# 47-11-60 3:47 ## ÉDITORIAUX ### O. N. U. *Pour sauver le principe d'une Organisation internationale\ il faut en exclure les gouvernements communistes* AVEC UNE FORCE et une dignité dont nous approuvons et la manière et le contenu, l'État français a publiquement signifié que la France ne reconnaît à l'O.N.U. *aucune qualité pour dire le droit* ([^1]). Nous le pensons aussi très fermement et nous allons dire pourquoi. En outre, concernant la session de l'Assemblée générale des Nations Unies qui s'est ouverte à la fin de septembre, un communiqué du gouvernement français a stigmatisé son « caractère de propagande, de sensation et de surenchère » ([^2]) ; il a confirmé qu'en conséquence des instructions avaient été données à la délégation française « pour qu'elle observe la plus grande réserve ». On peut n'être pas d'accord avec ce dernier point. Dans le monde tel qu'il est, il y a des inconvénients graves, et qui peuvent être mortels pour une nation, à laisser le champ libre à une propagande de mensonge. La dignité silencieuse risque de n'avoir aucun effet. Le vieux proverbe selon lequel « les absents ont toujours tort » reste vrai dans le domaine de la propagande. Le développement des techniques de subversion, l'avance universelle du communisme posent avec une urgence accrue le problème de la réponse aux propagandes : problème que l'on ne veut plus nommer officiellement celui de l' « action psychologique » ; on a pu supprimer le mot, on n'a pas modifié pour autant la réalité. Non qu'il s'agisse d'opposer surenchère à surenchère, et encore moins mensonge à mensonge. Mais il est possible, et nous croyons qu'il est nécessaire, de faire le procès des propagandes de surenchère et de mensonge, et de faire ce procès sur le terrain même où elles opèrent. 4:47 Il est excellent que, pour la première fois, un chef d'État ait solennellement dénoncé l'imposture de l'O.N.U. : aucune autorité publique ne l'avait fait avant lui, seule l'autorité spirituelle et universelle du Pontife romain avait discrètement, encore que nettement, soulevé la question. Mais justement : un Chef d'État n'est pas le Pape. Il ne lui suffit pas de *dire,* puis de s'enfermer dans « la plus grande réserve ». Il doit au contraire agir sur place. Face aux surenchères, la France aurait pu, aurait dû, non point en proposer d'autres, ce qui eût été accepter et subir l'immorale règle : du jeu, mais au contraire faire à chaque instant le procès du système et de Son mensonge. Pour l'emporter dans le temporel, disait Péguy, il faut travailler dans le temporel. Au lieu d' « observer la plus grande...réserve », il eût été mieux avisé de défendre pied à pied la vérité et le droit. QU'EST-CE QUE L'O.N.U. ? Aujourd'hui : un mensonge. La fiction hypocrite d'une organisation internationale. Il faut bien une telle organisation, nous dit-on. On ajoute même parfois, et c'est un comble la doctrine de l'Église impose de la respecter. -- On n'a jamais vu la doctrine de l'Église imposer de respecter le mensonge. Plus que tout autre Pape, le Pape Pie XII a montré que la *société des États* est conforme au droit. La société des États est une société naturelle (et non une vue de l'esprit). Il y a pour l'homme trois sociétés naturelles et nécessaires : la famille, l'État, et la société des États. Mais cette dernière n'a jamais pu encore être constituée de manière organique. Elle est demeurée à l'état virtuel ; non que des tentatives précises n'aient été mises en chantier : la S.D.N. avant, l'O.N.U. après la dernière guerre mondiale. Le projet, l'intention sont louables et même obligatoires. Le contestent ceux qui sont dépourvus même du rudiment de toute saine philosophie sociale. Ajoutons toutefois que les structures naturelles se développent à travers l'histoire, compte tenu de l'état de la conscience commune et aussi des circonstances. La famille est antérieure (même historiquement) à l'État. Avant les progrès scientifiques et techniques qui ont comme raccourci les distances de l'univers, la société des États pouvait *paraître* une idée chimérique, inutile ou peu urgente. On ne peut plus aujourd'hui en ignorer la nécessité. La société des États demeure « inorganique » aussi longtemps que les États ne se reconnaissent réciproquement que des obligations négatives (ne pas envahir le voisin, ne pas léser ses droits, respecter sa souveraineté, etc...). La société des États devient *organique,* comme elle le doit, comme elle y a vocation, quand les États créent entre eux une communauté juridique qui les fait coopérer en permanence pour atteindre un degré de civilisation supérieur, et pour le rendre accessible à chacun d'entre eux en particulier : outre le problème de la paix, dont le maintien est la condition des autres réalisations, il s'agit de mettre méthodiquement (et non anarchiquement) en commun les conquêtes spirituelles, scientifiques et matérielles de l'humanité, et spécialement de porter ainsi remède, par la collaboration internationale, au chômage et au sous-équipement. 5:47 On a raison de combattre le scepticisme que des habitudes anciennes peuvent entretenir à l'égard de telles perspectives. Répétons qu'il ne s'agit point là de projets peut-être brillants, peut-être souhaitables, peut-être utopiques : il s'agit de réalisations conformes à l'ordre naturel ; ce qui veut dire qu'elles sont à la fois possibles (pas toujours immédiatement) et obligatoires. Mais, même pédagogiquernent, il est désastreux de prétendre qu' « en conséquence » on doit approuver, soutenir et respecter l'O.N.U. : cela est aussi sensé que si, pour illustrer la nécessité de l'État, on faisait l'apologie d'Hitler, de Krouchtchev ou de Radar. LES APOLOGISTES impénitents plaident que l'O.N.U. est imparfaite, comme toutes les institutions humaines, qu'elle tâtonne, qu'il faut l'aider et l'améliorer. Elle est « une institution imparfaite et indispensable » écrivait le 23 septembre un quotidien catholique. Or, nous croyons que là n'est pas la question. Ce n'est pas l'imperfection de l'O.N.U. qui est en cause : c'est de savoir si, comme nous le pensons, l'O.N.U. n'est pas actuellement fondée sur un *mensonge de principe* qui ne saurait être accepté, fût-ce implicitement, fût-ce par omission. Essayons de suivre, d'aussi près que possible, l'enseignement et les recommandations de l'Église dans leur teneur exacte et surtout complète. On se souvient, ou on devrait se souvenir que le Saint-Siège s'est montré favorable à la constitution de t'O.N.U., à l'idée de créer entre les États une communauté juridique, aux efforts de certaines commissions spécialisées dans les relations culturelles ou dans l'aide aux pays sous-équipés. D'ailleurs le Saint-Siège a un représentant permanent auprès de l'U.N.E.S.C.O., auprès de la F.A.O. et auprès de divers autres organismes internationaux dépendant ou non de l'O.N.U. (Agence internationale pour l'usage pacifique de l'énergie atomique, Fonds des Nations Unies pour les réfugiés, Institut international pour l'unification du droit privé, etc...). Mais la présence indue, inique et monstrueuse des gouvernements communistes au sein de l'O.N.U. a posé un problème qui est allé s'aggravant, et sur lequel l'Église n'est pas restée silencieuse. L'IDÉE DE FAIRE SIÉGER L'U.R.S.S. À L'O.N.U. avait paru, à l'origine, toute naturelle et même habile. L'organisme était fondé par les vainqueurs de la guerre, au nombre desquels la Russie soviétique tenait une place de premier plan. 6:47 On pensait en outre à l'époque que le communisme était appelé à connaître une « évolution » dite « pacifique » et « libérale » et qu'en tout état de cause on favoriserait certainement cette évolution en initiant les dirigeants soviétiques au fonctionnement juridique d'une sorte de parlementarisme international. Mais dès le début, l'iniquité et le mensonge étaient entrés à l'O.N.U. en compagnie de l'U.R.S.S. : pour séduire celle-ci, on avait consenti à des anomalies qui paraissaient alors de peu de conséquence pratique. On avait accepté, comme membres de l'O.N.U. à part entière, comme États souverains, une soi-disant « Biélorussie » une soi-disant « Ukraine » prétendument indépendantes de l'U.R.S.S. : et cette fiction continue. Par la suite d'autres États, passés postérieurement à l'année 1945 sous le contrôle du communisme, et devenus strictement des colonies soviétiques, continuèrent et continuent aujourd'hui à figurer, à parler, à voter à l'O.N.U. comme s'ils étaient des États indépendants : l'Albanie, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne et la Roumanie. Les gauleiters soviétiques de ces divers pays tiennent à l'O.N.U. des discours virulents sur l'indépendance nationale et mettent en accusation le « colonialisme » de la France, de la Grande-Bretagne et même (disent-ils) de la nation qui est pourtant « anti-colonialiste » jusqu'à la manie et jusqu'à l'obsession : les U.S.A. Ce n'est pas là une simple particularité anecdotique, une simple farce dont il suffirait de sourire sous cape. C'est une imposture fondamentale et permanente. Une imposture intolérable. Fondée sur une telle imposture, l'O.N.U. peut continuer sans doute, à côté de graves malfaçons, à rendre tels ou tels services pratiques : mais elle n'a aucunement qualité pour *dire le droit.* ON IGNORE, on veut ignorer que le Pape a évoqué ces questions : non du point de vue « politique » mais précisément du point de vue *moral,* du point de vue du *droit.* Dans son Message de Noël 1955, Pie XII déclarait : « Notre programme de paix ne peut approuver une coexistence inconditionnée avec tous et à tout prix -- certainement pas au prix de la vérité et de la justice. » Le 10 novembre 1956, Pie XII invitait gouvernements et peuples à *conclure un pacte* (donc un *autre* pacte que celui de l'O.N.U.), -- le pacte de l'O.N.U. étant en train démontrer son impuissance à défendre le droit et la justice contre les agressions communistes : « *Que l'on groupe en un pacte solide tous ceux qui -- gouvernements et peuples -- veulent que le monde suive le sentier de l'honneur et de la dignité des fils de Dieu. Un pacte capable aussi de défendre efficacement ses membres de toute attaque injuste contre leurs droits et leur indépendance.* 7:47 *Ce ne sera pas la faute des honnêtes gens s'il ne reste à ceux qui s'éloignent de cette voie que le désert et l'isolement. Peut-être se produira-t-il -- et Nous le souhaitons de tout cœur que la cohésion des nations aimant sincèrement la paix et la liberté suffira à amener à des desseins plus modérés ceux qui se soustraient aux lois élémentaires de la société humaine et qui se privent par là eux-mêmes de parler au nom de l'humanité, de la justice et de la paix.* » ([^3]) Lancé au moment où le communisme décimait le peuple hongrois, ce message déniait clairement aux gouvernements communistes le droit (qu'on leur a laissé au sein de l'O.N.U.) de « parler au nom de l'humanité, de la justice et de la paix ». Le Pape suggérait le projet d'un pacte nouveau, qui isolerait les gouvernements communistes et qui peut-être suffirait à les « amener à des desseins plus modérés ». Ce projet d'isolement de la caste communiste dirigeante, et de pression morale sur elle, aurait pu constituer un pôle d'attraction pour les peuples eux-mêmes soumis au joug soviétique. Pie XII ajoutait en effet : « *Leurs peuples ne pourront pas ne pas éprouver, les premiers, le besoin de faire partie à nouveau de la famille humaine pour en goûter l'honneur et les avantages. Soyez donc tous unis pour la liberté et pour la paix, chers peuples de l'Est et de l'Ouest, membres de la commune famille humaine.* » De même que l'Église demande en permanence à ses fidèles de *prier en union* avec les peuples chrétiens qui subissent la colonisation communiste, de même Pie XII envisageait un « pacte solide » pour la justice comme objet d'espérance commune entre les peuples libres et les peuples esclaves. On ne l'a point fait. Et les peuples esclaves savent au contraire que les nations non-communistes acceptent sur un pied d'égalité, à l'O.N.U., les despotes sanglants du colonialisme communiste ; ils savent qu'un Kadar, gauleiter et bourreau de la Hongrie, est admis à parler au nom de l'indépendance des peuples et de la justice internationale, ils savent que les esclavagistes peuvent, par leurs discours et par leurs votes, continuer à DIRE LE DROIT... Cette lâcheté, cette démission des nations libres est un acte radicalement *immoral,* et en même temps un acte véritablement *impolitique,* qui décourage la résistance des peuples à l'esclavage. SAUVER L'O.N.U., sauver l'intention et le principe, valables et nécessaires, d'une organisation juridique internationale, était possible en 1956, par *l'exclusion* (temporaire et conditionnelle) *des gouvernements communistes.* 8:47 Le crime public commis contre la Hongrie en offrait l'occasion et en manifestant l'obligation. Y faisant à nouveau allusion dans son Message de Noël 1956, Pie XII suggérait que les gouvernements communistes, non point nommés, assez clairement désignés cependant, « *ne soient pas autorisés à exercer leurs droits de membres de l'Organisation elle-même* ». Le Souverain Pontife précisait que s'il faisait mention des « aspects défectueux » de l'organisation internationale, c'est parce qu'il désirait « voir renforcer l'autorité de l'O.N.U., surtout pour l'obtention du désarmement général ». Il ne semble pas possible de se tromper sur la pensée du Pontife si l'on pèse avec attention les termes, parfois discrets mais toujours nets, qu'il a employés. Il souligne que l'autorité de l'O.N.U. est malheureusement insuffisante pour réaliser des objectifs aussi nécessaires que par exemple un désarmement contrôlé. Mais il souligne simultanément que ce manque d'autorité est fondamentalement un manque d'autorité *morale,* provenant de la contradiction par laquelle on appelle à DIRE LE DROIT des gouvernements qui, par système pratique autant que par principe idéologique, *ne reconnaissent aucun droit.* Ces gouvernements agissent selon une doctrine qui « mine les fondements mêmes de l'O.N.U ». Le renforcement de l'O.N.U. suppose qu'ils « ne soient pas autorisés à exercer leurs droits de membres de l'Organisation elle-même ». Appelant ainsi l'O.N.U. à un redressement -- redressement dont la condition indispensable est l'exclusion temporaire des gouvernements communistes -- Pie XII n'en invite pas moins, une nouvelle fois, de manière très pressante, les gouvernements non-communistes à s'unir et carrément faire bloc contre le communisme : « *Nous sommes persuadé qu'aujourd'hui encore, en face d'un ennemi résolu à imposer à tous les peuples, d'une manière ou de l'autre, une forme de vie particulière et intolérable, seule une attitude unanime et forte de la part de tous ceux qui veulent la vérité et le bien peut sauver La paix et la sauvera. Ce serait une erreur fatale de renouveler ce qui, en des circonstances semblables, arriva dans les années qui précédèrent le second conflit mondial, quand chacune des nations menacées, et point seulement les plus petites, chercha à se sauver aux dépens des autres, à s'en servir comme de bouclier, et même à tirer des difficultés d'autrui des avantages économiques et politiques fort discutables. L'épilogue fut que toutes ensemble se virent bouleversées dans la configuration.* » ([^4]) 9:47 Ces avis ne furent point entendus des hommes d'État responsables. Pour être plus sûrs qu'on ne les entendrait point, les communistes et leurs alliés habituels travaillèrent efficacement à brouiller les cartes, en prétendant que le Pape s'occupait là « de politique ». Les auxiliaires catholiques du communisme firent chorus, exposant théologiquement que le Pape n'avait pu avancer, en ces matières « politiques » que des « opinions personnelles » opinions « infiniment respectables » mais sans valeur morale. Or le Pape parlait *de la morale et du droit.* La résistance au communisme n'est pas « une politique » parmi d'autres, encore qu'elle puisse inspirer diverses politiques : la résistance au communisme est un devoir moral. L'admission des despotes communistes dans l'Assemblée internationale chargée de DIRE LE DROIT n'est pas une concession diplomatique parmi d'autres, c'est une imposture, c'est un mensonge, c'est une immoralité, c'est une injustice. Cette injustice, cette immoralité permanente privent l'O.N.U. de l'autorité morale qui lui serait nécessaire. On ne peut pas avoir d'autorité morale quand on s'assoie ostensiblement sur la justice. AUCUN HOMME D'ÉTAT n'a pris en considération la nécessité d'exclure de l'O.N.U. et les gouvernements communistes (c'est-à-dire en fait le gouvernement de l'U.R.S.S. et les huit gauleiters soviétiques qui sont membres de l'O.N.U. à part entière comme s'ils représentaient huit États indépendants). Aucun homme d'État occidental ne s'est aperçu que le droit international peut être défini, pratiqué, respecté, défendu seulement par les gouvernements qui ont du droit une idée ferme, et non par le communisme qui ne reconnaît aucun droit ([^5]). L'inconscience est universelle en Occident, du moins dans les milieux politiques dirigeants : ils ont estimé *seulement immoral,* mais sans inconvénient pratique, d'associer les négateurs de tout droit à l'élaboration du droit international ; ce faisant, on ne violait que la justice, n'est-ce pas, on ne saccageait que l'espérance des peuples qui subissent l'esclavage. Et l'on imaginait que d'une manière ou d'une autre on arriverait à s'arranger, dans le mensonge et l'ignominie sans doute, mais bien tranquillement. Cependant les choses, même en politique, ne sont jamais *seulement immorales.* Surtout quand il s'agit d'organiser les relations internationales sur les bases de la justice et du droit ! Le mensonge a tout empoisonné. Dans la déroute universelle des élites temporelles, ou soi-disant telles, de la pensée et de la politique mondiales, ne demeurent que deux pôles d'une conscience qui soit la conscience exacte de l'histoire qui se fait réellement. L'un est à Moscou, et c'est une conscience mauvaise, mais lucide, la conscience du mal méthodiquement voulu et organisé. L'autre est à Rome, et c'est la conscience du droit et de la justice. 10:47 Seules Rome et Moscou ont vu et dit que le problème est celui d'une Organisation internationale sans les communistes. « *Pourquoi donc ne nous éjectez-vous pas *? » s'est écrié Krouchtchev à l'Assemblée générale de l'O.N.U., le premier jour d'octobre : et pourtant personne ne veut l'éjecter. Personne n'en avait parlé. Personne sauf Pie XII. « *Et que se passerait-il si nous quittions l'O.N.U. et si nous fondions notre O.N.U. à nous *? » a encore crié Krouchtchev. C'est la vraie question. Que se passerait-il ? Un progrès : le seul qui soit actuellement susceptible de sauver l'existence d'une Organisation internationale. Il se passerait alors, en effet, qu'une communauté juridique internationale deviendrait enfin non pas facile, mais POSSIBLE entre les États qui croient au droit et à la justice. Le bloc communiste n'en serait aucunement renforcé : car ce bloc des États communistes qui ne reconnaissent aucun droit existe déjà, et depuis longtemps déjà travaille à se donner le maximum d'unité et de puissance. Ce que l'on appelle l' « éclatement de l'O.N.U. » est la seule chance prochaine de maintenir ce qu'il y a de valable et de nécessaire dans le principe d'une Organisation qui, en fait, est devenue un monstre. La France du moins a pris acte, avec pleine raison, de l'évidence : cette machine n'a plus, pour dire le droit, aucune qualité. 11:47 ### Réflexions (plus ou moins) politiques *Trente mois après le 13 mai 1958* QUE S'ÉTAIT-IL DONC PASSÉ le 13 mai 1958 ? Un régime disparut, un autre prit sa place : mais pourquoi ? Quel était « l'esprit du 13 mai » si souvent invoqué ou reconstruit depuis lors, comme une source à laquelle revenir, ou comme un épouvantail ? S'agissant d'un événement historique, et contingent, les appréciations sont libres. Nous donnons la nôtre. Ou plutôt, nous la retrouvons, telle qu'elle fut exprimée à l'époque. Sans nier l'importance que revêtit le mouvement de fraternisation entre chrétiens et musulmans, ni l'efficacité psychologique du mot d'ordre d' « intégration » qui fut alors lancé dans cette perspective de fraternisation, nous mettions l'accent sur ce qui constitua le facteur décisif, le seul : l'attitude de l'armée. Aujourd'hui encore, c'est bien l'armée, c'est essentiellement l'armée qui est accusée, ou sollicitée, de préparer « un nouveau 13 mai ». L'espérance des uns, la crainte des autres, c'est « l'armée au pouvoir ». Mais justement : le 13 mai 1958 n'avait pas voulu être et n'avait pas été *l'armée au pouvoir.* Pour ne point risquer de reconstruire arbitrairement nous aussi l'événement du 13 mai 1958, reprenons ce que nous en avions alors enregistré ([^6]). 1. -- Premièrement, il n'est pas vrai que le 13 mai ait renversé la IV^e^ République, ni que l'armée se soit insurgée contre le gouvernement : sous des apparences illusoires, il n'y avait plus de gouvernement, plus de République, plus d'État. Accusé de méditer un « coup d'État » l'actuel Président de la République répliquait qu'il pourrait tout au plus faire « un coup » mais nullement « d'État », l'État ayant disparu dans le néant. 12:47 Six mois plus tôt, M. Georges Hourdin avait écrit avec une exacte clairvoyance ([^7]) : « *Pour être démocrate de tempérament et de conviction, Je n'en suis pas pour autant aveugle. Il est sûr qu'une certaine forme de démocratie, la démocratie pluraliste et parlementaire, est en train d'agoniser sous nos yeux.* » Au moment même de l'événement, M. Hubert Beuve-Méry notait l'évidence : « *incapable de vivre décemment, la* IV^e^ *République n'aura pas su mourir en beauté* (...). *La IV^e^ République meurt beaucoup moins des coups qui lui sont portés que de son inaptitude à vivre.* » ([^8]). Enfin, à la veille de l'abdication juridique du régime qui était mort de lui-même, *La Croix,* après avoir hésité deux semaines à formuler le constat de décès, diagnostiquait elle aussi, par la plume de M. Pierre Limagne ([^9]) : « *On comprend mieux que le régime n'est vraiment renversé par personne, qu'il finit de se désagréger : c'est à Paris le vide politique complet.* » 2. -- Nous faisions remarquer qu'il était donc illogique, injuste et entièrement inexact d'accuser (ou de glorifier) l'armée française de s'être insurgée contre les pouvoirs établis. Le principe de l'obéissance aux pouvoirs établis ne va pas et ne peut aller jusqu'à imposer respect et fidélité envers *un vide politique complet.* Il subsistait en mai 1958 une apparence de pouvoir légal : une apparence sans consistance ni réalité. L'armée française en mai 1958 n'a pas renversé le pouvoir établi, elle a pris acte de la réalité derrière l'apparence : elle a pris acte de l'inexistence du pouvoir politique. C'est pourquoi nous croyons que personne n'est fondé à se vanter d'avoir alors renversé le régime ; et que personne n'est fondé non plus à brandir l'épouvantail de ces prétendus renverseurs de régime. Ce sont là des mythes, créés et entretenus par toute une littérature qui s'est développée et diffusée avec la connivence des clans les plus opposés. Les uns trouvent avantages ou vanité à passer pour les vainqueurs du 13 mai, les organisateurs audacieux d'une opération réussie. Les autres ont intérêt à montrer qu'il existe là un péril. Bien sûr, toutes les sociétés comportent un pourcentage probablement constant, et d'ailleurs infime, de « comploteurs ». On peut toujours démontrer qu'il y a des complots partout. Mais des complots qui ne mènent le plus souvent nulle part. Il y a aussi, en permanence, des mécontentements, des velléités bougonnes ou furibondes, des boutades incendiaires. Tout cela fut l'accompagnement du 13 mai et si l'on veut contribua au climat. Mais la seule action décisive fut celle de l'armée. Le 13 mai 1958, l'armée a simplement manifesté à la face du monde ce qu'elle savait, elle du moins, depuis un certain temps : qu'à Paris il y avait, selon le mot de *La Croix,* « un vide politique complet ». 13:47 3. -- Élément décisif ou, pour parler comme les mathématiciens : condition nécessaire et suffisante de l'événement, l'armée n'a ni pris le pouvoir, ni cherché à le prendre. Parler de « l'armée au pouvoir » c'est peut-être une politique, que l'on peut acclamer ou stigmatiser, et cela s'est vu récemment, par exemple en Turquie. Mais cela n'a rien à voir avec le 13 mai. En mai 1958 (écrivions-nous au lendemain même de l'évènement) l'armée ne s'est pas constituée en gouvernement. Elle s'est trouvée dans la situation d'assumer en Algérie des pouvoirs qui, en Métropole, atteignaient le dernier stade de leur décomposition interne. Elle s'est alors, pour la première fois, tournée vers la République, non pour la renverser, ni pour lui demander des comptes concernant le passé, mais un gouvernement pour l'avenir. *Elle a demandé qu'un gouvernement soit enfin constitué par la République, selon les procédures et avec les hommes dont la République pouvait encore disposer* ([^10]). Et c'est cela même qui s'est produit. L'actuel Président de la République a offert d' « assumer les pouvoirs de la République ». Il fallut une quinzaine de jours, et diverses grimaces, pour mettre les choses en forme et par écrit. Mais il n'y eut ni gouvernement militaire, ni gouvernement porté au pouvoir par une intervention armée. Les uns et les autres invoquent donc le 13 mai à tort et à travers. S'il est des gens qui veulent préparer un coup d'État militaire, ce n'est ni dans l'événement, ni dans les procédures, ni dans l'esprit du 13 mai qu'ils trouveront un précédent et un exemple. Et s'il est des gens qui veulent empêcher un tel coup d'État, ils se trompent du tout au tout en pensant que le coup viendrait comme il est venu le 13 mai. Les uns et les autres retardent d'une révolution. Mais il font sur ce thème, dans leurs journaux, une bien belle logomachie. LE 13 MAI 1958 comportait quelque chose de plus, et de capital : l'Algérie française. La volonté ardente d'un grand nombre de chrétiens et même de musulmans, qui sont Français, et qui sont nés en Algérie de parents nés en Algérie, de rester en Algérie et d'y rester Français. Cette revendication, qui est conforme au droit naturel, constitue la plus grande « particularité » ou « personnalité » algérienne dans une Afrique tout entière décolonisée. Particularité tragique, car ces Français, depuis des années, vivent dans la crainte de perdre leur patrie, et sont en permanence assaillis par un terrorisme systématique, atroce, inhumain. De toutes parts on appelle une « solution » et des motions de congrès -- et même de congrès catholiques réclament une solution « rapide » ou « immédiate ». C'est bien gentil. 14:47 Mais il arrive, il est plusieurs fois arrivé dans l'histoire, que se créent, compte tenu des fautes commises, des situations qui ne comportent précisément, à vues humaines, aucune solution ; ou du moins aucune solution immédiate. Nul ne pourrait dire à l'heure actuelle quel sera demain le sort de l'Algérie. La seule certitude, pour le moment présent, est négative : l'État, le régime, le gouvernement issus du 13 mai ont exclu en tout état de cause la solution intégrationniste, les « cinquante cinq millions de Français de Dunkerque à Tamanrasset » que proclamait M. Soustelle, en mai 1958, au micro de Radio-Alger. Que M. Soustelle ait été plus ou moins tenu à l'écart des postes politiques dirigeants était dès 1958 une indication allant en sens contraire des premières déclarations officielles du nouveau régime. Depuis lors, l'écart a progressivement diminué entre la teneur des déclarations officielles et la politique réelle du gouvernement. L'Algérie française ne fait point partie de son programme. L'occasion du 13 mai 1958 a été non pas manquée, mais délibérément écartée. Nul ne peut savoir si une autre occasion se présentera. A vues humaines, elle est imprévisible, nous voulons dire improbable. Mais le cours de l'histoire ne suit pas toujours les vues humaines. L'Algérie française de mai 1958, celle dont M. Soustelle fut alors le porte-parole, celle dont il créa avec bonheur les formules de propagande les plus percutantes, ne peut plus être aujourd'hui qu'un projet radicalement révolutionnaire, supposant le renversement complet de l'État tel qu'il a été reconstitué. Un tel projet serait entièrement différent du 13 mai, parce qu'il ne s'agirait plus de prendre acte d'un « vide politique complet ». Si fondée et si nécessaire que l'on imagine l'idée de l'Algérie française, c'est maintenant une idée qui, par la volonté et par l'action de l'État, a été placée en situation subversive. On ne peut pas à la fois le reprocher à l'État, et raisonner comme s'il ne l'avait pas fait. MAIS REVENONS ENCORE aux origines. Le « vide politique complet » l'armée en avait pris conscience surtout sur un point précis, et d'ailleurs décisif. Cela encore, nous le notions à l'époque, et nous croyons devoir, pour l'intelligence même de la suite des événements, reproduire les termes exacts de ce qui était alors évident : *Depuis douze aunées, l'armée de la France était au combat. Pendant douze années, l'appareil du Parti communiste, ouvertement, impunément, propageait et mettait en œuvre, par tous les moyens, le mot d'ordre de* « *travailler à la défaite de l'armée française partout où elle se bat* »*. Depuis douze années, l'armée de la France supportait en silence cette subversion fondamentale et permanente. Pendant douze années, tous ceux qui étaient tués il l'ennemi étaient, en même temps, trahis par la carence des pouvoirs constitués.* 15:47 *Les pouvoirs de la République, après avoir sacrifié chaque année une promotion entière de Saint-Cyriens, après avoir maintenu hors de leurs foyers, sur les champs de bataille, pendant plus de dix ans, les soldats de métier et d'innombrables volontaires qui avaient choisi de donner leur vie pour la France, avaient fait appel au contingent.* *Même après que le contingent eût été engagé dans la bataille, les pouvoirs de la République ont accepté que des factions politiques diffament, déshonorent et combattent les Français auxquels ils réclamaient le sacrifice de la vie.* *Quand il est établi qu'une telle situation n'est pas occasionnelle, mais que les pouvoirs publics s'y installent et s'y habituent, et quand cette situation se prolonge douze années sans aucun signe ni aucune velléité d'y mettre un terme, la défaillance fondamentale qui se manifeste ainsi équivaut à une déchéance.* *Depuis douze années sans interruption, l'armée de la France est au combat contre un ennemi suscité, armé, excité ou dirigé par le communisme soviétique. Et depuis douze années le communisme, sur notre propre sol et dans le dos de l'armée, travaille librement à sa diffamation, à son déshonneur, à sa défaite* ([^11])*.* Cela, en 1958, nous paraissait encore plus important que de choisir pour l'Algérie une politique d'association ou une politique d'intégration. Les gouvernements choisissent la politique qu'ils veulent ou qu'ils peuvent, et malgré tous leurs calculs ils se trompent souvent, même quand il s'agit du gouvernement d'un Richelieu ou d'un Napoléon. Et les résultats effectivement obtenus dans l'histoire, même les meilleurs ou les plus éclatants, sont en général assez différents des intentions gouvernementales qui avaient commandé le choix d'une politique. Un État qui eût été catégoriquement partisan de l'Algérie française aurait très bien pu la perdre néanmoins. Un État qui ne veut pas de l'Algérie française peut, inversement, se trouver amené par la logique des situations, sans le savoir et sans le vouloir, à en préserver la possibilité. D'autre part, des personnes également patriotes peuvent préconiser pour l'Algérie, sur le papier, des « solutions » différentes : cela ne simplifie pas les choses, mais n'est pas immoral. Ce qui est immoral, ce qui tend à ruiner le *fondement moral* de l'État et de la communauté nationale, c'est que la voix de la trahison ait pratiquement les mêmes droits que les voix du patriotisme. On n'est pas un traître (quoi qu'en disent les passions et les factions) parce que l'on propose, pour l'Algérie ou pour tout autre question, une « solution » qui semble paradoxale, chimérique ou dangereuse. 16:47 Mais les réseaux de soutien du F.L.N. et le Parti communiste sont, eux, la trahison évidente et certaine. Il est manifeste -- à moins que nous ne soyons vraiment très mal informés -- que l'État est peu actif contre les réseaux et inactif contre le Parti. On ne voit pas pour quel motif. Il est de fait, en outre, que l'État qui demande aux soldats du contingent le sacrifice de la vie, et qui les expose à une mort parfois horrible, n'a prononcé à leur intention, pour dire le sens de leur combat, aucune parole qui soit clairement intelligible au cœur et à la raison. Il est constatable enfin, que ni en France ni hors de France l'État n'a fait ce qui était en son pouvoir pour mettre en lumière le caractère exceptionnellement tragique et atroce du combat mené contre nous par un terrorisme qui torture et massacre des civils, des femmes, des enfants, par système avoué et généralisé. Si vous parlez de « tortures en Algérie » tout le monde, en France et dans le monde, entend aussitôt que vous voulez parler des excès occasionnels de la répression. L'État n'a quasiment rien fait, ne fait rien d'efficace et de suivi pour rétablir la vérité. Il demeure passif en face des propagandes de l'ennemi. Bien sûr, l'État, à part lui, n'en pense pas moins. Mais il ne met pas à l'honneur ceux qui tombent au champ d'honneur. C'est un désordre fondamental, qui explique, qui suscite, qui aggrave les crises de conscience. La conscience, le cœur, l'amour ont leurs raisons et leur langage, où l'État nouveau n'entre point. Nous avons dit en quel sens précis et dans quelle mesure cet État nous paraît *asocial* ([^12]). Il ne faudrait pas qu'il en vint à paraître en outre *amoral.* NOUS L'AVONS RAPPELÉ plusieurs fois : notre rôle, ici, n'est pas de promouvoir une politique plutôt qu'une autre, ni de soutenir une équipe politique contre une autre. Le voudrions-nous, nous n'y ferions rien, car une revue mensuelle de culture générale serait inadéquate à un tel dessein. Nul plus que nous ne souhaite que l'État et le gouvernement fassent leur métier politique, tandis que nous sommes occupés ailleurs, à notre tâche qui est de contribuer à la réforme intellectuelle et morale. En matière proprement politique, notre propos essentiel, clairement énoncé, est de défendre et promouvoir *les valeurs, les vertus, les principes qui sont antérieurs et supérieurs à tous les gouvernements et à toutes les politiques,* et qui doivent ou qui devraient leur être communs à tous. Mais l'interdépendance est réciproque entre ces tâches diverses. Et il n'est pas possible de dissimuler que certains aspects non négligeables de l'action (ou des omissions) de l'État encouragent la confusion quant aux valeurs fondamentales sur lesquelles repose toute communauté humaine. Un État qui laisse déshonorer l'honneur de servir, sur quoi pourra-t-il, à la longue, s'appuyer ? 17:47 Nous ne comprenons pas une certaine neutralité de l'État entre le bien et le mal ; nous ne comprenons pas une attitude qui ressemble, sous certains rapports, à un opportunisme sans principe. Un opportunisme de la grandeur française, sans doute, mais quelle grandeur ? par rapport à quoi ? dans quelle échelle de valeurs ? dans quel contexte mondial ? Ce qui se passe *réellement* dans le monde en notre siècle, c'est la marche du communisme à la domination mondiale. Tous les autres problèmes politiques n'ont de sens immédiat qu'en fonction de celui-là. Le destin de l'homme, le sens de l'histoire sont en jeu d'une manière totale. De quelque côté et à quelque hauteur que l'on tourne le regard, on ne voit que des entreprises temporelles qui, si brillantes soient-elles par ailleurs, ne font pas le poids en face du communisme. Et qui au demeurant ne paraissent pas s'en soucier tellement. Il semble que se rapproche l'heure où l'on ne pourra plus ne pas entendre le dur langage de l'événement. « Institutions publiques et États ont beau paraître établis sur les fondements mêmes de l'univers, s'ils ne sont pas édifiés sur la foi en Dieu et s'ils ne sont pas soutenus par des hommes pourvus d'un profond amour de Dieu, il faut les considérer comme irrémédiablement voués à la destruction » ([^13]). 18:47 ## CHRONIQUES 19:47 ### L'avenir de l'Algérie : non l'industrialisation mais la réforme agraire *Deux livres de Jean Servier sur l'Algérie* Par Henri CHARLIER NOUS AVONS FAIT NAGUÈRE un compte rendu trop bref ([^14]) du premier livre de Jean Servier *Dans l'Aurès sur les pas des rebelles* (Éditions France Libre). Il en a publié un autre : *Demain en Algérie.* Ces livres sont d'un intérêt capital pour l'intelligence du problème algérien et de sa solution, c'est pourquoi nous insistons pour que nos lecteurs s'y intéressent. Car il est bien certain que la plupart des Français, même instruits, et dépourvus de passions, sont embarrassés parce qu'ils ignorent les DONNÉES VÉRITABLES du problème. La seule passion honorable et même obligatoire est celle de la vérité : les données trop générales sur la population, la démographie, ou les idées toutes faites sur le colonialisme ou la démocratie (celles qui dépendent de situations sociales et historiques très différentes comme celles qui naissent dans les nations depuis longtemps habituées aux mœurs civiques des pays occidentaux) ne sauraient remplacer la connaissance concrète des populations, de leurs problèmes particuliers et de leur histoire. 20:47 Les livres de Jean Servier nous apportent cette connaissance. L'auteur est un Algérien dont le père, dès 1922, prônait l'égalité des droits pour les deux communautés. Il aime son pays natal, il en aime tous les habitants ; il voudrait y voir revenir la paix ; il n'a pas d'illusions. Il aime la France bien entendu, qu'il a servie six ans comme soldat, et se rend compte que la séparation de l'Algérie et de la France, funeste pour notre pays, ne le serait pas moins pour le Maghreb. Car l'Algérie retrouverait dans l'indépendance les mêmes problèmes non résolus, à savoir : de trouver du travail pour une population excédentaire ; de parer aux suites de l'oppression turque qui a dégradé toutes les institutions indigènes et leur a *interdit toute évolution depuis des siècles.* Le tort des Français est de ne l'avoir pas compris. Et si ce nouveau gouvernement voulait éliminer les citoyens algériens d'origine européenne, il serait dans l'incapacité absolue de résoudre tout seul ces problèmes, dont la solution est déjà presque désespérée avec la collaboration de la France. Le Maghreb se livrerait par cette séparation à une autre puissance qui ne pourrait être que celle du monde communiste ; or ce n'est pas par charité que ce monde excite et soutient la rébellion. MAIS CE QUI FAIT LA VALEUR des livres de Jean Servier ce ne sont pas ses bons sentiments, c'est sa connaissance des populations algériennes. Préparant une thèse sur les idiomes berbères, il a passé pendant cinq ans une partie de l'année dans les montagnes d'Algérie, vivant avec la population dont il parlait la langue. Il sut s'intéresser à elle sous la forme la plus chère à son âme, lui demandant de lui parler de ses ancêtres, de lui raconter l'histoire des saints qui avaient fondé les villages ; il avait lui-même la vénération que tout homme bien né doit avoir pour ces trésors moraux de la conscience populaire. Et il apprit ainsi sur les coutumes, le régime social, celui de la propriété, sur l'esprit enfin du peuple berbère, TOUT CE QUI NE PEUT ÊTRE CONNU QU'EN PARTAGEANT SA VIE. Son premier livre qui résume cette expérience est très attachant parce qu'il est fait d'anecdotes très significatives recueillies par un esprit très observateur ; et il ne doit pas être lu trop vite, car derrière chaque fait les réflexions affleurent, souvent suggérées seulement et comme proposées à l'attention du lecteur, mais dont l'ensemble est saisissant. 21:47 Pour résumer, dans les montagnes kabyles vit une population surabondante pour les ressources qui s'y trouvent et dont les idées, les pensées, l'organisation sociale représentent celles d'Israël au temps des Juges ou des Athéniens avant Thésée. S'en étant convaincu par des preuves solides, un jour il apporte une traduction d'Hésiode : « *J'avais apporté un jour, dans un village kabyle, une traduction d'un ouvrage grec bien connu :* « *Les travaux et les jours* » *d'Hésiode. Lentement, avec application, j'en traduisais les passages en kabyle, assis sur les bancs de pierre de la Djemâa d'un village. Des conseils, vieux de près de trois mille ans, sur la fabrication de l'araire et la saison des moissons, soulevaient des approbations intriguées :* -- *Comment les Roumis savent-ils cela *? Et ailleurs : « *Quelques jours plus tard, j'étais, je crois, assis sur le pas de ma porte, lorsque, pour la première fois, je vis un mendiant, au teint très bronzé, aux étonnants yeux bleus. Je lui donnai un pain et l'invitai à s'asseoir à mes côtés. Il resta debout. J'appelai ma vieille Tassaadit et lui demandai de nous servir du café.* *-- Si cet homme boit une tasse devant toi, je quitte la maison, me dit-elle.* *-- Qui es-tu ? demandais-je à l'homme.* *-- Je suis un esclave, me répondit-il.* *Un esclave ! Ce mot évoquait pour moi des versions latines et des contes des* « *Mille et une nuits* »*. Un esclave à soixante kilomètres d'une sous-préfecture française.* *-- Esclave de qui ? lui demandai-je.* *-- J'étais l'esclave des X...* *Et il me cita le nom d'une famille noble d'origine arabe, qui habitait le village voisin.* *-- Maintenant je suis trop vieux pour travailler la terre, alors ils ne me nourrissent plus.* *Je lui dis assez sottement :* *-- Il n'y a pas d'esclaves en France.* *-- Alors, qui cultive la terre ? me demanda-t-il.* *-- Tu peux aller où tu veux, tu es libre, dis-je encore.* *-- Aller où ? Libre de quoi ?* *-- Va chez le sous-préfet, personne ne peut t'en empêcher.* 22:47 *-- Et alors, conclut le vieil homme, je serai l'esclave du sous-préfet ?* *Peu à peu je découvris la hiérarchie des classes dans le village kabyle, plus fermé qu'une petite ville de la province française.* » Nous citerions tout le livre si nous voulions ne rien laisser échapper qui mérite l'intérêt. Nous ajouterons une remarque. L'auteur est d'une famille d'origine cévenole et protestante ; il nous semble qu'il ne se rend pas compte de certaines traces qu'a laissées le christianisme dans cette population et précisément de ce qu'il y a de plus profond dans le christianisme, et fait le fond de sa mystique. Un jour un jeune homme se présente, lui demandant de donner des leçons à son jeune frère qui devait se présenter à l'examen de passage de quatrième au lycée d'Alger : « *Chaque matin mon élève revenait, docile, appliqué, ânonnant studieusement. A la fin il me demanda ce qu'il me devait.* *-- Je ne puis vendre de la science, lui répondis-je.* *Il en eût le souffle coupé, car toute sa famille tirait de lucratives ressources de l'exploitation rationnelle du tombeau d'un ancêtre et de l'enseignement du Coran.* *Le lendemain il revint m'apporter les conclusions familiales. Son vieux rusé de père avait bien trouvé les moyens de me payer.* *-- Mon père te demande de venir chez nous :* *il te racontera l'histoire de notre Ancêtre.* » Son jeune élève le conduit le lendemain non dans une demeure, mais assez loin dans la montagne. « *Brusquement la piste fit un crochet. Le paysage s'ouvrait sur un champ hérissé de pierres irrégulières : le cimetière. Au milieu se dressait, vert, immobile, l'arbre des morts.* *Un vieillard vint à ma rencontre. Il prit ma main pour la baiser ; conformément à l'étiquette, je l'en empêchai et me saisis de la sienne. Il se débattit poliment, et en même temps nous échangeâmes un baise-main sur nos dextres croisées.* *-- C'est toi qui étudies les saints de Kabylie *? *me dit-il. Mais tu es jeune !* » 23:47 Le vieillard lui explique le pouvoir des saints, puis il ajoute : « *Les morts de l'Agraw -- ainsi se nomment leurs mystérieuses assemblées -- forment les Puissances de la Chaîne.* *-- Quelle Chaîne *? *demandai-je.* *Le vieillard sans doute n'entendit pas ma question, car il continua :* -- *Parfois leurs yeux se fixent sur un vivant, et les vraies bénédictions descendent sur lui : la pauvreté, la solitude, et la douleur. Les biens de ce monde le quittent un à un et vont s'amasser, décuplés, centuplés, dans l'Autre Monde, en un trésor impérissable. L'oubli, la haine, la mort éloignent ceux qu'il aime : ainsi, il est seul devant Dieu, et les* « *Puissances de la Chaîne* » *se réjouissent de le voir franchir avec fermeté les épreuves de l'initiation.* » Nous pensons qu'aucune des religions antiques ni l'Islam ne sont à l'origine de ce trésor. Ce sont là tout simplement les *Béatitudes* proclamées par le Christ et par le Christ seul. Mais l'auteur avoue lui-même où il en est. Voici ce qu'il dit à la fin de la fête du saint local ; les hommes joignaient à la prière les pénitences et les austérités volontaires, sautant dans le feu à tour de rôle : « *Là-haut, dans le sanctuaire, la* « *maison du Vieux* », *la flamme terne des lampes de terre attestait la présence de* « *Monsieur-à-la-hache* », *enfin venu, invoqué par les prières des fidèles assemblés en son nom, par le sang répandu des sacrifices et par l'odeur fauve de douleur humaine et de feu.* *La fraîcheur de l'aube venait de tomber d'un coup, et dans l'ombre les formes immobiles drapaient plus étroitement les burnous blancs. Je m'en retournai vers la jeep, poursuivi par le long cri* DONT LES HOMMES DE MA RACE ONT PERDU LE SENS : -- *Allah ! Allah !* » NOUS N'AVONS RIEN FAIT pour comprendre cette société primitive, certes, mais si humaine. Nous avons aidé à islamiser des gens qui l'étaient fort peu, et disponibles pour l'amour. Quel ne doit pas être le désordre moral d'une jeunesse qui quitte les montagnes de Kabylie et la société patriarcale qui l'habite pour venir travailler en France dans une société aussi pourrie que la nôtre et fière de sa pourriture. 24:47 L'auteur après avoir constaté en Kabylie des restes de presque toutes les religions antiques, écrit : « *Le comportement de l'Algérie s'explique par les inter-réactions de centaines de facteurs particuliers. Il faut garder cela présent à l'esprit pour pouvoir comprendre une chose apparemment aussi simple et aussi brutale qu'une émeute ou une révolte. De même, le chirurgien doit connaître l'anatomie du corps humain, millimètre par millimètre. En politique d'outre-mer, qui n'est qu'une application de l'ethnologie, il y a souvent des équarrisseurs et des bouchers ; je n'ai jamais rencontré de chirurgien.* » JEAN SERVIER a donc une connaissance profonde du peuple algérien ; son dernier livre *Demain en Algérie* nous donne les résultats de son expérience et enseigne les meilleurs remèdes à une crise certes envenimée de l'étranger, mais ancienne, profonde et due à notre inintelligence et à notre manque de charité plus qu'aux événements eux-mêmes. Au principe de nos erreurs se trouve la proclamation du maréchal de Bourmont après la prise d'Alger. Il y disait : « Nous respecterons les femmes, les croyances, et les propriétés. » Et assurément il ne pouvait mieux dire pour gouverner pacifiquement. Mais il fallait par la suite se renseigner, apprendre à connaître une population si différente des nôtres non pas tant par la RACE que par la CIVILISATION dont on ne pouvait dès l'abord se faire une idée : « *Cette déclaration rassurante devait servir de prétexte pendant plus d'un siècle au maintien de structures sociales périmées. Elle devait nécessairement conduire à une impasse les rapports de la France et des peuples habitant l'Algérie. L'Algérie de* 1830 *gémissait sous l'oppression turque. La France pouvait l'en délivrer ; la France l'a maintenue sous le joug des grandes familles mises en place par la Turquie.* *Par sa première déclaration, le gouvernement français a inauguré cette constante politique qui dure depuis plus d'un siècle,* LA BONNE VOLONTÉ ET L'INCOMPÉTENCE. *Les familles, princières par la Grâce de la Sublime Porte, ont accepté les égards et les faveurs de la France monarchique, impériale, puis républicaine. Le peuple est resté ignoré. A peine apprenait-il, au fond de ses montagnes, que les gendarmes avaient changé d'uniforme et de langue, et que l'impôt devait être payé en francs, et non plus en dinars ou en sequins.* 25:47 *L'Algérie est restée ainsi, longtemps, le pays des contradictions. Lorsque je ferme les yeux, les villages perchés entre les gouffres bleus apparaissent dans mon rêve, avec les bancs de pierre polie et les vieillards assis qui dorment au soleil ; m'apparaissent aussi les domaines si vastes qu'il faut un avion à leur propriétaire pour les parcourir et où peinent des hommes dont nul ne s'est vraiment jamais soucié de savoir s'ils étaient des hommes libres ou des esclaves.* » En cent trente ans notre ignorance aurait dû cesser, mais L'ALGÉRIE N'A JAMAIS ÉTÉ GOUVERNÉE. Elle a seulement été ADMINISTRÉE. Toute la population, de quelque origine qu'elle soit, le ressent aujourd'hui. La révolte est générale, le 13 mai en est la preuve ; on a pu le voir chez les Français d'Algérie comme chez les Kabyles, et cette population attend toujours d'être gouvernée avec le sens des réalités algériennes. Ce que nous avons dit à maintes reprises dans cette revue sur les maux qu'apporte la confusion du gouvernement et de l'administration suffit à nos lecteurs pour comprendre le problème. L'administration s'est même contentée d'administrer la population métropolitaine et à laissé des « structures sociales périmées », comme dit notre auteur, aggraver la distance entre les deux populations et augmenter les sources du conflit. Un beau jour, vers 1925-1930 elle s'est aperçue que cette population, accrue par la paix, les soins médicaux et une étrange prolifération qui presque subitement s'étend à toute la planète ([^15]), ne pouvait plus se nourrir sur ces pauvres montagnes. Peut-être alors eût-on pu faire émigrer une partie de cette population au Soudan. Mais cela eût causé de grands frais. On se contenta de distribuer du blé et de permettre la libre entrée en France ; ce qui ne résout rien puisque les familles demeurent divisées et sans établissement stable. Or la division des familles est un des maux sociaux les plus redoutables ; on le voit chez nous sur un autre plan depuis que le divorce est devenu fréquent. 26:47 Jean Servier décrit ensuite les différentes classes de la population qu'il est nécessaire de bien connaître pour agir. La première est celle des « Seigneurs de la Terre ». Ce ne sont pas du tout les grands propriétaires européens, mais les descendants de l'aristocratie mise en place par les Turcs et dont notre ignorance a maintenu les privilèges. Ils sont depuis Louis-Philippe héréditairement chevaliers de la Légion d'Honneur, et sacrés par l'administration « grands-amis-de-la-France ». On a pensé qu'ils « tenaient » la population. On voit à présent qu'il n'en est rien. Et en ce moment même, pour être tranquilles, ils donnent des subsides à la rébellion. Il y a ensuite la classe de ceux qui ont accepté notre civilisation : ils sont médecins, avocats, et comme Ferhat Abas, pharmacien, chef du gouvernement rebelle, ils ne savent même pas toujours l'arabe. Si on l'eût compris, on eût assimilé facilement ces hommes capables d'entrer dans l'administration algérienne et de faire le lien entre les métropolitains et le petit peuple. Mais comme au Maroc et en Tunisie, l'administration française voulait les places pour elle. Elle s'est gardée de donner à ces Algériens les places qu'ils eussent pu remplir pour le bien commun. Suit la petite bourgeoisie de langue arabe : mais, dit notre auteur, « *le berbère est une langue sémitique aussi différente de l'arabe que le français l'est de l'anglais, et l'arabe parlé en Algérie est... si différent de celui parlé en Égypte que les* films égyptiens *projetés sur les écrans d'Alger doivent être* sous-titrés en français *pour être compris du peuple algérien. Or l'école française a enseigné l'arabe classique suffisamment pour permettre à la bourgeoisie d'écouter les radios étrangères de langue arabe. Ainsi sont nés, avec le Proche Orient, avec le monde arabe, des liens plus solides que ceux qui avaient jamais enserré l'Algérie au cours des siècles... Ainsi, une fois de plus, l'orgueilleuse bourgeoisie musulmane des villes... utilisait-elle la bonne volonté et l'incompétence de la France pour l'isoler, peut-être à jamais, du Peuple algérien... Des centaines de mosquées* ([^16]) *se sont élevées à partir de* 1925 -- *le mouvement atteignant son point maximum en* 1945 -- *dans des régions où, pour des paysans, l'Islam ne représentait qu'un mot* (*à leurs yeux la fertilité des champs dépendait bien plus des rites accomplis sur les tombeaux des ancêtres*)*.* 27:47 *En* 1955, *le dernier gouverneur général demeura dans la perspective politique de ses devanciers en étendant largement l'enseignement de l'arabe, accrochant ainsi l'Algérie à l'axe du Caire et du Proche-Orient. Mais déjà les medersas, les écoles coraniques, étaient des foyers de guerre sainte.* » L'auteur parle ensuite de ceux « qui mangent deux fois par jour » artisans, paysans : les mesures prises par le gouvernement pour améliorer leur sort ont tourné contre eux faute de compétence dans l'administration. Il décrit ensuite « ceux qui mangent une fois par jour » et pour finir « le peuple de la faim ». « *Le seul lien qui dans l'histoire les rattache à une forme quelconque de civilisation est aussi la famine. Ils sont les frères des hommes qui dans notre passé peuplaient les forêts du Moyen-Age, chaque fois que frappait la peste ou s'éternisait la guerre.* » Mais ce qui était exceptionnel chez nous au Moyen-Age même, est un état stable, durable, pour une nombreuse population de l'Afrique du Nord. Les syndicats chrétiens peuvent demander des augmentations de salaires : il faudrait serrer sa ceinture si on voulait réellement sortir de la misère ces populations que Dieu nous a confiées. Or « *depuis* 1830, *la France a plaqué sur tout cela un réseau administratif qui, en gros, n'a fait que reprendre les grands principes de l'administration turque. Quelques grandes familles de feudataires bien nantis tiennent le pays et nul ne se soucie en réalité de contrôler la façon dont ils le tiennent.* *L'effort de scolarisation est restreint, mais le gouvernement assure la construction des mosquées, le développement de l'Islam et la mise en place d'un véritable clergé musulman dont l'existence n'est nullement prévue par le Coran. Il faut être maître de la pensée du peuple et la religion semble être le meilleur moyen.* *Comme cela arrive souvent, le processus de transformation sociologique échappe à la volonté des hommes, repose sur des faits* en *apparence mineurs, prend naissance à l'occasion d'un choc considéré comme négligeable, et se développe sans commune mesure avec ce qui était prévu par les services-administratifs-compétents.* *Les grands propriétaires, investis de la confiance de la France -- ce sont eux les* « *grands-amis-de-la-France* » -- *sont considérés par l'administration comme les représentants* « *naturels* » *du peuple, et donc les élus tout désignés de la République.* 28:47 *Une bourgeoisie, d'abord restreinte, s'est développée au contact de nos écoles et quelquefois, mais plus rarement, de nos facultés. Très vite ces hommes qui ne parlaient que le français ont cherché à devenir des Français, alors que tout, dans les règlements et dans les textes officiels, les écartait d'une égalité dont pourtant ils avaient appris les premiers principes à l'école française.* *Ils ont été considérés comme des progressistes, simplement parce qu'ils demandaient l'égalité des droits, ceux qui, ayant quitté leur milieu, ayant abandonné leur langue et souvent leur religion, pensaient que la communauté française allait les accueillir.* » PASSONS MAINTENANT aux mesures envisagée par le gouvernement français, et a celles que préconise Jean Servier. On sait que le « plan de Constantine » vise à INDUSTRIALISER l'Algérie. Tous les hommes qui ont un peu d'expérience se sont rendu compte aussitôt que c'était là une idée de technocrates dont les discours politiques se sont emparés avec joie, mais qui ne pouvait donner que de très faibles résultats, Car il faudrait trouver 500.000 emplois. L'industrialisation les donnera-t-elle ? Enfin il n'y a pas beaucoup de consommateurs en Algérie pour les produits de l'industrie ; il faudrait en exporter la plus grande partie. Où donc, quand les industries européennes produisent meilleur marché ? Cependant un assez grand nombre de petits industriels ont répondu à l'appel du gouvernement, beaucoup par patriotisme. Parce qu'aussi la rentabilité est mieux assurée dans de PETITES entreprises qui vendraient sur place ou en France. Mais alors on manque en Algérie d'ouvriers qualifiés : « *L'industrialisation prévue ne peut pas s'inscrire dans Un contexte stratégique. Il est bien certain que, si l'industrie d'Europe était paralysée, l'industrie de secours implantée* en *Algérie serait paralysée à son tour. Cette industrialisation ne semble pas non plus s'inscrire dans un contexte, de politique humaine, puisque, malgré les discours, aucune formation intensive de la main-d'œuvre algérienne n'est entreprise, aucune politique de promotion sociale réaliste n'est seulement amorcée. Le stages de formation accélérée forment hâtivement des ouvriers que le marché de la main-d'œuvre accueille avec méfiance.* 29:47 ...*Peut-être vaut-il mieux envisager une industrialisation diffuse de l'Algérie, qui aurait l'avantage d'élever le niveau de vie général de façon durable et contribuerait peu à* *peu à la création d'un marché local de consommation. Mais cette politique, qui demande l'attention d'un génie patient, ne saurait plaire là un Potemkine dont le temps -- est compté. L'Algérie est un terrain de choix pour les industries de complément, parce que, traditionnellement, les industries de complément viennent s'inscrire dans le cercle des travaux agricoles.* ...*L'industrie de complément a résolu bien des difficultés économiques dans certaines régions pauvres de France et dans les pays scandinaves.* *C'est sous cette forme que l'Algérie doit être industrialisée, de façon à avoir une prospérité plus généralisée, moins brillante peut-être, mais plus durable.* » D'après Jean Servier la solution la plus sûre du problème algérien se trouvera dans une RÉFORME AGRAIRE. « *Je sais bien,* dit-il, *que le F.L.N. préfère l'implantation d'industries lourdes pour prolétariser ce peuple algérien et en faire l'instrument des dictateurs du prolétariat.* » « *Peut-être est-ce pour la France une raison supplémentaire de vouloir établir au cœur de ce Maghreb une parenthèse faite de prospérité relative et de dignité humaine certaine.* » *L'avantage que le mythe du* « *complexe industriel* » *partage avec la prolongation de la guerre, c'est de* RETARDER L'INÉLUCTABLE RÉFORME AGRAIRE. *Aussi va-t-il jouer, pendant deux ou trois ans au plus, son rôle de cataplasme calmant, apaisant -- en apparence les douleurs les plus cruelles de l'Algérie, ses ventres vides et ses regards désespérés.* *Dans un pays agricole, toute réforme doit, à ses débuts, être agraire.* *Là encore le principe était bon, l'application a été vouée à l'échec par l'éternelle omniprésence des bureaux d'Alger.* *Le service chargé de la réforme agraire a été, à* *un moment donné, plus assiégé par les solliciteurs que le service des décorations. Non par les paysans souhaitant obtenir une parcelle de terre. Non, ceux-là, il fallait les amener entre deux gendarmes, car le F.L.N. punissait de mort toute acceptation d'une propriété. Le service de la réforme agraire était assiégé, envahi, par la foule de ceux qui souhaitaient être expropriés.* » 30:47 La réforme agraire telle qu'elle est amorcée est un leurre. « *Là encore, la base de la réforme agraire doit être le village. Il ne s'agit pas d'une révolution, mais d'un retour au vieux système de la propriété des terres à céréales, tel qu'il existait autrefois d'un bout à l'autre de la Méditerranée, tel qu'il a survécu en Afrique du Nord jusqu'à l'arrivée de l'administration française, tel qu'il s'est perpétué dans quelques villages de la Kabylie ou de l'Aurès, ce qui prouve bien que cette institution rencontre dans l'esprit des paysans d'Afrique du Nord des résonances profondes.* » Seul le village est propriétaire légitime ; les parcelles sont redistribuées entre les familles tous les ans ou tous les deux ans : « *En* 1866, *par sénatus-consulte, l'Empereur décida de faire établir le cadastre général des terres biens propres, friches et vaines pâtures appartenant aux individus et aux villages. A ce moment-là, bien des caïds réclamèrent la terre de leur douar qui, généralement, leur fut accordée.* *Il est donc possible de revenir sur quelques années d'erreurs administratives, pour faire la réforme agraire à partir des villages, ou des fractions.* *La commune, devenue propriétaire des biens domaniaux l'environnent, doit aussi recevoir la parcelle de terre fertile qui était sienne.* *Ce ne sont pas des individus isolés qui doivent recevoir, au risque de leur vie, une parcelle de quelques ares ; ce sont les villages qui doivent redevenir ce qu'ils étaient dans le passé méditerranéen, unité de base de la vie politique et de la vie économique.* » La pauvreté est telle qu'il est impossible aux petits propriétaires de tirer parti de leur propriété. Les habitudes successorales, en une génération, rendraient cette petite propriété illusoire : « *Il faut lier à l'organisation communale des structures de base, excellentes dans leur principe, comme les Secteurs d'Amélioration rurale ou les Services de restauration des Sols. Du même coup se trouvent éliminés le sous-prolétariat agricole, la main-d'œuvre errante voguant de vendange en moisson d'un bout à l'autre des plaines fertiles...* 31:47 *C'est toute la plaine fertile qui doit revenir aux communes, progressivement mais sans défaillance... Le gouvernement français, pour peu qu'il ait le sens de l'histoire, devrait savoir que dans les siècles passés les grands domaines ont toujours fini par retourner au peuple. Le pain des pauvres n'a jamais profité à ceux qui l'ont volé.* » ICI NOUS FERONS REMARQUER que la solution préconisée par Jean Servier pour l'Algérie et *qui nous paraît bonne dans les conditions de l'Algérie* est très différente de celle qui a prévalu chez nous dès les V^e^ et VI^e^ siècles de notre ère probablement. Les grands propriétaires de ce temps auraient pu faire cultiver leur terre par des serfs « au cinquième » comme le font encore les grands propriétaires arabes, ou par des journaliers comme cet « esclave » qu'interroge Jean Servier dans son premier livre (page 218, nous avons cité plus haut ce passage). Ils ont préféré, sous la conduite de l'Église et en esprit chrétien, diviser leur propriété en petites tenures permettant de vivre à une famille de serfs. La rente, sans cesse amenuisée au cours des âges, est devenue insignifiante, et la liberté même fut souvent refusée par celui à qui on voulait la donner, tant ce servage était économiquement et moralement acceptable... Enfin, non soumises à l'héritage, ces tenures se sont conservées intactes, c'est-à-dire capables de nourrir une famille, jusqu'à la Révolution. On voit que Jean Servier aussi pense à éviter l'extrême division de la propriété. Ajoutons que jusqu'à la Révolution il y eut toujours dans la campagne française des institutions d'entraide et des institutions communautaires ; elles étaient si utiles qu'on essaie aujourd'hui de les faire revivre. En Algérie, l'administration continue d'introduire l'individualisme révolutionnaire si contraire aux nécessités agricoles particulièrement en un pays si pauvre. La crise agricole actuelle chez nous après un siècle et demi de partage égal des héritages vient de ce que la très petite propriété agricole, trop réduite, n'a plus le moyen de supporter le prix du progrès. C'est l'association qui permettra d'y remédier. Tous ceux de nos lecteurs que ces questions intéressent liront l'ouvrage d'André Deléage : *La vie rurale en Bourgogne jusqu'au début du* XI^e^ *siècle.* Et Jean Servier pourra y lire (pp. 663-664) que c'est l'Afrique du Nord qui donne les exemples les plus anciens (deuxième siècle) d'une division de la grande propriété en *tenures* dont les tenanciers *perpétuels* devaient en même temps, comme chez nous au IX^e^ siècle, un certain temps de travail gratuit sur la réserve du maître. 32:47 Ils devaient de quatre à douze jours par an et le tiers ou le cinquième de leur récolte (suivant les contrats). On voit quel recul ont été pour le petit peuple les conquêtes arabe et turque en Algérie ; sans elles, ces contrées eussent suivi la même évolution que notre pays et que l'Allemagne de l'Ouest. Évolution qui a été arrêtée à la Réforme dans les pays protestants. Car ceux qui se sont emparés des biens de l'Église n'ont pas respecté l'esprit de ces « tenures ». La petite propriété, gage de l'indépendance, n'a subsisté que dans les pays catholiques. De même les acquéreurs de biens nationaux, chez nous, sont devenus après la Révolution des maîtres bien plus durs et exigeants que les anciens propriétaires nobles ou ecclésiastiques ; ce fut l'origine dans les campagnes de Bourgogne, au XIX^e^ siècle, de la lutte politique et religieuse entre « petits » et « gros ». Les gouvernements étaient censément du côté des « petits » mais ils les ont laissé éliminer sans les protéger aucunement, et les technocrates actuels continuent sciemment à vouloir éliminer les « petits » d'aujourd'hui, qui sont des « moyens » ayant résisté ; cela ne peut aboutir qu'au kolkhoze. Il faut dire que ce retour des terres aux communautés paysannes d'Algérie ne serait que justice ; car elles leur ont appartenu autrefois. Le domaine de l'État lui-même n'est bien souvent que le domaine usurpé par les Turcs : « *Passionnément, le paysan d'Algérie veut être chez lui et avoir chez lui de quoi vivre. Il ne sert à rien d'armer les villages, si les paysans n'ont rien d'autre à défendre que des libertés rognées, leur ventre creux, leur misère, au nom de leur dignité à jamais oubliée.* *Naguère, à une époque dont parlent encore les vieux, avant l'arrivée des Français, les villages possédaient en toute liberté des forêts, des landes, des pâtures et des friches. Il faut rendre aux villages, aux fractions de tribus, les biens collectifs qui leur appartenaient. Sans ce préalable, il n'y a pas de réforme sociale, pas de réforme politique.* *Il suffirait de deux lignes au* Journal officiel *pour bouleverser l'Algérie :* « *Les biens* domaniaux *deviennent des biens* communaux. *Les communes en auront le bénéfice, la garde et la* *responsabilité.* » 33:47 *La forêt changera de visage pour les hommes qui vivent de glands de chênes et de baies d'églantine sauvage plus de quatre mois par an. Ce sera leur forêt, et non plus le jardin de l'Administration française.* ...*Imaginez que les communes forestières, les plus pauvres d'Algérie, puissent rentrer en possession de leur forêt :* *le problème change.* *Le chantier communal, guidé par un ingénieur forestier appointé par la commune, va exploiter ses coupes de bois, son charbon, son liège, enfin qui, plus sûrement que le reste, est synonyme de prospérité.* ...*C'est vrai, les montagnards ne respectent pas toujours les forêts :* *peut-être, tout simplement, parce que ces forêts ne sont pas à eux.* » Jean Servier ajoute : « Les nomades des Hautes Plaines sont volés de leur alfa comme les forestiers de leur liège. » « *En* 1913, *le gouvernement vendait à la spéculation tout l'alfa de toute l'Algérie pour cinq millions de francs... et les plaines de l'alfa étaient louées, comme une concession de cimetière, pour quatre-vingt-dix-neuf ans.* » RÉSUMONS MAINTENANT la pensée de Jean Servier ; nous ne désirons que pousser à le lire, notre résumé est forcément imparfait : « *En Algérie, l'administration française devait et doit prendre des mesures réalistes et concrètes. De même que la réforme agraire doit s'appuyer sur les bases solides des structures populaires, de même les mesures sociales doivent tenir compte des différentes classes en présence et des structures en place.* *A ce moment-là, à ce moment-là seulement, l'administration doit faire un choix et décider une fois pour toutes si elle va lier le sort de la France à une bourgeoisie agonisante ou si, au contraire, c'est la France qui va s'associer à un peuple en marche.* *Nous avons vu que le peuple, la masse des paysans, constitue une majorité numérique chaque jour plus forte, mais qu'il est aussi une minorité politique, en ce sens que les différentes espèces de bourgeoisie l'isolent de la vie politique, l'en écartent :* -- *la bourgeoisie des intellectuels de professions libérales, en se substituant à lui dans ses rapports avec le gouvernement *; *-- la petite bourgeoisie des lettrés arabes, en s'efforçant de la maintenir hors de l'Occident et du monde moderne.* 34:47 *La réforme sociale en Algérie doit donc imposer des mesures s'adressant au plus grand nombre, pour le préparer à jouer un rôle politique, pour lui donner le rôle politique.* » La réforme agraire doit être complétée par la suppression de la justice musulmane : « *En* 1959, *la France maintient en Algérie le système judiciaire le plus incohérent, le plus hétéroclite de tout l'Orient. Ce qui est plus grave, c'est que le peuple ne veut plus de ce système vétuste.* » *Car elle est réglée par un code datant de* 760 *et représentant les conceptions juridiques des savants de Médine au* VIII^e^ *siècle, ou bien par un code turc aussi ancien.* « *C'est cependant ce* « *droit* » *anachronique que le gouvernement français vient de maintenir, de confirmer. C'est livrer, une fois de plus, à la petite bourgeoisie de langue arabe, qui vit de préjugés, d'amulettes, et de dénis de justice, une jeunesse qui dans le sang, les larmes et les prisons, lutte pour son émancipation.* ...*L'abrogation de la justice musulmane, figée dans l'antiquité de ses dogmes, est inéluctable. La question est de savoir si la France laissera le mérite de cette libération à d'autres, qui attendent dans l'ombre que s'égrènent une à une les dernières chances de la France en Afrique du Nord. D'autres qui, plus tard, accuseront la France d'avoir maintenu à dessein le peuple d'Algérie dans* « *l'obscurantisme* »... *Il n'y a pas en vérité de* « *réforme sociale* » *décidée en Conseil des Ministres, dans l'euphorie de la satisfaction d'une bonne action accomplie. Toutes les modifications de structure sont sociales, en c*e *qu'elles mettent en jeu des hommes.* » DE TOUTES CES OBSERVATIONS, de ces nécessités d'une connaissance profonde de la société algérienne, découle une attitude politique vis-à-vis des problèmes du jour. Remarquons que ces grandes réformes agraires qui peuvent être décidées *très rapidement* donneraient très rapidement aussi les résultats psychologiques qu'on s'évertue à obtenir par des paroles répétées qui n'arrivent même pas au gros de la population, par des discours et des promesses. Car ces réformes agraires sont du *réel ;* un réel immédiatement compris par cette population agricole et nomade. 35:47 Sans doute les conséquences heureuses et pratiques ne s'en feront sentir que petit à petit comme celles de l'industrialisation elle-même ; mais elles seraient pour la population un espoir *fondé* sur des choses qu'elle connaît. Voici donc ce qu'écrit Jean Servier de la situation politique actuelle : « *En Algérie, les* « *opérationnels* », *chefs de bandes ou commissaires politiques, sont des jeunes gens, de très jeunes gens, qui se renouvellent chaque fois que l'armée française affirme avoir détruit un réseau terroriste. Les préoccupations modérées de leurs aînés leur échappent et, dans leur vie exaltante de jeunes chefs au contact de l'action, ils méprisent ces bourgeois timorés, réfugiés au Caire ou à Tunis.* *Pour garder son prestige intact vis-à-vis des bandes, le gouvernement réfugié à Tunis est obligé d'être intransigeant,* « *dur* » *pour être apprécié des* « *durs* » *à qui il prétend donner des ordres. Il sait bien que s'il acceptent un accord, les bandes ne le suivront pas. Aussi les membres de ce gouvernement ont-ils d'abord besoin d'être reconnus par la France, afin d'avoir des chances plus grandes d'être reconnus par les chefs opérationnels qui, eux, sont certains du pouvoir qu'ils détiennent dans la limite stricte de la zone qu'ils dominent militairement.* ...*Ils savent que, une fois désarmés, ils seront écartés par les bourgeois. On s'est servi de leurs corps pour atteindre au pouvoir ; lorsqu'on y est, on les repousse.* » Dans les grandes villes seules le G.P.R.A. a quelque prestige et une réelle influence sur la bourgeoisie, sur la jeunesse urbaine. Il est hors de doute que le G.P.R.A. contrôle le terrorisme dans les villes : « *Ailleurs, je veux dire dans le bled, dans les campagnes, les montagnes... ce gouvernement ne représente rien. Seuls sont connus les chefs de bandes et ils sont jaloux de leur autorité.* » Et ils préfèrent cette vie à celle de manœuvre dans une cour d'usine. Dans le bled, la guerre se poursuivra pour les raisons que voici : « *La reconnaissance de ce gouvernement illusoire par la France serait le début d'une aventure aussi tragique que les précédentes, aussi ruineuse pour son prestige que désastreuse pour son économie.* 36:47 ...*Mais si la solution de la négociation politique ne peut conduire qu'aux pires aventures, toute solution purement militaire est également impraticable, puisqu'il s'agit de résoudre une équation qui se pose en termes* d'ÉCONOMIE *et de* DÉMOGRAPHIE. *En effet, il ne* *s'agit pas de réduire un nombre déterminé d'ennemis, mais bien au contraire d'amener une population tout entière à chercher la voie de son avenir aux côtés de la France. L'ennemi d'aujourd'hui, en treillis de combat, son fusil encore chaud à la main, est un élément de cette population. La réflexion qui l'amènera à déposer les armes dépend autant de nous que de lui.* ...*Il est donc vain de claironner un appel à la paix des braves. Les braves rentreront chez eux en silence,* *comme ils sont partis, en silence aussi, rejoindre les hommes de la nuit.* ...*Cependant il n'est pas trop tard pour reprendre en main une situation compromise par cinq ans d'hésitations et de maladresses.* *Que reste-t-il à* *faire, en Algérie, dans les quelques mois qui nous séparent de la décision du peuple *? *Il reste à mener une politique humaine qui tienne compte du peuple...* *Le peuple d'Algérie est paysan : la révolution menée par la France doit être agraire.* *Le peuple d'Algérie a vingt ans* *d'âge moyen : les mesures prises par la France doivent promouvoir la montée des jeunes, vers la dignité humaine enfin retrouvée.* *Il faut donc dans l'immédiat :* -- *déterminer l'horizon politique des électeurs, c'est-à-dire reconsidérer les limites administratives, qui ne reposent sur rien, pour les faire coïncider avec les limites du village, du groupe de villages ou de la tribu, en faire des limites humaines *; -- *faire une réforme agraire qui puisse donner au village, avec des possibilités de vie décente, quelque chose à défendre *; -- *supprimer les camps de séjour, plus dangereux par leur seule existence que les hommes qui y sont enfermés, parce qu'ils compromettent devant l'Histoire le prestige français. Cette libération faite aujourd'hui le sera au bénéfice de la France *; *dans deux ans elle ne pourra avoir lieu qu'au seul profil des négociateurs de Tunis.* » 37:47 TELLES SONT, en gros, les idées de Jean Servier. Je dis en gros parce qu'elles sont nuancées à chaque instant par la connaissance du réel dont elles sont le résumé intelligent. Nous le nommerions ministre d'Algérie avec pleins pouvoirs. C'est ainsi qu'Henri IV agit avec son « chaussetier » de la cour de Navarre, Laffemas. Celui-ci fit un jour un mémoire où il s'agissait « *Des Trésors et richesses pour mettre l'État en splendeur* » ; « *Des moyens de chasser la gueuserie, contraindre les fainéants, faire vivre et employer les pauvres.* » Il y avait alors, après toutes ces guerres civiles désastreuses, deux millions de chômeurs. Laffemas avoue dans son mémoire « *n'avoir été iceluy auteur jamais aux écoles et le peu qu'il a appris a été en faisant trafic de marchandises...* » Il avait même fait quelque peu de prison pour dettes, car les grands seigneurs qui lui faisaient faire leurs culottes ne les lui payaient pas tous. Recevant ce mémoire Henri IV s'écria : « Ventre saint gris ! Si mon valet de chambre fait des livres, j'exige que mes chanceliers fassent mes chausses ! » Il lut cependant le mémoire, il en sentit le prix, et c'est un rapport de Laffemas qui fut présenté à l'assemblée des notables à Rouen en 1596. Laffemas fut le ministre du commerce et de l'industrie de Henri IV, en opposition souvent avec Sully, mais soutenu par Henri IV qui en fit le président d'un comité consultatif du commerce et de l'industrie. L'œuvre de Laffemas est immense, complément de celle de Sully qui était ministre des finances, et supérieure certes à celle du grand argentier, tant par l'intelligence de l'économie politique que par l'invention des moyens. Mais il n'avait pas place dans la société aristocratique et l'histoire l'a oublié. Signe du désordre intellectuel de notre époque : je trouve cette remarquable étude de M. Félix Béthoux sur Laffemas dans le *Fureteur médical* de 1958, simple bulletin de réclames pharmaceutiques ; mais c'est un signe aussi de ce qu'il y a toujours quelqu'un en France pour recueillir un vrai témoignage de l'esprit. L'auteur, en terminant, fait allusion à l'union du textile de Tarare dont nous avons nous aussi entretenu nos lecteurs (n° 20, *Naissance d'une corporation*) et y comparant l'œuvre de Laffemas conclut en disant : « Il ressort de ce texte qu'il existe des règles éternelles d'organisation sociale et économique. » Ce qui est aussi la pensée de Le Play et le résultat de ses enquêtes sur tout l'ancien continent. 38:47 Il y a donc une NATURE DES CHOSES à connaître avant de légiférer, et c'est le conseil qui découle aussi des livres de Jean Servier. A un grand personnage qui allait prendre la tête de l'administration algérienne et qui lui demandait : « Que pourrais-je lire, vite, en avion, pour avoir une idée ? », il répondit : « Vous devrez lire *La Cité antique* de Fustel de Coulanges. » ET MAINTENANT m'adressant à Jean Servier lui-même, et non plus à nos abonnés pour les encourager à le lire, nous dirons : Vous pensez avoir étudié la question algérienne en vrai positiviste, les questions d'outre-mer sont, dites-vous, des questions d'ethnologie, et vous pensez peut-être avoir été un parfait rationaliste. Pourtant vous avez *cru* à la raison avant de savoir et d'étudier ; vous avez *cru* vos parents avant de savoir même que vous aviez une raison ; vous avez *cru* devoir servir votre pays car les meilleures *raisons* qu'on en peut donner sont toutes spirituelles et sont, elles aussi, *crues* bien plus que raisonnées ; il semble même que dès qu'on les raisonne on porte atteinte à leur vertu. En outre, ces populations que vous avez étudiées en linguiste et en ethnologue, les auriez-vous comprises si vous ne les aviez aimées ? Et l'amour ne se prouve pas « par raison démonstrative ». C'est par l'amour que vous avez pénétré le secret de leur vie ; elles vous ont ouvert leur cœur parce que vous sembliez vouloir vous instruire auprès d'elles des trésors de leur vie spirituelle et tout un village a pensé, à la suite d'un incident que vous rapportez, que vous aviez « le cœur pur ». Comme je voudrais que dans la société qui vous entoure actuellement on s'intéressât à ce que l'on ait le cœur pur ! Ce n'est pas la raison mais la foi et l'amour qui vous ont fait avancer dans la *connaissance.* Ces pauvres gens vous ont ouvert leur cœur quand ils ont vu que vous vous intéressiez à leurs saints et au tombeau de l'Ancêtre. Les auriez-vous réellement trompés quand au premier jour de la Révolte dans l'Aurès, vous distribuiez des fusils à la tribu des Touabas en leur donnant comme mot de passe pour les rondes de nuit : *Touaba --* et la réponse : *Ssalihin !* les saints ! Les hommes isolés dans la nuit se sont connus représentants d'une longue suite d'ancêtres, aidés d'une longue lignée d'esprits, soldats d'une communauté d'honneur pour laquelle on offre sa vie. 39:47 Vous ne les avez certes pas trompés. Mais alors ne pensez-vous pas que pour comprendre la destinée de la France, et la cause de ses erreurs que vous avez touchées du doigt en Algérie, il faudrait vous intéresser à ses saints ? Ceux du passé aussi, et aux saints contemporains comme le curé d'Ars, de saints prêtres comme le Père de Foucauld, et ce Canadien le frère André si étonnant thaumaturge, *sans compter les femmes et les petits enfants,* car si Rabelais ajoute cette phrase pour rire, l'Évangile l'a dite sans rire ? Les femmes et les enfants qui chez nous ont cru aux saints et aux anges n'ont pas été moins héroïques que la harka de l'Aurès. Car Jeanne d'Arc a donné sa vie pour eux, et près de nous sainte Thérèse de Lisieux n'y croyait pas moins que Jeanne et fut aussi héroïque. C'est parce que les (soi-disant) purs rationalistes qui nous gouvernaient ont fait une guerre acharnée aux anges et aux saints, qu'ils ont été incapables de comprendre le peuple d'Algérie et qu'ils ont interdit à nos ermites, à nos religieux, à nos prêtres d'essayer même de les connaître. Ces gouvernements ont tout fait pour empêcher l'évangélisation. A l'heure actuelle dans l'Afrique noire il n'y a guère que les hommes touchés par le christianisme pour être tout simplement *raisonnables,* car seuls l'amour et la foi peuvent mettre la raison à l'abri des passions et faire régner en elle un amour de la vérité pur des concupiscences. Nous garderons l'Espérance ; nous sommes gardiens de l'Espérance et Jean Servier n'aurait pas écrit ses livres sans amour et sans espérance : il est donc des nôtres. Puissent nos lecteurs faire leur profit de ces livres. Henri CHARLIER. P. S. -- Jean Servier a écrit encore un autre livre sur l'Algérie, sous le titre : *Adieu Djebels.* Il a paru entre le premier et le second de ceux dont nous faisons état ci-dessus. Nous l'avons reçu trop tardivement pour en rendre compte en même temps que des autres. Le premier livre nous faisait connaître, en même temps que l'auteur en prenait connaissance lui-même, l'état de civilisation véritable des populations berbères. Dans le second, *Adieu Djebels,* l'auteur constate les erreurs et les manques de notre action. Il semble avoir eu la confiance de quelque haute autorité. Il a pu donner des exemples et entreprendre une action qui semble avoir été arrêtée par l'inertie et la mauvaise volonté des diverses administrations ; cela en 1957. 40:47 Le titre : *Adieu Djebels* montre quelque désappointement de l'auteur ; il semble pourtant que depuis lors les administrations civiles et militaires aient essayé d'appliquer les conseils de Jean Servier et qu'il en soit résulté quelque bien. Mais en admettant que les bons moyens de la pacification aient été adoptés, il reste à fonder l'avenir et c'est ce dont il s'agit dans le troisième livre : *Demain en Algérie.* Revenons cependant sur le second qu'il est important de faire connaître aussi. L'auteur écrit dans sa préface : « *En* 1948, *j'étais partisan de l'intégration en Algérie, c'est-à-dire de l'égalité en droits, sinon en devoirs de tous les citoyens vivant sur un même sol. J'étais alors considéré comme* « *à gauche* » *par de bons esprits. En* 1954, *j'étais encore partisan de la même solution. J'ai alors été considéré comme* « *à droite* » *par les mêmes bons esprits.* *Bien des gens auraient admis que je laisse s'accomplir le massacre des femmes et des enfants d'Arris -- j'aurais alors été* « *à gauche* » *plutôt que de l'empêcher, me rangeant, de ce fait* « *à droite* ». *Je n'ai jamais cru qu'une minorité armée puisse imposer par la violence sa volonté à une population paisible. Des esprits subtils interviennent alors pour distinguer : Si cette minorité armée est le F.L.N., qui s'élève contre elle est* « *à droite* » ; *s'il s'agit d'une autre minorité, je pense que l'on risque en s'y opposant de recevoir une autre étiquette.* *J'ai la naïveté des vieux républicains de croire qu'il ne puisse pas y avoir d'autre idéal que la République -- la République française -- le reste étant le chaos.* » Cette déclaration est particulièrement honorable. Péguy l'eût signée, du moins dans sa jeunesse, et mes grands parents aussi. Pour eux la République représentait *la justice.* La liberté même n'était qu'un moyen de faire régner la justice. Une justice rêvée, bien sûr. L'expérience nous a appris que la République était la forme de gouvernement où la justice est assurée le plus difficilement, parce que le pouvoir y dépend des partis donc des passions ; il y est très changeant et il n'y a ni personne ni fonction qui représente le bien commun des citoyens de tous les partis, à commencer par la concorde ; les partis vivent des discordes qu'ils suscitent ou entretiennent. L'amour même de la patrie, si vif encore en 1914, n'a pas résisté chez nous aux passions partisanes et à l'absence de quelqu'un qui en soit le représentant. Reste que l'amour de la justice est le fondement de toute vie civique et Jean Servier est un bon citoyen. Mon grand-père paternel a connu l'Algérie avant celui de notre auteur. Il habitait l'Hay, dit aujourd'hui l'Hay-les-Roses ; mon arrière-grand-père y cultivait sept arpents de vigne, et mon grand-père était tailleur ; il était si bien connu comme républicain dans son petit village que la veille du coup d'État de 1852, le prince Président le fit expédier en Algérie (Aïn-Sefra, camp des cinq Trembles). Il avait vingt-huit ans et n'était pas marié. 41:47 Comme il n'y avait aucun délit à reprocher à tous ceux qui étaient dans le même cas que lui, on les relâchait pourvu qu'ils prêtassent serment de fidélité à l'Empire. Mon grand-père mit deux ans à s'y décider. Il était très maître de lui, parlait doucement et avait de l'esprit. Nous avions un cousin qui faisait le pied-fin. Les modes changent ; nos filles, aujourd'hui, lorsqu'elles sont « guides » se promènent avec un couteau qui leur pend sur la fesse et des chaussures comme des marmites. En ce temps-là, les hommes voulaient avoir le pied fin et notre cousin mettait des chaussures trop étroites. Il souffrait des pieds et mon grand-père lui disait : « Que veux-tu, Laigner (c'était son nom), te chausser à ta tête au lieu de te chausser à tes pieds ! » Il semble bien, d'après le deuxième livre de Jean Servier, que l'administration civile et l'administration militaire en Algérie font comme le cousin Laigner ; elles agissent à leur tête sans voir leurs pieds, c'est-à-dire d'après des principes qui ne dépendent pas de l'expérience. C'est, nous l'avons dit maintes fois dans cette revue, le propre des administrations de tout sacrifier à ce qui leur paraît la bonne administration. Or l'action dépend de l'événement et de la nature des choses, non des règles bureaucratiques. C'est pourquoi Le Play écrit : « Nous avons échoué dans toutes nos tentatives de réforme, parce que, sous la domination abusive des fonctionnaires et des légistes, nous conservons invariablement les seules institutions qu'il faudrait changer ». (*Organisation du travail,* p. 40). Jean Servier ajoute : « *La guerre a éclaté en Algérie par le fait de cinquante mille bandits -- au sens le plus strict du terme éclaireurs de pointe d'action étrangère ennemie. C'est ce qui m'est apparu après deux ans d'étude patiente* ». Il fait cependant une erreur lorsqu'il ajoute, parlant de sa position capable de déplaire à la droite et à la gauche : « *Confucius dirait que c'est la voie du Juste Milieu. Que l'on me permette de m'y tenir, je n'ai pas d'autres ambitions.* » Car la voie du juste milieu, c'est la voie morale ; dans la diversité du monde et des personnes, un jugement prudent fait éviter d'être toujours dur ou toujours doux, toujours clément ou toujours inflexible. La *vertu* est dans un juste milieu. Mais point la *vérité,* hélas ! Elle dit : « cela est, cela n'est pas » ; même les nuances sont précises (et logiquement obligatoires) dans l'unité d'un tout. Et c'est pourquoi la vérité est si mal vue des passions et des routines. Et c'est pourquoi, malgré nos souhaits, il faudrait, pour que Jean Servier devint gouverneur de l'Algérie, un Henri IV dont il eût à tailler les chausses. H. C. 42:47 ### L'Occident face au chantage par Luc BARESTA. C'EST, JE CROIS, poser une bonne question, que de se demander pourquoi Berlin-Ouest, Séoul, Saigon, Calcutta, Rome, Alger, Paris, Londres, New York, ne sont pas encore sous la loi communiste. Pourquoi la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre n'est pas encore menacée d'être changée, comme la cathédrale de la Vierge de Kazan à Leningrad, en musée national anti-religieux ; ni les abbayes bénédictines en centres de vacances ; ni les espaces de Lourdes et de Fatima en « parcs de la culture ». Que toute cette zone du monde échappe actuellement au pouvoir communiste c'est, dans la perspective communiste, une anomalie, ou plutôt une immaturité ; c'est-à-dire une situation dont Nikita Krouchtchev affirme qu'elle est provisoire. Cette affirmation constitue même, pour l'agitateur en chef du communisme mondial, un élément principal d' « action psychologique ». Le communisme œuvre sur cette planète (et même sur les autres) selon une visée universelle en fonction de laquelle il se fait propagandiste et agitateur, stratège et tacticien : cette donnée politique, même à travers les frasques de Krouchtchev, reste sérieuse. Il n'est donc pas un conflit local que le communisme, lorsqu'il y est présent, n'internationalise. Lénine a demandé que toute réflexion politique des « révolutionnaires professionnels » soit constamment soumise à une « *discipline du grandiose* », c'est-à-dire à une discipline de l'universel. C'est pourquoi toute riposte, au moins de vigilance, doit s'élargir à ce champ : le terrain de combat choisi par l'adversaire est le monde entier, comme il est d'ailleurs l'homme tout entier. 43:47 Le danger d'évasion qui guette aujourd'hui la réflexion politique ne réside pas seulement dans la tentation de fuir dans un universalisme douteux les limites des communautés naturelles où le destin de l'homme se circonscrit ; il menace aussi en sens inverse : on peut s'évader, aujourd'hui, dans le fragmentaire et le régional ; il existe un irréalisme de la petite dimension, une chimère du cloisonnement. NOUS NOUS TROUVONS DONC, considérant le communisme, non seulement devant une fausse mystique et une conception « dialectique » s'exprimant dans un appareil de combat, mais devant un pouvoir effectif, déjà installé sur plus d'un milliard d'hommes, et dont c'est une caractéristique essentielle que de viser à la maîtrise politique du monde, ou plus exactement, au gouvernement de tous les hommes, et dans chaque homme, de tout l'homme. Or le communisme, dans cette prise de possession progressive, se heurte à des espaces indociles, s'arrête au bord de marges encore importantes. Ces marges existent à l'intérieur même de l'espace où il règne : comment affirmer qu'en U.R.S.S. et dans les démocraties dites populaires, cette *totalité,* c'est-à-dire tous les hommes, et dans chaque homme, le tout de l'homme, soit acquise au communisme ? Il faudrait oublier les Maïakovski, les Pasternak, certaines églises remplies, les soulèvements de Berlin-Est, de Poznan, de Budapest, la nécessité où se trouvent les gouvernements dits populaires de multiplier les polices, pour croire que le communisme installé a vraiment gagné. Il n'est pas interdit de penser que, dans les marges intérieures qui lui échappent, s'élaborent sous le signe du secret, de la méditation, de la souffrance et de la clairvoyance, des forces nouvelles appelées probablement, dans l'avenir, à un grand déploiement, dont l'émergence révolutionnaire parfois difficilement « épongeable » comme en Hongrie, signale au monde oublieux, ou accoutumé, ou borné, que le communisme n'est pas tout à fait paradisiaque, ni même tant soit peu. Sans que notre intention soit de négliger ces marges internes, importantes à toute description du monde actuel, nous voudrions en ces propos nous préoccuper surtout de la marge externe : car elle existe et nous y sommes, et nous nous demandons précisément pourquoi cet espace dit du « monde libre » n'est pas sous le pouvoir du communisme. Ces raisons sont multiples, diverses selon les niveaux d'analyse où elles peuvent être saisies, et variables suivant les lieux et les moments. 44:47 Nous voudrions ici attirer l'attention sur l'une d'elles, très élémentaire, d'apparence superficielle, en tout cas immédiatement saisissable : si la fraction « libre » du monde n'est pas encore passée sous le pouvoir du communisme international c'est, d'une part qu'elle ne le veut pas, et d'autre part qu'elle est capable de rendre ce refus immédiatement effectif grâce à la puissance défensive de ses armes matérielles. Il est d'autant plus important de considérer la puissance matérielle que cette puissance matérielle moderne, pourrait-on dire, incite à mettre en question le matérialisme. Dans les chemins actuels de la connaissance scientifique et du progrès technique, elle prend de telles dimensions que beaucoup d'hommes d'aujourd'hui se demandent obscurément si, parvenue à ce degré extrême de pouvoir, l'humanité ne touche pas à un seuil mystérieux. Ils ont l'impression que l'humanité n'est pas tout à fait seule dans la course et que tout ne se réduit pas, pour elle, à un tête à tête avec elle-même et avec le cosmos. La force que les hommes ont préparée, amassée, voici qu'elle leur paraît étrange. Bien que née de leurs travaux, on dirait qu'elle se refuse à être tout à fait disponible. Les fusées thermonucléaires réveillent la morale et la métaphysique. Et l'on commence à comprendre que ce qui est en cause, c'est la vie de vastes groupes humains, et peut-être même, l'existence de l'espèce humaine. Les images d'un « *dernier rivage* » où la matière a duré, mais où elle n'est plus qu'une pétrification de silence avec ses trottoirs vides et ses voitures à jamais stoppées, sont celles d'un désert vraisemblable. Notons d'ailleurs que cette méditation écrite ou cinématographiée, qui provoque une fêlure dans la suffisance contemporaine, et donne à la conscience d'aujourd'hui une perception plus vive de la vulnérabilité de l'homme et même de sa contingence radicale, n'est pas sans comporter des aspects bienfaisants. MAIS L'ON S'APERÇOIT aussi qu'avant même que la vie soit en cause, c'est-à-dire avant que soit posée l'hypothèse d'une déflagration atomique mondiale, quelque chose est en cause dès à présent : le *sens* de la vie, dont on peut dire qu'il est *actuellement* attaqué, en un combat *déjà* commencé, *par le seul fait de l'existence d'une puissance matérielle prodigieuse aux mains d'un mouvement révolutionnaire mondial pour qui le droit ne transcende pas le pouvoir mais est créé par lui.* 45:47 Sans que les armes communistes entrent en action directe, c'est-à-dire n'attaquent directement la vie, elles agissent sur le sens de la vie par le *chantage* qu'elles permettent sous le couvert de la « coexistence pacifique », dont on sait qu'elle est la poursuite de la lutte révolutionnaire mondiale par des moyens autres que l'action militaire directe. Si bien que sauver la vie *à tout prix, en écartant tous les risques,* signifie pour le monde « libre » entrer dans la voie de la soumission illimitée au pouvoir communiste et dès lors admettre que ce pouvoir ne soit plus localisé, son dynamisme visant à la maîtrise totalitaire du monde. C'est donc admettre la disparition de la marge externe, c'est-à-dire accepter que la planète soit transformée en prison sûre. Prison sûre pour deux raisons : d'abord parce que le communisme au pouvoir est une technique de l'asservissement, ensuite parce que les propos que tenait l'historien Gibbon au sujet de l'Empire romain pourront s'appliquer davantage à un empire communiste devenu mondial : « *Si la liberté a pu en être extirpée c'est, entre autres raisons, parce qu'il n'y avait aucune possibilité de s'enfuir.* » C'est bien cela, en effet, qui est au terme : une planète ne comportant *aucun lieu où l'on puisse émigrer.* (Et si l'on songe aux autres planètes, on voit comme ces refuges sont incertains : d'abord il faut y mettre l'échelle ; ensuite nous y serons vraisemblablement précédés, peut-être par des volontaires de l'émigration, mais peut-être aussi par des volontaires de la domination.) NOUS AVONS BIEN SOULIGNÉ que, s'il existe une menace sur la vie et un combat effectivement engagé, par chantage, sur le sens de la vie, c'est en raison d'une conjonction historique : celle d'une puissance matérielle prodigieuse et d'une conception subvertie du droit, celle-ci n'étant qu'un aspect d'une subversion totale, pensée et agie, du destin de l'homme. Conjonction surprenante, dont rien, dans le passé du monde, ne nous donne une image voisine, le nazisme, cette image la plus proche, s'étant arrêté aux V2 et limité dans l'espace. Et c'est bien elle, non l'existence d'une puissance matérielle considérable prise en elle-même, qui fait problème. 46:47 Car l'existence de la simple puissance matérielle ne ferait pas problème, ou le ferait bien moins tragiquement, ou le ferait de moins en moins, s'il existait *un ordre juridique international véritable, universellement et réellement accepté,* donc efficace par la convergence des esprits. Et c'est un devoir inéluctable pour tous les gouvernements, et leurs peuples, que de travailler à l'établissement de cet ordre juridique, d'y tendre au maximum, et cela, à l'intérieur d'institutions internationales appropriées, où pourraient être élaborées des obligations de droit international, strictes et pratiquement respectées. La force matérielle de guerre, atomique et classique, y serait l'objet de renonciations conséquentes, capables d'empêcher le chantage, et qui deviendraient effectives parce qu'elles seraient, -- dans le monde entier, *effectivement contrôlées.* On voit que cet ordre juridique doit émaner d'un droit qui transcende les pouvoirs et les intérêts des différentes communautés, qu'ils soient d'ordre économique ou politique, national ou multinational. Ce fut l'une des hantises de Sa Sainteté Pie XII que de demander au monde entier *de ne point dégrader, de quelque manière, l'impératif juridique,* en l'absorbant dans la nation, ou la race ou la dite « classe révolutionnaire » dont un « parti » internationalement ramifié, se prétend l'élite consciente et organisée ; ou en le fondant uniquement sur les traités consentis par les États, comme si l'ajustement de leurs volontés devait faire le droit. En réalité, la volonté du législateur, les volontés ajustées des législateurs internationaux, ne font qu'un droit dit positif, dont il importe qu'il soit conforme aux commandements d'un droit naturel qui échappe aux caprices des hommes ; et qui leur échappe parce qu'il est enraciné ontologiquement dans la nature humaine, sur « *ces tables du cœur humain où le Créateur les a inscrits de sa main même, et que la saine raison peut y lire quand elle n'est pas aveuglée par le péché et la passion* ». Oublier ou refuser ce droit naturel et l'exercice de cette saine raison capable d'en lire les préceptes ; oublier le fondement de ces préceptes qui est Dieu lui-même, c'est affecter l'ordre juridique international, la charte ou les traités où il s'exprime, d'une grave inconsistance. Cet ordre doit donc être de *vérité,* autant que de justice et de liberté. ON NE PEUT PRÉTENDRE que les pays non-communistes soient de parfaits lecteurs et des promoteurs irréprochables d'un ordre juridique international véritable. 47:47 Ceux d'entre eux qui sont occidentaux, et dont les responsabilités sont grandes, ont eu à ce sujet maintes défaillances, et notamment, lorsqu'il s'est agi de bâtir une charte internationale, celle de s'aligner institutionnellement sur le laïcisme des États communistes. Toutefois, il n'est pas exagéré de dire qu'en raison d'une imprégnation chrétienne subsistante, ou recommençante, existe tout de même en Occident, vestige ou nouvelle ébauche, la conception d'un droit qui garde quelque transcendance, et qui, malgré tout, tend à juger, discipliner, orienter les pouvoirs. Avec le communisme international, nous nous trouvons devant une tout autre réalité : il considère en effet que tout droit transcendant est une superstructure « bourgeoise et impérialiste », c'est-à-dire condamnée. Dès lors, il n'y a plus pour lui de droit que le droit nouveau, engendré par la nouvelle infrastructure voulue par le Parti communiste ; c'est-à-dire qu'il n'y a finalement, pour le Parti, d'autre droit que celui qu'il fixe lui-même, en fonction de sa propre réussite, donc de sa conquête universelle. Il ne s'agit plus ici d'un ordre de *justice* mais, comme on l'a dit, d'un ordre de *justesse :* il consiste, fût-ce sous le couvert du vocabulaire juridique traditionnel, à adapter aussi exactement que possible au succès de la révolution le contenu nouveau donné au droit positif. Aussi bien, dans cette perspective, ce sont les pays non-communistes qui, seuls, violent le droit. Et les assemblées internationales où le communisme est présent sont, de ce fait, placées dans une ambiguïté irrépressible. Par rapport au vrai droit, la violation constante où s'est installé le communisme est devenu pour lui la juridiction nouvelle -- et l'assassinat de la Hongrie la nouvelle innocence. AINSI à travers les échecs des rencontres internationales, et les illusions que tour à tour elles réveillent et détruisent, et dans l'absence d'un véritable ordre juridique international, le chantage se poursuit. Dès lors, le monde « libre » se trouve *déjà* en état de légitime défense non pas, certes, devant un vol de fusées atomiques progressant vers ses centres vitaux, mais devant un chantage déjà effectif qui vise à détruire les raisons de vivre de l'Occident en tant que monde non-communiste. C'est donc un devoir, pour lui, que d'élaborer une puissance matérielle défensive capable, par sa seule existence, *de neutraliser ce chantage* dont il est victime, et de dissuader l'adversaire d'avoir recours à une guerre mondiale. 48:47 Que l'Occident prépare cette force défensive ne va pas sans risques graves, mais il faut admettre qu'on doive les courir si la vie n'est pas seule en cause, mais aussi le sens de la vie. Comme on l'a dit : « *La vie de l'humanité n'est pas un argument fracassant et définitif qui mette fin aux options humaines. Sur l'autre plateau de la balance, la liberté fait poids.* » Et c'est bien d'abord parce que cette force matérielle occidentale existe que le sort de Paris n'est pas celui de Berlin ou Budapest ; que les abbayes sont de libres abbayes ; que les basiliques sont ce qu'elles sont, et Lourdes et Fatima des lieux de libre pèlerinage. Mais la réflexion doit aller plus loin. Les hommes d'aujourd'hui qui s'interrogent sur ce seuil mystérieux du pouvoir humain, où notre temps semble parvenu, découvrent peut-être que cette force matérielle prodigieuse, et la manière dont elle est distribuée dans le monde, pourrait bien ne pas intéresser seulement les hommes, mais qu'au-delà d'eux-mêmes et du monde, il se pourrait qu'elle intéressât Quelqu'un d'Autre. Et s'ils hésitent devant cette force nouvelle, c'est qu'ils sentent le regard de cet Autre, c'est-à-dire le regard de Dieu, posé sur elle. QUE LA RÉPARTITION de la puissance matérielle en ce monde ne soit pas indifférente à la Providence, ils peuvent s'en rendre compte en méditant sur un passé encore proche : celui du nazisme. Ils verront qu'il suffit à Dieu de peu de chose pour que, brusquement, la distribution de la puissance subisse un changement. C'est comme une paille dans le monstre d'acier, une écharde dans la chair du géant. Ou encore ce qu'on pourrait appeler une marge avant la certitude de la victoire. C'est ainsi qu'Hitler a disposé d'une puissance énorme, et qu'il s'est trouvé constamment très près du triomphe total. Mais il n'y atteignit jamais. Il y eut toujours cette paille, cette écharde, cette marge. Tout près de l'Angleterre, tout près de Moscou, tout près des pétroles caucasiens et du secret atomique, il y eut toujours, entre cela et lui, une distance. Dieu, sans doute, ne permit pas qu'à l'homme effroyable fût fait le don effroyable. 49:47 Dans l'univers qui a succédé à l'effondrement du nazisme, le communisme, avec des moyens singulièrement accrus, a pris la relève, cette fois universelle, de la grande subversion. Seulement voilà, tout n'est pas encore joué. Tout n'est pas encore gagné : il y a ces marges, cette marge externe préservée par la force matérielle de l'Occident. Il nous faut donc admettre que la Providence, n'étant pas tout à fait étrangère à ce fait, a ses raisons pour que les Occidentaux bénéficient encore de cet espace de possibilités protégées. Si cet espace leur est laissé, est-ce pour qu'ils le laïcisent davantage, finissant ainsi de rejoindre le communisme dans une véritable et redoutable connivence, dans une communauté de destin athée ? Est-ce pour que s'y pratiquent, au nom de la « liberté », toute sorte d'esclavages consentis et d'abandons à une socialisation envahissante ? Pour que s'y désagrègent davantage les communautés naturelles et s'y dépersonnalisent encore les personnes ? Pour que des idoles diverses y prospèrent ? Pour que les patries y soient trahies ? Pour que les Partis communistes eux-mêmes y trouvent toutes les complicités et toutes les préparations désirées ? Pour que les races, les peuples, les nations, s'y opposent, s'y haïssent ? Pour que les chrétiens s'y divisent ? GUSTAVE THIBON a dit excellemment : « *La Cathédrale dressée au cœur de la Cité nous importe plus que les remparts qui l'entourent. Mais la rupture des remparts a pour conséquence la profanation de la cathédrale.* » La cathédrale de l'Occident a connu bien des vicissitudes intérieures. Elle est à la fois ancienne, donc menacée d'impatiences et de lézardes, et cependant toujours en construction. C'est pourquoi le rempart occidental nous importe. Ce serait une légèreté bien coupable que d'en négliger l'entretien, ou la consolidation, ou le ravalement ; ou même, si besoin est, l'extension. Mais ce serait une légèreté plus coupable encore que d'en oublier la véritable raison d'être : la cathédrale en construction. Car c'est bien pour elle que Dieu nous laisse ainsi du temps. Et c'est bien ainsi que Dieu semble procéder avec les hommes si nous en croyons son Verbe à l'œuvre dans les événements. Il donne des délais. Il a de la patience. Il a espacé ses grandes décisions, il a laissé quelques saisons à l'humanité, entre le moment où le Verbe s'est incarné et le moment où, toute marge étant épuisée, tout délai consommé, il faudra que le Verbe Lui-même revienne en personne « afin d'anéantir l'impie ». Le Maître du temps a donc désigné à notre attention l'étendue de sa patience, mais aussi les limites de celle-ci. 50:47 Nous savons, par la Révélation, qu'Il a ses délais, et aussi ses interventions, ses « heures ». Et « l'heure » de Dieu finit toujours par arriver. Ni trop tôt, ni trop tard. Ces réflexions nous conduisent à envisager la disposition intérieure du chrétien à l'égard de l'Histoire en train de se faire. D'une part, la patience de Dieu l'incite à éviter l'affolement, la précipitation, à ne point sauter par-dessus le temps, à ne point « enjamber sur la Providence ». Ces forces matérielles dont il perçoit l'utilité, le chrétien sait qu'elles ne sont pas l'essentiel de son destin. Il sait ce qu'il ne peut pas attendre d'elles. Trop attendre d'elles, déplacer vers elles le centre de gravité du salut, leur demander de construire l'histoire, voire lorsqu'elles sont pacifiées et bienfaisantes, de réaliser le paradis immédiatement et sous une forme temporelle, c'est aller à l'absurdité, car c'est anticiper la volonté du Père. Clément d'Alexandrie et saint Irénée ont montré qu'il y avait, dans le péché du paradis terrestre, une telle anticipation. Mais, par ailleurs, s'il ne doit point se précipiter, le chrétien ne doit point tarder. On pourrait dire QU'IL A DU TEMPS, MAIS QUE CE TEMPS PRESSE. Ce temps presse pour la cathédrale du XX^e^ siècle. Le temps presse, car il faut à la cathédrale de meilleures pierres, d'autres pierres vives. Le temps presse pour tout chrétien, car tout chrétien est envoyé. Dieu a envoyé son Fils. Son Fils, à son tour, envoie. « *Comme le Père m'a envoyé, dit-il à ses apôtres, moi aussi je vous envoie* » (Jean, 20-21). Et les apôtres, et leurs successeurs, envoient à leur tour. C'est pourquoi nous sommes à l'heure de l'Église, cette assemblée envoyée pour le salut du monde, et dans laquelle clercs et laïcs, hiérarchie et fidèles, tous ont mission de contribuer, par le témoignage, à l'initiative messianique du Père. S'il est dans le dessein de la Providence de laisser à l'Occident la force matérielle dont il dispose présentement, c'est afin que, par la marge interdite au pouvoir communiste, se répande sur le monde avec l'effort des apôtres encore libres, une douceur qui a les promesses de l'Éternité. Une douceur qui est aussi, de l'autre côté du rempart, le fait des martyrs. Une douceur qui seule, peut prétendre à la possession de la terre. Luc BARESTA. 51:47 ### Un officier français : le capitaine de Cathelineau (1921-1957) par le R.P. GASNIER, o.p. La vie de Gérard de Cathelineau, officier français, ancien d'Indochine, tué au combat en Algérie, vient de paraître en un volume aux Nouvelles Éditions Latines. Depuis 1946, l'armée de la France est *la seule armée du monde libre qui soit au combat sans interruption.* Parce que ce combat est contre une subversion mondiale qui a en France même ses victimes et ses complices, il se trouve aussi que *l'armée française est l'armée la plus diffamée du monde par la presse de son propre pays.* Cette situation, se prolongeant année après année, n'aura jusqu'ici suscité que l'indignation épisodique de pouvoirs publics toujours changeants soit dans leurs titulaires soit dans leurs velléités successives, -- mais aucune mesure efficace. Les familles gardent dans le secret le souvenir de leurs morts. L'État laisse à l'initiative privée (et ce sera bientôt peut-être la seule chose qu'il lui laissera) le soin de conserver et d'honorer la mémoire des héros. Le R.P. Gasnier expose ici dans quel esprit il a écrit la vie du capitaine Gérard de Cathelineau. 52:47 PARCE QUE J'AVAIS ÉCRIT la vie de son aïeul, on a pensé que j'étais désigné pour tracer aussi le portrait de son descendant : le Capitaine Gérard de Cathelineau. Et l'on est venu m'en prier. Je ne connaissais rien de lui, si ce n'est les articles que journaux et revues lui avaient consacrés après sa mort. Les premières lignes que l'on me communiqua, écrites de sa main et transcrites sur le memento funèbre, m'émurent et m'avertirent qu'il s'agissait d'une âme exceptionnelle de beauté morale et de foi religieuse. \*\*\* J'acceptai la proposition. Il me semblait que c'était le héros vendéen lui-même qui du fond de sa tombe glorieuse m'invitait à célébrer celui qui avait hérité sa flamme et je pensais qu'il était bon que le monde sache que la race de ce « centurion » dont parle l'Évangile, et qui était pour Jésus lui-même un objet d'admiration, n'est pas éteinte sur terre... Je rendis visite à ses parents et je réalisai en les écoutant ce qu'un deuil comme celui qu'ils venaient de subir peut apporter à la fois de souffrance et de fierté dans le cœur d'un père et d'une mère. Je m'imprégnai de l'atmosphère de l'appartement qu'il venait, semblait-il, de quitter, tant les objets parlaient tous encore de lui... \*\*\* J'allais quelques jours après rue Antoine-Chantin. Je sonnai. Quatre fillettes -- celles qu'il avait tant aimées et à qui il avait adressé tant de lettres exquises dont j'ai songé, un moment, à faire un chapitre spécial -- vinrent m'ouvrir. Elles me sourirent sachant que je venais pour celui qui n'était plus là, et chacune, avec innocence, me déclina son nom, que je connaissais déjà. Elles me conduisirent à leur maman. La conversation dura longtemps. Il ne fut question que de lui. Madame de Cathelineau me dit : « Je ne sais pourquoi on évite habituellement de me parler de Gérard. On craint, je pense, d'aviver ma douleur. Mais n'est-ce pas au contraire ma consolation d'entendre prononcer son nom et de me rappeler ce qu'il fut ? ... » 53:47 Ses photos étaient épinglées au mur, le fanion de son régiment étalait dans la pièce ses couleurs éclatantes. A la place d'honneur, je regardais le portrait de l'aïeul illustre, promoteur de l'insurrection vendéenne : le drapeau dans une main, l'arme au côté, il montrait du doigt tendu, à ses troupes, le chemin de la victoire... ou de la mort. L'aînée des fillettes, devant une table, studieusement, préparait pour la rentrée des classes, qui se faisait proche, livres et cahiers. Une autre était venue s'asseoir non loin de sa maman et, le visage grave, les yeux grands ouverts brillant d'une flamme de tristesse poignante et d'amour, nous écoutait avec avidité... Les deux petites, sur le large balcon, jouaient et couraient... Mme de Cathelineau, avec une simplicité qui m'émut, me confia, sans en exclure aucune, toutes les lettres qu'elle avait reçues de lui et qui commençaient par ces mots de tendresse : « Colette chérie... » Avant que je ne parte, par la fenêtre ouverte, elle me montra, barrant la ligne d'horizon, les hauteurs boisées de Meudon : « C'est là, me dit-elle, qu'il repose, et, d'ici, à chaque instant, je puis le saluer. Quand il me fit visiter pour la première fois cet appartement qu'il venait d'acheter : « Regarde ! Regarde ! insista-t-il avec une sorte d'exaltation étrange qui me surprit. On aperçoit Meudon ! » \*\*\* Quelques jours après, je faisais un pèlerinage au vieux cimetière de Meudon. Je m'informai près du gardien, de la tombe du Capitaine de Cathelineau. Il étendit le bras. « Là-bas ! Non loin du mur, à la hauteur du lilas ! ... » Venait-elle d'être blanchie ou grattée ? La pierre de la tombe était blanche. Je n'en vis pas, tout autour, de plus blanche... Dans le cimetière régnaient le silence et la paix, accoutumés en ces lieux de repos... Une lumière très douce cette lumière des débuts d'octobre qui est à la fois un sourire et une mélancolie -- projetait sur la tombe une manière de bénédiction. Non loin de là, deux ouvriers, qui creusaient une nouvelle fosse, à la dérobée me regardaient prier. 54:47 Mais je n'étais sensible qu'à la lumière, cette lumière que si souvent Gérard de Cathelineau avait saluée comme la plus belle chose qui soit, qu'il avait recherchée, dont il avait vécu, à laquelle il avait tant aspiré, de laquelle il avait dit s'adressant à sa femme : « Lumière, mot magique... lumière qui éclaire l'œuvre de la création riche et majestueuse... lumière du cœur, celle qui brûle en vous et en moi, qui détruit en nous ce qui est mauvais et avive ce que nous avons de bon... lumière spirituelle qui nous élève, comme vous dites, au-dessus de notre condition d'homme... lumière devant laquelle un jour, tous deux nous nous présenterons et qui nous éclairera magnifiquement avec miséricorde... » \*\*\* Tout au long de cet ouvrage, nous avons tenu la plupart du temps à laisser parler les faits et à citer sans les commenter les textes émanant de la plume même du héros afin de permettre au lecteur de prendre un contact direct avec son âme et de l'apprécier plus impartialement. R.P. GASNIER, o. p. *Un officier français : le capitaine Gérard de Cathelineau,* 1921-1957, par le R.P. Gasnier, un volume aux Nouvelles Éditions Latines. 55:47 ### L'espérance chrétienne et les espérances humaines par le R.P. CALMEL, o.p. A L'OCCIDENT et à l'Orient il s'est levé de faux christs et de faux prophètes. De bien des cotés on nous promet le paradis sur la terre. Notamment on promet pour cette terre même et dès cette vie la libération totale, la destruction des servitudes tant extérieures qu'intérieures, le rassemblement harmonieux et béatifiant de tous les humains enfin régénérés et transfigurés. En présence de ces divagations meurtrières et afin de ne pas se laisser égarer il n'est pas inutile de rappeler, le plus clairement possible, la nature de l'espérance chrétienne et sa relation avec les espérances humaines. L'objet de l'espérance chrétienne est proprement surnaturel et théologal ; il consiste dans la vie éternelle, la félicité éternelle avec Dieu dans le Christ. Le motif de l'espérance chrétienne est également surnaturel et théologal : il n'est autre que le secours divin, la toute-puissance de la grâce dans le Christ Jésus. AINSI L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE, celle qui fut semée dans notre cœur le jour de notre baptême, nous fait attendre ce bonheur parfait avec Dieu dans le Christ que saint Paul nous a décrit dans des textes saisissants. « Puis ce sera la fin, quand il remettra le Royaume à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance. Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. 56:47 Mais quand il dira : « Tout est soumis désormais » c'est évidemment à l'exclusion de Celui qui lui aura soumis toutes choses. Et quand toutes choses lui auront été soumises, le Fils alors se soumettra à son tour à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous. » (1 Cor. 15, 24-29.) « L'œil de l'homme n'a pas vu, son oreille n'a pas entendu, son cœur ne s'est pas représenté ce que Dieu a préparé pour ceux qu'il aime. » (I Cor. 2-9.) « Il n'y a pas de proportion entre les souffrances de ce temps et la gloire future qui doit se révéler en nous. » (Rom. 8-18.) Ces textes éblouissants ne font d'ailleurs qu'expliciter ce que Jésus nous avait déjà enseigné dans son Évangile. « Entre dans la joie de ton maître » (Mat. 25-21), dit le Père au serviteur fidèle. « Parce que nulle créature n'est capable de la joie que Dieu va lui accorder, cette joie extraordinairement pleine n'est pas contenue par l'homme, mais c'est bien plutôt l'homme qui se perd en elle. » ([^17]) NOUS POUVONS OBSERVER dès la lecture de ces textes qu'à la différence des prophètes anciens Jésus n'a promis à ses serviteurs ni d'avoir une famille harmonieuse et prospère, ni d'écraser leurs ennemis, ni d'être « honorés aux portes de la ville quand ils siègeront avec les grands de la province » ([^18]). Ses promesses diffèrent sensiblement du tableau idyllique du bonheur du juste que l'on trouve dans les prophètes et les psaumes. Elles n'ont pas grand-chose de commun avec les versets bien connus du *Beatus vir* des Vêpres dominicales : « *Potens in terra erit semen ejus... gloria et divitiae in domo ejus.* » De ce chant d'opulence et de triomphe, l'Évangile n'a retenu que les versets les plus spirituels : « *Exortum est in tenebris lumen rectis... paratum cor ejus sperare in Domino.* » On ferait les mêmes remarques pour le psaume *Beati omnes qui timent Dominum* (ps. 127) et en général pour tous les passages du vieux Testament qui nous montrent le fidèle de Yaveh comme quelqu'un qui trouve, dès cette terre, la récompense et la réussite. Voyez comme parlent différemment, en période d'occupation, les anciens prophètes et le Fils de Dieu Sauveur. 57:47 Jésus-Christ s'adressait à des Juifs soumis à l'occupation romaine. Or, il n'a rien fait pour les libérer du joug des Romains, qui n'était sans doute pas écrasant, mais enfin c'était une domination étrangère. Il leur a parlé d'autre chose. Cet autre chose, c'est-à-dire le Royaume spirituel, n'intéressait qu'un petit nombre : combien avaient l'espérance surnaturelle ? Jésus-Christ a sanctifié l'ordre des patries terrestres, mais il n'est pas venu selon l'ordre du temporel et des patries terrestres. *Mon royaume n'est pas de ce monde.* Il est une foule de biens très importants, parfaitement honnêtes et désirables, sur lesquels Jésus n'a fait aucune promesse à ses disciples. Qu'on tourne et qu'on retourne dans tous les sens les Évangiles et les épîtres de saint Paul, on n'arrivera pas à y trouver quelque promesse relative aux biens temporels. Quelle conclusion en tirer ? Que ces biens ne comptent pas ? Que nous ne devons pas les espérer ni travailler à les obtenir ? Non assurément. Les évangiles ni saint Paul ne prétendent rien de tel ; ils disent même sur un point, sur le point capital du mariage et de la famille, que ce premier des biens terrestres est de la plus haute importance et dignité. Relisez plutôt l'épître et l'évangile de la messe de mariage. De même au sujet de la société civile, le Seigneur fait comprendre sa nécessité et demande de travailler à sa conservation lorsqu'il ordonne de rendre à César ce qui est à César. Seulement les évangiles et saint Paul nous enseignent que Dieu a envoyé son Fils non pas selon les biens de nature mais selon les biens de grâce. Les promesses qui nous sont faites et qui sont infaillibles concernent des biens de grâce. Au sujet de tels biens, c'est-à-dire le bonheur éternel, l'union avec Dieu dès cette terre, la victoire sur le péché, Jésus nous a fait des promesses on ne peut plus formelles et il les a scellées dans son propre sang. Les passages remontent en foule à notre esprit. Qu'il suffise d'en relever quelques-uns. « Qui persévèrera jusqu'à la fin sera sauvé, -- Qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera pour la vie éternelle. Je donne à mes brebis une vie éternelle et nul ne pourra me les ravir. -- Je prierai le Père et il vous enverra un autre Consolateur qui restera avec vous à jamais. -- Quand il sera venu *ce* Consolateur convaincra le monde de péché. -- Le Prince de ce monde sera jeté dehors... lorsque j'aurai été élevé sur la Croix. -- Celui qui me mange demeure en moi et moi en lui et je le ressusciterai au dernier jour. Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des siècles. 58:47 -- Je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie et cette joie nul ne pourra vous l'enlever. -- Venez à moi et je vous referai. -- Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres. -- Dans le monde vous aurez des persécutions, mais confiance, j'ai vaincu le monde. -- Si le Fils de Dieu vous délivre, alors vous serez vraiment libres. -- Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît. -- Le père de famille fera asseoir à sa table et servira lui-même les serviteurs qu'il aura trouvés vigilants. -- Les derniers jours seront abrégés afin que les élus puissent être sauvés. » Jésus-Christ est venu selon *l'ordre de la Charité,* non *pas selon l'ordre des esprits et des corps* ([^19]). La conséquence est la suivante : Jésus ne nous donne pas à espérer les biens terrestres, même les meilleurs ; il nous donne à espérer les biens célestes, et au sujet des biens terrestres il met en nos cœurs certaines dispositions pour les attendre, les posséder ou y renoncer. Jésus ne nous dit pas que les biens terrestres ne valent rien lorsque de fait ils sont bons. Il nous enseigne l'infinie supériorité des biens célestes et il nous dit comment être bons nous-mêmes dans le souci ou la privation ou la possession des biens terrestres. Ce qu'il nous accorde c'est, comme dit à peu près l'oraison du troisième dimanche d'après Pentecôte, de *passer par les biens temporels de manière à obtenir les biens éternels.* LES BIENS TERRESTRES, depuis le premier péché, se trouvent dans une situation très particulière : l'harmonie qui existait entre l'homme et ces biens terrestres, comme l'amour, le travail, la justice de la société, cette harmonie a été profondément contrariée. Il est normal que chacun des hommes essaie de la rétablir. Mais il n'y a aucune assurance qu'elle sera rétablie infailliblement ni durablement. Il est naturel de l'espérer et d'y travailler. Mais il importe encore plus d'espérer ce rétablissement en ayant le cœur fixé plus haut. Il faut espérer chrétiennement ces biens terrestres c'est-à-dire les espérer ni comme définitifs, ni comme suffisants et en comprenant qu'ils demandent à être reliés à l'espérance des biens éternels. L'espérance chrétienne ne change pas les lois des espérances humaines, ces humbles lois qui tiennent à notre état de chute ; mais elle purifie ces espérances, les apaise, les oriente et les met à leur place. 59:47 LA GRANDE QUESTION pour le chrétien au sujet des biens passagers est de savoir s'ils sont conformes à la volonté de Dieu, s'ils sont de droit naturel et voulus de Dieu pour nous. Si la réponse est affirmative la conséquence sera de les désirer selon Dieu et s'il le faut de donner sa vie pour les défendre. Par biens passagers n'entendons pas d'abord, ni même surtout, l'argent et la richesse, mais plutôt ces biens infiniment plus précieux et qui rendent habitable notre terre d'exil. Les biens passagers consistent d'abord dans une famille honnête et heureuse ; une profession organisée de telle manière que l'homme puisse y épanouir le meilleur de ses dons et servir en même temps la communauté ; une patrie libre et chrétienne et dans laquelle l'honneur fasse loi ; les libertés et franchises des corps intermédiaires ; un État enfin qui garantisse une juste paix. De tels biens sont voulus de Dieu et Dieu veut les bénir ; tandis que Dieu n'a jamais béni la richesse et les trésors d'or ou d'argent ; non que ces trésors n'importent en rien ; ils comptent, mais à simple titre de moyen et ils sont même un moyen fort dangereux. ÉTANT DONNÉ L'OBJET de l'espérance chrétienne, on comprend qu'elle puisse subsister dans la privation des biens passagers, même les plus humains, les plus normaux, les plus conformes au droit naturel. Si nos désirs sont tendus vers le ciel par l'espérance chrétienne, alors même que tout vient à nous manquer de ce que nous étions en droit d'attendre pour cette terre, nous sommes capables de ne pas entrer en fureur ni devenir fous de rage, parce que nous espérons que le principal ne nous fera pas défaut : le principal qui est pour après la mort. Nous essaierons si c'est possible que ces biens terrestres ne nous échappent pas, ou qu'ils nous soient rendus, mais nous ne tomberons pas dans le désespoir et nous ne nous lancerons pas dans des entreprises révolutionnaires si rien ne nous est rendu et si tout nous échappe : car l'essentiel demeure hors d'atteinte. Tous ceux auxquels l'existence a menti et qui ont continué d'espérer au Seigneur savent que c'est vrai. 60:47 *Ad te levavi occulos meos.* Les époux et les épouses trahis, les innocents condamnés et vendus, les pauvres exploités, volés et ruinés ; tous ceux-là, toutes les victimes lamentables des offenses et des humiliations font l'expérience, s'ils sont chrétiens, que le brisement des espérances terrestres ne réussit pas à entamer mais au contraire fortifie l'espérance de la patrie éternelle ; ne réussit pas non plus à détruire le courage de travailler aux choses terrestres conformes au droit naturel si Dieu le demande encore. Par ailleurs celui qui s'occupe selon Dieu aux biens conformes au droit naturel, celui-là est constamment rappelé à l'espérance céleste en vertu des inévitables épreuves ; nous disons bien si c'est vraiment *selon Dieu* qu'il s'occupe des biens conformes au droit naturel. Quel père, quelle mère de famille par exemple, ayant voulu, ayant persévéré à vouloir élever ses enfants dans la droiture et la religion, s'étant heurté à mille obstacles en lui-même, en ses enfants et dans le monde qui l'entoure, ayant souffert des inévitables séparations, des inévitables deuils n'a pas réalisé que le lieu de la famille définitive et parfaite ne se trouve que dans le ciel, dans la société du Père, du Fils, de l'Esprit Saint, et dans la communion des saints devenue enfin transparente. Quel homme de cœur ayant voulu prudemment mais fermement plus de justice dans l'institution dont il fait partie et s'étant heurté à toute sorte de résistances iniques, s'étant aperçu que tout demeure toujours menacé, n'a pas été amené à comprendre que le lieu de la justice parfaite ne pouvait être ici-bas et n'a pas aspiré à la Cité céleste, à la Jérusalem nouvelle ? Toutes ces remarques pour dire d'abord que si l'espérance chrétienne est tendue vers les biens éternels, elle n'empêche pas de désirer les biens conformes au droit naturel mais elle les fait désirer sans fureur ; ensuite que le fait de s'appliquer selon Dieu aux tâches temporelles avive l'espérance des biens éternels, si du moins l'application est selon Dieu. C'est faute d'espérance vraie de l'éternité et parce qu'ils reportent inconsciemment l'espérance éternelle sur des biens terrestres, même justes et bons, c'est à cause d'un tel abaissement de l'espérance, que tant de chrétiens oscillent entre la révolution et l'inertie, les tentatives insensées de subversion et l'installation confortable dans des injustices qui rapportent. S'ils étaient animés de la véritable espérance, ils seraient capables d'un effort pour la justice à la fois ardent et patient, enflammé et tranquille. 61:47 CONSIDÉRONS MAINTENANT le motif de l'espérance chrétienne. Il ne réside pas dans la nature, les circonstances et les événements, mais dans la Grâce toute-puissante que le Père nous accorde dans son Fils, dans la Rédemption surabondante opérée par Jésus-Christ. L'espérance chrétienne fait que nous sommes sûrs non seulement du ciel mais encore de la grâce, quelle que soit la situation où le Père du ciel nous ait placés, nous ait élevés ou abaissés. « Nous savons que tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu... Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous ! ... Qui nous condamnera ? Le Christ Jésus qui est mort, bien plus qui est ressuscité, qui est assis à la droite de Dieu et qui intercède pour nous ? » (Rom. 8.) De là découle une attitude extrêmement ferme par rapport aux responsabilités temporelles que Dieu a voulues pour nous. En vertu de l'espérance chrétienne nous espérons avoir assez de grâce pour être fidèle à Dieu, non seulement par exemple dans la prière ou dans les œuvres d'apostolat, mais encore dans l'accomplissement honnête de telle charge terrestre que Dieu nous a confiée. En nous faisant compter sur la grâce toute-puissante l'espérance chrétienne nous empêchera de démissionner. Si nous avons par exemple à lutter pour le maintien d'une institution de droit naturel ou pour sa réforme, nous espèrerons que la grâce nous donnera de lutter purement, de reprendre la bataille quels que soient les échecs, et si la bataille devient impossible de ne pas trahir dans notre cœur, par la haine ou bien par je ne sais quel désespoir morose, une institution du droit naturel qui est voulue de Dieu. L'espérance chrétienne, précisément parce qu'elle fait compter sur la grâce pour être fidèle à ce que Dieu veut présentement dans telle situation, permettra de ne pas déclarer trop vite que la bataille est impossible. On continuera ou l'on recommencera la bataille sans découragement et sans ennui, non seulement parce que l'on comptera sur les ressources de la nature, mais en même temps et plus encore sur celles de la grâce, qui nous donnera d'être fidèles dans cette bataille voulue de Dieu. 62:47 C'est ainsi qu'une jeune fille qui n'aura pas eu le bonheur de fonder un foyer et qui ne peut espérer désormais en ce bonheur tellement simple ne renoncera pas pour autant à trouver la forme de don d'elle-même qui, sans être comparable à un foyer, lui permettra du moins de servir ici-bas d'une manière adaptée à sa condition de femme et d'accéder à la liberté intérieure dans la détente et la légèreté. LE VRAI DISCIPLE de Jésus-Christ ne sera pas découragé de la terre : une telle attitude serait lâcheté et non pas fidélité. Mais le vrai disciple sera toujours soulevé par une espérance qui est au-delà de la terre. Il se souviendra des promesses que nous a faites Jésus-Christ au plus fort et au plus cruel des luttes et des trahisons. C'est en effet lorsque les foules refusent de croire à cette marque suprême d'Amour qui est l'Eucharistie qu'il promet de devenir notre nourriture et de nous faire vivre par Lui. De même c'est pendant le repas où l'un des siens le trahissait qu'il nous promet de boire avec nous *un vin nouveau dans le Royaume de son Père.* Assuré en ces promesses, le vrai disciple n'est quand même pas sourd aux promesses que lui fait cette terre, mais il est capable de les entendre sans être saisi de vertige ; de même n'est-il pas insensible lorsque la terre indifférente ou perfide déçoit les justes promesses qu'elle faisait, mais il est capable de ne pas devenir fou ni enragé dans ce brisement et cette déception. Les promesses que nous a faites Jésus-Christ et que le vrai disciple persévère à écouter dans le secret de son Cœur ne sont pas entraînées dans la ruine des promesses et des espérances terrestres. Bien plus il espère assez en Jésus-Christ pour ne jamais désespérer de rendre cette terre, serait-ce en un point minuscule, point trop indigne du Royaume de Dieu. Le vrai disciple a vu ce qu'est la terre, et comme le Maître, *il sait ce qu'il y a dans l'homme.* Il a vu que pour des milliers d'êtres la terre allait se continuer par l'enfer ; que, pour une foule d'êtres qui se sont fermés à Dieu durant la vie, Dieu même après la mort ne pourrait plus les atteindre durant l'éternité ; du moins il ne pourrait les atteindre que pour les faire exister mais non pour se donner à eux et pour les combler ; car ces êtres n'auront rien à combler, ils seront remplis d'eux-mêmes, remplis de leur propre suffisance, à la fois intolérables à eux-mêmes et absolument immuables durant l'éternité entière. 63:47 Ayant perçu qu'il pourrait être de ce nombre, le vrai disciple s'est contenté d'espérer avec une confiance d'enfant. Il n'aurait jamais pensé que la vie qui s'est pourtant révélée très injuste lui serait au fond aussi clémente, parce qu'il a espéré aux promesses du Fils de Dieu crucifié et ressuscité. R.-Th. CALMEL, o. p. Il est une espérance humaine qui n'est pas sage : celle qui attend des sociétés qu'elles progressent sans arrêt et qu'elles ne soient pas mortelles. C'était en songeant à ces billevesées présomptueuses et pour les rabattre que Bainville disait : « Rien ne va de plus en plus et les cyprès ne montent pas jusqu'au ciel. » Il est sage d'espérer la vie et la durée de la France ; mais il est déraisonnable d'espérer qu'elle échappe à tous les malheurs. De même est-il déraisonnable d'espérer que la vie et la durée de la France sont acquises une fois pour toutes indépendamment de la sainteté des Français. C'est à deux titres que nos espérances humaines au sujet des sociétés sont marquées d'humilité ; d'abord, si nous espérons leur vie et leur durée, nous n'espérons pas qu'elles deviennent jamais des sociétés idylliques ; ensuite, nous n'espérons pas que cette vie et cette durée soient possibles sans beaucoup de sacrifices et de sainteté. 64:47 ### NOTES CRITIQUES ### Brèves réflexions sur le journalisme catholique Qu'est-ce qu'un journaliste catholique ? Je m'interroge et j'hésite. En quoi un journaliste catholique diffère-t-il d'un journaliste non catholique ? Une analyse élémentaire nous fera voir qu'un journaliste catholique est un homme qui gagne sa vie et celle de sa famille comme journaliste et qui fait profession d'être catholique. Laissons de côté le cas des journalistes baptisés qui sont catholiques mais qui, comme beaucoup de leurs contemporains, vivent en dehors du catholicisme. Ce qui nous conduit à poser correctement la question : -- y a-t-il une manière d'être journaliste et catholique ? Comme il n'existe en France qu'un seul quotidien catholique national, comme le rappelait récemment Jean Madiran, il est évident que *de nombreux journalistes catholiques sont amenés à* *exercer leur profession dans des journaux non catholiques,* c'est-à-dire neutres. On les voit mal l'exercer dans des journaux hostiles. Il y aura donc là pour eux une difficulté supplémentaire, bien que je ne pense pas que le fait pour un journaliste catholique d'exercer sa profession dans un journal catholique règle pour lui tous les problèmes. Un journaliste catholique travaillant dans un journal catholique n'est pas plus à l'abri des entraînements de l'erreur et de la passion qu'un journaliste catholique travaillant dans un journal neutre. En fait, c'est moins le cadre où il travaille que la rigueur de sa conscience -- la volonté de ne jamais mentir et de toujours servir les valeurs spirituelles -- qui feront qu'un journaliste reste fidèle à ce que le christianisme exige de lui. Pourtant, nous ne nierons pas la valeur du cadre -- ce qui serait absurde -- et nous dirons qu'un journaliste qui travaille dans un journal catholique ne connaîtra pas un certain nombre de difficultés supplémentaires que connaîtra un confrère travaillant dans un journal neutre et que la fidélité à l'idéal moral du catholicisme lui sera grandement facilitée. Mais travailler dans un journal catholique ne suffit pas pour faire un journaliste catholique. Il y faut aussi tout l'effort personnel. \*\*\* 65:47 Il me semble qu'un journaliste catholique -- mais n'est-ce pas valable pour toutes les professions ? -- sera celui qui aura porté à un point « héroïque » les vertus et les règles de sa profession. Un journaliste catholique dira toujours la vérité quoi qu'il puisse lui en coûter. Il défendra les humbles et il bravera les puissants. Il se rappellera que ses adversaires sont ses frères. Derrière les idées, il verra les personnes vulnérables. Et plus j'y réfléchis plus je pense que ces premiers devoirs de vérité et de charité sont la règle d'or de notre profession, épuisant presque complètement toutes les vertus et qualités que l'on peut exiger d'un journaliste. Un journaliste catholique sait que le bien et le mal existent. Et cette connaissance lui interdit de participer de près ou de loin aux publications qui contribuent plus ou moins consciemment à l'abêtissement et à l'avilissement du monde moderne. On abêtit et on avilit en même temps. Qui avilit, abêtit. Qui abêtit, avilit. En ce cens le journaliste catholique est le plus « engagé » des journalistes. Son journalisme est un engagement total pour la vérité contre le mensonge, pour le bien contre le mal. \*\*\* Mais ce souci de la vérité et du monde moral, un journaliste non catholique peut l'avoir aussi, doit l'avoir aussi. Finalement la grande différence, la seule différence est que le journaliste catholique croit en Dieu et croit dans le Christ. Le journaliste catholique a quelque chose en plus. Ce quelque chose en plus lui dit que l'Histoire a un sens et que ce sens c'est le jugement de Dieu. Aussi l'optimisme et le pessimisme d'un journaliste catholique ne seront pas ceux d'un autre journaliste. Il posera sur le monde un regard plus assuré et plus serein. L'avenir de son pays et de l'Europe peut lui apparaître aussi sombre qu'à son confrère incroyant, le triomphe du communisme, à la faible prédiction des hommes, presque certain, -- ce qui ne l'empêchera d'ailleurs pas, de toutes ses forces et de toute son intelligence tenace, de lutter contre l'avènement du mal et pour un monde meilleur, -- il pensera que c'est la volonté de Dieu qui s'accomplit dans le monde et, comme les chrétiens d'U.R.S.S., comme l'a si bien montré la princesse Schakovskvy ([^20]), que la volonté de Dieu doit être faite. Mais il saura, quelles que soient les souffrances, le martyre et les persécutions, que l'Histoire a une fin et que ce n'est pas l'homme qui écrit le dernier mot de l'Histoire. Pierre ANDREU. ============== 66:47 ### Points de vue Pour être journaliste, publiciste, écrivain, il faut aussi savoir écrire. Les catholiques devraient ne point ignorer cette condition puisqu'ils ont un plus grand souci de la vocation de chacun, et des lumières, que leur a données saint Paul, sur « la diversité des dons dans l'Église ». Or on a confié souvent la direction des journaux, la rédaction des rubriques, la fonction éditoriale à des personnes qui avaient manifesté des dons certains dans d'autres domaines mais aucun dans celui-là. Par exemple à des militants, animateurs et organisateurs de l'Action catholique, que rien n'avait préparé ni destiné au métier d'écrivain. Bien entendu, le talent ne se confond pas avec la valeur morale ni avec la solidité intellectuelle ; il n'en dispense pas ; il ne passe point avant. Mais enfin, il est étonnant que l'on puisse si souvent attribuer ou accorder la tâche d'écrire à des personnes qui ne savent pas écrire et qui manifestement n'arriveront jamais à le savoir. Faut-il supposer que la presse catholique, telle qu'elle est aujourd'hui organisée (et financée) est spécifiquement allergique au talent ? Les journalistes catholiques du premier rang, et j'entends catholiques déclarés et militants, catholiques soucieux d'écrire en catholiques, tels que Frossard, Boutang, Mauriac, Salleron, n'écrivent point dans des journaux catholiques, sinon par très rare exception. Aussi est-on, fût-ce malgré soi, attentif dès que paraît, dans : un journal vendu d'un côté ou de l'autre de la porte des églises, un auteur ayant du ton et du don, du tempérament, du style. Non pas forcément un crâne qui fume et un verbe qui troue le papier, un Shakespeare ou un Claudel. Mais enfin une plume de journaliste. Sous ce rapport *Témoignage chrétien* a fait une recrue d'importance avec Robert de Montvallon. Et aussi, manifesté une nouvelle orientation. Non sur l'Algérie ou sur la lutte de classe ; mais sur la déontologie du journalisme catholique. Robert de Montvallon veut rendre à « la polémique » droit de cité. Il s'en est expliqué notamment lors d'une confrontation qui réunissait avec lui Fabrègues, Dubois-Dumée et le P. Guissard. On trouvera son texte dans le 32^e^ cahier de *Recherches et Débats* (organe du Centre catholique des intellectuels français) et dans *Témoignage chrétien* du 9 septembre : « *La polémique elle-même est un genre littéraire et non point un péché. Il faudrait d'ailleurs s'expliquer là-desus, apprendre aux moralistes qu'une polémique ouverte surpasse en loyauté le croc-enjambe.* » Il y a néanmoins une hésitation occasionnelle dans la démarche de Robert de Montvallon. Courageux mais point téméraire, la considération du choc en retour le conduit parfois à demeurer sur le seuil. Il est agréable de donner de grands coups bien « francs », il est moins agréable de risquer d'en recevoir (*Témoignage chrétien* du 8 juillet) : 67:47 « *Ah ! certes, une franche polémique vaudra toujours mieux que ces crocs-en-jambe dont certains de nos frères sont prodigues. Mais la polémique ressemble aux boomerangs dont la description enchantait notre enfance ; elle revient frapper celui qui l'a lancée. Laissons-la donc...* » Il reste vrai qu'en soi « la polémique n'est pas un péché ». Et aussi qu'il y aurait effectivement bien des choses à « apprendre aux moralistes » en matière de presse, des choses qu'apparemment ils ignorent tout à fait, et que Robert de Montvallon a exactement évoquées. La polémique peut être cruelle, méchante, injuste : mais il est de beaucoup plus grandes injustices, de beaucoup plus graves méchancetés, de beaucoup plus violentes cruautés, perpétrées dans les journaux par d'autres moyens que la polémique, et quelquefois précisément par ceux-là mêmes qui simultanément se font une réputation vertueuse en répudiant la polémique. \*\*\* « La polémique n'est pas un péché ». Langage nouveau dans un hebdomadaire qui a souvent dénoncé la polémique comme « stérile » par nature, comme essentiellement « négative », et lui a ostensiblement préféré les « tâches positives » ou supposées telles. A vrai dire, il est encore trop tôt pour savoir si le propos de Robert de Montvallon est un ferme propos. Où s'il ne s'agit que du refrain habituel, j'entends pas là du *double langage* auquel plusieurs nous ont habitués, répudiant vertueusement les « polémiques stériles » chaque fois qu'on leur oppose une objection qui les gêne, mais déclarent que « la polémique n'est pas un péché » quand ils estiment eux-mêmes devoir critiquer les autres. Autrement dit, nous ne savons pas encore si Robert de Montvallon est disposé à professer que « la polémique n'est pas un péché » à propos de polémiques autres que la sienne ; à propos de polémiques qui iraient dans un sens contraire au sien. Pour le moment, le propos de Robert de Montvallon semble surtout avoir fait suite à la vive polémique qui a opposé *Témoignage chrétien* et la *France catholique* (au sujet de l'apostolat missionnaire en Afrique) ; ce propos semble légitimer ou absoudre la polémique faite par Robert de Montvallon lui-même, mais rien ne permet de présumer si cette absolution, ou cette légitimation, pourrait éventuellement s'étendre à autrui. \*\*\* Quand un journal est aussi officiellement et aussi largement INSTALLÉ que l'était *Témoignage chrétien* après 1945 (encore que nous ne confondions pas cet hebdomadaire avec certaines féodalités capitalistes de la presse catholique dite « sociale » par antiphrase), -- il a tendance à demander que l'on soit respectueux des situations acquises... Révolutionnaire peut-être *pour la société,* il a été fort souvent conservateur *pour la presse,* et allié, sinon en intention, au moins en fait, à ces féodalités capitalistes théoriquement « de gauche » qui avaient colonisé la plus grande partie de l'édition catholique. Ni la liberté de la critique, ni la liberté de la presse n'ont guère été défendues par *Témoignage chrétien* tant que ce n'était point la liberté de *Témoignage chrétien* qui était menacée, mais ses adversaires politiques qui étaient étranglés. 68:47 Quand *Aspects de la France* fut, par un abus de pouvoir du ministre de la police, interdit à la vente en vertu de la législation réprimant les publications « pornographiques » (*sic*)*,* cette tyrannique imposture ne provoqua aucune protestation de *Témoignage chrétien.* Quand, de 1945 à 1950, les catholiques dits « de droite » firent de multiples efforts pour avoir eux aussi leurs journaux, il est de fait, il est historique que *Témoignage chrétien* ne plaida point en leur faveur les principes de « liberté » et de « pluralisme ». C'est depuis que des menaces ont pesé sur ce journal qu'il a énormément mis l'accent, en matière de presse, sur les droits et libertés de l'opinion catholique. De la même façon, depuis que *Témoignage chrétien* est en quelque sorte moins confortablement installé dans l'Église de France, et que sa tendance est moins dirigeante et pour ainsi dire davantage « dans l'opposition » il découvre l'utilité, le bien-fondé, la légitimité de la « franche polémique ». Ceux qui, dans l'État ou dans l'Église, ont l'influence prédominante, sont toujours inclinés à demander que l'on ne fasse point de vagues, et à répudier vertueusement les « polémiques stériles ». Qu'ils perdent plus ou moins cette situation, ils découvrent au contraire le droit de libre critique, la légitimité de la saine polémique, l'utilité du pluralisme des journaux et autres choses du même genre. \*\*\* A l'explication « sociologique » et presque déterministe qui précède, il ne faut donner que *ce* qui lui est *dû,* et qui n'est jamais l'essentiel, du moins quand il s'agit d'hommes libres, d'esprits vivants, de caractères. D'ailleurs il ne suffit pas de professer que « la polémique n'est pas un péché ». Pour pratiquer réellement ce « genre littéraire » il faut d'abord en être capable. Les changements intervenus dans la situation sociologique de *Témoignage chrétien* ne peuvent ni créer un Robert de Montvallon ni commander son apparition. La libre aisance de sa plume et de sa démarche sont d'une autre catégorie, irréductible aux analyses. Pourtant, le milieu sociologique n'en existe pas moins et l'on peut se demander si ce milieu va longtemps tolérer un Robert de Montvallon sans chercher à le dévorer ou à l'expulser. A moins que ce milieu ait véritablement changé son fusil d'épaule sur un point auquel il était naguère extrêmement sensible. Dans *Témoignage chrétien* du 8 juillet, Robert de Montvallon écrivait tranquillement : « *Regardez l'Action catholique. Quelques obstinés retiennent autour d'eux un maigre troupeau.* » Que cette « vue » soit caricaturale, bien sûr. Et injuste. Mais on tolère toute sorte d'injustices (d'appréciations) dans le milieu sociologique où apparaît Robert de Montvallon. On y tolère ou on y encourage toute sorte de critiques à l'égard des « bureaux du Vatican » (c'est-à-dire des Congrégations romaines dirigées par le Pape), ou même, cela s'est vu, à l'égard de Pie XII et de Pie XI (par exemple à propos du Concordat avec l'Allemagne). 69:47 Mais on n'y supportait ordinairement aucune critique, fût-elle bienveillante et fondée, à l'égard de l'Action catholique telle qu'elle est organisée en France. La désigner comme le lieu où « quelques obstinés retiennent autour d'eux un maigre troupeau » est une audace de langage qui ne passera pas inaperçue. Quoi qu'il en soit, Robert de Montvallon manifeste, avec autant d'aisance qu'il respire, une grande indépendance à l'égard de presque tous les conformismes intellectuels de son milieu. Avec ou sans « polémique » cette indépendance d'esprit est trop rare pour ne pas intéresser ou séduire le lecteur, fût-il d'un avis opposé. Et si l'on trouve, comme on peut le trouver, que Robert de Montvallon y va un peu fort en certaines matières touchant à la religion et à l'apostolat, il faut se souvenir que les excès du conformisme ont ordinairement, tôt ou tard, ce résultat. Un conformisme intellectuel, surtout quand il est aussi tyrannique et monopolisateur qu'on l'a vu en France, provoque inévitablement des réactions. La sorte de « cléricalisme de gauche » qui a tant dominé les esprits a peut-être trouvé en Robert de Montvallon un adversaire non négligeable. \*\*\* Quant à « la polémique », le sort qui lui est fait dans le catholicisme français est un sort particulier. On peut apprécier immédiatement cette particularité en remarquant que le Souverain Pontife, et non une seule fois, exhorte les journalistes à « la charité dans la polémique ». Propos qui paraît en France paradoxal et incompréhensible, dans la mesure où l'on a établi et professé au contraire que charité et polémique sont incompatibles, et que la polémique serait en quelque sorte, pour le journaliste le contraire exact de la charité : le vice spécifiquement opposé à cette vertu. La polémique n'est pourtant pas, de soi, contraire à la morale : elle « n'est pas un péché ». Mais elle est en France frappée d'un interdit occasionnel, provisoire sans doute, toujours en vigueur actuellement, pour autant que nous sachions. Spécialement depuis l'année 1955, la Hiérarchie apostolique en France, par des recommandations publiques revêtues d'un caractère officiel, et par des démarches pastorales parfois plus discrètes, a demandé qu'il n'y ait *pas de polémiques entre catholiques.* Il y a plus encore. Même à l'égard des adversaires de la foi et de l'Église, la tendance actuellement prédominante est *d'éviter le plus possible toute polémique.* Cette seconde recommandation a, nous semble-t-il, un caractère moins impératif que la première, il n'est pas possible néanmoins de ne pas tenir compte de son existence. A quoi il faut ajouter que si, en dehors de France, la polémique n'est pas aussi nettement frappée d'interdit parmi les catholiques, ou même ne l'est pas du tout, on constate chez les personnalités les plus chargées d'expérience et de responsabilités de l'Église universelle, une orientation qui s'écarte délibérément de la polémique classique et permise, et qui préfère mettre l'accent sur l'effort de persuasion compréhensive plutôt que sur l'effort de réfutation implacable, même à l'égard des ennemis déclarés de la foi. 70:47 Soit parce que notre époque est une époque de progrès sensationnels des mœurs et des esprits, soit au contraire en raison de son confusionnisme et de sa débilité intellectuelle, on estime de plus en plus dans l'Église que nos contemporains ne peuvent ni supporter ni comprendre « la polémique ». Il ne s'agit point d'un diktat arbitraire ni d'une commodité superficielle, mais d'un diagnostic. Diagnostic qui, en une telle matière, n'est évidemment pas infaillible, mais qui est suffisamment sérieux et réfléchi pour mériter (au moins) d'être pris en considération. \*\*\* En un temps où le monolithisme totalitaire et son caporalisme, répudiés en théorie, ont fait des progrès étonnants dans les mœurs effectivement pratiquées par certaines organisations catholiques, et ont rendu leur climat irrespirable aux esprits libres, le langage, la protestation de Robert de Montvallon contiennent quelque chose de vrai et d'utile : « *Regardons vivre les saints. Personne ne diffère plus d'un saint qu'un autre saint. L'imitation de Jésus-Christ ne les revêt pas d'un uniforme. Plus ils s'approchent de Dieu, plus ces modèles deviennent inimitables. Saint François n'est pas saint Ignace, saint Thomas n'est pas saint Augustin. Bossuet et Fénelon eux-mêmes sont aussi dissemblables que le jour et la nuit. Or la politique n'explique pas leurs différences. Ou plutôt leur diversité politique n'est que l'un des aspects d'une diversité plus essentielle. Remercions Dieu qu'ils n'aient pas songé à briser leur plume, à fermer leur bouche, à masquer leur visage* (...) ([^21]). « *Beaucoup de chrétiens n'osent pas croire que l'alliance de l'unité et de la diversité soit possible dans l'Église. Ils ressemblent à dès enfants doutant que la mer puisse les porter et préférant jouer sur le sable, contenir l'eau derrière de petites digues que les vagues effaceront. Peut-être confondent-ils la paix de Dieu avec une douceur sensible. Ils paraissent oublier que nous ne cesserons jamais de nous déchirer les mains aux taillis* (...). *Un chrétien qui juge, un chrétien qui tranche, un chrétien qui cherche passent à leurs yeux pour des chrétiens suspects.* » Les différences entre chrétiens sont toutefois de plusieurs sortes. Elles ne sont pas toutes nécessaires, profitables, légitimes. La différence entre saint Thomas et saint Bonaventure n'est ni du même degré ni surtout de la même nature que la différence entre Luther et saint Ignace. La différence entre Bossuet et Fénelon n'est nullement assimilable à la différence entre le P. Loew et le P. Montuclard. Parmi les « différences » il en est de souhaitables ; il en est aussi de surmontables, qui résultent de malentendus, de passions, d'incompréhensions. Enfin, et surtout, l'alternative unique n'est pas d'enregistrer passivement les différences ou de les écraser au laminoir. On peut aussi les explorer, les confronter, les réduire. Toute « différence » entre chrétiens n'est pas automatiquement « complémentarité ». 71:47 Aux premiers siècles de l'Église, des chrétiens *différents* tenaient que Jésus-Christ était Homme et non Dieu, ou bien Dieu et non Homme. Aucune apologie de la « diversité » et du « pluralisme » ne peut légitimer une désunité de cette sorte. Or il s'agirait de savoir si, d'une manière moins évidente, plus subtile, certaines de nos différences (non pas toutes) en matière dite « sociale » ne sont pas d'une sorte analogue. Et si par exemple une certaine conception profane du sens de l'histoire n'est pas aussi incompatible avec le sens chrétien de l'histoire que les négations anciennes concernant le Christ étaient incompatibles avec la religion chrétienne. L'arianisme était une idéologie d' « inspiration chrétienne » en ce sens qu'Arius était un prêtre de l'Église d'Alexandrie, qu'il admettait la perfection humaine de Jésus-Christ : mais il niait sa divinité. Cette « différence » n'était ni légitime ni bénéfique. Il existe en notre temps des « différences » entre chrétiens qui sont aussi gravement inacceptables, encore qu'elles ne portent plus directement sur le dogme, mais sur ses conséquences. (Il ne faut pas les mélanger et les confondre avec les différences légitimes qui distinguent la spiritualité franciscaine de la spiritualité jésuite, la théologie scolastique de l'illumination mystique, -- ou qui, à un autre niveau, séparent les partisans de l'intégration ou de l'association, en Europe ou en Algérie). Le sens marxiste de l'histoire et le sens chrétien de l'histoire ont entre eux la même opposition que celle qui existe entre croire et ne pas croire à la divinité de Jésus-Christ. Il est assez préoccupant de voir se prolonger la passivité intellectuelle et spirituelle, politique et sociale de beaucoup de chrétiens en face de la pénétration communiste. La non-résistance, l'atonie, la distraction, -- et les illusions, et l'ignorance des réalités soviétiques, -- ne sont pas une simple « diversité ». De plus, il existe entre chrétiens des « différences » dont on ne sait pas très bien jusqu'où elles vont ni dans quelle catégorie elles rentrent, Par exemple, la différence fondamentale qui nous oppose à Robert de Montvallon, et qui concerne la dernière phrase de la citation suivante : « *Ce siècle refait de nous des pèlerins. Le pèlerin : telle est aujourd'hui notre vraie figure. Nous renouons une ancienne tradition. Mais nous n'allons plus à Compostelle. Nous ne faisons plus de pèlerinages à l'intérieur de la chrétienté. C'est le monde entier qui s'est mis en marche et le peuple chrétien qui l'accompagne.* » Nous pensons au contraire que c'est le peuple chrétien qui s'est mis en marche, voici deux mille ans ; et que c'est le monde qui, plus ou moins, tant mieux ou tant pis pour lui, l'accompagne ou ne l'accompagne pas. Et en marche vers quoi, sinon vers *l'unité perdue à retrouver,* selon la vocation de l'homme et le dessein rédempteur de Dieu... « Qu'ils soient un comme toi et moi, Père... » « Un seul troupeau et un seul pasteur. » \*\*\* 72:47 *Différence,* donc, qui nous sépare de Robert de Montvallon. Quelle différence ? Différence d'expression. Querelle de mots. Chinoiserie verbale. Aucune importance. Mais faisons attention. Beaucoup d'esprits aujourd'hui, du moment que l'on ne nie pas explicitement la présence réelle dans l'Eucharistie ou la trinité des Personnes divines, négligent et méprisent comme « querelle de mots » tout ce qui est désaccord dans les pensées. La sensibilité doctrinale s'est considérablement émoussée parmi les catholiques. Elle s'émousse ainsi à certaines époques. Les résultats n'en sont pas merveilleux. On perdit trop de temps à croire que Luther ne faisait qu'une querelle de mots, ou qu'une querelle de moines. Différence d'attitudes ? On entendra peut-être que Robert de Montvallon met l'accent sur l'attention compréhensive à l'égard de toutes les nouveautés de l'histoire profane, tandis que nous-même, conservateur borné, comme chacun sait, préférons nous tenir enfermé dans le ghetto de nos sécurités dogmatiques. On nous concèdera alors avec indulgence que notre attitude « n'est pas entièrement illégitime » et qu'elle peut à la rigueur être tolérée et coexister avec l'attitude éclairée, intelligente et méritante de Robert de Montvallon. On pourra même emprunter à Robert de Montvallon la manière de l'exprimer, et dire avec lui : « Il y aura toujours des catholiques pour défendre l'intégrité de la doctrine au risque de lier la foi aux événements du passé. Il y aura toujours des propriétaires et des aventuriers, des prudents (qui seront parfois des hommes intérieurs) et des audacieux (qui seront peut-être des prophètes). L'esprit conservateur a sa place dans l'Église, pourvu qu'il mette un frein à ses ardeurs. » (*Témoignage chrétien,* 8 juillet.) Si la différence entre nous est celle-là, ou si du moins elle est de cette nature et de cet ordre, elle appartient aux diversités possibles, souhaitables, complémentaires. Robert ne Montvallon a le beau rôle, le beau risque, le panache, l'intelligence ; nous avons le reste. Il est un peu gênant que son esprit libéral (je veux dire, au sens étymologique, généreux) accepte la coexistence avec ceux qu'il appelle les conservateurs seulement à la condition qu'il puisse leur mettre en somme un bonnet d'âne. Merci quand même. Mais la différence peut être d'une autre nature encore. Non pas dans les mots. Non pas dans l'attitude psychologique. Dans la pensée. Et plus encore : dans la manière de vivre la foi et de vivre de la foi. Au risque de grossir le trait, essayons de marquer où il passe. Nous voyons beaucoup de théoriciens professer en substance que le monde « s'est mis en marche » (comme s'il était resté immobile jusqu'à l'apparition du marxisme, ou d'Einstein, ou de leurs propres personnes) et que l'Église doit maintenant se mettre en mesure de « l'accompagner ». S'ils veulent dire tout simplement (mais pourquoi ne le disent-ils pas simplement ?) que les chrétiens doivent être attentifs à une certaine « accélération de l'histoire », signalée et nommée d'ailleurs par un « conservateur », Daniel Halévy, et parler au monde un langage qu'il puisse entendre : qu'ils doivent comprendre les aspirations profanes de leur temps, apercevoir ce qu'elles ont de légitime, y répondre en esprit et en vérité, en intention et en réalité : alors, tout borné que nous soyons, nous en sommes d'accord, et même c'est à cela que nous travaillons. 73:47 Mais, quelles que soient les aspirations du « monde qui s'est mis en marche » de quelque manière qu'on les retourne et qu'on les considère, nous croyons et nous professons que ces aspirations traduisent ou trahissent plus ou moins, en dernière analyse, l'aspiration fondamentale du monde pécheur à une rédemption qu'il ignore et que néanmoins, confusément, il appelle ; l'aspiration obscure du monde divisé à l'unité du Corps mystique. Quel que soit le langage qu'il convienne de tenir (et, en tant que langage, nous n'en récusons aucun a priori), nous croyons que *la chose à dire,* à faire comprendre, à faire passer, par la parole et par le témoignage, par l'explication et par l'engagement, c'est que la « marche du monde » est illusion et néant, et qu'elle ne va nulle part, quand elle chemine hors de la loi naturelle et hors de la loi du Christ. Le peuple chrétien seul est véritablement en marche, même quand semble immobile. L'Église seule est véritablement en marche, même quand elle paraît dormir. Et si l'Église n'est pas de son temps, c'est que, comme nous l'affirmons dans la « Déclaration fondamentale de la revue *Itinéraires,* elle est du temps à venir, elle nous y devance et nous y appelle les agitations du monde en marche ont infiniment moins de réalité, -- et j'entends bien de réalité même *historique,* que la marche, souvent invisible à l'œil nu, du peuple chrétien. Je ne nie pas l'importance effective de personnages comme le cardinal de Richelieu ou comme Napoléon III mais je dis que leur influence réelle dans *l'histoire* même de la France n'est pas plus grande que celle de saint Vincent de Paul et de sainte Bernadette. Il est presque facile aujourd'hui de s'en apercevoir. Mais les contemporains ne discernaient guère. Et de même en « ce siècle » ... J. M. ============== ### Un livre à lire : celui de l'agronome André Voisin Les grands agronomes vivent généralement... aux champs. Ils sont connus du monde entier... dans les champs ; mais leur nom même est ignoré des citadins qui jouissent sans reconnaissance du résultat de leurs travaux. C'est le cas de M. André Voisin, dont nous recommandons vivement le dernier livre : *Sol, Herbe, Cancer* (Librairie de la Maison rustique), qui est son principal ouvrage avec *La Productivité de l'herbe* (Flammarion). 74:47 M. André Voisin cultive en Normandie (Arques-la-Bataille) le domaine familial ; il est ancien élève de l'École supérieure de Physique et Chimie, membre de l'Académie d'Agriculture et chargé d'enseignement à l'École vétérinaire d'Alfort. Surtout, il est un esprit puissant qui fait la synthèse d'une multitude d'observations éparses dont les chercheurs eux-mêmes ne voient pas la portée générale. Son livre *Sol, Herbe, Cancer* indique les limites de l'analyse chimique habituelle et expose comment l'étude physiologique de l'herbe, des animaux (et de l'homme) peuvent aider à la compléter ; quelle est l'importance des micro-éléments du sol comme le cuivre ou la magnésie ; et comment le développement de certaines maladies actuelles, telles que le cancer, peut avoir pour cause les carences du sol et de l'alimentation. Ces carences, qui peuvent être naturelles, ont été amplifiées par l'emploi *désordonné* d'engrais chimiques d'une composition trop rudimentaire. Il nous souvient de l'observation d'un autre agriculteur point savant mais très observateur, Aug. Villain ; il nous disait : lorsqu'un médecin ordonne à un malade de changer d'air il le fait aussi changer de sol ; les aliments qui poussent sur ce sol n'ont plus la même composition et ce peut être là l'essentiel de la cure. Le livre d'André Voisin intéresse tous ceux qui ont le goût des idées générales, tous les chercheurs et tous les médecins. Nous ajouterons deux observations. On traite l'imagination de « maîtresse d'erreur et de fausseté ». Cependant l'imagination est aussi indispensable au savant et au philosophe qu'à l'artiste. Il faut imaginer des rapports avant de les vérifier. Ce livre est un témoignage en faveur de l'imagination et même de la nécessité de son emploi. Les gens qui n'en ont pas ne peuvent être ni philosophes, ni savants, ni artistes. L'autre observation est moins consolante. André Voisin cite une multitude d'expériences faites par les chercheurs de différents pays. Il y a des travaux allemands, anglais, américains bien entendu, mais aussi néo-zélandais, australiens, japonais, canadiens, nordiques. Les travaux français sont extrêmement rares dans la bibliographie. Peut-être nos spécialistes n'ont-ils pas les moyens matériels, peut-être n'ont-ils pas cet esprit de recherche, ou bien est-il mal orienté. L'une et l'autre cause sont les conséquences de l'absence de liberté dans notre enseignement supérieur et de sa direction administrative. Henri CHARLIER. ============== ### « Thomisme et progressisme » Sous ce titre, dans le numéro d'avril-juin 1960 de la *Revue thomiste,* paru en septembre, le Père M.-J. Nicolas répond en termes vifs aux critiques que lui adresse le Père Fessard dans le second tome de son ouvrage : *De l'actualité historique.* 75:47 Cette première réponse n'aborde pas vraiment encore les problèmes de fond. Le P. Nicolas proteste avec « indignation » contre « l'énormité et l'invraisemblance de ces attaques ». Puis il maintient intégralement et sa position et sa formulation, qu'il reproduit et paraphrase. Il s'agissait de la philosophie marxiste de l'histoire. Tout en déclarant qu'il s'opposait à Marx « sur le terrain même de l'interprétation de l'histoire » le P. Nicolas avait précisé, et répète : « *Une telle philosophie de l'histoire peut fort bien être intégrée dans une* « *vue du monde* » *chrétienne : et ce n'est pas* DU PUR POINT DE VUE DE LA FOI *qu'on pourrait la rejeter.* » Maintenant donc sa position, et ses termes mêmes, le P. Nicolas s'attache à souligner que, sur le plan de l'histoire et de la sociologie, il n'approuve pas les idées marxistes. Tout se passe comme s'il avait compris qu'il en était soupçonné : d'où, sans doute, son « indignation » contre ce qui lui paraît constituer des « attaques » d'une manifeste « énormité et invraisemblance ». \*\*\* Mais l'essentiel de la critique du P. Fessard (sauf erreur de notre part) était en substance ceci : oui, vous rejetez la philosophie marxiste de l'histoire au nom de l'opinion personnelle qui est la vôtre « sur le terrain même de l'interprétation de l'histoire » ; mais, en déclarant que cette philosophie marxiste de l'histoire NE PEUT ÊTRE REFUSÉE DU PUR POINT DE VUE DE LA FOI, vous affirmez comme allant de soi ce qui précisément fait question. Et vous ouvrez une porte au progressisme. Car le progressisme ne se sent nullement atteint par l'opinion personnelle du P. Nicolas sur l'interprétation de l'histoire. En revanche le progressisme (au sens que nous nous sommes attaché à définir avec précision, voir notamment *Itinéraires,* n° 43, pages 24-26, texte reproduit dans notre *Manifeste pour une Résistance catholique,* pages 22-24), -- le progressisme en revanche, disons-nous, trouve un avantage décisif à ce qu'un théologien tel que le P. Nicolas certifie, en tant que théologien, dans une « chronique théologique », que la foi chrétienne n'est pas incompatible avec le sens marxiste de l'histoire. Car enfin la question est de savoir si cette philosophie de l'histoire *contredit seulement les opinions personnelles* du P. Nicolas sur l'histoire, ou si elle *contredit la foi chrétienne :* de savoir si oui ou non le sens marxiste de l'histoire est incompatible avec le sens chrétien de l'histoire. Il ne semble pas que le P. Nicolas ait aperçu où se situent exactement l'intérêt et la force de la critique du P. Fessard. Il s'indigne comme s'il avait été accusé en somme de nourrir secrètement une opinion personnelle crypto-marxiste sur le terrain, supposé profane, de l'histoire et de la sociologie. Or cela n'intéresse personne, pas même le P. Fessard, si nous comprenons bien. D'autant plus que le P. Nicolas n'est ni sociologue ni historien : ce qui ne lui interdit certes pas, cela va sans dire, d'avoir des opinions en de telles matières. Mais enfin le P. Nicolas est théologien, il écrivait une chronique théologique, et la seule chose qui soit fondamentalement en question est de savoir si, au jugement du théologien, la philosophie marxiste de l'histoire est conforme, indifférente ou contraire à la foi chrétienne. 76:47 Quand le théologien déclare que « du pur point de vue de la foi » il n'a rien à opposer à la philosophie marxiste de l'histoire, il s'ensuit, ou au moins, il risque fortement de s'ensuivre que le refus de cette philosophie serait donc une OPTION LIBRE, parfaitement permise, et qui se trouve d'ailleurs être l'option du P. Nicolas lui-même, mais rien de plus qu'une option facultative, et sans plus de valeur que l'option inverse. En ne concèdent même pas que sa formulation ait pu être équivoque, en la maintenant au contraire et en la réaffirmant telle quelle comme exprimant exactement sa pensée, le P. Nicolas confirme qu'il s'établit dans une position dont il doit bien comprendre qu'elle n'est ni évidente par-soi, ni incontestable. Que l'un des auteurs les plus éminents, que l'un des théologiens les plus légitimement réputés et appréciés de la *Revue thomiste* soutienne une telle position et une telle formulation, cela constitue un fait intellectuel d'une importance manifeste, sur lequel nous avons l'intention et nous aurons l'occasion de revenir quant au fond. \*\*\* Le P. Nicolas assure qu'en tout cela le P. Fessard semble chercher surtout à « prouver que le thomisme ne peut réfuter le marxisme ». C'est bien possible. Remarquons seulement que, à plus forte raison s'il en est ainsi, c'est alors une mise à l'épreuve, critique et philosophique, du thomisme ; une occasion pour lui de montrer sa force. Dans la mesure même où nous avons trouvé que l'école thomiste française était un peu trop passive en face des problèmes posés par le marxisme, la sorte de défi (si l'on peut dire) que lui lance le P. Fessard devrait susciter des travaux sur ce point, -- et donc un heureux résultat. Mais « réfuter le marxisme » qu'est-ce à dire ? Il faut, croyons-nous, distinguer. Au sens le plus immédiat, réfuter le marxisme, c'est prouver que Dieu existe, que l'âme est immortelle, que la contemplation a le primat sur l'action, que la contradiction n'est pas dans *l'essence* des choses et des êtres, etc. Nous ne pensons pas que ce soit la vraie question : Déjà en 1937, Pie XI disait au § 15 de *Divini Redemptoris* que LE MARXISME est une doctrine réfutée, dépassée, périmée « depuis longtemps » et que néanmoins LE COMMUNISME continue d'avancer. Ce n'est donc pas un problème doctrinal, mais pratique : ou, pour parler rigoureusement, ce n'est pas un problème métaphysique, c'est un problème de philosophie morale « spéculativement pratique ». Le marxisme est d'une grossièreté métaphysique et *physique* (au sens aristotélicien du terme) qui ne soulève aucune difficulté pour les thomistes. Mais cette philosophie si courte a une efficacité sociologique extraordinaire. Savoir si cette efficacité lui est intrinsèque ou si elle l'a reçue du dehors n'est que le premier des singuliers problèmes que LE COMMUNISME pose à la philosophie morale, au chapitre de la philosophie de l'histoire et de la philosophie sociale. 77:47 Ce qui est vraiment en question, -- et le P. Fessard se serait-il trompé sur toute la ligne, il garderait au moins, en tout état de cause, le mérite d'avoir soulevé avec force cette vraie question, -- c'est le silence presque complet du thomisme contemporain en face des réalités sociales que LE COMMUNISME met en jeu. Ce n'est pas une question de sociologie profane, extérieure au « pur point de vue de la foi ». C'est une question de PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE. C'est une question de *christiana philosophia socialis.* (Il nous semble même que c'est en outre une question THÉOLOGIQUE, dans la mesure où il existe une *théologie de l'histoire* au sens où en parle Mgr Charles Journet dans son *Introduction à la théologie*)*.* Le thomisme contemporain aura-t-il la fécondité de formuler actuellement une philosophie sociale, et une philosophie sociale qui n'ignore point, mais éclaire, explique et juge le phénomène communiste ? Nous disons bien le phénomène communiste, socialement réel, historiquement en progrès, psychologiquement puissant, -- le phénomène communiste et non pas seulement la « doctrine marxiste ». Les représentants les plus éminents, les plus qualifiés, les plus dignes de confiance du thomisme français tournent autour de la question sans l'aborder. Il se peut que ce soit affaire de vocations personnelles : c'est-à-dire qu'ils aient tous vocation métaphysique ou physique, et aucunement vocation de philosophes sociaux. Il n'y aurait nul reproche à leur en faire. En ce cas toutefois il vaudrait mieux qu'ils n'énoncent rien dans un domaine qui serait alors étranger à leurs travaux et à leur compétence, plutôt que d'énoncer la proposition selon laquelle la philosophie marxiste de l'histoire n'est pas contraire au « pur point de vue de la foi ». Une telle proposition sera tenue pour inadéquate et équivoque par tout philosophe social avant étudié ces questions à la lumière de ce que les Papes nomment la *christiana philosophia socialis.* \*\*\* Nous aurons, disons-nous, l'occasion d'y revenir : quand la *Revue thomiste* aura elle-même abordé la question au fond, ce qu'elle n'a point encore fait. Mais le P. Nicolas annonce que, dans des numéros ultérieurs, paraîtront une critique philosophique du livre du P. Fessard, et une étude « du problème général du thomisme et de *l'historique* ». Par déférence pour la *Revue thomiste,* qui est directement mise en cause, nous ne voulons aborder nous-même les problèmes de fond soulevés par le livre du P. Fessard qu'après qu'elle l'aura fait. C'est à elle indubitablement qu'il revient de parler la première. La *Revue thomiste,* fondée en 1893, publiée par l'École dominicaine de théologie de Toulouse, est une vénérable personne morale, nous le disons sans ironie aucune. Intellectuellement nous lui devons beaucoup. Les travaux qu'elle publie sont dans l'ensemble tout à fait hors de pair. Ces dernières années, elle ne nous paraît pas avoir beaucoup étudié les problèmes qu'a soulevés le P. Fessard. Voici l'occasion de les mettre en chantier. Ce qu'elle va enfin en dire sera reçu ici avec la plus vive, la plus déférente, la plus sympathique mais aussi la plus exigeante attention. J. M. 78:47 ### Notules diverses - LE LIVRET DE L'ESPÉRANCE*. --* *Peut-être l'ouvrage le plus* ACTUEL *qu'il nous aura été donné de lire cette année. Il n'a que* 92 *pages : mais il est vrai qu'on s'y attarde, et qu'on le relit. C'est le Saint Martin d'Edith Delamare, aux Éditions Mame. Écrit avec beaucoup de science et de finesse, il nous montre que si les temps changent, la substance des choses ne change guère. Les jours que nous vivons sont fort semblables à ceux que vécut Martin, dans la seconde moitié du* IV^e^ *siècle. Pour la fête de saint Martin, qui est le* 11 *novembre, on se procurera ce petit livre, et l'on y trouvera l'une des figures du seul secret : vivre le temps présent dans la lumière de la sainte Espérance.* \*\*\* - MORALE CIVIQUE ET SOCIALE*. --* *L'Abbé Gaston Lecordier, inspecteur de l'enseignement social dans les Écoles professionnelles libres, ancien aumônier du Secrétariat social du diocèse de Paris, a publié chez Bloud et Gay, en édition scolaire, les premiers volumes d'une* Morale civique et sociale *: deux* «* livres de l'élève *» *et un* «* livre du maître *». *Ces volumes, publiés dans la collection des manuels de l'enseignement technique, sont destinés aux élèves et aux maîtres de l'Enseignement technique, commercial, ménager, rural. Ils s'adressent aussi aux Secrétariat sociaux, aux mouvements de jeunesse, aux animateurs de paroisses, aux professeurs de collèges secondaires et primaires.* *L'auteur a suivi le programme officiel de morale des Centres d'apprentissage, des Collèges techniques et des Écoles de cadres, en le traitant à la lumière de l'Évangile et de la doctrine sociale de l'Église.* *Les volumes parus traitent du sens professionnel, humain, social ; et du sens familial, féminin, collectif. Les volumes à paraître traiteront du sens communautaire, du sens économique, du sens civique et du sens international.* \*\*\* - UNE NOUVELLE CONDAMNATION SOLENNELLE DU COMMUNISME ? -- *L'hebdomadaire* Témoignage chrétien *a fait une enquête auprès de ses lecteurs sur ce thème : Qu'attendez-vous du Concile *? *Plusieurs des réponses* « *abordent le problème, soulevé à plusieurs reprises par* L'Osservatore romano, *d'une éventuelle condamnation réitérée solennellement contre le communisme* ». *Ces lecteurs* « *souhaitent que celle-ci* (...) *ait un caractère plus positif que négatif et qu'elle distingue les réalisations économiques et sociales d'avec les doctrines matérialistes que la foi condamne* ». *Il est possible et peut-être souhaitable que le Concile renouvelle une telle condamnation. Mais on peut demander à quoi elle servira, si l'enseignement et la presse catholiques en laissent* IGNORER LE CONTENU, *et précisément* LE CONTENU POSITIF, *comme il est de fait que l'on a trop souvent laissé ignorer au public catholique le contenu* POSITIF, *le contenu* VÉRITABLE *de l'Encyclique* Divini Redemptoris *sur le communisme athée.* 79:47 *Que sait-on* en *effet de cette Encyclique *? *La plupart du temps,* RIEN DU TOUT. *Premièrement, on en parle fort peu. Secondement, quand on en parte malgré tout, c'est pour dire* « *L'Église a condamné le communisme par l'Encyclique* Divini Redemptoris ». *Or une telle assertion est entièrement fausse. L'Encyclique* RAPPELLE, *en ses paragraphe* 4 *et* 5, *que : l'Église a condamné maintes fois le communisme. Quant à* *elle, elle s'occupe d'autre chose que de* « *condamner* ». *De quoi donc *? *Eh ! bien, qu'on la lise, qu'on l'étudie enfin !* *Les lecteurs de* Témoignage chrétien *demandent deux choses : que la condamnation soit plus positive que négative ; qu'elle fasse les distinctions nécessaires. Or :* 1. -- *L'Encyclique* Divini Redemptoris, *méconnue, ignorée, méprisée de confiance, est un document* POSITIF. *Elle comporte* 24 *paragraphes seulement consacrés à la doctrine et à la pratique communistes :* *et elle en comporte plus de* 50 *pour énoncer les tâches positives du chrétien dans un monde menacé par le communisme. Elle est le document* où *l'Église a donné* « la définition la plus complète » *de la* JUSTICE SOCIALE (*cette remarque est formulée très justement par les PP. Calvez et Perrin dans leur livre :* Église et société économique, *page* 201). *En outre, l'Encyclique Divini Redemptoris est celle où le Saint-Siège a donné les consignes les plus positives et les plus audacieuses qu'il ait jamais formulées en matière* d'APOSTOLAT OUVRIER. *Mais qui le voit *? *Qui le dit ? Qui s'en inspire ? Qui en parle ?* 2. -- *Quant à faire des distinctions, l'Encyclique* Divini Redemptoris *les multiplie, Elle ne se contente pas de la distinction sommaire et insuffisante qui mettrait d'une part la doctrine matérialiste, d'autre part les réalisations économiques. Ce n'est pas si simple. Elle distingue avec précision entre la doctrine et la pratique ; entre les communistes fauteurs du mensonge, entre ceux qui en sont les victimes séduites, et entre ceux qui le subissent contre leur gré. Dans les réalisations économiques, elle distingue les résultats* (*certains sont contre nature, d'autres sont réels*)*, le prix payé, les moyens employés, le but poursuivi. Et bien d'autres choses encore...* *Il est indiciblement navrant que la plupart n'en sachent rien, même des intellectuels, même des clercs... On comprendrait cette ignorance s'il s'agissait d'un problème inactuel. Mais le communisme, tout le monde en parle : à tort et à travers, et en réclamant de l'Église, comme si elle* ne *l'avait jamais fait, ce que précisément elle a fait.* *Le Concile, s'il envisage cette question, se trouvera surtout devant un problème pratique : beaucoup de fidèles de bonne volonté, et même des pasteurs d'âmes animés d'un grand zèle, sans parler des* « *intellectuels catholiques* » *et des journalistes chrétiens, méconnaissent radicalement* LA VÉRITABLE PENSÉE DE L'ÉGLISE SUR LE COMMUNISME, *pensée exprimée dans* Divini Redemptoris *et* si *souvent réaffirmée, expliquée, commentée par Pie XII. Beaucoup imaginent que l'Église s'est cantonnée dans une condamnation sommaire, alors que* ce *sont eux-mêmes qui ont sur ce sujet une pensée extrêmement sommaire, tandis que les documents pontificaux exposent une pensée profonde, positive, détaillée, nuancée.* 80:47 *Peut-être le Concile estimera-t-il opportun d'expliciter davantage l'attitude de l'Église au regard de cette réalité redoutable qu'est* LA PRATIQUE DE LA DIALECTIQUE *par l'appareil communisme, et* de *réfuter certains sophismes fabriqués surtout depuis* 1945 *pour faire croire qu'il y aurait des cas où l'action politique du Parti communisme pourrait rechercher des* « *objectifs légitimes* » *par des* « *moyens licites* » *permettant une* « *collaboration limitée* » : *encore que ces questions aient été traitées par Pie XI, notamment aux paragraphes* 57 *et* 58 *de* Divini Redemptoris. *Mais ces paragraphes sont susceptibles de donner lieu à des développements circonstanciés. Peut-être aussi n'en sera-t-il aucunement question. Car enfin nous ne savons* « ni *le jour* ni *l'heure* ». *La conversion de la Russie viendra. Au siècle prochain. Ou avant le Concile. Nul ne pourrait le dire.* 81:47 ### Ô mort, où est ta victoire ? LE MOIS DE NOVEMBRE nous rappelle la pensée de tous les saints, de ceux qui sont au Ciel et de ceux aussi qui sont au Purgatoire pour quelque dette arriérée mais sont aussi des saints. Car il n'y a pas de milieu. C'est une nécessité de devenir des saints, sans cela point de Ciel. Mais il faut absolument être sans tache, le psaume 14 le dit : « Seigneur, qui habitera dans ton temple, qui reposera sur ta sainte montagne ? Celui qui marche *sans tache* et opère la justice. » Aussi beaucoup de nos défunts ont besoin de nos prières, et nous ne savons lesquels ; tel qui nous paraît saint en aurait davantage besoin que telle pauvrette humble en tout, en intelligence, en langage, en habits, en pensée. Le mieux est de confier à la Très Sainte Vierge le soin de choisir à qui doivent profiter nos prières. Elle est préordonnée à être l'intermédiaire entre la nature humaine et la source des miséricordes. Nul doute que notre confiance en elle profite par nos prières aux défunts que nous aimons, car c'est une grande chose de se maintenir dans l'ordre de la foi, dans l'ordonnance des hiérarchies célestes, dans le mouvement de la grâce et l'éternité des vues divines. Or un décret divin a fait passer par la médiation de Marie le salut de tous les hommes. 82:47 MAIS C'EST MOINS CE SUJET que celui de la mort elle-même qui nous attire aujourd'hui. Sujet peu recherché d'habitude, bien qu'il SOIT LE LIEU PRIVILÉGIÉ DE LA VERTU D'ESPÉRANCE. La faute d'Adam nous a réduits à la condition de tous les animaux qui est de mourir. Mais le Verbe Éternel a pris notre nature ; il s'est fait homme, et si vraiment homme qu'il est mort comme tous les hommes depuis Adam. Mais il a vaincu la mort : « *Il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures *; *il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore maintenant, mais quelques-uns sont morts ; puis Il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Et en dernier de tous comme à l'avorton, il est apparu aussi à moi.* » Ainsi parle saint Paul dans la première épître aux Corinthiens. « *Le premier homme est de la terre, terrestre *; *le second est du ciel... et de même que nous avons porté l'image du terrestre, nous porterons aussi l'image du céleste.* » C'est pour cette nouvelle création que Jésus est venu sur la terre ; Il nous incorpore à lui pour nous faire triompher de la mort. Et saint Paul s'écrie : « Ô mort où est ta victoire, ô mort où est ton aiguillon ? » Mais il est certain que la mort naturelle partagée avec les bêtes est si effrayante pour la plupart des hommes qu'ils préfèrent n'y pas penser ; il est certain que la mort est un état violent pour la nature, un état violent pour l'âme elle-même qui est créée pour ce corps qu'elle est chargée d'informer et dont elle est séparée pour un temps. Nous allions dire brusquement séparée. Mais non ; elle n'est brusquement séparée que pour ceux qui refusent d'y penser, qui s'étourdissent et se distraient pour n'y point songer. « Le roi est environné, dit Pascal, de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi et à l'empêcher de penser à lui ; car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense. » Et Néarque, en souvenir du jardin des Olives, pouvait dire à Polyeucte : « Dieu même a craint la mort. » L'Église n'ignore pas cette défaillance naturelle à l'homme devant sa destinée terrestre. Et elle ne la minimise point. L'office des morts commence par un long témoignage des Juifs inspirés qui exposent les sentiments des hommes vivant sous la loi naturelle, avec l'espérance d'un Messie, *mais sans Lui.* C'est en quelque sorte l'histoire de l'humanité et de la révélation qui est rappelée ici, histoire fort utile à notre présente faiblesse. 83:47 Et c'est pourquoi l'Église n'hésite pas à montrer avec tant de force l'angoisse de la nature devant la mort. Car elle a le remède : l'office se termine par la Sainte Messe qui est par excellence l'action efficace pour les âmes auxquelles on l'applique. Elle efface selon le vouloir divin les dernières conséquences des péchés pardonnés. Cette messe est pleine de chants d'espérance ; nous nous souvenons avoir lu un article de revue où on faisait état du défaut de psychologie des hommes du Moyen Age ; on donnait comme exemple que le graduel de la messe de mariage (*que ton épouse soit comme une vigne abondante sur les flancs de ta maison, que tes fils...*) avait la même mélodie que celui de la messe des morts (*donne leur le repos éternel ; le juste sera en éternelle mémoire...*) Ce critique bien intentionné n'avait pas perçu que dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait d'éternité et que ces deux graduels étaient un chant d'espérance. Reprenons ces textes antiques où le roi David et le saint homme Job dévoilent le véridique état de la nature humaine : « *Les douleurs de la mort m'ont environné, les angoisses de l'enfer m'ont atteint. J'ai trouvé la tribulation et la douleur et j'ai invoqué le nom du Seigneur.* » (Ps. 14.) Et maintenant voici Job : « *Épargnez-moi Seigneur, car mes jours ne sont que néant. Qu'est-ce que l'homme pour que vous en fassiez tant de cas ? Et comment daignez-vous attirer l'attention sur lui ? ...* *Je vais bientôt dormir dans la poussière, et quand vous me chercherez le matin, je ne serai plus.* ... *Ce sont vos mains qui m'ont façonné, qui ont disposé toutes les parties de mon corps, et soudain vous me précipitez ainsi ? Souvenez-vous donc que vous m'avez fait comme un vase d'argile et qu'en poussière vous me ferez retourner. Ne m'avez-vous pas préparé comme du lait et caillé comme le fromage ?* ...*L'homme né de la femme vit peu de jours, et il est rassasié de misères. Comme la fleur il nait et périt ; il passe comme l'ombre et ne demeure jamais dans le même état. Et vous croyez qu'il soit digne de vous d'ouvrir les yeux sur lui, et de le faire entrer en jugement avec vous *? *Qui peut purifier celui qui est sorti d'une source impure *? *N'est-ce pas vous seul ?* ...*J'ai beau attendre, le séjour des morts est ma demeure ; dans la région ténébreuse j'ai déposé ma couche.* 84:47 *J'ai dit à la corruption : Vous êtes mon père ; et aux vers : Vous êtes ma sœur. Où est donc maintenant mon espérance ? Et qui est-ce qui considère ma patience ?* » Le problème que pose le livre de Job n'est pas expressément celui de la mort mais celui du mal, et la mort est un mal auquel se résignerait Job pour ne plus souffrir, injustement à ce qu'il lui semble. Dieu le fait participer mystérieusement à cette Croix à venir dont il devait prendre possession lui-même pour en faire l'étendard du Salut et Job se trouve être une figure du Christ souffrant. Par lequel, dit St Paul, « *le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde* ». Hélas, tous les hommes sauf les saints fuient la Croix ; il en est une cependant qu'ils ne peuvent refuser et c'est la mort. Pourtant ce que Job lui-même n'avait qu'en figure, nous l'avons en réalité ; les Juifs avec une faible lumière voyaient se dévoiler petit à petit chez les patriarches et les prophètes le sens des promesses faites à Abraham et à son descendant. Job ajoute : « *Je sais que mon rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour : je serai de nouveau revêtu de ma peau, et je verrai mon Dieu dans ma chair *; *je le verrai moi-même et non un autre, je le contemplerai de mes propres yeux. Telle est l'espérance que je conserve dans mon cœur.* » Nous savons que ce texte était obscur dès le temps des Septante, il suppose pourtant déjà la résurrection. Mais cette obscurité du texte ne vient-elle pas de l'extraordinaire révélation qu'elle contenait et dont l'auteur de Job fut étonné lui-même et encore plus les copistes ? NOUS NE FAISONS PAS suffisamment état de la vertu d'espérance. Elle est fille de la foi et doit nous faire vivre au ciel dès cette terre, et vivre en vue du ciel. Tous les avantages terrestres que nous pouvons désirer légitimement doivent être subordonnés à l'espérance du ciel. Il est bon et juste de vouloir établir convenablement ses enfants, mais si c'est pour mettre leur âme en danger, rendre plus difficile leur salut, il faut chercher pour eux un établissement plus modeste peut-être mais plus sûr pour leur âme. Ceci n'est qu'un exemple entre mille, car en fait, le choix se fait tous les jours à toute heure. 85:47 La vertu d'espérance a Dieu *pour* objet ; elle a sa Source en Dieu, c'est pourquoi on l'appelle théologale ; c'est elle qui nous fait envisager la mort en vue de Dieu, par Dieu, avec Dieu. Alors on peut dire comme le curé d'Ars dans un de ses Catéchismes : « *Le passage du bon chrétien éprouvé par l'affliction à l'autre vie est comme celui d'une personne que l'on transporte sur un lit de roses.* *Les épines suent le baume et la croix transpire la douceur. Mais il faut presser les épines dans ses mains, et serrer la croix sur son cœur pour qu'elles distillent le suc qu'elles contiennent.* ...*Il n'y a d'heureux en ce monde que ceux qui ont le calme de l'âme, au milieu des peines de la vie : ils goûtent la joie des enfants de Dieu... Toutes les peines sont douces quand on souffre en union avec Notre-Seigneur... Souffrir, qu'importe *? *Ce n'est qu'un moment. Si nous pouvions aller passer huit jours dans le ciel, nous comprendrions le prix de ce moment de souffrance. Nous ne trouverions pas de croix assez lourde, de souffrance assez amère... La croix est le don que Dieu a fait à ses amis.* » L'abbé Monnin raconte que le curé d'Ars a parlé souvent d'écrire un livre sur les *délices de la mort.* Il disait : « *Le cœur se porte vers ce qu'il aime le plus : l'orgueilleux vers les honneurs, l'avare vers les richesses *; *le vindicatif pense à sa vengeance, l'impudique à ses mauvais plaisirs. Mais le bon chrétien à quoi pense-t-il ? De quel côté se tournera son cœur ? Du côté du ciel où est son Dieu qui est son trésor.* » L'apôtre le dit : « Vous êtes ressuscités avec le Christ (par le baptême). Cherchez les choses d'en Haut, non celles de la terre. » Nous avons pour prendre et garder cette habitude, pour la nourrir et l'élever, l'aide des sacrements, et pour ce qui est de la préparation prochaine à la mort, le sacrement des malades en danger de mort, l'Extrême-Onction. Quelle fausse idée en ont d'habitude les chrétiens ! C'est une des plus grandes traîtrises du diable d'en faire peur alors qu'il est un des instruments les plus puissants du bonheur. Car ce sacrement a pour effet de détacher l'âme du monde, et d'effacer tous péchés : « Par cette sainte onction, que le Seigneur vous pardonne toutes les fautes que vous avez commises. » 86:47 Et St Thomas explique : « Parce que l'homme, soit négligence, soit multiplicité de ses occupations, soit même brièveté de la vie, ou pour toute autre cause de ce genre, n'arrive pas à se guérir complètement des défauts dont on a parlé plus haut, il a été pourvu de manière avantageuse à ce que cette guérison s'accomplisse par le moyen d'un sacrement et qu'ainsi l'on soit libéré du châtiment de la peine corporelle, au point qu'il ne reste rien qui puisse empêcher l'âme, lors de sa sortie du corps, d'atteindre la gloire. Aussi St Jacques ajoute-t-il : *Et le Seigneur le soulagera.* « Il arrive aussi que l'homme n'ait plus connaissance ou mémoire de tous les péchés qu'il a commis, et qu'il ne puisse plus les soumettre tous à la pénitence pour en être purifié. Il y a encore ces péchés quotidiens qu'on ne peut éviter en cette vie. De tous ces péchés, ce sacrement va purifier l'homme, lors de sa sortie d'ici-bas, si bien qu'il ne trouve rien en lui qui puisse faire obstacle à son entrée dans la gloire. St Jacques ajoute donc : *S'il est dans le péché, son péché lui sera remis.* « Il est donc manifeste que ce sacrement est le dernier et d'une certaine manière la consommation de toute la cure spirituelle qui prépare l'homme à entrer dans la gloire. D'où son nom *d'Extrême-Onction.* » La faiblesse de l'esprit de foi nous fait méconnaître la vertu des sacrements et nous empêche de profiter de la souveraine miséricorde de la Très Sainte Trinité. Cette faiblesse aboutit à refuser le ciel. Entrons maintenant dans la vie courante. NOUS NOUS SOMMES TROUVÉS réunis fortuitement par une ondée de printemps dans le couloir d'une maison où nous nous étions abrités. Il y avait là un jeune étranger de passage, père de trois tout petits enfants ; la fillette de la maison nous accueille, une enfant de quinze ans. Et la conversation s'engage. Le jeune homme dit : « Mais c'est vous qui avez quêté dimanche à la grand'messe ? » Oui, répond l'enfant ; et les voilà tous deux à parler du sermon du jour qui avait trait à l'Extrême-Onction. Tous deux l'appelaient curieusement le sacrement des morts ce qui prouve qu'ils avaient eu beaucoup à apprendre sur ce sacrement. C'est de leur science nouvelle qu'ils s'entretenaient ; le terme qu'ils employaient pour en parler était une habitude. Six jours après, l'enfant était morte presque subitement. Dans les quinze jours le jeune homme était tué dans un accident d'automobile... 87:47 Quelles obscures préparations de la grâce ! Un bon curé s'est fait un programme d'instructions sur les sacrements ; les dates sont incertaines car les grandes fêtes, et les circonstances exceptionnelles et imprévues, s'intercalent dans le plan général. Mais Dieu les connaît d'avance. Un jeune étranger qui doit mourir bientôt fait 450 kilomètres juste pour entendre un sermon sur l'Extrême-Onction ; une pluie providentielle le fait rencontrer avec une jeune fille, ils s'entretiennent tous deux de la mort et de sa préparation, et dans les quinze jours tous deux se retrouvent au tribunal de Dieu. Pour finir cette histoire je dirai que cette fillette, dévouée, généreuse, qui arrachait l'ouvrage des mains de sa mère, était l'unique fille parmi neuf enfants ; le lendemain de sa mort, devant le petit cadavre, sa mère nous disait : « Je souffre, oh je souffre ! Mais je suis heureuse de souffrir pour qu'elle soit plus vite en Paradis. » Citons encore le curé d'Ars : « *Si nous aimions Dieu, nous aimerions les croix, nous les désirerions, nous nous plairions en elles... Nous serions heureux de pouvoir souffrir pour l'amour de celui qui a bien voulu souffrir pour nous. De quoi nous plaignons-nous *? *Hélas, les pauvres infidèles, qui n'ont pas le bonheur de connaître Dieu et ses amabilités infinies, ont les mêmes croix que nous ; mais ils n'ont pas les mêmes consolations. Vous dites que c'est dur *? *Non, c'est doux, c'est consolant, c'est suave : c'est le bonheur ! ...* *Seulement, il faut aimer en souffrant, il faut souffrir en aimant.* » VOUS VOYEZ que ces merveilles de la grâce n'existent pas seulement dans la vie de quelques grands saints. Elles sont choses courantes, mais cachées ; les vraies richesses de notre monde, la gloire de l'humanité ; enfin sachez par cet exemple que notre mort à tous est préparée de toute éternité, préparée *amoureusement* par la Très Sainte Vierge que vous invoquez attentivement je suppose pour « l'heure de notre mort », par Notre-Seigneur qui désire notre béatitude et notre gloire, qui s'est fait l'un de nous pour mourir et nous incorporer à sa mort et à sa gloire. « Je me réjouis des paroles qui m'ont été dites : nous irons dans la maison du Seigneur. » D. MINIMUS. 88:47 ## DOCUMENTS ### L'œuvre de Marcel Clément *Quinze années d'un travail poursuivi dans la lumière de la foi et sous l'inspiration directe des enseignements de Pie XII. Le premier auteur laïc, en France, qui se soit aperçu de l'existence d'un tel enseignement, et le seul écrivain catholique pendant de longues années qui ait entrepris de méthodiquement le prendre au sérieux. Une vingtaine d'ouvrages, dont quelques-uns sont des traités magistraux, renouvelant entièrement l'état de la question, et dont aucun n'est indifférent ou inutile. Nous ne connaissons aucune œuvre sociale, en ces quinze dernières années, qui ait une dimension, une force, une profondeur comparables.* *Marcel Clément n'a pas quarante ans. Premier des sociologues de sa génération, il annonce et déjà réalise les voies nouvelles où, à sa suite, s'engage maintenant l'école française de sociologie chrétienne. Déclassant et périmant les routines intellectuelles de ceux qui considèrent comme actuel un socialisme à bout de course, hérité du* XIX^e^ *siècle, voici que s'ouvre une nouvelle époque de la pensée sociale en France, une pensée qui enfin laisse les morts ensevelir les morts, une pensée dynamique et réaliste, tournée vers l'avenir.* J. M. l. -- ESQUISSES POUR L'HOMME. Introduction à la politique de l'esprit. Jeanne d'Arc ou les trois images de la perfection. Michel-Ange l'homme de la Renaissance. Rembrandt l'homme de la nuit. Richelieu l'homme d'État. Louis XIV, l'homme-roi. J.S. Bach, l'homme de métier. Beethoven, l'homme de génie. Wagner l'homme de théâtre. Pasteur, l'homme de science. Ferdinand de Lesseps, l'homme de courage. Branly, l'homme de bien. Charles de Foucauld, l'homme de Dieu. Un volume de 393 pages, Éditions Marquis, 1945. Seconde édition chez le même éditeur en 1949. 89:47 2. -- SALAIRE ET RENDEMENT (en collaboration). Un volume de 236 pages. Presses Universitaires de France 1947. 3. -- ÉVALUATION DES DOMMAGES SUBIS PAR LA FRANCE ET L'UNION INDOCHINOISE. Part imputable au Japon. Institut de conjoncture. Saïgon 1947. 4. -- EXPLOITATION DE LA MAIN-D'ŒUVRE FRANÇAISE PAR L'ALLEMAGNE. Rapport au gouvernement. Imprimerie nationale, Paris 1948. 5. -- LES ENCYCLIQUES SONT-ELLES APPLICABLES ? Un volume de 210 pages. Éditions L. Belisle, Québec, 1949. 6. -- SCIENCES SOCIALES ET CATHOLICISME. Une brochure de 32 pages. Éditions de l'École sociale populaire, Montréal, 1949. 7. -- LE GRAND RETOUR. Un volume de 170 pages. Institut littéraire de Québec, 1950. 8. -- INTRODUCTION A LA DOCTRINE SOCIALE CATHOLIQUE. I. -- La doctrine sociologique de l'Église (la personne humaine, le mariage humain, la famille humaine). II. -- La doctrine économique de l'Église (les fonctions économiques, les organes économiques, les mécanismes économiques). III. -- La doctrine politique de l'Église (la communauté nationale, la communauté internationale). IV. -- La Cité de Dieu : politique de la bête, politique de l'esprit, corps social et Corps mystique. Éditions Fidès 1951. 90:47 9. -- I CHRISTIANI ALL'ALBA DI UN NUOVO MEZZO SECOLO. Éditions Christus, Tortona, Italie, 1952. 10. -- L'ÉCONOMIE SOCIALE SELON PIE XII. Tome I : *Synthèse doctrinale.* I. -- La crise contemporaine et la pensée économique. II. Méthodologie (le concept chrétien de l'économie sociale ; l'intervention de l'Église dans le domaine économique). III. -- Traité d'économie sociale (la conception de l'homme économique selon le droit naturel ; morphologie normale et pathologique de l'économie sociale ; les lois naturelles de l'équilibre économique). IV. -- L'apport du Pape Pie XII à l'économie sociale. Tome II : *Documents pontificaux.* Introduction : le Docteur de l'Ordre nouveau. Le Pape de l'Assomption. Le Pasteur Angélique. Choix des documents. Appareil critique. Texte des documents sociaux publiés par le Pape Pie XII ou sous son autorité directe de 1939 à 1953. Index analytique. Nouvelles Éditions Latines 1953. 11. -- LA JOIE D'AIMER. La joie de choisir. La joie de s'unir. La joie de Se connaître. La joie de se compléter. La joie de s'aimer. La joie d'aimer ensemble. Les dépassements de l'amour. Nouvelles Éditions Latines 1955. Trente-troisième édition revue, chez le même éditeur, en 1959. Un volume in-12 de 221 pages. 12. -- SCÈNES DE LA VIE SOCIALE. En collaboration avec Jean de Livonnière. I. -- *Sociologie générale* (la personne humaine, la dignité humaine, la société familiale, la société civile). II. -- *Économie* sociale (la vie économique, le travail, la propriété, le corps social, la crise sociale, l'équilibre économique). 91:47 III\. -- *Sociologie et économie rurales* (l'exploitation familiale ; la profession et l'État ; les services de la profession ; l'économie agricole en France ; le marché agricole ; agriculture et industrie). Un volume de 192 pages grand format. Illustrations de Roger Sam. Éditions du Centre Français de Sociologie, 1955. 13. -- LE CHEF D'ENTREPRISE. I. -- *La prudence politique du chef d'entreprise* (l'acquisition de l'autorité patronale ; l'exercice de l'autorité patronale ; le patron et les aspirations communautaires ; le patron et la promotion ouvrière ; paternité, patronat, paternalisme ; climat moral de l'entreprise ; vie intérieure du chef d'entreprise). II. -- *La prudence économique du chef d'entreprise* (l'entreprise privée dans l'économie sociale ; contrat de salariat et profit patronal ; problème moral de la production ; la publicité ; la liberté du commerce et le juste prix ; la détermination du juste salaire ; le chef d'entreprise et les progrès économiques). III. -- *La prudence sociale du chef d'entreprise* (l'entreprise source de vie ; communauté de vie ; le rôle de la femme du chef d'entreprise ; l'association patronale ; l'organisation professionnelle ; le chômage ; le chef d'entreprise et le bien commun). IV. -- *Documents pontificaux :* discours de Pie XII aux chefs d'entreprise. Un volume in-12 de 284 pages. Nouvelles Éditions Latines, 1956. 92:47 14. -- ENQUÊTE SUR LE NATIONALISME. Préface de Jean Madiran : *Nature et vocation.* Première partie. Réponses de Maurice Bardèche, Pierre Boutang, Henri Charlier, V.H. Debidour, A. de la Franquerie, Fabricius Dupont, André du Val, A. Frossard, René Gillouin, Benjamin Lejonne, Marie-Madeleine Martin, Henri Massis (avec une lettre inédite de Charles Maurras), Jean Paulhan, Henri Rambaud, Gustave Thibon, Michel Vivier. Commentaires de presse. Le vocabulaire de *l'Osservatore romano.* La thèse du chanoine Barthas. Seconde partie. Le positivisme en sciences sociales. I. -- Les sciences sociales sont-elles des sciences morales (existe-t-il une science positive des faits moraux ; les faits sociaux sont-ils des faits moraux ; physique sociale ou loi naturelle). II. -- Les origines intellectuelles de la division des catholiques de France (les origines positivistes du conflit ; le positivisme de droite ; le positivisme de gauche). III. -- Les conditions de l'unité des catholiques de France (les ressorts de l'opposition ; les mécanismes de l'opposition ; les conditions de la réunité). Troisième partie : les conclusions de l'enquête sur le nationalisme. Introduction : les lignes de fracture du monde moderne. I. Les exigences chrétiennes de la politique naturelle (1. -- définition de la société ; 2. -- la dignité humaine ; 3. -- famille, État, propriété ; 4. -- les corporations professionnelles ; 5. -- institutions naturelles et groupements historiques ; 6. -- la nation ; 7. -- la classe sociale ; 8. -- de la justice sociale ; 9. -- la société des États ; 10. -- l'apostasie politique ; 11. -- la corruption du droit naturel ; 12. -- le fondement du droit). II. -- La question du nationalisme (la vérité libère ; l'essence du nationalisme ; le bien commun sans Dieu dégénère en absolutisme ; la réforme des institutions n'est pas aussi urgente que celle des mœurs). III. -- Pie XII et la vocation de la France (la vocation des peuples ; la vocation de la France ; la tâche aujourd'hui). Conclusion générale : la résurrection chrétienne de la France. Un volume in-8 de 263 pages. Nouvelles Éditions Latines 1957. 93:47 15. -- LA CORPORATION PROFESSIONNELLE. La restauration de l'ordre social. *Principes de sociologie corporative* (le corps social ; le dynamisme du corps social ; signification sociologique du syndicalisme ; structures rurales et capitalisme industriel ; corporation et politique culturelle). *Principes de droit corporatif* (les fondements du droit corporatif ; la cause finale de la corporation ; la cause matérielle des corporations professionnelles ; la cause formelle de la corporation ; la cause efficiente : les actes corporatifs). Conclusion : Peut-il exister une économie corporative ? *Documents pontificaux* de Léon XIII, de Pie XI et de Pie XII. Un volume in-12 de 218 pages. Nouvelles Éditions Latines 1958. 16. -- LE SENS DE L'HISTOIRE. L'homme à la recherche d'une rédemption. La genèse de la démocratie moderne. La dialectique du « moral » et du « social ». Étapes vers le progressisme. Le communisme comme système social. Le droit naturel et la dignité humaine. Les idéologies contre le droit naturel. Les présupposés moraux de la restauration sociale. La dialectique du nécessaire et du possible. La fête chrétienne du travail. Méditation sur l'unité. Un volume in-12 de 219 pages. Nouvelles Éditions Latines 1958. 94:47 17. -- LA FEMME ET SA VOCATION. Le problème féminin. Le mystère féminin. La vie privée. La vie publique. Documents pontificaux (Pie XII). Un volume in-12 de 227 pages. Nouvelles Éditions Latines 1959. 18. -- CATÉCHISME DE SCIENCES SOCIALES, première partie. Un fascicule de 62 pages, premier des « Documents du Centre Français de Sociologie », Nouvelles Éditions Latines 1959. 19. -- LE COMMUNISME FACE A DIEU. I. -- *Le marxisme.* La philosophie marxiste : le matérialisme dialectique. La sociologie marxiste : le matérialisme historique. L'économie marxiste : la théorie de la plus-value. II. -- *Le léninisme.* La stratégie de la révolution : la dictature du prolétariat. L'instrument de la révolution : le parti des révolutionnaires professionnels. La tactique de la révolution : les alliances et les compromis. III. -- *La guerre révolutionnaire.* Les techniques psychologiques : la guerre subversive. La conquête du pouvoir. Deux mondes face à face. Conclusion : Les portes de l'enfer ne prévaudront pas. Un volume in-12 de 188 pages, Nouvelles Éditions Latines 1960. 95:47 R.P. CALMEL, o.p.\ Sur nos routes d'exil : les Béatitudes Un volume in-8° de 172 pages, troisième ouvrage de la *Collection Itinéraires* aux Nouvelles Éditions Latines, 7,50 NF. « *Pages nettes, vigoureuses, pleines de bon sens en même temps que fidèles à l'enseignement des Papes... On recommandera ce livre aux hommes cultivés ; les prêtres le liront aussi avec profit.* » L'AMI DU CLERGÉ,\ 9 juin 1960. « *C'est un moderne exposé des vertus et des dons générateurs de* « *béatitudes* ». *Non pas un exposé de type scolaire. Ce sont des* « *entretiens* » *qui abordent les problèmes éthiques du jour dans les perspectives de la vie spirituelle, problèmes familiaux et problèmes de la vie publique, à la lumière de* « *la signification concrète de quelques mots essentiels de la langue évangélique et chrétienne* ». « *Ces pages sereines et lumineuses sont d'un sage, qui vise la sainteté de ses lecteurs et qui la leur montre à leur portée dans le contexte même de la vie tout court.* » LA CROIX,\ 20 septembre 1960. ============== fin du numéro 47. [^1]:  -- (1). Déclaration du Président de la République, 5 septembre 1960. [^2]:  -- (2). Communiqué publié dans la presse du 22 septembre 1960. [^3]:  -- (1). PIE XII, Radiomessage aux peuples et aux gouvernements du monde entier, 10 novembre 1956. [^4]:  -- (1). PIE XII, Message de Noël 1956. [^5]:  -- (1). Voir plus loin, sur ce même point, l'article de Luc Baresta : *L'Occident en face du chantage.* [^6]:  -- (1). Voir *Itinéraires,* n° 25. [^7]:  -- (1). *Le Monde*, 15 janvier 1958. [^8]:  -- (2). *Le Monde,* 29 mai 1958. [^9]:  -- (3). *La Croix,* 1^er^ juin 1958. [^10]:  -- (1). *Itinéraires,* n° 25, pages 2 et 3. [^11]:  -- (1). *Itinéraires,* n° 25, rage 3. [^12]:  -- (1). Voir : « Bilan ? », éditorial de notre numéro 42. [^13]:  -- (1). PIE XII, 17 juillet 1949. [^14]:  -- (1). Voir *Itinéraires,* n° 26 de septembre 1958, pages 77 et 78. [^15]:  -- (1). Un de nos amis dit que la Providence suscite cet accroissement comme à un arbre qui fructifie plus abondamment avant sa mort, pour qu'il reste quelques hommes quand nos *sottises* et nos péchés auront déclenché la guerre universelle. [^16]:  -- (1). aux frais du gouvernement. [^17]:  -- (1). IIa IIae q. 28 a. 3 sur la Joie. [^18]:  -- (2). Épître de la Messe d'une veuve, tirée du livre des proverbes. [^19]:  -- (1). Pascal. Pensées. n° 793, édit. Brunswicg. [^20]:  -- (1). Zinaïda Schakovsky : *Ma Russie habillée en U.R.S.S.,* Grasset, 1960. [^21]:  -- (1). Il est intéressant de remarquer que Robert *de* Montvallon parle sur ce point exactement comme parlait Jean Ousset au dernier congrès de *La Cité Catholique* (voir *Itinéraires,* n° 46, pp. 116 et 117).