# 33-05-59
1:33
## ÉDITORIAL
### Conditionnement à la non-résistance
VOICI l'anniversaire du 13 mai, d'où tout est sorti. Cet anniversaire, nous voudrions le vivre en laissant à d'autres les propos confus ou amers. Il y a sans doute, comme toujours, quelque occasion d'en concevoir et d'être tenté d'en prononcer. Mais nos journaux (journaux de guerre civile) en sont remplis, et c'est surtout leur contenu qui provoque la confusion et l'amertume. Nous ne désirons pas y ajouter.
Il nous semble que nous situerons cet anniversaire dans sa véritable perspective en nous rappelant qu'en mai 1958, la nation française et son armée ont infligé au communisme soviétique sa première grande défaite psychologique. Le sens apparent de l'histoire était celui d'une extension communiste plus ou moins rapide, plus ou moins combattue, mais en somme inévitable. L'initiative ne pouvait venir que de l'Est. L'Occident ne pouvait entreprendre que des opérations retardatrices. On le croyait du moins, et on le faisait croire. La seule espérance était d'obtenir ou de mériter, à force d'habiletés de toute nature, que le communisme victorieux soit suffisamment dilué ou évolué pour être supportable à ceux qui auraient su d'avance s'y adapter. On découvrait presque partout cette pensée explicite -- ou cette arrière-pensée implicite. Or en mai 1958 le sens de l'histoire a changé. Une autre espérance a ouvert les portes de l'avenir, celle d'une fraternelle civilisation qui ne soit ni un fantôme ni un mensonge.
2:33
Cette perspective n'exclut rien, au contraire : elle contient ou elle évoque toutes les autres. Le rôle de la France en Europe et en Afrique. Et dans le monde. Son rôle dans la guerre incessante que le communisme a déchaînée depuis 1917, cette guerre que l'on ne peut mettre entre parenthèses sans tricherie intellectuelle, car elle est présente partout, autour de nous, en nous : « Nous vivons à une époque où une colossale entreprise s'oppose partout à l'Occident, tandis que l'Occident néglige souvent de se soutenir lui-même » ([^1]). La vocation de la France s'incarne aujourd'hui au centre de la lutte qui est imposée au monde entier, même si le monde, par paresse ou par somnolence, préfère l'oublier et se divertir. La vocation de la France n'est pas inégale à la tâche de découvrir au XX^e^ siècle, et de montrer en exemple, une solution humaine de la question sociale dans sa dimension nouvelle apportée par la rencontre des peuples et des civilisations.
On ne dit (presque) rien quand on dit que le communisme profite, dans nos difficultés, de l'absence de solution ; il fait plus : *la solution, il l'empêche.* Ce n'est point parce que nos questions politiques, sociales et humaines ne sont pas résolues qu'il existe une action communiste : c'est au contraire parce qu'il y a une action du communisme que les questions pendantes, où il a introduit la pratique de sa dialectique, sont devenues parfois presque insolubles ([^2]).
3:33
LA CONFUSION ACTUELLE, qui s'étend dans certains esprits au sujet de la rénovation française inaugurée voici un an, n'est pas dans notre présent propos, encore que l'anniversaire du 13 mai appelle bien des réflexions : mais elles ne doivent à aucun prix être livrées aux agitations partisanes et aller grossir leur flot, qui tente de faire sa rentrée. Justement parce qu'une certaine confusion s'étend, ou menace de s'étendre, il faut s'établir plus solidement au point qui est le plus clair et qui doit le rester : celui de la résistance au communisme. L'univers entier sera soviétisé, ou ne le sera pas. Il risque de l'être présentement par l'Afrique, où la France, avant-garde de l'Europe, de la civilisation, de la Chrétienté à refaire, est seule véritablement en ligne, seule véritablement à pied d'œuvre, seule véritablement en mesure d'agir.
Depuis quatorze années, *la France était psychologiquement conditionnée à la non-résistance au communisme.* Depuis douze mois, elle se libère de ce conditionnement psycho-sociologique, et c'est l'armée qui a donné le choc décisif. Non qu'il n'y ait eu, peu nombreuses mais décidées, des résistances éparses. Elles étaient tenues en marge et déclarées sans avenir. En mai 1958, la résistance française au communisme a reçu de l'armée une ampleur nationale, et son volume et son poids. Comme on prouve le mouvement en marchant, l'armée a montré qu'une contre-offensive victorieuse est possible en face du communisme, -- cette contre-offensive que les partis, les journaux, les intellectuels et les hommes politiques avaient quelquefois *parlée,* jamais entreprise. Et le peuple français s'est réveillé du somnambulisme funèbre qui lui était imposé par ceux qui, dans la presse, l'édition et les congrès, feignent de représenter ou exprimer l'opinion publique, mais en réalité s'efforcent de la fabriquer à leur image ([^3]).
4:33
L'opinion publique était en France fabriquée et conditionnée : et ceux qui machinaient un tel conditionnement sont aujourd'hui comme le voleur qui criait : « Au voleur ! » Possédant ou dirigeant la plupart des journaux, ils font donner leur presse pour nous persuader que des colonels tortionnaires et des capitaines de coup d'État voudraient conditionner nos pensées, nous réduire en esclavage intellectuel et moral, nous abêtir. La vérité est au contraire que l'abêtissement et l'esclavage mental régnaient depuis quatorze années dans la fabrication de l'opinion française, et que ce règne a été ébranlé.
\*\*\*
CEUX QUI avaient conditionné l'esprit public à une non-résistance au communisme, tout en protestant, aujourd'hui, contre l'éventualité d'un conditionnement qu'ils ont eux-mêmes pratiqué à leur profit pendant quatorze années, tentent un formidable effort pour rétablir leur emprise sur les esprits. Ils travaillent puissamment à renouer ce conditionnement à la non-résistance dont ils sont, tout à la fois, victimes, agents et profiteurs. Ils veulent nous reprendre dans leurs filets. C'est bien naturel de leur part, et il n'y a pas de quoi s'étonner. L'important est de voir clair dans l'agencement de la machinerie.
Voici donc les principaux thèmes actuels du conditionnement psychologique à la non-résistance, -- conditionnement qui est soit mis en œuvre soit subi dans presque toutes les catégories de publications imprimées :
5:33
**1. --** Tout un concert d'articles a été publié ces derniers mois sur la « guerre psychologique » et sur l' « action psychologique ». Écrits souvent par des hommes que leurs fonctions mettaient en mesure de contre-attaquer efficacement la propagande communiste, mais qui s'en étaient abstenus, ces articles sont extrêmement discrets sur la guerre que nous fait l'appareil communiste ; et c'est une discrétion qui confine à la distraction. En revanche ils analysent les méthodes de l'armée française, et déclarent radicalement condamnable l'ensemble de celles qui sont appliquées en Algérie ([^4]). Ils étudient en détail la « guerre psychologique » et l' « action psychologique » de l'armée française, mais ILS N'ÉTUDIENT PAS celles que le communisme met en œuvre : ces dernières, ils les mentionnent à peine, voire pas du tout. *Résultat :* conditionner le public, quand on dit « action psychologique » ou « guerre psychologique », à penser automatiquement aux erreurs ou aux excès imputés à l'armée française, et non à l'infernale dialectique agencée par l'appareil communiste.
**2. --** Quand on vous parle du « crypto-communisme », c'est pour vous dire que l'on a le tort de le « remuer comme un épouvantail ». Mais on omet de vous préciser où il se situe réellement et si même il existe. On fait pratiquement comme s'il n'existait pas du tout ([^5]). *Résultat *: conditionner le public, quand on dit « crypto-communisme », à penser automatiquement qu'il s'agit d'une accusation calomnieuse forgée par des gens suspects ou fanatiques, et à négliger la réelle pénétration entreprise dans tous les milieux par l'appareil communiste.
6:33
**3. --** Quand on emploie la formule « *intrinsèquement pervers* », ce n'est plus pour qualifier le communisme, comme dans l'Encyclique *Divini Redemptoris* (§ 58), mais systématiquement pour l'appliquer aux maladresses ou aux excès qu'à tort ou à raison l'on attribue à la résistance. Quant au communisme lui-même, on le présente simultanément comme « un danger d'une extrême gravité », -- ce qui, par rapport à « intrinsèquement pervers », représente un fort notable adoucissement. *Résultat :* conditionner le public, quand on condamne l'emploi de « moyens intrinsèquement pervers », à penser automatiquement aux activités de la résistance anti-communiste, et non pas au communisme soviétique ([^6]).
7:33
**4. --** Quand on fait une allusion aux « nécessités de la lutte contre la subversion communiste », c'est toujours une allusion incidente ou très rapide. On ne considère point qu'il y aurait là un objet d'étude digne de retenir longuement l'attention publique. On se contente de stipuler qu'il y a « plusieurs façons de lutter contre le communisme » : sur quoi l'on condamne explicitement celles qui sont mauvaises, mais l'on ne dit rien de celles qui sont bonnes, comme s'il n'y en avait pas, ou comme si cela ne présentait aucun intérêt. *Résultat :* conditionner le public, quand on parle de « lutte contre le communisme », à penser automatiquement aux insuffisances ou aux dangers (réels ou supposés) de la résistance, et non point à l'urgence et aux moyens de résister.
**5. --** Quand on vous parle de « communistes convertis », ce n'est point d'abord pour se féliciter qu'il y en ait, ni pour rechercher comment il pourrait y en avoir davantage. C'est seulement pour élever contre eux des suspicions systématiques. En ce domaine le conditionnement s'exerce dans une double direction et conduit à un double résultat :
*a*) Parallèlement à la suspicion jetée sur les communistes convertis à la religion catholique, on met en relief les possibilités éventuelles de convertir les communistes à des formes moins violentes ou plus timides de « lutte de classe », ou à des formes plus diluées de « socialisme ». *Résultat :* conditionner le public à penser automatiquement que c'est à un communisme édulcoré et assagi qu'il faut tenter d'amener les communistes, -- et non pas à Jésus-Christ. Un tel conditionnement psychologique n'a pas été sans s'exercer parfois jusque sur certaines entreprises apostoliques et missionnaires.
8:33
*b*) On parle des communistes convertis comme s'ils n'avaient RIEN à nous apprendre, comme s'ils étaient uniquement condamnables ou gênants, et comme si l'on préférait somme toute qu'il n'y en eût point. Des hommes comme Georges Sauge, Hamish Fraser, Henri Barbé et le regretté Pierre Célor, anciens communistes devenus chrétiens, on se souvient de leur existence seulement pour insinuer contre eux qu' « ils ne sont peut-être pas les mieux placés pour dégager une position constructive ». Peut-être pas, en effet ; c'est à voir, si l'on y tient ; mais en tout cas, ce n'est pas la question. La question est d'apprendre d'eux ce qu'eux seuls peuvent nous apprendre par leur expérience de la pratique communiste qu'ils voient et jugent maintenant dans la lumière de la foi. Or on nous parle d'eux non point pour faire un examen (fût-il critique) de la connaissance du communisme qu'ils apportent, mais pour susciter une méfiance automatique à leur égard. *Résultat :* conditionner le public à ne pas écouter, sur le communisme, ce qu'en disent les anciens communistes devenus nos frères dans la foi. Comme il faut bien écouter des gens qui en aient l'expérience et la pratique, il ne reste alors qu'à écouter ce que disent les communistes non convertis. Si bien qu'en définitive, pour connaître le communisme, on se réfère habituellement à ce qu'il dit de lui-même dans sa propagande.
**6. --** Quand on vous parle de « guerre froide » contre le communisme soviétique, ou de guerre en Algérie, c'est en faisant plus ou moins abstraction des entreprises de l'ennemi, et en réclamant de notre part une volonté de « choisir la paix ». *Résultat :* conditionner le public, lorsqu'il est question de guerre d'Algérie, de guerre subversive et de guerre froide, à penser automatiquement que la guerre existe par le choix que nous aurions fait d'une « politique de guerre », et à oublier qu'il s'agit au contraire de notre résistance à une agression permanente et universelle.
\*\*\*
9:33
ON POURRAIT CROIRE que le conditionnement psycho-sociologique est d'autant plus effectif qu'il s'exerce sur des esprits moins cultivés. Mais peut-être faudrait-il s'entendre sur ce que l'on appelle la culture intellectuelle. Il est en tout cas très remarquable que ce soient les intellectuels qui paraissent les plus sensibles au conditionnement, et non pas les plus rebelles.
Les intellectuels du catholicisme, laïcs ou même clercs, n'échappent pas toujours à cette mise en condition dont tant d'intellectuels français sont à la fois les victimes et les agents.
Le conditionnement psycho-sociologique à la non-résistance a revêtu, en milieu catholique, des formes diverses au cours des quatorze dernières années. Leur trait commun le plus immédiatement manifeste concerne l'attitude à l'égard de l'Encyclique *Divini Redemptoris *: on l'a, dans un certain nombre d'esprits, estompée, frappée de suspicion et finalement comme abolie en fait.
Cette somme de la pensée, de la stratégie et de la tactique de l'Église à l'égard du communisme, où la trouve-t-on aujourd'hui ? Quand j'aperçois, dans des lieux profanes ou non, un étalage proposant des Encycliques au public, ordinairement sous la forme des petites brochures en traduction française qu'édite la Bonne Presse, je ne manque jamais d'examiner les titres. Il n'est pas rare d'y trouver *Rerum novarum* et *Quadragesimo anno,* ce qui est excellent. Mais *Divini Redemptoris,* qui est chronologiquement moins ancienne, et dont le contenu est exactement aussi actuel, c'est l'Encyclique que je vois, pour m'exprimer en termes discrets, le moins souvent. Est-ce l'effet du hasard ou le résultat d'un conditionnement ?
10:33
L'effort de conditionnement existe à coup sûr, au niveau des intellectuels et des publications imprimées. Quand on vous y parle du communisme, c'est en omettant toute référence à cette Encyclique, ou en mentionnant simplement qu'elle a « condamné » le communisme. Il est vrai qu'elle l'a condamné et qu'il est bon de le rappeler. Mais il est vrai aussi qu'elle contient tout un enseignement, sur le communisme lui-même, sur sa véritable nature, sur sa stratégie et sa tactique, et sur l'ensemble des moyens naturels et surnaturels qu'il importe de mettre en œuvre contre lui.
Directement ou indirectement, le communisme est présent et actif dans toutes les questions, dans toutes les situations contemporaines. A force d'analyser les situations et de traiter les questions en omettant sinon l'existence, du moins le contenu doctrinal et pratique de *Divini Redemptoris,* des intellectuels catholiques ont conditionné leur public à chercher habituellement AILLEURS que dans cette Encyclique des principes de pensée et d'action à l'égard du communisme.
\*\*\*
C'EST finalement l'idée même de RÉSISTANCE qui est estompée par le conditionnement que le « parti intellectuel » tente d'imposer à l'opinion française depuis quatorze années.
Quand on vous parle de « résistance », de « résistance patriotique », de « résistance à l'ennemi », c'est toujours, paradoxalement, de la résistance à un ennemi mort qu'il est question.
11:33
Quand on vous parle de « résistance au totalitarisme », ce sont des totalitarismes disparus que l'on propose à votre exécration : le nazisme allemand, le fascisme italien. On est infiniment prolixe sur leurs éventuelles ou dérisoires survivances, et simultanément bien silencieux sur l'énorme perversité intrinsèque du totalitarisme soviétique présent parmi nous.
Je sais bien : à la suite du Parti communiste, qui est l'inventeur d'un tel thème de guerre psychologique, le « parti intellectuel » accuse l'armée française de fascisme, de racisme, de nazisme. Mais le « parti intellectuel » a ses raisons, et sa grande peur qui n'est pas sans fondement. Car il s'est véritablement passé quelque chose, que le 13 mai 1958 a non point créé, mais révélé. Il s'est passé qu'en France Péguy a enfin une filiation spirituelle, et il l'a aujourd'hui. Ce n'est pas rien. Cela compte. Et cela comptera. Cette filiation spirituelle attendue cinquante ans, et qui était restée si rare parmi les intellectuels, et que le parti intellectuel croyait avoir définitivement étouffée, la voici nombreuse et ardente, et vous ne reconnaissez pas son visage ? Elle est, sans interruption depuis 1945, au poste de combat, au poste de sacrifice, au poste de solitude. Elle a grandi dans l'armée de la France. Je vous l'annonce : on en reparlera.
Le « parti intellectuel », lui, ne s'y est pas trompé, et c'est pourquoi il tire à vue sur tout ce qui bouge. Car ce qui a bougé, c'est la France, telle que Péguy en avait eu l'intuition, telle qu'il l'appela, en vain pendant un demi-siècle. Elle a, en mai 1958, soulevé la pierre du tombeau.
Jean MADIRAN.
12:33
## CHRONIQUES
13:33
### Jeanne d'Arc et les Anglais
par Henri MASSIS
L'ÉLÉVATION de Jeanne d'Arc sur les autels de l'Église a fait de celle qui ne fut longtemps que la sainte de sa patrie la gloire non seulement des Français, mais de tous les chrétiens. Ces honneurs la restituent à la Chrétienté tout entière, dont les périls ne surent pas moins l'émouvoir que les souffrances de son pays ; et son message a désormais l'éclat de la plénitude, rayonnant tout ensemble de justice et de charité. Héroïne du patriotisme le plus sain, l'ordre et la paix, les intérêts de la société chrétienne l'ont pareillement inspirée : ils ne se séparent pas dans son cœur. Comment ces sentiments coexistent dans cette âme, s'y subordonnent, s'y équilibrent et s'y accordent, c'est le signe le plus merveilleux d'une telle vocation.
Nulle, en effet, ne fut mieux instruite ni mieux faite pour « rappeler au monde, entre les feux croisés de l'Angleterre et de la France, qu'il y a une politique surnaturelle de Dieu, réellement agissante, dominant la politique des pouvoirs terrestres, et un droit chrétien qui applique et maintient la loi essentielle de cette politique, à savoir le salut des peuples par l'Église du Christ ([^7]) ». Et c'est là ce que Jeanne, guidée par le sens chrétien commun à tous les croyants de son époque, mais providentiellement choisie par Dieu, est venue manifester, une fois encore, avant que ces notions ne se fussent obscurcies et que la Réforme ne brisât l'unité spirituelle de l'Europe. Il ne fallait rien de moins que le relèvement miraculeux de la plus ancienne des nations chrétiennes pour appuyer cette manifestation de la royauté divine, dont Jeanne fut le loyal instrument.
14:33
C'est dans sa foi que Jeanne a trouvé son inspiration authentique : hors de la foi, elle reste inexplicable. Son patriotisme même s'alimente à ce « grand mystère de justice » que contient la « sainte couronne de France » et qui fait, à ses yeux, son prix et sa splendeur. C'est au nom de cette sainteté, de cette justice, qu'elle a toujours parlé, et c'est pour sauver le « saint royaume » des périls où l'autorité et l'honneur du roi du Ciel sont en jeu qu'elle acceptera les dures lois de la guerre.
Dans l'obscure division dynastique qui met aux prises les Anglais et les Français, Jeanne vient, de par Dieu même, « réclamer pour le sang royal », car rien ne saurait être dans l'ordre que le « vrai héritier » ne soit rétabli dans son droit -- et il ne s'agit pas ici de « la simple sanction naturelle que tout pouvoir établi reçoit de Dieu, mais d'une légitimité surnaturelle, d'un titre qui se fonde sur l'appartenance du royaume à la suzeraineté divine. Ce principe fondamental du Droit chrétien, Jeanne le formule dès le début de sa mission, dès Vaucouleurs lorsqu'elle déclare : « Le royaume n'appartient pas au dauphin, mais à Dieu, et cependant c'est la volonté de Dieu que le dauphin soit couronné roi et puisse tenir le royaume en commende. » Parle-t-elle aux Anglais pour requérir la paix et les convaincre de quitter le pays qu'ils détiennent injustement, c'est la même raison qui la guide : « N'ayez pas d'autre opinion, leur dit-elle, car vous ne tiendrez pas le royaume de France de Dieu : mais le tiendra le roi Charles, vrai héritier, car Dieu, le roi du Ciel, le veut » -- et combattre contre ce royaume, c'est « guerroyer contre le roi Jésus ».
Insigne prédestination, dont la pensée de Jeanne, tout éclairée de lumière prophétique, semble discerner les plus lointains, effets ! Ne dirait-on pas qu'elle est instruite des dommages que l'Anglais portera, moins d'un siècle plus tard, à l'intégrité de l'Église, comme si le sort injurieux qu'il causait à la France, sous le prétexte de la punir de ses péchés, était le signe de l'hérésie prochaine que la séparation du royaume d'Angleterre devait manifestement consommer ? Toujours est-il qu'au fond de la souffrance de Jeanne, il y a la souffrance de toute la chrétienté en perdition. Par delà la juste querelle qui la fait se dresser contre d'iniques persécuteurs, son cœur s'afflige de voir de tels désordres augmenter la force des Infidèles. Qu'elle devient donc pressante pour convier ses ennemis, avec autant de charité que de sagesse, à défendre une meilleure cause, pour les rappeler à leur véritable vocation de chrétiens, leur montrer une terre de croisade commune où étendre la foi catholique et servir selon la fidélité et le droit : « Si vous lui faites raison, leur dit-elle, vous pourrez venir en sa compagnie où les Français feront le plus beau fait que onques fut pour la chrétienté. » Car c'est la grande idée de saint Louis qui ne cesse d'animer Jeanne, soit qu'elle revendique pour la continuité de la France, soit qu'elle songe aux œuvres glorieusement dévolues à toutes les nations chrétiennes. Le plus haut idéal du Moyen Age revit en elle : idéal de perfection, d'unité, que Jeanne d'Arc incarne de façon suréminente et qu'elle oppose, en ces temps obscurs, au désir de domination qui s'apprête à diviser le monde.
15:33
CETTE FIGURE exemplaire de ce que fut et de ce que doit être l'ordre chrétien ne pouvait être mieux honorée que par le grand écrivain anglais Hilaire Belloc, car il n'en est pas qui éclaire de façon si complète ce qu'il nomme « la conscience catholique de l'Europe ». L'Europe, c'est la foi, a-t-il écrit dans le plus célèbre de ses livres ; et la pensée qui circule à travers toute son œuvre, c'est que l'Europe ne serait rien sans la foi, que sa raison d'être a été et demeure de dispenser la foi au monde. A qui prend ainsi son inspiration dans les profondeurs de l'histoire et y cherche sa philosophie, sa conduite, Jeanne devait apparaître comme le visage de l'ancienne et éternelle chrétienté, à laquelle se rattachent de droit toutes les nations baptisées. France en est une, Angleterre en est une autre, et rien ne peut faire qu'il en soit autrement. N'ont-elles pas, par ailleurs, un même fonds de civilisation commune, tout ensemble romaine et chrétienne, de pareilles traditions d'ordre, de morale et de chevalerie ? Hilaire Belloc s'élève avec raison contre les tenants du germanisme historique qui ne veulent à l'Angleterre que des origines saxonnes et barbares. Il s'est inlassablement appliqué à montrer en elle au contraire, une seconde Gaule, plus tôt séparée du tronc, mais assez nourrie de sève latine pour en garder l'empreinte à travers les âges. Aux yeux de cet Anglais catholique, Jeanne n'est donc pas le signe de ce qui divise les deux peuples, mais de ce qui peut les unir ; et il a écrit sa vie avec la même piété qu'il eût mise à écrire celle de saint Thomas de Cantorbéry, dans un même sentiment profond d'appartenance. L'auteur de *l'Europe et la foi* apporte ainsi son témoignage aux idées qui lui sont chères : il montre, par son exemple, ce que peut la communion des âmes dans une même foi et ce qui en résulte pour la compréhension universelle.
Il a fallu des siècles et de nombreuses vicissitudes pour que Jeanne cessât d'apparaître aux Anglais comme une « sorcière liguée avec les puissances infernales ». Qu'on relise l'Henri VI de Shakespeare ; et l'on verra l'idée que se faisait alors de la « hideuse diablesse de France » le peuple qu'elle en avait chassé. Ce n'est qu'en livrant son âme au démon, en usant de faux enchantements et de sorcellerie que Jeanne avait pu accomplir sa détestable mission : telle était la tradition anglaise ; et les plus folles inventions du drame de Shakespeare ne sont que le reflet de ces croyances et de ces craintes toujours, vivantes. Mais l'instinct génial du poète ne pouvait pas ne pas sentir l'ardent amour que la « sainte prophétesse » des Français portait aux hommes de son sang et le plus bel endroit d'Henri VI est celui où Jeanne s'adresse au duc de Bourgogne pour le convaincre de ne plus combattre les siens : « Regarde ton pays, dit-elle, regarde la fertile France et vois les cités et les villes défigurées par les ruineuses dévastations d'un cruel ennemi. Comme une mère contemple son enfant épuisé dont la mort ferme les yeux tendres déjà éteints, vois l'agonie de la France.
16:33
Regarde les plaies, les plaies monstrueuses que tu as toi-même faites à son sein douloureux. Oh ! tourne ailleurs la pointe de ton glaive ; frappe ceux qui la blessent et ne blesse pas ceux qui la défendent ! Une seule goutte de sang tirée du sein de la patrie devrait te faire plus de mal que des torrents de sang étranger. Reviens donc, avec des flots de larmes, laver les affreuses blessures de ta patrie ! »
Patriotisme diabolique que celui de la Jeanne d'Arc de Shakespeare (ne lui fait-il pas par deux fois offrir aux démons qui l'obsèdent « *son corps, son âme et tout *» comme le prix du salut des siens ?). Mais dans sa sombre poésie, tout éclairée de sinistres lueurs, elle garde une intensité d'accent qu'on chercherait en vain chez l'héroïne prosaïque, affublée, deux siècles plus tard, par Robert Southey, à la mode de la Révolution française. Elle fit pourtant un grand effet, en Angleterre, cette histoire froidement versifiée où le poète de Roderick prétendait rendre un impartial hommage à la passion « civique » de Jeanne. Rien de moins inspiré que ce poème dont l'auteur a prétendu bannir tout fait miraculeux, toute inspiration surnaturelle : la déesse Raison en a chassé les saintes et les anges, mais la poésie s'est enfuie du même coup.
Southey qui devait montrer plus tard une compréhension singulière de ce qui est visuellement splendide, n'obéissait alors qu'à l'idéologie voltairienne : parle-t-il des « visions » de Jeanne qu'il croit devoir les expliquer par le bruit du vent et la disposition fantastique des nuées ! Et n'invente-t-il pas de lui faire révéler, comme un secret, qu'elle ne s'est jamais rendue à la messe, à la sainte table, ni à la confession !
Cinquante ans ne s'étaient pas écoulés depuis la publication de la *Joan of Arc* de Southey que Thomas de Quincey en dénonçait la désolante platitude dans un éblouissant essai consacré au livre de Michelet qui venait de paraître. L'étrange visionnaire ne met pas moins d'ardeur à relever certaines imputations de l'historien français qui prétendait qu'à l'heure du bûcher, devant les portes de la mort, Jeanne, trompée dans son espoir, avait vacillé dans sa foi et s'était rétractée : « A-t-elle dit le mot, ajoutait Michelet, c'est chose incertaine : j'affirme, moi, qu'elle l'a pensé.
-- Et moi j'affirme qu'elle n'en a rien fait, réplique Quincey avec une indignation émouvante ; en aucun sens le mot *pensé* n'est applicable à ce cas. Ici, dit-il, c'est la France qui calomnie la Pucelle, et c'est l'Angleterre qui la défend. » Et les arguments se pressent sous sa plume, fondés non pas sur les tendances présumables de la nature, mais sur les faits connus de la matinée du supplice, tels qu'ils ont été rapportés par une foule de témoins : « Comment donc, je le demande, dit-il, comment sinon par l'effet d'une pureté égale à celle de l'or, par la noblesse incomparable de son maintien, la pauvre fille eût-elle pu briser la ligne de bataille déployée contre elle ? Comment donc sinon par sa douce et sainte attitude eût-elle arraché aux ennemis qui voyaient jusqu'alors en elle une sorcière, des larmes d'enthousiasme et d'admiration ? »
17:33
Michelet lui-même n'avait-il pas écrit qu'à ce moment, « dix mille hommes pleuraient » ; et ces dix mille hommes étaient, pour la plupart, des ennemis politiques que rapprochait la même haine. « Comment, reprend Quincey, sinon par sa fermeté, unie à un angélique charme, eût-elle poussé ce fanatique soldat anglais -- qui avait juré en témoignage d'horreur, d'apporter un fagot au bûcher et qui remplit ce vœu farouche -- comment l'eût-elle conduit a s'éloigner soudain vers une pénitence éternelle, disant qu'il avait vu une colombe sortir des cendres et prendre son vol vers les cieux ? Comment donc eût-elle jeté son bourreau au pied de tous les autels pour obtenir le pardon de la part qu'il avait prise dans cet horrible drame ? » Mais comme si tout cela ne suffisait pas encore, Quincey rapporte le dernier acte de la vie de Jeanne, le seul qui fasse foi pour elle : et il faut tout citer de ces pages, d'ailleurs presque inconnues, où l'essayiste anglais défend contre Michelet la sublime constance de la martyre : « Le bourreau, dit-il, avait reçu l'ordre d'approcher sa torche du bûcher. Il le fit, et la fumée s'éleva bientôt en masses houleuses. Un dominicain se tenait aux côtés de Jeanne. S'oubliant dans son saint ministère il ne voyait pas le danger et continuait ses prières. Et alors, quand le suprême ennemi léchait les pieds du bûcher pour la saisir, la plus noble des filles songea seulement au prêtre, à l'unique ami qui n'eût pas voulu l'abandonner, et non pas à elle-même ; lui ordonnant, presque dans son dernier soupir, de penser à sa propre conservation et, elle, de la confier à Dieu ! Cette fille, dont le dernier accent fut une manifestation d'abnégation héroïque, n'a pu prononcer le mot de *rétractation*, ni avec ses lèvres, ni dans son cœur. Non, elle ne l'a pas fait, je l'affirmerais, un mort se levât-il de la tombe pour jurer le contraire ! »
Ce merveilleux essai du singulier rêveur est, en dépit de son étrangeté, l'un des plus nobles, hommages qu'un Anglais ait rendu à l'indicible grandeur d'âme de Jeanne. Mais ce n'est pas le seul exemple que nous ayons d'un écrivain d'outre-Manche défendant cette inviolable mémoire contre les entreprises de certains historiens de chez nous. On n'a pas oublié le petit livre pertinent et malicieux qu'Andrew Lang a consacré à la *Jeanne d'Arc* d'Anatole France. Ce n'est plus ici le ton apocalyptique d'un Quincey répliquant à Michelet, mais celui de la critique la plus fine et la mieux faite pour déceler dans l'ouvrage de M. France un singulier mélange d'inventions, d'inexactitudes, de contradictions manifestes, de références à des sources qui tantôt ne disent rien de ce qu'il prétend y découvrir et tantôt nous affirment expressément le contraire, mais qui sont toutes parfaitement propres à dépouiller l'aventure de Jeanne d'Arc de tout élément merveilleux ! Tant d'efforts à rationaliser le sujet ne devait aboutir qu'à une « histoire purement imaginaire, entièrement sortie du cerveau de l'illustre écrivain » !
18:33
Et voilà ce qu'Andrew Lang démontrait par d'innombrables témoignages empruntés aux sources les plus sûres. Mais comment ne pas voir que l'érudit Anglais a la raison de son côté lorsqu'il écrit entre autres choses : « Si le grand mouvement qui a été conçu par Jeanne et qui a réussi à refouler les Anglais du bord de la Loire jusqu'à ceux de l'Oise et conquis pour la France, en quatre mois, la grande et riche région de la Champagne, constituant désormais une barrière entre les Anglais et leurs alliés bourguignons, ainsi que la Beauce, une part de la Picardie et les importantes cités de Reims, Troyes, Chalons, Laon, Sens, Provins, Senlis, Lagny, Creil, Beauvais et Compiègne : si ces résultats d'une importance extrême ont eu vraiment pour cause l'influence d'une pauvre fille « hébétée, hallucinée et dénuée de mémoire », c'est là un effet bien plus étonnant que si Jeanne avait possédé l'esprit le plus clair et le souvenir le plus infaillible ! En lui refusant ces deux qualités, on ne parvient qu'à transformer la merveille en un véritable miracle. » France ne voulait-il pas établir, par exemple, que des « personnes d'âge » avaient dû suggérer à Jeanne sa mission militaire ? Mais est-il donc plus naturel « qu'un esprit mûr et sensé ait eu l'idée de choisir une petite paysanne ignorante pour conduire les armées françaises » ? L'explication que donnait Jeanne était la seule qu'il lui fût possible de donner : elle se considérait comme un simple instrument aux mains de Dieu, comme un émissaire de la bonté divine. Et qu'il y ait, dans sa vie, des traits de prophétie, de clairvoyance, voilà ce que l'historien est contraint d'admettre, quitte à les déclarer « inexplicables ».
Le rationaliste, l'agnostique ne sauraient en effet les comprendre. Sous prétexte de la replacer dans la vie, dans l'humanité, ils se condamnent à errer, au gré des explications les plus fantaisistes ; et la mission de Jeanne prend autant de significations diverses qu'ils professent de philosophies contradictoires. Comme le dit un autre grand Anglais, G. K. Chesterton -- l'ami, le collaborateur d'Hilaire Belloc : « Tout l'art de ces respectueux sceptiques consiste à discréditer des histoires surnaturelles qui ont un fondement en racontant des histoires naturelles qui n'en ont pas. » Sans doute, la vie de Jeanne est-elle pleine de miracles ; mais en prétendant qu'il n'y en a point, ils éludent le véritable problème qui consisterait à savoir si la foi de Jeanne ne détenait pas quelque vertu d'unité et d'utilité morale dont le secret leur échappe.
19:33
QUANT à un catholique comme Hilaire Belloc, il ne se contente pas de l'assertion aveugle et a priori que les miracles n'ont pas pu avoir lieu ; il n'est pas embrasé d'une foi si adente en l'impossibilité de tout événement merveilleux ! A la lecture des témoignages, il lui est difficile de croire, en l'absence de toute preuve à l'appui, à la conspiration du mensonge ; la conviction s'impose à son esprit que des faits, si minutieusement relatés et si abondamment confirmés, ont dû se produire en effet. Et voici de nouveau, dira-t-il, « l'Européen, l'homme avant tout raisonnable, le catholique, en conflit avec le Barbare sceptique et les dogmes arbitraires et creux de son déterminisme matérialiste ». Car, à ses yeux, de tels miracles ne sont que l'ultime couronnement d'un ensemble cohérent. Il sait, par exemple, ce qu'a été la civilisation européenne au treizième siècle, ce qu'elle était encore au quinzième et ce qu'elle allait devenir après le seizième. « Les hommes du temps de Jeanne, dit-il, n'étaient pas comme ceux d'aujourd'hui aveugles aux réalités invisibles ; ils connaissaient la puissance de Dieu, de ses saints et aussi celle du prince des Ténèbres. »
Hilaire Belloc sait, en effet, que les âmes ne sont plus en contact avec la Réalité, que cet isolement désastreux a été l'œuvre de la Réforme, et que les suites n'en sont pas encore épuisées ; mais il sait aussi que « l'Europe retournera à la foi ou bien qu'elle périra ». Et Jeanne lui répond : « Il faut que Chrétienté continue. »
Henri MASSIS.
20:33
### Propos sur les mœurs
par Gustave THIBON
*Progressistes* et *conservateurs. --* Pour le révolutionnaire, le mirage de l'avenir efface les leçons du passé : l'espérance élimine l'expérience. Le conservateur cède à la tentation opposée : le souvenir des chutes et des entorses passées l'empêche de marcher vers le futur. Ainsi le premier marche sans but et le second ne bouge pas. Équilibre à réaliser : que les enseignements du passé soient comme un fanal qui dissipe les illusions, mais non les promesses de l'avenir ; que dans le conflit entre l'expérience et la foi, celle-ci l'emporte, mais de très peu -- juste assez pour se faire une alliée de sa partenaire, sans *l'épuiser...*
\*\*\*
*Politique d'abord ? --* Une organisation saine et stable de la Cité ne produit pas de miracles ; elle ne change pas grand-chose au fond impur de l'homme, mais elle a au moins l'avantage de transformer en ciment social des éléments psychologiques qui, dans d'autres systèmes, sont des facteurs d'effritement et de ruine. Il n'est pas indifférent, par exemple, que le besoin de sécurité se traduise par l'économie familiale ou par la revendication collective, que l'ambition se fraye un chemin par le travail ou par l'intrigue, que l'envie tourne à l'émulation ou à l'égalitarisme, etc.
Les structures sociales oscillent entre deux formes extrêmes : l'une, de type organique qui, par son unité et sa continuité, tend à mettre au service du bien commun des tendances trop humaines comme l'égoïsme ou la vanité, c'est-à-dire à tirer le bien du mal, et l'autre, de type idéologique, qui, par sa *centralisation sans unité,* non seulement accroît la nocivité des défauts que je viens de citer, mais arrive encore à transformer les meilleures énergies de l'individu en poison pour la Cité, c'est-à-dire à tirer le mal du bien.
21:33
-- On sait, par exemple, que dans les États asservis à l'irresponsabilité et aux routines bureaucratiques, des sentiments comme l'héroïsme, l'ambition créatrice ou l'élan religieux, ne trouvant pas d'emploi dans les cadres institutionnels, tournent presque toujours à la révolte et à l'anarchie et achèvent de perturber un édifice social bâti sans eux et contre eux.
\*\*\*
Les hommes encore affligés d'une âme (organe archaïque qui, dans la Cité moderne, tourne de plus en plus au luxe inutile et à l'infirmité) éprouvent la tentation de fuir le monde et de se réfugier dans la vie intérieure et la solitude. Solution désespérée qui n'a de valeur que dans les cas extrêmes, car c'est le climat social et l'éducation qui façonnent en partie cette capacité de vie intérieure et de solitude, et quand les héritiers de l'ancienne tradition sociale -- celle qui permet et qui cultive la solitude seront morts dans leur isolement, le monde et l'histoire appartiendront sans partage à la bête du troupeau et à ses féroces bergers. Il y a là une relation indissoluble : la vie sociale vaut ce que vaut la vie intérieure de l'ensemble de ses membres et celle-ci vaut à son tour ce que vaut la société qui les nourrit. Et c'est pourquoi, en face de la cité technologique et administrative qui se construit sous nos yeux, nous devons réagir, non en nous réfugiant dans notre coquille, mais en employant nos énergies les plus solitaires pour bâtir une cité *fraternelle* où la vie intérieure et la vie de relation se répondent.
\*\*\*
Encore un exemple de la parodie de l'éternel dans le temps. L'homme, hanté par le rêve d'une immortalité terrestre, oublie que sa vie n'est qu'un trait d'union éphémère entre le néant et l'éternité. Il met tout en œuvre pour ne pas penser à sa mort : littérature de fuite et d'évasion, divertissement, assurance contre tous les risques, narcotiques du corps et de l'âme, suppression du deuil, oubli des défunts -- autant d'écrans interposés entre ses pieds qui trébuchent et la tombe qui se creuse...
22:33
Mais, par un étrange paradoxe, en même temps qu'il se pense et se veut immortel comme individu, il néglige et laisse mourir autour de lui les entités sociales et spirituelles qui donnent un sens à sa chétive existence : les familles, les patries, les traditions, les religions, toutes les trames dont il est le fil, toutes les sources dont il est la vague. Que lui importe que les civilisations soient mortelles pourvu que l'individu soit sauvé ? Anticipation frauduleuse sur la vie d'outre-tombe où les organismes sociaux disparaîtront tandis que les âmes vivront éternellement. Mais ici-bas, c'est le contraire qui doit se produire : comme le fleuve qui demeure à travers la fuite des vagues, les collectivités sont faites pour survivre aux individus. Nos aïeux obéissaient à cette nécessité en subordonnant l'individu à la famille et à la cité et en mettant, dans tous les domaines, l'héritage au-dessus de l'héritier. En renversant le ciel sur la terre, on perd à la fois la terre et le ciel.
\*\*\*
« Dans le mélange, tout s'avilit » (Mistral). La vulgarité réside essentiellement dans le mélange. Est-ce par hasard que le mot de *distinction* s'oppose à celui de vulgarité ? La vulgarité ne distingue pas : le sens de la différence lui fait défaut, au même titre et pour les mêmes raisons que le sens de l'unité. Voyez par exemple ces hebdomadaires à grand tirage qui nous présentent, étalés sur le même plateau du faux mystère et offerts aux mêmes vains appétits, les appâts d'une vedette de cinéma, le récit d'un crime crapuleux ou des révélations de Polichinelle sur la vie intime du Pape ou telle apparition de la Vierge. Tout cela s'avale comme un cocktail et s'achève par une courte ivresse et une longue indigestion.
Mais à quoi tient ce manque de distinction (dans les deux sens du mot) ? A ce qu'on a perdu le sens de la hiérarchie des valeurs, c'est-à-dire le sens du haut et du bas lequel présuppose l'existence d'une troisième dimension, d'une épaisseur humaine, Car toute vraie hiérarchie est verticale (les mots supérieur et inférieur l'indiquent assez). Mais quand l'homme n'est plus que surface, ces mots ne signifient plus rien pour lui et s'il distingue encore les choses et les êtres, c'est d'après l'étendue et le chatoiement de leur surface et non d'après leur valeur réelle. On parle justement de « surface sociale » -- et cette expression est déjà la négation de toute vraie hiérarchie, puisqu'elle consacre l'importance de celui qui occupe le plus de place au ras du sol et non de celui qui respire le plus haut.
23:33
Et comment pourrait-il en être autrement ? Pour établir une échelle des valeurs, il faut percevoir les différences d'altitude -- et il est impossible de les percevoir au dehors quand on ne les porte pas en soi-même. Les jugements et les goûts de l'homme sans épaisseur aplatissent fatalement leur objet -- et, dans ce sens, vulgarité et platitude se rejoignent.
\*\*\*
*Technocratie, mythes du progrès et du confort,* etc. Je vois, j'entends partout des hommes qui, uniquement préoccupés de l'avoir, ne se posent jamais la moindre question sur l'être. Ils pensent -- ou plutôt ils ne prennent pas même la peine d'y réfléchir, tant la chose leur semble aller de soi -- que l'être suivra toujours : ils n'ont pas le moindre doute sur ses capacités d'assimilation et de résistance ; ils ne prêtent aucune attention à ses limites ni aux dangers d'aplatissement et d'explosion qui pèsent sur lui.
Comment expliquer cette vertigineuse inconscience ? Par l'oubli de cette évidence élémentaire que l'homme est un être fini. Ces adorateurs du progrès ne se sentent plus créatures : pour eux, l'homme est une espèce de Dieu dépossédé (aliéné disent les marxistes) *auquel il ne manque qu'une extension de l'avoir pour atteindre la plénitude de l'être :* le problème de la béatitude ne se pose plus sous l'angle de la purification intérieure, mais dans l'unique perspective du développement technique et de la révolution politique. De ce point de vue, il n'y a pas d'autre limite à notre divinité que celle de notre pouvoir sur le monde extérieur -- et l'homme, qui est déjà virtuellement un Dieu, le sera totalement lorsqu'il aura reconquis l'univers sur ce fantôme que, dans sa phase d'aliénation et de ténèbres, il appelait Dieu.
On me répondra que les technocrates et les marxistes, loin d'accorder à l'homme cette valeur divine, le traitent plutôt comme un objet matériel en faisant de lui le terrain de leurs expériences, en le soumettant à des tâches au terme desquelles il ne se retrouve plus que comme un facteur de rendement ou un élément de statistique, en violant sans cesse sa liberté et sa dignité par la tyrannie policière ou la propagande, etc.
24:33
-- Tout cela n'est que trop vrai, mais ce mépris de l'homme s'accorde très bien avec l'adoration de l'homme. L'humanisme athée a lui aussi sa dialectique du tout et du rien. Certes, l'homme est Dieu et il n'y a pas d'autre Dieu que lui, mais c'est un Dieu virtuel, enchaîné, une promesse de Dieu, un Dieu pour demain qui n'est encore aujourd'hui qu'ébauche et chaos. Il est donc logique que, dans cette grande œuvre d'auto-création de l'humanité, l'homme traite ses semblables avec la liberté souveraine d'un Dieu en face du néant -- ou, tout au moins, d'un démiurge en face du chaos -- et que l'homme informe et larvaire d'aujourd'hui soit immolé sans scrupules à l'homme-Dieu de demain.
On déplore que ces idolâtres de l'humanité n'aient ni respect ni pitié pour l'homme réel et présent : en réalité, ils ont pour lui les mêmes sentiments -- ou plutôt la même absence de sentiment -- que le sculpteur pour le marbre le la statue : qu'importent les éclats de pierre qui volent sous le ciseau pourvu que la forme idéale voie le jour ? C'est l'imitation sacrilège des sacrifices et des purifications qu'exige toute ascension spirituelle : ce marbre qui veut se sculpter lui-même, sans principe et sans modèle transcendant, fait beaucoup d'éclats et pas de statue -- et l'humanité en mal de Dieu enfante une succession indéfinie d'aujourd'hui qui pleurent au nom de lendemains qui ne chanteront jamais.
\*\*\*
*Sacrifices humains. --* Nous évoquons en frissonnant les bûchers où les Carthaginois ou les Aztèques jetaient des victimes vivantes pour apaiser la fureur des dieux. Faisons-nous mieux à présent ? Qu'il s'agisse d'idoles comme Huitzolopachtli ou Moloch ou de personnages historiques élevés au rang d'idoles comme Mahomet ou Bonaparte ou de simples idées comme la démocratie, le racisme ou le marxisme, des bouches invisibles ont toujours sucé le sang des hommes, l'esprit n'a jamais cessé d'être le parasite de la vie. Et n'est ce pas aussi le reflet tragique et grimaçant de la transcendance de l'homme par rapport au monde sensible que ce besoin indéracinable de sacrifier le connu à l'inconnu, le présent à l'avenir et la vie dans le temps, déjà si éphémère et si misérable, aux entités mystérieuses qui règnent de l'autre côté de la mort ?
25:33
Renchérir sur notre propre malheur, élargir gratuitement l'immense plaie de l'existence, jeter aux dieux avares cette ristourne sanglante sur leurs maigres dons -- quelle folie aux yeux de la prudence charnelle ! Les sacrifices humains naissent de l'accouplement monstrueux entre l'instinct qui pousse la brute vers sa proie et le sens du mystère qui prosterne l'homme devant Dieu.
Mais l'heure approche peut-être où l'homme, réduit à la platitude d'une existence parfaitement rationalisée, écartera de lui toutes les folies et tous les risques qui tiennent à son épaisseur animale et à sa profondeur divine. En attendant cet âge d'or où il ne sera plus que le comptable méticuleux de son petit bonheur temporel, il lui reste encore quelques idoles, et il sait souffrir et mourir pour elles. Mais ces idoles ne sont plus que les squelettes des anciens dieux : des étiquettes vides de sens (idéologies politiques) ou bien des chiffres sans contenu (goût de la vitesse et du record) ; l'idolâtrie glisse tout entière de l'être vers l'avoir, ou plutôt (car l'avoir pur n'est qu'un cadre vide) de la réalité vers le néant. Mort, où est ta victoire ? On peut concevoir une parodie mécanique de la victoire chrétienne sur la mort : elle consiste à rendre la vie tellement semblable à la mort que celle-ci ne trouve plus rien à tuer en nous ; une machine ne meurt pas, car elle est déjà morte -- d'une mort sans mystère et sans résurrection.
Gustave THIBON.
26:33
### Vetera novis augere
*Au sujet du mariage*
par le R.P. Roger-Thomas CALMEL, o.p.
#### I.
Quelle que soit sa condition de vie, marié ou célibataire, clerc ou laïc, homme d'Église ou homme d'État, le chrétien est tenu d'être fidèle à la Grâce. Cette proposition élémentaire du catéchisme ne souffre pas d'exception ; dès que l'on enseigne la morale chrétienne il faut avoir la simplicité de la présenter comme elle est : aussi abrupte, aussi rigoureuse, aussi déchirante qu'elle puisse paraître dans tel ou tel cas. Dès que l'on enseigne la morale chrétienne la première honnêteté consiste à dire qu'il ne faut pas pécher et que cela ne souffre pas d'exception. Pas même dans la vie conjugale. Il faut ajouter d'ailleurs qu'il est possible de ne pas offenser Dieu parce que la Grâce est toujours suffisamment donnée. *Sufficit tibi Gratia mea* ([^8]).
Sans doute, répondra le moraliste ou le prédicateur aux prises avec certaines situations extrêmes des personnes mariées ; sans doute est-il possible d'être fidèle à la Grâce ; mais à quel prix ? Dans tel ou tel ménage ce sera au prix d'une générosité héroïque pour accepter des enfants ou d'une chasteté héroïque pour pratiquer la continence. Allons-nous demander l'héroïsme à ces ménages ; sinon toujours le leur demander comme un acte à réaliser immédiatement, du moins les engager immédiatement sur le chemin de l'héroïsme ?
27:33
Il est difficile de ne pas sentir ce qu'une telle interrogation renferme d'angoisse et de pitié. Il serait injuste de dire qu'une telle interrogation procède uniquement d'un penchant pour la facilité et d'un goût pour le médiocre. Mais il est normal aussi de se souvenir que le Seigneur qui est plus pitoyable pour l'homme que jamais ne le sera un homme pour un autre homme n'a pas hésité à nous demander l'héroïsme ; non pas toujours certes comme devant être immédiatement réalisé mais toujours comme une orientation devant être choisie immédiatement. C'est sans tremblement dans la voix, sans timidité, sans appréhension inquiète de nous fourvoyer que le Seigneur a dit par exemple : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même ; qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. » Et encore : « Qui veut sauver sa vie la perd, et qui perd sa vie à cause de moi la sauve. »
Alors que faire ? Notamment que fera le prédicateur, le moraliste, le directeur de conscience aux prises avec certaines difficultés extrêmes de la fidélité à Dieu dans la vie conjugale ? Accabler allègrement ses frères à coup de préceptes évangéliques et se tenir tranquillement à l'abri, comme ces pharisiens qui *mettent sur les épaules des autres des fardeaux écrasants, alors qu'ils se gardent eux-mêmes d'y toucher du bout du doigt ;* ou bien ayant conscience de ce qu'il y a de crucifiant dans ce que demande l'Évangile est-ce qu'il va trahir astucieusement et faire fléchir la Loi ? Aucune de ces deux attitudes n'est satisfaisante. La seconde est affreuse comme un mensonge. La première exaspérante comme une dureté. La première attitude est quand même bien meilleure parce qu'elle respecte la vérité révélée et qu'elle annonce un message non falsifié. Cependant tandis que les lèvres annoncent un message véridique le cœur y contredit ; le cœur ne s'y accorde pas. Les lèvres prononcent un message crucifiant cependant que le cœur refuse ou du moins ne cherche pas à s'unir à ceux à qui on propose la Croix.
Que faire alors ? En quoi consistera l'attitude vraie ?
L'attitude vraie consistera non seulement à déclarer tel qu'il est le précepte de l'Évangile, même et surtout lorsqu'il concerne certaines personnes au vif de leur existence, mais en même temps à s'unir autant qu'il est en son pouvoir à ces personnes que l'on engage sur le chemin de la croix.
28:33
L'attitude vraie est à l'image de celle du Seigneur Jésus qui a prêché à la médiocrité humaine une morale divine et qui a livré sa vie pour que la médiocrité humaine devienne digne de Dieu. L'attitude vraie consiste à prêcher sans hésiter que, d'une manière ou d'une autre, le chrétien doit livrer sa vie et en même temps à la livrer soi-même.
\*\*\*
Au lieu de cela qu'est-ce qui arrive tout au long de l'histoire de l'Église ? Conscients avec acuité qu'il est insupportable de prêcher l'Évangile si l'on n'est pas disposé d'une manière ou d'une autre à livrer sa vie afin qu'il soit pratiqué, et d'un autre côté n'ayant aucune envie d'en passer par là, les laxistes de tous les temps ([^9]) essaient de faire croire que la morale chrétienne en général comme dans tel domaine particulier est praticable sans la Croix, sans passer par une ascèse et une vigilance douloureuse.
Les laxistes savent trop bien qu'en demandant à leurs frères de ne pas payer trop cher, ils seront eux-mêmes dispensés de faire l'appoint si leurs frères n'ont pas la monnaie suffisante.
Nous disions au début que, dans une certaine mesure, c'est la pitié pour les hommes qui pousse certains à atténuer et par le fait même à fausser l'Évangile. Il importe bien de souligner que c'est seulement dans une certaine mesure qu'il en va de la sorte. Car dans cette atténuation, dans cette déformation de l'Évangile la lâcheté a sa part et trouve son profit. On essaie d'exempter son prochain de cette lourde croix que le Seigneur lui demandait maintenant de porter parce que, par le fait même, on sera exempté de la porter à la suite.
Qu'est-ce qui arrive alors dans l'enseignement de la morale chrétienne, notamment de la morale conjugale ? Il arrive que l'exigence crucifiante du sacrement sur lequel se fonde cette morale cesse d'être perçue ou du moins d'être prise au sérieux. Que l'amour entre l'homme et la femme doive être à l'image de l'amour entre le Christ et l'Église, c'est-à-dire à l'image d'un amour crucifié, ce précepte de Saint Paul est vidé de son contenu. Si ce précepte contient quelque chose c'est bien la nécessité de la Croix, et l'appel à une vertu crucifiée. On n'en veut plus.
29:33
D'autre part, on ne veut pas le péché, car enfin on est quand même chrétien ; on n'ose pas rompre en visière avec l'Évangile ; on n'a pas l'audace de choisir résolument le péché. On invente donc toute sorte d'acrobaties pour ne pas tomber dans le péché, alors que l'on bannit l'ascèse et rejette la croix. On cherche à se persuader qu'il est possible de vivre dans le mariage sans porter la croix et cependant de ne pas commettre le péché. On invente des théories pour faire croire que l'union conjugale ressortit à la technique et non pas à la vertu. La conversion du cœur, la renonciation à soi-même, la pénitence en un mot, ne sont plus nécessaires pour pratiquer la continence. L'hédonisme conjugal ([^10]) est tranquillement qualifié de « continence non-ascétique ».
Ce laxisme de la morale conjugale nous aura valu du reste un genre de littérature ([^11]) assez nouveau chez les chrétiens, une sorte de pornographie religieuse, dont André Frossard a fait justice avec le bon sens et l'humour qui lui sont habituels. « Le sexe occupe depuis de nombreuses années une place d'honneur dans la vitrine des librairies pieuses où il se voile très légèrement de sociologie, de psychanalyse, de morale conjugale, de statistique ou de casuistique. Sorti de l'ombre où le reléguait jadis la pudeur des bien-pensants, dépouillé de son mystère et apprivoisé par l'esprit scientifique, il s'offre désormais en toute simplicité aux manipulations des psychologues, des cercles d'études et des ménagères d'action catholique... Il est toujours dangereux de nier un mystère. Or l'homme d'aujourd'hui déteste le mystère qui ralentit l'action. Il se distingue même par sa manière extrêmement courageuse et loyale de regarder les problèmes en face après les avoir posés de travers. » ([^12])
30:33
Le problème de la morale conjugale n'est rien d'autre en réalité qu'un des aspects du mystère de la croix. Tous les laxismes du monde ne peuvent rien là contre.
Quoi qu'il en soit du laxisme en matière conjugale et en toutes les matières, la morale chrétienne qui est la morale de la Croix continue d'être enseignée dans sa netteté et dans son absolu ; elle le sera toujours ; cet enseignement ne fléchira pas. A cela il y a deux raisons. Tout d'abord le magistère est assisté, de sorte que la Révélation sera toujours fidèlement et intégralement transmise à toutes les générations. *Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles.* Ensuite, ou plutôt en même temps, la sainteté fleurit et fleurira toujours dans l'Église ; notamment la communion des saints, la réversibilité des mérites, sera toujours active. Toujours parmi ceux qui entendent l'Évangile du mariage il s'en rencontrera qui seront prêts à donner leur vie si le Seigneur le demande. Et toujours aussi parmi ceux qui annoncent l'Évangile du mariage il s'en rencontrera qui seront disposés à donner leur vie quand ils engagent leurs frères à donner la leur.
C'est à cause de cette solidarité dans le Christ et dans son sacrifice qui ne sera jamais brisée, c'est pour cette raison aussi bien que pour l'infaillibilité du magistère, que la prédication de l'Évangile du mariage ne sera jamais faussée dans l'Église de Jésus-Christ.
L'histoire du Curé d'Ars raconte que, durant son pastorat, les familles d'Ars passèrent d'une moyenne de un ou deux enfants à une moyenne de six ou sept. C'est parce que le Curé d'Ars en même temps qu'il prêchait sur *la sainteté du lit nuptial* se tuait de prière et de pénitence pour ses paroissiens.
Nous disions que la morale chrétienne est une morale de la Croix. Elle est indivisiblement une morale de la Résurrection. Au cœur même du sacrifice le chrétien est sûr que son Seigneur est ressuscité, qu'il lui donne sa puissance de vaincre, qu'il lui communique sa force pour accomplir le sacrifice. La morale chrétienne est une morale de la Croix et non pas de la facilité. Mais elle est une morale possible et praticable, parce que Celui qui est vainqueur de la mort et du péché agit au-dedans de nous pour nous donner de porter sa Croix et nous entraîner vers sa gloire.
31:33
#### II.
Dans l'Église catholique qu'est-ce qu'on a trouvé de nouveau au sujet du mariage ? En quoi consistent les *nova* que l'on doit ajouter aux *vetera *? Plutôt que des choses nouvelles il semble surtout que l'on ait trouvé *de nouveau* des choses fort anciennes que l'on avait un peu oubliées. Depuis l'Encyclique *Casti Connubii* du Pape Pie XI on a repensé une fois de plus, et à l'échelle de toute l'Église, qu'il était possible de tendre à la sainteté dans le mariage et que c'était un devoir. Chose rare sans doute jusqu'à ces trente dernières années, les époux se sont mis à faire des retraites ; et les fiancés eux-mêmes. Des revues qui n'avaient pas jusqu'ici leur équivalent se sont fondées, ayant pour finalité propre la sanctification des foyers ou des femmes devenues veuves.
Ainsi l'on peut parler d'un renouveau de la spiritualité (sinon de la théologie) du mariage. Mais il est urgent que ces *nova* ne se coupent pas des *vetera.* Il est urgent que ce renouveau spirituel dans le mariage s'insère dans une tradition aussi ancienne que l'Église, sinon ce fameux « ressourcement » sera très vite tari et laissera les chrétiens sur leur soif ; à moins que le ressourcement ne se corrompe et ne donne plus que des eaux empoisonnées. Car enfin on ne saurait que perdre beaucoup et s'exposer aux pires dangers en faisant comme si l'Église commençait en 1945, en ignorant la tradition, en oubliant que l'Église est apostolique. Quels sont les *vetera* auxquels il importe de se rallier sans plus perdre de temps ? D'abord ce point essentiel que l'ascèse et la chasteté font essentiellement partie du mariage chrétien. Des mouvements comme ceux de *l'Anneau d'Or* n'ont garde de l'oublier. Mais il faut bien convenir qu'il existe une abondante littérature du mariage qui se prétend catholique et qui, avec des tours de passe-passe irritants et même sacrilèges, s'applique à *évacuer la Croix* ([^13]). La nécessité de l'ascèse dans le mariage trouve d'ailleurs son fondement au-delà de la morale. Son fondement est mystique. C'est le mystère de l'amour crucifié entre le Christ et son Église (*Éphésiens* V, 21 à 23). Tel est le premier des *vetera* qu'il faut toujours tenir.
32:33
Cette ascèse avait d'ailleurs trouvé des précisions fort pratiques grâce à l'expérience chrétienne au cours des siècles. Mieux faudrait s'en souvenir. « Ne s'aimaient-ils pas d'une tendre passion saint Louis et Marguerite de Provence, qui de consentement « se contenaient tous les jours parmi l'avent et le Caresme... et en autres certains jours de semaine, et ès végiles et ès jours des grans festes ; mesmement ès jours sollemnels esquels ils devaient recevoir le cors Nostre Seigneur ». Sur quoi le chroniqueur observe que le bon roi eut « planté d'enfans » de si saint mariage. Onze garçons et filles. Chastes mœurs ne sont point stériles. » ([^14])
Au lieu de se torturer l'esprit pour identifier la continence avec ce qu'on désigne de nos jours par le terme répugnant de « technique des relations sexuelles », les chrétiens du temps de saint Louis et même du temps de la Régence appelaient continence la crucifiante vertu qui mérite ce nom et savaient clairement que la fidélité au sacrement de mariage, et au mystère qu'il figure, peut requérir l'abstention des relations conjugales. S'abstenir vertueusement, être assez vertueux, au sens théologal et moral de ce terme, pour s'abstenir des relations conjugales, une idée aussi élémentairement chrétienne semble bien passée de mode. Et trop de foyers qui se préoccupent par ailleurs de vie spirituelle ne soupçonnent pas que cela puisse exister. Sans doute parce que toute une casuistique, et même une soi-disant formation spirituelle, les ont dangereusement fourvoyés.
Parmi les *vetera* que l'on a perdus de vue il faut signaler encore les finalités éternelles de la génération humaine. Les époux ont des enfants plus encore pour la vie éternelle que pour la vie terrestre. Si les époux chrétiens considéraient qu'en refusant coupablement de mettre des enfants au monde ils priveront du bonheur éternel des êtres qui étaient faits pour cela, si les parents chrétiens raisonnaient d'abord dans ces perspectives éternelles et non pas d'abord dans les perspectives terrestres du niveau de vie de leurs enfants, on est sûr qu'ils hésiteraient davantage à limiter coupablement les naissances, qu'ils seraient plus courageux pour transmettre la vie. On est sûr encore qu'ils auraient davantage le souci de la vocation parmi leurs enfants.
33:33
Un autre *vetera* enfin est la supériorité de l'état de consécration à Dieu.
Que dans ces dernières années les chrétiens aient redécouvert la grandeur du mariage, que ce renouveau soit porteur de promesses ce n'est pas dans cette Revue qu'on va l'ignorer ou le sous-estimer. Il reste que, précisément afin que les promesses soient tenues, afin qu'on ne dise bientôt
*et les fruits ont* TROMPÉ *la promesse des fleurs*
il importe de savoir que la grandeur du mariage est une grandeur crucifiée, de renoncer à l'impossible alliance entre le laxisme moral et la vie spirituelle, de reconnaître, avec la tradition, que le précepte de l'Apôtre sur l'amour entre les époux inclut l'ascèse et le sacrifice, un renoncement qui atteint la chair et l'esprit. Mais la vie du Seigneur et sa Béatitude se manifestent dans ce renoncement même.
Roger-Thomas CALMEL, o. p.
34:33
### « *Esprit* » (1932-1940)
par Pierre ANDREU
Emmanuel Mounier avait fait paraître le premier numéro de la revue *Esprit* en octobre 1932. L'hebdomadaire *France-Observateur* (organe laïciste rédigé et diffusé avec l'active collaboration de certains catholiques) a publié le 2 avril dernier deux pages entières sous le titre significatif : « *La revue qui a formé une génération chrétienne.* » En effet, l'importance de la revue *Esprit* fut réelle avant la guerre de 1939. Il en est de l'*Esprit* d'autrefois comme de l'*Humanisme intégral* publié en 1936 par Jacques Maritain : plusieurs de ceux qui, aux saisons de leur jeunesse, y trouvèrent une « formation » intellectuelle, voire spirituelle, sont arrivés dix ou vingt ans plus tard, c'est-à-dire aujourd'hui, aux postes d'influence sociologique, d'action et de commandement.
Telle est la seule descendance de l'*Esprit* d'avant-guerre et du Maritain de 1936 : car dans l'ordre de la pensée, on n'aperçoit plus aujourd'hui grand'chose de notable dans cette famille spirituelle ; elle n'a personne qui apparaisse capable de former une autre génération et de préparer à nouveau un avenir à son image.
Notre ami Pierre Andreu, qui connut le milieu intellectuel où prit naissance la revue *Esprit* en 1932, et qui en partagea les préoccupations et les activités, en trace un portrait où les documents anciens sont situés et animés par l'irremplaçable contexte, discret mais sûr, de ses souvenirs personnels.
J. M.
35:33
QUAND ON PARLE d'*Esprit,* on risque toujours de commettre beaucoup d'erreurs. Il n'y a pas eu UN *Esprit --* Mounier était, d'ailleurs, de cet avis, il en comptait cinq entre 1932 et 1944 -- il y en a eu plusieurs différents et même opposés. Il y a eu d'abord le premier *Esprit,* celui de 1932-1933, tout à fait intact des contaminations politiques, à peine séparé peut-être par un sens plus aigu de la misère populaire -- « la misère est passée avec son cortège de grandeurs, écrivait Mounier, en 1935, dans l'avant-propos de *Révolution personnaliste et communautaire.* Voilà la clé. Quiconque ne ressentira d'abord la misère comme une présence et une brûlure en soi nous fera des objections vaines et des polémiques à faux » ([^15]) -- des autres revues et mouvements de jeunesse, si nombreux dans ces heureuses années où tous nous appelions, sans doute maladroitement, mais avec tant de naïve confiance, l'avènement d'une révolution sociale et nationale, une révolution en même temps économique, morale et spirituelle, cette Révolution Spirituelle qui fut précisément l'un des grands thèmes de départ d'*Esprit.* A Maulnier qui avait écrit dans la *N.R.F.,* en décembre 1932, dans le *Cahier des Revendications* collectif présenté par Denis de Rougemont, « une révolution spirituelle, qui est un commencement nécessaire, est incapable de rien conquérir, de rien conclure », Mounier répondait dans *Esprit,* en déclarant qu'il contresignerait presque d'un bout à l'autre son article : « La vraie révolution n'est pas *seulement* spirituelle... elle est *aussi* (souligné par lui) et premièrement spirituelle ; elle n'en est que plus totale et sans doute plus dure. » ([^16])
Il y a eu l'*Esprit* de 1945 -- c'est souvent le seul connu de nos jours, dans lequel bien des anciens d'*Esprit* eurent peine à reconnaître, sous le masque vengeur que de jeunes recrues lui donnaient, l'*Esprit* de nos premières années, cet *Esprit* où l'on put voir Mounier, lui-même, justifier avec Merleau-Ponty et contre Monnerot, la justice politique de Staline ([^17]). Et il y en eut bien d'autres, parfois inattendus, jusqu'à celui de M. Domenach qui n'a plus guère de commun que le titre avec celui de Mounier.
36:33
Je ne parlerai, dans cette étude, que de l'*Esprit* que j'ai connu, bien, d'abord, de plus loin ensuite, de 1932 à la guerre.
NOUS POSSÉDONS un texte de Mounier -- il a été imprimé dans *Mounier et sa génération --* qui nous permet d'imaginer aisément ses sentiments à la veille de la fondation d'*Esprit :* la nécessité de faire quelque chose sur tous les plans, intellectuel, chrétien, social, s'imposait à lui.
« C'est à cette époque (Noël 1929) ([^18]), écrivait-il à une amie, pendant la guerre, que se cristallise en moi un double sentiment.
1°^ --^ le sentiment de traîner derrière soi une « nouvelle revue française » demi-morte, et derrière le « Mercure » et derrière encore l'inestimable Saumonée, qu'un cycle de création française était bouclé, qu'il y avait des choses à penser qu'on ne pouvait écrire nulle part, qu'à nous autres pianistes de 25 ans, il manquait un piano.
2° -- la souffrance de plus en plus vive de voir notre christianisme se solidariser avec ce que j'appellerai un peu plus tard le « désordre établi » et la volonté de faire la rupture.
3° -- la perception, sous la crise économique naissante, d'une crise totale de civilisation. C'est, paraît-il, un des aspects de l'économie divine qu'elle a fait du Français un fondateur de revue. Je rougirais d'avouer une aussi banale tentation si j'avais été dès l'abord possédé de l'impulsion sacrée. Mais je la souhaitais la revue nouvelle, je scrutais l'horizon à sa recherche, je ne songeais nullement à m'en occuper moi-même. Je manque communément de confiance en moi et d'aplomb pour m'embaucher dans les métiers que je ne connais pas. C'est ici que Georges Izard joua le rôle de catalyseur. Avocat et méridional, il avait par le sang une prédisposition aux deux qualités précédentes. Il m'y fit généreusement participer... »
37:33
Même s'il est exact que la première idée « militante » de fonder une revue sortit de conciliabules entre Georges Izard, Déléage et Louis-Émile Galey ([^19]), comme Galey l'a raconté à Gilbert Ganne dans l'enquête que celui-ci a menée, en 1956, dans *Arts,* il n'en reste pas moins que les noms de Mounier et d'Izard dominent la création d'*Esprit,* comme ceux de Robert Aron et Arnaud Dandieu, la fondation, en 1933, de l'*Ordre Nouveau.* Izard qui avait connu Mounier à la Sorbonne en 1927-28, alors qu'il préparait un certificat d'études supérieures de philosophie et que Mounier était « agrégatif » -- Mounier fut reçu second à l'agrégation à son premier concours, en 1929, derrière Raymond Aron -- et qui avait bifurqué ensuite sur le Barreau, était alors chef de cabinet de son beau-père, M. Daniélou, ministre de la Marine Marchande. Il avait noué avec Mounier une solide amitié qui s'était développée au cours des années 1929-1930 pendant la rédaction commune, avec Marcel Péguy, de leur *Péguy.* « Un matin d'hiver, me dit-il, à 8 heures 1/2, sur le trottoir du ministère qui était alors rue Mogador, je demande à Mounier s'il est prêt à tout abandonner pour diriger la revue. C'est de ce jour-là que date vraiment la fondation d'*Esprit.* » ([^20])
Pendant toute l'année 1931 et les six premiers mois de 1932, Mounier -- qui, depuis la rentrée d'octobre, professe la philosophie au lycée de Saint-Omer -- et Izard se donnent avec ardeur à la préparation de la revue.
38:33
Tout est à faire : en fixer nettement la ligne politique et les soubassements philosophiques, s'assurer les collaborations nécessaires à son lancement, -- en avril 1931, Mounier écrit à son maître Jacques Chevalier : « Provisoirement, pour ne pas nous marquer par des hommes qui furent compromis avec des partis intellectuels ou politiques, il faudra laisser tomber, à droite, les hommes comme Massis, à gauche, ceux qui, comme Le Roy et Laberthonnière, nous aliéneraient sans retard une bonne partie du public catholique » -- recruter les souscripteurs -- il est d'abord question de trouver 300.000 francs, Mounier se contentera finalement des 72.000 francs péniblement recueillis -- qui assureront son indépendance.
En octobre 1931, les premiers groupes d'études sont fondés. On y trouve avec Galey et Déléage, Étienne Borne, Pierre-Henri Simon, André Ulmann, Georges Duveau, René Millienne, mort en 1945 à son retour de déportation. Des aînés éminents, Jacques Maritain, que Mounier fréquente assidûment depuis deux ans, Gabriel Marcel, Daniel Halévy toujours à l'affût de ce qui apparaissait de neuf et de vigoureux dans le monde des idées, et qui publiera dans le n° 4 d'*Esprit* un article sur le livre de Curtius sur la France, Louis Massignon, dont Mounier tracera un beau portrait dans ses *Cahiers,* Berdiaeff, Ramon Fernandez, l'assurent de leur appui. Les espoirs sont grands. Il ne s'agit pas seulement de fonder une revue, mais de lancer un Mouvement, presque un parti, pourquoi ne pas écrire le mot ? car Mounier, Izard et leurs amis, pleins de foi et de flamme militante, ne repoussent pas avec horreur cette idée comme les doctrinaires de l'*Ordre Nouveau.* Mounier prendra la direction de la revue et Izard du Mouvement ; à l'un la « direction spirituelle », à l'autre « la bousculade et l'action » ; « à nous deux, nous ferons un génie », écrit Mounier à Izard.
« Si un parti se fonde à partir de nous, écrit Mounier, étant bien entendu qu'à cause de l'esprit même dont il se réclame il doit réduire ces impuretés (de l'action) au minimum, il doit cependant, parce qu'elles sont inévitables, être distinct, quoique uni... Je vois ainsi notre organisme.
*a*) La Revue, les éditions et les équipes de travail que je dirigerai avec le Comité Central et en jonction avec le mouvement...
39:33
*b*) Le Mouvement : conférences de propagande, interventions aux conférences contradictoires, candidatures éventuelles (bien que j'incline beaucoup à laisser tomber la voie parlementaire pour l'action directe sur les masses), et, en tout cas, un parti extra-parlementaire. Tu en assurerais la direction... »
Revenant plus tard sur ces espoirs, Mounier écrira, en 1936 -- et tous, nous aurions pu l'écrire -- :
« Exactement notre premier départ a fait long feu si je le rapporte à nos ambitions (car ceux qui ne les connurent pas, ceux du dehors, chaque jour s'émerveillent de l'extension et de la profondeur de notre influence). En 1932, nous voyions la catastrophe à quelques mois d'échéance, et la croissance subite d'un mouvement de jeunesse qui... » ([^21])
En août 1932 ; la revue et le mouvement, après des débats orageux où s'affronte une jeunesse passionnée, sont solennellement fondés à Font Romeu, après un congrès de huit jours. « Vous imaginez, à cet âge, écrivait Mounier pendant la guerre à une amie, quels pugilats sur les virgules et quel dosage de haute puissance allusive de chaque mot. Au bout de la huitaine, claqués, deux heures avant le train du retour, nous mettons le point final au document, que dis-je à la charte du monde nouveau. » Il y avait là Izard, Déléage, Duveau, Galey, Jan Doat, une quinzaine de jeunes gens à l'âme pure. Duveau, le sentimental Duveau, qui doit quitter ses amis avant la fin du congrès, s'en va les larmes aux yeux.
Le premier numéro de la revue paraît le 1^er^ octobre. Il comporte un beau texte philosophique « Refaire la Renaissance » dont Mounier a donné lecture à Font Romeu et qu'il a remanié et allégé pour la publication dans la revue ([^22]). Il servira, en quelque sorte de charte au premier *Esprit.* Au-delà du matérialisme qui limite l'homme et de l'idéalisme qui le mutile, Mounier cherche les voies d'un véritable *réalisme spirituel :* « Nous avons insensiblement dessiné sur l'esprit le visage d'une Personne. Entrés en communion vivante avec Elle, il nous est impossible de ne lui accorder qu'une attitude spéculative.
40:33
Notre intelligence est sortie de nous-mêmes pour aller puiser en pleine chair de l'être la nourriture dont elle fera nos esprits. Toute notre humanité, lui faisant une escorte sensible d'amours, s'est émue, à la présence multiple de cette réalité spirituelle. Les trahisons de l'esprit qui se sépare sont désormais impossibles. »
Dans la création d'*Esprit* où, nous venons de le voir, plusieurs éléments se mélangèrent, il y eut d'abord la volonté de chrétiens -- bien qu'il y eut des non-chrétiens à *Esprit --* de dénoncer avec Mounier, en termes qui ne puissent plus prêter à équivoque, les compromissions de l'Église du Christ avec l'Argent, la volonté de balayer les souvenirs d'un siècle affreux où la séparation s'était faite entre l'Église et les pauvres. Drumont, qu'on n'aimait pas beaucoup à *Esprit,* dans les derniers jours de sa vie désolée, oublié, à demi aveugle et ruiné, écrivait : « Dans cette Église que Dieu avait faite pour les pauvres, il y a maintenant trop de riches. » *Dissocier le spirituel du réactionnaire,* dissocier l'Église de ceux qui ont semblé mettre les valeurs spirituelles au service d'une politique de classe, paraît la tâche la plus urgente à Mounier, à Maritain qui l'encourage.
« Nous avons dû prendre conscience, écrit Mounier en 1935, de la compromission par ce désordre (établi), à son profit et souvent avec leur complicité, des valeurs spirituelles qui sont notre vie. Toute décision part d'un déchirement. Ce fut le nôtre. Non seulement des hommes servent à la fois ouvertement Dieu et Mammon : on peut parer un danger effronté. Mais les mots eux-mêmes que l'on croit purs cachent le mensonge et la duplicité à force de vivre parmi les hommes doubles. »
La publication de *Mounier et sa génération* a montré combien ce souci poignait Mounier. Homme du Christ, il souffre des reproches que lui fait Maritain, après le numéro 2, de ne pas affronter le combat avec le seul drapeau catholique : « Déchirement de ne pouvoir faire un pur témoignage du Christ. Une des servitudes de ce monde. Moi qui ai eu toute ma vocation intérieure tournée vers la vie érémitique, méditation, flamme intérieure, vie privée, amitié, me voilà jeté en pleine rue, condamné au travail impur et bruyant. » ([^23])
41:33
Des numéros comme ceux sur l'*Argent* (octobre 1933), la *Rupture entre l'ordre chrétien et le désordre établi* (mars 1933) où collaborèrent, à côté de Mounier, des représentants de toutes les confessions chrétiennes, des hommes comme Maritain, Berdiaeff, Olivier Lacombe, Denis de Rougemont, André Philip, Alexandre Marc, Izard, Étienne Borne, témoignent aussi de cette volonté chrétienne. Ils ont eu -- et conservent -- une importance historique. Faisant l'appel des hommes qui, avant eux, ont fait la rupture, Mounier, dans l'article qui ouvrait le numéro, *Confession pour nous autres chrétiens,* n'en voit que deux, Bloy et Péguy : « L'un venait du dehors et dans sa révolte contre le bourgeois reconnut l'ardeur chrétienne. L'autre venait du dedans et dans sa ferveur chrétienne forgea sa colère contre le bourgeois. »
Il oublie alors la grande voix de Bernanos qui la même année publie *La Grande Peur des Bien Pensants* et, pour l'adopter, Mounier et *Esprit* attendront que la guerre d'Espagne ait semblé l'avoir porté de leur côté.
La *Troisième Force* démarra un peu avant *Esprit.* Mounier note dans ses carnets à la date du 10 décembre 1932 : « Izard a trouvé un local pour la *Troisième Force.* Nous allons avancer le premier terme à trois ou quatre. Galery fait imprimer des cartes et prévoit une magnifique courbe d'adhérents. Il faut m'y faire et que l'on s'y fasse ; cela m'excite, m'anime comme un beau mouvement humain, quand je suis avec eux, mais au fond m'intéresse très peu. Je ne boude pas, j'en reconnais la nécessité, au moins l'utilité probable, mais je n'ai de liaison spirituelle avec eux que par le cœur d'Izard. »
42:33
Rapidement, un décalage se produisit entre la *Troisième Force* et *Esprit,* entre le mouvement « temporel » et la revue « spirituelle », entre Mounier qui, en trois mois, était devenu l'homme de la revue, et Izard, Déléage et Galey, plus attirés par l'action que par les lentes élaborations intellectuelles ([^24]). Dans ces carnets, Mounier rapporte, mi-amusé, mi-blessé, qu'un soir de réunion l'un d'entre eux lui dit, d'ailleurs très gentiment, en lui faisant faire demi-tour : « Allons, va faire tes méditations spirituelles. » Dès le mois de mai 1933, la rupture entre la *Troisième Force* et *Esprit* est envisagée ; elle devint effective en juillet, un éditorial commun d'Izard et de Mounier annonçant qu'Izard abandonnait toute responsabilité dans la revue pour se consacrer entièrement au mouvement, dont Mounier, d'ailleurs, restait membre. Mais, dès lors, il pose les bases d'une « communauté des amis d'*Esprit* », à laquelle, dès l'année suivante, il donnera une organisation plus structurée, en la subdivisant en groupes d'études particuliers. Je devais faire partie quelques mois du groupe d'études économiques ([^25]).
43:33
LA CRISE de la *Troisième Force,* première grande crise d'*Esprit,* reste très significative de l'attitude de Mounier à l'égard de l'engagement politique. Si Mounier n'a jamais refusé de prendre sa part des grands combats politiques contemporains, il a toujours refusé les prises de position trop particulières, surtout quand, revêtant un aspect turbulent ou improvisé, elles risquaient de compromettre sa grande œuvre, la poursuite d'*Esprit.* Mounier « socialiste » ne suivra ni Blum, en 36, ni Thorez, en 45, comme Péguy « nationaliste » n'a suivi ni Millerand, ni Poincaré. Et pourtant, en ces années, l'engagement politique va le presser comme nous tous de toutes parts. Le 6 février, le Front Populaire, la Guerre d'Espagne, Munich guettaient Mounier.
Au lendemain du 6 février, dans un court article suscité par une polémique avec l'*Ordre Nouveau,* il rompt pour la première fois nettement avec la formule « ni droite, ni gauche » qui était celle de tous les jeunes mouvements et, s'il ne se range pas encore dans le camp de la gauche, il ne cache pas qu'il le préfère beaucoup à celui de la droite :
« Nous avons écrit nous aussi : ni droite, ni gauche... Nous avons suffisamment frappé à gauche dans *Esprit,* quand il le fallait. Nous pensons seulement qu'à gauche aujourd'hui, il y a le peuple, -- non la masse, mais les millions d'hommes où vivent encore le plus généreusement, conscientes ou non, les valeurs que nous défendons ; qu'à gauche il y a, par la défaillance des gens de droite, exploité ou non, masqué ou non, le grand courant des réformes sociales ; que nous devons balayer, oui, l'énorme et écœurante pourriture de gauche, et tout un bazar d'idées de pacotille où l'on étouffe le cœur des simples, où l'on prostitue ses souffrances, ses pénibles conquêtes, ses somptueuses victoires obscures et déshonorées ;
44:33
-- mais qu'à un moment où cette moitié du monde de l'argent qui a échappé à la dernière rafle se couvre en face de l'autre d'une pureté usurpée, et entraîne d'aveugles et héroïques préjugés de classe dans une scission définitive avec le prolétariat des pauvres, il est criminel d'encourager en quelque manière la confusion par une présence, même réticente, dans leur camp. »
Pourtant, à la fin de l'année, dans une étude particulièrement importante, au contenu de laquelle il me semble être au fond toujours resté fidèle, Mounier, contre Izard et tous les politiques, demande aux lecteurs et amis d'*Esprit,* de mettre l'action politique « entre parenthèses ». ([^26])
« L'action politique, écrit-il, telle qu'on la conçoit aujourd'hui est viciée dans sa plus profonde manière d'être... Elle s'est faite insensiblement totalitaire dans ses exigences. La démocratie elle-même a développé une tyrannie de l'homme public sur l'homme privé dont les fascismes ont seulement poussé les conséquences à l'extrême. »
(Au même moment, Mounier écrit à Izard qu'il ne croit plus « aux partis et à la politique qu'ils supposent, mais à de souples organismes minoritaires ».)
Et, vingt ans avant Raymond Aron, il écrit qu'il n'y a rien de plus urgent pour un intellectuel révolutionnaire que de combattre les mythes -- mythes de gauche, mythes de droite -- qui « étouffent sous leur simplisme toute vision aiguë de l'homme et de l'histoire ».
« Le premier effort que nous demandons à nos amis est la révolution contre les mythes et, à l'égard de leurs premiers entourages, le dépouillement de leurs réflexes, soit de droite, soit de gauche. Ni droite ni gauche, la formule est des plus dangereuses sur le plan politique... Il en est tout autrement si nous entendons affirmer l'incommensurabilité des réalités humaines authentiques avec ce classement artificiel, nébuleux et contradictoire qui s'est cristallisé dans l'opposition droite-gauche. »
45:33
L'attitude réticente de Mounier devant les formes politiques de la démocratie bourgeoise -- attitude qui reparut après l'armistice, quand il se demandera, en novembre 1940, sous le coup de la défaite, si l'*Esprit* d'avant guerre, avant tout dominé par la vision du mal économique et social, n'avait pas trop négligé le « mal politique » et qu'il rendra alors hommage sur ce point à la lucidité de l'*Action Française --* ne comportait pas chez lui, comme chez Daniel-Rops, par exemple, parlant en 1933 au nom des jeunes groupements révolutionnaires, une condamnation du système démocratique tout entier. Définissant en 1935 la position d'*Esprit* par rapport aux autres mouvements de jeunesse, il leur reprochait leur « mépris habituel, distingué mais grossier pour ce qu'on appelle la démocratie ».
« On ne met pas seulement sous ce mot, ajoutait-il, le dissolvant régime d'irresponsabilité et de dépersonnalisation qui s'est insinué sous le couvert des grandes démocraties naissantes. On y comprend sans distinction l'affirmation démocratique centrale, qui n'est pas la loi du nombre, mais la revendication spirituelle de la personne et le règne du droit égal pour tous. »
On aurait pu faire observer à Mounier que, pour le premier point, il ne s'agissait plus de démocratie mais de christianisme, et pour le second, de pratiques juridiques et administratives, indépendantes de tout régime politique ou constitutionnel, comme le fera remarquer plus tard, profondément, dans ses *Machiavéliens,* James Burnham.
Mais Mounier n'était pas sans être mû, malgré toute sa philosophie, et quoi qu'il en eût, par des réflexes de gauche, réflexes fort honorables, d'ailleurs, puisqu'ils se résumaient pour lui dans la volonté déclarée de rester du parti des plus misérables et des plus démunis. ([^27])
En novembre 1935, alors que le Front Populaire a déjà largement pris son essor et qu'il le regarde d'un œil sympathique, il n'a pas perdu tout espoir de voir se constituer une troisième force issue principalement des mouvements de jeunes, mûris par plusieurs années de luttes et de réflexions.
46:33
Il ouvre dans *Esprit* une « chronique permanente pour une Troisième Force », chronique qui ne paraîtra qu'une fois, faute de collaborateurs, mais où se retrouvent Robert Aron pour l'*Ordre Nouveau,* Robert Loustau qui venait de démissionner avec éclat des Volontaires Nationaux du Colonel de la Rocque, Gérard Bardet, et Izard, le compagnon des premiers jours, venu défendre le *Front Social* fondé, en novembre 1934, avec Gaston Bergery. En attendant que cette Troisième Force soit constituée, dit Mounier, gardons le contact, à droite avec les Volontaires Nationaux délarocquisés, et à gauche : « Acceptons largement les rapprochements humains que nous offre le Front Populaire sans nous laisser compromettre par ses positions électorales ou partisanes, simplement parce que nous ne pouvons pas déserter les lieux où les opprimés mettent aujourd'hui leur confiance. »
Il assiste, en juin 1935, au *Congrès pour la Défense de la Culture.* Il note dans ses Carnets : « L'intelligence est à gauche incontestablement. » Mais il remarque aussi que le Congrès a été « dominé par le conformisme stalinien ». « Que de platitude, écrit-il, avec le grand Staline et l'U.R.S.S. infaillible. » Dans les semaines de mai 36, quand Mounier dut ressentir la joie de Péguy, en 1900, devant « la montée du faubourg Antoine », il gardera la tête froide, et, dans une très belle chronique publiée en juin, il exprime la crainte que les communistes ne dévient le grand courant populaire. ([^28])
Les sommaires d'*Esprit* de ces années m'ont toujours paru bien moins intéressants. Après la publication, en octobre 36, du *Manifeste au service du personnalisme,* Mounier et *Esprit* ont dit, pour l'avant-guerre, l'essentiel. La guerre d'Espagne tient alors une grande place dans la pensée et les préoccupations de Mounier. De l'éditorial d'octobre 36, *Espagne signe de contradiction,* au compte rendu en juin 38 des *Grands cimetières sous la lune* où il salue en Bernanos le « dernier-né des prophètes chrétiens de langue française », Mounier ne cesse pas de suivre, pas à pas, le calvaire sanglant de l'Espagne.
47:33
Dès les premiers jours, il a pris ardemment parti, comme José Bergamin, comme le correspondant général d'*Esprit* en Espagne, Semprun Gurrea, pour le gouvernement républicain espagnol. Dans le premier article d'octobre 36, il écrit : « Nos amis (espagnols) se trouvaient devant une situation simplifiée : côté rebelle, la répression assurée, l'écrasement du peuple et de la culture, dans le respect extérieur du spirituel. Côté gouvernemental, de gros risques, mais des chances sérieuses de greffer un jour notre inspiration après les drames désormais inévitables. » ([^29])
A partir de 1937-38, les jeunes mouvements se répètent, marquent le pas ou disparaissent. En 1938, une enquête de Xavier de Lignac (Paul Chauveau), *la France attend sa jeunesse,* montrera que les jeunes se détournent de l'activité politique ou, pour une faible partie, ont rejoint les grandes unités combattantes du fascisme et de l'antifascisme. En 1938, après l'échec du Front Populaire, Mounier envisage même une action politique autonome d'*Esprit,* dont il confie la direction à P. A. Touchard, à travers un organe créé exprès pour cela, le *Voltigeur.* « Si nous ne voulons ni déserter l'action politique ni nous satisfaire de quelques collaborations isolées avec les grands partis décadents, dit Mounier au congrès d'*Esprit* de Jouy-en-Josas, en juillet 38, il ne nous reste qu'une issue : sans exclure systématiquement ces collaborations, mener notre action politique propre avec des moyens appropriés. »
Ce fut un échec ; comment aurait-il pu en être autrement ? L'époque n'avait pas besoin de *voltigeurs,* de francs-tireurs intelligents. Les événements de Munich divisèrent profondément les groupes d'*Esprit* et, la majorité du mouvement ayant pris, avec Mounier, une attitude antimunichoise, contribuèrent à accélérer, par un paradoxe de ces temps bizarres, le gauchissement d'*Esprit.*
48:33
*Lendemains d'une trahison,* écrivait Mounier, en octobre 38 : « Le 20 septembre 1938, l'effondrement a révélé le mal. Ce jour-là, un pays qui jouait un sursis de réputation sur saint Louis et Vincent de Paul, la chevalerie et les soldats de l'an II, sur les croisades et 48, s'est retiré le droit à son héritage, jusqu'à ce qu'il le reconquière à la force d'une nouvelle histoire. » ([^30]) François Goguel a noté que, dans cet article où il fustigeait si durement les hommes qui avaient abandonné la Tchécoslovaquie à Hitler, Mounier se prononçait, dans sa conclusion, pour le désarmement.
« Dernière séquelle des illusions pacifistes », écrivait-il, ajoutant -- mais ne passait-il pas un peu vite sur une grave inconséquence politique, inconséquence que Mounier partageait avec l'opinion anti-fasciste presque entière -- que là n'était pas l'essentiel et qu'il ne fallait pas y attacher trop d'importance ? Mounier écrivait, d'ailleurs, alors, dans *Temps Présent :* « Ce qu'il faut aujourd'hui à la France, ce ne sont pas des solutions, même révolutionnaires, c'est une conversion, un réveil spirituel des caractères. »
Le dernier numéro d'*Esprit,* paru en août 39, laissait prévoir la catastrophe. Une courte note, imprimée au dernier moment, appelait les membres de ses groupes et les abonnés de la revue à ne pas se laisser disperser par la guerre.
La pensée d'*Esprit* pendant la drôle de guerre -- que nous étions alors proches les uns des autres dans l'espoir merveilleux de la victoire -- ne fut pas très originale.
49:33
Sous le choc de la guerre et de la trahison communiste, les gens d'*Esprit* se livrent à un examen de conscience collectif. En mars 1940, Jacques Madaule écrit : « Une sévère révision du vocabulaire politique s'impose. Je ne parle pas seulement de la droite et de la gauche... mais des positions qui étaient prises depuis quelque 150 ans en fonction de la Révolution française ; il nous faut aujourd'hui les infléchir en fonction d'une autre révolution qui a commencé en Russie en 1917 et qui s'est poursuivie en Italie en 1922 et en Allemagne en 1933. »
Mais ce n'est pas le moment de parler de cet *Esprit*-là.
Pierre ANDREU.
50:33
### NOTES CRITIQUES Un livre du R.P. Roger-Thomas Calmel : L'école chrétienne renouvelée
Le R.P. Calmel vient de publier un ouvrage sur l'éducation des filles ([^31]) dont nous pouvons conseiller la lecture à tous ceux que la question intéresse comme maîtres, maîtresses ou comme parents.
Car avec la meilleure volonté du monde, les uns comme les autres subissent les effets de la société dans laquelle ils vivent et dans cette société l'enseignement est dirigé de manière à leur faire oublier les fins de l'homme ; il est dirigé uniquement vers un savoir utilitaire d'où sont éliminés tous les aperçus que l'histoire et l'art peuvent fournir sur les misères, les angoisses, les préoccupations morales de l'homme, d'où est éliminée non seulement la recherche mais l'idée même d'une *sagesse.* Les religieux, les religieuses et les prêtres eux-mêmes qui prennent leurs grades à Paris apprennent une histoire d'où est éliminé le rôle de l'Église dans notre civilisation, ou bien où l'Église est considérée seulement comme un pouvoir politique. Notre littérature leur est présentée non pas comme la réaction de grands esprits devant les problèmes de la destinée (et cette réaction est généralement chrétienne), mais comme une histoire littéraire. La psychologie y est traitée de l'extérieur, comme si elle dépendait du moment, du milieu et d'une évolution historique et non de la liberté humaine. Ils croient vraie une histoire faussée par les passions antireligieuses, ils croient connaître un art, une littérature dont on prend soin d'éliminer le sens profond. L'antiquité elle-même n'est guère envisagée que du point de vue esthétique ou archéologique ; on n'insiste guère que sur le côté rationaliste de la pensée grecque qui se trouve ainsi profondément déformée.
Si bien que parents et maîtres sont habitués à faire deux parts de l'existence ou de l'éducation : le savoir proprement dit qui est censé partout le même, et peut être distribué partout de façon identique ; la vie chrétienne, qui est d'un autre ordre.
51:33
Or ce qu'ils pensent du savoir n'est vrai que pour la quantité, l'arithmétique, la règle de trois ; ce n'est plus vrai pour les sciences naturelles, car elles sont bourrées d'hypothèses qui toutes ont, qu'on le veuille ou non, une base intellectuelle qui se ramène à ce qu'on appelle une métaphysique. Quand ce présupposé philosophique reste inconscient, ou bien est caché dans l'enseignement, il aboutit facilement au scientisme, c'est-à-dire à une conception très fausse de l'esprit de l'homme et de la valeur de la science ; c'est l'origine d'un divorce entre la raison et la foi qui trouble beaucoup de jeunes consciences alors qu'elles ont tant à faire pour sauver leur liberté morale.
Il est donc excellent qu'un livre paraisse qui rappelle aux chrétiens la vraie fonction de l'enseignement pour des hommes complets.
\*\*\*
Pourquoi sur l'enseignement des filles ? Cela a été dit récemment dans cette revue même ([^32]). La femme est l'éducatrice du genre humain. Tous les hommes en dépendent à peu près complètement jusqu'à l'âge de huit ans ; une éducation manquée à cet âge l'est sauf rarissimes exceptions pour toute la vie. Il est donc nécessaire de préparer spécialement les jeunes filles à cette tâche qui est complémentaire de celle des hommes et non semblable ; ce qui est de plus en plus négligé puisque les filles reçoivent maintenant le même enseignement que les garçons. Écoutons le R.P. Calmel.
Il dit dans son Introduction :
« *Depuis un demi-siècle bien des recherches ont été faites sur la psychologie de l'enfant... bien des théories ont vu le jour en matière d'éducation, justes ou erronées, compliquées ou simplistes. L'auteur ne les ignore pas tout à fait. Cependant, sans méconnaître le vif intérêt qu'elles présentent il a cru devoir s'attacher à un objet plus fondamental, à des vérités traditionnelles qui paraissent frappées de discrédit, sinon tombées dans un oubli très injustifié et dont les enfants sont les premières victimes. On semble oublier en effet le primat de l'objet, l'inégale dignité des objets du savoir, la hiérarchie qui doit régner entre eux et leur intercommunication harmonieuse, la nécessité de donner aux enfants une véritable culture, quel que soit leur milieu, enfin la place que doit tenir le docteur commun saint Thomas d'Aquin.* » Enfin : « *On ne saurait trop insister chez les maîtres et les maîtresses sur la nécessité capitale de la vie intérieure, à la fois au sens intellectuel et spirituel.* »
52:33
Ce livre est divisé en trois parties. La première traite des principes. Il répond aux objections courantes et aux solutions paresseuses, comme celle qui consiste à adopter l'enseignement de l'État pourvu qu'il y ait à côté de bons aumôniers et un bon enseignement cathéchistique :
« *La solution de bons aumôniers, de curés excellents, de chrétiens actifs dans le corps professoral ou même d'une J. E.* C. *dynamique est certainement insuffisante. Car c'est une nécessité pour les baptisés de recevoir une éducation appropriée à leur dignité et à leur vocation, et donc c'est une nécessité pour des chrétiens d'avoir des institutions chrétiennes d'éducation et d'enseignement *; *de telles institutions appartiennent à la nature même du christianisme. Si elles sont rendues impossibles ou très difficiles on a raison de chercher des palliatifs *; *ils ne sont tout de même que des palliatifs ; et il faut tout faire pour revenir à l'institution naturelle... Car c'est une illusion mortelle d'abolir ou de laisser perdre, sous prétexte que la réalisation est imparfaite, ce qui est dans la nature des choses ; c'est assurément le cas de l'école chrétienne. Non seulement elle est dans la nature des choses, mais elle se tient en étroite liaison avec la structure même de l'église. Le droit canonique l'affirme. L'Encyclique* Divini illius Magistri *le proclame.* » « *Les catéchismes, les groupements d'Action catholique, tout cela est nécessaire et louable, mais ne dispense en rien d'avoir des écoles chrétiennes.* »
L'Action catholique des femmes est certainement, d'abord, la formation de petits chrétiens dans son propre ménage. C'est à elles de maintenir l'habitude, de préparer l'occasion facile de la prière en commun, qui est le fondement de la famille et la base de la formation du corps mystique du Christ. Nous nous demandons s'il y a besoin d' « orienteurs » pour déceler la vocation d'une fillette à être mère de famille.
L'enseignement pour les petits Grecs du temps des guerres médiques avait pour base l'Iliade et l'Odyssée. C'est uniquement dans ces livres qu'ils apprenaient l'amour de leurs ancêtres, la grandeur du sacrifice pour la cité et la piété telle qu'ils la comprenaient, envers des Dieux dont la conduite leur paraissait pourtant fâcheusement fantaisiste ou indéchiffrable. Le petit Juif n'avait lui aussi qu'un livre, l'Ancien Testament, histoire de son peuple et prophéties sur son rôle. L'incomparable supériorité de la Révélation en Israël ne doit pas nous cacher qu'avec les moyens dont ils disposaient, les Grecs avaient la même unité dans la formation de la jeunesse que les Juifs ; un livre national, une éducation destinée à en faire des citoyens actifs et pieux.
53:33
A cette lumière, notre enseignement est absurde au plus haut degré. C'est un scandale psychologique et pédagogique de voir l'enseignement destiné à former l'esprit des petits chrétiens complètement séparé de ce qui doit faire leur vie morale ; un scandale que l'Écriture Sainte ne fasse pas partie de l'enseignement ; qu'on traduise du Cicéron et qu'on n'explique pas S. Paul ; c'est le signe d'un aveuglement diabolique. Or cet aveuglement est aussi celui des maisons d'enseignement religieux. Le R.P. Calmel n'en cache pas les défauts : « *S'il est vrai,* dit-il, *que la finalité de l'école c'est de préparer à la vie en communiquant la vérité,* on *ne peut pas ne pas souffrir en voyant l'école chrétienne insuffisamment préoccupée de communiquer la vérité... Pour un petit chrétien et une petite chrétienne, un établissement scolaire dans lequel le Seigneur Dieu est écarté par principe de la formation de l'esprit et de la conduite de la vie est sans conteste possible une institution scandaleuse.* » Le R.P. fait ensuite un chapitre sur « *le moyen d'enseigner chrétiennement les matières profanes* ». Il dit pourquoi c'est nécessaire : « *En classe de français, de langues anciennes et vivantes, d'histoire et* de *sciences, la maîtresse, le maître seront chrétiens à la condition d'être pourvus non seulement d'une doctrine théologique, mais aussi d'une philosophie chrétienne de l'homme ; cela importe autant, en un sens encore plus, que la théologie ; car il est une foule de questions* d'ordre naturel et non pas révélé, *mises en cause par les écrivains, par l'histoire et par les sciences...* » (nous résumons) dont la solution juste dépend d'une vue chrétienne de la place de l'homme dans la nature et de sa fin.
\*\*\*
A notre avis, il faudrait récrire la *Cité de Dieu* de S. Augustin, non certes pour critiquer ce qu'il a dit de la cité de Dieu elle-même ; ce sont là des pensées définitives. Mais son livre a été écrit contre les païens de son temps qui accusaient le christianisme de la chute de Rome, alors que l'empire romain s'était condamné dans la pensée divine par sa persécution du christianisme. S. Augustin montre donc toutes les absurdités, les contradictions et les erreurs du paganisme. Or l'étude de l'Antiquité dans nos écoles devrait montrer que le temps de l'Attente que nous célébrons dans notre Avent et dont les prophètes Juifs sont les hérauts, présente un aspect païen, Toute l'humanité a participé à cette attente.
54:33
Les traces en sont nombreuses et manifestes dans l'art, dans la poésie, dans les livres historiques des grands païens. Et on peut dire que la préparation au christianisme s'y est faite petit à petit, comme en Israël ; que des grâces préparatoires à la foi, de plus en plus lumineuses, y ont été répandues par Dieu. La pensée d'Homère, par exemple, est bien moins pleine d'espérance que celle des tragiques grecs. Sans doute on ne peut rechercher le beau et sa grandeur comme Homère l'a fait sans l'unir dans son âme à la cause finale, qui est le bien ; il subsiste donc dans la poésie d'Homère une espérance fondamentale, don de Dieu qui n'a jamais manqué à l'humanité. Mais les tragiques nous montrent une loi morale divine et Eschyle nous montre le salut comme venant de la divinité, ce qui constitue l'essence même de l'Église. Sophocle parle des lois divines non écrites ; dans l'admirable mythe de Prométhée, Eschyle montre un Dieu souffrant pour l'humanité ; il a dérobé le feu du ciel et l'a donné aux hommes. Son héros déclare aux Océanides venues le consoler (comme les filles de Jérusalem sur le chemin de la Croix) : « J'ai eu pitié des hommes... par moi les hommes ne désirent plus la mort. -- Quel remède leur as-tu donné contre le désespoir ? -- J'ai placé en eux l'espérance aveugle. » Eschyle est un prophète du paganisme ; la réalité historique contenue dans les œuvres de l'antiquité mène au christianisme ; elle est cachée à notre jeunesse ; Le Christ a accompli l'espérance de l'humanité tout entière, et non pas celle des Juifs seuls. Or la manière d'envisager cette histoire qui est la nôtre n'est nullement contraire à celle de S. Augustin qui écrit dans ses Rétractations : « Ce que nous appelons l'Église a toujours existé. » Pourquoi ce travail ne tenterait-il pas le R.P. Calmel ? il est éminemment apostolique et manque à notre temps.
\*\*\*
Dans la seconde partie, l'auteur établit l'ordre du savoir pour les filles (p. 49), montre de quelle manière il faut enseigner la doctrine chrétienne. Enfin il donne des exemples de lectures expliquées ; après l'histoire d'Abraham, il commente celle d'Achille et de Priam. Quand j'étais enfant, mon père, le soir sous la lampe, nous faisait lecture des beaux passages de l'Iliade. J'étais l'aîné, et à l'âge où on apprend « ses départements », huit ou neuf ans, et j'intervins dans la lecture pour demander. « Troie, c'est le chef-lieu du département de l'Aube ? » J'entends encore la voix de mon père (Dieu ait son âme) répondre :
55:33
« Mais non ! mon petit garçon. » Toutes explications reçues, j'étais un peu déçu de ce que de si belles histoires n'aient pas eu lieu en France. Car nous aimions chèrement notre patrie en ce temps là, non pas contre les autres, mais dans un grand élan d'amour pour la famille où Dieu nous avait fait naître, avec reconnaissance pour tous les bienfaits accumulés au cours des âges par nos ancêtres, qu'ils soient le bon berger Jean de Brie ou S. Louis ou Jeanne d'Arc. Nous aimions puiser dans toutes les histoires nationales, en Homère comme dans le livré des Macchabées l'esprit de sacrifice qui est la gloire de l'amour.
Ce qui ne se fait pas ou ne peut se faire dans la famille, l'école doit en prendre soin. A notre grande joie, l'auteur fait une grande place à Péguy, à Claudel. On n'est pas accoutumé à voir donner leur vraie place, qui est très haute, à ces grands hommes.
\*\*\*
Ce livre est donc excellent. Nous croyons qu'il faudrait ajouter aux exercices essentiels d'une école chrétienne l'étude de la prière de l'Église. Elle est faite pour l'instruction complète du commun des fidèles, davantage que S. Thomas d'Aquin. Ce dernier, même chez les prêtres, ne touche qu'une élite. Pourquoi ne pas expliquer le samedi la messe du Dimanche ? Nous l'avons fait avec fruit dans une école primaire pendant une vingtaine d'années. Cette explication de textes convient à tous les âges. Beaucoup de chrétiens âgés ignorent le sens même des mots qui sont employés dans nos offices et le clergé n'a aucunement l'air de s'en douter. Il m'eût fallu trois quarts d'heure, nous avions seulement une demi-heure. Les autres jours de classes, cette demi-heure se passait à apprendre à chanter ; le chant grégorien d'abord. Le chant est l'art social par excellence. Quant à l'office c'est, dit Péguy, de la « théologie détendue ». Et même, comme il le dit de son œuvre, l'office atteint « à ces profondeurs où la liturgie et la théologie, c'est-à-dire la vie spirituelle et la proposition spirituelle ne sont pas encore distinguées... où l'image et l'idée sont jointes encore d'une liaison elle-même charnelle et non encore résolue. » En d'autres termes, l'office atteint cette région de l'esprit où la pensée, à son origine même, n'est pas encore différenciée en langages particuliers, en formules verbales, mais riche en même temps de tous les autres moyens d'expression.
Or dans un excellent cours secondaire tenu par des religieuses qu'on peut qualifier d'éminentes, les élèves ont une demi-heure de chant par semaine et il n'est pas question d'étudier l'office.
56:33
On est tenu dans les classes où l'examen approche à un emploi du temps très serré ; mais dans les autres ? Est-il impossible de trouver une demi-heure par jour pour cette formation essentielle ?
Les maisons religieuses sont prises entre les programmes de l'État et l'inconscience des parents qui désirent bien que leurs filles soient chrétiennes le dimanche, mais qu'elles soient instruites comme au lycée, comme les garçons, pour les mêmes examens et les mêmes métiers, sans prendre garde que tout l'enseignement est dirigé contre leur foi et contre une conception chrétienne de la vie et de la société.
\*\*\*
Le livre du R.P. Calmel, après avoir montré aux maîtres de l'enseignement libre comment ils peuvent enrichir leur enseignement de la substantifique moelle de la pensée chrétienne, peut amener les parents chrétiens à comprendre que depuis cent cinquante ans un État tyrannique les oblige à donner à leurs enfants une formation d'où est éliminée la vertu du christianisme. Depuis cent cinquante ans ils sont captifs à Babylone et ne savent même plus réclamer sérieusement contre leurs chaînes. La France est le seul des pays soi-disant libres où l'enseignement soit pratiquement un monopole d'État, où l'établissement des programmes soit confié à des fonctionnaires sans que les professeurs de l'État eux-mêmes aient aucun droit à dire leur mot, où la collation des grades est en définitive, par ce biais, un monopole du pouvoir politique.
Puisse ce livre sur *l'École Chrétienne renouvelée* leur faire comprendre ce qu'est un enseignement chrétien et les pousser à défendre énergiquement leurs libertés. « Quand Dieu délivrera son peuple captif, Jacob sera dans la joie et Israël sera dans l'allégresse ».
Henri CHARLIER.
Il est bon que les jeux même aient quelque touche de christianisme ; nous dédions aux maîtresses des petits âges cette comptine que nous avons entendue sur l'autre rive de l'Atlantique, là où les vents et les flots amenèrent Jacques Cartier. De petites filles débutaient en quelque jeu et pour désigner celle qui devrait « s'y coller » elles chantaient :
*Bell' pomm' d'or, à la révérence,*
*Ya qu'un Dieu, qui habite en France,*
*Oui, mes amis, la guerre est finie,*
*Bell' pomm' d'or, ze te zette dehors !*
57:33
#### Sainte Jeanne d'Arc et saint Joseph artisan dans nos missels.
Lors de la béatification de Jeanne d'Arc, en 1908, saint Pie X nous adressait, à nous Français, ce message :
« Vous direz aux Français qu'ils fassent leur trésor des testaments de saint Rémi, de Charlemagne et de saint Louis, qui se résument dans ces mots si souvent répétés par l'héroïne d'Orléans : VIVE LE CHRIST QUI EST ROI DE FRANCE. »
La fête de Jeanne est le 30 mai ; la solennité, le dimanche qui suit le 8 mai.
Le peuple chrétien trouve (ou ne trouve pas...) dans son livre de messe -- qui est souvent son seul livre religieux -- la signification des fêtes anciennes et nouvelles de l'Église. De brèves notices, parfois denses, parfois vides, donnent (plus ou moins) au fidèle cette signification. Les nouveaux missels sont généralement attentifs à instruire, expliquer, commenter, considérant à juste titre que la liturgie est maîtresse de vie intérieure, éducatrice de la foi, de l'espérance et de la charité.
Lisons donc notre missel.
\*\*\*
1. -- Le Missel d'Hautecombe ([^33]) nous dit que « *Jeanne se montre toute jeune ce qu'elle sera toute sa vie.* »
A savoir : « *une âme simple, courageuse, humble et pieuse* ». Voilà en tous cas qui est très certain : car on peut en dire autant de tous les saints canonisés. On n'a point vu canoniser d'âme impie, orgueilleuse, lâche ou vaniteuse.
58:33
« *Elle entend des voix d'en haut qui lui donnent une mission* », mais on ne nous dit pas laquelle. « *Elle part et délivre Orléans assiégée par les Anglais qui occupent presque toute la France ; nous sommes en mai* 1429. *Celle qu'on appelle* « *la Pucelle d'Orléans* »*, après plusieurs victoires sur l'ennemi, conduit Charles VII à Reims où il est sacré roi. Peu après, les Anglais s'emparent de Jeanne et la font condamner à Rouen par un tribunal ecclésiastique après un procès inique au cours duquel Jeanne fera en vain appel à Rome et proclamera sa fidélité à l'Église. Le* 30 *mai* 1431, *elle expire sur le bûcher en clamant le nom de Jésus.* »
La formule selon laquelle elle fit « en vain appel à Rome » est malencontreusement équivoque ([^34]).
Mais surtout, la SAINTETÉ de Jeanne est absente de la notice. Le texte de l'oraison de la messe précise que Jeanne fut « suscitée merveilleusement par Dieu pour défendre la foi et la patrie ». En quoi donc a-t-elle défendu la foi ? La notice l'ignore.
On se souvient qu'il fut très justement reproché à l*'Histoire de France* de Jacques Bainville l' « insuffisance, du point de vue religieux, des chapitres consacrés à Jeanne d'Arc et aux Croisades ». Nous avons relu les pages de Bainville sur Jeanne (pages 114-115 de la 300^e^ édition) : l'insuffisance est manifeste. Et pourtant, la sainteté de Jeanne en est *moins absente* que de la notice du missel d'Hautecombe.
2. -- Le Missel de Maredsous ([^35]) est rapide :
« *L'humble bergère de Domremy reçut du ciel la mission de délivrer la France de l'invasion anglaise. Prisonnière après sa victoire, elle fut brûlée vive comme hérétique* (30 *mai* 1431). *Elle est la patronne secondaire de la France.* »
(La mission de Jeanne, c'était en somme, si l'on ose dire, « politique d'abord ».)
3. -- Le Missel du P. Morin ([^36]) s'exprime en ces termes :
59:33
« C'est au pape Pie XI que nous devons, depuis le 2 mars 1922, d'avoir pour protectrice cette jeune fille qui est une des gloires les plus pures de la France. Elle en refait l'unité, après lui avoir rendu l'espérance en des heures tragiques. »
Où est la sainteté ? où, la mission ? de quelle nature ? politique d'abord ?
Les lignes suivantes sont trop vagues pour vraiment compléter les précédentes :
« *La messe chante le triomphe de la grâce de Dieu, le triomphe de la faiblesse quand Dieu l'habite. Le chant de communion fait allusion à sa paix devant la mort sur le bûcher de Rouen,* 30 *mai* 1431. »
Interprétation curieusement restrictive du chant de communion (Ps. 22, 4).
Dans son *Missel vespéral et rituel en gros caractères* ([^37]) le P. Morin a placé une rédaction bien meilleure :
« *En permettant à une jeune fille de chez nous de sauver la France, Dieu a montré son amour, et voilà pourquoi la messe débute par des hymnes de reconnaissance. Ce qui a frappé, chez Jeanne, c'est sa sagesse toute surnaturelle, due à la fidélité au Saint-Esprit, et c'est ce que dit l'Épître.* Ce *sont aussi sa force, son courage, sa fidélité au Christ, qui amenèrent sa mort.*
*L'Évangile nous affirme la valeur de ce don de soi. Jeanne a fait honneur à l'Église, elle a fait honneur à son pays, c'est ce que nous affirment les chants de la messe.* »
4. -- Le Missel de Dom Gérard ([^38]) se contente de donner sa langue au chat ; on ne comprend rien à toute cette histoire, dit-il en substance :
« *Ce n'est pas en vain que l'on parle du* « *mystère de Jeanne d'Arc* », *car rares sont les vies où les voies de la divine Providence apparaissent aussi étonnantes et aussi impénétrables.* « *Le mystère de Jeanne d'Arc demeure humainement inexplicable* »*. Qu'il suffise ici de rappeler simplement quelques dates de sa vie. Sainte Jeanne est née en* 1412 *à Domremy, dans les Vosges. En* 1429 *elle inaugure, à Orléans, sa mission de sauver la France. Le* 30 *mai* 1431 *elle est brûlée vive à Rouen. En* 1909 *elle est béatifiée et en* 1920 *canonisée.* »
60:33
Que la destinée de Jeanne d'Arc soit « humainement inexplicable », c'est vrai, et c'est ce qu'il convient de dire à celui qui voudrait l'expliquer par des considérations seulement psychologiques, politiques, militaires. Cette remarque, utile dans un tel cas n'a en revanche aucun sens dans un missel : car c'est tout le contenu du missel qui est HUMAINEMENT INEXPLICABLE. Dire cela dans un livre de messe, c'est donc très exactement ne dire rien. Ou faudrait-il entendre que la destinée des autres saints est, elle, humainement explicable ?
Quand on ne sait pas quoi dire, il vaut mieux ne rien dire, comme fait le même missel pour saint Joseph artisan (voir infra).
Autre rédaction dans une autre édition ([^39]) :
« *Née à Domremy, Jeanne quitta sa famille pour obéir aux révélations célestes qui lui ordonnaient de libérer la France de la domination anglaise. Faite prisonnière et livrée aux Anglais, elle fut brûlée vive le* 30 *mai* 1431. »
5. -- Le Missel biblique ([^40]), comparé à tout ce qui précède, est excellent. La comparaison suscite en sa faveur enthousiasme et reconnaissance. Voici sa notice sur Jeanne :
« *Si Jeanne d'Arc* (1412-1431) *est la Sainte de la patrie, c'est sans doute parce que sa mission historique a été décisive dans la destinée de la Nation française --* « *l'an mil quatre cens vingt et neuf reprint à luire li soleil* » (*Christine de Pisan*) *-- mais surtout parce qu'elle a réalisé sa vocation dans le service de la patrie, comme d'autres l'ont fait dans l'évangélisation des païens ou le service des pauvres.*
*Fille de l'Église et fille de France, Jeanne* « *fille de Dieu* » *comme l'appellent ses Voix, tient toute dans cette double appartenance. Fille de France, elle ne se contente pas de donner sa vie pour* « *bouter* » *l'ennemi hors de ses frontières, elle a près de sa patrie une mission surnaturelle, elle parle au roi au nom de* « *son Seigneur le Roi du ciel* »*. Fille de l'Église, elle sait que* « *c'est tout un de Notre-Seigneur et de l'Église* », *et elle jette à la face de ceux qui la condamnent le cri de la suprême fidélité :* « *J'en appelle à notre saint père le pape qui est à Rome* ».
*De Domremy à Orléans, d'Orléans à Reims, de Reims à Rouen, un seul amour la guide :* « *Jésus, Maria* »*.*
61:33
*Les textes de cette messe :*
*-- évoquent les grands gestes de Dieu dans l'histoire de son peuple : la délivrance des Hébreux par Moïse* (*chant d'entrée : Exode* 15), *la victoire de Judith sur Holopherne* (*chants de méditation et de l'offrande*)*, le retour de la captivité de Babylone* (*chant d'entrée : psaume* 97) ;
*-- font monter vers Dieu un chant de louange et d'action de grâces* « *car il a fait des merveilles* »* *;
*-- soulignent que la sainteté de Jeanne a été faite de sa docilité à la parole de Dieu* (*épître*) *et de ce don total d'elle-même auquel elle a consenti* (*évangile*)*.* »
Ainsi Jeanne nous est rendue, qui avait été comme chassée des livres de messe. Deo gratias ; et merci aux auteurs du Missel biblique.
6. -- Le « Dom Lefebvre » ([^41]) a le tort de considérer que tout le monde est parfaitement au courant et de rester assez vague :
« *Chacun sait le rôle providentiel joué par Ste Jeanne d'Arc. On a exalté l'âme ardente de cette fille de France qui, dans le désarroi de la guerre de Cent ans, s'est levée pour ranimer les courages, raviver l'espérance et sauver tout ensemble la foi et l'avenir de son pays. La liturgie de sa fête chante la force de Dieu qui agissait en elle et soutenait sa vaillance, c'est la grâce de Dieu qui, d'une humble bergère, fit une sainte en même temps qu'une héroïne. Ste Jeanne d'Arc fut brûlée vive à Rouen le* 30 *mai* 1431. *Elle fut canonisée par Benoît* XV *en* 1920 *et proclamée patronne secondaire de la France par Pie XI le* 2 *mars* 1922. »
Si l'on compare cette notice avec celle d'un « Dom Lefebvre » plus ancien ([^42]), on constate avec surprise que l'ancienne était meilleure : elle se contentait sans doute de rassembler et de mettre en relief quelques passages des vêpres et de la messe de la fête ; ce faisant, elle était beaucoup plus riche de signification, elle apportait davantage à la méditation du fidèle ([^43]).
\*\*\*
62:33
Dernière remarque à propos de sainte Jeanne d'Arc. Le Missel d'Hautecombe est le seul à mentionner *par qui* elle fut condamnée. Pour Les autres, elle a été brûlée par hasard, ou par la faute d'on ne sait qui. Le Missel biblique lui-même ne fait qu'une vague allusion à « ceux qui la condamnent ». Le Missel de Maredsous dit *implicitement* la vérité lorsqu'il précise que Jeanne « fut brûlée *comme hérétique* ». Le Missel de Dom Gérard, dans son édition pour adultes, note seulement : « Elle est brûlée vive à Rouen » ; mais c'est dans son édition pour enfants qu'il ajoute une précision : « faite prisonnière et livrée aux Anglais, elle est brûlée vive ».
Nous pensons que c'est le Missel d'Hautecombe qui a raison de ne pas cacher la vérité : « *Les Anglais la font condamner à* *Rouen par un tribunal ecclésiastique* »*.*
La vie et la leçon de Jeanne, et le mystère de l'Église, nous les voulons tels qu'ils nous sont donnés. Et non point arrangés ou estompés.
\*\*\*
Le 1^er^ mai 1955, Pie XII déclarait ([^44]) :
« *Nous avons le plaisir de vous annoncer Notre décision d'instituer -- comme de fait, Nous instituons -- la fête liturgique de* SAINT JOSEPH ARTISAN, *en lui assignant précisément le jour du premier mai.* » ([^45]).
Cette fête de saint Joseph artisan n'a pas encore atteint en France la pleine dimension à laquelle elle est appelée ([^46]).
1. -- Le Missel d'Hautecombe annonce (page 16) au 1^er^ mai de son calendrier la fête de saint Joseph « *artisan* »*.* Mais en gagnant sa place dans la table alphabétique et sa page dans le volume, il a changé de nom en route et il est devenu saint Joseph « *travailleur* ». Nous constaterons ailleurs aussi cette incertitude sur la dénomination.
Voici la notice :
63:33
« *En fixant au* 1^er^ *mai cette fête liturgique, Pie XII a donné à l'Église une fête chrétienne du travail. Saint Joseph est proposé comme patron et modèle des travailleurs parce que c'est dans son humble tâche quotidienne, animée par un grand esprit de foi et de prière, qu'il a suivi fidèlement la volonté de Dieu, au service du Christ et de ses frères : là est tout le secret de la sainteté.* »
A lire, dans le missel d'Hautecombe, la notice sur saint Joseph après la notice sur sainte Jeanne d'Arc, les saints apparaissent en somme comme interchangeables ([^47]).
2. -- Dans le Missel de Maredsous, nouvel avatar, la fête du 1^er^ mai est devenue celle de saint Joseph « *ouvrier* ». Il apparaît que la langue n'est pas fixée sur ce point.
La notice cite une phrase de Pie XII :
« *Adopté par les ouvriers et désormais comme marqué du caractère chrétien, le* 1^er^ *mai bien loin d'être réveil de discorde, de haine et de violence, est et restera une invitation renouvelée à la société moderne d'accomplir ce qui manque encore à la paix sociale.* »
Puis elle ajoute :
« *Pie XII, en* 1954 ...
(non : en 1955)
*... a institué pour ce jour la Fête de saint Joseph, patron des ouvriers.* »
3. -- Dans le Missel du P. Morin, saint Joseph redevient « artisan ». La notice est soignée, et moins imprécise que pour Jeanne d'Arc :
« *Dès les premiers siècles l'Église a sanctifié des fêtes païennes ; elle les a spiritualisées, transfigurées dans la charité. Il en fut ainsi pour les Rogations, dans le choix de la date de Noël. C'est ce que réalise cette nouvelle solennité liturgique.*
*Nous entrons en chantant notre admiration devant la bonté de Dieu qui guide chaque être avec amour. Saint Joseph, l'humble artisan, en est un bel exemple. Il a réalisé sa vocation* (*Or.*)*, il a mis son amour, son cœur, son esprit surnaturel dans son métier* (*Ep.*)*, les difficultés ne lui ont point été épargnées, il a gardé confiance* (*All.*)*, le Seigneur a voulu lui-même qu'on le considère comme fils du charpentier* (*Ev.*)*.*
64:33
*Chaque messe nous remet à l'offertoire devant ce fruit du travail des hommes que symbolisent le pain et le vin. Travail individuel, collectif, image de toutes les autres professions liées les unes aux autres* (*Off. Secr.*)*.*
*A la communion le charpentier de Nazareth nous montre la valeur ressuscitante du travail* (*Com.*) *qui doit être pour tous les hommes le moyen de gagner le ciel* (*Post.*)*.* »
Cette heureuse rédaction est identiquement reproduite dans le Missel « en gros caractères » du même auteur.
4. -- Dans le Missel du Dom Gérard, saint Joseph est « *ouvrier* » au calendrier et « *artisan* » à la messe du jour. Il n'y a aucune notice.
5. -- Le Missel biblique reconnaît pour sa part une fête de saint Joseph « *travailleur* ». La notice est complétée par un bref commentaire du propre. Comme pour Jeanne d'Arc, il nous semble difficile de faire mieux ([^48]) :
« *L'Église dans son Rituel ajoute sans cesse des bénédictions pour les nouvelles découvertes de l'homme ; aussi n'a-t-elle jamais refusé de christianiser, en leur donnant une expression liturgique, les fêtes d'abord profanes qui rythment au long de l'année l'activité humaine* (*Quatre-Temps,* 22 *février,* 25 *avril,* 1^er^ *août*)*. C'est dans cette perspective que le Pape Pie XII a voulu faire une célébration liturgique de la Fête du Travail ; mais au lieu d'exalter une idée, il propose aux masses laborieuses un modèle et un protecteur, saint Joseph, le charpentier de Nazareth, le chef de la Sainte Famille* (1955).
*Nulle part la grandeur des tâches manuelles, la valeur sanctificative du travail n'apparaissent dans une lumière plus pure que dans la vie de Joseph, dont les horizons humains furent limités par l'atelier, la Vierge-Mère et l'Enfant. L'esprit des béatitudes, la faim et la soif de justice dont fut remplie l'âme de Joseph sont seuls capables d'infuser une âme au monde de la technique qui naît, et de donner un sens à tant de vies que tourmente l'insécurité du lendemain.* »
65:33
Pour l'Introït (psaume 126) :
« *Le chef de la Sainte Famille puisa sans doute bien souvent dans le psaume* 126 *le courage et la confiance nécessaires pour poursuivre sa tâche.* Ce *psaume rappelle que toute œuvre humaine est vaine si elle n'est pas une humble collaboration à l'œuvre divine.* Le *refrain, tiré du livre de la Sagesse, affirme que L'homme dont la foi est profonde trouve le salaire de son effort dans la certitude qu'il* a *d'accomplir la volonté de Dieu.* »
Pour l'Épître :
« *Par le travail de ses mains, Joseph servait directement le Christ, Fils de Dieu, dont il devait assurer le pain quotidien. Notre travail professionnel est un moyen de servir nos frères et de leur exprimer notre amour. Accompli dans cet esprit et en union avec le Christ, qui lui-même a travaillé dans l'atelier de Nazareth, notre labeur devient une prière agréable au Père.* »
Pour l'Alleluia (que le Missel biblique nomme en français : « chant de méditation ») :
« *Parce que le péché pèse sur l'homme, le travail est souvent cause de souffrances et de luttes.* »
Pour l'Évangile :
« *Le Christ, Fils de Dieu, voulut faire sienne, au risque de déconcerter ses compatriotes, la condition de vie, simple et laborieuse, d'un artisan de village.* » ([^49]).
Pour l'Offertoire :
« *Sachons placer sous la protection de Dieu les efforts de notre métier et sachons lui en offrir les résultats. Le pain et le vin présentés à l'autel ne sont-ils pas le signe de tout le travail humain ?* »
Pour la Communion :
« *Le Christ que nous recevons dans la communion est celui qui* a *travaillé de ses mains dans l'atelier de saint Joseph.* »
6. -- Le Dom Lefebvre, enfin, reconnaît quant à lui une fête de saint Joseph « *ouvrier* ». Il expose :
« *L'Église autrefois baptisa les fêtes païennes, usant avec une souveraine liberté des dates et des cérémonies pour les doter d'un contenu chrétien tout nouveau.*
66:33
*S'inspirant de cette tradition, voici qu'elle place la fête civile du travail le premier mai sous le puissant patronage de saint Joseph, l'humble artisan que Dieu a choisi pour veiller sur l'enfance du Verbe incarné.*
*Qui, mieux que lui, en son labeur de chaque jour, rendit grâces à Dieu le Père par le Seigneur Jésus* (*épître*)*, son apprenti docile et obéissant, celui que l'on appelait le fils du charpentier* (*évangile*) ?
*Puisse s. Joseph couvrir de sa vigilante protection ce monde du travail dont il partagea le sort austère *: *puisse-t-il guider et soutenir ses efforts pour faire régner dans le monde la justice et la charité, sous la loi d'amour du Christ Jésus.* »
Nos lecteurs peuvent se reporter à l'article de D. Minimus : « Saint Joseph artisan », paru dans notre précédent numéro.
==============
#### Les 50 livres catholiques
Dans l'*Officiel de la librairie,* numéro 74 de janvier-février 1959, le « GROUPE D'ÉDITEURS DE LIVRES RELIGIEUX » a exposé sous sa signature comment il conçoit la « *sélection des* 50 *livres catholiques* » qu'il organise et diffuse chaque année. Voici le texte intégral de cette explication :
*C'est la* 5^e^ *année qu'est tentée cette aventure. Il n'est peut-être pas inutile, pour couper court à des informations fantaisistes, d'en rappeler l'objet et les limites.*
*Le Comité, composé mi-parti de clercs et de laïcs, ne prétend pas déterminer les* 50 *meilleurs livres catholiques. Une telle prétention friserait le ridicule, Selon quels critères d'ailleurs se ferait un tel choix. Notre intention est plus modeste : signaler dans une production surabondante et nécessairement inégale, quelques ouvrages qui témoignent de la pensée chrétienne, et plus précisément catholique, dans le domaine* *de l'édition. Notre champ est d'ailleurs, heureusement plus restreint, puisqu'il ne s'étend qu'à ce qu'on est convenu d'appeler la* « *littérature religieuse* » *et exclut de ce fait ce qui est littérature pure, poésie, théâtre ou roman.*
*Malgré ces limitations, dont les frontières sont parfois difficiles à fixer avec précaution, c'est encore parmi une masse considérable et extrêmement variée d'ouvrages qu'il faut faire un choix. Nous excluons délibérément tous les livres, fort utiles et nécessaires par ailleurs, qui se proposent* de *nourrir la piété des fidèles, ou des prêtres, pour nous en tenir à ceux qui ouvrent des perspectives nouvelles ou qui témoignent de la part que prennent les catholiques aux recherches et aux préoccupations spirituelles de notre temps.*
67:33
On *remarquera que l'hagiographie tient cette année une place importante dans la sélection. Trop longtemps ce fut l'un des secteurs les plus négligés de la littérature religieuse on ne saurait trop se réjouir de voir se multiplier des publications qui unissent le souci de la vérité, le sens des authentiques valeurs spirituelles à la qualité littéraire. Nous avons par contre constaté avec surprise qu'en* 1958 *nous n'avions été amenés à retenir que peu d'ouvrages se rapportant à la Bible : il n'y a sans doute aucune conclusion à tirer de* ce *fait, dû vraisemblablement au seul hasard du rythme des publications. Si l'Écriture Sainte ne tient qu'une trop faible place, la littérature chrétienne des premiers siècles, de l'âge patristique comme on a coutume de dire, est largement représentée, de même que l'histoire de l'Église. Et ce ne sont pas seulement de ces ouvrages qui honorent la science*... *et les éditeurs qui ont le courage de les publier mais demeurent réservés à un cercle restreint de spécialistes et de théologiens, Nous avons cru, certes, devoir faire place à de telles œuvres, véritablement magistrales mais on verra figurer à côté d'elles des volumes qui veulent permettre à tout chrétien et à tout homme de prendre un contact direct avec la tradition toujours vivante de l'Église.*
*Quelques titres* se *rapportent à des ouvrages touchant des questions particulièrement actuelles, voire brûlantes et controversées. Ici, nous avons tenté d'attirer l'attention sur des œuvres qui nous ont semblé particulièrement propres à orienter une réflexion personnelle dépassionnalisée.*
*Notre vœu serait que cette sélection, dont l'intention je* ([^50]) *le répète demeure modeste et limitée, contribue à faire mieux connaître et apprécier l'œuvre souvent méritoire des auteurs et des éditeurs qui, dans le flot de papier qui nous submerge, s'imposent de ne proposer au public que des ouvrages véritablement dignes d'être lus.*
Groupe des éditeurs\
de livres de religion.
Nous nous félicitons de cette mise au point, que nous attendions (et même que nous réclamions) depuis des années.
68:33
#### Prenons acte :
I. -- Cette entreprise est bien une entreprise d'*éditeurs,* c'est-à-dire de capitalistes, de commerçants, dont le « commerce de librairie » consiste à choisir les livres qu'ils décident d'éditer, à les faire connaître et à les vendre au public. Ni eux ni leurs employés ne sont, en tant que tels, qualifiés pour porter un jugement de valeur en matière doctrinale ou religieuse, et leur sélection n'y prétend plus : elle n'est qu'une opération publicitaire. Il est excellent que ce point capital ait été clairement précisé. Il est important qu'il soit exactement connu, afin qu'il ne subsiste rien de l'équivoque antérieure.
II. -- Le Groupe en question a tort cependant d'attribuer à des « *informations fantaisistes* » la « *prétention ridicule* » de désigner les cinquante MEILLEURS livres catholiques. Car cette prétention, c'est lui qui l'a eue, et ces informations, c'est lui qui les avaient diffusées (si bien que ses adjectifs énergiques, « ridicule » et « fantaisiste », lui reviennent comme un boomerang). L'une de ses premières sélections, qui ne comportait encore que 40 ouvrages, c'était en 1954, il l'avait intitulé lui-même : « *sélection des* 40 MEILLEURS *livres catholiques* », comme le rappelaient les *Informations catholiques* dans leur numéro du 1^er^ juin 1956, page 24. C'est de là qu'est venue l'habitude de présenter la sélection annuelle comme étant celle des « MEILLEURS », même après que le mot lui-même eût été prudemment abandonné. (Et d'ailleurs, une *sélection,* on imagine difficilement qu'elle ne soit pas le choix des *meilleurs*.)
Le 25 janvier 1957, *La Croix* présentait la sélection de 1956 sous le titre : « *Les cinquante* MEILLEURS *livres catholiques de* 1956 ». Le 15 février de la même année, les *Informations catholiques* (qui ont toujours été très activement favorables à cette sélection) titraient sur toute la largueur de leur page 31 : « *Les* 50 MEILLEURS *livres catholiques publiés en France* »*.*
Cela prenait même des allures de classement et de distribution des prix, puisque la sélection pour 1956, si elle avait renoncé à l'emploi explicite du mot « meilleur », n'en comportait pas moins cette mention : « *La Bible de Jérusalem* a *été* CLASSÉE HORS CONCOURS ».
III. -- En outre, il serait facile de montrer que *les éditeurs eux-mêmes* ont par ailleurs *utilisé leur* « *sélection* » pour présenter publicitairement leurs ouvrages comme étant « *les meilleurs catholiques* ». Dans le catalogue de la Maison Casterman, un signe spécial, comme on nous l'explique, « *désigne un des* 50 *meilleurs livres catholiques de* 1954-1955-1956-1957 ».
69:33
Encore l'année dernière, le catalogue Casterman ajoutait ce commentaire fort explicite (c'est nous qui soulignons) : « *Cette sélection est l'œuvre d'un* JURY *siégeant annuellement, en vue de désigner les* MEILLEURS *livres catholiques parus au cours de l'année* ». C'est en ces termes que se trouvait recommandé (par exemple) l'ouvrage d'Henry Duméry : *La Foi n'est pas un cri.*
Les éditeurs qui ont fait cela sont-ils donc honnêtement fondés à dire aujourd'hui qu'il y avait un malentendu venant d' « informations fantaisistes » et qu'ils n'avaient pas la « prétention ridicule » de désigner LES MEILLEURS ?
#### Avertir non seulement les libraires, mais aussi le public.
L'*Officiel de la librairie* est l'organe mensuel du syndicat national des librairies de France. Il est excellent que les libraires aient été avertis. Mais le public, tout autant que les libraires, a le droit et le besoin de savoir, et de n'être plus induit en erreur sur la portée réelle de la « sélection ». C'est pourquoi nous avons jugé utile de reproduire les explications données par le « Groupe des éditeurs de livres de religion » ([^51]).
En dehors de l'*Officiel de la librairie,* on dissimule généralement que les 50 livres sont « sélectionnés » par les éditeurs qui les ont publiés. On met en avant, jusque dans la *Bibliographie de la France,* la seule indication : « *Ces livres ont été choisis par* UN COMITÉ... », parfois même l'on écrit : « UN JURY ». On passe sous silence le fait que les membres du « comité » sont CHOISIS ET DESIGNÉS PAR LES ÉDITEURS ([^52]). On passe également sous silence le fait que l'un au moins des six membres du « comité » est directeur de collection dans l'une des maisons d'édition régulièrement mise à l'honneur dans la « sélection » ([^53]), ce qui tourne alors à la farce.
70:33
On passe enfin sous silence qu'un autre membre du comité est UN HOMME POLITIQUE, non pas militant de base mais DIRIGEANT NATIONAL D'UN GRAND PARTI. Ce côté politique de l'affaire n'est peut-être pas le moins regrettable. Et il peut expliquer, autant que le côté proprement commercial et publicitaire, l'orientation souvent discutable, voire tendancieuse, des choix opérés par la « sélection ».
La présence, publicitairement exploitée, de trois religieux dans le « comité » désigné par les éditeurs, pourrait laisser supposer que la « sélection catholique » offre de sérieuses garanties d'authenticité spirituelle, de sûreté doctrinale, de valeur religieuse : or elle n'y prétend nullement, comme le montraient manifestement, d'ailleurs, certains de ses choix. Sans parler même d'ouvrages mis à l'Index (disgrâce qui lui est arrivée récemment), la « sélection catholique » recommande parfois des livres qui ne peuvent être conseillés sans graves réserves ou qui ne sauraient être lus sans danger que par des lecteurs avertis.
C'est le cas, dans la dernière sélection parue, de l'*Itinéraire d'Henri Perrin, prêtre ouvrier.* Beaucoup de catholiques, voyant ce livre figurer dans une « sélection catholique » qui invoque le patronage et la collaboration de trois religieux, croiront pouvoir le lire en toute confiance et en adopter tous les points de vue.
#### Et maintenant ?
La « sélection » ne se survit plus que par des artifices typographiques. A partir du moment où il est clairement admis que cette sélection N'EST PAS celle des *meilleurs,* à partir du moment où elle reconnaît qu'elle détermine ses choix sans considérer avant tout la sûreté doctrinale, spirituelle, religieuse des livres recommandés, elle perd toute autorité auprès du public, elle perd même la plus grande partie de ses pouvoirs publicitaires. A condition toutefois que les libraires ne soient pas seuls dans la confidence, et qu'aucune tromperie par omission ne laisse croire qu'elle aurait une valeur religieuse et une portée de classement.
Mais « *cette aventure* »*,* comme disent les éditeurs qui la dirigent, n'aura pas été vaine si l'on retient tout ce qu'elle aura eu de positif.
Elle aura posé plusieurs questions qui appellent effectivement des réponses (ce qui ne veut pas dire que les réponses soient faciles, ni immédiatement possibles sans recherches ou tâtonnements) :
71:33
I. -- On publie en France, paraît-il, 13.000 volumes par an. Une telle surproduction, une telle inondation est ahurissante et provoque la confusion. L'idée de proposer quelques titres, en fonction d'un choix résolument chrétien et catholique, est certainement une idée à retenir. Ces quelques titres ne pourront évidemment pas être considérés comme « *les meilleurs* » un classement de cette sorte est impossible. En revanche, ils devront être des livres d'une authentique valeur religieuse et d'une complète sûreté doctrinale. On ne devrait absolument pas recommander à l'ensemble du public, sous le nom de « catholiques », des ouvrages plus ou moins étrangers ou opposés à l'esprit et à la doctrine de l'Église, comme cela s'est regrettablement produit.
II. -- Ici se trouve mis en lumière un problème beaucoup plus général. Certains travaux sont valables sur le plan de la « recherche » : mais pourquoi vouloir les imposer immédiatement à d'autres qu'aux chercheurs et au petit nombre d'esprit très avertis ? Cette erreur, la « sélection » n'en a pas le monopole. Elle est assez généralement répandue dans la presse et dans beaucoup d'autres milieux. A peine un travail original -- utile et justifié en tant que « recherche » -- a-t-il vu le jour, que certains s'appliquent systématiquement à en faire passer aussitôt le contenu dans l'enseignement et dans le grand public, sans établir les nuances et distinctions nécessaires, mais au contraire en le présentant comme une nouvelle et indiscutable vérité (et simultanément ils couvrent d'attaques injurieuses ou de quolibets ceux qui se risquent à formuler des réserves). Si bien que des livres qui auraient été tolérés ou même appréciés, en raison de leur part de vérité, s'ils n'avaient été diffusés que parmi les gens compétents, l'autorité religieuse se trouve en quelque sorte forcée de les condamner parce qu'on les a imprudemment répandus dans un public incapable de les lire sans en être induit en erreur.
III. -- Une « sélection catholique » devrait d'autre part, nous semble-t-il, répondre aux conditions suivantes :
*a*) ne pas être limitative et par suite oppressive : proposer 50 titres par an à un public dont les neuf dixièmes ne lisent pas un livre (sérieux) par semaine, c'est l'inciter *en fait* à ne choisir ceux qu'il lira *que* dans la liste des cinquante ; c'est pratiquement un intolérable dirigisme intellectuel, d'autant plus intolérable lorsqu'il est machiné par les éditeurs eux-mêmes : C'EST ALORS UNE MAINMISE DU CAPITALISME ET DE L'ARGENT SUR LA VIE DE L'ESPRIT ;
72:33
*b*) Il y aurait donc lieu de limiter la « sélection » à deux ou trois titres seulement, *mais par catégories de lecteurs, --* catégories intellectuelles, sociales, etc. et même catégories religieuses (branches différentes de l'Action catholique ; diversité des apostolats) ;
*c*) une « sélection catholique » doit être absolument et totalement indépendante aussi bien de L'ARGENT que des PARTIS POLITIQUES : elle doit être libérée de *l'emprise capitaliste,* représentée ici par les maisons d'édition et par leurs employés ; elle doit être opérée en dehors et au-dessus des partis politiques ; ni l'une ni l'autre condition n'a été réalisée jusqu'ici.
\*\*\*
Dans la société où nous vivons, il apparaît impossible de réaliser ces conditions par une indépendance anarchique.
Il apparaît impossible de réaliser ces conditions en dehors de l'Action catholique et de la Hiérarchie apostolique, D'ailleurs, une sélection « *catholique* » opérée sans l'aveu, le contrôle et la garantie de l'autorité religieuse, mérite-t-elle vraiment le titre de « catholique » ?
L' « *aventure* » menée, dans des conditions parfois discutables, par un groupe de capitalistes (en l'occurrence les grandes maisons d'édition), aura une fois de plus manifesté cet esprit d'initiative et d'entreprise qui est l'une des vertus du capitalisme. Cette aventure aura eu le mérite de révéler un besoin et d'appeler la création d'une fonction. Mais il nous semble que cette fonction, celle de désigner un certain choix de livres « *catholiques* », ne peut rester entre les mains des puissances d'argent de l'édition ; il nous semble qu'elle ne pourra être continuée, réformée, adaptée que si la Hiérarchie apostolique estime possible de la placer sous sa direction.
==============
#### Notules diverses
- A PROPOS DE LA « PRESSE DU CŒUR » : DES REMARQUES D'UNE PORTÉE BEAUCOUP PLUS GÉNÉRALE. -- *Dans les* Notes hebdomadaires *que dirige M. Mondange* (*12, rue Edmond Valentin, Paris*)*, et où il paraît peu de chose qui ne semble puisé à une inspiration très autorisée, nous avons lu le 5 mars des remarques pertinentes sur la* « *presse du cœur* »*. Le sujet est important en lui-même. Il l'est en outre pour une seconde raison, que nous dirons quand on aura lu cette très exacte analyse :*
73:33
« Nous assistons en ce moment à toute une campagne fort méthodique pour modifier le jugement des catholiques influents à l'égard de la presse dite du « cœur ».
Cette campagne, fort ordonnée, tient au fait que la personnalité la plus marquante de cette forme de presse, M. C. Del Duca, témoigne d'un souci personnel évident de ne pas heurter les autorités religieuses et du désir de leur être agréable. Il essaie en fonction de ce point de vue, de concilier une formule de presse qui, à notre avis, est, par sa nature même en contradiction avec les exigences d'un christianisme véritable et avec les soucis de l'Église en matière de presse.
Cela se traduit dans la rédaction des revues féminines que possède M. Del Duca par une surveillance attentive des récits et des atténuations du style des images. Il semble bien que des Religieux revoient les textes ou tout au moins font des remarques à leur propos.
Il faut dire que toute une argumentation facile hier, sur cette forme de presse, n'est plus possible aujourd'hui. A examiner les détails des récits et des dessins, on s'aperçoit que les critiques d'il y a 4 ou 5 ans ne porteraient plus sur des lecteurs non avertis de la manière dont la presse influence ceux-ci.
Des théologiens initiés aux problèmes de presse, et d'ailleurs fort ouverts aux données présentes de l'opinion publique, après avoir examiné les publications de M. Del Duca ont conclu que la lecture littérale ne permettait guère de condamnation sur chaque récit. Les textes ont été rédigés, surveillés pour que des reproches sur le plan de la sexualité, de l'immoralité soient difficiles à formuler. Les héros les plus honnêtes, les plus droits, les plus désintéressés triomphent toujours.
Pourtant tous ces théologiens déclarent que la formule d'évasion, de facilités, qui explique le succès de ces publications, comme la philosophie pratique de la vie, qui se dégagent des textes et de la publicité, vont à l'encontre de l'esprit prêché par l'Église, de la loi d'effort, de renoncement et de charité en dehors de laquelle la découverte et la conquête du Seigneur est impossible.
Plus que jamais, devant un tel effort, parfaitement légitime qui témoigne d'une volonté qu'a priori on doit considérer comme bonne, il apparaît de plus en plus nécessaire de faire l'éducation des catholiques et des milieux féminins sur ces problèmes de la presse féminine. »
*Or il existe aussi une autre presse *: *une presse qui n'est pas* « *du cœur* », *mais qui est plus ou moins* « *de l'âme* » *et* « *de l'esprit* » *et qui présente des caractères analogues.*
*Une presse qui eut naguère, comme* *la presse* « *du cœur* », *des difficultés sérieuses avec l'Église.*
*Souvent, aujourd'hui, tout se passe comme si -- sans changer grand'chose à son inspiration fondamentale -- sa rédaction était* « *revue* » *par des religieux compétents pour lui éviter des* « *ennuis* ».
*De cet effort aussi, on peut, on doit dire qu'il est* « *un effort qui témoigne d'une volonté qu'a priori on doit considérer comme bonne* ». *Mais que, toutefois, l'influence exercée sur le lecteur reste nocive.*
Ce *n'est pas seulement à la* « *presse du cœur* » *que l'on peut appliquer la ferme et juste conclusion de M. Mondange *:
74:33
« Dans la situation présente, il ne suffit pas, pour des catholiques, de lire, de voir, d'entendre des choses qui ne sont pas condamnées par l'Église ; il faut fuir tout ce qui, par la répétition, peut vous conduire à une culture pratique imprégnée de matérialisme ; et ne se permettre des évasions que dans la mesure où des lectures chrétiennes alimentent le jugement et la réflexion. »
*Ce que le chrétien doit chercher, ce n'est pas à se mettre en règle* LITTÉRALEMENT *avec la doctrine de l'Église, ni à* « *se couvrir* » *de ce côté là,* comme *s'il s'agissait d'une surveillance extérieure que l'on peut tromper quand on en trouve le moyen, selon le principe : pas vu, pas pris. Ce* *que le chrétien recherche, dans la doctrine de l'Église, c'est à s'en inspirer et à en vivre. Et non à passer au travers.*
*Ah, certes non, la presse* « *du cœur* » *n'est pas la seule...*
\*\*\*
- CONTRE LE « PARTI INTELLECTUEL ».* -- Dans le numéro de février du magazine intitulé* France-Forum, *nous lisons un remarquable article de M. Étienne Borne. Le premier alinéa rappelle d'où vient l'expression de* « *parti intellectuel* »* :*
« Charles Péguy, au début de ce siècle, avait inventé la formule du « parti intellectuel » dont il faisait un usage polémique d'abord contre une Sorbonne sociologique, rationaliste, scientiste, et en outre contre l'école de l'Action française -- fort encline à penser que l'intelligence est à droite -- et ses théoriciens d'un nationalisme abstrait. A ces deux sortes, d'ailleurs vivement ennemies l'une de l'autre, de « parti intellectuel », Péguy reprochait de s'installer dans une mystique dégradée en idéologie, d'exercer ou de revendiquer un pouvoir proprement temporel et enfin d'avoir rompu avec les traditions à la fois charnelles et spirituelles du peuple de France. »
(*Au vrai, les souvenirs de M. Étienne Borne sont un peu lointains. Le* « *parti intellectuel* » *que combattait Péguy, c'était la Sorbonne* ET NON *l'Action française. Opposé sur plusieurs points à Maurras, Péguy n'a pas souvent exprimé cette opposition ; il l'a manifestée avec sympathie et admiration à la fin de* Notre Jeunesse, *voir* Œuvres en prose*, édition Gallimard* 1957, *page* 652. *Hors cette page, le nom de Maurras apparaît une seule autre fois, ou peut-être deux, dans toute l'œuvre de Péguy. Il n'y a aucune symétrie entre, d'une part, ce qui séparait fondamentalement Péguy de Maurras -- et qui est toute la réalité de la foi chrétienne -- et, d'autre part, le combat acharné, permanent, capital mené par Péguy contre le parti intellectuel de la Sorbonne. Mais passons.*) (*En outre, Péguy n'est pas l'inventeur de la formule* « *parti intellectuel* ».)
« Il se trouve que nous avons changé tout cela puisqu'on s'évertue à donner vigueur, valeur et honneur à un nouveau « parti intellectuel ». Pierre-Henri Simon a choisi de désigner par cette expression les écrivains ou les clercs de la gauche idéaliste, familiers de la protestation dreyfusiste contre toutes les raisons d'État. Un « parti intellectuel » où se rassembleraient l'honnêteté de l'intelligence et la noblesse de l'esprit a quelque chose de bien séduisant, de bien intimidant aussi, ce qui à la fois appelle et paralyse l'adhésion. Est-ce parce que je doute d'être reçu dans cette franc-maçonnerie ou dans cette église sans examen soupçonneux ou demande d'autocritique ? Là serait alors l'explication de mes réticences.
75:33
Il se peut cependant que j'aie des raisons moins mauvaises.
Le parti intellectuel professe, faisant de la métaphysique politique, que Dieu est à gauche ; j'entends bien qu'on purifie ce concept de gauche jusqu'à le faire coïncider avec la conscience morale elle-même ; mais puisqu'on persiste à parler de gauche, comment ne pas résister à ce qui ressemble à un enrôlement de l'esprit au moment même où on l'invite à se dégager de toutes les contingences pour juger avec sérénité du train du monde ? »
*La réalité d'une secte, d'une église dans l'Église, d'un enrôlement et d'une mobilisation au nom de l'indépendance, voilà ce qui frappe M. Étienne Borne. Il remarque -- comme nous l'avons remarqué -- la tendance de ce* « *parti intellectuel* » *à se constituer en pouvoir spirituel, en magistère doctrinal, sans y avoir aucun droit :*
« L'intelligence devient alors un pouvoir spirituel, posant les principes, nommant le bien et le mal, rappelant les vérités majeures de cet humanisme qui est l'âme d'une civilisation. Mais comment une telle intelligence pourrait-elle faire un parti ? A elle comme à une autorité d'Église appartiendraient l'inspiration, l'exigence, le conseil, mais non l'action proprement politique, qu'elle soit de droite ou de gauche. »
*Autrement dit : le parti intellectuel se constitue comme une autorité, mais une autorité* SANS RESPONSABILITÉ. *Il tranche de tout, mais échappe lui-même aux sanctions de l'événement et de l'expérience.*
« ...Aucune politique ne peut mobiliser pour se justifier le tout des valeurs de l'esprit, elle suscitera toujours des objections et des résistances intellectuellement valables, elle comportera nécessairement pari, partialité, risque (...) Aussi une intelligence qui s'en tiendrait à l'exigence de totalité et d'absolu, et qui prétendrait cependant constituer un parti et avoir une politique, ajouterait un chapitre, comme l'avait vu Péguy, à l'histoire des cléricalismes... »
*M. Étienne Borne conclut que -- même et surtout pour* « *servir l'esprit dans la cité* » -- « *il faut se mettre en dehors du parti intellectuel* ». « *Péguy avait montré le chemin qui reste exemplaire.* »
\*\*\*
*L'article de M. Étienne Borne appellerait divers commentaires : il nous semble que sur le* « *chemin exemplaire* » *montré par Péguy, il s'avance un peu, certes*, *mais pas très loin. Peut-être n'en a-t-il qu'un souvenir, juste mais vague. Nous qui relisons Péguy constamment, nous y trouvons, et notamment au chapitre du parti intellectuel, quantité de vues profondes et toujours très actuelles. Les bases mêmes de la réforme intellectuelle et morale, et ses inspirations essentielles, ont été aperçues et dites par Péguy, dont l'œuvre, plus qu'à un passé récent, appartient à l'avenir auquel il dépend de nous de travailler.*
*Quoi qu'il en soit, M. Étienne Borne, intellectuel qui se veut de gauche, lui-même tenté* (*il le dit incidemment*) *par les séductions du* « *parti intellectuel* », *n'a pu mener l'analyse que nous avons citée qu'au prix de beaucoup de loyauté, de vigueur et de rigueur intellectuelles. C'est ce qui en fait non seulement le mérite évident, mais encore l'importance objective.*
\*\*\*
76:33
- SITUATION DE L'UNIVERSITÉ.* -- Peut-être M. Étienne Borne suppose-t-il que l'Université française* (*à laquelle il appartient*) *a beaucoup changé et s'est beaucoup améliorée depuis le temps où Péguy menait son combat contre la Sorbonne.*
*De fait, le rationalisme et le scientisme y ont été mis* en *cause, notamment par Bergson, que Péguy soutenait ardemment.*
*Néanmoins, il n'apparaît pas que, fondamentalement, la réforme intellectuelle réclamée et entreprise par Péguy ait pénétré dans l'Université d'État* (*et sans doute pas davantage, d'ailleurs, dans les Universités catholiques*)*. La Sorbonne continue à ignorer, non plus le personnage de Péguy, mais ses idées capitales.*
*Nous lisons dans le* Bulletin de Paris (6 *mars*) *une remarque incidente sur* « une Université de moins en moins apte à comprendre le monde où nous vivons parce que la formation des maîtres, à tous les échelons, en est demeurée aux idées de 1880 ».
*Voilà qui rejoint la question Péguy et même son propos explicite : il fixait lui-même à* 1881 *la date climatérique, celle où commence le règne du* « *parti intellectuel* ».
*Le grand mouvement qui s'est produit depuis lors dans la pensée et dans l'âme de la France, et que caractérisent, ou du moins que signalent les noms de Péguy, d'Augustin Cochin, de Claudel, de Bernanos, de Saint-Exupéry, est un mouvement qui n'a pu naître et exister qu'*EN DEHORS *de l'Université. Et l'Université y est restée* ÉTRANGÈRE.
*Même des hommes comme Jacques Maritain et surtout Étienne Gilson n'ont jamais été durablement accueillis par l'Université. On leur a plus ou moins entr'ouvert la porte : mais occasionnellement, et plutôt, semble-t-il, pour des raisons... hum ! discutables, que pour la métaphysique du premier ou pour la pensée chrétienne du second. Et le* « *parti intellectuel* »*, en somme les a finalement expulsés de France ; non point par quelque décret, bien sûr, mais par le* « *climat* » *qu'il faisait régner, et qui leur était tellement irrespirable qu'ils sont allés poursuivre leur enseignement et probablement finir leur vie sur le continent américain.*
*Ce qu'un Étienne Gilson peut penser de l'Université française. -- de notre monstrueuse et totalitaire Université d'État, -- on l'apercevra en se reportant par exemple à son article reproduit dans les* « *Documents* » *de notre numéro* 6 (*pages* 153 *et suivantes*)*.*
\*\*\*
*La remarque du* Bulletin de Paris *met en cause* « LES IDÉES » *qui sont toujours, dit-il, celles de* 1880. *En fait, la formulation de beaucoup d'idées s'est plus ou moins transformée dans l'Université elle-même. Ce qui n'a guère changé, sinon pour suivre l'évolution d'une décadence dans la même ligne, ce sont plutôt, croyons-nous, les* MÉTHODES INTELLECTUELLES, ce *sont les* MÉTHODES DE FORMATION INTELLECTUELLE.
*Et c'est principalement au chapitre des méthodes intellectuelles -- plus profond et plus fondamental que celui des* « idées » -- *que tout le combat de Péguy contre la Sorbonne reste très actuel. Ce qu'il disait alors est tout autant aujourd'hui ce que les intellectuels ont besoin d'entendre.*
77:33
*Il est de fait que, dans l'Université, à part quelques rares et brillantes exceptions, ils ne l'entendent guère. Et le clergé d'ailleurs, pour une grande part, pas davantage.*
*Beaucoup de Français pourtant, et chaque jour plus nombreux et plus attentifs, recueillent et méditent la leçon de Péguy. Ces Français-là, en général, ne sont pas des intellectuels de profession, clercs ni laïcs.*
\*\*\*
*Ces Français-là, ils sont souvent *-- *faut-il le dire *? -- *ils sont souvent dans le corps des officiers de métier de l'armée française*.
*Et si les porte-plume du* « *parti intellectuel* » *les diffament aujourd'hui comme* « *fascistes* », *comme* « *nazis* » *comme* « *criminels* », *c'est pour la propagande, et pour la propagande facile ; grossière. Ce que le* « *parti intellectuel* » *a flairé en eux, souvent, et avec raison, c'est une descendance de Péguy.*
*Mais nous ne sommes pas sûrs que M. Étienne Borne, avec qui nous étions passablement d'accord au début de notre propos, nous suivait jusque là...*
*Et pourtant, cette réalité* « *sociologique* », *et surtout* SPIRITUELLE, *nous ne l'inventons pas. Nous la constatons.*
78:33
Depuis le 13 mai 1958 où va la France ?
Jean MADIRAN : La communauté catholique dans la nation française (*Itinéraires,* n° 25).
Henri CHARLIER : Le fond de la question : le vote par ordre (n° 26).
Jean MADIRAN : Les deux pouvoirs et la réforme intellectuelle (n° 27).
Marcel CLÉMENT : Doctrine et prudence (n° 27).
Jean MADIRAN : Note sur l'apologie des partis politiques (n° 29).
Marcel CLÉMENT : Prudence politique et prudence civique (n° 30).
Jean MADIRAN : En pleine guerre psychologique (n° 30).
Henri CHARLIER : Les quatre batailles de France (n° 31).
Marcel CLÉMENT : A-t-on le droit de conditionner les masses (n° 32).
André CHARLIER : Invention à deux voix (n° 32).
79:33
« Brasillach » par Jean Madiran
« L'auteur s'efforce de dégager les grandes lignes de la vie de cet homme de lettres qui, même pour ceux qui estiment devoir condamner son attitude politique pendant la guerre, -- d'autres ont été plus mal inspirés et sont encore en vie, -- a su manifester un courage noblement chrétien qui reste une leçon.
« On ne peut que regretter qu'un faux -- car on en est venu jusque là -- ait mis un terme à cette existence qui, même dans l'erreur, avait de si belles promesses.
« On a bien fait de lui laisser souvent la parole : et combien sont émouvants les documents photographiques qui nous donnent les pensées et les sentiments de cet homme, jeune encore, qui mourut en chrétien. »
LA DOCUMENTATION CATHOLIQUE, 15 février 1959.
80:33
### Spiritualité (I)
IL SEMBLE qu'on n'ose aborder ce sujet que chez les spécialistes très portés aux analyses subtiles, conduits par leurs études à diviser, sectionner, classer (et certainement aussi à approfondir) le sujet à l'aide de la philosophie et de la théologie. Or la vie spirituelle est très peu enseignée au peuple chrétien qui ne l'oublions pas est fait pour elle.
On se contente trop souvent de demander l'observation du décalogue, c'est-à-dire de la loi naturelle, connue plus ou moins clairement par tous les païens. Or, d'une part il n'y a guère que les chrétiens pour pouvoir observer pleinement la loi naturelle parce qu'ils ont une aide surnaturelle ; d'autre part c'est enlever sa base à la morale naturelle que de minimiser nos fins surnaturelles. Le code du christianisme, ce sont les béatitudes.
Et quand la vie spirituelle est présentée au peuple chrétien, c'est généralement au travers de retranchements, de systèmes, de méthodes précises et astreignantes qui nous paraissent écarter du but. Il semble que ce soient les grands principes et la méthode fondamentale qui soient oubliés.
81:33
Nous avons nous-même vécu auprès de deux très saints religieux, hommes exemplaires qui vivaient très profondément d'une vie spirituelle très simple et très pure ; ils avaient été très éprouvés par les persécutions, et sans cesse sur la croix quoique de manière très différente l'un et l'autre, et leur paix était inaltérable. Ils discutaient en semble sur les principes de la vie spirituelle ; ils n'étaient pas d'accord et nous prenaient à part l'un et l'autre pour nous faire partager leur sentiment. Nous ne disions rien, ayant beaucoup à apprendre de l'un et de l'autre.
L'un d'eux, plus jeune que l'autre d'une génération, avait entièrement raison (philosophiquement et théologiquement), l'autre était plus saint. Au fond l'un parlait du droit et l'autre du fait. Tous deux étaient des modèles difficilement égalables. Ils étaient fort instruits. L'aîné qui était le supérieur avait en sa vie lu deux fois l'œuvre entière de St Augustin, la plume à la main. L'autre était un esprit puissant, un profond théologien. Ses vues intellectuelles et spirituelles étaient d'une acuité sans pareille.
L'aîné mourut dans la nuit de la Vigile de Noël. La veille au soir il entendit de son lit la cloche sonnant les vêpres. La tête était un peu brouillée par la fièvre qui allait l'amener devant le Père quelques heures plus tard ; quand la cloche eut fini de sonner il entonna *Deus in aidjutorium meum intende* puis *Dixit Dominus.* Il psalmodiait les versets impairs. Puis il attendait ; sans doute l'imagination lui faisait-elle entendre le demi-chœur chanter l'autre verset. Il reprenait ainsi le troisième. Et ainsi tout au long des vêpres. Ce long silence qui séparait les versets, la nuit commençante d'une glaciale soirée d'hiver, un lumignon qui n'enlevait rien au spectacle de la descente du jour et de la fin d'une vie sainte, tel fut le départ saisissant d'un grand moine, psalmodiant tout seul avec un chœur invisible et retournant au Père. La veille, sentant sa fin venir, il nous disait dans son humilité : « Où vais-je ? Où vais-je ? » L'autre mourut normalement une génération plus tard, mais le jour même de la saint Benoît, juste au premier coup de l'Angelus de midi.
Et cependant aucun d'eux ne sut nous donner sa méthode. Nous l'attribuons à ce fait que ces esprits distingués, nés dans des familles où l'instruction comme l'éducation étaient très fortes, et où la foi était très vive, avaient dès leur jeune âge été accoutumés sans y prendre garde à une vie spirituelle peu commune ; elle leur paraissait si bien normale dans la vie chrétienne qu'ils ne songeaient pas eux-mêmes à l'enseigner.
82:33
CETTE MÉTHODE est tout simplement l'attention à la présence de Dieu, en nous et hors de nous ; et autant que possible une attention de tous les instants. Les intellectuels de la spiritualité ont fait des distinctions justes et utiles. Ils distinguent la méditation, l'oraison, la contemplation ; mais ils les veulent faire se succéder dans l'ordre logique propre au langage et aux exposés verbaux, et finissent par croire que l'une est la condition de l'autre.
La méditation certes est indispensable, avec comme base la lecture de l'Écriture Sainte. Mais *tout est grâce* et non pas mécanique ou système. Une petite fille s'accusait de dire mal ses prières. Elle ne pouvait aller plus loin que *Notre Père...* Tout bien examiné, cette enfant entrait en contemplation sur cet appel de la Paternité divine. Celui qui l'aurait fait méditer sur les raisons que nous avons d'appeler Dieu *notre Père* aurait mal pris son temps.
Or l'attention à la présence de Dieu est certainement la première conséquence de la foi reçue au baptême. S'y exercer est la première œuvre de la foi et la plus importante, et c'est aussi la plus facile pour tous, en tout temps et en tout lieu, pour le chrétien le plus dénué de dons intellectuels, comme pour le savant, et elle peut être ou méditation ou oraison ou contemplation ou l'un et l'autre dans un ordre imprévisible. Comment accomplir le commandement qui est le premier de tous : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force », si on ne le considère pas comme présent, ici, en ce moment même ? Sans doute cela demande au début surtout un effort de volonté. C'est par grâce qu'on s'avise de le faire, mais l'acte de volonté est notre apport à l'œuvre de Dieu et c'est pour cet acte que Dieu nous a créés, nous associant à *son œuvre par amour.*
COMMENT S'AIDER à demeurer en présence de Dieu ? Ce n'est certes pas au moyen de raisonnements, mais par une prière très courte et fréquemment répétée, aussi souvent que nous en avons la grâce. C'est ce que St Augustin a appelé les oraisons jaculatoires, départ instantané d'une brève prière à Dieu. A notre avis les plus courtes sont les meilleures en ce qu'elles intéressent le moins possible la raison raisonnante, et laissent davantage l'esprit en face de Dieu seul. Par exemple « mon Jésus » qui fut certainement l'oraison jaculatoire de la Vierge Marie, ou bien Dieu, ou Beata Trinitas, Gloria Patri...
83:33
D'autres préfèrent la salutation angélique mais c'est déjà long. Nous connaissons probablement une des oraisons jaculatoires de saint Paul car il la répète en plusieurs de ses épîtres : « Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils en vos cœurs qui crie : Abba, Père ! » ; « Vous avez reçu un Esprit de filiation adoptive dans lequel nous crions : Abba, Père ! », et il dit que l'Esprit intercède en nous par des gémissements inénarrables. St Paul répétait : « Père, Père ! » comme le héros de Newman dans *Perte et Gain,* désireux d'appartenir à la vraie Église et incertain encore, répétait tout en marchant et courant : « Ô puissante Mère ! Ô puissante Mère ! Ô puissante Mère ! » L'attrait personnel est ici le guide. Qui s'analyserait verrait correspondre ces prières soit à des préoccupations personnelles, soit à une certaine orientation spirituelle proportionnée à notre nature. Mais s'analyser n'est pas une occupation très indiquée pour le chrétien ; il suffit d'examiner sa conscience, ce qui est tout différent.
On voit que cette manière de s'offrir à la grâce en se tenant attentif à la présence de Dieu, est toute simple et possible à tous. Une femme qui balaye peut se répéter : « Jésus ! » ou « Père ! » autant qu'elle le pourra, cela ne l'empêche ni de pousser le balai, ni de voir les araignées. Un homme des champs qui suit sa charrette les mains dans les poches, au lieu d'ergoter sur la manière dont Jacques a labouré son champ, ou sur l'avoine de Paul, peut aussi bien bénir le temps, bénir la sève, bénir la pousse, bénir ce fleuve de vie qui nous traverse, pour en louer Dieu ; c'est encore de la méditation ; il peut comme St Paul répéter « Père ! Père ! » et s'unir à la volonté de Dieu sur le temps, et la récolte, et le labour de Jacques, et c'est de l'oraison.
Or Ste Thérèse écrit elle-même : « La véritable union peut très bien s'obtenir avec l'aide de Notre-Seigneur quand nous nous efforçons dans ce but de n'avoir plus de volonté propre, et de nous attacher à tout ce qui est exigé par la volonté de Dieu...
« Or, je vous l'assure et ne cesserai de le répéter, si vous êtes dans ces dispositions vous avez obtenu de Notre-Seigneur la grâce de l'union. »
84:33
L'obéissance est à la base de la spiritualité dans la vie religieuse, l'obéissance sans retard, dit St Benoît, parce qu'elle est le moyen le plus simple et le plus assuré « de ne plus avoir de volonté propre et de nous attacher à ce qui est exigé par la volonté de Dieu ». Nous ne distinguerions pas toujours bien par nous-mêmes quelle est la volonté de Dieu ; celle d'un supérieur à qui nous devons obéissance est très claire. Il en est de même pour le soldat qui peut avoir à risquer toute sa vie sur l'ordre d'un sergent. La conscience est dans la paix et, ajouterons-nous, *la véritable liberté de l'esprit est assurée ainsi entièrement.* Car bien entendu l'ordre peut-être stupide ou inutile ou indifférent ; mais la puissance de l'esprit de se tourner à sa vraie fin qui est Dieu est par là-même dégagée et renforcée. Nous croyons que c'est assez peu compris même dans les monastères, tant l'éducation est mauvaise dans le monde où les parents ont scrupule de faire obéir leurs enfants. L'obéissance sans retard est la règle de la bonne éducation dans les familles aussi. Aux parents à dominer leurs passions irascibles, à user de l'autorité avec la modération que leur donne la vue de leurs propres péchés.
LA GRÂCE DE L'UNION est-elle si rare ? Tout chrétien n'est-il pas appelé par son baptême à aimer la volonté de Dieu et à être un saint ?
La mécanisation de l'agriculture enlève beaucoup à la méditation du paysan. Car les chevaux connaissent leur chemin. Il suffit de crier de temps en temps : Hue ! ou Dia ! Un tracteur comme une automobile demande une attention constante, mais sa conduite n'empêche nullement de répéter : Père ! Père ! et de se maintenir en présence de Dieu par ce moyen très simple, ce qui ne nuit certainement pas à la bonne manière de conduire. Car cet art est extrêmement simple, bien plus que n'importe quel ouvrage artisanal ; il occupe seulement cette partie inférieure de l'âme qui est occupée à observer et à faire, c'est-à-dire l'intelligence rationnelle aidée par de simples réflexes ; elle laisse libre la partie qui reçoit, emmagasine et utilise les grâces propres à la vie surnaturelle.
En effet la prière simple et continue qui fait demeurer en présence de Dieu est plus facile aux gens dont le métier absorbe le moins l'esprit. Elle est plus aisée à qui pioche sa vigne qu'à celui qui prépare un cours sur la matière et la forme.
85:33
Mais elle est quand même un bon moyen d'avancer pour qui pioche son cours de philosophie. Ce serait seulement un désastre pour ce dernier s'il se croyait plus élevé en spiritualité ou plus près de Dieu que le piocheur de vigne, simplement parce qu'il sait beaucoup plus de choses que ce vigneron. C'est son devoir de s'instruire puisqu'il le peut ; mais il ne deviendra pas saint par une autre méthode que le paysan ; il devra se conformer à l'image du Fils « en vivant d'une vie nouvelle ». Pas d'autre moyen que de vivre en présence de Dieu et de prier.
Cette méthode simple était très probablement celle des religieux dont nous avons parlé. Car interrogeant l'un d'eux sur la manière dont il disait le chapelet (nous avons toujours eu difficulté à dire une chose et en penser une autre comme l'enseigne la méthode habituelle) il me répondit : « J'essaie seulement de me tenir à côté de la Sainte Vierge. » Il se tenait de la même manière en présence de Dieu, sans aucun doute. C'est aussi la méthode de St Benoît au premier degré de l'humilité ; à la base de la vie spirituelle il place la présence de Dieu : « L'homme doit penser que du ciel, à toute heure, Dieu le regarde... » Et plus loin il dit : « La prière doit être brève et pure, et sans beaucoup de paroles. »
Nous fûmes au contraire fort surpris et un peu choqué d'entendre un excellent religieux nous dire : « Pour celui qui n'a pas la vocation, entrer à la Trappe c'est s'abrutir. » Nous pensons que celui qui entre à la Trappe a choisi la voie simple et rapide de l'oraison perpétuelle. Si l'obéissance l'appelle à y être théologien, il devra réussir, mais c'est moins commode. Dieu a donné aux moins doués des hommes les moyens de la plus haute contemplation car il est Amour.
Tout est grâce en effet. Cette dépendance de la grâce, si peu enseignée, est très conforme à la nature humaine. La grâce couronne la nature mais ne la détruit pas. Or il y a un fait naturel qui est le pendant et peut-être d'une certaine manière le support de ce qu'est la grâce pour la surnature, c'est l'inspiration. Tous les poètes et les artistes de quelque talent en ont l'expérience et l'ont proclamé. Les philosophes qui en dépendent aussi sont par vocation prédisposés au rationalisme et de nos jours ont essayé d'expliquer l'inspiration par toute sorte de causes secondes, la mémoire, le climat, la température, le milieu, les traditions, l'époque, l'éducation.
86:33
Toutes ces explications tombent devant ce fait que, de deux voisins nés le même jour sur le même palier, l'un a de belles inspirations et l'autre n'en a pas. St Paul dans son discours à l'Aréopage a dit ce qui devait être dit : « (*Dieu*) *qui donne à tous la vie, le souffle et tout... en réalité n'est pas loin de chacun de nous. Car c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons, que nous sommes.* »
L'inspiration est une COMMUNICATION DE L'ÊTRE ; elle est naturelle en dehors du christianisme. Dans la religion chrétienne l'inspiration surnaturelle c'est la grâce de Dieu. Les deux sont mêlées chez ceux qui ont une mission extérieure d'enseignement comme les Pères de l'Église qui sont tous de grands écrivains doués pour dégager la lumière du vrai qui est le beau, ou encore comme Pascal ou Péguy. Bergson qui a ramené l'attention sur ce fait naturel et qui lui a rendu son nom philosophique, l'intuition, a été conduit par ce chemin au baptême de désir. Depuis on s'est aperçu que St Thomas avait parlé de l'intuition avec sa supériorité accoutumée dans l'analyse philosophique.
Nous en retenons seulement que l'inspiration naturelle ou surnaturelle échappe à notre formation scolaire rationaliste. Ce n'est point dédaigner le savoir. Qui le peut doit l'acquérir, mais Ste Thérèse dit : « Je désire plus ardemment que jamais que Dieu ait à son service des hommes qui unissent à la science un entier détachement de toutes choses d'ici-bas qui ne sont que mensonge et dérision. » Or ce détachement s'acquiert dans toutes les situations par la connaissance de la présence de Dieu dans la méditation, l'oraison, la contemplation. Ce qui est grâce reste grâce ; mais notre industrie humaine doit être de s'y offrir constamment et d'écarter ce qui peut s'y opposer. Le moyen simple, offert à tous, est une prière continue rendue possible par sa simplicité.
(*A suivre.*)
D. MINIMUS.
87:33
## DOCUMENTS
### Les journaux contre notre civilisation.
*Deux éditoriaux d'*Itinéraires, *celui du numéro* 27 *et celui du numéro* 30, *ainsi que les chapitres IX et X de notre Déclaration fondamentale* (n° 28), *ont mis en relief le très grave problème posé en France par une certaine classe intellectuelle sociologiquement installée, qui a colonisé à son profit exclusif les journaux, l'édition, les congrès et comités des partis et syndicats, et une grande partie de l'administration étatique de l'enseignement.*
*Cette classe intellectuelle sociologiquement installée, avec les pouvoirs publicitaires et les privilèges sociaux d'un État dans l'État* (*et même, à un autre point de vue, d'une Église dans l'Église*)*, a cinquante ans de retard sur la marche réelle des événements et des idées. Ses carences fondamentales* se *manifestent notamment à l'égard du communisme. Pendant quatorze années, nos journaux ont politiquement laissé l'opinion française sans défense contre la propagande communiste. Et cela continue. Les soi-disant* « *spécialistes* » *qui traitent des affaires communistes dans les grands journaux sont presque tous soit radicalement incompétents, soit complices.*
\*\*\*
*A l'appui des deux éditoriaux cités, auxquels nous renvoyons une fois encore le lecteur -- car il importe d'être extrêmement attentif à cette question et de l'avoir présente à l'esprit -- nous reproduisons ci-dessous les constatations et les réflexions d'un observateur pénétrant, bien connu en Europe et en Amérique pour la rigueur de ses analyses.*
88:33
*M. Boris Souvarine, qui quitta très tôt l'Internationale communiste dont il avait été l'un des premiers animateurs, ne partage nullement, on le sait, nos convictions religieuses ni notre attachement à la doctrine catholique. La convergence, au niveau de l'analyse des faits sociaux, de ses observations avec les nôtres, n'en est que plus significative.*
*Les passages que nous reproduisons sont extraits d'un article qu'il a donné au* CONTRAT SOCIAL*,* « *revue historique et critique des faits sociaux* », *publiée par l'Institut d'histoire sociale,* 165, *rue de l'Université, Paris VII^e^* (*numéro de janvier* 1959).
La mode actuelle en faveur dans les milieux bourgeois décadents veut déprécier comme « anti-communisme systématique » toute opinion conséquente sur l'autocratie soviétique et ses ramifications extérieures. Elle implique d'honorer, en bonne logique, le philocommunisme incohérent qui sophistique les tendances appelées « libérales » par antiphrase, où le libéralisme trouve à se concilier avec la tyrannie bureaucratique et que ses disciples perpétuent sous formes moins virulentes...
La presse a systématiquement gardé le silence sur (des) ouvrages indispensables à l'intelligence de la politique communiste. Dans les rares cas où elle en a fait mention très discrète, ce fut pour n'en tenir aucun compte ([^54]).
... Une sorte de révolution a commencé en France et changé en partie les institutions politiques, renouvelé en partie le législatif et l'exécutif, *mais sans améliorer les moyens d'information nécessaires à une opinion publique consultée par voie de suffrage universel.* Or la prolifération du cancer communiste en France eût été impossible sans la connivence ou l'inconscience de la presse réputée bien pensante, en réalité complaisante au parti stalinien des fusilleurs qui a osé se poser en « parti des fusillés » sans qu'aucun journal se permît de le contredire.
Dans leur organe central, *L'Humanité,* les communistes n'ont pu de 1944 à 1947, mentionner que 176 noms de « fusillés » par les nazis, alors que plusieurs n'étaient d'ailleurs nullement communistes. Ils s'étaient pourtant targués à grand bruit d'avoir eu « 75.000 fusillés » attestant leurs mérites. Cf. Paul Viret : *Les* 75*.*000 *fusillés communistes,* Paris, M.L.S., 62, rue Nationale (13^e^).
89:33
Cette étude minutieuse et irréfutable donne les noms et références qui font justice des allégations communistes. La presse entière a gardé le silence sur ces faits et sur le travail méritoire de M. Paul Viret, ex-chargé de mission par la Délégation du Gouvernement provisoire.
Dans son ensemble, la presse a eu peur des communistes jusqu'à leur récente défaite électorale, et ne s'est pas risquée à imprimer des vérités qui lui eussent valu l'animadversion ne ces gens sans scrupules. Par ignorance ou frivolité, et tantôt snobisme, tantôt insouciance, elle a accrédité le mythe scandaleux de Staline et favorisé la propagande éhontée du stalinisme... Par habitude et paresse, elle continue d'égarer ses lecteurs en matière de politique internationale, se prêtant sans discernement aux campagnes *et* manœuvres soviétiques de « guerre froide ».
......
L'état des choses n'a cessé de se détériorer en matière de presse comme de radiodiffusion, véritables entreprises d'abêtissement du « peuple souverain », *qui abusent les dirigeants et les cadres de la nation encore plus que le peuple* ([^55]). On voit maintenant des ministres, des diplomates, de hauts fonctionnaires qui professent sentencieusement les absurdités les moins vraisemblables, qui colportent les plus vils commérages sur les États communistes et leurs annexes, au lieu de parler à bon escient. Des charlatans avérés, des faussaires, des agents doubles fabriquent et vendent très cher de faux documents, de fausses révélations aux « services secrets » qui leur accordent aveuglément créance et trompent ainsi leurs gouvernements crédules. De grandes maisons d'édition publient les produis de ces mêmes malfaiteurs sans souci de vérité ni de morale, ni de leur ancienne réputation, simplement par mercantilisme ([^56]).
90:33
A telles enseignes que le fameux « discours secret » de Krouchtchev au XX^e^ Congrès de son parti, avouant un petit nombre seulement des crimes innombrables de Staline, a frappé de stupeur l'opinion publique occidentale. Pourtant il ne faisait que justifier les écrits ou témoignages antérieurs de personnes qualifiées et de véracité incontestable, mais récusés comme « anti-communisme systématique » par les maîtres de la presse influente...
==============
#### La publicité payante dans les journaux.
*On croyait peut-être avoir tout vu et tout dit sur la publicité payante dans les journaux. Certaines feuilles d'une qualité inférieure ont un comportement qui se situe fort au-dessous de l'analyse.*
*Mais voici qu'un journal très sérieux,* Le Monde, *a publié dans son numéro du* 26 *mars un placard dont nous reproduisons ci-après le texte intégral :*
Savez-vous lire votre journal ?
Bien entendu, vous lisez votre journal : les articles importants, les nouvelles mondiales, les petits faits locaux, le roman, que sais-je ?
Mais vous lisez *plus encore* la Publicité, et vous avez raison. Le temps n'est plus où l'on affectait de mépriser « la réclame ».
A notre époque, la Publicité est un procédé de vente qui mérite une entière confiance. Les maisons qui l'emploient sont des maisons de premier ordre. Leurs offres sont honnêtes, sincères, et vous y trouvez des propositions d'affaires avantageuses.
Faites comme moi :
Les yeux grands ouverts, j'achète tout par la Publicité.
91:33
Ce *texte ne porte aucune mention telle que* « *communiqué* ». *Comme il dit :* « *je* », *et qu'il ne comporte pourtant aucune signature, il faudrait normalement entendre qu'il s'agit de confidences sur la manière dont M*. *Hubert Beuve-Méry, directeur du* Monde, « *achète tout par la publicité* ». *Ce qui, d'ailleurs, peut s'entendre de plusieurs manières, dont l'une est littéraire, intellectuelle et politique.*
\*\*\*
*Mais nous entendons bien qu'il s'agit d'un placard publicitaire, composé et payé par une firme de publicité* (*on ne nous dit pas laquelle*)*.*
*Cette publicité en faveur de la publicité se présente donc elle-même comme* « UN PROCÉDÉ DE VENTE QUI MÉRITE UNE ENTIÈRE CONFIANCE », *et elle insiste sur le fait que les* « OFFRES » *sont* « HONNÊTES, SINCÈRES ».
*S'il faut faire de la publicité sur ce point, c'est un très bon signe, Car c'est un signe que le public se méfie de la publicité.*
\*\*\*
*Mais le plus significatif est que cette publicité peut* SE PAYER LE LUXE DE SE MOQUER DU JOURNAL MÊME OU ELLE EST INSÉRÉE. *Elle paye. Et, payant, tout lui est permis. Elle invite le lecteur à lire la publicité* « PLUS ENCORE » *que les articles du journal.*
*Dans* Le Monde, *mais oui !*
92:33
## Note de gérance
La souscription des mille.
La souscription avance toujours, mais toujours lentement, très lentement, *trop* lentement, et elle est encore très loin des *mille abonnements de soutien demandés.* Elle n'en atteint pas, il s'en faut, la moitié.
Le 15 février, nous étions à 315 abonnements de soutien. Le 15 mars, à 357.
Le 15 avril, nous sommes à 398.
\*\*\*
Il semble que la plus grande partie de nos amis réalisent mal à quel point toutes les publications indépendantes subissent cette année d'exceptionnelles difficultés matérielles. Nous les renvoyons à la « Note de gérance » détaillée parue dans notre numéro 31 et nous les prions de bien vouloir apporter toute leur attention à la lire ou à la relire.
*En des temps qui sont, matériellement, exceptionnellement difficiles, nous demandons à tous nos amis une aide matérielle exceptionnellement accrue.* Ils ont souscrit jusqu'ici 398 abonnements : il faut arriver à 1.000. D'urgence.
============== fin du numéro 33.
[^1]: -- (1). Déclaration du Président de la République française, 25 mars 1959.
[^2]: -- (2). Voir : « Pratique communiste et vie chrétienne », *Itinéraires*, n° 23.
[^3]: -- (1). Voir : « Les deux pouvoirs et la réforme intellectuelle », *Itinéraires*, n° 27.
[^4]: -- (1). Ils protestent, au demeurant, qu'ils n'attaquent pas l'armée française tout entière ni en tant que telle ; et pour l'attester ils se déclarent très chauds partisans d'autres méthodes, que l'armée avait également conçues (généralement en vue d'autres circonstances) et qu'elle n'a pas appliquées. Hostiles aux méthodes qui sont employées, favorables à celles qui ne le sont pas, ils ont ainsi pour l'armée française une amitié qui manifeste quelque sens de l'humour.
[^5]: -- (2). On couvre d'insinuations injurieuses ceux qui osent exprimer la crainte que le crypto-communisme ne cherche par tous les moyens à pénétrer jusque dans l'Église : on veut faire croire que la seule considération d'une telle éventualité ne saurait être qu'une monstrueuse calomnie. On feint d'oublier (ou peut-être ignore-t-on ?) que la mise en garde est de Pie XI en personne, qu'elle remonte à 1937, qu'elle figure au § 57 de *Divini Redemptoris*, et qu'elle dit en propres termes que les communistes « tentent avec perfidie de s'infiltrer jusqu'en des associations franchement catholiques et religieuses » (Actes de S. S. Pie XI, édition de la Bonne Presse, tome XV, page 82). Or en 1937, les techniques communistes d'organisation parallèle, de pénétration et de noyautage étaient encore dans l'enfance.
[^6]: -- (1). En outre, quand on condamne seulement l'emploi de moyens intrinsèquement pervers, on oublie donc que le communisme est intrinsèquement pervers non pas d'abord ni surtout DANS SES MOYENS, mais surtout et d'abord DANS SA NATURE MÊME. On conditionne le public à penser automatiquement que la « perversité Intrinsèque » se situe simplement au niveau des moyens employés ; on suggère ainsi, ou au moins on laisse entière, l'hypothèse selon laquelle le communisme pourrait changer de moyens, et ne plus être alors « intrinsèquement pervers ». Or la perversité intrinsèque du communisme est DANS SON BUT, et cette perversité intrinsèque du but poursuivi ne serait nullement atténuée par l'emploi éventuel de moyens adoucis.
[^7]: -- (1). H. CLÉRISSAC, *La Messagère de la Politique divine*.
[^8]: -- (1). II Cor. XII, 9.
[^9]: -- (1). Sur le laxisme au XVII^e^ s. voir Denzinger, les condamnations de Innocent XI en 1679. Un certain nombre de thèses condamnées avaient été pourfendues dans les Provinciales en 1656 -- surtout Provinciales 5 à 14.
[^10]: -- (1). Voir Discours de Pie XII du 29-30 octobre 1951 au Congrès de l'Union Catholique Italienne des sages-femmes.
[^11]: -- (2). Voir discours de Pie XII du 18 septembre 1951 aux pères de famille français dans D. C.. du 21 oct. 1951, col. 1284.
[^12]: -- (3). André FROSSARD : *Le sexe apprivoisé, César et Sainte Histoire*, pp.. 101 et 102 du premier (et unique) numéro de la *Revue Les Mains Libres* (Desclée de B.) 1955. Lire aussi page 103 les salubres remarques sur les chrétiens de droite et de gauche.
[^13]: -- (1). 1 Cor. I, 17.
[^14]: -- (1). *Vie de saint Louis* par Guillaume de Nangis, cité dans Doncœur s.j. : La naissance, le mariage, la mort, p. 127 (édition Presses de l'Ile de Fronce). Chapitre : le mariage ; disciplines et temps clos.
[^15]: -- (1). Pour être juste, il faut noter que Maxence écrivait aussi, dans son *Histoire de dix ans *: « Misère des corps, misère des œuvres, misère des âmes : à tous les points de vue, l'époque nous semble déboucher sur la misère. »
[^16]: -- (2). *Esprit* n° 4 (p. 169) En avril 1940, écœuré par la bassesse de notre propagande de guerre, Mounier écrivait encore : « En d'autres termes, dans la guerre comme dans la paix : révolution spirituelle. Sinon, nous ne donnons pas cher de l'avenir. »
[^17]: -- (1). Cf. l'article si prodigieusement ambigu, publié sous le titre Y a-t-il une justice politique ? en août 1947, dans *Esprit* où Mounier affirmait qu'il n'y a de justice politique que dans l'affirmation d'une finalité révolutionnaire de l'histoire. Il s'était exprimé avec encore plus de netteté dans une chronique donnée à la même époque aux Émissions vers l'étranger de la Radiodiffusion. Ces chroniques n'ont jamais été réunies en volume.
[^18]: -- (2). Le numéro spécial d'*Esprit* sur Mounier, publié en décembre 1950 porte là : « (1928-1930) » ; ce texte, dans les deux éditions, comporte plusieurs variantes notables.
[^19]: -- (1). André Déléage a été un des plus remarquables esprits de la Troisième Force et d'*Esprit*. Professeur à la Faculté des Lettres de Nancy, il a laissé une belle thèse d'histoire sur la vie rurale en Bourgogne pendant le haut Moyen-Age. Il a été tué en 1945, lors de l'offensive de Von Rundstedt. Louis-Émile Galey était alors architecte. Il s'est orienté depuis vers le cinéma et travaille aujourd'hui à Pathé-Cinéma.
[^20]: -- (2). Izard a fait, à quelques mots près, le même récit à Gilbert Ganne (Arts 28-3-56). Il met dans la bouche de Mounier cette réplique : « C'est entendu. Je plaque tout. J'abandonne ma carrière universitaire. »
On lit également dans Mounier et sa génération : « Le 7 décembre, de la rue Saint-Placide au Palais-Royal, nous parlons, Georges Izard et moi, de la revue dont nous avons besoin. « Et pourquoi ne nous en chargerions-nous pas ? » Nous sommes rue de Valois. »
[^21]: -- (1). La citation est suivie de cette note : « Le carnet s'achève sur ces mots. »
[^22]: -- (2). Le numéro comportait aussi beaucoup de bavardage, en dehors d'un texte important de Berdiaeff : « Vérité et mensonge du communisme. »
[^23]: -- (1). Mounier, dans une interview fort peu connue, donnée par écrit, en novembre 1946, à Octobre, hebdomadaire éphémère où se heurtait curieusement l'influence de ses deux co-directeurs Bourdet et Henri Frenay -- la carrière de Frenay après la Libération illustre tragiquement l'échec politique de la Résistance -- a fort bien évoqué les positions de départ d'*Esprit* : « Aux « spiritualistes » nous disions : oui, la crise est dans l'homme, mais elle est aussi dans les structures, et vous ne sauverez pas l'homme sans révolutionner les structures. » Aux « matérialistes » : oui, économique d'abord. Mais toute révolution est dirigée par une conception de l'homme. Si votre « matérialisme » veut dire : mort à l'idéalisme inefficace, redécouverte de l'homme charnel et du travailleur, nous sommes de ce « matérialisme » là. Nous l'appelons « réalisme », philosophie de l'homme total. Sinon, vous désarmez l'homme et la révolution ne redressera un instant son vaisseau sinistré que pour mieux le jeter aux récifs, à l'inhumanité. »
[^24]: -- (1). Jean Maze, dans une note qu'il m'a remise, relate ainsi les débuts émouvants du mouvement ; ce furent ceux de tous les petits groupes qui se fondaient alors : « Bordée de hautes maisons, une rue sombre, quelque part à Grenelle. Une sorte d'appentis dans le fond d'un étroit jardin où trois laitues malades verdissent entre les tessons de bouteille. C'est là que, pauvres en finances, mais riches d'enthousiasme, les militants de la Troisième Force ont installé le siège de leur mouvement. Deux pièces assez exiguës constituent tout le local, plutôt humide, où lamais l'électricité ne put être installée. C'est autour d'une large table couverte de toile cirée et sur laquelle trône une lampe à pétrole ventrue que se réunissent les membres de l'organe de direction du mouvement, le C.C.C. (Comité Consultatif Central). Il y a là Izard, Galey, Déléage, Edmond Humeau, Vindelle, Robin, Maze... combien d'autres que depuis, les circonstances ou la politique ont éloignés, séparés, mais qui se souviendront toujours avec une rare émotion de ce mouvement intense de leur jeunesse. Là viennent également parfois des amis de l'extérieur, le vieux sociologue Charles Dulot, directeur de *l'Information Sociale*, Philippe Lamour, tonitruant et superbe, Bertrand de Jouvenel qui hume entre les pavés la révolte que l'on sent monter alors contre les hommes (...)
Ceux qui eurent la chance de vivre cette aventure exemplaire ne pourront jamais l'oublier.
L'expérience Troisième Force restera, parmi toutes celles de l'entre-deux-guerres comme l'une des plus pures. Mais aussi spirituellement comme l'une des plus riches. »
[^25]: -- (2). Un mouvement très différent de la Troisième Force, Communauté, d'inspiration, comme *Esprit*, directement chrétienne, s'était développé, en 1934-35, en marge de la revue, sous l'impulsion d'un jeune dirigeant catholique belge, Raymond de Becker. Ce fut le mouvement le plus proche d'*Esprit* ; Mounier qui, pendant quelques mois, en attendit beaucoup, le constatait en 1936. C'était un véritable « ordre laïque » que de Becker, toujours transporté par un idéalisme agissant -- Mounier notait, en septembre 1933, que de Becker venait de parcourir la Provence en mendiant -- aurait voulu créer. Il demandait tout à ses membres, il demandait tant qu'il ne put grouper autour de lui que quelques dizaines de jeunes gens. Plus tard de Becker adopta des positions différentes ; il a raconté lui-même son évolution et ses raisons dans le Livre des vivants et des morts.
[^26]: -- (1). « Pour une technique des moyens spirituels », *Esprit* (Nov. déc. 1934, fév. 35).
[^27]: -- (1). En pleine polémique épistolaire avec Jacques Chevalier sur le Front Populaire et la guerre d'Espagne, il écrit, en mai 1937, à son ancien maître : « Si vous parlez de la réalité du peuple, j'entends le plus souffrant et le plus abandonné et je parle de sa réalité, c'est-à-dire tel qu'il est, avec toutes les grimaces que lui ont imprimé ses souffrances et son ressentiment, il ne s'agit pas pour nous de conciliation mais de don total jusqu'à la vie et à la mort. Parce que nous sommes les serviteurs (non pas les chefs, les sauveurs : les serviteurs) des membres souffrants du Christ, même lorsque (comme disent les Proverbes, XXX, 79) à force de misère (où sont compromis des Disciples) ils l'outragent. »
[^28]: -- (1). Je ne résiste pas au plaisir de citer ici cette ahurissante appréciation de M. Goguel dans l'article qu'il a consacré à Mounier, dans le numéro d'hommage d'*Esprit* : « Juin 36. Mounier salue l'accession au pouvoir du Rassemblement Populaire par un long article, d'un ton très sympathique à l'expérience qui commence, mais où, pour une fois, sa lucidité politique nous paraît -- après coup -- en défaut. Ce qu'il craint, en effet, c'est que le Rassemblement Populaire ne se trouve dévié de sa ligne propre par l'action du Parti communiste. »
[^29]: -- (1). Dans cet article, il fait état d'une conversation qu'il a eue avec Bergamin et où celui-ci lui avait dit qu' « à Barcelone les premières salves partirent des couvents, comment une église brûlée a presque toujours été un guet-apens préparé avec l'aide du curé qui tirait de la tribune ou du clocher contre les réguliers. »
Deux mois après, sentant qu'il était tout de même allé un peu fort, Mounier écrira : « Il n'est pas douteux que les attentats ont débordé largement les coupables (de quoi ?) et frappé le plus souvent l'innocent que le prêtre politicien », et il ajoutait en note : « Une phrase de ma note d'octobre faite dans la fièvre des premiers renseignements, m'apparaît aujourd'hui coupable, de n'avoir pas insisté sur ce point. »
[^30]: -- (1). Le mois suivant, *Esprit* publiait une lettre de Maurice de Gandillac, Roger Labrousse, Bernard Sérampuy et Marcel Moré, protestant vivement contre l'attitude prise par Mounier et la revue.
« Et comment ne pas rejeter aujourd'hui cette coalition saugrenue qui a rassemblé pêle-mêle, pour le grand combat de la liberté, les représentants du capitalisme international, du mercantilisme anglo-saxon, du chauvinisme français, de la dictature stalinienne et plusieurs de ces demi-fascismes sans grandeur qui pullulent en Europe orientale ? On ne pouvait rien rêver qui offrit à la propagande hitlérienne une cible plus facile et plus propre à regrouper tous les ressentiments germaniques au profit du national-socialisme. »
[^31]: -- (1). R.P. Roger-Thomas CALMEL, o.p. : *École chrétienne renouvelée : l'éducation des filles* (Téqui éditeur, 1958).
[^32]: -- (1). D. Minimus, L'œuvre du P. Emmanuel, n° 27, p. 126.
[^33]: -- (1). Missel romain quotidien traduit et présenté par les moines bénédictins d'Hautecombe, publié primitivement par les Éditions Labergerie. et désormais par les Éditions Mellotée, 20, rue de la Réforme, Limoges.
Avertissement au lecteur : nos remarques se limitent à leur objet explicite, et ne prétendent nullement comporter un jugement implicite sur les aspects dont nous ne parlons pas. La question des missels est d'ailleurs une question trop importante pour que nous n'y revenions pas dans une perspective d'ensemble.
[^34]: -- (1). Nous citons le texte de la « petite édition ». Le même Missel romain quotidien d'Hautecombe a aussi une « grande édition », bien meilleure, qui nous est parvenue trop tard pour que nous puissions en faire état dans le présent article. Nous en parlerons ultérieurement. Disons seulement que l'équivoque constatée dans la « petite édition » n'est pas dans la « grande édition », et que celle-ci échappe aux réserves qu'appelle celle-là. La différence de rédaction est telle, du moins à première vue. que l'on pourrait supposer que les deux éditions n'ont pas eu les mêmes auteurs et, en cet endroit tout au moins, ne s'inspirent pas du même esprit.
[^35]: -- (2). Missel de chaque jour par un groupe de moines de l'abbaye de Maredsous ; éditions de Maredsous, 23, rue Visconti, Paris.
[^36]: -- (3). Missel quotidien vespéral du P. Morin ; Droguet et Ardant éditeurs, 60, rue Montmailler, Limoges.
[^37]: -- (1). Même éditeur.
[^38]: -- (2). Missel quotidien vespéral et rituel, introduction, traduction et notes explicatives par Dom Gérard, moine bénédictin de l'abbaye de Clervaux ; éditions Brépols, 6, rue du Vieux-Colombier, Paris.
[^39]: -- (1). Nouveau missel illustré pour tous les dimanches et jours de fête de l'année liturgique ; textes de Dom Gérard ; Brépols éditeur.
[^40]: -- (2). Missel biblique de tous les jours, édition remise à jour selon les réformes liturgiques, vespéral et rituel. Action catholique rurale et Éditions Tardy (15, rue Joyeuse, Bourges, et 89, rue de Seine, Paris). Missel réalisé sous la direction du Chanoine Boulard de l'abbé Bion et du P. Roguet., o.p..
[^41]: -- (1). Missel vespéral romain présenté, traduit et commenté par Dom Gaspar Lefebvre et les moines bénédictins de l'abbaye Saint-André, dessins de Dom Bruno Groenendaal, traduction des textes scripturaires par le Chanoine Osty ; éditeur : Société liturgique, 15, rue du Vieux-Colombier, Paris VI^e^.
[^42]: -- (2). Missel vespéral romain par Dom Gaspar Lefebvre, édition de 1933.
[^43]: -- (3). Nous examinerons ultérieurement s'il n'est pas d'autres points sur lesquels les éditions récentes du « Dom Lefebvre » seraient inférieures aux anciennes. Matériellement, bien sûr, la présentation est meilleure (typographie et mise en pages). Les éditions récentes ont évidemment l'avantage irremplaçable d'être mises à jour (fêtes nouvelles, réformes liturgiques).
[^44]: -- (1). Voir *Itinéraires*, numéro 22. pages 4 et 5.
[^45]: -- (2). *Documents pontificaux de S. S. Pie XII*, année 1955, éditions Saint-Augustin (Suisse), dépositaire pour la France : SDEC., 23, rue Visconti, Paris. Texte conforme à la traduction française de l'*Osservatore romano* (édition française) du 6 mai 1955. L'édition des *Actes de S. S. Pie XII*, textes originaux et traduction française, qui avait été entreprise un moment par la Bonne Presse, s'arrête à la fin de l'année 1945. Il n'existe pas d'édition des Actes de S. S. Pie XII textes originaux et traduction française.
[^46]: -- (3). Voir l'éditorial de notre numéro 22.
[^47]: -- (4). Ici encore, le texte de la « grande édition » est d'une qualité très différente et nettement supérieure. Toutefois la même incertitude y subsiste sur la dénomination exacte de la fête, qui est celle de saint Joseph « artisan » au calendrier, et celle de saint Joseph « travailleur » à la messe du jour.
[^48]: -- (1). Nous consacrerons ultérieurement une étude détaillée à ce Missel biblique qui est d'une très grande valeur religieuse, doctrinale, liturgique, véritable livre de prière -- livre de la prière de l'Église et de la prière personnelle. Les illustrations, peu nombreuses, ne nous paraissent pas de la même qualité. Le texte latin est parfois donné, parfois omis. Nous en reparlerons. Dès maintenant, nous attirons l'attention de nos lecteurs sur la qualité exceptionnelle de ce missel.
[^49]: -- (1). Les déconcerter rétrospectivement. Quand il eut commencé sa vie publique, il abandonna l'atelier. De même aujourd'hui, au lieu d'avoir des prêtres qui ensuite se font ouvriers, on s'oriente vers la démarche inverse : travailler en usine avant de devenir prêtre.
[^50]: -- (1). Le texte dit bien « je », alors qu'il est effectivement signé : « Groupe des Éditeurs de livres de religion. » L'analyse grammaticale ne nous a pas permis de savoir qui est ce « je » ni ce qu'il signifie.
[^51]: -- (1). *La Croix* et les *Informations catholiques* ont explicitement habitué leurs lecteurs à tenir cette « sélection » pour celle des MEILLEURS livres catholiques. Ces deux publications l'ont certainement fait de bonne foi. Mais ce sont elles que le « Groupe des éditeurs » devrait détromper, afin qu'elles puissent à leur tour détromper leurs lecteurs et les mettre en garde. Les journalistes ne lisent pas l'Officiel de la librairie : et ceux de *La Croix* comme ceux des *Informations catholiques* n'ont sans doute pas eu connaissance de la mise au point.
[^52]: -- (2). Comme il l'a été opportunément et loyalement précisé dans les *Informations catholiques* du 15 janvier 1959, page 31.
[^53]: -- (3). Voir article de M. Maurice Carité dans *Carrefour* du 31 juillet 1958.
[^54]: -- (1). M. Boris Souvarine cite ici des ouvrages effectivement fondamentaux pour la connaissances des réalités de l'appareil communiste : M. Ceyrat : *La Trahison permanente* (Paris, Spartacus 1947) ; A. Rossi : *Deux ans d'alliance germano-soviétique*, et autres ouvrages du même auteur. La bibliographie du communisme est considérable. Mais il est de fait que la presse dans son ensemble a toujours mis en relief les ouvrages médiocres, insignifiants, voire imposteurs, et plus ou moins passé sous silence les ouvrages de valeur. Rappelons que l'ouvrage fondamental et sans équivalent, en raison du nombre, et de la qualité des témoins, est le livre *L'Étoile contre la Croix*, rédigé par le R.P. Dufay à partir des témoignages vécus de plus de 150 missionnaires expulsés de Chine (Casterman éditeur).
[^55]: -- (1). C'est nous qui soulignons. Cette remarque est profondément juste. Le peuple français ne croit pas trop ses journaux (encore qu'il en subisse forcément l'influence dans une certaine mesure). Mais les cadres dirigeants, dans les milieux intellectuels, politiques, économiques et sociaux, veulent s'informer et être informés. Ils s'adressent à des « journaux sérieux » qui en fait, jour après jour, les fourvoient complètement. On leur fait croire des énormités, qui n'ont de réalité que dans la propagande communiste : par exemple que l'U.R.S.S. serait en train de « rattraper et dépasser » le niveau de vie américain ; que les dirigeants soviétiques veulent la « coexistence pacifique », etc. Dans le domaine de l'information religieuse, les plus douloureux malentendus entre des catholiques français et le Saint-Siège viennent principalement, de la même manière, d'informations apparemment « sérieuses », en réalité systématiquement incomplètes, tendancieuses, voire carrément truquées, qui sont diffusées par les grands journaux.
[^56]: -- (2). Le mercantilisme dans la presse n'étonne plus personne. Mais on ne sait pas encore, dans le public, à quels trafics se livrent en effet certaines maisons d'édition connues depuis longtemps pour leur sérieux et leur respectabilité. Des récits mensongers sur l'U.R.S.S., entièrement forgés par des faussaires. ont été solennellement édités par des maisons qui pourtant avaient été informées de la valeur exacte de tels livres. Le souci du « sensationnel » et de la « vente », toute morale mise à part, empoisonne maintenant le commerce de l'édition lui aussi.
C'est l'une des raisons qui nous fait un devoir absolu, mal compris parfois par nos lecteurs, de refuser par principe toute publicité payante dans nos colonnes, et spécialement la publicité des maisons d'édition. (Note d'*Itinéraires*.)