# 36-09-59
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*A son tour l'Italie va être consacrée au Cœur Immaculé de Marie. La décision de l'Épiscopat italien, approuvée par S.S. Jean XXIII, fixe la Consécration au 13 septembre, pour la clôture du XVI^e^ Congrès eucharistique national.*
*La* Civiltà Cattolica *du 4 juillet a publié un important éditorial sur cette Consécration.*
*C'est par la Consécration au Cœur Immaculé de Marie que les personnes, les familles, les nations, le genre humain vont* A JÉSUS PAR MARIE.
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*Trop de chrétiens, semble-t-il, encore insuffisamment informés de l'enseignement officiel de l'Église sur ce point, ignorent ou comprennent mal la nature d'une telle Consécration, ou en sous-estiment la portée. Le X^e^ Congrès marial international, tenu à Lourdes en septembre dernier, était spécialement destiné à* « favoriser le développement de la Consécration au Cœur Immaculé de Marie des individus, des familles, des sociétés »*. Le souverain Pontife a plusieurs fois exprimé à ce sujet beaucoup plus qu'un simple conseil.*
*C'est pourquoi la revue* Itinéraires *va publier un numéro spécial, qui paraîtra en décembre, sur* LA ROYAUTÉ DE MARIE ET LA CONSÉCRATION A SON CŒUR IMMACULÉ.
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### A ses lecteurs la revue « Itinéraires » demande...
LA PREMIÈRE CHOSE que la revue *Itinéraires* demande à ses lecteurs, c'est l'effort d'une lecture véritable, attentive et réfléchie.
Nous nous adressons en effet à la réflexion du lecteur. Nous savons bien que le lecteur est souvent assailli, dans son travail, dans son repos, dans sa maison, par un tumulte de propagandes, de radios, de journaux, de passions idéologiques. Nous ne nous dissimulons pas que c'est un très réel effort intellectuel que nous lui demandons. Nous ne nous dissimulons pas non plus qu'au milieu de tant de vacarmes journalistiques, politiques, publicitaires, passionnels, il n'est pas toujours commode de trouver le temps et le silence nécessaires pour une lecture et une réflexion comme celles que nous lui proposons.
Mais c'est bien cela que nous proposons.
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IL EXISTE beaucoup de journaux qui font beaucoup de bruit, qui attirent spectaculairement l'attention, et qui font croire que leur lecture est « *nécessaire à celui qui veut se faire facilement une opinion sûre et complète* ». Nous nous adressons au contraire à ceux qui n'imaginent pas qu'une simple *opinion* puisse être *sûre* et puisse être *complète.* Nous nous adressons à ceux qui exigent d'eux-mêmes davantage et mieux que des « opinions ».
Et surtout, nous nous adressons à ceux qui savent que, dans l'ordre de la conscience, dans celui de la pensée, dans celui de l'action, rien d'estimable et de solide ne peut jamais se faire *facilement,* mais que tout au contraire s'obtient à force d'expérience, de documentation, de travail, de peine, de méditation.
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AUX LECTEURS qui sont d'accord avec nous sur l'essentiel, nous demandons de nous apporter leur aide.
Premièrement, leur *aide spirituelle.*
Le dernier vendredi de chaque mois, les rédacteurs, les lecteurs, les amis d'*Itinéraires* vont à la messe dans leur paroisse, ou là où ils se trouvent, et prient aux intentions de l'œuvre de réforme intellectuelle et morale entreprise par la revue.
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SECONDEMENT, leur *aide matérielle.*
La revue *Itinéraires* est sans capitaux, sans appuis commerciaux ni publicitaires, sans soutien d'une organisation militante, sans autres moyens matériels que les abonnements de ses lecteurs.
Et néanmoins la revue *Itinéraires* a déjà réussi, en moins de trois ans, ce paradoxe magnifique : atteindre une audience intellectuelle et morale, et une diffusion effective, qui égalent ou dépassent celles de beaucoup de publications solidement installées, ayant une réputation anciennement établie, bénéficiant du soutien actif de mouvements organisés ou de groupes financiers puissants.
La revue *Itinéraires* n'a pu le faire qu'en demandant à la générosité de ses lecteurs de lui donner les moyens matériels d'exister et de progresser. Elle est dans l'obligation de compter en permanence sur le dévouement actif de ses lecteurs.
Nous ne pouvons avancer que par l'effort, la peine, les sacrifices de tous nos amis.
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Il faut savoir que la *vente au numéro,* ni même la diffusion, fût-elle massive, des numéros spéciaux, ne nous apportent en elles-mêmes *aucun soutien matériel.*
Seul l'abonnement nous aide un peu.
Seul l'abonnement de soutien nous aide vraiment.
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Il faut savoir aussi qu'un nombre important de nos lecteurs et même de nos abonnés lisent la revue *Itinéraires* sans toutefois être d'accord avec elle. Il est bon qu'il en soit ainsi, et que la revue ne se limite pas, comme on dit, à « prêcher des convertis ».
De cette catégorie nécessaire de lecteurs, nous ne pouvons attendre la souscription d'abonnements de soutien.
C'est à ceux qui se sentent, sinon sur tout, du moins sur l'essentiel, en communion d'esprit et de cœur avec la revue, que nous adressons notre appel : que leur accord ne demeure pas silencieux et passif. Qu'ils fassent connaître et qu'ils fassent lire la revue autour d'eux. Qu'ils recrutent des abonnés nouveaux. Qu'ils souscrivent et qu'ils fassent souscrire des abonnements de soutien. Qu'ils nous soutiennent activement, nous en avons besoin : qu'ils nous soutiennent -- d'abord par leur prière.
Répondez-nous : en nous aidant.
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## ÉDITORIAUX
### Le développement de la question scolaire
SUR LA QUESTION SCOLAIRE considérée dans son ensemble, c'est-à-dire dans ses trois dimensions fondamentales les libertés de la famille et de l'Église, celles de l'esprit, celles de l'État et des citoyens -- nous avons exposé notre point de vue dans l'éditorial de notre numéro 34 : *Les libertés de l'enseignement.* Or la discussion publique de ces problèmes suscite des thèses, des projets, des attitudes qui appellent une exacte réflexion et un effort de mise au point.
Dans le présent numéro, nous apportons donc au lecteur :
-- SIX PRÉCISIONS SUR LA LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT (page 18). Nous y reproduisons les textes les plus classiques, et qui devraient être les plus connus, mais qui sont fort loin de l'être toujours, où s'exprime la pensée de l'Église en la matière, et plus spécialement sur les points aujourd'hui contestés ou méconnus. La doctrine de l'Église n'inhibe point, elle ne paralyse pas la réflexion des catholiques : elle l'éclaire au contraire. Ceux mêmes qui ne sont pas catholiques ont intérêt à la connaître telle qu'elle est authentiquement, car elle est l'une des réalités en présence.
-- DOCUMENTS (pages 98 sq.) : plusieurs témoignages sur des aspects apparemment latéraux, mais véritablement essentiels, de la question scolaire en France.
En préface à ces documents et à ces thèmes de réflexion, il nous paraît utile d'inscrire ici quelques remarques liminaires sur la tournure que prend le développement public de la question scolaire.
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#### La position du gouvernement.
Un arrêté paru au *Journal officiel* du 24 juin a créé « auprès du ministre de l'Éducation nationale une commission chargée de l'étude des rapports entre l'État et l'enseignement privé ». Le communiqué du ministère de l'Éducation, publié dans la presse du 24 et du 25 juin, réitère en termes identiques l'indication qu'il s'agit d' « une investigation complète de la question des rapports entre l'État et l'enseignement privé » ([^1]). L'objectif fixé est donc très strictement limité. Il ne concerne pas le problème de l'enseignement français dans son ensemble. Il fait abstraction de la cause même des difficultés présentes. Car s'il y a problème et s'il y a difficultés, c'est en raison du fonctionnement étatiste de l'enseignement public.
Une comparaison avec la situation de la presse le manifestera peut-être en termes concrets. Supposons donc que l'État prenne les mesures suivantes :
1. -- obligation pour tous les Français de lire un journal quotidien ;
2. -- perception d'un impôt supplémentaire de 25 francs par jour et par personne ;
3. -- édition par le gouvernement d'un journal, dit « journal public », publié avec les puissants moyens de l'impôt ci-dessus, et fourni gratuitement à tous les lecteurs ;
4. -- diffusion simultanée du slogan : « à journal public, fonds publics ; à journaux privés, fonds privés. »
Le problème de la liberté effective de la presse serait alors commandé par l'existence simultanée d'un tel impôt et d'un tel journal gratuit.
Car les fonds *publics* de l'État proviennent bien évidemment des fonds *privés* des citoyens. Si l'État prend aux citoyens les ressources qu'ils emploient à l'achat des journaux, ce faisant il laissera aux riches, mais il enlèvera aux pauvres les moyens d'acheter d'autres journaux que celui qui serait mis gratuitement à leur disposition par le gouvernement.
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Actuellement, l'État prélève sur le revenu national les ressources nécessaires au fonctionnement gratuit d'un enseignement public. On ne saurait donc poser la question *comme si* ces ressources restaient à la disposition des citoyens pour faire librement fonctionner, quand ils le désirent, un enseignement privé. D'autant qu'il s'agit alors de beaucoup plus que de 25 francs par jour et par personne.
Toutes les solutions étatiques ont toujours posé en termes aigus le problème de la liberté. Une liberté de la presse est-elle encore possible quand toutes les imprimeries appartiennent au gouvernement ? Les libertés spirituelles sont-elles encore effectives quand l'enseignement est dirigé, rétribué, organisé par le pouvoir politique ? Nous n'en sommes pas exactement là. Mais nous sommes dans une situation où l'État, avec l'argent de tous, concurrence -- et surclasse matériellement de très loin -- l'école de quelques-uns. Si la même situation existait dans la presse, selon l'hypothèse que nous avons formulée ci-dessus, il est probable que du moins les journalistes comprendraient mieux ce qui est en question.
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Le communiqué du ministère de Éducation précise que « l'intention du gouvernement consiste à rechercher une solution qui ne relance pas des querelles dont le pays n'a que trop souffert, solution que tous les gens de bonne foi pourront considérer comme définitive » ([^2]).
Donc, l'intention du gouvernement est double :
1. -- Premièrement : ne pas relancer les querelles. Il est en effet très nécessaire d'y être attentif. A cet égard le gouvernement, organe de l'unité nationale, a des responsabilités particulières ; il a pour fonction de favoriser, maintenir ou rétablir la paix civile. Quels que soient les différends qui opposent les Français entre eux, il importe de trouver les moyens de réaliser ce qu'un poète, c'était Verlaine, appelait « *le tendre bonheur d'une paix sans victoire* ».
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C'est-à-dire sans qu'il y ait un parti de vainqueurs triomphants et un parti de vaincus humiliés (voire persécutés). Depuis vingt ans, trop de Français, et parmi les plus responsables, ont trop méconnu ou méprisé, dans trop de domaines, ce « tendre bonheur d'une paix sans victoire » entre compatriotes. Que l'on y songe, que l'on s'y efforce enfin, est une nouveauté qui appelle l'approbation, l'appui, le concours, le soutien de « tous les gens de bonne foi ».
Où devra néanmoins se garder de quelques illusions. L'appareil politique et policier entretenu en France par le totalitarisme soviétique est pour la querelle, pour le combat, pour la guerre civile, sur ce point comme sur les autres. Il est peu probable que la paix scolaire, pas plus que la paix sociale, puisse être solidement établie tant que le Parti communiste, contrairement à la lettre et à l'esprit des lois constitutionnelles de la République, conservera la possibilité de fonctionner impunément en tant que tel.
2. -- Secondement : le gouvernement a simultanément l'intention de découvrir une « solution définitive ». Cette seconde intention est contradictoire avec la première. Non pas contradictoire logiquement, mais contradictoire dans les faits. La paix scolaire ne pourra être maintenue, précisément, que par des solutions de compromis, ayant valeur de transition. Les catholiques sont prêts assurément à faire de grandes concessions en vue de la paix civile : mais à la condition qu'on ne leur demande point un renoncement *définitif* à ce qu'exigent la justice, la liberté, la foi chrétienne ; à la condition que l'on ne prétende point régler et fermer l'avenir. Une telle prétention serait d'ailleurs chimérique, et nulle de plein droit.
La restauration d'une liberté fondamentale dont la conception, la pratique et le goût même ont été souvent estompés par un totalitarisme passé dans les meurs, est une entreprise irréalisable par décret en quelques mois. Dans la meilleure hypothèse, il y faudra une génération ou davantage. L'important est de savoir dans quelle direction on s'oriente effectivement, et sur quel chemin on s'avance. De même que la Constitution de la V^e^ épublique, avec ses améliorations nécessaires, capitales, et presque toujours excellentes, ne représente pas pour autant la Constitution politique *définitive* de la France (d'ailleurs elle prévoit elle-même une procédure de révision qui, à la différence des Constitutions précédentes, n'est pas pratiquement inaccessible), de même il n'est aucune solution *définitive* de la question scolaire qui soit actuellement en vue ou actuellement possible.
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Toute solution « définitive » sera, en tant que telle et, sous ce rapport, difficilement acceptable et peut-être rigoureusement inacceptable. Toute solution acceptable le sera d'abord dans la mesure où elle constituera un compromis provisoire, améliorant ce qui existe, parant au plus pressé (le plus pressé étant l'asphyxie financière de l'enseignement libre), et ouvrant la porte à une évolution des esprits et des mœurs qui de toutes façons ne peut être instantanée. Nous avons besoin de faire le laborieux réapprentissage des libertés fondamentales : des libertés plus fondamentales que celles de la presse et des partis, des libertés essentielles de la personne humaine, de la famille, de la profession, de l'école. Nous avons commencé. Nous sommes loin d'avoir fini. D'autant plus que ces libertés sont appelées à prendre, dans un monde en pleine évolution technique, des formes concrètes imprévisibles, que l'on ne saurait enfermer à l'avance dans une planification ne varietur. Le moment n'est certainement pas venu d'une solution *définitive* des questions posées par « les rapports entre l'État et l'enseignement privé ». Ce sera déjà beaucoup, dans l'immédiat, d'aboutir à un *modus vivendi* respirable et pacifique.
#### La position des ultras.
Les ultras, eux, veulent la lutte civile, ils veulent la guerre. *L'Humanité* et les journaux annexes chauffent à blanc les esprits. Le Comité national d'action laïque (C.N.A.L.) avait initialement voulu tenir le Parti communiste à l'écart. Il n'y arrive guère. Les manifestations « laïques » organisées le dimanche 21 juin n'eurent quelque succès que dans les départements où les dirigeants locaux du C.N.A.L. acceptèrent en fait le concours, l'alliance, et partant le noyautage de l'appareil publicitaire et policier du totalitarisme soviétique.
Même pour ceux des ultras du laïcisme qui ne sont pas communistes, il s'agit en réalité d'une guerre et, notons-le, d'une guerre politique. Plus encore que de défendre le régime scolaire actuel, il s'agit pour eux de diffamer et de combattre la République : « *Nous sommes sous le régime du pouvoir personnel* », a déclaré à Vincennes, le 21 juin, M. Denis Forestier, secrétaire général du Syndicat national des instituteurs (S.N.I.). Ce qu'il combat sous le nom de pouvoir personnel, c'est en réalité la République, telle qu'elle a été établie en 1958 avec l'approbation de 80 % des électeurs.
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Le climat et les procédés sont alors ceux de la guerre civile. La motion adoptée le 21 juin, par les ultras de Nantes, à l'issue de leur manifestation et en présence de M. Albert Bayet, président de la Ligue de l'enseignement, -- organisme *privé,* soit dit en passant, qui est subventionné par les fonds *publics* de l'État, -- cette motion est significative. Elle prétend CONSTATER en propre termes que « L'ÉTAT DRESSE CONTRE L'UNIVERSITÉ DE FRANCE UNE UNIVERSITÉ DE COMBAT DIRIGÉE PAR UN SOUVERAIN ÉTRANGER ». Ce langage est celui du mensonge délibéré : car à supposer que l'État soit véritablement suspect d'une intention aussi horrible et aussi inattendue, c'est mentir que de prétendre, le 21 juin 1959, qu'il le *fait,* alors qu'il n'a encore *rien* fait précisément. Ce langage est celui de la guerre civile, de la guerre religieuse, de la persécution. Ce langage accusant les catholiques d'être *dirigés par un souverain étranger* est celui qu'emploient, dans la moitié de l'Europe colonisée par les Soviets, les policiers et les bourreaux du totalitarisme. Ce langage est celui qui provoque et qui couvre les emprisonnements et les massacres. Ce langage est marqué par le sang de dizaines de milliers de martyrs.
Les ultras du laïcisme ne veulent ni la paix, ni l'entente, ni le compromis. « *Pour l'école laïque, une vraie bataille !* » réclame M. Claude Bourdet dans *France-Observateur* du 25 juin.
M. Bourdet conclut sa déclaration de guerre par un vigoureux raccourci :
« Les laïques ont l'énorme privilège de grouper toutes les familles spirituelles de la France, sauf les réactionnaires, les conformistes et les obscurantistes. L'autre camp est exclusivement composé de ces trois catégories. »
Toutefois, on pourrait demander où se situent, dans cette classification, les obscurantistes et les esclavagistes du totalitarisme communiste. Il y a là quelque chose qui n'est pas sans gêner même certains ultras, et M. Bourdet lui même. Anathématiser le conformisme et l'obscurantisme tout en s'alliant avec l'appareil policier du totalitarisme soviétique, c'est jouer au naturel l'histoire de la paille et de la poutre.
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Aussi M. Bourdet entend-il marquer quelque distance à l'égard du Parti communiste, et manifester quelque méfiance à l'égard de « l'idée du monopole d'État de l'enseignement », -- qui est pourtant l'idée officielle et explicite non seulement des communistes, mais encore du C.N.A.L. lui-même. M. Bourdet souhaite que les « laïques » -- à commencer sans doute, précisément, par le C.N.A.L. -- mettent plutôt en avant « *l'idée d'une vraie gestion tripartite de l'école par l'État, l'Université et les familles* ». L'idée est bien rudimentaire ; elle se manifeste bien timidement dans un contexte violemment agressif ; son contenu n'est pas tellement clair, car enfin, qu'est-ce que cette vraie gestion tripartite, ou cette gestion vraiment tripartite, ou le second est lui-même aux ordres du premier ? Cette Université, qui compterait pour *un,* serait donc distincte de l'État, autonome par rapport à l'État, indépendante à l'égard de l'État ?
Sous une telle plume et dans un tel journal, c'est tout de même un signe qui a quelque importance.
Car on voit par là que, parmi les ultras du laïcisme, parmi ceux mêmes qui sont engagés le plus à fond dans l'excitation frénétique à « la bataille », commence à se faire jour l'idée qu'il n'est ni habile, ni populaire, ni normal de défendre un statut scolaire où l'enseignement dépend du pouvoir politique et de son ministère de Éducation à peu près autant que l'administration préfectorale dépend du ministère de l'Intérieur.
Simultanément, l'on touche du doigt que *ce qui complique et empoisonne* la question scolaire, c'est bien *le statut anormalement totalitaire de l'enseignement public.* Cette anomalie tyrannique est devenue habituelle à beaucoup -- et profitable à quelques-uns -- et c'est pourquoi l'on ne prend que lentement conscience de l'injustice fondamentale qu'elle recèle. Elle est contraire au droit. Elle est contraire à la dignité du corps enseignant. Elle est contraire aux conditions mêmes du travail intellectuel et du progrès des études. Elle est une usurpation opérée par le pouvoir politique ; et stérilisante, comme toute tyrannie.
Dans l'ordre des réalisations pratiques ayant une portée qui ne soit pas seulement immédiate ou transitoire, le vrai problème est là. Il est de savoir comment desserrer l'emprise de l'administration étatique ; comment établir progressivement un *statut juridique* et réapprendre peu à peu *des mœurs* qui soient *les mœurs et le statut de la liberté.*
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Si la commission mandatée par le ministère de Éducation n'envisage pas cet aspect décisif de la question -- non pour chambarder quoi que ce soit, mais pour mettre à l'étude d'abord, en chantier ensuite, des réformes progressives -- elle n'aboutira vraisemblablement à aucune conclusion qui soit à la fois importante et acceptable.
#### La défection organisée parmi les intellectuels et les militants.
Mais d'autre part, voici qu'un scandale qui était latent depuis plusieurs années devient manifeste et prend de l'ampleur : le scandale que suscitent par leur attitude certains militants et certains intellectuels catholiques. Cette attitude est tapageusement exploitée par les ultras du laïcisme, qui y trouvent un incontestable avantage tactique. *France-Observateur* (article déjà cité) donne pour « LA MEILLEURE PREUVE » qui puisse être apportée à l'appui de ses thèses extrémistes l'attitude de ces catholiques égarés.
L'Union de la Gauche Socialiste (U.G.S.) a donné son appui à la campagne du Comité national d'action laïque (C.N.A.L.) : or des militants de l'Action catholique ont précisément un « engagement politique » au sein, voire à la direction de l'U.G.S. : le fait a été publiquement évoqué, par exemple, à la Rencontre nationale de l'A.C.O. qui eut lieu à la fin d'avril 1959.
De même, le S.G.E.N. (syndicat des enseignants de la C.F.T.C.) prend constamment et violemment position contre la liberté effective de l'enseignement et soutient les thèses de l'étatisme totalitaire.
Cela pose à la fois un problème de principe et un problème pratique, qui sont l'un et l'autre un problème de conscience, et qui relèvent tous deux, faut-il le préciser, de la Hiérarchie apostolique.
La règle fondamentale de l'Action catholique à l'égard des groupements politiques, sociaux et syndicaux est que ses membres ont la liberté d'y adhérer d'autre part selon leurs préférences, à la condition que ces partis, groupements et syndicats, dans leur programme et dans leur action, ne s'opposent en rien à la doctrine religieuse et morale de l'Église. Cette règle a été formulée et répétée par Pie XI et par Pie XII ([^3]).
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C'est pourquoi plusieurs membres de la Hiérarchie apostolique ont formulé, en termes graves, de pressants avertissements.
Dans son allocution à la Rencontre nationale de l'A.C.O., Mgr Guerry déclarait ([^4]) :
« ...On est cependant tout prêt à sacrifier, pour des motifs touchant à l'engagement temporel, cette valeur essentielle qu'est la liberté de l'enseignement. Certes ! que des difficultés dans l'application soient examinées avec prudence, c'est tout à fait légitime. Mais sur le principe lui-même, il ne peut y avoir aucune tergiversation : toutes les libertés se tiennent. En sacrifier une ; c'est faire le lit du totalitarisme. »
Mgr de la Chanonnie, évêque de Clermont-Ferrand, a sévèrement stigmatisé l'attitude de « certains éléments catholiques, en explicite désaccord avec une position fermement exprimée par la Hiérarchie » ([^5]) :
« Qu'il me soit permis de me réjouir des engagements officiellement pris par le gouvernement (...) Qu'il me soit permis également de m'étonner des passions que soulève l'annonce qu'une solution de justice est recherchée (...) Qu'il me soit permis enfin d'exprimer ma peine de constater l'attitude de certains éléments catholiques, heureusement peu nombreux, en explicite désaccord sur ce point avec une position si fermement exprimée par la Hiérarchie : un fils de l'Église peut-il en sûreté de conscience s'opposer de la sorte aux consignes formelles de sa Mère ?
Comment admettre en particulier l'attitude de certains éléments syndicaux prenant position contre des projets qu'ils auraient au contraire à promouvoir pour défendre, dans le domaine qui est essentiellement le leur, les intérêts des maîtres dont ils comptent un grand nombre parmi leurs membres ? »
*La Croix* a explicitement précisé dans son numéro du 26 juillet que le dernier paragraphe de cette note vise les enseignants de la C.F.T.C., et indiqué que plusieurs *Semaines religieuses* ont semblablement condamné l'attitude inqualifiable du S.G.E.N. ; et *La Croix* cite encore une note de Mgr Pirolley, évêque de Nancy, déclarant notamment :
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« Le syndicat de l'éducation nationale (C.F.T.C.) a cru devoir, dans un communiqué publié par « L'Est républicain » le 26 juin dernier, prendre position sur la question scolaire, à l'encontre de l'enseignement le plus former et je plus constant du Souverain Pontife et de la Hiérarchie.
Cette position -- nous le savons -- n'est pas celle de la C.F.T.C. sur le plan national. Elle est le fait de quelques sections sur le plan départemental, dont celle de Meurthe-et-Moselle. Il était bon de le préciser, afin que chacun puisse juger jusqu'à quel point, dans de telles conditions, ce syndicat peut encore être appelé « chrétien »*.*
Postérieurement à la note de Mgr Pirolley, et malgré elle, c'est cette fois sur le plan national que le secrétariat général du S.G.E.N. a pris des positions anti-catholiques. D'où ce jugement rigoureux porté avec la plus grande netteté par *La Croix* du 26 juillet : « *Nous savons qu'en toute circonstance délicate il y a lieu d'attendre un communiqué fâcheux du Syndicat Général de l'Éducation Nationale affilié à la C.F.T.C* »*.* La portée manifestement générale donnée à cette sévère réprobation a fait une grande impression, et paraît annoncer qu'il ne sera plus toléré que, sous le nom chrétien, le S.G.E.N. poursuive ses menées d'opposition à l'Église.
On a même vu, hélas, tel prêtre ou tel religieux, déclarant « n'engager que lui-même », avancer en matière d'enseignement des propositions pour le moins extravagantes. Le simple bon sens s'insurge contre le fait qu'un ecclésiastique, représentant de Jésus-Christ et de son Église, prétende avoir la faculté de déposer son sacerdoce comme on dépose un vêtement, et de se mettre à parler comme « n'engagent que lui-même », -- précisément pour contredire la doctrine et la discipline catholiques.
Mgr Johan, évêque d'Agen, a rappelé le caractère obligatoire pour tous les Catholiques -- et donc d'abord pour les prêtres -- de la doctrine et des directives de l'Église en matière d'enseignement ([^6]) :
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« Cette doctrine et ces directives, absolument communes à tout l'Épiscopat, et souvent rappelées par le Saint-Père lui-même, sont une doctrine et des directives d'Église, au sens le plus strict du mot.
Ce qui signifie d'abord qu'un clerc, quel qu'il soit, même chargé d'une fonction considérable dans l'Église, ne peut écrire sur l'école chrétienne qu'après avoir fait vérifier ses dires par la Hiérarchie, le pouvoir apostolique étant à la fois docteur et juge de la foi et dépositaire de la discipline d'Église, explicitée ici par le droit canonique.
Ce qui signifie, ensuite, que tout fidèle, même et surtout s'il accomplit au sein du laïcat une mission mandatée, doit, sur ce point de l'école chrétienne, comme sur l'ensemble de la doctrine d'Église, conformer sa pensée et son action à ce que l'Église enseigne et prescrit. »
Par des filières comme l'U.G.S. et le S.G.E.N., ou comme telle organisation « universitaire », -- ainsi que par une certaine presse d'inspiration plus ou moins chrétienne, est organisée la défection du plus grand nombre possible d'intellectuels catholiques et de militants d'Action catholique, au profit du laïcisme et des structures totalitaires de l'enseignement. Défection qui est une terrible responsabilité pour ceux qui l'organisent, et qui peut avoir pour tragique conséquence de retarder toute solution, favorisant ainsi l'assassinat par asphyxie financière des écoles chrétiennes les plus pauvres... Chaque école chrétienne qui ferme, qui peut mesurer combien cela fait d'âmes qui se perdront, de vocations religieuses qui n'aboutiront pas... Responsabilité capitale, responsabilité religieuse, car « *tout ce que font les fidèles pour promouvoir et défendre l'école catholique destinée à leurs fils est œuvre* PROPREMENT RELIGIEUSE ; *et partant devient* UN DEVOIR ESSENTIEL DE L'ACTION CATHOLIQUE », ainsi que l'a enseigné Pie XI dans l'Encyclique *Divini illius Magistri,* ajoutant : « *En procurant l'école catholique à leurs enfants, les catholiques de n'importe quelle nation ne font nullement œuvre politique de parti, mais* ŒUVRE RELIGIEUSE *indispensable à la paix de leur conscience.* »
La crise intellectuelle -- et sans doute même spirituelle -- qui dévoie certains milieux d'universitaires catholiques et de militants d'Action catholique manifeste ses conséquences pratiques les plus douloureuses et les plus graves : au lieu de répondre à l'appel de l'Église, ils font défection, et ils apportent leur renfort aux ennemis de la foi en Jésus-Christ.
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Il faut alors surmonter la douleur et la colère, et patiemment travailler à éclairer la conscience des égarés : « *dans un esprit de concorde, de paix et d'union* », selon la déclaration faite en juin par le Cardinal Gerlier, il faut exposer les principes de la doctrine catholique et les exigences de la justice, pour y « *amener cordialement, sans luttes ni discordes, les interlocuteurs de bonne foi* » ([^7]).
#### L'école chrétienne est réclamée par la justice sociale et nécessaire à l'apostolat ouvrier.
Dans cet effort d'élucidation, de formation doctrinale, de compréhension, on n'a pas suffisamment insisté, semble-t-il, sur deux points essentiels, qui justement sont susceptibles d'éclairer beaucoup de catholiques égarés en ce moment dans la campagne belliqueuse du C.N.A.L. contre l'enseignement chrétien présenté comme « une Université de combat dirigée par un souverain étranger ».
Premièrement : l'injustice scolaire actuelle est une *injustice sociale* au sens le plus classique et le plus exact du terme. C'est une injustice qui est subie surtout par les plus pauvres, et dans la mesure directe où ils sont plus pauvres. Il arrive même qu'ils n'en aient pas conscience, ce qui n'atténue pas l'injustice, mais plutôt l'aggrave. Quand des ouvriers ont des conditions de travail et de rétribution insuffisantes eu égard à leurs besoins réels et à leur dignité, c'est une injustice sociale ; quand en outre on arrive à leur faire croire que leur situation n'est pas contraire à la justice, c'est une injustice sociale au second degré. De même, quand on prive les citoyens les plus pauvres des moyens pratiques du libre choix de l'école, c'est une injustice sociale : mais c'est une injustice sociale au second degré, quand on réussit en outre à les persuader qu'en l'occurrence ils ne sont privés de rien, que leur situation n'est pas contraire à la justice et que tout va très bien ainsi. Car on les frustre alors non seulement de la possibilité d'exercer leurs droits, mais de la connaissance même de ces droits ; on les dépouille doublement et radicalement.
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Il appartient à la justice sociale d'apprendre aux consciences quels sont en la matière les droits, les devoirs, les responsabilités de la personne humaine ; et de réformer les structures -- ici les structures scolaires -- qui empêchent les plus pauvres d'exercer leurs droits, d'accomplir leurs devoirs, d'assumer leurs responsabilités.
Secondement : l'école chrétienne est réclamée par les exigences mêmes de *l'apostolat ouvrier.* L'évangélisation du monde ouvrier passe aussi par le développement et la multiplication d'écoles chrétiennes à la portée des familles ouvrières qui le désirent : c'est-à-dire qui leur soient accessibles matériellement, géographiquement et sociologiquement. Cette nécessité grandira et se fera plus insistante à mesure que progressera le travail de la mission ouvrière.
Il arrive parfois aujourd'hui que ce soient des catholiques plus spécialement préoccupés de justice sociale et d'apostolat ouvrier qui méconnaissent l'importance et la fonction de l'école chrétienne. Ils ont à s'éveiller à cette dimension du problème. L'école Chrétienne n'est pas étrangère, elle n'est pas extérieure à la justice sociale et à l'apostolat ouvrier. Elle est appelée à y occuper une place éminente et centrale. Son absence est un obstacle à l'apostolat ouvrier, son absence est contraire à la justice sociale. On peut déplorer que cette perspective capitale ait été si peu envisagée avec sérieux.
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### Six précisions sur la liberté de l'enseignement
I. -- Pour connaître la doctrine de l'Église.
II\. -- La Liberté dont il est question.
III\. -- Laïcité de l'État : oui. École laïque obligatoire : non.
IV\. -- L'Épiscopat présenté comme indécis et changeant.
V. -- A propos des universitaires catholiques.
VI\. -- L'autonomie de l'Université.
DEPUIS QUELQUES MOIS, il se manifeste fort visiblement que trop de catholiques, -- et non pas toujours les moins cultivés, mais souvent, au contraire, des intellectuels, des universitaires, et des militants responsables, -- ignorent ce qu'est la doctrine de l'Église en matière d'enseignement, ou imaginent qu'elle aurait changé depuis la synthèse d'ensemble qu'en avait posée Pie XI en 1929.
Il nous paraît donc opportun de donner à nos lecteurs quelques précisions.
#### I. -- Pour connaître la doctrine de l'Église.
Selon le refrain qui a déjà beaucoup servi, on insinue que la dernière en date des Encycliques pontificales traitant de l'enseignement est maintenant périmée, ou « dépassée ». Elle a été publiée par Pie XI le 31 décembre 1929 : Encyclique *Divini illius Magistri* sur l'éducation chrétienne de la jeunesse.
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L'Église se prépare à en fêter le trentième anniversaire, après en avoir, on s'en souvient peut-être, solennisé avec éclat le vingt-cinquième à la fin de 1954 et au début de 1955.
Que cette Encyclique énonce des principes infrangibles, qui ne peuvent absolument pas varier ni être « ébranlés par le flux et le reflux des événements », ce n'est pas une supposition gratuite ni même une simple « option » permise. C'est l'affirmation même de l'Église, renouvelée en ces termes par Pie XII il y a moins de cinq années :
« Les principes infrangibles qu'il énonce sur les missions respectives de l'Église, de la famille et de l'État en matière d'éducation reposent sur la nature des choses et sur la vérité révélée ; ils ne sauraient être ébranlés par le flux et le reflux des événements. Quant aux normes fondamentales qu'il prescrit, elles ne sauraient pas davantage subir l'usure du temps, puisqu'elles ne sont qu'un fidèle écho du Maître divin, dont les paroles ne passent pas (Mt XXIV, 35). Véritable charte de l'éducation chrétienne, en dehors de laquelle il ne peut y avoir d'éducation complète. Cette Encyclique s'offre, *aujourd'hui comme hier, à l'étude de tous ceux qui loyalement désirent connaître sur ce point, dans son authentique et sereine expression, la pensée de l'Église*, à laquelle appartient d'une manière suréminente la mission éducatrice. » (Pie XII, 24 août 1955.)
Souvent des esprits mal informés, ou même des docteurs peu équilibrés, prétendent ne recevoir les enseignements du Saint-Siège que lorsqu'ils s'adressent précisément et spécialement aux Français.
Or, précisément et spécialement pour les Français, le Saint Père faisait écrire en son nom, par Mgr Dell'Acqua, une Lettre apostolique adressée au Cardinal Roques à l'occasion du 25, anniversaire de *Divini illius Magistri,* où l'on pouvait lire notamment ces consignes :
« Les difficultés de la vie moderne, l'évolution des événements et de l'opinion ne sauraient en aucune manière restreindre ni estomper la valeur permanente des principes contenus dans l'Encyclique pontificale. Aujourd'hui comme hier, il est de la plus haute importance d'assurer aux enfants des familles chrétiennes une éducation et une instruction pleinement conformes à la fois aux exigences de leur destinée surnaturelle et aux devoirs qui leur incomberont dans la cité. Et c'est précisément pour rappeler les justes conditions d'une telle formation que furent magistralement exposés par Pie XI en 1929 les droits et les devoirs respectifs de l'Église, de la famille et de l'État à l'égard de la jeunesse.
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Sa Sainteté apprécie la ferme constance avec laquelle Votre Éminence et ses collègues dans l'Épiscopat instruisent les fidèles sur ce point de la doctrine catholique et veillent a sa mise en pratique dans toute la mesure compatible avec les possibilités de l'heure. » (Mgr Dell'Acqua, décembre 1954).
Ces affirmations et ces directives solennelles remontent à moins de cinq années. Il faut beaucoup de légèreté pour oser prétendre que l'Église renoncerait en 1959 à ce qu'elle désignait en 1954 et 1955 comme « principes infrangibles » et comme « valeur permanente des principes ». Le Saint-Siège ne réécrit pas chaque matin une Encyclique sur chaque sujet. Il nous indique, il nous confirme que la pensée de l'Église sur l'enseignement est bien celle qu'a exposée Pie XI, en 1929, dans *Divini illius Magistri.*
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Pour connaître la pensée de l'Église en matière d'éducation et d'enseignement, c'est donc l'Encyclique *Divini illius Magistri* qu'il convient d'étudier. Chacun peut se la procurer commodément, à un prix modique, sous la forme de la petite brochure en traduction française éditée par la Bonne Presse. En un temps où les questions d'enseignement sont publiquement agitées, tout militant catholique, et spécialement tous les enseignants chrétiens de l'enseignement public ou de l'enseignement privé se reporteront à ce texte fondamental, et auront à cœur de le diffuser autour d'eux et d'en susciter l'étude méthodique.
Contrairement aux affirmations téméraires produites par certains universitaires catholiques jusque dans des publications plus ou moins chrétiennes, l'Église enseigne :
« Est injuste et illicite tout monopole de l'éducation et de l'enseignement qui oblige physiquement ou moralement les familles à envoyer leurs enfants dans les écoles de l'État, contrairement aux obligations de la conscience chrétienne ou même à leurs légitimes préférences. » (Pie XI, Encyclique *Divini illius Magistri*).
L'Église enseigne :
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« Qu'on ne dise pas qu'il est impossible à l'État, dans une nation divisée de croyances, de pourvoir à l'instruction publique autrement que par l'école neutre ou l'école mixte, puisqu'il *doit* le faire plus raisonnablement, et qu'il le *peut* plus facilement, *en laissant la liberté et en venant en aide par de justes subsides à l'initiative et à l'action de l'Église et de la famille*. » (Pie XI, Encyclique *Divini illius Magistri*).
L'Église enseigne : « *En procurant l'école catholique à leurs enfants, les catholiques de n'importe quelle nation ne font nullement œuvre politique de parti, mais œuvre indispensable à la paix de leur conscience.* » (Pie XI, Encyclique *Divini illius Magistri.*)
Et Pie XII le rappelait avec énergie le 13 mai 1955 : « *En aucun cas l'Église ne renoncera volontairement à l'école catholique confessionnelle.* »
L'Église ne varie pas et ne peut varier sur ce point :
« Les cent et quelques dernières années sont remplies de la lutte de l'Église pour l'éducation catholique de sa jeunesse et pour les écoles qui la dispensent. Là où la Constitution et les lois ont laissé aux catholiques le soin de créer leurs écoles en s'appuyant sur leurs propres ressources spirituelles et financières, les fidèles ont partout consenti à cet effet des sacrifices que l'on peut qualifier d'héroïques.
Entre temps l'humanité est entrée dans l'ère de la technique. Si cette dernière est en train d'amener des changements dans la structure psychique de l'homme, elle ne saurait pourtant toucher à l'idéal catholique, de l'éducation.
Des pédagogues ont fait remarquer à juste titre que, face à ces changements qui entraînent -- sur le plan de la vie sensorielle -- un abandon excessif aux perceptions des sens, accompagné d'une atrophie de la pensée discursive, d'un besoin d'activité exagéré, d'une tendance à se conformer à l'ensemble sans résistance et sans esprit de responsabilité, face à de telles modifications, donc, l'éducation morale et religieuse revêt désormais une importance encore plus grande que la transmission du savoir et la formation professionnelle : c'est justement l'homme de notre époque dominée par la technique qui a besoin de cette éducation intégrale et unificatrice -- éducation fondée sur la Vérité absolue et plaçant Dieu au centre de l'existence -- telle que seules, la foi chrétienne, l'Église catholique peuvent la donner. Aussi apportons-nous aux temps nouveaux notre idéal ancien en ce qui concerne l'école. » (Pie XII, 5 août 1957).
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C'est la défense même de la foi qui est en cause dans la question de l'enseignement libre, et il n'est pas possible de transiger :
« Insistez dans la défense de votre foi pour que l'école catholique soit assurée et conservée à vos enfants. A quoi sert l'éducation chrétienne dans le foyer domestique, si l'école détruit ce que construit soigneusement la famille ! Forte de graves expériences qu'elle renouvelle sans cesse, l'Église défend ici avec intransigeance les droits des fidèles et elle vous exhorte à faire valoir, avec intransigeance vous aussi, vos droits en ce domaine. » (Pie XII, 14 septembre 1952).
Pratiquement, divers statuts peuvent être envisagés. L'Église tient compte des dispositions du pouvoir civil, qui n'est pas toujours très éclairé, et de l'état des esprits, qui ne sont pas toujours -- même parmi les catholiques -- suffisamment informés. Ce à quoi l'Église ne renoncera jamais, c'est à nommer mal ce qui est un mal, moins bon ce qui est moins bon et *meilleur* ce qui est meilleur. Les restrictions apportées à la liberté de l'enseignement et à l'indépendance de l'enseignement catholique ne sont pas un progrès ni le fruit d'une évolution louable ou inévitable. Le véritable *niveau de vie spirituelle et culturelle* d'un pays se reflète dans les libertés et les facilités qu'il consent à *une école qui ne soit pas gérée par l'État *:
« Le statut qu'un pays réserve à l'école privée -- Nous prenons ce terme au sens où vous l'entendez vous-mêmes, c'est-à-dire l'école *qui n'est pas gérée par l'État* -- reflète assez exactement *le niveau de vie spirituelle et culturelle de ce pays*.
Un État qui s'attribue exclusivement les tâches de l'éducation et interdit aux particuliers ou aux groupes indépendants d'assumer en ce domaine aucune responsabilité propre, manifeste *une prétention incompatible avec les exigences fondamentales de la personne humaine. Aussi l'idée de la liberté scolaire est-elle admise par tous les régimes politiques qui reconnaissent les droits de l'individu et de la famille.*
Dans la pratique cependant tous les degrés de liberté sont possibles, Tantôt l'État se désintéresse plus ou moins des efforts de l'initiative privée, ne les soutient pas financièrement, se réserve le droit d'accorder tous les titres académiques ; tantôt par contre, il reconnaît sous certaines, conditions la valeur de l'enseignement privé et lui accorde des subsides ; mais plus encore que la concession d'un appui matériel ou la reconnaissance légale des diplômes importe *la position de principe des gouvernements à l'égard de l'enseignement privé. Souvent, en effet, la liberté admise en théorie reste, en fait, limitée et même combattue *: elle est tout au plus tolérée lorsque l'État s'estime détenteur, en matière d'enseignement, d'un véritable monopole.
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Or une analyse sérieuse des fondements historiques et philosophiques de l'éducation démontre clairement que la mission de l'école lui vient non de l'État seul, mais de la famille d'abord, puis de la communauté sociale à laquelle elle appartient (...)
L'État, le pouvoir politique comme tel, n'interviendra que pour exercer un rôle de suppléance, pour assurer à l'action des particuliers l'extension et l'intensité requises. Loin donc de considérer l'école comme entièrement subordonnée au pouvoir politique, il faut lui reconnaître une réelle indépendance dans sa fonction propre et le droit de s'inspirer des principes familiaux (...)
L'organisme administratif des États modernes s'est amplifié démesurément en absorbant des secteurs toujours plus étendus de la vie publique, celui de l'école en particulier. Autant cette intervention reste légitime lorsque l'action des individus est impuissante à satisfaire les besoins de l'ensemble autant elle s'avère nuisible lorsqu'elle supplante délibérément l'initiative privée compétente. » (Pie XII, 10 novembre 1957.)
#### II. -- la liberté dont il est question.
Mais diverses équivoques ont été fabriquées ces derniers temps au sujet de la « liberté » elle-même -- au sujet de *la liberté* dont il est question en matière d'enseignement. Parler d' « enseignement libre », a écrit un quotidien catholique, n'est pas trop souhaitable : le qualificatif *libre* ne convient pas, ou du moins, il « est imparfait parce qu'il peut rendre, aujourd'hui, un son désobligeant à l'égard de l'enseignement public, qui ne serait donc pas *libre* »*.*
Mais l'est-il donc ?
Il ne s'agit pas d'être désobligeant. Il s'agit de ne pas farder la vérité et de faire comprendre ce qui est réellement en question : la liberté de l'enseignement *à l'égard du pouvoir politique.*
Faute de quoi, on aboutirait bientôt à parler comme ce journaliste catholique qui écrivait dans L'Express du 28 mai cette page d'anthologie :
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« École *libre* est un terme impropre. Du temps de Lacordaire et de Montalembert, on appelait « écoles libres » celles qui échappaient au corset de l'Université créée à l'époque impériale. Mais depuis la fin du siècle dernier, depuis l'œuvre de Jules Ferry, l'adjectif « libre » doit être réservé à l'enseignement public, où chacun peut envoyer ses enfants, catholiques, protestants, libre-penseurs, francs-maçons, et où chaque enfant reçoit un enseignement gratuit. N'est pas *libre* mais simplement *privée* l'école où l'on réclame certificat de baptême, frais de scolarité, etc. »
Nous ne citons pas cette page d'anthologie pour nous en moquer, mais pour manifester, par un repère assez net, la confusion et l'inconscience qui se sont implantées jusque dans certains milieux catholiques.
La confusion : parce que l'on ne sait plus du tout de quelle liberté il s'agit.
L'inconscience : parce que l'on n'a plus conscience qu'un enseignement d'État n'est pas libre.
Que des journalistes estiment « libre » l'enseignement d'État est extravagant. Car la liberté de l'enseignement a quelque chose de commun avec la liberté de la presse, et des journalistes devraient pouvoir, sans effort de pensée au-dessus de la moyenne, savoir de quoi il est question.
Par *presse libre* et par *liberté de la presse,* on désigne d'abord et essentiellement des journaux qui ne soient pas aux mains du pouvoir politique. On considère souvent comme une « liberté fondamentale » le fait que les journaux ne soient pas dirigés par le gouvernement.
C'est une liberté analogue, encore que beaucoup plus fondamentale, qui réclame que l'enseignement ne soit pas lui non plus aux mains du pouvoir politique. C'est par un totalitarisme inquiétant que certains gouvernements prétendent diriger eux-mêmes l'ensemble des journaux. Mais c'est un totalitarisme beaucoup plus profond et beaucoup plus dangereux encore, celui par lequel un gouvernement dirige lui-même l'enseignement, établit les programmes, nomme les professeurs, décerne les grades universitaires, règle par décret les horaires, les méthodes, les examens, les concours.
Un enseignement *n'est pas libre* quand il existe un ministère de l'Éducation qui le dirige comme le ministère de l'intérieur dirige l'administration préfectorale. Cet abus est, en France, ancien et passé dans les meurs, on s'y est depuis longtemps habitué, au point de le trouver normal en somme ; c'est pourquoi on ne le réformera point en un jour ni sans étapes transitoires.
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Du moins peut-on dès maintenant voir et définir quelle est cette liberté fondamentale dont nous sommes privés et qu'il faudra progressivement restaurer. Il est bon et normal que l'administration préfectorale soit aux ordres du pouvoir politique. Il serait mauvais que les écrivains et les journalistes le soient ; il est encore plus mauvais que cette dépendance soit celle du corps enseignant.
Aux journalistes qui réputent *libre* l'enseignement d'État, on devrait répondre par la proposition suivante, pour éprouver pratiquement la conception qu'ils se font de la liberté :
-- Êtes-vous prêts à exercer votre métier de journalistes dans des journaux qui dépendraient du pouvoir politique dans la mesure même où l'enseignement d'État en dépend ?
La liberté de la presse doit s'exercer, bien sûr, dans le cadre d'une législation et non dans l'anarchie. De même pour la liberté de l'enseignement. L'usage de la liberté doit être réglementé. Mais non point aboli.
#### III. -- Laïcité de l'État : oui. École laïque obligatoire : non.
Une autre confusion se produit actuellement, sous couvert de « laïcité », entre deux laïcités distinctes et même différentes : entre la laïcité *de l'État* et celle *de l'école.*
« La saine et légitime laïcité *de l'État* », a dit Pie XII le 23 mars de l'année dernière ([^8]), est « un des principes de la doctrine catholique ».
Il n'a pas dit que *l'école* devait être obligatoirement laïque, ni que l'école laïque devait être obligatoirement imposée à tous les citoyens.
Dans certains milieux catholiques, on a organisé la confusion en répandant le bruit que Pie XII s'était « prononcé en faveur de la laïcité », et que *donc* l'école laïque était désormais admise et approuvée par l'Église.
L'Église admet et approuve la laïcité *de l'État ;* ou plutôt, elle fait beaucoup plus que l'admettre et l'approuver : car c'est elle qui l'a apportée au monde.
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Et nous disons, dans la Déclaration fondamentale de la revue *Itinéraires :* « Sans l'Église il n'aurait jamais existé aucune sorte de laïcité, aucune sorte de distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, distinction apportée par Jésus-Christ, révélée dans l'Évangile, enseignée par l'Église et qui, hors de l'Église, se corrompt en un sens ou en l'autre ».
Mais l'Église refuse la laïcité *de l'école.*
L'Église enseigne :
« L'école dite « neutre » ou « laïque », d'où est exclue la religion, est contraire aux premiers principes de l'éducation. Une école de ce genre est d'ailleurs pratiquement irréalisable, car en fait elle devient irréligieuse (...) La fréquentation des écoles non catholiques, ou neutres, ou mixtes (celles, à savoir, qui s'ouvrent indifféremment aux catholiques et aux non-catholiques, sans distinction), doit être interdite aux enfants catholiques ; elle ne peut être tolérée qu'au jugement de l'Ordinaire dans des circonstances bien déterminées de temps et de lieu et sous de spéciales garanties.
Il ne peut donc même être question d'admettre pour les catholiques cette école mixte (plus déplorable encore si elle est unique et obligatoire pour tous), où l'instruction religieuse étant donnée à part aux élèves catholiques, ceux-ci reçoivent tous les autres enseignements de maîtres non-catholiques, en commun avec les élèves non-catholiques.
Le seul fait qu'il s'y donne une instruction religieuse (souvent avec trop de parcimonie) ne suffit pas pour qu'une école puisse être jugée conforme aux droits de l'Église et de la famille chrétienne, et digne d'être fréquentée par les enfants catholiques. Pour cette conformité, il est nécessaire que tout l'enseignement, toute l'ordonnance de l'école, personnel, programmes et livres, en tout genre de discipline, soient émis par un esprit vraiment chrétien, sous la direction et la maternelle vigilance de l'Église, de telle façon que la religion soit le fondement et le couronnement de tout l'enseignement, à tous les degrés, non seulement élémentaire, mais moyen et supérieur. Il est indispensable, pour reprendre les paroles de Léon XIII, que non seulement à certaines, heures la religion soit enseignée aux jeunes gens, mais que tout le reste de la formation soit imprégné de piété chrétienne. Sans cela, si ce souffle sacré ne pénètre pas et ne réchauffe pas l'esprit des maîtres et des disciples, la science, quelle qu'elle soit, sera de bien peu de profit ; souvent même il n'en résultera que des dommages sérieux. » (Pie XI, Encyclique *Divini illius Magistri*.)
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Aux professeurs et aux étudiants des Instituts catholiques de France, Pie XII déclarait en 1950 :
« Un enseignement, même irréprochable dans toutes les branches du savoir, complété aussi à côté de lui par une instruction religieuse supérieure, ne suffit pas. Toutes les sciences ont directement ou indirectement quelque rapport avec la religion, non seulement la théologie, la philosophie, l'histoire, la littérature mais encore les autres sciences : juridiques, médicales, physiques, naturelles, cosmologiques, paléontologiques, philologiques (...)
Université ne dit pas seulement juxtaposition de Facultés étrangères, les unes aux autres, mais synthèse de tous les objets du savoir. Aucun d'eux n'est séparé des autres par une cloison étanche ; tous doivent converger vers l'unité du champ intellectuel intégral. Et les progrès modernes, les spécialisations toujours plus poussées, rendent cette synthèse plus nécessaire que jamais. » (Pie XII, 21 septembre 1950.)
A l'Union catholique de l'enseignement public de France, Pie XII enseignait en 1951 :
« Ce sont toutes les branches du savoir humain qui manifestent à l'intelligence les œuvres de Dieu, ses lois éternelles, et leur application à la marche, physique, morale, sociale du monde. Bien plus, il est impossible à qui que ce soit d'exposer avec ampleur et impartialité l'histoire des événements, et des institutions sans que, en dehors même de toute présentation, de toute insinuation dogmatique ou apologétique, on y voie briller, dans une clarté surhumaine, la lumière du Christ et de son Église. » (Pie XII, 26 mars 1951.)
\*\*\*
Si l'on veut aller au fond des choses (ce qui est le seul moyen d'y voir clair), il faut aller jusqu'à poser la question : -- Qui donc a *autorité* pour enseigner ?
La saine et légitime laïcité de l'État est celle qui distingue deux autorités : le pouvoir temporel, ou politique, et le pouvoir spirituel, ou religieux. Dira-t-on que *le pouvoir politique est l'autorité suprême et unique en matière d'enseignement ?*
Au vrai, personne ne soutient explicitement et consciemment une telle théorie (personne sauf les communistes). Mais beaucoup l'admettent pratiquement, implicitement, sans en avoir conscience. Ils oublient volontiers ou mettent entre parenthèses le fait que l'enseignement public reconnaît une seule autorité, celle du pouvoir politique. Le *fait* depuis si longtemps installé en France a estompé une claire vision du droit.
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L'Église enseigne :
« L'éducation est nécessairement œuvre de l'homme en société, et non de l'homme isolé. Or, il y a trois sociétés nécessaires, établies par Dieu, à la fois distinctes et harmonieusement unies entre elles, au sein desquelles l'homme vient au monde.
Deux sont d'ordre naturel : la famille et la société civile ; la troisième, l'Église, est d'ordre surnaturel.
En premier lieu la famille, instituée immédiatement par Dieu pour sa fin propre, qui est la procréation et l'éducation des enfants. Pour cette raison une priorité de nature et par suite une priorité de droits par rapport à la société civile.
Néanmoins, la famille est une société imparfaite, parce qu'elle n'a pas en elle-même tous les moyens nécessaires pour atteindre sa perfection propre tandis que la société civile est une société parfaite, car elle a en elle tous les moyens nécessaires à sa fin propre, qui est le bien commun temporel. Elle a donc sous cet aspect c'est-à-dire par rapport au bien commun, la prééminence sur la famille qui trouve précisément dans la société civile la perfection temporelle qui lui convient.
La troisième société dans laquelle l'homme, par le baptême, naît à la vie divine de la grâce, est l'Église, société d'ordre surnaturel et universel, société parfaite aussi, parce qu'elle a en elle tous les moyens requis pour sa fin, qui est le salut éternel des hommes. Elle a donc suprématie dans son ordre.
En conséquence l'éducation, qui s'adresse à l'homme tout entier, comme individu et comme être social, dans l'ordre de la nature et dans celui de la grâce, appartient à ces trois sociétés nécessaires, dans une mesure proportionnée et correspondante, selon le plan actuel *de* la Providence établi par Dieu, à la coordination de leurs fins respectives. » (Pie XI, Encyclique *Divini illius Magistri*.)
L'Encyclique *Divini illius Magistri* montre en détail quels sont les droits de la famille (qui sont prioritaires), quels sont les droits de l'État (qui ne sont pas nuls) et quels sont les droits de l'Église, « dans une mesure proportionnée » aux fonctions et fins respectives de ces trois sociétés. La saine et légitime laïcité de l'État s'en trouve précisée et garantie. Elle n'a rien à voir avec la laïcité de l'école.
L'Église enseigne quelle est l'autorité de l'État en ces matières :
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« L'éducation ne peut appartenir à la société civile de la même manière qu'à l'Église et à la famille, mais elle lui appartient dans un mode différent en rapport avec sa fin propre.
« Cette fin, ce bien commun d'ordre temporel, consiste dans la paix et la sécurité dont les familles et les citoyens jouissent dans l'exercice de leurs droits et en même temps dans le plus grand bien-être spirituel et matériel possible en cette vie, grâce à l'union et à la coordination des efforts de tous. La fonction de l'autorité civile qui réside dans l'État est donc double : protéger et faire progresser la famille et l'individu, mais sans les absorber ou s'y substituer.
« En matière d'éducation, c'est le droit ou pour mieux dire le devoir de l'État de protéger par ses lois le droit antérieur défini plus haut qu'a la famille sur l'éducation chrétienne de l'enfant, et par conséquent aussi de respecter le droit surnaturel de l'Église sur cette même éducation (...)
« Il appartient principalement à l'État, dans l'ordre du bien commun, de promouvoir de toute sorte de manières l'éducation et l'instruction de la jeunesse : tout d'abord, il favorisera et aidera lui-même l'initiative de l'Église et des familles et leur action, dont l'efficacité est démontrée par l'histoire et par l'expérience ; de plus, il complètera cette action, lorsqu'elle n'atteindra pas son but ou sera insuffisante ; il le fera même au moyen d'écoles et d'institutions de son ressort, car l'État, plus, que tout autre, est pourvu de ressources mises à sa disposition pour subvenir aux besoins de tous, et il est juste qu'il en use à l'avantage de ceux-là mêmes dont elles proviennent.
« En outre, l'État peut exiger et dès lors faire en sorte que tous les citoyens aient la connaissance nécessaire de leurs devoirs civiques et nationaux, puis un certain degré de culture intellectuelle, morale et physique qui, vu les conditions de notre temps, est vraiment requis par le bien commun.
« Toutefois, il est clair que dans toutes ces manières de promouvoir l'éducation et l'instruction publique et privée, l'État doit respecter les droits innés de l'Église et de la famille sur l'éducation chrétienne et observer, *en* outre, la justice distributive. Est donc injuste et illicite tout monopole de l'éducation et de l'enseignement qui oblige physiquement ou moralement les familles à envoyer leurs enfants dans les écoles de l'État, contrairement aux obligations de la conscience chrétienne ou même à leurs légitimes préférences.
« Cela n'empêche pas cependant que, pour la bonne administration de la chose publique et pour la sauvegarde de la paix à l'intérieur et à l'extérieur, qui sont choses si nécessaires au bien commun et qui exigent des aptitudes et une préparation spéciales, l'État ne se réserve l'institution et la direction d'écoles préparatoires à certains services publics et particulièrement à l'armée, pourvu encore qu'il ait soin de ne pas violer les droits de l'Église et des familles dans ce qui les touche.
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« Il n'est pas inutile d'insister ici sur cette remarque de façon particulière, parce que de nos jours, où se répand un nationalisme aussi ennemi de la vraie paix et de la prospérité que plein d'exagérations et de fausseté, on a coutume de dépasser la mesure dans la militarisation de ce que l'on appelle l'éducation physique des jeunes gens, et parfois même des jeunes filles, ce qui est contre la nature même des choses humaines (...)
« De plus, en général, la société civile et l'État sont en droit de revendiquer ce qu'on peut appeler l'éducation civique, non seulement de la jeunesse, mais encore de tous les âges et de toutes les conditions. Cette éducation consiste dans l'art de présenter publiquement à la raison, à l'imagination aux sens des individus vivant en société, des objets qui soient de nature à provoquer la volonté au bien ou à l'y conduire par une sorte de nécessité morale, soit positivement, dans la manière même de les présenter, soit négativement, dans les moyens employés pour écarter ce qui leur serait contraire ([^9]). Cette, éducation civique, vaste et multiple au point d'embrasser presque toute l'œuvre de l'État pour le bien commun, ne peut avoir d'autre fondement que les règles du droit, et ne peut davantage se mettre en contradiction avec la doctrine de l'Église qui est la maîtresse divinement établie de ces règles. » (Pie XI, Encyclique *Divini illius Magistri*.)
#### IV. -- L'Épiscopat présenté comme indécis et changeant.
Une autre confusion, qui est plutôt, d'ailleurs, une manœuvre, et qui est même une besogne infâme, tend à insinuer un doute tragique dans l'esprit des catholiques ; à leur faire croire qu'ils sont en quelque sorte trahis par leurs Évêques, et que ceux-ci seraient prêts à abandonner cette école chrétienne pour laquelle le peuple chrétien de France a fait de si longs, de si constants, de si fidèles sacrifices : faire croire à tant de dévouements, qui ont accepté une vie entière de *misère* pour que survive une école catholique, que les Évêques, eux, ou certains d'entre eux, y renoncent, ou envisagent d'y renoncer.
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Cette besogne abominable est poursuivie notamment par des hebdomadaires anti-cléricaux -- et par les journalistes catholiques qu'ils y emploient.
(On touche ici du doigt, une fois de plus, combien il est dommageable que l'on ait *recommandé* à des catholiques la lecture de tel hebdomadaire anti-clérical, en raison de ses options politiques -- ce qui est donc un cas très net d'esprit politique partisan au détriment de la foi catholique. On allègue aussi que cet hebdomadaire anti-clérical a plusieurs rédacteurs en commun avec *Témoignage chrétien :* de quelque manière que l'on retourne ce fait matériellement exact, et moralement significatif, il ne saurait absolument pas constituer une recommandation.)
M. le Chanoine Roffat, aumônier national des enseignants chrétiens, a fait justice de ces calomnies par un article paru le 27 mai dans la tribune libre du *Monde :*
« Une équivoque assez grave est en train de se développer, en certains milieux catholiques français, à propos de l'avenir de l'école chrétienne en France.
On va répétant à voix basse, susurrant entre invités, qu'il ne faut pas soulever maintenant le problème scolaire, source inévitable de conflits, que le principe d'une école confessionnelle date d'une époque révolue, que l'essentiel est l'enseignement religieux du grand nombre et non l'enseignement chrétien d'une minorité, et que la Hiérarchie, au fond, est d'accord, sans le dire bien sûr, avec l'accommodation de l'école chrétienne à l'état de choses existant.
Je n'invente rien. Un universitaire catholique des plus notables n'hésite pas à écrire : « *Si la Hiérarchie catholique n'a jamais complètement renoncé à l'idée de principe* qu' « il n'y a pour un chrétien d'école pleinement satisfaisante que l'école chrétienne », *il semble bien qu'à plusieurs reprises on se soit trouvé à la veille d'une négociation entre l'Épiscopat français et les pouvoirs publics, qui aurait mis fin à la mortelle rivalité des deux écoles et permis à l'Église de consacrer tous ses efforts à l'éducation proprement religieuse.* » (Revue *Esprit,* avril 1959, « *La guerre scolaire a-t-elle se rallumer ?* », par Gilles Ferry).
Ainsi donc, d'après l'auteur, la Hiérarchie catholique aurait déjà commencé à renoncer à l'idée de principe qu' « il n'y a pour un chrétien d'école pleinement satisfaisante que l'école chrétienne ». Le renoncement n'est pas encore complet, mais il est en route.
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Étrange affirmation ! Le principe rappelé est extrait de la déclaration de l'Assemblée plénière de l'Épiscopat français, en date du 4 avril 1951. Nos Évêques commenceraient donc à renoncer à un principe qu'ils ont affirmé, à l'unanimité, il y a huit ans. Nous serions curieux de savoir sur quels faits, peut s'appuyer une hypothèse aussi surprenante.
D'autant plus que la déclaration de l'Assemblée plénière continuait ainsi, quelques lignes plus loin : « *C'est pourquoi nous devons dire l'impossibilité où nous sommes d'admettre d'aucune manière que puisse légitimement être mise en doute la nécessité de l'école chrétienne.* »
On ne présente d'ailleurs pas l'évolution supposée de l'Épiscopat français comme une hypothèse (qui serait au demeurant une hypothèse extrême, et injurieuse), mais comme une certitude ! On en persuade des universitaires catholiques, que l'on travaille -- dans des conditions qu'il faudra bien finir par éclaircir -- à détacher de la communauté chrétienne et que l'on mobilise pour combattre une liberté fondamentale qui est de droit naturel, une liberté essentielle à la dignité de la personne humaine. Il nous revient que des démarches sont systématiquement organisées, où l'on entraîne des universitaires catholiques à tenter de faire pression sur les autorités religieuses.
Faute de pouvoir obtenir que l'Épiscopat abandonne l'école chrétienne, on tente au moins de l'intimider ou de l'embarrasser, par les pressions, tantôt publiques tantôt clandestines, dans lesquelles on embrigade des catholiques égarés. Quelques universitaires catholiques, -- fourvoyés, il est vrai, par les journaux, les revues, les docteurs qu'on leur a imprudemment recommandés comme dignes de confiance, -- manifestent en ces matières une ignorance et une légèreté de comportement qui sont indignes de leur qualification professionnelle.
Le Cardinal Gerlier a déclaré en juin dernier ([^10]) :
« Aujourd'hui, nous sommes dans une atmosphère d'espoir nouveau, peut-être à la veille de voir reconnu le service national que l'enseignement privé rend à la France.
« Il restera privé, car il y a des libertés à garder, mais l'État reconnaîtra qu'il est son collaborateur dans l'intérêt général, et l'aidera à vivre pour permettre à son budget de s'équilibrer sans écraser les familles.
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« C'est tout ce que nous demandons, dans un esprit de concorde, de paix et d'union, qui doit permettre à une France loyale et généreuse de ne pas s'arrêter à des objections d'un temps périmé, mais de prendre les décisions justes et raisonnables auxquelles les Amicales ne cessent d'amener cordialement, sans luttes ni discordes, les interlocuteurs de bonne foi.
« L'école catholique ne se dresse contre aucune autre, mais nous ne cesserons jamais de la vouloir, car elle est l'école où le petit baptisé doit être élevé dans la foi de son baptême. L'Église ne cèdera jamais sur ce point. »
#### V. -- A propos des universitaires catholiques.
Encore une confusion organisée : on tire abusivement argument du fait que Pie XII a reçu en audience, le 26 mars 1951, les représentants de l'Union des catholiques de l'enseignement public de France. On invoque -- sans le produire et apparemment sans même l'avoir lu -- le discours prononcé par le Saint Père à cette occasion, en donnant à entendre qu'il équivaut à une approbation de l'école « laïque » ou « neutre ».
Pie XII a montré dans ce discours (et contrairement à la réputation que l'on a voulu lui faire d'autre part dans les *mêmes* milieux) une parfaite connaissance et une grande compréhension de la situation française. Beaucoup d'enfants catholiques vont à l'école d'État. Il ne s'agit pas de nier le *fait,* ni ses *explications.* Mais il ne s'agit pas non plus de mer que ce fait soit un *mal, --* un mal qu'atténue très heureusement, mais, imparfaitement, l'existence, la présence, l'esprit apostolique d'enseignants catholiques dans l'enseignement public. Aux universitaires catholiques, qu'il a félicités pour leur fidélité à la foi catholique, Pie XII a néanmoins rappelé la nécessité d'une école catholique et la position invariable de l'Église à ce sujet :
« Nonobstant la continuelle sollicitude et l'insistance de l'Église à instruire les parents chrétiens du devoir primordial de donner à leurs enfants une éducation dont tout élément religieux, doctrinal et moral, *ne fût pas disjoint de l'instruction purement humaine, mais la pénétrât au contraire intimement *; nonobstant les encouragements qu'elle donne aux militants qui prodiguent avec désintéressement leurs efforts et leurs sacrifices pour soutenir et promouvoir *l'école expressément catholique *; il n'est pas moins vrai qu'un nombre immense d'enfants lui échappent par suite de circonstances trop souvent inéluctables, comme l'impossibilité de trouver à sa portée une école telle qu'on la souhaiterait, comme l'indifférence ou la négligence des familles, ou des considérations d'ordre temporel. » (Pie XII, 26 mars 1951.)
\*\*\*
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D'autre part, il faut déplorer que soit parfois organisée en fait une sorte de ségrégation des universitaires catholiques, à l'écart de la communauté chrétienne et de ses écoles. Il est regrettable que les universitaires catholiques excluent trop souvent de leurs congrès, de leurs réunions, de leurs messes, leurs collègues catholiques de l'enseignement privé. Il est paradoxal que tant de groupes d'universitaires catholiques, discutant actuellement des problèmes de la liberté de l'enseignement, en discutent *entre eux* seulement, sans rechercher un contact fraternel, concret, vécu, avec leurs voisins, avec leurs collègues, qui sont leurs frères dans la foi et leurs cou frères du même métier : les uns et les autres y trouveraient au moins une connaissance mutuelle des personnes et des problèmes. Et si, par hypothèse extrême, leurs discours ne pouvaient aucunement s'accorder, du moins leur prière pourrait-elle être commune.
Cela se fait quelquefois. Trop peu souvent. En beaucoup d'endroits, la règle est cette ségrégation, qui a été apparemment machinée statutairement.
Et trop souvent -- point seulement dans la presse -- ce sont des universitaires catholiques qui mènent le combat contre leurs frères dans la foi de l'enseignement chrétien, -- sans avoir essayé de les rencontrer, de les connaître, d'étudier en commun les problèmes posés, et de prier ensemble. On les voit même étudier théoriquement « l'unité catholique », et maintenir leur exclusive contre l'école chrétienne.
\*\*\*
A tous les universitaires catholiques qui nous font l'honneur de nous lire avec amitié et d'attacher quelque prix à nos avis, nous soumettons cette suggestion pratique : qu'ils se groupent entre eux, certes, comme ils le font ; mais qu'ils prennent contact avec *la réalité concrète et vivante* de l'enseignement libre, qu'ils suscitent des rencontres « à la base », *qu'entre les catholiques de l'enseignement public et ceux de l'enseignement privé ils lancent l'idée de quelquefois* ÉTUDIER EN COMMUN ET PRIER ENSEMBLE.
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#### VI. -- l'autonomie de l'Université.
Le catholique qui, dans *L'Express* du 28 mai, rejetait la liberté, ajoutait qu'il serait « plus sage et plus efficace de chercher la solution du côté de l'Université nationale autonome, telle qu'elle avait été proposée par *Esprit* en 1949 et en 1951, idée qui a été reprise depuis par de nombreux universitaires catholiques et non-catholiques ».
On nous présente ainsi l'autonomie de l'Université comme un *alibi* à l'abri duquel on pourrait étrangler, supprimer, interdire cette « *école catholique confessionnelle* » à laquelle, selon le mot de Pie XII (13 mai 1955) « *en aucun cas l'Église ne renoncera* ».
Il faut donc, ici encore, distinguer et préciser.
1. -- Les défenseurs de la liberté de l'enseignement ne combattent, ne méconnaissent ni ne négligent aucunement l'idée d'une Université autonome ([^11]). On peut simplement la trouver, telle qu'elle fut exposée par *Esprit,* trop timide ; et trop en retard sur les travaux et projets qui ont été suggérés ou mis au point par des universitaires des penseurs et des religieux de la famille spirituelle de Péguy, comme Étienne Gilson, Henri Charlier, Jean Rolin, et le R.P. Calmel, o.p.
On ne reproche pas à la revue *Esprit* d'être allée trop loin, mais d'être restée en chemin, par suite de ce conformisme et de ce conservatisme intellectuels dont elle est souvent prisonnière depuis 1944. Elle demeure largement en deçà des solutions pratiques qu'exposaient Étienne Gilson dès 1934 (*Pour un ordre catholique*)*,* Henri Charlier dès 1942 (*Culture, École, Métier*)*,* Jean Rolin dès 1947 (*Les libertés universitaires*)*.*
Avec Étienne Gilson, les catholiques, de droite ou de gauche, mais libérés du conformisme intellectuel, estiment que « *l'enseignement d'État n'est pas libre* » et réclament « *la liberté pour tout le monde* »*,* y compris pour les enseignants publics. Que l'enseignement ne soit plus aux mains de l'arbitraire politique ([^12]).
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Donc, on réformera (ou on ne réformera pas) l'enseignement qui est actuellement d'État. On le laissera ou on ne le laissera pas dans la dépendance du gouvernement. On admettra ou on n'admettra pas que les écoles soient dirigées par le pouvoir politique. On entreprendra enfin cette grande réforme des études dont Péguy a indiqué l'esprit, dont il a été comme l'initiateur et le premier promoteur au XX^e^ siècle, et qu'ont précisée les travaux fondamentaux d'Étienne Gilson, d'Henri Charlier, de Jean Rolin et tout récemment du R.P. Calmel ; ou bien l'on n'en fera rien. C'est une chose, et fort importante.
2. -- Mais c'en est une autre, encore plus importante, de subir une persécution religieuse.
Car laisser aux catholiques riches mais ôter pratiquement aux catholiques pauvres, et notamment aux catholiques du monde ouvrier (voilà un point qui devrait intéresser directement l'A.C.O.) la possibilité matérielle d'envoyer leurs enfants, comme l'exige leur foi, à une école entièrement catholique, c'est une persécution religieuse particulièrement odieuse.
Que cette persécution soit conduite aussi par des catholiques égarés, dressés contre leurs frères dans la foi et contre l'Église, et parfois même soit approuvée par des prêtres, manifeste quelle barbarie intellectuelle et morale s'est installée au milieu de nous.
Dans ce domaine aussi, on constate que les plus savants, ou supposés tels, les plus couverts de parchemins et de diplômes et de titres de doctorat (éventuellement même de doctorat en théologie), les plus érudits et les plus pédants, voire les plus jaloux de faire sonner leur titre d' « universitaires catholiques » ou d' « intellectuels catholiques » comme s'il leur conférait un magistère doctrinal et moral, sont parfois, en fait, les plus ignorants.
Mais il en a souvent été ainsi, comme le montre l'histoire de l'Université de Paris, qui fut tour à tour l'honneur et le déshonneur de la France, et qui continue.
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#### Quelques exemples et procédés de désinformation
Certains journalistes que l'on appelle « informateurs religieux » se distinguent par leur exceptionnelle ignorance de la question scolaire. Ces « informateurs » *désinforment* le public. C'est ainsi que l'on pouvait lire dans un journal du soir du 30 juin :
« *A propos de la question scolaire, qui retient le plus souvent l'attention, on fait observer dans les milieux proches du Vatican qu'il s'agit là d'une affaire strictement française et que l'Église ne saurait peser sur des décisions qui sont exclusivement du ressort du gouvernement et du Parlement de notre pays.* »
Si l'on entend par « strictement française » que l'affaire de l'enseignement français n'est ni anglaise, ni espagnole, ni chinoise, cela va évidemment de soi. Mais quand on ajoute que la décision dépend « *exclusivement* » du pouvoir politique français, on exprime la thèse du totalitarisme, qui place l'enseignement sous la dépendance unique, absolue, arbitraire de l'État. C'est la thèse que soutiennent, avec le Parti communiste, quelques ultras du laïcisme. Il faut beaucoup d'audace pour présenter cette thèse extrême du laïcisme comme étant celle du Vatican. Il est vrai qu'on l'attribue seulement aux « milieux proches du Vatican », ce qui, à le prendre littéralement, ne signifie exactement rien, mais laissera dans l'esprit du lecteur l'impression qu'il s'agit de la position du Saint-Siège.
Soi-disant pour connaître la position de l'Église, on fait ainsi état d'indiscrétions, de confidences qui -- seraient-elles matériellement exactes -- sont totalement dépourvues de valeur et de signification. Il faut d'ailleurs remarquer que les journalistes qui, sous prétexte de ne pas les « majorer », amenuisent systématiquement l'autorité des documents pontificaux, sont ordinairement ceux qui, d'autre part, *majorent,* et combien, l'autorité de confidences recueillies on ne sait où.
Avec une telle méthode, on trouverait la position de l'Église valablement exprimée non dans les actes du Saint-Siège, mais dans les romans de M. Peyrefitte.
La position de l'Église *ne s'exprime pas par des confidences, mais par des documents officiels.* Ce sont les Actes pontificaux promulgués par le Saint-Siège, et non les anecdotes chuchotées en marge, qui fixent cette position. Jamais l'Église n'a concédé, jamais l'Église ne concèdera que l'enseignement puisse dépendre « *exclusivement* » des décisions du pouvoir politique.
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Tout au contraire, selon la position catholique, l'enseignement dépend, en même temps et sous des rapports différents, de la famille, de l'État et de l'Église. D'où la nécessité d'un accord, Des décisions exclusives et unilatérales de l'État sont en cette matière arbitraires et tyranniques.
\*\*\*
Le même numéro du même quotidien vespéral contient cette autre « information », parfaitement tendancieuse :
« *Rome n'ignore pas que de nombreux évêques français, tenant compte du fait que la majorité des enfants catholiques sont présents dans les établissements publics, se montrent très attentifs à l'amélioration des conditions dans lesquelles l'enseignement religieux est dispensé à ces élèves*. »
Invention offensante, qui fabrique la supposition -- en l'attribuant à « Rome » -- qu'il y aurait des évêques français pour être inattentifs à l'enseignement religieux dans les établissements publics !
Ce sont *tous* les évêques français qui se préoccupent d'un tel problème.
Et ce sont tous les évêques français qui savent que cette « amélioration » souhaitable et utile ne sera néanmoins jamais suffisante.
Tous les évêques français -- quelles que soient les insinuations calomnieuses que l'on fait circuler à l'égard de certains d'entre eux -- professent les principes catholiques qui déclarent :
« Le seul fait qu'il s'y donne une instruction religieuse (souvent avec trop de parcimonie) ne suffit pas pour qu'une école puisse être jugée conforme aux droits de l'Église et de la famille chrétienne, et digne d'être fréquentée par les enfants catholiques. Pour cette conformité, il est nécessaire que tout l'enseignement, toute l'ordonnance de l'école, personnel, programme et livres, en tout genre de disciplines, soient régis par un esprit vraiment chrétien. » (Encyclique *Divini illius Magistri.*)
Mais que le lecteur recherche, parmi les journaux qu'il lit habituellement, et qui lui ont tous plus ou moins parlé de la position de l'Église en cette affaire, combien il y en a donc qui ont objectivement fait connaître que cette position est exposée dans l'Encyclique *Divini illius Magistri,* et que cette Encyclique « *s'offre, aujourd'hui comme hier, à l'étude de tous ceux qui loyalement désirent connaître sur ce point, dans son authentique et sereine expression, la pensée de l'Église* » (Pie XII, 25 août 1955).
39:36
Oui, combien de journaux ont donné cette information objective ?
\*\*\*
L'un des derniers discours de Pie XII fut pour rappeler l'Encyclique *Divini illius Magistri *: le 14 septembre 1958, aux représentants de l'Office international de l'enseignement catholique, reçus en audience à Castelgandolfo. Le Saint-Père leur déclara notamment :
« ...Pour qu'elle (l'école) ne manque point à sa mission, il importe que tous ses responsables aient devant les yeux les recommandations de Notre Vénéré Prédécesseur Pie XI dans son Encyclique Divini illius Magistri. Pour qu'une école soit chrétienne, il ne suffit pas que l'on y dispense chaque semaine un cours de religion, ni que l'on y impose certaines pratiques de piété ; mais il faut d'abord que des maîtres chrétiens communiquent à leurs disciples, en même temps que la formation de l'esprit et du caractère, les richesses de leur vie spirituelle profonde ; pour cela il importe que l'organisation extérieure de l'école, sa discipline, ses programmes, constituent un cadre adapté à sa fonction essentielle et pénétré, même dans ses détails en apparence les plus humbles et les plus matériels, d'un sens spirituel authentique. »
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## CHRONIQUES
41:36
### Qu'avez-vous fait des communistes convertis ?
*Première lettre d'Henri Barbé*
Nous avions déploré dans l'éditorial du notre numéro 33 (pages 7 et 8) certaines attitudes systématiquement négatives à l'égard des communistes qui quittent le Parti, et spécialement à l'égard de ceux qui se convertissent à la foi chrétienne.
Nous disions -- et nous redisons :
-- Quand on nous parle des « communistes convertis », ce n'est point d'abord pour se féliciter qu'il y en ait, ni pour rechercher comment il pourrait y en avoir davantage. C'est seulement pour élever contre eux des suspicions systématiques, On nous parle des communistes convertis comme s'ils n'avaient RIEN à nous apprendre, comme s'ils étaient uniquement condamnables ou gênants, et comme si l'on préférait qu'il n'y en eu point. On se souvient de leur existence seulement pour insinuer contre eux qu' « ils ne sont peut-être pas les mieux placés pour dégager une position constructive », Peut-être pas, en effet ; c'est à voir, si l'on y tient ; mais en tous cas, ce n'est pas la question, La question est d'apprendre d'eux ce qu'eux seuls peuvent nous apprendre par leur expérience de la pratique communiste qu'ils voient et jugent maintenant dans la lumière de la foi, Or on nous parle d'eux non point pour faire un examen de la connaissance du communisme qu'ils apportent, mais pour susciter une méfiance automatique à leur égard. RÉSULTAT : conditionner le public à ne pas écouter, sur le communisme, ce qu'en disent les anciens communistes devenus nos frères dans la foi.
42:36
Comme il faut bien écouter des gens qui en aient l'expérience et la pratique, il ne reste alors qu'à écouter ce que disent les communistes non convertis. Si bien qu'en définitive, pour connaître le communisme, on se réfère habituellement à ce qu'il dit de lui-même dans sa propagande.
Henri Barbé, ancien dirigeant de l'appareil communiste, nous adresse ses réflexions à ce sujet.
C'est la première fois qu'il s'exprime publiquement depuis sa conversion à la foi catholique. Nous le remercions de l'honneur qu'il nous fait. Et surtout, nous souhaitons que son témoignage soit entendu et médité.
J. M.
MON CHER MADIRAN,
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre éditorial intitulé « Conditionnement à la non-résistance » et j'ai apprécié, entre autres, votre paragraphe 5 sur les « communistes convertis ».
En effet on trouve dans certaines publications catholiques, et aussi dans d'autres journaux, ce genre de remarques négatives envers les « communistes convertis qui ne sont peut-être pas les mieux placés pour dégager une position constructive ». Je ne sais pas si d'autres anciens communistes tiennent à être les mieux placés, mais en ce qui me concerne je peux vous assurer que cette ambition ne m'est jamais venue à l'esprit.
J'ai été communiste pendant quatorze ans, de 1920 à 1934. Durant ces années j'ai occupé à peu près toutes les fonctions qui composent la hiérarchie et l'appareil du mouvement communiste, en France et sur le plan international.
Mes parents avaient été catholiques ; mon père, militant ouvrier de la métallurgie, fut formé par des maîtres religieux dans une école catholique de Montluçon, et ma mère « enfant de Marie » à Saint-Denis dans la Seine.
L'anarcho-syndicalisme qui dominait le mouvement ouvrier syndical au début du siècle entraîna mes parents à rompre avec l'Église et même à la combattre. Ce qui fait que j'ai été élevé dans l'athéisme militant. Je ne fus donc pas baptisé.
Ayant rompu avec le mouvement communiste en 1934, ce n'est que dix-sept ans après, en 1951, que je décidai de demander le baptême de l'Église catholique.
43:36
Pourquoi ?
Parce que j'avais découvert la foi en Dieu et en son Église, et aussi parce que je fus magnifiquement aidé par trois Pères de la Compagnie de Jésus et par un aumônier remarquable, présentement curé d'une paroisse de la banlieue parisienne.
Ce sont eux qui ont puissamment contribué à me débarrasser des séquelles de l'athéisme dans lequel j'avais vécu pendant si longtemps.
\*\*\*
Je vous dis tout cela non pas pour vous raconter ma vie, mais d'abord parce que je pense que c'est nécessaire à la compréhension de ce qui va suivre, et aussi pour vous montrer que j'ai mis le temps de la réflexion avant de rejoindre l'Église.
C'est là, à mon avis, la première réponse que j'adresse à ceux qui estiment que « les communistes convertis ne sont peut-être pas les mieux placés pour dégager une position constructive ». Quand on a pendant des années lutté contre soi-même, confronté en soi la foi et le doute, essayé de détruire les survivances tenaces du scepticisme, fait des efforts sérieux pour assimiler et comprendre ce que Dieu et son Église nous apportent, par exemple l'Eucharistie, on n'est pas très disposé à vouloir jouer les « mieux placés » et les « porteurs de bannière ».
Plus le combat intérieur a été difficile et douloureux, plus l'authentique humilité et la véritable modestie empêchent les ambitions et les prétentions déplacées de se manifester. Si donc ceux qui pensent et disent que nous ne sommes pas « les mieux placés » entendent par là que nous ne devons pas être des espèces de donneurs de leçons, ils ont sûrement raison.
\*\*\*
Mais nous sommes des anciens communistes dont certains, comme moi, ont été des dirigeants du mouvement communiste. Nous avons rompu avec le communisme et trouvé la lumière de la foi. Alors il ne s'agit pas de savoir si nous sommes mieux ou plus mal placés que d'autres pour porter des jugements, mais si cette évolution et cette transformation de nos êtres sont intéressantes et positives.
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Car si l'on nous condamne a priori parce que nous sommes des « renégats » du communisme ([^13]), comment peut-on penser regagner à la Patrie et à l'Église les milliers et même les millions de braves gens qui se sont laissé duper momentanément par la propagande communiste ?
En réalité, en dehors de l'indifférence il y a plusieurs sortes de comportements à l'égard des anciens communistes. Il existe bien celui que vous signalez et qui consiste à « susciter une méfiance automatique à leur égard ». Mais il en existe un autre qui consiste à faire des anciens communistes des bêtes curieuses et parfois des sortes de héros de cirque qu'on promène dans les salons et les cercles pour en faire des attractions à sensation.
Ces comportements aboutissent au même résultat. Ils renforcent le jeu des dirigeants de l'appareil communiste qui vise à discréditer, voire à déshonorer, ceux qui ont été communistes, ne le sont plus, et expliquent pourquoi. Ils créent effectivement un climat de méfiance et de suspicion à l'égard des anciens communistes qui alors n'osent plus rien dire et vont se perdre dans la grisaille des indifférents, des écœurés et des apathiques.
\*\*\*
Songeons que rien que pour la période allant de 1947 à 1959, soit en douze ans, il y a plus de 600.000 hommes et femmes de France qui ont été membres du Parti communiste et qui l'ont quitté. Bien sûr ils ne sont pas tous devenus des adversaires déclarés du communisme, loin s'en faut ! Mais ils sont bien eux aussi des « anciens communistes ». Et un certain nombre d'entre eux ont aussi rejoint l'Église et la foi chrétienne. Mais qu'a-t-on fait pour les recevoir, les entendre, les guider, les aider après leur rupture ?
Ce n'est pas facile évidemment ! Mais il est certain que la première condition à remplir pour faire quelque chose de sérieux auprès de cette masse imposante d'ex-communistes, c'est la confiance ; c'est-à-dire de ne pas les repousser, mais de susciter fraternellement leurs explications, d'encourager et de développer en eux les premières tendances qui peuvent se faire jour vers la foi chrétienne.
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Ceux, simples militants ou dirigeants aux divers échelons du P.C., qui rompent avec lui, l'ont fait ou le font, dans leur ensemble, lorsqu'ils découvrent le divorce existant entre ce qu'ils croyaient être le Parti et ce qu'il est dans la réalité.
Que ce soit la découverte de l'état de complète subordination à l'U.R.S.S. alors qu'on croyait à l'indépendance nationale du Parti.
Que ce soit la révélation de l'hypocrisie dissimulée derrière les manœuvres pseudo-unitaires du Parti à l'égard des groupements démocratiques.
Que ce soit la compréhension de l'utilisation par le P. C., à ses fins politiques cet soviétiques, du mécontentement social et des revendications professionnelles légitimes, quitte à les abandonner si la diplomatie soviétique l'exige.
Que ce soit aussi la découverte des manœuvres multiples et diaboliques à l'égard de l'Église pour essayer de la désagréger, pour circonvenir non seulement des croyants mais aussi des prêtres.
Que ce soit l'utilisation spectaculaire du noble sentiment pacifique des hommes et des femmes pour mieux préparer la guerre subversive contre les pays non-soviétisés en les désarmant moralement et matériellement.
Que ce soient encore bien d'autres raisons, elles se rattachent toutes à ce fait général. En dehors de quelques exceptions de personnages qui rompent ou sont exclus du P. C. pour des motifs sordides, l'ensemble des anciens communistes cassent avec le Parti quand, par leur propre expérience, ils ont réalisé ce qu'il est réellement.
\*\*\*
Mais cette propre expérience, ils ne peuvent l'acquérir que si une contre-propagande les touche directement ou indirectement et les oblige à réfléchir, à réagir, à comprendre, à discuter. Cette contre-propagande doit, pour être efficace, être systématique, c'est-à-dire constante, tenace et complète. C'est dans la réalisation de cette contre-propagande que doivent prendre place, pas pour être « les mieux placés », mais pour transmettre leur expérience personnelle ou collective, les « anciens communistes ».
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Cette contre-propagande systématique peut et doit s'exprimer partout, dans toutes les catégories sociales. Et contre les fondements doctrinaux et philosophiques athées du communisme, elle doit remettre en valeur les fondements de la civilisation chrétienne *et* la doctrine sociale de l'Église.
Sans doute y a-t-il plusieurs façons de lutter contre le communisme. Mais sous le prétexte invoqué qu'il existe des bonnes façons et des mauvaises, on dissimule souvent la volonté de ne pas résister à la perversion communiste.
Ce que rappelait le Père Fessard : « le jugement négatif est infini, c'est-à-dire qu'il est susceptible de n'importe quel contenu et même, à la limite, de celui qu'il veut et paraît d'abord exclure », reste juste.
Mais la contre-propagande opposée à celle du Parti communiste, que nous voudrions voir se réaliser *et* se développer, n'a pas « n'importe quel contenu », puisque nous la voulons chrétienne. Et dans et pour cette contre-propagande avec son contenu chrétien, les anciens communistes convertis à l'Église catholique peuvent tout de même réclamer leur place, là où l'on voudra bien la leur accorder, sans autre ambition que de faire servir leur expérience à l'Église et à la Patrie dans leur résistance à la subversion communiste.
Telles sont, mon cher Madiran, les premières réflexions que je voulais faire après avoir lu votre éditorial.
J'aurais encore d'autres choses à dire, bien sûr. Si vous le voulez bien, elles feront l'objet d'une autre lettre.
Bien cordialement à vous,
Henri BARBÉ.
47:36
### Le sacerdoce et la mission ouvrière
par le R.P. CALMEL, o.p.
LE SACERDOCE ET LA MISSION OUVRIÈRE par le R.P. Michel Labourdette, o.p., préface de S. Exc. Mgr Garonne, Bonne Presse, 1959.
DEPUIS « l'affaire des prêtres-ouvriers » et même avant nous avons souvent entendu poser des questions comme celle-ci : « Mais enfin à supposer qu'on ait raison de parler de *la France pays de mission,* est-il juste d'assimiler un vieux pays chrétien aux îles lointaines qui reçoivent le missionnaire pour la première fois ? » Ou encore : « Certains prêtres-ouvriers avaient-ils conscience suffisamment de la fonction particulière du prêtre et de l'état de vie qu'elle implique ? A les voir faire ne semblait-il pas que le rôle du laïc et celui du prêtre fussent interchangeables ? »
A ces diverses questions et à quelques autres le mémoire théologique du P. Labourdette apporte des réponses claires et sûres appuyées sur les principes les plus certains de la théologie de l'Église et du sacerdoce. Son intention n'est pas de tout dire : c'est ainsi que le terme de communisme n'est pas prononcé à propos de la déchristianisation du prolétariat. Son propos, et il s'y montre admirablement fidèle, est de formuler lumineusement quelques vérités premières sur l'apostolat et la mission, le sacerdoce et le laïcat, ensuite de dégager quelques conclusions qui en découlent inévitablement.
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Le P. Labourdette distingue l'infidélité pré-chrétienne, celle des pays où jamais ne fut plantée l'Église, et l'infidélité post-chrétienne, celle des pays, ou du moins des fractions de pays qui de fidèles sont devenus apostats. Il note que l'Église est envoyée, qu'elle a reçu mission, d'abord pour les infidèles, afin de planter l'Église chez eux et d'agréger de nouveaux fidèles à cette Église déjà établie. A l'égard des apostats l'Église a également reçu mission ; ce n'est pas douteux. Mais puisque les pays ou fractions de pays devenus apostats ne peuvent être identifiés aux pays infidèles la mission ne saurait avoir le même caractère dans les deux cas. La mission dans le cas d'infidélité post-chrétienne, c'est-à-dire d'apostasie, aura pour but non de planter l'Église mais de ramener à la Foi par rattachement à une Église déjà plantée disons à une paroisse et un diocèse déjà existants. Le Père reprend l'objection bien des fois soulevée :
« On a lancé l'idée que, comme il y a des continents géographiquement éloignés auxquels l'Église s'est peu à peu étendue et s'étend encore, il pourrait y avoir des « continents » historiquement nouveaux : au point de vue de leur situation sociologique, une masse d'hommes ne sont-ils pas *nés* hors de l'Église, au point d'offrir à l'évangélisation une terre vierge, alors que pourtant l'Église est là ? Par ce genre de vie qu'imposent l'existence des « classes » et leur lutte, n'est-elle pas aussi éloignée d'eux que si un océan les séparait ? » (§ 39).
La réponse montre bien que l'identification est impossible :
« Mais, d'autre part, peut-on oublier que beaucoup de ces hommes, du moins en France, sont baptisés et que, même pour ceux qui ne le sont pas, leur situation religieuse, à considérer les ensembles, n'en reste pas moins le fruit d'une apostasie antérieure, dont ils n'ont pas commis la faute, mais dont ils héritent le malheur ? » (§ 40.)
La conséquence obvie c'est que le prêtre en mission ouvrière doit demeurer en étroit contact avec l'Évêque du lieu et orienter ses convertis vers le diocèse et la paroisse qui existent déjà. Mais cette droite orientation des convertis supposera bien sûr certains aménagements des paroisses déjà constituées.
49:36
« On ne peut malheureusement pas contredire la constatation trop souvent exacte que, pour bien des raisons, la communauté chrétienne locale, disons la paroisse, se trouve pratiquement hors d'état d'accueillir et de nourrir en son sein les convertis du monde ouvrier. Faut-il en conclure à la nécessité de constituer sur place une autre assemblée chrétienne, une autre « Église » ? Cela serait grave, si on devait en prendre son parti. C'est un signe de plus que, surtout en de telles conditions, le travail missionnaire ne peut être accompli par des isolés, fussent-ils prêtres, mais demande un immense effort commun de l'Église localement établie : *transformation progressive* de paroisses s'ouvrant communautairement aux exigences de la mission, et sans doute, en attendant, *statuts provisoires,* analogues à ce qui est prévu par exemple pour les émigrants, en se rappelant qu'au plan de l'Église locale, l'unité se fait dans *l'évêque.* »
AU SUJET de l'apostolat le P. Labourdette observe qu'avant l'apostolat du prêtre, avant même l'apostolat du militant d'action catholique lequel est une sorte d'instrument de la hiérarchie, il faut parler de l'apostolat qui est commun sans distinction aucune à tous les baptisés :
« Cet *apostolat du chrétien* n'inclut pas un mandat spécial ou une participation même lointaine aux activités propres du pouvoir hiérarchique. Il n'est pas réservé à des chrétiens qu'une mission distinguerait de ceux qui ne l'ont pas reçue. Il convient à tous membre de l'Église (et bien entendu aussi aux clercs), et fait partie de cette *mission générale par laquelle l'Église tout entière* (pas seulement les apôtres et leurs successeurs) *est envoyée au monde pour* l'appeler au salut, pour rendre témoignage au Christ en donnant d'abord et surtout ce signe éminemment « apostolique » de la charité fraternelle : « A ce signe, on reconnaîtra que vous êtes mes disciples » ; il faut que le monde puisse dire : « Voyez comme les chrétiens s'aiment entre eux ». Cet apostolat n'est pas l'exercice d'un pouvoir, il a sa source dans la *grâce* même ; il trouve cependant une *députation* permanente, commune à tous les chrétiens sacramentellement devenus adultes, dans le caractère de la Confirmation, pour autant que celui-ci ordonne au témoignage de la foi -- et même déjà dans le seul baptême. » (§ 30.)
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« Méconnaître cet apostolat fondamental serait appauvrir immensément l'action par laquelle l'Église en son ensemble appelle à entrer dans le Royaume de Dieu et à y grandir. » § 31. Voilà pourquoi « la mission ouvrière » ne sera pas le fait du prêtre seul, elle demande la participation active du laïcat. Le prêtre ne sera donc pas seul « l'Église en monde ouvrier ». Les questions qui le concernent ne pourront être tranchées indépendamment de la mise en place du dispositif missionnaire dans son ensemble. » (§ 50.)
« Dans la mesure en effet, où le prêtre se croirait seul chargé de tout ce qui est témoignage d'Église en milieu ouvrier, il aura tendance à prendre sur lui toutes les formes de ce témoignage ; et c'est ici qu'apparaît le rôle irremplaçable du laïcat chrétien, et pour la mission, du laïcat organisé. Saint Paul a insisté sur cette loi de la différenciation : « Si tout le corps était l'œil, où serait l'ouïe ? Mais il y a plusieurs membres et cependant un seul corps. » (I Cor. XII 17-20.) (§ 67.)
TOUT EN METTANT bien en relief la qualité également chrétienne du prêtre et du laïc, c'est-à-dire leur qualité égale dans l'ordre de la Grâce et de la sainteté, le P. Labourdette fait sentir la justesse de la pratique invariable de l'Église qui ne veut pas pour le prêtre le même genre de vie que pour le laïc. Parce qu'il exerce des pouvoirs saints et sanctifiants, il convient que le prêtre non seulement dispose du temps nécessaire mais encore que son genre de vie rende sensible la nature de ses pouvoirs, manifeste « qu'il est l'homme du siècle à venir, le signe vivant de la convocation au royaume » (§ 57). Aussi certaines professions sont-elles spécialement interdites aux clercs (§ 56) :
« Pas d'activités dont la signification serait mal compatible avec son caractère et sa fonction. Aussi certaines professions sont-elles spécialement interdites aux clercs : celles qui laisseraient supposer un esprit de lucre (commerce), celles qui exposeraient à verser le sang (profession militaire, médecine). »
Quant au travail en usine, si différent du travail du Trappiste dans les champs de son abbaye, convient-il au prêtre de s'y engager ?
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« De toute façon pour entrer dans le milieu ouvrier, ne faudra-t-il pas que le prêtre en prenne la condition foncière, sans laquelle il ne sera jamais adopté, le travail ? C'est vrai, du moins jusqu'à ce que la communauté chrétienne comprenant mieux pourquoi le prêtre est là, sente elle-même la convenance pour lui d'une liberté plus large en vue de ses tâches spirituelles. Il semble que cela doive rester un but à atteindre, même si le prêtre veut ensuite garder un certain travail afin de pourvoir seul à sa subsistance. C'est alors la communauté chrétienne dans son ensemble qui rend témoignage au sein du monde du travail. (§ 66.) Par contre, s'il est vrai que « le travail pour des raisons apostoliques actuellement pressantes, approuvées par la Hiérarchie et dans la mesure où elle le juge bon, puisse être accepté pour le prêtre comme condition d'entrée et tant que celle condition s'avère indispensable, il n'en va pas de même de l'engagement dans le combat ouvrier » ...Sur ce point l'absence du prêtre n'est pas carence ou évasion, elle est elle-même témoignage très positif de ce qu'il est pour l'Église et dans l'Église. » (§ 67.)
A mesure que vous lisez ces pages vous vous apercevez que votre esprit est arrêté par la force de certaines évidences et que désormais il ne peut plus s'égailler dans mille directions diverses, à moins que de refuser les vérités premières sur l'Église, le sacerdoce et le laïcat. Si votre esprit est arrêté c'est parce qu'il est satisfait, parce que suffisamment éclairé, il n'éprouve plus le besoin de mettre en cause certaines notions, Par le fait même vous vous sentez armés vigoureusement pour l'action, pour remplir conformément à ses exigences propres votre rôle de prêtre ou de laïc, quelles que soient du reste vos relations avec l'apostolat ouvrier. Car les réflexions du P. Labourdette sont conduites d'assez haut pour guider les prêtres et les laïcs même situés en dehors de la mission ouvrière.
Vaine est l'opposition trop souvent invoquée entre la théologie et l'action. En faisant la lumière, en illuminant et équilibrant la générosité, la théologie permet au contraire à l'action du chrétien de rester droite et ferme et d'atteindre son but. Comme l'a écrit le P. Loew (qui est si visiblement redevable au P. Labourdette) en parlant de ses efforts missionnaires dans un prolétariat déchristianisé :
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« Ainsi, au risque de faire sourire certains, la théologie qui se révélait la mieux adaptée et la plus neuve était celle de Saint Thomas et de ses disciples jusqu'à nos jours, un P. Garrigou-Lagrange, un Mgr Journet, Gilson ou Maritain. Ce n'étaient pas, bien sûr, des recettes préfabriquées, en poudres et en sachets, que j'y trouvais, mais ces grands regards lumineux éclairant sous l'angle vrai les problèmes de notre temps, dénouant les nœuds où tant de chrétiens et de prêtres s'embrouillaient et se ligotaient eux-mêmes. » (*Journal d'une mission ouvrière* 1941-1959, J. Lœw, Paris 1959, p. 370.)
R.-Th. CALMEL, o. p.
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### Vivante Afrique
par Henri CHARLIER
NOUS PRENONS pour titre le titre même de la revue des Pères Blancs où nous avons pris les renseignements qui suivent ([^14]). Il s'agit de l'action des services de Santé en Afrique. On sait à quel point le « colonialisme » est attaqué, dans le monde entier, par les peuples mêmes qui le pratiquent le plus. La Russie a colonisé non seulement la Sibérie, la Mongolie, le Turkestan, mais l'Europe orientale. Les États-Unis exploitent les pays d'Amérique Centrale, les Noirs sont loin d'avoir chez eux la situation qu'ils peuvent avoir chez nous. Il n'y a jamais eu aucune « ségrégation » en Algérie. Mais nous vivons depuis plus de cent cinquante ans sous le règne des idéologies, c'est-à-dire des idées toutes faites, généralement fabriquées dans nos écoles en dehors de toute expérience des faits et des hommes. Comme le dit Augustin Cochin : « Les jugements portés sur le bien général courent les rues ; tout le monde en émet tout le temps ; on se sert de la logique pour décider de toutes les questions sur lesquelles on manque d'expérience, ou plutôt la logique sert à tout, est toujours à nos ordres et à notre disposition ; l'expérience et la science presque jamais. Les jugements en général sont communs, mais insuffisants, trop courts. »
Ces idées très vagues, très générales, unissent très facilement un grand nombre d'hommes, car elles sont choisies par le prince de ce monde pour que chacun pense avoir intérêt à les soutenir. Ainsi pour la justice. Tout le monde est porté à croire qu'une véritable justice l'avantagerait.
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Le mot « colonialisme » recouvre ainsi sous une même réprobation des œuvres excellentes, des dévouements héroïques et des actes coupables ; il sert à défendre une vertu théorique qu'on est incapable d'appliquer faute de connaissance des hommes et des choses et qu'il n'est pas question de rechercher pour soi-même. Car la vertu révolutionnaire dont les « grands ancêtres » de 1789 ont tant parlé est une vertu si théorique, si générale qu'il n'est nullement nécessaire de la pratiquer pour en parler. Voici les réflexions d'Auguste Cochin dans son livre : *Abstraction révolutionnaire et réalisme catholique* (p. 81) : « Les Rousseau, Mirabeau, etc., avaient fait une découverte bien précieuse pour les gens de leur sorte : c'est qu'avec de la logique on pouvait faire de la morale ; qu'il y avait un genre de vertu où tout homme, même le plus vicieux, pouvait entrer de plain-pied, sans qu'il lui coûte rien : la vertu civique, la vertu du démagogue. Celle-là ne demande pas d'entraînement préalable, d'éducation, de lutte contre soi-même surtout ; elle n'est pas comme l'autre qui veut qu'on la pratique pour parler en son nom, du moins efficacement. »
Le vrai démagogue prêche la vertu, la bonté, la justice. « *Du moins cette bonté, cette justice qui consistent à faire faire le bien aux autres de par la loi.* » Et Augustin Cochin ajoute cette profonde observation : « La lutte entre le christianisme et son ennemi est singulière : jamais on ne se frappe en plein ; pas de point de contact : c'est que l'idéal révolutionnaire est tout logique, extérieur, intellectuel ; l'idéal chrétien tout intérieur. Le révolutionnaire discute, raisonne, déduit ; il croit être vainqueur quand on ne lui répond plus. Il combattait une erreur ? Mais non, un *fait,* une réalité, qui sont illogiques peut-être comme tout être réel, mais qui n'en *sont* pas moins, malgré la logique. Et c'est alors qu'il persécute, frappe et tue, sentant bien qu'il attaque une force plus solide que ses raisons et que la raison seule n'entraînera pas sans la violence et la corruption. »
Nous laissons donc nos ennemis, nos concurrents et hélas une bonne partie de notre corps enseignant discréditer l'action de la France sur tous les points du globe où la mission de notre patrie a conduit ses soldats, ses médecins et ses missionnaires.
Car les gouvernements eux-mêmes n'agissaient guère que contraints et forcés soit par l'opinion d'une élite, soit pour résister aux entreprises manifestement soudoyées par nos rivaux européens.
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Ce sont les gouvernements qui parlaient le plus de démocratie, de justice et d'humanité qui ont le moins réalisé d'œuvres concrètes permettant d'élever le niveau de vie des populations africaines. Il suffit de regarder une carte routière de l'Afrique occidentale pour constater qu'entre la Guinée portugaise et le Sierra Leone, notre Guinée apparaît comme une *terra incognita* toute blanche des atlas de notre enfance. Il y a dix fois autant de routes en Guinée portugaise qu'en Guinée française ; nous ne parlons pas bien entendu des régions montagneuses.
L'effort très réel fait depuis dix ans ne compense pas à ce sujet les cinquante ans de retard qu'ont nos colonies sur les colonies anglaises ou belges qui ont le même âge. Et ces gouvernements inaptes à envisager le bien commun combattaient et entravaient les efforts de ceux qui pouvaient élever le niveau moral des populations. Tous les observateurs ont remarqué dans les congrès africains de cette année même que les représentants de langue anglaise sont bien plus pondérés, ont un sens meilleur des résolutions pratiques à envisager que ceux des pays de langue française. La raison en est dans l'enseignement idéologique que nous donnons aux étudiants africains : il leur est enseigné une justice abstraite qu'il faut appliquer de force, nullement la manière dont on devient juste soi-même.
HEUREUSEMENT une bonne partie des Français qui sont allés aux colonies ont eu conscience du rôle moral qu'ils devaient jouer. Heureusement la valeur morale d'une colonie ne se mesure pas à la longueur de ses routes. Notre corps de médecins coloniaux a fait une œuvre magnifique ; le célèbre médecin-colonel Jamot a vaincu la maladie du sommeil au Cameroun. En 1930 il arrive en A.O.F. où on a dénombré 200.000 sommeilleux. Il y en a 75.000 en Haute-Volta. Là il rencontre un Père Blanc docteur en médecine, le Père Goarnisson, ordonné en 1930 seulement, et qui a suivi avant de s'embarquer les cours de médecine coloniale de Paris. C'est de lui surtout que nous allons parler, non pas tant à cause de son œuvre médicale, très grande pourtant, que par suite de l'importance sociale, civilisatrice et morale de son action.
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On a beaucoup parlé du docteur Schweitzer : c'est un homme comme nous les aimons ; un homme qui part au Gabon y jouer du Bach, soigner les noirs et leur montrer par l'exemple ce que sont les vertus chrétiennes, est particulièrement estimable. Il est allé là-bas avant 1914 alors que la région était à peine connue, il a abandonné pour cela les situations brillantes et faciles que ses talents pouvaient lui obtenir aisément en Europe. Il l'a fait en chrétien. C'est un exemple personnel qui inspire le respect : beaucoup plus que son œuvre de médecin restée toute locale et rudimentaire. Mais il ne l'a pu entreprendre que parce que Brazza et ses collaborateurs héroïques étaient passés par là. Au premier voyage de découverte le pays était divisé en tribus qui se faisaient perpétuellement la guerre. De Brazza n'avait pu pénétrer à Lambaréné même que par suite de cet extraordinaire ascendant moral d'un homme de génie dont la loyauté et la bonté étaient manifestes. Qu'en pleine sauvagerie un homme de Lambaréné l'ait compris suffit à prouver les réserves de bien, d'honneur et d'amour que Dieu a ménagé à ces populations noires. Enfin ce sont nos soldats qui ont assuré la sécurité du docteur Schweitzer et des milliers de missionnaires font ce qu'il a fait ; ils soignent les malades, bien plus complètement que n'importe qui.
IL S'EST TROUVÉ que Dieu avait doué le Père Goarnisson afin qu'il pût devenir un médecin remarquable, un apôtre décidé et un organisateur aux vues larges et grandes. Le médecin colonel Jamot se rendit compte aussitôt des qualités du nouveau missionnaire : il lui demanda de former des infirmiers spécialisés dans la lutte contre la maladie du sommeil. Cent d'abord pour la Haute-Volta, vingt-trois pour le Niger, trente-quatre pour le Soudan et tout le reste de l'A.O.F. De 1931 à 1935 le Père en forma quatre cents qui devaient faire six mois de stage avec cours et laboratoire. Tous les malades des environs étaient dirigés sur l'école.
Mais la thérapeutique antisommeilleuse est délicate et peut entraîner des accidents allant du simple trouble oculaire à la cécité complète En collaboration avec le médecin colonial Lefrou, le Père Goarnisson examina minutieusement le fond de l'œil de plus de 3000 malades. Il contribua ainsi à préciser les lésions oculaires causées par chaque dose de remède et à fixer les doses à ne pas dépasser.
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L'œuvre accomplie est un succès tel que le député de la Haute-Volta, le docteur africain Conombo, déclarait : « Il est permis de dire avec force que la lutte contre la maladie du sommeil, menée depuis 1932 par ces apôtres que furent Jamot et Maraz et qu'est le R.P. docteur Goarnisson, cette lutte a abouti, en quelques lustres, à une victoire totale. »
Les passions l'emportent tellement sur la raison qu'en 1951, à la Semaine sociale de Montpellier, un jeune Togolais, étudiant en médecine escalada la tribune en pleine séance pour vitupérer l'incurie française en Afrique : « Qu'a-t-on fait, par exemple contre la maladie du sommeil ? » s'écria-t-il. C'est le propre de la jeunesse d'ignorer le passé et de croire que le monde commence avec elle. Mais les assistants auraient cru ce jeune homme, si la Providence n'avait fait que le Père Goarnisson se trouvait parmi les assistants.
Cette œuvre médicale est un grand bienfait assurément, mais l'œuvre du Révérend Père est d'une bien autre étendue ; il avait alors formé quatre cents Africains à devenir des collaborateurs intelligents et soigneux des médecins français ; il avait trié parmi eux ceux qui étaient capables de faire des moniteurs ; voilà pour l'avenir.
Cependant le Père quitta en 1935 la direction de l'école de Trypanosomiase pour s'occuper plus spécialement du dispensaire d'Ouagadougou et former s'il se pouvait des Sœurs infirmières africaines qui pourraient remplacer les Pères dans les dispensaires. Il leur donna un cours de médecine dans la langue du pays, Et comme leur enfance n'avait guère manié que calebasses et autres canaris, il fallut les initier à nos poids et mesures en un domaine où il peut être périlleux de dire « à un gramme près », Que d'artifices de la part du professeur pour inculquer à cette première phalange les notions de degré, centicube, milligramme !
Trois ans de formation. Chaque matin, les élèves soignent les malades du dispensaire avec les Sœurs Blanches et sous leur direction, passant trois mois dans chaque service. L'après-midi, cours théoriques par le Père ou une Sœur Blanche infirmière.
Dix Sœurs Noires ont le diplôme officiel d'infirmières. Si les quinze premières ne l'ont pas, c'est parce que, ignorant le français, leur instruction se fit en moré, C'est pourtant l'une d'elles qui est la grande spécialiste des opérations de la cataracte.
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Ces religieuses du pays Mossi soignent les maladies et blessures courantes, font les piqûres, préparent les remèdes, tiennent le registre des consultations et des médicaments à demander, pratiquent les techniques courantes de thérapeutique et de chirurgie oculaires. Plusieurs, familiarisées depuis longtemps avec le microscope, sont d'excellentes laborantines.
Dix autres opèrent le trichiasis et deux la cataracte. Les chirurgiens européens, qui les voient à l'œuvre, ne peuvent qu'admirer leur sang-froid et leur habileté opératoire. Ajoutons que deux Sœurs Noires ont mérité la médaille de bronze des épidémies.
Les chefs du service de Santé de Dakar, frappés des résultats obtenus par le Père, lui confièrent alors la formation des élèves infirmières de la Haute-Volta ; ces jeunes infirmières laïques étudient aux côtés des religieuses noires.
Qu'on nous permette ici une simple observation. Une infirmière diplômée qui, en France, donnerait un coup de bistouri dans un simple furoncle ferait un « acte médical » et serait regardée de travers par le médecin du lieu ; et il ne faudrait pas qu'elle recommençât souvent. A Ouagadougou une religieuse noire qui ne sait pas le français a déjà opéré 400 cataractes à la satisfaction de tous. Les services officiels de Santé de la colonie avec un sens du bien commun qui les honore ont toujours agréé avec empressement le concours des Missions, en ressources et en personnel, fournissant de leur côté remèdes et subsides, selon les possibilités.
C'est que médecins coloniaux et missionnaires eurent à passer ensemble des heures héroïques unis par la pensée du bien. En 1938-39 sévit une épidémie de méningite cérébro-spinale, avec deux mille décès dans le centre où débuta la maladie. Le Père Goarnisson organise cinq centres de traitement avec des missionnaires ayant suivi les cours de médecine pour missionnaires organisés par l'Université catholique de Lille ; il leur montre à faire des ponctions lombaires pour dépister la maladie. En 1945 il y a recrudescence de la même épidémie. Un vaste camp d'isolement est établi près du dispensaire de la mission. Huit hangars de 25 5 mètres. Ils abritent 700 malades. Les religieuses assurent le service de jour. Les Pères et un abbé africain le service de nuit.
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Aujourd'hui ces religieuses tiennent sept dispensaires dans la brousse. Lors des épidémies ces dispensaires deviennent des centres importants de dépistage et de traitement. Des cités provisoires en paille tressée s'édifient alentour pour héberger les malades apportés de tous côtés.
Nous ne pouvons qu'indiquer les immenses services rendus aux populations africaines. Voici un exemple : ces épidémies font beaucoup d'orphelins ; il y en a en permanence à la mission, il s'agit de nourrir de 80 à 100 orphelins par jour. Avec quoi ? Avec la charité que peuvent faire les Français ; on refuse les enfants quand on n'a plus d'argent pour leur acheter du lait.
On a vu que le R.P. Goarnisson avait dû étudier spécialement les cas de cécité à propos du traitement de la maladie du sommeil. Or les cas de cécité sont très nombreux dans toute l'Afrique par suite du manque d'hygiène. Le docteur Conombo, député de la Haute-Volta, rappelait avoir rencontré vers 1930 « une kyrielle de trente-huit aveugles du canton de Tuili, cheminant sur les bas-côtés de la route et conduits par un seul guide ». En 1937 le jeune dispensaire d'Ouagadougou avait donné 32 000 consultations pour les yeux. Un médecin chef du service de Santé disait alors au Père Goarnisson : « Vous devriez spécialiser à fond votre dispensaire pour les yeux. Ailleurs nous pouvons vous concurrencer. Mais dans cette branche nous ne pourrions avoir d'ici longtemps un service continu de spécialistes. »
Une Sœur canadienne, Sœur Radegonde, qui avait passé de longues années comme directrice de l'Institut des yeux de l'Afrique du Nord vint seconder le Père Goarnisson. Quand la maladie l'eût contrainte à regagner nos contrées d'autres Sœurs Blanches lui succédèrent. Depuis vingt-cinq ans les praticiens du territoire dirigent sur Ouaga les Européens atteints d'affections oculaires.
On peut dire en chiffre rond, en restant au-dessous de la vérité, que le dispensaire a rendu la vue à plus de 5000 aveugles. En 1958 il y a eu pendant le premier trimestre 520 consultations par jour ouvrable. Il y a une douzaine d'opérations chaque après-midi, Le Père Goarnisson se réserve les cas graves. Il est assisté d'une Sœur Blanche secondée par deux Sœurs Noires et quatre ou cinq élèves infirmières. Ce travail exténuant se fait par une température presque toujours supérieure à 40 degrés, sans ventilateurs, dans une grande pauvreté de moyens.
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Il y a un service de médecine générale, de médecine enfantine, enfin une école d'infirmiers et d'infirmières où le Père Goarnisson donne un cours tous les après-midi. Il y a eu en 1957 222 000 consultations dont 94 000 au pavillon des yeux. Certains malades font des centaines de kilomètres pour venir trouver celui que les indigènes appellent le DOCTEUR LUMIÈRE.
MAIS L'ŒUVRE PRINCIPALE du R.P. Goarnisson est d'avoir tiré de leur sauvagerie une élite africaine pour en faire le soutien et l'éducatrice du peuple dont elle est sortie. En 1922, lorsque deux jeunes filles mossi parlèrent de se faire religieuses, la Mission faillit être prise d'assaut. Leur maison-mère est aujourd'hui installée dans un village où la maladie du sommeil avait laissé trois familles, village aujourd'hui prospère où le petit séminaire contient soixante-quinze élèves. En vingt-cinq ans le Père Goarnisson a formé un millier d'infirmiers et infirmières, il a fondé dans une très grande pauvreté les institutions capables de continuer cette œuvre, et laissé des méthodes fructueuses, composé un Guide médical africain qui en est à la 41^e^ édition. Il a aussi créé un milieu social africain dont la base est la charité, et les Mossi qui voient des Sœurs Noires de leur race s'exposer à la contagion et les soigner avec zèle leur disent : « Ta religion est la vraie. »
Henri CHARLIER.
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### Emmanuel Mounier (II)
#### IV. -- Les maîtres-mots
S'il y a, aujourd'hui, en milieu chrétien, un vocabulaire établi porteur d'orientation morale et de dynamisme pour l'action, c'est en grande partie dans les dons d'Emmanuel Mounier qu'il faut en rechercher la source. Si certains mots reviennent fréquemment en écho, -- ces mots de « pureté » et « d'engagement », « d'affrontement » et « d'avant-garde », de « présence au monde » et « d'assomption des valeurs » -- c'est que l'œuvre de Mounier a rayonné très largement même chez ceux qui ne l'ont jamais lue, et parfois ignorent jusqu'à son existence.
Ces mots, ces maîtres-mots, sont passés dans l'esprit de quelques hommes, clercs ou laïcs. Puis ils se sont établis dans des organisations et en ont très fortement marqué l'esprit. Leur vitalité secrète a apporté, parfois, plus qu'une orientation éthique : une sorte de spiritualité.
Ces mots entre eux se tiennent, et correspondent à un ensemble cohérent de normes qui règlent pratiquement chez beaucoup cet « engagement dans le temporel » dont la formulation même est intimement unie à la vision de l'histoire de Mounier.
Pour bien pénétrer sa pensée à ce propos, il faut en mettre dans une vive lumière les éléments qui expriment sa volonté d'apostolat.
Mounier est scandalisé par le fait que les chrétiens, repliés sur eux-mêmes dans l'Occident, « *ne voient pas que le monde, massivement, se fait en dehors d'eux et contre eux. Ils se distraient en œuvres, mouvements, partis, spectacles de bon et de mauvais goût. Jusqu'à ce que quelque Sedan spirituel leur ouvre enfin les yeux. Jusqu'à ce qu'une agonie, cette fol sans métaphore ni échappatoire, de la chrétienté sur laquelle nous vivons depuis dix siècles, les décide à ne plus masquer l'ampleur de la crise* » ([^15]).
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De telles lignes qui expriment la pensée profonde de Mounier, bien avant la guerre de 1939, sont la signature d'une vocation. Apôtre, Mounier voulut l'être, de toute son âme, et jusqu'aux limites de la terre. Devant la montée démographique des peuples, l'extension du vœu démocratique, le développement des applications du progrès technique, il jette les yeux sur la civilisation chrétienne, ce petit cap de l'Europe occidentale, et il frémit. Il frémit pour le christianisme lui-même, qui devrait être expansion, vie débordante, et qui semble soudain parqué, replié sur soi ; non plus exubérance vitale, mais survivance étriquée, attachée à une conception bourgeoise, c'est-à-dire égocentrique et individualiste, de la vie. Et il proteste. Et il crie. Et il lui semble qu'il y a dans l'Église des structures trop lourdes à porter, des adhérences sociologique qui rendent méfiants les peuples encore éloignés d'elle. Il sent qu'il faut qu'elle s'adapte, qu'elle soit présente au monde qui se fait. Il faut la dégager des compromissions qui la rendent suspecte, lui redonner sa pureté transcendante en même temps qu'il faut pousser les chrétiens à s'engager dans la réalité temporelle telle qu'elle est -- et non telle qu'ils la rêvent dans le cercle étroit de « Feu la chrétienté ».
Au point de départ donc, une exigence impérieuse d'apostolat, un désir de conquête. Simultanément, un souci de réalisme et d'efficacité grâce aux détachements nécessaires à une pleine adaptation au milieu. Enfin, le sens aigu de l'action de la grâce à travers l'histoire dont il montre la puissance en évoquant « *l'image* du *levain, du ferment ou du sel* » ([^16]).
On voit la place que peuvent venir naturellement occuper les maîtres-mots dans la perspective évangélique. La « pureté », c'est le détachement nécessaire que le chrétien doit pratiquer afin d'être tout à tous. « L'engagement », c'est le risque qu'il doit courir afin de jouer vraiment son rôle de levain dans la pâte. « L'avant-garde » c'est le corps franc de ceux qui, au risque sans doute d'erreurs ou d'excès, n'en ouvrent pas moins généreusement le chemin à travers les structures sociologiques actuellement fermées au christianisme.
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L' « affrontement », c'est la nécessité de ne point s'installer, de ne point se scléroser, mais de savoir à tout moment, être rupture, rebondissement. La « présence au monde » c'est le souci de ne rien ignorer de ce qui meurt et de ce qui naît, de ce qui mûrit et qui s'épanouit. Quant à la volonté « d'assumer les valeurs » elle exprime l'antique doctrine de Paul de tout restaurer dans le Christ, tout, hors le péché.
Ainsi, sous cet éclairage, les maîtres-mots de Mounier sont bien les maîtres-mots de l'apostolat. Ils ne font qu'exprimer la doctrine chrétienne la plus certaine, l'esprit paulien le plus authentique...
Et pourtant ces maîtres-mots n'ont pas rempli leur rôle car ils n'apparaissent pas, une fois sortis au sein de l'œuvre philosophique de Mounier, dans la pure lumière évangélique. Ils émergent soudain dans une lumière nouvelle et étrange, analogue et pourtant originale.
C'est en effet dans le cadre de la méthode personnaliste et de la vision de l'histoire qui en dérive qu'Emmanuel Mounier a interprété les maîtres-mots qu'il portait en lui. Dès lors, ces mots, dans l'âme, ne rendent plus le même son.
La méthode personnaliste, on le sait, conduit à penser « *qu'un point de vue historiquement situé... jamais, ne pourra se proposer comme une définition adéquate de la nature de l'homme* » ([^17]). Ce que chaque époque prend pour l'homme éternel, pour la nature humaine ou pour l'ordre naturel de la société, n'est que l'image d'un temps, l'homme et la société d'un temps. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de définition satisfaisante de la nature humaine pleinement et universellement vraie.
Dans ce contexte, LA PURETÉ CESSE D'ÊTRE UNE QUALITÉ DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE OU DE LA VIE CHRÉTIENNE. Elle devient un souci de « *ne pas avilir la transcendance chrétienne dans des aménagements boiteux, ridicules devant le monde et ridicules devant Dieu* » ([^18]). Autrement dit, la qualité des valeurs lorsqu'elles sont complètement dégagées des « amalgames » de l'ambiance. Tenter d'incarner le christianisme en une « chrétienté », c'est le mêler d'impureté, c'est le rendre abominable.
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C'est donc une utopie, pense Mounier, de croire que l'on peut « incarner » une doctrine sociale chrétienne. La majeure partie de l'humanité se développe en dehors de toute idée de chrétienté. Ce qu'il faut, c'est admettre que « *dans l'effort d'organisation du monde qui se poursuit depuis deux siècles en matière notamment politique, sociale et économique, le monde chrétien dans son ensemble est dans un retard parfois considérable sur le monde tout court. En ces matières, donc, une élémentaire honnêteté morale et intellectuelle veut qu'au lieu de dogmatiser, de déduire hâtivement n'importe quoi de n'importe quoi, le chrétien se mette à l'école. Qu'au lieu d'employer à* « *incarner* » *sa doctrine un instrument démodé et inefficace qui le ridiculise, il l'approfondisse d'un côté et que de l'autre il regarde, s'instruise, comble son indigence. A l'égard, donc, des propositions et des valeur qui sont nées, en matière temporelle, en dehors de son climat sociologique, il aura bien plus souvent, aujourd'hui, a assumer* (*en corrigeant, sans doute*)*, qu'a incarner* » ([^19]).
C'est, on le voit, une véritable stratégie de l'action sociale catholique que ces lignes contiennent. Cette stratégie repose sur un optimisme explicite à l'égard de tout ce qui est né en dehors du contexte chrétien, et sur un pessimisme non moins explicite à l'endroit de « l'instrument démodé cet inefficace » lorsqu'on veut l'employer à incarner la doctrine. « *Car il ne s'agit plus en effet de déduire des Encycliques une* « *doctrine sociale chrétienne* » *qui s'essouffle, péniblement pour son prestige, à cinquante ans en arrière du développement des idées et des faits* » ([^20]). A chaque fois en effet que les hommes tentent de déduire ou d'incarner cette doctrine attardée, ils en profitent pour introduire leur propre interprétation des principes chrétiens. Cette interprétation, ils l'attribuent à l'Église et, par le fait, ils pèchent contre la « transcendance chrétienne », contre la pureté.
Au lieu de déduire une doctrine des Encycliques et d'incarner cette doctrine, le chrétien doit à l'inverse s'efforcer d'assumer les valeurs qui se sont dégagées en dehors de l'Église et pour cela, il doit être résolument ouvert, présent au monde qui se fait, afin que ce monde ne se fasse pas sans lui, et que par ses options temporelles il participe au progrès historique de l'humanité.
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Comme on le voit, Mounier applique les maîtres-mots de l'apostolat à une méthode bien déterminée d'action sociale, dans le cadre non moins déterminé de sa vision de l'histoire.
C'est pour cela que la pureté, l'engagement, l'affrontement, la présence au monde, la volonté d'assumer les valeurs d'une avant-garde courageuse, qui sont choses bonnes, qui sont trouvailles dynamiques pour réveiller, Dieu aidant, les chrétiens somnolents, résonnent pourtant étrangement aux oreilles. Car cette pureté, finalement, conduit très précisément à *chercher partout,* SAUF DANS LES ENCYCLIQUES, *la solution du problème social.* (Sans cela, les incarnations imparfaites de cette doctrine risqueraient de corrompre la pure transcendance chrétienne.) Cet engagement conduit à *rejeter tout ce qui est héritage de chrétienté et à militer systématiquement dans tout ce qui est organisation non-chrétienne ou anti-chrétienne.* (Faute de quoi les chrétiens se replient en « ghettos » sur eux-mêmes et cessent d'avoir une attitude d'accueil.) Cette volonté d'assumer les valeurs aboutit à *assumer les erreurs* qui, tels le libéralisme ou le socialisme, représentent, dans une vision unilatéralement temporelle, le « sens de l'histoire » ... (Faute de quoi, le chrétien s'engage ouvertement contre la volonté providentielle de Dieu manifestée dans le temps.)
Ces conséquences ne semblent, il est vrai, pas si redoutables à Mounier, dont la vision de l'histoire est aussi naïvement confiante que sa critique de la chrétienté est acerbe.
« *Le Christianisme est souvent en retard en matière politique et sociale. Ceux qui disent qu'il fut toujours une force* « *réactionnaire* », *sous des préjugés qu'il serait trop long d'évoquer, touchent une vérité incontestable pour une large part de son histoire* » ([^21]). Donc, quitter le christianisme en matière politique et sociale est, pour le chrétien, un simple devoir, une simple nécessité de se remettre à l'heure. Moyennant quoi, lorsque les derniers chrétiens auront quitté le navire de la chrétienté déjà à demi englouti par les flots de l'histoire, leurs barques de sauvetage se transformeront en chaloupes d'assaut, avant-gardes courageuses qui réintroduiront le Christ dans les structures sociales et économiques du monde qui se fait » *Les civilisations aussi, non consacrées, ne sont qu'un peu de blême pâte friable mais même alors, une sorte de crainte révérencielle nous empêche de les prendre à la légère, car elles ont la forme de ce qui est fait pour être consacré* » ([^22]).
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Hélas, non ! les États socialistes n'ont pas la forme de ce qui est fait pour être consacré, et l'histoire n'est pas un sacrement. La théologie de l'Église enseigne que la grâce élève la nature. Mais elle enseigne aussi qu'elle permet à la nature de se redresser, de se perfectionner conformément au droit. L'erreur, l'erreur tragique, l'erreur atroce de Mounier fut de raisonner comme si la grâce élevait, non la nature en la redressant, mais l'Histoire, en la consacrant. L'histoire, -- qui depuis la première faute, est si souvent contre nature.
#### V. -- Mounier et le communisme
La position de Mounier est complexe. Ses erreurs, même ne doivent à aucun moment nous détourner du message que, par vocation, il avait à nous délivrer : la critique de notre pharisaïsme, de notre conservatisme de chrétiens installés, de nos indifférences ou de nos fuites devant les misères de l'âme et du corps, -- le souci d'un monde païen à séduire vers le Christ.
Car telle était sa vocation, -- et tel son projet. Son projet, nous le croyons sincère, profond, sa pensée instante. Mais s'il en a voulu les fins suprêmes, il en a ignoré ou méconnu les moyens véritables. Il en a méconnu les moyens selon la doctrine de l'Église. Il a voulu se faire l'artisan et le point de départ *d'une stratégie qui n'était pas celle de l'Église,* et *qu'il a fait pénétrer dans l'Église,* au point qu'avec une droiture que l'on peut découvrir à la racine même de ses intentions, il a développé, en France, au Canada français, et dans d'autres pays une vision faussée de l'action chrétienne.
Il en a résulté un douloureux malaise, des incompréhensions butées, des doutes et des tensions qui, hélas, ne sont pas encore dissipés. Il en a résulté aussi un affaiblissement de la soumission due au Magistère ordinaire du Pape.
La position de Mounier à l'égard du socialisme, du collectivisme et du communisme illustre bien cette volonté d'une stratégie autonome en contravention douloureuse avec l'enseignement et les directives de Rome. Pour la saisir, il faut se placer d'emblée dans la perspective qu'il adopte.
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Le monde est en crise. Les marxistes affirment que cette crise vient des structures : opérez l'économie, le malade se remettra. Les chrétiens « moralistes » affirment que cette crise est dans l'homme, et que la réforme des mireurs doit servir de perspective à la mise en œuvre de la réforme des institutions elles-mêmes. Quant à Mounier, il entend faire la synthèse. La crise est à la fois une crise économique et une crise spirituelle. Ce n'est pas l'Église qui peut résoudre la crise économique. Or, « *le communisme représente pour l'instant, sur le plan des forces, la seule menace sérieuse au désordre capitaliste* » ([^23]). Ce capitalisme est aux yeux de Mounier le désordre établi. Seul le socialisme répond à l'exigence actuelle de l'histoire. Pour ce qui est du communisme en lui-même. Mounier se défend de dire qu'il va dans le sens de l'histoire, mais en même temps, il affirme qu' « *il y a dans le communisme quelque chose qui, en tant qu'il n'est qu'une pointe du socialisme, répond aux exigences actuelles de l'histoire profane* » ([^24]), et aussi qu' « *il y a dans la réalité historique concrète du communisme des éléments essentiels de libération que nous n'avons pas le droit de méconnaître, ou de débouter parce qu'ils sont liés effectivement aujourd'hui à des perspectives historiques ou à d'autres réalités historiques que nous rejetons* » ([^25]).
Incontestablement, nous sommes loin de la condamnation du communisme « intrinsèquement pervers » portée par Pie XI en 1937. Comment un intellectuel chrétien, comment un catholique a-t-il pu en arriver à ce degré (inconscient, croyons-nous) d'incompréhension manifeste des directives de l'Église ?
Pour le pénétrer, il faut évoquer la notion d'engagement telle que Mounier la reprend à Scheller et à Jaspers ([^26]).
« *Le vrai sens de l'engagement spirituel* », écrit-il, « *ce n'est pas un développement historique aisé d'une situation imaginairement préconçue, mais la confrontation imprévisible et brutale à des situations de fait dont nous n'avons pas accepté les données* et *dont le développement nous échappe en grande partie* » ([^27]).
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Il y a là une volonté de réalisme fort opportune à évoquer aux heures de la fuite dans le rêve social ou dans le rêve politique. Malheureusement, Mounier applique en idéologue cette volonté de réalisme. Elle ne le conduit pas seulement à accepter son milieu, sa famille, son quartier, sa patrie et les communautés plus vastes, mais à accepter les mouvements de pensée : « *Du mouvement socialiste et prolétarien des cent dernières années, si je pense qu'il va dans le sens de l'histoire, c'est à la lumière d'une conjoncture naturelle* » ([^28]).
Ainsi, l'engagement exprime l'acte positif d'acceptation des courants d'idées historiques, des orientations politiques. Or ces courants, ces orientations, remarque Mounier, sont mélangés. Ils contiennent du bon et du mauvais.
Des choix sont à faire, jamais pleinement satisfaisants. Face au six février, à la guerre d'Espagne, au Front populaire, à Munich, à Vichy, Mounier et ses compagnons chrétiens ont parié. Ils ont parié pour le côté qui allait dans le sens le plus en accord avec leur motivation profonde : celle d'être présent dans le monde en formation. Il fallait donc parier pour le vainqueur probable. Leur choix fut le même que le choix communiste, mais pour des motifs différents. Les personnalistes chrétiens voulaient hâter, par leur option, l'avènement des structures que plus tard l'Église consacrerait.
Cette notion de l'engagement correspond au refus, par Mounier, des valeurs absolues : « *Une philosophie pour qui il existe des valeurs absolues est tentée d'attendre, pour agir, des causes parfaites* et *des moyens, irréprochables. Autant renoncer à agir. L'absolu n'est pas de ce monde* et *n'est pas commensurable à ce monde. Nous* ne *nous engageons jamais que dans des combats discutables sur des causes imparfaites. Refuser pour autant l'engagement, C'est refuser la condition humaine* » ([^29]).
C'est par ce biais que Mounier va se trouver amené à juger certaines directives de l'Église. Puisque tout engagement comporte, inévitablement, une part de discutable et d'imparfait, les « engagements temporels » de l'Église elle-même sont, en tant que tels, discutables.
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Au lendemain du décret du Saint-Office sur le communisme du 1^er^ juillet 1949, Mounier ne cache pas sa pensée à André Dumas : « *La décision du Saint-Office est un acte disciplinaire. Le mode suivant lequel il contraint ou appelle et, au sens plein, l'autorité qu'il porte, ne sont pas les mêmes que ceux de l'Église enseignante dans la plénitude de sa mission d'Église... C'est donc un acte de nature telle qu'un catholique peut y chercher la mesure de pureté et la mesure d'impureté sans céder à aucun laxisme spirituel... Cependant notre attention de fidèles ne peut pas ne pas être attirée par l'insistance que met l'Église à cette dénonciation du communisme. Nous pouvons faite l'hypothèse d'une erreur historique massive* (*il y en eut d'autres*)*. Nous la faisons. Mais nous devons faire aussi l'hypothèse* *prophétique, et chercher.* » ([^30])
On voit la position. Elle exprime bien ce que Mounier croyait une objectivité supérieure. Par son décret, qui coupe les ponts avec le communisme, l'Église voit peut-être très loin... Ou bien, elle fait une erreur historique massive, dans le cas où le communisme serait appelé à donner au monde une forme économique et sociale dans laquelle l'Église elle-même devrait un jour s'infiltrer à nouveau !
Comme, de toutes façons, « l'acte d'un ministère ecclésiastique n'est pas tout spirituel » et que d'ailleurs « il n'est pas pour autant tout entier ni principalement politique » ([^31]), notre liberté de jugement pour faire le tri entre la pureté (transcendante) du christianisme, et l'impureté (des options temporelles) du Saint-Office semble à Mounier suffisante pour soumettre les actes de cette Suprême Congrégation au libre examen des catholiques.
Peut-être Mounier espère-t-il que cette attitude de catholiques à la fois sincères et « dégagés » de la soumission spontanée fournira un argument apostolique convaincant à ses éventuels lecteurs communistes. Peut-être songe-t-il que ses lecteurs communistes se convertiront plus facilement, à le voir ainsi prendre ses distances avec le Pape et l'Église. Peut-être espère-t-il, par cet effort d'adaptation au monde, rapprocher l'Église de ceux qui ne la connaissent pas. Ce n'est point, on le voit, son intention qui est en cause.
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Mais Mounier est sûr de lui, de sa vision de l'histoire, de l'attitude personnaliste qu'il a vécue, formulée, enseignée. Il a sa stratégie à lui, et avec une invincible tranquillité, il y entraîne ses frères dans la foi pour une plus efficace conquête des autres. En quelque façon, dans sa certitude de conduire les chrétiens vers un socialisme voulu de l'histoire, il a substitué son jugement en matière sociale et politique à celui du Docteur et du Pasteur de l'Église Universelle.
#### VI. -- Bilan
Emmanuel Mounier avait la vocation de l'apôtre. Il y répondit de tout l'élan de sa foi, et cependant suivit des voies intellectuelles qui, peut-être ou sûrement, ne furent pas celles de la foi.
Il a souffert de voir tant d'hommes loin de l'Église, et construire le monde à côté d'elle. Il a souffert de voir les chrétiens installés paresseusement, oublieux de leur mission d'apostolat. Il a pensé que la société de demain, non plus seulement occidentale, mais africaine, mais asiatique, s'édifierait à côté, en dehors, au-delà de la chrétienté traditionnelle. Sa conscience aiguë du problème le porta à croire qu'il avait la responsabilité de trouver la solution et de la mener à bien jusqu'aux extrêmes limites de ses forces.
Et tout cela est vrai, tout cela est grand, tout cela fut vivant et intense dans son âme. Et les moyens, cependant, furent contestables. Ils furent même, en certains cas, déplorables.
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L'efficacité chrétienne, c'est la sainteté. C'est la prière, la soumission intérieure totale au Christ Jésus, la dépendance sans réserve de l'âme et du corps à la volonté de Dieu qui font croître la grâce en nous. C'est la surabondance de la vie divine, c'est la bouche qui parle de l'abondance du cœur, qui font l'apôtre. Et c'est quand le cœur est plein du Christ, c'est quand la bouche annonce les merveilles de Dieu, à temps et à contre-temps, que, par grâce et souvent sans les habiletés humaines, les cœurs sont touchés, les païens se convertissent, les tièdes retrouvent force et vigueur.
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C'est la sainteté qui convertit. Très précisément, c'est la sainteté de l'Église, c'est-à-dire Jésus-Christ répandu et communiqué dans les membres de son Corps mystique, vivant en eux, agissant en eux, par eux, à travers eux. Et le Seigneur est d'autant plus puissant à travers nous que nous lui sommes intérieurement plus totalement fidèles. Et le Seigneur rejoint d'autant mieux les autres à travers nous que nous pouvons mieux répéter, avec Paul : « Ce n'est plus moi qui vit, mais le Christ. »
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Emmanuel Mounier voulut accroître l'efficacité des chrétiens. Pour cela, et sans pour autant oublier la sainteté, il s'attacha principalement à les conduire à une révision des *méthodes* de pensée, d'action, d'apostolat.
Dans le drame de la montée des peuples en dehors de l'Église, il ne vit pas d'abord le résultat d'une carence de la vie intérieure, d'une dispersion dans la sensation ou dans l'activisme. Il vit d'abord le résultat de routines désuètes, de méthodes démodées.
Étrange coïncidence ! C'est bien au pharisaïsme qu'il s'en prend d'abord ! Et ce faisant, il va à l'essentiel. C'est bien au vieillissement et au durcissement des catholiques qu'il s'attaque. Et ce faisant, il est bien dans la première démarche de la réponse que les chrétiens doivent donner à Dieu : dépouiller le vieil homme.
Mais le pharisaïsme auquel il s'en prend n'est pas d'abord l'obstacle à la vie intérieure. C'est l'obstacle à l'adhésion extérieure des non-chrétiens. Mounier tente de briser la coquille des traditions vidées d'âme, non d'abord pour renouveler la vitalité de l'âme, mais d'abord pour balayer des traditions qu'il juge un handicap face à la montée du monde moderne.
C'est ici que l'attitude s'infléchit. Au lieu de condamner le pharisaïsme pour *intérioriser davantage la vie des chrétiens,* les rendre plus saints et partant, plus apôtres, Mounier condamne le pharisaïsme pour *extérioriser davantage l'adaptation des chrétiens* au monde moderne et rendre les peuples moins méfiants à l'égard de l'Église.
Question de proportion ! Il faut d'abord la sainteté ; secondairement et selon les circonstances, trouver les formules concrètes qui permettent d'être tout à tous.
Mounier s'attacha principalement à la révision et à la critique de ces formules concrètes. A l'heure de la grande épreuve de son foyer, sa foi a eu, selon un mot d'Étienne Borne, ses moments de sainteté. C'est le secret de son âme. Mais ce n'est pas l'orientation de son œuvre.
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L'orientation de son œuvre tend à rendre l'Église acceptable aux hommes qui, lui semble-t-il, édifient déjà le monde de demain. Elle tend à obtenir, non la purification des chrétiens dans le sang du Christ, mais la purification de l'Église, encore alourdie de tout ce qui n'est pas la transcendance chrétienne. Il veut la dégager des adhérences sociologiques et des amalgames de l'ambiance. Il veut la détacher des structures du désordre établi par la propriété privée. Il veut la faire renoncer à des Encycliques qui véhiculent une pensée retardataire. Il veut faire le tri entre le pur et l'impur dans ses décisions disciplinaires. Il pense que l'Église, devenue simple transcendance, serait mieux acceptée de tous, spécialement des socialistes qui ont la mission historique de bâtir les structures économiques de l'avenir.
Ainsi, du détachement que le *chrétien* doit avoir à l'égard de toute *volonté propre,* Mounier fait un détachement que *l'Église* doit avoir à l'égard de ce qui est *sa pensée propre,* sa doctrine, et de ce qui est *son œuvre propre* : la civilisation chrétienne.
Parallèlement, de l'engagement que le chrétien doit réaliser dans *chaque milieu concret,* famille, paroisse ou mission, tous les jours, pour témoigner sa foi dans le Christ Jésus, Mounier fait un engagement à réaliser dans le *milieu idéologique abstrait* du socialisme montant.
Il a pensé l'efficacité du christianisme abstraction faite -- par méthode -- de la sainteté de l'Église, et il en est venu à concevoir une religion réduite à un surnaturalisme unilatéral. Dans son désir d'efficacité, il a compté sur les renoncements de l'Église pour plaire aux non-chrétiens, plutôt que sur les renoncements des chrétiens, sur les pouvoirs de la prière et de la grâce, pour séduire ces non-chrétiens vers le Christ et son Église.
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Il a, dans l'ordre d'exécution, fait passer l'adaptation avant la sainteté, et il a, sur le plan intellectuel, brouillé les chemins de la sainteté.
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Cela ne contredit point ce que nous avons dit de sa foi, de sa générosité, de son héroïsme personnel. L'élan de sa vie fut chrétien, et commande le respect. Mais sa vision intellectuelle ne fut pas chrétienne.
Car il n'y a pas de sainteté possible en dehors d'un esprit de filiale soumission au Pape. Il n'y a pas de sainteté possible en dehors d'une respectueuse adhésion aux décisions disciplinaires approuvées par le Pape.
Il n'y a pas de sainteté possible s'il n'y a pas adhésion au magistère extraordinaire, et même simplement ordinaire, du Vicaire du Christ. Il n'y a pas vision chrétienne de l'histoire du passé, s'il n'y a pas méditation et assimilation des enseignements et des jugements portés, par le Pape, sur cette même histoire.
Quant à orienter l'Église en fonction d'une vision de l'histoire à venir et en fonction de la probabilité du succès ou de l'échec d'une idéologie temporelle, les Papes s'y sont toujours refusés. Ils sont fidèles à la Vérité et non soucieux de présence dans le succès temporel des idéologies.
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Mais alors ? Et l'efficacité de l'Église ? Et la montée des peuples en dehors d'elle ? Et la nécessité d'adapter notre apostolat aux conditions changées des temps et des lieux ?
La réponse à ces questions n'est pas dans Mounier. Elle est dans l'Évangile et dans saint Paul, dans les Encycliques de Pie XI, dans les discours et les Encycliques de Pie XII. C'est là qu'il faut chercher.
L'efficacité de l'Église dépend de la sainteté des chrétiens. Elle dépend de leur générosité à vivre, dans la prière et dans les sacrements, en vue d'une affectueuse et exigeante fidélité à Dieu. Elle dépend de notre dévotion à la Très Sainte Vierge Marie, de nos supplications et de nos pénitences.
Elle dépend de la sainteté du mariage, de l'éducation chrétienne de nos enfants, de la permanence et de l'extension de l'école catholique. Elle dépend de la fidélité de la presse catholique à l'esprit des directives du Pape et des Évêques. Elle dépend de la purification des meurs, des livres, des spectacles. Elle dépend de la réponse d'un grand nombre de laïcs chrétiens à l'appel des Évêques d'Afrique et d'Asie, qui ont besoin d'auxiliaires consacrés pour l'aide économique, intellectuelle et spirituelle aux pays sous équipés.
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L'efficacité de l'Église ? Elle dépend non de l'abandon de la chrétienté par les chrétiens, mais de son animation de l'intérieur, parfois de sa résurrection, toujours d'une nouvelle effusion des grâces de la rédemption pour la rendre encore davantage féconde et pour qu'elle envoie les messagers du Seigneur dans le monde entier. Et si les chrétiens sont incapables de sanctifier la chrétienté, comment seraient-ils capables de sanctifier des sociétés païennes, ou subverties par le communisme ?
\*\*\*
Faute de méditer les enseignements pontificaux, Mounier n'a pas compris leur raison profonde.
Il n'a pas compris que le socialisme conduit, -- s'il est vraiment socialisme -- au sacrifice de la liberté donnée par Dieu à l'homme. Il est donc inacceptable. Ses succès historiques eux-mêmes, s'ils se produisent, n'y changent rien.
Il n'a pas compris qu'il n'y a dans le communisme rien, RIEN, qui contribue à une libération de l'homme. Il n'a pas compris que l'analyse faite par Pie XI dans *Divini Redemptoris* était, non seulement pleinement objective, mais encore largement prophétique. Il n'a pas compris le sens des mots « intrinsèquement pervers » par lesquels le Souverain Pontife qualifiait le marxisme léninisme. Il n'a pas compris que la propagande du communisme était vraiment diabolique et il s'est laissé abuser par elle. Il a vu une aspiration, là où il n'y a qu'appareil idéologique, publicitaire et policier.
Il n'a pas compris que, même dans l'ordre de la philosophie et de la raison naturelle, il y a des valeurs absolues et que l'engagement dans l'Église, pour défendre et promouvoir ces valeurs, ne ressemble nullement à un amalgame sociologique, mais permet précisément l'incarnation de la société voulue de Dieu, -- si imparfaites qu'en soient les réalisations temporelles.
Il n'a pas compris que le « sens de l'histoire », vision évolutionniste d'une société obéissant au seul déterminisme de la cause matérielle, est une vision incomplète et déformée, et que dans l'histoire, la grâce de Dieu et la sainteté des hommes entrent aussi comme éléments constitutifs, imprévisibles. La civilisation chrétienne en est le fruit.
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Il n'a pas compris que l'efficacité de l'Église dans le monde ne dépend pas de nos techniques, de nos adaptations ni de nos habiletés, même si l'adaptation, l'habileté et la raisonnable mise en œuvre de la technique sont les fruits normaux de la vertu chrétienne de prudence.
Car ce que Marie est venue nous demander à Fatima, le 13 mai 1917, ce n'était point d'améliorer nos techniques ou de « dépasser » les Encycliques, mais de prier, de réciter le chapelet, de faire pénitence, et sans doute, par ces moyens, de devenir, la grâce aidant, plus efficaces dans la restauration chrétienne de l'ordre social. En suite de quoi, Elle a promis la conversion de la Russie, la victoire de Son cœur Immaculé qui ne seront pas conquêtes de nos habiletés, mais Don, Don gratuit, de Dieu.
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Trop attaché à sa vision évolutionniste de l'histoire, Mounier a cru que l'avenir était au socialisme. Or l'avenir est à Dieu.
En lisant les Encycliques, ils les a cru attardées, dépassées. Or elles contiennent l'éternelle pensée de Dieu sur l'humanité.
Elles contiennent la dignité de la personne et les droits inaliénables qui s'y attachent. Elles contiennent la collaboration des classes, la corporation permanente des membres du corps social dans l'unité fraternelle du genre humain, -- et dans le Seigneur, la corporation des membres du Corps dont le Christ est la Tête.
Mounier craignait que la défense doctrinale de certains droits, comme le droit de propriété, ne facilite les fautes et ne scandalise les victimes. Il ne voyait pas que la négation de ce droit loin de supprimer les fautes en aggrave les conséquences et multiplie le nombre des victimes. Il ne voyait pas non plus que le bon usage de ce droit, loin d'être une utopie, est un des fruits de la rédemption.
Trop attardé à sa vision évolutionniste de l'histoire et à la stratégie de présence qu'il en déduisait, Mounier a cru à la fin de la civilisation chrétienne. Or sa vocation d'apostolat était, si on la regarde dans la lumière de l'Encyclique *Divini Redemptoris,* de travailler à régénérer et à étendre cette civilisation, inaugurée par la venue sur la terre du Verbe Incarné, Notre-Seigneur.
Et d'ailleurs, dans sa vie ; personnelle, dans sa vie privée, Mounier a-t-il fait autre chose ?
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D'un article publié par Étienne Borne, en juin 1956, dans la *Vie Intellectuelle* et commentant la publication de carnets et de lettres de Mounier, nous détachons ces lignes :
« *Les lettres nous disent l'épreuve du foyer d'Emmanuel Mounier, la petite fille qui jamais ne put sourire aux siens, ni les reconnaître. L'âme pourtant est là, sans aucun signe sensible. La pensée, chez Mounier, devient passion, et elle atteint alors à un sublime déchirant, lorsque sa Françoise devient pour lui :* « *cette blanche petite hostie qui nous dépasse tous, une infinité de mystères et d'amour qui nous éblouirait si nous le voyions face à face* » ([^32]).
Et dans la même lettre à Paulette Mounier, ce cœur de Père, broyé, mais soumis, poursuit, dans un acte de foi, oui, vraiment sublime :
« *Si nous ne faisions que souffrir et subir, endurer, supporter -- nous ne tiendrons pas et nous manquerons ce qui nous est demandé. Du matin au soir, ne pensons pas à ce mal comme quelque chose qu'on nous enlève, mais comme quelque chose que nous donnons, afin de ne pas démériter de ce petit Christ qui est au milieu de nous, de ne pas le laisser seul travailler avec le Christ...*
« ...*Je ne veux pas que nous perdions ces jours, parce que nous oublierons de les prendre pour ce qu'ils sont : des jours pleins d'une grâce inconnue.* » ([^33])
C'est volontairement que nous terminons sur ces lignes. Notre opposition motivée à l'œuvre de Mounier est une chose. Autre chose est notre respect pour sa personne et sa mémoire, notre admiration pour l'exemple de vie chrétienne qu'il a donné à ses proches, qu'il donne encore, au-delà de la tombe.
C'est une souffrance, il est vrai, de devoir désapprouver une œuvre intellectuelle dans le temps même où l'on admire une vie. Mais n'est-ce pas, là encore, une des grâces de la rédemption ?
Marcel CLÉMENT.
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### NOTES CRITIQUES
#### Dans nos Missels : Saint Pie X guide et promoteur de l'Action catholique
La fête de saint Pie X est le 3 septembre. Nous n'étudierons pas cette année en détail la manière dont il est traité (ou maltraité) dans nos Missels, nous limitant à une seule remarque. La béatification et la canonisation de saint Pie X ont été accompagnées de plusieurs discours de Pie XII, principalement celui du 3 juin 1951 et celui du 29 mai 1954. Or les notices plus ou moins heureuses, plus ou moins précises des Missels que nous avons sous les yeux sont rédigées comme si Pie XII n'avait point parlé, ou comme s'il avait parlé pour ne rien dire, ou comme si l'enseignement du Pape à ce sujet était inconnu des rédacteurs de Missels.
Et pour illustrer notre unique remarque par un exemple unique, nous noterons que pas même le Missel Biblique, et pas même le missel d'Hautecombe, ne se sont avisés d'indiquer que saint Pie X avait été l'un des guides et promoteurs de l'Action catholique.
Pie XII disait le 3 juin 1951, à l'occasion de la béatification :
« *Le vide désolant que l'esprit sectaire du siècle avait creusé autour du sacerdoce, Pie X se hâta de le combler grâce à l'active collaboration des laïcs dans l'apostolat* (...) *Et tout ce qu'on admire aujourd'hui, en Italie et dans le monde, dans le vaste domaine de l'Action catholique, démontre combien a été providentielle l'œuvre de notre Bienheureux, qui l'auréole d'une lumière qu'il ne fut sans doute donné, durant sa vie, qu'à quelques-uns seulement de prévoir pleinement. Aussi, les troupes de l'Action catholique doivent, à juste titre, placer parmi les âmes élues qu'elles évoquent et vénèrent comme guides et promotrices de leur mouvement salutaire, le Bienheureux Pie X*. »
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Mais les militants de l'Action catholique n'auront pas l'idée de vénérer et de prier saint Pie X à ce titre particulier, si les Missels ne le leur disent point.
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#### Saint Rémi dans nos missels
La pauvreté des notices consacrées à saint Rémi, dont la fête est le 1^er^ octobre, défie le commentaire ; elle est accablante, navrante, écrasante. Le Missel Feder s'y distingue toutefois par sa manière d'insinuer le doute, parlant des « *miracles qu'on lui attribue* », racontant : « *la légende veut que...* », et employant le conditionnel dubitatif.
Au lieu de mentionner « qu'on lui attribue » des miracles et ce que « veut la légende », il conviendrait bien plutôt, à notre avis, de nous dire ce qui est certain ; il conviendrait dans un Missel de nourrir la foi plutôt que d'inciter au scepticisme. Le Missel Feder consent tout de même à évoquer, en une seule phrase, « la conversion des Francs et de leur roi Clovis que Dieu opéra par la sainteté et la prédication de Rémi : Clovis en effet, après la victoire de Tolbiac, se fit baptiser à Reims ; par lui naissait au baptistère de Reims la France chrétienne ». Mais oui : et justement pour cela, saint Rémi méritait autre chose dans un Missel, un peu plus et mieux. On dirait, pour reprendre le mot d'un écrivain célèbre, que ce saint-là « n'est pas de la paroisse » du Missel Feder. C'est dommage.
\*\*\*
Les notices du Missel biblique et celles du Missel d'Hautecombe sont ordinairement les meilleures. Leur qualité ne se dément pas ici, puisque, pour saint Rémi, elles sont les moins incomplètes et les moins insuffisantes.
Le Missel biblique nous dit :
« *Le nom de saint Rémi, évêque de Reims, est indissolublement lié à un grand événement de notre histoire nationale, le baptême de Clovis et de son armée. De cet événement considérable, les témoins ont senti toute la portée :* « *Tu ouvres une carrière immense à tes descendants en voulant régner dans le Christ, écrit saint Avit de Vienne à Clovis. Tu es né pour le Christ, comme le Christ pour le monde ; tu as consacré ton âme à Dieu, ta vie à tes contemporains, ta gloire à la postérité.* »
79:36
*Saint Rémi évoque lui-même dans son testament, au terme d'un épiscopat de* 74 *ans, le souvenir du roi franc* « *d'illustre mémoire* »*,* « *que j'ai tenu, dit-il, sur les fonts du baptême* »*, et à ce titre Rémi a droit d'être appelé l'apôtre des Francs :* « *S'il n'est pas apôtre pour les autres, du moins l'est-il pour vous* », *proclamera le pape Léon* IX *en consacrant sa basilique* (1^er^ *octobre* 1049). *Quand il mourut* (13 *janvier* 533), *âgé de* 93 *ans, il pouvait se rendre le témoignage d'avoir travaillé en bon serviteur dans le champ du Christ.* »
On sera reconnaissant au Missel biblique d'avoir évoqué la grande figure de saint Avit, évêque de Vienne (en Dauphiné), dont nous souhaitons que l'on restaure la mémoire. Il fut un de ceux qui comprirent le mieux, et qui annoncèrent avec le plus de précision, la portée et les conséquences du baptême de Reims.
Le Missel biblique, qui est le seul à évoquer saint Avit, est aussi le seul à mentionner le testament de saint Rémi. Il le connaît donc. On regrettera qu'il n'en ait pas explicitement retenu l'essentiel (évoqué cependant par la citation faite de saint Avit), dont saint Pie X demandait aux Français de *faire leur trésor :*
« Vous direz aux Français qu'ils fassent leur trésor des testaments de saint Rémi, de Charlemagne, de saint Louis, qui se résument dans ces mots si souvent répétés par l'héroïne d'Orléans : Vive le Christ qui est roi de France. »
\*\*\*
Ce trésor que nous importe, nous ne le trouvons pas non plus explicitement mentionné dans le Missel d'Hautecombe. Sous cette réserve, sa notice est la moins incomplète :
« *Fils d'un comte de Laon, Rémi naquit vers* 436 *et fit ses études à Reims dont il devint très jeune l'évêque ; il* *devait le rester pendant près de soixante-quinze ans. Remarquable administrateur du domaine temporel de son Église, il fut en outre un des plus grands orateurs et des meilleurs écrivains de son temps.* « *Esprit net qui n'a pas pour métier de raisonner, il parle comme un homme qui médite* ». *De partout, on l'appelle dans les conciles, où sa science et son éloquence lui donnent une haute autorité *; *par sa clairvoyance, il devient une vraie lumière dans la Gaule troublée du V^e^ siècle, et sa mission fut de mettre fin à* *l'affreux désarroi des esprits partagés entre les divers prétendants à la domination de la Gaule.*
80:36
*Des* 486, *conseiller de Clovis encore païen, il sut discerner chez ce barbare les qualités qui annonçaient son avenir glorieux. Avec le secours de Clotilde, l'évêque eut le bonheur de baptiser le roi des Francs avec son armée ; du fait de ce baptême, toute la nation franque était gagnée au Christ. Après une activité féconde encore pendant la suite du règne, Rémi mourut vers* 533. *La France vénère comme une de ses grands saints nationaux celui qui est à l'origine de sa vocation chrétienne.* »
Le sens proprement religieux de ces événements, nous aurions aimé qu'il fût plus explicitement mis en relief.
\*\*\*
Nous voudrions clairement trouver dans nos Missels ce *trésor* que saint Pie X désignait aux Français. Nous voudrions qu'il nous fût rappelé, précisément à l'occasion des saints français, que par eux surtout, ce que nous appelons aujourd'hui la Royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ fut de tout temps l'essentiel de la tradition française.
Nos Missels demeurent, lorsqu'ils nous parlent des saints français, et spécialement de ceux qui sont « à l'origine de la vocation chrétienne de la France », en deçà de ce que la *piété nationale* attend d'eux.
Sur la PIÉTÉ NATIONALE, il apparaît fort opportun et fort utile que l'on veuille bien se reporter à la *Somme théologique* II-II, question 101.
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#### Une lettre de l'abbé André Brien
*A la suite de l'article paru dans notre numéro* 34, *pages* 101-105, *nous avons reçu de l'abbé André Brien la lettre suivante, que nous publions très volontiers, en remerciant son auteur des compléments et précisions qu'il veut bien nous apporter :*
Cher Monsieur,
Je viens vous remercier pour les notes que vous avez bien voulu consacrer, aux pages 101 et suivantes du dernier numéro d'*Itinéraires,* à l'article que j'avais publié dans le numéro d'avril des *Études* sur « Foi et mentalités contemporaines ». Je suis heureux que vous ayez mis en valeur le propos théologique et pédagogique que je poursuivais dans cette étude et que vous ayez remarqué la volonté qui m'animait de conduire à une attitude compréhensive vis à vis non seulement de ce que j'ai appelé la « mentalité moderne », mais aussi de ce que j'ai nommé, d'un terme bien insuffisant et plein d'équivoques (je suis le premier à le reconnaître), la mentalité traditionnelle.
81:36
Je voudrais simplement, puisque vos remarques étaient faites pour amorcer un dialogue, vous redire en quelques lignes ce que j'ai eu l'occasion d'écrire récemment à M. le Chanoine Vancourt et qu'il a bien voulu publier dans le numéro du 22 mai de la *France catholique.* Mon propos dans l'article cité des *Études* n'était pas de mener une étude sur les différents courants du catholicisme contemporain : dans ce cas ma présentation de la mentalité « progressiste », comme les quelques lignes que je consacre à la « mentalité traditionnelle » auraient été d'une coupable légèreté et mes développements tomberaient totalement sous vos critiques.
Mon but était tout différent : je voulais montrer comment la foi théologale s'établit toujours dans un esprit en dépassant certaines intuitions partielles. C'est pourquoi je me suis efforcé de souligner le mouvement de purification et de transfiguration selon lequel l'intelligence, animée par la grâce, discerne à la fois tout ce qu'il y a de valable et aussi tout ce qu'il y a de limité dans le mode de vision du christianisme que lui suggèrent immédiatement les cadres de sa « mentalité ».
C'est cette étude, seulement esquissée dans cet article, qui m'amenait à affirmer que l'action pastorale doit aider le chrétien à opérer ce dépassement, non pas en contrant les certitudes que lui permet de découvrir sa « mentalité », mais en l'aidant à découvrir toutes les implications qu'elles possèdent lorsqu'elles sont replacées dans une vision d'ensemble du dogme chrétien. Le christianisme possède en effet une telle unité intérieure que tout croyant qui accède à la foi théologale se trouve, par là-même, entraîné au-dessus des exclusives qui opposent entre elles des mentalités marquées par la limitation humaine et le péché originel.
C'est dans ces perspectives que se situe ce que j'ai dit sur la « mentalité traditionnelle ». Il n'était donc pas question de faire rentrer dans cette catégorie ce qui porte le sceau d'une foi authentique dans le « traditionalisme contemporain ».
Je suis très conscient, comme vous l'écrivez page 104, des « mouvements de pensée et des transformations spirituelles intervenus depuis quelques années dans la « mentalité » et les « milieux » dits traditionnels », mais comme il me semble qu'il y a là de vraies manifestations de foi théologale retrouvant toute la plénitude du mystère chrétien, je n'ai pas eu l'idée de les réduire à de pures manifestations de « mentalités ». Je croirais leur faire ainsi la pire injure qui consiste à mépriser ce qui vient de l'Esprit Saint pour le réduire à de l'exclusivement humain.
Je serais heureux que vous puissiez porter ces précisions à la connaissance des lecteurs d'*Itinéraires.*
En vous remerciant encore de l'intérêt que vous avez bien voulu prendre à mon essai des *Études,* je vous prie de croire, cher Monsieur, etc.
André Brien.
82:36
### Henri Pourrat et Jean de La Varende
Deux morts, au milieu de cette année, qui nous touchent particulièrement. Deux écrivains catholiques, deux aînés éminents, qui ont atteint le terme de leur vie, écrit la dernière page de leur œuvre, et qui nous ont été enlevés pour entrer dans l'Éternité. Nous n'allons pas ici leur consacrer une notice biographique, bibliographique, nécrologique. Tous leurs livres sont familiers à la plupart de nos lecteurs. *Man d'Arc* et *Heureux les Humbles,* et le conte du *Roi Gradlon,* ne quitteront sans doute jamais notre mémoire. Peut-être connaît-on un peu moins, à coup sûr n'a t-on pas mis à sa vraie place La Varende historien. On comprendra que nous n'ayons pas le cœur, en ces jours de deuil, à écrire une dissertation littéraire. La Varende a terminé son œuvre par son *Curé d'Ars,* et cela donne à penser. Henri Pourrat, « écrivain engagé », comme l'écrit Joseph Folliet dans *La Croix,* était de nos amis. Il avait manifesté à *Itinéraires* sa sympathie active en nous donnant de grand cœur sa collaboration, son concours, ses encouragements. Bien sûr, c'est *Gaspard des Montagnes* qui est son chef d'œuvre. Daniel Halévy en disait : « *Dans un pays bien équilibré toute la jeunesse connaîtrait Gaspard des Montagnes. Pourrat serait leur Selma Lagerlöf.* » Voilà à quoi nous pensons aujourd'hui, avec mélancolie, avec tristesse. Car cela ne s'est point encore réalisé. Parce que, en matière d'édition, de librairie, de lecture, nous ne sommes pas présentement un pays bien équilibré. Nous sommes même un pays tout à fait déséquilibré.
Joseph Folliet l'a dit dans *La Croix* du 26 juillet, il l'a très bien et très exactement dit :
« *D'où vient donc que ce très bel écrivain n'a pas obtenu la popularité parisienne et par conséquent, hélas ! nationale d'autres écrivains* « *rustiques* », *mais beaucoup moins directs et délicats, d'un Giono, par exemple* (*dont je n'entends pas, au reste, nier l'incontestable talent*) *ou, dans la génération précédente, d'un René Bazin* (*dont la valeur est, elle aussi, incontestable*) ? *Je crois que ce relatif échec provient de ce que Pourrat fut un écrivain directement et fermement engagé -- mais dont l'engagement allait à contre courant des modes et des conformismes.* »
La Varende et Pourrat eurent néanmoins, tous deux, un grand prix de l'Académie française. Le premier fut de l'Académie Goncourt, le second eut le prix Goncourt. Malgré quoi, la « popularité parisienne » leur manqua. La popularité dans cet univers sociologique très spécial et très fermé qui règne sur les « instruments de diffusion ». A cet égard, la presse du cœur, la presse du ventre, la presse des yeux et la presse de l'esprit ne valent pas mieux l'une que l'autre. La presse française est en règle générale fabriquée par le rebut de la société française ; la presse catholique par ce qu'il y a de plus médiocre intellectuellement dans la communauté catholique. Cet univers parisien des journaux a ignoré Péguy avant 1914 -- et les journaux catholiques n'ont pas fait exception.
83:36
Dans un « hebdomadaire d'information et de culture chrétienne », qui est d'ailleurs excellent et que nous aimons beaucoup, nous lisions le 24 juillet, c'est-à-dire dans le numéro même qui deux pages plus loin rendait hommage à Henri Pourrat, un article sur « *La décadence de la littérature catholique* »*.* On y disait en substance qu'il n'y a plus rien après Péguy et Claudel. On y affirmait en propres termes : « *Nous ne voyons poindre personne.* » On y déclarait qu'il nous reste sans doute d' « excellents écrivains », mais qu'ils ont perdu « la pensée, l'idée, la conviction, la certitude que tout le surnaturel illumine toute la vie ». Tout cela est vrai si l'on s'en tient aux réputations, aux célébrités fabriquées par la presse parisienne. Mais le rôle d'un journal catholique est-il de s'en tenir à ce que Joseph Folliet appelle « la mode et le conformisme ? » A ce compte, Péguy lui-même n'aurait donc jamais existé.
La génération qui suivit celle de Péguy et de Claudel est la génération d'Henri Pourrat, de La Varende, d'Henri Charlier, de Massis. Cette génération-là, et aussi les suivantes, avec Gustave Thibon et bien d'autres, ne sont pas moins riches en écrivains, penseurs et artistes catholiques. Dire s'ils sont moins grands, c'est précisément ce que les contemporains ne peuvent savoir, c'est précisément là où ils se trompent toujours, c'est ce que seule la postérité apercevra. Mais, qu'ils soient aussi grands ou qu'ils soient moins grands, ces écrivains, penseurs et artistes sont tout autant que Péguy et Claudel occupés à montrer et à illustrer que « tout le surnaturel illumine toute la vie ». Certains d'entre eux, comme Fabrègues précisément, ou comme Gustave Thibon, écrivent précisément dans la *France catholique.* Mais ce sont des exceptions. La plupart restent encore aussi peu connus du grand public que le fut Henri Pourrat, ou même aussi inconnus que le fut Péguy jusqu'à sa mort.
Et le Brasillach des *Poèmes de Fresnes,* n'est-ce donc rien, du point de vue de la « littérature catholique » et du « surnaturel qui illumine toute la vie » ? On commence tout de même à s'en apercevoir. Le P. André Blanchet vient d'écrire dans les *Études* (et je ne veux retenir que cela, et l'en remercier de tout cœur) : « *La mort de Brasillach -- regardée en face, chrétiennement, dans la prison de Fresnes, -- est très belle.* »
Pourquoi la presse catholique ne sait-elle pas reconnaître et soutenir -- avant leur mort -- les hommes qui devraient être les siens ? Il me semble que cette question a été posée déjà, et depuis longtemps, et plus d'une fois.
C'est le grand mérite de Joseph Folliet de faire exception, -- une exception presque unique. Sous sa plume, des écrivains, penseurs et artistes tels qu'Henri Pourrat, Hyacinthe Dubreuil, Henri Charlier (que la presse même catholique, même *vraiment* catholique, ignore systématiquement) sont salués honorés, mis à leur place, -- bien qu'au plan des « tendances » et des « options », il ne soit pas du tout « de leur bord », comme on dit : ce qui n'en est de sa part que plus remarquable et plus généreux.
84:36
Mais ce n'est point le lieu d'en dire davantage ni d'examiner la question plus à fond.
Il est important qu'elle ait été posée par Joseph Folliet dans *La Croix,* Nous ne pouvions pas ne pas y faire écho en adressant un dernier adieu terrestre à Jean de la Varende et à Henri Pourrat. Un adieu ? Mais leur œuvre continue de nous accompagner au long du chemin.
J. M.
85:36
### Méditation sur le saint curé d'Ars
A la fin de sa vie probablement, Lacordaire a écrit ces paroles que nous citons de mémoire : « Être de son temps, c'est généralement épouser les erreurs et les passions de l'époque où on a vécu. » Il était renseigné ; il avait été disciple de Lamennais, il avait applaudi aux révolutions de 1830 et de 1848 et son esprit de foi avait eu à surmonter les entraînements de sa jeunesse.
Nous retrouvons à chaque génération tout un groupe d'hommes qui, attachés par l'éducation ou par la foi à des manières de penser très anciennes, font effort pour *être de leur temps* et y perdent généralement le sens juste de ce qui est éternel. Car nous sommes tous de notre temps sans y essayer, beaucoup plus que nous ne le pensons, et sans même nous en apercevoir. Ce qui va de soi pour notre temps est souvent un sujet d'étonnement pour les générations suivantes.
Les architectures savantes des tableaux du XVI^e^ siècle qui paraissaient indispensables aux artistes de ce temps, nous paraissent bien superflues. La tonalité de Rameau et de Bach nous semble une infirmité de leur époque, un genre de perfection étriqué. Le génie de Corneille ne dépend pas de la tragédie en cinq actes avec confidents, et se serait exprimé plus librement avec des formes, nous ne disons pas moins nettes, mais plus souples.
86:36
Et nous voyons qu'il en est de même au point de vue religieux. Voici Lefèvre d'Étaples. Il fut un prêtre fervent, il voulut aller aux sources, il donna en 1498 la première traduction latine des épîtres de S. Ignace et de S. Polycarpe. Il fit une édition des psaumes en collationnant les textes les plus anciens. Quoi de mieux ? C'est une besogne qu'on refait tous les cinquante ans, soit que les éditions anciennes soient épuisées, soit qu'elles puissent être améliorées. Mais il était de son temps, il était l'ami d'Érasme. Sans s'en rendre compte il n'attachait pas assez d'importance à la tradition ecclésiastique, c'est-à-dire (comme Notre-Seigneur lui-même l'a promis) à l'action constante du Saint-Esprit dans l'Église. Si bien que n'y ayant jamais pensé lui-même, il a pu passer -- faussement -- pour le premier protestant de France.
Nous voyons sous nos yeux reparaître un état d'esprit semblable, par lequel on oppose les anciens Pères à la théologie dogmatique que nous a léguée l'Église du Moyen Age. Il est possible que Lefèvre d'Étaples n'ait eu devant lui que des professeurs de philosophie et non des philosophes. Avec une bonne mémoire on retient aisément un catalogue de notions et leur enchaînement logique ; on peut l'enseigner à son tour sans aucune référence à l'ÉTANT, sans référence à la vie spirituelle et à la vie psychologique, mais aussi sans prise sur l'esprit des étudiants sinon sur ceux qui se satisferont d'un formulaire entièrement vide d'être.
Actuellement il y a un certain dédain du thomisme qu'on peut attribuer d'une part aux thomistes qui l'enseignent, d'autre part à un certain manque de l'esprit de foi (comme en 1500). Car c'est l'Esprit Saint lui-même qui enseigne par l'Église, et l'esprit de foi conseille d'essayer de comprendre Ce que l'Église demande. Bergson disait que l'aristotélisme était *la philosophie naturelle de l'esprit humain.* Rien n'empêche les vrais philosophes de jeter dans l'être des coups de sonde, travaux toujours provisoires qui se rattacheront quelque jour, pour l'enrichir par leurs résultats, à la « philosophie naturelle de l'esprit humain ». Or les mêmes qui repoussent la mystérieuse « puissance » qu'Aristote oppose à l' « acte », l'admettent dans la science sous le nom, d'énergie potentielle, qui n'est pas moins mystérieuse. Est-on philosophe si on n'a pas conscience d'aborder des mystères ?
87:36
Les Pères de l'Église les plus anciens nous font connaître l'esprit de foi et l'esprit de prière des premiers âges de l'Église, et nous avons toujours besoin de voir augmenter en nous l'esprit de foi et l'esprit de prière ; ils nous apprennent aussi ce que demande une véritable vie chrétienne dans toutes les circonstances où la vie peut nous placer. Mais les déviations des esprits de peu de foi ou de peu de jugement montrent la nécessité de la théologie dogmatique, qui est née justement du besoin de redresser les erreurs.
VOICI MAINTENANT l'exemple de Bossuet, Bossuet qui nous a laissé ce lingot d'or, ce roi des diamants, ce sommet de la pensée chrétienne et du langage français, ces paroles dignes de S. Paul.
« JÉSUS-CHRIST EST UN AVEC L'ÉGLISE, PORTANT SES PÉCHÉS ; L'ÉGLISE EST UNE AVEC JÉSUS-CHRIST, PORTANT SA CROIX. JÉSUS-CHRIST EST EN SON ÉGLISE, FAISANT TOUT PAR SON ÉGLISE ; L'ÉGLISE EST EN JÉSUS-CHRIST, FAISANT TOUT AVEC JÉSUS-CHRIST. VOUS ME DEMANDEZ CE QU'EST L'ÉGLISE ? L'ÉGLISE, C'EST JÉSUS-CHRIST RÉPANDU ET COMMUNIQUÉ ; C'EST JÉSUS-CHRIST TOUT ENTIER ; C'EST JÉSUS-CHRIST HOMME PARFAIT, JÉSUS-CHRIST DANS SA PLÉNITUDE. »
Eh bien l'homme qui prononce ces belles paroles était gallican ; moins que ses contemporains ; il fit tous ses efforts pour les retenir sur la pente de cette erreur ; il y était cependant entraîné lui-même un petit peu, car il était de son temps.
Voyons Pascal ; il passe aux yeux de certains pour fidéiste, erreur condamnée en 1870. On ne peut être fidéiste quand on écrit une apologie du christianisme dans laquelle on s'adresse à la raison. Mais il était de son temps ; il a adopté sans même le discuter un lieu commun de son époque, qui était la critique de la raison, telle qu'elle se trouve dans Montaigne, dans la « Sagesse » de Charron, critique si peu jugée hérétique que le précepteur même de Louis XIV, La Motte le Vayer, excellent chrétien, écrivait des *Soliloques sceptiques.* Et l'évêque d'Avranches, Huet, pouvait écrire : « Lorsqu'il s'agit de conduire sa vie, de s'acquitter de ses devoirs, nous cessons d'être philosophes, d'être douteux, incertains, nous devenons idiots, simples, crédules, nous appelons les choses par leurs noms... ».
88:36
Or ce lieu commun de l'apologétique au XVII^e^ siècle, qui n'attirait l'attention de personne, devait deux siècles et demi plus tard empêcher Maurras de comprendre Pascal.
Quelques hommes de notre génération, élevés dans le relativisme enseigné à la Sorbonne et que Maurras amena au catholicisme, nous ont dit quelle fut la nature de son influence : « Maurras nous a appris qu'il y avait une vérité ». On comprend que Maurras ait détesté toute atteinte à la valeur de la raison ; on comprend qu'il ait eu beaucoup de difficultés à croire, et on comprend aussi la reconnaissance de ceux qu'il a sauvés du relativisme.
ET PUISQUE NOUS VOULONS parler du curé d'Ars, il est facile de trouver parmi ses contemporains des hommes qui furent bien de leur temps. Jean-Marie Vianney est né en 1786, mort en 1859 à soixante-treize ans. Lamennais est né en 1782 et mort en 1854 à soixante-douze ans. Il avait quatre ans de plus, seulement, que le curé d'Ars. Tous deux ont traversé la même période révolutionnaire ; mais à vrai dire dans des conditions bien différentes.
Les Vianney étaient des paysans pieux et charitables qui recevaient volontiers les pauvres. Dans la salle commune de leur maison on peut voir encore la table où avec eux et d'autres pauvres mangea un jour s. Benoît Labre qui allait en Italie. Les pauvres mangeaient à la table des maîtres ; après quoi on faisait la prière en commun. Il faut croire qu'il y avait dans cette réception des pauvres un parfum spécial de simplicité charitable car s. Benoît écrivit pour remercier une lettre dont le curé d'Ars parla souvent. Malheureusement il a donné cette lettre, probablement par esprit de détachement. Seize ans après la visite du saint voyageur, Jean-Marie Vianney « chauffait au même âtre ses petits pieds nus », dit l'abbé Trochu. Quand vint la Révolution, les Vianney protégèrent les prêtres non jureurs. Le petit Jean-Marie fit sa première communion en cachette à l'âge de treize ans, en 1799.
Félicité Lamennais la fit à l'âge de vingt-deux ans en 1804, trois ans après la signature du Concordat, l'année où son frère Jean fut ordonné prêtre. Il appartenait à une famille bourgeoise de Saint-Malo qui avait fort aimé, avant la Révolution, les idées de celle-ci. La Révolution l'en avait guérie, mais Lamennais avait lu dans la bibliothèque de son oncle tous les « philosophes » du XVIII^e^ siècle.
89:36
Il lui restait comme à beaucoup d'hommes de son temps une idée de la liberté qui n'est pas autre chose qu'une sorte de millénarisme, un rêve de bonheur et de paix, de paradis sur terre qu'ils voyaient attaché à la liberté politique. D'excellents chrétiens comme Montalembert qui, malgré cela, a beaucoup fait pour l'Église, ont gardé toute leur vie cette tendance contraire, certainement, à l'esprit de foi.
Nous avons trouvé une preuve curieuse de cet illuminisme dans un écrit d'Augustin Cochin, le grand-père de l'historien, que ses descendants considèrent à bon droit comme un saint. La crise industrielle provoquée par la révolution de 1848 et le chômage qui s'en suivirent provoquèrent la révolte de juin 1849 qui dut être cruellement réprimée. Le quartier Saint-Marcel avait été un des plus éprouvés ; le maire, au lieu d'envoyer les gendarmes à ces pauvres gens qui cachaient leurs blessures ou n'osaient sortir de peur d'être arrêtés, demanda l'aide de la société de S. Vincent de Paul. Augustin Cochin, âgé de vingt-cinq ans, recevait à lui seul la charge de visiter près d'un millier de ménages et il écrivait : « Sur nous retombe la responsabilité de ces misères morales et matérielles si nous n'apaisons pas la faim par la bienfaisance, la misère par le travail, le vice par la religion. » Eh bien, ce même homme écrivait plus tard sur la situation misérable du monde ouvrier ; il n'y voyait de remède que dans la fixation par l'État d'un salaire humain (déjà le S.M.I.G.). Et il ajoutait dans l'innocence de cet état d'esprit : « Mais ce serait attenter à la liberté. » Or toute société implique une limitation de la liberté. Celle dont parlent les hommes de ce temps-là n'est qu'une illusion. Le saint homme dont nous parlons ne voyait pas que dans le cas précis où il mettait en avant la liberté, elle allait contre le simple décalogue, contre le septième et le dixième commandements, contre toute justice, et qu'elle aboutissait à la liberté du fort contre le faible.
Au début de sa carrière Lamennais avait des idées philosophiques très vagues et fausses et beaucoup d'idées de détail très justes. Il avait vu le despotisme impérial s'abattre sur l'Église ; il défendait l'autorité du Saint-Siège. La Restauration trouva commode de s'installer dans l'État napoléonien.
90:36
Louis XVIII lui-même et son entourage savaient trop combien les « libertés » de l'Ancien Régime s'opposaient à ce qu'on gouvernât commodément. Mais l'idéal sur terre n'est pas de gouverner commodément. La preuve qu'ils se trompaient est qu'eux-mêmes furent chassés par une révolution et tous les gouvernements qui à leur suite ont gardé l'État napoléonien, la monarchie de Juillet, Napoléon III, les républiques, ont culbuté sur cette erreur fondamentale de vouloir administrer et gouverner en même temps. Le communisme qui en est l'aboutissement culbutera pour les mêmes raisons. Les institutions administratives de Napoléon comblaient d'aise les hommes de la Restauration. Ils purent ainsi rétablir les finances, l'économie, l'armée ; ils furent renversés au moment où ils allaient essayer d'empêcher l'exploitation du pauvre par les nouveaux riches. Mais ils gardèrent l'Université d'État (que nous avons toujours) et furent plus gallicans que jamais, jusqu'à vouloir imposer aux prêtres les articles de 1682. Pour la liberté de l'Église Lamennais fut ultramontain et antigouvernemental. Il recommanda les associations professionnelles, les assemblées régionales, toutes formes naturelles de la société que la Révolution avait détruites et que le despotisme (qu'il soit impérial ou républicain) cherche toujours à éliminer.
Mais toutes ces bonnes idées de Lamennais étaient des *idées politiques.* Il les croyait religieuses parce qu'il faisait du Saint-Siège le défenseur de la liberté. Il eût voulu que le Saint-Siège les adoptât. Il allait jusqu'à réclamer la liberté de la presse. On sait qu'aujourd'hui elle est condamnée à devenir une entreprise commerciale, qui peut être aux mains de n'importe quel homme d'argent, ou même d'un pays étranger. On sait que faute de temps elle est condamnée au mensonge, qu'elle appâte le peuple en satisfaisant ses plus bas instincts. Elle est devenue moins malfaisante par ses abus même et sa stupidité, mais elle continue à interposer un voile d'incompétence, de mercantilisme et de sottise entre le peuple et ses vraies élites ; ce qui suffit pour détruire une civilisation.
Lamennais s'écarta de l'Église lorsqu'elle lui signifia qu'elle s'en tenait à son rôle religieux et surnaturel et qu'elle condamnait la liberté de la presse : « Quel homme sensé osera jamais dire qu'il est permis de répandre des poisons, de les vendre publiquement, de les colporter, bien plus de les prendre avec avidité, sous prétexte qu'il existe quelque remède qui a parfois arraché à la mort ceux qui l'ont pris ? » (Encyclique *Mirari vos*)*.*
91:36
NOUS VENONS DE VOIR chez certains des prêtres ouvriers une erreur analogue à celle des contemporains de Lamennais, car cette erreur se renouvelle à chaque siècle sous une forme nouvelle. Au XIX^e^ siècle, les misères de l'Église, dues principalement à l'immixtion du pouvoir temporel dans l'attribution des hautes charges ecclésiastiques et la jouissance du bien des pauvres, amenèrent la réforme protestante. Les protestants rêvèrent d'un Paradis terrestre où par la lecture et l'interprétation personnelle des Évangiles, tous les abus spirituels et temporels seraient supprimés. Ils aboutirent à la confusion du pouvoir spirituel et temporel et cette confusion marque la fin de toute société vraiment chrétienne. « *Tristitia fuere prima reformationis tempora* », dit une vieille chronique norvégienne.
Au XIX^e^ siècle le peuple souffrait du manque des institutions sociales que la Révolution avait détruites, caisses de cbômage corporatives, lits d'hôpitaux, fondations charitables et éducatives. Les économies d'un peuple pendant mille ans avaient été dilapidées. Ce peuple malheureux réclamait la liberté de la Pologne et de la Hongrie en même temps que la sienne, il se révoltait pour assurer le bonheur du monde.
Et cinquante ans après Péguy pouvait écrire dans un cahier de 1902 : « *Quoique l'on pense et que l'on puisse penser du devoir électoral, en fait il est impossible de nier que l'exercice du suffrage universel en France est devenu... un débordement de vice inouï...*
« *Quand nous lisons, dans les journaux les rares nouvelles que nous recevons de la Russie, les nouvelles répétées que nous recevons de Belgique, nous mesurons de quel amour, de quel effort nos pères nous ont conquis, acquis le bien que nous avons prostitué. Aujourd'hui encore des hommes pensent, travaillent, souffrent, meurent, comme nos pères sont morts, pour obtenir ce qu'ils croient être la liberté du suffrage ; et nous qui avons ce bien, nous, en avons fait une ignominieuse ripaille...*
92:36
« *Faut-il croire que par une loi de fatalité, religieuse ou métaphysique, tout effort humain est damné ? Faut-il croire que toute acquisition est bonne et que toute conservation est mauvaise *? *Tout cela n'est-il qu'un immense divertissement ?* »
Nous savons maintenant qu'il s'agissait d'une illusion et que cette soi-disant liberté s'arrange très bien d'une véritable tyrannie, intellectuelle, économique, fiscale.
NOS CONTEMPORAINS croient volontiers qu'en modifiant les structures économiques de la société, ils rendraient plus accessibles les vérités de la religion. Ce qui est très contraire à l'esprit de foi, car la foi est un don de Dieu, et le seul moyen de la transmettre c'est l'exemple d'une vie de foi, non des idées politiques et économiques. Sans doute il y a beaucoup à faire toujours, en tout temps, à chaque génération, pour améliorer les relations sociales et serrer de près le juste et l'injuste. Pour cela il faut être non seulement détaché de soi, de ses passions, essayer de voir les choses comme Dieu les voit ; mais aussi être *compétent.* Les prêtres ouvriers ne sont pas du tout ouvriers ; ils sont prêtres manœuvres, manœuvres spécialisés sur un tour ou à une chaîne, ils ignorent ce que sont les véritables métiers, les grands métiers, menuisier, charpentier, mécanicien, horloger, etc... Ils ignorent profondément ce qu'est la formation intellectuelle d'un véritable ouvrier, par conséquent ce que sont les vrais désirs de l'élite ouvrière, qui est tenue à l'écart par la démagogie syndicale, tout comme l'est, par nos institutions, notre véritable élite.
Aussi les « réformes de structure » que dans leur incompétence ils sont amenés à prôner, telles que certaines formes de communisme, aboutiraient à une tyrannie analogue à l'esclavage antique. Il s'agit, au contraire, de *restaurer les conditions normales d'une société naturelle* que la Révolution a détruites pour ne laisser subsister que le pouvoir de l'argent. Ces conditions normales ne sont pas secrètes, elles sont celles de toutes les sociétés où a régné la paix entre les citoyens ; et *elles sont résumées par les dix commandements.* Il faut restaurer la famille, restaurer les corps de métier, les pays, les contrées, les provinces, et donner à ces vrais éléments de la société une représentation normale. Il faut dans l'usine recréer un esprit et des institutions artisanales qui donnent à l'élite ouvrière la possibilité de s'intéresser à son travail et d'y progresser. Il faut une compétence particulière dans chaque cas qui est hors de la compétence des ecclésiastiques, très généralement.
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Il est à souhaiter que cette besogne s'accomplisse ; mais ce sont les *conditions morales* de cette tâche qui sont du ressort de l'Église ; s'il n'y a pas d'honnêteté, ni d'un côté ni de l'autre, si on n'observe plus le Décalogue et si on ne le connaît même pas, il n'y a aucune chance d'entente ni de paix. On s'aperçoit rapidement, en plus, qu'il n'y a aucune chance de voir observer longtemps la loi naturelle qu'est le Décalogue, si on ne demande à Dieu le secours surnaturel qui nous est apporté par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Saint Paul travaillait de ses mains à coudre des peaux, probablement avec d'autres chrétiens dans un atelier artisanal. Il ne prêchait pas des réformes de structures mais la folie de la Croix. Nous en avons la preuve dans sa lettre à Philémon. Il renvoie à celui-ci un esclave qui s'était enfui cet esclave, Onésime, s'était converti à Rome et avait confessé sa fuite. Saint Paul le renvoie à son maître, conformément à la justice et aux lois civiles du temps, car cet esclave représentait une partie de la fortune de son maître. Saint Paul demande : seulement à Philémon de faire *avec son esclave une société chrétienne.* Or telle est la solution aujourd'hui comme demain, comme hier et avant-hier et comme au temps *de* saint Paul, de tout problème.
POUR se rendre compte de la manière dont l'Église agit socialement il faut étudier ce qu'elle a fait contre l'esclavage. Elle n'a pas prêché une révolte des esclaves, ni leur libération immédiate et inconditionnelle : elle a dès le début autorisé le mariage d'un esclave et d'une femme libre, d'un homme libre et d'une esclave, elle en a fait un sacrement irrévocable. Elle a fait du mariage de deux esclaves un lien sacré. Et l'institution *de :* l'esclavage n'y a pas tenu.
NOS OUVRIERS sont naturellement parmi les plus heureux de la terre : mais *l'homme ne vit pas seulement de pain.* Ce sont les conditions morales du bonheur qui lui manquent et ces conditions sont de deux ordres ; une organisation interne du métier, conforme à la nature morale de l'homme, la vie morale proprement dite. Pour la lui enseigner il faut des saints lui montrant où est l'unique nécessaire. Le temps ni l'espace n'y font rien ; les conditions sont les mêmes sous Tibère, sous Constantin, sous Charlemagne et au centenaire de la mort du curé d'Ars. Saint Jean de la Croix le dit : « Une âme sainte n'ambitionne non plus autre chose : la loi de Dieu, la Croix de Jésus lui suffisent avec la manne du Saint Amour. »
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C'EST LE CURÉ D'ARS et non Lamennais qui était l'homme nécessaire en son temps parce que c'est celui-là qui est nécessaire en tout temps, parce qu'il n'y a pas deux manières d'envisager la vie chrétienne et le salut.
Lamennais poursuivait une illusion temporelle, il envisageait un paradis terrestre par des moyens temporels ; or *de bonnes institutions politiques ne peuvent engendrer l'ordre et la paix que si la conscience morale des citoyens est formée.* Il y a certes interaction des deux causes, mais certains prêtres ouvriers se sont trompés sur leur compétence, et des malheurs sociaux certains leur ont caché la vraie fin de la religion ; aussi ont-ils pris le chemin de Lamennais. L'esclavage au temps de saint Paul était une plaie sociale autrement profonde que celle de notre temps ; il n'y avait aucun mariage légal entre les esclaves, les enfants nés de parents esclaves n'appartenaient pas à leurs parents. L'Église a vaincu l'esclavage en enseignant que Dieu est amour et que la Croix est l'unique instrument de notre salut.
Dieu a envoyé au temps de Lamennais un curé d'Ars parce que trop de jeunes prêtres subissaient l'influence du premier ; et ils y avaient un prétexte religieux car les chefs de l'Église de France étaient très gallicans et le peuple malheureux. Dieu a donc envoyé un prêtre parfait, nullement savant mais ayant un jugement très sûr qu'il avait exercé très tôt à cause de sa formation en dehors du séminaire chez un très saint prêtre. Dieu l'a comblé de charismes nullement utiles à sa sainteté personnelle (ils sont bien plutôt une charge et une épreuve pour un saint homme), mais pour désigner à l'attention de tous ce qu'il demande à ses prêtres.
Le curé d'Ars a guéri des milliers d'âmes par la communication d'une foi intègre. Les journaux ne parlèrent de lui qu'après sa mort et il y eut cependant jusqu'à 80.000 pèlerins par an pour l'aller trouver. Et après y être allé un homme qui n'avait fait qu'accompagner sa femme par complaisance disait : « Maintenant je sais ce que c'est que la religion. »
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Le curé d'Ars est un homme exceptionnel par les charismes dont il a joui. Il y a en ce moment en Italie un nouveau curé d'Ars, le Père Pio, religieux capucin. Protégé par la vie conventuelle de beaucoup des inconvénients sociaux dont rien ne protégeait le curé d'Ars, il a le même don de vue des âmes, il est stigmatisé, et va par bilocation assister au loin les âmes auxquelles Dieu l'envoie.
MAIS TOUS CES CHARISMES qui confirment la puissance de Dieu ne sont nullement nécessaires à un vrai chrétien. *Tous ceux qui le veulent ont toujours trouvé en tous temps, en tous lieux, des curé d'Ars sans charismes,* des prêtres vraiment surnaturels capables de leur montrer la douceur de la Croix et du joug du Seigneur, de leur montrer le chemin du ciel et de les introduire dans les voies de l'oraison et de la contemplation.
Ces prêtres modestes ont exactement les mêmes pouvoirs surnaturels que le curé d'Ars, ils sont assistés de Dieu par leurs grâces d'état, et quand ils veulent rechercher la perfection ils voient réellement les choses comme Dieu les voit pour ceux qui leur font confiance. Là où l'obéissance les a placés, ils font le bien que Dieu leur commande, perdus dans la mer humaine des grandes villes ou bien obligés de vivre quasi en ermites au milieu de cinq ou six paroisses déchristianisées. Il n'y sont pas plus isolés que saint Antoine au désert ou sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus dans son cloître. Par Dieu ils communiquent avec le monde et peuvent être sans le savoir d'un grand poids dans ses destinées.
LE CURÉ D'ARS est l'homme de son temps et beaucoup de ses contemporains l'ont compris. Dans le second tome de la vie écrite par l'abbé Monnin, à la page 31 on trouve le récit d'une visite à Ars par un professeur de la faculté des Lettres de Nancy. Il raconte qu'un ami l'engagea à passer par Ars en allant à Rome, et cet ami lui dit :
« Vous étudiez l'Histoire et vous l'enseignez, vous devez tenir à la comprendre et à en saisir le secret. Allez à Ars et vous apprendrez comment s'est établi le christianisme, comment se sont convertis les peuples et comment s'est fondée la civilisation chrétienne. Il y a là un homme en qui se trouve l'action créatrice des saints du passé, qui fait des chrétiens comme les apôtres, que les populations vénèrent comme saint Bernard et en qui se reproduisent toutes les merveilles que nous ne connaissons que par les livres.
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« Allez le voir, parlez-lui si vous pouvez l'aborder, car il est fort assiégé ; regardez-le si vous ne pouvez obtenir plus, et vous verrez que vous n'avez pas perdu votre temps. Quand on a le bonheur d'être le contemporain d'un pareil prodige, il ne faut pas fermer les yeux et passer outre. Les savants se donnent souvent bien du mal pour observer des phénomènes qui n'en valent pas toujours la peine. Celui-là est ce qu'il y a de plus grand et de plus rare au monde, puisque c'est la sainteté en pleine activité. Vous ne pouvez, en qualité d'historien, vous dispenser de l'étudier. Allez donc à Ars ; n'y manquez pas : mais dépêchez-vous, car le Curé d'Ars ne durera guère. »
Ce professeur suivit le conseil de son ami. Il vit le curé d'Ars. Il raconte sa journée ; il finit par avoir un entretien avec lui :
« Le curé d'Ars improvisait la sagesse. J'étais confondu de lui voir ce calme, cette attention, cette présence d'esprit dans de telles conditions. Depuis minuit il n'avait cessé d'être assiégé comme il l'était encore ; il ne s'était donné aucune relâche ; il avait eu à répondre à des centaines de personnes. Il y avait là, à côté de nous, un homme agenouillé au prie-Dieu de la confession, attendant son tour ; des masses d'autres s'amoncelaient à la porte comme les vagues de la marée montante. Et le saint prêtre était toujours présent, se donnant à tous, sans impatience, sans fatigue apparente, le cœur toujours ouvert, l'esprit toujours prompt, sa fragile personne sans cesse en activité. Assurément cela n'était pas humain, cela n'était pas naturel, et quiconque voudra réfléchir un instant sur de tels faits ne pourra s'empêcher d'y reconnaître l'intervention de la grâce élevant à une miraculeuse puissance d'action ce saint homme, fidèle à toutes ses inspirations. »
Or cette sagesse issue des dons du Saint-Esprit est l'unique richesse de l'âme en tout temps. Tous les prêtres ont la même assistance du Saint-Esprit ; leur examen personnel est de savoir ce qu'ils en font. Tous nous en pouvons recueillir les fruits si nous recherchons nous-même cette sainteté invisible.
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Tous nous y sommes appelés, et il est nécessaire d'y parvenir en ce monde ou au purgatoire. Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus était une sainte invisible, même aux yeux de ses compagnes. Les saints visibles comme le curé d'Ars n'ont eux-mêmes cherché que la sainteté invisible et ne croyaient pas l'avoir atteinte. Et cet homme, à qui pendant de longues années furent confiés des centaines de péchés mortels chaque jour, avait la simplicité et la candeur d'un enfant. C'est donc possible pour nous, avec la grâce de Dieu. Et puisque nous vivons au milieu d'un monde très corrompu où le péché ne se cache guère, où le péché triomphe en monarque orgueilleux, le curé d'Ars et tous ses confrères qui imitent en secret sa vie humble et pénitente sont vraiment les hommes les plus nécessaires à notre temps.
D. MINIMUS.
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## DOCUMENTS
### Entre les enseignants chrétiens et les universitaires catholiques : le contact à la base.
*Avec la question scolaire, journaux politiques et organisations politisées sont en train de creuser un fossé d'incompréhension, et peut-être d'hostilité, entre les* « *enseignants chrétiens* » *de l'école libre et les* « *universitaires catholiques* » *de l'école d'État.*
*Dans un discours prononcé à Paris le* 2 *juin, Jean Madiran lançait un appel à toutes les bonnes volontés pour un contact à la base, et déclarait notamment :*
...Universitaires catholiques, vous vous réunissez entre vous, et cela est normal, mais vous tenez en quelque sorte à la porte de vos réunions les enseignants chrétiens. Vous vous réunissez pour parler d'unité catholique, sans avoir l'idée d'un contact direct et concret avec votre voisin, qui est votre frère dans la foi et qui est votre collègue dans une institution libre.
Cette question de l'enseignement dont vous parlez tous actuellement, vous en parlez entre vous, l'idée ne vous vient pas d'en parler avec eux.
Il me semble qu'en ce moment, pour les enseignants chrétiens de l'école libre, le prochain c'est l'universitaire catholique de l'école d'État dont ils méconnaissent parfois les problèmes, les difficultés et j'ajouterai les mérites.
Et pour les universitaires catholiques le prochain actuellement c'est ce collègue de l'enseignement libre dont ils ignorent trop souvent l'existence, le visage, les problèmes et quelquefois même la doctrine catholique qu'il invoque à bon droit...
*Reprenant la même idée en deux articles parus dans l'hebdomadaire* LA NATION FRANÇAISE *le* 17 *et le* 24 *juin, Jean Madiran précisait :*
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Il existe un paradoxe de la « Paroisse universitaire ». Elle groupe les catholiques de l'enseignement public et il est normal qu'existe un tel groupement « catégoriel », comme dit l'actuelle terminologie syndicale. Mais il est malheureux que ce groupement catégoriel soit exclusif et prenne parfois les allures d'une ségrégation de fait ; il est regrettable que, *ni au niveau du cercle d'études, ni à celui du congrès national, ni à celui de la messe communautaire,* il n'y ait contacts et rencontres organiques des « universitaires catholiques » et des « enseignants chrétiens ».
Au sommet, sans doute, entre représentants et responsables des diverses organisations. Mais aussi, mais surtout, rencontres il la base, rencontres entre collègues et entre voisins, méthodiquement recherchées et poursuivies, pour connaître directement les personnes, leur situation de fait, leurs pensées. Si « UNIVERSITAIRES CATHOLIQUES » ET « ENSEIGNANTS CHRÉTIENS » NE DIALOGUENT QUE PAR L'INTERMÉDIAIRE D'ARTICLES DE JOURNAUX ET D'INTERPELLATIONS PUBLIQUES, INÉVITABLEMENT SE CREUSERA UN FOSSÉ, S'APPROFONDIRA UNE RUPTURE, DRESSANT L'UN CONTRE L'AUTRE DEUX PARTIS, DEUX MYTHES ABSTRAITS ET SANS VISAGE.
Les uns et les autres parlent beaucoup en ce moment d'unité nationale et d'unité catholique. Or l'unité se fait et *se vit* A PARTIR DU PROCHAIN LE PLUS PROCHE, ET DE PROCHE EN PROCHE. *Si des hommes qui ont le même métier et la même religion ne sont pas capables de se voir, d'étudier en commun leurs problèmes communs, et de prier ensemble, s'il faut que la messe corporative des universitaires catholiques ne soit jamais celle des enseignants chrétiens, et inversement, -- alors qui donc sera capable d'unité ?*
Rechercher ces rencontres personnelles à la base est dans la logique de la situation ; et aussi, me semble-t-il, dans la logique d'une attitude chrétienne. Le *prochain* à connaître, à comprendre ; à aimer, en un temps où l'on craint une reprise de la guerre des deux écoles, le prochain parmi les plus proches est le collègue de *l'autre* enseignement, qui dans la même ville fait la même classe de l'autre côté de la rue. On parle de jeter un pont, de composer, d'harmoniser : *depuis deux mille ans, les chrétiens qui ont un tel dessein commencent par aller à la messe ensemble, et par faire directement connaissance.*
Il y a des difficultés concrètes, pratiques, psychologiques, bien sûr. C'est la preuve que nous sommes là, précisément, sur un terrain parfaitement pratique.
Les enseignants chrétiens redoutent parfois de rencontrer des universitaires catholiques juchés sur leur qualification professionnelle garantie par des diplômes d'État, et de se heurter à quelque morgue intellectuelle de leur part. Les universitaires catholiques peuvent craindre de trouver les enseignants chrétiens armés de massues et de lacets théologiques et de subir un réquisitoire dogmatique. C'est humain. Et c'est pourquoi il ne leur est nullement contre-indiqué de commencer par prier ensemble. Le plus pratique, c'est toujours l'Évangile.
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*A l'intention plus particulière des universitaires catholiques, Jean Madiran remarquait :*
Il est vrai que quelque chose pourrait, à la longue, rendre « suspects » les universitaires catholiques aux yeux des enseignants chrétiens ou de l'Église elle-même : mais ce n'est point qu'ils soient universitaires, ni qu'ils désirent le rester, C'est qu'ils paraissent ignorer la doctrine catholique. Ne généralisons pas, ce serait absurde. Constatons pourtant que, par une malchance regrettable, ceux des universitaires catholiques qui se sont exprimés publiquement dans les journaux, ces dernières semaines ou ces derniers mois, sur la question scolaire, ont presque tous notablement maltraité la doctrine de l'Église.
Ils ont montré en tous cas qu'ils en parlent plus ou moins par ouï-dire, avec parfois une légèreté qui leur ferait honte dans leurs disciplines respectives. Ils en parlent avec un manque d'information sérieuse, d'étude personnelle et approfondie, qui est le contraire de la méthode scientifique. Ils n'oseraient point parler aussi légèrement de Platon ou de Bergson. Ils n'iraient pas dire que la pensée bergsonienne est incertaine et douteuse parce qu'*il paraît* que deux ou trois disciples de Bergson ne sont pas d'accord entre eux. Mais ils argumentent à partir du fait que, *paraît-il*, quelques évêques ne sont pas d'accord. Ce qui est inexact. En outre, serait-ce vrai, cela ne suffirait pas à changer la doctrine de l'Église.
*Il y la une doctrine de l'Église en matière d'éducation et d'enseignement : elle est contenue dans l'Encyclique* Divini illius Magistri *de Pie XI ; et à l'occasion du* 25*^e^ anniversaire de cette Encyclique, Pie XII déclarait le* 25 *août* 1955 *qu'elle* « *s'offre, aujourd'hui comme hier, à l'étude de tous ceux qui loyalement désirent connaître sur ce point, dans son authentique et sereine expression, la pensée de l'Église* »*.*
*Jean Madiran poursuit :*
Nous ne pouvons pas croire qu'il serait de bonne méthode intellectuelle, surtout quand on est à la fois *catholique* et *universitaire,* de parler de la « doctrine de l'Église » en matière d'enseignement comme si ce texte n'existait pas, ou comme s'il n'était pas le bon, ou comme s'il n'avait plus aucune valeur.
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La doctrine de l'Église exige, pour les catholiques, une école entierement catholique, et elle refuse pour eux l'école laïque. Et elle dit pourquoi. Mais simultanément l'Église tient compte des situations, ce qui ne veut pas dire qu'elle les approuve. Dans son discours du 26 mars 1951 aux représentants de l'enseignement public, Pie XII n'a ni condamné ni rejeté ceux qui, maîtres ou élèves, appartiennent à l'enseignement laïque. Il a montré une parfaite connaissance de la complexité de la situation en France. Seulement, cela ne change rien à la doctrine. Au regard de la doctrine catholique, la situation scolaire en France est injuste. Ceux qui subissent cette injustice (quelquefois sans bien comprendre en quoi elle consiste) n'en sont pas coupables, mais victimes. Ils font pour le mieux dans les circonstances existantes. Encore une fois, l'Église ne les condamne pas. Mais elle les invite avec insistance à prendre conscience de ce qui est juste, et à préparer des réformes dans le sens de la justice.
C'est pourquoi, même dans cette audience si bienveillante, compréhensive et encourageante à l'égard des représentants de l'enseignement public, Pie XII n'avait nullement omis de leur rappeler que l'Église fait un « devoir primordial » aux parents chrétiens de « soutenir et promouvoir l'école expressément catholique », c'est-à-dire une école où la religion « ne soit pas disjointe de l'instruction purement humaine, mais la pénètre au contraire intimement ». Simultanément, Pie XII notait que ce sont des « circonstances trop souvent inéluctables » qui en France conduisent maîtres et élèves à l'école laïque. Il n'est pas question de nier le poids de ces circonstances, ni d'en faire grief à ceux qui les subissent. Mais tout catholique a le devoir certain de travailler à les modifier.
*Trop souvent, l'injustice scolaire est aussi peu aperçue, aussi mal comprise que l'était l'injustice sociale quand Léon XIII publia l'Encyclique Rerum novarum. D'où cette comparaison :*
L'Église ne demande jamais aucun chambardement, mais des réformes préparées d'abord dans les esprits et dans les mœurs, et prudemment mises en œuvre. Face à l'injustice scolaire, l'Église est aussi patiente, *mais aussi ferme,* que face à l'injustice sociale. L'Encyclique *Rerum novarum* ne fut d'abord comprise et acceptée que par un petit nombre de patrons catholiques : auprès de beaucoup d'entre eux, ou de leurs enfants, il lui fallut un demi-siècle et davantage pour faire comprendre en quoi consistait l'injustice du capitalisme libéral. L'Encyclique *Divini illius Magistri,* elle, n'est que de 1929. Il faudra peut-être un demi-siècle à l'Église, semblablement, pour faire comprendre à tous les universitaires catholiques en quoi consiste l'actuelle injustice scolaire.
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L'Église enseigne patiemment, Mais elle déclare et maintient qu'il s'agit d'une injustice grave. Et il faut tout de même faire remarquer à certains universitaires catholiques qu'il ne serait pas très honorable pour eux, ni au titre de catholiques ni au titre d'universitaires, d'être aussi longuement fermés et incompréhensifs devant l'Encyclique *Divini illius Magistri* que le furent beaucoup de patrons catholiques devant l'Encyclique *Rerum novarum...*
*Les universitaires catholiques seraient fidèles aux plus sûres des traditions catholiques, aux meilleures traditions universitaires, s'ils prenaient la tête du combat moral et spirituel contre cette forme particulière de l'injustice sociale qui est constituée par l'injustice scolaire :*
*Des contacts personnels et suivis, à la base, entre universitaires catholiques et enseignants chrétiens seraient profitables aux uns et aux autres.*
*L'appartenance à l'Université ne doit pas couper les universitaires catholiques de la pensée de l'Église, ni des réalités vivantes de la communauté catholique.*
*L'intérêt même du corps enseignant public est dans la liberté :*
Des universitaires catholiques proclament leur « *attachement à l'enseignement public* ». On ne leur demande pas de le dénouer. Mais bien plutôt d'être dans l'Université des réformateurs et des artisans de progrès. Il ne faudrait pas qu'ils s'attachent, dans l'enseignement public, à ce qu'il comporte de conservatisme immobile, de routine intellectuelle et administrative. On souhaite non pas que les universitaires catholiques détruisent ou sabotent l'Université, mais au contraire qu'ils animent cette rénovation et cette modernisation que tout le monde s'accorde à juger indispensable. Et qu'au lieu d'attendre de l'État une réforme de l'enseignement qui ne vient pas ou qui vient mal, le corps enseignant prenne lui même en main la recherche des moyens de la réforme. Qu'il s'éveille plus résolument au sens de ses responsabilités, au goût de ses libertés.
Des universitaires catholiques comme Étienne Gilson et Jean Rolin ont publié des travaux véritablement fondamentaux sur la réforme de l'enseignement, sur les libertés universitaires, sur le progrès nécessaire. Ce n'est point pour défendre l'enseignement confessionnel, c'est bien pour rénover l'enseignement public lui-même, qu'Étienne Gilson -- universitaire, catholique, et par surcroît « chrétien de gauche » proclamait que « *l'enseignement d'État n'est pas libre* », et qu'il demandait « *la liberté pour tout le monde, à commencer par l'enseignement d'État* ».
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Car enfin, les universitaires, catholiques ou non, sont-ils vraiment satisfaits de voir les programmes, les méthodes intellectuelles, les nominations, les examens et les concours dépendre d'un ministère politique de Éducation à peu près de la même façon que l'administration préfectorale dépend d'un ministère politique de l'intérieur ?
Les universitaires considèrent que l'on violerait une liberté fondamentale si les journaux étaient aux mains du pouvoir politique. Mais on viole une liberté plus fondamentale encore quand on place l'enseignement dans la dépendance entière du gouvernement, par un abus ancien, passé dans les mœurs, et qu'on ne réformera évidemment pas en un jour. Du moins peut-on étudier et préparer -- pas à pas -- l'autonomie des Universités. C'est un projet que le corps enseignant doit promouvoir *pour lui même* et pour le progrès de l'enseignement public.
Henri Charlier, l'auteur de *Culture, École, Métier,* a tracé le dessin de cette nécessaire évolution : « La première réforme est de rendre aux universités la liberté de s'administrer elles-mêmes et d'élire leur Recteur, de grouper les enseignements, de les créer sans avoir à attendre les décisions d'une administration d'État souvent entachées de basse politique. » Henri Charlier ajoute : « Les membres de l'Université ont encore la chance de former un *corps,* c'est-à-dire d'avoir la puissance de se réformer et d'imposer cette réforme » en commençant par « réclamer la liberté pour l'Université elle-même ». Ces pensées, ces projets, ces requêtes, ces perspectives, les universitaires catholiques qui entrent dans le débat public de l'enseignement paraissent trop souvent les ignorer.
On ne demande pas aux universitaires catholiques de défendre la liberté des autres, s'ils n'en ont pas le goût ou n'en voient pas la portée. Mais qu'ils restaurent leur propre liberté. Personne (sauf les communistes) ne soutient dogmatiquement qu'il est bon, légitime, parfait qu'en matière d'enseignement l'autorité unique et absolue soit le pouvoir politique. Mais on le supporte, on le subit, on oublie de s'en apercevoir, par une sorte de paresse intellectuelle ou de paralysie.
Il est impossible de forcer quelqu'un à être libre. L'Université d'État ne peut évoluer vers la liberté que sous la pression du corps enseignant lui-même : c'est-à-dire d'abord s'il conçoit et désire cette liberté, s'il en étudie les moyens pratiques. Les universitaires catholiques peuvent y éveiller leurs collègues, diffuser cette idée dans l'enseignement public, prolonger les travaux des Gilson et des Rolin, être des initiateurs, des animateurs, des organisateurs sur le plan professionnel.
Si l'Université d'État évolue vers l'autonomie, du même coup la perspective et le climat de la question scolaire seront profondément modifiés. Et il deviendra beaucoup moins malaisé de s'entendre sur un statut de l'enseignement qui ne vienne pas brutalement saccager ce que la foi catholique exige pour les catholiques.
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*La Commission créée auprès du Ministère de Éducation découvrira peut-être les moyens d'un compromis provisoire : c'est le meilleur résultat auquel elle puisse aboutir, et l'on souhaite qu'elle y aboutisse.*
*Mais, d'autre part, universitaires catholiques et enseignants chrétiens peuvent explorer et préparer les voies d'une œuvre plus durable, et de plus longue haleine :*
Entre, d'une part, la doctrine traditionnelle et invariable de l'Église et, d'autre part, les exigences de la réforme et de la modernisation de l'enseignement public, une rencontre et une harmonie sont possibles : mais en avant, et si l'on avance vers la liberté.
Le progrès de l'Université est dans son autonomie ; le progrès de l'enseignement public est dans ces *libertés universitaires* dont un universitaire tel que Jean Rolin a tracé le projet, donné les motifs, montré la voie. L'aménagement progressif de ces libertés universitaires rendra progressivement, par le fait même, moins « anormale » l'existence d'une école catholique -- et d'une école protestante, et d'une école juive -- entièrement libre.
Mais pour cela, il ne faut tricher ni avec les exigences de la doctrine catholique, ni avec les exigences du progrès de l'Université. Ce sont ces deux sortes d'exigences qui peuvent se rencontrer et s'harmoniser. Et c'est leur affadissement simultané qui suscite, dans la confusion, des passions à un niveau intellectuel médiocre ; précisément le niveau où leurs oppositions sont inexpiables.
### Le témoignage de Maritain rejoint celui de Gilson
« *Que les catholiques le sachent bien, écrivait Péguy, la querelle de la Sorbonne n'est pas une querelle gratuite. Et elle n'est pas une querelle ajoutée. C'est la querelle même des héros et des saints* (...) *contre ce qu'ils nomment sociologie, contre ce qu'ils nomment psychologie, contre ce qu'ils nomment science.* »
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*Nous avons dit dans l'éditorial de notre numéro* 34*, sur* « *Les libertés de l'enseignement* »*, comment et pourquoi les considérations de Péguy sur la Sorbonne et sur le* « *parti intellectuel* » *sont tout à fait actuelles.*
*Voici maintenant le témoignage de Jacques Maritain. Les lignes suivantes sont extraites de son récent livre* Réflexions sur l'Amérique (*Fayard* 1958)*, pp.* 157 *et suiv. :*
Je suis, comme vous le savez peut-être, un philosophe thomiste. Il y a eu en France, avant la guerre, un fort mouvement thomiste, mais il résultait de l'effort de quelques rebelles qui avaient un talent pour crier la vérité sur les toits ; la politique solidement établie des cercles intellectuels officiels était, et est encore, de refuser de reconnaître l'existence même de leur travail, -- qu'est-ce qu'on peut bien attendre en effet pour la philosophie d'aujourd'hui d'un homme -- d'un théologien ! d'un saint ! -- qui a vécu au XIII^e^ siècle ?
En Amérique aujourd'hui, des philosophes qui tiennent saint Thomas d'Aquin pour un penseur contemporain, enseignent non seulement dans les Universités catholiques, mais aussi dans des Universités laïques ou « séculières ».
*Parce que les Universités américaines ont leur autonomie intellectuelle et administrative ! Tandis que les Universités françaises sont étroitement soumises au pouvoir politique, au ministère de l'Éducation, à l'administration étatique de l'enseignement...*
Maritain ajoute nettement, -- et ce n'est point une supposition de sa part, ce qu'il énonce est le résultat de son expérience vécue *:*
Dans aucune université européenne je n'aurais trouvé l'esprit de liberté et de sympathie que j'ai trouvé à Princeton en enseignant la philosophie morale à la lumière de Thomas d'Aquin.
*Maritain écrit encore* (p. 159) :
Le fait est que dans des revues philosophiques aux tendances les plus différentes il est objectivement reconnu que le « néothomisme », comme on dit, est un des courants vivants de la philosophie américaine d'aujourd'hui.
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La *National Society for the Study of Education* a demandé à un philosophe thomiste d'écrire un chapitre pour son Annuaire, intitulé « Les Philosophies modernes et l'éducation ».
C'est admettre du même coup que le thomisme se range au nombre des philosophies modernes. M. Émile Bréhier et ses collègues de la Sorbonne n'ont jamais reconnu ce fait.
*Le témoignage de Maritain vient ainsi s'ajouter à celui de Gilson* (*voir Itinéraires, n°* 34*, pp.* 122*-*123)*.*
\*\*\*
*Deux* « *universitaires catholiques* »*, tous deux, au demeurant* « *chrétiens de gauche* »*, et qui sont les deux plus illustres philosophes vivants issus de l'Université française, apportent donc un témoignage qui est en outre garanti par leur vie même.*
*L'un et l'autre ont quitté leur patrie pour trouver en Amérique* (*au Canada ou aux U.S.A.*) *des conditions de liberté qui leur permettent de poursuivre pleinement leur enseignement. L'un et l'autre continuent leur œuvre et probablement finiront leur vie sur le continent américain.*
*Beaucoup d'* « *universitaires catholiques* » *devraient s'éveiller à de tels témoignages et comprendre ce qu'ils signifient.*
\*\*\*
*Commentant ces témoignages de Gilson et de Maritain dans* CARREFOUR *du* 17 *juin, Louis Salleron écrit notamment :*
En 1958 Jacques Maritain fait écho aux réflexions d'Étienne Gilson en observant mélancoliquement que la philosophie thomiste a droit de cité dans les Universités des États-Unis alors qu'elle est interdite en Sorbonne.
*Louis Salleron rappelle le cas d'Einstein, qui aurait pu trouver asile en France et enseigner à Paris, si l'enseignement français n'avait pas été aux mains du totalitarisme d'État :*
De même que l'Université étatiste est contre la liberté en se voulant libérale, de même, tout en se déclarant universaliste et internationaliste, elle est nationaliste.
107:36
Quand, avant la guerre, le nazisme obligea les élites universitaires juives d'Allemagne à fuir leur pays, celles-ci ne purent trouver de chaires en France. Einstein, si je suis bien informé, aurait été heureux d'enseigner en Sorbonne. Mais Einstein, Allemand, ne pouvait être professeur en France. Il alla aux États-Unis, -- avec beaucoup d'autres.
Comment pourrait-il en être autrement ? Une Université d'État ne peut se truffer d'étrangers.
Une Université libre peut accueillir qui elle veut -- comme fait l'Institut catholique, mais avec des moyens dérisoires qui ne permettent pas le travail.
... Dans sa plus grande gloire, au XIII^e^ siècle, Paris s'enorgueillissait d'un Albert le Grand, qui était Allemand, d'un Duns Scot qui était anglais, d'un Thomas d'Aquin qui était italien.
L'étatisme universitaire, ce n'est pas seulement le recul de la liberté et de l'invention, c'est aussi le recul de l'humanisme et de l'universalisme.
*Mais, par l'Université d'État, les* CERCLES INTELLECTUELS OFFICIELS*, comme dit Maritain, c'est-à-dire le* PARTI INTELLECTUEL*, comme disait Péguy, ont un moyen d'*ASSURER LEUR PROPRE DOMINATION TEMPORELLE*.*
*Salleron préconise des solutions analogues à celles qu'ont proposées Étienne Gilson, Henri Charlier et Jean Rolin :*
Le jour où les Recteurs seront élus par l'ensemble des professeurs et des étudiants, le jour où les professeurs seront nommés par un mélange de cooptation et d'élection, le jour où les Universités gèreront elles-mêmes leur budget, le jour où un régime juridique et fiscal approprié permettra, comme aux États-Unis et en Angleterre, de doter les Universités de moyens puissants, c'est tout l'enseignement qui sera libéré...
*Mais en attendant...*
...la bureaucratie étatique est telle que Rockefeller se heurta, après la première guerre, à l'impossibilité pratique de doter la France d'une nouvelle Faculté de Médecine. De même, il y a peu d'années, un richissime négociant français dut léguer ses milliards à Oxford, faute de pouvoir faire bénéficier son pays.
108:36
Dès maintenant, si des dispositions légales étaient prises, assurant individus et sociétés que les sommes versées par eux à des établissements d'enseignement seraient libres de tout impôt et les exonéreraient eux-mêmes des impôts qu'ils ont à payer pour ces sommes, la moitié du problème scolaire serait résolue.
*Mais on peut se demander avec inquiétude si les pensées de cette sorte seront non pas automatiquement adoptées, bien sûr, mais au moins prises en considération, fût-ce en considération critique, par les dirigeants et animateurs de l'Union des catholiques de l'enseignement public* (*Paroisse universitaire*)*.*
*Dans leur organe, les* CAHIERS UNIVERSITAIRES CATHOLIQUES*, numéro de juin-juillet* 1959*, figure précisément un compte rendu du livre de Maritain sur l'Amérique. Tous les thèmes de l'ouvrage sont scrupuleusement énumérés un à un ; tous sauf le témoignage que nous avons cité ci-dessus, et qui concerne justement l'Université française !*
*Nous pensons que le témoignage pensé, exprimé et vécu de Maritain et de Gilson* SUR L'ENSEIGNEMENT *est un thème de réflexion très actuel pour les universitaires catholiques ; nous trouvons étonnant que ceux dont la fonction serait apparemment de le faire connaître -- au moins à titre informatif -- semblent s'attacher à le passer sous silence.*
\*\*\*
*Or précisément l'aumônier national de l'Union des catholiques de l'enseignement public, le R.P. Pierre Dabosville, évoque dans* LE MONDE *du* 19 *juin*
cette belle définition libérale que l'Université s'est efforcée de réaliser...
*et il ajoute :*
...avec succès, que les catholiques l'avouent.
*Le bien-fondé d'un tel aveu, pour apparaître clairement, méritait peut-être un peu plus qu'une affirmation gratuite et incidente.*
*Il ne s'agit évidemment pas de contester les réussites de l'Université. Mais il ne saurait être question non plus de fermer systématiquement les yeux sur ses malfaçons.*
109:36
*Un réquisitoire unilatéral serait injuste. Mais une apologie unilatérale serait aberrante au chapitre des conceptions et des réalisations* « *libérales* » *de l'Université française. Comparées aux conceptions et aux réalisations des libres Universités américaines, par exemple, celles de l'Université française appellent quelque modestie dans l'éloge, et des réserves sur leur caractère véritablement* « *libéral* »*.*
*Nous savons bien que certains universitaires français l'ignorent, et qu'ils s'indigneraient volontiers de ces réserves. Mais enfin qu'ils s'informent, ou qu'on les informe. Ils apercevront qu'ils ont parfois perdu le sens, le goût et jusqu'à l'idée de ce que peuvent être les* LIBERTÉS UNIVERSITAIRES*, et de ce qu'elles sont effectivement dans d'autres pays.*
\*\*\*
*En tous cas, on ne voit pas pourquoi des universitaires catholiques, et éventuellement leurs aumôniers, devraient obligatoirement tenir pour nul et non avenu, et mettre systématiquement sous le boisseau, le grave témoignage d'hommes comme Maritain et comme Gilson.*
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### Les changements en Afrique
*L'évolution de l'Afrique a surpris beaucoup d'Européens, mais elle a surpris les Africains eux-mêmes et les Européens vivant en Afrique, même ceux qui, comme missionnaires, y sont allés uniquement pour le bien des Africains.*
*La guerre de 1940 a détruit tant de richesses en Europe qu'il y avait après la guerre pénurie de biens de consommation. L'Afrique fut appelée à y remédier et il y eut après 1945 une grande prospérité commerciale qui attira la main-d'œuvre dans les villes et sur la côte. Cet exode vers les villes est accru par le fait que les chrétiens formés dans la brousse ont la plus grande difficulté à vivre en chrétiens au milieu des institutions païennes des clans ; leur vie y est matériellement impossible. Voici un résumé de cette situation pris dans le dernier numéro de* « Vivante Afrique » :
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Les villes ont poussé comme des champignons, drainant des milliers de jeunes hommes, poussés par l'attrait des salaires et des facilités. Sur une terre pauvre, où les populations sont sous-alimentées à 75% la force et le goût font défaut pour sortir du cercle vicieux misère-faim-maladie. Une culture plus rationnelle, un travail plus régulier des hommes surtout, devrait améliorer notablement les conditions de vie, mais cela suppose une éducation qui n'est pas donnée... La vie à la campagne devient intolérable à une fraction de plus en plus importante de la population pour ces raisons qu'on peut appeler économiques, et aussi pour des raisons morales très fortes.
La liberté individuelle n'existe pour ainsi dire pas. L'individu est partie d'une famille et strictement contrôlé par celui qui détient le gouvernement. Le choix d'un métier, d'une femme, la réalisation du moindre projet sont soumis à l'agrément de l'autorité familiale. La famille n'est elle-même qu'un chaînon d'un groupe plus vaste, le clan. Celui-ci détermine l'orientation de ses membres dans le sens de la communauté, tel qu'il est saisi par les chefs. L'autorité de la tribu plane au-dessus de ces groupes mineurs et en assure la cohésion par une discipline rigoureuse et l'étouffement des initiatives personnelles.
La masse active de ces communautés, surtout en ses éléments jeunes et dynamiques, supporte de plus en plus mal la domination des anciens dont la puissance passe facilement pour tyrannique en un monde ébranlé par l'individualisme européen.
L'école et l'adhésion à une religion chrétienne accentuent le malaise. Le jeune, sorti de l'école, n'a qu'une alternative : ou rentrer dans le rang et abandonner le fruit de ses efforts, ou s'évader du groupe par l'exode vers la ville. Le chrétien devient rapidement un homme en marge, là où il est en minorité, car il se heurte à chaque instant aux hommes et aux institutions de son clan. La religion l'oblige à réprouver des coutumes universellement admises, comme le mariage à l'essai, l'héritage des veuves. Elle le place sous une double autorité, fréquemment en conflit : celle de ses chefs naturels et celle de ses chefs spirituels. Il ne peut participer à nombre de démarches collectives de son clan, marquées de paganisme : séances divinatoires à l'occasion d'une maladie ou d'un décès, rites préparatoires à une battue ou à une partie de pêche. Autant de raisons qui ont amené l'évasion d'une masse de jeunes vers les villes.
En 15 ans, Brazzaville passe de 20 à 85.000 habitants. Pointe-Noire, qui n'existait pas il y a 40 ans, passe en six ans (1952-1958) de 5 à 54.000 habitants. Dolisie de quelques centaines à près de 10.000 habitants. Brazzaville est constituée de trois groupements distincts : la ville européenne flanquée de part et d'autre de Bacongo et de Poto-Poto. Ces deux agglomérations ont augmenté de 50 % en 5 ans : à Bacongo, en 1951, 64 % de la population est née en brousse ; à Poto-Poto, 90 %. Pour les raisons données plus haut, la proportion des chrétiens y est nettement supérieure à celle de l'intérieur.
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Le drame est que rien n'avait été préparé pour recevoir ces foules brutalement déracinées qui devaient d'un coup faire l'expérience de la liberté personnelle dans un brassage de race, hier encore étrangères les unes aux autres quand elles n'étaient pas hostiles : 25 ethnies ont été dénombrées à Poto-Poto.
......
Circonstance aggravante, ce monde est extrêmement jeune : à Bacongo, en 1951, l'âge moyen de la population était de 22 ans ; de 25 ans à Poto-Poto. L'équilibre des sexes n'est pas assuré. Les jeunes hommes sont venus seuls, parfois précisément pour amasser la dot qui leur procurera une femme. Les hommes mariés ont souvent laissé leur famille au village, à titre provisoire, en attendant d'avoir un emploi stable et un logement convenable. Les femmes ne suivent qu'avec un décalage de quelques années. D'où, pour les agglomérations africaines de Brazzaville, une proportion de 685 femmes pour 1000 hommes : 585 à Poto-Poto et 730 à Bacongo. Car la proportion varie selon le métier exercé qui commande la situation sociale et l'éloignement des lieux d'origine. A Pointe-Noire, les Batékés, venus de 400 km et se cantonnant dans les emplois de manœuvres, ne comptent que 250 femmes pour 1000 hommes.
*La moralité se ressent forcément de cette situation anormale dans laquelle, non seulement l'antique société indigène est détruite, mais aussi les conditions normales de toute société naturelle. Enfin la prospérité qui a suivi la guerre n'a pas duré et il y a beaucoup de sans-travail qui ne veulent pas retourner dans la brousse.*
Le bar apparaît comme un point culminant de la nouvelle civilisation urbaine : suprême ambition de qui a de l'argent, amertume et envie pour tant de pauvres et de garçons sans travail. Ces bars foisonnent dans toutes les villes : il y en a 500 à Léopoldville, de l'autre côté du fleuve, 150 à Libreville, achalandés par des élégantes qui boivent la bière européenne, grignotent des cacahuètes, fument la cigarette. Dès 1918, sur les 935 femmes de Libreville en âge de se marier, plus de 400 ne l'étaient pas. Les « femmes libres » représentent plus de 25 % de la population féminine dans la plupart des cités du Congo belge. Le docteur Busia signale la même situation dans les ports du Ghana. La prostitution s'est institutionnalisée et se généralise. L'union libre devient la règle. La jeune fille collectionne des toilettes, des bijoux et des facilités qu'aucun mari ne pourrait lui procurer. Toutes les habitudes tribales sont oubliées... ou commercialisées car mariages et fins de deuil se fêtent désormais au bar et aussi longtemps qu'il reste un sou. Triste rançon de l'urbanisation, de l'effritement des cadres et de la frénésie de liberté.
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*Il paraît surprenant qu'on ait laissé s'installer ces* « *boîtes* »*. Mais n'est-ce pas la liberté telle qu'on l'entend trop souvent chez nous ? Chez nous-mêmes, n'était-il pas interdit aux religieux de vivre en religieux et d'enseigner ? tandis que tout le monde pouvait ouvrir un dancing librement.*
*La jeunesse de la population de ces nouvelles villes explique la violence des émeutes, mais aussi la sottise de nos propres institutions ; un peuple qui s'émancipe se croit tenu d'avoir comme nous des partis et une chambre des députés. Or c'est là le mode le plus médiocre d'une représentation véritable d'une population. Car on la fait voter sur des choses qu'elle ignore, et on ne la consulte pas sur ce qu'elle sait. Peut-être est-ce intentionnel. Qui, parmi les électeurs, sait assez d'histoire et de géographie, qui connaît assez les rapports de forces pour juger de la politique étrangère ? Sans compter que certaines ententes sont cachées par nécessité. Qui peut choisir en connaissance de cause entre évolution et révolution* (*car c'est souvent le fond des problèmes*) ? *Qui aura le jugement assez sûr pour savoir quand il faut bouleverser un faux ordre afin de conserver les principes naturels des sociétés ? Ceux qui ont des grâces d'état pour le faire, mais pas un peuple.*
*Et ce régime parlementaire favorise, aux dépens de la véritable élite d'une nation, qui est dans les métiers productifs, une armée de gens dont les intérêts sont liés à l'existence de ce régime. Ils tiennent à cette lutte de partis artificiels qui est leur raison d'être et maintiennent ainsi la guerre civile à l'état endémique. Ces institutions nous viennent d'Angleterre, où on les admire justement, car elles auraient fait périr ce pays depuis longtemps, si l'Angleterre n'eût été une île *; *ajoutons qu'elle est aussi gouvernée par une aristocratie adoptée par tous les Anglais comme allant de soi et comme leur représentation normale. En dehors de l'île, ces institutions ont amené l'abaissement de toutes les nations qui les ont adoptées.*
*En Afrique, le régime des partis devient aussitôt le régime des clans nationaux ennemis. Ce régime de guerre civile est adouci chez nous pas un reste d'habitudes chrétiennes ; dans la république du Congo, les deux partis politiques représentent des populations ennemies que la paix française avaient obligées au calme. Le parti de* *M. Youlou ne l'a emporté qu'à quelques voix près ; cela promet pour l'avenir.*
*En Côte d'Ivoire, depuis qu'elle est indépendante, il y eut un mouvement populaire contre les Togolais et les Dahoméens qui, sous le régime français, étaient venus s'y installer. Ces pauvres gens ont dû* *partir rapidement en abandonnant leurs biens.*
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*Il est très certain qu'il eût été préférable que ces tribus différenties des nouvelles républiques fussent restées sous le régime colonial jusqu'à ce qu'elles eussent été habituées à vivre ensemble sans avoir envie de s'entretuer ; il n'y a rien à faire dans le moment de leur extrême violence contre* « *les mouvements passionnels comme celui qui entraîne ces peuples à réclamer l'indépendance ; surtout lorsqu'ils sont attisés par le communisme et le démon. Il y a trois mille étudiants noirs dans les universités des pays soviétiques ; et* *ceux qui étudient chez nous sont-ils mieux protégés ? Enfin, il eût fallu que la mère patrie ait su lutter elle même contre ces mouvements passionnels excités par les démagogues et quelle eût autre chose à offrir pour représenter les citoyens auprès de leur gouvernement que le régime parlementaire. Heureusement, à Brazzaville du moins, les chrétiens ont su donner le bon exemple :*
Les émeutes qui ensanglantèrent Pointe-Noire en novembre 1958 et surtout Brazzaville en février 1959, résultent de vieilles rivalités ethniques ravivées par les partis politiques, celui de M. Fulbert Youlou et celui de M. Jacques Opangault.
Tout au long de ces tristes journées, les Missions ont servi de refuge aux gens terrorisés, de quelque race qu'ils fussent.
Deux mille cinq cents personnes s'étaient réfugiées dans la paroisse d'Ouenzé, dont un millier de Balari et de Bacongo. Salles, écoles, église, furent vidées pour les abriter. Aucune difficulté ne surgit entre gens de races différentes, A Sainte-Anne, 250 réfugiés ; à la cathédrale, une centaine environ. A l'hôpital, une nombreuse équipe de religieuses vint renforcer le personnel médical.
Comme des blessés poursuivis par les tueurs venaient se mettre sous la protection des Pères, on aurait pu craindre que la fureur se tournât contre les missionnaires. Il n'en fut rien. Aucune parole d'hostilité ne fut prononcée contre eux. Mgr l'Archevêque de Brazzaville circula dans tous les quartiers, passant tous les barrages sans la moindre difficulté.
De nombreux chrétiens ont eu des gestes magnifiques de courage et de charité. La plupart des militants d'Action Catholique portèrent sur les événements un jugement chrétien. L'attitude des uns et des autres prouve que l'esprit chrétien a pénétré les âmes.
*Devant ces situations nouvelles, tous ceux qui ont mission d'élever les peuples africains à une vie morale supérieure, chefs et missionnaires, sont extrêmement embarrassés. Le problème n'est plus seulement d'aller dans la brousse accomplir les œuvres de la miséricorde et enseigner la religion en respectant ce que ces sociétés naturelles peuvent avoir de bon. Cette besogne est toujours nécessaire, car la majorité de la population habite la brousse.*
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*Elle y est très clairsemée, deux habitants au km *2 *au Congo ; sans les Européens, toute la région du bas Congo serait entièrement dépeuplée par les maladies, Cette besogne est en même temps très pénible et très difficile, mais le plus urgent est de créer des chefs pour former cette nouvelle société encore inorganique et pleine de misères que des circonstances dépassant la volonté de l'homme présentent à l'action des gens de bien.*
*L'an passé, un missionnaire avec qui nous correspondons nous écrivait qu'il venait d'instaurer une classe de sixième avec latin. Cela dans un pays assez fortement islamisé de la boucle du Niger. Ne serait-il pas plus pressé d'en faire de bons cultivateurs et de bons ouvriers ? On se figure mal quelles sont les conditions de la culture en ces pays. Là c'est la sécheresse ; ailleurs les pluies tropicales lessivent la terre à ce point qu'elle est transformée en latérite dépourvue d'humus et de tous éléments fertilisants. L'amélioration des terres demanderait un long travail collectif qui ne peut dépendre de la formation parfaite d'un bon cultivateur ; il faudrait aussi que ces paysans eussent le goût du travail et ne le laissent point aux femmes, que le régime de la propriété ne fût pas un empêchement à ce qu'un bon cultivateur cultivât avec goût. Enfin les situations changent de canton en canton et il n'est que ceux qui vivent sur place pour savoir ce qui convient. Or voici comment les missionnaires et le clergé africain lui-même voient le problème :*
Anarchie des besoins, indiscipline des meurs, commercialisation de la dot, trafics d'influences, dislocation des foyers, délinquance juvénile, sous-prolétariat des masses, frénésie de liberté, primauté brutale du plaisir et de l'argent...
En cette société qui a grandi trop vite, qu'on n'a pas eu le temps de faire chrétienne et qui d'un geste a rejeté toutes les structures spiritualistes et sociales propres à la race, se préparent une mentalité et un comportement d'un matérialisme âpre, passionné, effroyable.
C'est dans ces conditions que l'Église travaille et que la Mission continue, résistant à la tentation de fuir ce monde opaque ou hostile et de lui préférer les âmes vierges des campagnes, plus accueillantes, toujours majoritaires.
Les hésitations ne sont plus possibles. Ce qui importe d'urgence, et en priorité sur l'apostolat du grand nombre, c'est de former des chefs, des catholiques d'action, instruits et convaincus, des hommes de dévouement et de combat. Il suffirait de quelques-uns dans chaque centre influent pour sauver ce peuple qui se cherche et cherche sa voie.
Dans toute l'Afrique progressiste et partout où la Mission travaille, c'est le même besoin angoissé, tragiquement pressant. Sous peine de perdre à la fois les masses évangélisées et la génération montante, il faut de toute nécessité trouver des chefs, des militants capables et responsables.
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Tout le reste doit se subordonner à cette exigence primordiale car tout le reste en dépend. « Ici, disait un évêque africain, un syndicaliste bien pensant vaut plus que trois églises, et trouver un journaliste chrétien vaut mieux qu'une nouvelle fondation ». C'est donc a un regroupement des forces qu'il faut d'abord penser, une concentration des ressources et des effectifs en vue de la formation des cadres, aux points stratégiques. On a pu dire, non sans quelque pertinence, que si le haut commandement des armées procédait de la manière dont l'Église distribue ses forces, toutes les batailles seraient des batailles perdues.
Continuerons-nous à laisser à Prague, à Moscou et déjà à Péking le monopole des initiatives qui nous incombent à tant de titres ? Ils sont 3000 étudiants noirs, accueillis à bras ouverts dans les instituts communistes... De la promptitude et de l'énergie de cette adaptation dépend tout l'avenir de l'Église d'Afrique. Il est impensable que les chrétientés d'Occident ne s'en émeuvent point. Elles se renieraient.
*Il est certainement dans la mission de la France, puisqu'elle y est et qu'on parle sa langue, dans la mission des catholiques de contribuer à cette œuvre bonne par excellence de l'élévation morale d'un peuple. Cette aide peut prendre bien des formes, personnelle, pécuniaire... Ce n'est pas toujours par des écoles qu'on obtient le meilleur résultat. L'école d'infirmiers et d'infirmières du Père Goarnisson est un dispensaire. Les centres où les pétroliers du Gabon forment des contre-maîtres sont des ateliers. Puissent les Français consciencieux s'apercevoir que le désordre de ces pays nouvellement appelés à la civilisation et au christianisme vient de notre propre désordre et du déséquilibre de nos propres idées.*
116:36
### Centre Français de Sociologie
*Année scolaire 1959-1960*
Le Centre Français de Sociologie a été fondé en 1954. Son *Comité directeur* est composé de :
Marcel CLÉMENT (président) ; Gustave THIBON et Jean de LIVONNIÈRE (vice-présidents) ; André CLÉMENT (délégué général) ; René BRUNET-LECOMTE (secrétaire) ;
Michel TISSOT (secrétaire adjoint) ; Joseph LARAT (trésorier) ; André AUMONIER ;
Marie-Thérèse BARBERON ; Suzanne CHATILLON ; Jean DAUJAT ; Raymond DELATOUCHE ; André DUPRAT ; Henri et Françoise d'HARCOURT ; Brigitte LUC ; abbé André RICHARD.
Pendant l'année scolaire 1959-1960, le Centre Français de Sociologie organise, outre des conférences dans plusieurs villes en France et à l'étranger, trois séries principales d'activités :
-- des sessions sociales à Anjou (Isère) ;
-- des cours et conférences à Paris ;
-- des conférences mensuelles à Lyon.
117:36
Université sociale qui est en France sans équivalent, le Centre Français de Sociologie destine son enseignement à tous ceux qui désirent étudier les problèmes sociaux actuels à la lumière du droit naturel et de la Révélation.
I. -- Sessions sociales de 5 jours\
à Anjou (Isère).
Le siège central du C.F.S., qui était établi jusqu'au 30 juin 1959 à Beaumont-Monteux (Drôme), est transféré au château d'Anjou, à Anjou, Isère (tél. : 2).
C'est à Anjou que se poursuivront les sessions sociales de cinq jours organisées depuis 1954 par le Centre Français de Sociologie pour les militants syndicaux, professionnels, universitaires, cadres et chefs d'entreprises.
Dirigées par Marcel Clément (principes et faits sociaux) et par André Clément (méthodes et techniques d'action sociale), ces sessions forment chacune un tout ; les demandes d'inscription ne sont prises en considération que pour une assistance complète du début à la fin des cinq jours de la session.
Pour le premier semestre de l'année 1960, les sessions d'études sociales auront lieu à Anjou aux dates suivantes :
-- 4 au 10 janvier ; -- 18 au 24 janvier ; -- 22 au 28 février ; -- 21 au 27 mars ;
-- 23 au 29 mai ; -- 13 au 19 juin.
Toutes les demandes de renseignements et d'inscriptions doivent être adressées au DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DU C.F.S., château d'Anjou, à Anjou, Isère.
II\. -- Paris :\
cours et conférences.
Les cours et conférences du Centre Français de Sociologie à Paris pour l'aunée scolaire 1959-1960 auront lieu le *mardi :* les cours à 20 heures, les conférences à 21 heures.
118:36
CONFÉRENCES. -- Elles peuvent être suivies indépendamment les unes des autres ; une réduction de tarif est toutefois consentie aux personnes qui souscriront un abonnement à la série complète des huit conférences, qui auront lieu aux dates suivantes (le mardi à 21 heures) :
-- 13 octobre 1959 : Jean MADIRAN : *La Constitution la plus démocratique du monde.*
-- 3 novembre 1959 : Brigitte LUC : *La France face au bien commun politique.*
-- 1^er^ décembre 1959 : Gustave THIBON : *La prière et la mécanique.*
-- 12 janvier 1960 : Michel TISSOT : *Problèmes sociologiques de l'Inde nouvelle.*
-- 2 février 1960 : Marcel CLÉMENT : *La dignité de la personne en péril.*
-- 8 mars 1960 : Marcel CLÉMENT : *La famille française et le sens de l'histoire.*
-- 3 mai 1960 : Marcel CLÉMENT : *La propriété pour ou contre le travail.*
-- 7 juin 1960 : Marcel CLÉMENT. *L'Europe, la Communauté, et la paix.*
Pour tous renseignements, cartes d'invitation et inscriptions, s'adresser au SECRÉTARIAT RÉGIONAL DU C.F.S., 17, avenue Niel, Paris XVII, (tél. : CAR. 87.12).
\*\*\*
COURS SUR LE COMMUNISME. -- Douze cours sur le communisme, inspirés de l'Encyclique *Divini Redemptoris,* seront donnés par Jean MADIRAN aux dates suivantes (le mardi à 20 heures) :
-- 10 novembre 1959 ; -- 24 novembre 1959 ; -- 8 décembre 1959 ; -- 5 janvier 1960 ; -- 26 janvier 1960 ; -- 9 février 1960 ; -- 23 février 1960 ; -- 15 mars 1960 ; -- 29 mars 1960 ; -- 26 avril 1960 ; -- 10 mai 1960 ; -- 24 mai 1960.
119:36
Ces douze cours successifs constituent un enseignement suivi. Ils sont réservés aux personnes qui s'inscrivent *pour la série complète des* 12 *leçons* et qui en auront fait la demande écrite avant le 15 octobre 1959.
Adresser toutes demandes de renseignements et inscriptions au SECRÉTARIAT RÉGIONAL DU C.F.S., 17, avenue Niel, Paris XII, (tél. : CAR. 87.12).
III\. -- Lyon :\
conférences mensuelles.
Les conférences mensuelles du C.F.S. auront lieu aux dates suivantes :
-- 9 novembre 1959 : Jean DAUJAT : *La dignité de la personne.*
-- 30 novembre 1959 : Jean DAUJAT : *La dignité de l'État.*
-- 21 décembre 1959 : Gustave THIBON : *Feu la liberté.*
-- 18 janvier 1960 : Gustave THIBON : *Liberté et démocratie.*
-- 15 février 1960 : Marcel CLÉMENT : *Sociologie de la vie privée.*
-- 14 mars 1960 : Marcel CLÉMENT *: Sociologie de l'opinion publique.*
-- 4 avril 1960 : Marcel CLÉMENT : *La guerre révolutionnaire.*
-- 16 mai 1960 : Marcel CLÉMENT : *La paix est-elle une utopie ?*
Pour tous renseignements, cartes d'invitation et inscriptions, s'adresser au SECRÉTARIAT RÉGIONAL DU C.F.S., 37, chemin de la Glacière, Oullins, Rhône (tél. : 51.37.70).
120:36
Toute la correspondance et toutes les demandes de renseignements concernant les activités du Centre Français de Sociologie doivent être adressées :
-- soit à M. André CLÉMENT, Délégué général du Centre Français de Sociologie, château d'Anjou, à Anjou, Isère (tél. : 2) ;
-- soit à Mme BARBERON, Secrétaire régionale de Paris, 17, avenue Niel, Paris 17, (tél. : CAR 87-12) ;
-- soit à Mme BRUNET-LECOMTE, Secrétaire régionale de Lyon, 37, chemin de la Glacière, Oullins, Rhône (tél. : 51.37.70).
RÉGION PARISIENNE. -- Les personnes qui désirent être *régulièrement tenues au courant,* par circulaires et cartes d'invitation personnelles, des activités du Centre Français de Sociologie dans la région parisienne, doivent en faire la demande et donner leur adresse (sans engagement de leur part) au Secrétariat régional du C.F.S., 17, avenue Niel, Paris 17^e^.
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### Note de gérance
Nous voici au début d'une nouvelle année scolaire. Comme chaque année, les souscriptions et le simple recouvrement des réabonnements se sont trouvés quasiment au point mort pendant l'été. Cela semble pratiquement inévitable. Les trois premiers étés de la revue (1956, 1957, 1958) nous avions multiplié les appels pour qu'il n'y ait « pas de vacances pour la propagande ». L'expérience tend à montrer que c'est là un souhait chimérique. Il faut donc en prendre son parti.
Du moins, voici « la rentrée ». Que nos lecteurs en retard pour leur réabonnement veuillent bien ne pas le négliger plus longtemps. Que la diffusion de la revue soit activement reprise et développée dans tous les milieux.
L'augmentation du prix de l'abonnement, intervenue en juin dernier, ne produira son effet que peu à peu ; les abonnements en cours sont servis jusqu'à leur échéance sans être augmentés. Nous sommes donc présentement dans les mois de « soudure ». Tous ceux qui souscrivent et qui font souscrire des abonnements *de soutien* nous apportent un indispensable secours.
La revue circule beaucoup de main en main ; parmi ceux qui la lisent de seconde ou de troisième main, avec amitié et profit, il faudrait qu'un grand nombre se décident à s'abonner personnellement : c'est-à-dire à prendre leur part des charges communes, à nous apporter eux aussi leur contribution. A ceux d'entre eux qui liront ces lignes, nous demandons de bien vouloir, eux aussi, nous aider.
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### Parmi les livres reçus
Karl RAHNER : *Dangers dans le catholicisme d'aujourd'hui,* traduit de l'allemand par Robert Givord (Desclée de Brouwer).
Antoine LESTRA : *Retourner le monde,* les origines des Congrès eucharistiques, Lettre-préface de Mgr Ancel (Emmanuel Vitte).
F. MARDUEL : *Le Pardon de Dieu,* pour un meilleur usage du sacrement de pénitence (Éditions Xavier Mappus).
Jacques MARITAIN : *Réflexions sur l'Amérique,* traduites de l'anglais par Philippe Lecomte du Noüy (Fayard).
Anne LEFLAIVE : *L'Hôtel-Dieu de Beaune et les Hospitalières* (Grasset).
Gaston BARDET : *Demain, c'est l'an* 2.000 ! (Jacques Petit, Angers).
Placide-Gustave MAHEU : *La pensée religieuse et morale de Georges Eliot,* essai d'interprétation (Marcel Didier).
René MAINTENON : *Suite Lyrique* (art et tradition chrétienne).
Vincent CORDONNIER : *Le sacre de la liberté* (Presses continentales).
Jean GUITTON : *L'Église et l'Évangile* (Grasset).
LA CITÉ CATHOLIQUE : *Pour qu'Il règne* (recueil des enseignements de la *Cité catholique ;* un fort volume de 920 pages grand format ; en vente au siège de la revue *Verbe,* 3, rue Copernic, Paris XVI^e^).
============== fin du numéro 36.
[^1]: -- (1). Il est prévu que les travaux de la Commission seront achevés en octobre et que le Gouvernement délibérera sur leurs conclusions en novembre : voir la déclaration du Premier Ministre à l'Assemblée Nationale. *Journal Officiel* du 24 juillet, page 1458.
[^2]: -- (1). Le Premier Ministre a lui-même affirmé à l'Assemblée nationale le 16 janvier 1959 et réaffirmé le 23 juillet que l'intention du Gouvernement est de trouver une « solution qui soit vraiment définitive et considérée comme telle par tous les gens de bonne foi ». (Déclaration de M. Michel Debré, *Journal officiel* du 24 juillet 1959, page 1457).
[^3]: -- (1). Voir les textes pontificaux sur l'Action catholique et la politique, dans *Itinéraires*, numéro 35, pages 113 à 120.
[^4]: -- (2). Texte intégral dans *Itinéraires*, n° 35, pages 140 à 149.
[^5]: -- (3). Déclaration reproduite dans *La Croix* du 23 juillet 1959.
[^6]: -- (1). *La Croix* du 26 juillet 1959.
[^7]: -- (1). Voir infra (page 32) le texte intégral de la déclaration du Cardinal Gerlier.
[^8]: -- (1). Voir texte et commentaire dans *Itinéraires*, n° 24, pages 87 à 96.
[^9]: -- (1). Sur ce point, qui touche à ce que nous appelons aujourd'hui l' « action psychologique » et le « conditionnement », et à cet endroit, Pie XI revoie à l'Essai théorique de droit naturel (n° 922) de Taparelli, et le désigne comme « ouvrage qu'on ne saurait trop louer ni trop recommander aux étudiants de l'Université ». Voir aussi, sur Taparelli, le discours de Pie XI en date du 18 décembre 1927. De bons esprits n'hésitent pas à voir en Taparelli en quelque sorte « le saint Thomas de la doctrine sociale ».
[^10]: -- (1). *Semaine Religieuse* de Paris, 20 juin 1959.
[^11]: -- (1). Cf. Henri Charlier, dans *Itinéraires*, n° 34, p. 45 : « La première réforme est de rendre aux universités la liberté de s'administrer elles-mêmes, d'élire leur Recteur, d'admettre par cooptation les maîtres qu'elles désirent... »
[^12]: -- (2). On se reportera aussi au témoignage de Jacques Maritain reproduit dans les « Documents » du présent numéro.
[^13]: -- (1). On a pu lire en effet des phrases de ce genre : « *Les communistes convertis qui brûlent ce qu'ils ont adoré ne sont peut-être pas les mieux placés pour dégager une position constructive et profondément française...* ». Si l'on est décidé à couvrir d'ironie et de méfiance ceux qui « *brûlent ce qu'ils ont adoré* », autant dire alors que l'on ne veut pas du conversions, ou que l'on n'en attend rien de bon (N.D.L.R.).
[^14]: -- (1). Voir aussi nos « Documents » dans ce même numéro, également extraits de Vivante Afrique : (Les changements en Afrique).
[^15]: -- (1). E. Mounier : *Feue la Chrétienté*, page 10.
[^16]: -- (2). Idem, page 254.
[^17]: -- (3). E. Mounier : *Qu'est-ce que le personnalisme* : p. 58.
[^18]: -- (4). E. Mounier : *Feue la Chrétienté*, page 18.
[^19]: -- (5). Idem, page 25.
[^20]: -- (6). Idem, page 18.
[^21]: -- (7). E. Mounier : *Feue la Chrétienté*, page 258.
[^22]: -- (8). E. Mounier : *Feue la Chrétienté*, page 275.
[^23]: -- (9). E. Mounier : *Feue la Chrétienté*, page 196.
[^24]: -- (10). Idem, page 169.
[^25]: -- (11). Idem, page 167.
[^26]: -- (12). Cf. les numéros d'*Esprit* de novembre 1937 et octobre 1938.
[^27]: -- (13). E. Mounier : *Qu'est-ce que le personnalisme*, page 25.
[^28]: -- (14). Lettre du 9 mars 1948.
[^29]: -- (15). E. Mounier : *Le personnalisme*, page 111 (Coll. Que sais-je).
[^30]: -- (16). *Mounier et sa génération* (lettres, carnets etc.) p. 408.
[^31]: -- (17). E. Mounier : *Feue la Chrétienté*, page 195.
[^32]: -- (18). E. Borne : Pour un tombeau d'Emmanuel Mounier, in *la Vie Intellectuelle*, juin 1956, p. 108.
[^33]: -- (19). *E. Mounier et sa génération* (lettres, carnets, inédits), page 253.