niveau de la plus sommaire et de la plus injuste propagande politique.*
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*Que les données réelles du problème algérien soient méconnues ou ignorées d'une partie de l'opinion métropolitaine* (*et particulièrement de celle qui est directement ou indirectement soumise à un asservissement publicitaire d'origine communiste*)*, c'est vrai Que cette méconnaissance crée une grande difficulté d'ordre psychologique et politique, et que cette difficulté ait des conséquences jusque dans l'apostolat proprement dit, c'est vrai encore. Mais la solution* SOUHAITABLE, *ou même seulement* PERMISE, *serait-elle d'adhérer à ces ignorances et ces erreurs d'une partie de l'opinion française *?
*Nous ne croyons pas que Bernanos ait eu tort quand il disait *:
« On baptise les Barbares, au lieu que je défie bien que l'on fasse chrétiens des mensonges, fussent-ils prudents et opportuns.
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- POUR LA PAIX ET L'UNITÉ. -- Au demeurant, et quoi qu'il en soit des considérations qui précèdent, il y a encore autre chose. Au milieu de nos luttes civiles, les « conclusions » de la Mission de France résonnent comme une *PRISE DE POSITION UNILATÉRALE*, et non pas comme la *SYNTHÈSE PACIFICATRICE* que l'on pouvait attendre d'un organisme missionnaire jeune, indépendant des factions politiques et soucieux d'aller de l'avant, en dehors des sentiers battus et au-dessus des passions partisanes.
84:23
*Ce caractère passionnément unilatéral n'apparaît que trop quand on compare ce que ces* « *conclusions* » *affirment et ce qu'elles taisent.*
ELLES DISENT :
« Il n'est pas traître à sa pairie, le chrétien qui exige le respect des droits des autres. »
MAIS ELLES NE DISENT PAS :
Il n'est pas traître à sa foi, le chrétien qui exige le respect des droits de sa patrie.
ELLES DISENT :
« Il ne démoralise ni l'armée ni la nation, le chrétien qui condamne certaines méthodes inhumaines. »
MAIS ELLES NE DISENT PAS :
Il n'est pas immoral, le chrétien qui condamne les calomnies contre l'armée et contre la nation.
ELLES DISENT :
« Il va sans dire que toute attitude s'inspirant du racisme est injustifiable. »
MAIS ELLES NE DISENT PAS :
Il va sans dire que toute attitude s'inspirant du communisme est injustifiable.
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*Ces deux attitudes qui* S'OPPOSENT *dans une lutte civile devraient au contraire* SE COMPOSER *par rapport au bien commun et dans l'unité catholique.*
*Les* « *conclusions* » *de la Mission de France ont préféré se ranger avec les uns et non avec les autres ; soutenir la demi-vérité des uns et négliger la demi-vérité des autres.*
*Notre sympathie, notre soutien actif vont à tous ceux qui travaillent à la pacification des esprits dans le service du bien commun et de l'unité catholique. Notre sympathie et notre soutien actif vont à tous ceux qui cherchent à surmonter nos luttes civiles plutôt que de les exciter en se rangeant avec les uns contre les autres. Nous ne pouvons donner ni notre soutien ni notre sympathie aux précisions unilatérales et aux omissions significatives qui viennent d'être citées.*
\*\*\*
*Ces précisions et ces omissions si passionnément unilatérales* (*prises à titre d'exemple, ce n'est pas un relevé exhaustif*) *sont précédées d'un préambule qui affirme *:
« Le drame algérien, dans ses aspects multiples, est aujourd'hui l'un des secteurs humains où nous constatons que le salut des hommes qui nous sont confiés est en jeu. Notre devoir de prêtres est donc d'éclairer dans ce domaine notre responsabilité pastorale... »
*Un tel préambule, comparé à ce qui suit, donne un sentiment de malaise.*
*Si c'est au nom du salut éternel des âmes, du devoir de prêtre et de la responsabilité pastorale que l'on impose les précisions unilatérales et les omissions significatives que nous avons relevées, -- et les manipulations de documents pontificaux démontrées par Fabrègues, -- alors il n'y a plus qu'à tirer l'échelle.*
\*\*\*
*Les trois Déclarations des Cardinaux et Archevêques sur l'Algérie* (14 *octobre* 1955, 14 *mars* 1957, 7 *mars* 1958) *insistent sur la fonction* RÉGULATRICE *et la réalité* FONDAMENTALE *du* BIEN COMMUN :
85:23
« La recherche désintéressée du bien commun doit être la règle des efforts et la base nécessaire d'une vraie communauté fraternelle. »
*Commentant la dernière en date, le P. Wenger dit très justement dans la* Croix *du* 11 *mars *:
« La solution de toutes les antinomies est à chercher dans une doctrine du bien commun. »
*Cette doctrine et cette réalité du bien commun, qui est la* RÈGLE, *qui est la* BASE NÉCESSAIRE, *les* « *conclusions* » *de la Mission de France n'y font aucune allusion. Ces* « *conclusions* » *ont été élaborées en dehors de toute considération et mention explicites* de *la base nécessaire et de la règle indispensable.*
*Ou, plus exactement, il en est fait mention* UNE *fois, pour dire :*
« Sans contester que le bien commun puisse exiger l'exercice d'un droit de censure de la part de l'État, il faut rappeler que l'opinion a le droit de connaître la vérité, etc. »
*C'est tout pour le bien commun. C'est peu.*
\*\*\*
*Si, dans une démocratie, la considération* RÉGULATRICE ET FONDAMENTALE *du bien commun n'est pas au nombre des* « *problèmes* » *auxquels il convient d'* « *éveiller les consciences* », *si elle ne fait pas partie de ce* « *travail d'éveil sur la totalité et à la dimension des problèmes d'aujourd'hui* », *dont se réclament les* « *conclusions* » *de la Mission de France,* -- *alors c'est vraiment qu'on nous a changé la doctrine catholique. C'est aussi que l'on nous fabrique une* « *démocratie chrétienne* » *qui, au lieu de former les citoyens, comme c'est son devoir et sa vocation, à la tâche de se gouverner eux-mêmes,* LES MET DANS L'INCAPACITÉ DE SE GOUVERNER. *Car là où l'on* IGNORE *le bien commun,* IL N'Y A AUCUNE POSSIBILITÉ DE GOUVERNEMENT.
*On se demande comment les citoyens pourront exercer leur* « *responsabilité morale individuelle et collective* », *si on les prive de la* RÈGLE ET DU FONDEMENT de *toute responsabilité morale dans le domaine politique.*
*En les privant de la considération fondamentale et régulatrice du bien commun, on les* DÉTOURNE VERS LA REVENDICATION UNILATÉRALE ET ANARCHIQUE.
*Et on intensifie la lutte des factions, au lieu de l'apaiser ou de la résoudre.*
\*\*\*
- UNE JUSTE REMARQUE DU P. MARTELET SUR LA NON RÉSISTANCE. -- Dans Témoignage chrétien du 14 mars un texte du P. Martelet, s.j., extrait de son rapport à la même session de la Mission de France, mérite de retenir toute notre attention :
« Une certaine façon de ne pas intervenir, c'est intervenir encore.
« Jadis c'eût été une espèce de raffinement intellectuel de dire ceci mais les expériences d'action sont devenues tellement claires pour l'ensemble des consciences, qu'on saisit très bien que ne pas choisir ce peut-être encore choisir.
« Il y a une option dans tous nos gestes, actions et omissions.
« La non-intervention de l'homme d'Église au plan du jugement éthique est donc une façon de valoriser ce qui se passe, ou du moins de le sanctionner par un laisser-faire qui peut devenir l'équivalent d'une approbation tacite. Donc l'abstention est le plus souvent prétendue mais non pas réelle. »
86:23
*Oui, l'abstention peut devenir l'équivalent pratique d'une approbation tacite.*
*Le P. Martelet n'écrit point cela à propos des agressions publicitaires du Parti communiste, mais nous pensons que cela vaut aussi à l'égard du Parti communiste.*
*Il n'écrit point cela à propos du glissement qui entraîne des militants chrétiens à entreposer le matériel et les armes des tueurs du F.L.N*., -- *mais nous pensons que cela vaut aussi pour ce cas-là.*
*Le P. Martelet a établi un critère d'après lequel juger* LA NON-RÉSISTANCE DE FAIT.
*Cet apport est précieux, et nous ne l'oublierons pas. Oui, nous avons toujours pensé que dans une société qui subit l'agression principale, constante et multiforme du communisme* LA NON-INTERVENTION PEUT DEVENIR L'ÉQUIVALENT D'UNE APPROBATION TACITE.
*Les* « *conclusions* » de *la Mission* de *France concernant* « *les problèmes posés par la guerre d'Algérie* », *c'est-à-dire le terrain sur lequel le communisme fait porter son plus grand effort politique,* N'ONT PAS UN MOT POUR CETTE ACTION COMMUNISTE QUI TROUBLE ET PERVERTIT TANT DE CONSCIENCES, MÊME CHRÉTIENNES.
\*\*\*
- UNE VOIX COMMUNISTE. -- L'un des principaux dirigeants de l'appareil communiste en France, Fernand Grenier, a commenté les « conclusions » de la Mission de France dans le journal de son fief électoral, Saint-Denis républicain, numéro du 20 mars :
« Chaque jour, des non-communistes se joignent aux communistes pour mener la lutte pour la paix en Algérie, contre les rampes de lancement de fusées, pour l'unité ouvrière (...) Il est de nombreux catholiques qui partagent de plus en plus notre manière de voir sur bien des points. »
*Fernand Grenier cite plusieurs passages des* « *conclusions* » *de la Mission de France qu'il attribue à de* « *hauts dignitaires* » (!?), *et il remarque *:
« Ainsi, de hauts dignitaires de l'Église habitués à peser chaque mot, vont jusqu'à reconnaître le droit du peuple algérien à l'indépendance. »
*Puis, se retournant contre le journal anti-communiste local,* Le Dionysien, *Fernand Grenier lance l'anathème *:
« Non, elle n'est pas composée de VRAIS CHRÉTIENS, cette équipe du *Dionysien.* »
*Fernand Grenier décide où sont les* « *vrais chrétiens* ».
*Ceux qui trouveraient que l'éditorial du présent numéro manque d'exemples concrets, spécialement au chapitre de la discrimination entre les* « *bons catholiques* » *et les* « *mauvais* », *n'auront qu'à y joindre les citations et remarques ci-dessus.*
\*\*\*
- ENCORE UN MOT. -- *C'est un mot d'André Frossard dans* L'Aurore *du 24 mars :*
« ...Le *Canard enchaîné* me reproche de n'avoir pas fait écho à un texte de la Mission de France sur l'Algérie et la question toujours actuelle des tortures -- comme si je n'avais jamais parlé de ce triste sujet.
87:23
« Je répéterai donc que je hais les violences physiques exercées sur des êtres désarmés, quelles que soient les victimes et quels que soient les tortionnaires, le lieu, l'époque, le camp et les prétendues « justifications » des sévices.
« Cela dit et redit (...), j'avoue à ma honte que je ne sais au juste ce que l'on appelle la *Mission de France.* Je croyais qu'il s'agissait d'une institution apostolique chargée de ramener au catholicisme nos villes, nos campagnes et, en passant, le *Canard enchaîné* lui-même. Mais cela doit être fait, puisqu'elle n'en parle plus. »
Quand on aime le Pape, on ne s'arrête pas à discuter sur ce qu'il conseille ou exige, à chercher jusqu'où va le devoir rigoureux de l'obéissance, et à marquer la limite de cette obligation.
Quand on aime le Pape, on n'objecte point qu'il n'a pas parlé assez clairement, comme s'il était obligé de redire directement à l'oreille de chacun sa volonté clairement exprimée tant de fois, non seulement de vive voix, mais par des lettres et autres documents publics ; on ne met pas en doute ses ordres sous le facile prétexte, de qui ne veut pas obéir, qu'ils n'émanent pas directement de lui, mais de son entourage ; on ne limite pas le champ où il peut et il doit exercer sa volonté.
Saint PIE X, 2 décembre 1912.
88:23
### Les vignerons homicides
« ...Et ils en maltraitèrent encore beaucoup d'autres, battant les uns, tuant les autres. Et il restait encore quelqu'un, un fils bien aimé. Il l'envoya vers eux le dernier, disant : « Ils respecteront mon fils. » Nous laissons à nos lecteurs le soin de compléter la citation en lisant les chapitres XII et XXI de s. Marc et de s. Matthieu, ou l'évangile du vendredi de la deuxième semaine de carême.
Quand nous lisons cette parabole, nous sommes tentés de l'appliquer uniquement aux Juifs à qui notre Seigneur s'adressait. « Le règne de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en fera les fruits. » Et s. Ambroise ajoute : « Il n'est sorti aucun fruit de la vigne des Juifs ; il n'y avait rien à la récolte. C'est pour eux que le Seigneur a dit : J'attendais des fruits et ma vigne n'a donné que des épines. »
Hélas ! Hélas ! Notre cas n'est-il pas le même que celui des Juifs ? Voilà dix huit cents ans que le christianisme est prêché en ce pays. Quels fruits donnons-nous ? Qu'est devenue cette société chrétienne qui a reçu le dépôt de la foi ?
89:23
Un foyer d'incrédulité et d'apostasie que cette civilisation propage dans le monde. L'émancipation des femmes est un bienfait du christianisme ; les modes parisiennes font de cette émancipation un appel à la luxure qui est un scandale pour les peuples non chrétiens conservant quelque chose de la loi naturelle. Vous croyez que les chrétiennes rougissent de ces modes ? Dans l'ensemble, elles rougiraient de ne pas les suivre d'assez près.
Dans toutes les nations de l'univers, les « idées françaises » sont celles de la Révolution et tous les imbéciles et les révoltés de l'univers acclament la France comme le pays où on s'est révolté contre Dieu et contre toute sorte d'autorité. Des moyens puissants ont été donnés à la civilisation occidentale, et les hommes de l'Occident s'en enorgueillissent comme s'ils avaient des dons supérieurs. Ces moyens leur ont été donnés parce qu'ils avaient reçu le dépôt de la foi et pour qu'ils puissent porter la foi aux extrémités de la terre. Et c'est au moment où le long labeur des artisans européens qui ont créé l'outillage utile aux savants et où les efforts des savants aboutissaient à leur donner cette puissance que les Occidentaux ont rejeté comme trop lourde l'armure chrétienne qui les protégeait contre leurs concupiscences.
Que peut présenter la France en tant que nation ? Elle a pillé l'Église, tué des milliers de ses propres enfants parce qu'ils étaient prêtres, persécuté la religion. Il y a cinquante ans seulement, elle a chassé les religieux, volé l'Église une seconde fois en même temps que ses simples citoyens. Elle impose un enseignement qui est hypocritement tourné contre la religion ; elle vise au monopole de la formation des esprits pour continuer plus aisément cette tâche diabolique. Sur dix Français, il reste un chrétien ; huit autres sont des faibles ou des gens trompés. Dans les colonies où la France a envoyé des médecins et des administrateurs, dépensé des fortunes, elle a persécuté les missionnaires, tari leur recrutement.
90:23
Au lieu d'enseigner le décalogue à tous ces peuples qui en avaient d'ailleurs quelqu'obscure connaissance et pour qui c'était le premier progrès à faire, elle leur a enseigné, comme à ses propres enfants, la Grande Révolution. Au lieu d'en faire des agriculteurs, elle en a fait des certifiés et des brevetés sans emploi et sans l'armure de la foi. Qu'elle ne s'étonne point de récolter aujourd'hui ce qu'elle a semé.
Qu'a fait le « royaume de Marie » des avertissements de la Sainte Vierge ? Voici quatre-vingt, cent, cent dix, cent trente ans qu'elle parle d'une manière véritablement extraordinaire même dans les annales de l'Église ; elle demande qu'on se convertisse et qu'on fasse pénitence. Jamais on n'a moins fait pénitence, jamais on n'a autant manqué d'Espérance, car on n'a jamais autant recherché le paradis sur la terre, jamais on n'a fui autant la croix qui est l'unique moyen de salut. Les châtiments prédits il y a cent ans nous ont atteints. La guerre de 14 en était un à cause de tant de sang répandu. Ce châtiment ne fut pas compris comme tel, et pourtant si nous eussions eu soixante millions d'habitants pour avoir respecté les lois chrétiennes du mariage, l'Allemagne ne nous aurait point attaqués. Si les passions antireligieuses n'avaient point amené en France un esprit de guerre civile, enlevé tout frein à la dépravation des mœurs, l'Allemagne nous eût respectés.
Nous avons été châtiés à nouveau en 1940, d'un châtiment de miséricorde. Notre jeunesse dans l'ensemble a été épargnée, car Dieu sait que les Français sont un peuple trompé par de mauvais bergers. Et dans le désastre Dieu a envoyé un homme intègre et fort, respecté de l'ennemi qu'il avait battu, un homme très maître de lui, sachant plier, souffrir et tenir. Cet homme voulait préparer le relèvement de la France en recherchant des institutions conformes à la nature des sociétés humaines. Il a rappelé les religieux, donné un statut équitable à l'école, recherché les bases d'une organisation professionnelle afin de faire disparaître la lutte des classes. Les Français l'ont laissé mourir en prison. « Et derechef, il envoya vers eux un autre serviteur. Et celui-là, ils le frappèrent à la tête et le traitèrent indignement. » (Marc, XII, 4.)
91:23
Des catholiques ont prêté la main à cette effroyable injustice, ils ont présidé aux tribunaux d'exception animés par la haine partisane. Ils se sont ensuite associés à ceux qui veulent détruire les sociétés naturelles. Il y a cinquante ans, Fernand Buisson, le Bayet de l'époque, écrivait : « Quant à reconnaître à un groupement artificiel d'hommes, quels qu'ils soient, -- à une caste, à une famille, à une corporation industrielle ou à une communauté religieuse des droits naturels analogues à ceux de l'individu, nos pères n'y ont pas songé, ou plutôt ils se sont révoltés à cette idée qui représentait pour eux l'ancien ordre de choses. » Nos catholiques ont prêté la main aux nationalisations et à toutes les mesures étatiques qui préparent la tyrannie communiste. Or tout cela était contraire à la doctrine sociale de l'Église, qui ne croit pas que la famille et la corporation soient des « groupements artificiels ». Elle rejette également la solution communiste et la solution socialiste : « Socialisme religieux, socialisme chrétien sont des contradictions, disait Pie XI. Personne ne peut être en même temps bon catholique et vrai socialiste. » « ...De même qu'on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s'acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler très gravement l'ordre social, que de retirer aux groupements d'ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d'un rang plus élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L'objet naturel de toute intervention en matière sociale est d'aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber. » Pie XI *insiste,* le mot est de lui, sur un point :
92:23
« L'homme est libre, non seulement de créer de pareilles sociétés d'ordre et de droit privé, mais encore, comme dit Léon XIII, de leur donner les statuts et règlements qui paraissent le plus appropriés au but poursuivi. » Les catholiques qui croient cet enseignement dépassé ne voient pas qu'il s'agit là de principes fondamentaux applicables à toutes les sociétés de tous les temps et qu'ils ne sont dépassés que par leurs erreurs. Ils sont victimes de l'enseignement universitaire ; ils sont de ces gens trompés qui dans leur bonne foi veulent guérir le mal par les principes qui l'ont créé. Ils ont cru combattre la lutte des classes et au lieu de chercher les moyens de l'éliminer, ils ont pris parti dedans en formant des organisations qui la rendent inévitable. Ils n'en sont pas moins, avec de bons sentiments et beaucoup de sentimentalité, en dehors de la doctrine sociale chrétienne.
Et nous-mêmes que Dieu a préservé de ces erreurs, n'avons-nous pas ressenti maintes fois dans nos âmes que nous faisions partie des scribes et des pharisiens à qui s'adressaient les reproches de Notre-Seigneur ? Nos propres péchés ont percé les pieds et les mains et fait compter tous les os de Jésus sur la croix.
Comment ne pas nous appliquer à nous-mêmes la parabole des vignerons ? Et si nous étions seuls ! Les Anglo-Saxons, semblables aux anciens Juifs prennent la réussite matérielle pour le signe de l'approbation divine, plus éloignés en cela que beaucoup de nos incroyants mêmes qui sont habitués à ne pas réussir. Nous n'avons pas respecté le Fils.
Chrétiens, mes frères, nous savons qu'il y a parmi vous des âmes choisies qui « souffrent tout pour les élus » suivant le mot de s. Paul, et qui, leur devoir d'état accompli, contemplent les plaies du Christ et vivent les Béatitudes : bienheureux les pauvres en esprit, bienheureux ceux qui sont doux, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, bienheureux les miséricordieux, bienheureux ceux qui ont le cœur pur, bienheureux les pacifiques, bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice...
93:23
Ceux-là apaiseront la colère de Dieu et travailleront au relèvement de la France, que s. Pie X a prophétisé. Mélanie disait : « la France sera humiliée jusqu'au centre de la terre. » Nous pouvons comprendre que cela signifie : jusqu'à l'équateur. Trop de chrétiens sont envahis par le naturalisme. Craignons donc que le « Royaume de Dieu ne nous soit enlevé » pour être confié aux hommes du Viêt-Nam ou de l'Ouganda, qui d'ailleurs le tiennent de nos missionnaires. Notre nation est certainement très coupables aux yeux de Dieu. Dans ses *Considérations sur la France* Joseph de Maistre écrit (p. 8) : « (La France) était surtout à la tête du système religieux... Or comme elle s'est servi de son influence pour contredire sa vocation et démoraliser l'Europe, il ne faut pas être étonné qu'elle y soit ramenée par des moyens terribles... » Et plus loin (p. 27) : « la Providence qui proportionne toujours les moyens à la fin... a donné à la nation française deux instruments et pour ainsi dire deux *bras,* avec lesquels elle remue le monde : sa langue et l'esprit de prosélytisme, qui forme l'essence de son caractère ; en sorte qu'elle a constamment le besoin et le pouvoir d'influencer les hommes... Quant à l'esprit de prosélytisme, il est connu comme le soleil ; depuis la marchande de modes jusqu'au philosophe, c'est la partie saillante du caractère national.
« Ce prosélytisme passe communément pour un ridicule, et réellement il mérite souvent ce nom, surtout par les formes ; dans le fond, cependant c'est une fonction. Or c'est une loi éternelle du monde moral que toute fonction produit un devoir...
« En un mot, s'il ne se fait pas une révolution morale en Europe ; si l'esprit religieux n'est pas renforcé dans cette partie du monde, *le lien social est dissous.* On ne peut rien deviner, et il faut s'attendre à tout. Mais s'il se fait un changement heureux sur ce point, ou il n'y a plus d'analogie, plus d'induction, plus d'art de conjecturer, ou c'est la France qui est appelée à le produire. »
94:23
L'esprit dévore le temps ; ce texte a été publié en 1796 et il est toujours actuel, car les Français ne l'ont pas encore compris, je dis même les catholiques. Cependant, la dissolution du lien social est évidente et n'a fait que s'accroître depuis un siècle ; nos institutions ne font que la précipiter. La Révolution morale que Joseph de Maistre demandait, le Saint-Père ne cesse de la prêcher ; mais comme il y a interdépendance des causes, des institutions où la loi du nombre seule fonde le droit empêchent la réforme morale.
Les Français avaient en 1945 une occasion unique d'unir l'Europe occidentale, épuisée, ravagée, humiliée, autour de quelques idées justes et les catholiques étaient à même d'y contribuer éminemment puisque ce qui reste de t'Europe est catholique. Ils n'ont ni pardonné à leurs ennemis, ni amnistié les erreurs, ce qui était la sagesse chrétienne et humaine. Leur aveuglement les a conduits à faire une politique partisane en France, et en Europe contre des pays catholiques. L'Europe pantelante et plus menacée que jamais attend que la France se décide à remplir son rôle.
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MAIS LES DONS DE DIEU sont sans repentance. Les Juifs eux-mêmes, malgré la ruine de leur État, la dispersion et ses misères, sont miraculeusement le seul peuple subsistant de tous les peuples de l'antiquité. Les Égyptiens ont disparu, les Grecs ont disparu. Les Gaulois, les Romains, les Ibères aussi. Sans doute subsistent des traditions intellectuelles, car même dans l'ignorance des œuvres du passé nous sommes héritiers de ceux qui les ont connues et qui nous ont formés ; et ainsi de génération en génération. Mais si le sang des Romains ou des Celtes subsiste, nos peuples ont perdu tout lien social ou religieux avec le passé de leurs ancêtres.
95:23
De notre temps même, que deviennent les Allemands, les Français qui ont émigré en Amérique ? Les feriez-vous revenir en Europe ? Cependant un million de Juifs est accouru de tous les pays pour se jeter dans les difficultés, la pauvreté et la guerre sur la terre promise il y a quatre mille ans à leur ancêtre Abraham. Les Juifs demeurent avec leur Livre, le livre des promesses divines et des prophéties ; et ils se trouvent ainsi garants des Écritures pour nous-mêmes, chrétiens, et pour le reste de l'univers. La Providence a fait rentrer ce peuple en Israël pour y attendre sa conversion et la fin des temps en servant de bastion à la chrétienté au sein des ennemis de la foi. Quelle philosophie matérialiste de l'histoire peut expliquer pareil miracle !
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LA FRANCE restera *malgré elle* la fille aînée de l'Église et les châtiments même qu'elle subit en sont le signe. Elle peut, si elle le veut, redevenir le modèle de la chrétienté. Dieu lui a donné tout ce qu'il faut pour cela : les saints d'abord, de tous les modèles, actifs et contemplatifs ; des missionnaires martyrs, des missionnaires de l'enseignement, des officiers chrétiens héroïques et sainte Thérèse de Lisieux, des hommes de génie et des traditions. Mais il lui faut pour l'instant s'attendre, comme le royaume de Juda infidèle, à subir les conséquences de son infidélité. Comme le disait s. Pie X, « les fautes ne resteront pas impunies ». Nous voyons les moindres peuplades se préparer à la curée d'une nation qui se désagrège dans l'absence de gouvernement et d'une foi morale. Mais ajoutait s. Pie X, « elle ne périra pas la fille de tant de mérites de tant de soupirs et de tant de larmes ». Mais les chrétiens doivent s'attendre à payer pour leurs frères et s'y préparer. Voici cent ans que Marie nous a rappelé à Lourdes la pénitence nécessaire. Pour se faire croire, elle a multiplié les miracles. Qu'avons-nous fait ? Il ne s'agit pas des incroyants mais de nous-mêmes.
96:23
Un visiteur demandait en 1870 à s. Bernadette si elle ne craignait pas les Prussiens et elle répondit : « Je ne crains que les mauvais chrétiens. » Tremblons, car qui peut se dire tel que Dieu le veut ? Le don de crainte est un don du Saint-Esprit. Nous ne savons même plus prendre nos malheurs comme des pénitences, et des pénitences mille fois méritées. Quand nous aurons retrouvé l'esprit de pénitence, alors pourra s'accomplir la suite de la prophétie de s. Pie X : « Et elle, tremblante et étonnée dira : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » Et lui : « Lève-toi, lave-toi des souillures qui t'ont défigurée, réveille dans ton sein les sentiments assoupis et le pacte de notre alliance, et va, Fille aînée de l'Église, nation prédestinée, vase d'élection, va porter comme par le passé mon nom devant tous les peuples et tous les rois de la terre. »
D. MINIMUS.
97:23
## Enquête sur la Corporation
### Réponse de Georges Dumoulin
J'ai beaucoup d'estime pour les personnes qui collaborent à cette revue et je m'incline devant leur savoir.
Les personnalités qui répondent à l'enquête sur la corporation ont l'habitude de manier les textes, d'utiliser les références, de puiser aux sources, d'analyser les exégèses. L'école les a outillés pour cette tâche et leur a procuré un style leur permettant de dégager d'un problème temporel ce qu'il contient d'humanisme, de philosophie et de spiritualité.
Ceci explique mon respect et mon estime.
Je demande humblement aux lecteurs de me tolérer parmi ces écrivains et de m'accorder audience. Certes, l'outillage scolaire me manque ; j'écris comme je peux, comme je sais, comme je parle. Il m'a souvent été dit : « on te reconnaît à ton style » ; je n'ai pas la prétention d'en avoir un. Je crois plutôt que ma façon d'écrire risque d'indisposer le lecteur parce que les traits sont rudes, les images vivement colorées et les phrases sans élégance.
Le lecteur me pardonnera.
Il m'a souvent été répété que j'étais un autodidacte ; je n'ai pas cherché à comprendre ce que ce mot signifiait. C'était trop savant pour moi.
Parmi ceux qui répondent à l'enquête, j'ai lu avec un vif plaisir le nom de mon vieil ami Hyacinthe Dubreuil. Il fut, « il l'est toujours par le cœur et l'âme », un bon ouvrier mécanicien. Comme moi, il n'a pas dépassé l'école primaire. Cette disgrâce ne l'a pas empêché d'écrire des ouvrages remarquables sur les problèmes du travail et la vie des hommes de métier. Il défend une conception qui se définit dans la démocratie industrielle et qui résulte des expériences qu'il a vécues.
98:23
Je me sens très à l'aise en sa compagnie même si nous n'arrivons pas aux mêmes conclusions concernant l'enquête. J'en dis autant pour les autres.
Ceci établi, je me réserve la faculté de répondre aux questions posées par Jean Madiran, non pas pour faire revivre l'histoire mais pour parler du présent et envisager, si possible, l'avenir.
Il s'agit du monde du travail, n'est-ce pas ?
A quoi servira de lui peindre des tableaux corporatifs du Moyen Age ? Est-il nécessaire de lui rappeler pourquoi et par quels moyens la bourgeoisie française a trucidé les corporations quand elle a remplacé la noblesse au pouvoir ? Faut-il l'instruire systématiquement de ce que fut l'œuvre doctrinale de la Tour du Pin et l'œuvre pratique du comte de Mun ? Est-il opportun de replacer dans son esprit les efforts tentés par le Maréchal Pétain en vue de tracer deux chemins parallèles que devaient suivre les groupements issus de la Charte du Travail et ceux que devait engendrer le Corporatisme rajeuni ?
On peut repeindre, rappeler, instruire, replacer tout ce patrimoine et tous ces souvenirs dans le diorama du monde du travail. Mais ce n'est pas le vrai problème.
Toutefois, il faut faire une place à part, une place de choix aux encycliques pontificales sans l'esprit desquelles il serait vain de vouloir construire un monde du travail à l'image de l'homme chrétien.
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MAINTENANT expliquons-nous.
Un siècle et demi a passé sur nous. Ce fut l'ère du machinisme, des sociétés anonymes, des concessions minières, des capitaux concentrés, des salariés collectivement embrigadés, du prolétariat exploité. Ce fut aussi l'ère des classes, des prophéties révolutionnaires, du marxisme à l'état pur et scientifique.
Le machinisme, créateur de richesses pour les capitalistes et de misère pour les prolétaires, ne procurait pas cependant aux Maîtres de l'époque les moyens d'écarter l'instinct de coalition qui s'était réveillé dans l'esprit des travailleurs. Ces derniers se groupèrent pour se défendre. Leurs sociétés mutualistes devinrent des groupes de résistance et d'attaque d'où sont issues les premières grèves et d'où est sorti le syndicalisme.
99:23
D'autres que moi se chargeront d'expliquer pourquoi la Restauration, le Second Empire et la politique du dix-neuvième siècle n'ont pas permis le retour au Corporatisme.
Nous avons donc, derrière nous, un siècle de syndicalisme qui a connu toutes les phases d'un développement rapide pour aboutir à *une* apogée incertaine. Ce syndicalisme a été secoué par tous les vents, par tous les orages et toutes les tempêtes engendrés par lui-même et par les poussées de fièvre politique, par les drames des guerres internationales et mondiales.
Il a connu le romantisme, la générosité, l'impulsivité, l'influence anarchiste, l'ingérence politique.
Il fut le syndicalisme avec ses violences, ses faiblesses, sa noblesse. C'est de lui que sont venues les réformes qui ont justifié l'usage d'un parlementarisme légiférant et améliorateur. Tous sont venus à lui, depuis le terrassier jusqu'au professeur en Sorbonne, depuis le cantonnier jusqu'au plus haut commis du Trésor. Ceux qui sont venus à lui les premiers étaient des humbles : des menuisiers, des charpentiers, des chapeliers, des bouchers, des boulangers, des typos, des mineurs. Ceux qui sont venus à lui les derniers étaient des hauts fonctionnaires, des hommes instruits, des cultivés. Le syndicalisme ne doit rien au savoir, rien à la culture ; il doit tout aux hommes qui avaient des bras, des mais, des épaules de producteurs. Il est à ce titre le fils légitime des corporations anciennes, le descendant direct du compagnonnage et du mutualisme de l'autre siècle.
Il a fait sa part ; il a fait également son temps. A l'origine il a groupé les producteurs pour qu'ils défendent leur vie et améliorent leur sort. Il a groupé des hommes par métier pour que le métier soit noble, digne, respecté. Ce qui comptait c'était l'ouvrage, l'objet sorti des mains de l'artisan ou du compagnon ; le salaire n'occupait pas la première place. Aujourd'hui c'est le salaire qui compte. L'objet fabriqué est noyé dans la masse. L'objet est un véhicule portant une marque, un amas de chaussures, un stock de tissus et de vêtements, un assemblage d'instruments de ménage, une immense remise de meubles et de bibelots et combien d'autres marchandises. Tout est devenu marchandises. Les cheminots, les traminots, les transporteurs, les postiers vendent des services. Les fonctionnaires, les administratifs ne vendent rien, et drainent la matière fiscale ; les enseignants vendent de la culture.
100:23
Le salariat sous sa forme actuelle n'est plus un salariat de producteurs, d'hommes de métier ; c'est un salariat de consommateurs, d'acheteurs. Le syndicalisme des temps présents correspond à ce salariat. Peut-être même a-t-il du retard sur lui puisqu'il lui arrive encore de considérer l'ouvrier en fonction de son travail et de son entreprise. Mais tout le mouvement social est maintenant lancé sur la même pente qui s'appelle le pouvoir d'achat, qui est en même temps le pouvoir de vente et le pouvoir d'écoulement. Il n'est question que de salaire minimum garanti, de prime d'assiduité, de prime de vacances, de prime de sursalaire social, de sursalaire familial et d'avantages en nature.
Le Salarié syndiqué est un consommateur groupé. C'est sans doute ce qui explique la faiblesse du mouvement coopératif français.
Quoi de plus éloquent que la rupture avec les deux cent treize articles de consommation pour atteindre les deux cent trente. C'est que, depuis plusieurs années, le véhiculisme et les arts ménagers sont entrés dans les habitudes des salariés consommateurs. Et ce n'est pas fini. Les générations montantes iront au-delà et voudront davantage. Les chefs d'entreprise, les technocrates et les dirigeants du marché commun pousseront dans cette direction. Ainsi, et du même coup, les prophéties marxistes, les espérances du syndicalisme révolutionnaire et le paupérisme de M. Thorez s'en iront en fumée. Une tare s'y ajoutera, celle de l'État pieuvre, de l'État train de vie, de l'État fardeau.
\*\*\*
Le syndicalisme d'aujourd'hui se dit libre. Il n'a que ce seul moyen pour se distinguer de la C.G.T. qui ne l'est pas et qui par conséquent ne compte pas.
Mais quel est l'avenir du syndicalisme libre si le métier ne compte plu : ; et si les travailleurs ne sont que des consommateurs syndiqués ?
Le syndicalisme libre me paraît engagé sur la voie qui le conduit à n'être plus qu'un groupement d'hommes d'affaires. Cette forme nouvelle n'est encore, en ce qui concerne notre pays, qu'à l'état d'ébauche. Ses traits nouveaux sont vaguement dessinés dans la C. F. T. C. et dans F. O., mais ils existent. Ils sont plus visibles et plus marqués dans la C. G. C. et dans les Groupements de fonctionnaires parce qu'il s'agit des cadres et des administrateurs habitués aux calculs et aux chiffres.
101:23
Le désir des experts ouvriers en affaires est d'accroître leurs connaissances pour en savoir autant que les experts patronaux afin que les arguments s'égalisent dans les assemblées où les intérêts se confondent.
N'allons pas croire que des violences comme celles qui se sont produites à St-Nazaire se rattachent aux anciennes coutumes du syndicalisme. Elles sont dans la ligne nouvelle du salariat et elles signifient coût de la vie, primes, transports payés, avantages sociaux.
On voit alors combien nous nous éloignons du travail, du métier, de l'homme producteur.
Le plus grave, c'est que notre syndicalisme libre tourne ses regards et ses ambitions vers la puissance syndicale américaine dont il admire la fortune et la force. Notre Syndicalisme libre est parfaitement conscient de sa faiblesse par rapport à la capacité de production du trayait américain. Les industriels français sont soumis au même complexe d'infériorité. Cependant, il n'empêche que les producteurs français, ouvriers et patrons regardent vers les U.S.A. avec les yeux de l'espérance.
Jusqu'où ira cette admiration des salariés consommateurs français pour leurs collègues d'Amérique ? On veut croire qu'ils ne les imiteront pas complètement.
Dans le courant des mois de mars et d'avril 1957, un magazine français, « Paris Match », a publié sous la signature de Raymond Cartier des informations étranges et d'un caractère hallucinant sur le syndicalisme américain. S'il faut en croire cet écrivain, le monde du travail des U.S.A. serait profondément pénétré par le gangstérisme qui emploie, en certains lieux, les procédés du banditisme. Les transports routiers et les quais des grands ports seraient les plus contaminés. Une Commission du Sénat américain a ouvert une enquête : des chefs ouvriers ont été interrogés, les grands leaders, Meany et Reuther, l'un et l'autre dirigeants de la Fédération américaine du Travail, qui groupe 5 millions de membres depuis son unification avec le C.I.O., sont intervenus vigoureusement pour rétablir l'honnêteté syndicale et professionnelle. Leurs efforts ont été vains, autant que ceux des sénateurs. Les deux leaders ouvriers ont usé de menaces, de contraintes, d'excommunication. Le dollar, le revolver, le meurtre impuni ont été plus forts qu'eux.
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Si Raymond Cartier a écrit la vérité, le phénomène syndical américain devient troublant et la séduction qu'il exerce sur le syndicalisme libre doit être dénoncée et combattue.
Mais, quoiqu'il en soit et quoiqu'il advienne, le monde du travail français ne suit pas la voie qui convient à l'homme créature de Dieu. Par suite, le retour aux corporations redevient une perspective des temps présents. Elle appelle des constructeurs, des novateurs, si j'ose dire des rédempteurs.
\*\*\*
AVEC MES FAIBLES MOYENS, je vais tenter de tracer les lignes essentielles de cette perspective.
Selon moi, il faut une base de départ, un lieu de rencontre naturel, un endroit où se tresse le lien entre le chef, les techniciens et les ouvriers. La base, le lieu, l'endroit c'est l'entreprise. Le lien s'assouplit dans la grande entreprise dont l'enceinte abrite des métiers divers concourant à la production des mêmes objets. Il est plus serré dans la petite entreprise qui n'offre pas de variétés. Le lien du métier permet l'usage de la commandite autonome groupant des hommes par affinités de cœur et âme autour d'une tâche particulière.
Ainsi on voit déjà renaître les corporations sur les bases nouvelles des temps présents. L'entreprise est à l'entrée de la perspective. Elle se donne un but, la communauté.
De ce point de départ, la perspective s'étend à travers le pays par les mille chemins qui relient les cités entre elles. Par ces mille chemins et dans ces cités, les corporations réunies deviennent locales ; elles y ont leur siège, leur lieu de rassemblement, leur centre de culture et de foi.
La perspective emprunte les chemins des industries et dans chacune d'elles les corporations s'associent régionalement et nationalement. Dans chacune des économies industrielles, les ententes s'élaborent au profit du bien commun, au bénéfice des métiers communs. Les ententes sont garanties par une juridiction corporative, ayant à la fois pouvoir de conciliation et pouvoir d'arbitrage. Je me borne à cette ébauche, à cette esquisse. D'autres apporteront des matériaux complémentaires que je souhaite meilleurs que les miens.
Georges DUMOULIN.
103:23
## DOCUMENTS
#### Discours de Pie XII aux familles nombreuses.
*Le* 20 *janvier, le Saint-Père a prononcé un discours sur* LE RÔLE PROVIDENTIEL DES FAMILLES NOMBREUSES, *au cours d'une audience donnée aux dirigeants de trois organisations italiennes de familles nombreuses.*
*Les familles nombreuses, a dit le Souverain Pontife, sont les plus bénies de Dieu ; elles sont aimées et estimées par l'Église comme ses plus précieux trésors ; elles portent un triple témoignage *;
1 -- *de la santé physique et morale du peuple chrétien *;
2 -- *de la foi vive en Dieu *;
3 -- *de la sainteté féconde et heureuse du mariage catholique.*
*Ce discours a été prononcé en italien. Nous reproduisons la traduction publiée par* L'OSSERVATORE ROMANO*, édition en languie française du* 31 *janvier. Les intertitres sont de notre rédaction.*
Parmi les visites les plus agréables à Notre cœur, Nous comptons la vôtre, chers fils et filles, dirigeants et représentants des Associations de Familles Nombreuses de Rome et d'Italie. Vous connaissez en effet la vive sollicitude que Nous nourrissons envers la famille ; Nous ne négligeons aucune occasion d'en illustrer la dignité dans ses aspects multiples, d'affirmer et de défendre ses droits, d'insister sur ses devoirs, en un mot d'en faire un point fondamental de Notre enseignement paternel.
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En raison de cette sollicitude envers la famille, Nous consentons volontiers, lorsque les occupations de Notre charge ne s'y opposent pas, à Nous entretenir, ne fût-ce que quelques instants, avec les membres de familles qui viennent dans Notre demeure, et même lorsque c'est le cas, à Nous laisser photographier au milieu d'eux, pour perpétuer en quelque sorte le souvenir de Notre joie et de la leur. Le Pape au milieu d'une famille ! N'est-ce donc pas là une place qui lui revient vraiment ? N'est-il pas Lui-même, en un sens hautement spirituel, le Père de la famille humaine, régénérée dans le Christ et dans l'Église ? Et n'est-ce pas par son intermédiaire de Vicaire du Christ sur la terre, que se réalise l'admirable dessein de la Sagesse créatrice, qui a ordonné toute paternité humaine à préparer la famille des élus du ciel, où l'amour de Dieu, Unique dans la Trinité, l'enfermera dans un seul et éternel embrassement, en se donnant Lui-même en un héritage de béatitude ?
Cependant vous ne représentez pas seulement la famille, mais vous êtes, vous représentez les familles nombreuses, c'est-à-dire celles qui sont bénies davantage par Dieu, qui sont chéries et estimées par l'Église comme ses plus précieux trésors. De celles-ci, en effet, elle reçoit plus manifestement un triple témoignage, qui confirme aux yeux du monde la vérité de sa doctrine et la justesse de son application, et qui se révèle aussi, en vertu de l'exemple, d'un grand avantage pour toutes les autres familles et pour la société civile elle-même. Car là où on en rencontre fréquemment les familles nombreuses attestent la santé physique et morale du peuple chrétien -- la vive foi en Dieu -- la sainteté féconde et heureuse du mariage catholique. Nous désirons vous dire quelques brèves paroles sur chacun *de* ces témoignages.
I. -- La santé physique et morale\
du peuple chrétien\
et le « contrôle des naissances ».
Il convient de ranger parmi les aberrations les plus nuisibles de la société moderne paganisante l'opinion de certains qui osent qualifier la fécondité des mariages de « maladie sociale », dont les nations qui en sont atteintes devraient s'efforcer de guérir par tous les moyens. D'où la propagande de ce qu'on appelle le « contrôle rationnel des naissances », soutenu par des personnes et des organisations, parfois insignes à d'autres titres mais en cela malheureusement condamnables.
Mais s'il est douloureux de relever la diffusion de telles doctrines et pratiques, même dans les milieux traditionnellement sains, il est toutefois réconfortant de noter dans votre pays les symptômes et les faits d'une saine réaction, dans le domaine aussi bien juridique que médical.
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Comme on le sait, la Constitution actuelle de la République Italienne, pour ne citer que cette source, accorde, à l'article 31, une « considération particulière aux familles nombreuses », et quant à la doctrine la plus courante des médecins italiens, elle prend parti de plus en plus contre les pratiques qui limitent les naissances.
Il ne faut pas estimer pour autant que le péril a cessé ni que sont détruits les préjugés tendant à asservir le mariage et ses sages normes aux coupables égoïsmes individuels et sociaux. On doit réprouver particulièrement la presse qui revient de temps en temps sur la question avec l'intention manifeste de jeter la confusion dans l'esprit du bon peuple et de l'induire en erreur par des documentations tendancieuses, par des enquêtes discutables et même par des déclarations faussées de tel ou tel ecclésiastique.
Du côté catholique, il faut faire effort pour répandre la conviction, basée sur la vérité, que la santé physique et morale de la famille et de la société ne se protège qu'en obéissant généreusement aux lois de la nature, c'est-à-dire du Créateur, et, avant tout, en nourrissant pour elles un intime respect sacré.
Tout dans cette matière dépend de l'intention. On pourra multiplier les lois et augmenter les sanctions, démontrer par des preuves irréfutables la sottise des théories limitatives et les maux qui résultent de leur application ; mais si fait défaut la sincère volonté de laisser le Créateur accomplir librement son œuvre, l'égoïsme humain saura toujours trouver de nouveaux sophismes et expédients pour faire taire, si c'est possible, la conscience et perpétuer les abus. Or le témoignage des parents de familles nombreuses prend toute sa valeur dans le fait que non seulement ils rejettent sans ambages et pratiquement tout compromis intentionnel entre la loi de Dieu et l'égoïsme de l'homme, mais aussi qu'ils sont prêts à accepter avec joie et reconnaissance les dons inestimables de Dieu, que sont les enfants, aussi nombreux qu'il lui plaît. Tout en libérant les époux de cauchemars et remords intolérables, cette disposition d'esprit assure, de l'avis de médecins autorisés, les prémisses psychiques les plus favorables pour un sain développement des fruits propres au mariage, en évitant à l'origine même des nouvelles vies ces troubles et angoisses, qui se transforment en tares physiques et psychiques, chez la mère comme chez l'enfant.
En effet, en dehors de cas exceptionnels sur lesquels Nous avons eu l'occasion d'autres fois de parler, la loi de la nature est essentiellement harmonie et elle ne crée donc pas de désaccords ni de contradictions, si ce n'est dans la mesure où son cours est troublé par des circonstances pour la plupart anormales ou par l'opposition de la volonté humaine.
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Il n'y a pas d'eugénisme qui sache faire mieux que la nature et il n'est bon que lorsqu'il en respecte les lois, après les avoir profondément pénétrées, bien que dans certains cas de sujets tarés on conseille de dissuader ceux-ci de contracter mariage (cf. Enc. *Casti connubi,* 31 déc. 1930, *Acta Ap. Sedis,* a. 22, 1930, page 565). Toujours et partout, du reste, le bon sens populaire a vu, dans les familles nombreuses le signe, la preuve et la source de santé physique, tandis que l'histoire ne se trompe pas quand elle indique l'altération des lois du mariage et de la procréation comme la première cause de la décadence des peuples.
Les familles nombreuses, loin d'être la « maladie sociale », sont la garantie de la santé physique et morale d'un peuple. Dans les foyers où il y a toujours un berceau d'où s'élèvent des vagissements, les vertus fleurissent spontanément, tandis que le vice s'éloigne, comme chassé par l'enfance, qui s'y renouvelle ainsi qu'un souffle frais et vivifiant de printemps.
Que les pusillanimes et les égoïstes prennent donc exemple sur vous ; que la patrie vous conserve gratitude et prédilection pour tant de sacrifices assumés en élevant et éduquant ses citoyens ; quant à l'Église, elle vous est reconnaissante de pouvoir, grâce à vous et avec vous, présenter à l'action sanctifiante de l'Esprit divin des foules âmes de plus en plus saines et nombreuses.
II\. -- Témoignage de foi chrétienne.
Dans le monde civil moderne, la famille nombreuse, vaut en général, non sans raison, comme témoignage de la foi chrétienne vécue, parce que l'égoïsme, dont Nous venons de parler comme principal obstacle à l'expansion du noyau familial, ne peut être efficacement vaincu qu'en recourant aux principes éthiques et religieux. Récemment encore, on a vu que la fameuse « politique démographique » n'obtient pas de résultats notables, soit parce que presque toujours l'égoïsme individuel prévaut sur l'égoïsme collectif, dont elle est souvent l'expression, soit parce que les intentions et les méthodes de cette politique avilissent la dignité de la famille et de la personne en les comparant presque à des espèces inférieures, Seule la lumière divine et éternelle du christianisme illumine et vivifie la famille de telle sorte que, soit à l'origine, soit dans le développement, la famille nombreuse est souvent prise comme synonyme de famille chrétienne.
107:23
Le respect des lois divines lui a donné l'exubérance de la vie ; la foi en Dieu fournit aux parents la force nécessaire pour affronter les sacrifices et les renoncements qu'exige l'éducation des enfants ; l'esprit chrétien de l'amour veille sur l'ordre et sur la tranquillité, en même temps qu'il prodigue pour ainsi dire en les dégageant de la nature les intimes joies familiales, communes aux parents, aux enfants, entre frères.
Extérieurement aussi, une famille nombreuse bien ordonnée est comme un sanctuaire visible : le sacrement du baptême n'est pas pour elle un événement exceptionnel, mais renouvelle plusieurs fois la joie et la grâce du Seigneur. La série des joyeux pèlerinages aux fonts baptismaux n'est pas encore terminée que commence, resplendissante d'une égale candeur, celle des Confirmations et des premières Communions. A peine le plus petit des enfants a-t-il déposé son petit vêtement blanc parmi les plus chers souvenirs de sa vie qu'apparaît le premier voile nuptial, qui réunit au pied de l'autel parents, enfants et nouveaux parents. Comme des printemps renouvelés, d'autres mariages, d'autres baptêmes, d'autres premières Communions se succéderont, perpétuant pour ainsi dire dans la maison les visites de Dieu et de sa grâce.
Mais Dieu visite aussi les familles nombreuses avec les gestes de sa Providence, à laquelle les parents, spécialement ceux qui sont pauvres, rendent un témoignage évident, du fait qu'ils mettent en elle toute leur confiance, au cas où les possibilités humaines ne suffisent pas. Confiance bien fondée et nullement vaine ! la Providence -- pour Nous exprimer avec des concepts et des paroles humaines -- n'est pas proprement l'ensemble d'actes exceptionnels de la clémence divine ; mais le résultat ordinaire de l'harmonieuse action de la sagesse du Créateur, de sa bonté et de sa toute-puissance infinies. Dieu ne refuse pas les moyens de vivre à celui qu'il appelle à la vie. Le divin Maître a explicitement enseigné que « la vie vaut plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement » (cf. *Matth.* 6, 25). Si des épisodes particuliers, petits et grands, semblent parfois prouver le contraire, c'est un signe que quelque empêchement a été opposé par l'homme à l'exécution de l'ordre divin, ou bien, dans des cas exceptionnels, que prévalent des desseins supérieurs de bonté ; mais la Providence est une réalité, elle est exigée par le Dieu créateur. Sans aucun doute, ce n'est pas du défaut d'harmonie ou de l'inertie de la Providence, mais du désordre de l'homme -- en particulier de l'égoïsme et de l'avarice -- qu'a surgi et demeure encore sans solution le fameux problème du surpeuplement de la terre, qui, pour une part existe réellement, mais qui est, d'autre part, déraisonnablement redouté comme une catastrophe imminente de la société moderne.
108:23
Avec le progrès de la technique, avec la facilité des transports, avec les nouvelles sources d'énergie, dont on a tout juste commencé à recueillir les fruits, la terre peut promettre à tous ceux qu'elle accueillera la prospérité, pendant longtemps encore.
Quant au futur, qui peut prévoir quelles autres ressources nouvelles et ignorées renferme notre planète, et quelles surprises, en dehors d'elle, réservent peut-être les admirables réalisations de la science, qui viennent à peine de commencer ? Et qui *peut* assurer pour l'avenir un rythme de procréation naturelle égal à celui d'à présent ? L'intervention d'une loi modératrice intrinsèque du rythme d'expansion est-elle donc impossible ? la Providence s'est réservée l'avenir du monde. En attendant, c'est un fait singulier de constater que, tandis que la science convertit en réalités utiles ce qui était autrefois estimé comme le fruit d'imaginations enflammées, la crainte de certains transforme les espérances fondées de prospérité en spectres de catastrophes. Le surpeuplement n'est donc pas une raison valable pour diffuser les méthodes illicites du contrôle des naissances, mais plutôt le prétexte pour légitimer l'avarice et l'égoïsme, soit des nations qui redoutent l'expansion des autres comme un danger pour leur propre hégémonie politique et un risque d'abaissement de leur niveau de vie, soit des individus, -- surtout des mieux pourvus en moyens de fortune --, qui préfèrent la plus large jouissance des biens de la terre à l'honneur et au mérite de susciter de nouvelles vies. On en arrive ainsi à violer les lois certaines du Créateur sous prétexte de corriger les erreurs imaginaires de sa Providence. Il serait bien plus raisonnable et utile que la société moderne s'appliquât plus résolument et universellement à corriger sa propre conduite, en supprimant les causes de la faim dans les « régions sous-développées » ou surpeuplées, par une utilisation plus diligente dans des buts de paix des découvertes modernes, par une politique plus ouverte de collaboration et d'échange, par une économie plus prévoyante et moins nationaliste : surtout en réagissant contre les suggestions de l'égoïsme par la charité et de l'avarice par l'application plus concrète de la justice. Dieu ne demandera pas compte aux hommes du destin général de l'humanité, qui est de sa compétence ; mais des actes individuels voulus par eux conformément ou en opposition aux préceptes de la conscience.
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Quant à vous, parents et enfants de familles nombreuses, continuez à donner avec une ferme sérénité votre témoignage de confiance en la Providence divine, certains qu'elle ne manquera pas de la récompenser par le témoignage de son assistance quotidienne et, au besoin, par des interventions extraordinaires, dont beaucoup d'entre vous ont une heureuse expérience.
III\. -- La sainteté\
du mariage catholique.
Et maintenant, quelques considérations sur le troisième témoignage, afin de raffermir les inquiets et d'accroître chez vous le courage. Les familles nombreuses sont les corbeilles les plus splendides du jardin de l'Église, dans lesquelles, comme sur un terrain favorable, fleurit la joie et mûrit la sainteté. Tout noyau familial, même le plus restreint, est dans les intentions de Dieu une oasis de sérénité spirituelle. Mais il existe de profondes différences : là où le nombre des enfants ne dépasse guère celui de l'enfant unique, cette sérénité intime, qui a une valeur de vie, comporte alors en elle quelque chose de mélancolique et de pâle ; elle est de plus brève durée, peut-être plus incertaine, souvent troublée par des craintes et des remords secrets. En revanche, la sérénité d'esprit est différente chez les parents entourés d'une vigoureuse floraison de jeunes vies. La joie, fruit de la bénédiction surabondante de Dieu, se manifeste de mme manières, par une permanence stable et sûre. Sur le front de ces pères et mères, bien que lourd de pensées, il n'y a pas trace de cette ombre intérieure, révélatrice d'inquiétudes *de* conscience ou de la crainte d'un retour irréparable à la solitude. Leur jeunesse ne semble jamais passer, tant que dure dans la maison le parfum des berceaux, tant que les parois domestiques retentissent des voix argentines des enfants et petits-enfants. Les fatigues multipliées, les sacrifices redoublés, les renoncements à des divertissements coûteux sont largement compensés, même ici-bas, par l'abondance inépuisable d'affections et de douces espérances, qui assaillent leurs cœurs, sans toutefois les opprimer ni les lasser. Et les espérances deviennent bientôt des réalités, au moment où la plus grande des filles commence à apporter son aide à la mère pour s'occuper du dernier-né ; le jour où le fils aîné rentre rayonnant, pour la première fois, avec son premier gain. Ce jour-là sera particulièrement béni par les parents, qui voient désormais conjuré le spectre d'une vieillesse misérable et assurée la récompense de leurs sacrifices. De leur côté, les nombreux enfants ignorent l'ennui de la solitude et le malaise d'être contraints à vivre au milieu des plus grands.
110:23
Il est vrai que leur nombreuse compagnie peut se transformer parfois en une vivacité fastidieuse et leurs disputes en tempêtes passagères ; mais, quand celles-ci sont superficielles et de brève durée, elles concourent efficacement à la formation du caractère. Les enfants des familles nombreuses s'éduquent pour ainsi dire eux-mêmes à la vigilance et à la responsabilité de leurs actes, au respect et à l'aide mutuels, à la largeur d'esprit et à la générosité. La famille est pour eux le petit monde où ils s'exercent, avant d'affronter le monde extérieur, plus ardu et plus astreignant.
Tous ces biens et toutes ces valeurs prennent davantage de consistance, d'intensité et de fécondité lorsque la famille nombreuse prend comme base et comme règle l'esprit surnaturel de l'Évangile, qui élève tout au-dessus de l'humain et l'éternise. Dans ces cas, aux dons ordinaires de providence, de joie, de paix, Dieu ajoute souvent, comme l'expérience le démontre, les appels de prédilection, c'est-à-dire les vocations au sacerdoce, à la perfection religieuse et à la sainteté même. Plus d'une fois et à juste titre, on a tenu à mettre en relief la prérogative des familles nombreuses d'être des berceaux de saints ; on cite, entre autres, celle de saint Louis, roi de France, composée de dix enfants : de sainte Catherine de Sienne, de vingt-cinq ; de saint Robert Bellarmin, de douze ; de saint Pie X, de dix. Toute vocation est un secret de la Providence ; mais, pour ce qui est des parents, on peut conclure de ces faits que le nombre des enfants n'empêche pas leur excellente et parfaite éducation ; que le nombre en cette matière ne tourne pas au désavantage de qualité, par rapport aux valeurs aussi bien physiques que spirituelles.
Conclusion.
Une parole, enfin, pour vous dirigeants et représentants des Associations de Familles Nombreuses à Rome et en Italie. Ayez soin d'imprimer un dynamisme toujours plus vigilant et efficace à l'action que vous vous proposez d'accomplir à l'avantage de la dignité des familles nombreuses et de leur protection économique. Pour le premier but, conformez-vous aux préceptes de l'Église ; pour le second, il faut secouer de sa léthargie la partie de la société qui n'est pas encore sensible aux devoirs sociaux. La Providence est une réalité divine, mais elle aime à se servir de la collaboration humaine.
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D'ordinaire, elle s'ébranle et accourt lorsqu'elle est appelée et pour ainsi dire conduite par la main de l'homme ; eue se plait à se cacher derrière l'action humaine. *S'il* est juste de reconnaître à la législation italienne l'honneur des positions les plus avancées sur le terrain de la protection des familles, particulièrement des familles nombreuses, il ne faut pas se cacher qu'il en existe encore un grand nombre, qui se débattent, sans que ce soit de leur faute, au milieu de difficultés et de privations, Eh ! bien, votre action doit se proposer d'étendre à celles-ci la protection des lois et, dans les cas urgents, celle de la charité. Tout résultat positif obtenu dans ce domaine est comme une pierre solide posée dans l'édifice de la patrie et de l'Église ; c'est le mieux que l'on puisse faire comme catholiques et comme citoyens.
En invoquant la protection divine sur vos familles et sur celles de toute l'Italie et en les plaçant encore une fois sous l'égide céleste de la Sainte Famille de Jésus, de Marie et de Joseph, Nous vous donnons de tout cœur Notre paternelle Bénédiction Apostolique.
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#### « Dernier article » de Jean Madiran.
*L'hebdomadaire* RIVAROL *a publié le* 20 *mars* 1958 *un article de M. Lucien Rebatet où celui-ci annonçait qu'il avait reçu licence d'écrire dans ce journal* « CE QU'IL VEUT, COMME IL LE VEUT, QUAND IL LE VEUT ». *M. Rebatet précisait qu'il effectuait cette rentrée politique* en *qualité d'auteur du livre intitulé* Les Décombres, *rappelait qu'il avait* « TRAITÉ DEUX OU TROIS PAPES DE GREDINS », *etc.*
*Le jour même Jean Madiran remettait à la direction de* RIVAROL *son* « *dernier article* ».
*L'hebdomadaire* RIVAROL *a* *déclaré le* 27 *mars que ses vertus de* « CHARITÉ CHRÉTIENNE », *d'* « HUMILITÉ CHRÉTIENNE » *et de* « SENS DE LA MESURE » *l'empêchaient de publier un tel article.*
*En voici le texte intégral *:
En ouvrant *Rivarol,* ce matin du 20 mars, j'apprends que je suis un ami de M. Lucien Rebatet. Première nouvelle.
112:23
J'ignorais que M. Rebatet me portait de l'amitié. Je me demande ce que j'ai bien pu faire pour cela. Je sais seulement qu'il m'est impossible de la lui rendre.
\*\*\*
M. Lucien Rebatet rappelle dans *Rivarol* qu'il est l'auteur d'un livre intitulé *Les Décombres,* paru à la faveur de l'occupation allemande, et qu'après quatorze années (il veut dire seize), -- qu'après quatorze années qui auraient pu être de réflexion, et que l'on espérait de remords, il n'en retranche rien, il y ajouterait plutôt, et le publierait de nouveau s'il en avait la possibilité.
Cela le regarde. Mais il se trouve que ce livre, quelles qu'y soient les manifestations ou les apparences d'un talent de plume que l'on peut diversement apprécier, est le contraire de tout ce que je pense, insulte tout ce que j'aime et bafoue tout ce que je désire servir.
Qu'il attaque parfois des personnages et des institutions indéfendables n'a aucune importance et n'est pas une excuse : car simultanément, il traîne dans la boue la France chrétienne et l'Église catholique, PARCE QU'IL LES DÉTESTE, et d'ailleurs ne le cache point.
\*\*\*
M. Lucien Rebatet se vante dans *Rivarol* d'avoir « *traité deux ou trois Papes de gredins* ». Qu'il ait pu d'autre part rencontrer un abbé progressiste encore plus « anti-clérical » que lui même n'est pas complètement invraisemblable, mais ne constitue pas un alibi.
Parmi les « deux ou trois Papes » en question, M. Lucien Rebatet a outragé le Souverain Pontife régnant, d'une manière qui fait pâlir les insolences actuellement mises en scène par M. Peyrefitte. Que M. Rebatet puisse en invoquer le souvenir dans *Rivarol* autrement que pour s'en excuser ; qu'il puisse en tirer vanité : voilà un fait nouveau.
Il a parfois existé en France une droite anti-cléricale, antipapiste et anti-chrétienne. Mais ce n'est pas la mienne.
\*\*\*
113:23
J'apprends du même coup que j'aurais le dessein de « *reconvertir les Jésuites français au catholicisme* ». Il est bien évident que le catholicisme et les Jésuites sont des réalités qui échappent totalement au jugement de M. Rebatet, ou à ce qui lui en tient lieu : car il n'est pas toujours vrai que la haine soit clairvoyante, l'exemple de M. Rebatet suffirait à l'établir.
Il m'est arrivé, il m'arrivera peut-être encore d'interroger ou de contredire non pas « les Jésuites français », mais certains d'entre eux, par ailleurs éminents et respectés, sur leur méconnaissance des réalités concrètes du communisme soviétique, ou sur quelques préjugés temporels dont ils ne sont pas toujours exempts.
Mais, cela dit, j'ai infiniment plus à apprendre des « Jésuites français » que je n'ai à leur en remontrer. Leurs saints et leurs martyrs sont les témoins de Jésus-Christ dans tous les continents, depuis quatre siècles, y compris le nôtre. M. Rebatet n'y peut rien comprendre, qui n'entend jamais parler de l'Évangile sans ricaner. Ses sentiments m'importent peu. Mais, à partir de la minute où il les exprime dans *Rivarol,* il est évident que ce journal, je n'en suis plus.
\*\*\*
Je ne crois pas que l'on puisse mener une action politique en commun avec des ennemis déclarés de l'Église et de la Foi. Quelle action politique d'ailleurs ? Je cherche vainement depuis des mois sur quel chapitre de la politique je serais vraiment et fondamentalement d'accord avec *Rivarol.* Un tel désaccord n'était peut-être pas un accident insurmontable. Un journal peut exprimer des points de vue divers. Il pouvait même, sans doute, s'enrichir ou s'orner de la collaboration du critique d'art, du musicographe ou du chanteur de charme, je ne sais plus, qu'est paraît-il M. Rebatet, importante vedette de l'écurie Gallimard.
Cela aurait néanmoins comporté quelque équivoque. Le mérite de M. Rebatet est de l'avoir dissipée d'emblée. Il le dit et on peut l'en croire : c'est bien l'auteur des *Décombres,* l'insulteur du Pape, l'ennemi de la Foi chrétienne qui est entré à *Rivarol.* Il ne pouvait y entrer sans que j'en sorte. Personne d'ailleurs n'en avait sérieusement douté.
Jean MADIRAN.
114:23
#### Courrier des lecteurs : À propos de l'intégrisme.
*Nos quatre articles sur l'intégrisme* (*numéros* 17, 18, 19 et 20) *nous ont valu un abondant courrier qui nous montre combien nos éclaircissements historiques étaient nécessaires -- et combien est opportune la définition du Rapport doctrinal, venue mettre un terme aux abus polémiques de ceux qui voient des intégristes partout.*
*Le malentendu que nous avions évoqué* (n° 20, pp. 32-39) *n'est malheureusement pas dissipé chez tous. Nous avons reçu plusieurs lettres qui témoignent d'un état d'esprit encore victime de ce malentendu.*
*La substance commune des diverses lettres qui nous ont été écrites sur ce dernier point peut se résumer de la manière suivante *:
La définition de l'*intégrisme* par le Rapport doctrinal est inexacte : elle n'atteint en réalité qu'un petit nombre de personnes, et fait porter un discrédit généralisé sur leurs vraies positions.
Parmi les vrais intégristes, nous ne connaissons personne qui « en arrive à vouloir arrêter tout progrès » ou qui « semble se complaire en condamnations sommaires ».
L'intégrisme consiste essentiellement en une fidélité immuable aux principes qui ne peuvent changer ; par exemple : les droits de Dieu sur les États, sur l'école, sur la famille, droits qui sont définis par la raison naturelle, par la théologie, par les Encycliques...
*A vrai dire, nous trouvons très regrettable que certains catholiques s'obstinent dans un tel malentendu* (*mais nous savons aussi qu'il y sont encouragés, et que ce malentendu est entretenu par des personnes dont l'état, la science et la piété seraient mieux employés à le dissiper*)*.*
*Comment, en effet, peut-on penser et continuer à dire que les personnes et les milieux dont parlent nos correspondants* SONT *les* « *vrais* » *intégristes,* SI VRAIMENT *ils n'entrent pas dans le cadre de la* SEULE *définition autorisée de l'intégrisme qui ait jamais été donnée par l'ensemble de l'Épiscopat français *?
*D'après les* « *positions* » *qui nous sont décrites ces soi-disant* « *vrais intégristes* » NE SONT PAS *intégristes. Ils adhèrent -- comme tout catholique le fait au moins implicitement et en intention -- à la foi chrétienne dans son* INTÉGRITÉ. *Ce n'est pas la même chose. Ce sont deux choses différentes explicitement distinguées dans le Rapport doctrinal* (p. 14) : « Il faut que chacun ait le souci de garder l'intégrité de la foi. Mais l'intégrisme est à rejeter fermement. »
*Pourquoi dès lors continuer à se dire ou se croire intégriste, quand on ne l'est pas *?
\*\*\*
*Une comparaison avec un cas différent, et justement parce qu'il est différent, fera mieux comprendre ce que nous voulons dire. Quand Pie XII a condamné en termes sévères* « *la politique nationaliste* »*, des nationalistes nous ont fait observer :*
1. -- *que* LEUR *nationalisme n'était pas celui que visait le Souverain Pontife, mais se trouvait au contraire en accord avec la doctrine catholique ;*
2. -- *que sous la bannière invoquée du* « *nationalisme* », *ils avaient mené des combats honorables et qu'ils ne voulaient pas renoncer à leur drapeau.*
*Nous avons répondu au premier point* (n° 14, p. 68) *que ce n'était pas impossible, mais qu'en ce cas, il leur appartenait alors de le vérifier, de le démontrer et d'y veiller.*
115:23
*Au second point nous avons répondu que nous comprenons de tels sentiments, mais qu'il leur appartient de tenir compte d'un fait : le mot lui-même, depuis plus de vingt ans,* DEVIENT *dans le vocabulaire catholique un terme péjoratif.*
*Sur ces deux points, concernant le* « *nationalisme* »*, un problème réel est posé.*
*Mais concernant l'*INTÉGRISME *il ne se pose en réalité* AUCUN PROBLÈME ANALOGUE.
*Il n'existe ni école ni doctrine ni organisation qui se dise* « *intégriste* »*. Les* « *catholiques intégraux* » *de Mgr Benigni ne se disaient point tels : ce sont leurs adversaires qui leur avaient décoché ce qualificatif pour les caricaturer et les ridiculiser. Personne n'a combattu sous ce drapeau : dès l'origine, et en l'absence de toute définition autorisée, elle a été un* SOBRIQUET*, elle a été un* CRACHAT *jeté à la figure de gens d'ailleurs très divers, inégalement orthodoxes et charitables.*
*On peut être sentimentalement attaché à un mot qui métaphoriquement, est considéré comme une sorte de drapeau.*
*Mais pourquoi s'attacher ainsi* -- *et à contresens -- à un sobriquet, pourquoi s'attacher à un crachat *?
\*\*\*
*Avant que l'intégrisme n'ait reçu la définition qualifiée qu'apporte le Rapport doctrinal, n'importe qui pouvait, par une polémique peu scrupuleuse être accusé d'intégrisme *: *on est même allé parfois jusqu'à prétendre que la revue* Itinéraires *elle-même serait intégriste !*
*Certes, nous savons qu'à une époque très récente quelques catholiques se sont,* DANS LE PRIVÉ, *dénommés eux-mêmes* « *intégristes* », *pour manifester leur attachement à l'intégralité de la foi chrétienne et aussi dans un esprit de bravade à l'égard des excès de certaines polémiques anti-intégristes.*
*Les définitions de mots sont libres : on peut pareillement se déclarer* « *progressiste* » *en lui donnant le sens d'* « *ami du progrès* » *et non pas d'ami du communisme.*
*Seulement, la liberté de définition des mots doit tenir compte *:
1. -- *de l'usage : quand on va contre l'usage on s'expose à tous les malentendus ;*
2. -- *de l'Église qui a autorité pour définir un vocabulaire catholique.*
\*\*\*
*Un lecteur nous adresse une remarque qu'il a relevée dans le périodique* Nouvelles de Chrétienté *n° du* 20 *mars, page* 8 *de la seconde partie* de *ce fascicule *:
« INTÉGRISTES, comme on dit maintenant en attendant peut-être que le terme d' « intégriste » serve à désigner tout bonnement les catholiques tout court. Du moins c'est ce qui est arrivé au terme « *jésuites* », désignation infamante à l'origine et créée par leur adversaires protestants, mais devenue très tôt leur nom propre, et par conséquent, pour les catholiques qui l'ont adopté, un terme de vaillance à l'honneur de la compagnie de Jésus. »
*Mais le terme de* JÉSUITES *n'avait pas été employé par la hiérarchie apostolique pour désigner une attitude condamnable !* *C'est toute la différence.*
*Un mot qui est à l'origine un sobriquet s'élève souvent en dignité par la suite. Or,* C'EST FAIT *pour* « *intégriste* » : *ce sobriquet a été élevé à la dignité de qualificatif honnête et non plus caricatural *: *mais pour qualifier une attitude condamnable.*
*Quand on se dit* INTÉGRISTE *par bravade ce n'est plus seulement aux excès de la polémique antiintégriste que désormais cette bravade s'adresse. C'est à l'Épiscopat français.*
*Et c'est pourquoi nous ne pouvons interpréter le passage cite des* Nouvelles de Chrétienté *que comme une boutade ou même une plaisanterie, dont la légèreté, d'ailleurs, étonne.*
116:23
*Car nous supposons que les* Nouvelles de Chrétienté *n'entendent nullement par là fronder l'Épiscopat français mais qu'au contraire elles professent elles aussi, selon les termes du Rapport doctrinal, que* « L'INTÉGRISME EST A REJETER, FERMEMENT ». *Il serait regrettable qu'une plaisanterie incidente pût jeter le trouble dans l'esprit des lecteurs catholiques.*
\*\*\*
*Un autre correspondant revient sur l'histoire de l'intégrisme, qu'il a personnellement vécue* (*dans le camp opposé*)*, et nous fait part* de *ses réflexions *:
« J'ai traversé les crises auxquelles les intégristes ont été mêlés : le Sillon le Modernisme, l'Action française. J'ai été sillonniste. J'étais séminariste au temps du modernisme, et j'ai eu trop d'amis dans l'Action française pour ne m'être pas intéressé à toutes ces questions.
« Selon moi, l'intégrisme constitue comme une association de théologiens absolument liés au Magistère du Souverain Pontife, et qui se prévalent de la solidité de leurs positions pour le faire sentir aux autres... moins solidement établis. Ils sont pour ces derniers comme des gabelous, des chercheurs d'hérésies ; et leur charité, sans doute évidente pour eux-mêmes n'apparaît pas aussi clairement à leurs adversaires. »
*Nous avons des motifs sérieux de penser que cela* A ÉTÉ, *mais* N'EST PLUS AINSI.
*Les* (*plus ou moins*) *intégristes d'aujourd'hui :* 1. -- *ou bien ignorent l'enseignement de Pie XII qui les aurait amenés en quelque sorte à recommencer leurs études : voir à ce sujet notre* Supplique à quelques théologiens, n° 13 (*éditorial*) ; 2. -- *ou bien le sous-estiment ;* 3. -- *ou bien restent en face de lui très réticents, voire déconcertés.*
*Un bon test est leur méconnaissance plus ou moins marquée de l'enseignement de Pie XII en trois domaines *:
1. -- *la philosophie du droit ;*
2. -- *l'économie sociale *;
3. -- *la communauté internationale.*
*A ces trois domaines caractéristiques on peut d'ailleurs en ajouter d'autres. En connexion plus ou moins étroite avec eux* (*par exemple : la démocratie moderne *; *la réforme des mœurs plus urgente que celles des institutions *; *etc.*)
*Inutile de donner les noms de personnes ou de publications qui, en ces domaines, manifestent plus ou moins un intégrisme opposé à l'enseignement de Pie XII : de telles constatations sont à la portée de tout lecteur attentif et informé.*
*Il existe un* « *progrès* » *dans* l'EXPLICITATION *de la doctrine catholique. Ce progrès-là, que Pie XII met en œuvre d'une manière extraordinairement étendue* (*parce que notre époque en a besoin*)*, il est bien vrai qu'il a des intégristes pour le mal comprendre et l'admettre difficilement. Mais ces intégristes sont en cercle fermé, isolés sur eux-mêmes, et nullement* « *liés au Magistère du Souverain Pontife* ».
\*\*\*
*Le même correspondant continue par les observations suivantes, qui rejoignent parfaitement notre pensée *:
« Lorsque le Sillon fut condamné quelle joie bruyante ! De même pour les ennemis de Maurras et de Daudet quand ils furent condamnés par Pie XI.
« Les agissements de la Sapinière ne furent pas toujours des procédés empreints de délicatesse, par exemple lors de la suppression des XXX. J'en ai connu qui avaient gardé une amertume irrémédiable...
« ...Croyez-moi, des blessures inguérissables ont saigné longtemps ; et ceux qui se soumettent par obéissance, continuent à souffrir d'avoir été si maltraités. « Peut-être ne savez-vous pas ce que c'est d'être écrasé par un désaveu de Rome alors qu'on se croit innocent. Pour moi j'ai pleuré comme sillonniste lorsque Pie X nous condamna. Ce qui m'a permis de consoler des militants de l'Action française lorsqu'à leur tour la même disgrâce leur arriva...
117:23
« ...Triomphez avec modestie, avec charité, avec mansuétude... Je vous félicite de la ventilation portée par vous dans l'atmosphère des catholiques de France. »
\*\*\*
*Dans une perspective voisine, un jeune prêtre nous écrit *:
« Sur la foi de gens qui me paraissaient sérieux et informés, j'ai pensé longtemps que Jean Madiran était « Action française à tous crins ». C'était pour moi une sérieuse objection à lire *Itinéraires.* Cependant je l'ai lu un jour et j'ai continué. J'ai fini par voir que Jean Madiran avait pour Maurras l'estime qu'il mérite, tout en faisant les réserves que l'Église avait toujours faites. Je me suis abonné à *Itinéraires,* convaincu que cette revue fait une œuvre salubre et indispensable tant pour l'Église que pour la France. »
*Naturellement, nous recevons aussi des lettres moins bienveillantes.*
*M. Jean de Bronac nous a récemment fait part des sentiments que lui inspire la* *revue* Itinéraires. *Voici ce qu'il nous écrit *:
« Depuis ses débuts, la lecture de votre revue m'a apporté, à côté d'un certain nombre de choses insignifiantes ou de fastidieuses répétitions, plus de motifs d'irritation que d'occasion d'enrichissement.
« J'avais pourtant l'intention de renouveler mon abonnement pour 1958, si le scandaleux numéro 19 n'exigeait pas une protestation concrète.
« Cette livraison contient au moins trois articles parus sous la responsabilité non seulement juridique mais morale du directeur de la publication et qui m'imposent de douter ou de l'honnêteté intellectuelle on de l'équilibre mental de celui-ci. Dans l'hypothèse la plus favorable -- et je ne puis décider quel terme de l'alternative mérite d'être considéré comme telle -- il ne m'est pas permis de lui apporter, par un renouvellement d'abonnement, mon encouragement à continuer une entreprise dont le caractère néfaste est de plus en plus évident à mes yeux. »
Le « *caractère* » *de notre* « *entreprise* » -- *jugée* NÉFASTE *ci-dessus -- est défini en ces termes par un lecteur de Maine-et-Loire qui en a bien compris le* sens :
« La revue *Itinéraires* correspond à ce que j'ai vainement cherché à travers tant d'initiatives restées sans résultat : *Instaurare omnia in Christo.* Cet appel de saint Pie X n'a pas été entendu, ou du moins ne l'a été que bien incomplètement. Les catholiques n'ont pas suivi : les uns ont continué les déviations mennaisiennes du *Sillon ;* les autres, violemment mais trop exclusivement impressionnés par le mal politique, ont négligé le recours à la pleine vérité catholique.
« Entre ces deux tendances le fossé s'est élargi. Évidemment, il faut tout faire pour le combler, avec la Charité dans la Vérité. C'est bien difficile, car l'une et l'autre sont exigeantes. Je crois que votre effort est l'un des premiers en ce sens. »
*...D'un autre lecteur *:
« Permettez-moi de vous dire, un peu à bâtons rompus, mon impression, qui est excellente, du numéro 21 d'*Itinéraires.* Il me semble que vous continuez de progresser.
« Il serait souhaitable que Georges Suffert entende ce que vous lui dites si courtoisement, et que « les chrétiens de cette génération » (pp. 115-116), qui sont les victimes d'enseignements aberrants, se reconnaissent tels en effet, et opèrent un redressement.
« Pour vous aider les uns et les autres à exercer toujours plus chrétiennement le métier de journalistes chrétiens (p. 121), les Congrès paraissent en effet peu indiqués ; mais peut-être des retraites seraient-elles plus efficaces ; et peut-être enfin serait-il profitable d'aller vous voir souvent. Il est vrai que même entre théologiens qui polémiquent les rencontres d'homme à homme ne sont pas encore passées dans les mœurs. Mais ce n'est peut-être pas mieux.
118:23
« Il est de la plus haute importance pour vos lecteurs français et étrangers d'avoir démontré et dénoncé la collusion très réelle, même en France, entre le régime établi et certaines organisations catholiques (pp. 17-19) ; d'avoir donné des preuves, notamment, d'un certain cléricalisme et d'une certaine vassalisation de la *Croix.*
« Des Français séjournant en Espagne entendent dire quelquefois : « En France vous n'avez pas de Concordat, c'est pourquoi les chrétiens y sont libres à l'égard du régime établi. » On a du mal à faire saisir que la conclusion ne s'impose pas, et que la cause de l'inféodation à un régime n'est pas, *de soi,* l'existence d'un Concordat : mais bien l'infirmité de la nature humaine dont les chrétiens, clercs ou laïcs, ne sont certainement pas exempts, -- faiblesse et arrivisme ; bref, une cause subjective plutôt qu'institutionnelle.
« Il serait bon d'orchestrer cette idée, parce qu'elle n'est guère entendue, et que bien des chrétiens de France raisonnent comme ceux d'Espagne au sujet de la soi-disant totale liberté des chrétiens français à l'égard du régime établi. -- Naturellement, c'est un service à rendre aux chrétiens d'Espagne que de les prémunir contre un danger dans lequel il leur arrive de tomber (p. 18).
« Les blocages entre liberté et régime démocratique, entre catholicisme et démocratie, comptent parmi les plus enracinés *et les moins aperçus.* Vous les dénoncez (pp. 71-73) : mais je crois qu'il faudra beaucoup y revenir. Car en toute bonne foi et parfaite inconscience bien des clercs professent *une religion politisée à gauche,* tout en proclamant d'ailleurs que l'Église transcende les régimes. Le moins que l'on puisse dire de leur proclamation (qui est juste), c'est qu'elle n'a pas été confrontée avec *leurs mœurs politiques.*
« La *démocratie* au sens de Pie XII peut se réaliser *dans la monarchie :* radiomessage *Benignitas* de Noël 1944, n° 817 du Corpus de Marmy. (Je suis persuadé que l'on surprendrait beaucoup de chrétiens de France en leur faisant lire la condamnation de la Révolution française par l'Encyclique *Immortale Dei* de 1885.)
« Il est capital d'avoir attiré l'attention des chrétiens sur le *bien commun* politique. Ne faudrait-il pas les éclairer sur ce que représente l' « âme » d'une patrie. Cette notion correspond certainement à une réalité ; peut-être ne désigne-t-elle que le bien commun, mais alors considéré du point de vue où il suppose la vertu de beaucoup de citoyens et la sainteté d'un certain nombre d'entre eux. De toute façon, il me semble que des élucidations sur l' « âme » d'un pays pourraient éclairer aussi bien les chrétiens de gauche que ceux de droite. Frossard a esquissé une pareille élucidation dans la 18^e^ leçon (vers la fin) de son *Histoire paradoxale de la* IV^e^ *République.* »
*Ce sont les très belles et inoubliables pages où Frossard écrit *:
« L'on peut tout faire avec du mensonge, excepté de la vérité. Or la France a besoin de vérité pour vivre, comme d'autres peuples ont besoin de musique (...) « On ne voit dans son âme (ah, bien sûr, il faut lui consentir une âme) rien de trop grec ni de manifestement romain (...), mais un reste -- méconnaissable, quoique toujours efficace -- des longues faveurs de la Providence, un rien toujours vivant de la grâce du baptême.
« Par malheur, on ne peut plus prononcer le nom chrétien efficacement depuis que les chrétiens ont résolu d'être efficaces, depuis qu'ils cherchent la vérité ailleurs que chez elle, et depuis qu'ils espèrent convertir le monde en s'efforçant de lui ressembler jusqu'à lui donner la nausée (...)
119:23
« Mais le désarroi d'un certain nombre de catholiques décrochés du surnaturel ne change rien à cette évidence première que la France, née chrétienne, sera demain comme hier chrétienne, ou ne sera pas (...)
« Si la France doit beaucoup aux peuples qui lui ont fait une civilisation, elle doit elle-même au christianisme, qui lui a fait une âme. Elle savait, hier encore, que la mesure de toute humanité nous a été donnée une fois pour toutes, il y a deux mille ans, sous la forme d'une Croix (...)
« Ce n'est pas un parti, ce n'est pas un homme qui nous rendront la vie, mais le plus modeste, le plus bref et même le plus distrait des actes de foi, qui pour un coup ne se tromperait pas d'adresse.
« Nous avons perdu la France avec la Vérité. Nous la retrouverons en même temps qu'Elle. »
(André Frossard, *Histoire paradoxale de la* IV^e^ *République,* Grasset 1954).
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#### Communiqués divers.
*M. l'abbé Richard, directeur de* L'HOMME NOUVEAU*, nous prie d'insérer l'appel suivant qu'il adresse* « *à tout catholique* », *et auquel on peut répondre durant toute l'année mariale *:
Soucieux de vous aider à intensifier votre apostolat comme vous le désirez certainement, en cette Année Mariale, nous avons édité un numéro spécial de l'*Homme Nouveau* sur Lourdes.
Ce numéro, particulièrement bien venu, est très caractéristique et ne fait pas double emploi avec d'autres publications. Il peut constituer tonte l'année un excellent moyen qui demeurera d'actualité pour l'apostolat public et privé. Il est conçu pour mettre en lumière le sens de Lourdes et la place de Marie dans la piété chrétienne.
Nous vous signalons également un tract inspiré de l'Encyclique de Pie XII, portant l'Imprimatur, à distribuer dans les réunions publiques, dans la rue ou à glisser discrètement dans les lettres on boîtes aux lettres.
De même, une très belle affiche deux couleurs tirée de ce tract 60 80 cm sera un puissant moyen d'alerter le grand public sur l'appel de Lourdes. Pourquoi l'affichage serait-il réservé à la publicité commerciale ou hélas à l'irréligion ou à la luxure ? Vous contribuerez par votre dévouement à rendre un peu à Dieu ce qui lui appartient aussi, la place publique et la rue.
120:23
A l'ouvrage donc pour largement utiliser et faire diffuser par vos amis dans toute la France, journaux, tracts, affiches comme moyen d'appel à la nécessaire conversion.
Soyez l'instrument de Dieu pour qu'Il touche les âmes et change les cœurs.
*Conditions :*
Les cent tracts : 180 frs. -- les mille : 1.200 frs.
L'affiche de Lourdes : 100 frs. -- les mille : 40.000 frs.
10 numéros spéciaux : 250 frs. -- 50 : 1.100 frs.
*Pour tout renseignements commandes, etc., s'adresser à* L'HOMME NOUVEAU*,* 1, *place Saint-Sulpice Paris VI^e^.*
Route mariale\
du 1^er^ au 20 septembre 1958.
LE MOUVEMENT POUR L'UNITÉ organise une *Route Mariale* en auto-car, du 1^er^ au 20 septembre prochain, avec présence à Lourdes au moment du *Congrès marial international* (14 au 17 septembre).
Pour tous renseignements, écrire au *Mouvement pour l'Unité, service des pèlerinages,* 1, place Saint-Sulpice, Paris VI^e^ en *joignant* un timbre pour la réponse.
La Chapelle de la Médaille miraculeuse\
est le lieu du culte le plus fréquenté de Paris.
Beaucoup de Parisiens ignorent que la Chapelle de la Maison-mère des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, 140, rue du Bac, est le lieu de culte *le* plus fréquenté de. Paris et que le nombre des visiteurs y dépasse celui des grands monuments de Paris.
En 1957, d'après les statistiques du Ministère de l'Éducation Nationale (Direction des Beaux-Arts), le nombre des visiteurs pour
-- Le Louvre était de : 631.500
-- La Ste Chapelle : 316.745
-- Le Panthéon : 150.430.
La Chapelle de la Médaille Miraculeuse reçoit 900.000 pèlerins ou visiteurs en moyenne chaque année. En 1957, 11.000 messes y ont été célébrées (principalement par des prêtres étrangers) et 200.000 communions distribuées.
121:23
Rien ne signale extérieurement ce modeste sanctuaire. Aucune publicité n'en parle. Aucune décoration artistique ne le recommande. L'affluence des pèlerins et des touristes a donc pour seule explication l'événement religieux qui s'y est déroulé en 1830.
Le 27 Novembre 1830, la Vierge Immaculée y est apparue à une novice des Sœurs de St-Vincent de Paul, Sœur Catherine Labouré et lui a confié la mission de faire frapper une médaille dont elle lui révéla le modèle.
Sur un côté de la médaille de forme ovale, Marie est représentée debout sur un hémisphère : ses bras sont tendus vers la terre, de ses paumes ouvertes rayonnent des faisceaux lumineux. Autour de l'ovale est écrite cette invocation : « Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à Vous. »
De l'autre côté on voit le chiffre marial, la lettre M surmontée d'une croix ; au-dessus, juxtaposés, les Cœurs de Jésus et de Marie, l'un entouré d'une couronne d'épines, le second percé d'un glaive.
Cette médaille de la Vierge connut immédiatement une extraordinaire diffusion. D'innombrables grâces : (protections, guérisons, conversions) étant obtenues, la reconnaissance populaire lui donna le nom de Médaille Miraculeuse qui lui est resté. En 1836, le graveur Vachette, 54, quai des Orfèvres, déposait devant une Commission d'enquête officielle de l'Archevêché de Paris que plus de 2.000.000 de médailles avaient été gravées et expédiées par ses soins de 1832 à 1836. Pendant le même temps, onze graveurs de Paris en gravaient la même quantité et à Lyon, 6.000.000 de médailles étaient également diffusées (sans compter de nombreuses autres villes de France et de l'étranger), soit plus de 30.000.000 en 4 ans !
De nos jours, la même diffusion se poursuit. Chaque jour parviennent à la Chapelle de la rue du Bac des attestations de grâces nombreuses.
Les Directions des grandes Agences de Tourisme ont déjà prévenu que la visite de la chapelle de la rue du Bac figurait au programme des pèlerinages de l'Année Mariale.
122:23
## Note de gérance
### Perspectives et nécessités
Dans la « Note de gérance » de notre précédent numéro, nous avons analysé un certain nombre de constatations que nous prions nos lecteurs de ne point oublier. La revue ne vit que grâce au dévouement (souscriptions et propagande) d'une petite minorité. La plupart de nos abonnés lisent la revue pour eux-mêmes, déclarent y trouver intérêt et profit, *mais ils n'ont pas encore fait le plus simple et le plus facile pour nous aider.*
Dans l'ensemble, nos lecteurs N'ONT PAS FAIT CONNAÎTRE LA REVUE A LEURS AMIS ET RELATIONS, ou ils l'ont fait trop mollement, trop épisodiquement, trop distraitement, et sans obtenir de résultat.
\*\*\*
Insistons : *car là se trouve le point de départ de tout. La* première chose à faire N'EST PAS ENCORE FAITE, après plus de deux ans ! Le nombre de nos abonnés ayant connu la revue « par un ami » n'atteint pas la moitié du nombre total. Autrement dit, en *moyenne,* chacun de nos abonnés n'a pas trouvé le moyen de recruter directement, au cours de deux années, fût-ce un seul abonné nouveau. Répétons que c'est *le premier travail* de propagande, celui qui nous procurera non seulement des abonnés nouveaux, mais peut-être des propagandistes plus *militants* que la plupart d'entre vous. Répétons que ce travail initial n'est pas fait. Répétons qu'il faut le faire *tout de suite.*
123:23
Certes, nous avons reçu beaucoup d'adresses à prospecter. Certes, nous en avons prospecté directement quelques-unes, à la mesure (faible) de nos moyens matériels. Mais nos lecteurs auraient pu *eux-mêmes,* dans beaucoup de cas, convaincre leurs amis et relations de s'abonner. Dans l'ensemble, ils ne l'ont pas fait.
\*\*\*
Il est vrai que la revue *Itinéraires* n'est pas une publication comme les autres. Il est vrai qu'elle paraît régulièrement chaque mois depuis deux ans, malgré un dénuement peut-être sans précédent quant aux moyens financiers et publicitaires. Il est vrai qu'elle se heurte à une conjuration d'obstacles efficaces qui partout paralysent sa diffusion. Il est vrai qu'elle contredit des idéologies puissantes, des intérêts qui ne le sont pas moins, et qu'il est extraordinaire qu'elle n'ait pas encore été complètement étouffée.
Elle a résisté à tout. Mais elle ne résistera pas à l'apathie, à l'indifférence, à l'inaction de vous, lecteurs, qui lisez ces lignes.
Non pas vous qui lisez cette revue avec curiosité, avec intérêt, sans trop savoir si elle a raison.
Mais vous qui êtes d'accord au moins sur l'essentiel, vous qui nous l'écrivez à l'occasion, vous qui nous remerciez et nous encouragez, et qui n'avez pas recruté un seul abonné nouveau en plus de deux ans.
Vous avez entre vos mains le pouvoir de faire de la revue *Itinéraires* l'une des premières revues françaises par l'importance, l'influence et la diffusion. Ce qui du même coup changerait beaucoup de choses dans le climat intellectuel et moral de la France. Vous avez ce pouvoir entre vos mains, au prix de quelque activité auprès de vos amis et relations, au prix de la souscription ou du recrutement de quelques abonnements de soutien.
124:23
Vous lisez les « Notes de gérance » pour savoir « comment va » la revue. Mais vous le savez. Car elle va comme vous la faites aller. Et qu'avez-vous fait ?
\*\*\*
Nous sommes au début du mois de mai. Nous vous demandons, nous demandons à *chacun* d'entre vous, une chose simple et pratique, à faire d'ici la fin du mois. CE MOIS-CI, nous vous demandons d'ouvrir votre carnet d'adresses, d'y choisir au moins une personne, c'est vraiment le minimum, mais de préférence trois ou quatre, pour :
1. -- soit les *convaincre* de s'abonner ;
2. -- soit leur *offrir* un abonnement en leur expliquant pourquoi.
Voulez-vous nous aider ? Voulez-vous ne pas laisser à une petite minorité la charge indispensable, mais écrasante, de pourvoir seule à cette propagande ? Voulez-vous faire vivre et progresser la revue ?
Nous ne savons pas quelle sera votre réponse. Nous ne savons pas si, enfin, vous vous y mettrez *tous* ensemble. Nous le saurons à la fin de ce mois-ci.
============== fin du numéro 23.
[^1]: -- (1). Pie XI, *Divini Redemptoris* dans les Actes de S. S. Pie XI, Édition Bonne Presse, tome XV, p. 46, § 15.
[^2]: -- (1). Pie XI, *op. cit*., § 16.
[^3]: -- (2). Pie XI, *op. cit*., § 17.
[^4]: -- (3). Pie XI, *op. cit*., § 18.
[^5]: -- (1). Pie XI, *op. cit*., § 1. Ce n'est point par hasard qu'écrivant sur le communisme Pie XI traça d'abord ces trois mots *Divini Redemptoris* *promissio *: LA PROMESSE D'UN DIVIN RÉDEMPTEUR, Ce n'est point par hasard qu'abordant un tel sujet, il commence par définir la civilisation chrétienne. Ce n'est point non plus par hasard que, au moment où la pression publicitaire et sociologique du communisme atteint un degré d'intensité sans précédent, l'une des conséquences les plus caractéristiques d'une telle pression soit que tant d'intellectuels et même de docteurs catholiques ne croient plus à la réalité de « la civilisation chrétienne » sous prétexte qu'elle comporte de l'injustice.
La civilisation chrétienne a été inaugurée. Elle n'abolit pas la lutte du bien et du mal. Elle est celle où la lutte du bien et du mal dans le monde continue à se dérouler, mais en présence d'une solution offerte et plus ou moins acceptée : le Rédempteur est venu sauver le monde et il reviendra le juger. Une civilisation est chrétienne quand cette vérité, y est plus ou moins vécue, et en tous cas transmise ; une civilisation n'est pas chrétienne quand elle ignore ou nie et en tous cas ne transmet pas aux hommes la Parole selon laquelle le Christ est la Voie, la Vérité la Vie.
Voici le début de l'Encyclique *Divini Redemptoris* (§ 1 et 2, traduction de l'édition citée) :
« La promesse d'un Rédempteur illumine la première page de l'histoire humaine ; aussi la ferme espérance de jours meilleurs adoucit le regret du paradis perdu et soutint le genre humain cheminant au milieu des tribulations ; mais quand fut venue la plénitude des temps, le Sauveur du monde par son apparition sur terre, combla l'attente et inaugura dans tout l'univers une nouvelle civilisation, la civilisation chrétienne (QUAE A CHRISTIANO NOMINE DICITUR)...
« Mais la lutte entre le bien et le mal, triste héritage de la faute originelle, continua de sévir dans le monde ; l'ancien tentateur n'a jamais cessé, par ses promesses fallacieuses, de tromper le genre humain... »
[^6]: -- (1). Pie XI, *op. cit*., § 17.
[^7]: -- (1). Pie XI, *op. cit*., § 2.
[^8]: -- (2). Pie XI, *op. cit*., § 57.
[^9]: -- (1). Pie XI, *op. cit*., § 2.
[^10]: -- (1). Par exemple progressistes au sens propre.
[^11]: -- (1). Voici maintenant plus de trois ans, j'avais cru devoir lancer cet avertissement par mon livre *Ils ne savent pas ce qu'ils font* (pages 166 à 168, et passim) :
« Toute distinction entre bons et mauvais catholiques qui ne vient pas de l'autorité catholique elle-même porte en elle le germe de mort et ouvre la voie à un anéantissement de l'Église. »
Je dois constater que pendant trois ans la droite catholique a prôné ce livre, la gauche chrétienne l'a condamné, l'une et l'autre pour des raisons superficielles, sans rien entendre ni apercevoir de son contenu réel.
[^12]: -- (2). Pie XI, *op. cit*., § 71.
[^13]: -- (1). Jean, XVII, 21.
[^14]: -- (1). Pie XI, *op. cit*., § 57.
[^15]: -- (1). Pie XI, *op. cit*., § 44.
[^16]: -- (2). Pie XI, *op. cit*., § 45.
[^17]: -- (3). Pie XI, *ibid*.
[^18]: -- (4). Pie XI, *op. cit*., § 46.
[^19]: -- (1). Pie XI, *op. cit*., § 49.
[^20]: -- (1). Cf. notre *Enquête sur le Nationalisme*, p. 166.
[^21]: -- (2). Pie XI : *Ubi arcano Dei*, 2e partie.
[^22]: -- (1). Divers groupes de qualité très différente revendiquent cet héritage. Il serait inexact et injuste de les confondre les uns avec les autres. Ceux qu'intéresse l'état de la question se procureront utilement l'étude magistrale de M. Raoul Girardet : « L'Héritage de l'Action française », parue dans la *Revue française de science politique*, n° 4 d'octobre-décembre 1957 (aux Presses Universitaires de France, service des périodiques, 1, place Paul Painlevé, Paris Ve ; prix du numéro : 600 francs). Quelques erreurs de détail en ce qui me concerne -- et que les lecteurs d'*Itinéraires* rectifieront d'eux-mêmes -- ne doivent pas faire sous-estimer la valeur objective et la lucidité remarquable de l'ensemble de cette étude.
[^23]: -- (2). Nouvelles Éditions Latines. Paris, 1957.
[^24]: -- (3). Nous écrivions dans notre « Mise au point à propos de l'*enquête sur le nationalisme* », n° 14, p. 68 :
« On peut dire qu'il existe un nationalisme français partiellement ou totalement exempt des erreurs dénoncées par le Souverain Pontife sous le terme de « politique nationaliste ». « Il faut alors le démontrer : prétendre que la question ne se pose pas est enfantin. Et, si une telle démonstration est valable (ce qui demande examen, d'autant plus que certains nationalistes semblent ne plus savoir exactement où ils en sont avec leur nationalisme : ce qui est une raison supplémentaire de procéder à une telle réflexion), il reste encore une difficulté : est-il vraiment souhaitable de continuer à nommer d'un terme qui est péjoratif dans le langage catholique, une attitude ou une méthode politiques qu'on tient pour entièrement bonnes ? »
[^25]: -- (1). Les documents pontificaux parlent d'un « sain corporatisme », d'une « saine démocratie », d'un « sain réalisme », d'un « sain personnalisme », etc., soulignant ainsi que des vocables, désignant une doctrine ou des institutions ayant des formes erronées, excessives ou dangereuses, peuvent en désigner aussi des formes « saines ». L'expression : « sain nationalisme » ne se trouve, elle, à notre connaissance, nulle part dans le texte authentique des documents pontificaux. Les termes nationalisme, nationaliste, y sont employés, avec ou sans qualification, TOUJOURS dans un sens péjoratif, pour désigner des excès ou des erreurs. C'est pourquoi il nous semble que le Cardinal Saliège ne trahissait pas l'enseignement pontifical en concluant nettement (voir *Itinéraires*, n° 8, pp. 89-91) : « Il y a des vertus qui, dépassant certaines limites et n'étant pas modérées par d'autres vertus, aboutissent à des catastrophes. C'est ainsi que le patriotisme peut devenir nationalisme. » Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, il est en tous cas peu contestable que tel est de plus en plus l'usage. dans le vocabulaire catholique.
[^26]: -- (1). Voir le texte intégral des trois plus récents discours du Souverain Pontife sur l'Europe dans *Itinéraires* : n° 16, pp. 108-112 ; n° 19, pp. 115-119 ; n° 21, pp. 91-94 ; et en outre, le discours de Pie XII du 25 avril 1957 sur « la communauté mondiale en formation ». cf. *Itinéraires*, n° 15, pp. 119-122. Voir aussi dans notre n° 21 (pp. 94-97), la très juste synthèse de l'ensemble de la question publiée par M. Luc Baresta dans *L'Homme nouveau* du 19 janvier dernier.
[^27]: -- (1). Voir Marcel Clément : *Enquête sur le nationalisme* (Nouvelles Éditions Latines).
[^28]: -- (1). Charles Maurras, *Mes idées politiques* (Fayard 1937), p. 67.
[^29]: -- (2). Charles Maurras, *ibid*.
[^30]: -- (3). Charles Maurras, *ibid*.
[^31]: -- (4). Charles Maurras, *op. cit*., p. 258.
[^32]: -- (5). Charles Maurras, *op. cit*., p. 257.
[^33]: -- (1). Charles Maurras, *op. cit*., pp. 257-258. Ce livre, *Mes idées politiques*, est fait de paragraphes, et même à l'occasion de phrases isolées, que l'on a extraits des articles de Charles Maurras. Ainsi ces phrases se trouvent souvent privées non seulement de leur contexte, mais encore de la référence aux circonstances où elles ont été écrites. Elles prennent une valeur de maxime générale, alors que dans leur teneur originale elles pouvaient avoir une signification relative et occasionnelle (la manière de Maurras étant beaucoup plus d'observation empirique que de construction dogmatique).
L'édition de *Mes idées politiques* a été faite en 1937 avec l'accord de Charles Maurras, et revue par lui. Il faut donc en conclure : 1. -- soit qu'il l'a voulu ainsi ; 2. -- soit plus probablement qu'il a sous-estimé ou n'a pas aperçu l'inconvénient ; inconvénient qui permettrait ultérieurement à l'école du psittacisme littéral de transformer -- non en théorie, mais en fait -- son « empirisme » en une sorte de scolastique dogmatique.
M. Raoul Girardet (*op. cit*.) a bien vu le résultat de ce psittacisme :
« La doctrine de Charles Maurras est présentée comme un dogme immuable dont il ne saurait être question de rien abandonner et dont il convient de préserver jalousement l'orthodoxie. »
« La question de l'adaptation de la pensée maurrassienne, élaborée dans le contexte politique et intellectuel du XIXe siècle, aux problèmes et aux nécessités de la France contemporaine, ne paraît pas se poser (...) aux rédacteurs des Libertés françaises.
« Chez les continuateurs « officiels » de la politique maurrassienne, la fidélité à la pensée du vieux maître disparu n'apparaît plus guère que sous la forme d'une pieuse mythologie rétrospective, que vient accompagner l'inlassable répétition d'une formulaire stéréotypé. »
« Étrange évolution d'un système qui se voulait essentiellement empirique et qui s'est finalement dégradé, chez bon nombre de ses adeptes, en une sorte de dogmatique rigide. »
[^34]: -- (1). Néanmoins, il a pu y avoir en fait des contaminations passionnelles qui expliquent le jugement du Comte de Paris. Nous n'avons pas abordé cet aspect accidentel pour ne pas surcharger et compliquer encore une question déjà complexe. Marcel Clément a nettement marqué dès le début les distinctions et les oppositions qui séparent le nationalisme maurrassien du nationalisme jacobin. la différence entre les deux a été clairement marquée par plusieurs des personnalités qui ont répondu à notre enquête, et notamment André Frossard (voir *Enquête sur le nationalisme*, réponse d'André Frossard, p. 92).
A voir les fureurs et les débordements d'invectives par lesquels nos objections mesurées ont été accueillies par l'école du psittacisme maurrassien -- nous traitant d'imbéciles malfaisants qui détruisent la France, et cetera, -- on peut se demander quels sentiments réels nourrit cette école à l'égard de la critique beaucoup plus radicale faite du nationalisme par son Prétendant.
Un néophyte du psittacisme maurrassien, plus ardent qu'informé -- et qui pourtant a pris dans cette école les allures d'un oracle intellectuel -- proclame avec son habituelle assurance, le 21 mars 1958, que c'est « calomnie » et « falsification » de « confondre le nationalisme intégral avec le nationalisme à la jacobine ». Il ne lui vient pas à l'idée que ce pourrait être simplement une erreur.
Les mœurs intellectuelles non pas absolument constantes, mais très fréquentes, de l'école du psittacisme maurrassien, considèrent qu'il n'y a que deux catégories de pensées :
1. -- les pensées infaillibles, ce sont les leurs ;
2. -- les « falsifications » et les « calomnies », ce sont les pensées de leurs contradicteurs.
Le néophyte en question a besoin d'insulter. Nous ignorons s'il sait ou s'il ne sait pas qu'en l'occurrence, c'est son Prétendant qu'il insulte.
[^35]: -- (1). Raoul Girardet, *op. cit*.
[^36]: -- (2). Naturellement, la *Nation française* a très objectivement et très loyalement fait connaître à ses lecteurs les déclarations du Comte de Paris. Qu'on soit d'accord ou non avec la *Nation française*, on reconnaît unanimement la loyauté et le courage intellectuels avec lesquels ceux qui la rédigent (et dont beaucoup sont maurrassiens) regardent objectivement, et en face, les problèmes actuellement et réellement posés, -- et se sont mis au travail. un travail qui est peut-être précieux pour la survivance d'une école maurrassienne (ce n'est pas à nous d'en juger), mais qui est certainement utile, et par son exemple, et par ses résultats, à tous ceux qui ont l'angoisse des destinées de la Patrie, la volonté de la servir, l'espérance de la sauver.
[^37]: -- (1). Car telle est aussi la raison d'attaques insensées contre Jean de Fabrègues.
[^38]: -- (1). D'autre part Charles Maurras complétait son « politique d'abord », au moins dans les dernières années de l'Action française, par une autre formule : « d'abord le mental » (dont on trouve d'ailleurs l'équivalent, en substance, dès le début de son œuvre, quand il forme le dessein de « rappeler aux hommes qu'ils ont un cerveau »). L'école du psittacisme maurrassien étant, comme nous l'avons remarqué, insuffisante jusque dans son psittacisme, elle a complètement laissé tomber en désuétude cette seconde formule. Sur son contenu, et sur l'oubli où on la tient, il y aurait beaucoup à dire. Et d'abord ceci : qu'à partir du moment où Maurras admet deux « D'ABORD » qui sont simultanés, il rétablit (ou commence à rétablir) quelque chose de cette simultanéité et de cette interdépendance des causes dont nous allons parler plus loin ; et il brise ce qu'a d'artificiel un ordre d'urgence invariable.
Dans l'observation concrète, Maurras témoigne souvent d'un sens très vif de l'interdépendance des causes. Sa formulation logique est plus critiquable -- encore que souvent tempérée par le contexte. Elle a l'inconvénient d'être (ou de paraître) un encouragement il cette Scolastique psittaciste qui fait du « politique d'abord » la règle unique et permanente de l' « ordre d'urgence ».
[^39]: -- (2). *Les Libertés françaises*, n° 17 : article recueilli dans le livre de l'*Enquête sur le nationalisme*, pp. 135-148,
[^40]: -- (1). Qui tombe sous le coup de la critique de Charles De Koninck : une science sociale ainsi conçue ne peut en réalité « présenter qu'un intérêt spéculatif des plus ténus ». Voir les raisons fondamentales de Charles de Koninck citées et commentées par Marcel Clément, *Enquête sur le nationalisme*, pp, 157-161.
[^41]: -- (2). *Les Libertés françaises*, ibidem.
[^42]: -- (3). Ibidem. Cette subordination a d'ailleurs été affirmée par Maurras, même aux endroits où il formule le « politique d'abord » avec le plus de rigueur : cf. par exemple la *Démocratie religieuse* (Paris, 1921), pp. 383-384. Reprocher à Maurras d'avoir nié cette subordination est évidemment un reproche à contresens. la question est autre : elle est de savoir si la manière dont il la conçoit est entièrement juste -- ou si elle doit être soit rectifiée soit complétée. On s'est ordinairement tenu à contester (à tort) ou à affirmer (avec raison) que Maurras professait une subordination de la politique à la morale : alors que 1^er^ vrai problème est d'examiner laquelle.
[^43]: -- (4). Charles Maurras, la *Démocratie religieuse*, p. 383.
[^44]: -- (1). Voir l'étude d'Henri Charlier : « Les quatre causes », n. 12 et n° 15 d'*Itinéraires* ; et spécialement no 15 pp. 28-34.
Sans renoncer formellement au « politique d'abord », un journal comme la *Nation française* se pose des questions analogues à celles qui sont soulevées ici. Et c'est pourquoi M. Raoul Girardet a pu noter à son propos (*op. cit*., p. 787) qu' « il s'agit moins désormais de poser les problèmes en termes de politique qu'en termes de civilisation » et qu'ainsi l'on tend « à renouer avec une tradition de réflexion morale et sociale qui n'est autre que celle de Bonald ou de Le Play ». M. Raoul Girardet conclut que là se trouve pour l'école maurrassienne, « la possibilité la moins incertaine de son renouvellement ».
[^45]: -- (1). Encore que l'on y vienne. Voir l'article « Politique d'abord » de M. Stanley Hoffmann, dans *Esprit* de décembre 1957, pp. 813 et suiv.
[^46]: -- (2). Voir Marcel Clément, *Enquête sur le nationalisme*, pp. 169-188.
[^47]: -- (1). Pie XII Message de Noël 1956. Tout le passage est intégralement cité et commenté dans On *ne se moque pas de Dieu*, pp. 81 et suiv.
[^48]: -- (2). Pie XII, Encyclique sur le Pèlerinage à Lourdes, *Itinéraires*, n° 20, p. 101.
[^49]: -- (1). Parlant de l'état actuel de la France M. Stanley Hoffmann écrit dans *Esprit* de décembre 1957, p. 821 :
« Les seuls remèdes seront ceux qui traiteront directement le mal c'est-à-dire des remèdes politiques. »
Voilà l'erreur qui devient commune à la « gauche » et à la « droite ». Cette erreur identique a une cause intellectuelle également commune : le positivisme sociologique analysé par Marcel Clément (*Enquête sur le nationalisme*, pp. 169-190). Et cette cause intellectuelle a elle-même une cause spirituelle : un affaiblissement de la foi.
C'est ce positivisme sociologique que met implicitement en cause, semble-t-il, le Rapport doctrinal de l'Épiscopat français quand il déplore le fait suivant (p. 26) :
« Où qu'on se tourne, on trouve le politique d'abord, l'économique d'abord, le social d'abord, »
[^50]: -- (1). 7 mars 1958.
[^51]: -- (1). Plusieurs extraits caractéristiques de l'étude de Mgr Lusseau ont été reproduits dans *Itinéraires*, n° 17 pp. 106-113.
[^52]: -- (1). Nous n'ignorons pas que, dans l'hebdomadaire laïciste et anti-clérical *France-Observateur* les questions religieuses sont souvent traitées par des catholiques. Nous remarquons que ce n'est point pour les traiter dans une perspective de compréhension et de pacification, mais bien plutôt pour exciter les esprits contre le Saint-Siège, et pour jeter de l'huile sur le feu. Ce qui pose un problème au plan proprement religieux.
En outre, sur un plan plus politique mais qui, nous semble-t-il, est loin d'échapper complètement à la morale et à la doctrine catholiques on constate un étonnant paradoxe : France-Observateur favorise si évidemment les entreprises du communisme que, par mesure d'ordre disciplinaire le Parti socialiste S.F.I.O. a interdit à ses adhérents d'y collaborer. Il est douloureux de constater que, dans le cas de France-Observateur, les mesures disciplinaires de la S.F.I.O. sont davantage respectées par les socialistes, que le décret du Saint Office en date du 1^er^ juillet 1949 n'est respecté par des catholiques.
Enfin la *France catholique* du 21 mars assure que « des aumôniers d'étudiants assurent l'abonnement et recommandent la lecture de *France-Observateur* ».
[^53]: -- (2). Erreurs et insuffisances indiquées par le Communiqué de la Commission épiscopale de l'enseignement religieux du 20 septembre 1957. Voir son texte intégral dans *Itinéraires*, n° 17 pp. 113-115.
[^54]: -- (1). Voir *Itinéraires* n° 17 éditorial : « Le catéchisme ».
[^55]: -- (2). La *Nouvelle revue théologique* est administrée et diffusée par la Maison Casterman, 28, rue des Sœurs Noires, Tournai, Belgique (diffusion en France : 66, rue Bonaparte, Paris). la Revue des cercles d'études d'Angers est éditée 4, passage des Arènes à Angers.
[^56]: -- (1). Sur ces deux Encycliques de Léon XIII, voir : Madiran, *On ne se moque pas de Dieu* (Nouvelles Éditions Latines), pp. 91-120.
[^57]: -- (1). Selon la numérotation de l'édition de la Bonne Presse, dans les Actes de S.S. Pie XI tome XV.