# 39-01-60
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## ÉDITORIAL
***Avant l'arrivée en France de Krouchtchev***
### Trois vérités oubliées sur la presse française
CE QUI SURVIT de la IV^e^ République, c'est peut-être ce qu'elle avait de pire, c'est-à-dire ses journaux, corrupteurs des consciences. Ses journaux parisiens et ses maisons d'édition parisiennes. Les unes et les autres ont favorisé, par négligence ou par complicité active, bien des attentats contre notre patrie charnelle. Mais surtout, l'ensemble de ces publications imprimées, livres et feuilles périodiques, sauf exceptions peu fréquentes, a constitué un attentat permanent contre l'âme de la France. Les catalogues d'éditeurs, les collections de journaux portent témoignage. Et d'ailleurs, ils continuent.
La plus grande partie des feuilles et des livres qui s'impriment à Paris reflètent et propagent un nouveau paganisme, l'idolâtrie de la matière et des techniques matérielles ; un paganisme nouveau dans ses modalités et dans la sonorité de ses prétextes, mais aussi cruel à l'homme, aussi irrespirable que idolâtrie des dieux de pierre ou du veau d'or.
Des maisons d'édition qui font circuler en priorité le mensonge et l'ordure, nous parlerons peut-être une autre fois. Pour les journaux et publications périodiques, la clé de leur comportement, le mécanisme qui commande leur attitude est fort simple : il est aussi très oublié car ce n'est pas, bien sûr, dans leurs colonnes qu'on peut en trouver l'analyse.
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Ce qui marque la presse installée, ce n'est point d'avoir été la presse de la IV^e^ République finissante, malgré la nostalgie que souvent elle en garde. C'est autre chose, qui est antérieur à la naissance légale de cette IV^e^ République elle-même.
**1**. -- La plupart des journaux et périodiques qui paraissent aujourd'hui à Paris n'ont pas été fondés après le 1^er^ janvier 1946, mais avant. Avec des titres nouveaux ou des titres anciens, au nom d'une existence soit réelle et honorable, soit plus ou moins entièrement fictive « dans la Résistance », ils n'ont pu s'installer, sous leur forme actuelle, avec leur direction actuelle et leur actuelle société éditrice, qu'en satisfaisant aux conditions théoriques et surtout aux conditions pratiques de *l'autorisation préalable* qui fut le régime de la presse en 1944 et en 1945.
Ces journaux qui se montrent présentement si sourcilleux sur ce qu'ils appellent « la liberté de la presse » n'existent dans leur installation actuelle que parce que la liberté de la presse fut en 1944-1945 suspendue à leur profit. Ils en conservent un monopole de fait, dans la mesure où, matériellement, il est à peu près impossible maintenant de fonder, lancer et faire vivre un nouveau journal, même en y mettant les capitaux considérables qui ne permirent pas au *Temps de Paris* de survivre, ou les capitaux également considérables qui ne parviennent qu'à conduire d'échec en échec M. Del Duca, de *Franc-Tireur* en *Paris-Journal* et de *Paris-Journal* en *Paris-Jour.*
Au moment où les conditions économiques et d'autres circonstances favorisaient la fondation de nouveaux journaux, c'est-à-dire en 1944 et en 1945, la liberté de la presse n'existait pas, mais le régime de l'autorisation préalable. Aujourd'hui l'autorisation préalable n'existe plus mais les conditions commerciales et techniques en matière de journaux ne laissent à peu près aucune chance sérieuse de réussite à la fondation d'un nouvel organe de presse ; et radicalement aucune s'il s'agit d'un quotidien. La situation s'est figée au profit de ceux qui ont, avant le 1^er^ janvier 1946, bénéficié de l'autorisation préalable.
La presse actuelle est dans sa grande majorité une survivance non pas de la IV^e^ République finissante, mais de la période transitoire et révolutionnaire qui est antérieure à la fondation légale de la IV^e^ République ([^1]).
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Quand ces journaux parlent du principe de la « liberté de la presse », en fait ils mentent. Ils sont une presse de privilège et de monopole, qui défend son privilège et son monopole. Il n'existe pas de liberté de la presse quand il est pratiquement impossible de fonder de nouveaux journaux.
Et d'ailleurs, soutenir que la presse parisienne d'aujourd'hui est à l'image de la vie nationale, serait une affirmation évidemment grotesque.
**2**. -- Ce premier point, qui vient d'être dit, n'est d'ailleurs pas le plus important. A nos yeux en tous cas, il est moins grave que le second, lui-même moins grave que le troisième.
Cette presse dut le privilège de pouvoir exister à *son patriotisme.* C'est ce que nous appelons les conditions THÉORIQUES auxquelles il fallait satisfaire pour obtenir la permission de paraître. Tel était le critère officiel, en 1944 et en 1945, selon lequel l'indispensable « autorisation préalable » était accordée ou refusée aux journaux.
Or aujourd'hui, et d'ailleurs depuis des années, non pas la totalité absolument complète, mais la très grande majorité des journaux issus de l'autorisation préalable -- à commencer par les journaux communistes, exemple le plus éclatant -- sont *des journaux qui, si on leur appliquait les critères de patriotisme qui ont permis leur parution* en 1944-1945, *devraient être privés du droit à l'existence.*
C'est, si l'on veut, un paradoxe. Mais bien réel. Qu'il s'agisse du combat mené hier par l'armée française en Indochine, qu'il s'agisse du combat qu'elle soutient depuis cinq années en Algérie, qu'il s'agisse plus généralement de la guerre idéologique -- d'un type nouveau, mais où la presse, justement, se trouve en première ligne -- que nous fait le communisme soviétique, les journaux actuels ne sont pas des journaux de résistance à l'ennemi. Ils ne sont pas tous carrément collaborateurs ou complices. Mais la plupart manifestent à l'égard de la résistance patriotique une tiédeur, un détachement, une indifférence qui, en 1944-1945, les eût exclus à coup sûr du bénéfice de l'autorisation préalable.
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Il est vrai que l'ennemi qui attaque la France a changé. Mais cela n'apparaît point une raison suffisante pour justifier que le patriotisme et l'esprit de résistance patriotique se soient évanouis.
L'explication de ce phénomène étrange mais très général se trouve, croyons-nous, dans le troisième point.
**3**. -- Car, troisièmement, les conditions PRATIQUES dans les quelles furent pris en considération les critères théoriques commandant l'autorisation préalable étaient grevées d'une hypothèque communiste prédominante.
D'abord par le climat général. Avec un volume publicitaire sans égal, que renforçaient singulièrement la mainmise du Parti sur plusieurs organismes officiels, y compris des ministères, et les opérations nombreuses menées par les tueurs de l'appareil spécial, il était partout répété que « L'ANTI-COMMUNISME EST UNE MARCHANDISE HITLÉRIENNE ».
Il est arrivé que l'autorisation préalable soit accordée à telles équipes journalistiques en considération de leur rôle effectif dans la résistance patriotique. Il est arrivé aussi qu'elle soit refusée -- ou pratiquement retirée après avoir été d'abord consentie -- à tels journaux qui la réclamaient purement et simplement au nom du patriotisme de leurs fondateurs, sans autre considération politique. Mais, d'une part, LA PROFESSION DE FOI COMMUNISTE ÉTAIT AUTOMATIQUEMENT TENUE POUR UN BREVET DE PATRIOTISME. ET, D'AUTRE PART, UN ANTI-COMMUNISME DÉCLARÉ ÉTAIT ASSIMILÉ A UN ANTI-PATRIOTISME ÉVIDENT.
Telles n'étaient point, assurément, les intentions ni les prescriptions gouvernementales. Mais, à un échelon moins élevé, dans les organismes et dans les bureaux qui présidaient à la délivrance des autorisations préalables, l'influence communiste était en fait prépondérante.
Il n'est pas sûr que l'on puisse trouver *un seul* cas où un journal reçut l'autorisation préalable MALGRÉ UN VETO COMMUNISTE ABSOLU : ce veto, quand il se produisait, était pratiquement souverain. Peut-être existe-t-il une exception ; ou deux. Exceptions infiniment rares, qui confirment la règle.
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Il ne faut évidemment point compter parmi elles les cas de journaux qui, s'étant d'abord heurtés au veto communiste, ou même, craignant simplement de s'y heurter, purent voir le jour *après négociation et compromis,* faisant des concessions que les communistes pussent trouver acceptables, spécialement en ce qui concerne la composition des équipes de direction.
Naturellement, il ne s'agissait pas pour les communistes d'installer uniformément partout des militants hors-cadres du Parti, des agents secrets de l'appareil soviétique, des crypto-communistes. Il s'agissait d'autre chose : *d'éliminer des équipes de direction, tous ceux qui étaient suspects d'avoir à la fois la force de caractère et la compétence nécessaires à une résistance sérieuse au communisme.* C'est ce que le Parti communiste réussit à opérer, en 1944 et eu 1945, sur le plan syndical ; c'est aussi ce qu'il sut mener à bien dans la presse de l'autorisation préalable.
Les publications catholiques antérieures à 1946 n'ont elles-mêmes bénéficié d'aucun régime spécial mais subi le sort commun. Pour telle d'entre elles, parmi d'autres qui connaissent une hypothèque analogue, on en est encore à chercher, sans bien les trouver, les moyens de sortir d'une situation créée par l'introduction, en 1944, à des postes influents du conseil d'administration, d'éléments qui, sans les pressions extérieures, n'y auraient jamais eu accès.
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Depuis lors, certes, quelques remaniements ont eu lieu. Ils ne sont pas tellement nombreux. Quelques écrivains ou journalistes compétents en matière de communisme, anciens ou nouveaux, ont fait des apparitions plus ou moins épisodiques dans les colonnes des journaux installés. Leur concours a été accepté ou recherché le plus souvent pour fournir un alibi à l'intention du public, qui n'avale plus aussi facilement aujourd'hui les énormes et légendaires sottises sur « le pain gratuit en U.R.S.S. », sur « le neveu de Staline », sur les « 75.000 fusillés du Parti », sur « l'heure slave à l'horloge de l'histoire », sur Staline « élément modéré et conciliateur du Politburo », sur le communisme « mouvement irrésistible », sur l' « évolution pacifique » des démocraties populaires et autres balivernes ou forgeries analogues dont la presse parisienne dans son ensemble a si longuement et si abondamment fait ses choux gras.
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Mais si quelques journalistes et quelques écrivains, capables de faire au communisme une opposition à la fois compétente et résolue, ont eu un accès d'ailleurs à éclipses dans les colonnes de la presse installée, les postes d'influence et de direction leur restent, encore aujourd'hui, rigoureusement fermés, ne serait-ce que par la force des situations acquises.
Ces postes d'influence et de direction demeurent aux mains de ceux qui purent les occuper en 1944 et en 1945 parce que le Parti communiste ne leur opposait pas son veto et misait soit sur leur incompétence, soit sur leur complaisance, soit sur leur manque de caractère, soit sur leur indifférence ou « neutralité » en ce qui concerne la résistance au communisme. Misant sur eux, le Parti communiste ne perdait pas sa mise : il a gagné pendant quinze ans, et ce n'est pas fini.
Quelques écrivains, quelques journalistes réussissent parfois, dans les colonnes mêmes de la presse installée, à y contredire efficacement le courant dominant d'idolâtrie matérialiste. Le plus souvent ils ne peuvent faire davantage que verser, dans beaucoup d'eau sale, un peu d'eau propre : cela fait toujours de l'eau sale.
Au moment où Krouchtchev va venir en France non seulement pour des entretiens diplomatiques qui sont dans l'ordre -- dans l'ordre diplomatique tel qu'il est présentement -- mais aussi pour réaliser autant qu'il le pourra une tournée publicitaire à grand spectacle, l'un des points faibles, et sans doute le premier, de la résistance morale du pays à une telle entreprise se situe dans la presse installée de Paris.
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#### II. -- Les conséquences pratiques et l'action concrète qui doivent en résulter pour nous.
Bien entendu, on ne nie point qu'il y ait, même dans la presse parisienne, et si loin qu'elle soit d'être la première du monde, comme elle l'imagine cocassement, -- on ne nie point qu'il y ait de grands et généreux talents, des esprits distingués ou érudits, dont l'influence sur le public est très heureuse chaque fois que le communisme n'est pas directement ou indirectement en question. De plus, notre propos n'est absolument pas d'attaquer la presse parisienne, et nous ne conseillons à personne de l'attaquer, ce serait perdre son temps. Nous recommandons seulement d'y voir clair, de n'être pas dupe, et nous apportons notre contribution à une appréciation lucide de ce phénomène sociologique. Attaquer cette féodalité privilégiée que constitue la presse installée serait certainement très au-delà des forces réelles de simples citoyens. L'État seul, comme toujours, est en mesure de défendre la nation contre les féodalités. L'État seul pourra y parvenir, quand il s'en souciera...
Le gouvernement français commet une erreur, s'il croit véritablement, comme il en donne l'apparence, que l'on peut relever un pays à coups d'ordonnances, de lois et de décrets, en laissant la presse contredire, discréditer, diffamer tout ce que la France, *la France des prières ardentes, des sacrifices généreux et du sang versé,* fait pour retrouver sa vocation chrétienne, sa dignité, l'honneur de servir la civilisation et l'humanité. La presque totalité des journaux parisiens, tels qu'ils sont financés, organisés, dirigés et rédigés aujourd'hui, pourrissent tout ce qu'ils touchent.
Tôt ou tard, l'État s'apercevra qu'il ne peut laisser en leur état actuel -- à des titres divers -- ni la presse, ni l'édition, ni le cinéma, ni l'Université.
En attendant, le véritable travail des simples citoyens est ailleurs, il est en dehors des journaux. Dans tous les domaines. Sous beaucoup de formes. Et notamment sous la nôtre.
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Plutôt que d'adresser, à une presse corrompant les esprits et les consciences, des imprécations et des critiques qui, mêmes précises, n'émeuvent guère sa suffisance de féodalité privilégiée et n'ébranlent pas son horrible pouvoir sur les âmes, -- nous croyons qu'on occuperait mieux son temps et qu'on emploierait mieux sa peine en travaillant avec acharnement et persévérance à une tâche positive, *et qui a toujours entraîné des conséquences intellectuelles et morales décisives là où elle a été accomplie,* celle de faire connaître plus largement, de faire étudier et méditer plus sérieusement la revue *Itinéraires.*
Plutôt que de heurter de front le brave homme qui ne sait pas qu'on l'a amputé de son jugement, que l'on a colonisé jusqu'à sa vie intérieure par des mots et des images obsédantes, et qui en est à répéter machinalement, sans même s'en rendre compte, l'opinion qu'il a trouvée le matin dans son journal, amenez-le avec patience à lire régulièrement *Itinéraires.*
N'allez pas supposer qu'il faille une culture intellectuelle hors de pair pour pouvoir lire la revue. Des gens très cultivés n'y comprennent rien, parce que leur cœur est fermé. Mais, à part quelques articles plus proprement philosophiques ou théologiques, qu'il nous faut publier aussi, pour ceux à qui ils sont directement utiles, quantité de lecteurs très humbles, comme on dit sans savoir ce qu'on dit, quantité de lecteurs réellement humbles, et peu savants, comprennent très bien ce que nous écrivons ; ils le comprennent dans et par l'humilité de leur cœur : avec l'effort, avec l'attention sans quoi personne ne comprendrait jamais rien, bien sûr, mais d'abord avec ce discernement intellectuel et spirituel qui est donné aux cœurs humbles et ouverts à l'amour, quel que soit par ailleurs leur degré de science ou de culture.
Nous croyons, oui nous croyons fermement, nous avons cette entière certitude et nous ne nous en cachons pas, nous croyons qu'il y aura fondamentalement quelque chose de changé dans l'esprit public en France lorsqu'on aura -- lorsque *vous aurez,* amis lecteurs -- porté la diffusion de la revue au niveau qu'elle doit atteindre. C'est parce que nous le croyons, c'est pour cela que nous faisons cette revue.
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Nous, croyons que, sans tapage et sans éclats, et sans qu'on n'en sache rien dans les salles de rédaction parisiennes, ni dans les salons où l'on juge de l'importance de toutes choses d'après l'importance que la presse consent à leur donner, nos lecteurs et nos amis ont le pouvoir de réaliser une œuvre très réelle, aux conséquences incalculables, en faisant lire la revue *Itinéraires* partout où elle devrait être lue habituellement.
Nous croyons, et nous le disons comme nous le croyons, que quelque chose de l'avenir de la France et de la Chrétienté dépend de cette tâche.
Que tous ceux qui le comprennent y donnent un peu et quelquefois beaucoup -- un peu de leur temps, de leur argent, de leur cœur, de leur prière. Nous ne pouvons le faire à leur place. Nous faisons cette revue comme nous pouvons. La porter partout où elle doit l'être et lui donner, non pas en surface, non pas bruyamment, mais dans les réalités de la conscience et de la vie du plus grand nombre possible, toute la diffusion et toute l'influence qu'elle doit avoir, c'est à quoi nous appelons ceux qui liront ces lignes.
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Nous ne vous disons pas, nous ne vous avons jamais dit : il n'y a que nous. Grâce à Dieu, il existe quantité d'œuvres et quelques publications répondant chacune à une vocation particulière et accomplissant une fonction déterminée. Mais nous vous disons, parce que cela est vrai, qu'il n'existe en France AUCUNE AUTRE ENTREPRISE INTELLECTUELLE ET MORALE assumant précisément les tâches qui sont celles de la revue *Itinéraires.* Nous vous disons qu'il n'existe AUCUNE AUTRE PUBLICATION, en France, relevant de la catégorie et remplissant la fonction qui sont les nôtres. Il n'existe ni un journal ni une revue dont les buts soient ceux de notre Déclaration fondamentale ([^2]). D'autres font autre chose, qui est utile et qui doit également être fait. Ne confondons pas les fonctions et les catégories. Il est impossible que tout soit fait par tout le monde.
Nous avons des lecteurs qui se dévouent à d'autres entreprises, et ne peuvent réellement faire plus, en ce qui concerne la revue, que de nous lire dans la mesure où cette lecture contribue à leur documentation générale et à leur approfondissement intellectuel.
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Mais il est bien évident que ce profit qu'ils trouvent dans la revue, ils en seraient privés si la revue venait à disparaître faute de concours suffisants qui lui donnent les moyens de vivre et d'agir. C'est pourquoi il est indispensable que beaucoup de nos lecteurs décident de se dévouer *aussi* à l'entreprise qui est la nôtre ; et que quelques-uns, parmi toutes les œuvres temporelles qui s'offrent à eux, se dévouent *principalement* à la revue, travaillant aux trois secteurs qui appellent un développement rapide et considérable : -- la diffusion ; -- les abonnements ; -- les souscriptions. Que tous ceux qui veulent donner quelque chose, faire quelque chose, nous apporter leur aide, prennent l'initiative de se mettre en rapport avec notre Secrétariat-diffusion ([^3]).
Ce que nous avons entrepris ne se fera pas tout seul. Il y faut, il y faudra une grande fidélité de tous à notre mensuel rendez-vous de prière ([^4]). Il y faut, il y faudra l'effort, la peine, le sacrifice que requièrent toujours les activités fécondes. Il y faut, il y faudra beaucoup de courage et une immense générosité. La revue *Itinéraires* ne donne pas un spectacle auquel on assisterait pour se distraire et sans bouger. A tous ceux qui d'esprit et de cœur sont avec nous, nous demandons d'être volontaires pour une mobilisation active en vue de l'objectif urgent, primordial, nécessaire : une diffusion intense.
Sous le règne intellectuel et moral d'une presse qui est presque entièrement idolâtre, païenne ou apostate, ou désarmée sinon complaisante en face de l'apostasie, du paganisme, de l'idolâtrie sous forme imprimée, -- il faut assurément un effort considérable et permanent pour porter la diffusion de la revue *Itinéraires* au niveau qui doit être le sien. Nous vous demandons cet effort permanent ; nous vous demandons cet effort considérable. Nous vous demandons un effort sans précédent.
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#### III. -- Dans moins de trois mois : Krouchtchev en France
Au mois de mars, la résistance morale et spirituelle de la France va être *éprouvée.* Non par les conversations diplomatiques qui seront tenues à Paris et qui, c'est probable, devaient normalement avoir lieu : à cela, cris, proclamations, manifestations ne changeront rien. C'est une diversion d'appeler sur ce point l'inquiétude ou l'indignation des citoyens, quand LE PÉRIL EST AILLEURS.
Mais Krouchtchev va, en outre, faire en France une tournée que tout annonce analogue à celle que Mikoïan d'abord, lui-même ensuite, ont faite aux États-Unis. Son propos explicite ou implicite, mais certain, est celui qu'il a déjà adressé aux Français en particulier et à l'univers en général : « LE COMMUNISME L'EMPORTERA DANS LE MONDE ENTIER » ([^5]). Son propos secret ou avoué sera celui qui a déjà été tenu aux Américains : « VOS PETITS-ENFANTS SERONT TOUS COMMUNISTES ». Et les Américains sont restés sans voix et sans réponse, parce qu'il n'existe *qu'une vraie réponse,* et il est de fait que nous fûmes seuls à la formuler clairement ; une seule vraie réponse qui est : « VOS PETITS-ENFANTS SERONT TOUS CHRÉTIENS » ([^6]).
Nous ne disons pas qu'il soit nécessaire -- ni qu'il soit interdit -- de jeter cette réponse à la figure de Krouchtchev. Nous disons qu'elle EST la seule réponse, et qu'elle doit être conçue clairement, pensée dans toutes ses implications, vécue chaque jour. Les chefs du communisme pensent *qu'il est fatal* que le communisme l'emporte dans le monde entier. Nous pensons *qu'il dépend de la liberté humaine, et d'abord de la nôtre, chrétiens,* que cette génération ne passe point sans avoir vu la conversion de la Russie.
Aux slogans de propagande dont Krouchtchev abreuvera vraisemblablement les villes, les villages, les usines qu'il visitera en France, il importe -- ce n'est pas nous qui le contesterons, on le sait -- de répondre par d'autres slogans de propagande, pourvu que ce soit des slogans de vérité.
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On peut d'ailleurs compter sur la presse pour cela. Elle emploiera indistinctement les meilleurs et les moins bons. Elle mettra en relief plutôt ceux de Krouchtchev que ceux qui y répondront : Elle mélangera tout, comme à l'ordinaire. Elle fera preuve de « bonne volonté » aussi bien à l'égard des Soviétiques « détendus » qu'à l'égard des consignes de résistance éventuellement données par le gouvernement. Nous répétons, sachant ce que nous disons, que les hommes qui ont à la fois la compétence et la force de caractère requise pour mettre en œuvre une saine contre-propagande en face de la pénétration idéologique du communisme ne sont pas dans la presse parisienne ; ou en tous cas, n'y sont ni aux postes d'influence ni aux postes de direction. Et cela se voit, depuis quinze ans, si l'on sait voir.
Krouchtchev n'est pas allé en Amérique et ne vient pas en France pour obtenir principalement ni d'abord le *désarmement militaire* de l'Occident : car ce n'est pas principalement ni d'abord sur la guerre classique ou thermonucléaire que le communisme compte pour « l'emporter dans le monde entier ». Krouchtchev ne vient pas davantage en France pour obtenir notre *désarmement idéologique :* car il n'est aujourd'hui aucune idéologie profane, aucune « mystique temporelle » qui, devant le communisme, fasse le poids. Sans qu'il soit nécessaire qu'il en ait lui-même une conscience claire, mais dans la ligne certaine des forces d'en bas qui l'animent et le poussent, Krouchtchev vient en France pour obtenir notre *désarmement spirituel :* ce désarmement-là ne se négocie pas, il s'insinue dans les consciences comme une tentation, comme une lassitude, comme une démission.
Si nous est donné, comme il est probable, le spectacle d'un « bonhomme Krouchtchev » en pleine « évolution libérale », on oubliera plus facilement -- on l'oublie déjà si souvent -- la prière personnelle et la prière communautaire POUR LA CONVERSION DE LA RUSSIE. S'il brouille les cartes et donne à croire que tout n'est pas mauvais dans le communisme, et qu'en somme le communisme n'est pas ou n'est plus intrinsèquement pervers, on sentira beaucoup moins l'urgence -- on ne la sent déjà pas tellement -- de mettre méthodiquement en œuvre L'ENSEMBLE DES MOYENS NATURELS ET SURNATURELS impérativement recommandés par l'Encyclique *Divini Redemptoris,* confirmés et réitérés par les successeurs de Pie XI.
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Si Krouchtchev fait, comme il sait le faire, « bonne impression », et s'il donne à croire aux Français, comme il s'y entend, que nous sommes séparés seulement par des malentendus qui se dissiperont d'eux-mêmes à la condition de converser gentiment, -- les volontés, les esprits, les âmes seront détournés de comprendre l'extraordinaire gravité du plus grand drame spirituel de notre temps, ils seront détournés de saisir en quoi le communisme est LA PLUS TERRIBLE ENTREPRISE QUE L'ON AIT VUE DEPUIS DEUX MILLE ANS POUR PRIVER LES HOMMES DU BÉNÉFICE DE LA RÉDEMPTION. Ils seront détournés de prendre et de tenir, dans la prière et dans l'action, la place où ils sont appelés.
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JE VOUS LE DIS comme cela est. Je vous le dis, croyez-moi, sans y trouver le moindre motif de gloriole. Je vous le dis dans le sentiment que les responsabilités qui pèsent sur *Itinéraires* sans que nous les ayons cherchées sont écrasantes. Je vous dis que la réponse, de fond et non de surface, est dans la diffusion de la revue *Itinéraires.*
Qui donc, dans la presse, ces dernières années, a méthodiquement et constamment ramené l'attention du public sur L'ENSEMBLE DES MOYENS NATURELS ET SURNATURELS que Jésus-Christ, par son Vicaire sur la terre, nous a donnés face au communisme, dans l'Encyclique *Divini Redemptoris ?*
Car il ne s'agit pas de rabâcher que le communisme est « condamné » par cette Encyclique : cela nous fait une belle jambe. Il était « condamné », le communisme, depuis les premières manifestations publiques de Karl Marx, et la condamnation a été sans cesse renouvelée et précisée par les Souverains Pontifes pendant un siècle, à mesure que le communisme lui-même se précisait, se développait, devenait léniniste et stalinien. Il s'agit d'autre chose. Il s'agit d'aller y voir. De recueillir ce que l'Encyclique sur le communisme enseigne, ce qu'elle prescrit, quelles tâches naturelles et surnaturelles elle nous demande d'assumer en *priorité* devant la montée de ce communisme « condamné ».
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Il s'agit d'étudier et d'accomplir, point par point et sans rien omettre, l'ensemble des travaux de défense et de contre-attaque auxquels l'Église nous appelle avec une autorité solennelle et une pressante insistance, rarement manifestes à un tel point dans une Encyclique.
Il se trouve que, parmi les publications éditées à Paris, c'est nous qui l'avons fait, c'est nous qui le faisons. Nous ne demanderions pas mieux que de voir d'autres périodiques le faire plus souvent et mieux que nous : mais nous ne le voyons pas, et personne ne peut prétendre le voir. D'autres que nous, d'ailleurs sur un plan profane, travaillent à la *résistance en surface :* et il faut que ce travail-là soit fait lui aussi. Nous travaillons ici à la *résistance profonde.* Tous ceux qui liront ces lignes peuvent y travailler avec nous.
D'ici l'arrivée de Krouchtchev en France, et en vue de cette éventualité maintenant très prochaine qui va éprouver en profondeur la résistance morale du pays, il est d'une urgence extrême de réaliser une campagne d'abonnements et de diffusion plus intense et plus vaste que toutes les précédentes. On peut si on veut l'appeler « la campagne Krouchtchev ». La situation où nous allons nous trouver est elle-même exceptionnelle et sans précédent. C'est bien à un effort tout à fait exceptionnel que nos lecteurs, que nos abonnés, que nos amis se trouvent conviés. Cette RÉSISTANCE PROFONDE, son intensité, son étendue sont entre vos mains. Entre vos mains, vous qui recevez cette revue, vous qui la tenez en ce moment devant vos yeux ; entre vos mains se trouve le moyen d'informer et d'éclairer partout les cadres réels, les élites réelles de la nation. Cette *responsabilité* est sur chaque lecteur dont à cet instant le regard court au long des lignes et arrive à la fin de l'article. Je n'ai plus rien à ajouter. La suite, c'est vous.
Jean MADIRAN.
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### Pour connaître la vraie nature du communisme et pour organiser la résistance à son agression permanente
-- Jean MADIRAN : Contre le désordre établi, pour un anti-communisme méthodique (*Itinéraires,* n° 1, mars 1956).
-- Marcel CLÉMENT : Communisme et droit naturel (n° 1).
-- DOCUMENTS : La diffamation des missionnaires de Chine (n° 1).
-- Gustave THIBON : Sens et non-sens de l'historicisme (n° 5).
-- Jean MADIRAN : Le communisme sous la toise (n° 6).
-- Marcel CLÉMENT : Étapes vers le progressisme (n° 6).
-- Hyacinthe DUBREUIL : L'imposture paie (n° 7).
-- Jean MADIRAN : Un peuple martyr témoigne contre le mensonge des docteurs (n° 8).
-- Louis SALLERON : L'appel de nos frères de l'Est (n° 9).
-- Jean MADIRAN : Résistance et croisade (n° 10).
-- Louis SALLERON : Marxisme et humanisme (n° 10).
-- Jean MADIRAN : Le progressisme doctrinal... et les autres (n° 11).
-- DOCUMENTS : Pie XII et la croisade (n° 11).
-- Louis SALLERON : La pensée de Marx (n° 12).
-- Marcel CLÉMENT : Pie XII et le sens de l'histoire (n° 15).
-- Louis SALLERON : Le travail et l'argent (n° 16).
-- Georges DUMOULIN : L'exemple doit venir d'en haut (n° 22).
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-- Jean MADIRAN : Pratique communiste et vie chrétienne (n° 23).
-- Georges SAUGE : Tactique et stratégie (n° 23).
-- XXX : Guerre et action psychologique (n° 27).
-- Georges DUMOULIN : La scission de 1921 et l'avenir du syndicalisme (n° 27).
-- Jean MADIRAN : En pleine guerre psychologique (n° 30).
-- Marcel CLÉMENT : Lénine et la stratégie révolutionnaire (n° 31).
-- Marcel CLÉMENT : A-t-on le droit de conditionner les masses humaines ? (n° 32).
-- Jean MADIRAN : Conditionnement à la non-résistance (n° 33).
-- Gustave THIBON : Propos sur les mœurs (n° 33).
-- DOCUMENTS : Les journaux contre notre civilisation (n° 33).
-- Jean MADIRAN : Après le décret du Saint-Office (n° 33).
-- Hyacinthe DUBREUIL : La question sociale n'est pas économique (n° 35).
-- Marcel CLÉMENT : Emmanuel Mounier (n° 35 et n° 36).
-- Jean MADIRAN : Lecture des 18 premiers paragraphes de l'Encyclique *Divini Redemptoris* (n° 35).
-- Henri BARBÉ : Qu'avez-vous fait des communistes convertis (n° 36 et n° 37).
-- R.P. CALMEL, o.p. : Vrai et faux messianisme (n° 37).
-- Marcel CLÉMENT : L'analyse marxiste de l'économie (n° 37).
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### Le monde ouvrier en France
-- Marcel CLÉMENT : Déguisements et réalités de la science économique (n° 2).
-- DOCUMENTS : Le mouvement ouvrier chrétien (n° 3).
-- Marcel CLÉMENT : Le « programme social » de l'Église (n° 4).
-- Marcel CLÉMENT : La fête chrétienne du travail (n° 5).
-- Hyacinthe DUBREUIL : Évolution du syndicalisme (n° 6).
-- Georges DUMOULIN : Retour aux vérités premières (numéros 6, 7, 9, 10 et 11).
-- DOCUMENTS : Entre le « capital » et le « travail » (n° 8).
-- Pierre LOYER : La division des catholiques français devant les enseignements pontificaux en matière sociale (n° 9).
-- Jean MADIRAN : Préparons le Premier Mai (n° 12).
-- D. MINIMUS : Saint Joseph artisan (n° 12).
-- Georges DUMOULIN : Lumières sur l'autre monde (n° 13).
-- Georges DUMOULIN : En présence du monde actuel (n° 14).
-- Hyacinthe DUBREUIL : Pour le dossier du corporatisme (n° 15).
-- Marcel CLÉMENT : Conception chrétienne de l'entreprise (n° 16).
-- DOCUMENTS : Le livre de Mgr Guerry sur la doctrine sociale de l'Église (n° 16).
-- Hyacinthe DUBREUIL : Le témoignage des deux frères (n° 20).
-- Henri CHARLIER : Naissance d'une corporation (n° 20).
-- Jean MADIRAN : Parenthèse sur l'imposture syndicale (n° 22).
-- Georges DUMOULIN : Sur la corporation (n° 23 et n° 24).
-- Georges DUMOULIN : La scission de 1921 et l'avenir du syndicalisme (n° 27).
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-- Raymond le POITEVIN : Les deux formes de l'apprentissage (n° 30).
-- A. DAUPHIN-MEUNIER : L'Église et l'organisation professionnelle (n° 31).
-- Georges DUMOULIN : Les métiers lourds (n° 34).
-- DOCUMENTS : Le discours de Mgr Guerry à la rencontre nationale de l'A.C.O. (n° 35).
-- Georges DUMOULIN : Une croisade de vérité (n° 37).
-- DOCUMENTS : Les prêtres au travail et l'apostolat ouvrier (n° 37).
Justice sociale et apostolat ouvrier
« L'injustice scolaire est une *injustice sociale,* qui est subie surtout par les plus pauvres, et dans la mesure directe où ils sont les plus pauvres.
« L'école chrétienne est réclamée par les exigences mêmes de l'apostolat ouvrier.
« Il arrive parfois aujourd'hui que ce soient des catholiques plus spécialement préoccupés de justice sociale et d'apostolat ouvrier qui méconnaissent l'importance et la fonction de l'école chrétienne. » (*Itinéraires,* n° 36).
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## CHRONIQUES
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### Note doctrinale sur le Messianisme
par le R.P. CALMEL, o.p.
Le présent article fait suite à l'article précédent du Père Calmel : *Vrai et faux Messianisme,* paru dans notre numéro 37.
COMME le terme de Messie dont il est dérivé, le terme de messianisme est d'origine juive. Les juifs attendaient le Messie (et certains d'entr'eux l'attendent toujours) c'est-à-dire l'Oint et l'Envoyé de Dieu, le Libérateur de leur peuple et de tous les peuples. Les Prophètes entretenaient cette espérance et précisaient que la libération serait avant tout d'ordre spirituel et religieux, c'est-à-dire qu'elle ferait remporter la victoire sur le péché et sur le démon. Les biens temporels que promettaient certains oracles ne devaient être qu'une conséquence, et encore non obligatoire, de la fidélité à Dieu. Par ailleurs, en un certain nombre de textes, la promesse des biens temporels avait uniquement valeur de symbole. Ceux qui, dans le secret de leur cœur, avaient préféré l'union à Dieu à la possession d'une terre grasse savaient entendre ces textes dans leur sens véritable. Enfin la libération spirituelle et la dispensation des biens spirituels que devait réaliser le Messie ne trouveraient pas dès cette terre leur accomplissement plénier et définitif. La plénitude de l'accomplissement était reportée au siècle futur, *sous des cieux nouveaux et dans une terre nouvelle.*
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Ainsi le messianisme judaïque ([^7]) doit-il être présenté sous des traits de sanctification, d'universalisme et de bonheur parfait. Il consiste en la conversion du cœur et la libération du péché que le Messie réalise des cette terre pour tous les hommes de bonne volonté ; et cette libération s'ouvre sur la béatitude parfaite, mais seulement après la mort, dans la Jérusalem céleste.
UN TEL MESSIANISME comporte des dénivellations et des différences de plan. La conversion du cœur n'est pas située au même niveau que l'obtention des biens temporel ou la victoire sur les potentats oppresseurs ; et de plus il n'y a pas de corrélation infaillible entre ces deux ordres de réalités. De même le bonheur rayonnant dans la Jérusalem céleste est-il situé sur un autre plan que le bonheur si souvent humilié que goûte dès ici-bas l'âme qui est fidèle au Seigneur.
LA RÉVÉLATION et la vie de Jésus, qui est le Messie véritable et le seul, viendront approfondir et préciser d'une manière définitive le messianisme déjà divin de la Loi et des Prophètes. C'est ainsi d'abord que l'universalité sera manifestée dans toute son ampleur au point que certaines modalités judaïques du culte et de la religion devront être supprimées. « Désormais, déclare Jésus à la femme de Samarie, ce n'est plus à Jérusalem que vous adorerez le Père ». De même la portée et les exigences de la conversion du cœur, de la libération du péché et de l'intimité avec Dieu, bref, le caractère spirituel de ce messianisme sera pleinement dévoilé dans la doctrine du sermon sur la montagne et du discours après la Cène. De même encore on verra apparaître dans un jour implacable, lorsque sera accompli le mystère de la mort sur la croix, le terrible décalage qui se creuse entre la fidélité à Dieu et la satisfaction des aspirations terrestres. Par ailleurs le -- mystère de la Résurrection rendra plus éclatante la différence, qui cependant est déjà bien visible, entre l'expérience des béatitudes évangéliques dans la vie présente et la béatitude parfaite dans la vie éternelle.
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Enfin la distinction sera formulée on ne peut plus nettement entre les choses de César et les choses de Dieu. (N'oublions pas de noter aussi, car c'est un trait essentiel du vrai messianisme, que le royaume spirituel nous est décrit comme étant mêlé d'ivraie et de bon grain et sujet jusqu'à la fin des siècles aux attaques et persécutions de l'anti-Christ).
TEL est le messianisme de la Rédemption. Il suppose un royaume d'éternité situé au niveau de la sainteté, de la purification de l'âme et de son union avec Dieu et non pas simplement un royaume situé au niveau du bien commun temporel. Il comble les aspirations vers le bonheur parfait, mais c'est après les avoir tournées vers le Dieu très saint et par là même purifiées. Il fait entrer dans la Béatitude mais par la Croix. Il opère un rassemblement de tous les hommes mais à un autre niveau que les patries ou la fédération des patries. Il nous délivre et il brise nos chaînes, mais pas toutes ni tout de suite ; comme le disait le Seigneur à Pascal : « Souffre des servitudes corporelles, je ne délivre que des spirituelles à présent. »
TEL ÉTANT LE VRAI MESSIANISME, le messianisme spirituel de la Rédemption et de la Croix de Jésus, il reste que nous nous tromperions et même lourdement en y voyant un messianisme fermé sur soi-même. Certes il est vrai qu'il y a distinction des ordres et des plans mais cela n'empêche pas la communication. Plus exactement, situé à un autre niveau que celui des royaumes de ce monde, le messianisme de la Rédemption fait sentir son influence sur ces royaumes et il ne peut pas ne pas en être ainsi.
Que pourrait signifier en effet la conversion du cœur si l'on demeurait indifférent aux scandales ou à la justice des institutions de la cité, c'est-à-dire à ce qui, par nature, encourage ou entrave la conversion du cœur ; si d'une manière ou d'une autre, et serait-ce par la seule prière, on n'essayait pas que la cité serve à sa manière le royaume spirituel au lieu de le contredire et de s'y opposer !
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TOUTEFOIS l'influence sur les royaumes de ce monde a beau être une conséquence inéluctable du messianisme de la Rédemption, ce n'est qu'une conséquence. Il n'est pas surprenant dès lors, il est même normal, que certains parmi les disciples du Seigneur Jésus, du Messie véritable, se consacrent exclusivement à l'essentiel de son messianisme et ne se préoccupent pas des conséquences, si ce n'est uniquement par leurs oraisons ; il est normal en d'autres termes que parmi les chrétiens certains, *ceux qui ont choisi la meilleure part,* soient voués exclusivement à la prière, renoncent à fonder un foyer et à s'occuper de l'économique et du politique. Par ailleurs étant donné la nature du vrai messianisme qui est d'ordre spirituel et situé au niveau de la conversion du cœur, il est nécessaire que les chrétiens engagés dans les royaumes de César, et c'est le plus grand nombre, *cherchent d'abord le royaume de Dieu,* même quand ils travaillent aux choses de César. Or *chercher d'abord le royaume de Dieu* pour qui travaille dans le temporel cela signifie de poursuivre la conversion assez réellement pour la poursuivre même à travers les occupations temporelles, de ne prendre pour réussir que des moyens dignes de Dieu, c'est-à-dire bien souvent des moyens crucifiants.
Le messianisme de la Rédemption peut échouer en partie à instaurer une cité temporelle conforme au droit naturel, par exemple à cause des persécutions. Cependant il réussit toujours sur quelques points et par quelques essais et fragments, ne serait-ce qu'au niveau de la famille, à susciter un temporel juste et digne du Royaume de Dieu. Lorsqu'il réussit en petit ou en grand à instaurer un temporel juste c'est avant tout parce que de vrais amis de Dieu le veulent et s'y sacrifient, c'est-à-dire parce que des chrétiens préoccupés d'abord du Royaume de Dieu s'occupent d'un cœur chrétien aux royaumes de la terre.
FACE AU VRAI MESSIANISME de la Rédemption et de la Croix se tient le faux messianisme. Autrefois ses représentants étaient avant tout les Juifs charnels dont nous parle l'Évangile ; de nos jours ce sont surtout les communistes. Mais le faux messianisme communiste, le messianisme de l'anti-Christ communiste est assurément plus explicite, plus virulent et plus pervers que celui des Juifs qui hurlaient en présence du Fils de l'homme couronné d'épines : « Nous n'avons pas d'autre roi que César. »
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Plus encore qu'un matérialisme dialectique le communisme est un messianisme menteur. Ou plutôt c'est le messianisme, le plus menteur qui est l'âme même du matérialisme dialectique. Le communisme mérite le nom de messianisme mais il est un messianisme inverti et voici pourquoi : il veut un messie, mais comme il rejette Dieu, ce messie ne saurait être que l'humanité elle-même se divinisant par la production matérielle et par la révolution. Il veut le bonheur parfait, par la production matérielle et par la révolution. Il veut le bonheur parfait, mais sa conception du bonheur est absurde et en un certain sens inconcevable puisqu'elle ne dépasse pas l'ordre de la matière. Le communisme enfin veut la libération de l'humanité, mais il n'est pas question de la libérer du péché puisqu'il n'y croit pas ; d'autre part, n'ayant de l'homme que la notion la plus fausse, ne sachant pas en quoi consiste sa nature ni ses véritables chaînes, cette libération ne saurait aboutir qu'à resserrer les liens de l'esclavage et à les rendre infiniment plus tyranniques.
LE MESSIANISME DES COMMUNISTES a déteint sur celui de certains chrétiens, non seulement en vertu des contacts inévitables et parce que le zèle des chrétiens pour convertir leurs frères n'est pas assez pur, mais à cause de la dialectique et de son habileté déconcertante.
Plutôt que de caractériser ici les points de contamination, je voudrais indiquer quelques aspects du messianisme charnel auquel tout homme est exposé. Il paraît utile de repérer les caractères d'un tel messianisme si on veut le combattre ou s'en défaire. Et il est urgent de le combattre et de s'en défaire car plus on sera libre de tout messianisme terrestre et plus l'on sera immunisé contre les séductions du communisme.
Le messianisme charnel me paraît toujours présenter ces deux traits communs : d'abord on distingue mal le niveau de l'Église et celui de César, le niveau du bien surnaturel et impérissable et le niveau du bien temporel ; ensuite on voit mal que, à tous les niveaux, au niveau de l'Église comme à celui de César, c'est l'homme pécheur qui est en cause : un homme gâté par le péché qui s'en guérit plus ou moins et quelquefois totalement ; un homme sollicité par le diable et qui trop souvent fait le jeu de son ennemi.
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Cet homme est racheté mais la Rédemption n'opère en lui que peu à peu ; d'autre part certains refusent ces divins effets ; et de toute façon quand elle est reçue elle n'agit que par la Croix.
Oublieux du péché et de la croix, oublieux de la distinction entre l'Église et César, certains chrétiens deviennent les victimes d'un messianisme contaminé. Ils faussent plus ou moins gravement les notes essentielles du vrai messianisme : union et libération. Dans l'Église, au plan de l'union à Dieu dans le Christ, c'est sûr que la paix est possible et qu'elle est donnée. Mais enfin c'est dans une Église de la terre d'exil que cette paix est donnée. C'est une paix progressive, car nul n'est accordé à Dieu du premier coup et c'est une paix crucifiée, car le fidèle qui vit de la béatitude des pacifiques ne saurait éviter de souffrir par ses frères ou pour le rachat de ses frères. Eh bien ! un messianisme contaminé attend de l'Église de la terre une paix immédiate et sans souffrance. Par ailleurs la paix qu'il demande à César et que César a le devoir de procurer, il saisit mal qu'elle est d'une autre nature que la paix de l'Église, il saisit mal surtout que César ne saurait la procurer que parce que beaucoup de sujets auront voulu la parfaite union à Dieu et la paix de Dieu dans les choses mêmes de César. -- S'il s'agit de l'autre aspect du messianisme, c'est-à-dire du rassemblement universel, il est évident que même dans l'Église et au niveau de Dieu il n'est réalisé que grâce à beaucoup de sacrifices et que bien des humains n'en veulent pas et s'obstinent à demeurer en dehors. Au niveau de César et du bien temporel ce rassemblement ne peut pas davantage se passer de sacrifices et il ne saurait atteindre tous les hommes ; en particulier jamais aucun César ne pourra éviter qu'il n'y ait des criminels et qu'il faille les mettre en dehors de la société des hommes libres c'est-à-dire à l'intérieur des prisons. Or le messianisme contaminé rêve, aussi bien pour l'Église que pour César, d'un rassemblement qui n'exigerait pas beaucoup de sacrifices et qui ne comporterait l'exclusion de personne. -- Quant à la libération, le messianisme contaminé n'arrive pas à admettre que, au plan de l'Église, elle ne vienne que lentement et par la Croix et qu'elle soit à reprendre avec chacun (à ses propres dépens et pour sa propre consolation) de sorte qu'elle doit recommencer avec chaque génération et avec chacun dans chaque génération.
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De même, au plan de César, cette libération est-elle très humble. Au plan de César, elle essaie de briser les entraves des servitudes qui tiennent à l'injustice et au cosmos. Mais à ces deux plans, les entraves se reforment toujours ; et surtout on n'a quelque chance de supprimer les institutions injustes que si beaucoup de sujets se fatiguent et s'épuisent à susciter ou à maintenir des institutions justes.
A VRAI DIRE, pour un homme bien-né il n'est pas si facile d'échapper à la séduction du messianisme terrestre. Un homme bien-né ne peut pas en effet n'être pas suffoqué et bouleversé par les horreurs et les ignominies auxquelles il se heurte dans la société profane, parles sacrilèges qu'il pressent ou qu'il voit au sein de l'Église de Dieu. Il lui est impossible d'en prendre son parti. Il est brûlé par le désir d'y mettre un terme ; il n'a pas de cesse que ne soit instaurée une cité où l'honneur fasse loi ; il se consume en prière et, si c'est son office, il multiplie la prédication pour que les chrétiens par leur conduite ne fassent plus blasphémer le Dieu très saint et le Sauveur dont ils se réclament. -- Un homme digne de ce nom fera tout ce qui est en lui pour que la société ne soit pas tellement avilie, que la torture par exemple, ou l'avortement soient passés dans les mœurs communes. Il s'y emploiera avec véhémence, avec ténacité, inlassablement, avec la résolution ferme, farouche, muette, inébranlable de mettre un terme à des mœurs publiques d'ignominie. Eh ! bien, s'il dépasse le messianisme terrestre il poursuivra ce travail sans illusion, à la fois déchiré et serein. Voici ce que je veux dire. Les mœurs publiques seraient-elles devenues honnêtes, les institutions seraient-elles devenues justes, il sait quand même que la liberté humaine, une liberté blessée et sollicitée par le diable, demeure capable du pire ; capable par exemple de rechercher les tortures. N'y aurait-il plus des camps de concentration de style communiste, la torture ne serait-elle le fait que de quelques bandits, l'horreur demeurerait quand même épouvantable. Jamais une cité même juste ne pourra empêcher la perpétration de telles horreurs ; elle pourra seulement obtenir qu'elles deviennent beaucoup plus rares, en châtiant les coupables et en suscitant de belles coutumes et de justes lois.
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Conscient de cette limite de la société, même la plus juste, il est impossible si l'on est un homme de cœur de ne pas en être déchiré. Mais, dans la mesure même où l'on est chrétien dans sa volonté de justice et son sens de l'honneur, on ne tombe pas dans une indifférence complice ou dans une révolte forcenée. On travaille à instaurer une cité de justice et d'honneur en tenant les yeux fixés sur le Fils de Dieu qui fut flagellé et crucifié. On comprend alors que, s'il y aura toujours des victimes, Jésus-Christ est proche des victimes les plus lamentables et c'est ce qui permet de ne pas désespérer des ignominies de cette terre. On comprend aussi que, s'il doit toujours y avoir des scélérats, Jésus-Christ est proche des scélérats les plus abjects et c'est ce qui permet, en les mettant à la place qui leur revient, de leur procurer un châtiment sans haine. On comprend enfin que ce Jésus-Christ flagellé et crucifié est capable de changer le cœur de chacun d'entre nous ; on sait dès lors que les hommes peuvent se convertir assez profondément pour essayer d'instaurer une cité temporelle plus juste malgré ses insuffisances et l'on fait ce qui est en soi, uni à ce Seigneur crucifié, pour instaurer cette cité plus juste, les échecs inévitables, la nécessité de recommencer toujours, ne font pas succomber à la tentation de désespoir, parce que l'on sait que, dans le Christ crucifié, c'est-à-dire au niveau de la vie de l'Église, il existe une réponse aux innombrables questions, aux questions les plus scandaleuses que la cité laisse nécessairement sans réponse ; parce que l'on accepte que la réponse qui est dans le Christ crucifié et au niveau de l'Église soit une réponse non pas de suppression de la souffrance, mais seulement d'illumination et de pacification de la souffrance.
QUELLES ATTITUDES PRATIQUES découlent du vrai messianisme ? Et tout d'abord que doivent attendre les chrétiens de l'Église de la terre qui est le royaume messianique commencé ? Ils doivent en attendre la parfaite conversion du cœur et le rassemblement de toutes les âmes de bonne volonté, sous le signe de la croix. Dans quel jour doivent-ils considérer le royaume messianique commencé, l'Église de la terre ?
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Dans un jour d'humilité et non pas, ordinairement du moins, dans un jour de transfiguration. En effet, l'Église sainte en elle-même, se compose de justes et de pécheurs, de véritables saints et d'artisans d'iniquité ; et d'ailleurs les saints ne le deviennent que progressivement et à partir de l'iniquité. Comment les chrétiens au sein de l'Église doivent-ils surmonter leur inévitable déception ? En surmontant le péché dans leur propre cœur par la grâce de Jésus-Christ et par le consentement à la croix ; en coopérant saintement, c'est-à-dire sous le signe de la croix, à la sanctification de leur prochain.
Et maintenant considérant les conséquences du vrai messianisme sur la vie de la cité périssable, qu'est-ce que les chrétiens doivent faire pour la cité ? Obtenir que, par les mœurs et par les institutions conformes au droit naturel, elle favorise la justice et donc l'ouverture du cœur à la grâce de Dieu, qu'il s'agisse de la famille, de l'organisation professionnelle, des divers corps intermédiaires et de l'État. Comment les chrétiens doivent-ils promouvoir une telle cité ? Par des moyens qui soient purs, et non seulement efficaces, ce qui suppose de s'unir profondément au Christ crucifié, à la fois pour ne pas se laisser aller à employer des moyens impurs, mais apparemment plus efficaces, ou pour ne pas renoncer à tout effort devant les échecs inévitables.
Cette cité plus juste laissera quand même à désirer et finalement elle passera. Mais les hommes y auront goûté un bonheur réel, encore qu'il ne soit pas suprême : le bonheur de vivre dans une société où l'honneur fasse loi.
Tel est l'équilibre serein et déchiré du messianisme chrétien.
R.-- Th. CALMEL o. p :.
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### Église et société économique
*Sur un livre des RR. PP. Calvez et Perrin*
par Louis SALLERON
QUAND, au printemps dernier, j'appris la publication prochaine d'un livre sur l'Église et la société économique, j'en fus doublement réjoui.
Ce livre me paraissait combler une lacune. La signature annoncée du P. Calvez était de bon augure.
Un lâche soulagement s'ajoutait à ces motifs de satisfaction. Voilà des années que je songe à m'attaquer à ce sujet, j'en connais la difficulté. Il m'était agréable de penser que j'étais délivré d'un lourd travail.
L'ouvrage a paru fin juillet. Il coûte cher : 1500 francs. Il s'agit d'un gros bouquin de 580 pages in-8°. Titre : *Église et société économique.* Sous-titre : *L'enseignement social des papes de Léon XIII à Pie XII* (1878-1958). Auteurs : J.-Y. Calvez et J. Perrin.
L'ouvrage est publié chez Aubier, dans la collection « Théologie » -- « études publiées sous la direction de la Faculté de Théologie S. J. de Lyon-Fourvière ».
Dans un avertissement, les PP. Calvez et Perrin nous informent qu'ils sont « seuls responsables de la rédaction définitive » mais que « celle-ci n'aurait cependant pas été possible sans les études préalables accomplies par une équipe de travail dont les membres ont collaboré assidûment pendant près de deux années : les PP. Régis Araud, François Barberet, Joseph Boudaud, Gonzague Callies, André Costes, Jean Géli, René Hatinguais, Philippe Julien, René Lemasurier, Antoine Malescours, Pierre Messié, Jean Robinne, Yves Thépot, Pierre Vallin ».
30:39
On voit qu'il s'agit d'une œuvre soigneusement élaborée et méditée. La lecture le confirmera.
\*\*\*
L'ACCOUPLEMENT du titre et du sous-titre cause, de prime abord, un certain étonnement.
« Société *économique* » ... « Enseignement *social* »* ...*
De quoi s'agit-il ?
Sommes-nous dans l'économique ou dans le social ?
L'introduction, puis le livre nous donnent l'explication. L'Église n'a pas de vues économiques. Elle n'a pas de *théorie* économique. Elle n'a même pas de *doctrine* économique (si on voulait entendre par là l'élaboration doctrinale d'une théorie économique). Elle a seulement une doctrine de l'homme et de la société, en conséquence de la Révélation. A partir de quoi elle porte des jugements et formule des préceptes ou des conseils sur toutes les activités humaines. Son enseignement n'est que la « déclaration des implications sociales d'une foi religieuse » (p. 11).
Le mot « social » a, d'autre part, besoin d'être précisé, Originellement, il n'est que l'adjectif du substantif « société ». Est social tout ce qui concerne la société. Mais depuis que le phénomène économique s'est développé au point de devenir le principal de la réalité politique, le mot « social » est devenu pratiquement l'épithète de la « société *économique* »*.* Il sonne à nos oreilles avec cette signification. Est social « tout ce qui relève des relations humaines qui se greffent sur l'économie » (p. 21). Les problèmes sociaux n'évoquent plus guère aux esprits contemporains que les difficultés de l'organisation de la société nées de l'activité économique. La question sociale, c'est la question de la justice ou de l'ordre posée par la société économique, etc.
Il n'y a donc ni contradiction, ni ambiguïté dans le dessein des PP. Calvez et Perrin. Ils sont fondés à présenter un ouvrage intitulé « Église et société économique » en l'éclairant par le sous-titre « l'enseignement social des papes... »
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J'explique leur position. Elle est défendable. D'un certain point de vue, elle est inattaquable. J'avoue qu'elle me laisse une certaine insatisfaction intellectuelle.
S'il est exact que, dans les pays occidentaux, les questions sociales coïncident à peu près avec les questions soulevées par l'activité économique, il en va autrement ailleurs. Est-ce que, par exemple, *la* question sociale ne sera pas, en certains pays, une question raciale ? Et en d'autres, une question religieuse ? Ou une question classiale issue d'un phénomène de caste ?
Je pense que les PP. en conviendraient. Ils conviendraient également que les problèmes sociaux étant, du point de vue moral, les problèmes de *justice* que soulève l'organisation de la société, il y a autant de problèmes qu'il y a d'injustices instituées dans les rapports sociaux par les codes ou les mœurs. Ils argueraient simplement que, titre et sous-titre s'éclairant l'un par l'autre, ils ne pouvaient en dire davantage sur la couverture d'un livre et que, d'ailleurs, leur propos étant d'expliciter l'enseignement de l'Église à travers celui des derniers papes, ils ne pouvaient que se conformer à cet enseignement. Or celui-ci visait la société économique, pour la bonne raison que c'était là que se trouvait l'injustice généralement ressentie de l'univers chrétien entre 1878 et 1958. Comme ils le disent : « La « doctrine sociale » de l'Église est une *prise de position* dans le débat historique qu'ont engendré sur le plan social la civilisation industrielle et le capitalisme moderne » (p. 23).
Tout cela est parfaitement admissible. Nous verrons cependant, que l'espèce de gêne que provoque la combinaison du titre et du sous-titre est bien annonciatrice de la gêne réelle qu'engendre la lecture de l'ouvrage.
\*\*\*
MAIS DISONS D'ABORD comment cet ouvrage se présente.
Une introduction. Dix-neuf chapitres. Une conclusion. Deux annexes.
Les dix-neuf chapitres se succèdent en continuité. Mais ils auraient pu être distribués en trois parties.
Les sept premiers (pages 17 à 230) sont : I. L'Église et les rapports sociaux. -- II. Révélation et droit naturel. -- III. L'intervention de l'Église et ses limites. -- IV. Les principaux documents pontificaux. -- V. Personne et société. -- VI. La justice. -- VII. Charité et justice.
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On voit qu'il s'agit en quelque sorte d'une présentation de la question. Elle est ample, puisqu'elle prend plus du tiers du volume. Les auteurs ont voulu commencer par « la justification même de l'enseignement social de l'Église » (p. 13). Ils ne partent pas d'une « théorie économique générale », mais d'une « anthropologie » (p. 13). On pouvait concevoir une autre méthode, mais celle-là nous paraît bonne. Probablement est-elle même la meilleure puisqu'il s'agit d'un ouvrage inséré dans une collection théologique. Sur leur plan, les auteurs s'expliquent aux pages 13 et 14, puis aux pages 141 à 144.
Les huit chapitres suivants (pages 230 à 427) sont : VIII. Le besoin. -- IX. La propriété. -- X. Le travail. XI. Le capital. -- XII Échange, prix, marché. XIII. L'entreprise. -- XIV. Économie nationale, économie Internationale. -- XV. L'économie de l'État.
Tous ces titres indiquent assez clairement que nous sommes ici dans le secteur économique.
Enfin les quatre derniers chapitres (pages 427 à 537) sont : XVI. Les antagonismes sociaux. -- XVII. L'Église et la lutte des classes. -- XVIII. Syndicalisme. -- XIX. Le projet social de l'Église : communauté et responsabilité.
Disons qu'il s'agit du secteur social.
La conclusion propose une « méthode d'analyse ». Deux annexes traitent de l'expression « justice sociale » avant *Quadragesimo anno* et des controverses sur justice « sociale », « légale » et « distributive ».
Le déroulement de l'ensemble est logique et harmonieux. Les PP. campent d'abord largement et fortement l'homme individuel et social dans l'éclairage de la philosophie chrétienne. Puis ils examinent l'activité économique de cet homme dans ses traits permanents et dans ses aspects récents. Enfin ils montrent les soubresauts engendrés par les injustices de l'économie moderne, discernent le bon et le mauvais des réactions diverses provoquées par le capitalisme, indiquent les orientations constructives de l'Église.
En un certain sens, c'est là le plan traditionnel, puisque déterminé par la nature des choses, de toute étude consacrée à la doctrine sociale de l'Église.
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Ce qui fait qu'en fin de compte ce livre aurait pu s'intituler, comme d'autres, « la doctrine sociale de l'Église », ou « l'Église et les problèmes sociaux ».
Mais justement le titre est autre (nous voilà revenus au titre) parce que les auteurs ont voulu aller plus loin qu'on ne va d'habitude sur le terrain économique.
Les titres des chapitres VIII à XV le révèlent clairement. Il ne s'agit plus simplement de capitalisme ou de socialisme. Il s'agit des besoins, du capital, de l'entreprise, etc. Les auteurs s'en expliquent. Sans nier les avantages de « maintes présentations antérieures de l'enseignement social de l'Église », il leur a paru « plus opportun d'aller d'emblée au fond de la question, de ne plus tant étudier le rapport de l'Église au libéralisme, au capitalisme, au socialisme, au communisme, que la doctrine de l'Église sur la société économique elle-même, dans ses traits fondamentaux et dans son visage historique » (p. 14).
« En cette seconde moitié du XX^e^ siècle, précisent-ils, s'amorce aussi un tournant dans l'esprit de beaucoup d'hommes, plus soucieux désormais de la réalité et de son analyse que d'idéologies toutes faites. C'est pour répondre aux questions de cet esprit neuf qu'une description de l'analyse chrétienne de l'existence économique et des relations sociales semble s'imposer aujourd'hui comme la présentation la plus adéquate de l'enseignement de l'Église » (p. 15).
\*\*\*
LE DESSEIN EST LOUABLE. Il est licite. Il présente de terribles difficultés -- dont je retiendrai trois : la première concernant la perspective historique, la seconde la réalité économique, la troisième la philosophie politique.
**1**) Toute étude qui concerne une période de l'Histoire a, par définition, une perspective historique. Quel que fût le plan adopté pour étudier l'enseignement social de l'Église, de Léon XIII à Pie XII, on aurait eu affaire à l'Histoire et à son déroulement. Néanmoins, à la lecture d'*Église et société économique* on est frappé d'une sorte d'embarras que ses auteurs semblent éprouver continuellement du fait de leur propre méthode.
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On comprendra peut-être mieux cet embarras si l'on réfléchit à ce qu'eût été la même œuvre écrite selon la manière habituelle, c'est-à-dire en confrontant à la doctrine catholique les grandes idéologies qui ont donné sa forme à la société économique moderne : libéralisme, capitalisme, socialisme, communisme, etc. L'évolution historique, avec un tel plan, ne gêne pas. Elle révèle même, jusqu'à un certain point, l'enchaînement des erreurs par rapport à la vérité immuable de la philosophie chrétienne.
En voulant confronter philosophie, voire théologie, à des structures mouvantes, les auteurs se trouvent en présence d'un hiatus -- d'un *gap* diraient les économistes américains -- qu'ils n'arrivent pas à combler.
Ils accentuent notre embarras, sinon le leur, en affirmant, d'une part, la haute valeur, sinon l'infaillibilité, de l'enseignement social des papes (pp. 93 et suiv.) et en insistant, d'autre part, sur la relativité historique des événements auxquels il correspond et sans la connaissance desquels on risquerait de mal les comprendre.
Ce mariage de l'absolu et du relatif paraît instable.
Les PP. nous font, à ce sujet, une curieuse confidence. « Voici un seul livre, lisons-nous à la première ligne de l'introduction, là où le titre et notre projet primitif en appelait deux. » (Décidément ce titre a beaucoup d'importance.) Si le livre actuel est « une tentative d'exposé global de l'enseignement contemporain de l'Église catholique sur la société économique », « l'autre livre, qui reste à écrire, devrait être consacré à l'histoire de cet enseignement : analyse précise de la genèse des questions posées à l'Église et des réponses données par elle, de l'enchaînement dans le temps des questions successives et les diverses réponses ; examen des archives et documents inédits, en vue de reconstituer les étapes de la confection des textes ; étude enfin de l'accueil fait à ces textes et de leurs répercussions dans l'opinion. -- Cela seul permettrait de peser exactement les affirmations tirées des documents pontificaux, sur lesquelles nous nous appuierons dans le présent ouvrage. » (p. 9.)
Réjouissons-nous qu'un tel ouvrage n'ait pas encore été écrit ! Bien sûr il aura quelque jour son utilité. Mais qui ne voit que la préoccupation de référer tout document, toute phrase, toute épithète à l'occasion et aux circonstances détaillées de sa naissance, finit par le priver de toute valeur d'enseignement ? Le contexte historique des grandes encycliques, notamment, est assez clair pour qu'on n'ait pas besoin de les éclairer supplémentairement par une analyse minutieuse de leur genèse et du processus de leur élaboration.
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Les PP. citent, comme « un bon exemple des études à développer », l'ouvrage de Mgr Giovanni Antonazzi : *L'Enciclica Rerum Novarum, testo autentico e redazioni preparatorie dai documenti originali,* avec préface de Mgr D. Tardini. L'auteur « a eu accès à des archives secrètes où il a retrouvé les rédactions successives de l'Encyclique ». C'est très bien. Et tel document, par son importance, par sa nouveauté, peut justifier une étude de ce genre. Généraliser serait une erreur. Les archives sont les archives. Elles ne doivent sortir de l'ombre qu'après un très long temps. Elles appartiennent à l'Histoire, laquelle est le passé et non pas le présent. Si on se met à éplucher tous les textes dès leur apparition, on les dépouille de leur signification même. Chercher toujours, derrière ce qui est dit, ce que l'auteur a voulu dire, pourquoi il l'a dit, etc., c'est une erreur intellectuelle en même temps qu'une indécence morale. C'est au surplus de l'enfantillage. Les lois du verbe sont plus mystérieuses que ne le croit l'épouilleur de brouillons. L'auteur est dans sa parole, non dans les ébauches et les balbutiements qui l'ont précédé. Sa parole est l'essentiel de lui-même, et de ce qui le dépasse. C'est vrai pour l'écrivain, pour le poète, pour le législateur. A plus forte raison pour le pape. Finalement, on sait moins d'un texte quand on sait comment il a été fait ; exactement comme la petite fille perd sa poupée quand elle lui a ouvert le ventre pour voir ce qu'il y a à l'intérieur.
Si donc il est légitime et nécessaire d'avoir des préoccupations d'Histoire pour situer les documents de l'enseignement social des papes, il faut contenir ces préoccupations dans de justes limites. En l'espèce, les PP. sont restés dans les limites puisqu'ils n'ont pu écrire « l'autre livre ». Bénissons le ciel qu'ils aient renoncé à entreprendre une tâche d'ailleurs impossible !
Tel quel, leur souci historique frise l'historicisme, avec un double inconvénient : celui de chercher dans le moment et la circonstance des explications de couleur apologétique, celui aussi de sous-tendre insidieusement leur philosophie thomiste d'une philosophie de l'histoire qui frappe d'une contingence permanente tout l'enseignement dont ils se font les champions. Bien sûr, il ne s'agit là que d'une tendance presque imperceptible. On la perçoit tout de même.
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**2**) Les PP. ont voulu partir de « la société économique elle-même, dans ses traits fondamentaux et dans son visage historique » (p. 14). Ce qu'ils ont fait à travers quelques données premières : le besoin, la propriété, le travail, le capital, l'échange, le prix, le marché, l'entreprise, l'économie nationale et internationale, la place de l'État dans l'économie.
J'ai dit que c'est en ce point que se situe l'originalité de l'ouvrage.
L'intérêt de la tentative n'est pas niable. Elle n'en est pas moins assez factice.
On observera tout d'abord que les « traits fondamentaux » de la société économique l'emportent notablement sur les aspects de son « visage historique ». Les chapitres IX, X, XI, XII -- concernant propriété, travail, capital, échange, prix, marché -- occupent un peu plus de cent pages (pp. 249 à 352) contre soixante-quinze (pp. 352 à 427) au visage historique (XIII -- L'entreprise, XIV -- Économie nationale et internationale, XV -- Économie et État).
Pourquoi cette observation ? Pour souligner que la classification nouvelle ne diffère point, pour une bonne part, de l'ancienne. Nous sommes ici dans les catégories traditionnelles de la philosophie sociale.
J'entends bien que les auteurs se flattent que précisément ils relient le neuf à l'ancien et qu'ils n'ont pas l'ambition de faire du nouveau pour le plaisir. Bien sûr, mais alors que reste-t-il ?
Quand nous lisons les chapitres sur l'entreprise, sur l'économie nationale et internationale, sur les interventions de l'État, nous voyons surtout traiter les problèmes sociaux (co-gestion, redistribution du revenu national, etc.) ou juridico-politiques (subsidiarité). La matière économique elle-même fuit toujours la prise.
Là encore, les auteurs rétorqueront que s'agissant d'un enseignement social, ils n'ont cure d'une théorie ou même d'une réalité économique où la leçon de l'Église n'intervient pas.
Réponse parfaitement justifiée, mais qui, je le répète, rend assez artificiel un plan dont l'objet était évidemment de soumettre la réalité économique à l'éclairage de la foi et de la philosophie catholique.
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Enfin on pourrait critiquer le choix des catégories économiques retenues. Mais comme *tout* autre choix pourrait donner également lieu à critique, je laisserai ce point de côté.
**3**) Le dessein qu'ont les auteurs de coller à la *réalité économique* (marché, entreprise, etc.), au lieu de se référer, selon l'usage, aux *idéologies* (libéralisme, socialisme, etc.), leur crée, et à nous, une gêne perpétuelle.
« Société économique », disent-ils dans leur titre. Bien, mais cette société *économique* procède de la société *politique.* Elle est l'enfant d'une double réalité : les choses et les idées, de la réalité technique et de la réalité politique, cette dernière issue elle-même de la philosophie politique.
Qu'est-ce que le *marché* en dehors du libéralisme ? Qu'est-ce que *l'entreprise ?* S'il y a eu *lutte de classes,* ce n'est pas en vertu de la seule existence du capital et du travail, mais parce que capital et travail se sont affrontés dans une conception libérale de la société.
Les auteurs traitent de l'enseignement social des papes en partant de *Rerum novarum,* parce que c'est à partir de *Rerum novarum* que les documents pontificaux se multiplient sur les *injustices sociales,* mais l'erreur individualiste et libérale a toujours été dénoncée par le Saint-Siège sous son aspect *politique.* Certes les États pontificaux ont connu comme les autres la mode libérale, mais en tant que pratique politique, pas en tant que doctrine.
Faire partir l'enseignement « social » des papes de la fin du XIX^e^ siècle laisse supposer que la nocivité des idées révolutionnaires a mis un siècle à se révéler à Rome. Or s'il est exact que les iniquités du capitalisme industriel n'ont pas suscité, dans la première moitié du XIX^e^ siècle, d'enseignement pontifical, il est non moins exact que *la cause* de ces iniquités -- cause philosophique et politique -- a été constamment dénoncée.
Évidemment, l'enseignement « pontifical » est une expression dont le sens est plus vague à mesure qu'on remonte dans l'Histoire. Il a fallu le concile du Vatican, l'accélération de l'Histoire, la centralisation générale de tous les Pouvoirs, les modes modernes d'expression pour donner à la parole personnelle des papes l'audience unique dont elle jouit aujourd'hui.
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Auparavant, on dirait mieux l'enseignement de l'Église, ou la doctrine de l'Église ; et sauf définition fondamentale ou circonstances exceptionnelles, ce sont les théologiens qui formulent les principes. A cet égard, le nom d'un Taparelli domine le XIX^e^ siècle. Sa doctrine est sans équivoque, même si elle n'a pas le retentissement souhaitable.
Aussi bien, on ne doit pas oublier que l'opposition catholique au libéralisme est si générale dans le domaine économique que les « économistes » -- c'est-à-dire les économistes *libéraux* ([^8]) -- mettent toujours en avant le protestantisme comme la forme religieuse la plus apte à supporter et à propager l'économie moderne. Ils dénoncent le catholicisme comme anti-économique par nature. De 1750 à 1900 on ferait une moisson de citations sur ce sujet.
Tout cela a un sens. Tout cela signifie que l'enseignement de l'Église en général, que l'enseignement pontifical depuis trois quarts de siècle a toujours indiqué et condamné les *causes* des maux de l'économie moderne. Le tournant se fait à Léon XIII, parce que le mal social est devenu général. Ce tournant est caractérisé par la publication, à quelques années d'intervalle, d'*Immortale Dei* (1885), de *Libertas* (1888) et de *Rerum novarum* (1891). Deux encycliques « politiques » pour introduire une encyclique « économico-sociale ».
Disons, schématiquement, qu'avant 1890 la ligne de l'enseignement de l'Église est pendant un siècle, celle d'*Immortale Dei* et de *Libertas.* Il suffit de se souvenir de *Mirari vos* (1832), de *Quanta Cura* et du *Syllabus* (1864). De Rome, il n'y avait guère autre chose à dire. Le reste dépendait des évêques, vu que le phénomène industriel était encore extrêmement localisé et n'affectait, du moins dans les pays catholiques, qu'une infime minorité de la population.
Les auteurs nous diront peut-être que nos propres explications justifient leur point de départ : Léon XIII. Mais ce n'est pas ce point de départ que nous critiquons, c'est son manque d'arrière-plan. Soucieux de l'histoire comme ils le sont ; ils auraient dû situer *Rerum novarum* sur la courbe des faits et des idées.
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Autrement dit, de même qu'ils n'ont pas hésité, et ils ont eu raison, à consacrer plusieurs chapitres à la *philosophie sociale générale* pour servir d'introduction à leurs réflexions sur les problèmes économiques, de *même* ils auraient dû réserver au moins un chapitre pour présenter la *philosophie politique* de l'Église telle qu'elle s'est exprimée *historiquement* au XIX^e^ siècle, en réponse à l'individualisme libéral. C'est en effet *l'individualisme libéral* qui a permis et même engendré ce qu'on nomme communément le *capitalisme --* exactement comme c'est le *libéralisme collectiviste* qui permettra et engendrera le *communisme.*
Parce qu'ils traitent des *réalités économiques* plutôt que des *idéologies,* et parce qu'ils s'attachent à la *société économique* indépendamment de la *société politique,* les auteurs construisent en porte-à-faux tout leur ouvrage.
On sent bien que s'ils procèdent ainsi, c'est pour se libérer de la sujétion des « ismes » et pour ne pas heurter de front les esprits partisans attachés soit au libéralisme, soit au socialisme, soit au communisme. Mais les inconvénients du procédé sont si patents qu'on ne voit pas qu'ils le justifient.
\*\*\*
FAUT-IL MAINTENANT passer en revue tous les chapitres ? Ce serait bien long. Nous dirons simplement quelques mots des deux (ch. XVIII et XIX) qui sont consacrés au syndicalisme et à la corporation. Ils ne sont, l'un et l'autre, qu'à demi satisfaisants.
On voit mal ce que les auteurs veulent démontrer à propos du syndicalisme.
L'Église a toujours été contre l'individualisme libéral. C'est dire qu'elle était deux fois pour le syndicalisme ; d'abord parce que *l'association* est une réponse à l'individualisme, ensuite parce que l'association *professionnelle* est dans la ligne naturelle du phénomène associationniste.
Les auteurs semblent embarrassés par le débat qui a longtemps agité les catholiques, de savoir si le pape était pour les syndicats mixtes (patrons et ouvriers) ou pour les syndicats de classe. C'est le genre de question qu'il suffit d'un paragraphe pour trancher. Le bon sens indique que, dans la mesure où le syndicat de classe s'inscrit dans une doctrine de classe et la favorise, il est regrettable.
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Mieux vaut toujours le type d'association qui favorise l'union. Mais à défaut de syndicat mixte, le syndicat de classe est évidemment légitime quand on ne peut pratiquement pas en constituer d'autres. L'important, c'est qu'on le pénètre, autant que faire se peut, d'une finalité constructive et unitive.
Même évidence pour les syndicats confessionnels ou non-confessionnels. Le critère est toujours celui de l'opportunité.
Le grief qu'on peut faire aux auteurs -- mais il faudrait reproduire tout le chapitre -- c'est qu'ils tendent à l'excès à justifier les durcissements du syndicalisme contemporain sous l'influence du marxisme.
Ces durcissements sont fâcheux, et ils n'étaient pas fatals. Ils ne correspondent pas à l'esprit de la loi de 1884 qui était très constructive. Très manifestement les auteurs n'ont présents à l'esprit ni les antécédents de la loi, ni le texte même des articles. Qu'il suffise de rappeler les articles 12 et 13 (au Code du Travail) :
ART. 12. -- *Ils* (*les syndicats*) *peuvent affecter une partie de leurs ressources à la création d'habitations à bon marché et à l'acquisition de terrains pour jardins ouvriers, éducation physique ou hygiène.*
ART. 13. -- *Ils peuvent librement créer et administrer des offices de renseignements pour les offres et les demandes de travail, créer, administrer ou subventionner des œuvres professionnelles de prévoyance, laboratoires, champs d'expériences, œuvres d'éducation scientifique, agricole ou sociale, cours et publications intéressant la profession...*
La loi prévoit également que les syndicats peuvent constituer entre leurs membres des caisses de secours mutuel et de retraites (art. 21).
Si le syndicat est devenu celui que nous connaissons, c'est à cause du libéralisme, puis du marxisme. Mieux vaut le syndicat de classe que pas de syndicat du tout. C'est un bien relatif à travers une idéologie erronée. Si on refuse de parler des idéologies, tout s'embrouille.
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Dire que le pape accepte, ou recommande, tel ou tel syndicat fausse tout si on ne s'est pas clairement expliqué au départ sur les implications nécessaires d'une philosophie aberrante de la société. A cet égard, on est bien obligé de dire que le chapitre des PP. sur le syndicalisme est très ambigu.
Non moins ambigu le chapitre qui suit sur la corporation.
« Que de spectres, écrivent les auteurs, ne réveille pas alors l'allusion à la corporation dans maints esprits hantés par un fantôme du « corporatisme » qu'ils estiment avoir assez connu d'expérience personnelle. Ce serait donc là le projet de l'Église ! » (p. 500.)
De quoi s'agit-il ? Du fascisme ? De Vichy ? Du Portugal ? On ne nous le dit pas.
Mais il faudrait là encore recopier tout le chapitre. Quelques phrases, pour donner le ton :
« ...Seul, semble-t-il, La Tour du Pin proposait des idées plus radicales qui, pour ne pas être du corporatisme d'État proprement dit, pouvaient y conduire » (p. 503). Pourquoi ? En quoi ? Comment ?
« ...Nul doute tout d'abord que la pensée du pape n'est pas la volonté de refaire un système passé et disparu, les corporations d'ancien régime. » (p. 303) Est-ce la pensée des autres ?
« Finalement, l'organisation mixte elle-même dont il (le Pape) parle quelquefois n'est peut-être pas exactement la corporation dont certains parlent aujourd'hui. » (p. 509) Certains ? Qui ? Et de quoi parlent ces certains exactement ?
« ...Un équivalent latin du mot corporation n'apparaît toutefois nulle part (dans les textes pontificaux) » (p. 514) Et quel serait donc cet équivalent ? Le mot « corporatio » n'existe pas en latin. On ne le trouve pas davantage, sauf erreur, dans le latin d'ancien régime. (On ne trouve même pas le mot français récent « corporation ».) Quand les PP. précisent qu' « à la différence de Léon XIII, Pie XI n'use pas d'un latin d'une telle classicité qu'un néologisme, *corporationes,* n'eût pu y trouver place », ils méconnaissent le fait évident suivant : qu'un tel néologisme n'aurait pu trouver sa référence à l'époque que dans la corporation fasciste, qui n'était pas, il s'en faut, le modèle pontifical. La multiplicité des mots latins employés par le pape correspond à la multiplicité des *mots* latins usuels (notamment sous l'ancien régime) -- *collegia, sodalitia, societates, communitates,* etc.
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Quand le Pape écrit aux Semaines sociales de France (en 1946) pour les mettre en garde contre les nationalisations, il leur dit, en français : « ...Aucun doute d'ailleurs que, dans les circonstances actuelles, la *forme corporative de la vie sociale,* et spécialement de la vie économique, favorise la personne, la communauté et la propriété privée. » (Cité p. 527.) -- Alors ?
Il y a trente-six corporatismes ? Mais il y a trente six mille socialismes. On emploie tout de même le mot.
Les PP. auraient dû dire tout simplement que le mot « corporation » leur déplaît parce qu'il a une résonance de « droite ». C'est leur droit d'estimer qu'il faut le laisser de côté. Mais qu'ils expliquent pourquoi.
En réalité, au-delà de la querelle « droite » « gauche », ce que véhicule les mots « corporation », « corporatif », c'est une philosophie anti-individualiste et anti-libérale. Quand on essaye de coller aux réalités économiques et sociales en dehors de l'éclairage d'une philosophie politique et sociale, les positions qu'on entend défendre sont toujours marquées de faiblesse.
Pour terminer ce chapitre, signalons que les problèmes corporatifs ne sont pas traités sous un titre « corporatif » mais sous celui-ci : « Le projet social de l'Église : communauté et responsabilité. » Nous n'en ferons pas grief aux auteurs ; au contraire, nous les en féliciterons. Ils mettent, en effet, ainsi en évidence l'importance capitale de l'organisation corporative (professionnelle ou sociale, dans un régime exempt de l'erreur libérale).
Mais ici nous devons signaler une lacune extrêmement grave. S'il est exact que l'organisation corporative est un aspect fondamental du « projet social » de l'Église, comment peut-on oublier la propriété ?
Bien sûr, les auteurs en ont parlé ailleurs. Mais pour indiquer l'orientation vers « une meilleure organisation de toute la société économique », on ne peut absolument pas ne pas mentionner la propriété.
*Propriété* et *organisation corporative* sont les piliers de l'édifice social « projeté » par l'Église.
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J'AURAIS beaucoup d'autres critiques de détail à présenter.
-- L'ouvrage donne une impression assez fatigante de morceaux collés les uns à côté des autres. On sent un travail minutieux de fiches. Il en résulte un caractère de mosaïque ou de marqueterie qui nuit à l'unité. Les répétitions de citations sont assez fréquentes.
-- L'aspect apologétique est irritant. Pourquoi essayer de rendre toujours la vérité admissible, recevable, compréhensible -- comme si elle n'était pas parfaitement limpide ? Un tel souci n'aboutit qu'à une sorte de déformation globale d'une pensée très cohérente et, finalement, très simple. Les auteurs, notamment, paraissent très attentifs à se faire comprendre de tous les progressistes et progressisants. C'est peut-être louable. Je crois que c'est une erreur. Il ne faut jamais plaider. Il faut dire. Est-ce bien utile de parler si souvent d' « aliénation » ? Et comment ne pas trouver choquante ou cocasse une phrase comme celle qui termine le paragraphe suivant : « La « doctrine sociale » de l'Église n'est donc ni « doctrine *économique* » ni *science* économique. Elle ne traite pas de la réalité économique prise abstraitement, indépendamment des rapports sociaux qui se greffent sur l'économie, en admettant que l'on puisse théoriquement concevoir une telle abstraction. Le marxisme lui aussi, lorsqu'il veut caractériser l'objet privilégié de son analyse, ne parle pas tant d'économie que de « rapports sociaux » ou encore de « rapports de production ». Il dénonce l'irréalisme de tout effort pour parler d'économie ou inversement de politique en faisant abstraction des « rapports sociaux » et des rapports de classes. *C'est du même objet exactement qu'entend traiter l'Église dans sa* « *doctrine sociale.* » *même si elle n'en traite pas de manière semblable et contredit les conclusions marxistes sur bien des points* ([^9]). » (p. 21-22).
-- Dans le dessein évident de ne pas traîner les séquelles de la vieille scolastique, les auteurs négligent certaines questions traditionnelles. Sauf erreur, il n'est même pas fait mention du problème de *l'intérêt.*
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-- A l'inverse, les problèmes contemporains sont presque réduits à ceux de l'industrie. Il est bien certain que ce sont les principaux. Mais s'ils donnent sa figure à la société économique que nous connaissons, ils ne la composent pas dans sa totalité.
\*\*\*
QUAND je cherche à fixer l'impression dominante que me laisse *Église et société économique,* j'éprouve un certain embarras.
Je ne suis pas satisfait. Pourquoi ?
Il me semble finalement que c'est parce que les auteurs nous laissent tout le temps espérer quelque chose qui ne vient jamais.
Ils nous disent et nous répètent que, face à la « société économique », les papes n'ont à donner qu'un « enseignement social », mais on sent qu'eux-mêmes voudraient aller au-delà.
Aller où ? Voilà ce que nous saisissons mal.
Le dernier chapitre s'intitule : « Le projet social de l'Église... ». On reste bien dans le social. Un social qui est, du reste, juridico-politico-philosophique (c'est fatal).
Et la conclusion s'intitule : « Une méthode d'analyse ». Quatre pages que je serais bien en peine de résumer, les lisant et les relisant sans arriver à en tirer l'idée essentielle.
En fait, quel est le vrai problème que pose au catholique le phénomène économique moderne ? A mon sens, c'est le suivant : le catholicisme a-t-il une réponse à offrir à l'invasion de la société politique par la réalité technico-économique ?
Autrement dit : de même que le protestantisme a inspiré et coloré la société capitaliste, de même que le marxisme a inspiré et coloré la société communiste, le catholicisme peut-il inspirer et colorer une société économique nouvelle qui, sorte de chrétienté d'un nouveau style, trouverait en elle-même sinon la solution du moins le climat des Solutions qu'appellent les mille problèmes posés aux individus et aux collectivités par l'expression de la matière ?
Rien, dans l'ouvrage des PP. Calvez et Perrin, n'effleure ces questions.
\*\*\*
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JE VAIS PROCÉDER maintenant comme les parlementaires de naguère.
Ils aimaient voter paragraphe par paragraphe un article de loi qu'ils rejetaient ensuite en bloc, ou les articles successifs d'une loi qu'ils rejetaient ensuite en bloc.
De même, mais inversement, après avoir voté *contre* tous les aspects de l'ouvrage, je voterais volontiers *pour* l'ensemble.
Je veux dire par là que si *Église et société économique* ne me satisfait pas personnellement, je ne peux pour autant en méconnaître l'intérêt et l'importance. Une œuvre aussi substantielle prend place évidemment dans la bibliothèque de tous ceux qui s'intéressent à ce genre de questions.
Tout de même, maintenant que ce livre a été écrit, je souhaiterais que le P. Calvez, si du moins il peut contraindre sa nature torrentielle, écrive d'un seul trait, sans citation ni référence ; un essai de cent pages sur le sujet précis : *Quelle pourrait être une société économique catholique ?*
Un tel essai serait certainement plus utile que « l'autre livre » dont il regrette d'avoir dû abandonner le projet.
Contribuer à *faire* l'histoire est aussi passionnant que de *l'expliquer* indéfiniment.
Louis SALLERON.
46:39
### Plaidoyer pour la géographie
par Francis SAMBRÈS
A DROITE, j'ai laissé un cirque dolomitique et pourtant le chemin d'herbes qui y menait témoignait d'une belle solitude. A gauche, j'ai négligé tout un lot d'églises romanes et systématiquement tous les barrages-bétons et les viaducs-ferrailles.
D'être un si mauvais touriste, de n'avoir au cours de ce périple de trois jours où l'amitié le disputait au travail, mesuré ni mes moyennes ni ma consommation d'essence, de n'avoir pas risqué ma vie en des dépassements périlleux, d'avoir préféré -- en plein mois d'août -- le désert de nos routes secondaires, de n'avoir pas pris une photo, me remplit d'inquiétude. Les cigales chantaient sur la Côte d'Azur et pendant ce temps les fourmis, aveugles certes, avares et pas belles continuaient à vivre leur vie de fourmi... et j'allais chez les fourmis.
Il ne s'agit pas de décrire, bien que jamais peut-être je n'aie senti plus proche la nécessité du Poème où l'exacte géométrie des mots assemblés suscite le miracle de l'expression métaphysique. Encore faut-il être poète ! Telle qu'on nous l'enseigne, la géographie décrit, elle énumère, désigne, charge la mémoire de noms -- mais de notions générales, d'explications qui permettraient la compréhension des choses, point. Et la géographie générale qui est l'assise et le support de tout est devenue avec la « science » qui la désincarne une course vers je ne sais quel inconnu où l'on perd en chemin jusqu'au souvenir et du point de départ et du but à atteindre. Où va l'imprudent qui se perd dans ce vocabulaire à prétention scientifique, inventé par des spécialistes pour leur usage et à quoi l'on voudrait me faire participer, s'imaginant sans doute que le savoir du mot remplace le savoir de la chose ?
47:39
Suffit-il de connaître le mécanisme chimique, les réactions en formules qui expliquent paraît-il l'action de l'eau sur les craies pour expliquer le relief typique qui affecte les zones de sédimentation calcaires ? D'ailleurs combien sommaire est encore la science des choses et dans l'impasse quantitative où elle s'exaspère.
L'essentiel de ce qu'il faut connaître n'est pas l'eau des chimistes mais l'eau qui coule et la même eau qui ne coule jamais semblable à elle-même, l'eau vivante rapide qui emporte, érode, détruit et la même qui envase, un siècle là, un siècle ailleurs, l'eau qui se joint en mille artères sur le sol et soudain se transforme en impalpable nuée, l'eau qui vivifie, l'eau qui noie, cet « élément » jaloux des cosmologies anciennes. -- Tantôt vivifiante elle réjouit le cœur des plantes et des bêtes, tantôt mortelle, déchirant les tissus fragiles roulant des masses de décombres elle frappe de terreur. Et ces eaux là sont, paraît-il, toujours de la même sage composition chimique. C'est beau la science !
Avec l'eau, il y a le feu et le ciel, enfin la terre et comme toujours de grandes lois mécaniques régissent leur vie dans la poursuite de leur action et l'accomplissement des choses.
COMME perché sur le faîte d'un immense balancier, le soleil alterne son implacable verticale sur les tropiques un feu, détermine partout le froid et le chaud et la lumière et la nuit. Par là, il impose un rythme avec lequel l'on ne peut jouer : les saisons, et les saisons dans le Cœur de l'homme ont existé bien avant l'explication de ce phénomène, explication qui nous en ayant supprimé le mystère nous en ont supprimé le respect et donc la compréhension vraie. Que m'importe la description scientifique de cette miraculeuse merveille ? Quelle somme de « hasards laïques » heureux est nécessaire pour expliquer le pour quoi des choses et enfin cette Création tout entière, à la mesure de Dieu ? Alors on a cherché le comment des choses ; on l'a quelquefois trouvé et en parcourant ce chemin victorieux de la science, on a tout oublié -- et nos enfants qui ont eu eux le don sacré et le sens du mystère n'ont pas de goût pour la géographie scolaire !
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Avant même le lait maternel, l'Air est notre première nourriture et tout ce qui vit, respire et par la respiration participe à cet immense travail de mutation, d'assimilation et d'élimination, de restitution dont l'harmonie nécessaire est la grande loi de notre vie, loi qualitative et non quantitative. L'Air aussi est le vent -- celui gonflé de l'eau des océans ou celui brûlant comme les déserts d'où il vient, c'est aussi la tornade qui amoncelle les ruines, c'est aussi le support de ces masses vagabondes qui poussent leurs nuées en des voyages sans fin par des chemins mystérieux.
Et la Terre ? Cette pauvre vieille terre, point précis de l'insertion des autres éléments, champ de bataille meurtri, agitée encore et toujours de profondes houles qui la restaurent en sa jeunesse éternelle, cette pauvre terre que l'on croit vaincue, assagie, érodée, la voilà qui s'invente de nouvelles montagnes, des océans tout neufs, d'immenses matrices de sédiments à venir.
ET AU MILIEU de cette lutte qui dure depuis l'oubli des temps, l'homme. Car cette terre nous est donnée par le pouvoir même immense -- sans commune mesure avec ce que nous sommes -- que nous avons sur elle.
Les vieilles roches solides, origines de tout, que nous connaissons et qui affleurent encore en dômes majestueux nous appartiennent et encore les sédiments apparus quand d'autres disparaissent sont à nous et les sables grossiers pas encore passés aux meules de l'éternité et encore les galets des rivières oubliées qui éclatent sous le soc de nos charrues. Et parce que, tout cela nous appartient, nous en sommes responsables.
Et surtout nous appartiennent les sols, ces épidermes tendres, tissus fragiles, témoins des combats que livre la terre contre les éléments qui tout en étant nécessaires à sa vie, cherchent à lui donner le modelé de leurs propres forces. Chacun de ces sols, produit de la décomposition superficielle des roches, est apte à des végétations spécifiques qui prenant leur nourriture de l'air et de l'eau, du soleil et de la terre restituent au sol par leur mort ou leur dépouillement annuel au sol et les graines futures et leur chair dont la lente décomposition sert d'appui aux générations à venir.
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C'est encore un merveilleux équilibre que dans certaines conditions climatiques, la nature seule réussit à établir.
Certes, il existe des zones de notre terre où la vie féconde ne trouve plus matière à s'employer. Trop peu de soleil, trop d'eau, ou le vent fou, l'altitude des cimes, l'homme avide -- ou le tout conjugué -- étouffent les possibilités d'équilibre. C'est le désert sous toutes ses formes car il y a désert partout où l'équilibre est rompu, partout où le froid devient glace permanente, le vent tempête, la pluie tornade inlassable -- où le soleil ne chauffe plus mais brûle -- où le vent n'apporte plus l'eau vivante mais les vols de sable, partout où l'homme oublie qu'il n'est pas trop de toute sa vie pour aider sa terre à vivre.
QUAND MES FILS auront vingt ans et qu'ils chercheront femme je leur dirai : « Prenez le chemin des montagnes, parcourez ces grands espaces difficiles où l'art de la lutte pour la vie est poussé jusqu'à l'absurde. Prenez la bergère de cette maison d'où je vois sortir le fumier dans les hottes, sur les épaules du père ; prenez la fille de cet homme solitaire que j'ai vu dans un chaos de granits où paissaient l'été ses vaches, sous la bruine maligne casser les énormes rochers qui encombraient son champ ; prenez la gardienne de ces vieux noms de montagnes qui évoquent les genêts, les fougères, les ajoncs, les bois rudes et les solitudes terribles. Point abâtardis certes, point descendus dans les plaines faciles où tout réussit, mais attachés à cette difficulté permanente de la vie qui est donnée aux meilleurs d'entre nous. Quelle perfection et quel amour doivent compenser dans l'heureuse plaine, le concours harmonieux de tous les éléments, ce concours qui rend l'âme fragile à la mesure de ses réussites ! »
Contre la rage des éléments, contre l'érosion, l'homme dispose de toute une gamme de petits moyens qui appliqués avec patience et perfection, inventés au long des siècles, ont donné à la terre le visage que nous lui connaissons. Ces moyens sont à notre échelle et, on dirait, peu en rapport avec les grandes violences naturelles. Pourtant ?
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Voici l'eau folle assagie, forcée à perdre sa fantaisie destructive par des canaux et des barrages ; voici l'eau tourbeuse des bas-fonds drainée par le fossé ; voici la pente -- trop abrupte -- où nulle plante utile ne pourrait, s'accrochant, s'opposer à l'érosion, coupée des murettes.
Voici la haie qui s'oppose au vent et abrite, voici le bois qui retient la fraîcheur en amoncelant son humus séculaire ; voici la claie qui protège les jeunes plants et ces humbles moyens nous ont constitué le plus extraordinaire capital sur lequel nous vivons. Et vous, enfants gâtés des villes, touristes aveugles, vacanciers pressés, vous passez à côté de ces merveilles sans chercher à les voir. Savez-vous ce qu'est un paysage naturel où l'homme n'a pas inscrit sa marque ? Vous sentez-vous capable de vivre seulement et de construire votre race dans ce frais vallon peuplé d'herbes sauvages où le ruisseau se perd en méandres marécageux ? Un grand bois confus vous entoure, vous protège et vous menace et de là en un millénaire sans une erreur que l'on puisse apprécier -- sans un contresens et au contraire avec une invention sans cesse en devenir -- vous et votre sang avez établi une demeure et un jardin et des champs -- vous avez vous et votre sang rompu les pentes, amené l'eau par d'étonnants aqueducs, tracé des routes à la mesure de vos attelages, drainé vos prés et reconstitué à la sueur de votre front le secret du Jardin perdu, cette ébauche toujours recommencée du jardin d'Éden sans lequel il n'est plus de vie.
ET TANDIS que je cherchais à prendre une vallée profonde qui de la plaine devait par de savants tracés me hisser sur les montagnes, je me répétais ces évidences comme une sorte de prière désespérée. Et d'autres encore ! Tous nos enfants savent l'altitude du Mont Blanc ; celle, peut-être du ballon d'Alsace mais c'est resté chez eux par le mode d'enseignement absurde qui leur est imposé, une notion abstraite séparée au réel (comme on sait la hauteur de la Tour Eiffel).
L'altitude n'est qu'un de ces éléments qui composent une civilisation et un paysage ; il faut corriger la sécheresse des chiffres par d'autres notions qui en atténuent ou en augmentent la portée. Il y a la latitude et l'orientation, la situation par rapport aux grandes masses maritimes apaisantes, l'origine rocheuse et le processus tellurique de sa formation.
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La géographie ce n'est pas savoir, c'est comprendre les signes visibles et de là, pénétrer le dedans des choses pour en admirer l'harmonieuse nécessité. Dans la leçon sur le découpage de notre terre en parallèles et méridiens, on croit expliquer tout, on pense définir ; on oublie seulement l'essentiel qui est de dire : Certes pour le navigateur en perdition, pour le plaisir aussi de savoir exercer nos yeux sur la mappemonde à répartir correctement les grandes réalités de notre terre, il était nécessaire de croiser les parallèles par les méridiens. Toutefois, la longitude est inféconde mais la latitude est l'essentiel de ce qu'il faut savoir *d'abord* d'un lieu donné.
Mais cela on ne le dit nulle part ou si on le dit c'est à titre d'information supplémentaire. On ne le dit ni dans le Larousse quand on parle d'un pays, ni dans la leçon fondamentale sur les coordonnées dont il ne reste chez le maître et l'enfant que le souvenir de ce cercle parfait découpé en tranches inégales.
J'AVAIS pendant ce temps, cheminant dans la plaine, approché ce vieux gros bourg qui bouchait l'entrée de la vallée. J'y avais décelé des signes de prospérité qui ne trompent pas. Je ne comptais pas sur l'étalage démagogique de travaux communaux. Nous savons tous qu'il n'est plus une municipalité -- si riche soit-elle -- qui ne soit endettée jusqu'au cou, car bien avant d'avoir prévu des ressources *valables* par l'aménagement des biens communaux on s'est empressé de bondir sur les facilités de trésorerie, subventions, crédits, largement ouverts, peu surveillés, des adductions d'eau, des voiries modernes, etc... quitte après à équilibrer le budget par la prolifération des centimes. Non -- il y avait mieux car l'ostension de nos « réalisations » communales ressortit, sans doute, du fait le plus absurde de notre « civilisation » qui est que l'État -- sans mesure -- édifie ses fastes sur les ruines de ses citoyens.
J'avais pourtant traversé, le long d'une grosse rivière, quelques villages endormis. Rien ne parlait d'avenir florissant ou de miracle mais les murs décrépits, les toits affaissés disaient la tradition qui se survit à elle-même par une sclérose insensible -- quelques scieries aux stocks de bois vieillis sentaient l'abandon avec leurs gros troncs de peupliers noueux
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qui encombrent en vain les berges de nos rivières -- et dans les fermes nul hangar scintillant neuf, nul volet peint de frais, quelques écarts même sans électricité et sur les places de vieilles guimbardes à peine rafistolées. Et puis soudain une ligne de carrières à vif avec la tranche bleutée de leur blessure -- et j'en avais vu des carrières oubliées -- un four à chaux tout neuf, un trafic abondant de poids lourds chargés de pierres et à l'entrée de ce gros bourg un cimetière de ferrailles. Je n'en croyais pas mes yeux -- tout ce lot poussiéreux de lourdes machines increvables -- héroïques témoins -- qui fait d'habitude l'affaire de l'agriculteur qui se motorise -- dormait en lignes immenses, prêt au chalumeau.
Et je n'en finissais pas de pénétrer dans l'enceinte médiévale de la ville ; au long des avenues, des ateliers de tout sortaient de terre, les stocks n'avaient pas le temps de vieillir, les hommes se pressaient en des besognes précises. Quelle mine d'or, quel pétrole jaillissant avaient réveillé ces pierres endormies ? Pourtant le long de la vallée, au sortir de la ville, la campagne glissait à nouveau dans la nonchalance des pays naturellement trop riches.
A défaut d'or ou de pétrole, de minerai fabuleux, je me serais contenté d'une bonne petite industrie célèbre depuis toujours que des chefs d'entreprise courageux auraient relancée. J'ai cherché en vain la source thermale, la cave de grand renom. Rien -- la richesse venait d'ailleurs. La route excellente montait d'un vallon à l'autre. Je traversais des taillis épais, mais sans valeur, coupés çà et là et chaque fois que l'évasement des petites vallées adventices le permettait des prairies naturelles qui entouraient une ferme.
Déjà la plaine se perdait dans un halo de chaleur tremblante et l'air devenait plus clair, le vent plus frais.
Sitôt passé une sorte de col, j'ai compris le miracle et je me suis arrêté tant la joie m'enivrait. Devant moi il y avait la source même de cette richesse que j'avais sentie et comme la rivière l'eau, qui descendait de l'immense plateau primaire, la route apportait à la plaine le sang nouveau qui redonne aux villes heureuses des confluents, jeunesse et espoir.
Pourtant le « Ségala » dans les manuels de géographie, c'est trois lignes sèches où il est dit que malgré son nom, le chaulage pratique a permis cultures plus riches et élevages.
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Certes, il y avait bien cette harmonieuse création humaine, quelques témoignages des difficultés qu'il a fallu vaincre pour arriver à ce paysage. Restaient sur les croupes trop abruptes, les mornes étendues de bruyères, d'ajoncs et de fougères ; dans les creux mal drainés encore -- parce qu'en ce type de relief de pénéplaine primaire le drainage est impossible -- il y avait des joncs qui indiquent les marécages -- les « sagnes ». Je pouvais imaginer par là ce que serait bien vite le paysage si la race brûlante qui le crée chaque jour, s'élançait bientôt vers les mirages de la facilité.
Ailleurs là où la ville industrielle qui paye de hauts salaires est proche, là où les grandes hécatombes des guerres ont chassé du sol les familles décimées, dans les terrains de même structure -- donc de même vocation en dix ans, les efforts millénaires sont anéantis par le jeu vivace des éléments et le mécanisme libéré de la végétation et la reconquête devenue impossible.
J'AURAIS VOULU mes fils à côté de moi à qui les tentations de l'anarchie seront plus encore qu'à d'autres offertes. Nous aurions ensemble cherché d'abord à situer et à limiter. Quelle émotion de savoir que ce point minuscule de notre carte participe par sa vie de tous les jours, et par l'héritage, et les traditions, à notre pays d'abord et à notre monde. La position du soleil nous indiquait ce fameux 45° de latitude nord où s'épanouissent les merveilles de notre espèce. L'ouverture vers l'ouest -- où les vagues affaiblies de ce plateau déferlaient avec douceur nous montraient la proximité des mers, le vent gonflé d'eau, les limites devant nous s'inscrivaient dans le paysage. A l'est la montagne hostile, plus à l'ouest la plaine sédimentaire. De là l'histoire géologique, la seule histoire où la légende et les contours humains incertains sont absents nous aurait amenés à travers des temps que les siècles humains sont impuissants à évoquer -- à ce soir merveilleux d'août. Sur l'étrange masse silencieuse et déserte, sortie toute chaude de la main du Créateur, déjà cheminaient les pré misses de la création.
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Déjà dans l'ivresse d'un chantier nouveau, les éléments modelaient avec patience les reliefs aigus, déjà les mers peuplées d'ébauches étaient les mers, et déjà toutes les lois naturelles tendaient leurs forces vers ce mois d'août que nous connaissons.
Il y a eu les grands millénaires de paix et ses résultats imaginables, une alternance de terres émergées réduites à l'état de pénéplaine et de mers peu profondes déjà presque comblées de sédiments, il y eut après les grandes explosions telluriques qui ont bousculé cette sagesse, relevé les montagnes, englouti des continents et redonné du travail pour encore des millénaires aux vents, aux pluies, à la glace.
Bien sûr la terre a connu des mutations insensées de climat, les glaciers ont envahi la presque totalité du monde où l'on voit encore les traces de leur violence, des civilisations végétales et animales qui préparaient la nôtre ont connu des temps d'épanouissement et des temps de sclérose puis de disparition.
Et tout cela est inscrit dans le paysage de ce soir. Les reliefs ont une allure de fin de monde ; à peine si l'on peut deviner sous les placages des érosions le dessein orgueilleux de ces silhouettes qui furent jeunes.
Les sources s'endorment dans le fond plat des synclinaux ensevelis. Seuls quelques témoins granitiques opposent encore leur défense arrondie et suscitent encore la violence des attaques.
Le climat s'inscrit aussi dans le paysage. Les routes jalonnées de poteaux indiquent les grosses neiges d'hiver et les congères puissantes que rien n'arrête ; les maisons à moitié enterrées dans l'abri d'une butte protégée d'un rideau d'arbres indiquent la violence des vents et les arbres penchés leur direction dominante.
Les ardoises clouées sur les murs de l'ouest protègent des rafales de pluie, l'importance des bâtiments secondaires par rapport aux habitations annonce le rude climat de ces plateaux.
D'ailleurs, l'habitat de certaines cultures, de certaines essences d'arbres n'est pas celui-là. Là comme ailleurs, la végétation, naturelle ou imposée par l'homme, obéit à ses propres lois.
On peut introduire de nouvelles espèces, aménager, acclimater, mais que les limites sont étroites où l'homme peut imposer sa volonté ! Nulle récolte ne sera meilleure que dans l'aire naturelle de la plante sauvage.
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Ici, sur les arènes granitiques ou schisteuses, il ne s'agit plus de vigne ou d'oliviers, de chêne-vert ; le châtaignier calcifuge a épuisé ses forces d'adaptation sur les pentes, il reste le hêtre et le chêne et les beaux résineux récents, quantité d'arbustes, des graminées en masse, Les digitales pourpres que la rosée ne « remplit pas jusqu'au bord ».
A cette ébauche -- où confusément se mêlent les réalités de nos conditions humaines -- il faut laisser son caractère et ne pas tomber dans le travers commun aux hommes de science. Car les sols, les climats, les routes n'expliquent pas tout de l'homme malgré les géographes aveuglés par leur savoir, pas plus que la médecine n'explique tout ; et le sociologue ou l'économiste qui tiendrait à séparer le surnaturel du naturel croyant ainsi avoir dans la main la clef d'or de la vérité, cédant aux mirages d'un positivisme d'autant plus démenti qu'il s'y accroche avec plus de hargne, commettra le plus grave contresens.
Car au-delà du fait collectif qui peut être étudié avec fruit par le géographe -- le médecin -- le sociologue -- il y a le fait individuel toujours unique, l'homme, le prochain de la définition du catéchisme que seul le surnaturel explique.
SAIS-TU MON FILS, sais-tu connaître la forêt au chant du vent dans les branches ? car le chant des bois de pins n'est pas celui des longues futaies de hêtres ni celui grelottant des peupliers ou des platanes. Connais-tu mon enfant la montagne par le ruisseau, le ruisseau par son langage, la fleur par le sol et le sol par les parfums de la fleur ? -- Sais-tu mon fils, sais-tu pleinement respirer la première odeur d'une terre que tu ne connais pas et d'en savoir dès l'instant l'origine lointaine et toute son histoire et même son avenir dans les mains de l'homme qui l'aimerait ? Sais-tu au loin deviner dans cette barre blanche qui encercle le pied de la montagne, ce paysage si étrange que tu ne peux pas voir, et toute la civilisation qui y est enracinée ?
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Il paraît que même les bien-pensants offrent à ton imagination déjà tentée par le rêve, des images de mondes inconnus peuplés de fusées stellaires et de silhouettes métalliques. Et cet aveulissement de l'imagination que le réel ne vient plus à la fois limiter et enrichir, m'épouvante. Sommes-nous si indignes de la Création à nous offerte, que la recherche de ses merveilles ne nous suffise pas ?
QUE TES YEUX, MON ENFANT, ne s'enfièvrent pas du désir des choses qui ne te sont pas données. Ne cherche pas d'un regard envieux des dons que la nature ne peut sans infidélité à elle-même, offrir à ta joie. Et c'est peut-être là l'enseignement majeur de la géographie qui consisterait à t'apprendre les merveilles de ton sol, elles à toi données, pour accomplir avec elles et les tiens qui y demeurent avec toi, avec la grâce de Dieu, votre salut.
Car ton salut n'est pas dans la lune, mais là où la grâce t'a placé et t'y ayant placé a tracé le chemin lumineux de ton accomplissement. Et quelles leçons dans le devenir des choses ! La nature du sol qui constitue le support -- l'ossature même de ton destin -- l'histoire géologique te la donne. Sauf sur ces croupes pierreuses où l'érosion encore violente empêche la création par la végétation d'un sol cicatriciel, partout les grandes assises granitiques -- de schistes mêlés -- vieilles roches des origines, se sont décomposées en arènes siliceuses d'épaisseurs diverses. Peu à peu les plantes ont pénétré ces masses inertes de leurs racines et y ont apporté leurs déchets fécondants -- et ont permis l'implantation d'une végétation naturelle humifère typique Cet on retrouvera ces paysages si beaux dans les lieux de même histoire. -- donc de même composition géologique.
Et l'Écosse, les landes bretonnes, les plateaux du Massif Central connaissent les mêmes genêts aux terres jaunes qui éblouissent le jeune ciel printanier, les mêmes roses fanées des bruyères, l'opulence dorée des fougères à l'automne ; les mêmes champignons poussent sous les mêmes taillis, les mêmes sources légères chantent partout ; partout les marécages temporaires s'étalent dans les cuvettes pleines des mêmes décompositions tourbeuses. Partout la vie qui est dure a imposé aux hommes une civilisation de type spécial et par là une structure profonde qui les rend fraternels au-delà des langues et des nations.
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Et ces hommes que je voyais là, regagner lentement leur travail du soir, le soin des bêtes, la lente rumination du lendemain -- même s'ils ne savaient pas qu'ayant accompli ensemble ce paysage miraculeux où s'inscrit à chaque instant le labeur de l'homme en accord avec la création sentaient profondément qu'il y avait dans leur terre, méritée et gagnée mille fois, le plan de leur vérité et dans l'autre terre, de son prochain aimé, le plan de la vérité Universelle.
Je pouvais maintenant les connaissant, amicalement descendre vers eux, traverser de beaux villages neufs, trouver les hommes seuls -- réfléchis -- le soir à la porte de leur étable jouissant lentement de la bonne odeur fade des bêtes repues, me réjouir de leur prospérité.
Je savais à la couleur des prairies les herbes grasses, à celle des chaumes les moissons déjà enlevées. Je retrouvais malgré les machines, quelques javelles attardées du type montagnard, le plus efficace pour protéger les épis de la fraîcheur humide de la nuit. Je pouvais mesurer toute la fécondité nouvelle de ce pays dont les possibles avaient été atteints non certes par une planification départementale ou à plus forte raison nationale, mais par l'expérience fondée sur une connaissance essentielle, millénaire, de la terre et par les vertus morales dont on ne sait si elles sont de la terre ou de celui qui la travaille.
Il fallait s'arracher à ce pays amical, gagner la vraie montagne dont la face nord noircissait à chaque instant, connaître d'autres chemins de perfection, d'autres lieux de salut et aussi, humainement, des lieux de désertion, d'infidélité, d'oubli ; ensuite les Cévennes vertueuses, enfin juste au faîte d'une ligne de partage des eaux, la vie méditerranéenne où le discours tient lieu de pain quotidien, la passion politique de travail essentiel, où la terre ici ingrate et là jaillissante, le climat explosif expose l'esprit humain à la grande tentation d'une mythologie bavarde et multiforme, fille du génie grec.
Francis SAMBRÈS.
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### NOTES CRITIQUES
#### Le chrétien et le monde moderne
Très averti de certaines aspirations ou déviations des catholiques contemporains, le Père Daniélou s.j. nous offre dans cette brochure une mise au point lucide, bienveillante, équilibrée ; il n'éteint pas la flamme, il la dirige ; il n'arrête pas la marche, il l'oriente ([^10]).
Quatre petits exposés rapides mais denses : Foi et mentalité contemporaines ; défense du pratiquant ; bienheureux les pauvres ; espoirs humains et espérances chrétiennes.
Il est difficile de résumer ces chapitres car chacun d'eux constitue déjà une sorte de résumé. Aussi nous contenterons-nous de souligner quelques points et d'ajouter des gloses marginales. Dans la première étude, où il examine la soi-disant incompatibilité entre la mentalité moderne et la Foi chrétienne, le P. Daniélou montre que la faute revient à la mentalité moderne ; c'est à elle de se redresser car elle est réellement faussée ; elle a pris la très mauvaise habitude de n'admettre comme valables et certaines que les sciences de la matière. Ayant perdu le sens de l'être à force de s'attacher à l'étude des phénomènes, comment pourrait-elle s'intéresser à l'origine de l'être et au Créateur Tout-Puissant ? Or si la raison estime qu'il est impossible de connaître Dieu, comment pourrait-elle s'ouvrir à la Révélation de ce même Dieu ? Nous sommes en présence d'une « véritable déformation de l'esprit moderne... et d'une crise de la métaphysique... Une des tâches de notre temps ne serait-elle pas de rendre confiance à l'intelligence faite pour la contemplation de la vérité et que la Foi vient à la fois conforter dans l'ordre naturel et élever à l'ordre surnaturel ? » (p. 9 et 10). Assurément. Observons à ce sujet, bien que le Père Daniélou n'en parle pas, qu'un puissant effort avait été entrepris entre les deux guerres justement pour rendre à l'intelligence le sens de l'être et lui faire retrouver son inclinaison naturelle à la métaphysique. Que l'on songe au mouvement thomiste illustré en particulier par Gilson et Maritain. Quoiqu'il en soit du malheur des temps et du gaspillage de force provoqué en partie par les passions politiques, on espère que le mouvement thomiste n'a pas épuisé ses virtualités et qu'il retrouvera sa précédente vigueur. En dehors de là on voit mal comment la raison moderne pourrait être redressée.
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Avec raison le P. Daniélou note qu'un autre grand obstacle à la Foi chrétienne vient du « fait que l'homme contemporain est tourné avant tout vers l'action, vers l'efficience... (or) la vie religieuse (étant) tournée vers le monde de Dieu apparaîtra comme dérobant à la cité des hommes des énergies dont elle a besoin » (p. 16). Cependant ce n'est pas à la Foi qu'il appartient de changer ; c'est au contraire l'homme moderne, fasciné par la recherche de l'efficience, comme l'on dit, qui doit apprendre que l'inaction apparente de l'adoration et de la prière importe beaucoup plus que l'action au dehors ; elle répond à la tendance la plus foncière de notre nature créée ; c'est le sens religieux le plus élémentaire, celui de notre totale dépendance à l'égard de Dieu, qui s'est atrophié et qui doit reprendre vigueur (p. 19 et 20 ; et aussi p. 26 et 27 du chapitre suivant).
On peut d'ailleurs remarquer avec le P. Daniélou qu'il « est absurde de reprocher à la Foi de soustraire les hommes aux tâches de la terre » (p. 19). L'histoire de la civilisation chrétienne démontre qu'il n'en est rien ; -- cette civilisation qui dure encore, même si elle est très entamée ; qui durera ou du moins essaiera de refleurir sous des formes diverses aussi longtemps que la Sainte Église continuera Son pèlerinage, c'est-à-dire jusqu'à la fin des temps. Il reste que lorsqu'il s'agit des tâches de la terre et de l'action des chrétiens au plan de la civilisation et des structures profanes, la Foi ne saurait répondre à l'attente impure et ambiguë du *carnalis homo.*
Voici donc comment nous prolongerions la pensée du Père Daniélou : la Foi est à l'opposé des messianismes terrestres. Elle enseigne en effet le primat de la conversion du cœur, l'impossibilité de confondre les choses de César et les choses de Dieu, la pureté des moyens, la nécessité de ne pas mettre le tout de la vie dans l'action temporelle, l'obligation de ne vouloir une telle action que dans la fidélité à Dieu et le respect de sa loi. Bref la Foi chrétienne enseigne aux hommes à porter la Croix de Jésus dans leur application « aux tâches de la terre ». Doctrine déconcertante pour les hommes de tous les temps et qui toujours a constitué une difficulté pour la Foi. Mais l'étonnement et le scandale sont devenus plus grands à notre époque parce que la tentation communiste est diffuse dans notre monde et que l'on s'est fait une véritable idole de la transformation du cosmos et de l'ascension collective de l'humanité. Trop de chrétiens se laissent séduire. Ils ne craignent certes pas que la Foi les écarte des tâches terrestres ou de l'engagement temporel. Là n'est point leur difficulté. Ils ne sont pas entravés dans cette erreur.
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Mais leur illusion est de concevoir l'engagement temporel d'une manière qui n'est pas chrétienne et qui est même plus ou moins imprégnée d'un vague communisme, soit qu'ils ignorent la doctrine de l'Église sur la société temporelle, soit qu'ils adoptent sous prétexte d'efficacité des méthodes indignes d'un chrétien, soit enfin qu'il rêvent de changer la terre en une sorte de paradis. Il se produit ainsi un véritable abâtardissement de la Foi, une transposition aberrante de la Foi chrétienne en messianisme terrestre. Quel sera le remède ? Non pas de déserter le temporel lorsque Dieu veut que l'on y soit présent et que l'on y travaille, mais bien de ne voir et ne vouloir le temporel que dans la lumière du spirituel chrétien, un spirituel marqué de la croix et maintenu vivant par l'Église.
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La *défense du pratiquant,* objet du second chapitre, est menée avec entrain et une belle maîtrise. Le Père Daniélou ne fait pas la moindre concession au pharisaïsme de trop de pratiquants mais il n'approuve pas davantage les critiques lamentablement superficielles qui concluent de l'hypocrisie de tel ou tel pratiquant à l'inutilité de la pratique ; comme s'ils n'étaient pas hypocrites justement parce qu'ils trahissent l'esprit de la pratique ; comme si la pratique cultuelle, par sa nature même, ne tendait pas à rendre le pratiquant généreux jusqu'à l'héroïsme. Car si le rite religieux en général a déjà le pouvoir de rendre meilleure une vie d'homme (p. 27), à plus forte raison le rite religieux chrétien aura-t-il la vertu de transformer celui qui s'en approche puisqu'il établit un contact efficace et sacramentel avec le Christ crucifié et son amour infini. Vaine est donc l'opposition entre pratique cultuelle et charité active ; factice est le dualisme que l'on prétend établir entre le fait d'aller à la Messe et le fait d'être bon et généreux. En réalité la Messe nourrit la charité -- (n'est-elle pas le sacrement de l'unité de l'Église ?) -- et plus le chrétien désirera vivre dans la Charité mieux il voudra s'unir à la Messe.
Répondant à l'objection si fréquente d'une charité pour le prochain qui se passerait très bien de la Foi et des sacrements, le P. Daniélou note justement : « Il y a une profondeur de charité, un esprit de pardon, un amour désintéressé qui sont le fruit de l'Évangile et qui n'existent que là où la Grâce de Dieu élargit l'étroitesse du cœur humain et lui donne les dimensions de l'amour du Christ. » (p. 25). Un amour du prochain en effet qui ne procède pas de Dieu, serait-ce sans le savoir, ne parviendra jamais à pardonner vraiment certaines offenses et à ne pas entrer en complicité avec certains attraits inacceptables que nous présente le prochain. Dieu est seul à savoir aimer les hommes pécheurs. Pécheurs nous-mêmes parmi des frères tristement semblables à nous, nous ne serons capables de les aimer vraiment que dans la mesure où Dieu versera dans nos cœurs sa propre charité.
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C'est là une vérité première qu'il est indispensable de rappeler à ceux qui s'imaginent que l'amour du prochain suffit ou qu'il passe avant l'amour de Dieu. Il n'est pas besoin de scruter longuement notre cœur pour vérifier que la réalisation *intégrale du sermon sur la Montagne* présuppose l'amour de Dieu.
Que cet amour soit en dépendance des sacrements chrétiens, et en particulier de la Messe, le Père le fait comprendre dans un bref rappel de la théologie sacramentaire. Comme il se trouvera sûrement des lecteurs désireux d'approfondir cette doctrine nous nous permettrons de les renvoyer aux traités de Mgr Journet sur l'Église ([^11]). Non certes que ce théologien soit le seul parmi nos contemporains à avoir bien parlé de l'Église ; les volumes de la collection *Unam Sanctam* ([^12]) sont aussi en général d'une grande utilité ; cependant pour poser les bases, pour établir de solides fondements, les traités de Mgr Journet nous paraissent meilleurs. Et notamment, pour la question qui nous occupe, pour la question du culte et des « pratiquants », Mgr Journet montre avec beaucoup de profondeur comment la Sainte Église est indivisiblement le lieu du culte parfait et la communauté de charité.
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Dans sa troisième étude *Bienheureux les pauvres* le Père Daniélou s'attache à mettre en lumière cette valeur évangélique fondamentale de la pauvreté, que beaucoup de chrétiens, heureusement, sont en train de redécouvrir. Il montre qu'il s'agit d'une valeur évangélique en effet, et donc qu'elle se définit avant tout par rapport à Dieu et non par rapport à telle ou telle détermination sociologique. Mais encore faut-il comprendre que si la pauvreté selon l'Évangile est d'abord un esprit (*bienheureux les pauvres en esprit*) elle entraîne rigoureusement certaines réalisations effectives. Sinon, l'esprit de pauvreté serait un esprit de mensonge. « Une pauvreté qui n'impliquerait pas des renoncements effectifs serait une mystification » (p. 41). L'Évangile ne justifie nullement *l'ouvriérisme* (p. 43-44) mais il ne justifie pas davantage -- faut-il le noter ? -- l'installation des riches dans le luxe et la surabondance. « Impossible d'identifier (la pauvreté selon l'Évangile) avec aucune forme de pauvreté effective déterminée, et cependant elle n'est pas une pure disposition intérieure qui n'impliquerait aucune réalisation effective. » (p. 47.)
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« Quelqu'un qui prend Dieu au sérieux sera nécessairement entraîné à compromettre sa réputation, à sacrifier ses intérêts, à perdre sa tranquillité... la pauvreté évangélique est l'acceptation des risques immenses que comportera toujours la fidélité à la Loi de Dieu... Celui qui prend Dieu au sérieux est sûr qu'il sera un pauvre. » (p. 50.)
Le Père Daniélou inquiète ici le riche et le pauvre non pas à la manière subversive des révolutionnaires mais avec la suavité inflexible de l'Évangile de Jésus-Christ. Il nous réveille, il nous tient en éveil, mais de cet éveil où loin d'être désemparés et en désarroi nous sommes au contraire attentifs dans la prière : *soyez éveillés et priez.* Depuis les analyses du Père Régamey, o.p. ([^13]) nous n'avons pas souvenance d'avoir rien lu d'aussi sûr ([^14]) et d'aussi utile sur la pauvreté évangélique.
La juste remarque du Père D. sur la pauvreté « qui ne consiste pas (nous dirions qui ne consiste pas *nécessairement*) à renoncer à la propriété mais à l'assumer comme une responsabilité » nous a remis en mémoire la vigoureuse réflexion d'Auguste Cochin sur *l'abandon des privilèges* ([^15]). « On ne le voit jamais, dit-il, que du côté générosité ; il faut le regarder aussi du côté lâcheté. Sacrifier ses droits c'est souvent abandonner ses devoirs ; le maître qui parle à son serviteur d'égal à égal, le fait-il par largeur d'esprit ou par faiblesse de volonté ? Lui fait-il d'ailleurs toujours du bien ? Est-ce respect pour sa « dignité d'homme » ou secret désir de s'affranchir lui-même d'une supériorité qui a ses charges, ne fût-ce que celle de ne jamais se démentir -- et ses devoirs, sensibles surtout aux caractères faibles et lâches ? Les vertus de notre temps sont équivoques : on ne sait si elles sont des vertus ou des faiblesses ; les nobles abâtardis sont égalitaires, comme les dyspeptiques sont sobres. Le dernier abus qu'on fait des privilèges c'est de poser à les mépriser. »
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Du dernier chapitre, *espoirs humains et espérances chrétiennes* nous retiendrons ces deux vérités complémentaires : d'abord que « la religion nous fait un devoir » (p. 70) de travailler à un ordre temporel chrétien, ensuite que la religion suffit à nous animer dans cette entreprise. Ce serait une illusion mortelle de chercher des stimulants dans le mythe communiste de la transformation de notre planète en paradis terrestre (p. 77). En prolongeant la pensée du Père D. plusieurs remarques nous viennent à l'esprit. D'abord il est capital de comprendre que les espoirs terrestres ne sont en harmonie avec l'espérance théologale que pour autant qu'ils sont purs, ce qui n'est ni fréquent ni facile. D'ordinaire, le chrétien, dans la mesure où son cœur n'est pas assez fixé dans l'éternité (*nostra conversatio in caelis est*) se trouve fort exposé à attendre du progrès technique de la société et des structures temporelles plus et autre chose que ce qu'il doit attendre ; il se trouve fort exposé à en attendre un aménagement de la planète où le sacrifice n'aurait plus de raison d'être, où la convoitise serait éliminée, où règnerait la justice parfaite, où elle règnerait sans souffrance et sans immolation. Le sont là des espoirs proprement insensés et qui se changent très vite en idoles exigeantes et dévastatrices. De tels espoirs, loin d'être compatibles avec l'espérance théologale, sont au contraire convertis, corrigés et purifiés par elle. Il faut voir également quel est le chemin très particulier que nous propose la religion pour l'instauration d'un « monde meilleur », d'un ordre temporel digne de Jésus-Christ. Ce chemin passe nécessairement non seulement par la connaissance de la doctrine sociale de l'Église, mais encore par l'héroïsme chrétien. Certes, il est excellent de rappeler que notre religion nous fait un devoir de chercher à satisfaire « les légitimes aspirations en matière de pain, de travail ou de liberté » (p. 70). Mais peut-être faut-il insister plus encore que le Père D. sur le fait que notre religion également nous instruit sur les moyens à mettre en œuvre. Il n'est pas d'autres moyens, -- quitte à les approprier à la condition de chaque vie, -- que ceux de saint Louis ou de sainte Jeanne d'Arc. Qui espère travailler pour un ordre temporel chrétien sans passer par cette voie, d'une manière ou d'une autre, celui-là ne sait pas ce qu'il espère ou son espoir n'est pas chrétien.
La petite collection de Jean de Fabrègues le *Monde et la Foi,* destinée à nous faire vivre de la Foi dans un monde bouleversé, nous avait donné depuis le début d'excellentes études comme celles du P. Labourdette sur *l'Encyclique Humani generis* ([^16]), du Père Ducatillon sur *le patriotisme,* de Jean Le Cour Grandmaison sur *le Monde qui n'est pas un combinat géant* et tout dernièrement de J. Daujat sur la *Physique moderne et la Philosophie traditionnelle.*
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La brochure du P. Daniélou vient très heureusement compléter les publications antérieures. Elle nous fait comprendre combien profondément notre monde est laïcise ou même influence par le communisme et comment nous devons réagir, Le Père D. nous aide à juger dans une lumière véritablement chrétienne un certain nombre de questions qu'on agite beaucoup depuis une quinzaine d'années. Il nous conduit ainsi à une mise au point digne de ce nom, non pas en invitant, comme on a coutume de le faire, à *ne pas aller trop loin* et à s'endormir dans des compromis, mais en permettant *d'aller à l'essentiel* et de l'approfondir.
R.-Th. CALMEL, o. p.
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#### Retourner le monde
Deux figures dominent cette histoire ([^17]) écrite sur pièces d'archives (où passent en outre les profils du Curé d'Ars, du P. Chevrier et de Blanc de Saint-Bonnet) : le Bienheureux P. Eymard, fondateur en 1863 de la Société des Prêtres du Saint-Sacrement, et Mlle Tamisier ; physionomies bien frappantes l'une et l'autre, entre lesquelles on dirait que la Providence ait établi une sorte de partage des rôles ; car, pour avoir été toutes deux de première importance, la part qu'ils eurent dans la naissance des Congrès eucharistiques ne fut pas du tout du même ordre.
On ne saurait en effet compter le P. Eymard parmi leurs fondateurs, ni même, au sens strict, leurs initiateurs. Le premier Congrès eucharistique est de 1881, il était mort depuis 1868, et l'on ne voit pas qu'il ait jamais imaginé de vastes assemblées périodiques en témoignage de notre adoration du Saint-Sacrement. Mais s'il est vrai qu'il n'a pas prévu cette forme particulière du culte de l'Hostie, elle l'eût à coup sûr comblé de joie, tant elle s'accorde à sa spiritualité. « Il faut que Notre-Seigneur sorte de son tabernacle et de ses églises pour se mettre de nouveau à la tête des sociétés chrétiennes qu'il dirigera et sauvera », écrivait-il en 1864. Et d'appeler une « protestation publique et solennelle de la foi des peuples en la divinité de Jésus-Christ, en la vérité de sa présence sacramentelle », Peut-on définir plus précisément l'esprit des Congrès et, comme le disait le bref de béatification, mieux « leur préparer les voies » ?
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Est-il besoin d'ajouter que le P. Eymard n'avait pas toujours eu la tâche facile ? Les épreuves ne lui avaient pas été ménagées, et, comme il arrive, quelques-unes des plus douloureuses lui étaient venues de ses frères en religion. Il faut lire dans la trop courte esquisse de biographie qu'en donne Antoine Lestra les obstacles qu'il rencontra pour quitter la Société de Marie et fonder la Société des Prêtres du Saint-Sacrement. Son supérieur ne voulait pas le lâcher, et finalement lui propose d'aller à Rome soumettre le cas au pape, tous deux convenant de s'en remettre à sa décision ; mais, une fois devant Pie IX, le P. Favre est tellement ému qu'il en oublie l'objet de son audience et dès lors, revenu sans l'avis favorable qu'il était allé solliciter, se trouve en mauvaise posture pour repousser plus longtemps la requête de son religieux. Les étourderies ont de ces conséquences.
Mais c'est surtout le cas de Mlle Tamisier qui déconcerte la prudence humaine. Elle évoque invinciblement la mouche du coche par une agitation, pour ne pas dire une turbulence, qu'elle est incapable de maîtriser. Mais regardez mieux : ce qu'elle veut, elle le veut bien ; et, davantage, après s'être mise sous la direction du P. Chevrier, qui ne craint pas de l'éprouver d'abord rudement, elle sait, à une obstination que rien ne décourage, allier une volonté d'effacement sans égale. « Elle écrivait beaucoup, elle ne se montrait jamais », dit très bien Antoine Lestra, si bien qu'il fallut sa mort, en 1910, pour que fût levé le voile dont elle avait recouvert son action.
Action, au demeurant, non pas d'organisation, mais uniquement, semble-t-il, de persuasion, et, comme nous dirions, de propagande, « Vous voulez imposer vos idées, *retourner le monde* avec le Saint-Sacrement adoré comme vous l'entendez, rien n'arrête votre présomption », lui disait le P. Chevrier. Et il ajoutait un autre jour, c'était en mai 1874 : « Vous sèmerez cinq ou six ans et plus, Vous soufflerez quelques idées, et les autres les complèteront. » Sur quoi l'évêque de Liège, à qui elle rapportait le propos, de lui faire observer que juste « sept ans après se tenait le premier Congrès à Lille, et les autres ont suivi ». Nul être pourtant qui parût à première vue plus désarmé : mais n'est-il pas assez ordinaire à la Providence de se choisir des instruments faibles, comme pour mieux manifester que c'est elle qui agit par eux ?
« Le Bon Dieu prépare ses œuvres de loin, disait un jour le Curé d'Ars, et précisément à l'occasion du P. Eymard. Il va doucement, mais sûrement. » Ainsi des premiers cheminements, bien obscurs alors, mais aujourd'hui éclairés par l'événement, des Congrès eucharistiques, qu'on ne peut qu'être reconnaissant à Antoine Lestra d'avoir retraces en véritable historien, aussi précis qu'élégant.
Henri RAMBAUD.
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#### Le bréviaire doctrinal de la « Cité catholique »
La publication, en un fort volume de 900 pages grand format, d'un exposé de la doctrine enseignée par *La Cité catholique* et par son organe de travail *Verbe* constitue un événement important dans le catholicisme français. Un événement important à plusieurs égards, et notre propos est d'en souligner quelques-uns.
Signalons tout d'abord que ce volume est intitulé *Pour qu'Il règne,* et qu'il est en vente au siège de *La Cité catholique,* 3, rue Copernic à Paris.
I. -- A propos de l'imprimatur.
Le numéro 103 de *Verbe,* annonçant la parution de *Pour qu'il règne,* publiait la note suivante :
« Nous profitons de cette occasion pour rappeler que *Verbe* ne porte pas d'*imprimatur* visible parce que « CE N'EST PAS LA COUTUME, EN FRANCE, DE DONNER l'*imprimatur* A DES PÉRIODIQUES », ainsi que nous le disait S. E. le Cardinal Feltin en 1951, qui ajoutait : « JE VOUS AUTORISE A FAIRE ÉTAT DE CE QUE JE VIENS DE VOUS DIRE. » Mais la même règle ne s'applique pas aux livres. Ainsi, les numéros épuisés, lorsqu'ils sont refondus en ouvrages, peuvent-ils porter l'*imprimatur.* On ne pourra plus nous reprocher de paraître sans en être munis. »
Car cette querelle -- cette querelle aussi -- a été faite à *Verbe* et à *La Cité catholique.* Cette œuvre, comme d'autres, plus que d'autres peut-être, a été victime d'une longue diffamation, et de calomnies systématiques qui ne résistent pas à l'examen des faits et des documents.
Il est dommage que trop souvent, dans le catholicisme français, on confonde émulation mutuelle avec diffamation réciproque.
II\. -- Approbations et encouragements\
de la Hiérarchie apostolique.
Pendant plus de dix années, *La Cité catholique* a été méthodiquement attaquée et diffamée dans presque tous les milieux catholiques, au nom de l'orthodoxie et de la soumission à la Hiérarchie. Ce dénigrement calomnieux a été particulièrement intense à l'intérieur de certaines organisations, qui ont été véritablement « intoxiquées » et le restent encore. Or, *Pour qu'Il règne* est préfacé par deux Archevêques : cela n'est pas tellement fréquent pour un enseignement *doctrinal* donné par un organisme *laïque* qui est *extérieur* à l'Action catholique proprement dite.
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On peut même se demander s'il existe des précédents, en France, au cours des dix ou quinze dernières années. Une approbation aussi explicite, aussi marquée, constitue bien, à elle seule, un événement. Un événement d'ailleurs rigoureusement passé sous silence par la plupart des journaux dits « catholiques », spécialement par ceux qui sont vendus dans les églises : nous notons le fait, en laissant à d'autres le soin de le commenter, et d'en donner l'explication s'ils la connaissent.
Et pourtant, cette double préface archiépiscopale n'est pas, en ce qui concerne *La Cité catholique,* un fait nouveau. Si l'on se reporte aux documents cités pages 777 et suivantes dans *Pour qu'Il règne,* On verra quelles approbations chaleureuses, quels encouragements décisifs, depuis des années, *La Cité catholique* a reçus du Saint-Siège, de Cardinaux, d'Archevêques et d'Évêques écrivant des lettres publiques ou venant en personne assister à ses Congrès annuels. Le public n'en a rien su parce que la presse n'en a rien dit.
Or il n'existe pas beaucoup d'autres *organisations laïques, situées en dehors de l'Action catholique,* qui aient reçu de telles marques de confiance de membres éminents de la Hiérarchie apostolique.
Pourquoi donc, en ce qui concerne *La Cité catholique,* le public a-t-il été systématiquement tenu dans l'ignorance des faits ?
Pourquoi l'est-il, semblablement, en ce qui concerne le journal catholique *L'Homme nouveau* et le *Mouvement pour l'unité* de l'abbé Richard ?
En ce qui concerne la « Légion de Marie » ? Et bien d'autres ?
Depuis quelques mois, certains journalistes ont murmuré, en privé, à ce sujet, des confidences fort troublantes, reflétant d'ailleurs le trouble de leur propre conscience : ils se plaignent que la trahison de leur devoir d'information loyale et objective, que le mensonge par omission leur soient mystérieusement, clandestinement imposés. On peut, si l'on veut, tenir leur propos pour dérobade, et trop facile excuse : surtout s'ils se rendent compte, comme ils le disent, et autant qu'ils le prétendent, que c'est pour eux un problème de conscience. Car alors ils devraient savoir qu'en de tels cas *il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes :* et s'ils n'en ont pas la force de caractère, ont-ils celle de produire en la matière un témoignage digne de foi ?
Il n'en reste pas moins que leurs révélations sont impressionnantes. Car enfin, tout se passe comme s'il existait effectivement des consignes de silence, frappant jusqu'à la Hiérarchie apostolique puisque des Évêques, des Archevêques, des Cardinaux et le Saint-Siège lui-même sont « censurés » par la presse en diverses occasions : et notamment, pour ce qui nous occupe présentement, dans les occasions où ils ont publiquement apporté à *La Cité catholique* l'expression de leur estime et de leur confiance.
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Mgr Lefèvre, archevêque de Dakar, écrit à *La Cité catholique *:
« Il n'est plus nécessaire que je manifeste mes encouragements et ma sympathie à l'égard de votre association. Depuis que j'ai eu la satisfaction de connaître son but, ses désirs, ses réalisations, je les ai pleinement approuvés.
« Je sais bien que des critiques sont faites à votre endroit : elles atteignent quelques détails d'expression, quelques personnes que l'on craint à cause de leur soi-disant attachement à certaines formes de politique ; de ces objections vous ne devez tenir compte que pour parfaire votre œuvre.
« Mais si ces jugements veulent atteindre les bases mêmes de votre pensée, de votre orientation, alors ils équivalent à des procès d'intention et à de pures calomnies. »
Mgr Marmottin, archevêque de Reims, écrit de son côté :
« Plusieurs fois déjà je vous ai, par écrit, et surtout au Congrès que vous avez tenu à Reims il y a quelques années, encouragés à cet apostolat qui est le vôtre (...) Je souhaite de tout cœur que tous nos catholiques vous lisent et vous suivent ; alors ils ne seront plus seulement des catholiques fidèles aux pratiques religieuses, mais des catholiques instruits, de formation doctrinale sérieuse, dociles aux enseignements pontificaux. »
Dès le 5 janvier 1950, le Chanoine Maury, secrétaire particulier du Cardinal Gerlier, écrivait à *la Cité catholique :*
« Son Éminence ne peut que vous féliciter de l'esprit chrétien qui vous anime et de l'action que vous entreprenez à la lumière des principes de l'Évangile. »
A partir de l'année 1954, il n'est pas de congrès annuel de *La Cité catholique* qui ne soit honoré de messages romains d'encouragement. Cette année 1954 est celle où Mgr Montini, alors à la Secrétairerie d'État, écrit à Mgr Chappoulie, protecteur de *La Cité catholique,* les souhaits que forme le Saint-Père en faveur de cette œuvre. A partir de l'année suivante, les divers Évêques qui accueillent dans leur ville épiscopale le congrès de *La Cité catholique* reçoivent une lettre de félicitation du Cardinal Ottaviani.
Dans la section « documents » de *Pour qu'Il règne,* on ne trouve d'ailleurs, notons-le, qu'une partie de ces messages d'encouragement et d'approbation. Les auteurs de l'ouvrage ont recueilli seulement « ceux qui indiquent ou soulignent plus particulièrement le terrain d'action (de *La Cité catholique*)*,* ses relations avec la Hiérarchie et ce qui la distingue de l'Action catholique ».
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III\. -- Feu vert pour les diffamateurs.
Mais si la plupart des journaux catholiques se taisent, il est en revanche des journaux anti-catholiques qui ne se taisent point. Depuis quelques années et spécialement dans le courant de l'année dernière, on a vu un organe anti-clérical, anti-catholique et anti-chrétien comme *France-Observateur* mener d'étranges campagnes. Étranges en ce qu'elles sont agencées par des catholiques opérant plus ou moins clandestinement.
Les Cardinaux, Archevêques et Évêques coupables d'encourager et de bénir *La Cité catholique* ont été méthodiquement attaqués par *France-Observateur,* qui proclame en substance que ce sont des brebis galeuses, déshonneur de l'Église.
Or les mêmes journaux qui sont fort prompts à reprendre les (nombreuses) sottises théologiques d'un Bénazet dans *L'Aurore,* ou à venger ses impertinences à l'égard de la Hiérarchie apostolique, ont omis de prendre la défense des Cardinaux, Archevêques et Évêques insultés et diffamés par *France-Observateur.*
Qui a donné les consignes de silence ? C'est une question dont on ne formule pas la réponse. Mais en tous cas, le résultat est clair. Les Évêques français savent maintenant qu'ils ne peuvent venir à un congrès de *La Cité catholique* sans s'exposer à être traînés dans la boue par *France-Observateur.* Ils savent aussi qu'ils ne peuvent compter, en semblable occurrence, sur aucun quotidien, sur aucun hebdomadaire pour prendre leur défense.
En décembre 1958 nous avons lu, dans la doyenne des revues catholiques françaises, une protestation motivée contre des attaques visant la Hiérarchie. Il s'agissait d'attaques « de droite », qui sont particulièrement injustifiables, si tant est que « la droite » représente, entre autres choses, le respect de l'autorité légitime. Mais les attaques lancées contre la Hiérarchie par *France-Observateur* ou par *Esprit* n'ont pas fait l'objet, dans la presse quotidienne ou hebdomadaire, ni dans la doyenne des revues françaises, de semblables protestations, de semblables réfutations. Ce phénomène aisément constatable est tout de même un curieux phénomène.
Un très curieux phénomène. Qui a pour conséquence, notamment, de beaucoup affaiblir la portée morale des protestations contre les attaques venant « de droite » : tout se passe comme si on les relevait parce qu'elles viennent *de droite,* et non parce qu'elles visent la Hiérarchie. Quand des attaques, aussi insolentes et plus fréquentes, viennent *de gauche,* les mêmes publications ne disent mot...
Naturellement, ce qui est vrai des Évêques est encore plus vrai des laïcs catholiques : si c'est *France-Observateur* qui les diffame, il n'y a personne dans la presse catholique pour rétablir la vérité.
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A ce point de vue comme à beaucoup d'autres, il est de fait que le climat intellectuel et moral est profondément perturbé en France par le comportement ordinaire de cet univers sociologique très particulier et très fermé que constitue la presse parisienne. La presse de province est tout à la fois beaucoup plus saine, beaucoup plus indépendante et beaucoup plus objective.
La presse parisienne, donc, a eu pour *La Cité catholique* soit la diffamation soit le silence. En juillet 1958, toutefois, *Le Monde* a publié à son sujet un article peu favorable sans doute, mais assez bien documenté, et dont *Verbe* (n° 96) reconnaissait qu'il n'était « pas passé à côté des préoccupations essentielles » de *La Cité catholique.* Il est vraiment remarquable que le premier article de la presse parisienne, ample et documenté, qui ait informé ses lecteurs sans trahir les préoccupations essentielles de *La Cité catholique,* ait paru non point dans un journal catholique, mais dans *Le Monde...*
L'année suivante, c'est-à-dire en 1959, on vit paraître une sévère critique dans les *Études,* où l'on eut la stupéfaction de lire, au sujet de *La Cité catholique,* que son « *effort n'est pas totalement illégitime* » ([^18]) ... Puis un article de *Témoignage chrétien* nettement plus bienveillant que celui des *Études.*
L'inquiétant paradoxe se retrouve dans toutes les directions où l'on pousse la recherche. *L'Osservatore romano,* dans son édition italienne, a publié le 12 janvier 1956 un article très élogieux sur *La Cité catholique,* que l'on trouvera dans *Pour qu'Il règne* (pp. 782 et suiv.). Lorsque *L'Osservatore romano* publie quelque chose qui concerne la France, la presse catholique de notre pays ne manque pas de le reproduire ou de le signaler, au moins à titre documentaire : cela constitue, en tout état de cause, une « information » qui intéresse le public catholique. Cette information-là n'a été publiée ni par les quotidiens ni par les hebdomadaires de Paris. Et pas même dans l'édition française hebdomadaire de *L'Osservatore romano.*
IV\. -- La vertu de patience.
Il faut voir et dire les choses comme elles sont. Mais il ne faut pas perdre son temps à s'en indigner. Le chrétien a autre chose à faire.
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La presse parisienne constitue un univers sociologique si particulier, si clos sur lui-même, et tellement insensible aux *raisons* qui se présentent toutes seules et toutes nues, sans être appuyées par les influences mondaines, l'argent, *et cetera...* La presse parisienne suit ses pentes habituelles, sans qu'on y puisse humainement grand'chose, sinon mettre en garde le public. Mais, *dans tous les domaines, le vrai travail se fait en dehors d'elle, il se fait ailleurs.* Seul l'État, le jour où il s'y mettra enfin, sera en mesure de commencer à résoudre l'immense problème posé en permanence par cet état de fait : *le pourrissement de la conscience nationale par les cercles financiers et intellectuels de Paris ;* les cercles très réellement financiers, et soi-disant intellectuels, qui ont colonisé une grande partie des « instruments de diffusion » ([^19]).
Ces cercles plus ou moins intellectuels, disposant d'une puissance financière formidable dans le système capitaliste actuel des entreprises de presse, constituent une abominable féodalité contre laquelle le peuple français ne peut se défendre lui-même. Comme toujours, le peuple sera défendu contre les féodaux par l'État. Et les plus puissants des féodaux modernes, ce sont les capitalistes de presse, *quelle que soit leur étiquette.*
En attendant, c'est perdre son temps que de l'employer à des indignations platoniques. Il faut *travailler en dehors.*
Les hommes de *La Cité catholique* en ont donné un magnifique exemple : et un grand exemple de PATIENCE. La *patience,* cela veut dire : souffrir avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ.
Nous ne savons plus ce qu'est la patience ; les noms des vertus chrétiennes ont été affadis par l'usage délavé qu'en fait le vocabulaire courant d'une société apostate -- et d'une presse à son image, On parle de la *vertu* comme d'une naïveté, de la *prudence* comme d'une lâcheté, de *l'humilité* comme d'un manque de caractère. Alors que c'est exactement le contraire.
Insultés et rejetés par leurs frères, les hommes de *La Cité catholique* ont réappris la vertu de patience, l'une des plus oubliées aujourd'hui. Quand nous revoyons en esprit toutes les souffrances et toutes les injustices qui leur ont été imposées par ceux-là mêmes qui auraient dû être les premiers à les aider, l'attitude des militants de *La Cité catholique* évoque pour nous cette vertu de patience que chacun peut trouver dans la méditation des Mystères douloureux du Rosaire, ainsi que l'enseignait Léon XIII :
« L'on dit avec raison que le propre du chrétien est de faire et de supporter beaucoup, *facere et pati fortia christianum est ;* car personne ne saurait être vraiment chrétien en se dispensant de suivre le Christ dans sa Passion.
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« La vertu de patience n'est pas la vaine ostentation d'une âme endurcie à la douleur, comme pour certains philosophes de l'antiquité ; la vertu de patience prend modèle sur Jésus qui « au lieu de la joie qui lui était promise, endura la croix sans s'arrêter il son infamie » (Heb, XII, 2) : après avoir demandé à Dieu le secours de Sa grâce, la vertu de patience ne récuse aucune souffrance mais, si grande soit-elle, la considère comme profitable. Le catholicisme a toujours eu et a toujours, en tous lieux et dans toutes les classes de la société, des hommes et des femmes qui, menant leurs pas dans ceux du Christ Notre-Seigneur, supportent avec un courageux esprit surnaturel les injures et les amertumes, redisant avec l'Apôtre Thomas, en actes plus encore qu'en paroles : « Allons, nous aussi, et mourrons avec lui » (Jean, XI, 16). Que de tels exemples se multiplient de plus en plus, pour le bien de la société, pour la vertu et la gloire de l'Église ! » ([^20])
Telle est la patience.
Au premier abord, cette doctrine est rude.
Mais c'est la doctrine du Christ, qui est miséricordieux aux souffrances humaines infiniment plus que ne peuvent l'être nos sentiments humains. Cette doctrine exposée par Léon XIII dans ses Encycliques sur le Rosaire est « plus opportune que jamais pour la vie chrétienne », a dit récemment Jean XXIII ([^21]).
Et cette doctrine, on peut la vivre. Avec la grâce de Dieu. Elle n'est pas impraticable. Injuriés, dénoncés, bafoués, méprisés par leurs frères, écrasés par les féodalités régnantes, les hommes de *La Cité catholique* ont donné un exemple de patience qui vaut et vaudra, nous l'espérons, une effusion de grâces et de bénédictions surnaturelles pour toute l'Église de France.
*L'aile marchante de l'Église,* depuis deux mille ans, ce n'a jamais été les plus malins, les plus habiles, les plus forts et les plus honorés selon le monde. L'aile marchante de l'Église, personne ne peut croire sérieusement qu'elle soit aujourd'hui constituée par les sociétés anonymes du capitalisme de presse et d'édition. Depuis deux mille ans, l'aile marchante de l'Église, ce sont ses membres souffrants, persécutés, méprisés, et qui se tiennent fermes et fidèles, dans la patience et dans l'amour.
Les moqueries et les dénigrements, les mépris et les hostilités, en substance identiques, contre des œuvres aussi différentes que *La Cité catholique,* que la *Légion de Marie,* que *l'Armée bleue,* que le *Mouvement pour l'unité* et que plusieurs autres qui, Dieu merci, ne tiennent pas le devant de la scène sur les tréteaux du monde, et sont condamnés à travailler dans une perpétuelle humiliation, -- c'est là précisément le gage et la promesse d'une renaissance chrétienne de la France. Il n'en a jamais été autrement. Le disciple n'est pas au-dessus du Maître. « Personne ne saurait être vraiment chrétien en se dispensant de suivre le Christ dans sa Passion. »
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V. -- Une certaine suspicion.
Comme toute œuvre humaine, celle de *La Cité catholique* comporte ses imperfections. Comme toute œuvre doctrinale, elle se heurte à des incompréhensions parfaitement honnêtes et respectables celles-là ; le langage humain expose en permanence aux équivoques les plus inattendues. L'enseignement de *La Cité catholique* est d'une grande, d'une scrupuleuse -- d'une infiniment rare -- fidélité à la lettre et à l'esprit des Encycliques. On a pu craindre un moment que ses dirigeants, solidement et anciennement formés aux doctrines de saint Thomas, de Léon XIII, de saint Pie X et de Pie XI -- et du cardinal Pie sous-estiment l'immense portée de l'œuvre de Pie XII. Bien entendu, c'est toujours la même doctrine, et il n'y en a qu'une. Mais des problèmes nouveaux surgissent ; les temps changent ; les questions posées se nuancent et se déplacent. Les principes invariables de la foi et de la raison naturelle n'en sont pas transformés : ils sont appelés néanmoins à montrer leur fécondité par des applications et des explicitations nouvelles. On put trouver que *Verbe* était un peu lent à mettre en œuvre l'extraordinaire apport doctrinal de Pie XII : en quoi il ne risquait pas de tomber dans l'erreur, mais peut-être de paraître livrer surtout des combats d'arrière-garde contre le rationalisme du XIX^e^ siècle ou contre le modernisme d'avant 1914. Les erreurs d'aujourd'hui sont filles des erreurs d'hier, elles ne leur sont pas identiques ; leur séduction, leurs sophismes, et la part de vérité qu'elles exploitent et défigurent, ne sont plus tout à fait les mêmes ([^22]).
Cette crainte sera assez largement apaisée par la lecture de *Pour qu'Il règne.* La nouveauté des explicitations de Pie XII trouve maintenant une place plus nettement marquée, et plus explicite, dans l'enseignement de *La Cité catholique.* Cette place pourra d'ailleurs, on le souhaite du moins, devenir plus large encore.
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Dans une perspective partiellement analogue, on a reproché à *La Cité catholique,* et encore tout récemment, d'être beaucoup plus attentive et sévère aux déviations de « gauche » qu'à celles de « droite » ; d'être plus avertie des dangers du « socialisme » que de ceux du « nationalisme » (que certains appellent *nationalitarisme,* mais ce vocable ne semble décidément pas retenu par l'usage) ; et, nommément, de combattre le souvenir du Sillon de Marc Sangnier par nostalgie de l'Action française de Charles Maurras.
Ce reproche parut fondé quelque temps. (On en prit même prétexte pour entretenir une suspicion sans mesure.) Cette apparence fût-elle trompeuse dès l'origine ? Ou bien, sur ce point, y a-t-il eu un progrès intellectuel ? Nous n'en débattrons pas. L'hypothèse d'un progrès ne serait d'ailleurs nullement offensante, bien au contraire. De toutes façons, l'important est qu'il ne subsiste plus aujourd'hui d'équivoque sur la position de *La Cité catholique.*
Ceux qui en douteraient n'auront qu'à prendre, au bas de la page XVII et en haut de la page XVIII de la « table logique » qui figure en tête de *Pour qu'Il règne,* les chapitres successifs intitulés :
Union sur les seules bases nationales ;
Difficultés de cette union sans un principe doctrinal ;
Danger d'un nationalisme doctrinaire ;
Insuffisance de l'accord sur la seule « physique sociale ».
Ni l'accord sur une *physique sociale,* ni celui sur un *nationalisme doctrinaire* ne peuvent être acceptés par des catholiques conscients des implications et exigences de la doctrine chrétienne. C'est en l'occurrence le fond du débat. En prenant une position chrétienne sur ces deux points, *La Cité catholique* suscitera peut-être des déceptions, ou même se heurtera à des incompréhensions supplémentaires. Mais elle est fidèle à la vérité, selon sa vocation ; et elle contribuera à éclairer les esprits que n'aveugle pas le sectarisme.
L'union sur les seules valeurs nationales est fragile et brève : « union sacrée », « tous unis comme au front », -- cela, qui est commandé parfois par un péril immédiat et pressant, n'a jamais fondé une durable unité (p. 367). L'union normale et durable sur les valeurs nationales est chimérique sans une doctrine. Et la doctrine dont il est besoin, ce ne peut être ni une « physique sociale », ni un « nationalisme doctrinaire ». Il faut indispensablement un accord SUR LE PLAN DOCTRINAL DE LA MÉTAPHYSIQUE ET DE LA RELIGION (p. 367) ; un accord SUR LA SEULE VRAIE DOCTRINE, qui est la doctrine de Jésus-Christ (p. 368). En la page 374, *Pour qu'Il règne* cite Charles Maurras, « dont le témoignage est trop précieux en pareille matière », et le fait témoigner... contre une politique qui met Dieu entre parenthèses...
Tout cela n'est pas nouveau, mais fut longtemps incompris. *Pour qu'Il règne* cite et approuve (p. 376) une critique fondamentale, bienveillante mais ferme, que le P. Descoqs, avant la guerre de 1914, adressait déjà au « compromis nationaliste » de l'Action française.
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Hors de la référence explicite à Dieu, le nationalisme le plus mesuré manque d'un principe absolu ; il est alors conduit en fait -- même s'il s'en défend en théorie à s'ériger lui-même en absolu, à se constituer en « doctrine » nationaliste, à devenir un « nationalisme doctrinaire ».
Et, aux pages 382-383, *Pour qu'Il règne* conclut à ce propos :
« L'individualisme anarchique du Sillon devait être condamné. Il le demeure. Mais, par réaction contre une erreur funeste, il ne faudrait point tomber dans une autre qui risquerait d'éliminer Dieu de la vie politique, de ne plus l'invoquer dans la solution des plus graves problèmes civiques, de le considérer comme un facteur inutile, une hypothèse invérifiable et superflue, un facteur inutile dans le fonctionnement de la machine sociale... Qui oserait dire que ce n'est pas là un péril contre lequel les « nationaux » ont à se garder ? »
On ne peut contester la rectitude de la position. D'autant qu'elle s'exprime dans le contexte d'une critique générale du naturalisme, et du naturalisme précisément politique : cette critique incluait déjà le rejet des erreurs ou insuffisances reprochées à ceux des livres de Charles Maurras qui, comme *La Politique religieuse, Trois idées politiques, L'Avenir de l'intelligence,* etc... sont à l'index ([^23]). Un censeur pointilleux pourrait malicieusement remarquer que, dans *Pour qu'Il règne,* le Sillon est explicitement nommé quand on critique ses erreurs, tandis que l'Action française n'est aucunement désignée quand on critique les siennes : un tel reproche, notons-le, n'est plus d'ordre « doctrinal », il est d'ordre « prudentiel ». Et *Verbe* s'est expliqué clairement là-dessus dans une notice qu'il eût sans doute été profitable de recueillir dans le même volume (voir *Verbe,* supplément n° 12, pages 151 et suivantes).
Il ne devrait donc rien subsister des suspicions ou des craintes d'ordre doctrinal qui supposent que *La Cité catholique* serait aujourd'hui, dans son enseignement, influencée par un « nationalisme doctrinaire », ou par les théories de la « physique sociale ».
Qu'à ce chapitre, et à quelques autres, des approfondissements soient encore possibles, et particulièrement souhaitables, cela est d'un autre ordre, et ne saurait constituer ni fonder un reproche. La doctrine de l'Église, on n'a jamais fini de l'approfondir, et nous avons en la matière tous besoin les uns des autres. Plus d'une page de *Pour qu'Il règne* apporte de précieuses élucidations, et qui ne sont pas courantes.
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En revanche, on peut suggérer aux auteurs que le Message de Noël 1954, dont ils citent deux phrases (p. 372), offre précisément, avant l'endroit où ils commencent leur citation, une ample matière à réflexion, qui ne semble pas encore avoir été mise beaucoup en œuvre dans le catholicisme social français ([^24]).
VI\. -- Prières pour La Cité catholique.
Un ouvrage de plus de 900 pages, synthèse doctrinale, recueil de documents, méthode d'action, appellerait de bien longs commentaires si l'on voulait en faire un compte rendu ([^25]). Notre propos n'était que de le présenter au lecteur, en notant quelques aspects d'une œuvre, *La Cité catholique,* qui ne prétend en remplacer ou supplanter aucune autre, qui ne fait double emploi avec aucune, et qui a certainement sa place, une place très importante, dans le catholicisme français. Ceux-mêmes qui dénigrent *La Cité catholique* seraient obligés, si elle n'existait pas, d'en inventer un équivalent.
\*\*\*
C'est au cours de l'été 1946 que fut fondée *La Cité catholique.*
« Le 29 juillet 1946, trois hommes se réunissent et consacrent leurs travaux au Christ-Roi en la Basilique de Montmartre. Le même jour l'œuvre nouvelle était, en la Chapelle de la Médaille miraculeuse, rue du Bac, mise sous la protection de la Reine du monde. »
Pour conclure, nous reproduisons simplement les « Prières pour *La Cité catholique* » qui figurent dans *Pour qu'Il règne,* pages 715 et suivantes. La plus haute expression d'un homme est assurément dans sa prière, Celles-ci, tout militant catholique peut assurément les faire siennes :
77:39
« CŒUR SACRÉ DE JÉSUS, NOTRE SAUVEUR, SEUL MAÎTRE DU MONDE, ROI DES NATIONS, SEIGNEUR DES INDIVIDUS, en notre nom et en celui de tous les membres de La Cité *catholique,* déclarons nous consacrer entièrement à Votre gloire et à Votre Service.
Fils respectueux de l'Église catholique, nous savons que c'est à Elle que Vous avez confié le soin de nous diriger ici-bas.
Le monde est fou, Seigneur, et se perd chaque jour davantage, parce qu'il s'est détourné de Vous.
Corruption des mœurs, anarchie sociale ; l'esprit des ténèbres a tout envahi et d'abord les intelligences, enlevant ainsi à ses victimes jusqu'à la connaissance de leur mal.
Rappeler les principes, dissiper les nuées, combattre des systèmes qui, parce qu'ils ruinent l'ordre humain, ruinent par là-même la Foi, telle est la tâche que nous avons entreprise, espérant contribuer ainsi à ramener la France à votre Royauté.
Bénissez, ô Jésus, notre travail, éclairez-nous ; dirigez-nous ; gardez-nous de l'orgueil ; débarrassez-nous de toute opinion personnelle ; apprenez-nous à défendre la vérité avec acharnement, sans maladresses, sans manquer à la charité, sans blesser les personnes inutilement.
D'ores et déjà, nous Vous confions nos soucis et nos peines, Vous abandonnant le soin de pourvoir à nos besoins matériels.
Accordez-nous les grâces nécessaires, patience dans les épreuves, courage dans les périls, prudence et persévérance dans les difficultés.
Que nous sachions tout rapporter à Vous, nos joies et nos souffrances, supportant celles-ci en expiation pour nos péchés et les péchés du monde.
Que la prière soit notre refuge et notre force.
Nous Vous le demandons par Marie, Votre Sainte Mère, médiatrice de toutes grâces. »
\*\*\*
« Ô MARIE, MÈRE DU CHRIST ET NOTRE MÈRE, nous sommes à vos pieds pour solliciter votre intercession.
C'est à Vous que nous devons d'avoir pu accomplir nos premiers pas.
Vous êtes toute-puissante sur le Cœur Sacré de Jésus ; nous nous abandonnons entièrement à Vous.
Daignez nous aider à *être* fidèlement soumis à Votre Fils, en la personne de notre Très saint père le pape et de tous les membres de la Sainte Église Hiérarchique.
Ô Vous, qui êtes appelée VASE REMPLI, DE L'ESPRIT SAINT, obtenez-nous d'être enflammés de l'amour de Dieu, cette éternelle source des vérités que nous voulons défendre.
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TRÔNE DE LA SAGESSE, enseignez-nous la seule doctrine qui soit, éclairez nos intelligences, fortifiez nos volontés. Daignez nous donner cette « pénétration pour comprendre », cette « mémoire pour retenir », cette « méthode et facilité pour apprendre », cette « grâce abondante pour s'exprimer », que déjà demandait saint Thomas d'Aquin.
VIERGE TRÈS PRUDENTE, apprenez-nous la véritable science de l'action. Vous qui, beaucoup mieux que nous-mêmes, savez ce qu'il nous faut et ce que nous devons faire, guidez-nous, inspirez tous nos actes, apprenez-nous à deviner autant qu'à satisfaire Vos moindres désirs.
VIERGE PUISSANTE, prêtez-nous Votre force, donnez-nous le courage des strictes et nécessaires affirmations.
REINE DES APÔTRES, apprenez-nous à convertir, convaincre, toucher les cœurs, gagner nos frères à l'amour et au service du vrai.
Ô VOUS enfin qui, de la façon la plus officielle, êtes REINE DE FRANCE, aidez-nous à ramener notre patrie à l'obéissance de Votre Divin Fils. »
\*\*\*
« Ô SAINT JOSEPH, ÉPOUX DE LA TRÈS SAINTE MÈRE DE DIEU, PATRON DE L'ÉGLISE UNIVERSELLE, Vous qui avez défendu l'Enfant-Jésus contre la folle cruauté d'une puissance politique dégénérée, guidez-nous, protégez-nous. Préservez-nous, Ô Père très aimant, de toute souillure d'erreur. Assistez-nous dans le combat que nous livrons à la puissance des ténèbres. Soyez notre bouclier, « terreur des démons », Vous que choisit Pie XI pour défendre le monde contre les mensonges et les sectes qui menacent l'ordre social. »
\*\*\*
« SAINT MICHEL ARCHANGE, SAINTE JEANNE D'ARC, SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS, SAINT LOUIS, SAINT PIE X, Vous qui avez trop aimé la France pour que le moindre effort qui tende à la sauver puisse Vous être indifférent, veuillez donc abaisser Vos regards jusqu'au nôtre.
Réduits à nous-mêmes, nous connaissons notre impuissance. Mais nous avons foi dans la force de Dieu. C'est cette force que nous Vous prions de nous obtenir. Daignez Vous-mêmes nous aider, nous guider, nous instruire, nous défendre. »
\*\*\*
79:39
« Ô Vous, SAINT MICHEL, qui le premier, au nom du Ciel, êtes allé « raconter » à Jeanne quelle « pitié était au royaume de France », Vous qu'elle reconnut, dit-elle à ses juges, « au bon conseil, au réconfort et à la bonne doctrine », Vous le vainqueur de Satan et des esprits mauvais, considérez quelles ruines ces mêmes esprits accumulent par le monde, quels ravages ils exercent dans les intelligences. Vous qui êtes « fort dans le combat », Vous l' « exterminateur irréductible du désordre », Vous, le victorieux mainteneur des droits de Dieu, aidez-nous à lutter contre les mensonges de l'anarchie et du laïcisme. Que nos pauvres actions ne puissent, aussi bien, tromper personne, mais que chacun reconnaisse dans nos succès la vertu de Votre lumière et de Votre épée. »
\*\*\*
« Ô Vous, SAINTE JEANNE D'ARC, daignez considérer qu'il est encore un envahisseur à bouter hors de France, et c'est l'esprit naturaliste. Vous qui fûtes guerrière et politique en même temps qu'auréolée du Ciel, enseignez-nous à résoudre les problèmes de la cité à la lumière de la grâce, ne séparant jamais le naturel du surnaturel. Aidez-nous à refaire de notre patrie Le royaume du Roi Jésus. »
\*\*\*
« Ô Vous, petite et combien grande SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT JÉSUS, « nouvelle et puissante patronne de la France », Vous qui, sans avoir quitté le cloître, avez cependant mérité d'être patronne des missions, faites-nous comprendre combien nos actes sont stériles quand ils ne sont pas transfigurés par la prière, Apprenez-nous, Vous dont la vie fut vouée à la contemplation, apprenez-nous la vanité de l'agitation moderne. Pour l'efficacité même de notre œuvre, gardez-nous des mirages d'une action que ne féconderait pas la grâce de Dieu. »
\*\*\*
« Ô Vous, SAINT LOUIS, roi chevalier, roi justicier, roi croisé, roi de France, modèle des hommes autant que modèle des rois, Vous la gloire de notre tradition politique, Vous qui vous « efforciez d'ôter de votre royaume tous vilains péchés », enseignez-nous la véritable doctrine de gouvernement. Ayez pitié de nous qui sommes les Fils de Vos sujets et membres de Votre royaume. Priez pour nous. Protégez-nous. »
\*\*\*
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« Ô Vous enfin, SAINT PIE X, dont la devise fut de tout restaurer dans le Christ, Vous dont le « regard d'aigle » sut distinguer les catastrophes qui allaient châtier notre pauvre monde apostat, aidez-nous, secourez-nous, dans notre œuvre de restauration de la Royauté sociale de Notre-Seigneur. Pape de la communion fréquente, apprenez-nous à rechercher lumière et force dans l'Eucharistie. Pape de la doctrine, guidez notre esprit dans toutes ses démarches. Vous qui désiriez voir se grouper autour de leurs pasteurs une élite de laïcs solidement formés, intercédez pour nous. Apprenez-nous à être simples et clairs, à avoir comme Vous l'esprit dur et le cœur doux. »
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#### Notules diverses
- LES RECUEILS DE L'ABBÉ DEROO*. --* On sait combien il est difficile de trouver, dans l'édition française, les documents pontificaux. On sait qu'il est beaucoup plus facile de se procurer, en France, la traduction des œuvres complètes de Lénine et de Staline que celles des Papes contemporains de Staline et de Lénine...
*Des initiatives particulières s'appliquent à remédier en partie à cette carence.* Aux éditions de La Croix du Nord (*Lille*)*, M. l'Abbé André Deroo publie d'importants recueils méthodiques des Encycliques, messages et discours de Pie IX à Pie XII. Trois volumes ont déjà paru :*
1. -- *L'éducation, l'école et les loisirs ;*
2. -- *La maison, la famille et le foyer chrétien ;*
3. -- *Les questions sociales.*
*Le quatrième volume sera sur les questions civiques.*
*Nous signalons et recommandons à nos lecteurs ces recueils très utiles, destinés à faciliter une large diffusion. Ils ne donnent pas les textes originaux* (*et le problème de leur disparition en France, que nous avons récemment évoqué, reste entier*)*, mais seulement la traduction française, qui est en général très suffisante pour le travail de vulgarisation et pour les mouvements de masse.*
*On peut se procurer ces volumes directement auprès de M. l'Abbé André Deroo,* 19*, rue Pharaon de Winter à Lille.*
\*\*\*
- LE GUIDE PRATIQUE DES CATHOLIQUES DE FRANCE*. --* Ce Guide est toujours édité par l'O.N.P.C., 58, Galerie Vivienne à Paris 2^e^. Ces initiales, qui signifiaient précédemment Office national de la propagande catholique, signifient désormais *:* Office national des publications catholiques.
*Nous avons dit précédemment La très grande utilité* de *cette publication : voir* Itinéraires, n° 29, *pp.* 105 *et suiv.*
*La* 8^e^ *édition a été mise à jour en* 1959. *Il est évidemment nécessaire aux usagers du Guide d'en utiliser toujours l'édition la plus récente, car les changements de toute sorte se produisent dans les charges et les fonctions, ecclésiastique : ou laïques, quelquefois sans que la presse en ait parlé.*
81:39
*Le Guide déclare vouloir mettre* « à *la disposition du clergé, des communautés, des œuvres, des militants catholiques de différentes catégories et de toutes les personnes que cela peut intéresser à un titre ou à un autre, un répertoire aussi explicite et complet qu'il est possible du catholicisme français.* »
*Cet objectif nous paraît excellemment atteint.*
\*\*\*
- INSTITUTS SÉCULIERS*.* Bien sûr, ce Guide se perfectionne et se complète d'une édition à l'autre. Il serait souhaitable que soit donnée une nomenclature des INSTITUTS SÉCULIERS, sur lesquels nous trouvons seulement quelques lignes générales, d'ailleurs partiellement inexactes, puisqu'elles omettent une note essentielle de ces Instituts : ils ont été créés « EN VUE DE L'APOSTOLAT ». Pour cette raison, en outre, il n'est nullement évident que le Guide ait raison de les ranger parmi les œuvres de piété ».
*Sans doute, les Instituts séculiers sont une nouveauté.*
*Et une nouveauté récente.*
*C'est pourquoi ils sont tellement méconnus en France par tous ceux qui n'ont pas le sens des adaptations nécessaires, qui vivent dans la nostalgie de temps révolus et se contentent de pseudo-solutions toutes faites.*
*On peut dire que* C'EST UNE NOTE DE L'INTÉGRISME QUE DE SE RAIDIR CONTRE LA NOUVEAUTÉ DES INSTITUTS SÉCULIERS ET DE LEUR RÔLE EN MATIÈRE D'APOSTOLAT DES LAÏCS.
*Parmi les notes de l'intégrisme, le* Rapport doctrinal *de l'Épiscopat français retient en effet qu'* « IL EN ARRIVE A VOULOIR ARRÊTER TOUT PROGRÈS ». *Or les instituts séculiers sont un progrès dans l'apostolat des laïcs, et un progrès certain, solennellement et vivement prôné par les Souverains Pontifes. Il semble donc bien que l'opposition aux Instituts séculiers soit une opposition de type* INTÉGRISTE *selon* la DÉFINITION MÊME DE L'INTÉGRISME *qui est la seule valable, puisque la seule donnée et approuvée par l'Assemblée plénière de l'Épiscopat français.*
*Sur les Instituts séculiers, on se reportera avant tout à la Constitution apostolique* Provida Mater Ecclesia *du* 2 *février* 1947 *et au motu proprio* Primo feliciter *du* 12 *mars* 1948 ; *ainsi qu'à l'instruction* Cum sanctissimum *de la Sacrée Congrégation des religieux en date du* 19 *mars* 1948.
\*\*\*
- CONGRÉGATIONS MARIALES*. --* Ce qui est, de la part du Guide, une autre erreur, c'est d'avoir exclu les CONGRÉGATIONS MARIALES de la rubrique de l'Action catholique et de les avoir classées, elles aussi, dans les « Œuvres de piété ».
*Peut-être faudra-t-il attendre le prochain Concile œcuménique pour que certaines conceptions périmées et certaines nostalgies attardées soient tout à fait exorcisées.*
*En tous cas, nul n'ignore que Pie XII a expliqué, enseigné et décrété que les Congrégations mariales sont une forme de l'Action catholique parfaitement normale et même particulièrement adaptée à l'époque actuelle. Il leur a donné le beau titre* d' « ACTION CATHOLIQUE ENTREPRISE SOUS L'INSPIRATION ET AVEC LE SECOURS DE LA TRÈS SAINTE VIERGE ».
82:39
*Sur ce point précis, nous avons publié dans notre n°* 38 *treize pages de documents pontificaux. On y voit, notamment, que Pie XII* a *ordonné non seulement* d' « INTÉGRER DE PLEIN DROIT LES CONGRÉGATIONS MARIALES DANS L'ACTION CATHOLIQUE », *mais encore* de « LEUR DONNER PARMI LES GROUPEMENTS D'ACTION CATHOLIQUE UNE PLACE BIEN NOTABLE ET MÊME TRÈS PARTICULIÈREMENT INDISPENSABLE. »
\*\*\*
- LES REVUES CATHOLIQUES DE CULTURE GÉNÉRALE*. --* Au chapitre de la presse catholique, la nouvelle édition du Guide a mis à jour la rubrique des publications de « *CULTURE GÉNÉRALE* ». Comme nous le remarquions déjà l'année dernière, dans l'éventail très fourni, très nombreux de la presse catholique, c'est là un secteur numériquement très faible. Il n'existe que sept titres *:*
1. -- BULLETINS DES CERCLES D'ÉTUDES D'ANGERS (*trimestriel*)*.*
2. -- EAUX VIVES, *revue féminine de culture catholique.*
3. -- ÉTUDES, *revue mensuelle, dirigée par des Pères de la Compagnie de Jésus* (*directeur : R.P. Le Blond ; rédacteur en chef : R.P. Holstein*)*.*
4. -- ITINÉRAIRES (*revue mensuelle que nos lecteurs sont supposés connaître*)*.*
5. -- RECHERCHES ET DÉBATS, *publication du Centre catholique des intellectuels français* (*seulement* 4 *numéros par an*).
6\. -- SIGNES DU TEMPS - LA VIE INTELLECTUELLE : *revue mensuelle. Sous un format nouveau et une présentation transformée, en conservant le titre ancien avec le titre nouveau, c'est* La Vie intellectuelle *des Dominicains de Paris, qui reparaît depuis le* 1^er^ *janvier* 1959.
7. -- VERBE, « *instrument de travail des cellules d'études et d'action de* La Cité catholique », *à parution mensuelle.*
\*\*\*
*On notera que les publications catholiques de* CULTURE GÉNÉRALE *sont complètement oubliées aujourd'hui de ceux qui se préoccupent des* « *problèmes de presse* », *comme si la culture générale des catholiques était d'une importance tout à fait mineure et même entièrement négligeable. On invite l'ensemble des catholiques à propager et à lire* DES JOURNAUX, *peut-être fort bien faits et bien inspirés sur leur plan, ce n'est pas la question qui nous occupe, mais qui enfin ne sont* RIEN DE PLUS *que des journaux. Les publications plus sérieuses, les publications de* CULTURE GÉNÉRALE, *on n'en parle pas du tout. Il est peut-être intellectuellement regrettable que l'on oriente les lecteurs catholiques* UNIQUEMENT VERS LES JOURNAUX, *et qu'on les oriente ainsi,* AU DÉTRIMENT DES PUBLICATIONS PLUS SÉRIEUSES *que beaucoup d'entre eux seraient très capables de tire, si du moins on attirait leur attention sur ce point et si on les encourageait positivement à développer aussi leur culture générale.*
\*\*\*
- LA POSITION SUR CE POINT DE L'A.C.G.H. -- Depuis quelques mois l'A.C.G.H. (Action Catholique Générale des Hommes) a entrepris par toute sorte de moyens d'intéresser les catholiques à la presse catholique. Ce travail d'ensemble est très intelligemment fait.
*On peut en attendre de grands résultats, surtout si l'on corrige certaines lacunes de la brochure documentaires éditée par l'A.C.G.H. dans la série* « *Notes de travail* » *et sous le titre :* « *Comment diffuser la presse catholique ?* »
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*Les remarques qu'appelle cette brochure -- elle-même très intelligemment composée dans l'ensemble -- on peut les exprimer d'autant plus librement qu'il est explicitement précisé que cette publication n'engage pas l'A.C.G.H. comme telle, et qu'elle n'est qu'un instrument de documentation et de travail.*
\*\*\*
*La brochure, en sa* 4*^e^ page, donne une nomenclature de la presse catholique pour adultes, avec l'adresse des maisons d'édition. Or on constate que cette nomenclature comprend uniquement les titres actuellement adhérents au C.N.P.C.* (*Centre National de la Presse Catholique*)*, -- c'est-à-dire* UNIQUEMENT DES JOURNAUX ET DES MAGAZINES ILLUSTRÉS*. Aucune revue de culture générale n'y figure, parce qu'aucune revue de culture générale n'est adhérente au C.N.P.C.*
*Le C.N.P.C. ne s'occupe que des journaux et magazines illustrés.*
*En ne retenant que les titres des publications adhérentes au C.N.P.C., la brochure de documentation actuellement diffusée par l'A.C.G.H. met en avant une conception techniquement étroite et restreinte de la il presse* »*, qui se limite aux journaux et aux magazines illustrés.*
*Et cette documentation est souvent celle sur laquelle travaillent les* « *Comités de presse* »*, déjà enclins à complètement négliger dans leur travail les revues de culture générale. Bien sûr, la diffusion des revues de culture générale est plus difficile, demande plus d'effort, réclame un travail davantage en profondeur. C'est un travail qui porte des fruits moins visibles, moins rapides. Mais plus solides peut être ; et en tout cas aussi souhaitables, aussi nécessaires.*
*On peut se demander si, par facilité, et parce que cela semble s'imposer comme tout naturel, on n'est pas en train de laisser s'établir un branchement direct entre les* « *Comités de presse* » *de chaque paroisse et le C.N.P.C, lui-même, comme si le C.N.P.C. était un organisme d'Action catholique.*
*Il apparaît important que ce soit de l'A.C.G.H., et nullement du C.N.P.C., que relèvent les* « *Comités de presse* » *paroissiaux ; il apparaît également important que l'A.C.G.H. n'adopte pas de la* « *presse catholique* » *une conception limitative, se bornant aux journaux et magazines illustrés et excluant pratiquement les revues catholiques de culture générale.*
*Nous aurons sans doute l'occasion de revenir sur des questions. Du simple point de vue, d'ailleurs, des journaux, on notera qu'en dehors des organes adhérents au C.N.P.C., il existe un hebdomadaire qui est vraiment* L'HEBDOMADAIRE DE TOUS LES CATHOLIQUES *; un hebdomadaire qui est* ESSENTIELLEMENT RELIGIEUX *; un hebdomadaire qui présente l'avantage de n'avoir pas, exception unique sans doute, polémiqué contre les autres hebdomadaires mis en vente par les soins des* « *Comités presse* »* ; un hebdomadaire qui est, dans la presse, un signe visible de ralliement et d'unité : l'édition hebdomadaire française de L'Osservatore romano. On l'a jusqu'ici oublié dans les listes de journaux à faire vendre par les kiosques ou comités paroissiaux.*
*La diffusion de l'édition française hebdomadaire de L'Osservatore romano pourrait être par excellence une* TACHE COMMUNE *aux militants de journaux catholiques divers, divisés, concurrents ou peut-être hostiles. Pourquoi ne pas essayer ?*
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### A l'image de l'Enfant-Jésus
L'UNE DES PLAIES de la société contemporaine est certainement le manque d'éducation. Elle se marque d'abord par manque d'égards et de respect mutuels, respect, égards qui sont l'accomplissement pratique, journalier du second commandement *lequel est égal au premier :* « *Tu aimeras ton prochain comme toi-même pour l'amour de Dieu.* » La plupart des personnes qui vivent en ville ont cent fois le jour l'occasion de s'y exercer. Le font-elles ?
Mais le manque d'éducation se marque surtout par l'impuissance à accepter de bon gré ce qui est nécessaire, par celle d'accepter *l'événement* lorsqu'il contrarie nos désirs.
Je dis nos désirs. Une âme bien née n'accepte pas l'injustice, n'accepte pas les atteintes à la conscience, elle essaye de les faire cesser ou de les réparer. C'est en ce sens que Péguy disait : « Il n'y a qu'une dame qui ait fait plus de guerres que l'injustice et c'est la Justice. » Ici la résistance à l'événement implique un sacrifice du bien-être et de droits légitimes à l'école des martyrs.
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Le manque d'une bonne éducation se fait remarquer par un esprit de révolte, contre la loi naturelle et contre les limitations obligatoires de la liberté dans la vie sociale ; et cette mauvaise éducation vient de ce que les enfants ne sont plus habitués à obéir à leurs parents, qui de leur côté, même chrétiens, ne donnent plus suffisamment l'exemple de possession d'eux-mêmes et de discrétion.
EN CES TEMPS où l'Église nous fait célébrer la naissance du Sauveur n'est-il pas à propos de parler de l'enfance ? Une joie universelle s'empare de tous les chrétiens à la pensée que Dieu s'est incarné sous la forme de ce qu'ils ont de plus cher au monde, leurs enfants, de ce qu'il y a de plus fragile et dont la fragilité les fait trembler d'amour et de crainte, un nouveau-né ! Et cet enfant est né dans une grotte ; l'Agneau de Dieu a dormi ses premières journées dans la mangeoire des brebis. Les anciens hommes ont vécu plus de cent mille ans dans les abris sous roche et à l'orée des cavernes. Les enfants innombrables pour nous de ces générations, mais que Dieu connaissait tous et les cheveux de leur tête, sont nés sous terre comme Jésus. Notre-Seigneur a donné ce gage aux justes des cavernes qui l'attendaient dans les limbes, de naître comme eux dans une grotte au milieu des animaux.
De ces animaux les anciens hommes ont laissé sur le rocher des images dont les plus anciennes connues ont quelque 40.000 ans. La frise des cerfs dans la grotte de Lascaux témoigne d'une grande âme capable de fixer ce qu'il y a de fugitif dans l'instant, de perdurable dans l'essence et de transcendant dans l'être. Ces hommes des cavernes ont eu leur vie morale, leur enseignement, leurs justes. Les sauvages actuels ne représentent nullement ces hommes primitifs. Parfois réduits à leur triste situation par les contrées même où ils ont été poussés, ce sont plutôt en réalité les clochards et les « zoniers » de l'humanité. Et l'espèce de gorille coulé en bronze devant le musée des Eyzies pour représenter l'homme de Cro-Magnon est l'effet d'une grande sottise.
Car Jésus a connu ces hommes comme il nous connaît, Il est mort pour eux comme pour nous et il a choisi de naître à leur manière au milieu d'animaux non pas figurés mais vivants. La parole d'Isaïe : « Le bœuf reconnaît son possesseur et l'âne la crèche de son maître » a peut-être donné naissance à l'âne et au bœuf de nos « Nativités » ;
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mais certainement le bœuf et l'âne n'étaient pas loin ; la crèche en témoigne et Jésus est né dans une étable comme le sont encore les abris sous roche des Eyzies derrière les maisons. Toute cette humanité si pauvre en ressources matérielles mais aussi riche que nous en dons naturels de l'intelligence avait toujours espéré un éclaircissement du mystère dont elle avait conscience ; la grande plainte d'avant le Christ avait retenti par toute la terre chez les païens comme chez les Juifs. Job a été conçu par l'auteur juif comme un païen « dans le pays de Hus ». Il en a fait la figure de toute l'humanité sous la loi naturelle attendant de comprendre et il ne résout le problème du bien et du mal que par l'affirmation de la transcendance divine. « Comme l'esclave soupire après l'ombre, comme l'ouvrier attend son salaire, ainsi j'ai eu en partage des mois de douleur, pour mon lot des nuits de souffrance. Si je me couche je me dis : Quand me lèverai-je ? Quand finira ma nuit ?
« Qu'est-ce que l'homme pour que tu en fasses tant d'estime, que tu daignes t'occuper de lui, que tu le visites chaque matin et qu'à chaque instant tu l'éprouves ? » (Job, VII)
C'est la plainte aussi d'Homère, des tragiques grecs et du doux Virgile. Le progrès de la Révélation apporte une espérance au psalmiste et aux prophètes : « Tu ne demandes ni holocauste ni victime expiatoire. Alors j'ai dit : voici que je viens avec le rouleau du livre écrit pour moi. » Et saint Jean raconte : « Puis je vis dans la main droite de Celui qui était assis sur le trône un livre écrit en dedans et en dehors et scellé de sept sceaux. Et je vis un ange puissant qui criait d'une voix forte : Qui est digne d'ouvrir le livre et d'en rompre les sceaux ? Et personne ni dans le ciel ni sur la terre ne pouvait ouvrir le livre et le regarder. » Et saint Jean porte-parole ici de tous les hommes d'avant le Christ continue : « Et moi je pleurais beaucoup de ce qu'il ne se trouvait personne qui fût digne d'ouvrir le livre ni de le regarder. Alors un des vieillards me dit : Ne pleure point ; voici que le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David a vaincu de manière à pouvoir ouvrir le livre et ses sept sceaux. » Et saint Jean voit un Agneau qui semble avoir été immolé.
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Cet Agneau capable de desceller le livre et de le lire, c'est le petit enfant de la crèche. L'espérance est rendue aux hommes de la manière la plus simple et la plus gracieuse ; Dieu va mener notre vie en nous instruisant de la façon de la conduire, en nous montrant ses dessous et son au-delà, où lui-même pénètrera en personne devant témoins. Il importe donc pour élever l'enfance de savoir comment a été élevé l'enfant Jésus.
OR LE PÈRE, la mère exceptionnels qui l'ont élevé, étaient descendants de David ; ils n'ont pas cru qu'ils fussent d'une manière ou d'une autre au-dessus d'une quelconque observance mosaïque comme tant de chrétiens honorables pensent l'être vis-à-vis des observances de l'Église. Jamais personne ne fut aussi humble que la sainte Vierge, si ce n'est Notre-Seigneur.
Pourtant, tout en accomplissant la loi de Moïse, ils ne devaient pas se faire une idée exagérée des manies des pharisiens. Ils observaient cependant toutes les règles. Au jour marqué Jésus fut circoncis : premier sang, premières larmes ; l'Enfant fut porté au Temple au jour dit ; offert à Dieu et racheté au prix demandé. Quand il eut l'âge légal il partit à Jérusalem pour la Pâque ; à douze ans il fit à pied les cent kilomètres qui séparent Nazareth de Jérusalem. Comme Verbe éternel il connaissait toutes choses par le dedans d'une manière qui nous échappe nécessairement. Comme petit homme il apprit comme nous par les sens. Quand il mit son petit pied nu pour la première fois dans l'eau du Jourdain il apprit ce qu'est la fraîcheur de l'eau et ce fut pour son âme une nouveauté. Il reste à Jérusalem pour écouter les docteurs, s'instruire du langage et de la pensée des hommes, et il les interroge. Cet enfant en qui résidait la Très sainte Trinité faisait des demandes et des réponses qui ravissaient tout le monde ; mais il était à l'école et ses réponses étaient des mots d'enfant. Enfin l'Évangile pour conclure nous dit : « Alors il descendit avec eux et vint à Nazareth, et *il leur était soumis.* »
\*\*\*
OUI, LE VERBE ÉTERNEL s'est soumis à ses parents de la terre. Telle est la règle. La soumission est la base de l'éducation ; et le devoir qui incombe aux parents est d'élever, de soigner, diriger le petit enfant de Dieu né avec le baptême ;
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si les grâces reçues dans ce sacrement ne sont pas nourries, arrosées, entretenues par des soins vigilants, la petite plante s'étiole et meurt, ne laissant qu'une possibilité de renaissance sous une grâce de Dieu toujours exceptionnelle. Nous reprochions à une grand'mère de ne pas reprendre son petit garçon de quatre ans. Il appelait sa mère : treüye (truie !) et à nos reproches répondait : « *Mon papa le dit bien !* » Cette grand'mère très pieuse et ayant une vie spirituelle très élevée, mais naturellement sotte, nous répondit : « Il n'a pas l'âge de raison. »
Or la vertu est une *habitude ;* n'est pas vertueux qui est prudent ou charitable une fois, mais qui l'est presque toujours, et il faut obtenir dès l'enfance l'habitude de commander aux instincts de la nature déchue.
Sans doute dans la société de nos lecteurs les excès du petit Auvergnat cité plus haut ne sont pas à craindre ; mais ils ont leur pendant dans toutes les classes sociales. Ils viennent de ce que règne généralement une très fausse idée de la liberté, et ce sont ces idées fausses qui entretiennent les mauvaises manières d'élever les enfants. Beaucoup de parents se font scrupule de diminuer la liberté de leurs enfants par crainte d'empêcher le développement de leur personnalité. Or la liberté n'est pas celle de choisir entre le bien et le mal (et même en ce sens, comment les petits enfants sauraient-ils choisir ?) mais la faculté d'atteindre nos vraies fins. Et la fin de l'homme, c'est la sainteté dans l'amour de Dieu et sa consécration dans la vie bienheureuse. La vraie personnalité ne s'épanouit que dans la sainteté qui est propre à cette personne. L'éducation consiste donc à éliminer les défauts naturels, à maintenir les aptitudes morales dans le juste milieu, à exciter les mous, modérer les ardents, enfin à faire fructifier les grâces du baptême. Les parents, les parrains ont promis pour l'enfant de renoncer à Satan, à ses pompes et à ses œuvres ; ils ont donc un devoir très précis, ils doivent avoir une vigilance de tous les instants pour que les enfants ne prennent pas l'habitude des pompes et des œuvres de Satan, mais l'habitude des vertus.
C'est pourquoi saint Paul dit : « Ne vous conformez pas à ce siècle, mais transformez-vous par le renouvellement de l'esprit. » (Rom. XII, 2) Et saint Jean : « *N'aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'Amour du* Père *n'est pas en lui.* » C'est clair. Et il dit pourquoi : cherchez la suite : 1^e^ Épître II ; 15, 16.
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MAIS IL FAUT AUSSI que les enfants trouvent dans la maison la joie de l'expansion qui est celle des enfants de Dieu. Vous avez vu des chattes, même de vieilles chattes jouer avec leurs petits. Quand ceux-ci mordent ou griffent trop fort, un coup de patte les envoie rouler à deux ou trois pas de chat et puis le jeu recommence. Les parents doivent jouer avec leurs enfants. Il n'est pas d'autre moyen d'entrer dans l'intime de leur petite vie ; le jeu est l'apprentissage de la vie. Les petits chats, sur un bouchon s'apprennent à sauter sur la souris. Nous jouons à la marchande, à la procession, au gendarme et au voleur, à chat-perché, aux barres, à l'épervier. Lorsqu'on joue avec les enfants ils se sentent compris et leur cœur s'ouvre. Nous nous souvenons qu'après avoir joué une bonne partie de l'après-midi, à grand renfort de patience, avec quatre gamins de huit à douze ans, l'un d'eux nous dit pour finir : « Hein ! Tu t'es bien amusé ! » Quelle porte ouverte sur l'âme de ces petits !
AUSSI n'est-il pas bon que les familles chrétiennes se débarrassent systématiquement de leurs enfants adolescents dans ce qu'on appelle les mouvements de jeunesse. Il y a là une question très grave et très complexe, que l'on a trop souvent le tort de vouloir trancher par des vues générales, uniformes, impératives, sans tenir compte de toutes les circonstances particulières. C'est une erreur de présenter les mouvements de jeunesse comme une institution forcément bonne partout et toujours.
Beaucoup de pères se plaignent qu'il y a incompréhension presque totale entre eux et leurs fils : ils devraient s'en prendre d'abord à eux-mêmes, s'ils ont abandonné presque toute l'éducation de leurs fils aux scouts, aux routiers, etc.
D'autre part, on confie de préférence l'aumônerie, des mouvements de jeunesse aux prêtres les plus jeunes, c'est-à-dire à ceux qui n'ont encore aucune expérience véritable. On pense que par leur jeunesse ils seront « plus près des jeunes ».
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On devrait plutôt songer que l'ordre naturel des choses, établi et voulu par Dieu, fait sagement qu'un père a au moins vingt-cinq ans de plus que ses fils ; que l'éducateur naturel de garçons de 15 à 20 ans a lui-même entre 40 et 60 ans ou davantage.
Les prêtres les plus jeunes ne sont pas encore très bien défendus eux-mêmes contre l'orgueil de la vie : cette concupiscence est le défaut naturel de la jeunesse qui a besoin d'être continûment corrigée par les conseils et l'expérience de la génération antérieure. Or l'orgueil de la vie et la présomption qui s'ensuit sont accrus plutôt que réduits par l'éducation des jeunes gens en dehors de la famille. Une éducation commence le plus tôt possible et doit être pour suivie quoiqu'il en coûte aux parents, souvent surchargés de tâches difficiles ou absorbantes.
Pour l'éducation des jeunes gens appelés à être prêtres, l'Église ne choisit nullement, dans ses petits et grands séminaires, les prêtres les plus jeunes qu'elle puisse trouver, pour qu'ils soient « plus près » des séminaristes.
Les mouvements de jeunesse, créés pour refaire une société chrétienne et fonder des foyers chrétiens *là où ils n'existent pas,* sont indispensables et font un bien qui n'est pas douteux. Mais ils ont certainement contribué aussi à faire perdre le sens de la famille là où il existait. Cela commence à être aperçu par les esprits les plus lucides, qui cherchent le moyen pratique de porter remède à ce défaut, sans avoir encore trouvé de solution bien assurée. Les efforts de plus en plus nets du scoutisme, par exemple, pour relier plus étroitement ses activités à la fois à la paroisse et à la famille -- là où existent familles et paroisse montrent dans quelle direction l'on recherche la mise au point nécessaire.
En sens contraire, il est tout à fait funeste de vouloir imposer uniformément des « formules » de « mouvements » -- et pas seulement de mouvements de jeunesse -- en quel que sorte préfabriquées, partout identiques, très centralisées, et fonctionnant selon des méthodes qui, au fond, sont dans une large mesure calquées sur celles des partis politiques et autres « mouvements de masse ». Le Pape Pie XII, dans ses discours aux deux Congrès mondiaux de l'apostolat des laïcs, a posé bien des questions à ce sujet, en montrant que ce sont des questions pendantes, non résolues, et qu'il ne faudrait surtout pas les tenir pour réglées.
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Les mouvements de jeunesse sont évidemment faits pour suppléer provisoirement à la famille et à la paroisse là où elles se sont défaites, et pour contribuer à les refaire : mais non pas pour les supplanter là où elles existent ; et d'autre part, ces mouvements sont loin d'être suffisamment au point dans beaucoup de cas : on aurait tort de vouloir les figer strictement sous leur forme actuelle, alors qu'il faudra sans doute encore plusieurs générations et bien des expériences pour trouver leur place exacte dans le corps social.
Chez les intellectuels catholiques eux-mêmes, que de propos inconsidérés sur la famille ! Celle-ci restera toujours la base naturelle voulue par Dieu de la grande tradition humaine et chrétienne. Amoindrir sa constitution (alors qu'il faudrait la restaurer) ajoute un malheur certain et fondamental aux autres malheurs qui attendent l'humanité. Il n'existe plus de vraie famille chrétienne unie dans la suite des générations que là où les pères chrétiens et les mères chrétiennes ont fait par eux-mêmes, par la parole et par l'exemple, l'éducation de leurs enfants. Il ne faut à aucun prix amoindrir leur salutaire influence.
(*A suivre*.)
D. MINIMUS.
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## DOCUMENTS
### Le prêtre devant les problèmes sociaux
*L'un des derniers discours de Pie XII, le* 23 *septembre* 1958, *adressé à des Recteurs de grands séminaires, précisait ce que doit être l'attitude du prêtre en face des problèmes sociaux. Si l'enseignement pontifical était mieux connu, et* si *l'on y était plus attentif, on n'éprouverait ni* « *surprise* » *devant la récente décision de l'Église au sujet des prêtres au travail, ni* « *difficultés* » *à les comprendre.*
*Pie XII disait dans ce discours que les prêtres doivent être* « PÉNÉTRÉS DE CE QU'ON A L'HABITUDE D'APPELER LA PRÉOCCUPATION SOCIALE », *mais qu'il faut sur ce point* « ÉVITER TROIS DÉFAUTS » :
1\. LE PREMIER serait de permettre qu'une telle préoccupation sociale occupe la place d'honneur dans la vie du prêtre du Christ, qui a été appelé et choisi entre ses frères pour apporter aux âmes la parole et la grâce de Dieu, et pour apporter à Dieu les âmes qui lui appartiennent. Les représentants de Celui qui a été envoyé « évangéliser les pauvres » (Lc, IV, 18) et qui put dire : *misereor super turbam* (Mc, VIII, 2), ne demeureront jamais insensibles devant aucune douleur ; mais ils n'abandonneront pas non plus ordinairement leur chaire, leur confessionnal et leur autel pour occuper des tribunes et des charges qui ne leur conviennent pas. Le prêtre sera toujours un prêtre, parce qu'il a reçu un caractère spirituel et indélébile qui doit se refléter dans tous les moments de sa vie et dans toutes ses actions.
2\. IL NE FAUT PAS CROIRE non plus que son action en faveur de ses frères sera pour cela moins efficace. En se maintenant dans son domaine, en prêchant et en diffusant la fraternité chrétienne et la charité authentique, en repoussant l'idée de discorde et en exhortant à la compréhension, en rappelant à tous leurs devoirs et en défendant les droits de tous, il maintiendra l'Église qu'il représente à l'écart des questions purement temporelles, pour pouvoir exercer toujours avec indépendance sa très haute mission. Car, en réalité, toutes les autres solutions du problème social, si elles ne partent pas de ces principes, manquent de base, et l'expérience enseigne à quels excès et à quelles horreurs elles aboutissent.
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3\. ENFIN LE PRÊTRE, en se souciant d'être au courant de tout ce qui est appelé à juste titre un progrès dans ce domaine, ne devra pas oublier que le premier de tous les codes sociaux est l'Évangile, où l'Église du Christ, puisant comme à une source intarissable, a pu trouver tous les éléments indispensables pour l'élaboration d'une doctrine parfaite et complète.
Inculquez-la dans vos séminaires aux jeunes ecclésiastiques, faites-la leur comprendre convenablement et répétez-leur bien souvent qu'il n'est pas nécessaire de recourir à d'autres sources plus ou moins troubles, plus ou moins dangereuses pour son propre salut spirituel et pour celui de ceux qui doivent apprendre d'eux la voie sûre.
============== fin du numéro 39.
[^1]: -- (1). Il importe de noter en outre pour des journaux comme *L'Express* et France-Observateur, fondés après le 1er janvier 1946, qu'ils furent lancés par des hommes qui avaient eu la possibilité de grouper autour d'eux un public par le moyen de la presse de l'autorisation préalable.
[^2]: -- (1). *Itinéraires*, n° 28.
[^3]: -- (1). Sur le Secrétariat-diffusion voir Note de gérance en tête de notre n° 37.
[^4]: -- (2). Voir dans le numéro de la Déclaration fondamentale (n° 28), p. 36,
[^5]: -- (1). Voir pages 11 et 12 du livre *On ne se moque pas de Dieu* (Nouvelles Éditions Latines, 1957).
[^6]: -- (2). Voir *Itinéraires*, n° 35 ; p. 93.
[^7]: -- (1). On lira dans le *Dictionnaire de la Bible* et dans son Supplément (Letouzey, éditeur) les articles Messie, Messianisme ; voir aussi l'étude du P. Lagrange, o.p. sur Pascal et les Prophéties messianiques. (*Revue Biblique*, oct. 1906) et son annexe II à *l'Évangile de Jésus-Christ* (Gabalda éditeur).
[^8]: -- (1). Le mot « économiste », au XIX^e^ siècle, veut dire économiste libéral Les « socialistes » combattent les « économistes ». -- Les « chrétiens » cherchent en vain un vocable qui, sur le terrain économique et social, les distinguerait à la fois des économistes et des socialistes.
[^9]: -- (1). C'est nous qui soulignons.
[^10]: -- (1). Collection « *Le Monde* et la Foi », Desclée et Cie éditeurs.
[^11]: -- (1). *L'Église du Verbe Incarné*, tome II, sa structure interne ; grand in octavo de 1394 pages (D. de B.) 1951 ; -- *Théologie de l'Église*, 444 pages (D. de B :) 1958 ; -- *La Messe, présence du sacrifice de la croix*, 376 pages (D.. de B.) 1957.
[^12]: -- (2). Aux éditions du Cerf.
[^13]: -- (1). *La Pauvreté* (chez Aubier 1941) et surtout *Supplément de la Vie Spirituelle* 1949.
[^14]: -- (2). On regrette cependant quelques flottements dans l'expression ; mais ils sont corrigés par le contexte. Par exemple : « à l'intérieur de cette indifférence (à l'abondance et à la privation) qui est la pauvreté évangélique du moins est-il permis d'avoir une préférence. » Seulement permis ? Heureusement, un peu plus bas : « mais dans un monde qui s'enfonce dans la jouissance et l'ambition... il faut que la folie de *la croix* rachète la folie du monde. » Il le faut en effet. Comme l'esprit d'enfance, l'esprit de pauvreté, qui ne peut pas ne pas se traduire dans les faits, est un précepte du Seigneur et non pas une tolérance. Qui non renuntiat omnibus quae possidet non potest meus esse discipulus. Luc 14,33.
[^15]: -- (3). Augustin Cochin. *Abstraction révolutionnaire et réalisme catholique* paru en 1935 chez Desclée de Brouwer. La préface de l'éditeur est malheureusement assez obscure.
[^16]: -- (1). Sous le titre : Foi Catholique et Problèmes modernes.
[^17]: -- (1). *Retourner le monde, les origines des Congrès eucharistiques*, par Antoine Lestra, avec une lettre-préface de Mgr Ancel, Vitte, éd,
[^18]: -- (1). A ce propos *La Cité catholique*, a solennellement déclaré (*Verbe*, supplément n° 12, p.. 41) : « Nous tenons à dire que si notre effort n'était que partiellement légitime, nous liquiderions *La Cité catholique* sur-le-champ. Et ce n'est que parce que nous savons, par les textes du droit canon d'abord, et par la voix enfin des plus hautes personnalités de la hiérarchie, la parfaite légitimité d'une action comme la nôtre, que nous acceptons de mener la vie que nous menons depuis douze ans.
[^19]: -- (1). Voir à ce sujet l'éditorial du présent numéro,
[^20]: -- (1). Léon XIII, Encyclique *Lætiæe sancte*.
[^21]: -- (2). Jean XXIII, Encyclique *Grata recordatio*.
[^22]: -- (1). De toutes façons on ne soulignera jamais assez combien une connaissance approfondie des débats du XIX^e^ siècle, et surtout de l'enseignement pontifical depuis la Révolution de 1789, est utile à une saine formation doctrinale.
[^23]: -- (1). *Verbe* ne manque pas de rappeler, pour mettre en garde ses lecteurs (par exemple dans le supplément n° 12. p. 157), que les décret du Saint Office du 10 juillet 1939 « n'a pas d'effet rétroactif et que les numéros de *L'Action française* parus au temps de l'index restent toujours à l'Index. Les œuvres de Charles Maurras condamnées le restent aussi.
[^24]: -- (1). C'est tout l'enseignement de Pie XII sur « la vie nationale » envisagée notamment « dans son essence ». On se reportera utilement, sur ce point précis, au livre de Mgr Guerry, *L'Église et la communauté des peuples*, pages 184-188. En cet endroit, Mgr Guerry mentionne également le livre de Marcel Clément, *Enquête sur le nationalisme*, que de son côté *L'Ami du clergé* recommande à tous les catholiques (numéro du 15 octobre 1959) en écrivant notamment : « Nous souhaitons que cette enquête et surtout ses conclusions, éclairées par les enseignements de l'Église, contribuent à l'union des catholiques dans l'adhésion cordiale à la même doctrine ».
[^25]: -- (2). Au demeurant, le lecteur pourra se reporter, au sujet de *La Cité catholique*, aux « Documents » de notre n° 16 pages 120 à 139 dans le même numéro, voir aussi pages 83-84, Lire également deux lettres de M. Jean Ousset, dans notre n° 12 p. 100, et dans notre n° 17, p. 116. Et enfin dans notre n° 35 ; les pages 120 et 121.