# 48-12-60 3:48 ## ÉDITORIAUX ### La technique de l'esclavage dans le colonialisme soviétique LÉNINE DÉCLARAIT en 1916 que l'Empire colonial russe était le second du monde par la superficie, le troisième par la population ([^1]). Ces colonies russes, quand donc et par qui ont-elles été *décolonisées ?* Jamais. Ni par Lénine lui-même. Ni par Staline. Ni par Krouchtchev. Il n'en est aucunement question. On n'en aperçoit même pas l'annonce, le projet ou la promesse. Les colonies russes, *reconnues comme* COLONIES *par Lénine en personne,* Lénine et ses successeurs les ont gardées dans l'Empire des Soviets. Inventeur d'un nouveau colonialisme, incomparablement plus atroce et tyrannique que les formes les plus excessives et les plus injustes que comportait le colonialisme classique, le communisme ne lâche pas pour autant les colonies qu'il doit aux anciennes formes du colonialisme. C'est la première remarque ; non la plus importante ; mais une remarque introductive et préliminaire, qui malheureusement ne court pas les rues ni les conférences internationales ([^2]). 4:48 L'Empire colonial russe, désigné comme tel par Lénine, comportait l'Azerbaïdjan, la Géorgie, l'Arménie, le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kazakhstan et la Kirghizie ([^3]). Colonies de l'Empire des Tsars, ces pays demeurent colonies de l'Empire des Soviets. Non seulement le pouvoir communiste n'a opéré ni envisagé aucune *décolonisation,* mais il n'a cessé, au contraire, depuis 1918 et plus encore depuis 1939, d'étendre son empire colonial. Le bilan de cette colonisation comportait dès 1940 huit régions ou pays nouveaux : la Mongolie extérieure, la Finlande de l'Est, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, l'Ukraine occidentale et la Ruthénie blanche occidentale. Après 1944, l'U.R.S.S. a colonisé la Pologne (y compris l'Allemagne orientale), l'Allemagne centrale (dite R.D.A.), la Prusse orientale (nord), la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, l'Albanie, la Transcarpathie, Sakhaline (sud) et les Kouriles (sud). Nous n'y comptons pas la Chine : sans donner dans les romans feuilletons que développe la presse de grande désinformation, il est néanmoins devenu manifeste que la situation de la Chine, de la Chine seule, à l'intérieur du monde communiste, n'est pas ou n'est plus la situation d'une colonie. Ainsi, l'Empire colonial soviétique comporte aujourd'hui plus de 167 millions d'âmes. C'est le plus grand Empire colonial du monde et bientôt le seul ; et c'est le seul qui ne parle d'aucune « décolonisation ». Huit de ces pays, huit soi-disant États, supposés et réputés indépendants, sont représentés à l'O.N.U., en sont membres à part entière et contribuent à y dire le droit international en y votant comme autant d'États souverains : l'Albanie, la Hongrie, la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la Biélorussie et l'Ukraine. Ces huit pays sont entièrement dans la main de Moscou, les deux qui font partie intégrante de l'U.R.S.S. et les six qui n'en font point partie. 5:48 Ces derniers ne sont pourtant pas simplement « communistes » ; ils sont bel et bien soviétiques eux aussi : en ce sens que lorsqu'un chef communiste local, comme Nagy, tout en restant communiste, essaie d'atténuer ou de distendre la domination soviétique, il est mis à mort et remplacé, avec l'appui opérationnel des chars russes s'il le faut, par un Kadar. Lequel Kadar, à la tribune de l'O.N.U., parle au nom de la liberté des peuples et fait le procès du colonialisme, devant le reste du monde abasourdi et stupide. QUELQUE CHOSE de cette situation a filtré dans les esprits ordinairement embrumés de l' « élite » dirigeante du monde non-communiste. Timidement, mais c'est tout de même un progrès, quelques délégués à l'O.N.U. ont soulevé la question de savoir si par hasard il n'existerait pas un COLONIALISME SOVIÉTIQUE. Ils ont plus ou moins mis en garde leurs auditeurs contre une nouvelle forme de colonialisme, qu'ils ont appelée un colonialisme *idéologique.* Par sa propagande totalitaire, ont-ils dit en substance, le communisme s'efforce de coloniser les esprits et les peuples. Ce n'est pas faux. Mais on est encore loin du compte. A l'égard du communisme, les milieux temporellement dirigeants de l'Occident et du « tiers monde » vivent dans un rêve fait de considérations théoriques, et ne discernent pas grand'chose des réalités communistes. Quatre remarques fondamentales, mais presque partout ignorées, peuvent résumer l'essentiel de ce qu'il faut savoir. 1. -- Le communisme a repris à son compte les formes typiques du colonialisme classique. Elles ne constituent pas le principal de sa méthode. Mais, elles *aussi,* il les utilise. Et parmi elles, ce sont les plus dures, les plus excessives qu'il emploie, avec une inhumanité sans limites. Le pouvoir communiste a conservé sous sa domination les colonies de l'ancien Empire des Tzars : est-ce donc là un colonialisme « idéologique » ? Le pouvoir communiste a noyé dans le sang, en 1956, la révolte du peuple hongrois : opération « idéologique », menée avec des moyens « idéologiques » ? 6:48 En accusant le communisme d'organiser un colonialisme qui serait seulement ou principalement « idéologique », on acquitte à trop bon compte L'U.R.S.S. dans le procès du colonialisme classique qui est fait un peu partout, de la tribune de l'O.N.U. aux cercles d'études catholiques ou socialistes, en passant par les éditoriaux de la plupart des journaux du « monde libre » : ce procès du colonialisme classique est fait *à sens unique.* On n'y parle que des anciennes puissances coloniales de l'Occident, et l'on expose que la civilisation matérielle et morale qu'elles apportèrent plus ou moins aux peuples colonisés avait pour contre-partie une domination politique et économique sans douceur. Simultanément, on *tait* que la même domination, également fondée sur la force classique, est le fait du pouvoir soviétique (avec une contre-partie civilisatrice égale à zéro). On omet de mettre en cause le colonialisme de l'U.R.S.S., on omet d'organiser des campagnes de presse, devant l'opinion internationale, pour réclamer la « décolonisation » dans le monde soviétique. On allègue qu'il n'y a pas de colonialisme soviétique, ou qu'en tous cas il est d'un autre genre : du genre « idéologique ». Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai en ceci qu'il n'est aucune des pratiques de l'impérialisme et du colonialisme classiques que le pouvoir communiste n'ait reprise à son compte. 2. -- Mais il est vrai que ces pratiques et méthodes classiques, utilisées par le pouvoir soviétique de préférence sous leur forme la plus inhumaine et la plus excessive, ne constituent pas la nature essentielle de *l'imperium* soviétique. La domination communiste utilise l'emprisonnement, la mise à mort, le massacre collectif : quantitativement, il les utilise davantage, il les a utilisés sur une plus grande échelle que les puissances impériales et coloniales de l'Occident ; qualitativement, il les a mis en œuvre avec une férocité constante et sans précédent. Et cependant ce ne sont là que des *moyens annexes* de la domination communiste. Sa méthode essentielle réside en une TECHNIQUE SOCIOLOGIQUE DE LA COLONISATION CLANDESTINE : l'annexion administrative de *tout ce qui a une dimension sociale* dans les communautés humaines, l'annexion *sur le terrain* de la dimension sociale et *par* elle. La technique sociologique du « noyau dirigeant » est la technique fondamentale de gouvernement communiste des individus et des groupes, aussi bien dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir que dans l'exercice lui-même du pouvoir une fois conquis. 7:48 Cette *technique sociologique de l'esclavage,* nous l'avons analysée en détail dans son fonctionnement implacable mais caché. Nous avons montré qu'elle est inscrite pourtant dans la Constitution soviétique ; inscrite dans les principes permanents du Parti en matière d'organisation. Elle est *ce qu'il faut voir et comprendre* de la réalité communiste. Technique dont l'application est universelle : le communisme n'a aucune autre technique fondamentale de domination, et l'utilisation des moyens classiques d'emprisonnement ou de mise à mort n'a qu'une fonction subsidiaire par rapport à cette technique-là, pour aider à sa mise en place. Cette technique, le communisme l'emploie à l'intérieur du Parti, pour soumettre l'ensemble de l'appareil aux instances dirigeantes. Il l'emploie pour soumettre au Parti communiste de l'U.R.S.S. les autres partis communistes dans le monde. Il l'emploie pour « contrôler et diriger » clandestinement, au profit de la caste dirigeante constituée par le Parti, toutes les organisations économiques, sociales, culturelles et religieuses. Technique de l'esclavage qui est, identiquement, la technique du colonialisme soviétique. La réalité du communisme, c'est *le Parti,* et un parti proclamant lui-même qu'il « n'est pas un parti comme les autres ». Comme les autres, voire *plus* que les autres, il a ses activités visibles et « légales », sa propagande, ses militants, un programme et tout ce que l'on voudra. Il est totalitaire, comme l'ont été, voire *plus* que ne l'ont été, d'autres partis totalitaires. Mais en outre, le secret du Parti communiste, c'est l'application constante, universelle, clandestine de l'unique technique sociologique qui soit en propre celle du communisme : la technique du « noyau dirigeant ». Ce que l'âme est au corps, -- présente, invisible, maîtresse absolue, -- le Parti communiste l'est pour chaque corps social, pour chaque groupe social, -- maître absolu, présent mais invisible. 3. -- Seulement, le Parti communiste n'est pas une âme, il ne domine point par l'idée, ou *l'idéologie.* Il ne domine point par la persuasion (qu'il utilise, pourtant, elle aussi, qu'il utilise elle aussi comme moyen annexe). Il n'est pas une « animation » interne d'ordre spirituel. Il est la présence clandestine d'une technique sociologique. *Par une illusion que le communisme lui-même a créée et que lui-même il entretient, on attribue à l'* « *idéologie* » *ce qui relève d'une technique sociologique* ([^4]). 8:48 Quand on demande au Parti communiste pourquoi il est tellement « monolithique », il répond et veut faire croire aux non communistes que cette « discipline unique », comme disait Lénine ([^5]), que cette discipline de fer du « centralisme démocratique » provient d'une idéologie commune ; de sa mystique, en somme, comme disent les gens. Le Parti communiste français proclame qu'il est « attaché » à l'U.R.S.S., pays de la révolution de 1917, comme les révolutions nationalistes et libérales de 1848, un peu partout en Europe, étaient « attachées » à la France et chantaient « La Marseillaise » : un attachement en quelque sorte sentimental, et idéologique ; un attachement affectif et intellectuel. Or le Parti communiste est vraiment *attaché,* mais par des LIENS, qui sont ceux de la technique sociologique du noyau dirigeant. On peut suivre dans l'histoire du P.C.F. et de sa « bolchevisation », de 1921 à 1934, les tentatives diverses, télécommandées et imposées de Moscou, pour constituer parmi les dirigeants communistes français, et pour placer à la tête du Parti, un « noyau dirigeant » qui soit inconditionnellement entre les mains du Politburo de Moscou. Plusieurs des personnalités principales de ce noyau dirigeant, Thorez, Duclos et Guyot, n'ont d'ailleurs pas changé depuis le moment où il a été vraiment et solidement constitué, c'est-à-dire depuis 1933-1934, *l'homme est le capital le plus précieux,* dit une formule souvent citée de Staline : mais cette formule s'entend de l'apparatchik communiste, spécialement celui qui est la cheville ouvrière d'un noyau dirigeant. En mettant l'accent sur l'idéologie comme cause principale ou unique des particularités du communisme, le Parti communiste détourne notre regard de considérer la réalité clandestine, l'organisation secrète, la nature véritable de *l'imperium* qui s'exerce premièrement en son sein, et par lui, secondement, sur la société tout entière. 9:48 4. -- Au demeurant, la prééminence que l'on attribue à l' « idéologie », et qui est un divertissement détournant l'esprit d'apercevoir l'essentiel, n'est même pas conforme non plus à l' « idéologie » elle-même, à l'idéologie communiste, à la « doctrine » que l'on invoque. Le Parti communiste n'est pas au service de l'idéologie : *c'est l'idéologie qui est au service du Parti,* Ce n'est pas seulement en analysant l'histoire et la sociologie du communisme que l'on peut s'en rendre compte : car enfin, cela est énoncé dans l'ouvrage fondamental servant à la formation théorique et pratique du militant de l'appareil, cela est énoncé dans le chapitre « idéologique » précisément, ou « doctrinal », consacré au matérialisme dialectique et historique, de l'*Histoire du Parti communiste de l'U.R.S.S.* ([^6]). L'idéologie n'y est nullement donnée comme ayant une valeur DIRECTRICE, mais comme ayant UNE FORCE MOBILISATRICE, ORGANISATRICE ET TRANSFORMATRICE. Le communisme, nous finirions, à écouter tout ce que l'on raconte sur son « idéologie », par le considérer comme un idéalisme, alors qu'il est un matérialisme ; et comme une « religion », alors qu'il est une contre-religion ([^7]). Le « Livre », la « Bible » du communisme enseigne que « la force décisive du développement social » est dans « les conditions concrètes de la vie *matérielle* de la société » ; il enseigne quel est, selon lui, « le rôle primordial des conditions de la vie *matérielle* de la société dans le développement de la société » ([^8]). Et c'est pourquoi, pour dominer et transformer la société, le communisme donne LE RÔLE PRIMORDIAL à une technique sociologique qui est une technique MATÉRIELLE : la technique qui est résumée dans les principes d'organisation du Parti, la technique qui est mentionnée à l'article 126 de la Constitution soviétique. 10:48 Il appartient à cette technique matérielle non pas d'obéir à l'idéologie, mais d'UTILISER l'idéologie : « *utiliser à fond sa force mobilisatrice, organisatrice et transformatrice* » ([^9]). Le communisme est un matérialisme conséquent, un matérialisme en acte ; un matérialisme qui, DANS LES CORPS ET ORGANISMES SOCIAUX, DONNE A UNE TECHNIQUE SOCIOLOGIQUE LA PLACE ET LE RÔLE DE L'AME. L'idéologie est un instrument important mais subordonné. La réalité de la puissance est ailleurs : dans l'organisation policière et l'intrication administrative des noyaux dirigeants. PARMI LES DIVERSES ENTREPRISES « anti-communistes », il en est beaucoup qui nous paraissent frivoles. Il en est certaines autres qui remplissent une fonction partielle sans doute, mais utile et même indispensable : car le premier danger en face du communisme serait dans *l'esprit de non-résistance.* Mais un second danger apparaît aussitôt derrière le premier, et d'ailleurs lié à lui : l'ignorance ou la méconnaissance de *ce qu'est* essentiellement le communisme. Cette méconnaissance, ou ignorance, qui suggère à plusieurs la non-résistance, en conduit d'autres à une résistance chimérique, contre un communisme théorique ou mythique qui nulle part n'existe tel qu'ils en parlent. Le communisme exerce une fascination sur la partie du monde qui échappe encore à sa domination. Cette fascination, il l'exerce non par ce qu'il est, mais PAR CE QU'IL N'EST PAS : le rôle de la propagande, de ses faux-semblants et de ses supercheries est ici considérable. Parmi les somnambules que fascine le communisme sans que seulement ils le sachent (ils imaginent même parfois qu'ils sont « anti-communistes »), les uns, et ce sont des chrétiens, regrettent que le communisme soit athée, ne cèdent rien à son athéisme de principe, et même le condamnent ; ils invitent leurs concitoyens à mettre en œuvre la doctrine sociale de l'Église, en quoi ils ont raison, mais ils ajoutent, comme ils le croient, que le danger du communisme athée vient de ce *qu'il travaille de son côté à la justice sociale* ([^10]) : c'est en somme un concurrent sur le chemin de la justice, et l'important est de le rattraper et dépasser, d'aller plus vite que lui... 11:48 D'autres pensent que, le communisme pourrait être une force d'appoint pour combattre l'injustice et liquider le colonialisme. D'autres encore imaginent que le communisme, dans un contexte peu recommandable et même impur, apporte néanmoins des éléments inédits et précieux pour organiser l'économie, voire une nouvelle « technique de dévolution du pouvoir économique » appelée à être le grand progrès de notre siècle. On voit des écrivains prendre des mines de penseurs et de savants pour affirmer que les pays communistes « mettent sur pied un véritable programme de libération des esclaves modernes : colonisés, femmes, manuels, etc. » et se porter notamment garants des « conquêtes de la femme sur le plan technique, professionnel et politique » ([^11]) dans les pays soumis à *l'imperium* soviétique... Tous ceux-là ne sont pourtant pas communistes. Ils ont même en général une certaine méfiance à l'égard du communisme. Mais une méfiance fondée sur quoi ? sur quels motifs ? sur quelle connaissance objective et précise du système communiste, des réalités soviétiques ? Leur méfiance est en quelque sorte instinctive, et mal défendue. Méfiance ignorante, qui laisse mille brèches, plus ou moins détournées, ouvertes à la propagande communiste. Méfiance vague, qui se laisse manœuvrer ; et qui laisse s'exercer, partielle mais effective, la fascination du communisme : parce que l'on ne sait pas que le communisme est, dans son essence même, un esclavage, et très précisément un esclavage social (et non pas principalement « idéologique »). On discute parfois des conséquences plus ou moins visibles, mais plus ou moins lointaines ou secondaires, de cet esclavage : sans en apercevoir la réalité centrale, *qui* est clandestine. Et de même pour le colonialisme soviétique. La tâche la plus urgente de la résistance au communisme est de discerner exactement et de montrer *ce qu'est* la réalité communiste. 12:48 C'est aussi une tâche permanente, car la propagande du communisme fait renaître sans cesse des diversions inédites et des illusions nouvelles ; ou des illusions anciennes, démasquées en leur temps, mais dont on a peu à peu oublié en quoi consiste le mensonge. Saisir, décrire et expliquer *ce qu'est* la technique d'asservissement universel du communisme : le reste, y compris l'organisation d'une résistance lucide et cohérente, en découlera normalement. Car il est encore des hommes libres. Il est encore des hommes qui ont faim et soif de justice. Mais diaboliquement trompés. 13:48 ### L'Église du silence : mais quel silence ? LES DESTINS sont encore en balance, entre les mains des hommes et entre les mains de Dieu. Nous ne savons ni le jour ni l'heure, pas même l'heure de la puissance des ténèbres, *hora et potestas tenebrarum.* Le temps nous est laissé d'une dernière interrogation, c'est un temps dont nous ignorons la durée, mais dont le cours des choses fait présumer qu'elle n'est sans doute plus très longue. L'action de ceux qui portent des responsabilités, immenses ou modestes, car tout compte, et surtout la prière des humbles, sont en train de décider si le nouveau printemps chrétien sur le monde, annoncé par Pie XII, viendra avant ou après que le communisme ait pu étendre sa domination sur de nouvelles terres, les nôtres cette fois. Ce temps d'interrogation, nous voudrions le vivre, à l'intention de ceux qui ne s'interrogent pas, ou qui s'interrogent ailleurs, en compagnie d'un propos d'Emmanuel Mounier. Il ne comprenait pas l'attitude de l'Église à l'égard du communisme : mais il ne la niait pas, il ne la défigurait pas, il la regardait en face, il ne sous-estimait pas son insistance tragique, il ne fuyait pas dans l'équivoque, il était loyal. Dans une lettre privée du 1^er^ juillet 1949, qui a été publiée après sa mort ([^12]), il écrivait : « *Notre attention de fidèles ne peut pas ne pas être attirée par l'insistance que met l'Église à cette dénonciation du communisme. Nous pouvons faire l'hypothèse d'une erreur historique massive. Nous la faisons. Mais nous devons aussi faire l'hypothèse d'une illumination prophétique, et chercher.* » 14:48 L'Église nous dit souvent des choses auxquelles nous n'avions pas pensé et que nous ne comprenons pas. Si elle parlait pour nous confirmer dans nos certitudes, ou si nous n'acceptions de sa parole que ce avec quoi nous étions d'avance d'accord, ce ne serait guère la peine que parle l'Église. On peut toujours, du moins on le peut à la rigueur, et à la limite, faire l'hypothèse d'une « erreur historique massive ». Mounier l'a faite. Mais, ne comprenant pas, il avait la loyauté intellectuelle et la droiture de conscience de ne pas exclure l'autre hypothèse, celle d'une « illumination prophétique » et sa conséquence : « chercher ». SUR LE COMMUNISME, l'Église a enseigné beaucoup de choses qui ne sont guère parvenues encore dans notre entendement de catholiques insouciants, distraits, qui croyons toujours en savoir assez, ou qui sommes toujours trop prompts à inscrire au compte d'une « erreur historique » ce qui vient déranger nos habitudes de pensée. L'Église a enseigné ces choses dans la grande inconnue de notre temps, le grand secret, secret à ciel ouvert, trésor à portée de la main, que l'on regarde sans le voir : l'encyclique *Divini Redemptoris.* Plus près de nous, le Pape Pie XII, parlant de l'Église persécutée par le communisme, l'a désignée d'un nom étrange, inattendu, que l'on n'a pas compris non plus, et que l'on a pris pour une discrète figure de rhétorique : L'ÉGLISE DU SILENCE. Peut-être parce qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps devant nous, voici que nous commençons à entrevoir que ce nom est exact, qu'il ne dit ni trop ni trop peu, et que nous pressentons quelque chose de sa terrible signification. L'ÉGLISE PERSÉCUTÉE par le communisme reste la sainte Église de Dieu, du moins dans ses saints, ses martyrs, ses fidèles. Mais, plus encore qu'une Église « persécutée », elle est une Église « du silence ». C'est une réalité précise et formidable. Cette Église continue à parler pourtant ; elle parle en Pologne ; elle parle en Hongrie même. Elle parle et nous l'entendons, mais elle est devenue l'Église *d'un certain silence.* Cette Église du silence peut confesser la foi en Jésus-Christ. Non pas toujours. Il y a des brimades. Il y a des persécutions, au sens classique et ancien du terme. Il y a des évêques, des prêtres, des fidèles emprisonnés ou mis à mort. Ces persécutions visibles augmentent ou diminuent selon les lieux et les circonstances ; pendant certaines périodes, elles s'apaisent. Elles sont atroces en elle-mêmes. Elles ne sont pas l'essentiel ni le plus atroce, qui est dans le silence. 15:48 Si frappée, si brimée qu'elle soit, l'Église en Pologne ou en Hongrie peut dire qu'elle est et demeure catholique, qu'elle est fidèle au siège romain, qu'elle croit que Jésus-Christ est mort pour notre rédemption et qu'Il est ressuscité le troisième jour. Cela ne va pas tout seul ; ni sans inconvénients pour ceux qui professent leur foi ; ni sans souffrances. Mais cela existe. Cela n'est ni interdit ni supprimé. Avec pourtant un certain silence énorme et effrayant. L'Église du silence peut dire qu'elle n'est pas communiste. Elle peut dire et de fait elle dit, même dans la Hongrie de Kadar, qu'un bon catholique ne peut être un vrai communiste, qu'il ne peut adhérer au Parti du matérialisme intégral et de l'athéisme conséquent. Disant cela, qui est vrai, l'Église ne dit pas une vérité interdite. Elle dit une vérité qui est au contraire, en outre, une vérité officielle de l'État communiste. Le Parti communiste dit et enseigne de son côté la même chose : on ne peut pas être un bon communiste si l'on est un vrai catholique. Le Parti professe la même incompatibilité « idéologique » fondamentale, il tient à ce que cette incompatibilité soit clairement et constamment professée, il est entièrement d'accord pour que l'Église professe de son côté cette incompatibilité doctrinale. Au besoin, il la prierait de le faire. Mais il y a le silence. Le formidable silence sur le régime social : sur la réalité de l'esclavage. CE QUE L'ÉGLISE DU SILENCE ne peut plus dire et professer, c'est qu'elle refuse le communisme *en tant que régime social,* parce que ce « régime social » est avant tout et essentiellement un esclavage sans précédent. L'Église du silence peut continuer à confesser sa foi en Jésus-Christ DANS LA MESURE où elle accepte de se taire sur l'enseignement social de l'Église. Sur l'enseignement social authentique et complet. L'Église peut dire qu'elle n'accepte pas *l'idéologie athée* du communisme. L'Église du silence peut le dire en long et en large. Cela ne gêne aucunement le communisme, cela est conforme à ce qu'il dit lui-même et à ce qu'il veut que l'on dise et enseigne. 16:48 Mais cette Église est tout entière entrée dans le silence parce qu'elle ne peut plus répéter et transmettre publiquement l'enseignement fondamental résumé par la parole de Pie XII : « *Nous rejetons le communisme en tant que système* SOCIAL, *en vertu de la doctrine* CHRÉTIENNE. » ([^13]) L'ÉGLISE du silence peut dire qu'elle croit en Dieu, à *condition qu'elle* ne *détourne plus les fidèles de collaborer* a *l'édification du régime économique et social qui est le principal dessein athée du communisme.* A condition du moins qu'elle ne les en détourne plus à haute voix. A condition qu'elle accepte sur ce point un silence forcé, qui est aussi un silence équivoque. A condition qu'elle ne réponde que par LE SILENCE aux catholiques qui trahissent, aux prêtres qui trahissent, et qui prêchent la collaboration avec le communisme comme un devoir national, social ou moral. L'Église du silence peut parfaitement dire que, quant à elle, elle n'accepte pas l'idéologie athée du communisme, mais elle ne peut plus professer que LE COMMUNISME EST INTRINSÈQUEMENT PERVERS ni expliquer en quoi et pourquoi. L'Église du silence peut enseigner le *Credo,* à la condition de taire l'enseignement de l'Encyclique *Divini Redemptoris.* L'Église du silence est celle qui doit faire silence sur le communisme au moment précis où le communisme est la réalité la plus présente, la plus agissante, la plus tyrannique, la plus acharnée à coloniser jusqu'aux âmes. Et c'est pourquoi LE SILENCE est ce qui définit le mieux l'Église du silence, et ce qu'elle subit de plus atroce. Car ce n'est point parler du communisme, car c'est ne rien dire sur le communisme, d'en dire, seulement que son idéologie athée est incompatible avec la foi. C'est ne rien dire, non pas seulement parce que cela est une évidence certaine : mais parce que cela, le communisme lui-même se charge de le dire et de l'enseigner. Il n'a jamais prétendu que sa « science marxiste-léniniste » pourrait être ou devenir compatible avec la foi en Dieu ; il a toujours maintenu le contraire. 17:48 Sur l'incompatibilité entre le communisme et la foi, l'Église du silence ne peut enseigner publiquement rien de plus que ce qui est enseigné par le Parti lui-même. Le Parti communiste désire que cette incompatibilité sort connue, et qu'elle soit connue *comme étant idéologique.* Il laisse donc l'Église du silence professer et faire connaître l'incompatibilité idéologique. L'ÉGLISE DU SILENCE est celle qui peut parler du bien et du mal dans l'ordre de la morale privée, mais qui ne peut plus parler du bien et du mal dans l'organisation de la cité. Qui ne peut plus parler du principal bien actuel et du plus grand mal actuel dans l'organisation de la cité communiste. L'Église du silence est celle qui peut parler de l'alcoolisme et de la prostitution, et qui peut même, en Pologne, à la rigueur, contredire le gouvernement, non sans tensions, crises et risques, sur la limitation des naissances : mais *elle ne peut plus parler du plus grand mal de notre temps, qui est* L'ESCLAVAGE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL, ADMINISTRATIF ET POLICIER. L'Église du silence peut enseigner le texte du Décalogue, à condition de taire que, dans le domaine économique et social, le communisme est le contraire du Décalogue. LE COMMUNISME est un athéisme, *mais* un athéisme dont le dessein particulier n'est pas de détruire la foi en y travaillant principalement par des moyens idéologiques (encore qu'il y travaille *aussi*) ; son dessein particulier est de détruire la foi en l'attaquant sur le terrain de l'organisation sociale et de la civilisation (*Divini Redemptoris,* § 3). Le communisme travaille à détruire la foi essentiellement par l'établissement d'un type nouveau d'esclavage économique et social. Sur le terrain principal du combat contre la foi, l'Église ne peut plus parler. Mais, silencieuse, elle est présente. Elle est présente sans rien en dire. Ce qui donne diaboliquement à penser que puisqu'elle ne dit rien, le combat communiste sur le plan de l'organisation sociale n'est donc pas un combat contre la foi. Le plus grand drame de notre temps est un drame religieux, *mais* s'exprimant, se développant, s'organisant dans le domaine social, par une TECHNIQUE SOCIALE DE RÉDUCTION EN ESCLAVAGE. 18:48 L'Église qui est la plus directement attaquée par cette technique d'asservissement est l'Église qui n'a plus la possibilité de parler de cette attaque-là ; elle est l'Église qui doit faire comme si elle ne voyait pas qu'elle est attaquée par là ; l'Église du silence. Au moment où elle est crucifiée, l'Église du silence ne peut même plus dire de ses bourreaux, à haute voix, la parole du Christ en croix : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ». L'Église du silence est celle qui ne peut *rien* dire, pas même lu parole du Christ, sur l'action *sociale* du communisme contre l'Église. L'Église du silence est celle qui ne peut plus laisser échapper une seule parole donnant à penser que l'action du communisme contre l'Église se déroule sur le terrain social. Le communisme est la plus grande agression que l'on ait vue jusqu'à présent dans l'histoire contre la foi et contre l'Église. L'Église du silence est celle qui ne peut plus enseigner EN QUOI cette agression se distingue spécifiquement des précédentes et EN QUOI elle est la plus terrible qui ait existé à ce jour. L'Église persécutée par le communisme, plus encore qu'une Église persécutée, est une ÉGLISE DU SILENCE. L'ÉGLISE DE CUBA est en passe de devenir une Église du silence. Témoin de ce processus, Mgr Serrantes, archevêque de Santiago de Cuba, l'a désigné en précisant, dans sa lettre pastorale du 2 octobre : « Aujourd'hui l'on considère comme traître quiconque se permet de combattre directement le communisme ». L'Église de Cuba n'est pas encore tout à fait une Église du silence, puisque l'Archevêque de Santiago, le seul peut-être dans toute l'île, peut encore à haute voix tenir ce langage et désigner ce processus. En Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Pologne, en Hongrie, personne ne peut plus se plaindre publiquement que « l'on considère comme traître quiconque se permet de combattre le communisme ». Car *ce n'est pas combattre le communisme* de dire que son idéologie athée est incompatible avec la foi : cela, c'est dire ce que le communisme dit lui-même, c'est faire connaître seulement ce qu'il veut faire connaître. En Pologne, en Hongrie, et à Cuba, il est permis souvent aux catholiques de s'opposer aux communistes en un tournoi académique sur les preuves de l'existence de Dieu, sur l'immortalité de l'âme, sur l'authenticité des Évangiles, sur la croyance en Jésus ressuscité. 19:48 Cela, *aux yeux du pouvoir communiste,* n'est aucunement « combattre le communisme ». Le communisme travaille ailleurs, sur un autre terrain. Il travaille à étrangler la foi, mais il y travaille, comme l'avait noté *Divini Redemptoris,* sur le terrain de l'organisation sociale. Et quand nous parlons d'un « tournoi académique » sur l'existence de Dieu ou sur la divinité de Jésus-Christ, qu'on nous entende bien, qu'on veuille bien nous entendre. Confesser sa foi en Jésus-Christ ressuscité n'est pas en soi une parole académique. La foi en Jésus-Christ est l'essentiel de la foi. L'amour de Dieu est l'essentiel de l'amour. L'Église du silence demeure la sainte Église de Dieu. -- Mais si l'amour de Dieu est l'essentiel de l'amour, LE SIGNE que cet amour est essentiel et véritable en nous se trouve dans l'amour effectif que nous portons à nos frères. L'amour de nos frères ne passe pas avant l'amour de Dieu, il n'est pas plus important, il n'en dispense pas, mais il est signe. Il est le seul signe auquel nous puissions reconnaître que notre amour de Dieu n'a pas sombré en une chimère illusoire et sans consistance qui nous trompe nous-mêmes. Ce devoir et plus que ce devoir, cet élan de charité du chrétien envers ses frères devient silencieux et caché, enseigné encore dans son principe mais non plus dans ses exigences précises et actuelles. Car cet amour est trompé, car cet amour est défiguré, car cet amour est colonisé par le Diable, quand il n'est plus tendu à délivrer les hommes de l'esclavage le plus total qui ait jamais existé sur la terre. C'est un amour de Dieu académique, c'est un amour de Dieu qui ne prononce que des paroles académiques, celui qui abandonne les hommes au communisme, ou qui les incite même à collaborer à ses desseins sociaux. C'est un amour de Dieu qui ne peut plus se manifester que comme académique, et qui doit laisser enfermer sa réalité dans le silence. Dans L'ÉGLISE DU SILENCE vit la charité, et sans doute beaucoup plus que dans des Églises tranquilles : mais c'est une charité silencieuse et secrète. Jamais rien ne pourra tuer la charité ; le monde communiste n'a pas supprimé la charité. Il lui a imposé de devenir socialement silencieuse et socialement invisible. L'ÉGLISE DU SILENCE n'est pas celle de la mort de la charité. Elle est celle du silence de la charité. 20:48 L'ÉGLISE DU SILENCE peut prononcer des paroles audacieuses et inaccoutumées, du moins au XX^e^ siècle, dans la bouche d'un homme d'Église. Le cardinal Wyszynski, primat de Pologne, dont personne au demeurant ne met en doute la piété, l'héroïsme, la fidélité au Siège romain, a déclaré le 17 août 1960, dans un sermon prononcé en chaire ([^14]) : « Il nous parvient, venant de l'Ouest, les échos de menaces lancées par un homme qui ne nous aime pas. Cet homme orgueilleux, sûr de sa force, menace les terres de nos ancêtres ainsi que notre liberté. » Oui, paroles audacieuses, visant le chancelier Adenauer dont on peut penser ce que l'on veut, mais qu'il est étrange de voir mettre en cause sur ce ton, avec cette violence dans l'accusation -- et aussi cette invraisemblance, concernant sa force et son intention de priver le Cardinal Wyszynski de sa liberté -- par un Cardinal. Cette manière brutale d'intervenir dans les relations internationales, et cette sorte d'invectives, ne sont pas courantes dans la bouche d'un Prince de l'Église. On voit mal en quoi elles servent la paix. On ne voit même pas très nettement leur bien-fondé objectif. Le Cardinal Wyszynski, au demeurant, s'il est libre d'estimer que sa liberté peut être éventuellement menacée dans l'avenir par le chancelier Adenauer, est bien placé pour savoir par qui et comment sa liberté actuelle est cruellement limitée. A ces limites s'ajoutent tout un contexte formidablement organisé et une mise en scène autour de lui, qui l'auront amené à penser qu'une telle attaque contre le chancelier Adenauer était légitime et nécessaire, opportune et pacifique. Informé des affaires internationales comme on peut l'être en Pologne, le Cardinal Wyszynski croit et dit que c'est Adenauer qui menace la paix mondiale, Adenauer et non Krouchtchev. Que cette affirmation ait pu, pour les motifs que l'on voudra, trouver place dans le sermon prononcé par un Cardinal de Pologne n'enlève rien au fait que cette affirmation est une fabrication communiste. 21:48 En résumé, le Cardinal Primat de Pologne peut dire ce qu'il a dit. Il ne dit pas, il ne peut plus dire qu'il refuse, pour des raisons *religieuses,* le communisme en tant que système *social.* Il ne peut plus dire, et peut-être même, à la longue, ne peut-il plus arriver à discerner exactement que le communisme est pour la Pologne comme pour tous les peuples un péril incomparablement plus fondamental que tout ce que l'imagination la plus soupçonneuse peut prêter de noirs desseins au chancelier Adenauer ou à n'importe quel autre homme d'État catholique dans le monde. L'Église du silence peut prononcer des paroles très audacieuses. Le pouvoir communiste le lui permet et même l'y encourage. Plus ces paroles sont audacieuses, plus est terrible, profond, dangereux le silence qui lui est imposé sur ce qu'elle ne peut plus dire. L'AVANCE VÉRITABLE du communisme dans le monde se mesure surtout au nombre et à l'importance des Églises nationales QUI ENTRENT DANS LE SILENCE. Qui entrent dans ce certain silence essentiel et précis nettement délimité. Dans ce silence imposé par la terreur, et plus encore par la technique sociologique de l'esclavage. Mais ce même silence, sans que le communisme soit déjà au pouvoir, *commence à s'imposer par la persuasion.* L'avance du silence est le signe de l'avance réelle du communisme. Il y a un certain silence, celui-là, le même, qui est imposé non par la présence du communisme au pouvoir, mais par son hypnotisme à distance. Il y a des Églises qui peuvent commencer d'entrer dans le silence, dans ce certain silence-là, par distraction, négligence ou anesthésie des consciences. Par erreur d'appréciation. Par système illusoire, par calcul erroné. Mais c'est bien LE SILENCE qui s'étend, et c'est bien l'étendue grandissante du silence qui mesure l'avance réelle du communisme dans les consciences, ou dans le subconscient. C'est ce même silence précis et déterminé qui place peu à peu sous son ombre mortelle certaines zones et certaines régions géographiques ou sociales ; certaines communautés entières. Le silence des chrétiens qui ne professent plus que le communisme est, pour des raisons *religieuses,* à rejeter en tant que système *social.* Le silence où il arrive même que l'on parle pour dire le contraire. Le silence réel de la parole vraie de l'Église, cachée et recouverte par une parole fausse. 22:48 Et cet autre silence, ce silence *autre et même* pourtant, qui s'est emparé des consciences et qui fait que la parole vraie de l'Église est encore prononcée, mais qu'elle n'est plus entendue. Même par des prêtres. Ainsi avance le communisme. Le silence où, absolument comme si l'on était en Pologne ou en Hongrie, l'Encyclique *Divini Redemptoris* est enfouie dans les archives, périmée, inconnue, oubliée. Reniée. Le silence où l'on dit toujours, comme le dit toujours l'Église du silence, comme toujours le dit le Parti communiste, que la foi catholique est incompatible avec l' « idéologie athée » du communisme : *point, c'est tout.* Point, *et un silence.* Un silence clos, noir, total, sur l'intrinsèque perversité du communisme au plan de l'organisation sociale et de la civilisation ; le silence sur l'esclavage intrinsèquement pervers. Le silence infernal. La mort qui s'avance dans l'ombre, sous anesthésie. 23:48 ## CHRONIQUES 24:48 ### Mesure et démesure des « Centurions » par Luc BARESTA CES OFFICIERS FRANÇAIS qui, en Indochine et en Algérie, ont combattu et combattent encore aux bords menacés du monde occidental, on veut les appeler des « centurions ». Admettons. Admettons que, de tous les prestiges que le passé garde encore sur l'étrange époque où nous sommes, si neuve et si ancienne à la fois, celui de Rome l'emporte. Donc, point de chevaliers, ni de gardes françaises, ni de hussards de la République ; mais les centurions d'un certain empire. Admettons. Admettons que nos auteurs aiment aujourd'hui encore s'alimenter, comme les jumeaux de la prêtresse, aux ressources de la Louve. Attendons en conséquence que les consciences de la gauche progressiste française méditent sur cette réflexion du grand citoyen Saint-Just, leur archange de quatre-vingt treize : « Le monde est vide depuis les Romains », et qu'elles se réjouissent de voir ce vide aujourd'hui partiellement comblé. Or, il n'en est rien. Ces consciences ne sentent nullement, dans la romanité de nos « Centurions », un bienfait retrouvé. Elles eussent aimé, certes, des centurions dociles, habituellement battus, devenus figurants très maniables pour le grand cinéma de la socialisation planétaire. Des centurions à tête de bois, des centurions à tête de plomb. Tout compte fait, elles eussent aimé que se lèvent des cohortes nouvelles, annoncées par un vexillum frissonnant au vent de l'Histoire et marqué de la faucille et du marteau. Malheureusement nos « centurions » ont des têtes humaines, des cœurs fiers ; ils ont un langage et même des idées. 25:48 Ils jugent le pouvoir de Rome, les mœurs de Rome, les complaisances de Rome. Ils jugent ses cabales, ses complots, et ce qu'ils appellent ses trahisons commencées. Pour l'exergue de son livre, Jean Lartéguy fait écrire un centurion de la légion Augusta, Marcus Flavinius, dont on se demande s'il est d'autrefois ou d'aujourd'hui : « Si nous devions laisser en vain nos os blanchis sur les pistes du désert, alors, que l'on prenne garde à la colère des Légions ! ». Et nous sommes tous, Français de « l'hexagone », des cousins Tertullus. Nous recevons l'inquiétante missive. Quant au vexillum du communisme, nos « centurions » en ont brisé la hampe et déchiré l'étoffe. Les morceaux, ils les ont jetés dans les eaux de la mer de Chine. Alors les consciences progressistes crient au fascisme. C'EST DONC UN COUSIN Tertullus qui s'interroge ici, sans autre singularité que celle d'avoir été baptisé dans la religion catholique et précisément romaine, ce dont il voudrait, malgré son indignité, s'efforcer de tenir compte en ses points de vue. Mais avant que d'avoir recours aux lumières de la foi telles que les précisent les autorités de l'Église, le cousin Tertullus peut faire appel à la simple observation et constater, par exemple, que l'étiquette « fasciste » est très facilement et très abondamment distribuée de nos jours. Il en résulte, du côté de la gauche progressiste, une telle inflation de l'anathème que les plus légitimes controverses de la cité y perdent leur sérieux. C'est ainsi qu'on accablera de l'infamie fasciste le Général de Gaulle, Pierre Lagaillarde, Maître Biaggi, Conrad Adenauer et Oliveira Salazar. Point Nasser, bien entendu, ni Tito, ni Castro, ni Belkacem Krim, ces aimables démocrates. Nos « centurions » seront de l'espèce infâme ; mais point les envahisseur du Thibet, ces doux éveilleurs de peuples ; point les tankistes de Krouchtchev, qui, à Budapest, ont canonné ingénument les ouvriers des usines Csespel ; point ces troupes étonnamment libérales qui, disposant librement des peuples, ont installé par la force des armes et surtout celles de l'Armée Rouge, les régimes communistes actuels. A considérer tout ce qu'épargne l'étiquette infamante, comment ne pas s'apercevoir finalement de la marque de fabrique ? Comment ne pas remonter au service central de distribution, c'est-à-dire au Parti communiste, même si des distributeurs supplétifs, venus de la gauche, fixent un moment l'attention ? 26:48 Car c'est bien de là, en effet, que part habituellement l'accusation de « fascisme », diversement répercutée ou renforcée par d'aveugles concours ; d'un Parti qui fait de cette accusation un acte politique habituel visant deux buts : d'abord déconsidérer son adversaire ; ensuite susciter, devant l'épouvantail restauré du fascisme, une solidarité « antifasciste », c'est-à-dire un regroupement de style « front populaire » où il puisse « étaler » sa tactique. Et même si la situation française actuelle comportait les linéaments d'une manière de fascisme, avec l'ébauche d'une idéologie plus ou -- moins fasciste, sur laquelle nous devrions, cousins Tertullus, nous prononcer, nous ne saurions le faire en raisonnant *comme si* le Parti Communiste était une amicale de loisirs, ni l'Internationale rouge une société universelle de philatélie, ni l'U.R.S.S. une principauté balnéaire, ni la Chine une île de Pâques. Nous ne saurions le faire en oubliant que l'idéologie communiste, elle, n'est pas embryonnaire, mais solidement instituée, habile à se déguiser, à s'infiltrer, à séduire ; qu'elle est à l'œuvre dans un Parti soigneusement organisé qui, au moment même où il crie « le fascisme ne passera pas », s'efforce de *faire passer* sa propre dictature, c'est-à-dire sa technique d'un nouvel esclavage. NOUS AURIONS DONC un premier avantage à ne pas oublier le communisme : nous constaterions que sa menace est la menace principale, ce qui nous inciterait à prendre des distances avec ses distributions d'étiquettes. Mais il y en aurait un second. Car les partis communistes européens qui furent, avant guerre, assez surpris par le succès du fascisme, ne se sont pas bornés à en tirer un vocabulaire infamant, apte à signaler rapidement, dans la perspective du nouveau manichéisme, le royaume du mal. Ils l'ont étudié. Ils se sont même penchés avec une très progressiste angoisse sur ce mouvement de masse capable, vers 1934, de mettre en échec la III^e^ Internationale. Ils l'ont interprété, bien sûr, en marxistes, le donnant comme un sursaut du capitalisme aux abois ; mais ils ont bien vu qu'il n'apparaissait pas par simple décret d'un comité financier ; qu'il ne triomphait qu'après une lutte intestine dans le camp « bourgeois », entraînant à sa suite les masses ; ils ont vu, notamment, ceci que nous retiendrons pour notre propos : le fascisme a joué sur une réalité humaine négligée ou piétinée par les autres courants doctrinaux, par les autres « messages » en compétition : il a fait appel au SENTIMENT NATIONAL BLESSÉ. 27:48 L'autocritique des partis communistes européens telle qu'elle apparaît à travers le rapport présenté par Dimitrov en 1935 au Congrès de l'Internationale communiste, est à ce sujet significative : les camarades ont sous-estimé, dans l'Allemagne et l'Italie d'après la première guerre mondiale, l'importance du sentiment national, et de cette blessure que lui avaient infligée les traités de paix (où l'on s'est bien moqué, soit dit en passant, de « l'autodétermination »). Que ce sentiment national blessé s'exprimât dans l'indignation, comme en Allemagne, ou dans la déception, comme en Italie, le fascisme, avec une sombre frénésie, en fit une exploitation politique massive. A condition de tenir compte des différences importantes qui ont existé entre la forme allemande et la forme italienne (la forme allemande étant beaucoup plus achevée comme mystique séculière destructrice du christianisme, et en cela plus proche du communisme) nous ne pouvons guère contester, dans la complexité de la situation historique où le fascisme a pris naissance, l'existence de cette détresse singulière ; plus ou moins latente, mais collectivement ressentie, elle atteste que l'homme est touché dans un ressort vital naturel, celui qu'il tient de son appartenance à une communauté nationale consistante, reconnue dans son être et sa vocation. BIEN SÛR, en désignant cette réalité psychologique, le cousin Tertullus ne veut d'aucune manière approuver l'exploitation qu'en fit le fascisme. Car le remède alors prescrit, passant de la blessure à l'ivresse, comportait les hautes doses de l'alcool totalitaire, les exaltations empoisonnées, le dérèglement des fins. Il ne veut pas non plus entrer dans la tactique communiste issue de la redécouverte, à travers le fait fasciste, du fait national. Elle s'est exprimée dans une apparente rétractation : après avoir affirmé, à la Chambre des Députés, que « les prolétaires n'ont pas de patrie », Maurice Thorez, l'année suivante, lançait un appel aux patriotes pour la constitution d'un *front français *; il célébrait la nation française, « cette somme de glorieuses traditions et de généreuses aspirations » : il condamnait quiconque s'autorisait du communisme pour « cracher sur les sentiments nationaux des grandes masses travailleuses ». 28:48 Passant sous silence la subordination de la question nationale à la question de la révolution mondiale, subordination essentielle dans la visée communiste, il commençait par aller au-devant des aspirations nationales des non communistes dont il convoitait les suffrages ou l'alliance. Il tendait la main à la patrie, comme il tendait la main à la religion. Et l'on peut se demander si ce n'est pas pour profiter de son expérience tactique concernant ces problèmes (et aussi dans la crainte d'une épreuve de force prématurée) que le Parti communiste choisit actuellement, en France, pour ses menées subversives, une autre voie que « l'insoumission militaire », préférant ainsi agir « à l'intérieur de l'armée », et laissant le soin de justifier le refus direct à des intellectuels et à des groupements qui lui sont sans doute utiles, mais qui risquent, par rapport à la nation, de rester marginaux. Donc, si le cousin Tertullus écarte ces mains douteuses, qu'elles soient tendues pour le salut à la romaine ou pour l'invitation à favoriser les processus « historico-désaliénateurs », il n'en maintient pas moins que le « sentiment national blessé » est quelque chose. Et qu'il est quelque chose aujourd'hui. Qu'on ne peut s'en détourner impunément comme d'une sorte de reliquat psychologique du musée de l'Armée. Qu'il faut le tenir à la fois comme l'élément et le signe d'un drame social actuel dont l'intensité bouscule quelque peu les poncifs de la « planétisation », et dont les enjeux, spirituels et temporels, sont de grande importance. OR, c'est bien d'un tel sentiment exprimé dans ses blessures, celle de la défaite et celle de l'abandon, que témoignent d'abord les « centurions » de Lartéguy. Vaincus à Dien-Bien-Phu, prisonniers en files mouvantes comme des colonnes de chenilles processionnaires, ils avancent sur la piste qui les conduit, à travers la pluie grasse de la mousson, vers le camp d'internement n° 1. La fatigue est telle qu'ils ont l'impression d'être retirés du monde. Mais ils ont aussi l'impression que la communauté française s'est retirée d'eux : tel est leur mal secret, plus profond que l'épuisement physique. En cortège aussi des souvenirs atroces accompagnent, avec les gardes viet minh, leur marche désespérée. Par exemple, celui du sous-lieutenant Lacade, tué à vingt ans sur le point d'appui de Marianne II. 29:48 Et les promotions de Saint-Cyriens qui ont ainsi été détruites en Indochine sont au nombre de sept. Au moment où les doigts du sous-lieutenant Lacade se sont crispés un peu plus fort dans la boue, ses compagnons se sont demandés : « Qu'en pensent-ils à Paris ? » et le capitaine Boisfeuras a répondu : « C'est l'heure où l'on sort du théâtre ». En terre vietminh, les centurions captifs regardent et écoutent une autre guerre. Apparemment dociles à la voix du commissaire politique -- la Voix -- ils acquièrent une connaissance expérimentale, pourrait-on dire, du communisme et de ses méthodes. Ils y goûtent pendant de longs mois, à l'ombre du casque viet minh. Et ce goût n'est pas celui de la vie et du bonheur ; c'est celui d'un univers vidé de substance humaine, transformé en implacable organisation d'insectes ; le goût du désert et de la mort. Viennent les accords de Genève : et voici qu'au moment où, sur la route du retour, ils aperçoivent enfin de leur navire les côtes françaises, le mal secret émerge des zones enfouies de l'être et surgit dans les consciences. Cette communauté nationale qui les avait envoyés, qu'ils avaient servie jusqu'au bout de leurs forces, cette France aujourd'hui humiliée, et qu'ils aimaient, l'avaient-ils rêvée ? Était-ce bien la même qui les recevait avec cette pitoyable musique, et ces injures ? A Orange en 1950, certains de leurs camarades avaient été conspués et frappés, *même sur leurs civières.* Un hôpital parisien, dans un appel aux donneurs de sang, précisait bien que ces dons « *n'iraient pas aux soldats d'Indochine* ». On avait refusé, à Marseille, de débarquer les cercueils des morts. La blessure intime que réveillait l'approche de la patrie était là, dans ce désaveu, dans cette absurdité. Et l'intermède civil où les centurions essaient en vain de se réadapter ne la guérit point. De dîners huppés en salons progressistes, elle reste vive, et les pousse parfois au scandale. Le colonel Raspéguy revient parmi les montagnards basques, ce peuple rude et fier dont il est issu. « Te voilà, grand feignant, lui dit sa mère, et même pas général avec l'instruction et la santé que je t'ai données ! » Mais, sur les versants des Aldudes, le cheptel des Raspéguy ne l'intéresse point : « *Il rêvait d'autres troupeaux, les seuls qui comptaient maintenant à ses yeux : des hommes en tenue camoufée, agiles et silencieux, qui le suivaient dans la nuit.* 30:48 *Peu importait leur race et leur couleur ; il les conduirait propres, beaux, jeunes, loin de ce pourrissement, de cette faiblesse, de cette lâcheté, vers une sorte de paradis brutal où seuls entreraient les guerriers et les purs.* » Après avoir obtenu un commandement près d'Alger, Raspéguy réussit à persuader ses anciens compagnons de partir avec lui : les centurions vont donc affronter la rébellion algérienne. « *Il sortira peut-être de cette aventure une nouvelle armée et une nouvelle nation,* dit Raspéguy ; *cette fois,* ajoute-t-il, *des défaites, il n'en faut plus.* » Effectivement, après leur apprentissage selon des méthodes nouvelles, de cette guerre étrange qui est d'abord une quête de l'ennemi, de ses pièges, de ses caches, de ses armes, ils gagnent. Avec l'expédition du Caire, cette victoire interrompue, où ils cèdent le terrain à des visages prospères et à des consciences bien reposées, la colère commence à former ses griefs. Enfin, pour la bataille d'Alger une mesure, ratifiée de Paris « *avec tous les risques qu'elle comporte* » leur donne l'ORDRE DE SAUVER LA VILLE. Ildsauvent la ville. Aussi, lorsque des poursuites sont engagées contre certains d'entre eux, la colère croit. BIEN ENTENDU, nul cousin Tertullus ne prétendra que ces centurions soient toute l'armée française, ou que le reportage romancé de Jean Lartéguy soit totalement objectif. Toutefois « les faits, les situations, les décors, précise l'auteur : sont tous pris dans la réalité » et cette affirmation paraît assez fondée. Par ailleurs on peut admettre que cette blessure d'âme qui fut celle des centurions, et qu'aujourd'hui même -- bien que la colère d'Algérie ait changé quelque chose en notre État -- des incertitudes avivent à nouveau, une partie du peuple français l'a éprouvée, l'éprouve encore. C'est donc cet état d'esprit qui nous occupe ici, les problèmes qu'il soulève, et qui sont graves ; car, à travers les problèmes de la riposte au communisme mondial, de la riposte à la rébellion algérienne, de la vocation de la France, et des devoirs des Français envers elle, c'est une question plus profonde encore qui est posée. Il faut d'ailleurs constater qu'elle fut posée aux centurions après Dien-Bien-Phu par leurs adversaires eux-mêmes, et sur son vrai terrain : celui de la Vérité ; celui du destin de l'homme ; celui du « sens de l'Histoire ». Or, il nous faut bien constater que ce terrain, les centurions de Lartéguy l'ont laissé en friche. 31:48 Et pourtant, alors que, sous le choc de la défaite, ils s'y avançaient dépourvus et tâtonnants, ils avaient bien entendu le combattant Viet Minh y installer, lui, sa prétention énorme et mécanique : « *Nous nous sommes battus jusqu'à la mort, et nous avons gagné,* disait-il, *parce que nous sommes détenteurs de la Vérité. Vous autres, officiers bourgeois, vous appartenez à un monde faux, pourri, périmé, coupable.* » Or, les centurions ont pu, grâce à cette connaissance acquise « du dedans » que permit leur captivité, mesurer quelle tragique illusion hantait cet univers forcené qu'ils voyaient s'organiser méthodiquement. Que n'ont-ils retenu cette conclusion de l'un d'entre eux : l'univers communiste « *est un monde sans prolongement vers l'infini, donc sans espoir* ». Que ne l'ont-ils méditée : s'il est nécessaire, en effet, à un monde qui veut garder l'espoir, d'avoir un prolongement sur l'infini, c'est-à-dire de compter sur Dieu, sur l'excellence de Sa puissance et de Sa volonté, de Son dessein mystérieusement à l'œuvre dans l'Histoire et proposé aux libertés humaines, cela n'est-il pas très sérieux ? N'est-ce pas l'essentiel de la vérité sur l'homme et son destin qui se trouve ici impliqué ? Ce que les centurions ont connu, au camp d'internement n° 1, et de cette connaissance expérimentale qui fut la leur c'est un athéisme pratique ; c'est un effort puissamment organisé en vue d'un monde sans Dieu. Mais alors pourquoi devant ce creux, ce désert, ne pas se soucier davantage du projet d'un monde avec Dieu ? « Quand j'aurai le temps, a répondu un jour le colonel Raspéguy, il faudra que je fasse le point. » Mais, ajoute l'officier qui rapporte le propos, « le colonel Raspéguy n'aura jamais le temps... ». Et cependant, sur cet espace de la vérité qu'il laisse en friche, que ne prend-il garde à cette végétation dangereuse qui le menace, et commence à lever ? S'il faut en croire Lartéguy, c'est un singulier paganisme, avec ses rites étranges, ses moments exaltés ou prétendument purificateurs qui saisirait les centurions. Quand le Dieu Vivant et véritable est oublié, des dieux obscurs s'éveillent dans les groupes, fortifient les orgueils et inspirent des violences. Ces hommes prétendent combattre la « démesure », celle du communisme, celle du « nationalisme délirant et anarchique des Arabes ». 32:48 Effectivement, leurs combats ont fait en sorte qu'au Viet-Nam, l'expansion communiste soit contenue en deçà du 17^e^ parallèle. « S'il y a un Viet-Nam libre, a déclaré en juillet dernier un haut fonctionnaire viet-namien, c'est au sacrifice obscur de cent mille Français qu'on le doit. » Les combats des centurions ont aussi contribué à ce qu'en Algérie la France assume, face à la force rebelle, d'imprescriptibles devoirs : la riposte légitime, la protection des personnes et des biens et enfin, à l'abri de ses armes, la promotion humaine requise par le phénomène colonial. Mais les centurions ne seraient-ils pas guettés à leur tour par la démesure si, livrés à des dieux nés d'eux-mêmes, ils songeaient à imposer un ordre guerrier où, selon le rêve de l'un d'eux, Marx et l'Occident, socialisme et nationalisme, seraient réconciliés ? CES AUTRES ILLUSIONS, si coûteuses elles aussi, leur seraient peut-être évitées par une considération plus attentive de cette *nation* qui fut, qui est, substance blessée de leur âme et de leur chair. Le fait national est lié au fait de naissance. Si la naissance nous insère dans l'Histoire c'est-à-dire dans le dessein du Créateur, c'est à travers des communautés naturelles où chaque homme trouve sa vocation de personne, et où il reçoit ce qui lui permettra de l'accomplir ; tant il est vrai que l'homme, comme disait Renan, ne s'improvise pas. La nation est donc l'une de ces communautés, et d'une certaine manière elle comporte, parce qu'elle est naturelle, une valeur en soi, une spécificité. Cependant, même à ce plan, découvrant notre dépendance à l'égard du Créateur : naissant membres d'une nation, nous naissons créés par Dieu et là encore, là d'abord, l'homme ne suffit pas à ouvrir toute la voie de la vocation humaine. Il faut pour cela, outre le fait d'une naissance naturelle, le fait d'une naissance nouvelle, surnaturelle, d'une « renaissance », par laquelle Dieu, en Rédempteur, nous appelle à une participation de sa vie trinitaire : « Nul, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu... Ne t'étonne point si je te dis : il faut naître de nouveau » (Jean, III, 6). Si bien que, par cette seconde naissance, l'homme saisit davantage que les limites naturelles où se circonscrit son destin ne sont pas des cloisons. C'est dans une cité immense qu'il est réenfanté par les eaux matricielles du Baptême. Dans l'Église, c'est le genre humain tout entier que Dieu recrée. Elle est la Ville « où se resserre l'unité ». Elle est la communion humaine la plus profonde : l'assemblée des frères recevant ensemble le don du Père et retournant ensemble à Lui. Elle est le lien du Père, Patrie des patries. 33:48 Si bien que refuser cette Patrie suprême, refuser de renaître, c'est être bien prêt d'oublier ou de renier le fait de naissance, le fait national ; c'est finalement compromettre l'ordre naturel lui-même : alors ne faut-il point s'étonner que la France, dans la mesure où ce refus l'habite, et l'Occident, et le monde, subissent les méfaits de cette désagrégation subséquente du tissu social dont ils sont faits. Il ne faut pas s'étonner que le sentiment national y soit blessé : c'est le signe que, faute de trouver leur véritable consistance, leur solidité, leur vocation, dans la communauté de renaissance, les diverses communautés naturelles sont toutes atteintes, ou toutes menacées : familles, professions, autant que la nation elle-même. Nul ordre violent, imposé de l'extérieur ne serait capable de porter remède à cette atomisation progressive d'un peuple où les personnes, déracinées des communautés nécessaires à leur épanouissement, deviennent les composantes passives, interchangeables et irresponsables d'une « masse ». Bien au contraire : cet ordre violent risquerait bien d'avoir pour effet de prolonger, autant qu'il s'en nourrirait, ce phénomène d'atomisation sociale ; et cela jusqu'à l'inévitable écroulement. La solution véritable n'est donc pas dans la colère et la hâte : elle est dans la patiente reconstruction des communautés, dans ce lent labeur qui consiste à tisser le tissu social des solidarités et des responsabilités, à faire naître l'ordre naturel en le faisant renaître dans l'ordre surnaturel. Jean Lartéguy rapporte qu'un soir, après avoir parcouru la Kabylie, l'un de ces centurions d'aujourd'hui se prit à rêver près d'une colonne romaine brisée. Sa pensée s'en alla vers les centurions d'autrefois, ses semblables qui, en ce même endroit guettaient au fond du désert l'arrivée des Numides. Ils restaient là pour défendre le « *limes* » de l'empire pendant que Rome pourrissait. Que n'a-t-il songé, que n'ont-ils songé, les nouveaux Marcus, Caïus ou Germanicus, que ne songeons-nous, cousins Tertullus, à cet autre centurion qui trouva la Voie, la Vérité, la Vie parce qu'il connut le Christ et l'aima : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, mais dites seulement une parole. » Luc BARESTA. 34:48 ### Salve regina *pour la fête de l'Immaculée-Conception* par le R.P. CALMEL, o.p. SATAN ne respecte rien. Il s'attaque à tout et à tous. Il essaie de corrompre tous les hommes et de les perdre tous. Or, il est une créature, une femme, qu'il a été obligé de respecter et de respecter totalement. Non seulement il n'a pu l'inciter au péché, à aucun péché d'aucune sorte, mais encore cette créature de notre race, cette femme bénie, a été préservée du péché originel. Les images de pureté, de candeur, d'émerveillement que nous offrent les petits et qui peuvent être extraordinaires, restent quand même très loin de la pureté et de la candeur de la Sainte Vierge. En elle, notre race humiliée et abîmée a été relevée extraordinairement, car le démon n'a pu l'atteindre ni l'abaisser d'aucune manière. En elle la femme qui trop souvent n'est pas respectée par l'homme et qui se prête par faiblesse ou par dépravation à n'être pas respectée, en Marie la créature féminine a été divinement réhabilitée. DIEU se l'est réservée. Il se l'est réservée d'abord en ce sens qu'il n'y eut jamais quelque chose dans sa pensée et dans son Cœur qui fût indigne de Dieu, serait-ce involontairement en vertu des conséquences de la faute héréditaire. Mais d'une autre façon Dieu se l'est réservée en lui inspirant de ne pas se donner en mariage, de se garder pour lui seul corps et âme, parce qu'il voulait en faire sa mère. 35:48 L'autonomie corporelle de la femme, cette liberté transcendante qui lui fait renoncer, à cause de Dieu, au mariage et à la maternité selon la chair, c'est en Marie qu'elle s'est manifestée tout d'abord ; l'autonomie corporelle de la femme afin que son âme soit plus libre dans le Seigneur, plus librement donnée à son amour. Marie a fait comprendre à toutes les générations que la femme pouvait ici-bas vivre pour Dieu seul, pour son amour et son royaume. L'amour de Dieu pour le genre humain a quelque chose de confondant ; lui, le Dieu très-haut, il s'est fait homme comme nous ; lui le Dieu très-saint il a pris la condition du pécheur. Or, il faut le remarquer, du fait même de son abaissement et de son incarnation il élevait une femme, bénie entre toutes, à devenir sa mère. Avant de se donner à tous les hommes et pour se donner à eux il se donnait d'abord à sa mère. Il a aimé les hommes non seulement au point de se faire l'un d'eux pour les sauver, mais d'abord au point de se choisir une mère digne de lui. Par le fait même il consacrait sa virginité. Non que le mariage soit mauvais. Mais celle qui allait devenir mère de Dieu comment penser qu'elle eût pu se donner en mariage ? Il fallait qu'elle soit toute réservée pour Dieu. « En se faisant homme, en se donnant à Marie comme son Fils, Jésus-Christ n'a pas diminué la virginité de sa Mère, il l'a consacrée. » On voit, on a quelquefois le réconfort inoubliable de voir des êtres lumineux traverser la vie en échappant aux communs désastres, aux communes défaites. Je ne veux pas dire qu'ils ne sont pas sujets à la souffrance et aux persécutions, aux calomnies et aux injures ; mais en les voyant on pense, on ne peut éviter de penser à une tendre victoire, à une victoire irrépressible qui demeure présente parmi nous et qui va son chemin. On est sûr que rien ne pourra l'atteindre cette victoire ; rien ne pourra l'abaisser, la dévier, la gâter. La destinée d'une Jeanne d'Arc parmi les sceptiques, les soudards et les traîtres ; la destinée d'une petite Thérèse parmi les mesquineries et les complications de l'égoïsme en vase clos ; la destinée d'une sainte Agnès ou d'une sainte Catherine évoqueront toujours pour nous, au milieu des misérables batailles de tant de vies misérables, le passage inespéré de la douce victoire de la noblesse de Dieu. Or la victoire de ces saintes ne saurait nous donner qu'une image très lointaine de celle de Notre-Dame. 36:48 Lorsque nous prenons conscience qu'elle est exempte de toute ombre de mal, toute réservée pour Dieu comme vierge et mère, toute tranquille en Dieu et accordée à son Fils dans la trame d'une vie sujette à quelles épreuves et terminée par quelle Passion, lorsque nous entrevoyons la pureté et la sainteté de Marie tout le long de l'Évangile nous sommes sûrs qu'elle est à jamais au milieu de l'humanité malade et disgraciée, la victoire de Dieu, la manifestation toute-puissante de sa lumière et de sa miséricorde. Il suffit de la regarder pour comprendre que c'est Dieu qui est plus fort, et que c'en est fait, quoi qu'il y paraisse, de Satan et du péché. ELLE EST CETTE FEMME BÉNIE entre toutes que les générations ne cesseront de saluer et d'acclamer depuis le salut de l'ange Gabriel et de la cousine Élisabeth. La femme bénie : puissions-nous entrevoir ce que cela signifie dans nos relations avec Dieu. Les dons particuliers à la créature féminine, cette intuition immédiate et globale, cette patience, ce silence lumineux et si éclairant, cette douceur, ce privilège d'alléger, de purifier et d'équilibrer, ce privilège surtout d'éveiller purement la véritable vie, enfin tous les dons particuliers à la créature féminine sont renfermés en Notre-Dame avec une qualité de perfection ineffable. Eh bien ! la vie spirituelle des enfants d'Adam, l'apparition, la croissance et souvent la résurrection de cette vie spirituelle est une réalité infiniment mystérieuse. Pour lucide que soit quelqu'un, que sait-il de son propre cœur, que sait-il concrètement de la vie et des mœurs divines ? Certes il doit se prendre en main pour vivre selon Dieu et se donner à Dieu ; il ne sera pas fidèle sans lui et en dehors de sa propre coopération. Mais qu'il faudrait être présomptueux et même grossier pour imaginer qu'on saura se prendre en main comme il faut et accueillir la vie divine d'une manière convenable. On voudra se corriger et on sera inhumain ; on voudra patienter et on se fera complice ; on voudra aider ses frères et on les entravera ; on voudra les mettre au large et on les laissera glisser. Dès qu'il est question de la vie divine quel chrétien en général et quel apôtre en particulier n'a compris qu'il n'y entendait rien ? C'est une réalité trop délicate, trop simple, trop mystérieuse pour avoir la moindre espérance de s'y adapter si peu que ce soit en dehors de l'invitation, des lumières et de l'action de la femme bénie entre toutes les femmes. 37:48 Il suffit d'avoir senti à la fois notre impuissance dans les réalités de la vie divine et ce que deviennent les qualités de la femme dans le cœur de la femme bénie, qui est Vierge et Mère de Dieu, pour se réfugier auprès d'elle et pour attendre d'elle seule la grâce de vivre selon Dieu et son Fils Jésus-Christ. *On nous en a tant dit, ô reine des apôtres* *Nous n'avons plus de goût pour la péroraison.* *Nous n'avons plus d'autels que ceux qui sont les vôtres* *Nous ne savons plus rien qu'une simple oraison* ([^15]). Fr. R.-Th. CALMEL, o. p. 38:48 ### Sur l'indifférence par Hyacinthe DUBREUIL IL Y A ENCORE heureusement des gens capables de se passionner pour quelque aspect des choses ou de la vie. Ce sont ceux sans doute qui ont été visés quand il a été parlé du « sel de la terre ». S'il y a quelque raison de souffrir d'un malheur ou d'une iniquité, ce sont eux dont le cœur saigne pour tout le monde : surtout pour la masse des indifférents que rien n'émeut. Or s'il est un symptôme alarmant dans la société d'aujourd'hui, c'est que la masse des indifférents semble croître. C'est alors comme si la quantité d'énergie que recèle la population était en train de se dissoudre. Tant de sujets pourtant requièrent aujourd'hui l'énergie de l'esprit. Et c'est pourquoi ceux qui en possèdent encore, et l'appliquent à un objet déterminé, se plaignent amèrement de se heurter au mur décevant de l'indifférence. Mur étrange par son inconsistance, mais plus infranchissable qu'une opposition déclarée. Comme des végétaux parasites qui prolifèrent au point d'étouffer tout ce qui voudrait vivre auprès d'eux, l'indifférence ambiante étend dans la société actuelle une paralysie insidieuse. Cette paralysie est en fait la principale force des propagandes malfaisantes, qui ont ainsi le champ libre pour répandre leur poison. Elle détermine une inertie, dont bénéficie l'audace des esprits corrompus. UN TEL PHÉNOMÈNE, par sa généralité, doit avoir des causes qu'il faudrait découvrir et dénoncer. Il faut sans doute les voir dans le développement des nouvelles formes d'organisation qui caractérisent la vie sociale contemporaine. Car c'est probablement dans cette direction que l'on trouvera l'origine de l'indifférence et de l'atonie *de* l'esprit public. 39:48 Sans verser dans le fameux « matérialisme historique », il faut tout de même reconnaître qu'il est des mécanismes sociaux qui peuvent, à la longue, exercer une influence déterminante sur l'état d'esprit de la population. Ces mécanismes sont sous nos yeux : Ce sont ces diverses administrations qui gèrent les intérêts publics, en élaborant des règles auxquelles chaque citoyen doit se conformer. Ces administrations, ont un résumé et un symbole : c'est l'État, dont chacun sait que les attributions et la puissance ne cessent de croître. C'est pourquoi les despotes et tyrans dont l'histoire nous entretient n'étaient, comme dit l'autre que des « enfants de chœur » à côté de la bureaucratie de l'État moderne. Leur domination étant directe et brutale, comportait une sorte de faiblesse sous-jacente. En fait, leur pouvoir s'est toujours écroulé. On ne voit pas bien comment le pouvoir de l'État moderne pourrait s'écrouler, car son pouvoir n'a plus le même caractère de brutalité apparente. Grâce à tous les moyens techniques de « diffusion » des idées -- presse, radio, etc... -- les victimes du pouvoir de l'État sont des victimes « par persuasion ». Elles absorbent tout ce qu'on veut leur faire « avaler », comme autant de pilules dorées. Plus besoin de penser. Il y a chaque jour des spécialistes qui vous disent tranquillement « ce qu'il faut penser » de tel événement. Plus besoin de penser... Ni, par conséquent, de réagir. Une machinerie considérable est chargée chaque jour d'installer les citoyens sur le « mol oreiller », où*,* tout étant prévu, ils n'auront plus qu'à s'endormir dans une indifférence confortable. Quel repos alors, d'être devenu un zéro devant l'énorme infini, dont l'attaque exigerait tant d'efforts ! C'est pourquoi on ne peut vraiment s'étonner que la foule reste sans réaction devant les idées ou les événements... SI L'ON VOULAIT FAIRE l'inventaire des moyens par lesquels s'élabore l'indifférence, on n'aurait que l'embarras du choix. C'est une tâche que chacun pourrait entreprendre dans le domaine de ses propres activités. C'est pourquoi il m'est, par exemple, plus facile de discerner les causes de la paresse intellectuelle dans les choses du travail. Causes qui étendent sans doute leur influence dans beaucoup d'autres directions. 40:48 Le grand mot d'ordre de la société d'aujourd'hui étant *l'efficacité,* on a appris que le meilleur moyen de l'atteindre était *l'organisation.* Alors, on s'efforce de tout organiser, après avoir commencé par le travail de production. Un grand théoricien de ces sortes de choses a énoncé cinq termes, qui ont presque une valeur symbolique pour l'étude que je suggère ici. Dans le monde des techniciens, ils sont connus sous le nom fameux des « cinq infinitifs », de Fayol : *Prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler.* Voilà des mots qui nous éclairent sur les caractéristiques du monde moderne. Ils servent de guide et d'aide-mémoire à tous les hommes d'action qui créent tout ce que le public réclame. De façon croissante, ils gouvernent la vie sociale, sauf encore... chez ceux qui ont précisément pour fonction, de gouverner ! Car ces cinq mots peuvent guider aussi dans l'analyse de leur incompétence : Dans quelle mesure sont-ils capables de *prévoir,* etc. ... Mais si le gouvernement « des hommes », comme dit Saint-Simon, n'a pas encore su utiliser les principes de Fayol, par contre, dans l' « administration des choses », telle qu'on la voit dans le commerce et l'industrie, c'est-à-dire là où les hommes travaillent, chacun sait qu'on s'efforce au maximum de se conformer à ces cinq indications. De sorte que, pour chaque opérateur, tout est *prévu* et *organisé.* Que chacun est commandé. Que son activité est *coordonnée* avec celle de ces voisins, et que, finalement il est sévèrement *contrôlé.* Où voyez-vous dans tout cela l'initiative de l'individu ainsi étroitement « encadré ». Chacun a même au moins entendu parier de cette nouvelle catégorie sociale qu'on appelle les *cadres !* ... Le résultat est que chacun est pour ainsi dire mis sur des rails, dont la direction est bien assise sur le sol, à l'inverse de l'auto dont le conducteur tient le volant pour « prendre les virages » plus ou moins artistement. Justement, la comparaison avec le conducteur de l'auto peut nous aider à comprendre. Pour lui, pas question de conduite automatique -- les « radars » ne sont pas encore assez au point ! -- Il lui faut une attention de tous les instants. Sur les rails, les détails de la conduite sont à peu près éliminés. Ne nous dit-on pas que l'on pourrait faire circuler les trains électriques sans conducteur, tout comme un ascenseur qui s'arrête à l'étage dont on a pressé le bouton ? 41:48 Le développement de nos administrations est aussi en train de former des citoyens automatiques. Celui des Assurances Sociales est le cas le plus typique. Plus besoin d'aucun *sentiment* de solidarité. La machine se charge de tout. L' « assujetti » n'est pas mon frère. C'est comme moi un matricule... tout a été prévu dans les règlements. Tout sauf l'amour, devenu superflu. Vous qui vous étonnez du développement de l'indifférence, faites un tour à travers toutes les belles machineries du monde moderne. Vous y verrez qu'il n'y a plus besoin d'autre Dieu que l'État. Hyacinthe DUBREUIL. 42:48 ### Les danses de Rameau par Henri CHARLIER Les Éditions du Sud-Est (46, rue de la Charité à Lyon) publient une nouvelle édition du *Rameau* d'Henri Charlier, remanié par l'auteur. Rameau reste pratiquement à peu près inconnu en France. Cela est aussi énorme que si, en littérature, les Français connaissaient Dante, Gœthe, Shakespeare, sans connaître ni Pascal, ni Corneille, ni Molière. Dans cette nouvelle édition, Henri Charlier fait état de documents nouveaux, et d'autres auxquels il n'avait pu avoir accès pour la première édition, principalement au sujet des sentiments religieux du musicien. Il y a en outre un chapitre nouveau sur les danses de Rameau ; mais dans le livre ce chapitre a dû être écourté en raison des « nécessités » de l'édition. C'est ce chapitre que nous donnons ici dans son texte intégral. ON PEUT S'ÉTONNER de ce qu'après le chapitre sur les *formes d'art* où se trouve expliqué le rôle du ballet dans le théâtre de Rameau nous revenions sur ses danses. La raison en est qu'elles ont dans l'histoire de l'art une place unique. Lully et Quinault avaient donné sa forme définitive à la tragédie lyrique. Rameau n'eut qu'à l'adopter. C'est comme chez les Grecs une union de la poésie, de la musique et de la danse ; chez Lully la poésie tient plus de place, dans un meilleur équilibre avec la musique ; chez Rameau la danse prédomine sur la poésie. 43:48 A part quelques réussites, les danses de Lully sont assez banales. Campra qui a créé *l'opéra-ballet* avec *L'Europe-Galante* en a beaucoup de charmantes, Mouret aussi. Mais par-dessus celles d'Ésope, de Phèdre et de Florian, les fables de La Fontaine ont une qualité qui en fait pour toujours une œuvre unique, inimitable, et insurpassable. Il en est de même des danses de Rameau qui, comme le dit justement Diderot « dureront éternellement ». LA MUSIQUE DE DANSE n'a pas un préjugé favorable chez les musiciens ni chez les mélomanes. Pourtant tous les compositeurs de la grande époque de la musique instrumentale (c'est le XVIII^e^ siècle) ont écrit des *suites* de danses. Ces suites avaient même un ordre interne, traditionnel au temps de Rameau et de Bach : introduction, allemande, menuet, gavotte, sarabande, gigue, et Bach en a composé beaucoup. Seulement chez lui une danse n'est qu'un certain type de mesure et de mouvement. Même les plus gracieuses d'entre elles (dans les suites françaises) sont lourdes et pédantesques et n'invitent nullement à les danser. C'est le propre d'une nation qui n'a rien laissé en architecture, peinture ni sculpture d'abord, et qui en musique a poussé à la confusion de la mesure et du rythme, ce qui est le premier signe de décadence de cet art. Or la danse est de la plastique en mouvement ; la danse est chargée de signifier pour la vue les rythmes perçus par l'oreille ; elle est donc la partie la *plus significative et la plus profonde* d'un *spectacle musical,* en ce qu'elle est uniquement commandée par la musique, sans imitation d'autre chose que les rythmes, tandis que le jeu des acteurs est commandé par une affabulation verbale. Wagner avait senti ce besoin de l'union du geste et de la musique dans le théâtre musical, mais il ne s'élève pas au-dessus de la pantomime comme dans la scène entre Sigmund et Siegelinde de la Walkyrie. *Au contraire plus la danse s'éloigne de la mimique, moins elle est figurative d'actions particulières,* plus elle est capable de s'adapter aux *mouvements de l'âme* tels que les traduit l'art musical, par un mouvement et un rythme de ce mouvement. La suite d'orchestre a donc évolué dans deux directions. Elle est devenue comme le noyau et en même temps le bouquet du théâtre musical français. Et d'autre part elle a donné naissance en Italie d'abord, avec Corelli et Vivaldi, à la sonate, puis à la symphonie allemande. 44:48 Celle-ci en a gardé la forme générale qui place au milieu les morceaux lents et même un menuet et à la fin une pièce gaie (comme était la gigue) ou triomphale. Les différentes pièces des *Concerts* en trio de Rameau sont liées par la tonalité, par une subtile inspiration musicale, mais avec autant de fantaisie que celles de Couperin. Cette fantaisie n'est autre chose que la fidélité à une inspiration libre. RAMEAU EST CERTES un très grand dramaturge. Nous avons rapporté (p. 38) ce que dit Berlioz de l'air de Thélaïre dans *Castor :* que c'est « une des plus sublimes conceptions de la musique dramatique ». Le second acte *d'Hippolyte et Aricie* tout entier, la plainte de Phèdre au troisième en témoignent. Mais il semble que lorsqu'il eut dit tout ce qu'il voulait dire par la tragédie, il ait préféré des tableaux musicaux plus courts comme par exemple l'attaque des Titans contre l'Olympe qui fait l'ouverture et le prologue de *Naïs.* C'est là d'ailleurs un sujet qui n'est possible qu'à la poésie épique et à la musique (et à la peinture) et non au drame poétique. Il est normal que le théâtre musical se saisisse de sujets qui lui conviennent et sont interdits au théâtre poétique. On voit mal toute une salle regardant dormir le héros. Lully Rameau, Wagner ont écrit des « *Sommeils* » (d'Atys, de Renaud, de Dardanus, de la Walkyrie) que seule la musique a rendus possibles au théâtre et Rameau eût fait danser le feu qui entoure Brunehilde. C'est ce que les Encyclopédistes n'ont jamais compris, étant aussi peu poètes que musiciens. Rameau avait dans *Hippolyte et Aricie* décrit le tremblement de crainte devant la destinée et l'influence mystérieuse de la prière ; car les trois admirables prières de Thésée sont le ressort profond de la pièce. Dans *Castor,* le sacrifice mutuel de deux frères ; *Dardanus* dépeint le triomphe de l'amour. Dans *Zoroastre,* le moment où la voix du ciel encourage le héros à lutter contre l'esprit du mal est un des sommets de son œuvre. Les héros de Rameau sont des hommes : les héroïnes ne sont presque que des prétextes. Elles sont d'ailleurs charmantes, droites et pures. Mais fidèles aussi, non sans audace et énergie. Rameau avait une haute idée des perfections où peut atteindre la femme. 45:48 Mais la moitié au moins de son œuvre se compose d'opéras-ballets où chaque acte offre un sujet nouveau relié aux autres par un fil assez mince. Les *Indes galantes* représentent le *Turc généreux,* une *fête persane,* les *Incas,* les *Sauvages.* Les *Fêtes d'Hébé* ont trois entrées, la poésie, la musique, la danse. Si bien que son œuvre, qu'elle soit tragédie, comédie, églogue, présente toujours à chaque acte un ballet qui en est le cœur et comme l'aboutissement. Rameau a développé là, en toute liberté, son génie symphonique. Ses danses, certes, correspondent aux situations. Par exemple dans l'acte du *Turc généreux,* l'équipage du navire qui a naufragé dans la tempête va tomber en esclavage chez les Turcs et ce n'était pas rien en ce temps. Il apprend qu'il recouvre la liberté. Il danse deux tambourins d'une joie délirante, et ce qu'on pourrait appeler l'excès même de cette joie ajoute une nuance de grandeur qui transforme et élève la situation. Cette délivrance devient le rêve d'une délivrance spirituelle. C'est en cela que se manifeste la grande âme de Rameau ; les situations sont toujours élargies par un caractère contemplatif qui s'y ajoute et les dépasse. On penserait ne trouver qu'une sorte d'entraînement guerrier (A la chasse ! A la chasse ! *Armez-vous !*) dans la scène de chasse du quatrième acte *d'Hippolyte et Aricie.* Non seulement la mélodie mais les danses entraînent plus haut. C'est là que se trouve un menuet en rondeau pour hautbois, violons et bassons, qui est un chef-d'œuvre du contrepoint libre, où les trois mélodies sont dissemblables mélodiquement et rythmiquement et dans un accord admirable. Il y passe une sourde plainte de ce débordement d'activité, une sorte de stoïcisme de l'action. Il en est de même dans une « entrée de guerriers » où un simple contre-sujet de hautbois de ces soldats fait des victimes. La danse de Terpsichore dans l'acte de la danse des Fêtes d'Hébé est d'une grandeur épique. Il s'y trouve un don de soi qui est certainement le don même de la danse, car aucun artiste ne se donne tout entier autant que le danseur. Il s'y trouve aussi un émoi courageux devant la vie, une attente et une espérance. Ce *louré* témoigne de la profonde perspicacité du compositeur pour utiliser les moyens d'art dont il disposait conformément à leur génie propre. On fait gloire à Erik Satie des quelques notes de cor sous un dessin de flûtes dans *Parade* et on a raison : il faut du génie pour rendre si profondément expressifs des moyens aussi simples et aussi puissants. 46:48 Mais déjà, de même, dans la danse de Terpsichore, une longue tenue des cors sous une mélodie de petites flûtes jouant en tiercé est comme une suspension de temps dans la contemplation. C'est pourquoi on trouve si peu de danseurs pour s'égaler à cette musique. QUE CETTE APOTHÉOSE de la danse ait un tel caractère de grandeur et de gravité montre le cas que Rameau faisait de cet art. Nous citerons encore la Sarabande des *Fêtes d'Hébé.* C'est une prière chantée par Iphise et dansée sur les paroles : « *Dieu tout puissant...* » Tout ce qu'on peut rêver de la prière antique dans les chœurs *d'Antigone* se trouve ici réalisé ; mais la fatalité est éliminée ; les danses suivantes ramènent progressivement la paix et l'espérance dans le cœur des personnages. Il en est toujours ainsi, les danses de Rameau dépassent toujours leur objet ; elles font du sujet de l'acte ou de la pièce une parabole dont elles donnent le sens profond. Elles sont un moyen d'art par où la musique amplifie l'espace sonore qu'elle : occupe en prenant possession de l'espace visuel. La musique y est libre ; elle ne dépend plus étroitement du sujet du drame ; elle s'incarne en quelque sorte dans la danse où elle utilise toutes les possibilités du corps humain ; elle grandit et renforce son action en commandant au corps même par l'intermédiaire de l'âme qui entend les sons. C'est pourquoi Rameau, cet homme secret et silencieux qui ne parlait jamais de lui-même, qui n'a jamais dit un mot même à sa femme des quarante premières années de sa vie, l'homme le plus éloigné qui pût être d'écrire des « Mémoires » a confié à ses danses ce qu'il avait de plus intime et caché dans sa pensée, ce qui dépasse le temps, les circonstances et les hommes. Il en a fait son secret. Le fameux tambourin des pièces de clavecin, que les maîtres de piano réservent innocemment à leurs jeunes élèves, termine dans les *Fêles d'Hébé* l'acte de la danse. Il est à l'orchestre presque tragique tant la volonté y domine la terre et le monde des corps, On le joue généralement trop vite car il faut qu'il puisse être dansé. C'est ce qu'oublient les chefs d'orchestre qui jouent ces pièces au concert. 47:48 Des deux gavottes du prologue de *Castor,* la première exprime une espérance de paix naturelle, la seconde la nostalgie d'une paix éternelle qu'avait dans son cœur le musicien qui se battit quarante ans contre lui-même pour conquérir la maîtrise de sa pensée et quarante ans pour la défendre contre les imbéciles. Les musettes s'essaient à retrouver dans ses pastorales l'innocence du Paradis qu'on chercherait en vain dans celles de Watteau où domine la mélancolie d'une nature faible et maladive. Dans l'ensemble les grandes chacones de Rameau et toutes ses danses témoignent d'une certaine exaltation joyeuse. Les esprits superficiels ne voient dans les danses de Rameau que de la gaîté. Dans l'ensemble elles parlent d'une joie conquise ; il n'est pas étonnant mais curieux de constater ces analogies entre la pensée de Rameau et celle de Beethoven. On est porté à comparer Rameau et Bach parce qu'ils sont contemporains et que tous deux ont utilisé un même langage musical qui est celui de leur temps. A tous points de vue Bach est inférieur sinon comme maître de la fugue scolaire ; mais de ses plus belles inspirations il arrive à faire un exercice d'école. Ses allégros sont tous lourds, grossiers et martelés ; sa joie est vulgaire. Au contraire, les deux musiciens exceptionnels que sont Rameau et Beethoven furent des maîtres de la composition libre. Leur invention sans cesse renouvelée, toujours inspirée, leur lucidité musicale sont analogues. Ils allaient tous deux à l'essentiel de la vie et de la pensée « cachant l'art par l'art même », dit Rameau ; ils ont traité directement les mêmes grands sujets. Mais Beethoven était malade d'un orgueil qui le rendait presque fou par moments et lui faisait tenir des discours insensés. Or l'orgueil est toujours forcément déçu ; Beethoven était très malheureux et l'espèce de frénésie qui résulte du déséquilibre de sa vie morale est passée dans sa musique, amoindrissant la portée de ses plus belles inspirations : son ode à la joie finit très mal, et avec ces dons de la plus haute qualité, il a fait descendre la musique de la spiritualité au sentiment. Si bien que des deux c'est l'auteur de danses qui est le contemplatif. Rameau, sans orgueil, vécut pauvre et inconnu jusqu'à cinquante ans, satisfait seulement de la vérité et non des approbations humaines. Lorsqu'il écrivit ses grandes œuvres, il avait trouvé depuis longtemps l'équilibre de la volonté et de l'intelligence qui permet ; la joie. 48:48 Il vivait d'un stoïcisme chrétien qui est la porte de la paix. Il est le plus grand inventeur de rythmes de l'histoire de la musique ; dans leur infinie variété ses danses ont toutes la marque de cette paix contemplative. OÙ RAMEAU puisait-il cette grandeur ? Dans les dons à lui répartis sans doute et dans son inspiration. Bien entendu il se pliait aussi au sujet. « Un bon musicien, dit-il dans son *Traité de l'Harmonie* (p. 143), doit se livrer à tous les caractères qu'il veut dépeindre et, comme un habile comédien, se mettre à la place de celui qui parle ; se croire être dans les lieux où se passent les différents événements qu'il veut représenter, et y prendre la même part que ceux qui y sont le plus intéressés. » Mais par certains traits de ses habitudes nous apprenons où Rameau trouvait ce qui dépasse le sujet. Chabanon écrit : « *Monsieur Rameau se promenait la plus grande partie du jour, seul, ne voyant et ne cherchant personne : j'avais cru longtemps, à le voir ainsi, qu'il était plongé dans des méditations savantes ; mais il m'assura un jour qu'il ne pensait à quoi que ce soit, que je lui ferais toujours plaisir en l'abordant, et en le retirant de cette rêverie vide et oisive *; *j'usai depuis de cette permission qu'il me donnait ; mais je ne l'ai jamais abordé, qu'au premier instant il n'ait eu l'air de revenir d'une extase profonde ; plusieurs fois il a fallu me nommer à lui pour qu'il me reconnût, quoique nous eussions causé ensemble peu de jours auparavant.* » Chacun répond « à rien » quand il est interrogé de cette manière. Ce *rien* pour Rameau ne devait pas être sans importance pour qu'il ne reconnût même pas ses amis. Il avait le pouvoir de s'abstraire du monde extérieur. Ce trait témoigne en outre du peu d'importance que la vue et les images visuelles jouaient dans sa vie et son imagination. Ces longues promenades pendant lesquelles il ne voyait rien étaient-elles rêverie ou imagination ? L'un et l'autre probablement. La méditation des artistes offre des caractères particuliers qui viennent de la nature de leur langage. Elle voisine avec la contemplation. Saint Jean de la Croix est un grand poète qui a résumé sa doctrine en quelques poèmes d'une rare qualité. 49:48 Dans les promenades solitaires où s'absorbait sa pensée, Rameau a trouvé ce dépassement de l'homme qui fait la profonde vertu de ses danses et les dresse uniques, dominatrices et solitaires, dans l'histoire de la musique. Henri CHARLIER. P. S. -- L'édition musicale vient de nous faire une heureuse surprise. La « *Boîte à Musique* » vient de donner les sonates l' « Astrée » et l' « Impériale » de Couperin ainsi que plusieurs trios en un disque HAM LD 056. L'an passé elle avait donné la « Sultane » du même musicien. Or, ce sont là les chefs-d'œuvre de la musique de chambre, et inexplicablement inconnus. Couperin est aussi différent de Rameau que Claudel l'est de Péguy ; Racine de Corneille ou Musset de Victor Hugo ; ce ne sont là bien entendu que des analogies. Rameau est un très grand esprit, d'une volonté farouche, mais bon et naïf, en quelque sorte, qui a imposé à son art une vision héroïque du monde, du devoir, du sacrifice et de l'amour. Couperin, sans héroïsme, avait une connaissance du cœur humain si profonde qu'elle lui évite de tomber dans la sentimentalité, ses complaisances et ses illusions. Ceux qui écouteront la « *Plainte* » pour deux violes du 10^e^ Concerto, sauront ce qu'est la douleur chez un chrétien maître de soi qui reste à sa place dans le monde. Aussi bien, Couperin avec ses « *Leçons de Ténèbres* » a-t-il écrit la plus belle musique religieuse de son époque (disque ERATO DP 23-1). H. C. 50:48 ### NOTES CRITIQUES #### La vérité dans la charité C'est une œuvre de bonne foi que Mgr Guerry a publiée au début de l'année sous le titre *Église catholique et Communisme athée* ([^16]). C'est aussi une œuvre de lumière. Dont l'utilité, la nécessité même, s'imposaient. C'est enfin une œuvre d'amour. Ce livre en ces temps où l'on est souvent tenté de mettre en relief la stratégie globale du communisme comme appareil idéologique et publicitaire, rend un son inhabituel. Il ne se présente pas en accusateur. Il ne tend pas à « démasquer ». En bref, il ne suppose pas que le travail de réfutation patiente est, d'avance, tout fait. Il s'y porte. Il s'y attache. Il le mène à bien, victorieusement. Mgr Guerry ne se présente pas en accusateur du Communisme. Il se présente en défenseur de l'Église. C'est la première caractéristique de son ouvrage, celle qui lui donne son style, son allure d'ensemble. Dès les premières lignes, ce sont des attaques contre l'Église que met en avant le Secrétaire de l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques. Il cite, ainsi, en début de chaque chapitre souvent, des passages où les omissions volontaires, les déformations méthodiques, les affirmations mensongères ou calomnieuses sont ensuite établies par lui minutieusement, scientifiquement, péremptoirement. La première partie du volume -- qui en compte trois -- montre ainsi que les communistes s'efforcent systématiquement de donner une idée déformée de la doctrine sociale de l'Église. Ils pourraient tenter, en effet, de la repousser en la discutant telle qu'elle est, ou telle qu'elle se présente. Ce n'est point le cas, et Mgr Guerry est à même de montrer, en confrontant texte à texte, que la propagande communiste, même élaborée, même destinée aux intellectuels, celle des *Cahiers du communisme,* ne peut s'attaquer à l'enseignement social catholique *qu'après l'avoir, au préalable, défiguré et rendu méconnaissable.* De ce fait, l'explication communiste des conflits sociaux ou de la situation internationale apparaît dans toute sa fausseté. Elle a besoin d'empêcher ses victimes de connaître l'explication véritable, chrétienne, de ces problèmes. Avant même de poser l'erreur, il lui faut travestir la vérité là où elle est. 51:48 D'aucuns songeront qu'ils étaient déjà amplement persuadés de ces choses et que c'est faire beaucoup d'honneur aux communistes que de réfuter point par point des attaques généralement récentes (les textes cités des *Cahiers du Communisme* remontent à un an ou deux) mais non pas nouvelles. C'est que Mgr Guerry face au Communisme réagit en Pasteur. Il sait que parmi les fils de l'Église il en est qui sont sollicités par la séduction du communisme. Il sait que, en 1960 autant ou plus qu'en 1937, les arguments du communisme s'infiltrent, pénètrent, même en milieu chrétien, même dans les intelligences chrétiennes. Et celles-ci ne sont pas toujours suffisamment informées, ou suffisamment souples, pour se défendre. Elles ont besoin de réponses récentes à des attaques récentes. Elles ont besoin qu'on les nourrisse, pour retrouver vigueur et force, quand des conversations, des discussions les ont inquiétées, et parfois ont comme anémié leur capacité de résistance. Aussi, le livre de Mgr Guerry a commencé de faire beaucoup de bien, et doit continuer d'être très largement répandu dans tous les milieux catholiques, spécialement ceux qui sont appelés, quotidiennement parfois, à subir l'offensive des infiltrations intellectuelles du Communisme. Précisons davantage. On peut attaquer le Communisme dans son élan d'ensemble, montrer sa stratégie et sa tactique, l'application de sa dialectique, sa structure théorique. On peut le faire et il faut le faire. Mais cette forme d'action éclaire plus facilement ceux qui déjà sont en méfiance que ceux qui sont subtilement menacés, menacés dans leur confiance dans l'Église, assaillis quotidiennement par des critiques qui les mordent dans leur respect humain, leur amour-propre, -- nous en avons tous -- parfois même, aux yeux des autres, dans leur honneur de chrétien. C'est ici, c'est sur ce point que le livre de l'Archevêque de Cambrai apparaît comme une œuvre de bonne foi. Il fait confiance à ceux qui, peut-être, sont séduits. Il s'adresse à ceux qui sont tentés. Il le fait avec délicatesse, et une objectivité splendide : il leur met le dossier en main. Il l'a préparé, annoté, clarifié. Puis il prend position, fermement. Mais en partant de la situation psychologique concrète de ceux qui sont menacés, et dans un style qui invite à lire le livre *même ceux qui ne sont pas d'avance persuadés de tout ce qu'il apporte.* \*\*\* La deuxième partie du volume élargit le débat. Après avoir défendu l'Église contre les attaques relatives à sa doctrine au plan social et au plan international, -- les plus fréquentes, donc, et les plus concrètes -- Mgr Guerry dégage les oppositions fondamentales entre le christianisme et le communisme au plan religieux. 52:48 Il pose, à la page 88, un principe qui, nous semble-t-il, domine tout ce développement central : « Dans ce système du communisme marxiste, *l'athéisme ne vient pas se surajouter a lui comme un complément facultatif, une position extérieure au système lui-même.* » Mgr Guerry est net : « *L'athéisme fait partie intégrante du système.* » Sous ce rapport, le chapitre intitulé « L'humanisme marxiste » apparaît comme une étape fondamentale de l'ouvrage. Le mot « étape » peut surprendre. Il semble pourtant adéquat à faire bien saisir le propos de l'auteur. Il prend le lecteur avec ses doutes, ses inquiétudes, ses tentations peut-être, et graduellement, étape par étape, sans aucune violence, il l'introduit dans la réalité essentielle du communisme. L'homme, dit Marx, est pour l'homme la valeur suprême. Par le travail, réalité matérielle collective, l'homme -- non pas individu, mais société. -- se produit lui-même, se crée lui-même. Il trouve dans l'unité humaine non pas un milieu fraternel de fils adoptifs de Dieu, mais une socialisation qui conditionne la pleine réalisation de cette auto-suffisance, de cette autocréation, de cette auto-rédemption de l'homme. Mgr Guerry, à la suite du P. de Lubac, cite la phrase de Marx : « *La religion des travailleurs est sans Dieu, parce qu'elle cherche a restaurer la divinité de l'homme.* » Opposant, sans transition, l'homme nouveau de saint Paul à cet humanisme athée, l'Archevêque de Cambrai met l'âme, pour ainsi dire, sous le regard de Dieu. Le communisme, en tant qu'il se présente comme une tentation pour l'âme, est essentiellement une tentation d'orgueil : orgueil de *l'indépendance* de la nature humaine, orgueil de ne rien devoir qu'à soi (non pas comme personne, mais comme nature), orgueil enfin d'une humanité qui entend se sauver soi-même (une idée de fausse rédemption, disait déjà Pie XI dans *Divini Redemptoris*)*.* Aussi, le lecteur que séduirait soudain l'ampleur même de l'homme total, où les communistes s'efforcent de réaliser la dépersonnalisation individuelle pour la réalisation historique d'un « athéisme positif » atroce se retrouve-t-il opportunément en pleine lumière théologale, dans la perspective du Corps Mystique du Christ Jésus. Il faut exprimer une très vive, très profonde gratitude à S.E. Mgr Guerry, qui sait être fidèle à de telles inspirations. Des pages comme celles-là font de son livre, non plus seulement un ouvrage doctrinal, mais un très profond, très intérieur document spirituel. Ce n'est pas seulement l'intelligence qu'il vient apaiser. C'est l'âme tout entière, selon le mot de Platon, qui, eu progressant dans la lecture, baigne dans la connaissance de la vérité. A l'œuvre de bonne foi s'ajoute ainsi l'œuvre de lumière. \*\*\* 53:48 *Église catholique et communisme athée* traite, en troisième partie, du totalitarisme du communisme. Sous ce titre, l'auteur montre d'une part le caractère monolithique de la doctrine, qui se présente avec son dogme et sa morale, et d'autre part l'organisation du communisme comme société religieuse. Deux choses frappent, dans ce développement de Mgr Guerry, -- la seconde conséquence, d'ailleurs, de la première. C'est d'abord la précision avec laquelle l'incompatibilité du catholicisme et du communisme est établie. Quand l'auteur parle de dogme, ce n'est point de façon vague, ou polémique. C'est pour montrer que dans l'enseignement catholique, la création, le péché originel, les péchés personnels, la Rédemption du Christ sont des dogmes. Sur ces mêmes points, Marx et ses continuateurs enseignent que l'homme se crée, que la division est une condition de progrès, que le péché est dans les structures sociales, non dans l'homme, que le salut vient non du Christ, mais du prolétariat. L'auteur entre ainsi très profondément dans la caricature religieuse que réalise le communisme. C'est ensuite la manière originale, et tout à fait frappante, dont Mgr Guerry présente ce que Lénine lui-même a appelé « la stratégie et la tactique ». A ces formules militaires, qui ont l'inconvénient de suggérer au chrétien que la principale réponse au communisme est aussi d'ordre militaire, l'Archevêque de Cambrai substitue une vision religieuse, plus profonde et plus réelle. La stratégie et la tactique léninistes, il les présente comme des aspects de l'organisation communiste « comme société religieuse ». Ainsi, il fait toucher du doigt, si l'on peut dire, que les tromperies, les mensonges, les faux-fuyants de la propagande communiste sont en réalité les manifestations d'une contre-église, et que le combat est spirituel. Ce faisant, non seulement il met en garde contre les manœuvres diaboliques du marxisme-léninisme, mais encore il place les réactions de défense sur leur vrai terrain : celui d'un combat d'abord et avant tout fondé sur la prière et la pénitence, sans lesquelles les efforts intellectuels, sociaux, économiques les mieux adaptés risqueraient de ne pas atteindre leur but. En cela, le livre de Mgr Guerry est opportun. Disons plus : tout à fait nécessaire. \*\*\* La conclusion de l'ouvrage est explicitement adressée aux militants chrétiens, spécialement ceux qui sont « *appelés par leur travail même et la vie de tous les jours à se trouver en relations personnelles de voisinage, d'amitié, de camaraderie avec des communistes, à l'usine, dans le quartier, les transports, les loisirs* ». Partant de l'expérience quotidienne qu'ils ont de ce voisinage, mais expérience pour eux, page à page confrontée avec la lumière de leur foi, l'Archevêque de Cambrai leur donne le bréviaire de leur attitude intérieure et extérieure. 54:48 Si parmi eux, plusieurs étaient en péril, ou souffraient, ils ont été rejoint par la tendresse de l'Église qui, délicatement, sans un reproche, positivement, leur donne ainsi un témoignage efficace de sa maternité attentive. Et aux autres, -- à ceux qui n'ont pas été tentés par la séduction communiste, parce qu'ils en connaissent déjà, -- mais sans l'avoir mérité, par grâce, -- l'intrinsèque perversité, Mgr Guerry donne une leçon. Personnellement, c'est cette leçon que nous avons reçue de son ouvrage, et pour quoi nous lui exprimons une respectueuse et profonde gratitude. Cette leçon, c'est celle d'une vérité qui se développe dans l'âme au fur et à mesure que la lecture avance, d'une vérité qui sait se faire douce et progressive, d'une vérité qui ne blesse pas, qui n'inquiète pas, d'une vérité qui ne met point en accusation. D'une vérité qui se révèle de façon vivante, progressive au point que ceux-là même qui avaient le plus besoin d'elle n'ont pas souffert en la recevant. Prudente, patiente et douce dans sa démarche, elle apparaît, sous cette plume paternelle, comme une effusion toute pure de l'amour du Christ. Nous avions, tous, besoin de ce livre. Marcel CLÉMENT. ============== #### L'expérience de l'église (*au sujet d'un livre récent*) ([^17]) Au soir de la vie, à cette heure irrévocable où l'âme comme un vaisseau chargé qui coule à pic s'enfonce d'un coup dans l'éternité avec le poids de son expérience irréversible, à cette heure où l'âme reconnaît sa forme définitive dans le ciel ou l'enfer, quelle expérience de l'Église de Jésus-Christ emportait avec soi chacun des Lamennais, les deux frères Félicité et Jean-Marie ? L'un et l'autre ils avaient apprécié le travail de la hiérarchie apostolique au temps de l'Empereur et de la Restauration ; l'un et l'autre ils avaient souffert de certains évêques, créatures médiocres du despote révolutionnaire ; ils s'étaient aperçu tous les deux que Grégoire XVI ne ressemblait pas à Léon XII ; tous les deux dans les heures de disgrâce et d'éviction, ils avaient trop bien senti que les défenseurs de l'autorité romaine n'étaient pas toujours animés d'un empressement aussi pur qu'il y paraissait : 55:48 le zèle à servir l'autorité se nuançait plus ou moins délicatement d'une arrière-pensée d'arrivisme ou d'un appétit de vengeance ([^18]). Pour tout résumer chacun des deux frères avait fait l'expérience que la sainte Église est composée d'hommes et de pécheurs. Mais le frère aîné, l'abbé Jean-Marie, avait toujours vécu cette expérience au sein même de l'Église et plus que jamais à la fin de sa noble carrière, si ingrate parfois et si souvent contrariée, il avait l'assurance que l'Église est le lieu de la sainteté, de la paix et de la béatitude. Il avait su, dès l'âge de six ans, et juste à la veille de l'exil de Monseigneur de Pressigny ([^19]), que l'Église est le lieu de la communion au Corps du Christ et de l'autorité de l'évêque. Cette expérience première, lumineuse et décisive, n'avait cessé de s'approfondir dans son cœur. Les tribulations qui lui étaient venues par les hommes d'Église, par leurs médiocrités et leurs péchés, n'avaient jamais atteint les évidences chrétiennes primordiales éclatant dans un cœur pur. Bien plus, l'expérience de l'Église comme communauté de sainteté grâce à l'Eucharistie et à l'évêque s'était approfondie et purifiée dans l'âme de Jean-Marie, du fait d'avoir consenti aux multiples épreuves inséparables d'une communauté surnaturelle composée de pécheurs. Quant au deuxième Lamennais, celui qui, aux jours de l'épreuve et de la condamnation, s'était révolté, fermé jalousement dans sa révolte, muré en soi-même sans une faille du côté de la papauté et du sacerdoce, lorsqu'il était étendu sur son lit de mort quelle pouvait être encore son expérience de l'Église ? Que savait-il encore de cette mère sainte pour laquelle jadis il avait livré fièrement de si terribles combats ? Il savait, il ne voulait savoir de l'Église que cela seulement qui n'est pas elle. Il s'était appliqué à ne voir en elle que l'universel péché qu'elle trouve dans ses enfants et dont elle les débarrasse avec ses mains très pures d'Épouse de Jésus-Christ. « *Félicité, veux-tu un prêtre *? -- *Non. -- Mon oncle, je t'en supplie ! -- Non. -- N'avez-vous besoin de rien *? -- *Non ; et qu'on me laisse en paix.* » Ce furent les dernières paroles intelligibles de ce prêtre de Jésus-Christ. Entre le troisième *non* qu'il répondit à la tendre nièce, pitoyable et déchirée, et le moment suprême où l'âme se détacha de son corps, est-ce que, dans un instant furtif, le regard du prêtre révolté rencontra le regard miséricordieux du Souverain Prêtre ? Et ce cœur orgueilleux voulut-il enfin dans son dernier battement s'ouvrir à la miséricorde et à l'amour ? Est-il sauvé ou damné celui pour qui tant de prières et de larmes étaient offertes à Dieu depuis vingt ans ; celui pour qui les pauvres ouvriers, à travers la France, faisaient régulièrement célébrer des messes depuis qu'ils avaient connu le mal sans remède dont il était frappé ? 56:48 Que répondre à ces angoissantes questions ? La petite Thérèse écrivait au sujet du grand criminel « son premier enfant » : « Je dis au Bon Dieu que j'étais bien sûre qu'il pardonnerait au pauvre malheureux Pranzini, que je le croirais même s'il *ne se confessait pas* et ne donnait *aucune marque de repentir,* tant j'avais de confiance dans la miséricorde infinie de Jésus ([^20]). » Pouvons-nous avoir la même assurance au sujet de Félicité de la Mennais dans l'ignorance où nous sommes d'un repentir manifeste ? ([^21]) Évidemment La Mennais n'est pas un criminel ; mais c'est un prêtre qui a trahi la grâce sacerdotale. On connaît peut-être la réflexion de Bernanos ([^22]) sur l'étude de Robert Valéry-Radot, *Le Prêtre malgré lui :* « Il fallait réellement la démarche et le mouvement du génie -- *ingenium* pour reconnaître chez le petit homme au cœur amer un de ces êtres réservés, sacrificiels, sur qui semble peser inextricablement la fatalité de tout un siècle. Jusqu'à quel point, dans quelle mesure la justice divine épargne-t-elle, en ayant l'air de les accabler, ces créatures exemplaires ? Il ne nous appartient pas de l'imaginer. Contentons-nous de dire que notre piété doit aux malheureux marqués d'un tel signe, à ces élus ténébreux, de ne juger de leur destin particulier que par rapport, ou comme disent les mathématiciens en fonction des grandes crises historiques dont ils sont peut-être, en quelque manière, les victimes et la rançon. » Certes, à l'égard des « malheureux marqués d'un tel signe » notre jugement n'aura jamais assez de réserve et de piété ; mais que cela ne nous empêche pas de réfléchir sur l'expérience de l'Église qu'ils semblent avoir manquée, sauf peut-être *in extremis.* Et cependant comme chaque chrétien et plus que beaucoup d'autres ils étaient appelés à savoir ce qu'est l'Église ; à faire l'expérience que l'Église, dès cette terre, encore que les conflits soient inévitables, est le lieu de la sainteté et de la béatitude parce que l'Église est le lieu de l'Eucharistie et du sacerdoce. Fr. R.-Th. CALMEL, o. p. 57:48 #### Notules - LA CONSCIENCE TELLE QU'ON LA PARLE ET LES CRIMES TELS QU'ON LES VOIT. -- Dans la revue *Esprit* du mois d'octobre, à propos de la « négociation de Melun »*,* sous la signature du directeur de la revue (c'est nous qui soulignons) « Pourquoi avoir tout fixé d'avance, de sorte que le négociateur F.L.N. était obligé d'accepter une capitulation ou de partir ? C'est un *crime,* que d'autres crimes ont suivi. Quelques jours plus tard, les exécutions capitales recommençaient dans les prisons françaises. Le terrorisme *reprenait également :* treize baigneurs à la plage du Chenoua ; trois militaires prisonniers du F.L.N. et les mitraillades stupides dans les cafés, au coin des rues. Aux exécutions sur l'échafaud, aux camps d'internement, aux tortures *répondent* les grenades lancées dans les bals, les femmes et les enfants arrosés à la mitraillette, et cet inadmissible massacre qui, en France même, a fait l'an dernier un millier de morts musulmans du fait de leurs compatriotes musulmans. » *Sans commentaires.* - PROTESTATION CONTRE LE COMMUNISME. -- Dans la *Semaine religieuse de Paris* (*22* octobre, page 1.133), nous lisons la note suivante : « Nous sommes engloutis dans une mer de confusion, et il est nécessaire de nous en dégager rapidement, déclare Son Exc. Mgr Ferez Serrantes, archevêque de Santiago de Cuba, dans une lettre pastorale publiée le dimanche 2 octobre. Aujourd'hui, l'on considère comme traître quiconque se permet de combattre clairement le communisme, ou exprime des opinions qui ne sont pas conformes aux directives et à la doctrine marxistes. Les communiste : seuls ont le droit de tracer la ligne de conduite des autres... Nous dirons toujours Cuba, oui ; Communisme, non ; esclaves, jamais. » « S'il fallait choisir entre Nord-américains et Soviétiques, dit encore le prélat, nous ne devrions pas hésiter. Les autorités cubaines ont supprimé les émissions catholiques de radio et de télévision. » *L'importance de cette protestation vient premièrement des termes employés. Elle souligne comment progresse le communisme : il s'arrange, par la propagande ou par la terreur, par l'intimidation, le chantage et les mesures policières, et quand il le peut par tous ces moyens à la fois, pour que* « *l'on considère comme traître quiconque se permet de combattre clairement le communisme* ». *Lorsqu'il n'est plus possible, pour une raison ou pour une autre, de* « *combattre clairement le communisme* », *la soviétisation d'une société est déjà virtuellement accomplie, et en fait elle avance rapidement.* *C'est notamment* PAR LA TERREUR, *lorsqu'ils sont en mesure de l'exercer, que les communistes interdisent de* « *combattre clairement le communisme* ». *Mais c'est aussi* PAR LA PERSUASION *qu'ils y parviennent, lorsque les moyens d'exercer la terreur sont encore hors de leur portée.* 58:48 *Il existe en France des milliers de groupements, des syndicats, des congrès, des journaux où l'on ne s'occupe jamais de* « *combattre clairement le communisme* » ; *et où, au contraire, l'on discrédite systématiquement ceux qui par lent de résistance. Les anti-communistes y sont dénoncés non pas encore comme des* « *traîtres* », *mais déjà comme des* suspects, *comme de mauvais chrétiens, ou comme des imbéciles.* \*\*\* *Secondement, l'importance de la protestation de Mgr Serrantes vient de la personne même du protestataire. C'est lui qui avait sauvé la liberté et probablement la vie de Fidel Castro, en* 1953, *quand celui-ci avait dû s'enfuir au Mexique après un coup de main manqué. Et même, si l'on en croit le jugement porté par* La France catholique (14 *octobre*)*, la révolution de Fidel Castro* « *avait pourtant bénéficié, comme peu de révolutions dans l'histoire, de la bienveillance de l'Épiscopat* ». *On ne veut pas voir et savoir, avant de l'expérimenter soi-même, que le communisme est le plus grand mal et le plus grand danger de notre temps,* *et le plus immédiat pour toutes les nations, même celles qui se croient très éloignées d'un péril de ce genre, ou parfaitement prémunies contre lui* (*Cuba Se croyait bien tranquille de* ce *côté, par sa situation géographique, et par le fait que le Président des U.S.A. avait solennellement déclaré qu'il ne laisserait jamais un régime communiste s'installer dans l'* « *hémisphère occidental* ») *On fait donc* COMME SI *le communisme n'existait pas. On disserte sur la vie économique, l'organisation sociale, la vie internationale et sur les imperfections parfois graves qu'elles peuvent comporter* (*et qu'il n'est pas question de passer sous silence*)*, mais sans rien dire, sans rien voir, sans rien montrer du plus grand péril. Le nombre de ces belles dissertations, où* LE COMMUNISME N'EST MÊME PAS NOMMÉ, *est absolument effarant. Les consciences, les esprits sont ainsi divertis et détournés.* *Puis un jour on s'aperçoit que* LA TERREUR *s'est installée et que, par des mesures politiques, administratives et policières précises, elle rend désormais impossible de* « *combattre clairement le communisme* ». *Seulement, quand il était encore possible de* « *combattre clairement le communisme* », *on s'en était laissé détourner, on se l'était laissé interdire par la persuasion. On était occupé ailleurs, à d'autres choses. A d'autres choses elles-mêmes utiles et nécessaires, sans doute. Et en outre, tout le monde ne peut pas tout faire. C'est aussi une question de vocation et d'état de vie. Du moins serait-il souhaitable que ceux qui ne voient pas l'urgence de* « *combattre clairement le communisme* » (*de le combattre* AVANT *qu'il ne soit devenu le maître*)*, que ceux qui ne se sentent aucune vocation ni aucun goût pour un tel combat, ne soient pas si constamment empressés à tirer dans le dos de ceux qui s'en occupent ni si vivement actifs à tout mettre en œuvre pour les paralyser. Ces considérations, ce n'est pas aux Cubains que nous les destinons.* \*\*\* - LE « MANDAT » PEUT-IL COUVRIR CELA ? -- L'organisation « étudiante » qui s'intitule U.N.E.F. est dirigée par un petit groupe de jeunes politiciens qui se situent à mi-chemin entre *L'Express* et le Parti communiste. 59:48 *Les dirigeants de l'U.N.E.F. s'inspirent ouvertement d'un laïcisme agressif, et sous couvert de* « *syndicalisme étudiant* » *ils apportent à l'agitation politique un fanatisme partisan qui a peu d'équivalents. La soi-disant* VALEUR *de* « *l'action politique* » *de l'U.N.E.F. est loin d'être évidente *; *elle n'est, jusqu'à preuve du contraire, ni un article de foi, ni un présupposé obligatoire de l'apostolat chrétien. On voit mal comment un* CLÉRICALISME *pourrait être assez extrême et extravagant pour prétendre nous* IMPOSER, *au nom de la foi chrétienne, de croire à la* VALEUR *de l'action politique de l'U.N.E.F.* *Aussi n'est-ce pas sans stupeur que l'on a lu, dans* La Croix *du* 27 *octobre, un communiqué de deux organisations mandatées d'Action catholique, communiqué dont la* MANIÈRE *autant que le* CONTENU *sont remarquablement caractéristiques.* *Voici l'information de* La Croix : « Dans un communiqué, la J.E.C. et la J.E.C.F. déclarent qu'il ne leur appartient pas de « lancer un mot d'ordre à leurs militants, ou même de se prononcer sur un moyen politique, pour la réalisation d'une cause qui leur paraît bonne, à savoir l'autodétermination du sort de l'Algérie par ses habitants. Il leur a paru néanmoins nécessaire de souligner la valeur de l'action de l'U.N.E.F. dans le réveil politique de la nation et les responsabilités des étudiants chrétiens en cette occasion. » La Croix *ajoute que le communiqué* « *approuve les différentes initiatives de l'U.N.E.F. sur le problème algérien* ». \*\*\* *La suite du communiqué, que* La Croix *a résumée d'une phrase, nous en trouvons le texte dans* Témoignage chrétien *du* 28 *octobre. La* VALEUR *de l'action politique de l'U.N.E.F., bien que reconnue comme sortant* de « *sa compétence normale* », *y est proclamée en détail :* « Depuis mai 1958, l'U.N.E.F. a repris une action politique plus importante. Elle a pensé que l'aggravation de la situation politique exigeait cette action qui n'est pas de sa compétence normale. Au début du mois de février dernier, elle s'est associée à d'autres syndicats pour faire respecter l'organisation démocratique de notre pays. Cette action commune de mouvements de différents milieux pour la défense du bien commun nous paraît bonne. A son Congrès de Pâques 1960, l'U.N.E.F. a renoué les relations avec l'U.G.E.M.A. Elle voulait ainsi amorcer dès maintenant la collaboration franco-algérienne de demain. *Ce* geste, signe d'un désir de paix, permettait aussi de reprendre des rapports fraternels et constructifs avec tous les étudiants des autres pays africains d'expression française. Cette volonté de coopérer loyalement avec les Africains pour la construction de leur pays nous paraît très positive. L'U.N.E.F. enfin, consciente de l'hypothèque que fait peser la guerre d'Algérie quant à l'incarnation des valeurs jusqu'ici défendues par la France, a cherché à cristalliser un regroupement de tous ceux qui veulent la paix par la négociation. Cette volonté d'assumer ses responsabilités politiques nous paraît elle aussi positive et l'U.N.E.F. a eu la sagesse de ne pas se satisfaire de slogans ou d'une démagogie facile. En provoquant un regroupement de ceux qui veulent la fin de la guerre, le milieu étudiant s'est recréé des responsabilités. 60:48 Il a compris ce qui, dans la guerre d'Algérie, est indigne de la France. Il doit s'unir à d'autres pour le faire comprendre à toute la nation. Tous ces faits doivent être pris en considération par les jeunes étudiants chrétiens dans leur engagement politique actuel. » *Nous n'allons pas commenter tout ce que contient un tel texte. Il y aurait trop à en dire. Il y aurait à souligner notamment le fait que l'* « *engagement politique des jeunes étudiants chrétiens* » *y est orienté à sens unique vers les organisations qui ont donné leur accord à la plate-forme politique de l'U.N.E.F.* *On ne peut plus être un étudiant chrétien et prendre position en faveur de la politique de M. Soustelle ; ni même en faveur de celle du M.R.P., qui n'a pas approuvé les* « *initiatives de l'U.N.E.F.* »* ; ni en faveur de celle du gouvernement, que l'U.N.E.F. combat. Le* « *bien commun* » *et la morale* « *chrétienne* » *exigent que l'on s'engage dans ce qui est très clairement l'opposition de gauche au gouvernement. L'hypothèque qui pèsera sur une évangélisation se liant officiellement avec des positions partisanes si précises et si particulières est une hypothèque trop visible pour qu'il soit nécessaire d'y insister autrement. Les responsables ont pris leurs responsabilités. Cela les regarde.* *Nous voulons nous en tenir à cette prise de position officielle de deux mouvements* « *mandatés* » *d'Action catholique en faveur des relations avec l'U.G.E.M.A., et très précisément en faveur de ces relations dans la forme et la manière où elles ont été établies par l'U.N.E.F.* *Il importe de bien voir ce qui est réellement en question :* 1. -- *L'U.G.E.M.A. est l'organisation* « *étudiante* » *du F.L.N., organisation interdite, illégale et clandestine, qui a son siège à* *l'étranger et a tenu en août dernier, à Tunis, un congrès dont nous dirons plus bas quelques mots.* *Les relations avec l'U.G.E.M.A. ne sont pas des relations avec des* PERSONNES, *mais des relations avec Un* ORGANISME *qui est l'un des organismes du terrorisme.* 2. -- *Vouloir la paix en Algérie, et s'employer à établir des relations fraternelles avec le* PROCHAIN *que l'on rencontre effectivement dans ses activités professionnelles et sociales, ce prochain fût-il un ennemi de la France, c'est une chose. C'en est une autre que* d'ALLER A TUNIS *établir des relations avec un* ORGANISME *qui précisément* FAIT LA GUERRE *à la France et participe ouvertement au* TERRORISME, *en employant méthodiquement et en se glorifiant d'employer des moyens que la conscience chrétienne rejette comme* « *intrinsèquement pervers* ». *Couvrir une telle opération politique des noms de fraternité et de charité, c'est porter un témoignage susceptible de rendre véritablement méconnaissables la charité et la fraternité.* 3. -- *Mais il faut savoir en outre dans quelles conditions absolument scandaleuses ces* « *relations* », *en fait, se sont établies et poursuivies. Parmi beaucoup d'autres, nous citerons un fait public et caractéristique.* *Au congrès de l'U.G.E.M.A. tenu au mois d'août à Tunis, l'U.N.E.F., dans le cadre des* « *relations fraternelles* » *renouées, était officiellement représentée par son vice-président.* *Au moment où se tenait ce congrès, le F.L.N. annonça qu'il avait mis à mort deux soldats français prisonniers. Exécution sans jugement régulier, assassinat de prisonniers diamétralement contraire au droit des gens.* 61:48 *Cette* « *exécution* » *fut* ANNONCÉE ET APPLAUDIE *au congrès de l'U.G.E.M.A. :* *le représentant de l'U.N.E.F. n'en fut ni bouleversé ni indigné, il ne leva même pas le petit doigt pour s'en désolidariser ; il ne fit aucune protestation *; *il ne se retira pas ; il continua les* « *relations fraternelles* » *avec les assassins de ses compatriotes. Ni le droit, ni la morale, ni la solidarité nationale ne lui inspirèrent une manifestation quelconque de désapprobation.* \*\*\* *Telle est la réalité des* « *relations* » *entre l'U.N.E.F. et l'U.G.E.M.A., telle est la réalité qui vient d'être cautionnée officiellement par deux organisations mandatées d'Action catholique. Les auteurs du communiqué ont-ils parlé sans savoir *? *Ou bien, sachant cela, ont-ils décidé de le passer sous silence, et de passer outre ? Dans l'une comme dans l'autre hypothèse, il y a quelque chose qui ne va pas.* \*\*\* *Car enfin, ces choses ne sont pas tellement mystérieuses ni tellement inconnues. Peut-être ignore-t-on le détail précis, caractéristique et scandaleux constitué par l'attitude du représentant officiel de l'U.N.E.F. au congrès de l'U.G.E.M.A. à Tunis. Une grande discrétion, pudique ou complice, s'est gardée de lui donner la publicité qu'elle méritait. Mais cette attitude précise en ce cas particulier n'était que la conséquence d'une attitude générale de l'U.N.E.F., et très précisément des* SURSITAIRES *du bureau de l'U.N.E.F. :* *nous n'aurions pas évoqué ce dernier point s'il n'avait été mentionné par les* Cahiers d'action religieuse et sociale *que publient les Pères de l'Action populaire* (*numéro du* 1^er^ *novembre*)*. Ils ont là-dessus un paragraphe significatif :* « Quelles que fussent les intentions de l'U.N.E.F., l'opinion s'indigna que de jeunes Français, préservés de la guerre par leur situation d'étudiants sursitaires, se désolidarisent si aisément de leurs jeunes compatriotes exposés dans les combats. La démarche fit scandale et le gouvernement véhémentement interpellé, supprima la subvention attribuée à l'U.N.E.F. » *D'une manière plus générale, les* Cahiers d'action religieuse et sociale *expriment une réticence marquée à l'égard précisément de l'action politique de l'U.N.E.F., en écrivant :* « Il serait en tous cas regrettable que les étudiants se laissent entraîner à jouer un rôle qui dépasse leurs responsabilités de jeunes. Le syndicalisme étudiant risquerait d'être discrédité aux yeux de l'opinion, divisé à l'intérieur de lui-même et exploité par des organismes plus expérimentés et plus puissants que lui. » *Il nous semble que la* J.E.C. *et la* J.E.C.F. *auraient pu* AU MOINS *tenir compte de considérations de cet ordre, et s'abstenir de cautionner officiellement, en tant que mouvements mandatés d'Action catholique, une organisation politique et une action politique aussi discutables.* 62:48 ### L'attente du monde EN CE DOUX TEMPS de l'Avent qui commence, la prière de l'Église nous remet en mémoire l'attente des hommes espérant un Sauveur. Car depuis les plus anciens temps tous les hommes ont espéré, c'est le constituant significatif de leur nature. On sait aujourd'hui pendant quelle prodigieuse suite de millénaires a vécu l'humanité. Les légendes babyloniennes comptaient avant le déluge dix rois pour 456.000 années, et huit autres pour 240.000 ans. On en souriait, et ces légendes étaient une juste figuration du temps écoulé. Les apôtres disent et répètent que Notre-Seigneur est venu à la fin des temps, et beaucoup des premiers disciples ont cru voir de leur vivant le second avènement de Notre-Seigneur. C'est bien à la fin d'une très longue suite de temps que Notre-Seigneur est venu, lorsqu'il devenait réellement possible de porter l'Évangile aux extrémités de la terre ; et ce second avènement peut venir après-demain ou dans cent mille ans, c'est proche par rapport au passé de l'homme. Qu'espéraient ces premiers hommes ? En présence de leurs plus anciens restes on est sûr qu'ils appartiennent à des hommes lorsqu'on trouve des outils et des traces de foyers. On est sûr qu'ils espéraient et qu'ils ont aimé, lorsque les sépultures témoignent du soin, de l'honneur rendu aux défunts. Leur espérance n'était pas vague : c'était celle d'une survie ; tous les hommes y ont cru sur la foi d'une lumière spirituelle qui est partie de leur nature même. 63:48 Et quand on entre dans les temps historiques qui sont ceux de l'écriture, le travail de leur pensée nous est connu. L'homme sent avoir en lui des faiblesses qui l'écartent du bien ; et voyant qu'il ne peut y échapper par lui-même il l'attribue à une fatalité divine. Comment sortir de cette fatalité ? C'est le problème que se sont posés tous les hommes et qu'a essayé de résoudre la tragédie grecque. Sophocle, Eschyle, Socrate ont reconnu que seul un Dieu peut tirer l'humanité de son triste état. Socrate a donné sa vie par confiance en Dieu. Mais que faisaient tous les soldats qui mouraient « pour leurs autels et leurs foyers » ? A. Varagnac, dans une étude sur le *Paléolithique inférieur,* après avoir montré que sans outils sérieux et sans armes appropriées des hommes très anciens piégeaient l'éléphant, écrit : « L'Hominien piégeur a commencé à vaincre par l'astuce. Quand même, il acceptait ainsi une loi quotidienne du risque, voire du sacrifice. L'humanité n'a émergé du règne animal que par la constance dans l'héroïsme. » Et notre jeunesse qui n'a fait encore que profiter des sacrifices de ses parents et jouir de la protection d'une société pour laquelle elle n'a rien fait encore, voudrait se refuser aux sacrifices nécessaires à l'humanité pour seulement survivre ? Ô saint Maurice, ô légion thébaine, ô soldats décidés en même temps à arrêter la barbarie et à mourir pour le Christ, obtenez à nos jeunes chrétiens le sens droit de la vie et de la mort. MAIS AVANT LES TRAGIQUES, avant Homère, sur un point privilégié de la terre, au milieu des nations les plus anciennement civilisées qui avaient pu transmettre les premiers principes de morale et de théologie, qui avaient gravé sur la pierre les plus anciens codes connus, un homme eut la grâce de comprendre que son Dieu, le Dieu de sa tente, de son foyer et de sa famille, était unique et universel, que toutes les actions de la terre étaient bénites en son Dieu, et en lui-même qui était chargé de les en instruire. Abraham est le père des croyants. D'âge en âge les promesses de Dieu se précisèrent et David apprenant l'avenir de sa postérité s'écriait : « Qui suis-je, Seigneur, et quelle est ma maison pour que vous m'ayez fait arriver jusque là ? ... Quelle autre maison y a-t-il sur la terre comme votre peuple, comme Israël que Dieu est venu racheter pour en faire son peuple ? » 64:48 L'histoire a ratifié cette apostrophe du roi-prophète, car de toutes les nations grandes et petites qui alors pouvaient s'enorgueillir de leur force, de leur savoir ou de leur passé, aucune ne subsiste, sinon Israël, témoin réservé et gardien de promesses dont il n'a pas compris l'accomplissement. S. Pierre, le jour de la Pentecôte, reprenant les paroles de David dans les psaumes s'écrie : « *Étant prophète et sachant que Dieu lui avait promis avec serment de faire asseoir sur son trône un fils de son sang, c'est la résurrection du Christ qu'il avait en vue d'avance... C'est ce Jésus que Dieu a ressuscité, nous en sommes tous témoins.* » C'est donc cette attente d'un Sauveur par les hommes et particulièrement dans le peuple d'Israël que l'Église remémore dans le temps qui prépare Noël. La lecture préférée est celle d'Isaïe qui a écrit l'Évangile par avance tant ses prophéties sont précieuses. L'Église honore spécialement Jean-Baptiste, le Précurseur dont Isaïe a prédit : « Voici que j'envoie mon messager devant ta face pour disposer la voie devant toi. » MAIS IL Y EUT UNE PLUS DOUCE ATTENTE ENCORE, à mesure qu'avançait l'heure annoncée, c'est celle de la Vierge Marie elle-même. Car l'Église célèbre en ce mois la fête de son Immaculée Conception ; la Très Sainte Vierge fut, par ce privilège, la personne humaine qui eut au plus haut degré la vertu d'espérance. En toute humilité, sans songer à elle-même, elle souhaitait si ardemment la venue du Messie, qu'il vint, et par elle. Comme tous les Juifs pieux, elle voyait arriver le terme des soixante-dix semaines d'années prédites par Daniel : « Soixante-dix semaines d'années ont été déterminées sur ton peuple et sur ta ville sainte pour enfermer la prévarication, pour sceller les péchés, expier l'iniquité et pour amener la justice éternelle ; pour sceller la vision du prophète et pour oindre le saint des saints... » On était à soixante-huit ou soixante-neuf semaines du point de départ. La Sainte Vierge connaissait l'Écriture Sainte et les prophéties, nous en avons la preuve dans le texte du *Magnificat.* Car on y trouve plus d'une douzaine de réminiscences précises des textes de l'Ancien Testament. Voilà donc à quoi songeait la Vierge Marie sur le chemin montant qui menait « vers une ville de Juda » où habitait sa cousine Élisabeth. Elle repassait dans sa tête les passages de l'Écriture qui annonçaient le Messie. Elle pensait à Anne, la mère de Samuel, qui chanta elle aussi son « Magnificat ». 65:48 A Isaïe (61-10) : « Je serai ravi d'allégresse en Yaveh et mon cœur se réjouira en mon Dieu », et aux psaumes. Le *Magnificat* est le résumé de la méditation de Marie dans ce premier voyage apostolique de Jésus enfermé en son sein. Telle est toujours la vocation de la Sainte Vierge d'apporter Jésus et la joie des trois vertus. Nous aussi nous portons Jésus ; puissions-nous, en cheminant, le glorifier de même suivant la parole de l'apôtre : « Vous avez été achetés à grand prix : glorifiez et portez Dieu dans votre corps. » VOICI DONC LES MYSTÈRES JOYEUX, l'attente d'une naissance, la proclamation par Élisabeth de la gloire de Marie, et la naissance du Sauveur. Maintenant Marie doit attendre ce que fera et deviendra ce petit Emmanuel qui a pour nom « *Conseiller admirable, Dieu fort, Père éternel, Prince de la Paix* » qui « *remplira de gloire le chemin de la mer, la Galilée des nations* ». Hélas, Isaïe l'a appelé aussi l'homme de douleur ; le vieillard Siméon parlera d'un glaive dans le cœur. La Sainte Vierge ne comprenait pas tout. Elle-même l'a avoué. Car S. Luc n'a pu connaître que par elle les récits de l'enfance. Elle a raconté l'annonce aux bergers et ce que leur avait dit l'ange. « Marie retenait toutes ces paroles, les méditant dans son Cœur. » C'est donc elle-même qui a raconté le recouvrement dans le temple, où Jésus dit à ses parents : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans les choses de mon Père ? » *En tois tou patros mou ein'ui* dit le grec. Imprécision voulue par Jésus car les choses du Père c'est la Création, le passé, le présent et l'avenir de l'homme et du monde. Et la Sainte Vierge avoue « qu'ils ne comprirent pas la parole qui leur avait été dite ». Il y eut donc une nouvelle attente ou une promulgation de l'Attente pour Marie, mais cette fois avec Jésus, pour entrer plus avant dans « *les choses du Père !* ». La perfection de Marie n'empêchait pas son progrès car il n'y a point de limite à la qualité de l'amour et la qualité de l'amour de Marie ne cessa de croître par la connaissance qu'elle acquit avec son fils des intentions divines. Notre-Seigneur lui-même eut son temps de l'attente, c'est toute sa vie : « Je suis venu jeter un feu sur la terre et combien je voudrais qu'il fût déjà allumé. Mais je dois recevoir un baptême, et combien je suis angoissé jusqu'à ce qu'il soit accompli ! » 66:48 Car Notre-Seigneur connaissait son avenir terrestre et bien que la Très Sainte Vierge connût par Isaïe que le Messie serait un homme de douleur, par le psaume 21 qu'on « compterait tous ses os », Notre-Seigneur eut à la préparer doucement à sa Passion. Il est probable que l'angoisse de Marie et Joseph pendant les trois jours qui précèdent le recouvrement au temple venait aussi des prophéties douloureuses concernant le Messie : ces trois jours étaient pour eux une figure des trois jours qui séparèrent le Vendredi Saint du matin de Pâques. Avant la Passion le temps de l'Attente du Salut fut donc pour la Sainte Vierge seule et pour Notre-Seigneur qui l'y préparait l'attente de la Croix. Notre-Seigneur préparait la rencontre de la IV^e^ Station pour que ce fût en toute réalité la Miséricorde qui vint au-devant de la Vérité, et que sa Mère fut associée à la Rédemption avec toute la plénitude de l'âge du Christ. Car l'amour est inséparable de la croix et dans notre condition humaine il est une source de croix. Que ce soient des parents qui perdent leurs enfants, ou le contraire, des époux que la mort sépare, plus ils s'aiment plus la croix est lourde et elle est nécessaire, elle est fatale. Mais l'amour a bien des nuances. Les maris qui paraissent les plus inconsolables de la mort de leur femme, sont souvent les plus vite remariés : ils aimaient pour eux-mêmes et ne peuvent se passer d'une compagne. Il est nécessaire que Dieu s'installe dans l'amour des hommes entre eux pour qu'il soit dégagé des faiblesses amenées par les concupiscences et aboutisse à sa vraie fin qui est le bien des âmes et la joie véritable. Or Notre-Seigneur nous l'a dit : « *Bienheureux ceux qui pleurent parce qu'ils seront consolés.* » Ce qui est mystère pour la nature est une vérité expérimentale pour tous ceux que guide l'amour de Dieu ; et Marie a vécu les Béatitudes à la perfection car : « *Et moi j'ai coulé comme un canal dérivé d'un fleuve, comme l'aqueduc d'un jardin de plaisance ; j'ai dit* « *j'arroserai mon jardin, j'abreuverai mon parterre. Et voilà que mon canal est devenu un fleuve, que mon fleuve et devenu une mer* » (Eccli, XXIV). C'est ainsi que la Sainte Vierge à partir d'un consentement initial à la Croix, a vu s'amplifier de siècle en siècle son action visible dans l'Église de Dieu. 67:48 Notre-Seigneur a passé deux ans et demi à prêcher et trente ans à former sa Mère pour qu'elle devint Mère et conseillère des apôtres et Mère du genre humain. Il lui a enseigné non seulement la pratique des Béatitudes en toute rencontre mais aussi à comprendre son temps et les temps futurs ; l'aveuglement de son peuple, le rôle des Romains qui jusqu'au bout du monde construisaient des routes pour les apôtres et fondaient une ville capitale pour le siège de Pierre. Jésus forma cette âme innocente à la connaissance des hommes. A la veille encore de la dernière montée à Jérusalem, Jean et Jacques laissaient leur mère réclamer pour eux les premières places, Jean, l'apôtre bien-aimé lui-même dont la tête reposa à la Cène sur la poitrine de Notre-Seigneur. Il devint le théologien des apôtres parce qu'il avait sans doute une mémoire jeune et bonne, mais aussi parce que Jésus sur la Croix lui dit : « Voilà ta Mère » et que « depuis cette heure-là le disciple la prit chez lui » où Marie lui donna le sens des paroles du Christ et l'enfanta en quelque sorte jusqu'à ce que le Christ fût formé dans sa plénitude au cœur du disciple. Et saint Germain (lequel ? nous ne le savons) s'écrie : « Salut Colombe qui nous apporte le fruit de l'olivier, qui nous sauve du déluge spirituel, et qui annonce le port du salut ! » D. MINIMUS. 68:48 ## DOCUMENTS ### La technique de l'esclavage et l'Église du silence. *Un document d'une extraordinaire portée sociale et religieuse a paru le* 7 *octobre* 1960 *dans l'hebdomadaire* Témoignage chrétien : *le directeur de ce journal est allé, avec plusieurs autres journalistes français, dans la Hongrie de Kadar, et il en a rapporté des impressions, des précisions, des réflexions, des jugements qu'il rassemble et exprime en un article saisissant.* *Nous reproduisons ce texte avec son titre et ses intertitres. Nous le reproduisons en son entier : non seulement pour que le lecteur puisse replacer les passages les plus caractéristiques dans leur contexte exact, mais encore parce que ce texte ne contient quasiment rien d'inutile ou d'indifférent. Il forme un tout dont chaque paragraphe et à peu près chaque ligne sont importants.* *Ce document manifeste avec beaucoup de relief une certaine manière de concevoir, de juger et de présenter à l'opinion la réalité communiste. Cette conception est celle-là même que l'on trouve en divers milieux, notamment catholiques : mais on l'y trouve ordinairement de manière diffuse et fragmentaire, souvent à demi implicite, voire peu consciente d'elle-même, ou encore à l'état de simple hypothèse et supposition. Ici au contraire, dans ce document exceptionnel, cette conception est affirmée avec netteté, avec clarté, avec précision. C'est ce qui fait le puissant intérêt de ce texte.* *Nous n'avons voulu ni le commenter ni le critiquer, encore moins le* « *réfuter* ». *Nous avons voulu seulement* JUXTAPOSER *à cette conception du communisme une autre conception, qui est la nôtre : on la trouvera dans les notes au bas des pages* (*toutes les notes à ce texte sont de nous*)*.* *Ainsi, à côté ou en regard d'une certaine conception du communisme lui-même, et des réalités religieuses et sociales qu'il met en cause, nous avons inscrit l'expression d'une autre conception.* 69:48 #### Les catholiques hongrois veulent participer au Concile C'est avec une émotion bien compréhensible que je foulai pour la première fois la terre hongroise en débarquant de l'Iliouchine qui, en cinq heures de vol, nous avait amenés à Budapest. L'inauguration d'une ligne aérienne directe Paris-Budapest m'avait permis, avec quelques confrères de la presse parisienne, de franchir ce rideau de fer qui, fort heureusement, commence à s'ouvrir -- puisque, cette année, le nombre des touristes français venus passer leurs vacances en Hongrie a doublé -- et de partir, pendant quelques jours, à la découverte de ce pays qui connut tant de drames. Budapest, cette admirable cité de 2.000.000 d'habitants, vieille de 2.000 ans, qui s'étend largement de part et d'autre du Danube, porte encore dans sa chair les marques des combats de 1945, où la ville subit un siège de douze semaines, et les traces des fusillades de 1956. Partout on répare ces vieilles maisons romantiques, pour la plupart construites au XIX^e^ siècle et qui font tant ressembler Budapest à sa sœur autrichienne, Vienne. Mais on relève aussi de ses ruines ce magnifique joyau gothique qu'est l'église Saint Matthias dont la flèche, en haut de la colline de Buda domine la ville tout entière, non loin du monument à la liberté élevé par l'Armée Soviétique. Cette flèche, à côté de cette pyramide, meurtrie, mais toujours dressée vers le ciel, est le signe qu'après quinze années de régime communiste l'Église de Hongrie est toujours vivante, bien qu'elle soit sortie très affaiblie d'une longue persécution ([^23]) et se heurte actuellement à un climat qui ne lui est pas favorable ([^24]). 70:48 C'est au siège de l'Action Catholique, près de l'avenue Kossuth, que j'ai rencontré quelques-uns des hommes qui ont pour mission d'annoncer Jésus-Christ et son Évangile, en Hongrie. Il y avait là le vicaire général de Budapest, représentant Mgr Groetz, évêque de Kalocsa, président de la Conférence des Évêques, emprisonné du 15 mai 1951 au 11 mai 1956 ; le doyen et le vice-doyen de la Faculté de Théologie de Budapest ; les deux vice-présidents laïcs de l'Action Catholique ; deux journalistes catholiques hongrois ; Mgr Varkonyi, directeur de l'Action Catholique et le Père Emeric Hell Boka, secrétaire général de l'Action Catholique. 71:48 Nous avions en face de nous, dans ce bureau si identique à ceux de nos évêchés, orné au mur des mêmes tableaux d'évêques revêtus de tous leurs ornements, des militants et des responsables de l'Église du Silence. Une conversation, passionnante, s'engagea entre nous. La plupart de nos interlocuteurs parlent fort bien le français et le Père Emeric Hel Boka rappela avec émotion ses études à l'Institut Catholique de Paris, ses contacts avec Mgr Villot, avec Joseph Folliet. Il serait trop long de transcrire ici toutes nos discussions, mais en voici un résumé fidèle. #### 6 millions de fidèles L'Église de Hongrie compte aujourd'hui 6 millions de baptisés (sur une population de 9.800.000 habitants). Et la pratique religieuse reste élevée, trois fois plus forte qu'en France, puisqu'elle atteint 30 %. Actuellement, les rapports entre l'Église et l'État sont bons, disent mes interlocuteurs ([^25]). 72:48 Quelques heures auparavant, le Président du Conseil des Ministres me faisait la même déclaration en regrettant toutefois qu'il ne puisse pas, pour le moment, construire plus d'églises. Ils sont certainement meilleurs qu'ils n'ont été sous la dictature stalinienne de Rakoczi, quand le gouvernement hongrois expulsait les religieux, qu'il supprimait la presse catholique, qu'il condamnait le cardinal Mindszenty aux travaux forcés à perpétuité... C'est un accord, signé en 1950, entre les évêques et le gouvernement, qui règle les rapports entre l'Église et l'État. En 1945, dans le cadre de la Réforme agraire, les nombreuses terres que possédait l'Église avaient été distribuées aux paysans. Cinq ans après, le gouvernement acceptait de verser une indemnité annuelle de 13 millions de forints (environ 280.000.000 de francs) pendant dix-huit années, ce chiffre devant décroître progressivement. Sur ce point, les engagements ont été tenus et le chiffre a même été maintenu. Il permet de donner aux prêtres un complément de salaire de 600 à 2.000 forints par mois, ajouté à la contribution des fidèles. Par ailleurs, c'est l'État qui assure l'entretien des églises ([^26]). 73:48 #### Les catholiques et le P.C. Le culte est libre et les églises, largement ouvertes, sont très fréquentées ([^27]). 74:48 Les calvaires au bord des routes sont ornés de fleurs. Mais ce qui m'a étonné, c'est l'existence d'une action catholique ([^28]) vivante, courageuse, audacieuse. 75:48 Elle édite deux hebdomadaires, « *L'Homme Nouveau* » qui tire à 61.000 exemplaires, et « *Le Mot Catholique* » (15 à 20.000 exemplaires). Ces publications ne se contentent pas d'aborder les problèmes religieux ([^29]). 76:48 « Nous ressemblons beaucoup à *Témoignage Chrétien,* me dit l'un des rédacteurs. Nous lisons d'ailleurs régulièrement *Témoignage Chrétien* et nous nous inspirons du travail que vous réalisez ([^30]). » Une revue mensuelle d'une centaine de pages « *Vigilia* » tire chaque mois à 10.000 exemplaires, ce qui est très beau. Chacune de ces publications est dirigée par des laïcs, mais toutes sont soumises à la censure ecclésiastique (et à celle de l'État, évidemment) ([^31]), ce qui leur donne un certain caractère officiel. Je connaissais l'existence en Hongrie d'une « Association des Prêtres pour la Paix » qui regroupe environ 900 prêtres et dont certains ont été interdits. 77:48 Mais ici, j'avais affaire à des chrétiens qui ont la confiance de Rome ([^32]). Et si mes interlocuteurs étaient prudents à l'égard de cette association « qui a pour objet de renforcer les relations paisibles entre l'Église et l'État », ils situent ailleurs leur action. Comme je leur demandais avec quelque malignité si des catholiques hongrois pouvaient adhérer au Parti communiste, c'est sans hésitation qu'ils me dirent « Non ». « Il y a incompatibilité. On ne peut être à la fois croyant et matérialiste ; catholique et communiste ». D'ailleurs, me précisèrent-ils, « le Parti Communiste ne compte ici que 450.000 membres » (auxquels il faut ajouter 50.000 postulants, m'ont dit des responsables du parti) ([^33]). Mais leur réponse à ma seconde question complétait la première. -- « Engagez-vous les ouvriers catholiques à se syndiquer et à participer aux Comités d'usine ? -- Conseillez-vous aux paysans d'adhérer à la campagne du gouvernement pour la création de jeunes coopératives ? » Là encore, sans hésiter, la réponse fut unanime : « Oui ». 78:48 Si l'Église s'oppose à l'idéologie communiste ([^34]), si elle subit aujourd'hui la propagande de groupes athéistes qui connaissent un renouveau d'activité, les catholiques hongrois, avec à leur tête leurs chefs soutiennent tout ce qui, dans le programme du gouvernement, au plan social et économique, est conforme à la doctrine de l'Église ([^35]). C'est là une grande découverte ([^36]) qui mériterait de nouvelles enquêtes. 79:48 Au contact de pays qui mutent en place des structures socialistes ([^37]) l'Église est présente ([^38]). 80:48 Les chrétiens apportent leurs pierres, leur dynamisme à la construction d'une cité qui se situe aux antipodes du système capitaliste ([^39]). Quels affrontements ! Quelles sources de problèmes ! Mais aussi quels enrichissements et, pour nous, quelles leçons ([^40]) ! 81:48 L'Église catholique des pays socialistes ([^41]) aura demain beaucoup à nous apprendre ([^42]). #### Le problème du Cardinal Dans le domaine scolaire mon étonnement fut égal. L'enseignement religieux est organisé dans les locaux scolaires pour toutes les familles qui le demandent. Le prêtre pénètre à l'école. Quand on pense à nos bagarres au sujet des aumôniers de lycée, on peut être sévère à l'égard de nos laïcistes ([^43]) ! 82:48 Sans doute cela pose-t-il des questions, surtout pour toutes ces villes nouvelles qui se créent. Je pense en particulier à cette cité de l'Acier Stalinvaros, surgie de la terre en dix ans au bord du Danube, forte de 30.000 habitants et où seulement 140 enfants sur 6.200 ont demandé à suivre les cours de catéchisme. Mais le communisme n'est pas la seule explication. En France également les transferts de population paysanne, la création de zones urbanisées nous posent de graves problèmes. Par ailleurs, huit lycées catholiques fonctionnent dans le pays sous la responsabilité d'oratoriens, de bénédictins, de franciscains... Comme je demandais à nos hôtes si les rapports avec Rome étaient solidement établis, il me fut répondu que « pour le moment les évêques n'allaient pas auprès du Pape régulièrement », mais que, par la correspondance et par des messagers, « l'Église de Hongrie restait fidèlement attachée au Siège de Pierre ». 83:48 Par ailleurs, me dirent mes interlocuteurs, « Nos évêques participeront au Concile. Il faut que non seulement la voix des 50 millions de catholiques américains soit entendue à Rome, mais encore que s'expriment les 60 millions de catholiques ([^44]) qui participent à l'édification de cités socialistes ([^45]) et qui sont quotidiennement affrontés au communisme ». 84:48 -- Et le cardinal Mindszenty ? « C'est un drame réglé pour nous. Le cardinal vit aujourd'hui chez les Américains, dans leur légation. C'est un problème qui n'existe que pour les Occidentaux. » ([^46]) 85:48 Cette remarque a besoin d'être corrigée. Par d'autres voies, j'ai su qu'une partie du clergé des campagnes restait attachée à l'action passée du cardinal et hostile à toute collaboration avec le gouvernement. C'est facilement imaginable. On ne passe pas aussi brutalement d'une situation où l'Église avait un rôle privilégié à celle où l'État est séparé de l'Église, d'un régime de type féodal et aristocratique à un système marqué du socialisme ([^47]), même tempéré par les coopératives. (Ici pas de communes comme en Chine ou de kolkhozes comme en U.R.S.S.) 86:48 Mais ce qui est important, c'est de savoir que la voie suivie naguère n'est pas celle des responsables actuels de l'Église hongroise. D'ailleurs, des contacts étroits sont établis avec l'Église de Pologne et l'Église de Tchécoslovaquie où se posent des problèmes identiques ([^48]). 87:48 Que conclure ? Ce n'est pas possible après un séjour aussi bref. Mais déjà on peut noter ces quelques points : 1. -- L'Église, après quinze ans de communisme, de persécutions violentes, reste présente et la situation actuelle s'est nettement améliorée même si elle est loin d'être pleinement satisfaisante. Le climat général fait de propagande, de campagnes, d'articles de journaux, pèse encore d'un poids souvent lourd sur l'action missionnaire de l'Église. 2. -- L'Église, qui se désolidarise du système ancien, apporte son aide pour tout ce qui, dans le domaine social et économique, est conforme à sa doctrine. 3. -- A Budapest, je n'ai trouvé chez les catholiques hongrois aucun complexe d'infériorité. Au contraire, ils semblent regretter notre paternalisme à leur égard. Ils ont besoin de nos prières, certes, mais déjà ils ont beaucoup de choses à nous apprendre. 4. -- Le Concile qui doit permettre des débats fructueux entre les évêques engagés dans les trois grands secteurs mondiaux : pays occidentaux, pays socialistes, pays sous-développés, sera d'une rare importance si tous peuvent y participer et que le programme organise de larges débats. A Budapest, au-delà du rideau de fer, comme sur la terre d'Afrique, on découvre mieux le vrai visage de l'Église du Christ universelle, transcendant les civilisations et dépassant toutes les nations ([^49]). \*\*\* 88:48 L'Église est universellement maternelle, aimante, -- et à plus forte raison impartiale entre les peuples et les civilisations. Mais l'Église n'est pas impartiale entre le bien et le mal. Le système social du communisme, qu'on le baptise ou non « avenir de la cité socialiste », pose la question du bien et du mal. On voudrait nous détourner de juger le communisme dans les perspectives du bien et du mal. On voudrait nous conduire à ne le considérer qu'à travers les catégories de « passé » et « d'avenir » ou d' « occident » et d' « orient » bref *abstraction faite du juste et de l'injuste.* Il arrive même que l'on nous raconte que parler du bien et du mal à propos du communisme, c'est un « manichéisme » qui diviserait arbitrairement les hommes en « bons » et « mauvais ». Audacieuse imposture ; car justement : ce manichéisme des « bons » et des « mauvais » ce manichéisme qui divise ainsi les hommes en deux camps et deux catégories, c'est le manichéisme constant de la dialectique communiste. C'est le conditionnement communiste qu'il faut à tout prix ne pas subir ; et le premier effort mental et moral de la résistance au communisme est précisément de refuser ce manichéisme-là. Il n'y a pas, il n'y a jamais, sauf dans la propagande communiste, « les bons » et les « mauvais ». Mais il y a le bien et le mal. L'Église ne fait pas acception de personnes. Elle est ouverte à tous ; elle prie même pour ses persécuteurs et ses bourreaux : mais non pas pour le succès de leurs techniques ; elle prie pour leur conversion. L'Église sait qu'il n'existe pas d'hommes automatiquement bons ni d'hommes irrémédiablement mauvais. En revanche l'Église sait et enseigne qu'il existe la distinction et l'affrontement universel du bien et du mal. Le communisme est un mal. Non pas les communistes. Mais le communisme ; et spécialement le système social du communisme. Un mal certain ; un mal intrinsèquement pervers. Non pas seulement une « idéologie » perverse : un régime social pervers intrinsèquement. Quand Pie XI, au § 58 de l'Encyclique *Divini Redemptoris,* a prononcé cet « intrinsèquement pervers » terrible et solennel, ce n'est pas seulement ni principalement au plan de l'idéologie qu'il l'a prononcé : le contexte même le montre, il l'a prononcé au plan de la civilisation, au plan de la cité, *civilem cultum,* au plan du système social et du régime social. 89:48 Il est vrai que les hommes pieux sont aussi des pécheurs ; il est vrai que les impies ont aussi leurs qualités. Il est vrai que c'est l'Église qui est sainte et non pas automatiquement tous les hommes d'Église. Il est vrai que c'est le communisme qui est intrinsèquement pervers, et non les personnes communistes. Mais pour tirer et conclure de là une *neutralité* entre le mal et le bien, entre l'injuste et le juste, entre le communisme et la résistance au communisme, il faut être déjà profondément « conditionné » par la propagande communiste elle-même. Pour des raisons d'abord et avant tout *religieuses,* selon la parole même de Pie XII, nous refusons le communisme *en tant que système social.* 90:48 ### Les catholiques invités à « construire le socialisme » *Voici un autre document, parfois moins complet mais souvent plus précis que le document précédent. Il est extrait du* Monde *daté du* 3 *novembre* 1960 *et nous le reproduisons, lui aussi, intégralement, en demandant au lecteur toute son attention. Pour y voir clair dans ces questions délicates, un effort laborieux est indispensable. On ne résume pas les problèmes de l'Église du silence en dix lignes et quatre slogans. On ne les résout pas non plus par des polémiques sommaires et encore moins par des haussements d'épaules.* *On sait suffisamment ce qui nous sépare du journal* Le Monde. *Notre propos, en reproduisant ce document, n'est aucunement d'en tirer argument contre lui. Nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de lui reprocher d'avoir publié cet article : nous l'aurions publié nous-mêmes ;* *et c'est pourquoi nous le reproduisons ci-dessous. Il est important de savoir quelle est la* SITUATION RÉELLE *de l'Église du silence. L'opinion* n'en *connaît que les persécutions classiques* (*emprisonnements, mises à mort, interdictions*)*, qui ont existé, qui ont été atroces, mais qui peuvent s'apaiser plus ou moins sans que rien néanmoins ne soit changé à ce qui est* L'ESSENTIEL *de l'action communiste contre l'Église.* *On s'aveugle, on s'aveugle totalement si l'on croit trancher la question en disant du document précédent :* « *C'est une infamie de* Témoignage chrétien », *et en disant de celui-ci :* « *C'est un mensonge du* Monde ». *Des témoins nous rapportent ce qu'ils ont vu et entendu à Budapest. Opposer à ces récits un simple :* « *Ce n'est pas vrai* » *est le plus sûr moyen de demeurer ignorant et désarmé en face de ce qui est l'offensive réelle du communisme.* *Même si demain -- cela n'est jamais exclu -- recommencent par exemple en Hongrie les persécutions classiques contre l'Église, elles ne seront, comme elles l'ont été, qu'un* MOYEN ANNEXE *pour la mise en place par le communisme de sa technique de domination, qui est silencieuse et clandestine.* 91:48 *L'atrocité spectaculaire des persécutions classiques a trop longtemps détourné de cette technique le regard des observateurs.* *Pour ce qui est du* Monde, *il n'a pas voulu publier ces informations, qui lui paraissaient étonnantes, sans y joindre un commentaire, ou un complément, de M. Thomas Schreiber rappelant que le communisme n'a aucunement cessé de combattre la foi catholique. Mais tout demeurerait mystérieux si l'on en restait là.* *Nous proposons* UNE CLEF *pour lire et comprendre le sens véritable de la situation décrite. Nous croyons que cette* CLEF *est celle qui fait ordinairement défaut : la plus grande partie de l'opinion est alors surprise par les informations qui lui viennent de l'Église du silence. Ces informations, quant à nous, ne nous surprennent absolument pas.* *Cette* CLEF, *nous en avons résumé plus haut les lignes générales, sous le titre éditorial :* « L'Église du silence : mais quel silence ? ». *Nous en avons analysé les détails caractéristiques en lisant l'article de* Témoignage chrétien. *Dans l'article du* Monde, *nous trouvons maintenant des précisions complémentaires qui sont du plus haut intérêt, et des confirmations extrêmement parlantes.* *L'étude sur :* « L'Église du silence : mais quel silence ? » *et les deux documents annotés constituent un ensemble. Nous demandons avec insistance au lecteur de n'en point parcourir seulement ou isoler quelques pages. Cela fait beaucoup à lire en une seule fois. Mais si l'on veut comprendre la redoutable et perverse technique du communisme, il faut prendre la peine de l'étudier. Nous avisons le lecteur pressé et le lecteur partiel qu'il n'y entendra rien, et qu'il vaut mieux qu'il ne lise rien du tout plutôt que de lire à moitié.* *Toutes les notes au bas des pages de ce second document sont de nous. Elles sont plus brèves que les annotations au document précédent, parce qu'elles y renvoient, et qu'elles en supposent la lecture préalable.* 92:48 #### L'Église catholique hongroise quatre ans après Budapest Profitant d'un bref séjour à Budapest, notre collaborateur Gilbert Mathieu a rencontré, sur sa demande, les dirigeants de l'Action catholique hongroise, ainsi que le vicaire général de M. Groesz, chef de l'Église hongroise, le doyen et le vice-doyen de la faculté de théologie de Budapest, et les animateurs de publications catholiques. Les propos tenus par ces personnalités peuvent paraître surprenants. Aussi avons-nous demandé à notre collaborateur Thomas Schreiber, qui a déjà publié dans « *Le Monde* » de nombreux articles sur la Hongrie, de les compléter par une analyse du climat religieux qui règne actuellement dans le pays ([^50]). #### Les évêques invitent les fidèles à travailler au développement de l'économie socialiste Budapest... novembre ([^51]) -- Quelle est la vitalité de l'Église hongroise après douze ans de régime communiste ? avons-nous demandé d'entrée de jeu à nos interlocuteurs. 93:48 « *Elle est fort bonne,* répond Mgr Emeric Varkonyi, directeur général de l'Action catholique, et homologue hongrois de Mgr Ménager. *Le culte est célébré de façon normale dans toutes les églises de Hongrie, et rien qu'à Budapest nous disposons de deux cents églises et chapelles. On estime à* 30 % *environ des baptisés le nombre des catholiques accomplissant régulièrement tous les devoirs cultuels et sacramentels de leur religion, ce qui,* ajoute Mgr Varkonyi avec une pointe d'ironie, *nous paraît une proportion supérieure à celle des catholiques français.* » Concrètement, cela représente plus d'un million et demi de Hongrois à la messe tous les dimanches, puisqu'on compte entre cinq et six millions de catholiques baptisés en Hongrie sur une population de dix millions d'habitants. « *Le nombre des fidèles pratiquants est au moins égal à celui de l'avant-guerre,* précise le directeur de l'Action catholique. *Il nous paraît même un peu plus élevé en ce qui concerne l'assistance aux offices. Quant à la qualité de leur foi, nous avons cherché à l'améliorer depuis le nouveau régime, par un réel effort d'approfondissement de notre christianisme. Cela a sûrement été positif.* » Les cinq séminaires hongrois comptent en permanence de soixante à cent séminaristes chacun. « *Cela peut être considéré comme satisfaisant* ([^52]), souligne le Dr Erdei, vice doyen de la faculté de théologie. 94:48 *Comme tous les pays d'Europe, la Hongrie connaît depuis longtemps la crise des vocations sacerdotales *; *mais elle semble actuellement moins touchée par elle que d'autres pays, la France en particulier.* » Mais de quels moyens d'expression dispose cette Église, communément appelée « du silence » dans le monde occidental ? « *Outre les sermons hebdomadaires, des cours de formation chrétienne sont donnés dans les églises,* indique Mgr Varkonyi. *L'Église dispose en outre de trois publications :* *l'hebdomadaire de* l'*Action catholique,* L'Homme nouveau, *qui tire à* 61*.*000 *exemplaires *; *la revue* Vigilia, *mensuel d'un niveau plus élevé, tirant à* 10.000 *exemplaires *; *enfin le* Mot catholique (15.000 *à* 20.000 *exemplaires*)*, organe de l'Association des prêtres pour la paix* ([^53]). 95:48 *Ces catholiques n'ont pas pour rôle de faire de la politique chrétienne, mais de l'éducation chrétienne, à propos des problèmes concrets posés par les événements. Ils sont placés sous le contrôle : de la hiérarchie, qui a désigné pour chacun d'eux un conseiller théologique.* » #### Enseignement religieux dans les écoles publiques à la demande des parents Deux maisons d'édition complètent ces moyens d'expression écrite. Les cours d'instruction religieuse sont dispensés par les prêtres dans les écoles publiques à tous les enfants dont les parents l'ont demandé, ce qui est le cas de la majorité. Ces cours commencent dès l'âge de six ans et se poursuivent jusqu'à la fin des études. Les cours de matérialisme, rendus obligatoires par l'État, ne commencent qu'à l'âge de quatorze ans. Mais quelle est l'attitude de l'État à l'égard du clergé ? « *Un accord* (*valable jusqu'en* 1968) *entre l'Église et l'État prévoit que celui-ci, qui a distribué aux paysans les terres appartenant à l'Église, verse au clergé une rémunération mensuelle de* 600 *à* 2.700 *florins par mois* (12.000 *à* 59.000 francs anciens au change touristique, le double au change officiel), répond Mgr Varkonyi. *Cette rémunération doit aller en diminuant. Or, bien que nous n'ayons pas demandé la remise en cause de l'accord, l'État n'applique pas les diminutions de traitements prévues par celui-ci* ([^54]). *Les rémunérations du clergé continuent donc d'être payées au taux fort.* -- Ne craignez-vous pas que l'État vous demande des contre-parties politiques et n'estimez-vous pas préférable la situation de l'Église de France, financièrement indépendante de l'État ? -- *L'État ne nous a posé aucune condition d'ordre politique* ([^55]), réplique vivement Mgr Varkonyi, *et nous nous estimons entièrement libres à son égard.* 96:48 *Au demeurant, la perspective d'une suppression de ses versements a sérieusement été envisagée, et nous verrons en* 1968 *s'il y a lieu de maintenir ou non des liens financiers entre l'Église et l'État. De toute façon l'aide publique actuelle ne constitue qu'un complément aux contributions volontaires des fidèles.* -- De façon plus précise, où en sont vos rapports avec l'État ? -- *Comme vous le voyez par ce qui précède, nous entretenons de bonnes relations. Nous estimons que les thèses socialistes sur la paix ou l'économie. N'appartiennent pas aux seuls matérialistes et nous les faisons nôtres aussi* ([^56]). 97:48 *Nous invitons les catholiques à participer activement aux syndicats et à construire l'État socialiste, dans sa partie économique et sociale* ([^57]). 98:48 « *Mais, bien évidemment, sur le plan philosophique et métaphysique, il y a incompatibilité totale entre le catholicisme et le communisme, entre ceux qui croient au Dieu révélé et ceux qui nient l'existence de Dieu. Nous le rappelons dans notre presse et interdisons formellement à tout catholique d'entrer au parti communiste* ([^58]). » Les dernières questions portent sur les relations avec le Vatican. « *Nos visites périodiques à Rome sont actuellement suspendues, mais nous demeurons en relations très régulières avec le Saint-Siège,* souligne le directeur de l'Action catholique. *L'un des professeurs de notre faculté de théologie vient d'ailleurs d'être choisi comme consulteur pour le prochain concile.* 99:48 *Comme pour toute l'Église, le pape est notre chef en matière de foi, de morale et de discipline ecclésiastique* ([^59]). -- Et le cardinal Mindszenty ? -- *Cela n'est plus un problème. Le chef actuel de l'Église hongroise est Mgr Groesz, archevêque de Kalocza, choisi par le Vatican.* » ([^60]) L'entretien est terminé. Les prélats se lèvent, invitant à revenir les voir les premiers journalistes occidentaux qu'ils aient rencontrés depuis les événements de 1956. \*\*\* Puissent ces documents et ces notes avoir montré au lecteur à quels terribles perfectionnements, et à quels résultats, peut atteindre la technique communiste de domination. Puisse-t-il comprendre ce qu'est L'ÉGLISE DU SILENCE : une Église où la parole vraie de l'Église est muselée -- et recouverte par les propos qui nous ont été rapportés. Que Dieu, qui connaît les intentions que nous ne connaissons pas, et que nous ne jugeons pas, éclaire et conforte dans sa miséricorde ces catholiques qui « s'estiment entièrement libres » et qui le disent, dans un régime où les communistes eux-mêmes, sous la botte du colonialisme soviétique et du gauleiter Kadar, n'ont plus aucune liberté. 102:48 ## Note de gérance Nous n'avons pas publié de « note de gérance » depuis bien longtemps. Celle parue dans le numéro de juin parlait surtout des ouvrages de la « Collection Itinéraires » et des brochures diverses que nous avons fait paraître. La précédente était une très brève notule : et elle remonte à plus d'un an. Ce silence ne doit pas faire croire que pendant ce temps-là tout a marché tout seul... Ni que la présente note veut annoncer que tout va mal. Il y a, dans la vie de la revue, des choses qui vont bien, d'autres non. Faisons le point de la situation actuelle, en indiquant ce qui va et ce qui ne va pas. Un net succès. Nos lecteurs et amis ont remporté un net succès au cours de l'année 1960 : celui de la diffusion du n° 41, numéro spécial sur le communisme. Numéro austère pourtant, et même massif, faisant moins que jamais de concessions aux facilités publicitaires. En moins d'un mois il était épuisé. Il n'a pas cessé de circuler. Il arrive encore que l'on nous en demande des exemplaires. Ce succès de diffusion est dû à l'activité de nos amis. Il est dû en même temps aux prières qui ont accompagné très spécialement ce numéro et, qui ont pris sa diffusion pour intention particulière. Rien ne se fait sans action et sans effort ; rien ne se fait non plus sans prière. Nous rappelons à tous nos amis (certains ne l'auraient-ils pas un peu oublié ?) notre rendez-vous mensuel de prière : le *dernier vendredi* de chaque mois, les rédacteurs, les lecteurs, les amis de la revue vont à la messe dans leur paroisse, ou là où ils se trouvent, priant les uns pour les autres et aux intentions de l'œuvre de réforme intellectuelle et morale à laquelle nous travaillons. D'autre part ce succès nous confirmerait, s'il en était besoin, dans la conviction que nous devons continuer à travailler selon notre état et notre vocation : c'est-à-dire travailler en tant que revue de culture générale, d'information et de formation intellectuelles, sans rechercher les facilités bruyantes, extérieures et superficielles qui sont celles du magazine illustré ou du journal. Une revue sérieuse, qui ne craint pas d'assumer quand il le faut le risque de paraître « austère » qui demande au lecteur son attention précise, son travail, son effort, -- une telle revue répond à un besoin intellectuel et moral évident. Notre numéro sur le communisme était le moins « attrayant » que nous ayons fait depuis longtemps : il a été le plus demandé et le plus lu. 103:48 Ne nous payons pas de mots : une revue « de culture générale » n'est pas une facile récréation. Il n'y a pas de culture intellectuelle, ni même d'information véritable, sans attention et sans effort de la part du lecteur. D'ailleurs ceux qui désirent des magazines illustrés, et autres feuilles du même genre, en trouveront un choix abondant dans les kiosques à journaux et aux portes des églises. Cela n'enlève rien à la nécessité d'une revue comme la nôtre. Le large succès d'un numéro tel que notre numéro spécial sur le communisme est pour vous et pour nous un encouragement précieux. Un lent cheminement. Mais d'autre part, le recrutement d'abonnements nouveaux a été et demeure très lent. Trop lent. A cet égard, l'année 1960 n'aura pas été une bonne année. Nous n'ignorons aucunement les difficultés inhérentes à un tel recrutement. Nous connaissons parfaitement le climat de dénigrement sournois et l'atmosphère de méfiance entretenus en certains endroits à l'encontre de la revue *Itinéraires.* Nous connaissons la propagande chuchotée et calomnieuse organisée souvent dans les milieux qui devraient nous être le plus favorables et nous soutenir le plus activement. Nous mesurons également quel handicap permanent est constitué par le fait que les organes d'information, au lieu d'informer, font artificiellement et artificieusement obstacle à la circulation normale des idées. Tous les obstacles de ce genre, que nous n'évoquons pas dans leur détail précis (mais nous le pourrions), sont réels et considérables. Ils sont un motif évident et supplémentaire pour que ceux qui sont nos amis actifs poursuivent et intensifient leurs efforts, et pour que ceux qui sont nos amis (plus ou moins) passifs se demandent sérieusement quel renfort ils peuvent apporter à la circulation et à la diffusion de la revue. *Seuls les abonnements nouveaux nous font avancer.* Que chacun veuille bien se demander combien d'abonnements nouveaux il a suscité cette année... Seul l'abonnement établit et maintient un contact régulier avec le public. Ces abonnements nouveaux viendraient pour ainsi dire d'eux-mêmes si nous étions dans des conditions normales. Mais la plupart de nos lecteurs, du moins en France, peuvent mesurer eux-mêmes autour d'eux à quel point sont anormales les conditions morales et pratiques créées autour de la revue par ceux qui, depuis cinq ans bientôt, ont à peu près *tout* tenté pour la faire disparaître. 104:48 C'est une bataille. Une bataille contre une méchanceté insondable. Une bataille dont le terrain décisif est le recrutement d'abonnés nouveaux. Chaque abonnement nouveau est une victoire, pacifique, efficace, remportée sur la méchanceté butée, et parfois furieuse ou frénétique, qui s'efforce d'étouffer la revue *Itinéraires.* Faites circuler la revue, trouvez-lui des abonnés, abonnez vos relations. Cela est une nécessité permanente. Le secteur qui a faibli :\ les abonnements de soutien. Nous devons spécialement remercier les amis fidèles qui souscrivent et renouvellent des abonnements de soutien. L'aide qu'ils nous apportent ainsi est absolument vitale. Mais il semble que beaucoup de nos amis n'en comprennent pas bien les raisons. Cet automne, une revue anciennement et solidement installée, -- celle-là même dont un texte fort remarquable est cité sans commentaires dans les « notes critiques » du présent numéro, -- revue soutenue de toutes les manières par la presse en place, et qui ne peut écrire trois mots sans que la plupart des journaux lui fassent une immense publicité gratuite, et dont CHAQUE sommaire, régulièrement chaque mois, est élogieusement cité et commenté dans *La Croix,* ce qui est un appui précis, délibéré, considérable (et à sens unique), -- cette revue, donc, alertait ses lecteurs et abonnés en ces termes : « Il y a un risque permanent : le progrès technique entraîne une hausse constante (du prix) des services, et une revue comme la nôtre travaille dans un ordre où la productivité a peu de moyens ; la réflexion ne se multiplie pas comme les boîtes de conserves. Donc, la revue nous coûte de plus en plus cher, et il faut que nous augmentions son rayonnement et ses ressources. Nous allons lancer une campagne de propagande... » Telle est en effet la condition matérielle, fort difficile, fort menacée, des revues de culture générale. Celle dont on vient de lire les préoccupations a pourtant tous les appuis publicitaires qu'elle peut souhaiter. La condition matérielle d'*Itinéraires* est, de surcroît, considérablement aggravée par tous les procédés anormaux et malfaisants mis en œuvre pour nous nuire. C'est pourquoi les *abonnements de soutien* nous apportent, disons-nous, une aide absolument vitale. Or cette aide s'est réduite. Le nombre de ceux qui nous l'apportent a sensiblement diminué. 105:48 L'autre année, -- à la suite il est vrai de nos appels répétés, -- nous étions arrivés à plus de 500 abonnements de soutien reçus dans l'année. Cette année, c'est-à-dire de novembre 1959 à novembre 1960, nous en avons reçu seulement 183 (Cent quatre vingt trois). C'est donc sur ce secteur, celui, le seul, qui a faibli, mais dangereusement et terriblement faibli, que nous voulons surtout et en quelque sorte par priorité attirer l'attention de nos amis. De ceux qui *peuvent* souscrire, et souscrire immédiatement, un ou plusieurs abonnements de soutien. De ceux qui, n'en ayant pas les moyens, peuvent se mettre en quête autour d'eux d'abonnements de soutien. La diminution de leur nombre menace jusqu'à l'existence elle-même de la revue. Leur multiplication est cela seul qui peut nous donner des moyens d'action plus étendus. *Seul l'abonnement de soutien nous aide vraiment.* « Sans précédent ». Ce n'est pas sans raison grave et précise que nous vous avons demandé, au printemps de cette année 1960, dans nos « Lettres aux amis d'Itinéraires » un EFFORT EXCEPTIONNEL, un EFFORT SANS PRÉCÉDENT. Les réponses semblent s'être portées à peu près exclusivement sur la diffusion de notre numéro sur le communisme. En ce qui concerne les abonnements de soutien... ce fut au contraire une sorte de débandade, ou de déroute. En faisant le compte, nous nous demandions si nous ne rêvions pas. Car jamais peut-être nous n'avons reçu d'aussi nombreux et d'aussi ardents témoignages de sympathie, d'approbation, d'encouragement... Mais le chiffre total des abonnements de soutien souscrits depuis douze mois est bien : 183. Il n'avait jamais été aussi faible, pour une année entière, depuis que la revue existe. Ce qui a été effectivement « sans précédent » triste ironie, c'est cette chute en un secteur vital. Si nous vous avons demandé « un effort sans précédent », un effort exceptionnel, c'est notamment parce que nous constatons que, dans de larges milieux, s'estompe la claire conscience de *ce qu'est* le communisme. Nous avons, nous pouvons le dire, beaucoup travaillé au cours de cette année 1960 pour publier sur ce sujet capital des articles et des études qui, semble-t-il, ne trouvent pas souvent ailleurs leur équivalent. Nous continuons et nous continuerons. Mais nous demandons à tous nos amis de nous fournir des moyens d'action qui soient à la mesure des tâches entreprises et des urgences auxquelles nous devons faire face. Nos moyens matériels restent cruellement limités et même déficients. Ils ont diminué au moment ou ils auraient dû augmenter : ils ont diminué par l'amenuisement des souscriptions d'abonnements de soutien. Il faut, de toute urgence et de toute nécessité, redresser rapidement cette situation. 106:48 Des conditions financières\ qui sont fondamentalement anormales. Le public ignore en général que l'ensemble des publications imprimées, du journal à la revue, est mis en vente à un prix *inférieur* au prix normal, inférieur *au prix de revient.* Le lecteur, l'abonné ne payent pas le prix matériel de fabrication de la marchandise imprimée qu'ils achètent. L'ensemble de la presse ne peut pas vivre avec les seules ressources normales provenant du prix de vente. Journaux et publications vivent grâce aux ressources de la publicité payante qui viennent s'ajouter aux ressources de la vente au numéro et de l'abonnement. Cette situation est générale, bien établie, et entraîne deux conséquences : I. -- Le public étant accoutumé à pratiquer certains prix dans l'achat des publications, ou dans l'abonnement, il n'est guère possible à ceux qui voudraient refuser ce truquage et ce « dumping » de mettre en vente une publication à un prix *trop* supérieur aux prix ordinairement pratiqués. Cela constituerait un handicap qui se heurterait à l'incompréhension du public. 2. -- Équilibrent leur budget grâce aux ressources publicitaires, les publications mettent alors leur existence *dans la dépendance* de ceux qui leur assurent des contrats de publicité. Situation qui peut n'avoir en fait aucun inconvénient dans tel ou tel cas particulier, nous voulons bien le croire... Mais situation qui est dangereuse au moins dans son principe, et qui peut comporter effectivement de graves inconvénients pratiques. Soucieuse d'assurer son entière liberté et indépendance temporelle, la revue *Itinéraires* n'a jamais accepté aucune publicité payante et maintient sa décision de n'en accepter aucune. C'est une exception rare (et peut-être unique) parmi les publications imprimées en France ; mais nous ne modifierons pas cette décision. Un exemple. La situation de « dumping » qui commande le marché tout entier des publications imprimées n'est point particulière à notre pays. 107:48 Elle est la situation créée partout dans le « monde libre » par le capitalisme de presse, ses mœurs et ses pratiques. Pour en donner un exemple manifeste, et pour qu'on ne puisse supposer que nous le donnons dans une intention malveillante ou indiscrète à l'égard de qui que ce soit, nous prendrons en Angleterre un exemple d'ailleurs public. Au mois d'octobre dernier, le *News Chronicle,* journal ayant PLUS D'UN MILLION DE LECTEURS RÉGULIERS, a dû cesser du jour au lendemain sa parution et n'a pas pu éviter d'être racheté par un concurrent. Et voici le commentaire publié à ce sujet par un autre journal britannique, le *Guardian :* « Il est amer de constater qu'en pleine prospérité un journal qui a plus d'un million de lecteurs ne parvient pas à joindre les deux bouts. Mais tel est le résultat de la place de plus en plus prépondérante qu'occupe la publicité dans les revenus d'un journal. A une époque où les prix de revient augmentent, la seule vente au numéro est insuffisante pour faire vivre un journal. » Cette situation est beaucoup plus caractérisée pour les journaux et pour les magazines illustrés que pour les revues. Ces dernières toutefois n'y échappent pas entièrement. Pour elles aussi, les prix de vente couramment pratiqués sont trop bas et souvent inférieurs au prix de revient. Il leur faut donc consacrer une partie de leur surface imprimée à la publicité payante, et compter sur cette source supplémentaire de revenus, indispensable pour équilibrer leur budget. Le choix,\ et le prix du choix. Dès le premier jour et définitivement, la revue *Itinéraires* a refusé d'entrer dans ce jeu truqué du capitalisme de presse, qui place l'existence des publications imprimées dans la dépendance des puissances d'argent et des intérêts économiques et commerciaux. Le prix de vente au numéro de la revue est élevé par rapport aux prix ordinairement pratiqués. Le prix de l'abonnement est légèrement supérieur aux prix des autres revues. Ni l'un ni l'autre cependant ne nous paraissent pouvoir être augmentés jusqu'au niveau qui serait normal et nécessaire : des prix qui seraient normaux en eux-mêmes, mais qui sembleraient prohibitifs par rapport aux prix de « dumping » pratiqués par l'ensemble de la presse, risqueraient de faire fuir ou de décourager le lecteur ordinaire. 108:48 Les *abonnements de soutien* nous ont toujours apporté ce manque à gagner provenant de notre refus de nous placer dans la situation (que nous trouvons anormale et même immorale) des publications imprimées qui dépendent dans leur existence même de la publicité commerciale. Mais nos amis doivent bien comprendre ce qui est là en question ; ils doivent bien comprendre ce qui est en jeu. Notre existence : notre *libre* existence de revue réellement *indépendante* de tous les intérêts temporels. C'est pourquoi nous vous rappelons avec insistance qu'en l'espace d'une année, le nombre des abonnements *de soutien* est tombé de plus de 500 à 183. ============== fin du numéro 48. [^1]:  -- (1). Lénine, *L'impérialisme, stade suprême du capitalisme*, brochure publiée en 1916. [^2]:  -- (2). Il existe pourtant quelques études sur ce sujet. Voir notamment l'ouvrage de Walter Kolarz, *La Russie et ses colonies*, édition française (traduite de l'anglais par Jean Canu et Anne-Marie Canu) chez Fasquelle, 1954. Cf. l'article : « L'Empire colonial de l'Union soviétique », dans *Est et Ouest,* n° 241 du 16 juillet 1960. [^3]:  -- (3). Nous laissons de côté la question de l'Ukraine et de la Biélorussie. Certains les considèrent comme faisant normalement partie de l'État russe, d'autres comme injustement annexées par la Russie. Remarquons seulement que l'U.R.S.S. a fait reconnaître ces deux pays comme prétendument *indépendants* et les a fait recevoir à l'O.N.U. comme membres à part entière. Ces deux pays n'en font pas moins partie intégrante de l'U.R.S.S. elle-même ; l'O.N.U., depuis l'origine et jusqu'à maintenant, s'est prêtée à cette imposture. [^4]:  -- (1). Que cette *technique* soit *issue de l'idéologie,* ou de certains points de cette idéologie, il n'est certainement pas dans notre pensée de le nier. Nous nous élevons seulement contre l'aveuglement qui ne voit pas cette technique, et contre l'erreur qui n'aperçoit pas que cette technique d'esclavage a réduit en esclavage jusqu'à l'idéologie elle-même, et *conformément* à l'idéologie. [^5]:  -- (2). Cinquième principe d'organisation du Parti. [^6]:  -- (1). Édition française, Bureau d'éditions (communistes), Paris, 1939, spécialement pages 109-111. [^7]:  -- (2). C'est-à-dire non pas *une religion contraire* au christianisme, mais bien *le contraire d'une religion.* Une inversion symétrique des perspectives guette l'anti-communisme, quand il parle d'opposer à la révolution communiste une « contre-révolution ». Bien sûr, une contre-révolution : mais alors au sens le plus vrai *et* le plus profond des termes. C'est-à-dire qu'au communisme il convient d'opposer non pas une *révolution contraire* (ce qui est relativement facile, foncièrement illusoire et rapidement décevant) mais *le contraire de la révolution communiste :* cela est autrement exigeant et conduit autrement loin. [^8]:  -- (3). *Op. cit.,* p. 109. [^9]:  -- (1). *Op. cit..* p. 111. [^10]:  -- (1). Cette affirmation est extraite d'un Bulletin paroissial, où elle est signée par le Curé (prêtre d'ailleurs estimable, pieux et zélé) d'une grande paroisse urbaine dans la capitale d'une nation occidentale. [^11]:  -- (2). *La Nef.* n° d'octobre-décembre 1960, page 35. [^12]:  -- (1). Dans le livre : *Mounier et sa génération,* page 408. [^13]:  -- (1). PIE XII, Message de Noël 1955. [^14]:  -- (1). Paroles citées dans l'éditorial du *Monde* du 19 octobre 1960. Dans l'hypothèse, peu vraisemblable, mais à ne pas écarter tout à fait si l'on veut, où ces paroles ne seraient pas authentiques, et où il s'agirait d'un faux, on notera que la liberté n'a pas été laissée au Cardinal de publier un démenti. [^15]:  -- (1). Péguy. Les cinq prières dans la cathédrale de Chartres. Prière de résidence. [^16]:  -- (1). Mgr Guerry, Archevêque de Cambrai : *Église catholique et communisme athée,* Lettre pastorale à son clergé et aux militants de son diocèse, un volume de 236 pages, Maison de la Bonne Presse. [^17]:  -- (1). *Jean-Marie de Lamennais* par l'abbé André Merlaud, éditions de la Bonne Presse 1960. -- Voir sur ce livre l'étude très remarquable de Jacques Vier dans *la Pensée Catholique,* n° 66. « Deux destinées sacerdotales », pp. 86 et sq. [^18]:  -- (2). Voir par exemple pages 153-154 et 161. [^19]:  -- (3). Voir le chapitre premier, si captivant. [^20]:  -- (1). Manuscrits autobiographiques, éditions du Carmel de Lisieux, pp. 110-111. [^21]:  -- (2). De l'avis de l'abbé Merlaud : « Les derniers moments de La Mennais restent à étudier. Et si Lacordaire ainsi que Combalot ont été très durs sur les derniers moments de Félicité, en revanche Gerbet a eu des paroles de tendresse et d'espérance ». Dans le livre toujours prenant de l'abbé Merlaud un des passages les plus dramatiques est assurément le récit d'une mort véritablement sainte de Félicité qui avait failli réussir en 1826. Il n'est pas défendu de penser que cette admirable « répétition » de la mort des justes aura finalement servi à préserver le prêtre apostat de la mort des damnés. (Voir chapitre dixième). [^22]:  -- (3). *Le Crépuscule des Vieux,* édit. Gallimard 1956, page 300. [^23]:  -- (1). LA PERSÉCUTION EST TERMINÉE. -- L'Église hongroise, à ce que l'on nous dit, est sortie affaiblie, sans doute, d'une persécution qui du moins a pris fin. Quelle persécution ? La persécution *classique,* que le communisme n'a nullement inventée, qui est vieille de deux mille ans : la mise à mort, l'emprisonnement, l'interdiction « légale ». Or la persécution communiste est fondamentalement différente de cette persécution classique. On peut ne pas s'en apercevoir d'abord, parce que la persécution communiste utilise *aussi* les méthodes spectaculairement violentes de la persécution classique : il les utilise périodiquement, comme un préalable ou un renfort à ce qui est l'essentiel de son action anti-religieuse. Et c'est cet essentiel que d'aventure l'on n'aperçoit pas, l'attention étant détournée vers les violences visibles de la persécution classique. Nous avons expliqué cela au chapitre III de *La technique de l'esclavage :* « La technique sociologique de l'esclavage religieux ». Il existe en effet des *méthodes proprement communistes* de persécution religieuse. Ignorer la spécificité de ces méthodes, c'est ignorer l'essentiel de la question. Périodiquement. les pays communistes, à commencer par l'U.R.S.S. (et une expérience historique qui s'étale sur quarante-trois années ne devrait tout de même pas être totalement inconnue), autorisent plus ou moins largement et plus ou moins longtemps les activités du *culte* religieux. On parle alors d'adoucissement ou d' « évolution libérale ». Mais les rigueurs et violences visibles qui s'adoucissent ainsi n'ont jamais été que *l'un des instruments annexes* d'une persécution dont l'essentiel se situe ailleurs. [^24]:  -- (2). SEULEMENT LE CLIMAT. -- La persécution aurait donc cessé. Seulement « le climat » resterait « défavorable ». Mais entre la persécution classique, d'une part, et le climat, d'autre part, s'étend toute la réalité véritable de la persécution communiste. Par hypothèse ou par système, ou par ignorance, il n'en sera aucunement question. On ne nous en dira rien, comme si elle n'existait pas. Seulement *le climat...* Il faut bien en conclure qu'un élément capital a totalement échappé à l'observateur. Il ignore ou méconnaît tout ce qui est la *technique sociologique* propre au communisme. [^25]:  -- (3). LES RAPPORTS SONT BONS. -- Quels « interlocuteurs » ont dit cela ? Tous en chœur ? C'est peu probable. Certains d'entre eux ? On ne le saura pas. Mais ils étaient fort divers, comme la nomenclature que l'on nous en donne le laisse entrevoir (nous y reviendrons plus loin, notes 7 et 10). Citons ici, sur les rapports entre l'Église et l'État, une précision empruntée à l'article de M. François Bernard paru dans *La Croix* du 11 octobre 1960 : « On fait valoir à Budapest que Rome a pourvu l'an dernier au gouvernement des quatre diocèses qui étaient vacants, en nommant des administrateurs apostoliques (un évêque titulaire, deux prélats et un simple prêtre). « On oublie toutefois de dire les raisons de ces vacances : trois évêques sont empêchés par le gouvernement de remplir leur fonction et sont éloignés de leur siège ; et il n'a pas été possible de nommer un successeur à l'archevêque d'Eger, mort en 1955. » D'autre part, on sait, ou l'on devrait savoir, que constamment *les rapports sont bons* entre un gouvernement communiste et une Église lorsque ce gouvernement a obtenu, ou se croit en voie d'obtenir, *la collaboration de l'Église à la domination communiste.* Cette « collaboration de l'Église » est nommée, comme un but essentiel à atteindre, par le dirigeant communiste hongrois Gyula Kallaï dans la revue soviétique *Kommunist* de juillet 1959. Si un gouvernement communiste consent à ce que les rapports soient bons, c'est *dans la mesure* où il s'imagine, à tort ou à raison, avoir réussi à obtenir ou à imposer aux hommes d'Église cette collaboration. Et cette collaboration, selon l'article cité de *La Croix,* « consiste en fait à domestiquer l'Église pour la mettre au service de la construction du socialisme matérialiste et athée ». Cette tentative de domestication s'opère selon une technique sociologique très particulière, peu visible de l'extérieur, peu manifeste aux yeux du touriste, du visiteur, du journaliste pressé. Mais, même abstraction raite de cette technique (qui est l'essentiel), il est en tout état de cause curieux que l'on puisse affirmer que « les rapports sont bons » quand trois évêques sont tenus par le gouvernement en résidence forcée hors de leur diocèse. [^26]:  -- (4). SALAIRES DES PRÊTRES, CONSTRUCTION ET ENTRETIEN DES ÉGLISES. -- Le clergé hongrois est donc *payé par l'État.* Là se trouve l'une des difficultés majeures de tout *socialisme,* dans la mesure où il supprime la propriété privée (ne laissant subsister que la propriété des biens de consommation et d'usage immédiat, et éventuellement, à la campagne, de minuscules propriétés privées). Qui peut alors construire des églises et entretenir le clergé ? Personne. Sauf l'État. Par quoi l'on voit que la propriété privée n'a pas seulement une valeur économique, elle est socialement une condition et un moyen de liberté *même spirituelle.* En régime socialiste, seul l'État peut être propriétaire des imprimeries, des écoles, des églises (etc.). Cela pose au moins un problème quand il s'agit d'un socialisme quelconque, supposé sincèrement humaniste et bienveillant. Mais ici il s'agit du communisme : qui proclame d'une part la « séparation » de l'Église et de l'État, mais qui, d'autre part, assure le salaire du clergé et l'entretien des églises. Il l'assure quand il le veut, comme il le veut, aux conditions qu'il veut. Cet État qui *paye* est aussi un État qui a pour volonté et pour but nullement dissimulés de *domestiquer.* Alors ? « Les rapports sont bons » ? [^27]:  -- (5). LIBERTÉ DU CULTE. -- Quand on veut « domestiquer » l'Église, comme dit l'article cité de *La Croix,* ce n'est évidemment pas pour l'anéantir du même coup, dans le même temps, à la même étape historique : c'est pour l'utiliser. Si on l'utilise, il faut donc lui laisser une certaine marge d'existence. Il faut que les fidèles puissent fréquenter les églises. La persécution classique (interdictions, emprisonnements, mises à mort) est périodiquement employée pour réduire celles des résistances anciennes ou renaissantes qui paraissent irréductibles. Mais il n'est pas question de supprimer toute activité ecclésiastique et toute foi religieuse. Depuis longtemps les communistes ont compris, comme nous l'avons montré dans *La technique de l'esclavage,* qu'ils ne peuvent liquider une Église aussi facilement, aussi rapidement qu'ils « liquident » un parti social-démocrate, un club réactionnaire, une classe sociale. Ils conservent bien pour but final de supprimer toute Église et toute foi religieuse. Mais leur expérience (quarante-trois années d'expérience en U.R.S.S.) leur a montré et démontré que la liquidation des croyances religieuses leur est à tout le moins impossible à la première ou à la seconde génération. Alors, bien sûr, ils organisent et poursuivent avec persévérance (et d'une manière plus ou moins agressive) la propagande anti-religieuse. C'est une chose, et que l'on voit. Mais d'autre part, *et surtout,* ils s'emploient à « domestiquer » les Églises existantes. Cela devrait être bien connu. Nous en citerons ici un témoignage récent, venant d'un dirigeant communiste hongrois précisément, Guyla Kallai, dans son article déjà cité de *Kommunist :* « Les Églises subsistent encore longtemps au cours de la construction du socialisme, car la conception religieuse du monde ne disparaît pas d'un jour à l'autre dans l'esprit des croyants (...). C'est pourquoi l'Est qui a entrepris la construction du socialisme doit compter avec l'existence de l'Église, et se trouve obligé de déterminer sa politique de telle façon que les Églises ne viennent pas se mettre en travers de la route qui conduit au socialisme, mais au contraire qu'elles apportent leur aide dans la poursuite de ce but. C'est pourquoi la collaboration de l'Église et de l'État doit être établie sur la base solide de l'État et dans le cadre de celui-ci. » Autrement dit : il s'agit de transformer les Églises elles-mêmes en « courroies de transmission » du communisme. Les activités du « culte » pourront continuer sous cette condition et à ce prix. On a quelquefois remarqué que Pie XII avait nommé l'Église persécutée par le pouvoir communiste : *l'Église du silence,* et non pas l'Église emprisonnée ou massacrée. On a supposé que cette formule était dans la bouche du Pontife une litote volontaire, signe de la délicatesse par laquelle, s'il réprouvait fermement le communisme et sa persécution, il entendait ne rien dire que pût ressembler à une invective violente contre les bourreaux. Cela est possible et plausible. Mais nous croyons qu'il existe, aussi et surtout, une autre raison à cette dénomination, formulée par le Vicaire du Christ assiste par l'Esprit Saint : c'est que cette dénomination est LA PLUS EXACTE. Emprisonnements et massacres ont existé et renaissent périodiquement, avec leurs immenses souffrances physiques. Mais les souffrances morales imposées par la technique sociologique du communisme sont plus atroces encore, et la principale de ces souffrances, c'est *le silence :* le silence force de la *véritable Église* en face des opérations par lesquelles le communisme travaille à installer, au sein de l'administration ecclésiastique, un « noyau dirigeant ». L'Église n'est pas partout ni toujours, -- ni le plus souvent, -- condamnée au massacre de ses prêtres et de ses fidèles elle est sociologiquement condamnée *au silence,* au silence en face de l'injustice et en face du crime, tandis que d'autres hommes d'Église, qui l'ont trahie ou qui ne savent pas ce qu'ils font, parlent abusivement en son nom, et peuvent seuls parler, et ont le monopole de la parole publique sur la question du régime social contre nature, sur la question de ce soi-disant « socialisme » qui est un esclavagisme. Les prêtres et les laïcs qui, par fidélité à l'Église, refusent d'aider la domination communiste, *ne peuvent pas le proclamer,* et leur fidélité ne peut être qu'une fidélité silencieuse, au moment même où les journaux « catholiques » et parfois la chaire sacrée elle-même retentissent de paroles affirmant et imposant le ralliement des catholiques au pouvoir communiste. L'Église fidèle sous la domination communiste, Pie XII l'a nommée l'Église du silence parce *qu'elle est* surtout, effectivement, l'Église du silence. [^28]:  -- (6). QUELLE ACTION CATHOLIQUE ? -- Dans le texte, nous lisons « action catholique » et non pas « Action catholique ». Il n'en demeure pas moins une équivoque. Qui va devenir très sensible quand on nous présentera *Le Mot catholique* comme ÉDITÉ PAR cette « action catholique vivante, courageuse, audacieuse » : voir la note suivante. [^29]:  -- (7). UN JOURNAL CATHOLIQUE. -- On nous présente donc *Le Mot catholique* comme un journal catholique. Or ce n'est pas vrai. C'est un journal *que le pouvoir communiste veut faire prendre pour un journal catholique.* C'est le journal édité et dirigé par une certaine « Association des prêtres pour la paix » à laquelle une allusion réticente et rapide sera faite plus loin (voir note 10). Cette « Association des prêtres pour la paix » est l'un des *instruments communistes du noyautage de régime,* homologue hongrois de l'Association tchèque de l'abbé Plojhar. En Hongrie, son président est un prêtre excommunié, l'abbé Richard Horvarth, « ancien cistercien chassé de son Ordre et qui en fut le fossoyeur » précise M. François Bernard dans l'article cité de *La Croix,* qui ajoute. « Pour être indirecte, la tutelle exercée par les « Prêtres pour la paix » sur les diocèses hongrois n'en est pas moins lourde. La meilleure preuve en a été donnée l'an dernier lorsqu'ils mirent la main sur l'Académie de théologie et sur le Grand Séminaire de Budapest, provoquant le départ de 80 séminaristes sur 90. Quelques-uns de ceux-ci ayant été ordonnés prêtres, l'hebdomadaire des « Prêtres de la paix », *Le Mot catholique,* publia un article odieux blâmant les évêques pour avoir conféré le sacerdoce à ces jeunes gens qui n'étaient pas agréés par l'État et ne pourraient donc jamais remplir aucune fonction ecclésiastique... » Le 14 septembre 1960, au Congrès de cette « Association des prêtres pour la paix » son président Richard Horvath déclara notamment (d'après le même article de *La Croix*) : « Ce n'est pas moi, mais bien les forces réactionnaires du Vatican qui suivent un mauvais chemin et ne veulent pas écouter les voix de notre temps (...). Ce sont les croyants, et non pas nous, les prêtres, qui forment l'Église. L'Église vit dans le peuple, le peuple construit le socialisme, et dans cette construction du socialisme nous nous tenons du côté du peuple. » Il s'agit donc bien, avec *Le Mot catholique,* de l'un des instruments visant à créer à l'intérieur de l'Église un noyau dirigeant, selon la technique essentielle et universelle du communisme. Présenter cet instrument communiste comme l'une des expressions d'une « action catholique vivante, courageuse, audacieuse » est précisément conforme à la présentation qu'en font et qu'en veulent imposer les communistes pour noyauter et domestiquer l'Église. [^30]:  -- (8). Cet étonnant alinéa est trop clair et trop précis, quand on sait ce qu'est en réalité *Le Mot catholique.* Un aveu aussi ingénu, selon nous, est la marque non pas du cynisme, comme le croiront peut-être certains, mais de l'innocence. Si l'auteur était consciemment *complice,* il aurait passé ce point sous silence. [^31]:  -- (9). ÉVIDEMMENT, LA CENSURE DE L'ÉTAT... Évidemment ! Comme en Espagne ? Plus qu'en Espagne : où telles publications de l'Action catholique sont, elles, dispensées de la censure étatique. Néanmoins l'existence d'une censure d'État en Espagne fait l'objet, en France, de protestations périodiques et de vigoureuses campagnes, violemment indignées. Quand cette censure étatique est exercée par un gouvernement communiste, on dit : « *évidemment* » et on passe, on ne s'indigne pas, on ne cherche plus à indigner le lecteur, on n'organise pas de campagnes de protestation. Des choses que l'on n'accepte d'aucun autre gouvernement, on les trouve acceptables d'un gouvernement communiste. « Évidemment. » « Les rapports sont bons. » [^32]:  -- (10). Il apparaît donc que l'auteur a été positivement trompé par ses « interlocuteurs ». On lui a présenté *Le Mot catholique* comme un journal catholique. On ne lui a pas dit que c'était au contraire l'organe de cette « Association » à l'égard de laquelle on n'a pu se dispenser de marquer une certaine réserve. De cette « Association » les « interlocuteurs » ont dit simplement qu'eux-mêmes sont « prudents » à son égard et « situent ailleurs leur action ». Ils n'ont pas pu en dire plus. C'est l'ÉGLISE DU SILENCE. Ce serait un crime, à l'égard de l'ÉGLISE DU SILENCE, d'interpréter ses silences comme un consentement, ou comme une non-désapprobation. [^33]:  -- (11). LE PARTI COMMUNISTE. -- Il ne compte, « ici », « que » 450.000 membres. Ici ? Mais ici comme ailleurs ! Où a-t-on vu un Parti communiste qui serait un parti de masse ? Nulle part. Pas même dans les pays où le communisme est au pouvoir depuis longtemps. Pas même en U.R.S.S. où le communisme est le maître absolu depuis quarante-trois ans. Le Parti communiste n'est pas et *ne doit pas* être un parti de masse, selon la théorie et la pratique elles-mêmes du communisme. On s'y trompe, ou on l'oublie, parce que le Parti communiste dit constamment « *le peuple* veut » « *le peuple* fait » là où il devrait dire seulement : « le Parti ». Le Parti communiste est la caste dirigeante, le seul maître du pouvoir, des syndicats, des tribunaux, des journaux, l'unique grand propriétaire, l'unique employeur. En U.R.S.S., cette caste dirigeante représente 4 % de la population totale. En Hongrie, entre 2 et 3 %. Sur ce point encore, nous renvoyons le lecteur à l'étude sur *La technique de l'esclavage.* [^34]:  -- (12). L'IDÉOLOGIE : l'Église s'oppose à l'idéologie communiste, oui. Seulement à l'idéologie ? C'est toute la question. Que l'on peut poser en termes différents : y aurait-il dans le communisme quelque chose qui ne relève pas de l'idéologie athée ? quelque chose qui soit idéologiquement neutre ? En apparence, sans doute ; une apparence dont sait jouer la technique communiste. Mais en réalité ? Le pouvoir communiste permet aux Églises d'entretenir à son égard comme une sorte d'opposition académique sur la question de l'existence de Dieu. Cette sorte d'opposition est elle-même fort limitée dans son expression publique. Mais enfin elle est plus ou moins largement tolérée. Ce que le pouvoir interdit, c'est toute opposition déclarée dans le domaine social, parce que le communisme est un athéisme agissant principalement *dans et par* la tyrannie sociale. L'Église, a dit Pie XII, condamne le communisme *en tant que système social,* et ce système social, a précisé Pie XII, elle le condamne *pour des raisons religieuses.* L'ÉGLISE DU SILENCE est celle qui ne peut plus dire publiquement les raisons religieuses pour lesquelles la foi catholique refuse le système social du communisme. L'ÉGLISE DU SILENCE est celle qui ne peut plus proclamer la vérité religieuse sur le plus grand drame social de notre temps. [^35]:  -- (13). CONFORME A LA DOCTRINE DE L'ÉGLISE. -- Dans le « programme » du gouvernement Kadar, il y a donc beaucoup de choses qui sont conformes à la doctrine de l'Église ? Voir note suivante. [^36]:  -- (14). UNE GRANDE DÉCOUVERTE : -- Oh non ! Ce n'est pas une découverte. On le sait depuis longtemps. Depuis longtemps on sait très bien que le programme des gouvernements communistes contient des éléments qui sont « au plan économique et social, conformes à la doctrine de l'Église ». L'Église le sait. Elle l'a dit et même proclamé. Solennellement. Dans l'Encyclique *Divini Redemptoris* de Pie XI sur le communisme athée. En 1937 déjà. Il arrive, écrivait Pie XI, que les chefs communistes « avancent des projets en tous points conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église ». Pour *découvrir* cela, il n'est nullement besoin d'accepter les invitations au voyage du régime Kadar. Il suffit de connaître l'enseignement le plus officiel de l'Église catholique. Ces programmes, ces projets, qui sont « conformes », Pie XI précisait aussitôt que ce sont d'abominables *mensonges* de la part des chefs communistes, qu'ils constituent autant de *pièges* diaboliques, et qu'il ne faut collaborer en rien, *nulla in re,* avec ceux qui avancent ces programmes mensongers. Car la *réalité* du régime communiste est un esclavage politique, économique et social incomparablement plus atroce que l'esclavage antique. Un esclavage au profit de la caste dirigeante constituée par le Parti (2 à 4 % de la population totale). Cette caste est celle des nouveaux marchands d'esclaves. « Au plan économique et social » l'Église ne collabore en rien avec l'économie et la sociologie des marchands d'esclaves. [^37]:  -- (15). DES STRUCTURES SOCIALISTES. -- En tout état de cause, et jusqu'aux dernières nouvelles inclusivement, les *structures socialistes* ne sont nullement « conformes à la doctrine de l'Église » : elles sont contraires à cette doctrine. Cela est vrai des « structures socialistes » en général. Mais en outre, il s'agit en Hongrie non point de n'importe quelles *structures socialistes,* mais très précisément du *régime communiste.* Et ces structures relèvent en réalité de *cette sorte de structures que le communisme nomme* « *socialistes* » mais que les socialistes eux-mêmes dénoncent comme affreusement esclavagistes, et que la doctrine de l'Église désigne comme une barbarie plus épouvantable que celle qui régnait sur les peuples les plus barbares avant la venue du Christ (Encyclique *Divini Redemptoris*)*.* A ces structures dites « socialistes » qui sont l'esclavagisme communiste, comme en U.R.S.S., s'ajoute encore, en Hongrie, le *colonialisme* soviétique du gauleiter Kadar. [^38]:  -- (16). L'ÉGLISE EST PRÉSENTE. -- Bien sûr. Et elle vit. L'Église était présente et vivait sous Néron aussi. Elle est présente et elle vit sous Kadar. Elle est présente et elle vit sous *l'imperium* soviétique, dans les pays colonisés par l'U.R.S.S. : colonisation qui, en Hongrie, a dû aller jusqu'à prendre la forme horriblement éclatante et manifeste de 1956, l'écrasement sous les chars soviétiques d'un peuple tout entier révolté. Même des membres de la caste dirigeante, même des communistes, et non des moindres, comme Nagy, s'étaient associés à la révolte et choisirent la mort plutôt que de continuer à vivre sous ce régime. L'Église est toujours présente, *la sainteté de l'Église est toujours présente,* d'une manière ou d'une autre, car la promesse donnée et tenue est que les portes de l'Enfer ne prévaudront pas. Quant aux problèmes administratifs et moraux quotidiennement posés aux hommes d'Église en Hongrie, le moins que l'on puisse en dire est qu'ils comportent beaucoup de cas de force majeure. Ce qui est tout autre chose qu'une collaboration librement consentie. [^39]:  -- (17). AUX ANTIPODES DE QUOI ? -- La cité communiste n'est nullement aux antipodes du système capitaliste. Elle est au contraire dans la ligne d'un certain capitalisme. Elle est la systématisation extrême et l'aboutissement final du capitalisme sans foi ni loi (c'est-à-dire du capitalisme libéral et laïciste). Elle est un capitalisme d'État, et le plus fermé, le plus dur, le plus inhumain de tous les systèmes théoriquement possibles de capitalisme d'État. De plus, c'est l'une des supercheries habituelles de la propagande communiste : parler d'une cité aux antipodes *du système capitaliste,* comme s'il y avait *un* système capitaliste, comme s'il y avait *le* capitalisme. Le P. Fessard a lumineusement montré que, dès que l'on accepte d'imaginer qu'en face du communisme, il y aurait « le » capitalisme, on est déjà conditionné par la propagande communiste, on est déjà pris dans l'engrenage qui conduit à tous les progressismes. Car c'est un mythe ; un mythe communiste ; un mythe efficace et totalement imposteur. Il n'y a pas « un » capitalisme. Il y en a dix : depuis celui que Marx a connu et analysé jusqu'aux régimes économiques mi-capitalistes mi-socialistes, et fort divers entre eux, de la France, de l'Angleterre ou de la Suède. Dans le vocabulaire communiste, « capitaliste » veut dire purement et simplement « non-communiste » -- c'est un terme qui englobe et amalgame tout l'univers non-communiste. La cité communiste est bien AUX ANTIPODES de quelque chose. Elle est aux antipodes du droit naturel et de la doctrine sociale de l'Église. [^40]:  -- (18). QUELLES LEÇONS... On ne nous les exprime point en clair. Qu'y a-t-il donc, *dans ce que l'on nous montre* de la Hongrie, qui puisse nous servir de leçon ? Il y a ce que fait l'Église hongroise *par force majeure :* et principalement son silence, sa non-protestation, tenant à sa situation d'Église du silence. Il y a d'autre part ce que font les membres de l' « Association des prêtres pour la paix » constituée pour noyauter et domestiquer l'Église. Il y a, entre les deux, toutes les attitudes de ceux qui font de leur mieux, qui cherchent à choisir le moindre mal, dans une situation terrible et inextricable : et cela relève encore de la *force majeure,* plus ou moins bien interprétée par ceux qui la subissent. On voudrait nous faire accepter gratuitement, dans la liberté, ce que l'Église hongroise n'accepte que par forcie majeure ? Ou même nous faire accepter, par persuasion, les attitudes de ceux qui sont dupes, victimes ou complices de la collaboration imposée par le pou : voir communiste ? *On voudrait que les Églises d'Occident se comportent dès maintenant et par leur libre choix comme autant d'Églises du silence,* C'EST-A-DIRE QU'ELLES S'ABSTIENNENT DE PROCLAMER ET D'ENSEIGNER QUE LE COMMUNISME EST INTRINSÈQUEMENT PERVERS JUSQUES ET Y COMPRIS DANS SON SYSTÈME SOCIAL ? [^41]:  -- (19). PAYS SOCIALISTES. -- Il importe, *chaque fois* que l'on nous présente ces pays comme des « pays socialistes » d'avoir présent à l'esprit et de rappeler explicitement que ces pays sont simplement ceux que la terminologie communiste désigne comme tels. Il s'agit en réalité de pays communistes. Et en l'occurrence il ne s'agit même pas d'un État communiste ayant son indépendance et sa souveraineté, comme l'U.R.S.S., mais d'une Hongrie colonisée par les Soviétiques. [^42]:  -- (20). CETTE ÉGLISE AURA BEAUCOUP A NOUS APPRENDRE. Oui : mais par ses *résistants* et non par ses *collabos.* Que la « collaboration » soit une nécessité extérieure, ou qu'elle pose du moins de tragiques cas de conscience, c'est une autre question. Nous ne prétendons certes pas juger ceux qui, en Hongrie, font de leur mieux et choisissent ce qui leur paraît le moindre mal, selon leur conscience et selon les circonstances. Nous refusons seulement que cette *collaboration,* imposée par les chars russes, par un Parti communiste hongrois russifié et par une infernale technique, nous soit présentée comme une *leçon.* Elle ne peut être reçue comme une leçon que par ceux qui envisagent ou appellent l'éventualité d'un gouvernement communiste en France, et qui d'avance choisissent non de résister à une telle évolution politique, mais d'y collaborer. [^43]:  -- (21). Ou bien cette phrase n'a aucun sens, ou bien elle signifie que Kadar est plus libéral qu'Albert Bayet ou que Mollet. -- Quoi que l'on puisse penser par ailleurs de M. Guy Mollet et de M. Albert Bayet, il est absolument impossible de considérer leur laïcisme comme plus agressif et leur comportement comme plus tyrannique que ceux d'un Kadar. D'autre part, lorsque le Parti communiste au pouvoir paye le clergé et les écoles, c'est en fonction de *l'avantage* qu'il y trouve ; c'est en vue de son but permanent : la domestication et le noyautage de tout ce qui a une dimension sociale, y compris l'Église. Si l'on met entre parenthèses cette réalité capitale, on peut évidemment raconter n'importe quoi sur la générosité, du pouvoir communiste, la bonté de Kadar et le libéralisme des structures dites « socialistes ». [^44]:  -- (22). VERS LE CONCILE. -- Ainsi donc, la représentation des catholiques hongrois aurait pour intention principale, ou pour fonction unique, de contrebalancer la représentation des catholiques américains. La propagande communiste présente le monde occidental comme matériellement ou idéologiquement dominé par l'Amérique : ce n'est pas le lieu d'en discuter. Mais quand la propagande communiste présente en outre l'Église comme dominée par les catholiques américains, c'est une trop manifeste supercherie. On avait pourtant beaucoup souligné (pour s'en plaindre) l'importance privilégiée des Italiens dans le Collège des Cardinaux et dans les Congrégations romaines : il est en tous cas de fait que les Américains sont loin d'y occuper une place prééminente. Voici que l'on évoque maintenant une influence dans l'Église qui serait trop unilatéralement américaine : il s'agit d'introduire dans l'Église, d'une manière ou d'une autre, des *oppositions dialectiques* entre catholiques. On reconnaît là des catégories mentales et tactiques qui sont typiquement communistes. Cela est une indication assez précise sur l'avantage que le pouvoir communiste *espère* trouver à laisser *certains* évêques venir participer au Concile. [^45]:  -- (23). LA TECHNIQUE DE PROPAGANDE COMMUNISTE : la voici prise ici encore une fois sur le vif, dans l'une de ses opérations habituelles. Cela vaut la peine d'y être attentif. Voici : 1\. Il y a 60 millions de catholiques en Europe orientale soumis à la colonisation soviétique. Parmi eux, *certains* collaborent avec ce que l'on nomme, par euphémisme, l' « édification des cités socialistes ». Ils collaborent dans des intentions diverses, que Dieu jugera. C'est *comme avec le nazisme :* la collaboration avec l'occupant a toujours ses profiteurs, ses lâches, ses naïfs, ses dupes, ses victimes, son double-jeu parfois ou souvent, ses « réalistes » de diverses obédiences, ses nécessités occasionnelles, ses bonnes intentions. Quoi qu'il en soit, ces collaborateurs sont le petit nombre. 2\. Or ce petit nombre sera, il est déjà réputé *représenter* les catholiques, représenter *tous* les catholiques, représenter les 60 millions de catholiques qui subissent la domination communiste. Eh bien ! c'est un mensonge. Les catholiques fidèles, la sainte Église qui résistent au communisme, le pouvoir communiste tentera de les faire « représenter » par les collaborateurs : et l'Église du silence ne pourra, contre ce mensonge, s'inscrire en faux que dans le silence. Mais à la face de Dieu. [^46]:  -- (24). LE CARDINAL MINDSZENTY. -- L'alinéa qui le concerne est placé dans la bouche des « interlocuteurs », des catholiques hongrois qui « ont la confiance de Rome ». Une fois encore, il faut noter qu'il est hautement improbable que ces « interlocuteurs » aient parlé tous ensemble, d'une seule voix. A moins d'avoir récité en chœur parlé un texte appris d'avance. Or ces « interlocuteurs » apparaissent, d'après la nomenclature que l'on nous en a donnée, comme de qualité fort diverse. Il y avait parmi eux « deux journalistes » ; il n'est pas précisé, mais il n'est nullement exclu, que l'un de ces deux journalistes ait été un journaliste du *Mot catholique.* Nous pouvons supposer, et espérer, que c'est lui qui a tenu de tels propos sur le Cardinal Mindszenty ; et que parmi les « interlocuteurs » il en *est* d'autres qui ont écouté ces propos en silence, un silence qui n'était pas une approbation, un silence qui était celui de L'ÉGLISE DU SILENCE. On ne peut pas tout dire en régime totalitaire. Surtout quand ce régime totalitaire est celui du plus cruel, du plus implacable de tous les totalitarismes connus à ce jour. Un totalitarisme qui n'est pas seulement le totalitarisme communiste au premier degré, si l'on peut dire, le totalitarisme tel qu'il est en U.R.S.S., et qui est déjà un système d'esclavage complètement clos. En Hongrie s'y ajoute le colonialisme soviétique, c'est-à-dire un totalitarisme communiste au second degré, qui tient en servitude même les plus hauts dignitaires du Parti communiste hongrois. Dans une telle situation, il n'est aucun « interlocuteur », fût-il un communiste hongrois, qui puisse parler librement. Aucun évêque hongrois ne *peut,* en tant qu'évêque, dans la plénitude du sacerdoce, parler ainsi du Cardinal Mindszenty. Mais aucun non plus ne peut, s'il manifeste son sentiment, ne pas risquer de compromettre les marges exiguës de vie chrétienne qu'il a sauvegardées. Alors il se tait. Même si d'autres en profitent pour parler « au nom des catholiques » et pour « au nom des catholiques » tenir un langage communiste. Ce silence nécessaire est un silence atroce pour celui qui se tait et qui doit se taire. Tel est le sort de L'ÉGLISE DU SILENCE. L'Église catholique n'est pas l'Église du Cardinal Mindszenty. Elle est l'Église de Jésus-Christ. C'est le témoignage en Jésus-Christ seul qu'elle ne peut jamais refuser, qu'elle apporte toujours, même au prix de la vie. Mais le pouvoir communiste, précisément, n'impose pas à l'Église de renier ou de taire Jésus-Christ. Le pouvoir communiste n'interdit pas ce témoignage ; il s'occupe simplement, d'une part, à circonscrire et réduire *l'espace social* où ce témoignage peut être produit, et d'autre part, à domestiquer et utiliser en vue de sa domination politique le corps administratif et social que constituent les hommes d'Église et les fidèles. Les portes de l'Enfer ni cette technique sociologique ne prévaudront. Mais cette assurance n'est tout de même pas un motif pour les approuver, pour les aider, pour diffuser leurs impostures, -- impostures qui tendent uniformément à *faire passer pour* « *catholiques* » *les personnes, les publications, les lois, les formules de propagande qui précisément sont destinées à domestiquer l'appareil administratif de l'Église et à le transformer en une* « *courroie de transmission* » *du communisme sur le plan économique et social.* [^47]:  -- (25). C'EST UN MENSONGE INSULTANT POUR LE PEUPLE OUVRIER, ET IL EN DEMANDERA DES COMPTES. -- Ainsi donc, ceux qui, en Hongrie, ne veulent pas *collaborer,* sont présentés comme des hommes qui restent attachés à *l'ancien régime, aristocratique et féodal.* On nous dit que la transition a été trop « brutale » trop rapide, et qu'il demeure fatalement, en somme, des conservateurs, des rétrogrades, des nostalgiques : *seule explication* du fait qu'il y ait des Hongrois pour ne point aimer et applaudir Kadar et son régime. On devrait se souvenir que ce sont, avec les étudiants et les autres classes de la population, les comités ouvriers, insurgés contre l'esclavage, qui se sont fait tuer dans leurs usines en 1956 et qu'il fallut écraser sous les chars soviétiques. Ils ont préféré mourir plutôt que d'accepter le régime. Ce n'est point parce qu'ils donnaient leur préférence à un « passé aristocratique et féodal » plutôt qu'à un « avenir socialiste ». Le peuple de Hongrie, et notamment le peuple ouvrier, a témoigné à la face du monde, au prix de la vie, qu'il préférait être massacré plutôt que de continuer à subir l'esclavage communiste. Cet esclavage que le communisme fait peser sur tous, et même sur les membres du Parti, mais qu'il fait peser *surtout sur les travailleurs.* Les nouveaux seigneurs de la caste dirigeante communiste (2 à 4 % de la population) trouvent des collaborateurs. Il n'est pas souhaitable qu'ils en trouvent trop parmi les hommes d'Église ; parmi les intellectuels et les bourgeois catholiques. Car le jour vient où les peuples esclaves demandent des comptes à leurs seigneurs et aux collaborateurs de leur seigneurs. On nous a souvent expliqué, pourtant, que l'Église a beaucoup souffert, en divers pays et en France, de la réalité ou de l'apparence d'une certaine solidarité entre les hommes d'Église et les classes dirigeantes. Mais la caste dirigeante, politique et économique, la plus féroce de l'on ait vue dans l'histoire est la caste communiste. Le peuple révolté de Budapest, en 1956, acclamait le Cardinal Mindszenty parce que le Cardinal Mindszenty s'était opposé à ses oppresseurs. *Demain, le peuple révolté, que dira-t-il des collabos catholiques *? Dans Budapest, même les ouvriers socialistes sont persécutés et réduits au silence ; et même les ouvriers communistes, ceux qui n'admettent pas ce communisme de Kadar, à la botte du colonialisme soviétique. Et ils voient des bourgeois catholiques, des clercs catholiques, jouir d'une étrange « liberté » et utiliser cette liberté à apporter, nous dit-on, leur « dynamisme » en renfort à la soi-disant construction d'un « avenir socialiste » -- c'est-à-dire en fait leur collaboration à un épouvantable système de domination et d'exploitation. Ces ouvriers communistes, socialistes, et tout le peuple exploité et victime, il entend des bourgeois et des clercs catholiques, payés par l'État communiste, prétendre que ceux qui ne collaborent pas avec la tyrannie communiste sont ceux qui restent attachés à « un passé aristocratique et féodal » ... La libération qui viendra un jour -- car il est immanquablement un jour proche ou lointain où vient la libération -- veut-on donc la transformer en outre en révolution anti-cléricale ? Il faut souhaiter que le jour de la libération soit aussi celui d'une universelle réconciliation. Mais l'histoire nous montre que les libérations même les plus légitimes ne sont pas toujours exemptes de violences. Au jour de la libération, croit-on donc que, devant ce peuple qui aura tant souffert, la qualité de bourgeois catholique ou de clerc catholique sera une excuse pour la collaboration ? [^48]:  -- (26). DES PROBLÈMES IDENTIQUES. -- Si, dans ces contacts, ils parlent de leurs « problèmes identiques » parlent-ils donc entre eux de Mgr Beran ? Mgr Beran, fils d'instituteur, ancien ouvrier menuisier, déporté par les nazis ; Mgr Beran, décoré par les communistes de la médaille de la Résistance tchèque, et surnommé l' « archevêque rouge » parce qu'après le coup de Prague, en 1943, il ne refusa pas de présider un *Te Deum* en l'honneur de l'accession du communiste Clément Gottwald à la présidence de la République ; Mgr Beran, fermement, héroïquement, précisément opposé au *noyautage* de l'Église par une soi-disant « Action catholique » fabriquée par les communistes ; Mgr Beran, arrêté le 18 juin 1949 par le pouvoir communiste, et depuis lors disparu, probablement détenu dans un lieu secret, -- Mgr Beran serait-il par hasard un nostalgique du « capitalisme » ? ou du « passé aristocratique et féodal » ? -- Constitue-t-il un « problème identique » à celui du Cardinal Mindszenty, c'est-à-dire « un problème qui n'existe que pour les Occidentaux » ? Ce que Mgr Beran n'avait pas voulu accepter, c'est que le Parti communiste introduisit dans son Église un *noyau dirigeant.* Ce qu'il n'avait pas voulu accepter, c'est de devenir un pantin qui aurait été autorisé à recevoir le directeur de *Témoignage chrétien* pour lui dire : Nos rapports avec l'État sont bons ». [^49]:  -- (27) -- L'ÉGLISE « TRANSCENDE » LES CIVILISATIONS ? Mais bien sûr ! Elle « transcende » même la civilisation chrétienne. Mais l'Église n'est pas en dehors d'un combat qui est essentiellement celui de l'athéisme contre la foi, -- le combat contre la foi mené par l'athéisme sur le terrain social. L'Église n'est pas neutre en face des techniques sociologiques de l'athéisme. L'Église n'est pas neutre en face de l'esclavagisme communiste, dont elle déclare dans ses documents les plus solennels qu'il n'est pas une civilisation, mais la barbarie la plus atroce que l'on ait vue jusqu'à ce jour dans toute l'histoire humaine. L'Église n'est l'alliée d'aucune nation contre une autre, l'Église n'est l'ennemie d'aucun peuple, d'aucune race, d'aucune culture : mais sa sollicitude maternelle se fait encore plus attentive *aux peuples* qui sont réduits en esclavage, -- et non au *système social* horriblement perfectionné qui leur impose une tyrannie sans précédent. [^50]:  -- (1). L'article de M. Thomas Schreiber est intitulé : « Une nouvelle offensive athée ». Il souligne que depuis quelques mois, sur ordre du Ministère de l'Éducation, les « cercles athées » connaissent un nouveau développement dans les écoles hongroises afin de « diminuer ou neutraliser l'influence néfaste de l'Église ». En outre, l'édition, le cinéma, la presse ont été mobilisés pour un renouveau de propagande athée. Tout cela certes a son importance. Et pourtant la question centrale est ailleurs. C'est pourquoi nous laissons cet article de côté. Il importait cependant de le mentionner, pour montrer qu'en cette affaire ce ne sont nullement les intentions du *Monde* que nous incriminons. Toutes ses informations sur ce point sont vraisemblables et nous les tenons pour vraies. Elles n'ont pas été présentées tendancieusement. Mais *la clef pour les interpréter* nous semble lui faire défaut. [^51]:  -- (2). C'est un usage journalistique normalement admis de dater un reportage du mois où il paraît, sans préciser le jour où le reporter était sur place. En l'occurrence, le numéro du *Monde* daté du 3 novembre a été mis en vente le 2 novembre au début de l'après-midi. Il est invraisemblable que l'entretien rapporté ait eu lieu à Budapest en « novembre », -- c'est-à-dire le jour de la Toussaint. Il est plus probable (mais c'est une simple supposition de notre part) que M. Gilbert Mathieu a participé précisément au même voyage de journalistes français que le directeur de *Témoignage chrétien.* [^52]:  -- (3). LA SITUATION DES SÉMINAIRES EST SATISFAISANTE. -- On notera qu'aucune allusion n'est faite à la situation mentionnée par *La Croix* du 11 octobre 1960 : l'Association des prêtres pour la paix s'arrogeant le contrôle du Grand Séminaire de Budapest et de l'Académie de théologie ; 80 séminaristes sur 90 quittant le Séminaire à la suite de ce coup de force ; ces 80 séminaristes, ordonnés par leurs évêques, ne pourront remplir ouvertement aucune fonction ecclésiastique, faute de l'agrément du gouvernement communiste (voir la note 7 au document précédent). Il est donc évident que, déclarant *satisfaisante* une telle situation, le Docteur Erdei, vice-doyen de la Faculté de théologie, est un collaborateur du régime. Nous ne jugeons pas ses intentions, qui sont peut-être bonnes, ni ses arrière-pensées éventuelles, que lui seul connaît. Mais il ne dit pas toute la vérité. [^53]:  -- (4). ENCORE LE « MOT CATHOLIQUE ». -- On remarquera : 1. -- que le *Mot catholique,* présenté comme un journal catholique, est toutefois désigné comme l' « organe de l'Association des prêtres pour la paix » ; l'article de *Témoignage chrétien,* sans doute par ignorance, avait passé sous silence ce point capital (voir note 7 au document précédent) ; 2. -- que celui qui tient ce propos est Mgr Emeric Varkonyi, directeur général de l'Action catholique. Les interlocuteurs de *Témoignage chrétien* (parmi lesquels figurait Mgr Varkonyi) avaient marqué une grande réticence à l'égard de l'Association des prêtres pour la paix (voir note 10 au précédent document). Car cette Association est *un instrument du noyautage communiste de l'Église* (voir note 7 au document précédent). Rien ne permet de savoir si c'est de son plein gré que Mgr Varkonyi a cautionné comme catholique cette Association. Toujours est-il qu'il l'a fait dans son entretien avec M. Gilbert Mathieu. Peut-être qu'à part lui, il n'en pense pas moins. Comment le savoir, sous le totalitarisme, dans l'Église du silence ? Forcée ou non, naïve ou habile, c'est une attitude distincte de celle qui était rapportée par le directeur de *Témoignage chrétien.* Dans une intention que nous ne connaissons pas, que nous ne pouvons connaître, qui est peut-être de résistance, peut-être de double jeu, peut-être de sauver par là l'essentiel, Mgr Varkonyi adopte carrément une position collaborationniste, qui va se préciser encore dans la suite de ses déclarations. C'est pour n'avoir jamais accepté de cautionner ainsi les organisations homologues créées par les communistes de Tchécoslovaquie que Mgr Béran, depuis onze années, est détenu dans un lieu inconnu. [^54]:  -- (5). Donc, non seulement l'État communiste verse au clergé un traitement, mais encore il verse *davantage* que ne le prévoyaient les accords et que ne le réclamait l'Église. Il faut bien que l'État communiste y trouve de quelque manière son avantage. -- A moins de supposer que Kadar soit un philanthrope désintéressé. [^55]:  -- (6). Mgr Varkonyi, ici encore, ne dit pas tout, et sa dénégation a beau avoir été faite *vivement,* c'est une fausse dénégation. Mgr Varkonyi, qui « s'estime entièrement libre » n'a aucunement la liberté de commenter en chaire l'Encyclique *Divini Redemptoris* ni d'enseigner dans ses journaux que le système social du communisme est intrinsèquement pervers. Mais peut-être n'a-t-il jamais eu aucune envie de le faire ? Pour prendre un exemple : nous ne voyons point imprimé dans *Esprit* ni dans *Témoignage chrétien* que le système social du communisme est intrinsèquement pervers. Ces publications, qui ne sont pas communistes, n'ont cependant aucune envie de l'écrire et probablement ne le croient pas. Que s'installe à Paris un gouvernement communiste, ces deux publications pourraient éventuellement continuer à paraître et « s'estimer entièrement libres » de ne pas imprimer sous le régime communiste ce que déjà elles n'imprimaient pas avant l'arrivée du communisme au pouvoir. Est-ce clair ? [^56]:  -- (7). MAIS VOICI LA CONDITION. -- Mgr Varkonyi, qui « s'estime entièrement libre » sous le régime Kadar, estime aussi que *les thèses socialistes sur la paix et sur l'économie n'appartiennent pas aux seuls matérialistes.* Il précise : « *Nous les faisons nôtres aussi* ». Que Mgr Varkonyi ait la « liberté » de dire CELA, nous n'en avons jamais douté. La seule question est de savoir s'il aurait la liberté de dire le contraire. Mgr Varkonyi peut très bien penser ce qu'il dit là. D'autres le pensent aussi. Dans les pays non-communistes, il existe des catholiques, et même des prêtres, et même (quoique fort rarement) des évêques qui pensent plus ou moins cela. *Ils pourront continuer à le penser et à le dire si le communisme arrive au pouvoir.* Ils auront certainement cette « liberté ». C'est seulement nous qui n'aurons plus alors la liberté de les contredire. Telle est LA CONDITION. L'Église peut parler de Dieu et du Christ, célébrer la messe, enseigner le catéchisme et même toucher un traitement d'État, *à la condition* de renoncer à sa doctrine sociale et de ne plus jamais contredire « les thèses socialistes sur la paix et sur l'économie ». *A la condition* aussi de NE PLUS CENSURER NI CONTREDIRE ceux des catholiques, des prêtres, et éventuellement des évêques qui adoptent « les thèses socialistes sur la paix et sur l'économie ». Oh ! nous connaissons cela, en France, depuis très longtemps. Une révolution anti-religieuse fait des martyrs, mais il lui arrive aussi de trouver son Talleyrand. Cela est inscrit dans l'histoire. *A plus forte raison* le communisme. Quant à ces thèses soi-disant « socialistes », nommées *socialistes* comme la propagande communiste entend, veut, exige qu'elles soient nommées, ce sont en réalité les thèses *communistes* du communisme à la Kadar. [^57]:  -- (8). Ici une note du *Monde :* « Rappelons qu'en matière agraire le socialisme hongrois se présente essentiellement sous la forme d'un développement des coopératives de paysans. » Rappelons de notre côté que ces « coopératives » n'ont rien à voir avec les coopératives qui peuvent exister par exemple en France. Elles sont directement ou indirectement imposées aux paysans par le pouvoir, et elles constituent, dans les « démocraties populaires » l'une des *étapes dans le plan communiste de collectivisation totale de la terre.* Il est bien connu, ou il devrait l'être, qu'avec quelques variantes occasionnelles, et plus ou moins de lenteur ou de précipitation selon les circonstances (et même éventuellement des pauses ou des retours en arrière provisoires), le plan de collectivisation communiste comporte deux étapes intermédiaires : 1. -- La réforme agraire (ayant pour but essentiel de morceler la terre *à l'excès,* afin de rendre *pratiquement impossible* l'exploitation individuelle ou familiale) ; 2. -- Les « coopératives », qui sont d'autant plus imposées qu'elles ont été rendues inévitables par la manière dont a été calculée la réforme agraire. *Ensuite,* plus ou moins vite, intervient la prise en charge progressive des coopératives, transformant peu à peu le coopérateur en kolkhozien. Cela est trop constant et trop connu pour que la mention de « coopératives » puisse faire encore la moindre illusion. Mais il ne s'agit pas seulement du régime agraire. Mgr Varkonyi ne fait pas le détail. Il adopte toute *la partie économique et sociale* du communisme. Or la « partie économique et sociale » du communisme, c'est, *en fait,* l'ESCLAVAGE. Il y collabore et il invite les catholiques à y collaborer. Fondamentalement, le communisme au pouvoir ne demande rien de plus ni rien d'autre aux chrétiens. Soit sous la contrainte, soit par une aberration qui lui est personnelle, soit pour tout autre raison, Mgr Varkonyi professe là tranquillement LE CONTRAIRE de la doctrine sociale de l'Église, qui a nettement précisé par la bouche de Pie XII : « Nous rejetons le communisme *en tant que système social,* en vertu de la doctrine *chrétienne* » (Message de Noël 1955). Ce qui est donc sous nos yeux, d'une manière tout à fait manifeste mais nullement surprenante, c'est *la collaboration catholique au communisme :* précisément celle qu'ont refusée, par fidélité à l'Église, les héros et les martyrs que l'Église honore et cite en exemple. [^58]:  -- (9). Ici encore, Mgr Varkonyi ne dit rien de plus que ce que *le communisme attend et veut qu'il dise.* Nous avons expliqué dans « L'Église du silence : mais quel silence ? » que cette vérité là n'est pas une vérité interdite, mais au contraire une vérité officielle en régime communiste. Le Parti communiste veut : 1. -- que les catholiques collaborent à la construction de son régime de domination sociale ; 2. -- qu'il soit bien clair, bien établi, bien enseigné qu'existe une incompatibilité « idéologique » entre le marxisme-léninisme et la foi en Dieu. Ici encore, Mgr Varkonyi peut « s'estimer entièrement libre » mais *il ne l'est pas.* S'il lui prenait par exemple la fantaisie -- ce n'est pas une fantaisie impossible, ni inédite, on l'a vue dans des pays non-communistes -- d'enseigner qu'un accord idéologique peut être trouvé entre la foi chrétienne et la « science marxiste-léniniste » et qu'un croyant peut être simultanément un bon communiste, alors le Parti communiste ne lui laisserait plus une « entière liberté ». [^59]:  -- (10). Si Mgr Varkonyi disait au contraire : « Le Pape *n'est plus* notre chef en matière de foi, de morale et de discipline ecclésiastique » -- alors sa collaboration n'intéresserait absolument plus le Parti communiste parce que, visiblement, dans une telle hypothèse, Mgr Varkonyi ne serait plus catholique. Ce que *veut* le Parti communiste, ce sont des catholiques et des hommes d'Église qui se proclament fidèles à Dieu et au Pape et qui, en même temps, *collaborent au dessein social* qui est le seul véritable dessein fondamental du communisme athée. [^60]:  -- (11). -- Cela est net et précis. C'est un mensonge. *L'Osservatore romano* a imprimé que les déclarations de Mgr Varkonyi constituent « un faux témoignage ». Car si Mgr Groesz a été choisi, ou accepté, « par le Vatican », il *n'a pas* été désigné comme « chef actuel » de l'Église hongroise. Le Cardinal Mindszenty EST ET DEMEURE le Primat de Hongrie.