# 53-05-61
1:53
### Préparer le 31 mai
PRÉPARER LE 31 MAI*, c'est l'appel lancé dès le mois de février par notre excellent confrère* L'Homme nouveau, *pour entrer dans les vues de l'Encyclique* Ad Cœli Reginam *instituant la fête de Marie-Reine le* 31 *mai et ordonnant le renouvellement chaque année de la consécration du genre humain :*
« Par Notre autorité apostolique Nous décrétons et instituons la fête de Marie Reine, qui se célébrera chaque année dans le monde entier le 31 mai.
Nous ordonnons également que ce jour-là on renouvelle la consécration du genre humain au Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie. C'est là en effet que repose le grand espoir de voir se lever une ère de bonheur avec le règne dg la paix chrétienne et le triomphe de la religion. »
*Voici quelques indications extraites de* L'Homme nouveau :
Cette consécration (parallèle à la consécration au Sacré-Cœur qui doit être renouvelée en la fête du Christ-Roi) entre peu à peu dans la pratique des paroisses et des églises. Certains « ordo » diocésains reproduisent officiellement le texte de la consécration de Pie XII en 1942.
Aujourd'hui un mouvement s'affirme dans divers pays pour mieux entrer dans les vues de l'Encyclique et donner toute sa valeur à une consécration qu'il faut réaliser partout.
Tout d'abord il faut de toute nécessité situer la consécration au Cœur Immaculé de Marie par rapport à la consécration au Sacré-Cœur, celle-ci devant elle-même être revalorisée.
2:53
Pie XI a enseigné que dans la dévotion au Sacré-Cœur se trouve la synthèse de toute la religion. Et Pie XII a proclamé qu'elle n'est pas seulement une de ces dévotions que l'Église approuve et favorise sans les commander. Le culte du Sacré-Cœur est d'une nature supérieure ; il ne faut pas le mettre sur le même plan :
« Devant le spectacle de tant de maux qui, aujourd'hui plus que jamais, atteignent si vivement les individus, les familles, les nations et le monde entier, où devons-nous chercher le remède ? »
A cette question que posait Pie XII, lui-même empruntait la réponse à Léon XIII. :
« Nous devons placer dans le Sacré-Cœur toutes nos espérances ; c'est à Lui que nous devons demander le salut des hommes, et c'est de Lui qu'il faut l'espérer. »
Mais il faut reconnaître que les espoirs mis dans le culte du Sacré-Cœur n'ont pas encore pleinement abouti.
Que faut-il donc faire ?
Pie XII nous l'indique en conclusion de l'Encyclique « Haurietis Aquas » :
« Pour que des fruits plus abondants découlent dans la famille chrétienne et dans tout le genre humain du culte du Cœur très Sacré de Jésus, les fidèles doivent veiller à l'associer étroitement au culte envers le Cœur Immaculé de Marie. »
Et le Pape en donne les raisons :
« Par la volonté de Dieu, la Bienheureuse Vierge Marie a été indissolublement unie au Christ dans l'œuvre de la Rédemption humaine, afin Que notre salut vienne de l'amour de Jésus-Christ et de ses souffrances, intimement unis à l'amour et aux douleurs de Sa Mère. »
« C'est pourquoi il convient parfaitement que le peuple chrétien qui a reçu la vie divine du Christ par Marie, après avoir rendu le culte qui lui est dû au Cœur très Sacré de Jésus, rende aussi au Cœur très aimant de sa céleste Mère de semblables hommages de piété, d'amour, de gratitude et de réparation. »
Et le Pape conclut par ces paroles, dont le poids ne doit pas nous échapper :
3:53
« C'est en parfait accord avec ce dessein très sage et très suave de la Providence divine que Nous avons, par un acte mémorable, solennellement consacré la Sainte Église et le monde entier au Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie. »
*Afin de mieux connaître et faire connaître la consécration à la T. S. Vierge, nos lecteurs se reporteront à notre numéro* (*contenant cent pages de documents pontificaux*) *sur* « *La Royauté de Marie et la consécration à son Cœur Immaculé* » *numéro* 38 *de décembre* 1959.
5:53
### Moments et images du Portugal :
*Géographie mariale\
de notre destin*
par Luc BARESTA
ON S'INTÉRESSE BEAUCOUP, cette année, au Portugal. On a tout à fait raison. Il s'y est passé, il s'y passe, des choses extraordinaires.
Ces choses ont commencé en 1917.
Elles concernent le ciel et la terre. Elles résident en ce fait que la Mère de Dieu avait, en ce vingtième siècle, quelque chose à nous dire. Et qu'elle vint nous le dire.
Erreur de tactique ?
Comme d'habitude, sa manière nous déconcerte. Nos yeux terrestres et très expérimentés seraient même tentés d'y voir une erreur de tactique. Si l'un quelconque de nos actuels bureaux d'études publicitaires avait pu être consulté, il eût donné Notre-Dame perdante. Exactement comme il a donné Galvao gagnant. Car Galvao a bien calculé son opération-bateau. Il n'a pas seulement conjugué la flibuste et la politique. Il a misé sur la rumeur du monde. Il a mis en marche la grande usine à fabriquer des mythes sur mesure. Presse, radio, télévision du monde communiste, et en écho, celles du monde « libre » et bête, lui ont donné pour un temps la consistance que lui refusaient à la fois l'équipage du navire et le peuple portugais. Il a employé le langage publicitaire adapté, celui qui vibre de toutes les séductions progressistes, favorise l'oubli des meurtres, et dispose des peuples au nom du droit des peuples a disposer d'eux-mêmes.
6:53
Nos bureaux d'études publicitaires eussent donné, en 1917 Notre-Dame perdante en raison des circonstances. On ne pouvait en imaginer de plus défavorables. L'année d'abord. Quel moment pour apparaître ! En pleine guerre mondiale, où précisément les gens sont très occupés : ce sont alors d'autres clartés, d'autres feux qui comptent. Ensuite, le lieu. Pourquoi fallait-il que la Mère de Dieu dédaignât les sols importants de l'époque, les sols cités ou convoités, les sols de France ou d'Allemagne, de Belgique ou d'Italie ? Que n'apparut-elle, cette Mère de Dieu, dans les U.S.A. qui, la même année, entraient en guerre avec mille navires, ou dans cette Russie qui, la même année, en sortait avec le communisme ? Que n'apparut-elle dans l'une de ces nations qu'on appelle puissances, et même grandes puissances, dans l'une de ces familles que l'on dit régnantes, à l'un de ces hommes que l'on dit « du jour » ?
Il n'en fut rien. La Mère de Dieu apparut dans une petite puissance, dans une famille obscure, à des humbles totalement ignorés. Elle ne choisit même pas une nation dotée d'une industrie de guerre. Elle choisit le Portugal. Elle ne choisit même pas, parmi les familles portugaises, celle d'un notable ou d'un chef politique. Elle choisit celle d'Antonio dos Santos, paysan quelconque des terres du sud. Et dans la famille d'Antonio, elle ne choisit même pas les adultes. Elle choisit les enfants.
Il semble que la Mère de Dieu se soit complue dans l'insignifiance.
Les jeux du jeune âge.
C'est là, bien sûr, sa manière habituelle. Souvent le ciel déconcerte ainsi la terre, une terre qui s'est emplie de violence et de superbe. Bien sûr, nous savons cela. Les hommes savent cela depuis que Dieu, par la bouche du prophète, leur a dit : « *Vos voies ne sont pas mes voies* ». Mais nous finissons par nous accommoder de cette étrangeté. Alors, remontons le temps jusqu'à cette année dix-sept. Regardons. Tandis que les grandes personnes des grandes puissances sont très occupées de leurs tueries, trois enfants, à Fatima, jouent. Ailleurs ce qui porte, ce qui pèse, est appelé torpille sous-marine ou balle de mitrailleuse.
7:53
Ici, sur les chemins de la Cova da Iria, ce qui pèse n'a pas de poids : un chant, un chapelet. Et Dieu regarde ces choses légères, ces êtres légers, ces « *jeux du jeune âge* » dont parlait Péguy quelques années plus tôt. Au moins ces jeux-là ont-ils un son qui n'est pas celui des armes, une couleur qui n'est pas celle des charniers. Deux espaces. Ici, sous les chênes-verts, un espace libre et oublié, celui de « l'innocence qui sait ». Ailleurs, un espace trop important, où sévit « l'expérience qui ne sait pas ». Alors la Vierge Marie, cette autre « innocence qui sait », sait aussi qu'elle peut entrer dans les jeux des trois âmes ainsi disponibles ; qu'elle y sera reçue ; que sa lumière pénétrera de telles transparences ; que ses paroles habiteront de telles mémoires.
Imaginons les distractions ou les difficultés qu'un représentant hautement qualifié et supérieurement organisé du type « homme moderne » eût opposées à la céleste initiative. Un représentant hautement qualifié et supérieurement organisé du type « homme moderne » a tendance à ne concevoir d'autre lumière que celle qui émane de sa propre personne, et à s'en éblouir. Dans cette conscience très vive qu'il a de son auto-rayonnement, comment aurait-il aperçu, s'il avait été choisi, une lumière autre ?
Mais François, Jacinte et Lucie jouent sous les chênes.
Frontières franchies.
La Vierge en fait les instruments d'un prodige. Elle leur apparaît et ils s'en aperçoivent. Ils sont même tout yeux et tout oreilles. Ce sera d'abord leur secret, puis leur affaire, leur seule et grande affaire. Mais ce prodige n'a point de signature humaine.
Les prodiges signés de l'homme nous les connaissons assez : notre époque en regorge. Nous avons la désintégration des atomes. Nous avons les robots électroniques. Nous avons la machine à rattraper et à renouer les fils cassés d'un métier à tisser. Elle est en effet prodigieuse. Prodigieuse aussi notre évaluation des distances stellaires grâce à la loi du déplacement des voies spectrales vers le rouge. Prodigieuses, bien sur, nos fusées. Prodigieux ce rendez-vous de mai, fût-il manqué : C'est Vénus qu'on vise. Et viser Vénus disent les journaux, c'est comme si on fusillait une mouche à seize mille kilomètres.
8:53
Donc, les limites de la connaissance scientifique et du pouvoir de l'homme sur le monde sont sans cesse poussées plus loin. Mais comment croire que ces limites puissent être non plus déplacées, mais abolies par l'homme ? A l'extrême, elles coïncideraient avec les limites mêmes de l'univers et les limites mêmes de la nature humaine. A cet égard, nous vivons dans une cage que science et technique rendent de plus en plus spacieuse, extraordinairement, prodigieusement spacieuse. Mais elle reste cage. Elle a des parois ultimes qui ne peuvent être forcées de l'intérieur. Pour qu'elles cèdent, il faut qu'agisse, de l'extérieur du monde et de notre nature, la surnature.
« *Je suis du ciel* » : ainsi l'apparition de Fatima situait-elle son origine ailleurs qu'en nos espaces. Elle fut l'une de ces irruptions qui effacent pour un temps les frontières entre deux mondes ; l'un de ces prodiges au-delà de tous nos prodiges, l'invisible manifesté. Le soleil lui-même en fut saisi, et dansa.
Les mariophanies se relaient.
Fatima est donc d'abord ce moment privilégié. Privilégié d'un suprême prodige et aussi privilégié d'un suprême message. Ce qui passe par le Portugal, par l'une de ses combes et l'un de ses feuillages, c'est le destin du monde. Un appel retentit, lancé à tous les hommes de ce temps, de notre temps. Ce qu'ils doivent rattraper et renouer, ce sont les fils cassés de leur fidélité rompue. Il faut qu'ils retrouvent le lien vital, l'axe ; qu'ils se tournent vers Dieu ; qu'ils cessent d'offenser Son Fils ; qu'ils « *changent de vie* ».
Pour l'essentiel, les faits de Fatima s'apparentent donc aux autres mariophanies, tant il est vrai que le ciel, pourrait-on dire, a de la suite dans les idées. Ils nous appellent à la conversion, ils répètent en langage de lumière la permanente exhortation de l'Église, la toujours neuve invite évangélique.
Mais si toutes les mariophanies se ressemblent, chacune d'elle est singulière en son impact historique. Lourdes illumina le XIX^e^ siècle. Tandis que montaient et s'ébrouaient les idoles rationalistes, ou scientistes, ou libérales, ou socialistes, les apparitions de Massabielle affirmèrent le réel surnaturel.
9:53
En révélant elle-même son identité, « l'Immaculée-Conception » confirmait la définition qui venait d'être donnée de son privilège unique par le Souverain Pontife. Elle était la Vierge Marie de l'Église catholique. Elle conviait les âmes à s'y affermir et à s'y purifier.
La lumière de Fatima relaie celle de Lourdes pour un siècle nouveau, qui est précisément le XX^e^. Et nous y sommes. Certes, ce siècle plonge ses racines dans l'humus du précédent, qui est fertile de toutes ses idoles décomposées. Et c'est justement pour en tirer, entre autres végétations empoisonnées, celle du communisme, qui vise à couvrir toute la terre. Or, les événements de Fatima, dans l'apparent paradoxe de leur légèreté, de leur ténuité, de leur insignifiance, trouvent précisément une profonde signification en surgissant au moment même où s'inaugure, en Russie, l'empire rouge, qui veut chasser Dieu du monde. Et cet empire, aujourd'hui, s'étend sur plus d'un tiers de l'humanité, menaçant, inclinant, piégeant les deux autres.
Géographie renversée.
Il se trouve que, par les paroles de la Vierge à Fatima, le monde actuel a été ensemencé d'une grande espérance : « *Si l'on fait ce que je dis, la Russie se convertira et l'on aura la paix* ». Mais les demandes de la Vierge -- la consécration à son Cœur, la croix quotidienne du devoir chrétien, la prière du Rosaire -- ont-elles été suffisamment entendues ? Ont-elles été suffisamment entendues dans ce monde « libre » qui avait, en principe, toute liberté de les entendre ? Car c'est bien de lui qu'il s'agit d'abord. C'est bien lui qui doit, recevant ces demandes, commencer à « changer de vie ». Comme son regard serait court, s'il se bornait à lire son destin, comme il est tenté de le faire, dans les seules statistiques des forces matérielles. Ils comptent bien sûr, ces moyens riches. Mais ils comptent davantage ces moyens pauvres et secrets mis en œuvre depuis les trois enfants, amour et prière où c'est l'efficace même de Dieu qui peut surgir, stupéfiante !
Lénine disait : « *Nous viendrons à bout de l'Occident en passant par l'Orient* ». Ce qui fut dit à Fatima renverse la violence et sa géographie. Ce n'est point projet de guerre, ou d'empire et de police, mais projet fondamental parce que spirituel.
10:53
Ne pourrait-on pas l'énoncer ainsi : « *Nous obtiendrons de Dieu la conversion de l'Orient en passant par la conversion de l'Occident* » ?
En route vers Fatima, dans ce train espagnol qui, traversant lentement le plateau de Vieille Castille, me donnait le loisir de songer, je songeai à vous, Hamish Fraser, qui fûtes communiste. C'est à Glasgow que vous avez milité. Mais cette Espagne où je passais, vous l'aviez connue. Vous vous étiez engagé dans les Brigades Internationales. Et voici qu'un jour, à Paris, vous rencontrant, nous avions rencontré un frère. Un frère dans la foi catholique. Très vite, vous nous avez parlé de Fatima. Vous affirmiez avec une force singulière : « *Je ne dis pas : je crois que la prière peut convertir les communistes *; *mais : je* SAIS *que la prière peut convertir les communistes* ».
Les vélos du peuple.
J'arrivai au Sanctuaire un onze août au matin. Passé le village devenu ville, et les marchands soigneusement localisés dans un discret périmètre, ce fut, après quelques marches, la grande esplanade, dominée au loin par la Basilique et son envol de blancheurs. Puis les regards vont à la Capelinha, chapelle construite sur le lieu des apparitions ; puis à l'Arbre ; puis au Sacré-Cœur, dont la statue se dresse, bras ouverts, au centre du silence.
Hors ces présences immobiles, personne. Ou presque personne. Les regards scrutent ce vide, quêtent un mouvement au fond de ce désert. Des lampadaires, par endroits, imposent leur géométrie, fanaux inutiles sur les berges d'un fleuve enfui et dont le lit à sec, immense, est comme un vaste renoncement. Il faut aller à Fatima vivre ces moments dépouillés, et que Lourdes connaît moins, tant la ville est aujourd'hui parcourue. Il faut laisser entrer en soi ce désert, afin qu'il boive si possible au fond de l'âme ce qu'y laissent le monde et ses tenaces vanités.
Mais vous avez à peine, de vos deux genoux, commencé à râper le ciment, que bientôt le peuple arrive.
J'ai vu venir, en ce onze août, le peuple portugais. Quiconque est allé à Fatima, sait. Et même à distance, il est possible de savoir. Je veux donc ici ne rien apprendre à qui sait, mais simplement dire mon étonnement.
11:53
On me pardonnera si l'on songe que c'était pour moi le premier contact, et peut-être aussi, le premier amour.
Ce peuple donc m'étonna, et je me suis étonné d'abord qu'il fût peuple. Il vient par familles entières, de l'aïeul à l'enfant qu'on allaite, et c'est souvent que, sur la route, cheminent ensemble ces générations groupées. Familles au complet et, en général, pauvres. J'ai vu ce peuple avancer, les femmes allant pieds nus et portant un couffin sur la tête, ce qui me semble important, et pour elles, et pour l'édification de ceux qui, comme beaucoup d'entre nous, ne savent rien y placer, ou tout au plus un chapeau. De ces pèlerins, m'a-t-on dit, il en vient à pied des quatre coins du Portugal, de Porto et d'Estremoz, de Bragance et Setubal, de Coïmbre et de Viseu. Ce qui représente parfois une centaine de kilomètres, et parfois même quelques centaines, et des jours de marche. Mais tous ne viennent pas ainsi. De ce peuple, j'ai vu aussi les vélos. Peu de vélos neufs, surtout des vélos anciens, de peu d'éclat, et dans l'ensemble bien conservés. Tant de vélos rassemblés, me semble-t-il, ne doit exister que dans les pays plats du nord de l'Europe, ou chez nous près de certaines usines.
J'ai vu les vélos portugais grossir les garages improvisés, où leur masse compacte déborde d'heure en heure les maigres bâches qui l'abrite.
Enfin, les cars. Pour cette halte des moteurs, il faut toute une plaine.
Presque-ciel.
Je me suis demandé pourquoi ce peuple allait ainsi à la « Cova da Iria ». Et je crois m'être donné une réponse en disant que ce peuple, allant ainsi à la « Cova da Iria », va au ciel. Ou, si l'on veut, au presque-ciel. Peut-être, me suis-je dit, ces paysans et ces pêcheurs l'ont-ils même pensé en abordant cette large piste périphérique, finement pavée, qui s'incline vers la surface intérieure et devient vite les flancs d'une énorme vasque humaine. Oui, le paradis doit bien être quelque chose de ces grands espaces clairs, combien plus grands et plus nets, pour beaucoup de ces pauvres, que leurs petites cours bosselées et encombrées, maigre royaume de quelque chèvre rousse ou noire, comme j'en vis plus tard au hameau d'Aljustrel.
12:53
Bien sûr ce commencement de Paradis est-il un peu venté, un peu mouillé sur ces hauteurs que visitent les nuages. Et les odeurs n'y sont pas toutes célestes, puisqu'on mange sur ses bords et parfois même à l'intérieur : odeurs de pain bis, de vin, de volaille froide et de respiration humaine, odeur paysanne, populaire, mais qui devenait ici odeur de fête.
A Fatima, donc, on campe au presque-ciel. L'on y campe et l'on y dort. La nuit tombée, les familles sortent les couvertures, et dès la fin du repas, après les olives et les poires, l'on s'endort. Ce monde s'étend sur le sol, en lisière de l'esplanade ou le long de la Basilique, sur le ciment ou la terre battue. Si vous circulez alors, il vous faut éviter ou enjamber les couvertures du peuple endormi. Ici les pieds dépassent : les adultes se reposent ; là un ruban : c'est une fillette.
Je suis entré dans la Basilique. Le peuple était là aussi, avec ses enfants, ses couffins, ses châles noirs, et la poussière des routes. Assis dans les travées, il attendait pour les confessions. Et ces pauvres gens fatigués somnolaient, d'un sommeil devenu lui aussi, en ce lieu, presque sacré. J'ai pensé alors qu'ils avaient raison de dormir un peu, même ici, et que le Maître, de l'Autel proche, leur avait peut-être dit : « Dormez un peu chez moi, mes fils, puisque la route fut dure et qu'il est tard ; je sais bien, comme ma Mère, qu'il est bien bon d'un peu dormir ».
Les râpeurs de ciment\
et l'équilibre des choses.
Au matin, le peuple émerge, déjeune et va prier. C'est alors que tout devient un peu plus le ciel.
Les familles se plantent à genoux, sur le ciment. Certaines se groupent en essaim autour de la Capelinha. D'autres se dispersent dans l'étendue qui s'emplit peu à peu. Là-haut, dans la Basilique, il y a le Père, le Fils et l'Esprit. Et plus bas, dans son humble demeure, il y a la Dame, la Senhorâ. Elle est venue naguère ici en personne, et ces bergers qu'elle a choisis, le peuple sait bien qu'ils sont des bergers de chez lui, semblables à lui, et comme il en est encore tant, près des chênes. Et la Dame s'est présentée en disant : « Je suis du Ciel ». Alors, c'est le ciel qui est venu, le ciel qui commence, le ciel ici même.
13:53
Et ce paradis a son Arbre. L'Arbre des Apparitions est lui-même une apparition, ou plutôt un surgissement. Il s'éploie seul, dans ces aires cimentées, insigne élément de la Création qui a vu la Rédemption, qui a reçu l'intraduisible lumière. Et ce mouvement même qui le fait jaillir s'impose à la méditation, où il se dépasse en symbole : l'Arbre y devient la Croix, et la Croix, le Christ. Je songeai au beau texte du Pseudo-Chrysostome sur « l'Arbre cosmique » :
« *Arbre mon refuge, Arbre ma force, ferme soutien de l'univers, lien de toute chose, entrelacement cosmique, touchant le ciel de la terre, affermissant la terre de ses pieds, et dans l'espace intermédiaire embrassant l'atmosphère entière de ses mains incommensurables.* »
Et voici que la foule grossit. Je m'aperçois que les familles avancent à genoux, c'est-à-dire par le moyen des genoux, ce qui est un moyen lent. Et les chapelets aux poings, elles couvrent ainsi des dizaines de mètres. Certains hommes, certaines femmes, viennent du fond : cela fait des centaines de mètres. Quand notre monde si moderne, avec son importante civilisation, et ses hautes considérations et ses grandes intelligences et ses belles armes absolues aura connu l'Absolu du plus obscur de ces râpeurs de ciment et saura prier de cette manière, pensai-je, il y aura une vraie chance de se survivre. En attendant, comme ces paysans le dépassent !
Ainsi le Portugal offre-t-il au visiteur quelques images exemplaires. Sur l'esplanade de Fatima comme d'ailleurs sur les routes. Il me vint cette idée qu'à porter tant de choses et si bien sur leurs têtes, les femmes avaient dû communiquer à ce peuple une sagesse : Ce qu'elles sont capables de porter ainsi, est à peine croyable : j'en vis plus tard à Nazaré, porter de longues planches et de ces treillages métalliques où soigneusement ouvertes sèchent les sardines. J'en vis sortir d'une blanchisserie avec, sur la tête, une pile de draps... Vers Coïmbre, elles portaient des corbeilles de légumes, de fruits, ou même de vaisselle. A Gouveia, ce fut un tonneau. Sous ces charges, l'allure des femmes est fière, la tête est droite.
Elles y gagnent une cambrure, une beauté. Pour se mouvoir ainsi, et parfois si vite, il faut avoir le sens de l'équilibre des choses, une connaissance intuitive des centres de gravité, bref une sorte de rectitude fondamentale.
14:53
Peut-être ceci les préparait-il à saisir dans les Apparitions, et plus exactement en Marie, qui est fille de la race humaine, et cependant « Dame du ciel », un centre de gravité de l'humain et du divin, un équilibre fondamental, une éblouissante rectitude : Marie porteuse de soleil et devenant le centre de gravité de tant d'amour qu'elle règle la marche humaine et fixe son destin.
Forces oubliées.
Le soir de ce 12 août, à Fatima, certaines images de l'Apocalypse prenaient une sorte d'exactitude physique. « *J'entends le bruit d'une foule immense, comme le mugissement des grandes eaux.* » Oui, c'était bien, dans le soir, montant de ces trois cents milliers d'êtres, la rumeur persistante, puissante, égale, avec parfois des coups sourds et des déplacements d'intensité, qui est celle de l'océan. L'éveil des cloches de la Basilique donna le signal des hymnes et leur carillon les scanda. L'océan des chants s'éleva, submergea la nuit. Les feux s'étaient allumés, prenaient en mille points de la foule, où chaque pèlerin s'était muni d'un cierge, et cette migration de lumières s'organisa bientôt derrière la Dame. C'est Elle qui enchantait ces lieux et l'heure tardive, claire cependant comme une aube. La lune, bien ronde, elle aussi mariale, s'entourait d'une procession de nuées rapides et transparentes, dont les mouvements semblaient accompagner ceux du sol. Sans cesse les cantiques rebondissaient avec les carillons, et toutes les voix, pourtant gutturales, et toute cette nuit, pourtant fraîche, prenaient une immense douceur. Comment ne pas garder à jamais le souvenir de l'indicible tendresse qu'on sentait dans les profondeurs de ce vaisseau géant, mouvant d'hymnes et de scintillements.
Ce soir-là, ce fut la palpitation des lumières, et le lendemain le battement multiplié des mouchoirs qu'on agite. Les moments viennent, où celui qui n'aimait point, aime, où celui qui priait peu, prie beaucoup, où celui qui était sans ferveur, acclame. Au point précis de chacun de ces feux allumés le soir, à chacune de ces étoffes brandies dans le soleil, monte une prière singulière, respire une âme singulière, l'un de ces mondes intérieurs où l'acte d'exister se confronte aux blessures secrètes, s'attaque au plus épais de soi-même : ouvre enfin les chemins de la Grâce, incomparables d'une âme à l'autre. Et si l'ensemble des ferveurs s'annonce infiniment cher au cœur du Père, chacun de ces points l'est de même dans sa précieuse différence.
15:53
Je m'étonnais encore, mais cette fois de l'Europe, et surtout de la France. Je comprends de moins en moins qu'on y répugne à parler de telles âmes priant ainsi la Dame, de par le monde, comme d'une armée en marche. S'il ne s'agit point d'armée, qu'étaient-elles, alors, ces forces oubliées, luttant avec l'Arbre contre ces « puissances de l'air » dont on sait les maléfices, à l'œuvre aussi dans les empires visibles ? Qu'étaient-elles, ces forces oubliées, sinon celles d'une Création délivrée, forçant les captivités du péché et, victorieuse, devenue légère, se dégageant de la Création perdue ?
Luc BARESTA.
16:53
### Les Noces de Cana
par Louis SALLERON
*A Dom G*. *Aubourg pour ses noces d'or sacerdotales*
*A Marie-Thérèse pour nos noces du temps et de l'éternité*
OR c'était le troisième jour...
Le printemps chantait au village
Chaque rameau fleurait l'amour
Chaque fleur parlait mariage.
Autour de l'épouse songeuse
Une multitude joyeuse
Se pressait en grand brouhaha.
On allait bien manger, bien boire
On rentrerait dans la nuit noire
C'était les noces de Cana.
17:53
Jésus est là, et ses apôtres
André, Simon, Nathanaël
Philippe, et Jean, et beaucoup d'autres...
Compte-les bien, roi d'Israël !
Ils sont venus de Samarie
Avec toi rejoindre Marie
Disciples nombreux et fidèles...
Ils t'accompagnent au gala
Mais ta croix les dispersera
Comme le froid les hirondelles...
C'est un fort beau banquet, ma foi !
La chère est large et le vin coule
Dans une cage sous le toit
Une tourterelle roucoule
Le mouton est gras à souhait
Chacun s'en montre satisfait
Et le témoigne poliment
On goûte beignets et fritures
Pâtisserie et confitures
L'hôte mérite compliment !
Salut à la jeune épousée
Reine et servante en ce banquet !
Elle est la rose et la rosée
L'onde, le vase et le bouquet,
La vigne en fleur, le liseron,
Le blanc narcisse de Saron,
Le lys rouge de la vallée...
Sous les voiles et les bijoux
Elle est le jardin de l'époux
La fraîche fontaine scellée !
18:53
Veillant au pain, veillant au sel
Donnant à chacun son sourire
Marie offre aux anges du ciel
La cire vierge où doit s'inscrire
L'œuvre d'amour qu'elle prétend ;
Elle vit dans le pur instant
Elle vit dans l'éternité
Son âme accueille, maternelle
L'émoi d'une tendre prunelle
Et le dépose en Trinité...
Elle vit dans le pur instant
Elle accueille l'AVE de l'ange
L'étrange secret de l'enfant
La crèche, la paille et le lange
L'or, l'encens, la myrrhe et les mages
Et les bergers et leurs fromages
Et la fureur d'un roi cruel...
Au désert Joseph l'a cachée
Tandis que dans Rama fauchée
Pleure, inconsolable, Rachel...
Elle vit dans l'éternité
Elle est avec Celui qui fonde
Avec les desseins de Yahvé
Bondissant à l'aube du monde !
L'abîme enfante l'univers
La colline jaillit des mers
Elle est le baume, elle est l'arôme
Elle est la sagesse et le jeu
L'honneur et le miroir de Dieu
La porte et la clef du royaume.
19:53
Elle vit dans le pur instant
Elle accueille la croix qui passe
Le Fils de l'Homme dégouttant
Des crachats sur sa sainte face
Son Jésus offert aux bourreaux
Ses pieds, ses mains sur les barreaux
Sa tunique jouée au dé
Son cœur ouvert au coup de lance
Et ce ver nu qui se balance
A l'arbre mort abandonné...
Elle vit dans l'éternité
Le feu du soleil l'environne
La lune se courbe à son pied
Douze étoiles sont sa couronne...
Le dragon s'acharne contre elle
Mais le grand aigle de son aile
L'emporte en la nuit du désert...
Dieu la nourrit dans son refuge
Laissant aux nations leur juge
L'enfant mâle au sceptre de fer.
Elle vit dans le pur instant
Elle sent passer le nuage
Elle devine un cœur battant...
Pourquoi cette ombre au clair visage ?
Quelle peine, quel embarras
Se glisse au milieu du repas ?
Marthe s'inquiète en Marie...
Elle sait que l'humble détail
Peut être à l'âme le portail
Qui ouvre ou qui ferme la vie.
20:53
Elle est celle qui intercède
Pour ceux qui ne savent plaider
Elle est celle qui vient en aide
A ceux qui n'osent demander...
Elle dit : « Ils n'ont pas de vin...
Quêtant dans le regard divin
Une réponse à sa prière...
Elle voit que Jésus attend...
Peut-être n'est-il pas content
Qu'elle intervienne en cette affaire...
Dure comme un texte de loi
La Parole se fait entendre :
« Qu'y a-t-il avec Moi et toi
« Femme ? » -- Ô Jésus, si doux, si tendre ! --
« Mon heure encor n'est pas venue. »
Mais si sa prière est connue
Cette heure un peu plus tôt viendra...
Sa foi est simple confiance
Elle ordonne avec assurance :
« Faites tout ce qu'Il vous dira ! »
Six urnes de pierre alignées
Sont sous le regard du Seigneur
Six grandes urnes résignées
Débris d'une antique splendeur
Vaines, vides, sèches et dures...
Oh Jésus ! ce que tu endures
En les contemplant, seul le sait
Le Père auquel est ta demeure !
Mais que si doit venir ton heure
Pense à la Vierge qui se tait !
21:53
Souviens-toi de l'ancienne alliance
Et de Moïse à Mériba
De l'eau jaillie en abondance
Au roc que son bâton frappa !
Toute source naît de la pierre
Tout esprit dort en la matière
Toute foi resterait captive
Si ne la délivrait l'oracle !
Yahvé pour eux fi t un miracle
Jésus, les tiens ont soif d'eau vive !
D'eau vive ? ... Et de vin ce me semble !
Regarde ces ébouriffés !
Ignores-tu qui les assemble
Et qui les fait tant assoiffés ?
La source que leur soif réclame
Est la source qui les enflamme
Et qui les roule en son torrent !
Fils du désert, fils du mystère
Ils cherchent qui les désaltère
D'Égypte jusqu'en Canaan !
Ô Jérémie ! Ô dur prophète
A nos malheurs trop attaché
Brise-tout vengeur, trouble-fête
Rude imprécateur du péché
Ne fais pas ici le devin !
Toute urne peut s'emplir de vin
Mais si ta sainte ivresse casse
Une urne ivre qu'elle maudit
C'est Dieu qui se voit interdit
D'y verser le vin de sa grâce !
22:53
Jésus appelle les serveurs.
Il dit : « Remplissez d'eau ces urnes »
(Sans doute pour tous ces buveurs
L'eau fraîche et les brises nocturnes
Seront un remède étonnant) ...
Jésus dit : « Puisez maintenant
« Et portez à l'architricline... »
...Celui-ci, cérémonieux
Goûte un liquide précieux
S'étonne, regoûte, et s'incline...
Mais son honneur et sa raison
S'alarment pour les bienséances
Auprès du maître de maison
Il vient faire ses doléances :
C'est au début que le vin fin
Se boit, et non pas à la fin
Quand s'endort l'esprit du convive...
Les serveurs lui diraient en vain
Que cette merveille de vin
Est le miracle de l'eau vive...
La voici donc enfin cette eau
Assumée au fruit de la vigne !
Le voici donc ce vin nouveau
Et le voici ce premier signe !
Se saisissant en son vertige
Du suc qui, le long de la tige
Tire la pluie et le caillou
L'Amour, brûlant toute prudence
Vole à la lente Providence
La gloire du don le plus fou !
23:53
Jésus ! hélas, la chose est sûre
Ce vin que tu veux leur servir
Nourrira la noire luxure...
Entends-tu les chevaux hennir ?
Vois-tu s'enfler les encolures
Auprès des lourdes chevelures
Dont la senteur chaude les grise ?
Jésus, c'est toi qui l'as voulu
Au délicat comme au goulu
Une même coupe est promise...
Le signe est à qui le reçoit
La merveille est à qui l'accueille
Le miracle est à qui le croit
...Et la rose est à qui la cueille.
La même forêt est le temple
A qui se recueille et contemple
Et le labyrinthe où se perd
Le curieux de son dédale...
La même vigne est le scandale
Et le salut à tous offert...
Les invités sont des malins
Ils ont compris la fine ruse
Ils applaudissent des deux mains
L'hôte qui veut qu'on les amuse !
Mais au cœur des élus la foi
Connaît son prophète et son roi !
Dans une coupe elle pressent
La neuve, l'éternelle alliance
L'effusion de l'espérance
L'amour versé avec le sang !
24:53
Qui a l'épouse, il est l'époux...
Elle accueille, avec la lumière
La flamme de ce feu très doux
Qui brûle et baigne sa paupière...
Ses yeux voilés sont des colombes
Agonisantes dans les tombes
D'une enfance tôt consommée...
Ô bel amour, ô sacrement
De grâce et de consentement
Voici tes noces, bien-aimée !
Jeunes filles, buvez ses pleurs !
Chargez-la des fruits de la terre !
Enlacez-la de mille fleurs !
Sur la montagne solitaire
Que le cortège de vos voix
L'enchaîne jusqu'au roi des rois
Où le mal d'amour la séduit !
Déjà ses doigts touchent l'absence
Son pas chancelle au noir silence
Elle défaille dans la nuit...
Ô noces dans l'immense nuit
Quand sous le ciel vide d'étoiles
L'amour court l'amour qui le fuit
Et que dans l'épaisseur des voiles
L'amour à l'amour se dérobe ! ...
...C'est alors, ô nuit, que ta robe
Maternellement les unit
Et qu'aux ténèbres allumée
L'aimée en l'aimé consumée
T'aime et te chante et te bénit...
25:53
Ô don, ô génération,
Ô noces dans la Trinité !
Possession ! Procession !
Retour en la sainte Unité !
Faille au flanc de la pure Essence
Défaut de la Toute-Puissance
Égarée au secret d'un cœur
Ame, Femme, ô Marie, ô Ève
Fille de la nuit et du rêve
Ton Époux c'est ton Créateur ! ...
...
Ce sont les Noces de Cana
Dieu donne son Fils à la Femme
L'Agneau prélude à l'hosanna
De l'éternel épithalame.
Ô Mort où donc est ta victoire ?
La nuit s'achève dans la gloire
De l'aurore au Troisième Jour
Tandis que la Miséricorde
Avec la Justice s'accorde
Pour le triomphe de l'Amour !
Louis SALLERON.
26:53
### Un sophisme trop répandu :
*Le pluralisme\
en matière d'éducation*
DE TOUTES LES ÉTUDES que j'ai lues sur la dernière loi scolaire, la plus pénétrante est celle de *La Pensée catholique* (numéro 66-67). Le R.P. X nous y expose les circonstances de la loi, sa préparation, son intention avouée, l'usage qu'il est possible d'en faire. La conclusion insiste sur une précaution élémentaire qui s'impose : dans l'hypothèse où les chrétiens acceptent quelque forme de contrat ils doivent refuser énergiquement toute ambiguïté. La sagesse demande que les établissements chrétiens qui signent un contrat veuillent bien spécifier avec toute la clarté désirable qu'ils entendent conserver leurs caractéristiques propres.
De ces caractéristiques, nous voudrions faire saisir l'une des plus importantes : l'enseignement doit être chrétien par le dedans et d'une manière vitale. Cela veut dire non seulement que la doctrine chrétienne doit être enseignée mais aussi que tout le reste doit être enseigné dans la lumière de cette doctrine. Sans quoi -- nous allons essayer de l'expliquer -- l'éducation chrétienne serait très menacée et rendue extrêmement difficile.
L'État pense autrement et il le dit. Il prétend qu'une instruction et une culture non-chrétiennes sont très compatibles avec une éducation chrétienne. Voici un texte révélateur : « On ne voit pas quelles préventions les familles les plus attachées au principe d'une éducation religieuse pourraient conserver à l'égard d'un enseignement d'État neutre si, par ailleurs, leurs enfants fréquentent... une maison d'éducation de leur choix, répondant à leur confession. » ([^1])
27:53
En d'autres termes : « enseignement neutre aux mains de l'État ; mais éducation pouvant demeurer libre et conforme aux désirs de la famille. » Équivalemment : *monopole d'enseignement mais pluralisme d'éducation.* Or c'est là un sophisme, et des plus palpables.
Il ne faut pas longtemps réfléchir en effet pour s'apercevoir que *l'éducation se réalise en très grande partie grâce à l'enseignement lui-même, qu'elle passe par l'enseignement, qu'elle fait corps avec lui ;* de telle sorte que tenir LE MONOPOLE DE L'ENSEIGNEMENT C'EST, A PEU DE CHOSES PRÈS, TENIR LE MONOPOLE DE L'ÉDUCATION.
Ne parlons même pas ici de la philosophie et de la doctrine chrétienne, tellement il est clair que ces matières d'étude exercent sur l'éducation elle-même une influence régulatrice décisive. L'enseignement explicite et organique des principes suprêmes, naturels ou révélés, infléchit nécessairement la conduite de la vie dans un sens ou dans un autre, fausse l'éducation ou l'oriente dans le bon sens. Je ne pense pas que cette vérité soit sérieusement discutée. Au contraire, s'agit-il d'autres études, on pourrait croire qu'elles n'ont pas grand chose à voir avec l'éducation ; et que, dès lors, elles pourraient sans inconvénients relever d'un monopole d'État, les éducateurs étant libres de les additionner d'un peu de catéchisme, de quelques pratiques de piété et de recommandations morales. Est-ce bien sûr ? Prenons des exemples lisibles.
ON N'A PAS ENCORE TROUVÉ le moyen d'ouvrir des écoles où l'on n'étudierait pas, peu ou prou, longuement ou rapidement, les auteurs français, l'histoire de France, les sciences physiques et naturelles. Or il est deux manières de faire lire les auteurs français à un élève, de lui faire découvrir nos grands écrivains, de l'initier aux chefs-d'œuvre de notre littérature : ou bien, en même temps que l'on cultive son goût littéraire, on éveille et fortifie son sens de la vie honnête et droite et même héroïque ; ou bien, tout en lui donnant une formation littéraire, on travaille à la dissolution de sa pensée et on affaiblit, on détruit peut-être les meilleures tendances de son cœur.
28:53
Dans les deux cas, la classe de français, sans devenir le moins du monde classe de catéchisme, fait réellement œuvre d'éducation, bonne ou mauvaise.
Sans doute on peut objecter qu'il est une troisième manière de lire les auteurs, absolument objective, uniquement formelle, chimiquement pure de toute question morale ; comme nous le déclarait un jour avec solennité un professeur qui était cependant chrétien : en classe de lettres nous prescindons absolument de toute religion et de toute morale. Cette manière de lire existe ; elle est particulièrement inhumaine et desséchante ; elle relève de l'esthétisme. Elle ferait de l'élève, si celui-ci n'avait mille moyens de se défendre, un petit monstre esthéticien, c'est-à-dire quelqu'un de très mal élevé.
Je ne demande pas au professeur de français de moraliser. Nous en sommes tous d'accord, les personnes moralisantes sont ennuyeuses comme la pluie. Je demande simplement au professeur de français d'avoir conscience qu'il enseigne le français, et, par suite, de ne pas faire abstraction de l'œuvre qu'il explique et de lui-même qui explique. Or cette œuvre n'est pas uniquement formelle et lui-même ne se réduit pas au goût et à la rhétorique désincarnés et personnifiés. Pour peu qu'elle soit grande et qu'elle mérite la peine d'une classe, l'œuvre communique une certaine idée de l'homme, de sa destinée, des sociétés humaines ; et, à son tour, pour peu qu'il soit vivant et digne d'être écouté le maître lui-même laisse transparaître une certaine idée de la vie et du sens de la vie. Dès lors la classe de français ne se borne pas à susciter et développer le sens du beau ; elle ne se limite pas à rendre sensible aux valeurs esthétiques ; elle fait naître certaines réactions d'ordre moral et spirituel ; elle touche, pour les vivifier, ou les éteindre ou les tuer, à certains sentiments ou certaines dispositions du cœur. Ce n'est pas seulement l'intellect qui est mis en cause et la sensibilité artistique, c'est aussi le cœur, la volonté dans sa source profonde, la conduite de la vie. En un mot c'est déjà l'éducation qui commence de s'accomplir, qui est en bonne voie ou qui est compromise ou gâchée. Et cela sans aucune préoccupations moralisante, sans donner de coup de pouce (ce qui est répugnant) mais par la seule vertu de l'œuvre qui est étudiée et de celui qui la fait étudier. L'œuvre étudiée est humaine ; le maître qui la fait étudier est un humain ; il n'en faut pas davantage pour que soit mise en cause l'éducation de l'élève, c'est-à-dire sa préparation à mener une vie digne de l'homme.
29:53
*D'une façon générale, lorsque l'enseignement porte sur une discipline qui concerne l'homme et sa destinée, à ce moment-là sans cesser d'être un enseignement il donne déjà une éducation.*
PRENONS LA DÉMONSTRATION PAR UN AUTRE BOUT. La liaison nous paraîtra aussi intime, aussi vitale, entre éducation et enseignement. La raison d'être de l'éducation, qui se définit comme la formation morale et spirituelle de l'enfant, est de le conduire à la vie vertueuse. On ne cherche pas seulement à lui faire accomplir certains actes, on veut qu'il soit animé de certains sentiments ; on cultive en lui la vertu, en ce sens que l'on nourrit dans son cœur des dispositions solides et fortement enracinées, des aptitudes fermes à réagir bien et à bien agir dans toutes les situations qui se présentent. L'éducation chrétienne donne à l'enfant le sens et le goût des vertus chrétiennes ; de toutes sans exception ; les théologales et les cardinales, celles de la vie privée et celles de la vie publique. L'éducation chrétienne forme un cœur chrétien et un caractère chrétien.
Ici le législateur nous déclare en substance : « Je n'y vois pas d'inconvénient. Agissez à votre guise. Formez des caractères chrétiens si cela vous intéresse. Ma mission à moi est d'enseigner et je n'entends la partager avec personne, encore moins la céder à aucun établissement particulier même si pour des raisons d'opportunité politique je dois finasser et faire semblant. Je suis concessionnaire exclusif en matière d'enseignement. Et les éducateurs particuliers n'ont pas à me faire de reproche puisque, par le moyen merveilleux de la neutralité absolue, j'accomplis ma mission d'enseignement de telle manière qu'elle n'entrave aucunement leur mission d'éducation. En vertu de la neutralité le monopole d'enseignement que je revendique ne contrarie pas le pluralisme d'éducation que je reconnais. » Imposteur. Une fois de plus considérons les diverses disciplines. Il n'existe pas un enseignement sérieux de la littérature française, ni de littératures étrangères, ni d'aucune littérature, ancienne ou moderne, d'Orient ou d'Occident, où l'on puisse toujours faire silence sur l'amour et la mort, l'honneur et le sacrifice, l'abondance et la misère. Eh ! bien, l'honneur n'est pas neutre, ni l'amour, ni le sacrifice, ni la pauvreté. Si vous en parlez comme de réalités neutres vous ne savez pas de quoi vous parlez.
30:53
Et si vous n'en parlez pas comme de réalités neutres, si vous les montrez telles qu'elles sont et comme des réalités humaines, un jour ou l'autre vous serez bien obligé, à moins que de demeurer ridiculement superficiel et plat, d'en venir jusqu'à Dieu en personne. Vos propos trouveront place dans une conception du monde qui n'est pas neutre, qui reconnaît le Seigneur ou qui le renie. Sans doute ne faut-il pas systématiser, et l'enseignement du français deviendrait un pensum fastidieux qui aurait la rigidité linéaire d'une démonstration géométrique. Mais enfin pour grande que l'on fasse la part de la fantaisie, pour éloigné que l'on se tienne de tout endoctrinement, il n'est pas possible de parler de l'homme sans mettre Dieu en cause, un jour ou l'autre. Il n'est pas possible que l'enseignement de la littérature, des lettres humaines comme les appelaient les Anciens, *humaniores litterae,* ne vienne se situer, et cela sans aucune intention apologétique, dans une conception du monde religieuse ou irréligieuse.
IL N'EN VA PAS AUTREMENT des disciplines scientifiques. Sans doute elles s'intéressent à la matière et à la vie et non pas directement à l'homme. Il n'en reste pas moins que c'est l'homme qui met en œuvre les lois et les découvertes de la science. L'utilisation est aux mains de l'homme. Et cette utilisation n'échappe pas au bien ou au mal, à la volonté de puissance, à la cupidité ou au service honnête du bien commun. Elle ne demeure pas neutre. Vous pensez peut-être que ce n'est pas au professeur de sciences à s'inquiéter de ces problèmes. Est-ce bien sûr ? Et à moins d'une horrible mutilation de l'esprit, à moins de renoncer à penser comme un esprit vivant, peut-il n'avoir aucune idée sur l'utilisation des sciences et des techniques ? Quand même il s'abstiendrait de communiquer ces idées, d'autres maîtres heureusement se rencontreront qui oseront se prononcer sur l'usage que l'on doit faire de la science et de la technique. Considérées non pas au point de vue des équations et des formules, mais au point de vue de leur utilisation par la liberté de l'homme, les sciences viennent s'intégrer dans une conception du monde qui n'est pas neutre et indifférente, qui ne peut pas l'être. Quoi qu'il en soit par exemple des éléments qui composent la bombe atomique, l'usage qui en est fait n'est pas neutre et indifférent ; et pas davantage, pour prendre un autre exemple, l'application des lois psychologiques relatives à la désintégration de la personnalité.
31:53
L'utilisation des sciences et des techniques sera religieuse et humaine ou irréligieuse et inhumaine. La réflexion sur la science n'évite pas un jour ou l'autre de se prolonger jusque là. On ne saurait étudier les sciences dans les écoles sans toucher à ces redoutables questions. Considéré d'un point de vue intégral, l'enseignement des sciences ne fait pas abstraction de l'homme. C'est pourquoi il n'est pas neutre.
L'ÉDUCATION est distincte de l'enseignement. La formation du cœur et du caractère ne saurait s'identifier à la formation de l'esprit, ni à la culture artistique. Encore que l'enseignement et la culture aient une importance souveraine dans l'éducation, il est sûr qu'ils ne suffisent pas. Il faut y joindre la vie de prière, les conseils, les invitations, et plus encore cette exhortation silencieuse et magnétique de l'exemple et du témoignage.
*Les exemples vivants sont d'un autre pouvoir.* Il suffit à chacun de nous de s'interroger sur son expérience pour apprécier le poids en bien ou en mal des manières et des attitudes dont il aura été le témoin dans sa famille ou son milieu. Il n'en demeure pas moins que la force de l'exemple est corroborée ou neutralisée par l'enseignement reçu. Car l'efficacité de la conduite dont nous sommes témoins dépend en très grande partie de l'appréciation et du jugement que nous portons sur elle. Mais ces critères d'appréciation et de jugement, c'est l'enseignement qui nous les donne. Parce que, encore une fois, l'enseignement n'est pas neutre. Il est pénétré d'une certaine conception de la vie ; il nous conduit à porter certains jugements sur l'homme et sa destinée et sur les sociétés humaines.
C'est pourquoi l'éducation chrétienne devient une tâche exceptionnellement difficile lorsque l'enseignement rejette ou méconnaît la foi chrétienne et la saine philosophie, même si l'exemple de l'entourage est honnête et chrétien, même si l'on garde du temps pour la prière. Prétendre que l'enseignement est chose neutre et indifférente c'est ne pas le voir comme il est ou c'est avoir oublié quelle action exercent sur une vie les maîtres et les lectures.
LE PLURALISME DE L'ÉDUCATION exige le pluralisme de l'enseignement ; l'éducation chrétienne exige l'enseignement chrétien.
32:53
Les caractéristiques en sont connues : non seulement étude de la foi et de la doctrine, mais étude des matières profanes dans la lumière de foi ; sensibilité chrétienne aux valeurs d'art ; formation philosophique et théologique des maîtres et maîtresses. Mais que la philosophie et la théologie ne soient pas coupées des disciplines profanes, ne leur soient pas étrangères, qu'elles les rejoignent et les touchent sans les déformer, comme les rayons d'une lumière apaisante et amie. Que le lecteur rappelle ses souvenirs.
« Il a bien dû rencontrer des clercs ou des laïcs parfaits connaisseurs de leur catéchisme et de leur doctrine qui, à propos de tel événement ou dans leurs réflexions sur tel ouvrage, pour être en règle avec je ne sais quel impératif de leur conscience correcte, estimaient indispensable de se mettre en frais, bravement ou timidement, de considérations doctrinales orthodoxes et d'argumentations théoriques, qui venaient se plaquer du dehors et restaient aussi étrangères que possible au sentiment qui était dans leur cœur et dans le vôtre. C'était juste le contraire d'une liaison vitale entre la doctrine et les mouvements du cœur. Cependant la situation inverse, la situation normale, a bien dû se présenter quelquefois ; il vous est sans doute arrivé quelquefois d'entendre un rappel de la doctrine chrétienne qui venait droit du cœur de celui qui parlait, qui s'imposait comme s'impose une parole nécessaire et authentique, qui, loin de se juxtaposer de l'extérieur, faisait corps avec le contexte.
« Or, c'est une chose semblable que je veux dire lorsque j'affirme que, dans l'enseignement des matières profanes, les vérités de la philosophie chrétienne doivent être présentées vitalement, en liaison vitale avec le contenu des diverses disciplines. En vérité, ce n'est rien d'extraordinaire. Il suffit que la formation, proprement et explicitement doctrinale, soit vivante dans l'âme et dans l'esprit du maître et de la maîtresse ; qu'elle n'y soit pas tombée comme un bloc erratique et étranger ; qu'elle n'y soit pas déposée comme une lampe, lumineuse peut-être, mais reléguée dans un coin et couverte de je ne sais quel chiffon ; qu'elle y règne, au contraire, comme la lumière joyeuse règne dans tout l'espace d'une demeure et sur toutes les personnes qui la remplissent ([^2]). »
33:53
DEPUIS QUELQUES ANNÉES on se préoccupe sérieusement de la formation philosophique et théologique des maîtres et des maîtresses. Certains Ordres religieux, par exemple, ont institué un cycle d'études théologiques pour les futures religieuses enseignantes. On ne saurait que se réjouir de ces initiatives. On doit souhaiter aussi, on doit souhaiter activement, que l'on enseigne aux élèves-maîtres, aux élèves-maîtresses, une philosophie et une théologie qui rejoignent, qui fassent la jonction à la fois avec les matières qu'ils auront à professer et avec leurs responsabilités très précises d'éducateur. Sans quoi -- et le danger n'est pas imaginaire -- on les aurait accablés d'une doctrine qui, pour être juste, n'en resterait pas moins étrangère à la vie profonde de leur esprit et à leur devoir quotidien ; doctrine juste, mais plaquée, extrinsèque et inopérante.
En faisant étudier la philosophie et la théologie aux enseignants chrétiens et aux enseignantes, il est nécessaire de tenir le plus grand compte de la fonction qu'ils devront assumer. Qu'on leur présente donc la doctrine dans un rapport vital avec la mission qu'ils auront à remplir.
Fr. R.-Th. CALMEL, o. p.
34:53
### Le Défenseur des Chrétiens
LA PRÉSOMPTION, l'erreur, l'impuissance, tel est notre lot lorsque nous ne sommes pas assistés du Saint-Esprit. La conduite des apôtres avant qu'ils ne l'eussent reçu d'une manière extraordinaire le jour de la Pentecôte en fait la preuve. Leur bonne volonté avait toujours été grande, ils avaient répondu aussitôt à l'appel de Jésus. « Suis-moi » fut-il dit à Philippe et il suivit Jésus. Jacques et Jean qui raccommodaient des filets dans la barque de leur père quittent aussitôt leur père, la barque et les filets. Ce n'est pas rien. C'est ce que font toutes les personnes consacrées à Dieu. La grâce s'était largement répandue sur les apôtres. Ils avaient vécu plus de deux ans avec Jésus, lui avaient vu faire d'innombrables miracles, l'avaient entendu prêcher le royaume de Dieu, pratiquer devant eux les Béatitudes ; et cependant les deux fils de Zébédée au moment de la dernière montée à Jérusalem s'approchent de Jésus avec leur mère ; celle-ci se prosterne et demande : « Dis que mes deux fils que voici soient assis l'un à ta droite et l'autre à ta gauche dans ton royaume ». Et au lieu de sourire à cette demande, les dix autres apôtres « s'irritèrent contre les deux frères ».
35:53
Jésus les avait consacrés comme prêtres (*Faites ceci en mémoire de moi*)*.* Lorsqu'il apparut aux disciples après la Résurrection, en l'absence de saint Thomas, il leur dit : « Paix à vous ! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Et ayant dit cela il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l'Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »
Jésus faisait ainsi la preuve que le Saint-Esprit procède de lui comme du Père, et accordait aux apôtres un pouvoir spirituel sacerdotal, mais ce n'était pas l'ensemble des dons.
Lors de la dernière apparition à Jérusalem, Jésus leur avait « *ouvert l'intelligence pour qu'ils puissent comprendre les Écritures* » dit saint Luc, et pourtant à quelques instants de l'Ascension les apôtres demandaient encore : « *Seigneur, est-ce en ce temps que tu vas rétablir le royaume pour Israël *? » Leur intelligence était ouverte pour comprendre les Écritures et ils posaient cette question ! Quelle distance entre une intelligence pourtant déjà surnaturelle et la vie des dons ! Quelle consolation pour ceux qui sans avoir jamais à enseigner sinon par l'exemple, peuvent vivre complètement sous l'inspiration du Saint-Esprit ! Car Jésus « prit un enfant, il le plaça au milieu d'eux et l'ayant embrassé il dit (St Marc IX) « En vérité je vous le dis, si vous ne changez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux » (Matt. XVIII). Plaise à Dieu que nous voyons au ciel cet enfant qu'embrassa Jésus !
Et c'est à la Samaritaine, à une pauvre femme moralement bien piteuse mais conservant la foi, que Jésus annonce les effets du Saint-Esprit dans l'âme : « Celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus soif à jamais car l'eau que je lui donnerai *deviendra en lui une source d'eau jaillissant pour la vie éternelle.* » Ô vous Samaritaines ! Voyez ce qu'il reste de grandeur à l'âme même tombée ; voyez quelle aptitude lui reste à la grâce par les mérites de Jésus-Christ ; c'est à l'une de vous en premier, lors de son premier voyage apostolique, que Notre-Seigneur confie cette promesse !
C'est donc seulement le jour de la Pentecôte, par l'effusion du Saint-Esprit, que les apôtres devinrent des sources jaillissantes. Pour les confirmer dans la foi et l'espérance, Jésus pendant cinquante jours après la Résurrection les avait instruits et les avait fait vivre avec le corps glorieux d'un ressuscité.
36:53
Il ne fallait sans doute pas moins pour que ces fondements de l'Église pussent porter la foi aux extrémités de la terre et mourir pour elle.
Or le jour de la Pentecôte, trois mille hommes se convertirent à la parole de Pierre ; quelques jours plus tard, après la guérison du paralytique, cinq mille hommes. Jésus n'avait laissé à sa mort que cent vingt disciples. Telle est l'action laissée volontairement par le Fils au Saint-Esprit. Telle est la nécessité pour nous de recourir au Saint-Esprit pur Jésus-Christ, de même que le Christ, dit l'apôtre, « s'est offert lui-même à Dieu, dans sa pureté sans tache, par l'Esprit Saint » (Heb. IX). Quant aux chefs religieux, « voyant l'assurance de Pierre et celle de Jean, et sachant que c'étaient des hommes illettrés et du commun, ils étaient bien étonnés ».
Jésus n'avait-il pas dit : « Mais c'est le Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, qui vous enseignera tout et vous rappellera ce que je vous ait dit » (Jean, XIV, 26), et en ce même Jeudi Saint : « Je vous dis la vérité ; il vous est bon que je m'en aille. Car si je ne m'en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars je vous l'enverrai. » Le Paraclet est désormais notre Défenseur contre le péché, le monde, et le prince de ce monde.
Pourquoi cette mystérieuse division de l'action divine ? Car c'est toujours la très Sainte Trinité qui agit. En dehors de son sein les trois personnes agissent toujours en union, et bien avant la Pentecôte le Saint-Esprit a inspiré les prophètes et tous les justes, alors que le Verbe n'était pas incarné.
Mais c'est un mystère d'amour. Dieu l'a réalisé pour nous faire participer à sa vie divine ; c'est seulement par l'amour que nous y pénétrerons. Car notre intelligence est très limitée ; l'amour l'est beaucoup moins, et c'est lui qui accroît la perspicacité de l'intelligence. Or le Saint-Esprit est l'Amour du Père et du Fils ; dans cet Être sans commencement et en dehors du temps, il est Personne subsistante dans l'unité de la Trinité Sainte. Dans les étapes de notre rachat, le Père a voulu qu'il y ait des temps ; il a voulu que finalement la Très Sainte Trinité règne dans nos âmes à la manière dont elle vit de sa vie intime où le Saint-Esprit est l'Amour. C'est donc l'Amour qui dans nos âmes fait régner le Père et le Fils avec lui.
37:53
Quel mystère que le temps lui-même ! Nous savons aujourd'hui que les hommes ont vécu 500.000 ans, sans la science du salut qui nous est donnée, avec seulement quelques promesses, des grâces préparatoires, et une aspiration à ce salut ; les apôtres disaient vrai parlant du Christ : « destiné avant l'origine du monde et *manifesté à la fin des temps* » (I Ptr. 20), bien que le nombre des années leur échappât. Quand l'humanité fut mûre pour recevoir *ce* dépôt, alors le Christ vint ; quelle responsabilité pour ceux que Dieu a jugés mûrs et chargés de faire fructifier cette richesse ! Comme nous serons jugés plus gravement que l'homme de Cro-Magnon poursuivant les rennes ou le Pygmée actuel offrant à Dieu les prémices de sa chasse !
Mais l'Église notre puissante Mère est là pour nous avertir et nous instruire. Elle reproduit et continue, comme le dit saint Ignace d'Antioche, ces « *mystères divins éclatants opérés dans le silence de Dieu* » (ad Eph 19). L'Incarnation du Verbe qui n'occupa jadis qu'un trou dans la terre à Bethléem, s'étend aujourd'hui à toutes les terres habitées. Nous pouvons dire « Le Verbe s'est fait chair *et il habite parmi nous* ». Merveille trop peu admirée des chrétiens. Car à la sainte messe le mystère de l'Incarnation et du salut est reproduit parfaitement et complètement, la sainte Cène s'y continue avec le Sacrifice de la Croix pour toute la durée des temps ; et Jésus repose dans la Sainte réserve du tabernacle comme il était dans le sein de la Vierge Marie, aveugle et sourd et sans défense, traité comme il nous plaît de le faire, et cependant créateur et maître du monde. Mais la Vierge Marie était dès sa conception l'épouse prédestinée du Saint-Esprit et la figure de l'Église ; elle menait Jésus chez Élisabeth, à Bethléem, chez les voisins destinés à être apôtres, partout où le Saint-Esprit la conduisait.
Or l'Église reproduit dans la suite des temps tous ces mystères. Elle aussi fait comme la Très Sainte Vierge et offre Jésus partout où le Saint-Esprit la mène. Nous communions et devenons les temples du Saint-Esprit. Dès que les espèces sacramentelles sont dans notre corps attaquées comme nourriture dans leur apparence, Jésus nous quitte : « Il vous est bon que je m'en aille, car si je ne m'en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ». Il est remplacé par le Saint-Esprit dont l'amour ne demande qu'à nous mener au Père *si nous voulons bien rester attentifs à sa présence.*
38:53
Or c'est là toute la vie spirituelle dans sa simplicité. *La vie spirituelle c'est la vie du Saint-Esprit en nous,* et il suffit d'y être attentif : Dieu ne nous est pas extérieur, ni comme créateur, ni comme sauveur, ni comme appât à l'amour. Pour protéger notre liberté, il n'agit pas directement lui-même en nous. Il y est présent, mais il agit par ses *dons ;* c'est-à-dire par une disposition habituelle de notre âme qu'il lui donne comme un cadeau. Avec eux elle se délivre des restes du péché, et devient libre de poursuivre sa vraie fin. Comme tous les hommes et particulièrement nos frères dans le Christ deviennent honorables ! Quelle déférence pour le moindre d'entre eux en qui repose le Saint-Esprit (tel l'enfant qu'embrassa Jésus). Ainsi le chrétien qui assiste à la messe et communie rassemble et renouvelle dans ce temps très court toute l'histoire du salut, de la création de l'homme à la Pentecôte ; il devient membre du Christ pour être le temple du Saint-Esprit, et demande au Saint-Esprit ses dons pour demeurer membre du Christ.
*Venez Père des pauvres source des dons, lumière des cœurs ! ...* *Remplissez de la grâce d'En Haut les cœurs que vous avez créés... Puissions-nous par vous connaître le Père ainsi que le Fils vous croyant vous-même l'Esprit du Père et du Fils.*
C'est extraordinaire en soi, mais proposé à tout chrétien dès le baptême et la confirmation, en toute simplicité, et pourvu qu'on le sache, avec facilité, car cela est désiré par Dieu même d'un grand amour.
\*\*\*
L'AN PASSÉ AU MOIS DE MAI nous avons entretenu nos lecteurs de la Passion de Jeanne d'Arc. Un de nos collaborateurs nous a très amicalement reproché d'avoir usé du document intitulé « *informatio post mortem* » et surtout, car tous les historiens sont bien obligés d'en tenir compte, de lui avoir accordé trop de crédit.
Ce document est attesté par le greffier Guillaume Manchon qui, dit-il, refusa de le signer « parce qu'il ne faisait pas partie du dossier » mais il n'infirme pas ce qu'il contient. Jeanne en effet était morte depuis une semaine lorsque ce document fut rédigé. « Item le jeudi 7 juin 1431, nous juges susdits, de notre propre mouvement fîmes des informations touchant certaines paroles, dites par feue Jeanne en présence de personnes dignes de foi, tandis qu'elle était encore en sa prison, avant d'être menée en jugement. »
39:53
Il faut croire que les juges n'avaient pas la conscience bien tranquille. Les douze articles sur lesquels avaient délibéré ces juges n'avaient pas été lus à Jeanne. Les notaires avaient fait remarquer qu'ils représentaient inexactement les réponses de Jeanne, et il n'avait été tenu aucun compte de leurs remarques.
La fameuse cédule d'abjuration que signa Jeanne au cimetière de St-Jean n'est pas celle qui figure au procès. Elle contenait seulement « cinq ou six lignes de grosse écriture » ; « environ huit lignes, pas davantage », dépose Jean Massieu qui fut chargé de la lire à Jeanne.
Il s'agissait donc d'une abjuration fabriquée artificiellement, et Jeanne alors eut à peine conscience de ce qu'elle faisait. Elle avoua quelques jours plus tard qu'elle avait alors désobéi à ses voix et avait signé « par peur du feu ». Enfin lors de cause de relapse le mardi 27 mai, Gilles de Durmort, abbé du monastère de la Trinité de Fécamp, demande qu'avant de condamner Jeanne on lui relût la cédule d'abjuration, « qu'on la lui explique en lui prêchant la parole de Dieu ». Trente-six juges sur quarante opinèrent comme lui sur ce point. Mais Pierre Cauchon n'avait tenu aucun compte de cette demande, car il eût fallu avouer que la cédule lue à Jeanne n'était pas celle qui figurait au procès. Des irrégularités de toute sorte avaient été commises ; Jeanne eût dû être en prison d'Église, le procès ne se déroulait pas en cour ecclésiastique, et les juges n'étaient pas en sûreté. Et aucun des juges ne pouvait ignorer au moins une partie de ces irrégularités. Elles ne furent connues publiquement que lors du procès de réhabilitation, vingt ans après.
Enfin Jeanne pendant le trajet de sa prison à la place du Vieux Marché, lieu de son supplice, bien loin de s'accuser, au dire du dominicain Frère Martin Ladvenu lui-même, maintint « *jusqu'à la fin de sa vie que ses voix étaient de Dieu, tout ce qu'elle avait fait elle l'avait fait de par Dieu ; ses voix ne l'avaient pas trompée, et ses révélations étaient de Dieu* ».
Ceci étant, on comprend que les juges aient voulu rapporter les propos de Jeanne au moment de son « Agonie », dans sa faiblesse, alors qu'elle se voyait irrémédiablement condamnée à mort ; et comme elle dit : « déçue par ses voix ».
40:53
Ainsi cette précieuse « informatio post mortem » est-elle non pas fausse en toutes ses parties mais tendancieuse ; elle est même vraie en certains de ses témoignages car il y avait là d'honnêtes gens comme les deux religieux dominicains, et mensongère en d'autres comme celle de cet abominable Nicolas Loyseleur, qui s'était déguisé en prisonnier français pour extorquer à Jeanne une confession, et lui donner des conseils qui allaient à la faire condamner. Il avait même fait disposer dans le mur un trou par lequel les notaires du procès eussent pu écouter ; ce à quoi ils se refusèrent. Il était habitué au mensonge, à la tromperie, à l'équivoque, et probablement fort passionné, au point d'arriver à croire ses mensonges ; sa déposition n'est pas croyable ; il veut faire dire à Jeanne ce qu'elle ne dit pas.
Mais les honnêtes gens eux-mêmes étaient craintifs. Un religieux dominicain de Rouen, Pierre Bosquier, le jour du supplice de Jeanne, le 30 mai, avait déclaré publiquement que les juges « avaient fait et faisaient mal ». Il fut condamné par son supérieur, le supérieur aussi de Martin Ladvenu et Ysembart de la Pierre, à un an de prison au pain et à l'eau.
Les deux dominicains eux-mêmes qui avaient, au péril de leur liberté, essayé de guider Jeanne pour sa défense, lors du procès, la croyaient hérétique pour ne pas s'être soumise à l'appréciation des juges de Rouen sur ses voix. Ils se gardèrent bien de rappeler lors du procès de réhabilitation « l'informatio post mortem » dans laquelle leur opinion sur ce sujet est manifeste. Pourtant ce qu'ils rapportent et que nous avons cité page 104 du n° 43 d'*Itinéraires* est manifestement authentique et des plus touchant.
Jeanne n'a jamais déclaré autre chose dans cette terrible journée sinon que « ses voix l'avaient déçue » sur ce point précis qu'elles lui avaient promis sa délivrance. Les témoins honnêtes ne disent pas autre chose. Ce qu'elle dit de plus sont des paroles d'humilité que Loyseleur et Pierre Maurice interprètent comme un aveu de la tromperie. Or Cauchon lui-même l'interrogeant dans sa prison le matin même du supplice déclare : « Nous évêque susdit, en présence de messire le vicaire de Mgr l'Inquisiteur, nous dîmes à cette Jeanne en français : « Or ça, Jeanne, vous nous avez toujours dit que vos voix vous disaient que vous seriez délivrée, et vous voyez maintenant comme elles vous ont déçue : dites-nous maintenant la vérité ? »
41:53
A quoi Jeanne répondit alors : « Vraiment je vois bien qu'elles m'ont déçue ! » *Il ne lui a rien entendu dire de plus,* si ce n'est qu'au commencement, *avant que nous juges susdits arrivâmes au lieu de la prison,* cette Jeanne fut interrogée si elle croyait que ses dites voix et apparitions procédassent de bons ou mauvais esprits. Cette Jeanne répondit : « Je ne sais ; je m'en attends à ma mère l'Église » ; ou ceci : « ou à vous qui êtes gens d'Église ».
Il n'affirme rien, il rejette l'affirmation sur ses assesseurs. Et il ajoute : « Et alors nous, évêque susdit, ainsi que dépose celui qui parle, nous dîmes à Jeanne qu'elle pouvait bien voir que ses voix n'étaient pas de bons esprits et qu'elles ne venaient pas de Dieu ; car s'il en était ainsi jamais elles n'auraient dit fausseté ou auraient menti ».
On voit par quel biais ils attaquèrent la conscience de Jeanne. Quel genre de conscience avaient ces affreux bonshommes, il est difficile de l'imaginer. Au procès de réhabilitation, M^e^ Guillaume La Chambre, maître ès arts et en médecine qui soigna Jeanne dans sa prison, témoigne ainsi au sujet de Jeanne et de ce Pierre Maurice, jeune et brillant maître en théologie :
« A mon sens c'était une bonne jeune fille. M^e^ Pierre Maurice disait un jour qu'il l'avait entendue en confession et qu'il n'en avait jamais ouï de pareille, ni de docteur ni de personne ; il estimait d'après la confession qu'elle vivait saintement et régulièrement en la présence de Dieu. »
Néanmoins Pierre Maurice la juge relapse et hérétique et l'abandonne au bras séculier. Du moment que Jeanne refusait de les en croire sur ses voix, eux représentants de l'Église et Inquisiteurs de la foi, elle était évidemment hérétique. Leur conscience était tranquillisée. Pour le reste Dieu s'en arrangerait. Ils ne se rendaient pas compte ou préféraient ne pas s'interroger sur ce fait que les irrégularités du procès et ses injustices leur enlevait la qualité de juges même au spirituel. Enfin ces mêmes hommes qui excommuniaient Jeanne en la rejetant hors de l'Église permirent en dernière heure qu'on lui donnât la sainte communion. Jeanne avait donc cru jusqu'à son dernier jour qu'elle serait délivrée de la prison des Anglais. On voit quel effondrement ce dut être pour cette jeune fille de dix neuf ans, isolée, sans conseil, sans avocat, enchaînée en dure prison depuis un an, sans messe, sans sacrements et seulement soutenue par ses voix (suivant la grâce de Dieu), lorsque pour la première fois, ses voix l'eurent (apparemment) déçue.
42:53
Il semble difficile qu'elle ait pu douter de sa mission ; les actes qui l'avaient prouvée, l'annonce qu'elle en avait fait d'après ses voix, la sainteté surnaturelle de ses vues même politiques, tout semble écarter la possibilité du doute. Cependant nous n'en savons rien.
En décider reste une conjecture. Ce pouvait être une tentation diabolique que ses juges faisaient tout le possible pour lui procurer. Sans douter de sa mission proprement dite, son esprit se trouva désemparé devant un mystère ; Jeanne n'avait pas compris de quelle délivrance ses voix lui parlaient. Elle ne comprit que le jour même de son supplice, lorsqu'elle se fut confessée et au moment de recevoir la sainte communion, qu'elle était délivrée de la prison terrestre pour gagner le ciel par la voie du supplice. C'est ce qui découle de la déposition de Martin Ladvenu à l' « informatio post mortem » : « Croyez-vous que ce soit le corps de Notre-Seigneur ? ». Répondit ladite Jeanne que oui et « le seul qui me puisse délivrer, je demande qu'il me soit administré ».
Le choc fut rude à cette sainte restée enfant par tant de côtés. Guillaume Manchon déclare que « *de l'avis de tous* (lorsqu'on lui parlait de soumission à l'Église) *elle ne comprenait pas de quoi il s'agissait* ». (Déposition du 2 Mai 1452). « *Il appert qu'elle ne comprenait pas la différence entre Église triomphante et Église militante.* » (Déposition du 8 mai 1452). Ce n'est étonnant que pour nous, terreux et terriens, car Jeanne vivait intimement la plus grande partie de ses journées avec l'Église triomphante.
Nous laissons donc aux savants de déterminer, s'ils le peuvent, dans quelle mesure Jeanne, comme nous le disions dans notre entretien de l'an passé : *a passé* (*en ce jour-là*) *par la nuit de l'esprit, par les ténèbres de la foi nue sans l'assistance du Saint-Esprit, ce qui fut sa purification définitive.*
Notre correspondant nous fait remarquer qu'il vaudrait mieux mettre : « sans l'assistance *éprouvée* du Saint-Esprit ». Nous pensons qu'il a raison, car la foi nue telle que les saints l'ont pratiquée dans la « nuit de l'esprit » est d'une exceptionnelle puissance ; -- elle y est dépourvue de tous les adjuvants ordinaires de la foi, sentimentaux et intellectuels comme de toute consolation spirituelle.
43:53
Elle est donc par elle-même une grâce d'une qualité extraordinaire où le don de force qui s'applique à la volonté est manifeste entre les autres dons qui lui sont toujours associés.
La dernière nuit, le dernier matin de sainte Jeanne d'Arc fut une agonie ; celle de Notre-Seigneur se place après la sainte Cène, tout juste avant son jugement et son supplice. Notre-Seigneur était Dieu, il savait tout, et cependant il laissa volontairement son âme d'homme s'abandonner à la douleur, à la douleur du péché passé, présent, futur, à la douleur d'être traité comme un pécheur, comme le seul pécheur qui pût être expiatoire, à la douleur enfin des approches de la mort, pour que Jeanne et nous-mêmes puissions passer par là en esprit de foi. *L'informatio post mortem* est donc très précieuse parce qu'elle nous fait pénétrer dans ce qu'a été l'agonie de Jeanne. Les faussetés tendancieuses dont usaient ses juges pour faire plier sa conscience, la contraindre à se contredire ou à se désavouer, le mépris qu'ils faisaient d'une vie spirituelle se mouvant habituellement dans l'assemblée des saints, étonnamment vivante et pure, ce sont là ses soufflets, ses crachats et sa couronne d'épines, son « *Eli, Eli lamma sabactani* ». Et nous y trouvons aussi sa réponse. Sainte Jeanne d'Arc, si fidèle imitatrice de la vie humble et cachée, puis d'une vie publique éclatante, aussi courte que celle de Jésus, se terminant par un procès inique et une mort misérable, a eu elle aussi, comme notre Maître, sa courte et terrible agonie.
Puisse-t-elle, dans les besoins actuels d'une chrétienté qui s'abandonne au mercantilisme et au naturalisme, nous obtenir de comprendre qui est « la voie, la vérité et la vie ».
D. MINIMUS.
44:53
## NOTES CRITIQUES
### Vrai Mohammed et faux Coran
Que l'on soit poussé par le simple désir d'une culture honnête et de savoir exactement la nature véritable du Coran, que l'on soit soulevé par le souci apostolique de la conversion de l'immense multitude islamique, on ne peut se désintéresser des travaux considérables de Hanna Zakarias sur *l'Islam entreprise juive.* La Revue *Itinéraires* dans le numéro de septembre-octobre 1956 les avait signalés à ses lecteurs au début de leur parution. Mais depuis lors ils ont été continués ([^3]) et surtout ils se trouvent maintenant mis à la portée d'un large public grâce à deux petits volumes captivants : L'Islam *et la critique historique* (la fin du mythe musulman) chez Hanna Zakarias, Boîte Postale 46, Cahors (Lot), France ; et *Vrai Mohammed et faux Coran* (aux Nouvelles Éditions Latines à Paris). J'ajoute que chacun de ces volumes est d'un prix très accessible.
L'originalité de Hanna Zakarias réside dans l'application délibérée, perspicace, implacable, des ressources de la critique historique (notamment de la critique interne) au livre religieux des musulmans. Il passe le Coran au crible de la critique avec cette même rigueur, cette même acribie dont on use pour l'Écriture sainte ; ni plus ni moins. L'Écriture Sainte résiste ; au terme de l'examen le plus attentif et des confrontations les plus étendues il reste par exemple que les trois premiers chapitres de la Genèse, quoi qu'il en soit des emprunts possibles de quelques détails, sont pour l'essentiel originaux et irréductibles ; ils ne se laissent jamais réduire à une transposition hébraïque de mythes babyloniens. De même, soumise au traitement le plus radical de l'analyse critique, l'histoire d'Abraham ne tombe pas au niveau d'un mythe solaire ; Abraham continue d'apparaître, il apparaît même avec une évidence plus manifeste, comme un personnage historique, élu de Dieu, père des croyants, dépositaire des promesses messianiques. Nous ferions les mêmes constatations pour le Nouveau Testament. En étudiant exégétiquement les Évangiles et les Épîtres nous verrions qu'ils n'ont rien à redouter de l'histoire ou de l'épigraphie, de la philologie ou de l'étude comparée des religions.
45:53
Si quelque lecteur non spécialisé voulait faire la preuve de ce que j'avance, je lui conseillerais, à titre de première initiation, deux ouvrages particulièrement lumineux sur ces questions et destinés à un large public : *La critique historique* du P. Lagrange, o.p. (Gabalda 1906) ; le *Jésus* du P. Braun, o.p. (Casterman, 1950). Ce qui ressort le plus de ces deux études admirablement scientifiques c'est l'irréductibilité, l'originalité et l'originalité céleste (disons surnaturelle) de la religion chrétienne. Et le Coran, lorsque nous lui appliquons les mêmes critères, est-ce qu'il résiste ? Est-ce qu'il apparaît encore original ?
Il ne semble pas.
La thèse de Hanna Zakarias, puissamment étayée sur une foule d'arguments convergents de critique interne, est la suivante : l'enseignement religieux qui est à l'origine de l'Islam est l'œuvre d'un rabbin juif qui voulait convertir au judaïsme, en les détournant de la religion chrétienne, les Arabes idolâtres.
Le rôle de Mohammed s'est borné à répéter et propager la prédication du rabbin. Le Coran que nous possédons actuellement est l'œuvre non pas de Mohammed mais du rabbin ; une sorte de carnet de route de son apostolat, « semblable à ce que sont les *Actes des Apôtres* pour le Christianisme » (*Vrai Mohammed, p. 1*10).
Même si le profane hésite à adopter totalement les positions de Hanna Zakarias, il reste qu'après avoir lu et relu *De Moïse à Mohammed* certaines idées s'imposent à l'esprit. Voici les principales : la dépendance du Coran par rapport au Pentateuque est tellement étroite qu'on ne peut parler d'originalité ; Mohammed ne fait figure ni de prophète, ni d'inspiré, ni de mystique ; le Coran s'oppose certainement à la Révélation chrétienne ; dans la fondation de l'Islam, Mohammed n'a pas ce rôle d'initiateur religieux original que nous reconnaissons par exemple à un Luther dans la réforme protestante ; enfin, alors que les inventions plus ou moins ingénieuses des autres coranisants nous laissent sur notre soif, la thèse et l'argumentation de Hanna Zakarias offrent l'avantage de mettre ordre et clarté dans un livre passablement obscur.
Hanna Zakarias savait mieux que personne combien ces conclusions paraîtraient surprenantes au profane et irritantes pour beaucoup de coranisants chevronnés. Aussi bien il ne les livrait qu'au terme de longues années de recherche, après avoir patiemment décortiqué les sourates en deux gros volumes de 350 pages chacun, enfin après avoir lu toute la littérature coranique : Grimme et Hirschfeld, Nöldeke et Tor Andrae, Montet et Blachère et bien d'autres ([^4]).
46:53
Par ailleurs Zacharias ([^5]) était exactement le contraire d'un de ces érudits amateurs ou de ces mystificateurs sans vergogne qui prétendent faire accroire au bon public innocent les paradoxes les plus saugrenus. Zacharias, comme le dit la revue *Angelicum* (1960, fasc. 3-4) n'était autre que le Père Théry o.p., mort en 1959. Il était surtout connu comme l'initiateur, avec Étienne Gilson, des *Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age.* Sa thèse, du reste, au moins en certaines conclusions, n'était pas totalement inconnue des esprits avertis ; ce qui est vraiment nouveau, c'est la manière de l'établir, la méthode de critique interne mise en œuvre d'un bout à l'autre. En tout cas, le Père de Ménasce, o.p., professeur à l'Université de Fribourg, écrivait en 1945 sans aucune hésitation : « L'Islam à n'en pas douter est à ranger parmi les hérésies : la Révélation biblique, pour être mal connue n'y est pas ignorée, elle y est formellement rejetée quant aux vérités essentielles : l'Incarnation et la Trinité... Je crois qu'il est impossible de vivre en contact prolongé avec l'Islam sans ressentir *l'exclusion* qu'il inflige au christianisme authentique, et cela d'autant plus vivement qu'il fait une place plus importante à la personne de Jésus prophète et saint. Que l'Islam se soit chargé de toute sorte d'éléments adventices... qu'il se soit enrichi d'une *mystique* qui, pour s'appuyer sur le Coran, se *nourrit cependant de fait à des sources plus pures,* rien de cela n'empêche qu'il assure son unité *en faisant bloc* contre la Révélation biblique... » ([^6])
Autant il est normal et juste d'admirer les grands spirituels du monde musulman, autant il serait déplacé de tenir leur expérience comme procédant en droite ligne de la doctrine du Coran, à la manière dont l'expérience des mystiques chrétiens procède directement de l'Évangile.
Le Coran n'est pas apparenté à la Révélation chrétienne de l'Incarnation rédemptrice par le Fils de Dieu né de Marie, il s'y oppose formellement. Et pour trouver par exemple, comme l'ont prétendu certains islamisants chrétiens, des points de rapprochement entre les sourates coraniques relatives à Marie et la doctrine de l'Église, il faut plus que de la bonne volonté, il faut ne pas lire ce qui est écrit. On trouve le texte des sourates en question dans *Vrai Mohammed et faux Coran,* pp. 194 et sq. Elles tiennent en ce résumé significatif : « Marie, vierge, fille d'Imrane, sœur de Moïse et d'Aaron, mère de Jésus, simple prophète... La Marie du Coran n'est pas dans la ligne du texte évangélique ; elle n'est pas un acheminement vers Marie co-rédemptrice du genre humain, Mère d'un Dieu, deuxième Personne de la Très Sainte Trinité. C'en est une contrefaçon voulue, un *détournement volontaire.* De la Marie des Évangiles il ne reste plus dans les *Actes de l'Islam* que le nom de la virginité » (pp. 192-193).
47:53
Jamais dans la démonstration de sa thèse sur l'Islam entreprise juive, Hanna Zakarias ne se présente comme infaillible. Du reste, ceux qui ont eu le bonheur de le connaître et de le fréquenter savent que rien n'était plus étranger à sa personne que les attitudes pontifiantes. Il ne demande qu'à être mesuré de la mesure dont il a mesuré le vrai Mohammed et le faux Coran. En exergue de chacun de ses tomes il reproduit le texte de Fabre d'Olivet : « S'agit-il de mon style, je l'abandonne. Veut-on s'attaquer à ma personne ? Ma conscience est mon refuge. Est-il question du fond de cet ouvrage ? Qu'on entre en lice : mais qu'on prenne garde aux raisons qu'on y apportera. » Jusqu'ici, contre le fond de la thèse, aucune raison démonstrative. Pour les détails on peut quelquefois chicaner. Hanna Zakarias était tout à fait conscient de ne pas avoir fignolé les détails. « Je trace les grandes avenues, dit-il ; mais il reste encore pas mal de travail pour les cantonniers. » Encore faudrait-il que les cantonniers ne déclarent pas que l'avenue est une impasse sous prétexte que le goudronnage n'est pas achevé. Car la grande ressource, du moins jusqu'ici, des contradicteurs d'Hanna Zakarias est de laisser croire que ses conclusions surprenantes : l'Islam dépourvu d'originalité, entreprise juive antichrétienne, se fondent en tout et pour tout sur l'interprétation contestable de quelques versets plus ou moins énigmatiques qu'il aurait arbitrairement isolés. Il n'en est rien. Lisez plutôt, la plume en main et le Coran sous vos yeux, les deux tomes de *Moïse et Mohammed* et vous pourrez vérifier si Hanna Zakarias a édifié sa thèse sur le sable mouvant de quelques versets obscurs abusivement détachés.
Si je n'ai pas trouvé jusqu'ici de critique qui s'attaquerait par le fond à la thèse d'Hanna Zakarias, j'ai entendu par contre des reproches, apitoyés ou indignés, sur le ton et le style de ses travaux. Manifestement on veut détourner le public d'aller y voir de près « parce que cet auteur manque de charité ». « Comment, mon Père, me disait une excellente personne, vous admettez que l'on parle de l'Islam sur ce ton. Vous admettez le recours à l'ironie lorsqu'il s'agit d'une religion pratiquée par une aussi large partie de l'humanité ! » J'admets que l'ironie aussi bien que la colère peut être une expression de la charité ; pas nécessairement, bien sûr, et pas toujours ; mais dans certains cas et avec certaines dispositions du cœur. S'il y a l'ironie de la méchanceté, il y a également l'ironie du zèle et de la compassion ([^7]). S'il y a l'ironie de Voltaire, il y a également l'ironie des prophètes. Et je sais bien que Hanna Zakarias n'est pas un prophète et qu'il est infiniment éloigné de jouer au prophète.
48:53
Mais je sais également que le ton de Hanna Zakarias n'est jamais méchant, jamais insidieux. S'il est parfois ironique c'est qu'il ne trouve pas de meilleur moyen de dégonfler le mythe meurtrier d'un Coran intouchable parce qu'il serait révélé, ou du moins parce qu'il témoignerait d'une mystique puissamment originale. Si les chrétiens font la petite bouche devant toute forme d'ironie, toute forme de colère, alors *il* n'y a plus moyen de s'entendre entre chrétiens. Si le contraire de la charité ce n'est pas la haine mais la colère, si le contraire de la bonté ce n'est pas la méchanceté mais l'assurance ou la vivacité du ton, alors la question est entendue ; le chapitre vingt-troisième de saint Matthieu et maints passages des Épîtres ne doivent plus être proposés à la lecture et à la méditation des fidèles ; des centaines de versets du Nouveau Testament doivent être grattés comme trop directs et vraiment désobligeants, trop réalistes ou trop grossiers. Moi je veux bien. Je constate seulement qu'à ce jeu effarouché d'une charité prétendue, la douceur et la miséricorde évangélique vont se diluer dans une débonnaireté déliquescente, dans un accommodement bénisseur, incapable d'élever la voix devant le crime et l'imposture. Être charitable ce serait être gélatineux, cartilagineux, invertébré en présence des adversaires de l'Évangile et de l'Église, en présence du moins d'une certaine catégorie d'adversaires. Il est des chrétiens pour qui le grand péché, le péché irrémissible, consiste à élever la voix, du moins à élever la voix en présence d'une certaine catégorie d'erreurs.
En vérité le lecteur pieux de l'Évangile ne peut ignorer que le zèle dévorant pour le salut des âmes doit parfois manier le fouet et lancer l'invective. Et dans toute l'œuvre d'Hanna Zakarias c'est le désir apostolique d'arracher 400 millions d'êtres humains à l'emprise abrutissante de l'Islam arabe qui est inscrite en filigrane ([^8]). Ce n'est pas à dire que Hanna Zakarias brandisse le fouet tout au long de son œuvre.
49:53
Mais de temps à autre il le fait claquer. Selon le témoignage de l'un de ses meilleurs disciples s'il a porté de grands coups contre les pontifes des « sciences coraniques », c'est précisément pour les détrôner, pour abattre des idoles, pour débarrasser de tout complexe à leur égard les étudiants qui voudraient aborder librement ces études et pour exprimer une bonne fois, publiquement, ce que chacun pensait tout bas. Lui seul était en situation de le faire, et il a bien calculé son coup ; il fallait déblayer le terrain et tracer de grandes avenues ; il n'a pas eu d'autre ambition. »
\*\*\*
Hanna Zakarias avait beaucoup trop le sens du surnaturel et le souci du salut des âmes pour ne pas désirer ardemment la conversion du monde islamique. Mais justement parce qu'il désirait cette conversion il n'admettait pas que l'on prenne ces moyens impraticables qui, au lieu de la conversion, préparent la confusion.
Mais laissons parler Hanna Zakarias lui-même. Mieux certes que nous ne saurions le faire il défendra son étude monumentale, les idées et la manière, le ton et le contenu : « J'ai usé de l'ironie, non point de l'injure, sachant que l'ironie plus que l'injure a souvent valeur de piqûre mortelle. Mais, réfléchissez un peu : pourquoi m'enlever le droit de revenir sur certains points de polémique, puisque jamais personne n'a élucidé ces points ? Est-ce vrai, oui ou non, que le paradis des musulmanisés mecquois est peuplé de houris très alléchantes et de petits éphèbes provocants ? Si c'est vrai, pourquoi le cacher ? et pourquoi voulez-vous faire l'exégèse du Coran, en passant ces textes sous silence ? Est-ce vrai que Marie, Mère de Jésus, est présentée à plusieurs reprises comme Marie, sœur de Moïse et d'Aaron ? Je sais bien que pareils versets sont très ennuyeux pour maintenir l'inspiration divine du Coran. Allah qui paraît si fort en sciences bibliques et talmudiques aurait bien dû savoir que Marie, Mère de Jésus, n'est pas identique à Marie, sœur de Moïse. Mais si Allah s'est trompé -- ce qui peut arriver à de très honnêtes gens -- est-ce une raison pour le cacher aux lecteurs du Coran ? Vous me dites qu'il vaut mieux passer tout cela sous silence, parce que, « ce sont des choses qui *mettent en boule nos amis* ». Attention. Je n'attaque point vos amis, Je traite simplement d'une question de doctrine et non point de personne. Ces hommes peuvent être vos amis et rien n'empêche cependant de trouver que leur religion n'est qu'un plagiat, et leur histoire religieuse un ramassis de sottises. A vous de les éclairer à fond. Mais attention encore : est-ce faire preuve d'amitié que de passer un gant de toilette sur le bout du nez d'un homme crasseux, en lui faisant croire qu'après cette petite opération il peut se présenter dans un salon, et affronter une société qui s'y trouve en habit de cérémonie ! croyez-moi, les demi-mesures, les atermoiements ne sont pas fils de vérité et de charité. » (L'Islam et la critique historique, la fin du mythe musulman, p. 41.)
50:53
Le désir évangélique du salut et de la conversion des frères humains qui ne partagent pas notre foi dans le Christ rédempteur implique deux attitudes complémentaires, l'une aussi nécessaire que l'autre : charité à l'égard des personnes, lucidité, absence d'illusion à l'égard des doctrines. Or le Coran, c'est-à-dire le livre et la doctrine soi-disant inspirée dont se réclament les musulmans est d'après Hanna Zakarias une invention Juive ([^9]). Une des premières conditions pour que les musulmans reçoivent la foi c'est qu'ils n'aient plus d'illusion sur l'origine et la nature de ce qu'ils considèrent comme le livre par excellence. L'œuvre d'Hanna Zakarias leur permet et nous permet d'aller y voir de près sans nous en laisser imposer par les conformismes et les tabous. C'est une œuvre libératrice.
Fr. R.-Th. CALMEL, o. p.
==============
### Pour le 70^e^ anniversaire de « Rerum Novarum » : annonce d'une Encyclique sociale de synthèse
Le 29 décembre dernier, répondant en français aux vœux du corps diplomatique, le Saint Père annonçait ([^10]) :
« Nous nous proposons de célébrer le 70^e^ anniversaire d'un évènement qui fut historiquement d'une grande portée : la publication par le Pape Léon XIII, en 1891, de l'Encyclique *Rerum novarum* sur la condition des ouvriers :
51:53
document jugé si important par nos prédécesseurs immédiats Pie XI et Pie XII, qu'ils voulurent en célébrer respectivement les 40^e^ et 50^e^ anniversaires, le premier en 1931 par l'Encyclique *Quadragesimo anno,* le second par un Radiomessage adressé au monde entier en la fête de la Pentecôte de l'année 1941.
« Nous sommes heureux que les représentants si distingués de tant de nations soient informés les premiers de nos intentions à cet égard. Nous promulguerons donc, pour célébrer dignement la grande Encyclique du Pape Léon XIII, un document qui confirmera, par l'adjonction de Notre voix à celle de Nos grands Prédécesseurs, les sollicitudes constantes de l'Église, *tournées maintenant non plus seulement vers tel ou tel point de l'ordre social à établir, mais vers tout son ensemble, comme paraît l'exiger le temps dans lequel nous vivons.* »
Deux mois plus tard, le 29 février, recevant un pèlerinage de travailleurs, Jean XXIII a déclaré ([^11]) :
« Cette année tombe le 70^e^ anniversaire de l'Encyclique *Rerum novarum,* l'Encyclique de Léon XIII qui a donné une si grande lumière d'enseignement et d'orientation à la sociologie catholique. Nous prendrons soin, Nous l'avons déjà annoncé, de commémorer l'événement par une nouvelle page de ce grand livre de la sociologie chrétienne. »
\*\*\*
C'est donc un très grand événement qui est annoncé. Non seulement une nouvelle Encyclique sociale venant s'ajouter à toutes celles auxquelles Léon XIII a ouvert la voie, mais encore une Encyclique de synthèse.
Dans l'attente de cet événement, il sera utile de relire l'Encyclique *Rerum novarum* et d'en méditer les maximes cardinales ; notamment celle-ci, fondement de ce que le Pape ne craint pas d'appeler SOCIOLOGIE CHRÉTIENNE et SOCIOLOGIE CATHOLIQUE :
« Puisque la religion seule est capable de détruire le mal dans sa racine, que tous se rappellent que la première condition à réaliser, c'est la restauration des mœurs chrétiennes, sans lesquelles même les moyens suggérés par la prudence humaine comme les plus efficaces seront peu aptes à produire de salutaires résultats. » (§ 45)
\*\*\*
On connaît la calomnie lancée par les communistes contre l'Encyclique *Rerum novarum* ([^12]) :
52:53
« Le paternalisme foncier de cette Encyclique est si discrédité de nos jours que les syndicats chrétiens de la C.F.T.C. eux-mêmes ont supprimé toute référence à cette « doctrine sociale » de l'Église dans leurs statuts. »
Face à cette accusation, il n'est pas sûr que les catholiques aient toujours montré la fierté chrétienne que l'on eût attendue. Il leur est même arrivé de croire parfois eux aussi que l'Encyclique *Rerum novarum* et la « doctrine sociale de l'Église » étaient un « paternalisme discrédité ».
En l'année du 70^e^ anniversaire, c'est le Souverain Pontife lui-même qui va répondre. Et non pas sur « tel ou tel point de l'ordre social » mais sur « tout son ensemble ».
J. M.
==============
### Paroles et lettres de sainte Jeanne d'Arc
*Paroles et lettres de Jeanne la Pucelle,* par le P. Doncœur ([^13]) ; rien ne remplace cette lecture ; elle met en contact direct, autant qu'il est possible, avec l'âme de sainte Jeanne. Je ne connais rien d'équivalent ; pas même les études d'Olivier Leroy ([^14]) ni de Régine Pernoud ([^15]) « Une sainte de peu ou de nul exercice » disait Péguy. Et c'est vrai. Jamais on n'a l'impression de quelqu'un qui cherche à pratiquer la vertu ; qui calcule et qui fait de l'exercice. Elle va tout droit. Ses voix *lui ont appris à se gouverner* et elle les écoute toujours.
C'est également une sainte du temporel et qui joue le jeu du temporel. Péguy a bien expliqué cela dans son *Laudet.* Il faut relire ces textes où il s'indigne de la malhonnêteté de ceux qui, ayant à combattre, voudraient gagner la victoire par la seule prière ([^16]). Ses voix ont commandé à Jeanne « de mener le fait de guerre » ; elle le mènera donc avec un réalisme total.
Cependant, quoi que Péguy ait pu m'enseigner sur Jeanne (et c'est immense), il y a plus dans cette sainte que Péguy ne peut nous en apprendre, et bien sûr que je ne saurais en dire moi-même.
\*\*\*
53:53
Son sens de la pureté est merveilleusement droit et fier. Elle parle sans le moindre détour et avec une assurance parfaite de sa virginité de corps et d'âme. Elle reste inébranlable sur la question des vêtements. Dès la première apparition des *Voix,* elle a voué sa virginité *tant comme il plaira à Dieu,* c'est-à-dire pour le bon plaisir de Dieu sans restriction -- et non pas jusqu'au mariage si Dieu veut : la collation des textes interdit cette interprétation ([^17]).
Sa religion, au sens de révérence à Dieu et reconnaissance de son domaine, a quelque chose de bouleversant et d'extrêmement gentil. Voyez plutôt comme elle vous décrit ses *Voix *; voyez son attitude d'humilité et de respect quand elles viennent la visiter ; voyez comme elle répète sans cesse : *je m'en attends de tout à Notre-Seigneur.*
Elle est admirablement féminine. Quand elle parle de ses anneaux, de sa lettre à ses parents pour leur demander pardon, de l'affection que lui portent les petites gens, de sa prière pour la résurrection du nouveau-né, quand elle prend soin des prisonniers, quand elle écrit à ses bons et loyaux amis de Reims ou d'ailleurs on est vraiment saisi : il y a là des paroles et des attitudes que seulement une femme peut trouver.
Les auteurs spirituels parlent de la désoccupation de soi. Pour sainte Jeanne il est évident qu'elle ne sait pas ce que c'est que l'occupation de soi : elle éclate de rire lorsque les commères lui font toucher des médailles ; elle sait fort bien que Dieu la garde de toute vaine gloire lorsque les Orléanais l'acclament et lui font fête ; elle est incapable d'aucun ressentiment à l'égard des juges qui l'ont enfermée en prison, -- les fers aux pieds et gardée par des brutes -- ou lorsqu'ils la torturent indéfiniment avec leurs interrogatoires perfides.
Avec cela pratique, avisée, d'une finesse charmante. Elle explique comment elle mettait une croix au bas de ses lettres pour signifier de faire le contraire de ce qu'elle écrivait ; elle savait fort bien que ses lettres pouvaient tomber aux mains de l'ennemi. Dans plusieurs circonstances elle est prête à rendre des prisonniers mais non sans contrepartie. Elle passe une nuit toute éveillée, et dans la chambre même de Catherine de la Rochelle, pour avoir le cœur net des prétendues visites angéliques de cette demi-folle. Elle sait fort bien, écoutant la lecture d'une ancienne lettre, s'il y a des interpolations ou pas.
Lors des interrogations qui porteront principalement sur *les Voix,* l'habit d'homme, la soumission à l'Église, sa ligne de défense est d'une rectitude parfaite. Les juges en seront pour leurs frais.
54:53
Il fallait un degré de lâcheté peu commun devant les Anglais, ou une dose prodigieuse de mauvaise foi, pour ne pas comprendre que Dieu même parlait par la bouche de la Pucelle.
\*\*\*
Comme jamais encore, je comprends à lire ces textes que Notre-Seigneur est roi des patries de la terre et qu'il ne se désintéresse pas du temporel. Que voyons-nous en effet : une sainte des plus saintes que Dieu ait jamais suscitées ; des révélations et des inspirations devenues tellement habituelles qu'elles règlent et ordonnent toute la vie de cette sainte. Et pourquoi le Seigneur a-t-il suscité cette sainte, pourquoi n'a-t-il cessé de la conduire par ce moyen miraculeux ? Pour une chose tout à fait temporelle et sur laquelle sainte Jeanne s'explique avec toute la clarté désirable : pour que la France reste aux Français ; pour que le roi reçoive le sacre et gouverne pour le service de Dieu ; pour que vienne une juste paix. Telle est la fin pour laquelle le Seigneur a suscité Jeanne d'Arc, telles sont les circonstances dans lesquelles il en a fait une sainte extraordinaire. On ne peut approcher sans une immense émotion d'un tel exemplaire de sainteté. Il est donc vrai que nos royaumes terrestres, et nos justices temporelles, et le fait par exemple que la France revienne aux Français, importent tellement à Jésus-Christ.
Et comment ces hommes à qui le temporel est confié, ces rois, ces ministres, ces juges peuvent-ils être indifférents à Jésus-Christ et cyniques, et gouverner à coup de mensonge ? Quel outrage au Christ-Roi.
Il n'est pas question d'identifier l'Église et la France, c'est sûr. Et la Pucelle les distingue toujours. Mais il est question que le royaume de France soit digne de l'Église et c'est en ce sens que la Pucelle parle du *saint royaume de France.*
\*\*\*
*Et sui eam non receperunt.* Le roi Charles nous fait horreur. Les prêtres du procès nous font horreur. Mais comment ne pas garder une immense confiance au roi Jésus quand on voit quelle sainte prodigieuse il a fait au milieu de cet enfer de lâcheté et de trahison ?
Son amour de la paix est d'une honnêteté admirable. Elle ne fait la guerre que contrainte et forcée. Elle accomplit *le fait de guerre* mieux que nul homme d'armes ou capitaine, mais elle n'a rien, absolument rien de belliqueux. Lisez plutôt ses sommations si sensées, si humaines, pour obtenir les redditions sans faire couler le sang. Voyez comment elle s'oppose aux poursuites qui feraient encore des morts, du moment que la victoire est obtenue :
55:53
Car ce grand général qui gagna vingt batailles
Comme on gagne le ciel, et ce chef triomphant,
Sous le casque battu, sous la cotte de mailles
Ne fut jamais qu'une humble et courageuse enfant.
... perdue en deux amours
L'amour de son pays parmi l'amour de Dieu ([^18]).
On connaît la canonisation de Péguy :
La plus appareillée aux dons du Saint-Esprit
La plus appareillée au livre de l'Apôtre
La plus appareillée au cœur de Jésus-Christ.
Appareillée au cœur même de Jésus parce qu'elle aussi fut envoyée en mission ; elle aussi fut trahie et vendue ; elle aussi fut jugée par une fausse église ; elle aussi connut la déréliction de Gethsémani, pardonna à ses bourreaux, expira dans les tourments et prophétisa la victoire. Ses dernières paroles furent paroles d'amour ; son cœur demeura intact parmi les flammes. Jeanne la Pucelle priez pour nous, priez pour la France et pour le règne de Jésus-Christ sur les royaumes de ce monde.
Fr. R.-Th. CALMEL, o. p.
==============
### Le passage de la non-résistance à la collaboration
En trois articles de *La Croix* (14, 15 et 16 mars 1961), M. François Bernard a fait l'historique des principales mesures par lesquelles la technique de l'esclavage s'est abattue, comme un couvercle de plomb, sur l'Église catholique de Hongrie. Une très solide et très ample documentation vient établir tout le contraire de ce qui était énoncé dans le reportage optimiste rapporté de Hongrie par M. Georges Montaron, directeur de *Témoignage chrétien,* et publié dans son journal le 7 octobre 1960.
1. -- Les Évêques hongrois sont « dépossédés de la direction de leurs diocèses » ; seuls Mgr Groesz et Mgr Hamvas « ne sont pas totalement entravés » ([^19]).
56:53
2. -- L'État communiste « *s'arroge le droit de procéder lui-même aux nominations ecclésiastiques pour les postes vacants depuis soixante jours* (*dans le cas où la nomination dépend de l'Évêque*) *ou depuis quatre-vingt-dix jours* (*dans le cas où c'est Rome qui doit nommer*) ».
Disposition d'autant plus tyrannique que c'est l'État communiste lui-même qui décide si un poste ecclésiastique est déclaré « vacant » :
« Un poste est considéré comme vacant dès lors que l'État a décidé de destituer son titulaire ; et un poste vacant n'est considéré comme occupé que lorsque l'État a accepté la nomination. »
3. -- Notamment par ces moyens, l'État communiste contrôle tous les séminaires hongrois, et il y impose des « cours de marxisme ». Aucun séminariste ne peut être ordonné prêtre sans l'autorisation de l'État. Quand des conflits sont survenus à ce sujet entre un Évêque et l'État, les collabos catholiques, et les journaux catholiques de la collaboration (ceux qui déclarent « s'inspirer des travaux de *Témoignage chrétien* ») ont soutenu l'État contre l'Église.
4. -- Il y a, précise M. François Bernard, un « problème des déclarations épiscopales » car « les Évêques hongrois ne disposant d'aucun bulletin officiel, leur authenticité est difficile à établir ». En janvier et en avril 1960, d' « étranges lettres pastorales » ont été « publiées au nom des Évêques ». Il s'agit visiblement de documents qui ont été falsifiés (ou même fabriqués de toutes pièces).
5. -- Toutes les mesures législatives, administratives et policières, violentes ou sournoises, convergent vers un but unique : la mise en place dans l'Église de ce que nous avons appelé (conformément à la terminologie soviétique) un *noyau dirigeant communiste.* On écarte, brutalement ou hypocritement, les ecclésiastiques qui résistent à la mise en place du noyau dirigeant, qui entravent son fonctionnement ou qui sont indociles à ses consignes. Le test de la collaboration -- de la collaboration à la soi-disant « édification du socialisme » -- est le concours effectivement apporté à l'omnipotence du noyau dirigeant ([^20]).
57:53
Les éléments du noyau dirigeant communiste sont recrutés parmi les prêtres collabos, leurs chefs de file sont au demeurant excommuniés par le Saint-Siège. Ces éléments collabos ont déclaré au directeur de *Témoignage chrétien* (ainsi qu'il est rapporté dans *Témoignage chrétien* du 7 octobre 1960) :
« Nous ressemblons beaucoup à *Témoignage chrétien.* Nous lisons d'ailleurs régulièrement *Témoignage chrétien* et nous nous inspirons du travail que vous réalisez. »
\*\*\*
Ayant enquêté (ou cru enquêter) sur place, le directeur de *Témoignage chrétien* en concluait :
« Les chrétiens apportent leurs pierres, leur dynamisme à la construction d'une cité qui se situe aux antipodes du système capitaliste. Quels affrontements ! Quelles sources de problèmes ! Mais aussi quels enrichissements et, pour nous, quelles leçons !
L'Église catholique des pays socialistes aura demain beaucoup à nous apprendre. »
Les prêtres collabos qui, en Hongrie, constituent le noyau dirigeant introduit par les communistes dans l'Église, disent au directeur de *Témoignage chrétien :* « Nous nous inspirons du travail que vous réalisez ». Inversement, le directeur de *Témoignage chrétien,* contemplant avec admiration les collabos, s'écrie : « Quels enrichissements ! Quelles leçons ! Ils ont beaucoup à nous apprendre ! ». Ces congratulations réciproques seraient du plus parfait comique si elles ne s'inscrivaient sur une infernale tragédie.
58:53
Et l'on comprend le cri déchirant lancé par M. Georges Hourdin, demandant si les catholiques sont condamnés à être toujours « *bernés par les communistes* » ([^21]).
Les faux témoignages.
Les journalistes français qui, à l'automne 1960, étaient invités par les autorités communistes à visiter la Hongrie martyre du gauleiter Kadar ont -- une fois de plus -- vu ce qu'on leur a montré et rencontré des interlocuteurs préfabriqués, les monstrueux robots télécommandés de la collaboration catholique. Des robots télécommandés qui ont dit à M. Georges Montaron : « LES RAPPORTS ENTRE L'ÉGLISE ET L'ÉTAT SONT BONS ». Des robots monstrueux tels que Mgr Varkonyi, « directeur général de l'Action catholique et homologue hongrois de Mgr Ménager », qui déclarait à M. Gilbert Mathieu, envoyé du *Monde :* « L'ÉTAT NE NOUS A POSÉ AUCUNE CONDITION D'ORDRE POLITIQUE, ET NOUS NOUS ESTIMONS ENTIÈREMENT LIBRES ». Le témoignage de M. Gilbert Mathieu et celui de M. Georges Montaron sont certainement véridiques. Mais leurs interlocuteurs, mannequins de la collaboration aux ordres du régime, étaient de faux témoins. Leurs déclarations, écrivait l'*Osservatore romano* ([^22]), sont « *le faux témoignage d'hommes bien conscients de la réalité, mais contraints -- par des arguments et pressions de tous genres -- à la cacher, à la dénaturer selon la volonté du régime...* » ([^23]).
Manœuvre\
en direction du Concile.
Mais, ayant discerné en quoi consiste le mensonge, il importe en outre d'apercevoir *quels buts* poursuivent ces faux témoignages.
Le premier but est une manœuvre en direction du Concile. Relisons en effet, relisons avec la plus grande attention ce qu'écrivait à ce propos M. Georges Montaron :
« Par ailleurs, me disent mes interlocuteurs, nos Évêques participeront au Concile. Il faut que non seulement la voix de 50 millions de catholiques américains soit entendue à Rome, mais encore que *s'expriment les* 60 *millions de catholiques qui participent à l'édification de cités socialistes...* »
59:53
Et plus loin, parmi ses conclusions personnelles, M. Georges Montaron formulait celle-ci :
« Le Concile, qui doit permettre des débats fructueux entre les Évêques engagés dans les trois grands secteurs mondiaux : pays occidentaux, pays socialistes, pays sous-développés, sera d'une rare importance si tous peuvent y participer et que le programme organise de larges débats. »
Nous avons suffisamment indiqué le contenu communiste de cette manœuvre (*La technique de l'esclavage,* page 62, note 22). Il n'y a aucune chance que puisse être surprise l'Église elle-même. Mais, une fois de plus, c'est l'opinion publique qui est sollicitée, manœuvrée, trompée, et de nombreux catholiques risquent là encore, comme dit M. Georges Hourdin, d'être « *bernés par les communistes* ».
Organiser par persuasion\
une capitulation générale.
Le second but des faux témoignages est de détourner les catholiques occidentaux de toute résistance au communisme, en leur représentant que ce n'est vraiment pas la peine de se donner tant de mal, alors que tout sera si facile et si agréable dans la collaboration.
Le lecteur de *Témoignage chrétien,* en effet, aura « appris » sur la Hongrie de Kadar :
1. -- Que les rapports sont bons entre l'Église et l'État.
2. -- Qu'un journal tel que *Témoignage chrétien* peut tranquillement paraître sous le régime du gauleiter Kadar.
3. -- Qu'il existe une « action catholique vivante, courageuse, audacieuse » -- bien entendu animée par des catholiques de la « tendance » *Témoignage chrétien.*
4. -- Que l'enseignement religieux a plus de facilités en Hongrie qu'en France ; que la pratique religieuse est plus élevée en Hongrie qu'en France ([^24]) ; etc.
On peut donc s'accommoder du communisme ? On peut donc vivre sans trop de mal, et même prospérer, sous sa domination ? Mais oui. Le directeur de *Témoignage chrétien* est allé sur place, il l'a constaté, il l'a exposé, et surtout, même avec plusieurs mois de recul, et éventuellement de documentation, de réflexion, d'examen de conscience, il ne s'en est aucunement dédit.
60:53
Qu'un régime analogue s'installe en France, qu'y risquerait-on ? *Esprit* et *Témoignage chrétien* continueraient de paraître comme devant, et de publier en somme les mêmes articles. Un gauleiter soviétique à Paris, un quelconque Waldeck Rochet (assisté d'un quelconque Jacques Madaule comme ministre d'État sans portefeuille), interdirait seulement des publications comme la *France catholique,* comme *L'Homme nouveau,* comme *Verbe,* comme *La Nation française* et comme *Itinéraires* : mais après tout on a déjà connu en France le régime des interdictions arbitraires et des autorisations préalables, le régime de la discrimination entre le *Figaro* (blanchi, pourquoi ?) et *Le Temps* (supprimé, pourquoi ? pourquoi l'un et point l'autre ?), régime largement dominé en fait par les communistes, en 1945, et *Témoignage chrétien* ni *Esprit* ne s'en portaient plus mal, au contraire : ce fut leur âge d'or ([^25]). On ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs. Des Cardinaux, sans doute, seraient emprisonnés et torturés : le Cardinal Gerlier, certainement, puisque les Soviets le prennent si violemment à partie, et que la *Komsomolskaia Pravda* du 26 janvier 1961 écrit qu'autour de lui « sont groupées les forces les plus obscures et les plus acharnées qui soutiennent l'impérialisme et le colonialisme, qui jettent l'huile sur le feu de la guerre froide ». Mais enfin, si le Cardinal Gerlier connaissait alors le sort actuel du Cardinal Mindszenty, pourquoi *Témoignage chrétien* ne reprendrait-il pas les termes qu'il emploie pour le Cardinal Mindszenty afin de les appliquer au Cardinal Gerlier ? Les gens qui en Hongrie « s'inspirent » de *Témoignage chrétien* disent aujourd'hui du Cardinal Mindszenty, comme on peut le lire dans *Témoignage chrétien :* « C'est un drame réglé pour nous. C'est un problème qui n'existe que pour les Occidentaux. » Dans le Paris soumis à un Kadar français, le directeur de *Témoignage chrétien* pourrait à son tour recevoir des journalistes américains et leur dire, parlant du Cardinal Gerlier : « C'est un drame réglé pour nous. C'est un problème qui n'existe que pour les Américains. » Quant aux autres Évêques français emprisonnés, ou employés à la réfection des routes, il n'en serait même pas question, les journalistes américains ne connaîtraient pas plus leur existence que les journalistes français invités dans la Hongrie de Kadar ne paraissaient connaître le sort exact des Évêques hongrois...
Nous ne disons pas que ces pensées soient celles de M. Montaron. Nous lui faisons même l'honneur de croire qu'il n'accepterait pas de rester à la direction de *Témoignage chrétien* dans de telles conditions, à partir du moment où il en aurait une expérience directe et personnelle.
61:53
Mais nous disons que ces pensées, ou ces arrière-pensées, sont suggérées par la propagande communiste et mises en scène par les faux témoignages que M. Montaron a innocemment rapportés (et a omis depuis lors de remettre en question).
Et nous disons que la circulation effective, dans certains milieux, de ces pensées ou arrière-pensées, peut être discernée à l'œil nu.
La collaboration.
Il faut tout de même apercevoir où l'on en est, et ce qui se dit, ce qui se pense, ce que l'on insinue, quels desseins prennent corps, quelle action psychologique s'exerce, quelle mise en condition s'opère. Depuis un an ou deux, toute une frange catholique, qui est d'ailleurs beaucoup plus qu'une frange, est en train de passer manifestement de la NON-RÉSISTANCE DE FAIT en face du communisme, à autre chose : au DÉSIR D'UNE COLLABORATION.
Sur le plan des « principes », on a trouvé le moyen de nous enseigner maintenant, comme une vérité dogmatique et un axiome universel, *qu'en raison des objectifs légitimes du communisme, l'Église autorise une collaboration politique limitée avec le Parti communiste.*
Sur le plan des faits, le « reportage » effectué en Hongrie, -- c'est-à-dire DANS LE CAS LE PLUS DÉFAVORABLE, celui du régime de Kadar mondialement honni, celui des massacres de Budapest, -- ce fameux reportage posé comme un important jalon, point retiré, aura « appris » aux lecteurs de *Témoignage chrétien,* concernant les possibilités de collaboration :
1. -- Que les catholiques hongrois soutiennent tout ce qui est conforme à la doctrine de l'Église dans le programme du gouvernement (du gauleiter Kadar).
2. -- Que la tendance catholique hongroise qui « s'inspire » de *Témoignage chrétien* apporte joyeusement son dynamisme à la construction de la cité socialiste (du gauleiter Kadar).
3. -- Que les catholiques qui refusent de devenir des collabos sont seulement des attardés, nostalgiques d'un « régime féodal et aristocratique ».
C'est donc possible. C'est donc facile. Vous voyez bien. Et si vous conserviez néanmoins quelque peur maladive ou irraisonnée en face du communisme, quelque « complexe obsidional » comme disait notre ami le P. Latour-Maubourg, vous n'auriez qu'à prendre vos précautions en temps utile, vous placer dès maintenant du bon côté, rejoindre la « tendance » assurée de survivre, de prospérer, de collaborer fructueusement.
62:53
Et surtout, d'ici-là, bien veiller à ne rien dire qui puisse être taxé d' « anti-communisme » c'est le péché sans rémission, ce serait définitivement se faire mal voir, se discréditer d'avance, se désigner soi-même comme irrécupérable pour la collaboration.
Tout un programme...
Le fond du problème.
Ceux qui croient que le communisme est dans le sens de l'histoire (imparfait sans doute, éventuellement criminel, mais bien dans le sens tout de même), sont radicalement condamnés à une vaine angoisse et une définitive inefficacité. On ne peut rester insensible à l'angoisse torturée qu'exprime M. Georges Hourdin, et en même temps on est infiniment désolé de constater que c'est une angoisse sans fond et sans issue :
« Le monde entier passera-t-il ainsi, peu à peu, sous la domination communiste ? Nous ne pouvons accepter, sans révolte, cette perspective. Y a-t-il donc une fatalité dans ce XX^e^ siècle finissant, où un certain nombre de transformations sociales et politiques sont inévitables, qui fasse que les communistes sont toujours gagnants, une certaine forme de liberté toujours perdante ? Les chrétiens, les laïcs, ceux qui vivent dans la Cité, sont-ils inaptes à l'action, ou tellement conformistes qu'ils ne puissent faire le travail eux-mêmes ? Ils sont, en général, d'honnêtes professionnels, des époux fidèles et de bons pères de famille. Ils s'y efforcent tout au moins. Ils ne peuvent borner là leur ambition. Devant les injustices qui ravagent le monde capitaliste, devant le souffle d'indépendance qui soulève les pays sous-développés en Asie, en Afrique et en Amérique latine, laisseront-ils aux autres le soin de créer les institutions adaptées aux temps nouveaux ? Ne s'engageront-ils pas dans une action politique qui soit révolutionnaire, si par cette hypothèse on entend un nouveau départ, un départ à zéro dans des conditions meilleures, pour une nouvelle période des temps historiques ? Les laïcs chrétiens laisseront-ils le monde nouveau, non seulement se faire sans eux -- ce qui serait la continuation d'une assez vieille tradition dans l'histoire contemporaine -- mais encore se faire contre la foi qu'ils professent ? ...Le monde change sur toute la surface de la terre. Si nous voulons que la civilisation nouvelle qui s'élabore sous nos yeux ne soit pas uniquement matérialiste ou athée, si nous voulons que les structures de l'Église y gardent leur place, si nous voulons que les valeurs de la foi y soient incarnées, nous devons envisager de mener et de soutenir une action révolutionnaire qui ait pour but la mise en place de nouvelles institutions ([^26]). »
63:53
Tout est dit dans ce texte admirable de densité. Les transformations politiques et sociales sont inévitables, mais à sens unique, dans le sens ou les communistes *font le travail.* Une *civilisation nouvelle* s'élabore, qui est *uniquement matérialiste et athée.* Les communistes sont toujours gagnants, parce que les chrétiens leur laissent *faire le travail.* L'issue est que les chrétiens *fassent le travail eux-mêmes.* Oui, tout est dit.
\*\*\*
L'Église, par la voix de Pie XII, a lancé l'appel solennel qui domine le milieu du XX^e^ siècle et qui, pour l'histoire, dominera le XX^e^ siècle tout entier : C'EST TOUT UN MONDE QU'IL FAUT REFAIRE DEPUIS SES FONDATIONS ; DE SAUVAGE, LE RENDRE HUMAIN ; D'HUMAIN, LE RENDRE DIVIN, C'EST-A-DIRE SELON LE CŒUR DE DIEU. Ce n'était pas un appel à la collaboration avec le communisme. Au contraire.
Car *ce monde,* qui est sauvage, ce qu'il a de plus sauvage et de plus inhumain, c'est l'esclavage communiste.
Il n'est pas vrai que « *les injustices ravagent le monde capitaliste* ». L'Église n'a pas dit cela. L'Église, en cette seconde moitié du XX^e^ siècle, ne connaît pas LE MONDE CAPITALISTE et n'en parle pas, pour la raison simple que *le monde capitaliste* n'existe pas en tant que tel. Il n'existe que dans la propagande communiste ; c'est une forgerie du communisme, pour hypnotiser les naïfs (et l'on voit avec quel succès). Il n'y a pas un monde *capitaliste :* il y a plusieurs mondes, et aucun d'entre eux n'est plus « capitaliste ». Il y a différents régimes qui sont SOCIALO-CAPITALISTES. OU CAPITALO-SOCIALISTES. Au témoignage, entre autres, de Maritain, non suspect de conservatisme, les U.S.A. sont déjà en route « au-delà du capitalisme et au-delà du socialisme » ([^27]). On peut assurément épiloguer en des sens divers sur l'évolution de la société américaine, sur celle du socialisme suédois ou sur la socialisation des structures françaises. Mais placer toutes ces réalités distinctes dans le même sac d'ignorance, supposer qu'elles n'auraient connu aucune transformation fondamentale depuis cent ans, et qu'il existerait aujourd'hui « le monde capitaliste » toujours semblable à lui-même, c'est une monumentale imposture. Une imposture dont le communisme a besoin pour le fonctionnement de sa dialectique, pour faire pratiquer la dialectique par des somnambules ahuris. Ceux que le communisme enferme dans la croyance à l'existence mythique du « monde capitaliste » n'arrivent jamais plus à en sortir, sinon par la porte de la collaboration avec l'esclavage intrinsèquement pervers.
64:53
Les injustices du monde contemporain sont immenses. Mais il n'est pas vrai que les communistes *fassent le travail,* car au contraire : ils le font à l'envers. Ils ne suppriment ni n'atténuent aucune injustice sociale : ils les renforcent toutes, pour les exploiter à leur profit. Les injustices de l'univers communiste sont *les mêmes* que les injustices des nations non-communistes, c'est *la même exploitation de l'homme par l'homme,* MAIS *effroyablement multipliée par le passage à la limite qu'opère la technique de l'esclavage.* Le problème n'est pas d'amener les chrétiens à « faire eux-mêmes le travail » que les communistes feraient de leur côté avec trop de violence et divers aveuglements : le problème historique du XX^e^ siècle est de savoir si la Chrétienté, ou ce qu'il en reste, dégoûtée d'elle-même (non sans raisons), laissera les injustices qu'elle est coupable d'avoir acceptées ou tolérées prendre le poids infiniment plus lourd que leur donne l'extension du système de domination communiste.
Le monde va au communisme. Il y va de plus en plus. Il ira tout à fait si l'on ne se met pas en travers. C'est véritablement la question du jour. C'est la question que formule sans équivoque l'angoisse de M. Hourdin : « Le monde entier passera-t-il peu à peu sous la domination communiste ? ». Mais cela, qui est bien la réalité actuelle, ce n'est nullement *la civilisation nouvelle qui s'élabore.* Partout s'élabore et grandit l'esclavage social, la barbarie contemporaine, partout se mettent en place les techniques sociologiques de l'esclavage, et c'est en cela que ce monde est « sauvage » c'est en cela qu'il est l'antichambre du communisme soviétique ; l'antichambre où se pratique de surcroît l'anesthésie idéologique.
Le communisme n'est pas une civilisation, mais une barbarie. Il n'a jamais existé de *civilisation uniquement matérialiste et athée,* car une société « uniquement matérialiste » c'est la définition même, ou l'une des définitions les plus exactes, de la barbarie. Et la civilisation n'est pas une adjonction corrective opérée sur une barbarie essentielle. La civilisation ne sort pas d'une collaboration avec une barbarie intrinsèquement perverse. Si le communisme arrive à *nous faire prendre sa barbarie essentielle pour* (*au moins*) *un élément de la civilisation à élaborer,* alors oui, le communisme s'étendra au monde entier comme le prophétise Krouchtchev, car cette méprise signifierait que les chrétiens ne savent plus ni ce qu'ils sont, ni de quel esprit ils sont. Le communisme n'est pas une marche obscure et incertaine vers une justice moins imparfaite, il est une marche scientifique vers le maximum possible d'injustice et d'inhumanité. Il n'est pas un esclavage par métaphore polémique, il est la forme d'esclavage la plus atroce que l'on ait jamais vue au cours de l'histoire. IL EST UNE BARBARIE PLUS BARBARE QUE CELLE QUI RÉGNAIT SUR LES PEUPLES LES PLUS BARBARES AVANT LA VENUE DU SAUVEUR : cet enseignement solennel de l'Église n'est pas une hyperbole oratoire, mais un rigoureux diagnostic.
65:53
Le communisme est intrinsèquement pervers, ce qui ne s'était jamais vu, ce que ne furent avant lui ni l'esclavage antique, ni la barbarie des païens, ni le servage, ni le capitalisme, ni le colonialisme, ni le capitalo-socialisme. Assurément, l'histoire du monde était déjà pleine de crimes et d'injustices : mais jamais encore les régimes les plus éloignés du droit naturel n'avaient réalisé une perversité sociale intrinsèque et complète, un monde du mensonge aussi parfaitement clos, un univers qui soit par essence l'expression sociologique de l'injustice et du crime à l'état pur. C'est *l'injustice chimiquement pure* que tend à réaliser la technique communiste de l'esclavage.
\*\*\*
Avec ou sans la présence du communisme dans le monde, le devoir est aussi urgent, aussi grave, de travailler à porter remède aux injustices des sociétés où nous vivons. Et *il n'est pas vrai* que « le monde nouveau se fasse sans les chrétiens ». De quel monde nous parle-t-on donc ? Le monde de l'Assistance publique, issue de saint Vincent de Paul ; le monde des assurances sociales et des allocations familiales, instaurées par des chrétiens ; le monde des missions, le monde de la charité ? La figure humaine conservée par ce monde malgré sa sauvagerie, ce sont les chrétiens qui la lui ont conservée, ou qui la lui ont rendue. Le monde des petits frères et des petites sœurs de Charles de Foucauld, le monde des Foyers de Charité, le monde des *Focolari* partis d'Italie et qui s'étendent peu à peu aux dimensions de l'univers, et tant d'autres sous tant d'autres noms, ou sans nom, le monde de la vie intérieure et de la vie donnée, le monde des mille et une actions catholiques silencieuses, le monde de tous ceux qui ne font aucun bruit sur le devant de la scène, de tous ceux qui *sont au travail,* de tous ceux à travers qui l'Esprit de Dieu est au travail, voilà le monde QUI SE FAIT, dans le mystère et par le miracle de la Charité. L'autre monde, celui de la première page des journaux, est le monde QUI SE DÉFAIT, le monde *sauvage,* devenu (chaque jour de plus en plus) sauvage malgré les chrétiens, et sans eux... S'en plaindrait-on ? Se plaindrait-on que les chrétiens, dans le monde contemporain, n'aient pas (ou n'aient que peu) collaboré à l'esclavage de ce monde, aux mécanismes sociologiques de l'esclavage collectif, préférant travailler *ailleurs* qu'au service des modernes marchands d'esclaves ?
S'efforcer de vivre selon la justice, réformer les cœurs et les esprits, les mœurs et les institutions, en commençant par soi, et de proche en proche, de prochain en prochain : cela ne serait pas moins obligatoire et pas moins urgent si le communisme n'existait pas ; et ce n'est pas une recette tactique pour combattre le communisme. Il y va de bien autre chose que du communisme, il y va du salut éternel de chacun et de tous, et de l'Unité du Corps mystique.
66:53
Nous disons et nous répétons, aujourd'hui comme il y a six ans : *C'est un fait que ceux qui croient en Jésus-Christ sont pour le communisme un obstacle insurmontable ; mais la volonté de dresser un obstacle devant le communisme n'est pas et ne sera jamais une raison suffisante de croire en Jésus-Christ, de prendre sa croix et de le suivre. Le rempart catholique contre le communisme est une de ces choses qui sont données par surcroît, ou qui ne sont pas données du tout.*
Le monde sera libéré du communisme PAR SURCROÎT. Mais ce surcroît, comme le pain quotidien, n'est pas forcément donné à ceux qui se croisent les bras. Il est promis à ceux qui y travaillent de leurs mains et à la sueur de leur front et qui, *y travaillant* selon leur état de vie et leur vocation, « recherchent d'abord le Royaume de Dieu et sa justice ». On n'obtiendra pas de Dieu qu'il libère le monde du communisme en faisant systématiquement (surtout dans l'action sociale) *comme si* le communisme n'existait pas ou *comme si* le communisme n'était pas intrinsèquement pervers. On n'obtiendra pas de Dieu qu'il libère le monde du communisme en refusant de travailler positivement à cette libération.
\*\*\*
Le communisme nous attaque et étend sa domination par une *pratique de la dialectique* et par une *technique de l'esclavage* qui lui sont propres : si l'on s'obstine à ne pas voir de quoi il est question, si l'on continue à glisser les yeux fermés vers une collaboration avec cette technique et avec cette pratique, sera-t-il *honnête,* comme dirait Péguy, de prier Dieu qu'Il résiste à notre place, et nous sauve d'un communisme que nous aurons négligé de combattre par les armes de lumière, *facientes veritatem in caritate *?
Les publications catholiques, ainsi que l'enseigne l'Encyclique *Divini Redemptoris* (§ 56) ont ici une triple fonction :
« *Premièrement,* en faisant connaître de jour en jour plus exactement, avec douceur et nuance, la doctrine sociale de l'Église.
*Deuxièmement,* en publiant des informations précises, exactes et nombreuses sur les entreprises de l'ennemi et en indiquant quels moyens de résistance sont, d'après l'expérience des divers lieux, les mieux adaptés.
*Troisièmement,* en proposant des mesures appropriées de prévention contre les machinations et les tromperies par lesquelles les communistes attirent, comme c'est leur but, beaucoup d'hommes de bonne foi. »
A supposer que le *premièrement* soit parfaitement rempli, il apparaît que du moins beaucoup de publications catholiques se dispensent habituellement d'accomplir le *deuxièmement* et le *troisièmement.*
67:53
Ainsi la constatation faite au § 13 de *Divini Redemptoris* est toujours d'actualité :
« Autre auxiliaire puissant de la propagande communiste : une grande partie des journaux à travers le monde, qui ne suivent pas les directives catholiques, font sur ce sujet un silence concerté. Nous disons bien concerté : on ne saurait guère expliquer autrement pourquoi cette presse, qui met en relief avec tant d'avidité les incidents les plus minimes, n'a rien dit, pendant si longtemps, des crimes pourtant immenses commis en Russie, au Mexique et dans une grande partie de l'Espagne ; et *pourquoi elle parle si peu du Parti communiste, dirigé* de *Moscou, dont les organisations s'implantent dans* le *monde entier.* Mais tout le monde sait bien que, pour une grande part, cette attitude relève de motifs politiques que n'inspire guère la vertu de prudence civique ; ce silence est non moins favorisé par diverses forces secrètes qui depuis longtemps cherchent à détruire l'ordre social chrétien. »
Au lieu d'apprendre à l'opinion *ce qu'est le Parti communiste, dirigé de Moscou ;* au lieu de *publier des informations précises, exactes et nombreuses sur les entreprises de l'ennemi *; au lieu de *proposer des mesures de prévention contre les machinations et les tromperies du communisme, --* on nous parle d'autre chose, et même de collaboration.
Alors, le communisme étend sa nuit sur le monde : mais par notre faute, à la mesure de notre complicité active ou passive avec la non-résistance et avec la collaboration.
==============
### Un certain silence
L'éditorial, écrit par Jean Ousset, du numéro 119 de *Verbe* (mars 1961), commente en ces termes l'étude de Jean Madiran sur « L'Église du silence » ([^28]) :
*La référence à la doctrine sociale de l'Église est devenue l'un des signes de contradiction les plus caractéristiques de ce temps. Le signe du drame actuel de la planète. Comme Jean Madiran l'a bien noté :*
68:53
« *L'Église du silence peut continuer à confesser sa foi en Jésus-Christ dans la mesure où elle accepte de se taire sur l'enseignement social de l'Église, sur son enseignement authentique et complet. ;*
« *L'Église du silence peut dire qu'elle croit en Dieu...* (*mais*) *à condition qu'elle ne détourne plus ses fidèles de collaborer à l'édification du régime économique et social qui est le principal dessein athée du communisme...*
« *L'Église du silence peut enseigner le* Credo *à la condition de taire l'enseignement de l'Encyclique* Divini Redemptoris...
« *L'Église du silence est celle qui peut parler du bien et du mal dans l'ordre de la morale privée, mais qui ne peut plus parler du bien et du mal dans l'organisation de la Cité...* »
*Au fond, ce qu'on appelle aujourd'hui l'Église du Silence est celle de ces parties du monde où, par la terreur et la persécution, le communisme prétend, avant de la détruire, ramener la religion à n'être qu'une affaire privée.*
Jean Ousset poursuit alors par ces remarques et réflexions lourdes de signification :
*Ce qui permet de mieux comprendre combien marxisme et laïcisme procèdent d'un même esprit. Car s'il est vrai que nous ne connaissons pas la persécution que nos frères chrétiens subissent de l'Oder aux rivages du Pacifique, il est indéniable qu'une pression orientée dans un sens analogue s'exerce de ce côté-ci du rideau de fer.*
*Au point qu'il est facile de reprendre les formules de Jean Madiran en les modifiant à peine pour les adapter à notre cas.*
*Entendez qu'il nous est permis de proclamer notre croyance en Dieu... mais à condition de ne point trop nous en prendre à l'athéisme, au naturalisme fondamentaux de notre régime social, politique... Passe encore la foi en Dieu ! Mais qu'on nous laisse en paix avec ces droits royaux de Jésus-Christ sur les sociétés civiles. Qu'on nous laisse en paix avec les Encycliques* « *Quas Primas* »*,* « *Divini Redemptoris* »*,* « *Summi Pontificatus* », *etc...*
*Parler du bien et du mal dans l'ordre de la morale privée *? *Tant qu'on voudra. Mais qu'il ne soit plus question de cette partie de la doctrine de l'Église qui dit le bien et le mal dans l'organisation de la Cité.*
*Drame d'un silence subtilement imposé, drame d'un* « *certain silence* » *qui n'est pas que celui de l'Église persécutée derrière le rideau de fer. Silence fait sur l'enseignement social de l'Église authentique et complet.*
69:53
*Là pourtant est le salut des peuples et des nations. Hélas ! même au degré d'angoisse où nous les voyons réduits ce silence l'emporte, ce* « *certain silence* » *est plus fort.*
*Tout semble préféré à cet enseignement social de l'Église authentique et complet : Les plus inconsistantes créations de l'esprit, l'incohérence idéologique, les niaiseries du Réarmement Moral.*
*A ce point qu'il n'y a plus de choix. Car ce n'est pas un choix que d'avoir à opter entre la doctrine sociale de l'Église et rien.*
*Et telle expérience récente, celle de la Conférence sur la guerre politique des Soviets qui s'est tenue à Paris, il y a quelques mois, l'a démontré péremptoirement. Ce n'est point que le problème y ait été mal posé. Avec ce bonheur des formules que possède Madame Suzanne Labin, le but fixé à ces assises fut bien indiqué.*
« *Notre civilisation risque de périr d'une paralysie du cerveau... Et à quoi sert d'armer le bras si on laisse le cerveau désarmé *? » *Pourtant jamais appel ne fut suivi d'une aussi pitoyable réponse :* *vraie bouillie pour les chats.*
*Les plus lucides, sinon les plus catégoriques, n'ayant à proposer qu'un marxisme édulcoré de son léninisme.*
*Est-ce bien là ce qu'il faut pour armer les cerveaux *? *Jamais n'apparut plus douloureusement le vide où l'on tombe quand on se refuse d'invoquer la doctrine sociale de l'Église.*
*Et l'on ne peut s'empêcher de songer à ce mot de Blanc de Saint-Bonnet :*
« *Pensez-vous qu'on ne voie pas ce qui se passe en ce moment chez les hommes ? Ils voudraient se sauver sans Dieu. Ils ont mis là leur point d'honneur. Or, Dieu leur laissera prendre à leur aise, toute la leçon que les événements contiennent.* »
==============
### Une œuvre d'Église au service de l'Église : Les Foyers de Charité
Sous ce titre, *La Croix* a publié le 24 mars un important article dont voici les passages principaux :
*Une maison de retraites ? Oui, ou plutôt, un centre de vie chrétienne et d'apostolat. Et qui reçoit, sans aucune sélection, en vrac, si j'ose dire, les chrétiens et chrétiennes de tous âges, de tous milieux, de toutes professions y compris les ménages que peuvent accompagner leurs enfants.*
70:53
*Les retraitants sont ainsi à l'image de la communauté chrétienne, dans une même retraite se coudoient fraternellement travailleurs manuels et intellectuels, prêtres et laïcs, jeunes et moins jeunes, adultes et foyers, patrons et ouvriers. En un quart de siècle, 25.000 âmes environ sont ainsi venues se retremper au feu du Foyer de Châteauneuf.*
*Tout partit de l'initiative du curé de Châteauneuf, l'abbé Faure, une sorte de curé d'Ars de notre temps. Ce dernier acheta un dancing de mauvaise réputation* (*comme le fit le P. Chevrier pour fonder le Prado*) *pour y installer une école de filles qui démarra avec* 7 *ou* 8 *élèves. Un beau jour, M. le chanoine Finet, alors sous-directeur d*e *l'Enseignement libre du diocèse de Lyon, aux côtés de Mgr Bornet, fut sollicité de porter jusqu'à Châteauneuf un tableau de Marie-Médiatrice, devant lequel on peut prier actuellement dans le modeste oratoire aménagé dans le château, au cœur de l'école des filles. C'est là que la providence l'attendait. Le chanoine Finet, s'appuyant sur l'abbé Faure et l'abbé Auric, comme sur les sympathies rapidement acquises dans la vallée, s'attacha à développer l'école. En même temps, il devenait le directeur d'une âme de prière, humble paysanne du pays, Marthe Robin. Recluse dans la modeste chambre de sa ferme, cette fille de l'Église prie et souffre pour l'Église dans l'abandon total à la volonté du Seigneur.*
*C'est dans ce cadre, et dans l'attention constante aux volontés d'en haut, que M. le chanoine Finet entreprit la construction du vaste Foyer de charité, qui fut inauguré en* 1948. *Très rapidement, des retraitants vinrent de toutes les régions de France. Une des plus fortes impressions ressenties par tous les retraitants est d'avoir retrouvé concrètement à travers ces journées de prière et de vie commune les liens vivants qui assemblent tous les chrétiens en Église. Ils se sont redécouverts frères. Cette découverte, la plupart la font au moyen de la communauté des membres du Foyer, qui les accueille, les reçoit, les porte dans sa prière et les accompagne jusqu'à leur départ de son service fraternel. Foyer d'amour et de charité, mais aussi Foyer de lumière. En effet, en six jours de silence et de prière, le Foyer donne aux retraitants, ainsi groupés en chrétienté, une forte synthèse doctrinale. Le Christ nous l'a dit :* « *Chaque fois que vous êtes deux ou trois réunis en mon nom, je suis au milieu de vous.* » *Les quatre grandes conférences de chaque jour font, à la suite des apôtres saint Jean et saint Paul, découvrir l'amour de Dieu avec son exigence d'amour filial et d'amour fraternel, dans la maternité efficace de Notre-Dame.*
71:53
*En contact avec les paroisses, il aime lancer ses membres dans les multiples efforts de l'apostolat : catéchisme des enfants et des adultes, soins donnés aux malades, rééducation des paralysés, emplois sociaux auprès de familles, aide aux prêtres, etc. Convaincus par l'exposé exigeant du message de charité, les retraitants eux-mêmes ne quittent pas le Foyer sans prendre quelque engagement d'Église, soit dans l'Action catholique, soit dans l'action missionnaire. Chaque retraite se voit couronnée par une magnifique éclosion de vocations sacerdotales et religieuses.*
*Les Foyers de charité -- ils sont plusieurs, nous allons le voir -- ont attiré rapidement autour de M. le chanoine Finet, des prêtres et des laïcs. Des prêtres qui, en accord avec leurs évêques et en communion avec Châteauneuf, ont suscité en France, en Belgique, en Amérique, en Afrique, d'autres foyers... ; des laïcs qui sont venus constituer, afin de faire vivre et les foyers et les écoles, une communauté. Laïcat engagé, hommes, femmes, jeunes gens, jeunes filles, avec même quelques essais de ménages, ils constituent des communautés vivantes, à l'image des premiers chrétiens, mettant tout en commun, biens spirituels, biens matériels, biens intellectuels, vaquant ensemble à la prière, s'insérant dans la vie par leur travail, portant devant le monde divisé d'aujourd'hui, le témoignage de l'unité. A l'heure actuelle, ces communautés de prière et de travail, comprennent environ 80 laïcs pour le Foyer de Châteauneuf et à peu près 160 pour l'ensemble des foyers, dont le service entièrement désintéressé vient étayer l'enseignement du prêtre.*
*Ces laïcs se dévouent également dans les écoles. Châteauneuf-de-Galaure a le bonheur de posséder, en effet, non plus une petite classe de 7 ou 8 élèves, comme en ses débuts, mais une école secondaire, fort bien installée dans le château où, dans un climat paisible de joie et d'amitié, sont formées, du jardin d'enfants à la philosophie, plus de 300 jeunes filles. A quelques centaines de mètres, dans une vaste villa qui a gardé tout le caractère d'une maison familiale, 70 jeunes filles venant de 25 paroisses de la vallée ont la chance de recevoir, dans un cadre vraiment exceptionnel, une formation ménagère et rurale. Enfin, à 2 kilomètres de là, à Saint-Bonnet, un collège de garçons éduque 170 adolescents, jusqu'à la troisième seulement. Quatre cars assurent quotidiennement le ramassage des élèves.*
*On voit la place originale que tiennent dans l'Église les Foyers de charité. Par les retraites, comme par l'enseignement ou les autres branches d'activité, ils s'attachent à former des chrétiens nourris du message d'amour du Christ et pleinement conscients de leurs responsabilités communautaires, Pour la France seulement, une dizaine de Foyers existent déjà ou sont en formation à Châteauneuf-de-Galaure* (*Drôme*)*, la Léchère-les-Bains* (*Savoie*)*, Baye* (*Marne*)*, Roquefort-les-Pins* (*Alpes-Maritimes*)*, La Gavotte* (*Bouches-du-Rhône*)*, Manduel* (*Gard*)*, Gouille* (*Doubs*)*, Poissy* (*Seine-et-Oise*)*, Les Houches* (*Haute-Savoie*)*, Strasbourg* (*Bas-Rhin*) *et Lyon.*
72:53
*Il faut y ajouter les Foyers de Belgique et de Colombie et ceux qui se préparent en Afrique et au Mexique.*
*En étroite union avec le chanoine Finet et le Foyer de Châteauneuf, une vingtaine de prêtres séculiers collaborent à ce travail d'éducation et de formation du laïcat chrétien, en pleine soumission à leurs évêques et au service de l'Église. Avec eux, les Pères des Foyers, les laïcs consacrés à cette œuvre sont simplement des chrétiens qui veulent être au maximum fidèles aux engagements de leur baptême. Un directoire spirituel, actuellement en préparation, dégagera les orientations fondamentales de cette forme de vie communautaire.*
*Une conclusion s'impose : les communautés des Foyers de charité sont au service des retraitants. Ceux-ci arrivent dans une vie de famille : ils participent à cette vie de famille qui préexistait, et qui se continue entre les retraites. Finalement, ils s'incorporent à un centre de vie chrétienne. Ils sont ainsi plongés dans un* « *bain* » *de vie communautaire et comprennent mieux que l'enseignement reçu doit devenir vérité vivante.*
73:53
### Problèmes posés par le sous-développement
par Michel TISSOT
LE SOUS-DÉVELOPPEMENT est un fait brutal dont le monde a pris une conscience plus ou moins profonde depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Avant cela, il n'était guère question que de pays de famine, en particulier de l'Inde et de la Chine, mais seule se manifestait une certaine compassion lorsque les titres de journaux annonçaient quelques milliers ou dizaines de milliers de morts ici ou là, compassion qui retombait vite dans l'oubli sous les soucis quotidiens.
Il en va différemment de nos jours et de nombreux organismes spécialisés, de l'O.N.U. ou des divers gouvernements nationaux, se penchent sans cesse sur ce problème. Mais il apparaît après une décennie et plus, que les succès sont maigres et, à plus proprement parler, limités aux heurs et malheurs de politiques diverses, n'ayant qu'une caractéristique commune : la lutte pour des zones d'influence.
Il est pourtant urgent que se dégage une solution si nous ne voulons pas que la civilisation occidentale s'écroule comme l'Empire Romain sous les coups non plus des Barbares, mais des peuples simplement affamés et criant vengeance.
74:53
#### I. -- Le sous-développement.
Faute d'une doctrine universellement acceptée, les organismes officiels dont il est question ci-dessus ne raisonnent que dans le cadre de l'économie politique, concevant uniquement des rapports statistiques où l'homme n'apparaît que comme un diviseur anonyme alors que la réalité est tout autre. Il suffit pour s'en convaincre de parcourir ou d'imaginer les foules de la campagne indienne par exemple, nues ou presque, affamées et fébriles, inactives la plupart du temps. C'est l'homme qui est en cause, beaucoup plus que les hauts-fourneaux, les cimenteries ou les usines d'engrais.
Cet homme n'est pas un « homo economicus » sans âme et désincarné, mais un être vivant, créature de Dieu, soumis à la loi qui lui est propre, le droit naturel. Ce droit, à la base, est le droit à la vie dans sa dignité d'homme, et tout d'abord, au niveau des valeurs matérielles, à la satisfaction des besoins matériels fondamentaux : nourriture, vêtement, logement, santé et travail.
*Il en résulte la définition même de nation sous-développée :* *Est sous-développée toute nation qui, pour tout ou partie de sa population, ne peut satisfaire à l'un ou à plusieurs des besoins fondamentaux de l'homme.*
Il est alors possible de mesurer, si l'on ose employer ce mot affreux dans le cas particulier, le degré de sous-développement selon l'importance de la partie de population affectée et des carences dont elle souffre, et de mesurer par là même les efforts à accomplir en pleine connaissance de leur direction.
Il n'est pas inutile de remarquer maintenant que bien des nations riches, à commencer par les États-Unis d'Amérique, sont partiellement sous-développées, en ce qui concerne les populations noires et celles de langue espagnole. Les populations rurales de France sont très souvent victimes elles aussi de ce mal. Il nous faut de ce fait regarder à l'extérieur sans orgueil mal placé et dès l'abord, effacer le sens péjoratif trop souvent attaché à l'expression de pays sous-développés. Il nous faut aussi et de toute urgence perdre le préjugé que beaucoup de pays sous-développés le sont par paresse, indolence ou négligence : la classe rurale française avec ses immenses qualités est là pour nous montrer l'injustice flagrante d'une telle opinion.
75:53
#### II. -- Les pays sous-développés.
L'examen géographique de la répartition des pays sous-développés est d'un très grand intérêt, car il est celui du milieu dans lequel évolue l'homme, milieu naturel qui lui est hostile ou favorable, à des degrés fort divers, ces degrés, parallèlement à la densité du peuplement, laissant au premier chef prévoir la très grande diversité des solutions à trouver.
Tout d'abord, il convient de remarquer que les pays qui ont atteint les niveaux de développement les plus satisfaisants sont tous situés dans la zone tempérée de l'hémisphère nord, en premier les pays européens qui ont participé à la grande révolution industrielle du XIX^e^ siècle en même temps que les U.S.A., puis le Japon, enfin l'U.R.S.S. et peut-être demain la Chine. Dans l'hémisphère austral, les terres tempérées étant beaucoup plus réduites en superficie, il n'y a, il la limite, de développé que l'extrême pointe sud de l'Australie. Par contre, l'énorme masse de population des pays sous-développés se trouve dans les terres de climat subtropical, tropical et équatorial, et ceci, quel qu'en soit le type de végétation : forêt vierge, scrub ou jungle et déserts, ces terres ne comportant aucun pays développé normalement.
Cette disparité résulte de très nombreuses raisons, toutes concourant à rendre la vie précaire et difficile dans les pays tropicaux et équatoriaux. Les sols, généralement latéritiques, sont pauvres même lorsque la végétation est luxuriante. Dans les grandes plaines qui pourraient être riches, les fleuves sont véritablement gigantesques, et leurs colères sont terribles. En 1958, le Gange a débordé sur plus de mille kilomètres de longueur et la nappe d'eau s'étendait de la limite du Deccan jusqu'aux premiers contreforts de l'Himalaya, sur trois à quatre cents kilomètres de largeur, et ce fut la famine, les villages et des quantités de biens détruits à jamais. La domestication de ces fleuves dépasse les moyens techniques actuellement disponibles et seul Mao Tse Toung cherche à relever le défi par le travail forcé et une oppression qui sont sans commune mesure avec les faibles résultats acquis, les dégâts des inondations chinoises de 1959 en sont la douloureuse preuve.
Il faut encore ajouter que l'Enfer Vert de l'Amazonie, les grands déserts de l'Afrique, de l'Asie et de l'Australie tropicale sont toujours des défis à l'activité humaine de même que la savane ou la forêt vierge africaine.
76:53
De même, les moyens techniques ne laissent pas entrevoir la possibilité de remettre en culture les grands espaces qui le furent jadis, en particulier le Croissant Fertile du Moyen Orient et les grandes plaines de l'Afrique du Nord. Seul le labeur patient des générations de ces colons tant décriés aujourd'hui peut encore y parvenir, mais avec une lenteur que l'accélération du monde moderne ne permet plus.
Le climat s'associe à la géographie de manière tout autant impitoyable. Tout d'abord, les maturations très rapides des récoltes donnent des produits presque totalement dépourvus de vitamines et de protéines, de telle sorte que, même si les récoltes étaient suffisantes en quantité, elles ne le seraient pas en qualité. L'homme est lui-même anémié non seulement par sa sous-alimentation chronique venant se superposer à celle de nombreuses générations, mais il est encore affaibli par la chaleur ininterrompue et les innombrables maladies et fièvres d'un climat trop septique.
En conclusion d'un examen qui mériterait d'être beaucoup plus poussé, l'homme des pays chauds est en état de moindre résistance là où la nature lui est la plus hostile et nous pouvons être certains que sans une aide efficace, cohérente et de longue durée, le drame du sous-développement ne pourra aller qu'en s'épaississant.
#### III. -- Genèse du sous-développement.
Après l'examen du milieu, il n'est pas inutile de se pencher sur le passé, sur les deux ou trois derniers siècles afin de découvrir les raisons historiques du sous-développement. Il convient de regarder si véritablement comme dans les Animaux Malades de la Peste, le colonialisme est le baudet d'où vient tout le mal.
Après la grande chevauchée de l'Islam, de Grenade jusqu'à la Mer de Chine, le monde musulman constituait une gigantesque barrière entre monde chrétien et les grands Empires païens, barrière qui subsiste encore de nos jours, et nous en verrons les conséquences. D'un côté, l'Europe prend forme et, abandonnant tout esprit de Croisade, se développe dans les arts, les lettres et les sciences, préparant sa révolution industrielle.
77:53
Elle cherche son expansion libre vers les Amériques. En face de cette activité tant intellectuelle que matérielle, l'autre côté de la barrière musulmane et celle-ci même, tombent en léthargie profonde pour ne se réveiller qu'à la période contemporaine.
L'esprit actif du monde chrétien, confronté à ce monde endormi, se traduit dans les faits par le colonialisme, mot unique pour désigner des orientations politiques très diverses. En effet, si le colonialisme britannique se borne principalement à des activités économiques, rencontrant son seul échec véritable aux États-Unis, la France s'oriente vers des activités beaucoup plus sociales, le Portugal ayant seul réussi, avant la lettre, une intégration presque parfaite. L'Espagne, au contraire, donnera très vite leur indépendance aux nations d'Amérique Latine. Des formules aussi diverses devaient évidemment rencontrer des fortunes variées, mais toutes, d'une manière ou d'une autre, ont donné aux nations colonisées quelque actif indéniable à mettre au crédit des nations colonisatrices : l'Inde, en même temps qu'une unité indispensable, a reçu une première infrastructure de base ; les pays du Sud-Est asiatique et l'Afrique, leur première connaissance de leurs richesses naturelles. D'une manière générale, partout les conditions sanitaires se sont améliorées, la paix coloniale faisant suite aux guerres coloniales a un peu partout remplacé l'anarchie, le désordre, les guerres tribales et le cannibalisme ou les sacrifices humains. L'évolution sociale que beaucoup de nations maintenant indépendantes doivent à la France est remarquable à plus d'un titre.
Mais le plus grand résultat de la colonisation, qui est aussi l'une des causes majeures des difficultés et des drames actuels, est la poussée démographique résultant de l'accroissement des naissances dues aux meilleures conditions générales, à la réduction de la mortalité infantile et à l'allongement des espérances de vie des adultes, et ce serait là, paradoxalement, la plus grande des erreurs que l'on pourrait reprocher aux nations colonisatrices ; erreur « politique » peut-être, mais œuvre positive des vertus chrétiennes.
78:53
De toutes façons, des nations comme la France, le Portugal, la Hollande et même l'Angleterre n'auraient pu, pour des raisons financières et techniques, développer à elles seules les pays colonisés même si les résultats de la poussée démographique leur étaient apparus presque prophétiquement pendant le XIX^e^ siècle. Le sous-développement était en germe et s'accélérait pour devenir exclusif à la fin de la deuxième guerre mondiale.
#### IV. -- La prise de conscience
En 1819, une émeute à Natal, où il faillit être lynché, amenait Gandhi à se vouer corps et âme à la libération de son pays, ouvrant ainsi la première fissure dans le système colonial. Il lui faudrait un demi-siècle, au cours duquel son action ne serait interrompue que par la guerre, pour parvenir à ses fins, et pendant ce demi-siècle, il prenait conscience du mal économique qui germait. Mais pour lui, l'aspect économique était subsidiaire quoiqu'il y ait cherché des remèdes, sans grand succès d'ailleurs. L'aspect primordial de la pensée et de l'action de ce très grand homme était la dignité humaine, et l'on peut véritablement dire que Gandhi, qui tout en restant hindou avait longuement médité les Béatitudes, a agi dans une perspective chrétienne. L'amour qu'il a porté aux humbles, aux opprimés, certes nombreux dans le système des castes, est pour certains le gage définitif de sa sainteté.
Après sa mort, Gandhi a été trahi par les hommes politiques désignés par lui parmi ses disciples et qui avaient pris les rênes du pouvoir, tout comme il l'avait déjà été lors de la douloureuse Partition du Pakistan et de l'Inde, mais nous pouvons être certains que, sans ce qu'il reste des valeurs spirituelles apportées par Gandhi, l'Inde serait depuis des années tombées dans l'orbite communiste. De même, et pour la même raison, l'Inde n'aurait pas été le premier et le seul État capable de renverser un gouvernement communiste provincial, celui de Kérala, en 1958.
Mais la voie trop spirituelle de Gandhi, qui avait été ainsi ouverte, ne devait pas être suivie par d'autres, et l'éveil politique des nations coloniales ne suivrait plus un itinéraire à vrai dire chrétien. L'occasion était trop belle pour l'intrinsèque perversion de prendre très rapidement le relais de la course encore inachevée de Gandhi.
79:53
Le communisme mondial, fondé à l'origine sur l'Internationale Ouvrière, devait assez vite se rendre compte de l'insuffisance de ce levier, et le matérialisme dialectique toujours à la recherche de toutes les oppositions réelles ou potentielles, réalisait rapidement, à la lumière de difficultés rencontrées dans sa propre colonisation, tout le bénéfice qu'il pourrait tirer de la situation mondiale préparée par ses soins.
En effet, le colonialisme soviétique dont nous n'avons pas parlé jusqu'à présent s'est développé beaucoup plus tardivement que le colonialisme occidental, presque exclusivement dans cette bande musulmane séparant les mondes chrétien et païen pendant l'entre-deux-guerres, et ceci, simultanément ou presque avec la période de la « liquidation des Koulaks ». Toutes les méthodes dialectiques devaient être utilisées à cette colonisation, et seront reprises ultérieurement d'ailleurs avec un égal succès dans la colonisation de l'Europe de l'Est ; mais en outre, le communisme apprenait à jauger la prétention universelle de l'Islam, seul susceptible de s'opposer efficacement à l'expansion missionnaire des Églises chrétiennes, tout en lui étant comparable en bien des points.
L'Islam s'est ainsi transformé en cheval de Troie, en Afrique Noire, en Indonésie, dans la Chine musulmane et surtout dans le Moyen Orient et les pays arabes. A titre d'exemple, il est possible de citer le noyautage de la très célèbre Université El Ahzar au Caire, exemple trop remarqué naguère et sur lequel on a jeté un voile de silence et d'oubli, mais sans pour autant faire cesser ses activités. Le communisme s'assurait ainsi des positions stratégiques inexpugnables à terme en isolant l'Europe chrétienne de l'Afrique et de l'Asie, et l'Europe Occidentale des réserves pétrolières du Moyen Orient et maintenant sahariennes ([^29]).
Est-ce à dire que l'Islam est sciemment complice ? Certainement pas, car Moscou estime inutile et même dangereux que la courroie de transmission sache ce qu'elle transmet. Les Nasser, Kassem, Bourguiba, Ferhat Abbas et consorts s'imaginent très subtils en jouant au neutralisme et en flirtant à la fois avec Moscou et l'Occident. Faut-il leur en vouloir ? Certes encore moins puisque le Foreign Office, le State Department de même que nos pouvoirs successifs ne semblent pas eux-mêmes l'avoir compris.
80:53
L'Islam présentait encore un autre intérêt pour le communisme mondial : il lui donnait l'expérience des moyens permettant de circonvenir des Croyants, opposés de ce fait au matérialisme dialectique tout comme les Églises chrétiennes, moyens qui s'appliqueraient remarquablement aux Catholiques récalcitrants, qu'ils soient polonais, tchèques, chinois ou cubains. Nous ignorons ce que furent les modalités et les détails de l'expérience soviétique au Kazakhstan, en Ouzbekistan, chez les Turkmènes et les Kirghizes, mais nous en voyons aujourd'hui les résultats.
Dans cette perspective, il apparaît que le problème des pays sous-développés n'est pas uniquement économique, mais aussi moral et social, et par conséquent spirituel. De ce dernier aspect, il résulte, en raison de la déchirure du monde actuel, que les implications politiques sont immenses.
\*\*\*
Notre propre crise de conscience doit, dans ce contexte, être aussi rapide et aussi précise que possible. Nous venons de voir que l'intrinsèque perversion a compris tout l'enjeu dès la Révolution Rouge, en 1917 ; et n'a pas perdu de temps pour agir, plaçant ainsi les nations occidentales devant une situation extrêmement compromise par leur incompréhension et leur indifférence pendant l'entre-deux-guerres, causes du très grand retard de leurs initiatives.
Il nous faut savoir en cela, que nous avons une guerre à mener sur deux fronts, celui du communisme mondial et celui de la misère ; or nous pouvons affirmer que les bases mêmes de l'action occidentale, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, sont *entachées d'erreurs graves* et que nous sommes ainsi *voués à un échec certain dans un délai plus ou moins rapproché.*
Dans la lutte contre le communisme, dont les Américains sont les leaders, l'erreur fondamentale est la suivante : le communisme mondial est d'origine et d'inspiration directement sataniques contre lesquelles les armes matérialistes ou trop strictement humaines sont sans effet aucun. Nous n'hésitons pas à dire que les bombes atomiques de toute sorte, les fusées intercontinentales ou interplanétaires sont de l'arsenal de Satan, tout comme l'intrinsèque perversion, et nous ne voyons pas comment une force de dissuasion pourrait en quoi que ce soit dissuader Satan de poursuivre ses œuvres.
81:53
En tout ceci, nous n'innovons pas car ce serait beaucoup trop grave, nous ne faisons que suivre et tirer des conclusions de l'ouvrage remarquable de Mgr Cristiani : *Présence de Satan dans le monde moderne,* que tout chrétien éclairé devrait lire ([^30]).
Les seules armes efficaces en ce domaine nous sont données par l'Évangile et, encore plus directement, par les révélations de Notre-Dame à La Salette et surtout Fatima : il y a comme toujours les armes d'Église dont nous ne parlerons pas, mais aussi les armes du laïcat, la mise en œuvre de l'ensemble des vertus chrétiennes et surtout la Justice, la Prudence et la Sagesse ; nous devons croire de foi que tout le reste nous sera véritablement donné par surcroît.
A cette occasion, et dans l'exercice de la vertu de Prudence, une remarque fondamentale doit être faite : entre l'intrinsèque perversion et la civilisation authentiquement chrétienne, il ne peut y avoir ni neutralisme ni compromis. Pas de neutralisme, cela veut dire pas de laïcisme à la mode française de 1789 et de 1960, que ce soit en France ou même à l'O.N.U., pas de solution politique ou autre qui ne soit pensée dans l'axe de l'Évangile et de l'enseignement pontifical, pas d'espoir non plus en l'appui politique ou militaire du tiers monde neutraliste, car tant qu'il ne se modèlera pas sur un monde authentiquement chrétien, il sera en danger immédiat de succomber au communisme.
Pas de compromis, c'est-à-dire pas de conférence internationale incluant communistes et neutralistes, pour conclure des guerres subversives comme celles de Corée, d'Indochine et d'Algérie, pas d'espoir en les fourriers conscients ou non du communisme, ni de bout de chemin en commun avec l'intrinsèque perversion, même pour l'aide aux pays sous-développés. Les organismes spécialisés de l'O.N.U., tels que l'UNICEF, l'UNESCO, etc., sont condamnés à devenir à plus ou moins longue échéance, s'ils ne le sont déjà, des courroies de transmission du communisme en raison de leur noyautage par les délégations soviétiques, suivies efficacement par les neutralistes dont l'importance s'accroît à chaque nouvelle indépendance. Ceci se trouvera encore amplifié le jour où la Chine Rouge fera son entrée aux Nations Unies.
82:53
Faut-il conclure de ce qui précède que l'on doive interrompre toutes relations avec les pays musulmans fourriers du communisme, et avec l'O.N.U. et ses organismes spécialisés ? Ce serait une erreur grave et très lourde de conséquences, car ni l'Islam ni l'O.N.U. ne sont intrinsèquement pervers, fort heureusement. Ils sont gravement contaminés, mais les nations chrétiennes doivent conserver l'espérance et le désir d'en éviter la chute complète, tout en sachant que les rencontres plénières présentent de grand dangers de subversion, surtout lorsque les neutralistes sont nombreux. En outre, nous avons de très nombreux amis dans ce monde neutraliste, ce serait une lâcheté de les abandonner lorsque et parce qu'ils sont en danger pour leurs âmes et pour leurs biens.
Mais toutes les œuvres constructives doivent être menées entre nations chrétiennes, hors de toute contamination communiste, externe et interne, et bien entendu hors de tout progressisme et d'esprit de non résistance ([^31]).
#### V. -- Les raisons d'agir.
Avant d'aborder le problème concret de l'aide aux pays sous-développés, il est utile, sinon indispensable, d'examiner *la motivation réelle de cette aide,* car bien des erreurs sont et seront encore commises si l'on ne sait pas de manière extrêmement précise pour quelle raison on agit.
Il faut bien évidemment rejeter les motivations égoïstes qui peuvent, au niveau individuel ou à l'échelon national, être très diverses. Parmi elles, citons à bâtons rompus, les nécessités de l'exportation et de la balance des comptes, la peur de l'opposition ou la recherche du support stratégique de certaines nations sous-développées, la protection des sources de matières premières d'importation ou des marchés d'exportation, le maintien ou l'établissement de bases stratégiques, et même la lutte contre l'expansion du communisme.
83:53
Ces relations entre nations aidantes et nations aidées ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, mais lorsqu'elles sont illégitimement transformées en motivations, ou même sans aller si loin, présentées comme allant de pair avec l'aide apportée, *elle faussent les perspectives.* Il ne faut guère chercher plus loin la raison pour laquelle l'immense générosité de l'Amérique d'après-guerre a été si mal comprise, et parfois si mal acceptée.
Il faut encore moins donner l'illusion que l'on agit par charité, et d'abord pour une raison théologique, la Charité au sens vrai du terme, est le don des personnes alors que les dons matériels ou l'aide morale, sociale et autre n'en sont que la manifestation. Une méconnaissance de cette notion serait dommageable en premier lieu aux peuples sous-développés qui s'en trouvent humiliés, et cette remarque s'impose de plus en plus fréquemment à ceux qui sont en rapport avec ces pays ; ensuite à la compréhension de ce qu'est cette vertu théologale, sans même parler de la trop bonne conscience qu'elle pourrait nous donner. La vraie charité se situe sur un plan beaucoup plus élevé, en quelque sorte en couronnement de l'aide proprement dite. Mais ceci n'exclut pas, bien entendu, la charité individuelle, c'est-à-dire le don de soi à un pays, à une cause, dont nous ne pourrions donner de meilleur exemple que le Père de Foucault, exemple qui est d'ailleurs plus suivi que l'on ne le croit généralement, sous des formes très variables d'ailleurs.
La motivation vraie, et très simple en elle-même, est *le devoir de justice.* Il est indispensable que nous prenions conscience, nous les peuples les plus développés, de ce que les dons de la Providence ont été à notre endroit. Don en premier de Jésus et de son Église. Il suffit de relire une histoire de la Chrétienté pour nous rendre compte que, sans l'ensemble : des valeurs apportées par le christianisme depuis deux mille ans, nous ne possèderions pas et de très loin, toutes les richesses qui sont maintenant nôtres, car seul le christianisme pouvait apporter la liberté et le sens de la dignité de l'homme, nécessaires au développement de la science et des techniques ([^32]).
84:53
Mais ces richesses, nous n'en sommes que les gérants, car il serait fou de croire qu'elles sont réservées à notre seul usage, ou bien encore, plus simplement, que les autres peuples n'ont qu'à en faire autant. Et cette notion de *gérance* des richesses doit être étudiée plus avant. Il y a lieu en particulier de se garder de DEUX PIÈGES presque opposés.
*En premier lieu,* nous ne devons certainement pas considérer que la bonne gérance se réduit à un problème de répartition avec et entre les nations déshéritées. En effet, le travail est la loi universelle, c'est un des droits naturels de l'homme qui doit, pour que la loi soit observée, profiter de ses fruits dans le cadre de la justice. Il n'y a donc pas une ou plusieurs races de producteurs et un magma de pique-assiettes. Il y a un déséquilibre actuel à résorber, ce qui pourra durer de nombreuses années, mais en fin de compte, un équilibre du travail et de ses fruits doit être atteint dans le monde, le travail étant l'une des grandes manifestations de la dignité humaine. Incontestablement, une répartition des biens sera nécessaire pendant la période de redressement, mais ce que nous devons indubitablement répartir de manière définitive, ce sont les multiples CAUSES de ces richesses.
*En deuxième lieu,* aucun État ou groupe d'États ne doit monopoliser les richesses, même en partie, sous prétexte d'une prétendue vocation universelle. Certes, la division du monde en deux irréductibles, communisme et christianisme, nécessite dans une certaine mesure, et pour des impératifs de sécurité, le secret des recherches et des techniques, de la défense et de tout ce qui gravite autour, mais en aucun cas, l'exercice de la vertu de prudence ne doit s'opposer à l'exercice de la vertu de justice, réciproquement d'ailleurs. Et dans cette perspective, nous avons le devoir de repenser complètement les notions de « propriété intellectuelle » et de « propriété industrielle » telles qu'elles font l'objet du droit international présent.
Mais surtout, les gérants que nous sommes sont comptables devant Dieu des richesses entre nos mains, et tout gaspillage est coupable. Il est très difficile de trancher dans le vif de ce sujet, tout au plus peut-on poser des questions. Est-il sage ou fou de dépenser des sommes fabuleuses dans la recherche nucléaire, dans l'astronautique, dans la défense, et par exemple dans une force de frappe dérisoire pour réaliser un rêve de grandeur ?
85:53
Est-il sage ou fou de créer des agglomérations urbaines hors de proportion avec l'homme, causes de souffrances et de gaspillage de biens, d'entretenir des industries de luxe ou de gadgets qui ne tiennent que par les changements saisonniers de mode ou le seul souci d'être à la page ? Est-il sage ou fou de créer aux U.S.A. et ailleurs des industries qui ne travaillent qu'à moitié de leur capacité et provoquent ainsi des menaces de crise extrêmement dangereuses pour le monde ? Est-il fou ou sage de voir des grèves ruiner des nations et des sociétés, de laisser les week-ends se transformer en hécatombe, et de laisser presque la moitié de la France devenir un désert ? Ce ne sont là que quelques exemples parmi les plus criards, mais il en existe tant d'autres alors que plus d'un milliard et demi d'hommes, de femmes et d'enfants vivent dans des conditions de très loin inférieures à celles des animaux de ferme.
\*\*\*
Poser ces questions est déjà y répondre, tout au moins dans le principe. Disons les choses crûment, nous sommes les victimes complaisantes sinon consentantes d'une énorme tentation et d'un chantage proprement sataniques. Le Prince de ce monde joue gagnant nos faiblesses, que par l'orgueil il nous fait prendre pour de la force.
L'une des tentations est celle de l'élévation du niveau de vie. Il est certes bon et souhaitable que le confort aille en augmentant, mais ceci ne doit pas être aux dépens de nos vertus et nous entretenir dans *l'illusion d'être protégé contre le communisme par nos richesses.* Il est bon que le Grand Maître du communisme, Krouchtchev lui-même, prédise l'avènement d'un État soviétique américain pour la prochaine génération. L'avertissement vaut d'être médité par tous, car il ne peut être prophétique que par notre faiblesse et notre persévérance dans les errements actuels.
Une autre tentation réside dans l'illusion de la puissance : l'U.R.S.S., en engendrant en en entretenant la guerre froide, a provoqué la course démentielle aux armements et cette recherche illusoire de l'arme absolue, se moquant d'ailleurs de nous, CAR ELLE NE RECOURRAIT A LA GUERRE QU'AU CAS IMPROBABLE OÙ LES MOYENS DE SUBVERSION INTERNE ABOUTIRAIENT À L'ÉCHEC.
86:53
Mais en outre, elle nous entraîne dans cette *voie de gaspillage* où nous perdons notre substance malgré des résultats spectaculaires, car les cerveaux les plus brillants de notre époque sont engagés dans cette lutte et *font défaut précisément là où ils seraient le plus utiles,* c'est-à-dire dans la reconstruction d'un monde authentiquement chrétien. Nos armes atomiques ou thermonucléaires, nos fusées astronautiques ou intercontinentales ne font qu'ajouter du feu, aux sens propre et figuré, au feu de l'enfer matérialiste dans lequel nous vivons et dont nous ne savons ou ne voulons pas nous dégager. L'Évangile nous rappelle que sans le Christ, nous ne pouvons rien faire. Il est grand temps que nous nous en rendions compte, et que nous fassions passer cette vérité dans notre vie et celle de nos gouvernements.
#### VI. -- Les faux remèdes.
L'un des faux remèdes, parmi les premiers, et qu'il importe de dénoncer encore ([^33]) est la limitation des naissances. En prenant la suite de Malthus, il peut sembler séduisant, plutôt que d'augmenter les biens et d'étudier leur répartition, de réduire le nombre des parties prenantes. Cette formule avait d'ailleurs sévi dans les pays développés dès le début du siècle et même pendant l'entre-deux-guerres de façon implicite : les milieux les plus aisés étaient souvent ceux qui avaient le moins d'enfants, ce qui était plus visible encore dans les pays protestants où le souci de la famille était moins grand qu'en terre catholique. Il convient donc de n'être pas surpris de voir cette doctrine prendre jour surtout dans les pays anglo-saxons et nordiques.
Mais ce n'est guère que vers la fin de la deuxième guerre que cette théorie fut formulée et même presque érigée en doctrine, au Japon d'abord, en Inde maintenant, ainsi que *dans la propagande officielle de l'O.N.U.* et des organismes spécialisés. Et pourtant, LES DONNÉES DONT PARTENT LES SPÉCIALISTES SONT EN GÉNÉRAL ERRONÉES. Nous avons déjà montré qu'en Inde, les seuls renseignements complets dont on dispose, ceux des recensements de 1941 et 1951, après correction des erreurs dues à la Partition et aux déplacements de population qui ont suivi, *font ressortir un accroissement moyen de* 3,6 *millions par an, fort loin des chiffres erratiques annoncés ici et là, même par des autorités que l'on devrait pouvoir considérer comme sérieuses.* Le prochain recensement, en 1961, donnera des précisions complémentaires.
87:53
Pour avoir une vue statistique plus exacte des choses, les renseignements nécessaires font totalement défaut, non seulement en Inde, mais dans la plupart des pays sous-développés, dont beaucoup n'ont pas même d'état civil. En effet, l'excèdent des naissances est en progression pour trois raisons totalement différentes : en premier lieu l'augmentation proprement dite des naissances, ensuite la diminution de la mortalité infantile, enfin la prolongation de la vie des adultes. Or il est aisé de s'apercevoir que LES DEUX DERNIERS DE CES FACTEURS ONT DES LIMITES CERTAINES, et le premier également, bien que de manière plus diffuse et plus difficile à préciser. Ceci fausse très profondément les calculs des spécialistes, où ces facteurs ne sont pas ou peu considérés, bien qu'ils influent de façon très large les résultats. On peut conclure que *les chiffres de population mondiale annoncés par exemple pour l'an 2.000 sont probablement faux par un large excès.* D'ailleurs, des chiffres plus exacts ne peuvent être établis non seulement par manque d'information statistique, mais encore par l'ignorance de l'avenir préparé par la Providence.
Cet aspect du nombre des hommes serait d'ailleurs sans grande importance s'il n'était utilisé consciemment ou non pour *créer une sorte de panique* à laquelle beaucoup trop de chrétiens sont sensibles, car si l'on voulait accepter les chiffres habituels sans examen plus approfondi, c'est-à-dire 1,5 % d'accroissement annuel, *nous sommes encore très loin des chiffres normaux d'expansion généralement admis pour une économie saine.*
Mais il faut, plutôt que de raisonner sur des chiffres, c'est-à-dire dans une perspective encore matérialiste, s'élever au-dessus de ces données, et voir cette question sous l'angle de la morale sociale et chrétienne. La limitation des naissances est un crime envers Dieu dans l'ordre des potentialités ; au niveau de la morale sociale, cette méthode devrait beaucoup plus justement être dénommée la méthode de la dénaturation de l'acte sexuel, et comme toute dénaturation, elle ne peut que se traduire par la déchéance de l'homme et la destruction de la cellule familiale, ce à quoi il faut encore ajouter les drames résultant des accidents dans l'application des méthodes abortives ou contraceptives ([^34]).
88:53
Le DEUXIÈME FAUX REMÈDE est plus subtil. C'est celui de l'augmentation du niveau de vie par une production non discriminée de richesse. *Il n'est pas vrai que toute augmentation de richesses est en soi un remède au sous-développement.* L'Inde en est un bon exemple. C'est un pays totalement sous-développé, c'est-à-dire, rappelons-le, un pays qui ne peut assurer, et de très loin, la nourriture, le vêtement, le logement, la santé et le travail de sa population. Lorsque les biens mis en production par les Plans de cinq ans ne sont pas directement en rapport avec les carences fondamentales, il n'y a pas de résorption du sous-développement. Pour l'Indien, la quasi totalité de ses ressources sont absorbées par la nourriture, mais *tant que la quantité de produits alimentaires n'augmente pas en même temps que le revenu moyen, ce sont les prix qui augmentent, et l'accroissement du revenu moyen est purement nominal, le niveau de vie restant en stagnation.* Le Pandit Nehru a très amèrement constaté ce fait en établissant le bilan du premier plan quinquennal, mais sans être à même de remonter à la cause. Il était pourtant évident que la fabrication de postes de radio ou de conditionneurs d'air ne favorisait que les classes fortunées, et que la fabrication d'instruments électroniques destinés à l'armée ne soulagerait pas la misère du peuple. Il en va ainsi de beaucoup d'autres entreprises, et ceci n'est pas vrai que pour l'Inde.
\*\*\*
Le TROISIÈME DES FAUX REMÈDES est celui de l'industrialisation à tout prix. Cette erreur tout d'abord jouxte la précédente en ce sens que, si l'industrialisation aboutit à une élévation finale de niveau de vie, ce ne peut être, lorsque l'on part de zéro, qu'avec *une extrême lenteur* que l'histoire et les drames en jeu ne permettent pas. Mais en outre, l'absorption de produits industriels dans le pays même posera des problèmes de plus en plus importants, problèmes d'autant plus insolubles que les nations développées ont de plus en plus de difficultés à exporter leurs propres excédents.
89:53
Il serait d'ailleurs fortement paradoxal que les nations sous-développées exportent des produits manufacturés pour importer des vivres des nations industrielles. C'est pourtant ce vers quoi l'on tend.
L'industrialisation, pour les pays totalement sous-développés, est par ailleurs un leurre. Toujours en Inde, la raison fondamentale de cette situation est que les 90 ou 95 pour cent de la population qui est rurale, ne sont au travail que le tiers du temps. Si l'on voulait réaliser le plein emploi par l'industrialisation pour les deux tiers inoccupés, il faudrait créer de l'ordre de 60 millions de postes de travail à quelque 30.000 NF par poste, cela représenterait, pour l'Inde seule, près de 2.000 milliards de NF, deux cent mille milliards d'anciens francs. On peut d'ailleurs se demander ce que l'on pourrait faire de toute cette production industrielle, d'autant que, dans ce calcul, la productivité agricole serait encore très faible, l'agriculteur faisant dans ce calcul vivre trois personnes, alors que son collègue américain en fait vivre dix-huit sans compter les surplus dont l'Amérique ne sait que faire.
L'industrialisation intensive a de plus un inconvénient majeur et de très grande portée. Dans la plupart des civilisations passées et présentes, pour ne pas dire toutes, *l'agriculture a toujours été la parente pauvre,* soit que l'élite se tourne vers la cléricature ou les armes avant les temps industriels, soit vers les « affaires » une fois ces temps venus. Dans toutes les langues de la terre, le mot « paysan » traîne derrière lui un sens péjoratif et l'on s'aperçoit que dans les pays sous-développés, qui sont tous à des degrés divers des terres de famine ou de malnutrition, les élites se tournent vers l'industrie, les affaires et le commerce, et *non seulement l'agriculture ne reçoit pas un contingent suffisant, mais encore elle perd les plus intelligents, les plus entreprenants donc les plus productifs de ses membres.* Le drame ne fait alors que s'accentuer, la production agricole allant en s'amenuisant ou, au mieux, restant stagnante. Ce mal peut d'ailleurs être très facilement constaté en France même, se traduisant par le « désert français » et par le fait que la France n'exporte pas plus de produits agricoles, en valeur, que le Danemark.
Enfin, la concentration industrielle intense, dans des pays comme l'Inde, facilite dans une très large mesure le noyautage et la propagande communistes, rendant le drame un peu plus aigu s'il est possible et la recherche des vraies solutions plus difficile encore.
90:53
*L'U.R.S.S. le sait bien, qui contribue par sa propagande à promouvoir l'industrialisation à outrance,* la Chine Communiste en est la preuve, et les Occidentaux naïfs et intéressés, emboîtent le pas sans grand esprit critique. Nous sommes ici en face de l'un de ces chantages démoniaques déjà mentionnés.
#### VII. -- L'aide aux pays sous-développés.
La complexité du problème ainsi posé de façon très succincte fait qu'il n'est pas possible dans le cadre d'un article forcément limité d'étudier la multiplicité des diverses solutions à mettre en œuvre. En effet, problèmes et solutions touchent à l'économie mondiale, à la morale et à la sociologie, à la politique internationale et à l'affrontement de deux idéologies irréductiblement opposées, et ces problèmes et solutions varient profondément avec les pays considérés. Aussi sommes-nous contraints, même au niveau des généralités, de nous limiter à quelques aspects majeurs.
1°) *Le problème agricole :* Au point où nous sommes parvenus, il doit être clair que l'agriculture pèse très lourd dans le drame actuel. Il est en effet fondamental d'augmenter la production agricole des pays sous-développés, et ceci, à diverses fins. Tout d'abord dans le domaine de la production vivrière et des textiles naturels, ainsi que dans le sens d'une meilleure productivité de la terre, afin de permettre une utilisation aussi totale que possible des populations rurales et l'équipement de la terre en bâtiments d'habitation et d'exploitation, en instruments aratoires et machines agricoles. C'est dans cette voie seulement que nous serons susceptibles de satisfaire de plus en plus aux cinq besoins matériels de l'homme que nous avons indiqués dès le départ, et qui se conditionnent les uns les autres.
Dès ce premier pas, la quasi-impossibilité actuelle apparaît, car de tous les pays développés, seuls les États-Unis d'Amérique sont arrivés à rendre la production agricole véritablement économique, impliquant un support industriel lourd et des moyens mécaniques qui ne sont pas accessibles aux pays sous-développés, avec pour contre-partie des surplus énormes d'ailleurs, dévorant le budget national, et dont, paradoxalement, ils ne savent que faire.
91:53
Et si nous faisons de tour de l'Europe, il nous montrera que seuls le Danemark et les Pays-Bas sont arrivés à une économie agricole saine, encore que dans des conditions très spéciales qui ne peuvent guère servir de référence ailleurs. La réforme agraire soviétique, en dehors de son caractère odieux, s'est de plus traduite par un échec définitif, ce qui ne doit d'ailleurs pas nous surprendre.
La France aurait dû avoir une place de choix en ce domaine du fait de sa diversité harmonieuse et de la richesse de ses terres. Mais l'absence de cohérence et l'impuissance de nos divers régimes successifs depuis plus de deux siècles ont ruiné notre agriculture tout en la privant de ses cadres. Il est inadmissible que notre pays soit capable de découvrir et de mettre en valeur des richesses comme celles de Lacq et du Sahara, et de soutenir une expansion industrielle des plus rapides, mais qu'il reste inactif et indifférent au monde rural et à ses problèmes.
Ceci ne nous est malheureusement pas particulier, car c'est l'un des aspects du matérialisme occidental ou soviétique de *préférer les artifices de la production ou de la destruction de la matière inerte,* propre à l'industrie, *au travail patient nécessité par les organismes vivants et qui est spécifique de l'agriculture.* De nombreuses conséquences philosophiques pourraient être déduites de cette constatation mais cela nous entraînerait trop loin. Les conséquences directes en sont clairement visibles : manque d'écoles agricoles, de centres de recherche, de cadres ruraux, etc. Toutefois, il faut être convaincu qu'aucune agriculture nationale, en pays sous-développé ou non, ne pourra être remise sur pied par les seuls remèdes économiques. Le mal que l'on constate est *toujours d'origine* SOCIALE, et nous croyons indispensable que les chrétiens étudient une réforme agraire qui soit tout autre chose que celle des seuls droits de propriété ou de succession. Nous avons dans ce sens tout l'enseignement des derniers papes, dont nous serions coupables de ne pas tenir compte.
2°) *Concurrence ou coopération :* Depuis la fin de la guerre, des sacrifices très importants ont été consentis par le monde libre et par le communisme mondial et les résultats en sont très faibles sinon nuls en comparaison du problème posé. Il ne faut pas s'en étonner en ce qui concerne l'effort soviétique puisqu'il est orienté vers des fins tout autres, mais il faut chercher les raisons pour lesquelles l'effort occidental n'a pas été couronné de succès tout au moins partiel.
92:53
Les fausses motivations que nous avons mentionnées n'y sont pas étrangères, mais le manque d'unité de l'Occident, plus que toute autre raison, est déterminant. Jusqu'à présent, le seul effort concerté a été fait par les organismes spécialisés de l'O.N.U. et nous pouvons faire confiance à l'intrinsèque perversion pour en réduire l'efficacité car tel est son intérêt ([^35]). Mais même sans ce facteur, nous pouvons penser que les résultats en seraient minces. En effet, l'unité et plus simplement l'harmonie sont très loin de régner dans le camp occidental en ce qui concerne l'aide aux pays sous-développés comme en toute autre question. Les nations libres luttent de façon inadmissible les unes contre les autres, au niveau gouvernemental comme au niveau des sociétés privées, et au sein des organisations internationales. La concurrence qui en résulte est préjudiciable tant aux intérêts matériels des aidants et des aidés qu'aux valeurs morales des rapports commerciaux et internationaux. Nous en arrivons à donner aux peuples sous-développés *des exemples totalement immoraux* qui non seulement nous déconsidèrent, mais encore *contribuent sur le plan économique à dégrader ces peuples, individuellement et collectivement.*
Cette concurrence se manifeste même entre nations s'étant pourtant attachées à définir quelques règles communes, telles que les accords de Lucerne pour l'Assurance Crédit que *tous les signataires ont violés* les uns après les autres. Elle est encore plus à redouter entre les groupements économiques comme *le* Marché Commun et la zone de libre échange, et si nous n'y prenons garde, cette division ne pourra engendrer que de nouveaux drames aux conséquences catastrophiques dans l'état actuel du monde.
Alors que Moscou télécommande toutes les initiatives des démocraties populaires, l'Occident se doit d'unifier et d'harmoniser ses doctrines et ses actes dans un très proche avenir, et non pas seulement de mettre en commun les fonds destinés à l'aide internationale, ce qui n'est même pas indispensable.
93:53
3°) *Le problème social :* Nous croyons avoir démontré que les bases matérielles dont nous sommes partis sont intimement liées à des questions sociales d'importance primordiale dont quelques aspects offrent des moyens d'action très précis et positifs.
Dans les pays sous-développés, le désordre économique a généralement *des causes profondes d'ordre social.* En ce domaine, il faut lutter contre la pétrification qui s'est produite pendant leurs siècles de léthargie, et Gandhi l'avait bien compris puisque, pour lui, la libération de l'Inde commençait par la suppression des castes. Il est bien évident que de telles réformes ne peuvent être promues par la loi *seule* et qu'il y faut l'adhésion d'une part importante de la population et surtout de ses cadres. Or tous les pays sous-développés souffrent d'un manque presque total de cadres, non seulement de contremaîtres comme on l'entend dire trop souvent, *mais surtout de cadres humains,* quelle que soit leur formation.
Les cadres de formation locale montrent en général une déficience compréhensible en ce domaine, et l'on ne peut leur en tenir rigueur. La formation en pays évolués devient de plus en plus intense, et les pays communistes savent en profiter pour enseigner, en même temps que les techniques et les sciences, le matérialisme et la subversion. Que peuvent recevoir par contre ceux des étudiants qui font confiance à nos pays ? L'expérience d'un matérialisme et d'un athéisme pratiques qui ne différent en rien de ceux de l'Est, des théories républicaines qui ne sont souvent guère valables dans leur pays, etc.
De très nombreux Indiens m'ont dit qu'ils n'attendaient pas seulement de nous des techniques et des machines, *mais encore une spiritualité.* Ils entendaient par là des règles normatives de vie en accord avec la dignité de l'homme qu'ils commencent à découvrir, en d'autres termes une doctrine sociale saine qui pourrait constituer leur première ouverture au christianisme. Il est urgent que nous nous préoccupions de cet aspect très particulier et très lourd de conséquences.
\*\*\*
94:53
Dans le même sens, les cadres occidentaux envoyés en pays sous-développés sont souvent trop peu intéressés par les pays où ils vivent, et ne se soucient guère que de leur tâche spécifique. Si certains s'intéressent parfois à l'art et aux modes de vie locaux, cela ne va souvent guère plus loin, et le souci le plus clair est en général de constituer un capital pour l'heure du retour dans la mère patrie. Ce souci peut être légitime, mais à condition de ne pas constituer une fin en soi. Nous sommes ainsi conduits à penser que *le mode de recrutement* de ces cadres, et surtout supérieurs, doit être amélioré.
C'est pourquoi nous applaudissons très chaleureusement à l'initiative du Président Kennedy de créer *un corps de volontaires* pour ces tâches, Nous sommes convaincus que cela permettra une formation plus profonde en préparation de leurs séjours en terre lointaine, et la découverte de vocations fort précieuses dont nous savons par expérience tout le bien qui peut en résulter. Nous souhaitons que cette initiative soit poursuivie avec persévérance aux U.S.A. et également qu'elle fasse école dans les autres nations libres. Peut-être même, de tels corps nationaux pourraient-ils se fédérer dans un avenir pas trop lointain, pour la mise en commun des expériences.
Nous sommes certain d'ailleurs que l'intrinsèque perversion n'envoie pas, en pays sous-développés, des cadres choisis au hasard, mais au contraire des éléments triés sur le volet et formés avec soin. Sans atteindre cette limite extrême et dégradante, l'action psychologique est nécessaire, et il n'est pas souhaitable qu'elle soit entreprise par les gouvernements, surtout s'ils sont laïcistes. Il y a là un immense champ d'action pour des initiatives privées généreuses.
\*\*\*
Mais surtout, il nous faut essayer de voir avec les yeux d'un Asiatique ou d'un Africain *le visage que leur présentent nos pays évolués.* Sachant pour beaucoup que leur propre problème est social, ou bien répondant simplement à une mode, ils sont frappés par une cohérence et une unité apparentes savamment présentées par le monde communiste, en face duquel le monde occidental se présente comme une jungle, avec un certain système purement économique, le capitalisme libéral fortement décrié, et des systèmes politiques qui, mis à part quelques rares nations, font plutôt dans leur ensemble, apparaître le désordre.
95:53
Ils voient certaines de nos institutions passer et trépasser sans aucune raison compréhensible pour eux, si ce n'est la condamnation du capitalisme prononcée par Moscou. *Il faut bien reconnaître que nos vices et nos défauts sont bien plus visibles que nos vertus.*
Si nous voulons que les pays sous-développés prennent modèle sur nous, il nous faut d'abord réformer en profondeur nos sociétés humaines et rendre enfin nos structures conformes à notre idéal chrétien. Nous ne sauverons pas les nations neutralistes à un prix moindre, et leur avenir est de ce fait lié au nôtre.
Mais il n'entre pas dans notre présent propos de traiter de cette question, qui est d'ailleurs bien trop vaste, et mieux abordée à l'occasion de sujets précis. Nous voudrions toutefois remarquer que dès que l'on examine dans un certain détail l'un des grands problèmes qui confrontent notre monde moderne, il semble que nous nous heurtions à des dimensions qui dépassent notre échelle humaine, que nous ne puissions que constater notre impuissance presque totale si nous n'en croyons que les apparences, et soit la résignation soit la démission s'offrent à nous, et nous laissons à nos gouvernements le soin de nous tirer d'affaire au mieux. Ceci nous conduit à conclure sous forme de question et à apporter un embryon de réponse.
#### VIII. -- Que pouvons-nous faire ?
Citons Gandhi une fois encore. De nombreux visiteurs de nos pays s'attiraient cette remarque : « Vous autres, chrétiens, vous avez de la dynamite entre les mains et vous ne savez pas y mettre le feu ». Il connaissait bien le Nouveau Testament qu'il avait longuement médité, mais il ignorait très probablement les messages mariaux et pontificaux de notre siècle. Que n'aurait-il pas dit s'il les avait connus ? Car même sans cela il avait déjà raison de multiples manières.
Tous les chrétiens ont à leur portée les grands moyens d'Église et en particulier la prière et la pénitence sur lesquels nous n'insisterons pas, bien que nous pensions qu'ils soient les plus efficaces, ne serait-ce que par l'ouverture personnelle qu'ils ne manquent pas de nous apporter, et sur laquelle nous voudrions donner quelques précisions.
96:53
Trop souvent, nous manquons d'imagination chrétienne parce que nous savons mal tirer les conséquences de notre position providentielle dans la société. Il faut donc, dès l'abord, que nous nous interrogions sur les liens qui nous unissent au monde extérieur, et en particulier aux pays sous-développés, car, plus forts seront ces liens, plus grande doit être notre action qu'ils orientent et conditionnent. Pour les uns, ce peut être l'étude économique, sociale ou bien politique, pour d'autres l'apport d'informations, d'observations, la confrontation d'expériences personnelles, pour d'autres enfin, l'action directe dans les milieux habituellement fréquentés.
Nous savons de foi qu'un grand arbre sort de la graine de sénevé, et nous avons le devoir de faire passer cette foi dans des approches et des solutions chrétiennes concrètes. Nous savons que dans la structure actuelle de notre société française, cela n'est pas ou guère possible à notre gouvernement et aux intérêts privés, et c'est une raison supplémentaire pour intéresser les grandes organisations d'Église dans le cadre de leur diversité à se pencher sur les problèmes très divers posés par les pays sous-développés.
Si rien n'est fait dans ce sens, il ne nous faudra pas être surpris de voir les grands plans d'assistance évoqués à tour de rôle par les grandes nations occidentales rester dans les limbes par manque de solutions concrètes ou d'idées directrices, et le rayonnement pervers de Moscou et de Pékin s'étendre aux dépens de l'influence chrétienne. N'oublions surtout pas que la France se doit d'être fidèle à sa vocation, c'est-à-dire d'être à l'origine des grands courants de pensée, ce qui nous réserve une place de choix dans la lutte contre la misère du monde.
Michel TISSOT.
P.S. -- La déclaration faite par le Président Kennedy lors de sa récente investiture proclame à la face du monde le devoir de justice que nous avons à l'égard des pays sous-développés. Nous applaudissons vivement à cette déclaration tout en regrettant qu'elle n'ait pas été faite quelques dix ans plus tôt et nous souhaitons très vivement qu'elle ne reste pas dans le principe mais se traduise dans les faits non seulement aux U.S.A., mais dans tous les pays placés sous le signe de la richesse.
97:53
## DOCUMENTS
#### Des chefs de famille catholiques s'attaquent à la crise du logement
Sous l'égide de l'Association familiale catholique de la Loire (ancienne Association catholique des Chefs de famille), une équipe de familiaux chrétiens de Saint-Étienne a créé le 1^e^ juin 1953 l'Association catholique pour le logement et l'épargne : A.C.L.E.
Son but : *procurer des logements décents et abordables aux familles les moins fortunées.*
Les résultats concrets sont aujourd'hui concluants, bien qu'au départ beaucoup aient qualifié d' « utopique » un tel projet.
La situation\
et les principes d'action.
On sait que la crise du logement est le plus dramatique des problèmes « sociaux » français. Pour répondre aux besoins actuels et futurs, il faudrait que la France, pendant 30 ans, construise entre 240.000 et 320.000 logements par an. Il faudrait en construire 120.000 par an pour seulement ne pas régresser. Or, ainsi que le rappelle François Saint-Pierre dans son livre *Le drame du logement mis à nu :* « Nous sommes arrivés en France à une dépense annuelle de 1.000 milliards pour obtenir les satisfactions, ou les dégoûts, procurés par le tabac, l'alcool, le P.M.U. et les journaux pornographiques, contre 100 milliards consacrés aux loyers. »
Les dirigeants de l'A.C.L.E. de Saint-Étienne ont décidé de se mettre pratiquement à la tâche ; c'est-à-dire : 1. de faire ce qu'ils peuvent faire *dans leur secteur ;* 2. de le faire *en catholiques.* Ils déclarent :
98:53
« *Nous n'avons pas craint de nous présenter comme catholiques, et d'agir sous le nom de catholiques. Cependant, nous ne demandons pas un certificat de baptême à ceux que nous logeons, mais seulement quelle est leur souffrance.*
« *Nous ne prétendons pas que notre système est seul valable, ni que notre manière de voir est seule possible. Mais nous avons voulu montrer que, sur le plan social, les catholiques n'ont pas à rougir de leur nom.*
« *Bien plus, nous avons voulu prouver que des chrétiens qui ont pour eux les trésors de l'Évangile et l'expérience de vingt siècles de civilisation chrétienne n'ont pas à* *courir devant ni derrière le marxisme.* »
Il s'agissait de loger *ceux qui en ont besoin :* ceux qui n'ont pas les moyens de se loger, ceux qui ne gagnent que le salaire minimum vital et ne peuvent économiser les premières et importantes mises de fond qui leur sont demandées pour accéder à la co-propriété ; ceux enfin qui ne peuvent payer les loyers actuels, même H.L.M.
Pour cela, créer une *communauté* qui pratique l'amour du prochain : l'entraide, la justice et la charité. Afin de *rendre sa dignité à l'ouvrier,* qui aura sa maison payée avec le produit de son travail, et à la famille, dont l'épanouissement sera possible dans un cadre prévu pour elle.
*Forme :* association régie par la loi du 1^er^ juillet 1901.
*Membres :* 1. ceux qui ont besoin d'être logés ; 2. ceux qui veulent les aider.
*Administration :* un conseil d'administration de douze membres, dont un Comité directeur de cinq membres (actuellement les créateurs de l'Association). Aucun n'est rémunéré.
*Un Comité de patronage* en vue de l'appel à l'épargne.
*Une Commission de contrôle* de quatre membres, élue par l'Assemblée générale.
*Ressources :*
- Emprunts auprès de personnes privées.
- Cotisations des employeurs au titre de la loi d'aide à la construction.
- Emprunts au Crédit foncier, qui depuis la modification de la législation d'aide à la construction, prête pendant vingt ans à 2,75% (à la place de la prime à la construction).
*Répartition des appartements :*
Sur 10 logements :
- 3 aux plus anciens adhérents inscrits ;
- 3 aux adhérents qui versent le plus (grâce à l'allocation-logement, ce sont ceux qui gagnent le moins) ;
- 3 aux adhérents qui en ont le plus besoin ;
- 1 tiré au sort parmi les adhérents.
99:53
Fonctionnement.
1. -- Le financement dit de construction est ENTIÈREMENT utilisé à construire. Aucun prélèvement ne peut être fait pour la gestion, l'entretien, l'assurance, etc., la comptabilité de ce chapitre est *séparée* des autres comptabilités.
2. -- Financement *d'usage-entretien-assurance :* il sert à l'entretien du gros œuvre et à l'assurance. Chaque co-propriétaire verse actuellement de 6,50 NF à 8,50 NF par mois (selon l'appartement). Ce financement constitue une réserve en prévision des réparations futures et de l'assurance. La comptabilité de ce chapitre est séparée des autres.
3. -- Financement *de gestion.* Les frais d'administration de l'A.C.L.E. sont couverts uniquement par la cotisation annuelle que chaque membre verse, comme dans toute Association, ou par des recettes diverses de toute sorte, à l'exclusion des recettes destinées à la construction. Comptabilité séparée.
4. -- Financement *de secours :* destiné à soulager les familles touchées par le chômage ou le deuil. Il trouve sa source dans la charité chrétienne. Comptabilité séparée.
Modalités de crédit\
« construction-copropriété ».
Les plans étant approuvés et l'emplacement choisi, les futurs co-propriétaires désignés suivant l'ordre de répartition précisé ci-dessus, sont alors conduits devant un notaire où ils procèdent à l'achat du terrain qui est payé, par subrogation, par l'Association. Ensuite, les co-propriétaires donnent à l'Association tous pouvoirs pour choisir architecte et entrepreneurs, pour réaliser la construction et pour la payer.
L'A.C.L.E. fait alors à chacun d'eux une « ouverture de crédit » par contrat particulier, comprenant les clauses de remboursement soigneusement étudiées, selon les possibilités de chacun. Les contrats comportent un « *coefficient de revalorisation* » : les familles savent que pendant un nombre d'années déterminées, inférieur à vingt ans, elles auront, quelles que soient leurs ressources, *environ un mois de salaire par an* à donner pour payer leur maison.
Les réalisations.
- *Décembre* 1952 : La Fédération de la Loire des Associations Familiales Catholiques (A.C.C.F.) désigne une Commission qui se met au travail, recherche les causes de la crise du logement -- ennemi numéro un de la famille française -- examine les diverses solutions proposées. Finalement, elle adopte le plan et les statuts dont les grandes lignes ont été données ci-dessus.
100:53
- *Juin* 1953 : dépôt des statuts.
- *Août* 1953 : décret 53.701 imposant la contribution patronale à la construction.
- *Septembre* 1953 : appel aux employeurs.
- *Octobre* 1953 : début de l'étude du premier projet : « La Maison Saint Joseph » 16 logements.
- 31 *mars* 1954 : premières réceptions des cotisations des employeurs.
- *Juillet* 1954 : octroi du permis de construire et de la prime à la construction.
- 16 *août* 1954 : premier coup de pioche de la première réalisation : la Maison Saint-Joseph.
- *Septembre* 1954 : bénédiction de la première pierre par Mgr Bornet.
- 15 *décembre* 1954 : pose du premier toit du premier immeuble (Maison Saint-Joseph).
- 1^er^ *septembre* 1955 : emménagement du premier immeuble (Maison Saint-Joseph).
- *Novembre* 1955 : début de l'étude d'un nouveau projet à réaliser dans le quartier de Solaure (30 logements).
- 28 *avril* 1956 : installation d'un « Télé-Club » dans la Maison Saint Joseph.
- 30 *juin* 1956 : emménagement du deuxième immeuble de la Maison Saint Joseph.
- *Juillet* 19.56 : commencement des travaux des immeubles de Solaure.
- 30 *septembre* 1956 : bénédiction de la première pierre à Solaure (Maison Sainte Marie) par Mgr Bornet.
- *Septembre* 1958 : emménagement du premier bloc de la Maison Sainte Marie.
- *Décembre* 1958 : emménagement du second bloc de la Maison Sainte Marie.
- *Septembre* 1959 : bénédiction de la première pierre de la Maison Saint Jean-Marie Vianney à L'Horme, par Mgr Jourjon, Vicaire général.
- *Décembre* 1959 : emménagement du troisième bloc de la Maison Sainte Marie.
- *Juillet* 1960 : commencement des travaux du Foyer des Jeunes Ouvrières à Saint-Étienne (30 chambres).
- *Février* 1961 : emménagement de la Maison Saint Jean-Marie Vianney.
101:53
- *Avril* 1961 : commencement des travaux de la Maison Notre-Dame des Mineurs. Inauguration du Foyer des Jeunes Ouvrières à Saint-Étienne. Commencement des travaux du Foyer des Jeunes Ouvriers.
Appel\
aux familiaux catholiques\
de toute la France.
L'A.C.L.E. de Saint-Étienne adresse à toutes les Associations familiales catholiques un appel à s'engager résolument dans la voie des *réalisations concrètes,* inspirées et réclamées par la doctrine sociale catholique.
L'A.C.L.E. de Saint-Étienne dêclare :
« Notre action n'est pas une aumône accordée à la classe ouvrière. Nous donnons simplement aux chefs de famille de condition modeste la possibilité non seulement de se loger, mais de devenir propriétaires de leur appartement, dans des conditions en rapport avec leur salaire.
« Militants familiaux catholiques : ce que nous avons fait à Saint-Étienne peut être réalisé dans votre arrondissement.
« Industriels catholiques de toute la France : *selon l'orientation que vous donnerez à votre contribution-logement,* ou bien vous contribuerez à l'INSTAURATION D'UN ORDRE SOCIAL CHRÉTIEN, ou bien vous travaillerez pour un « humanisme » ou un « socialisme » purement terrestres. »
L'A.C.L.E. de Saint-Étienne, et le Comité directeur de la Fédération de la Loire des Associations Familiales Catholiques (A.C.C.F.) offrent d'aider au démarrage d'entreprises semblables dans d'autres départements ([^36]).
==============
### Le procès des Soviets « contre l'Archevêché de Lyon »
La presse française n'a guère expliqué, et apparemment point compris du tout, le caractère véritable du procès plaidé à Lyon, en janvier dernier (et dont le jugement sera prononcé vraisemblablement en juin) contre les Éditions Emmanuel Vitte, « librairie de l'Archevêché et des Facultés catholiques ».
102:53
La presse soviétique n'a nullement caché les intentions très précises qui ont inspiré cette opération. Il s'agit d'une attaque visant l'Archevêché de Lyon et le Cardinal Gerlier lui-même, nommément mis en cause par la *Pravda* et par la *Komsomolskaïa Pravda ;* autour du Cardinal « se sont groupées les forces les plus obscures et les plus acharnées qui soutiennent l'impérialisme et le colonialisme, qui jettent de l'huile sur le feu de la guerre froide ». Cette attaque communiste contre le Cardinal Gerlier semble avoir notamment un motif de vengeance, car la presse soviétique déclare à cette occasion que « c'est lui qui, sur l'ordre du Pape de Rome, a enlevé (*sic*) le Chanoine Kir, maire de Dijon, pour l'empêcher de rencontrer Krouchtchev lors de son voyage en France ».
En outre, le jugement qui sera rendu dans ce procès est susceptible de faire jurisprudence en une matière où la doctrine juridique paraît encore assez incertaine.
Nous reproduisons dans les pages suivantes l'étude approfondie de cette affaire que M. Harmel a publiée dans la revue *Est et Ouest,* numéro de février 1961 (les notes sont de l'auteur).
On aimerait pouvoir s'arrêter longuement sur le procès qui a opposé le 26 janvier 1961, à Lyon, aux Éditions Emmanuel Vitte on ne sait au juste qui, les Éditions Julliard, une « Agence artistique et littéraire parisienne » ou l'écrivain soviétique Anatole Kouznetsov. On aimerait s'y arrêter, non seulement parce que le jugement qui sera prononcé a des chances de créer un précédent, de faire jurisprudence sur un point de droit qui demeure assez obscur, mais parce qu'on y voit de façon fort claire l'habileté des Soviétiques à profiter de toutes les faiblesses de l'Occident pour le pousser vers sa perte.
#### Une traduction non autorisée
De quoi s'agissait-il ?
En octobre 1958, paraissait à Lyon, aux Éditions Emmanuel Vitte, un petit livre traduit du russe par Paul Chaleil. Le traducteur -- le R.P. Paul Chaleil -- avait trouvé le texte qu'il avait traduit -- une longue nouvelle plutôt qu'un roman -- dans le numéro 7 de juillet 1957 de *Younost* (*Jeunesse*)*,* revue littéraire mensuelle destinée aux jeunes.
103:53
Il avait été attiré par ce récit, au premier regard, parce que l'essentiel de l'aventure contée se passait sur les grands chantiers d'Irkousk et de Bratsk, là où lui-même avait passé six ans comme hôte involontaire de l'univers concentrationnaire. La police soviétique l'avait fait arrêter en effet dix ans plus tôt, le 28 décembre 1948 à Kharbine, en Mandchourie (il était missionnaire en Extrême-Orient depuis 1939), et, après les péripéties que l'on imagine, il avait échoué -- condamné à vingt-cinq ans de prison -- dans un bagne sibérien dont les occupants (qui avaient d'abord été des prisonniers japonais) avaient pour tâche de construire l'infrastructure de la zone industrielle qui devait s'édifier autour du futur barrage de l'Angara, dans la province d'Irkoutsk, près du lac Baïkal : bûcheronnage, terrassements, construction de voies ferrées étaient les travaux auxquels le Père Chaleil fut forcé avec ses compagnons dans les conditions inhumaines des camps de redressement soviétiques jusqu'à ce qu'il fût libéré, en août 1955, sur l'intervention du gouvernement français : On était alors dans la première phase de la « déstalinisation » et les dirigeants soviétiques consentaient à retrouver dans leurs prisons pour les rendre à l'Occident, quelques-uns des Européens qu'ils y tenaient enfermés depuis des années en feignant d'avoir oublié leur existence.
L'auteur de la nouvelle, Anatole Kouznetsov (ou Kouznietsoff) était un jeune écrivain, né en 1929, qui devait son sujet au séjour qu'il avait fait à l'été de 1956 dans la région d'Irkoutsk où la revue *Younost* l'avait envoyé faire un reportage. Il avait donné pour titre à son œuvre « *Prodolgénié Leguendy* », Suite de la légende ou La légende continue. Mais le traducteur, frappé par le ton du récit, par l'incertitude du héros principal sur le sens de sa vie, lui avait préféré un autre titre (qu'il expliquait dans l'avant-propos) : « *L'étoile dans le brouillard* » (« *Dans les solitudes glacées de la Sibérie, vous semblez, Tolya, ne plus percevoir l'Étoile Rouge du Kremlin ; elle semble cachée à vos yeux par un épais brouillard* ») et l'éditeur, suivant cette indication, avait fait figurer sur la couverture ce qui symbolise pour nous la Sibérie -- sur un fond de taïga, des sapins et des fils barbelés -- avec, dessus, l'étoile rouge du Kremlin.
C'est de la même façon, mais dans le sens contraire, qu'a procédé l'auteur de la traduction officielle, parue en 1960 chez Julliard : considérant sans doute lui aussi que le titre véritable serait trop énigmatique pour le public français, il a intitulé son roman : « *Sibérie heureuse* ».
Ni le Père Chaleil ni le directeur des Éditions Vitte n'avaient sollicité l'autorisation de l'auteur pour traduire son roman. Ils savaient que l'Union soviétique *n'avait pas reconnu les conventions internationales* en matière de propriété littéraire et de droits d'auteur. *Comment donc un écrivain soviétique pourrait-il les contraindre à respecter des accords que son pays n'a pas signés et qu'il ne respecte pas *?
104:53
#### Les Soviétiques montent une opération politique
Si l'on en croit le correspondant lyonnais (de l'*Humanité,* 27-1-1961), ce fut Aragon qui alerta les Soviétiques. Il fit parvenir « un jour » à Kouznetsov un exemplaire de la traduction Chaleil. « *Ayant lu ce texte* » Kouznetsov aurait « *alerté son agent littéraire en France* » (sic). D'où le procès.
Il faudrait tout ignorer de l'U.R.S.S. pour croire que Kouznetsov a agi de son propre chef. Rien ne s'est fait sans l'ordre des dirigeants soviétiques et ils ont même attache à l'affaire une importance singulière si l'on en juge par le soin avec lequel elle a été conduite, par la place qu'on lui a donnée dans les journaux soviétiques.
Le 6 janvier, c'est la *Pravda* qui en parle. On y lit, sous la plume d'un critique célèbre à Moscou, une espèce de roman noir du plus haut comique. Comme les Éditions Emmanuel Vitte ont, depuis un siècle, le privilège de s'intituler « *Librairie de l'archevêché et des facultés catholiques* » c'est de toute évidence l'Archevêque qui a tout fait ([^37]). Il a acheté M. Vitte qui a acheté M. Paul Chaleil. Un moment, il a eu peur que le travail ne fût pas bien fait.
105:53
« *C'est que M*. *Vitte sous-estimait M*. *Paul Chaleil, ce bandit de la plume* ». Mais ses craintes n'étaient pas fondées, car « *lorsque M. Emmanuel Vitte eut enfin entre les mains la traduction défigurée de la nouvelle :* La légende continue, *ses mains tremblèrent* », de joie, bien sûr.
Le tableau est assurément pittoresque, et digne des « *Mystères de Paris* ». Quant à sa vérité ! Ne donnons qu'un détail : Emmanuel Vitte est mort depuis environ cinquante ans !
Le 18 janvier, c'est Kouznetsov lui-même qui opère, dans la *Komsomolskaïa Pravda :*
« *J'ai raconté... la simple histoire d'un jeune homme qui est allé construire une usine hydraulique sur l'Angara, qui a traversé toute sorte de difficultés, de doutes, d'insuccès, mais qui, lorsqu'il fut devenu un véritable ouvrier moderne, lorsqu'il eut connu la joie et le triomphe du travail pour le bien des hommes, a enfin compris en quoi consistait le véritable bonheur dans la vie, et est devenu un bâtisseur convaincu et militant du communisme.*
« *Et tout à coup, je reçois de France un exemplaire, très bien présenté, de mon livre. Sur la couverture glacée, je vois mon nom. Cette couverture représente un paysage de la Taïga sibérienne, sombre, derrière des barbelés. Au-dessus de la Taïga, dans le brouillard, brille une étoile à cinq branches. Le nom du livre est :* « L'étoile rouge dans le brouillard ».
\[Il y a là une inexactitude -- le titre est : *L'étoile dans le brouillard* -- qui autorise à se demander si Kouznetsov sait le français ou s'il a lu le livre.\]
« *L'éditeur est Emmanuel Vitte. Le traducteur est Paul Chaleil. Ce livre a été édité par les Éditions de l'Archevêché. N'allez pas penser que ce sont eux-mêmes qui m'ont envoyé ce livre. Ce sont des Français honnêtes, indignés par l'arbitraire de l'Archevêque, qui me l'ont envoyé.* »
\[Des Français *honnêtes,* ou M. Aragon ? Il faudrait s'entendre. M. Aragon n'est pourtant pas un *pluriel* ni un *inconnu.*\]
La veille du procès, la *Komsomolskaïa Pravda* publiait encore un article sur l'affaire (« Les pygmées dans les recoins des monastères ») et deux correspondants russes téléphonèrent des comptes rendus de l'audience, l'un, S. Zykov, aux *Izvestia* (28-1-1961), l'autre, de Potapov, dans la *Komsomolskaïa Pravda* (même jour).
D'après celui-ci, l'un des avocats des plaignants, M^e^ Ambre, du barreau lyonnais, aurait reçu d'Irkoutsk un appel téléphonique. Trois jeunes ouvriers de l'usine hydraulique d'Irkoutsk lui auraient raconté que le héros de Kouznetsov avait travaillé dans leur brigade, qu'ayant appris qu'il y avait procès à Lyon, ils tenaient à faire dire au tribunal « *qu'ils travaillaient avec enthousiasme sur le chantier sibérien* »
106:53
et qu'ils avaient « *appris avec indignation qu'un certain Chaleil essayait de faire croire que les jeunes gens et les jeunes filles soviétiques étaient des déportés, envoyés de force en Sibérie* » ([^38]).
Ce coup de téléphone est-il parvenu à Lyon ? A-t-il seulement été donné ?
En tout cas, l'affirmation qu'en produit le journaliste soviétique laisse entendre qu'on a fait autour de ce procès une assez grande mise en scène en U.R.S.S.
Ceux qui malaxent l'opinion soviétique n'ont pas jugé inutile de donner à ce qui n'aurait pu être qu'un incident une place non négligeable dans la campagne de haine qu'ils mènent inlassablement contre l'Occident (et aussi contre l'Église).
En France également, les Soviétiques ont apporté leur soin habituel à monter l'affaire.
Il leur eut été assez difficile de porter plainte seulement pour reproduction sans autorisation : on verra que la loi sur laquelle ils pouvaient s'appuyer n'est peut-être pas aussi décisive qu'il y paraît. Mais, de leur part, étant donné leur conception des droits d'auteur, l'accusation était presque cocasse et risquait de tourner à leur confusion. Aussi, ajoutèrent-ils un second grief celui de falsification, sachant bien que même si elle n'était pas retenue par le tribunal, elle ne manquerait pas de déconsidérer le traducteur auprès du public. Calomniez, disait Basile, il en restera toujours quelque chose.
Ils firent mieux. L'affaire n'eût pas, à elle seule, ému beaucoup la presse. Pour lui donner du relief, ils ne se contentèrent pas d'un avocat lyonnais : ils sollicitèrent le conseil d'un des plus illustres avocats de France, membre de l'Académie française, M^e^ Maurice Garçon, et ils l'obtinrent. Ainsi pensaient-ils, non sans raison, impressionner le public. Sans doute firent-ils valoir auprès de lui, entre autres arguments, que c'était un devoir civique que de défendre, non pas un écrivain soviétique, dont le nom importait peu, mais un principe affirmé par la révolution française, celui des droits de propriété qu'ont leurs auteurs sur les œuvres de l'esprit.
107:53
Ainsi, ô paradoxe, les Soviétiques, ces ennemis de la propriété et de la liberté, allaient mener leur opération avec le concours d'un homme qui compte assurément parmi les défenseurs de la liberté et de la propriété.
La méthode est, de leur part, classique, et l'on peut bien dire que la bourgeoisie libérale, qu'ils exècrent, « marche à chaque coup » et refuse rarement son concours.
#### L'aspect juridique
De prime abord, l'affaire peut paraître simple. La loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique précise, en son article 70 (qui complète l'article 425 du Code pénal) que « *la contrefaçon, sur le territoire français, d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger, est punie d'une amende* ». Une traduction non autorisée peut être considérée comme une contrefaçon, laquelle est définie par Darmesteter et Hatzfeld : « *imitation ou reproduction illicite de l'œuvre d'autrui, faite à son préjudice* ». Comme aucune allusion n'est faite aux conventions internationales, on peut soutenir que la loi française protège de la contrefaçon tous les auteurs étrangers, y compris ceux des pays où n'est pas assurée la protection des auteurs français des contrefaçons qui y sont faites de leurs œuvres.
Toutefois, la loi n'est pas explicite sur ce point, et c'est en quoi le jugement qui sera pris dans cette affaire revêt une grande importance. Elle en a une en tout cas aux yeux des Soviétiques qui, si le tribunal les suit, auront ainsi un moyen de mettre les autorités françaises au service de leur police. Ce sont elles, en effet, qui désormais *veilleraient à ce que ne soient pas publiés en France les ouvrages ou écrits dont ils ne veulent pas que le public français ait connaissance,* et cela, sans qu'en échange les Soviétiques aient à concéder quoi que ce soit. Autrement dit, le tribunal de Lyon est invité à renforcer le rideau de fer, les difficultés qu'ont les Occidentaux à savoir ce qui se passe dans le monde soviétique, voire les difficultés qu'ont les Soviétiques qui le tentent de faire parvenir en Occident un message.
On a ici un bon résumé de ce qu'est la coexistence pacifique selon les Soviétiques : c'est une politique dans laquelle les Occidentaux font toujours les concessions, et sans réciprocité.
Le cynisme soviétique apparaît au grand jour dès que l'on se rappelle la façon dont ils agissent avec les auteurs étrangers.
108:53
Il n'y a pas si longtemps, les héritiers de Conan Doyle avaient intenté un procès aux éditions soviétiques, coupables d'avoir reproduit sans autorisation les œuvres de leur ancêtre. Il leur fut répondu (18 août 1959) qu'on les déboutait de leur plainte, car *la notion de propriété littéraire et de droits d'auteur était inconnue du droit soviétique.*
Autrement dit, les Soviétiques nous interdisent « la contrefaçon » au nom de nos principes et nous empêchent de la leur interdire au nom des leurs !
Il se pourrait, pourtant, que cette argumentation immorale, si spécieuse qu'elle soit, n'impressionne pas les magistrats, et qu'ils y découvrent plus d'une faille.
La loi française est faite aussi pour *protéger les écrivains français.* Comment les protégera-t-on contre les contrefaçons soviétiques *si l'on se prive définitivement d'un moyen de rétorsion* parfaitement normal ? ([^39]). Et d'ailleurs, que protège-t-on ? Les droits de l'auteur sur son œuvre ? Mais ils existent à peine en droit soviétique, et pas du tout en morale soviétique. Kouznetsov n'a pas beaucoup plus de droit sur son roman depuis qu'il est publié que les héritiers de Racine n'en auraient sur ses tragédies, s'il existait encore des héritiers de Racine. Certes, l'auteur touche, sa vie durant, une certaine indemnité dont le montant est proportionnel (selon des modalités compliquées) au tirage que l'on fait de son Œuvre. Mais de cette œuvre et de ses éditions il n'est plus le maître. Ne disons pas qu'elle est tombée dans le domaine public, car le domaine public, en régime communiste, c'est le domaine de l'État. L'État est seul imprimeur, seul éditeur. Lui seul peut donc « exploiter » l'œuvre de l'auteur. Toutefois, l'État soviétique ne peut se considérer comme le propriétaire de l'œuvre tombée dans son domaine, puisqu'il professe que les productions de l'esprit appartiennent dès leur parution au patrimoine universel. C'est en tout cas ainsi qu'est « justifié » le pillage éhonté que l'on fait en U.R.S.S. des ouvrages parus à l'étranger, tout particulièrement des ouvrages scientifiques.
Un écrivain français pourrait porter plainte contre la publication illicite d'une traduction de son œuvre parce qu'il est propriétaire de son œuvre : un écrivain soviétique ne le peut pas *parce qu'il n'est pas propriétaire de son œuvre.* Les demandeurs, à Lyon, n'avaient pas qualité pour l'être ([^40]).
109:53
Outre ces considérations de droit, il faut tenir compte des situations de fait. L'État soviétique ne reconnaît pas plus de liberté aux écrivains qu'à ses autres sujets. On l'a vu dans « l'affaire Pasternak ». Supposons -- c'est en l'occurrence pure supposition -- que Kouznetsov ait donné licence au R.P. Chaleil de publier une traduction de son livre, mais qu'il l'ait fait, par crainte de représailles, sous le sceau du secret. Supposons qu'il ait démenti par la suite avoir donné cette autorisation, pour des raisons de sécurité personnelle : personne ne pourrait lui reprocher de ne pas être un héros, et personne non plus ne pourrait faire grief au traducteur de se taire, de ne pas apporter la preuve de l'autorisation qu'il a reçue, afin de ne pas le compromettre et précipiter sa perte.
Nous contestions tout à l'heure la recevabilité de la plainte de Kouznetsov parce qu'il demandait la protection de droits qu'il n'a pas. On peut légitimement la contester aussi du fait que rien ne prouve qu'en cette affaire il soit pleinement maître de sa volonté. Le citoyen soviétique, si on peut l'appeler un citoyen, est quelque chose d'intermédiaire entre le mineur, le prisonnier et l'esclave. Est-ce que cette condition ne poserait pas, lorsqu'il attaque en justice, des précautions particulières ?
Répétons-le : il n'y a rien de tel dans le cas présent. Mais comment ne pas penser qu'armés de l'éventuelle condamnation des Éditions E. Vitte, les Soviétiques pourraient désormais cadenasser encore plus solidement la prison dans laquelle ils tiennent leurs écrivains ? ([^41]) Me Maurice Garçon a cru défendre les droits des auteurs sur leurs œuvres, et il l'a fait avec une chaleur dont on est tout porté à croire qu'elle n'était pas seulement professionnelle. Il ne s'est pas rendu compte qu'il donnait un tour de clé supplémentaire à la serrure de la cellule où sont enfermés les écrivains russes. Il aura prêté inconsciemment main-forte à Krouchtchev et à ses collègues, il les aura aidés à fermer un des passages clandestins par lesquels les Russes asservis peuvent encore essayer de communiquer à l'Occident leur vraie pensée.
#### Où est le falsificateur ?
Venons-en à l'autre accusation, celle qui vise à déconsidérer le traducteur, à détruire l'effet produit par l'édition « illicite » du roman, l'accusation de falsification.
110:53
Le R.P. Chaleil n'aurait pas seulement publié « *La suite de la légende* » sans autorisation ; il aurait encore modifié le texte pour lui donner une signification qui ne serait pas la sienne.
Tout le secret de cette prétendue falsification tient en deux points : il n'existe pas une seule version soviétique, mais deux et sans doute trois ; la première version a été écrite entre l'été 1956 et le printemps 1957, c'est-à-dire un moment où, par suite de la « déstalinisation » de la lutte contre le culte de la personnalité, des événements d'octobre et de novembre en Pologne et en Hongrie, il y eut dans la presse et la littérature soviétiques (pour s'en tenir aux témoignages écrits) des manifestations multiples de « non-conformisme » de fronde, presque d'opposition et de révolte. Si l'on n'a pas ces choses à l'esprit, on risque fort de se laisser duper par les Soviétiques.
On a vu que le R.P. Chaleil avait utilisé, pour sa traduction, le texte paru en juillet 1957 dans la revue *Younost.* Or, en février 1958, la revue à bon marché et à fort tirage *Roman-Gazetta* publiait à son tour « *La suite de la légende* » mais dans une version fortement remaniée. L'année d'après, 1959, le roman paraissait en volume dans une collection intitulée : Bibliothèque scolaire. Le texte avait reçu pour cette troisième publication, de nouvelles modifications. (C'est, semble-t-il, cette troisième version qu'ont suivie les traducteurs des éditions Julliard.)
« *L'étoile dans le brouillard* » diffère de « *Sibérie heureuse* » non point parce que la première serait l'œuvre d'un traducteur malintentionné, la seconde celle d'un traducteur fidèle, mais seulement parce que l'une est faite sur un texte, l'autre sur le même texte, mais remanié fortement par l'auteur. C'était évidemment le droit de Kouznetsov d'arranger son roman au goût du jour, mais il ne devait pas accuser autrui de falsification, alors que le falsificateur, c'est lui-même. On a le droit, en effet, d'appliquer ce mot à un auteur transformant son propre ouvrage puisque cet auteur a caché ces transformations jusqu'à la dernière minute ([^42]).
Pourquoi l'auteur a-t-il modifié son roman ? Certaines corrections ou additions sont purement littéraires. Les autres s'expliquent par le changement de « climat » politique en U.R.S.S. à partir de l'été 1957, quand le pouvoir commença à réagir fortement contre les « excès » qu'il avait tolérés durant la période précédente.
111:53
Kouznetsov nous montrait un jeune homme qui, ne pouvant entrer après son « examen de maturité » dans l'enseignement supérieur parce qu'il avait raté la « médaille d'or » et parce qu'il manquait de relations, partait, faute d'autres ressources, vers les chantiers de Sibérie, sans joie on l'imagine, et plein d'amertume pour les injustices qu'il voyait autour de lui. Les conditions de vie et de travail sur les chantiers du barrage de l'Angara, non loin d'Irkoutsk, sont proprement abominables, mais finalement, il s'y fait, il trouve enfin un sens à sa vie grâce à l'œuvre à laquelle il participe : « *Je commence à comprendre pas mal de choses. La vie appartient à ceux qui acceptent de sacrifier leur bien-être pour le bien commun...* »
Cette fin est indéniablement conforme au poncif officiel, de même que le titre et l'idée du livre : ce sont les jeunes constructeurs de barrages (ou défricheurs des terres vierges) qui continuent l'action légendaire de ceux qui firent la révolution et la guerre civile. Seulement, il y avait dans l'ouvrage toute une partie critique que l'auteur a soigneusement atténuée pour la deuxième édition.
Voici un exemple. Tolya, le héros, avait raté la médaille d'or parce qu'il n'avait eu que 4 (c'est-à-dire *bien*) au lieu de 5 (c'est-à-dire *très bien*) en allemand et en trigonométrie. Il ne pouvait donc entrer dans une grande école : il faut la médaille d'or, c'est-à-dire 5 dans toutes les matières.
Or, dans la nouvelle version, Tolya a échoué en histoire, c'est-à-dire qu'il y a eu une note éliminatoire, et quelques 3 par ailleurs. Autrement dit, c'est un étudiant médiocre, presque un cancre.
Pourquoi ce changement ? Mais pour faire disparaître l'injustice dont Tolya se sentait victime, et qui se trouvait soulignée plus loin par le fait que son amie Jouna qui, comme lui, « récoltait presque uniquement des 5 et acheva ses études avec la médaille d'argent » pouvait, elle, entrer à l'université. C'est que, si la mère de Tolya (un orphelin), couturière besogneuse, gagnait péniblement 500 roubles par mois, Jouna recevait chaque mois 500 roubles comme argent de poche, 500 roubles que lui donnait son père, directeur d'usine, possesseur d'une datcha sur la Baltique, etc. Un tel « papa » est en mesure de faire entrer sa fille dans une grande école, en dépit du barrage de la médaille d'or -- non la mère de Tolya.
Kouznetsov dénonçait là une injustice qui faisait murmurer tout particulièrement les jeunes Russes au moment où il écrivait ; son propos ne pouvait qu'aviver les mécontentements. Il lui a fallu l'atténuer.
Ne quittons pas cet exemple sans remarquer une autre modification.
On lit dans la dernière version : « *C'est pour cela, pour un certificat comportant quelques* « 3 » *que j'ai été aimablement invité à aller retourner la terre ou me faire cireur de bottes* » (Julliard, p. 10).
112:53
On lisait dans la première : « *J'ai raté la médaille d'or, et à cause de ces deux* « 4 » *sur mon diplôme, j'ai reçu une aimable invitation me proposant une carrière dans une usine ou dans les terres vierges en Sibérie* » (Vitte, p. 17).
La mention des terres vierges et de la Sibérie a disparu. Est-ce qu'on n'a plus voulu qu'il fût dit de quelle façon on recrutait des « volontaires » pour les terres vierges ?
#### Un roman négatif
On conviendra sans peine qu'outre ces différences imputables à l'auteur, il en est d'autres qui le sont au traducteur. Ne parlons pas de quelques erreurs comme il s'en trouve toujours, et qui sont dans la présente affaire, sans importance. Mais il est vrai qu'entre deux versions possibles d'un même mot russe, d'une même phrase, le R.P. Chaleil a plutôt choisi celle qui comportait la nuance la plus sombre, celle qui soulignait le côté « négatif » de l'ouvrage, comme on dit en U.R.S.S.
C'est ce que Kouznetsov lui-même a souligné dans son article : « *Les éditions lyonnaises traduisent scrupuleusement en les accentuant ou en les exagérant, les couleurs sombres* (*la falsification linguistique est très fine*)*, tout ce qui a trait à l'abattement du héros, tout ce qui a trait à ses difficultés et à ses tourments sur son chemin. Quant aux chapitres optimistes, aux chapitres sur les grands événements et sur le triomphe du travail, le sel du livre, on les élimine tout simplement.* »
M^e^ Garçon a fait un sort au chapitre (exactement au chapitre et demi) que le R.P. Chaleil a seulement résumé pour faire court. Selon lui, ce serait ce chapitre-là qui donnerait la clé de l'œuvre. « J'ai même le sentiment que le livre n'a été écrit que pour ce chapitre-là » (*Le Monde,* 28-1-1961). La tirade fait honneur à l'avocat, mais non au critique. L'effet a pu porter, mais il ne repose sur rien. Des trois chapitres qui célébraient l'accomplissement de l'œuvre, le traducteur a traduit entièrement le premier : cela suffisait amplement pour produire l'effet voulu par l'auteur.
Non, ce qui compte dans la protestation de Kouznetsov, ce n'est pas ce qu'il dit des chapitres (sic) supprimés, qui est manifestement exagéré, c'est le reste, ce qu'il dit de la falsification linguistique « très fine » qui accentue « les couleurs sombres ». Car nous ne nous trouvons plus là que devant le problème de l'interprétation, ce qui est autre chose que la falsification. Et il n'est pas du tout certain que la nuance pessimiste ou critique que le R.P. Chaleil a donnée au texte constitue un contresens. Même celui qui lit « *Suite de la légende* » dans sa version édulcorée « *Sibérie heureuse* » se demande parfois si l'auteur n'a pas vu, n'a pas voulu montrer ce qu'il y a d'abominable dans le travail que l'on fait faire aux femmes, aux jeunes filles sur les chantiers de l'Angara.
113:53
Rien que cela suffirait à expliquer qu'un traducteur n'ait pas cru qu'on pouvait dépeindre pareilles abominations sur le ton de l'allégresse.
Mais il y a preuve plus décisive. C'est que les Soviétiques eux-mêmes ont trouvé et écrit que Kouznetsov avait abusivement noirci la réalité.
On lit dans la revue *Molodoï Kommounist,* de mars 1960, une critique assez vive de « *Suite de la légende* ». Lyjdia Fomenko y reproche à Kouznetsov d'avoir mis à la mode « *ces jeunes bacheliers, tout frais sortis de l'école secondaire* » qui en arrivent à « *considérer le travail manuel comme un malheur* » et dont on fait des héros de tragédie parce qu'il n'ont pu entrer tout de suite à l'université aussitôt après l'école :
« *Les critiques, lorsqu'ils louèrent la nouvelle de Kouznetsov, n'ont pas remarqué qu'elle se scindait pour ainsi dire en deux parties. La première partie est écrite dans un style délibérément ordinaire, on y décrit des faits de la vie quotidienne. Le héros contemple le monde avec les yeux d'un homme désabusé,* *comme si un voile noir était tombé sur ses yeux, ce qui l'empêche de juger à sa juste valeur ce qui l'entoure.*
« *On aurait pu s'attendre à ce que la curiosité, la sensibilité si communes à cet âge, et pas seulement à cet âge, aient dû se manifester dans ce que Tolya ressentait en allant de Moscou en Sibérie. Mais il ne voit que l'ennui, le cafard, l'absence de joie... Le scepticisme s'empare de Tolya. Il broie du noir. On dirait qu'il n'a pas laissé à Moscou derrière lui quelques souvenirs lumineux, des gens aimés, des parents, quelque chose qui lui soit cher. Non, cet* « *ami-de-la-vérité* » *ne peut s'empêcher d'accuser quelqu'un, de vitupérer contre quelque chose...*
« *Le pessimisme, l'abattement, les traits d'une mauviette ressortent tout de suite du caractère du héros. Ils l'accompagneront longtemps encore. Jusqu'au moment où il sera engagé sur le chantier d'Irkoutsk, et ensuite jusqu'à sa rencontre avec Micha, le pessimisme ne quittera pas Tolya...*
« ...*On a l'impression que certains écrivains considéreraient comme déshonorant de décrire les grands mouvements d'enthousiasme de leurs contemporains ou bien ne savent pas les remarquer. Parfois même, on dirait qu'ils tiennent à afficher un pessimisme que, peut-être, ils n'éprouvent pas, mais qui, de leur point de vue, donne à leur ouvrage un sens dramatique, renforce le conflit et rend l'œuvre plus* « *véridique* ».
« *Sans doute, je suis parti les yeux fermés, écrit Kouznetsov. Cela, je ne l'avouerai qu'à moi-même... Les jeunes, lorsqu'ils s'embarquent pour la Sibérie, semblent très courageux. Ils prononcent toute sorte de beaux discours dans les meetings. Mais, moi, je dis :* *j'ai peur !*
114:53
« *Qui n'a pas ressenti la peur devant l'inconnu ? Mais ici, on vous présente cela sous une forme intentionnellement polémique...* »
Pessimisme, scepticisme, accuser quelqu'un, vitupérer contre quelque chose, forme intentionnellement polémique : ne croirait-on pas entendre M^e^ Garçon, le rédacteur de *l'Humanité,* ceux de la *Pravda,* de la *Komsomolskaïa Pravda,* des *lzvestia* et Kouznetsov lui-même dénonçant la traduction du R.P. Chaleil ? Eh ! bien non. C'est un critique soviétique qui parle du livre de Kouznetsov, de son texte russe, que personne, sauf son auteur, n'a « tripatouillé ».
La cause est entendue : le traducteur ne s'est pas trompé en choisissant de traduire en sombre. C'était bien là la nuance exacte. Si la nouvelle ainsi traduite prend une allure antisoviétique, ce n'est pas parce qu'il « en aurait remis ». Les Soviétiques, eux aussi, trouvent le texte « intentionnellement polémique ».
#### Annexe I : Quelques extraits de la presse soviétique
*A l'étude de M. Claude Harmel reproduite ci-dessus, il nous paraît intéressant d'ajouter quelques extraits de la presse soviétique concernant cette affaire. Ces extraits donneront au lecteur un aperçu fort suggestif du volume des contre-vérités qu'impriment les journaux communistes* (*la moindre d'entre elles étant de mettre en scène Emmanuel Vitte, mort depuis longtemps*)*.*
*Voici d'abord quelques extraits de la Pravda du* 6 *janvier* 1961 (*la Pravda est l'organe officiel du Parti communiste de l'U.R.S.S.*) :
Il s'est passé un événement plus qu'étonnant : les éditeurs de l'Archevêché de Lyon ont publié un livre d'un jeune auteur soviétique, Anatole Kouznetsov, sur les jeunes komsomols, conquérants de la Sibérie !
Il s'agit de la nouvelle : *La légende continue,* qui parut pour la première fois dans la revue *Younost* et qui raconte le courage des jeunes constructeurs de l'usine hydraulique de l'Angara et les difficultés rencontrées par eux (...). Comment se fait-il que les éditions de l'Archevêché de Lyon aient décidé de la publier ? Quel était donc le mobile des éditeurs ? L'intérêt croissant que l'on porte en France à l'Union soviétique et à sa jeunesse ? Loin de là !
115:53
M. Emmanuel Vitte, directeur des éditions, fut effrayé lorsque le traducteur, M. Chaleil, lui proposa de publier ce livre. Glorifier ces komsomols qui partent comme volontaires pour la Sibérie, qui passent à travers toute sorte de difficultés et qui découvrent leur bonheur dans la victoire remportée sur la nature sévère ? Jamais !
Mais il avait sous-estimé M. Chaleil. En échange d'honoraires substantiels, ce bandit de plume, élevé dans un esprit de haine pour tout ce qui est soviétique, proposa aux éditions de l'Archevêché un habile tour de passe-passe. Dans le livre, outre les héros komsomols, on rencontre des tire-au-flanc, des gens de peu d'envergure, avec leurs passions mesquines et intéressées. Si donc on supprimait les chapitres sur les komsomols, si on les « couvrait d'un voile » pour ainsi dire, et si par contre on mettait l'accent sur les tire-au-flanc, il serait possible de faire passer ces derniers pour des représentants de ce million de komsomols qui sont partis en Sibérie... L'idée fut bien accueillie.
Lorsque M. Emmanuel Vitte eut enfin la traduction défigurée de la nouvelle *La légende continue,* ses mains tremblèrent. Maintenant il était clair que le titre ne convenait plus ; on en trouvera un autre, correspondant mieux aux goûts épiscopaux : *L'Étoile rouge dans le brouillard* (...).
Sachant l'intérêt croissant qu'on porte en France à la réalité soviétique, les éditeurs n'ont pas lésiné sur les dépenses et ils ont commandé une préface au même M. Chaleil. Cela saute aux yeux. En effet, tout y est, dans la préface : la conversion au Seigneur, l'appel adressé au jeune auteur soviétique de croire à la vie éternelle, et les larmes hypocrites. Ah ! que la vie est difficile pour les komsomols dans les solitudes glacées de la Sibérie. Ah, quel dommage qu'ils n'aient pas encore rencontré le Seigneur...
Et pour que le lecteur n'ait aucun doute sur la véracité de tout ce galimatias, M. Chaleil prétend que les komsomols qui sont partis comme volontaires sur les chantiers de Sibérie sont des déportés...
*Voici maintenant la Komsomolskaïa Pravda du* 26 *janvier* 1961 (*la Komsomolskaïa Pravda est l'organe officiel des komsomols, c'est-à-dire des Jeunesses communistes d'U.R.S.S.*)*. C'est un* « *reportage* » *effectué à Lyon par Marcel Peyrenet,* « *journaliste français* »* ; l'article est intitulé :* « *Les pygmées dans les recoins des monastères* »* ; on y lit notamment :*
Demain commencera à Lyon, au Palais de Justice, un procès sur lequel déjà est fixée l'attention de tous les Français honnêtes (...).
116:53
...Quelques mots au sujet de ceux qui, poussés par la haine du mouvement des partisans de la paix, poussés par la crainte de voir la tension internationale diminuer et la « guerre froide » se terminer, ont eu recours à une falsification éhontée, ont fait fi des droits les plus élémentaires et de la plus élémentaire correction. Je suis passé sur la place Bellecour où se trouve le bureau d'Emmanuel Vitte. Et que pensez-vous qu'il soit écrit sur l'enseigne, au-dessus de la porte d'entrée ? Des lettres immenses annoncent qu'il s'agit de la « Librairie de l'Archevêque et de la Faculté catholique » ([^43]), autrement dit : librairie du clergé.
Tout ce qui s'est passé avec le livre de Kouznetsov ne semble pas être l'effet du hasard, d'une erreur de l'éditeur, abusé dans sa bonne foi par un traducteur malhonnête.
Non, l'éditeur et de traducteur sont les maillons d'une chaîne qui s'étend jusqu'au « très saint » Archevêque de Lyon, le Cardinal Gerlier.
C'est autour de ce dernier que se sont groupées les forces les plus obscures et les plus acharnées qui soutiennent l'impérialisme et le colonialisme, qui jettent de l'huile sur le feu de la « guerre froide ». C'est lui qui, sur l'ordre du Pape de Rome, en fait a enlevé ([^44]) le Chanoine Kir, maire de Dijon, pour l'empêcher de rencontrer le président Krouchtchev lors de son passage en France.
Le journal *Écho-Liberté,* tout dernièrement, a révélé à ses lecteurs qu'un docteur lyonnais, le « très pieux » catholique Mérie, qui avait déjà été dénoncé pour ses activités d'espionnage par le journal soviétique *Troud,* avait effectivement, lors d'un voyage en Union soviétique, pris des photos dans des lieux proches de la frontière finlandaise. Quel cynisme ! Que peut-il y avoir de plus vil que de se faire passer pour un ami du peuple soviétique et de photographier des régions qui n'ont aucun rapport ni avec le tourisme ni avec l'exercice de la médecine ? La voilà, la morale chrétienne !
Il est aussi digne de remarque que c'est à Lyon que se trouve le centre international des missions africaines, dont le but est d'envoyer en Afrique, et en particulier au Congo, des prêtres catholiques pour soutenir le colonialisme et l'impérialisme. Il est intéressant de faire remarquer que ce centre fut longtemps dirigé par un prêtre américain... »
*Dans la Pravda du* 28 *janvier* 1961*, sous le titre :* « *Les faux monnayeurs sont démasqués* »* :*
« La vieille ville de Lyon était hier le lieu d'un procès international » écrivent les journaux. Ce procès a mis en lumière un des nombreux coins ténébreux dans lesquels, à l'ouest, on cuisine la propagande anti-soviétique.
117:53
Pendant les quatre heures que dura le procès, les accusés furent montrés tels qu'ils étaient. L'un d'eux habite tout près du Palais de Justice : « Emmanuel Vitte, éditeur de l'Archevêché » lisons-nous sur l'enseigne au-dessus de la porte, n. 3.
Expliquons tout de suite que l'Archevêque de Lyon, le Cardinal Gerlier, porte le titre de « Primat des Gaules » autrement dit : chef de l'Église de France.
Le directeur des éditions archiépiscopales, qui est accusé de falsification, M. Goirand, est connu à Lyon comme ayant participé au putsch militaire organisé par les ultra-colonialistes d'Alger en 1958, lors des événements de mai.
Le second accusé est « en fuite » comme on disait autrefois. Ainsi, le dénommé « traducteur » un serviteur du culte, le « Père Chaleil » non seulement ne s'est pas présenté au procès, mais il a même refusé de donner son adresse (...).
Après avoir jeté un coup d'œil dans les recoins sombres des « Père Chaleil » et « éditeur de l'Archevêché » pris cette fois la main dans le sac, l'opinion publique, en France et dans les autres pays, a pu se rendre compte comment et par qui est cuisinée la propagande anti-soviétique qui empoisonne l'atmosphère internationale.
#### Annexe II : Qui est le P. Chaleil ?
Le P. Chaleil a été missionnaire en Extrême-Orient de 1939 à 1948.
Le 22 décembre 1948, d'ordre de Moscou, il est enlevé par les communistes chinois ; transporté menottes aux mains et boulets aux pieds, il est livré aux Soviétiques et incarcéré à la prison secrète du N.K.V.D. à Tchita (Russie sibérienne) ; il y passa neuf mois, au bout desquels lui est signifiée sa condamnation, prononcée sans procédure ni assistance d'avocat, par l'O.S.S.O. (conseil spécial de Béria), tribunal secret sis à Moscou. C'est le chef de la prison qui notifia au P. Chaleil sa condamnation en lui lisant une copie de la décision prise hors de sa présence par le tribunal secret :
« Paul Chaleil, soi-disant citoyen français, est condamné à 25 ans de travaux forcés selon l'article 58, paragraphe 4, pour aide à la Bourgeoisie internationale. »
C'était la peine maximum, équivalent à la peine de mort, qui avait été suspendue en 1946, et fut rétablie en 1950 « à la demande du peuple ».
118:53
Le P. Chaleil avait fait état de sa qualité de Français, et argué qu'il n'était pas soumis à la loi soviétique, celle-ci ne pouvant condamner un étranger que pour des actes commis sur le territoire soviétique : or le P. Chaleil n'avait jamais vécu en U.R.S.S. Il lui fut répondu :
« La loi soviétique est une loi universelle. Nous avons le droit de juger quiconque tombe entre nos mains, serait-ce même le président Truman que nous condamnerions immédiatement au maximum de peine comme fauteur de guerre. Un jour viendra, et très prochainement, où tous les partis frères, en France comme ailleurs, après avoir pris le pouvoir, nous livreront tous les ennemis que nous leur demanderons. Nous avons besoin de main-d'œuvre en Sibérie. »
De 1949 à 1955, le P. Chaleil a été détenu dans les camps de concentration à régime disciplinaire, sur la ligne Taïchent-Bratsk, dans la province d'Irkoutsk, près du Baïkal, où il fut affecté aux travaux les plus pénibles : forêts, chemins de fer, terrassement, etc. Toute correspondance avec l'extérieur lui était interdite.
Sur l'intervention du ministère français des Affaires étrangères, le P. Chaleil fut rapatrié au mois d'août 1955, en compagnie d'une vingtaine d'autres Français qui avaient été, eux, enlevés par les Soviétiques à Berlin, après 1945.
==============
### L'Institut Saint Pie V : L'Acte constitutif
*L'* « *Institut Saint Pie V* »*,* « *pour la défense et le renforcement des valeurs chrétiennes* »*, a été fondé le* 21 *décembre dernier par S. Em. le Cardinal Ottaviani. L'Institut a pour le moment son siège à Rome, Piazza S. Uffizio* 11*.*
*Diverses informations plus ou moins fragmentaires ont paru ces derniers mois dans la presse à ce sujet. Nous reproduisons ici le texte intégral de l'Acte constitutif de l'Institut.*
Les forces incomparables du christianisme ont été, à toute époque, une source de lumière et d'élévation sociale pour les peuples.
Les exigences spirituelles actuelles requièrent un effort bien plus intense que celui que l'homme accomplit pour obtenir les plus grandes conquêtes scientifiques.
119:53
Pour donner a l'esprit humain une attitude parfaitement chrétienne, des moyens supérieurs à ceux dont l'homme a eu besoin pour créer la vie moderne et les moyens qui l'accompagnent sont nécessaires.
Cette déclaration étant faite, l'Institut Saint Pie V pour la défense et le renforcement des valeurs chrétiennes, ayant son siège à Rome, Palazzo del S. Offizio, Piazza S. Uffizio 11, est constitué.
Buts.
Les buts de l'Institut Saint Pie V sont les suivants :
1\. Donner aux Groupes et aux personnes qui travaillent à faire prévaloir les idéaux chrétiens, de nouveaux moyens, aptes à faire face aux exigences modernes de la vie spirituelle.
2\. Permettre à de tels groupes et personnes, qui se trouvent dans des conditions incommodes, de pouvoir recourir avec dignité à un Institut pour la défense et le renforcement des valeurs spirituelles.
3\. Assurer l'existence d'organismes chrétiens dont l'œuvre quotidienne est, par son humilité et sa modestie, plus voisine de Dieu et de l'esprit de l'Évangile.
4\. Encourager la collaboration des personnes dont les forces intellectuelles et matérielles peuvent contribuer à la consolidation de l'Institut S. Pie V*.*
Exécutif.
Les organes exécutifs de l'Institut S. Pie V sont les suivants :
*Président :* Son Em. Rme Mgr le Cardinal Alfredo Ottaviani, Secrétaire de la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office.
*Secrétaire :* un prélat nommé par l'Éminent Président.
*Un membre laïc* chargé des relations entre l'Institut S. Pie V et l'extérieur.
*Quatre membres Conseillers* qui puissent, en vertu de qualités intellectuelles, spirituelles et professionnelles élevées, servir d'exemple valable à la société moderne.
Le Président est nommé à vie ; le Prélat Secrétaire, pour deux ans, avec confirmation possible ; le membre laïc chargé des relations entre l'Institut S. Pie V et l'extérieur, également pour deux ans, avec confirmation possible. Les membres conseillers sont nommés par le Président et restent en charge pour la durée d'un an.
*Le Dominicain Michel Ghislieri, qui fut Pape sous le nom de Pie V de* 1566 *à* 1572*, est le Pape de la dernière Croisade et de la victoire de Lépante.*
120:53
*Sous le titre :* « *Le Pontife des grandes batailles* »*, l'Institut S. Pie V résume dans le texte suivant les traits principaux de son pontificat et l'actualité de son patronage :*
La figure de saint Pie V est d'une actualité surprenante. Aujourd'hui, on parle avec un intérêt croissant de l'union européenne : il affirma avec une ténacité extraordinaire cette ligne de conduite, sur le plan religieux comme sur le plan politique et militaire. Tandis que plusieurs des princes de son temps se berçaient d'agréables illusions, favorisées par la vie facile des cours, et ne montraient de préoccupations que pour leurs intérêts de clocher, l'inflexible Pontife les rappelait durement à la réalité en agitant à leurs yeux la terrible alternative posée à l'Europe par le péril islamique : question de vie ou de mort pour le Christianisme, non moins que pour la civilisation européenne.
Surmontant les objections de tous genres, il réalisa la dernière des Croisades, et la couronna victorieusement dans les eaux de Lépante, le 7 octobre 1571.
Le grand Pontife était de très humble origine : sa famille avait un temps appartenu à la noblesse de Bologne, mais à la suite d'événements malheureux s'était transférée en Piémont, où elle s'adonnait à l'agriculture. Le petit Michel Ghislieri aurait probablement continué à s'occuper à son tour de champs et de bétail, si un Dominicain de passage dans les campagnes de Boscomarengo n'avait pas engagé la conversation avec lui. Étonné par la sagesse du petit berger, le religieux le persuada d'entrer dans son Ordre, où Michel Ghislieri brilla par sa culture et surtout par son irréductible attachement au devoir.
Il ne craignit jamais de dire la vérité même quand celle-ci était désagréable pour ceux qui devaient l'entendre, fussent-ils les Pontifes eux-mêmes aux ordres desquels il travaillait. Beaucoup l'ont défini comme un « fanatique ». En fait saint Pie V fut authentique défenseur de la justice ; et quand celle-ci venait à être foulée aux pieds, il lançait les foudres de sa désapprobation à quiconque, qu'il fût catholique ou infidèle.
Le premier jugement sur sa personne et sur son œuvre, c'est le peuple romain qui le donna d'une manière catégorique : froideur au moment de l'élection au Souverain Pontificat, manifestations de douleur inconsolable à sa mort.
*Notons que la fête liturgique de saint Pie V tombe ce mois-ci : le* 5 *mai, et coïncide cette année avec le premier vendredi du mois.*
*On sait que la fête de Notre-Dame du Rosaire se célèbre le* 7 *octobre, le jour anniversaire de Lépante, victoire obtenue, à l'instigation de saint Pie V, par la récitation du Rosaire dans tonte la Chrétienté.*
121:53
## Note de gérance
Le nombre des abonnements de soutien est maintenant : 299. Rappelons que de 524 en juin 1959, ils étaient tombés à 183 en novembre 1960. Depuis que nous avons attiré l'attention de nos amis sur cette situation dangereuse ([^45]), leur nombre est remonté lentement, de mois en mois : 209, 253, 274, et enfin 299. Il importe que cette remontée se poursuive ; il importe qu'elle ne se ralentisse pas.
\*\*\*
Simultanément, nous avons lancé ce que nous avons appelé *le test de la sixième année.* Test, pour nos amis, de leur propre dynamisme. Test, pour nous, de ce qui marquera véritablement si nous devons, ou non, continuer à publier cette revue. Nous vous disions, nous vous redisons :
« Une revue intellectuelle comme la nôtre, nous voyons bien, à de nombreux témoignages, ce qu'elle apporte à celui qui l'étudie personnellement. Et cela bien sûr est son premier usage et sa première signification. Mais s'il se révélait que la revue est surtout un objet de délectation individuelle, et qu'elle n'a pas éveillé dans l'ensemble de son public le souci intellectuel du prochain, le désir de lui faire partager ce que l'on a, la volonté de lui transmettre ce que l'on reçoit, -- alors nous estimerions avoir échoué. Non pas matériellement : mais intellectuellement, mais spirituellement.
« Nous demandons au lecteur d'*Itinéraires* d'aller cette année vers son prochain, en commençant par le plus proche, Au demeurant ne disons pas que rien n'ait été fait. Il s'agit de faire mieux et davantage.
122:53
Il s'agit d'un effort de renouvellement et d'intensification. Il s'agit d'avancer tous ensemble. La tâche pratique de la sixième année est d'abonner son prochain en lui expliquant pourquoi : nous y appelons chacun de nos lecteurs. »
\*\*\*
Attention, qu'on ne s'y trompe pas : cela est à nos yeux très sérieux, cela est décisif. L'éditorial et la note de gérance de notre numéro de mars ont dit pourquoi et comment. *Continuer *? *Alors, tous ensemble.* Il faut cette année aller décidément vers le prochain, abonner le prochain, dans la famille, dans la profession, dans la cité. Il faut y penser, il faut le vouloir et il faut oser. Oser dire : « Je vous offre un abonnement à *Itinéraires* ». Oser dire pourquoi.
Depuis deux mois, nous avons enregistré un peu plus d'une cinquantaine d'abonnements de cette sorte. C'est un début, encore bien timide. Nous vous tiendrons au courant des résultats numériques de votre dynamisme.
============== fin du numéro 53.
[^1]: -- (1). *Pensée Catholique* n° 66-67, pages 40 sq. Voir, à la suite, la lettre de Son Exc. Mgr Puech, de Carcassonne, dans la Semaine Religieuse de ce diocèse, 20 août 1960.
[^2]: -- (1). Dans notre livre *École Chrétienne Renouvelée,* (Téqui éditeur) pages 18-19.
[^3]: -- (1). *De Moïse à Mohammed :,* deux volumes parus, le troisième à paraître prochainement : chez Hanna Zakarias, Boîte Postale 46, Cahors, Lot, France.
[^4]: -- (1). Se reporter notamment à la Préface du premier tome de Moïse *à Mohammed* où Hanna Zakarias donne un panorama lumineux de l'ensemble de la littérature coranique.
[^5]: -- (1). Voyez p. 39 *L'Islam et la critique historique* les raisons très honnêtes pour lesquelles il a pris « légalement un pseudonyme ».
[^6]: -- (2). P. de Menasce, cité p. 810 dans le tome II de *L'Église du Verbe Incarné* de Charles Journet (Desclée de B.).
[^7]: -- (1). Puisqu'elle se présente ici, ne manquons pas l'occasion de citer au moins une partie du petit traité de l'invective écrit par l'abbé Berto (*La Pensée catholique,* numéro 45-46, année 1956, pp. 76 et suiv.) : « ...Vous vous scandalisez de rencontrer de l'invective dans une publication qui s'intitule catholique. C'est tout simplement que l'invective est catholique, à preuve l'Évangile... Elle n'est pas d'elle-même et dans tous les cas contraire à la charité. La charité transcende et l'invective et la douceur des paroles, elle « impère » l'une ou l'autre suivant les circonstances... On peut certes manquer de charité dans l'invective et j'ai pu avoir ce malheur ; *mais on peut aussi manquer de charité dans la douceur...* »
Sur le saint usage de la colère et de l'ironie, on trouvera dans la Onzième Provinciale nombre de textes impressionnants tirés de l'Écriture et des Pères.
[^8]: -- (1). « Nous avons pensé constamment aux 400 millions de pauvres gens qu'on maintient depuis treize siècles dans l'obscurantisme le plus opaque, dans une méconnaissance totale du problème religieux ou simplement humain. Nous avons pensé et nous pensons aux érudits et aux historiens du monde entier qui ont fait et qui font encore fausse route, égarant à leur suite l'opinion publique si crédule dans les domaines qu'elle ignore et qu'il est si facile de leurrer. » *De Moïse à Mohammed,* tome I, p. 19.
[^9]: -- (1). Assurément le Coran rejette la religion chrétienne. Il suffit de le lire pour s'en apercevoir. Mais, comme le pense Hanna Zakarias, ce rejet n'est qu'une conséquence. L'intention première et fondamentale du « rabbin » qui instruisit Mohammed n'était pas de combattre le christianisme, mais de judaïser les Arabes pour les arracher à l'idolâtrie (et, de cette façon, étendre sur l'Arabie l'hégémonie des Juifs). Par contre-coup, ainsi que le démontre Hanna Zakarias, il a bien fallu riposter contre le christianisme lorsqu'il est devenu militant à la Mecque et à Médine. Mais, enfin l'opposition au christianisme n'arrive que comme la conséquence inévitable de la fin à atteindre contre vents et marées : faire des judaïsés. -- Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à une étude remarquable à la fois par la pénétration critique et le sens apostolique : Joseph Bertuel : « Mohammed et saint François d'Assise », dans *La Pensée Catholique,* n° 63.
[^10]: -- (2). *Acta Apostolicæ Sedis,* 1961, page 42.
[^11]: -- (1). *Osservatore romano,* édition française, 10 mars 1961.
[^12]: -- (2). Roger Garaudy, membre du Comité central du P.C.F., dans le livre collectif : *Les Marxistes répondent à leurs critiques catholiques,* Éditions sociales (communistes) 1957, page 50.
[^13]: -- (1). Plon.
[^14]: -- (2). Olivier Leroy ; *Sainte Jeanne d'Arc : les Voix,* Éditions Alsatia, 1956. Du même auteur, chez le même éditeur : *Sainte Jeanne d'Arc :* *son esprit, sa vie.*
[^15]: -- (3). Régine Pernoud : *Jeanne d'Arc,* Éditions du Seuil, collection Le temps qui court, 1959.
[^16]: -- (4). Dans le *Laudet,* § 302 à la fin. On sait que le *Laudet* est un des ouvrages de Péguy numérotés en paragraphes.
[^17]: -- (1). Sur ce sujet, les Annexes B et I de *Sainte Jeanne, son esprit, sa vie,* par Olivier Leroy, sont très éclairants.
[^18]: -- (1). *Ève* (édition de la Pléiade, 1954, page 808).
[^19]: -- (2). Concernant Mgr Groesz, qui « préside l'Épiscopat hongrois en l'absence du Cardinal Mindszenty », M. François Bernard rappelle les précisions suivantes dans *La Croix* des 26 et 27 mars 1961 :
« Mgr Groesz a été complètement brisé en 1951, lors de la préparation du procès au cours duquel, accusé d'avoir voulu renverser la démocratie populaire et prendre lui-même le pouvoir, il s'est reconnu coupable de tout et a déclaré : « *Je suis un ennemi acharné du peuple... j'ai conspiré de concert avec une bande de criminels fascistes* », etc. *Le Monde* du 29 juin 1951, qui citait ces phrases, ajoutait : « On avait l'impression qu'avec le fragment de conscience libre dont ils avaient peut-être encore l'usage, les accusés étaient en proie à la crainte de ne pas bien réciter leur leçon ». Condamné à quinze ans de prison, Mgr Groesz a été libéré en 1956 sans avoir été réhabilité... ».
[^20]: -- (1). *L'Osservatore romano* du 18 mars 1961, dans un article sur « Le catholicisme opprimé par le communisme hongrois » (cité dans *La Croix* des 26-27 mars), écrit notamment :
« Il ne suffit pas d'une Église contrainte au silence et enfermée hermétiquement à l'intérieur de ses temples pour qu'elle ne propage pas le « préjugé ». On veut une Église qui serait une branche « spécialisée », *in partibus christianorum,* de la bureaucratie communiste. »
C'est-à-dire une Église transformée elle aussi en *courroie de transmission,* puisque l'on n'a pas pu la supprimer totalement, et en attendant le moment où cette suppression complète apparaîtra possible. Mais courroie de transmission qui transmet quoi ? Qui transmet le mot d'ordre de collaboration à la « construction du socialisme » ; c'est-à-dire, en fait, de collaboration au système esclavagiste de domination et d'exploitation de l'homme par l'homme.
[^21]: -- (1). *Informations catholiques internationales*, 1^er^ février 1961, page 2.
[^22]: -- (2). *Osservatore romano,* édition française du 18 novembre 1960, article : « Oppression en Hongrie ».
[^23]: -- (3). Le même article de *l'Osservatore romano,* faisant allusion au *Monde,* remarquait à son honneur : « *Ces affirmations et d'autres analogues ont paru si surprenantes au journal français qu'il les a accompagnées d'un article dans lequel est en quelque sorte précisée la réalité effective de la persécution religieuse en Hongrie* ». Malheureusement, on n'en peut dire autant de *Témoignage chrétien.*
[^24]: -- (4). Cette affirmation des collabos hongrois, publiée dans *Témoignage chrétien* et dans *Le Monde,* semble être passée comme lettre à la poste, et avoir été reçue comme parole d'Évangile. Seul Pierre Andreu a montré, chiffres à l'appui, qu'elle est fausse : voir son article « A propos de la Hongrie catholique » dans *Itinéraires,* numéro 50.
[^25]: -- (5). Voir sur ce point *Itinéraires*, éditorial du numéro 39 : « Trois vérités oubliées sur la presse française ».
[^26]: -- (6). *Informations Catholiques internationales*. 1^er^ février 1961, page 2.
[^27]: -- (7). Maritain, *Pour une philosophie de l'histoire*, Éditions du Seuil, 1959, page 80.
[^28]: -- (1). Cette étude de Jean Madiran figure dans la nouvelle édition du tiré à part : *La technique de l'esclavage* (en vente à nos bureaux, 3 NF franco).
[^29]: -- (1). Remarquons en passant que dans sa politique du pétrole, le communisme mondial a su placer un remarquable pion à Cuba, en plein centre de la mer du pétrole, et ce pion complète fort bien l'ensemble stratégique mis sur pied dans les pays musulmans, Maghreb, Proche et Moyen Orient, Indonésie, système dont il n'est pas difficile de voir le parachèvement se produire actuellement, et dont l'Algérie est l'un des maillons.
[^30]: -- (1). Éditions France Empire.
[^31]: -- (1). Un exemple aisément déchiffrable de ce que nous avançons est donné par le Congo ex-belge. Les meurtres, le déchirement politique, les sécessions et le grotesque dramatique sont des signes indubitables de l'action satanique, et l'impuissance de l'O.N.U. malgré les efforts sincères de M.H. marque clairement le vice et le danger possible de cette organisation. Il est en outre facile d'imaginer, sur cet exemple, toute la confusion « orientée » qui résulterait de la présence à Manhattan, et sur le terrain, de la Chine communiste.
[^32]: -- (1). Nous avons la preuve de ces dons de la Providence par la constatation de leur absence en pays musulmans et païens et des conséquences qui en ont résulté : léthargie profonde, pétrification sociale et économique, usure jusqu'à épuisement par des guerres de caractère tribal pendant toute la période où le christianisme s'élargissait en une civilisation, avant de se préciser en doctrine sociale qu'il nous reste à mettre en œuvre.
[^33]: -- (1). Voir à ce sujet ITINÉRAIRES, numéro spécial : « *Sous-développement et ordre temporel chrétien* » (n° 43 de mai 1960).
[^34]: -- (1). Ceci ne vaut que pour la limitation des naissances en tant que moyen politique économique. Les problèmes de planification familiale sont d'un ordre tout à fait différent.
[^35]: -- (1). Un exemple typique nous a été donné personnellement par la rencontre simultanée à New Delhi en 1956, de deux médecins appartenant à deux Organismes Spécialisés, l'un étant chargé de la limitation des naissances, et l'autre, de la réduction de la mortalité infantile. En raison de leur solitude, ils prenaient leur repas ensemble et l'on peut se demander ce qu'étaient leurs conversations.
[^36]: -- (1). Tous renseignements auprès de l' « Association catholique pour le logement et l'épargne », 13 rue Victor-Duchamp, Saint-Étienne, Loire.
[^37]: -- (1). Cette interprétation est reprise par Marcel Peyrenet, journaliste français, dans le reportage qu'il a adressé à la *Komsomolskaïa Pravda* (26-1-61).
« *Tout ce qui s'est passé avec le livre de Kouznetsov ne me semble pas être l'effet du hasard, d'une erreur de l'éditeur, abusé dans sa bonne foi par un traducteur malhonnête. Non, l'éditeur et le traducteur sont les maillons d'une chaîne qui s'étend jusqu'au* « *très saint* » *archevêque de Lyon, le cardinal Gerlier. C'est autour de ce dernier que se sont groupées les forces les plus obscures et les plus acharnées qui soutiennent l'impérialisme et le colonialisme ; qui jettent de l'huile sur le feu de la guerre froide* (*sic*). *C'est lui qui, sur l'ordre du pape de Rome, en fait, a enlevé le chanoine Kir, maire de Dijon, pour l'empêcher de rencontrer Krouchtchev lors de son voyage en France.* »
Et notre reporter de continuer, pour bien prouver que les catholiques lyonnais sont à l'avant-garde de l'offensive anti-soviétique :
« *Le journal* Écho-Liberté *a révélé tout dernièrement qu'un docteur lyonnais, le très pieux catholique Mérié* (*transcription non garantie*)*, qui avait déjà été dénoncé pour ses activités d'espionnage par le journal soviétique* Troud, *avait effectivement, lors d'un voyage en U.R.S.S., pris des photos dans des lieux proches de la frontière finlandaise. Quel cynisme ! Que peut-il y avoir de plus vil que de se faire passer pour un ami du peuple soviétique et de photographier ces régions qui n'ont rien à voir avec le tourisme, ni avec l'exercice de la médecine. La voilà, la morale chrétienne.* »
*L'article est intitulé, dans le style de la meilleure époque stalinienne :* « *Des pygmées dans les recoins des monastères* »*.*
[^38]: -- (2). D'après ce journaliste, (sic), M^e^ Ambre « *qui ne connaît pas le russe* » (mais en quelle langue se faisait donc la conversation ?) n'aurait pas compris le nom de deux de ses interlocuteurs. Il leur aurait demandé « *de rencontrer à* *Irkoutsk, son ami, homme politique français connu, François Mitterrand, qui doit s'arrêter dans cette ville avant de se rendre* à *Pékin. Il leur demanda également de confier à celui-ci une lettre avec tous les détails* ».
M^e^ Ambre, que, selon ses dires -- toujours d'après la même source -- cette communication téléphonique aurait renforcé dans sa certitude de la rectitude absolue de l'affaire qu'il défendait, serait, d'après Marcel Peyrenet (article de la *Komsomolskaïa Pravda,* cité dans le texte et à la note 1), « *vice-président de l'Association France-U.R.S.S. à Lyon* ». Kouznetsov écrit de son côté : « *M. Ambre est venu à Moscou, et nous avons discuté de toute cette question ensemble. Ce n'est pas un communiste. C'est un radical, mais c'est un homme comme il faut, progressif et courageux. Il a raconté que tous les Français honnêtes étaient révoltés de voir que n'importe quel éditeur bourgeois pouvait se permettre de falsifier arbitrairement n'importe quel livre.* » (a. c.) On espère, pour l'honneur de M^e^ Ambre, qu'il n'a point tenu les propos qu'on lui prête.
[^39]: -- (3). Ne reculons pas devant le paradoxe. Y aurait-il dans un cas quelconque falsification en même temps que contrefaçon d'un ouvrage russe sur le territoire français que nous devrions laisser faire. Pourquoi ? Parce que les dirigeants soviétiques finiraient peut-être par se fatiguer de voir massacrer les œuvres de leurs écrivains, et par comprendre qu'il n'y a pas d'intérêt pour eux à rester en dehors du droit international et des conventions dont, dans la situation présente, ils ont le bénéfice sans en assumer les charges.
[^40]: -- (4). Kouznetsov a reconnu implicitement la solidité de cette argumentation, la fragilité de sa plainte quand, dans l'article précité, il a parlé de « la défense de ses droits *moraux d'écrivain* ». De ses droits matériels, il n'a pas parlé parce qu'il sait qu'il n'en a pas.
[^41]: -- (5). Que l'affaire Kouznetsov ait, dans l'esprit des Soviétiques, une portée générale, on pourrait en trouver la preuve au dernier paragraphe de l'article (déjà cité) de Kouznetsov : « *Le procès ne doit pas seulement sauver la face d'un livre, mais porter un coup aux mœurs des éditeurs bourgeois.* » En vérité, on a le droit de penser que la présente affaire est une conséquence de l'affaire Pasternak. Les Soviétiques n'ont pas oublié cette affaire, ni le tort qu'elle leur a fait, et *ils cherchent les moyens d'empêcher qu'on ne publie hors d'U.R.S.S. à leur insu et contre leur volonté des textes d'auteurs russes contraires à leur propagande ou à* *leur action.*
[^42]: -- (6). Le 26 janvier 1961, on lisait dans *l'Humanité :* « *Le père Paul Chaleil... a prétendu dans une interview enregistrée pour Radio-Luxembourg* \[19-1-61\], *qu'il avait traduit un premier texte de Kouznetsov, complété* \[sic\] *ensuite par l'auteur. Cette thèse, toute nouvelle, contredit les déclarations faites par l'éditeur lui-même, lors de la signification des poursuites. Elle est d'ailleurs invraisemblable et futile. Il faudrait que le père Chaleil ait possédé un premier manuscrit* \[sic\] *de Kouznetsov...* »
[^43]: -- (1). Note du traducteur : le texte russe dit bien : *de l'Archevêque* (au lieu de : Archevêché), et *Faculté* au singulier.
[^44]: -- (2). N. d. t. : ou *kidnappé.*
[^45]: -- (1). Nous avons exposé en détail la situation dans la « Note de gérance » de notre numéro 48 (spécialement pages 106-108) : le prix de vente des publications (vente au numéro et abonnements) est inférieur au prix de revient ; d'où la nécessité des ressources publicitaires. Or d'une part nous refusons la publicité payante, que nous estimons incompatible avec notre indépendance temporelle, et que nous estimons même (sans imposer ce jugement à personne d'autre qu'à nous-mêmes) fondamentalement immorale, du moins dans les mœurs et les circonstances actuelles ; d'autre part nous ne pouvons pas fixer un prix d'abonnement qui soit trop supérieur aux prix anormalement bas ordinairement pratiqués et auxquels le public est habitué. C'est pourquoi nous faisons appel en permanence aux « abonnements de soutien ».