# 41-03-60 1:41 ## ÉDITORIAL ### Cela n'est pas la France CE NUMÉRO de la revue *Itinéraires* est le numéro spécial sur le communisme qu'appellent les circonstances actuelles et le trouble créé dans les esprits par l'hospitalité équivoque que la République française a spectaculairement et largement offerte au chef de l'appareil communiste international. Qu'il n'y ait rien de plus qu'une *équivoque,* nous l'espérons, nous le souhaitons, nous n'avons ni la preuve du contraire ni le droit de supposer que des apparences très fâcheuses soient la traduction exacte d'un retournement politique inouï qui serait intervenu depuis l'automne 1959. Mais nous n'avons pas non plus les assurances manifestes qui dissiperaient la confusion. Cette équivoque est en elle-même beaucoup trop. Elle trouble l'esprit public. Elle corrompt les cœurs. Elle ne correspond pas à l'idée que *la France des prières ardentes, des sacrifices généreux et du sang versé* se fait de son honneur et de sa vocation. 2:41 CE QUI ACTUELLEMENT s'estompe dans l'équivoque, c'est avant tout la claire conscience de *ce qu'est* le communisme et de *ce qu'on doit,* en face de lui, faire ou ne pas faire. Équivoque d'autant plus inquiétante qu'en raison de l'état où se trouvent la presse et l'université, cette claire conscience n'était déjà ni très vivante ni très répandue. *L'équivoque, recherchée ou subie, en tous cas acceptée jusqu'ici par la politique française, suscite une crise morale qui s'étend à toute la nation.* D'instinct et spontanément, la plus grande partie du peuple français demeure méfiante ou hostile en face du communisme. Cette réaction profondément saine est beaucoup moins fréquente et beaucoup moins nette, voire totalement absente, dans les castes de fausses élites qui dominent certains milieux politiques, administratifs, financiers et intellectuels. D'autre part, cette saine réaction spontanée peut être soit tournée par la ruse, soit neutralisée par des diversions, soit fanatiquement exploitée par des aventuriers, si elle n'est pas instruite et fortifiée dans la vérité. IL Y A UN PIÈGE communiste de la coexistence dans le mensonge. Il y a un piège communiste du désarmement. Il y a un piège communiste de la fausse paix. Le rôle et la vocation de la France ne sont pas de jouer avec ces pièges. On peut s'imaginer capable d'être plus trompeur que les tromperies soviétiques. Un tel calcul n'appellerait ni la confiance ni l'estime. 3:41 Une certaine sagesse dit sans doute : « *A trompeur, trompeur et demi.* » Pourtant, elle dit aussi qu' « *il faut une longue cuillère...* » On peut y rêver selon la bonne opinion que l'on a de ses propres facultés de ruse et de dissimulation. Mais il serait contraire à l'honneur de faire sombrer la résistance au communisme dans une émulation d'astuce et de malignité. Face à l'esclavage communiste qui a la conviction de l'emporter dans le monde entier et qui met en œuvre tous les moyens pour y parvenir, notre espérance ne peut se placer d'aucune manière ni à aucun degré dans une virtuosité supposée à battre le mensonge sur son propre terrain. *Veritas liberabit vos.* C'est la Vérité qui libèrera le monde du communisme. La vocation de la France est de faire éclater le mensonge et non pas de ruser avec lui. Le mensonge de la paix par les relations économiques. Le mensonge du désarmement. Le mensonge de la coexistence. Avec le mensonge total du communisme, il ne peut y avoir ni compromis ni conversation. 1. -- LE MENSONGE DE LA PAIX PAR LES RELATIONS ÉCONOMIQUES. -- « *On voit se répandre la conception selon laquelle il faut attendre de l'économie, -- et en particulier d'une de ses formes spécifiques qui est le libre-échange, -- la solution du problème de la paix... Foi aveugle qui confère à l'économie une imaginaire force mystique* » ([^1]). 4:41 « *La croyance erronée qui fait reposer le salut dans un progrès toujours croissant de la production* EST UNE SUPERSTITION, *peut-être l'unique de notre temps industriel, rationaliste... Cette superstition n'est pas capable de dresser un rempart solide contre le communisme, car elle est partagée par la partie communiste et même par un bon nombre de non-communistes. Les deux parties* (*du monde*) *se rencontrent dans cette croyance erronée, et établissent de la sorte un accord tacite qui peut induire les prétendus réalistes de l'Occident à rêver de la possibilité d'une véritable coexistence.* » ([^2]) 2. -- LE MENSONGE DU DÉSARMEMENT. « *Nous déplorons plus que personne la monstrueuse cruauté des armes modernes. Nous les déplorons et ne cessons de prier Dieu qu'elles ne soient jamais employées. Mais n'est-ce pas une sorte de matérialisme pratique, de sentimentalisme superficiel, que de considérer dans les problèmes de la paix uniquement ou principalement l'existence et la menace de telles armes, alors qu'on ne fait aucun cas de l'absence de l'ordre chrétien, qui est le vrai garant de la paix ? ...Le désarmement, c'est-à-dire la réduction simultanée et réciproque des armements, que nous avons toujours désirée et appelée, est une garantie* PEU SOLIDE *de paix durable, si elle n'est pas accompagnée de l'abolition des armes de la haine, de la cupidité et du désir démesuré de prestige.* 5:41 *Qui unit trop étroitement la question des armes matérielles avec celle de la paix, a le tort de négliger l'aspect premier et spirituel de tout péril de guerre... Si l'on veut vraiment empêcher la guerre, on doit avant tout chercher à subvenir à l'anémie spirituelle des peuples, à l'inconscience de leur propre responsabilité devant Dieu et devant les hommes...* » ([^3]) 3. -- LE MENSONGE DE LA COEXISTENCE. -- « *Il est clair que la simple coexistence ne mérite pas le nom de paix... Un effort ou une propagande pacifiste provenant de ceux qui nient toute foi en Dieu sont toujours très douteux... si même ils ne sont pas menés à dessein comme un expédient pour provoquer un effet tactique d'excitation et de confusion.* » ([^4]) « *Notre programme de paix ne peut approuver une coexistence inconditionnée avec tous et à tout prix, -- certainement pas au prix de la vérité et de la justice. Ces limites inamovibles exigent d'être pleinement observées.* » ([^5]) « *En face d'un ennemi résolu à imposer à tous les peuples, d'une manière ou de l'autre, une forme de vie particulière et intolérable, seule une attitude unanime et forte de la part de tous ceux qui aiment la vérité et le bien peut sauver la paix et la sauvera.* » ([^6]) 6:41 AVANT d'être jugés par leurs résultats politiques, les « contacts » avec les dirigeants du communisme mondial posent une question de conscience. Parlant des « rencontres » et des « colloques » sollicités par les communistes en vue d'établir une coexistence dans le mensonge, Pie XII déclarait : « *On doit cesser de se prêter à ces manœuvres.* » Il envisageait l'objection formulée par les soi-disant réalistes : « *Il faut cependant, fait-on observer, ne pas couper les ponts, mais conserver des relations mutuelles.* » A cette objection, qui est bien la question d'aujourd'hui, la question de conscience qui trouble et inquiète présentement la France, Pie XII répondait : « *Mais pour cela les mesures que les responsables de l'État et de la politique croient devoir prendre en fait de contacts et de rapports pour la paix de l'humanité, et non en vue d'intérêts particuliers, sont entièrement suffisants.* » ([^7]) 7:41 Ce qui comporte deux conditions parfaitement explicites et précises : *a*) Seuls les chefs d'État et les hommes de gouvernement responsables peuvent, sans faute morale, entrer en « contact » politique avec les dirigeants du communisme mondial. Les « invitations » lancées à Krouchtchev par des associations, des initiatives et des personnes qui ne sont pas le gouvernement constituent un scandale et un déshonneur. *b*) Les hommes d'État eux-mêmes doivent limiter ces « contacts » à ce qui est nécessaire *pour la paix de l'humanité,* ET NON PAS les rechercher « en vue d'intérêts particuliers », par exemple nationaux, même légitimes. Il serait honteux que les conversations avec Krouchtchev soient, comme les annonce une presse de perversion, l'occasion d'un marchandage diplomatique particulier, même apparemment profitable dans l'immédiat à certains intérêts ou calculs nationaux. Non, cela ne serait pas la France. DANS TOUT L'OCCIDENT, il existe à l'heure actuelle une tendance manifeste à envisager les « contacts » avec Krouchtchev d'une manière qui sort du cadre strict fixé par la conscience morale. Il existe une tendance à organiser ces contacts non pas seulement « pour la paix de l'humanité », mais bien « en vue d'intérêts particuliers ». Sont des intérêts *particuliers,* en l'occurrence, tout ce qui n'est pas le bien commun du genre humain et la paix mondiale. 8:41 Organiser ces contacts « en vue d'intérêts particuliers » est une absurdité politique : son seul résultat possible est de faire de Krouchtchev l'arbitre des divergences occidentales. Mais c'est d'abord une faute morale. La vocation de la France ne passe point par des calculs de cette sorte, et il est déjà beaucoup trop que le soupçon puisse en circuler. La vocation de la France passe par leur refus éclatant et définitif. C'EST AVANT TOUT la démission spirituelle, et c'est la dégradation morale, qui livreraient la France et l'Occident au communisme. Or les processus de la dégradation morale et les tentations de la démission spirituelle ont fait depuis quelques mois de sensibles progrès. La fidélité qui vient d'en bas ne répond jamais qu'à l'exemple qui vient d'en haut. Depuis l'automne 1959, l'État se donne ou se laisse donner l'apparence de vouloir, en face du communisme, jouer au plus malin. Depuis l'automne 1959, le Parti communiste en France a reçu l'ordre de ne faire aucune difficulté majeure au régime actuel, et de s'employer au contraire à écarter certains obstacles. On aurait grandement tort d'y voir une conversion de l'appareil communiste à la patrie française. On aurait grandement tort d'imaginer témérairement que les communistes eux-mêmes sont irrésistiblement attirés par les devoirs de la communauté nationale dès qu'elle est présidée par un certain prestige. 9:41 Depuis l'automne 1959, l'État subit cette équivoque en silence, comme s'il songeait plutôt à en retirer un profit politique qu'à en dénoncer l'insupportable imposture. La non-résistance au communisme est devenue, à titre tout au moins d'apparence, peut-être jugée habile, une réalité officielle. DANS LE DÉTAIL, diverses politiques sont possibles. Mais pas une politique qui installerait la ruse à la place de l'honneur. Pas une politique qui placerait la résistance au communisme sous la feinte d'une collaboration et d'un double jeu. Pas une politique qui rechercherait des avantages diplomatiques au prix d'une dégradation de la conscience nationale. Pas une politique qui serait, dans la confusion morale, l'asphyxie des âmes. Utiliser, accepter ou subir le mensonge comme moyen d'une politique nationale, ce serait priver la France de sa respiration même. « On peut tout faire avec du mensonge, excepté une vérité. Or la France a besoin de vérité pour vivre, comme d'autres peuples ont besoin de musique. » Face au communisme, les silences de l'État ne nous donnent pas la vérité. Ses déclarations non plus. 10:41 NI SES ACTES. Car ses actes établissent une confusion où l'on n'aperçoit plus les claires limites du devoir, du droit et de l'honneur. Les contacts par voie diplomatique sont une chose. L'hospitalité en est une autre. Ni la loi écrite ni la loi non écrite ne font le devoir de recevoir, fêter, honorer comme un hôte le représentant d'une puissance de fait avec laquelle on se trouve amené par l'état du monde actuel à entretenir des relations diplomatiques. Les relations diplomatiques avaient été inventées notamment pour cela. Elles ne sont pas forcément des relations d'estime et d'amitié et elles ne sont nullement obligées d'en imposer aux peuples la grimace. Elles ont été inventées précisément pour les gens avec qui l'on doit entretenir des rapports de fait bien qu'on ne puisse absolument ni leur serrer solennellement la main ni les recevoir à la table familiale. Les dirigeants politiques des États-Unis ont donné à cet égard un exemple dont l'immoralité essentielle a du moins été ressentie et dénoncée comme telle par la communauté catholique américaine. C'est par raison d'État, sans doute, que les dirigeants occidentaux ont les uns après les autres formé le projet de serrer ostensiblement une main, de sourire publiquement à un visage, d'honorer spectaculairement un hôte qui incarne et dirige une haine militante, féroce, universelle contre le Créateur et contre la Création. 11:41 C'est par raison d'État que l'on a voulu inviter celui qui représente la plus atroce entreprise que l'on ait jamais vue dans l'histoire pour priver le genre humain du bénéfice de la Rédemption. C'est par raison d'État que les chefs baptisés des nations chrétiennes offrent cette hospitalité à celui qui, sur le tiers des terres habitées, condamne les chrétiens, les hommes libres, des peuples entiers aux ténèbres et à l'esclavage -- celui qui persécute Jésus-Christ en la personne de nos frères suppliciés et massacrés par millions depuis un demi-siècle, et qui continue. Mais la conscience chrétienne a toujours été très dure d'oreille quand on lui a parlé de faire passer la raison d'État avant la raison morale. Elle a toujours très mal entendu ce langage. Elle est sourde et véritablement inéducable aux calculs temporels qui mettent entre parenthèses Jésus en agonie. Voilà deux mille ans que tour à tour des puissants et des docteurs, des bourreaux et des casuistes, des juges et des théologiens se succèdent et se relaient pour lui tenir ce langage par raison démonstrative ou par raison contraignante, avec le sourire obséquieux de Judas ou les fers qui accablent Jeanne dans sa prison. Avec le veau d'or des capitalistes à tête de bœuf et avec le réalisme des habiles. Avec le sale pelotage des libéraux, disait Péguy, celui qui fait les renégats. La conscience chrétienne n'a jamais commencé à prendre ce langage en considération que lorsqu'elle a commencé elle-même à ne plus savoir ce qu'elle est. 12:41 ON A OFFERT en France l'hospitalité à un hôte pour lequel la France ne peut avoir aucune amitié, aucun sourire, aucune estime : un hôte qui s'est placé lui-même hors de la communion humaine, et contre elle. La France ne manquera pas aux lois de l'hospitalité : mais elle ne les mettra pas non plus en œuvre, elle laissera ce soin à d'autres, qui ont pris cette responsabilité, et qui en cela ne manifestent pas la France. La France sera absente, voilà tout. Les choses se passeront en France, sans la France. La France ne livre pas son âme. La France ne livre pas son cœur pour des opérations à ce niveau. La France ne joue pas la comédie, la France ne fait pas la grimace de l'hospitalité, de l'estime, de l'amitié pour le communisme. La France ne participe en rien à des relations avec le communisme soviétique qui prennent l'apparence ou qui tentent le calcul d'être des relations d'amitié, d'estime et d'hospitalité. La France est une nation baptisée. Ce qui était dû à sa dignité, à son honneur, à sa vocation a été oublié par ceux-là mêmes qui avaient pris en charge le devoir d'y penser d'abord. EN PARVENANT à établir l'apparence de relations d'estime, d'amitié et d'hospitalité avec les représentants des nations chrétiennes, les dirigeants du communisme soviétique effacent, dans l'esprit des peuples qui subissent un tel spectacle, la conscience même du bien et du mal. Ils anesthésient les âmes. C'est d'abord par là et c'est seulement par là que le communisme peut l'emporter dans le monde entier. 13:41 L'année 1960, engagée comme elle l'est par la démission spirituelle qu'imposent aux nations chrétiennes ceux qui assument leur destin temporel, risque d'être l'année décisive de la victoire mondiale du communisme. Les chefs d'État qui donnent le spectacle de relations cordiales et d'honneurs réciproques échangés avec les dirigeants du communisme portent devant Dieu la responsabilité morale de bafouer la conscience du bien et du mal dans l'âme des peuples dont ils ont la charge. Face à la plus grande persécution de l'histoire, les nations chrétiennes auront rendu les honneurs de leur protocole et ouvert l'hospitalité de leurs demeures aux chefs de l'appareil communiste international. Les ténèbres se firent sur le monde pendant qu'ils crucifiaient Jésus. *Hora et potestas tenebrarum.* Dans la souffrance, dans la nuit, dans l'espérance, Marie veille jusqu'au matin. Jusqu'au matin de Pâques. 14:41 ## L'Encyclique Divini Redemptoris ### Pourquoi et comment LA SEULE ENCYCLIQUE qui soit sur le communisme : l'Encyclique *Divini Redemptoris* de Pie XI. Et assurément l'une des plus mal connues ([^8]), même de ceux qui en parlent le plus souvent. On dit, on répète, on rabâche qu'elle a « CONDAMNÉ » le communisme : *or cela n'est pas vrai*. Pour ce qui est de la « condamnation », l'Église n'avait pas attendu 1937. Tel est le premier signe auquel on peut aisément reconnaître que cette Encyclique n'a pas été étudiée, -- ou a été oubliée. Car elle expose elle-même que son objet n'est pas de « condamner » le communisme. Elle commence par rappeler que cette « condamnation » a été formulée et précisée plusieurs fois depuis 1846, à mesure que le communisme apparaissait, grandissait, évoluait, devenait léniniste et soviétique. Le Saint-Siège, quoi qu'en disent ceux qui n'y comprennent rien, et ceux qui ont intérêt à tout brouiller, n'a pas l'habitude d'être en retard, mais en avance. Le *Manifeste communiste* de Marx et Engels paraît en 1848 : deux années plus tôt, Pie IX avait condamné le communisme. L'Église n'avait donc aucun besoin en 1937, elle n'a aucun besoin aujourd'hui d'apprendre au monde que le communisme est « condamné » par son Magistère. 15:41 L'ENCYCLIQUE expose que le communisme, bien que solennellement « condamné », continue à progresser : telle est la situation sur laquelle elle attire notre attention. L'Encyclique expose que le communisme est susceptible de tromper, et qu'il trompe, effectivement, même des chrétiens parfaitement informés que la « condamnation » existe. Le propos de l'Encyclique n'est donc pas de condamner, mais de *faire comprendre.* Par cette Encyclique, l'Église expose SES RAISONS contre le communisme et indique QUELS MOYENS l'on doit travailler à mettre en place pour que le communisme ne l'emporte pas dans le monde entier. C'est pourquoi tous ceux qui croient savoir que l'Encyclique *Divini Redemptoris* peut être résumée et présentée comme « l'Encyclique qui a condamné le communisme » ne savent rien de cette Encyclique ou n'y ont rien compris, et passent à côté de ce qu'elle apporte. Elle n'apporte aucune décision, elle ne tranche point, car la question de savoir si l'autorité hiérarchique de l'Église rejette le communisme était déjà décidée et tranchée. L'Encyclique explique *dans quelle direction et dans quel esprit chercher ce qu'il faut faire* en face du communisme. Et ce qu'il faut faire en face de lui est bien autre chose que de rabâcher sentencieusement : « Il est condamné ». CE QU'IL FAUT FAIRE, c'est d'abord connaître le communisme tel qu'il est exactement, et comprendre en quoi et pourquoi il est la plus terrible entreprise jamais mise sur pied jusqu'à ce jour pour priver le genre humain du bénéfice de la Rédemption ; comprendre en quoi et pourquoi il ramène l'humanité à un état de barbarie incomparablement plus épouvantable que celle qui régnait sur les peuples les plus barbares avant la venue du Christ. C'est cela que l'Encyclique s'attache à faire comprendre ; elle nous montre ce qui est réellement en question. Mais sait-on ce que fait la Papauté, sait-on qu'elle expose et qu'elle explique, qu'elle enseigne et qu'elle fait voir, qu'elle s'adresse à la liberté des consciences, à l'esprit de recherche et d'initiative ? On dit qu'elle condamne ou qu'elle autorise, qu'elle interdit ou qu'elle tolère : mais on le dit comme si elle ne faisait rien d'autre. Comme si elle n'était jamais rien d'autre qu'un « frein ». Comme s'il n'y avait rien d'autre à en savoir, que de savoir dans quel cas elle ne freine pas, dans quel cas elle freine un peu et dans quel cas elle freine à fond. Pourtant ce n'est point cela qu'elle fait d'abord, ce n'est point cela qu'elle fait surtout. Elle donne la lumière. 16:41 Comme pour le manifester jusque par ses actes, Pie XII a enseigné et expliqué quotidiennement, et n'a presque jamais condamné. Les « dix-neuf gros volumes » de ses œuvres, que Jean XXIII recommande instamment à notre méditation, ne sont pas un registre de condamnations ! Et ce n'est pas une liste de condamnations en dix-neuf volumes que Jean XXIII nous invite à étudier. Contre tout bon sens, contre l'évidence même, on persiste à prétendre que le Pape édicte des décisions, promulgue des actes d'autorité, passe son temps à donner des coups de frein, et que pour les « explications » il faut en somme s'adresser ailleurs... Ce que fait en vérité la Papauté, ce que fait le Pape, Claudel l'a illustré dans son dialogue entre le « Pape Pie » et le « Frère mineur » ([^9]) : « *S'ils Nous écoutaient,* dit le « Pape Pie », *s'ils avaient confiance en Nous, il n'y a pas de chose que Nous ne saurions leur* EXPLIQUER. » « *Parce qu'ils n'ont plus de Père, en seront-ils plus heureux *? *Si je ne suis plus avec eux, en qui seront-ils frères ? y aura-t-il plus de concorde entre eux et plus d'amour ?* » « *Ils Nous trouveraient, s'ils Nous cherchaient où Nous sommes. A leurs pieds, avec Notre-Seigneur. C'est là que Nous sommes assis continuellement, les suppliant pour le salut de leur âme...* » C'est ce que nous avons le plus oublié, le plus négligé, le plus méconnu : « S'ils Nous écoutaient, s'ils avaient confiance en Nous, il n'y a pas de chose que Nous ne saurions leur *expliquer.* » Il n'y a pas de chose que le Pape ne puisse expliquer à ceux qui l'écoutent ; qui l'écoutent avec confiance. C'est même dans les Encycliques que se trouvent le mieux expliquées les responsabilités de chacun selon chaque état de vie, la nécessité de la réflexion personnelle et du travail, et de l'initiative de tous. Les Encycliques ne pensent ni n'agissent à notre place : elles sont une constante et explicite invitation à la pensée et à l'action. Par une fantasmagorie diabolique, on présente le Pape comme celui qui n' « explique » point, et qui jamais ne s'occupe qu'à « condamner ». Cette diabolique fantasmagorie brouille le regard de l'âme jusqu'à nous priver d'apercevoir le Père commun et jusqu'à le remplacer devant nos yeux par l'image d'un adjudant. 17:41 ON S'EN VA CROIRE que nous reproduisons les documents pontificaux en manière d' « arguments d'autorité », c'est-à-dire d'arguments dont toute la valeur réside en leur autorité. Or nous ne donnons point les documents pontificaux comme *arguments* et, sans nier certes leur « autorité », ce n'est pas sur cette autorité que nous attirons surtout l'attention du lecteur. Nous donnons les documents pontificaux parce qu'ils proposent une *explication :* ils expliquent l'histoire humaine, ils expliquent la vocation de l'homme, ils expliquent ce qui est à faire pour répondre, dans cette histoire, à cette vocation. Ainsi en est-il pour le communisme. Nous ne recherchons pas d'abord ce que l'Église *ordonne,* mais ce qui est antérieur à ce qu'elle ordonne : ce qu'elle explique, *ses raisons,* les motifs qu'elle propose à l'esprit et pour lesquels il lui arrive aussi, bien sûr, de donner non seulement des conseils mais des ordres. On risquerait de ne rien comprendre à une loi civile dont on examinerait les stipulations sans aucunement vouloir connaître l' « exposé des motifs ». C'est l'exposé des motifs qu'il faut connaître d'abord et c'est lui en un sens qui importe le plus. Les motifs de l'Église, la pensée de l'Église, tel est l'objet de nos méditations, tel est le trésor que nous voulons contribuer à faire connaître, quand nous publions la parole du Pape. Il est tout à fait légitime -- et quelquefois indispensable -- de mettre en avant l'autorité de cette parole. Mais à ne voir quasiment que l'autorité, on porte tort à cette parole et à son autorité même, qui s'en trouve caricaturée. C'est la lumière de cette parole que nous voulons mettre en avant. La parole pontificale, beaucoup plus souvent qu'à commander, s'applique à persuader. Elle s'adresse à l'âme, à la raison, au cœur. Elle est une parole de Père. Comme des enfants, nous multiplions les *pourquoi,* parfois absurdes ou insolents : mais le Saint-Père répond avec patience aux *pourquoi* de ses enfants. C'est cela que l'on aperçoit le moins. C'est sur cela que nous insistons le plus. LE TEXTE LATIN de l'Encyclique *Divini Redemptoris* n'a jamais été directement traduit en français. Il n'existe naturellement aucune traduction française OFFICIELLE, puisqu'aucune n'a été publiée aux *Acta Apostolicae Sedis.* 18:41 Ceux-ci ont seulement publié, à la suite du texte latin, une traduction italienne, sur cette traduction italienne a été faite l'unique traduction française actuellement existante ([^10]). Il y avait donc, au moins, un intérêt scientifique certain à faire, pour la première fois, une traduction française du texte latin : nous l'avons faite. Quelle que soit l'infirmité de notre travail, nous ne pouvons en sous-estimer l'importance. L'infirmité : parce que nous savons bien qu'une première traduction est rarement la meilleure. L'importance néanmoins : il faut bien qu'il y en ait une qui soit la première. Nous avons donc pris toutes les garanties que réclame la loi de l'Église. Bien sûr, la coutume la plus fréquente en France aujourd'hui dispense de *l'imprimatur* les publications périodiques, surtout quand elles sont dirigées par des laïcs. Mais la traduction que nous publions ci-après est destinée à paraître ultérieurement en volume, assortie d'un commentaire littéral très détaillé. A ce titre, notre traduction a reçu la *licencia edendi* prévue par le Canon 1385. Si nous donnons cette précision, c'est parce que nous avons été autorisé et même invité par l'autorité religieuse compétente à la donner ici. QUELQUES-UNS DIRONT peut-être, comme on dit fréquemment : -- Cette Encyclique est de 1937, elle est donc « dépassée » ; et puis, les Encycliques ne disent pas tout, et ne sauraient dispenser d'un travail personnel... *Elle est dépassée ?* Tout ce que les Papes ont enseigné par la suite sur le communisme est substantiellement identique au contenu de *Divini Redemptoris,* ou en est le développement. Nous publions également, d'ailleurs, les enseignements pontificaux plus récents qui réaffirment ou explicitent la pensée de l'Église en accord avec l'Encyclique de Pie XI. Mais ces enseignements plus récents, on s'expose régulièrement à n'y rien comprendre, ou à les comprendre à contresens, quand on ignore la base fondamentale qu'ils présupposent toujours : l'Encyclique *Divmi Redemptoris,* qui EXPLIQUE les précisions, les décisions et les développements ultérieurs. 19:41 *Elle ne dispense pas de travailler ?* L'étrange remarque, quand elle est faite par ceux qui manifestement SE SONT DISPENSÉS de la connaître. Les Encycliques ne dispensent certainement pas les chrétiens d'accomplir le travail personnel qui consiste à étudier l'enseignement qu'elles apportent. Sous prétexte qu'elles ne suffisent pas à tout, on s'accorde trop facilement la permission de ne les employer à rien. Mais j'entends bien ce que l'on veut insinuer, et je connaissais déjà la chanson. Il y aurait d'une part les chrétiens « intelligents », qui parlent de tout par eux-mêmes, sans s'arrêter à seulement ouvrir les Encycliques. Et d'autre part les imbéciles, qui étudient les Encycliques parce qu'ils sont incapables de penser. A ce snobisme hypocrite et misérable, on reconnaît les tics ordinaires de l'intelligence installée ; de l'intelligence vautrée ; de l'intelligence mondaine ; de l'intelligence pourrie. Nous ne nous laisserons pas intimider par ces grimaces, qui sont purement et simplement les grimaces de la sottise. Nous ne nous laisserons pas intimider par ce snobisme intellectuel, qui place très haut les travaux « personnels », mais qui lui-même est incapable d'en produire, ou n'en produit que d'absolument nuls. Nous ne nous laisserons pas impressionner par tous ces gens qui, juchés sur la nullité de leur propre pensée, regardent de haut la pensée pontificale. Nous invitons nos lecteurs à étudier l'Encyclique *Divmi Redemptoris* et les autres enseignements des Souverains Pontifes que nous leur proposons dans ce numéro ; nous les invitons à les relire méthodiquement même s'ils croient les connaître : ils verront comme on oublie ce qu'on croyait savoir... Ils éprouveront aussi que l'enseignement pontifical ne paralyse point la pensée, mais l'éclaire au contraire, et la suscite... De cet enseignement, on peut répéter ce qu'il avait fallu dire de saint Thomas déjà, contre l'incompréhension buttée des ânes savants : ce n'est pas une borne, c'est un phare. Mais nous n'avons attendu personne, et surtout pas les installés du snobisme intellectuel, pour mener à bien nous mêmes, et on les trouvera aussi dans ce numéro, quelques « travaux personnels » sur le communisme, en toute liberté d'esprit et de caractère, -- la liberté qu'ils parlent, et que nous vivons. J. M. 20:41 ### Traduction intégrale du texte latin de Divini Redemptoris ***sur le communisme athée*** § 1. -- La promesse d'un divin Rédempteur illumine les premiers pas du genre humain ; l'espoir très confiant en des temps meilleurs adoucit la douleur d'avoir perdu le paradis et accompagna les hommes sur leur chemin de souffrance et d'angoisse jusqu'à ce que, « quand fut arrivée la plénitude des temps » (Galat., IV, 4), la venue du Sauveur comblât l'attente de ce long désir. Il inaugura pour tous les peuples un âge nouveau et plus civilisé, que l'on appelle l'âge chrétien, et qui surpasse et déclasse presque infiniment le degré de développement que quelques nations incomparablement éminentes avaient atteint à grand-peine. § 2. -- La chute misérable d'Adam a imposé à la vertu un rude combat contre les incitations des vices issues du péché originel ; et jamais le vieux trompeur ne cessa d'induire très subtilement les hommes en erreur par des promesses mensongères. C'est pourquoi d'âge en âge le désordre succéda au désordre, jusqu'à ce que l'on en vînt à la révolution actuelle qui est presque partout déchaînée ou terriblement menaçante : par sa violence et son ampleur, elle dépasse toutes les attaques que l'Église a endurées. Les peuples sont entraînés vers la chute dans une barbarie certainement plus épouvantable que celle où se trouvaient la plupart des nations avant la venue du divin Rédempteur. § 3. -- Vous avez déjà compris de quel péril nous parlons : on l'appelle le « communisme » ou « bolchevisme » ; il est athée ; son dessein particulier est de bouleverser radicalement l'ordre, social et d'anéantir jusqu'aux fondements de la civilisation chrétienne. 21:41 #### I. § 4. -- Mais, face à ces menaçantes entreprises, l'Église catholique ne pouvait se taire, et elle a parlé. Il a parlé, ce Siège apostolique, qui sait bien que sa charge propre est de défendre la vérité, la justice et toutes les valeurs immortelles que les communistes méprisent et assaillent. Depuis le temps, déjà, où des clans d'intellectuels s'approprièrent la civilisation et affranchirent l'humanité de la discipline religieuse et morale, Nos Prédécesseurs tinrent pour leur devoir de lancer à tous des avertissements explicites sur les conséquences de l'abandon des préceptes chrétiens par la société. En ce qui concerne les erreurs des communistes, déjà en 1846 Pie IX portait une condamnation solennelle, confirmée ensuite dans le Syllabus. Il déclarait : « Doctrine monstrueuse, tout à fait contraire au droit naturel lui-même, appelée « communisme » : qu'on l'admette, et ce sera la destruction complète de tout droit, de toute institution, de toute propriété, de la société elle-même » (Encyclique *Qui pluribus*, 9 novembre 1846 ; cf. Syllabus, section IV). Plus tard Léon XIII, dans l'Encyclique *Quod Apostolici muneris*, définissait les mêmes erreurs : « ...un poison mortel, qui se glisse à travers les articulations profondes de la société et la met en péril extrême » ; il donnait en outre la démonstration pénétrante que la violente tendance des masses à l'athéisme trouvait son origine, à une époque de si grands progrès techniques, dans les chimères philosophiques qui s'efforcent, depuis longtemps déjà, de séparer la science de la foi, et de couper l'Église de la vie active. § 5. -- Nous-même, semblablement, plus d'une fois pendant Notre Pontificat, Nous avons dénoncé avec une pressante sollicitude les courants de cette impiété, dont la croissance est menaçante. En 1924, au retour de la mission de secours que Nous avions envoyée en Russie, Nous avons réprouvé les doctrines erronées des communistes dans une allocution adressée au monde entier (18 décembre 1924). Par Nos Encycliques *Miserentissimus Redemptor* (8 mai 1928), *Quadragesimo anno* (15 mai 1931), *Caritate Christi* (3 mai 1932), *Acerba animi* (29 septembre 1932), *Dilectissima Nobis* (3 juin 1933), Nous avons vivement et solennellement déploré les attaques contre le nom chrétien qui font rage en Russie, au Mexique, en Espagne. 22:41 On se rappelle aussi les paroles que Nous avons prononcées l'année dernière, soit à l'inauguration de l'Exposition mondiale de la presse catholique, soit à l'audience publique des réfugiés espagnols, soit dans notre Radiomessage de Noël. Ceux qui haïssent le plus violemment l'Église, et qui de Moscou, leur capitale, dirigent ce combat contre la civilisation chrétienne, attestent eux-mêmes, par leurs attaques incessantes, en paroles et en actes, que la Papauté, encore de nos jours, continue certes dans l'intégrité de la foi à défendre la sainteté de la religion chrétienne, mais en outre n'arrête pas de mettre en garde contre le péril communiste avec plus de fréquence et plus de force persuasive que n'importe quel autre pouvoir public sur la terre. § 6. -- Nous avons donc multiplié les avertissements paternels, que vous avez, Vénérables Frères, consciencieusement communiqués et commentés à vos fidèles, par tant de lettres pastorales, voire par des lettres collectives. Et néanmoins, le péril s'aggrave chaque jour davantage, machiné par le savoir-faire des agitateurs. C'est pourquoi Nous estimons qu'il est de Notre charge d'élever à nouveau la voix. Nous le faisons par le présent document, d'un poids plus grand, selon la coutume de ce Siège apostolique, magistère de vérité ; et d'autant plus volontiers que Nous savons correspondre ainsi aux vœux de l'univers tout entier. Nos paroles, Nous en avons la ferme confiance, seront accueillies avec, une pleine adhésion par tous ceux qui, l'esprit libre de préjugés, recherchent d'un cœur sincère le bien de la communauté humaine. Et voici qui vient assurément accroître en quelque façon notre confiance. Nous voyons Nos avertissements précédents confirmés par les pires conséquences issues des idées subversives. Nous avions prévu et annoncé de telles conséquences, qui maintenant se développent d'une manière effroyable dans les pays dominés par le communisme, et qui menacent de façon prochaine toutes les autres nations. § 7. -- Nous voulons donc encore une fois aborder à grands traits et exposer les inventions et les directives des communistes, principalement sous la forme des plans et des doctrines « bolcheviques ». Ces intentions et ces directives qui répandent l'imposture. Nous voulons leur opposer la claire doctrine de l'Église. 23:41 Et de nouveau, instamment, Nous voulons brièvement indiquer à tous les moyens de défense qu'il faut mettre en œuvre : par ces moyens, il sera possible que la civilisation chrétienne, la seule capable de rendre la cité vraiment humaine, échappe à cette horrible monstruosité et, mieux encore, poursuive plus vite sa marche quotidienne vers le progrès authentique qui est dans la vocation de la société civile. #### II. § 8. -- La doctrine communiste qui est prêchée de nos jours, d'une manière plus nette que les doctrines analogues des temps antérieurs, a pour moteur une contrefaçon de la rédemption des humbles. Une idée fausse de justice, d'égalité, de nécessaire et universelle fraternité dans le travail imprègne d'une mystique feinte les pensées et les efforts des communistes ; à tel point qu'elle enflamme violemment, comme par une passion contagieuse, les foules qu'attire le mensonge des promesses. Cela est plus facile à notre époque, parce qu'une injuste répartition des biens a provoqué la misère anormale d'un grand nombre. Et cette idée fausse, les communistes la vantent et la propagent comme si elle était le principe d'un progrès économique : ce progrès, quand il existe, a certainement d'autres causes, -- soit l'intensification de la production industrielle dans des pays qui en étaient dépourvus, soit d'immenses ressources naturelles, avantageusement mises en valeur par des méthodes qui n'ont aucun respect de la dignité humaine ; soit enfin la cruauté implacable avec laquelle les ouvriers sont contraints, pour un salaire infime, aux travaux les plus épuisants. § 9. -- Les directives que les communistes diffusent aujourd'hui, parfois sous une apparence trompeuse et attirante, se fondent sur les principes que Karl Marx a tirés du matérialisme nommé « dialectique » et « historique » : les théoriciens du « bolchevisme » prétendent être seuls à en détenir l'interprétation authentique. Ils enseignent qu'il n'existe qu'une seule réalité : la matière, complexe de forces aveugles et cachées, qui par sa propre évolution devient arbre, animal, homme. Même la société humaine n'est rien d'autre qu'une apparence ou un état de la matière en évolution, qui tend par une nécessité inéluctable, à travers un perpétuel conflit de forces, à un terme final : la société sans classes. 24:41 Il est donc évident que l'idée de Dieu est supprimée ; qu'il n'y a aucune différence entre l'esprit et la matière, entre l'âme et le corps ; aucune survivance de l'âme après la mort, aucune espérance d'une autre vie. Se fondant sur la méthode « dialectique » de leur matérialisme, les communistes pensent que le conflit qui conduit le monde à son terme final peut être accéléré par l'action humaine. C'est pourquoi ils s'efforcent de rendre plus aigus les antagonistes des classes sociales ; la lutte des classes les unes contre les autres, avec ses haines et ses destructions, est considérée comme la marche sacrée du progrès. Tous les obstacles à ces violences systématiques sont liquidés comme ennemis du genre humain. § 10. -- En outre, les communistes privent l'homme de sa liberté, principe spirituel de la conduite morale ; ils dépouillent la personne humaine de sa dignité et de tout gouvernement de ses mœurs, par quoi elle peut se défendre contre les impulsions des vices qui grandissent dans le secret. Cette personne humaine n'étant rien d'autre, selon leurs maximes, qu'un petit rouage du mécanisme universel, les droits naturels dont elle est le sujet sont retirés à l'homme individuel et attribués par les communistes à la collectivité. Proclamant une égalité absolue dans les relations entre les citoyens, les communistes rejettent toute autorité de Dieu ou des parents : car tout pouvoir et toute obéissance provient de la société comme de sa source première et unique. On ne donne à l'homme individuel aucun droit de propriété sur les capitaux ou sur les moyens de production : comme ils permettent de créer d'autres biens, leur possession entraîne fatalement la domination de l'homme par l'homme. C'est pourquoi les communistes affirment que le droit de propriété privée, cause principale de l'aliénation économique, doit être totalement liquidé. § 11. -- Cette doctrine, qui rejette toutes les fonctions sacrées de la vie humaine, tient logiquement le mariage et la vie familiale pour une institution simplement civile, artificielle, née de conditions économiques déterminées : c'est pourquoi une telle doctrine nie que les liens juridiques et moraux du mariage soient indépendants de la volonté des individus et de la collectivité ; elle en rejette donc l'indissolubilité. 25:41 En particulier aucun lien, selon les communistes, n'attache la femme à sa famille et à son foyer : ils proclament que la femme est absolument libre de l'autorité du mari, ils l'émancipent ainsi de la vie familiale et du soin des enfants, pour la jeter dans les activités de la vie publique et de la production collective au même titre que l'homme ; ils remettent à la société civile le soin du foyer et des enfants (cf. *Casti connubii*, 31 décembre 1930). L'autorité paternelle sur l'éducation des enfants est enlevée aux parents : elle appartient uniquement à la communauté et ne peut s'exercer qu'en son nom et par son mandat. Où s'en irait donc la communauté humaine, avec de telles bases, tirées du matérialisme ? Il naîtrait une société sans autre autorité que celle du conditionnement économique. Sa seule fonction serait la production collective ; son seul but, la jouissance des biens terrestres dans un séjour superlativement voluptueux, où s'appliquerait la règle : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». § 12. -- Notons encore que les communistes attribuent à la société un droit, ou plutôt un pouvoir arbitraire quasiment sans limite, d'assujettir chaque citoyen au travail collectif, sans égard à son bien personnel, même contre son gré et par la violence. Ils déclarent que dans leur société la morale et le droit n'ont d'autre origine que le système économique du moment ; et donc, de leur nature propre, sont terrestres, changeants et caducs. En somme, les communistes cherchent à introduire un nouvel ordre des choses, un âge nouveau, plus civilisé, découlant uniquement d'une secrète évolution naturelle : « une société humaine qui aura chassé Dieu de la terre ». § 13. -- Quand tout le monde aura été conditionné aux habitudes et à l'état d'esprit requis, en sorte qu'un jour enfin apparaisse cette société irréelle, la société sans classes, produit de l'imagination, alors l'État, qui actuellement n'est que le moyen de domination des capitalistes sur le prolétariat, disparaîtra nécessairement ; toutefois, tant que cet âge d'or ne sera pas réalisé, les communistes emploieront la puissance politique de l'État comme l'instrument le plus efficace et le plus universel pour atteindre leur but. 26:41 § 14. -- Voilà donc sous vos yeux la doctrine que les communistes bolcheviques et athées prêchent comme un nouvel évangile et comme un message de salut et de rédemption ! Invention pleine d'erreurs et d'illusions, qui s'oppose aux vérités révélées par Dieu et à la raison humaine ; qui est une subversion de l'ordre social, car elle détruit les fondements de la société ; qui méconnaît la véritable origine, la nature et la vraie fin de l'État ; qui, enfin, nie et rejette les droits, la dignité, la liberté de la personne humaine. § 15. -- Mais comment se fait-il que cette doctrine, depuis longtemps dépassée scientifiquement et complètement réfutée par l'expérience quotidienne, puisse se répandre si rapidement dans le monde entier ? Il sera possible de comprendre ce phénomène en remarquant que fort peu de personnes ont étudié à fond le but des communistes et la réalité de leurs entreprises ; tandis qu'au contraire ils sont bien nombreux ceux qui cèdent facilement à leurs habiles instigations, renforcées d'éblouissantes promesses. En effet les communistes mettent en œuvre une contrefaçon de la vérité : à savoir qu'ils veulent seulement améliorer le sort des travailleurs ; qu'ils veulent opportunément remédier à tout ce que les libéraux, comme ils les appellent, ont introduit d'injuste dans la conduite des affaires ; qu'ils veulent aboutir à une plus équitable répartition des biens : tous ces objectifs, personne n'en doute, on peut les atteindre par des méthodes légitimes. Mais les communistes ont surtout saisi l'occasion d'une crise économique partout pressante : ils peuvent ainsi attirer à leur parti ceux dont les principes sont incompatibles aussi bien avec la doctrine matérialiste qu'avec les agissements souvent criminels du communisme. Dans toute erreur il y a quelque reflets de vérité ; nous venons de le voir même pour le communisme ; très habilement, les communistes montrent cette apparence de vérité dans l'intention de dissimuler tactiquement la monstruosité repoussante et inhumaine de leurs directives et de leurs méthodes. Ils peuvent abuser ainsi jusqu'à des personnes d'une vertu peu commune, souvent enflammées au point de devenir elles-mêmes des sortes d'apôtres et d'intoxiquer surtout les jeunes, qui sont exposés à être facilement trompés. En outre, les propagandistes du communisme savent aussi exploiter les antagonismes nationaux, les divisions et les conflits politiques ; enfin, ce désordre qui grandit dans le domaine des connaissances humaines privées de l'idée de Dieu, ils l'utilisent pour pénétrer dans les Universités et pour appuyer leur doctrine sur des arguments pseudo-scientifiques. 27:41 § 16. -- Pour mieux comprendre comment les communistes ont pu arriver à ce que tant de travailleurs aient adopté sans examen leurs directives mensongères, il faut se rappeler que ces travailleurs, en raison de la doctrine et de la pratique des « libéraux » en matière économique, avaient été très misérablement réduits à l'indifférence religieuse et morale. Trop souvent le roulement des équipes a entravé la sanctification des jours de fêtes ; on ne s'est point occupé de construire des églises à proximité des lieux de travail, ni de faciliter la tâche du prêtre ; au contraire : on a étendu de jour en jour davantage les dispositions de ce qu'on appelle le « laïcisme ». Voici donc le résultat de ces erreurs : Nos Prédécesseurs et Nous-même, nous l'avions annoncé plus d'une fois. Pourquoi s'étonner si l'effroyable montée du communisme atteint maintenant tant de nations déchristianisées et les submerge presque ? § 17. -- Mais ce qui est en question, c'est de savoir pourquoi les tromperies du communisme se diffusent avec une telle vitesse et s'infiltrent clandestinement dans tous les pays, les plus petits comme les plus grands, quel que soit leur degré de civilisation ou leur situation géographique : c'est qu'il y a là une science de la propagande qui est certainement criminelle ; jamais peut-être, de mémoire d'homme, on n'en vit d'aussi pénétrante. Cette propagande vient d'un centre unique ; elle s'adapte habilement aux situations particulières de tous les peuples ; elle utilise d'immenses moyens financiers, des organisations innombrables, de fréquents congrès internationaux, des troupes compactes et disciplinées. Cette propagande emploie les journaux, les tracts, le cinéma, le théâtre, la radio ; elle utilise enfin les écoles élémentaires et les Universités ; elle pénètre peu à peu tous les milieux, y compris les meilleurs, qui d'aventure n'ont pas aperçu quel poison corrompt de plus en plus lamentablement les esprits et les mœurs. § 18. -- Autre auxiliaire puissant de la propagande communiste : une grande partie des journaux à travers le monde, qui ne suivent pas les directives catholiques, font sur ce sujet un silence concerté. Nous disons bien concerté : 28:41 on ne saurait guère expliquer autrement pourquoi cette presse, qui met en relief avec tant d'avidité les incidents les plus minimes, n'a rien dit, pendant si longtemps, des crimes pourtant immenses commis en Russie, au Mexique et dans une grande partie de l'Espagne ; et pourquoi elle parle si peu du Parti communiste, dirigé de Moscou, dont les organisations s'implantent dans le monde entier. Mais tout le monde sait bien que, pour une grande part, cette attitude relève de motifs politiques que n'inspire guère la vertu de prudence civique ; ce silence est non moins favorisé par diverses forces secrètes qui depuis longtemps cherchent à détruire l'ordre social chrétien. § 19. -- Nous constatons les résultats douloureux de cette savante propagande. Partout en effet où les communistes ont pu se fortifier et exercer leur domination -- Nous pensons avec une affection paternelle aux peuples de Russie et du Mexique -- partout, comme ils le proclament ouvertement, ils se sont efforcés par tous les moyens d'anéantir jusqu'aux fondements de la religion et de la civilisation chrétiennes et d'en effacer tout souvenir du cœur des hommes, surtout des jeunes. Évêques et prêtres ont été bannis, condamnés aux travaux forcés, fusillés ou torturés à mort ; des laïcs, déclarés suspects pour avoir défendu la religion, ont été persécutés, traités en ennemis, traduits en justice, emprisonnés. § 20. -- Là où, comme en Notre très chère Espagne, l'ignominieux fléau du communisme n'avait pas encore pu produire tous les désastres qui procèdent de ses erreurs, il a déployé une furieuse frénésie dans les plus odieux forfaits : Ce ne sont pas une ou deux églises ; un ou deux, couvents qui ont été détruits : mais, partout où ce fut possible, toutes les églises, tous les couvents, toute trace de la religion chrétienne, même quand il s'agissait des monuments les plus remarquables de l'art et du savoir. La frénétique démence des communistes n'a pas seulement massacré les Évêques, les prêtres, les religieux, les religieuses par milliers, et particulièrement ceux et celles qui s'occupaient des travailleurs et des pauvres, mais plus encore des laïcs de toutes les classes sociales : encore maintenant, on les assassine en masse parce qu'ils font profession de foi chrétienne ou parce qu'ils n'acceptent pas la doctrine des communistes athées. Cet épouvantable carnage est perpétré avec une haine, avec une sauvagerie barbare que l'on n'aurait pas cru possibles en notre temps. 29:41 Aucun homme de jugement sain, homme privé ou homme d'État, aucun, disons-nous, ne peut échapper à la plus horrible crainte, s'il considère que les événements d'Espagne peuvent demain se répéter en d'autres nations civilisées. § 21. -- Il n'est pas permis de prétendre que de telles atrocités sont celles qui accompagnent inévitablement toute révolution, excès isolés comme dans toute guerre civile. Elles sont le résultat naturel d'un système sans frein. Des freins sont nécessaires à l'homme individuel comme à l'homme vivant en société : même les peuples barbares reconnurent le caractère impératif de la loi naturelle inscrite par Dieu dans l'âme humaine. Quand l'observation de cette loi fut habituelle, on vit des nations, parmi les Anciens, atteindre une grandeur qui surprend encore, plus qu'il ne conviendrait, des observateurs superficiels de l'histoire. Mais lorsque l'idée même de Dieu est arrachée de l'esprit humain, on tombe inévitablement dans une cruelle et sauvage barbarie. § 22. -- C'est bien ce que nous voyons avec une immense douleur : pour la première fois dans l'histoire, une révolte méthodiquement calculée et organisée contre *tout ce qui est divin* (II Thessal., II, 4). En effet, la doctrine du communisme, par sa nature, combat toute religion, présentée comme « l'opium du peuple », parce que la religion enseigne l'existence d'une vie éternelle après la mort : elle détache les hommes de ce bonheur futur ; ils sont tenus de le réaliser sur terre. § 23. -- Mais ce n'est pas impunément que l'on rejette la loi naturelle et Dieu qui l'a faite ; pour cette raison, les communistes n'ont même pas pu réaliser leurs plans économiques : et ils n'y arriveront jamais. On ne nie point que leurs efforts en Russie aient contribué par la contrainte à tirer hommes et choses d'une inertie installée depuis longtemps ; mobilisant toutes les ressources et employant tous les moyens, même immoraux, ils ont pu faire quelque chose pour l'augmentation du niveau de la vie matérielle. Mais nous savons avec certitude, par les témoignages les plus récents et les plus sûrs, qu'en réalité, pas même sur ce point, ils n'ont atteint ce qu'ils avaient promis. 30:41 A quoi s'ajoute qu'un pouvoir absolu et cruel, régnant par la terreur, a réduit en esclavage d'innombrables individus. On doit raisonnablement remarquer que même sur le terrain économique une certaine discipline morale est indispensable, pour former le sens du devoir chez ceux qui portent une responsabilité ; les principes communistes, inspirés d'un matérialisme mensonger, ne peuvent y parvenir. C'est pourquoi il ne reste que le terrorisme, tel qu'on le voit en Russie, où les vieux compagnons de lutte s'assassinent les uns les autres ; mais ce terrorisme ne peut pas empêcher la destruction des rapports sociaux, et encore moins contenir la dépravation des mœurs. § 24. -- Nous n'avons dans l'esprit aucune condamnation universelle des peuples de l'U.R.S.S. Nous avons pour eux l'intense charité d'un Père. Nous savons que beaucoup parmi eux subissent contre leur gré la domination esclavagiste d'hommes qui se préoccupent surtout d'autre chose que de leur véritable intérêt national. Nous savons que beaucoup d'autres ont été abusés par des promesses trompeuses. Nous condamnons le système, ses auteurs et ses responsables, qui choisirent la Russie comme terrain favorable pour y implanter une doctrine élaborée depuis longtemps, et comme plate-forme pour la répandre dans le monde entier. #### III. § 25. -- Après avoir mis en lumière les erreurs des bolchevistes athées et leurs moyens d'action fondés sur le mensonge et la violence, il convient maintenant d'y opposer brièvement la vraie conception de la société : celle que nous enseignent, vous le savez bien, la raison naturelle et la révélation, par le magistère de l'Église qui a la charge d'instruire les nations. § 26. -- Il faut premièrement être attentif à ceci : au-dessus de toutes choses il existe une intelligence suprême et unique, Dieu, créateur tout-puissant de l'univers, juge infiniment sage et juste de tous les hommes. Cette réalité suprême de Dieu est ce qui nous fait rejeter de la manière la plus absolue les fanfaronnades insolentes et menteuses des communistes. Ce n'est point parce que les hommes ont foi en Dieu que Dieu existe ; mais c'est parce que Dieu lui-même existe réellement, que tout homme qui ne détourne pas obstinément son esprit de la vérité croit en Dieu et lui adresse sa prière. 31:41 § 27. -- Secondement, ce que la foi catholique et la raison naturelle enseignent sur l'homme, Nous en avons exposé les principaux points dans l'Encyclique sur l'éducation chrétienne de la jeunesse (31 décembre 1929). Il y a en l'homme une âme spirituelle et immortelle ; l'homme est une personne, merveilleusement pourvue par le Créateur d'un corps et d'un esprit, en sorte qu'elle est véritablement, comme disaient les Anciens, un « microcosme », un univers complet, qui a beaucoup plus de valeur que tout l'immense univers des choses inanimées. Sur la terre comme au ciel, la fin dernière de l'homme est Dieu seul. Par la grâce sanctifiante, il est élevé à la dignité de fils de Dieu, et dans le corps mystique du Christ il est associé au Règne de Dieu. C'est pourquoi Dieu lui a fait des dons nombreux et divers : comme le droit à la vie et à l'intégrité du corps ; le droit d'acquérir les biens nécessaires à la vie, et de poursuivre méthodiquement et rationnellement la fin dernière que Dieu lui a proposée ; comme enfin le droit d'association, le droit de propriété privée et le droit d'user de cette propriété. § 28. -- En outre, le mariage et son usage naturel ont été établis par Dieu : l'institution familiale et ses principales fonctions ne viennent pas de la volonté de l'homme ni des conditions économiques, mais du Créateur lui-même. Dans l'Encyclique sur la sainteté du mariage (31 décembre 1930), et dans celle, que nous citions plus haut, sur l'éducation chrétienne de la jeunesse, nous avons suffisamment traité ces questions. § 29. -- Mais, semblablement, Dieu a voulu destiner l'homme à la vie dans une communauté politique : il est certain que la nature humaine le requiert. La société, selon le dessein du Créateur, est une protection naturelle dont tout citoyen peut et doit se servir pour atteindre sa fin ; car la communauté politique est faite pour l'homme, et non pas l'homme pour la communauté politique. Ceci ne doit pas être entendu à la manière des libéraux qui, en raison de leur doctrine individualiste, mettent la communauté au service de profits sans mesure pour les hommes pris isolément : 32:41 il faut comprendre bien plutôt que tous les hommes, du fait qu'ils sont organiquement associés, peuvent sur la terre, par une collaboration mutuelle, atteindre une véritable prospérité ; il faut comprendre encore que, dans la vie sociale, les dons naturels de chacun, d'ordre privé et d'ordre public, s'épanouissent et se fortifient : ces dons naturels dépassent l'intérêt personnel du moment ; dans l'organisation politique, ils manifestent la perfection de Dieu. Cette manifestation est impossible si les hommes restent isolés les uns des autres. Elle est elle aussi ordonnée à l'homme : reconnaissant cette image de la perfection de Dieu, il la reçoit et la fait remonter vers le Créateur par la louange et l'adoration. Car c'est seulement l'homme, et non point aucune communauté humaine, qui est doué de raison, de volonté, de libre-arbitre. § 30. -- L'homme ne peut rejeter les devoirs qui, par la volonté de Dieu, l'attachent à la société civile ; si, sans raison légitime, il refuse cette allégeance, les dirigeants politiques ont le droit de le contraindre à l'accomplissement de son devoir. Pareillement la société ne peut frustrer le citoyen des droits qu'il tient de Dieu, dont les plus importants ont été brièvement évoqués ci-dessus ; la société n'a pas le droit arbitraire de lui en rendre impossible l'usage. Il est conforme à la raison que toutes les choses de la terre soient ordonnées à l'usage et utilité de l'homme, afin que par l'homme elles fassent retour à leur Créateur. Ici s'applique parfaitement ce que l'Apôtre des nations écrit aux Corinthiens sur la doctrine chrétienne du salut : *Tout est à vous, mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu* (1 Cor., III, 23). Voilà à quelle hauteur la raison naturelle et la révélation divine élèvent la personne humaine, tandis que les communistes la rabaissent, intervertissant les rapports des citoyens et de la société. § 31. -- En ce qui concerne les questions économiques et sociales et la défense des travailleurs, Léon XIII a promulgué les règles que l'on doit suivre (Encyclique *Rerum novarum*, 15 mai 1891) ; ces règles, par l'Encyclique Quadragesimo anno sur la restauration chrétienne de l'ordre social (15 mai 1931), Nous les avons appliquées aux circonstances et aux nécessités actuelles. Dans cette Encyclique, insistant maintes fois sur la doctrine séculaire de l'Église concernant le caractère individuel et le caractère social de la propriété privée, nous avons distinctement et précisément marqué quels sont les droits et la dignité du travail, et les liens d'aide et d'assistance entre ceux qui investissent un capital et ceux qui apportent leur travail ; et quel salaire est dû en stricte justice aux travailleurs pour pourvoir à leurs besoins et à ceux de leur famille. 33:41 § 32. -- De plus, Nous avons démontré que le seul moyen de sauver la société -- acculée à la ruine par les principes du libéralisme qui font abstraction de la rectitude et de la discipline des mœurs -- est que les enseignements de la justice et de la charité chrétienne imprègnent et inspirent le gouvernement des affaires économiques et politiques ; le salut n'est certainement pas dans la lutte des classes, dans les crimes du terrorisme, ni dans l'abus tyrannique du pouvoir de l'État. Nous avons enseigné que la véritable prospérité d'un peuple doit être assurée par un sain régime corporatif, qui reconnaisse et respecte les diverses hiérarchies sociales ; et qu'il est nécessaire que toutes les corporations soient reliées entre elles et s'entendent à l'amiable pour pouvoir travailler au bien commun temporel. La fonction qui appartient authentiquement au pouvoir politique est de promouvoir autant qu'il est possible une entente mutuelle de cette sorte entre tous les citoyens. § 33. -- Pour assurer par la collaboration de tous un ordre pacifique, les préceptes de la doctrine catholique reconnaissent toute la dignité et toute l'autorité nécessaire aux dirigeants politiques, afin qu'ils soient en mesure de protéger avec vigilance et prévoyance les droits divins et humains qu'enseignent avec tant de force les Saintes Écritures et les Pères de l'Église. C'est une erreur grave de prétendre que tous les citoyens auraient des droits politiques égaux et qu'il n'existerait point des hiérarchies légitimes dans la société civile. Il suffit de rappeler à ce sujet les Encycliques de Léon XIII invoquées ci-dessus ; citons celle qui concerne l'autorité politique (*Diuturnum illud*, 29 juin 1881) et celle qui traite de la constitution chrétienne de l'État (*Immortale Dei*, 1^er^ novembre 1885). Dans ces Encycliques, les catholiques peuvent trouver un excellent exposé des principes naturels et surnaturels qui les libéreront des mensonges et des dangers de l'idéologie communiste. Supprimer les droits de l'individu et ainsi réduire en esclavage les citoyens ; rejeter le fondement premier de l'autorité politique ; faire servir le pouvoir à imposer une communion dans le crime ; tout cela, disons-nous, est violemment contraire à la morale naturelle et à la volonté du Créateur. 34:41 Le citoyen et la communauté politique ont l'un et l'autre leur origine en Dieu, et Dieu les a mutuellement ordonnés l'un à l'autre : donc, ni le citoyen ni la société ne peuvent refuser d'accomplir leurs devoirs réciproques ; aucun des deux ne peut nier ou diminuer les droits de l'autre. Dieu lui-même a institué l'essentiel des relations mutuelles entre les citoyens et la communauté ; que les communistes s'arrogent le droit de remplacer la loi divine, fondée sur la vérité et sur la charité, par des desseins et plans politiques partisans, qui sont pleins de haine et qui proviennent de l'arbitraire humain, voilà qui constitue sans doute une usurpation radicalement injuste. § 34. -- L'Église catholique, quand elle enseigne cette lumineuse doctrine, n'a en vue que de chercher à réaliser la bonne nouvelle chantée par les anges au-dessus de la grotte de Bethléem, lorsqu'ils annonçaient gloire à Dieu et paix aux hommes (cf. Luc, II, 14). Une paix véritable, un bonheur véritable (autant qu'il est possible même en cette vie terrestre), ordonnées au bonheur éternel ; mais seulement pour les hommes de volonté droite. Cette doctrine se tient à égale distance des funestes erreurs et des visées exagérées des partis politiques, de leurs systèmes et de leurs desseins ; elle garde une harmonie juste et vraie : harmonie qu'elle soutient par son argumentation théorique et qu'elle fait avancer dans la pratique de la vie. L'Église y travaille en conciliant et composant les droits et devoirs réciproques de tous : l'autorité avec la liberté, la dignité de l'État avec celle des individus, et enfin la personnalité humaine du subordonné, son devoir d'obéissance civile, avec la charge des supérieurs qui représentent l'autorité de Dieu. Et pareillement, l'amour ordonné de soi-même, de sa famille et de sa patrie avec la charité pour toutes les autres familles et toutes les autres nations, charité fondée sur l'amour de Dieu qui est le père, le premier principe et la fin dernière de tous les hommes. Cette doctrine de l'Église ne sépare pas le juste souci des biens terrestres et la sollicitude active des biens éternels. Elle subordonne les premiers aux seconds, selon la parole de son Maître : *Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît* (Mt VI, 33) ; mais elle ne néglige pas pour autant les intérêts humains elle ne fait pas obstacle au progrès de la société et aux profits temporels ; 35:41 au contraire, elle les favorise et les suscite de la manière la plus raisonnable et la plus efficace. L'Église n'a jamais présenté de système, de plan, d'organisation techniquement déterminés, dans le domaine économique et social : cela ne relève pas de sa fonction. Mais l'Église a énoncé des lignes essentielles et des directives : celles-ci peuvent sans doute être appliquées d'une manière ou d'une autre, selon les temps, les lieux et les peuples ; du moins elles indiquent le chemin sûr par lequel la Cité progresse vers un temps où il y aura plus de civilisation et plus de bonheur. § 35. -- Cette doctrine de l'Église est la plus sage et la plus utile : tous ceux qui l'ont réellement étudiée le reconnaissent. Avec pleine raison, des hommes éminents, ayant la pratique du gouvernement, ont affirmé, après avoir pesé les divers systèmes économiques, qu'ils n'avaient rien pu trouver de plus sage que les principes d'économie sociale exposés par les Encycliques *Rerum novarum* et *Quadragesimo anno*. Même dans des pays non catholiques, voire non chrétiens, il n'est pas rare que l'on reconnaisse combien les directives sociales de l'Église sont utiles à la société. Voici à peine un mois, un grand personnage de l'Extrême-Orient, versé dans la politique -- il n'est pas chrétien -- n'hésitait pas à proclamer que l'Église, par sa doctrine de paix et de relations fraternelles, apporte une contribution capitale au difficile maintien et développement de la paix entre les nations. Des communistes eux-mêmes -- nous le savons par des informations certaines qui de toutes parts convergent ici, au centre de l'univers catholique -- des communistes, s'ils n'ont pas encore sombré dans une complète corruption des mœurs, reconnaissent, quand la doctrine sociale de l'Église leur est proposée, qu'elle est bien supérieure aux directives de leurs maîtres et de leurs chefs. Ceux-là seuls qui ont l'esprit aveuglé par les passions et par la haine ferment les yeux aux lumières de la vérité et la combattent avec obstination. § 36. -- Mais ceux qui haïssent l'Église, bien qu'ils reconnaissent la supériorité des règles de sa sagesse, l'accusent de n'avoir pas agi en conformité avec ses principes ; c'est pourquoi ils cherchent d'autres voies et d'autres doctrines. Le mensonge et l'injustice d'une telle accusation, toute l'histoire chrétienne les démontre. 36:41 En bref, le lien véritable et fraternel qui unit les hommes de toute race et de toute condition, ce lien dont la solidité et la perfection avaient été ignorés par les siècles précédents, fut enseigné pour la première fois par ceux qui prêchaient l'Évangile ; il est certain que ce fut la contribution la plus efficace à l'abolition de l'esclavage : non point par des révolutions sanglantes, mais par la force intrinsèque de cette doctrine, par laquelle une patricienne de Rome traitait sa servante comme une sœur. Par les dogmes chrétiens, qui nous apprennent à adorer le Fils de Dieu, fait homme pour l'amour des hommes, fils du charpentier et lui-même travailleur (cf. Mt XIII, 55 ; Mc VI, 3), le travail humain fut élevé à sa véritable dignité ; ce travail humain était alors méprisé au point que Cicéron lui-même, homme équitable et sensé, rapportait l'opinion de son temps en des termes qui aujourd'hui feraient honte à n'importe quel sociologue : « Tous les artisans, écrivait-il, ont un métier méprisable ; car l'atelier ne peut rien avoir d'estimable » (*De Officiis,* I, 42). § 37. -- Fidèle à ces principes, l'Église a rénové la société humaine. Sous son impulsion sont nées d'admirables institutions de charité, et ces puissantes corporations des travailleurs de toutes les catégories, que les partisans du libéralisme, au siècle dernier, ont tenues pour méprisables, parce qu'ils y voyaient des institutions médiévales ; et pourtant, aujourd'hui, elles suscitent l'admiration et, dans plusieurs pays, de nombreuses expériences les font renaître. Quand d'autres influences entravèrent l'œuvre bienfaisante de l'Église, elle ne manqua point, et jusqu'aux temps actuels, de mettre en garde ceux qui se trompaient. Il suffit de rappeler avec quelle fermeté Léon XIII revendiqua pour les travailleurs le droit d'association : ce droit que les libéraux, au pouvoir dans les plus puissants États, s'efforçaient de leur enlever. Et aujourd'hui, l'influence de la doctrine chrétienne est plus grande que certains ne le croient ; car les idées commandent les événements, d'une manière qu'il n'est pas facile à tous d'apercevoir et de mesurer. 37:41 § 38. -- En vérité on peut dire que l'Église, comme son divin fondateur, passe son temps à faire du bien. Les erreurs des socialistes ni celles des communistes ne se seraient point universellement répandues si les gouvernants n'avaient rejeté les directives de l'Église et ses avertissements maternels ; mais les dirigeants politiques, ayant embrassé ce qu'on appelle le « libéralisme » et le « laïcisme », organisèrent selon de telles impostures la constitution et le gouvernement de l'État : cela avait grande apparence au premier abord, mais on vit peu à peu leurs entreprises finir dans l'évanouissement ; ainsi s'écroule lamentablement tout ce qui n'est pas fondé sur l'unique pierre angulaire qui est Jésus-Christ. #### IV. § 39. -- Telle est la doctrine de l'Église : la seule qui puisse apporter la vraie lumière en matière sociale comme en toutes choses ; la seule qui puisse nous vacciner contre l'idéologie communiste. Mais il faut que cette doctrine de l'Église passe dans la vie, suivant cet avertissement de l'apôtre saint Jacques : *Mettez la parole de Dieu en pratique ; ne soyez pas seulement des auditeurs : qui s'abusent eux-mêmes* (Jac., I, 22) ; voilà pourquoi il est absolument nécessaire aujourd'hui d'appliquer par tous les moyens les remèdes appropriés, capables de résister le plus efficacement à l'anéantissement qui nous menace. Nous avons bon espoir que l'acharnement avec lequel les fils des ténèbres s'emploient jour et nuit à diffuser les impostures du matérialisme athée sera un stimulant pour les fils de lumière, leur inspirant une ardeur égale, ou plutôt supérieure, au service de l'honneur de Dieu. § 40. -- Donc : que faire, quels remèdes employer, pour défendre le Christ et la civilisation chrétienne contre ce mortel ennemi ? Nous allons vous parler comme le fait un père qui s'entretient avec ses enfants, dans l'intimité confiante de la maison familiale, pour vous montrer quels devoirs le grand combat de notre temps impose à tous les fils de l'Église. Ces enseignements paternels, nous désirons les communiquer même aux fils qui se sont éloignés de la maison familiale. 38:41 § 41. -- Comme à toutes les époques où l'Église a connu des tempêtes, le remède aujourd'hui, le remède qui est le principe et le fondement de tout le reste, est une rénovation loyale de la vie privée et de la vie publique, selon les préceptes de l'Évangile : une rénovation de tous ceux qui se glorifient d'appartenir à l'Église de Jésus-Christ. Qu'ils deviennent réellement le sel de la terre, sauvant de la corruption la société humaine tout entière. § 42. -- Nous témoignons du fond du cœur une reconnaissance immortelle au Père des lumières, de qui descendent *tout don excellent et toute grâce parfaite* (Jac., I, 17) : car nous voyons, et c'est une grande consolation, *nous* voyons partout les signes annonciateurs de ce renouveau spirituel ; nous les voyons non seulement chez ces hommes et ces femmes particulièrement choisis, qui, ces dernières années, se *sont* élevés au *sommet* de la plus haute sainteté ; et chez d'autres, chaque jour plus nombreux, qui progressent avec générosité vers le même but ; mais encore nous voyons ces signes annonciateurs dans la renaissance d'une piété sincère, imprégnant la vie entière, qui se manifeste dans tous les milieux et même chez les intellectuels les plus cultivés : nous l'avons remarqué dans le Motu proprio *In multis solaciis* du 28 octobre dernier, concernant la réorganisation de l'Académie pontificale des sciences. § 43. -- Mais il y a encore beaucoup à faire, et de toute urgence, pour ce renouveau spirituel. Même dans les pays catholiques, il y a trop de catholiques qui ne le sont guère que de nom ; il y en a trop qui, tout en observant plus ou moins fidèlement les pratiques de la religion qu'ils se glorifient de professer, ne se soucient pas d'approfondir chaque jour leurs connaissances religieuses, ni d'acquérir une conviction intérieure et sûre : c'est pourquoi ils parviennent d'autant moins à cette beauté intime d'une conscience droite et pure, correspondant à l'attitude religieuse extérieure ; une conscience qui examine et qui accomplisse tous ses devoirs sous le regard de Dieu. Nous savons combien une religion de façade, vaine et trompeuse, est maudite par notre divin Sauveur, dont le commandement est que tous adorent le Père en *esprit et* en *vérité* (Jean, IV, 23). Celui qui ne conforme pas sa vie aux préceptes de la foi qu'il professe ne pourra longtemps se garder sain et sauf, alors que la tempête fait rage avec une telle violence ; il sera emporté par le débordement de maux qui nous menace ; il aura préparé sa propre perdition et il aura fait du nom chrétien un objet de dérision. 39:41 § 44. -- Nous voulons ici recommander explicitement deux préceptes du Seigneur, qui sont les plus importants dans la situation présente du genre humain : le détachement des biens de la terre et la loi de charité. *Bienheureux ceux qui ont l'esprit* de *pauvreté :* ce sont les premières paroles du Divin Maître dans le Sermon sur la Montagne (Mt, V, 3). Ce point capital de la doctrine chrétienne est tout à fait nécessaire en notre temps, où le matérialisme est si avide des biens et des plaisirs de cette vie. Que tous les chrétiens, riches ou pauvres, dirigent sans cesse leur regard vers le ciel, se souvenant de la parole : *nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais recherchons celle qui est à venir* (Heb., XIII, 14). Ceux qui sont abondamment pourvus de richesses, qu'ils n'y cherchent pas leur bonheur, qu'ils n'emploient pas non plus le meilleur de leur effort à les obtenir par n'importe quel moyen ; mais quand ils auront compris qu'ils en sont seulement les administrateurs et qu'ils devront en rendre compte au Seigneur, qu'ils en usent comme de moyens puissants, reçus de Dieu pour produire des fruits ; qu'ils ne manquent pas de distribuer aux pauvres leur superflu, selon le commandement de l'Évangile (Lc, XI, 41). Sinon, la parole de l'apôtre saint Jacques se réalisera sur eux et sur leurs richesses : *Et maintenant. Les riches, pleurez sur les malheurs qui vont vous arriver. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont menacés par les vers. Votre or et votre argent se sont rouillés, et leur rouille témoignera contre vous, et comme un feu dévorera vos chairs. Vous avez amassé des trésors de colère dans les derniers jours...* (Jac., V, 1-3.) § 45. -- Ceux que la fortune a moins favorisés, tout en cherchant selon les lois de la justice et de la charité à acquérir le nécessaire et à améliorer leur sort, doivent être eux aussi des « pauvres en esprit » (Mt V, 3). Estimant davantage les biens spirituels que les joies terrestres. Qu'ils considèrent en outre que les hommes n'arriveront jamais à faire disparaître de cette vie les peines, les souffrances et les chagrins auxquels sont exposés même ceux qui paraissent les plus heureux. La patience est donc nécessaire à tous ; cette patience chrétienne qui garde le cœur plein de confiance en la promesse divine d'un bonheur éternel : 40:41 *Soyez donc patients jusqu'à l'avènement du Seigneur. Voyez le laboureur : il attend le précieux fruit de la terre, prenant patience jusqu'à* ce *qu'il reçoive la pluie de l'automne et celle du printemps. Soyez donc patients vous aussi, et affermissez vos cœurs, car l'avènement du Seigneur est proche* (Jac., V, 7-9). Ainsi seulement s'accomplira la promesse, pleine de consolation, faite par Jésus-Christ : *Bienheureux les pauvres.* Ces promesses-là n'apportent pas de vaines consolations comme celles dont se vantent les communistes ; ces promesses-là sont des paroles de vie éternelle, qui renferment le dernier mot de toutes choses : elles sont vraies sur cette terre, et elles le seront davantage encore dans l'éternité. Combien de pauvres, en effet, confiants en ces paroles, espérant le royaume des cieux, -- qui est leur part, comme l'enseigne l'Évangile : *heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous* (Lc, VI, 20), -- y trouvent un bonheur que tant de riches, obsédés par leurs richesses, toujours enfiévrés par la cupidité de s'enrichir davantage, ne peuvent atteindre. § 46. -- Aux maux dont nous nous occupons, il y a un remède encore plus important : le précepte de charité. C'est lui précisément qui concerne la réalisation de notre propos. Nous parlons de la charité chrétienne, *patiente et bienveillante* (I Cor XIII, 4), qui écarte d'elle toute ostentation et tout air protecteur susceptibles d'humilier le prochain ; cette charité qui, depuis le début du christianisme, a gagné au Christ les plus pauvres d'entre les pauvres, à savoir les esclaves. Nous remercions très vivement tous ceux qui, dévoués aux activités de bienfaisance, depuis les Conférences de saint Vincent de Paul jusqu'aux institutions récemment créées pour venir en aide aux misères sociales, se consacrent aux œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle. Plus les travailleurs et les pauvres auront une expérience directe, dans leurs intérêts mêmes, de ce que leur apporte l'ardeur d'une charité enflammée par la puissance de Jésus-Christ, -- et plus ils déposeront les préjugés qui leur font croire que l'Église a perdu sa force agissante et qu'elle favorise ceux qui exploitent leur peine. § 47. -- Quand nous voyons la foule innombrable des pauvres qui, pour des causes diverses, mais dont ils ne sont pas responsables, subissent l'oppression d'une immense pauvreté, et quand nous voyons tant d'hommes qui, sans aucune tempérance, s'abandonnent aux plaisirs et font d'énormes dépenses entièrement inutiles, il Nous est impossible de ne pas proclamer, avec une profonde douleur, que tous n'observent pas honnêtement la justice ni ne comprennent véritablement ce que commande le précepte de la charité chrétienne dans le comportement de chaque jour. 41:41 Nous voulons donc que ce commandement divin soit de plus en plus mis en relief par la parole et par l'écrit : il est le signe distinctif, donné par Jésus-Christ, auquel reconnaître parmi tous les autres ceux qui sont véritablement ses disciples. Ce commandement nous apprend à voir en quelque sorte dans chaque malheureux le divin Rédempteur lui-même ; il nous ordonne d'aimer tous les hommes comme des frères, de l'amour même que le Sauveur nous a porté : jusqu'au sacrifice de nos biens et, s'il le faut, de notre vie. Que tous méditent souvent cette parole, consolante et terrible, que le Juge suprême prononcera au dernier jour : *Venez, les bénis de mon Père... Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire. En vérité je vous le dis, chaque fois que vous l'avez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait* (Mt, XXV, 34-40). Et de l'autre côté : *Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel... car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire... En vérité je vous le dis : chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait* (Mt, XXV, 41-45). § 48. -- Pour assurer la vie éternelle, pour secourir effectivement les pauvres, il faut absolument revenir à une vie plus modeste, et renoncer aux plaisirs qui s'offrent en si grand nombre, avec leur cortège de vices et de scandales ; enfin s'oublier soi-même par amour du prochain. Dieu a le pouvoir de régénérer l'homme : ce pouvoir est contenu dans le *commandement nouveau* (Jean, XIII, 34), celui de la charité chrétienne. L'obéissance fidèle à ce commandement donnera aux âmes une paix intérieure que le monde ne connaît pas, et sera un remède efficace aux maux qui crucifient le genre humain. § 49. -- Mais la charité n'est authentique qu'à la condition d'être en règle avec la justice, selon la parole de l'Apôtre : *Celui qui aime son prochain a de ce fait accomplit la loi.* Ce que l'apôtre explique ainsi : *En effet, le précepte de ne pas commettre d'adultère, celui de ne pas tuer, de ne pas voler, et tous les autres, se résument en cette formule : Tu aimeras ton prochain comme toi-même* (Rom., XIII. 8-9). 42:41 Si donc, comme le dit saint Paul, tous les devoirs, y compris ceux qui sont de stricte justice, comme ne pas tuer, ne pas voler, se ramènent au commandement unique de la vraie charité, -- alors une charité qui prive le travailleur de son juste salaire n'est pas la charité, mais un mensonge, et une contre-façon de la charité. Il n'est pas équitable que l'ouvrier reçoive à titre d'aumône ce qui lui est dû au titre de la justice ; il n'est permis à personne de se dérober aux devoirs de justice en les remplaçant par de petits dons charitables. La charité et la justice imposent chacune des devoirs : souvent, des devoirs ayant le même objet, mais sous un rapport différent ; or les travailleurs ont tendance à exiger que la distinction entre ces devoirs soit faite par quiconque a des obligations envers eux : leur dignité le réclame : ils y mettent un discernement très pénétrant : ils sont dans leur bon droit. § 50. -- C'est pourquoi Nous Nous adressons particulièrement à vous, chrétiens qui êtes chefs d'entreprise : votre tâche est souvent bien difficile, parce que vous avez hérité d'un régime économique injuste, qui a catastrophiquement influencé tant de générations. Souvenez-vous de vos devoirs : vous aurez à en répondre. Il est franchement affligeant -- mais pourtant c'est vrai -- que les pratiques habituelles de certains catholiques aient beaucoup contribué à détourner de la religion du Christ la confiance des travailleurs. Ces catholiques ne voulurent pas comprendre en leur âme et conscience que la charité chrétienne reconnaît aux travailleurs ces droits indiscutables que l'Église a clairement et nettement formulés. Et que penser des agissements de ceux qui, en quelques endroits, ont réussi à empêcher la lecture de *Quadragesimo anno dans* leur église paroissiale ? Que penser de ces chefs d'entreprise catholiques qui se sont opposés jusqu'ici à ce que se constituent les organisations de défense ouvrière que Nous avons Nous-même recommandées ? Ne faut-il pas déplorer que le droit de propriété, reconnu par l'Église, ait été employé à frustrer les travailleurs de leurs salaires et de leurs droits sociaux ? § 51. -- Car il n'existe pas seulement la justice appelée commutative. Il y a aussi la justice sociale, il faut la pratiquer. Elle a des exigences propres auxquelles ni les ouvriers ni les patrons n'ont le droit de se dérober. Il appartient à la justice sociale d'imposer aux individus tout ce qui est nécessaire au bien commun. 43:41 Mais, dans un organisme vivant, on n'a pas pourvu aux besoins de l'ensemble si chaque membre du corps n'a pas ce qui lui est nécessaire pour remplir sa fonction ; de la même façon, dans l'organisation et le gouvernement de la communauté, on n'a pas envisagé le bien commun si l'on ne donne pas à chaque membre de la société, qui a la dignité d'être une personne humaine, tout ce qui lui est nécessaire pour accomplir sa fonction sociale. Quand on aura pourvu à la justice sociale, alors on verra apparaître dans le domaine économique les riches résultats d'une intense activité, qui auront grandi dans la tranquillité de l'ordre et qui manifesteront la santé et la solidité de la Cité ; de la même façon que la santé du corps humain se reconnaît à une activité calme, pleine, féconde. § 52. -- On n'aura pas satisfait à la justice sociale aussi longtemps que les travailleurs ne pourront trouver leur subsistance et celle de leur famille, avec une marge de sécurité, dans un salaire correspondant à la conjoncture, aussi longtemps qu'on ne leur aura pas donné la possibilité d'acquérir un modeste patrimoine. Supprimant la plaie si répandue aujourd'hui d'un paupérisme généralisé ; aussi longtemps, enfin, que l'on n'aura pas établi à leur profit un système, soit public soit privé, d'assurances vieillesse, d'assurances-maladie et d'assurances-chômage. Il est utile de répéter à ce sujet ce que nous avons dit dans *Quadragesimo anno*. L'organisme économico-social sera sainement constitué et remplira ses fonctions quand tous et chacun auront suffisamment part aux biens que permettent de leur procurer les ressources naturelles, l'emploi des techniques et une organisation sociale de l'économie. Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire les besoins honnêtes et pour élever les hommes à un niveau de vie plus heureux qui ne fait pas obstacle à la vertu, si l'on en use avec bon sens, mais au contraire lui est grandement utile. § 53. -- Il arrive de plus en plus fréquemment que le respect de la justice dans la fixation des salaires ne soit possible qu'à la condition d'un accord général, réalisé par le moyen d'associations liant entre eux les patrons en vue d'empêcher que la concurrence des prix ne soit dangereuse pour les droits des travailleurs. 44:41 Dans ce cas, il appartient aux chefs d'entreprise de promouvoir ces associations nécessaires, qui s'avèrent le moyen ordinaire de rendre possible l'accomplissement des devoirs de justice. Mais les travailleurs eux aussi doivent considérer leurs devoirs de charité et de justice : qu'ils sachent bien que c'est dans la conscience de leurs devoirs qu'il convient de défendre leurs intérêts. § 54. -- Si l'on considère l'ensemble de l'économie, on peut voir -- nous l'avons déjà dit dans *Quadragesimo anno* -- que l'exercice de la charité et de la justice est impossible dans les relations économiques et sociales, à moins que des organisations dites *professionnelles* et *interprofessionnelles,* solidement fondées sur la doctrine chrétienne, ne réalisent, compte tenu des particularités de temps et de lieu, ces institutions que l'on nommait les corporations. § 55. -- Mais pour donner à une telle action sociale une plus grande efficacité, il est absolument nécessaire d'encourager au maximum l'étude de ces problèmes à la lumière des directives de l'Église ; et de diffuser le plus largement possible ces directives et ces avertissements, sous la conduite de l'autorité établie par Dieu dans l'Église. Car si le comportement de certains catholiques n'a pas été sans reproche dans le domaine économique et social, la cause en fut souvent dans le fait qu'ils n'avaient pas suffisamment médité les enseignements des Souverains Pontifes en cette matière. C'est pourquoi il faut que dans tous les milieux, d'une manière appropriée au niveau intellectuel de chacun, les esprits se forment davantage à l'étude de la doctrine sociale, et que cette doctrine sociale de l'Église soit toujours de plus en plus diffusée parmi les travailleurs. Que les directives de l'Église catholique illuminent de leur sûre lumière, les esprits humains ; qu'elles orientent les volontés en sorte qu'elles y trouvent un juste critère pour accomplir scrupuleusement et saintement les devoirs de la vie, en société. C'est ainsi en effet que l'on combattra l'inconséquence et l'incohérence que Nous avons plusieurs fois déplorées dans les mœurs chrétiennes : à savoir que quelques-uns paraissent remplir leurs devoirs religieux, et néanmoins, dans le domaine professionnel, dans leur commerce ou leurs charges publiques, par une sorte de dédoublement de la conscience, mènent leur vie, hélas, d'une manière incompatible avec les règles de la justice et de la charité chrétienne. 45:41 Par ce comportement, il scandalisent gravement les âmes hésitantes et ils fournissent aux effrontés un prétexte pour dénigrer l'Église elle-même. § 56. -- A cette restauration des mœurs chrétiennes, la diffusion des publications catholiques peut contribuer très réellement ; premièrement, en faisant connaître de jour en jour plus exactement, avec, douceur et nuance, la doctrine sociale de l'Église ; deuxièmement, en publiant des informations précises, exactes et nombreuses sur les entreprises de l'ennemi et en indiquant quels moyens de résistance sont, d'après l'expérience des divers lieux, les mieux adaptés ; troisièmement, en proposant des mesures appropriées de prévention contre les machinations et les tromperies par lesquelles les communistes attirent, comme c'est leur but, beaucoup d'hommes de bonne foi. § 57. -- Nous avons très vivement insisté sur ce dernier point dans l'allocution du 12 mai 1936 : mais Nous estimons nécessaire, Vénérables Frères, d'y appeler de nouveau votre attention. Au début le communisme s'est montré tel qu'il est, plus criminel que ce qui a jamais existé de plus criminel ; mais ayant aussitôt compris qu'il écartait de lui tous les peuples, il changea ses méthodes de combat et s'efforça de gagner les foules par toute sorte de tromperies qui dissimulent leur dessein sous des idées en elles-mêmes justes et séduisantes. C'est ainsi, par exemple, qu'ayant remarqué le désir universel de paix, les chefs communistes feignent d'être les meilleurs partisans du mouvement pour établir solidement la paix mondiale ; mais simultanément ils mobilisent les peuples pour la réalisation d'une société sans classe, ce qui provoque les plus affreux massacres ; et d'autre part, ayant fait l'expérience que l'établissement d'une paix sûre n'est pas en leur pouvoir, ils fabriquent un armement formidable. Second exemple : sous des étiquettes qui ne mentionnent même pas le communisme, ils fondent des associations, ils éditent des périodiques qui ont pour but unique d'implanter leurs erreurs dans des milieux où, sans cela, ils ne pourraient absolument pas pénétrer ; et même, maintes fois, ils travaillent de toutes leurs forces à s'infiltrer perfidement dans des associations catholiques. 46:41 Troisième exemple : il arrive en quelques endroits que, sans rien abandonner de leur doctrine, les chefs communistes proposent à des catholiques une collaboration humanitaire ou charitable ; ils avancent alors des projets en tous points conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église. Ailleurs, ils poussent le mensonge jusqu'à faire croire que, dans les pays plus chrétiens ou plus civilisés, le communisme se comportera avec plus de douceur, assurant à chacun la liberté de pratiquer le culte divin, ou de penser ce qu'il veut en matière religieuse. Quelques-uns même, alléguant une légère modification récemment introduite dans la législation soviétique, en concluent que le communisme est sur le point de renoncer enfin à son dessein de lutte contre Dieu. § 58. -- Eh bien, Vénérables Frères, apportez la plus rigoureuse attention à ce que les fidèles se défient de ces pièges. Le communisme est intrinsèquement pervers : il ne faut donc collaborer en rien avec lui, quand on veut sauver de la destruction la civilisation chrétienne et l'ordre social. Si quelques-uns, induits en erreur, collaboraient à l'établissement du communisme dans leur pays, ils seraient les premiers à en subir le châtiment ; et plus les États où pénètre le communisme sont d'une ancienne et illustre civilisation chrétienne, plus dangereusement s'enflamme la rage des athées. § 59. -- Mais *si le Seigneur ne garde la cité, c'est en vain que la garde veille* (Ps CXXVI, 1). Vous donc, Vénérables Frères, Nous vous exhortons véhémentement à vous appliquer, chacun dans son diocèse, avec le plus grand soin possible, à ranimer l'ardeur de la prière et de la pénitence et à l'enflammer davantage chaque jour. En effet, quand les Apôtres demandèrent au Christ Jésus pourquoi ils n'avaient pu chasser eux-mêmes le démon d'un homme qui délirait, le Seigneur répondit : *Cette sorte de démon ne peut être chassée que par la prière et par le jeûne* (Mt, XVII, 20). Nous pensons donc que les maux qui crucifient actuellement l'humanité ne peuvent être guéris que d'une façon : que tous ensemble combattent activement et saintement l'ennemi commun par la prière et par la pénitence ; auprès de tous, et d'abord auprès des Ordres contemplatifs d'hommes et de femmes, Nous insistons vivement pour que, par leurs prières et leurs pénitences, ils obtiennent que Dieu apporte un puissant secours à son Église, en ayant recours à l'intercession de l'Immaculée, Mère de Dieu, qui écrasa jadis la tête de l'antique serpent et qui de la même façon est toujours la plus sûre protectrice et l'invincible *secours des chrétiens.* 47:41 #### V. § 60. -- C'est une œuvre de salut universel que nous venons d'exposer. Nous avons enseigné nettement quels moyens employer. Ceux qui auront à les employer, ce sont d'abord ceux que Jésus-Christ a choisis et établis comme ses prêtres. Leur fonction, par une volonté particulière de Dieu, sous la conduite de leurs Pasteurs, dans l'obéissance humble et empressée au Vicaire du Christ sur la terre, est d'apporter sans cesse à tous les hommes l'ardente lumière de la foi, et d'inspirer aux fidèles de la religion catholique cette surnaturelle espérance par laquelle l'Église remporte la victoire chaque fois qu'elle combat pour la cause de Jésus-Christ : *La victoire qui a triomphé du monde, c'est notre foi* (1 Jean V, 4). § 61. -- Nous rappelons particulièrement aux prêtres l'exhortation si souvent répétée par Léon XIII : allez trouver les ouvriers. Nous reprenons et complétons cette exhortation : -- « Allez surtout aux ouvriers pauvres ; et en général, allez à ceux qui sont dans le besoin » ; selon le commandement du Christ et de son Église. Car les révolutionnaires professionnels prennent à leurs machinations surtout les pauvres ; des misères qui les accablent, ils leur font une incitation à envier les riches, un thème d'agitation passionnée, visant à s'emparer par la violence de tout ce dont ils estiment avoir été injustement privés par le sort, Si le prêtre ne va pas à la rencontre des travailleurs et des pauvres, pour les défendre ou pour les libérer du préjugé et du mensonge, alors ils seront abandonnés au bon plaisir des propagandistes du Parti. § 62. -- Nous ne nions certes pas qu'en ce domaine, surtout depuis la publication de *Rerum novarum* et de *Quadragesimo anno,* on ait beaucoup fait. Nous saluons ici avec une paternelle affection les travaux ingénieux d'Évêques et de prêtres qui, tout en prenant les précautions nécessaires, recherchent et expérimentent, sur ce terrain, des voies nouvelles, adaptées à notre époque. 48:41 Mais ce qui a été fait jusqu'ici est manifestement trop inférieur aux besoins actuels. Quand le bien commun temporel est en danger, on fait passer au second plan tout ce qui est moins vital ou ne concerne pas directement la défense de la cité ; d'une manière analogue, pour la question dont nous parlons, les entreprises d'une autre sorte, si bonnes et belles soient-elles, doivent passer après la défense des bases de la foi et de la civilisation chrétienne. Pour cette raison, les prêtres de chaque paroisse, tout en s'occupant d'abord, comme il convient, de l'ensemble des fidèles, doivent ensuite apporter le meilleur et le plus grand de leurs soins à ramener les masses laborieuses au Christ et à l'Église, et simultanément à imprégner intégralement de l'esprit chrétien les milieux sociaux qui l'ont le plus perdu. Si les prêtres s'y emploient, qu'ils soient sûrs de recueillir un jour en abondance les résultats inespérés de leur dévouement : ce sera la récompense de ce qu'ils auront fait, d'abord dans la peine, pour la rénovation des âmes. Cela est arrivé par exemple à Rome et dans bien d'autres villes : auprès des églises de banlieue récemment construites se forment d'ardentes communautés paroissiales, et merveilleusement les habitants changent de vie ; ils avaient été détournés de la religion simplement parce qu'ils en ignoraient tout. § 63. -- Mais ce qui a le plus de force pour éduquer chrétiennement la foule des pauvres et des humbles, c'est assurément l'exemple que donne le prêtre par l'ensemble des vertus que Nous avons passées en revue et proposées dans l'Encyclique *Ad catholici sacerdotii* (20 décembre 1935) ; dans le cas présent, il faut se distinguer notamment par une tempérance, une humilité, une pauvreté volontaire poussées au point de reproduire aux yeux des fidèles l'image la plus achevé du Divin Maître, qui disait de Lui-même : *Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa* tête (Mt, VIII, 20). L'expérience quotidienne nous montre que des prêtres d'une vie plus humble, qui selon la doctrine évangélique ne s'occupent en aucune manière de leurs intérêts, ont toujours apporté au peuple chrétien des bienfaits extraordinaires : cela est attesté par l'exemple de saint Vincent de Paul, de saint Jean-Baptiste Vianney, de saint Joseph Cottolengo, de saint Jean Bosco et de tant d'autres. 49:41 Au contraire des prêtres cupides, évaluant tout en fonction de leurs émoluments et de leurs profits, comme Nous l'avons montré dans la même Encyclique, même s'ils ne vont pas jusqu'à l'impiété de Judas livrant le Christ, n'en seront pas moins un creux *airain sonore* et une vide *cymbale* retentissante (I Cor, XIII, 1) ; et souvent il s'en faudra d'autant qu'ils répandent parmi les fidèles la grâce divine ; ou plutôt ils y feront obstacle. Si des prêtres séculiers ou réguliers ont la charge d'administrer des biens temporels, ils doivent, qu'ils ne l'oublient pas, non seulement observer très scrupuleusement les lois de la charité et de la justice, mais encore tout spécialement s'efforcer d'être réellement les pères des pauvres. § 64. -- Après le clergé, Nous Nous adressons paternellement à Nos très chers fils du laïcat, militants de cette Action catholique pour laquelle Nous avons une si vive affection. Nous avons proclamé qu'elle est un secours particulièrement providentiel donné par Dieu à un moment où l'Église est tellement en difficulté. L'Action catholique combat précisément *pour* que Jésus-Christ règne sur les familles et sur les sociétés comme sur les individus : on doit donc dire qu'elle accomplit un apostolat social. Elle *doit* d'abord s'appliquer à éduquer ses militants et à les préparer aux combats qu'il faut livrer pour la cause de Dieu. Cette formation des militants, plus urgente et plus nécessaire à notre époque qu'à aucune autre, est la base qui précède nécessairement *toute* vie active : y contribueront d'une manière excellente d'abord les cercles d'études ; ensuite de fréquentes sessions sociales de sept jours ; des séries de conférences ; et enfin les entreprises de *toute sorte* qui conviendront le mieux *pour* faire connaître de quelle manière et dans quelle direction on règlera chrétiennement les questions économiques. § 65. -- Des militants d'Action catholique ainsi formés seront certainement les premiers apôtres de leurs compagnons de travail et, collaborateurs des prêtres, ils s'emploieront sans cesse soit à diffuser les lumières de la vérité, soit à soulager les misères physiques et morales dans les milieux sociaux qui souvent sont réfractaires à l'apostolat ecclésiastique, par suite de leurs préjugés contre le clergé ou de leur déplorable indifférence religieuse. 50:41 De cette manière, sous la direction de prêtres ayant une expérience pratique, ils contribueront courageusement et de tout cœur à l'assistance religieuse apportée aux masses laborieuses ; elle est Notre plus grande préoccupation : Nous y voyons le meilleur moyen de défendre Nos chers fils les travailleurs contre les mensonges communistes. § 66. -- Outre cet apostolat individuel, souvent d'ordre privé, mais toujours utile et efficace, les militants d'Action catholique doivent largement diffuser, par la parole et par l'écrit, la doctrine contenue dans les documents pontificaux : elle trace la voie du gouvernement chrétien de la cité. § 67. -- Aux côtés de l'Action catholique se placent les organisations que Nous avons appelées auxiliaires. Elles aussi, avec une paternelle affection, Nous les exhortons ici à prendre leur part des tâches prioritaires dont nous parlons, qui sont de nos jours les plus importantes de toutes. § 68. -- Nous pensons aussi à ces associations qui groupent les hommes ou les femmes d'une même catégorie sociale : associations, notamment d'ouvriers, d'agriculteurs, d'ingénieurs, de médecins, de chefs d'entreprise, de professeurs ayant un même niveau de connaissances, groupés en quelque sorte par la nature en catégories à leur mesure. Nous estimons que ces associations sont les plus capables d'installer cet ordre social que nous avions en vue dans *Quadragesimo anno,* et ainsi de faire avancer la Royauté du Christ dans tous les domaines du travail manuel et intellectuel. § 69. -- Il peut arriver qu'en raison des nouvelles conditions économiques et sociales, des gouvernements aient estimé qu'il leur appartient de réglementer ces associations par une législation particulière, sans supprimer, ce serait injuste, la liberté et l'initiative privées ; en ce cas les militants de l'Action catholique, tout en ayant le devoir de tenir compte de la situation, n'en apporteront pas moins d'application, avec prudence, à servir leur cause, étudiant les questions actuelles à la lumière de la doctrine catholique : leur contribution sera d'entrer loyalement et de bon cœur dans les institutions nouvelles, pour les pénétrer de l'esprit chrétien, qui est source d'ordre dans la cité et de fraternelle collaboration entre les citoyens. 51:41 § 70. -- Et maintenant, avec une âme de père, Nous aimons parler à Nos très chers ouvriers catholiques, jeunes et adultes : pour avoir résolument conservé la foi au milieu de la si grande iniquité du temps présent, voici qu'ils reçoivent, semble-t-il, comme récompense, une charge et une mission pleine d'honneur et de difficulté. Ce sont eux qui, sous la conduite de leurs Évêques et de leurs prêtres, se trouvent en première ligne pour ramener à l'Église et à Dieu les foules immenses du monde ouvrier qui, dans leur colère de n'avoir été ni estimées selon leur valeur ni traitées selon leur dignité, se sont éloignées de Dieu. Que les travailleurs catholiques, par la parole et par l'exemple, manifestent à leurs camarades égarés que l'Église est une mère pleine de bonté pour tous ceux qui peinent et pour tous ceux qui souffrent ; que jamais dans le passé elle n'a manqué, que jamais dans l'avenir elle ne manquera à son devoir de protéger ses enfants. Cette mission des ouvriers catholiques, dans les mines, dans les ateliers, dans les usines, sur tous les lieux de travail, leur vaudra parfois des persécutions : qu'ils se souviennent alors que le Christ Jésus, avec l'exemple du travail, a donné aussi celui du courage. § 71. -- A tous nos fils, à tous les fils de l'Église, de toute classe, de toute nation, de toute organisation ecclésiastique ou laïque, nous répétons ici avec une grande insistance qu'ils doivent, chacun à la mesure de ses moyens, favoriser l'union des cœurs. Plus d'une fois nous avons cruellement souffert de ces divisions entre catholiques, qui naissent pour de futiles motifs, mais ont des conséquences tragiques : elles font lutter entre eux les fils d'une même mère, l'Église. On voit alors les fauteurs de discorde -- qui ne sont pas tellement nombreux à profiter de l'occasion, envenimer ces divisions pour arriver, car c'est leur but principal, à exciter les catholiques les uns contre les autres. De récents événements parlent d'eux-mêmes et semblent rendre superflus Nos avertissements. Nous pensons néanmoins qu'il faut réitérer cette exhortation, à cause de ceux qui ne l'ont pas comprise ou qui n'ont pas voulu la comprendre. Ceux qui travaillent à envenimer les divisions entre catholiques assument une terrible responsabilité devant Dieu et devant l'Église. 52:41 § 72. -- Contre le violent effort de la puissance des ténèbres pour arracher du cœur des hommes l'idée même de Dieu, Nous espérons beaucoup qu'aux chrétiens viendront se joindre tous ceux -- et ils forment la plus grande partie de l'humanité -- qui croient que Dieu existe et qui L'adorent. Répétant donc ce que nous écrivions, voici cinq ans, dans *Caritate Christi,* Nous les invitons de nouveau à s'employer loyalement, chacun selon ses moyens, à protéger le genre humain du formidable péril qui est partout imminent. Nous disions en effet : « Reconnaître en Dieu la base de tout ordre social : aucune autorité humaine ne peut être fondée sur autre chose. Si l'on ne veut pas voir disparaître tous les biens et tous les droits, il faut donc empêcher les ennemis de la religion d'exécuter leurs desseins si ouvertement proclamés. » (Encyclique *Caritate Christi*, 3 mai 1932.) § 73. -- Nous avons maintenant assez précisé et défini la mission, à la fois doctrinale et pratique, donnée à l'Église par son fondateur Jésus-Christ : mission d'imprégner d'esprit chrétien la société humaine, nécessité aujourd'hui de faire échouer les entreprises communistes. Nous appelons toutes les catégories sociales à y prendre part. Il faut que l'État chrétien s'y emploie lui aussi, dans son domaine, en aidant l'Église : le domaine propre de l'État est celui des moyens externes, mais c'est un domaine qui, incontestablement, est ordonné avant tout au bien des âmes. § 74. -- En conséquence, que les gouvernements prennent toutes mesures susceptibles d'empêcher qu'une criminelle propagande athée, machinée pour la destruction de toute société, ne pénètre dans leur pays. Car il ne peut subsister aucune autorité parmi les hommes quand l'autorité de Dieu est rejetée ; aucun serment n'est solide sans le nom du Dieu vivant. A ce sujet Nous estimons utile de répéter ce que Nous avons enseigné si souvent et avec tant d'insistance, notamment dans *Caritate Christi :* « ...Comment des relations humaines peuvent-elles s'établir, comment des conventions peuvent-elles entrer en vigueur, là où il n'existe aucun engagement de la conscience, aucune foi en Dieu, aucune crainte de Dieu ? Car sans cette base, toute loi morale disparaît, et rien ne peut empêcher que peu à peu, mais inévitablement, les nations, les familles, l'État, la civilisation ne s'écroulent. » (Encyclique *Caritate Christi*, 3 mai 1932.). 53:41 § 75. -- Il faut en outre que les gouvernements s'occupent tout spécialement de procurer à l'ensemble des citoyens les moyens d'existence sans lesquels la société elle-même, si bien ordonnée soit-elle par ailleurs, risquerait fort de s'effondrer ; qu'ils s'occupent surtout de donner du travail aux pères de famille et aux jeunes. Que les dirigeants politiques, pour y pourvoir, amènent les possédants à supporter les charges qu'impose le bien commun : sans quoi, ni la société ni les possédants eux-mêmes ne pourraient être hors de danger. Mais les mesures politiques prises à cet effet doivent s'appliquer réellement à ceux qui détenant d'immenses richesses, les accroissent sans cesse au grand détriment de leur prochain. § 76. -- L'État lui-même n'échappe pas indéfiniment aux comptes qu'il doit rendre à Dieu et à la société : il doit s'efforcer aux vertus de prudence et de tempérance, en sorte que tous les citoyens voient en lui un exemple. Aujourd'hui plus que jamais, dans le monde entier, la très grave crise économique exige que ceux qui disposent de ressources considérables, fruit de la sueur et de la peine de tant d'hommes, aient pour seul but le bien commun et y travaillent le plus possible. Que les magistrats et les administrateurs trouvent eux aussi dans la religion le moyen de remplir leur charge avec fidélité et désintéressement : qu'ils prennent exemple sur les hommes illustres des générations précédentes qui n'hésitèrent pas à consacrer au bien commun leurs talents et leurs sacrifices. Quant aux relations internationales, que l'on y écarte le plus tôt possible les obstacles artificiels créés dans le domaine économique par les méfiances et les rivalités : tous les peuples de la terre ne forment qu'une seule famille, la famille des enfants de Dieu. § 77. -- Mais que les gouvernements laissent l'Église libre de remplir la mission qui lui a été donnée par Dieu pour le salut des âmes : cela même contribuera efficacement à délivrer les peuples du cataclysme actuel. On a bien raison d'en appeler partout aujourd'hui aux forces intellectuelles et morales ; car le mal à combattre est principalement -- du moins si l'on considère sa source première un mal qui affecte l'esprit ; 54:41 c'est d'une corruption radicale des idées que procèdent, par une sorte de nécessité, les monstruosités lamentables et impies du communisme. Parmi les forces religieuses et morales, l'Église catholique occupe indiscutablement une place éminente ; c'est pourquoi le salut du genre humain exige que l'on ne mette pas d'obstacle à son action. Agir autrement, vouloir atteindre le même but par des moyens uniquement économiques ou uniquement politiques, entraînerait inévitablement dans une aventure pleine de périls. Quand on exclut la religion de l'école, de l'éducation, de la vie publique, quand on méprise les prêtres et le culte de l'Église catholique, peut-on nier que l'on favorise ce matérialisme d'où sont issues la doctrine et les organisations du communisme ? En vérité, aucune puissance humaine, fût-ce la plus apte au combat, aucun programme temporel, fût-il le plus grandiose et le plus noble, n'est capable de contenir un déchaînement qui provient d'une recherche excessive des biens de ce monde. § 78. -- Nous espérons qu'à l'avenir ceux qui tiennent entre leurs mains le sort des peuples, devenant attentifs à une situation qui est aujourd'hui extrêmement menaçante pour toutes les nations, comprendront de jour en jour davantage qu'ils portent la responsabilité de ne point empêcher l'Église d'accomplir sa mission. D'autant plus que l'Église, en travaillant au bonheur éternel des hommes, travaille, aussi à l'établissement et au progrès de leur véritable bonheur temporel. § 79. -- Nous voulons, avant de terminer, parler aussi à ceux de Nos fils qui déjà sont atteints par la contagion du communisme ou qui risquent de l'être. Nous leur demandons d'entendre les paroles du Père qui les aime. Nous prions Dieu avec instance : qu'Il éclaire leur esprit, qu'il les détourne de la voie trompeuse qui les mène vers un désastre lamentable ; bien plus, qu'ils reconnaissent que le Christ Jésus est l'unique Sauveur du genre humain : ...*Car il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel nous puissions être sauvés* (Act., IV, 12). § 80 -- Pour hâter la venue, tant désirée par tous, de la paix du Christ dans le règne du Christ (voir *Ubi arcano,* 23 décembre 1922), Nous plaçons l'active résistance de l'Église aux entreprises des communistes athées sous les auspices et la protection de saint Joseph, le très puissant Patron de l'Église universelle. 55:41 Saint Joseph appartenait à la classe des travailleurs manuels ; il supporta patiemment, avec la Sainte Famille dont il était le chef attentif, les désagréments de la pauvreté ; l'Enfant divin fut confié à sa garde quand Hérode envoya ses tueurs pour l'assassiner. Saint Joseph accomplit son devoir quotidien avec fidélité et perfection : il est l'exemple de tous ceux qui doivent gagner leur pain par un travail manuel ; lui qui fut exactement désigné comme un homme juste, il est le modèle éminent de la justice chrétienne qui doit régler la vie sociale. § 81. -- Si nous élevons vers le ciel un regard raffermi dans la foi, il nous est presque donné d'apercevoir les *cieux* nouveaux et la terre nouvelle dont parle Notre premier Prédécesseur saint Pierre (II Petr., III, 13 ; cf. Is., LXV, 17 ; LXVI, 22 ; Apoc., XXI, 1). Les mythes que les propagandistes du mensonge avaient promis de réaliser en cette vie mortelle ont tellement fait couler le sang et les larmes : voici que les mythes sombrent dans l'évanouissement. Et du ciel se fait entendre dans la plénitude de la joie la parole du Divin Rédempteur annoncée en l'Apocalypse : *Voici que je fais nouvelles toutes choses* (XXI, 5). Et maintenant, élevant Nos mains paternelles, Nous faisons descendre sur vous, Vénérables Frères, sur le clergé et sur le peuple confié à chacun de vous, et sur toute la grande famille des catholiques, la Bénédiction Apostolique. Rome, près Saint-Pierre, en la fête de saint Joseph, patron de l'Église universelle, le 19 mars 1937, seizième année de Notre Pontificat. PIE XI, Pape. 56:41 ### La pratique communiste de la dialectique En guise, si l'on veut, de libre commentaire à l'Encyclique *Divini Redemptoris,* nous avons rassemblé et complété la substance de nos diverses études sur la pratique communiste de la dialectique que depuis longtemps beaucoup de lecteurs nous demandaient de réunir en un seul traité. En voici le sommaire : I.-- Les trois facteurs. II.-- L'accord de Pie XI et de Lénine sur la nature du communisme. III.-- Un test au sujet du « marxisme ». IV.-- Ce qu'est la dialectique : d'abord l'extension d'une pratique et non la diffusion d'une doctrine. V.-- Comment se pratique la dialectique. VI.-- Stratégie et tactique : les glissements pratiques. VII.-- Haine ou amour, mais convergence. VIII.-- Pour s'y reconnaître. IX.-- Les mains vides, moralement désarmés. X.-- Le monde d'aujourd'hui, et non celui d'avant-hier. XI.-- La riposte difficile. XII.-- L'unité. XIII.-- La vertu d'Espérance. XIV.-- L'Espérance des pauvres et des riches. XV.-- Le recul général de l'Espérance. 57:41 QUI PARLE de faire route avec le COMMUNISME ? Nous connaissons bien le danger du MARXISME... -- Réponse navrante, qui manifeste à quel point les esprits ont été « conditionnés » à ne même plus voir de quoi il s'agit aujourd'hui. Le « danger du marxisme », l'Église le montrait il y a un siècle et plus. La *pratique communiste de la dialectique* est celle qui, aujourd'hui, entraîne dans une collaboration de fait même ceux qui « connaissent bien », ou croient bien connaître, le « danger du marxisme ». Qu'est-ce donc que la dialectique communiste ? Comment est-elle *pratiquée *? Comment *s'y reconnaître *? Tel est notre propos. #### I. -- Les trois facteurs. La critique du « marxisme » a été faite, cent fois et davantage, l'idéologie marxiste a été réfutée par la parole, par l'écrit et par l'événement. Voici vingt-trois ans déjà que Pie XI posait la vraie question : « Mais comment se fait-il que cette doctrine, depuis longtemps dépassée scientifiquement et complètement réfutée par l'expérience quotidienne, puisse se répandre si rapidement dans le monde entier ([^11]). » Oui : -- *Comment se* FAIT*-il ?* La plupart des esprits méconnaissent le véritable problème posé par la diffusion du communisme : c'est la diffusion croissante d'un système dépassé, d'une idéologie périmée, d'une philosophie réfutée. Cette diffusion n'a pas pour cause les vertus philosophiques du système ou la séduction propre de l'idéologie. Elle a pour cause l'ignorance où la plupart sont encore de ce que les communistes *font en réalité* pour progresser. Telle était en effet la réponse de Pie XI à la question posée : « Il sera possible de comprendre ce phénomène en remarquant que FORT PEU DE PERSONNES ONT ÉTUDIÉ A FOND LE BUT DES COMMUNISTES ET LA RÉALITÉ DE LEURS ENTREPRISES (*quid velint et quo reapse tendant*) ([^12]). 58:41 Le communisme progresse sous le couvert de cette ignorance. Sous le couvert de cette ignorance, trois facteurs jouent pour assurer ses progrès : 1. -- L'indifférentisme religieux et moral auquel le libéralisme économique a réduit les travailleurs, et d'une manière générale l'extension du laïcisme ([^13]). 2. -- « Mais ce qui est en question, c'est de savoir pourquoi les tromperies du communisme se diffusent avec une telle vitesse et s'infiltrent clandestinement dans tous les pays, les plus petits comme les plus grands, quel que soit leur degré de civilisation ou leur situation géographique : *c'est qu'il y a là une science de la propagande qui est certainement criminelle *; jamais peut-être, de mémoire d'homme, on n'en vit d'aussi pénétrante » ([^14]). 3, -- La non-résistance, *spécialement celle des journaux :* « Une grande partie des journaux à travers le monde, qui ne suivent pas les directives catholiques, font sur ce sujet un silence concerté. Nous disons bien concerté : on ne saurait guère expliquer autrement pourquoi cette presse, qui met en relief avec tant d'avidité les incidents les plus minimes, n'a rien dit, pendant si longtemps, des crimes pourtant immenses (commis par les communistes), et pourquoi elle parle si peu du Parti communiste, dirigé de Moscou, dont les organisations s'implantent dans le monde entier. Mais tout le monde sait bien que, pour une grande part, cette attitude relève de motifs politiques que n'inspire guère la vertu de prudence civique ; ce silence est non moins favorisé par diverses forces secrètes qui depuis longtemps cherchent à détruire l'ordre social chrétien. » ([^15]) #### II. -- L'accord de Pie XI et de Lénine sur la nature du communisme. *Cette* « science criminelle » ne consiste pas en une prédication du marxisme-léninisme. Le Parti communiste n'est pas une académie de philosophes cherchant a conquérir les esprits par voie d'argumentation savante. 59:41 Pie XI et Lénine étaient d'accord sur la réalité *pratique* du communisme. Un tel accord mérite considération. Dans *Divini Redemptoris* Pie XI affirme que la diffusion du communisme pose un problème PRATIQUE. Le communisme ne progresse pas pour une raison THÉORIQUE, qui tiendrait à la force intrinsèque d'une doctrine marxiste non encore suffisamment réfutée. Incessamment recommencer ou perfectionner la réfutation théorique du marxisme ne peut entraver la progression du communisme. De là l'Encyclique *Divini Redemptoris* s'occupait fort peu d'une telle réfutation. Le P. Villain l'a fort bien vu pour Pie XII, mais cela est aussi vrai pour Pie XI : « *Quand il parle du communisme, il se contente d'une allusion rapide à sa pensée doctrinale et il s'étend, au contraire, sur les dangers de sa propagande et sur les moyens de l'enrayer.* » ([^16]) C'est que le Souverain Pontife désigne l'essentiel : et l'essentiel, pour le communisme, ce n'est pas ce qu'il dit mais ce qu'il fait ; ce n'est pas la doctrine, mais la propagande, -- cette « science de la propagande qui est certainement criminelle ». Or Lénine dit, à sa manière, la même chose. Selon Lénine, en effet, ce n'est pas en enseignant la théorie que le communisme va progresser et l'emporter dans le monde entier, la théorie est enseignée aux cadres de l'appareil. Mais elle n'a aucunement pour but de former des professeurs de marxisme qui à leur tour enseigneront la théorie pour former d'autres professeurs et d'autres disciples, et ainsi de suite. La théorie est enseignée non pour être enseignée mais -- être appliquée. L'application ne consiste pas à demander une adhésion doctrinale mais à susciter le concours pratique. Il ne s'agit pas d'enseigner la dialectique, mais de la faire pratiquer à ceux même qui ne la connaissent pas, et qui la pratiqueront sans savoir ce qu'ils font. Il ne s'agit pas d'attirer les esprits à une argumentation abstraite, mais de conditionner les réflexes en vue d'une pratique concrète ([^17]) 60:41 Lénine l'a dit et le communisme ne cesse de suivre la méthode de Lénine : « Nous devons lutter contre la religion. Ceci est l'alphabet de chaque matérialisme et par conséquent du marxisme. Mais le marxisme n'est pas un matérialisme qui s'en tient à l'ABC. Le marxisme va au-delà. Il dit : il faut savoir lutter contre la religion (...). On ne doit pas limiter la lutte contre la religion, *d'une manière abstraite,* à une *propagande idéologique :* il faut que cette lutte marche d'accord avec *une* PRATIQUE CONCRÈTE *de la lutte de classe*. » Cette « pratique concrète » a pris le pas sur la « propagande idéologique » à mesure que l'idéologie elle-même perdait progressivement de sa force de séduction intrinsèque, et que le Parti communiste, d'autre part, était dirigé par des gens qui étaient de moins en moins des théoriciens, même s'ils prétendaient en avoir aussi les lauriers, comme Staline. La réalité de l'action communiste et l'instrument de ses victoires sont de plus en plus dans cette *pratique.* Pascal disait à l'incroyant : « Prenez de l'eau bénite... » Le communisme, lui aussi, fait pratiquer d'abord. Pendant que tout le monde s'emploie à critiquer « le marxisme » par raison démonstrative, les communistes *invitent et entraînent même leurs adversaires théoriques à une pratique concrète.* La « lutte de classe » qu'il s'agit de « pratiquer » s'éloigne d'ailleurs de plus en plus de la réalité des classes sociales : cette réalité a évolué dans un sens tout différent de celui que prévoyait Marx. C'est la formulation verbale de la propagande qui demeure systématiquement « prolétarienne » et « anti-capitaliste ». Mais le militant ouvrier, s'il est anti-communiste, et quels que soient ses services rendus à la cause des travailleurs, est classé par cette propagande « dans le camp impérialiste » tandis que le milliardaire progressiste sera, lui, « dans le camp socialiste ». Quand des féodaux arabes s'insurgent contre la tutelle des démocraties capitalistes et plus ou moins socialisées de l'Occident, ce sont les féodaux esclavagistes qui sont réputés représenter le vrai « mouvement ouvrier » et qui bénéficient de la « solidarité active » organisée par l' « internationalisme prolétarien ». Que cette lutte soit *de classe,* c'est la mythologie publicitaire. 61:41 #### III. -- Un test au sujet du « marxisme ». C'est pourquoi presque tout ce que l'on dit sur « le marxisme » reste fort extérieur aux réalités de l'action communiste. On peut y trouver comme un test : dans la plupart des cas, ceux qui, croyant et voulant parler du COMMUNISME, parlent du MARXISME, n'ont rien compris à la réalité communiste ([^18]). Car il ne s'agit pas de la pénétration d'une « doctrine » ni de l'argumentation d'une « philosophie » : il ne s'agit pas des réalités qu'évoquent habituellement les vocables de « philosophie » et de « doctrine ». Assurément, les communistes professent le marxisme, et du marxisme tout leur comportement est logiquement sorti. Assurément encore, la diffusion intellectuelle du marxisme favorise le communisme. Mais l'essentiel n'est pas là. Sans Lénine, il est probable que le marxisme ne serait plus aujourd'hui une préoccupation que pour les archéologues. Et tous ceux qui, lorsqu'on leur parle du *communisme,* se mettent automatiquement à scruter, analyser, réfuter le *marxisme* passent à côté de la question. Ils ne se sont pas aperçus que l'Encyclique *Divini Redemptoris* leur parle très peu du « marxisme » : et ce n'est point par distraction ou par négligence. Elle parle DU COMMUNISME ; et *plus souvent* encore DES COMMUNISTES. Ils croient que c'est la même chose. Pourtant si, dans l'Encyclique, on écrivait « le marxisme » partout où il y a « les communistes », presque tout y deviendrait inintelligible. De même pour le décret du Saint-Office de 1959. Mettez « le marxisme » quand il dit « les communistes » : il n'aura plus aucune signification. 62:41 Quelqu'un qui n'est aucunement *marxiste* peut prétendre qu'il ne favorise en rien « *le marxisme* », puisqu'il en rejette tous les principes. Et tout l'éventail de la collaboration soviétique a parfaitement compris quel profit elle peut tirer de l'équivoque qui fait dire « la doctrine marxiste » là où il y a en réalité *l'action des communistes.* Pour nier qu'elle collabore, la collaboration démontre qu'elle n'est pas « marxiste ». Vous lui reprochez de favoriser en fait les entreprises communistes, elle répond qu'elle ne fait aucune concession de principe « au marxisme », ou même qu'elle en conteste les théories. Or le communisme, qui est marxiste, présente cette particularité capitale que la collaboration qu'il recherche, qu'il suscite, qu'il organise le plus volontiers, est celle d'auxiliaires *qui* ne *soient pas marxistes.* C'est cette collaboration-là qui favorise le plus efficacement la réalité de son action, c'est celle-là qui est essentielle à ses progrès. On peut tirer à boulets rouges sur « le marxisme » pendant un siècle sans gêner beaucoup le communisme, ni sa diffusion, ni ceux qui collaborent avec lui. L'Encyclique *Divini Redemptoris* n'a pas « condamné le marxisme », qui avait été réfuté et condamné par l'Église pendant près d'un siècle. Elle se contente de rappeler que le courant marxiste a été constamment combattu par le Siège romain depuis 1846, c'est-à-dire pratiquement depuis l'origine. L'Encyclique *Divini Redemptoris* s'occupe d'autre chose : elle s'occupe de LA PRATIQUE LÉNINISTE ET STALINIENNE qui a été tirée du marxisme. Écrite en 1937, l'Encyclique est fort en avance sur tant de docteurs, de philosophes de sociologues, de publicistes qui la déclarent « dépassée », mais qui eux-mêmes, aujourd'hui, en sont encore à 1846, au « marxisme » et au « courant marxiste », et aux rapports supposés ou éventuels entre le marxisme et l'humanisme, comme s'il ne s'était rien passé depuis 1917. L'Encyclique *Divini Redemptoris* parle d'autre chose, que tant de docteurs, de philosophes, de sociologues et de publicistes actuels n'ont pas seulement commencé à prendre réellement en considération : elle parle de CE QUE FONT les communistes, elle parle de cette *pratique* qui assure leurs progrès et les assurera aussi longtemps qu'on n'aura pas clairement compris ce qui est en question. Ainsi ceux qui tiennent l'Encyclique pour « dépassée » sont en retard sur cette Encyclique même, ils en sont restés au « marxisme ». 63:41 Et d'autres avec eux, d'autres qui se sont mis ou remis à l'étude de l'Encyclique, mais qui ne sont pas arrivés, à discerner que ce n'est pas du « marxisme » qu'elle parle surtout, parce qu'ils continuent à lire mentalement « le marxisme » là où Pie XI a écrit « les communistes » : ils trouvent alors, évidemment, que cette Encyclique ne leur dit pas grand'chose et que, tout compte fait, elle est assez faible quant à la « réfutation du marxisme ». #### IV. -- Ce qu'est la dialectique : d'abord l'extension d'une pratique et non la diffusion d'une doctrine. S'il s'agissait du « marxisme », sa pénétration se mesurerait au degré d'adhésion rencontré par ses théories. Et le décret du Saint-Office du 4 avril 1959 n'aurait guère, lui non plus, de sens intelligible, à moins qu'il n'ait un sens scandaleux : aller pourchasser de braves gens dont les principes ne sont en rien conformes aux idées marxistes ! de braves gens qui se proclament chrétiens, qui se veulent chrétiens, et dont, effectivement, *la doctrine ne s'oppose sur aucun point à la doctrine catholique !* Oui vraiment, voilà bien « les Torquemada du Saint-Office », comme dit *L'Humanité,* et comme le répètent trop de catholiques : des catholiques qui raisonnent « marxisme » alors qu'il s'agit du communisme, et qui, dans une telle perspective, ne peuvent naturellement rien comprendre à ce que l'Église leur demande. S'agissant *d'une pratique,* la pratique communiste de la dialectique, le décret du Saint-Office s'éclaire, il apparaît alors non pas même comme une précaution supplémentaire, comme une disposition annexe, mais comme une précision explicite concernant l'essentiel : elle, atteint la jointure des choses, le point décisif, la collaboration EN FAIT. La *théorie dialectique* considère que, dans toute réalité, et spécialement, pour ce qui nous occupe, dans toute réalité sociale, se trouve une contradiction interne, clé de son évolution ultérieure. La société dite « capitaliste » recèle une contradiction interne entre classe dirigeante et prolétariat. Cette société évoluera dans la mesure où la contradiction entre les deux classes, devenant sans cesse plus violente, et plus aiguë, arrivera au point de rupture. 64:41 Il existe partout des contradictions internes (réellement préexistantes ou artificiellement suscitées : mais qui seront, dans l'un et l'autre cas, amplifiées et exacerbées par l'agitation et par la propagande) : entre exploiteurs et exploités, entre colonisateurs et colonisés, entre progressistes et conservateurs, entre riches et pauvres, entre « haut clergé » et « bas clergé », etc. : on peut admettre cette théorie, on peut ne pas l'admettre ; cela n'a aucune importance pour l'action communiste. Le « marxisme » veut nous persuader qu'il en est ainsi. Mais le communisme se moque bien de nous en persuader. Le communisme, différemment, veut nous entraîner dans la *pratique de la dialectique :* et souvent il pourra vous y entraîner *d'autant mieux que vous serez moins marxiste à l'origine,* parce que vous ne comprendrez pas de quoi il s'agit, et que vous entrerez innocemment dans les mécanismes de la dialectique, sans savoir en quoi elle consiste ni à quoi elle mène. La réalité concrète de cette pratique de la dialectique consiste à exploiter les contradictions internes inhérentes à toute société humaine dans l'univers du péché originel ; elle consiste à exploiter l'existence de *deux camps politiques* à propos de chaque contradiction, ou à créer ces deux camps s'ils n'existent pas, -- l'un des deux camps étant baptisé « camp de la classe ouvrière » et devant en principe lutter contre l'autre jusqu'à son élimination totale. La ligne de partage entre les deux camps peut être plus ou moins arbitraire : il suffit que le Parti communiste soit en mesure d'imposer aux consciences, par le volume de sa publicité, d'adopter la ligne de démarcation qu'il a lui-même tracée, et non une autre. Cette ligne de démarcation n'est jamais présentée comme étant entre communistes et non-communistes, car c'est la seule ligne de démarcation qui empêcherait d'organiser la collaboration en fait. La démarcation inventée ou exploitée est entre prolétariat et bourgeoisie, entre droite et gauche, entre républicains et réactionnaires, entre laïques et cléricaux, la seule condition étant précisément que communisme ou non-communisme n'intervienne jamais pour situer la démarcation. La propagande persuade alors les consciences de ceux qui sont dans un camp que les autres sont l'ennemi à abattre. Et il suffit, pour le fonctionnement de la dialectique, qu'il y ait des adversaires de l'idéologie communiste qui acceptent d'adopter comme objectif concret, provisoire, limité, ce qui est l'objectif communiste du moment : l'élimination politique de l'ennemi désigné. 65:41 Entre les deux camps, la propagande communiste excite et développe ainsi la tension, pour *accélérer* le processus de l'évolution sociale, conformément à la théorie « marxiste » ([^19]). Mais elle ne se contente pas d'accélérer ; le Parti communiste n'accélère pas au hasard ni partout à la fois : il organise. C'est-à-dire qu'il n'excite pas n'importe quelle contradiction interne dans n'importe quelle réalité sociale. Il ne s'occupe pas de toutes les contradictions en même temps ; il ne s'attache pas non plus en priorité à celles qui se présentent objectivement comme les plus actuelles. Il choisit. Il choisit *selon une stratégie mondiale.* Le caractère mondial et organisé de cette stratégie est dissimulé par *la tactique :* celle-ci, -- la seule qui vous atteigne, la seule qui vous sollicite, -- ne vous parle point de participer à une évolution universelle dont l'accélération est *dosée* en tous lieux par un commandement unique ; elle vous dit simplement qu'il y a quelque part une injustice, et que *c'est celle la et non une autre qu'il faut combattre pour le moment.* Peu importe qu'au départ l'on ne soit point « marxiste » : car c'est ainsi que, par surcroît et peu à peu, on le devient, d'abord sans le savoir. C'est par cette propagande, par cette « science certainement criminelle de la propagande », -- propagande d'action politique concrète beaucoup plus que d'idéologie abstraite, -- que le marxisme-léninisme « pénètre peu à peu tous les milieux, *y compris les meilleurs* ([^20]). 66:41 Ce n'est point par la conversion individuelle des consciences à un matérialisme dialectique abstraitement enseigné que le communisme progresse. Il progresse moins en prêchant le matérialisme dialectique qu'en le faisant pratiquer. En le faisant pratiquer d'abord *sur un point limité, pour un objectif provisoire.* Le communisme progresse dans la mesure où, TOUTE IDÉOLOGIE SOI-DISANT MISE A PART, des non-communistes acceptent provisoirement de *lutter,* fût-ce de leur côté et par d'autres moyens, *contre l'ennemi désigné du moment.* A toute vie en société, dans l'univers du péché originel, est inhérente une multitude de « contradictions ». Parmi ces contradictions, il en est une, ou quelques-unes, que la propagande communiste met en relief, excite et exacerbe, présente comme insupportables, transforme en urgence première, et traite par un combat politique. Le Parti communiste demande simplement aux catholiques de mener au même moment un combat politique contre le même ennemi. Le reste suivra. Le reste suivra, parce que le communisme est une pratique : et c'est pourquoi IL PRÉFÈRE UN « ANTI-MARXISTE » QUI PRATIQUE AU MÊME MOMENT, UN COMBAT POLITIQUE CONTRE LE MÊME ENNEMI QUE LUI, PLUTÔT QU'UN « MARXISTE » EN DÉSACCORD SUR L'OPPORTUNITÉ TACTIQUE ET L'OBJECTIF CONCRET. Il progresse dans la mesure où sa « science certainement criminelle de la propagande » emploie « toute sorte de tromperies qui dissimulent leur dessein sous des idées en elles-mêmes justes et séduisantes », mettant en avant « des projets en tous points conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église » ([^21]) : il ne s'agit jamais pour le Parti communiste de réaliser effectivement les prétextes « justes et séduisants » ni les « projets en tous points conformes à l'esprit chrétien » sous lesquels il *dissimule son propre dessein.* Il s'agit, par ce prétexte, d'entraîner des non-communistes à pratiquer et à vivre un moment de la « lutte de classe ». C'est ainsi que, plus ou moins vite, plus ou moins complètement, le matérialisme dialectique « pénètre peu à peu tous les milieux, y compris les meilleurs », -- y compris les milieux chrétiens. Car le christianisme est une vie. Il consiste à vivre en chrétien. 67:41 Or le communisme est une *pratique politique* qui est contraire à la *vie chrétienne.* Il amène des chrétiens, sous un prétexte politique, à vivre autrement qu'en chrétiens. C'est, si l'on veut, une « gymnastique ». C'est un entraînement pratique à devenir inconsciemment accueillant à l'idéologie. *-- Restez chrétiens,* dit le Parti communiste : *mais protestez contre les responsables politiques de l'injustice que je combats en ce moment.* L'injustice du moment, celle que la tactique communiste choisit, celle que la publicité communiste met en relief et impose en priorité absolue à l'attention publique, est soit exagérée soit inventée par la propagande. Souvent il s'agit d'une injustice réelle, qui réclame vraiment des remèdes et des réformes. C'est pourquoi la propagande communiste est « une science certainement criminelle ». Elle ne conduit ni à des réformes ni à des remèdes, mais toujours, essentiellement, à abattre un ennemi. Vous n'êtes pas « marxiste ». Vous êtes même « anti-marxiste » et c'est fort bien. On ne vous demande aucune concession à la théorie marxiste. On vous laisse entières toutes vos croyances. On vous invite seulement à participer à l'action du moment. On vous demande, pour les motifs qui sont les vôtres, peu importe, de donner, fût-ce de votre côté et à votre manière, ça ne fait rien, votre renfort pour atteindre l'objectif tactique du moment. On ne vous demande rien de plus. Le communisme est pleinement satisfait de cette collaboration-là. A ne considérer que « le marxisme », à ne voir les choses que du point de vue : de « la doctrine », vous ne comprendrez jamais en quoi vous avez bien pu -- en contribuant à combattre une injustice -- collaborer avec le communisme. Vous avez collaboré à l'extension d'une pratique et non à la diffusion d'une doctrine. #### V. -- Comment se pratique la dialectique. Mais il faut bien combattre les injustices, rétorque-t-on. Ce n'est point parce que les communistes les combattent que l'on va se mettre à les défendre. Si les communistes s'en prennent à des injustices réelles, on a tout de même le devoir de poursuivre « les mêmes objectifs » par « des voies parallèles ». 68:41 Or justement : il y a des injustices réelles parmi celles que dénonce la propagande communiste. Mais le communisme *exploite* ces injustices, il ne les *combat* pas. Il combat seulement les hommes qu'il en rend plus ou moins arbitrairement responsables. Ce n'est pas *le même* objectif. Son action tactique tend à éliminer non pas certaines catégories d'injustices mais certaines catégories d'individus. Le communisme n'est pas « réformiste », il le dit assez haut : il n'est pas réformiste, cela veut dire qu'il ne croit pas aux réformes sociales à l'intérieur d'une société non-communiste. Les réformes sociales risquent chaque fois de ralentir ou d'atténuer la « lutte de classe », et tout l'effort communiste est de l'intensifier. Le Parti communiste manœuvre pour empêcher les réformes sociales d'aboutir. Ou bien il feint de s'y associer, non pour les réaliser, mais pour annexer, détourner, exploiter le mouvement d'opinion créé à leur propos. Ce sont seulement les réformes réalisées sans lui et malgré lui, mais effectivement entrées en vigueur, qu'il approuve alors bruyamment : il s'incline devant le fait accompli, et pour sa propagande il s'en prétend l'auteur principal. C'est toute l'histoire, par exemple, des assurances sociales en France. C'est l'histoire de la plupart des contrats collectifs, négociés et signés malgré l'opposition ou le sabotage de la C.G.T. : après coup, n'ayant pu les empêcher, la C.G.T. fait tout pour être admise comme cosignataire ; elle compte ensuite sur le volume de sa propagande, incomparablement plus fort que tous les autres, pour faire croire à la longue qu'elle en eut tout le mérite. Le communisme ne combat pas les injustices, il fait semblant : c'est ce qui explique la remarque célèbre et profonde de François Mauriac, selon laquelle dans le communisme « *il ne peut rien y avoir de bon, puisque ce qui en paraît bon sert à tromper et à perdre les âmes* ». Le communisme ne veut pas faire disparaître les injustices ni apporter aucune amélioration réelle tant qu'il n'est pas lui-même au pouvoir ; il a besoin des injustices, il les entretient et les exaspère, comme autant de moteurs pour la dialectique. Et le mécontentement suscité par l'injustice subie, il *l'oriente* vers autre chose que la rectification de l'injustice : il l'oriente constamment vers la *liquidation politique* des responsables qu'il désigne. 69:41 La lutte politique est rarement belle et pure. Entre les mains du Parti communiste, elle devient intrinsèquement perverse : car elle implique alors toute l'idéologie que le Parti communiste ne peut faire admettre théoriquement aux chrétiens, mais qu'il leur fait vivre. Le chrétien, lui, est « réformiste » : il veut remédier par des réformes sociales à l'injustice dans le monde, il veut réaliser ces réformes que le communisme considère comme des diversions si elles sont entreprises avant l'établissement de la dictature dite du prolétariat. Simultanément, le chrétien sait que l'injustice relève essentiellement du péché et du pardon, de la conversion intérieure, de la justice qui consiste à s'efforcer d'être juste et non pas uniquement ni d'abord à protester contre l'injustice du voisin : c'est dans cette perspective que le chrétien travaille, en commençant par soi, à réformer les cœurs, les consciences, les mœurs et les structures sociales. A cette attitude *de l'âme,* la pratique communiste en substitue une autre, qui est entièrement inverse : l'injustice relève spécifiquement de la lutte politique, elle a pour cause non point un pécheur à convertir mais un ennemi à abattre. La lutte entre *le bien, et le mal* se transforme en une *lutte politique entre* « *les bons* » *et* « *les mauvais* ». Et sans doute une telle tentation n'est pas nouvelle : elle, a toujours et partout existé. Avec le communisme elle reçoit une systématisation et une organisation sans précédent, elle est exploitée par « une science de la propagande qui est certainement criminelle », qui distingue arbitrairement « les mauvais » qu'elle désigne et « les bons » qu'elle mobilise pour les combattre. Et cette dialectique, est introduite jusqu'à l'intérieur de l'Église. Pas toujours aussi ouvertement, aussi grossièrement que *L'Humanité* du 9 janvier 1960, appelant « les chrétiens dans leur masse » au « combat » contre le Cardinal Ottaviani et les « Torquemada du Saint-Office ». L'appel de *L'Humanité* n'est d'ailleurs rien en lui-même. L'important est qu'il soit repris par des chrétiens. L'important est qu'il y ait deux camps politiques jusqu'à l'intérieur de l'Église, et que leur affrontement prenne le pas sur l'unité. 70:41 Pour créer à tout prix l'affrontement mortel entre deux camps politiques, les communistes utilisent « toute sorte de tromperies qui dissimulent leur dessein sous des idées en elles-mêmes justes et attrayantes », ils mettent en avant « des projets en tous points conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église » ([^22]) : par de telles « tromperies », des catholiques sont entraînés à poursuivre en fait, par des voies parallèles, l'objectif du moment, précis et limité, que propose le Parti communiste. Ce faisant, ils rencontrent l'opposition d'autres catholiques : opposition de catholiques plus *clairvoyants,* ou bien même opposition de catholiques *égoïstes, --* mais ce n'est pas cela qui importe au fonctionnement de la dialectique. Ce qui lui importe, c'est que des catholiques en viennent à considérer d'autres catholiques non *plus comme des pécheurs, leurs semblables, leurs frères, à convertir religieusement, mais comme des ennemis à abattre politiquement :* alors le communisme a gagné sa principale bataille contre l'Église. Car ainsi, par pratique politique, des chrétiens sont amenés à *vivre le contraire* de l'Évangile. Ils lapident « les coupables » politiques sans se demander qui peut jeter la première pierre. Ils introduisent dans la communauté catholique une discrimination arbitraire entre « les bons » et « les mauvais ». Ils se croient eux-mêmes politiquement « bons ». Leur préoccupation de combattre et d'éliminer politiquement « les mauvais » prend le pas sur la préoccupation de leur conversion personnelle et de la conversion de leurs frères ennemis. *Ils ne vivent plus en chrétiens leur vie politique.* Et la politisation croissante des consciences entame de plus en plus profondément leur vie chrétienne. Cela s'est passé en Chine comme ailleurs. Mais on l'a mieux connu pour la Chine, en raison du nombre et de la qualité des témoins qui l'ont vu, qui l'ont vécu, qui l'ont analysé et qui l'ont exposé au monde : les missionnaires catholiques. Aucune conquête communiste n'est aussi scientifiquement connue que la conquête de la Chine. Et c'est pourquoi il était d'un intérêt vital pour le communisme de discréditer le témoignage des missionnaires de Chine, ou d'en détourner l'attention. Jamais l'action communiste n'avait eu autant de témoins intellectuellement et moralement aussi qualifiés. Le témoignage des missionnaires de Chine, s'il fallait le résumer en quelques mots, tiendrait dans le schéma suivant : 1. -- L'action anti-religieuse du communisme a pour ressort essentiel d'instituer une discrimination entre les catholiques politiquement bons et les catholiques politiquement mauvais. 71:41 2. -- Les « mauvais catholiques » sont ceux que le Parti communiste, pour une raison politique, désigne comme tels. 3. -- Les « bons catholiques » sont ceux qui mènent à l'intérieur de l'Église un combat politique pour l'élimination des « mauvais ». C'est tout : cela suffit. L'objectif du moment, la ligne de démarcation peuvent concerner la réforme agraire, l'indépendance nationale, la lutte pour la paix, la « politique impérialiste » du Vatican, les « tendances intégristes et réactionnaires » du Saint-Siège : tous prétextes circonstanciels qui ont pour objectif réel l'élimination politique, voire la liquidation physique d'une catégorie de citoyens plus ou moins arbitrairement délimitée. L'objectif du moment peut être la guerre d'Algérie, la défense de la République, la liberté de la presse, n'importe quoi, pourvu que ce soit bien l'objectif du moment et non pas celui d'hier ou celui de demain. Autour de cet objectif-là et non d'un autre, la *seule* collaboration que le Parti communiste attend véritablement des catholiques est qu'ils *introduisent dans l'Église cette contradiction, cette discrimination et cette lutte politiques,* affectées d'un coefficient prioritaire qui en fasse l'urgence provisoire n° 1. Cela ne s'opère évidemment pas sans agents conscients, auxiliaires inconscients, courroies de transmission, noyautages internes et pressions publicitaires externes, dont les résultats visibles sont bruyamment attribués à l' « influence du marxisme », au « sens de l'histoire » et à la « pression des masses populaires », mais qui relèvent en réalité du plus formidable appareil de pénétration, d'espionnage, de corruption, de manipulation, d'intoxication et de chantage qui ait jamais existé. #### VI. -- Stratégie et tactique : les glissements pratiques. Dans la tactique communiste, donc, l'injustice a pour cause un ennemi à abattre. En soi l'injustice est profitable, elle est le moteur de l'évolution sociale. Ce qu'il faut haïr et combattre, ce sont les responsables ; et les « liquider ».  72:41 Mais la tactique communiste ne choisit pas son objectif du moment selon la nature, l'importance, l'urgence des injustices en présence, -- pour ensuite en rechercher les responsables réels ou supposés. Sa démarche est inverse. La tactique communiste dépend d'une stratégie mondiale qui détermine QUELLE CATÉGORIE SOCIALE IL IMPORTE DE LIQUIDER D'ABORD, ou au moins D'ATTAQUER A UN CERTAIN MOMENT : et *en conséquence,* les communistes recherchent de quelle injustice, réelle ou fictive, on pourrait, à tort ou à raison, rendre responsable cette catégorie sociale. L'agitation et la propagande communistes mettent alors en relief cette injustice, présentée comme la plus grave, comme la plus immédiatement insupportable. Les motifs réels du choix tactique ne sont pas tirés de l'importance objective des injustices subies : ils sont tirés de la stratégie, qui désigne les hommes contre lesquels il faut en priorité exciter l'opinion et mener un combat politique à un moment donné. *Le premier glissement pratique* est de ne pas apercevoir que le choix est arbitraire, en ce sens qu'il n'est pas fondé sur la considération de l'injustice subie, mais qu'il est commandé par la détermination préalable de l'ennemi à attaquer. Ce choix relève uniquement d'une stratégie politique mondiale. Le glissement, pour un non-communiste, consiste à mettre au premier plan précisément la sorte d'injustices que l'agitation et la propagande communistes mettent en relief ; à estomper la considération d'autres injustices, que le communisme met tactiquement entre parenthèses parce qu'elles relèvent de responsables, supposés ou réels, qu'il n'a pas dessein d'attaquer pour le moment. *Le second glissement pratique* du non-communiste est, au nom de cette injustice à combattre, d'aider l'action communiste à discréditer, à disqualifier, à éliminer la catégorie de « responsables » qu'elle désigne à la colère publique. Car pour la réalité de l'action communiste, prétendument occupée de soulager les souffrances et d'atténuer les injustices, il s'agit toujours d'autre chose, il s'agit toujours de FAIRE CAMPAGNE CONTRE QUELQU'UN, contre un homme, une classe, une catégorie, un corps social, arbitrairement désignés et délimités par la propagande, selon les seuls besoins de la stratégie politique. 73:41 Ce second glissement consiste donc dans le passage de l'action pour une réforme invoquée comme motif, et comme « tromperie » à l'action contre des hommes qui sont des compatriotes, des collègues, les membres d'une même société, d'une même profession : une action tendant à les « liquider politiquement » ; ou à défaut, à *rendre permanente et insurmontable une* RUPTURE D'UNITÉ *à l'intérieur des cellules et des organismes du corps social.* On n'est point « marxiste » pour cela. On ne pense point en marxiste. Mais on pratique la dialectique, sans le savoir. A force de la pratiquer habituellement, il pourra bien se faire que, conformément au dessein de Lénine, on devienne marxiste peu à peu. Mais ce marxisme auquel on aboutit n'est pas cause ; il est conséquence et point d'arrivée. Or, étant donné que le choix communiste de l'injustice à mettre en relief à un moment donné est fondé uniquement sur des considérations stratégiques, il est fort rare que, *s'il n'a pas été conditionné par la propagande communiste,* le non-communiste, et spécialement le militant chrétien, trouve dans une considération objective de la situation sociale des raisons d'adopter le même ordre d'urgence. Quand un non-communiste constate que son choix des urgences coïncide *habituellement* avec celui des communistes, il peut trouver à coup sûr dans une telle constatation le symptôme de son propre conditionnement. Étant donné, d'autre part, que l'essence même de l'esprit social chrétien est de réformer les hommes et les institutions en vue de restaurer l'unité organique du corps social, il est fort rare que la situation objective du moment réclame véritablement des militants chrétiens un *combat politique contre* l'ennemi numéro un désigné comme tel par le Parti communiste. Quand un militant chrétien constate que son « engagement politique » l'entraîne habituellement ou fréquemment à attaquer et à combattre, au même moment, les mêmes adversaires que le Parti communiste, il peut trouver dans cette constatation le symptôme certain de son propre conditionnement. Mais l'en a-t-on averti ? L'a-t-on appelé à examiner les rapports de son action avec la dialectique mise en scène et pratiquée par le communisme ? Ou bien n'en est-il pas resté à se « prémunir » contre « les théories matérialistes du marxisme » ? 74:41 #### VII. -- Haine ou amour, mais convergence. Le combat communiste a pour ressort la haine, et ne s'en cache point. On a imaginé parfois, et même souvent, qu'il suffisait de ne point partager sa haine ; qu'être vigilant et prémuni contre la haine constituait la condition nécessaire et suffisante pour ne pas favoriser la dialectique communiste. Et que, sous réserve de ne point haïr l'ennemi, mais de prier pour lui, on pouvait sans crainte le combattre. Dieu tire le bien du mal. Le communisme, si l'on n'y veille, tire le mal même du bien. Car peu importe à la tactique communiste que vous meniez contre l'adversaire du moment un combat loyal et sans haine, correct et mesuré, chevaleresque. Ce qui importe, c'est *votre renfort,* contre LE MÊME et AU MÊME MOMENT. Peu importe qu'au lieu des exagérations ou des calomnies communistes vous ne prononciez que des critiques honnêtes. Peu importe qu'au lieu de liquider l'ennemi, vous cherchiez seulement à exclure l'adversaire. Ce qui importe, c'est la convergence dans l'espace et le temps, c'est la simultanéité. Ce qui importe, c'est que vous soyez d'accord pour dénoncer comme responsables n° 1 de l'injustice n° 1 ceux que le Parti communiste dénonce lui-même comme tels. Votre manière est différente ; elle reste honnête ; elle ne veut tuer personne, ni violer aucun droit. Mais justement : de vous chrétiens, *c'est d'abord une contribution honnête, c'est d'abord un renfort parfaitement moral dans son intention et dans ses moyens que la dialectique communiste attend de préférence*. C'est diabolique sans doute, mais c'est ainsi. On ne vous demande que d'être CONTRE, et contre UN HOMME OU UNE CATÉGORIE SOCIALE. Il est parfois nécessaire de se prononcer contre des hommes. Il est cent manières de le faire en respectant la justice et la morale : Faites-le donc comme vous l'entendez. La seule condition est que ce soit au même moment, contre le même. #### VIII. -- Pour s'y reconnaître. Il arrivera en outre qu'il soit réellement difficile de bien s'y reconnaître, parce que le Parti communiste utilise une précaution supplémentaire. 75:41 Autant qu'il le peut, il ne *lance* pas lui-même une campagne politique : se tenant d'abord officiellement à l'écart, comme distrait et occupé d'autre chose, il la fait lancer par d'autres, « qui ne sont pas marxistes ». Il y emploie ses complices conscients et ses auxiliaires inconscients. L'origine véritablement communiste n'apparaît pas et semble même démentie par la chronologie. Ce sont des « républicains », des « démocrates », des « patriotes » ou des « chrétiens » qui, les premiers, ont mis en mouvement telle campagne de presse, de pétitions, de protestations, tel mouvement revendicatif ou telle « affaire ». Le Parti communiste n'entre visiblement en ligne que dans un second temps, apportant son volume publicitaire apparemment en renfort désintéressé à un mouvement d'opinion qui semble n'être pas venu de lui. Il est donc parfois malaisé de ne pas s'y laisser prendre, au moins au début. C'est pourquoi il faut éviter la fâcheuse sottise de dénoncer comme complice conscient des communistes quiconque se sera trouvé involontairement en conjonction accidentelle ou en convergence d'un instant avec eux. Pour parler selon la nomenclature politique, disons que, de la « droite » à la « gauche », cela a bien pu arriver une fois ou l'autre à tout le monde, ou presque. Toutefois, dans chaque cas, fût-il isolé, cette convergence est extrêmement dangereuse. L'important est de savoir que cela n'est pas indifférent, et ne doit se produire ni habituellement ni même fréquemment. Le grave est que l'attention de beaucoup ne soit guère attirée sur ce point capital ou même ne le soit pas du tout. En un temps où la pression publicitaire de la propagande communiste, ouverte ou masquée, est considérable dans tous les milieux, il est extravagant que l'on fasse comme si elle n'existait pas, comme si elle n'appelait pas une vigilance explicite et constante. Il est d'une imprudence folle de lancer ou de laisser dans l' « engagement politique » derrière certains journaux ou certaines organisations « qui ne sont pas marxistes » des militants qui n'ont pas été mis en garde quant à la pratique et qui n'ont pas reçu les moyens de reconnaître le conditionnement communiste, le reconnaître *sur eux-mêmes* s'il vient à se produire. On les a plus ou moins prévenus que « le marxisme » est « matérialiste et athée » : ça leur fait une belle jambe, en l'occurrence... On leur a trop souvent laissé ignorer comment se pratique la dialectique et comment, sans aucune concession de principe à l'athéisme et au matérialisme, ils peuvent néanmoins y être entraînés. 76:41 On ne leur a pas appris que, dans l'ordre pratique, le point primordial est d'éviter d'être : 1. -- *contre* 2. -- *le même* 3. -- *au même moment.* C'est la RÉALISATION HABITUELLE OU FRÉQUENTE DE CES TROIS CONDITIONS SIMULTANÉES qui constitue EN FAIT la collaboration ; elle constitue, il faut y insister, non pas une collaboration somme toute lointaine ou accidentelle, mais PRÉCISÉMENT CELLE que le Parti communiste s'efforce en permanence de susciter, de conditionner, d'organiser parmi ceux « qui ne sont pas marxistes ». Vous pouvez dénoncer une injustice, si elle est réelle, que les communistes ont dénoncée avant-hier et qu'ils prendront peut-être à nouveau comme cheval de bataille après-demain. Vous pouvez dénoncer la même injustice au même moment si, non pas à voix basse mais aussi fort, vous niez que les responsables en soient ceux que désigne le Parti communiste. Vous pouvez, c'est peut-être inévitable parfois, mener un combat politique contre des hommes dont l'injustice porte atteinte au bien commun : mais à la condition que ce ne soient pas les « têtes de Turc » mises en avant par le Parti communiste au même moment. Vous pouvez enfin, au même moment, mettant en cause les responsables effectifs de la même injustice réelle, les traiter comme des pécheurs à convertir et vous opposer à ce qu'on en fasse des adversaires à abattre. Telles sont les « précautions », non pas annexes mais primordiales, constantes et décisives, auxquelles il faut veiller lorsqu'on se trouve « engagé » dans une action qui se développe à proximité du communisme. Ce ne sont pas des précautions pour la forme ; ce ne sont pas des précautions implicites et muettes ; ni des clauses de style à prononcer du bout des lèvres. Elles exigent un combat permanent, difficile, courageux contre l'agitation, la propagande, le conditionnement et l'organisation communistes. 77:41 Ceux qui sont engagés dans un combat politique, dans une action sociale, dans une campagne de presse, doivent veiller sans cesse à DÉSYNCHRONISER leur attitude de celle du Parti et de ses organisations annexes. Ce n'est pas toujours commode, car la synchronisation est parfois subtile ou peu apparente ; d'autres fois, au contraire, elle semble inévitable ; et enfin, dans certains cas, il est tellement facile de fermer les yeux sur elle... Il faut savoir que l'essentiel est dans cette synchronisation. #### IX. -- Les mains vides, moralement désarmés. Tout cela est difficile, certes. Car cela réclame un discernement qui est parfois malaisé ; une connaissance des réalités de l'action communiste qui ne court pas les rues ; une vigilance qui ne s'endorme jamais ; un constant effort à contre-courant pour annuler les réflexes créés et entretenus par le conditionnement à la non-résistance. Et de la force d'âme ; du courage ; de la patience. Cela réclame foi, espérance et charité. *Major autem horum est caritas* (I Cor., XIII, 13). La charité, car le communisme blesse toutes les formes de l'unité, qui sont les réalisations de l'amour. Si l'amour était plus vivant et plus fort, il se traduirait moins par un sentimentalisme pathétique, et davantage par le sens de l'unité du Corps mystique et de l'unité du corps social. L'effroyable et parfois scandaleuse anomalie n'est pas de se laisser accidentellement tromper : elle est que, trop souvent, on n'ait même pas commencé, même pas essayé de méthodiquement voir clair et défendre les âmes. Par ignorance, bien sûr, dans la plupart des cas. L'effroyable anomalie est que ceux qui se trouvent au plus proche et au plus fréquent contact de l'action communiste ne soient pas formés et armés : non point par des cours théoriques sur « le marxisme », qui d'ailleurs ne sont pas inutiles, mais restent radicalement insuffisants : mais par une étude et une méditation périodiques, et périodiquement recommencées, des enseignements pontificaux -- et des enseignements de l'expérience -- sur l'ACTION communiste. Disons plus précisément : une étude constante des enseignements de l'expérience, poursuivie dans la constante lumière des enseignements pontificaux. 78:41 Quand on est soumis en permanence aux entreprises publicitaires de l'agitation, de la propagande, du conditionnement communistes, il est dérisoire d'imaginer que l'on peut s'en tirer en ayant deux ou trois fois vaguement entendu parler de *Divini Redemptoris* et du marxisme athée. #### X. -- Le monde d'aujourd'hui et non celui d'avant-hier. Il y a, si l'on y réfléchit, quelque chose d'inexplicable et d'effarant dans l'oubli relatif où est tombée l'Encyclique *Divini Redemptoris.* Certes l'on n'oublie point, à de rares exceptions près, que le « matérialisme athée » est « condamné ». Mais on continue à ignorer très largement *ce qu'est* l'action communiste : si bien que l'on est hors d'état de l'identifier quand elle est tant soit peu camouflée ou indirecte. Et l'on continue à ignorer plus encore l'ensemble des moyens naturels et surnaturels qu'il importe de mettre en œuvre, par la mobilisation générale, spirituelle et temporelle, à laquelle le Saint-Siège appelle le monde catholique et tous les hommes de bonne volonté en face de l'agression permanente du communisme soviétique. On peut vérifier, ici plus encore peut-être qu'ailleurs, la justesse du mot célèbre de Maritain sur la terrifiante inattention des catholiques aux enseignements pontificaux. L'Encyclique *Divini Redemptoris* ne nous dit pas du tout que notre action de catholiques doit FEINDRE que le communisme n'existe pas ou doit faire COMME SI son importance était négligeable. Elle ne nous dit pas du tout que les entreprises sociales et apostoliques doivent ne point parler du communisme ni envisager explicitement les problèmes qu'il pose. Elle nous dit tout le contraire. Les grandes inspirations et directives de la doctrine sociale, l'Encyclique *Divini Redemptoris* nous dit comment les mettre pratiquement en œuvre dans une situation concrète qui est justement la nôtre : celle d'un univers tout entier menacé et pénétré par le communisme. Bien entendu, l'Encyclique ne donne pas des solutions préfabriquées, elle n'abolit pas les responsabilités de chacun selon chaque état de vie, elle les éveille au contraire, elle y fait appel. Elle oriente la recherche et l'activité, elle indique dans quel esprit travailler. 79:41 Elle n'est pas un formulaire à apprendre par cœur, mais une source d'inspiration à méditer. Il est paradoxal, il est navrant que tant de congrès sociaux exposent leurs préoccupations, poursuivent leurs analyses, édifient leurs projets comme si cette situation n'était pas la nôtre et comme si l'Encyclique *Divini Redemptoris* n'apportait pas une lumière éclairant directement et immédiatement leurs travaux. Travaux dans les nuages, chaque fois qu'ils omettent de considérer que la situation actuelle est dominée par la réalité du communisme. Charte de l'action civique et sociale dans cette situation qui est la nôtre, l'Encyclique *Divini Redemptoris* est aussi une charte de l'action religieuse et apostolique : non pas d'une action apostolique n'importe quand et n'importe où, mais précisément d'une action apostolique dans cet univers du XX^e^ siècle la plus terrible qui ait jamais été entreprise contre la religion chrétienne. Que voit-on trop souvent, sinon une sorte d'anesthésie très localisée, par laquelle les projets et les expériences apostoliques *tiennent très attentivement compte de toutes les conditions nouvelles du monde contemporain,* SAUF DE LA PRINCIPALE : la réalité primordiale du communisme dans l'univers actuel. Le communisme restera cette réalité primordiale jusqu'à ce que la conversion de la Russie soit un fait accompli. A la lettre, *on fait abstraction* du communisme dans la plupart des enquêtes de sociologie religieuse, comme si le communisme était plus ou moins en dehors de la question : alors qu'il est au centre. Il est, affirme Pie XI, la plus grande entreprise qu'on ait jamais vue pour priver le genre humain du bénéfice de la Rédemption. *On fait abstraction du communisme* dans la plupart des études théoriques et pratiques visant à une action catholique et sociale. *On fait abstraction du communisme* dans la plupart des recherches apostoliques, missionnaires, sociologiques. Ou bien, on lui accorde seulement quelques instants, une mention rapide, à une place très secondaire qui n'est nullement la sienne. Il existe une distraction systématique et comme organisée au sujet de la réalité contemporaine que l'Église désigne solennellement comme le plus grand obstacle actuel à l'évangélisation, comme le plus dangereux ennemi de la foi, comme le principal moyen diabolique aujourd'hui mis en œuvre pour détourner les âmes du salut. 80:41 Une simple observation des réalités contemporaines suffit à faire voir que l'action du communisme est partout présente, dans tous les domaines et dans tous les milieux. On peut s'amuser à récuser une telle observation, à la présenter comme une vue particulière et contestable, ou comme une « option » facultative, et décréter qu'il s'agit d'un « épouvantail » dont on n'est pas dupe... On peut nier obstinément l'évidence observable. Mais enfin, cette observation qui est à la portée de tout le monde, elle est d'autre part affirmée et enseignée par l'Église. Le comportement pratique du chrétien, dans l'univers actuel, son comportement apostolique et son comportement social et politique, sont explicitement orientés par le Saint-Siège en fonction des nécessités présentes, en fonction de *la réalité du monde d'aujourd'hui* et non pas du monde d'avant-hier. C'est le monde d'aujourd'hui qu'il s'agit de rendre plus humain et plus chrétien. C'est le monde d'aujourd'hui qui est dominé par l'entreprise communiste, dont l'étendue et l'importance dépassent, et de très loin, toutes les autres particularités contemporaines. C'est le monde d'aujourd'hui qui est directement menacé, par le communisme, de subir une barbarie incomparablement plus épouvantable que celle qui régnait sur les peuples les plus barbares avant la venue de Jésus-Christ ([^23]). C'est l'Église qui nous l'enseigne, et qui appelle tout l'univers catholique à une mobilisation active en face du plus grand péril qui ait jamais menacé la foi chrétienne, et l'avenir du genre humain ([^24]). Quel sommeil de somnambules obscurcit donc certains esprits, par ailleurs distingués et généreux, soucieux d' « être de leur temps », et les empêche d'appliquer leur réflexion, leurs travaux et leurs efforts aux tâches que l'Église désigne comme ACTUELLES, et leur voile le péril auquel l'Église demande ACTUELLEMENT de répondre, et les détourne d'étudier l'application et la mise en œuvre de l'ensemble des moyens naturels et surnaturels que propose l'Encyclique *Divini Redemptoris *? L'Encyclique *Divini Redemptoris* n'est pas un livre qu'il s'agirait de parcourir en une ou deux soirées, comme un roman, ou qu'il suffirait d'avoir lu une fois dans le train. C'est un enseignement qui se propose à l'ÉTUDE, à la MÉDITATION, à la MISE EN ŒUVRE. Une étude véritable, entreprise et poursuivie point par point, paragraphe par paragraphe, ligne à ligne. 81:41 Une méditation menée dans la prière, en demandant la lumière de l'Esprit Saint. Une mise en œuvre dans la foi, l'espérance et la charité. L'a-t-on beaucoup fait depuis 1945 ? Qui l'a fait ? On ne comprend pas très bien pourquoi tant d'organisations civiques, sociales ou autres négligent encore d'inscrire cette étude et cette méditation dans leur programme de formation. C'est le travail de base, indispensable pour comprendre toutes les directives ultérieures de l'Église au sujet du communisme : car toutes s'appuient sur cette base, présupposent cet esprit, s'éclairent par cette connaissance-clé. #### XI. -- La riposte difficile. Ce qu'un historien contemporain ([^25]) a nommé « la gauche chrétienne » met l'accent sur la revendication de la justice : cela n'est pas en soi illégitime, cela est même souvent un devoir, à la condition que la *revendication* de la justice ne prenne point le pas, dans le comportement et dans la vie intérieure, sur la *pratique personnelle* de la justice. Cette « gauche chrétienne » n'est pas toujours exempte, dans certains de ses éléments, d'infiltrations idéologiques plus ou moins marxistes qui peuvent fausser sa conception même de la justice sociale. Mais cela n'est pas encore l'essentiel. La plus grave tentation de la gauche chrétienne est de pratiquer un combat politique : 1. -- qui coïncide avec le combat communiste du moment, et 2. -- dans le quel l'adversaire catholique, éventuellement réputé coupable des plus grands crimes sociaux, soit considéré davantage comme un ennemi à combattre que comme un frère avec qui retrouver, par une commune conversion, la vie dans l'unité. Cela se produit en fait, au niveau de la paroisse et de la profession, dans les divers « milieux de vie ». Cela se produit aussi à un autre niveau : la contradiction et la lutte politiques opposent alors la gauche chrétienne non pas simplement à d'autres chrétiens, mais aux détenteurs même de l'autorité enseignante et disciplinaire dans l'Église. La considération de leurs positions politiques réelles ou supposées prend, dans l'esprit et le comportement de la gauche chrétienne, le pas sur la considération de leur qualité et de leur fonction de Successeurs des Apôtres, surnaturellement chargés du gouvernement de la communauté catholique. 82:41 Et par exemple, le Saint-Office n'est plus considéré, par une grande partie de la « gauche chrétienne », comme la « Suprême Congrégation » romaine, celle qui, sous la direction personnelle du Souverain Pontife, étend sa juridiction à tous les domaines religieux et moraux pour la sauvegarde de la foi et des mœurs : il est présenté comme le bastion d'une « tendance » dans l'Église, ni plus ni moins permise, ou peut-être moins recommandable, que d'autres « tendances ». D'autre part, ceux que l'on nomme « catholiques de droite » subissent une tentation inverse mais analogue. Frappés par une discrimination politique, attaqués par un combat politique, victimes d'une exclusive politique qui les écarte ([^26]) de la plupart des journaux catholiques, de presque toutes les grandes revues laïques ou ecclésiastiques du catholicisme social, des organisations d' « intellectuels catholiques » et d' « universitaires catholiques », et même, trop souvent, des mouvements d'Action Catholique, -- ou ayant tout au moins, sur de fortes apparences, le sentiment qu'il en est ainsi, -- ils estiment se trouver en état de légitime défense politique. Ils ont en outre le sentiment, qu'ils n'enferment pas toujours dans le secret de leur cœur, que la situation d'indésirables qui leur est systématiquement faite n'a pu se produire que par la volonté ou par la permission de certains membres de la Hiérarchie apostolique locale. Le sentiment de se trouver en état de légitime défense politique correspond à des apparences qui ne sont pas toujours trompeuses. Les faveurs officielles localement consenties aux représentants, aux organisations et aux journaux de la « gauche chrétienne » apparaissent effectivement comme unilatérales, et l'histoire de l'Église de France, depuis 1945, montre que si ces faveurs unilatérales ne procédaient pas d'une discrimination politique, mais sans doute de vues plus hautes, elles ont eu aussi des conséquences et des résultats analogues à ceux qu'aurait eus une discrimination politique délibérément voulue comme telle. Beaucoup des plus actifs éléments de cette « gauche chrétienne » ainsi favorisée en ont profité pour s'opposer, quelquefois spectaculairement, au Magistère vivant de l'Église, et surtout pour opposer à ce Magistère une partie de l'Épiscopat français indiscrètement ou inexactement invoquée comme caution morale et comme argument publicitaire. 83:41 Enfin, l'un des points de rassemblement de la « gauche chrétienne » a été une non-résistance de fait au communisme, dans la croyance que toute forme concrète d' « anti-communisme » était fatalement « négative » et « stérile ». Mais il ne suffit pas de combattre politiquement ceux qui font le jeu du communisme pour ne pas le faire soi-même. Ce qui fait le jeu du communisme, c'est l'attaque *et la riposte,* à partir du moment où *l'une et l'autre* passent avant la réalité du Corps mystique et l'unité du corps social. Ce qui fait le jeu du communisme, c'est l'état de division et de combat où se trouve une communauté catholique ; c'est la pratique entre catholiques de toutes les formes de lutte politique qui donnent le pas aux opérations de combat sur les exigences de l'unité. Les difficultés posées à la gauche chrétienne et à la droite catholique sont des difficultés considérables, -- et peut-être pratiquement insolubles au plan humain, sinon sous la pression d'une catastrophe qui n'est pas exclue à coup sûr. On n'améliorera évidemment rien en mettant ces difficultés entre parenthèses, en les recouvrant d'un voile supposé pudique, et en les laissant pourrir sur pied. Ni en les laissant s'envenimer indéfiniment dans le silence de tant de cœurs ulcérés. La diffusion du communisme, dans l'immédiat et à terme, a pour condition nécessaire et suffisante la division des catholiques en deux camps, chacun se considérant comme le « bon » et travaillant à la liquidation politique du « mauvais ». #### XII. -- L'unité. Parmi les remèdes et moyens qu'il faut opposer à la diffusion mondiale du communisme, le Pape Pie XI inscrivait, et mettait en un relief particulier, la concorde entre catholiques : « A tous nos fils, à tous les fils de l'Église, de toute classe, de toute nation, de toute organisation ecclésiastique ou laïque, nous répétons ici avec la plus grande insistance qu'ils doivent, chacun à la mesure de ses moyens, favoriser l'union des cœurs. 84:41 Plus d'une fois nous avons cruellement souffert de ces divisions entre catholiques, qui naissent pour de futiles motifs, mais ont des conséquences tragiques : elles font lutter entre eux les fils d'une même mère, l'Église. On voit alors les fauteurs de discorde -- qui ne sont pas tellement nombreux -- profiter de l'occasion, envenimer ces divisions pour œuvrer, car c'est leur but principal, à exciter les catholiques les uns contre les autres. « De récents événements parlent d'eux-mêmes et semblent rendre superflus Nos avertissements. Nous pensons néanmoins qu'il faut réitérer cette exhortation, à cause de ceux qui ne l'ont pas comprise ou qui n'ont pas voulu la comprendre. Ceux qui travaillent à envenimer les divisions entre catholiques assument une terrible responsabilité devant Dieu et devant l'Église. » ([^27]) L'unité, œuvre de la Foi, de l'Espérance et de l'Amour, est le signe de reconnaissance, le bien le plus précieux, la réalité essentielle du Corps mystique. Il ne s'agit pas simplement ni d'abord d'être « unis » parce que « l'union fait la force » : cette sagesse naturelle est très véritable, mais une considération tactique de cette sorte a toujours été insuffisante à fonder et à maintenir durablement l'unité. L'unité est la *réalité du christianisme,* la réalité de l'Église, sa vie même. L'unité est la vocation de l'homme, le retour à l'unité est le sens de l'histoire et le sens de la Rédemption. L'unité n'est pas le fruit des arrangements, des compromis, des concessions réciproques (encore que tout cela ait son rôle, mais à sa place). L'unité est à la fois le signe et le résultat de la présence de Jésus-Christ dans son Église, -- dans la mesure où cette présence, qui nous est donnée, est acceptée et vécue par chaque chrétien : « Que tous soient un : comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. » ([^28]) Le communisme vise l'Église dans sa réalité essentielle, parce qu'il défait l'unité. #### XIII. -- La vertu d'espérance. Pour détruire la Foi, le communisme commence par la « respecter », c'est-à-dire la mettre entre parenthèses ; pour détruire l'amour, il l'annexe et l'exploite. C'est au niveau de la vertu d'Espérance que portent son attaque frontale et son effort de rupture. 85:41 On peut entrer dans le jeu communiste sans le savoir, avec une Foi qui paraît entière, et sans avoir conscience qu'elle est tournée puis atteinte par l'Ennemi. On peut entrer dans le jeu communiste avec l'Amour, sans apercevoir que l'Amour est dévié et perverti. Avec la Foi et la Charité, on peut entrer dans cette lutte politique contre l'injustice du moment, sans distinguer comment elle contredit et blesse la Charité et la Foi. On peut mener, par des voies différentes, un combat parallèle au combat communiste contre l'ennemi politique du moment désigné par le Parti. Mais on ne peut pas le faire sans rompre avec l'Espérance ou sans l'avoir oubliée. Car cette pratique politique, qui atteint indirectement la Foi, qui pervertit clandestinement la Charité, substitue clairement et directement à l'Espérance une autre espérance. Cette pratique politique atteint la Foi *dans ses œuvres,* elle fait mettre en œuvre une espérance autre que l'Espérance, œuvre de la Foi. Cette pratique politique, qui implique secrètement le contraire de la Foi et le contraire de la Charité (et l'on ne s'en aperçoit pas d'abord, et l'on risque d'être anesthésié ensuite), implique ouvertement et dès le début l'espérance d'une autre rédemption, d'un autre rachat du mal et de l'injustice dans le monde, -- cette pratique supprime l'Espérance parce qu'elle la remplace. Elle ne remplace pas la Foi, et ne semble pas d'abord l'atteindre. Elle ne remplace pas la Charité, mais réussit à la séduire, et c'est par amour qu'elle entraîne souvent des chrétiens à organiser une lutte politique pour la défense des victimes et des opprimés : ils ne voient pas qu'une seule catégorie d'opprimés et de victimes, tactiquement opportune, est proposée en priorité à leur charité par une propagande obsédante, ils ne voient pas non plus que cette pratique politique les conduit à combattre et à détester non plus l'injustice, mais ses responsables supposés ou réels. Les victoires du communisme sont remportées directement sur la vertu d'Espérance, parce que *cette pratique politique fait accomplir les gestes,* au moins extérieurs pour commencer, *des deux péchés contre l'Espérance.* 86:41 On pèche par PRÉSOMPTION contre l'Espérance quand on compte sur ses propres forces pour faire le bien et pour éviter le mal. Or cette pratique politique consiste à lutter contre l'injustice *comme si* l'on comptait sur ses propres forces pour réaliser le bien et pour éviter le mal : elle invite « celui qui croit au Ciel et celui qui n'y croit pas » à la même action *décisive* contre l'injustice, cette action décisive étant supposée identique pour celui qui ne croit pas et pour celui qui croit. On pèche par DÉSESPOIR contre l'Espérance quand on perd confiance en la bonté de Dieu et qu'on ne croit pas pouvoir aller au Ciel : or cette pratique politique consiste demander « à celui qui croit au Ciel et à celui qui n'y croit pas » de lutter ensemble contre l'injustice *comme si* la justice et l'injustice sociales étaient sans rapport avec la bonté de Dieu et avec le salut éternel. D'ailleurs, qui parle aujourd'hui d' « *aller au Ciel* »* *? La Foi et la Charité parlent encore, l'Espérance se tait. Ce n'est pas dans le silence de la Foi, ce n'est pas dans le silence de la Charité que la diffusion du communisme s'explique par « une science de la propagande qui est certainement criminelle », -- c'est dans le silence de l'Espérance. #### XIV. -- L'espérance des pauvres et des riches. Aux riches et aux pauvres, Pie XI, contre le communisme, a recommandé l'Espérance : « Que les chrétiens, riches ou pauvres, dirigent sans cesse leur regard vers le Ciel, se souvenant de la parole : nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais recherchons celle qui est à venir. » ([^29]) « Ceux que la fortune a moins favorisés, tout en cherchant selon les lois de la justice et de la charité à acquérir le nécessaire et à améliorer leur sort, doivent eux aussi être des « pauvres en esprit », estimant davantage les biens spirituels que les joies terrestres. Qu'ils considèrent en outre que les hommes n'arriveront jamais à faire disparaître de cette vie les peines, les souffrances et les chagrins auxquels sont exposés même ceux qui paraissent les plus heureux. » ([^30]) 87:41 « *Soyez donc patients jusqu'à l'avènement du Seigneur. Voyez le laboureur : il attend le précieux fruit de la terre, prenant patience jusqu'à ce qu'il reçoive la pluie de l'automne et celle du printemps. Soyez donc patients vous aussi, et affermissez vos cœurs, car l'avènement du Seigneur est proche* (Jac., V, 7-9). Ainsi seulement s'accomplira la promesse, pleine de consolation, faite par Jésus-Christ : *Bienheureux les pauvres.* Ces promesses-là n'apportent pas de vaines consolations comme celles dont se vantent les communistes ; ces promesses-là sont des paroles de vie éternelle, qui renferment le dernier mot de toutes choses : elles sont vraies sur cette terre, et elles le seront davantage encore dans l'éternité. Combien de pauvres, en effet, confiants en ces paroles, espérant le royaume des cieux -- qui est leur part, comme l'enseigne l'Évangile : *heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous, --* y trouvent un bonheur que tant de riches, obsédés par leurs richesses, toujours enfiévrés par la cupidité de s'enrichir davantage, ne peuvent atteindre. » ([^31]) C'est alors et c'est dans cette perspective, c'est sous l'inspiration de l'Espérance que peut s'opposer au communisme « un remède encore plus important » : cette « charité chrétienne, patiente et bienveillante » ([^32]), « à la condition d'être en règle avec la justice », car « tous les devoirs, comme le dit saint Paul, y compris ceux qui sont de stricte justice, se ramènent au commandement unique de la vraie charité » ([^33]). *Voilà donc enfin la justice.* La justice que commande et qu'éclaire la Charité, avec l'Espérance qui est œuvre de la Foi. La Foi, l'Espérance et la Charité ne sont elles-mêmes que toutes trois ensemble. Mais la première qui soit directement atteinte par la pratique communiste est l'Espérance. 88:41 #### XV. -- Le recul général de l'espérance. Les blessures reçues, les batailles perdues dans la première partie du XX^e^ siècle sur le front de l'Espérance sont innombrables et profondes. La politisation des consciences se manifeste avec éclat quand elle contredit à la Charité. Mais avant de se manifester avec éclat, elle s'est installée peu à peu, par la brèche ouverte dans l'Espérance. Nous ne parlons plus beaucoup d' « aller au Ciel », non point parce que nous serions devenus plus savants et tiendrions un langage plus théologique où il serait question de la « Fin dernière » et de la « vision béatifique ». Nous n'en parlons plus parce que nous n'y pensons plus. Mais nous pensons à beaucoup de choses, et même à faire progresser la Foi, à prolonger l'histoire religieuse de la France contemporaine, à poursuivre le destin du catholicisme français. Il est vrai que nous y pensons drôlement. La plus célèbre, la plus récente histoire religieuse de la France contemporaine ignore Lourdes et le Curé d'Ars. Le dernier livre paru sur le destin du catholicisme français les ignore pareillement. Ce sont pourtant des ouvrages pleins de considérations apostoliques et missionnaires : mais un esprit apostolique qui n'est pas celui du Curé d'Ars, un esprit missionnaire qui se passe de Lourdes. Car maintenant, c'est aux méthodes et aux tactiques que nous pensons surtout. Nous concevons les tâches apostoliques et missionnaires en y donnant une place croissante à une méthodologie, à une stratégie, à une organisation empruntées à celles de la propagande politique : elles conduisent en somme à publicitairement se faire bien voir, comme si l'on recherchait des suffrages, plutôt qu'à enseigner aux hommes qu'ils sont tous pécheurs et que le salut du genre humain est venu sur la terre. A la limite, elles prêcheraient un Sauveur qui serait venu pour les justes, et pour les libérer d'injustices dont ils seraient seulement les victimes et nullement les responsables. Nous recherchons toujours plus ou moins le Royaume de Dieu, mais *pour* avoir tout le reste, et en considérant qu'en quelque sorte il nous est dû : notre espérance prend de plus en plus pour objet ce qui « sera donné par surcroît », et *c'est vrai* que le surcroît est promis et donné, et qu'il faut simultanément y travailler de ses mains, mais il *n'est pas* l'objet essentiel de l'Espérance. 89:41 Il n'est pas non plus toujours celui que nous avions imaginé et espéré. Il ne l'est même quasiment jamais. Il est souvent autre et toujours meilleur. \*\*\* LA CONSTANTE FONDAMENTALE de l'action communiste est de faire éclater les communautés naturelles et surnaturelles en les divisant politiquement contre elles-mêmes -- ou en exploitant mortellement les divisions politiques qu'elles portaient déjà en elles pour des motifs antérieurs ou extérieurs au communisme, -- et en persuadant les consciences, par le moyen d'une propagande sans précédent, d'être plus attentives aux contradictions internes qu'à l'unité réelle. La destruction des liens familiaux, professionnels, nationaux, religieux ne laisse plus subsister finalement qu'une sorte de collectivité organisée : le Parti. La lutte politique est intrinsèquement perverse quand sa nature est de *prendre inconditionnellement le pas* sur toutes les autres réalités (fût-ce sous le prétexte de les « défendre »). La lutte politique que suscite, soutient et propage la propagande communiste, « toute idéologie mise à part », faisant marcher du même pas « celui qui croit au Ciel et celui qui n'y croit pas », s'installe dans une famille quand la division politique passe habituellement avant le lien familial. Elle s'installe dans le métier quand la lutte de classe prend ordinairement le pas sur le bien commun de l'entreprise et de la profession. Elle s'installe dans la nation quand les oppositions politiques y prennent constamment le pas sur le bien commun national et sur l'union des cœurs. Elle s'installe dans la vie internationale quand les nationalismes ou les impérialismes y prennent inconditionnellement le pas sur le bien commun de la famille humaine. Elle s'installe dans l'Église quand les divisions politiques y ont le pas sur la réalité du Corps mystique. Le communisme ne demande pas aux catholiques que cette priorité soit conçue et professée comme inconditionnelle : la plupart s'y refuseraient. Il faut et il suffit au communisme que cette priorité soit *habituellement pratiquée :* et beaucoup la pratiquent sans savoir ce qu'ils font. Jean MADIRAN. 90:41 ## La coexistence pacifique ### L'Église devant le monde coupé en deux blocs Nous reproduisons les textes de Pie XII d'après les *Documents pontificaux de S.S. Pie XII* des Éditions Saint-Augustin (à Saint-Maurice, Suisse). Il n'y a rien de souligné dans les documents pontificaux. Certains passages ont été soulignés par les auteurs de l'édition citée. Nous soulignons (en *italiques*) soit les mêmes passages, soit d'autres, non point pour donner à entendre qu'ils seraient les plus importants, mais simplement parce qu'il nous paraît utile d'attirer tout particulièrement sur eux l'attention de nos lecteurs. Voici en son entier le Message de Noël 1951. Il ne fut pas à l'époque écouté autant qu'il aurait dû l'être. Mais Pie XII parlait pour l'avenir aussi bien (ou davantage) que pour le présent immédiat. VOICI DÉJÀ la treizième fois que la grâce de l'Éternel et Souverain Prêtre Nous accorde, au retour des fêtes de Noël, d'adresser de ce Siège auguste Notre parole à l'univers catholique. Chaque année, cette solennité si douce Nous offre l'occasion d'exprimer à tous les fidèles du monde Notre salut paternel, et Nous sentons profondément le lien mystérieux qui, au pied du berceau du Sauveur nouveau-né, unit entre eux, dans la foi, dans l'espérance et dans l'amour, ceux que le Christ a rachetés. 91:41 Devant l'écroulement de tant d'institutions terrestres, la faillite de tant de programmes caducs, l'Esprit de Dieu soutient son Épouse, l'Église, la comble d'une plénitude de vie, dans la vigueur d'une jeunesse qui se renouvelle incessamment, dont les manifestations toujours plus lumineuses révèlent le caractère surnaturel : ineffable réconfort pour tout croyant, indéchiffrable énigme pour les ennemis de la foi. Et néanmoins, si grande que puisse être Notre joie de Nous retrouver, à l'occasion de Noël, rattaché aux fidèles de tous les continents -- à tous ceux aussi qui nous sont unis dans la foi en Dieu -- les dures réalités de l'heure jettent sur la joyeuse solennité l'ombre attristante des nuées qui pèsent encore sur le monde d'une manière menaçante. Nous savons bien avec quelle satisfaction intime et avec quelle docilité inconditionnée Nos fils dévoués écoutent toujours la voix du Père commun, mais Nous n'ignorons pas non plus avec quelle anxiété ils attendent de nouveau une parole de Lui sur la grande question de la paix, qui émeut et qui agite tous les cœurs, une parole précise et concrète spécialement sur *la contribution de l'Église à la cause de la paix elle-même *; à savoir en quoi cette contribution ne peut pas consister ; en quoi elle peut et doit consister ; en quoi elle consiste réellement. Daigne le Père céleste qui, à la naissance de son divin Fils, envoya les chœurs des anges chanter la paix sur la terre, inspirer Nos paroles ! #### I. -- L'Église n'est pas neutre en face du bien et du mal La situation actuelle demande de Nous un jugement franc et sincère sur les faits, Ces faits sont devenus si clairs qu'ils nous obligent à voir le monde scindé en deux camps opposés, l'humanité elle-même divisée en deux groupes si nettement séparés qu'ils sont difficilement disposés à laisser à qui que ce soit, ou en quelque manière que ce soit, la liberté de maintenir entre les partis adverses une attitude de neutralité politique. 92:41 Or, ceux qui, à tort, considèrent l'Église comme une quelconque puissance terrestre, comme une sorte d'empire mondial, sont facilement amenés à exiger d'elle, comme des autres, la renonciation à la neutralité, l'option définitive en faveur de l'un ou de l'autre parti. Il ne peut toutefois s'agir pour l'Église de renoncer à une neutralité politique, pour la simple raison qu'elle ne peut se mettre au service d'intérêts purement politiques. Et que l'on ne s'imagine pas que ceci soit un pur jeu de mots et de concepts. Il suffit, pour Nous comprendre, d'avoir une notion élémentaire du fondement sur lequel repose l'Église comme société, sans qu'il soit besoin de plus amples explications. Le divin Rédempteur a fondé l'Église dans le but de communiquer par son intermédiaire à l'humanité sa vérité et sa grâce jusqu'à la fin des temps. L'Église est son Corps mystique. Elle est entièrement au Christ et le Christ est à Dieu (I Cor., III, 25). Des hommes politiques, et parfois même des hommes d'Église, qui voudraient faire de l'Épouse du Christ leur alliée ou l'instrument de leurs combinaisons nationales ou internationales, porteraient atteinte à l'essence même de l'Église et causeraient un dommage à sa vie propre : en un mot, ils l'abaisseraient au plan même sur lequel se débattent les conflits d'intérêts temporels. Et ceci est et demeure vrai même si des fins en soi légitimes en étaient la raison. Qui donc voudrait détacher l'Église de sa neutralité supposée, ou faire pression sur elle dans la question de la paix, ou réduire *son droit de déterminer librement si et quand et comment elle veut prendre parti dans les différents conflits,* ne faciliterait pas sa coopération à l'œuvre de la paix, car une telle prise de parti de la part de l'Église, même dans les choses politiques, ne peut jamais être purement politique, mais doit toujours se présenter « *sub specie aeternitatis* », dans la lumière de la loi divine, de son ordre, de ses valeurs, de ses normes. Le cas n'est pas rare où l'on voit des puissances et des institutions purement terrestres sortir de leur neutralité pour se ranger aujourd'hui dans un camp, demain peut être dans un autre. C'est un jeu de combinaisons qui peut s'expliquer par les fluctuations incessantes des intérêts temporels. 93:41 Mais l'Église se tient à l'écart de semblables combinaisons changeantes. Si elle juge, ce n'est pas de sa part sortir d'une neutralité jusque là observée, car *Dieu n'est jamais neutre envers les choses humaines, en face du cours de l'histoire ; et à cause de cela, son Église non plus ne peut pas être telle. Si elle parle, c'est en raison de sa mission divine voulue par Dieu. Si elle parle et porte un jugement sur les problèmes du jour, c'est avec la conscience claire d'anticiper, par la vertu du Saint-Esprit, la sentence qu'à la fin des temps son Seigneur et Chef, Juge de l'univers, confirmera et sanctionnera.* Telle est la *fonction propre et surhumaine* de l'Église au regard des *choses politiques.* Que veut donc dire la phrase vide de sens où il est question d'une neutralité à laquelle l'Église devrait renoncer ? D'autres, au contraire, veulent la neutralité de l'Église dans l'intérêt de la paix. Mais ceux-là non plus n'ont pas une juste idée de la place qu'occupe l'Église dans le cours des grands événements mondiaux. Elle ne peut descendre de la haute sphère surnaturelle qui ne connaît pas de neutralité politique -- dans le sens où ce concept s'applique aux puissances terrestres -- ce qui n'exclut pas, mais approfondit au contraire la part qu'elle prend aux angoisses et aux souffrances de ses membres séparés dans l'un ou l'autre camp, et l'inquiétude qu'elle éprouve en voyant s'opposer les opinions et les désirs dans ses propres rangs. L'Église ne peut consentir à juger selon des critères exclusivement politiques ; elle ne peut lier les intérêts de la religion à des orientations déterminées par des buts purement terrestres ; elle ne peut s'exposer au danger que l'on ait des raisons de douter de son caractère religieux : elle ne peut oublier, ne fût-ce qu'un moment, que *sa qualité* de *représentante de Dieu sur la terre ne lui permet pas de demeurer indifférente, même un seul instant, entre le* BIEN *et le* MAL *dans les choses humaines.* Si on le lui demandait, elle devrait s'y refuser, et les fidèles de l'un et de l'autre parti devraient, en vertu de leur foi et de leur espérance surnaturelle, comprendre et respecter une telle attitude de sa part. 94:41 #### II. -- L'Église a une mission de paix Car enfin, si cette contribution ne peut être exclusivement politique, si l'Église n'a pas sa place normale et sa mission essentiellement là où les États, amis, adversaires ou neutres, se rencontrent continuellement, apportant avec eux leurs idées et leurs tendances politiques concrètes, quelle devra donc être sa contribution à la paix ? Quel sera le titre juridique, quelle sera la nature particulière de cette contribution ? Son titre juridique ? Regardez. En aucun endroit vous ne le trouverez aussi évident et aussi palpable que devant le berceau de Bethléem. L'enfant qui y repose est le Fils éternel de Dieu fait homme, et son nom est « *Princeps Pacis* », Prince de la paix. Prince et fondateur de la paix, tel est le caractère du Sauveur et Rédempteur de tout le genre humain. Sa haute et divine mission est d'établir la paix entre chacun des hommes de Dieu, entre les hommes eux-mêmes et entre les peuples. Cette mission, cependant, et cette volonté de paix, ne naissent pas d'une pusillanimité et d'une faiblesse capables d'opposer au mal uniquement la résignation et la patience. Tout dans la fragilité de l'enfant de Bethléem est majesté et force contenue, que l'amour seul retient, pour donner aux Cœurs des hommes la capacité de faire germer et de maintenir la paix, et la vigueur pour vaincre et dissiper tout ce qui pourrait en compromettre la sûreté. Mais le Sauveur divin est aussi le Chef invisible de l'Église : c'est pourquoi sa mission de paix continue à subsister et à valoir dans l'Église. Chaque année le retour de Noël ravive en elle l'intime conscience de son titre à contribuer à l'œuvre de la paix, titre unique, qui transcende toute chose terrestre et émane directement de Dieu, élément essentiel de sa nature et de sa puissance religieuse. Cette année encore l'Église se prosterne devant la crèche, et le divin enfant, Prince de la paix, lui transmet sa mission. Près de Lui, elle respire le souffle de la véritable humanité, véritable dans le sens le plus plein du terme, car c'est l'humanité même de Dieu, son Créateur, son Rédempteur et son Restaurateur. Les yeux amoureusement fixés sur le visage du Prince infiniment aimable de la paix, elle sent les battements de son cœur annoncer l'amour qui embrasse tous les hommes, elle s'enflamme d'un zèle ardent pour la mission pacificatrice de son Seigneur et Chef, mission qui est aussi la sienne. 95:41 La conscience de cette mission de paix s'est toujours révélée vivante et efficacement opérante dans l'Église, *spécialement en ses chefs visibles, les Pontifes romains ;* aussi est-ce à bon droit que notre grand prédécesseur Léon XIII rappela à la mémoire des peuples cette *action pacificatrice des Papes* quand en 1899, à la veille de la première Conférence pour la paix, il prononçait ces paroles : « Et ce qui les incita (les Pontifes romains) ce fut la conscience d'un ministère très haut, ce fut l'impulsion d'une paternité spirituelle qui unit comme des frères et qui sauve. -- Et aujourd'hui encore, c'est la même chose, comme Nous l'avons déjà dit. Pauvres myopes, dont le champ de vue restreint ne s'étend pas au-delà des possibilités qui peuvent se rencontrer à l'heure présente, au-delà des chiffres des potentiels militaires et économiques ! Comment pourraient-ils se faire la moindre idée *du poids et de l'importance de l'autorité religieuse pour la solution du problème de la paix ?* Esprits superficiels, incapables de voir dans toute sa vérité et dans toute son ampleur la valeur créatrice du Christianisme, comment pourraient-il ne pas demeurer sceptiques et méprisants à l'égard de la puissance pacificatrice de l'Église ? Mais les autres -- et Dieu veuille, qu'ils soient la majorité -- se rendront compte plus ou moins consciemment que, en soustrayant à l'autorité religieuse de l'Église ce qui est présupposé pour une action efficace en faveur de la paix, la condition tragique du monde moderne a été rendue encore plus grave. Le fait qu'un grand nombre d'hommes a fait défection de la foi catholique a poussé à cette faute presque intolérable. Et l'on dirait que Dieu a répondu au crime, qui consiste à s'éloigner du Christ, par le fléau d'une menace permanente pesant sur la paix et du cauchemar angoissant de voir la guerre éclater. La valeur de la contribution que l'Église apporte à l'œuvre de la paix est aussi incomparable que son titre juridique. #### III. -- L'Église et les états L'Église n'est pas une société politique, mais religieuse ; cela toutefois ne l'empêche pas *d'être avec les États dans des rapports non seulement extérieurs, mais aussi intérieurs et vitaux.* 96:41 L'Église, en effet, a été fondée par le Christ comme une Société visible, et comme telle elle se rencontre avec les États sur le même territoire, elle embrasse dans sa sollicitude les mêmes hommes et, en de multiples formes et sous divers aspects, elle use des mêmes biens et des mêmes institutions. A ces rapports extérieurs et comme naturels, dus à la vie des hommes en commun, s'en ajoutent d'autres, intérieurs et vitaux, qui ont leur principe et leur origine dans la personne de Jésus-Christ, en tant que Chef de l'Église. Car le Fils de Dieu, en se faisant homme, et vrai homme, contracta par le fait même un *nouveau rapport vraiment vital avec le corps social de l'humanité,* avec le genre humain, dans son unité, qui implique l'égale dignité personnelle de tous les hommes, et dans les multiples sociétés particulières, celles surtout qui, au sein de cette unité, sont nécessaires pour assurer l'ordre extérieur et la bonne organisation, ou qui du moins leur donnent un plus grand perfectionnement naturel. A ces sociétés appartiennent en premier lieu la famille, l'État et aussi la Société des États, car *le bien commun, fin essentielle de chacune d'elles, ne peut ni exister ni être conçu sans leur relation intrinsèque avec l'unité du genre humain.* Sous cet aspect, *l'union indissoluble des États est un postulat naturel,* un fait qui s'impose à eux et auquel, bien que parfois avec hésitation, ils se soumettent comme à la voix de la nature, s'efforçant d'ailleurs de donner à leur union un règlement extérieur stable, une organisation. L'État et la Société des États avec son organisation par leur nature, selon le caractère social de l'homme, et malgré toutes les ombres, comme l'atteste l'expérience de l'histoire -- sont donc des formes de l'unité et de l'ordre entre les hommes, nécessaires à la vie humaine et coopérant à son perfectionnement. Leur concept même dit la tranquillité de l'ordre, cette « *tranquillitas ordinis* » qui est la définition que saint Augustin donne de la paix ; elles sont essentiellement une organisation pour la paix. Avec l'État et la Société des États considérés comme une organisation pour la paix, Jésus-Christ, Prince de la paix -- et avec Lui l'Église, dans laquelle il continue à vivre -- est entré dans un *nouveau rapport intime d'élévation et de confirmation vitales.* Tel est le fondement de la contribution singulière que l'Église donne à la paix par sa nature, autrement dit quand son existence et son action entre les hommes ont la place qui leur revient. 97:41 Et comment s'effectue tout ceci, sinon par le moyen de l'influence continue, illuminante et fortifiante de la grâce du Christ sur l'intelligence et sur la volonté des citoyens et de leurs chefs, afin que ceux-ci reconnaissent et poursuivent les buts assignés par le Créateur dans tous les domaines de la vie des hommes en commun, qu'ils s'appliquent à diriger vers ces fins la collaboration des individus et des peuples, et exercent la justice et la charité sociales à l'intérieur des États et entre eux ? Si l'humanité, se conformant à la volonté divine, applique ce sûr moyen de salut qu'est le parfait ordre chrétien dans le monde, elle verra bien vite s'évanouir pratiquement jusqu'à la possibilité de la guerre juste elle-même, qui n'aura plus de raison d'être du moment que sera garantie l'activité de la Société des États comme véritable organisation pour la paix. #### IV. -- L'ordre chrétien Quelle est la contribution pratique que l'Église donne à la cause de la paix ? Nos dernières paroles montrent clairement Notre pensée sur ce problème. Aujourd'hui encore, comme d'autres fois déjà, devant la crèche du divin Prince de la paix, Nous Nous voyons dans la nécessité de déclarer : le monde est bien éloigné de l'ordre voulu par Dieu dans le Christ, cet ordre qui garantit une paix réelle et durable. On dira peut-être que dans ce cas il ne valait pas la peine de tracer les grandes lignes de cet ordre et de mettre en lui la contribution fondamentale de l'Église à l'œuvre de la paix. On Nous opposera enfin que Nous donnons effectivement raison à qui voit dans la « paix armée » le mot dernier et définitif dans la cause de la paix, solution déprimante pour les forces économiques des peuples, exaspérante pour leurs nerfs. Nous estimons cependant indispensable de fixer le regard sur l'ordre chrétien, aujourd'hui perdu de vue par trop de gens, si on veut non seulement en théorie mais aussi en pratique se rendre compte de la contribution que tous, et en premier lieu l'Église, peuvent en vérité apporter, même en des circonstances défavorables et en dépit des sceptiques et des pessimistes. 98:41 Avant tout, ce regard convaincra tout observateur impartial que *le nœud du problème de la paix est présentement d'ordre spirituel,* qu'il est déficience ou défaut spirituel. Trop rare dans le monde d'aujourd'hui est le sens profondément chrétien, trop peu nombreux sont les vrais et parfaits chrétiens. De la sorte, les hommes eux-mêmes mettent obstacle à la réalisation de l'ordre voulu par Dieu. Il faut que chacun se persuade du caractère spirituel inhérent au péril de guerre. Inspirer une telle persuasion est en premier lieu un devoir de l'Église, c'est aujourd'hui sa première contribution à la paix. Nous aussi -- et plus que personne -- Nous déplorons la monstrueuse cruauté des armes modernes. Nous les déplorons et Nous ne cessons de prier Dieu qu'elles ne soient jamais employées. Mais, d'autre part, *n'est-ce pas une sorte de matérialisme pratique, de sentimentalisme superficiel, que de considérer dans le problème de la paix uniquement ou principalement l'existence et la menace de telles armes, alors qu'on ne fait aucun cas de l'absence de l'ordre chrétien, qui est le vrai garant de la paix *? De là, entre autres motifs, les désaccords et même les inexactitudes sur la licéité ou l'illicéité de la guerre moderne ; de là également *l'illusion d'hommes politiques qui comptent trop sur l'existence ou la disparition de ces armes.* La terreur qu'elles inspirent perd à la longue son efficacité, comme toute autre cause d'épouvante ; ou du moins ne suffirait pas, l'occasion venue, à arrêter le déchaînement d'une guerre, spécialement là où les sentiments des citoyens n'ont pas un poids suffisant sur les déterminations de leurs gouvernements. D'autre part le désarmement, c'est-à-dire la réduction simultanée et réciproque des armements, que Nous avons toujours désirée et appelée, est une garantie *peu solide* de paix durable, si elle n'est pas accompagnée de l'abolition des armes de la haine, de la cupidité et du désir démesuré de prestige. En d'autres termes, qui unit trop étroitement la question des armes matérielles avec celle de la paix, a le tort de négliger l'aspect premier et spirituel de tout péril de guerre. Son regard ne va pas au-delà des chiffres, et en outre il est nécessairement limité au moment où le conflit menace d'éclater. Ami de la paix, il arrivera toujours trop tard pour la sauver. 99:41 Si l'on veut vraiment empêcher la guerre, *on doit avant tout chercher à subvenir à l'anémie spirituelle des peuples,* à l'inconscience de leur propre responsabilité devant Dieu et devant les hommes, du fait que manque l'ordre chrétien, lequel est *seul capable d'assurer la paix.* Voilà vers quoi sont actuellement tournés les efforts de l'Église. Mais elle se heurte ici à une difficulté particulière, due à la forme des conditions sociales actuelles : son exhortation en faveur de *l'ordre social chrétien,* en tant que facteur principal de pacification, est en même temps un stimulant à la juste conception de la vraie liberté. Car finalement, l'ordre chrétien, en tant qu'organisation pour la paix, est essentiellement un ordre de liberté. Il est le concours solidaire d'hommes et de peuples libres pour la réalisation progressive, dans tous les domaines de la vie, des buts assignés par Dieu à l'humanité. C'est pourtant un fait douloureux qu'aujourd'hui on n'estime plus ou ne possède plus la vraie liberté. Dans ces conditions, la vie des hommes en commun, comme organisation pour la paix, est intérieurement énervée et exsangue, extérieurement exposée à des périls constants. #### V. -- La société moderne perd le sens de la liberté Ceux qui, par exemple dans le domaine économique ou social, voudraient tout faire retomber sur la société, même la direction et la sécurité de leur existence ; ou qui *attendent aujourd'hui leur unique nourriture spirituelle quotidienne* toujours moins d'eux-mêmes -- c'est-à-dire de leurs propres convictions et connaissances -- et toujours plus, déjà préparée, *de la presse, de la radio, du cinéma, de la télévision,* comment pourraient-ils concevoir la vraie liberté, comment pourraient-ils l'estimer et la désirer, si elle n'a plus de place dans leur vie ? Cela veut dire que les hommes ne sont plus que de simples rouages dans les divers organismes sociaux ; ce ne sont plus des hommes libres, capables d'assumer ou d'accepter une part de responsabilité dans les affaires publiques. 100:41 C'est pourquoi, s'ils crient aujourd'hui : « Jamais plus de guerre ! », comment serait-il possible de se fier à eux ? Ce n'est pas, en effet, leur voix ; c'est la voix anonyme du groupe social dans lequel ils se trouvent engagés. Telle est la condition douloureuse qui entrave l'Église dans ses efforts de pacification, dans ses rappels à la conscience de la vraie liberté humaine, élément indispensable, selon la conception chrétienne de l'ordre social considéré comme organisation de paix. En vain multiplierait-elle ses appels à des hommes privés de conscience, et encore plus inutilement les adresserait-elle à une société réduite à un pur automatisme. *Telle est la faiblesse malheureusement trop répandue d'un monde qui aime à s'appeler avec emphase* « *le monde libre* »*.* Il s'illusionne et ne se connaît pas lui-même : sa force ne réside pas dans la vraie liberté. C'est un nouveau péril qui menace la paix et qu'il faut dénoncer à la lumière de l'ordre social chrétien. De là dérive aussi chez bien des personnes autorisées du monde dit « libre » une aversion contre l'Église, contre cette importune qui recommande quelque chose que l'on n'a pas, mais que l'on prétend avoir et que, par un étrange renversement d'idées, on lui refuse précisément à elle : Nous voulons dire l'estime et le respect de l'authentique liberté. Mais *l'invitation de l'Église trouve encore moins de résonance dans le camp opposé.* Là, en effet, on prétend être en possession de la véritable liberté parce que la vie sociale ne flotte pas suspendue à l'inconsistante chimère de l'individu autonome, ni ne rend l'ordre public le plus possible indifférent à des valeurs présentées comme absolues, mais où tout est étroitement lié et ordonne à l'existence et au développement d'une collectivité déterminée. Le résultat, toutefois, du système dont Nous parlons actuellement n'a pas été heureux, et l'action de l'Église n'y est pas devenue plus facile, car *là se trouve encore moins protégé le véritable concept de la liberté et de la responsabilité personnelle.* Et comment pourrait-il en être autrement alors que Dieu n'y occupe pas sa place souveraine, que la vie et l'activité du monde ne gravitent pas autour de Lui, n'ont pas en Lui leur centre ? La société n'est qu'une énorme machine dont l'ordre n'est qu'apparent, car ce n'est plus l'ordre de la vie, de l'esprit, de la liberté, de la paix. Comme dans une machine, l'activité s'exerce matériellement, destructrice de la dignité humaine et de la liberté. 101:41 Dans une telle société, la contribution de l'Église à la paix, et son exhortation à l'ordre vrai dans la vraie liberté, se trouvent dans des conditions très défavorables. Les prétendues valeurs sociales absolues peuvent cependant enthousiasmer une certaine jeunesse à un moment important de la vie, alors que dans l'autre camp, il n'est pas rare qu'une autre jeunesse, prématurément désillusionnée par d'amères expériences, soit devenue sceptique, fatiguée, et incapable de s'intéresser à la vie publique et sociale. #### VI. -- Le règne de Dieu La paix, comme nous l'avons dit, ne peut être assurée si Dieu ne règne pas dans l'ordre de l'Univers par Lui établi, dans la Société dûment organisée des États, dans laquelle chacun d'eux réalise, à l'intérieur, l'organisation de paix des hommes libres et de leurs familles, et à l'extérieur celle des peuples, dont l'Église, dans son champ d'action et selon son office, se fait garante. Tel a toujours été le désir des hommes grands et sages, même en dehors d'elle, et dernièrement encore, à l'occasion du Concile (Concile du Vatican, *Postulata Patrum de re militari et bello,* coll. Lac., t. VII, n° 9, pp. 861-866). En attendant, l'Église apporte sa contribution à la paix en suscitant et en stimulant l'intelligence pratique du nœud spirituel du problème ; fidèle à l'esprit de son divin Fondateur et à sa mission de charité, elle s'efforce, selon ses possibilités, d'offrir ses bons offices partout où elle voit surgir une menace de conflit entre les peuples. Ce Siège Apostolique surtout ne s'est jamais soustrait ni ne se soustraira jamais à un tel devoir : Nous savons bien, et Nous le déplorons avec un cœur profondément affligé, que Notre invitation à la paix, dans de vastes régions du monde, n'arrive qu'amortie à une ÉGLISE DU SILENCE. Des millions d'hommes ne peuvent professer ouvertement leur responsabilité devant Dieu pour la paix. Dans leurs foyers même, dans leurs églises, jusqu'à l'antique tradition de la crèche, si intime et si familière, a été exterminée par l'arbitraire despotique des puissants. 102:41 Des millions d'hommes ne sont pas en état d'exercer leur influence chrétienne en faveur de la liberté morale, en faveur de la paix, parce que ces paroles -- liberté et paix sont devenues *le monopole usurpé de perturbateurs de profession et d'adorateurs de la force.* Néanmoins, *tout en ayant les mains liées et les lèvres closes, l'Église du silence répond hautement à Notre invitation.* Elle indique du regard les tombes encore fraîches de ses martyrs, les chaînes de ses confesseurs, dans la confiance que son holocauste muet et ses souffrances seront les plus solides renforts à la cause de la paix, parce qu'ils sont la plus haute évocation et le titre le plus puissant pour obtenir du divin Prince de la paix grâce et miséricorde dans l'accomplissement de sa mission. « *Da pacem Domine in diebus nostris* » : Accordez, Seigneur, la paix à notre temps ! 103:41 ### Les trois formes de la coexistence C'est dans son Message de Noël 1954 que Pie XII a traité à fond la question de la « coexistence pacifique ». Voici le texte intégral de ce Message. Nous le faisons suivre d'extraits des Messages de Noël 1955 et 1956 où le Souverain Pontife est revenu sur le même sujet pour écarter les interprétations erronées qui avaient été faites de sa pensée et pour préciser ce qui avait été insuffisamment compris. ECCE EGO *declinabo super eam quasi fluvium pacis :* « Voici que je ferai couler sur elle comme un fleuve de paix. » Cette promesse, annoncée dans la prophétie messianique d'Isaïe et accomplie en son sens mystique par le Verbe incarné de Dieu dans la nouvelle Jérusalem, l'Église, Nous désirons, chers fils et chères filles de l'univers catholique, qu'elle retentisse encore une fois sur toute la famille humaine, comme le souhait de Notre Cœur en cette veille de Noël. Un fleuve de paix sur le monde ! C'est là le vœu que Nous avons le plus longtemps nourri en Notre âme, pour lequel Nous avons prié avec le plus de ferveur, et auquel Nous Nous sommes consacré depuis le jour où il plut à la divine Bonté de confier à Notre humble personne la haute et redoutable charge de Père commun des peuples, charge propre au Vicaire de Celui à qui les nations sont promises en héritage. Embrassant d'un regard d'ensemble les années écoulées de Notre Pontificat sous l'aspect du mandat que Nous confère l'universelle paternité dont Nous sommes investi, il Nous semble que la divine Providence ait le dessein de Nous confier la mission particulière de contribuer à reconduire l'humanité, par une action patiente et presque épuisante, sur les sentiers de la paix. 104:41 A l'approche de Noël et tandis que se fait plus vif en Nous le désir d'accourir à la crèche du Prince de la paix pour Lui offrir, comme le don qui Lui soit le plus agréable, l'humanité pacifiée et tout entière regroupée comme en une seule famille, il Nous fut au contraire réservé, durant les six premières années, l'amertume sans nom de ne voir autour de Nous que des peuples en armes, emportés par une rage insensée de mutuelle destruction. Nous espérions, et beaucoup espéraient avec Nous, qu'enfin apaisée cette excitation de haine et de vengeance, se serait levée au plus tôt l'aube d'une période de concorde assurée. On vit au contraire se prolonger cet état angoissant de malaise et de péril que l'opinion désigna sous le nom de « guerre froide » : car en réalité il n'avait rien de commun, ou bien peu, avec la vraie paix, et ressemblait beaucoup à une trêve, menacée par le moindre choc. Notre retour annuel à la crèche du Rédempteur continua de n'être qu'une mélancolique offrande de douleurs et d'angoisses, avec le vif désir d'y puiser le courage nécessaire pour ne point renoncer à exhorter les hommes à la paix, en leur montrant le juste chemin. Pouvons-Nous au moins aujourd'hui, en ce seizième Noël de Notre Pontificat, réaliser ce souhait ? Aux dires de beaucoup, à la guerre froide s'est substituée lentement une période de détente entre les partis en opposition -- sorte de permission mutuelle de reprendre sa respiration -- détente à laquelle fut donné, non sans quelque ironie, le nom de « paix froide ». Encore que Nous reconnaissions volontiers qu'elle représente un certain progrès dans le laborieux acheminement vers la paix proprement dite, toutefois elle n'a pas encore la ferveur digne du mystère de Bethléem, où « apparut la bonté et l'amour de Dieu notre sauveur pour les hommes ». Elle contraste en vérité trop vivement avec l'esprit de cordialité, de sincérité et de clarté qui règne autour de la crèche du Rédempteur. 105:41 Qu'entend-on, en effet, dans le monde de la politique, par « paix froide », sinon la pure coexistence de divers peuples, entretenue par la crainte mutuelle et la désillusion réciproque ? Or il est clair que *la simple coexistence ne mérite pas le nom de paix,* telle que la tradition chrétienne, formée à l'école des esprits supérieurs d'un Augustin et d'un Thomas d'Aquin, a appris à la définir : « *tranquillitas ordinis* ». La paix froide n'est qu'un calme provisoire, dont la durée est conditionnée par le sentiment instable de la crainte et le calcul fluctuant des forces en présence ; elle n'a rien de l' « ordre » juste, lequel suppose une série de rapports convergeant vers un *but commun* juste et droit. Et comme, de plus, *elle exclut tout lien d'ordre spirituel entre les peuples coexistant dans la juxtaposition,* la paix froide est bien loin de celle qu'a prêchée et voulue le Divin Maître : celle-ci est fondée sur l'union des esprits dans la même vérité et dans la charité, et saint Paul la définit : « *pax Dei* » (Phil., IV, 7), la paix de Dieu qui engage avant tout les intelligences et les cœurs, et s'exprime en une harmonieuse collaboration dans tous les domaines de la vie, sans en exclure le domaine politique, social et économique. Voilà pourquoi Nous n'osons pas offrir la paix froide au Divin Enfant. Elle n'est pas la *pax* simple et solennelle que chantèrent les Anges aux bergers dans la sainte nuit ; encore moins est-elle la *pax Dei* qui surpasse tout sentiment et qui est source de joie intime et pleine ; mais elle n'est pas davantage celle que rêve et que souhaite l'humanité présente déjà si affligée. Nous Nous proposons toutefois d'examiner en particulier les insuffisances de cette paix froide, afin que de son vide et de son incertaine durée naisse impérieux chez les dirigeants des peuples et chez ceux qui peuvent exercer quelque influence en ce domaine, le désir de la changer au plus tôt en une vraie paix ; et celle-ci est, en fait, le Christ lui-même. Car, si la paix est ordre, et si l'ordre est unité, le Christ est le seul qui puisse et veuille unir les esprits humains dans la vérité et dans l'amour. C'est en ce sens que l'Église Le désigne aux nations, par les paroles du prophète, comme étant Lui-même la paix : « *Et erit Iste pax* » (Michée, V, 5). #### I. -- La coexistence dans la crainte. L'impression commune, née de la simple observation des faits, est que le principal fondement sur lequel s'appuie l'actuelle situation de calme relatif, c'est la crainte. 106:41 Chacun des camps entre lesquels se divise la famille humaine tolère que l'autre existe parce qu'il ne veut pas périr lui-même. Évitant ainsi le risque fatal, les deux groupes n'ont pas de vie commune, mais coexistent. Ce n'est pas pour autant l'état de guerre ; ce n'est pas pour autant la paix : c'est un calme froid. En chacun des deux camps règne la crainte obsédante de la puissance militaire et économique de l'autre ; chez l'un et l'autre l'appréhension est vive pour les effets catastrophiques des toutes dernières armes. Avec une attention pleine d'angoisse, chacun suit le développement technique des armements de l'autre et ses capacités de production économique, tandis qu'il confie à sa propre propagande le soin de tirer parti de la crainte de l'autre, en renforçant et étendant ce sentiment. Sur le terrain concret de la politique, il semble d'ailleurs qu'on ne fasse plus confiance aux principes rationnels ou moraux, emportés après tant de désillusions par une vague profonde de scepticisme. L'absurdité la plus manifeste qui résulte d'un si lamentable état de choses est la suivante : la pratique politique actuelle, tout en redoutant la guerre comme la catastrophe suprême, lui conserve tout son crédit comme si elle était l'unique expédient pour subsister et l'unique régulatrice des rapports internationaux. En un certain sens, on se confie en ce qu'on abhorre par-dessus tout. Mais une telle pratique politique a induit beaucoup d'esprits, parmi les gouvernants eux-mêmes, à réviser tout le problème de la paix et de la guerre, et à se demander sincèrement si, pour se préserver de la guerre et garantir la paix, on ne devrait pas chercher en des régions plus hautes et plus humaines que celles qui ne sont dominées que par la terreur. En sorte que s'est accru le nombre de ceux qui se révoltent à l'idée d'être obligés de se contenter de la pure coexistence -- renonçant à des rapports plus vitaux avec l'autre camp -- et d'être contraints à vivre tous les jours de leur existence dans une atmosphère de crainte épuisante. Ainsi en sont-ils venus à considérer le problème de la paix et de la guerre comme un fait de responsabilité supérieure et chrétienne devant Dieu et devant la loi morale. Il est certain que même cette nouvelle manière de considérer le problème comporte l'élément « crainte » comme frein à la guerre et stimulant à la paix ; mais il s'agit là de *la crainte salutaire de Dieu, qui défend et garantit l'ordre moral,* et donc, comme l'enseigne le Psalmiste, du commencement de la sagesse (Ps CX, 10). 107:41 Le problème porté à ce niveau, plus élevé et seul digne de créatures raisonnables, a fait réapparaître nettement l'absurdité de la doctrine qui a régné dans les écoles politiques de ces dernières décades, à savoir : que la guerre est une des nombreuses formes admises de l'action politique, l'issue nécessaire et quasi naturelle des incurables dissensions entre deux pays ; que la guerre est donc un fait étranger à toute responsabilité morale. Absurde et inadmissible est également apparu le principe, lui aussi longtemps reçu, selon lequel l'homme d'État qui déclare une guerre serait seulement sujet, s'il la perd, à se voir reprocher une erreur politique, mais ne pourrait en aucun cas être accusé de faute morale et de crime pour n'avoir pas, alors qu'il le pouvait, conservé la paix. C'est précisément cette conception absurde et immorale de la guerre qui rendit vains, au cours des fatales semaines de 1939, Nos efforts tendant à soutenir dans les deux camps la volonté de continuer à traiter. La guerre fut alors considérée comme un dé dont on joue avec une prudence et une habileté plus ou moins grande, mais non pas comme un fait moral qui engage la conscience et les responsabilités supérieures. Il fallut les immenses champs de tombes et de ruines pour que se révélât le vrai visage de la guerre : non un jeu de hasard plus ou moins heureux entre des intérêts, mais la tragédie, plus spirituelle que matérielle, de millions d'hommes ; non le risque de quelques biens, mais la perte de tout ; un fait d'une énorme gravité. Comment est-il possible -- se demandèrent alors un grand nombre avec la simplicité et la vérité du bon sens que, tandis que chacun se sent pressé par la responsabilité morale de ses actions les plus ordinaires, l'horrible fait de la guerre, qui est pourtant le fruit de la libre détermination d'une personne, puisse se soustraire à l'empire de la conscience, et qu'il n'existe pas un Juge auquel les innocentes victimes aient accès ? Dans ce climat naissant de retour du peuple à la raison, Notre cri « guerre à la guerre » -- par lequel, en 1944, Nous déclarions la lutte au pur formalisme de l'action politique et aux doctrines de la guerre qui ne tiennent compte ni de Dieu ni de ses commandements trouva un large écho. 108:41 Ce salutaire retour à la raison, loin de s'estomper, s'est encore approfondi et étendu au cours des années de la guerre froide, peut-être parce que l'expérience prolongée a fait ressortir davantage l'absurdité d'une vie contrôlée par la crainte. Ainsi la paix froide, avec ses propres incohérences et ses inconvénients, semble s'orienter vers la reconnaissance de la doctrine de l'Église sur la guerre juste et injuste, sur la licéité et l'illicéité du recours aux armes. On atteindra certainement ce but si, de part et d'autre, on revient, avec un esprit sincère et quasi religieux, à la considération de la guerre comme objet de l'ordre moral, dont la violation constitue réellement une faute qui ne reste pas impunie. On y arrive si, pratiquement, les hommes politiques, avant d'évaluer les avantages et les risques de leurs décisions, se reconnaissent personnellement sujets des lois morales éternelles, et *traitent le problème de la guerre comme une question de conscience devant Dieu.* Pour délivrer le monde de l'angoissant cauchemar, il n'y a pas, dans les circonstances présentes, d'autre moyen que de recourir à la crainte de Dieu ; celle-ci n'abaisse pas celui qui s'y livre, elle le préserve au contraire du crime affreux qu'est la guerre non imposée. Et qui pourrait s'étonner que la paix et la guerre réapparaissent dès lors étroitement liées à la vérité religieuse ? Toute la réalité est de Dieu : c'est précisément *dans le fait de détacher la réalité de ce qui est son principe et sa fin, que réside la racine de tout mal.* De là aussi découle avec évidence *qu'un effort ou une propagande pacifiste provenant* de *ceux qui nient toute foi en Dieu sont toujours très douteux* et incapables d'atténuer ou d'éliminer le sentiment de crainte angoissée, *si même ils ne sont pas menés à dessein comme un expédient pour provoquer un effet tactique d'excitation et de confusion.* La coexistence dans la crainte n'a ainsi que deux perspectives devant elle : -- ou elle s'élèvera jusqu'à une coexistence dans la crainte de Dieu, et de là à une vie en commun dans la vraie paix, inspirée et contrôlée par Son ordre moral ; -- ou bien elle se contractera toujours davantage dans une glaciale paralysie de la vie internationale dont les graves dangers sont prévisibles dès maintenant. 109:41 En effet, freiner longtemps la naturelle expansion de la vie des peuples pourrait finalement conduire ceux-ci à l'issue désespérée que justement l'on veut éviter : la guerre. Aucun peuple, au surplus, ne supporterait indéfiniment la course aux armements sans en ressentir des effets désastreux dans son développement économique normal. *Vains seraient les accords eux-mêmes tendant à imposer une limitation des armements.* Là où manquerait la base morale de la crainte de Dieu, *ces accords, s'ils étaient jamais conclus, deviendraient source de nouvelle et réciproque défiance.* Reste donc, souhaitable et lumineuse, l'autre voie qui, partant de la crainte de Dieu, conduit avec son aide à la vraie paix, laquelle est sincérité, chaleur et vie, digne à ce titre de Celui qui nous a été donné, afin que les hommes aient en Lui, et surabondamment, la vie (Jean, X, 10). #### II. -- la coexistence dans l'erreur. Bien que la « guerre froide » -- et cela vaut également pour la « paix froide » -- maintienne le monde dans une nuisible scission, elle n'empêche pas, jusqu'à présent, qu'en lui ne batte un intense rythme de vie. En vérité, il s'agit là d'une vie qui se développe presque exclusivement sur le plan économique. Mais il est indéniable que l'économie, profitant de l'incessant progrès de la technique moderne, est parvenue par une activité fébrile à des résultats surprenants, propres à laisser prévoir une profonde transformation de la vie des peuples, même de ceux réputés jusqu'ici comme quelque peu arriérés. Sans nul doute, on ne peut refuser à l'économie son admiration pour ce qu'elle a réalisé et pour ce qu'elle promet. Toutefois, avec sa capacité apparemment illimitée de produire des biens sans nombre et avec la multiplicité de ses relations, elle exerce sur beaucoup d'hommes de ce temps une fascination qui dépasse ses possibilités et porte sur des domaines qui lui sont étrangers. Dans l'erreur d'une telle confiance accordée à l'économie moderne se rencontrent encore une fois les deux parties entre lesquelles se divise le monde d'aujourd'hui. Dans l'une de celles-ci on enseigne que, si l'homme a fait preuve de tant de puissance pour créer le merveilleux complexe technico-économique dont il est fier aujourd'hui, il aura aussi la capacité d'organiser la libération de la vie humaine de toutes les privations et de tous les maux dont elle souffre, et d'opérer ainsi une sorte d'auto-rédemption. 110:41 De l'autre côté, au contraire, on voit se répandre la conception selon laquelle il faut attendre de l'économie, et en particulier d'une de ses formes spécifiques qui est le libre-échange, -- la solution du problème de la paix. Nous avons eu déjà d'autres fois l'occasion d'exposer combien de telles doctrines manquent de fondement. Voilà cent ans, les partisans du système du libre échange en attendaient d'admirables résultats, voyant en lui une puissance presque magique. Un de ses plus ardents défenseurs n'hésitait pas à comparer le principe du libre échange, pour l'ampleur de ses effets dans le monde moral, au principe de la gravitation qui régit le monde physique, lui attribuant pour effets propres le rapprochement des hommes, la disparition des antagonismes de race, de foi, de langue, et l'unité de tous les êtres humains dans une paix inaltérable (cf. Richard Cobden, *Speeches on questions of public Policy,* London, Macmillan and Co, 1870, vol. I, pp. 362-363). Le cours des événements a démontré combien trompeuse est l'illusion d'attendre la paix du seul libre échange. Il n'en serait pas autrement dans l'avenir, si l'on persévérait dans cette foi aveugle qui confère à l'économie une imaginaire force mystique. Actuellement, du reste, les faits ne fournissent pas d'arguments qui pourraient de quelque façon garantir les trop belles espérances que nourrissent encore aujourd'hui les héritiers de cette doctrine. En effet, alors que chez l'une des parties coexistant dans la paix froide la liberté économique tellement exaltée n'existe pas encore dans la réalité, chez l'autre elle est complètement rejetée comme un principe absurde. Elles sont donc entre elles diamétralement opposées dans la manière de concevoir les fondements mêmes de la vie ; et ce contraste ne peut être résolu par des forces purement économiques. Bien plus, s'il existe -- comme il est vrai -- des rapports de cause à effet entre le monde moral et le monde économique, ils doivent être ordonnés de telle sorte qu'on attribue le primat au monde moral : c'est à lui qu'il appartient de pénétrer de son esprit, avec autorité, même l'économie sociale. Si cette hiérarchie est ainsi établie et qu'on fait en sorte qu'elle soit réellement observée, l'économie elle-même affermira, selon ses moyens, le monde moral, renforçant les fondements spirituels et les forces de la paix. 111:41 Par ailleurs, le facteur économique pourrait dresser de sérieux obstacles à la paix, particulièrement à la paix froide entendue comme un équilibre de groupements, *s'il affaiblissait par des systèmes erronés l'une des deux parties.* C'est ce qui arriverait, par exemple, si tout le peuple d'un groupement *s'abandonnait, sans discernement et sans égards pour les autres, à augmenter continuellement sa productivité et à élever constamment son niveau de vie.* Il serait alors inévitable que surgissent ressentiments et rivalités chez les peuples voisins, et qu'en conséquence tout le groupe s'affaiblisse. Mais, laissant de côté cette considération particulière, il faut se persuader que les relations économiques entre les nations seront d'autant plus des facteurs de paix qu'elles obéiront davantage aux règles du droit naturel, qu'elles s'inspireront de la charité, auront égard aux autres peuples et seront source d'entraide. Dans les rapports, même seulement économiques, entre les hommes, rien, soyons-en sûrs, ne se produit par soi-même, comme c'est le cas dans la nature, sujette à des lois nécessaires ; mais tout, en substance, dépend de l'esprit. Seul l'esprit, image de Dieu et exécuteur de ses desseins, peut établir sur la terre ordre et harmonie, et il y parviendra, dans la mesure où il se fera interprète fidèle et instrument docile de l'unique Sauveur Jésus-Christ, qui est Lui-même Paix. Mais, dans un autre domaine, encore plus délicat que celui de l'économie, *l'erreur est partagée par les deux parties coexistant dans la paix froide :* il s'agit du domaine concernant les principes qui font leur propre unité. Tandis que l'une des parties fonde sa forte cohésion in terne *sur une idée fausse qui va jusqu'à léser les droits primaires humains et divins,* mais qui se révèle efficace, l'autre, oubliant qu'elle possède déjà en elle une idée vraie et qui a fait ses preuves avec succès dans le passé, semble au contraire s'orienter vers *des principes politiques qui sont de toute évidence destructeurs de son unité.* Pendant la dernière décade, celle de l'après-guerre, un grand souffle de rénovation spirituelle soulevait les âmes : unifier fortement l'Europe, à partir des conditions naturelles de vie de ses peuples, dans le but de mettre un terme aux rivalités traditionnelles qui les opposaient l'un à l'autre et d'assurer la commune protection de leur indépendance et de leur développement pacifique. 112:41 Cette noble idée n'offrait pas de motif de plainte ou de méfiance au monde extra-européen dans la mesure où celui-ci regardait l'Europe d'un bon œil. On était en outre persuadé que l'Europe trouverait facilement en elle-même l'idée animatrice de son unité. Mais les événements qui ont suivi et les récents accords qui ont, croit-on, ouvert la voie à la paix froide, n'ont plus comme base l'idéal d'une plus large unification européenne. Beaucoup estiment, en effet, que la haute politique s'oriente à nouveau vers un type d'État nationaliste, fermé sur lui-même, concentrant ses forces et instable dans le choix de ses alliances, qui de ce fait n'est pas moins pernicieux que celui qui fut en honneur au siècle dernier. On a trop vite oublié l'énorme accumulation de sacrifices de vies et de biens extorqués par ce type d'État, ainsi que les charges économiques et spirituelles écrasantes qu'il imposait. Mais le fond de l'erreur consiste à confondre la vie nationale au sens propre avec la politique nationaliste : la première, droit et gloire d'un peuple, peut et doit être développée ; la seconde, source de maux infinis, ne sera jamais assez rejetée. La vie nationale est, de sa nature, l'ensemble actif de toutes les valeurs de civilisation qui sont propres à un groupe déterminé, le caractérisent et constituent comme le lien de son unité spirituelle. Elle enrichit en même temps, par sa contribution propre, la culture de toute l'humanité. Dans son essence, par conséquent, la vie nationale est quelque chose de non-politique ; c'est si vrai que, comme le démontrent l'histoire et l'expérience, elle peut se développer côte à côte avec d'autres au sein d'un même État, comme elle peut aussi s'étendre au-delà des frontières politiques de celui-ci. La vie nationale ne devint un principe dissolvant pour la communauté des peuples que lorsqu'elle commença à être exploitée comme moyen pour des fins politiques, à savoir quand l'État dominateur et centralisateur fit de la nationalité la base de sa force d'expansion. On eut alors l'État nationaliste, germe de rivalités et source de discordes. Il est clair que si la communauté européenne poursuivait dans cette voie, sa cohésion deviendrait bien fragile en comparaison de celle du groupe qu'elle a en face d'elle. Sa faiblesse se révélerait à coup sûr le jour d'une future paix destinée à régler avec prudence et justice les questions encore pendantes. 113:41 Qu'on ne vienne pas dire que dans les circonstances nouvelles le dynamisme de l'état nationaliste ne représente plus un péril majeur pour les autres peuples, au fait qu'il est privé, dans la majorité des cas, d'une véritable force économique et militaire ; en effet, le dynamisme d'une imaginaire, puissance nationaliste, même exprimé par des sentiments plus que manifesté par des actes, choque également les esprits, alimente la méfiance et le soupçon dans les alliances, et il empêche la compréhension réciproque et par suite la collaboration loyale et l'aide mutuelle, ni plus ni moins que s'il était appuyé sur une puissance effective. Qu'adviendrait-il ensuite, dans ces conditions, *du bien commun qui devrait rassembler les divers États dans l'unité ?* Quelle pourrait être l'idée grande et efficace qui les rendrait fermes dans la défense et actifs pour un commun programme de civilisation ? Certains veulent voir cette idée dans un refus unanime du genre de vie attentatoire à la liberté, propre à l'autre groupe. *Sans doute l'aversion pour l'esclavage est-elle chose importante, mais c'est une valeur négative, incapable de stimuler les âmes à l'action avec la même efficacité qu'une idée positive et absolue.* Cette dernière pourrait être, au contraire, *l'amour de la liberté voulue par Dieu et accordée aux exigences du bien général,* ou bien *l'idéal du droit naturel comme base de l'organisation de l'État et des États.* Seules ces idées spirituelles et d'autres semblables, que déjà depuis de nombreux siècles s'est acquises la tradition de l'Europe chrétienne, peuvent soutenir la comparaison ; elles pourraient même l'emporter, dans la mesure où elles seraient vivifiées, sur l'idée fausse mais concrète et puissante qui assure apparemment, et non sans le secours de la violence, la cohésion de l'autre groupe : l'idée d'un paradis terrestre, réalisable dès que pourrait s'instaurer une forme déterminée d'organisation sociale, Pour illusoire qu'elle soit, cette idée réussit à créer au moins extérieurement une unité compacte et dure, et à être acceptée par des masses incompétentes ; elle sait entraîner ses adeptes à l'action et les vouer au sacrifice. La même idée, au sein de la formation politique qui l'exprime, donne aux dirigeants une forte puissance de séduction, et aux membres l'audace de pénétrer comme avant-garde jusque dans les rangs de l'autre camp. 114:41 L'Europe, au contraire, attend encore que se réveille sa propre conscience. Entre temps, pour ce qu'elle représente comme sagesse et organisation de vie de société, et comme influence de culture, elle semble perdre du terrain en bien des régions de la terre. En vérité, un tel repli regarde les fauteurs de la politique nationaliste qui sont contraints de reculer devant des adversaires ayant adopté leurs propres méthodes. En particulier chez quelques peuples considérés jusqu'à présent comme coloniaux, *le processus d'évolution vers l'autonomie politique, que l'Europe aurait dû guider avec prévoyance et attention,* s'est rapidement transformé en explosion de nationalismes avides de puissance. Il faut avouer que ces incendies imprévus, au détriment du prestige et des intérêts de l'Europe, sont au moins partiellement le fruit de son mauvais exemple. S'agit-il seulement d'un désarroi momentané pour l'Europe ? En tout cas, ce qui doit demeurer et ce qui sans aucun doute demeurera, c'est l'Europe véritable, c'est-à-dire *cet ensemble de toutes les valeurs spirituelles et civiles que l'Occident a accumulées en puisant aux richesses de chacune des nations qui le composent, pour les répandre dans le monde entier.* L'Europe, selon les dispositions de la divine Providence, pourra être encore génératrice et dispensatrice de ces valeurs, si elle sait reprendre conscience de son caractère spirituel propre et renoncer à la divinisation de la puissance. De même que, dans le passé, les sources de sa force et de sa culture furent éminemment chrétiennes, elle devra, si elle veut retrouver la base et le lien de son unité et de sa vraie grandeur, se décider à revenir à Dieu et aux idéals chrétiens. Et si ces sources semblent en partie desséchées, si ce lien menace d'être rompu et le fondement de son unité brisé, les responsabilités historiques ou présentes retombent sur les deux parties qui se trouvent actuellement affrontées dans une peur mutuelle et angoissée. Ces motifs devraient suffire aux hommes de bonne volonté, dans l'un et l'autre camp, pour désirer, prier et agir, afin que l'humanité soit délivrée de l'ivresse de la puissance et de l'hégémonie, et que l'Esprit de Dieu soit le souverain maître du monde, dans lequel, un jour, le Tout-Puissant Lui-même n'a pas choisi d'autre moyen de sauver ceux qu'Il aimait que de se faire faible Enfant dans une pauvre crèche : « *Parvulus enim natus est nobis et filius datus est nobis, et factus est principatus super humerum ejus* » (Intr. III^e^ Messe de Noël). 115:41 #### III. -- La coexistence dans la vérité. Encore qu'il soit triste de noter que la présente scission de la famille humaine s'est produite à l'origine entre hommes qui connaissaient et adoraient le même Sauveur Jésus-Christ, il Nous paraît néanmoins justifié d'avoir confiance qu'en ce Nom même on puisse encore jeter un pont de paix entre les rives opposées et rétablir le lien commun douloureusement brisé. On espère, en effet, que la coexistence actuelle rapproche de la paix l'humanité. Mais pour légitimer cette attente, il doit s'agir en quelque mesure d'une coexistence dans la vérité. On ne peut toutefois construire dans la vérité un pont entre ces deux mondes séparés, si ce n'est en s'appuyant *sur les hommes* qui vivent de part et d'autre *et non pas sur les régimes ou systèmes sociaux.* En effet, tandis que l'une des deux parties s'efforce encore dans une large mesure, consciemment ou non, de préserver le droit naturel, le système en vigueur dans l'autre s'est complètement détaché de cette base. Qu'un surnaturalisme unilatéral ne veuille point faire cas de semblable attitude, sous prétexte que nous vivons dans le monde de la rédemption et sommes soustraits de ce fait à l'ordre de la nature ; ou bien qu'on prétende reconnaître comme « vérité historique » le caractère collectiviste de ce système, en ce sens qu'il correspond lui aussi au vouloir divin : ce sont là erreurs auxquelles un catholique ne peut en aucun cas souscrire. La voie droite est tout autre. Dans les deux camps *ils sont des millions ceux qui ont conservé, d'une façon plus ou moins vive, l'empreinte du Christ :* ils devraient, au même titre que les croyants fidèles et fervents, être appelés à travailler ensemble pour rénover la base d'unité de la famille humaine. Il est vrai que dans l'une des deux parties la voix des hommes qui sont résolument pour la vérité, pour l'amour, pour l'esprit, est *étouffée par la pression des pouvoirs publics *; et que, *de l'autre côté, il y a trop de timidité* à proclamer bien haut les bons désirs. 116:41 Mais c'est le devoir de la politique d'unification d'encourager les uns et de se faire l'écho des autres. Surtout du côté où ce n'est pas un délit de s'opposer à l'erreur, les hommes d'État devraient posséder une plus grande confiance en eux-mêmes ; et ils devraient montrer aux autres *un plus ferme courage pour dénoncer les menées des forces obscures qui tendent encore à instaurer des hégémonies de puissance,* et une sagesse plus active pour conserver et accroître les rangs des hommes de bonne volonté -- et d'abord des croyants en Dieu -- que la cause de la paix compte partout en grand nombre. Ce serait certainement une politique erronée d'unification -- sinon une vraie trahison -- que de sacrifier des minorités ethniques à des intérêts nationalistes, minorités qui sont privées de la force pour défendre leurs biens suprêmes, leur foi et leur culture chrétienne. Ceux qui agiraient ainsi ne seraient pas dignes de confiance et ne se conduiraient pas honnêtement si ensuite, dans les cas où l'exigerait leur intérêt, ils invoquaient les valeurs de la religion et le respect du droit. Beaucoup s'offrent à préparer la base de l'unité humaine. Mais cette base ou ce pont devant être de nature spirituelle, *les sceptiques et les cyniques ne sont certainement pas qualifiés pour cette tâche,* eux qui, à l'école d'un matérialisme plus ou moins larvé, vont jusqu'à réduire les plus augustes vérités et les plus hautes valeurs spirituelles à des réactions physiques ou à parler de pures idéologies. Et ceux qui ne reconnaissent pas de vérités absolues et n'acceptent pas d'obligations morales ne sont pas adaptés à ce but. Ces derniers qui, déjà dans le passé, par leur abus de la liberté et une critique destructrice et déraisonnable, ont abouti, souvent inconsciemment, à préparer un climat favorable à la dictature et à l'oppression, se mettent de nouveau en avant pour entraver l'œuvre de pacification sociale et politique entreprise sous l'inspiration chrétienne. Ici ou là, il n'est pas rare qu'ils élèvent la voix contre ceux qui, consciemment, comme chrétiens, s'intéressent de plein droit aux problèmes politiques et, d'une façon générale, à la vie publique. Parfois *ils dénigrent également la sécurité et la force que le chrétien puise dans la possession de la vérité absolue,* et ils répandent au contraire la persuasion que c'est l'honneur de l'homme moderne et la récompense de son éducation de n'avoir pas d'idées ni de tendances déterminées, et de n'être lié à aucun monde spirituel. 117:41 On oublie, en attendant, que c'est précisément de ces principes que sont issus les confusions et les désordres contemporains, et l'on ne veut pas se rappeler que justement les forces chrétiennes aujourd'hui combattues par eux, ont été capables de rétablir en maints pays la liberté qu'ils avaient gaspillée. Ce ne sont certes pas de tels hommes qui peuvent construire le pont de la vérité et la commune base spirituelle : il faut au contraire s'attendre à ce qu'à l'occasion ils ne trouvent pas indécent de sympathiser avec le faux système de l'autre bord, acceptant même le risque d'être rejetés par lui, si momentanément il devait triompher. Et donc, en attendant avec confiance de la divine clémence que le pont spirituel et chrétien, déjà existant en quelque mesure entre les deux rives, acquière une stabilité plus grande et plus efficace, Nous voudrions exhorter en premier lieu les chrétiens des pays où l'on goûte encore le don divin de la paix, à faire tout leur possible pour hâter l'heure de son universel rétablissement. Qu'ils se persuadent avant tout que *si la vérité qu'ils possèdent demeurait enfermée en eux comme un objet de contemplation en vue d'une jouissance spirituelle, elle ne servirait pas la cause de la paix : la vérité doit être vécue, communiquée, appliquée dans tous les domaines de la vie.* Car la vérité, spécialement la vérité chrétienne, *est un talent que Dieu met entre les mains de ses serviteurs, afin que par leurs entreprises il porte des fruits pour le salut commun.* Nous voudrions demander, avant que ne le fasse le Juge éternel, s'ils ont fait fructifier ce talent en sorte de mériter l'invitation du Seigneur à entrer dans la joie de Sa paix. Combien, peut-être même parmi les prêtres et les laïcs catholiques, devraient éprouver le remords d'avoir au contraire enterré dans leur propre cœur ce talent et d'autres biens spirituels, à cause de leur indolence ou de leur insensibilité pour les misères humaines ! Ils se rendraient particulièrement coupables s'ils toléraient que le peuple restât presque sans pasteurs, tandis que l'ennemi de Dieu, Se servant de sa puissante organisation, fait des ravages dans les âmes insuffisamment assurées dans la vérité. Prêtres et laïcs seraient de même responsables si le peuple ne recevait pas de la charité chrétienne d'une manière tangible l'aide active que prescrit la volonté divine. 118:41 Ils ne rempliraient pas davantage leur devoir, ces prêtres et ces laïcs qui fermeraient volontairement les yeux et la bouche sur les injustices sociales dont ils sont témoins, donnant ainsi occasion à d'injustes attaques contre la capacité d'action sociale du christianisme et contre l'efficacité de la doctrine sociale de l'Église qui, grâce à Dieu, en a donné de si nombreuses et si manifestes preuves même durant ces dernières décades. Si cela arrivait, ils porteraient eux aussi la responsabilité du fait que des groupes de jeunes et jusqu'à des pasteurs d'âmes se laissent parfois entraîner à des radicalismes et à des progressismes erronés. Plus graves encore seraient les conséquences qu'aurait pour l'ordre social et même politique la conduite des chrétiens -- qu'ils soient de condition élevée ou humble et plus ou moins favorisés par la fortune -- qui ne se résoudraient pas à reconnaître et à observer leurs obligations sociales dans la gestion de leurs affaires économiques. Quiconque n'est pas prêt à subordonner au bien-être général, dans une juste mesure, l'usage des biens privés, -- qu'il le fasse librement, en suivant la voix de sa conscience, ou encore au moyen de formes organisées de caractère public, -- contribue pour ce qui dépend de lui à empêcher l'indispensable prépondérance de l'initiative et de la responsabilité personnelles dans la vie sociale. Dans les systèmes démocratiques, on peut facilement tomber dans cette erreur, *quand l'intérêt individuel est placé sous la protection des organisations collectives ou de parti, auxquelles on demande de protéger la somme des intérêts individuels au lieu de promouvoir le bien de tous ;* de cette façon, *l'économie tombe facilement sous l'emprise de forces anonymes qui la dominent* *politiquement.* Chers fils et filles, Nous sommes reconnaissants à la divine bonté de Nous avoir permis une fois encore de vous indiquer, avec une sollicitude de Père, les voies du bien. Puisse la terre, inondée par le fleuve de la vraie paix, chanter gloire à Dieu au plus haut des cieux ! *Transeamus usque Bethléem !* Revenons près de la crèche de la sincérité, de la vérité et de l'amour, où le Fils unique de Dieu se donne, Homme, aux hommes, afin que l'humanité reconnaisse en lui son lien et sa paix. *Hodie nobis de cælo pax vera descendit.* Afin que la terre soit digne de Le recevoir, Nous invoquons sur tous les largesses des divines bénédictions. 119:41 #### Précisions Le Message de Noël 1954 fut présenté tendancieusement par certains journaux, qui le résumèrent ainsi : « Le Pape se prononce pour la coexistence » : ou même : « Le Pape est favorable à la coexistence avec le communisme ». Aussi Pie XII revint-il sur le même sujet dans le cours de son Message de Noël 1955 : ...Quiconque, à cette époque industrielle, accuse à bon droit le communisme d'avoir privé de la liberté les peuples qu'il domine, ne devrait pas omettre de noter que même dans l'autre partie du monde la liberté sera une possession bien douteuse, si la sécurité de l'homme *ne dérive plus de structures qui correspondent à sa vraie nature.* La croyance erronée qui fait reposer le salut dans un progrès toujours croissant de la production sociale *est une superstition,* peut-être l'unique de notre temps industriel, rationaliste, mais c'est aussi la plus dangereuse, car elle semble estimer impossibles les crises économiques, qui comportent toujours le risque d'un retour à la dictature. En outre, *cette superstition n'est pas capable de dresser un rempart solide contre le communisme,* car elle est partagée par la partie communiste et même par un bon nombre de non-communistes. *Les deux parties se rencontrent dans cette croyance erronée,* et établissent de la sorte *un accord tacite qui peut induire les prétendus réalistes de l'Ouest à rêver de la possibilité d'une véritable coexistence.* Dans le Radiomessage de Noël de l'an passé, Nous avons exposé la pensée de l'Église sur ce sujet, et Nous voulons la confirmer encore une fois. Nous *rejetons le communisme comme système social,* en vertu de la doctrine chrétienne, et Nous devons affirmer en particulier les fondements du *droit naturel.* Pour la même raison, Nous rejetons aussi l'opinion selon laquelle le chrétien devrait aujourd'hui considérer le communisme comme un phénomène ou une étape dans le cours de l'histoire, comme un « moment » nécessaire de son évolution, et par conséquent l'accepter comme décrété par la Providence divine. 120:41 Mais en même temps Nous avertissons à nouveau les chrétiens de l'âge industriel actuel de *ne pas se contenter d'un anti-communisme fondé sur le principe et sur la défense d'une liberté vide de contenu.* Nous les exhortons bien plutôt à édifier une société dans laquelle la sécurité de l'homme *repose sur cet ordre moral* dont Nous avons déjà plusieurs fois exposé la nécessité et les conséquences, et qui reflète la vraie nature humaine. Or les chrétiens, auxquels Nous Nous adressons plus particulièrement ici, devraient savoir mieux que les autres que le Fils de Dieu fait homme est l'unique soutien solide de l'humanité, *même dans la vie sociale et historique,* et qu'en assumant la nature humaine, il en a confirmé la dignité comme fondement et règle de cet ordre moral. C'est donc leur devoir principal de faire en sorte que la société moderne retourne *dans ses structures* aux sources consacrées par le Verbe de Dieu fait chair. Si jamais les chrétiens négligeaient ce devoir qui leur incombe, laissant inerte, en tant qu'il dépend d'eux, *la force qu'est la foi pour ordonner la vie publique,* ils commettraient une trahison envers l'Homme-Dieu apparu visiblement parmi nous dans le berceau de Bethléem. Et que cela serve à témoigner du sérieux et de la raison profonde de l'action chrétienne dans le monde, en même temps qu'à écarter tout soupçon de soi-disant prétentions à la puissance terrestre de la part de l'Église. *Un peu, plus loin dans ce même Message de Noël 1955, Pie XII revient sur la* « *question de la paix* »* :* ...Et pourtant c'est précisément à l'homme religieux, à l'homme chrétien, que certains reprochent d'être un obstacle à la paix, de contrarier la pacifique vie commune des hommes, des peuples, des divers systèmes, parce qu'il ne garde pas silencieusement dans l'intime de sa conscience, ses convictions religieuses, mais les met en valeur même dans des organisations traditionnelles et puissantes, dans toutes les activités de sa vie privée et publique. On affirme qu'un tel christianisme rend l'homme arrogant, partial, trop sûr et content de soi ; qu'il le conduit à défendre des positions qui n'ont aucun sens, au lieu d'être ouvert à tout et à tous et d'avoir confiance que dans une coexistence générale, la vie intime de foi, en tant qu' « esprit et amour », au moins dans la croix et dans le sacrifice, apporterait à la cause commune une contribution décisive. 121:41 Dans cette conception erronée de la religion et du christianisme, n'avons-nous pas de nouveau en face de nous ce faux culte du sujet humain et de sa vitalité concrète, transporté dans la vie surnaturelle ? L'homme, devant des opinions et des systèmes opposés à la vraie religion, reste toujours tenu par les limites établies par Dieu dans l'ordre naturel et surnaturel. Conformément à ce principe, Notre programme de paix *ne peut approuver une coexistence inconditionnée avec tous et à tout prix --* *certainement pas au prix de la vérité et de la justice.* Ces limites inamovibles exigent en effet d'être pleinement observées. Là où elles le sont, même aujourd'hui, la religion est protégée de manière sûre contre les abus de nature politique dans la question de la paix, tandis que là où elle est restreinte à la vie purement intérieure, la religion elle-même est plus exposée à ce péril. *Et dans la troisième partie du Message de Noël 1956, Pie XII donna un coup d'arrêt motivé avec précision, mais que aucuns trouvèrent* « *prématuré* » (*!?*)*, aux manœuvres qui persistaient à vouloir faire du* « *dialogue avec le communisme* » *une pathétique obligation :* La liberté et la responsabilité personnelles, la sociabilité et l'ordre social, le progrès bien compris sont des valeurs humaines, parce que l'homme les réalise et en tire avantage, mais aussi des valeurs religieuses et divines si l'on considère leur source. Or, dans les temps modernes, on a voulu briser le fondement intime de ces valeurs et les faire oublier de la société, en Occident, au nom du laïcisme, de la vaine autosuffisance de l'homme. On en est ainsi arrivé à cette singulière situation que nombre d'hommes remplissant des charges publiques, bien qu'ils manquent eux-mêmes de sens religieux, veulent et doivent pour le bien commun défendre des valeurs fondamentales qui ne trouvent leur consistance que dans la religion et en Dieu. Les soi-disant réalistes n'aiment pas reconnaître la vérité d'une telle affirmation et en prennent, au contraire, prétexte pour accuser d'autant plus la religion de transformer en lutte religieuse ce qui ne serait qu'une difficulté du domaine politique et économique. 122:41 Ils dépeignent en couleurs vives la terreur et la cruauté des anciennes guerres de religion *pour faire croire* que les conflits actuels entre l'Occidents et l'Orient sont au contraire inoffensifs et *qu'il suffirait d'un peu plus de sens pratique de part et d'autre pour obtenir la satisfaction d'intérêts économiques et de rapports concrets de puissance politique.* Faire appel à des valeurs absolues, cela fausse, disent-ils, de façon malheureuse l'état réel des choses, attise les passions et rend plus difficile l'acheminement vers une union pratique et raisonnable. Quant à Nous, en tant que Chef de l'Église, Nous avons évité dans le cas présent comme dans les précédents d'appeler la Chrétienté à une croisade. *Nous pouvons cependant demander que l'on comprenne bien le fait que, là où la religion est l'héritage vivant des ancêtres, les hommes conçoivent comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l'ennemi.* Mais ce que Nous affirmons *pour tous,* en face de la tentative de faire apparaître comme inoffensives certaines tendances nocives, c'est *qu'il s'agit de questions qui concernent les valeurs absolues de l'homme et de la société.* A cause de Notre grave responsabilité, Nous ne pouvons laisser dissimuler cela dans la brume des équivoques. C'est avec un profond regret que Nous devons *déplorer à ce sujet l'appui prêté par certains catholiques, ecclésiastiques et laïcs, à cette tactique d'obscurcissement* qui vise un effet qu'eux-mêmes ne veulent pas. Comment peut-on encore ne pas voir que tel est le but de toute l'agitation trompeuse qui se cache sous le nom de « colloques » et de « rencontres » ? *A quelle fin, du reste, raisonner quand on n'a pas de langage commun,* ou comment est-il possible de se rencontrer si les voies divergent, si d'un côté on repousse et on nie obstinément les valeurs communes absolues, rendant ainsi irréalisable toute *coexistence dans la vérité ?* Par simple respect pour le nom chrétien, *on doit cesser de se prêter à ces manœuvres car, selon l'avertissement de l'Apôtre, il est contradictoire de vouloir s'asseoir à la table de Dieu et à celle de ses ennemis.* Et s'il y avait encore des hésitants, malgré le témoignage douloureux de dix ans de cruauté, le sang qui vient d'être versé et l'immolation de nombreuses vies offertes par un peuple martyrisé devraient finalement les persuader. 123:41 Il faut cependant -- fait-on observer -- ne pas couper les ponts, mais conserver des relations mutuelles. Mais pour cela les mesures que *les hommes responsables de l'État et de la politique* croient devoir prendre en fait de contacts et de rapports *pour la paix de l'humanité, et en vue d'intérêts particuliers,* sont entièrement suffisantes. Pour obtenir la reconnaissance des droits et de la liberté de l'Église, il suffit de ce que *l'autorité ecclésiastique compétente* estime devoir accomplir. Si la triste réalité Nous oblige à *définir en langage clair les termes de la lutte,* personne ne peut honnêtement Nous reprocher de favoriser le raidissement des fronts opposés, et encore moins de Nous être en quelque façon éloignés de la mission de paix qui dérive de Notre charge apostolique. Si Nous Nous taisions, Nous aurions bien plus à craindre le jugement de Dieu. Nous demeurons fermement attaché à la cause de la paix, et Dieu seul sait combien Nous voudrions pouvoir l'annoncer pleinement et joyeusement comme les Anges de Noël. Mais c'est précisément pour la sauver des menaces présentes que Nous devons indiquer où se cache le danger, *quelles sont les manœuvres de ses ennemis et ce qui les désigne comme tels.* C'est de la même manière que le Fils de Dieu nouveau-né, bonté infinie lui-même, n'hésita pas à *tracer clairement des lignes de séparation et à affronter la mort pour la vérité.* Nous sommes persuadés qu'aujourd'hui encore, *en face d'un ennemi résolu à imposer à tous les peuples, d'une manière ou de l'autre, une forme de vie particulière et intolérable, seule une attitude unanime et forte de la part de tous ceux qui aiment la vérité et le bien peut sauver la paix et la sauvera.* Ce serait une erreur fatale de renouveler ce qui, en des circonstances semblables, arriva dans les années qui précédèrent le second conflit mondial, quand *chacune des nations menacées, et non seulement les plus petites,* chercha à *se sauver aux dépens des autres,* à s'en servir comme d'un bouclier, et même à tirer des difficultés d'autrui des avantages économiques et politiques fort discutables. L'épilogue fut que toutes ensemble se virent bouleversées dans la conflagration. 124:41 ### La paix chrétienne Voici en son entier le récent Message de Noël de Jean XXIII (23 décembre 1959). Nous reproduisons le texte (avec intertitres) publié dans l'édition française de l'*Osservatore romano*, numéro du 1^er^ janvier 1960. NOUS VOICI À NOËL, le second Noël de Notre Pontificat. En l'apercevant de loin, alors que nous sommes unis en esprit à Marie et Joseph en marche vers Bethléem, depuis plusieurs jours nous goûtons déjà la douceur du chant des Anges, qui vient à notre rencontre, annonçant la paix céleste offerte à tous les hommes de bonne volonté. Ainsi, de jour en jour, nous nous rendons compte que la route de Bethléem marque vraiment le bon chemin de la paix, de cette paix dont le désir se rencontre sur les lèvres, dans les soucis et dans le cœur de tous. Les rappels de la liturgie nous alertaient déjà dans la joyeuse invitation du Pape Léon le Grand : « Exultez dans le Seigneur, mes biens chers fils, égayez-vous de joie spirituelle, car voici de nouveau le jour de la rédemption, le jour attendu depuis si longtemps, l'annonce du bonheur éternel. » (Serm. XX in Nativitate Domini.) A côté de cette voix solennelle et touchante, qui nous vient du V^e^ siècle, et en harmonie avec elle, nous entendons comme s'élever toutes ensemble les implorations des Souverains Pontifes qui gouvernèrent l'Église avant et après les deux guerres qui déchirèrent l'humanité au siècle où nous vivons, la voix proche encore des dix-neuf messages de Noël de Notre Saint Père Pie XII dont nous gardons toujours si chère et heureuse mémoire. 125:41 C'est donc une invitation permanente à hâter nos pas sur les chemins de Bethléem, qui sont aussi pour nous les chemins de la paix. Dans le monde actuel, combien de chemins de la paix se voient proposés ou imposés ; combien n'en vient-on pas suggérer même à Nous, qui possédons cependant, comme Marie et Joseph, l'assurance de connaître notre route, sans crainte de pouvoir nous tromper. Depuis la seconde après-guerre, quelle variété d'expression dans ce domaine ; quel abus ne fait-on pas de cette parole sainte : « Paix, paix » (Jér., VI, 14). Nous rendons un respectueux hommage à la bonne volonté de tant d'hommes qui cherchent et annoncent la paix dans le monde : hommes d'État, diplomates expérimentés, écrivains de talent. Mais les efforts humains sur le terrain de la pacification universelle sont encore bien loin de marquer une entente entre le ciel et la terre. C'est que la paix véritable ne peut venir que de Dieu ; elle n'a qu'un seul nom : la Paix du Christ ; elle n'a qu'un visage, celui que le Christ lui a donné ; c'est pour prévenir en quelque sorte les contrefaçons de l'homme qu'Il a souligné : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jean, XIV, 27). #### La paix chrétienne. La véritable paix revêt trois aspects. *La paix du cœur. --* La paix est avant tout une disposition intérieure, spirituelle. La dépendance aimante et filiale envers la volonté de Dieu en est comme la condition fondamentale : « Ô Seigneur, tu nous a faits pour toi et notre cœur n'est pas tranquille tant qu'il ne repose pas en toi. » (S. Augustin, Confessions, livre 1, 1.) Tout ce qui affaiblit, rompt, brise cette conformité et cette union de la volonté s'oppose à la paix ; d'abord et surtout la faute, le péché : « Qui lui résiste et a eu la paix ? » (Job, IX, 4.) La paix est l'heureux héritage de ceux qui observent la loi divine : « Il y a une grande paix pour ceux qui aiment ta loi. » (Ps 118, 165.) 126:41 La bonne volonté à son tour n'est que le propos sincère de respecter la loi éternelle de Dieu, de se conformer à Ses commandements, de suivre Ses voies ; en un mol, de se tenir dans la vérité. Telle est la gloire que Dieu attend de l'homme. « Paix aux hommes de bonne volonté. » *Paix sociale. --* Celle-ci trouve une base ferme dans le respect mutuel et réciproque de la dignité personnelle de l'homme. Le Fils de Dieu s'est fait homme et Sa rédemption ne concerne pas seulement la collectivité, mais aussi l'homme individuel : « Il m'a aimé, moi, et s'est donné Lui-même pour moi », comme dit saint Paul aux Galates (II, 20). Et si Dieu a aimé l'homme à ce point, cela signifie que l'homme Lui appartient et que la personne humaine doit absolument être respectée. Tel est l'enseignement de l'Église, qui pour la solution des questions sociales a toujours fixé le regard sur la personne humaine et a enseigné que les institutions et les choses -- les biens, l'économie, l'État -- sont surtout *pour l'homme* et non l'homme pour elles. Les troubles qui ébranlent la paix intérieure des nations tirent principalement leur origine de ce que l'homme a été traité presque exclusivement comme un instrument, comme une marchandise, comme un pauvre rouage dans une grande machine, comme une simple unité de production. C'est seulement lorsqu'on prendra comme base d'appréciation de l'homme et de son activité sa dignité de personne que l'on pourra apaiser les conflits sociaux et les divergences souvent profondes qui règnent par exemple entre les employeurs et les travailleurs. L'on pourra surtout garantir à *l'institution familiale* les conditions de vie, de travail et d'aide propres à lui faire mieux remplir sa fonction de *cellule de la société* et de première communauté instituée par Dieu Lui-même en vue du développement de la personne humaine. Non, la paix ne pourra avoir de fondement solide si l'on ne nourrit dans les cœurs le sentiment de la fraternité tel qu'il doit exister entre ceux qui ont la même origine et sont appelés aux mêmes destinées. La conscience d'appartenir à une seule famille éteint dans les cœurs la convoitise, la cupidité, l'orgueil, l'instinct de domination sur les autres, qui sont la racine des dissensions et des guerres. Elle unit tous les hommes par le lien d'une solidarité plus haute et généreuse. 127:41 *Paix internationale. --* La paix internationale *se fonde avant tout sur la vérité.* Il est clair que la devise chrétienne : « La vérité sera votre libératrice » (Jean, VIII, 32) vaut également pour les relations internationales. Il faut donc dépasser certaines conceptions erronées : le mythe de la force, du nationalisme, ou quelqu'autre, qui ont intoxiqué la vie commune des peuples, et *fonder la paix sur les principes moraux,* selon l'enseignement de la saine raison et de la doctrine chrétienne. Mais à côté de la vérité, et éclairée par elle, doit s'avancer *la justice.* Elle supprime les causes de conflits et de guerres, résout les différents, fixe les obligations, précise les devoirs, répond aux droits de chacune des parties. La justice à son tour doit être achevée et soutenue par *la charité chrétienne.* L'amour du prochain et de sa propre nation ne doit pas se replier sur lui-même dans une forme d'égoïsme clos et inquiet du bien d'autrui, mais il doit s'élargir et s'étendre pour embrasser dans un geste spontané de solidarité tous les peuples et nouer avec eux des relations vitales. On pourra alors parler de *communauté* de *vie* et non de simple *coexistence,* car celle-ci, précisément parce que privée d'un tel souffle de solidarité, élève des barrières derrière lesquelles couve la suspicion réciproque, la crainte et la terreur. #### Les erreurs de l'homme dans sa recherche de la paix. La paix est un incomparable don de Dieu, mais elle est aussi une aspiration suprême de l'homme. Elle est cependant indivisible. Aucun des traits qui composent son visage unique ne peut être ignoré ou exclu. Parce que les hommes de notre temps n'ont pas intégralement respecté les exigences de la paix, il s'en est suivi que les chemins de Dieu vers la paix ne coïncident plus avec ceux des hommes. De là vient la situation internationale anormale de cette après-guerre, qui a créé comme deux blocs avec tous les inconvénients que cela comporte. Ce n'est pas un état de guerre, mais ce n'est pas non plus la paix, la véritable paix à laquelle aspirent ardemment les peuples. Toujours parce que la paix véritable est indivisible en ses divers aspects, on ne réussira pas à l'instaurer sur le plan social et international, si elle n'est pas aussi et avant tout une réalité intérieure. 128:41 C'est dire qu'il y faut d'abord -- et il est nécessaire de le répéter -- des hommes de bonne volonté : exactement ceux à qui les Anges de Bethléem annoncèrent la paix du Christ : « *Pax hominibus bonae voluntatis* » (Luc, II, 14). Ils sont en fait les seuls qui puissent remplir les conditions de la paix définie par saint Thomas : *l'entente des citoyens dans l'ordre* (Somme contre les Gentils, III, c. 146) : *ordre* donc, et *concorde.* Mais comment pourra germer ce double résultat de l'ordre et de la concorde, si les personnes qui assument des responsabilités publiques, avant d'apprécier les avantages et les risques de leurs décisions, ne se reconnaissent pas personnellement soumises aux lois morales éternelles ? Il faudra éliminer sans relâche les obstacles opposés par la malice humaine. Ces obstacles se rencontrent dans la propagande de l'immoralité, dans les injustices sociales, dans le chômage, dans la misère contrastant avec le privilège de ceux qui peuvent se permettre le gaspillage, dans le dangereux déséquilibre entre le progrès technique et le progrès moral des peuples, dans la course effrénée aux armements qui ne laisse encore entrevoir aucune sérieuse possibilité d'arriver à résoudre le problème du désarmement. #### L'œuvre de l'Église. Les derniers événements ont créé une atmosphère de détente qui a fait refleurir l'espoir en beaucoup d'âmes après que, si longtemps, on ait vécu dans un état de paix mensongère, dans une situation très instable qui plus d'une fois a menacé de se rompre. Tout cela fait voir combien profondément est enracinée au cœur de tous l'aspiration vers la paix. Pour la prompte réalisation de ce désir commun, l'Église prie avec confiance Celui qui règle le destin des peuples et peut tourner vers le bien les cœurs des gouvernants. Elle n'est pas fille de ce monde, mais elle vit et travaille dans le monde, et de même qu'à l'aurore du christianisme elle élevait, comme le demandait saint Paul à Timothée, « des prières et des supplications et des actions de : grâces pour tous les hommes : pour les rois et pour tous ceux qui se trouvent élevés en puissance, afin que nous puissions mener une vie tranquille et paisible en toute piété et dignité » (I Tim., II, 1-2), ainsi aujourd'hui encore elle accompagne de ses prières tout ce qui dans les relations internationales permet les rencontres dans un climat de sérénité, aide au règlement pacifique des différents, au rapprochement des peuples et à leur mutuelle collaboration. 129:41 En plus de la prière, l'Église offre son secours maternel, indique l'incomparable trésor de sa doctrine, presse ses fils de prêter leur active collaboration en faveur de la paix, rappelant le célèbre avertissement de saint Augustin : « Il y a plus de gloire à tuer les guerres avec la parole qu'à tuer les hommes avec le fer ; et c'est une vraie gloire que d'acquérir la paix avec la paix » (Epist. CCXXIX, 2). C'est le devoir et la tâche propre de l'Église de s'employer en faveur de la paix et elle a conscience de n'avoir rien négligé de ce qu'il lui était possible de faire pour la procurer aux peuples et aux individus. L'Église regarde favorablement toutes les initiatives qui peuvent aider à épargner à l'humanité de nouveaux deuils, de nouveaux carnages, de nouvelles destructions incalculables. Hélas, les causes qui ont troublé et qui troublent encore l'ordre international n'ont jamais été écartées. La paix ne cessera jamais d'être menacée. Les causes du malaise international ont été clairement dénoncées par Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire Pie XII, spécialement dans ses Messages de Noël 1942 et 1943. Il est bon de les redire. Ces causes sont : -- la violation des droits et de la dignité de la personne humaine et le mépris de ceux de la famille et du travail ; -- la subversion de l'ordre juridique et du juste concept de l'État selon l'esprit du christianisme ; -- les atteintes portées à la liberté, à l'intégrité territoriale et à la sécurité des autres nations, grandes ou petites ; -- l'oppression systématique des minorités nationales dans leurs particularités culturelles et linguistiques ; -- les calculs égoïstes de ceux-là qui visent à monopoliser les sources de l'économie et les matières d'usage commun au détriment des autres peuples ; -- et en particulier, la persécution dirigée contre la religion et contre l'Église. 130:41 Il faut encore noter que la pacification souhaitée par l'Église *ne peut en aucune manière être confondue avec une concession ou un relâchement de sa fermeté en face d'idéologies et de systèmes de vie qui sont en opposition déclarée et inéluctable avec la doctrine catholique,* pas plus qu'elle ne signifie indifférence à l'égard des plaintes qui parviennent jusqu'à Nous de ces malheureuses régions où les droits de l'homme sont méconnus, où le mensonge est érigé en système. Moins encore pourrait-on oublier le douloureux calvaire de l'Église du Silence où les confesseurs de la foi, émules des premiers martyrs chrétiens, sont en butte à des souffrances et à des tortures sans fin pour la cause du Christ. Ces constatations mettent en garde contre un optimisme excessif : mais elles rendent d'autant plus fervente Notre prière pour un retour vraiment universel au respect de la liberté humaine et chrétienne. Ah ! puissent tous les hommes de bonne volonté revenir au Christ. Puissent-ils écouter la voix de son enseignement divin, qui est celui de son Vicaire sur la terre, celui des pasteurs légitimes, les Évêques. Ils retrouveront la vérité qui libère de l'erreur, du mensonge, de l'utopie, ils raccourciront la route qui mène à la paix de Bethléem, la paix annoncée par les Anges à tous les hommes de bonne volonté. #### Exhortations. Tels sont Nos Vœux, telle est Notre prière, et nous voici tous arrivés, comme Marie et Joseph, comme les humbles bergers des collines qui entourent Bethléem, comme les Mages d'Orient, devant la pauvre demeure où est né le Sauveur. Ô Jésus, quel sentiment de tendresse dans notre âme quand elle est confrontée à la simplicité de la crèche ; quelle douce et pieuse émotion dans nos cœurs ; et quel ardent désir de travailler tous ensemble à la grande œuvre de la paix universelle sous Ton regard, divin auteur et prince de la paix. A Bethléem, tous les hommes doivent trouver leur place. D'abord les catholiques. L'Église aujourd'hui spécialement veut les voir *engagés dans un grand effort pour assimiler son message de paix,* un effort qui *les presse de s'orienter résolument selon les exigences de la foi divine* qui réclame l'adhésion formelle de tous jusqu'au sacrifice. 131:41 Approfondir, oui, mais également agir. Jamais les chrétiens ne peuvent se contenter d'être de simples observateurs, *ils doivent au contraire se sentir investis comme d'une mission qui leur vient d'en haut.* L'effort, sans nul doute, sera long et fatiguant. Mais le mystère de Noël donne à tous la certitude que la bonne volonté des hommes n'est jamais perdue, que rien n'est perdu des œuvres que leur inspire la bonne volonté, sans même que parfois ils en aient pleine conscience, pour l'avènement du règne de Dieu sur la terre et pour que la cité des hommes se construise sur le modèle de la cité céleste. Oh ! la cité céleste, la *civitas Dei* que saint Augustin saluait, resplendissante de la vérité qui sauve, de la charité qui vivifie, de l'éternité qui stabilise ! Vénérables frères et chers fils dispersés dans le monde, les derniers mots de ce second message de Noël nous ramènent au premier message que Nous adressions au monde le 2 décembre 1958 ([^34]). Il y a un an, le nouveau successeur de Pierre, encore tout vibrant des premières émotions ressenties au moment d'assumer la haute mission de pasteur de l'Église universelle, avait adopté non sans crainte le nom de Jean, comme une marque de sa bonne volonté à la fois anxieuse et décidée de se donner pour programme de préparer les voies du Seigneur. Il pensait aussitôt aux vallées à combler et aux montagnes à abaisser et il s'engageait sur son chemin. Et voici que, jour après jour, il reconnut, en grande humilité d'esprit, qu'en vérité la main du Très Haut était avec lui. Le spectacle des foules religieuses et ferventes qui de tous les points de la terre s'en vinrent ici à Rome ou à Castelgandolfo pour le saluer, pour l'entendre, pour recevoir sa bénédiction, fut pour lui une émotion continuelle, souvent surprenante et merveilleuse. Nous avons reçu également des présents que Nous conservons avec un sentiment de vive gratitude. Parmi les plus chers et les plus significatifs se trouve certain tableau ancien de bonne peinture vénitienne qui représente une Sainte Conversation : Marie et Joseph avec Jésus et un gracieux saint Jean-Baptiste enfant qui présente à Jésus un beau fruit ; Jésus le reçoit avec un léger sourire qui répand sur tout le tableau une suavité céleste. Ce tableau occupe maintenant une place d'honneur et il est devenu familier à Notre prière de tous les jours dans Notre oratoire privé. 132:41 Permettez-Nous, Vénérables frères et fils bien-aimés, d'y trouver l'inspiration des souhaits de Noël que Nous voudrions adresser à toute la Sainte Église et au monde entier, avec objectivité et confiance. La préoccupation de la paix de Bethléem est au premier plan de nos sollicitudes : mais cette « Sainte Conversation » s'élargit sous Nos yeux jusqu'à accueillir en son cadre tous ceux qui, avec Nous et avec vous, dans l'esprit de ce ministère universel qui a été confié à notre humble personne, nous tiennent particulièrement à cœur « dans l'amour du Christ », Nous voulons parler de ceux qui souffrent des anxiétés et des misères de la vie et pour qui Noël est un doux rayon de réconfort et d'espérance ; les malades et les infirmes, objet de nos soins attentifs et vigilants et d'une affection toute spéciale ; ceux qui souffrent dans leur esprit et dans leur cœur à cause des incertitudes du lendemain, à cause de leur détresse économique, à cause de l'humiliation infligée pour quelque faute commise ou présumée ; les enfants aimés de Jésus et qui, par leur faiblesse même et leur fragilité, ont droit au respect le plus sacré et aux attentions les plus délicates ; les vieillards qui éprouvent souvent la tentation du découragement et l'impression d'être des inutiles. En face de cette vision l'Église consacre ses intentions de prières, ses souhaits et ses œuvres apostoliques à tous ceux-là qui lui sont spécialement chers, mais non pas pour eux seulement. Elle pense aussi à tous les humbles, aux pauvres, aux travailleurs, aux employeurs et aux détenteurs du pouvoir public. Et comment pourrions-Nous, en cette veille de Noël, ne pas nous souvenir des Vénérables Évêques de rite latin ou de rite oriental dont Nous avons apprécié, au cours de fréquents entretiens, avec combien de douceur fraternelle, la ferveur pour leur sanctification personnelle et le dévouement au service des âmes ? Et l'armée généreuse et ardente des missionnaires, hommes et femmes, des catéchistes ; et celle nombreuse et méritante du clergé séculier et régulier, et des religieuses appartenant à d'innombrables Instituts dignes d'éloges ; et le laïcat catholique tout enflammé d'ardeur pour les œuvres de piété, d'assistance sous toutes ses formes, de charité et d'éducation ? 133:41 Et Nous ne voulons pas oublier davantage Nos frères séparés, pour lesquels Notre prière monte incessamment au Ciel, afin que s'accomplisse la promesse du Christ : « Un seul pasteur et un seul bercail » (Jean, X, 16). *La mission du Pape actuel* est de « présenter à Dieu un peuple parfait » (Luc, I, 17) ; c'était exactement celle du Baptiste, Son homonyme et Son patron, et on ne pourrait imaginer de perfection plus haute et plus chère que celle de la paix chrétienne, qui est paix des Cœurs, paix dans l'ordre social, dans la vie, dans la prospérité, dans le respect mutuel, dans la fraternité de toutes les nations. Vénérables frères, chers fils, cette paix du Christ, la grande et lumineuse paix de Noël, il Nous est doux encore une fois d'en formuler les vœux et de la bénir. 134:41 ### Pour qui sonne le glas par Marcel CLÉMENT #### I. -- La lumière et les faits Les plus patients ont lu Karl Marx, Lénine, Staline. Les plus curieux ont voyagé en U.R.S.S., ou en Chine populaire. Tous croient avoir compris, acquis des certitudes. Parmi eux, toutefois, deux tendances se manifestent. Les uns ont vécu des années dans les pays communistes. Beaucoup ont été arrêtés, emprisonnés, torturés. Ce sont aujourd'hui des évadés, ou des exilés. Ils ne peuvent imaginer l'avenir que dans l'hypothèse d'une défaite historique du communisme. Les autres ont été reçus, accueillis, traités avec honneur par les chefs communistes. Ils n'en font pas moins des réserves, plus ou moins graves, sur ce qu'ils ont vu. Mais ils songent que le communisme peut se purifier, se dégager de ses crimes passés. La « coexistence pacifique » leur semble une étape dans cette direction. Ce n'est pas tant sur LES FAITS que ces hommes se divisent. Tous savent ce qui s'est passé à Budapest en 1956, et depuis. C'est leur JUGEMENT MORAL qui les distingue. 135:41 Les premiers portent le même jugement moral que le Cardinal Ottaviani, qui affirmait le 7 janvier 1960 : « *Tant qu'il sera permis de tenir en servitude des nations entières sans que personne prenne la défense des opprimés* (...) *il sera impossible de parler de vraie paix, mais seulement de consentement au massacreur que rien ne trouble, et de coexistence avec lui.* » ([^35]) Les seconds suivent le rédacteur du journal *Le Monde* qui considère que ce discours du Chef du Tribunal Suprême de l'Église est *stupéfiant,* et qui souligne que nul prince de l'Église n'avait jamais encore « *attaqué avec un tel acharnement les pouvoirs publics soviétiques* » ([^36]). Il s'agirait donc, non d'un jugement moral rendu par une autorité spirituelle, mais d'une agression commise « *avec acharnement* » contre des pouvoirs publics ! D'où vient que ces jugements soient si nettement opposés ? Si manifestement incompatibles ? C'est que l'étude du communisme en tant que *matière à juger* est une chose, et qu'une autre chose est la *lumière du jugement.* De même, la pièce où je travaille est pleine de livres et de meubles. Il y a là matière à connaissance. Mais c'est seulement quand j'ouvre les persiennes que la lumière pénètre et me les révèle. La crise spirituelle et intellectuelle de la société moderne cache à beaucoup que pour connaître une réalité telle que le communisme, il ne suffit pas de réunir des faits. Il faut aussi recevoir la lumière qui les éclaire, la recevoir, et pour cela *l'accepter,* avec ses exigences et ses risques. Si les faits doivent être connus par l'observation, ces faits n'apportent pas avec eux leur propre lumière. 136:41 Ce n'est pas le jugement que les communistes portent sur eux-mêmes qui permet de les *voir* tels qu'ils sont. Ce n'est pas non plus le jugement qu'un rédacteur du *Monde* porte sur les actes d'un prince de l'Église qui permet de *voir* ces actes tels qu'ils sont. C'est le jugement de Dieu sur le communisme et sur les communistes qui seul nous permet de les voir dans la lumière. C'est le jugement de Dieu sur chaque homme et sur l'histoire qui juge chaque homme et qui juge l'histoire. \*\*\* Or, la pensée de Dieu nous est donnée par l'Église, par le Souverain Pontife dans le magistère extraordinaire et ordinaire : « *A ce qui est enseigné par les Encycliques,* disait Pie XII, *s'applique aussi la parole :* « *Qui vous écoute, M'écoute* ». ([^37]) Le communisme est-il « *intrinsèquement pervers* » ([^38]) comme l'enseignait Pie XI, ou apporte-t-il « *des éléments essentiels de libération* » ([^39]) comme l'enseignait à ses disciples le fondateur de la revue *Esprit *? Les chefs communistes sont-ils des « *massacreurs de chrétiens* » ([^40]) comme dit le Chef de la Suprême Congrégation du Saint-Office, ou sont-ils véritablement des « *pouvoirs publics* » ([^41]) comme l'affirme le rédacteur du *Monde ?* Devons-nous *oublier* ceux qui, dans l'Église du Silence, « *sont en butte à des souffrances et à des tortures sans fin* » ([^42]) comme le rappelait le Saint-Père à Noël, ou au contraire prier, comme Il nous y invitait pour « *un retour* VRAIMENT UNIVERSEL *à la liberté humaine et chrétienne* » ? ([^43]) 137:41 Pour les chrétiens fils de l'Église, la réponse n'est pas douteuse. Cependant, il y a parmi eux des hommes qui, pour des motifs divers, hésitent, doutent, s'inquiètent. Leur jugement moral reste insuffisamment fondé. Ils ont lu ; parfois même, ils ont écouté, à droite et à gauche. Ils n'osent plus conclure. Comment cela se fait-il ? Il faut le découvrir, le faire savoir. Car il s'agit d'un combat spirituel, et le dernier quart d'heure approche. #### II. -- La « logique nouvelle » La logique moderne et contemporaine est analytique. Elle aime à diviser les questions et à les étudier séparément, selon le précepte cartésien. Elle considère la politique comme un tout, l'économie comme un univers clos, l'art comme un monde à part, la religion comme un domaine lui aussi séparé, d'ailleurs facultatif, la morale comme une discipline autonome, strictement individuelle. L'idée qu'il existe des *relations organiques* nécessaires entre les diverses branches du savoir et de l'action lui est parfaitement étrangère. Lorsqu'elle les rencontre, elle s'y oppose. Depuis longtemps, on a formé les esprits à considérer qu'en art, la morale n'a rien à voir ; que l'économie est une science « amorale » ; qu'il ne faut pas « mélanger » la religion et la politique ; que la sociologie est entièrement autonome par rapport à la philosophie ; etc. Nos universités d'État enseignent ces choses avec majesté et sérieux. 138:41 Aujourd'hui, on applique cette logique à tiroirs à l'étude du communisme. Beaucoup s'efforcent de distinguer, qui son « appareil d'analyse économique » neutre en lui-même, qui son athéisme, simple pièce détachable, qui les progrès culturels qu'il provoque, « et qu'on ne saurait nier » ... Beaucoup adoptent une attitude extérieure de minutieuse objectivité, dissociant les aspects, condamnant ici, approuvant là, et conduisant à *l'impossibilité d'un jugement synthétique du communisme* comme conception d'ensemble. Ceux qui, acculés, ne peuvent plus dissocier le communisme par le moyen de cette pulvérisation intellectuelle, tentent de le découper en tranches chronologiques, sur l'air de : « le communisme évolue ». Ils le prouvent, à l'aide d'exemples fournis opportunément par la propagande soviétique. Ainsi s'est développée, sous l'influence éloignée d'une logique unilatéralement analytique, et sous l'influence prochaine de la propagande subversive et des tromperies méthodiques du communisme, une « logique nouvelle ». Cette logique nouvelle constitue actuellement le péril mortel qui menace non seulement l'intelligence française et occidentale, mais l'existence même des libertés chrétiennes dans le monde, car c'est par l'intermédiaire de cette logique nouvelle que la propagande communiste *anesthésie* et *empoisonne* ceux qu'elle entend conquérir psychologiquement. La logique nouvelle fut, pendant longtemps, l'apanage de la revue *Esprit* et des disciples immédiats de Mounier. « *Il y a,* écrivait celui-ci, *dans la réalité historique concrète du communisme, des éléments essentiels de libération que nous n'avons pas le droit de méconnaître ou de débouter parce qu'ils sont liés effectivement aujourd'hui à des perspectives historiques ou à d'autres réalités historiques que nous rejetons.* » ([^44]) 139:41 Appliquée à la situation présente, cette attitude conduit à NE PAS IDENTIFIER LE COMMUNISME AVEC SES FRUITS, et à distinguer entre la *réalité historique* des massacres de Russie, de Chine, de Hongrie, du Tibet, et d'ailleurs, et les *éléments essentiels de libération* que d'aucun y découvrent. 1. -- La « logique nouvelle » constitue donc *une mutilation hideuse de l'intelligence.* Elle la désarticule et lui fait croire que l'objectivité interdit de faire même l'hypothèse que les massacres sont les fruits nécessaires du communisme comme conception de vie. Il faut étudier les aspects séparés, les juger séparément et ne jamais les relier sous peine de devenir sectaire, ou de céder à la passion. Il n'y a que des effets. Ils n'ont plus de cause. Ce sont de simples accidents de l'histoire... 2. -- La « logique nouvelle » entraîne de plus *une anesthésie criminelle de la volonté.* Ceux qui, découpant méthodiquement les aspects, logiques ou chronologiques, du communisme en les jugeant séparément, sont aussi ceux qui dénoncent « l'anticommunisme négatif ». Ils veulent que l'on mette l'accent sur ce qu'il y a -- d'après eux -- de *positif* ou de *neutre* dans le communisme. Du négatif, on peut parler aussi, -- mais moins... ou même on peut ne pas parler du tout. Toute résistance effective et motivée au communisme devient, dès lors, moralement inconvenante, voire condamnable. Le discours du Cardinal Ottaviani apparaît au lecteur anesthésié du *Monde* un discours « stupéfiant », et qui témoigne d'un « tel acharnement » qu'on ne saurait raisonnablement l'approuver. 3. -- La « logique nouvelle » entraîne enfin une *perversion horrible de la conscience morale* et de la simple sensibilité humaine. Elle conduit à considérer que les victimes du communisme -- ou celles du F.L.N. -- sont des victimes *inévitables,* des victimes *normales,* et que c'est leur résistance qui est *présumée coupable !* 140:41 Elle conduit à ne plus même *sentir* que le respect ou la violation des droits fondamentaux de la personne est le critère central de la valeur d'un ordre ou d'un système social. Quand on ne sent plus cela, on est un « mort » : « *On peut être très haut situé dans la hiérarchie sociale et être un* MORT. *Car tout vaut mieux que de vivre dans cet état d'insensibilité. Et la vie est prouvée par le sentiment de la douleur* (...) *Un chrétien peut-il donc, devant un massacreur de chrétiens,* (...) *sourire,* FAIRE LE DOUX ? » ([^45]) Il faut faire connaître, faire méditer ces paroles du Secrétaire du Tribunal Suprême de l'Église. Le fait que le rédacteur du *Monde* trouve ce discours « stupéfiant » nous montre le chemin parcouru. *Le Monde* peut écrire qu'il est « stupéfiant » qu'il y ait encore, dans le Corps Mystique du Christ, *des membres vivants qui souffrent avec les persécutés,* qu'il est « stupéfiant » qu'un cardinal dénonce le crime, -- ET SES LECTEURS LE CROIENT ! Jamais, non ! jamais le danger n'a été plus grave, plus instant. Il faut agir, il faut réagir. Comment ? EN FAISANT LIRE, A TOUS CEUX QUI SE DISENT CHRÉTIENS, MAIS QUI SONT ANESTHÉSIÉS PAR LEURS JOURNAUX, TOUT CE QUE L'ÉGLISE ENSEIGNE SUR LE COMMUNISME. Il s'agit d'un combat spirituel, et le dernier quart d'heure approche. #### III. -- Le jugement de Pie XI C'est avec une pénétration quasi-prophétique que Pie XI a qualifié le communisme d'intrinsèquement pervers. Ce qui est pervers, c'est ce qui détourne de l'ordre, naturel et surnaturel. 141:41 Ce qui est intrinsèque, c'est ce qui est intérieur a quelque chose, ce qui constitue l'essence de cette chose : ainsi, dire que le communisme est intrinsèquement pervers, c'est dire que l'essence, le principe qui le constituent sont *radicalement contraires à l'ordre naturel comme à l'ordre surnaturel.* Or le communisme, c'est une pensée philosophique, sociale et économique : celle de Marx. C'est une pratique révolutionnaire, stratégique et tactique : celle de Lénine. C'est une conquête du monde déjà réalisée en partie par Staline, Mao Tsé Tung, Krouchtchev. Il y a continuité rigoureuse entre l'intrinsèque perversité du matérialisme dialectique de Marx, de l'organisation du Parti des Révolutionnaires professionnels par Lénine, des méthodes de conquête de Staline et de ses successeurs. Il y a, selon le mot même de Lénine, « matérialisme conséquent » d'un bout à l'autre de la réalité communiste. C'est précisément cela, le « matérialisme conséquent » : unir la tuerie et la visite protocolaire, le massacre et le sourire, la torture et les déclarations pacifiques, la persécution des chrétiens et la politique de la main tendue. Ceux qui, NE VOULANT PAS ACCEPTER le jugement de l'Église et faisant des distinctions à l'intérieur de ce qui est intrinsèquement pervers, veulent *condamner le massacre et sourire aux massacreurs* font donc le jeu du communisme. Ils le font aussi lorsqu'ils osent juger, avec leur misérable logique nouvelle, le Secrétaire du Saint-Office. Il faudrait faire méditer et faire apprendre par cœur à tous les chrétiens les paragraphes 57 et 58 de l'Encyclique *Divini Redemptoris.* C'est précisément là que Pie XI expliquait pourquoi le communisme est « *plus criminel que ce qui a jamais existé de plus criminel* » parce qu' « *il dissimule ses desseins sous des idées en elles-mêmes justes et attrayantes* »*.* 142:41 Et le Pape donnait trois exemples. Ces exemples sont encore, après vingt-trois ans, d'une immédiate actualité : *a*) la tromperie de la propagande pour la paix ; *b*) la tromperie des associations ou des publications qui anesthésient l'opinion publique ; *c*) la tromperie des promesses d'un comportement plus humain du communisme, ailleurs ou plus tard. Nous conseillons très vivement à nos lecteurs de s'arrêter spécialement à ces deux paragraphes de l'Encyclique *Divini Redemptoris* que l'admirable traduction de Jean Madiran leur donne l'occasion de relire dans le présent numéro. C'est après l'exposé de ces trois exemples que Pie XI prononçait sa sentence : intrinsèquement pervers. Intrinsèquement pervers d'affirmer que l'esprit n'est qu'un produit de l'évolution de la matière, et que l'homme n'est rien d'autre que l'ÉTAPE HISTORIQUE DE LA MATIÈRE DEVENU PENSANTE. Intrinsèquement pervers d'affirmer que le mouvement inhérent à la matière en évolution est un mouvement dialectique où la thèse engendre l'antithèse, et leur conflit, la synthèse, comme si le mouvement antitrinitaire : thèse, anti-thèse, synthèse, ÉTAIT L'ESSENCE DYNAMIQUE DE TOUTE CHOSE, COMME SI L'ESSENCE DE TOUTE CHOSE ÉTAIT LA HAINE. Intrinsèquement pervers d'expliquer l'histoire de l'humanité comme reflétant essentiellement l'histoire de la lutte des classes, et donc de RAMENER L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ À UNE HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA HAINE, À UN DÉVELOPPEMENT ANTI-TRINITAIRE DANS LE CORPS SOCIAL. Intrinsèquement pervers d'expliquer les progrès de l'humanité comme des produits normaux de la lutte des classes, c'est-à-dire des PROGRÈS DE LA HAINE et du mouvement ANTI-TRINITAIRE. 143:41 Intrinsèquement pervers de présenter la croyance en Dieu comme une « aliénation », la réconciliation des classes comme un piège, l'esprit de sacrifice comme une sottise, l'acceptation chrétienne d'une injustice comme une trahison, donc de FAIRE DE LA RELIGION ET DE LA FOI ÉVANGÉLIQUE LE PRINCIPE DE TOUT MAL. Intrinsèquement pervers de présenter la propriété privée des biens de production comme la source essentielle des conflits sociaux, c'est-à-dire de PRÉSENTER LA PERSONNE HUMAINE RESPONSABLE COMME UN SIMPLE ANIMAL, INÉLUCTABLEMENT DÉTERMINÉ PAR SES INSTINCTS. Intrinsèquement pervers de présenter le communisme, c'est-à-dire l'ANÉANTISSEMENT MÉTHODIQUE des libertés personnelles, familiales, économiques, syndicales et politiques, comme LA SEULE RÉDEMPTION POSSIBLE D'UNE HUMANITÉ SANS CELA VOUÉE PAR SES INSTINCTS AUX CONTRADICTIONS. Intrinsèquement pervers d'imposer, par la force et par la douceur, par la torture et par le sourire, par la violence et par la fausse paix, la forme la plus achevée du COLONIALISME INHUMAIN, A UN TIERS DE L'HUMANITÉ. Intrinsèquement pervers de réaliser, à travers le communisme, le rêve prométhéen d'une humanité matérialiste prenant en charge sa propre nature, sa propre création, son propre destin, et, PAR LE TRAVAIL COLLECTIF DE CENTAINES DE MILLIONS D'ESCLAVES, DE CHERCHER A DEVENIR SA PROPRE CAUSE, c'est-à-dire à DEVENIR DIEU. LE COMMUNISME EST UN TOUT, et comme tel, il réalise aussi complètement que possible une offensive satanique. Au Dieu Créateur, il oppose l'humanité auto-créatrice. A la Trinité, mystère de l'amour, il oppose la dialectique, mystère de la haine. A la fraternité humaine, il oppose la lutte des classes. A l'esprit de prière, de pénitence et de sacrifice, il oppose les passions de l'envie, de la jalousie et de la vengeance. A la hiérarchie de l'Église de la communion, il oppose l'appareil du Parti communiste. 144:41 A la rédemption consommée sur le Calvaire par le Christ Notre-Seigneur, il oppose la persécution des membres de Son Corps Mystique et la destruction de l'image de Dieu dans l'homme. A la liberté des enfants de Dieu, il oppose la servitude d'une multitude de robots collectivisés. A la civilisation chrétienne, il oppose la barbarie technique. Au mystère de Piété, il oppose le mystère d'Iniquité et cherche à persuader l'humanité de sa victoire... Car Satan est le singe de Dieu. « *Eh bien, Vénérable Frères, apportez la plus rigoureuse attention à ce que les fidèles se défient de ces pièges. Le communisme est intrinsèquement pervers : il ne faut donc* COLLABORER EN RIEN AVEC LUI, *quand on veut* SAUVER DE LA DESTRUCTION LA CIVILISATION CHRÉTIENNE ET L'ORDRE SOCIAL. » ([^46]) Désormais, il ne suffit plus de le savoir. Il faut le dire. Il faut le répandre. Et puis, IL FAUT PRIER. Il faut prier beaucoup. La France en a besoin. Le monde en a besoin. Il s'agit d'un combat spirituel, et le dernier quart d'heure approche. Dieu est le maître de l'histoire et c'est le communisme pour qui sonne le glas. Marcel CLÉMENT. 145:41 ### Face à la « légalité socialiste » *Mgr Joseph Beran,\ héros de la résistance* par Henri BARBÉ Ancien dirigeant du Parti communiste français et de l'appareil communiste international, aujourd'hui converti à la foi catholique, Henri Barbé a posé le problème de la conversion des communistes dans ses deux articles d'*Itinéraires* (numéro 36 et numéro 37) : *Qu'avez-vous fait des communistes convertis ?* Lorsque le Cardinal Ottaviani rappelle ce qu'est le communisme, le journal *Le Monde* lui reproche comme un crime de lèse-majesté d' « *attaquer avec acharnement les pouvoirs publics soviétiques* » (voir plus haut l'article de Marcel Clément). Ces soi-disant « pouvoirs publics », cette soi-disant « légalité » ne sont qu'une monstrueuse tyrannie de fait : et il faudrait en outre lui rendre les hommages du respect ! Les hommes libres ne sauraient consentir à une aussi énorme imposture. Avec Henri Barbé, tournons notre pensée, en cette heure de confusion et de ténèbres, vers l'un de ceux qui incarnent la résistance chrétienne : Mgr Joseph Beran, resté inflexible dans la nuit, fidèle à Jésus-Christ et à son Église. LES DIRIGEANTS SOVIÉTIQUES ont donné le ton, depuis plus d'un an, à une nouvelle forme de leur propagande. Les exécutants habituels, partis communistes et « compagnons de route », font largement écho à cette nouvelle imposture. 146:41 Il s'agit de persuader le monde occidental que grâce à la « légalité socialiste » qui règne en U.R.S.S. et dans l'ensemble des pays soviétiques, l'ère de l'atroce répression politique stalinienne serait révolue. La justice, la liberté, le respect de la personne humaine et de la religion seraient les nouvelles bases de l'ère soviétique post-stalinienne. Il n'y aurait plus, dans le monde soviétique, de persécutions politiques ou religieuses. Et comme on est, paraît-il, à l'époque des « défis », la propagande soviétique met au défi les Occidentaux de trouver, dans les pays du « camp socialiste », *un seul détenu politique* (sic). IL EST CERTAIN que le système et les méthodes de répression ont changé depuis la mort de Staline. La cruauté démentielle de celui-ci, responsable de millions d'assassinats dans toutes les catégories sociales de l'U.R.S.S. devait être stoppée, car elle mettait en cause non seulement l'existence de l'État, son économie et sa puissance, mais le Parti communiste lui-même, dont les dirigeants étaient « liquidés » les uns après les autres par Staline. Ce fut bien la raison principale, après la disparition soudaine de Staline en 1953, de la suppression de Beria et des « révélations » officielles produites lors du XX^e^ Congrès du P.C. de l'U.R.S.S. sur les « crimes et erreurs » de Staline ([^47]). Mais comme l'a souligné l'actuel dirigeant principal de l'U.R.S.S., auteur du fameux rapport devant le XX^e^ Congrès, ce qui était surtout inquiétant et abominable pour les dirigeants soviétiques, ce n'était pas la cruauté de Staline envers les adversaires du communisme ou les non-communistes : mais bien le fait qu'il s'attaquait, dans sa folie sanguinaire, aux cadres et aux dirigeants eux-mêmes du Parti. Depuis la disparition de Staline, on parle donc d'un rétablissement de la « légalité socialiste » dans le monde soviétique. 147:41 Il y a un changement appréciable d'abord pour les militants et les dirigeants communistes : ils restent sous la menace des épurations et des limogeages, mais ils ont beaucoup moins à craindre l'anéantissement physique. Les exemples de Malenkov, Molotov et autres Boulganine le montrent clairement. Il y a aussi un certain soulagement des populations qui estiment n'avoir pas à redouter en ce moment les déportations et destructions massives de l'époque antérieure. La raison fondamentale de ce « rétablissement de la légalité socialiste » et du changement des méthodes de répression en U.R.S.S. rejoint celle qui vient de provoquer une nouvelle réduction des effectifs de l'armée soviétique. Les chiffres provenant des publications soviétiques officielles montrent la gravité de la situation démographique, et par suite la gravité du problème de la main-d'œuvre industrielle et agricole. Les naissances en U.R.S.S. pour la période allant de 1937 à 1941 furent de 21.400.000. Pour les années de guerre allant de 1942 à 1942, elles tombent à 14.600.000, soit une diminution de 32 %. A quoi s'ajoute ceci : de 1926 à 1939, la population soviétique s'est accrue de 43.700.000 personnes comprenant 20.500.000 hommes (47 %) et 23.200.000 femmes (53 %). Pour la période allant de 1939 à 1959, cette population ne s'est accrue que de 18.100.000 personnes comprenant 2.500.000 hommes (14 %) pour 15.600.000 femmes (86 %). Ces chiffres permettent de mesurer les conséquences de l'effroyable ponction de la guerre et de l'hécatombe des répressions staliniennes. En vingt ans, de 1939 à 1959, la population mâle de l'U.R.S.S. ne s'est donc accrue que de deux millions et demi. On comprend mieux alors l'impérieuse nécessité pour les dirigeants soviétiques de mettre fin aux méthodes de répressions massives pratiquées par Staline. Quant à dire et à croire qu'il n'y aurait plus de détenus politiques, comme le prétendent et le répètent les déclarations officielles des dirigeants soviétiques, c'est une tout autre chose. La persécution politique et religieuse, la répression politique et religieuse continuent plus que jamais. Les délits politiques sont camouflés sous un vocable de « droit commun ». Les emprisonnements, les détentions en camp ou en résidence forcée le sont également. 148:41 En Hongrie, les prisons sont pleines de détenus politiques ayant participé aux événements de 1956. En Chine, des centaines de prêtres catholiques sont emprisonnés. Dans les autres démocraties dites populaires, il y a des milliers de détenus politiques et des centaines de prêtres astreints à résidence forcée. IL EST POUR NOUS un nom qui symbolise cette pérennité de la résistance à l'oppression communiste, et au système de répression des États soviétisés. Et c'est de lui que nous voulons parler maintenant. Il s'agit de Mgr Joseph Beran. Joseph Beran est né à Pilsen, son père était un petit instituteur pauvre. Après être allé à l'école campagnarde, Joseph Beran devint un jeune ouvrier menuisier. Puis il entra au séminaire et fut ordonné prêtre. Avant la seconde guerre mondiale, il devint recteur du séminaire de Prague. Sous l'occupation allemande de la Tchécoslovaquie, Joseph Beran fit preuve d'un courage exemplaire et d'un dévouement sans limite. Il fut déporté par les autorités allemandes et subit trois années de détention dans les camps de concentration allemands. Lors de son retour en 1945, le monde politique de Tchécoslovaquie et en particulier les dirigeants communistes ne tarissaient pas d'éloges sur la droiture, le courage et le patriotisme de Joseph Beran. Le 5 novembre 1946, il était nommé archevêque de Prague et métropolite de Bohême. Le 14 novembre 1946, pour ses hauts faits patriotiques et son héroïsme sous l'occupation allemande, il était décoré de la croix de guerre. A la cérémonie de sa consécration, le 8 décembre 1946, assistaient les représentants du gouvernement de MM. Benes et Masaryk, parmi lesquels Clément Gottwald, dirigeant principal du Parti communiste et futur président de la République. Le même jour Mgr Beran était décoré en outre par le ministre de l'Intérieur, le dirigeant communiste W. Nosek, de la médaille de la résistance tchèque. Courtois et ferme, Mgr Beran ne s'est jamais compromis avec l'étranger ni avec les groupements et partis politiques. Ce qui ne l'empêchait nullement d'avoir des relations cordiales avec tous, y compris les communistes de Prague. 149:41 C'est d'ailleurs pour cela que d'aucuns le taxèrent de « progressisme » et critiquèrent sa nomination. On l'appela même l' « archevêque rouge » dans certains milieux lorsque, après le coup d'État communiste de Prague, en 1948, Mgr Beran consacra par un *Te Deum* l'accession à la présidence de la République du dirigeant communiste Clément Gottwald. Les communistes crurent alors qu'ils avaient gagné la partie et que l'archevêque de Prague ferait ce qu'ils voudraient. Mais ce que les dirigeants communistes voulaient, c'était précisément la domestication et la destruction de l'Église. Mgr Beran s'y opposa de toutes ses forces tout en multipliant les pourparlers entre le nouvel État et l'Église. Les dirigeants communistes commencèrent alors une guerre en règle contre l'Église catholique tchécoslovaque, ses prêtres, ses évêques et son chef Mgr Beran. Ils tentèrent tout : la création d'un schisme, la fondation d'une fausse organisation d'Action catholique, la corruption de quelques prêtres pour essayer de fonder une église nationale hostile à Rome, la menace et la pire contrainte à l'égard de l'ensemble de la Hiérarchie catholique. Devant cette offensive effrénée, l'ancien ouvrier menuisier, l'ancien déporté, le « progressiste », l' « archevêque rouge », le lucide et courageux Joseph Beran tint tête avec calme mais avec une fermeté admirable. Dans ses sermons et par ses lettres, il dénonça les buts de la persécution et les méthodes des gouvernants communistes. Sachant exactement jusqu'où pouvaient aller les dirigeants communistes, Mgr Beran tint à faire « une dernière déclaration » avant d'être contraint au silence. La voici : « Je déclare solennellement devant vous et devant la nation que je ne conclurai jamais un accord contraire aux lois de l'Église ; rien ni personne ne pourra me forcer à un acte semblable. Si un jour on vous dit que j'ai signé quelque chose dans ce goût-là, ne le croyez pas. » C'était le 18 juin 1949. 150:41 DEPUIS, Mgr Beran a disparu et ne peut plus s'exprimer. D'abord mis en résidence surveillée à Prague en 1949, il fut déporté en un lieu secret en 1951 sans qu'on sache exactement ce qu'il est advenu de lui. Le Pape Pie XII, le 12 mars 1953, écrivait : « Nous désirons évoquer particulièrement Notre Vénérable Frère, Notre très cher Joseph Beran, archevêque de Prague, qui en un très noble exemple de foi et de fermeté a répondu de toutes ses forces à sa charge pastorale. » Combien de catholiques en France connaissent Mgr Beran et son admirable sacrifice ? Et qu'attend-on, non seulement pour prier dans toutes les paroisses de France, mais aussi pour exposer la magnifique résistance de l'archevêque de Prague, ouvrier devenu prince de l'Église, et la résistance de tous ceux qui, dans les pays de la « légalité socialiste », souffrent et meurent pour l'Église et pour la liberté ? Henri BARBÉ. 151:41 #### Propositions sur la lutte de Satan contre l'Église par le R.P. CALMEL, o.p. « Le Seigneur a toujours découvert aux mortels les trésors de sa Sagesse et de son Esprit, mais maintenant il les découvre encore plus parce que la malice découvre encore plus son visage. » (S. Jean de la Croix, *Maximes*) ([^48]) C'EST UNE VÉRITÉ DE NOTRE FOI que nul n'est tenté au-delà de ses forces ([^49]). Qu'elle vienne de notre mauvaise nature, du diable ou du monde, jamais la tentation ne dépassera notre pouvoir de résister avec la grâce de Dieu. Il n'est pas, il ne peut pas être donné au diable de nous faire pécher malgré nous, et avec la grâce de Dieu nous pourrons toujours le vaincre. Dieu seul, qui est plus intime à nous que nous-mêmes, a plein pouvoir sur notre liberté. *Sola Trinitas menti illabitur :* seule la Trinité pénètre à l'intime de l'âme ([^50]). 152:41 Ainsi, lorsque l'on pense au diable, à ses assauts, à son emprise sur les personnes et les sociétés, la grande, la première certitude à garder est celle qui vient de notre foi et qui nous fait dire que nous sommes vainqueurs par la grâce de Dieu : *Haec est victoria quae vincit mundum Fides nostra,* la victoire qui triomphe du monde est celle de notre foi ([^51]). Lorsque l'on pense non seulement à la tentation et au péché mais à la damnation éternelle, ici encore il faut tenir la vérité de notre foi, nous assurant que tout homme reçoit dans le Christ suffisamment de grâce pour se sauver, quelle que soit sa constitution, quelles que soient les pressions ou les sollicitations extérieures ou intérieures, et même à cette heure tragique où *l'iniquité ayant débordé la Charité du grand nombre se refroidira : et quoniam abundavit iniquitas refrigescet Charitas multorum* ([^52]). Avec encore plus de vérité que le poète, l'âme fidèle appuyée sur la seule grâce de Dieu peut redire, en la modifiant à peine la strophe bien connue : J'accepte le combat, n'eût-il ni fin ni terme Sans chercher à savoir et sans considérer Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer. Ne songeons pas à une réconciliation du diable, elle ne se produira jamais ([^53]). Jamais il ne désarmera contre Dieu ni contre les hommes (seulement après le jugement dernier, il lui sera impossible de *sortir guerroyer* contre les hommes). En attendant sa réclusion éternelle, il nous suffit de nous souvenir qu'il n'a de puissance qu'autant que Dieu lui en permet ; que jamais il ne permet, à lui et à ses suppôts, de nous tenter au-dessus de nos forces ; que nous ne lui donnons prise sur nous que faute de demeurer en Dieu par l'amour et la prière ; que, avec la grâce, nous pouvons toujours éviter de lui donner prise sur nous. PAR LE SANG DE LA CROIX, par le sacrifice rédempteur, le Seigneur a remporte la victoire sur le diable ; Il a dépossédé Satan de son empire sur l'humanité : *c'est maintenant le jugement de ce monde *; *c'est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors* (Jo. 12, 31). La victoire étant acquise, pourquoi la lutte doit-elle continuer ? 153:41 Pourquoi devons-nous combattre encore contre le prince de ce monde ? Parce que le Seigneur nous aime assez pour nous faire l'honneur de nous demander de donner tout ce qu'il est en notre pouvoir de donner ; non seulement une adhésion de foi, mais encore une coopération d'effort et de peine, par une vie et une mort conformes à l'adhésion de foi. « Veux-tu qu'il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu me donnes des larmes ? » ([^54]) A ceux qui trouveraient plus commode que la Passion de Jésus les dispense d'avoir à souffrir à leur tour, et à triompher du diable à leurs propres dépens, il faut répondre que le Seigneur a une trop grande estime de sa créature pour lui concéder ce qui est le plus commode, au lieu de lui demander ce qui est le plus généreux. ENTRÉ DANS SA GLOIRE, victorieux du péché et de la mort, le Christ ne cesse d'être présent à l'humanité et de lui prodiguer les grâces du salut par le moyen de la sainte Église. La Sainte Église n'est pas séparée de Jésus à la manière dont une société après la mort de son fondateur est séparée de celui-ci ; la Sainte Église, selon la grande formule de Bossuet, *c'est Jésus-Christ lui-même répandu et communiqué,* c'est le corps mystique de Jésus-Christ. On comprend dès lors que le diable s'acharne contre l'Église avec cette rage implacable dont il a poursuivi le Seigneur. Du reste, comme nous le disions, le Seigneur aime l'Église d'un amour assez fort et assez vrai pour ne pas la dispenser de la lutte et de la peine dont il a fait le premier l'expérience. Ainsi l'Église devra-t-elle combattre jusqu'à la fin, à la fois pour préserver et conserver sa nature, qui est d'être sainte et hiérarchique, et pour accomplir sa mission, qui est d'être messagère de salut. Le diable ne cessera de lui tendre des embûches pour lui arracher les enfants qu'elle porte et pour empêcher que d'autres ne deviennent ses enfants. La malice du diable ne cessera de s'exercer au-dedans et au dehors, c'est-à-dire en ceux qui sont devenus les enfants de l'Église et en ceux qui sont appelés à le devenir. Il reste que ses forces ne prévaudront pas et que l'Église, précisément parce qu'elle est inséparée de Jésus-Christ, peut dire comme lui et avec lui : 154:41 « Père, de ceux que tu m'as donnés je n'en ai perdu aucun, si ce n'est le fils de perdition. » Cette affirmation d'une assurance extraordinaire signifie que l'Église ne perd aucune âme : elle donne au contraire à chacune tout ce qu'il faut pour être sauvée. Ce sont les âmes qui se perdent malgré l'Église et par leur propre faute. LE DIABLE s'attaque à l'Église du dedans et du dehors. Saint Paul disait déjà : « danger des brigands et danger des compatriotes... danger des païens et danger des faux frères ». Or la lutte qui est menée du dehors consiste surtout à pervertir la société temporelle, à l'organiser comme une contre-Église. Sur ce point la révélation de l'Apocalypse ajoute de grandes précisions aux évangiles et à saint Paul : elle démasque les batteries de Satan ; elle met en lumière sa tactique qui consiste à transformer César, qui est voulu de Dieu et nécessaire au bien commun, en la *Bête* monstrueuse, qui est l'ennemie de Dieu irréconciliable et qui cherche l'abolition de l'Église c'est-à-dire le mal commun. Ajoutons que l'intention de l'Apocalypse n'est pas seulement de décrire une lutte mais bien de prophétiser une victoire (Apoc., 12, 13 à 17). LA CITÉ POLITIQUE, dans la mesure où elle passe sous l'obédience du diable et mérite le nom de *Bête* ou de *Grande Prostituée,* devient l'instrument par excellence de la lutte contre l'Église, *la Cité Sainte,* l'Épouse de Jésus-Christ. Pourquoi cette prérogative infernale conférée à la cité plutôt qu'à la science, à la technique, aux arts ou aux plaisirs ? Une personne ne pourrait-elle faire aussi bien le jeu du diable ? Non, pas aussi bien. Certes ce sont les personnes individuelles que le diable cherche à séduire avant tout, et dont il veut faire ses instruments : et tant que la personne individuelle lui échappe il a perdu l'essentiel, quelle que soit la mainmise sur les institutions. Seulement la mainmise sur les institutions lui procure une chance incomparable. Cela lui permet de scandaliser les personnes sur une très vaste échelle et avec beaucoup de continuité, puisque l'homme est par nature un être social. Et que la plupart *du* temps il exerce son activité à l'intérieur des diverses institutions. Donnons quelques exemples. Sur l'instigation du diable l'homme peut perdre son âme parce qu'il se sera fait une idole de la science, de la production ou du plaisir : et surtout il peut se damner parce qu'il se sera fermé sur lui-même en se prenant pour un Dieu. 155:41 Eh ! bien, supposons que les institutions aient été perverties à tel point qu'elles incitent l'homme à se faire une idole ne la science, du travail, du plaisir et du confort ; supposons encore une société qui, avec le communisme et son implacable dialectique, mette nans les âmes l'obsession sacrilège de la déification collective ; supposons les institutions faussées et dénaturées à cette profondeur, et nous comprendrons combien le scandale est insidieux et permanent, combien les âmes sont davantage exposées à leur perte éternelle. Les dangers personnels de damnation, ceux qui procèdent des trois concupiscences, demeurent exactement les mêmes ; mais de plus ils sont aggravés, dans des proportions incroyables, par la perversion des institutions. Plus le diable possède les institutions -- et il les possède lorsqu'elles sont opposées au droit naturel -- plus il a de moyen de posséder les âmes. On comprend maintenant pourquoi la cité politique est un moyen de choix pour l'action de Satan et pourquoi l'Apocalypse nous décrit -- l'alliance de Satan et de la Bête contre la Cité Sainte et ses enfants. De la cité de César qui, en elle-même, représente un ordre normal et indispensable, qui doit garantir le droit naturel et la paix et à qui nous devons rendre, dans la fidélité à Dieu, ce qui lui appartient, le diable cherche constamment à faire la Bête monstrueuse, qui se substitue au vrai Dieu, réclame notre adoration, nous promet ce qu'elle n'a pas le moyen de donner *et,* de mensonge en mensonge, travaille à nous faire tomber dans l'Enfer. L'ANNONCE DE L'ÉVANGILE qui a été le principe du salut des hommes a rendu possible par contre-coup un véritable progrès dans le mal. Il suffit pour s'en rendre compte d'observer le déroulement de l'histoire. Prenons le cas de l'organisation politique de la vie des hommes : avant le Christ l'humanité a connu des cités idolâtres qui entravaient, au lieu de les favoriser, les aspirations religieuses les plus saintes : souvenons-nous de ce que chante le chœur des vieillards dans *l'Antigone* de Sophocle. Mais depuis le Christ l'humanité a fait l'expérience de cités non pas idolâtres, au sens de l'antiquité, mais bien destructrices du vrai Dieu, opposées à toute forme de religion et propageant l'athéisme par tous les moyens. Regardons plutôt le communisme, son effort invariable, les moyens et les effets de sa dialectique. 156:41 Ce progrès dans le mal qui a suivi l'annonce de l'Évangile ne se découvre pas seulement dans l'ordre politique. Il se manifeste encore dans les vices humains. C'est ainsi que la luxure ou l'orgueil sont parvenues après le Christ à un degré de dépravation inégalée, si du moins on les considère non pas dans leurs manifestations matérielles, forcément limitées comme les forces physiques de l'être humain, mais du point de vue de l'acuité d'intelligence et de la perversion essentielle. On ne citerait pas avant le Christ d'exemple d'orgueil nietzschéen ; on ne trouverait pas non plus cette forme d'art et de littérature, qui s'applique délibérément à pourrir et à fausser les consciences, en justifiant les dépravations les plus infâmes de la chair et des sentiments. Pourquoi cet approfondissement du mal ? Parce que, après que la lumière totale a été donnée, -- et c'est chose faite par la Révélation, -- il ne reste pas de place pour l'installation dans la pénombre ; il ne reste de place que pour le consentement à la lumière ou pour le refus délibéré. Une fois que le Verbe de Dieu s'est fait homme, il peut y avoir des apôtres, il peut aussi y avoir un traître du Fils de Dieu ; il ne peut plus y avoir de sacerdoce lévitique. Une fois que le Christ a dévoilé le mystère chrétien de la pureté, il y a des êtres qui se consacrent totalement au Seigneur ou qui s'aiment dans le mariage comme *le Christ a aimé l'Église,* mais aussi il y en a d'autres qui s'opposent à la loi divine et humaine de la pureté avec une clairvoyance et une malice inconnues des anciens. Il ne peut plus y avoir, du moins dans la mesure où la Révélation est connue, une bonne conscience dans le divorce ou la polygamie. Une fois que le Christ a eu posé la distinction entre les choses de Dieu et celles de César, une fois qu'il a eu fondé son Église indépendante de César, mais ayant le devoir d'éclairer César et de le purifier, à partir de ce moment-là une civilisation chrétienne (imparfaite mais réelle) a pu se faire jour et se consolider ; mais aussi une forme de société résolument anti-chrétienne a pu chercher à s'établir ; elle tente non pas de remettre les idoles sur leur piédestal, mais de détourner les hommes de tout antre culte que celui de leur promotion personnelle ou collective. *Le dernier état de cet homme sera pire que le premier,* disait le Seigneur (Luc, 11, 26). 157:41 Ils ne brûleront plus d'encens devant les autels de Baal ou d'Astarté, mais ils refuseront toute adoration à un Dieu transcendant pour se suffire en eux-mêmes. C'est d'ailleurs une attitude illogique. La seule logique de qui refuse Dieu c'est la destruction et le suicide. La plupart des hommes, quand ils se détournent de Dieu, étant incapables de cette logique absolue essaient de se donner le change, de se persuader qu'ils ont le pouvoir de se suffire sans Dieu ; -- la société avec les secours qu'elle leur procure leur permet de se donner le change. La société leur permet de croire qu'ils peuvent se diviniser. QUOI QU'IL EN SOIT de l'approfondissement du mal depuis la venue de Jésus-Christ et la naissance de son Église, gardons-nous bien d'imaginer un progrès de la contre-Église qui serait universel, infaillible, ininterrompu et régulier. Les faits démentent cette interprétation systématique. Sans doute à la veille du retour du Seigneur les assauts de la *Bête* contre la *Cité Sainte* atteindront une ampleur et une violence inouïe. Sans doute cet accès de rage frénétique n'éclatera pas d'une manière brusque, sans doute aura-t-il été préparé. Il reste que cette préparation n'obéit pas à une loi de développement linéaire et universel. Il y a des arrêts, des cassures et des reculs. Mais surtout, et ceci est un point central de notre foi, souvenons-nous que l'Église échappe et échappera toujours à l'emprise des forces du mal, quelque degré de puissance qu'elles atteignent, quelque perfectionnement qu'elles apportent à leur méthode. *Les forces de l'Enfer ne prévaudront pas* a dit le Seigneur et sa promesse est infaillible. Non seulement *les forces de l'Enfer ne prévaudront pas* contre « l'appareil religieux » de l'Église ; on s'en tient trop souvent à cette interprétation limitative ; mais elles ne prévaudront pas non plus contre la sainteté vivante ; cette sainteté qui réside non seulement dans la doctrine et les sacrements, mais, par ces secours infaillibles, dans les personnes vivantes, dans les fidèles qui consentent pleinement à entrer dans la passion du Seigneur. Les portes de l'Enfer ne prévaudront d'aucune manière : ni contre les pouvoirs de l'Église, ni contre sa sainteté. A tout moment, l'Église a tout ce qu'il faut de lumière et de force pour résister à Satan et pour le vaincre, de sorte que ceux qui demeurent en elle, et se laissent faire par elles sont assurés d'être vainqueurs. L'Apocalypse nous le redit en de nombreuses pages. Sa leçon essentielle d'espérance et de triomphe est résumée dans l'Épître splendide de la messe de Toussaint. 158:41 OR parce que, à toutes les époques de l'histoire, l'Église possède tout ce qu'il faut pour résister au démon et lui arracher les âmes, elle n'a rien d'essentiel à ajouter à ses pouvoirs, à sa lumière et à sa grâce ; elle n'a pas à changer substantiellement ; elle a seulement à expliciter, manifester, mettre en lumière les trésors de vérité et de sainteté qu'elle tient de son Époux et que jamais elle ne saurait perdre. Elle doit faire fructifier ses trésors (et elle le fait) mais non pas y substituer d'autres richesses. Dès lors, si l'on veut parler de progrès dans l'Église il faut le concevoir sous forme d'explicitation et de renouvellement, mais non pas comme une mutation substantielle et l'acquisition de réalités fondamentales qui lui auraient manqué jusque là. S'il est vrai que le diable, avec l'avènement du communisme et l'instauration d'une cité athée, ajoute des organes essentiels nouveaux à sa contre-Église, il ne faut point penser, en vertu d'une symétrie trompeuse ou d'une conception aberrante du progrès, que l'Église, pour résister au communisme, devrait changer substantiellement ; elle a seulement à expliciter, et elle le fait, les richesses qu'elle tient de son Époux. C'est ainsi qu'à l'époque du communisme elle fait valoir certaines virtualités de l'unique grâce de Jésus-Christ (que l'on songe à la sainteté des cinquante dernières années) ; et de même elle met dans une lumière nouvelle certains aspects du message évangélique : la médiation de Notre-Dame, par exemple, ou l'appel de tous à la sainteté et à l'apostolat, y compris ceux qui travaillent dans le temporel. *De cette manière, par le moyen de l'Église, est montrée aux Principautés et aux Dominations qui sont dans le Ciel la sagesse de Dieu multiforme* (Eph., III, 10). EN PRÉCISANT encore nous dirons qu'il y a pour l'Église, au cours des âges, une manière nouvelle de s'unir à la victoire de Jésus-Christ, un style renouvelé de participation à la croix, car c'est par la passion et la croix que le Christ a remporté la victoire. 159:41 C'est toujours à la passion du Christ que l'Église est invariablement fidèle ; mais ce qui varie, avec la vicissitude des siècles, c'est le style de cette fidélité. Par là se dévoilent les richesses innombrables de la grâce surabondante du Seigneur. Le monde doit poursuivre sa course jusqu'à ce que le nombre des élus soit complet ; mais aussi, et en même temps, jusqu'à ce que soient manifestées dans le Corps mystique les variétés sans nombre de participation à la passion du Christ et à sa victoire sur le Prince de ce monde. Telle est la raison d'être suprême de la permanence du mal sur la terre, de ses manifestations incessantes, et de son approfondissement. Les progrès des forces du mal deviennent l'occasion pour l'Église, et pour ceux qui vivent de sa vie, d'une nouvelle souffrance mais aussi d'une nouvelle victoire. Le diable peut bien calculer des formes plus savantes de profanation, d'avilissement, de décomposition de la pauvre nature humaine et des institutions qui lui sont indispensables, -- du fond de ces abîmes l'Église donne à ses enfants de faire monter vers le Christ un hymne de louage jamais encore modulé, *un cantique nouveau à celui qui nous a mérité la victoire par son sang.* Dans des propositions bouleversantes sur la douleur Thibon écrivait jadis : « Plus les hommes s'enfoncent dans le désordre et la révolte, plus les saints les suivent par la souffrance dans les abîmes d'en bas. » ([^55]) Le docteur mystique avait dit après la nuit du cachot de Tolède : « Le Seigneur a toujours découvert les trésors de sa sagesse et de son Esprit, mais maintenant il les découvre encore plus, parce que la malice découvre encore plus son visage. » Celui qui vit dans l'Église ne saurait ni se scandaliser ni désespérer devant tout le mal qu'il est permis au diable de machiner contre les faibles humains. Cette permission n'est accordée au diable qu'en vue d'une nouvelle forme de fidélité à la passion dans les membres du Corps Mystique. DU RESTE la victoire de l'Église, par sa fidélité à la passion, ne laisse pas de tirer à conséquence, même sur le plan temporel, pour ceux qui vivent comme ses véritables enfants. Même dans les sociétés anti-chrétiennes, l'Église fera toujours fleurir quelque jardin retiré. De temporel chrétien, quelque carré minuscule de civilisation authentique. 160:41 Plus la société est dénaturée, plus ce temporel le trouve réduit ; mais aussi, bien souvent, plus il est pur, affiné, de qualité parfaite. Quoi de plus pur par exemple, et de plus humain, que la vie de certaines familles chrétiennes parmi la corruption de notre vingtième siècle ? Ainsi, même au plan temporel, le progrès des forces du mal devient l'occasion, au moins chez quelques-uns, d'un bien nouveau et plus merveilleux. Il reste que le progrès des forces du mal tend, par lui-même, à perdre les âmes. L'ÉGLISE connaît trop l'importance d'un ordre temporel chrétien pour ne pas demander à ses fils de lutter de toutes leurs forces à sa conservation ou à sa restauration. L'Église sait, mieux que personne, que lorsqu'un certain ordre temporel est aboli, alors une chance terrible est offerte aux hommes pour se soustraire à la Grâce de Dieu. Sans doute la Grâce peut-elle rattraper les hommes dans toutes les circonstances ; mais dans certaines circonstances tout va à l'encontre. Supposez par exemple la famille désagrégée, les enfants tarés avant que de naître, le travail devenant une occasion prochaine de révolte ou d'asservissement, les écoles se transformant en de vastes entreprises de déformation spirituelle, supposez tout cela et vous comprendrez que l'Église ne peut être indifférente à tant de scandale institutionnalisé ! Les âmes courent un extrême péril du fait de la ruine des bases élémentaires d'un ordre temporel chrétien. Aussi, loin d'être indifférente aux institutions conformes au droit naturel, l'Église ne cesse de les recommander, de les défendre et de les affermir. C'est un des secteurs essentiels de sa lutte contre le diable ; un secteur qu'elle ne désertera jamais. C'est aussi un secteur où, d'une certaine manière, elle remporte toujours la victoire. Car toujours, et aussi difficilement que ce soit, elle préserve ou elle suscite un minimum de temporel chrétien, ne serait-ce que la famille, et les pauvres honneurs des maisons paternelles. DANS ses luttes et sa victoire l'Église ne cesse pas d'être aidée par la Vierge. Celle qui en vertu de sa compassion a mérité d'intercéder universellement pour les hommes, celle qui dès l'instant de sa conception immaculée *a écrasé la tête du serpent,* ne peut faire autre chose que de porter et garder la sainte Église dans sa prière maternelle. 161:41 En particulier, à mesure que le démon redouble de violence et de perfidie, la Sainte Vierge nous donne des preuves plus éclatantes de son intercession. Et même, par les apparitions, elle nous en donne des preuves miraculeuses. Il ne s'agit pas de prendre feu au sujet de ces manifestations, mais il est d'une sagesse élémentaire de les accueillir dans la docilité à la hiérarchie et de reconnaître les signes et les messages de l'Immaculée. Aussi bien, ces messages ne tendent-ils qu'à une seule chose : raviver et actualiser pour les luttes de l'heure présente le message immuable de l'Évangile confié à la sainte Église. C'est ainsi par exemple que Notre-Dame de Fatima nous parle, comme l'Église elle-même, mais avec la sollicitude qui *est* propre à la Mère du Rédempteur, de conversion et de repentir, de dévotion au Rosaire, de consécration au Cœur Immaculé et de résistance au communisme. Si nous écoutons, avec une entière docilité à l'Église les demandes de la Sainte Vierge, nous serons beaucoup plus forts pour *écraser* avec elle *la tête du serpent.* AINSI l'Église ne cesse d'avoir part à la passion de son Époux et à sa victoire ; ses enfants doivent y avoir part avec elle ; encore faut-il qu'ils vivent de sa vie. Pour cela rappelons quelques dispositions élémentaires indispensables. 1. -- D'abord croire à l'Église comme le Seigneur l'a faite, donc croire qu'elle tient et qu'elle est imbrisable, *à la fois* par ses pouvoirs et par sa sainteté, l'un et l'autre, et l'un inséparé de l'autre. Le Seigneur n'a pas fait une Église de sainteté désincarnée et indépendante des pouvoirs ministériels ; il n'a pas fait non plus cette Église que certains appellent juridique et qui comporterait l'appareil religieux mais pas nécessairement la sainteté. Il a fait au contraire une Église tout à la fois douée de pouvoirs ministériels et pleine de sainteté ; l'un et l'autre ; l'un en corrélation avec l'autre et l'un au service de l'autre, c'est-à-dire les pouvoirs ministériels en vue de la sainteté. 2. -- La deuxième disposition consiste à se laisser armer par les armes de lumière dont l'Église ne cesse jamais de munir ses enfants et qui sont adaptées aux luttes et aux combats de chaque siècle. 162:41 L'Église en effet en vertu de l'esprit de prophétie, qui réside en permanence dans le magistère, ne manquera jamais des lumières requises pour annoncer, en des paroles qu'ils entendent, les vérités immuables de la vie éternelle aux hommes de telle époque ou de telle civilisation. L'Église non plus ne manquera jamais de la prophétie privée pour « orienter la conduite des fidèles, d'innombrables façons... pour suggérer les initiatives les plus précieuses qu'il appartient au pouvoir juridictionnel de contrôler... c'est une parenté divine qui rapproche entre elles, pour leur mutuel soutien, les formes hiérarchiques et les formes extra hiérarchiques de la prophétie. Car elles sont des manifestations de la royauté du Christ, destinées aujourd'hui comme aux premiers siècles chrétiens à illuminer de diverses manières la vie immense de son Corps Mystique. » ([^56]) Les messages par exemple que nous ont transmis les privilégiés de la Sainte Vierge, à la rue du Bac, à Lourdes ou à Fatima relèvent de prophétie privée. Dans la mesure où ils ont été approuvés par la hiérarchie, -- et cette mesure est quelquefois très large -- comment refuser d'y reconnaître les avertissements urgents que le Rédempteur, par la Mère de Miséricorde, fait entendre à l'Église en détresse ? Comment ne pas y voir des preuves éclatantes de la médiation de Marie, et comment penser que si nous les méprisons nous ne serons pas affaiblis pour mener le combat sans précédent que soutient l'Église d'aujourd'hui contre les attaques diaboliques d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas de prendre feu au sujet des manifestations de la prophétie privée, ni surtout de les placer au-dessus de la prophétie permanente qui réside dans la hiérarchie. Mais lorsque la prophétie privée est approuvée par la hiérarchie, et dans la mesure où elle est approuvée, il convient d'être confiant, d'être actif pour mettre en œuvre ce nouveau secours que le Rédempteur victorieux fournit à son Église militante. 3. -- La troisième disposition nécessaire pour participer à la victoire du Rédempteur consiste à accepter le corps Mystique tel que le Seigneur l'a voulu, et à désirer la sainteté dans les seules conditions où elle soit possible. Nous voulons dire qu'il faut vouloir l'Église sainte, mais d'une sainteté qui se fait avec des pécheurs et non avec des chrétiens impeccables. 163:41 Seule l'Église du ciel est sainte avec des chrétiens impeccables. L'Église qui pérégrine ici-bas -- et qui est une avec celle du ciel -- est sainte avec des chrétiens faillibles. Une des conséquences est la suivante : la Charité dans l'Église de la terre doit toujours être prête à répondre au mal par le bien. Hors de cette disposition, pas de sainteté dans l'Église. Et cette disposition elle-même présuppose la Foi. C'est ce que nous allons voir sur des exemples. Pourquoi tenter de se le dissimuler ? Il n'est pas rare que le péché de ceux qui détiennent l'autorité devienne l'occasion du péché de ceux qui dépendent de l'autorité. Il est certaines façons de gouverner ou d'administrer, arbitraires et impitoyables, qui excitent la haine et déchaînent la rébellion, et il est d'autres façons de gouverner louvoyantes et tordues qui sont une école d'avilissement des caractères et qui font naître en ceux qui doivent obéir la délation ou la flagornerie ou les contre-façons les plus basses du respect et de l'obéissance. On pourrait multiplier sans fin les observations psychologiques sur le gouvernement de l'Église par des rachetés qui sont de pauvres pécheurs. Du reste il ne serait que juste de s'incliner, chaque fois qu'on les rencontre (et on les rencontrera toujours), soit devant les subordonnés qui se conduisent comme des brebis du Bon Pasteur, intelligentes et nobles, soit devant les chefs qui s'occupent de leur troupeau avec la sagesse et l'amour du véritable et unique Pasteur, qui *connaît ses brebis par leur nom* et qui *donne pour elles sa vie.* Eh ! bien, les observations psychologiques, qu'elles soient réconfortantes ou accablantes, ne suffisent pas à fonder notre vie au sein de l'Église. La foi est indispensable, qui d'ailleurs n'est pas contre la psychologie mais au-dessus. La foi brise la chaîne infernale du péché qui répond au péché, de la rébellion du laïc qui répond à la dureté du clerc ou de la fausseté du supérieur qui répond aux manœuvres de l'inférieur. La foi permet d'échapper à ce choc en retour du péché qui engendre le péché. Elle permet à l'inférieur de ne pas voir moins que l'autorité de Jésus-Christ dans l'ordre légitime du supérieur légitime. Elle permet au supérieur de ne pas voir moins que la faiblesse de Jésus-Christ dans l'inférieur qui dépend de lui. *Ce que vous avez fait au plus petit des miens c'est à moi que vous l'avez fait.* Enfin, aux supérieurs comme aux inférieurs, la foi enseigne que, quelles que soient les splendeurs ou les vilenies chez les uns ou chez les autres, le commandement aussi bien que l'obéissance doivent servir à la charité. 164:41 Il ne faut pas attendre que l'autre commence pour commencer soi-même ; si l'autre a manqué il faut faire l'appoint et combler le vide par sa souffrance et sa générosité au lieu d'ajouter un manquement à un manquement. Cette doctrine au sujet d'un des aspects essentiels de la charité dans l'Église est certainement pénible et dure ; ni plus ni moins que la doctrine de la croix dont elle est un des aspects. Dans la mesure où l'on refuse cette doctrine on tend à se couper de l'Église, à faire schisme, à faire le jeu du diable. Dans la mesure au contraire où on l'accepte, on participe à la victoire de l'Église contre le diable. LORSQUE l'on réfléchit à partir de la Révélation sur la lutte de Satan contre l'Église on peut s'en tenir à une vue descriptive ; ce n'est pas faux, mais c'est très incomplet ; il faut donc ajouter autre chose. On peut observer assurément, comme nous l'avons fait, le progrès, non pas infaillible mais cependant réel, des méthodes de Satan et, en corrélation, la solidité inexpugnable de l'Église, son immutabilité essentielle dans ses pouvoirs et sa sainteté, les formes toujours nouvelles de sa participation à la Passion de Jésus et à sa victoire, sa vertu inaltérable enfin de préserver ou de susciter une civilisation chrétienne. On peut donc observer. Cela ne suffit pas. Il importe encore d'agir. La vue spéculative de la lutte de Satan contre l'Église doit se compléter par une vue pratique. Cette vue pratique se résume en quelques propositions fondamentales : d'abord il nous est toujours possible d'échapper au démon ; plus précisément il nous est toujours possible de travailler chrétiennement -- serait-ce par le sacrifice de la vie -- à la défense de la civilisation chrétienne ; il nous est toujours possible d'y travailler sans reculer devant les périls et devant la mort même ; enfin nous avons l'obligation de travailler dans ces conditions de peine et parfois d'héroïsme. Cette vue pratique est d'autant plus importante que certains chrétiens sont gagnés insidieusement par la peste d'un hégélianisme diffus. Ils croient pratiquement au fatalisme de l'histoire ; ils parlent comme si l'avenir était soumis aux lois du déterminisme historique et à je ne sais quelle dialectique ténébreuse. 165:41 Ils acceptent comme une conclusion nécessaire et inéluctable que le communisme va désormais dominer la planète, car tel *serait le sens de l'histoire.* Et il n'y aurait rien à faire ; ce serait d'ailleurs pensent-ils une excellente préparation à quelque renouveau de l'Église. Que se cache-t-il derrière ces billevesées ? Sans doute une sensibilisation à la manière de penser des communistes et une certaine mystique de la catastrophe ; mais aussi parfois une grande lâcheté de caractère et un goût abject de la capitulation. Que savent-ils, que savons-nous de l'avenir ? du monde et du visage qu'il présentera dans dix ans ou dans un siècle ? *Sire, l'avenir est à Dieu.* Et justement parce que l'avenir est à Dieu, -- à un Dieu Sauveur qui ne nous sauve pas sans nous, -- il est inadmissible de déclarer que devant les progrès du mal il n'y a rien à faire. Nous savons que l'avenir n'est pas soumis à la fatalité ; que le message même de Fatima sur la possibilité de l'avance du communisme est nettement conditionnel de sorte que notre conversion peut lui barrer la route et qu'elle le doit. Nous savons que l'Église a tout ce qu'il faut pour vaincre le communisme, pour conserver et purifier la civilisation chrétienne ; nous savons que l'Église vaincra effectivement et maintiendra toujours un ordre temporel chrétien. Seulement cette victoire ne se fera pas du dehors et sans nous ; nous devons participer à la lutte et c'est l'Église qui nous donne d'y participer. Ce serait un sophisme ou une imposture que de prendre prétexte de la Révélation chrétienne pour se laisser rouler dans ce que l'on appelle *le sens de l'histoire,* au lieu de continuer la lutte à la fois pour l'Église et pour un ordre temporel chrétien ; continuer la lutte et remporter la victoire par la croix. Le jour du retour du Seigneur est proche, le jour de son jugement définitif ; après ce jour le diable n'aura même plus le moyen de venir rôder au bas des remparts de la *cité sainte* pour essayer de séduire et de corrompre ; à jamais il sera enfermé dans *l'étang de feu et de soufre* et les barrières ne craqueront pas. Le Christ remporte la victoire par la croix, en union avec l'Église son Épouse qui est gardée dans la prière de la Vierge Immaculée. R.-Th. CALMEL, o. p. 166:41 ### L'Espérance L'ESPÉRANCE naturelle n'est pas une vertu ; c'est un caractère constitutif de la nature humaine. Et certainement l'un des plus extraordinaires. Un de ceux qui la distinguent de celle des bêtes. Celles-ci ont de la mémoire (ce qui déjà dépasse la matière) et de *l'estimatif.* « Le bœuf sait à qui il appartient, et l'âne connaît la crèche de son maître » dit Isaïe. Les manières des animaux sont bien extraordinaires et mystérieuses, l'habitude fait qu'on y porte peu d'attention ; tout le monde est accoutumé au merveilleux comportement des chiens qu'on voit quêter l'approbation, l'encouragement de leur maître et témoigner un attachement touchant par son caractère inachevé, par la limite même qu'il marque à l'intelligence. Un âne même sait où sont les champs de son maître, où est le sainfoin et la luzerne. Il cherche il éviter les mauvais chemins qui le font beaucoup tirer. Dans tout cela il n'y a que *désir* d'éviter la peine et *désir* de nourriture. Il désire, il n'espère pas, du moins à longue échéance. Désirer que son maître prenne le chemin qui mène au sainfoin, c'est déjà espérer à sa manière d'âne. L'objet seul de cette espérance est animal. Il reste merveilleux. La maman souhaite que son homme rapporte une bonne paye, et intacte ; il y a un sous-entendu moral à cette espérance. La maman soupire en souhaitant que son fils devienne raisonnable, et ne « brigande » plus ses habits, que sa fille devienne soigneuse et ordonnée. 167:41 Comme la vieille aïeule au plus fort de son âge Se réjouit de voir le tendre nourrisson, L'enfant à la mamelle et le dernier besson Recommencer la vie ainsi qu'un héritage ; Elle en fait par avance un très grand personnage, Le plus hardi faucheur au temps de la moisson, Le plus hardi chanteur au temps de la chanson Qu'on aura jamais vu dans cet humble village. Telle est l'espérance naturelle. Il y a dans la nature humaine un idéal de bonheur impossible à écarter tout à fait, malgré les misères de la vie, et c'est un des signes naturels les plus certains d'une destinée spirituelle spéciale à l'humanité. Car toutes ces espérances sont morales, elles constituent la nature humaine ; les hommes de tous les temps ont recherché et espéré un certain équilibre *moral* propre à leur race et qui demande une ascèse : voici Hésiode : « *Je te parlerai en homme qui veut ton bien, grand sot de Persès* (c'était son frère). *De la misère on en gagne tant qu'on veut et sans peine ; la route est plane et elle loge tout près de nous. Mais devant le mérite les Dieux ont mis la sueur.* » Ces anciens hommes reconnaissaient l'existence d'une faute originelle qu'ils s'expliquaient par des mythes. Hésiode raconte celui de Pandore, la première femme. Elle avait reçu une boîte où étaient renfermés les biens et les maux. Sa mission était de la garder sans l'ouvrir. La curiosité l'emporta, Pandore ouvrit la boîte, les maux se répandirent dans le monde avec les biens, et il ne resta dans la boîte que l'Espérance. Notre vertu théologale a donc un fondement dans notre nature même ; tous les hommes ont en tout temps espéré quelque chose qu'ils connaissaient mal et qu'ils attendaient, et qu'Hésiode appelle la justice. Et c'est pourquoi Péguy dont nous avons cité l'un du sonnets sur sainte Geneviève et Jeanne d'Arc, avec sa connaissance profonde de la continuité de l'action divine dans la nature et dans la grâce fait une comparaison prise à l'espérance naturelle, le support d'une vue surnaturelle : Telle la vieille sainte éternellement sage Connut ce que serait l'honneur de sa maison Quand elle vit venir, habillée en garçon 168:41 Bien prise en sa cuirasse et droite sur l'arçon, Priant sur le pommeau de son estramaçon, Après neuf cent vingt ans la fille au dur corsage ; Et qu'elle vit monter de dessus l'horizon, Souple sur le cheval et le caparaçon La plus grande beauté de tout son parentage. Il est même certain qu'il y eut dans l'antiquité païenne elle-même comme une ascension vers une lumière plus pure qui prépara les voies au christianisme. Le monde païen se corrompait toujours davantage et les belles âmes, par la miséricorde de Dieu, étaient de plus en plus préparées aux grâces. Homère, Hésiode sont plus durs qu'Eschyle et Sophocle et moins pénétrés d'espérance. Cependant l'Iliade est une des nombreuses « Querelles » qui ont fait le sujet des poèmes homériques (comme celle d'Ulysse et d'Ajax pour la possession des armes d'Achille). Dans l'Iliade, l'injustice d'Agamemnon et la colère d'Achille sont la cause des malheurs des Grecs. L'enlèvement d'Hélène celle des malheurs des Troyens. Leur impiété cause la perte des compagnons d'Ulysse. Mais Eschyle met ces paroles dans la bouche de Prométhée : « J'ai rendu l'espérance aux hommes. » Le chœur chante dans Œdipe-Roi : « Puissé-je conserver toujours dans mes paroles et mes actions l'auguste sainteté dont les lois sublimes résident dans les cieux où elles ont pris naissance, ces lois dont seul l'Olympe est le père, que les hommes n'ont point créées et que l'oubli n'effacera jamais ; en elles respire un dieu puissant que la vieillesse ne peut atteindre. » Et cependant Le jeune Hémon et la belle Antigone cette Antigone qui déclarait à son oncle : « Je suis faite pour partager l'amour et non la haine » et qui est une sorte de martyre païenne de la loi divine ; cet Hémon qui disait à son père : « Ne crois que ce qui est juste » se suicident tous deux. L'espérance naturelle leur manquait, ils ne pouvaient avoir l'espérance surnaturelle qui est notre vertu théologale. Quel dommage que dans notre enseignement on ne sache montrer cette aspiration de l'antiquité et cette attente des lumières de la foi ! Comme ce passé se trouverait relié à notre présent ! 169:41 Car ces grandes âmes de l'antiquité païenne ont manqué et non pas par leur faute de ce que nous avons en naissant et dont nous faisons si peu de cas. Les prophètes ont beau l'avoir dit, l'Église le chanter : Le Seigneur sortira de Samarie par la porte qui regarde l'Orient et il viendra dans Bethléem marchant sur les eaux rédemptrices pour Juda. ...Alors tout homme sera sauvé ...Parce qu'il viendra Et le seuil de sa maison sera préparé pour la miséricorde. Il s'y assiéra dans la vérité. ...Alors tout homme sera sauvé Parce qu'Il viendra. Et saint Paul ajoute : « Il nous a en effet arrachés à la puissance des ténèbres et transportés dans le royaume du Fils de son amour... Lui, l'espérance de la gloire. » Telle est la deuxième vertu, celle dont on parle si peu parce qu'elle tient peu de place dans la vie des chrétiens de nos jours. Nous n'entendons pas sans frémir ce souhait que font d'excellents chrétiens : « Bonne année, bonne santé, et le Paradis à la fin de vos jours... *le plus tard possible.* » Il y a là un grand manque à la foi et à l'espérance. La vie est certainement après la grâce le plus grand bienfait de Dieu puisqu'elle nous permet de le connaître et de l'aimer. Mais la foi nous apprend que la vie ne reçoit sa plénitude qu'après la mort. Il est conforme à la nature que nous désirions conserver le plus longtemps possible auprès de nous ceux que nous aimons, mais il est clair que c'est pour nous, dans une vue égoïste et non pour eux ; car si Dieu les appelle à lui c'est par miséricorde et pour leur bien. Écoutons la voix d'un saint : « *On pourrait encore,* dit saint Vincent de Paul, *alléguer qu'on abrégerait ses jours ; ô mes frères, eh quoi ! est-ce un malheur à une épouse exilée de se réunir à son époux ? Est-ce un malheur au voyageur de se rapprocher de son pays ? à ceux qui naviguent de s'approcher du port ? Quoi ! a-t-on peur pour qu'une chose que nous ne saurions assez désirer et qui n'arrive que trop tard, arrive ?* ... » Voilà le langage de la vertu théologale. A l'heure de la mort cette vertu comme enfouie sous les préoccupations mondaines se réveille, sort de ses voiles, et à beaucoup fait faire une bonne fin. 170:41 Tant est puissant ce caractère de la nature humaine à qui la Révélation a donné son vrai but qui est l'union à Dieu. C'est l'ensemble de ces considérations qui éveilla chez Péguy cette fameuse image de la petite Espérance : Mais l'espérance, dit Dieu, voilà ce qui m'étonne Moi-même, Çà, c'est étonnant. Que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe et qu'ils croient que demain ça ira mieux, Qu'ils voient comme ça se passe aujourd'hui et qu'ils croient que ça ira mieux demain matin Ça c'est étonnant et c'est bien la plus grande merveille de notre grâce, ... ... La Foi est une épouse fidèle La Charité est une Mère... L'Espérance est une petite fille de rien du tout, ... ... C'est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes. Comme l'étoile a conduit les trois rois du fin fond de l'Orient Vers le berceau de mon Fils. Ainsi une flamme tremblante, Elle seule, conduira les Vertus et les Mondes. Une flamme percera les ténèbres éternelles, ... ... Traînée, pendue aux bras de ses deux grandes Sœurs Qui la tiennent par la main La petite Espérance S'avance, Et en réalité c'est elle qui fait marcher les deux autres. Et qui les traîne, Et qui fait marcher tout le monde. L'objet de l'espérance, le Ciel, est pour nos yeux et nos oreilles comme effacé et sans poids, quoiqu'il demeure au fond de nous-mêmes, comme au fond de la boîte de Pandore et c'est pourquoi Péguy fait de l'espérance une petite fille. En fait l'espérance est à la taille de la foi. Si la foi est petite, l'espérance est petite aussi. La foi est le fondement de l'espérance. 171:41 Jésus, par sa vie, sa mort, sa résurrection, son Ascension est venu, en nous sauvant, nous mériter la grâce de la foi pour l'éternité et fonder l'Espérance. La foi sans les œuvres est une foi morte, mais l'œuvre principale de la foi, c'est l'Espérance du Ciel et l'Espérance du secours divin sans qui nous ne saurions atteindre notre fin. Car nous n'avons pas d'autre fin que Dieu même, pas d'autre moyen de l'atteindre que de nous associer à Jésus-Christ dans sa prière, sa pénitence et sa mort pour aboutir à sa résurrection. Ce qui fait dire à saint Paul dans l'épître aux Hébreux : « VI, 17. Aussi Dieu, voulant témoigner plus abondamment aux héritiers de la promesse l'immutabilité de sa résolution, interposa-t-il un serment, 18, afin que grâce à deux choses immuables où il est impossible à Dieu de mentir nous ayons un puissant encouragement, nous qui cherchons un refuge, à *retenir fermement l'espérance qui nous est offerte.* 19 *Nous la possédons comme une ancre de l'âme sûre et solide, et qui pénètre à l'intérieur du voile.* 20 *Où est entré pour nous en précurseur Jésus, devenu grand prêtre pour l'éternité suivant l'ordre de Melchisédech.* » IL EST BIEN VISIBLE que l'entreprise des maîtres de la Russie est de *désespérer* le monde et cette entreprise est diabolique. Les savants vous diront que le monde est dans une crise de finalité. Cela veut dire qu'il ne sait plus pourquoi il existe. Cela veut dire que l'espérance naturelle même de l'humanité qui a toujours dès les anciens âges eu un fond non entièrement dévoilé d'aspirations dépassant la nature matérielle, est violemment rejetée vers des buts matériels. Or il n'est nullement *scientifique* de traiter ces aspirations de l'humanité tout entière comme de simples rêveries. Nous nous trouvons en présence du cas éminent où comme le dit Meyerson : « la raison n'a qu'un seul moyen d'expliquer ce qui ne vient pas d'elle, c'est de le réduire au néant. » (Déduc. Rel. p. 258.) Qu'ils le veuillent ou non, chez nous, les progressistes catholiques et même beaucoup de simples démocrates suivent cette voie qui détourne des voies naturelles et surnaturelles où Dieu a engagé l'homme lors de sa création. Ils détruisent ou affaiblissent en eux et autour d'eux la vertu théologale d'espérance. Car les païens eux-mêmes ont affirmé par la bouche de Sophocle : 172:41 « Je n'ai pas cru que tes ordres eussent assez de force pour que les lois non écrites mais impérissables, émanées des Dieux, dussent fléchir sous un mortel. Ce n'est pas d'aujourd'hui, ce n'est pas d'hier qu'elles existent, elles sont éternelles et personne ne sait quand elles ont pris naissance. » La dialectique matérialiste et l'esprit scientiste croient abolir ce savoir de l'humanité. Ils veulent donner l'illusion qu'un Paradis terrestre est possible, ce qui ne peut aboutir qu'au désespoir car Dieu a prédit pour ceux qui le suivraient, sur cette terre, les calomnies et les persécutions. Il a dit aussi qu'il y aurait toujours des pauvres parmi nous. Il y aura toujours la maladie et la mort. COMMENT SE FAIT-IL que la vertu d'espérance soit si peu honorée alors qu'elle répond au besoin le plus antique et universel de l'humanité ? Parce que la foi est languissante. On se borne à demander l'observation des commandements. Il est commandé seulement dans Deut., VI 4-9) d'aimer Dieu ; il n'y est pas dit que *Dieu est amour.* C'est là la loi naturelle, celle que tous les peuples ont observée plus ou moins complètement et dont la formule parfaite fut révélée à Moise. Aujourd'hui le prince de ce monde a réussi à persuader nombre d'hommes que cette foi est arbitraire et que la liberté consiste à faire tout ce qui plaît. On oublie que le christianisme est tout autre que la loi naturelle. Il ne l'abolit pas, il la suppose ; mais Notre-Seigneur l'a complétée par des lois qui sont de règle. La charte de la vie chrétienne ce sont les *Béatitudes.* Lorsque Notre-Seigneur dit au jeune homme qui avait de grands biens : « Tout ce que tu possèdes vends-le et donne-le aux pauvres... et viens, suis-moi » c'est un *conseil* que tous ne peuvent pas ou ne doivent pas suivre s'ils ont charge d'âmes. Tandis que le *Sermon sur la montagne* a été prononcé devant une grande foule, lorsque Jésus inaugura son ministère public. Cette foule était même si grande que Jésus quitta le bord de la mer et monta sur la montagne. Elle venait « de toute la Judée et de Jérusalem, du littoral de Tyr et de Sidon. Elle venait pour l'entendre et être guérie de ses maladies. » Dieu seul savait, Jésus savait le nombre de ceux dont l'espérance messianique était vraiment spirituelle. Et il commence par montrer à toute cette foule qui, comme tous les hommes le sont, était avide de bonheur, où celui-ci se trouve vraiment. 173:41 Il déclare que la vie sera toujours un temps d'épreuve mais qu'on y peut trouver le vrai bonheur, non seulement dans *l'attente* du vrai bien qui est la possession de Dieu, mais la *jouissance* dès maintenant du royaume de Dieu *qui est au-dedans de nous.* « Bienheureux les pauvres en esprit car le Royaume de Dieu est à eux... Bienheureux les doux... » Ceux de nos lecteurs qui veulent les relire sans beaucoup chercher les trouveront à l'évangile de la Toussaint. Notre-Seigneur ne dit pas que nous serons bienheureux dans un royaume de Dieu à venir ; il dit que nous *sommes* bienheureux et dans son royaume si nous sommes pauvres en esprit et persécutés pour la justice. Toute l'ancienne chrétienté, jusqu'au seuil du monde moderne (à part quelques fous) s'est contentée de vouloir *gagner sa vie,* c'est-à-dire le pain de chaque jour. Aujourd'hui les mœurs mercantiles du monde anglo-saxon et la perte de la sagesse chrétienne font que presque tous veulent *gagner de l'argent,* c'est-à-dire le pain d'une multitude de jours. On ne peut s'étonner de l'amoindrissement de la vertu d'espérance. Or le passage de l'espérance naturelle à l'espérance surnaturelle marque le début de la conversion. C'est la Sainte-Espérance. Les Béatitudes en sont la charte. COMMENT FAIRE, pauvres misérables que nous sommes, pour renoncer à ces « désirs du monde » sans manquer à nos devoirs d'état ? Ce nous est impossible par nous-mêmes, mais Dieu a laissé à son Église tout ce qu'il faut faire pour que nous y puissions parvenir, car « *pour tous les hommes est apparue la grâce de Dieu notre Sauveur nous enseignant à rejeter l'impiété et les convoitises du monde... attendant la bienheureuse espérance...* » (*ad Titum*) La Sainte Vierge Marie nous l'obtiendra (si nous la demandons bien entendu. La prière est la seule condition mise par Dieu à tous ses bienfaits et cette condition est encore une grâce qui nous fait participer à la causalité divine). La Sainte Vierge est la mère de la Sainte-Espérance. Dès son plus jeune âge, connaissant les prophéties elle a *espéré* ardemment la venue du Messie promis. Si ardemment que le Messie est venu s'incarner en elle. Elle n'a jamais cessé d'être bienheureuse suivant les béatitudes qu'enseignait son fils. Elle a espéré son triomphe malgré les misères d'une vie très pauvre, très humble, traversée de dangers analogues à ceux des « personnes déplacées » d'aujourd'hui. 174:41 Connaissant l'Écriture Sainte, épouse du Saint-Esprit, elle a compris que « le Messie devait souffrir pour entrer dans la gloire ». Elle a vécu la Passion de son Fils avec un glaive dans le cœur, mais une joie surabondante à la pensée que s'accomplissait le salut du monde et qu'elle s'associait ainsi à son propre salut. Tout ceux qui ont souffert comme elle dans l'espérance du salut universel savent qu'il en était ainsi. Elle ne s'est pas dérangée le matin de Pâques car elle savait (par la foi seule tout comme nous) que son Fils ressusciterait le troisième jour. Elle est restée encore longtemps sur la terre comme Mère des Apôtres pour confirmer les chrétiens en Espérance. Mais les trois vertus ne sont pas comme des remèdes qu'on prend de temps en temps pour soulager quelque mal. Le langage et la pensée conceptuelle font que les philosophes eux-mêmes les traitent comme faisant un petit drame à trois personnages, qui ont chacun sa chambre donnant sur une pièce commune. Or il n'y a qu'une pièce, c'est l'âme avec ses mouvements divers, avec ses puissances, l'entendement, la volonté et la mémoire qui n'ont pas de chambre à part elles non plus car elles sont puissances d'une même âme. L'interaction de ces vertus que nous distinguons est leur vie normale. « Elles se tiennent par la main » dit Péguy ; on ne sait pas laquelle agit mais la charité est « le lien de perfection », c'est elle qui informe la foi et l'espérance. Dieu est amour, sa grâce est amour, l'espérance est une espérance d'amour. Ô Seigneur Jésus source de tout bien, de tout amour, et source de la gloire, daignez augmenter en nous la foi, l'espérance, la charité, la foi qui nous instruit. l'espérance notre guide, la charité qui nourrit les vertus d'amour et qui seule subsistera éternellement, l'humilité enfin, don de l'Esprit de Vérité, porte des vertus, qui elle aussi subsistera dans la gloire. D. MINIMUS. Nous recommandons à nos lecteurs les écrits spirituels qui viennent de l'abbaye du Mont-Pelé à la Martinique. Sous forme de petites feuilles « *Les Étincelles du Volcan* » ou de petites brochures. « *Le cœur de Jésus, source d'eau vive* » « *Entretien sur l'amour total* » ces écrits donnent des vues simples, directes, pratique autant que profondes, fondées sur l'Évangile, sans littérature ni développements conventionnels. 175:41 Des évènements récents ont attiré l'attention sur la situation très grave de la Martinique où la population, entièrement chrétienne, mais surabondante, n'a pas et ne peut pas trouver d'ouvrage plus de la moitié de l'année. Les entreprises (sucre, rhum) sont obérées par les salaires de chômage, les droits de douane et les transports vers la lointaine mère patrie. Le monastère de Ste Marie du Mont-Pelé a été fondé en 1942 par un bénédictin français qui avait fondé déjà le monastère de St Benoît du Lac au Canada, maison aujourd'hui très prospère et pleine de Canadiens. Le monastère du Mont-Pelé s'est installé sur les pentes mêmes du volcan fameux, dans les ruines du grand séminaire détruit en 1902 par l'éruption volcanique qui anéantit en quelques minutes la ville de St-Pierre et trente mille habitants. C'est un acte de foi dans la prière et le sacrifice. Le monastère nourrit en moyenne cinquante pauvres par jour, il essaie de loger les familles sans toit. Il nous fait à nous l'aumône d'écrits spirituels. De telles entreprises sont la fleur de la chrétienté. Il est bon de s'associer à leurs tâches ; ce sont là pour l'instant « *gesta Dei per Francos* ». 176:41 ## L'Église du Silence, le communisme et nous ### Sermon du Cardinal Ottaviani pour un examen de conscience Le sermon prononcé le 7 janvier, à Sainte-Marie-Majeure, par le Cardinal Ottaviani, secrétaire de la Suprême Congrégation du Saint-Office, a provoqué une grande « stupéfaction » parmi tous ceux qui ne connaissaient pas ou qui avaient oublié la pensée constante de l'Église sur le communisme. \*\*\* On en a beaucoup discuté sans le lire. Du 8 au 13 janvier, tous les journaux de Paris ont donné leur avis sur ce sermon, et la discussion s'est poursuivie en France sans que le texte lui-même paraisse nulle part. Les journaux qui en parlaient ou n'en n'avaient pas le texte et parlaient en l'air, ou bien, ayant le texte, refusaient de le faire connaître à leurs lecteurs. Les deux quotidiens les plus sérieux de Paris, Le *Monde* et *la Croix,* n'en publièrent que de très brefs extraits : si l'on compare ces extraits avec le texte lui-même, on s'aperçoit qu'ils en ont donné une impression radicalement inexacte. Puis, comme d'habitude, les grands journaux tournèrent la page sans avoir informé ni éclairé leur public. Le premier, l'hebdomadaire la Nation française en publia une traduction intégrale dans son numéro du 1^er^ janvier ; suivi le 14 janvier par les Nouvelles de chrétienté. Puis plus rien jusqu'au 22 janvier, où la *France catholique* à son tour publie non pas d'ailleurs tout le sermon, mais ses passages essentiels ». Indépendamment de toutes autres considérations, il faut bien constater que, dans les matières les plus importantes, et notamment en matière religieuse, *la France est un pays systématiquement sous-informé par sa presse.* \*\*\* 177:41 « Stupéfiant », le sermon du Cardinal Ottaviani l'est assurément pour les consciences qui se sont laissé anesthésier par la dégradation morale progressant singulièrement depuis l'automne, à la suite de l'hospitalité spectaculaire que l'Amérique offrit au chef de l'appareil communiste. La « stupéfaction » produite au mois de janvier par le sermon du Cardinal Ottaviani est la plus nette mesure que l'on puisse prendre de cette dégradation insensible mais profonde des consciences. Au moment où nous achevons ce numéro spécial destiné à remettre en lumière *ce qu'est* le communisme, nous ignorons si le sermon du Cardinal Ottaviani aura réveillé le sens de la responsabilité morale parmi ceux qui conduisent les affaires de l'État dans les nations chrétiennes. Nous ignorons dans quelle mesure les autorités politiques et morales des nations chrétiennes auront fait écho à cette grande voix et auront appelé les peuples à s'arracher au somnambulisme qui les laisse comme hypnotisés en face du communisme. Quoi qu'il en soit, pour chaque chrétien, chacun selon les responsabilités de son état, le sermon du Cardinal Ottaviani est l'occasion d'un examen de conscience. Nous reproduisons ci-dessous la traduction intégrale publiée par *La Nation française.* Cela émeut jusqu'aux larmes de considérer ce que dit, ce que demande votre prière à Marie ; prière qui semble l'écho du soupir de tant d'âmes douloureuses, sur les terres de l'oppression Votre prière qui, au centre de la catholicité, semble nouer ensemble les supplications que vos frères déposent, avec leurs larmes, devant la même Vierge Sainte que vous honorez, ici, et qui est invoquée à Gyoer -- Regina Hungariae -- ou à Czestochowa, la patronne de la Pologne, ou à Svatahora, ou Notre-Dame des Douleurs de Sastin, en Tchécoslovaquie ou la Madone indestructible de Santa Sophia, à Kiev, ou Notre-Dame de Bistica et de tant d'autres de vos sanctuaires nationaux. Personne n'aime et désire la paix plus que vous, qui de la guerre ressentez les plus douloureux effets, et d'abord par l'exil auquel vous contraint la domination étrangère. Personne plus que vous n'implore cette paix qui vous donnera la joie de retourner dans votre patrie, de revoir et de baiser le visage de ceux qui vous sont chers, de prier encore une fois librement dans vos grands et glorieux sanctuaires. 178:41 **Le visage unique de la paix ** Mais cela ne vous sera permis que lorsque aura été écouté la parole du Maître de vérité et de justice qui, de la cathédrale de Pierre a annoncé, dans son récent message de Noël, la véritable paix. « Quel abus de ce mot « la paix » ! La vraie paix, a dit Jean XXIII, n'a qu'un nom : pax Christi ; elle n'a qu'un visage, celui du Christ. Elle est indivisible. Nul des traits qui composent son visage unique ne peut être ignoré ou exclu ». Ils s'expriment non seulement dans le désarmement, le partage des biens, le respect des pactes conclus, la solution des problèmes sociaux, mais encore dans la sauvegarde des droits de l'individu, de la famille, de la religion. La paix est indivisible, a dit le Pape. On ne doit pas seulement penser à ses aspects matériels, mais avoir présents à l'esprit ses aspects moraux et spirituels parmi lesquels, la tranquillité de la conscience, l'ordre, la sécurité dans la possession des droits naturels et surnaturels. Tant qu'il sera possible à Caïn de massacrer Abel sans que personne ne s'en aperçoive ; tant qu'il sera permis de tenir en servitude des nations entières sans que personne prenne la défense des opprimés ; tant qu'il sera possible, trois ans après l'insurrection hongroise, de voir continuer la lente hémorragie dans les condamnations à mort d'étudiants, de paysans, d'ouvriers coupables d'avoir aimé une liberté étouffée par les chars étrangers, sans que le monde manifeste d'horreur devant un si grand crime, il sera impossible de parler de vraie paix, mais seulement de consentement au massacreur que rien ne trouble et de coexistence avec lui. Ce n'est pas assez à Caïn d'avoir tué Abel, son frère. Au fratricide, il a ajouté l'indifférence et la dérision : « Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? *Num custos fratis mei sum *? » (Genèse, IV, 9). La destinée *des* deux frères, on le sait, s'est prolongée jusqu'à nos jours. D'une part, Abel est tué pour la douleur du père et de la mère ; d'autre part, c'est Caïn, le criminel, qui insulte la victime et trouve mille excuses pour se disculper. Il a massacré, mais en revanche, il a bâti des cités. **Quand Hitler vint à Rome** Depuis des décennies, au nom de théories prétendument humanitaires, a été inaugurée, dans le monde, une méthode technique de gouvernement de la part de ceux qui se sont rendu maîtres du pouvoir -- il n'est pas besoin de dire par quelles méthodes -- et qui, ayant pris en main les leviers de commande, déportent, emprisonnent, massacrent : ils font en somme le désert. 179:41 Les temps de Tamerlan ont eu leur retour historique En plein vingtième siècle, il a fallu déplorer des génocides, des déportations en masse, des horreurs comme celles des fosses de Katyn, des massacres comme ceux de Budapest. Ce n'est pas assez ! Personne ne s'épouvante de prendre la main des nouveaux ante-Christ. Plus, c'est une course à qui arrive le premier à la serrer, et à échanger avec eux des sourires affectueux. Quand Hitler vint à Rome, le Pape abandonna la cité. Et aujourd'hui, tous, même ceux qui alors le critiquèrent, admettent qu'il eut parfaitement raison, que c'était le moins que pût faire non seulement un Pape, mais un homme d'honneur, un homme de cœur, en face de ceux qui avaient tué des milliers d'innocents et qui répandaient la terreur parmi les peuples. Et alors, quelles fêtes, quels triomphes, quels hymnes ! Hitler, lui non plus, n'était pas le gardien de ses frères : il en était l'assassin et il avait fondé une cité et une civilisation nouvelles. Et cette histoire s'est répétée après lui, au nom d'autres principes et d'autres impérialismes. D'où vient un tel aveuglement chez beaucoup, dans des multitudes ? Est-ce que le sens de l'humain est tellement renversé et perdu parmi les hommes ? Comment et pourquoi ? Est-ce cela le triomphe de l'homme, la gloire de la société nouvelle ? Est-ce cela qui se cache sous les manifestes et les discours si flatteurs sur le progrès social ? et personne ne proteste plus face à ceux qui, par une répression féroce, prétendent arracher du cœur de l'homme jusqu'à l'idée de Dieu et étouffent, en face de la certitude de la mort, l'espérance chrétienne de l'immortalité ? **Les chrétiens dans les chaînes** En vint-on jamais à ce point d'ignominie que de voir des millions de citoyens qui applaudissent à la violence, à la tyrannie, à la férocité ? Est-ce là l'homme nouveau et ses invraisemblables progrès ? En semant la terre de chaînes et de crimes, et en violant l'espace céleste avec ses fusées, croit-il démontrer encore une fois que Dieu n'est pas ? Ils ne doivent pas encore y avoir réussi s'il leur faut ainsi s'acharner : ils doivent être bien loin de leur démonstration. 180:41 Il reste que la fréquence même et la puissance du crime dominant a par trop émoussé la sensibilité chrétienne, jusque chez les chrétiens ; non seulement comme hommes mais encore comme chrétiens, ils ne s'émeuvent plus Comment peuvent-ils se sentir chrétiens s'ils ne sentent pas les blessures infligées au christianisme ? Un bras qui, frappé, ne souffre plus, est un bras mort, Ainsi, un chrétien qui ne sent plus ce qu'est l'antichristianisme ne participe plus à la vie du corps mystique. Les persécuteurs de jadis, comme ceux d'aujourd'hui, en tuant, emprisonnant, déportant, visaient deux buts -- ils se débarrassaient de ceux qui leur étaient le plus redoutables, et ils épouvantaient les masses, ils les avilissaient, les paralysaient. Aujourd'hui, si nous pensons au nombre de chrétiens qui sont dans les chaînes avec leurs pasteurs, il y a de quoi frissonner, Rien là d'incertain, d'anodin, de douteux : non ! Un Cardinal-Primat de Hongrie qui persiste à partager avec son peuple le poids de la croix que toute la nation porte ; un Cardinal Stepinac emprisonné et gardé ; un grand Archevêque, l'Archevêque de Prague, non jugé ni condamné mais qu'on a fait disparaître : depuis onze ans, personne ne sait plus rien de lui : il n'élève plus la voix, personne n'a eu de lui le moindre écrit. Des évêques en prison ou soumis à la contrainte, tant de fidèles qui ne peuvent célébrer Noël... Et cela dans un monde si vaste, au su de tous, à la lumière du soleil ! On croirait que l'on dût assister à une protestation pareille à un océan mugissant ; à une insurrection de toute l'humanité, à un cri de réprobation, répondant à celui qui jaillit d'une plainte irrépressible. Rien de tel. Une certaine presse entièrement occupée par ce qui arrive aux joueurs, aux acteurs, et par la chronique du crime, ne sait pas ce que tous savent : il y a tant d'hommes en prison, un si grand nombre pris dans un étau féroce qui les empêche de quitter, même pour deux jours, leur patrie ou leur maison. Les politiciens et les hommes exerçant des responsabilités savent qu'au milieu de l'Europe, il n'y a plus aucune liberté d'aucune sorte, ni à l'école, ni dans les études, ni dans les professions, et là une seule manière d'être homme c'est d'être esclave et de chanter la gloire de ceux qui commandent : ils savent que, d'un moment à l'autre, quand on est en proie à l'arbitraire le plus absolu et le plus incontrôlable, on peut être précipité dans un abîme apocalyptique ; ils savent, mais ils se soumettent à l'initiative des autres, demeurant en désaccord entre eux, subissent, stupéfaits par la terreur, quand ils ne passent pas, comme certains intellectuels, au service des persécuteurs dans l'espérance de s'en tirer lorsque cela deviendra mauvais. 181:41 **« Jésus est en agonie »** Ils ne tiennent plus aucun compte, bien qu'ils se disent chrétiens, de considérations de l'Ordre Supérieur. On peut être très haut situé dans la hiérarchie sociale, et être un mort. Car tout vaut mieux que de vivre dans cet état d'insensibilité. Et la vie est prouvée par le sentiment de la douleur, par la vivacité avec laquelle on réagit aux blessures, par la promptitude et la puissance des réactions. Ceux qui sont « marqués » et pourris ne réagissent plus. Un chrétien peut-il donc, devant un massacreur de chrétiens, devant ceux à qui il ne suffit pas de nier Dieu, mais qui l'insultent, et flagellent, dans un défi cruel, ses serviteurs et ses fils, est-ce qu'un chrétien peut sourire, faire le doux ? Est-ce qu'un chrétien peut choisir de s'allier avec les auxiliaires, les compagnons, de ceux qui combattent pour l'avènement d'un tel régime de terreur antichrétienne dans les pays encore libres ? Se peut-il satisfaire d'une quelconque « détente » quand d'abord la détente ne procure pas l'humanité au sens le plus strict, celui du respect des consciences et -- pour nous -- de la foi et du visage du Christ, de nouveau souillé, couronné d'épines, souffleté. Et peut-on tendre la main à ceux qui agissent ainsi ? « Si j'avais été là avec mes Francs ! » disait Clovis, lorsqu'on lui racontait la passion du Christ. Mais la passion du Christ continue. Un autre Français a écrit, dans une page immortelle : « Jésus est en agonie, et tu pactises avec ses bourreaux. » Mais au pied de la Croix, il y a une mère, C'est vous, Marie. Par les larmes qu'elle a versées, partageant les douleurs de son fils, les larmes qui ont obtenu aux bourreaux la conversion et le pardon, par l'angoisse qui étreignit son cœur, lorsqu'elle voyait les premiers apôtres et disciples dispersés, traités en ennemis, persécutés, qu'elle obtienne vite ce que tous nous attendons, après quoi crient notre espérance et notre angoisse. Vite, Marie, touche les cœurs des Puissants, inspire des desseins généreux aux gouvernants, pour que soit donné aux peuples ce qu'ils attendent en leur faim et soif de justice, vers quoi aspire leur sens de la fraternité chrétienne : Si ton secours tardait, ô Marie, ce ne serait pas la paix pour le monde, mais le désastre. 182:41 Dans le temporel nous travaillons pour l'éternel. L'Église nous invite à prier, souffrir et combattre avec elle, par les moyens de Dieu, pour les motifs de Dieu, à l'accomplissement du plan de Dieu qui est l'achèvement du nombre des élus. Tel est l'unique sens de l'histoire par rapport auquel se situent tous les actes, toutes les vocations, toutes les destinées ; et toutes les fins intermédiaires de l'ordre temporel, quelles que soient leur consistance et leur dignité propres. Le sens de l'histoire est de tout restaurer dans le Christ, par l'effusion des grâces de la Rédemption. La crise moderne est une crise de finalité, c'est-à-dire une crise de l'espérance. L'homme a perdu le souvenir de sa patrie céleste. Le sens de l'histoire est donné sur la terre par l'espérance du Ciel. (Déclaration fondamentale, n° 28) ============== fin du numéro 41. [^1]:  -- (1). PIE XII, Message de Noël 1954. [^2]:  -- (2). PIE XII, Message de Noël 1955. [^3]:  -- (1). PIE XII, Message de Noël 1951. [^4]:  -- (2). PIE XII, Message de Noël 1954. [^5]:  -- (3). PIE XII, Message de Noël 1956. [^6]:  -- (1). PIE XII, Message de Noël 1956. [^7]:  -- (2). PIE XII, Message de Noël 1956. [^8]:  -- (1). Parmi nos lecteurs eux-mêmes, comme le montrait l'enquête menée en 1958, s'il y en a 69 et 66 % qui ont lu les Encycliques *Rerum novarum* et *Quadragesimo anno,* 60 % qui ont lu *Humani generis* et 52 % qui ont lu *Casti connubii,* il n'y en a que 47 % qui ont lu *Divini Redemptoris.* A cela il existe une cause psychologique qui est assez évidente. On connaît le dialogue : -- De quoi a parlé le curé dans son sermon ? -- Du péché -- Et qu'en a-t-il dit ? -- Qu'il est *contre...* De même. tout le monde sait que l'Encyclique *Divini Redemptoris* parle du communisme, et qu'elle est « contre ». Sachant cela on imagine que l'on en sait assez. [^9]:  -- (1). *Le Père Humilié,* acte II, scène 1. [^10]:  -- (1). Voir *Itinéraires,* n° 35, pages 78-79. [^11]:  -- (1). PIE XI, *Divini Redemptoris,* § 15. [^12]:  -- (1). PIE XI, *op, cit.,* § 15. [^13]:  -- (2). PIE XI, *op, cit.,* § 16. [^14]:  -- (3). PIE XI, *op, cit.,* § 17. [^15]:  -- (4). PIE XI, *op, cit.,* § 18. [^16]:  -- (1). J. Villain. *Enseignement social de l'Église.* tome I, page 210. [^17]:  -- (2). Voir l'exemple, classique dans la formation des cadres communistes, *du poivre et du chat.* exposé et commenté par Marcel Clément. *Itinéraires,* n° 32, pages 10 et 11. [^18]:  -- (1). Bien entendu, il y a quelques exceptions, et il est possible de nommer *le marxisme* en un sens correct : mais alors c'est pour spécifier que *le marxisme pénètre par l'action* et, en fait, cette « action » est celle qu'organise le communisme. Mgr Ancel avait fortement noté, dans la *Chronique sociale,* année 1952, page 326, cette importance décisive de l'action : « Les autres erreurs viennent habituellement par la voie de l'intelligence. on peut les combattre en face. Mais quand il s'agit du marxisme, c'est par l'action que l'erreur pénètre dans l'intelligence, et celui qui est tombé dans l'erreur n'a même pas combattu contre elle. » Cf. aussi, sur ce même point, le *Journal d'une Mission ouvrière* de Jacques Lœw, Éditions du Cerf 1959, pages 307-314.. [^19]:  -- (1). Cela n'est point dans Marx, dira-t-on. Mais le point de savoir quelle interprétation de la théorie marxiste est enseignée dans l'appareil communiste est un point très facile à trancher : car le livre essentiel de la formation de *l'apparatchick,* ou membre de l'appareil, est l'*Histoire du Parti communiste de l'U.R.S.S. *; dans l'édition française on se reportera aux pages 98 à 124 : « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » : c'est ce *marxisme là* qui est le marxisme réellement pratiqué et vécu par le communisme. Voir, entre autres, pages 109 à 111, la définition du rôle « mobilisateur, organisateur et transformateur » des « idées et théories », qui montre fort bien que, dans le communisme, leur importance est inséparable de leur mise en œuvre dans la propagande. On peut saisir là *a priori* ce que l'expérience montre *a posteriori :* à savoir que dans le communisme, la doctrine doit être examinée sous le rapport de la propagande, et non l'inverse. La signification, l'importance et le rôle de l'*Histoire du Parti communiste de l'U.R.R.S.,* sont en général complètement ignorés. Aussi faut-il se réjouir qu'ils aient été aperçus et mis en relief, au moins partiellement, par le R.P. Chambre, *De Karl Marx à Mao-Tsé-Tung,* Spes, 1959, pp. 255-256. [^20]:  -- (1). PIE XI, *op. cit.,* § 17. [^21]:  -- (2). PIE XI, *op. cit.,* § 57. [^22]:  -- (1). PIE XI, *op. cit.,* § 57. [^23]:  -- (1). PIE XI, *op. cit.,* § 2. [^24]:  -- (2). PIE XI, *op. cit.,* § 22, § 38, § 40, § 58. et *passim.* [^25]:  -- (1). Dansette. [^26]:  -- (1). Du moins en France. [^27]:  -- (1). PIE XI, *op. cit*., § 71. [^28]:  -- (2). Jean, XVII, 21. [^29]:  -- (1). PIE XI. *op. cit.,* § 44, [^30]:  -- (1). PIE XI, *op. cit.,* § 45. [^31]:  -- (2). PIE XI, *ibid.* [^32]:  -- (3). PIE XI, *op. cit.,* § 46. [^33]:  -- (4). PIE XI, *op. cit.,* § 49. [^34]:  -- (1). Voir le texte intégral de ce Message dans *Itinéraires,* n° 30, pages 111 et suivantes. [^35]:  -- (1). Sermon du 7 janvier 1960. Traduction de *La Nation française* du 13 janvier 1960, intégralement reproduite à la fin du présent numéro. [^36]:  -- (2). *Le Monde* du 9 janvier 1960, sous la signature de Jean d'Hospital, correspondant permanent de ce journal à Rome. [^37]:  -- (3). PIE XII : Encyclique *Humani Generis* du 12 août 1950. [^38]:  -- (4). PIE XI : Encyclique *Divini Redemptoris* (§ 58) du 19 mars 1937. [^39]:  -- (5). E. Mounier : *Feu la Chrétienté,* p. 167. [^40]:  -- (6). Cardinal Ottaviani : sermon du 7 janvier 1960 ; *loc. cit*. [^41]:  -- (7). *Le Monde* du 9 janvier ; loc. cit. [^42]:  -- (8). Jean XXIII : Message de Noël 1959 (*Osservatore Romano,* édition française du 1^er^ janvier 1960, p. 4 col. 2). [^43]:  -- Ibid. [^44]:  -- (9). Emmanuel Mounier : *Feu la Chrétienté,* p. 167. [^45]:  -- (10). Cardinal Ottaviani, 100. olt. [^46]:  -- (11). PIE XI ; Encyclique *Divini Redemptoris* (§ 58) du 19 mars 1937. [^47]:  -- (1). Voir : A. Rossi, *Autopsie du stalinisme,* avec le texte intégral du rapport Krouchtchev au XX^e^ Congrès du P.C. de l'U.R.S.S., Éditions Pierre Horay, 1957. [^48]:  -- (1). Maxime cinquième dans l'édition des œuvres de saint Jean de la Croix par le Père Cyprien, revue par le P. Lucien-Marie (Desclée de B.) [^49]:  -- (2). Pour ce qui regarde la grâce de Jésus qui est toujours suffisante on se reportera au Concile de Trente, surtout le chap. 11 du Décret sur la justification (Denzinger, Enchiridion Symbolorum, édit. Herder, Barcelone). Pour ce qui regarde l'action du diable on se reportera non seulement aux Évangiles et aux Épîtres mais à l'Apocalypse ; commentaire magistral sur le texte grec par le Père Alla, o.p. (édit. Gabalda) ; commentaire beaucoup plus abordable par le Père Boismard, o.p. dans un fascicule de la Bible de Jérusalem. [^50]:  -- (3). Sum. Theol, IIIa q. 8 a. 8, ad lum. [^51]:  -- (4). Ia Jo. V,4. [^52]:  -- (5). Matth. 24, 12. [^53]:  -- (6). Synode de Constantinople de 534, approuvé par le Pape Vigile. Voir Denzinger. n° 211. [^54]:  -- (1). Pascal, Mystère de Jésus. [^55]:  -- (1). Gustave Thibon *Quelques propositions sur la douleur,* Études Carmélitaines, octobre 1936. [^56]:  -- (1). Journet, *l'Église du Verbe Incarné*, t. II, p. 243 et p, 246.