# 37-11-59 1:37 ## Note de gérance ### Un « Secrétariat-diffusion » : voici pourquoi DEPUIS QUELQUES MOIS le public catholique a été informé en détail des difficultés matérielles que connaissent les journaux. Ou du moins, une certaine catégorie de journaux. Ne parlons pas des magazines illustrés ni des mastodontes qui, avec d'énormes capitaux et une considérable publicité commerciale, exploitent chez le lecteur une curiosité malsaine pour le crime, le scandale et diverses sortes de canailleries ; ou qui, plus simplement, plus honnêtement, cultivent la facilité et s'adressent au goût (légitime en lui-même) de se distraire des travaux et soucis en regardant des images qui ne demandent aucun effort de pensée. Ne parlons pas non plus des publications qui, appartenant ou n'appartenant pas aux catégories précédentes, maintiennent de très gros tirages en s'appliquant avant tout à ne mécontenter personne, et qui parlent pour ne rien dire. Ce n'est pas d'aujourd'hui, puisque Péguy déjà faisait cette remarque profonde ; « Quand on s'applique à ne mécontenter personne, on tombe dans le système de ces énormes revues qui perdent des millions, ou qui en gagnent, pour ne rien dire. Ou plutôt, à ne rien dire. » Faute d'un meilleur terme, on appelle publication « d'opinion » les revues et journaux qui *disent quelque chose,* et qui y engagent leur responsabilité ; qui disent oui quand c'est oui, et non quand c'est non ; qui prennent position ; qui annoncent, qui expriment, qui défendent ce qui en conscience leur paraît être le vrai et le bien. 2:37 Ces publications « d'opinion » sont toutes, en France, dans une situation économique difficile. On s'est beaucoup occupé d'informer et d'alerter le public sur les difficultés matérielles de la presse catholique, et d'y porter remède en invitant plus instamment les lecteurs eux-mêmes à aider et soutenir leurs journaux. « ALERTE A NOS AMIS ! » clamait la *France catholique* du 2 octobre, en demandant « AVEC LA PLUS VIVE INSISTANCE » à ses abonnés et à ses lecteurs « UN TRÈS GROS EFFORT ET UN EFFORT RAPIDE ». Le même jour, *Témoignage chrétien,* de son côté, se déclarait « MENACÉ DANS SON EXISTENCE » et mentionnait l'éventualité de sa « DISPARITION ». Un journal « d'opinion », s'il est libre, ne peut pas vivre en France sans un effort de diffusion, de propagande, de souscription consenti en permanence par ses amis. Quelquefois des lecteurs comprennent mal cette nécessité ; ils croient y voir le signe qu'un journal en particulier « marche mal ». Or c'est en réalité le sort commun de tous les journaux « d'opinion ». On l'a beaucoup expliqué un peu partout, ces derniers temps, et le public dans son ensemble est suffisamment informé de cette réalité pour prendre conscience de ses responsabilités propres. Mais, plus encore, les revues : Ce que l'on n'a peut-être pas assez vu, ce que l'on n'a certainement pas assez dit, c'est que tel est *encore plus* le sort commun des revues mensuelles. Elles se situent sur un plan différent de celui des journaux. Elles sont à un autre niveau de sérieux, de contenu intellectuel, de réflexion méthodique. Elles demandent assurément au lecteur un plus grand effort. En outre, leur travail et leur influence, s'ils sont plus profonds, et plus durables, sont beaucoup moins « spectaculaires », font beaucoup moins de bruit extérieur. Une revue a moins d'attrait sensible qu'un journal. Son intérêt est moins immédiatement manifeste. 3:37 De plus, les journaux catholiques sont puissamment groupés, pour travailler solidairement à leur diffusion, au sein d'un organisme spécialisé : le Centre National de Presse Catholique (C.N.P.C.). De *Témoignage chrétien* à la *France catholique* ([^1]), en passant par *La Croix* et par *L'Homme nouveau,* les journaux catholiques étudient, organisent et développent ensemble leur diffusion, leur vente, leur propagande. IL N'EXISTE RIEN DE TEL POUR LES REVUES. Pour toutes ces raisons, une revue a *encore plus besoin* d'être soutenue qu'un hebdomadaire d'opinion. Toutes les revues, en fait, sont soutenues. Elles le sont quelquefois d'une manière qui n'apparaît pas au premier coup d'œil, mais qui n'en est pas moins réelle ; et pas moins indispensable à leur existence. Telle ou telle revue est éditée par tel ou tel grand Ordre religieux : sans en être à proprement parler l'organe « officiel », elle en est pourtant l'organe de prédilection, dont la diffusion bénéficie des amitiés, des influences, des activités de cet Ordre. Telle ou telle autre revue est la tribune ou l'instrument de travail d'une organisation militante, et sa diffusion est automatiquement assurée par le fonctionnement de cette organisation. Enfin, la diffusion des revues est puissamment aidée par la presse elle-même, par la presse quotidienne ou hebdomadaire, qui attire régulièrement sur elles l'attention du public, signale les articles les plus importants et recommande d'en prendre connaissance, publie les sommaires, présente la parution de chaque numéro comme un événement qu'il n'est pas permis d'ignorer. La presse fait savoir au public quelle est l'activité des revues, et souligne avec insistance quel profit on peut y trouver. Un grand silence... Or la revue *Itinéraires* n'a RIEN DE TOUT CELA. La presse, sauf rarissime exception, observe à notre égard une rigoureuse conspiration du silence. Cet ostracisme vigilant en est à sa quatrième année : il n'est donc pas un phénomène de distraction accidentelle. Quelque médiocre que soit l'estime où l'on tienne notre travail, il est peu croyable que, dans les 36 numéros que nous avons publiés en plus de trois années et demie d'existence, il n'ait jamais rien paru qui méritât fût-ce seulement quatre ou cinq lignes de compte rendu. 4:37 Même quand nous publions les travaux d'un écrivain qui est, dans tout l'univers catholique, l'un des plus grands, l'un des plus estimés, l'un des premiers et peut-être le premier philosophe thomiste et théologien marial parmi les laïcs et qui n'apporte sa collaboration, en dehors d'*Itinéraires,* à aucune autre publication française : même dans ce cas la presse catholique de France feint de ne s'apercevoir de rien et de n'avoir rien à en dire à ses lecteurs. Tous les esprits sérieux se procurent les numéros d'*Itinéraires* où paraissent ses articles, tous estiment indispensable d'en prendre personnellement connaissance. Mais dans la presse, on fait semblant de n'en rien savoir. La cause est donc entendue. Notre INDÉPENDANCE TEMPORELLE inquiète mortellement la presse installée. Cette indépendance est sage et mesurée dans son expression : mais elle est totale, on le sait, et on en a peur. Aucun groupe, aucun clan, aucune « tendance », qu'elle soit « de droite », « de gauche » ou d'ailleurs, n'a aucun moyen d'influence sur la revue *Itinéraires.* Si l'on désire nous influencer, on ne peut avoir recours qu'à la force éventuelle d'une argumentation raisonnable. Voilà qui choque et contredit les mœurs les plus courantes dans la presse parisienne. Et nous-mêmes, nous ne sommes ni un groupe, ni un clan, ni une école, ni une « tendance » ([^2]). Aussi la presse dans son ensemble juge-t-elle plus prudent de maintenir à notre égard un ostracisme absolu. Cela désavantage, pénalise, handicape considérablement la diffusion de la revue *Itinéraires* par rapport à celle des autres revues. Mais puisque tel est le prix de notre liberté, nous le payons de bon cœur. Notre choix est fait. 5:37 Sans rien. Nous n'avons aucune espèce d'organisation militante pour mettre en œuvre la propagande et la diffusion de la revue. Nous n'avons pas non plus les moyens financiers qui nous permettraient d'acheter les instruments ordinaires de réclame nous parlons de ceux qui sont honnêtes. En somme, nous n'avons rien : et c'est pourquoi il est tellement extraordinaire et tellement décevant pour ceux qui escomptent chaque matin notre disparition que la re vue *Itinéraires* puisse continuer à marcher de l'avant. Sur de simples appels publiés dans la revue ou envoyés par lettres-circulaires à nos abonnés à tant d'amis dont nous ne connaissons pas le visage nous avons obtenu que les plus généreux et les plus actifs de nos lecteurs s'occupent isolément de propager *Itinéraires* et consentent à souscrire des abonnements de soutien. Mais vous le savez, nous vous l'avons dit, et certains ont cru voir une marque d'ingratitude dans ce qui n'est qu'une constatation : *nos amis ne nous ont apporté, ni dans l'ordre de la diffusion, ni dans l'ordre des souscriptions, ce que nous estimons être absolument nécessaire au travail que nous avons entrepris.* Du moins, avec générosité, et au prix parfois de sacrifices réels, nos lecteurs ont assuré à la revue ce minimum qui est l'existence. Une existence un peu réduite, un peu trop limitée, comparée à ce qui est souhaitable et même indispensable. Mais enfin ce minimum lui-même est infiniment précieux. La revue existe ; la revue continue. Une revue différente,\ qui apporte autre chose. Voici que, d'une part, les difficultés matérielles s'aggravent encore. Nous n'insisterons pas davantage sur ce point : tout ce que l'on vous dit concernant la situation économique véritablement difficile des journaux est encore plus sensible pour une revue, spécialement pour une revue comme la nôtre qui, en outre, connaît le sort particulier de ne trouver dans la presse catholique à peu près aucun appui. D'autre part, il faut absolument travailler à ce que la revue *Itinéraires* soit plus répandue et atteigne tous ceux qu'elle doit atteindre. 6:37 Chacun constate quelle est la sclérose intellectuelle de la plupart des vieilles publications qui portent un peu trop la marque de leur date de naissance ; elles n'arrivent pas à comprendre les conditions réelles d'un monde qui, à tant d'égards, est psychologiquement et techniquement nouveau, et désoriente tant d'esprits. Il n'est pas vrai que cette évolution du monde puisse transformer en quoi que ce soit la vérité révélée, le dogme, les principes de la philosophie chrétienne, les vérités essentielles et permanentes sur l'homme, l'histoire et la société. Mais il n'est pas vrai non plus que les valeurs absolues, que les principes éternels doivent être défendus, mis en œuvre, incarnés aujourd'hui exactement selon les méthodes et les manières qui paraissaient plus ou moins opportunes en 1900, en 1920, en 1945. L'évolutionnisme se trompe quand il croit que *tout* change. Mais le refus de cet évolutionnisme délirant ne doit pas consister à croire que rien ne change dans la figure de ce monde et dans les conditions d'existence, de pensée et d'action. Le propre du monde est précisément de changer, et même de passer, tandis que les paroles de Notre-Seigneur ne passeront point (Mt XXIV, 35). C'est dans un monde qui passe incessamment que nous avons à vivre une Parole qui éternellement ne passe point. Le refus de l'évolutionnisme n'est pas dans le conformisme, dans l'immobilité, dans les routines intellectuelles. Beaucoup d'esprits hésitent et cherchent, et ne trouvent dans la plupart des publications existantes que des itinéraires de fuite, des diversions, de faux problèmes, la continuation des erreurs anciennes et des querelles qui sont d'hier. *Il y a des* « *options* », *il y a des* « *refus* », *il y a des* « *oppositions* », *il y a des* « *engagements* » *qui n'ont plus rien à voir avec le déroulement réel des événements, avec les conditions de la vie, de l'action, du combat aujourd'hui.* Il y a des survivances, parfois respectables, mais stériles. Tout cela emplit la presse. La revue *Itinéraires* apporte autre chose. Nous espérons que chaque lecteur y trouve un profit personnel. Beaucoup veulent bien nous en apporter leur témoignage. Mais il est urgent de penser aux autres, à qui la revue *Itinéraires* serait utile, avec la grâce de Dieu, si seulement ils la connaissaient. Si seulement ils la lisaient. Il y a quelque chose à faire pour cela. Il y a beaucoup à faire. 7:37 L'heure de la diffusion. Le moment est venu d'entreprendre un effort de diffusion qui soit un effort méthodique, coordonné, articulé, et non plus la seule résultante hasardeuse de dévouements isolés. Jusqu'ici ce sont des dévouements individuels, sans autre contact avec la revue que la seule lecture de son contenu, qui, de leur propre initiative ou pour répondre à nos appels, ont travaillé à augmenter la diffusion d'*Itinéraires* ou à l'aider par la souscription d'abonnements de soutien. Il faut intensifier ces efforts. Il faut les faire passer à un niveau très supérieur. Non point en demandant à chacun des sacrifices encore : plus généreux, mais en *organisant la diffusion.* L'organiser, cela veut dire l'organiser à partir de rien puisque -- à part de rares exceptions -- rien n'a été organisé encore, et que nos amis les plus dévoués ont travaillé dans l'isolement, souvent même sans que nous le sachions. Mais attention. Nous ne voulons en aucune manière créer un groupement ou mouvement, fût-ce une simple « Association des Amis d'Itinéraires », comme le font quelques publications. Beaucoup de nos amis militent déjà dans tel ou tel groupement religieux, social, civique ; nous ne voulons en aucun cas susciter des problèmes de « double appartenance », comme disent les partis politiques, ni sur charger nos amis par des soucis supplémentaires d'adhésions en forme, de permanences à assurer, de fonctionnement administratif. Nous ne désirons pas non plus porter ombrage aux organisations existantes, qui sont multiples, nombreuses, avec chacune sa vocation propre, son objectif défini. Par la revue *Itinéraires,* « nous nous adressons aux Français là où ils sont, et nous ne leur demandons pas d'en sortir, ni d'adhérer à un parti ou mouvement s'ils ne sont d'aucun, ni de quitter les organisations où ils militent s'ils sont militants » ([^3]). La revue est utile aux militants de toutes origines, de toutes spécialités, elle ne fait concurrence à aucun mouvement ou groupement. Notre action ne se situe à aucun degré au plan des organisations militantes. D'autres s'en occupent suffisamment. 8:37 La diffusion d'*Itinéraires* doit demeurer une activité libre, ne comportant aucune espèce d'enrégimentement. Mais elle doit être organisée plus méthodiquement : 1. -- d'abord en donnant le moyen de se reconnaître et de se rencontrer à ceux qui y travaillent isolément dans le même milieu ou dans la même région, et qui jusqu'ici, la plupart du temps, ignorent mutuellement leur existence ; 2. -- ensuite en mettant à leur disposition un matériel de propagande, modeste mais utile (principalement des exemplaires de la Déclaration fondamentale) ; 3. -- enfin en organisant des rencontres personnelles, sous forme de conférences et réunions, dès que le nombre d'abonnés et de lecteurs dans une même localité rend possible de l'envisager. Vous lisez souvent dans les journaux des appels ou recommandations à « *nos amis, nos militants, nos diffuseurs* » ; vous voyez qu'ils se réunissent pour articuler entre eux leur action : car travailler ensemble, ce n'est pas ADDITIONNER, c'est MULTIPLIER ce que chacun peut faire individuellement. Les journaux d'opinion le font parce que leur diffusion en dépend. Or la diffusion d'une revue en dépend davantage encore. Ce serait, de notre part, mépriser ce qui nous a été donné, ou en mésuser, que de ne pas travailler avec ordre, méthode et sérieux, à organiser et accroître la diffusion d'*Itinéraires.* Il est paradoxal, il est merveilleux que la revue ait pu vivre et se développer SANS RIEN. Il serait gravement imprudent -- au sens fort de manquement à la vertu cardinale de prudence -- de s'en contenter, de se laisser aller, d'attendre que les choses se fassent pour ainsi dire d'elles-mêmes et toutes seules. Il faut que ceux de « *nos amis* » qui le peuvent deviennent « *nos diffuseurs* » ; il faut que ceux qui sont déjà, de leur propre initiative et isolément, « nos diffuseurs », multiplient dans les prochaines semaines leur action en la coordonnant par un double contact direct : -- *vertical :* en se faisant connaître à la revue qui mettra des moyens à leur disposition : matériel de propagande et conférenciers ; -- *horizontal :* avec ceux qui peuvent les aider dans le même milieu ou la même localité, et que la revue leur fera connaître. 9:37 J'adresse à tous nos amis un appel très précis. Et j'ajoute les précisions suivantes. Le Secrétariat-diffusion. Personnellement occupé par la direction d'*Itinéraires --* c'est-à-dire par la direction rédactionnelle et par la gérance administrative -- je n'ai pas la possibilité d'assumer en outre cette organisation méthodique de la diffusion. Déjà il ne m'est pas toujours commode, vous le savez et vous le comprenez, de répondre à tout le courrier qui est adressé à la direction de la revue. J'ai donc créé un SECRÉTARIAT-DIFFUSION, auquel nos amis pourront écrire. D'abord pour se faire connaître. Et pour adresser leurs demandes de renseignements concernant le matériel de propagande, l'éventualité de conférences et la manière de les organiser, voire les méthodes à employer. *A tous et dans tous les cas, il sera répondu dans un délai maximum* de *quinze jours.* L'adresse doit être libellée de la manière que voici : Secrétariat-diffusion Revue *Itinéraires* 4, rue Garancière Paris VI^e^. Pour des raisons pratiques qui sont évidentes, que nos correspondants veuillent bien ne jamais mettre dans la même enveloppe une correspondance s'adressant au Secrétariat-diffusion et une correspondance s'adressant à la direction ou à la rédaction de la revue. Le Secrétariat-diffusion est donc à votre service, d'abord pour vous renseigner sur toutes les questions de ; diffusion ; pour vous procurer un matériel de propagande ; éventuellement pour vous conseiller en vous indiquant ce qui a été fait ailleurs, ce qui a réussi, ce qui a échoué, ce qui semble préférable, bref pour vous faire bénéficier de l'expérience acquise déjà par d'autres. \*\*\* Les circonstances sont telles que nous devons maintenant, de toute nécessité, passer à un nouveau stade de notre action, et ne plus laisser dans un isolement toujours difficile, parfois déprimant, ceux qui ont si courageusement travaillé à faire connaître autour d'eux la revue *Itinéraires.* 10:37 L'objectif qui s'impose aujourd'hui est d'organiser un élargissement important de la diffusion en tous lieux et milieux. Des moyens pratiques, non pas illimités sans doute, ni magiques, mais réels et efficaces, ont été créés et mis à votre disposition avec l'institution du Secrétariat-diffusion. J'en appelle à toutes les amitiés, à tous les concours, à tous les dévouements qui ont jusqu'ici permis à la revue d'exister. J'en appelle aussi à tous les autres. Étendre la diffusion d'*Itinéraires* est une exigence qui dépasse, et de beaucoup, les simples intérêts particuliers de la revue elle-même. Jean MADIRAN. 11:37 ## Henri Pourrat ### Il fallait empêcher les enfants de jeter des bouquets dans l'éternité LE PLUS GRAND ÉCRIVAIN de langue française qui restait encore vient d'être rappelé à Dieu. Henri Pourrat est mort en la nuit du 16 au 17 juillet, dans sa maison d'Ambert. Il était peu soucieux de gloire mondaine et n'allait jamais à Paris ; aussi parlait-on peu de lui et de son œuvre et jamais aucun reflet de cette gloire équivoque faite de réclame ou de scandale qui alimente généralement la presse n'a terni la pureté de sa vie. ON PEUT SOUFFRIR de cette place secondaire faite dans l'opinion à nos plus grands hommes ; on ne saurait s'en étonner : un professeur de la Sorbonne pouvait faire une histoire de la littérature française jusqu'en 1930 sans parler de Maurras, de Claudel, ni de Péguy (mort en 1914). Une maison d'édition catholique éditait l'an passé un livre qui, dit-elle, suffirait à l'étranger qui voudrait connaître l'essentiel de notre littérature. Giraudoux, Gide, Mauriac y ont leur place. Il ne semble pas d'après le compte rendu que le théâtre de Claudel, sa poésie, celle de Péguy aient attiré l'attention de l'auteur, ni bien entendu Henri Pourrat. Cette conjonction de la Sorbonne et de l'opinion catholique pour cacher au public nos vrais grands hommes est une des tristes conséquences d'un monopole d'État sur l'enseignement. 12:37 Car si la jeunesse au moins était informée par ses maîtres de nos vraies grandeurs, la presse elle-même, sélection des esprits non créateurs, ne pourrait faire écran entre notre élite et le public. Nous assistons à une véritable décadence intellectuelle de la France à qui ne sert de rien d'avoir eu les meilleurs penseurs et les meilleurs artistes du siècle qui vient de s'écouler. Il y a certainement en France beaucoup plus de lecteurs vivants de Françoise Sagan, que de Mistral, de Péguy ou de Pourrat. Et il en va de même pour les arts : dès 1900, les meilleurs ouvrages de Cézanne, de Gauguin, de Van Gogh étaient dans les musées étrangers, non dans les nôtres qui n'ont eu que les restes (ou des dons). La renommée d'Henri Pourrat est universelle alors que cet article apprendra peut-être, hélas, même à quelques-uns de nos lecteurs qu'il a écrit des œuvres qui dureront autant que la langue française. Au Canada on nous disait : « Ah si vous pouviez obtenir qu'Henri Pourrat vînt au Canada... » « Si l'Académie française pouvait le déléguer à un de nos congrès ! ... » « Pour nous qui aimons la France son « Anne-Marie » de *Gaspard des Montagnes* est le type de la jeune fille et de la femme française. » Nous étions obligé de répondre que Pourrat fuyait les congrès et que jamais l'Académie française ne déléguerait quelqu'un qui ne sortît de son sein, qui ne l'avait pas sollicité, un homme inconnu des salons de Paris et qui n'aurait jamais le courage de faire quarante visites. Mais, dit Vialatte dans les *Visages de l'Auvergne :* « On trouve son image dans les manuels irlandais, dans les librairies tchèques, dans les tirages de luxe des techniciens allemands, de papier pur chiffon. Mais il mérite une place plus haute encore dans les annales de la nature, du cœur et de la poésie... » Et puisque la renommée universelle nous a fait avancer le nom de *Gaspard des Montagnes* disons tout de suite que cette œuvre restera, comme la Chanson de Roland, la vie de saint Louis, Gargantua, Mireille et les danses de Rameau. Et elle est tellement originale dans notre littérature qu'on ne peut la mettre à son plan qu'en la plaçant à côté d'ouvrages qui ne lui ressemblent pas. 13:37 *Gaspard des Montagnes* n'est pas un roman bien qu'on y suive de bout en bout l'histoire des deux héros ; c'est un assemblage des contes d'hiver à la veillée, des souvenirs paysans d'anciens crimes, des drôleries de village arrivées jadis ou inventées, réunis avec un art très complet, très savant, très subtil autour d'une idée de grandeur, sur quelques jeunes gens d'une même génération, hardis, bien vivants, *et honnêtes.* Le personnage qui donne au livre son titre, Gaspard des Montagnes, est un de ces héros populaires vif dans la pensée, hardi dans l'action comme l'a été Ulysse pour les Grecs, comme l'ont été les héros de nos Chansons de Gestes, Roland ou Guillaume d'Orange, seigneurs parfois de trois villages et qui grâce à quelques poètes emplissent l'Histoire. Les bûcherons de l'Argonne chantent toujours sur une admirable et antique mélodie : *Ô Regnaud réveille, réveille* *Ô Regnaud, réveille-toi...* C'est le Regnaud du temps de Charlemagne. Et lorsqu'on leur demande si la chanson est ancienne ils disent : « Je crois bien, nos grands-pères la savaient. » Car l'histoire, pour le peuple, c'est cela : ce que racontent les grands-parents ; au-delà, malgré l'école primaire, règne une nuit indéterminée avec ces quelques lueurs indécises qui sont les souvenirs des pères. La composition de *Gaspard des Montagnes* est une réussite unique et c'est pourquoi nous la comparons aux danses de Rameau. Car celui-ci a fait arriver un grand art dans ces danses, notre tradition musicale populaire. Toutes ces bourrées, ces branles, ces tambourins, ces musettes qui depuis le fond des âges ont traduit, non sans mélancolie très souvent, les aspirations populaires à la joie, au bonheur, à l'amour sont devenues chez Rameau comme un regret du Paradis perdu et une aspiration à l'amour universel, avec toutes les délicatesses mentales du grand art. 14:37 Cependant le principal personnage de *Gaspard* c'est *Anne-Marie.* Comme Chimène elle est une héroïne de l'amour et de la vertu. Mais les nécessités d'art de la tragédie en font une crise rapide. Les vertus chrétiennes qui sont au fond de l'honneur de Chimène sont supposées, sous-entendues, comme allant de soi. Dans le développement de la contée, Anne-Marie a le temps de montrer la piété d'Antigone et la simplicité de Benoîte, la bergère du Laus. Comme Péguy à la veille de sa mort elle trouve le temps d'orner de fleurs les statues de la Sainte Vierge et de faire ainsi des bouquets pour l'éternité. Elle fait la lessive comme Sœur Thérèse au Carmel, et comme Nausicaa ; elle va faner ses prés. Dieu merci, c'est une simple paysanne de France, une maîtresse de domaine, comme il y en a encore, faisant son devoir d'état avec la croix sur le cœur. Henri Pourrat a eu l'adresse de placer l'histoire d'Anne-Marie assez loin dans le temps pour que les détails matériels ne gênent point la poésie. Comme le dit Racine dans la préface de Bazajet : « Le respect qu'on a pour les héros augmente à mesure qu'ils s'éloignent de nous. » Le temps qui a passé les dépouille de l'accidentel et dégage les souvenirs spirituels. Le vieil outil au manche poli par la main du père et du grand-père (nous nous servons nous-même des pierres à affûter et des outils de notre arrière-grand-père) parle de cent ans d'un labeur obscur et obstiné dans l'honneur des tâches bien faites. La vieille cheminée rassemble pour nous les ancêtres qui s'y chauffaient, le grand-père enfant qui tirait les pommes de terre de sous la cendre. Et ainsi des événements. Ils paraissent pour la nation et les familles comme des aurores, des midis, ou des soirs. L'histoire de Gaspard des Montagnes se passe sous le premier Empire. 15:37 Pourrat a montré ce qu'il appelle les *grandes mœurs ;* ce sont les mœurs d'une société chrétienne ; elles sont oubliées, elles sont à réapprendre, elles n'ont jamais été parfaitement appliquées que par les saints ; Anne-Marie s'y essaie au milieu d'épreuves tragiques dans le train des devoirs journaliers. Ce n'est ni Chimène, ni Antigone, ni Nausicaa, c'est Anne-Marie Grange une femme de notre temps, pour notre temps, mais unique comme elles, significative comme elles, que la belle âme d'Henri Pourrat propose à l'imagination de notre jeunesse comme le modèle de ce qu'on peut et ce qu'on doit pour ramener l'Amitié dans le monde. Enfin Anne-Marie Grange est « *l'idéal de la jeune fille et de la femme française* » pour les étrangers qui nous aiment. Le charme poétique de *Gaspard des Montagnes* ne tient pas qu'à la beauté et la vérité des caractères ; il tient à un grand amour de la création et de la beauté du monde qu'Henri Pourrat exprime avec une sûreté dans le rythme musical qui l'apparente à Chateaubriand et à Virgile. CETTE ŒUVRE MAÎTRESSE d'Henri Pourrat n'enlève rien à l'intérêt des autres, qui sont très diverses. *La cité perdue* est un essai provoqué par les controverses au sujet du véritable emplacement de Gergovie, c'est aussi une promenade en Auvergne. *L'épopée de Guillaume Douarre* est une biographie d'un évêque Mariste à qui la France doit d'avoir pu civiliser la Nouvelle-Calédonie à la suite d'un apostolat héroïque seméde martyrs. C'est la réparation d'une injustice, car au centenaire de l'entrée de la Nouvelle-Calédonie dans la Communauté française, il n'a pas été question de Mgr Douarre. Le dernier ouvrage d'Henri Pourrat est une *Histoire des gens dans les montagnes du Centre.* C'est l'histoire vue par les gens qui l'ont subie et qui l'ont faite, dans l'air du temps. « Au pas-par-pas des breufs, les araires de bois gris piaulent comme des pipeaux. Chantant puis criant après les bêtes et reprenant le chant, ils labourent du lac rouge de Saint-Hilaire à la Montagne de Bar. Les pèlerins retournant de Terre Sainte revoient cela, la contrée tout entière en son arroi de printemps. » 16:37 En tous ces ouvrages si divers Henri Pourrat garde les mêmes qualités poétiques du style et le sens profond du besoin d'amour de l'homme. Mais nous ne faisons ici qu'un *Memento* et non une étude littéraire. Un grand écrivain vient de retourner à Dieu après avoir dans toute son œuvre chanté la création et appelé les hommes à l'amitié. Il ne faut pas croire qu'il sera facilement remplacé ; qu'on aura sûrement tout de suite d'autres grands écrivains. Il y a des trous dans l'histoire littéraire des peuples. Dieu peut combler ce trou quand il voudra. Mais il peut aussi se lasser de donner des grands hommes à une nation qui les néglige, les laisse inutilisés ou les fait mourir en prison. Le gouvernement suédois a jadis commandé à Selma Lagerlöf un écrit destiné aux écoles pour apprendre aux enfants l'histoire, la géographie, les beautés et les grandeurs de leur pays, quelque chose comme ce *Tour de France de deux enfants* qui servait de livre de lecture dans notre jeunesse. (Il fut mit au goût du jour par les générations successives, on y supprima Dieu, l'Église, le Dimanche.) Sur ce programme Selma Lagerlöf a fait un chef-d'œuvre : *Le merveilleux voyage* de *Nils Holgerson* qui je pense est dans toutes les bibliothèques des hommes cultivés de France et dans toutes celles des enfants. Un jour au sujet de *Gaspard des Montagnes* Daniel Halévy me dit : « Voilà un livre que le gouvernement devrait acheter pour le mettre dans toutes les bibliothèques scolaires des écoles et lycées de France. » Mais nos gouvernements étaient bien incapables de penser, sinon de travers. Il fallait aussi empêcher les enfants de jeter des bouquets dans l'éternité. 17:37 Je suppose -- ne la lisant pas -- que la grande presse a fait petit état de la mort de Pourrat. Mais des milliers de montagnards du Livradois et des Monts du Forez sont descendus à son enterrement, conscients qu'un homme de chez eux avait magnifié et éclairé de la lumière de l'esprit non seulement leur petite patrie, mais les aspirations confuses que Dieu a déposées dans l'âme « de tout homme venant en ce monde ». Henri CHARLIER. NOTE BIBLIOGRAPHIQUE. -- Sous le titre de *Gaspard des Montagnes,* on trouve parfois seulement le premier livre de cette œuvre qui en comporte quatre : 1. -- *Le château des sept portes* ou les enfances de Gaspard ; 2. -- *L'auberge de la Belle Bergère,* ou quand Gaspard de guerre revint ; 3. -- *Le pavillon des amourettes,* ou Gaspard et les bourgeois d'Ambert ; 4. -- *La tour du Levant,* ou quand Gaspard mit fin à l'histoire. Les quatre livres ont été publiés en un seul volume chez Albin Michel, édition définitive : *Les vaillances, farces et aventures de Gaspard des Montagnes.* 18:37 ## CHRONIQUES 19:37 ### Vrai et faux messianisme par le R.P. CALMEL, o.p. EN ATTENDANT de préciser davantage nous désignerons par messianisme le mouvement de rassemblement universel et de fraternisation des hommes dans le bonheur parfait. Eh ! bien donc, en lisant de près le récit de la tentation du Seigneur, nous ne tardons pas à découvrir ce qu'est le messianisme du diable. C'est un messianisme qui éluderait les conséquences normales du premier péché et qui au lieu de les assumer devant Dieu pour les faire devenir rédemptrices chercherait à les supprimer dès cette vie. Nous savons les conséquences du premier péché pour Adam et Ève et pour tous leurs enfants : non certes l'obligation de travailler, mais la peine dans le travail, et quoi qu'ils fassent une part jamais résorbée d'insécurité économique ; non certes la distinction entre la civilisation et l'Église mais la difficulté et la fragilité de l'entente entre la cité profane et la cité surnaturelle, -- la cité profane, chez les hommes déchus, ayant toujours tendance à devenir la fin de leur vie et à leur cacher la fin surnaturelle ; enfin, troisième conséquence du péché, non pas la suppression du miracle mais son humilité et son rapport avec la conversion du cœur ; de sorte que la Foi ne soit point en quelque sorte contrainte et nécessitée (ce qui d'ailleurs serait contradictoire) mais qu'elle présuppose les bonnes dispositions de l'âme. Cette situation pénible et irrévocable qui est faite à l'homme après le péché, le diable qui est l'esprit de mensonge voudrait nous faire croire qu'il est en mesure de nous en préserver. 20:37 Ainsi lorsqu'il dit à Jésus : « Ordonne que ces pierres deviennent du pain » le diable suggère d'instaurer un messianisme dans lequel cesseraient d'être vraies les paroles de Dieu après la première faute : « tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » ; lorsque le diable ose affirmer : « je te donnerai la terre et ses royaumes », il propose à Jésus un messianisme dans lequel n'aurait plus aucun sens l'interrogation anxieuse « que sert à l'homme de gagner la terre et ses royaumes s'il vient à perdre son âme ? ». Enfin dans le messianisme de Satan la Foi serait en quelque sorte inévitable et cesserait par là même d'être la Foi à cause du caractère éblouissant des signes et des prodiges. « Depuis cette tour du temple jette-toi du haut en bas et tu ne te feras pas de mal parce que Dieu t'a confié à ses anges. » On connaît les réponses du Seigneur et son refus catégorique de ce messianisme terrestre qui abolirait les douloureuses conséquences du péché de l'homme. *Vade retro Satana.* Pourquoi cette attitude ? Pourquoi rejeter inflexiblement cette suggestion d'établir un univers où tout se déroulerait comme s'il n'y avait pas eu de péché ? Mais pour permettre aux hommes de se tourner vers Dieu en vérité et pour obtenir qu'ils lui donnent un amour authentique. Parce que, en effet, les pierres ne seront pas changées en pain, parce que les miracles ne seront pas de telle nature qu'ils convainquent à croire, parce que les choses de César ne seront pas résorbées dans les choses de l'Église, bref parce que la situation dans laquelle nous devrons manifester à Dieu notre fidélité demeurera comme elle doit être après le péché, c'est-à-dire douloureuse et difficile, précisément pour cela notre fidélité aura des chances d'être pure et véritablement digne de Dieu : L'égoïsme, le désir de la gloire, la soif des commodités, ne trouveront plus où se prendre, de sorte que nous aimerons Dieu purement à cause de Lui et non parce qu'Il aura changé les pierres en pain ou parce qu'il sera devenu un monarque pareil aux grands de ce monde. L'amour que nous donnerons à Dieu méritera vraiment ce grand nom d'amour. Il sera un feu qui brûle en quelque sorte dans le vide : dans le vide des satisfactions sensibles, des commodités temporelles, des prestiges de la puissance. Un tel amour, bien loin de les éviter, assumera les conséquences douloureuses du péché. Le châtiment qui nous frappe, il le transformera en la peine qui nous sauve. 21:37 Notre condition pénible et humiliée que le diable voulait abolir afin de la soustraire à Dieu, elle sera au contraire acceptée et offerte par l'amour et elle deviendra, dans le Christ Jésus, le moyen de la réparation et de la rédemption. LES RÉPONSES de Notre-Seigneur à la tentation de Satan nous suggèrent encore d'autres réflexions, surtout en présence des messianismes scientifiques ou collectivistes qui menacent d'égarer les hommes de notre siècle. Ou bien le triple refus opposé par le Seigneur ne veut rien dire du tout, ou bien il veut dire, entre autres choses, que l'ensemble des peines qui frappent l'homme et la nature depuis le péché ne seront jamais rapportées tant que durera ce monde et quoi qu'il en soit des fameuses « propriétés rédemptrices de l'évolution ». Ces peines ne seront abolies qu'avec le second avènement du Fils de l'Homme. *Non evacuatur crux Christi.* Certes, en vertu de sa Passion, elles doivent devenir une offrande d'Amour, mais c'est bien autre chose que leur élimination progressive. Elles peuvent être atténuées sur certains points, elles peuvent être déplacées, elles ne peuvent pas être supprimées. Si nous prenons quelques exemples, qui se risquerait à soutenir que, pour toute mère digne de ce nom, la peine et le souci sont devenus moindres avec l'accouchement sans douleur qu'ils ne le furent dans les siècles passés, de sorte que la sentence *in dolore paries* cesserait désormais de trouver son application ? D'un autre point de vue, s'il est vrai que la moyenne de la vie humaine ait augmenté, qui oserait prétendre que les maladies sont devenues moins cruelles, et surtout moins torturante la haine de l'homme pour son semblable ? PAR AILLEURS la lutte durera jusqu'à la Parousie entre le diable et la cité sainte. Cette lutte n'est pas en train, progressivement, de se résorber grâce à je ne sais quelle « mutation de la conscience collective ». Si nous nous référons à l'Évangile nous y trouverons que le Royaume sera toujours *mêlé d'ivraie et de bon grain* et non pas qu'il ne se composera que d'un blé supérieur dont les variétés iraient s'améliorant de siècle en siècle. De même l'Apocalypse ne nous montre pas un apprivoisement progressif de la fameuse Bête. Le diable, encore qu'il soit virtuellement vaincu, demeure toujours au travail. A mesure que le monde se hâte vers la fin il perfectionne ses méthodes et il organise plus savamment son effroyable contre-Église. 22:37 A tel point que Jésus nous a dit : « Lorsque le Fils de l'Homme reviendra, trouvera-t-il encore de la Foi sur la terre. » (*Luc,* 18, 8.) Et de plus : « Il surgira une foule de faux prophètes qui égareront les peuples, et l'iniquité se multipliant, la charité d'un grand nombre se refroidira. » (Mat. 24, 11 et 12.) Qui adhère à la parole de Jésus-Christ ne saurait avoir d'illusion sur le caractère de Royaume crucifié qui est celui de la Sainte Église pendant toute la durée de ce monde. Le Royaume de Jésus-Christ, parce qu'il se recrute uniquement parmi les pécheurs, parmi la race d'Adam universellement gâtée par le péché, ce royaume divin ne saurait se constituer si ce n'est en assumant la peine du péché, en participant à la douloureuse Passion. Contrairement à ce que rêvent certains, cette loi fondamentale n'est pas en train de varier et de se modifier ; la participation à la Rédemption n'est pas sur le point de s'accomplir en des hommes passés à *l'ultra-humain* qui seraient dispensés de la souffrance et qui n'auraient plus à lutter contre le péché ou la convoitise. *Non evacuatur crux Christi.* Et le progrès technique ne change rien à cette loi. Car il n'est bon pour l'homme que pour autant que l'homme en fait un bon usage. Et l'homme n'en fait un bon usage, étant donné le péché qui le sollicite et la convoitise qui le mine, que dans la mesure où il manipule les techniques en mortifiant le péché, en renonçant à la convoitise, en participant à la croix de Jésus. AVANT LE PÉCHÉ Dieu avait dit à Adam et Ève : « Remplissez la terre et la soumettez. » Après le péché le Fils de Dieu est venu sur la terre, non pas précisément pour soumettre la terre, par exemple grâce à la science ou à la politique, mais bien pour réparer le péché en prenant sur Lui, dans un mouvement d'excessif amour, la perne méritée par le péché. Certes, Il n'a pas interdit à l'homme de soumettre la terre, pourtant Il n'a cessé de lui rappeler qu'il importait d'abord de gagner le ciel et que, même ceux qui s'appliquaient à soumettre la terre, devaient chercher d'abord *le Royaume de Dieu et sa justice ;* ce qui apparemment implique un usage pauvre et mortifié des choses de la terre et de porter la croix dans la manière même dont on s'applique aux choses de la terre. 23:37 Le Seigneur, sans révoquer le *subjicite terram*, a cependant ajouté la redoutable question qu'on ne saurait éluder : *quid prodest homini si universum mundum lucretur, animae vero suae detrimentum patiatur.* (Mat. XVI, 26.) Pourquoi voudriez-vous que la désintégration de l'atome doive être considérée désormais comme le travail le plus noble et doive devenir le souci prédominant de tous les humains dignes de ce nom ? Comme s'il n'y avait pas d'autres occupations qui méritent de nous captiver, la poésie par exemple ou la culture d'un petit verger selon le talent de chacun ; et surtout comme si la prière, une vie consacrée à la prière à l'exclusion d'un métier, d'une famille et d'une charge dans l'État ne représentait pas un sort assez enviable pour que ceux qui l'ont choisi ne cherchent pas d'autres biens. Pourquoi voudriez-vous que nous demandions à la terre de bénéficier de tous les privilèges procurés par les techniques comme si par hasard c'était là les privilèges les plus intéressants ? Pourquoi voudriez-vous que nous ayons envie de ne laisser inexploré aucun recoin de la planète et inexploitées aucune de ses richesses, comme s'il nous était défendu de penser que nous perdrions à ces explorations et exploitations un temps rare et précieux que nous jugeons plus expédient d'employer à un loisir beaucoup plus noble : le loisir du chant par exemple et surtout celui de la contemplation. Ce que nous demandons à la terre c'est ce que le Seigneur Jésus nous a appris à lui demander, c'est-à-dire de *chercher d'abord le Royaume de Dieu,* de nous rapprocher de Dieu, de livrer notre âme pour que nos frères se rapprochent de Dieu. De plus, par tempérament, par goût naturel, certains demandent à la terre non pas de posséder un poste de télévision et un hélicoptère mais de demeurer dans la solitude et de pouvoir chanter, parce qu'ils estiment que c'est là une condition naturelle très propice à la recherche du Royaume de Dieu. Il n'y a pas de nécessité de demander à la terre avant tout ou même exclusivement le progrès technique, et nous voyons fort bien comment cette recherche, quand elle vient en premier, trahit à la fois l'éternité et l'existence d'ici-bas. Demandant à la terre d'y trouver le Seigneur Dieu, nous sommes certains de recevoir la croix ; étant donné ce qu'est le monde et ce que nous sommes nous-mêmes il est impossible de nous rapprocher de Dieu durant notre vie terrestre sinon en portant la croix. N'importe, puisque ainsi nous nous nous rapprochons de Dieu. 24:37 De la terre nous attendons ce commencement de la béatitude du ciel qui prend la forme des béatitudes évangéliques : bienheureux ceux qui ne sont pas riches et comblés ; ceux qui ne sont pas portés en triomphe et couronnés ; ceux qui ne sont pas comblés de délices. Certains veulent nous faire croire que la béatitude du ciel commence sur la terre en une autre forme que celle de la croix. Ils rêvent et ils s'égarent. Nous aurons garde de nous laisser égarer. Nous attendrons de la vie d'ici-bas ce que le Seigneur Jésus nous a appris à attendre, en espérant la Parousie et la terre nouvelle, en nous souvenant que si la béatitude du ciel commence déjà en cette vallée de larmes c'est en la forme des béatitudes évangéliques. « Heureux vous les pauvres car le Royaume de Dieu est à vous. Heureux vous qui avez faim maintenant car vous serez rassasiés. Heureux vous qui pleurez maintenant car vous rirez. Heureux serez-vous quand les hommes vous haïront... à cause du Fils de l'Homme, car alors votre récompense sera grande dans le ciel. » (*Luc,* VI, 20.) Attendrons-nous de cette vie ce que disait un jeune poète quelques jours à peine avant de tomber victime de la haine de ses concitoyens ? Nous ne demandions, rien ô Seigneur, cependant, Que les moindres trésors de ce qu'on nomme vivre, Les amis de jeunesse et les joues des enfants, La maison et la mer, et la Seine, et les livres. ... Nous n'étions pas, Seigneur, tellement difficiles, Nous n'avions pas besoin de gloire ni d'argent, Seulement du murmure amical de la ville, Nous n'étions pas, Seigneur, tellement exigeants. ([^4]) 25:37 Le poète n'est certes pas exigeant parce que c'est quand même cela qui est le sort commun : une famille, des amis, un travail humain et de pouvoir chanter. Pourtant, en un sens plus profond, nous demandons autre chose de la terre, autre chose qui souvent du reste comporte ce bonheur mais qui, même alors, en demeure libre ; nous attendons de la terre les moyens d'y devenir dignes, de Dieu d'y être purifiés, d'accéder à la Charité de l'Église pour tous les hommes, de nous préparer à être bientôt reçus dans le ciel par Jésus-Christ et de ressusciter avec Lui. Le reste n'est que le reste. Et toutes les grandes machines des messianismes scientifiques ou collectivistes n'y changeront rien du tout. A ÉCOUTER CERTAINS on en viendrait à penser que le Seigneur nous a apporté le salut *avant tout* pour nous faire espérer un avenir historique où les conditions du travail seraient plus humaines, où le sort des hommes serait plus doux. Ce serait confondre l'essentiel du Salut avec ses dérivations. Lorsqu'on pense à l'Évangile en fonction de ses incidences sur la vie sociale, on ne remarquera jamais suffisamment que *le Christ est venu non pas selon l'ordre temporel des réformateurs sociaux mais l'ordre surnaturel de la Grâce divine* et que l'espérance qu'il nous a donnée n'est pas, à proprement parler, de cette terre. *Mon Royaume n'est pas de ce monde.* Lorsqu'on prêche les béatitudes on n'annonce pas d'abord un avenir extraordinaire de la société, ni un demain prestigieux de la civilisation ; on annonce d'abord un maintenant divinisé de la vie de l'âme, une union surnaturelle à Dieu et à notre prochain ; un maintenant vécu dans un amour purifié et crucifié, tellement amour qu'il en est béatitude. L'Évangile est à ce niveau. L'enthousiasme indiscret de certains les fait parler comme si quelque jour la misère et le malheur devaient être bannis de la terre. Or, c'est trop évident, jusqu'à ce que le Seigneur revienne, il ne se lèvera jamais le jour où il n'y aurait plus parmi les hommes des fainéants et des exploiteurs, des voleurs et des volés, des menteurs et des dupes, des époux et des épouses trahies, des fauteurs et des victimes de scandale. L'innocence édénique est à jamais perdue. Tout le temps qu'il y aura le péché sur la terre, il y aura toujours la mort et la souffrance pour tous, la misère et le malheur pour un bon nombre. Évidemment il est conforme à l'Évangile et e'est une fidélité à Dieu tout à fait élémentaire que de travailler à l'instauration d'une cité plus humaine et dans laquelle, par exemple, les structures économiques elles-mêmes seront pénétrées d'esprit chrétien. Seulement c'est autre chose d'y travailler, autre chose de laisser entendre que l'injustice et la malice humaines ne feront pas toujours beaucoup de victimes, même avec un ordre temporel chrétien. 26:37 Évidemment l'Évangile nous demande et nous presse d'organiser la cité et d'établir une police des routes de telle sorte que le chemin soit en sécurité qui descend de Jérusalem à Jéricho. Seulement, quelle que soit l'organisation, il y aura toujours des voyageurs mis à mal par les bandits. Ce que fait avant tout l'Évangile c'est d'apporter chaque jour la Rédemption à une humanité chaque jour infestée par le péché, c'est de susciter chaque jour des bons samaritains à l'égard des juifs chaque jour blessés et abandonnés ; ce n'est pas de faire régner une tranquillité édénique sur la mauvaise route du pèlerinage des hommes. IL Y AURA TOUJOURS des prisons. Mais cependant afin que cette constatation terrible ne nous entraîne pas à choir dans une tentation débilitante de démission ou de désespoir (et pour certains d'entre les hommes Dieu sait si cette tentation revient souvent, si elle représente une pente naturelle de leur âme, s'ils risquent de la suivre avant même que d'avoir eu le temps de réfléchir tellement ils se trouvent accordés à elle), or donc afin de ne pas succomber il est essentiel de considérer deux choses : d'abord que la Grâce divine nous donne le pouvoir de travailler, sans nous décourager, à faire une société où les gens seront moins exposés à la prison -- ensuite que cette même grâce donne à chacun de nous le pouvoir de ne rien faire qui mérite la prison. Quant à la disparition des prisons, du bannissement et des innombrables peines de l'injustice ou de la justice des hommes, cette disparition est pour le siècle futur que nous attendons avec confiance. De toute manière, elle n'est point pour le siècle présent. JE N'IGNORE PAS que les effets de la Rédemption doivent se faire sentir sur le temporel même et sur la société profane. Je ne me trouve aucune espèce d'affinité pour un spiritualisme désincarné et platonicien. J'affirme seulement que l'effet propre et premier de la Rédemption ne se situe pas au plan temporel ; que bien que la Rédemption entraîne obligatoirement des conséquences sur le plan temporel, celles-ci laisseront toujours plus ou moins à désirer ; enfui qu'elles ne sauraient avoir quelque pureté et quelque durée que dans la mesure où les hommes auront accepté que la Rédemption agisse dans le secret de leur cœur. 27:37 Ainsi donc nous sommes rachetés du péché, de l'offense faite à Dieu, de la séparation éternelle d'avec Dieu ; par le fait même nous sommes de nouveau unis à Dieu et remis en Grâce avec notre père du ciel. De là découleront des bienfaits temporels plus ou moins profonds, plus ou moins menacés, plus ou moins durables ; mais enfin ils ne seront que des conséquences. Il importe de n'en faire point l'objet premier de la Rédemption. Méditer ces vérités élémentaires c'est être immunisé contre les faux messianismes et comprendre l'irréductibilité entre les choses de César et les choses de Dieu. Encore faut-il pour méditer ces vérités élémentaires que les germes de Grâce et d'Éternité aient commencé d'avoir un poids dans notre cœur et un goût dans notre âme. Comme les autres je sens ce qu'il y a de pathétique dans cette réponse du *Mystère de Jésus :* « souffre les chaînes et la servitude corporelle ; je ne te délivre que de la spirituelle à présent ». Comme les autres il m'arrive de frissonner devant les affirmations de l'Apôtre ou de la Liturgie : *Si tamen compatimur ut et conglorificemur... Per passionem ejus et crucem ad resurrectionis gloriam perducamur.* Mais enfin est-ce que nous devons faire droit contre la révélation divine aux hésitations ou aux aspirations de notre pauvre nature ? Est-ce que nous devons déplacer le point d'application de la Rédemption par pusillanimité à notre égard, ou par une pitié impure à l'égard de la souffrance de nos frères ? D'ailleurs pourquoi ne pas voir que, en réduisant la Rédemption aux dimensions du temporel, en voulant une Rédemption aplatie et vidée de sa substance, e'est le temporel lui-même que nous travaillons à perdre et à fausser. Une civilisation un peu humaine n'a quelque chance de se mettre debout et de subsister que si la Rédemption est tenue pour ce qu'elle est et voulue dans son mystère surnaturel, dans son mystère d'éternité. ON PARLE et on écrit beaucoup pour faire comprendre que l'Évangile doit faire sentir ses effets dans la part de la vie des hommes qui est tournée vers les choses de ce monde, comme l'économique et le politique. 28:37 Mais pour manifester cette idée il n'est pas nécessaire de laisser entendre que l'Évangile concerne à égalité les choses de César et les choses de Dieu, le politique et la conversion du cœur ; il faut même suggérer ou plutôt déclarer explicitement le contraire. L'Évangile ne doit pas être soigneusement écarté des choses de César, c'est évident ; mais il est encore plus évident que l'Évangile qui se rapporte aussi aux choses de César ne se rapporte pas en premier aux choses de César. De même si Évangile nous demande, lorsque du moins c'est notre vocation, d'aménager un monde dont les institutions soient justes, c'est avant tout pour plaire à Dieu, par charité pour nos frères et dans l'espérance de l'éternité avec le Seigneur ; ce n'est pas dans l'espérance d'une sorte de Parousie terrestre ; je veux dire dans l'espérance de créer des techniques et de promouvoir des institutions qui se raient une approximation *des cieux nouveaux et de la terre nouvelle.* J'attends la Résurrection des morts mais je n'attends pas que la Résurrection des morts vienne prolonger les techniques et les découvertes pas plus que les institutions de la cité de César. L'Espérance chrétienne concerne un ordre de chose radicalement nouveau par rapport aux progrès matériels et par rapport à la cité de César. Évangile s'oppose à la sécularisation de l'Espérance, comme il s'oppose à l'identification de l'Église et de César. La glorification du dernier jour ne viendra pas couronner un ordre économique, technique et social particulièrement réussi. Elle viendra manifester pour l'éternité ce qui était contenu dans notre incorporation à Jésus-Christ par la Foi. Or ce qui sera ainsi manifesté ne concernera ni l'économique, ni le technique, ni le social mais la conversion du cœur et l'union surnaturelle avec Dieu. (Union surnaturelle du reste, qui se réalise pour un grand nombre à travers le souci chrétien des choses temporelles.) La glorification du dernier jour n'est pas l'achèvement des choses de César, mais l'accomplissement des huit béatitudes. AU DÉBUT DE CET ARTICLE, nous parlions du faux messianisme proposé par le diable au Fils de Dieu lui-même. En terminant nous voulons rappeler que c'est le diable en effet qui propose les faux messianismes de toute espèce ; qu'il sait mieux s'y prendre à mesure que notre monde se hâte vers sa fin et surtout qu'il manifeste mieux sa haine et son mépris de l'homme et cette volonté d'avilir notre race qui le possèdent depuis le commencement. *Homicida fuit ab initio.* 29:37 Nous n'exagérons rien. Empêcher des nations entières, d'immenses nations jadis chrétiennes, sinon de penser du moins de pouvoir dire qu'il existe des biens meilleurs que la production industrielle, les empêcher de pouvoir jamais agir en tenant compte de l'existence des biens spirituels et religieux ; réduire en esclavage des millions de chrétiens, leur infliger les plus inimaginables tortures psychologiques et physiques et malgré cela maintenir une foule de chrétiens libres dans l'indifférence à l'égard de leurs frères persécutés ; promouvoir à l'échelle du monde une cité fondée explicitement sur le rejet absolu de Dieu et cependant persuader beaucoup d'hommes et même beaucoup de chrétiens que cette entreprise, anti-religieuse au premier chef, est une simple question de politique et que, pratiquement, la religion n'est pas en cause ; mettre en œuvre les appétits de la haine la plus basse et la plus ignoble et cependant faire croire que l'on est mû par un noble désir de justice ; traiter les auteurs et les collaborateurs de cette révolution nouvelle comme de simples rouages qui sont rejetés chaque fois que la tactique le demande et non seulement les rejeter mais encore les amener à se condamner eux-mêmes et à se déconsidérer, en un mot, non seulement rabaisser les hommes à la seule production des biens matériels mais leur enlever la jouissance de ces biens, les faire perpétuellement se battre les uns contre les autres, leur faire bafouer aujourd'hui ce que hier ils vénéraient. Il ne semble pas que l'on puisse aller beaucoup plus loin dans l'entreprise d'abaissement et de falsification de l'homme. Or voilà ce que le messianisme marxiste a commencé de réaliser sous nos yeux, voilà le dessein hallucinant dont il poursuit la réalisation. En comparaison l'esclavage antique rendait honneur à ses victimes : il ne les obligeait pas systématiquement à se renier et il ne leur enlevait pas les moyens de la prière. Quant aux monstruosités déchaînées par une certaine forme de capitalisme il faut, tout en les réprouvant sans ambiguïté, faire observer que malgré tout elles ne sont comparables au marxisme ni par l'envergure, ni par leur nature « dialectique » ni par la cohérence et la perfection du système. Il ne s'agit point de pactiser de quelque manière que ce soit avec les horreurs d'un certain capitalisme ; mais il n'est pas davantage question de les équiparer au marxisme. 30:37 Ce que nous voulions faire observer c'est l'excès de haine avec lequel le diable a traité l'humanité qui se fiait à lui. Ce qu'il a donné en partage est horrifiant. Le contenu de son messianisme actuel c'est le matérialisme le plus abject et le plus faux qu'il était possible d'imaginer. Rien qui ressemble aux grands empires païens de l'Ancien Orient et même à l'Empire de la déesse Rome dont la face pour tant était déjà bien grimaçante et le regard terriblement perfide. Le pire de tout c'est que le diable pour servir aux hommes l'énorme festin empoisonné de son actuel messianisme les amène à croire un peu partout que ce matérialisme n'en est pas un, que l'injustice la plus criminelle est une réforme juste, que la trahison s'appelle fidélité, et fraternité la pire violence. Toute cette histoire de fous et de fous furieux suppose sans doute l'influence d'une philosophie anti-naturelle ; cela suppose également l'apostasie pratique de trop de chrétiens. Mais enfin il serait puéril de penser ou de dire que le succès du communisme est partout et toujours de notre faute, comme si toujours et partout il n'y avait pas des chrétiens vraiment saints et dignes de l'Église, et comme si Église de la terre ne pouvait pas dire en la personne des meilleurs de ses enfants : *odio habuerunt me gratis*. La diffusion du communisme s'explique en grande partie par son infernale « dialectique », « par une propagande vraiment diabolique, telle que le monde n'en a peut-être jamais vue ». (*Divini Redemptoris.*) Que pouvons-nous faire en présence de ce faux messianisme d'une espèce nouvelle et la plus perverse de toutes ? D'abord écouter la Sainte Église lorsqu'elle dévoile l'identité du monstre, nous apprend qu'il est *intrinsèquement pervers,* nous demande de prier et de nous convertir pour échapper à son emprise, nous conjure de ne frayer avec lui d'aucune manière. Ensuite écouter Notre-Dame qui est apparue voici presque un demi-siècle en s'entourant de prodiges nouveaux et redoutables pour nous faire comprendre la gravité de la lutte présente contre le Dragon, pour nous mettre en garde contre ses pièges et nous ramener à Jésus-Christ, le Seul Sauveur des âmes et des sociétés. Le combat qui se livre n'étant pas à l'échelle humaine, le faux messianisme : qui s'est abattu sur notre espèce n'étant pas à la mesure de l'homme parce qu'il est désormais un faux messianisme *intrinsèquement pervers,* pour le discerner et pour le combattre nous aurions tort de compter sur nos seules forces ; elles seraient un secours dérisoire et décevant. 31:37 Il est élémentaire de ne combattre qu'en nous en remettant à la Sainte Vierge, à celle qui dès avant la naissance, dès sa conception même, *écrasait inexorablement la tête du Dragon.* C'est elle qui nous donnera de vaincre, qui nous fera saisir la nature du vrai messianisme, celui de la Rédemption par la croix de Jésus, qui nous fera travailler dans le temporel, si tel est notre rôle, non seulement avec une docilité plénière à l'enseignement de l'Église touchant la famille, la profession, l'État, mais encore en préservant dans la fragilité de notre cœur la flamme : inextinguible de l'héroïsme évangélique. R.-Th. CALMEL., o. p. 32:37 ### Que faut-il réformer ? par André CHARLIER IL Y A TOUJOURS de l'outrecuidance à prétendre réformer quelque chose. Il est aisé de constater que les affaires humaines vont mal, mais il est moins facile de poser quelques principes qui leur permettraient d'aller mieux, j'entends de vrais principes et non pas de simples vues de l'esprit. La vie ne se fait pas comme on écrit un livre -- comme la plupart des écrivains écrivent leurs livres. Dans le plan intellectuel, on peut poser des principes justes et construire une œuvre là-dessus. Dans le plan de la vie, l'expérience apprend qu'il n'est pas toujours prudent de bouleverser un ordre médiocre pour le ramener à des principes meilleurs : quand on connaît la faiblesse des hommes, on hésite grandement à changer leurs habitudes, car on ne sait jamais si ce ne sont pas les plus ardents défenseurs d'une réforme qui en feront l'usage le plus mauvais. Il faut attendre avec patience des circonstances favorables, et réaliser les choses avec une prudence infinie. Si on veut un exemple, qu'on songe aux inconvénients que présentait sous l'ancien régime la vénalité des charges : Richelieu et Louis XIV ont très clairement vu ces inconvénients, et pourtant ils n'ont pas supprimé la vénalité des charges. Qu'on n'imagine pas qu'il y eut paresse de leur part, ou qu'ils aient seulement cédé à des considérations de facilité financière. Ce fut simplement prudence, parce qu'un homme d'action sait que la réalisation d'une chose bonne doit s'entourer de conditions favorables qui la rendent possible. Il ne faut pas hasarder le bien à la légère et l'exposer à l'échec. 33:37 Qu'il s'agisse de la réforme des mœurs ou de celle de l'esprit, ou de celle de la société et de son économie, une réforme doit toujours s'appuyer sur une base résistante et ferme. Or, il nous apparaît justement que, dans le monde moderne, ce sont les bases mêmes qui se défont, et c'est la seule chose grave. On sait bien que les civilisations sont mortelles. Mais jusqu'à présent, lorsqu'une civilisation mourait, elle léguait sa richesse à une civilisation plus jeune. Ainsi le monde latin hérita du monde grec, et, nous, nous héritâmes de l'un et de l'autre. Le miracle de la civilisation chrétienne fut de sauver tout ce qui était bon dans l'héritage de l'antiquité, en l'éclairant des lumières de la révélation. Aujourd'hui, nous prétendons former un homme nouveau. Mais sur quoi pourrions-nous l'édifier ? Qu'avons-nous fait de la sagesse des siècles ? Il n'y a plus que des ruines, dont sans doute nous n'avons pas réussi à nous passer tout à fait, mais dont nous ne savons plus faire une vie. Nous goûtons les œuvres du passé par une sorte de plaisir archéologique, et la liturgie aussi semble une archéologie, aux yeux mêmes d'une partie du jeune clergé : le restant de sensibilité que nous gardons de ces choses ne va pas au-delà d'une curiosité passagère. Tout ce qui a fait pendant des siècles la raison de vivre de l'homme se désagrège sous nos yeux avec une vitesse grandissante. Réformons donc, je le veux bien, il est trop évident qu'il en est grand besoin, mais à partir de quoi ? La cité chrétienne s'est fondée sur la cité gallo-romaine. La monarchie s'est lentement construite sur l'ordre instauré par la féodalité. La théologie n'a point dédaigné de reprendre les bases posées par la philosophie antique, et on pourrait constater dans l'évolution de l'art une élaboration analogue. Mais nous, de quoi partirons-nous ? Je vois que nous voulons embrasser des choses infinies, mais nous sommes en train de construire un monde qui est hors de notre mesure et qui ne repose sur rien : monde purement théorique, qu'une ruine effroyable menace. Aujourd'hui, où nous parlons aisément avec toutes les parties du monde, où un avion peut faire le tour du globe sans escale, nous imaginons inconsciemment que la nature de notre esprit a changé : la rapidité avec laquelle nous connaissons les événements du monde et l'extension formidable de notre puissance sur l'univers nous font croire que les choses qui sont immédiatement sous nos yeux sont dépourvues d'intérêt. 34:37 Or, c'est l'erreur la plus grave peut-être que commette l'homme moderne. Nos moyens d'investigation de l'univers ont beau s'être perfectionnés de façon inouïe, l'esprit humain reste le même : il est fait pour connaître les choses sensibles les plus simples qui sont placées devant lui, et, partant de là, pour approfondir, par un progrès attentif et patient, sa connaissance de l'être des choses. Il est fait ainsi et nous n'y pouvons rien. Socrate se promenait avec ses disciples dans les rues d'Athènes, qui était une espèce de grand village, il s'arrêtait devant les boutiques, réfléchissait sur le métier du cordonnier et du forgeron, et, de là, par un lent cheminement, il retrouvait les plus hauts problèmes de la philosophie. J'ai toujours été extrêmement frappé de ce fait que nous ne pouvons entrer dans les grandes choses qu'en passant par les petites, ou plutôt que les grandes se révèlent à nous par les petites. Je suis persuadé que les plus savantes spéculations sur la désintégration de l'atome et le choc des neutrons ne peuvent rien apprendre de valable sur le sens de l'univers à un homme de science qui ne saurait point voir une pierre dans l'herbe et un ruisseau au creux d'une vallée. Je remarque que l'enseignement même de Jésus procédait par voie d'allusion et d'analogie. Les paraboles sont toutes empruntées à la vie quotidienne la plus banale : le semeur, l'ivraie, la drachme perdue, le filet, le grain de sénevé, etc. Les docteurs de ce temps-là, comme les sophistes du temps de Socrate, comme les intellectuels de nos jours, trouvaient cela méprisable, parce que c'est le propre d'une certaine fausse philosophie de viser à satisfaire l'intelligence sans prendre les leçons de la réalité la plus humble. Je me rappelle ce mot si profond de Ramuz parlant des idées « qui ne deviennent logiques et cohérentes que lorsqu'elles ne correspondent plus à la réalité » ... Le pouvoir d'abstraction de l'esprit humain serait fort dangereux si l'esprit ne commençait par entrer dans les choses *les plus simples* au point de s'en imprégner, comme font les vrais artistes et les vrais philosophes. Et, comme il y a une économie admirable dans l'âme humaine, je vois aussi qu'il n'y a pas d'accès possible à la plus haute contemplation sans passer par la porte de l'humilité, sans s'imposer une ascèse qui paraîtrait rebutante et sotte à un intellectuel. Comme l'Église a bien connu cela ! 35:37 Pour signifier ces opérations mystérieuses par lesquelles la grâce épouse l'âme, elle a choisi justement des substances aussi simples que possible et qui, parlent un langage simple : le pain, le vin, l'eau, le sel, l'huile, la cire, etc. Ces substances, si nous savions les entendre, nous parlent des plus hauts mystères. VOILA POURQUOI il est difficile de parler de réforme. Il n'y a à peu près aucun problème qui ne soit faussé dès le départ, et même les élans généreux risquent de se dépenser en pure perte. Ainsi je veux bien être citoyen du monde, je veux bien n'avoir plus de patrie, mais je ne suis pas du tout certain que de supprimer les patries amènera les hommes à aimer davantage leurs frères. Il me paraît remarquable que Jésus, qui a mis le commandement de la charité au-dessus de tous les commandements, a aimé d'abord sa Mère, et celui aux soins paternels de qui Il avait été remis, ses douze Apôtres, des braves gens de son village, parmi lesquels il y en avait un qui lui était particulièrement cher, et une poignée de disciples. Il a dit qu'Il venait sauver le monde, mais Il l'a sauvé à travers quelques personnes qu'Il a choisies, les plus proches de Lui. Il n'a pas essayé de parcourir même le monde connu de son temps. Il n'est même pas allé en Asie Mineure, ni en Perse, et Il n'était qu'un enfant au maillot quand Il a franchi les frontières d'Égypte. Le commencement du plus grand drame du monde, dont le développement se continue sous nos yeux, s'est joué dans un petit canton obscur, entre quelques personnes. Comme Dieu, Jésus aimait d'un égal amour tous les hommes qui étaient nés jusqu'alors et tous ceux qui devaient naître jusqu'à la consommation des siècles. Comme Homme, Jésus aimait d'abord ceux qui étaient à la portée de son regard et de sa voix, ceux à qui le liaient des liens naturels, et c'est à travers eux et par eux qu'Il a sauvé le monde. Il est très remarquable que lorsque les disciples dirent à Jésus qu'il devait se manifester au monde, -- et le monde, pour eux, c'était Jérusalem --, le Maître se déroba. Il ne faut pas vouloir penser le monde et aimer le monde avant d'avoir pensé et aimé les créatures qui nous sont immédiatement et étroitement liées : on courrait le risque de ne rien penser et de ne rien aimer. Il est très difficile d'aimer une seule personne comme elle doit être aimée, il n'est pas besoin pour le comprendre d'avoir une grande expérience de la vie et de la précarité des amours humains. 36:37 Les saints les plus dévorés de l'amour des hommes, les plus décidés au sacrifice de leur vie pour le salut du monde, ont simplement aimé d'un amour total ceux qu'ils trouvaient sur leur chemin : ils ont fait comme Jésus. Mais l'amour a des radiations si puissantes que d'une source invisible aux yeux charnels il est capable d'embrasser l'univers. NOUS AVONS FAIT souvent la critique de la civilisation moderne : ce n'est pas pour le plaisir de faire de la critique. C'est parce qu'elle nous paraît singulièrement fragile et menacée, plus fragile et menacée qu'aucune civilisation jamais édifiée par l'homme. Et d'abord nous voyons que les hommes d'aujourd'hui sont saisis d'une précipitation extraordinaire, et que la vitesse s'impose à leur vie au point d'en devenir la loi même : or, nous savons que tout ce qui s'est jamais fait de valable dans le monde a été le fruit de la méditation et de la contemplation, et que méditation et contemplation ne sont possibles que dans le silence et dans la lenteur ; que l'éclosion dans l'histoire d'une civilisation créatrice de hautes œuvres a toujours été précédée par plusieurs siècles de préparations laborieuses et patientes, par les efforts obscurs d'une multitude de générations qui tendaient tous vers ce point d'équilibre qui fut un jour atteint par une espèce de miracle. Car si toute vie humaine est un équilibre qui ne se réalise que par l'effet d'une volonté attentive éclairée par les lumières de la rai son et de la foi, il en est de même de la vie des sociétés. Et nous savons combien dans une vie d'homme cet équilibre est délicat, combien il faut peu de chose pour le détruire ! Que sera-ce donc dans les sociétés humaines, où jouent tant de forces contraires, sournoises ou violentes, où il faudrait à ceux qui ont la tâche de les gouverner des vertus presque surhumaines ? Il était encore possible de maintenir cet équilibre lors qu'il y avait entre les différents éléments d'une société des liens solides et vrais -- vrais parce que fondés sur des réalités humaines. Mais aujourd'hui la notion de masse a rem placé la notion de communauté, les liens entre les hommes se sont relâchés : naguère, une nation était une association de familles ; il n'y a plus maintenant que des individus de plus en plus isolés et un État anonyme et tyrannique. 37:37 Comment ne serait-on pas effrayé à la pensée que la moindre imprudence peut faire basculer ces masses énormes, emportées par le courant d'une vie dont la vitesse ne cesse de s'accélérer ? Ajoutons à cela que les progrès de la technique sont à double tranchant, qu'ils peuvent détruire avec une facilité infiniment plus grande qu'ils ne construisent, et on comprendra que l'homme, qui a toujours été fragile, et en lui-même et dans ses œuvres, nous paraisse aujourd'hui plus fragile qu'il ne l'a jamais été. Il n'y a plus rien dans la vie moderne qui soit dans une juste proportion avec lui, avec son essence même. En France encore et dans quelques autres pays aussi arriérés que nous, la vie demeure proportionnée à l'homme, -- au moins pour une partie de la nation, -- mais c'est pour peu de temps sans doute. QUAND J'AI PARLÉ D'ÉQUILIBRE, je n'ai pas voulu dire que les civilisations s'édifiaient dans le calme et la paix : c'est généralement le contraire qui a lieu. On peut réaliser un équilibre entre des forces calmes ou entre des forces violentes. L'ordre du XVII^e^ siècle établit une harmonie entre des passions très vives, et il en a été de même au Moyen Age. Aujourd'hui, on a l'impression qu'il n'y a plus de passions, ou des passions commandées. Par le journal, par la radio, par tous les procédés de la propagande. Et pourtant, lorsqu'on parle avec un homme tout seul rencontré par hasard, on s'aperçoit que l'âme est toujours là et que tout est encore possible avec elle. Tel est le drame profond de notre temps : les conditions dans lesquelles l'homme fait sa vie sont telles que rien ne lui permet plus d'atteindre la plus haute expression de lui-même, et pourtant l'homme est toujours l'homme. LES BASES sur lesquelles on construit une civilisation se défont. Il y a encore des familles, mais, comme l'autorité y a pour ainsi dire disparu, elles se montrent trop souvent incapables de remplir leur fonction. Il y a encore des métiers, mais sauront-ils triompher du machinisme, de façon à sauver la valeur humaine ? Nous voyons que, dans certaines professions, il n'y a plus d'apprentis et que la jeunesse court de préférence aux métiers qui n'ont pas besoin d'apprentissage. Y a-t-il des paroisses ? Nous savons bien qu'il n'y en a plus, et nous voyons que le clergé dans l'ensemble ne croit pas nécessaire qu'il y en ait, ou en tout cas prend souvent son parti qu'il n'y en ait plus. 38:37 Lui aussi, le pauvre, croit aux mouvements de masses, il y croit plus qu'il ne croit à son bréviaire. Y a-t-il des cités ? On voit bien encore des frontières sur les cartes qui correspondent tant bien que mal, et plutôt mal que bien, à des différences de races, de langues, de religions, de tempéraments, mais y a-t-il à l'intérieur de ces frontières quelque chose qui ressemble à une cité, c'est-à-dire une communauté de citoyens, avec une autorité qui prenne en charge, non seulement l'intérêt matériel de la communauté, mais encore le salut éternel des âmes qui en font partie ? Tout se défait, mais c'est l'homme qui se défait. Ouvrons donc notre Saint Paul, ouvrons l'Épître aux Philippiens : « *Salvatorem exspectamus Dominum nostrum Jesum Christum *: Nous attendons un Sauveur, dit l'Apôtre, Notre-Seigneur Jésus-Christ. *Qui reformabit corpus humiliatis nostrae *: qui réformera le corps de notre humilité. *Configuratum corpori claritatis suae *: en le conformant à son corps de lumière. » Qu'est-ce que réformer, sinon rendre une forme à ce qui avait perdu forme ? On pourrait ne point aller au-delà de ce texte, qui parle assez par lui-même. Car la souffrance de l'homme vient d'une seule chose, c'est qu'il a perdu sa forme et qu'il s'efforce vainement à la retrouver, parce qu'il néglige le seul moyen efficace, qui est *la configuration* au Christ. Nous ne pouvons retrouver notre forme qu'en Celui de qui nous la tenons. IL N'Y A DONC PAS d'autre réforme possible que celle de soi-même, de soi-même et de son entourage le plus immédiat. Il ne faut pas voir trop loin ni trop grand. Ou plutôt il n'y a qu'une façon de voir loin et grand, c'est de voir ce qui est tout près de soi -- mais voir vraiment. Et ici j'ai très peur qu'il me soit impossible de me faire comprendre, car comment faire saisir à ceux qui croient voir qu'ils ne voient rien ? Jésus n'y a pu réussir avec beaucoup de ceux qui entendaient sa parole souveraine, et sans doute Il voulait éveiller en eux un certain sens spirituel, mais, pour l'éveiller, Il ne trouvait rien de mieux que de les inviter à contempler les lis des champs et les petits oiseaux. La nature est un langage que nous ne savons plus lire, il ne faut pas s'imaginer que le spirituel se conquiert par la suppression du naturel : l'homme spirituel est au contraire celui qui est le plus et le mieux dans la nature. 39:37 Il y a une certaine sensibilité à la nature qui nous introduit de plain-pied dans le sacré, et cette sensibilité-là fait de plus en plus défaut à l'homme moderne. Et c'est là qu'on se sent terriblement impuissant, car comment, par quel secret, rendre l'homme sensible quand il ne l'est plus ; quand, mis en présence de l'être des choses, il n'y a plus aucune étincelle en lui qui jaillit, c'est-à-dire aucun sentiment qu'il a touché quelque chose de vrai ? On voit bien comment on peut apprendre à l'homme à raisonner, parce qu'il y a une technique du raisonnement ; et cela sans doute est très difficile Quand la faculté de raisonner s'est abâtardie au point que nous constatons dans la jeunesse actuelle, mais on distingue très bien quelle méthode il faut prendre, quelque peine qu'on ait ; au lieu qu'on ne voit pas du tout comment on pourrait lui rendre la sensibilité, car il faut autre chose qu'une technique, il y faut pour ainsi dire une grâce. D'autant que cette sorte de sensibilité ne facilite pas particulièrement la vie, au contraire : elle fait naître des inquiétudes infinies, et l'homme n'aime point à se poser des questions. Autant il aime à soulever des problèmes qui ne le concernent pas et qui sont très loin de lui, autant il redoute ceux où il risquerait d'être directement engagé. Et tout dans la vie moderne est organisé pour donner à l'homme un sentiment de sécurité, de fausse sécurité, mais comment faire pour qu'il sente que cette sécurité est fausse ? Ce serait proprement la mission de ceux qui ont un rôle d'éducateurs, prêtres et pasteurs, parents, maîtres, de rendre les âmes sensibles, et on comprend bien ce que je veux dire par là : il s'agit d'une espèce de sensibilité métaphysique. Si cette sensibilité-là nous manque, nous aurons beau avoir construit les raisonnements les plus admirables, édifié les théories les plus cohérentes, nous n'entrerons pas dans les choses. Mais où sont ceux qui sont capables de ne pas trop croire à leurs systèmes et qui acceptent de recevoir des leçons, et même mettent toute leur bonne volonté à les bien recevoir ? Se mettre soi-même à l'école avec les hommes, c'est sans doute le plus merveilleux enseignement qu'on puisse leur donner. Découvrir avec eux la nature, les hommes, Dieu. Nous y introduire avec eux. Le malheur est que nous substituons toujours notre propre leçon à celle des choses. Nous voulons toujours professer, discuter, prouver. Ce ne sont pas les choses que nous enseignons, c'est nous. 40:37 L'HOMME SE DÉFAIT parce qu'il substitue à l'ordre vrai un arrangement de son esprit, et je vois que je vais encore parler un langage incompréhensible, car qu'est-ce qu'un ordre vrai, et tout n'est-il pas un arrangement de notre esprit ? Est-ce que la question de Pilate ne retentira pas aussi longtemps qu'il y aura des hommes : « Quid est veritas ? » Mais c'est l'ordre de la vie qu'il faut découvrir, et il ne ressemble pas aux ordres que nous fabriquons : il n'est pas possible de l'analyser et de le décomposer en parties à notre gré, il ne pourrait subir cette opération sans périr. Il est exact que la vie se développe naturellement sel ou des plans déterminés : il y a le plan du monde physique, il y a le plan intellectuel, il y a le plan de la vie de la grâce, avec entre eux d'étranges correspondances. C'est que l'ordre naît toujours de la vie ; mais, chose curieuse, la vie ne s'est pas précisément préoccupée de nous donner des modèles de plans, pour que nous en fassions d'autres, qui naturellement seraient différents et bien plus beaux que les siens. Il en est de même de la pensée, puis qu'elle est de la vie ; elle a aussi ses plans, qui ne ressemblent pas ordinairement à ce que les professeurs appellent des plans ; et nous connaissons des gens qui font d'admirables plans où il n'y a pas l'ombre de pensée. Et c'est même une des choses qui m'inquiètent : c'est que l'homme moderne montre un goût de plus en plus prononcé pour les plans, quinquennaux ou autres. Dès qu'on se met à faire des plans, c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas, c'est qu'il y a une paralysie de la pensée, et il faut être sur ses gardes, parce que, sans s'en apercevoir, on pourrait bien avoir oublié dans un coin la vérité vivante : nos plans sont si bien faits, tout y a été si parfaitement prévu et agencé, -- qui sait ? -- qu'il n'y reste peut-être plus de place pour elle. L'homme se défait parce qu'il croit qu'il va faire mieux que ce qui existe, parce qu'il ne voit plus et qu'il ne sent plus qu'il est dans un ordre vrai : alors il se détache des choses vraies, le voilà désormais séparé et ne tenant plus à rien ; lui-même, comme un assemblage mal ficelé de parties qui ne savent plus pourquoi elles sont liées ensemble, commence à se décomposer. Quand on réfléchit sur les miracles de Jésus, on s'aperçoit qu'ils répondent à une nécessité profonde, qui va plus loin que ce qu'on croit d'ordinaire. 41:37 Sans doute Jésus fait des miracles pour affirmer Sa toute-puissance et Sa divinité : il sont la marque indubitable qu'il est bien le Messie annoncé ! Mais il y a autre chose : les miracles interviennent pour nous prouver que l'ordre du monde est bien un ordre vrai, et non pas un caprice du hasard ou une fantaisie de l'imagination. S'il n'était pas vrai, même un miracle n'y pourrait rien changer, puisqu'on ne saurait même parler de changer quelque chose qui n'est pas. IL NE FAUT POINT nous inquiéter des choses qui nous dépassent. Combien d'objets dans le monde sont à notre portée ? Mais l'homme aujourd'hui n'a plus aucune connaissance véritable, et, ce qui est grave, c'est qu'il n'a pas la moindre envie d'en avoir, il ne veut que des « informations ». Comment lui rendre le goût de connaître, c'est-à-dire d'entrer dans l'ordre des choses, car il faudrait les *voir,* on doit toujours en revenir là. Et je vois ici s'approfondir encore la signification des miracles de Jésus. Car s'il faut un miracle pour changer cette eau en vin, c'est que cette même eau est déjà un miracle. Au fond, la grande réforme de toutes les réformes serait de jeter un autre regard sur le réel, un regard vrai qui découvrirait un monde vrai. Mais je m'aperçois que je ne puis vraiment parler que pour moi-même, parce qu'il n'y a aucune probabilité que personne songe : à me suivre dans ce chemin ; car je n'apporte pas de « plan », et je ne propose pas de « technique ». Dans ce siècle qui parle beaucoup de révolutions, il est parfaitement ridicule d'instaurer une révolution qui consisterait à changer la qualité d'un regard ! Et pourtant les seules révolutions qui vaillent, celles dont l'humanité a besoin de temps en temps, ne sont rien d'autre qu'une certaine façon nouvelle de se tourner vers les choses et d'y pénétrer. Pour moi, je sais simplement que j'ai une leçon à apprendre de ce monde dans lequel je suis placé, de ce monde qui est vrai et non pas absurde ; on me demande, non pas de rester timidement à la porte, comme font ceux qui préfèrent se délecter des jeux de l'intelligence ou des délires de la passion, mais d'y entrer à fond, en pratiquant cette grande vertu aujourd'hui si méconnue, qui est l'attention. J'ignore si j'aurai un jour quelque chose à donner, mais je sais que j'ai à recevoir et qu'il me suffit d'être attentif. Cette leçon, ce n'est pas par la science que je la comprendrai, ni même par l'analyse philosophique. 42:37 L'attention qui est requise de moi, c'est l'attention contemplative, celle dont tous les hommes sont capables, aussi bien les illettrés que les hommes de science, aussi bien les Noirs que les Blancs : elle consiste simplement dans une disposition à recevoir des lumières que nous sommes grandement indignes de recevoir, et qui sont les seules qui vaillent. Cela veut dire qu'il me faut radicalement bannir de moi cette inclination que j'aurais à croire que je fais grand honneur à ces lumières de les accepter, et que je demande au préalable un examen critique de ma raison. L'orgueil intellectuel est peut-être le pire de tous, il se condamne lui même à rester à la porte du vrai. Cela ne veut pas dire que je m'interdis de raisonner, ma raison a encore d'assez belles choses à faire, mais elle doit savoir qu'il y a des lumières infiniment plus lumineuses que les siennes, des lumières qui sont simples, et c'est pourquoi elles ne s'analysent pas. Et qu'elle ne s'imagine pas que c'est là du sentimentalisme à la Rousseau. Il y a bien des manières différentes de sentir. Beaucoup d'hommes ne sentent pas au-delà de leur épiderme, et cette espèce-là me paraît de plus en plus répandue. Il y en a d'autres qui sentent avec leur âme, avec cette pointe de l'âme qui connaît et qui aime à la fois. Les mots du langage expriment mal les choses. Quand saint François pleurait, il ne pleurait pas les mêmes larmes que Rousseau, et de même lorsque Pascal écrivait sur ce parchemin, à propos duquel Valéry a cru spirituel d'ironiser : « Pleurs, pleurs de joie ». C'est dans ce sens que Pascal aimait à répéter, ainsi que nous l'assure Mme Périer, que la Sainte Écriture était une science, non pas de l'esprit, mais du cœur. ENCORE UNE FOIS je n'ose parler que pour moi. Les hommes voyagent avec une espèce de frénésie, et j'ai de moins en moins envie de bouger ; ils veulent savoir ce qui se passe très loin d'eux, et je m'aperçois que je suis fait pour voir ce qui est tout près de moi, que l'univers entier m'est donné dans ce petit monde de choses banales et usées que j'embrasse à chaque minute du regard, que tous les hommes ne sont donnés à travers ceux qui communiquent réellement avec moi, ceux de ma famille et de mon village. Je sais que du journal et de la radio je ne puis tirer aucune connaissance, radicalement rien. 43:37 Mais de ce qui est sous mes yeux et à la portée de ma main, je puis tirer la seule connaissance qui vaille, celle des merveilles de la grâce : il ne faut pour cela qu'avoir le désir d'interroger les choses et la vie, mais un désir pur. Et la pureté du désir tient toute dans ceci : qu'il me faut accepter d'avance que la vérité ne sera pas toujours conforme à mes concepts et qu'elle me montrera un visage inattendu -- et surtout qu'elle me demandera d'abandonner quelque chose de moi-même. Si nous nous plaçons dans cette disposition du cœur, il est impossible que nous ne découvrions pas que l'ordre des corps et l'ordre des esprits, pour reprendre la distinction de Pascal, postule l'ordre de la charité, sans quoi ils ne signifient rien. Le désordre du monde moderne nous donne une grande leçon : c'est que la perte de la foi amène la perte de l'intelligence et celle de la sensibilité. En perdant le goût des choses d'en haut, nous avons perdu le goût de quoi que ce soit. La réforme à faire est très simple, peut-être trop simple, puisqu'il paraît que les choses simples sont les plus difficiles. Pour la faire, il ne suffit pas d'avoir des idées justes, il faut encore les vivre ; or, si je vois bien quelques hommes qui professent des idées justes, je n'en vois guère qui ont le goût de les vivre, et de les vivre jusqu'au bout, quoi qu'il puisse arriver. J'aime les humbles et les silencieux, ceux qui essayent simplement d'être, c'est-à-dire de se conformer à cette volonté de Dieu qui est sur eux, et qui ne peut pas ne pas leur être révélée s'ils sont attentifs. Ceux-là atteignent la vraie connaissance, d'où peut découler, si Dieu le permet, la vraie action sur le monde. Jésus n'a pas demandé à ses Apôtres des choses extraordinaires : Il leur a demandé d'être des témoins. Aujourd'hui, comme aux premiers temps du Christianisme, les hommes seront sensibles à un témoignage, au témoignage de la vie et non du discours, et je crois qu'ils ne peuvent être sensibles qu'à cela. Il faut donc vivre, non pas d'une vie médiocre et chétive, mais de la vie du Christ, qui est le seul réformateur. André CHARLIER. 44:37 ### Qu'avez-vous fait des communistes convertis ? *Seconde lettre d'Henri Barbé* Henri Barbé, ancien dirigeant du Parti communiste français et de l'appareil communiste international, aujourd'hui converti à la foi catholique, continue de nous faire part de son expérience. C'est la première fois depuis sa conversion qu'il s'exprime publiquement sur ces problèmes. Le point de départ de ces réflexions a été la publication, dans un organe catholique, d'une remarque incidente mais incisive contre « *les communistes convertis qui brûlent ce qu'ils ont adoré* » insinuant qu' « *ils ne sont peut-être pas les mieux placés pour dégager une position constructive et française* ». Nous avions, dans l'éditorial de notre n° 33, « Conditionnement à la non-résistance », exposé que la question des communistes convertis ne devrait être ni traitée ni écartée d'une manière aussi sommaire. La première lettre d'Henri Barbé a paru dans notre numéro précédent (n° 36). 45:37 Mon cher Madiran, Voici donc une seconde lettre. Il y aurait tellement à dire au sujet des anciens communistes convertis. Ils sont d'ailleurs plus nombreux qu'on ne le pense généralement. C'est peut-être pour cela qu'on a tenu à réagir contre eux dans certains milieux. J'en connais personnellement plusieurs qui ont occupé dans le Parti communiste des fonctions souvent très importantes. Ils n'ont pas, eux non plus, éprouvé le besoin de faire connaître à son de trompe leur évolution et leur conversion. A plus forte raison, ils ne réclament rien de ce fait. Que les clercs et les autres qui affirment gratuitement que les anciens communistes convertis ne doivent pas se mettre en avant, soient donc rassurés. Seulement, ajouterai-je, qu'on ne fasse pas d'eux des espèces de suspects permanents et encore moins des renégats pestiférés ! D'autant que vous avez absolument raison de poser le problème comme vous l'avez fait à plusieurs reprises. Il serait extrêmement utile, intéressant et important d'entendre ces anciens communistes convertis. Il faudrait les aider à expliquer les cheminements de leur évolution spirituelle, les causes profondes de leur rupture avec le communisme et l'aboutissement de l'expérience qu'ils ont accumulée dans le mouvement communiste. \*\*\* Je m'excuse de revenir sur ce que j'avais dit dans ma lettre précédente, mais il est, hélas, nécessaire d'insister. Je mentionnais le fait que des *centaines de milliers* de personnes sont passées dans les organisations communistes mais les ont quittées. Ceci est tellement vrai que les dirigeants communistes ont trouvé un mot pour caractériser cette situation, ils appellent cela le défaut de « la passoire ». Il est intéressant de noter les chiffres publiés à l'occasion du récent congrès du Parti tenu fin juin dernier à Ivry. On y relève que sur 511 délégués représentant la fine fleur du P.C., seulement 18 sont adhérents de la fondation du Parti (1920) ; 38 sont des adhérents d'avant 1930 ; et 79 ont adhéré entre 1931 et 1937. Les « vétérans » et les militants anciens ne sont donc plus très nombreux. Ce n'est pas qu'ils soient morts, mais LA PLUPART D'ENTRE EUX ONT ABANDONNÉ UN PARTI QUI LES A PROFONDÉMENT DÉÇUS ET SOUVENT ÉCŒURÉS par son comportement, ses exigences tyranniques, ses méandres contradictoires et *le divorce constant entre ce qu'il promettait et ce qu'il réalisait.* 46:37 Pour ces « anciens » qui ont quitté le P.C. souvent sans crise bruyante, le Parti n'était plus, ce qu'affirment toujours avec audace ses dirigeants, le seul Parti qui unit constamment la théorie et la pratique révolutionnaires, la pensée et l'action, mais au contraire le Parti qui camouflait (derrière une théorie révolutionnaire : le marxisme léninisme) son empirisme, son opportunisme et son gaspillage d'énergies et de dévouements. La plupart de ces « anciens » ont cherché à comprendre les raisons et les causes de cette dégénérescence du Parti qu'ils avaient imaginé. Et presque tous sont arrivés à la même conclusion : le P.C. n'est pas un parti révolutionnaire, il n'est pas non plus un détachement en France d'un puissant mouvement révolutionnaire ouvrier international. La fameuse notion de *l'internationalisme prolétarien* qui avait pu encore faire illusion pendant l'existence de l'Internationale communiste (Komintern) s'était ouvertement transformée, par l'affirmation du rôle dirigeant du P.C. de l'U.R.S.S. sur l'ensemble des autres partis communistes, en subordination politique et pratique de tous les P.C. à Moscou c'est-à-dire à Staline. M. Thorez peut essayer depuis quelque temps de camoufler cette situation en affirmant que la formule de *l'attachement inconditionnel* des communistes français à l'U.R.S.S. ne doit plus être utilisée. Ce faisant, il entend corriger une « maladresse » mais le fait demeure avec ou sans formule malhabile. Et le même Thorez continue à répéter que « la pierre de touche qui permet de juger un bon communiste c'est son attachement à l'Union soviétique ». \*\*\* La révélation de cette *étroite subordination à l'État soviétique* a d'autant plus frappé les anciens et nombreux communistes (d'origine manuelle ou intellectuelle) qui ont quitté le P.C., qu'il existait au fond d'eux-mêmes des survivances des traditions révolutionnaires françaises et des principes, disons de morale générale, absolument différents et divergents de ceux prônés par le bolchevisme de Lénine et à plus forte raison de la cruauté monstrueuse de Staline. 47:37 C'est d'ailleurs ce qui explique pourquoi les dirigeants soviétiques de Moscou et leurs « disciples » de la direction du P.C. français ont opiniâtrement et systématiquement combattu pour « *extirper* » les « survivances de l'anarcho-syndicalisme, du socialisme idéaliste et démocratique, et de l'humanitarisme pacifiste » dans le mouvement ouvrier français. Tout en se réclamant des traditions de ce mouvement ou en tentant de s'annexer Jean Jaurès afin de flatter et de tromper les socialistes. Quant à la morale générale des militants ouvriers et à leurs principes qui relevaient surtout d'un humanisme d'origine chrétienne, même quand ils étaient ou croyaient être athées, Moscou et ses représentants en France les qualifiaient avec mépris de « préjugés petit-bourgeois et contre-révolutionnaires ». Le divorce entre la théorie révolutionnaire et la pratique politique constante du Parti subordonnant ses actes essentiels à la diplomatie et aux intérêts de l'État soviétique, d'une part ; et d'autre part la contradiction entre la morale, les principes traditionnels du mouvement ouvrier français, et ceux du bolchevisme léninien ou stalinien ; telles sont, à mon avis, les causes générales qui expliquent la rupture des anciennes générations de militants communistes avec leur Parti. \*\*\* Peut-être penserez-vous que je m'écarte du sujet, c'est-à-dire du problème des anciens communistes convertis ou à convertir. Je ne le crois pas. Les causes profondes et générales de la rupture des anciens communistes avec leur Parti ne constituent pas un phénomène négatif. Elles font naître et provoquent parmi ceux qui abandonnent le communisme d'autres réflexions et d'autres réactions. La cassure avec le P.C. a souvent été pour les anciens militants un véritable déchirement et une réelle crise. La révélation de l'imposture du Parti, de son état de dépendance, de son rôle exclusif de pion sur l'échiquier soviétique, de conceptions et de méthodes d'appareil qui anéantissent toute libre détermination et toutes les traditions authentiques du mouvement ouvrier, cela fait germer, parmi ceux qui rompent, des éléments positifs. Le retour à la patrie et à l'esprit national, la renaissance des principes humanitaires et parfois même un certain idéalisme qui entame sérieusement la formation matérialiste et athée. 48:37 C'est pourquoi il est très compréhensible de trouver un nombre assez important d'anciens communistes qui, avec l'aide de Dieu, ayant poussé plus loin leurs réactions et leurs réflexions, se sont convertis au christianisme et sont rentrés dans l'Église. \*\*\* Pour les générations communistes plus jeunes, le problème est un peu différent. Dans les chiffres déjà cités et publiés à l'occasion du récent congrès du P.C., on constate que 75 % des militants communistes actuels sont des adhérents venus au Parti de 1945 à 1953. La plupart d'entre eux ont cru au patriotisme et à la politique nationale affirmés par les dirigeants communistes. Ils ne connaissent pas l'authentique histoire du Parti communiste. Ils n'en savent que ce que leurs dirigeants veulent bien leur raconter. Pour une partie importante de ces nouveaux cadres communistes, le problème de la subordination à l'U.R.S.S. ne se pose pas de la même façon que pour les anciens du Parti. Pour ces nouveaux cadres communistes joue le phénomène de puissance. L'U.R.S.S. c'est l'énorme puissance militaire, économique et politique. Il est par conséquent positif d'être appuyé sur elle. Le « camp socialiste », c'est-à-dire le bloc soviétique dirigé par le P.C. de l'U.R.S.S., est invincible et en définitive doit conquérir le monde. Il faut donc être avec lui. Les anciens militants du P.C. qui ont rompu avec lui étaient au fond des révolutionnaires romantiques, humanitaires, traditionnels, patriotes et internationalistes, mais libres et indépendants. Les nouveaux cadres du P.C. ignorent l'internationalisme : ils sont soviétiques et même impérialistes soviétiques, les méthodes d'appareil ne les choquent pas, ils s'y sont intégrés et souvent en profitent matériellement. Ils ne sont étonnés par aucune exigence de l'appareil central du Parti. On peut faire de certains d'entre eux ce qu'on veut, même des espions, sans qu'ils réagissent comme les anciens militants. \*\*\* 49:37 Mais ce ne sont tout de même pas de vrais robots. En dépit du pilonnage des écoles de cadres du P.C., malgré les falsifications qui dominent l'enseignement politique du Parti, et à cause précisément de la démagogie nationale et patriotique de la direction du P.C., ces nouvelles générations communistes sont *très vulnérables* et ne peuvent ni ne doivent être considérées comme perdues. Pour elles aussi, mais sur un autre plan, le divorce entre les affirmations patriotiques et nationales des dirigeants et leur étroite subordination à la politique impérialiste soviétique finira par causer des ravages. C'est, en tout cas, dans ce sens qu'il faut aborder ce problème. L'expérience soviétique nous montre que les jeunes générations de l'U.R.S.S., pourtant absolument coupées du monde extérieur, entièrement formées par l'État soviétique sur des bases matérialistes et athées, fournissent des milliers et des milliers de jeunes croyant en Dieu. Grâce à Dieu les jeunes générations ne se laissent pas pervertir *complètement* par l'appareil monstrueux et par la propagande effrénée du communisme, même là où il a le pouvoir depuis près d'un demi-siècle. Raison de plus pour s'efforcer de regagner à la patrie et à l'Église les anciens et surtout les nouveaux cadres et militants communistes fourvoyés dans ce Parti de l'imposture. Avec Dieu, avec l'Église, par la prière et aussi par la contre-propagande organisée. Henri BARBÉ. 50:37 ### L'analyse marxiste de l'économie est-elle matérialiste ? par Marcel CLÉMENT #### I -- Une responsabilité de Mounier Lorsque Emmanuel Mounier soutenait « *qu'il ne s'agit plus de déduire des Encycliques une* « *doctrine sociale chrétienne* » *qui s'essouffle, péniblement pour son prestige, à cinquante ans en arrière du développement des idées et des faits* » ([^5]), il ne contribuait pas seulement à jeter le discrédit sur cette doctrine sociale chrétienne. Il contribuait aussi à ouvrir aux catholiques les portes d'autres doctrines, pourtant explicitement condamnées par l'Église. Son influence, sur ce point, a donc été double. Il est responsable du discrédit dans lequel, spécialement après 1945, l'expression « doctrine sociale de l'Église » est tombée en divers milieux catholiques. A la suite du maître laïc, nombreux furent ceux, laïcs ou non, qui s'efforcèrent de trouver d'autres mots, qui ne signifiaient pas la même chose. On proposa : « exigences chrétiennes en matière sociale », et aussi diverses expressions finissant par les mots « d'inspiration chrétienne ». Aujourd'hui encore, les disciples de Mounier qui inspirent le syndicalisme chrétien au Canada poursuivent cette œuvre de dissolution doctrinale : au congrès de la Confédération des Travailleurs Chrétiens du Canada qui s'est tenu en septembre dernier, l'ordre du jour comprenait la rupture avec la Doctrine sociale de l'Église et l'introduction dans les statuts d'une vague référence à la morale sociale du christianisme. 51:37 *En France,* ont allégué les disciples canadiens de Mounier, *la* C.F.T.C*. a d'ailleurs montré l'exemple sur ce point :* Il a fallu, on se le rappelle, l'insistance avec laquelle le Pape Pie XII employait les mots « Doctrine sociale de l'Église » dans le moment même où des laïcs chrétiens les rejetaient ostensiblement, il a fallu aussi un communiqué de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, pour rétablir une certitude à ce sujet. Une certitude, toutefois, qui n'est point encore, loin de là, acquise chez tous les chrétiens. Simultanément, l'influence intellectuelle de Mounier a contribué à ouvrir aux catholiques les portes d'autres doctrines que la Doctrine Sociale de l'Église. Nous avons étudié par quel processus intellectuel son souci d'efficacité et d'adaptation lui a semblé suffisamment justifier cette « audace » ([^6]). Le monde chrétien, affirme t-il, à l'égard « *des propositions et des valeurs qui sont nées, en matière temporelle, en dehors de son climat sociologique, aura bien plus souvent, aujourd'hui, à assumer* (*en corrigeant, sans doute*) *qu'à incarner* » ([^7]). Lorsqu'il parle des propositions et des valeurs qui sont nées en dehors du climat sociologique chrétien, Mounier songe aux socialismes contemporains et le dit très explicitement. Voilà neuf ans que Mounier est mort. Les erreurs que son œuvre a contribué à répandre continuent leur carrière. Ils sont encore nombreux ceux qui aujourd'hui pensent de bonne foi que les chrétiens doivent « assumer les valeurs » du socialisme, voire du communisme. Il n'y a pas si longtemps que, devant nous, le conseil était donné à un conférencier qui devait traiter du communisme, de « bien faire la distinction entre la philosophie du communisme, qui est matérialiste et athée, et l'analyse économique que les marxistes ont faite du capitalisme qui, malgré des erreurs, contient beaucoup d'éléments valables ». Celui qui donnait ce conseil ajoutait que, faute d'une telle distinction fortement soulignée, une conférence faisant le procès du communisme risquerait finalement de faire plus de mal que de bien ! 52:37 Il n'est nullement question, cela va de soi, de faire le procès des intentions : dans le cas de Mounier lui-même, nous avons précisément insisté sur la coexistence de la générosité de l'âme et de la fausseté de la doctrine, Mais il n'est pas possible de taire les ravages que les erreurs de cette doctrine font dans les intelligences, spécialement dans les intelligences des étudiants catholiques. C'est pourquoi nous croyons opportun de poser la question suivante : *L'analyse marxiste de l'économie est-elle en elle-même neutre et susceptible d'être baptisée, -- ou est elle en essentielle connexion avec le matérialisme de sa philosophie ?* Nous voudrions dans ces pages davantage poser le problème et en tenter une première « approche », comme disent les Américains, que de chercher à le traiter complètement et avec précision... A cause des passions intellectuelles, il semble en effet qu'après vingt ans d'influence de la revue *Esprit,* il faille plutôt commencer par éveiller le doute ! #### II -- Les chrétiens à l'école de Marx Il en va des frontières intellectuelles comme des frontières en géographie politique : elles sont mouvantes, discutées, difficiles à établir. Prenons des exemples. Au XIX^e^ siècle, le libéralisme économique apparaissait comme un dogme qui se confondait avec la science économique elle-même. En dehors d'une poignée de catholiques sociaux, la majorité des chrétiens d'il y a cent ans ne percevaient aucune incompatibilité entre leur foi catholique d'une part et d'autre part une adhésion intellectuelle et pratique sans réserve aux dogmes du libéralisme économique. *Dès cette époque, on voit apparaître des arguments qui ont été, depuis, repris pour un autre usage.* L'Économie, disait-on, a ses lois propres qui sont des lois naturelles et qu'il faut à tout prix laisser jouer sans entrave. Les préoccupations morales ne doivent donc pas intervenir pour fausser le jeu sacro-saint de l'offre et de la demande. La frontière intellectuelle entre la loi morale qui oblige en conscience, et la loi économique dont le libre fonctionnement conditionne le progrès, semblait définitivement fixée. 53:37 Les épouvantables conséquences sociales du libéralisme ont finalement éveillé des doutes dans l'esprit des théoriciens les plus entêtés. Aucun chrétien ne s'aviserait aujourd'hui de défendre le libéralisme pur et rigoureux de 1840 en soutenant la distinction radicale du domaine moral et du domaine économique, -- entre les affaires de la morale, et la morale des affaires ! Nous assistons pourtant à un spectacle symétrique. Des chrétiens estiment qu'il faut être catholique en matière de foi et socialiste en matière d'économie. Ils considèrent que l'analyse des faits économiques opérée par Marx et les socialistes se développe sur un terrain purement technique, une sorte de *no man's land* où les croyants et les matérialistes peuvent s'entendre puisqu'il s'agit, leur semble-t-il, de questions parfaitement neutres. Telle fut la conviction de Mounier, et qui soutient *toute son œuvre.* C'est en définitive le juste tracé de la frontière entre le domaine propre de la morale chrétienne et le domaine propre de la science économique qui depuis cent ans semble notoirement obscurci, chez les chrétiens « libéraux » non moins d'ailleurs que chez les chrétiens « socialistes », -- si tant est que l'on puisse employer de telles expressions ([^8]). Il n'est pas douteux qu'il y a dans l'économie des aspects que l'on peut dire purement techniques. Le choix entre la monnaie métallique, fiduciaire et la monnaie scripturaire, la technique de la lettre de change et d'autres choses semblables obéissent bien évidemment à des nécessités pratiques dans lesquelles, *simpliciter,* la morale n'a nullement à intervenir. Par ailleurs, il est des domaines, nombreux et très étendus, de la vie économique, qui relèvent très certainement de la morale : la justice de la rémunération, celle des prix, la moralité des investissements, en fournissent des exemples connus. Sur ces points, l'accord des esprits est facile à faire. \*\*\* Il semble plus délicat à réaliser quand il s'agit de savoir si l'analyse marxiste de la plus-value relève d'une pensée économique neutre ou bien si cette analyse est en essentielle dépendance du matérialisme dialectique. Si l'analyse économique de Marx est neutre, elle constitue une « valeur » qui s'est développée en dehors de la chrétienté, mais que le chrétien peut « assumer », de même qu'il peut reprendre sans aucun inconvénient les découvertes physiques et chimiques faites par des savants matérialistes. 54:37 Si au contraire cette analyse économique est en connexion organique avec la philosophie profonde qui inspire tout le reste de la pensée de Marx, il est évident qu'elle ne peut être que rejetée. Ainsi, le problème est clairement posé, et devrait être facilement soluble. S'il ne l'est pas, spécialement pour tous ceux qui sont, directement on indirectement, les fils spirituels de Mounier, c'est que celui-ci estimait qu' « *en matière notamment politique, sociale et économique, le monde chrétien dans son ensemble est dans un retard parfois considérable sur le monde tout court. En ces matières donc,* UNE ÉLÉMENTAIRE HONNÊTETÉ MORALE ET INTELLECTUELLE *veut qu'au lieu de dogmatiser, de déduire hâtivement n'importe quoi de n'importe quoi,* LE CHRÉTIEN SE METTE A L'ÉCOLE » ([^9]). Il faut peser, un à un, de tels mots (qui ont été repris de cent manières depuis, et qui ont martelé la tête des catholiques). Ils signifient que le monde chrétien doit se mettre à l'école des socialistes s'il veut combler son retard en matière sociale et économique, et que c'est pour lui un devoir D'ÉLÉMENTAIRE HONNÊTETÉ MORALE et intellectuelle que de le faire. Il n'est pas surprenant dès lors que ceux qui suivaient Mounier sans véritable esprit critique se soient, sans tarder, mis à l'étude du *Capital* de Karl Marx persuadés que l'avenir de l'Église catholique dépendait de l'intégration, par les chrétiens, d'une pensée économique socialiste providentiellement destinée à établir la justice sur la terre. #### III -- La valeur économique et ses postulats L'essentiel du matérialisme dialectique, c'est-à-dire de la philosophie qui fonde toute la pensée de Marx est enveloppé dans cette phrase extraite d' « Économie politique et philosophie » : « *La nature et l'homme existent de leur propre chef... Toute la prétendue histoire du monde n'est rien d'autre que la production de l'homme par le travail humain.* » ([^10]) 55:37 Tout Marx est là : sa philosophie, et sa sociologie, et son économie. Le fil conducteur de sa pensée, c'est la haine de l'idée de création. Mieux que beaucoup, mieux peut-être que beaucoup de croyants, Marx a compris que, si l'homme est *créé* par Dieu, l'homme est *dépendant* de Dieu. Et Marx ne veut pas être dépendant. Il ne veut pas que l'homme soit livré à plus grand, à plus puissant, à meilleur que lui. Profondément ce qu'il nomme « aliénation » religieuse, c'est l'adhésion de ltl volonté humaine à la volonté divine. L'homme, lui semble-t-il, est rendu étranger à sa propre nature, « aliéné », dans la mesure même où il obéit, c'est-à-dire dans la mesure où il se livre à la volonté d'amour de son Créateur. L'homme n'est pas crée... donc il n'est pas dépendant ! Il est indépendant. Il se produit lui-même. Lorsque Marx dit : l'homme, il pense non à l'individu, mais à l'espèce humaine envisagée comme un tout. Cet homme total se crée lui-même par son travail. Ce travail, c'est son essence même. Remarquons en passant l'opposition violente, l'opposition absolue qui existe entre l'homme chrétien et l'homme marxiste. L'acte propre de l'homme, dans la conception chrétienne, celui qui le conduit à sa fin, c'est l'union de son intelligence à l'intelligence de Dieu, c'est l'union de sa volonté à la volonté de Dieu. Cette union de volonté, c'est cela que les auteurs spirituels nomment *l'amour* et c'est précisément parce que la religion du Christ est une religion d'amour qu'elle fait l'unité des esprits dans la Vérité et l'union des cœurs dans la Charité. L'acte propre de l'homme, dans la conception marxiste, c'est *le travail.* La société humaine au travail, pour Marx, c'est la matière pensante en évolution capable de se fabriquer elle-même, de se produire elle-même, de se créer elle-même. Le travail personnel ne représente rien. C'est le travail social qui réalise pleinement l'entreprise prométhéenne de l'humanité se déifiant par sa propre volonté, et n'ayant pas d'autre volonté que celle précisément de ne devoir qu'à elle-même sa propre excellence. On comprend dès lors pourquoi les chrétiens s'efforcent vers le salut et célèbrent la gloire de Dieu, c'est-à-dire la louange de l'Amour, cependant que les marxistes s'efforcent de gagner l'univers et célèbrent la gloire du travail social en quoi consiste *toute valeur.* Dans les deux cas, c'est bien la gloire suprême que l'on veut manifester, la gloire du principe premier, de la Cause première. 56:37 Pour les marxistes, le principe premier c'est le travail social. Il exprime l'essence même de l'humain, son pouvoir d'auto-création et, l'aliénation religieuse étant démasquée, son pouvoir d'auto rédemption. Insensiblement, la pensée de Marx établit une continuité entre la philosophie matérialiste et l'économie politique. Car si le travail constitue philosophiquement la valeur suprême, il constitue, économiquement, la valeur d'échange des biens. Marx, comme on le sait, explique la valeur d'échange des biens économiques par la quantité de travail social moyen matériellement incorporé dans ces biens. Sur cette théorie de la valeur repose toute l'analyse économique marxiste. On en a pris l'habitude. Ceux qui, dans l'innocence de leur cœur, s'efforcent d'étudier les faits économiques contemporains avec les concepts de Marx semblent n'en éprouver aucune gêne. Ils ne se rendent pas compte que l'apologie de la socialisation et du collectivisme, la description « scientifique » de la plus-value capitaliste, la théorie « scientifique » du profit, du capital, etc. qu'ils utilisent sont entièrement fondés sur un postulat matérialiste invisible, dissimulé dans la théorie de la valeur. Si Dieu n'existe pas, il n'est ni le principe ni la fin de l'homme. Quel peut-être alors le principe de l'homme ? L'homme lui-même, -- qui se produit. Quelle peut être sa fin ? Non plus la possession du bien infini : Dieu, mais la possession, en quelque façon infinie, de l'homme par lui même dans son effort pour se créer. C'est donc parce que Dieu n'existe ras, et pour cela essentiellement, que Marx réduit la valeur économique à n'être rien d'autre qu'une réalité matérielle : le travail social accumulé. Si Dieu existe, la valeur en général, c'est l'appréciation de tout ce qui permet d'aller à Dieu : La valeur d'échange d'un bien économique, c'est l'appréciation de l'utilité de ce bien -- donné par Dieu ou fabriqué par l'homme -- en tant qu'il *permet* à l'homme d'atteindre plus aisément sa fin. Si Dieu n'existe pas, la valeur, en général, c'est tout ce qui accroît l'indépendance de l'humanité. Or c'est par le travail social que l'humanité se produit et atteint l'indépendance. La valeur d'échange d'un bien économique, c'est donc la quantité de travail social moyen « coagulé » dans ce bien, et non l'appréciation d'un relais utile pour atteindre à la Fin. 57:37 Les conséquences s'imposent : Si la valeur d'un bien, c'est du travail social « coagulé », toute plus-value capitaliste est du travail social aliéné. Si, à l'inverse, la valeur n'est pas essentiellement le produit de l'homme, mais une appréciation *d'utilité* dont le travail humain est *une des causes,* MAIS NON LA SEULE, -- alors, TOUTE L'ANALYSE ÊCONOMIQUE DE MARX EST SCIENTIFIQUEMENT FAUSSE. C'est précisément le cas. Aux disciples chrétiens de Mounier d'en prendre conscience : l'appareil marxiste de l'analyse économique est essentiellement matérialiste. Il est entièrement fondé sur une théorie de la valeur qui n'est que le prolongement de l'athéisme de la philosophie de Marx. Marcel CLÉMENT. 58:37 ### Une Croisade de vérité par Georges DUMOULIN DEPUIS QUE JE SUIS RETOURNÉ à mon Baptême et aux vérités premières de mon enfance, personne ne s'est avisé de me reprocher la pauvreté de mes connaissances religieuses. Un tel reproche ne serait pas justifié et ne servirait à rien. N'ai-je pas expliqué moi-même que toute ma vie s'était passée au travail, dans la révolte et dans la défense des intérêts des travailleurs ? N'ai-je pas fait connaître que la seule culture expérimentale dont je puisse me réclamer s'est développée dans le Syndicalisme au sein duquel j'ai connu la grandeur et la servitude ? Évidemment j'ai lu, autant qu'il est possible à un esprit curieux de lire et dans les conditions qui étaient les miennes. Mes lectures n'étaient pas des recherches en vue d'accroître mes connaissances et de fortifier mes convictions. Elles étaient passe-temps, diversion, détente, relaxation, comme ils disent aujourd'hui. Elles étaient aussi divertissantes, amusantes et souvent entraînantes. Elles ne résultaient d'aucun programme d'enseignement, d'aucune méthode pédagogique. Elles ne visaient aucun but de promotion ou de parvenance hiérarchique. C'était des lectures libres dans lesquelles le corps, le cœur et l'âme pouvaient recueillir respectivement leur part de satisfaction. La Bible, les Évangiles, l'Histoire sainte ont trouvé leur place -- la meilleure -- dans le cortège des ouvrages et des écrits variés dont je faisais mes nourritures. Mais lire sous cette forme L'implique pas qu'il y ait culture là où se trouve seulement la satisfaction d'un goût. Aussi, je me garde bien de me croire savant, surtout en matière religieuse. Je me fais tout petit, humble et discret quand il est question de théologie, de dogme et de Saintes Écritures. 59:37 Je suis assis sur le banc à côté de ceux qui refont leur apprentissage et qui repassent leurs leçons sur les prières, les actes et les commandements. Le retour à la Maison du Père s'effectue ainsi sans bruit, en regardant comment font les autres quand il faut s'asseoir, se lever, s'agenouiller et prier. L'aveu de mon ignorance est préférable à la prétention de savoir beaucoup. Je me sens ainsi au sein de la vérité en évitant de me mentir à moi-même. Les uns et les autres ne sommes-nous pas en train de constater que le mensonge est devenu le plus grand mal du siècle. Mentir est aujourd'hui une règle, une vocation, un art, une carrière, une profession, une habitude, une coutume, un sport, une culture. AU MENSONGE CLASSIQUE de la diplomatie, de la politique et du journalisme, sont venus s'ajouter tous, les mensonges médiocres, subalternes et sordides de la publicité commerciale, théâtrale, cinématographique et radiophonique. Au mensonge banal qui fut de tous les temps, de tous les pays et de tous les mondes connus depuis Ulysse jusqu'au marseillais Marius, est venu se joindre le mensonge intellectuel, lequel est plus dangereux, le plus malfaisant et le plus capable de corrompre les mœurs d'un pays ; de pourrir les âmes et de tuer une civilisation. Quand il est parlé du mensonge intellectuel, il convient de préciser qu'il ne s'agit pas de mettre en cause tous les intellectuels car il en est de très honnêtes qui n'ont pas abandonné la probité et ne l'abandonneront pas. Il s'agit d'intellectuels spécialisés dans le mensonge et qui en ont fait une vocation. C'est à cause d'eux qu'il existe maintenant un mensonge intellectuel vulgaire appuyé sur un Parti confus, lui-même mensonger et faussaire. Ce monde étrange sait ; il sait parce qu'il a les moyens de savoir, mais, il propage le contraire de ce qu'il sait. Il agit sur l'opinion par le moyen du rebrousse-poil, par ricochets sinueux, par la subtilité dialectique, par le jeu des citations tronquées. Ce monde a laissé dire, sans jamais rectifier, que la Russie Soviétique avait exercé sur lui une véritable fascination. Il a laissé dire en plus que tout ce qui se faisait, tout ce qui se construisait, tout ce qui s'inventait en Russie Soviétique était à l'échelle de la grandeur et à la dimension du gigantesque. Il en a déduit que la Russie soviétique offrait aux intellectuels un immense champ d'expérience où pouvait s'épanouir la volonté de servir. 60:37 Ces mêmes intellectuels ont cru bon d'ajouter que leur propre pays, trop peu étendu et manquant d'imagination, ne leur offrait rien de semblable. Ils ont prophétisé que le capitalisme occidental s'acheminait vers sa fin et n'aurait pas d'autre remplaçant que le Communisme asiatique. S'ils avaient tenu à satisfaire la vérité, ils seraient allés en Russie pour y séjourner et mettre à l'épreuve leur savoir et leur vouloir. Ils ont préféré mentir en essayant d'étendre aux autres Français la fascination qui s'était emparée d'eux. Ils ont tenté de convertir les autres à l'idée que le capitalisme finissant serait automatiquement remplacé par le communisme. Ils ont menti par nécessité et c'est la peur qui les poussera à continuer de mentir. Leur malheureux sort les condamne à trembler devant ce qu'ils espèrent et à compter sur la miséricorde de la tyrannie qu'ils approuvent. Ainsi défini rien n'est plus odieux que le mensonge intellectuel. Les mal logés, les mal nourris, les malchanceux, ceux qui avalent les discours menteurs des intellectuels du Parti, qui ne comprennent rien aux poèmes de M. Aragon et ne voient rien dans les jongleries picturales de M. Picasso, n'ont qu'une ressource : mentir. Ils n'ont qu'une excuse : leur misère. Que leur importe que la Russie soviétique soit un paradadis, un enfer, ou un purgatoire ; ils lui demandent d'être seulement pour eux le symbole de la vengeance. Le sang répandu, les millions de cadavres, l'univers concentrationnaire, sont admis par eux comme un élément de représailles contre ceux qu'ils rendent responsables de leur malheur... Ils se mentent à eux mêmes, par goût, sans qu'il soit nécessaire d'y joindre une part de masochisme et une autre de sadisme. Ces mensonges de la misère sont illustrés et spiritualisés par le mensonge des intellectuels, lesquels prétendent voir dans l'extrême pauvreté de quelques-uns un paupérisme général pesant comme un fardeau écrasant sur le monde du travail et imputable au régime dont ils annoncent l'anéantissement. C'est alors que nous, atteignons à l'immoralité du mensonge, universalisé dans le domaine culturel. Et c'est cela qui est grave parce que c'est le mal du siècle. IL SEMBLAIT QUE L'ARMÉE échappât à ce mal. On la voulait muette, la grande muette, puisant sa force principale dans la discipline, ses vertus dans l'honneur, sa grandeur dans les traditions chevaleresques, son courage dans la volonté de servir. Aujourd'hui elle parle, ou plutôt on la fait parler. Et quand elle parle, on l'accuse de mensonge. Des tortionnaires stalinisés, des émules de Guingoin, ayant approuvé les méthodes appliquées dans les caves de la Loubianka, les tenants du zéro et de l'infini accusent l'armée de pratiquer la torture pour forcer la vérité dans la douleur du corps et l'anéantissement de l'âme. 61:37 L'armée est ravalée au niveau des passages à tabacs et des raclées de poste de police. L'armée est jetée dans les débats publics et dans les colonnes des journaux sans qu'il vienne à l'idée de personne de mettre les tortionnaires accusateurs hors d'état de produire leurs accusations. Ils ont accès à la discussion, ils ont droit à des enquêtes et aux avantages publicitaires qui résultent des interdictions intermittentes des feuilles qu'ils diffusent. Ainsi, le doute demeure et circule comme un venin. La vérité militaire est tenue d'affronter les mensonges dont l'armée est accusée. Une telle plaie ouverte dans un si grand corps n'a pas l'espoir de se cicatriser avec le temps si elle a contre elle la perdurance des procédés morbides issus du culte du mensonge. Que l'on se souvienne de l'affaire Dreyfus ; c'était il y a trois quarts de siècle. Les chefs de l'armée étaient accusés, des procès eurent lieu, des polémistes s'affrontèrent sur les tréteaux des arènes publiques, d'autres firent de la presse une tribune de pamphlétaires, le pays subit les secousses d'un ébranlement moral profond. L'apaisement revint par les voies ordinaires de l'empirisme judiciaire. Mais le doute a-t-il jamais été dissipé ? La vérité a-t-elle vraiment triomphé ? Qui peut le prétendre ? Cet épisode lointain éclaire le présent et conseille à l'armée de se méfier du mensonge ; de ne pas mentir. IL SEMBLAIT QUE LES MORTS seraient épargnés ; ils ne le sont pas ; ils le sont de moins en moins. Les vivants veulent que le mensonge soit au service des morts. Il est rare qu'une tombe recevant le dépôt d'un corps soit le lieu choisi pour la vérité. La seule chance pour elle, est dans l'absence de discours et dans les prières de l'officiant. Mais ces petites affaires de cimetière ne sont pas tourmentantes. Ce qui tourmente c'est le traitement spécial que les vivants ont infligé aux autres morts. Car, il y a les autres morts qui ne sont pas comme tout le monde et au sujet desquels il faut nécessairement mentir. Le survivant veut qu'il soit spécifié qu'il est un ancien combattant, ou encore ancien captif ou ancien du stalag X ou de l'oflag Z ou ancien de Buchenwald. Le survivant est un ancien quelque chose. Il ne dit pas qu'il doit sa vie au hasard, à la chance ou à tous les efforts qu'il a pu faire pour la sauver. Il met sa survivance au compte de l'héroïsme, de ses facultés de résistance, de *son* ardent patriotisme. On peut à la rigueur lui accorder ce privilège sans blesser son amour-propre et sans lui demander ce qu'il a fait de son fusil au moment où il aurait pu s'en servir. 62:37 L'ancien quelque chose n'est pas fait pour comprendre que certains hommes qui ont subi la guerre se seraient parfaitement passés du titre d'ancien combattant -- retraite comprise. La cohorte des survivants exige que l'on parle aux morts selon ses lois. Elle veut que les morts lui ressemblent, qu'ils soient identifiés à elle et que tous soient des héros et des martyrs. Elle n'admet pas que le hasard et la malchance ont fait d'eux des cadavres. Les survivants ne veulent pas que tous ces hommes éparpillés dans les cimetières de guerre, enfouis sous la terre des tranchées, et dont le plus anonyme repose sous une pierre de l'Arc de Triomphe aient tout tenté pour se soustraire à la mort. Les survivants exigent qu'ils soient des martyrs, ayant sacrifié leur vie pour une cause sacrée. C'est ici que le mensonge pend la forme d'un tourment. Mentir aux morts, sans les connaître, sans jamais les avoir consultés, sans savoir ce qu'ils ont pensé et ne parler d'eux que comme des sacrifiés. L'ironie s'en mêle quand les survivants accompagnent les personnages officiels chargés de discourir devant les monuments aux morts. Les pauvres poilus des cimetières sont alors défigurés, transfigurés et rendus méconnaissables par les mérites que leurs attribuent les orateurs. Jamais les Poilus des cimetières, les pauvres morts de champs de bataille n'ont pensé quand ils étaient vivants que de tels flots d'éloquence viendraient rafraîchir la poussière de leurs vieux squelettes sommeillant sous la terre. Ils ne demandaient qu'à vivre et leur jeunesse ne les avait pas fatigués de la vie. Ils avaient une épouse, des enfants ou une fiancée, des frères et des sœurs, un père et une mère, la mort ne les tentait pas. Leurs noms sont là sur ce pan de muraille au sommet duquel l'un des leurs symbolise comme l'a voulu le statuaire le point d'arrêt de ceux qui étaient les ennemis : « Ils ne passeront pas ». Cette formule était dans le subconscient de chacun des nôtres, dans le mien comme dans celui des autres. Pourquoi l'avoir étouffée dans une vaine littérature et dans des propos étrangers à l'esprit du combattant qui risquait sa vie de père pour la rapporter à ses enfants. Pourquoi ce personnage officiel, qui n'avait pas encore l'âge des combats en 14-18 et qui ne l'avait plus en 1939-45 se permet-il de traduire un message que les morts ne lui ont jamais transmis. Il est le pèlerin, le missionnaire du mensonge. 63:37 SI LES DIRIGEANTS des peuples, si les peuples eux-mêmes écoutent la voix de Dieu, si le Christ est entendu, si le St-Père de Rome est compris, il n'y aura plus de guerre sur la terre. Dans cinquante ans les générations qui ont vécu les guerres auront disparu. Les anciens auront été remplacés par des jeunes dont le corps, le cœur et l'âme se développeront dans la Paix. La marche de l'Histoire aura été reléguée dans les manuels pour que les écoliers se rappellent qu'elle fut souvent sanglante et qu'elle a maintenant l'assurance de s'effectuer paisiblement. Les manuels d'histoire n'auront plus d'influence pernicieuse quand les hommes auront la certitude de ne plus verser leur sang. Les livres que nous avons lus, que tous les anciens combattants ont lus pour revivre par la pensée les souvenirs de leurs montée au calvaire resteront enfouis dans les vieux casiers des libraires d'où les jeunes ne les sortiront pas. Les hommes de demain ignoreront les ouvrages de ceux qui s'appelaient et qui s'appellent encore M. Henri Barbusse, M. Roland Dorgelès, M. Léon Werth, M. Andréa Lotzko, M. Éric Maria Remarque. A l'Ouest il n'y aura plus rien de nouveau. Une telle perspective réjouit mon cœur. Elle justifie mes prières et me récompense de mon retour à la Foi. Mais en même temps, un tel avenir m'inquiète à cause précisément de la somme de bien qu'il est capable d'apporter. Les hommes privés de guerre n'auront pas eu le temps ni les moyens ni la volonté de se soumettre à une cure de vérité. Il est à craindre qu'ils aient conservé par transmission héréditaire la hantise, le goût et la nostalgie du mensonge. Les anciens nourrissent leur culte en racontant leurs exploits chez le bistrot et dans leur famille. Ils déconcertent en laissant l'impression qu'ils ne savent rien dire en dehors de leurs histoires de tranchées, de trous d'obus et de coup de pinard. Le redoutable pour les jeunes c'est le vide, l'absence d'éléments fabuleux, la pénurie de contes fantastiques : pas de films à épisodes, ni de pieds gelés, ni de fuites éperdues ; pas d'assauts émouvants, pas de boue ni de fange, pas de cris des blessés ni de râles des mourants ; pas de peur. Rien : la Paix. Les doctrinaires de la violence guerrière -- il s'en trouva en plusieurs pays -- voulurent que les champs de bataille soient pour les hommes un moyen pour se former un idéal en s'évadant du carcan matérialiste. Depuis Hiroshima les doctrinaires ont fait pour leur compte une cure de vérité mais ils ont laissé la jeunesse dans le mortel ennui du vide en proie à la violence civile, à l'houliganisme universel. 64:37 Cette jeunesse, qui mérite la paix ne peut y prétendre que si elle consent à s'imposer cette cure de vérité qui lui épargnera de rechercher ses nourritures intellectuelles dans le mensonge et la haine. Jean XXIII recevant des journalistes leur a rappelé le 8^e^ commandement : « Ne rends pas faux témoignages ». Ce rappel ne s'adresse-t-il pas également à toutes les jeunesses du monde en général et à notre jeunesse des pays chrétiens de l'occident en particulier ? Qu'elle ne rende pas faux témoignage à elle-même en dirigeant ses besoins d'épanchement vers des tâches contraires à l'esprit chrétien, en désobéissant à Dieu. Dans cet ordre d'idée M. Marcel De Corte a fait une découverte troublante qui l'a conduit à l'anti-cléricalisme catholique. Il explique son cas par des propos qui font apparaître un véritable drame de conscience, grave et douloureux ([^11]). Je m'écarte du chemin qu'il prend pour éviter de retourner à l'anti-cléricalisme au moment où le viens de rentrer dans l'Église. J'ai pratiqué jadis, en des périodes où j'avais du temps à perdre, un peu d'anti-cléricalisme parce que c'était la mode chez les gens de gauche. Il serait malséant pour moi de recommencer cette pratique qui justifierait le reproche d'être rentré dans l'Église pour mieux la profaner. Il n'empêche que le drame de conscience dont souffre M. Marcel De Corte va plus loin que sa personnalité ; il s'étend à une collectivité de catholiques et révèle un état de trouble dans le monde chrétien. Cet état est provoqué par un fléchissement parfaitement visible de la probité intellectuelle chez certains prêtres. L'un d'eux a dit : « Après la création Dieu s'est retiré dans les coulisses et a chargé les hommes d'organiser et de gouverner la terre. » C'est ce qui a indigné M. Marcel De Corte. En effet, voir ainsi les choses c'est ouvrir la voie à toutes les audaces philosophiques qui devaient fatalement aboutir à placer la moitié du monde sous l'autorité des Chefs communistes. Voir ainsi les choses c'est admettre que le marxisme peut pénétrer partout. Si je refuse de m'introduire dans un débat qui concerne directement l'Église et qui met des prêtres en cause, je ne renonce pas pour autant à signaler les erreurs qui ont accompagné l'œuvre missionnaire des prêtres ouvriers. Le domaine dans lequel s'est exercé et s'exerce encore ce sacerdoce c'est celui du travail, donc le mien. Point n'est besoin de recourir à l'anti-cléricalisme pour dire ce que l'on pense. 65:37 Les erreurs, même quand elles sont vertueusement garanties par la soutane, obtiennent priorité contre la vérité ; elles s'inscrivent dans le mensonge. Évangéliser les hommes à l'intérieur des usines c'est une mission respectable qui réclame autant de qualités que celle qui consiste à répandre la Foi en Afrique noire. Il faut rassembler à la fois, le courage, l'abnégation et l'esprit de sacrifice pour s'engager dans cette voie. Je suis persuadé que les prêtres ouvriers qui ont accepté ce sacerdoce étaient pourvus de ces qualités et de quelques vertus, supplémentaires. On ne saurait donc mettre en doute leur sincérité concernant le but à atteindre par les moyens qui leur paraissaient les meilleurs. Il n'est pas question pour moi de les quereller sur des mots, de les gronder, à la façon d'un magister, ni de me prononcer sur les modifications apportées dans le fonctionnement de leur œuvre missionnaire ([^12]). J'ai le souci de ne pas m'aventurer dans un domaine qui n'est pas le mien. En fait, il s'agit de l'usine, du lieu où les ouvriers séjournent huit ou dix heures sur vingt-quatre pour y gagner leur vie en exécutant une tâche de producteur. Par sa construction, ses dimensions, son agencement, son outillage, l'usine est à l'échelle moderne, au stade de l'automation et de la chaîne de montage. Elle a ses bruits, ses rumeurs, ses appels, ses cris. Elle a aussi ses odeurs, ses relents, ses fumées, son atmosphère. Toutes choses avec lesquelles les hommes doivent s'accoutumer. L'usine use d'un dialecte, d'un idiome, d'un vocabulaire traduisant le caractère des hommes et la nature de l'établissement. On sait où l'on est et chez qui l'on est. Les hommes portent une marque, celle de leur fabrique. Dans ces vastes hangars, sous ces halls vitrés tout se coalise pour interdire la méditation, tout se dresse contre l'évangélisation et rien n'invite à la contemplation. Pourtant le prêtre ouvrier ose, parce qu'il croit que tous ces hommes sont des païens, des égarés, des perdus, que l'on peut ramener à Dieu par les lumières des évangiles. C'est selon moi l'erreur initiale. Ces ouvriers dans l'usine ne sont pas des païens ; ils n'adorent aucun Dieu, ils ne s'adressent à aucun Saint, ni à aucun sorcier, ni à aucun fétiche. Leur salaire n'est pas l'objet d'un culte, leur travail non plus : travailler pour vivre et non pas l'inverse. 66:37 Dans ce néant spirituel, dans cette absence d'âme, le prêtre ouvrier est, qu'on me permette l'expression, dans le « Noir » ; le perdu c'est lui. Comment va-t-il se retrouver pour aborder sa mission ? Pour l'usine et pour les gens qui sont dedans, il est le curé qui peut, après beaucoup d'efforts, devenir manœuvre spécialisé et occuper un rang inférieur dans la hiérarchie du travail. Peut-on penser qu'étant ainsi parmi ceux d'en bas, il sera mieux placé pour remplir sa tâche spirituelle ? A l'usine, non, l'ascendant moral marche de pair avec la qualification professionnelle. Et si le hasard veut qu'il puise être un cadre, alors il ruinera ses moyens sacerdotaux parce qu'il sera accusé d'être un agent des technocrates. Quel sera son langage ? S'il parle doucement, poliment, patiemment, sans emprunter au vocabulaire et à l'argot, il ne sera pas compris. On ne l'écoutera pas. Or par jeu et par entraînement, il sera tenté d'emprunter le dialecte de l'entreprise. Peut-être le snobisme l'entraînera aux abus, à la déformation et son évangélisation aura perdu ses qualités culturelles. Le prêtre ouvrier voudra être syndiqué. Quel sera son choix ? Dans l'usine, il y a de tout : C.G.T. -- C.G.T.F.O., -- C.F.T.C., -- Indépendants -- autonomes. En adhérant à la C.F.T.C., il serait un peu chez lui, dans un monde qui se dit chrétien et qui fréquente l'Église. Mais il n'ira pas au syndicat C.F.T.C. justement parce qu'il ne veut pas que l'on dise qu'il est allé chez les siens. Il n'ira pas non plus au syndicat F.O. parce qu'il connaît la faiblesse numérique de cette organisation et aussi parce qu'il sait qu'il y serait mal accueilli. Il n'ira pas au syndicat indépendant ni au syndicat autonome parce que ces groupements ne font pas le poids par rapport à son sacerdoce. Notre prêtre ouvrier adhèrera donc au syndicat affilié à la C.G.T. laquelle prolonge le Parti communiste sur le plan économique. Est-il informé de cette disposition stratégique ? Oui, mais elle ne l'arrêtera pas. Dans le privé en méditant, en priant, il aura des doutes. Pris dans le remous il s'engagera néanmoins. Les autres, je veux dire les dirigeants cégétistes locaux, lui faciliteront la tâche en lui ouvrant les portes toutes grandes, en l'assurant de leur esprit de tolérance. Pour eux, l'affaire sera bonne, favorable à leur thèse mensongère de la main tendue. Pour lui, ce sera l'engrenage, le pied dans l'étrier, le chemin du mensonge. Syndiqué, le prêtre ouvrier veut être syndicaliste : il devient revendiquant. Il revendique avec les autres et s'intègre dans la masse réclamante. Quand se tient le meeting public il est appelé à prendre la parole et à occuper parfois la présidence. 67:37 Il parle éloquemment, avec fougue, en usant largement du vocabulaire et de l'argot de banlieue. On l'applaudit ; il se grise et ne s'aperçoit pas qu'il a substitué à l'évangile de charité la colère, l'indignation, la rancune... Il dénonce l'esclavage du salariat, les cadences infernales, l'égoïsme des maîtres, les crimes du capitalisme. Il ne prie pas, il accuse, il n'espère pas la rédemption, il encourage la destruction. Sur ce chemin du mensonge, notre prêtre ouvrier aboutira à l'envoûtement. Certes, il gardera le contact avec sa hiérarchie religieuse, il verra son confesseur, il communiera mais il cèdera à la tentation de rencontre des progressistes, des communistes intellectualisés qui lui recommanderont des lectures sur la dialectique marxiste et le matérialisme, historique. En continuant de croire, il dira lui aussi que Dieu, après la création, s'est retiré dans les coulisses en laissant aux hommes le soin de faire le reste. Le reste ? Hélas ! c'est le monde sans Dieu et la terre sans âme. Le mensonge dont il s'agit n'est pas allé jusqu'au bout de son développement ; il a été, sinon stoppé totalement, tout au moins ralenti et singulièrement modifié dans sa marche. A ce propos, je crois savoir que la Mission des prêtres ouvriers a été mise au point et ramenée dans le cadre de la discipline catholique ([^13])*.* Je n'ai pas qualité pour dire comment et par qui. Il suffit que mon propos demeure avec son plein sens parce que le fait a existé et que son mauvais souvenir est durable. A mon avis, par les temps que nous vivons, dans l'état où se trouvent les mœurs de notre pays, il eût fallu voir au-delà de l'usine et en dehors d'elle. En ouvrant les yeux sur une paroisse, il est facile de voir que l'ouvrier n'est plus le même homme dans les heures du jour qui ne sont pas celles de l'encasernement du travail. J'ai dit plus haut qu'au sein de l'usine l'ouvrier ne s'adonnait à aucun culte. Mais une fois rendu à la vie ordinaire, dans son village, dans sa cité, dans son immeuble de banlieue, avec sa femme et ses enfants, les jeunes avec leurs copains et leurs copines portent tous les signes, toutes les marques de la religion de leurs aïeux laquelle les a pourvus d'une civilisation. La plupart des ouvriers ont reçu le baptême. Les plus nombreux ont fait leur première communion, ils se sont mariés à l'Église et n'acceptent pas leur enterrement sans prêtres. C'est vrai qu'ils ne vont pas à la messe le dimanche, mais c'est vrai aussi que les baptêmes, les mariages, les communions sont pour les parents et les amis une occasion démonstrative et spectaculaire de leur attachement au catholicisme. 68:37 J'ai cheminé dans plusieurs cimetières de la banlieue parisienne, notamment dans les nécropoles populaires d'Asnières, de Gennevilliers, de Colombes, de Puteaux et de Pantin. J'ai vu que les croix surmontant les monuments funéraires formaient la multitude. Les trois quarts des épitaphes font appel à Dieu et les pierres athéistes sont rares. Qu'est-ce à dire sinon que tout ce monde a vécu apparemment loin du Christ et qu'il est retourné à Dieu à l'instant suprême. Des exceptions, il y en a, mais pas autant que l'on croit et pas toujours aux endroits où l'on pense les trouver. Pas mal de cégétistes et de communistes ont un Christ accroché au-dessus du lit conjugal. Ils assistent aux enterrements et n'entrent pas à l'Église parce que ça se voit. Mais la ménagère y entre à leur place et en sort avec tous les signes de la dévotion. Les syndiqués de Monsieur Bothereau, les socialistes de Monsieur Mollet ont cessé de s'asseoir à des tables où l'on mangeait du curé tous les jours. Et le veau gras le vendredi Saint. Les Syndiqués de Monsieur Bouladoux s'apercevant que les chrétiens sont partout aimeraient que l'on sache qu'ils ne tiennent plus à être connus comme tels. En tout ceci, il y a du Don Camillo, du Pepone, beaucoup de tricherie et de faux témoignages. Mais revenons à notre mission ouvrière. L'apostolat des prêtres ouvriers se comprendra beaucoup mieux quand l'organisation des travailleurs aura repris sa forme corporative, quand les métiers associés dans l'entreprise auront repris à nouveau le chemin de la rédemption. La corporation aura son culte qu'elle introduira dans les lieux du travail avec les lumières des Évangiles. Les hommes des usines se formeront un nouvel état d'âme et cesseront d'être des indifférents hostiles. Alors, pour nourrir leur Apostolat et donner un sens à leur dévouement, les prêtres, ouvriers ou autres, n'ont-ils pas dans le ressort de leurs paroisses un vaste champ ouvert à leur propagande ? N'ont-ils pas toute une jeunesse à convertir et à mettre en garde contre la corruption satanique de notre époque ? Dans la paroisse, les prêtres ouvriers rencontreront des travailleurs plus accessibles à la Foi que dans les usines. Ils sauront qu'ils parlent à des hommes qui ont reçu le baptême, qui ont fait leur communion et qui espèrent mourir en chrétien. Ils sauront dénoncer l'hypocrisie de ceux qui jouent les esprits forts et qui entretiennent en eux-mêmes une âme inquiète. 69:37 Donc, la Paroisse d'abord ; l'usine viendra ensuite quand un ordre nouveau l'aura rénovée. L'ÉLABORATION du présent texte, qui se situe au commencement du mois de juillet, a coïncidé avec la publication par la presse française de la première encyclique de Jean XXIII. Je *ne* comptais pas sur cette coïncidence pour accroître la valeur de mon propos qui, par la grâce de Dieu, rejoint la pensée du plus haut dignitaire de l'Église. La presse française, du moins celle qui est à ma portée, n'a publié que des extraits de ce document, juste ce qu'il fallait pour que j'en connaisse les thèmes essentiels : Vérité, Unité, Paix. La Vérité c'est-à-dire le contraire du mensonge ; l'Unité c'est-à-dire la conséquence de ce qui est vrai ; la Paix autrement dit le fruit charitable de la vérité et de l'Unité. Je ne me sens pas capable de mieux dire. Georges DUMOULIN. 70:37 ### NOTES CRITIQUES #### Pas de missel le 27 novembre ? Dans beaucoup de diocèses, et peut-être dans tous, on édite chaque année un *Guide des offices divins à l'usage des fidèles ;* mince petite brochure d'une trentaine de pages, écrite en français, qui permet de savoir quotidiennement quelle est la messe du jour. On peut aussi le savoir avec son Missel, en appliquant les règles d' « occurrence » et de « concurrence » : mais à moins d'être très versé dans cette science, on risque toujours de se tromper, et l'on arrive à l'église ayant marqué avec un signet, et préparé par la lecture en famille de la veille au soir, précisément la messe qui, cette année, est repoussée à une autre date, ou qui cède le pas jusqu'à l'année prochaine. Recommandons, à nos lecteurs qui en ignoreraient l'existence, de se procurer le Guide des offices à l'usage des fidèles ; ils trouveront, dans leur paroisse, très prochainement, celui de 1960. \*\*\* Nous y voyons que la fête du 27 novembre est (en abrégé) celle de LA MÉDAILLE MIRACULEUSE, c'est-à-dire celle de l'*Apparition de la Vierge de la Médaille miraculeuse :* apparition du 27 novembre 1830 à sainte Catherine Labouré. (Indiquons par parenthèse que la fête de sainte Catherine Labouré tombe le lendemain 28 novembre. Elle a été canonisée par Pie XII en 1947.) L'Apparition à sainte Catherine Labouré eut lieu en la Chapelle de la rue du Bac, cette Chapelle qui est, de tous les lieux profanes ou sacrés, celui qui, à Paris, reçoit chaque année le plus de visiteurs : 900.000 en moyenne ([^14]). Mais si nous cherchons la messe du 27 novembre, nous ne la trouvons ni dans notre Missel d'Hautecombe, ni dans notre Missel Biblique. Le Missel Biblique, dans son très précieux *Calendrier des saints de France,* mentionne bien (p. 1916) la fête de la Médaille miraculeuse. Il n'en donne pas la messe. 71:37 Rien ni personne n'est parfait. Les deux Missels que nous tenons pour les meilleurs, et de très loin, nous laissent le 27 novembre dans l'embarras (et le 28 novembre pareillement). \*\*\* La messe du 27 novembre ne figure pas davantage dans le Missel du P. Morin ni dans le Missel de Maredsous. On la trouve dans le Missel Feder, dans le Dom Lefebvre et dans le Dom Gérard. Heureuse surprise. Par cette messe du 27 novembre, il sera beaucoup pardonné à ces trois Missels. ============== #### Notules - UNE ERREUR DANS LES DOCUMENTS PONTIFICAUX DE L'ANNÉE 1946. -- *Récemment paru, voici le tome VIII des Actes de SS. Pie XII, textes originaux et traduction française publiés par la Bonne Presse. Ce tome VIII recouvre l'année 1946.* *Il contient notamment l'importante lettre écrite par Pie XII le* 10 *juillet* 1946 *à M. Charles Flory, au sujet des Semaines sociales de France. Cette lettre provoqua divers remous : voir Marcel Clément,* L'Économie sociale selon Pie XII, *tome* II*, note à la page* 103. \*\*\* *Puisque ces textes ont été établis et publiés avec un soin superlativement précautionneux -- treize années de labeur -- on comprend mal que, précisément dans cette lettre à M. Charles Flory, une erreur ancienne ait été conservée. On y fait écrire au Saint Père qu'il souhaite l'institution d'associations ou unités* CORPORATIVES. *Or il faut lire en réalité, à cet endroit du moins :* COOPÉRATIVES. *L'erreur est dans le texte des* Acta, -- *mais elle a* *été rectifiée par le Saint Père lui-même, l'année suivante, dans sa lettre aux Semaines sociales de France du* 19 *juillet* 1947, *précisant qu'il avait écrit* COOPÉRATIVES *et ajoutant :* « COMME LE CONTEXTE LE FAISAIT CLAIREMENT VOIR ». *Il est étonnant que l'existence de cette rectification, apportée par le Souverain Pontife lui-même, ait échappé aux treize années de recherches e*t *de travaux qui ont finalement abouti à la publication de ce tome* VIII*.* \*\*\* *Si c'est délibérément que les éditeurs de la* *Bonne Presse ont voulu s'en tenir au texte, fautif mais officiel, des* Acta, *du moins était-il souhaitable et possible de signaler en note qu'il y avait eu une coquille typographique, que le Saint Père avait tenu à rectifier.* \*\*\* *Sur* CORPORATIF et COOPÉRATIF *dans cette lettre du Souverain Pontife ; voir Marcel Clément,* L'Économie sociale selon Pie XII, *tome II, page* 104 *et page* 122. \*\*\* 72:37 - DISPARITION PROGRESSIVE DES TEXTES ORIGINAUX DE PIE XII. -- *Bien que cette collection française des Actes de S.S. Pie XII continue à porter en sous-titre, sur la couverture de chaque volume :* « TEXTES ORIGINAUX ET TRADUCTION FRANÇAISE », *les textes originaux disparaissent peu à peu, qu'ils soient en langue vulgaire ou en latin.* *Qu'on en juge. Ce tome VIII contient* 18 *documents dont le texte original est français : ceux là sont évidemment reproduits dans le texte original.* *En dehors de quoi, le volume contient* SOIXANTE *documents pontificaux, pour lesquels* DEUX *seulement sont donnés dans leur texte original. Pour les* CINQUANTE HUIT *autres, seule est donnée la traduction française.* *Force est de constater qu'il n'existe donc plus en France* AUCUNE *édition des documents pontificaux permettant de travailler sur les textes originaux. Ceux-ci ne sont plus publiés que par très rare exception :* 2 *sur* 60 ; *ou, en comptant ceux dont l'original se trouve être le français,* 20 *sur* 78. \*\*\* *Quelles que soient les raisons de cette abstention, on remarquera d'autre part qu'il est commercialement assez étonnant d'offrir au public, sous le titre de* « TEXTES ORIGINAUX », *un recueil qui n'en contient que* 20 *sur* 78. \*\*\* - HOMMAGE A PIE XII*. --* *La revue italienne* Operare, « *revue d'information sociale *», *a publié, daté de mars-avril 1959, un beau numéro d'hommage international à Pie XII, avec des articles du Cardinal Siri, de Vittorio Vaccari, Marcel Clément, Jean Madiran, le R.P. Laurent, Jean Guitton, Charles Harmel, Jean Predseil, Braulio Alfageme, A. Albregts, Wilfrid Girouard, Jean Milhaud, Peter H. Werhahn, Jurgen Thorer, Patrick O'Connor, Alfredo de Queiroz, Wilhelm Roepke, etc. Au total, des personnalités de vingt pays ont collaboré à ce numéro, qui entend ainsi témoigner de* « *la portée véritablement universelle de l'enseignement de Pie XII *». *La revue* Operare *est publiée via Bigli* 15 *A, Milan.* \*\*\* - CORPORATION : ACTE DE CORPORER. -- *Le P. Lucien Guissard, rédacteur à* La Croix, *vient de publier chez Fayard un petit livre intitulé Catholicisme et progrès social. On y trouve, notamment, une page suggestive* (*page* 105) *sur l'indication donnée par les Papes concernant l'* « *organisation* professionnelle » conçue comme « l'ordre corporatif professionnel de toute l'économie ». Le P. Guissard écrit *:* « Il faudrait inventer le mot « *corporer* » pour saisir l'indication dans ce qu'elle a de conforme au droit naturel concernant les sociétés intermédiaires et à une orientation morale du bien commun : faire de la société un corps harmonieux où la profession sera, en vertu de son caractère communautaire un organe fonctionnant à sa place et en relation institutionnelle avec le tout (...). Conception organique, dont l'Église se réclame sur le plan social comme sur le plan ecclésial, et qui doit remédier à l'atomisation individualiste, cause de la lutte des classes. » 73:37 *Concernant les mots* « corporer » *ou* « SE CORPORER », *le vœu du P. Guissard est déjà exaucé. Ces mots ne sont plus à inventer, ils sont maintenant couramment employés dans les travaux les plus récents du catholicisme social français, et précisément dans le sens que souhaite le P. Guissard pour mettre en relief le sens transitif du mot* CORPORATION, *signifiant l'*ACTE DE CORPORER *et non pas telle réalisation institutionnelle et historique plutôt que telle autre.* *Les militants français du catholicisme social, principalement ceux qui, depuis* 1954, *ont été formés dans les cours et sessions du Centre Français de Sociologie, ont fait passer dans l'usage les termes de* CORPORER *et de* SE CORPORER. *la* « *corporation de la société* » *signifiant* « *reconstitution du* CORPS *social* ». *Le P. Guissard semble d'ailleurs, sur ce point, s'inspirer de très près -- encore qu'il ne le cite pas -- du chapitre sur* « *le Corps social* » (*chapitre* VI) *de la* corporation professionnelle *de Marcel Clément* (*Nouvelles Éditions Latines*)*.* *C'est en effet Marcel Clément qui a introduit dans le vocabulaire du catholicisme social français les mots* « *corporer* » *et* « *se corporer* ». *Dans le même sens, nous avons employé ces vocables au chapitre* XII *de la* « *Déclaration fondamentale* » *de la revue* Itinéraires (n° 28). 74:37 ## DOCUMENTS ### Prêtres ouvriers : la réponse du Saint-Office *Une décision du Saint-Office, approuvée par le Souverain Pontife, a été prise au sujet des* « *prêtres au travail* »* ; elle a été prise en réponse aux questions posées à ce sujet par un rapport du Cardinal Feltin.* LA CROIX *du* 19 *septembre expose les faits suivants.* Dès la première audience qu'il accorda à S. E. le Cardinal Feltin, S.S. Jean XXIII, qui avait bien connu les premières tentatives et les premières difficultés (de la Mission ouvrière), posa des questions et demanda un rapport pour Pâques. Durant l'hiver, le Cardinal de Paris rédigea seul ce rapport précis et concis, non sans consulter évidemment les divers éléments et mouvements formant la Mission ouvrière (...). Le 12 juin, S.E. le Cardinal Feltin se rendit à Rome (...). S.S. Jean XXIII lut attentivement le rapport, puis envoya S.E. le Cardinal Feltin à la Secrétairerie d'État où, à l'issue d'une longue et sérieuse entrevue, S.E. le Cardinal Tardini annonça à l'Archevêque de Paris qu'il recevrait prochainement une note du Saint-Office. Cette note parvint au Cardinal au début de juillet. *Cette* «* note *» *est constituée par une lettre du Cardinal Pizzardo, secrétaire de la Suprême Congrégation du Saint-Office.* *Le texte de cette lettre n'était pas destiné à la publication. Il a été divulgué, dans des conditions qui n'ont pas été éclaircies, par un quotidien parisien, LE MONDE, qui depuis des aunées mène de vives campagnes contre le Saint-Siège.* *On sait au demeurant que LE MONDE ouvre ses colonnes à des libelles anonymes provenant d'* «* ecclésiastiques *»*, voire de* «* groupes de prêtres et de laïcs *» *agissant clandestinement dans un sens violemment opposé à l'enseignement et aux directives du Magistère romain. Une situation proprement insurrectionnelle se trouve ainsi entretenue en permanence par le journal que dirige M. Beuve-Méry.* \*\*\* 75:37 *Devant le fait accompli,* LA CROIX *a publié à son tour la lettre du Cardinal Pizzardo. En voici le texte intégral.* Le rapport que votre Éminence Révérendissime m'a fait remettre sur l'apostolat ouvrier en France, et en particulier sur les « prêtres au travail », a fait l'objet d'une étude attentive de la part du Saint-Office. Ce Suprême Sacré Dicastère avait déjà appris avec satisfaction la constitution par l'assemblée des cardinaux et archevêques de France en mars 1957, sous la présidence de Votre Éminence, de la Mission ouvrière chargée de « coordonner tous les efforts apostoliques orientés vers le monde ouvrier, et en particulier l'action des laïcs militants de la J.O.C. et de l'A.C.O. ». Il se réjouit maintenant de savoir que dix-neuf secteurs missionnaires ont déjà été établis dans quatorze diocèses, sous la direction effective d'un délégué de l'Ordinaire. Mais la note remise par Votre Éminence demande que des prêtres, choisis par leur évêque, bien préparés, soutenus par une vie sacerdotale authentique et unis au clergé paroissial, puissent travailler en usine à plein temps et non plus seulement trois heures par jour. \*\*\* Après avoir pris l'avis de tous les consulteurs, les Éminentissimes Pères de cette Suprême Sacrée Congrégation ont examiné attentivement l'importante et délicate question des « prêtres au travail ». Voici les conclusions auxquelles ils sont parvenus dans leurs assemblées plénières des 10 et 24 juin 1959 : **1**. -- Le Saint-Siège partage la conviction des évêques de France au sujet de la nécessité d'un apostolat intense et efficace dans les milieux ouvriers, pour les ramener à la foi et à la pratique de la vie chrétienne, dont ils se sont malheureusement éloignés. Il félicite les évêques français de leur zèle pastoral et des grands efforts qu'ils ont faits et font encore pour résoudre le grave problème de l'évangélisation des milieux ouvriers. Il est convaincu qu'avec la grâce de Dieu les prêtres qui se dévouent à cet apostolat sauront réveiller dans le fond de l'âme des ouvriers français une aspiration chrétienne enracinée par la longue tradition catholique de leur pays. D'ailleurs, il est bien difficile de considérer comme totalement déchristianisées des masses d'hommes dont un très grand nombre encore ont reçu le caractère sacré et indélébile du baptême. 76:37 **2**. -- Le Saint-Siège estime que, pour évangéliser les milieux ouvriers, il n'est pas indispensable d'envoyer des prêtres comme ouvriers dans les milieux de travail, et qu'il n'est pas possible de sacrifier la conception traditionnelle du sacerdoce à ce but, auquel pourtant l'Église tient comme à l'une de ses missions les plus chères. En effet, c'est essentiellement pour exercer les fonctions sacrées que le prêtre est ordonné : offrir à Dieu le saint sacrifice de la messe et la prière publique de l'Église, distribuer aux fidèles les sacrements et la parole de Dieu. Toutes les autres activités du prêtre doivent être ordonnées en quelque manière il ces fonctions ou en découler comme des conséquences pratiques, et tout ce qui est incompatible avec elles doit être exclu de la vie du prêtre. Il est bien vrai que le prêtre, comme les apôtres, est un témoin (cf. Act. I, 8), mais c'est pour attester de la résurrection du Christ (cf. Act. I, 22), et donc de sa mission divine et rédemptrice. Or, c'est avant tout par la parole qu'il doit témoigner, et non Par le travail manuel accompli parmi les ouvriers, comme s'il était l'un d'entre eux. **3**. -- En outre, le Saint-Siège estime que le travail en usine ou en chantier est incompatible avec la vie et les obligations sacerdotales. En effet, les jours de travail il serait presque impossible au prêtre de remplir tous les devoirs de prière que l'Église exige de lui chaque jour : célébration de la sainte messe, récitation intégrale du bréviaire, oraison mentale, visite au Saint-Sacrement et chapelet ([^15]). Et même si certains y arrivaient il n'en resterait pas moins qu'ils consacreraient au travail manuel un temps qui devrait être employé au ministère sacerdotal ou à l'étude sacrée (cf. can, 129) : les apôtres n'ont-ils pas précisément institué le diaconat pour se libérer des tâches temporelles et pour vaquer à la prière et à la prédication (cf. Act. VI, 2, 4) ? D'autre part, le travail en usine ou même dans des entreprises moins importantes expose peu à peu le prêtre à subir l'influence du milieu. Le « prêtre au travail » ne se trouve pas seulement plongé dans une ambiance matérialisée, néfaste pour sa vie spirituelle et souvent même dangereuse pour sa chasteté, il est aussi amené comme malgré lui à penser comme ses camarades de travail dans le domaine syndical et social et à prendre part à leurs revendications : redoutable engrenage qui le mène rapidement à participer à la lutte des classes. Or, cela est inadmissible pour un prêtre. 77:37 Telles sont les raisons qui ont déterminé les Éminentissimes cardinaux du Saint-Office à décider la cessation du travail des prêtres comme ouvriers ou employés dans les usines et dans les autres entreprises, ou comme marins sur les bateaux de pêche ou de transport, et la substitution des « prêtres au travail » par des groupes de prêtres et de laïcs spécialement consacrés à l'apostolat en milieux ouvriers. \*\*\* Dans l'audience du 11 juin 1959, le Saint-Père a daigné approuver ces décisions, et, lorsqu'il reçut Votre Éminence le même jour, il lui fit part de sa pensée à ce sujet. Après avoir lu le rapport que lui a remis Votre Éminence, Sa Sainteté a jugé devoir confirmer les décrets du Saint-Office des 10 et 24 juin. \*\*\* Il appartient maintenant aux évêques de France de préparer les différentes formes que l'apostolat pourra prendre dans les milieux ouvriers. A la suite du Pape Pie XI, ils n'ont pas cessé de rappeler aux ouvriers chrétiens leur « très noble mission » : « Sous la conduite de leurs évêques et de leurs prêtres, ce sont eux qui doivent ramener à l'Église et à Dieu les multitudes immenses de leurs frères de travail qui, exaspérés de n'avoir pas été compris ni traités avec le respect auquel ils avaient droit, se sont éloigné de Dieu. » (Encyclique *Divini Redemptoris*)*.* Depuis deux ans, sous l'impulsion des cardinaux et archevêques de France, la Mission ouvrière a réussi à coordonner cet apostolat laïc avec le ministère des prêtres de paroisse et des aumôniers d'Action catholique. Le Saint-Siège demande aux évêques de France d'envisager si le moment n'est pas maintenant venu d'ajouter à ces excellentes initiatives la création d'un ou de plusieurs instituts séculiers composés de membres prêtres et de membres laïcs. Ces derniers pourront travailler dans les usines sans autre limite de temps que celle qu'exigent la vie spirituelle et leur santé : Membres d'une institution d'Église, ils porteront un témoignage particulièrement qualifié. Dans cette nouvelle forme de Mission ouvrière, les prêtres auront un rôle important et efficace. A leurs confrères laïcs, ils donneront une instruction religieuse et une formation spirituelle profondes et adaptées à leur état de vie et à leur condition ouvrière. Ils leur feront connaître toujours mieux la doctrine sociale de l'Église, en particulier sur les problèmes du travail. Ils les guideront dans leur action quotidienne auprès de leurs compagnons de travail, les conseilleront dans leurs problèmes et les soutiendront dans leurs difficultés. 78:37 Grâce aux contacts réalisés par ces membres laïcs de l'institut séculier, ils pourront commencer à exercer le ministère sacerdotal auprès des ouvriers, en dehors de l'usine, et auprès des familles et des enfants. Leur connaissance approfondie et entretenue par l'étude, de la doctrine sociale de l'Église, leur permettra de conseiller les ouvriers en matière syndicale et en tant d'autres questions d'ordre temporel, sur lesquelles ils leur donneront la vraie solution chrétienne. Enfin et surtout, dans le climat de confiance réalisé par ces contacts, ils pourront peu à peu ouvrir ces âmes à la vérité surnaturelle et les amener à la pratique de la vie chrétienne. Le Saint-Siège demande à Votre Éminence de bien vouloir étudier cette nouvelle forme d'apostolat qui semble répondre aux exigences particulières de l'évangélisation des masses ouvrières : l'Institut séculier, tel que l'a conçu le Pape Pie XII dans sa Constitution apostolique *Provida Mater Ecclesia,* n'est-il pas parfaitement adapté, dans sa nature comme dans ses méthodes, aux besoins de l'apostolat ouvrier ? Il va sans dire que la substitution des « prêtres au travail » par de nouvelles institutions devra s'accomplir *graduellement, avec toute la prudence nécessaire, afin d'éviter tout changement improvisé et généralisé, ou de dangereuses perturbations dans l'apostolat auprès des ouvriers.* Les Ordinaires sauront certainement saisir toutes les occasions opportunes pour les retirer du travail en les affectant à d'autres ministères auprès des ouvriers. Quant aux prêtres qui travaillent en mer, ils ne devront pas signer de nouveaux engagements, et dès leur retour à terre *ils rompront ceux qu'ils avaient pris.* Je prie Votre Éminence de se mettre en relation avec Son Éminence le cardinal Liénart, à qui j'envoie une copie de cette lettre en sa qualité de président de l'Assemblée des cardinaux et archevêques de France, et je demande à Votre Éminence, comme président de la Mission ouvrière, de bien vouloir communiquer ces décisions aux archevêques et évêques, ainsi qu'aux supérieurs religieux qui ont des « prêtres au travail » de leur diocèse ou de leur institut. Le Saint-Siège sait qu'il impose aux « prêtres au travail » un réel sacrifice en leur demandant de renoncer à leur activité ouvrière. Mais il sait aussi qu'il peut compter sur leur *filiale soumission* à des décisions qui ont été prises dans leur intérêt et dans celui de leur apostolat auprès des ouvriers. Qu'ils aient confiance *dans la fécondité de leur obéissance* pour leur vie sacerdotale et pour leur ministère, et qu'ils sachent que le Saint-Père les entoure d'une très bienveillante sollicitude. Je vous prie d'agréer, Éminence, etc. 79:37 #### Le communiqué de la réunion épiscopale du 18 septembre *Dans* LA CROIX *du* 20 *septembre paraissait l'information suivante :* LL. EEm. les Cardinaux Liénart, Gerlier et Feltin, et dix-huit archevêques et évêques ayant dans leurs diocèses soit des prêtres au travail soit des prêtres de la Mission de la mer, se sont réunis vendredi 18 septembre après-midi, à l'archevêché de Paris. A l'issue de leur rencontre ils ont publié le communiqué suivant : « Les archevêques et évêques qui ont des « prêtres au travail » dans leur diocèse se sont réunis autour de S.E. le Cardinal Feltin, président de la Mission ouvrière. « Ils tiennent à affirmer, contrairement à certaines informations parues dans la presse, que les prêtres au travail exerçaient leur apostolat en conformité avec la mission reçue de leurs évêques. « Ils ont examiné les modalités suivant lesquelles ils appliqueront les directives du Saint-Siège. Ils sont résolus à poursuivre, avec leurs prêtres et leurs fidèles, et spécialement les militants de l'Action catholique ouvrière, les efforts entrepris pour résoudre le grave problème de l'évangélisation du monde ouvrier. » #### Le commentaire de Mgr Guerry *De son côté Mgr Guerry, président de la Commission épiscopale du monde ouvrier, a publié la note suivante, que nous reproduisons intégralement d'après* LA CROIX *du* 25 *septembre :* La note du Saint-Office décidant la cessation du travail des prêtres comme ouvriers a suscité des interprétations fantaisistes et erronées. Une certaine presse s'est empressée de la considérer comme un document négatif et comme un frein aux initiatives apostoliques de l'épiscopat français pour l'évangélisation du monde ouvrier. 80:37 Il importe donc de présenter les aspects positifs de l'intervention de Rome. **1**. -- Bien loin d'apposer un frein aux entreprises des évêques, constamment soucieux de répondre aux besoins de l'apostolat dans les masses populaires, la note du Saint-Siège multiplie les témoignages d'encouragement et d'approbation. Le Saint-Office, déclare-t-elle, avait déjà « *appris avec satisfaction* » la constitution de la Mission ouvrière en 1957 par l'Assemblée des cardinaux et archevêques. « *Il se réjouit* » de savoir que 19 secteurs missionnaires ont été déjà établis dans 14 diocèses. A ceux qui prétendraient opposer le Saint-Siège aux évêques de France sur l'apostolat dans les milieux ouvriers, nous recommandons particulièrement la lecture des lignes suivantes : « *Le Saint-Siège partage la conviction des évêques de France au sujet de la nécessité d'un apostolat intense et efficace dans les milieux ouvriers...* » « *Il félicite les évêques français de leur zèle pastoral* et des grands efforts qu'ils ont fait et font encore pour résoudre le grave problème de l'évangélisation des milieux ouvriers. » **2**. -- Un second aspect positif se dégage de la note : la confiance que le Saint-Siège met *dans le laïcat ouvrier* pour cet effort d'évangélisation. Il cite l'Encyclique *Divini Redemptoris* du Pape Pie XI, précisant « la très noble mission » des ouvriers chrétiens en une phrase fort dense, qui montre bien l'étendue, la gravité et les causes de la déchristianisation : « Sous la conduite de leurs évêques et de leurs prêtres, *Ce sont eux* qui doivent ramener à l'Église et à Dieu les multitudes immenses de leurs frères de travail qui, exaspérés de n'avoir pas été compris ni traités avec le respect auquel ils avaient droit, se sont éloignés de Dieu ». Plus haut, à propos de la Mission ouvrière, la note faisait une mention expresse de « l'action des laïcs militants de la J.O.C. et de l'A.C.O. ». Or, c'est un fait que trop de Français n'ont jamais compris jusqu'ici que l'Action catholique ouvrière par un laïcat organisé était, pour l'évangélisation du monde ouvrier, *la solution première et privilégiée,* parce que les laïcs sont partout présents dans les milieux de travail, vivant de la vie même de ceux qu'ils veulent conduire au Christ. Pie XI l'avait déclaré expressément dans l'Encyclique *Quadragesimo anno *: « *Les premiers apôtres* des ouvriers seront des ouvriers ». L'existence, l'apostolat, le développement de la J.O.C. et de l'A.C.O. prouvent que cette action est déjà une réalité pleine de promesses pour l'avenir. 81:37 **3**. -- Un troisième aspect positif doit être relevé dans la note. Le Saint-Siège demande aux évêques d'envisager *la création d'Instituts séculiers* composés de membres prêtres et de membres laïcs, ces derniers travaillant dans les usines et capables, grâce à la formation appropriée donnée par des prêtres spécialisés, de porter, comme membres d'une institution d'Église, un témoignage particulièrement qualifié et d'établir un pont entre les ouvriers et l'Église. Le grand exemple du P. Loew, qui a choisi cette forme, prouve qu'il y a là une institution conciliant harmonieusement les missions respectives du laïcat et du sacerdoce. Une erreur d'interprétation du document romain a, là encore, faussé son sens. La note ne dit pas, comme d'aucuns l'ont cru, que la création des Instituts séculiers est désormais l'unique forme d'apostolat voulue par le Saint-Siège. Elle précise, au contraire, qu' « aux excellentes initiatives » d'apostolat prises par l'épiscopat français, le moment paraît venu d' « *ajouter* » les Instituts séculiers. **4**. -- Enfin, ce qui domine toute la note, c'est le souci -- et combien émouvant pour tout prêtre et tout croyant -- *de sauvegarder la pureté et l'intégrité des fonctions sacerdotales.* Que des incroyants soient incapables de comprendre cet attachement de l'Église à la conception traditionnelle du sacerdoce, c'est tout naturel. Mais tout fils de l'Église se doit de méditer la forte leçon qui Se dégage de la décision de Rome, en cette année où il est apparu plus clairement que la sainteté et le rayonnement extraordinaire de l'humble Curé d'Ars avaient été le fruit de sa foi ardente en son sacerdoce, en la force d'en-haut à travers ses fonctions sacerdotales : la parole de Dieu, les sacrements, sa messe, son bréviaire. En un mot, parce qu'il a été uniquement, simplement, totalement prêtre, il a converti des foules. Et cela ne diminue en rien ni les mérites, ni la générosité souvent héroïque, ni le courage de ces prêtres qui, portant dans leur cœur la souffrance de la séparation du monde ouvrier d'avec le Christ et l'Église, avaient cherché à partager sa vie pour lui porter le message du salut. Certains les accablent de leurs sarcasmes et parlent de condamnations. Le Saint-Père, lui, a pensé à eux, au « réel sacrifice » qu'il allait leur imposer, comme l'indique le document qui s'achève par ces mots : « Qu'ils sachent que le Saint-Père les entoure d'une très bienveillante sollicitude ». #### Le commentaire de Mgr Garrone *Mgr Garrone, archevêque de Toulouse, a publié dans la SEMAINE RELIGIEUSE* *de son diocèse le commentaire ci-dessus de Mgr Guerry, en le faisant précéder de la note suivante :* 82:37 Une note récente du Saint-Office adressée à S. Em. le cardinal de Paris a été, par une indiscrétion coupable, communiquée à la presse. Cette note répondait à une demande d'élargissement des autorisations accordées aux prêtres pour travailler en usine ou en atelier. \*\*\* Il y a une façon bonne, et une seule, de réagir chrétiennement : obéir et se pénétrer de son mieux des raisons de l'Église, c'est-à-dire « écouter » au sens évangélique, qui signifie accepter et méditer. Pas l'un sans l'autre. Se contenter d'obéir en récusant *a priori* certaines raisons données, ou en négligeant les autres n'est pas bon : ce n'est pas là véritablement obéir. Une telle attitude d'âme n'est pas juste puisqu'elle implique suffisance et conduit fatalement à entendre de travers la pensée de l'Église. Elle est encore dangereuse, parce que l'obéissance en est rendue plus difficile et, à la longue, peut-être impossible. Enfin, on refuse par là le bienfait nécessaire d'une humble méditation des vérités que l'Église juge opportun de rappeler. \*\*\* Le contresens ne serait pas moins flagrant ni dangereux si on voulait trouver dans cette note un prétexte à s'aveugler ou un encouragement à ne rien entreprendre. Il nous est arrivé souvent, et récemment encore, de prévenir avec force contre l'erreur et l'imprudence qu'il y a à déclarer à la légère la foi morte dans une conscience, alors qu'elle est seulement refoulée par la vie ou le milieu et mise en danger de mourir. Par ailleurs, le caractère baptismal constitue à coup sûr un ressort d'action apostolique et un fondement inaliénable d'espérance. Mais on ne saurait pour autant méconnaître la matérialisation massive et progressive qu'entraîne l'absence habituelle et totale de contact avec les sources où s'alimente la foi et la lente imprégnation du milieu. Si donc telle ou telle manière d'entreprendre l'évangélisation du monde ouvrier se trouve à un moment donné contre-indiquée, ne rien entreprendre du tout serait pire encore, et la note du Saint-Office, en suggérant un moyen inédit qui s'ajoute à toutes les ressources déjà en œuvre -- et avant tout l'Action catholique -- ne fait que provoquer à l'initiative. 83:37 Si, d'autre part, la pureté essentielle de l'activité sacerdotale demeure la condition première de tout effort vrai, cela ne signifie nullement soit un désaveu de ceux qui, portant au cœur comme une blessure la misère spirituelle du monde ouvrier, ont voulu de toutes leurs âmes y répondre, soit une dispense accordée à quelque prêtre que ce soit de regarder en face la réalité et de puiser dans sa charité la force des initiatives de vie personnelle et d'action requises pour le salut des âmes. Tel est au fond l'esprit de la note du Saint-Office dont S. Exc. Mgr Guerry, président de la Commission épiscopale du monde ouvrier, vient d'analyser « les aspects positifs », dans un texte que nous nous permettons de reprendre ci-dessous. ============== #### L'attitude de la presse *Dans les* NOTES HEBDOMADAIRES *de M. Mondange, dont les informations paraissent souvent refléter une inspiration qualifiée, on a pu lire le* 1^er^ *octobre :* Les échos qui parviennent de Rome concordent pour souligner combien les milieux du Vatican sont contrariés par les lettres que *Le Monde* principalement a publiés à propos de la lettre du Cardinal Pizzardo sur les prêtres ouvriers. Rome regrette tout ce qui peut ressembler à un appel à l'opinion publique dans une question purement hiérarchique. Les problèmes ainsi discutés ne sont présentés qu'à travers des textes partiels. Ils ouvrent des polémiques regrettables, surtout quand on y mêle des prêtres et des religieux membres d'une Congrégation dont la dévotion et l'obéissance au Pape est la règle. *En effet,* LE MONDE *du* 27 *septembre publiait la lettre d'* « *un Père de la Compagnie de Jésus* »*, écrite* « *au nom de l'équipe sacerdotale* » *d'une paroisse. Lettre anonyme, approuvant un libelle également anonyme, et violemment polémique, paru dans* LE MONDE *du* 25 *septembre. Le libelle anonyme ainsi approuvé attaquait le Saint-Siège en termes injurieux et extravagants. Il provenait d'* « *un prêtre exerçant un ministère paroissial* »*.* Il est bien certain que le régime de la discussion publique à propos de décisions hiérarchiques n'est pas admis par les autorités religieuses. Ce fait explique les difficultés présentes. 84:37 La discussion n'existant pas, les débats prennent un sens spécial et les lecteurs des polémiques n'entendent que bien rarement les points de vue de l'Autorité religieuse de manière complète. *Rappelons pour mémoire que, comme d'habitude, le journal anti-clérical et anti-chrétien* FRANCE-OBSERVATEUR *a publié à cette occasion de violentes diatribes contre le Saint-Siège, dues à la plume d'un journaliste catholique.* ============== #### Pour l'apostolat ouvrier : l'enseignement de *Divini Redemptoris* *Aux méditations qu'appellent et que suscitent les documents qu'on vient de lire, nous désirons apporter, à notre place et selon nos moyens, notre contribution propre. La voici.* *On aura peut-être remarqué que la note du Saint-Office mentionne et cite l'Encyclique* Divini Redemptoris *sur le communisme. Mgr Guerry, dans son commentaire, a spécialement souligné ce passage.* *Nous croyons que beaucoup de difficultés survenues dans les questions d'apostolat ouvrier proviennent d'une sous-estimation, voire d'une méconnaissance ou d'un oubli de cette Encyclique. Il est étonnant que tant de spécialistes des questions ouvrières ne se soient pas avisés que cette Encyclique traite précisément de ce qui fait leur préoccupation. Elle traite de l'évangélisation du monde ouvrier dans une certaine situation concrète, celle où nous sommes placés par la pression sociologique et par la pénétration du communisme.* *Il nous a toujours semblé chimérique et paradoxal que des esprits à la fois sérieux et généreux mettent tant de soin à connaître les* CONDITIONS SOCIOLOGIQUES ACTUELLES *de l'apostolat en milieu ouvrier, tout en* FAISANT SYSTÉMATIQUEMENT ABSTRACTION DE LA PRINCIPALE : *la colonisation partielle de ce milieu par les conditionnements psychologiques que mettent en œuvre l'appareil communiste et ses organisations annexes, syndicales ou autres.* 85:37 *Il nous a toujours semblé également paradoxal et chimérique d'envisager la réalité du communisme en faisant* COMME SI CETTE ENCYCLIQUE SE BORNAIT A « CONDAMNER » LE COMMUNISME. *En fait, l'Encyclique* Divini Redemptoris, *à laquelle se réfère la note du Saint-Office, nous paraît l'un des documents les plus importants de la doctrine de l'Église en matière de déchristianisation ouvrière et d'évangélisation des travailleurs. Il ne faut certes point se dispenser de le compléter par les documents pontificaux postérieurs, notamment ceux de Pie XII, et ils sont nombreux. Mais il faut partir de la base et commencer par le commencement : l'Encyclique* Divini Redemptoris *reste en ce domaine la base fondamentale, celle que les documents pontificaux postérieurs présupposent toujours, et supposent parfaitement connue et assimilée. Nous croyons qu'une étude plus* APPROFONDIE *et qu'une méditation plus* FRÉQUENTE *de cette Encyclique auraient permis d'éviter précisément la sorte d'erreurs, ou de glissements, d'ordre soit doctrinal soit prudentiel, qui ont pu prendre une influence indirecte mais profonde sur des chrétiens par ailleurs fidèles et zélés, voire héroïques.* *Quand nous parlons d'étude et de méditation de cette Encyclique, nous nous référons indifféremment soit à son texte* LATIN, *soit à son texte* ITALIEN, *publiés l'un et l'autre aux* Acta, *soit à la* TRADUCTION FRANCAISE DU TEXTE ITALIEN *éditée par la Bonne Presse.* \*\*\* *Toutefois, puisqu'à notre connaissance aucune traduction directe et littérale du texte* LATIN *n'a été éditée en France, nous offrons au public français, et spécialement à nos camarades militants ouvriers de l'A.C.O., une telle traduction de quelques-uns des paragraphes de* Divini Redemptoris *qui traitent plus particulièrement de la déchristianisation ouvrière et de l'apostolat en milieu ouvrier. On remarquera sans doute, on découvrira peut-être l'importance de paragraphes, entre autres, tels que les paragraphes* 62 *à* 67. *Ils ne contiennent évidemment pas de recettes préfabriquées ; mais ils enseignent des principes, ils définissent un esprit, ils tracent une direction ; avec la grâce de Dieu, ils éclaireront les âmes qui cherchent et qui souffrent, en leur révélant, ou en leur redonnant, la véritable perspective.* 86:37 § 16. -- Pour mieux comprendre comment les communistes ont pu arriver à ce que tant de travailleurs aient adopté sans examen leurs directives mensongères, il faut se rappeler que ces travailleurs, en raison de la doctrine et de la pratique des « libéraux » en matière économique, avaient été très misérablement réduits à l'indifférence religieuse et morale. Trop souvent le roulement des équipes a entravé la sanctification des jours de fête ; on ne s'est point occupé de construire des églises il proximité des lieux de travail, ni de faciliter la tâche du prêtre ; au contraire : on a étendu de jour en jour davantage les dispositions de ce qu'on appelle le « laïcisme ». Voici donc le résultat de ces erreurs : Nos Prédécesseurs et Nous-même, nous l'avions annoncé plus d'une fois. Pourquoi s'étonner si l'effroyable montée du communisme atteint maintenant tant de nations déchristianisées et les submerge presque ? § 38. -- En vérité on peut dire que l'Église, comme Son divin fondateur, passe son temps à faire du bien. Les erreurs des socialistes ni celles des communistes ne se seraient point universellement répandues si les gouvernants n'avaient rejeté les directives de l'Église et ses avertissements maternels ; mais les dirigeants politiques, ayant embrassé ce qu'on appelle le « libéralisme » et le « laïcisme », organisèrent selon de telles impostures la constitution et le gouvernement de l'État : cela avait grande apparence au premier regard, mais on vit peu à peu leurs entreprises finir dans l'évanouissement ; ainsi s'écroule lamentablement tout ce qui n'est pas fondé sur l'unique pierre angulaire qui est Jésus-Christ. § 50. -- Nous nous adressons particulièrement à vous, chrétiens qui êtes chefs d'entreprise : votre tâche est souvent bien difficile, parce que vous avez hérité d'un régime économique injuste, qui a été catastrophiquement imposé à tant de générations. Souvenez-vous de vos devoirs : vous aurez à en répondre. Il est grandement affligeant -- mais pourtant c'est vrai -- que les pratiques habituelles de certains catholiques aient beaucoup contribué à détourner de la religion du Christ la confiance des travailleurs. Ces catholiques ne voulurent pas comprendre en leur âme et conscience que la charité chrétienne reconnaît aux travailleurs des droits indiscutables que l'Église a clairement et nettement formulés. Et que penser des agissements de ceux qui, en quelques endroits, ont réussi à empêcher la lecture de *Quadragesimo anno* dans leur église paroissiale ? Que penser de ces chefs d'entreprise catholique qui se sont opposés jusqu'ici à ce que se constituent les organisations de défense ouvrière que Nous avons Nous-même recommandées ? Ne faut-il pas déplorer que le droit de propriété, reconnu par l'Église, ait été employé à frustrer les travailleurs de leurs salaires et de leurs droits sociaux ? 87:37 § 52. -- On n'aura pas satisfait à la justice sociale aussi longtemps que les travailleurs ne pourront trouver leur subsistance et celle de leur famille, avec une marge de sécurité, dans un salaire correspondant à la conjoncture ; aussi longtemps qu'on ne leur aura pas donné la possibilité d'acquérir un modeste patrimoine, supprimant le fléau si répandu aujourd'hui d'un paupérisme généralisé ; aussi longtemps, enfin, que l'on n'aura pas établi à leur profit un système, soit public soit privé, d'assurances-vieillesse, d'assurances-maladie et d'assurances chômage (...) § 61. -- Nous rappelons particulièrement aux prêtres l'exhortation si souvent répétée par Léon XIII : allez trouver les ouvriers. Nous reprenons et complétons cette exhortation : -- « Allez surtout aux ouvriers pauvres ; et en général, allez à ceux qui sont dans le besoin » ; selon le commandement du Christ et de son Église. Car les révolutionnaires professionnels prennent à leurs machinations, surtout les pauvres ; des misères qui les accablent, ils leur font une incitation à envier les riches, un thème d'agitation passionnée, visant à s'emparer par la violence de tout Ce dont ils estiment avoir été injustement privés par le sort. Si le prêtre ne va pas à la rencontre des travailleurs et des pauvres, pour les défendre ou pour les libérer du préjugé et du mensonge, alors ils seront abandonnés au bon plaisir des propagandistes du Parti communiste. § 62. -- Nous ne nions certes pas qu'en ce domaine, surtout depuis la publication de *Rerum novarum* et de *Quadragesimo anno,* on ait beaucoup fait ; nous saluons ici avec une paternelle affection les travaux ingénieux d'Évêques et de prêtres qui, tout en prenant les précautions nécessaires, recherchent et expérimentent, sur ce terrain, des voies nouvelles, de nouveaux cheminements, adaptés à notre époque. Mais ce qui a été fait jusqu'ici est manifestement trop inférieur aux besoins actuels. Quand le bien commun temporel est en danger, on fait passer au second plan tout ce qui est moins vital ou ne concerne pas directement la défense de la cité ; d'une manière analogue, pour la question dont nous parlons, les entreprises d'une autre sorte, si bonnes et si belles soient-elles, doivent passer après la défense de la foi et de la civilisation chrétienne. Pour cette raison, les prêtres de chaque paroisse, tout en s'occupant d'abord, comme il convient, de l'ensemble des fidèles, doivent ensuite apporter le meilleur et le plus grand de leurs soins à ramener les masses laborieuses au Christ et à l'Église, et simultanément à imprégner intégralement de l'esprit chrétien les milieux sociaux qui l'ont le plus perdu. Si les prêtres s'y emploient, qu'ils soient sûrs de recueillir un jour en abondance les résultats inespérés de leur dévouement : ce sera la récompense de ce qu'ils auront fait, d'abord dans la peine, pour la rénovation des âmes. 88:37 Cela est arrivé par exemple à Rome et dans bien d'autres villes : auprès des églises de banlieue récemment construites se forment d'ardentes communautés paroissiales, et les habitants changent merveilleusement leur manière de vivre ; ils avaient été détournés de la religion simplement parce qu'ils en ignoraient tout. § 63. -- Mais ce qui a le plus de force pour éduquer chrétiennement la foule des pauvres et des humbles, c'est assurément l'exemple que donne le prêtre par l'ensemble des vertus que Nous avons passées en revue et proposées dans l'Encyclique *Ad catholici sacerdotti* (20 décembre 1935) ; dans le cas présent, il faut se distinguer notamment par une tempérance, une humilité, une pauvreté volontaire poussée au point de reproduire aux yeux des fidèles l'image la plus achevée du Divin Maître, qui disait de Lui-même : *Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête* (Mt VIII, 20). L'expérience quotidienne nous montre que des prêtres d'une vie plus humble, qui selon la doctrine évangélique ne s'occupent en aucune manière de leurs intérêts, ont toujours apporté au peuple chrétien des bienfaits miraculeux : cela est attesté par l'exemple de saint Vincent de Paul, de saint Jean-Baptiste Vianney, de saint Joseph Cottolengo, de saint Jean Bosco et de tant d'autres. Au contraire des prêtres cupides, évaluant tout en fonction de leurs émoluments et de leurs profits, comme Nous l'avons montré dans la même Encyclique, même s'ils ne vont pas jusqu'à l'impiété de Judas livrant le Christ, n'en seront pas moins un creux *airain sonore* et une vide *cymbale retentissante* (1 Cor XIII, 1) ; et souvent il s'en faudra d'autant qu'ils répandent parmi les fidèles la grâce divine ; ou plutôt ils y feront obstacle. Si des prêtres séculiers ou réguliers ont la charge d'administrer des biens temporels, ils doivent, qu'ils ne l'oublient pas, non seulement observer très scrupuleusement les lois de la charité et de la justice, mais encore tout spécialement s'efforcer d'être réellement les frères des pauvres. § 64. -- Après le clergé Nous nous adressons paternellement à Nos très chers fils du laïcat, militants de cette -- Action catholique pour laquelle Nous avons une si vive affection. Nous avons proclamé qu'elle est un secours particulièrement providentiel donné par Dieu à un moment où l'Église est tellement en difficulté. L'Action catholique combat précisément pour que Jésus-Christ règne sur les familles et sur les sociétés comme sur les individus : on doit donc dire qu'elle accomplit un apostolat social. Elle doit d'abord s'appliquer à éduquer ses militants et les préparer aux combats qu'il faut livrer pour la cause de Dieu. 89:37 Cette formation des militants, plus urgente et plus nécessaire à notre époque qu'à aucune autre, est la base qui précède nécessairement toute vie active : y contribueront d'une manière excellente d'abord les cercles d'études ; ensuite de fréquentes sessions sociales de sept jours ; des séries de conférences ; et enfin les entreprises de toute sorte qui conviendront le mieux pour faire connaître de quelle manière et dans quelle direction on règlera chrétiennement les questions économiques. § 65. -- Des militants d'Action catholique ainsi formés seront certainement les premiers apôtres de leurs compagnons de travail et, collaborateurs des prêtres, ils s'emploieront sans cesse soit à diffuser les lumières de la vérité soit à soulager les misères physiques et morales dans des milieux sociaux qui souvent sont réfractaires à l'apostolat ecclésiastique, par suite de leurs préjugés contre le clergé ou de leur déplorable indifférence religieuse. De cette manière, sous la direction de prêtres ayant une expérience pratique, ils contribueront courageusement et de tout cœur à l'assistance religieuse apportée aux masses laborieuses ; elle est Notre plus grande préoccupation : Nous y voyons le meilleur moyen de défendre Nos chers fils les travailleurs contre les mensonges communistes. § 66. -- Outre cet apostolat individuel, souvent d'ordre privé, mais toujours utile et efficace, les militants d'Action catholique doivent largement diffuser, par la parole et par l'écrit, la doctrine contenue dans les documents pontificaux : elle trace la voie du gouvernement chrétien de la cité. § 67. -- Aux côtés de l'Action catholique se placent les organisations que Nous avons appelées auxiliaires. Elles aussi, avec une paternelle affection, Nous les exhortons ici à prendre leur part des tâches prioritaires dont nous parlons, qui sont de nos jours les plus importantes de toutes. § 70. -- Avec une âme de père, Nous aimons parler à Nos très chers ouvriers catholiques, jeunes et adultes : pour avoir résolument conservé la foi au milieu de la si grande iniquité du temps présent, voici qu'ils reçoivent, semble-t-il, comme récompense, une charge et une mission pleines d'honneur et de difficulté. Ce sont eux qui, sous la conduite de leurs Évêques et de leurs prêtres, se trouvent en première ligne pour ramener a l'Église et à Dieu les foules immenses du monde ouvrier qui, dans leur colère de n'avoir été ni estimées selon leur valeur ni traitées selon leur dignité, se sont éloignées de Dieu. Que les travailleurs catholiques, par la parole et par l'exemple, manifestent à leurs camarades égarés *que* l'Église est une mère pleine de bonté pour tous ceux qui peinent et pour tous ceux qui souffrent ; que jamais dans le passé elle n'a manqué, que jamais ans l'avenir elle ne manquera à son devoir de protéger ses enfants. 90:37 Cette mission des ouvriers catholiques, dans les mines, dans les ateliers, dans les usines, sur tous les lieux de travail, leur vaudra parfois des persécutions : qu'ils se souviennent alors que le Christ Jésus, avec l'exemple du travail, a donné aussi celui du courage. § 77. -- Que les gouvernements laissent l'Église libre de remplir la mission qui lui a été donnée par Dieu pour le salut des âmes : cela même contribuera efficacement à délivrer les peuples du cataclysme actuel. On a bien raison d'en appeler partout aujourd'hui aux forces intellectuelles et morales ; car le mal à combattre est principalement -- du moins si l'on considère sa source première -- un mal qui affecte l'esprit ; c'est d'une corruption radicale des idées que procèdent, par une sorte de nécessité, les monstruosités lamentables et impies du communisme. Parmi les forces religieuses et morales, l'Église catholique occupe indiscutablement une place éminente ; c'est pourquoi le salut du genre humain exige que l'on ne mette pas d'obstacle à son action. Agir autrement, vouloir atteindre le même but par des moyens uniquement économiques ou uniquement politiques, entraînerait inévitablement dans une aventure pleine de périls. Quand on exclut la religion de l'école, de l'éducation, de la vie publique, quand on méprise les prêtres et le culte de l'Église catholique, peut-on nier que l'on favorise ce matérialisme d'où sont issues la doctrine et les organisations du communisme ? En vérité, aucune puissance humaine, fût-ce la plus apte au combat, aucun programme temporel, fût-il le plus grandiose et le plus noble, n'est capable de contenir un déchaînement qui provient d'une recherche excessive des biens de ce monde. § 78. -- Nous espérons qu'à l'avenir ceux qui tiennent entre leurs mains le sort des peuples, devenant attentifs à une situation qui est aujourd'hui extrêmement menaçante pour toutes les nations, comprendront de jour en jour davantage qu'ils portent la responsabilité de ne point empêcher l'Église d'accomplir sa mission. D'autant plus que l'Église, en travaillant au bonheur éternel des hommes, travaille aussi à l'établissement et au progrès de leur véritable bonheur temporel. 91:37 #### Centre français de sociologie Le Centre Français de Sociologie a été fondé en 1954. Son *Comité directeur* est composé de : -- Marcel CLÉMENT, président. -- Gustave THIBON, vice-président. -- Jean de LIVONNIÈRE, vice-président. -- André CLÉMENT, délégué général. -- René BRUNET-LECOMTE, secrétaire. -- Michel TISSOT, secrétaire adjoint. -- Joseph LARAT, trésorier. -- Abbé André RICHARD. -- André AUMONIER. -- Marie-Thérèse BARBERON. -- Michèle BRUNET-LECOMTE. -- Suzanne CHATILLON. -- Jean DAUJAT. -- Raymond DELATOUCHE. -- André DUPRAT. -- M. GÉRENTET DE SALUNEAU. -- Henri et Françoise d'HARCOURT. -- Brigitte LUC. Cours sur le communisme. Les cours de Jean MADIRAN sur le communisme commencent le 10 novembre. Adresser les demandes de renseignements et les inscriptions *uniquement* au SECRÉTARIAT RÉGIONAL DU C.F.S., 17, avenue Niel, Paris 17^e^ (tél. : CAR.87.12). Ces cours sont réservés aux personnes qui s'inscrivent *pour la série complète des* 12 leçons. Ils ont lieu le mardi à 20 heures, aux dates suivantes : 10 novembre -- 24 novembre -- 8 décembre -- 5 janvier 1960 -- 26 janvier -- 9 février -- 23 février -- 15 mars 29 mars -- 26 avril -- 10 mai -- 24 mai. 92:37 Conférences à Paris du C.F.S. Elles peuvent être suivies indépendamment les unes des autres. Elles ont lieu le mardi à 20 heures 45, aux dates suivantes : -- 3 novembre 1959 : Brigitte Luc : *La France face au bien commun politique.* -- 1^er^ décembre 1959 : Gustave THIBON : *La prière et la mécanique.* -- 12 janvier 1960 : Michel TISSOT : *Problèmes sociologiques de l'Inde nouvelle.* -- 21 février 1960 : Marcel CLÉMENT : *La dignité de la personne en péril.* -- 8 mars 1960 : Marcel CLÉMENT : *La famille française et le sens de l'histoire.* -- 3 mai 1960 : Marcel CLÉMENT : *La propriété pour ou contre le travail.* -- 7 juin 1960 : Marcel CLÉMENT : *L'Europe, la Communauté et la paix.* Pour tous renseignements, cartes d'invitations, etc., s'adresser au SECRÉTARIAT RÉGIONAL DU C.F.S., 17, avenue Niel, Paris 17^e^ (tél. : CAR. 87.12). Aide-mémoire Les cours et conférences du C.F.S. à Paris ont lieu le mardi. Les cours à 20 heures ; les conférences à 20 heures 45. Lyon : conférences mensuelles. -- Conférences de Jean DAUJAT (le 9 et le 30 novembre), de Gustave THIBON (le 21 décembre et le 18 janvier), etc. Pour tous renseignements, cartes d'invitation, etc., s'adresser au SECRÉTARIAT RÉGIONAL DU C.F.S., 37, chemin de la Glacière, Oullins, Rhône (tél. : 51.37.70). 93:37 Sessions sociales de 5 jours\ Anjou (Isère). Le siège central du C.F.S., qui était établi jusqu'au 30 juin dernier à Beaumont-Monteux (Drôme), a été transféré au château d'Anjou, à Anjou, Isère (tél. : 2). C'est à Anjou que se poursuivent les sessions sociales de cinq jours organisées depuis 1954 par le Centre Français de Sociologie. Ces sessions, dirigées par Marcel Clément (principes et faits sociaux) et par André Clément (méthodes et techniques d'action sociale) sont destinées aux militants syndicaux, professionnels, universitaires, cadres et chefs d'entreprise. Toutes les demandes de renseignements et d'inscriptions doivent être adressées au DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DU C.F.S, château d'Anjou, à Anjou, Isère. Toute la correspondance et toutes les demandes de renseignements concernant les activités du Centre Français de Sociologie doivent être adressées : -- soit à M. André CLÉMENT, Délégué général du Centre Français de Sociologie, château d'Anjou, à Anjou, Isère (tél. : 2) ; -- soit à Mme BARBERON, Secrétaire régionale de Paris, 17, avenue Niel, Paris 17^e^ (tél. : CAR 87-12) ; -- soit à Mme BRUNET-LECOMTE, Secrétaire régionale de Lyon, 37, chemin de la Glacière, Oullins, Rhône (tél. : 51.37.70). ============== fin du numéro 37. [^1]:  -- (1). *La France catholique* a finalement adhéré cette année au CNPC. (cf. la *France catholique*. numéro du 21 août 1959). [^2]:  -- (1). Sur ce point, voir notre éditorial : « Quatrième année », *Itinéraires*, n° 31, spécialement les pages 5. 6 et 7. Voir aussi notre Déclaration fondamentale (no 28). [^3]:  -- (1). Déclaration fondamentale de la revue *Itinéraires*. chap. XV ; n° 28, p. 25 [^4]:  -- (1). *Poèmes de Fresnes*. R. BRASILLACH. Psaume V. (Les Sept Couleurs. Paris. 1949) Se reporter au livre de Madiran sur *Brasillach* (Nouvelles Éditions Latines). [^5]:  -- (1). E. MOUNIER : *Feue la Chrétienté*, page 25. [^6]:  -- (1). *Itinéraires*, n° 35, pages 65-77 ; n° 36, pages 61-76. [^7]:  -- (2). E. MOUNIER : *Feue la Chrétienté*, page 25. Le numéro spécial de la revue *Esprit* : « Marxisme ouvert contre marxisme scolastique », donne un exemple de cette tentative « d'assumer en corrigeant ». [^8]:  -- (1). PIE XI affirmait, en 1931, que nul ne peut être à la fois bon chrétien et vrai socialiste. [^9]:  -- (1). E. MOUNIER : *Feue la Chrétienté*, page 25. [^10]:  -- (2). Karl MARX. Économie politique et philosophie, *Œuvres complètes*, Tome VI -- pages 38-40. [^11]:  -- (1). Voir *Itinéraires*, n° de juin 1959. [^12]:  -- (1). Comme le montre d'ailleurs le contexte, cet article de Georges Dumoulin était écrit avant les événements de septembre qui font ci-dessous l'objet de nos « Documents ». (NDLR.). [^13]:  -- (1). Voir la note précédente. [^14]:  -- (1). Voir *Itinéraires*, n° 23, pages 120 et 121. [^15]:  -- (1). A propos de ce passage, les *Études* marquent (numéro d'octobre. p 101) : « Il faut se souvenir que cette note est adressée à des évêques et qu'elle n'a pas besoin, par suite, de préciser la nature et le « degré » de chacun de ces devoirs... »