# 31-03-59 1:31 ## ÉDITORIAL ### Quatrième Année LA REVUE *Itinéraires* entre donc ce mois-ci dans sa quatrième année. Elle y entre en un moment où la situation générale faite en France aux publications imprimées devient matériellement très difficile. Mais ces difficultés matérielles, nous en parlons suffisamment ailleurs pour n'en point parler tout le temps. La revue a surmonté toutes celles qui se sont présentées, et elles furent nombreuses au long de trois années. Il faut y pourvoir autant qu'on le peut ; il faut aussi ayant fait tout le possible, n'en être point obsédé, et s'en remettre avec confiance au Père qui chaque jour sait mieux que nous de quoi nous avons besoin. Trois ans accomplis, trois années de travaux commencés et poursuivis au milieu d'une incompréhension parfois malveillante, souvent excusable, car la confusion était profonde dans les esprits, -- une incompréhension qui maintenant, chaque jour davantage, s'évanouit. En 1956, un polémiste un peu léger dénonçait aux catholiques nos « itinéraires douteux », qu'il situait d'un « bord » radicalement incapable d' « interpréter authentiquement la doctrine sociale de l'Église ». Que cela est loin ! En 1959, une plume plus autorisée affirme publiquement que nul ne saurait légitimement contester la place qui est celle d'*Itinéraires* dans le catholicisme social. Sans doute chacun y a-t-il mis du sien. Ceux-là mêmes qui en 1956 ouvraient chaque nouveau numéro de la revue en se demandant ce qui allait leur tomber sur la tête, lisent maintenant *Itinéraires* avec confiance et amitié, ayant remarqué et compris qu'ils y trouvent aide et profit. Et c'est bien ainsi. Car dans l'ordre intellectuel lui aussi, notre condition humaine est telle que nous avons tous besoin les uns des autres. \*\*\* 2:31 LES ÉVÉNEMENTS vécus par la France depuis le mois de mai 1958 ont beaucoup aidé notre entreprise. Tout ce qui a été retiré aux partis politiques dans la structure et dans les mœurs de la cité favorise directement l'attitude recommandée aux catholiques français par les Papes, spécialement depuis Léon XIII : même dans les affaires temporelles, DONNER LE PAS A LA RELIGION QUI UNIT SUR LA POLITIQUE QUI DIVISE. Le mouvement actuel des esprits et des cœurs va vers une reconstitution, vers un remembrement de la communauté catholique en France. Ce qui n'abolit nullement le jeu des « options libres », mais ce qui tend à les REMETTRE A LEUR PLACE : elles prennent de moins en moins le pas sur l'unité ; de plus en plus, c'est l'unité qui prend le pas sur elles. La tentation était presque insurmontable de donner aux diverses mobilisations idéologiques, de donner aux « mystiques temporelles » *pratiquement le pas* sur tout le reste, quand la débilité du pouvoir politique semblait nous persuader que le destin même de la patrie française dépendait directement du parti que l'on ferait triompher sur ses rivaux. Nous avons aujourd'hui cette chance que l'État et sa politique dépendent de moins en moins du jeu des partis : ainsi se dissipe l'illusion que nous devrions servir la France d'abord par l'embrigadement dans l'un ou l'autre des partis qui réclament de nous, en fait, un engagement total et absolu. Nous avions, nous autres Français, formé des partis non seulement dans l'ordre politique, mais encore dans l'ordre social, dans l'ordre intellectuel et même dans l'ordre religieux ; nous en arrivions à penser et à agir comme si la victoire du « bon » parti sur les « mauvais » était le préalable nécessaire au bien commun temporel et au salut spirituel. Le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel chacun dans *son* domaine, nous invitent très visiblement aujourd'hui non point à assurer la victoire d'un parti supposé ou réellement « bon », mais à remettre tous les partis à leur place secondaire et subordonnée. Ce n'est pas un changement superficiel et ce ne sera pas l'œuvre d'un jour. C'est une profonde transformation des esprits et des cœurs qui a été inaugurée l'année de Lourdes. C'est une véritable réforme intellectuelle et morale, qui nous achemine vers l'unité et vers la paix. \*\*\* 3:31 AU LONG de ces trois premières années, certains lecteurs anciens nous ont quittés, beaucoup de lecteurs nouveaux nous sont venus. Ils sont partis, ils sont venus exactement pour la même raison, qui a déçu les uns et conquis les autres : à savoir que notre dessein, à l'intérieur comme à l'extérieur de la communauté catholique, n'est nullement de travailler au triomphe de la droite sur la gauche mais, très différemment, de dépasser le jeu droite-gauche, -- de le dépasser selon notre état et nos moyens, c'est-à-dire d'abord au plan de la conscience, de la vie intérieure, de la réflexion, qui se trouvaient profondément colonisées et annexées par les publicités idéologiques et l'affrontement des partis. Nous l'avions dit clairement dès le début ([^1]). Les mœurs intellectuelles étaient devenues telles en France que l'on y vit une « habileté ». Une « habileté » judicieuse, dont se réjouirent des partisans de droite, pensant qu'elle allait servir leur cause en catimini. Une « habileté » diabolique, dont s'inquiétèrent des partisans de gauche, craignant de tomber dans un piège abominable. C'était simplement notre pensée, notre position, le sens de notre travail, comme on le vit par la suite. 4:31 Nous fûmes alors sollicités, parfois aimablement, parfois avec des menaces, de travailler à *l'unité. --* A l'unité ? -- A « l'unité des catholiques de droite » ... Nous répondîmes invariablement qu'il y avait contradiction dans les termes, et qu'on ne fait pas *l'unité* avec un principe de *division ;* on ne fait pas l'unité sur le principe d'une « droite » opposée à une « gauche ». Renforcer l'union de la droite pour qu'elle puisse écraser la gauche, ce n'est pas un projet chimérique ; mais ce n'est pas une tâche d'unité. La cause à laquelle nous apportons notre contribution n'est pas celle d'un parti qui se propose d'en éliminer un autre. Elle n'est pas celle de la victoire des supposés « bons » sur ceux qu'ils réputent « mauvais » ([^2]). Elle n'est même pas celle, comme certains l'ont cru, de rétablir un « équilibre » qui, spécialement en ce qui concerne les « instruments de diffusion », avait été rompu en 1945 au profit de la gauche et au détriment de la droite. Nous n'ignorons certes pas quels problèmes réels et douloureux se sont posés là, et rien ne nous interdisait d'exprimer à leur sujet un avis. Nous l'avons fait plus d'une fois. Mais la cause à laquelle nous travaillons est au temporel celle de l'unité française, au spirituel celle de l'unité chrétienne, qui étaient l'une et l'autre à restaurer et qui se trouvent aujourd'hui, grâce à Dieu, en voie de restauration. Nous ne plaidons d'ailleurs pas pour que l'autorité spirituelle ou l'autorité temporelle réduisent à néant les partis qui les assaillent ou tentent de les séduire. Cc n'est pas notre affaire, ce n'est pas en notre pouvoir et ce n'est pas notre propos. Nous n'avons rien contre les diversités, les préférences, les options libres, nous croyons même qu'aucun cœur humain ne peut se défendre tout à fait d'en nourrir. Nous ne confondons pas l'unité et l'uniformité. Mais nous avons remarqué que, dans les esprits et les mœurs, les « options libres », légitimes en elles-mêmes et à l'origine, étaient pratiquées, étaient affrontées, étaient exacerbées sans mesure et sans limite, d'une manière qui prenait habituellement le pas sur l'unité. 5:31 Il nous a paru qu'il fallait inaugurer un mouvement de pensée inverse, une réforme intellectuelle et morale, en commençant chacun par soi et en progressant de proche en proche. Il nous a paru simultanément que cette réforme intellectuelle et morale est précisément celle que les Papes proposent non seulement aux catholiques français, mais à tous les hommes de bonne volonté. Il nous a paru encore que cette réforme intellectuelle et morale est substantiellement celle que, depuis cinquante ans et davantage, les plus grands penseurs français ont tenté de mettre en œuvre. A leur suite, nous avons repris la tâche, et il nous semble bien que les temps sont venus où ce qui a été semé pendant plus d'un demi-siècle commence à prendre figure d'une immense moisson. Mais une moisson qui, comme toujours, est remise et livrée à notre liberté : il dépend de nous de la saccager, ou de la faire grandir. C'est dans cette perspective, plus nettement située mois après mois, pendant trois années entières, que les uns ont préféré nous quitter et que les autres sont venus nous apporter leur renfort. La porte reste ouverte, bien sûr, à ceux qui sont partis hier comme à ceux qui viendront demain. \*\*\* SUR LE CHEMIN de l'unité à restaurer, on trouve parfois des projets de « rassemblements » assez spectaculaires. Trop souvent ils sont animés par un esprit d'organisation, ou même de manœuvre, qui relève encore de la stratégie des partis. Ce n'est pas la répartition des « groupes », ce n'est pas la répartition des « forces politiques » qu'il faut changer en France, bien qu'il en demeure encore l'illusion tenace. Nous croyons que les formes les plus profondes et les plus fécondes de « rassemblement » s'apparentent à ce rassemblement sans tapage, mais extraordinaire si l'on veut bien y réfléchir, qui s'est opéré et qui s'étend chaque jour dans la rédaction même de la revue *Itinéraires.* Car cette rédaction n'est pas une « équipe » au sens habituel du terme. Ce n'est pas une équipe parmi d'autres, ayant avec d'autres équipes rédactionnelles des rapports de contestation, de rivalité, de concurrence ou d'alliance. 6:31 Nous pouvons donner à ceux qui le souhaiteraient tous apaisements à ce sujet, et des apaisements d'autant plus sûrs qu'ils tiennent à la réalité des choses et des hommes plus encore qu'aux intentions ou aux promesses. Nous ne sommes pas une « équipe » constituée autour d'une idéologie ou d'une option, nous ne sommes ni une école ni un groupe, *nous sommes une liberté, une diversité, une fraternité en acte.* Ce n'est pas le lien d'une équipe, ce n'est pas la réalité d'une école, ce n'est pas le souci d'une option qui rassemblent dans la rédaction d'une même revue des professeurs et des ouvriers, des théologiens et des syndicaux, des sociologues et des artistes, des philosophes et des agriculteurs, des novateurs et des hommes de tradition, et quatre ou cinq générations, de la classe 1900 à la classe 1950. C'est le fait que cette revue a commencé à rétablir les conditions mêmes de la recherche, de la pensée, du travail intellectuel ; les conditions d'un approfondissement doctrinal en confrontation permanente avec les événements et les données de l'expérience ; les conditions d'une coopération continue entre la réflexion des hommes de pensée et celle des hommes de métier. Le lien qui nous rassemble n'exclut personne hormis ceux qui s'excluent eux-mêmes, le lien qui nous rassemble est le plus ouvert et le plus offert qui soit, car le lien qui nous rassemble est celui d'une fraternité où nous n'avons aucun mérite, l'ayant seulement reçue de Celui qui la donne, et nous efforçant de la vivre dans l'ordre intellectuel lui aussi. Il faut nous avoir lu bien peu ou bien vite, il faut être passé totalement à côté du contenu réel de la revue, pour imaginer que nous formerions une équipe idéologique, une école, un groupe, posant par son existence la question de ses rapports éventuels avec d'autres groupes, d'autres écoles, d'autres équipes. Pour imaginer que nous « représentons » une « tendance ». Pour croire que nous nous rassemblons autour d'une « option ». Il a fallu à peu près trois ans pour que l'opinion commune admette, mais enfin elle l'admet maintenant, que notre tendance est légitime et permise, *nec pluribus impar.* C'est un premier pas. Le second sera d'apercevoir qu'il s'agit de bien autre chose que d'une tendance. \*\*\* 7:31 Aux lecteurs qui d'aventure trouvent la revue un peu « austère » ou « difficile », nous voudrions dire que ce qui est ici en question ne se règle pas avec des amusettes, des bons mots ni des slogans. Nous ne promettons pas à nos lecteurs qu'en lisant *Itinéraires* ils pourront « se faire facilement une opinion complète », nous leur promettrions plutôt le contraire : qu'ils se feront autre chose qu'une opinion, que ce n'est pas facile, et qu'une pensée n'est jamais complète et définitive, mais incessamment se révise ou s'enrichit par sa confrontation avec d'autres pensées et avec l'expérience. Ceux qui désirent « se faire facilement une opinion complète » ont à leur disposition tout ce qu'il faut pour cela dans les kiosques à journaux : il existe un grand nombre de feuilles et de magazines illustrés qui donnent suffisamment, à défaut du sens de l'histoire, le sens de la mode, celui des renommées qu'ils forgent de toutes pièces et défont pareillement, et l'illusion de la science infuse. Ces journaux, ces magazines se fabriquent et aussi, hélas, nous fabriquent des lecteurs qui ont le sentiment de n'avoir plus rien à apprendre. Certains nous écrivent parfois, très gentiment d'ailleurs, qu'ils se félicitent de l'existence d'*Itinéraires...* « pour éclairer ceux qui en ont besoin », c'est-à-dire « les autres ». Eux-mêmes n'ayant donc plus rien à apprendre, ils sont en cela plus savants que les plus savants et les plus éminents de nos collaborateurs. A leur différence, la revue *Itinéraires* est rédigée par des hommes qui, tous sans exception, ont beaucoup à apprendre encore, et le savent, et s'efforcent de l'apprendre les uns des autres. Nous ne pouvons évidemment rien apporter à ceux qui se trouvent ou qui se croient dans l'état de n'avoir rien à recevoir. Aux autres, à tous les autres, nous proposons de poursuivre ensemble, pour la quatrième année et pour les suivantes, dans l'effort et la peine, dans la réflexion difficile et dans le travail, la réforme intellectuelle et morale. 8:31 ## CHRONIQUES 9:31 ### Lénine et la stratégie révolutionnaire par Marcel CLÉMENT SELON LES MILIEUX, selon les cultures, on se fait du communisme des idées très diverses. « *Bien peu de personnes,* notait déjà Pie XI, *ont su pénétrer la vraie nature du communisme* » ([^3]). Sans prétendre énumérer toutes les erreurs qui circulent à ce propos, évoquons-en de particulièrement fréquentes. *a*) Nombreux sont ceux qui ne considèrent le communisme que comme une doctrine économique. Ils admettent bien qu'en fait le communisme est aussi une philosophie matérialiste et athée, mais ne voient dans ce deuxième aspect qu'un accident historique. Essentiellement, ils considèrent que l'analyse faite par Karl Marx de la théorie de la valeur est vraiment scientifique et qu'elle commande, logiquement, une évolution sociale souhaitable de la technique de dévolution du pouvoir économique. Ceux-là ne voient pas que la théorie de la plus-value et la théorie marxiste de la valeur sont en elles-mêmes des théories essentiellement matérialistes. Pour Marx, il n'y a pas d'autre valeur que celle qui résulte de la production sociale parce que « *toute la prétendue histoire du monde n'est rien d'autre que* LA PRODUCTION DE L'HOMME PAR LE TRAVAIL HUMAIN, *donc le devenir de la nature pour l'homme. Celui-ci a donc la preuve évidente, irréfutable, de sa naissance de lui-même, de son origine* » ([^4]). 10:31 *b*) D'autres, qui ne sont pas séduits par cette distinction superficielle entre le communisme comme doctrine économique et le communisme comme philosophie matérialiste, semblent toutefois ne pas pénétrer suffisamment le caractère dialectique de ce matérialisme. Ils ont tendance, en particulier, à considérer le Parti communiste comme si celui-ci était un parti « comme les autres ». Ils éprouvent, par exemple, des scrupules de conscience à constater que le Parti communiste, malgré plus de trois millions de voix, n'est représenté que par dix députés. Même si les alliances entre partis nationaux qui ont permis ce résultat leur semblent légitimes, ils se demandent parfois s'il n'eût pas été souhaitable, pour un vrai fonctionnement de la démocratie, que l'opinion des votants communistes soit davantage représentée. Ceux-là peuvent utilement méditer sur deux textes de Lénine. Le premier est une directive : « *Tant que vous n'avez pas la force de dissoudre le parlement bourgeois ou tout autre institution réactionnaire, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions.* » ([^5]) Le second est un aveu : « *Notre morale est entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte des classes du prolétariat... Est moral ce qui contribue à la destruction de l'ancienne société d'exploiteurs.* » ([^6]) Autrement dit, le communisme n'est pas une opinion parmi d'autres, soucieuse de s'exprimer au parlement. C'est une machine de guerre considérant que tout est permis pour atteindre ses fins. c\) Enfin, spécialement parmi ceux qui votent communiste, beaucoup s'imaginent que la doctrine et la politique du Parti communiste français sont, certes, anti-bourgeoises, mais ne sont pas essentiellement anti-françaises. Sans le savoir, ils imaginent une sorte de communisme national, voire nationaliste. Ils supposent que les chefs du Parti communiste français demeurent, au fond d'eux-mêmes, patriotes et sincèrement attachés, à court terme comme à long terme, aux intérêts du pays. 11:31 Ceux-là devraient bien lire le cahier saisi dans la serviette de Jacques Duclos, lors de son arrestation le 28 mai 1952. Ils y trouveraient, parmi les instructions impératives rapportées d'U.R.S.S. par François Billoux, des directives de ce genre à propos de l'armée française : « *Il ne peut être question de défendre une armée qui sert des desseins impérialistes. Nous travaillons pour la défaite certaine de cette armée au Vietnam, en Corée, en Tunisie* » c'est-à-dire partout où l'armée française, à l'époque, se battait. Ces quelques remarques n'ont pas d'autre but que d'attirer l'attention sur la nécessité, grave et urgente pour tous les Français, et plus généralement pour tous les hommes soucieux de la sauvegarde de la dignité de la personne, de fournir l'effort suffisant pour comprendre plus profondément la vraie nature du communisme. Dans les circonstances actuelles, le meilleur moyen d'y parvenir n'est probablement pas, comme on l'a fait trop salivent depuis une vingtaine d'années, d'étudier la pensée de Marx et de se limiter là. C'est la pensée et l'action de Lénine prolongeant, développant et incarnant la pensée marxiste, qui peut le mieux, dans les circonstances présentes, nous permettre de comprendre et de faire comprendre. #### I. -- L'apport théorique de Lénine. L'intuition essentielle de l'œuvre de Karl Marx, c'est que tout ce qui est, n'est rien d'autre que de la matière dynamique, de la matière en évolution. Ce dynamisme, cette évolution se manifestent à travers une suite ininterrompue de contradictions, de conflits et c'est en cela que ce *matérialisme est dialectique.* A un moment donné de l'évolution, la matière est devenue pensante. L'apparition de l'homme dans la série animale n'exprime philosophiquement rien d'autre qu'un saut qualitatif brusque de la matière, devenue capable soudain de devenir son propre reflet, sa propre image, d'avoir conscience de soi. Mais l'homme primitif, au sein d'une nature hostile, a peur. Pour se rassurer, il imagine au-dessus de lui des êtres invisibles, des puissances divines dont il se rend dépendant en leur demandant leur appui et en faisant ce qu'il croit leur volonté. Dès lors, cet homme est « aliéné ». A cette « aliénation » religieuse répond d'ailleurs l' « aliénation » économique. L'homme se rend dépendant non seulement des puissances invisibles (qu'il invente), mais aussi des autres hommes, lorsque ceux-ci sont matériellement plus forts que lui et capables de l'exploiter. 12:31 Marx applique alors son matérialisme dialectique à l'histoire de l'humanité. Il affirme que la propriété privée constitue le ferment dialectique de l'histoire, puisque c'est elle qui établit des inégalités de force matérielle, c'est-à-dire, inévitablement, une exploitation de la classe possédante qui détermine tôt ou tard, une révolte de la classe exploitée : « *Toute l'histoire de la société humaine jusqu'à ce jour est l'histoire de la lutte des classes.* » ([^7]) L'aliénation religieuse permet de consolider l'aliénation économique lorsque les exploités renoncent à la révolte sous l'influence de la religion. Esclaves contre hommes libres, plébéiens contre patriciens, serfs contre féodaux, bourgeois contre nobles, prolétaires contre bourgeois sont quelques-unes des étapes de cette analyse du *matérialisme historique.* La lutte du prolétariat, dans la mesure où elle correspond à la destruction de toute propriété privée, doit permettre l'instauration du communisme, c'est-à-dire d'une étape où l'humanité, délivrée des aliénations religieuses et économiques, deviendra purement et simplement ce qu'elle est : une masse de matière collective consciente, capable de se donner à elle-même son existence et sa nature, de se produire elle-même en tant qu'humanité, de se créer elle-même. Pour parvenir à cette forme supérieure de liberté, il faut, dit Marx, faire une analyse de la vraie nature du travail, activité sociale, qui permet à l'humanité de se créer elle-même. Le travail humain social est donc la source de toute espèce de valeur ; toute appropriation privée de cette valeur sociale est un vol. Le régime capitaliste, fondé sur la propriété privée des biens de production est donc un mal essentiel dans la mesure même où il respecte comme un droit naturel le pouvoir pour chaque personne d'être propriétaire d'elle-même et de certains prolongements matériels de sa personnalité. La liberté spirituelle de se créer elle-même ne sera donnée à l'humanité, dans une étape supérieure du communisme, que lorsque les conflits successifs auront disloqué toutes les forces particulières où s'expriment des libertés personnelles, c'est-à-dire des libertés réactionnaires. Il faut donc travailler à analyser les divers conflits et à les aiguiser afin de précipiter l'évolution dialectique qui permettra la chute des gouvernements bourgeois et la dictature du prolétariat, lui-même instrument pour atteindre la forme supérieure du communisme. 13:31 C'est sur cette vision d'ensemble que vient s'inscrire ce qui constitue l'apport théorique de Lénine à la pensée de Marx. A suivre pas à pas l'exposé que Staline lui-même a fait de l'apport théorique de Lénine, on peut résumer celui-ci en cinq points principaux. a\) *Le capitalisme de l'époque impérialiste :* Marx avait principalement analysé le capitalisme tel qu'il s'était développé au cours du XIX^e^ siècle. A la fin du XIX^e^ et au début du XX^e^, le développement gigantesque de certaines concentrations de capitaux conduit à ce que Lénine appelle le capitalisme monopoliste, ou impérialiste. Cette époque, que Marx n'avait pas connue, développe des tensions, des rivalités, des contradictions dans la lutte pour les débouchés, et conduisent à des guerres impérialistes périodiques. La conclusion tirée par Lénine de cette analyse est que, dans les conditions de l'impérialisme, la victoire du socialisme est possible dans tel ou tel pays capitaliste, pris isolément. b\) *La dictature du prolétariat :* Après avoir souligné que l'avènement du socialisme était devenu possible dans un ou plusieurs pays en particulier, Lénine donne le moyen général d'y parvenir. Il conseille d'établir les Soviets comme structure de base de la dictature du prolétariat. Il préconise d'établir cette dictature en la facilitant par des alliances avec des classes non prolétariennes. Enfin, il présente cette dictature du prolétariat comme le titre suprême de la démocratie, c'est-à-dire comme un type de démocratie où la classe dite exploitée dispose d'un pouvoir absolu et sans limite. c\) *La politique économique :* Lénine décrit les étapes d'une politique économique grâce à laquelle la dictature du prolétariat peut réaliser graduellement la socialisation intégrale de l'économie nationale. d\) *La question nationale et coloniale :* Lénine a imaginé, de la manière la plus pratique, comment il était possible de manier le nationalisme d'une part et le problème colonial d'autre part pour utiliser l'une et l'autre question de façon que des explosions sanglantes se produisent, selon un plan méthodique, en vue de favoriser l'expansion mondiale de la révolution communiste. 14:31 e\) *Le Parti communiste :* Enfin, c'est Lénine qui, reprenant l'idée marxiste de parti communiste, donne à ce parti ses caractéristiques d'action. Il le conçoit comme le pouvoir suprême, moteur de la révolution mondiale. C'est lui seul qui peut réaliser la dictature du prolétariat, -- grâce à la discipline de fer qu'il établit pour conduire jusqu'au bout une lutte sans merci. \*\*\* Tels sont les thèmes fondamentaux du léninisme, en tant que théorie complémentaire du marxisme. Essentiellement, on le voit, Lénine est un homme d'action qui s'empare de la pensée d'un doctrinaire et la projette, en quelque manière, sur une situation concrète pour montrer sur quels points elle est susceptible d'être mise en œuvre pratiquement. On est allé plus loin. On a affirmé que Marx avait considéré l'évolution de l'humanité vers le communisme comme devant résulter du jeu dialectique des forces économiques arrivant à maturité, alors que Lénine, lui, aurait mis sa confiance en une « révolution créatrice » pour réaliser le même programme. Staline a défendu Lénine de s'être opposé à Marx sur ce point. Quoi qu'il en soit, il faut bien conclure que le Léninisme s'oppose au Marxisme comme la théorie de l'homme d'action s'oppose à la théorie du philosophe. L'œuvre de Marx demeure spéculative dans son élan fondamental. Il analyse pour prophétiser. Lénine analyse pour réaliser. #### II. -- La pratique léniniste de la révolution. L'intuition essentielle de Marx fut que l'humanité, c'était de la matière en évolution dialectique se créant elle-même. L'intuition essentielle de Lénine fut que l'humanité était capable de devenir pratiquement ce que Marx avait affirmé qu'elle était théoriquement. C'est ici que se situe ce qu'il faut bien appeler le génie de Lénine. Il a conçu et senti à un degré effrayant la liberté que l'homme a de faire le mal et l'efficacité à laquelle il peut parvenir en le faisant. Il ne suffit pas de comprendre ce point de façon intellectuelle. Il faut l'assimiler, en acquérir une intelligence en quelque manière spirituelle. 15:31 On peut raisonner par analogie. La vie chrétienne, trop souvent, est une vie médiocre. Nombreux sont ceux qui, acceptant en théorie la morale enseignée par l'Église, n'en vivent que très partiellement. Ils pratiquent l'humilité dans la mesure où l'effort reste à leur portée. Ils pratiquent la charité dans la proportion qui correspond aux élans spontanés de leur sensibilité... Et ainsi de suite. A l'inverse, ce qui caractérise les saints c'est que, fidèles à la grâce qui les éclaire et qui les affermit, ils pratiquent l'humilité de façon héroïque. Ils pratiquent la charité de façon héroïque. Ils ont conscience de pouvoir beaucoup par la prière et par la pénitence pour la multitude d'âmes. Ils sont *absolus* dans le don : c'est toute leur vie qui est donnée au Christ. Ils sont *universels :* ce sont tous leurs frères au service desquels ils veulent être. Ils sont *incarnés :* c'est dans les plus infimes détails de la vie quotidienne qu'ils poussent la volonté de réaliser pratiquement les exigences de l'humilité et de la charité. On peut répéter les mêmes observation, pour ainsi dire, en creux. Les hommes corrompus vont rarement jusqu'au bout de la corruption. Ils sont en quelque manière des médiocres dans le mal comme les chrétiens anémiés sont des médiocres dans le bien. Les uns et les autres sont souvent retenus par leur milieu de vie, la société présentant fréquemment ce caractère de réprimer avec violence la vertu quand elle est héroïque et le vice quand il est abject. Lénine avait profondément compris cela. Il avait profondément compris qu'une action révolutionnaire, pour être efficace, devait avoir un caractère absolu, un caractère universel, un caractère d'incarnation totale. Ces trois caractères permettent de dégager l'esprit dans lequel Lénine a formulé et réalisé la pratique de la révolution. En premier lieu Lénine donne à la révolution un caractère *absolu.* A l'inverse des saints, qui savent que Dieu est absolu et qui vivent donc en s'efforçant de réaliser intérieurement sa volonté en plénitude, Lénine fait de l'homme un absolu. L'homme (considéré collectivement) peut tout, TOUT sans exception. Il peut dans une indépendance sans limite tuer, voler, mentir et il peut aussi faire vivre, enrichir, aider. Tout cela est absolument indifférent. Rien ne compte que le but. 16:31 C'est toute l'histoire du monde, son histoire à venir, que Lénine en quelque façon entend maîtriser, manipuler, créer, en affranchissant à jamais l'homme de tous les tabous sociaux, de toutes les normes morales, de toutes les lumières religieuses. Le but de Lénine, c'est une humanité absolue qui se redresse orgueilleusement contre son Créateur et entreprend la lutte, comptant sur l'anéantissement des lois morales et l'utilisation aussi totale que possible des lois physiques, pour que l'humanité en vienne enfin ; par l'hérédité dirigée et l'esclavage collectif, à se produire elle-même, à se créer elle-même.... Tout cela, Lénine l'a dit. Il l'a dit dans son style et dans sa perspective, mais il l'a dit clairement : « *La dictature, dans sa conception scientifique, ne signifie rien d'autre qu'un pouvoir qui n'est limité par rien, par aucune loi, et s'appuie directement sur la violence... La dictature signifie*, *prenez-en note une fois pour toutes... -- un pouvoir illimité s'appuyant sur la force et non sur la loi.* » ([^8]) En second lieu, Lénine donne à la révolution un caractère *universel.* C'est ce caractère universel qu'il enveloppe dans le mot « stratégie ». La stratégie, pour lui, c'est la direction du coup principal de la révolution. Cette révolution, elle doit s'effectuer d'abord dans un premier pays : la Russie, puis dans d'autres pays, grâce à l'aide et aux réserves constituées par la Russie soviétique pour s'étendre finalement à tout l'univers. Ici encore, ce n'est pas intellectuellement qu'il faut comprendre, c'est avec l'âme tout entière qu'il faut appréhender l'effrayante volonté de puissance dont témoigne ce projet. Les plus grands conquérants de l'antiquité et des temps modernes n'avaient pas formé semblable rêve. Ni Alexandre, ni Napoléon. Ce que Lénine entreprend c'est la conquête des hommes et de l'histoire, de tous les hommes et de toute l'histoire. Il annexe celle du passé par l'explication théorique, celle de l'avenir par la domination pratique. Enfin, ce n'est pas une conquête du territoire, ce n'est pas une conquête des populations que veut réaliser cette ambition universelle. C'est une conquête des âmes. Lénine a lu Clausewitz. Il sait que la conquête des âmes, sous l'influence du christianisme depuis longtemps considérée comme une œuvre de liberté et d'amour, peut être conduite en développant la haine et en manipulant la terreur. 17:31 Cela encore, Lénine l'a dit. Il a affirmé son ambition universelle : « *Le coup principal consiste... à instaurer la dictature du prolétariat dans le monde entier.* » ([^9]) Il a affirmé sa volonté de répandre la haine : « *Notre tâche est d'utiliser toutes les manifestations de mécontentement, de rassembler et de mettre en œuvre toutes les parcelles, mêmes embryonnaires, de protestation.* » ([^10]) Il a formulé sa volonté de terrorisme : « *Le parti sorti vainqueur dans la révolution est nécessairement obligé de maintenir sa domination au moyen de la terreur que ses armes inspirent aux réactionnaires.* » ([^11]) On l'a vu clairement, le 1^er^ novembre 1956, à Budapest. En troisième lieu, Lénine donne à la révolution un caractère *d'incarnation* poussé jusque dans le détail. C'est ce souci dont il décrit les exigences sous le nom de tactique : « *L'art de la tactique c'est de* DISSIMULER *jusqu'au dernier moment l'intention stratégique.* » Autrement dit, si le but c'est l'esclavage des âmes et des corps, les moyens sont non seulement la haine et la terreur mais aussi le mensonge. Et les organes d'action comme les méthodes mises en œuvre sont précisément conçus pour donner un maximum de rendement à la haine, à la terreur et au mensonge. Les organes d'action sont connus : le Parti communiste animé par un noyau de quelques milliers de « révolutionnaires professionnels » tient le contact avec les « masses prolétariennes », c'est-à-dire avec tout groupe social considéré comme exploité et susceptible d'être influencé idéologiquement. Pour agir sur ces masses, et d'une façon générale sur toutes les parties de l'organisme social, les « révolutionnaires professionnels » sont formés et assurent le fonctionnement des « courroies de transmission ». Staline, commentant Lénine, a été très précis sur ce rôle du Parti : « *Étant la meilleure école pour la formation des leaders de la classe ouvrière, le Parti est, par son expérience et son autorité, la seule organisation capable de centraliser la direction de la lutte du prolétariat et de faire ainsi, des organisations sans parti les plus diverses de la classe ouvrière, les organismes auxiliaires et les courroies de transmission reliant le Parti à la classe.* » ([^12]) 18:31 Cette organisation a atteint, dans les années que nous vivons, un degré d'efficacité si manifeste que les notions de guerre subversive et de guerre révolutionnaire sont maintenant connues de tous, même si tous ne parviennent pas en déceler toutes les manifestations concrètes. Par la guerre *subversive,* les agents du communisme lancent des mot d'ordre, répandent des nouvelles, font jouer des pulsions pour parvenir, dans un pays donné, à paralyser ou du moins à neutraliser dans la plus large mesure possible, l'action du gouvernement. Par la guerre *révolutionnaire,* ils s'efforcent d'instaurer la dictature du prolétariat. Les consignes que nous avons évoquées au début de ces pages, rapportées en 1952 de Moscou par François Billoux et ordonnant de travailler à la défaite certaine de l'armée française partout où elle se battait, se sont manifestées depuis de années en France d'une façon qu'il est devenu superflu de décrire. Les attaques massives contre l'œuvre de la France dans les territoires d'Outre-Mer, la louange inconditionnelle de tous les mouvements anti-français dans ces même pays, les attaques méthodiques et passionnées contre l'armée française ont constitué, et contribuent encore, dan une certaine mesure, là créer un climat social qui n'est évidemment pas le résultat du hasard. Ce travail d'agitation et de propagande s'exerce dans toutes les directions. Il s'applique à l'Église, au parlement aux syndicats ouvriers, aux organisations de jeunesse, au organisations féminines, aux organisations sportives, au organisations étudiantes. Il joue sur les sentiments nationalistes, sur la défense de la démocratie, sur l'amour de la paix. Il sait se faire alternativement hostile et ami, proposer des alliances et les rompre, condamner des compromis puis les réaliser. Tantôt, il fait céder l'adversaire en faisan miroiter une paix ardemment désirée, tantôt il le fait céder en développant le terrorisme et en multipliant les horreur et les cruautés. Il réduit l'homme à l'état de robot conditionné, collectivement par le viol des âmes, individuellement par le « lavage » des cerveaux. Il ne se lasse jamais. Il ne se décourage jamais. Il ne s'avoue jamais vaincu. Il applique à la haine ce que saint Paul applique à la charité : il cherche à la rendre invincible. 19:31 #### III. -- Face au marxisme-léninisme. Il suffit d'évoquer les événements les plus marquants des vingt dernières années pour mesurer la fécondité dans le mal du génie de Lénine. Depuis 1939, dix-sept pays ont été écrasés et réduits en esclavage par la dictature dite du prolétariat. Un tiers environ des populations et des richesses du monde sont sous la puissance de la haine organisée et de la lutte contre Dieu et contre Son image dans l'homme. Face à cette agression, qui est quotidienne, qui est permanente, nous sommes responsables. On lit bien ici ou là des études sur le péril que nous fait courir la guerre subversive. On fait remarquer avec juste raison que les pays civilisés ne sauraient reprendre les méthodes communistes. On en profite avec beaucoup moins de raisons pour jeter un doute sur la nécessité de mettre au point les moyens légitimes et efficaces de défense d'ordre psychologique. En pratique, nous demeurons mal protégés. D'une part, nous ne sommes pas, en tant que patrie, capables de faire face à l'agression psychosociologique que nous voyons se développer. En effet, un siècle et demi de laïcisme a abouti à des fractionnements spirituels qui nous rendent largement vulnérables à l'hydre aux cent têtes de l'agitation et de la propagande subversives. Il n'y a pas, il ne peut pas *y* avoir, une doctrine positive de lutte contre le communisme sans unité spirituelle. Parlons net. Le marxisme-léninisme est une insurrection, dans l'histoire, des forces infernales. Le Pape Pie XI lui-même nous en a averti : « *Quand les apôtres demandèrent au Sauveur, pourquoi ils n'avaient pu, eux, délivrer de l'esprit malin un démoniaque, le Seigneur répondit :* « *de pareils démons ne se chassent que par la prière et par le jeûne* » ; *le mal qui aujourd'hui ravage l'humanité ne pourra de même être vaincu que par une sainte et universelle croisade de prières et de pénitences.* » ([^13]) 20:31 Dans ces conditions, il est clair que ce n'est pas sur une simple force temporelle, fut-elle psychologiquement adaptée, que le communisme peut se briser. C'est, en dernière analyse, sur l'Église seule, qui a les clefs de l'éternité. Toutefois, le communisme ne s'en prend pas seulement à l'Église. Il s'en prend aussi aux patries. C'est donc dans la mesure où, en France comme ailleurs, les catholiques s'efforceront dans la prière et dans la pénitence, à une fidélité toujours plus exigeante et plus rayonnante à la grâce divine, qu'ils seront en état de fortifier la patrie elle-même. Il n'est pas douteux à ce sujet, que dans l'ordre de la pensée, le plus puissant moyen de lutte contre le communisme, soit la diffusion et l'application progressive de la doctrine sociale chrétienne. D'ailleurs, non seulement les catholiques, non seulement les chrétiens, mais tous ceux qui reconnaissent les normes fondamentales de la dignité de la personne humaine et du droit naturel peuvent adhérer à la doctrine sociale chrétienne, puisque, comme l'a indiqué Pie XII, « *La Loi naturelle ! voilà le fondement sur lequel repose la doctrine sociale de l'Église.* » ([^14]) C'est la loi naturelle qui affirme que la personne humaine a le droit d'être le principe de ses actes libres en vue de sa fin, et non d'être traitée comme un simple objet. C'est elle qui affirme que la famille est la cellule-mère de toutes les sociétés. C'est elle qui établit ce qu'est le bien commun en tant que fin propre de la société civile. C'est elle qui soutient les droits fondamentaux du travail, de la propriété, de l'association, c'est elle enfin qui montre à la raison droite que la société, sous un certain rapport, est un organisme dont les membres sont appelés à coopérer dans l'harmonie et non à se détruire dans des haines fanatiques. Il est évident qu'une action psychologique fondée sur ces thèmes consistera précisément dans un effort pour diffuser la vérité que le communisme cherche à obscurcir. Ou à ridiculiser, ou à faire haïr. Il faut remarquer d'ailleurs, à ce sujet, que ce qui s'est passé en Algérie en mai 1958, sans qu'aucune goutte de sang soit versée, et qui s'est traduit par un mouvement de fraternisation qui a bouleversé tous ceux qui en ont été à la fois les acteurs et les témoins, témoigne d'une inspiration dont les fruits portent un témoignage à la loi d'amour et non aux haines de race ou de classe. 21:31 Une grande, une vaste prise de conscience fraternelle, une nouvelle infusion des grâces divines et de l'esprit évangélique dans la société moderne, voilà donc bien, en définitive, la seule réponse efficace. Au communisme, il nous appartient d'opposer la communion. Mais une communion vécue... Une communion qui s'exprime dans la vie familiale, dans la vie de l'entreprise, dans la vie du quartier, de la paroisse, de la commune. Un climat fraternel qui se manifeste dans les professions et que viennent soutenir les organes de la presse, de la radio, du cinéma, de la télévision. C'est de cela qu'il s'agit. Dès le début, c'est bien cet apostolat dont Pie XI avait chargé l'Action catholique. Celle-ci a grandi et déjà, dans tous les milieux de vie, des chrétiens sont davantage affermis dans leur foi, unis dans leur action. A côté d'eux, beaucoup, qui ne font pas partie des organisations d'Action catholique, n'en sont pas moins disponibles. \*\*\* A l'heure où le Pape Jean XXIII convoque un concile œcuménique, où les feux de l'unité des chrétiens lèvent dans le ciel comme une aurore, que Pie XII, d'ailleurs, avait laissé prévoir, nous devons, nous pouvons, face à un terrifiant péril, mais capables de lui opposer des forces victorieuses, nous devons tout mettre en œuvre pour y parvenir. Nous pouvons, nous devons dominer nos divisions. Nous pouvons, nous devons nous dégager de l'emprise du laïcisme. Nous pouvons, nous devons réaliser sur les bases de la révélation, ou du moins du droit naturel, l'unité de toutes les volontés droites, leur unité de pensée et d'action. C'est le moment, car le péril est extrême. Un répit nous est donné, depuis le Referendum. Ce n'est pas pour nous permettre de dormir, mais pour veiller, pour prier, pour agir, -- de toutes façons, pour aimer. Marcel CLÉMENT. 22:31 ### Politique et vie intérieure (fin) *Réponse intégrale\ aux iniquités politiques* par Roger THOMAS #### Attitude chrétienne devant l'histoire. réponse intégrale aux révolutions. DEVANT la tentative de marxisation de leur pays en 1936, la première attitude de beaucoup de chrétiens d'Espagne fut le soulèvement ; défendre, serait-ce au prix de leur vie, leur droit politique élémentaire et fondamental de pratiquer la religion. Cette réaction est des plus normales et c'est la première qui s'impose. Il est cependant une seconde réaction, normale également, qui doit doubler celle-ci, qui la double de fait chez un grand nombre de chrétiens d'Espagne : se demander si l'audace et le progrès du mal n'est point dû partiellement à l'atonie et à l'engourdissement du bien ; dans le cas où la réponse est affirmative, mettre à profit cette triste occasion pour devenir plus ardent et plus, actif dans le bien ; à l'occasion par exemple de la spoliation des biens de l'Église retrouver un sens plus évangélique de la propriété ecclésiastique -- ce qui n'empêche pas de récupérer le minimum de propriété indispensable ; de même encore, à l'occasion de la révolte et des crimes des plus pauvres, retrouver une communauté de destin plus authentique avec les plus déshérités -- ce qui n'empêche pas d'arrêter la révolte et de châtier les crimes. Bref, prendre occasion du débordement du mal pour pratiquer un plus grand bien. Il est évident d'autre part que même si les chrétiens d'un pays à l'heure de leur persécution doivent dans certains cas songer à battre leur coulpe et à s'amender, ils doivent d'abord songer à prendre le moyen de continuer d'exister. C'est bien de s'amender, et c'est nécessaire ; mais encore faut-il exister. Ce n'est pas en sa laissant réduire politiquement au néant que les chrétiens d'un pays auront quelque chance de témoigner de l'Évangile dans la vie publique. 23:31 Cette vérité de bon sens une tête saine n'a pas de peine à la saisir. Aussi bien nous n'insisterons pas. La vérité que nous voudrions illustrer est plus mystique et c'est la suivante : non seulement dans le domaine personnel, mais *en* politique même, à l'occasion des attaques du mal, se renouveler et s'approfondir dans le bien. (Mais encore une fois cette vérité plus mystique serait un rêve meurtrier si elle faisait abstraction de la vérité naturelle absolument présupposée : au moment des attaques, du mal sauvegarder, par les moyens les plus purs qui soient possibles, les conditions matérielles du bien.) LA RÉVÉLATION nous affirme que Dieu a permis le péché dans l'humanité en vue d'un plus grand Amour ; Il a permis l'offense du premier Adam et ses désastres infinis en vue de l'Amour et de la Réparation du nouvel Adam avec ses bienfaits infiniment plus infinis : *sed non sicut delictum ita et donum* (Rom. V, 15). Parce qu'il en est ainsi, la détestation du péché, qui est évidemment requise avant tout du pécheur qui se convertit, cette détestation doit se faire avec une attitude d'âme positive ; de sorte que, autant que possible, le péché soit tourné à un plus grand bien. Cela qui est vrai de l'histoire individuelle peut s'appliquer, *mutatis mutandis*, à l'histoire de l'Église et des civilisations. Dieu permet le mal effroyable des hérésies en vue d'une mise en lumière plus éclatante des vérités révélées et la condamnation des hérésies doit s'accompagner d'une mise en lumière plus belle et plus nette des richesses de la Révélation. De même on peut penser que Dieu permet les Révolutions avec leurs mensonges et leurs accumulations de ruines afin que les civilisations, en se réformant, prennent une conscience plus aiguë de leurs exigences essentielles et de leurs lois immuables en régime chrétien. La réprobation inexorable des révolutions doit s'accompagner de la prise de conscience et de la mise en œuvre des lois sacrées de la civilisation chrétienne. Dire cela, ce n'est pas soutenir ni laisser entendre que les hérésies soient nécessaires à l'approfondissement de la Foi et les Révolutions au renouveau de la société. Dire cela, c'est essayer d'unir deux attitudes complémentaires : d'une part, réprobation sans pitié du mal et de l'erreur, et d'autre part volonté miséricordieuse de chercher à répondre aux ténèbres de l'erreur par une vérité plus lumineuse, aux ravages du mal par un bien plus averti et plus fort, au lieu de s'immobiliser et de se durcir. IL NE S'AGIT PAS de faire mieux que le communisme ; le mieux se définit par rapport à un bien, or il n'y a pas de bien dans le communisme. Seulement il y avait du bien, beaucoup de bien, dans le monde sur lequel le communisme s'est abattu. 24:31 Est-il déraisonnable de penser que si ce bien eût été plus fort le communisme n'eût pas réussi dans son entreprise satanique ? Est-il déraisonnable de penser que l'opposition implacable au communisme doit s'accompagner d'une meilleure intelligence du bien qui était à faire et qui n'a pas été fait ; d'un courage plus soutenu pour accomplir les devoirs qui avaient été négligés ? Il ne s'agit pas de faire mieux que le communisme, mais, de faire plus de bien que nous ne serions obligés d'en faire s'il n'y avait pas eu de communisme. Avant l'envahissement de cette peste la société par exemple pouvait encore tenir sans que les laïques et les clercs aient accepté toutes les conséquences de l'Évangile dans le domaine économique ; après les ravages du fléau il semble bien que la société ne parvienne à guérir et à tenir que si elle accepte de pareilles conséquences. Je ne parle pas, ce qui serait absurde, des lumières de l'erreur ; je dis seulement que l'erreur doit devenir l'*occasion* de plus de lumière. Je ne parle pas, ce qui serait insensé, du bilan positif des révolutions ; je dis que les révolutions doivent devenir l'*occasion* d'un bilan positif. On se passerait de cette occasion. Mais enfin, lorsqu'elle est là, que faire ? sinon la prendre aux cheveux, l'obliger à donner tout ce qu'elle peut donner. ILLUSTRONS notre propos sur le mal qui dans la société doit devenir occasion d'un plus grand bien, en nous servant d'un exemple tiré de l'histoire individuelle. Marie-Madeleine en se convertissant ne se contente pas de désavouer son passé ; elle prend une attitude positive. Elle commence à aimer plus et mieux. Et il le faut bien. Comment pourrait-elle aimer, simplement comme avant la chute, ayant désormais l'expérience nouvelle de tant de choses éternelles : sa fragilité, la malice du diable, la tendresse du cœur de Dieu. Il lui est impossible de faire comme si cette expérience n'existait pas. Il lui faut retrouver la pureté, mais une pureté qui tienne compte de cette expérience ; une pureté qui ressemblera sans doute à la pureté antérieure, mais qui sera différente en un certain sens ; plus avertie de sa fragilité et comptant davantage sur la miséricorde de Dieu. Cette pureté ne pourra plus être fondée sur la seule vertu de la nature, car à ce sujet Marie-Madeleine sait trop désormais à quoi s'en tenir. Cette pureté devra redescendre d'une source mystique, de l'Amour Mystique de Dieu ; elle ne tiendra que fondée en cet amour. Ce sera une pureté approfondie et renouvelée. AINSI DOIT-IL ÊTRE dans la société, après ce péché que constitue la Révolution ; l'ordre que l'on cherche à rétablir doit être un ordre qui condamne la Révolution et qui soit pur de toute arrière complicité avec elle ; qui soit intelligent des causes de la Révolution, qui soit plus : vigoureux et plus chrétien que l'ordre antérieur. 25:31 #### Réponse intégrale aux révolutionnaires. Une réponse intégrale aux révolutionnaires demande, non seulement d'affirmer et d'expliquer la doctrine politique traditionnelle, mais encore de mettre, au moins autant de ferveur spirituelle à s'y conformer qu'ils en mettent à suivre leurs mythes aberrants. Les principes vrais ne sont ni le libéralisme politique et économique, ni le laïcisme et la méconnaissance de la religion par l'État, ni la haine entre les classes sociales. D'innombrables fois la réfutation de ces erreurs a été faite. De nombreux docteurs et même des docteurs de génie ont démontré l'absurdité et la malfaisance de ces principes ; enfin la Sainte Église a parlé haut et clair. Non seulement elle a condamné ; mais par son magistère inspiré elle a proclamé la charte d'une politique chrétienne. A cette charte beaucoup d'hommes, et quelquefois des chrétiens ont répondu et répondent toujours : libéralisme, laïcisme, union de tous les prolétaires dans une haine inexpiable contre les bourgeois. Ils se trompent et on doit essayer de les amener au vrai. On doit même les empêcher légalement de se faire entendre en public lorsque leur propagande menace véritablement de décomposer ou de démolir le bien commun. Mais, enfin il s'en faut que tous méritent d'être légalement réduits, au silence. Il s'en trouve, et peut-être s'en trouve-t-il un grand nombre, qui mérite l'honneur d'une discussion attentive. Or, donc, en discutant, en combattant l'erreur il est nécessaire de tenir compte de la personne qui se trompe, du niveau spirituel où l'erreur prend sa source, de la générosité plus ou moins pure qui nourrit cette erreur. Si l'on discute dans ces perspectives, on comprend bien vite que pour avoir raison il ne suffit pas d'opposer des raisons bonnes à des raisons mauvaises, c'est en même temps la générosité d'une vie dans la vérité qui doit répondre à la générosité d'une vie dans l'erreur. IL EST DES RÉVOLUTIONNAIRES, et cela à toutes les époques et dans tous les milieux, pour lesquels l'idéal de la liberté confond dans un horrible mélange l'instinct honnête du non-conformisme, le goût malsain d'une autonomie absolue et le désir normal de trouver les conditions élémentaires d'un dévouement et d'un engagement qui soient dignes de l'homme. Leur idéal de liberté est ambigu ; il draine le meilleur de leur vie et ses ressources les plus pures et en même temps tel ou tel élément de mauvaise qualité. Ainsi se présente leur erreur. Vous ne vous en débarrasserez pas avec les seuls arguments. Il importe aussi, il importe au plus haut point, de leur prouver par votre vie que, dans votre acceptation de l'ordre juste éclate autant de liberté et même plus, que dans leur recherche d'une liberté ambiguë. 26:31 De même ne suffit-il pas de dire que le laïcisme est criminel. Voyez aussi que chez les meilleurs de ses tenants le laïcisme est une forme équivoque et désespérée du refus de pharisaïsme. Les laïcistes ne sont pas obligatoirement des sectaires forcenés et antireligieux. Il s'en trouve, encore que leur espèce soit réduite, sur lesquels c'est le sens religieux même, un sens religieux crispé et désespéré, qui leur fait refuser les manifestations de la religion dans les institutions civiles et dans les mœurs publiques. Leur sens religieux n'a pas surmonté le scandale de mœurs, hypocrites trouvant à se justifier dans des institutions chrétiennes, par exemple d'un enseignement mauvais donné par telle école qui se dit chrétienne ; d'une iniquité sociale perpétrée par un patron qui s'affiche catholique pratiquant. Leur sentiment d'une profanation a été tellement exaspéré, leur sens, de la sainteté de la religion a été tellement blessé qu'ils en sont venus à penser que le seul moyen de ne pas la profaner dans la vie publique consistait à l'exclure. Que leur répondre ? Argumenter ne suffit pas car l'argumentation en elle-même ne les atteint pas à ce point secret qui a été blessé. Unissez à l'argumentation le témoignage de la vie. Autant qu'il dépend de vous apportez-leur la preuve vivante que des institutions chrétiennes n'engendrent pas, de soi des pharisiens, mais permettent aux chrétiens d'être tels avec encore plus de vérité. C'EST UNE AMÈRE CONSTATATION ; mais c'est une constatation juste, même si elle n'est pas fréquente, que celle du désintéressement et de la pureté dans le service de l'erreur. Si des erreurs politiques mortelles ont exercé un tel empire sur des milliers d'êtres nobles et de cœurs chrétiens, c'est parce que quelques êtres (et sans doute pas toujours ceux qui occupent le devant de la scène de l'histoire) s'étaient donnés à ces erreurs avec une pureté et une abnégation dignes du service du vrai Dieu. Les choses étant ainsi, il ne s'agit pas seulement de réfuter pour retrouver un ordre temporel chrétien. Ce qui compte tout autant c'est l'intensité et la pureté avec lesquelles les vérités élémentaires de cet ordre temporel auront été vécues dans le cœur des chrétiens : au moins dans le cœur d'un certain nombre d'entre eux. Vivre avec pureté ces vérités élémentaires, mieux vaut le dire tout de suite, c'est s'engager sur le chemin de la croix, mais c'est aussi permettre aux âmes de bonne volonté de reconnaître dans une politique, chrétienne la seule réalisation de leurs aspirations les plus nobles ; et que ce n'est pas le libéralisme ou le laïcisme qui, de soi, peuvent servir la liberté civique ou l'authenticité religieuse. 27:31 LE DÉPASSEMENT de la Révolution suppose d'abord de ne pas se méprendre sur son inspiration essentielle et d'oser avec Joseph de Maistre la qualifier de *satanique*, puisqu'elle l'est. Mais cela qui est nécessaire n'est pas suffisant. La Révolution s'est faite avec des hommes et pas seulement avec des mensonges. Il faut donc reconnaître toute la part d'humanité qui s'est égarée dans ce mouvement diabolique et, l'ayant reconnue, la restituer à la tradition et à -- la vérité. Il faut présenter aux hommes une tradition et une vérité assez vivantes pour qu'ils soient à même de comprendre, s'ils ont bonne volonté, que leurs intuitions les plus profondes et -- leurs aspirations les plus généreuses seront sauvées du côté d'une politique chrétienne et non pas du côté des mythes révolutionnaires. Que par exemple le seul anti-cléricalisme véritable se tient du côté de la Sainte Église ; que la fraternité des peuples présuppose un juste amour de la patrie ; que la liberté civique se fonde sur le respect des lois ; et l'harmonie entre les citoyens, sur la reconnaissance des hiérarchies et des privilèges légitimes. Pour faire comprendre cela -- les raisons s'avèrent insuffisantes. On ne peut se passer du magnétisme de l'exemple de ceux qui ont de bonnes raisons ni de la vie spirituelle de leur cœur. Il en est de l'erreur servie par des êtres généreux comme de l'erreur proférée par un esprit de génie. Un génie ne peut tomber dans l'erreur sans déplacer beaucoup de vérité ; présentée par un esprit génial, c'est-à-dire par un esprit plus profondément sollicité par le vrai, l'erreur apparaît remplie d'allusions surprenantes à la vérité -- surprenantes, et équivoques. D'une semblable erreur on ne saurait se débarrasser à peu de frais. On ne saurait la mettre à la raison que par un sens de la vérité plus profond et plus solide, en retrouvant la vérité dans la pureté originelle de sa source. Or tout ce que nous disons là au sujet de l'homme de génie, se vérifie proportionnellement au sujet de l'homme généreux et du héros. Il ne saurait s'attacher aux mythes révolutionnaires sans leur conférer la splendeur et l'éclat de ses forces vives et de sa vie intérieure. Que pour arrêter la nuisance des mythes il soit nécessaire de les convaincre d'imposture, c'est tout à fait sûr ; mais il est encore nécessaire que l'héroïsme et la pureté se tiennent du côté des doctrines vraies. Au reste s'il n'en est pas toujours ainsi nous n'irons pas répétant que le mal du monde est par la faute des chrétiens en général et des sectateurs de saines doctrines en particulier. Cela peut arriver dans une mesure plus ou moins grande selon les temps et les lieux. Mais à moins que de s'aveugler et malgré, parfois, le peu de tonus de leur exemple, quand ce n'est pas leurs scandales positifs, les chrétiens ne sauraient être tenus pour les seuls ou même les principaux responsables du mal du monde. 28:31 A moins que de s'aveugler on ne saurait nier le caractère injustifié et inexpiable de la haine de Satan contre notre race, ni la terrible gratuité des forces du mal. En tout cas si l'on ne veut pas que la profession des saines doctrines exaspère le monde, rejette dans l'erreur et peut-être dans la révolution des êtres purs auxquels le mensonge est intolérable, il importe d'avoir une claire conscience du niveau de pureté auquel doit être maintenue la profession des saines doctrines. Roger THOMAS. 29:31 ### Faut-il ouvrir les lettres des pensionnaires (II) par Louis SALLERON DANS le numéro 29 d'*Itinéraires* (janvier 1959), nous posions la question : *faut-il ouvrir les lettres des pensionnaires *? Nous tranchions par la négative -- du moins en ce qui concerne le courrier entre enfants et parents. Cependant, observant que le courrier est lu dans un bon nombre d'institutions religieuses, nous nous demandions quelles raisons pouvaient fonder ce qui nous paraissait être une infraction à la loi naturelle et à la loi religieuse. Nous sollicitions l'avis de nos lecteurs, théologiens, directeurs d'institutions et parents. Des lettres fort intéressantes nous sont parvenues dont nous remercions nos correspondants. Je citerai les plus significatives. \*\*\* Le supérieur d'une institution secondaire libre nous écrit : Vous semblez croire que la pratique d'ouvrir les lettres émanant des parents est généralisée dans les Petits Séminaires. De par mes contacts réguliers avec les supérieurs de Séminaire de ma région, j'ai au contraire l'impression que cette pratique est rarissime ou même inexistante. Dans la mesure où ceci serait à peu près général, je trouverais regrettable qu'on donne l'impression du contraire. Un effort est fait présentement pour revaloriser aux yeux de l'opinion publique les Séminaires et mieux vaut dans ce but éviter toute indication qui pourrait aller dans un sens contraire. 30:31 Le Droit Canon lui-même ne fait aucune allusion à quelque règle sur ce point -- du moins celui en usage dans l'Église depuis 1919. De raison justifiant une lecture régulière des lettres échangées entre élèves et parents, je n'en verrais pas. Il peut y avoir des cas particuliers où lire les lettres des enfants aux parents est un bien : dans les tout premiers jours d'une vie d'internat, à la suite de tel incident typique qui peut être présenté d'une manière absolument fausse et calomnieuse. Lire les lettres émanant des parents ne me paraît jamais utile : sinon, équivalemment pour la Direction, c'est ne pas avoir confiance dans les parents, alors mieux vaut ne pas garder les enfants. \*\*\* Un père de famille se déclare partisan de l'ouverture du courrier dans les termes suivants : Ma position sur le problème est celle d'un ancien d'institutions religieuses dont le courrier était ouvert, et celle d'un père de famille qui prie le Seigneur d'avoir toujours de quoi faire éduquer ses enfants dans des institutions catholiques. Toutes les lettres reçues de onze à quatorze ans m'ont été données ouvertes et cela ne m'a jamais choqué : mes parents (et, en conséquence, moi-même) avaient pleine confiance dans le prêtre à qui ils m'avaient confié, sa direction de conscience reste un souvenir lumineux d'enfance et un appui lointain ensuite. Je lui ai dit bien des choses que je n'aurais pu dire à mon père. Je lui obéis vingt-cinq ans plus tard et il connaît la volonté de Dieu sur moi. J'ai toujours remises ouvertes les lettres adressées à mes parents pour qu'y soient insérées les notes et les avis de la direction, cela n'a certes jamais empêché le lien et la libre communication entre mes parents et moi. Vous vous trompez, d'après mon expérience, en postulant que le contrôle s'oppose à la libre communication ; il me semble qu'une communication que le maître devrait à tout prix ignorer (et je me demande, bien de quel genre ?) aurait imprudence à être écrite du tout et imposerait une visite ou l'attente de la venue régulière en vacances... Voilà maintenant mon point de vue de père de famille : ma fille pensionnaire ; est confiée à XXX..., en qui j'ai plus confiance qu'en moi pour piloter son esprit et même son âme. C'est normalement vers sa maîtresse qu'elle se tournera pour trouver quotidiennement conseils, joie et peine partagées. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que cette maîtresse sache que mes conseils renforcent les siens : cela nous permet de mieux collaborer à cette éducation. Cela lui permet de noter pour moi les efforts et les insuffisances de l'enfant avant que celui-ci en parle lui-même et correspond donc à mon idée de l'entraide entre parents et éducateurs. 31:31 Il n'en serait pas de même s'il s'agissait d'un lycée ou d'un maître laïc, mais le prêtre ou la religieuse à qui j'ai confié mon enfant non seulement pour ses études mais pour une partie de son éducation ont toute ma confiance, ce qui me fait accepter avec compréhension leur règlement. Je leur crois une grâce d'état spéciale. Il me semble que ce serait à plus forte raison le cas d'un petit séminariste qui étudie une possibilité de vocation, c'est-à-dire d'appel de Dieu à la vie, parfaite. Me rappelant les paroles de Notre-Seigneur Jésus : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde derrière soi n'est pas propre au Royaume de Dieu » (Luc IX, 62) et « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de Moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi » (Matthieu X, 37 et aussi Luc XIV, 26) il me semble que le bon juge de cette volonté de Dieu n'est pas le père de famille qui est juge et partie, mais directement le Supérieur et en dernier ressort l'Évêque. La volonté de Dieu sera étudiée à la lumière du bon sens, de la justice, puis de la charité. Les commentaires censurables de la famille ou de l'enfant continueront à passer librement mais non sans le coup d'œil du Supérieur capable de juger et de réagir contre la tentation s'il le faut, pour la plus grande gloire de Dieu. Bien des saints ont fait ainsi et leurs fils spirituels s'en sont bien trouvés. Dans la phrase où vous admettez le contrôle des lettres entre enfants et correspondants divers, mais trouvez inadmissible l'ouverture du courrier entre enfants et parents dans les deux sens, vous passez à côté de la réalité d'un courrier surabondant et faites du Supérieur un devin connaissant à priori le signataire d'une lettre fermée, car il est trop facile à la petite amie de l'écolier de noter derrière l'enveloppe « expéditeur madame mère » et d'en contrefaire l'écriture, ce qui serait dommageable plus que le contrôle. Pour l'ensemble des maîtres catholiques la conscience et le secret professionnels rendent vaines vos alarmes et vos protestations me paraissent dues à un soupçon initial injustifié. Prenez garde de troubler cette confiance totale dont l'éducateur a besoin et de favoriser l'attitude de contradiction et d'opposition naturelles à l'adolescent mais destructeurs de l'humilité et de la vraie liberté, celle d'opter pour le meilleur. Cette lettre a été trop longue et je le regrette mais je vous demande de revenir sur les problèmes de la socialisation générale et du règne des technocrates à la lumière des enseignements pontificaux. Cela me paraît plus brûlant comme terrain de lutte que les règlements d'écoles libres... 32:31 Cette lettre est tout à l'honneur de celui qui l'écrit, de sa famille et des institutions avec lesquelles il est en rapport. Mais elle fait davantage état d'un exemple heureux non exceptionnel d'ailleurs -- qu'elle n'apporte de solides raisons à une règle. Relevons d'abord deux points : 1°) Mon correspondant parle des lettres qu'il recevait ouvertes « de onze à quatorze ans ». Cette limitation concerne-t-elle son propre temps de pensionnat, ou laisse-t-elle entendre qu'après quatorze ans, (et avant onze ans ?), le régime était différent ? 2°) Il évoque la possibilité de fraude : « ...il est trop facile à la petite amie de l'écolier de noter derrière l'enveloppe « expéditeur madame mère » et d'en contrefaire l'écriture ». Si la « petite amie » de l'écolier a, elle-même, de onze à quatorze ans, mon correspondant la conçoit douée de dons assez précoces, y compris dans le domaine calligraphique. Mais j'ai dit dans mon précédent article que rien n'est plus simple que d'établir un jeu d'enveloppes spéciales pour le courrier entre parents et enfants. En fait, le régime que recommande ou pour lequel plaide mon correspondant suppose pour fonctionner valablement une société très homogène. Dans un milieu où tout le monde -- parents, enfants, éducateurs, *et l'entourage --* serait foncièrement chrétien, il n'y aurait pas grand inconvénient à l'ouverture des lettres. Le fondement moral de cette règle n'en serait pas moins contestable. D'autre part, l'utilité pratique n'en apparaîtrait plus. Je ne peux donc pas dire que les arguments de mon correspondant m'ébranlent. Je vois seulement dans sa lettre le reflet de mœurs familiales particulièrement solides et louables. Mais je pense que ces mœurs risquent plus d'être, dans l'avenir, attaquées que soutenues par une règle en elle-même mauvaise. \*\*\* De Rome, un théologien m'envoie ce qu'il pense être l'argumentation fondamentale pour l'ouverture et la lecture du courrier des pensionnaires. (Je dis « un théologien », sans que mon correspondant fasse état de cette qualité ; mais je la présume d'après la nature de l'argumentation, l'en-tête du papier à lettre et la qualité du signataire.) 33:31 Voici cette lettre : Les parents catholiques qui confient leurs enfants à des maisons d'éducation catholiques le font pour accomplir leur devoir d'éducateurs, l'éducation complète comprenant l'instruction, qu'ils ne peuvent donner entièrement, et l'apprentissage de la vie sociale dans une communauté. Plus nombreuse, dont les établissements d'éducation offrent une certaine forme transitoire et impartiale mais plus ou moins nécessaire. Les parents catholiques s'adressent aux éducateurs catholiques comme à des spécialistes et à des maîtres qui remplissent un ministère ou mission d'Église, comme le rappelle l'encyclique de Pie XI sur l'éducation et de nombreux documents du magistère. Il y a bien contrat entre parents et maîtres, en ce sens que droits et devoirs réciproques sont définis et sanctionnés, mais c'est un contrat d'association et de collaboration, non de substitution, ni d'adhésion à un règlement arbitraire. Si les maisons d'éducation chrétienne réussissent souvent si mal dans leur mission, c'est que l'accord profond sur les principes essentiels de l'éducation chrétienne fait défaut et que la famille, par son comportement, ses idées, ses erreurs pédagogiques, détruit consciemment ou inconsciemment ce que la maison d'éducation chrétienne cherche et doit chercher à construire. S'adressant à des spécialistes et à des personnes qui, à un certain degré, représentent l'Église dans sa mission éducatrice, les parents peuvent et doivent recevoir d'eux une aide particulière et adaptée à leurs enfants à eux. Les éducateurs désirent et peuvent donner aux parents informations et conseils. Dans un internat on connaît les enfants d'une manière qui complète et corrige l'idée que se font deux les parents. Si donc l'éducateur demande le droit de lire la correspondance entre les enfants et les parents, c'est avec la conscience de sa responsabilité. Il s'agit en effet d'une matière délicate qui engage le secret professionnel strict. On ne confie pas la lecture de la correspondance à n'importe qui, mais seulement à celui qui doit traiter directement et comme principal responsable avec les parents. Trop souvent, il constatera qu'il fera mieux de garder sa science pour lui seul, parce que les parents sont incapables de profiter de ses conseils ; mais s'il se rend compte qu'il peut intervenir avec fruit, il manquerait à son devoir en se taisant. Je sais, par expérience personnelle d'élève et d'éducateur l'avantage de cette connaissance des parents et des enfants par l'éducateur. La lecture de la correspondance est une des sources d'information les plus délicates et les plus pénétrantes. 34:31 Comme je l'ai dit plus haut, elle demande une discrétion totale vis-à-vis des tiers et suppose un accord profond entre parents et éducateurs, confiance mutuelle et collaboration. En pratique elle ne gêne pas plus les correspondants que les contrôles téléphoniques ou postaux des autorités administratives. Elle n'empiète pas sur les droits des parents si on admet que l'éducateur est un collaborateur intime et qualifié, admis comme le médecin de famille à connaître par office des secrets professionnels. En affectant une ignorance qui n'est certainement pas la vôtre, vous avez sans doute agi en journaliste avisé, et le procédé vous vaudra sans doute d'autres réflexions de correspondants autorisés. Les miennes sont personnelles et n'ont aucun caractère officiel. Je tiens d'abord à dire à mon correspondant que je ne vois pas ce qu'il entend en écrivant que j'écris « en journaliste avisé » ; je n'affecte, d'autre part, aucune « ignorance » spéciale. Parlant d'un sujet que je connais, j'ai dit ce que j'en pensais, fort de mon expérience, de mon catéchisme et de ma culture générale. J'ai précisé que j'ignorais, par ailleurs, la théologie et le Droit Canon, ce qui est rigoureusement exact. Voyons maintenant quelques points de cette lettre. 1°) Quoique je n'aie pas présente à l'esprit l'Encyclique de Pie XI sur l'éducation, je ne doute pas que les éducateurs catholiques « remplissent un ministère ou mission d'Église » ; mais peut-on tirer la conclusion que parents et enfants n'aient pas droit à communiquer en dehors de la surveillance de ces éducateurs ? Peut-être est-il mieux -- je ne le pense pas -- que les parents acceptent le contrôle de la correspondance. Mais s'ils ne l'acceptent pas ? 2°) Le contrôle de la correspondance proviendrait d'un « contrat d'association et de collaboration, non de substitution, ni d'adhésion à un règlement arbitraire ». Évidemment, une école libre a toujours le droit de refuser l'admission d'un élève. Elle a donc également le droit d'imposer son règlement. Mais c'est du droit civil, ce n'est pas du droit religieux. Si les parents demandent que leur correspondance avec leurs enfants demeure non ouverte, l'école a le *pouvoir* de refuser. Ce pouvoir est un droit civil. Ce n'est pas un droit religieux. C'est une contrainte à laquelle les parents sont obligés de se soumettre *en fait,* mais qui viole le droit naturel et religieux. 35:31 3°) Toute la lettre repose sur l'idée fondamentale que les éducateurs catholiques, « à un certain degré, représentent l'Église dans sa mission éducatrice ». Cela est indiscutable. Mais, d'autre part, l'Église affirme -- et avec quelle vigueur ! -- les droits de la famille. Il ne s'agit ni de contester, ni de minimiser les droits des éducateurs. Il s'agit de savoir *si ces droits priment le droit des parents à communiquer librement avec leurs enfants.* C'est toute la question. C'est la seule question. 4°) La lettre semble considérer que le jugement des éducateurs est toujours supérieur à celui des parents. « Les éducateurs désirent et peuvent donner aux parents informations et conseils. Dans un internat, on connaît les enfants d'une manière qui complète et corrige l'idée que se font d'eux les parents. » Je suis convaincu que, dans l'ensemble, les éducateurs connaissent mieux les enfants que ne les connaissent leurs parents eux-mêmes. Mais je présenterai là-dessus diverses observations : -- *a*) Le cas général présente de nombreuses, et même de très nombreuses exceptions. Il n'y a pas que des éducateurs parfaitement intelligents. Et si beaucoup de parents n'écoutent pas suffisamment les éducateurs, l'inverse est loin d'être rare. -- *b*) Il y a connaissance et connaissance. *D'une certaine manière,* les parents, mêmes aveugles ou peu intelligents, connaissent mieux leurs enfants que les éducateurs ; et c'est *d'une autre manière* que les éducateurs les connaissent mieux. -- *c*) Il n'y a pas que la connaissance. Le besoin que les enfants ont des parents, l'apport que peuvent faire les parents aux enfants passent très mystérieusement dans la correspondance. -- *d*) En quoi la connaissance des enfants par les éducateurs donne-t-il le droit à ceux-ci de lire leurs lettres ? Et est-ce par les lettres qu'ils connaissent les enfants ? 36:31 5°) « Je sais, écrit mon correspondant, par expérience personnelle d'élève et d'éducateur, l'avantage de cette connaissance des parents et des enfants pour l'éducateur. » Toujours la même équivoque. Bien sûr, il est bon que l'éducateur connaisse les enfants et les parents. Je répète : les connaît-il par leur correspondance ? *Doit-il* les connaître par leur correspondance ? Mon correspondant ajoute que la lecture du courrier « ne gêne pas plus les correspondants que les contrôles téléphoniques ou postaux des autorités administratives ». Je dois dire que cette phrase m'a fait me demander si je n'étais pas victime d'un « canular ». Je ne pense pas, en effet, que mon correspondant voit un « contrat d'association et de collaboration » dans un procédé de police. La police est nécessaire mais elle n'est pas un moyen pédagogique fondamental. J'éviterai les faciles développements qu'appellerait cette curieuse comparaison entre les tables d'écoutes ou le cabinet noir, et la lecture, par un supérieur, du courrier des pensionnaires avec leurs parents. N'insistons pas et passons à des lettres plus encourageantes. \*\*\* Une religieuse supérieure d'un établissement secondaire m'explique pourquoi elle a institué la liberté totale de la correspondance pour ses pensionnaires. Dans votre article d'*Itinéraires* du 2 janvier 1959 sur le courrier des pensionnaires, vous demandez l'avis et le témoignage des directeurs de pensionnats. Je trouve excellente votre entreprise de faire réfléchir parents et maîtres sur cette question. Et cela d'autant plus que, pour moi et les professeurs de la maison dont j'ai la charge (école secondaire de filles comptant 125 pensionnaires et une centaine de demi-pensionnaires...), cette réflexion nous a amenés, il y a déjà six ou sept ans, à établir la liberté de courrier pour nos élèves. C'est vous dire que nous sommes parfaitement d'accord avec vous, à la différence toutefois que nous allons plus loin encore, puisque tout le courrier des enfants est laissé entièrement libre ; et il nous semble maintenant impensable qu'il en soit autrement. Je suis persuadée qu'il y a dans l'attitude contraire une vieille habitude jamais révisée, très peu en harmonie avec la loi naturelle quand il s'agit des parents, et avec le climat de confiance nécessaire à toute éducation quand il s'agit des autres correspondants. 37:31 Je pense qu'il y a eu transposition indue d'une discipline d'ascèse religieuse aux pensionnaires traités comme des petits moines par leurs éducateurs religieux. Pour les parents, pas de doute que le droit naturel est pour le courrier libre, et les inconvénients qu'on vous a signalés sont pratiquement insignifiants. Chez nous cette expérience n'a développé aucun esprit revendicatif de la part des parents. Pour toutes les autres lettres, je ne veux pas minimiser les dangers, ils sont aussi réels que ceux de la liberté dans tous les autres domaines. Mais comme dans tous les autres domaines aussi, la contrainte pure et simple est peut-être préservatrice, elle n'est guère éducative. C'est bien cette liberté même de l'enfant qu'il s'agit d'éduquer, sans commencer par la lui enlever. Sans doute, quelques parents préfèreraient une surveillance du courrier extra-familial. Malgré cela nous n'avons maintenu pour les enfants que la coutume de nous remettre leurs enveloppes cachetées et de ne pas les envoyer elles-mêmes, directement. Nous ne nous faisons d'ailleurs aucune illusion sur les possibilités dont elles usent, à l'encontre de cette coutume, de donner leur courrier aux externes. Nous n'établissons pas sur ce point une surveillance policière. En effet ce reste de contrôle conservé nous paraît d'une part inefficace et d'autre part d'un maniement désagréable. Nous réfléchissons encore, mais en tendant à une liberté totale. Tout ce que nous venons de dire, loin d'être pour nous une solution de facilité et de nous décharger, exige gravement que nous ne cessions de présenter aux enfants la vérité morale, et avec assez d'acuité pour que leur choix s'oriente de lui-même dans le sens du bien. C'est là une expérience que nous faisons tous les jours et dans tous les domaines. Je ne vois aucun commentaire à ajouter à cette lettre qui me paraît parfaite de bout en bout. \*\*\* Enfin un philosophe, théologien de surcroît, m'a envoyé ces lignes auxquelles je souscris intégralement : Le R.P. Rey-Sorme, dans son excellent petit livre « Mentalité religieuse et perspective pédagogique », a fort bien montré que les religieux ou religieuses qui dirigent des collèges ne doivent pas imposer aux élèves des formes de vie qui sont le propre de la vocation religieuse et supposent les trois vœux qui constituent celle-ci. 38:31 Que toutes les lettres d'un religieux soient ouvertes et lues par le supérieur, cela fait partie de la vie religieuse parce que cela est fonction du vœu d'obéissance librement prononcé par le religieux. Mais les élèves d'un collège catholique n'ont pas tous la vocation religieuse et ne se sont pas remis entre les mains du directeur comme un religieux entre les mains de son supérieur par le vœu d'obéissance. La direction d'un collège exerce l'autorité au for externe, non au for interne : lire les lettres relève du for interne. Quand il s'agit d'enfants n'ayant pas une maturité d'esprit suffisante, les parents peuvent s'ils le veulent déléguer au collège le droit de surveillance du courrier qui leur appartient, mais la correspondance avec les parents eux-mêmes se trouve alors en dehors de cette surveillance, car le droit du collège n'est en tout cas qu'un droit délégué par les parents, premiers responsables de l'éducation. Quand il s'agit d'adolescents, lire le courrier est un viol inadmissible du for interne qui pousse ceux-ci à la révolte ou à l'hypocrisie (la surveillance du courrier étant facile à tromper). Le collège catholique a mieux à faire que des barrières extérieures : donner aux élèves une forte armature de pensée chrétienne et de vie intérieure les rendant capables de réagir par eux-mêmes. Qu'on lise à ce sujet le beau livre du R.P. Calmel : « École chrétienne renouvelée » ([^15]). \*\*\* Je pense que la cause est entendue. Les *principes --* la loi naturelle et la loi religieuse donnent aux parents et aux enfants le droit de communiquer librement entre eux. Ce droit prime tous les autres sur le plan de l'éducation religieuse. En *pratique* les avantages de cette libre communication l'emportent certainement sur les inconvénients. Il ne faudrait donc pas qu'un incident stupide vienne un jour poser, en forme de scandale, la question devant l'opinion publique. Car on assisterait à ce spectacle désolant de certains éducateurs défendant, au nom du christianisme, un principe indéfendable, avec, pour terminer, le triomphe du principe contraire, qui est précisément celui de l'Église. On ne saurait oublier que si le monde libre est aujourd'hui très convaincu des droits de la famille et de la valeur éminente des liens qui unissent parents et enfants, c'est précisément le résultat de deux mille ans de christianisme et d'un enseignement constant de l'Église. 39:31 Que les institutions libres qui ont gardé l'habitude fâcheuse de surveiller le courrier des pensionnaires (entre parents et enfants) y renoncent donc, et en disant pourquoi. Elles rendront service aux enfants et à leur propre cause. Nous sommes entrés et nous nous enfonçons chaque jour davantage dans un monde où la technique, autant que le marxisme, pousse au totalitarisme. Affirmer dans tous les domaines les droits de la famille et éduquer la liberté dès l'enfance, voilà la meilleure manière de sauver la civilisation chrétienne et la civilisation tout court. Quand, pour ce faire, il n'y a qu'à respecter les propres principes qu'on enseigne, ce ne devrait pas être très difficile. Louis SALLERON. 40:31 ### NOTES CRITIQUES Les quatre batailles de France. Nous avons publié récemment deux articles sur la guerre et l'action psychologique ([^16]), montrant les préoccupations morales de tous les vrais militaires ; car la valeur morale d'une armée est un des éléments constitutifs de sa force. Or il vient de paraître aux éditions de la Pensée française un excellent ouvrage sur *Les Quatre Batailles de France,* 1914, 1918, 1940, 1944. Il intéressera les soldats des deux dernières guerres et tous ceux qui s'interrogent sur la vie morale d'une nation et sur les conséquences de cette vie morale dans son armée. L'auteur, le lieutenant-colonel Fliecx, était un jeune lieutenant en 1911 et avait écrit à cette époque dans le journal des *Sciences Militaires* que la prochaine guerre serait une guerre de tranchées ; il avait prévu le fusil mitrailleur d'escouade et le char et il ne fut pas bien vu pour cela. Il commandait un régiment en 1939. Il écrit dans l'avant-propos de son livre : « Il faut que l'Armée française se souvienne -- et retienne les enseignements -- de ces quatre batailles de France qui ont couvert le Nord français de nécropoles militaires et ont fait du pays, berceau de la Patrie, la terre la plus ensanglantée du monde. Du reste, les enseignements généraux... sont toujours les mêmes, n'ont pas changé et sont aussi vieux que la guerre. « Pour vaincre, il faut toujours : « -- Des chefs qui sachent prévoir, concevoir et surtout vouloir : « veni, vidi, vici ! » « -- Des troupes qui aient une foi en quelqu'un ou en quelque chose et une solide instruction militaire ; « -- Des novateurs qui imaginent et réalisent de nouveaux matériels permettant d'agir par surprise, l'arme éternelle des vainqueurs. » Et il cite les propos du capitaine « communard » Rossel ; celui-ci écrivait de la prison de Versailles où il était enfermé en août 1871 : « Il faut que le prince sache la guerre... Le Prince, aujourd'hui, c'est le peuple... Si le public doit gérer ses propres affaires, quelle affaire est plus importante que celle d'où dépend la fortune, la liberté, la vie des citoyens ? » 41:31 Ajoutons nous-mêmes ces paroles de Péguy, malheureusement si actuelles toujours : « Si on ne savait pas à quel point la Sorbonne ne sait pas un mot d'histoire (et où l'aurait-elle apprise, l'histoire ne s'apprend pas dans les cabinets de travail), on serait stupéfait de la légèreté avec laquelle ils nient l'œuvre du soldat français. Comme si la quantité de terre temporelle où on parle français n'était pas mesurée d'abord, et n'était pas incessamment mesurée par le soldat. Et comme si leur propre enseignement et leur propre rayonnement, pour ainsi parler, n'était pas mesuré d'abord, n'était pas constamment mesuré par la quantité de terre temporelle où on parle français... Il n'y a rien à faire à cela. Et il n'y a rien à dire. Le soldat mesure la quantité de terre où on parle une langue, où règnent des mœurs, un esprit, une âme, un culte, une race... Le légionnaire, le lourd soldat a mesuré la terre à ce qu'on nomme si improprement la douceur virgilienne et qui est une mélancolie d'une qualité sans fond. « Il faut aller plus loin. Non seulement c'est le soldat romain qui a porté la voûte romaine et qui a mesuré la quantité de terre, mais il a porté le temple et il n'a pas seulement mesuré la terre pour la mélancolie virgilienne, il a mesuré la terre pour les deux grands héritages de l'homme ; pour la philosophie et pour la foi ; pour le monde antique et pour le monde chrétien ; pour Platon et pour les prophètes ; pour la pensée et pour la foi ; pour l'idée et pour Dieu. » (*L'Argent, suite.*) Les mêmes officines ont continué à dénigrer et à calomnier notre armée avec le même aveuglement ; cet enseignement détestable fut le germe des catastrophes où notre indépendance a failli périr et il est plein de nouveaux malheurs. Le livre dont nous rendons compte montre comment les choses se sont passées pendant ces grandes batailles, non seulement comment elles se sont passées dans les faits, mais aussi dans la pensée des grands chefs, de l'un et l'autre côté. On se fait, dans notre monde, à cause de l'abus des diplômes et les écoles, une fausse idée de l'intelligence. Pratiquement elle ne consiste plus qu'à savoir parler de tout. Sans doute l'intelligence consiste à comprendre le plus de choses possibles, à pénétrer leurs rapports et leurs causes. Mais notre enseignement conduit à ne faire tout cela qu'à l'aide de livres et, en quelque sorte, toujours de deuxième ou de troisième main, sans l'expérience directe qui ne s'acquiert jamais à l'école. L'école de guerre avait fabriqué des théories de l'offensive qui ne tenaient pas compte de l'expérience de la guerre du Transvaal et de la guerre de Mandchourie, où tout le monde s'était enterré. 42:31 Par grâce, nous avions en 1914, aux premiers postes, des chefs d'une qualité supérieure. Les guerres coloniales, entreprises avec des moyens dérisoires, leur avaient donné le sens du commandement, des décisions rapides et salvatrices, d'une appréciation juste des forces et des temps. Dans le livre dont nous voulons donner une idée à nos lecteurs, on voit que Joffre eut cinq ou six idées de manœuvre entre la bataille des frontières et la fin de la bataille de la Marne. Et cette alacrité d'esprit est d'autant plus admirable qu'il s'était toujours réservé le moyen d'accomplir l'une ou l'autre de ces manœuvres. Chez les hommes d'action et surtout dans la bataille, il ne peut s'agir d'une étude tranquille et faite à loisir. Les faits varient sans cesse et les causes ne sont connues qu'en partie ; elles ne se révèlent que par les faits qu'elles amènent, et il y a plusieurs causes possibles. Nous voilà loin de la logique scolaire. Un bon *jugement* qui estime le poids relatif des causes est alors nécessaire. *Le jugement est plus rare que l'intelligence.* Un jugement rapide est la qualité maîtresse de l'esprit pour un homme de guerre. Et quand ce chef sait qu'à son ordre des milliers d'hommes vont mourir « pour leurs autels et leurs foyers », il importe que sa valeur morale soit à la hauteur de son savoir. La veille de la bataille de la Marne, Joffre s'en fut exposer son plan au maréchal French, commandant la petite armée anglaise, qui était son supérieur en grade, qui n'avait pas à lui obéir et qui hésitait à s'engager. Le voyant toujours indécis, Joffre, pour terminer lui dit tranquillement : « Monsieur le maréchal, l'honneur de l'Angleterre est engagé. » Le maréchal French répondit : « oui ». Le jugement a manqué en 1940, le savoir aussi, mais aussi cette valeur morale qui a fait si grands Joffre, Foch, Pétain et tant d'humbles soldats. Nos gouvernants, qui choisissaient les chefs d'après leurs amitiés politiques, n'étaient d'ailleurs capables ni d'une idée, ni d'une décision. Ils se sont laissé forcer la main par l'Angleterre, pour entrer dans une guerre à laquelle nous n'étions pas préparés, malgré les avertissements qui n'avaient pas manqué, comme celui de Maurras répétant presque quotidiennement : armons, *armons,* ARMONS... 43:31 En 1939 nous étions en Belgique pour notre travail. Un de nos amis d'Anvers vint nous retrouver à Bruges. C'était un prêtre admirablement renseigné parce qu'il avait dans son conseil de fabrique les principaux hommes d'affaires d'Anvers, qui sont, comme on le sait, de fameux praticiens du commerce international et qui ont une grande expérience de leurs voisins Anglais et Allemands. Nous étions entre le 1^er^ et le 5 juillet 1939, deux mois donc avant la guerre. Voici notre conversation très exactement rapportée : -- Vous allez mobiliser à la fin d'août. -- Comment le savez-vous ? -- Par l'attaché militaire à Paris. -- Mobiliser ? tant mieux si cela peut nous éviter la guerre. -- Oh ! la guerre, vous l'aurez quand même. -- Pourquoi cela ? -- L'Angleterre la veut. -- Comment l'Angleterre peut-elle vouloir la guerre, elle n'a pas d'armée ? -- Ah ! vous ne connaissez pas les gens de la Cité de Londres ; ils veulent que leur argent travaille et ne soit pas dépensé à soutenir pendant trente ans une paix armée ; les bateaux et les canons seront démodés tous les quinze ans, les armes tous les dix ans et les avions tous les deux ans. Puisque la guerre est inévitable, mieux vaut l'avoir tout de suite. L'Angleterre rafle le commerce de l'Allemagne et le vôtre. Avec les bénéfices elle se prépare pendant que vous tenez. Sur le moment même, nous pensâmes : croit-il que la Belgique ne recevra pas d'éclats ? Cet homme bien renseigné nous disait aussi, connaissant un industriel ayant des usines en Allemagne : « Les Allemands disent : quand donc les Français viendront-ils nous débarrasser d'Hitler ? » L'inconscience de l'Angleterre est significative. Comment un peuple de quarante millions d'habitants pourrait-il vaincre un peuple de cent millions bien préparé à la guerre ? Il eût fallu l'être nous aussi et avoir le moral nécessaire. Mais l'Angleterre est gouvernée par une aristocratie d'argent qui a toujours essayé de diviser l'Europe. Georges Sorel a écrit : « L'Angleterre en 1919 est allé rechercher la vieille gaffe qu'elle conservait précieusement dans la Tour de Londres depuis les traités de 1815. » Elle nous a empêchés en 1919 de prendre les garanties utiles. Quand elle a vu que nous nous entendions avec les Italiens et que nos flottes seraient maîtresses de la Méditerranée, elle a fait des avances à l'Allemagne. Cédant à la menace, nous nous séparâmes de l'Italie et l'Italie isolée se jeta dans les bras de l'Allemagne. Enfin l'Angleterre nous força la main pour engager une guerre que ni elle ni nous n'étions capable de soutenir. C'est la « City » autant que l'Amérique qui a arrêté l'expédition si judicieuse commencée contre l'Égypte en 1956. En ce moment elle essaye de torpiller l'Europe naissante pour des raisons commerciales, avec la courte vue de toutes les sociétés mercantiles. 44:31 La France n'a jamais manqué d'esprits clairvoyants. Le lt-colonel Fliecx, aussi bon juge avant 1940 qu'avant 1914, montrant dans un article de la *Revue d'Infanterie* que les rétablissements stratégiques comme celui de Joffre en 1914 ou de Ludendorff par la suite seraient rendus presqu'impossibles avec les armes offensives actuelles, écrivait : « Nous avons mécanisé l'attaque, mécanisons la défense... Lorsqu'une position est percée, on ne lutte pas avec des hommes se retranchant à la pelle-bêche contre des mitrailleuses et des canons motorisés et blindés ; voilà le problème posé. » Notre pays, hélas ! n'était nullement préparé matériellement et moralement à la guerre que tout esprit clairvoyant voyait venir. Les intellectuels, et les intellectuels catholiques comme les autres, jouaient le même rôle lamentable qu'ils avaient déjà joué avant 1914. Toute la Sorbonne en 1913 était contre la loi de trois ans qui nous a permis l'année suivante de lutter un contre un avec les Allemands et de vaincre. Seignobos, alors le « patron » de l'histoire à la Sorbonne et qui passait pour avoir de l'esprit, écrivait dans des gazettes allemandes que nous n'aurions pas la guerre parce que la guerre détruit les armées. Il pariait un déjeuner avec Marcel Prévôt, ahuri d'une telle légèreté, qu'il n'y aurait pas la guerre. Il faut lire dans *l'Argent, suite* de Péguy, les pages vengeresses écrites à ce sujet par un homme qui devait mourir l'année suivante d'une balle au front lors du tout premier commencement de la bataille de la Marne. La Sorbonne continue à cacher à la jeunesse ce grand homme qui est à la fois, pour nous, ce que furent pour Athènes sur la plage de Marathon, Eschyle et son frère Cynégire. Elle continue la campagne de dénigrement de notre armée qui a commencé avec l'affaire Dreyfus. Le pacifisme est une erreur de jugement. La paix y est considérée comme un absolu. Il n'y a d'absolu que la Croix, au moyen de laquelle nous devenons aptes au ciel. La Croix de Jésus et la nôtre. La pacifisme n'est souvent que le désir de vivre tranquillement pour jouir de l'existence en excluant l'esprit de sacrifice, qui d'ailleurs est aussi nécessaire dans la paix que dans la guerre. « *Quelle folie,* dit Péguy, *que de vouloir lier à la déclaration des Droits de l'Homme une déclaration de Paix. Comme si une déclaration de Justice n'était pas en elle-même et instantanément une Déclaration de guerre. Il n'y a qu'une Dame au monde qui ait fait plus de guerres que l'injustice et c'est la justice.* » 45:31 Péguy, on l'a vu plus haut, prétend que l'histoire ne s'apprend pas dans un cabinet de travail. Il veut dire que le *sens* de l'histoire s'acquiert en *faisant* l'histoire. L'agriculteur, le colon, l'industriel, le simple ouvrier qui inventa la pédale, le soldat, qui inventent et modifient la face de la terre, font de l'histoire. Ils risquent tous quelque chose, leur labeur ou leur peau et souvent l'une et l'autre. L'histoire actuelle de l'Afrique a été faite par nos soldats et nos missionnaires, qui en la pacifiant, ont permis aux Africains de prendre conscience de ce qui fait la dignité de l'homme. Et cette œuvre est faussée par les idéologies sorties des cabinets d'intellectuels. Le soldat, le colon, l'agriculteur, si peu qu'ils soient intelligents et instruits, ont de l'histoire une idée plus juste que ces intellectuels plongés dans leurs livres, qui sont fonctionnaires et ne risquent rien dans la vie, ni chômage ni échecs ; car leurs échecs sont invisibles, ou ne s'aperçoivent que lorsque l'armée s'effondre sous le poids d'une décadence morale que ses membres ont trouvée installée dans les écoles où ils ont étudié. A-t-on assez ridiculisé l'histoire militaire, l'histoire « bataille » ? Pourtant l'armée est toujours l'image de la nation, plus que n'importe quelle manifestation de l'esprit. Plus que l'architecture même. Car lorsqu'une nation s'effondre, de grands hommes solitaires peuvent concevoir et même créer une grande œuvre. Charles d'Orléans, captif pendant vingt-cinq ans en Angleterre, pouvait écrire dans sa prison : *Les saints aussi te viendront secourir* *Desquels les corps font en toi demeurance* *Ne veuilles plus en ton péché dormir* *Très chrétien, franc royaume de France.* Un grand chef militaire que ses troupes abandonnent, un soldat héroïque ne peuvent qu'être associés à la honte de la défaite. *Le soldat est un homme qui tue par occasion, mais qui accepte à chaque instant d'être tué pour ses frères.* Or « il n'y a pas plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » L'armée est l'expression de l'âme d'un peuple. En 1940, nous avons subi ce que les victoires de Bouvines et Denain nous avaient évité jadis. Les circonstances étaient aussi graves ; or voici quels genres d'hommes ont été vainqueurs. Au soir de Bouvines, Mathieu de Montmorency descendait de cheval et s'agenouillant devant Philippe-Auguste, il lui offrait douze bannières prises à l'ennemi et marquées de l'aigle impérial. Philippe trempa son doigt dans le sang qui coulait des blessures du soldat et marquant douze signes sur le bouclier du chevalier il lui dit : « Garde les, ils sont tiens. » 46:31 Ce fut depuis le blason des Montmorency. Les premiers à engager la bataille furent les laboureurs montés de l'abbaye Saint-Médard. A l'autre aile, les communes de Picardie empêchèrent le comte de Ponthieu et ses chevaliers d'être faits prisonniers. Quatre cents sergents massiers, corps d'élite de la maison du roi, avaient été chargés de garder le pont de Bouvines seule retraite possible pour l'armée. Au moment décisif de la bataille, prêts à charger, ils firent vœu d'élever une église s'ils étaient vainqueurs. S. Louis en posa la première pierre et cette église fut détruite à la Révolution. Philippe, qui au moment d'engager le combat, avait solennellement béni son armée, comme un père bénit ses enfants, écrivit trois lettres le soir même du combat où il avait failli périr ; la première à son fils Louis qui trois semaines auparavant avait battu le roi d'Angleterre sur la Loire et continuait d'en surveiller les abords. La seconde à Frédéric de Hohenstaufen, concurrent à l'Empire de celui que Philippe venait de combattre ; il lui envoyait les débris de l'aigle d'or d'Othon ; la troisième enfin était expédiée à l'*Université de Paris.* En voici la teneur : « Louez Dieu, mes chers amis, car nous venons d'échapper au plus grave danger qui nous puisse menacer. » Il faut croire que cette Université, européenne alors comme elle ne le fut jamais davantage, où les étudiants et les professeurs étrangers étaient nombreux, était quand même patriote et avait une haute idée de la mission de la France. Cette mission existe toujours ; la France est placée au centre géographique de la chrétienté européenne, cette mission est de *trouver la solution chrétienne de l'union européenne, celle de la question sociale aussi, et d'en donner l'exemple.* Du temps de Philippe-Auguste la chrétienté avait, comme base spirituelle, l'union au Saint-Siège, comme base intellectuelle, l'Université de Paris ; on voit que Philippe-Auguste en avait conscience. Pour accomplir notre mission, qui se dessine clairement dans les faits, il nous faut être capables de défendre cette conception du monde... jusqu'au fond de l'Afrique, et y engager sa peau. Sans quoi les martyrs d'Afrique dont beaucoup de Berbères sont les descendants pourraient nous dire ce que l'un d'eux disait à Carthage aux païens qui les regardaient prendre leur dernier repas : « Regardez bien nos visages afin de nous reconnaître au jour du jugement. » On semble ignorer que nos soldats ont arraché l'Afrique Noire au massacre perpétuel des tribus entre elles et à l'esclavagisme des sultans arabes. Et maintenant l'Angleterre qui s'oppose tant qu'elle peut à la constitution de l'Europe essaie de dissocier l'Eurafrique. 47:31 Un bonhomme de prêtre est venu faire une conférence dans notre coin sur l'islamisme. Il a commencé par dire qu'on jugeait l'Islam sur *des images d'Épinal, comme la bataille de Poitiers ou celle de Lépante.* Heureusement nous avions dans notre poche un Alcoran pour donner une lecture exacte des citations édulcorées que nous attendions. Les efforts de rapprochement, qui devraient être des efforts de charité, sont bons en eux-mêmes, mais ne gagnent pas à se repaître d'illusions. Il y a un côté par où l'islamisme peut très bien se rapprocher du communisme ; c'est par son fatalisme ; car une théorie matérialiste de l'histoire est un fatalisme. Sans la victoire de Poitiers la France eut dû, comme l'Espagne, lutter de longs siècles pour son indépendance. C'est-à-dire que toute notre civilisation chrétienne était compromise, la construction de nos cathédrales, la fondation de l'Université de Paris. Et cependant, il y a, toujours la Croisade, car l'esprit de la civilisation chrétienne est l'espoir de l'humanité et il sera toujours attaqué du dedans et du dehors par le prince de ce monde. L'Université l'a maintes fois attaqué du dedans. En lisant le livre de Simone Weill, *L'Enracinement,* à côté de très belles pages et d'une fin admirable sur la mort et le travail, on trouve toute une histoire de France fausse, caricaturale, odieuse même. Ce n'est que le résumé par un esprit vigoureux et passionné de ce que nous avons nous-même appris avant elle dans l'Université. Cette trahison n'est pas la première : moins de deux siècles après Bouvines, l'Université de Paris avait partie liée avec l'envahisseur anglais et condamnait Jeanne d'Arc. Elle était en même temps hostile au pouvoir doctrinal du Saint-Siège. L'aveuglement des intellectuels n'est donc pas sans exemples dans le passé. « Comme il y a une tenue ou un ramollissement militaires, ainsi il y a une tenue ou un ramollissement civiques ; et au fond ce sont les mêmes. C'est la même force ou c'est la même faiblesse. Une génération qui se retrouve civique est la même aussi qui se retrouve militaire. » Et s'adressant à un jeune catholique qui lui avait écrit, Péguy continue : « Comprenez bien, mon jeune camarade, le sentiment qui me fait vous répondre. J'ai peur que mus ne tombions, nous aussi, dans des sophismes de paresse. Il ne suffit pas de dire : *je suis catholique.* Il y a encore tout à faire. Il ne suffit pas de dire : *Il y a des catholiques.* Les catholiques ont hermétiquement la vérité en matière de foi. Ils n'ont pas le monopole du relèvement d'un peuple. En 1813 la Prusse n'était pas catholique. Et elle ne l'est pas encore. » 48:31 La foi, en effet, ne détruit pas les lois ni les vertus naturelles, ni l'obligation de les observer. Pie XII s'est évertué à le rappeler en ces dernières années. Or nous voyons des catholiques s'acharner à activer la destruction de la famille, combattre l'école libre et travailler à la lutte des classes. En 1940 le moral de l'armée allemande était excellent, -- et il était affreux car il reposait sur la confiance en un simple dément, beaucoup d'idées fausses et un immense orgueil. Les conséquences ont mis quatre ans à venir pour les Allemands ; quelle punition pour un grand peuple de cent millions d'hommes d'être gouverné par un fou. Car les choses se règlent dans le monde surnaturel. En 1915, le général de Castelnau disait à son ami le général Cordonnier : « Il faut qu'il y ait encore quelque chose contre nous là-Haut pour que notre offensive n'ait pas réussi. » Ajoutons, pour compléter, qu'entre 1915 et 1918 les Allemands comme les Français se sont arrêtés plusieurs fois devant des trous où ils auraient pu passer. Cette guerre fut un acte de la justice divine ; comment la concevons-nous ? Lorsque les hommes oublient Dieu et le méprisent, ou le combattent, Dieu se contente d'abandonner les hommes aux conséquences des actes de leur libre volonté. C'est là le châtiment car « *sans moi vous ne pouvez rien faire* ». Cela continuera tant que les catholiques suivront des idées fausses. « Que les catholiques le sachent bien, et notre jeune camarade doit s'en douter un peu, la querelle de la Sorbonne n'est pas une querelle gratuite, elle n'est pas une querelle insignifiante. Elle n'est pas une querelle arbitraire, elle n'est pas une querelle ajoutée. C'est la querelle même des héros et des saints contre le monde moderne, contre ce qu'ils nomment sociologie, contre ce qu'ils nomment psychologie, contre ce qu'ils nomment science. » (*L'Argent, suite.*) Avant la guerre de 1939, tout catholique qui montrait quelque patriotisme était regardé de haut, comme un catholique de qualité inférieure. Un religieux nous disait : « Péguy a bien fait de mourir, il aurait été condamné ; il était trop patriote. » Le général de Castelnau était obligé d'en appeler à Rome contre l'antipatriotisme. Il faut bien se mettre dans la tête que ces quatre batailles de France, si rapprochées dans le temps, si tragiques, si sanglantes, *se sont passées en France par suite de nos fautes* politiques, partant militaires, par suite d'un système faussement représentatif qui organise la guerre civile à l'état endémique, y use la force des citoyens *et les détourne des vrais problèmes,* Le lt-colonel Fliecx a vécu comme chef militaire trois de ces batailles. Il était bon qu'il y eut un exposé d'ensemble pour le public instruit. 49:31 On y trouve nombre d'anecdotes significatives sur le soldat et sur les chefs qui ont le plus haut intérêt intellectuel et moral. Comme les livres du général Doumenc sur l'histoire de nos frontières (*Mémorial de la terre de France*)*,* ce livre fait entrer dans la connaissance d'un réel essentiel avec lequel, hélas, presque tous nos intellectuels ont perdu contact. La grande tare des études, en tout temps (et même à l'école de guerre), est toujours d'éloigner de l'expérience. Le mal est au plus haut point quand des intellectuels dépourvus d'expérience se croient en droit de diriger ceux qui en ont. Le psaume le dit bien : *Si Dieu* *ne bâtit la maison* *en vain travaillent ceux qui la bâtissent *; *si Dieu ne garde pas la cité* *en vain la* *sentinelle veille à ses portes.* Mais ceux qui chantaient ce psaume rebâtissaient les murs de Jérusalem, « et ceux qui bâtissaient avaient chacun leur épée ceinte autour des reins ». (Néhémie IV, 12.) Henri CHARLIER. #### La reconnaissance publique de la religion chrétienne. Nous lisons dans un journal espagnol ([^17]) : « Il y a deux sortes d'ennemis de l'Église ; deux figures de l'anté-Christ. « Les pires ne sont pas ceux qui nous poursuivent à visage découvert et de l'extérieur de l'Église ; les pires, ce sont ceux dont l'astuce leur conseille de nous discréditer et de nous parasiter de l'intérieur... « Dans une société officiellement catholique, le non-catholique a beaucoup de peine pour se faire « une bonne situation ». « C'est pourquoi le non-catholique qui, dans de telles sociétés, prétend par-dessus tout se faire une bonne position, simule le catholicisme... 50:31 « Le prix terrible que doit payer toute société officiellement catholique est le suivant : mille sacrilèges ignorés, et le scandale, et la *malédification* toujours à craindre pour les faibles dans la foi. « Ces hommes officiellement catholiques, mais païens en réalité, détruisent davantage le catholicisme par leur vie scandaleuse, mais revêtue de formes religieuses (...) que ceux qui s'avouent athées conséquents et anti-chrétiens. « Les uns ruinent l'Église de l'intérieur et démoralisent les faibles dans la foi (...) Les autres ne laissent pas non plus croître le bon grain, mais ils font des martyrs. Et les martyrs sont toujours préférables aux apostats et aux indifférents (...) « N'est-ce pas là une question qui vaille la peine que l'on y réfléchisse ? » \*\*\* Admirable à bien des égards, la reconnaissance publique de la religion chrétienne telle qu'elle se pratique en Espagne n'est pas possible, exactement sous la même forme, dans tous les pays. Quoi qu'il en soit, la religion chrétienne doit être publiquement reconnue et cela posera toujours de graves questions ; sinon exactement celles d'Antonio Ramirez, du moins d'autres assez semblables. Nous voudrions essayer de répondre à quelques-unes de ces questions. \*\*\* Officiellement reconnue, la religion chrétienne expose au pharisaïsme. Cela vous déplait. Cela me déplait également. Dans une société qui reconnaît officiellement la religion chrétienne, il est inévitable que les pharisiens soient plus ou moins nombreux ; par suite, il est inévitable que les faibles, en nombre plus ou moins grand, soient scandalisés par ce mensonge et parfois jusqu'à tomber dans l'apostasie. Or dans une société hostile au christianisme vous pensez que les pharisiens de la religion n'auront pas de place. Vous avez raison. Seulement prenez garde que le pharisaïsme ne sera pas supprimé pour autant. Ce ne sera pas alors la religion qui donnera prise au pharisaïsme puisqu'elle ne sera pas reconnue ; mais ce sera d'autres valeurs. Car partout où il y a reconnaissance officielle de quelques valeurs (c'est-à-dire dans toute société) il y a matière à pharisaïsme. Si vous n'avez plus le pharisaïsme de la religion, vous en avez un autre. Est-ce tellement mieux ? 51:31 Par ailleurs, dans une société civile qui rejette le christianisme, ne croyez pas que l'apostasie ne soit plus à redouter. Dans une telle société il est bien vrai que les meilleurs parmi les chrétiens s'affirmeront chrétiens jusqu'au martyre ; mais cela n'empêchera point les faibles de devenir apostats. Car enfin la persécution ne fait pas que des martyrs ; nous savons tous qu'elle fait aussi des apostats. Dans une société qui reconnaît publiquement la religion chrétienne le pharisaïsme de certains amène l'apostasie des faibles, dans une société ennemie du nom chrétien la persécution amène également l'apostasie des faibles. Oui, me répondrez-vous ; mais avec la persécution on gagne au moins qu'il y ait des martyrs. Fort bien. Seulement avec un statut juridique normal on gagne aussi qu'il y ait une multiplication des confesseurs. Dans les deux cas la sainteté abonde. Elle prend des formes différentes mais c'est toujours la sainteté. Ce n'est donc pas au nom de la sainteté que l'on peut regretter pour l'Église un statut normal et officiel. \*\*\* Vous pensez peut-être : ne pourrait-on pas, depuis qu'il existe des sociétés et des civilisations, concevoir enfin un type de société qui, sans persécuter le christianisme, puisque la persécution entraîne de terribles conséquences, cependant ne reconnaîtrait pas non plus de quelque manière que ce soit la religion de Jésus-Christ, puisque les dangers d'une reconnaissance publique sont hélas très réels ? Une société neutre ne serait-elle pas meilleure ? Ne présenterait-elle pas le double avantage de ne pas exposer à cette sorte d'apostasie qui est provoquée par le pharisaïsme et à cette autre sorte d'apostasie qui est un effet de la persécution ? Aucun de ces avantages n'existerait pour la bonne raison qu'une société neutre est impensable. Que vous considériez l'homme dans le domaine privé qui est celui de l'intimité de sa personne, que vous considériez l'homme dans la vie familiale, que vous le considériez enfin dans le domaine « officiel » qui est celui de la société civile, l'homme n'est pas et ne peut pas être neutre. A titre privé, à titre familial, ni à titre officiel il n'évite pas de se situer par rapport à l'absolu. A titre privé, à titre familial, ni à titre officiel l'homme n'évite pas d'être référé à une fin dernière qui est le Seigneur Dieu. Il n'évite pas d'avoir à prendre parti pour ou contre Dieu. D'une manière différente sans doute selon qu'il s'agit de sa personne, de sa famille ou de la société civile ; mais enfin, quelle que soit la manière, il est forcé de prendre parti par rapport au Seigneur Dieu. *Qui n'est pas avec Moi est contre Moi.* Une société neutre aurait tous les avantages que l'on voudra ; malheureusement elle est impossible. 52:31 Et de fait, elle n'a jamais existé ; les sociétés qui se sont voulues neutres se sont toujours montrées persécutrices ; il n'importe qu'elles aient persécuté sous des formes plus ou moins déguisées, plus ou moins perfides ; elles ont persécuté. Lorsque César ne veut pas s'incliner devant le Christ il ne demeure pas neutre ; il devient hostile. \*\*\* En réalité la solution au débat qui nous inquiète ne se trouvera point dans une impossible neutralité mais bien dans une certaine *forme* de reconnaissance officielle. D'abord que la situation faite publiquement à la religion ne soit pas indiscrète. Ensuite que les citoyens, du moins un grand nombre d'entre eux et à tous les postes, y compris aux postes suprêmes, soient des chrétiens assez authentiques pour que le pharisaïsme ne devienne pas la note dominante et que, par suite, soit diminué, sinon conjuré, le danger d'apostasie chez les faibles. (D'ailleurs ne parlons pas seulement des faibles. C'est encore les êtres nobles, ceux en qui l'exigence de vérité est implacable qui risquent d'être blessés le plus dangereusement par le scandale du pharisaïsme.) Ainsi, deux conditions à remplir : la première est la discrétion de la reconnaissance publique. Notons d'ailleurs que cette discrétion n'est pas du tout l'équivalent d'une attitude fuyante et indécise. La seconde condition est l'authenticité des vertus chrétiennes. Cette seconde condition importe d'autant plus que, dans le cas d'un statut juridique normal pour la Sainte Église, les ecclésiastiques aussi bien que les hommes d'État éprouvent une tentation de complaisance mutuelle pour leur injustice respective qui n'est et ne saurait être surmontée que grâce à une vraie vertu. Nous exprimant en paraboles nous dirons que, dans le cas d'un statut juridique normal, la tentation des ecclésiastiques est de ne pas considérer s'ils reçoivent des chaînes pourvu qu'elles soient d'or et la tentation de César est de faire hommage de son or pourvu qu'il prenne la forme de chaînes. On comprend dès lors qu'un grand désintéressement est nécessaire de part et d'autre pour garder la liberté et échapper à la corruption. Ainsi, un statut juridique normal de la religion chrétienne ne peut être appliqué avec vérité dans les institutions que s'il est soutenu par beaucoup de vertu dans les personnes. \*\*\* 53:31 Les régimes qui accordent à l'Église une habitation décente cherchent en général à lui aménager un intérieur tellement confortable qu'elle s'endorme dans la tiédeur de la pièce climatisée et sous l'entassement des couvertures. Des chrétiens vivant sous ces régimes auront facilement la tentation de préférer les rigueurs du désert à une maison convenable mais endormante. Ils seront tentés de s'écrier : « plutôt la persécution ». Et pourtant, aussi bien pour l'honneur des régimes temporels que pour le bien des élus, l'Église demandera toujours une habitation convenable et protestera toujours contre sa relégation au désert. En même temps, lorsqu'elle recevra une habitation convenable Elle demandera à ses enfants non pas de s'écrier : « plutôt la persécution puisque cette habitation présente de tels dangers » mais simplement de prendre au mieux le grand avertissement de l'Évangile : *Vigilate.* Vigilance, Sainteté, détachement pour que la propriété d'une maison ne devienne pas une impossibilité de bouger ; pour que la possession de couvertures serve simplement à couvrir et non pas à écraser et asphyxier. \*\*\* On voit notre position. D'abord nous ne nions pas les inconvénients d'une société qui accorde un statut officiel équitable à la religion chrétienne. Cependant nous voulons une telle société parce qu'une société neutre est impossible et parce qu'une société persécutrice est condamnée par Dieu et par le droit naturel. Ensuite, nous tenons le pharisaïsme pour un mal inséparable, de fait, de la vie des hommes en société ; mais loin de nous y résigner nous demandons que les hommes pratiquent la justice et la religion avec assez de vigueur et d'authenticité pour que le pharisaïsme ne devienne pas prépondérant. Position modeste car elle reconnaît la terrible misère et la lourde rançon de la vie en société. Position prudente car on ne veut pas supprimer le bien que représente la reconnaissance de la religion par la société à cause du mal qui, de fait, s'y trouve mélangé. Position magnanime car elle demande à l'homme, au titre même de sa vie sociale, de pratiquer une justice et une religion assez vraies pour empêcher le pharisaïsme de dominer et de tout corrompre. Quels que puissent en être les inconvénients il ne nous est pas demandé de renoncer à l'idéal d'une société qui reconnaisse publiquement la religion chrétienne ; il nous est demandé, -- ce qui est plus sérieux et plus difficile -- de faire ce qui est en nous pour que jamais l'officiel ne prenne le pas sur la vie ; pour que la vie, c'est-à-dire la justice et la religion authentiquement vécues ne cessent d'animer l'officiel, et donc ne cessent de l'adapter, de le rajuster, de le réformer. 54:31 (Cela suppose que nous ayons un esprit de réforme patient en ce sens que nous pâtirons le mal que nous voudrons dépasser, et une tolérance héroïque en ce sens que nous lutterons avec héroïsme contre le mal que nous aurons à tolérer.) \*\*\* Condition inconfortable que celle du chrétien dans la société civile. Dans les pays de persécution le chrétien aspire véhémentement à la liberté car c'est la chose la plus normale du monde ; non seulement parce que la persécution lui est cruelle à lui-même, mais parce qu'elle est offensante pour Dieu et terriblement périlleuse pour les êtres chétifs que nous sommes tous. Dans les pays qui reconnaissent officiellement le nom du Christ, le chrétien aspire à la vérité, non que la reconnaissance officielle soit en elle-même un mensonge ; en elle-même au contraire elle est une disposition sociale vraie ; mais elle entraîne chez un certain nombre une attitude hypocrite et pharisaïque ; par moment il peut arriver que l'on suffoque tellement devient lourde l'atmosphère de mensonge. Cependant le chrétien est tout à fait sûr que le remède ne se trouvera pas dans la suppression de l'officiel (car il faudrait supprimer la société) mais d'abord dans un officiel qui ne soit pas indiscret, pesant ou même écrasant ; ensuite et surtout dans la conversion du cœur. Car alors, si le cœur est converti, tout en acceptant la société, on devient libre de la lèpre du mensonge qui la corrode et on lui permet d'échapper, en partie, à cette lèpre. Que la société soit persécutrice ou qu'elle reconnaisse officiellement Dieu et son Christ, elle n'est jamais pour le chrétien un lieu de tout repos ; elle demeure un lieu de lutte, de patience, d'effort vers la sainteté. Cependant il serait faux d'en conclure que les deux attitudes de la société à l'égard de la religion doivent être tenues pour équivalentes. Car ce que Dieu veut et ce que veut le chrétien c'est la lutte, la patience, l'effort vers la sainteté à l'intérieur d'une société qui reconnaisse la religion chrétienne. (On ne dit pas -- ce qui est contradictoire -- une société oppressivement chrétienne.) Ce que Dieu veut et ce que veut le chrétien c'est que la cité de César s'agenouille devant la cité de Dieu. Il est rare sans doute que César se montre capable d'un agenouillement qui serait sans aucune grimace, en toute simplicité, gracieuseté et souplesse. Du moins on demande que l'agenouillement soit aussi digne que possible. \*\*\* 55:31 Dans ces perspectives on n'a d'ailleurs pas à craindre la disparition de cette gloire essentielle de l'Église de la terre qui s'appelle le martyre. En effet, les sociétés sont assez nombreuses et le diable assez avisé pour que jusqu'à la fin des temps se continue la tradition lamentable des sociétés persécutrices. Et même, à l'approche de la fin, la persécution se fera plus démesurée. Les cités de César feront toujours des martyrs. Mais ce que veut la cité de Dieu, pour l'honneur même de César, c'est que les cités de César ne soient habitées que par des confesseurs. Roger THOMAS. #### Notules - DEUX MILITANTS CATHOLIQUES. *-- Sous l'étiquette du M.R.P., deux militants catholiques ont été élus députés, et c'est* L'Express *du 15 janvier qui les a présentés au public. L'un est un ancien jociste, ancien ouvrier, devenu depuis treize ans fonctionnaire de la C.F.T.C. ; l'autre est un ancien fermier jaciste.* *Le permanent de la C.F.T.C., évoquant ses plus anciens souvenirs le jociste, a déclaré à* L'Express : « On s'y prenait mal : on allait aux ouvriers avec un esprit de patronage, pour les convertir, les arracher à l'athéisme et au matérialisme. » *Ce que l'ancien jociste rejette comme une vieille histoire mal adaptée, nous croyons que c'est au contraire* (*mais on ne le sait pas toujours à la C.F.T.C.*) *une chose très nouvelle, ou renouvelée, une chose très moderne, une véritable révolution actuellement en cours ; nous croyons que c'est la tâche admirable de l'Action Catholique Ouvrière* (*A.C.O.*)*, qui n'est pas toujours très bien connue ni comprise des journalistes, des intellectuels et des fonctionnaires syndicaux ; un jour, l'on s'apercevra du travail spirituel, profond et bouleversant, accompli par l'A.C.O., d'abord sur elle-même et dans son sein, et par voie* de *conséquence dans le monde ouvrier, précisément pour* « *le convertir et l'arracher à l'athéisme* ». *L'A.C.O. a pris conscience de sa* *vocation à* *l'apostolat et à* *la sainteté. Et l'on découvrira, plus tard, comme toujours, que la face du monde en est renouvelée.* *Le jaciste est un lecteur d'Emmanuel Mounier et de Teilhard de Chardin. Il professe :* « Il n'y a d'autre issue au drame algérien que dans le dialogue avec les nationalistes. » *Mais on nous dit aussi, dans ce même numéro de* L'Express, *qu'après leur élection, et dès leur* PREMIÈRE *visite au secrétaire général du M.R.P., ces deux militants catholiques devenus députés ont prévenu qu'* « ils quitteraient le M.R.P. si M. Georges Bidault continuait à figurer dans ses rangs ». \*\*\* 56:31 *Voilà un problème. Il est clairement posé et il en est peu qui soient aussi actuels.* *Partisans du dialogue avec les nationalistes musulmans, les deux militants catholiques ne veulent pas du dialogue entre catholiques.* *L'ancien jociste, l'ancien jaciste, comme* PREMIER *témoignage, lancent une exclusive contre l'ancien président de l'*A.C.J.F. *Qu'ils soient en désaccord avec M. Bidault sur l'Algérie, l'agriculture, le monde ouvrier, c'est bien leur droit et c'est une chose. Que la question politique de l'exclusion de M. Bidault se soit posée aux dirigeants du M.R.P., c'est une seconde chose. Mais c'en est une troisième, que les champions de l'exclusive contre l'ancien président de l'*A.C.J.F. *soient les deux nouveaux députés venus de l'Action catholique. Il est curieux, il est dommage, qu'au milieu des oppositions politiques, ils ne se soient pas faits au contraire les champions d'un autre style : celui qui consiste à supporter et à vivre dans l'amitié chrétienne les désaccords temporels entre chrétiens.* *Ce n'est pourtant point cette intransigeance politique envers les personnes que l'Action catholique s'était efforcée de leur apprendre. Si des militants formés par l'Action catholique -- et qui se réclament publiquement de cette formation -- considèrent comme leurs premiers, comme leurs principaux, comme leurs plus irréductibles ennemis d'autres militants également venus de l'Action catholique,* PERSONNE NE VOUDRA PLUS LES ÉCOUTER, ET SURTOUT PAS LES INCROYANTS, QUAND ILS PARLERONT, COMME ILS LE FONT SIMULTANÉMENT, DE LEUR DÉSIR D'UNE « SOCIÉTÉ PLUS FRATERNELLE ». *M. Georges Bidault, formé comme eux par les organisations catholiques, et catholique aujourd'hui engagé dans la politique, n'a pas jusqu'ici été* EXCOMMUNIÉ, *il s'en faut. On peut assurément désapprouver ou contredire les positions politiques qu'il prend. Mais en sachant* (*et en montrant que l'on sait*) *qu'on appartient d'abord, comme lui, à la même communauté catholique, à la même église, et que ce lien est plus profond, plus important et plus grave que les divergences d'opinion.* *Ce ne serait vraiment pas la peine que l'Action catholique consacre tant d'efforts à l'éducation morale et civique des chrétiens, si le premier et le plus manifeste résultat de dette éducation devait être, dès que l'on débouche dans l'engagement politique, d'opposer comme d'irréductibles ennemis deux qui viennent de l'Action catholique.* *Nous croyons qu'en cela du moins*, *les deux nouveaux députés représentent* LE CONTRAIRE *de ce qu'est la vocation de l'Action catholique. Et ce témoignage public qu'ils ont produit dans* L'Express, *en invoquant leur origine jociste et jaciste, nous n'arrivons pas à y découvrir un témoignage chrétien.* \*\*\* - LE SECONDAIRE ET L'ESSENTIEL. *-- Des réflexions analogues nous venaient à l'esprit en lisant un passage, d'ailleurs incident, mais important, de la vive polémique menée dans* Le Monde *par M. Pierre-Henri Simon contre les militaires qui ne partagent point sa conception de la démocratie.* 57:31 *Voici le passage, dans la première colonne de son article du* 30 *janvier. M. Pierre-Henri Simon note que, selon lui, dans les guerres d'autrefois, l'homme d'armes défendait davantage la* « *patrie charnelle* », *ou la* « *fidélité au prince* », *que* « *l'ordre spirituel* » *et la* « *civilisation* ». *Notre propos n'est pas de discuter dette vue, ni la thèse générale de M. Pierre-Henri Simon, mais de remarquer qu'à ce point, et pour illustrer sa pensée par un exemple, il en vient à écrire :* « Au temps des guerres nationales, dont celle de 1914-1918 a été la dernière, le soldat défendait l'existence historique de la nation, ce qui l'amenait déjà à y inclure l'amour d'un certain type de civilisation, sans que ce motif fût pourtant l'essentiel : sinon, comment les soldats de la Marne et de Verdun se fussent-ils tous si bien battus pour la cause de la démocratie et de la liberté des peuples quand il y avait parmi eux, surtout chez les officiers, tant de nationalistes maurrassiens qui ne croyaient ni à l'une ni à l'autre ? » *Ce texte est étonnant et significatif : et non pas simplement parce qu'il appelle* L'UNE ET L'AUTRE, *parce qu'il considère comme* DEUX *choses distinctes la cause de la* « *démocratie* » *et celle de la* « *liberté des peuples* ». *Ce texte est étonnant et invite à la réflexion parce que, selon M. Pierre-Henri Simon, les maurrassiens et les républicains français de* 1914, *en somme,* N'APPARTENAIENT PAS A LA MÊME CIVILISATION. \*\*\* *La notion de* « *civilisation chrétienne* », *que nous ont rappelée avec insistance tous les Papes modernes et contemporains, où trouve-t-elle place dans une telle pensée ?* \*\*\* *La question du régime politique -- qui était, durant toute la* *première période de la III^e^ République, le choix entre la République et la Monarchie -- a certes profondément divisé les Français, et les catholiques français, malgré les avertissements, les enseignements et les efforts de Léon XIII.* *Mais quelle terrible, quelle effroyable* PROMOTION *donnée à cette douloureuse et grave question* POLITIQUE, *que d'en faire la ligne de démarcation entre deux* CIVILISATIONS ! *Et quelles conséquences... Si M. Pierre-Henri Simon exclut de son* « *type de civilisation* » *les maurrassiens catholiques de* 1914, *comment s'arrange-t-il pour ne pas en exclure aussi, par exemple, saint Pie X*, *saint Louis, Jeanne d'Arc et saint Vincent de Paul ?* *Nous retenons cet exemple historique de* 1914, *cet exemple déjà ancien, parce qu'il est possible d'en parler sans exciter les passions. Mais chacun pourra découvrir lui-même quels problèmes analogues, et même substantiellement identiques, nous sont aujourd'hui posés.* *Spécialement à nous, catholiques, qui, par-delà toutes questions politiques, avons en commun une doctrine d'unité.* *Albert de Mun, La Tour du Pin et Ozanam, opposés sur la question politique, n'auraient-ils point appartenu au* MÊME TYPE DE CIVILISATION ? \*\*\* *L'affreuse et quasiment universelle politisation des consciences* (*du moins chez les intellectuels*) *se manifeste ainsi d'une manière en quelque sorte tangible. De critères politiques, l'on fait des critères pratiquement absolus. On rejette* DANS UN AUTRE UNIVERS SOCIAL *celui qui, vivant pourtant de la même foi, pratiquant la même religion, adhérant au moins implicitement à la même doctrine sociale de l'Église, ne professe pas la même conception politique de la démocratie.* 58:31 *A ce démon de séparation et d'opposition, rien ne résistera, si l'on n'y prend garde. Il est déjà assez difficile* (*parfois*) *de faire comprendre à des catholiques divisés en politique qu'ils ont néanmoins la même* DOCTRINE -- *s'ils sont catholiques, la même* DOCTRINE POLITIQUE PROPREMENT DITE, *la doctrine commune de l'homme, de la société, de l'État, la doctrine commune aux démocrates, aux républicains, aux monarchistes... Si maintenant, selon l'idéal ou la préférence des uns et des autres pour une forme plus ou moins démocratique, plus ou moins républicaine, plus ou moins monarchique du pouvoir, on les classe dans des* CIVILISATIONS *différentes, ce n'est pas seulement l'unité de la* « *doctrine sociale* » *commune qui vole en éclats. C'est l'unité même de la foi qui est atteinte.* *Qu'elle le soit, ce n'est pas simplement une déduction logique. C'est aussi, hélas, une constatation de tous les jours. Depuis plus d'un demi-siècle, au moins depuis Léon XIII, les Papes invitent tout spécialement les Français à cesser de* DONNER LE PAS A LA POLITIQUE QUI DIVISE SUR LA RELIGION QUI UNIT. *Formule simple dans son énoncé, mais profonde et qui commande le comportement de chaque jour et l'attitude même de la vie intérieure.* *Si, en fait, dans nos pensées et dans nos actes, nous continuons à* DONNER LE PAS *aux oppositions politiques sur la communauté chrétienne, n'est-ce pas le Corps Mystique de Jésus-Christ que nous déchirons de nos mains ?* \*\*\* *Cela est vrai du politique, cela est vrai de l'économique. Il nous semble que la remarque de l'abbé Paul Grenet, à propos des* « *conditions de vie économique* », *s'applique pareillement aux desseins politiques y compris les plus naturels et les plus légitimes. L'abbé Grenet écrit en effet dans* L'Homme nouveau *du* 1^er^ *février :* « Vous estimez que la première chose à faire pour s'inspirer de l'Évangile, est de changer les conditions de vie économique. « Nous estimons que la première chose à faire pour s'inspirer de l'Évangile, et pour changer les conditions de vie économique, c'est de rapprocher tous les hommes de Dieu. » *L'absolutisme politique, ou économique, en tout cas idéologique, est de rejeter dans un autre univers moral, dans une autre civilisation -- et bientôt dans une autre religion -- ce chrétien qui vit de la même foi dans la même Église, mais qui n'est pas d'accord sur l'idéologie et n'accepte pas telle* « *mystique temporelle* » *démocratique ou anti-démocratique.* *Nous croyons, ici*, *que le plus important* (*le plus important même dans l'ordre pratique*) *nous l'avons en commun simultanément avec les catholiques du Sillon et avec les catholiques d'Action française, pour parler en termes d'avant-hier, nous croyons que nous l'avons en commun, pour parler en termes d'aujourd'hui, avec M. Pierre-Henri Simon comme avec M. Gustave Thibon, avec M. Olivier de Roux comme avec M. Joseph Folliet, avec M. Xavier Vallat comme avec M. Georges Hourdin, avec M. Jean de Fabrègues comme avec M. André Frossard. Nous l'avons en commun mais nous ne le savons pas, ou pas assez. Nous ne nous occupons pas suffisamment de le retrouver, d'en prendre conscience, d'en vivre, de le défendre.* 59:31 *Nous croyons qu'il ne faut pas laisser, d'abord dans notre vie intérieure, dans notre pensée, dans notre cœur -- et par suite dans nos actes -- les divergences* SECONDAIRES *du politique ou de l'économique prendre la* PREMIÈRE *place sous forme d'idéologies et de* « *mystiques temporelles* ». *Nous croyons qu'il ne faut pas le laisser entraîner, bien que presque toute la vie intellectuelle des journaux et des congrès nous y pousse, à considérer la démocratie politique* (*ou son contraire*) *comme un univers moral, comme un type de civilisation, comme une religion.* *Ce qui appartient à l'ordre de l'univers moral, ce qui appartient à l'ordre du type de civilisation, relève de la religion chrétienne et non pas des idéologies politiques. Et cela commande certes un comportement même dans l'ordre politique *: *mais ce qui* COMMANDE *précisément, ce qui commande l'univers moral et le type de civilisation, c'est la religion chrétienne, ce ne sont pas les idéologies politiques, qu'il est urgent de* REMETTRE A LEUR PLACE, *dans tous les sens de l'expression, y compris celui qui leur dit : bas les pattes ! En voilà assez, de cette manipulation et de cette colonisation des consciences par des idéologies politiques et par des mystiques temporelles, fussent-elles* « *démocratiques* », *ou soi-disant telles. En voilà assez, de ces* JUGEMENTS POLITIQUES *portés sur des consciences chrétiennes, alors qu'il appartient au contraire à la conscience chrétienne de juger les comportements politiques. En voilà assez, de des divisions politiques à l'intérieur de la communauté catholique, alors qu'au contraire* LA DIVERGENCE POLITIQUE N'EST POSSIBLE ET PERMISE ENTRE CATHOLIQUES QUE DANS LA MESURE OÙ ELLE NE DIVISE PAS LA COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE. *Nous avons en commun l'héritage, Pie XII nous l'a assez dit, de la civilisation* et de *la foi. Nous avons en commun l'adoption divine et l'essentielle fraternité qui en découle. Nous ne le savons pas assez sans doute, puisque notre comportement semble le démentir. Et s'il y a encore tant d'obstacles aux rapprochements les plus naturels entre des hommes de la même patrie et de la même foi, c'est que nous n'avons pas encore assez travaillé, selon le mot si juste de l'abbé Grenet, à* « *rapprocher de Dieu tous les hommes*. » 60:31 ### Mystères VOICI VENIR le temps de la Passion qui suit de si près dans le cours de l'année les joies de Noël et celles de l'Épiphanie. Ce petit enfant obscur se révèle à trois sages passants, aussitôt disparus, à quelques Juifs pieux, à une noce de campagne. Après avoir jusqu'à trente ans équarri des poutres, scié de long, cloué des planches comme tout artisan d'un petit village, il prêche en public pendant un peu plus de deux ans, excite la contradiction et meurt de la manière la plus injuste et la plus cruelle, laissant onze apôtres et cent vingt disciples. Et le monde n'en sut rien. Le monde cependant, sans le savoir, avait changé de maître. Le prince de ce monde, qui le maintenait dans l'esclavage du péché, était vaincu et enchaîné Jésus par sa mort avait délivré le monde, déchiré la cédule de condamnation, rendu aux hommes le pouvoir d'être enfants de Dieu et cohéritiers de sa résurrection. 61:31 COMMENT nous conduisons-nous en présence de ce mystère ? Hélas ! Tristement. Nous admettons très bien que Jésus ait pardonné à Pierre, à Marie-Madeleine, à la Femme adultère, à ses juges mêmes et à ses bourreaux, à tous ceux qui l'ont fait souffrir par leurs ordres ou de leurs mains. Mais avons-nous réellement conscience de ce que nous sommes, autant que ces bourreaux et ces juges, coupables du sang du Christ ? Car les bourreaux étaient commandés pour l'être. Les juges pensaient : « Il est de notre intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple et que toute la nation ne périsse pas » (J. XI 50). Ils se trompaient et ils étaient coupables de se tromper, à cause des miracles faits en leur présence. Mais leur faute réalisait le dessein de Dieu pour sauver le monde. Et Jésus disait sur la croix même : « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font ». Mais nous ? Nous devrions savoir ce que nous faisons. Nous sommes instruits. Les martyrs et les saints ont reproduit à des milliers d'exemplaires la figure et la vie du Christ. Ils nous ont donné l'exemple de la paix du cœur et des joies de l'amour dans toutes les conditions possibles de la société, qu'ils soient un vagabond pouilleux couchant dans la paille des granges comme saint Benoît Labre, ou un roi comme saint Louis, ou ce saint Ajouté dont on ignore tout sinon qu'il s'est *ajouté* spontanément à un cortège de martyrs qu'on menait au supplice. Car nos péchés ont exigé autant que ceux de Caïphe la mort et le sang du Christ, Jésus a payé une fois pour toutes, mais la Rédemption n'est pas achevée, elle se fait et se continue dans son corps mystique ; les souffrances du Christ s'y continuent, nous pouvons en prendre notre part par un acte très simple de consentement aux misères inséparables de la condition humaine et dire comme saint Paul : « Je parfais en ma chair ce qui manque aux afflictions du Christ, pour son corps qui est l'Église ». Mais il faut pour cela se savoir et se reconnaître pécheur, savoir que, dans son Agonie, Notre-Seigneur a vu clairement nos propres péchés, celui d'hier, celui d'aujourd'hui, et hélas chose terrible à penser, celui de demain ! Non ! cette pensée qui est une grâce de Dieu nous l'évitera désormais, c'est un devoir de le demander et de l'espérer. Mais il faut méditer sur cette agonie où les péchés de tous les hommes, de tous les temps, ont assailli l'âme de Jésus d'une horreur indicible. 62:31 Car nous prenons très légèrement l'offense que nous avons faite et faisons à Dieu. Le péché introduit dans le monde un immense désordre contraire à la volonté d'amour qui est celle de Dieu. Saint Louis de Montfort disait qu'il valait mieux pleurer un péché véniel que la mort de ses parents. Aucun acte n'est indifférent, tous ont des conséquences infinies dans le monde moral. Un mouvement d'impatience, une rigueur injuste même non volontaire chez un chrétien peuvent détourner pour la vie un incroyant de demander la foi. Qu'en pense la Très Sainte Trinité dans sa vie d'amour ? Certainement que voilà ajoutée une épreuve pour le corps mystique du Fils Bien Aimé. Cette épreuve devra être payée par des prières et des sacrifices d'autres membres du corps mystique qui puiseront dans les mérites de Jésus les grâces nécessaires car « Il peut *sauver sans fin* ceux qui ont accès par Lui auprès de Dieu... » (Hébr. VII 24). Il est peu de personnes vraisemblablement qui n'aient éprouvé quelque méconnaissance ou quelque mépris de leur amour, que ce soit comme parent ou comme enfant, comme soupirant, comme époux ou comme religieux, et il n'est pas d'intime épreuve plus douloureuse. L'offense à Dieu qu'est tout péché même véniel, est une offense à l'amour qui est en Dieu. Sans doute la Sainte Trinité est impassible mais le Fils a pris notre chair pour nous montrer comment nous, dans la chair, devons comprendre l'amour que Dieu a pour nous. « Jérusalem ! Jérusalem ! Combien de fois ai-je voulu réunir tes enfants comme une poule réunit ses poussins sous ses ailes ! Et vous n'avez pas voulu. » (M. XXII 37). La société contemporaine n'a rien à envier à Jérusalem en fait d'oubli ou de mépris de la loi et de l'amour de Dieu. Les révélations du Sacré-Cœur dans un monde où la charité s'est refroidie sont la répétition des appels de l'Évangile : « *Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi ! Qu'il boive, celui qui croit en moi ! Comme l'a dit l'Écriture *: *Des fleuves d'eau vive sortiront de son sein* » (Jean VII 37). Les satellites mêmes chargés d'arrêter Jésus disaient : « Jamais homme n'a parlé comme cet homme ». Serons-nous plus sourds que ces malheureux gardiens de la paix du Temple à Jérusalem ? Que Dieu veuille nous donner l'intelligence de ce qu'est toute offense à son amour. 63:31 MALHEUREUSEMENT depuis deux siècles on nie ouvertement le péché originel. J.-J. Rousseau a décrété, malgré ses propres ignominies, que l'homme est bon par nature. C'est la société qui est coupable. Il s'en est suivi chez ses disciples une folie destructrice de toutes les institutions traditionnelles et des révolutions sanglantes. L'homme en est sorti plus ignorant, plus mauvais, et il exige toujours de nouvelles révolutions puisqu'il est bon par nature et que c'est la société qui est mauvaise. Il ne sortira de ces misères que par sa propre conversion, c'est évident. Mais dans l'Église même beaucoup essaient de minimiser le péché originel. Certes, on ne peut nier la blessure reçue par la nature à la suite du péché d'Adam et la transmission de cette blessure. Un enfant baptisé sera colère, vindicatif, menteur dès le plus jeune âge. L'éducation consiste à lui faire gagner les vertus naturelles au moyen des vertus surnaturelles. Mais Notre-Seigneur dit : « *Nul s'il ne naît de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume des cieux.* » Pratiquement pour nous chrétiens la béatitude éternelle est impossible sans le baptême. Il y a donc sur l'âme, en dehors de cette blessure de la nature qui subsiste après le baptême, une tare originelle. C'est doublement incompréhensible puisque ce n'est pas un péché personnel et que chaque âme est une création nouvelle de Dieu au moment de la conception. Mais qu'est-ce que nous comprenons vraiment ? La science n'étudie que de petits systèmes clos et séparés. Comprenons-nous la vie, l'union de l'âme et du corps, la germination d'une graine, le mouvement des mondes ? Comprenons-nous l'Histoire ? Cette intelligence exigerait que nous sachions le tout de tout depuis l'origine c'est-à-dire que nous fussions Dieu. Il y a dans le péché originel un grand mystère, mais en essayant de le diminuer (souvent pour des fins apologétiques respectables sinon intelligentes) on diminue notre culpabilité, on diminue la crainte d'offenser Dieu, et on diminue la reconnaissance que nous avons à Jésus-Christ. Or l'Église nous dit dans l'offertoire de la messe : « Ô Dieu qui avez créé la nature humaine d'une manière admirable, et qui d'une manière plus admirable encore, l'avez rétablie dans sa dignité première... » Elle dit encore dans l'Exultet du Samedi Saint : « Heureuse faute qui nous a valu un tel rédempteur... » et saint Paul : 64:31 « Là où le péché abonde, la grâce a surabondé ». Nous ne pouvons douter que ce mystère décèle un mystère d'amour qui dépasse notre intelligence et qui rend positivement effroyables notre ingratitude, notre légèreté et nos offenses à l'amour de Dieu. SANS DOUTE Notre-Seigneur a payé surabondamment. Dieu désirait qu'un être pur s'offrît par amour à réparer la faute d'Adam. Il n'y en avait point, et le Verbe éternel s'unit à notre chair pour qu'il y eût un homme pur, un nouvel Adam. Mais le moindre acte de cette créature une au Verbe avait une valeur divine et suffisait à satisfaire la Justice. Il n'était nullement nécessaire que Jésus souffrît et mourût sur la croix. La première de ses petites larmes d'enfant sur sa tendre peau fit exploser dans le ciel la joie des Anges devant l'accomplissement de la Rédemption. Pourquoi donc cet excès d'amour que la volonté du Père impose à son Fils ? Il a voulu que Jésus passât par où tous les hommes doivent passer depuis la chute d'Adam : par la souffrance et par la mort, par un temps d'épreuve qui prépare la résurrection à l'autre vie. Jésus est mort et a ressuscité comme homme pour nous donner en raccourci dans le temps, l'image complète et achevée de notre propre destinée. Et Jésus l'a voulu donner de telle manière qu'aucun homme ne puisse penser qu'il a souffert plus que Jésus et plus injustement. La veille de son supplice Jésus a dit : « C'est pour cette heure que je suis né ». C'est notre cas à tous ? Oui, petite maman qui choyez un nouveau-né, heureuse « *parce qu'un homme vient de naître dans le monde* », cet enfant est né pour l'heure où il mourra, et il dépend beaucoup de vous que cette heure soit bénie dans le monde spirituel car « *la mort des saints est précieuse à Dieu* ». Voyez donc à l'élever non pas sévèrement mais sérieusement et tendrement pour la souffrance et pour la mort. Il suffit pour cela qu'il soit nourri dans la foi et dans l'espérance du ciel. La même confiance et la même innocence que ces enfants mettent à croire aux contes de nourrice, ils la mettent à croire aux vérités éternelles. Et vous, comment les croyez-vous ? N'est-ce pas la foi du petit enfant que Notre-Seigneur lui-même vous a donné comme l'exemple de ce qui convient pour entrer dans l'éternité bienheureuse ? 65:31 Il faut donner l'exemple à cet enfant ; il faut lui apprendre à souffrir ; s'il se fait une bosse pour avoir heurté la table qui est au niveau de son front, il ne faut pas battre la table et le plaindre, mais lui dire qu'il est un homme déjà grand, que Jésus a reçu beaucoup plus de coups et de bosses, et qu'il doit offrir la bosse à Jésus, pour se faire pardonner de gros péchés comme d'avoir en cachette trempé son doigt dans les confitures. Voyez à quoi vous engagent paternité et maternité. Quel renforcement pour les parents chrétiens eux-mêmes d'avoir à élever et former des saints. Hélas dans notre monde les parents ne veulent plus se gêner pour élever leurs enfants, car pour cette tâche un effort de vertu est obligatoire. Les pleurs silencieux de Marie au pied de la Croix et l'agonie de Jésus sont nés de ces misères et pour les guérir. Et là même, Jésus a confié l'humanité à sa Mère pour qu'elle dirige les mères dans l'éducation des jeunes membres du Christ. EST-CE À DIRE que cette Passion où nous vous convions à entrer volontairement afin d' « *accomplir ce qui manque aux afflictions du Christ pour son corps qui est l'Église* » vous enlèvera toute joie en ce monde ? Bien loin de là. Cet enfant à la bosse est instantanément heureux, sur votre parole, d'avoir imité et, qui sait, aidé Jésus. Vous croyez simplement avoir apaisé sa colère et séché ses larmes ? C'est lui qui est dans la vérité, vous l'avez fait entrer dans la vie surnaturelle. Jésus sur la croix a souffert physiquement et moralement de l'horreur du péché, mais il n'a jamais perdu la joie de faire dans l'amour la volonté de son Père et celle de sauver les hommes, Il n'a jamais cessé de jouir de cette vision béatifique qui est la récompense des élus. Et Il a fait par là que tous ceux qui souffrent peuvent participer à cette sorte de joie autant qu'il est possible sur cette terre, joie de souffrir en union avec le Christ, de partager sa Croix pour accomplir les vues mystérieuses de la Très Sainte Trinité sur les membres de l'Église. Car Jésus, qui pour nous sauver a voulu s'associer à notre destinée, nous a donné comme une grâce de nous associer à la sienne ; et S. Paul écrit aux Romains : « Je vous supplie donc, mes frères, par la miséricorde de Dieu, de lui offrir vos corps, comme une victime vivante, pure et agréable à Dieu et de lui rendre un culte spirituel. » 66:31 Ô bonnes gens qui nous faites l'honneur de parcourir ces lignes, dépêchez-vous de relever le voile d'aveuglement qui masque à votre cœur l'éblouissante clarté de la gloire que vous trouverez à souffrir avec Notre-Seigneur, pour être transformés en son image. S. Grégoire de Nysse disait : « Le christianisme est l'imitation de la nature divine. » Souffrir avec Jésus fait la joie des âmes. IL Y A dans le récit de la Passion un étonnant exemple de ces ténèbres qui voilent aux âmes la réalité surnaturelle. Barabbas a été préféré à Jésus. Barabbas veut dire « Fils du Père ». D'anciens exégètes pensent que cela veut dire « Fils d'Adam ». Saint Jérôme estime que ce nom pourrait signifier : fils du maître. De toute façon c'est un sobriquet. Pilate ignorait le sens de ce nom. Il faut que les Juifs aient décidé d'avance qu'on demanderait pour la fête la délivrance de Barabbas et on souffla ce nom à la foule et à Pilate. Quelle chose étrange qu'on échange comme des animaux à la foire ces deux hommes dont l'un portait comme sobriquet le titre de l'Autre dans l'éternité ! Il y a là une dérision diabolique. Toute la foule criait et demandait : « Le fils du Père ! Le fils du Père ! » Et ce fils du père est préféré au Sauveur ! Mais le Fils du Père Éternel mourrait aussi pour ce fils d'Adam que sa mort délivrait. Puissions-nous à ce spectacle voir augmenter en nous la contrition de nos fautes qui furent et qui sont si cruelles à l'âme de Jésus. D. MINIMUS. 67:31 ## Enquête sur la Corporation ### L'Église et l'organisation professionnelle par Achille DAUPHIN-MEUNIER L'ÉGLISE ne saurait admettre, encore moins reconnaître pour siens ni le système du marché organisé, ni le système de la planification totalitaire. Elle a fait nettement connaître son sentiment à l'égard des deux blocs hostiles dominés l'un par les États-Unis, l'autre par l'U.R.S.S. Dans son radio-message du 24 décembre 1951, Pie XII s'est montré également réservé au sujet de l'un et de l'autre : « Le monde qui aime à s'appeler avec emphase le monde libre, a-t-il déclaré, se fait illusion et ne se connaît pas lui-même. Sa force ne réside pas dans la vraie liberté... Dans l'autre monde, le monde collectiviste, la société n'est qu'une énorme machine dont l'ordre n'est qu'apparent, car ce n'est plus l'ordre de la vie, de l'esprit, de la liberté, de la paix... Comme dans une machine, son activité s'exerce matériellement, destructrice de la dignité humaine et de la liberté. » ([^18]) Le fondement d'un ordre véritable, c'est seulement un christianisme qui ne coopère pas à des systèmes discutables de progrès matériel qui exigent en contrepartie le renoncement aux principes surnaturels de la foi et aux droits naturels de l'homme. Et dans son message pascal de 1956, Pie XII revendique hautement le droit pour l'Église de proposer son propre système. Il appelle les croyants véritables et actifs à travailler sous sa direction au salut commun : « L'Église, dit-il, ne craint rien du monde et dans le monde parce que, à chaque instant, elle vit le mystère de Pâques, encouragé par la promesse du Rédempteur ressuscité : Pax vobis. Grâce à son assistance toute-puissante, l'Église qui n'a craint, dans le passé, ni les tyrans ni les obstacles opposés à des entreprises bienfaisantes, même dans le domaine des conquêtes de la civilisation, sent maintenant en elle-même le courage et la force d'affronter les problèmes les plus épineux qui éprouvent l'humanité, comme celui d'établir entre, les peuples la coexistence dans la vérité, dans la justice et dans l'amour. » ([^19]) 68:31 « Il s'agit d'engager sur un plan terrestre une action de secours contre les misères humaines. » ([^20]) Cette action, elle doit être inspirée par une contemplation humble mais éclairante de l'œuvre salvatrice de Dieu. Dieu ne trouble pas délibérément l'ordre préexistant établi par lui dans la création ; il maintient dans toute leur vigueur les lois générales qui gouvernent le monde ; il ne bouleverse ni ne retire rien, mais insère un nouvel élément destiné à perfectionner et à perfectionner cet ordre, destiné lui aussi au salut de la créature. En outre, pour rendre efficace l'ordre général, dans chaque cas concret qui n'est jamais identique à d'autres, Dieu établit avec les hommes un contact personnel et immédiat. « On dirait malheureusement, reconnaît Pie XII, que l'humanité moderne n'est plus capable, spécialement dans le cas de misères très étendues, de réaliser cette dualité dans l'unité, cette adaptation nécessaire de l'ordre général aux conditions concrètes et toujours diverses, non seulement des individus mais aussi des peuples qu'on veut secourir. Parfois, on attend le salut de quelque ordonnance rigoureusement uniforme et inflexible, embrassant le monde entier, d'un système qui devrait agir avec la sûreté d'un remède éprouvé, d'une nouvelle formule sociale rédigée en articles froidement théoriques ; ou bien repoussant de telles recettes générales, on se fie aux forces spontanées de l'instinct vital et dans l'hypothèse la meilleure, aux impulsions affectives des individus et des peuples, sans se demander s'il n'en dérivera pas un bouleversement de l'ordre existant et alors qu'il est clair que le salut ne peut sortir du chaos. » ([^21]) La tendance contemporaine à organiser les hommes et les choses, à coordonner les forces des hommes et les disponibilités de la nature en vue d'assurer la capacité de production la plus haute et toujours en croissance n'est pas mauvaise en soi. Pie XII n'hésite même pas à faire l'éloge des entreprises gigantesques : « Sans aucun doute, elles sont des réalisations merveilleuses de la puissance inventive et constructive de l'esprit humain ; à bon droit on propose à l'admiration du monde ces entreprises qui, selon des normes mûrement réfléchies, réussissent dans la fabrication et l'administration à coordonner et à fondre l'action des hommes et des choses. Aucun doute également que leur solide ordonnance et la beauté toute neuve et si particulière de leurs formes ne soient pour notre époque un motif de légitime orgueil. » ([^22]) 69:31 Ce que le Pape nie c'est que les entreprises géantes du capitalisme contemporain puissent et doivent servir de remède universel pour l'ordonnancement de la vie économique. Et il éclaire son attitude : « Celui qui veut porter secours aux besoins des individus et des peuples ne peut attendre le salut d'un système impersonnel d'hommes et de choses, même fortement développé sous l'aspect technique. Tout plan ou programme doit s'inspirer du principe que l'homme comme sujet, gardien et promoteur des valeurs humaines est au-dessus des choses et au-dessus des applications du progrès technique et qu'il faut avant tout préserver d'une dépersonnalisation malsaine les formes fondamentales de l'ordre social et les utiliser pour créer et développer les relations humaines. Quand les forces sociales seront ordonnées à ce but, non seulement elles s'acquitteront de leur fonction naturelle, mais elles apporteront une contribution importante au soulagement des nécessités présentes parce que la mission leur appartient de promouvoir la pleine solidarité réciproque des hommes et des peuples ([^23]). » La fin de l'activité économique, suivant les leçons de l'Église, ce n'est ni le bien-être matériel optimum des individus, ni la puissance maxima de l'État : c'est la mise à la portée de tous des conditions matérielles de leur vie spirituelle. La notion d'équilibre qu'elle implique intègre toutes les exigences de justice requises par la nature et la fin de l'homme. L'équilibre économique ne peut pas être atteint par l'économie de marché organisé puisque celle-ci ne parvient pas à prévenir le retour des crises ou ne peut pas en corriger les effets sans une intervention croissante de l'État lequel entend bientôt tout s'assujettir, et d'abord le marché lui-même ; il ne peut pas être davantage atteint par une économie de type soviétique car si une telle économie apparaît comme une économie sans crise, elle provoque une dépersonnalisation de l'homme et le réduit à n'être qu'un pur objet, sans visage et sans nom, d'une société sans âme. L'équilibre économique, nous indiquent Pie XI et Pie XII, ne peut être réalisé que lorsqu'on proportionne la production globale à la consommation globale sagement mesurée aux besoins et à la dignité de la personne humaine ; il doit résulter d'un ajustement libre et volontaire d'hommes solidaires, engagés dans une profession, découvrant plus clairement par leur réunion même les impératifs du bien commun ; il est fonction d'une organisation corporative. Le corporatisme évoque le régime qui précéda le capitalisme moderne, le temps où la chrétienté se pliait aux mêmes disciplines temporelles et communiait dans la même foi. Et il n'est pas douteux que chez certains papes, même les plus novateurs, il y a eu une certaine nostalgie sentimentale d'un passé pourtant à jamais révolu. 70:31 L'ORGANISATION CORPORATIVE ne saurait être toutefois une reconstitution savante du passé, l'œuvre d'historiens et de sociologues encore sous le coup de l'émerveillement admiratif que provoque nécessairement toute étude, toute approche de la civilisation chrétienne du Moyen-Age. Elle ne saurait être davantage un pastiche ou une adaptation de formes anciennes à des exigences actuelles. Ce doit être une création originale et prudente : « Tout dépend, précise Léon XIII, du génie de chaque nation, des essais tentés et de l'expérience acquise, du genre de travail, de l'extension du commerce et d'autres circonstances de choses et de temps qu'il faut mûrement examiner. Tout ce qu'on peut dire en général, c'est qu'on doit prendre pour règle universelle et constante d'organiser et de gouverner les corporations de façon qu'elles fournissent à chacun de leurs membres les moyens propres à lui faire atteindre, par la voie la plus commode et la plus courte, le but qu'il se propose. Ce but consiste dans l'accroissement le plus grand possible, pour chacun des biens du corps, de l'esprit et du patrimoine familial. » ([^24]) Pie XI, dans l'encyclique *Quadragesimo Anno* a formulé à son tour les principes fondamentaux de toute organisation corporative ou professionnelle : « La politique sociale, affirme-t-il, mettra tous ses soins à constituer les corps professionnels, jusqu'à présent, en effet, la société reste plongée dans une état violent, partant instable et chancelant, puisqu'elle se fonde sur des classes que des appétits contradictoires mettent en conflit et qui, de ce chef, inclinent trop facilement à la haine et à la guerre... A ce grave désordre qui mène la société à la ruine, tout le monde le comprend, il est urgent de porter un prompt remède. Mais on ne saurait arriver à une guérison parfaite que si, à ces classes opposées, on substitue des organismes bien constitués, des *ordres* ou des *professions* qui groupent les hommes non pas d'après la position qu'ils occupent sur le marché du travail, mais d'après les différentes branches de l'activité sociale auxquelles ils se rattachent. » ([^25]) L'ordre ne peut en effet régner dans la société que par l'étroite union des membres qui la constituent : « Or, dit Pie XI, ce principe d'union se trouve, pour chaque profession, dans la production des biens ou la prestation des services que vise l'activité combinée des patrons et des ouvriers et, pour l'ensemble des professions, dans le bien commun auquel elles doivent toutes, et chacune pour sa part, tendre par la coordination de leurs efforts. 71:31 Cette union sera d'autant plus efficace et plus forte que les individus et les professions elles-mêmes s'appliqueront plus fidèlement à exercer leur spécialité -- et à y exceller... De ce qui précède, on conclura sans peine qu'au sein de ces groupements corporatifs la primauté appartient incontestablement aux intérêts communs de la profession ; entre tous le plus important est de veiller à ce que l'activité collective s'oriente toujours vers le bien commun de la société. » ([^26]) Et dans l'encyclique *Divini Redemptoris* Pie XI reprend encore : « Ce n'est que par un corps d'institutions professionnelles, fondées sur des bases solidement chrétiennes, reliées entre elles et constituant sous des formes diverses, adaptées aux régions et aux circonstances, ce que l'on appelait la Corporation, ce n'est que par ces institutions que l'on pourra faire régner dans les relations économiques et sociales l'entraide mutuelle de la justice et de la charité. » ([^27]) L'ORGANISATION PROFESSIONNELLE ne va donc pas apparaître comme un nouvel appareil, comme une nouvelle machinerie dans les engrenages desquels l'homme serait happé pour être automatiquement utilisé à certaines fins. C'est en réaction contre les institutions du capitalisme de groupes, quelque soit le système dont elles se réclament (comme hier contre celles du capitalisme atomique), institutions qui ont contribué à cette déshumanisation de l'homme que nos générations constatent, que l'Église a fixé pour objet au type d'organisation professionnelle qu'elle propose de défendre et de préserver les libertés essentielles des hommes d'un même métier, d'une même industrie, et d'abord contre l'omnipotence de l'État. Durkheim lui-même avait remarqué combien la renaissance du corps professionnel intermédiaire était souhaitable. Il observait que l'État se surchargeait de fonctions auxquelles il était de nature impropre et que son ingérence en tous domaines, notamment dans le domaine économique, compromettait dangereusement le jeu des libertés essentielles des hommes. « Ce n'est pas le gouvernement, écrivait-il, qui peut, à chaque instant régler les conditions des différents marchés économiques, fixer les prix des choses et des services, proportionner la production aux besoins de la consommation » ([^28]) La tâche de coordonner, d'impulser, d'orienter l'activité économique, de représenter auprès des pouvoirs publics, et des différentes institutions l'ensemble des membres d'une même profession devrait, selon Durkheim, revenir à des corps autonomes et librement constitués. On ne doit pas être surpris de cette rencontre de Durkheim et de la doctrine corporative de l'Église. Séparé d'elle sur le plan métaphysique, Durkheim avait pourtant la même conception organique du corps social et le même souci de réagir contre la transformation de la société en un système impersonnel, en « une froide organisation de forces » (Pie XII). 72:31 L'organisation professionnelle telle que l'Église l'entend ne doit pas avoir une structure rigide et immuable. Elle varie suivant les pays et les circonstances. C'est aux intéressés eux-mêmes qu'incombe le soin de préciser les statuts des corporations. « Aux institutions de ce genre, observe Pie XII, ...on ne peut imposer en tous lieux une même discipline et une même structure, lesquelles, par suite des différents caractères des peuples et des diverses circonstances, de temps peuvent varier. Cependant, les corporations en question doivent baser leur mouvement vital sur des principes de saine liberté, elles doivent se conformer aux normes très hautes de la justice et de l'honnêteté et, s'inspirant de celles-ci, agir de manière que leur souci des intérêts de classe ne nuise pas aux autres droits, qu'ils persévèrent dans leur volonté de concorde et respectent le bien commun, de la société civile. » ([^29]) IL EST INTÉRESSANT de noter que Pie XII ne donne pas de l'organisation professionnelle la même justification que son prédécesseur. Pie XI recommandait l'organisation professionnelle comme un moyen de triompher définitivement du libéralisme économique dont la grande dépression avait rendu patents les méfaits, comme un instrument de collaboration entre tous ceux qui prennent part à la production et qui trop souvent agissent en antagonistes au sein même de l'entreprise. Par la corporation, il envisageait de ramener la paix sociale dans l'entreprise. A Pie XII il faut prendre en considération le capitalisme de groupes, il faut élaborer une formule visant au rétablissement de l'équilibre économique, à une prise de conscience des responsabilités communes aux chefs d'entreprises et à leur personnel dans le cadre de la nation. Par la corporation, il envisage de ramener la paix sociale dans la nation. Il est très net à ce sujet. « Chefs d'entreprises et ouvriers ne sont pas antagonistes inconciliables. Ils sont coopérateurs dans une œuvre commune. Ils mangent, pour ainsi dire, à la même table puisqu'ils vivent, en fin de compte du bénéfice net et global de l'économie nationale. Chacun touche son revenu, et sous ce rapport leurs relations mutuelles ne mettent aucunement les uns au service des autres. Toucher son revenu est un apanage, de la dignité personnelle de quiconque, sous une forme ou sous une autre, comme patron ou comme ouvrier, prête son concours productif au rendement de l'économie nationale. 73:31 Dans le bilan de l'industrie privée, la somme des salaires peut figurer à titre de frais de l'employeur. Mais dans l'économie nationale, il n'est qu'une sorte de frais, qui consistent dans les biens matériels utilisés en vue de la production nationale et qu'il faut, par conséquent, sans cesse suppléer. Il s'ensuit que des deux côtés, on a intérêt à voir les dépenses de la production nationale proportionnelles à son rendement. Mais dès lors que l'intérêt est commun, pourquoi ne pourrait-il pas se traduire dans une expression commune ? Pourquoi ne serait-il pas légitime d'attribuer aux ouvriers une juste part de responsabilité dans la constitution et le développement de l'économie nationale ? Aujourd'hui surtout que la pénurie des capitaux, la difficulté des échanges internationaux paralysent le libre jeu des dépenses de la production nationale. » ([^30]) L'ORGANISATION PROFESSIONNELLE ainsi conçue a une fonction de coordination et de réglementation. L'Église tient compte à la fois de l'unicité du métier, de la famille professionnelle et de la communauté d'intérêts qui lie tous les membres de la profession, aux différents stades de leur activité ; elle imbrique l'économique et le social : elle indique les voies et moyens pratiques d'une coordination qui ne soit jamais oppressive. Un corps professionnel ne saurait être qu'unique et obligatoire, de façon à ce que les pouvoirs de ses organes s'étendent à tous ceux qui, à des titres divers, collaborent à une même tâche productrice. A la tête de chaque corps professionnel, un conseil composé de membres désignés par les syndicats tant patronaux qu'ouvriers pourrait exercer à l'égard des entreprises de la profession un pouvoir réglementaire, arbitral et disciplinaire. Il aurait sans doute à réglementer le travail. La réglementation professionnelle du travail constituerait un grand progrès par rapport au système des conventions, collectives, véritables conventions précaires d'armistice entre deux adversaires, et au système des normes obligatoires par lequel les dirigeants de l'U.R.S.S, ou des républiques populaires, transforment les ouvriers en serfs de l'usine ou du chantier. Mais surtout le conseil corporatif aurait à réglementer la production. La réglementation pourrait s'effectuer directement par des prescriptions corporatives, soit par le jeu des ententes. 74:31 Certes les ententes industrielles dans la mesure où elles visaient surtout à l'accaparement d'une matière première et la domination sans contrôle du marché sont apparues parfois comme des éléments d'oppression économique. Les critiques des papes ne leur ont pas manqué à cet égard. On se souvient de la violence dans le ton et dans le sentiment avec laquelle Pie XI a dénoncé certaines combinaisons de monopole comme responsables du désordre économique, social et politique du monde contemporain. Pourtant, on ne saurait négliger que, mises au service de la communauté, astreintes à des contrôles méthodiques, les ententes peuvent être des facteurs essentiels de rationalisation des profits et des prix, de régulation des marchés, de normalisation des conditions de vente l'et des débouchés. Pour être efficace, le pouvoir réglementaire de l'autorité professionnelle doit être accompagné d'un pouvoir arbitral ou disciplinaire. La réglementation du travail n'implique-t-elle pas déjà l'arbitrage obligatoire des conflits collectifs de travail ? A plus forte raison, la violation des règlements corporatifs doit-elle être sanctionnée. Elle ne le sera que si l'autorité corporative a le pouvoir d'infliger des amendes à ceux qui auraient contrevenu à ses décisions. S'il faut dans la profession une autorité pour régler l'activité de ses membres, à plus forte raison faut-il au-dessus de toutes les professions un pouvoir supérieur chargé de régler leurs rapports mutuels et d'assurer la convergence de leurs efforts vers le bien commun général. L'ordre social appelle donc des organisations interprofessionnelles sur les plans régional et national. CEPENDANT, sous l'influence d'un certain égoïsme collectif, les professions sont parfois tentées d'oublier leur devoir principal qui est de coopérer à l'intérêt général du pays. Aussi entre l'État, interprète et garant de cet intérêt, et les groupements professionnels convient-il d'établir de justes relations. « L'objet naturel de toute intervention en matière sociale, relève Pie XI, est d'aider les membres, du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber. Que l'autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l'excès son effort elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n'appartiennent qu'à elle, parce qu'elle seule peut les remplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir selon que le comportent les circonstances ou l'exige la nécessité. Que les gouvernements en soient donc bien persuadés : plus parfaitement sera réalisé l'ordre hiérarchique des divers groupements selon ce principe de la fonction supplétive de toute collectivité, plus grandes seront l'autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l'état des affaires publiques. » ([^31]) 75:31 Il ne s'agit pas de priver l'État de ses fonctions et prérogatives essentielles ; il est seulement question de lui permettre de bien en user en le prémunissant contre ses propres excès. Le rôle de l'État est d'inciter, d'orienter, de contrôler et de protéger ; il n'est pas de se charger de tâches que l'initiative privée responsable accomplit normalement ou qui sont du ressort de groupes ou de corps autonomes. Singulièrement, tout le domaine de l'activité professionnelle doit échapper à son ingérence totalitaire. L'État n'a pas à se substituer aux syndicats, aux ententes, aux ordres et corps professionnels, pour fixer les programmes techniques de fabrication, détailler les modalités des rapports entre patrons et ouvriers, calculer les coûts, déterminer le climat de l'activité corporative. A se perdre dans les détails, il risque d'oublier l'essentiel pour lui qui est d'assurer l'ordre public et de servir le bien commun national. L'État peut aider les professions à prendre conscience d'elles mêmes, de leurs moyens, de leur importance, en définissant les caractères des familles professionnelles et en procédant, par recensement méthodique, au calcul de leurs membres et au relevé de la place réelle qu'ils occupent dans l'ensemble de l'activité économique nationale ; il peut encore contribuer à l'organisation des professions en mettant à la disposition de celles-ci certains de ses fonctionnaires et en établissant des statuts-types ; il peut enfin asseoir l'organisation professionnelle par sa reconnaissance comme institution publique. Mais une fois délimité le domaine, fixés les cadres et mise en place l'institution, l'État doit abandonner tout ce qui est professionnel à la profession. L'organisation professionnelle n'est de soi à aucune forme déterminée d'État ou de gouvernement : Pie XI et Pie XII n'ont cessé d'insister avec force sur ce point et c'est donc bien à tort qu'on a accusé l'Église d'avoir en quelque sorte associé le corporatisme à une forme autoritaire (fasciste) de gouvernement. Au contraire même, l'autonomie des corps professionnels est la meilleure assurance qui soit contre la tyrannie d'un État totalitaire. La direction par l'État de toute l'économie d'un pays aboutit en effet à une inadmissible domestication partout où il n'y a pas d'organisation professionnelle autonome, pas de corps intermédiaire entre les individus et les pouvoirs, publics. En U.R.S.S. où syndicats, trusts et groupes (combinats) sont des appendices de la machinerie étatique, comme hier dans l'Allemagne nazie où le mot même de corporatisme au sens où l'entend l'Église était proscrit, l'asservissement des masses à l'État est total, et ce qu'on appelle la réglementation professionnelle et la discipline du travail ne sont que des modalités de la plus atroce des servitudes. Mais si l'on reconstitue conformément aux enseignements de l'Église les diverses parties de l'organisme social, si l'on restitue à l'activité économique son principe régulateur, alors se vérifiera ce que saint Paul disait du corps mystique du Christ : « Tout le corps, coordonné et uni par les liens des membres qui se prêtent un mutuel secours et dont chacun opère selon sa mesure d'activité, grandit et se perfectionne dans la charité. » 76:31 Du même coup, pourra être atteint, sans heurts ni souffrances, dans un climat d'authentique liberté, l'équilibre économique vainement poursuivi par les différents systèmes que répudie l'Église. Comme l'a fait observer l'un des plus savants et prudents commentateurs de la pensée de Pie XII, le professeur Marcel Clément, « la production étant ainsi déterminée par l'organisation professionnelle, chaque entreprise reste libre, dans le cadre de la discipline qu'elle s'impose à elle-même, et qui varie avec les lieux et les temps, de faire valoir la qualité de ses produits ou de ses services, d'en abaisser le coût par de saines économies, d'en faire connaître l'existence et les avantages par une publicité raisonnable. Si la discipline corporative est saine, la productivité sera limitée pour résorber le chômage, la concurrence ne pourra s'exercer ni sur les salaires, ni sur les autres conditions de travail, ni sur l'excitation avilissante des passions des consommateurs, ni sur aucun des facteurs où la dignité humaine et les exigences chrétiennes sont en jeu. C'est dans le cercle d'un équilibre établi corporativement entre production et besoins objectifs de consommation que s'établit librement l'équilibre offre-demande cher aux classiques. Cet équilibre est alors protégé contre les excès qu'il détermine lorsqu'il est pris pour régulateur unique, et conserve néanmoins toute son efficacité pour permettre un libre ajustement des goûts individuels et une émulation génératrice de progrès économique. » ([^32]) #### Artisanat et agriculture. Le système corporatif que préconise l'Église se distingue encore avec bonheur du système de marché organisé ou du système soviétique de plan, en ce qu'il implique, non plus la disparition de modes de production jugés par certains archaïques, mais leur sauvegarde. Ce n'est pas le culte du passé qui conduit les Papes à prendre ainsi en considération la défense des exploitations artisanales et agricoles ; c'est la conscience qu'ils ont que ces exploitations, mieux que les entreprises capitalistes et les combinaisons de monopole, ont une heureuse action sur le comportement social, moral et religieux. « C'est un principe clair de sagesse que tout progrès est vraiment tel s'il sait unir les conquêtes nouvelles aux anciennes, des biens nouveaux à ceux qui ont été acquis dans le passé, en un mot, s'il sait profiter de l'expérience, note Pie XII. 77:31 Or, l'histoire enseigne que d'autres formes de l'économie nationale que la forme monopolistique ont toujours eu une influence sur toute la vie sociale, influence dont ont profité les institutions essentielles comme la famille, l'État, la propriété privée, ou bien celles qui se sont constituées en vertu de la libre association. Indiquons par exemple les avantages indiscutables obtenus là où prédominait l'entreprise agricole ou artisanale. » ([^33]) Dans le régime capitaliste contemporain, en deçà comme au-delà du Rideau de fer, l'artisanat et l'agriculture sont des secteurs sacrifiés de la production. On les considère comme des survivances anachroniques. On suspecte ou on condamne l'esprit qui les anime. Sans doute aux États-Unis, l'État fédéral subventionne les fermiers, mais en favorisant l'exode rural et en s'efforçant de transformer les agriculteurs et les éleveurs en industriels du sol ; on dit d'un élevage qu'il est une usine à viande. Quant aux artisans, on n'admet leur existence que dans la mesure où ils prolongent et renforcent la pénétration de la grande industrie dans la vie sociale, qu'ils se trouvent dans les dépendances de la fabrique géante d'automobiles, comme garagistes ou réparateurs concessionnaires, ou du trust pétrolier comme distributeurs d'essence. En U.R.S.S. et en Chine, les plans quinquennaux sont conçus contre l'artisan et le paysan. On tente de collectiviser l'artisanat et l'agriculture et de supprimer définitivement l'autonomie de ces secteurs de production. Facilement d'ailleurs, de l'élimination économique, on passe à l'élimination physique. Après avoir prévu la disparition de l'agriculture et de l'artisanat, en tant que « secteurs précapitalistes », en tant que « classes conservatrices », on procède à l'extermination physique (par l'assassinat, la famine ou la déportation) des paysans et artisans, entant qu'individus « contre-révolutionnaires ». Ni l'artisan ni le paysan ne sont des entrepreneurs destinant leurs produits à un marché anonyme ou produisant suivant les normes d'un plan ; ils ne sont pas davantage des salariés travaillant sous la dépendance d'un chef qui leur fixe des conditions de travail et leur assure une rémunération. Ce sont des hommes libres dont le travail garde un caractère manuel et de qualité qui leur garantit leur indépendance. Ils exploitent leurs dons et leur sol ; ils ne dirigent pas une entreprise obligée de tenir compte de ses coûts et de ses prix pour n'être pas mise en difficultés ; ils ont une exploitation qu'ils font valoir avec l'aide de leur famille sans se soucier du temps ni de la peine, mais conformément à leurs traditions, à leurs aptitudes et à leurs goûts. Ils conservent une mentalité précapitaliste. Leur comportement à l'égard du machinisme est révélateur. « Dans la grande industrie l'homme qui doit être le maître de la machine risque d'en devenir, en réalité, l'esclave, relève Pie XII. Il n'en est pas ainsi pour l'artisan (aussi bien que pour le paysan) ; il commande la machine, il se sert d'elle, la contraint à lui donner tout ce qu'il demande quant à la quantité du travail et la rapidité de l'exécution. » ([^34]) 78:31 Aussi, ce que l'Église se propose d'obtenir du système corporatif, considéré comme facteur d'équilibre économique et social, c'est une « harmonieuse coordination de l'industrie avec l'artisanat et avec l'agriculture qui fait fructifier la production variée et nécessaire du sol national » ([^35]). Avec l'artisanat d'abord. -- L'Église a mis spécialement l'artisanat sous la protection du père putatif du Christ ; elle a institué la fête liturgique de saint Joseph artisan, fixée le 1^er^ mai. Elle désire en effet que soit « apportée une certaine limite à la diminution que subit l'homme moderne par suite de l'introduction et de la prédominance de la machine et du développement toujours croissant de la grande industrie. Dans l'artisanat, au contraire, l'œuvre personnelle a conservé, au moins jusqu'à présent, sa pleine valeur. L'artisan transforme la matière et il achève entièrement le travail auquel il est intimement lié et dans lequel trouvent un large champ sa capacité technique, son habileté artistique, son bon goût, sa finesse et la dextérité de sa main ; sa production est sous cet aspect, bien supérieure aux objets impersonnels et uniformes fabriqués en série. C'est pourquoi la classe artisanale est comme une sorte de milice choisie pour la défense de la dignité et du caractère personnel du travailleur. En outre, tandis que sévit, âpre et souvent contre nature, la lutte entre employeurs et employés, l'artisanat a été, généralement parlant, préservé de semblables conflits. Le petit atelier présente encore bien souvent un caractère familial. Sous la direction du chef ou « maître d'art », les compagnons et les apprentis collaborent, d'accord, à la confection de l'objet demandé. Ainsi l'artisanat est une milice choisie même pour la sauvegarde de la paix sociale et pour la restauration et la prospérité de l'économie nationale. » ([^36]) 79:31 Avec l'agriculture, en second lieu. -- « L'une des causes du déséquilibre et, disons plus, du désarroi où se trouve plongée l'économie mondiale et, en même temps qu'elle, tout l'ensemble de la civilisation et de la culture, c'est, à n'en pas douter, une déplorable désaffection, quand ce n'est pas du mépris à l'égard de la vie agricole et de ses multiples et essentielles activités. » ([^37]), écrivait en 1947 Pie XII au R.P. Archambault, président des Semaines Sociales du Canada ; et quelques années plus tard s'adressant aux délégués de trente nations à l'assemblée générale de la Fédération Internationale des producteurs agricoles, il reprenait : « On peut aussi, en restant dans l'esprit de la doctrine sociale de l'Église, dénoncer une erreur essentielle du développement économique depuis l'apparition de l'industrialisation moderne : le secteur agricole est devenu, de façon tout à fait anormale, une simple annexe du secteur industriel et surtout du marché. » ([^38]) Or, l'économie d'un peuple est un tout organique, dans lequel toutes les possibilités productives du territoire national doivent être développées dans une saine proportion réciproque. C'est faute de respecter cette vérité fondamentale qu'on laisse se développer ou qu'on développe systématiquement l'opposition de la ville et de la campagne, de l'industrie, lourde à l'agriculture, des salariés aux ruraux. Pour combler l'écart entre l'industrie et l'agriculture, tant au point de vue du rendement en nature et en valeur qu'à celui des profits, on a envisagé, dans de nombreux pays depuis quarante ans, d'insérer l'agriculture dans le capitalisme, de remplacer l'exploitation agricole close sur elle-même, ignorant des calculs de coût, par la grande entreprise agricole capitaliste, avec de puissantes installations opérant sur des surfaces de plusieurs centaines (voire comme en U.R.S.S. de plusieurs dizaines de milliers d'hectares) à coup de capitaux employés à doses massives par unité d'exploitation. L'Église s'est constamment et résolument montrée hostile à cette solution... et pour des raisons autant d'ordre économique que d'ordre moral. L'Église observe d'abord que les avantages de la concentration et de la mécanisation, pour évidents qu'ils soient, sont moindres en agriculture que dans l'industrie : la machine industrielle travaille tous les jours ouvrables, ce qui permet de répartir sur toute l'année les frais d'amortissement et d'entretien, tandis que la machine agricole n'a qu'une activité saisonnière, donc un rendement économique faible. En outre l'agriculture n'est pas d'ordinaire capitalistiquement rentable. La majorité des entreprises agricoles à forme industrielle créées aux États-Unis, entre les deux guerres mondiales, dans le dessein de profiter d'une hausse des cours sur les marchés, ont connu des difficultés graves, quelle qu'ait été la capacité technique de leurs dirigeants. 80:31 L'agriculture vit sur son capital d'endurance, accumulé depuis des siècles : il suffit, à titre d'exemple, d'évoquer les champs étagés en escaliers, à force de murs de soutènement et dont l'humus est le plus souvent constitué par de la terre hissée là à dos d'homme, ou encore des rizières conquises sur la jungle marécageuse. Les gains des paysans sont le prix de leur endurance séculaire. Pour qu'ils disparaissent, a-t-on justement fait observer, il suffit que l'agriculture cesse d'être paysanne et soit faite capitaliste. PLUS DÉCISIVES ENCORE sont les raisons d'ordre moral. C'est la terre qui fait l'homme et qui fait la nation. Détruire les exploitations familiales libres, transformer les paysans en entrepreneurs capitalistes ou en salariés, accentuer ou exacerber les heurts entre le capital et le travail, soumettre uniformément toutes les formes d'activité aux mécanismes du marché organisé ou aux normes du plan, c'est arbitrairement séparer l'homme de ce qui, pendant des millénaires, lui a formé, soutenu le corps et l'âme, c'est le déshumaniser. Au contraire, « il faut veiller avec soin, déclare Pie XII, pour que les éléments essentiels de ce qu'on pourrait appeler la véritable civilisation rurale soient conservés à la nation : esprit de travail, simplicité et loyauté ; respect de l'autorité, avant tout, des parents ; amour de la patrie et fidélité aux traditions qui, au cours des siècles, se sont avérées fécondes en biens ; promptitude à l'assistance réciproque, non seulement dans le cercle de la propre famille, mais encore de famille à famille, de maison à maison ; enfin, cette valeur, sans laquelle toutes les valeurs énumérées n'auraient aucune consistance, perdraient tout leur prix, et se résoudraient à une activité effrénée de gain : le véritable esprit religieux. » ([^39]) L'ORGANISATION CORPORATIVE de l'agriculture est le moyen que recommande l'Église pour assurer à la fois le respect de ce qui fait l'originalité du monde agricole et de sa civilisation, et le recours à tout l'acquis du progrès technique. Successivement Léon XIII, Pie XI et Pie XII ont célébré les vertus de cette organisation dont ils ont défini les caractères, les modalités de fonctionnement et les buts. Ils ont indiqué le moyen institutionnel de faire passer l'agriculture d'un régime technique archaïque à un régime assurant à moindre coût une plus haute productivité, sans qu'il fût marqué par l'esprit capitaliste. Institutionnalisée, la corporation paysanne d'une nation, englobant dans son sein tous ceux qui vivent de la terre et sur la terre, sans distinction de catégories sociales ou techniques, pourra former avec tous les autres ordres et corps professionnels une grande communauté de travail, harmonieusement équilibrée. 81:31 « Ceci, déclare solennellement Pie XII, est conforme à l'ordre naturel établi par Dieu ; c'est la vraie conception catholique du travail. Il unit les hommes dans un service commun pour les besoins du peuple, dans un même effort, pour leur perfectionnement personnel, à la gloire de leur Créateur et Rédempteur. » A. DAUPHIN-MEUNIER. 82:31 ## DOCUMENTS ### Année du Curé d'Ars, année du sacerdoce. *L'année de Lourdes vient de se terminer. Nous sommes entrés dans l'année du Curé d'Ars.* *C'est le moment de lire ou de relire l'ouvrage classique et fondamental de Mgr Trochu, qui est dans toutes les bibliothèques. On y joindra utilement le beau livre de Jean de Fabrègues, paru en* 1956 *aux éditions Amiot-Dumont *: L'Apôtre du siècle désespéré. *Et aussi peut-être le livre plus récent* (*Bloud et Gay* 1958), *et plus rapide, de La Varende :* Le Curé d'Ars et sa passion. \*\*\* *Année du Curé d'Ars, année du sacerdoce. Dans cette pensée se tiendra à Lyon, du* 1^er^ *au* 5 *juillet, un Congrès Eucharistique national.* *Mgr Le Couëdic, évêque de Troyes, et président du Comité national des Congrès eucharistiques, a donné en ces termes l'annonce du Congrès de Lyon :* S. Em. le Cardinal Gerlier, primat des Gaules, a daigné agréer que le futur Congrès eucharistique national (1^er^ juillet -- 5 juillet 1959) tienne, pour la deuxième fois, ses assises dans sa ville épiscopale, et jamais le Comité national ne lui en dira assez sa respectueuse et profonde gratitude. Faut-il l'ajouter ? Personne ne sera surpris de ce choix, car non seulement Lyon fut la première ville des Gaules qui reçut avec foi le don infiniment précieux de la hiérarchie apostolique, mais aucune autre en France ne pourrait se vanter d'avoir aujourd'hui, comme elle, vingt siècles d'existence et de fêter son bimillénaire. La géographie humaine nous a démontré, d'ailleurs, qu'il y avait une sorte de prédestination physique pour certaines cités, et qui donc en douterait s'il regarde d'une vue d'avion cette ville qui s'imprègne jusqu'aux racines dans cette terre d'alluvions au confluent de la Saône et du Rhône, au centre d'un paysage si typiquement français ? 83:31 Avant que Notre-Dame de Paris ne fût le carrefour des routes de chez nous, c'était Lyon qui en était la borne milliaire. Les légions de Rome l'ont traversée la première de leur pas martelé, mais déjà de jeunes néophytes chrétiens, mêlés aux marchands ambulants, avaient commencé sur son sol l'évangélisation de la future France. Vraiment, pour son anniversaire deux fois millénaire, Lyon méritait de voir scintiller sur son front cette suprême et incomparable auréole. Le plan que nous avons présenté, et qui a reçu l'agrément de Son Éminence voudrait à la fois développer cette formule que le Concile de Trente a ramassée dans un raccourci d'une étonnante densité : « Sacerdotium propter sacrificium », l'Eucharistie et le sacerdoce sont essentiellement liés ; et se servir, d'autre part, de cette double coïncidence : la proximité d'Ars et le 100^e^ anniversaire de la mort du saint Curé. L'Hostie sainte, centre de toutes les réunions, et de toutes les manifestations du Congrès, serait non seulement soulevée par cet ostensoir qu'est la vie de l'héroïque Jean-Marie Vianney, mais rendue transparente à travers elle. Pour la première fois depuis la fondation des Congrès eucharistiques nationaux, un saint, et, que dis-je, un saint de France serait en connexion étroite avec l'Eucharistie. Et il ne s'agirait pas d'un rapprochement momentané, par manière d'exorde ou de conclusion, ce qui risquerait d'être quelque peu artificiel, mais d'une liaison si complète que ce serait comme la charnière de tous les travaux de ces quatre jours jusqu'à la clôture triomphale. Si l'on voulait une brève schématisation de ce plan, nous pourrions d'abord lui donner ce titre général : « Le sacerdoce et l'Eucharistie à la lumière de la vie du Curé d'Ars ; entre l'humilité jusqu'à l'abjection de cette existence et celle de l'humanité de Notre-Seigneur sous ce disque diaphane ; entre ce « pur froment des vierges » et cette étonnante pureté de corps, d'esprit et de cœur de Jean-Marie Vianney ; entre cette Hostie rédemptrice et cet homme qui a utilisé tous ses instants et broyé tout son corps pour ramener les âmes et « racheter le temps » des autres ; entre Jésus-Hostie, centre la communauté chrétienne et le cœur du Curé d'Ars, centre d'une communauté sacerdotale renouvelée et fraternelle. Au milieu de nos préoccupations -- qui ne le sait chez nous ? -- il y a une angoisse qui leur est sous-jacente et qui vraiment nous serre la gorge et le cœur : notre recrutement se tarit et nous voulons avoir, pour remédier à ce mal, de nombreuses vocations sacerdotales. Nous pensions d'instinct à ces pèlerinages de jadis qui lançaient des foules sur toutes les routes de la chrétienté et qui les mettaient en contact au terme de leur course avec des hautslieux au renom irrésistible et avec l'âme des saints. 84:31 Ars pourrait être, le 1^er^ juillet 1959, le rendez-vous de tous les congressistes de Lyon : S. Exc. Mgr l'Évêque de Belley en a exprimé le désir, et il apparaît à l'évidence que cette demande instante est elle-même une donnée de notre plan, et que là encore la géographie aurait des retentissements psychologiques concertés et prolongés. Tout sera facilité, il va sans dire, pour que des moyens de communication nombreux et rapides soient à la disposition des pèlerins, afin de se rendre directement d'Ars à Lyon dans la soirée. Et ne cherchons pas d'autre guide pour cette route semée d'étoiles que le saint Curé, qui, sans aucune ambition, a réalisé pleinement, dans sa vie héroïque, immolée, les mots si grands du Concile de Trente : le prêtre est fait pour l'Hostie. *Année du Curé d'Ars. Année du sacerdoce. Le Cardinal Feltin a consacré sa* *Lettre pastorale de Carême à* « *la vocation sacerdotale* » (Semaine religieuse *de Paris,* 31 *janvier*)*, et placé cette année sous l'intercession invoquée du Curé d'Ars :* ...Que du cœur de chacun d'entre vous, que de toutes les paroisses, de tous les mouvements, de toutes les écoles, s'élève vers le Seigneur une supplication fervente et persévérante, tout au long de cette année. Le stimulant de notre prière sera la pensée de cet humble prêtre de village que S.S. Pie XI a proclamé le Patron de tous les curés du monde, le saint Curé d'Ars, dont nous fêtons le centenaire. L'extraordinaire efficacité de son obscur dévouement nous manifeste avec éclat la grandeur et la puissance surnaturelles du sacerdoce. Puisse-t-il, du Ciel où il partage désormais la gloire du Christ dont il a été le fidèle ministre, se faire notre intercesseur bienveillant ! Puisse-t-il éclairer et seconder nos efforts ! ...... En cette année du Centenaire du Curé d'Ars, dont le plus grand éloge qu'on puisse faire est sans doute de dire qu'il fut intégralement prêtre, puissiez-vous tous, mes frères, vous sentir appelés à prier pour les vocations, et vous savoir obligés de servir, pour votre part, à leur éveil et à leur épanouissement. ============== 85:31 ### Un curé de France. *En hommage à tous les prêtres de France, en hommage à tous ceux qui, au milieu de nous, parfois ou souvent sans que nous y prêtions attention, dans le succès ou dans l'insuccès immédiatement visibles, souffrent et prient en silence pour le salut de nos âmes, en hommage à tous les prêtres qui* « *supportent tout pour les élus, afin qu'eux aussi arrivent au salut qui est en Jésus-Christ avec la* *gloire céleste* » *selon le mot de saint Paul, nous reproduisons le testament d'un curé de France, mort au mois de janvier. Ce testament fut lu à ses paroissiens lors de ses obsèques et a été publié par la* Semaine religieuse *de Nevers du* 17 *janvier :* Mes bien chers Paroissiens, A la date où j'écris ces lignes, 21 janvier 1948, il y aura bientôt 43 ans que je suis au milieu de vous. La première fois que je suis monté dans la chaire de votre église lors de mon installation, le 20 août 1905, je vous ai dit : « Je viens pour rester toujours avec vous, mourir au milieu de vous et reposer près de vous après ma mort. » J'ai tenu parole. Ce n'est pas que je n'aurais pu aller ailleurs. On m'a fait des offres. J'ai tout refusé parce que je savais de façon pertinente qu'après moi il n'y aurait plus de curé à Vauclaix. Je me suis dit : « Il faut tenir le plus longtemps possible. » Je l'ai fait par affection pour vous. Pour rester au milieu de vous, j'ai passé ma vie dans la pauvreté et même dans la misère, surtout à la fin. Vous en êtes-vous douté ? J'ai peur que non. En tout cas, je ne me suis jamais plaint et je ne vous ai rien demandé. Sans doute, on disait de moi que j'étais d'un abord froid, peu encourageant. Hélas ! on ne refait pas son tempérament comme on veut. Ce ne sont pas, je pense, les plus expansifs qui aiment le mieux. Derrière cette façade, il y avait un cœur qui battait pour vous. On a dit aussi que j'étais sévère dans l'application des règlements. Non. D'abord les règlements sont faits pour être observés. En second lieu, je le faisais pour votre bien. Eh oui ! j'avais une ambition exagérée. Je voulais vous rendre aussi parfaits que possible. Y ai-je réussi ? Je ne crois pas. Peut-être n'ai-je pas su m'y prendre. Pourquoi faut-il que depuis 1940 l'assistance à la messe soit si réduite ? Pourquoi les hommes ne se montrent-ils jamais ? Je vous ai parlé en chaire presque 2500 fois. Les deux sujets principaux étaient le dimanche et la Communion. Mes paroles n'ont produit aucun effet dans les deux cas. Pour la Communion, en particulier, je n'ai pas pu vous en faire comprendre la nécessité. Mes paroles sont tombées dans le désert ; mais c'est toujours une semence déposée au fond de vos âmes. Espérons que Dieu la fera germer un jour et produire du fruit. 86:31 Je n'ai jamais fait de mal à personne, du moins volontairement, je crois. Si je l'ai fait, j'en demande pardon. Quant aux peines qu'on a voulu ou pu me faire, il y a longtemps que j'ai pardonné et que j'ai tout oublié. Respectez le dimanche. Je vous disais qu'après ma mort, si Dieu me permettait de revenir au milieu de vous, ce serait pour vous parler du dimanche. Si on vous lit ces quelques lignes, ce sera encore ma voix qui vous parlera d'outre-tombe. Priez, priez beaucoup pour moi. J'en ai si grand besoin. Puisse le bon Dieu permettre que vous soyez tous réunis ensemble un jour dans le ciel. Votre Curé qui vous a beaucoup aimés. ============== ### « Le sens de l'histoire » par Marcel Clément. *Marcel Clément vient de publier aux Nouvelles* Éditions Latines *un livre sur* « *Le sens de l'histoire* », *qui a inspiré à Jean de Fabrègues, dans* LA FRANCE CATHOLIQUE *du* 6 *février*, *les réflexions suivantes :* Parler de « sens de l'histoire » sans dire ce que l'on entend par là, c'est se promettre aux pires équivoques, et c'est bien dans l'équivoque la plus constante que l'utilisation de l'expression a jeté bien des milieux catholiques. En projetant un faisceau de lumière sur les problèmes du « sens de l'histoire », c'est à cette équivoque que M. Marcel Clément vient de s'attaquer en un petit livre d'une grande précision de pensée, ce qui est le plus nécessaire en l'espèce : « *L'homme ne se réussit pas. Et il en souffre. Il s'en excuse ou s'en accuse. Ou il en accuse les autres. Il se révolte, ou il se désespère, ou il combat. Mais il est en difficulté, toujours, et c'est la condition même*. *Toute la question de l'homme est là.* » En quelques lignes, nous voilà au centre du débat. « L'homme ne se réussit pas » : au dernier jour encore seule la grâce « achèvera l'homme ». Si « la société » pouvait répondre à toutes les questions et faire face à toutes les impuissances de l'homme, la place de Dieu dans le monde serait effacée. Comment des âmes chrétiennes ont-elles pu ne pas le voir ? On en reste confondu. 87:31 Et il faut donner cause gagnée à M. Marcel Clément lorsqu'il écrit que l'erreur de toute la pensée sociale qui se nomme « moderne » a été d'expliquer l'échec de la société en excluant de cette explication la responsabilité morale de la personne. En ce sens, Marx ne fait qu'expliciter le thème du XVIII^e^ siècle : l'homme est bon (ou du moins il peut le redevenir), c'est la société qui le corrompt et le rend incapable de faire face à ses problèmes. Faites une « bonne » société et tout sera résolu. On voudrait discuter plus à fond avec Marcel Clément lorsqu'il écrit par exemple que « l'alcoolisme, la prostitution, l'avortement, la délinquance juvénile, le prolétariat rural et le prolétariat industriel, le chômage et le taudis, la lutte des classes et la guerre des États expriment l'échec de la société moderne ». La société chrétienne médiévale a eu son alcoolisme, sa prostitution, etc. de tels maux ne sont au grief de la société moderne que si elle prétend (comme elle le fait d'ailleurs) résoudre tous les problèmes de l'homme. Mais encore peut-elle répondre qu'elle ne les a pas résolus parce qu'elle n'a pas fait encore la société « parfaite », la société sans classes. Là où Marcel Clément nous paraît conduire mieux encore au cœur du débat, c'est lorsqu'il montre que « *le sens de l'histoire n'est pas l'effort de l'homme pour se créer* » (par ses seules forces, sans la grâce), c'est « *l'effort de l'homme pour, volontairement, se laisser* créer, pour *accepter aussi d'être racheté* ». Il y a là deux lignes de pensée radicalement contradictoires, qu'aucun jeu de l'esprit ne pourra jamais rendre « conciliables ». Et tous les drames intellectuels du catholicisme contemporain en particulier en France -- seront insolubles aussi longtemps que les esprits n'auront pas repris une claire conscience de cette irréductible opposition de deux voies de l'esprit. Marcel Clément appelle donc l'homme à « *prendre conscience* de ses *limites* ». C'est là, en effet, le seul moyen de pouvoir les franchir : par un droit naturel conscient de ces limites -- et par la grâce. Ainsi sont posées : -- d'abord la question des « *rapports de la réforme des mœurs et* de *la* réforme des *institutions* ». Il n'y a pas de réforme des institutions possible, tenace, efficace, sans un effort concomitant de réforme des mœurs ; -- et celle (d'ailleurs inséparable) de la finalité des institutions, c'est-à-dire de tous les laïcismes et de tous les matérialismes : « Ce qui *meut* un *organisme, c'est* sa *finalité.* » N'attendons pas d'un ensemble structurel politique et économique qui est agi par une finalité étrangère à la vraie fin des hommes de mouvoir ceux-ci vers cette fin ou de ne pas les en écarter. 88:31 On voudrait citer bien des pages du livre de Marcel Clément. Épinglons au moins celle-ci, lumineuse : « *Lorsque des citoyens sont divisés presque à l'infini sur la nature même du but qu'ils poursuivent, on ne peut plus s'appuyer sur leur intention droite ni sur leur initiative responsable pour qu'ils coopèrent tous au bien commun. Ces citoyens n'étant plus capables de se mouvoir ensemble par eux-mêmes de façon, organique, il devient nécessaire de les mouvoir artificiellement de façon mécanique. Par les passions ou par la contrainte, de là les démagogies ou les totalitarismes.* » Il faudrait suivre Marcel Clément dans son analyse d'une telle pensée qui a conduit, d'une part, au progressisme, de l'autre (mais les aboutissements sont semblables) à l'absolutisme d'État. Ici comme là le point de départ a été « *d'accepter de décrire et d'expliquer les faits sociaux comme s'ils n'étaient pas essentiellement des faits moraux* ». On était dès lors sur le chemin qui attaque non pas telle ou telle institution, mais le rapport même de l'homme à Dieu dans la création. Et méconnaître cela c'est l'erreur même des faux « sens de l'histoire ». On espère en avoir assez dit pour donner le désir de lire *Le Sens de l'Histoire,* livre central pour la compréhension des débats catholiques et sociaux d'aujourd'hui... et de demain... 89:31 Ce deuil de l'Église de France, cette mort soudaine de l'Évêque d'Angers nous atteint cruellement. Ce sont d'abord des souvenirs personnels qui viennent nous assaillir, avec une grande tristesse. Ce que lui doivent son diocèse, ses fidèles, ses amis les plus proches, ce n'est point à nous à le dire. Devant la mort de Mgr Chappoulie, nous nous rappelons en silence ce que nous lui devons. Homme de foi, de prière et de doctrine, il avait aussi des opinions et préférences, il est bien difficile et sans doute impossible à un cœur humain de n'en avoir point. Et ses préférences n'étaient pas toujours les nôtres : je ne puis oublier qu'il sut me le dire avec une netteté carrée, bienveillante, paternelle, qui était tout le contraire d'une pression sur notre liberté. Ce disant il ne repoussait point, il ne méprisait pas, il ne prononçait ni exclusive ni ostracisme, il ouvrait les bras à tous les catholiques si divers qui composent le peuple chrétien de France, et qui trouvaient tous auprès de lui encouragement et réconfort. Apôtre et missionnaire, l'Évêque d'Angers est mort en pleine terre d'Afrique, où la vocation de la France, pour l'avenir du genre humain, pour la fraternelle civilisation et pour le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, appelle aujourd'hui les Français. Quel signe. Plus spécialement le dernier vendredi de chaque mois, les amis d'*Itinéraires* prient aux intentions de la réforme intellectuelle et morale à laquelle nous travaillons. Ce mois-ci, le dernier vendredi du mois est le Vendredi-Saint. Et nous aurons bien des soucis, bien des affections, bien des demandes, et des sacrifices sans doute, à apporter et à offrir au pied de la Croix. Et l'immense espérance grandissante de l'unité chrétienne. Je demande à nos amis de se souvenir ce jour-là dans leurs prières de Mgr Chappoulie, évêque d'Angers. J. M. 90:31 ## Note de gérance ### Pour des temps exceptionnellement difficiles une aide exceptionnellement accrue. La souscription avance. Elle avance bien doucement. Nous étions à 228 abonnements de soutien le 1^er^ janvier ; à 264 le 15 janvier ; à la date du 15 février, nous sommes à 315. Le nombre à atteindre *était,* nous l'avons dit, 600. \*\*\* Ces 600 abonnements de soutien, nous l'avons dit aussi, sont ceux qui avaient manqué à la souscription de l'année précédente, et qui n'ont pas cessé de nous manquer depuis janvier 1958. Or, depuis janvier 1958, et même depuis novembre 1957, nous n'avons pas augmenté le prix de l'abonnement. Mais tout au long de l'année 1958 les prix de fabrication de la revue n'ont pas cessé de monter. Ces augmentations successives et continuelles étaient déjà très importantes avant la remise en ordre générale entreprise par le gouvernement en décembre 1958, qui a elle-même déterminé de nouvelles augmentations survenues depuis le 1^er^ janvier dernier. Les hausses de l'année 1958. C'est ainsi par exemple qu'une revue comme les *Études,* entre novembre 1957 et novembre 1958, c'est-à-dire *avant* les hausses de décembre et janvier, avait déjà augmenté de 33 % le prix de son abonnement. C'est ainsi, également, que la *Chronique sociale,* dans son numéro du 15 décembre, c'est-à-dire elle aussi *avant* les hausses consécutives aux mesures financières de décembre et de janvier, posait en ces termes la question : « *La récession économique dont la France commence à ressentir les atteintes touche l'ensemble de la presse, dont les tirages ont diminué parfois dans des proportions dangereuses. Il est hélas normal que des revues comme la nôtre, sérieuses voire, il faut le reconnaître, difficiles, se trouvent parmi les premières touchées. Mais il serait désastreux pour la pensée catholique en France et dans le monde, qu'elles soient contraintes ou de disparaître ou de changer leur formule pour subsister.* » 91:31 Changer leur formule pour subsister : c'est-à-dire faire comme la revue *Les Libertés françaises,* qui ne paraît plus chaque mois que sur 24 pages. Il est bien évident qu'il est « désastreux, pour la pensée catholique en France et dans le monde », que les revues mensuelles soient amenées à envisager des réductions aussi catastrophiques. Car enfin, il s'agit là de la fonction propre des revues mensuelles, et le lecteur ne va tout de même pas imaginer, ce serait trop dérisoire, que la pensée catholique s'exprime dans les quotidiens et les magazines illustrés, dans les journaux. Or, nous y insistons, cette situation dramatique résultait des seules hausses survenues, pour la fabrication des revues, tout au long de l'année 1958. Et d'autre part, les 600 abonnements de soutien que nous vous avons demandés (et qui ne sont pas encore atteints) correspondaient aux besoins et aux prix de janvier 1958. Nouvelles hausses depuis le 1^er^ janvier 1959. Déjà en novembre et décembre 1958, la situation était donc très difficile. Mieux supportée par les quotidiens et magazines à gros tirages, que soutiennent d'énormes contrats de publicité, elle était extrêmement lourde pour les revues mensuelles. A cette situation si difficile sont venues *s'ajouter* les augmentations opérées depuis le 1^er^ janvier dernier, en conséquence des mesures financières de remise en ordre prises au mois de décembre. Entre autres, le prix du papier et celui des tarifs postaux a effectué une brusque montée. Les quotidiens eux-mêmes, qui pour beaucoup de raisons sont les mieux armés pour ne pas souffrir d'une telle situation, ont dû augmenter d'un seul coup, au début de février, leur prix de vente de 25 %. Cette double montée des prix -- celle qui a eu lieu tout au long de l'année 1958, et celle qui est survenue depuis le 1^er^ janvier 1959 atteint directement la revue, en augmentant vertigineusement ses prix de fabrication. 92:31 Elle nous atteint encore d'une autre manière. Nous savons bien que ce ne sont pas seulement le papier, les tarifs postaux, les frais d'imprimerie qui sont devenus plus élevés. C'est toute la nation qui supporte des restrictions et des sacrifices. Les moins fortunés de nos amis, qui souvent étaient les plus généreux, restreignent le soutien matériel qu'ils nous apportaient. S'il faut choisir... Au passage, et par parenthèse, avouons que certaines restrictions nous étonnent. Nous connaissons des personnes qui renoncent au réabonnement à *Itinéraires,* mais qui continuent (par exemple) à acheter chaque semaine, pour 70 francs, tel magazine illustré d'ailleurs fort divertissant. Se rendent-elles compte : 1. -- qu'au bout de l'année, à petits coups de soixante-dix francs par semaine, elles auront dépensé 3.640 francs, alors que l'abonnement à *Itinéraires* ne coûte que 2.000 francs ? 2. -- se rendent-elles compte d'autre part, -- nous le disons comme cela est, -- qu'il est non seulement plus économique, mais aussi, mais surtout *plus important,* dans les temps actuels où il faut choisir et se restreindre, de donner 2.000 francs par an à une revue comme *Itinéraires,* qui joue un rôle assez visible, en France et à l'étranger, dans l'expression de la pensée catholique française, plutôt que de donner 3.640 francs à un magazine illustré, si distrayant soit-il ? Mais passons... Voici où nous en sommes. Pour aborder cette période de difficultés majeures, la revue *Itinéraires* n'est ni encombrée ni alourdie, bien au contraire. Le niveau actuel de la revue est matériellement modeste : en moyenne 128 pages par mois, tandis que les *Études* en ont 160 et *Esprit* plus de 200. Il nous est déjà terriblement embarrassant d'en être réduit il 128 pages seulement chaque mois, voire quelquefois à 96 comme ce mois-ci. Ce niveau matériel si modeste, il faut arriver à le maintenir. En faisant payer, depuis novembre 1957, l'abonnement annuel 2.000 francs, nous sommes à la limite de ce qu'il est possible de demander à beaucoup d'étudiants, de professeurs, de pères de famille. En paraissant sur 128 pages, et quelquefois sur 96, nous avons un nombre de pages réduit autant qu'il est possible, autant qu'il est compatible avec la fonction intellectuelle d'une revue mensuelle. 93:31 De nouvelles collaborations, certaines sont éminentes et éclatantes, sont venues nous apporter leur renfort au cours de l'année 1958. D'autres vont venir cette année. *Faut-il les réduire au silence ?* Faut-il renoncer, par manque de pages, à ce qui est notre tâche et notre fonction ? Vraiment, oui, nous pouvons le dire, cela « serait désastreux pour la pensée catholique en France et dans le monde ». Ce désastre, il faut avoir l'intelligence d'en comprendre l'étendue, et la volonté de l'éviter. L'urgent nécessaire. Pour maintenir à la revue son niveau actuel, son niveau matériellement modeste, ses 128 pages par mois, en moyenne, et son prix d'abonnement à 2.000 francs, les 600 abonnements de soutien demandés depuis plus d'un an, et qui ne sont pas encore atteints, ne suffisent plus désormais. Il en faut 400 de plus. C'est au total le chiffre de 1.000 abonnements de soutien que la souscription en cours doit atteindre pour que la revue *Itinéraires* puisse maintenir à la fois sa formule actuelle sans diminution et ses prix sans augmentation. Pour tenir nos prix et maintenir notre qualité, il faut que nous soyons puissamment et rapidement aidés. Tenir nos prix, c'est-à-dire ne *pas mettre la revue hors de la portée des bourses modestes.* Maintenir notre qualité, c'est-à-dire ne *pas diminuer le nombre de nos pages d'une manière qui sacrifierait le contenu, la formule, l'action même de la revue.* Nous vous appelons à l'aide, -- à une aide tout à fait exceptionnelle pour les circonstances exceptionnelles que nous traversons. Il existe, parmi nos milliers d'abonnés, nos milliers d'amis, nos milliers de lecteurs de seconde main, la possibilité matérielle de souscrire ce mois-ci 700 abonnements de soutien à 5.000 francs. Il existe, et au-delà, 700 de nos amis qui peuvent faire ou refaire ce mois-ci le sacrifice d'une souscription. Il en existe même beaucoup qui peuvent souscrire beaucoup plus d'un seul abonnement de soutien. Mais voilà : ceux qui le *peuvent,* entendront-ils notre appel ? \*\*\* 94:31 Il nous faut maintenant atteindre très rapidement les 1.000 abonnements de soutien. Nous ne pouvons plus laisser courir les délais. Nous ne pouvons plus remettre davantage le moment de tirer les conséquences de la situation qui serait créée si, sans aucun retard désormais, ces 1.000 abonnements de soutien n'étaient pas atteints. Il faut que la souscription, qui est à 315, bondisse jusqu'à 1.000 abonnements de soutien. \*\*\* Cc que la revue a fait pendant trois années, et surtout ses progrès, et surtout la qualité des renforts qui viennent à elle, répondent de ce que nous pouvons, de ce que nous devons faire. Au seuil de cette quatrième année, la situation est nette : entre les mains de tous ceux qui liront ces lignes sont remis le présent, l'avenir immédiat et l'existence même de la revue *Itinéraires.* 95:31 Au secours de 8 départements\ abonnements pour 4 numéros Spécialement pour ceux qui n'ont pas la possibilité matérielle de participer à la souscription de mille abonnements de soutien (voir Note de gérance du présent numéro), nous proposons une autre manière d'aider la revue, *pendant le mois de mars,* en faisant progresser sa diffusion. Huit départements français sont particulièrement défavorisés dans la diffusion d'*Itinéraires.* Ils comptent très peu d'abonnés et ceux-ci y ont donc d'immenses difficultés à constituer fût-ce une base de départ pour la propagande. Il faut donc d'abord travailler à augmenter leur nombre, et leur apporter, pour cela, une aide venue de l'extérieur. La revue elle-même, par les conditions spéciales d'abonnements de propagande que l'on va lire, entreprend un effort particulier pour ces huit départements. Voici de quoi il s'agit. \*\*\* Ces huit départements sont les suivants : Lot-et-Garonne : 5 abonnés. Gard : 8 abonnés. Aveyron : 10 abonnés. Aude : 14 abonnés. Yonne : 15 abonnés. Aube : 15 abonnés. Doubs : 17 abonnés. Pas-de-Calais : 23 abonnés. \*\*\* Consultez vos carnets d'adresses. A tous ceux qui ont des parents, des amis, des relations, des correspondants habitant ces huit départements, nous demandons de leur faire connaître la revue *en souscrivant à leur intention un abonnement spécial de* 4 *numéros au prix exceptionnel de* 430 *francs.* 96:31 Conditions d'abonnement à 4 numéros. 1. -- Prix : 430 francs. 2. -- Date limite de souscription : avant le 31 mars dernier délai. 3. -- Condition géographique : ces abonnements spéciaux de propagande doivent obligatoirement concerner une adresse située dans l'un des huit départements énumérés ci-dessus. *Attention *: ces abonnements à 4 numéros pour 430 francs, que l'on peut souscrire durant tout le mois de mars, entreront tous en vigueur avec l'envoi du n° 33 de mai (et non pas avec le n° 32 d'avril). Les bénéficiaires de ces abonnements recevront donc les quatre numéros successifs suivants : 33 (mai), 34 (juin), 35 (juillet-août), 36 (septembre-octobre). \*\*\* Naturellement, les habitants de ces huit départements peuvent eux aussi non seulement abonner leurs amis, mais encore s'abonner *eux-mêmes* à ce tarif et à ces conditions, avant le 31 mars. Mais nous faisons appel, d'autre part, à nos abonnés de toute la France, pour diffuser ainsi la revue auprès de leurs amis et relations de ces 8 départements-là. ============== fin du numéro 31. [^1]:  -- (1). Voir par exemple *Itinéraires*, mai 1956, numéro 3, la réponse de Jean Madiran à Jean de Fabrègues, spécialement pages 19 et 20 : « Je n'ai fondé ni une coterie ni une ligue, ni une entreprise partisane. Je n'ai promis à personne de faire systématiquement l'éloge des catholiques de droite et systématiquement la critique des catholiques de gauche. S'il ne tenait qu'à moi, d'ailleurs, cette distinction, ou cette division, serait abolie dans l'instant (...). « Que m'importent vos « catholiques de droite ». J'accepte d'être « de droite », de recevoir l'étiquette « de droite » uniquement parce qu'on me la donne, et que tout le monde a une peur comique d'accepter cette étiquette là. On me la donne et je la reçois, et je l'accepte, et je la garde, et même pour mieux la garder je m'assois dessus. « Mais je n'ai promis à personne d'être un bon « catholique de droite ». Il me suffit d'être un catholique tout court, ce n'est déjà pas si commode... » Pour le développement circonstancié de ce que certains avaient considéré (bien à tort) comme une simple boutade, on peut se reporter à : -- MADIRAN : *On ne se moque pas de Dieu*, chap. II et chap. III sur la droite et la gauche ; -- M. CLÉMENT : *Enquête sur le nationalisme*, deuxième partie, chap. sur les « origines de la division des catholiques » et chap. sur « les conditions de l'unité des catholiques de France ». [^2]:  -- (1). Cf. MADIRAN, Ils ne savent pas ce qu'ils font, spécialement pages 166 à 168 : « Toute distinction entre bons et mauvais catholiques qui ne vient pas de l'autorité catholique elle-même porte en elle le germe de mort et ouvre la voie à un anéantissement de l'Église. » [^3]:  -- (1). PIE XI : Encyclique *Divini Redemptoris*, n° 15. [^4]:  -- (2). Karl MARX : *Œuvres complètes*, Tome VI, pages 38-40. [^5]:  -- (3). LÉNINE : *Œuvres complètes*, Tome XXV, page 241. [^6]:  -- (4). LÉNINE : *Œuvres complètes*, Tome XXV, pages 465-466. [^7]:  -- (5). Karl MARX : *Manifeste communiste*, n° 2. [^8]:  -- (6). LÉNINE : *L'État et la Révolution*, Édit. Sociales 1947, p. 138. [^9]:  -- (7). LÉNINE, *Œuvres complètes*, Tome XXV, page 255. [^10]:  -- (8). LÉNINE, *Œuvres complètes*, Tome IV, page 490. [^11]:  -- (9). LÉNINE, citant Engels dans *La Révolution Prolétarienne et le Renégat Raustsky*, page 30. [^12]:  -- (10). STALINE : *Questions du Léninisme*, Paris, page 29. [^13]:  -- (11). PIE XI, *Divini Redemptoris*, n° 59. [^14]:  -- (12). PIE XII : Allocution du 25 septembre 1949. [^15]:  -- (1). R.P. Roger-Thomas CALMEL, o.p. : *École chrétienne renouvelée : l'éducation des filles* (Téqui éditeur, 1958). [^16]:  -- (1). *Itinéraires*, n° 27 ; et n° 30, éditorial. [^17]:  -- (1). *El Ciervo*, mensuel catholique de Barcelone, article de M. Antonio Ramirez. [^18]:  -- (1). PIE XII : Radio-message au monde entier, « *Già per la decimaterza *», du 24 décembre 1955. [^19]:  -- (2). PIE XII : Message pascal, du 1^er^ avril 1956. [^20]:  -- (3). PIE XII : Message radiophonique « Levate capita », du 24 décembre 1952. [^21]:  -- (4). PIE XII : *ibid*. [^22]:  -- (5). PIE XII : *ibid*. [^23]:  -- (6). Pie XII : *ibid*. [^24]:  -- (7). LÉON XIII : Encyclique « *Rerum Novarum* », du 15 mai 1891, § 42. [^25]:  -- (8). PIE XI : Encyclique « *Quadragesimo Anno* » du 15 mai 1931, § 90. [^26]:  -- (9). PIE XI : *ibid*., § 91-92. [^27]:  -- (10). PIE XI : Encyclique « *Divini Redemptoris* », du 19 mars 1937. [^28]:  -- (11). DURKEIM : *La division du travail*, Paris, p, 351. [^29]:  -- (12). PIE XII : Encyclique « *Sertum lætitæ* », du 1^er^ novembre 1939. [^30]:  -- (13). Allocution aux membres de l'Union Internationale des Associations patronales catholiques, du 7 mai 1949. Cf. également PIE XII : Allocution aux membres du Congrès des Associations chrétiennes des travailleurs italiens, du 11 mars 1945, in fine, dans laquelle il est confirmé que l'organisation professionnelle de l'économie tout entière est « le fondement d'un ordre économique meilleur » et que par elle les classes laborieuses doivent « acquérir leur part de responsabilité dans la conduite de l'économie italienne ». [^31]:  -- (14). PIE XI : Encyclique « *Quadragesimo Anno* », § 87-88. [^32]:  -- (15). Marcel CLÉMENT : *L'économie sociale selon Pie XII*, Paris, 1953, tome l, p. 211. [^33]:  -- (16). PIE XII : Message radiophonique « Levate capita », du 24 décembre 1952. [^34]:  -- (17). PIE XII : Allocution aux membres de l'Association romaine artistico-ouvrière, du 7 décembre 1952. [^35]:  -- (18). Pie XII : Allocution aux travailleurs italiens, du 13 juin 1943. [^36]:  -- (19). PIE XII : Allocution aux membres du Congrès National de l'Association chrétienne des artisans italiens, du 20 octobre 1947. Cf. également Marcel LALOIRE, directeur de l'Institut d'Étude économique et sociale des classes moyennes, Bruxelles : Problèmes de l'artisanat européen, Revue Internationale du Travail, octobre 1955. [^37]:  -- (20). PIE XII : Lettre aux Semaines Sociales du Canada, du 31 août 1947. [^38]:  -- (21). PIE XII : Allocution aux délégués de la Fédération internationale des producteurs agricoles, du 10 juin 1953. [^39]:  -- (22). PIE XII : Allocution aux membres de la Confédération italienne des agriculteurs exploitants, du 15 novembre 1946.