# 34-06-59 1:34 *Les libertés de l'enseignement* « *Le déblaiement, il est entrepris déjà dans l'esprit des générations qui sont en âge scolaire. Elles accordent de moins en moins d'autorité morale à une institution qui, malgré tant de maîtres respectables, est contrainte par une minorité installée à manifestement marcher sur la tête. Quand des professeurs, dans leur classe même, font* « *la grève sur le tas* »*, moqués, chahutés ou injuriés par leurs élèves, il est certain que quelque chose est en train de finir. Et point en beauté.* » (cf. p. 23) 2:34 ### Ce que la revue « Itinéraires » met à votre disposition : Fondée en 1956, la revue « Itinéraires » travaille à la réforme intellectuelle, morale et sociale selon les principes exposés dans sa « Déclaration fondamentale » (n° 28), et dont voici la conclusion : Nous nous adressons aux Français là où ils sont et nous ne leur demandons pas d'en sortir, ni d'adhérer à un parti ou mouvement s'ils ne sont d'aucun, ni de quitter les organisations où ils militent s'ils sont militants. Nous ne leur demandons de changer ni de groupement ni d'occupation : mais, pour les aider à y mieux remplir leur fonction, à y poursuivre selon leur état de vie la conversion permanente à laquelle nous sommes tous appelés, à mesurer plus exactement les applications de la doctrine de l'Église aux responsabilités de chacun, nous leur apportons le résultat de notre expérience et de nos réflexions. Par la chronique mensuelle des idées et des faits actuels, nous travaillons à notre place, par les moyens propres à notre état, et pour autant qu'il est en nous, à rendre la France et le monde à Jésus-Christ. 3:34 ### La revue « Itinéraires » a publié **Dieu** -- Jean MADIRAN : Dieu censuré (n° 2). -- Henri MASSIS : La question qui agite le monde est de l'homme à Dieu (n° 2). -- D. MINIMUS : La Sainte Trinité (n° 3). -- D. MINIMUS : Le Sacré-Cœur (n° 4). -- D. MINIMUS : Le Christ-Roi (n° 9). -- Marcel DE CORTE : A propos du « Jésus » de Jean Guitton (n° 13). -- D. MINIMUS : Qualis est hic (n° 13). -- D. MINIMUS : Mourons avec lui (n° 17). -- D. MINIMUS : Demeure avec nous car la soirée s'avance (n° 24). -- Charles DE KONINCK : La noblesse de l'amitié divine envers le genre humain (n° 30). **La T. S. Vierge** -- Jean MADIRAN : Vers Lourdes (n° 6). -- D. MINIMUS : L'attente avec Marie (n° 10). -- D. MINIMUS : La Sainte Vierge et le Saint-Esprit (n° 11). -- D. MINIMUS : Toute petite, j'ai plu au Très-Haut (n° 20). -- Charles DE KONINCK : Lourdes et la foi catholique (n° 27). -- D. MINIMUS : L'apparition de la T. S. Vierge à Pontmain (n° 29 et n° 30). 4:34 Parmi les travaux de nos rédacteurs, on se reportera notamment aux ouvrages suivants : Charles DE KONINCK : *Ego sapientia : La sagesse qui est Marie* (Éditions Fidès, 1943). -- Charles DE KONINCK : *La Piété du fils. Études sur l'Assomption* (Presse universitaires Laval, Québec, 1954). -- Roger-Thomas CALMEL, o.p. : *Le Rosaire dans la vie.* **La vie religieuse** D. MINIMUS : La liberté et la prière (n° 1). -- Louis SALLERON : En lisant *Le Phénomène humain* du P. Teilhard de Chardin (n° 1). -- D. MINIMUS : Mémoire de la Croix (n° 2). -- Louis SALLERON : Post-scriptum sur le P. Teilhard de Chardin (n° 3). -- Marcel DE CORTE : Grandeur de la contemplation (n° 5). -- D. MINIMUS : Rachetez le temps (n° 7 et n° 8). -- Georges DUMOULIN : Une religion, une Église (n° 7). -- Jean MADIRAN : Lettre à Jean de Fabrègues sur la division des catholiques (n° 9). -- D. MINIMUS : Entre Noël et la Passion (n° 11). -- Joseph THÉROL : Pour un rosaire de sainte Jeanne d'Arc (n° 13). -- Jean MADIRAN : L'Action catholique (n° 15). -- Jean MADIRAN : Le catéchisme (n° 17). -- Henri MASSIS : Pascal, apôtre des temps modernes (n° 19). -- D. MINIMUS : Le temps de Noël (n°19). -- D. MINIMUS : Le Carême (n° 21). -- Jean MADIRAN : Débat sur le catéchisme (n° 23). -- Louis SALLERON : Parenthèse sur le P. Teilhard de Chardin (n° 26). -- Jean MADIRAN : Le modernisme intégral (n° 26). -- Roger-Thomas CALMEL, o.p. : Politique et vie intérieure (numéros 26, 27, 29, 30 et 31). -- Jean MADIRAN : La démocratie chrétienne en mouvement (n° 26). 5:34 Marcel CLÉMENT : Doctrine et prudence (n° 27). -- Charles DE KONINCK : Le scandale de la médiation (n° 29). -- D. MINIMUS : Mystères (n° 31). -- Roger-Thomas CALMEL, o.p. : Deux déviations des chrétiens (n° 32). -- D. MINIMUS : Spiritualité (n° 33 et n° 34). -- Roger-Thomas CALMEL, o.p. : A propos du mariage chrétien (n° 33). Parmi les travaux de nos rédacteurs, on se reportera notamment aux ouvrages suivants : Roger-Thomas CALMEL, o.p. : *École et sainteté* (Éditions de l'École, 1958). -- Marcel CLÉMENT : *La joie d'aimer* (Nouvelles Éditions Latines, nouvelle édition 1959). -- Joseph THÉROL : *L'Évangile de sainte Jeanne d'Arc* (N.E.L. 1957). -- Marcel CLÉMENT : *Le grand retour* (Institut littéraire Québec 1950). -- Gustave THIBON : *Notre regard qui manque à la lumière* (Amiot-Dumont, 1955). -- Marcel CLÉMENT : *Le sens de l'histoire* (N.E.L. 1958). **Pie XII** Marcel CLÉMENT : Pie XII et le nationalisme (n° 3). -- D. MINIMUS : L'Encyclique sur le Sacré-Cœur (n° 6). -- ÉDITORIAL : Le message de Pie XII aux Français (n° 7). -- Marcel CLÉMENT : Pie XII et la vocation de la France (n° 7). -- NOTES CRITIQUES : Pie XII, 31 janvier 1952 (n° 7). -- Jean MADIRAN : Résistance et croisade (n° 10). -- Jean MADIRAN : Entre le Pape et les Français, un amas de papier (n° 12). -- Marcel CLÉMENT : Pie XII et le droit (n° 12). -- Jean MADIRAN : Supplique à quelques théologiens et à quelques autres (n° 13). -- Jean MADIRAN : Un pamphlet signé Dansette (n° 13 et n° 15). -- Marcel CLÉMENT : Pie XII et le sens de l'histoire (n° 15). -- Marcel CLÉMENT : Pie XII (n° 29). -- Jean MADIRAN : Pie XII hier et demain (n° 29), rubrique « documents ». 6:34 Parmi les travaux de nos rédacteurs, on se reportera notamment aux ouvrages suivants : -- Marcel CLÉMENT : *L'Économie sociale selon Pie XII* (N.E.L. 1953). -- Marcel CLÉMENT : *Les Encycliques sont-elles applicables ?* (Éditions Bestille, Québec 1949). **La France** ÉDITORIAL : Après le mensonge et la trahison (n° 4). -- Henri CHARLIER : La patrie (n° 5). -- Marcel CLÉMENT : Pie XII et la vocation de la France (n° 7). -- Marcel CLÉMENT : Les conditions de l'unité des catholiques de France (n° 9). -- Jean MADIRAN : La justice en Algérie (n° 16). -- Jean MADIRAN : La France blessée par ses fils (n° 21). -- Jean MADIRAN : Le triple refus qui est à droite (n° 22 et n° 23). -- Amiral AUPHAN : A propos de bombes (n°22). -- Jean MADIRAN : La communauté catholique dans la nation française (n° 25). -- Jean MADIRAN : Note sur l'apologie des partis politiques (n°29). -- Marcel CLÉMENT : Prudence politique et prudence civique (n°30). -- Henri CHARLIER : Les quatre batailles de France (n° 31). -- André CHARLIER : Invention à deux voix (n° 32). -- Henri CHARLIER : L'Afrique et la France (n°32). Parmi les travaux de nos rédacteurs, on se reportera notamment aux ouvrages suivants : Marcel CLÉMENT (en collaboration avec Léon Bérard, André Frossard, X. de Bourbon, R.P. Guettier o.s.b., Raoul Follereau, général Weygand, etc.) : *Patrie française et principes chrétiens* (N.E.L. 1956). -- Marcel CLÉMENT : *Enquête sur le nationalisme,* préface de Jean Madiran (N.E.L. 1957). 7:34 **La réforme intellectuelle et morale** Marcel DE CORTE : L'influence de la civilisation actuelle sur le catholicisme (n° 3). -- Henri CHARLIER : L'administration de l'enseignement (n° 3). -- Georges DUMOULIN : Retour aux vérités premières (numéros 6, 7, 9, 10 et 11). -- Henri CHARLIER : La réforme de l'enseignement (n° 7 et n° 8). -- Henri CHARLIER : Les quatre causes, ou la raison de l'impuissance des intellectuels (n° 12 et n° 15). -- Marcel CLÉMENT : Notes sur le « faux réalisme » (n° 13). -- Jean MADIRAN : Lettre sur la politique naturelle et sur la lumière surnaturelle (n° 16, rubrique « documents »). -- Conversation avec Henri CHARLIER sur plusieurs sujets diversement actuels (n° 17 et n° 18). -- Jean MADIRAN : Notule sur Maritain et sur la philosophie chrétienne (n° 19). -- Jean MADIRAN : Les deux pouvoirs et la réforme intellectuelle (n° 27). -- DÉCLARATION FONDAMENTALE de la revue *Itinéraires* (n° 28). -- Raymond le POITEVIN : Les deux formes de l'apprentissage (n° 30). -- Gustave THIBON : Propos sur les mœurs (n° 33). Parmi les travaux de nos rédacteurs, on se reportera notamment aux ouvrages suivants : Henri CHARLIER *: Culture, École, Métier* (nouvelle édition revue et augmentée en réimpression aux Nouvelles Éditions Latines). -- Charles DE KONINCK *: La primauté du bien commun* (Fidès 1943). -- Jean MADIRAN : *On ne se moque pas de Dieu* (N.E.L. 1957). -- Roger-Thomas CALMEL, o.p. *: École chrétienne renouvelée* (Téqui 1958). -- Gustave THIBON *: Diagnostics* (Lardanchet 1941). -- Henri MASSIS *: Visage des idées* (Plon 1958). -- Henri CHARLIER *: Le martyre de l'art* (N.E.L. 1957). 8:34 **La réforme sociale** Henri CHARLIER : La confusion du gouvernement et de l'administration (n° 2). -- Marcel CLÉMENT : Le programme social de l'Église : la corporation (n° 4). -- Marcel CLÉMENT : La fête chrétienne du travail (n° 5). -- Henri CHARLIER : Despotisme de l'administration (n° 6). -- Marcel DE CORTE : L'ordre corporatif et les obstacles qu'il rencontre (n° 11). -- D. MINIMUS : Saint Joseph artisan (n° 12). -- Hyacinthe DUBREUIL : Pour le dossier du corporatisme (n° 15). -- Louis SALLERON : Le travail et l'argent (n° 16). -- Marcel CLÉMENT : Conception chrétienne de l'entreprise (n° 16). -- Marcel CLÉMENT : Réforme des institutions et réforme des mœurs (n° 17). -- Marcel CLÉMENT : La dialectique du « moral » et du « social » (n° 18). -- Marcel CLÉMENT : La réforme des institutions, idole et victime des idéologies (n° 20). -- Hyacinthe DUBREUIL : Le témoignage des deux frères (n° 20). -- Henri CHARLIER : Naissance d'une corporation (n° 20). -- Georges DUMOULIN : L'exemple doit venir d'en haut (n° 22). -- Henri CHARLIER : Le fond de la question : le vote par ordre (n° 26). -- Jean MADIRAN : Rendre aux Français la liberté (n° 29). -- Henri CHARLIER : Nécessité actuelle de la corporation (n° 32). Parmi les travaux de nos rédacteurs, on se reportera notamment aux ouvrages suivants : -- Hyacinthe DUBREUIL *: Des robots ou des hommes* (Grasset 1956). -- Marcel CLÉMENT : *Introduction à la doctrine sociale catholique* (Fidès 1950). -- Louis SALLERON *: Les catholique et le capitalisme* (La Palatine 1951). -- Marcel CLÉMENT : *La corporation professionnelle* (N.E.L. 1958). -- Marcel CLÉMENT (en collaboration avec le R.P. Richard ARÈS, s.j.) *Vers la corporation agricole* (Éditions Noë-Ponton 1951). 9:34 **Pour connaître le communisme\ et organiser la résistance** Marcel CLÉMENT : Communisme et droit naturel (n° 1). -- Gustave THIBON : Sens et non-sens de l'historicisme (n° 5). -- Jean MADIRAN : Le communisme sous la toise (n° 6). -- Marcel CLÉMENT : Étapes vers le progressisme (n° 6). -- Jean MADIRAN : Un peuple martyr témoigne contre le mensonge des docteurs (n° 8). -- Jean MADIRAN : Le progressisme doctrinal... et les autres (n° 11). -- Louis SALLERON : La pensée de Marx (n° 12). Marcel CLÉMENT : Pie XII et le sens de l'histoire (n° 1-5). -- Louis SALLERON : Le travail et l'argent (n° 16). Jean MADIRAN : Pratique communiste et vie chrétienne (n° 23). -- XXX : Guerre et action psychologique (n° 27). -- Jean MADIRAN : En pleine guerre psychologique (n° 30). -- Roger-Thomas CALMEL, o.p. : Réponse intégrale aux iniquités politiques (n° 31). -- Marcel CLÉMENT : Lénine et la stratégie révolutionnaire (n° 31). -- Roger-Thomas CALMEL, o.p. : Deux déviations des chrétiens (n° 32). -- Marcel CLÉMENT : A-t-on le droit de conditionner les masses ? (n° 32). -- Jean MADIRAN : Conditionnement à la non-résistance (n° 33). Parmi les travaux de nos rédacteurs, On se reportera notamment aux ouvrages suivants : Charles DE KONINCK *: Notre critique du communisme est-elle bien fondée ?* (Presses universitaires Laval, 1950). -- Jean MADIRAN *: Ils ne savent pas ce qu'ils font* (N.E.L. 1955). 10:34 Jean MADIRAN *: Ils ne savent pas ce qu'ils disent* (N.E.L. 1955). -- Jean MADIRAN : *On ne se moque pas de Dieu* (N.E.L. 1957). -- Marcel CLÉMENT : *Le sens de l'histoire* (N.E.L. 1958). **Initiations\ à la sociologie chrétienne** Marcel CLÉMENT : Déguisements et réalités de la science économique (n° 2) ; Les sciences sociales sont-elles des sciences morales ? (n° 8) ; Les sciences sociales sont des sciences morales (n° 14) ; Les lois sociologiques et la loi naturelle (n° 23 et n° 24) ; Le principe de subsidiarité (n° 25) ; Quelques fausses lois sociologiques (n°26). Parmi les travaux de nos rédacteurs, on se reportera notamment aux ouvrages suivants : Marcel CLÉMENT : *-- Salaire et rendement* (Presses universitaires de France, 1947). -- *L'Économie sociale selon Pie XII* (N.E.L. 1953).  Marcel CLÉMENT (en collaboration avec Jean de Livonnière) : *Scènes de la vie sociale* (Éditions du Centre Français de Sociologie, 1955). \*\*\* Le CENTRE FRANÇAIS DE SOCIOLOGIE, fondé et dirigé par Marcel Clément, est conçu comme une université à l'intention de tous ceux qui sentent la nécessité *d'étudier* l'économie sociale mais éprouvent aussi la difficulté d'étudier *seul,* dans des livres, si bons soient-ils, sans conseil et sans direction Le Centre Français de Sociologie organise des cours annuels à Beaumont-Monteux (Drôme) et des sessions de six jours partout où des hommes de métier, des universitaires, des étudiants, des cadres, des chefs d'entreprise, des militants désirent étudier l'économie sociale. 11:34 Le *Conseil de Direction* du Centre Français de Sociologie comprend MM. Marcel CLÉMENT (président), Gustave THIBON et Jean de LIVONNIÈRE (vice-présidents), André CLÉMENT, René BRUNET-LECOMTE, l'Abbé A. RICHARD, président du Mouvement pour l'Unité, André AUMONIER, délégué général du Centre Français du Patronat chrétien, Jean DAUJAT, directeur du Centre d'Études Religieuses, Raymond DELATOUCHE, président de la Société Le Play. Pour tous renseignements sur les cours, sessions, conférences et activités du Centre Français de Sociologie, on peut écrire (avec un timbre pour la réponse) : -- soit au secrétariat général du Centre Français de Sociologie, Beaumont-Monteux, Drôme ; -- soit au secrétariat parisien du Centre Français de Sociologie, 17 avenue Niel, Paris XVII^e^ (Téléphone : CAR. 87-12). -- soit au secrétariat lyonnais du Centre Français de Sociologie : René Brunet-Lecomte, 37, Chemin de la Glacière, Oullins, Rhône. **Questions historiques diverses** Amiral AUPHAN : Réflexions sur le drame colonial (n° 3). -- Jean MADIRAN : Une histoire de la démocratie chrétienne (n° 4). -- Henri CHARLIER : La barbarie autrefois et aujourd'hui (n° 4). -- Jean MADIRAN : Un pamphlet signé Dansette (n° 13 et n° 15). -- Amiral AUPHAN : Les corporations de la marine, 1941-1944 (n°14). -- Michel VIVIER : Le corporatisme dans la presse royaliste au XIX^e^ siècle (n° 14). -- Jean MADIRAN : L'intégrisme (numéros 17, 18, 19 et 20). -- Henri MASSIS : Le crépuscule de Renan (n° 18). -- Henri MASSIS : Apologie pour Bossuet (n° 21 et n° 22). -- D. MINIMUS : Le P. Emmanuel et la paroisse du Mesnil-Saint-Loup (n° 26 et n° 27). -- Georges DUMOULIN : La scission de 1921 et l'avenir du syndicalisme (n° 27). -- D. MINIMUS : L'apparition de la T. S. Vierge à Pontmain (n° 29 et n° 30). -- Pierre ANDREU : « Esprit », 1932-1940 (n° 33). -- Henri MASSIS : Jeanne d'Arc et les Anglais (n° 33). 12:34 ## ÉDITORIAL ### Les libertés de l'enseignement LA NÉCESSITÉ d'une réforme profonde de l'enseignement français n'est plus contestée nulle part. Son urgence se manifeste simultanément sur trois plans, non pas séparés mais distincts ; conjugués mais non confondus. Une vue d'ensemble doit considérer : 1. -- la liberté de l'Église et celle des familles ; 2. -- les libertés de l'esprit ; 3. -- les libertés de l'État et du citoyen ([^1]). #### I. -- La liberté de l'Église et la liberté des familles I. -- Qui a autorité pour enseigner ? La foi catholique répond : l'Église, qui en a été chargée par Jésus-Christ ; l'Église qui *est* Jésus-Christ répandu et communiqué. Cette autorité est proposée aux consciences, qui ont la responsabilité personnelle de la reconnaître ou de la refuser. A ceux qui ne la reconnaissent pas, elle ne s'impose ni par la loi civile ni par la force temporelle. Mais elle demande à pouvoir être elle-même pour tous ceux qui la reconnaissent, et à proposer librement son message à tous les hommes. Elle enseigne le sens de la mort, la raison de vivre, la loi morale naturelle et les moyens surnaturels de s'y conformer. Elle explique à L'homme sa vocation et son salut. Elle instruit et elle éduque. Elle réclame que l'État ne vienne pas lui retirer ses fidèles pour les éduquer et les instruire à sa place. 13:34 L'autorité de l'Église en matière d'enseignement, c'est l'Église elle-même qui la définit dans sa doctrine. Ceux qui refusent sa doctrine, ceux qui reconnaissent à sa place une autre autorité, et ceux qui n'en reconnaissent aucune, ont toute liberté civile de n'aller point à son école. Mais que l'on cesse enfin de priver les catholiques d'une école catholique. Que l'on cesse d'en reconnaître la possibilité théorique et d'en organiser simultanément l'impossibilité pratique. Priver les pauvres de l'école chrétienne qu'ils désirent est une forme certaine de persécution religieuse. 2. -- Mais une forme de persécution religieuse qui reste parfois inaperçue et que l'on tient pour inexistante, parce qu'on ne voit pas quel rapport inévitable s'établit, pour un chrétien, entre l'école et la religion. Beaucoup tiennent ce rapport pour artificiel et abusif. C'est que, dans leur esprit, ce rapport a été remplacé par un autre : l'habitude aidant, ils tiennent pour nécessaire le rapport qui s'est établi en France entre l'école et l'État. Parce qu'il existe en fait, ce rapport paraît naturel, inévitable, voire souhaitable. Or c'est celui-ci qui est -- en lui-même et toute question religieuse mise à part -- abusif et artificiel. Si nos intellectuels casaniers connaissaient un peu le vaste monde, ils sauraient que l'école française d'État n'est nullement la règle « démocratique » et « moderne », mais au contraire l'exception, sauf dans les pays soumis au communisme soviétique. Que l'enseignement soit dirigé et administré par l'État, c'est une caractéristique, et l'une des plus graves, du totalitarisme. Elle résulte de l'abolition pratique d'une liberté fondamentale. 3. -- Car au chapitre des libertés fondamentales, dont tout le monde parle à tout propos, on nous *distrait* de celles qui le sont le plus au profit de celles qui le sont le moins. On nous présente comme une « liberté fondamentale » le fait d'avoir des journaux qui ne soient pas aux mains du gouvernement. Avoir un enseignement qui ne soit pas aux mains du gouvernement est une liberté beaucoup plus fondamentale ([^2]). 14:34 Mais l'école d'État française, avec sa conception libérale, laïque et neutre, est, nous dit-on, une magnifique réalisation. Peut-être : ce n'est pas la question. La question est de savoir si cette conception a le droit d'être *imposée par le pouvoir politique* à l'ensemble des citoyens, y compris ceux qui ont de l'enseignement une autre conception. Que l'école laïque existe au même titre que les autres écoles, sans privilèges d'État, et que cette conception particulière de l'enseignement soit proposée au libre choix des familles, c'est inévitable dans une société qui a perdu son unité spirituelle ; et tant mieux si cette école laïque est pleine de mérites et de qualités. On ne rêve point de la tuer. On conteste seulement le fuit qu'elle tende à s'imposer par une pression politique, juridique, financière, matérielle. On proteste contre le totalitarisme de fait qui laisse aux familles riches mais enlève aux familles pauvres l'usage effectif d'une liberté fondamentale qui ne peut être abolie sans tyrannie. 4. -- Une *école publique,* une école d'État est assurément nécessaire, mais dans deux cas seulement : a\) Il appartient en effet à l'État d'organiser lui-même la formation de ses fonctionnaires et de ses officiers. Que les grandes écoles soient des écoles d'État, cela est parfaitement dans l'ordre normal des choses ([^3]). 15:34 *b*) Dans tous les cas où, sans l'État, il n'y aurait pas d'école, l'intervention gouvernementale est légitime. A la condition cependant que l'État n'ait pas lui-même artificiellement créé le vide, en retirant préalablement aux familles et aux collectivités les moyens matériels d'organiser l'enseignement. L'argent de l'impôt, il n'appartient pas à l'État de l'utiliser ici selon son arbitraire. La totalité du budget dit de « l'Éducation nationale » doit être, d'une manière ou d'une autre, soit rendu aux familles (et aux collectivités locales et professionnelles), soit géré et utilisé selon leur volonté. L'intervention d'une volonté autonome de l'État, imposant des vues qui lui sont propres sans même consulter les familles, est *en cette matière* abusive et tyrannique. 5. -- Le droit naturel, la liberté des familles sont depuis longtemps violés en France. L'ancienneté de l'abus ne lui confère aucune légitimité, car il s'agit d'un droit imprescriptible de la personne humaine : cette ancienneté impose seulement beaucoup de patience, de progressivité, d'étapes intermédiaires dans le retour à la liberté et au droit ([^4]). Pratiquement, les familles n'obtiendront rien sans une parfaite unité d'action. Et l'action nécessaire est double. Premièrement, *une action catholique.* D'une part, l'Église maintient entières les exigences de sa doctrine et veille à ce qu'elles soient connues et comprises de l'ensemble des baptisés ; elle montre en outre aux incroyants que la doctrine catholique est en accord avec les requêtes de la simple raison naturelle, c'est-à-dire du bon sens. L'état des esprits est tel qu'il y a beaucoup à faire en ce domaine. D'autre part, l'Église est juge de ce qui est le plus urgent et le plus opportun en ce qui la concerne. Elle doit souvent subir des situations où les libertés que réclame sa mission surnaturelle ne lui sont qu'imparfaitement consenties. Elle tient compte des dispositions du pouvoir civil, de l'état des mœurs et de l'opinion. Elle ne laisse se prescrire aucun de ses droits. Mais, pour leur reconnaissance effective dans la société, elle sait bien qu'il lui faut souvent tolérer ce qu'elle ne peut approuver ([^5]). Si personne n'a le pouvoir d'amputer de quoi que ce soit la doctrine catholique, en revanche tout catholique a le devoir, dans l'action pour la liberté de l'Église, de suivre avec discipline les indications que donne l'Église elle-même ([^6]). 16:34 Secondement, *une action familiale* (qui peut éventuellement se prolonger ou se spécifier aussi en une action locale et professionnelle). La liberté fondamentale des familles en matière d'enseignement est un droit naturel infiniment plus grave que le droit de vote ou la liberté de la presse et sur ce point les idéologies installées (installées même parfois dans des milieux catholiques) ont provoqué une confusion et un renversement des valeurs fondamentales, L'Église éclaire les consciences sur la portée de ce droit naturel et sur les responsabilités qui incombent aux familles : mais ces responsabilités, l'Église ne peut les assumer à la place de ceux qui ont à les porter. C'est pourquoi les familles s'organisent et s'unissent en vue d'une défense opportune de leurs droits. Cette action familiale, elle aussi, doit tenir compte de ce qui est immédiatement possible. Elle aussi, elle doit s'exercer dans l'unité et dans la discipline, sous peine de n'aboutir à rien. Le problème pour elle n'est pas de faire tout d'un coup établir par décret une situation scolaire parfaitement satisfaisante, mais d'avancer sur le chemin, qui sera long, d'une réforme des lois, des esprits et des mœurs en matière d'enseignement. Quelle que soit l'étape prochaine, quel que soit le but immédiat que fixe l'autorité religieuse pour la défense des libertés religieuses, et que fixent les responsables des organisations familiales pour la reconnaissance effective de leur droit fondamental, c'est cette étape qu'il faut pratiquement adopter, c'est vers ce but qu'il faut avancer d'un même mouvement, sans désordre ni dispersion. #### II. -- Les libertés de l'esprit l. -- Ayant donné à cette discipline religieuse et civique tout ce qu'elle requiert, il ne faudrait pas y intégrer aussi, par quelque confusion, et y réduire au silence l'effort de la réflexion, de la recherche, de la pensée, dont dépend la réforme même des méthodes de l'enseignement français. 17:34 Les animateurs responsables des groupements familiaux et scolaires sont parfaitement qualifiés pour conduire l'action : ils sont qualifiés par la désignation et la confiance de leurs mandants ; nous les appuyons et suivons sans broncher, dans la mesure de leurs responsabilités. Ces responsabilités ne comportent pas l'annexion et le gouvernement de toute pensée concernant la réforme intellectuelle et morale de l'enseignement. 2. -- Les tares intellectuelles de l'enseignement français sont profondes ; elles sont quasiment universelles ; elles sont à peu près identiques dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé. Et elles ne sont pas toujours exactement analysées. L'enseignement libre, à cet égard, serait plus exactement nommé un enseignement demi-libre. Contraint de présenter ses élèves aux mêmes examens que l'enseignement d'État, de suivre dans cette mesure les mêmes programmes élaborés en dehors de lui, de satisfaire aux exigences fixées et contrôlées par l'administration étatique de l'enseignement, il garde la liberté infiniment précieuse de s'y employer dans un climat chrétien : même à ce niveau, il existe pourtant, plus d'une fois, une contradiction point toujours remarquée, mais très réelle, entre l'inspiration chrétienne et l'esprit des programmes officiels ([^7]) ... De toutes façons, l'enseignement libre n'a qu'une demi-liberté dans le choix de ses méthodes intellectuelles, puisqu'il doit subir le fait que la masse des connaissances obligatoires soit arbitrairement fixée par le pouvoir politique. Il y a plus encore, par-delà les dispositions administratives jouent aussi les influences intellectuelles -- et les entraînements idéologiques. Il ne suffit pas d'être une institution libre pour échapper automatiquement à la pression d'un certain type de culture, d'un certain climat mental, des idées officiellement installées. Pour prendre un exemple, les tentations historicistes, rationalistes, relativistes (et même scientistes) qui ont presque complètement réduit à néant l'enseignement de la philosophie dans l'école publique, ne sont pas absentes des Instituts catholiques et des Séminaires : ceux-ci sont mieux armés, au moins en principe, pour y échapper, ils n'y échappent pas forcément, ni sans difficultés, ni toujours. 18:34 3. -- Le problème est ici celui des *méthodes intellectuelles,* et de la réforme qu'elles appellent depuis plus de cinquante ans. Les données fondamentales en sont explicitement ou implicitement contenues dans le combat de Péguy contre la Sorbonne, dont tout le monde a plus ou moins entendu parler, mais dont bien peu d'intellectuels saisissent la signification. Les méthodes et les mœurs intellectuelles de l'enseignement français n'ont fait, quant à l'essentiel, aucun progrès depuis Péguy : ses requêtes pour une réforme radicale demeurent actuelles. L'enseignement public, et trop souvent l'enseignement privé lui aussi, sont restés presque complètement sourds à ce mouvement de pensée -- porteur des espérances et des moyens d'une renaissance -- qui s'est prolongé soit un peu en marge soit carrément en dehors de la plupart des institutions enseignantes. Les travers de l' « intellectualisme » que Péguy mettait en cause demeurent, identiques en substance, chez le plus grand nombre des intellectuels de profession, qu'ils soient clercs ou laïcs. Ces travers, pour être restés semblables, ne sont pas restés immobiles, ils ont grandi, ils se sont développés, ils se sont étendus. Une réforme intellectuelle est nécessaire : la même : celle dont Péguy a jeté les bases, tracé les perspectives, et qui est encore à opérer. Péguy, et d'autres. Dans le même esprit ou dans un esprit convergent. Mais on salue Péguy comme un noble poète, on se laisse émouvoir par son chant, on n'écoute guère sa pensée, du moins dans les sphères officielles et responsables des diverses catégories d'enseignement. Augustin Cochin, dont la pensée est encore moins connue par les intellectuels installés que celle de Péguy. Claudel, poète lui aussi, vous dit-on, poète et donc en somme un rêveur, qui dit de bien belles paroles, mais n'est pas un véritable intellectuel, un érudit sérieux, un sociologue de poids ([^8]). Saint-Exupéry, dont la plupart des intellectuels n'imaginent même pas qu'on puisse le nommer à propos de la réforme intellectuelle ([^9]). 19:34 Ce mouvement de pensée qui est né avec Péguy et par Péguy, on lui a opposé une porte fermée. Il n'en est pas mort. Il est plus vivant que jamais. Il n'apparaît point dans les enquêtes, les congrès, les journaux, les statistiques, les dénombrements, les classifications. Il n'apparaît point non plus dans les programmes des groupements, dans les déclarations, les manifestes, les élaborations collectives. Ce mouvement de pensée, les œuvres qu'il a portées, concernant spécialement l'enseignement et sa réforme, sont ignorées par les professionnels de l'enseignement en proportion directe de leur situation officielle. 4. -- Seulement, il se passe une petite chose, pas encore bien comprise, mais déjà éprouvée et sentie : l'enseignement français dans son ensemble devient de plus en plus irrespirable ; de plus en plus inadapté ; de plus en plus aboulique et infécond ; il excelle surtout à former des professeurs, et de préférence des professeurs en congé, fabriquant des thèses et signant des manifestes, plutôt que des professeurs faisant la classe. L'on peut là-dessus prononcer tous les discours que l'on voudra. On peut tout faire croire. Sauf persuader les gens qu'ils respirent très bien quand ils étouffent. Or ils étouffent, ils étouffent sous l'absurdité, et commencent à se demander pourquoi. On va vers un craquement formidable, vers un épouvantable effondrement de l'enseignement français. Il vaudrait mieux l'éviter. On demande à l'école tout ce qu'elle ne peut pas donner et on ne lui demande quasiment plus rien de ce qu'elle est faite pour donner. On prétend enseigner à l'école comment devenir « technique » et « pratique », sans voir que s'y employer par des moyens scolaires est le comble de l'impratique et du chimérique. L'enseignement français est saisi par ce délire intellectualiste qui, selon la formule d'Henri Charlier, croit que l'on peut « enseigner la natation par correspondance ». En prolongeant la scolarisation obligatoire, on détraque davantage encore la machine entière et l'on universalise une sélection à l'envers. L'enseignement libre devrait bien user au maximum de sa demi-liberté pour se tenir le plus possible à distance et en dehors de l'écroulement qui menace. 20:34 Pour l'éviter s'il est temps encore, ou pour reconstruire quand il aura eu lieu, Étienne Gilson a écrit *Pour un ordre catholique,* Henri Charlier a écrit *Culture, École, métier,* Jean Rolin a écrit *Les Libertés universitaires,* le P. Calmel a écrit *L'École chrétienne renouvelée.* La leçon identique de ces pensées convergentes, nous y renvoyons le lecteur qui veut savoir pourquoi l'enseignement français est devenu un monument aussi absurde et qui se demande ce que l'on pourrait bien y faire. On y verra aussi pourquoi il est fort douteux que l'État puisse opérer lui-même une réforme véritable de l'enseignement ([^10]). 5. -- Quel que soit l'événement, c'est à la réforme intellectuelle et morale qu'il importe fondamentalement de travailler : et ce travail-là, il n'est jamais accompli par décret ; il incombe à chacun non pas selon ses titres officiels mais selon ses capacités. Les véritables libertés de la conscience et de l'esprit consistent à porter soi-même, à la mesure de ses aptitudes, les responsabilités de son état et de sa vocation. #### III. -- Les libertés de l'État et du citoyen. l. -- Troisième perspective, qui n'enlève rien aux deux premières, mais qui s'y ajoute. L'école publique subit une colonisation intérieure contre laquelle elle n'a pas encore trouvé les moyens pratiques de se défendre. Le cri d'alarme lancé par un « laïque » aussi insoupçonnable que M. Émile Roche, dans un organe « laïque » aussi militant que *L'École et la Démocratie,* voici maintenant six années, n'a pas provoqué beaucoup d'écho. Des pudeurs, des timidités ou des calculs l'ont fait tomber dans les oubliettes, Mais cette discrétion ne signifie en rien la réalité. 21:34 M. Émile Roche écrivait en juin 1953 : « *Le communisme s'empare peu à peu de l'école.* » Et il formulait cette question précise : « *Que répondrons-nous quand les parents nous diront qu'ils ne veulent pas envoyer leurs enfants à une école où le maître viole la neutralité de l'enseignement au profit du communisme *? » 2. -- Beaucoup de catholiques eux-mêmes ont longtemps fait silence sur cette situation dramatique, par crainte d'être soupçonnés d'intention « politique » contre l'enseignement d'État. Ils étaient encouragés dans leur abstention et leur passivité par des religieux qui les prévenaient solennellement, en mars 1956, que « *la polémique contre l'école publique* » ne saurait plus être « *le fait que de quelques fanatiques attardés et au* *demeurant sans mandat* » ([^11]). Mais enfin il ne s'agit pas de polémique ; il s'agit de voir ce qui est. Personne ne peut sérieusement imaginer que M. Émile Roche, constatant la réalité d'une situation redoutable, ait eu la moindre intention « polémique » *conrte l'école* publique. Le communisme s'y installe profondément, c'est un fait ; l'administration d'État n'a pas pu empêcher cette installation de s'étendre, c'est un autre fait. D'ailleurs, il n'est plus possible de fermer les yeux*.* Dans la revue *Études* qui n'est point écrite par des « fanatiques attardés » et qui n'a aucune volonté de « polémique contre l'école publique », le P. Rouquette écrit nettement (numéro d'avril, page 110) : « *Il faut de plus en plus tenir compte du prosélytisme ardent d'une minorité passionnée d'enseignants marxistes, spécialement dans les lycées de la région parisienne dont ils ont complètement changé le climat.* » Et ils l'ont pu faire, dans beaucoup de cas que l'on peut citer, grâce à la passivité, voire à la complaisance, d'un ministère de l'Éducation nationale parfaitement au courant de l'existence de leurs organisations et de la nature de leurs menées. 3. -- Ce phénomène, dont la réalité est ancienne, indiscutable, et aujourd'hui reconnue, se double d'un autre : l'action publique en faveur de la « laïcité » est actuellement dominée par le Parti communiste et par la frange habituelle de ses complices conscients et de ses auxiliaires inconscients. 22:34 Une transformation fondamentale s'est opérée dans le concept, les mœurs, la pratique de la « laïcité ». Il s'agissait à l'origine -- à la fin du XIX^e^ siècle, au début du XX^e^ -- de défendre les libertés de l'État et des citoyens contre les empiètements réels ou supposés d'un cléricalisme. Cette conception pouvait être plus ou moins discutable : mais l'aspiration dont elle procédait était légitime. Considérant, à tort ou à raison, que l'école était utilisée par un certain cléricalisme comme instrument de domination temporelle sur les citoyens et sur l'État, la « laïcité » se préoccupait d'assurer les libertés temporelles de l'État et des citoyens. Aujourd'hui, les positions sont radicalement inversées. Par la voix de Pie XII, l'Église a rappelé et proclamé que LA SAINE ET LÉGITIME LAICITÉ DE L'ÉTAT EST UN DES PRINCIPES DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE ([^12]). Et ce sont l'appareil communiste et son allié le « parti intellectuel » qui utilisent l'école publique comme un instrument pour établir leur domination temporelle, politique, sur l'État et sur les citoyens. L'école publique était apparue nécessaire pour assurer les libertés politiques et l'autorité autonome de l'État, Aujourd'hui, il est clair que l'une des principales résistances à l'autorité de l'État, l'une des principales menaces sur sa liberté de décision politique, vient de l'école publique. Non de l'école publique tout entière : mais des moyens d'influence politique, d'empiètement temporel, de domination sociale qu'y ont organisés le parti intellectuel et l'appareil communiste. 4. -- Un « cléricalisme » nouveau, celui du « parti intellectuel » et celui de l'appareil communiste, *se sert* de l'école pour faire opposition à la politique librement décidée par le gouvernement légal, pour combattre l'action d'une armée qui accomplit les tâches qu'elle a reçues de l'État, et plus généralement pour renverser le régime actuel et le remplacer par un autre qui serait prétendument « socialiste ». Voilà où en sont présentement les tenants les plus résolus, les militants les plus actifs, les porte-parole les plus influents de la « laïcité ». Sous ce drapeau, ils organisent la domination de leur cléricalisme. 23:34 Contre eux, la doctrine catholique maintient et défend *la saine et légitime laïcité,* les libertés temporelles de l'État et des citoyens menacés par les clercs du progressisme et du marxisme ([^13]). 5. -- La crise est virtuellement ouverte entre l'école d'État et l'État. Elle multiplie ses manifestations sporadiques. Elle peut éclater dans toute son ampleur d'un moment à l'autre. C'est une autre cause, non négligeable, du prochain effondrement d'une école publique colonisée par un cléricalisme insupportable. C'est même probablement le biais par lequel -- à moins de mesures urgentes dont on n'a pas encore vu la première -- l'édifice scolaire commencera ce grand craquement qu'il vaudrait mieux éviter. Il n'est pas sûr qu'il ne soit déjà trop tard, et qu'il ne faille pas désormais en passer par un gigantesque déblaiement avant de pouvoir reconstruire. Le déblaiement, il est entrepris déjà dans l'esprit des générations qui sont en âge scolaire. Elles accordent de moins en moins d'autorité morale à une institution qui, malgré tant de maîtres respectables, est contrainte par une minorité installée à manifestement marcher sur la tête. Quand des professeurs, dans leur classe même, font la « grève sur le tas », moqués, chahutés ou injuriés par leurs élèves, il est certain que quelque chose est en train de finir. Et point en beauté. \*\*\* CONCERNANT LE STATUT de l'école et concernant le contenu d'une certaine « laïcité », le communisme est venu, ici comme ailleurs, pousser les principes et les mœurs jusqu'à leurs conséquences, et faire le partage entre l'illusion et la réalité : car partout *il mobilise à son profit, non pas immédiatement mais immanquablement, ce qui comportait une conception erronée du droit et de la liberté.* Et l'on n'y peut rien, et le « marxisme » proprement dit n'a pas grand'chose à y voir. 24:34 Et peu importe : que l'on se veuille ou que l'on soit « anti-marxiste ». C'est ici que l'on se trompe toujours. On nous parle toujours du « marxisme ». Or il ne s'agit pas d'un accord de principe sur la philosophie mais d'une convergence de fait dans l'action. Il ne s'agit pas d'une conversion mais d'une mobilisation. Et tous ceux dont les positions, la pensée, Les mœurs intellectuelles, même sans aucune contamination marxiste, recelaient quelque contradiction cachée avec les principes naturels de la liberté *et* du droit (c'est-à-dire en dernière analyse avec le Décalogue) n'y échappent qu'un temps : ils sont finalement conditionnés sans le savoir et entraînés fût-ce malgré eux dans une action qui favorise le communisme et défavorise la résistance. Les justes aspirations laïques avaient été dès l'origine viciées par des pensées et des pratiques plus ou moins contraires à la morale naturelle des sociétés. Beaucoup ne s'en aperçurent point, qui aujourd'hui sont soudainement horrifiés de découvrir leur laïcité mobilisée par le Cléricalisme des intellectuels, spécialement communistes, organisant en fait un instrument de domination temporelle. Ce cléricalisme des intellectuels sociologiquement installés dans la plupart des postes dirigeants de l'école, de l'université, des congrès, de l'édition et des journaux, ce cléricalisme si directement contraire à la saine et légitime laïcité, si fondamentalement opposée aux pouvoirs temporels de l'État (comme d'ailleurs, et tout ensemble, aux pouvoirs spirituels de l'Eifjise), ce cléricalisme si violemment destructeur des libertés temporelles de l'État (*comme* d'ailleurs, et tout ensemble, des libertés spirituelles du citoyen), Péguy le voyait tel qu'il se montre aujourd'hui, quand personne encore n'y était attentif. Ce qu'il en écrivait et décrivait voici plus de quarante ans, nous le subissons toujours, mais c'est maintenant, *et* le communisme aidant, que nous en avons pris conscience. Depuis que le parti intellectuel s'est fait courroie de transmission, depuis que la laïcité s'est faite cheval de bataille du communisme, depuis que l'un et l'autre sont devenus parmi nous un instrument de la colonisation soviétique, nous vérifions et nous touchons du doigt *ce* que Péguy discernait : « *Le laïcisme qui était un système de neutralité en matière de foi et de métaphysique et en somme un système de la liberté de conscience est devenu* (...) *un des systèmes les plus dangereux, un des plus malendurants, un des plus tyranniques, un des plus enfouis dans le temporel, un des plus redoutables systèmes d'oppression des consciences.* » ([^14]) 25:34 Il s'agit de domination : « *Une domination temporelle en matière intellectuelle si solidement établie* (*temporellement, en puissance temporelle*) *que nulle chaire d'enseignement supérieur n'échappe. Une domination temporelle d'un parti intellectuel* (...) *qui* a *les charges, qui a le gouvernement temporel, toutes les puissances temporelles. Qui a les concours et les examens. Une exigence, une tyrannie temporelle intellectuelle, je veux dire temporelle en matière intellectuelle comme jamais les Français d'aucun régime n'en eussent supporté une.* » ([^15]) Et ce cléricalisme temporel des intellectuels, plutôt que de lâcher prise, devient au service du communisme un auxiliaire et un instrument. C'est pourquoi nous voyons maintenant à l'œil nu ce que le regard de Péguy vit avant les autres. Quand aujourd'hui le parti intellectuel dominant dans l'école d'État utilise les prestiges, les influences, les commodités et les puissances temporelles qu'il tient de l'État pour combattre l'État, il refait ce qu'il a toujours fait, Péguy déjà écrivait ces lignes que l'ou pourrait croire écrites en 1959 : « *Ils retournent contre l'État, contre la République, contre la France, l'autorité même et le temporel qu'ils tiennent de la République, de la France, de l'État. C'est toujours exactement le même double jeu... Ils sont contre l'État, ils se déclarent* en *corps contre l'État, mais cette déclaration même, mais cette insurrection même, ils ne la font que comme corps de l'État et au titre de corps de l'État.* » ([^16]) Leur puissance temporelle tient précisément à ce qu' « *au nom de l'État ils délivrent des diplômes qui commandent presque loutes les carrières et notamment pour ainsi dire toutes les carrières libérales* » ([^17]). Parce que c'est le communisme qu'ils servent ou favorisent, nous apercevons mieux aujourd'hui qu' « *il y a quelque chose de véritablement monstrueux à ce qu'un peuple soit ainsi trahi par sa tête* » ([^18]). 26:34 Nous devenons plus attentifs à leur « *attention constante et sournoise à accaparer, à usurper tout ce qu'ils peuvent du gouvernement de l'État* » ([^19]). Nous nous demandons comment nous n'avons pas vu plus tôt, puisqu'aussi bien Péguy nous l'avait expliqué en détail, que « *c'est un pouvoir temporel clérical scholastique comme il y en a eu d'aussi mauvais, comme il n'y en a jamais eu de pire* » ([^20]). Hier *comme* aujourd'hui, leur méthode intellectuelle, la méthode de leur enseignement, est « *d'ossifier, de momifier la réalité, les réalités qui leur sont imprudemment confiées, d'ensevelir dans le tombeau des fiches la matière de leur enseignement* » ([^21]). Et c'est là ce qui est irrespirable dans l'enseignement français, DE PLUS EN PLUS, parce que plus se prolonge le manque d'air, d'abord inaperçu, plus on étouffe. Ils trahissent de toutes les manières, ils trahissent et la patrie et la culture intellectuelle, mais « *ils trahissent de la manière la plus désagréable du monde, par une trahison morose et sournoise, d'une trahison désagréable, embêtante, solennelle, livresque, pédante, prétentieuse savante, ennuyeuse, ingrate, plate, essayant de tout soumettre aux oppressions plates de la plus obtuse bureaucratie intellectuelle* » ([^22]). Péguy a bien quelque chose à nous dire pour notre temps. Il fit le portrait du parti intellectuel d'il y a quarante ans, et le portrait correspond aujourd'hui point par point ; il s'y ajoute seulement que le parti intellectuel, souvent sans qu'il le sache, a été pris en mains par les conditionnements et les courroies de transmission du Parti communiste, ce qui accuse les traits sans les modifier. Cette clairvoyance comme prophétique de Péguy, cette vue si exacte de notre présent dans le sien est peut-être un titre à ce que l'on écoute et entende aussi ce qu'il disait sur le fond du débat : 27:34 « Le débat... est entre toute l'ancienne France ensemble, païenne (la Renaissance, les humanités, la culture, les lettres anciennes et modernes, grecques, latines, françaises), païenne et chrétienne, traditionnelle et révolutionnaire, monarchiste, royaliste et républicaine, -- et d'autre part, et en face, et au contraire une certaine domination primaire, qui s'est établie vers 1881, qui n'est pas la République, qui se dit la République, qui parasite la République, qui est le plus dangereux ennemi de la République, qui est proprement la domination du parti intellectuel. « Le débat est entre toute cette culture, toute la culture, et toute cette barbarie, qui est proprement la barbarie. « Le débat n'est pas entre les héros et les saints ; le combat est contre les intellectuels, contre ceux qui méprisent également les héros et les saints. » ([^23]) Péguy avait même annoncé en substance aux catholiques les projets qui se nomment aujourd'hui « intégration scolaire » et qu'on leur fait proposer par de certains catholiques, par de certains intellectuels catholiques, par de certains docteurs catholiques ; Péguy nous avait prévenus : « Que les catholiques le sachent bien, la querelle de la Sorbonne n'est pas une querelle gratuite, elle n'est pas une querelle insignifiante. Et elle n'est pas une querelle ajoutée. C'est la querelle même des héros et des saints contre le monde moderne, contre ce qu'ils nomment sociologie, contre ce qu'ils nomment psychologie, contre ce qu'ils nomment science (...) La Sorbonne serait assez disposée à faire alliance avec les docteurs, et peut-être même à *faire une place aux docteurs*, pourvu que ce fût contre les héros et les saints (...) Toute la question est de savoir si les docteurs, dont personnellement je me passe très bien, débarqueront les saints, dont nul ne peut se passer. Ce serait mal les connaître, les docteurs, que de ne pas espérer qu'en effet ils débarqueront les saints. Les docteurs n'ont pas seulement condamné Jésus-Christ, ils n'ont pas seulement condamné Jeanne d'Arc, ce ne serait rien encore : NOLITE JUDICARE, ils ont *jugé* Jésus-Christ, ils ont *jugé* Jeanne d'Arc, ils continueront. » ([^24]) Le débat reste le même. Il vaut mieux le savoir clairement. Jean MADIRAN. 28:34 > La réforme de l'enseignement : Henri CHARLIER : L'administration de l'enseignement (n° 3). Henri CHARLIER : La réforme de l'enseignement (n° 7 et n° 8). DÉCLARATION FONDAMENTALE (n° 28). Jean MADIRAN : Rendre aux Français la liberté (n° 29). Raymond le POITEVIN : Les deux formes de l'apprentissage (n° 10). Henri CHARLIER : L'école chrétienne (n° 33). 29:34 ## CHRONIQUES 30:34 ### Quelques vues sur la réforme de l'enseignement supérieur par Henri CHARLIER L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR lui aussi change avec ce monde changeant. Mais on confond généralement en histoire et dans l'enseignement les deux aspects fondamentaux du changement dans l'humanité. Il y a un progrès général du savoir ; du moins dans certaines parties de l'humanité. Ce progrès très lent parfois, immensément long peut-on dire pendant les premiers âges et pour certains peuples, très rapide aujourd'hui chez nous, est celui des connaissances techniques et des sciences proprement dites, qui d'ailleurs dépendent étroitement les unes des autres. L'autre aspect du changement est celui des pensées et de la valeur morale de l'homme. Ici le progrès, loin d'être à peu près continu comme dans le premier cas, est bien plus semblable à la feuille de température d'un fiévreux. Il y a des époques où la moralité est bonne et d'autres où elle est détestable. Depuis plus d'un siècle nos intellectuels ont voulu nous faire croire que les deux aspects de la civilisation allaient de pair ; que puisque nous avions su tirer parti de l'électricité naturelle nous étions en progrès moral et qu'en somme nous étions ce qu'on avait jamais vu de mieux dans l'humanité. On commence à s'apercevoir qu'il n'en est rien. Il y eut à tous les âges des sociétés de mœurs pures où régnait la paix ; généralement cela ne durait pas sans s'altérer au-delà de quelques générations. Dans la nôtre il y a une extrême corruption des mœurs jointe aux derniers progrès scientifiques, et la guerre sociale est installée à demeure dans nos cités. 31:34 Il y a dans cette distinction des deux aspects du comportement des hommes une indication utile pour l'enseignement. Celui qui correspond au premier se doit modifier sans cesse. Celui qui répond à l'étude morale de l'homme doit au contraire conserver précieusement toutes les indications du passé sur les principes de la vie morale, sur l'influence des lois et des conditions économiques, étudier les idées des *sages* et non plus seulement celles des *savants.* Il n'y eut jamais dans l'histoire que deux progrès véritables dans l'aspect moral de l'humanité, la révélation du Décalogue et celle des Béatitudes. Mais ce sont des révélations ; elles ne viennent point de l'homme. Socrate, si naturellement pieux, consultant l'oracle de Delphes, écoutant son « génie » c'est-à-dire dans notre langage, son ange gardien, Eschyle demandant aux Dieux de sortir l'homme de la fatalité, montrent eux-mêmes par l'incertitude de leur doctrine, qu'une révélation était nécessaire. Leur histoire, leurs généreux efforts sort les témoins d'une *attente* dans toute l'humanité et non chez les Juifs seuls que la révélation chrétienne seule pouvait satisfaire et qui explique le succès presque immédiat de celle-ci dans le monde grec. Or depuis cent cinquante ans notre enseignement essaie d'éliminer ces vérités historiques et de ramener les faits moraux et l'évolution historique aux seuls progrès techniques de l'humanité, c'est-à-dire à confondre les deux ordres très distincts de la succession des âges techniques et de la valeur morale. Il n'est pas étonnant que notre idée de l'enseignement soit confuse et que celle qui correspond à l'étude de l'homme et de l'opinion des *sages* soit consciemment ou inconsciemment sacrifiée à la première, et qu'on n'en reconnaisse même plus l'utilité. Tel est le fond de la « crise de l'enseignement ». LES ENSEIGNEMENTS SUPÉRIEURS sont par nature des enseignements spéciaux, qui ont tous des caractères très particuliers. Il est donc impossible de généraliser, sinon pour dire que la forme de chacun de ces enseignements dépend de la matière étudiée et que les maîtres en sont juges. Nous donnerons donc notre avis sur l'enseignement que nous avons pratiqué pendant vingt années avec des élèves ayant de dix-huit à trente ans : celui des arts plastiques. 32:34 Là comme ailleurs nous sommes obligés de lutter contre la conception des écoles qu'on se fait depuis la Révolution et qui a son origine dans l'enseignement littéraire. Dans cet enseignement l'atelier est une salle de cours, l'établi une chaire, l'outil est un livre ; la chaire et le livre y sont vraiment l'atelier et l'outil. C'est bien. Mais on est porté à voir tout enseignement sous cette forme ; le désir de tranquillité, l'habitude devenant routine y poussent facilement. Nous ayons montré et justifié notre préférence pour l'atelier sur l'école : il y a des signes que cette distinction joue dans l'enseignement supérieur aussi. L'hôpital reste la véritable école des médecins et c'est très heureux. Il n'en est pas de même dans tous les pays. Cependant plusieurs médecins m'ont dit spontanément que l'enseignement n'était pas assez pratique : en effet les cas étudiés dans les hôpitaux sont bien moins variés que ceux qui se présentent dans une clientèle ordinaire et beaucoup de médecins voudraient que les jeunes fissent des stages obligatoires chez leurs confrères avant de pouvoir exercer eux-mêmes. Cette méthode des stages est très pratiquée en agriculture et il est des écoles d'agriculture qui l'exigent pour leurs élèves *reçus,* AVANT leur entrée. Les jeunes agriculteurs qui désirent se perfectionner en font aussi après, mais librement. Il est évident que les médecins ne peuvent faire ces stages qu'après leurs études mais ils le devraient faire obligatoirement. Nous donnons ces détails pour montrer que *partout dans l'enseignement l'uniformité est déraisonnable.* Les Écoles d'Athènes et de Rome sont des écoles de linguistes liées à un atelier d'épigraphie et d'archéologie. Dans un de ses ouvrages A. Meillet écrit ceci : « On s'imagine souvent que le progrès de la linguistique sortira de théories nouvelles, Ce qui en réalité est essentiel, c'est de réaliser un progrès de plus dans la précision des observations. Il a suffi d'une décimale de plus dans l'exactitude des mesures pour faire découvrir des corps nouveaux dont l'importance pour les théories de la chimie est capitale. » Depuis des années, depuis toujours, je crois, nous entendons les savants réclamer pour leurs laboratoires ; ils ont raison, Le laboratoire n'est pas, comme pour les classes élémentaires de physique et de chimie, une simple illustration du cours, c'est l'atelier du savant. Il y poursuit ses recherches personnelles, s'y fait aider par des élèves qui s'y forment ainsi à la recherche scientifique ; le cours public enregistre les résultats. 33:34 LES PAROLES plus haut citées de Meillet sont valables pour étudier la philosophie, Celle-ci examine très peu son langage et c'est à tort, car elle ne le connaît pas ; elle ne voit pas son caractère d'art. La logique est un art faussé dans son caractère si on ne la prend pas pour un art ; bien des problèmes naissent de ce que les philosophes ne se rendent pas compte que le langage oblige à transformer tout *simultané* en *successif.* Nous avons développé cet aperçu dans « *Les Quatre Causes* » ([^25]). On cherche des raisons dans l'être à l'ordre logique et des raisons logiques ; il n'y en a souvent pas d'autres que la nécessité pour le langage d'être successif. Cet ordre n'est pas fondé sur *l'étant* mais sur une nécessité d'art. Le langage plastique outre sa qualité d'être universel et de n'avoir pas besoin de traduction a l'avantage de présenter comme simultané ce qui est simultané, ce que les philosophes essaient de faire par des tableaux synoptiques. Mais ces tableaux ne sont que de grossiers schémas, tandis que les arts plastiques peuvent parler *à la fois, en même temps* de liberté, de nécessité, de contingence, et sur des exemples concrets. JE VOIS les intellectuels froncer les sourcils. Dans un manifeste d'étudiants soucieux d'une saine réforme de l'enseignement et soucieux de se bien former eux-mêmes nous lisons : « Cette élite, elle devra se caractériser par un certain individualisme, une certaine culture ambitieuse du moi, dans la mesure où il y a des hommes d'élite plutôt qu'à proprement parler une élite. Elle devra se rendre compte qu'elle n'est que l'élite universitaire, mais que la société produit aussi, naturellement, d'autres élites qu'elle devra dominer de sa supériorité dans l'universel. » Ils croient évidemment qu'il y a plus d'universel dans des « Prolégomènes » que sur le fronton du Parthénon. L'humanité entière suspendue à la naissance d'un enfant dans une grotte, suspendue à sa mort plus tard sur la Croix, proteste que *l'universel est lié au concret,* comme dans la vie, comme dans les paraboles de Notre-Seigneur et dans l'art. 34:34 Nous avons lu de cet aveuglement des intellectuels un exemple scandaleux pour nous gens de métier. Le Père Dillard (*Suprêmes témoignages*) parlant des ouvriers étrangers en Allemagne pendant la guerre, écrit : « Je m'inquiétais autrefois de savoir comment pouvaient fonctionner en Allemagne ces invraisemblables usines internationales où travaillait une population hétéroclite de Russes, de Serbes, de Polonais, d'Italiens, de Français, etc... J'ai compris sur place que le lien entre tous ces hommes n'était pas la destination de leur travail (sur laquelle ils ne s'entendaient évidemment pas) mais la simple communion collective avec la matière, quelque chose comme un corps vivant du travail. Quand je voyais, en traversant les ateliers, trois compagnons frapper les rivets à la masse : un Russe, un Allemand, un Français, et que j'admirais le synchronisme impeccablement précis de leurs gestes, le rythme harmonieux de leur frappe, je pensais qu'au-dessus des contradictions du Weltanschauung et des incompréhensions de langue, il y a une solidarité essentielle de travail et que le lien par la matière est aussi puissant peut-être que le lien de l'esprit. L'Internationale ouvrière n'est pas seulement une élucubration marxiste, mais une réalité tangible. » Comme si tout l'art et la maîtrise de ces forgerons ne venait pas de l'*esprit* qui a commandé aux membres pendant un long apprentissage, fait de nombreuses observations déductives et inductives sur la nature des métaux, des alliages et de leur comportement au feu ! Voilà qui témoigne de l'inintelligence qu'ont les intellectuels de la formation de l'esprit par un métier. Ils pensent d'ailleurs la même chose d'un sculpteur ou d'un peintre. Pour eux il n'y a de pensée que là où il y a des paroles ; l'infirmité du langage est cependant bien connue de ceux qui ont vraiment quelque chose à dire. Les arts comme la philosophie ont leurs grandes abstractions et leur langage propre ; car il y a autant de formes d'universel que de formes de langage. En musique l'universel s'exprime par l'idée qu'on se fait du rythme, du mode, de la dissonance, de la modulation, c'est-à-dire de l'action, de la vie morale (un mode est une certaine conception de l'ordre), de l'un et du divers, et de la qualité. Quelque chose d'analogue à ce qu'on demande au *verbe,* au nom, à l'adjectif. 35:34 Dans les arts plastiques ce sont le dessin, la couleur, la valeur. C'est pourquoi Gauguin disait : « Comme méthode, s'en prendre aux grandes abstractions ». La « *valeur* » en peinture est une abstraction de l'esprit, et la révolution s'est faite autour de cette idée. Quelle est-elle ? Qu'il y a entre les couleurs une sorte d'échelle de puissance qu'il est nécessaire de bien concevoir pour obtenir l'unité du divers. Cela est distinct de l'harmonie proprement dite qui ne s'inquiète pas de recréer l'espace. Or, depuis Léonard de Vinci, tous les peintres ont cru que cette échelle de puissance pouvait être distinguée de la couleur et pouvait s'exprimer par des nuances du blanc au noir comme étant la véritable expression de la lumière. Tous les tableaux de ce temps depuis le XVI^e^ siècle jusqu'aux impressionnistes sont ébauchés en *valeur* à l'aide d'une couleur allant du bistre léger et du gris au bitume. Et cette teinte sous-tendue à la couleur transparaît dans presque tous les ouvrages de cette longue époque. Les impressionnistes se sont révoltés contre une fausse abstraction de la lumière et de la couleur, car la « lumière » elle-même est une abstraction. Nos sens nous livrent des couleurs lumineuses, non pas de la « lumière » ; la *valeur* est une *réalité,* mais elle est inséparable de la couleur et ne saurait être rendue que par la couleur, non par une échelle de gris. C'est une question semblable à celle des universaux ; c'est la même : l'essence n'existe pas en dehors des êtres singuliers ; la valeur ne peut être conçue en dehors de la couleur. Les grands impressionnistes furent donc de véritables métaphysiciens. Ce sont les littérateurs ignorants qui leur ont donné le nom ridicule dont on les affuble. Comment croire qu'une révolution si importante dans l'esprit de la peinture, qui bouleverse l'idée qu'on s'en faisait depuis trois siècles, soit seulement une affaire de sensation individuelle ? Tout conflit entre les peintres sur l'être peint est un conflit sur l'être. Nous avons traité ces questions avec détails dans le troisième chapitre de notre livre *Le martyre de l'art.* C'est pourquoi ne connaissant comme enseignement supérieur que celui des arts plastiques, nous croyons possible d'inférer que les distinctions qui s'y appliquent s'étendent aussi à d'autres enseignements. Il y a en fait deux buts. 36:34 L'un est la formation du jugement par l'éducation de l'œil ; elle sert à tous les métiers, aussi bien à celui de l'ingénieur et du géographe qu'au bûcheron et au menuisier ; l'autre uniquement tournée vers les qualités intellectuelles fondamentales des arts plastiques aboutit à des spéculations métaphysiques sous une forme plastique. A la première appartient l'invention de la géométrie descriptive qui facilite le dessin d'architecture. Mais le haut enseignement de l'architecture qui appartient à la seconde est certainement en décadence sur ce qu'il était dans les ateliers des maîtres d'œuvre du Moyen Age. Les ouvrages en témoignent. Ce haut enseignement est celui qui apprend à traduire les aspirations morales de l'homme dans les formes architecturales. Or une récente réforme de la licence ès-sciences nous fait penser que cette distinction s'étend aux autres formes du savoir. Pour former « *plus de chercheurs et de techniciens* » « *pour raccourcir et alléger les études scientifiques* » il y aura désormais huit types de licence ès-sciences, dont deux sont conçus spécialement pour l'enseignement technique. Ces chercheurs sont destinés à trouver une nouvelle matière plastique, un nouveau procédé. Il peut s'y révéler de véritables savants ; mais c'est évidemment un but technique et pratique qu'on poursuit. Les jeunes gens qui obtiendront ces titres peuvent venir d'une école technique sans passer par l'enseignement secondaire et sans baccalauréat. Pourquoi continuer à appeler licence (la licence est une licence d'enseigner) les titres qu'obtiendront ces étudiants ? Peut-on espérer que ces titres répondent à ce qu'on doit demander au professeur de sciences d'un véritable enseignement secondaire ? Rien ne montre mieux *la nécessité de l'enseignement secondaire pour tous les enseignants, et l'utilité qu'il y a de le donner dans toutes les écoles techniques sans pour cela qu'un diplôme le consacre.* Car dans l'enseignement secondaire ce ne sont pas chacune des méthodes scientifiques particulières qui intéressent en elles-mêmes cet enseignement mais la méthode générale de l'esprit s'appliquant à l'étude de la nature au moyen de la quantité. Or la plupart des étudiants ès-sciences et des savants les emploient généralement *sans les examiner* et comme allant de soi. Elles sont pourtant bien étonnantes. Les excès de langage de beaucoup de physiciens relativistes prouvent qu'un peu d'épistémologie ne leur nuirait pas. 37:34 LA TÂCHE demandée à l'enseignement supérieur consiste : Premièrement à communiquer aux étudiants les résultats acquis par des cours généraux très soignés et sans lacunes. Telle est la base nécessaire de tout savoir. Et l'assistance y serait de rigueur. Secondement, à exposer au public le résultat des travaux en cours soit du professeur lui-même, soit de ses collègues de France ou de l'étranger. Troisièmement enfin, à apprendre aux étudiants à travailler : non pas leur apprendre à faire un devoir de licence ou d'agrégation, mais à faire des recherches personnelles. Or l'agrégation est l'objet de l'ambition de la plupart des étudiants, parce qu'un professeur agrégé est beaucoup mieux payé qu'un licencié. Mais c'est un concours, dont les programmes changent tous les ans et les programmes sont très limités (vingt ans d'histoire par exemple). Les jeunes gens qui ont une excellente mémoire y réussissent presque tous. Et bien des sujets remarquables sont éliminés. Le résultat est que la première et la dernière tâche de l'enseignement supérieur sont sacrifiées. Les candidats à l'agrégation que nous voyons hâves et décharnés potasser des manuels passent leurs plus belles années à étudier et à se souvenir de ce qui a été fait au lieu de s'essayer à des travaux personnels. Nos institutions découragent la recherche. Le résultat est qu'il y a par exemple dix travaux allemands pour un français sur notre vieux langage lui-même, sur le français de la Chanson de Roland. Enfin même du point de vue scolaire on me permettra de douter qu'un agrégé tout frais pondu enseigne aussi bien, malgré ses titres, qu'un licencié qui a dix ans de professorat. D'ailleurs l'art d'enseigner est un *don,* que l'expérience affine et augmente, mais qui ne dépend que dans une faible mesure de la quantité de savoir acquis. Il conviendrait de supprimer le concours d'agrégation en le remplaçant par un diplôme d'études supérieures, et de supprimer aussi la direction étatiste de l'enseignement. Les Universités devenues libres pourraient appeler à l'enseignement des hommes supérieurs sans diplômes et tous ceux que leurs travaux personnels en rendraient dignes, comme le sont les *privatim docentes* des universités allemandes. 38:34 La Sorbonne n'a donné une chaire à Curie qu'après de longues hésitations bien qu'il eût découvert le radium : il n'était que licencié ! On se demande quel titre à l'enseignement supérieur peut bien avoir un agrégé, si ce n'est aux cours généraux. L'agrégation n'est qu'un titre permettant d'enseigner dans l'enseignement secondaire. Rien ne dit que son possesseur sera jamais capable de faire des travaux originaux utiles à l'avancement du savoir. Tels sont les méfaits d'une administration d'État, car c'est la routine des bureaux qui arrête les réformes. CONTINUONS donc à examiner, en dehors des cadres administratifs, ce qui rapproche dans l'enseignement supérieur les méthodes artistiques de celles des sciences naturelles. Elles se ressemblent non seulement parce que l'esprit humain est partout le même dans ses méthodes fondamentales, mais encore parce qu'à l'encontre des poètes et des philosophes pour qui la parole est le moyen d'expression, les musiciens et les plasticiens utilisent, comme les savants, des faits naturels, acoustiques ou optiques qu'ils doivent analyser profondément et manier avec adresse. Car les arts ont encore cette analogie avec les sciences expérimentales qu'ils expriment la pensée par un *rapport* (de sons, de formes, de couleurs) au lieu de l'exprimer par un mot. En dessin, c'est par le rapport de *deux* lignes qu'un volume et son mouvement sont signifiés. Le mot lui-même il est vrai ne prend tout son sens que par le contexte, c'est-à-dire par une multitude de rapports entre d'autres mots, où le rythme ainsi créé joue lui-même un rôle ; mais ce mot est malheureusement bien plus prétentieux en soi qu'une ligne, un son, ou un signe algébrique. Le substantif donne toujours l'idée d'un être ou d'un objet, alors qu'il ne répond souvent dans la réalité qu'à une qualité ou à un rapport. Les modifications des couleurs, leur unité, les modifications du corps humain et de son équilibre, l'effet acoustique des sons et des accords suivant la distance des notes entre elles et par rapport au mouvement rythmique, tels sont les objets analysés par les artistes dans le réel. Les fins de l'art sont plus directement métaphysiques que celles de la science car elle ne sont pas liées au nombre. 39:34 Les modifications plastiques du corps humain dépendent du principe qui a construit ce corps, elles sont un graphique naturel des mouvements de l'âme. Ceux qui sont tirés des animaux et des plantes sont des analogues ; l'art en extrait par abstraction ce qui fonde l'analogie et par sa transcription même les rend symboliques. Les artistes de la fin du XIX^e^ siècle ont été les grands spiritualistes de leur temps. Les sciences elles aussi, bien entendu, sont fondées sur des faits physiques, mais pour les mesurer. Ce sont pourtant des métaphysiques implicites qui mènent les savants. La science cherche l'explication, et non comme le pensait Auguste Comte, de simples lois ; elle croit à la rationalité de l'univers, ce qui est une métaphysique. Et comme elle est fondée sur la mesure de la quantité, elle essaie tout comme Platon de trouver une sorte de modèle géométrique de l'univers et d'en *déduire* les phénomènes. Ainsi, les relativistes ont-ils été amenés à changer les axiomes de la géométrie pour l'adapter aux faits observés, et ramener le divers à une unité entièrement intelligible. Mais c'est là un désir de la pensée plutôt qu'une indication naturelle évidente ; seulement ce désir de la pensée est une indication naturelle évidente *d'autre chose que la quantité* sur laquelle la science tente de s'appuyer à l'exclusion de toute autre notion. Car l'homme et son esprit est bien partie intégrante de la nature, il échappe à la quantité. Une déduction totale est impossible ; il faudrait tout connaître depuis le commencement et y inclure l'histoire des esprits pour comprendre le changement, il faudrait être Dieu. C'est ce que Hegel a tenté. Et c'est à quoi correspond cette profonde remarque de Pascal : « *La nature a mis toutes ses vérités chacune en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres ; mais cela n'est pas naturel : chacune tient sa place.* » (Ed. Tourneur 394) Il veut dire que nous avons tort de vouloir les *déduire* les unes des autres ; qu'elles sont *interdépendantes* et que le spirituel comme le spatial y tient sa place. Car qui pourrait déduire que sur un point de cette immense armée d'atomes qui s'entrechoquent, il y a une conscience ? 40:34 MAIS L'ANALOGIE des arts plastiques et de la science ne s'arrête pas au simple emploi de faits naturels. Elle se continue dans la manière dont ils les utilisent et en particulier dans le rôle et la transcription du temps. Depuis Descartes, on figure le mouvement d'un mobile par une figure géométrique, ligne droite ou courbe, et la vitesse uniforme ou accélérée est figurée par le rapport de cette ligne avec un point ou une autre ligne. Mais depuis les plus anciens âges les hommes n'ont pas fait autre chose en dessinant que de figurer le mouvement sur une surface immobile. Nous trouvons dans l'ouvrage d'un physicien relativiste (cité par Meyerson, *La Déduction relativiste*, p. 101), Cunningham, une définition qui convient très bien aux arts plastiques : « La distinction (entre l'espace et le temps) en tant que manière *séparée* (c'est nous qui soulignons) de mettre en rapport et de coordonner les phénomènes est abolie, et le mouvement d'un point dans le temps est représenté par une courbe immobile dans un espace à quatre dimensions. L'histoire entière d'un système physique est développée en une entité privée de changement. » Passons-lui cette quatrième dimension ; cela prouve seulement que ce physicien n'a pas de formation philosophique. M. Langevin écrit : « Nous ne disons pas du tout que le temps est une quatrième dimension de l'espace, cela n'aurait aucun sens. » En effet le relativisme n'innove pas ; l'esprit de la science a toujours été d'éliminer de la connaissance *tout ce qui ne se mesure pas.* Depuis toujours on a mesuré le temps par l'espace, par la *course* du soleil, par la *longueur* d'une ombre, par le *volume* du sable qui s'écoule dans un pot, par la *course* d'une aiguille, c'est-à-dire par une dimension spatiale. Faire entrer le temps dans une équation spatiale qui représente le temps avec d'autres mesures spatiales est conforme aux moyens et à l'esprit de la science. Or les arts plastiques ne font pas autrement, ils figurent le temps par de l'espace immobile. Mais quel temps ? Nous retrouvons ici la distinction entre la progression du savoir scientifique et la vie morale de l'humanité. C'est-à-dire, au fond, entre la quantité et la qualité, qui est aussi réelle que la quantité. C'est donc la forme qualitative du temps qui intéresse le plasticien, c'est-à-dire la *durée ;* et il essaie de la traduire par sa *trace* dans la création. Expliquons-nous. 41:34 Deux arbres qui ont poussé l'un entre deux rochers, l'autre à six pieds de là dans la bonne terre n'ont pas *vécu ce temps* l'un comme l'autre. L'un s'est développé difficilement, lentement, l'autre s'est élancé. Et la trace en demeure écrite sur leur tronc : la manière dont chacun a vécu le temps matériel est fixée. Chacun a eu sa *durée* propre. Nous choisissons à dessein l'exemple de deux objets pratiquement immobiles pour montrer, en faisant toucher du doigt cette *trace immobile de la durée,* que les arts plastiques ont un fondement réel pour exprimer la durée par de l'espace. L'art du trait est le fondement des arts plastiques. Les hommes s'en sont aperçus dès l'origine ; les dessins des grottes de la Vézère en font foi. Remarquons que pour ce faire ils ont supprimé une dimension de l'espace. Seule l'habitude nous cache l'extraordinaire audace de ce parti. La sculpture travaille dans les trois dimensions, mais chaque « *profil* » doit avoir la qualité qu'on demande au trait d'un beau dessin. Nous pouvons emprunter à un savant intelligent une constatation qui résume la différence entre la science et l'art, bien que l'un et l'autre se servent de procédés identiques empruntés à l'espace pour figurer le temps : « Les équations de la physique ne sont pas des relations analytiques, ce sont des relations *quantitatives* entre grandeurs *qualitativement* irréductibles » (Lippmann cité par Meyerson, *op. cit.* p. 159). Les plasticiens utilisent la trace spatiale du temps, comme les savants, mais pour signifier ce qui est qualitativement irréductible, la qualité de la durée. Mais il y a beaucoup de ressemblance entre une « expérience » scientifique et une œuvre d'art. Le savant imagine une expérience pour éliminer certaines hypothèses et en confirmer une autre. L'artiste imagine un cas nouveau pour vérifier, dans ce nouveau cas, ce qu'il croit connaître des lois de son art et accroître ainsi son savoir. Il n'est pas d'œuvre, si inspirée soit-elle, si religieuse par exemple, et faite pour l'intime de l'âme, qui n'ait à résoudre de tels problèmes naturels du faire. Voici un exemple pris chez Rameau, qui fut non seulement un des plus grands artistes qui aient existé, mais encore un des plus clairvoyants et des plus maîtres de leur pensée. La proportion harmonique dont il parle, c'est l'écart naturel des harmoniques d'un son que l'esprit humain ramasse en quelque sorte en cette abstraction pratique qu'on appelle l'accord parfait : do, mi, sol ; la tierce et la quinte. 42:34 La nature donne la quinte comme une douzième, la tierce comme une dix-septième au-dessus du son fondamental : « La proportion harmonique, dit Rameau, donne la plus belle harmonie qu'on puisse entendre, son effet est admirable, quand on sait en disposer *dans l'ordre qu'indique la nature* (c'est nous qui soulignons) ; mais la difficulté est de savoir y proportionner les voix et les instruments, et c'est de quoi le compositeur n'est pas toujours maître... Cependant, après l'avoir employée sans succès, j'ai eu le bonheur de rencontrer à peu près tout ce qu'il fallait dans le chœur de l'acte de Pygmalion, que j'ai donné l'automne de 1748, où Pygmalion chante avec le chœur l'*Amour triomphe.* Et même encore dans la fin de l'ouverture de ce même acte, où il faudrait seulement quelques instruments de plus. » Il y revient dans ses *Erreurs sur la musique dans l'Encyclopédie.* « L'acteur, dit-il, reprend seul avec le chœur l'*Amour triomphe,* sur la dix-septième, double octave de la tierce, pendant que le son fondamental y est extrêmement multiplié par des unissons et des octaves, et pendant que la deuxième octave de la quinte de ce même son fondamental est aussi multipliée, mais moins. » L'artiste voulait donc unir ce qu'il voyait comme le grand fait du monde moral, le triomphe de l'amour, avec un aspect fondamental de l'harmonie. De même Wagner voulant, au début de *l'Or du Rhin,* donner une idée du monde avant l'homme, fait sonner l'accord de quinte, harmonique facilement audible du son fondamental, puis développe mélodiquement l'accord parfait, montre la naissance du mouvement et du rythme avec la naissance de la gamme ; il appelle cette mélodie le « thème de l'élément originel ». C'est une idée très voisine de celle de Rameau et même dépendante des idées de Rameau sur l'harmonie. Ainsi *dans l'esprit du savant pour l'expérience, dans celui de l'artiste pour l'œuvre d'art,* AVANT que l'une soit mesurée, AVANT que l'autre soit faite, il s'agit de vérifier une conception de l'esprit par le moyen de faits naturels provoqués artificiellement. Nous n'en dirons pas plus. Nous désirons seulement faire comprendre que l'expérience profonde des faits naturels, dans un cas comme dans l'autre, ne peut s'obtenir que par la pratique du laboratoire et de l'atelier, non dans une école. 43:34 L'apprentissage des beaux arts était organisé jadis comme celui du menuisier ; le jeune peintre apprenait son métier en travaillant aux ouvrages de son maître. Les élèves de Lully remplissaient les parties d'accompagnement, comme le jeune savant prépare ou suit les expériences de son maître. Les « écoles » ne peuvent à peu près rien pour former les artistes ; et chez les savants, pour être fructueuses, il faut que les écoles deviennent des laboratoires. MAIS LES ARTISTES comme les poètes ont un rôle éminent dans la pensée, qui est de *rendre lumineuse à l'esprit sa propre liberté ;* c'est le fait le plus important du monde, à la base de tout, et que la philosophie distingue mal, parce que *le langage discursif l'oblige à n'en parler qu'à part.* Or on est libre tout le temps, tous nos actes sont mêlés de liberté. Le musicien et le plasticien peuvent en parler tout le temps et en *même temps* d'autre chose ; ils peuvent dans le même instant parler clairement d'ordre et de liberté, parce qu'avec un autre langage ils généralisent autrement, parce qu'au lieu d'user de mots tout faits, ils fabriquent le signe qui transmet la pensée sur la mesure de leur être du moment. Deux très bons peintres font le portrait du même homme. Les deux portraits sont ressemblants mais très différents. Vanité de l'art ! s'écrie-t-on. Subjectivisme ! Mais pour les deux peintres, ce portrait est un prétexte ou une expérience. *Ils ont parlé, à propos de l'homme portraituré, d'ordre, d'esprit, et de liberté.* D'ordre, par l'équilibre des formes. D'esprit, par l'information visible de cette matière par une force interne qui est spirituelle. De liberté, par le choix visible qu'ils ont fait eux-mêmes entre les détails que leur offrait la nature. En condamnant comme inférieur ce prétendu subjectivisme de l'art, on supprime la plus grande merveille de la création, la seule nouveauté profonde qu'elle présente : la liberté d'une conscience. Il n'est pas raisonnable de vouloir parler du monde en oubliant ce fait essentiel. Il est sans doute difficile à caser dans une mécanique, telle que la science croit être le monde ; la philosophie a cru trop longtemps se grandir en imitant la science. L'art a toujours protesté contre ces erreurs. C'est pourquoi l'abstraction y est toujours liée au *concret,* c'est-à-dire à l'existence. Et Notre-Seigneur lui-même en a toujours donné l'exemple dans son enseignement. 44:34 NOUS VOICI RAMENÉS encore à la distinction entre les deux aspects de l'histoire de l'humanité : celui d'un progrès général de la puissance de l'homme sur la nature, celui de l'inconstance de sa valeur morale. L'Université, depuis sa création, les a généralement confondus ; elle a admis un progrès général constant qui allait de pair avec le progrès technique. Elle oublie que Charlemagne n'avait pas de chemise, que saint Louis et Jeanne d'Arc mangeaient avec leurs doigts. Cette confusion a amené beaucoup d'erreurs dans l'enseignement quand les causes morales inaperçues étaient prévalentes ; et les élèves de cet enseignement qui avaient à diriger l'État ou à prendre en charge l'organisation sociale, trompés par leurs maîtres, s'y sont trompés eux-mêmes. Les enseignements supérieurs qui sont fondés sur une certaine connaissance du droit, de l'histoire proprement dite, des belles-lettres et de la philosophie, sont donc ceux qui ont le plus souffert de cette confusion. L'Histoire a été *le grand moyen d'enseigner une métaphysique d'État.* Il s'en est suivi une incroyable incompréhension du passé. L'économie politique elle-même s'en est ressentie. Et les meilleurs esprits formés dans l'Université ignorent des œuvres aussi considérables que celles de Le Play qui pendant des mois et des mois a résidé dans tous les pays de l'Ancien Monde pour tirer de ses observations une doctrine économique ; ou bien celle de La Tour du Pin, ou de Georges Sorel. S'ils ne les ignorent pas, ils les rejettent d'emblée parce qu'elles donnent des preuves de ce que les conditions morales sont essentielles à la vie et à la théorique économique. Or malgré la Sorbonne, cette vérité éclate aujourd'hui aux yeux de tous. Il y a seulement un siècle de perdu, par la faute de notre enseignement supérieur. Car la jeunesse se trouve ainsi frustrée des moyens le résoudre les questions qui se posent de son temps. On s'étonne de voir arrêtée sous l'Empire romain, finissant, si riche, la production des œuvres originales en fait de science, de philosophie et d'art. Un enseignement d'État, dirigé par une administration d'État, en est cause. Et les agrégés aussi devenaient gouverneurs de provinces. Voilà Ce qui nous guette avec notre Université d'État. Il n'est que temps d'assurer sa liberté car l'affaiblissement est déjà sensible. Un écrivain anglais dont le nom m'échappe à présent faisait remarquer pendant ou aussitôt après la dernière guerre que le déclin de la France avait son origine, malgré les apparences, dans un déclin intellectuel. 45:34 LA PREMIÈRE RÉFORME est donc de *rendre aux universités la liberté* de *s'administrer elles-mêmes* et d'élire leur Recteur, d'admettre par cooptation les maîtres qu'elles désirent, de grouper les enseignements, les sérier, les créer elles-mêmes sans se préoccuper de la vétuste organisation administrative des « facultés », sans avoir à attendre les décisions d'une administration d'État souvent entachées d'une basse politique. Enfin le système des concours aux grandes Écoles ou à l'agrégation nous paraît déplorable pour le progrès de la science. Car le savoir exigé pour ces concours s'obtient au *détriment* de *l'apprentissage de la recherche.* Celui-ci ne peut se faire au sein de l'Université que dans des cours spéciaux qui sont les vrais ateliers de cet apprentissage et que les Allemands appellent je crois des séminaires. L'histoire de l'art contemporain offre un exemple de ce qui guette les autres enseignements : un effroyable désarroi. Depuis plus de cent ans *tous les grands artistes* ont dû se former librement en dehors de l'école officielle des Beaux-Arts, et les grands prix de Rome de celle-ci n'ont rien donné qui subsiste. Mais l'enseignement officiel a fait qu'aucun *des grands artistes n'a pu enseigner* et la liberté qu'ils ont conquise à la force du poignet n'a servi à personne, car l'anarchie et l'incohérence ont bien vite remplacé la liberté. Cela vient de ce que les artistes ne formaient plus depuis la Révolution une corporation capable de défendre son existence ; la direction de l'art passa aux spéculateurs et aux marchands qui firent réussir n'importe quoi, par le moyen de la réclame dans la presse. Les artistes, sans règlements de métier ni pour l'apprentissage, ni pour la maîtrise, ont combattu en ordre dispersé et ont dû se soumettre à la puissance de l'argent ; ceux qui résistaient ont été éliminés ou tout au moins cachés à la connaissance des jeunes artistes. Les membres de l'Université ont encore la chance de former un *corps,* c'est-à-dire d'avoir *la puissance* de se *réformer et d'imposer cette réforme,* Le malheur est que ce soit un corps de fonctionnaires désirant pour eux un privilège. 46:34 Nous voyons des professeurs catholiques de l'Université prendre parti contre la liberté de l'enseignement au profit de leur monopole, alors qu'ils devraient non seulement défendre l'enseignement libre, mais RÉCLAMER LA LIBERTÉ POUR L'UNIVERSITÉ ELLE-MÊME. Notons qu'un professeur de l'État qui donne des leçons particulières fait de l'enseignement libre. Que ce corps essaye donc de se réformer avec générosité en dehors de l'État ; il pourrait organiser en dehors des rivalités des différentes administrations et de leur ambition de domination temporelle, cette haute mission de recherche du vrai et d'élévation des esprits au royaume de la sainteté et de la grâce, au royaume de la justice, de l'amour et de la paix, qui est la fin de leur vocation. Henri CHARLIER. 47:34 ### Notes sur l'anticléricalisme des catholiques par Marcel De CORTE 1. -- Il ne faudrait jamais parler de soi. Mais en fin de compte, c'est toujours de soi qu'on parle. Les confessions publiques me répugnent profondément. J'avouerai cependant que je deviens de plus en plus « anticlérical ». Si je formule cet aveu, c'est dans la mesure indubitable où mon cas n'est pas personnel. Je connais un certain nombre, très appréciable, de chrétiens, beaucoup plus fervents que moi, qui le sont devenus. C'est ensuite que je vois trop bien le danger de céder à pareille tentation. C'est enfin parce qu'aujourd'hui la mesure est brusquement à son comble. Soudain, le vase a débordé. Une personne en qui j'ai la plus grande confiance, dont le respect pour le clergé touche à la vénération, vient d'assister à une conférence faite par un prêtre spécialisé dans l'Action catholique. Elle m'a communiqué les notes qu'elle a prises. De leur lecture, j'en sors révulsé, comme elle du reste à l'audition. « Comment un prêtre peut-il nous présenter un catholicisme aussi *diminué* que celui-là ? », me disait-elle, désolée, troublée, ébranlée en sa foi. 2. -- Je note immédiatement que je n'engage ici aucune polémique personnelle. Je ne connais pas ce prêtre. Il est simplement pour moi l'occasion de m'expliquer. Ce qu'il a dit n'est pas sien. Cela traîne dans l'air du temps, particules radio-actives occasionnellement concentrées en un endroit précis, qui en ont contaminé d'autres, qui l'ont contaminé, qui vont et viennent. Elles véhiculent un catholicisme qui a éclaté en morceaux, en « vérités devenues folles » et affolantes, un catholicisme dit moderne dont j'ai compris, pour la première fois, qu'il constitue le socle idéologique d'un cléricalisme inédit et, par suite, la cause essentielle de mes tentations « anticléricales ». 48:34 Je croyais jusqu'alors que mon « anticléricalisme » se résolvait en dernière analyse en une divergence d'idées philosophiques et théologiques, laissant intact l'essentiel : la participation commune à Jésus-Christ, à Son Corps Mystique, à la Très Sainte Vie Trinitaire. Je découvre que c'est bien plus grave : ces idées philosophiques et théologiques sur lesquelles nous divergeons, où je ne reconnais plus la Foi qui m'a été enseignée, *font désormais corps avec une conception nouvelle que le clerc se fait de lui-même* et viennent heurter de front la conception que je me fais de moi-même comme fidèle, comme fils de l'Église. Un « combat d'hommes » risque de commencer, commence même probablement en secret, à la jointure de l'esprit et de la vie, au point d'incorporation de l'âme dans la chair. Au sein d'une Foi apparemment partagée, d'une appartenance superficiellement identique à la même Église, une faille se dessine, profonde. Je vois où cela peut nous mener : à un mouvement protestataire pareil à celui du protestantisme originel. Contre la corruption morale d'une certaine partie du clergé, la révolte s'est jadis levée. Je crains qu'elle ne se lève aujourd'hui contre sa corruption intellectuelle et spirituelle. Je l'avoue parce que je vois désormais clair en mon âme. 3. -- Je ne suis absolument pas ce qu'on appelle un « intégriste ». D'abord, je ne sais pas ce que c'est que « l'intégrisme ». Il se peut qu'il existe. Je ne l'ai jamais rencontré pour ma part. L'Évangile et le Dogme me sont toujours apparus comme une nourriture que je n'aurais jamais fini d'assimiler en ce bas monde. S'il me fallait choisir, ce serait sans dédaigner le reste, en le respectant, le saluant, le reconnaissant, mais en l'effleurant plutôt. La bonne petite vieille qui prie dévotement saint Léger, patron de ma paroisse, est tout aussi catholique à mes yeux que le savant historien religieux qui en a dénoncé la légende. 49:34 Les demeures sont étalées en longueur, en profondeur, comme elles sont étagées en hauteur, dans la Maison du Père. Il y a de grands appartements, de petits. Tout un peuple grouille dans les escaliers et les couloirs. Mais il faut que ce soit la Maison du Père. De la table ou de la maison d'à côté, puisque j'ai usé de deux images, c'est autre chose : la bilocation est un miracle et manger à deux tables est le fait du parasite. J'ajoute que j'aime la liberté, les francs-tireurs, les éclaireurs. Il en faut. Pas trop. Une division d'estafettes, ça me paraît assez sot, une collectivité de novateurs solitaires plus encore, une Église dans l'Église, même si elle se décore du nom d'aile marchante, davantage. Le mépris de la piétaille, je l'abandonne aux sous-officiers. 4. -- Ceci dit, j'en reviens à mon propos. Voici ce qui se répand. « Après la Création -- je consulte les notes que j'ai sous les yeux --, Dieu s'est retiré dans les coulisses (*sic*), laissant à l'homme la tâche d'organiser et de diriger le monde. » Ici, une petite fanfare beethovénienne en l'honneur de Prométhée, du Démiurge, du Sur-Homme. Une irrésistible Montée majusculaire de la Science et de la Technique. Le monde appartient entièrement à l'homme et, comme il est clair qu'il ne s'agit pas de tel homme, à l'Humanité, entité collective, qui progresse de plus en plus en puissance, en domination de la matière. Donc, plus de Providence. Le mouvement de l'Histoire. Rien de bien nouveau en cette chanson dont les couplets et refrains sont aujourd'hui rengaine dans un certain clergé qui ne lit plus l'Évangile. Tous les cheveux de votre tête sont comptés... Voyez le lys des champs et les oiseaux du ciel... Bienheureux les doux, car ils possèderont la terre, etc. C'est assez risible de la part d'hommes qui n'ont jamais mis la main à la pâte, qui ne connaissent la science et la technique que de deuxième ou de troisième main, qui oublient ce que savent les savants et les techniciens de métier, à savoir qu'un clou chasse l'autre, qui comblent les trous de leur ignorance par l'imagination et par le mythe, qui enseignent ce qu'ils ne savent pas, etc... Passons. Il y a là un manque d'honnêteté intellectuelle qui discrédite les clercs aux yeux de ceux qui savent que tout se paie, ou simplement de ceux qui savent que les avertissements de la Providence, reléguée au magasin des accessoires du grand théâtre du monde, ne se comptent plus. 50:34 Il y a surtout un manque de probité à l'égard de soi-même et un abus de pouvoir. Le clerc sait que, lorsqu'il parle devant un auditoire de laïcs chrétiens, il a le préjugé favorable : la disponibilité même de ses auditeurs à ce qu'il affirme. En profiter pour débiter des calembredaines ou, si l'on veut, des vues aussi controversées, est quasiment une escroquerie. Car enfin, tous les chefs d'entreprise qui utilisent la science et la technique, tous les hommes d'État qui font retour sur eux-mêmes savent qu'à partir d'un certain degré d'organisation et de domination du monde qui les entoure, ils se heurtent à des conséquences telles que toute leur puissance vire à l'impuissance. Dans l'abstrait, les lendemains chantent ; dans le concret, ils se traduisent par l'asservissement des hommes, chefs et subordonnés. « Je suis le plus esclave des hommes », disait Napoléon. Il faudrait que ces clercs fassent un stage auprès d'un grand patron, auprès d'un grand politique (s'il en est), ils faudrait qu'ils relisent le théâtre grec (s'ils l'ont lu). Un peu de mesure siérait à leur démesure dont ils ne supportent jamais eux-mêmes les conséquences. Tant de verbalisme confond. Voilà une première racine de mon « anticléricalisme » de catholique. 5. -- Je continue et je vais montrer l'articulation de cette mythologie sans Providence à un orgueil qu'il faut malheureusement appeler clérical et qui dévalue totalement le caractère sacré et transcendant du prêtre. Le texte à lui seul suffit déjà. « Dieu s'est éclipsé complètement (*sic*). Il ne s'est jamais montré aux hommes. On ne l'a jamais vu. De même, le Christ après son ascension ne s'est jamais plus manifesté. Toutefois, dans l'Église, certains êtres privilégiés sont en contact spirituel avec Dieu. Ce sont les prêtres et les saints. Les simples fidèles ne doivent même pas essayer d'établir ce contact (*sic*). Ils doivent tout simplement obéir à leurs pasteurs, remplir le mieux possible leurs obligations de laïcs et travailler à instaurer le Royaume de Dieu sous la direction de leurs prêtres. Ce qu'on leur demande, ce sont des œuvres. » Je répète que ce résumé a été établi par quelqu'un d'intelligent et de non-prévenu, que d'autres recoupements l'ont révélé exact et qu'aucune nuance n'est venue atténuer cette monstrueuse -- je *dois* l'écrire -- cette monstrueuse transposition du stalinisme dans l'Église. 51:34 C'est du reste la suite logique, impavidement logique, de ce qui précède. Si la Création a été abandonnée par Dieu à l'homme, s'il n'y a pas de Providence, si le monde est un objet à conquérir et à organiser par la Science et par la Technique, il est clair que l'homme de ce monde n'a d'autre ressource que le travail, l'action, l'œuvre, non la contemplation. Celle-ci serait une trahison à l'égard de la volonté du Dieu qui s'est retiré « dans les coulisses », une fois la scène du théâtre agencée. Jusque là, c'est la position même de Marx, de Lénine, de Staline et de leurs successeurs, toute allusion à Dieu mise chez eux entre parenthèses, plutôt supprimée : « Le monde est à transformer, non à contempler. » Il faut cependant songer au salut de cette humanité livrée à l'action dans le monde. C'est très simple. La superposition de l'homme de Dieu suffira. Détenteur des arcanes de la théorie identifiée à la pratique, avec cet avantage suprême sur Staline que cette possession lui est garantie par privilège divin, l'homme de Dieu commandera aux hommes du monde de telle manière que le Royaume de Dieu sera instauré sur la terre. Relisons maintenant la Légende du grand Inquisiteur : nous l'avons, trait pour trait aggravée, dans cette description des rapports entre le clerc et le laïc. Je n'insisterai pas sur l'amas de contre-vérités et de vérités distordues que ce passage contient. L'essentiel n'est pas là. Il n'est même pas dans le « progressisme » qu'il étale impudemment. Le « progressisme », l'assimilation du marxisme par le néo-christianisme, apparaîtra dans quelques années, apparaît déjà comme une puérilité de petit Chaperon rouge qui prétendrait apprivoiser le grand méchant Loup. Toute cette construction qui sent l'artifice n'a qu'un seul but : établir la domination du clerc sur le laïc. Elle est le fruit de la volonté de puissance. On trouverait difficilement dans toute la littérature néo-chrétienne contemporaine un texte qui l'exhibe avec tant de désinvolture ou tant de naïveté. *La théorie n'est édifiée qu'en vue de la pratique.* On adopte servilement une mode idéologique qui triomphe afin de triompher avec elle. 52:34 C'est pourquoi de telles billevesées séduisent les clercs qui n'ont plus conscience qu'un caractère sacré indélébile leur a été imprimé par le Sacrement de l'Ordre, et qui renoncent, parce que le mimétisme leur paraît un gage de victoire facile, à le manifester dans un difficile amour surnaturel sans équivoque envers Dieu et envers le prochain auquel ils communiqueraient cet amour. Le magnétisme de l'homme voué à Dieu, qu'ils puiseraient dans la prière et dans la contemplation, ils le demandent à une affreuse mythologie ou le christianisme et son contraire ont opéré leur synthèse. Mistral les avait déjà condamnés dans une formule définitive : « Dans le mélange, tout s'amoindrit. » La grandeur divine du christianisme, la grandeur satanique du marxisme engendrent, en se conjuguant, la platitude. Il faudrait beaucoup de maîtrise de soi pour renoncer sans arrière-pensée à l' « anticléricalisme » devant un système qui nous coupe littéralement de notre nourriture spirituelle. Nous demandons du pain à ces clercs. C'est une pierre qu'ils nous donnent. J'avoue qu'elle me reste sur l'estomac. 6. -- Aussi ne me suis-je pas étonné de la conclusion. Elle est encore dans la ligne logique des prémisses. Rien de tel que l'épigone pour manifester le caractère nocif d'une doctrine que ses inventeurs ont enrobée dans leurs illusions. Il le traduit ici doctoralement. « Nos conceptions du bonheur céleste sont le plus souvent fausses. Nous nous représentons à tort l'éternité comme un acte de contemplation immobile de Dieu. S'il en était ainsi, on souhaiterait volontiers que les sièges où l'on est assis viennent à casser. Leur raccommodage ferait diversion. En réalité, l'action continuera dans l'au-delà. C'est pourquoi il faut que le laïc chrétien retienne l'importance essentielle des œuvres qui ont trait à l'évolution du monde et de l'humanité. Nous aurons du reste la surprise de retrouver au Ciel des païens notoires qui auront été sauvés parce qu'ils auront œuvré en ce sens. » Je ne fais aucun commentaire. 53:34 Pour déceler la portée de toutes ces déclarations, il faut non seulement souligner le mépris de la contemplation qui les traverse, mais la conception de Dieu qu'elles impliquent. Il en ressort clairement que les œuvres ne requièrent en aucune façon l'amour envers Dieu Créateur, Sauveur, Rédempteur. Travailler au salut *temporel* du monde et de l'humanité ici-bas, agir derechef dans l'Au-delà -- pour quelle fin, on n'ose trop y penser : serait-ce pour « bâtir le temple de l'Humanité-Dieu » ? -- c'est tout. Le quiétisme préconisait l'amour contemplatif sans les œuvres. Nous avons sous les yeux son frère jumeau qui exalte les œuvres sans l'Amour contemplatif. Dieu « s'éclipse » à l'origine, Dieu « s'éclipse » au milieu, Dieu « s'éclipse » à la fin. C'est donner l'envie de se convertir à l'Islamisme. 7. -- Je n'ai aucune qualité, aucun goût pour dénoncer l'hérésie dont ces propos sont enflés jusqu'à l'éclatement. C'est au surplus inutile : des échappatoires sont visiblement aménagées dans le sens des mots employés par l'orateur. Mon intention, ai-je dit, est tout autre. Je veux rechercher pourquoi je deviens « anticlérical », pourquoi je perds le respect des enseignements que certains clercs me dispensent, pourquoi j'en arrive à ne plus voir en eux l'homme qui, fidèle ou non à sa vocation, a reçu pour toujours le pouvoir de transformer le pain et le vin dans le Corps du Christ et d'être le ministre des sacrements. J'en tiens maintenant la cause. Je m'efforce de ne point généraliser. Je ne fais pas de statistiques. Je n'aurai pas la ridicule prétention de partager les clercs en « bons » et en « mauvais ». Mais je suis bien obligé de constater que, même en mon pays réputé pour la solidité de son réalisme, le clerc tente de récupérer l'audience qu'il a perdue par des moyens intellectuels et spirituels qui lui font perdre le respect que je lui dois, parce que ces moyens me déplacent de l'axe même de ma vie : le désir de Dieu. Fin et moyens sont ici étroitement liés. Le clerc veut me détourner de la contemplation vers l'action et vers les œuvres, prises du reste en leur signification la plus étroitement humaine, la plus éphémère et la plus temporelle, et dont la finalité est l'homme abstrait encore plus que l'homme concret qui est mon prochain. Le clerc agit de la sorte, non pas pour mon salut, mais parce que l'action et les œuvres ainsi détachées de la contemplation dont elles sont le fruit, exigent des chefs : « un cerveau suffit pour mille bras », écrivait Gœthe, lucide. 54:34 Mon « anticléricalisme » surgit chaque fois que le clerc, au lieu de me donner la nourriture surnaturelle que je réclame constitutivement depuis mon baptême, se dégrade en technocrate d'un pseudo-surnaturel propre à une Église sociologique ravalée au niveau d'un instrument qui transformera le monde, celui-ci considéré lui-même comme pure matière plastique au service de l'homme. Une protestation monte invinciblement de mon âme sevrée, affamée, blessée : ce n'est pas l'Homme en moi qui souffre de carence, c'est l'enfant de Dieu. 8. -- La grande tentation du clerc dans le monde moderne est précisément là : dans l'organisation qui réclame des organisateurs. Nous sommes installés dans un monde désorganisé : Dieu en a été exclu, et mille conséquences en découlent. Pour se sauver temporellement, le monde appelle des organisateurs temporels. Tous échouent successivement. Plus on organise, plus l'organisation accentue la désorganisation. Le clerc devine confusément que l'homme recourra fatalement à lui. Le prêtre-magicien est le dernier refuge de l'homme angoissé qui ne croit plus guère en Dieu ou qui n'y croit plus du tout. Pour l'athée ou pour l'homme qui ne sait plus à quel saint se vouer, tout homme qui se présente en sauveur devient dieu. Mais la concurrence entre les candidats à la divinité est grande. Présenter Dieu, le vrai Dieu comme le seul Sauveur ferait rire : l'homme désire être temporellement sauvé ; l'au-delà, l'éternel dans le présent ne l'intéresse plus ; ce sont des organisateurs nouveaux qu'il quémande à cor et à cri pour parer aux défaillances des autres ; ce sont des organisateurs de sa vie matérielle, physique, physiologique, psychique, sociale, humaine, rien qu'humaine, qu'il recherche, des hommes doués d'une puissance salvatrice souveraine. Comment le clerc ne serait-il pas tenté de s'offrir à eux, en y mettant le prix ? N'est-il pas l'homme à qui Dieu a donné pouvoir ? N'aime-t-il pas les hommes ? Son zèle même l'y pousse. Il y suffit d'un rien pour réussir : mettre Dieu entre parenthèse, ne fût-ce qu'un moment. Faut-il même aller jusque là comme le firent les prêtres-ouvriers ? Non, c'est excessif et ce serait trop attirer l'attention des scribes et des pharisiens sourcilleux. 55:34 Il lui suffit de lancer des fidèles obéissants à la conquête temporelle du monde. On a ainsi des troupes derrière soi et, qui sait ? des masses peut-être. On peut surclasser les concurrents, mieux faire qu'eux, inquiéter leurs troupes, les débaucher, assurer par attraction le salut de l'humanité. Dieu n'est pas mis alors entre parenthèses. La contemplation l'est. Qu'importe ! On avance. On progresse. L'action paie. Elle rend du mille pour un. Le salut temporel assuré, à tout le moins amorcé, on s'occupera du salut éternel. Du reste, les fidèles ont tout de même la foi. Nous, les clercs, nous l'avons nous aussi. Comment cette foi ne passerait-elle pas dans l'action temporelle ? L'Humanité, si athée, si incroyante qu'elle soit devenue, en aura donc sa part. En travaillant pour elle, on travaille pour la foi. Les hommes referont une nouvelle chrétienté, c'est indubitable. L'Age d'or n'est plus derrière nous, mais devant nous, indivisiblement temporel et spirituel. Cette stratégie ne peut manquer de réussir. De telles perspectives, « grandioses », sont séduisantes. Elles ne se heurtent qu'à des préjugés antiques et médiévaux, au prétendu primat de la contemplation sur l'action, à une théologie abrupte des rapports entre la nature et la Grâce, à une traditionnelle et fausse opposition entre le temporel et le spirituel, à une distinction entre l'Humanité et Dieu que le Christ lui-même n'a pas faite puisqu'Il a incorporé les deux natures en Sa personne, à une conception du monde périmée, etc... Les hommes d'aujourd'hui repoussent ce carcan. Ils veulent organiser la planète pour eux. L'entreprise est irréversible. Elle échouera si le clergé et les fidèles ne les y aident pas. Pour y parvenir, il suffit de changer, non pas l'âme de la Doctrine, mais son revêtement désuet, inadapté aux exigences du temps présent, garder le Royaume de Dieu, centre de la Bonne Nouvelle, et l'entourer d'un enseignement que les fidèles d'aujourd'hui peuvent entendre puisqu'ils participent à leur époque, et que les autres, les incroyants, entendront à leur tour. 9. -- Je ne dirai rien de cette nouvelle conception du Christianisme. Je la juge personnellement fausse. Elle m'est peut-être plus étrangère que le brahmanisme et le bouddhisme. Ce que je dis simplement, c'est que le rôle de l'Église et du clergé ainsi décrit, tracé, justifié, m'isole de ma source qui est Dieu. 56:34 J'en reviens sans cesse à ce point. L'expérience psychologique que j'ai de ma vie de chrétien, m'est confirmée par des millions d'autres expériences condensées dans l'adage : l'action naît de la *surabondance* de la contemplation. Si la contemplation qui fait naître l'action n'est pas surabondante, l'action est nulle. Le fleuve dépend du débit de la source et des eaux qui tombent du ciel. La contemplation est au surplus strictement corrélative à son objet. Les seuls objets dignes d'être contemplés sont Dieu, le Verbe fait chair, la création. C'est par là que je m'élève. C'est à cette contemplation que je désire faire participer les autres. L'action suivra. Le salut de mon âme, j'ajouterai : de mon corps, et de mes corps de surcroît : famille, métier, patrie, est pour moi vitalement lié à cette attitude dont rien ne me fera démordre. Je sais trop, par expérience personnelle, par l'observation du monde, que l'action qui ne s'alimente pas à une contemplation surabondante n'engendre que désordre et, par suite, ordre artificiel, impuissant, stérilisant. La considération de l'économie contemporaine est assez éloquente à cet égard : privée de doctrine, elle n'est qu'un ramassis innommable de règlements, de trucs, de ficelles, de pressions et de contre-pressions, une marmite où bout l'anarchie et dont le couvercle est l'étatisme incohérent. Sans lumière, il est impossible d'agir. Les clercs en cause m'assurent qu'ils donneront cette lumière. Comment serait-ce possible ? Ils ont beau m'adjurer de participer, avec l'homme de mon temps, à la conquête d'un monde d'où Dieu s'est retiré au bénéfice de l'humanité, d'y apporter ma foi en Dieu pour collaborer avec les « païens notoires » afin de restituer le monde à Dieu lorsque l'entreprise sera terminée, de m'abandonner sans réticence au progrès de la Science et de la Technique, c'est alors en hommes purement hommes qu'ils me parlent et d'un point de vue mondain. Leur lumière est une lumière humaine. Le ressort qui les meut n'est ni la théologie, ni l'Évangile, *mais une très humaine philosophie* de *l'histoire.* Une vision imaginaire du déroulement de la Création de l'origine jusqu'à l'apothéose de l'Homme, avec le repère arbitrairement privilégié d'un siècle voué à la Science et à la Technique. 57:34 10. -- Je ne refuse pas l'obéissance. Je ne m'enkyste pas dans mon sens personnel. Je ne puis *croire,* je dis *croire* car c'est de cela qu'il s'agit, à une philosophie de l'histoire. Je ne crois qu'en Dieu. Là est en effet l'équivoque et peut-être en certains cas la haute voltige morale. Le clerc passe toute limite lorsqu'il m'indique impérativement la route de l'histoire. Il peut et doit m'indiquer la route de Dieu. Je le suis pas à pas au galop s'il le faut. Je coupe les ponts s'il prétend avoir déchiffré le mystère de l'histoire du monde en tant que monde. La philosophie de l'histoire, de l'évolution « inéluctable », des lois « irréversibles » qui dirigent le monde, n'est que l'arbitraire construction intellectuelle -- pseudo-intellectuelle, mythologique -- de tous les amants du pouvoir terrestre, comme le prouvent les idéologies démocratique, hégélienne et marxiste qui en sont imprégnées. D'où ma réaction. Et cette réaction est d'autant plus nécessaire que les clercs en cause en imposent à une foule de fidèles peu avertis. Les ravages qu'ils ont causés sont assez nombreux pour justifier ma protestation. Marcel DE CORTE, professeur à l'Université de Liège. 58:34 ### Les métiers lourds par Georges DUMOUUN MON RETOUR spirituel aux vérités premières de la vie religieuse a été complété par un autre retour aux vérités temporelles du travail des hommes. Ce complément m'a conduit à reprendre et à rajeunir l'idée des corporations pour la rendre capable de servir de lien entre tous ceux et toutes celles patrons ouvriers employés paysans ingénieurs et techniciens dont la mission sur terre est d'assurer la production et la répartition de tout ce qui est nécessaire à la communauté humaine pour qu'elle se nourrisse, se loge, se vêtisse et se cultive. J'ai sondé le passé pour recueillir les souvenirs et me représenter la condition des producteurs aux époques où le corporatisme avait été pour eux la coutume établie et la règle communautaire. Je me suis efforcé de confronter ce passé avec les transformations que le machinisme a introduites dans l'exécution du travail, en me demandant pourquoi les juristes de la révolution de 1789 ont interdit aux travailleurs le chemin de leur corporation et l'association de leur métier. J'ai suivi l'évolution capitaliste et prolétarienne du dix-neuvième siècle pour bien assimiler les motifs et comprendre les mobiles qui ont provoqué la naissance du syndicalisme révolutionnaire, du marxisme et de la lutte des classes. J'ai vécu intensément le syndicalisme avec le privilège d'être intégré à lui pendant une longue période au cours de laquelle les secousses imprévues de deux guerres mondiales et le développement inattendu de l'ère mécanicienne devaient exercer sur lui une influence que ses dirigeants n'avaient pas prévue. Au tournant de cette évolution, le syndicalisme n'était plus l'expression d'une classe luttant contre une autre classe par opposition d'intérêt. Les prolétaires tendaient à devenir des consommateurs associés et les patrons étaient portés à être des associés pour vendre. 59:34 Le syndicalisme vidé de ses postulats marxistes est entraîné aujourd'hui dans la voie des accords fragmentaires qui lui permettent, sur le plan empirique, de calmer les douleurs sociales et d'apaiser les alarmes ouvrières. En condamnant la doctrine du corporatisme il en est réduit à des expériences circonstancielles qui se voudraient constructives et institutionnelles mais qui ne sont ni l'un ni l'autre. Ce tournant évolutif n'a rien d'étrange, ni d'extraordinaire : il indique tout simplement une fin ; il marque qu'il faut aller au-delà des accords fragmentaires et envisager d'autres promotions. Garantir l'ouvrier victime du chômage en lui assurant un salaire vital, c'est un progrès bienfaisant. Intéresser les travailleurs à la prospérité de leur entreprise en leur accordant une part de profit, c'est un stimulant appréciable. Mais ces deux mesures apaisantes ne sont que des balbutiements en présence des véritables problèmes. Les véritables problèmes sont posés par l'organisation corporative et professionnelle des métiers. Mais qu'appelle-t-on métier et que signifient les métiers dans l'ère mécanicienne, à l'époque de l'automation ? Si bien que le préambule que l'on vient de lire n'est en somme qu'une introduction aux réponses que je vais tenter de faire aux questions posées. MON PROPOS est de m'évader des constructions intellectuelles et de m'en tenir à des remarques issues de mon expérience et de mes observations personnelles. Je viens de lire « L'Histoire du travail » ([^26]) que Georges Lefranc a éditée et à propos de laquelle il m'a demandé mon avis en me laissant la faculté d'exprimer mes critiques. Je n'ai pas d'avis à donner, ni de critiques à formuler concernant cet ouvrage. Il me plaît cependant de dire que ce livre est bien fait, bien écrit, parfaitement ordonnancé dans ses différents chapitres et sa charpente générale. C'est un ouvrage qui rappelle l'histoire en respectant scrupuleusement les faits à travers une longue suite d'événements. C'est assez dire que cette publication présente un intérêt considérable. Je me permets seulement deux remarques : l'une qui peut paraître secondaire parce qu'elle ne concerne que les fidèles lecteurs de la Bible et de l'Histoire sainte, l'autre qui est beaucoup plus importante à mes yeux parce qu'elle s'applique à tous ceux qui ont travaillé depuis des millénaires et à tous ceux qui continuent l'effort de leurs ancêtres. L'auteur de l'histoire du travail consacre plusieurs pages à l'esclavage en Égypte au temps des Pharaons. Mais il n'est fait nulle part mention des Hébreux, ni de Moïse. Il est probable que l'historien n'a pas voulu mêler la « légende » à l'histoire, ni que le merveilleux et le surnaturel accompagnent l'esclavage. 60:34 En second lieu, j'ai remarqué qu'à tous les âges de l'humanité les hommes ont toujours subi des conditions de travail qui n'ont laissé aucune place à la joie, aucune satisfaction, aucune espérance. L'auteur fait défiler devant nos yeux un long cortège de peines de misères de douleurs. L'esclave est un malheureux, un misérable que l'on nourrit, que l'on bat et sur lequel le maître a droit de vie et de mort. Tout est présenté sans que l'on puisse apercevoir que les hommes esclaves ont parfois senti la portée et la valeur de leur effort individuel et collectif. L'historien rappelle le caractère grandiose des monuments de l'antiquité égyptienne et gréco-romaine sans nous laisser la faculté d'admettre que les esclaves exécutants ont pu associer leur âme aux pierres des monuments et sentir vibrer en eux des sentiments plus forts et d'une autre qualité que la crainte des coups. Et si l'on passe, avec l'auteur, de l'esclavage au servage, il semble bien que le travail est demeuré la lourde peine, l'effroyable misère, l'immonde condition humaine, le lieu maudit où s'entassent dans l'ordure des familles asservies à l'autorité et au bon plaisir du seigneur féodal. Je ne vois pas les choses du même œil et je ne les sens pas de la même manière. Évidemment, il y avait la misère, la chaumière infecte et la vie frugale. Mais le travail avait déjà sa part de noblesse, ses rudiments de dignité, ses moyens de défense qui étaient à la mesure des immenses forêts de la faible surface des terres cultivées et des maigres contingents de la population rurale. Le serf ne légiférait pas pour réduire la durée de sa journée de travail. Il prenait tout simplement son temps. Il mesurait ses peines il prélevait sa part de gibier, son bois et sa nourriture par des moyens qui échappaient au contrôle de son seigneur le maître. Disons si l'on veut que les serfs étaient devenus fraudeurs, braconniers, chasseurs, pêcheurs, bûcherons, et que le développement de ces procédés industrieux opposés au régime féodal a condamné le servage et assuré sa fin. Dans ces réalités lointaines qui n'ont rien à voir avec les contes du bon vieux temps il n'y eut pas que la lourde peine et l'effroyable misère ; il y eut aussi une certaine forme de grandeur, des joies que nous ne pouvons plus connaître, des satisfactions d'âme qui nous échappent, des façons d'aimer qui nous sont étrangères toutes issues de la lutte du travail contre les abus du despotisme. Ce sont les métiers éclos dans cette période de tâtonnement qui ont donné naissance aux corporations lesquelles ont permis aux hommes du travail de se grouper professionnellement. 61:34 Pourtant Georqes Lefranc, dans son livre, ne semble pas voir dans cette ère corporative un progrès une amélioration. La peine des hommes de métier continue, leur douleur persiste, leurs luttes se poursuivent. Seule, la bourgeoisie en tant que classe naissante a bénéficié d'une promotion, elle s'est émancipée en tirant profit de son travail et de celui des autres. Les Corporants compagnons et apprentis sont demeurés au niveau de leur métier avec tous les inconvénients de la lutte défensive. La Loi Le Chapelier devait faire d'eux les prolétaires du XIX^e^ siècle et les clients de St-Simon, de Louis Blanc, de Karl Marx. Je n'accompagne pas l'historien qui suit une ligne directe en partant de l'âge monolithique jusqu'au salariat de l'ère mécanicienne pour n'y rencontrer que peines et douleurs avec toutes les raisons de désespérer. Je rends hommage à la rectitude et à la correction de sa méthode, mais je prends la liberté de regarder le fond. LE FOND, c'est le métier. Le métier, je le vois là-bas à l'autre bout du monde, c'est-à-dire au commencement. L'autre bout ne nous est pas connu puisque nous ne savons pas quelle sera la fin. Au commencement, il n'y avait rien. Le Créateur a doté les hommes d'une planète pour qu'ils y vivent en Communauté. Les hommes n'ont pas compris leur Créateur, il lui ont désobéi en péchant contre lui et contre eux-mêmes. La planète qui leur fut attribuée comme lieu de séjour ne permit pas aux hommes d'y entretenir le culte de la paresse perpétuelle ni d'en faire une station de loisirs permanents. Les hommes devaient travailler cette terre pour qu'elle les vêtisse, les nourrisse et les abrite. Au commencement les hommes étaient des chasseurs et des pêcheurs. Ils connurent qu'ils devaient travailler pour accroître leurs moyens d'existence et se défendre contre les carnassiers. Le premier qui pensa à tailler une pierre pour en faire une pointe ou un tranchant réalisa qu'il donnait naissance à un métier. Ceux qui, après lui, coulèrent le bronze donnèrent naissance à un métier. Ceux qui ensuite travaillèrent le fer créèrent des métiers. Il n'y eut pas que peine, douleur et misère dans l'exercice des métiers qui marquèrent les balbutiements de la communauté humaine primitive. L'homme qui tailla la première pierre a dû sentir en son âme des vibrations aussi nobles que celles qu'a pu connaître l'âme de l'inventeur de la T.S.F. La distance, le temps l'espace ne comptent que dans la mesure du relatif. Le métier conduit à la noblesse divine par le chemin de l'art et par l'inspiration géniale, des artistes. Mais le métier est d'inspiration divine parce qu'il contient un sacrifice et qu'il s'identifie à notre Seigneur Jésus-Christ. 62:34 Le comportement de la communauté humaine ou long des siècles se juge autrement que ne le ferait l'historien. La répartition des hommes en esclaves en serfs en prolétaires en salariés ne résulte pas uniquement du fait que la fortune, les biens et les privilèges ont été accordés à ceux qui les avaient mérités par leur génie, leur talent, la valeur des services rendus mais parce que le hasard, la chance, la force, l'audace ont été mobilisés au profit des conquérants des maîtres et des propriétaires. On ne reconnaît pas ici l'œuvre de Dieu mais le péché des hommes. L'intelligence et aussi les croyances religieuses les prétentions raciales ont eu leur part dans la répartition sociale de la communauté humaine. Les citoyens d'Athènes et ceux de Rome pensaient que les peuples des autres pays ne méritaient pas mieux que l'esclavage. Athènes et Rome ont laissé cet exemple qui a servi à des États modernes tolérants les marchés d'esclaves. Mais si l'intelligence a eu sa part dans la classification sociale, pourquoi les métiers n'auraient-ils pas eu la leur dans la réhabilitation et la rédemption des hommes du travail ? C'est ce qu'ont voulu les corporations tout le long du Moyen Age jusqu'à la veille de la Révolution jacobine française. Il n'y eut pas que larmes et douleurs, misère et combats sanglants. Il y eut des poussées de foi ardente jusqu'aux sommets des cathédrales des chants des fêtes des assemblées fraternelles des repas communautaires toute une liturgie religieuse sanctifiée, le corporatisme vivant. Le métier en cette époque était noble, certains corporants portaient l'épée. Nous vivons une autre ère, l'ère mécanicienne de l'automation, et bientôt nous vivrons l'ère atomique. Peut-on encore parler métier ? J'EN PARLE en écrivant comme je peux. Pierre Hamp, dans son « atelier du quart de poil » exalte les vertus du compagnon mécanicien. Il dirige ses apprentis vers un métier noble qui exige le maniement impeccable de la lime, du burin, du marteau et du pied à coulisse ([^27]). La noblesse est dans le goût de la précision, dans le fini de la pièce. L'instructeur se heurte à des préjugés familiaux, à des tares héréditaires à des influences pernicieuses contre lesquelles il faut lutter. Qu'importe, il faut faire des hommes de métier parmi lesquels il y aura les meilleurs et les bien moins doués afin d'instaurer une communauté professionnelle, une association corporative. 63:34 Hyacinthe Dubreuil rejoint Pierre Hamp, il veut des hommes et non des robots ; des hommes qui pensent et qui font un métier pour nourrir leur âme. J'ai lu, quelque part, dans un livre de La Varende, que les meubles d'un château normand avaient été façonnés par un artisan du village. Les meubles étaient solides, durables, ne manquaient ni de style, ni d'élégance. Les assemblages étaient chevillés sans clou ni colle. L'homme avait le métier dans le sang. Je m'aventure dans un domaine qui fut le mien pour faire valoir les mérites des métiers lourds. J'écarte la littérature qui présente ces métiers sous des aspects tragiques en faisant apparaître les hommes qui les exercent comme des bagnards ou des accablés. Il y a de la noblesse au fond de la mine. Les ténèbres y sont absolues. L'outil indispensable c'est la lumière aussi faible soit-elle. La matière à vaincre est noire ; les hommes qui l'attaquent sont nus et noirs. Ils se plaisent dans leur nudité et dans la noirceur du cambouis qui ruisselle sur leurs corps. Ils ne voient pas leur métier autrement que comme une lutte contre une matière rebelle qui ne cède qu'à la force, aussi à l'adresse, un peu à la ruse, car il faut connaître le métier. Le métier s'exalte parce que la matière hostile est finalement domptée par l'effort de l'homme. Un état de conscience se dégage confusément dans la pensée du travailleur qui pénètre pour la première fois dans les mystères d'un monde enfoui depuis des millénaires qui n'avait pas encore livré ses secrets. Les mystères de ce monde sont menaçants ; ils contiennent du grisou et des éboulements meurtriers. Mais ils engendrent des sentiments de solidarité qui vont jusqu'au sacrifice et au don de soi. Métier lourd, métier de force. L'homme y défend sa vie : il boise, il étançonne en exécutant des travaux d'art avec des outils rudimentaires. Une hache, une masse. Il se sait dans une mine qui bouge, tremble, vibre à travers ses moteurs ses tapis roulants ses convois de berlines. Il se sait mineur, il pense qu'il l'est. Il le pense avec ses camarades qui ont comme lui le métier dans l'âme. Et pourquoi trouve-t-on parmi ces corps suants nus et noirs cette flamme de fierté ? Parce que le métier est lourd et qu'il mérite d'être, vécu. LA MER est noble. Son étendue explique et justifie sa noblesse. Les marins pêcheurs apprécient l'étendue de cette immensité. Elle est pour eux la plaine mouvante et mystérieuse qu'ils doivent labourer dans tous les sens pour lui soutirer les poissons qu'elle nourrit dans ses flots. La mer n'est pas celle de M. Charles Trenet mais celle des pêcheurs d'Islande ; elle est le champ de bataille de tous les marins du monde. 64:34 Leur métier est là, sur le pont des navires parmi les cordages et les treuils dans les soutes et devant les feux. Il se présente parfois comme une promenade monotone mais il devient une lutte atroce devant les éléments déchaînés par l'ouragan et la tempête. A la mer, le marin pêcheur redoute la tempête ; il se défend contre elle sans toujours avoir les moyens de la fuir. Il sait qu'une mer trop calme, qui ne remue pas ne facilite pas le métier. Il faut du mouvement, une certaine excitation pour que le poisson voyage, se prête aux amorçages et aux rafles des coups de filets. En pareil cas le métier devient une lutte, non pas comme chez les mineurs contre la matière hostile, mais contre les éléments de force aveugle que la mer porte avec elle. Le marin pêcheur lutte de tout son corps, de tous ses muscles et de toute son âme. Lui aussi est un solidaire qui ne laissera jamais sans réponse l'appel au secours lancé par les camarades en péril. Avant de gagner les lointains brumeux de Terre-Neuve, et les régions semi-boréales de l'Islande, il ira avec ses camarades se recueillir à l'église et prier pour que Dieu les protège. Ces hommes de métier n'oublient jamais qu'au-dessus de la mer, il y a le ciel. LE MÉTIER DE DOCKER est voisin de celui de marin ; il s'exerce sur les quais des ports parmi les grues gigantesques les ponts roulants les engins de levage. Car tout ce qui vient des soutes est lourd. Le lourd appelle, la force et veut la tension musculaire. On pourrait croire qu'un tel métier porte l'homme à le fuir, à en rechercher un autre plus léger. Les dockers ne cherchent pas ailleurs. Aux heures d'embauche, quand se forment les équipes, ils sont présents pour faire valoir leur carte professionnelle et leurs droits corporatifs. Pour être admis dans l'équipe, le docker jouera des coudes parfois au détriment des plus faibles lesquels connaîtront plus souvent le chômage. Tout n'est pas parfait. Les hommes s'attaquent à ce qui a du poids : balles de laine et de coton, engrais chimiques, minerais, charbons, pétroles et à tout ce qui est matière transformable : grains, bois de mines, naphte, vins en vrac. Du navire à la péniche, du bateau au wagon, les hommes arriment des caisses, roulent des tonneaux, surveillent et règlent le débit des bennes prenantes et des engins de levage. Du lourd, toujours du lourd. 65:34 Pour faire le métier l'adresse compte : il faut le tour de main, la promptitude du geste, le coup de rein, la poussée des épaules. Quand on voit ces hommes au repos on est trappe par leur attitude silencieuse et la détente des muscles de leur corps. Ce sont des dockers. Quand ils s'assemblent pour discuter leurs intérêts professionnels la passion surgit de leur cerveau et c'est le métier qui parle avec tout son poids, ses engins, sa force et ses torses nus. Le docker aime sa corporation. LA-BAS au pied du haut-fourneau, la fonte s'est répandue comme une coulée de lave. Des hommes vêtus d'une salopette l'ont dirigée et disciplinée pour qu'elle se refroidisse. Les blocs iront au four et deviendront lingots pour les laminoirs et les diverses opérations que subira le métal brut. Toute une gamme de métiers lourds se dégagera alors et des hommes semblables à ceux que Constantin Meunier a sculptés surgiront sur la scène du travail dans le jaillissement des étincelles. Le puddleur, le tondeur, le lamineur exprimeront à eux tris le puissant symbole des métiers métallurgiques. Les rouleaux géants des laminoirs se sont emparés de l'énorme bloc en fusion et celui-ci s'est étiré, allongé comme un long serpent frénétique qui semble ne pas vouloir obéir. Mais le lamineur a réglé le sort du monstre qui ira s'aligner à côté des autres sur le parvis du laminoir. Cette scène est magnifique ; elle oblige à penser ; elle incline le spectateur à la prière et à l'admiration. L'homme, le lamineur fait son métier ; il lutte contre la force avec des outils de force et une volonté métallique. Son ennemi qui est aussi celui du fondeur, également celui du puddleur, c'est le feu. Le feu qui peut sectionner un bras ou une jambe si, par suite d'un faux mouvement, ou d'une manœuvre mal dirigée, le serpent ardent a dévié de sa route. Noble profession métallurgique qui livre des pièces ajustées au « quart de poil », des carrosseries brillantes des appareils nickelés et émaillés des moteurs à haute puissance, des canons à longue portée et des fusées lunaires... Noble, profession, tu as les métiers lourds qui forme la base de ton armature et de ta structure moderne. Qu'il soit alors permis de dire que dans l'âme du fondeur, dans celle du puddleur, dans celle du lamineur, il y a une place pour y loger les vertus de l'effort et la valeur du risque. DANS LE MONDE DES COMPAGNONS terrassiers parisiens on trouvait encore au commencement de ce vingtième siècle des gars capables de vous étonner par les récits de leurs périples professionnels. 66:34 Un, notamment, que j'ai connu dans les galeries du Métro en construction, avait travaillé au creusement du canal de Panama, sous Lesseps et ensuite au compte des Américains. Puis il avait fait le Transpyrénéen et le Loesberg. Le pittoresque de ses récits leur originalité, le faisaient apparaître à mes yeux comme un compagnon du tour du monde. Son souvenir me rappelle qu'il existe, dans l'industrie du bâtiment et des travaux publics des métiers lourds plus lourds que ceux que nous avons exécutés ; et que ceux dont nous sommes actuellement les témoins. La pelle mécanique qui fouille le sol pour installer les fondations de l'immeuble à construire, la grue tournante qui élève les matériaux depuis le premier jusqu'au dix-septième étage, la bétonnière qui mélange le sable au ciment ont singulièrement simplifié la besogne et l'ont particulièrement allégée. Évidemment si nous avons perdu les tailleurs de pierre nous avons progressé par ailleurs en ne voyant plus des hommes chargés du bac de briques ou du bac de mortier gravissant les échafaudages par les échelles. Si, apparemment, il n'y a plus guère de métiers lourds dans le bâtiment, il ne s'ensuit pas que l'esprit professionnel et le culte du métier se soient épuisés dans l'allègement des tâches et leur spécialisation. Et puis il reste encore beaucoup de place pour les métiers pénibles dans le bâtiment et les travaux publics. L'extraction insensible de la pierre à ciment, du sable, du gypse, des matériaux de revêtements pour les routes, emploie des hommes de métier à forte proportion musculaire. La place demeure pour l'effort, lequel procure aux hommes le sentiment qu'ils ne sont pas devenus des robots de bétonnière. Il demeure aussi les grands travaux tentateurs pour les nouveaux compagnons du tour du monde. Une fois passée la période politico-financière qui ralentir l'affaire, on barrera le Nil à Assouan des millions de tonnes de déblaie seront extraites, d'épaisses murailles bétonnées retiendront les eaux et les turbines feront le reste. Il est probable qu'un tunnel sera percé sous le Mont Blanc pour écourter la distance entre la France et l'Italie. Les ingénieurs prévoient six mètres d'avancement par jour des deux côtés. Cela suppose l'emploi de perforatrices perfectionnées mais aussi l'embauchage d'une main-d'œuvre accoutumée aux durs travaux. On percera le tunnel sous la Manche pour rapprocher la France de l'Angleterre. Deux galeries parallèles à gabarit élevé auront cinquante kilomètres de longueur. Nous approcherons ainsi du gigantesque avec le concours indispensable des hommes et de leurs bras. Le gigantesque, on ira le chercher au Sahara, dans l'immensité africaine où des fleuves comme le Congo, le Niger, le Sénégal et le Zambèze s'offrent à la construction des barrages et des ponts. Ainsi, le bâtiment et les travaux publics ne sont pas encore menacés par l'ennui et la monotonie de la routine. Il leur restera de grandes tâches à accomplir pour que les hommes des métiers lourds conservent le goût de s'émouvoir en regardant vers les lointains. 67:34 CEUX DE LA TERRE ont des alternances de joie et de tristesse. Quand ils sont dans l'allégresse et que tout va bien, ils pensent déjà que tout peut aller mal ; que la pluie, la grêle, l'orage, la fièvre aphteuse vont amoindrir les récoltes et dévaster les étables. Les paysans ont laissé venir les machines, les tracteurs, les charrues à socs multiples, les faucheuses, les batteuses, et les engrais chimiques. Ils ont écouté et suivi les conseils des techniciens de l'agronomie. Ils ont tiré profit de leurs organisations professionnelles et des sympathies qu'ils ont rencontré auprès des élus politiques. Il ne leur a pas déplu d'avoir un véhicule pour se déplacer et se rendre à la ville. Ils ont accueilli le cinéma, la T.S.F. et le quotidien régional. Ils accueilleront la télévision et les jeunes continueront d'aller danser au bal à grand orchestre. La machine a compliqué leur vie en les obligeant à se disperser et à se répartir en dehors de leurs terres. Ceux qui sont restés ont vu les autres s'en aller vers les villes pour y être cheminots, instituteurs, fonctionnaires ou gendarmes. Dans cet abandon des campagnes il y a eu du malheur. Le paysan s'est adapté au progrès et aux techniques nouvelles mais il n'a pas ouvert son cœur ni son âme à ces nouveautés. Quand son cœur bat, quand son âme vibre, quand son corps trépide, il sent quel est son métier. Quand il étale sa peau au grand soleil, quand il sue abondamment, quand il respire profondément il s'exprime intensément dans son lourd métier. La fourche obtient de lui un geste d'athlète pour hisser la lourde botte au sommet du chariot. Il développe sa personnalité physique et accroît son être moral quand il porte lourd ; et aussi quand il suit ses chevaux derrière le brabant pour tracer les sillons profonds. Ses bras sont à usages multiples quand l'hiver il faut abattre les arbres dans la forêt, au printemps semer les avoines, en été biner les betteraves, rentrer les foins et préparer la moisson. A ces besognes, les mains, les bras, les épaules, les reins, tout le corps sont mobilisés dans l'effort. A ces tâches le corps, le cœur et l'âme sont associés pour perpétuer une race d'hommes dont le métier a toujours été et est demeuré lourd. Le paysan y pense à son métier, il en parle du matin au soir, avant et après la messe du dimanche, aux champs et à la ville, au cinéma et au café, quand il pleut ou qu'il fait beau temps. Le métier est dans la nature, dans les êtres et dans les choses dans les insectes et les oiseaux, dans le germe porté par la graine, dans le ciel et sur la terre, dans l'œuvre du Créateur, dans la volonté de Dieu, dans le sacrifice de Jésus-Christ. 68:34 Qu'importe alors que le métier soit lourd ? JE NE PRÉTENDS PAS que mon tour d'horizon soit complet et qu'il n'y eut pas d'autres métiers pénibles appelant le secours de l'effort physique. Il reste encore des couvreurs sur les toits, des peintres sur les échelles, des acrobates dans la charpente en fer, des chauffeurs sur les locomotives, des verriers sur les bassins, des coltineurs dans les usines textiles des boulangers au fond des caves, des imprimeurs aux prises avec la marinoni, des livrurs et des camionneurs sur les routes, des brasseurs, des limonadiers, des expéditionnaires et tous ceux de l'aviation dont le métier s'exécute ailleurs que dans un fauteuil ou à l'abri d'un rond de cuir. Mon intention n'est pas de passer une revue générale des professions plus particulièrement manuelles. Mon propos n'est pas non plus une tentative d'apologie des mains calleuses pour justifier l'ouvriérisme et l'opposer à l'intellectualisme. Un tel propos serait médiocre et n'apporterait rien de valable à l'idée corporative que je suggère au monde du travail. Mon propos se situe sans doute plus loin que notre époque, au-delà du marxisme doctrinal et du communisme expérimental qui ne sont pas durables. Il vise à une réhabilitation, à une rédemption des métiers que les tendances de notre siècle ont frappé d'une sorte de malédiction. Je ne vise pas seulement cette partie de la jeunesse qui s'offre momentanément la fantaisie vicieuse de l'houliganisme universel. Les tricheurs non plus ne sont pas durables. Je vise toute la jeunesse. Qu'elle cesse donc de s'effrayer, de trembler devant ce qui est lourd et qui réclame de l'homme le durcissement de son corps et l'épanouissement de son âme. Que les jeunes ne soient pas dupes des promesses sublimes par les apôtres généreux du socialisme qui ont prophétisé que le machinisme apporterait aux travailleurs de longues journées de loisirs, de repos et de culture spirituelle contre seulement quelques heures de besogne productive ; qu'ainsi la terre serait un paradis et les hommes deviendraient des artistes des poètes des musiciens, des contemplatifs et des champions de tennis consentant à manier l'outil à temps perdu. Cette terre de rêve à l'usage des troubadours modernes engendrerait l'ennui et irait au désert. Le travail est durable, il sera la règle de tous les temps avec comme expression vivante : le métier. 69:34 Mais pourquoi plutôt les métiers lourds ? J'avoue qu'il s'agit en l'occurrence d'une inclination personnelle : je défends les métiers lourds contre la médisance qui les accable. Je les défends parce qu'ils sont considérés comme des tâches répugnantes exécutées en des lieux maudits par des hommes voués à un destin funeste. Les circonstances m'ont permis d'observer et de remarquer. Il m'a semblé que l'homme s'amenuise au fur et à mesure que son métier s'allège en perdant sa part d'efforts et de risque. Le métier cesse d'être noble quand il devient routine et corvée ennuyeuse. On rencontre de petites âmes et de petits cœurs parmi les fonctionnaires, les bureaucrates et les employés. Il s'en trouve également aux différents niveaux de l'enseignement, dans le monde du théâtre, du cinéma et du journalisme. Petits cœurs et petites âmes desséchés parce que le métier a manqué d'ampleur en laissant trop de place à l'ennui, quelquefois au dégoût. Les hommes portant ces cœurs secs et ces âmes en peine ont pu réagir dans leurs corps par le sport, la culture physique, les voyages, mais ces procédés n'ont pas sorti leur métier du mortel ennui et de la lassitude. Ainsi il advient que pour retrouver le chemin des corporations dont l'aboutissant est l'association naturelle des hommes il faudra réhabiliter les métiers lourds qui mordent dans notre chair et se mêlent à notre sang. Il en fut ainsi dans le passé ; il en sera ainsi dans l'avenir, pour que la volonté de Dieu soit faite. Georges DUMOULIN. 70:34 ### L'Église et la communauté des peuples par Marcel CLÉMENT EN LISANT et méditant les pages denses et complètes que S. E. Mgr Guerry, archevêque de Cambrai, vient de publier sous le titre « *L'Église et la communauté des peuples* » ([^28]), il est presque impossible de ne pas être frappé de l'opposition qui s'affirme, à chaque page, entre la doctrine de l'Église, ce qu'il faut bien appeler son optimisme, et la dure, la menaçante réalité. L'opposition est si forte que le lecteur consciencieux mais plus habitué à parcourir les journaux quotidiens qu'à méditer la parole du Christ et celle de Son Vicaire, est tenté de songer, après avoir lu posément cet ouvrage, que l'Église, de fait, analyse bien la cruelle situation de l'humanité, la voit telle qu'elle est, qu'elle trace les lignes nettes vastes de l'ordre international, humain et chrétien, tel « qu'il devrait être », mais que le fossé qui existe entre le réel et l'idéal est si profond, si tranché que l'on *ne voit pas* comment il pourrait être comblé. On ne voit pas comment faire ! ... Éternelle objection de l'homme pécheur aux exigences du Christ. On ne voit pas même que cela pourrait se faire. Il faut méditer les mots : on ne VOIT pas... 71:34 Dans son ouvrage, Mgr l'Archevêque de Cambrai montre, à la suite de Pie XII, dont il ordonne l'enseignement avec autant de science que de piété, que c'est la foi qui permet de voir, lorsqu'il cite et commente ce texte, qui dit tout : « *Le salut ne viendra pour le monde, que si l'humanité, suivant les enseignements et les exemples du Christ, en vient à reconnaître que tous les hommes sont fils de l'unique Père qui est aux Cieux, appelés à être de vrais frères, par l'union avec son divin Fils qu'Il a envoyé en Rédempteur de tous.* » ([^29]) Ne nous y méprenons pas. Le livre de Mgr Guerry revêt une importance qui déborde le cadre d'un simple exposé, sûr et qualifié, de la doctrine de l'Église en matière internationale. Ce livre est un signe. Car il est significatif que, quelques mois à peine après la mort de Pie XII, nommé d'un seul cœur, dans le monde entier, comme le Pape de la Paix, sa pensée soit ainsi exposée, méthodiquement, complètement, par un archevêque dont nous ne pouvons oublier qu'il est, au surplus, le secrétaire de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, et que son précédent ouvrage sur *La doctrine sociale de l'Église* ([^30]), a été traduit en plusieurs langues. Cet ouvrage sur la question internationale est un signe, et c'est pourquoi, avant d'en méditer les thèmes principaux, il faut insister avec force sur un point qui conditionne tout : ce livre n'est pas simplement l'exposé d'un idéal, noble, lumineux, mais inaccessible. Il ne donne pas seulement les fins, mais les moyens. Ces moyens, qu'ils soient formulés par l'Église, ou qu'ils soient, d'ores et déjà, mis en œuvre efficacement sous nos yeux, ne peuvent pas être reconnus par un examen simplement rationaliste. C'est un regard de foi, et de foi théologale, qui seul permet de comprendre la pensée de Dieu, de reconnaître l'œuvre de Dieu, de se réjouir de l'amour de Dieu. Ce n'est point par la critique voltairienne, ce n'est point par l'analyse et la dissection que l'on peut pénétrer une pensée ou une action, qui sont toujours une synthèse. C'est par la foi, par la foi qui, les yeux attentivement fixés sur le Christ Jésus, apporte la garantie de ce qu'on espère, la preuve de ce que l'on ne voit pas. 72:34 Comment ferait-il, le voyageur, s'il ne voyait, d'un regard de foi, le but qu'il n'atteindra que plusieurs jours, plusieurs mois plus tard ? Comment feraient-ils, les peuples et leurs chefs, s'ils ne voyaient pas, d'un regard de foi, le but vers lequel ils tendent, cette paix à obtenir du Ciel, et pour laquelle tant de prières, tant de souffrances, tant de larmes aussi, chaque jour sont offertes. Donc, « *ayons les yeux fixés sur l'auteur et le consommateur de la foi, sur Jésus, qui dédaignant le bonheur qui s'offrait à lui, a souffert la croix sans regarder à la honte, et siège désormais à la droite du trône de Dieu. Songez à celui qui a soutenu de la part des pécheurs une telle hostilité contre sa personne *; ET VOUS NE VOUS LAISSEREZ PAS ABATTRE PAR LE DÉCOURAGEMENT » ([^31]). #### I. -- Les fondements de l'ordre international Lorsque les hommes demandent la paix, ils ont conscience souvent, de demander un bienfait négatif. La paix, considérée d'une façon empirique apparaît comme l'absence de guerre et de son cortège de peurs, d'insécurités, de méfiances. Lorsque les philosophes définissent la paix, ils s'efforcent ne formuler une maxime profonde : « la tranquillité dans l'ordre » : déjà cette définition est complète à son niveau. Mais le réalisme de foi qui inspire la pensée de l'Église prend les choses plus haut encore. Elle nous introduit d'emblée dans la pensée ne Dieu, qui depuis les origines de la Création, anime toutes choses par l'intérieur pour établir, dans les siècles des siècles, la demeure de l'homme, fait cet homme à Son image et à Sa ressemblance, lui ordonne de se multiplier, d'emplir la terre, de la dominer. Lorsque les temps sont venus, Il récapitule toute l'humanité, de toute race et de toute langue dans son unique Fils, unique Prêtre, par qui, avec qui, en qui, tout ce qui existe fait retour au Père, source éternelle de tout amour, terme de toute action de grâce, dans l'unité de l'Esprit Saint. 73:34 « *Merveilleuse vision, dit Pie XII, qui nous fait contempler le genre humain dans l'unité de son origine en Dieu : un seul Dieu, Père de tous, qui est au-dessus de tout, et en toutes choses, et en chacun de nous* (Ephés. IV. 6.) *dans l'unité de sa nature, composée pareillement d'un corps matériel et d'une âme spirituelle et immortelle ; dans l'unité de s*a *fin immédiate et de sa mission dans le monde ; dans l'unité de son habitation : la terre, des biens de laquelle tous les hommes, par droit de nature, peuvent user pour soutenir et développer la vie ; dans l'unité de sa fin surnaturelle : Dieu même, à qui tous doivent tendre dans l'unité des moyens pour atteindre cette fin.* » ([^32]) Vision vaste, totale, où les particularismes, les repliements égoïstes, les nationalismes fermés apparaissent dans leur vraie lumière : ils sont refus, plus ou moins conscients, du plan de Dieu. Ce sont *tous* les hommes quelle que soit leur couleur et leur langue, qui ont reçu la même nature, et qui ont droit aux biens matériels de la terre. C'est pour *tous* les hommes, de tous les temps et de toutes les contrées, que le Christ a donné sa chair et son sang, pour que la même vie surnaturelle soit communiquée jusqu'aux extrémités du monde. C'est avec *tous* les hommes que le Seigneur veut, au cours de l'histoire, cheminer avec nous pour être notre seul itinéraire vers la vie éternelle. Et il leur a enseigné le *Pater* pour qu'ils connaissent, avec les yeux de la foi, leur filiation et leur fraternité. Pour qu'ils la connaissent et pour qu'ils en vivent, de l'Est ou de l'Ouest, de l'Asie, de l'Amérique ou de l'Europe, de l'Afrique ou de l'Océanie. Alors, en regard de ce vaste plan d'amour, qui se développe tout au long de l'histoire, dans l'ombre de la croix dressée au Golgotha et dans la pure lumière du matin de la Résurrection, oui, que sont les virages dangereux dessinés par Moscou autour de Berlin-Ouest, que sont les bombardements, aux jours pairs et impairs, des habitants d'une île disputée, que sont les sauvageries terroristes en Algérie ou au Tibet, que sont ces calculs obscurs et ces cruautés cyniques, sinon les échos, toujours renouvelés, d'un refus de la volonté libre de l'homme, aveuglé par ses propres desseins, et se débattant follement dans un plan plus grand que lui, né d'un amour plus vaste que le sien, et qu'il nie, ou dont il désespère, PARCE QU'IL EN REFUSE LES EXIGENCES. 74:34 #### II. -- Les conditions de la paix Ces exigences du plan divin, sur l'humanité tout entière, Mgr Guerry s'attache à en dégager les fondements, naturels et surnaturels. Les hommes n'ont-ils pas même nature ? N'est-ce pas là un FAIT que nul au monde ne nie, alors même que les psychologies des peuples sont variées, et que leurs histoires sont divisées ? Et cette unité de nature n'exprime-t-elle pas une loi ? A savoir que les hommes doivent devenir ce qu'ils sont, devenir par volonté délibérée, UN dans leurs actions et opérations diverses comme ils sont déjà UN par leur nature, par leur structure ontologique ? Cette loi qui pousse l'humanité tout entière à faire son unité, ne se manifeste-t-elle pas dans les faits ? « *A mesure que les années passent, il devient de moins* en *moins possible aux nations de s*e *renfermer sur elles-mêmes* ([^33]). » Et cette loi ne s'exprime-t-elle pas dans la raison humaine à la manière d'un devoir moral, *devoir* qui, en tant que son accomplissement est requis par notre nature, nous apparaît en corollaire, comme un *droit* naturel. Car c'est le droit naturel, en définitive, qui requiert la constitution progressive d'un ordre public international. Il faut que les nations entre elles, les États entre eux, agissent en pratique comme leur nature exige qu'ils agissent et comme le sang du Christ, vainqueur de la mort pour tous les hommes et s'ils y consentent *dans* tous les hommes exigent qu'ils agissent. Mgr Guerry dégage avec une grande précision, des directives pontificales, principalement de celles de Pie XII, les conditions de la vie internationale. Elles sont très concrètes et doivent être évoquées. L'ordre ne peut en effet régner parmi les nations sur les bases actuelles. A la coexistence dans l'erreur ou le mensonge doit être substituée la coexistence dans la vérité, ou mieux, la coopération dans la vérité. A la coexistence dans la contrainte doit succéder l'union organique dans la liberté. A la coexistence dans la crainte, il faut opposer la coexistence dans la sécurité. Vérité, liberté, sécurité, ces trois mots ne sont pas choisis au hasard. Ils expriment en plénitude les véritables conditions de la paix, au sens vivant du mot. 75:34 Car les États, comme les individus, communiquent premièrement au niveau des intelligences. Ce sont des esprits qui s'ouvrent les uns aux autres, dans les réunions « au sommet » comme dans les négociations secondaires ou les simples rencontres internationales. Donc « *le culte de la vérité, favorisé par l'immense activité didactique de l'Église, se transforme en service d'une valeur inestimable pour la réconciliation et l'entente, pour la compréhension réciproque et la collaboration des hommes et des peuples. Si tous les peuples, réellement et sincèrement, veulent, cherchent, acceptent et professent seulement la vérité, ils sont alors vraiment sur le chemin qui, par sa nature intime, mène à* *l'entente et à l'union. Car la vérité* (*quel qu'en soit en chaque cas spécial l'énoncé*) *est seulement une et, par conséquent, la volonté et le désir universel de la vérité ne peut être qu'un. L'erreur, au contraire, opposée à la vérité et à la réalité, est par sa nature, division* » ([^34]). Depuis trop longtemps, c'est le principe de l'utilité qui, en diplomatie, a remplacé la simple vérité. Le marxisme-léninisme lui, est descendu plus bas encore. « *Cette insincérité apparaît à présent comme érigée en système, élevée à la dignité d'une stratégie.* » ([^35]) Il ne suffit pas que les hommes d'État s'appuient sur la vérité, et qu'ainsi les intelligences soient dans l'unité. Il faut aussi que les volontés soient en état de s'accorder réellement, c'est-à-dire librement. Deux forçats enchaînés l'un à l'autre sont, d'une certaine manière, dans l'unité. Mais dans l'unité externe, mécanique, d'une pure contrainte physique. Ce n'est point là l'unité interne, organique, de la « *tranquillitas ordinis* ». La véritable unité des volontés, est, non celle de la contrainte, mais celle de l'amour, car, dit Saint-Exupéry, « *aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, mais regarder ensemble dans une même direction* ». C'est « vouloir ensemble » ce qui n'est possible que lorsque le libre arbitre de chaque personne, de chaque groupement est à la fois respecté et grandi. L'ordre de liberté, en définitive, c'est « *l'ensemble des droits et des devoirs des individus, des familles... d'une nation ou d'un État et de la famille des Nations et États.* » ([^36]). 76:34 Enfin, il n'est possible de *penser ens emble* dans la vérité et de *vouloir ensemble* dans la liberté qu'à la condition de pouvoir *vivre ensemble* dans la sécurité, laquelle « ne *peut avoir d'autre base solide que la santé physique et morale du peuple, le bon ordre public, à l'intérieur, et à l'extérieur les relations du bon voisinage.* » ([^37]). Mais le Christ est la vérité pour l'intelligence. C'est Lui qui est itinéraire pour la volonté. C'est lui enfin qui est vie et donc source profonde de toute sécurité. C'est donc bien par Lui, avec Lui, en Lui, que dans l'intime de leur conscience, non seulement les hommes d'État chrétiens, mais tous les citoyens chrétiens du monde doivent D'ABORD se confier. Car la vérité, la liberté, la sécurité, si elles n'expriment pas notre rapport intime, personnel, expérimenté, avec le Christ Jésus, ne sont que la représentation, dans l'esprit, d'un concept abstrait ! Un concept abstrait, même idolâtre, jamais n'assurera la paix au monde. Mais le Christ, lui, est le Prince de la paix ; -- le *prince* au vrai sens du mot : une source de vie. Par goût de l'abstraction, nous disons, plus souvent, le *principe !* #### III. -- Justice et charité internationales Parce que le Christ est le prince de la paix, il ne faut pas s'étonner que tout au long de l'histoire, depuis deux mille ans, ce soit l'Église qui régulièrement ait conçu la pensée, les interventions, les lignes de forces de la doctrine et des expériences en ce domaine. Mgr Guerry évoque les plus récentes, que jalonnent les pontificats de Léon XIII, de Pie X, de Benoît XV et de Pie XI. Ici encore toutefois apparaît l'apport propre du Pape Pie XII qui a formulé avec précision la nature et les normes d'un ordre international fondé sur la justice et sur la charité. 77:34 La justice ! Elle n'est au fond qu'un stade intermédiaire pour faire sortir les peuples de la tyrannie des passions et des instincts, leur montrer les exigences de la raison et les acheminer plus haut, vers la charité, l'amour... Car un monde international où tout ne serait que justice, juridisme, ne serait guère respirable. Plus ! un monde sans amour ne saurait être juste, et c'est pourquoi le crucifix doit retrouver sa place dans les palais de justice -- pour que ces palais retrouvent le sens de leur nom. Cela dit, il faut que l'ordre international soit fondé sur l'idée transcendante de la justice, mais prise dans son sens plein, dans son sens total, où elle apparaît assumée et élevée dans l'ordre surnaturel. Qu'est-ce que l'ordre international, tel que le souhaitait Pie XII ? Un ordre juridique public, une organisation permanente de la Société des États fondé sur la juste définition des droits et des devoirs proportionnés de tous les participants, dans le respect des exigences morales et matérielles de la dignité de la personne. Il n'est peut-être pas exagéré de voir dans cette orientation de la pensée de Pie XII une correspondance avec ce qui fut, il y a cent ans, la grande pensée du Père Taparelli. « *Cette union internationale tend naturellement à réaliser peu à peu et d'une manière harmonique le grand dessein providentiel qui doit procurer la vraie civilisation à toutes les nations et ne plus faire de l'humanité entière qu'un seul bercail, sous la direction d'un seul Pasteur.* » ([^38]) A la base de cet ordre juridique, deux normes sont formulées : *Premièrement,* la fidélité aux contrats et aux traités est une exigence de la justice et une condition indispensable de la confiance réciproque. *Deuxièmement,* cette fidélité ne doit pas être littérale, mais soucieuse de demeurer vivante, et d'admettre ou de susciter toute révision qui permettrait de rester davantage fidèle aux exigences de l'esprit de justice plutôt qu'à la lettre des contrats. De la lettre à l'esprit, de la justice à la charité, en un mot, du règne de la loi au règne de l'Amour, tel est le mouvement qui anime tout ce texte de Mgr Guerry. Il ne s'agit pas seulement de respecter les traités en esprit et en vérité. 78:34 Il faut encore donner à la société des États une plus grande unité des esprits et des volontés. Pour cela c'est la prise de conscience de l'existence du bien commun des États qui est nécessaire, autrement dit, la mise en œuvre de la justice sociale internationale. Pour toutes les grandes œuvres qui s'imposent à l'humanité d'aujourd'hui, face à une révolution démographique sans précédent, il faut déborder les simples relations du bon voisinage. La lutte contre le chômage, le mouvement organique des migrations, l'élévation du niveau de vie des pays sous-développés, toutes les grandes conquêtes de la science et de la politique requièrent désormais la « *collaboration universelle des peuples et d'États chacun apportant sa contribution respective de richesses en matières, en capitaux, en main-d'œuvre* » ([^39]). Ce mouvement, immense, de regroupements des initiatives, des talents et des richesses pour une grande solidarité morale et matérielle ne saurait Se contenter de cadre juridique. Il y faut la charité au sens le plus fort, le plus divin du mot. Et Mgr Guerry y insiste : « *Cette fraternité est celle qui unit entre eux, dans la famille de Dieu, par leur commune vocation à la vie surnaturelle, tous ceux* et *toutes celles qui sont devenus frères et sœurs dans le Christ Rédempteur, le* « *Frère Aîné* » *comme l'appelle saint Paul, le Fils du Père pour former un seul Corps.* » ([^40]) Mutuelle compréhension, ouverture réciproque pour recevoir les soucis, comprendre les difficultés de l'autre, attentive, bienveillance pour accepter de renoncer de bon cœur et volontiers à ce que nous avons à donner, action effective de collaboration, où fusionnent réellement les pensées, les volontés, les vies des sociétés et des peuples composent les trois éléments de la charité internationale. Que cette charité soit possible, rien n'est plus certain : il y a assez d'occasions d'initiatives et d'entraide pour que toutes ces pensées ne soient pas lettre morte, mais esprit vivifiant pour les gouvernants et les gouvernés. 79:34 TELS SONT LES FONDEMENTS, telles les conditions, de l'ordre de Paix, dans la justice et la charité, que Mgr l'archevêque de Cambrai, de façon précise et complète, dégage, dans la première partie de son ouvrage, de l'œuvre des Papes, spécialement de celle de Pie XII. Il faut lire ce livre, il faut le faire lire. Mais il faut le faire lire, avec les yeux de la Foi : in Christo Jésu. Et à ceux qui douteraient, malgré tout, de la puissance formidable du dynamisme chrétien dans le monde d'aujourd'hui, qu'ils regardent à l'horizon, le sens de l'histoire : l'Europe en marche, la Communauté en formation, un Concile œcuménique en gestation... et qu'ils se souviennent en ces jours, que Marie, au Ciel, se réjouit, car son Fils est VRAIMENT ressuscité. Marcel CLÉMENT. 80:34 ### Lecture du livre de Massis par R.- Th. CALMEL, o.p. Henri Massis : VISAGE DES IDÉES, suivi de A CONTRE-COURANT, Thèmes et discussions (Paris, Grasset, 1958). NOUS N'ESPÉRONS PAS hélas ! donner de ce vaste ouvrage un compte rendu exhaustif. Plusieurs numéros entiers d'*Itinéraires* seraient indispensables pour en dénombrer les richesses et pour expliciter ce qui se formule en nous en écoutant les *thèmes* et en suivant les *discussions.* Au moins essaierons-nous de dégager ce qui nous paraît être le plus important et de préciser quelques-unes des réflexions qui nous sont venues à la lecture attentive de chacune des deux parties du livre. La première nous découvre *le visage des idées* chez Pascal, Bossuet et Renan ([^41]) ; dans la seconde, *à contre-courant,* l'auteur nous presse de remonter les étranges courants de perdition qui déferlent sur notre monde. On saura gré à Massis d'avoir touché l'essentiel pour chacun des personnages qu'il évoque. Il nous montre Pascal comme un spirituel et un apologiste de la Foi chrétienne et il décourage les tentatives d'annexion par les philosophes, surtout par les philosophes rationalistes. -- Avant d'être un écrivain, Bossuet nous apparaît comme un prêtre de Jésus-Christ, un prédicateur et un défenseur de la doctrine révélée, et il n'est même un aussi grand écrivain que parce que son génie sublime s'est tenu à la hauteur de la vérité la plus sublime ; il serait donc parfaitement ridicule, quand il s'agit de lui, de disjoindre la forme du discours d'avec son contenu. 81:34 -- Quant à M. Renan, Massis nous présente son véridique et horrifique portrait, non pas précisément celui d'un vrai historien, mais celui d'un mystificateur qui utilise l'histoire et l'exégèse pour couvrir l'entreprise de dissolution raffinée dans laquelle il se délecte. \*\*\* DANS *Pascal, apôtre des temps modernes* la signification et la profondeur des *Provinciales* ont été dégagées avec un rare bonheur ; et, en ce qui nous concerne du moins, nous n'avions encore rien lu d'aussi juste touchant ce grand pamphlet dont les accents extraordinaires, encore qu'ils ne soient pas toujours purs, ont si souvent une vibration apostolique : « C'est à l'homme que Pascal songe, et à son Salut, ce zèle l'inspire jusqu'en ses emportements... Pour lui, Pascal, toute la religion se ramène à la pratique dans la morale. Connaître, pratiquer la perfection de la morale il n'a pas d'autre objet. De là sa colère contre les casuistes... Au départ, il n'a voulu que s'amuser, railler des pratiques abusives, des exceptions scandaleuses, en s'attachant à tout ce qui dans les écrits des casuistes concerne par exemple le marchand, le valet, le prêtre, le gentilhomme... Mais il ne lui faut pas longtemps pour s'apercevoir qu'il n'y a rien en matière de mœurs qui ne touche au fond même de la religion. A quoi *tend la casuistique pour Pascal ? A faire des pécheurs sans pénitence, des justes sans charité, un Dieu sans pouvoir sur la volonté, une prédestination sans mystère, à rendre vaine la Croix du Christ.* C'est toute la vie religieuse qu'il l'accuse de corrompre à sa source. La dispute s'en trouve soudain haussée, le débat se précise... Les éclats de sa voix ont alors ce tressaillement, cet accent de fond où sa nature se livre toute en ce qu'elle a d'essentiellement tourné vers le pathétique moral. » (Page 35.) Au sujet des *Pensées,* nous insisterions, plus que ne le fait Henri Massis, sur leur caractère traditionnel. La part du psychologique, qui est certes fort grande, ne doit pas nous faire illusion, car elle n'est point là pour elle-même mais uniquement pour préparer aux preuves traditionnelles. 82:34 Il s'agit de ramener le libertin à son âme, de l'induire à avoir pitié de son âme afin qu'il prête attention aux signes divins de la religion révélée. Or ces signes sont les mêmes depuis toujours : excellence de la vie de Jésus et de ses vrais disciples ; notes de l'Église ; miracles et prophéties. Pascal les reprend avec une vigueur nouvelle : mais ce sont bien les signes traditionnels qui sont l'âme de son apologie. Sa puissante originalité consiste à ne jamais perdre de vue le caractère chrétien des preuves qu'il avance. Ce sont preuves, en effet, d'un Dieu caché et crucifié, d'une Église qui est le *corps passible de Jésus-Christ* ([^42]) : il est donc nécessaire qu'elles en portent la marque, Pascal ne cesse de nous faire sentir que les signes qu'il invoque conduisent à la religion de la croix. Trop rarement les apologistes prennent garde à cette vérité élémentaire. En quoi consiste-t-elle au juste ? En ceci, que Dieu ayant voulu sauver un être perdu d'orgueil et de convoitise se devait sans doute de lui donner des signes mais ne pouvait les donner en telle manière qu'ils seraient confondus avec ses aspirations impures et serviraient ses rêves orgueilleux. C'est pourquoi lorsqu'il nous a envoyé son Fils il l'a envoyé dans une condition d'esclave ; c'est pourquoi les prophéties de *l'Ancien Testament* encore qu'elles évoquent des succès et des richesses terrestres orientent avant tout vers un Messie humilié et crucifié et dont l'avènement de gloire présuppose les plus lamentables ignominies ([^43]) ; c'est pourquoi les miracles du Seigneur Jésus nous tournent vers les biens spirituels et vers la passion et non pas vers *la possession d'une terre grasse et une longue suite de jours ;* c'est ainsi qu'un miracle aussi prodigieux que la multiplication des pains dans le désert est ordonné non pas à un règne politique et à la prospérité matérielle mais à la nourriture céleste et au Saint Sacrifice de l'Eucharistie. 83:34 C'est le mérite de Pascal d'avoir discerné la nature exacte des signes du christianisme et que, par suite de leur humilité et de leur pauvreté inévitables, ils ne peuvent être reçus que par les humbles. *S'offrir par les humiliations aux inspirations* (n° 245). *Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir* (n° 429). \*\*\* TRAITANT avec une ampleur grandiose de *Bossuet, docteur de la Foi,* Massis s'arrête longuement à l'objection insidieuse de Brémond reprochant au grand orateur de n'avoir pas fait avancer la théologie (p. 124). Cette objection ne prouve rien contre la grandeur impérissable de Bossuet, à moins que l'on ne décide de tenir pour grands en doctrine chrétienne ceux-là seuls qui la font avancer. Qui se risquerait à le soutenir ? Qui ne trouverait grand celui qui, même sans avoir ouvert des fenêtres nouvelles, a repensé avec toutes les ressources d'un esprit vaste et équilibré les mystères fondamentaux de notre foi et les a exprimés dans une langue qui demeure toujours vivante, parce qu'elle a jailli du plus vivant de son esprit et de son cœur. La manière d'exposer de Bossuet est une manière qui fait redécouvrir et qui confirme et c'est pourquoi du reste les théologiens les plus éminents ([^44]) citeront toujours Bossuet. Même si celui-ci n'a pas fait beaucoup évoluer la théologie il l'a fait pénétrer, il l'a fait avancer dans les profondeurs de son esprit, de son âme, de son génie oratoire et c'est une théologie vivante et vivifiante qu'il nous communique ; une théologie qui est capable de s'imprimer facilement cn notre âme pour s'être d'abord imprimée dans la sienne. N'est-ce pas un assez beau service ? Et quelle vaine querelle Brémond va-t-il lui chercher ? Il serait à peu près aussi bien inspiré d'aller quereller par exemple tel grand thomiste qui lui par contre a fait avancer la théologie de ne s'être pas exprimé dans une langue immortelle. C'est quand même être trop exigeant de vouloir que tout théologien inventif soit un grand écrivain et que tout théologien doué pour écrire soit un théologien inventif. Si le même théologien a reçu de Dieu la rare faveur d'unir en soi les deux offices tant mieux, certes ; tant mieux pour lui et pour l'Église. Mais s'il remplit bien un seul de ces offices c'est quand même assez beau et l'Église se réjouit. 84:34 Si Brémond au lieu de perdre le temps à ces mesquineries s'était pénétré un peu plus de la théologie traditionnelle, on peut penser que son histoire des mystiques manifesterait un sentiment plus net des caractères fondamentaux de la mystique chrétienne et aussi que sa *métaphysique de la prière* serait un peu moins inconsistante. Nous désirons autant que personne la recherche et le progrès dans les sciences ecclésiastiques, mais nous désirons en même temps que les sciences ecclésiastiques soient accessibles aux honnêtes gens, au commun des chrétiens, à ceux qui n'ont pas les moyens de devenir, comme dit le jargon moderne, des spécialistes de la théologie. C'est un vrai malheur lorsque la théologie n'intéresse plus que les théologiens de profession. Or, pour que ce malheur n'arrive pas, il n'est qu'un moyen : que des écrivains et des orateurs de génie, profondément pénétrés de saine doctrine, fassent parler la doctrine en langue vivante. L'Église a évidemment besoin des théologiens et l'Église est théologienne parce qu'elle est apostolique. Mais l'Église a aussi besoin des poètes et des orateurs afin que la théologie soit entendue dans les diverses patries 011 l'Église poursuit son pèlerinage. Et parce que l'Église est l'Épouse inspirée de Jésus-Christ et la Mère des peuples de la terre elle inspirera et suscitera jusqu'à la fin, à travers les patries terrestres, des orateurs ou des poètes qui annonceront avec splendeur les merveilles de sa doctrine dans la langue vivante, et immédiatement perceptible, de telle ou telle nation baptisée. Tel Bossuet. Ce qui frappe chez Bossuet à mesure qu'on le pratique c'est la profondeur et la simplicité de sa vie sacerdotale. Ce prestigieux écrivain était avant tout un prêtre de Jésus-Christ. Peut-être Henri Massis aurait-il pu insister encore plus sur ce qui est le fond de sa personnalité. On aurait aimé connaître encore plus intimement le Bossuet soucieux *d'œcuménisme* et cherchant à obtenir le retour à l'unité avec une bénignité et une droiture toute apostolique ; le Bossuet préoccupé du salut éternel de Louis XIV, n'hésitant pas à prêcher devant lui en 1662 sur David et Bethsabée, et en 1675 intervenant hardiment pour faire cesser une liaison scandaleuse et pour plaider les droits du pauvre peuple. C'est vrai qu'il n'est pas un saint canonisé ; c'est vrai que, malgré des preuves évidentes de courage, il ne s'est pas toujours opposé à un prince concubinaire et violateur des droits de l'Église avec cette qualité de zèle qui fait les saints pontifes ([^45]) et qui leur attire généralement la persécution, l'exil, et même la mort. 85:34 Malgré ces limites, Bossuet nous paraît se caractériser avant tout, dans sa pensée et dans ses démarches, par le sentiment de son sacerdoce et de ses responsabilités de pontife dans l'Église de Jésus-Christ. Malgré son intrépidité à défendre l'Église et à repousser les assauts furieux qui se déchaînent avec la fin du grand règne il n'a pas réussi, dit-on, à barrer la route aux doctrines aberrantes, et à déterminer victorieusement une orientation nouvelle. Sa lutte contre la critique rationaliste n'a pas suscité l'avènement d'une exégèse à la fois critique et orthodoxe. Sa bataille contre le quiétisme n'a pas fait naître un grand mouvement d'oraison. Vaines querelles. Ces reproches qui se placent au point de vue de la réussite historique ne veulent rien dire, parce que le critère qu'ils invoquent n'est pas le vrai. En effet, en présence d'une grande entreprise et d'une grande œuvre, ou plutôt en présence de toute œuvre et de toute vie, la question toute mentale qui se pose n'est pas de savoir si elles ont changé ou non le cours de l'histoire, mais bien de savoir la fin qu'elle poursuivait et la pureté des moyens dont elle s'est servie. Après quoi le succès ou l'échec ne dépendent point de l'homme. L'on ne saurait faire grief à sainte Catherine et à sa tentative de réformer l'Église de n'avoir abouti qu'à un schisme aggravé. Il se peut, il est très probable, que la réaction de Bossuet contre les erreurs et les aberrations de la fin du XVII^e^ siècle n'a pas été conduite d'assez haut et dès lors n'a pas montré assez clairement, non seulement quelle route était fermée, mais aussi quelle route s'ouvrait qui prolongeait la direction traditionnelle. A supposer qu'il y ait une remarque à faire au grand évêque c'est celle-là, et non pas d'avoir échoué partiellement et de n'avoir pas fait refluer la marée dévastatrice du siècle des lumières. L'histoire ne saurait être jugée qu'en vertu de critères qui transcendent l'histoire. Comme le rappelle fort utilement Henri Massis les critères historicistes et évolutionnistes sont des critères illusoires (p. 214). 86:34 LE PORTRAIT de M. Renan est saisissant et vous glace d'horreur. On comprend mal comment un homme peut réussir aussi pleinement à passer à côté de la vie, à éviter la vie pour se murer dans l'occupation intellectuelle -- ou plutôt se murer dans la jouissance de l'occupation intellectuelle. Si Renan au lieu de rechercher avant tout le plaisir de ses cogitations en avait accepté la loi d'objectivité, qui est la première loi de l'esprit, il eût rejoint le réel par quelque biais, il eût retrouvé la vie et les terribles mystères qu'elle contient, notamment il ne fût point passé à côté du mystère du mal avec cette paix menteuse, cette paix diaboliquement sophistiquée. On reste confondu en lisant dans Massis ce que la mort de sa sœur a représenté pour l'écrivain ; à peu près uniquement une occasion de faire du style (p. 160) ; or cette sœur s'était saignée aux quatre veines pour élever son cadet, pour lui faciliter et lui aplanir sa brillante carrière ; par ailleurs, elle tombait morte, foudroyée par la fièvre, au moment même où Renan poursuivant la composition de ce blasphème perfide qui s'appelle *la vie de Jésus* en arrivait au récit de la Passion. Tout autre sans doute se fût demandé si ce n'était point là un signe prémonitoire. En tout cas, un être qui ne serait point parvenu comme Renan à stériliser son humanité au profit de l'orgueil scientifique n'aurait jamais eu la pensée d'écrire à l'occasion d'événements aussi terribles : « Je hais la souffrance, *parce que en affaiblissant notre fierté rationaliste* elle fait oublier la critique. » (p. 159) Je ne pense pas que les œuvres de Renan connaissent encore beaucoup de succès. Il n'en reste pas moins, et Massis a raison de le souligner, qu'il aura beaucoup travaillé à dissoudre ; il aura contribué pour une grande part à enseigner à beaucoup d'intellectuels un certain art savant de la dissolution. Sa part réservée dans cette œuvre funeste c'est d'avoir miné la foi dans les âmes. D'autres viendront qui tenteront de dissoudre les données les plus élémentaires de la morale familiale et de l'ordre politique. 87:34 Avant de prendre congé de ce *monstre mou* comme eût dit Bernanos, de ce *Saint-Marin* encore plus frelaté, encore plus épouvantablement tranquille que celui du *Soleil de Satan,* nous retiendrons la leçon redoutable qu'il nous livre sans le vouloir : lorsque la vie de l'esprit se coupe de l'amour de la vérité, et par suite de l'amour de Dieu et du prochain, lorsqu'elle est exclusivement poursuivie pour la délectation et la suffisance de l'intellectuel (savant, romancier, historien, philosophe ou même théologien), alors elle engendre une déformation personnelle odieuse, et elle risque d'accumuler d'immenses ruines dans la cité. On dirait que Renan s'est préparé à l'Enfer avec une sérénité sur laquelle rien n'a pu avoir de prise. « Archiviste de moi-même : durant l'éternité remuer mes papiers, mes livres. » (p. 159) Quelle incroyable mutilation et privation de l'être. Quelle occupation vide pendant l'éternité. \*\*\* AVEC LA SECTION *à contre-courant* le livre de Massis reçoit un grand approfondissement ; il affronte les problèmes ultimes qui partout sont devenus les nôtres ; il nous oblige à regarder en face le visage apocalyptique de l'époque où nous sommes entrés. Car, plus encore qu'autrefois, nous semble-t-il, la lutte apocalyptique est devenue manifeste et universelle entre l'Épouse et les deux Bêtes, entre la Sainte Église et un pouvoir politique anti-théiste favorisé par les mensonges multiformes d'une intelligentsia qui a rompu avec la Foi chrétienne. Massis remonte avec vigueur les courants du relativisme, de l'historicisme, de l'anti-intellectualisme, du surnaturalisme ; et surtout il fait barrage à l'énorme vague du messianisme scientifique de Teilhard de Chardin. Dans les *thèmes et discussions,* plus encore que dans la première partie de son ouvrage, Massis nous montre qu'il n'existe pas de surnaturel vrai qui commence par nier, ou par mettre entre parenthèse les données élémentaires de la nature et de la raison ; la nature de l'homme orientée, limitée, définie ; sa raison capable d'atteindre la vérité, même et surtout la vérité philosophique ; -- la nature de l'homme exigeant au titre de son droit naturel une famille, un métier, une cité ; la raison de l'homme exigeant aussi à titre de son droit naturel la reconnaissance des premiers principes, la docilité à l'égard de la Révélation divine et la hiérarchie des savoirs à travers les intercommunications vivantes. 88:34 Pas de surnaturel à l'encontre de la nature et de la raison : Massis nous rend le plus grand service en insistant sur cette vérité première, car la tentation de beaucoup de chrétiens à qui fait défaut le sens inné du donné naturel et qui d'autre part sont sensibles à la pureté évangélique c'est de plier et d'utiliser l'Évangile comme alibi à leur déformation et à leur insuffisance naturelle. Nous croyons toutefois que la pensée de Massis appelle un prolongement. La nature et la raison de l'homme ont été disloquées à de telles profondeurs, elles ont été tournées tellement dans tous les sens, elles ont été forcées à de tels abus que, dans bien des cas, elles ne retrouveront quelque rectitude, ou plutôt qu'elles ne commenceront à croire qu'il y ait même une rectitude pour elles, sinon à partir de la Grâce et de la vie dans le Christ. Inversement d'ailleurs, la vie dans le Christ, à moins d'être une singerie répugnante, achemine la nature et la raison à retrouver leurs lois essentielles et leur honneur. Ce que nous disions à propos d'une question particulière, celle de l'éducation, peut et doit être transposé dans le domaine de la connaissance et dans l'ordre politique. « L'absurdité et la malice du monde ont désormais atteint un tel degré que l'on peut dire que beaucoup d'enfants viennent au monde et y grandissent *sans toit ni loi ;* elles sont privées de l'expérience élémentaire d'une famille normale ; étant donné l'ambiance elles ont beaucoup de difficultés à comprendre que tout ne doit pas se faire et qu'il est des préceptes absolus. Dès lors, comment leur faire admettre qu'un toit est nécessaire avec les obscures vertus domestiques, et que la loi morale reste debout, même dans l'effondrement des mœurs et des coutumes ? -- *C'est par la Foi qu'elles pourront retrouver la croyance en un toit et une loi.* Un certain nombre d'enfants n'accepteront un ordre terrestre que du jour où elles croiront que c'est Jésus-Christ lui-même qui le veut. Elles ne retrouveront les humbles vertus terrestres que redescendant des altitudes mystiques. Parce qu'elles auront cru à la Rédemption elles auront compris qu'une vie de racheté suppose non seulement la prière mais la décence et l'honneur, la justice et la tenue ; car c'est à tous les plans de notre être, pas seulement à la fine pointe de l'âme, que nous avons été rachetés ; que nous devons *porter et glorifier Dieu.* » ([^46]) \*\*\* 89:34 AU SUJET DU P. Teilhard et de son panchristisme évolutionniste, Massis ne met évidemment pas en doute les intentions apostoliques de l'auteur de *Comment je crois* et de *la Messe sur le monde* et il souscrirait sans peine, croyons-nous, à la déclaration d'un religieux : « Il a contribué à aider toute une génération minée par le scientisme à prêter audience au message de la Foi. » ([^47]) On peut cependant faire observer que la Foi qu'il expose est un *Credo* assez insolite et qu'il est tourné d'une manière assez nouvelle. Plus précisément faute d'une saisie assez vigoureuse de la spécificité de la Révélation et de la Foi et de leur caractère irréductible, le P. Teilhard s'est mis à exposer les mystères de la Foi en termes de sciences physique ou biologique et même en terme d'hypothèse scientifique. Il en résulte un brouillage et une mixture insupportables, et malgré toute sorte d'efforts et de précautions une dégradation du donné révélé dans une lumière qui n'est pas et ne peut pas être la sienne ([^48]). Notamment, parce qu'il a pensé la foi dans les termes de l'hypothèse scientifique de l'évolution, et parce que cette hypothèse met de côté les cassures et les commencements absolus pour ne retenir que les continuités apparentes, le P. Teilhard s'est interdit de marquer le caractère de commencement absolu justement et d'absolue gratuité qui est celui du mystère chrétien : la création de l'homme et son élévation à l'état de justice originelle ; la Rédemption du péché par la Croix du Fils de Dieu. Teilhard a réfléchi sur les données de la Foi comme si ces données étaient réductibles aux lumières inférieures des sciences de la nature. On ne conteste pas à Teilhard le sentiment des dimensions cosmiques du salut et pas davantage celui de l'interdépendance croissante entre les hommes. On lui reproche d'avoir senti ces deux réalités au point d'en devenir ivre intellectuellement et de perdre l'équilibre de la pensée chrétienne. 90:34 Place du cosmique dans le salut et moyens nouveaux d'unité entre les hommes, pourquoi donc le Père n'a-t-il poursuivi ces constatations et ces réflexions en maintenant son regard au niveau du mystère de l'Église tel qu'il nous a été révélé et tel que nous le tenons dans la lumière mystérieuse de la Foi ? Alors le Père Teilhard n'eût pas rêvé et il n'eût pas fait rêver certains de ses adeptes. Notamment il eût compris et il eût fait comprendre que les peines qui frappent la nature et le cosmos depuis le péché originel ne sont pas en train d'être rapportées grâce aux « propriétés rédemptrices de l'Évolution ». Elles ne seront abolies qu'avec le second avènement du Seigneur. Certes, en vertu de la Passion de Jésus-Christ, ces peines peuvent devenir rédemptrices, et elles le doivent ; mais c'est autre chose que leur élimination progressive. Elles peuvent être atténuées sur certains points, elles peuvent être déplacées, elles ne peuvent pas être progressivement éliminées. Si nous prenons quelques exemples, qui se risquerait à soutenir que, pour toute mère digne de ce nom, la peine et le souci sont devenus moindres avec l'accouchement sans douleur qu'ils ne le furent dans les siècles passés ? D'un autre point de vue, s'il est vrai que la moyenne de la vie humaine ait augmenté, qui pourrait prétendre que les maladies sont devenues moins cruelles, ou moins habilement torturante la haine de l'homme pour son semblable ? Mais surtout si le Père Teilhard eût poursuivi ses réflexions à l'intérieur du mystère de l'Église, il eût compris que la lutte durera jusqu'à la Parousie entre le diable et la cité sainte. Le diable, encore qu'il soit vaincu virtuellement, demeurera toujours à l'œuvre ; à mesure que le monde se hâte vers sa fin il perfectionne ses méthodes et il organise plus savamment son immense contre-Église. A tel point que Jésus nous a dit : « Lorsque reviendra le Fils de l'Homme trouvera-t-il encore la Foi sur la terre. » (Luc, XVIII, 8.) Et encore : « Il surgira une foule de faux prophètes qui égareront les peuples et, l'iniquité se multipliant, la charité du grand nombre se refroidira. » (Matth. XXIV, 11 et 12.) Par ailleurs, et cela jusqu'à la fin, l'Église se recrutera uniquement parmi les pécheurs, parce qu'elle se recrutera dans la race d'Adam universellement gâtée par le péché et parce que les hommes ne sont récapitulés dans le Christ très saint qu'en étant d'abord récapitulés dans le premier Adam. 91:34 Qui adhère au mystère de la sainte Église ne saurait avoir d'illusion sur son caractère de royaume crucifié pendant toute la durée de ce monde. Le *plérôme* de Jésus-Christ ne saurait se constituer sinon en participant à Sa douloureuse Passion, telle est la loi. Or dans le *plérôme* teilhardien, cette loi serait en train de varier et d'évoluer ; la participation à la Rédemption s'accomplirait bientôt en des hommes passés à *l'ultra-humain* et qui n'auraient plus à lutter contre leurs propres convoitises ni à souffrir du monde pour participer à la Rédemption. Malgré l'identité de terme ce *plérôme* n'est pas celui de l'Apôtre. *Evacuatur crux Christi.* Quant au progrès technique, le P. Teilhard en des pages éblouies sinon convaincantes ([^49]), le célèbre comme s'il était obligatoirement bon par lui-même, en faisant abstraction de l'usage que l'homme peut en faire. Un peu d'observation nous montre que ce n'est pas aussi simple et que par lui-même le progrès technique est ambigu. En effet, tant que l'homme s'est contenté de domestiquer la nature telle que Dieu l'a créée, cette nature, qu'elle soit vivante ou inanimée, gardait la mesure que lui avait conférée le Créateur, une mesure proche de la mesure humaine et qui préservait l'homme contre ses propres folies. Mais le jour où l'homme s'est mis à domestiquer la nature, non pas telle que Dieu l'avait faite mais telle que son propre génie l'a défaite ; le jour où l'homme s'est mis à domestiquer une nature préalablement regorgée et désintégrée par sa science, il a détruit l'accord immémorial que la nature entretenait avec la mesure humaine ; il s'est mis dans l'obligation de rétablir par la vertu l'accord immémorial aboli par la science. Désormais il ne peut plus compter sur la nature pour le défendre contre sa propre folie. De sorte que les chances offertes à l'esprit par le progrès technique (et qui ne sont pas niables évidemment), du fait qu'elles sont liées à la domestication d'une nature désintégrée demeurent extraordinairement dangereuses et incertaines. Impossible de leur reconnaître une bonté intrinsèque. « Lorsque l'homme utilisait la nature par simple domestication empirique il se trouvait protégé contre de trop grands excès par la nature elle-même. 92:34 Mais lorsque l'homme désintègre scientifiquement la nature et fait sauter en quelque sorte ses bienheureuses limites, il ne peut plus compter sur les choses pour trouver un frein à sa convoitise ou à son orgueil ; la modération ne peut venir que de sa vertu. Pour user humainement de l'atome ou de la télévision il faut certes plus de vertu personnelle et une politique plus sage qu'il n'en fallait pour voyager à cheval ou se divertir avec des fifres et des tambourins. » ([^50]) (*École Chrétienne renouvelée,* p. 68.) \*\*\* QUE LE P. TEILHARD ait profondément senti la nécessité d'exposer la Foi chrétienne en termes accessibles à ses contemporains ; qu'il ait entrepris de leur parler de Jésus-Christ en des termes qui tiennent compte du progrès physique ou biologique, c'est là son mérite et l'on n'a pas de peine à le reconnaître. Ce que l'on regrette pour lui c'est d'avoir, sous prétexte d'adaptation, diminué et gauchi les immuables vérités de la Foi. C'est pourquoi d'ailleurs son entreprise est en grande partie manquée. Du reste, quel que soit son désir de se rendre accessible, aussi aiguë et miséricordieuse soit en lui l'intelligence de son temps, quel apôtre, quel prêtre, quel chrétien en général pourrait jamais oublier que les vérités de la Foi ne sont pas de plain-pied avec l'âme des hommes. Elles sont toujours un scandale *pour la chair et le sang.* Elles n'éclairent et ne sauvent que parce que, loin de s'abaisser à nous, elles nous tirent à elles en réclamant notre conversion. A l'époque des cyclotrons, des fouilles de Chou-Kou-Tien et de la navigation interplanétaire, rien, absolument rien n'est changé du scandale de la croix et de la folie de l'Évangile ([^51]). 93:34 Avant le péché Dieu avait dit à Adam et Ève : « Remplissez la terre et la soumettez. » Après le péché, le Fils même de Dieu est venu sur la terre non pas précisément soumettre la terre, par exemple grâce à la science ou à la politique, mais bien pour réparer le péché en prenant sur lui, dans un mouvement d'excessif Amour, la peine méritée par le péché. Certes, il n'a pas interdit à l'homme de soumettre la terre ; pourtant, il n'a cessé de lui dire qu'il importait d'abord de gagner le Ciel et que, même ceux qui s'appliquaient à soumettre la terre, *devaient chercher d'abord le Royaume de Dieu et sa justice ;* ce qui apparemment implique un usage pauvre des choses de la terre et de porter la croix dans la manière dont on s'applique aux choses de la terre. Le Seigneur sans révoquer le « subjicite terram » a cependant ajouté la terrible question, la question qu'on ne saurait éluder : « Quid prodest homini si universum mundum lucretur animae vero suae detrimentum patiatur. » (*Matth.* XVI, 26.) On dirait que le P. Teilhard n'a pas entendu ce verset de l'Évangile. Faute d'avoir pensé le cosmos, son utilisation, le progrès dans cette utilisation à l'intérieur du mystère de l'Église il nous propose une Église qui, par la vertu de l'Évolution, deviendrait inconsciente du « Quid prodest homini si universum mundum lucretur... » \*\*\* NOTRE CONCLUSION de ce grand livre qui donne tant à réfléchir essaiera de se limiter dans les bornes de trois propositions. Tout au long de ces 330 pages on perçoit l'attention non seulement fraternelle mais anxieuse que porte Henri Massis à la grande soif du monde. Car le monde a soif terriblement de vérité, non seulement philosophique mais théologique, d'une vérité incassable et salutaire procédant non seulement de l'humaine raison mais de la divine Révélation et de la Parole de vie. Il est donc de la première importance de donner aux hommes des idées justes. Pourtant cela ne suffit pas. 94:34 Les idées justes déplaisent naturellement à l'injustice des hommes ; elles ne seront reçues que si on les donne d'un certain cœur ; d'un cœur ayant pâti la vérité contre lui-même, ayant fait à ses propres dépens l'expérience que la vérité, qui est crucifiante, est également salutaire. Et même elle ne délivre que parce qu'elle crucifie. Notre seconde proposition concerne le temporel. Massis a raison de craindre pour notre monde et aucune des appréhensions de son dernier chapitre sur Descartes et le prométhéisme (p. 298 à la fin) ne saurait être atténuée. Cependant quelques cataclysmes qui menacent, quelques dévastations et corruptions qui doivent s'étendre sur le monde, l'Église tient et les portes de l'Enfer ne sauraient l'anéantir. Eh ! bien, parce qu'il en est ainsi, notre crainte ne deviendra jamais une folle frayeur, jamais ne nous fera désespérer même dans l'ordre de la civilisation et du temporel, jamais ne nous arrêtera de travailler, si tel est notre rôle, à promouvoir un ordre temporel chrétien. Pourquoi ? Mais parce que tout le temps que durera l'Église (c'est-à-dire jusqu'à la fin des temps) elle suscitera au moins par fragments et par petits essais un début de civilisation humaine et de temporel honnête. Le courage est donc possible, et il reste agissant au-delà de l'effroi qui succède à un regard lucide sur le monde contemporain. C'est du reste pour qu'il en soit ainsi que, dans un âge historique dont Massis a raison de souligner les caractères étranges et très nouveaux, la Sainte Vierge Mère de Dieu s'est manifestée et a parlé aux hommes. Nous terminerons enfin en nous permettant de faire remarquer la grande sérénité avec laquelle Henri Massis, au gré de ses diverses études, cite Maritain et ses travaux proprement philosophiques. Il nous donne là un beau et grand exemple, un exemple qui ne sera pas perdu. Nous n'avons aucune envie en effet de ne pas recueillir les opulents trésors que nous transmettent non seulement Jacques Maritain, mais bien *tous* nos grands aînés des générations chrétiennes et françaises qui ont précédé la nôtre depuis un bon demi-siècle. Nous sommes nombreux à avoir conscience de notre dette à l'endroit de ces aînés. Un choix s'impose sans doute et un discernement est de rigueur : parmi les matériaux qu'ils nous lèguent. Mais c'est tout autre chose qu'une exclusion sectaire. Par ailleurs nous aurons garde de les opposer les uns aux autres. 95:34 Nous savons désormais en effet qu'il existe un point difficile à tenir mais cependant tenable, un point qui se détermine dans la lumière théologique et spirituelle, où les meilleurs éléments de leurs leçons respectives composent au lieu de se détruire et parviennent à l'unité sans verser dans l'éclectisme. R.-Th. CALMEL, o. p. 96:34 ### NOTES CRITIQUES Sainte Clotilde dans nos missels La fête de sainte Clotilde est le 3 juin. Sait-on bien qui est sainte Clotilde ? La DÉCLARATION FONDAMENTALE de la revue *Itinéraires* énonce en son chapitre IX : « Le peuple français est un peuple privé de son histoire : celle qui nous est officiellement enseignée semble le plus souvent avoir été écrite par des ennemis de notre foi et des ennemis de notre patrie. « La vie et l'œuvre des saints, des héros et des génies français ne passent plus guère dans l'enseignement, et notre patrimoine moral est devenu comme un patrimoine officieux, connu et prolongé seulement par quelques-uns, en marge de la plupart des institutions scolaires et intellectuelles. Une caste de fausses élites, ou d'élites faussées, sociologiquement installée dans la presse, l'édition, l'école, l'université, l'administration et les partis, assure sa propre domination, et la diffusion d'idées erronées, en maintenant le plus grand nombre à l'écart du patrimoine intellectuel et moral de la nation française ; à l'écart aussi du patrimoine commun aux nations chrétiennes. » Du moins les saints, nous les trouvons dans nos livres de messe ; avec toutes les pensées que la prière de l'Église nous propose au jour de leur fête. Nos livres de messe nous conservent et nous donnent cette prière de l'Église ; et, par leurs notices et commentaires, ils nous aident (plus ou moins, ou pas du tout) à en pénétrer la signification. Lisons donc nos missels. \*\*\* 1. -- Le Missel de Maredsous ([^52]) nous dit en tout et pour tout : 97:34 « *Clotilde, la sainte reine, prépara la conversion de Clovis, son époux. Elle mourut le* 3 *juin* 545 *à Tours.* » Il est très bien d'avoir préparé la conversion de son mari : et sainte Clotilde peut certainement être invoquée et priée par des épouses chrétiennes dont le mari est éloigné de la foi. Mais la fête de sainte Clotilde pourrait nous ouvrir aussi à d'autres pensées ; nous lisons dans le texte de l'oraison : « Jetez, Seigneur, un regard favorable sur la nation française ; sur les instantes prières de sainte Clotilde vous lui avez procuré le don de la foi ; inspirez-lui par son intercession un sincère attachement à la religion chrétienne... » Par le texte même de la prière de l'Église, nous sommes invités, le 3 juin, là prier pour la France et pour sa fidélité à la foi. Mais le Missel de Maredsous, et quelques autres ci-dessous, ne jugent pas utile de nous éclairer sur ce point. La piété nationale est une vertu naturelle et une vertu chrétienne qu'il n'y a pourtant pas lieu de censurer dans un missel. 2. -- Ce que le Missel de Maredsous passe sous silence, le Missel d'Hautecombe le dit dans sa « petite édition » : « *Née en* 474 *de Chilpéric, roi des Burgondes, mariée en* 493 *au roi païen des Francs, Clovis, Clotilde sut gagner le respect et l'affection de son mari et prépara ainsi sa conversion, elle eut aussi sur sa politique une influence bienfaisante. Veuve, elle eut la douleur de perdre ses enfants, victimes de luttes fratricides. Retirée à Tours, elle y mourut le* 3 *juin* 545. *On l'ensevelit auprès de son amie, sainte Geneviève. Le pape Anastase II, dans une lettre à Clovis, appelait* FILLE AÎNÉE DE L'ÉGLISE *la nation dont il était le roi, c'est en grande partie à Clotilde que la France doit de porter ce titre* ». La « grande édition » est un peu plus détaillée. La « petite édition » en est un résumé, ou plutôt un « digest », pas toujours très bien fait. Car ce « digest » tombe dans certaines équivoques. Nous en avions signalée une ([^53]). Il y en a ici une autre, beaucoup moins grave, sur la sépulture. Voici en effet ce que précise le texte non-résumé de la « grande édition » : « ...*Tours où elle mourut auprès du tombeau de saint Martin, le* 3 *juin* 545. *Ses restes furent transportés à Paris auprès de ceux de Geneviève, sa sainte amie...* » 98:34 3. -- Le Missel de Dom Gérard : « *En cette fête l'Église présente à notre vénération la grande chrétienne dont l'instante prière détermina à* *la fois une double victoire : l'une par les armes* (*bataille de Tolbiac*) *qui sauva les bases de la civilisation chrétienne en Occident ; l'autre morale : la conversion du roi vainqueur, Clovis, et celle de son armée* ». La nation française « fille aînée de l'Église » est sans doute une superstition d'un autre âge, dont le Missel de Dom Gérard a préféré s'alléger. 4. -- Au contraire, le Missel du P. Morin n'estime pas indispensable de censurer la nation française : « *Reine de France, exerça sur son époux Clovis, encore païen, une influence bienfaisante et l'amena à se convertir et son royaume avec lui. La France célèbre en sainte Clotilde celle qui lui a valu la foi chrétienne* ». Mais pourquoi taire l'antique tradition selon laquelle le Saint-Siège voit en la France « la fille aînée de l'Église » ? Cette antique tradition n'est pas tombée en désuétude. Elle a été ranimée et confirmée par les Papes contemporains. Elle mérite d'être au moins *nommée* dans un missel, au jour de la fête de sainte Clotilde. 5. -- Même remarque pour le Missel Feder ([^54]) : « *Fille du roi des Burgondes, Clotilde épousa* le *roi des Francs, Clovis. Sa sainteté lui assura une profonde influence sur son mari, qui était encore païen. Vers* 496, *à la bataille de Tolbiac, Clovis promit de se convertir au* « *Dieu de Clotilde* » *s'il remportait la victoire. Il fut baptisé à Reims, à la Noël* 496, *avec plusieurs milliers de ses sujets. Clotilde avait rempli sa mission, qui était d'amener au Christ le royaume franc. Veuve à moins de quarante ans, elle s'occupa de l'éducation de ses petits-enfants. Elle eut la douleur de les voir assassiner par ses propres fils. Elle se retira alors à Tours, où elle mourut en* 545. » 6. -- Même remarque pour le Dom Lefebvre : « *Reine de France par son mariage avec Clovis encore païen. Clotilde exerça sur son époux une influence bienfaisante et l'amena à se convertir à la foi chrétienne avec son royaume. On connaît l'appel de Clovis :* « *Dieu de Clotilde, donne-moi la victoire et tu seras mon Dieu* ». *Le Christ le rendit vainqueur et peu après le roi des Francs fut baptisé à Reims par* S. *Rémi :* 25 *décembre* 498. *La France invoque et chante en Clotilde celle qui lui a valu le don de la foi* ». 99:34 Pour le Dom Lefebvre en tous cas, cette omission est particulièrement grave. Car elle n'est pas le résultat d'une simple inadvertance. Il s'agit d'une censure volontaire et délibérée, il s'agit d'une suppression effectuée sur le texte des éditions antérieures, qui en faisaient mention explicite. Une édition de 1933 que nous avons sous les yeux concluait sa notice par ces mots : « *Célébrons avec joie la fête de sainte Clotilde à laquelle la France doit son titre de fille aînée de l'Église.* » A cette page, comme à celle qui concerne Jeanne d'Arc ([^55]), les progrès du Dom Lefebvre ont été des progrès à rebours. Il semble d'ailleurs que la mise à jour et le remaniement des missels que l'on continue à appeler « Dom Lefebvre » aient été effectué par d'autres auteurs que Dom Gaspar Lefebvre lui-même. 7. -- La notice du Missel biblique, nous le constatons avec joie une fois encore, est d'une heureuse et exacte inspiration : « *Clotilde, née en Bourgogne vers* 475, *réalise le type de* *l'épouse dont l'influence discrète, la foi rayonnante, la douceur orientent son mari vers la découverte du Christ. Mariée à Clovis, roi des Francs, en* 493, *elle ne se laissa pas ébranler par la* mort *de son premier enfant, au lendemain du baptême de celui-ci, et elle insista pour obtenir de son mari païen le baptême du second, l'année suivante...* » (Cette dernière précision est regrettablement absente de tous les autres missels. Elle peut pourtant être infiniment précieuse aux mères chrétiennes. Elle figurait autrefois dans le Dom Lefebvre. Dans une édition de 1933 que nous avons déjà citée, on lisait : « ...*Elle perdit son premier-né après l'avoir fait baptiser, e*t *déclara au roi qui s'en plaignait qu'elle remerciait le Créateur tout-puissant de l'avoir jugée digne de mettre au monde un enfant appelé à partager Son Royaume* ». L'édition actuelle du Dom Lefebvre a *supprimé* ce fait. C'est ainsi que l'on nous prive de l'exemple, de la leçon, des paroles des saints. La méconnaissance et le mépris du patrimoine chrétien qui nous a été donné ne peuvent être agréables à Dieu. Ce mépris, cette méconnaissance nous sont directement nuisibles, et nous avons le droit de nous en plaindre). « ...*Clovis devait se souvenir du Dieu de Clotilde sur le champ de bataille de Tolbiac* (498 ou 499). *Sainte Clotilde exerça ainsi une influence décisive pour la conversion de la nation française.* 100:34 « *A la mort du roi* (511), *elle se retira à Tours près du tombeau de saint Martin, où elle mourut en* 545, *après avoir assisté au massacre de ses petits-fils par leur oncle Clotaire.* » Regrettons que le Missel biblique lui aussi ait cru devoir oublier que, grâce à sainte Clotilde, la France porte « LE TITRE DE FILLE AÎNÉE DE L'ÉGLISE ». Bien sûr, ce titre ne figure pas dans le Credo. Ce n'est pas un dogme. Mais est-il souhaitable de faire comme si ce titre n'était rien, comme s'il fallait n'en plus parler, et l'oublier ? Comme s'il n'était qu'un vieux souvenir importun, qui va s'effaçant ? Il va s'effaçant *parce qu'on l'efface.* On l'efface de main d'homme. La France fille aînée de l'Église, il n'en est plus question dans nos missels, à la seule exception du missel d'Hautecombe. Mais il ne s'agit pas d'un oubli : il s'agit d'une suppression volontaire. La France fille aînée de l'Église, dans le Dom Lefebvre on l'a biffée d'un trait de plume délibéré. Elle y était nommée, on l'a censurée. On n'en veut plus ([^56]). Et pourtant les Papes nous rappellent cette tradition et ce devoir quand ils s'adressent à la nation française. Les Papes nous rappellent cette fierté et cette exigence, cet héritage et cette charge que trop de nos clercs, auteurs de missels, jettent par-dessus bord comme un objet encombrant, dont ils n'aperçoivent plus le sens et la valeur. Les Papes qui rappellent avec insistance à la France qu'elle est la fille aînée de l'Église ne sont pas des Papes « du Moyen-Age ». Ce sont les Papes du XX^e^ siècle. C'est saint Pie X, qui place ce titre de « fille aînée de l'Église » dans la bouche même de Dieu ([^57]). C'est Pie XII, dans son Message au peuple français ([^58]). Faut-il croire que les Papes nous parlent pour ne rien dire ? Ou faut-il craindre que trop de clercs auteurs de missels n'aient plus une idée exacte et suffisante de la place que la piété nationale doit occuper dans la vie chrétienne ? 101:34 #### A propos de « mentalités » Important article, en tête des *Études* de mars, du P. André Brien : « Foi et mentalités modernes ». Il esquisse « une vraie pédagogie de la foi », en appelant les pasteurs d'âmes à ne pas « contrer systématiquement » les « mentalités », c'est-à-dire des « manières de sentir ou de penser les réalités chrétiennes (qui) nous heurtent au premier abord ». Il y a là en effet, depuis longtemps et de toutes parts, une cause de malaise et de souffrance dans la communauté catholique. Le P. Brien expose que « la mentalité moderne rejette dans la nuit la Transcendance, la Tradition, la Hiérarchie, la Règle de foi » (etc.). « Elle a mène au contraire en pleine lumière l'action de l'Église à travers le monde, l'Incarnation, le Corps mystique, la valeur du temporel, les exigences évangéliques de charité, de détachement, de pauvreté. » La « mentalité traditionnelle » ferait en somme l'inverse. Le P. Brien recommande de ne jamais « se résigner à une croyance amputée », mais d'adopter une attitude de pédagogie plutôt qu'une attitude de combat. Cela dit non pour résumer son propos, qui dans l'ensemble est riche et profond, mais simplement pour le situer, de manière sommaire, avant de présenter quelques observations susceptibles, croyons-nous, de l'appuyer et de le faire avancer. \*\*\* Ce qui est le plus nouveau dans l'article du P. Brien, ce n'est pas de prôner une attitude compréhensive à l'égard de la « mentalité moderne ». A cet égard, depuis quelques années, on a plutôt péché par excès que par défaut, au risque de susciter une réaction elle-même excessive. Mais le P. Brien a simultanément le souci d'une attitude également compréhensive envers ce qu'il nomme la « mentalité traditionnelle ». C'est un progrès éclatant et presque entièrement inédit depuis 1945. Voici bientôt quinze ans que cette « mentalité traditionnelle » est bousculée, moquée, injuriée, ou traitée par le mépris. 102:34 La charité vraie que, par l'argumentation et par l'exemple, le P. Brien propose à son égard aussi, est un propos assez neuf, qui appelle l'estime et l'attention. Seulement, une attitude véritablement charitable suppose une connaissance exacte de la « mentalité » que l'on veut aborder dans une perspective de « vraie pédagogie de la foi ». Et il existe sur ce point une méconnaissance tellement passée dans les habitudes et dans les mœurs que le P. Brien lui-même n'y échappe pas tout à fait. Cette méconnaissance est d'ailleurs parfaitement explicable. Parce que la « mentalité traditionnelle » met en relief les valeurs d'autorité et de tradition, on imagine que cette « mentalité » *ne bouge pas,* qu'elle est aussi immuable que le passé dont elle s'inspire et dont plus rien désormais ne peut changer. On croit donc la connaître une fois pour toutes. Si l'on sent le besoin de « se tenir au courant » des *mouvements* de la pensée des « novateurs », c'est parce que (par définition tout au moins) ils « innovent », ils apportent du « nouveau ». Trop souvent, en revanche, on a le sentiment que les « traditionalistes », puisqu'ils n'innovent pas (du moins, par définition), pensent et disent en somme toujours la même chose. On croit les connaître d'avance. L'idée que l'on a pu se faire d'eux à travers des contacts anciens, ou par l'étude d'ouvrages classiques, est une idée que l'on tient pratiquement pour définitive, qu'il n'est plus besoin de vérifier ou de modifier en « se tenant au courant ». Et c'est pourquoi l'on se trompe si souvent. Il est significatif que les mouvements de pensée et les réactions plus ou moins issus de la « mentalité traditionnelle » n'aient jamais été, ces dernières années, connus, décrits et compris de manière correcte par ceux-là même qui, ne les approuvant point, s'efforçaient pourtant d'avoir à leur égard justice et charité. Ce n'était point, forcément du parti pris ni du sectarisme, -- encore que le sectarisme et le parti pris existent eux aussi. Mais ceux qui s'efforcent de les surmonter en restent au stade de l'intention, ils ignorent les formes *actuelles* de la « mentalité traditionnelle » : ou plus exactement, ils en connaissent quelques aspects, quelques manifestations, quelques textes isolés, et ils les interprètent ordinairement à contresens, parce qu'ils les situent dans le contexte « traditionnel » d'hier ou d'avant-hier. Un contexte lui-même connu très globalement, parfois caricaturalement, -- mais en tous cas un contexte souvent périmé. Sachant (plus ou moins bien) ce que fut, traditionnellement, la « mentalité traditionnelle », et supposant que le traditionalisme est identique à sa propre tradition, les esprits les mieux intentionnés n'ont guère l'idée qu'il y aurait lieu -- pour seulement le connaître tel qu'il est aujourd'hui -- de procéder à une véritable étude de ses formes actuelles au lieu de combler l'absence d'une telle étude par des références à ses formes anciennes. Paradoxe du « traditionalisme » ? Si l'on veut. Mais paradoxe qui est celui-là même de la vie. Paradoxe pour ceux qui se font une idée sommaire du traditionalisme. 103:34 Même la « mentalité traditionnelle » évolue et se transforme ; il lui arrive, selon le vœu du P. Brien, mais beaucoup plus souvent qu'il ne semble le croire, de se dépasser elle-même, fût-ce imparfaitement. Il lui arrive mais n'est-ce pas le sens véritable d'une pensée traditionnelle ? -- *d'innover,* soit de son propre chef, soit en s'enrichissant d'apports nouveaux, d'abord récusés ou contestés, ensuite plus ou moins filtrés, enfin partiellement adoptés. Il lui arrive d'avoir des hauts et des bas, des périodes de sommeil ou de sclérose, où elle ressemble alors à sa caricature, et des périodes d'ouverture, d'acquisition, de rénovation, où elle se montre capable d'inventions quelquefois plus réelles que celles de « novateurs » trop pressés. A ignorer ce phénomène, ou de le voir de trop loin, à en prendre une mesure trop globale et approximative, on risque de ne pouvoir *pratiquer* réellement à son égard la charité, parce que l'on se trompe d'adresse, que l'on fait erreur sur la personne ou contresens sur la pensée. \*\*\* Le P. Brien lui-même nous en donne un exemple dans sa page 15. Notant qu' « *en France un courant en sens inverse* », c'est-à-dire un courant de « mentalité traditionnelle », « *est en train de prendre une grande force* », il précise que ce courant « *s'attache à remettre en valeur le sacré, l'autorité, l'ordre et la discipline morale* ». Et il ajoute : « *Mais il le fait, la plupart du temps, en opérant une redoutable confusion du politique et du religieux et en envisageant surtout la religion comme un ciment de la cohésion sociale.* » A s'en tenir au texte cité ceux qu'il concerne pourraient croire qu'il a été rédigé avec une volonté de caricature quasiment diffamatrice. Le contexte invite à écarter absolument une telle hypothèse. Il faut donc en revenir à nos considérations précédentes sur la méconnaissance de la « mentalité traditionnelle » par ceux-là mêmes qui s'efforcent de la considérer avec justice et charité. La confusion du politique et du religieux, elle est un peu partout aujourd'hui, au moins à l'état de tentation. Elle a pu autrefois être réellement caractéristique de certaines « mentalités traditionnelles » dans leurs périodes décadentes. Elle n'est nullement caractéristique aujourd'hui du « courant qui est en train de prendre une grande force ». Ce « courant » traditionnel qui se développe à l'intérieur de la communauté catholique est un courant qui a carrément tourné le dos à une telle confusion, et il peut se sentir méconnu quand on lui reproche néanmoins d'y être resté, ou d'y retomber, « *la plupart du temps* »* !* La confusion du politique et du religieux se manifeste beaucoup plus dangereusement, beaucoup plus fréquemment dans la « mentalité » qui envisage surtout la religion comme facteur de progrès social Bien en tendu, la religion chrétienne est l'un et l'autre : elle est effectivement et facteur de progrès social et ciment de cohésion sociale. Mais elle ne l'est pas surtout ni d'abord. Elle l'est « par surcroît ». La « mentalité traditionnelle » est *aujourd'hui* très avertie sur ce point : et ceux qui insistent le plus sur sa mise en relief, *actuellement,* ce sont souvent des penseurs, des fidèles, des militants relevant de ce que le P. Brien appelle la « mentalité » et les « milieux traditionnels ». 104:34 Le P. Brien croit que cette « mentalité » et ces « milieux » sont tentés de « *n'attacher que peu d'importance aux éléments personnels du christianisme.* *proximité de Jésus-Christ, universalité du salut, exigences de charité et de justice temporelle, communauté de foi et de prière.* » Vraiment, on touche du doigt qu'il n'a pas pris une mesure exacte des mouvements de pensée et des transformations spirituelles intervenus, notamment depuis quelques années, dans la « mentalité » et dans les « milieux » dits « traditionnels. » \*\*\* Quand le P. Brien ajoute que ceux qu'anime la « mentalité traditionnelle » se croient obligés de « *se poser comme champions de l'orthodoxie* », et qu' « *ainsi* » (c'est-à-dire par leur faute ?) se constituent « *des clans opposés, souvent violemment hostiles* », il sacrifie à un lieu commun très répandu depuis un demi-siècle, et qui a pu être vrai autrefois (ce n'est pas notre propos), mais qui ne l'est pas aujourd'hui. Peu de personnes sans doute échappent parfaitement aux tentations de l'intolérance ; et Dieu jugera les intentions et les actes de chacun. Mais si l'on veut mesurer la dimension sociologique du phénomène, et analyser ce qui se passe *aujourd'hui,* on constate l'existence d'une intolérance énorme, massive, agressive, organisée, dont la « mentalité traditionnelle », depuis quinze ans, est bien plus souvent victime que coupable. Ceux qui depuis quinze ans ont été privés d'à peu près toutes les tribunes dans les journaux, les congrès, les organisations du catholicisme sociologiquement installé, ceux qui ont été privés non seulement de moyens d'expression, mais encore, bien souvent, du simple droit de réponse, comme s'ils avaient été condamnés par leurs frères dans la foi à la diffamation à perpétuité, ceux là peuvent sans doute en concevoir parfois des sentiments d'une vigueur exagérée et pousser jusqu'à l'excès certaines de leurs protestations. Cependant, quand on vient leur dire que ce sont eux les intolérants, il leur est difficile de ressentir un tel propos autrement que comme une cruelle ironie. Quoique ne le voulant pas, quoique voulant manifestement le contraire, le P. Brien risque de donner à beaucoup de « traditionnels » l'impression qu'il s'applique à les « contrer systématiquement ». Ce n'est point sa bonne volonté qui est en cause, ni son inspiration pédagogique et charitable, mais le fait qu'il ignore ou méconnaît, croyons-nous, leurs pensées réelles, leurs travaux, le sens véritable (et les résultats effectifs) de leurs entreprises, et jusqu'à la situation artificielle et arbitraire qui trop souvent encore leur est imposée dans le catholicisme. \*\*\* Quant à nous, placés où nous le sommes, nous avons eu à subir, en parts sensiblement égales et à peu près aussi fréquentes, les attaques et les mauvais procédés venant des deux « mentalités », celle que le P. Brien nomme « moderne » et celle qu'il nomme « traditionnelle ». 105:34 Cela nous a donné quelque expérience personnelle, quelque expérience vécue, de l'une et de l'autre. La « traditionnelle » a été parfois (mais non toujours) plus violente dans le vocabulaire de la diffamation, plus injurieuse dans l'exclusive. La « moderne » fut souvent plus féroce et mieux organisée dans l'emploi abusif et inexact de l'argument d'autorité, dans l'inquisition sans mandat, dans l'action de « clan » ... Mais presque toujours, même quand nous nous sommes heurtés à des volontés apparemment méchantes, il nous a paru qu'à l'origine se trouvait essentiellement un phénomène de *méconnaissance.* Combien de temps encore la communauté catholique restera-t-elle si profondément divisée parce que les uns et les autres, même parmi les mieux inspirés, négligent cet effort de l'intelligence et du cœur qui consiste à *se connaître les uns et les autres* tels qu'ils sont ? J. M. #### Les « Prières » de Michel Quoist En obligeant à prendre conscience du scandale de la société et de l'immense détresse d'un grand nombre d'hommes, ces *Prières* (Éditions ouvrières, 1957) peuvent mettre certainement le lecteur sur le chemin de la vraie prière et de l'amour en vérité. Si *le lévite qui descendait de Jérusalem à Jéricho* avait eu l'habitude dans son oraison de se souvenir de la misère de ses frères il ne serait point passé avec indifférence auprès du Samaritain qui gisait sur le bord de la route mis à mal par les bandits. Michel Quoist atteint le but qu'il s'est proposé : « aider (les chrétiens) à faire passer leur vie dans la prière et à transfigurer leur vie par la prière » p. 11. Nous nous permettrons cependant de lui faire quelques remarques. Il nous paraît d'abord que le tableau de la misère humaine aurait pu en quelques endroits être plus court, plus sobre et moins appuyé. L'indiscrétion n'est jamais de mise, mais surtout pas lorsque l'on veut aider son prochain à s'entretenir avec le Seigneur. D'un autre point de vue, d'un point de vue de la composition, nous ne voyons pas l'utilité d'aller à la ligne à chaque membre de phrase. Ce sectionnement par petits bouts s'expliquerait dans une prose rythmée. Mais ici, en fait de rythme et de nombre il nous arrive plus d'une fois d'être déçus. Enfin tout se passe comme si le chrétien qui confie à Dieu le désordre de la société et son effort en vue d'une plus grande justice ne se souvenait pas que l'un des premiers facteurs de la justice et de la prospérité (justice et prospérité qui seront toujours du reste fort imparfaites) n'était pas l'existence d'une autorité stable et la reconnaissance par cette autorité des directives sociales et politiques de l'Église. 106:34 Il est bien vrai que, quelles que soient les carences de l'autorité temporelle, les chrétiens doivent faire ce qui est en eux pour l'instauration d'un monde plus juste ; mais il est vrai également que leur effort n'arrivera pas à inscrire, dans l'ordre social, des résultats un peu larges et assurés, si l'autorité est défaillante ou si elle demeure étrangère aux directives de l'Église. On aurait aimé que Michel Quoist dans ses *Prières* se souvienne de cette vérité et qu'il fît écho à la grande prière du Vendredi-Saint et de la nuit pascale non seulement pour les prisonniers les affamés et les esclaves, mais aussi pour ceux qui ont la charge du temporel. « Prions pour tous les chefs d'État et pour ceux qui partagent leurs ministères et leurs pouvoirs. Que le Seigneur notre Dieu dirige, selon sa volonté, leur esprit et leur cœur vers l'établissement d'une paix qui ne cesse plus. « Dieu tout-puissant éternel, tous les pouvoirs et tous les droits des peuples sont entre vos mains. Regardez avec bienveillance ceux qui ont pouvoir de nous gouverner, afin que, sur la terre entière, par la protection de votre main, la religion garde toujours sa pureté et la patrie sa tranquillité. Par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Amen. » (Vendredi-Saint). « Daignez aussi regarder les gouvernants qui ont pouvoir sur nous ; dans votre ineffable bonté et votre miséricorde, dirigez leurs pensées vers la justice et la paix, afin que, des difficultés de cette terre, ils parviennent, avec tout votre peuple, à la patrie du ciel ». (Exsultet). R.-- Th. CALMEL, o. p. #### Notules diverses - UNE DÉCOUVERTE DE LA « THÉOLOGIE DU SOUS-SOL ». -- *Avec toute son autorité de théologien qui connaît exactement la valeur des documents pontificaux, un écrivain ecclésiastique réputé a donné dans Esprit d'avril* (page 609) *l'intéressante précision que voici :* « Pour qui perçoit le sous-sol des textes, plusieurs documents du dernier pontificat... » (*il s'agit du pontificat de Pie XII*) « ...plusieurs documents du dernier pontificat sur la « doctrine sociale » de l'Église laissent voir l'influence croissante d'un théologien allemand dont les positions personnelles sur la famille et sur la propriété sont pénétrées d'un anti-socialisme plus proche des réactions d'Adenauer que des perspectives de Pie XI. » \*\*\* *Si grande soit l'autorité morale des théologiens, il existe une hiérarchie des fonctions.* *Ce ne sont pas les théologiens qui ont pouvoir de critiquer et de juger les documents pontificaux.* *Ce sont au contraire les Papes qui ont pouvoir de critiquer et de juger les travaux des théologiens.* 107:34 *C'est une grande chance pour nous tous, y compris pour le Souverain Pontife. Car s'ils pouvaient suivre librement leur pente naturelle, certains théologiens inquisiteurs enverraient tous les jours au bûcher le pauvre monde, et le Pape avec.* \*\*\* - LE CLERGÉ ET L'ENSEIGNEMENT LIBRE. -- Un aumônier de lycée a écrit dans Le Monde du 27 mars (c'est nous qui soulignons) : « L'attachement traditionnel des familles chrétiennes et *d'une partie du clergé de France* à l'enseignement privé se fonde principalement sur ce désir d'une éducation religieuse satisfaisante. » *Une partie seulement ? Et peut-être même pas la plus grande partie ?* *Si le fait ainsi insinué s'avérait exact, il serait le symptôme d'une profonde crise non seulement intellectuelle mais religieuse ; une crise d'un volume quasiment sans précédent.* *Il existe une doctrine catholique obligatoire concernant l'enseignement. En outre, l'un de ses chapitres n'invente ni ne décrète, mais reconnaît un droit naturel des familles.* *Même dans l'hypothèse* (*hypothèse tout de même extrême bien qu'elle soit très clairement insinuée*) *où* « *une partie* » *du clergé aurait abandonné ce droit naturel, il n'en existerait pas moins ; il n'est au pouvoir de* PERSONNE *de le supprimer ni d'interdire aux familles de le défendre.* \*\*\* - MAIS ENFIN, CES COLLABORATEURS, QUE PENSER D'EUX ? *--* *Dans* Forces nouvelles du 28 mars, *M. Étienne Borne analyse le danger de la collaboration, dont l'éventualité réapparaît :* « Dès qu'il n'est plus voué à la solitude et qu'il trouve des alliés dans la gauche classique radicale, socialiste ou chrétienne, le Parti communiste a remporté *une victoire d'importance* (...) Et pour obtenir ce résultat qui est une option sur l'avenir, le Parti communiste n'a pas eu besoin d'opérer la moindre conversion doctrinale, il n'a rien retranché de ses maximes qui restent intégralement léninistes et même staliniennes, il continue à n'avoir d'autre politique internationale que celle du suzerain soviétique auquel il est lié par une allégeance irrévocable : les tactiques de Front populaire n'empêchent pas le Parti communiste d'applaudir à l'assassinat de la Hongrie ou à la menace belliciste sur Berlin. M. Jacques Duclos ne s'est pas fait faute de le souligner dans son récent rapport au Comité central de son Parti : la dureté rapporte, l'intransigeance est payante... » *Que penser des alliés et collaborateurs que le Parti communiste trouve ou retrouve sans rien retrancher à son totalitarisme et à sa sauvagerie ?* *A l'égard de tant de bassesse et de tant de lâcheté, peut-être conviendrait-il que la résistance manifestât un peu plus de hauteur, de fermeté, de distance qu'elle ne le fait ordinairement.* \*\*\* - SUR MAURRAS. -- *Mgr Cristiani a publié dans* L'Ami du Clergé du 19 mars *une étude sur l'Action française et son drame des années 1926-1939. Cette étude manifeste une justice et une charité sensible à ceux qu'elle concerne : c'est l'un des acteurs, témoins et survivants de ce drame qui le note lui-même, M. Robert Havard de la Montagne dans* Aspects de la France *du 17 avril.* 108:34 *M. Havard de la Montagne s'applique en outre à mettre en lumière un point de vue peu remarqué. Pourquoi, dit-il, Maurras ne s'est-il pas soumis plus tôt ? Parce que Pie XI lui demandait non point une simple* SOUMISSION *disciplinaire, mais* SA CONVERSION, *mais le retour à la foi de son baptême. M. Havard de la Montagne écrit notamment *: « Pie XI subordonne l'absolution de l'Action française au retour de Maurras à la foi », *et l'obstacle venait donc* « de la condition imposée par le vénéré Pontife : conversion préalable de Maurras. » *Il est visible en effet -- notamment dans la correspondance échangée entre Pie XI et Maurras -- que le Pape en avait un souci primordial. A ses yeux, semble-t-il, le retour de Maurras à la foi* de *son baptême et à sa vocation chrétienne commandait tout le reste. Plus encore qu'une* CONDITION *qui ne paraît pas avoir été juridiquement formulée, il y voyait l'essentiel.* *A mesure que les passions s'apaisent et qu'une réflexion plus sereine devient possible, il apparaît que le point de vue central pour étudier la pensée de Maurras et l'histoire de son action est bien celui-là : cette œuvre doit être comprise dans ses rapports avec le baptême chrétien, avec la vocation chrétienne de Maurras. Dans la mesure où ces rapports furent distendus, et pour cette raison, la pensée et l'action montrèrent des déficiences. C'est dans cette perspective que se situe l'étude qui figure au chap. III du livre sur* « Brasillach » *récemment publié par Jean Madiran.* \*\*\* - EST-CE POSSIBLE ? *--* *Un article de M. Maurice Duverger paru dans* Le Monde *du 26 mars contient un jugement qui semble être passé inaperçu, peut-être parce que la plupart estiment qu'il va de soi. A notre connaissance, en dehors des* Nouvelles de Chrétienté*, personne n'a prêté une attention explicite à ce jugement tout de même extraordinaire, puisqu'il concerne un journal qui met beaucoup d'insistance à se proclamer totalement* « apolitique ». *M. Maurice Duverger écrit en effet :* « Comparez depuis 1956 le *Populaire* et *La Croix :* titres mis à part, la seconde est indiscutablement plus à gauche que le premier. » *Hum ? Qu'en penser ?* 109:34 ### Spiritualité (II) NOUS CONSIDÉRIONS que ces pensées ([^59]) nous étaient personnelles, et que notre façon de faire était seulement pour nous, un incapable, un attardé même, très peu doué pour les choses spirituelles, toujours distrait par quelque objet naturel, et très ingrat. Ceci n'est pas une clause de style, le propos de quelqu'un qui se veut humble mais se considère au fond comme un personnage. L'humilité n'est que la connaissance de la vérité. Parmi deux milliards d'hommes qui peut croire qu'il compte ? Et s'il est connu par quelques dizaines de voisins, pour combien de temps l'est-il ? Enfin nos péchés sont là et notre aptitude saugrenue à les recommencer. Tant de faiblesses ne nous guérirait pas de l'orgueil ? Certains ont reçu des missions durables : Job, Isaïe dureront jusqu'à la fin des temps. L'architecte qui a conçu Vézelay il y a huit siècles nous parle toujours mais nous ignorons qui c'est. Et ce qui les a sauvés, comme hommes, ce n'est pas leur mission, mais leurs rapports intimes avec le Père. Il y a des saints qui ont reçu une mission terrestre mais ce qui les a faits saints, c'est leur vie cachée sous la dépendance aimée de la grâce de Dieu. Les plus grands saints dans le ciel ne sont peut-être pas parmi ceux dont on parle. 110:34 Quelle existence plus commune et moins remarquée que celle de St Joseph ? L'Église elle-même en a pris si tardivement conscience ! Et ces milliers de martyrs des premiers temps de l'Église dont il n'est parlé nulle part sauf dans le ciel ? Ils ont vécu de la foi, espéré en Dieu, et vécu « dans un entier détachement des choses de ce monde ». L'humilité n'est que la constatation d'un fait peu agréable à la nature mais qui nous jette dans les bras du Christ. St Benoît n'en a décrit les degrés que pour faire désirer à ses fils la connaissance de la vérité et la véritable liberté des enfants de Dieu. N'ayant qu'une vie spirituelle rudimentaire, nous n'aurions donc pas osé parler de ces questions si les livres de M. Gustave (sic) Bardet ne nous avaient appris que la méthode dont nous parlons et que nous prenions pour la seule dont fût capable notre médiocrité, était en effet *la méthode recommandée par les anciens Pères pour tout le monde.* M. Bardet est un architecte urbaniste très réputé. Pour le grand public il a écrit dans la collection à bon marché « Que sais-je ? » un petit livre sur l'urbanisme dans lequel les non spécialistes trouveront exposés les vrais problèmes et les vraies solutions. Mais il a étudié aussi les problèmes de la vie spirituelle, par besoin de s'y débrouiller, car on trouve très peu d'aide dans ce travail. Il a lu un très grand nombre d'auteurs spirituels, des plus ignorés ; il a exposé pour l'usage pratique des laïques, en deux livres ([^60]) le résultat de son expérience et de ses recherches. Nous prenons dans le premier volume des citations essentielles pour notre sujet : Voici d'abord ce que dit Cassien, mort en 445, dans ses *Conférences avec les Pères du Désert :* « Nous croyons que cet *art divin* qui nous apprend à nous tenir *inséparablement attaché à Dieu,* a aussi ses principes et ses fondements qu'il faut établir d'abord et bien affermir. Nous avons cru que ces fondements pouvaient être d'avoir *quelqu'objet et quelqu'idée qui remplit notre mémoire,* et qui nous servit à *concevoir Dieu et à nous tenir en sa présence et de chercher,* ensuite, comment *on peut se fixer dans cette idée.* Nous croyons, mon Père, *que tout est renfermé en ces deux principes.* » 111:34 Le saint abbé Isaac dévoile alors un secret : « Un *secret* que nous ont laissé, par tradition, un très petit nombre des plus anciens de nos Pères, qui étaient encore de notre temps, et que nous ne disons aussi qu'à *peu de personnes* qui le désirent avec ardeur. » Il consiste à répéter continuellement le 1^er^ verset du psaume 69 : *Deus in adjutorium meum intende.* « Accoutumez-vous à *dire* ce verset, à le *méditer* sans cesse, soit que vous travaillez des mains ou que vous soyez dans vos exercices ou dans un voyage, dites-le ou chantez-le continuellement. Pensez-y même en dormant, pensez-y en mangeant, et jusque dans les plus basses nécessités de la nature. Cette méditation salutaire et continuelle vous préservera de tous les pièges et de toutes les attaques des démons, elle vous purifiera de tous les vices et de toute la contagion de la chair, pour *vous élever* à la contemplation des choses célestes et invisibles, et *vous faire monter peu là peu jusqu'à cette oraison ardente et ineffable,* qui est connue de si peu de personnes. *Que le sommeil tous les jour vous ferme les yeux* dans la considération de ces paroles saintes, *jusqu'à ce que votre âme en soit tellement possédée* qu'elle s'en souvienne *même pendant la nuit.* » Et l'interlocuteur de l'abbé Isaac répond : « Qu'y a-t-il de plus parfait, de plus élevé, que de pouvoir, par *une voye* si abrégée, *se souvenir continuellement de Dieu,* que de nous souvenir *d'un seul verset* de David pour quitter la terre et toutes les choses visibles, et de renfermer dans trois mots toutes les diverses affections et les différents mouvements de nos prières. » Telle est la plus antique tradition. Elle s'est continuée et elle a été enseignée jusqu'à l'époque moderne où les systèmes intellectuels ont malheureusement prévalu. St Thomas d'Aquin se faisait lire fréquemment les conférences de Cassien. Voici maintenant ce que dit St Bonaventure : « Mais pour que ce passage du monde à Dieu soit parfait, il faut laisser en repos toutes les activités intellectuelles, transporter et transformer en Dieu toute l'affection de notre cœur. C'est cette faveur mystique et secrète que *nul ne connaît* s'il ne la reçoit, que *nul ne reçoit* s'il ne la désire et que *nul ne désire* si ce n'est celui dont l'âme est profondément embrasée par le feu du Saint-Esprit que Jésus-Christ a porté sur cette terre. Voilà pourquoi l'Apôtre nous dit que cette Sagesse mystique a été révélée par l'Esprit Saint. » (1 *Cor.* 2.) 112:34 Ce texte paraît écrit pour des mystiques très avancés dans les voies contemplatives, mais la foi est un don, tout est grâce, il suffit seulement de les rechercher et de ne pas les mépriser. Or elles sont faites pour *tous les chrétiens* et même « pour toute âme vivant en ce monde » comme l'écrit G. Bardet. Les disciples de St Bonaventure répandirent sa doctrine. Le Brabançon Henri de Herp écrit : « Il (tout fidèle) doit quitter ses méditations et s'exercer *seulement* aux affections et à cette fin, il doit avoir en sa mémoire quantité de petites oraisons, prestes pour exciter cette aspiration, appelées jaculatoires par St Augustin, parce qu'elles sont des traits d'amour, que nous élançons au cœur de Notre-Seigneur...Par semblables aspirations d'amour, *l'affection s'enflammera toujours de plus en plus à aimer,* et l'esprit sera préparé pour monter à la contemplation... l'affection de l'homme deviendra si impétueuse et embrasée qu'elle se fera agile, *ni plus ni moins que la foudre...* « ...Or il s'en trouve quelques-uns, et spécialement ceux qui ont les *sens quiets, l'entendement peu actif,* ou bien *sont simples* et guère capables de choses grandes... ne sont point actifs en l'exercice des puissances intellectuelles, mais se sentent plus inclinés et disposés en les puissances concupiscibles et affectives... Ceux-ci au lieu de considérer prendront la voie mystique. Cette voie donc est divine et cachée à toute sapience humaine et *Dieu l'enseigne immédiatement aux petits, humbles et amoureux de lui,* de sorte que quelque laiz idiot (laïc illettré) ou bonne vieillotte, si elle est tirée par cette voie, cheminant icelle, en peu de temps, elle pourra recevoir *une plus grande connaissance expérimentale de Dieu, et des vraies vertus, semblablement de toutes choses... que tous les docteurs du monde.* » La doctrine du Vénérable Thomas de Jésus confirme ces pratiques : « S'il faut s'en rapporter à ce que disent les Pères, et les autres Mystiques qui ont passé par ce chemin, vous ne trouverez *point de voie plus courte,* ni de *manière plus aisée* et *plus noble* pour vous élever à Dieu, que celle que les Mystiques appellent *Sagesse unitive* ou *amour unitif qui consiste en des mouvements anagogiques* ou des aspirations, pour le moyen desquelles le Cœur essaye de s'élever à Dieu et de s'unir très étroitement à Luy. » 113:34 St Ignace de Loyola lui aussi enseigne une « Troisième manière de prier » qui consiste : « à chaque inspiration ou expiration, à prier mentalement en prononçant chaque mot du Pater Noster, ou de toute autre prière, qu'on récitera *en ne prononçant qu'un mot entre l'une et l'autre respiration ;* et dans l'intervalle du temps d'une respiration à l'autre, on s'attachera surtout à considérer soit le sens de ce mot, soit la personne à qui la prière s'adresse, soit sa propre bassesse, soit la distance qu'il y a entre une telle altesse et une telle bassesse ». L'ERREUR CONTEMPORAINE à notre avis est de croire que l'oraison et la contemplation ne sont possibles qu'après un long exercice de la méditation. L'ensemble d'un peuple n'aime pas lire, *ne sait pas lire* (même les gens dits instruits), a peu d'imagination et peu de jugement. Il est fait cependant pour le ciel, il est *appelé.* Si on veut lui imposer des méthodes d'intellectuels, exigeant la réflexion, le raisonnement, on le détournera des voies de l'oraison et de la contemplation pour lesquelles il est créé sans aucun doute possible. Or il y a une méthode directe, faite pour tous, conçue dès l'origine du christianisme et qu'ont pratiquée les plus anciens Pères. Il ne faut pas croire que ces Pères du désert y restaient sans bouger. Dès que les travaux des champs commençaient, ils descendaient dans la plaine d'Égypte, et sans eux, dit l'Histoire, la moisson serait restée sur pied. Aussi le R.P. Ludovic de Besse (*La Science et la Prière,* 1903) écrit-il au sujet de tant de théories intellectualisantes : « Heureuses les personnes illettrées qui ont été préservées des erreurs contenues dans ces livres. Grâce à leur simplicité elles arrivent plus facilement à sortir victorieusement de l'épreuve qui les mène à l'oraison de foi. Aussi n'est-il pas rare de trouver à la campagne des âmes contemplatives. » CES SIMPLES PERSONNES savent rarement s'expliquer avec clarté à un confesseur. Si celui-ci a des idées fausses sur la vie spirituelle, il peut retarder ces âmes au lieu de les aider, alors qu'il existe une tradition authentique de simplicité qui peut amener rapidement beaucoup d'âmes à l'oraison contemplative. 114:34 CAR CELLE-CI CONSISTE tout simplement en une attention amoureuse à la présence de Dieu. C'est celle de ce paysan, qui interrogé par le curé d'Ars sur sa méditation devant le Saint-Sacrement répondait : « Je l'avise et Il m'avise » (Je le regarde et Il me regarde). « *En cet exercice de retraite spirituelle,* dit St François de Sales, *et des oraisons jaculatoires, gît le grand'œuvre de la dévotion, il peut suppléer au défaut de toutes les autres oraisons, mais le manquement d'iceluy ne peut presque point être réparé par aucun autre moyen.* » Dieu est amour. On n'aime pas par raisonnement, on ne prouve pas qu'on aime par *raison démonstrative.* Mais Dieu *confie à tout homme de l'amour à exercer ;* l'homme peut le détourner de sa vraie fin et il est malheureux tant qu'il n'a pas trouvé la vraie fin de l'amour. Dieu ne vend pas son amour, il le donne et souvent l'homme, n'ayant pas à acheter cet amour gratuit le méprise, bien souvent sans s'en douter. L'action de la grâce sauve la liberté de cet homme et son pouvoir d'amour car : « J'ai été trouvé par qui ne me cherchait pas, j'ai apparu clairement à qui ne me demandait rien. » (Isaïe) L'oraison de simplicité consiste, avons-nous dit, en une attention, amoureuse à la présence de Dieu en répétant très lentement (comme le recommande St Ignace, et tous les saints) quelque parole ou quelque très simple prière, au rythme de la respiration nocturne. Cette discipline corporelle paraît étrange aux intellectuels qui confondent l'intellectualité et la spiritualité mais elle est nécessaire pour devenir maître de ses sens et de son imagination et aider l'âme profonde à arrêter la raison discursive. Bien entendu dans cette oraison de simplicité Dieu peut refuser toute satisfaction affective, l'essentiel est de tenir bon puisque, observe le cardinal Bona, « celui qui veut tirer plus de fruit de ce salutaire exercice ne doit l'interrompre aucun jour, ni même aucune heure si c'est possible ». Le Père Taillandier qui avec sa dirigée Anne Boivent est le fondateur de la congrégation des Adoratrices de la Justice de Dieu, a résumé très clairement l'éternelle doctrine en ces termes : « Un grand moyen de faire oraison, c'est de voir Dieu en nous, y opérant la sainteté, l'augmentant, nous éclairant et touchant nos cœurs. 115:34 C'est une telle présence qu'on doit avoir dans l'oraison, c'est par une telle oraison qu'on prie Dieu en soi, comme dans son temple... Une autre manière c'est de voir Notre-Seigneur en nous, nous inspirant l'esprit de prière, nous faisant prier et priant avec nous... Ce n'est pas encore assez, il faut croire que Dieu nous écoute, quoiqu'il ne nous exauce pas toujours : cette foi réveille notre attention. La foi en la Divine Présence est tout le fondement de l'oraison ou plutôt l'oraison entière. « L'âme d'oraison regarde comme une espèce de fornication de s'éloigner de Jésus-Christ quand ce ne serait qu'un moment. *Faire oraison d'une manière courte et facile, c'est s'accoutumer à nourrir son âme d'un simple et amoureux regard en Dieu, en Jésus-Christ, sans raisonnement ni discours ni trop d'affection, afin de se réjouir de l'unique nécessaire...* Se tenir attentif, paisible, pour recevoir les inspirations, les impressions divines que l'esprit communique. L'âme fait peu et reçoit beaucoup ; elle approche plus près de la source de la grâce... » Et il décrivait ainsi la vie spirituelle d'Anne Boivent (Mère Thérèse de la Croix) : « Son oraison était simple comme sa vie, Elle traitait avec Dieu comme avec les créatures, sans plus de façon ni de recherche de ce qu'elle avait à lui dire ou à lui demander. Elle ne connaissait point toutes ces méthodes qu'enseignent les maîtres de la vie spirituelle, elle n'en connaissait d'autre que celle de l'amour et du besoin du moment. Je doute qu'elle eût été capable de faire les préparations ordinaires qui auraient peut-être dérangé les mouvements du Saint-Esprit, plus qu'elles ne les auraient aidés. Ainsi elle entrait de suite en oraison. Tantôt elle s'entretenait avec Notre-Seigneur ayeg une familiarité d'enfant ; tantôt elle se tenait silencieuse en sa présence, attendant l'inspiration divine et, comme le Prophète-Roi, ouvrant la bouche pour aspirer le souffle de l'amour divin qui était sa respiration, sa vie. Si le Seigneur gardait le silence, elle quittait l'oraison aussi contente que s'il l'eût favorisée des plus grandes grâces, soumise à sa sainte volonté qu'elle aimait par-dessus tout. Il faut le dire cependant : ce silence était court et rare, car elle goûtait habituellement de grandes douceurs dans ses entretiens intimes avec Notre-Seigneur. » (Gaëtan Bernoville, *Les sœurs De Rillé,* Grasset, page 112). 116:34 Nous en avons assez dit pour rappeler la doctrine spirituelle fondamentale et encourager ainsi tous les bons chrétiens à la suivre. Le reste est l'affaire des confesseurs et des directeurs. Ils savent qu'en droit tous sont appelés, les simples, les « laïz idiots » autant que les savants. Il ne faut pas que de mauvaises méthodes fassent obstacle à la grâce. D. MINIMUS. M. Bardet vient aussi de publier chez Desclée de Brouwer une remarquable traduction de *l'Imitation* accompagnée de notes du plus vif intérêt spirituel, dans lesquelles il précise à la lumière des écrits de St Thomas d'Aquin, de Ste Thérèse et de Jean de la Croix, le sens du texte de l'Imitation. Le latin de Thomas de Kemp est très harmonieux, plein de charme mais certainement un peu mou ; il est très facile de le rendre encore plus vague par la traduction. M. Bardet essaie de rendre aux mots le sens fort. Ce livre, qui est le plus célèbre des livres de dévotion de la chrétienté, est en fait un manuel pour attirer à la vie mystique. Soit par suite du caractère de son intelligence, soit par prudence, soit parce qu'il s'adressait à des commençants, l'auteur (qui a été maître des novices) a comme estompé les méthodes des états d'oraison qui ont été beaucoup plus nettement indiquées par les auteurs mystiques qui l'ont précédé ou qui l'ont suivi. Les notes ont été heureusement rejetées à la fin de chaque livre pour laisser au texte même sa prééminence naturelle mais elles facilitent beaucoup l'intelligence du texte par référence à *ces* grands auteurs classiques de la spiritualité. Enfin le traducteur rétablit l'ordre des quatre livres suivant l'ordre du manuscrit, où le troisième opuscule est celui qui traite du Très-Saint-Sacrement de l'Eucharistie et non le quatrième comme dans les éditions habituelles. Pourquoi les anciens éditeurs ont-ils opéré cette transposition ? Parce que, croyons-nous, ils ont vécu en un temps où on communiait très peu, et pour encourager à la fréquente communion. Mais ils diminuaient ainsi la portée du livre dont le but est de mener à l'union à Dieu par les voies mystiques avec l'aide de Jésus-Christ ; l'ordre véritable est bien de finir par livre de *L'Éternelle Consolation.* 117:34 L'histoire de *L'Imitation de Jésus-Christ* est l'histoire de passions intellectuelles ; on a discuté pendant deux siècles pour faire de l'auteur un Allemand, un Français ou un Anglais, sans jamais examiner sérieusement le manuscrit original ; et la traduction qui fut la plus répandue chez nous est celle d'un janséniste ! L'introduction de M. Bardet résume cette histoire ; elle montre que le manuscrit de Bruxelles est bien l'autographe de l'auteur, ce qui est maintenant admis de tous les érudits. 118:34 ## DOCUMENTS ### S.S. Jean XXIII : l'annonce du Concile *Le* 25 *janvier* 1959*, à la Basilique de Saint-Paul-hors-les-murs, le Saint Père adressa aux membres du Sacré Collège un discours en latin dont le texte fut d'abord tenu secret, puis publié, plus d'un mois plus tard, dans les Acta. Il annonçait la décision de célébrer un Concile Œcuménique pour l'Église universelle. Nous reproduisons cette annonce en suivant la traduction française établie par les* Nouvelles de Chrétienté. Lorsque l'Évêque de Rome étend son regard sur le monde entier, dont il a la responsabilité du gouvernement spirituel par la mission divine de succession de l'apostolat suprême qui lui a été confiée, oh ! quel spectacle : heureux, d'une part, là où la grâce du Christ continue à multiplier ses fruits et les facteurs d'élévation spirituelle, de salut et de santé dans tout le monde ; et triste, d'autre part, devant l'abus et la fausse interprétation de la liberté de l'homme, qui, ne connaissant pas les cieux offerts et refusant la foi en Jésus-Christ Fils de Dieu, rédempteur du monde et fondateur de la Sainte Église, se consacre entièrement à la recherche des prétendus biens de la terre, sous l'inspiration de celui que l'Évangile appelle le prince des ténèbres. Le prince de ce monde -- comme le qualifia Jésus lui-même dans son dernier discours après la Cène -- organise l'opposition et la lutte contre la vérité, la position néfaste qui accentue la division entre les deux cités, comme les appelle le génial saint Augustin, en s'efforçant toujours d'entretenir la confusion pour tromper jusqu'aux élus, si c'est possible, et les entraîner dans la ruine. Pour comble de malheur, les fils de Dieu et de la Sainte Église sont également tentés et attirés par les avantages d'ordre matériel que le progrès de la technique moderne -- neutre par lui-même -- agrandit et exalte. 119:34 Tout cela -- ce progrès voulons-Nous dire --, tout en détournant de la recherche des biens supérieurs, affaiblit les forces de l'esprit, conduit au relâchement de la discipline et du bon ordre ancien, au grave préjudice de ce qui constitua la force de résistance de l'Église et de ses fils aux erreurs qui, en réalité, au cours de l'histoire du christianisme, conduisirent toujours à de funestes et fatales divisions, à une décadence spirituelle et morale, à une ruine des nations. Cette constatation éveille -- dans le cœur de l'humble prêtre que la volonté manifeste de la Divine Providence éleva, malgré son indignité, au Pontificat suprême -- une ferme résolution pour revenir à certaines formes antiques d'affirmation doctrinale et de sage organisation de discipline ecclésiastique qui, dans l'histoire de l'Église, à des époques de renouvellement, donnèrent des fruits extraordinairement efficaces pour éclairer la pensée, pour rendre compacte l'unité religieuse et plus ardente la ferveur chrétienne que Nous continuons à considérer, même en relation avec le bien-être de la vie d'ici-bas, comme une abondante richesse « de rosée du ciel et de graisse de la terre » (Gen. XXVII, 28). Vénérables Frères et chers Fils ! Nous vous annonçons, certes en tremblant un peu d'émotion, mais en même temps avec une humble et ferme résolution, le projet de la double célébration : d'un Synode diocésain pour l'Urbs et d'un Concile Œcuménique pour l'Église universelle. Vous n'avez pas besoin, vénérables Frères et chers Fils, d'abondantes explications sur la signification historique et juridique de ce double projet. Il conduira heureusement à la révision souhaitée et attendue du Code de Droit Canon, qui devrait accompagner et couronner ces deux tentatives d'application pratique des dispositions de discipline ecclésiastique que l'Esprit du Seigneur Nous suggèrera au fur et à mesure. La prochaine promulgation du Code de Droit Canon Oriental nous donne l'annonce de ces événements. Pour la journée d'aujourd'hui, il suffira de cette communication faite à tout le Sacré Collège réuni ici, en Nous réservant de la transmettre aux autres cardinaux retournés à leurs divers sièges épiscopaux qui leur sont confiés dans le monde entier. Nous aimerions avoir de la part de chacun des présents et de ceux qui sont loin des paroles intimes et confiantes qui Nous fixent sur les dispositions individuelles et Nous offrent aimablement toutes les suggestions concernant la réalisation de ce triple dessein. La connaissance qui Nous en était déjà assez familière et que ces trois mois depuis que Nous avons été appelé au service « des serviteurs de Dieu » ont confirmée et amplifiée Nous encourage à avoir confiance en la grâce céleste : avant tout en l'intercession de la Mère Immaculée de Jésus et notre Mère, en la protection des saints Pierre et Paul Princes des Apôtres, ainsi que des saints Jean-Baptiste et Jean l'Évangéliste Nos patrons particuliers, et de tous les Saints, de la Curie céleste. 120:34 Nous implorons de tous un bon début, une bonne continuation et un heureux succès de ces résolutions de vigoureux travail, pour l'illumination, l'édification et la félicité de tout le peuple chrétien, pour l'exhortation renouvelée aux fidèles des Communautés séparées à Nous suivre aimablement, elles aussi, dans cette recherche d'unité et de grâce, auxquelles tant d'âmes aspirent sur tous les points de la terre. Vénérables Frères et chers Fils ! Comme Nous sont douces et encourageantes les paroles de saint Léon le Grand, que la Liturgie sacrée nous invite maintenant à réciter plus souvent. Aujourd'hui même se fait entendre plus vivement le salut de saint Paul, le converti de Damas, qui nous a accueillis ici près de ses souvenirs les plus sacrés : « Corona mea... et gaudium vos estis, si fides vestra, quae ab initio Evangelii in universo mundo predicata est, in dilectione et sanctitate permanserit » (S. Léon M. Sermo 2). Oh ! quel salut : tout à fait digne de notre famille spirituelle. « Dilectio et sanctitas : un salut et un souhait. » Benedictio Dei omnipotentis Patris et Filii et Spiritui Sancti. Ainsi soit-il. ============== #### Ce qu'est un concile œcuménique *Le Bulletin des Chevaliers de Notre-Dame* (*publié chez M. Deligne,* 46*, rue Saint-Lazare, Paris*) *a rappelé en une brève et dense notice l'essentiel de ce qu'il faut savoir sur la nature d'un Concile œcuménique :* Un concile est œcuménique lorsqu'il réunit autour du Pontife Romain ou de son Légat les évêques du monde entier. Il s'agit bien entendu des évêques validement sacrés, et en communion avec le Siège apostolique. En outre, sont convoqués au Concile avec voix délibérative : les Cardinaux, même non évêques ; les évêques titulaires, les abbés et prélats *nullius,* l'Abbé-Primat, les Abbés Supérieurs des Congrégations monastiques, et les Supérieurs des religions cléricales exemptes. Les théologiens et les canonistes invités au Concile ont simplement voix consultative. (Can. 223). 121:34 Les évêques séparés d'Orient, dont les Ordres sont valides, ne seront donc pas *convoqués ;* mais ils pourront être *invités,* avec voix simplement consultative. Si les délibérations aboutissent, comme il faut l'espérer, à un décret d'union des Églises Orientales séparées, ou tout au moins de certaines d'entre elles, ces évêques obtiendront ipso facto voix délibérative et reprendront la place, qui leur revient dans la Sainte Église Catholique. Le cas des évêques anglicans est plus délicat : on sait que les Ordres conférés par l'Église anglicane ne sont pas valides. Cependant, il semble que, dans le cas d'un retour à l'unité ces « évêques sans épiscopat » pourraient recevoir du Pape et des Pères du Concile le droit de siéger avec voix délibérative à titre de « chefs de chrétientés ». -- Salvo Ecclesiae judicio... Il faudrait ensuite leur conférer l'épiscopat. Si on agit ainsi pour les Anglicans, il semble qu'on puisse faire de même pour les pasteurs protestants désireux de rentrer dans l'Église. Les Conciles de Lyon (1274) et de Florence (1439-1465) ont connu une situation analogue, puisque par eux, l'unité des Grecs, et des Latins fut, un instant, rétablie. Autre question : l'autorité doctrinale du Concile œcuménique. Le Concile est infaillible, Grecs et Latins sont d'accord sur ce point. Mais il faut préciser : il n'est infaillible que dans la mesure où le Pontife Romain, qui en est la tête, ratifie et confirme ses décisions. Le charisme d'infaillibilité de l'Église enseignante réside dans l'ensemble de l'épiscopat uni au Pape, et dans la personne du Pape, selon les paroles du Christ à l'Église (Mt 16, 18) et à Pierre (Mt 16, 18 ; Luc 22, 31 ; Jn 21, 15-17). Ainsi, le Pape est au-dessus du Concile, et il n'y a pas de Concile sans Pape. Si le Pape vient à mourir pendant un Concile, celui-ci se trouve suspendu ipso facto, et ne pourra être repris que sur l'ordre du successeur légitime du Pontife défunt. (can. 229). Lorsque fut définitive, au Concile du Vatican, l'infaillibilité personnelle du Souverain Pontife, évêque de Rome, certains objectèrent qu'une telle décision rendait inutile la convocation d'un Concile œcuménique. Cette opinion superficielle est démentie par l'initiative de S.S. Jean XXIII. Il faut remarquer que l'Église Universelle, comme tout grand corps social, ne peut être gouvernée sans la coopération active de tous ses membres, Hiérarchie et peuple. Le roi de France gouvernait en ses États et ses Conseils, le Pape gouverne de même. Lorsque le Pape Pie XII définit l'Assomption corporelle de Notre-Dame en 1950, il ne le fit qu'après avoir recueilli l'avis de tous les évêques, eux-mêmes chargés de transmettre les vœux des fidèles. Et c'est lorsqu'il eût pour ainsi dire touché du doigt la foi Vivante de l'Église vivante qu'il éleva sa grande voix pour la confirmer et la formuler infailliblement et irrévocablement. C'est que l'Esprit Saint souffle la vie divine à travers tout le Corps mystique ; le Pape n'est pas une tête séparée du corps ; il lui est au contraire étroitement uni. 122:34 Ainsi, le Concile œcuménique est comme un sacrement de l'unité chrétienne : l'unanimité palpable de toutes les Églises autour de l'Église Romaine manifeste l'unité mystérieuse du Christ total. Puisse ce grand Signe qui, grâce à Dieu, va s'accomplir sous nos yeux, affermir la foi des fidèles, renverser les barrières des préjugés, réunir les frères séparés et opposer aux assauts du matérialisme le rempart infranchissable d'une Chrétienté sans fissures. ============== #### Étienne Gilson : La liberté de l'enseignement *Nous avions déjà reproduit dans notre numéro* 6, *nous reproduisons à nouveau les principaux passages d'un éditorial d'Étienne Gilson qui avait été publié en juin* 1956 *par* LA FAMILLE ÉDUCATRICE (*organe mensuel de l'Association des parents d'élèves de l'enseignement libre,* 11*, rue de Sèvres, Paris VI^e^*)*.* *Cet article d'Étienne Gilson illustre ce que nous disons dans l'éditorial du présent numéro, et manifeste avec vigueur l'existence de ce mouvement d'idées dont nous disons qu'il est méconnu ou ignoré par les professionnels de l'enseignement en proportion directe de leur situation officielle.* Mettez-vous à la place d'un proviseur : que peut-il faire ? Il peut assurer l'exécution des règles administratives et l'observation des programmes. C'est tout. Un proviseur ne peut prendre aucune initiative pédagogique ; un proviseur ne peut rien inventer. Le jour où vous aurez un monopole d'État en France, vous aurez tué l'invention pédagogique. Nous ne sommes déjà pas tellement en avance ! Regardez quels noms portent les méthodes nouvelles : ce sont tous des noms suisses, des noms italiens. Ce sont des gens qui, étant libres, ont inventé à l'étranger, et dont l'État maintenant se charge, en France, d'exploiter les inventions, quand il peut, et avec combien de retard ! \*\*\* Mais, chose plus grave encore, dans l'enseignement supérieur nous ne savons même plus ce que signifie ce mot de liberté de l'enseignement. Lorsque nous parlons de liberté de l'enseignement nous donnons tous l'impression que nous demandons la liberté pour les écoles libres mais c'est l'enseignement d'État qui n'est pas libre ! 123:34 C'est à lui qu'il faut d'abord rendre la liberté. C'est ce qui se passe aux États-Unis, en Angleterre. Quelles sont les grandes universités : Oxford, Cambridge ? Des universités libres. Harvard, Chicago, etc..., toutes sont libres. Harvard ne touche pas un sou de l'État, et pourtant c'est de Harvard et de Chicago que partent toutes les initiatives pédagogiques. Chicago est en train, en ce moment, de réformer complètement ses programmes d'enseignement supérieur. Pourquoi ? Parce que Chicago est une université libre ! Mais imaginez qu'en France personne ne peut le faire. Si, dans une université, un recteur, qui est fonctionnaire nommé par le Ministre, veut essayer d'introduire une modification quelconque, s'il veut essayer de faire preuve d'initiative, vous n'aurez personne pour le suivre. \*\*\* Est-ce que vous ne croyez pas que, si nous vivons encore pendant cinquante ou soixante ans dans un univers où les institutions d'enseignement supérieur travaillent librement, cherchent et inventent, et où nous serons ligotés par les règlements, est-ce que vous ne croyez pas que nous serons à brève échéance en retard sur tout le monde ? Et ne sortons pas de France : où est-ce qu'on apprend la peinture ? A l'École de Beaux-Arts ? Où est-ce que Roussel a appris la musique ? Où est-ce que Paul Dukas a appris la musique ? A la Schola Cantorum mais pas au Conservatoire ! Qui est-ce qui a fondé l'École libre des Sciences Politiques ? Émile Boutmy. L'État vient de s'en emparer, en effet, parce que c'était réussi ! L'État n'a rien inventé. L'État n'a jamais rien inventé ! Ce n'est pas l'État qui a inventé les Universités, ce n'est pas l'État qui a inventé les Collèges. Ce sont les Jésuites. Ce n'est pas l'État qui a inventé l'école primaire. C'est le bienheureux Jean-Baptiste de la Salle. L'État arrive toujours à point pour recueillir les résultats de l'initiative des inventeurs... et pour les exploiter... Mais lui-même n'invente rien. Pas plus, disait un grand savant, que jamais on n'a vu une académie des sciences faire une découverte. Je crois que c'est sur ce terrain-là qu'il faut nous transporter à longue échéance et c'est sur ce terrain-là qu'il faut nous battre, qu'il faut demander la liberté de l'enseignement pour tout le monde. A commencer par l'enseignement de l'État. Ce ne sera pas facile. 124:34 *Il est très dommage que la pensée d'Étienne Gilson ne soit pas davantage connue et méditée par ses anciens collègues de l'enseignement d'État et aussi par certains dirigeants de l'enseignement libre.* *Étienne Gilson, remarquable historien de la philosophie, est aussi un penseur personnel, profond et perspicace. Si nous n'adoptons pas plusieurs des positions proprement politiques qu'il défendit avant la guerre à l'hebdomadaire Sept et après la guerre dans les colonnes du Monde, sur tous les autres sujets, et notamment sur ceux qui touchent à la réforme intellectuelle, nous recommandons ses ouvrages, et notamment : pour les philosophes, Christianisme et philosophie* (*Vrin,* 1949)*, pour tout le monde : Pour un ordre catholique* (*Desclée de Brouwer,* 1934)*.* *Après avoir été en France fonctionnaire de l'enseignement d'État, Étienne Gilson, membre de l'Académie française, enseigne aujourd'hui librement au Canada et aux États-Unis.* #### Parmi les livres reçus Gustave THIBON : *Vous serez comme des dieux* (Fayard). Paul CLAUDEL : *Qui ne souffre pas,* réflexions sur le problème social, préface et notes de Hyacinthe Dubreuil (Gallimard) Dom J. de MONLEON, o.s.b. : *Les noces de Cana* (Nouvelles Éditions Latines). Jacques de LACRETELLE : *Les maîtres et les amis,* études et souvenirs littéraires (Éditions Wesmael-Charlier). Michel de SAINT PIERRE : *Les murmures de Satan,* roman (Calmann-Lévy). Édouard SCHNEIDER : *Sainte Claire d'Assise* (Plon). Michel MASSENET : *L'angoisse au pouvoir* (Plon). Chanoine A. MULLER : *En marche vers le Dieu vivant,* essai sur le problème de la foi chez l'homme contemporain (Éditions R. Foulon). Georges DUHAMEL : *Travail, ô mon seul repos* (Éditions Wesmael-Charlier). Henri POURRAT : *Histoire des gens dans les montagnes du centre* (Éditions Albin Michu). Léon ÉMERY : *Options philosophiques* (Les Cahiers libres, 37, rue du Pensionnat, Lyon). 125:34 ## Note de gérance A la suite de notre dernière « Note de gérance », la souscription commencée en novembre 1958 a finalement produit 524 abonnements de soutien. Ce résultat est précieux et nous remercions de tout cœur ceux qui nous ont ainsi apporté leur aide. Toutefois ce résultat demeure insuffisant pour nous éviter, comme nous l'aurions désiré, d'augmenter nos tarifs. (Précisions détaillées ont été données dans la Note de gérance de notre numéro 31.) A partir du présent numéro entrent donc en application nos nouveaux tarifs d'abonnement et de vente au numéro. Notre prix d'abonnement reste d'ailleurs nettement inférieur à celui de beaucoup de publications mensuelles, hebdomadaires ou quotidiennes. L'abonnement annuel à *Esprit* coûte 3300 francs ; à *Paris-Match,* 3350 francs ; à la *Revue des deux mondes,* 4200 francs ; à *L'Express,* 5000 francs ; à *La Croix,* 6500 francs ; au *Monde,* 7600 francs (et toutes ces publications acceptent en outre, à la différence d'*Itinéraires,* de la publicité payante dans leurs colonnes). Il existe un niveau général des prix. Alors que par exemple tant de personnes achètent chaque semaine (au moins) un magazine illustré à 70 francs, ce qui leur fait une dépense annuelle de plus de 3600 francs, nous estimons que les mêmes personnes, ou d'autres, ne sont pas VÉRITABLEMENT hors d'état de souscrire au prix de 3000 francs un abonnement à *Itinéraires.* L'augmentation de nos tarifs ne résout pas, surtout dans l'immédiat, nos difficultés matérielles : les abonnements en cours seront évidemment servis jusqu'à leur terme normal sans augmentation. Faute du nombre de pages nécessaires à notre travail, nous devons nous imposer certaines réductions : nous sommes ainsi dans l'obligation regrettable de différer la publication des réponses à l' « Enquête sur la corporation ». C'est pourquoi nous demandons à nouveau à tous nos amis, par l'abonnement de soutien et par le recrutement de nouveaux abonnés, de donner à la revue des moyens matériels qui soient normalement à la dimension des tâches entreprises. ============== fin du numéro 34. [^1]:  -- (1). La réforme de l'enseignement doit en outre être considérée du point de vue des libertés professionnelles : voir la grande étude de Raymond le Poitevin sur « Les deux formes de l'apprentissage », publiée dans *Itinéraires*, n° 30. [^2]:  -- (1). On tient parfois le discours suivant : « Enseignement libre : cette expression est couramment employée par tout le monde... Le qualificatif « libre » résume l'idée suivante : « qui use de la liberté d'enseignement ». Mais il est imparfait parce qu'il peut rendre, aujourd'hui, un son désobligeant à l'égard de l'enseignement public, qui ne serait donc pas libre. » Il ne s'agit, bien sûr, d'être désobligeant à l'égard de personne. Mais il ne faudrait pas non plus noyer le poisson, et voiler ce qui est réellement en question. La liberté de l'enseignement s'entend à l'égard du pouvoir politique (et elle ne saurait jamais être totale, en ce sens que l'État a la charge de faire respecter partout certaines règles très générales d'hygiène, de moralité et de civisme). L'enseignement public n'est pas libre : tout -- même les programmes, les examens et les méthodes intellectuelles -- y dépend du pouvoir politique. Ce qu'il faudra bien, tôt ou tard, reconnaître c'est que le pouvoir politique n'est pas en droit qualifié pour organiser et diriger l'enseignement, et qu'en fait il s'y montre très souvent incompétent et impuissant. Voir à ce sujet, dans les « Documents » du présent numéro, la reproduction d'un important article d'Étienne Gilson, expliquant que « l'enseignement d'État n'est plus libre » et déclarant : « Il faut demander la liberté de l'enseignement pour tout le monde. A commencer par l'enseignement de l'État ». [^3]:  -- (1). Mais on notera que beaucoup de grandes écoles sont nées de l'initiative privée avant d'être prises en charge par l'État : tellement est grande l'incapacité -- explicable et naturelle -- de l'État en matière d'enseignement. [^4]:  -- (1). Voir *Itinéraires*, n° 29, éditorial : « Rendre aux Français la liberté » [^5]:  -- (2). Sur la tolérance, voir la « Déclaration fondamentale » de la revue *Itinéraires*, chap. XIII (numéro 28, pages 20 et suiv.). [^6]:  -- (1). C'est ce que les catholiques français, depuis et malgré Léon XIII, n'arrivent pas aisément à comprendre. Voir *On ne se moque pas de Dieu*, pages 91 à 139. [^7]:  -- (1). Sur ce point, voir l'article d'Henri Charlier dans notre précédent numéro (*Itinéraires*, numéro 33, page 50 et suiv.). [^8]:  -- (1). C'est avec ce dédain pour le « poète », pour le « rêveur », que les intellectuels installés viennent d'accueillir le livre posthume de Claudel : Qui ne souffre pas, introduction et commentaires de Hyacinthe Dubreuil (Gallimard éditeur). Les INTELLECTUELS dédaignent, sans la comprendre, la pensée de cet ouvrage, qui d'ailleurs est d'une lucide sévérité à l'égard des intellectuels de notre temps. On peut aussi relire à ce propos, dans *le Soulier de satin* (version intégrale), la scène II de la Troisième Journée. [^9]:  -- (1). *L'Express* du 29 avril a publié sur trois pages une soi-disant « contre-expertise », due à la plume d'un agrégé de philosophie, prétendant démontrer qu'en somme la pensée de Saint-Exupéry est inexistante, et qu'elle n'apporte rien aux « vrais héros de notre temps ». [^10]:  -- (1). Le premier cité de ces ouvrages parut en articles dans l'hebdomadaire *Sept* et fut publié en volume aux Éditions de Brouwer, 1934 (il n'est pas épuisé). Le second est réédité ce mois-ci, avec d'importants compléments, aux Nouvelles Éditions Latines : il est le premier volume de la COLLECTION ITINÉRAIRES. Le troisième est épuisé mais figure dans toutes les bibliothèques sérieuses. Le quatrième chez Téqui. [^11]:  -- (1). Voir *Itinéraires* n° 3, éditorial. [^12]:  -- (1). Discours du 23 mars 1958. Texte cité dans *Itinéraires*, n° 24, p. 89. [^13]:  -- (1). Cette défense de la laïcité vraie par les catholiques et par l'Église n'est point paradoxale ni occasionnelle, mais constitue un retour aux positions naturelles et normales des uns et des autres. C'est pourquoi nous disons dans la « Déclaration fondamentale » de la revue *Itinéraires*, au chap. XIV : « Sans l'Église il n'aurait jamais existé aucune sorte de laïcité, aucune sorte de distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, distinction apportée par Jésus-Christ, révélée dans l'Évangile, enseignée par l'Église et qui, hors de l'Église, se corrompt en un sens ou en l'autre. » [^14]:  -- (1). Péguy, *Œuvres en prose*, édition Gallimard 1957, page 1204. [^15]:  -- (2). Même édition, pages 807-808. [^16]:  -- (3). Pages 1154-1155. [^17]:  -- (4). Page 1156. [^18]:  -- (5). Page 1168. [^19]:  -- (6). Page 964. [^20]:  -- (7). Page 810. [^21]:  -- (8). Page 529. [^22]:  -- (9). Page 1209. [^23]:  -- (1). Pages 518-519. [^24]:  -- (2). Page 1219. [^25]:  -- (1). Voir *Itinéraires*, numéro 12 et numéro 15. [^26]:  -- (1). Éditions Flammarion. [^27]:  -- (1). Éditions Didier. [^28]:  -- (1). Mgr Émile Guerry : L'Église et la Communauté des Peuples, Bonne Presse Éditeur. [^29]:  -- (2). PIE XII : Lettre au Président Truman, 20 décembre 1949, Mgr Guerry, loc. cit. p. 43). [^30]:  -- (3). Bonne Presse, Edit., Voir *Itinéraires*, numéro 16, pp. 114 et suiv. [^31]:  -- (4). Heb. XIL 3. [^32]:  -- (5). PIE XII : *Summi Pontificatus* (in Mgr Guerry : loc. cit. p. 42). [^33]:  -- (6). PIE XII : Message radioph. du 11 sept. 56 (loc. cit. p. 52). [^34]:  -- (7). PIE XII : Allocution du 13 octobre 1955 (in loc. cit. p. 56). [^35]:  -- (8). PIE XII : Message radiophonique de Noël 1947 (in loc. cit. p. 51). [^36]:  -- (9). PIE XII : Allocution du 23 juin 1951 (in loc. cit. p. 63). [^37]:  -- (10). PIE XII : Allocution du 2 juin 1947 (in loc. cit. p. 84). [^38]:  -- (11). R.P. Taparelli d'Azeglio : *Essai théorique de droit naturel*, Tome II, page 130. n° 1402. [^39]:  -- (12). PIE XII : 3 juin 1950. [^40]:  -- (13). Loc. cit., p. 89. [^41]:  -- (1). Massis y reprend les thèmes qu'il avait développés au cours de ses articles, parus dans *Itinéraires*, sur Renan, Pascal et Bossuet (cf. numéros 18, 19, 21 et 22). [^42]:  -- (1). Expression de Mgr Journet dans Introduction à la Théologie (Desclée de B.). [^43]:  -- (2). Ce point a été mis en une magnifique lumière par une étude du Père Lagrange, o.p. dont on regrette qu'elle n'ait jamais été publiée en volume : Pascal et les prophètes messianiques, *Revue Biblique*, oct. 1906, [^44]:  -- (1). Voir par exemple les divers ouvrages du Père Garrigou o. p, et surtout de Mgr Journet, à la table onomastique, au mot Bossuet. [^45]:  -- (1). Sur ces points voir le choix des Lettres de Bossuet par Henri Massis (Taillandier 1927) ; voir aussi le Bossuet de Victor Giraud (Flammarion), chapitre VI. [^46]:  -- (1). École Chrétienne Renouvelée, p. 165. [^47]:  -- (1). Cité page 474 de « l'hagiographie » de Pierre Teilhard de Chardin par Claude Cuénot (Plon). Le terme « hagiographie » est employé à dessein et il ne paraîtra par trop fort à ceux qui auront lu la conclusion de l'ouvrage. Le P. Bouyer en avait rendu compte dans la *France Catholique* du 28 nov. 1958. [^48]:  -- (2). Sur cette confusion voir Massis pages 242 à 252 passim ; voir aussi Guérard des Lauriers, o.p. critique du *Phénomène Humain* dans *Revue Thomiste*, 1956 n° III ; voir Grenet, *Ami du Clergé*, 16 octobre 1958 et suiv. ; voir Salleron, *Itinéraires*, numéros 1, 3 et 26. [^49]:  -- (1). Voir notamment son très long article publié dans *Idées et Forces* oct-déc, 1949 sous le titre on ne peut plus teilhardien : « Préhumain. Humain. Ultra-humain. » [^50]:  -- (1). Sur tout ceci voir le radio-message de Pie XII, de Noël 1953, sur l'esprit technique, radio-message qui malheureusement n'a pas trouvé un grand écho. Il n'est jamais trop tard pour le relire. D. C. du 10.1.54. [^51]:  -- (2). Depuis vingt ans on nous a maintes fois rebattu les oreilles de la somptuosité du langage poétique du P. Teilhard de Chardin et de son sens extraordinaire de l'unité. Il serait temps de rappeler à ces admirateurs inconsidérés que bien des penseurs chrétiens avant le P. Teilhard ont eu également le sens de l'unité et d'une manière autrement nette parce que dans l'unité ils savaient distinguer des plans irréductibles ; il faudrait ajouter qu'ils ont exprimé une vision d'unité dans une langue autrement résistante et autrement pure et avec un lyrisme qui ne se payait pas de mots. Que l'on relise à ce sujet la lettre IV de Bossuet à une demoiselle de Metz, en particulier la strophe XIX et suivantes (voir soit les *Œuvres complètes*, soit *Lettres de Bossuet*, p. 8. publiées par Henri Massis, édit. Jules Taillandier Paris, 1927). Pour un exposé synthétique de la doctrine du Corps mystique et de la Rédemption on gagnerait à relire le premier chapitre du livre de Mgr Journet sur *la Messe* (Desclée de Br.). [^52]:  -- (1). Sur les éditeurs des divers missels cités dans le présent article, on se reportera aux notes de notre article précédent, *Itinéraires*, n° 33, pages 57 à 61. [^53]:  -- (1). Voir *Itinéraires*, n° 33, p. 58. [^54]:  -- (1). Missel quotidien des fidèles, vespéral, rituel, recueil de prières, par le R.P. Feder, s.j. ; traduction nouvelle et commentaires par des Prêtres diocésains et des Pères de la Compagnie de Jésus. Publié avec l'approbation du Centre de Pastorale liturgique. Introduction par A.-G. Martimort et A. Honoré. Éditions Mame. [^55]:  -- (1). Voir *Itinéraires*, n° 33, page 61. Voir aussi infra une autre regrettable suppression dans le texte du même Dom Lefebvre. [^56]:  -- (1). Cette suppression est tellement énorme que l'on peut poser la question de savoir si elle vient de l'auteur ou de l'éditeur. [^57]:  -- (2). Cité dans *Itinéraires*, n° 28, page 42. [^58]:  -- (3). Message du 24 juin 1956, texte intégral dans *Itinéraires*, n° 7, pages 5 à 9. C'est le message dont Pie XII lui-même constatait avec tristesse qu' « il n'est pas parvenu à la connaissance de la plus grande partie du peuple français » (voir *Itinéraires*, même numéro, pages 1 à 4). [^59]:  -- (1). La première partie de cet article a paru dans notre numéro précédent. [^60]:  -- (1). G. Bardet : *Pour toute âme vivant en ce monde. Je dors mais mon cœur veille*. Librairie d'Art Ancien et Moderne.