# 83-05-64 1:83 NOUS IGNORONS pour quels motifs, ou sous quels prétextes, la revue ITINÉRAIRES est « saisie », nu­méro après numéro, en Algérie, par le pouvoir de fait qui a installé sa domi­nation sur ce malheureux pays. Nous n'ignorons pas, en revanche, que le soi-disant « socialisme arabe » est l'une des formes les plus basses de l'obscurantis­me et du totalitarisme modernes. Nous enregistrons le fait sans avoir aucun droit de nous en plaindre. Nous sommes chrétiens, nous sommes Fran­çais. C'est la France qui a laissé s'établir ce totalitarisme et cet obscurantisme. Et ni cet obscurantisme, ni ce totalitarisme sauvages n'ont été discernés à temps pour ce qu'ils sont par les chefs tempo­rels et spirituels qui avaient la responsabilité de tout faire pour éviter ce malheur, et qui en avaient les moyens. 2:83 Les avis que nous avons pu exprimer pour notre part en temps utile, et que l'événement a cruellement vérifiés point par point, ne furent aucunement écoutés. Aujour­d'hui, la revue ITINÉRAIRES est traitée sur la terre d'Algérie comme y est traité tout ce qui est chrétien et français. Après les « saisies » de fait, les N.M.P.P. nous avisent que depuis quatre mois il s'agit maintenant de « saisies » effectuées « à la suite d'une décision des autorités judiciaires », et que cette « décision » chaque fois renouvelée « semble prendre un caractère perma­nent ». Nul n'en sait davantage sur les décisions, la nature ou même l'existence de ces « autorités judiciaires ». Les pom­pes et les fastes de ces éventuelles « au­torités judiciaires » se mettent en mou­vement pour « saisir » une dizaine d'exemplaires de la revue, et quelque­fois moins, dans les kiosques à journaux d'Alger. Puissance extraordinaire d'une revue dont 6 ou 10 exemplaires suffisent à mettre en danger la tyrannie, doublée de chaos, qui s'est installée dans le sang, les larmes et la misère de toute la popu­lation algérienne. 3:83 MAIS LE NOMBRE D'EXEMPLAIRES n'a rien à voir à l'affaire, et un juste instinct de conservation meut l'obscurantisme : même un exemplaire unique le met en danger. Il le met en danger non pas politiquement, en tant que tyrannie : il le met en danger intel­lectuellement, en tant qu'obscurantisme précisément. L' « anti-sémitisme » ara­be, nous voulons dire la haine arabe contre les Juifs, est la forme la plus basse, mais aussi la plus stupide, de l'anti-judaïsme, en raison des ORIGINES JUIVES DE L'ISLAM. Nous pensons que nos articles sur les ORIGINES JUIVES DE L'IS­LAM sont la cause la plus probable des « saisies » répétées de la revue ITINÉRAIRES en Algérie. Des vues politiques, même virulentes, répandues seulement à 6 ou 10 exemplaires dans Alger, ne suf­firaient pas à susciter la mise en scène d'un appareil soi-disant « judiciaire ». Mais des vérités historiques et scienti­fiques, pénétrant fût-ce à un seul exem­plaire dans l'enceinte de l'obscurantisme arabe, peuvent y introduire un ferment, un germe, une semence redoutables, dont personne ne saurait contrôler la croissance ultérieure. L'Islam eut autre­fois de grands philosophes et de grands savants. Le réveil de l'esprit critique est toujours possible. L'écho fait dans la revue ITINÉRAIRES aux travaux du grand historien et du grand savant que fut Hanna Zakarias (le P. Théry, o.p.) est un danger direct pour l'obscurantisme arabe qui retient encore prisonnier l'es­prit de tant de Musulmans, -- et de tant de chrétiens supposés arabisants. 4:83 DANS LE PRÉSENT NUMÉRO, on trou­vera, magistralement tracé par la plume érudite et pieuse de l'abbé Joseph Bertuel, le portrait d'Hanna Zakarias : le vrai visage de celui qui fut le P. Théry, o.p., et la portée immen­se de son œuvre de précurseur et d'a­pôtre. A tous ceux qui le liront de bout en bout avec l'attention qu'il appelle, ce grand texte que nous publions ouvrira des perspectives qui leur étaient proba­blement inconnues. Si nous étions sûrs qu'il existe véri­tablement, en Algérie des « autorités judiciaires », nous leur dédierions peut-être cette publication des pages décisives de l'abbé Bertuel. Car c'est une publication fraternelle aux Musulmans, c'est une publication susceptible de leur faire au moins en­trevoir par quelles voies ils pourront un jour se libérer de l'obscurantisme totalitaire qui leur a été imposé par la violence et qui opprime et défigure en eux l'image et ressemblance de Dieu. 5:83 Brochures à diffuser \[...\] 7:83 ## ÉDITORIAUX ### Vers une crise totale *LES DOCUMENTS, les témoignages s'accumulent : depuis les clercs qui organisent contre leur évêque la grève de la quête jusqu'aux journaux catholiques qui attaquent per­sonnellement le Pape Paul VI. Quelques-uns de ces événements sont évoqués ou analysés dans diverses rubriques du présent nu­méro. Leur multiplication, qui s'accélère de manière foudroyante depuis le début de l'année 1964, en vient à dépasser les possi­bilités de l'examen critique méthodique. Tout craque, des brè­ches s'ouvrent partout, c'est une inondation.* *AVEC LA CAUTION APPARENTE, peut-être usurpée ou sollicitée, d'autorités morales et même à l'occasion, juridiques, on engage le catholicisme français dans un désaveu total de lui-même. On rejette la philosophie chrétienne. On rejette la théologie traditionnelle. On crache sur toute notion de civilisa­tion chrétienne et de chrétienté. On prêche la collaboration avec le marxisme, la construction du socialisme, le dialogue avec le communisme. Ceux qui le font se prétendent mandatés pour le faire et n'ont pas -- jusqu'à présent -- été démentis. La presse catholique qui les soutient est celle qui est la plus recommandée, voire la seule recommandée.* *Des prêtres de bonne foi croient et disent que, les* « *Informa­tions catholiques internationales* » *expriment* « *L'esprit de l'Église de France* » *tel qu'il est* « *suscité par le Saint-Esprit* » *et* « *approuvé par la Hiérarchie* »*. Avec une telle conviction répan­due dans les Séminaires, dans l'Action catholique, dans le clergé, dans les paroisses, on va loin.* 8:83 *CRISE TOTALE : en actes, elle se résout dans cette orientation vers le marxisme, dans cette déliquescence fascinée de­vant le communisme ; son origine, elle la prend dans une subversion généralisée des valeurs doctrinales. Nous avons publié dans la* « *Collection Itinéraires* » *la traduction, par Louis Sal­leron, du livre de l'évêque anglican Robinson :* « *Honest to God* » (« *Dieu sans Dieu* »)*. Dans l'Église d'Angleterre, ce livre a rencontré les oppositions qu'il appelle. En France et parmi les docteurs catholiques, il est reçu et approuvé pour l'essentiel. C'est un fait ; c'est un test. Qu'on lise ce livre, et l'on compren­dra. La substance même de la foi est en question. L'esprit théolo­gique, déboussolé par le teilhardisme, est prêt maintenant à accepter n'importe quoi, pourvu que ce soit une fuite loin des dogmes définis et des vérités révélées.* « *La plupart des critiques catholiques qui ont rendu compte du livre de Robinson n'y dé­cèlent rien de révolutionnaire et prétendent y retrouver des po­sitions très traditionnelles* »* : voilà où ils en sont, c'est la cons­tatation faîte par les* « *Études* » *et c'est aussi, à peu de chose près, leur avis. C'est en substance l'avis de* « *Parole et Mission* » *des Dominicains de Paris, et celui de* « *Lumière et Vie* » *des Dominicains de Lyon. Le niveau, l'état mental des docteurs du catholicisme français se manifeste ainsi en pleine évidence.* *LE PEUPLE CHRÉTIEN de France -- celui qui n'est pas enca­dré dans des organisations de masse et ne lit pas trop la presse de masse -- n'est pas encore atteint, ou ne l'est que partiellement. Mais il n'est plus, pour le quart d'heure, défendu contre les débordements inouïs qui, du teilhardisme jus­qu'à la collaboration active avec le communisme, s'efforcent de l'entraîner à une complète désintégration, intellectuelle et morale. Le scandale est partout en même temps. Et contre les enseignements de Paul VI, on commence à organiser ouvertement le com­bat que l'on s'honore d'avoir mené, au sein de l'Église de France, contre Pie XII. Ces manigances insensées provoquent des réac­tions qui prennent la forme d'incidents. Comment s'en étonner ? On approche de la minute de vérité. Elle sera sévère, et peut-être tragique.* 9:83 *On tient en tous cas les deux bouts de la chaîne : Teilhard et Robinson* (*et dix autres analogues*) *pour l'idéologie religieuse, la collaboration avec le communisme pour le comportement pra­tique ; et toute une presse, toujours la même, pour pousser à la roue dans ce sens-là, par tous les moyens, y compris les plus délirants.* *IL NE S'AGIT PAS de défaillances isolées, toujours possibles. Il s'agit d'un ensemble finalement très cohérent avec lui-même, et qui a tout envahi, ou qui menace d'envahir tout. Il ne s'agit pas non plus d'une nouveauté brusquement apparue au début de 1964 par génération spontanée, mais des résultats convergents d'un travail patient, souvent clandestin, ou semi ca­mouflé, poursuivi depuis une vingtaine d'années et davantage dans les structures intellectuelles et sociologiques du catholicis­me français.* *On fait du teilhardisme. On fait du marxisme. On se reconnaît dans le livre de Robinson. On pousse les catholiques dans les bras du Parti communiste. Mais alors vient un moment où tout se détraque à la fois : nous y sommes.* 10:83 ### La C.F.T.C. : c'est déjà fait Pour sortir de l'enlisement actuel\ il faut une doctrine et un programme LE GRAND DÉBAT de la C.F.T.C. est entièrement faussé. Car « déconfessionnalisée » la C.F.T.C. l'est déjà. Supprimer la référence chrétienne ? C'est déjà fait depuis 1947. Il demeure le mot « chrétien » dans le titre, et une fois dans l'article premier des statuts actuels : mais c'est une survivance qui ne correspond à aucune réalité dans la doctrine des statuts et qui ne constitue pas une référence précise. La nouvelle transformation proposée est dans la ligne logique de la transformation déjà inter­venue en 1947. Pour le comprendre, il suffit de placer en regard et de comparer point par point les statuts de 1920 (statuts de fondation) et les statuts de 1947 que l'on veut à leur tour modifier. Voici, à gauche, les principaux passages de l'article premier des statuts de la C.F.T.C. de 1920 ; et à droite, en regard, le texte correspondant tel qu'il a été modifié en 1947. C'est nous qui numérotons, pour renvoyer aux remar­ques que nous ferons suivre ; et c'est nous qui soulignons (en gras). ([^1]) **I.** -- La Confédération *en­tend inspirer son action de la doctrine sociale définie dans* « *Rerum novarum *». Elle estime que *la paix sociale* nécessaire à la prospérité de la Patrie et *l'organisation professionnelle*, as­sise indispensable de cette paix, ne peuvent être réalisées *que par* l'application des principes de justice et de charité chré­tiennes. 1. -- La Confédération se ré­clame et s'inspire, dans son ac­tion, des principes de la *morale sociale chrétienne*. Les positions qu'elle prend *devant l'organisa­tion économique et sociale*, avec le souci de la prospérité de la nation, sont donc dictées par la préoccupation de préparer la triomphe d'*un idéal de paix* en faisant prévaloir l'*esprit de fra­ternité* et les exigences de la justice. 11:83 **II.** -- Elle constate que les conditions actuelles de la pro­duction *ne réalisent pas suffi­samment* ce but, et elle estime nécessaire d'en poursuivre les transformations susceptibles d'assurer une meilleure utilisa­tion des forces productrices et une répartition plus équitable des résultats de la production entre les divers éléments qui y concourent. 2. -- Elle constate que les conditions actuelles de la pro­duction *ne permettent pas* d'at­teindre ce but, et elle estime nécessaire de transformer ces conditions de manière à assurer un meilleur emploi des forces productrices et une répartition plus équitable des fruits de la production entre les différents éléments qui y concourent. **III.** -- Elle entend réaliser ces transformations *non par la lutte des classes*, mais par *l'éducation et la collaboration des éléments producteurs, réunis dans des* groupes distincts reliés par des *organismes mixtes* où l'indépen­dance et les droits de chacun d'eux sont respectés. 3. -- Elle entend accomplir ces transformations, *non par le développement systématique des antagonismes de classe*, mais par *une organisation économique*, conçue de telle manière que la dignité et l'indépendance des travailleurs et de leurs groupe­ments y soient intégralement res­pectées. ...... **IV.** -- Tout en bornant stric­tement son action à la repré­sentation et à la défense des intérêts généraux du travail, la Confédération entend faire ap­pel au concours des forces reli­gieuses, morales et intellectuel­les susceptibles d'aider à la *for­mation professionnelle et sociale des travailleurs* et capables de développer en eux les qualités de discipline, de dévouement et de loyauté indispensables pour assurer le plein épanouissement de *l'organisation profession­nelle.* 4. -- Décidée à utiliser au maximum les ressources éduca­tives propres au mouvement syndical, elle entend, d'autre part, faire appel au concours des forces intellectuelles, mora­les et religieuses susceptibles de servir la formation des travail­leurs en fonction des responsa­bilités qui leur incombent dans *une organisation démocratique de la vie professionnelle et éco­nomique*. Bornant strictement son action à la défense et à la représentation des intérêts gé­néraux du travail, la Confédéra­tion assume la pleine responsa­bilité de cette action, qu'elle détermine indépendamment de tout groupement extérieur, poli­tique ou religieux. 12:83 Quand on lit *isolément* le texte des statuts de 1947 (actuellement en vigueur), on peut les trouver acceptables dans l'ensemble. On y remarque éventuellement des insuf­fisances ou des maladresses d'expression auxquelles on n'estime pas nécessaire d'attarder son attention. Mais quand on compare le texte de 1947 avec le texte de 1920, force est bien de changer d'avis. Ce ne sont pas des maladresses d'expression. Ce ne sont pas des insuffisances par défaut (comme tout texte général en comporte spontanément plus nu moins). Ce sont des *intentions délibérées* qui apparaissent, s'ex­primant par des *suppressions* et des *transformations*. En 1947, on a fait disparaître de l'article premier des statuts tout ce qui formulait avec quelque précision L'ORIGINALITÉ ET LA FORCE SPÉCIFIQUES de la doctrine sociale catholique. Comparons les deux textes en suivant la numérotation que nous leur avons donnée. \*\*\* I. -- Les statuts de 1920 se référaient à « la doctrine sociale définie dans Rerum novarum », à « la paix socia­le » à « l'organisation professionnelle », affirmant que ces objectifs ne pouvaient être réalisés « que par » l'applica­tion des « principes de justice et de charité chrétiennes ». La modification de 1947 a remplacé *la charité chrétienne* par « l'esprit de fraternité » ; elle a remplacé *les principes de la justice chrétienne* par « les exigences de la justice » ; elle a remplacé l*'organisation professionnelle* par « les po­sitions que (la Confédération) prend devant l'organisation économique et sociale » ; elle a remplacé *la paix sociale* par « un idéal de paix ». Elle a supprimé la référence à la doctrine des Encycliques. Le texte de 1947 est plus vague que celui de 1920. Mais il ne l'est pas spontanément. Il l'est par une volonté d'ins­crire le vague à la place du précis. 13:83 *L'esprit de fraternité*, c'est très bien, cela n'appelle en soi aucune critique. Mais quand on s'aperçoit que des chrétiens ont délibérément supprimé « la charité chrétienne » pour la remplacer par « l'esprit de fraternité » on se demande pourquoi et comment il a pu se faire qu'ils aient eu honte de continuer à nommer « la charité chrétienne ». *Les exigences de la justice,* c'est très bien : mais quand on met « la justice » à la place de « la justice chrétienne » c'est un recul et une ambiguïté. C'est en tous cas, déjà en 1947, cette SUPPRESSION DE LA RÉFÉRENCE CHRÉTIENNE que l'on parle aujourd'hui d'empêcher. Ce n'est pas en s'accro­chant aux statuts de 1947 qu'on l'empêchera. *Un idéal de paix* est louable : mais la *paix sociale* était plus net et plus précis. *L'organisation professionnelle* est l'un des mots-clés de la doctrine sociale de l'Église : on a volontairement suppri­mé ce mot-clé en 1947, pour parler à la place des « positions que (la Confédération) prend devant l'organisation écono­mique et sociale », ce qui peut désigner n'importe quoi et ne fait référence à rien. Quand on examine ainsi point par point la portée objec­tive des modifications intervenues en 1947 dans ce premier alinéa, on aperçoit effectivement que les trois mots de « morale sociale chrétienne » ne surnagent que comme une survivance, comme une sorte de butte-témoin. Ces trois mots ont-ils seulement un sens précis en eux-mêmes ? Pour un catholique militant, informé et formé, ils désignent ou devraient désigner -- la doctrine sociale des Encycli­ques. On peut soutenir qu'en droit la référence aux Ency­cliques et la référence à une « morale sociale chrétienne » sont équivalentes. Mais en fait, les trois mots de « morale sociale chrétienne » n'ont pas la portée d'une référence précise ; chacun y met ce qu'il veut ; la morale sociale de Lamartine, celle de Tolstoï, celle de Victor Hugo, de Mou­nier, de Charles de Gaulle, d'Antoine Pinay, de Gaston Defferre peuvent chacune se réclamer de l'appellation « morale sociale chrétienne » ; s'en réclamer à tort ou à raison, mais enfin s'en réclamer. \*\*\* II. -- Les statuts de 1920 constataient que les conditions de la production ne *réalisaient pas suffisamment* la paix, la justice et la charité. 14:83 Les statuts de 1947 déclarent que les conditions de la production ne permettent pas d'atteindre ce but. Ce changement de formule comportait, implicitement mais inévitablement, un jugement sur l'évolution sociale de 1920 à 1947 : cette évolution était jugée comme un recul. Entre 1920 et 1947, il y avait eu pourtant 27 années d'action de la C.F.T.C. Il y avait eu d'autre part les allocations familiales, les assurances sociales, les contrats collectifs, le développement de la législation du travail, les congés payés, etc. : tout cela n'a certes pas été réalisé d'une manière qui soit au-dessus de toute critique ; mais enfin tout cela n'est pas rien ; ou si l'on estime que tout cela ne comporte aucun aspect positif, alors il faut le dire, et dire pourquoi. La formule introduite en 1947 était une formule radi­calement révolutionnaire, présupposant un passage implicite de l'esprit réformiste à l'esprit de révolution. Prise isolément, cette formule de 1947 pouvait passer pour une simple exagération, pour une surenchère déma­gogique. Mais il ne faut pas prendre les choses isolément ; il faut les prendre dans leur contexte et leur mouvement, car c'est ainsi qu'elles revêtent leur signification véritable. \*\*\* III. -- Refuser un « développement systématique des antagonismes de classe » (statuts de 1947) est chose bonne et louable si on la considère isolément. Mais elle apparaît beaucoup moins bonne si l'on s'avise que cette formule nuancée servait à supprimer le non à la lutte des classes clairement affirmé par les statuts de 1920. « Une organisation économique » (statuts de 1947), en soi, ce n'est pas mauvais. C'est très mauvais quand c'est la formule par laquelle on supprime l'éducation et la colla­boration des éléments producteurs et la référence précise à des organismes mixtes (statuts de 1920). \*\*\* 15:83 IV. -- S'occuper de la formation professionnelle et sociale des travailleurs en vue de l'organisation profession­nelle (statuts de 1920) n'est pas la même chose qu'envisager « une » organisation démocratique de la vie professionnelle et économique (statuts de 1947). « Une » organisation, mais laquelle ? L'organisation professionnelle faisait automati­quement référence à la doctrine sociale catholique « une » organisation démocratique ne fait référence à rien le néo­libéralisme, le socialisme, le communisme se réclament également d' « une » organisation démocratique. \*\*\* La perte de substance essentielle, l'orientation substan­tielle différente de la doctrine et des méthodes datent de 1947, des statuts de 1947. Nous croyons qu'il est important aujourd'hui, en 1964, de s'en apercevoir. Défendre les statuts de 1947\ serait une dérision et une impasse La tendance chrétienne de la C.F.T.C. s'organise pour l'étude, pour la recherche et pour l'action, et pour barrer la route à la nouvelle modification des statuts que veut imposer la tendance non-chrétienne de la C.F.T.C. Il s'est créé une « Association des groupes d'études économiques, sociales et syndicales d'inspiration chrétien­ne » ([^2]), animée par des militants chrétiens aussi actifs, représentatifs et sympathiques que Sauty et Bornard (mi­neurs), Tessier et Madeleine Tribolati (employés), Charuau (E.D.F.), Nickmilder (S.N.C.P.) ; ils publient un périodique intitulé *Rénovation*. Où les mèneront leur expérience et leur réflexion ? C'est toute la question. 16:83 S'opposer au nouveau projet de statuts est une saine réaction de départ. Nous ne publions même pas ce projet : toute la presse l'a reproduit. Il est misérable à force d'être nul. Luc Baresta en a donné une analyse critique en tête de *La France catholique* du 13 mars 1964 et il a diagnos­tiqué, c'est trop évident : « *Des généralités si générales qu'elles deviennent des banalités exploitables en tous sens. Banalités qui, lorsqu'elles touchent à des points controversés où s'imposerait un engagement clair, passent à l'équivo­que.* » Or c'était déjà la tare inhérente aux statuts de 1947, -- comparés à ceux de 1920. Le germe, et plus que le germe, de la transformation proposée aujourd'hui était dans la transformation de 1947. Le projet selon lequel les « syndicats chrétiens » ne seraient plus « chrétiens » du tout a produit un choc psychologique que n'avait pas provoqué la transformation de 1947. A partir de ce choc psychologique, va-t-on « re­penser » tout le « problème » de la C.F.T.C. et du syndi­calisme chrétien ? Et va-t-on, pour commencer, s'apercevoir enfin que la mention « chrétienne » n'était plus qu'une survivance dans l'esprit et la lettre des statuts modifiés de 1947 ? S'accrocher aux statuts de 1947 serait s'engager dans une impasse. C'est l'esprit des fondateurs, c'est l'esprit de 1920 qu'il faut retrouver. La C.F.T.C. sera sauvée seulement par un « ressourcement ». Ce que disaient les statuts de 1920, on peut le dire aujourd'hui avec d'autres mots et d'une manière adaptée à notre époque. La crise totale, mettant en cause jusqu'à son existence, où est engagé le syndicalisme chrétien en France, devrait être l'occasion pour une élite syndicale de pousser jusqu'au bout l'examen de conscience, et d'élaborer les bases théoriques et prati­ques de son action future. Une doctrine\ et un programme C'est aux syndicaux eux-mêmes qu'il appartient d'en­treprendre cette révision et de mener ce combat. C'est au sein de la C.F.T.C. que devront être trouvées les ressources humaines capables de concevoir et d'organiser une action syndicale chrétienne. 17:83 A ceux qui s'y emploient, nous voudrions proposer seulement deux suggestions, qui sans doute ne font pas le tour de la question, mais qui concernent, croyons-nous, deux perspectives cruciales et déterminantes. A. -- *En matière de doctrine*. -- Le paradoxe -- le para­doxe mensonger -- de la C.F.T.C. est qu'on l'entraîne à la déchristianisation sous prétexte d' « élargir son audience ». Or les Encycliques sociales en général, et particulièrement les deux dernières, *Mater et Magistra* et *Pacem in terris*, ont eu d'emblée et ont conservé une audience plus profonde et plus large que l'audience propre de la C.F.T.C. Mettre son drapeau, dans sa poche pour simplement « élargir son audience » serait de toutes façons assez misérable. Quelle doctrine de la société inspire l'action de la C.F.T.C. ? Si c'est celle des Encycliques, il faut le dire. Si ce n'est plus celle des Encycliques, il faut le dire aussi. Mais il serait extravagant, et ce serait ne rien comprendre à notre époque, de ne pas voir qu'en dehors de tous les libéralismes et de tous les socialismes, il n'y a aucune doctrine sociale cohérente ayant la portée, le poids l'im­portance de la doctrine des Encycliques. Si l'on veut faire du « socialisme » en le baptisant « démocratique », alors assurément on n'a que faire des Encycliques, et l'on n'a que faire non plus d'un syndicalisme chrétien. Si l'on n'a pas compris l'extraordinaire originalité et l'extraordinaire richesse de la doctrine sociale de l'Église, si on lui préfère une autre doctrine sociale, quelle qu'elle soit, alors oui, qu'on le dise clairement, qu'on s'en aille où l'on voudra parler de la « construction du socialisme » et qu'on ne nous parle plus de « syndicalisme chrétien ». Mais qu'au moins on ait le courage de *dire ce que l'on, est et ce que l'on pense*. Que l'on cesse de prétendre vouloir être chrétien sans le dire, afin, soi-disant, d' « élargir l'audience ». Les questions doctrinales se posent en termes de vérité et de justice. On ne change pas de doctrine pour des raisons d' « audience ». On cherche au contraire quels moyens pratiques on pourrait créer et mettre en œuvre afin de donner audience en fait à ce qui est juste et vrai en doc­trine. La doctrine sociale de l'Église a *spontanément* une au­dience beaucoup plus large que les théories personnelles de tels et tels dirigeants syndicalistes : s'ils n'ont pas com­pris ce qui -- sans eux -- s'est passé avec *Mater et Magistra* et *Pacem in terris*, c'est qu'ils vivent dans les nuages de leur bureaucratie et non point avec leur temps. 18:83 La référence statutaire aux Encycliques *Rerum nova­rum, Quadragesimo anno, Divini Redemptoris, Mater et Magistra* et *Pacem in terris* peut être formulée de différen­tes manières, nullement « confessionnelles ». La seule chose inacceptable serait que cette référence ne soit formu­lée d'aucune manière nulle part, -- ou qu'elle soit mono­polisée par les organisations « confessionnelles » et « man­datées » comme le voudrait *Témoignage chrétien*. A en croire ce journal (numéro du 12 mars 1964, page 20), ceux qui veulent être présents au monde du travail en chrétiens et en catholiques, ceux qui veulent y faire connaître et y mettre en œuvre la doctrine sociale de l'Église, c'est seule­ment « *au sein des structures de l'Action catholique ou­vrière* » qu'ils le pourraient. On n'aurait plus le droit, en tous cas on n'aurait plus la possibilité de se réclamer des Encycliques sociales dès que l'on ne serait plus « *au sein* » de ces « *structures* ». Dans les organisations syndicales et professionnelles, on pourrait donc se réclamer de Marx, de Proudhon, de Sorel, de Guesde, de Lénine, de Maurras, de Mounier, de tout le monde et de n'importe quelle doc­trine, sauf de la doctrine sociale catholique. La doctrine sociale catholique serait la seule doctrine dont les tenants ne pourraient se réclamer ouvertement sur le tas. Situation absurde. Problème qui au demeurant dépasse le problème de la C.F.T.C. : mais qui se pose de manière aiguë à ce niveau et dans ce domaine aussi. \*\*\* B. -- *En matière de programme*. -- Sans négliger les réalisations pratiques que peuvent opportunément propo­ser des non-chrétiens, un syndicalisme chrétien devrait inscrire en première ligne de son programme les réalisa­tions pratiques qui découlent directement de la doctrine sociale catholique : s'ils ne le font pas, qui le fera ? Or toute la doctrine sociale catholique, et spécialement *Mater et Magistra*, propose UNE MÉTHODE ORIGINALE POUR LA PROMOTION COLLECTIVE DES TRAVAILLEURS : une métho­de que nous disons « originale » parce qu'elle se distingue radicalement des programmes libéraux et des programmes socialistes. 19:83 C'est la promotion par la *propriété* (personnelle et collective) *privée* de biens durables et notamment des moyens de production. Cette diffusion de la propriété à laquelle *Mater et Magistra* pousse de manière si insistante, il ne semble pas que les syndicalistes chrétiens aient considéré avec assez d'attention quelles ressources et quel­les possibilités pratiques elle offre aujourd'hui. Il ne sem­ble pas non plus qu'ils aient eu connaissance des réali­sations mises en chantier, dès avant *Mater et Magistra*, par exemple en Allemagne. Ni qu'ils aient d'aucune manière connaissance des travaux théoriques et des expériences concrètes qui, en ce domaine, ont vu le jour depuis la seconde guerre mondiale. Nous n'y insisterons pas autrement cette fois, ayant pour notre part publié des pages et des pages sur ces questions, bien connues de nos lecteurs habituels. \*\*\* LES SYNDICALISTES CHRÉTIENS ont été, depuis la seconde guerre mondiale, obnubilés par les mythes de la « construction du socialisme ». Les meilleurs d'en­tre eux ont combattu ces mythes, mais en demeurant dans une position défensive et en somme conservatrice. Ils sont restés dans la dépendance théorique et pratique de tout ce qui s'ornait des prestiges publicitaires et artificiels du socialisme. Il est temps de sortir de ce conformisme et de regarder ailleurs, vers des perspectives nouvelles. Avec une doctrine et un programme ne devant rien ni au libéralisme ni au socialisme, les syndicalistes chrétiens auront de rudes combats devant eux ; mais ils auront aussi, devant eux, un avenir. S'ils demeurent dans les perspectives de la « construc­tion du socialisme », les uns y poussant, les autres se con­tentant de la freiner, de la nuancer ou de la tempérer, alors ils ne pourront pas sortir des processus actuels de dégradation et d'enlisement. 20:83 ## CHRONIQUES 21:83 Qui était Hanna Zakarias ? ### Le vrai visage du P. Théry, o.p. *Son œuvre libère l'Islam\ de l'imposture arabe* par l'Abbé Joseph BERTUEL Ces jours-ci paraît aux « Éditions du Scorpion » (1, rue Lobineau, Paris VI^e^) le tome IV et dernier de la grande œuvre d'Hanna Zakarias : « De Moïse à Mohammed ». L'abbé Joseph Bertuel qui, après la mort de Hanna Zakarias, a assuré la continuation et la publica­tion de ses travaux, donne en un ample « épilogue », dans ce tome IV, le portrait d'Hanna Zakarias : le P. Gabriel Théry, o.p. L'auteur et l'éditeur ont bien voulu nous autori­ser à reproduire, pour nos lecteurs ces pages émou­vantes et précises : elles font justice de tant de ca­lomnies répandues ces dernières années contre l'illustre Dominicain ; elles disent la portée Immense et neuve -- scientifique et religieuse -- de ses travaux ; elles ouvrent la voie à me révision radi­cale des idées reçues et du conformisme régnant en ce domaine. Sur l'œuvre de Hanna Zakarias, son contenu et sa portée, la revue « Itinéraires » a précédemment publié quatre articles du P. Calmel, o.p. -- Vrai Mohammed et faux Coran, « notes critiques » du numéro 53 de mai 1961. -- Par Moïse vers Jésus-Christ, numéro 55 de juillet-août 1961. -- Le judaïsme du « Coran » numéro 57 de novembre 1961. -- Les origines juives de l'Islam, numéro 80 de février 1964. Un religieux dominicain. Le moment est venu de lever définitivement le voile qui recouvre peu ou prou l'identité d'Hanna Zakarias. 22:83 Parmi les lecteurs de ses œuvres, beaucoup le connaissent de longue date. De ce fait, le nom du Père Théry commençait à supplanter son pseudonyme. L'identité de l'auteur de « De Moise à Mohammed » était en passe de devenir un secret de polichinelle, lorsque la revue romaine des Domi­nicains, Angelicum, écarta officiellement toute raison de garder plus longtemps le silence, en publiant elle-même le nom du P. Théry, o.p., et en résumant très brièvement, mais avec exactitude, le but poursuivi par l'auteur dans ses deux premiers volumes. (Fasc. 3-4, année 1960.) Né le 12 juin 1891 à Nurlu dans la Somme, profès au Saulchoir de Rain le 1^er^ octobre 1911, ordonné prêtre à Tournai le 15 août 1916, le P. Gabriel Théry fut -- Docteur en théologie, -- professeur au Saulchoir, -- professeur à l'Institut Catholique de Paris, -- fondateur et Supérieur de l'Institut Historique Sain­te Sabine, à Rome, -- Consulteur à la Section historique de la Sacrée Congrégation des Rites, -- Membre d'Honneur de l'Académie Pontificale de S. Thomas et de la Religion Catholique, -- Chevalier de la Légion d'Honneur, -- Titulaire de la Croix de guerre, -- Médaillé de la Résistance, -- Médaille of Freedom U.S.A. -- Officier de la Légion d'Honneur Polonaise, -- Membre d'Honneur de l'American Legion, -- Officier des Palmes Académiques. 23:83 Après cette présentation, qu'il aurait peut-être qualifiée de « revue de détail » avec ce sourire d'enfant terrible qui apparaît toujours, ici ou là dans ses travaux, on peut se demander pourquoi le P. Théry est devenu Hanna Zakarias. Il s'en est expliqué lui-même dans *L'Islam et la critique historique*, p. 39 : « Je ferai aussi remarquer à ce jeune religieux que si j'ai pris légalement un pseudonyme, en­trant ainsi dans une sorte de clandestinité (une fois de plus), il aurait dû en comprendre les raisons : je ne suis pas seul au monde. Je fais partie d'une race, d'une nation, plus spécialement d'un groupe, et on oublie bien souvent que le groupe n'est pas responsable de l'action de tel ou tel de ses membres ; et c'est parce que j'ai voulu sauver le groupe, que j'ai renoncé à ma personnalité. » En d'autres termes, le P. Théry, sachant que ses conclusions révolutionnaires et la façon dont elles étaient pré­sentées risquaient d'attirer la malveillance des musulmans sur ses confrères travaillant en terre d'Islam, a voulu se mettre seul en cause. Comme me l'ont fait remarquer cer­tains lecteurs éminents, amis et parfois anciens collabo­rateurs du P. Théry, cet anonymat a desservi son œuvre. Publiée sous le vrai nom de son auteur, elle eût joui d'un accueil beaucoup plus favorable et retenu aussitôt l'atten­tion bien au-delà de nos frontières. De plus, certains de ses adversaires n'auraient pu, feignant d'ignorer l'identité d'H. Zakarias, utiliser contre lui la calomnie. -- « Zaka­rias inconnu » écrit G. de Nantes dans *L'Ordre français* n° 55, 1961, « pouvait être dépeint de bouche à oreille comme un bluffeur et un ignorant ; le mépris de l'auteur rejaillissait évidemment sur son œuvre. Mais le Révérend Père Théry est mort le 27 janvier 1959 en récitant son chapelet. Il avait 68 ans, c'était un grand savant en même temps qu'un admirable religieux Dominicain au cœur ar­dent et à l'intelligence lumineuse, prompte, novatrice. Il suffit de lire l'article nécrologique que M. Étienne Gilson lui a consacré dans ces ARCHIVES D'HISTOIRE DOCTRINALE ET LITTÉRAIRE DU MOYEN-AGE dont il fut l'initiateur et le fon­dateur, pour apprendre l'érudition et la sûreté de ce grand esprit. Un homme dont la bibliographie, publiée au moment même où il se consacrait à l'étude du Coran, ne comprend pas moins de 95 pages, n'est ni un bluffeur ni un sot. Le spécialiste des plus difficiles problèmes littéraires et historiques du Moyen-Age a d'emblée une autorité suffisante pour que l'œuvre à laquelle il a consacré les vingt dernières années de sa vie soit considérée avec respect et attention par ses adversaires eux-mêmes. » 24:83 D'après ce que nous allons dire, on comprendra encore mieux les raisons de ce pseudonyme. On comprendra aussi sur quelle ignorance totale des faits est fondée l'accusation d'hostilité à l'égard des musulmans, portée contre le P. Théry par des gens qui n'ont pas très bien compris l'objet du débat. Pour bien saisir la valeur de l'auteur et le sérieux de ses ultimes travaux, il suffit de considérer brièvement, mais sans hâte, le cours de sa vie laborieuse. Notre but n'est pas tant de faire connaître la personnalité originale et attachante du P. Théry, que le savant, le chercheur infa­tigable, dont d'autres savants et chercheurs ont admiré les travaux. Un médiéviste de pointe. L. Lechêne, personnalité amie du P. Théry, a publié à Oran, en 1940, la seule bibliographie que nous possédions ; forcément incomplet, ce catalogue des œuvres du P. Théry et de l'accueil qui leur a été fait constitue un magnifique palmarès, surtout si l'on songe que l'éminent Religieux n'avait à cette époque que 49 ans. Pour cette période qui s'étend de 1918 à 1940, et pendant laquelle le P. Théry fut successivement professeur au Saulchoir, puis à l'Insti­tut Catholique de Paris et Directeur de l'Institut Historique Sainte Sabine à Rome, nous ferons de très larges emprunts à L. Lechêne. Dès la fin de la première guerre mondiale, le P. Théry s'était lancé dans l'étude du courant néoplatonicien médié­val, et en particulier du courant dionysien. C'était encore un domaine inexploré. Celui qui s'y aventurait ne risquait guère d'avancer paisiblement sur des chemins battus. La bonne aubaine pour un esprit curieux ! « Tout était à faire en ce domaine » écrit Lechêne, p. 10. « Avec une méthode, une probité, une ténacité qui, de suite, révélè­rent en lui un maître, il commença par l'inventaire des manuscrits grecs et latins de toutes les bibliothèques d'Eu­rope. » Il parcourut ainsi l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Autriche, l'Allemagne, la Tchéco-Slovaquie, la Grèce, la Hollande, la Belgique, la Suisse, l'Angleterre, rapportant une ample moisson de documents, copies, photographies de manuscrits et catalogues de manuscrits. « Cet inventaire achevé, le travail apparaissait gigantesque. Il s'agissait de mettre un peu de clarté dans cette forêt obscure, d'établir de grandes divisions. 25:83 Mais pour y parvenir, il fallait d'abord dater chacun de ces travaux, les identifier, les traduire. Or, de même qu'on ne peut expliquer l'Écriture Sainte sans de multiples connaissances géographiques, archéologiques et linguistiques, de même, sans connaître la paléographie, la phonétique et l'histoire des scribes, comment établir une traduction sérieuse d'un texte moyen­âgeux ? C'est ce que le P. Théry a surabondamment prouvé. A mesure que toutes ces sciences conjuguées, -- la linguistique surtout ; l'aidaient à dépister l'identité des auteurs, le savant était amené à écrire mille notes et com­mentaires d'éclaircissements... Chemin faisant, il s'attar­dait à des découvertes qui réduisaient à néant certaines légendes. » ... « Il est parvenu à délimiter ainsi quatre étapes principales de la pensée et de l'influence dionysiennes. La pre­mière est marquée par les traductions d'Hilduin, de Scot Erigène... La seconde par Hugues Hétérien, Jean Salisbury... La troisième période est caractérisée par une pénétration plus étendue et plus profonde de Denys dans la théologie franciscaine et dominicaine. Mais vers la fin du XIII^e^ siècle la pensée dionysienne se trouve en face d'un fait nouveau d'une portée considérable : l'entrée d'Aristote dans nos universités. Le P. Théry aime à dire qu'Aristote ne nous arrive pas « vêtu d'un péplum ou d'une toge, mais recou­vert d'un burnous et coiffé du fez arabe ». Jusque vers 1275, Aristote n'existe pas à l'état pur, et tout ce que les historiens ont écrit à ce propos n'est en partie qu'élabo­ration imaginative. « David de Dinant, avec son panthéisme matérialiste, Alexandre d'Aphrodise, avec son panthéisme noétique, au début du XIII^e^ siècle, marquent le point culminant de l'in­fluence d'Aristote dans le domaine dialectique et inaugu­rent le début du courant de la métaphysique aristotélicienne. Mais quelle révolution dans les esprits toute la philosophie arabe s'engouffre dans les universités Alfarabi, Alkindi, Avicenne, Averroès, viennent poser aux esprits de la seconde moitié du XIII^e^ siècle les problèmes vitaux et essentiels d'une philosophie qu'ils renouvellent. Le P. Théry a pu parler à juste titre des *Conquêtes spirituelles de l'Islam*, à cette époque. » 26:83 Premier contact avec l'Islam. Remarquons, avant d'aller plus loin, qu'en abordant ces études, le P. Théry vient à peine d'entrer sur le terrain de la philosophie appelée improprement musulmane ; il va examiner avant tout son contenu, plutôt que sa source ou ses rapports avec l'Islam authentique. Il examinera plus tard sa trajectoire et tracera l'itinéraire de son entrée dans les bibliothèques de nos Universités du Moyen-Age. Il dira que la pensée grecque, recueillie au IV^e^ siècle par les sa­vants chrétiens nestoriens et traduite par eux en syriaque, fut traduite par d'autres nestoriens en arabe, sous la domi­nation des abbassides au IX^e^ siècle, pour être transportée sous ce vêtement en Occident au début du XII^e^ siècle. Mais à Tolède, cette pensée dut encore faire une halte au ves­tiaire pour pouvoir faire son entrée à Paris, Oxford, et Montpellier. Sous l'égide de l'évêque français Raymond de Sauvetât (1126-1151 environ), à Tolède le Juif Ibn-Daoud qui connaît l'arabe traduit en romance les livres arrivés de Bagdad. Comme Ibn-Daoud ignore le latin, c'est Gun­disalvi, qui ignore l'arabe mais est bon latiniste, qui prend le relais pour habiller le romance d'Ibn-Daoud en latin. C'est ainsi qu'Aristote, après avoir changé quatre fois de che­mise, franchit les Pyrénées : Grèce-Asie Mineure ; Syrie-Bagdad ; Bagdad-Tolède ; Tolède-Paris, Oxford, Mont­pellier. La philosophie grecque est arrivée à dos de chameaux à travers le Moghreb et l'Andalousie, dans les milieux sco­laires de la chrétienté. Mais y eut-il véritablement une pen­sée arabe ? Et quel sort l'Islam fit-il à ses philosophes ? Peut-on parler rigoureusement d'une philosophie musul­mane ? Ces questions se poseront plus tard à l'esprit du P. Théry. Pour l'instant, nous les laissons en suspens, en fermant cette parenthèse que nous avions ouverte pour éveiller seulement l'attention du lecteur sur un point pré­cis : lorsque le P. Théry, dans ses premiers travaux, parle de « conquêtes spirituelles de l'Islam » de pensée arabe, de philosophie musulmane, il n'entend pas porter un juge­ment de valeur sur l'Islam lui-même ou sur ce que l'on prend pour ses productions. Il emploie un langage com­munément reçu, jusqu'à ce que des études ultérieures l'obligent à réformer sa pensée et son langage. 27:83 Du pseudo-Denys à Maître Eckhart.\ Méthode de travail. « Le fait est là », continue Lechêne. « Comment en est-on arrivé à expliquer les paroles du Christ à l'aide de doctrines arabe et musulmane à l'époque des croisades ? La théologie chrétienne du XIII^e^ siècle est le rendez-vous de doctrines disparates, mais assimilées par l'amour du Christ, doctrines empruntées non seulement aux philoso­phies grecque, musulmane, ou juive, mais encore aux sciences biologiques, géographiques, médicales. Elle repré­sente vraiment l'âge d'or de l'encyclopédie et de l'unité du savoir humain. » Enfin, les recherches sur l'origine et l'influence de la pensée dionysienne conduisirent le P. Théry chez les mys­tiques rhénans, chez Maître Eckhart en particulier. Mais nous devons dire ici avec E. Gilson ([^3]) que le P. Théry se lance sur une nouvelle piste. Il sort des études dionysiennes pures. S'il retrouve encore le Pseudo-Denys chez Maître Eckhart, ce n'est qu'à travers la pensée très élaborée de St Thomas. Nous ne voulons pas nous attarder sur l'objet de ces études, mais sur leur auteur, sur sa méthode de travail, sur le ton de son discours. Ouvrons les *Archives d'Histoire doctrinale et littéraire du Moyen-Age* de l'année 1928, t. III, p. 321-322. Lisons quelques paragraphes de l'Introduction écrite par le P. Théry pour son édition an­notée du « Commentaire de maître Eckart sur le Livre de la Sagesse » : « Eckhart est un des hommes du XIV^e^ siècle qui retien­nent le plus l'attention des historiens : depuis trois ou quatre ans, nous avons vu paraître une vingtaine d'études sur ce sujet. Mais à la lecture de ces travaux, ce qui frappe surtout, c'est l'esprit de désordre et de fantaisie qu'appor­tent les érudits dans ce domaine. On a parlé ces dernières années d'Eckhart et de son influence sur la philosophie al­lemande contemporaine. On s'est efforcé d'établir des pa­rallèles entre Eckhart et Bouddha, entre Eckhart et la phi­losophie hindoue ! D'autre part, on a cherché à reconstituer tel ou tel point de détail de la doctrine d'Eckhart ; on a peiné pour découvrir quelques variantes en vue d'améliorer tel ou tel sermon allemand. 28:83 De toutes ces productions, l'his­torien proprement dit et l'historien des doctrines auront à retenir vraiment peu de chose ; à peine trouveront-ils à glaner de-ci, de-là, quelques précisions devant servir à for­mer une image réelle et concrète d'Eckhart... « Avant de reconstituer la doctrine d'Eckhart, d'entre­prendre telles ou telles corrections de détail, il fallait au moins lire ses ouvrages principaux. Cela peut faire sourire d'avancer pareille affirmation. Et cependant, en toute vé­rité et en toute certitude, je peux dire que la grande majo­rité des historiens qui ont écrit sur Eckhart n'ont pas lu ses œuvres principales. On s'est contenté des sermons alle­mands -- dont on a négligé d'établir auparavant l'authen­ticité -- comme si ces sermons constituaient l'œuvre principale d'Eckhart ! C'est comme si nous voulions reconsti­tuer la physionomie intellectuelle de saint Thomas à partir de ses sermons, en faisant abstraction de sa Somme Théo­logique ! « Les œuvres principales de Maître Eckhart sont repré­sentées surtout par des commentaires scripturaires : com­mentaire sur la Genèse, sur l'Exode, la Sagesse, l'Ecclé­siaste, saint Jean... dont les manuscrits ne concordent pas... « C'est à ce bloc de documents que nous avons voulu nous attaquer en publiant les commentaires d'Eckhart sur l'Ancien Testament... « Si nous avions voulu nous contenter de publier le texte, il y a plusieurs mois que nous aurions pu livrer au public tous les écrits latins d'Eckhart sur l'Ancien Testament, dont la transcription est achevée. Mais ces textes ne prennent une véritable signification que s'ils sont replacés dans leur contexte historique, dans l'ambiance de l'époque. C'est ce but que nous avons recherché, en expliquant le texte par de nombreuses notes. C'est un premier éclaircis­sement des questions multiples et complexes que pose l'étude de la doctrine d'Eckhart. Presque toujours, nous avons rapproché Eckhart de St Thomas. Ce n'est pas au hasard... Nous n'avons pas tout dit, puisque nous devons revenir, d'une façon spéciale, sur ces principales questions. Mais déjà, la source principale de maître Eckhart est mise en lumière... » 29:83 On a pu noter au passage, non seulement le souci, chez le P. Théry, de la recherche du document, de l'étude scru­puleuse de son contenu, de l'effort pour le situer dans le milieu historique et doctrinal où il est né, maie encore la critique impitoyable de ceux qui avaient fait fausse route par manque de travail ou défaut de méthode. Ce ton sera constant dans les travaux du P. Théry, ce qui suppose une grande sûreté de soi, surtout si l'on remarque qu'à l'épo­que où il commençait de publier le fruit de ses recherches il était à peine âgé de 30 ans ; 37 ans lorsqu'il livrait au public ses études sur maître Eckhart sous le regard de ce­lui qui avait été son propre maître, le P. Mandonnet, autre célébrité de l'Ordre Dominicain. Critique historique et théologie. « Intellectualiste et raisonneur autant que... le P. Man­donnet », écrit E. Gilson dans *Le Philosophe et la Théolo­gie*, p. 105, « le P. Théry joignait à ces qualités une indif­férence complète aux idées reçues. » Le P. Théry ne se souciait pas des idées reçues parce que, précisément, ses propres investigations lui en avaient appris la fragilité et parfois l'inconsistance, dans un do­maine où il s'était attendu à rencontrer de véritables sa­vants. Des savants, il y en avait sans doute ; mais le P. Théry venait de prendre leur érudition en défaut et de montrer que leur méthode manquait de rigueur. Il devait donc partir en franc-tireur. C'est ce qu'il fit. Nous ne pouvons énumérer ici tous les fruits de son inlassable activité ; contentons-nous d'une vue générale : -- De 1921 à 1939, nombreuses recensions d'ouvrages scientifiques écrits en français, allemand, anglais, espa­gnol, italien, ou latin, concernant l'étude de la pensée mé­diévale ; -- dans le même temps, nombreux travaux personnels dans : la *Revue des sciences philosophiques et théologiques ;* la *Revue Thomiste ;* la *Vie spirituelle*, ascétique et mystique ; la *Revue d'histoire de l'Église de France* ; les *Mélanges thomistes* (Bibliothèque thomiste) ; la *Revue d'histoire ecclésiastique* de Louvain ; la *Revue des jeunes*, où il ne fit qu'un bref passage en tant que co-directeur avec le P. Gillet, de 1927 à 1928 ; les *Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen-Age*, qu'il venait de fonder, avec Étienne Gilson comme co-directeur ; 30:83 -- collaboration à : l'*Histoire Générale*, publiée sous la direction de Gustave Glotz ; au *Bulletin du Cange ;* à différentes encyclopédies religieuses et littéraires ; à plusieurs revues étrangères ; au *Dictionnaire d'histoire ecclésiastique ;* à l'*Histoire littéraire de la France*, publiée par l'Institut ; au « Dictionnaire Larousse » du XX^e^ siècle (tome VI, art. *Thomas d'Aquin* et *Thomisme*) ; à l'*Encyclopédie Française*, fondée et dirigée par A. de Monzie ; etc. A la fin de cette période, les grands travaux qui ont assuré sa réputation de critique et d'historien sont publiés dans l'une ou l'autre des collections que nous avons men­tionnées. Est-ce à dire que tout cela ait *passé comme une lettre à la poste ?* Sûrement pas. Quelques théologiens, et non des moindres, s'inquiétèrent. Le premier livre des *Études dionysiennes* fut même censuré. Mais c'est un autre grand historien, ami intime du P. Théry et devenu pape sous le nom de Pie XI, qui vint à son secours. Nous tenons du P. Théry lui-même cette petite conversation : -- Savez-vous, Père Théry, que votre livre est censuré ? -- Ah ?... Non, Très Saint Père. -- Eh bien, il l'est. -- Bon !... -- Vous ne me demandez pas par qui ?... Par le Père X... -- Ah, par exemple ! Et quelle hérésie y a-t-il dénichée par hasard ? -- Aucune, cher Père ; et ici le Pape, amusé, prit un ton doctoral -- mais vous introduisez la critique historique dans la théologie, ce qui est introduire le relatif dans l'ab­solu ! Quod absit ! -- Bon. Alors qu'est-ce que je fais, Très Saint Père ? -- Continuez, dit le Pape. Et Pie XI écarta la censure. 31:83 Mais, pour apaiser les craintes de ces théologiens, le P. Théry, dans son second volume d'*Études dionysiennes*, dit ce que la critique historique pouvait apporter de solide à la théologie : « A la base de l'hellénisation progressive du Moyen-Age, hellénisation néo-platonicienne et aristotélicienne, il y a tout un travail fondamental qui est le travail de traduction. Sans une étude approfondie des versions gréco-latines, de leur mécanisme, de leur amélioration progressive, on risque de ne jamais connaître d'une façon réfléchie, mesurée, ni le point de départ, ni la valeur réelle des spéculations mé­taphysiques médiévales. « Nous avons préféré cette voie aride et moins brillante, mais plus solide, de l'analyse textuelle, à la voie large, éblouissante et toujours précaire de la synthèse. « De plus, nous avons pensé aux philologues, et aux historiens de la terminologie philosophique et théologique. « ...Enfin, nous avons pensé aux théologiens. Une mé­thode de sainte critique n'est point déplacée quand on veut exposer un système de pensée. Un historien peut ren­dre au théologien d'appréciables services ; lui apprendre notamment le recours constant aux textes originaux histo­riques pour apprécier leur influence et la qualité de cette influence ; pour mesurer en toute sérénité la valeur d'une « autorité » médiévale. La grande pensée n'a rien à perdre en s'épurant et en se dégageant de l'accidentel qui l'en­combre. « Ce que des esprits solidement équilibrés, sainement préparés ont fait pour l'Écriture Sainte, au point de vue philologique, littéraire, historique et géographique, pour­quoi ne le ferait-on pas analogiquement pour les grandes sources de la théologie ? On n'a rien à craindre d'une cri­tique calme et sereine. C'est pour faire pénétrer cet état d'esprit, pour éveiller au moins le soupçon qu'une pensée est dans une certaine mesure solidaire de la valeur et de l'élaboration du texte qui prétend la justifier, dépend pour une certaine partie de la valeur et de l'élaboration de ce texte, que nous avons multiplié les notes à chaque page de notre travail. Dans notre esprit, ces notes constituent un avertissement et un éveil. Tel est notre but final et fonda­mental. » (P. G. Théry, *Hilduin, traducteur de Denys*, p. 352-353). 32:83 A la Sacrée Congrégation des Rites. Ayant donné ces apaisements, le P. Théry continua son travail, avec l'appui direct de Pie XI qu'il rencontrait fré­quemment. Il venait de fonder à Rome, sous les auspices du P. Gillet déjà nommé, maître général des Dominicains, l'Institut historique Sainte-Sabine, dont le but était de pré­parer une histoire aussi complète que possible de l'Ordre des Frères Prêcheurs par le recours aux sources, lorsque le Pape lui-même créa à la Sacrée Congrégation des Rites une Section Historique dont l'activité particulière fut définie dans le *Motu proprio* qui l'instituait : « Persuadé que les procédés en usage dans la manière de traiter les causes « historiques » des Saints ont besoin de quelque modifica­tion afin de mieux répondre à la propre nature de telles causes et à leurs spéciales exigences, compte tenu princi­palement *du développement récent des disciplines histo­riques et des perfectionnements apportés à leur méthode*... toutes les parties qui ont trait à la vie, à la vertu, au mar­tyre, au culte ancien des Serviteurs de Dieu... seront de la principale compétence d'une Section Historique. » Et le Souverain Pontife nomma aussitôt le P. Théry membre de cette Section, sûr de trouver en lui l'homme qui apporterait en ce domaine un esprit et une méthode se­lon sa pensée et selon son cœur. -- Nous sommes en 1930, le P. Théry a 39 ans. Dans le cadre de ses fonctions à la S.C. des Rites, sans préjudice pour ses autres travaux en cours, le P. Théry publie en 1938 deux gros volumes sur la VÉNÉRABLE MARIE POUSSEPIN. Débordant largement les li­mites de la simple biographie, même la plus méticuleuse, ces ouvrages, dont la valeur repose sur des dizaines de mil­liers de pièces d'archives notariées, scrupuleusement « éplu­chées » par l'auteur, sont une véritable contribution à l'histoire du commerce, de l'industrie, de l'enseignement, et de la charité aux XVII^e^ et XVIII^e^ siècles. Mgr Beaussart écrivait au P. Théry à propos de ce travail : « Je crois même que dans le commun des lecteurs et dans le monde des érudits où votre nom seul garantit à l'ouvrage un ac­cueil favorable, les exigences de l'Église en matière de pro­cès historique seront hautement appréciées. » (Lettre-pré­face, p. 1-2.) 33:83 Quelques années plus tard, le P. Théry extrayait de ces deux volumes une petite brochure de 40 pages, pour inviter ceux qui se croyaient appelés à bâtir la France nouvelle à scruter auparavant son passé. En voici quelques lignes, non point pour résumer cette brochure sur LES ORIGINES DU MA­CHINISME EN FRANCE AU XVII^e^ SIÈCLE, mais pour maintenir l'attention du lecteur à la fois sur la méthode et sur le ton du P. Théry : « On a généralement tendance à imaginer que le pro­blème social se résout par quelques formules très simples ou par certaines oppositions très tranchées. Laissons cela aux tribuns et aux conférenciers de plein air. Le problème social, qui a trop longtemps servi de tremplin pour des fins politiques personnelles ou de parti, va se poser demain pour lui-même. Or ce problème, comme tous les aspects essentiels de la vie nationale, plonge ses racines profondes dans l'histoire même de notre pays, dans le développement ascensionnel de notre vie industrielle et commerciale. « ...La connaissance du passé nous aide à mesurer nos pas. Le présent est comme la statue du Janus bicéphale ; il s'appuie sur le passé pour bien fixer l'avenir. L'histoire est la véritable métaphysique d'un peuple et d'une nation. « Or, notre passé industriel et commercial n'a pas en­core trouvé son véritable, historien. La faute en est à ce que les écrivains qui ont abordé ce problème n'ont jamais pris conscience des méthodes qui s'imposaient et des sources primordiales qu'il fallait consulter. Et cependant ces sour­ces sont là, innombrables et variées, mines de renseigne­ments pour cet immense problème social. Ce sont les con­trats ou brevets d'apprentissage... » (Mais c'est à peine si, aujourd'hui, nous trouvons publiées quelques pièces de ce genre...) « Le 71^e^ Congrès des Sociétés Savantes, en avril 1938, s'est bien rendu compte de cette lacune, mais la for­mule que reproduit le vœu de cette assemblée, p. 6, n. 25, reste bien équivoque : signaler *en utilisant au besoin* les minutes notariées et le registre du contrôle des actes (Arch. Dép. série C), les contrats d'apprentissage. -- Les registres de contrôle, remarquons-le bien, ne sont point des sources originales. En principe, ils ne font que résumer eux-mêmes des documents originaux. Par conséquent ces registres ont une valeur de doublet, ou valeur de suppléance en cas de disparition des documents primitifs. Les minutes notariées restent les seules sources originales. Il ne s'agit donc pas de les utiliser *au besoin*, mais de les utiliser *nécessairement*. C'est par ces pièces notariées qu'on pourra par conséquent retracer l'histoire économique, industrielle, et l'histoire du développement social de notre pays. 34:83 « Les économistes et les historiens ont généralement négligé cette source, la seule originale. L'expérience que nous avons tentée est absolument concluante. Plus de 75.000 pièces d'archives notariées sont passées entre nos mains et grâce à la documentation retrouvée dans cette masse, il nous est maintenant possible de retracer concrè­tement l'origine du machinisme en France et la transfor­mation sociale accomplie chez nous au XVII^e^ siècle. » (p. 6 de la brochure citée et depuis longtemps épuisée, tout com­me les deux volumes sur MARIE POUSSEPIN.) Ainsi, nous voyons toujours le P. Théry faire la chasse au document authentique, dénoncer les erreurs de méthode, tracer la voie aux historiens qui aiment leur métier. Il insiste pour qu'on ne se laisse pas rebuter par l'apparente monotonie de la tâche : « A première vue, dit-il, ces con­trats d'apprentissage paraissent avoir tous la même struc­ture. Mais cette similitude ou identité n'est qu'apparente. Il n'y aura répétition que pour ceux qui ne savent pas les comprendre. Lire un brevet d'apprentissage, c'est déchif­frer toute une époque. Les formules, même les plus bana­les, ont une signification historique, mais à une condition : de les replonger dans le réel. » Notons-le bien, ce sont des réflexions de ce genre que nous avons rencontrées chez « Hanna Zakarias ». Le pseu­do-Coran est farci de répétitions. Si l'on veut y chercher seulement les éléments d'une doctrine religieuse, rien n'est plus fastidieux, car c'est toujours le même refrain, un seul dogme sans aucun développement, la répétition d'une vérité banale : soumettez-vous à Yahwé, sinon vous serez, dam­nés. -- Mais si l'on replonge ces formules banales dans le réel, voici que la vie apparaît, leur donnant chaque fois une couleur nouvelle : ici c'est une exhortation, là une vive riposte, ailleurs un geste de mépris, un mouvement de co­lère. Il nous faut bien reconnaître qu'avant Théry-Zakarias, l'Islam non plus n'avait pas trouvé l'historien de ses origi­nes, j'entends l'homme qui appuie son essai de reconstitu­tion historique sur une interprétation sensée de textes par­fois obscurs. Même si son interprétation soulève ici ou là un doute, voire une contradiction, elle ne heurte jamais l'intelligence et le bon sens, comme le font les puérilités que nous avons dû subir jusqu'à présent en lisant les di­verses « vies de Mahomet » ou commentaires du « Coran ». 35:83 Et il faut bien reconnaître que cet historien ne s'est pas improvisé, contrairement à la légende que certains profes­seurs qui se croient grands, confortablement assis sur leurs romans coraniques, auraient voulu accréditer à la faveur de l'incognito d'H. Zakarias. Il a apporté à sa critique du pseudo-Coran la même probité intellectuelle, la même ri­gueur de méthode qui avaient assuré la valeur de ses pré­cédents travaux, et lui avaient attiré les plus flatteuses louanges. C'est en 1926 qu'il écrivait : « *On n'a rien dit, ou l'on a très peu dit, des sources d'une pensée, quand on a mis en parallèle deux textes similaires. Pareille méthode est valable quand il s'agit de retrouver les fragments d'une compilation ; elle est en grande partie inefficace quand on l'applique à une pensée originale et vivante. Pour retrouver des influences vitales, il faut une méthode vitale... Cette méthode, sans rien sacrifier de la méthode comparative des textes, avait l'avantage de mettre en parallèle, non plus seulement deux textes, mais deux directions intellectuel­les.* » A cette époque-là, le P. Théry ne soupçonnait même pas qu'il s'attaquerait un jour au « Coran ». Et pourtant, ne croirait-on pas que nous venons de lire un passage de DE MOISE A MOHAMMED ? Or ce texte est extrait de l'Avant-propos d'ALEXANDRE D'APHRODISE, publié vingt-neuf ans avant le premier livre sur les origines de l'Islam. « Vouloir étudier *par tranches* l'histoire d'une pensée, c'est suppri­mer la vie même de cette pensée. » Cette autre réflexion, recueillie dans le tome I d'HILDUIN TRADUCTEUR DE DENYS, revient fréquemment dans les œuvres du P. Théry. Nous ne saurions nous étonner, par conséquent, de la retrouver chez « H. Zakarias » lorsque, parlant des méthodes compara­tives des coranisants, il dit que *c'est faire de l'histoire à la petite poussette*. L'expression traduit un peu l'agacement. On comprend cependant ce mouvement d'humeur chez quelqu'un qui, spécialisé depuis trente-cinq ans dans les études de critique historique, entre dans un domaine aussi honteusement truqué, sous ce rapport précisément, que celui des études coraniques. Aussi est-ce à dessein que nous avons demandé au lecteur de noter le ton du P. Théry. *Pourquoi ce ton est-il accepté par le public savant des étu­des médiévales, tandis qu'il provoque la hargne et l'hostilité des coranisants officiels* pendant que quelques ama­teurs périphériques s'agitent bruyamment comme s'ils étaient personnellement en cause ? 36:83 Ne serait-ce pas parce que, *chez les médiévistes*, le P. Théry *rencontre de vérita­bles savants prêts à accueillir toute vérité, même assaison­née de remarques qui, pour être exprimées avec une liberté un peu désinvolte, n'en sont pas moins fécondes* pour le progrès des études auxquelles elles s'appliquent ? Le P. Théry a trop souvent invité les coranisants à faire leur exa­men de conscience, à reconnaître simplement qu'ils ont fait fausse route, pour que nous insistions à nouveau. Du reste, nous n'avons aucune qualité spéciale pour leur adres­ser pareille exhortation ; après tout, peut-être est-il très difficile de renoncer tout à coup à des positions intellec­tuelles sur lesquelles on a bâti réputation et fortune. L'héroïsme n'est pas monnaie courante. Un moine au service de la France.\ Érudition et 2e Bureau. La publication des deux ouvrages d'histoire sur LA VÉ­NÉRABLE MARIE POUSSEPIN n'épuise pas la liste des travaux d'avant guerre du P. Théry. Il faudrait en citer d'autres, d'une grande valeur, presque terminés ou encore en chan­tier, se rapportant à la littérature médiévale, et qui furent perdus du fait de l'invasion allemande en 1940. « Les tra­vaux du P. Théry en cours de publication -- écrit Lechêne dans sa bibliographie --, ses instruments de travail, sa bibliothèque constituaient une valeur telle que le sous-pré­fet de X... avait eu l'amabilité de s'engager efficacement à la protéger au même titre que les œuvres d'art et archives. L'avance foudroyante de l'ennemi n'a pas permis de réa­liser cet engagement. Les listes qui vont suivre sont à mettre au bilan des pertes. » (p. 85, *op. cit.*) Comme nous n'écrivons pas une « Vie du P. Théry » ni une recension de toutes ses œuvres, mais une présentation sommaire du sa­vant, spécialiste de la critique historique, nous ne trans­crirons pas ces listes dont la seule lecture dispenserait de tout commentaire. 37:83 Les tragiques événements de 1940 ont eu pourtant une importance capitale dans la vie du P. Théry, dans l'orien­tation de ses travaux. On peut dire aussi que la présence du P. Théry en Afrique du Nord, à cette époque, a eu une importance capitale pour la conduite de la guerre de libé­ration du territoire français. Les NOUVELLES DE L'INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS, n° d'avril-mai 1959, ont fait une allusion discrète à cet épisode : « Le P. Théry fut amené à étudier de plus près les phi­losophes arabes et... pour cela, à faire de fréquents séjours au Maroc et en Afrique du Nord. Ainsi se trouve expliqué le rôle politique que les circonstances lui ont fait jouer en­tre 1940 et 1942, dans la préparation du débarquement américain. L'étude de cet événement réservera aux histo­riens de nombreuses surprises parmi lesquelles l'épisode de ce moine féru d'érudition médiévale et qui semblait ne se trouver à son aise que dans l'atmosphère des bibliothèques ne formera ni le moins pittoresque, ni le moins paradoxal. » Nous serons un peu plus explicite que le Bulletin de l'INSTITUT CATHOLIQUE, en disant que c'est le P. Théry qui conçut l'idée de la nécessité du débarquement allié en Algé­rie et qui, pendant deux ans, mit tout en œuvre pour que ce projet fût accepté par les Américains et réalisé. A plusieurs reprises, le P. Théry avait annoncé son intention de publier l'histoire de ces deux années d'activité clandestine. S'il l'avait fait, on n'aurait pas entendu col­porter certaines calomnies à propos d'un homme qui a toujours cherché à sauver des vies humaines, même de ses ennemis. S'il était le cerveau de ce réseau secret qui préparait avec audace et précision les opérations du débarquement allié et ses voies de pénétration en Afrique du Nord, il n'avait pas, cela se conçoit aisément, le contrôle direct de certains éléments épars qui tenaient plus de la fripouille que du soldat. Le contrôle, d'une armée régulière n'est pas toujours facile ; la difficulté s'aggrave lorsqu'il s'agit d'une Organisation clandestine. En 1945, le P. Théry annonçait la publication, *sous peu*, d'une *Contribution à l'Histoire de la Résistance Française*. *La libération de l'Afrique. Mémoires sur l'Histoire Nationale, Politique et Religieuse de l'Afrique du Nord, de 1940 à 1942*, ouvrage -- disait le P. Théry -- qui sera publié aux Éditions Heintz frères ; les illustrations et les nombreuses photographies seront faites par L. Moll. -- Cette annonce précise n'eut aucune suite. Le P. Théry ne se décida jamais à publier cette histoire, à supposer qu'il l'eût déjà écrite au moment où il l'annon­çait. 38:83 Seuls demeurent, croyons-nous, les quarante-deux dos­siers de correspondance relative à la préparation du débar­quement allié, dossiers de toute première valeur sur la des­tination desquels le P. Théry nous avait fait connaître ses intentions. S'il se ravisa au moment de publier ses *Mémoi­res de guerre*, c'est dans un esprit de modération et d'apai­sement, pour éviter de mettre en mauvaise posture des per­sonnages qui avaient changé de camp en dernière heure et en dernière minute, contre caution d'une bonne place dans le futur régime. Il valait mieux laisser couler le temps, at­tendre que les passions se calment, ou même que certains individus disparaissent, n'ayant agi que pour sauver leur vie, et n'ayant vécu que pour servir leurs ambitions per­sonnelles. Mais le P. Théry est mort, et l'histoire y perdra sûrement des détails qui n'étaient inscrits que dans la mé­moire de l'historien, à supposer encore que le récit de cet épisode de notre passé national soit un jour écrit d'après les documents en question. Nous retiendrons seulement, de cette période, deux ou trois témoignages qui fixeront en quelques traits les quali­tés d'homme de cœur et d'homme d'action qui s'ajoutèrent, chez le P. Théry, à celle d'homme de science. Le 31 janvier 1959, aux obsèques du P. Théry, un de ses amis, le Général Chassin, s'exprimait en ces termes : « ...L'Amiral Barjot empêché m'a demandé de le rem­placer pour apporter au P. Théry l'hommage de l'Armée française. Ne vous étonnez pas d'un tel hommage, si inha­bituel soit-il. Oui, l'Armée aimait profondément le Père Théry, et le nombre et la qualité des militaires ici présents, leur douleur, leurs poignants regrets, vous prouvent toute la sincérité de nos sentiments envers ce grand homme. « ...Toute sa vie nous atteste son patriotisme. Créateur d'un réseau en Belgique pendant la première guerre mon­diale, héros de la Résistance pendant la deuxième, Compa­gnon du 8 novembre, décoré à titre militaire de la Croix de la Légion d'Honneur, de la Croix de guerre avec palme, de la Rosette de la Résistance, cet homme trop modeste faisait l'admiration des plus chevronnés, par son audace réfléchie, son goût du risque, son intelligence aiguë, et son courage tranquille dans les plus durs moments. 39:83 « ...Ami fidèle, sûr et efficace, jamais il n'abandonnait un malheureux dans le besoin. Il avait une âme de cheva­lier, l'amour des petits, le mépris des choses matérielles, la sérénité devant la mort... « En le perdant, nous tous, nous perdons beaucoup. Quel vide ! car il était un de ces rares génies, comme son ami déjà parti, Antoine de Saint-Exupéry, qui sont capables de repenser le monde et de guider hors de leurs ténè­bres les hommes qui ont perdu le sens du divin. « Il avait, comme Saint-Ex, cette admirable intelligence spirituelle qui transcende tous les problèmes et apporte l'apaisement. « Comme Saint-Ex enfin, il avait le courage fidèle, et comme lui encore, il était miséricordieux à tous. » Un autre orateur, présentant un jour le P. Théry qui allait faire une conférence au Rotary Club de X..., disait : « Pour moi, il incarne la réalisation concrète de ce que le catéchisme nous apprend sur la Pentecôte. Au don des lan­gues, le Seigneur a ajouté pour le Père Théry la faculté rarissime de pouvoir se faire comprendre de tous. Que ce soit aux petits enfants qu'il aime tant et qui le lui rendent bien, aux grandes personnes, aux gens simples, aux audi­toires avertis et savants, le Rév. P. trouve pour tous et pour chacun les mots et les expressions qui expliquent, qui convainquent, qui apaisent. » (9 décembre 1957.) Nous citerons enfin quelques extraits du rapport adres­sé à Washington par le Consulat des États-Unis en Afrique du Nord (Rapport Leeland Rounds, pour la période 1941-1942). Pour éviter des digressions qui nous entraîneraient trop loin, nous écarterons tout paragraphe où d'autres noms que celui du P. Théry sont cités : « Vers la fin du mois de juillet 1941, à un apéritif don­né par un de nos bons amis, Ridgway Knight et moi ren­contrâmes pour la première fois le Père Théry. Nous igno­rions à ce moment-là qu'il avait prémédité cette rencontre pour savoir pourquoi nous étions à Oran, et si nous avions d'autres devoirs que ceux de Vice-Consul et « d'Officier de Contrôle » d'après les accords Murphy-Weygand. Nos in­tentions envers le Père étaient au contraire uniquement sociales (sic). Il ne nous venait point à l'esprit que nous par­lions à un homme qui devait jouer un rôle important dans nos plans. Ce fut lui qui nous mit en contact avec le chef d'un groupe qui devait, un an et cinq mois plus tard, nous aider à débarquer sur le sol de l'Afrique du Nord et, ce faisant, aider la France à reconquérir la liberté. 40:83 « Le Père Théry avait de l'esprit, il était gai, ostensi­blement (sic) bien informé, et nous l'aimions. « ...Principalement parce que le Père Théry était très sympathique, partiellement parce qu'on sentait qu'il y avait avantage à le suivre, qu'il tenait quelque chose en réserve, nous continuâmes à le voir fréquemment. Il y avait des cocktails, des déjeuner, des dîners, où des conversations sé­rieuses étaient tenues avec lui, dans la petite pièce qu'il occupait dans un appartement derrière la cathédrale. « ...Les hommes rencontrés chez le Père Théry étaient tous les meneurs, c'est-à-dire « les capitaines ». Sous leurs ordres, il y avait plusieurs petits groupes, commandés par des « lieutenants ». Ceux-ci comprenaient des cheminots, employés des postes, télégraphistes, ouvriers du port, bou­tiquiers, officiers de l'armée et autres. « ...Aucun parmi eux n'était agent payé. La question argent ne fut jamais mise en cause. Ces hommes désiraient des armes ; ils voulaient des munitions, du matériel, pour se battre quand le moment viendrait. Si nous arrivions à les équiper, ils nous offraient de nous ouvrir la route. « ...Puis ce fut Pearl Harbour... Nous pouvions parler maintenant ouvertement de l'effort de guerre américain. « ...Le groupe, sur notre insistance, agit et travailla comme si on avait déjà décidé d'utiliser l'Afrique du Nord comme base (comme en vérité cela fut, mais à ce moment-là nous ne pouvions seulement qu'espérer). « Les fondations avaient été bien posées à Oran, mais maintenant que nous étions en guerre, il nous fallait une base plus large. » (*Au matin du 8 novembre 1942, les Alliés débarquent à Oran*.) « Ce fut là une vaste opération. De nombreux hommes et femmes y ont contribué. J'ignore aujourd'hui les noms de la plupart de ces gens. Il se trouvait des hommes coura­geux et des chefs splendides à Casablanca, à Alger, à Tu­nis, Tanger et autres endroits. Sans ces hommes, rien ne pouvait être accompli mais c'est dans la petite chambre du Père Théry qu'il faut chercher l'origine de cette opéra­tion. Ce fut son courage, son énergie inlassable et surtout sa compréhension profonde des hommes qui a rendu tout cela possible. 41:83 En dépit des menaces d'arrestation qui l'obli­gèrent à se cacher, déguisé en civil dans une ferme des en­virons d'Oran, il revint dans sa petite chambre à Oran plu­sieurs semaines avant le jour D, faisant des plans avec des lieutenants éprouvés, les encourageant, et les tenant prêts à l'activité (sic). Il restait là, ne pouvant même pas quitter sa maison pour se montrer à la fenêtre, jusqu'à l'entrée de nos hommes dans Oran. « Quand je revois ces journées fiévreuses, remplies d'événements plus émouvants que n'importe quel roman, je pense en premier lieu au Père Théry dont la détermina­tion et la prévoyance ont mis toutes ces choses en action. « Il garde, d'une façon la plus profonde, mon admira­tion et mon affection. » (Leeland Rounds, Rapport cité.) On retrouve ainsi, chez tous ceux qui ont approché le P. Théry, les mêmes paroles d'affection et d'admiration pour cet homme aux qualités si profondément chrétiennes, qui unissait à la puissance de concevoir de grandes choses celle de les réaliser. Travaux de guerre.\ « Découverte » du Coran. Ce n'était pas une petite affaire, que l'entreprise mili­taire du P. Théry. On aurait tort cependant de penser qu'elle suffit à absorber tout son temps. Esprit toujours en mouvement, méthodique, incroyablement prompt à péné­trer au cœur des problèmes, doué d'une sorte de génie de l'analyse, favorisé d'une extraordinaire mémoire, il menait de front plusieurs travaux, passant de l'un à l'autre en guise de délassement. Surveillé, puis obligé de se cacher, mais ayant été auparavant en contact direct et prolongé avec des hommes vivant de l'Islam, sa curiosité intellec­tuelle autant que son amour pour ces hommes le poussè­rent irrésistiblement à ouvrir pour la première fois un Co­ran. Comme nous l'avons dit, il n'avait pas eu le loisir d'emmener sa bibliothèque en Afrique Française du Nord. La seule traduction qu'il put alors se procurer fut celle d'E. Montet. Deux évidences le frappèrent dès l'abord : 1°) l'ordonnance absurde des chapitres de ce livre ; classés selon leur longueur décroissante, ils rendent la lecture du Coran parfaitement inintelligible ; 2°) l'absence totale de nouveauté doctrinale dans ces prétendues *révélations* d'Al­lah. 42:83 Quelques jours après ce premier contact plutôt déce­vant, il demanda à ses amis de lui procurer une Bible. Voilà quels furent ses premiers instruments de travail. Le contenu dogmatique du « Coran » ne faisant aucune dif­ficulté, il importait avant tout, pour pouvoir déchiffrer ce document d'histoire, de lui restituer sa physionomie ori­ginelle du moins, on pouvait essayer, puisqu'on avait le temps. Là, le P. Théry était à son affaire. Toute sa vie du­rant, il n'avait rien fait d'autre que de rechercher des do­cuments, d'en établir l'authenticité, d'en restituer le texte exact, d'en faire la critique interne, et au besoin l'histoire, de les replacer dans les grands courants de pensée qui leur avaient donné naissance, et d'étudier les courants intellec­tuels qu'éventuellement eux-mêmes avaient suscités. Il se mit patiemment, on pourrait dire passionnément, à ce tra­vail préalable de reconstruction logique du « Coran », re­construction qui devait aboutir à une ordonnance chrono­logique aussi approximative que possible des chapitres. Il y parvint. Lorsque, la paix revenue, il put se procurer d'au­tres traductions, il se rendit compte que, par sa seule mé­ditation et réflexion, il avait rétabli l'ordre déjà trouvé par Nöldeke, et dépassé de loin le stade de la critique tradi­tionnelle. Ce n'est que par ignorance de ces faits, que tel adversaire de « Zakarias » a pu l'accuser de suffisance lorsqu'il écrit qu'il est un vieux routier des études histo­riques, qu'il ne doit rien à personne dans ce genre de tra­vail, et que « comme Nöldeke, nous nous déclarons capa­ble de reconnaître au style et au contenu la chronologie relative des sourates c'est-à-dire leur appartenance à telle ou telle phase de la vie de Mohammed et au développement interne de l'Islam » (DE MOISE A MOHAMMED, t. I, p. 16, n. 2). Non seulement il ne doit rien à ceux qui ont écrit avant lui sur l'Islam, -- entendons bien : ceux qui ont prétendu fai­re l'histoire des origines d'après le « Coran » ; mais, ayant lu tous leurs travaux par conscience professionnelle dès qu'il en eut la possibilité, il dut faire un constant effort pour se libérer de cet amas de sottises, niaiseries et bille­vesées anti-scientifiques dont ils assaisonnent leurs expli­cations. Pour cette raison, il s'abstiendra de donner aucune bibliographie à la fin de ses ouvrages ; que l'on relise à ce propos la préface du tome I citée ci-dessus. 43:83 Nous avons observé le même silence bibliographique, car les ouvrages que nous avons dû lire à la suite de ceux qui furent pu­bliés avant 1958 n'ont pas crevé le plafond de la « scien­ce » traditionnelle. Ils portent les mêmes stigmates. His­toriens de renom et théologiens diplômés racontent de telles bêtises sur l'inspiration, les révélations, ou la science reli­gieuse de Mohammed, -- (affublant bien souvent leurs commentaires de considérations pseudo-mystiques), -- que nous nous sommes parfois demandé dans quelles écoles ces théologiens ont pêché leurs diplômes et où ces histo­riens ont appris à écrire l'histoire. Dans quelques décades, les savants versés dans ces disciplines se demanderont avec amusement comment de tels fossiles ont pu subsister et être pris au sérieux, au siècle de l'exégèse et de la critique historique. Digression sur la linguistique. « Ami, Ami, tu comprends, je ne sais pas l'arabe ; alors je n'ai pas de préjugés. » Cette joyeuse boutade du P. Théry dépeint bien le caractère un peu gavroche de l'homme pre­nant un malin plaisir à vous lancer en plein visage une énormité qui vous laisse d'abord un peu pantois, et qui vous invite ensuite à réfléchir. Par cette apostrophe fort cavalière adressée à l'un de ses confrères, le P. Théry visait surtout une mentalité qu'il avait cru discerner chez bon nombre d'arabisants professionnels : la manie d'admirer par principe tout ce qui est arabe, et de gober avec délices tout ce qui nous arrive enveloppé dans cette langue. N'est-on pas allé jusqu'à dire que « *la survie internationale de la langue arabe est un élément essentiel de la paix future entre les nations* », et que « *pour plusieurs Français chrétiens, dont je suis* » -- c'est L. Massignon qui parle --, « *elle a été et demeure la langue de la liberté suprême, de la révéla­tion de l'amour...* » ? (Préface de L. Massignon au livre de Nax Vintejoux, LE MIRACLE ARABE). La liberté, étant un sentiment universel, trouve le moyen de s'exprimer dans toutes les langues. Quant à l'amour, la plupart des Français chrétiens, privés de l'incomparable bonheur de parler arabe, en ont trouvé la révélation dans le Christ et en leur propre langue, révélation livrée en grec par les évangé­listes longtemps avant que les Arabes se soient constitué un embryon de littérature. 44:83 Il n'est pourtant venu à l'idée d'aucun helléniste distingué que le grec pouvait être un élément essentiel de la paix future entre les nations. En ce domaine, la rectitude de la pensée compte un peu plus que la survie d'une langue. Ceci dit, pour montrer que la boutade du P. Théry n'était pas sans motif, soyons tout de même certains que s'il avait connu l'arabe aussi bien que le grec, l'anglais, l'allemand et quelques autres langues, il ne se serait pas privé d'en faire usage ! Et il n'aurait pas considéré que la méconnaissance de l'arabe fût pour lui un avantage. Nous devons donc examiner quelle pouvait être la position d'un maître de la critique historique, non arabisant, abordant l'étude d'un livre, écrit en arabe. Dans tous ses travaux antérieurs, le P. Théry avait pu mettre ses ressources de linguiste au service de ses qualités d'historien. Cette fois, il ne s'agissait pas de chercher à reconstituer un texte original que plusieurs manipulations successives auraient défiguré au cours des siècles. Ce tra­vail avait été accompli, en principe, par les musulmans eux-mêmes, afin d'adopter un texte officiel commun, une Vul­gate, éditée au Caire, en 1923. Le P. Théry n'a pas cru bon de discuter ce principe. Le problème numéro un était de déceler la véritable nature de l'Islam par l'analyse de son livre de base, appelé Coran ; son contenu pouvait-il nous renseigner sur ses origines ? C'était avant tout un problème de critique interne, les témoignages externes livrés par les « traditions » arabes ayant été impitoyablement rejetés par les historiens arabisants les plus sérieux. Il fallait donc travailler sur des traductions, et c'est le lot de la plupart des historiens, que de travailler sur des documents dont ils seraient bien souvent incapables de lire les originaux. Ils se fient habituellement aux spécialistes de la paléographie et aux linguistes, sans que personne songe à mettre en doute leur compétence sous prétexte qu'ils ne lisent pas couramment les hiéroglyphes, l'araméen, le chinois ou l'arabe. « Il ne suffit pas, pour décrire la genèse et le développement du Coran, d'être arabisant. Être arabisant, c'est connaître l'arabe ; ce n'est pas nécessaire­ment posséder le sens de l'histoire, et Montet nous en fournit une preuve éclatante », écrit le P. Théry (*Op. cit.*, pré­face, p. 17). 45:83 Les traducteurs ont généralement annoté leurs textes de remarques linguistiques dont ils n'ont pas toujours eux-mêmes soupçonné la portée, par suite d'une méconnais­sance profonde, et pas seulement étendue, de la littérature juive. Mais leurs traductions elles-mêmes sont-elles suffi­samment fidèles à la lettre et à l'esprit de l'original pour servir de support à une critique interne sérieuse ? Nous avons déjà remarqué que le P. Théry, non-arabisant, à l'aide seulement d'une traduction, avait réussi à rétablir un ordre chronologique des sourates du Coran, compa­rable aux résultats obtenus par un spécialiste des études coraniques comme Nöldeke ; cette remarque serait déjà un indice favorable à la fidélité des traductions. Poussons plus loin notre recherche ; livrons-nous à un petit sondage d'opi­nion pour savoir ce que les arabisants professionnels pensent de leurs propres travaux. *a*) Sur un prospectus de la librairie Payot, l'Émir Chekib Arslam, membre de l'Académie arabe de Damas, présente en ces termes la traduction d'E. Montet : « Cette traduc­tion du Coran, très exacte, très fidèle au texte arabe et d'un caractère hautement littéraire, laisse derrière elle toutes les traductions du Livre Saint en langues européennes. » *b*) L. Massignon, dans une préface écrite pour présen­ter la traduction effectuée par M. Hamidullah et Michel Leturmy, s'exprime ainsi : « L'intérêt majeur que cette traduction présente, c'est qu'elle est l'œuvre réfléchie et mûrie d'un musulman, d'un penseur et d'un croyant... Ses phrases françaises sont un calque aussi strict que possible de la structure grammaticale arabe, particulièrement indé­pendante et capricieuse, du texte sacré ; son vocabulaire français ne cherche pas à élucider les termes ambivalents dont il est parsemé, car c'est au lecteur de « faire élection » entre le consentement ou le refus, de cet appel eschatolo­gique... Leur traduction s'en tient à la seule précision technique. » *c*) R. Blachère, éditant sa traduction de 1956 en prenant pour base celle qu'il avait donnée « il y a quelques années et qui faisait droit à toutes les exigences de la philologie » nous prévient que « le Coran fourmille de termes et d'ex­pressions sur lesquelles l'exégèse islamique a exercé son ingéniosité. 46:83 Plusieurs interprétations (cela peut aller parfois jusqu'à une douzaine) sont alors proposées. Laquelle convenait-il de retenir ? Dans les cas vraiment importants, le Lecteur, par une note, sera Mis au courant des incerti­tudes de sens et de l'arbitraire avec lequel on a dû se rési­gner à choisir... Le texte français s'efforce de suivre le mou­vement de l'arabe dans toute la mesure où l'autorise notre syntaxe... Parfois aussi, on n'a pas craint de recourir à des constructions elliptiques osées ou archaïques permettant de rendre plus sensible la concision désespérante de l'ori­ginal arabe. » (LE CORAN, éd. en un vol., p. 8-9.) Voilà des appréciations optimistes sur des traductions que le P. Théry pouvait accepter en gros et provisoire­ment..., en attendant mieux. Car il ne s'est tout de même pas extasié sur ces éloges. N'oublions pas qu'il était, lui aussi, un linguiste réputé, et que les problèmes qui relèvent de la linguistique ne lui ont échappé en aucune façon en ce qui concerne les « Actes de l'Islam ». Toutefois, n'étant pas arabisant, il s'est déclaré incompétent pour les résou­dre lui-même. Mais il a dressé un programme d'études que nous souhaiterions voir se réaliser bientôt. Que l'on relise très attentivement, sur ce point précis les pages 131-135 du tome II du présent ouvrage, -- particulièrement le bas de la p. 134 et p. 135 --, sous le titre de *Conclusions et nou­velles perspectives linguistiques*. Le P. Théry se trouvait donc devant des traductions qui pouvaient servir de base de départ pour une première tentative d'exégèse et de critique historique interne. Pour­rait-on refuser au critique et à l'historien le minimum d'acuité intellectuelle requis pour lire un texte qui est à la portée du commun des mortels... et même pour y voir un peu plus clair que le commun des mortels ? L'origine juive des « Actes de l'Islam » le caractère absolument « judaïque » de l'Islam primitif, l'existence d'un autre livre arabe qui étai, le vrai Coran ; écrit par le même auteur qui ne pouvait être que juif, voilà la partie solide et hors de con­teste de l'exégèse Théry-Zakarias, résumée par le titre général de son ouvrage : L'ISLAM ENTREPRISE JUIVE. Zakarias ne prétend pas donner aux traducteurs une leçon d'arabe il leur reproche d'avoir glissé, dans leurs traductions, des commentaires, et des sous-titres, et des parenthèses complémentaires ou supplétives, qui aiguillent le lecteur sur une fausse piste *en matière d'histoire et de doctrine*. 47:83 Malgré leur souci de fidélité au texte arabe, tous les traducteurs ont cherché leurs expressions et leurs expli­cations *en fonction d'une interprétation du* «* Coran *» qu'ils avaient préalablement choisie, interprétation toujours dé­pendante de « traditions » arabes fabriquées près de deux cents ans après la naissance de l'Islam, et réputées sans valeur. Il fallait s'en dégager, lire le « Coran » tel qu'il est, sans préjugé « historique ». Le P. Théry l'a tenté. L'avenir dira s'il a pleinement réussi dans ce deuxième aspect de son travail : l'essai de *reconstitution historique*, d'après le seul « Coran », des événements qui boulever­sèrent La Mecque et Médine au début du VII^e^ siècle. En bâtissant son histoire des origines de l'Islam à l'aide des indices fournis par le livre des « Actes » le P. Théry savait très bien qu'il abordait là un travail plus vulnérable que celui de la recherche doctrinale et de l'analyse litté­raire. Ici, il est sûr de lui ; ses affirmations sont formelles. Là, il écrit « d'après une vue quasi intuitive des événe­ments » ; ce sont ses propres paroles. Il s'attendait donc à des contestations, à des modifications, voire à des suppres­sions, motivées par quelque découverte historique, ou par quelque analyse plus poussée du texte. Par ailleurs, il s'accroche à des détails pittoresques, Khadidja par exemple ; puisée à ces « traditions » dont précisément il récuse le témoignage. Comme nous avons continué et terminé son œuvre «* ad mentem auctoris principalis *» nous savons à quoi nous en tenir sur l'importance que le P. Théry pouvait attacher à ces détails. Ce sont des éléments mo­biles qui peuvent changer de place et même disparaître, sans que la vérité fondamentale soit effleurée. Si d'autres les remplacent, ils ne pourront, comme les premiers, que servir de décor, voire d'appui, à la même vérité. « Zaka­rias » en était convaincu. Lorsque vous trouvez sous sa plume tel ou tel détail « traditionnel » ne concluez pas trop vite à la contradiction. Grattez un peu l'écorce, vous verrez que l'historien s'abandonne momentanément au plaisir de construire avec quelques matériaux qui le servent l'amusent, ou l'enchantent ; pourtant, il n'approcherait même pas la main du feu pour jurer que la première femme de Mohammed se nommait Khadidja... Pas même pour affirmer que cet arabe porta le nom de Mohammed ! 48:83 Pour conclure cette petite digression sur la linguistique, disons que la solidité de la thèse du P. Théry ne saurait être ébranlée par la modification d'un certain nombre de mots ou d'expressions dans les futures traductions du pseudo-Coran. L'élaboration de quelques tournures gram­maticales ne saurait renverser de fond en comble le sens général des « Actes de l'Islam ». On aura beau préciser de plus en plus le vocabulaire, -- le P. Théry l'a fait, à l'occasion, en ayant recours soit à des arabisants professionnels, soit à des personnes parlant couramment l'arabe -- on n'arrivera jamais à expulser de ce livre la sève judaïque qui en gonfle les lignes et les interlignes. On n'en changera pas la forme ; on n'en fera pas disparaître les personnages avec leurs caractères bien définis ; on n'éliminera surtout pas le personnage central sans lequel rien ne se serait passé à La Mecque et à Médine au VII^e^ siècle, personnage qui n'est pas Mohammed, mais son instructeur juif. Vouloir entre­prendre une nouvelle traduction dans le but d'exclure tout ce qui peut donner raison à « Zakarias » serait réduire à néant le pseudo-Coran et fabriquer tout autre chose. Aussi, sommes-nous persuadé qu'une nouvelle traduction, faite avec toutes les ressources de la linguistique et de la philologie, mettrait en évidence la dépendance de l'arabe des « Actes » par rapport au syriaque ou à l'araméen, et à l'hébreu. Ce travail, que le P. Théry avait ardemment sou­haité, est commencé. De jeunes orientalistes, sérieux et à l'esprit libre, sont à l'œuvre. Dans quelques années, ils pourront publier les premiers résultats de leurs recherches. Nous avons pu nous rendre compte pour l'instant que toutes les expressions religieuses des *Actes* de l'Islam sont juives, de fond comme de forme. Ce sont des expressions bibliques, même lorsqu'elles ne se trouvent pas incluses dans des récits adaptés de l'Ancien testament. Nous sommes fondés à soupçonner que l'arabe des *Actes*, dont l'auteur semble très satisfait dans la sourate VI, 105, -- (« Ce Coran est en claire langue arabe ») ; n'est qu'un arabe fort douteux. C'est celui que pouvait parler et écrire un étranger en le pliant à une forme de pensée qui n'avait pas encore trouvé son expression en milieu arabe. On ne possède ni gram­maire, ni lexique de la langue arabe, établis sur une litté­rature qui aurait existé avant les *Actes de l'Islam*. A partir du IX^e^ siècle, de naïfs grammairiens et philologues musul­mans ont essayé de démontrer que le pseudo-Coran était un parfait modèle de langue arabe, parce que révélé par Allah ! Ils ont alors établi leurs dictionnaires et leurs grammaires à partir de ce prototype divin. 49:83 S'ils avaient compris le con­tenu de ce livre, sa nature, sa composition, son auteur, il nous semble évident que les études d'arabe auraient pris une tout autre direction. Un livre écrit par un Juif pour enseigner la religion juive, pour inculquer le judaïsme, ne peut pas ressembler à un livre écrit par un Arabe pour enseigner une nouvelle religion qui serait spécifiquement arabe. Or nous avons le livre écrit par le Juif, mais nous n'avons pas de Coran écrit par l'Arabe. Quant à Allah il n'écrivait plus à cette époque. Il avait dit depuis longtemps tout ce qu'il avait à dire ; le Juif ne manque pas de le faire remarquer à son élève tout au long des sourates. Allah par­lait hébreu. Il serait bien étonnant que l'arabe du « Coran » n'en souffrît pas un peu. #### La genèse d'une pensée et d'une décision #### Le P. Théry et les musulmans. Revenons en Afrique du Nord, en 1940, lorsque le P. Théry commençait son étude du Coran. Il serait intéres­sant de suivre les démarches de sa pensée pour savoir à quelle époque approximativement il fut en possession de ses conclusions essentielles. Comme il n'a publié ses pre­miers volumes de critique coranique qu'en 1955, il est difficile de formuler une hypothèse précise. Nous allons pour­tant essayer, à l'aide des travaux que le P. Théry publia dès qu'il en eut le loisir et la possibilité, c'est-à-dire à partir de 1944. Jusque là, il se « débrouillait » avec la complicité d'amis sûrs, pour faire des conférences. Le 27 mai 1941, à l'Institut des hautes Études Marocaines de Rabat, il parle des contacts de la pensée chrétienne avec la philosophie musulmane. Le 5 juin suivant, c'est au collège musulman de Fez qu'il expose les mêmes idées. Finalement, cette con­férence est imprimée dans le *Bulletin de l'Enseignement Public du Maroc* (oct.-déc. 1941, pp. 287-320). Payant d'au­dace, à une époque où ses allées et venues sont particulièrement surveillées, il prononce à nouveau cette conférence à Oran le 4 mai 1942, sous les auspices de l'Association Guil­laume Budé, dirigée alors par Mme Vincent. 50:83 Quel effet produisaient ses paroles sur les musulmans, -- hélas trop rares ; capables d'en apprécier la portée ? « Je ne peux m'empêcher », écrit l'un d'eux au P. Théry après avoir entendu la conférence d'Oran sur *la Philosophie Musulmane et la Culture Française*, « de rendre hommage à la grandeur de la tâche que vous avez accomplie dans le charitable dessein d'éclairer nos esprits. « A travers l'écroulement de la civilisation matérialiste et grâce à votre admirable effort, la spiritualité gagne les cœurs. En rétablissant courageusement les faits sur le plan spirituel, non seulement vous avez resserré les liens d'amour entre tous les êtres, mais vous avez contribué à la naissance de l'Ère de spiritualité dont le Monde ne peut attendre que la Paix et la Vérité. Ayant assisté à votre conférence don­née sous le patronage de l'Association Guillaume Budé, je me permets, me disant que de telles manifestations sont trop rares dans notre ville pour être passées sous silence, de vous exprimer toute ma reconnaissance et toute mon admi­ration. « Vous servez un double : idéal celui de la culture fran­çaise et celui de l'Empire, qui a besoin, pour durer et gran­dir, de voir se développer sans cesse les liens qui peuvent unir les populations françaises aux masses musulmanes. » On s'est plu à dire et répéter que « Zakarias » prenait les Musulmans à rebrousse-poil, qu'il n'aimait pas les Arabes après son séjour en Afrique du Nord, qu'il rendait leur conversion impossible... etc. S'il a pu donner cette im­pression dans la critique du pseudo-Coran, on verra bientôt pourquoi. En fait, il les aimait et en était aimé. Seulement, il ne recherchait pas leur conversion à n'importe quel prix ; nous voulons dire qu'il ne voulait pas d'une conversion au rabais, extorquée à coup de petites concessions ou d'habiles omissions sur certains chapitres du dogme catholique. Il n'a jamais songé à pareille duperie. Son but était de tra­vailler avec eux, de lent apprendre à travailler de façon désintéressée et rationnelle, en toute liberté intellectuelle ; la Vérité ne manquerait pas de se faire jour. Le P. Théry est en guerre, mais déjà, à sa façon, il songe à construire la paix. Il prévoit qu'après la guerre une grande page d'histoire doit être tournée ; que nos rapports avec le monde musulman en général, et celui de l'Afrique en particulier, doivent s'établir, non sur un sentimentalisme religieux très vague et sur des déclarations de bonnes inten­tions, mais sur un patrimoine intellectuel commun qui n'a jamais été exploité comme il aurait dû l'être pour éle­ver la pensée musulmane à la hauteur de la pensée chré­tienne. 51:83 L'œuvre civilisatrice de la France, dans le domaine de l'esprit, était là. En Islam, l'intelligence est stagnante. Pour lui redonner vie et vigueur, pour obtenir d'elle un essor salutaire, il faut lui montrer de quoi elle a été capable aux plus belles heures de son histoire, ce qu'elle nous a donné, ce que nous En avons fait. Ainsi élevée à notre niveau, nous pourrons, d'un commun élan, aborder les tâches constructives d'après guerre. #### Travaux d'approche. Parlant de « la place considérable tenue par l'Ordre Dominicain, comme réalisateur et animateur dans les mul­tiples directions de l'intelligence pendant les vingt années qui précédèrent la guerre » de 1939-1944, le P. Théry dé­clare : « Nos efforts intellectuels, organisés et conscients, étaient tous animés d'un même esprit. D'une façon virile et solide, nous avons mis à l'écart tout esprit d'apologétique, cette science des faibles et des craintifs de la lumière. Il y a mieux à faire que l'apologie d'un homme ou d'une doc­trine. Il suffit d'en faire l'exégèse. En tout, l'objectivité est un signe, un signe de force et de loyauté plénière. Elle est plus que cela : seule l'objectivité apporte à des esprits de formation, de philosophie et de religion différentes, le principe de compréhension mutuelle et d'union. Dieu n'est pas un passionné. Et c'est parce qu'il est objectif qu'il nous re­garde, qu'il nous mène, qu'il nous juge avec « sympathie » justice et miséricorde. L'objectivité est le plus grand apos­tolat de l'intelligence. » (*Entretien sur la Philosophie Mu­sulmane...*, pp. 9-10.) Relisons bien attentivement ce texte. La pensée du P. Théry est là ; sa méthode y est clairement annoncée. Pas d'apologétique passionnée : les passions sont des écrans mobiles et fragiles. Seul, l'objet est solide pour rassembler les esprits, de quelque horizon qu'ils arrivent. -- Où trouver trace de préoccupations « coraniques » en tout cela ? Pa­tience ! Nous aurions tort d'oublier que le P. Théry étudie le « Coran » tandis qu'il va nous parler de philosophie. 52:83 Lui, en tout cas, ne l'oublie pas. Peu à peu, il dira tout ce qu'il a à dire, mais pas avant l'heure. Remarquons cette simple phrase qu'il laisse tomber comme s'il n'avait rien d'autre en tête que la philosophie dont il va nous entretenir : «* Il y a mieux à faire que l'apologie d'un homme ou d'une doc­trine. Il suffit d'en faire l'exégèse. *» Sans que personne s'en doute au moment où il parle il vise Mohammed et le « Co­ran ». Il pose ses jalons, prend ses distances. Quand les esprits seront parvenus à maturité, il espère pouvoir entrer avec eux dans le vif du sujet. Pour l'instant, il ne faut rien brusquer ; il faut donner la main aux musulmans de bonne volonté et les conduire à une source où ils puissent s'abreu­ver avec fierté : les philosophes musulmans médiévaux. « Pendant trois ans » écrit le P. Théry dans l'opuscule cité ci-dessus, « j'ai regardé les choses de l'Islam, en les con­frontant sans cesse avec les travaux des savants européens et l'apostolat catholique. Comment nous sommes-nous com­portés intellectuellement vis-à-vis de l'Islam ? » -- En somme, répond-il, la philosophie musulmane n'a jamais été abordée pour elle-même dans les Instituts musulmans. Il faut donc l'étudier systématiquement... Le P. Théry an­nonce la publication d'un MANUEL DE PHILOSOPHIE ARABE qu'il écrivit peut-être, mais qu'il ne publia pas, et il expose un vaste projet qui ne put malheureusement pas être réa­lisé : « Établir un centre d'études de philosophie arabe comprenant : I. -- Recherche des manuscrits. II. -- Édition des textes. III. -- Cours : 1° Étude d'histoire de la philosophie arabe. 2° Histoire et étude des traductions. 3° Études sur la pénétration et la répercussion de la philosophie arabe sur l'élaboration de la philosophie chré­tienne et française. « A cet ensemble qui constituerait comme un centre et un monopole des études arabico-françaises, adjoindre une bibliothèque très spécialisée que nous n'avons pas encore et qui formerait le sérieux embryon d'une bibliothèque d'Empire. » 53:83 #### Dans l'esprit de Pierre le Vénérable et de Raymond de Tolède. Voilà par où le P. Théry veut aborder le problème fon­damental de l'Islam. Il s'en est déjà expliqué dans un autre ouvrage de guerre, daté de 1944, *Tolède, grande ville de la Renaissance Médiévale, point de jonction entre les cultures musulmane et chrétienne*. Au XII^e^ siècle, nous rencontrons à Tolède deux Pierre, l'un secrétaire de l'autre, Pierre de Poitiers traduisant le « Coran » ([^4]) pour Pierre le Véné­rable, abbé de Cluny. -- Pierre de Poitiers considère sa traduction comme la première étape d'un « abattage » magistral contre ce que l'on appelait l'hérésie mahomé­tane. Le « Coran » une fois traduit, « il se proposait » écrit le P. Théry, « de traiter tout d'abord du rôle des juifs et des chrétiens dans la transmission des Écritures. Puis, empoignant le sujet, on démontrerait que le Coran n'est qu'une déformation des Livres Saints et que Mahomet n'est qu'un misérable. En conclusion, on insisterait sur cette proclamation que le Coran et l'Islam ne sont qu'un tissu d'abominations, apparentées aux sectes hérétiques les plus dépravées. » (*op. cit.*, p. 11) Remarquons en passant que, si l'on considère Moham­med comme l'auteur du « Coran », ou comme l'ayant reçu soi-disant par révélation divine, alors qu'il ne s'agit objec­tivement que d'un plagiat, on ne peut que le qualifier d'im­posteur. Cela peut tourner facilement au pamphlet, et cer­tains critiques n'ont pas hésité. D'autres, comme on l'a vu amplement, ont préféré un syncrétisme qui ne résout rien. L'abbé de Cluny ne voulut ni du pamphlet, ni du syncré­tisme. « Il connaissait bien le plan que lui avait proposé son secrétaire Pierre de Poitiers » écrit le P. Théry. « Il s'en est servi ; il en a reproduit quelques thèmes. Mais il s'en sépare totalement dans l'esprit. On peut faire une re­marque beaucoup plus frappante. Pierre le Vénérable con­naissait bien le Coran. Il l'avait fait traduire. Il l'avait étudié pendant des années. Or, chose extraordinaire, dans son *Adversus* il ne le cite que quatre fois ! Manifestement, il ne veut pas d'une apologétique bruyante. 54:83 Il se refuse à en­trer dans le débat. Il discute dans le vestibule... Pour éviter toute discussion stérile et mal assise, il se lance enfin dans de grands exposés sur l'origine et la valeur des Livres Saints, sur le caractère et les distinctions de la Prophétie. L'apologétique, -- celle qui n'est pas une science -- mar­que un recul sérieux. A une apologétique de corps à corps, Pierre le Vénérable substitue une apologétique de périphé­rie. » -- Quant à l'archevêque de Tolède, Raymond de Sauvetât qui, évidemment, n'était pas étranger à ces tra­vaux, il crut à cette époque qu'il y avait « mieux à faire qu'à combattre, qu'il fallait d'abord comprendre. Par une initiative inouïe, brisant avec la timidité des traducteurs d'ouvrages astronomiques, repoussant l'apologétique de pugilat, il va orienter quelques érudits vers la traduction des ouvrages philosophiques. Raymond faisait ainsi le grand pas qui allait décider du sort de la philosophie chré­tienne. En jetant dans le patrimoine commun de la pensée les trésors de la philosophie musulmane, l'archevêque de Tolède établissait les grands liens entre les deux civilisa­tions -- musulmane, et chrétienne --, que l'apologétique, cette science des demi-esprits, aurait pu briser pour long­temps. » (*op. cit.*, p. 12) Ainsi, le P. Théry en 1944 est dans la situation de Pierre le Vénérable. Il étudie le « Coran » depuis plusieurs années. Il ne veut pourtant pas entrer de plain-pied dans le débat. Il va faire, lui aussi, ce qu'il appelle une apologétique de périphérie. Il va essayer de rassembler musulmans et chré­tiens sur un point qu'il connaît bien et qui, pense-t-il, ne peut que les intéresser : leur patrimoine philosophique commun. Avec eux, comme Raymond de Tolède, il fera œuvre de science ; ils apprendront ainsi à discuter libre­ment de tout ce qui est discutable, à exercer leur raison dans tous les domaines, y compris les études coraniques lorsque la maturité des esprits permettra l'émancipation intellectuelle des musulmans vis-à-vis d'une orthodoxie in­touchable. Pour l'instant, le P. Théry tient en réserve ses décou­vertes ; il ne parlera presque jamais de Mohammed ni du « Coran ». Qu'en pense-t-il réellement ? Faut-il prendre à la lettre les quelques phrases qu'il leur consacre dans son livre sur Tolède ? -- « Le Prophète, écrit-il, avait fait pro­fession de passivité intellectuelle... Il n'était que le transitaire de la Révélation... 55:83 La science dont parle Mahomet et qui est le privilège du croyant, ne peut être d'aucune façon la science discursive qui se construit par l'effort d'argu­ments humains... Selon la loi du Prophète, la raison hu­maine est à l'origine des sectes qui ont divisé les Gens du Livre, Juifs et Chrétiens, et qui les ont détournés de leur source doctrinale... C'est à Bagdad, sous les Abbassides du IX^e^ siècle, par l'apport des traductions syriaco-arabes, que commence dans l'Islam cette lutte dramatique entre la tra­dition et la raison, entre les anciens et les modernes, au détriment du Coran. Les partisans du libre-arbitre, comme les Motazilites, seront bientôt considérés comme des héré­tiques de l'Islam. » (*op. cit.* pp. 103-104) On voit bien où il veut en venir. Mais est-il vraiment persuadé que Mohammed a dit tant de choses ? Croit-il encore que « le Prophète » est l'auteur du « Coran » ? Seule une expression ambiguë peut convenir à un musulman, ou éveiller ses soupçons, selon le sens qu'on lui donne : « Mo­hammed n'est que *le transitaire de la Révélation*. » Quel est ce genre de transit ? Et de quelle Révélation s'agit-il ? Le P. Théry n'a pas décidé d'en dire plus dans ce travail ; il n'entre pas dans cette controverse. Pas encore. Ce qui compte à ce moment, c'est de faire connaître aux musul­mans leurs illustres prédécesseurs dans la philosophie ; leur donner le goût de ces études ; les aider à retrouver les vestiges de leur passé intellectuel là où on peut les décou­vrir, c'est-à-dire chez les chrétiens qui les ont recueillis lorsque les politiciens ombrageux de l'Islam ont persécuté leurs philosophes et tué l'intelligence. « La dynastie des almohades représente dès le début un effort de dégagement vis-à-vis d'un Islam que l'orthodoxie s'acharne à immobili­ser. Cet effort échoue : l'orthodoxie rigide, partout où elle se trouve, est un perpétuel ferment de révolution intérieure. La casuistique conduit directement vers la tombe. *Sépulcres blanchis*, avait dit le Christ aux emmurés de la lettre. Avec Youssef el Mansour, l'Islam s'emmurait... (Mais) la persé­cution almohade, fort heureusement, dépasse son but. Elle rejette savants et philosophes arabes et juifs de la terre d'Islam et, du même coup, elle passe à la chrétienté le « flambeau de la civilisation »... Tolède recueille l'Islam et le transmet aux latins et aux chrétiens. » (*op. cit.*, pp. 123-124.) 56:83 #### Conclusions rationnelles et patience méthodique. L'ouvrage sur Tolède, que nous venons de citer, occupe une place logique dans les travaux d'érudition d'histoire littéraire médiévale, auxquels le P. Théry se consacrait depuis 1926. Il y parle indifféremment, comme il l'a fait antérieurement, de philosophes arabes ou de philosophes musulmans, de philosophie arabe ou de philosophie musul­mane. Est-ce pure indifférence sur l'emploi de ces termes ? ou résignation passagère à parler comme tout le monde, en attendant l'occasion favorable de progresser vers des préci­sions lourdes de sens et d'intention ? Dans les ouvrages an­térieurs à 1940, on pourrait croire à une telle indifférence. Après, on ne le peut plus. Il s'agit d'une marche d'approche, d'une sorte de maïeutique. Pour en juger, la liste des ouvrages que le P. Théry n'a pas publiés est beaucoup plus significative, à l'époque qui nous intéresse, -- 1945 --, que celle des œuvres déjà parues. En effet, en 1945, il annonce : 1\) Étude sur l'inspiration de Mahomet et sur l'originalité du Coran. (Achevé, non publié.) 2\) Bibliographie des philosophes musulmans. (En cours de préparation.) 3\) Manuel de philosophie arabe. (A paraître prochaine­ment.) Rien de tout cela n'a paru. Mais ces annonces nous per­mettent de comprendre que, lorsque le P. Théry publiait ses travaux sur Tolède, Tlemcen, Marrakech, etc., il était déjà fixé sur *l'inspiration* de Mohammed et sur *l'origina­lité* du « Coran ». Il ne faut pas longtemps à un théologien pour s'apercevoir que le « Coran » est d'une parfaite nul­lité en fait de Révélation originale. Quant à la véritable étu­de promise par le P. Théry sur l'*inspiration* de Mohammed, c'est « Hanna Zakarias » qui nous la donnera : l'exposé magistral de la théorie de l'inspiration, dans la *préface* au premier volume de « DE MOÏSE A MOHAMMED », ne peut pas exprimer autre chose que la pensée de toujours du P. Théry, docteur en théologie. Depuis 1940 donc, il aura patienté pendant 15 ans, pour ne pas brusquer ses amis musulmans. De temps à autre, il faisait une tentative timi­de, posait un jalon sans trop insister, s'abandonnait à une confidence dans laquelle il glissait quelque vérité première sur un ton amical. En 1945, dans une conférence sur l'his­toire de Tlemcen prononcée devant des musulmans, il dé­clarait : 57:83 « Le problème des nouveaux conquérants de l'Ifriqia et du Maghreb n'était pas un problème religieux, du moins à l'origine. Et cela est facile à concevoir *pour qui a lu et analysé les versets du Coran*. Et je vais vous dire, *je le dis pour la première fois*, mon idée exacte sur cette question capitale dont on peut parler objectivement et tout simple­ment entre amis. « Le Prophète de la Mecque ne pouvait pas concevoir, n'aurait pu même imaginer, une séparation sur le problème religieux entre musulmans et chrétiens. Ils s'abreuvaient en effet à la même source. Le Coran primitif n'est point une réfutation de l'Ancien Testament et de l'Évangile. Chré­tiens et musulmans sont gens du Livre Éternel, en langues différentes cependant. Le problème de l'Islam primitif n'est pas un problème de concept religieux. C'est un problème de dialectes, et ce que cherchent au VII^e^ siècle les nouveaux conquérants de l'Ifriqia et du Maghreb, ce n'est pas la conversion du pays, c'est *la sujétion du peuple*. » (TLEMCEN, p. 26.) Retenons bien cette dernière phrase ; elle sera le pivot de l'attitude du P. Théry lorsqu'il parviendra au bout de ses efforts pour libérer l'intelligence de ses amis musul­mans. Mais en attendant, il vient de révéler, en y mettant les formes, le fond de sa pensée : Mohammed était inca­pable de comprendre l'objet précis du débat entre juifs (= musulmans) et chrétiens ; le Coran *primitif* (*notez l'épithète*) n'est pas une réfutation de l'Évangile ou une correction de l'A.T. -- (*c'est-à-dire : il est autre chose que les* «* Actes de l'Islam *» *tels que les musulmans arabes les ont compris*) ; le vrai Coran primitif n'est qu'une version du *Livre Éternel*, c'est-à-dire de la *Bible*. Question de dia­lectes. Les Juifs et les Chrétiens n'ont pas besoin de se convertir à ce Livre qui est le leur ; aussi, les Arabes n'avaient-ils pas à convertir les habitants de l'Ifriqia et du Maghreb à la religion du vrai Coran ; c'était enfoncer une porte ouverte. Leur conquête ne pouvait avoir d'autre but que la sujétion du peuple. -- Le P. Théry s'abstient de développer sa pensée. Plus tard, il le fera. Pour l'heure, il jette une semence. Peut-être germera-t-elle chez quelques esprits curieux, les poussant à des questions et à des re­cherches plus précises. Il faut laisser le temps accomplir son œuvre. 58:83 Qu'est-il advenu de la *Bibliographie des philosophes musulmans* et du *Manuel de Philosophie musulmane *? Le P. Théry y travaillait ferme, c'est certain ; ses écrits en portent indubitablement la marque. Pourquoi, en définiti­ve, n'a-t-il rien publié ? Entrons dans le cours de ses pen­sées et de ses raisonnements. Peut-être trouverons-nous une explication. Le P. Théry passe en revue tous les penseurs qui for­ment, « pour ainsi dire, comme l'ossature de l'histoire phi­losophique de l'Islam ; combien peut-on compter d'Ara­bes ? » -- En tout et pour tout, un seul. Et cet unique, le P. Théry le leur grignote en tant qu'arabe, le leur enlève en tant que philosophe. Al Kindi est né en terre conquise, d'un père gouverneur de Koufa ; son grand-père avait été gouverneur à Bassora, et Al Kindi avait étudié à Bassora et à Bagdad, non pour faire de la philosophie mais, selon Ibn Khaldoun, de l'astrologie. Si l'on veut à tout prix consi­dérer Al-Kindi comme un penseur arabe, on peut tout juste dire qu'il est un prototype pas très pur, extérieur à l'Ara­be, et dont on n'a jamais tiré d'autre exemplaire. Logique terrible et décevante. Si le Coran refuse l'usage de la raison discursive dans les problèmes religieux, le philosophe qui touche à ces problèmes est fatalement reje­té par l'Islam. Il n'y a donc plus de philosophe musulman à proprement parler. La conclusion est rigoureuse, et il faut s'y tenir. Il faut s'y tenir, et pourtant... Pourtant l'histoire de l'Islam fait sonner le nom de penseurs célèbres, même s'ils ont été expulsés par une orthodoxie imbécile. Voilà ceux qu'il faut suivre. Mais comment dire cela aux musulmans ? Le P. Théry pense que l'issue de la guerre en Afrique du Nord sera l'occasion d'une effervescence des esprits, d'un besoin d'indépendance, chez les musulmans. Il veut cana­liser ce mouvement vers un éveil de l'intelligence aux pro­blèmes philosophiques ; il tâche de susciter l'enthousiasme pour les grands hommes de l'Islam qui ont tenté d'ouvrir une brèche dans le mur épais des interdits coraniques : 59:83 « Philosophie, mysticisme devront, pour conquérir leur droit à l'existence, briser les barrières coraniques... Ce­pendant, à l'intérieur de l'Islam et à *la lisière du Coran*, ou reposant sur la pointe subjectivement aiguisée de quel­ques textes coraniques, il y aura des mystiques émouvants comme Ibn Al Hosaïn, Ibn Mansour, Al Hallâj, des philo­sophes qui comptent parmi les grands penseurs de l'huma­nité. Sous prétexte qu'*en rigueur de termes on ne peut par­ler de philosophie musulmane*, que par ailleurs *on ne peut rattacher au Coran comme à sa source l'expansion philo­sophique des musulmans*, oserait-on retirer à l'Islam la gloire d'avoir possédé de tels penseurs ? Sous prétexte qu'ils ont été persécutés, bannis, que leurs bibliothèques ont été dilapidées par leurs coreligionnaires, voudrait-on les refuser à l'Islam ? Des esprits grincheux l'ont pensé et d'aucune façon nous ne voulons les suivre dans cette voie. Pour nous, Al Kindi, Al Fârâbi, Al Gâzzâli, Ibn Roschd, Ibn Sina, Ibn Tofaïl bien que persécutés et tracas­sés, appartiennent authentiquement à l'Islam, *un Islam qui a débordé le Coran*... Même s'ils n'avaient élaboré au­cune doctrine personnelle, leurs commentaires compteraient parmi les plus efficaces pour la constitution d'une philo­sophie autonome. » Comme tout cela est habilement dit ! Continuons : « Et puis, pour refuser à l'Islam ces grands philoso­phes, même extra-coraniques, il faudrait avoir peu d'expé­rience de la vie. C'est l'histoire quotidienne de récupérer après leur mort ceux qu'on a persécutés durant la vie. Nous en connaissons d'illustres exemples. Il y a toute une apologétique qui est construite sur une récupération des cendres... *Tenant compte des remarques qui précèdent, nous continuerons donc à parler de philosophie musulmane, entendant par là* les philosophes de l'Islam. » On le voit, il y a beaucoup de nuances et de distinc­tions dans ces textes. Il y a surtout la recherche d'un contact et d'une amitié féconde. Le P. Théry évoque même les raisons particulières que lui, dominicain, peut mettre en avant pour entreprendre ce travail avec amour vis-à-vis des musulmans : « Ibn Tofaïl, Ibn Roschd, Aboû Yaqoûb Youssef, trois noms que la grande histoire intellectuelle du Moghreb berbère doit unir dans une place de choix. Ils étaient tous les trois à Marrakech pour discuter de la phi­losophie d'Aristote ! Ceci se passait en 1169. En cette même année naissait à Calaruega un enfant, Domingo de Guzman... Les vues de Dieu sont insondables. 60:83 « C'est son Ordre, le plus respectueux de toutes les manifestations de l'intelligence humaine, qui aura comme mission providentielle de recueil­lir la grande floraison littéraire des philosophes musulmans, mise à sa portée par les travaux de Tolède, d'en faire l'ana­lyse, d'en établir une rigoureuse discrimination, et de l'uti­liser, selon la mesure, dans les grandioses systèmes de la pensée catholique. En écrivant l'HISTOIRE HUMAINE DE LA MONTÉE DE LA PHILOSOPHIE EN IFRIQUIA ET DANS LE MOGHREB AU XII^e^ SIÈCLE, je n'ai jamais perdu de vue que j'écrivais une page de la préhistoire de mon Ordre. C'est une page aussi, et des plus belles, de la grande civilisation méditer­ranéenne que personne ne peut nous ravir : Iliade et Odys­sée, le rythme du verbe... Aristote, la logique de la droite pensée... Le Christ, la règle suréminente de justice, de cha­rité et de vie, le plus beau des Méditerranéens... » Et voici jetées les bases d'un rapprochement, avec un enthousiasme que le P. Théry voudrait communiquer à ses auditeurs ou lecteurs musulmans : « L'histoire des cou­rants de la philosophie en Afrique du Nord m'amène à une pensée finale : chrétiens et musulmans, nous avons des dettes réciproques. L'Islam a élaboré les premières syn­thèses de la pensée aristotélicienne. Ceci, c'est de la grande histoire. Quand l'Islam a refusé lui-même ses propres syn­thèses, l'Église Catholique les a recueillies et en les recueil­lant, elle les a sauvées. C'est de la grande compréhension. L'histoire des civilisations nous apporte ainsi des motifs d'union, d'intelligence et de reconnaissance réciproque que rien, absolument rien, ne saurait remplacer. », (PRÉFACE A UNE HISTOIRE DE L'ENTRÉE DE L'AFRIQUE DU NORD DANS LE CIRCUIT DE LA PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE.) Ceci était écrit en 1946 et le P. Théry ajoutait en post-scriptum : « Le plan que je viens de tracer dans cette étude est exécuté. Il comprend trois volumes qui paraîtront, si les circonstances sont favorables, et Dieu aidant, en 1947, sous le titre donné plus haut : HISTOIRE HUMAINE DE LA MONTÉE... etc. » Auparavant, il avait publié : CONVERSATION A MARRA­KECH EN 1169... RÉVOLUTION EN EUROPE ; Puis : UNE FETWA D'IBN ROSCHD (grand-père d'Averroès) SUR LE PREMIER ÉVÊ­QUE DE MARRAKECH A L'ÉPOQUE ALMORAVIDE. Il avait annoncé sans le publier, on voit maintenant pourquoi, AUX ORIGINES DE L'ISLAM. Il ne publia pas non plus les trois volumes de L'HISTOIRE, HUMAINE... Les circonstances ne furent probable­ment pas jugées favorables. 61:83 #### Attitude des Musulmans. En effet, le P. Théry a offert aux musulmans d'Afrique du Nord de travailler avec eux à « récupérer après leur mort ceux qu'on a persécutés durant la vie ». Il a exhumé les grands noms et les grandes œuvres du passé pour les restituer à leur pays et à leur peuple ; au prix d'un travail ardu, il n'offrait pas seulement la restitution d'un capital nu, mais avec les intérêts, c'est-à-dire avec toute l'élabo­ration que les grands penseurs chrétiens avaient fait subir aux acquisitions des musulmans. Et il lui semblait que les meilleurs et les plus intelligents des musulmans allaient accourir vers la lumière. Or, l'amour et l'intelligence du P. Théry sont tombés à plat. Comme on dit chez nous, en amour il faut être deux. C'est un minimum. Le P. Théry s'est trouvé seul. L'autre partenaire, encroûté dans sa tor­peur intellectuelle séculaire, n'a rien voulu entendre, n'a rien compris. Il s'occupait d'autre chose : des agitateurs patentés et avides de pouvoir commençaient à accuser la France de n'avoir pas fait son devoir d'éducatrice, de n'avoir songé qu'à exploiter le pays. Alors, le P. Théry va dire ce qu'il pense. Certes, il n'abandonne pas la partie. Mais la racine de l'ignorance, il va la stigmatiser sans ménage­ments ; ce choc ouvrira peut-être une brèche dans l'immo­bilisme stupide des esprits. #### « Hector de Noirlieu ». Les responsabilités de l'Islam. « A qui incombe cet état d'ignorance ? Certains indi­gènes, -- pharmaciens, médecins, professeurs de lycée --, qui ont fait leurs études en France, veulent rejeter la faute sur la Métropole. Mais soyons sincères. La France n'est tout de même pas responsable, si les musulmans maintiennent leurs femmes dans un total esclavage moral et intellectuel, s'ils exigent encore au XX^e^ siècle le port d'un litham qui recouvre le visage de leurs femmes et d'un litham beaucoup plus pesant qui empêche chez elles toute évolution d'intel­ligence et d'âme. L'esprit évoluera en Islam le jour où les femmes jouiront d'une liberté normale. Quant aux hommes, ils auraient eu le temps de s'instruire avant l'arrivée des Français en Afrique du Nord. 62:83 Il y a sept siècles que l'Afri­que du Nord était musulmane. En sept siècles, on avait le temps de fonder des écoles populaires, de créer un courant élémentaire de culture intellectuelle. Pourquoi les musul­mans ne l'ont-ils pas fait ? Pourquoi, dans leurs petites écoles coraniques, se sont-ils bornés à ânonner quelques versets du Coran et rien de plus ? « Par eux-mêmes, les musulmans n'ont rien fait pour développer l'intelligence et ouvrir l'esprit. Si quelques-uns d'entre eux savent aujourd'hui lire et écrire, ils le doivent uniquement à la France, et certes pas à leurs efforts. Il n'y a aucune acrimonie dans notre jugement. Nous n'éprouvons pour les musulmans africains que de la sympathie ; mais ils doivent comprendre que pour les sortir de leur état d'ignorance, les écoles ne suffisent pas. S'il n'y a pas de collaboration entre le maître et l'élève, il ne pourra jamais y avoir de développement intellectuel ». Et le P. Théry va maintenant asséner ses coups de bou­toir. Tout ce qu'il a tenu en réserve doit être dit. Il y a peut-être une chance que la vérité accomplisse son œuvre libératrice. *Musulmans ! votre ignorance, c'est la gangue de l'arabisme qui en est cause ; elle vous enserre comme une camisole de force. Les Arabes ne furent que des razzieurs et des destructeurs, dans votre pays comme ailleurs*. De l'Ara­bie, il n'est jamais rien sorti, que des troupes de pillards qui ont imposé leur domination et leur ignorance. Hors de chez eux, ils n'ont pas su assimiler la culture des peuples soumis. Si quelques-uns sont jamais retournés en Arabie, ils n'y ont rien rapporté, parce qu'ils n'avaient rien appris au cours de leurs incursions en pays civilisés. La religion qu'ils vous ont imposée comme une originalité de leur crû n'est qu'une duperie : Mohammed n'est que l'élève d'un Juif ; le « Coran » n'est que l'enseignement dicté par ce Juif à cet Arabe. Les Arabes ne peuvent offrir que des larcins, en religion comme en philosophie. En imposant leur langue, ils ont accaparé les œuvres traduites ou livrées en arabe. Mais, non contents de n'y avoir rien compris, ils ont interdit d'y réfléchir, au nom de la religion : « En présentant comme dogme original ce qui n'était qu'un simple rappel de l'Ancien Testament, en présentant comme révélation spéciale d'Allah ce qui n'était qu'une leçon péniblement apprise par Mohammed, en déguisant en arabe ce qui n'était qu'hébreu et juif, la langue arabe commit un premier mensonge que les politiciens médinois imposèrent à l'Islam extra-arabe. C'est le premier grand mensonge de Médine. 63:83 « La langue arabe fut l'occasion d'un deuxième men­songe. En imposant leur langue aux peuples soumis, les Arabes des conquêtes et de l'occupation, -- (la « terre d'Islam » n'est qu'une terre occupée) --, firent passer au compte de leur race toute une culture qui n'était pas la leur ; tout simplement, ils accaparèrent le bien d'autrui que, de plus, ils furent incapables d'assimiler. L'Arabie dans sa nudité, sans les dépouilles culturelles de ses con­quêtes, n'est qu'un pauvre désert. Les musulmans iraniens et turcs du Proche-Orient, les Coptes d'Égypte, les Berbères et les Kabyles de l'Afrique du Nord ne s'y trompent pas. Tous ces peuples qui avaient leur propre civilisation avant la conquête de l'Islam arabe, qui l'ont perdue au contact de cet Islam, savent fort bien qu'ils n'ont rien à attendre d'une Arabie politicienne. » C'est un fait, les Arabes ont partout tué l'intelligence, en se servant de la religion comme moyen d'oppression. En Islam, il n'y a que des philosophes non-arabes. Mais l'Islam de Médine les a répudiés, persécutés, expulsés, traités comme des hérétiques, ennemis de l'orthodoxie. Il reste une voie de salut : affranchir l'intelligence des contraintes de cette orthodoxie : « Nombre de musulmans eux-mêmes ont pris conscience que l'Islam arabe est toujours incapable de création ; qu'à son égard, nous vivons depuis des siècles dans une érudite inconscience, et bien souvent dans un manque de loyauté. Il est grand temps de résoudre ces pro­blèmes en toute sérénité de jugement, en toute clarté d'esprit, et aussi avec courage. La formule de demain est sans doute : Islam, sans Arabie... » Voilà la dernière formule, j'allais dire la dernière trou­vaille, du P. Théry pour mener à bien ses projets de tra­vailler avec les musulmans. Demeurée sans écho, cette pro­position sonne le glas des espérances du P. Théry. Il ne veut pourtant pas briser ses vieilles amitiés musulmanes. Aussi, les lignes que nous avons citées dans ce long para­graphe sont-elles extraites d'un opuscule, L'ISLAM SANS L'ARABIE, publié en 1949, et signé, non par le P. G. Théry, mais par H. DE NOIRLIEU -- (Hector, le nom de baptême du P. Théry ; NOIRLIEU, son village natal NURLU). 64:83 #### « Hanna Zakarias ». L'apologétique de périphérie ayant échoué, n'ayant pu amener les musulmans à découvrir eux-mêmes la nature de l'Islam par le ricochet de solides études philosophiques, le P. Théry va maintenant braquer ses projecteurs directement sur le Coran. Il n'y a vraiment rien d'autre à faire. Les contacts que le P. Théry continue d'entretenir avec les mu­sulmans ne font que confirmer ce point de vue. Au cours d'un voyage dans le sud Constantinois en 1951, il s'arrête à Tamellaht devant une médersa : « Les étudiants, raconte-t-il, sont en plein exercice. Assis dans tous les coins, adossés aux piliers de la cour, ils font un strident vacarme, le même qu'on entend dans toutes les écoles coraniques. Chacun a son ardoise sur laquelle sont écrits quelques versets du Coran, qu'ils psalmodient chacun pour soi sans arrêt. Ils répéteront ces mêmes exercices pen­dant des années jusqu'à ce qu'ils soient de véritables « por­teurs de Coran ». Ils seront les grands savants de l'Islam !... « Ces étudiants n'ont pas pour rôle de comprendre ; ils n'auront jamais le droit, pendant leurs années de psitta­cisme, de poser une question sur le sens de tel ou tel verset coranique... On sera plus ou moins savant, selon le nombre de versets qu'on sera capable de réciter par cœur. L'Islam, et surtout l'Islam malékite de l'Afrique du Nord, est un monde où l'intelligence n'a aucune place, aucun droit de cité. J'ai eu des discussions interminables à ce sujet avec les tolba de Tlemcen, qui se refusent à « étudier » le Coran. Ce serait péché que d'étudier la parole de Dieu... On croit, on récite, mais il est interdit de se poser des problèmes. Quand on leur dit que les chrétiens étudient leurs évan­giles, ils vous répondent que les chrétiens sont des rationa­listes et qu'ils sont infidèles, -- infidèles ; dans la me­sure où ils cherchent à comprendre. » On saisira sans peine que tenter d'établir un dialogue avec ces « grands savants » musulmans en leur racontant comment l'Islam a élaboré les premières grandes synthèses aristotéliciennes, c'est donner du pain bénit aux ânes. Pour l'Islam orthodoxe, les traduction et commentaires d'Aris­tote n'ont été qu'une marchandise, rien de plus. Parler d'Aristote ou d'Averroès à un taleb, c'est demander à un enfant du catéchisme s'il connaît Lao-Tseu. Il vous répon­dra qu'il n'habite pas dans son quartier. 65:83 H. de Noirlieu n'avait pas plus de chances d'être écouté que le P. Théry. -- 1955 ! Faut-il encore patienter, avant de publier cette critique historique du Coran dont les con­clusions essentielles sont établies depuis des années ? Le P. Théry est en proie à un débat intérieur dont il a parlé ; lui-même au début de L'ISLAM ENTREPRISE JUIVE. Réflexion faite, l'attente est inutile. Elle ne profitera à personne, sur­tout pas à la Vérité, tandis que la publication de ce travail aura du moins l'avantage d'aider les gens à qui il n'est pas interdit de réfléchir. Le P. Théry prendra une seule précau­tion, pour ne mettre en cause que lui-même : « J'ai pris un pseudonyme pour écarter toutes responsabilités collectives du catholicisme. » (*Lettre à une correspondante américaine*, le 10-2-58) Et H. de Noirlieu que l'on commençait à connaî­tre, devient à son tour HANNA ZAKARIAS, illustre inconnu. Les lecteurs savent le reste. #### Derniers travaux. Pendant que « H. Zakarias » publiait les deux premiers tomes de DE MOÏSE A MOHAMMED, le Père G. Théry termi­nait la rédaction d'un ouvrage véritablement monumental qui rappelle, par sa conception, celui de 1938 sur LA VÉNÉ­RABLE MARIE POUSSEPIN. Il s'agit de CATHERINE DE FRANCHE­VILLE, *fondatrice à Vannes de la Première Maison de retraites de femmes*, ouvrage en deux volumes, publié en 1956 pour répondre aux vœux de la Section Historique de la Sacrée Congrégation des Rites dont le P. Théry était mem­bre. Il avait travaillé, dix années durant, à rassembler jusqu'aux moindres documents avec une minutie incroyable, effrayante pour ceux qui, à sa suite, devront entreprendre de semblables investigations en vue des procès de canonisa­tion. A la fin, il ne s'agissait plus d'une simple biographie, même répondant aux plus rigoureuses exigences de l'infor­mation sur la personnalité en cause, mais d'un véritable épisode de l'histoire religieuse de la Bretagne au XVII^e^ siècle, avec de précieux aperçus sur les contrats commerciaux et les rapports sociaux en France à cette époque, sans oublier les mœurs de l'administration épiscopale. Cet ouvrage fut qualifié, par la *Nouvelle Revue Théologique de Louvain*, de « building d'érudition ». 66:83 Mentionnons enfin une étude inédite, sorte de divertis­sement littéraire en marge de la critique coranique, où se manifeste, en même temps que l'érudition, l'esprit vif et pénétrant du P. Théry : VOLTAIRE ET MAHOMET, OU MAHO­MET ET LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE AU XVIII^e^ SIÈCLE. Cet ouvrage devait paraître sous le pseudonyme de J. FLEURIOT ; peut-être le publierons-nous un jour si nos moyens nous le per­mettent. L'exégèse du « Coran » n'a rien à y apprendre, bien sûr ; mais l'histoire des idées sur l'Islam au XVIII^e^ siècle en général, et les idées de Voltaire en particulier, ne manquent pas d'intérêt pour nous faire connaître... Voltaire lui-même inévitablement. #### Réflexions finales. Nous avions laissé prévoir, dans notre Avant-Propos du tome III de DE MOÏSE A MOHAMED, que nous signalerions certains points d'exégèse où nous avions fait prévaloir les vues du P. Théry sur notre propre interprétation des textes et de l'histoire. Réflexion faite, à quoi bon ? La différence de points de départ dans le raisonnement ne changeait rien, en définitive, aux conclusions essentielles. Le seul résultat serait d'alourdir cet Épilogue déjà bien long. Nous avions aussi projeté de relever la presque totale incompréhension dont certains critiques ont fait preuve sur les conclusions du P. Théry. Ils ne les ont pas vues, malgré leur fréquente et claire répétition au cours de plusieurs vo­lumes ! Ils discutent alors sur toute autre chose, en s'ima­ginant être dans le vif du sujet. En somme, ils combattent la thèse qu'ils imaginent être celle du P. Théry. Comme nous rejetons aussi ce fruit de leur imagination, nous sommes parfaitement d'accord. -- Espérons qu'un jour ils prendront le temps de lire avec attention les textes sur lesquels ils se proposent de porter un jugement. C'est la seul moyen d'établir les bases d'une bonne discussion. D'autres lecteurs, très attentifs aux ouvrages du P. Théry, ont été déroutés par le mode d'exposition, à vrai dire inhabituel, de cette « thèse ». Ce n'est pas de cette façon-là qu'on écrit une thèse en Sorbonne. Un de nos cor­respondants, ancien professeur de l'Institut des Hautes Études Marocaines, résume parfaitement la pensée de ces lecteurs : 67:83 « J'aimerais voir rassemblée dans une première partie toute l'argumentation critique : notre ignorance profonde des origines, toutes les bévues des coranisants antérieurs dont les plus graves suggèrent une mauvaise foi orientée, les démarquages de l'Ancien Testament avec les confusions voulues. L'existence et l'activité du Rabbin de La Mecque seraient alors présentées comme la seule hypothèse possible pour expliquer les faits connus et les contradictions internes des textes. Et enfin, la démonstration effective serait poursuivie à l'aide du Coran... « Je sais bien, par ma propre expérience, qu'avec un peu de bonne volonté et d'impartialité, on retrouve aisément dans les divers chapitres tout ce que je souhaite. Mal­heureusement, les travaux de votre ami ont dérangé trop de conformismes établis pour qu'une malveillance certaine n'y cherche d'abord les points contestables afin d'affaiblir la tout. » (*Lettre* du 23-3-62) Tout cela est vrai. Reconnaissons que le P. Théry pouvait « ordonner selon un autre plan ses connaissances, pro­digieuses en profondeur comme en étendue » (*ibid*.). Il pou­vait adopter une forme très académique où sa dialectique, tour à tour souple, noueuse, subtile, se jouant des difficul­tés, se fût donné libre cours. Un tel travail eût mieux con­venu à des esprits qui avouent très simplement s'être lais­sés un peu envahir par la routine de certaines méthodes universitaires. La puissance démonstrative n'y eût rien per­du, au contraire semble-t-il. Mais le P. Théry pensait que la beauté de l'ordonnance logique eût été acquise au détri­ment de la vie. Il aime répéter qu'il n'a pas recherché une belle composition. On peut le regretter. A l'artifice de la thèse, il préfère le naturel de la vie exprimée dans le désor­dre du texte qu'il étudie ; dans la remarque imprévue qui coupe le fil de la pensée ; dans le trait acéré qui fuse, contre quelque ouvrage qui n'est pas de son goût ; dans le souvenir subit faisant irruption au milieu du commentaire pour l'illustrer ; dans la méditation enfin, qui scrute et sent en profondeur ce que la simple lecture d'un verset n'étale qu'en surface. Ne fallait-il pas que cet ouvrage fût écrit ainsi ? N'est-il pas bon que tout ce qui y est dit le soit, une fois pour toutes ? A présent, rien n'empêche que quelqu'un, qui aurait envie d'écrire, compose cette grande thèse, propre, bien limée, sans bavures, solidement charpentée ; les conclusions, s'imbriquant les unes dans les autres, arrive­raient sans hâte, en bon ordre, chacune à sa place, resplendissante de vérité. 68:83 Comme nous n'avons pas une vocation d'écrivain, nous souhaitons vivement que quelque amoureux des belles lettres entreprenne cette œuvre d'art. \*\*\* Avant de prendre congé définitivement de nos lecteurs, nous voulons remercier très cordialement ceux d'entre eux qui nous ont écrit pour nous faire part de leur remarques, de leur expérience du monde musulman, de leurs critiques sur tel point d'exégèse ou d'histoire qui leur paraissait obscur. Ils nous ont ainsi obligé à faire quelque clarté sur certains problèmes... qui n'en étaient pas pour nous, et sur lesquels nous n'aurions jamais cru nécessaire de donner une explication. Peut-être reconnaîtront-ils au passage ces réponses à leurs difficultés, ou l'accueil que nous avons fait à leurs judicieuses observations. Ils voudront bien y voir le petit signe amical que nous leur adressons pour leur témoigner combien leurs encouragements nous ont touché. Enfin d'autres lecteurs, préoccupés par l'orientation de leurs études personnelles, auraient aimé nous voir développer tel ou tel aspect de l'Islam, ou du judaïsme, con­temporains. Il est bien évident que, lorsqu'on étudie l'origine de l'Islam, même si l'on veut s'en tenir strictement là, l'information historique déborde largement l'objet précis de cette étude. Le contenu des doctrines, leur mise en appli­cation dans le passé par la politique à laquelle elles sont liées, les tentatives contemporaines s'inspirant de ces prin­cipes qui n'ont jamais été officiellement répudiés, n'ont pas manqué, évidemment, de retenir notre attention. Les spécia­listes de ces questions nous comprendront à demi-mot. Mais notre but était tout autre : terminer le travail de notre ami, pour que le fruit de ses patientes recherches puisse être livré au public. Nous l'avons fait avec la même cons­cience et dans le même esprit. Si le P. Théry a usé les vingt dernières années d'une vie de science et d'érudition à dé­masquer impitoyablement la plus grande escroquerie reli­gieuse de l'histoire, ce fut uniquement pour éclairer les esprits et libérer les âmes de millions d'êtres humains, ses frères qu'il aimait, qu'il aimait assez chrétiennement pour encourir leur haine, au prix de durs travaux, en leur offrant la vérité. Joseph BERTUEL. 69:83 ### Les deux œcuménismes par Louis SALLERON LE MOT « œcuménisme » est tiré dans tous les sens. Ce qui fait que je ne sais plus très exactement ce qu'il signifie. Je précise donc que je le prends ici dans le sens de l'*unité chrétienne* -- sans entrer dans les explications que cette expression appellerait elle-même. Donc, il me semble qu'on peut distinguer aujourd'hui deux œcuménismes, ou plutôt deux tendances à l'œcumé­nisme. Le point de départ de cette observation, je le prends dans deux textes que j'ai présents à l'esprit. Le premier est de Teilhard de Chardin. Dans les *Nou­velles lettres de voyage*, on lit, aux pages 60-61 : « Il me semble évident que le moment est venu où l'humanité va se partager (ou va avoir à opter) sur la foi ou la non-foi à un progrès collectif spirituel de la Terre. Le front humain dont nous avons si souvent parlé... Voilà pourquoi je me sens puissamment décidé à me poser, par tous les moyens possibles, en défenseur de l'idée et de la réalité d'un Pro­grès (collectif et personnalisant) contre tous les pessimismes laïcs et religieux. » Ce texte, et cent autres analogues, montre que, pour Teilhard, la grande division religieuse du « front humain » d'aujourd'hui, et surtout de demain, n'est pas entre la Foi chrétienne et la non-Foi chrétienne, mais entre la foi et la non-foi à un « progrès collectif ». 70:83 La division religieuse proprement dite, la division dogmatique pourra subsister ; mais elle aura moins d'importance que cette division nou­velle. Un chrétien et un non-chrétien partageant la même foi au progrès collectif sont et seront plus proches l'un de l'autre qu'un chrétien ayant cette foi et un chrétien ne l'ayant pas. Il s'agit, en somme, d'une nouvelle religion -- le mot « foi » le dit bien -- plus importante, aux yeux du chrétien lui-même, que la religion « de nos pères » la reli­gion chrétienne telle que nous la connaissons. Le second texte est de l'évêque anglican de Woolwich, John A. T. Robinson. Dans *Dieu sans Dieu* -- cf. pp. 14-15 -- il parle de l'océan qui va s'élargissant « entre le surnaturalisme tradi­tionnel et orthodoxe qui a servi de cadre à notre foi, et les catégories auxquelles le monde « laïcisé »... donne aujour­d'hui une signification ». Il précise bien qu'il ne vise pas la séparation existant entre les chrétiens et la société païenne, mais celle qui fait que « beaucoup de chrétiens se retrouvent du même côté que ceux qui ne le sont pas ». A la radio, à la télévision, quand un débat a lieu entre un chrétien et un humaniste, il se surprend à constater qu'assez souvent sa sympathie « se porte du côté de l'humaniste ». Les déclarations de ce genre foisonnent. Elles expriment un sentiment très répandu, qu'on ne doit pas confondre avec les options libres qui, sur des matières indifférentes à la religion, peuvent provoquer des regroupements où voi­sinent normalement chrétiens et païens, croyants et athées, catholiques et francs-maçons. Telle théorie scientifique pourra diviser le monde savant en deux clans dont chacun comprendra, en nombre égal, des chrétiens et des non chrétiens. Tel projet politique concret pourra avoir le même ré­sultat. Quand on en arrive aux débats où la politique se charge de conceptions philosophiques touchant à la civilisation, au destin de la société, l'équivoque commence à naître. 71:83 Mais quand il s'agit de l'homme lui-même, de sa nature, du mystère de sa relation à l'univers du connu et de l'in­connu, on entre dans le domaine religieux. Certes l'imbrication des faits et des idées, la liaison du temporel et du spirituel, la nécessité en certains cas, de choix et de décisions dans l'impureté du social, peuvent aboutir à des agrégations de familles d'esprit qu'on ne s'attendrait pas à voir du même côté de la barricade. Mais il s'agit d'un phénomène passager. Avec le temps se refont les distinctions sur l'essentiel. Ce que nous observons, présentement, est tout autre chose. Nous observons un clivage nouveau et permanent selon lequel 1°) catholiques et non-catholiques cherchent et découvrent un monde de « valeurs » auxquelles ils com­munient d'une manière qui les rapproche durablement en sympathie étroite ; 2°) chrétiens de confessions diverses, notamment catholiques et protestants, tendent à s'unir sur le terrain d'un Évangile sentimental bannissant dogmes et structures, et dans une relation commune plus ou moins étroite à ces « valeurs » qui les rapprochent ensemble des non-chrétiens. C'est ce second mouvement qui est la note d'un œcu­ménisme de mauvais aloi, dont ne peut que souffrir l'aspi­ration à l'unité chez la masse des chrétiens divisés. Par opposition à cette tendance, que l'on peut appeler celle de l'œcuménisme « par en bas » on voit se dessiner une tendance inverse : celle qui porte les divers chrétiens à désirer une Église unique ; ce désir est contrecarré par des convictions différentes sur des points dogmatiques, mais on y trouve du moins la même Foi profonde au surnaturel et la même certitude que la dégradation de la Foi, si elle peut permettre quelque rassemblement, d'ailleurs précaire, des esprits, ne peut, en tout cas, pas faire l'unité chrétienne. Tels sont les deux œcuménismes qui nous sont offerts aujourd'hui -- le premier nous semblant mauvais, malgré les bonnes volontés et les sincérités dont on peut le cré­diter, le second nous semblant bon, malgré certaines rigidités et certaines étroitesses qu'on peut inscrire à son pas­sif. 72:83 L'œcuménisme de la première tendance entend se ca­ractériser par son aspect missionnaire. Ce qui serait fort bon s'il ne s'agissait d'un zèle imprégné de l'idée qu'il faut adapter l'Église au monde moderne. L'expression est ambi­guë. On peut lui donner un sens acceptable, mais mille textes et une attitude très constante nous obligent à cons­tater que le sens choisi est le pire. Il s'agit, en fait, de faire évoluer le christianisme vers un « christisme » plus ou moins panthéiste où le pur amour tiendrait lieu de toute Foi. Le péché originel et la grâce sont évacués. Il ne reste qu'un humanisme où Dieu est fait à l'image de l'homme. Parlant de Teilhard, Cuénot écrit : « Le dernier mot du Père semble bien avoir été une mystique fondée sur un néo-humanisme dynamique et progressif. » ([^5]) C'est bien cela, en effet. Au fond, l'œcuménisme « par en bas », c'est celui qui se fonde sur les vertus de l'action, de l'engagement et de l'insertion dans la vie populaire avec ses valeurs propres, ce qui serait acceptable s'il ne s'agissait généralement de conformer le christianisme à ces valeurs plutôt que de lui demander de les transformer. La tentation n'est pas nou­velle. Qu'on lise plutôt les lignes suivantes : « De nos jours, en effet, l'Idéal, la foi active et vivante n'est-elle pas plutôt dans une Maison du peuple que dans une cathédrale ? dans un laboratoire, dans une épicerie coopérative, que dans nombre de couvents ? Nous ne nions pas que la foi, le zèle, ne puissent se rencontrer de part et d'autre incontestables et admirables ; il n'en sera pas moins vrai que le labora­toire ou l'œuvre coopérative souvent représente moins de conventions, d'équivoques, et un niveau intellectuel et social supérieur, que l'avenir est dans cette direction... » Si nous demandions : de qui est-ce ? dix noms contemporains viendraient à l'esprit. Eh ! bien, c'est de Marcel Hébert, l'un des quatre grands -- avec Alfred Loisy, Joseph Tur­mel et Albert Houtin -- du modernisme de 1900 ([^6]). 73:83 Marcel Hébert continue : « Le Mouvement religieux qui s'accentue en ce moment et consiste à rendre de plus en plus la foi, la religion immanente aux différents devoirs, aux diverses fonctions sociales, à tout effort sincère vers le Mieux et à éliminer peu à peu les antiques formes *transcendantes* qui l'imposaient du dehors par voie d'auto­rité, est, par ailleurs, le corollaire du mouvement intellec­tuel qui amène de plus en plus les penseurs à considérer le divin comme immanent plutôt que comme, transcendant à nos esprits. » ([^7]) Voilà du moins qui a le mérite d'être dit honnêtement. En 1964 on le dit peut-être moins (dans ces termes) qu'en 1903 ; mais on le pense peut-être davan­tage. En 1952 et 1953, Arnold J. Toynbee a donné, à Édim­bourg, deux séries de cours qui ont été réunis en volume et traduits en français sous le titre « La religion vue par un historien » (Gallimard, 1963). Les trois derniers chapitres du livre, « Perspectives religieuses du monde au XX^e^ siè­cle », « Le devoir de dégager l'Essence de ce qui n'est pas essentiel dans l'héritage religieux de l'Humanité », « Les Êtres, la Souffrance, l'Égocentrisme, l'Amour » -- synthéti­sent parfaitement les tendances de l'œcuménisme « par en bas ». Il y a de fort belles pages, et très émouvantes, dans ces trois chapitres. Mais il y en a d'aussi belles et d'aussi émouvantes dans Teilhard, dans Robinson et dans tant d'autres. La question n'est pas là. La question est de sa­voir si le syncrétisme qu'on nous propose -- ou le panthéo­nisme, ou l'indifférentisme supérieur, ou un christianisme sans dogmes ni structures -- est encore le christianisme. 74:83 Toynbee termine son livre sur les considérations sui­vantes : « Si nous ne nous sentons pas la force d'attendre que le Temps ait accompli son travail de discrimination, nous confessons un manque de foi dans la vérité et dans la valeur de la religion qui se trouve être la nôtre. D'au­tre part, si nous avons foi en elle, nous ne devons pas craindre qu'elle manque de jouer son rôle : aider les âmes humaines à entrer en communion avec la présence cachée derrière les phénomènes et les mettre en harmonie avec cette Absolue Réalité. La mission des religions supérieures n'est pas de se livrer à une lutte entre elles ; elles sont complémentaires les unes des autres. Nous pouvons croire en notre propre religion sans être obligés de croire qu'elle est le seul moyen de salut. Nous pouvons prendre à cœur les paroles de Symmaque ([^8]) sans être infidèles au chris­tianisme. Nous ne pourrions durcir notre cœur contre Symmaque sans l'endurcir contre le Christ. Car ce que prêche Symmaque, c'est la charité chrétienne. *La charité ne périt jamais ; les prophéties prendront fin, les langues cesseront, et la connaissance sera abolie* (I Cor., XIII, 8) » (p. 294). Quelle confusion ! Mais ne croirait-on pas lire une synthèse des idées de Teilhard et de Robinson dans ces quelques lignes : « ...le nouvel évangile révélé par les reli­gions supérieures semble offrir une réconciliation dans son intuition que le sens de la Vie, de l'Existence et de la Réa­lité est l'Amour. Si Dieu est l'Amour se sacrifiant, et si Dieu a enseigné à l'homme, non seulement par précepte mais par l'exemple, que la meilleure attitude à l'égard de la Souffrance consiste à l'embrasser afin de la faire servir à la cause de l'Amour, nous pouvons atteindre, dans cette vision, une conception de la Réalité qui satisfera à la fois le Cœur et l'esprit » (p. 146). 75:83 Certes, la seconde moitié du XX^e^ siècle manifeste à la réalité religieuse une ouverture beaucoup plus grande que la première moitié et surtout que le XIX^e^ siècle. On est bien revenu du déterminisme scientiste. On est bien revenu de la croyance à la liaison nécessaire de la paix et du progrès moral avec le progrès technique. Le monde a peur -- de la bombe atomique, des maladies nouvelles et de leurs remè­des, des modifications biologiques possibles, du totalitarisme. Quand Toynbee annonce que « dans l'âge atomique qui s'ouvrit en l'an de grâce 1945, le domaine de la liberté sera celui de l'activité sur le plan spirituel, non sur le plan physique » (p. 283), c'est une prédiction gratuite ; mais cette prédiction correspond à l'exacte constatation d'un changement dans l'état d'esprit général. On comprend que les chrétiens se portent à la rencontre de l'inquiétude du monde. Mais est-ce une raison pour qu'ils lui proposent l'écho de sa propre inquiétude, au lieu de la vérité qu'il cherche ? L'œcuménisme « par en haut » est moins visible que l'œcuménisme « par en bas » parce qu'il est plus secret. Il cherche davantage l'unité comme un résultat que pour elle-même. Ce sont des démarches parallèles qui, sans ex­clure la rencontre et le dialogue, font surtout confiance à Dieu pour se rejoindre. A cet égard, il suffit à chacun de se référer à sa propre expérience. Ne sont-ce pas les témoignages authentiques de christianisme vécu qui nous frappent chez les protes­tants que nous connaissons ? Et eux-mêmes ne sont-ils pas sensibles à des témoignages analogues chez les catholi­ques ? Et n'est-ce pas à partir de ces témoignages que les uns et les autres aspirent à l'unité ? Même dans le domaine des idées, c'est l'authenticité de la Foi qui nous plaît. Les obstacles à l'unité peuvent y être plus visibles. Ils n'y sont pas plus grands, mais moindres au contraire parce que la référence à la puissance et à la volonté de Dieu y est explicite. 76:83 Aussi bien, n'y a-t-il pas dans les tendances œcuméni­ques actuelles un certain réflexe sociologique ? Jacques Ellul (protestant) pose la question. Les forces affaiblies du christianisme chercheraient à se rassembler pour faire face aux forces croissantes de blocs multiples, raciaux, natio­naux, religieux. « En outre, écrit-il, si l'on peut se réjouir de ce que les discussions théologiques s'apaisent, de ce que les préjugés hostiles à l'égard des autres formes confes­sionnelles diminuent, doit-on en attribuer le mérite à l'ac­tion du Saint-Esprit qui nous conduit dans une plus grande charité à l'égard des frères séparés, ou bien faut-il tenir compte d'une évolution tout à fait sociologique : à savoir le fait que toutes les idéologies dans le monde perdent de l'importance, que les hommes abandonnent de plus en plus l'intransigeance idéologique (voir le confusionnisme qui règne dans la gauche) ; à savoir aussi le fait que les formu­lations théologiques n'intéressent plus le public, qui n'est plus » nulle part, passionné dans sa masse par la discussion de l'expression de la Vérité ? N'est-ce pas alors parce que nous sommes gagnés par le scepticisme général à l'égard des doctrines et des idéologies, que nous admettons le ca­ractère relatif de nos positions théologiques, et réciproque­ment la validité des autres ? Par là, je ne veux pas dire que ce serait la seule raison du mouvement œcuménique, mais seulement mettre en garde contre une attribution trop aisée au progrès de la vérité, de ce qui n'est, en partie, qu'une évolution sociologique » ([^9]). Que les circonstances historiques favorisent, chez les chrétiens des mouvements convergents vers l'unité, c'est certain. Il n'y a pas lieu, parce qu'on le sait, de s'y opposer. Mais il faut en avoir conscience pour ne pas se dupe soi-même sur ses intentions. La tendance œcuménique « par en bas » peut offrir l'avantage de faire tomber des cloisons, d'aider à dégager l'essence de la vérité chrétienne de certains revêtements historiques, d'exciter les bons sentiments. 77:83 Mais elle présente le danger redoutable de substituer la propagande religieuse à la propagation de la Foi. Elle vise la masse, et elle incline de ce fait à employer les moyens qui touchent la masse. Ce ne sont jamais les moyens de la vérité. Plus ou moins inconsciemment, elle cherche à sauver le christianisme au lieu de proposer aux hommes le moyen de leur propre salut par le christianisme. Le mépris dans lequel, de nos jours, est tenue la vérité est incroyable. Tout n'est que ruse, diplomatie, stratégie, flagornerie, démagogie. On invoque la primitive Église, celle d'avant Constantin. Que n'est-on logique avec ces belles prétentions ? Car je voudrais bien savoir comment saint Pierre, saint Paul, saint Jean, les apôtres, les pre­miers chrétiens, les premiers évêques, les premiers théolo­giens ont fait triompher le christianisme ! Par les moyens exactement inversés à ceux que nous voyons mis en œuvre aujourd'hui. Ou plutôt ils ne se souciaient d'aucun moyen. Ils avaient la Foi, ils prêchaient leur Foi, et ils en témoi­gnaient. C'est ainsi qu'ils ont constitué le christianisme. C'est un assez beau capital, dont nous ne sommes que les héritiers. En bons capitalistes, nous voudrions le faire fructifier, et nous croyons que de l'investir dans l'opinion publique est une opération sûre -- alors que c'est convertir de la bonne terre en monnaie, de papier. Jacques Ellul -- et de citer ainsi ce protestant prouve ma volonté œcuménique -- a, en passant, une toute petite phrase, qui résume bien tout le sens de son livre mais qui est écrite noir sur blanc, toute nette et sans bavure : « La tendance actuelle est de minimiser excessivement l'importance de la foi » (p. 24). Je l'avais déjà reproduite dans une note le mois dernier. Mais on ne la relira jamais trop. Il n'y a d'œcuménisme possible que si l'on ne commen­ce pas, d'un côté comme de l'autre, par minimiser l'im­portance de la foi. Louis SALLERON. 78:83 ### Deux messages de Paul VI *sur saint Thomas d'Aquin\ et les études théologiques* par Paul PÉRAUD-CHAILLOT *DEUX ACTES RÉCENTS de Paul VI concernant l'un saint Thomas d'Aquin, l'autre la formation des clercs s'imposent particulièrement à notre filiale attention.* *Le premier est une lettre en anglais du 7 mars au Général des Dominicains, au sujet de la Fondation* Saint-Thomas d'Aquin des Pères dominicains des États-Unis *et de l'édition critique des œuvres du Docteur, commencée sous Léon XIII et que Paul VI voudrait voir achevée d'ici dix ans pour le septième centenaire de la mort du Saint.* *Le second est un discours mémorable prononcé le 12 mars, fête de saint Grégoire le Grand, à l'Université Grégorienne des Pères de la Compagnie de Jésus. Paul VI, après les éloges méri­tés par le travail accompli et qui continue, exprime la pensée du Vicaire du Christ -- il s'appelle lui-même ainsi -- sur l'attitude du savant catholique, la docilité au Magistère de l'Église, le res­pect dû à ses Docteurs, singulièrement à saint Thomas d'Aquin, la double méthode, positive et spéculative, requise en bonne théologie, tant dans la recherche que dans l'enseignement, recom­mande l'union et la collaboration fraternelle entre les divers.* « *Athénées romains* » *et termine par de paternelles recomman­dations aux jeunes gens qui ont la faveur d'étudier à Rome et de s'y former durant le Concile œcuménique Vatican II.* 79:83 *Nous traduisons ci-après ces deux documents : le premier, publié en anglais par* L'Osservatore romano *du 8 mars le second* (*nous en omettons le début consacré aux félicitations*) *publié en latin par* L'Osservatore romano *du 14 mars*. #### I. -- Lettre au Maître général des Dominicains A Notre très cher fils Aniceto Fernandez, o.p.,\ Maître général de l'Ordre des Frères prêcheurs. L'institution d'une commission pour préparer l'édition critique des œuvres de saint Thomas d'Aquin, décidée par notre Prédécesseur, le Pape Léon XIII d'heureuse mémoire, et confiée par lui à votre Ordre illustre, constitue indubi­tablement un des grands mérites de son glorieux ponti­ficat. Souverainement noble et salutaire était en outre le but de cette commission, tel qu'il le décrit dans son Motu proprio *Placere nobis* du 18 janvier 1880 : « *Ut longe late­que fluat Angelici Doctoris excellens sapientia, qua oppri­mendis opinionibus perversis nostrorum temporum fere nihil est aptius conservandae veritatis nihil efficacius.* » ([^10]) Le magnanime dessein de Notre Prédécesseur a été dans une large mesure réalisé. En effet, grâce à sa munificence et aux infatigables labeurs de la Commission léonine sous la direction et avec la généreuse contribution des plus hau­tes autorités de l'Ordre, seize volumes ont été édités, com­prenant, outre les commentaires de saint Thomas sur plu­sieurs œuvres d'Aristote, *la Summa theologiae cum com­mentariis Thomae de Vio Cardinalis Cajetani, et la Sum­ma contra Gentiles, cum commentariis Francisci de Sylves­tris Ferrarienisis* ([^11]). 80:83 Est spécialement digne de louange le fait que les œuvres jusqu'ici publiées ont paru, conformes aux normes précises du Pape Léon XIII : « *optimis formis litterarum expressa, accurateque emendata, iis etiam adhi­bitis codicum manu scriptorum subsidiis, quae aetate Hac nostra in lucem et usum probata sunt* » ([^12]). Nonobstant les grands efforts faits par la Commission pour seconder les désirs de ce Siège Apostolique, et l'Ins­titution de deux sections de la Commission à Paris et à Ottawa au Canada, il reste encore un vaste champ de tra­vail, trop immense pour le personnel et les moyens à la disposition de cet Institut fondé à son heure. La divine Providence semble cependant apporter la solution de la manière dont Vous, cher Fils Nous avez informé, au moyen de l'érection par les trois Supérieurs des Provinces de l'Ordre aux États-Unis d'Amérique, et en réponse à votre appel, d'une nouvelle institution qui s'appellera *Fondation Saint Thomas d'Aquin des Pères Dominicains aux États-Unis*. Son but immédiat sera d'assurer, dans le temps le plus bref possible, l'achèvement de l'édition critique des œuvres de saint Thomas, en employant à cette fin les reve­nus de son capital. On peut donc espérer qu'un rapide pro­grès sera accompli dans le travail confié aux deux sections de la Commission établies à Rome et à Paris, et dans le travail qui sera assigné à la nouvelle section à établir à Washington D.C. Cependant d'autres buts de grande im­portance sont proposés, tels que la réimpression des vo­lumes épuisés, la diffusion de la doctrine thomiste au moyen d'une version anglaise de l'édition critique et la pu­blication d'écrits la concernant, aussi bien que l'érection d'un Institut chargé de confronter la pensée de saint Tho­mas avec les systèmes modernes de philosophie et les dé­couvertes des sciences naturelles et anthropologiques, afin de tirer d'utiles conclusions pour la meilleure solution des problèmes spirituels et culturels de nos jours. Aux promoteurs de ce magnifique programme, Nous adressons nos cordiales félicitations puisque « *in Thoma honorando*, comme dit Notre prédécesseur Pie XI, *majus quiddam quam Thomae ipsius existimatio vertitur, id est Ecclesiae docentis auctoritas* » ([^13]). 81:83 En vérité on peut trou­ver dans les œuvres de saint Thomas un compendium des vérités universelles et fondamentales exprimées sous la forme la plus claire et la plus persuasive. Pour cette rai­son, son enseignement constitue un trésor de valeur inestimable, non seulement pour l'Ordre religieux dont il est la plus grande lumière, mais pour l'Église entière et pour tous les esprits assoiffés de vérité. Ce n'est pas sans raison qu'il a été salué comme « l'homme de toutes les heures ». Son savoir philosophique, qui reflète les essences des choses réellement existantes dans leur vérité certaine et qui ne change pas, n'est ni médiéval ni propre à aucune nation particulière ; il transcende le temps et l'espace et n'est pas moins valable pour toute l'humanité de nos jours. Pour ce qui regarde son enseignement théologique pro­posé dans ses commentaires sur l'Ancien et le Nouveau Testaments, sur le *pseudo-Denys*, Boèce, Pierre Lombard, les nombreuses *Quaestiones disputatae, Quodlibeta et Opus­cula*, mais, par-dessus tout, dans les deux Sommes, mieux il est compris dans son admirable synthèse, plus est grande l'admiration qu'il provoque pour cette claire distinction et harmonie entre l'ordre de la nature et l'ordre de la grâce, entre la raison humaine et la foi divine, que le premier concile du Vatican exalta et défendit contre les erreurs tou­jours renaissantes du matérialisme athéistique, du pan­théisme, du rationalisme et du fidéisme (cf. *Consil. Dogm. De fide catholica*, ch. 4). D'où vient que le triomphe de la doctrine de saint Thomas dans l'Église militante provoque une suprême glorification de la Sagesse même de Dieu dans les paroles de la liturgie. *De Excelsis Fons sapientiae Slanc­to Thomae infadit copiam, tamquam flumen ciarae scien­tiae ; qui susceptam refudit gratilam, dum fluentis sum­mue peritiae, rigat tallam sanctam Ecclesiam* ([^14])*.* C'est donc avec plaisir que Nous rappelons dans les termes mêmes de Notre Prédécesseur le Pape Pie XII d'heureuse mémoire, que : « *Aemulatio in veritate quaerenda et propaganda per commendationem Sancti Thomae non supprimitur, sed excitatur potius ac tuto dirigitur* » ([^15]). 82:83 Nous sommes par conséquent convaincu que, pour la cause de la vérité, de grands bienfaits sortiront d'une con­naissance plus large et plus exacte de l'enseignement du « Docteur commun » que l'Église a fait sien (Encyclique *Studiorum Ducem* in A.A.S. vol. XV 1923, p. 314). Donc, tout en exprimant cordialement de bons vœux pour le succès de la « Fondation Saint Thomas d'Aquin des Pères Domini­cains des États-Unis », Nous exhortons instamment nos Vénérables Frères de la hiérarchie de l'Amérique du Nord, les divers Ordres et Congrégations religieuses, les Institu­tions culturelles catholiques et non catholiques, et toutes les personnes généreuses et bienveillantes à répondre avec munificence à l'appel qui leur est fait pour les fonds néces­saires à l'œuvre de la Fondation. Nous espérons avec con­fiance que le peuple américain, déjà méritant dans le pro­grès religieux et civique, ne tardera pas à ajouter cette nouvelle pierre brillante à la couronne de ses nobles entre­prises. Ayant confiance que, avec le secours de Dieu, la décade qui nous sépare du septième centenaire de la mort du Doc­teur Angélique verra l'achèvement de l'édition critique de ses écrits, comme un hommage de gratitude à sa mémoire. Nous accorderons de cœur à la Fondation Saint Thomas d'Aquin des Pères Dominicains des États-Unis et à tous ceux, de quelque nation que ce soit, qui l'aident généreu­sement, Notre Bénédiction apostolique. du Vatican, le 7 mars 1964,\ fête de saint Thomas d'Aquin PAUL VI, Pape. #### II. -- Le discours à l'Université Grégorienne ...Nous n'avons pas seulement l'intention d'exalter par nos louanges ce qui est dû à vos mérites et à votre vertu : Il nous plaît aussi de vous manifester en quel esprit le Vi­caire du Christ considère votre Université et ce que l'Église par-dessus tout attend d'elle à l'heure actuelle. 83:83 D'abord il Nous tient à cœur au plus haut point que, dans la formation du jeune clergé ce soit toujours une loi sacrée de veiller au maintien (*incolumitati*) de la doctrine. Les Athénées romains en effet, que le vôtre précède tous en date, n'ont été fondés en cette Ville mère que pour cette raison : qu'établis près de la chaire de saint Pierre, ils en perçoivent plus fidèlement la voix et les avis. Que demeure donc intègre chez vous cet antique mérite (*laus*) pour le­quel avant tout nous estimons votre labeur digne de récom­pense, à savoir que les étudiants partent d'ici imbus à fond de cette foi romaine louée par l'Apôtre (cf. Rom. I, 8) où il est nécessaire de puiser les normes d'action et de pensée catholiques. Mais quand la doctrine doit-elle être tenue pour sûre ? Assurément c'est quand elle est de toute évidence en par­fait accord avec la vérité. Avouons cependant que cela ne peut pas toujours s'obtenir facilement. En effet, les savants à la recherche de la vérité arrivent à un tournant où il y a danger, et danger d'autant plus grave qu'ils ont plus de talent, que plus important est l'objet de leur étude, et qu'est de plus grande conséquence l'option qu'ils prennent alors eux-mêmes touchant soit le jugement à porter sur la vérité, soit la méthode à garder dans les recherches ulté­rieures : méthode que, pour cette raison, eux-mêmes ap­pelleront scientifique. Or il advient que le savant affirme être vrai ce qui en réalité n'est pas vrai, mais répond à son opinion, interprétation privée ou attitude mentale ; ou bien il affirme vrai ce qui en réalité s'accorde avec la vérité et qui peut dépasser la lumière et les forces de l'intelli­gence humaine et parfois la dépasse en effet. Or quand il s'agit de la parole de Dieu, comment celui qui s'applique à son étude doit-il se comporter ? Le savant qui confesse que la parole de Dieu est au-dessus de la na­ture humaine et qui lui reconnaît suprême autorité et vertu d'En-Haut, celui-là sans nul doute doit être appelé catho­lique. Mais peut-on en dire autant de celui qui se comporte autrement ? Ce dernier assurément ne doit être tenu ni pour véritable savant ni pour véritable fidèle du Christ. 84:83 Par là est manifesté quel grand cas il faut faire de la révérence et de l'obéissance dues au Magistère de l'Église, auquel il est certain qu'a été confiée par institution divine la mission de garder fidèlement et de se déclarer infaillible­ment le dépôt de la foi. (Concile du Vatican, Ses. 3, chap. 4) Et cela ne déroge pas le moins du monde à la dignité ou à la supériorité de la doctrine sacrée. Car si l'argument d'au­torité qui s'appuie sur la raison humaine est le plus faible de tous, l'argument d'autorité qui s'appuie sur la révélation divine, est de tous le plus efficace (Saint Thomas, Somme théol., I^a^ P. q. I, a. 8 ad 2um). Par conséquent que ceux qui ont reçu la charge d'enseigner mettent tous leurs soins en toute émulation à former l'esprit de leurs disciples à cette soumission au Magistère de l'Église. Qu'ils écoutent en outre avec révérence la voix des Doc­teurs de l'Église, parmi lesquels le Saint Aquinate occupe le premier rang. De l'Angélique Docteur en effet, si grande est la puissance du génie, si sincère l'amour de la vérité, si éminente la sagesse dans la recherche des plus hautes vé­rités à découvrir, à illustrer et à nouer dans le lien de la plus étroite unité, que sa doctrine est l'instrument le plus efficace, non seulement pour Mettre en sûreté les fonde­ments de la foi, mais aussi pour recueillir utilement et sû­rement les fruits d'un sain progrès. Qu'enfin ils prennent garde en mettant ensemble tout leur soin aux recherches touchant les problèmes d'aujour­d'hui que le progrès de la culture soulève, en s'efforçant d'égaler l'ancienne sagesse aux nouvelles découvertes, qu'ils prennent garde, disons-Nous, d'oublier de revenir avec une application constante aux sources génuines de la doctrine sacrée, riches de trésors de vérité à jamais inépuisables. En ce qui concerne la méthode à suivre dans la trans­mission de la doctrine sacrée, gardez soigneusement la mé­thode positive et la Méthode spéculative, telles qu'elles sont pratiquées avec l'approbation de l'autorité ecclésiastique dans les écoles. Toutes deux en effet ont leur importance et leur utilité. Si la méthode positive paraît mieux accordée au caractère de notre âge et si elle peut produire de très utiles résultats, il faut pourtant prendre garde à ce qu'elle ne tourne pas au détriment de l'autre méthode, que les plus grands théologiens du passé ont cultivée au si grand profit des disciplines sacrées. C'est à cette méthode spécu­lative qu'il faut attribuer que les élèves du sanctuaire, entre tant et de si variées disciplines qu'ils doivent apprendre aujourd'hui, puissent enfin recevoir cette admirable cohérence et unité qui contribue tant à la formation ecclé­siastique qui leur convient. Il faut donc que ces deux mé­thodes, loin de s'opposer en aucune façon l'une à l'autre, se complètent et perfectionnent mutuellement. 85:83 Mais pour que cette éducation ecclésiastique soit com­blée de fruits précieux, elle doit toujours viser à ce que les jeunes à former deviennent un jour sel de la terre, lu­mière du monde, chefs et maîtres capables du peuple chré­tien. Qu'eux-mêmes aussi bien trouvent toujours dans les breuvages doctrinaux qu'ils reçoivent au cours de leurs études de quoi nourrir leur piété et progresser spirituelle­ment. A Dieu ne plaise que les études théologiques éclai­rent l'esprit sans enflammer la charité. C'est pourquoi il Nous plaît fort de vous proposer ces beaux avis de saint Bonaventure : « (que personne) ne croie que lui suffise la lecture sans onction, la spéculation sans dévotion, la re­cherche, sans admiration, la circonspection sans exultation, le talent sans piété, la science sans charité, l'intelligence sans humilité, l'application sans grâce divine, le Miroir sans la sagesse divinement inspirée... Exerce-toi donc, homme de Dieu, aux reproches stimulants de la conscience, avant de lever les yeux vers les rayons de la sagesse res­plendissant dans son miroir, de peur que, par la vue même des rayons, tu ne tombes en une plus sombre fosse de té­nèbres. » (*Itinéraire de l'âme à Dieu*, n. 4.) Il Nous reste à vous dire un mot des rapports que nous souhaitons voir régner entre les Athénées romains : il faut que chacun d'eux garde ses notes particulières ; cependant, bien qu'ils soient régis par une sage *ratio studiorum* et bien munis d'Instituts multiples, ils ne peuvent pourvoir à eux-mêmes comme il faut s'ils mènent leur action à l'écart les uns des autres ; c'est pourquoi nous souhaitons que ces asiles de hautes études suivent avec diligence les événements de l'Église surtout en ce temps du Concile œcuménique du Vatican, en sorte que les élèves dès la fleur de l'âge s'habituent à participer activement à la vie de l'Église. Nous désirons aussi qu'entre les divers Athé­nées romains les liens d'une concorde fraternelle devien­nent de jour en jour plus étroits et qu'ils se prêtent de plus en plus aide et assistance dans le travail. C'est assu­rément ce que demandent et le bien de l'Église et l'avantage des Instituts eux-mêmes, car une force unie gagne en puis­sance pour la réalisation du dessein commun. 86:83 Mais avant de terminer notre discours, Notre cœur, d'une façon particulière, s'ouvre à vous, bien-aimés jeunes gens. Usez sagement du bienfait très désiré et singulier que vous offre le séjour à Rome. Vous êtes divinement appelés à frayer un jour la voie à l'amour de Jésus-Christ dans les âmes des hommes. Faites donc en sorte que dans les sévè­res études auxquelles vous vous livrez, vous puisiez l'au­thentique esprit de Jésus-Christ pour qu'il resplendisse dans vos âmes, vos paroles et vos œuvres. Issus des ré­gions les plus diverses et distantes les unes des autres, mais tous participants de la même foi, de la même vocation et absolument du même droit dans l'Église, apprenez dans cette Ville, Tête du Nom chrétien, à aimer de toutes vos forces l'Église, notre Mère très aimante, et à mettre en elle votre pleine confiance. Mais si vous voulez croître dans l'amour de l'Église, il faut que vous nourrissiez obéissance, amour et confiance envers le Vicaire de Jésus-Christ, alors même que vous voyez une si haute autorité dans notre humble personne. Que les sentiments qui unissent très étroitement dans une famille vraiment chrétienne le père aux fils, les fils au père, que ces mêmes sentiments règnent entre Nous et vous, afin que tous dans la charité du Christ avec le Souverain Pontife vous soyez UN. A cette heure très grave où l'Église catholique réunie en Concile œcuménique cherche de nouveaux modes et de nouvelles voies pour porter de façon plus adaptée le mes­sage du Christ à tous les hommes, nous ne voyons pas vos rangs serrés, fils bien aimés, sans espérance qui lève et sans consolation paternelle. Vous qui, aujourd'hui, éduqués sous nos yeux, êtes témoins de ce très grand événement de l'Église, vous serez un jour nos aides industrieux pour l'exécu­tion des décrets du Concile œcuménique. Continuez donc, conduits par les normes très sages de cette Université à recevoir cette abondance de doctrine et cette digne culture de ministres sacrés que notre temps requiert absolument. Il vous a été heureusement accordé de recevoir votre édu­cation au temps du Concile œcuménique : efforcez-vous donc de répondre par une pieuse ferveur à ce don précieux. 87:83 Forts de cette espérance, nous appelons de cœur les grâces les plus abondantes du divin Rédempteur sur cette maison nourricière d'études, pour qu'elle vive, croisse, et fleurisse à la plus grande gloire de Dieu, à l'honneur et croissance de la sainte Mère Église. Nous implorons nom­mément lumière et force d'En-Haut sur ceux qui président, qui enseignent, qui apprennent ; que, de ces grâces céles­tes, soit le gage la bénédiction apostolique que nous vous donnons à tous avec amour dans le Seigneur. *Les deux textes qu'on vient de lire sont nets.* *Ce que dit Paul VI du respect, de l'obéissance dus au magis­tère de l'Église sonne exactement comme ce qu'écrivait en y in­sistant très fort Pie XII dans l'encyclique* Humani generis*.* *Que pourrait-on objecter de tant soit peu valable à l'affirma­tion renouvelée de la nécessité : pour les théologiens de prati­quer les deux méthodes, positive et spéculative, de remonter aux sources inépuisables, pour les hautes écoles théologiques de Rome* (*et d'ailleurs*) *de se prêter mutuel appui, de collaborer fraternellement ; pour les étudiants qui se forment sous les yeux du Pape en ce temps de concile, de profiter pleinement des avantages de ce séjour à Rome en de telles circonstances, d'unir à l'étude la vie intérieure, de se préparer à être, une fois rentrés dans leurs pays, les collaborateurs du Pape pour faire compren­dre et appliquer les décisions prochaines du Concile.* Quæ clara sunt explicatione non indigent sed executione. *Ce qu'on voudrait souligner c'est le fait que les Papes qui se succèdent sur la chaire de saint Pierre ne cessent pas de déclarer l'excellence singulière, hors pair, de saint Thomas parmi les Docteurs, de sa doctrine parmi les doctrines, leur volonté perma­nente, inchangée, que les clercs soient éduqués à la lumière de cette doctrine et sous l'égide de ce Docteur. Sans être le moins du monde doué du charisme prophétique, on peut assurer que les Décrets du Concile, s'il en émet sur les études ecclésiastiques, ne s'inscriront pas en faux contre les déclarations si souvent réitérées des Papes*. *Paul VI, en ce qui concerne saint Thomas n'est pas moins fervent qu'aucun de ses prédécesseurs. Pratiquement il fait plus qu'aucun d'eux depuis Léon XIII.* 88:83 *S'il s'intéresse tant à l'achèvement d'une édition critique en­fin complète des œuvres de saint Thomas d'Aquin, voire à une traduction anglaise de cette édition, à des études sur le texte et la doctrine, s'il envisage de façon très réaliste les dépenses né­cessaires, s'il invite si instamment les Évêques d'Amérique, les Ordres religieux, les Congrégations, les Instituts culturels catho­liques ou non catholiques à y contribuer libéralement en aidant la nouvelle fondation Saint Thomas des Dominicains des États-Unis, c'est que, à ses yeux l'enjeu est capital. S'il ne s'agissait que d'établir et d'éditer dans leur pureté originelle avec les va­riantes des plus anciens manuscrits les écrits d'un théologien du XIII^e^ siècle, même important mais sans génie très remarquable, il n'y aurait pas lieu de faire tant de frais, de mettre en mouve­ment tant de monde. Si Paul VI tenait saint Thomas pour* « *un théologien comme les autres* » *ou* « *un honnête compilateur* » ([^16])*, il n'écrirait pas -- et, de surcroît, en anglais, -- au Maître Géné­ral de l'Ordre dont fut membre ce théologien.* *C'est que pour le* « *Responsable* » *de l'Église catholique,* « *Episcopus Ecclesiæ catholicæ* »*, le théologien, le docteur, le saint, le génie en question a une valeur et une importance excep­tionnelles. C'est que son œuvre, est pour l'Église un don du Christ tout à fait éminent, qu'elle se doit et lui doit d'en reconnaître le prix ; c'est qu'il faut l'étudier à fond, que cela importe beaucoup à l'intelligence de la foi, à la défense de la vérité catholique, à la solution des problèmes d'aujourd'hui comme de ceux d'autre­fois, c'est que sa doctrine est singulièrement accueillante, capable d'assimiler et d'intégrer des vérités que saint Thomas, non plus qu'un autre, ne pouvait connaître de son temps, des découvertes qu'il ne pouvait faire. C'est que, pour utiliser au mieux saint Thomas, il importe d'avoir enfin toutes ses œuvres critiquement éditées selon toutes les exigences de l'érudition moderne. Tel est évidemment le sens du geste de Paul VI.* *Nous avons vu qu'il cite plusieurs fois entre autres documents de ses prédécesseurs, l'encyclique* Studiorum ducem *sur saint Thomas* « *guide des études* »*. Rouvrons un instant cette encycli­que de Pie XI écrite à l'occasion du sixième centenaire de la canonisation du Saint en 1923. Aux yeux du Pape actuel elle n'est point périmée. La première partie célébrait la sainteté du Doc­teur angélique ; la seconde l'excellence de sa doctrine :* « *On comprend sans difficulté, disait Pie XI, l'excellence de sa doctrine dont l'autorité est étonnamment grande dans l'Église,* cujus quidem auctoritas in Ecclesia mirum quantum valet auctoritas. *Vraiment, Nos prédécesseurs comme d'une seule voix l'ont toujours exalté de leurs louanges.* » 89:83 *On peut se rendre compte de la vérité de cette affirmation de Pie XI en lisant par exemple* Sanctus Thomas Doctor communis Ecelesiæ*, où le Père Joachim Berthier* ([^17]) *a rassemblé les actes des Souverains Pontifes, bulles, encycliques, constitutions apos­toliques, brefs, lettres et discours relatifs à saint Thomas d'Aquin ; les témoignages des Conciles œcuméniques utilisant sa doctrine et l'incorporant pour ainsi dire à leurs définitions, ceux des évêques, des universités, des séminaires sollicitant des direc­tives pontificales, se félicitant de les avoir reçues ou promettant de les suivre fidèlement. C'est un concert impressionnant. De cette unanimité dans la louange nulle autre doctrine, sauf la doc­trine révélée elle-même, n'a jamais bénéficié dans l'Église.* *La suite du texte de Pie XI dans l'encyclique citée rappelait quelques témoignages significatifs d'Alexandre IV qui louait déjà la science de Thomas d'Aquin alors qu'il n'avait que 30 ans, de Jean XXII qui le canonisa, de saint Pie V qui le proclama Docteur de l'Église et l'appela le Docteur angélique.* « *Et sans vouloir suivre un à un les documents du siège apostolique qui sont innombrables, ajoutait Pie XI, nous rappelons avec bonheur que c'est grâce à l'autorité et au zèle de Léon XIII que l'ensei­gnement de l'Aquinate a revécu ; c'est là pour notre illustre pré­décesseur un si grand mérite que nous l'avons dit ailleurs* (*lettre* Officiorum omnium *du 1^er^ août 1922*)*, même s'il n'était pas l'auteur très sage de beaucoup d'actes et d'institutions remarquables, cela suffirait à la gloire immortelle de Léon.* » *Nous avons vu que la lettre de Paul VI commence par une dé­claration de même* *sens.* *Pie XI citait encore le motu proprio* Doctoris Angelici de Pie X : « *Depuis la bienheureuse mort du saint Docteur aucun concile n'a eu lieu dans l'Église où il n'ait apporté le secours de sa doctrine.* » *Il louait Benoît XV, son prédécesseur immédiat, d'avoir approuvé le canon 1366 du Code et poursuivait :* « *Pour nous, nous approuvons tellement les grandes louanges accordées à ce très divin génie que nous pensons que Thomas doit être appelé non seulement le* Docteur angélique *mais le* Docteur commun *ou universel de l'Église, car l'Église a fait sienne sa doctri­ne, ainsi que l'attestent les documents de toute sorte.* » 90:83 *Ce Docteur est à la fois* communis et singularissimus : *et* communis *dans l'intention de l'Église parce que* singularissimus *par grâce de Dieu. On ferait un autre volume des textes ponti­ficaux depuis l'encyclique* Studiorum ducem. *On sait bien que malgré tant d'interventions si insistantes et si autorisées, certaines résistances passives n'ont pas été se­couées, que, plus tard, n'ont pas été empêchées certaines désaf­fections, voire hostilités sourdes ou même déclarées, que des efforts concertés se déploient pour discréditer sous divers pré­textes celui que l'Église exalte, ne cesse d'exalter, pour réduire la Docteur commun à n'être plus qu'un docteur on théologien du commun, sinon pour le faire complètement oublier comme défi­nitivement* « *dépassé* »*. De cela aussi on pourrait faire un livre, et volumineux ! La mise en parallèle de cette histoire avec les recommandations des Papes et l'obéissance de ceux qui les écou­tent parlant ès qualités, ferait ressortir l'opposition.* Aujourd'hui beaucoup de gens qui n'ont guère lu saint Tho­mas ou qui, s'ils ont jamais ouvert ses livres, les ont vite refer­més, tiennent pour de l'entêtement la persévérance des chefs de l'Église au sujet de son Docteur. Ils voudraient la voir leur en proposer un autre et croient que cette substitution serait on ne peut plus avantageuse. L'Église n'est pas de cet avis. Paul PÉRAUD-CHAILLOT. 91:83 ### Théologie de l'histoire par R.-Th. CALMEL, o.p. *Dieu fait durer le monde en vue de l'accroissement du nom­bre des saints et de la perfec­tion extrêmement variée de la sainte Église du Christ.* QU'IL S'AGISSE des mystères de l'Incarnation, de la Rédemption, de la Grâce, qu'il s'agisse du mystère du gouvernement divin de l'histoire humaine, l'enseignement de la foi ne se laisse pas « rationaliser », réduire aux points de vue et aux mesures de la raison naturelle, à fortiori ne se laisse-t-il par déformer par les rêves orgueilleux d'une imagination exci­tée par les trois convoitises. *Animalis homo non percipit ea quae sunt Spiritus Dei :* l'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu ; pas plus du reste dans le domaine de l'action et de la conduite pratique que dans le domaine de la vérité spéculative. (I Cor. II, 14). -- Eh ! bien, au sujet de l'histoire, que nous dit l'enseignement de la foi ? Pourquoi Dieu fait-il durer le monde ? Serait-ce pour un but terrestre, afin que le monde s'améliore à mesure que se prolonge sa durée ? Serait-ce en vue de l'avènement lointain de quelques générations d'hommes privilégiés qui échapperaient enfin à la blessure du péché originel lors de la naissance, aux suites du péché originel pendant leur vie, -- à la concupiscence, à la douleur et à la mort, -- aux tentations du démon et aux scandales de la société ? Ou bien Dieu fait-il durer le monde, pour une fin qui dépasse infiniment le terrestre, en vue de l'accroissement du nombre des saints et de la perfection extrê­mement variée de la sainte Église du Christ ? 92:83 -- Est-ce en vue de la terre ou en vue du Paradis que se prolonge l'histoire de l'homme sur la terre ? -- La foi nous répond : en vue du Paradis, à cause des élus, et afin que resplendissent les riches­ses multiformes de la grâce du Christ. La foi, du reste, admet que l'histoire de l'homme sur la terre ait également une raison d'être pour la terre ; la foi reconnaît que le Seigneur Dieu veut aussi, par la propagation et la durée de notre espèce, permettre aux hommes de déployer leurs richesses naturelles, établir une civilisation moins désaccordée de leur dignité propre, améliorer dans une certaine mesure leur établissement passager ici-bas. Mais enfin ce n'est point là le but premier, essentiel, fondamen­tal de l'histoire humaine. Cette finalité terrestre est foncièrement subordonnée à la finalité céleste et surnaturelle ; elle ne peut prétendre s'y substituer ; elle ne peut être située droitement sinon en tenant compte de notre condition de pécheurs, bien loin de nous laisser égarer par l'espérance chimérique d'abolir cette condition. Et si Dieu fait durer le monde *propter electos* (à cause des élus), est-ce que les élus seront formés peut-être, quelque jour, en supprimant les épreuves dans leur adhésion au Christ, au lieu simplement, de les recevoir en action de grâces et de les faire fructifier en sainteté ? Une mutation millénariste deviendra-t-elle le partage des chrétiens dans une période à venir, de sorte que la condition douloureuse et militante consécutive à la pre­mière faute serait enfin abolie ? La foi nous répond que si l'histoire se prolonge *propter electos*, les élus viendront toujours au monde étant blessés en Adam et ne pouvant guérir que par leur conformité au Christ dans l'amour et par la croix. Que nous dit la foi sur le déroulement de notre histoire ? Que Jésus-Christ en est le maître souverain, car à lui seul a été remis le livre scellé ; lui seul brise les sceaux et tourne les pages (Apocalypse IV-VIII). En attendant la Parousie, la venue définitive, le Christ tout-puissant ne cesse de venir par les dou­ceurs sanctifiantes de sa miséricorde ou par les rigueurs de sa justice et de ses châtiments. Bien souvent les deux se trouvent mêlés ; bien souvent Jésus-Christ ne peut convertir et sanctifier une personne, une société ou une nation qu'il n'ait brisé durement son orgueil ou ne lui ait arraché sans merci les trésors et les délices en quoi elle mettait ses complaisances. 93:83 La foi nous révèle encore au sujet de l'histoire humaine que avant la Parousie l'une des venues du Christ qui sera la plus admirable, et même sans commune mesure avec les autres, sera marquée par la réintégration au sein de l'Église du peuple qui l'a renié pendant sa vie terrestre, mais qui n'en demeure pas moins le peuple choisi et dont il est né selon la chair : le peuple des enfants d'Abraham, de la sainte Vierge et des Apôtres. Cependant, et c'est encore l'un des enseignements de la foi, la conversion d'Israël n'empêchera point la généralisation de l'apostasie sur la face de la terre. (Rom., XI ne contredit pas II Thessal., II). Peut-être même y aura-t-il coïncidence ; peut-être dans l'époque des ténèbres enivrantes où l'ensemble des hommes se laissera glisser dans une apostasie euphorique, entraînés sans heurt par des prêtres illusionnés ou dévoyés, au sein d'ins­titutions anti-naturelles, peut-être dans cette époque du grand péché de la terre, éclatera le grand signe de l'amour de Jésus-Christ pour son peuple, par la conversion d'Israël infidèle. Quoi qu'il en soit du jour, de l'heure et des coïncidences nous devons tenir ferme les propositions premières que voici : le Seigneur vient ; Satan est toujours à l'œuvre ; Israël se convertira ; la grande apostasie qui se prépare graduellement réussira quel­que jour à étendre son empire aux dimensions de l'humanité ; cependant le Seigneur ne permettra jamais que rien ni personne puisse arracher de sa main les brebis que le Père lui a données. (Jo., X, 28). \*\*\* Certains à qui j'exposais cet enseignement de la foi l'ont trouvé plutôt décevant. Supposez, m'ont-ils répondu, supposez que nous soyons dans l'une de ces périodes où s'amoncellent visiblement les châtiments divins sur les nations apostates ; supposez que nous soyons témoins d'un affadissement généra­lisé du sel de la terre ; témoins d'une inconscience complète­ment imperméable au milieu de l'erreur, du mensonge et des vices ; enfin, témoins d'une immense tiédeur tranquille auprès de laquelle le relâchement des évêques d'Asie, dont parle l'Apocalypse, apparaît comme de l'héroïsme. Supposez que nous assistions à une grande répétition de l'apostasie générale : dans cette conjoncture que pouvons-nous tirer des enseignements que vous nous rappelez ? 94:83 Quoi que nous fassions arrêterons-nous la marée montante du mensonge et le sabotage de la cité qui, par le démantèlement des institutions naturelles, livre les hommes désarmés aux propagandes perverses et aux contraintes sour­noises ? Que peuvent des châteaux de sable sur le bord de la mer lorsque s'avance la marée formidable et ses vagues énor­mes ? -- Parler ainsi c'est poser mal la question ; c'est ne pas bien voir que nous raisonnons dans la foi sur l'histoire humaine. Par la foi, nous savons que l'histoire dure à cause des élus et que le Seigneur vient, soit par les fléaux de sa justice, soit par les consolations de sa miséricorde. Dès lors même si nous sommes dans une de ces périodes où le glissement dans les sables des fausses doctrines et l'enli­sement dans la perversion paraissent ne plus pouvoir être arrêtés, (à les considérer du moins dans leur ensemble) même alors, souvenons-nous que le Seigneur est présent, malgré les apparences ; comprenons bien qu'il nous demande de nous attacher à lui comme ses élus et de faire notre possible pour ai­der à la conversion ou à la persévérance des compagnons de lutte et d'infortune que nous pouvons atteindre ; aussi rares qu'ils soient, aussi découragés, aussi démunis qu'ils se sentent. Lorsque la soldatesque de Caïphe et de Pilate conduisait au Calvaire et à la Croix notre Sauveur Jésus-Christ, il n'était point demandé aux apôtres ni aux Saintes Femmes d'empêcher un supplice désormais inévitable, de s'opposer à l'apostasie d'un peuple qui ne pouvait plus être repris en main ; mais il était demandé aux fidèles du petit troupeau de ne pas craindre, de garder la foi, de persévérer dans l'amour, de se soutenir mutuel­lement, d'affirmer encore la mission divine du Crucifié. Saint Jean et sainte Véronique n'ont pas fait autre chose, ainsi, que le bon larron dont la conscience se soulevait à la dernière minute contre les blasphèmes de l'autre larron. L'exemple de saint Jean, de sainte Véronique, du bon larron me paraît suggérer convenablement la conduite à tenir par ceux qui croient lors­que sonne l'heure de la puissance des ténèbres. La Vierge Marie, debout au pied de la croix, nous donnera de savoir que les vendredi-saint, dans notre propre destinée comme dans les des­tinées du monde, ne sont permis que *propter electos*. 95:83 Faudrait-il nous retirer au désert lorsque nous constatons combien se rétrécit notre marge de liberté pour servir l'Église et défendre les institutions honnêtes ; lorsque nous ne pouvons plus avoir d'illusion sur la portée extrêmement restreinte de notre parole, de notre exemple, de notre action ; lorsque nous sommes insidieusement dépossédés, non seulement de notre mé­tier mais encore de notre droit à nous faire entendre, à ren­contrer nos frères, à nous réunir ? Dans ces circonstances, nous pouvons nous retirer au désert si telle est notre vocation. Mais nous devons continuer notre service, aussi limité soit-il, si notre vocation n'est pas celle des ermites. Sainte Véronique ne s'est pas enfermée dans sa cellule lorsque les déchaînements des furieux, les perfides et les lâches avançaient vers la consom­mation de l'iniquité ; elle s'est glissée vers le Seigneur malgré la foule et la soldatesque, elle a essuyé la face divine. C'est peut-être le seul geste que puisse accomplir le chrétien à cer­taines périodes de l'histoire. Qu'il l'accomplisse donc au lieu de rêver de se retirer au désert lorsque sa vocation est de s'avancer audacieusement et de rendre témoignage. Une telle attitude est possible si nous nous souvenons que l'histoire dure *propter electos ;* si nous considérons par rap­port à Jésus-Christ et à l'éternité, et non pas d'abord, par rap­port à ce monde, la période qui est la nôtre dans l'histoire de ce monde ; si nous savons que, même dans les grands châti­ments ; et même dans l'apostasie générale de la fin des siècles, le Seigneur vient et rien ni personne ne l'empêchera de rejoindre ses élus. R.-Th. CALMEL, o. p. 96:83 ### En marge de Platon par J.-B. MORVAN LA DÉFENSE DE L'HUMANISME est un mol oreiller pour les têtes bien faites ; beaucoup s'y endorment. Et ceux qui ont mission de défendre les « humanités » répè­tent les mêmes textes sans jamais mesurer la distance qui grandit entre les œuvres classiques et le monde présent. La logique, l'enchaînement des idées, les rapports de valeur que ces œuvres nous présentent constamment, forment les structures d'un univers livresque ; on ne se soucie guère de savoir si ce monde intellectuel nous intéresse s'il nous justifie ou nous condamne Les grands classiques sont en­fermés derrière des grillages, des barreaux clos de cadenas vigilants et sûrs ; les intellectuels trouvent normal qu'ils soient là, comme les promeneurs du zoo finissent par consi­dérer la cage ou la fosse ; comme le milieu géographique naturel de la panthère ou de l'ours brun. On les connaît par leurs étiquettes, et notre culture se vante de cette con­naissance avec une parfaite hypocrisie, mêlée de silence intérieur, de paresse et de restrictions mentales. Je lisais l'autre jour ce passage du « Phédon » : « Des milliers de tracas nous sont fournis par le corps, parce ne nous sommes obligés de le nourrir ; si, de plus, des mala­dies surviennent, elles nous gênent dans notre recherche de la vérité. Amours, désirs, craintes, visions de tout genre et niaiseries, il nous en emplit si bien, que par sa faute il ne nous est plus jamais possible de concevoir une pensée rai­sonnable. Et, de fait, les guerres, les querelles et les com­bats n'ont pas d'autre origine que le corps et ses désirs. C'est pour acquérir des richesses que se produisent toutes les guerres, et c'est le corps qui nous oblige à nous procurer ces richesses, attachés que nous sommes à le servir comme des esclaves ; et, par sa faute, nous n'avons pas le loisir de philosopher occupés par tous ces divertissements. Mais le comble, c'est que, si même il nous laisse quelque loisir, et si nous nous mettons à réfléchir à certain problème, de nouveau suscitant à l'improviste du trouble et du désordre dans toutes nos enquêtes, il nous étourdit au point que nous sommes incapables par sa faute de contempler la vé­rité. » 97:83 Ce texte, à première vue, ne paraît pas très attachant ; peut s'en faut qu'il ne semble ennuyeux. On y voit la source de quantité de lieux communs inlassablement repris par les moralistes et les rhéteurs : en somme, un déballage de vé­rités premières. Mais laquelle de ces vérités, dans le monde présent, peut encore être considérée comme indiscutable et essentielle ? Personne n'ose aujourd'hui mettre en cause la valeur du « soin du corps » -- Cette « thérapéia » devient même un absolu ; elle est sacrée, au milieu de la sacralisation uni­verselle de la matière et du charnel. Elle a sa poésie, ses devises, son lyrisme propre, depuis l'eau qui fait maigrir jusqu'aux doctes dissertations sur l'équilibre du couple. Un collègue, chargé d'enseigner l'histoire dans les classes dites terminales m'avoue ses scrupules devant un chapitre im­primé relatif à la démographie, et craint que ses élèves des deux sexes ne lui demandent des précisions sur la diffé­rence entre les contraceptifs et les anticonceptionnels. Mê­me avec Platon pour garant, aurons-nous le droit de juxta­poser dans la même case : « ...amours, désirs, visions et niaiseries » ? Nous le pourrons à condition de n'y faire passer aucune réprobation ; bien au contraire ! Nous ne saurions en effet revendiquer devant cette invasion la liber­té intérieure indispensable pour philosopher, car tous ces termes concernent des sujets désormais promus à la dignité de matière philosophique, et le public trouve dans leur vul­garisation une preuve de la dignité humaine : quelque chose comme l'esprit médical défini par le Dr Knock. Le Siècle est impie, mais pas en médecine, pour parler comme le valet de Don Juan ; le malade imaginaire est devenu un être collectif et par là mérite le respect. Quant aux « vi­sions » et aux « niaiseries » voisinant avec les « désirs » et les « craintes », la psychanalyse les a fait entrer dans le domaine de la philosophie, qui en sera occupée si longuement qu'elle n'aura plus le loisir de discuter d'autres sujets. Platon déplore ensuite que le corps et ses désirs engen­drent « les guerres, les querelles et les combats », pour « l'acquisition des richesses ». Là encore, on ne reconnaît plus au philosophe le droit de s'indigner. Il est entendu que toutes les fois que notre siècle, parle des « Khrêmata », il ne saurait employer le mot de « richesses » : un voca­bulaire proliférant nous offre « ressources » « biens de consommation » « standing », et bien d'autres mots. Car personne n'avoue volontiers être riche ou posséder des ri­chesses. La multiplication des termes équivalents, mais pudiques, pourrait tenter le psychologue s'il s'avisait de devenir moraliste, ce qui est de moins en moins fréquent. La revendication de ces biens matériels peut d'ailleurs être diversement jugée : suivant ce qu'on est, les choses changent de nom ; et certains noms sont affreux, tel celui d' « espace vital » cher au III^e^ Reich. D'autres, avec la même signification, sont vénérables et sacrés. 98:83 Sur ce point, le philosophe se trouve aujourd'hui en proie à une contrainte intérieure, une sorte d'impératif al­truiste passé à l'état mécanique et pourvu d'une énorme puissance d'intimidation : quand on fait mention des biens matériels, il est toujours entendu qu'il s'agit de ceux des autres, des classes prolétariennes, des peuples sous-déve­loppés. Si nous suggérons que les aspirations de l'homme ne doivent pas se limiter a l'acquisition de ces biens-là, nous nous verrons toujours reprocher de tenter une diver­sion capitaliste et rétrograde, de vouloir protéger la con­sommation personnelle et égoïste de nos propres « riches­ses ». Et tout s'enchaîne avec une parfaite logique, qui ne détruit pas celle de Platon. Les doctrines officielles ne pré­tendent pas, ou ne prétendent plus, que les « guerres et les combats » les « querelles » (« staseis » peut signifier aussi : les guerres civiles) sont étrangères à l'acquisition reven­dicative des biens de consommation. Le pacifisme, et la thèse de la nature essentiellement capitaliste des guerres, n'auront été ou n'est encore, qu'une hypocrisie provisoire de la dialectique. Les guerres, « polémoi », au service des tripes, « sôma », sont justes et nécessaires, régulières iné­luctables, essentielles. Ventre affamé n'a point d'oreilles, ni de cœur, ni de cerveau, et n'en doit point avoir. On s'est contenté jusqu'ici de la guerre pour l'estomac : je m'en étonne. Dans tout ce que Platon appelait les « épithumiai », les distinctions ne peuvent être que futiles et passagères, et je ne vois pas pourquoi on se priverait de glorifier la guerre sexuelle. Le viol des femmes blanches du Congo par la soldatesque noire lumumbiste n'a pas encore trouvé ses panégyristes. J'en préviens charitablement les penseurs progressistes, mais certains ont dû déjà y songer, et les œuvres attendent sans doute dans les cartons le temps de triompher en plein jour. Tels sont les aspects de la guerre du corps. Les « polémoï » et les « staseis » sont unies sous une même dénomination : la guerre révolutionnaire. « Attachés que nous sommes à servir le corps comme des esclaves... » L'idée de cet esclavage révoltait Platon. Il est aujourd'hui la seule chose ne doive point révolter. L'esclavage, « to douleueïn » devient la forme nécessaire de la société. Aucun Spartacus ne l'affrontera avec ses gla­diateurs, car le maître est invisible et intérieur. Il serait inutile de nous faire porter chaînes et boulets : il suffit qu'on nous ait persuades que l'esclavage est en nous à l'état biologique, et que nous ne saurions lutter contre lui sans attenter à nous-mêmes. 99:83 Le système est clos, et on peut dire que rien dans la philosophie marxiste et progressiste ne contredit à la théorie de Platon. Celle-ci trouve même une cohérence que le philosophe grec n'y mettait pas : les différents éléments dénoncés par lui étaient tous marqués d'un signe de désordre, de diversité de contradiction, com­me s'opposant à la « pensée raisonnable ». Et voici que cette pensée raisonnable a tort, ou qu'elle n'est plus que fumée. Le loisir que Platon réclame à la fin du passage sera trouvé mauvais, caractéristique d'une pensée bour­geoise, et considéré comme un vol au préjudice de la com­munauté établie sur la religion du corps, du « sôma ». La contemplation est une tentation punissable. Qu'on ne nous dise pas qu'un « ordre nouveau » fondé sur la systématisation des besoins physiques laisse la place à une expérience personnelle de l'ascèse et du renoncement : « Adorez-le dans l'âme et n'en témoignez rien. » Toute attitude de contradiction, fût-elle muette, risquerait d'être contagieuse, le système a besoin d'acclamations et ne ces­sera pas de les requérir. Il est inutile donc d'enseigner les « humanités » si l'on doit admettre en principe que dans la vie sociale les disciples vivront selon des normes abso­lument contraires au désir de Platon. Il est possible cepen­dant qu'il y ait des arrière-pensées. Les crises du système peuvent amener de temps a autre un appel à un certain ascétisme collectif : le stakhanovisme, le pseudo-stoïcisme marxiste qui prêche la ceinture serrée de plusieurs crans en faveur de l'obtention des « richesses » à venir, l'austé­rité de Ben Bella et quelques autres. Cette austérité qui servait au stoïcien à reprendre conscience de sa person­nalité trouve sa caricature, comme toutes les autres no­tions, dans le grand système, inversé. Nous refusons de nous engager dans l'entreprise, même s'il nous faut d'une certaine manière récrire les « Mémoi­res d'un propre à rien » d'Eichendorff. Il faut introduire le sabotage dans le système. Et tout d'abord l'humaniste doit se refuser à une notion totalitaire du temps et de l'urgence. Qu'il donne son obole pour les besoins massifs, à condition de ne pas se laisser leurrer par leur prétendue massivité. A ce propos les « micro-réalisations » du Secours catholique sont des plus riches d'enseignements : et le secours collectif doit toujours finir par être personnel ou bien il n'est rien. Mais que l'intellectuel revendique la liberté d'un travail pour lequel les mots d' « aujourd'hui » et de « demain » n'ont pas la même valeur que dans les campagnes de presse. L'homme reste persuadé du caractère précieux de sa vie ; le dialogue avec lui ne doit pas être le faux dialogue où le Toi et le Moi seraient effacés. 100:83 On peut toujours faire sentir qu'une fausse conception des « richesses » perd le temps de l'homme en l'accaparant pour le « corps », le « sôma » collectif, en ignorant déli­bérément cette parcelle précieuse de son destin dont il sent bien, au fond de lui-même, qu'elle est inaliénable, et que le mot « hier » n'y est pas seulement une heure révolue et descendue dans le néant. Il n'est pas jusqu'à la conception horatienne de l' « aurea mediocritas » qui ne puisse reprendre un sens nouveau : une situation de l'homme où il ne serait plus noyé dans l'anonymat, mais doué du pouvoir d'être un « milieu », un centre, un carrefour vivant entre des hommes et des choses, un « hier » et un « de­main » qui retrouveraient ainsi leur valeur. L'or de cette « médiocrité dorée », c'est le véritable art de vivre, artis­tement, artisanalement avec une part d'initiatives propres et de durée personnelle. L'intellectuel se doit de songer à ce pain-là en même temps qu'à l'autre. Le dynamisme révolutionnaire et collectiviste compte bien nous l'inter­dire : il nous faudra nous passer de sa permission. L'humanisme se trouve alors obligé de lutter contre une certaine conception de la vie imprégnée, de la dialectique ternaire née de l'hégélianisme vulgarisé. L'action qui sup­pose une antithèse prévue d'avance est sournoisement faus­sée dans sa valeur humaine, frustrée à la fois de son rêve de perfection et de sa sincérité. Cette conception rend la pensée tortueuse. Simplifions-nous outrancièrement ? Il ne convient pas d'ignorer que les tenants des idées révolu­tionnaires ont toujours conçu leur diffusion comme « dé­mocratique », dans des « mass-média » qui s'appellent toujours Homais, Bouvard et Pécuchet. Force est de voir les rapports de l'homme à morale classique avec l'homme à morale « dialectique » sont faussés à l'origine ; ainsi que ses rapports avec l'État, s'il adopte le dogme révolutionnaire. Pour l'État comme pour l'homme, la mo­rale dialectique est souvent le masque pompeux de ses incertitudes et de ses carences ; pour l'homme personnel, elle est distension intérieure, et alibi. Qu'importe la thèse ? Demain l'antithèse et la synthèse raseront gratis... Alors que pour l'homme à morale classique, la thèse est en elle-même le mérite ou la faute. La morale dialectique est prête à tromper le prochain pour son bien. On comprend certains dédains envers le patrimoine moral de l'humanis­me occidental ; on comprend très bien aussi que ses enne­mis veulent le conserver dans une masse cultivée mais non initiée, promise au rôle de dupes. Le jour où on libérera les écrivains grecs et latins de leur cage scolaire, ces fauves lâchés risqueront de faire quelques ravages. Jean-Baptiste MORVAN. 101:83 ### L'Ascension LE CHRIST S'ÉTAIT RESSUSCITÉ d'entre les morts. Il avait prouvé qu'il possédait la puissance de « laisser son âme et de la reprendre ». C'était là une puissance divine. Mais il avait prouvé aussi qu'une âme d'homme (comme était la sienne) subsistait après la mort ; puis­qu'elle pouvait durer en l'absence de son corps. Ensuite pendant quarante jours Jésus se montra aux apôtres, aux saintes femmes, enfin dit saint Paul « à plus de cinq cents frères à la fois dont la plupart vivent encore... Et en der­nier de tous, comme à l'avorton, il est apparu aussi à moi... ». (Cor. XV.) Ce fut une vie étrange que celle de Jésus pendant ces quarante jours. Pour montrer à ses disciples qu'il était bien vivant avec un corps naturel, il leur demande de la nourriture ; « *les apôtres lui donnèrent un peu de poisson grillé qu'il prit et mangea en leur présence* ». (Luc, 24.) Au bord du lac de Tibériade, lui-même leur prépare sur la braise un repas de poisson et de pain. Le jour même de l'Ascension il mange avec eux. Or avec ce même corps naturel, Jésus vint et se tint au milieu des disciples, « *les portes étant fermées par crainte des Juifs* ». Ce corps humain et naturel qui pouvait prendre de la nourriture était dans un autre état depuis la résurrection. 102:83 Il était *subtil*. Nous ne disons pas : glo­rieux, car il l'avait toujours été. Mais Jésus cachait cette gloire qu'il tenait de son union au Verbe éternel, afin que parût seulement son humanité. Il avait montré cette gloire une seule fois, sur le Thabor, lors de la Transfiguration, pour fortifier la foi de ses principaux apôtres. Il avait alors avec lui Pierre, Jacques et Jean, les mêmes qui devaient assister à son agonie. Et descendant de la montagne « *Il leur défendit de raconter à personne ce qu'ils avaient vu, si ce n'est quand le Fils de l'homme serait ressuscité des morts* »*. Et ils gardèrent la recommandation, se demandant entre eux ce que signifiait* « *quand il serait ressuscité des morts* » (Marc, 9). Ils ne se firent pas faute d'en parler après Pâques mais à leur joie et à leur étonnement se mêla une crainte révérencielle devant un mystère dont le développement était encore inachevé. Au bord du lac de Tibériade, devant le repas préparé par Jésus, après le coup de filet miracu­leux indiqué par lui, « *aucun des disciples n'osait lui de­mander :* « *Qui es-tu ?* »*, sachant bien que c'était le Sei­gneur* ». Les disciples d'Emmaüs non plus ne l'avaient pas d'abord reconnu. Depuis sa résurrection, ce corps de Jésus, devenu subtil et toujours glorieux avait un aspect nouveau. Les disciples avaient connu un homme cuit par le soleil, amaigri par la pénitence, par les longues courses à pied d'un bout à l'autre de la Palestine. Ils l'avaient recueilli, au soir du Vendredi Saint, couvert de plaies, le front ensan­glanté, le visage tuméfié par les claques et les coups, les orbites creusées, avec tous les stigmates de la mort. Ils retrouvaient un homme dans la splendeur de l'âge parfait avec un je ne sais quoi de jamais vu et d'inexplicable. Jésus leur donnait un avant-goût de l'éternité par un miracle nouveau, une présence réelle analogue à celle de l'Eucharistie. Après sa Résurrection Jésus appartenait dès lors à l'éternité corps et âme, et pourtant il vivait dans le temps, ce que nous voyons se répéter à la Sainte Messe. Le temps est matériel. C'est une certaine manière d'être particulière du monde créé. Nous n'essaierons pas de le définir, car on ne peut le faire sans tautologie. Si je dis succession, le temps y est impliqué ; si je dis changement ou progrès, de même. De plus on confond souvent le temps et la durée. Or la durée est une notion psychologique qui s'applique à l'homme seulement. 103:83 Liée au temps par son corps et ce que les sens lui en rapportent ; l'âme intempo­relle se débat avec lui ; tantôt le temps a fui pour elle comme un éclair et le lever du soleil et son coucher se touchent ; tantôt les heures paraissent ne devoir jamais finir. C'est la durée. L'âme est faite pour l'éternité, elle est toujours à l'étroit dans le temps. Son vrai bien est l'amour de Dieu et ce qu'elle peut faire de mieux en cette vie est de s'y fixer le plus tôt possible. Le temps alors est ce que Dieu veut, un des biens de l'existence. Nous ne définirons pas non plus l'éternité : c'est un autre état indéfinissable. On essaie de se la figurer comme une durée continue et sans changement. Mais c'est là une idée *temporelle* d'un état *intemporel* et beaucoup d'esprits se heurtent à ce propos à l'éternité des peines de l'enfer. Or nous changeons d'état à la mort. Nous quittons le temps. Le nouvel état dans lequel nous entrons n'a aucun rapport de qualité avec lui. La durée sans fin des peines vient d'une idée fausse de l'éternité, qui est un état nouveau incomparable au temps et où il est inutile de chercher du temps. Les Apôtres ressentaient donc le mystère de cette pré­sence temporelle du Christ ressuscité avec quelqu'effroi se­cret. Ils avaient vu Jésus mort, et dans quelles conditions lamentables, traversé de clous, percé de la lance ; ils le retrouvaient d'une beauté étonnante, presque méconnaissa­ble, mangeant avec eux, mais traversant les murs comme il eut traversé le brouillard. Qui n'eut frémi devant cette affirmation d'une toute puissance divine maîtresse de tou­tes choses ? Or ils attendaient toujours la réalisation des vues mes­sianiques sur le royaume de Dieu, entendu par les Juifs comme une restauration de celui de David. « Comme il mangeait avec eux il leur enjoignit de ne pas s'éloigner de Jérusalem mais d'y attendre « *ce que le Père avait promis, comme vous l'avez appris de moi* »*, dit-il ;* « *Jean a baptisé dans l'eau, mais vous, c'est en l'Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours* ». Eux donc, s'étant rassemblés, l'interrogèrent disant : « Seigneur, est-ce en ce temps que tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Il leur dit : « Ce n'est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ; mais vous recevrez la force du Saint-Esprit venant en vous et vous serez mes témoins à Jérusalem et dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'au bout de la terre. » 104:83 Les apôtres étaient donc bien loin de comprendre les vues de Dieu ; ils ne se doutaient pas que jusqu'à la fin des temps continuerait ce qu'ils avaient vu, pendant la vie publique et la Passion du Christ ; c'est-à-dire la persécution du juste et des innocents par le monde. (Quel temps en vit plus de preuves que le nôtre ? En Russie, en Allemagne, en France ?) Ils ne comprenaient pas encore, quoi que Jésus leur en eût dit, que le royaume de Dieu devait commencer au-dedans de nous pour se réaliser ensuite dans l'éternité. Or le pourquoi de l'intervalle qui sépare l'Ascension de la Pentecôte est là. Sans doute c'est toujours la Trinité Sainte qui agit, soit que Jésus paraisse seul, ou le Saint-Esprit. C'est dans l'intime de Dieu que le rôle personnel du Verbe et de l'Esprit est entièrement distinct, parce qu'Il nous l'a révélé. Mais le Verbe incarné a voulu montrer clairement par son Ascension séparée de la Pentecôte ce qui attendait tout corps humain comme le sien. Il a résumé en sa vie terrestre l'histoire même de notre propre corps, sa naissance, son appel, la tentation, la mort, et ce qui doit suivre pour nous comme pour lui, la résurrection et la gloire... si nous ne refusons pas ses grâces. « Et il était enlevé au ciel. Et eux s'étant prosternés devant lui retournèrent à Jérusalem avec une grande joie. Et ils étaient continuellement dans le temple, bénissant Dieu » (Luc, 21). Dans l'Ascension ils voyaient justement avec la gloire du Christ, la gloire qui attendait les disciples fidèles, et qui avait été prédite par le Christ avec une force singulière car saint Jean rapporte à la fin de son dix-septième chapitre la prière que voici : « Père, ce que tu m'as donné, je veux qu'où je suis, ceux-là aussi soient avec moi, afin qu'ils voient la gloire que tu m'as donnée... » « *Je veux*. » C'est l'unique fois où Jésus tient ce lan­gage. Dieu exauçait toujours ses prières, bien entendu. En ressuscitant Lazare, Jésus s'écrie : « Père, je vous rends grâce de ce que vous m'avez exaucé. Je sais, pour moi, que vous m'exaucez toujours... » Dans le discours après la Cène, à maintes reprises Jésus s'adresse au Père en disant : « Je vous prie » ou « *Je ne vous prie pas* de les tirer du mon­de... » 105:83 En cet endroit seul pour affirmer le sort futur des fidè­les, corps et âmes, il dit « *Je veux* ». Il allait « *nous préparer une place* ». Ô mystère ! ô gloire ! ô amplitude de la foi ! Nous avançons péniblement dans la vie au milieu des épreuves personnelles, familiales, patriotiques et humaines. Nous voici au pied du tombeau de Lazare, prêts à tout âge, à ce qu'on nous y place nous-mêmes, et Jésus nous dit : « Je suis la résurrection et la vie ; qui croit en moi, même s'il est mort, vivra ; et quiconque croit en moi ne mourra point pour toujours. » Pour célébrer dignement ce mystère de l'Ascension, em­pruntons la voix du Père Emmanuel dans ses *Méditations pour tous les jours de l'année liturgique* ([^18]). Le mercredi ...... Comme un divin soleil, il s'est levé sur nous, naissant de la Vierge Marie ; il a répandu dans le monde entier sa lumière et sa chaleur, lumière de la foi, chaleur de la cha­rité... Ô Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils ! C'était une prière de Jésus avant sa mort et il nous est bon de la répéter avant son Ascension : ô Père l'heure est venue, glorifiez votre Fils ! Le jeudi Aujourd'hui Jésus est entré dans sa gloire aujourd'hui notre chair a été exaltée à la droite du Père aujourd'hui, en lui et avec lui, nous avons pris possession du Paradis. Alleluia ! Qu'il était beau à voir, Jésus ressuscité, quand, réu­nissant autour de lui ses apôtres, ses fidèles, les pieuses femmes qui l'avaient servi, et avec elles la bénite Vierge sa Mère, il leur annonça qu'il allait remonter dans les cieux. Qu'il était beau à voir ! Alleluia ! \*\*\* 106:83 Il les mena sur une montagne, il étendit sur eux les mains, il les bénit, et les bénissant il commença à ne plus toucher la terre. Qu'il était beau à voir, Jésus ne touchant plus à la terre. Alleluia ! Il s'éleva doucement, majestueusement, triomphale­ment ; ils le virent longtemps, ne le virent plus, et néan­moins ils le regardaient toujours. Qu'il était beau, qu'il était grand, Jésus dans les cieux, à la droite du Père. Alleluia ! D. MINIMUS. 107:83 ## DIALOGUE ### Avec l'abbé Haubtmann, autour de « Mater et Magistra » et du latin ENTRE la première édition de son commentaire sur *Mater et Magistra*, qui parut en 1961, et la cinquiè­me, qui vient de sortir en 1964, « entièrement re­fondue », largement augmentée et complétée ([^19]), l'abbé Pierre Haubtmann a été nommé directeur adjoint du secrétariat de l'épiscopat et directeur du secrétariat natio­nal de l'information religieuse. Redoutable fonction, celle qui consiste en somme à distribuer, à traduire, à guider l'information par mandat officiel. Je connais fort peu l'abbé Haubtmann, et pas du tout le directeur du secrétariat na­tional de l'information religieuse : l'activité de celui-ci concerne surtout, si j'ai bien compris, les publications de masse, et fait aux revues de culture générale et de recher­che la grâce de les laisser en dehors de sa stratégie. Mais je connais bien le commentateur de *Mater et Magistra*, et j'estime beaucoup sa spontanéité, son sérieux, sa liberté d'allure et de pensée, son absence de préjugés, sa bonne grâce dans les désaccords et sa simplicité dans les conver­gences. Son commentaire, encore dans la nouvelle édition, n'est pas d'un personnage officiel ; il est très personnel, entièrement situé au plan de la libre recherche, de l'étude scientifique, de la discussion honnête ; il n'impose rien qu'à la mesure des raisons qu'il avance, et qu'il offre à l'examen contradictoire. Cela permet la conversation. Et, puisque l'abbé Haubtmann m'y engage, m'y invite et m'y précède, c'est très volontiers que je me prépare à l'y suivre, et à entreprendre, ou plutôt à continuer, le dialogue avec le principal commentateur français de *Mater et Magistra*. 108:83 #### I.  La cinquième édition s'enrichit de la connaissance de Pacem in terris, fréquemment utilisée pour commenter *Ma­ter et Magistra :* l'abbé Haubtmann ouvre ainsi une voie dans laquelle il faudra passer, et dans les deux sens. On n'avait pas encore commenté *Mater et Magistra* à la lumière de *Pacem in terris ;* on n'a pas suffisamment commenté *Pacem in terris* à la lumière de *Mater et Magistra*. Ni l'une ni l'autre ne sauraient désormais être étudiées isolément ; elles sont complémentaires. L'abbé Haubtmann utilise aussi les divers commentaires sur *Mater et Magistra* publiés entre 1961 et 1963. Il n'a pas pu connaître, pour une raison chronologique, le monumental commentaire du P. Paul-Émile Bolté, de la Faculté de théologie de Montréal, dont la publication est à peine commencée dans la revue *Studia Montis Regis*, et dont la partie déjà publiée ne va pour le moment que jusqu'au § 50 de l'Encyclique. En revanche il fait état fréquemment des travaux produits par les Pères de l'Action populaire, avec toutefois une différence d'accent ou une nuance d'esprit que je perçois (ce n'est peut-être qu'une impression) mais que je n'arrive pas à situer ni à définir. Il ignore Salleron comme il ignore La Tour du Pin, et je suppose deux motifs à cette omission et à ce déficit. Le premier est une certaine notion du droit naturel, et une réticence devant cette notion, qui le placent d'emblée dans un autre registre de pensée. Je contesterais volontiers la lecture que l'abbé Haubtmann fait de saint Thomas sur ce point. Mais une autre fois. Peut-être quelqu'un comme le P. Golfin aura-t-il l'inspiration d'en parler dans la *Revue thomiste*. En gros, et en attendant, je renvoie le lecteur que ce point intéresse au *Droit naturel* du P. Fuchs ([^20]). Le second motif est la visée de l'abbé Haubtmann, telle du moins qu'elle m'apparaît. De sa première édition, j'écrivais en 1962 qu'elle était susceptible de « faire con­naître la doctrine de l'Église dans les milieux, même catho­liques, où l'influence du socialisme et les passions politiques ont, par leur langage, leurs préjugés, leurs intolérances, accumulé les obstacles intellectuels ». 109:83 Et je notais : « Ces obstacles, le commentaire de l'abbé Haubtmann s'applique à les tourner sans les bousculer. » Cette dernière remarque peut être tenue, selon le point de vue, pour un éloge ou pour une réserve. Toujours est-il que l'abbé Haubtmann -- à son insu peut-être -- s'adresse en fait constamment au lecteur plus ou moins « socialiste » s'appliquant à lui expliquer la doctrine dans son langage et sans le choquer. J'ignore si tel était le dessein conscient de l'abbé Haubt­mann, ou s'il l'a fait sans bien s'en rendre compte. Mais son texte est assurément en prise directe sur les esprits qui, notamment dans l'Action catholique, sont plus ou moins séduits ou impressionnés par les mythes actuels de la « construction du socialisme ». Pour eux, son livre est effectivement un bon « instrument de travail » et peut-être le seul qui soit de plain-pied avec leurs idéologies et leur « mentalité » et qui puisse éventuellement les faire réflé­chir sans les secouer. C'est une méthode pédagogique. Ce n'est pas la seule. Peut-être est-elle à la fois utile et insuffi­sante. Je n'en discute pas pour le moment. Simplement j'y vois l'un des motifs (supposés) pour lesquels l'abbé Haubt­mann n'a rien puisé, même au chapitre de la propriété, chez La Tour du Pin ni chez Salleron. Or, comme Salleron précisément l'a montré, La Tour du Pin est plus proche encore de *Mater et Magistra* que de *Quadragesimo anno*, plus actuel encore en 1964 qu'en 1931, et finalement plus voisin -- par-delà les différences de langage et d'époque -- de l'abbé Haubtmann que l'abbé Haubtmann ne l'imagine sans doute. Ce que Salleron lui-même a écrit sur *Mater et Magistra*, et aussi, d'autre part, son grand ouvrage : *Six études sur la propriété collective* ([^21])*,* auraient apporté plus d'un point de vue précieux à l'abbé Haubtmann, si son commentaire avait été moins exclusivement « ouvert à gauche ». Ouverture qui est psychologique et pédagogique, non point politique ; et qui est peut-être plus spontanée que délibérée. Mais enfin le livre de l'abbé Haubtmann, je ne sais s'il en a conscience, n'est ni en prise directe ni de plain-pied avec tous les chrétiens (ils constituent tou­jours, en dehors de l'Action catholique, la grande majorité) qui ne sont ni impressionnés, ni séduits, ni même tentés par les mythes de la « construction du socialisme ». 110:83 Parmi eux, le livre de l'abbé Haubtmann risque de n'être pas du tout considéré et reçu comme un « instrument de travail », mais plutôt comme un objet de discussion, voire de contes­tation. Avec cette différence, qui distingue l'abbé Haubt­mann de beaucoup d'autres docteurs contemporains, et qui est à son honneur : c'est que les divergences ne prennent pas chez lui la forme d'exclusions, d'anathèmes, d'excom­munications ; et qu'avec lui, « s'accepter différents et se vouloir complémentaires » est immédiatement favorisé par son absence évidente de sectarisme, de préjugés contre les personnes qui n'appartiennent pas exactement à son univers mental. #### II.  L'univers mental de l'abbé Haubtmann -- je parle évi­demment de l'auteur du commentaire, non du personnage officiel ni de la personne privée -- est celui de la philoso­phie moderne telle surtout qu'elle s'est développée depuis le XIX^e^ siècle. Il en a le langage et les pentes intellectuelles, quoique d'une manière distincte de celle du P. Calvez ou de celle du P. Fessard. Comme eux, il reste assez extérieur aux concepts de la philosophie traditionnelle, même quand il s'efforce de les adopter ou de les utiliser. Là se trouve aussi l'intérêt puissant de son ouvrage, analogue au puis­sant intérêt des travaux du P. Calvez et du P. Fessard sur les documents pontificaux, avec lesquels l'abbé Haubtmann a tant de ressemblances et tant de différences : la *Libre méditation sur un message de Pie XII* du P. Gaston Fes­sard ([^22]) et entre autres ouvrages du P. Jean-Yves Calvez, son récent opuscule : *L'enseignement social de Jean XXIII* ([^23]). Les pentes intellectuelles et le langage de la philosophie moderne, par leur propre poids, entraînent l'esprit en dehors ou aux antipodes de la doctrine chrétienne, notam­ment en matière de doctrine sociale. Or voici trois com­mentateurs, le P. Calvez, le P. Fessard, l'abbé Haubtmann, personnellement très différents, très semblables pourtant par une commune appartenance à l'univers intellectuel de la philosophie moderne, qui exposent et commentent la doctrine sociale de l'Église sans la saccager. 111:83 Bien entendu, je ne suis aucunement juge de leur orthodoxie, ni pour l'affirmer ni pour la nier. Je dis ce qu'il me semble. Il me semble que la doctrine sociale de l'Église s'exprime mieux, plus aisément, avec plus d'exactitude dans le langage et les concepts de la philosophie « thomiste ». Mais il me semble aussi que, chacun de son côté et avec son génie propre, l'abbé Haubtmann, le P. Fessard, le P. Calvez arrivent à exprimer la doctrine sociale de l'Église, sans la trahir, dans un langage et des concepts empruntés à la philosophie moderne. Il est d'ailleurs remarquable qu'ils ne croient pas pouvoir se passer absolument de l'instrument scolas­tique traditionnel : ils y ont recours d'une manière ou d'une autre, inévitablement ; mais approximativement : le P. Golfin dans la *Revue thomiste*, le P. Dognin dans la *Revue des sciences philosophiques et théologiques* du Saulchoir, ont critiqué le P. Calvez à cet égard, et je crois qu'ils pour­raient élever des critiques assez semblables à l'égard de l'abbé Haubtmann. Il est cependant déjà très positif de constater que ni l'abbé Haubtmann, ni le P. Calvez, ni même le P. Fessard ne peuvent éviter radicalement d'avoir recours au langage et aux concepts de la philosophie « thomiste » pour exposer la doctrine sociale de l'Église. Et il est éga­lement positif de suivre l'effort contre nature -- contre sa nature -- qu'ils imposent (à leur insu peut-être ?) à la philosophie moderne, pour faire servir son langage à un exposé de la doctrine chrétienne qui demeure dans l'en­semble et malgré cela, en intention, en esprit, en fait, un exposé fidèle. La notion d'ordre naturel n'est pas claire chez l'abbé Haubtmann, pour cette raison. Il admet bien (p. 113) qu' « ordre naturel », « loi naturelle » et « ordre moral » sont « lorsqu'il s'agit de la société humaine, des notions inséparables et presque interchangeables » : il n'ose pas dire équivalentes. Il admet bien, en théorie, que l'ordre naturel est d' « essence morale » (p. 112). Mais il n'entre pas vraiment dans ce concept. A la page 114, il déclare que *Pacem in terris* est « le triomphe du droit naturel et PLUS ENCORE un hymne à l'ordre moral ». C'est moi qui souligne ce plus encore, où il se manifeste que si l'abbé Haubtmann admet la notion traditionnelle d' « ordre naturel » qui est d' « essence morale » il ne la comprend pas de l'intérieur comme la comprend la philosophie chrétienne traditionnelle. 112:83 La notion d'*ordre naturel* reste inintelligible à la phi­losophie moderne, hors de ses prises, et l'on voit l'abbé Haubtmann tourner avec réticences autour de cette notion sans y pénétrer ; il aurait plutôt tendance à y voir simple « terminologie reçue » (p. 195), et à supposer que le « droit naturel » est une « expression » d'une terrible « plasticité » (p. 165). Autrement dit, l'abbé Haubtmann connaît l'existence et parfois reconnaît l'utilité du langage de la philosophie chrétienne traditionnelle ; j'ai l'impression que souvent il n'y voit rien de plus qu'un langage un peu dépassé. \*\*\* Bien remarquable à cet égard, sa page 111. Il cite *Pacem in terris :* « Tout être humain est une personne, c'est-à-dire une nature douée d'intelligence et de volonté libre. » Et il commente en note : « Définition classique, que l'on trouve chez saint Tho­mas. Dans le langage de l'École, elle se suffit et englobe la conscience morale. Mais la philosophie moderne n'identifie la conscience morale ni avec l' « intelligence » ni avec la « volonté libre », ni avec ces deux éléments réunis. Elle estime assez communément que la conscience morale fait intervenir un troisième élément, spécifique, plus ou moins apparenté à l'instinct : précisément ce sens moral, inné par Dieu dans notre nature, et qui nous fait dire : ceci est bien, ceci est mal. Dans ces conditions, serait-il impossible d'ajouter une précision et de parler de la personne comme d'une nature douée d'intelligence, de volonté libre et de conscience morale ? » Les « thomistes » aperçoivent immédiatement ce qu'il y aurait à dire, ou à redire. Ce n'est pas le lieu, il y faudrait cent pages et plus, d'examiner l'étrange et discutable fortune que diverses conceptions de la « conscience » ont connue non seulement dans la philosophie moderne, mais encore dans une grande partie de la théologie morale moderne. Je veux seulement noter qu'il s'agit ici d'une question capitale, et non d'une question de langage. Du XVI^e^ au XX^e^ siècle, de Suarez à la psychologie des profondeurs, on y rencontrerait tous les problèmes essentiels de la nature de l'homme et de la vie morale. 113:83 Sous un rapport, parfois, les diverses philosophies peuvent apparaître effectivement comme des langages qui se succèdent, exprimant en termes différents, et supposés progressivement plus adéquats, la même réalité. Mais sous un rapport plus essentiel, et préci­sément ici, il s'agit de conceptions nullement équivalentes, organisant différemment l'équilibre de la vie morale, voire provoquant son déséquilibre. Le trait final de l'abbé Haubt­mann relève sans doute d'une rédaction impropre ; si l'on prenait cette rédaction à la lettre, la « conscience morale » ou le « sens moral » serait un « troisième élément », extérieur à l'intelligence et à la volonté. -- Quoi qu'il en soit, rien ne montre mieux que l'abbé Haubtmann, même quand il connaît et utilise la terminologie de la philosophie traditionnelle, n'en, pénètre pas pleinement la signification, ou la rejette implicitement. #### III.  Il serait intéressant d'avoir, à côté d'un commentaire de Mater et Magistra s'inspirant de la philosophie moderne, un commentaire s'inspirant de la philosophie traditionnelle, je dirai plutôt de la philosophie chrétienne au sens où l'entendait Léon XIII dans *Æterni Patris*. C'est alors que l'on posséderait un excellent et double INSTRUMENT DE TRA­VAIL. Chacun, d'eux fidèle en esprit, et autant qu'il est pos­sible à un individu faillible et limité, mais enfin fidèles par effort et par grâce à l'enseignement pontifical ; l'un ouvert à gauche et philosophant à la manière dite des mo­dernes, l'autre plus soucieux de *philosophia perennis*, des natures immuables et des valeurs universelles. Mais est-ce possible ? Existe-il une église locale susceptible de donner l'imprimatur, simultanément, à ces deux commentaires ? Je ne crois pas que cette possibilité existe aujourd'hui en France. Et si je ne le crois pas, ce n'est point de ma part simple supposition. L'Église n'inscrit aucune philosophie au rang de ses dogmes. Elle a cependant des préférences. La philosophie dite « thomiste », sans jouir d'un monopole, demeure pourtant à ses yeux la philosophie la plus recommandable et la plus recommandée. D'autres philosophies ont en son sein, selon les cas, soit un droit de cité, soit une franchise plus ou moins limitée consentie par tolérance. 114:83 Il ne serait certainement pas conforme à l'esprit de l'Église de vouloir imposer en son nom, à tous les catholiques, une seule philosophie. A défaut de monopole, la philosophie thomiste jouit cependant à l'intérieur de l'Église d'un privilège indis­cutable en droit, -- et souvent supprimé en fait. La situa­tion normale est que le « thomisme » tienne le haut du pavé, spécialement dans l'enseignement catholique, dans les Séminaires et dans toutes les questions où la philosophie rencontre la théologie ; et que d'autres philosophies (non pas toutes les autres philosophies existantes ou possibles, mais certaines d'entre elles) conservent leur droit à l'exis­tence, dans une position moins éminente. On a fait le contraire. C'est aux représentants du « thomisme » -- et non pas à des représentants médiocres, mais à des esprits de la classe de Gilson et de Maritain -- que l'on a imposé dans l'Église de France une position diminuée, secondaire, accessoire, et c'est à d'autres philosophies que l'on a donné en fait la place éminente, jusque dans les Séminaires. Gilson et Maritain ont l'un et l'autre, tantôt avec mélan­colie, tantôt avec sérénité, exposé dans plusieurs de leurs livres la situation pratiquement faite au « thomisme » dans le catholicisme français. Il se trouvait pourtant que Mari­tain et Gilson étaient non seulement des esprits de pre­mière qualité, mais encore qu'ils n'étaient aucunement suspects d'être, comme l'on dit, « intégristes et réaction­naires ». Ils avaient collaboré à l'hebdomadaire *Sept*. Ils étaient « ouverts à gauche ». Il n'empêche : leur seul « thomisme » leur a valu cette situation mineure et difficile. Et c'est le Collège de France, et c'est l'Académie fran­çaise qui ont donné à l'un et à l'autre, dans la société civile, cette sorte d'autorité et d'honneurs extérieurs que les hiérarchies, organisations et instituts ecclésiastiques français ne leur ont jamais reconnus dans le catholicisme, ou leur ont très vite retirés. Qu'on n'aille pas supposer qu'il s'agit de cas particuliers. Quand les cas particuliers se multiplient, ce qu'ils ont de commun n'est plus une particularité exceptionnelle, mais une constante. La mort récente du P. Garrigou-Lagrange incline à se souvenir de constatations semblables. Les grands docteurs thomistes, laïcs ou ecclésiastiques, de la première moitié du XX^e^ siècle ont en France, dans l'enseignement catholique ecclésias­tique ou laïc, une place qui tend vers zéro. 115:83 On imagine dès lors quelle peut être présentement la situation des « thomistes » qui n'ont pas l'éclat des grands docteurs des générations immédiatement précédentes, et qui en outre sont accidentellement suspectés, à tort ou à raison, d'être « intégristes et réactionnaires ». Ils sont quasiment réduits à l'inexistence. Cela leur est très profitable personnellement pour les faire grandir dans l'humilité et pour aider leur réflexion à mûrir dans le silence. Mais cela est beaucoup moins profitable au catholicisme français. L'abbé Haubtmann n'est pas sans savoir que l'impri­matur aura toutes chances d'être refusé en France à un commentaire d'encyclique qui ne serait ni inspiré de la philosophie moderne, ni ouvert à gauche. On n'alléguera point cette raison, mais des raisons beaucoup plus éton­nantes encore, et contraires à l'évidence, par exemple qu'il ne convient pas de « commenter les Encycliques » et que « Rome déconseille ce genre de travaux » ; et que c'est donc « inopportun ». A un auteur qui n'était pas plus ignorant ni moins qualifié que d'autres en ces matières, il a été formellement promis que l'imprimatur lui serait TOUJOURS refusé pour un commentaire d'encyclique quel que soit son contenu. En foi de quoi cet auteur, qui au vice négatif de n'être pas ouvert à gauche ajoute le vice positif d'une formation « thomiste » n'a plus qu'à orienter ses travaux vers d'autres domaines, et se mettre à écrire des récits de voyages ou des romans d'amour. J'avoue à l'abbé Haubtmann que cette situation géné­rale m'a presque détourné de répondre à son invitation au dialogue. Il n'est pas convenable que le dialogue s'établisse comme un alibi à des situations de fait qui sont violentes et injustes. Mais d'autre part, ce n'est pas l'abbé Haubtmann qui est responsable de cette situation de fait. Il était seule­ment indispensable de rappeler, sans hausser le ton mais sans tricher avec la vérité, que si des commentaires d'ency­cliques d'une autre inspiration philosophique que la sienne ne sont pas publiés en France, ce n'est point parce que la philosophie thomiste n'est plus vivante nulle part dans les esprits ; c'est parce que ces autres commentaires ont été radicalement empêchés au niveau de l'imprimatur ; et leurs auteurs détournés de continuer de tels travaux. \*\*\* 116:83 Les « thomistes » conservent au sein du catholicisme français un droit relatif d'expression dans la mesure où ils font des concessions qui ne sont pas seulement d'ordre politique. S'il se trouve -- et il s'en trouve -- des « tho­mistes » qui acceptent de renoncer à exprimer leurs objec­tions au blondélisme ou au teilhardisme ; s'il se trouve des « thomistes » bienveillants à l'égard du socialisme ; s'il se trouve des « thomistes » qui cautionnent l'épiscopalisme ([^24]) ; s'il se trouve des « thomistes » qui mettent leur renom et éventuellement leurs syllogismes au service de la politique religieuse de *Témoignage chrétien ;* s'il se trouve des « tho­mistes » pour conseiller et pratiquer le dialogue et la colla­boration avec le Parti communiste, -- alors ils seront éven­tuellement tolérés en tant que « thomistes ». Leur « tho­misme » n'en sera pas pour autant remis à la place émi­nente qui lui appartient de droit dans l'Église ; il obtiendra du moins un strapontin. Mais les « thomistes » qui croient vraiment -- dans les domaines et sous les rapports conve­nables -- tout à la fois à la primauté de l'être, à la primauté de la contemplation, à la primauté du Pape, à la primauté du bien commun, et qui en tirent des conséquences théo­riques et pratiques qui fatalement ne sont ni socialistes, ni teilhardiennes, ni épiscopalistes, alors ces « thomistes » n'ont droit qu'à s'entendre opposer un *raca* permanent et total. #### IV.  Mais j'en viens au point vif du dialogue -- il concerne le texte authentique de *Mater et Magistra* et plus généralement encore l'emploi et la valeur du latin dans les documents du Saint-Siège. L'abbé Haubtmann consacre à « la question cruciale de la traduction » les pages 21 à 34 de son ouvrage. Il suit la « version française de la Polyglotte vaticane, tout en n'hé­sitant pas à retoucher celle-ci d'après le texte italien ». Il a renoncé à sa première intention, qui était de donner une nouvelle traduction française d'après le texte latin. Et il s'en explique. 117:83 Il explique qu'il existe à ce sujet un problème difficile et non résolu, et il cite ou reprend à son compte assez lar­gement ce que nous en avons écrit ici. Il examine les exem­ples concrets, que nous avions analysés, où Jean XXIII a cité le texte italien plutôt que le texte latin, s'agissant soit de *Mater et Magistra*, soit de son discours du 11 octobre 1962, ainsi que les indications que l'on peut tirer de la manière dont sont formulées les références. En fait, disions-nous, on voit se multiplier les cas où le texte latin n'est plus considéré et utilisé comme le seul qui fasse foi. Nous en venions à cette conclusion, « dont il est difficile de nier le bien-fondé » assure l'abbé Haubtmann : « Si cette évolution, à première vue paradoxale, se confirmait, on se trou­verait en présence de complexités et de difficultés qui ne seraient pas minces. » Pour sa part, l'abbé Haubtmann ajoute : « Comment y remédier ? Il ne m'appartient pas de le dire. Mais peut-être pourrait-on souhaiter des traductions latines plus fidèles au texte original, qu'il soit italien, fran­çais, anglais ou finlandais (...). On pourrait peut-être aussi officialiser et donner force de loi au texte original lui-même, quelle que soit la langue employée par le pape régnant. Car il n'est pas douteux qu'à la longue cette multi­plicité d'interprétations deviendrait redoutable et décou­ragerait les plus fidèles des commentateurs. » Nous sommes donc pleinement d'accord avec l'abbé Haubtmann sur l'existence du problème : problème sous-estimé, voire existence niée par les autres commentateurs, qui ont préféré méconnaître la difficulté, ou qui ne l'ont pas vue, ou qui d'une manière ou d'une autre sont passés à côté. Dans la mesure où le texte latin n'est plus, en fait, le seul qui fasse foi, nous voici devant des complexités et des difficultés qui ne sont pas minces, disions-nous en par­lant sur pièces, mais aussi en parlant dans le désert. L'abbé Haubtmann le premier nous donne raison et remarque que cette situation est susceptible de décourager les plus fidèles des commentateurs. Il a examiné les choses telles qu'elles sont, avec sérieux et attention. Il y a découvert ce que nous y avions découvert, et que niaient plus ou moins, implici­tement ou explicitement, les commentateurs moins attentifs ou trop empressés à réputer nécessairement absurde une question qu'ils n'avaient pas aperçue les premiers. 118:83 L'abbé Haubtmann a bien vu que mes « sympathies vont au texte latin » et ne cache pas que les siennes vont au texte « original », ce qui le conduit à suggérer d' « officia­liser et donner force de loi au texte original lui-même ». On appelle *original* le texte de travail et d'élaboration, qui est ensuite simplement traduit en latin pour établir le texte officiel. Si bien que le seul texte qui fasse foi et le seul qui soit officiel n'est malheureusement pas le texte original. Les règles ordinaires de la critique littéraire et historique recom­mandent évidemment d'aller au texte original plutôt qu'à une traduction ultérieure. Mais la règle de l'Église est qu'il y a un texte et un seul qui fait foi et qui a force de loi, le texte officiel (qui est presque toujours en latin). A juste titre, l'abbé Haubtmann remarque que les tra­ductions française, allemande, anglaise de *Mater et Magis­tra* ont été faites à partir du texte *italien* et non à partir du texte *latin* (il aurait pu remarquer en outre qu'il y a fort longtemps que cela se produit : déjà avant la guerre, sous Pie XI...) ; il note que la mention « non officielle » appo­sée à la première page de toutes les traductions éditées par la Polyglotte vaticane a été omise dans le fascicule italien que le P. Sorge, dans un article de la *Civiltà cattolica* en date du 16 février 1963, auquel nous avions fait écho ici « tend à attribuer au texte italien une valeur au moins égale ou même supérieure au texte latin » ; qu'au Vatican même, « on se plaît à valoriser » le texte italien ; que les références des *Acta* au texte « original » se sont multipliées au détriment du texte « officiel ». Avec pleine raison, l'abbé Haubtmann conclut : -- Pourquoi serions-nous plus pa­pistes que le pape et plus juristes que les *Acta *? Telle était bien la situation où l'on se trouvait placé par de si nettes anomalies. Et telle était bien la conclusion que l'on pouvait tire du fait. Seulement le *droit* n'est pas aboli (ce que note l'abbé Haubtmann) ; au contraire (ce qu'il ne note pas), il est *réaffirmé identique*. Si le droit n'était pas réaffirmé, on pourrait parler de consentement tacite de la part de l'autorité, on pourrait supposer ce consentement, ou le nier, il y aurait incertitude et liberté de pronostic. Mais il n'en est pas ainsi. Car Jean XXIII qui, en cer­taines occasions, a laissé valoriser ou a valorisé lui-même le texte italien au détriment du texte latin, a d'autre part réaffirmé le droit, en général, et en particulier pour *Mater et Magistra*. 119:83 Il ne s'agit donc plus d'un fait devançant le droit, et en passe de créer un droit nouveau. Les anomalies que j'avais relevées ici, et qui sont confirmées par l'abbé Haubtmann, au sujet de *Mater et Magistra* et au sujet du discours du 11 octobre 1962 pourraient être interprétées comme un fait devançant le droit si l'on décelait chez Jean XXIII une nette volonté de modifier progressivement le fait et le droit en ce sens-là ; ou à défaut, un consentement implicite à une telle modification. Mais c'est la volonté contraire que Jean XXIII a exprimée et même promulguée. Non sans anomalies encore : de la Constitution aposto­lique *Veterum sapientia* ([^25])*,* on a pu dire qu'elle était morte en naissant, et que Jean XXIII paraissait l'avoir subie plutôt que voulue. Mais s'il en était vraiment ainsi, cela ferait ques­tion. Je veux dire que cette considération poserait davan­tage une question qu'elle n'apporterait une réponse. Elle énonce, comme une explication, un fait (réel ou supposé) qui demande lui-même à être expliqué ; et qui, tel quel, n'est pas éclairant, mais énigmatique. D'ailleurs, quand on interroge ce fait lui-même, il n'apparaît pas comme un fait solidement établi. Je m'étonne en tout cas qu'on puisse l'alléguer (ce n'est pas l'abbé Haubtmann qui l'allègue) de la manière que l'on fait, manière fréquemment divagante, et quasiment insensée. On va jusqu'à écrire ([^26]) : «* Jean XXIII, on s'en rappelle* (*sic*)*, avait signé cette Constitution* (*Vete­rum sapientia*) *dans un contexte très particulier. Pour lui il n'y avait qu'un objectif essentiel : réunir le Concile et le mettre au travail. Tout le reste était accessoire et il conve­nait de ne se battre que sur l'essentiel. *» Ainsi la dévalori­sation de la Constitution apostolique *Veterum sapientia* est intégrée à tout un système bien connu de déformation des intentions, des actes et des enseignements de Jean XXIII. Il a « signé » sans plus dans « un contexte très particu­lier » mais non précisé ; il ne pensait qu'au Concile, et « tout le reste » pour lui était accessoire. Tout le reste ! Libre à *Témoignage chrétien* de s'asseoir ainsi avec désin­volture sur *Mater et Magistra* et sur *Pacem in terris*, encycliques rangées dans « l'accessoire » et implicitement an­nulées. 120:83 Le commentateur de *Mater et Magistra* ne peut cer­tainement faire sienne une thèse aussi extrême : il n'au­rait, alors, point passé tant d'heures studieuses ni consacré tant de soin au commentaire d'un document « accessoire », éclairé, selon sa méthode en la 5^e^ édition, par un autre docu­ment également « accessoire ». Mais j'attire son attention sur le fait que l'hebdomadaire le plus soutenu par l'Action catholique française, cautionné par les dirigeants de toutes ses branches et seul cautionné de cette manière et à ce point ([^27]), professe et répande une interprétation aussi inac­ceptable des Actes du Magistère romain sous le pontificat de Jean XXIII. Une telle interprétation a pourtant sa cohé­rence interne : si l'on annule *Veterum sapientia*, comment éviter de pareillement annuler *Mater et Magistra* et *Pacem in terris ?* Je voudrais surtout rappeler que la « signature » de la Constitution apostolique *Veterum sapientia*, fut réglée par Jean XXIII selon un protocole particulier et tout à fait solennel. Cela fut raconté dans la *Documentation catholi­que* ([^28]) : on n'y fit pas grand écho en France, il est vrai, sauf dans *Itinéraires* ([^29])*,* où Louis Salleron écrivait : « Peut-être certains seront-ils tentés de penser que cette Constitution apostolique émane de quelque bureau réaction­naire qui, l'ayant diligemment rédigée, aurait adroitement sollicité le consentement de Jean XXIII et finalement obtenu sa signature. Qu'ils se détrompent ! Le 22 février, en la fête de la Chaire de Saint Pierre, avait lieu l'audience tradition­nelle du Souverain Pontife aux curés et prédicateurs de Carême. L'audience revêtait, cette année, un éclat exception­nel à cause de la proximité de l'ouverture du Concile. La *Documentation catholique* nous relate que se trouvaient réu­nis en la basilique de Saint-Pierre, « *outre les curés et les prédicateurs de Carême de Rome, quarante cardinaux, une centaine d'évêques, les membres de la Curie romaine, ceux des commissions préconciliaires, les professeurs et les élèves des athénées, séminaires et scolasticats romains* ». Or c'est en présence de cette assemblée que Jean XXIII tint à signer *Veterum sapientia*. 121:83 « *Voici,* dit-il, *la nouvelle Constitution apostolique* Veterum sapientia*, consacrée à l'étude et à l'usage de la langue latine. Nous avons voulu qu'elle fût signée à l'occasion de cette solennelle assemblée qui prélude au Concile œcuménique de façon particulièrement digne et noble.* » Et dans le discours qu'il prononça, il fit une part notable à l'exposé et à l'explication de sa décision. » Si l'on prétend que cela ne signifie rien, alors plus rien ne signifie rien. Aucun « bureau » ne pouvait obliger Jean XXIII à une telle manifestation publique. Ceux qui voudraient faire croire que Jean XXIII était homme à « signer » des documents -- aussi solennels et aussi impératifs -- sans les avoir lus ou sans les approuver vraiment répandent ainsi une thèse dévastatrice, qui ne laissera *rien* subsister (je ne dis pas canoniquement, je dis psychologiquement) de tout ce pontificat. Mais en outre, à supposer (hypothèse de raisonnement) que cette thèse ait une part plus ou moins grande de vérité et soit vérifiée dans certains cas, il est évi­dent qu'en tout état de cause elle ne pourrait s'appliquer à *Veterum sapientia*. Le Pape n'a pas seulement « signé ». Il a décidé de signer publiquement, et de dire publiquement, et même solennellement, qu'il signait, qu'il promulguait, et pourquoi. Il a précisément choisi le protocole et fait les gestes susceptibles d'écarter par avance et radicalement l'hypothèse que son consentement ait pu être sollicité, entre deux portes, par un « bureau ». Malgré quoi, c'est cette hypothèse, absolument contraire aux faits connus, qui a prévalu grâce aux « techniques modernes d'information ». Je n'insiste pas sur un tel emploi de telles techniques : cela intéresse, davantage que moi-même, le directeur du secré­tariat national de l'information religieuse. Mais l'esprit scientifique du commentateur de *Mater et Magistra* ne peut que déplorer avec moi un tel truquage de l'information ; et aussi, tirer les conséquences logiques et pratiques de la pro­mulgation et du contenu de *Veterum sapientia*. La dévalo­risation du latin, en matière d'enseignement et de doctrine, est contraire à la doctrine, à l'enseignement, aux décisions solennelles de Jean XXIII. \*\*\* Nous lisons dans *Veterum sapientia* ([^30]) : 122:83 « Ce n'est pas sans une disposition de la Providence divine que cette langue (...) est devenue *la langue propre du Siège apostolique* (...). Le latin, de sa nature même, con­vient parfaitement pour promouvoir dans tous les peuples toutes les formes de culture (...). Il ne faut pas oublier que le latin est empreint d'une noblesse caractéristique : il a « un style concis, varié, harmonieux, plein de majesté et de dignité » (Pie XI), qui incite d'une façon inimitable à la précision et à la gravité. « C'est pour ces raisons que le *Siège apostolique* a tou­jours veillé jalousement à maintenir le latin, et qu'il a tou­jours estimé que « ce splendide vêtement de la doctrine céleste et des saintes lois » (Pie XI) était digne d'être *utilisé dans l'exercice de son Magistère*, et devait être utilisé éga­lement par ses ministres. Les ecclésiastiques, en effet, de quelque nationalité qu'ils soient, peuvent aisément, *grâce au latin, prendre connaissance de ce qui vient du Saint-Siège*, et communiquer avec celui-ci ou entre eux (...). « Tant *les Papes, s'ils veulent transmettre un ensei­gnement aux peuples catholiques*, que les dicastères de la Curie romaine *utilisent toujours le latin*, que d'innom­brables nations écoutent comme la voix de leur mère. « ...Si les vérités de l'Église étaient confiées à certaines ou à plusieurs langues modernes changeantes dont aucune ne fait davantage autorité que les autres, il résulterait certainement d'une telle variété que le sens de ces vérités ne serait ni suffisamment clair ni suffisamment précis pour tout le monde ; et de plus, aucune langue ne pourrait servir de règle commune et stable pour juger du sens des autres... » Peut-on lire ces enseignements de Jean XXIII et en con­clure que ce n'est pas le texte latin de son encyclique *Mater et Magistra* qui fait autorité ? Voici d'ailleurs que Paul VI à son tour réaffirme la vali­dité et la valeur de la Constitution apostolique *Veterum sapientia*. Les Papes sont tout de même les premiers com­mentateurs des Papes, et ce sont eux d'abord qui peuvent se prononcer avec autorité sur la valeur et la validité des docu­ments pontificaux. Dans un *Motu proprio* du 22 février 1964, le *Motu proprio Studia latinitas* ([^31])*,* Paul VI revient en ces termes sur la question du latin : 123:83 « Parmi les documents récents du Siège apostolique relatifs à cette question, il faut accorder la place princi­pale à la Constitution apostolique *Veterum sapientia* pro­mulguée il y a deux ans par Jean XXIII Elle présente les plus grands éloges que les Pasteurs suprêmes de l'Église ont successivement décernés à la langue latine en regard des besoins du catholicisme... » La Constitution apostolique *Veterum sapientia* n'est donc ni morte en naissant, ni périmée. Paul VI décide des mesures pratiques pour *mettre à exécution les prescriptions* qu'elle contient. Et il « ordonne » que tout cela « soit tenu pour ferme et établi ». La perspective générale étant celle-là, il n'apparaît au­cunement que le Saint-Siège soit disposé à admettre que le texte officiel latin de ses documents ne soit plus l'unique texte qui fasse foi. \*\*\* Que si ces généralités paraissaient insuffisantes pour conclure dans le cas particulier de *Mater et Magistra*, il faudrait se souvenir que ce cas particulier a été explicitement tranché par Jean XXIII lui-même. Dans son discours du 15 mai 1961, prononcé en italien ([^32]), il annonçait la paru­tion imminente de *Mater et Magistra*, et il déclarait que son texte officiel serait «* le texte officiel latin *». #### V. Pratiquement, si l'on ne s'en tient pas au latin, on ne saura plus à quoi s'en tenir. *Veterum sapientia* alléguait notamment cette remarque pratique. Relisons-la : «* Si les vérités de l'Église étaient confiées à certaines ou à plusieurs langues modernes changeantes dont aucune ne fait davan­tage autorité que les autres, il résulterait certainement d'une telle variété que le sens de ces vérités ne serait ni suffisam­ment clair ni suffisamment précis pour tout le monde ; et de plus, aucune langue ne pourrait servir de règle commune et stable pour juger du sens des autres... *» 124:83 On voit l'abbé Haubtmann lui-même hésiter entre le texte *officiel* (latin) et le texte *original* (italien), Selon lui, « le texte italien demeure le texte de référence indispensable pour *Mater et Magistra* » mais « heureusement *Pacem in terris* ne pré­sente pas les mêmes inconvénients ; son latin est sobre et précis, et on peut être assuré qu'à l'inverse de celui de *Mater et Magistra*, il servira de norme à tous les chercheurs ». Je crois au contraire que l'on ne peut nullement en être assuré : à partir du moment où l'on ne suit plus la règle, chacun sui­vra son inspiration comme il le voudra. L'abbé Haubtmann a de bonnes raisons de vouloir lire *Mater et Magistra* en italien et *Pacem in terris* en latin : mais de simples raisons n'auront jamais le même genre d'autorité qu'une règle éta­blie ; elles pourront toujours être discutées. D'autres pour­ront alléguer des raisons contraires, et déclarer qu'à leur sens c'est en latin qu'il faut lire *Mater et Magistra*, et *Pacem in terris* en italien. Simple supposition ? Non pas : c'est cela même qui se passe. C'est ce qu'a fait l'Action populaire. Pour *Mater et Magistra*, dont l'abbé Haubtmann dit que le bon texte est l'italien, l'Action populaire a établi au con­traire une traduction du texte latin. Et pour *Pacem in terris*, dont l'abbé Haubtmann tient pour assuré qu'on prendra le texte latin, l'Action populaire au contraire n'a pas tra­duit ce texte latin, mais a pris la traduction française éta­blie sur la version italienne. La critique historique et litté­raire, sur laquelle on fonde de tels choix, n'est pas une science exacte faisant obligatoirement l'accord des esprits à la manière de la table de multiplication. Si l'on remet à la critique littéraire et historique la charge de décider quel texte d'une encyclique, latin, italien ou autre, doit être pris comme texte de référence et tenu pour le texte qui fait foi, alors chacun aura le sien. Les raisons de l'abbé Haubtmann sont finalement, pour une part, subjectives, et ne peuvent pas ne pas l'être. Il en administre lui-même la preuve. Il aurait pu tenir comme un principe universel que le texte original est le bon : Mais non. Pour *Pacem in terris*, il laisse tomber le texte original, parce qu'il juge la traduction latine, cette fois, « sobre et précise ». C'est affaire d'appréciation. On ne peut trouver un critère de référence assuré dans un jugement littéraire. Non seulement deux esprits différents n'auront pas forcé­ment la même appréciation, mais encore le même esprit pourra varier en ses appréciations selon les passages divers d'un même texte. 125:83 C'est ce que fait l'abbé Haubtmann. Après avoir montré la supériorité, à son avis, du texte italien de *Mater et Magistra*, il ne s'interdit aucunement pour cette même encyclique, de préférer parfois, au contraire, le latin à l'italien : « Je suis dans ce développement le latin, plus précis que l'italien » déclare-t-il en note à sa page 182. Fort bien, mais qui m'empêchera de faire exactement l'in­verse, de prendre en leur version italienne les passages que l'abbé Haubtmann préfère en leur version latine, et de prendre en leur version latine ceux qu'il aime mieux lire en leur version italienne ? Nous sombrons dans l'arbitraire, la cacophonie et la confusion. Si bien que l'abbé Haubtmann n'a certes pas tort de dire (p. 33) que mes « sympathies vont au texte latin » : mais c'est tout de même un euphémisme, ou plutôt une litote ; mes sympathies vont au texte latin, sans doute : et beaucoup plus que mes sympathies. Je ne vois pas comment on pourrait se passer du texte latin. Je crois et j'affirme avec *Veterum sapientia* qu'à partir du mo­ment où il n'y aurait plus un texte officiel latin faisant foi, « il résulterait certainement d'une telle variété que le sens (des vérités de l'Église) ne serait ni suffisamment clair ni suffisamment précis » ; on tomberait fatalement, on y tombe déjà, dans cette « multiplicité d'interprétations » que l'abbé Haubtmann (p. 34) déplore autant que moi. #### VI.  D'ailleurs, dès que l'on quitte le texte officiel et la règle établie, plus rien n'est sûr. « On sait » écrit l'abbé Haubt­mann (p. 23), et nous ne l'ignorons pas, « que l'encyclique a été pensée et écrite en italien, et que des retouches y ont été apportées par Jean XXIII lui-même, en italien ». Mais il ajoute aussitôt : « D'autres modifications de dernière heure ont été faites, il est vrai, sur le texte latin et en latin ; elles ont été ensuite rendues en italien, qui se présente alors comme une traduction du latin. » Saurait-on même pour chaque cas avec précision de quels passages et de quelles corrections il s'agit, on ne le sait pas *officiellement*. On n'en peut faire état comme d'une règle. 126:83 On sait à ce sujet, de bouche à oreille, des choses vraies ; du moins, vraies à l'origine ; de bouche à oreille elles se transforment ; elles ne peuvent avoir aucune valeur juridique ; non plus, au­cune valeur scientifique, aussi longtemps qu'on ne pourra procéder à un examen critique des différents états prépara­toires du document. Et l'on s'engage ainsi sur une fausse piste. A la règle ecclésiastique du texte officiel latin, on tend à substituer en fait les règles scientifiques de la cri­tique des textes : seulement ces règles sont en l'espèce inapplicables. Une étude scientifique ne peut prendre pour point de départ des « on dit » même si ceux qui les ont chuchotés sont des personnalités éminentes et qualifiées. On ne peut non plus prendre pour point de départ l'auto­rité morale de personnes qui précisément n'engagent pas leur autorité dans des propos qui demeurent des confi­dences. On se trouve donc dans une impasse, mais une im­passe très fréquentée et fort courue aujourd'hui, l'impasse d'une fausse science. Il serait peut-être « scientifique » de préférer le texte original au texte officiel, mais on ne peut « scientifiquement » établir quel est le texte original. On pourrait espérer l'établir par argument d'autorité : mais les personnes ayant autorité au Vatican n'engagent *jamais* cette autorité dans les confidences personnelles qu'elles font à l'abbé Haubtmann ou à d'autres moins illustres. Nous « savons » que le texte italien est le texte original, tout en « sachant » qu'il ne l'est pas toujours : *mais nous ne le savons pas de manière scientifique, ni de manière officielle*. Nous le savons d'un savoir anecdotique. Je répète que l'on s'engage sur de fausses pistes, car on se met en position de ne pouvoir interpréter une ency­clique qu'en s'appuyant sur des documents et des certi­tudes qui justement feront défaut pendant longtemps. Cette sorte d'interprétation est possible pour *Rerum novarum*, c'est l'interprétation telle que la recommande le P. de Soras ([^33]) : « La seule analyse grammaticale d'une phrase de tel ou tel document ne suffisant pas toujours à signaler les degrés de généralité et de certitude d'une affirmation exprimée, ou le degré d'urgence d'une directive donnée, il serait utile, pour préciser ces différents points, de recourir aux sources dont la rédaction du passage s'est inspirée. 127:83 Que disent les travaux préparatoires des experts qui ont servi de base à cette rédaction ? Les états successifs des schémas et des brouillons n'indiquent-ils pas l'intention exacte de la for­mule définitivement arrêtée par le Pape ? » L'abbé Haubtmann adopte la perspective de ce système d'interprétation, non pas toujours, heureusement, dans son commentaire, mais à coup sûr dans l'argumentation qui lui fait préférer le texte « original » au texte « officiel » de *Mater et Magistra*. Or ce système d'interprétation scientifique est scienti­fiquement impraticable. Le P. de Soras ajoutait en effet avec mélancolie. « Ce travail est malheureusement rarement possible. Il ne semble actuellement praticable que pour l'Encyclique *Rerum novarum* grâce à l'édition critique récemment pa­rue, *Enciclica Rerum novarum*, par Mgr Giovanni Antonaz­zi, préface de S. Exc. Mgr Tardini. » Il est bien compréhensible que des esprits formés aux méthodes de la philosophie et de la science modernes aspi­rent à cette sorte d' « édition critique » fort utile à beau­coup de points de vue, et notamment pour l'histoire de l'Église. Mais cette sorte d'édition critique et d'interpréta­tion *n'ont rien à voir avec l'usage religieux et moral* pour lequel sont faites les Encycliques : puisque cette sorte d'interprétation et d'édition critique demeurent impossi­bles pendant cinquante ou cent ans. Personne ne peut ima­giner ou prétendre qu'avant l'année 1957 et le travail de Mgr Antonnazzi il était impossible de COMPRENDRE VRAI­MENT ou d'INTERPRÉTER EXACTEMENT l'Encyclique *Rerum novarum* promulguée en 1891. L'interprétation doctrinale, l'usage pastoral, la valeur prudentielle d'une Encyclique ne sauraient donc dépendre de recherches de cette nature : on s'y condamne pourtant, dès lors que l'on ne tient plus le texte officiel latin pour le seul qui fasse foi, et que l'on commence à faire intervenir la critique littéraire pour choi­sir et désigner quelle version sera tenue pour la bonne. \*\*\* 128:83 Voilà du moins ce qu'il me semble et ce qui m'apparaît. Les raisons que je viens d'indiquer n'expliquent peut-être pas les anomalies de fait que l'on a pu parfois constater au sujet de *Mater et Magistra* et du discours du 11 octobre 1962 ; mais quoi qu'il en soit de ces anomalies, on ne peut trouver en elles une norme nouvelle, ni un argument déci­sif pour rejeter la norme établie et réaffirmée par le Saint-Siège. Ce désaccord que nous avons avec l'abbé Haubtmann demeure sous un rapport très important un désaccord heu­reux : un dialogue réciproquement recherché, dans un cli­mat serein et à ce niveau, est chose extrêmement agréable, et sa rareté actuelle en augmente encore le prix. Jean MADIRAN. 129:83 ## NOTES CRITIQUES ### Le scandale de Paris (seconde suite) Après le scandale lui-même de deux religieux apportant leur concours « amical » à une réunion du Parti communiste ([^34]), après les explications de l'un d'eux, le P. Jolif ([^35]), voici les explications de l'autre, le P. Dubarle ([^36]) : « *Oui, j'ai été, en effet, pressenti par les orga­nisateurs de la Semaine* ([^37]) *qui m'ont demandé si, en tant que prêtre catholique* ([^38])*, j'accepterais de participer à une soirée dont le sujet était :* « *Le matérialisme, la matière et son histoire* »*, ceci en compagnie d'un physicien marxiste et de deux au­tres hommes de science fort éminents l'un et l'au­tre. M. Orsel, minéralogiste, marxiste lui aussi, et M. Piveteau, paléontologiste et comme moi catholique. L'autorisation de mes supérieurs religieux obtenue et après avis favorable de l'Archevêché de Paris, j'ai accepté. Je dois dire que j'ai été heureux de pouvoir le faire. Maintenant, je ne demande pas mieux que de m'expliquer sur les raisons de cette satisfaction. Il me semble important qu'en France tout au moins les catholiques puissent comprendre ces raisons et en même temps sachent les situer dans la perspective complète de leur foi et de leurs responsabilités d'hommes.* » Un comparse anonyme demande alors au P. Dubarle : «* C'était la première fois qu'un prêtre participait officiellement à cette manifestation intellectuelle organisée par le Parti com­muniste français. Pensez-vous que cela eût été possible les précé­dentes années ? *» Le P. Dubarle répond : 130:83 « *En effet, c'est la première fois que des prêtres prennent part aux débats dont cette Semaine four­nit l'occasion. Des catholiques y avaient participé les années précédentes. Déjà l'an dernier, je crois, un prêtre avait été invité. La chose ne put aboutir. Cette année cela a pu se faire pour mon confrère de la Province de Lyon* ([^39])*, le Père Jolif, et moi-même. Je pense que le climat créé par Jean XXIII et, en particulier, la leçon de l'Encyclique* « *Pacem in terris* » *y est pour quelque chose. Pour ma propre part, tout au moins, c'est en pensant aux enseigne­ments de cette encyclique, que j'ai beaucoup médi­tés et qui m'ont parfois fait changer d'avis, que je me suis finalement déterminé à accepter. L'encyclique dit, en effet, en pensant visiblement au mar­xisme, et je crois qu'il faut citer :* « On ne peut identifier de fausses théories philo­sophiques sur la nature, l'origine et la finalité du monde et de l'homme avec des mouvements histo­riques fondés dans un but économique, social, cultu­rel ou politique, même si ces derniers ont dû leur origine et puisent encore leur inspiration dans ces doctrines. Une doctrine, une fois fixée et formulée ne change plus, tandis que des mouvements ayant pour objet les conditions concrètes et changeantes de la vie ne peuvent pas ne pas être largement influencés par cette évolution. Du reste, dans la mesure où ces mouvements sont d'accord avec les sains principes de la raison et répondent aux justes aspirations de la personne humaine, qui refuserait d'y reconnaître des éléments positifs et dignes d'approbation ? Il peut arriver, par conséquent, que certaines ren­contres au plan des réalisations pratiques, qui jusqu'ici avaient paru inopportunes ou stériles, puissent maintenant présenter des avantages réels on en promettre pour l'avenir... » *Je dois dire qu'en acceptant j'ai eu conscience d'abord de faire un essai pour voir si à présent quelque chose d'utile pouvait sortir d'une rencon­tre intellectuelle avec le marxisme. Mais j'ai eu également conscience d'avoir charge de dire, sur un terrain particulier, celui de la science, la recon­naissance que les catholiques ont à faire d'éléments importants de la vie des hommes marxistes d'au­jourd'hui, éléments qui sont* « *d'accord avec les sains principes de la raison* » *et sont* « *des élé­ments positifs et dignes d'approbation* »*.* 131:83 *Alors cela, puisque l'occasion m'en était donnée, j'ai eu à cœur de le faire bien officiellement, en ma qualité de prêtre, de religieux, de professeur de philosophie à l'Institut catholique de Paris et en arborant devant le public de la soirée ma robe de Dominicain, trop voyante, je sais bien, mais cela peut servir en certaines occasions.* » Donc, le P. Dubarle, en intention et en fait, et pour autant qu'il était en lui, *engageait l'Église* dans sa démarche, et spécia­lement dans sa « reconnaissance » des éléments importants de la vie marxiste qui selon lui sont conformes à la raison, positifs et dignes d'approbation. Ces « éléments importants de la vie des hommes marxistes », le P. Dubarle, qui les a « reconnus officiellement » chez les com­munistes, ne nous dit pas quels ils sont. Il se met aussitôt à parler de « la science » : « *Le marxisme a-t-il raison de faire fond comme il fait sur la science ? Bien sûr que oui, pour tout ce qui concerne la connaissance de l'univers, la maîtrise humaine de la nature, la progression de la construction sociale ; et je n'exclus pas la bonne étude scientifique des faits humains eux-mêmes avec tout ce que l'esprit honnêtement rationnel pourra en tirer. Là-dessus, je ne demande pas mieux que de rejoindre le marxisme et de faire avec lui tout ce qu'il consentira à ce que nous fas­sions ensemble* (*...*)*. Ce qui me fâche quelquefois chez tels ou tels marxistes qui se déclarent scienti­fiques, c'est la tentation qu'ils ont de donner un petit* « *coup de pouce* » *à la position stricte­ment scientifique pour arranger mieux les choses* (*en apparence*) *du côté de la doctrine marxiste* (*...*)*.* *Le marxisme a-t-il raison de faire fond comme il fait sur la science ? Bien sûr que non, au mo­ment où il se prévaut de la science pour justifier, croit-il, son athéisme et son refus d'espérer en une vie éternelle comme nous, catholiques, nous espé­rons. Le marxisme croit que la science, son esprit et sa vérité, sont la preuve de l'inexistence de Dieu et de l'irréalité de ce que supposent* (*sic*) *et enseignent les religions. C'est une persuasion fausse...* » 132:83 On ne sait pas très bien de quoi veut parler au juste le P. Dubarle quand il parle de « la science ». Tout le monde est d'accord, par exemple, sur la table de multiplication. Mais les hommes de science ne sont aucunement d'accord entre eux sur « la science » sur « son esprit et sa vérité ». Pour plusieurs d'entre eux, « la science » n'existe même pas, mais « les sciences ». Ou encore, parler de « la science » pour d'autres, parler de « son esprit et sa vérité » ce n'est absolument pas scientifique. Ce n'est plus faire de la science, c'est faire de la philosophie. Parmi les hommes de science qui disent « la science », beaucoup s'en font une idée très différente de celle du P. Dubarle, et ont des ; manières très diverses de concevoir « son esprit et sa vérité ». En revanche, on sait fort bien, et le P. Dubarle est quasiment le seul à ne pas savoir, ce que signifie « la science » pour le Parti communiste. Il s'agit de « la science marxiste-léniniste », qui englobe et régit tous les domaines du savoir humain. Mettre d'un côté « la science » de l'autre « le marxisme » n'a stricte­ment aucun sens quand il s'agit de la théorie et de la pratique des communistes. Il est infiniment regrettable que l'on ait envoyé dialoguer avec le Parti communiste un religieux qui ne sait même pas cela, et qui était donc complètement désarmé en face de ses interlocuteurs. D'une manière plus générale, la façon dont le P. Dubarle envisage « le marxisme » et « la science » comme des blocs, ou même comme des sortes de personnes morales, relève d'un primarisme véritablement affligeant. Si l'on veut envoyer aux communistes des interlocuteurs dominicains, on pourrait tout de même en trouver qui soient un peu plus futés en ces matières. \*\*\* Interrogé sur le point de savoir s'il avait vraiment, comme on l'a rapporté, déclaré qu'il adopte « le matérialisme de la science » -- ou assuré que « la science doit être matérialiste » ([^40]) -- le P. Dubarle se lance dans de longues explications, rejette, sans la nommer, la philosophie thomiste comme inconciliable avec la science moderne : « *C'est peine perdue d'essayer d'ajuster la vue du monde sous-jacente à la pensée scientifique aux cadres généraux d'une philosophie de la nature bâtie sur une vue du monde antérieure à la science moderne.* » 133:83 Pas même les « cadres généraux » de la philosophie thomiste... Ce genre de déclaration est toujours intéressant dans la bouche d'un Dominicain ; il implique au demeurant une con­ception du monde, de la science et de la philosophie sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, et qui en tous cas ne s'impose obligatoirement ni au nom de la raison, ni au nom de la foi, ni au nom de l'Institut catholique de Paris, ni au nom de l'Ordre de saint Dominique... \*\*\* Oui, ce genre de déclaration contre la philosophie thomiste est toujours, dans la bouche d'un Dominicain, fort intéressant... pour le Parti communiste. Car au plan idéologique, le Parti com­muniste redoute ce qu'il appelle le « néo-thomisme » : mais le P. Dubarle l'ignore, ou s'en moque. Le P. Dubarle, qui ne sait à peu près rien du communisme, ni du marxisme, n'a jamais sans doute entendu parler de l'ouvrage : *Les principes du marxisme-léninisme*, édité sur l'ordre de Krouchtchev pour fixer l'orthodoxie officielle et servir de base -- avec l'Histoire du P.C.U.S. -- à la formation idéologique des militants commu­nistes dans le monde entier. Imprimé à Moscou dans toutes les langues, cet ouvrage se trouve en traduction française dans n'importe quelle librairie communiste. Il contient un chapitre sur « la renaissance de la scolastique médiévale » plein de confusions grossières, mais qui enregistre *le succès de la pensée thomiste auprès des hommes de science contemporains* ([^41]). Si les communistes le disent, dans un tel ouvrage, c'est qu'ils l'ont constaté ; ils ne l'ont pas inventé pour faire plaisir à la revue « Itinéraires » ou au P. Labourdette ; et ils n'ont pas l'habitude non plus de créditer leurs adversaires d'un « succès » qui serait imaginaire. Ils le disent parce qu'ils y sont obligés, et parce qu'ils ont estimé indispensable, dans la formation de base de leurs militants, de les armer contre ce « néo-thomisme ». Mais les communistes savent aussi « travailler » : ils ont donc recherché, découvert, « pressenti » et « invité » un Dominicain capable de venir dire chez eux, à une tribune communiste, que ce « néo-thomisme » qui les gêne et les inquiète n'a aucun valeur réelle. Voilà pourquoi il fallait que ce soit de préférence un Dominicain. Voilà à quelle besogne et utilisé le Dominicain Dubarle. Mais bien sûr le Dominicain Dubarle n'en savait rien. Par quoi l'on vérifie, une fois de plus, que si l'on tient à envoyer des religieux participer aux réunions du Parti com­muniste, il vaudrait mieux en choisir qui soient au courant des réalités communistes. 134:83 Au même moment le pape Paul VI écrivait au Maître général des Dominicains : « Le savoir philosophique de saint Thomas, qui reflète les essences des choses réelles, en leur vérité certaine et immuable, n'est ni médiéval, ni propre à aucune nation par­ticulière. Il transcende le temps et l'espace, et n'a rien perdu de sa valeur pour l'humanité d'aujourd'hui. » (Osservatore romano du 8 mars.) Mais cela aussi le P. Dubarle l'ignore, ou s'en moque. \*\*\* Parlant de « la science », de « la science moderne » et de l'idée qu'il s'en fait, le P. Dubarle précise alors : « *Sa perspective propre est* « *matérialiste* » *et l'explication qu'elle donne du réel est une explica­tion à raison de la matérialité de l'univers et à rai­son des lois naturelles qui lient entre eux tous les aspects et tous les mouvements successifs de cette matérialité.* *Ce matérialisme-là, qui est celui de la science, pourquoi ne pas l'accepter ? Il ne dit pas autre chose que la vérité de la science et l'efficacité de son explication en leur ordre propre. On peut l'ac­cepter d'autant plus que la façon dont la science pense ce que, tous ensemble, par usage devenu com­mun, nous appelons désormais* « *la matière* » *laisse complètement à l'écart dans le principe le problème de l'esprit* » On aimerait savoir comment le P. Dubarle entend ce que, « tous ensemble, par un usage devenu commun » nous appelons la matière d'un sacrement... Mais justement, au nom de « la science » le P. Dubarle condamne et rejette maintenant non plus la seule philosophie thomiste, mais la théologie catholique : « A la suite de la science moderne, le mot « ma­tière » lui-même a pris un tout autre sens que dans la philosophie ancienne assumée par la théo­logie catholique traditionnelle, où il appelle alors positivement le corrélatif de l'esprit immatériel. Aujourd'hui, le problème humain de l'esprit et de sa possible destinée transcendante à cette vie-ci doit se traiter à d'autres frais et sur une autre base. » 135:83 Sur une autre base que celle de la théologie catholique. Bon. On sera enchanté d'apprendre que tout cela est dit « officiellement » et non pas comme une opinion personnelle mais bien en tant que prêtre, au nom de l'Église, au nom de l'Institut catholique de Paris, au nom de l'Ordre de saint Dominique. On sera également enchanté de savoir que le P. Dubarle, mandaté pour cela, enseigne selon cette doctrine la philosophie aux étudiants catholiques. \*\*\* Après divers développements oratoires sur la « construc­tion viable de la terre », à opérer en collaboration avec les communistes, et d'autres développements non moins oratoires sur « les avions qui tournent en permanence au-dessus de nos têtes avec des bombes atomiques », le P. Dubarle conclut de façon très suggestive : « *Je ne crois pas qu'au moment où ce sont les suprêmes déterminations de l'âme qui se mesurent les unes aux autres et tentent de se pénétrer les unes les autres, l'affrontement spirituel des hom­mes soit jamais une idylle... Mais il n'a pas besoin d'être un brigandage ou une* « *truandaille* »*. Et quand j'ai vu, voici dix ans, truander mes frères prêtres-ouvriers, eh bien ! la moutarde m'est mon­tée au nez. Je n'accuse personne de ce qui s'est passé, ou plutôt, tous nous sommes responsables de ce qui s'est passé...* » Ce n'est pas très clair. \*\*\* Pour conclure, nous allons reprendre dans les déclarations du P. Dubarle les points qui nous paraissent les plus impor­tants. **1. --** La distinction entre « agir en chrétien » et « agir en tant que chrétien » lancée par Maritain dans *Sept* en 1935, et reprise en appendice de son livre *Humanisme intégral*, vaut ce qu'elle vaut ; en tous cas elle est bien connue des catholiques. De même est bien connue l'interdiction absolue faite aux prêtres, dans le diocèse de Paris, d'apporter leur concours à n'importe quelle manifestation organisée par un parti politi­que. Le seul parti politique qui ait bénéficié d'une exception à cette règle ecclésiastique est le Parti communiste. Et la participation du P. Dubarle n'a pas été apportée à titre personnel, mais *en tant que prêtre*. Quand un simple laïc militait au M.R.P., à *La Cité catholique* ou à la C.F.T.C., il lui était interdit de pré­tendre le faire en tant que catholique. 136:83 Il a été mille fois expli­qué que si l'on doit agir partout et toujours « en » catholique, on ne doit jamais le faire « en tant que » catholique, à moins d'en avoir le mandat hiérarchique, car agir « en tant que » ca­tholique, c'est engager l'Église. Mais ce que ni le M.R.P., ni *La Cité catholique*, ni la C.F.T.C., n'avaient obtenu, le Parti communiste l'obtient du premier coup : c'est avec mandat, si l'on en croit le P. Dubarle, c'est *en tant que prêtre*, c'est *officiellement*, nous dit-il, c'est bien en y engageant l'Église que l'on collabore présentement avec le Parti communiste. Si l'on en est là sans aucune pression policière, sans aucune pression d'un pouvoir communiste maître de l'État, où n'irait-on pas si la France était dans la situation de la Pologne ? De l'admirable Pologne chrétienne et catholique qui, elle, même au prix du martyre, n'accepte de près ni de loin rien de tel. Situation incroyable, situation explosive que celle qui est ain­si établie à Paris : il ne faudra pas s'étonner des conséquences. On les aura, dans tous les sens. On aura la progression du com­munisme parmi les catholiques, dans les Séminaires, grâce à l'exemple du P. Dubarle, à l'autorité morale qui lui est attribuée, aux approbations supérieures dont il est farci ; et l'on aura les réactions de plus en plus énergiques de tous les autres ca­tholiques, de tous ceux qui ne veulent pas accepter le commu­nisme, et ont le droit de ne pas l'accepter, -- de tous ceux qui ne veulent pas de la collaboration avec le communisme, et qui ont le droit et le devoir de combattre cette collaboration. A moins que le P. Jolif précédemment, et maintenant le P. Dubarle, n'aient pas dit la vérité ? S'ils avaient menti sur ce point, on au­rait démenti. L'absence de démenti avalise leurs déclarations. Et leurs déclarations sont répandues avec assurance et autorité, pour amener les catholiques à la collaboration avec le com­munisme. Mais les catholiques ne sont pas tous un troupeau que l'on puisse livrer à la collaboration sans leur aveu. Les catholiques, en grand nombre encore, sont des hommes libres que personne ne pourrait se vanter de livrer sans résis­tance, pieds et poings liés. Oui, on aura les conséquences. On les a déjà. **2. --** Au moment où ces choses se passent en France -- à Paris, à Lyon déjà, et nous savons que l'on entend les générali­ser -- au moment où se passent ces choses et où on les laisse aller, *L'Osservatore romano* (4 mars) avertit en sens contraire les catholiques de *ne pas se prêter, fût-ce dans la ferveur de la charité, au jeu équivoque et dangereux du dialogue avec les communistes*. Le maire de Florence La Pira ayant lancé un appel à Krouchtchev pour qu'il renonce à son athéisme agressif et persécuteur, 137:83 *L'Osservatore romano* remarque qu'un tel appel a peu de chances d'être entendu, l'U.R.S.S. se mobilisant au contraire pour le renforcement de la lutte anti-religieuse. Mais surtout *L'Osservatore romano* ajoute que, même si le communisme renon­çait à la persécution ouverte contre les chrétiens, *catholicisme et communisme demeureraient inconciliables :* « Car le commu­nisme, à travers toutes les formes de ses variations dialectiques, n'abandonne jamais ses buts politiques et son intransigeance doctrinale ». *L'Osservatore romano* affirme qu'il ne peut y avoir de dialogue avec « la conception matérialiste de l'histoire, la négation des droits de la personne, l'abolition de la liberté, le despotisme de l'État » et remarque en outre que l'expérience économique du communisme est elle-même un échec. Mais le P. Dubarle ne sait apparemment rien du communisme. Il parle du « marxisme », dans les nuages. **3. --** Le P. Dubarle utilise *Pacem in terris* d'une manière absolument fantaisiste. Il assure que cette Encyclique, au pas­sage qu'il cite, « pense visiblement au marxisme » : c'est une opinion qui ne se fonde sur absolument rien de scientifique ni rien d'officiel ; c'est une affirmation gratuite. Dans des questions aussi graves, il n'est pas innocent d'avancer avec autant d'assu­rance des opinions d'une telle légèreté. Une étude sérieuse de l'Encyclique montre au contraire qu'il est infiniment peu proba­ble que le passage invoqué par le P. Dubarle s'applique au mar­xisme. Si le passage cité de l'Encyclique s'appliquait au marxisme, le « mouvement historique » qui en est issu serait le Parti communiste -- et c'est ainsi que l'entend le P. Dubarle, puisque c'est avec le Parti communiste, en fait, qu'il est entré en dialo­gue. Mais, selon l'Encyclique, ce n'est pas la « fausse théorie » ce n'est pas la « doctrine » qui est susceptible d'une évolution favorable -- c'est le « mouvement ». Or le P. Dubarle déclare trouver des éléments positifs non point dans le « mouvement » mais *dans le marxisme*, dans la « doctrine ». Même si le passage de l'Encyclique s'appliquait au marxisme, l'application qu'en fait le P. Dubarle serait donc une application à contresens. Ce n'est pas dans « le marxisme », c'est dans le Parti com­muniste qu'apparaît -- ou n'apparaît pas -- un accord avec les sains principes de la raison et les justes aspirations de la per­sonne humaine. Si le passage de *Pacem in terris* s'appliquait au « marxisme » c'est avec le mouvement qui en est issu -- et non avec la doctri­ne -- que le P. Dubarle pourrait avoir CERTAINES RENCONTRES AU PLAN DES RÉALISATIONS PRATIQUES. Or la rencontre à laquelle le P. Dubarle a participé n'avait aucune *réalisation pratique* pour objet avoué ; c'était au contraire une « rencontre intellectuelle », comme il le dit lui-même. Il était question de « la science » : non pour en faire, ou pour en développer les applications prati­ques ; mais pour philosopher sur la science. Ce n'était pas un *compromis pour l'action ;* c'était un *compromis doctrinal*, par lequel le P. Dubarle a rejeté la théologie traditionnelle, la phi­losophie thomiste, et approuvé en partie (et dans le brouillard) l'attitude du « marxisme » à l'égard de « la science ». 138:83 La seule *réalisation pratique* de cette rencontre, réalisation effective mais non avouée, est une réalisation de propagande. Il n'apparaît pas que l'Encyclique *Pacem in terris* ait voulu inviter les chrétiens, en parlant de « réalisations pratiques », à collaborer aux réalisations de la propagande du Parti communiste. Donc, même dans l'hypothèse où le passage cité de *Pacem in terris* concernerait « visiblement le marxisme » le P. Dubarle appliquerait exactement et intégralement à contresens les orien­tations pontificales. Au reste le P. Dubarle n'a même pas remarqué que le texte de *Pacem in terris* qu'il cite parle de rencontres qui avaient précédemment paru *inopportunes ou stériles*. Or jamais les ren­contres avec le Parti communiste n'ont été jugées « inoppor­tunes ou stériles » par le Magistère de l'Église. Elles ont été ju­gées dangereuses, mortelles, qualifiées d'abominable trahison par Pie XI et par Pie XII, ce qui est bien différent d'une simple « stérilité » ou d'une simple « inopportunité » ([^42]). C'est se moquer du monde que de prétendre avoir « beau­coup médité » un texte que l'on sollicite aussi outrageusement. **4. --** Les opinions personnelles du P. Dubarle sur « la science », sur la philosophie, sur la théologie catholique tradition­nelle appelleraient en elles-mêmes l'examen critique et la dis­cussion, et rien d'autre. Nous croyons que le P. Dubarle se trompe gravement et sur la théologie, et sur la philosophie, et sur la science. Nous ne souhaitons à ses opinions et à sa personne aucune autre mésaventure qu'un débat sérieux. Mais l'extraordinaire abus du P. Dubarle est de prétendre, parlant au public catholique dans un magazine dominicain, imposer ses opinions. Il les assène *en tant que* prêtre, et *officiellement*, et au nom de l'Institut catholique, de l'Ordre domi­nicain, de l'Église. C'est un abus monstrueux des pouvoirs sa­crés qu'il a reçus et de la « robe trop voyante, je sais bien » qu'il « arbore » pour l' « occasion ». A cela on ne peut opposer que le refus le plus net et la protestation la plus entière. Le P. Dubarle engage autant qu'il est en lui l'Église et l'autorité de l'Église au profit tout à la fois d'une certaine politique, d'une certaine théologie, d'une certaine conception de la science. De son propre aveu, ses conceptions sont contraires à celles de la théologie catholique traditionnelle. Alors, de quel droit ose-t-il prétendre les imposer *en tant que* prêtre ? \*\*\* 139:83 Comme on le voit, loin de s'atténuer avec le temps, le scan­dale de Paris ne fait que s'aggraver jour après jour. Le scandale de la participation « amicale » de deux religieux à une réunion du Parti communiste avait été aggravé déjà par la sorte d'explications que le P. Jolif avait produites. Il est encore aggravé par les explications du P. Dubarle. Semaine après semaine, ils « avancent » davantage, ils vont chaque fois « plus loin » élargissant la brèche. Le scandale de Paris de janvier 1964 n'était pas un accident, ni un point d'arrivée mais très consciemment un point de dé­part, systématiquement exploité comme tel par ceux qui l'ont fomenté. Non seulement ils vont au communisme, non seulement ils y vont *en tant que prêtres*, mais ils travaillent à pousser l'Église de France et le peuple chrétien dans les bras du Parti commu­niste. Le grand dessein est clairement avoué, doctoralement exposé, et le P. Dubarle ose lui donner pour signe de ralliement sa « robe de Dominicain, trop voyante je sais bien, mais cela peut servir dans certaines occasions... » Si ce n'est pas du cynisme, c'est de l'inconscience. PEREGRINUS. ### Post-scriptum sur la lettre du P. Jolif à Krouchtchev De son côté, le P. Jolif « *poursuit un dialogue loyal et cons­tructif avec les communistes* » ([^43]), et particulièrement avec Krouchtchev en lui adressant une lettre ouverte publiée par *Témoignage chrétien* du 26 mars. Le P. Jolif demande qu'il n'y ait « aucune invective » contre les communistes persécuteurs de chrétiens. Parce que ce sont les communistes : en effet le P. Jolif ne paraît pas avoir la même répugnance aux invectives lorsqu'il s'agit des persécutions nazies. 140:83 Le P. Jolif s'interdit et interdit de tenir pour une « manœu­vre » la « politique de la main tendue » des communistes. Parce que ce sont les communistes. Il tient le discours bien connu, immédiatement justifiable du test : -- *Ce que vous dites des communistes, le diriez-vous des nazis ?* Le P. Jolif parle à juste titre de la «* barbarie nazie *» mais on ne le voit à aucun endroit parler de la «* barbarie commu­niste *». Il y a donc un présupposé implicite qui ne se fonde pas, comme il le prétend et comme il le croit sans doute, sur une charité envers tous les hommes, mais qui se fonde au contraire sur une discrimination politique entre les hommes. Car enfin, le communisme a égalé le nazisme en horreur ; il l'a dépassé en durée, en étendue de cette horreur barbare. Le P. Jolif qualifie le nazisme de barbarie : il ne serait donc pas contraire à la charité de qualifier de barbarie le communisme. \*\*\* Voici en quels termes le P. Jolif s'adresse à Krouchtchev : *Monsieur le Président Krouchtchev, nous nous adressons à vous comme au responsable suprême du Peuple soviétique. Conscient des grandes respon­sabilités qui pèsent sur vous et de la sagesse politi­que dont vous avez fait preuve en plusieurs cir­constances, décisives pour la paix du monde, nous vous prions respectueusement de prendre en consi­dération les plaintes que l'Église orthodoxe élève vers vous.* *Nous vous demandons de faire pleinement respec­ter les prescriptions de la légalité soviétique, qui proclament que* « *le libre accomplissement des rites religieux est garanti dans toute la mesure où ceux-ci ne troublent pas l'ordre public et ne s'accompa­gnent pas d'atteintes aux droits des citoyens de la République soviétique* » (...) *Le monde ne comprendrait pas que des mesures administratives discriminatoires, contraires à la Constitution, frappent des citoyens qui, lorsque la barbarie nazie déferlait sur le monde et, par la suite, en de nombreuses circonstances, ont héroïquement prouvé leur attachement à leur patrie.* » Le P. Jolif s'adresse donc « respectueusement » au tyran et loue sa « sagesse politique ». Il demande que soit respectée « la légalité soviétique ». 141:83 Il assure que « le monde ne comprendrait pas » : mais cela fait quarante ans que des mesures « administratives », et autres, sont prises en U.R.S.S. contre les chrétiens, que « le monde » comprenne ou non. Et pourquoi « le monde » s'élèverait-il contre une discri­mination administrative, puisque « le monde » et le P. Jolif ne voient même pas la *discrimination constitutionnelle* inscrite en propres termes dans la loi fondamentale de l'U.R.S.S. ? \*\*\* On tient ici la preuve que le P. Jolif ne connaît pas le pre­mier mot des réalités dont il parle. Il parle de légalité soviétique. Il invoque la Constitution. L'a-t-il jamais lue ? La discrimination est inscrite en toutes lettres dans l'ar­ticle 124 de la Constitution soviétique, qui définit et garantit la « liberté de conscience » en reconnaissant D'UNE PART « *la liberté de pratiquer les cultes religieux* » D'AUTRE PART « *la li­berté de propagande anti-religieuse* ». Le P. Jolif ne verra évidemment dans une telle dissymétrie aucune arrière-pensée. Mais il y a les faits (qu'il ignore). La Constitution soviétique de 1924 déclarait : « *La liberté de pro­pagande religieuse et la liberté de propagande anti-religieuse est reconnue à tous les citoyens* ». La discrimination a été intro­duite en 1929 dans la Constitution de la R.S.F.S.R. -- (République socialiste fédérative soviétique de Russie) et en 1936 dans la Constitution de l'U.R.S.S. La liberté de « propagande religieuse » précédemment re­connue, a été supprimée, remplacée par la simple et seule « li­berté de pratiquer le culte ». Mais la liberté de « propagande anti-religieuse » a, elle, été maintenue. Si, ce n'est pas une discrimination, qu'est-ce donc ? Et le P. Jolif, découvrant pour la première fois de sa vie, en lisant ces lignes, cette discrimination, va-t-il protester con­tre elle, protester contre la Constitution soviétique qu'il invoque à contresens et témérairement ? Ou bien va-t-il se taire sur cette discrimination ? \*\*\* La Constitution soviétique est l'essence (résumée sous forme juridique) du communisme. Son article 126, également inconnu du P. Jolif, dit tout, quand il déclare que le Parti communiste est le « *noyau dirigeant de toutes les organisations des travailleurs, aussi bien des organisations sociales que des organisations d'État* ». 142:83 Toute organisation sociale, fût-elle une Église, est anti-cons­titutionnelle en U.R.S.S. si elle n'admet pas en son sein le Parti communiste comme noyau dirigeant. Nous tenons à la disposition du P. Jolif, s'il le désire, la bro­chure intitulée *La Technique de l'esclavage*, où ces choses ont été expliquées, sur pièces, en détail. Et s'il la lit, il y compren­dra peut-être à quel point il passe à côté des questions réelles. \*\*\* Encore une citation de l'adresse respectueuse du P. Jolif au sage Krouchtchev : « *Nous ne pouvons que nous réjouir des efforts que fait votre gouvernement pour donner aux cito­yens une éducation scientifique qui leur permettra de contribuer de plus en plus efficacement à l'œu­vre du progrès humain.* » C'est bien cela. Le P. Jolif croit que le communisme contri­bue au progrès humain. C'est la thèse du progressisme politique. Le P. Jolif n'a pas compris que la barbarie communiste est plus épouvantable encore que la barbarie nazie ; il n'a pas compris que le Magistère de l'Église désigne le communisme comme « *une barbarie certainement plus épouvantable que celle où se trouvaient la plupart des nations avant la venue du Christ* » (En­cyclique *Divini Redemptoris*, § 2). Le P. Jolif n'a pas compris que le communisme est un esclavage économique, social et poli­tique plus total et plus affreux que l'esclavage antique. \*\*\* D'ailleurs le P. Jolif est progressiste même au sens doctrinal et religieux, puisqu'il écrit dans la même lettre à Krouchtchev, parlant de la situation des travailleurs en France : « *Peut-on parler de liberté religieuse, quand la situation qui est imposée au travailleur ne lui per­met pas de retrouver en lui la possibilité de recon­naître Dieu en Jésus-Christ ?* » C'est la thèse connue du P. Montuclard, c'est la thèse centra­le du progressisme doctrinal et religieux. 143:83 Le P. Jolif pense qu'en France -- mais non point en U.R.S.S. -- la situation imposée aux travailleurs *ne permet pas*... \*\*\* Ainsi nous voyons, à chacune de leurs manifestations publi­ques depuis leur exploit de janvier 1964, les PP. Jolif et Dubarle nous dévoiler chaque fois un peu plus leur pensée. Et l'inculquer aux catholiques français. ============== ### Le Pape en question #### Nouvelles « révélations » dominicaines sur la politique du Pape Le P. Chenu, avait déjà « révé­lé » qu'il y avait eu, selon lui, des « *conversations Jean XXIII-Krouchtchev* » (voir « Itinérai­res », numéro 81, page 132). Dans son numéro de mars, le magazine illustré des Dominicains de Paris, *Signes du temps*, fait des « *révélations* » aussi énormes sur le Vatican et la politique italienne. On y lit notamment : « L'*apertura a sinistra* (ouver­ture à gauche) ne s'est pas réali­sée sans mal. Il ne faut tout de même pas oublier les décrets du Saint-Office condamnant sans ap­pel toute collaboration avec les tenants du marxisme. Il aura fallu toute l'autorité et la lucidité pro­phétique d'un Jean XXIII pour que se fasse le passage. Lors des dernières élections, en avril 1963, Jean XXIII dut intervenir avec une certaine virulence auprès de l'épiscopat italien pour l'empê­cher de se prononcer au cours de la campagne électorale, et lui in­terdire de façon délibérée de par­ler contre les candidats favorables à l'ouverture à gauche. On raconte au Vatican que Paul VI alors car­dinal Montini alla jusqu'à réunir les évêques de Lombardie pour les convaincre de ne pas user de leur influence pour combattre l'ouver­ture à gauche. On dit même qu'il leur annonça que les fameux dé­crets du Saint-Office devaient être considérés comme « nuls et non avenus ». Officiellement, ces in­terventions furent efficaces. Les élections de 1963 se déroulèrent dans un climat de liberté tout à fait nouveau. La hiérarchie ne fit pas position comme elle le faisait traditionnellement. 144:83 Mais, on l'affirme au Vatican, un certain nombre de prélats, fortement mar­qués par la pensée politique de Pie XII, entreprirent un travail souterrain pour saboter l'ouver­ture à gauche, et conseillèrent dis­crètement de voter pour le parti libéral, donc conservateur, qui en fin de compte s'assura aux légis­latives un gain de 22 députés (...). L'*apertura a sinistra* (ouverture à gauche) dispose d'un allié de poids. Paul VI n'a-t-il pas reçu M. Aldo Moro quelques jours après qu'il eût constitué son cabinet ? Paul VI n'a-t-il pas rendu visite à M. Segni, président de la Répu­blique, à la veille de son départ pour les États-Unis où il allait solliciter l'ouverture d'importants crédits ? Enfin, tous les Italiens ont vu à la télévision l'empresse­ment du Pape, à son retour de Terre Sainte, auprès du marxiste Pietro Nenni. Chacun sait à Rome que Paul VI est aussi un diplo­mate. Aux yeux de l'Italie, de la hiérarchie « un corps électoral fidèle à la voix du clergé, c'est le signe évident que le Pape par­raine « l'*apertura a sinistra* ». C'est un parrainage qui pèsera lourd dans l'avenir de cette révo­lution politique. Et l'on comprend bien les motivations de Paul VI. L'échec de l'ouverture à gauche signifierait pour l'Italie le retour à l'aventure. » Cet extraordinaire tissu de ra­gots romancés, de contre-vérités manifestes et de provocations déli­bérées a bien paru dans le maga­zine des Dominicains de Paris, *Signes du temps,* numéro de mars, page 20 : Y a-t-il vraiment « au Vatican » des personnes susceptibles de ra­conter de telles sornettes, et de telles énormités, aux envoyés spéciaux des Dominicains de Paris ? Si de tels propos ont été vérita­blement, tenus « au Vatican », c'est alors qu'il y a « au Vatican » des amateurs de « canulars ». Tel qu'il est, le texte de *Signes du temps* est un texte d' « intoxi­cation », de provocation et de scandale. \*\*\* On pourra noter que ces habi­tuels pourfendeurs du « constan­tinisme » perdent ainsi la face de la manière la plus manifeste. Ils sont *contre* le « constantinisme » simplement s'il leur paraît « de droite » -- Ils sont *pour* un « cons­tantinisme » *qui imposerait à toute une Église nationale, contre son gré, une politique de collabo­ration avec le marxisme*. Bien sûr, ils l'inventent, car le Pape ne fait rien de tel (au contraire). Ils l'inventent et ils l'approuvent. Ils se frottent les mains et ils se réjouissent. Car ce sont bien les mêmes qui se sont élevés contre ce qu'ils ap­pelaient les interventions « politi­ques » de l'Église et contre les « blocages politico-religieux ». On voit ce que valaient leurs théories là-dessus : simples prétextes op­portunistes, simples prétextes de combat. Quand le Pape rappelle aux évêques la doctrine de l'Église sur le marxisme, c'est à leurs yeux un abus de pouvoir, une intervention politique, une pression insupportable, une atteinte à l'in­dépendance épiscopale, une sur­vivance médiévale, etc., etc. bref du « constantinisme ». 145:83 Mais leur rêve, le voilà donc : *un Pape qui imposerait autoritai­rement une politique, à la seule condition que ce soit leur politi­que, la politique de collaboration avec le marxisme.* \*\*\* Dans le même numéro de *Signes du temps,* le P. Dubarle rejette la philosophie thomiste, condamne la théologie traditionnelle, vante tout ce qu'il y a d'admirable dans le marxisme et prône la collabora­tion avec le communisme, (voir au début des « Notes critiques » l'ar­ticle de Peregrinus : « Le scandale de Paris, seconde suite »). On dira ce que l'on voudra : mais ce n'est pas être un ennemi des Dominicains, c'est au contrai­re être un ami de l'ordre de saint Dominique, que de refuser son adhésion et son estime aux énormités insensées du magazine des Dominicains de Paris. La plu­part des Dominicains à travers le monde, et même en France, ont horreur de cet abcès monstrueux. Ni la collaboration avec le Parti communiste, ni l'éloge du marxis­me, ni le rejet de la philosophie thomiste, ni le mépris de la théo­logie traditionnelle ne font partie des règles distinctives ou des usa­ges obligatoires de l'Ordre des Frères Prêcheurs. La tradition do­minicaine, et l'esprit de saint Do­minique bien vivant, nous ensei­gnent le contraire de ces débor­dements furieux. #### Intoxication et attaques contre le Pape Si la presse dominicaine des Éditions du Cerf, et spécialement « Signes du temps » cité ci-dessus, en est encore à croire possible d'annexer le Pape, en revanche « Témoignage chrétien », appa­remment, n'y croit plus. Dans notre précédent numéro, (pp. 122-123), nous avons relevé les premières attaques directes de « Témoignage chrétien » contre la personne de Paul VI. « Témoignage chrétien » du 12 mars (p. 11) a publié un nouvel entrefilet venimeux : « On souligne avec complaisance dans les milieux de la Curie les fréquentes interventions de Paul VI pour célébrer, honorer, exalter la mémoire de Pie XII. On fait remarquer avec la même satisfac­tion que Paul VI parle peu du Concile et ce silence, uni à l'exal­tation de Pie XII, sont présentés comme une victoire de la Curie. Évidemment, Paul VI, en célé­brant Pie XII, souhaite que ne soit pas jugé négativement sa pro­pre collaboration durant 17 ans avec Pie XII. 146:83 Dans l'opinion publique italien­ne, les deux faits sont considérés avec regret et, déjà, des journaux influents écrivent que la réhabili­tation non indispensable de Pie XII apparaît clairement comme une dévalorisation de Jean XXIII. » Tout cela est faux et ignoble. « La Curie » ne tient pas de tels propos (d'ailleurs « la Curie » n'est pas un bloc, et n'a d'autre unité, d'autre unanimité, et même d'autre existence que le service du Pape et l'obéissance au Pape). « L'opinion italienne » n'est pas un bloc non plus : mais si l'on veut généraliser au sujet de « l'o­pinion italienne » -- du moins l'o­pinion catholique -- il faut alors savoir qu'elle vénère la mémoire de Pie XII beaucoup plus que ne le fait le catholicisme français sociologiquement installé. Mais puisque « Témoignage chrétien » pose les bases d'une offensive de grand style contre la personne de Paul VI, il faut examiner en détail -- avec des pincettes -- les ressorts de cette ignoble intoxication. #### « Témoignage chrétien » contre Paul VI Il n'est pas vrai que Paul VI « parle peu » du Concile. Il en parle très nettement, mais d'une manière qui ne plaît pas à « Té­moignage chrétien ». Alors « Té­moignage chrétien » invente d'an­nuler les orientations fort claires données par le Pape aux travaux du Concile, en faisant croire qu'il en « parle peu » et en se gardant bien de faire connaître, ce qu'il en dit. D'autre part, « Témoignage chrétien » a tellement combattu Pie XII que ce journal s'est in­toxiqué lui-même. Si Paul VI dé­fend Pie XII, « Témoignage chré­tien » ne peut imaginer qu'un motif bas et intéressé à une telle défense. Relisons cette phrase ex­traordinaire : « Évidemment Paul VI, en célé­brant Pie XII souhaite que ne soit pas jugée négativement sa propre collaboration durant 17 ans avec Pie XII. » Il ne fallait pas collaborer avec le Pape. C'est un crime, ou au moins une tare, d'avoir « collabo­ré avec Pie XII », et pendant dix-sept ans ! Au contraire, il fallait résister à Pie XII. « Témoignage chré­tien » et ses voisins ont résisté. Georges Suffert, qui était rédac­teur en chef de « Témoignage chrétien » à cette époque, l'a ouvertement reconnu dans un re­tentissant article de « L'Express » (que nous avons analysé dans notre numéro 77, pages 133 et suiv.). Georges Suffert écrivait : 147:83 « A partir de cette date (1950), tous les articles parus en France se lisent dans une perspective de résistance à Rome. La vérité n'a plus grand'chose à voir avec ce qui est écrit. » Le combat contre Pie XII était tellement bien installé dans le catholicisme français, tellement couvert, cautionné, soutenu, que Georges Suffert ne se souvient même pas qu'il y avait d'autres catholiques français. Les catholi­ques qui ne résistaient pas au Pape n'existent pas à ses yeux : « *Tous les articles écrits en France se lisent dans une perspective de résistance à Rome *». C'est plusieurs semaines après ces révélations publiques de Geor­ges Suffert -- révélations qui n'ont été contestées ou démenties par personne -- que les dirigeants de toutes les branches de l'Action catholique française ont apporté leur caution, leur garantie et leur soutien privilégié à « Témoignage chrétien » (voir son numéro 1.000). C'est après les révélations publi­ques de Georges Suffert sur le grand combat mené par « Témoi­gnage chrétien » contre Pie XII qu'un Henri Rollet a pu approu­ver et cautionner ce qu'il appelait « *le combat difficile et courageux mené par* Témoignage chrétien *pour la justice au sein du catho­licisme français *». Il est clair, public, avoué, recon­nu, non contesté que le combat difficile et courageux de « Témoi­gnage chrétien » au sein du ca­tholicisme français a été principalement un combat de résistance à Rome, un combat contre Pie XII. Fidèle à lui-même, « Témoi­gnage chrétien » -- l'hebdoma­daire d'opinion seul cautionné en bloc par les dirigeants de toutes les branches de l'Action catholi­que française -- parle donc au­jourd'hui d'un « jugement né­gatif » sur Paul VI en raison de sa « collaboration avec Pie XII ». Et bien « évidemment », seul un motif bas et intéressé peut ex­pliquer, pour « Témoignage chré­tien », que Paul VI prenne la défense de Pie XII. \*\*\* Voilà où en est le catholicisme français, dans ses éléments sociologiquement installés et diri­geants. Dans l'Action catholique fran­çaise, avec la caution publique de ses dirigeants, dans les Séminaires, avec la caution ou l'autorisation d'on ne sait qui, dans les parois­ses, « Témoignage chrétien » ap­porte, diffuse, excite cet esprit de résistance à Rome, de mépris de Pie XII, de dénigrement agressif contre Paul VI. Cela est connu. Il suffit de lire. Cela est voulu. Cela est protégé et encouragé. Les théologiens peuvent discu­ter entre eux pour savoir si ce combat contre Rome et contre le Pape manifeste une attitude « schismatique », ou une « conscience invinciblement erronée », ou la grotesque prétention d'i­gnorants agressifs qui se piquent de régenter l'Église selon leurs humeurs et leurs opinions. 148:83 Au niveau du sens commun, nous dirons simplement que ces choses, quelle que soit leur qua­lification théologique adéquate, sont manifestement scandaleuses et révoltantes. #### Préciser exactement en quoi consiste le scandale Que les publicistes de *Témoi­gnage chrétien* et les religieux dominicains des Éditions du Cerf n'aillent pas supposer que nous contestons leur liberté de penser et leur liberté d'opiner. Ils pen­sent et ils opinent comme ils veu­lent, comme ils peuvent, comme ils croient bon, nous n'avons rien à y redire. Leurs argumentations ne nous paraissent pas à ce point insurmontables que nous ayons besoin d'en appeler contre elles à autre chose qu'aux prémices d'une argumentation contraire. Leurs « informations » sont ro­mancées, voire inventées, mais cela est courant dans l'emploi actuel des « techniques modernes d'information ». Et s'ils vont jus­qu'à l'ignoble, il paraît aujour­d'hui en librairie et dans les jour­naux suffisamment de choses en­core plus ignobles pour que l'igno­ble qui leur est propre puisse pas­ser inaperçu. L'intolérable est ailleurs, Le scandale est ailleurs. Le scandale intolérable, c'est que *l'on engage indirectement -- voire directement -- l'Église de France pour cautionner et imposer aux consciences cette sorte de littéra­ture religieuse*. L'intolérable scandale, c'est que l'on cautionne et impose une telle presse dans le temps même où l'on ne manque jamais de crier haro ou de lancer l'anathème sur les réactions -- peut-être parfois désordonnées ou sans mesure -- que cette presse provoque légiti­mement. Ce sont les réactions qui sont profondément légitimes, même si elles se manifestent par des voies exceptionnelles : et si elles se manifestent par des voies exceptionnelles, c'est que les voies normales d'expression ont été con­fisquées ou bloquées. « Témoignage chrétien » est ce qu'il est. On ne va pas le tuer pour cela. Mais entre le tuer et l'imposer comme l'hebdomadaire catholique le plus recommandé, il y a, ou il devrait y avoir, de la marge. Que « Témoignage chré­tien » soit -- selon sa formule -- « un courant dans l'Église » -- dans l'Église qui en a vu bien d'autres ! -- c'est une chose. Qu'il soit dans l'Église de France le courant dominant et dominateur, c'est autre chose, et cela, jamais ne sera accepté tel qu'on veut nous l'imposer. 149:83 *Témoignage chrétien* a fait ce qu'il a fait contre Pie XII. Il recommence contre Paul VI. Il fait mine d'opposer les Papes les uns aux autres et de se réclamer de Jean XXIII, mais il fait subir aux enseignements de Jean XXIII une déformation analogue à celle que *Pax* leur fait subir. C'est son affaire. Mais le choix qu'ont prononcé et publié, ès-qualités, les diri­geants de toutes les branches de l'Action catholique française en faveur de « Témoignage chrétien » place la question sur un autre terrain. De même, les opinions de la presse des Éditions du Cerf, il est insupportable qu'on les impose comme représentant l' « inspira­tion dominicaine » en tant que telle. Les structures financières, pu­blicitaires, organisationnelles du catholicisme français imposent comme représentants de la pen­sée catholique française des grou­pes minoritaires, tyranniques, et ouvertement opposés -- ils le di­sent -- à la doctrine catholique traditionnelle ; des groupes d'op­position sournoise ou déclarée au Pape ; des groupes qui travaillent à engager l'Église dans la colla­boration avec le communisme. Ce­la ne s'est pas fait sans complai­sances et complicités aberrantes. Mais cela n'est pas supportable. La situation ainsi imposée au catholicisme français est une si­tuation violente. Il est inévitable qu'une telle situation provoque des « incidents » : et l'on n'évitera leur renouvellement qu'en portant remède aux causes profondes et permanentes de cette intolérable situation. #### Nouvelles attaques de « Témoignage chrétien » contre Paul VI Et cela continue, numéro après numéro. Le 26 mars, c'est l'édito­rial du directeur lui-même de « Témoignage chrétien » qui pour­suit l'offensive (sous le titre trom­peur : Pâques fête de la paix) et qui reprend le refrain : « ...Il semble maintenant que le Concile n'est plus voulu avec la même force. Jean XXIII était prêt à tout sacrifier pour que le Concile se réunisse et travaille. Il en par­lait sans cesse à ses visiteurs, dans ses discours. La même volonté existe-t-elle aujourd'hui ? Nous le croyons. Mais nous n'en savons rien. Les déclarations ou les arti­cles venus de Rome sont si dis­crets en cette matière. » On voit donc avec quelle insis­tance répétée « Témoignage chré­tien » travaille à faire croire que l'on « ne sait rien », que le Pape ne parle pas du Concile. 150:83 « Témoignage chrétien » a com­me un compte personnel à régler avec le Pape, parce que le Pape, loin de se taire, parle du Concile d'une manière qui ne plaît pas à « Témoignage chrétien ». Paul VI a dit entre autres, dans son discours du 24 décembre 1963 : « La célébration du Concile *n'est pas, comme des journalistes ignorants et malavisés l'ont insi­nué, une épreuve de force entre des tendances opposées,* mais c'est l'expression d'une même puissan­ce suprême, qui se prononce d'une seule voix. Et cette voix, c'est celle des membres du Concile, *unie à celle, souveraine, du Pape*. » On comprend aisément que « Témoignage chrétien » ait reçu et ressenti comme un coup droit ce désaveu des *journalistes igno­rants et malavisés* qui ont con­ditionné l'opinion à considérer le Concile comme une *épreuve de force entre les tendances* *oppo­sées.* Et c'est pourquoi « Témoignage chrétien » répand avec insistance cette contre-vérité : le Pape *ne dit rien* à propos du Concile. Tout au contraire, Paul VI en parle fort nettement. Mais, tout aussi nettement, « Témoignage chrétien » a repris contre Paul VI le grand combat qu'il avait déjà mené contre Pie XII. #### Le directeur de « Témoignage chrétien » invoque Pie XII à contresens Le même article du directeur de *Témoignage chrétien* en date du 26 mars ose invoquer la mé­moire de Pie XII, mais naturelle­ment à contresens. Le directeur de *Témoignage chrétien* écrit en effet : « Pie XII nous rappelait souvent en quelle estime il tenait l'opinion publique. » Pie XII disait exactement le contraire. Dans son grand dis­cours dit « *sur l'opinion publi­que* », prononcé le 18 février 1950 (texte intégral dans « *Itinérai­res* », numéro 71 de mars 1963, pages 151-159), Pie XII disait : « Ce que l'on appelle aujourd'hui opinion publique n'en a sou­vent que le nom, un nom vide de sens. » Pie XII s'élevait contre « *l'abus de la force des organisations de masse qui, saisissant l'homme dans leur engrenage compliqué, étouffent sans peine toute spontanéité de l'opinion publique et la rédui­sent à un conformisme aveugle et docile des pensées et des juge­ments. *» Réclamant que l'opinion publi­que soit éclairée par des hommes capables de juger les événements « à la lumière des principes cen­traux de la vie », Pie XII remar­quait sans ambages que de tels hommes deviennent de plus en plus rares dans la presse telle qu'elle est : 151:83 « Sans doute il y a encore de tels hommes, trop peu nombreux hélas ! et chaque jour de plus en plus rares, au fur et à mesure que viennent se substituer à eux des sujets sceptiques, blasés, insouciants, sans consistance ni caractère, aisément manœuvrés par quelques maîtres du jeu. » Parlant enfin, très précisément, de « *l'opinion catholique dans l'Église* », Pie XII la décrivait ainsi : « Aujourd'hui cette opinion oseille entre les deux pôles égale­ment dangereux d'un spiritualisme illusoire et irréel, d'un réalisme défaitiste et démoralisant. » Pie XII estimait l'opinion pu­blique telle qu'elle devrait être (et il lui traçait ses devoirs) ; mais il faisait le procès de l'opi­nion publique telle qu'elle est, y compris l'opinion catholique dans l'Église. « *Témoignage chrétien* », par son... erreur sur ce point, vient confirmer exactement ce qui a été analysé en détail dans l'article de Peregrinus : « Le Concile et l'opi­nion, 1962-1964 », article paru dans notre numéro 82 d'avril 1964 : #### Comment « Témoignage chrétien » bafoue un Décret conciliaire Autre confirmation apportée à l'article cité de Peregrinus : le directeur de « Témoignage chré­tien » dénigre, diffame et combat (26 mars) le Décret conciliaire sur les moyens de communication sociale. Il en écrit : « L'exemple (du décret) consa­cré à la presse et au moyens de communication n'est pas fait pour nous tranquilliser. Le texte a été abrégé. De 11 chapitres à deux. De 114 numéros à 24. De 39 pages à 10. On connaît les résultats. Rares sont les Pères qui défendent ce texte, considéré par la plupart comme insuffisant. Un évêque dé­clarait qu'il avait été adopté par lassitude. D'autres indiquaient qu'ils ne pouvaient revenir sur leur premier vote exprimé en 1962. Des théologiens éminents, améri­cains, français, argentins, alle­mands notaient que « ce décret répond à peine aux exigences d'un Concile appelé à mieux adapter l'Église à l'homme moderne. C'est un pas en arrière. Là où le docu­ment n'est ni vague ni banal, il reflète une vue désespérément abstraite des rapports entre l'Église et la culture moderne : il traite d'une presse qui n'existe que dans les manuels. » Voilà comment un Décret conciliaire est présenté, dans les Sé­minaires et dans l'Action catholi­que, par le journal que caution­nent les dirigeants de toutes les branches de l'Action catholique française. Voilà comment les Pè­res du Concile eux-mêmes sont présentés. Voilà comment « Té­moignage chrétien » traite l'au­torité souveraine du Concile, là où elle existe. 152:83 Là où elle n'existe pas, quand il s'agit des « tendances » prêtées à une « majorité » en faveur de « la Collégialité » et autres cho­ses analogues, alors « Témoignage chrétien » veut imposer d'y croi­re religieusement, bien qu'aucune décision n'ait été prise. Mais quand il s'agit d'un Décret conciliaire véritablement adopté et promulgué, voilà comment « Témoignage chrétien » le bafoue. Le Décret conciliaire est traité comme une dissertation que des théologiens supposés « éminents » auraient le droit de juger de haut comme un professeur juge la copie d'un élève ! « Témoignage chrétien » invo­que l'avis de certains évêques. Aucun évêque n'est supérieur au Concile. Mais nous savons bien qu'il y a, hélas, des évêques de toute sorte. Il y en a qui se sont vantés publiquement d' « *appren­dre par les journaux *» ce qui se passe au Concile et ce qui se dit dans l'Aula conciliaire... De tels évêques, si c'est dans les jour­naux et si c'est dans « Témoigna­ge chrétien » qu'ils éclairent leur religion, peuvent, assurément, te­nir les propos que l'on nous dit. Mais c'est, dans l'Église, une subversion manifeste. \*\*\* Le même éditorial de *Témoi­gnage chrétien* s'honore de « *poursuivre un dialogue loyal et constructif avec les communistes* », et en l'espèce *avec Krouchtchev en personne.* C'est complet. Voilà où en est le catholicisme français. #### Les évêques français à leur tour mis en question Si on laisse s'établir dans les mœurs l'habitude de traiter ainsi l'autorité du Pape et celle du Concile, comment ne voit-on pas qu'à plus forte raison on en vien­dra -- on en vient déjà -- à trai­ter pareillement l'autorité des évêques ? Divers experts et compères ont pu un temps faire croire à certains évêques qu'en diminuant l'autorité du Saint-Siège on aug­menterait l'autorité épiscopale. C'était le moment où l'on racon­tait que « le système » mis en pla­ce par Vatican I avait eu pour conséquence de « nuire au pres­tige, à l'autorité, à l'indépendan­ce des évêques ». 153:83 Seulement, en apprenant aux séminaristes et aux militants d'Ac­tion catholique à traiter le Pape comme « Témoignage chrétien » le traite, on leur apprend *à plus forte raison* à traiter pareillement les évêques quand ils en auront envie. Tant que l'attitude de « Té­moignage chrétien » restera cau­tionnée par les dirigeants de toutes les branches de l'Action catholique française, cette éducation à rebours étendra ses ravages. On en avait eu un faible avant-goût avec ce qui s'était passé dans le diocèse de Grenoble. Ce qui se passe ailleurs aujour­d'hui, et par exemple dans le dio­cèse de Nantes depuis le début du mois de mars, est significatif. Une vingtaine de personnages en désaccord avec leur évêque en viennent *à organiser contre l'évê­que l'insurrection des laïcs,* les conviant explicitement à « refu­ser de payer le denier du Culte », « refuser l'offrande destinée aux écoles chrétiennes », « refuser d'apporter leur participation fi­nancière aux organisations sou­tenues par les kermesses ». Un modèle préfabriqué d'engagement de refus de payer est distribué aux laïcs, pour qu'ils le signent et qu'ils l'envoient à l'évêque. Naturellement, on le fait signer aus­si par un grand nombre de gens qui ne mettent jamais les pieds dans une église : c'est « l'opinion publique ». On leur demande en outre de se grouper pour une « ac­tion ultérieure »... \*\*\* C'est un exemple parmi d'au­tres. Les incidents et les violences sont en train de se multiplier. A tort ou à raison, on a per­suadé une partie du public catho­lique français que les évêques ap­prouvent et couvrent les « Infor­mations catholiques internationa­les » et « Témoignage chrétien ». Alors on peut donc *faire aux évê­ques ce que ces* *publications font au Pape* -- avec l'approbation pré­tendue des évêques. L'autre partie du public catho­lique, celle qui est la plus nom­breuse mais qui est presque com­plètement privée de moyens d'ex­pression, qui n'a pas accès à l'Ac­tion catholique ni aux conseils épiscopaux, s'indigne de plus en plus. Ainsi la crise devient totale. On n'en sortira qu'au prix de révi­sions déchirantes. 154:83 ## DOCUMENTS ### Le Motu proprio « Studia latinitas » Le Motu Proprio de Paul VI sur le latin, en date du 22 février 1964, a paru en traduction dans l'édi­tion française hebdomadaire de *L'Osservatore romano* du 6 mars. C'est cette traduction que nous reproduisons intégralement. Les études latines et celles des littératures anciennes doivent être le plus possible conjuguées avec l'éducation et l'instruc­tion des élèves du sanctuaire, comme l'ont toujours pensé les Souverains Pontifes. En effet aussi bien dans le passé que de nos jours ils promulguèrent à ce sujet d'importants documents. Nous-même, dans Notre Lettre Apostolique *Summi Dei Verbum*, avons donné cet avertissement : « *Dans l'ensemble culturel que doit posséder le jeune clergé il faut placer la connaissance sé­rieuse de plusieurs langues et, en premier lieu, du Latin surtout s'il s'agit de prêtres du rite latin* (Epist. Ap. *Summi Dei Ver­bum*, A.A.S. LV, 1963, p. 993). Mais parmi les documents récents du Siège Apostolique rela­tifs à cette question, il faut accorder la place principale à la Constitution Apostolique *Veterum Sapientia*, promulguée, il y a deux ans, par Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire Jean XXIII (Const. Ap *Veterum Sapientia*, A.A.S., LIV, 1962, pp. 129-135). En effet elle présente les plus grands éloges que les Pas­teurs Suprêmes de l'Église ont successivement décernés à la langue latine, en regard des besoins du catholicisme et elle souligne l'importance particulière que revêtent les Lettres Grecques et Romaines pour réaliser au mieux l'éducation et l'instruction des aspirants au sacerdoce, en vue des devoirs de leur ministère. Ces indications sont suivies de dispositions précises qui visent à promouvoir sérieusement chez les élèves des Séminaires, des Scolasticats d'ordres et de Congrégations reli­gieux, les lettres anciennes et l'humanisme. Au premier rang, comme le point capital de toute la Constitution, se trouve le mandat donné à la S. Congrégation des Séminaires et Univer­sités de créer un Institut Universitaire de Latinité. 155:83 Une telle prescription, qui correspond aussi bien à la nature des choses qu'à l'expérience, a été jugée universellement très opportune. En effet, les chefs des diocèses et des ordres reli­gieux à qui s'adressait la Constitution accueillirent dans un assentiment approbateur les indications qui illustraient l'impor­tance de la langue latine dans une formation supérieure de la jeunesse cléricale. Mais beaucoup d'entre eux firent remarquer que les prescriptions du document ne pourraient pas être rapidement suivies, surtout en raison du manque de maîtres capa­bles d'assumer le surcroît de charge qu'elles entraînaient. Il est évident, en effet, pour qui réfléchit, qui rien n'importe plus à la formation des jeunes aux langues anciennes que d'a­voir de maîtres de valeur, c'est-à-dire des maîtres qui possè­dent une saine doctrine, la connaissance de la langue qu'ils doivent transmettre et qui conduisent leur cours avec une péda­gogie telle qu'ils rendent ces langues agréables aux étudiants qui plus tard devront transmettre cette même matière à d'autres élèves. Tant est vraie, juste et sage, la parole de S. Ambroise : « *La première ardeur du disciple réside dans la haute qualité du maître.* » (De Virg. 2, 2, 7). Dès lors si les maîtres capables font défaut on doit, sans reculer devant aucun obstacle et aucune charge, les préparer dans les grands et petits séminaires ; en toute discipline les progrès sont conditionnés considérablement par la première initiation. Il faut donc, de toute nécessité, pourvoir à ce que l'on ait des maîtres largement préparés et non pas improvisés ; riches d'une vaste érudition et, par le fait même, capables de saisir l'attention des élèves ; qui suivent une méthode d'ensei­gnement faite non seulement d'expériences ou de mémoire, mais pleinement rationnelle. C'est une sottise de penser qu'il suffit aux professeurs de langue latine d'en savoir tout juste un peu plus que leurs élèves. Il faut donc souhaiter que ceux qui exerceront cette charge importante reçoivent, dans toute la mesure du possible, une formation universitaire, où ils trouveront, grâ­ce à des maîtres éminents, aussi bien une connaissance plus précise des lettres anciennes qu'une méthode d'enseignement qui les rendent capables de former à leur tour des disciples. C'est donc avec raison que Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire, Jean XXIII, par la Constitution que Nous avons rappelée ci-dessus, enjoignit à la S. Congrégation des Séminaires et Universités de créer à Rome un Institut Pontifical pour l'en­seignement de la Latinité, dont il fixait le but. Cet institut aurait à former un groupe choisi de prêtres qui par la connaissance de l'ensemble de la latinité, par l'exercice de la rédaction cou­rante et raisonnée en langue latine deviendraient aptes à l'of­fice si honorable d'enseigner cette langue dans les Séminaires et les collèges ecclésiastiques ou encore de rédiger les actes, selon la tradition, dans les diverses congrégations du Siège de Rome, les curies des diocèses et des ordres religieux (cfr Const. Ap. *Veterum Sapientia*, n. 6). 156:83 Aussi sommes-Nous convaincu qu'il est tout à fait opportun que le Siège Apostolique établisse à Rome une École Supé­rieure pour assurer la formation à la langue latine en son en­semble. Cette École prendra place à côté des autres Athénées, qui tous ensemble illustrent cette ville, et complètera leurs en­seignements. Nous avons accepté avec gratitude les bâtiments vastes et superbes que la Congrégation Salésienne, non sans qu'elle en doive supporter les inconvénients, Nous a donnés à cette fin. Et de Notre propre mouvement, par Notre autorité Nous décrétons ce qui suit. I. -- Pour mettre à exécution les prescriptions de la Consti­tution Apostolique *Veterum Sapientia* de Notre Prédécesseur Jean XXIII, Nous fondons et créons près de l'Athénée Ponti­fical Salésien l'Institut Pontifical de Haute Latinité, et Nous ordonnons en même temps qu'on y commence le cycle des étu­des aussitôt que possible. II. -- L'Institut dépendra de la S. Congrégation des Séminai­res et Universités, non seulement pour ce qui regarde la direc­tion générale que, selon le canon 256 C.I.C., cette Congrégation assume en ce domaine, mais aussi pour le patronage particu­lier de cet Institut qu'elle reçoit ; et cela de façon que l'Institut puisse être un auxiliaire du Siège Apostolique en tout ce qui apparaît concerner le développement effectif de la langue latine dans l'Église. III. -- A cette fin, la charge de Grand Chancelier sera à la disposition du Cardinal Préfet de la S. Congrégation des Sé­minaires et Universités. Et comme la Société de S. François de Sales a pris sur elle d'assurer la prospérité de l'Institut de Haute Latinité, seront auxiliaires du Grand Chancelier, à la fois le Maître Général « pro tempore » de la Société Salésienne qui fera fonction de vice Grand Chancelier et le Recteur Magnifique de l'Athénée Pontifical Salésien. IV. -- La direction immédiate et ordinaire de l'Institut sera confiée à un Président choisi et nommé par la S. Congrégation des Séminaires et Universités, avec Notre approbation. Ce prési­dent, aidé d'un Collège Académique pour les affaires d'impor­tance majeure, traitera avec la même S. Congrégation pour tout ce qui concernera l'activité et les entreprises de l'Institut. V. -- Étant donné la nécessité pour cet Institut d'avoir à sa disposition des professeurs renommés pour leur autorité, leur compétence et leur expérience en chacune des disciplines, on aura soin de choisir ces maîtres, sans aucune discrimination de nationalité, soit parmi l'un ou l'autre clergé, soit dans l'ordre des laïcs. La nomination en demeurera réservée à la S. Con­grégation des Séminaires et Universités. 157:83 VI. -- L'ensemble des enseignements qui seront délivrés dans l'Institut embrassera les disciplines principales et secon­daires qui permettent à un étudiant de connaître la langue latine ancienne et récente, celui-ci devant suivre les voies et méthodes qui paraissent actuellement les plus aptes à préparer un enseignement littéraire. Cette formation requiert, nécessairement, que l'on pratique assidûment l'exercice de la rédaction en latin de manière que les étudiants saisissent totalement la nature de la langue latine, sa force et ses lois, et également qu'ils l'écrivent avec aisance, pureté et élégance. VII. -- Au nombre des disciplines d'enseignement doit prendre place la langue grecque. Quiconque ignore cette lan­gue ne peut, en aucune façon, être considéré comme bien ins­truit des lettres latines. En effet personne ne met en doute que la langue latine ne soit étroitement unie au grec soit en raison de la nature et de la structure de ces deux langues, soit en raison des influences réciproques qui ont joué entre elles au cours des siècles. VIII. -- Le cycle complet des Études s'étendra sur quatre ans. Celui qui aura suivi avec succès les études pendant deux ans, pourra recevoir le Baccalauréat ; pendant trois ans, la Licence ; pendant quatre ans, le Doctorat, Mais nul ne pourra être présenté à ces grades universitaires s'il n'a, d'abord, af­fronté les examens de chaque discipline et subi les épreuves écrites, qui seront fixés avec le plus grand soin dans l'ordon­nance générale des études. IX. -- Pour répondre aux nécessités de certains étudiants, on réglera le plan général des études de manière à organiser, à côté du cycle plénier qui conduit au Doctorat, des cycles plus courts qui permettront d'accéder à des diplômes particuliers en Lettres Latines ou Grecques. X. -- L'Institut Pontifical de Haute Latinité sera ouvert aux jeunes gens de toutes nationalités, aux étudiants du clergé séculier, des Ordres religieux et aux hommes laïcs. Nous engageons les Évêques et les Supérieurs Majeurs des Ordres et Congrégations de Religieux à envoyer à cet Institut les professeurs de Séminaires et de collèges religieux, surtout s'ils sont jeunes, de façon à ce que ceux-ci perfectionnent et achèvent les études de lettres auxquelles ils sont consacrés. XI. -- Nous décidons, en outre, qu'aux étudiants les meil­leurs qui se signalent par leur empressement, leur application et leurs connaissances, des avantages et facilités seront accor­dés pour qu'ils puissent couvrir les dépenses des études. 158:83 A cet effet Nous encourageons la constitution de bourses annuelles en faveur des étudiants, la création de fonds en faveur de l'Ins­titut de manière à subvenir aux nécessités que requièrent les initiatives littéraires et l'enseignement de l'Institut. L'adminis­tration de ces bourses et de ces fonds sera fixée par un règle­ment qui devra être approuvé par la S. Congrégation des Sémi­naires et Universités, et elle sera soumise entièrement à sa vigilance. XII -- L'Institut veillera à faire connaître les œuvres et les actes des auteurs relatifs à toute la Latinité. Il prendra aussi toutes les dispositions, favorisera toutes les entreprises, qui sont susceptibles de seconder la connaissance et l'usage de la langue latine. XIII -- Enfin Nous donnons mandat à la S. Congrégation des Séminaires et Universités, d'établir, en conformité avec ces prescriptions que Nous portons ici, les lois et les règlements qui, étant donné la nature et le but de l'Institut, pourvoiront à son agencement et aux conditions des directeurs et des profes­seurs. Un soin particulier sera apporté à l'établissement du pro­gramme d'études, des méthodes d'enseignement et des normes d'éducation. Tout ce que Nous avons décrété par cette lettre motu pro­prio, Nous ordonnons que ce soit tenu pour ferme et établi, nonobstant toutes choses contraires. Donné à Rome, près St. Pierre, le 22 février 1964, première année de Notre Pontificat. 159:83 ## "Pax" a été démasqué en France (*L'affaire Pax en France*) > I. -- De janvier à mars 1964. > > II -- La publication intégrale du document. > > III. -- La réponse des « I.C.I ». > > IV. -- Précisions sur les « I.C.I. » et sur le Cerf. > > V. -- Nouvelles précisions dans « La Croix » du 22 mars. 160:83 ### I. -- De janvier à mars 1964 Il y a quatre mois, le 1^er^ janvier 1964, paraissait dans *Itinéraires* une ample étude intitulée : Le mouvement « Pax » en Pologne, en France et autour du Concile. On y lisait entre autres : Au printemps de l'année 1963, la Cardinal Secrétaire d'État du Souverain Pontife demanda au Nonce à Paris de faire connaître à l'Épiscopat et aux Supérieurs majeurs des religieux résidant en France une Note circonstanciée de dix pages sur l'activité de *Pax*. Cette Note, le jeudi dans l'octave de la Pentecôte, fut effectivement adressée par le Secrétariat de l'Épiscopat à ses destinataires. Dans cette Note est signalée avec précision l'activité de *Pax ***:** 1. -- en Pologne ; 2. -- en France ; 3. -- en vue du Concile. Sur l'action de *Pax* en Pologne et en France, le contenu de la Note est substantiellement identique aux précisions que nous avons données ci-dessus. Sur l'action de *Pax* en vue du Concile, le contenu de la Note est substantiellement identique aux précisions que nous donnons plus loin. Dans la même Note, l'attitude indéfendable des *Informa­tions catholiques internationales* est clairement mise en cause. \*\*\* Le 7 janvier, le Bulletin d'André Noël publiait des pas­sages de la Note en question, notamment ceux qui mettent en cause les *Informations catholiques internationales* et leur rédacteur en chef José de Broucker. Le 8 janvier, *La Nation française* faisait écho à l'article d'*Itinéraires* et commençait à en reproduire les principaux passages (reproduction terminée dans le numéro du 22 jan­vier de La Nation française). 161:83 Le 17 janvier, l'hebdomadaire parisien *Minute* repre­nait à son compte, d'une manière un peu approximative, et comme une information inédite, une partie de ce qui avait paru dans les publications ci-dessus ([^44]). Première réaction de\ « Témoignage chrétien »\ le 23 janvier 1964 Sous le titre : « Calomnies », l'hebdomadaire *Témoi­gnage chrétien* publiait alors, le 23 janvier, la notice sui­vante : A la demande de Rome, le Secrétariat de l'Épiscopat a envoyé confidentiellement aux évêques français un document pour les informer sur le mouvement polonais « Pax ». Ce texte, qui mettrait en cause des journalistes catholiques français, circule actuellement à Paris et a même été publié par l'hebdomadaire « Minute », spécialisé dans la publica­tion des mémoires des chefs O.A.S. But recherché de cette orchestration publicitaire : prouver que des influences com­munistes polonaises camouflées s'exercent sur des éléments catholiques français, qualifiés abusivement de « progres­sistes ». Surprenant : pour une fois, « Témoignage chrétien » n'est pas mis en cause ! Cette étrange notice romancée sera commentée en ces termes par le mensuel *Le Monde et la Vie :* Si *Témoignage chrétien*, par discrétion sans doute, ne demande pas que la lumière soit faite sur cette affaire, nous pensons que l'opinion catholique doit être éclairée et que le plus tôt sera le mieux. *Ce que* « *Pax *» *redoute*, dit Rome, *c'est d'être démasqué*. De deux choses l'une : ou Rome calomnie, comme le dit *Témoignage chrétien*, ou les évêques français gardent un silence incompréhensible. 162:83 Seconde réaction\ de « Témoignage chrétien »\ le 13 février 1964 En page 11 de son numéro du 13 février, *Témoignage chrétien* publie en caractères gros et gras cette énorme contre-vérité : *Pax* est discuté par la Hiérarchie polonaise et est facile­ment taxé de progressisme. *Pax* n'est pas « discuté » par la Hiérarchie polonaise, ni seulement « taxé de progressisme » par la même Hiérar­chie. *Pax* est dénoncé, preuves à l'appui, comme un orga­nisme de noyautage dirigé par l'appareil communiste. *Témoignage chrétien* s'étonnait le 23 janvier de n'être pas « pour une fois, mis en cause ». Eh ! bien, voilà qui est fait. *Témoignage chrétien* s'associe délibérément au mensonge sur *Pax*, en s'obstinant mordicus à présenter *Pax* comme autre chose que ce qu'il est : « CE MOUVEMENT, précise la note de la Secrétairerie d'État du Saint-Siège, REÇOIT ORDRES ET DIRECTIVES DU PARTI COMMUNISTE, DE LA POLICE SECRÈTE ET DU BUREAU POUR LES AFFAIRES DU CUL­TE. » Voilà le point qu'omettent de dire et même que dissi­mulent positivement aussi bien *Témoignage chrétien* que les *Informations catholiques internationales*. \*\*\* Ce même 13 février, les *Nouvelles de Chrétienté* écri­vent : Le numéro d'*Itinéraires* (de janvier) commente une Note de la Secrétairerie d'État du Saint-Père, circonstanciée et précise, qui dévoile aux autorités religieuses les infiltrations inquiétantes de la propagande progressiste *Pax* polonaise dans certains milieux ou organes catholiques français... Nous recommandons l'article d'*Itinéraires* pour la documentation de nos lecteurs... 163:83 Le 20 février, les *Nouvelles de Chrétienté* publient les extraits de la Note de la Secrétairerie d'État qui avaient paru le 7 janvier dans le *Bulletin* d'André Noël. \*\*\* Le 27 février, dans *Aspects de la France*, Xavier Vallat parle à son tour de l'affaire *Pax*, cite quelques extraits de la Note, et conclut : Il est visible que « *Pax* redoute d'être démasqué en Fran­ce ». C'est chose faite aujourd'hui, grâce au document romain. Mais un paroissien moyen se montrerait-il trop exi­geant s'il demandait à ses propres pasteurs de ne pas laisser le soin à cette Curie romaine tant vilipendée de défendre leurs ouailles contre les loups ravisseurs ? L'incident Hourdin Georges Hourdin est comme on le sait directeur des *In­formations catholiques internationales* qui ont été mises en cause. Dans *Le Monde* du 28 février, à la rubrique des « Nou­velles religieuses », on lisait l'information suivante : Incident dans une église de Passy. -- M. Georges Hourdin, directeur des *Informations catholiques internationales*, qui de­vait prononcer mercredi soir une conférence sur les laïcs et le Concile dans la crypte de l'église Notre-Dame-de-Grâce à Passy, en a été empêché par un groupe de personnes par­tiellement composé d'émigrés polonais... La fable des « émigrés polonais » étant ainsi lancée à toutes fins utiles, *Le Monde* continuait : ...Le chanoine Mezerette, curé de la paroisse, décida de mettre fin à la manifestation en faisant appel à la police et, en accord avec le conférencier, annula la séance. Les manifestants appuyaient leur démonstration en présen­tant comme une condamnation romaine une Note confiden­tielle de l'épiscopat polonais transmise à l'épiscopat français par le Secrétairerie d'État à la suite d'une étude sur la Pologne dans les *Informations catholiques internationales*, publiée en novembre 1961. 164:83 Et *Le Monde* concluait (avec humour ?) : Dans les milieux proches de l'épiscopat français, on n'hésite pas à présenter comme tout à fait dénuée de fondement l'accusation lancée contre M. Hourdin et les journaux publiés sous sa responsabilité, de compromission avec le mouvement polonais *Pax*. Comme quoi les « milieux proches de l'épiscopat fran­çais » que fréquente *Le Monde* ne sont pas les bons : car justement la Note met directement en cause les *Informa­tions catholiques internationales*, publiées sous la responsa­bilité de Georges Hourdin. « La Croix » du 29 février *La Croix*, qui n'avait rien dit d'abord, ayant « jugé pré­férable de ne point faire immédiatement état » des inci­dents de Passy, décide, après réflexion, de publier le 29 février « une mise au point » mûrie et méditée, déclarant notamment : Les incidents ont été provoqués par des manifestants pour la plupart d'origine polonaise. Ceux-ci reprochaient aux *Informations catholiques internationales* leur attitude envers le mouvement *Pax* et avaient voulu lire « un document de la Secrétairerie d'État ». Il s'agit d'un rapport du cardinal Wyszynski, archevêque de Varsovie, daté de juin 1963, sévère pour ce mouvement et regrettant l'audience qu'il trouve à l'étranger. Ce texte a été remis à la Secrétairerie d'État et transmis confidentiellement à l'épiscopat français. A la suite de fuites récentes, ce document circule sous le manteau. 165:83 On comprend le souci d'élégance de *La Croix*, laissant ignorer que la Note de la Secrétairerie d'État prenait, entre autres, la défense de *La Croix* elle-même contre les ma­nœuvres organisées, au profit de *Pax*, par la direction des *Informations catholiques internationales*. On comprend moins bien l'inexactitude des « manifestants pour la plupart d'origine polonaise ». Deux jours plus tôt, *Le Monde* avait écrit : « un groupe de personnes PARTIELLEMENT composé d'émigrés polonais ».Deux jours plus tard, *La Croix* surenchérit dans l'affabulation, et rem­place « partiellement » par « la plupart ». Telles sont les « techniques modernes d'information » dont on nous parle tant, et si emphatiquement : elles ne se distinguent guère du jeu des petits papiers. Il était assurément abusif de réputer « circulant sous le manteau » un texte dont d'importants passages étaient, à cette date, publics et publiés depuis un mois et davantage : le 7 janvier dans le *Bulletin* d'André Noël, le 17 janvier dans *Minute*, le 20 février dans *Nouvelles de Chrétienté*. Toutefois *La Croix* confirmait publiquement l'existence et l'authenticité du document. Elle ajoutait néanmoins : D'aucune façon ce document n'autorise des laïcs à se faire juges de la foi de leurs frères. Mais c'était déplacer la question : il s'agit non pas de la foi des *Informations catholiques internationales*, mais des informations trompeuses que ces mêmes *Informations catholiques internationales*, et aussi *Témoignage chrétien*, ont publiées sur *Pax*. « Témoignage chrétien »\ récidive le 5 mars En page 13 de *Témoignage chrétien* du 5 mars : Obstruction au cours d'une conférence à Passy. -- Notre confrère et ami Georges Hourdin, directeur des *Informations catholiques internationales*, devait faire, la 26 février dernier, une conférence sur le Concile, dans la crypte de l'église Notre-Dame-de-Grâce à Passy. 166:83 Des perturbateurs pour la plupart d'origine polonaise et appartenant vraisemblablement à des milieux intégristes l'en ont empêché en poussant des cris. Ces opposants re­prochaient aux *Informations catholiques internationales* un article sur l'Église de Pologne qu'ils estiment, selon eux, trop favorable au mouvement « Pax »... On voit quelle méthode oblique *Témoignage chrétien* met en œuvre pour continuer à cacher la vérité à ses lec­teurs. Il y aurait un seul article, que les perturbateurs « esti­ment, selon eux, trop favorable ». Ce n'est pas « selon eux », mais selon la Note du Saint-Siège. Ce n'est pas « trop fa­vorable », mais radicalement inexact et trompeur. Le récit\ d'Édith Delamare Édith Delamare, l'excellente et délicate historienne de *Saint Martin* et de *Saint Patrick* (Mame éditeur) était pré­sente à la conférence de Georges Hourdin. Elle a fait dans *Rivarol* du 5 mars le récit des incidents auxquels, elle a personnellement assisté. Voici les principaux passages de son récit : A 21 heures la crypte de l'église (qui est fort grande) s'était peu à peu emplie d'environ 400 personnes. Une table et quelques chaises étaient placées devant l'autel. Bien entendu le tabernacle était vide (il est d'ailleurs relégué sur le côté). A 21 h. 50, M. le chanoine Mézerette, curé de la paroisse, faisait son entrée avec son premier vicaire, suivis de M. Hourdin et d'un laïc. Ce fut ce dernier -- probable­ment membre de l'Action catholique des hommes, organisa­trice de la soirée -- qui présenta le conférencier. Précaution d'ailleurs inutile, car M. Hourdin est un habitué de la pa­roisse où il préside des dîners de jeunes une ou deux fois l'an. M. Hourdin, donc, venait ce soir-là avec un grand mérite, car il était mal remis d'une bronchite. La bronchite de M. Hourdin ayant fait courir un ricane­ment hostile, il était dès lors prévisible que le « débat » annoncé aurait lieu. Le conférencier ayant là-dessus pris le micro, un jeune homme se dressa et cria de son banc : 167:83 « Monsieur Hourdin !... vous n'êtes pas qualifié pour nous parler de nos devoirs de laïcs ! Pour qui travaillez-vous ? Pour l'Église ? ou pour Moscou ?... » ...Un prêtre en soutane sortit des rangs et escalada les marches jusqu'au micro. (Détail piquant : sur l'estrade, tous les prêtres de la paroisse était en clergymen. Dans la salle, tous les prêtres de l'assistance étaient en soutane.) Un prêtre en soutane donc, prit le micro et cria : « Les *Informa­tions catholiques internationales* sont mises en cause dans un document du Saint-Siège. Je propose qu'on lise le docu­ment ! » Un « oui » unanime lui répondit. Malheureusement le laïc qui lui succéda, document en main, fut dans l'impossibilité de prononcer un mot. Non pas que la salle couvrit sa voix, comme celle de M. Hourdin (lequel avait disparu), mais parce que le clergé paroissial monta bonne garde autour du micro. Aucune explication ne pouvant dès lors être donnée dans le calme, la salle s'injuria dans la confusion (...). M. le premier vicaire, ayant reconquis le micro, envoya un baiser à la foule en criant triomphalement : « On a pré­venu la police ! » Ce baiser à ceux qu'on allait livrer surprit quelques paroissiens. La police fit effectivement irruption dans l'église quelques minutes plus tard et les agents demeurèrent stupéfaits de l'ambiance de cette salle paroissiale. L'un d'eux s'écria « Mais on ne va pas embarquer tout ça ! » De fait, à leur vue, les cris se turent. Quelques paroissiens scandalisés de cette irruption policière dans leur église, gagnèrent la sortie, la plupart sans avoir rien compris à ce qui était arrivé (...). Une dame, suave, demanda : « Main­tenant que vous avez la police, vous pouvez peut-être lire le document, Monsieur le Curé ? » Mais la police entreprenait gentiment d'évacuer la salle (...). Précisons ici que, contrairement à ce qu'a écrit toute la presse, il n'y avait aucun prêtre ni catholique polonais dans l'assistance. Uniquement des catholiques français, venus sur l'annonce d'une conférence publiée à grands renforts de tracts... Édith Delamare, en conclusion, discerne cette cause d'une telle « explosion » : 168:83 Depuis l'absorption, il y a vingt ans, par l'Action catholi­que, de la Fédération nationale catholique fondée par le général de Castelnau, toute une famille d'esprits se trouve dépourvue de tout moyen de se faire entendre dans l'Église. Il s'est ainsi créé une situation explosive. « La France catholique »\ intervient le 6 mars Dans son numéro du 6 mars (page 5), *La France catho­lique* rapporte brièvement les incidents, rappelle qu'elle a, pour sa part, démasqué *Pax* et son action en France dans plusieurs articles parus les années précédentes, et précise : Le 6 juin dernier, à la demande de la Secrétairerie d'État du Vatican, une Note de dix pages sur « Pax », émanant de l'épiscopat polonais, a été envoyée par l'intermédiaire de la Nonciature et du Secrétariat de l'épiscopat français, à tous les évêques français. Destiné à l'information de l'épiscopat français, celui-ci n'a pas divulgué ce document, qui analysait avec précision l'ac­tivité de « Pax » en Pologne, en France et en vue du Concile. On sait pourtant qu'il critiquait un « dossier » publié par les *Informations catholiques internationales*. Voilà pourquoi des catholiques se sont opposés à ce que M. Hourdin prenne la parole dans la crypte d'une église parisienne. *La France catholique* conclut en renvoyant ses lecteurs à trois sources d'information : 1. -- Le livre de Claude Naurois : *Dieu contre Dieu* (Éditions Saint-Paul). 2. -- Le livre de Pierre Lenert : *L'Église catholique en Pologne* (Centurion-Bonne Presse). 3. -- L'article d'*Itinéraires* de janvier 1964. \*\*\* 169:83 Le même 6 mars, le *Bulletin* d'André Noël passe en re­vue les réactions de la « grande presse » sur l'incident Hourdin. Nous ne les évoquons pas ici, car ce serait une autre question : la désinvolture romancée avec laquelle la presse de « grande information » publie n'importe quoi sur n'importe quoi, précisément sans daigner « s'informer ». Un quotidien qui n'est pas le plus mauvais, *L'Aurore*, a pu écrire que Georges Hourdin est... le fondateur de Pax ! Toute sorte d'inexactitudes fourmillent partout dans la grande presse quotidienne, et d'autant plus nombreuses qu'elle est plus grande. Mais le public commence à savoir que la presse qui se veut et se dit *d'information* n'est pas une source d'information. André Noël écrit notamment : (Les quotidiens) inventèrent de toutes pièces des oppo­sants polonais (il n'y avait pas un seul Polonais dans l'assis­tance) et se bornèrent à évoquer des motifs de désaccord bénins, bénins : M. Hourdin a une personnalité « complexe » qui l'a incité à traiter les « problèmes de l'Église polonaise » d'une manière « nuancée » (...). Ainsi a-t-il publié en 1961 « une étude peut-être trop favorable à *Pax* », ce qui aurait provoqué (en 1963 !) l'envoi à l'Épiscopat français d'une « note rédigée par le Vatican », note qui n'était « ni vio­lente ni péremptoire », et qui « sans condamner formelle­ment *Pax* », recommandait « la plus grande prudence »... aux fidèles de bonne foi qui en apportant leur « sympathie » à ce mouvement ne percevaient pas ce qu'il avait de « sus­pect ». Pour qui a lu le document, cette façon lénitive -- et mani­festement inspirée -- de le présenter constitue non seule­ment une preuve évidente de mauvaise foi, mais un aveu supplémentaire de culpabilité (...). Si, depuis deux mois, M. Hourdin « refuse d'engager une polémique à ce sujet », et si, du *Monde à Témoignage chrétien*, l'on a choisi de ma­nœuvrer l'éteignoir au lieu de jeter feu et flamme, c'est que, pour nos progressistes, l'affaire est d'une gravité exception­nelle (...). Il ne s'agit pas, comme on voudrait nous le faire croire, d'un grief secondaire, isolé, déjà ancien, portant sur la publication accidentelle d'un article « trop favorable » à un organisme « suspect ». Il s'agit d'une adjuration pathétique, véhémente, dénonçant une entreprise permanente de noyau­tage... 170:83 ### II. -- La publication intégrale du document Au même moment paraissait le numéro 8 de *Permanen­ces* (mars 1964) qui, pour la première fois, publiait inté­gralement le document romain. Voici la reproduction de ce qui a paru dans *Permanen­ces* (et qui est absolument et intégralement conforme au document original). Il y a d'abord la lettre accompagnant l'envoi de la Note aux Évêques et Supérieurs majeurs des religieux résidant en France. Elle est ainsi conçue (la reproduction de Permanences omet seulement de donner la date de cette lettre, qui est : 6 juin 1963) : Le Secrétariat de l'Épiscopat a reçu de Monseigneur le Nonce apostolique la lettre suivante : « Le Cardinal Secrétaire d'État me prie de faire connaître à l'Épiscopat et aux Supérieurs Majeurs des religieux résidant en France, la note ci-jointe sur l'activité du Mouvement « Pax ». « A ce sujet, le Cardinal Wyszynski, auteur de ce rapport, a résumé ainsi sa pensée : « 1) « Pax » n'est pas une organisation à but culturel, mais uniquement un moyen de propagande déguisé, pour dénigrer l'activité de l'Église en Pologne par la diffusion de fausses informations. 171:83 « 2) Ce mouvement reçoit ordres et directives du parti communiste, de la police secrète et du bureau pour les affaires du Culte. « 3) En récompense de sa soumission, « Pax » bénéficie de certaines facilités et appuis comme, par exemple, pour ses publications et ses entreprises commerciales ». En conséquence, le Secrétariat de l'Épiscopat fait volon­tiers parvenir à NN. SS. les Évêques et aux Supérieurs Majeurs des Religieux résidant en France, le document ci-joint. Et voici la Note elle-même : Depuis quelque temps, mais surtout depuis le début du Concile, le groupement PAX qui se présente comme « *mou­vement des catholiques progressistes de Pologne* » a inten­sifié sa propagande dans les pays de l'Occident, surtout en France, en diffusant des nouvelles fausses ou équivoques qui font du tort à l'Église. PAX bénéficie de *l'ignorance* de certains milieux catholi­ques occidentaux à l'égard de ce qu'on a pris l'habitude d'appeler « *l'expérience polonaise de la coexistence* », mais aussi du *silence forcé* des évêques, prêtres et laïcs polonais qui se refusent à tous renseignements au sujet de la « réalité polonaise », sachant que, dès leur retour, toutes leurs paroles seraient passées au crible de l'appareil policier et que la moindre imprudence de leur part pourrait susciter de dures représailles. Dans ces conditions qui favorisent la prolifération d'opi­nions erronées, au grand préjudice de l'Église en Pologne, une *mise en garde s'impose.* **1. --** PAX se présente à l'étranger comme un « mouvement » des catholiques progressistes polonais. De ce fait, on est tenté de les assimiler à des mouvements progressistes occidentaux qui, sous des régimes démocratiques, professent en toute liberté leurs opinions et leurs sympathies pour les programmes et les tendances de la gauche politique de leurs pays respectifs. 172:83 En réalité, PAX n'est pas un « mouvement », mais un organe de l'appareil policier strictement articulé, qui relève *directement* du Ministère de l'Intérieur et exécute avec une obéissance aveugle les directives de la police secrète, l'U.B. Ce fait n'est pas ignoré en Pologne, mais l'on sait qu'il est dangereux d'en parler. Une seule fois, à l'abri du « dé­gel » d'octobre 1956, communistes et catholiques furent d'accord pour *dénoncer* et *stigmatiser ouvertement* le carac­tère et les activités de cette agence secrète de l'U.B., d'o­bédience stalinienne. Ce fut un exutoire de ressentiments longuement réprimés à l'égard d'agents doubles notoires et, redoutés, dont le rôle répugnait non seulement aux catho­liques, mais aussi aux communistes honnêtes. Soulignons qu'à l'époque la presse communiste fut particulièrement féroce pour PAX. On alla jusqu'à mettre au grand jour, dans une revue économique, ses bilans, pour démontrer les faveurs très particulières dont il bénéficiait auprès du régi­me, entre autres l'exemption de tout impôt sur les revenus, des concessions lucratives et le monopole dans certaines zones réservées de la production (publications religieuses, art sacré) qui en avaient fait un véritable *trust capitaliste sous un régime communiste.* La liberté d'expression due au « dégel » de 1956 fut vite jugulée, mais le peuple polonais en avait profité pour faire provision de vérités dont on l'avait depuis trop longtemps privé, et *jamais*, depuis, PAX n'a pu prétendre à la moindre influence effective sur les masses ouvrières et paysannes, dont il est *coupé*. *Sa raison d'être* sur l'échiquier politique du P.C. se réduit donc *à son efficacité à l'étranger* où sa collaboration se ré­vèle précieuse. La France notamment a été confiée d'une façon tout à fait particulière aux services de PAX, discrète­ment soutenus par les milieux diplomatiques polonais. **2. ***--* Pour mieux comprendre les activités de PAX, il est bon de remonter à ses origines. Son fondateur, M. PIASECKI, condamné à mort par les soviets pour faits de résistance, a eu la vie sauve *au prix d'un engagement formel de noyauter et d'asservir l'Église au profit de la révolution communiste*. 173:83 Dès le début, PAX a donc eu le caractère *d'une agence secrète de stricte* *obédience*. Tous ses membres sont des *fonc­tionnaires rétribués* (les formes de ces prestations varient) tenus à exécuter des plans précis et d'en rendre compte. Les ordres émanent du Bureau central du P.C. M. Piasecki dépend *directement* de « l'Office de Sécurité » (U.B.) et de l'Office des Cultes qui dispose actuellement, en Pologne, d'un pouvoir *absolu* et, de fait *totalitaire* pour tout ce qui concerne l'Église catholique. ([^45]). Le rôle de M. Piasecki n'a pas toujours été facile. Il a dû, il doit manœuvrer entre les écueils du « Parti » et de « l'Anti-Parti ». Tombé en disgrâce après le dégel de 1956, il a pu peu à peu rétablir sa position grâce aux services apprécia­bles qu'il rend à l'étranger, notamment en France. **3.** -- En Pologne, PAX est entièrement coupé des masses paysan­nes et ouvrières, plus libres à manifester leur méfiance et plus indépendantes. Les intellectuels, surtout les écrivains, sont évidemment plus vulnérables du fait que PAX possède une maison d'éditions prospère *et qui paie bien.* Dans un pays où, de l'aveu même du gouvernement, les salaires attei­gnent rarement le niveau du minimum vital, la tentation de collaborer avec PAX est évidemment grande et le refus de toute collaboration suppose une force d'âme peu commune. Des écrivains de classe se sont laissé embrigader pour des avantages matériels. Nul n'ignore en Pologne que cette in­fluence relative de PAX sur certains intellectuels est en fonction de ces avantages matériels et que, privé de ses revenus, du jour au lendemain, il se verrait privé de la seule force d'attraction dont il dispose en Pologne. 174:83 Au-dessus de cette tourbe famélique de profiteurs malgré eux et de trafiquants de progressisme, il y a le cercle res­treint des « initiés » qui constitue une caste fermée et im­perméable, liée par des engagements, voire des serments stricts et sévères. M. Piasecki est le chef incontestable de PAX, à tous les biveaux. M. Piasecki a donné sa mesure lors de la publication, en 1955 (au plus fort de la terreur stalinienne et pendant l'in­ternement du Cardinal Wyszynski et d'autres évêques polo­nais) de son livre intitulé « *Les problèmes essentiels *» qui, depuis, a été condamné par le Saint-Office. Cette con­damnation a obligé M. Piasecki à réviser ses positions. Les catholiques de l'Occident ont fait grand cas de sa soumis­sion, sans se douter qu'il n'avait de raison d'être sur l'échi­quier du P.C. qu'en tant que « soumis », non pas HORS mais à l'INTÉRIEUR de l'Église. Indépendamment donc de ce que pouvaient avoir de méritoire le retrait de son livre et la nouvelle orientation de sa revue, n'oublions pas qu'*une fois démasqué*, PAX *n'avait pas d'autre issue*. C'est un fait signi­ficatif que depuis, jusqu'à une date fort récente, PAX ait fait preuve d'un grand souci pour l'orthodoxie de ses publica­tions. **4. --** En réalité, seule *la tactique* a changé, nullement le *plan stratégique* ([^46])**.** Depuis quelques mois, PAX est en train de *ranimer* et de *diffuser* les idées forces des PROBLÈMES ESSENTIELS. Notons que les années de réclusion du Cardinal Wyszynski *marquent l'apogée du pouvoir* de M. Piasecki. Ce fut l'épo­que où, sur l'ordre de ses grands patrons, PAX absorba TOUTES les publications catholiques jusque là indépendantes. 175:83 La déstalinisation marqua son éclipse et le mit en veilleuse. Ce n'est que tout récemment que l'étoile de M. Piasecki re­prend de l'éclat, g*râce à la mission qui lui a été confiée à l'occasion du Concile œcuménique.* **5. --** Avant de préciser le caractère de cette mission, rappe­lons brièvement les principes qui n'ont cessé d'orienter les activités de M. Piasecki, lesquelles s'emboîtent d'ailleurs toujours, sans fissures, dans le plan du P.C. ([^47]). « Pour en finir avec la religion, a dit Lénine, il est bien plus important d'introduire LA LUTTE DES CLASSES au sein de l'Église, que d'attaquer la religion DE FRONT. » Il s'agit donc d'agir en DISSOLVANT, de former des foyers de diversion parmi les fidèles, *mais surtout dans les milieux ecclésiastiques et religieux.* *Scinder les évêques en deux blocs ***:** les « intégristes » et les « progressistes ». Dresser les prêtres, sous mille prétextes, CONTRE les évêques. Enfoncer un coin subtil dans les mas­ses, par des distinctions ingénieuses entre « réactionnaires » et « progressistes ». Ne jamais attaquer l'Église *de front*, mais, « pour son bien », « ses structures surannées » *et les* « *abus qui la dé­figurent *». Au besoin, paraître plus catholiques que le Pape. A coups de sape habiles, former dans les milieux ecclésias­tiques des noyaux *d'insatisfaits* pour les attirer peu à peu « dans le climat fécond de la lutte des classes ». « Adapta­tion » lente et patiente par l'infiltration de nouveaux con­tenus dans les idées traditionnelles. L'ambivalence de cer­tains termes qui ont un tout autre sens en France et en Polo­gne (« progressisme » et « intégrisme », attitude « ouverte » et « fermée », démocratie, socialisme, etc.) contribue à créer des équivoques. 176:83 En somme, il s'agit non pas de « liqui­der » l'Église, mais *de la* *mettre au pas en l'embrigadant au service de la révolution communiste.* « Nous nous efforçons de faciliter un processus historique inévitable, qui obligera l'Église universelle à réviser ses posi­tions », écrit M. Piasecki, dans un éditorial du 25/XI/1955. En même temps, M. Piasecki s'efforce d'exploiter les idées messianiques qui flattent l'amour propre national : la Pologne ne serait-elle pas appelée par la Providence à servir de MODÈLE DE COEXISTENCE entre l'Église catholi­que et l'État communiste ? « Évidemment, écrit-il, pour que la Pologne puisse servir de modèle, il faut qu'*au plus vite le catholicisme polonais devienne progressiste et collabore de plus en plus activement à l'édification économique du socialisme. C'est cela qui cons­titue le devoir quotidien de notre mouvement progressiste*. (Pentecôte 1956). **6. --** Pour atteindre ces fins, il fallait absolument « *que des catholiques intelligents, prêtres et laïques, trouvent le courage nécessaire et des arguments pour faire entendre raison aux évêques et pour les maintenir dans une juste éva­luation de la réalité temporelle politico-sociale* ». Ces tentatives de PAX ayant échoué, « *en automne 1953 il a fallu faire un nouvel effort, très sérieux, pour assurer un développement normal dans les relations entre l'Église et l'État... par la décision du Gouvernement interdisant toute ac­tivité au Cardinal Wyzynski* ». (Problèmes essentiels, p. 184-5). Cette « décision » semblait ouvrir devant M. Piasecki un champ d'action illimité. Grisé par son succès, M. Piasecki prit alors OUVERTEMENT le parti du gouvernement, *contre les évêques prisonniers.* Ses déclarations, d'une franchise brutale, le démasquaient devant le peuple. Pendant les années de réclusion du Cardi­nal Wyszynski, sûr de lui-même et de ses grands patrons, M. Piasecki ne cachait plus son jeu. Cyniquement, il ne re­connaissait à l'Église qu'un *rôle fonctionnel* dans le camp socialiste, en tant que « fonction PRODUCTRICE, VÉRI­FIABLE DANS L'HISTOIRE » (ibidem). 177:83 La libération du Cardinal Wyszynski en automne 1956 fut pour M. Piasecki un grave *échec personnel*. Le ressentiment qui en est né explique l'acharnement qu'il déploie dans ses campagnes de dénigrement, d'insinuations, voire de calom­nies dont la Cardinal Wyszynski, plus que tout autre évêque polonais, fait les frais. Cette campagne, inefficace en Polo­gne, ne laisse d'avoir une certaine influence sur les étran­gers *qui ignorent les données du problème*. Voici, à titre d'exemple, quelques chefs d'accusation, sournoisement diffusés par les services de M. Piasecki : Les évêques polonais sont « des grands seigneurs » de style féodal, nantis des biens de cette terre et gardant des distances à l'égard des prêtres et des fidèles. Les laïques sont « opprimés » par les évêques qui les privent de toute initiative dans un système de cléricalisme suranné. Le fait est qu'en Pologne AUCUN évêque n'a de compte en banque, pour cette simple raison qu'il serait immédiate­ment saisi par le fisc. La façade « grands seigneurs » ca­che donc une grande pauvreté authentique qu'en Pologne personne n'aime afficher (surtout devant les étrangers) et qui consiste à vivre au jour le jour, des ressources octroyées par la Providence, sans souci pour le lendemain. Mais il y a plus. Les évêques polonais tiennent jalousement à leur pauvreté, parce qu'elle les rapproche des masses. Lorsque, à l'occasion du « dégel » en 1956, le gouvernement de M. Gomulka proposa à l'épiscopat polonais la restitution des biens de l'Église confisqués, à l'assemblée plénière des évêques en date du 14 décembre 1956 fut prise à l'unanimité la déci­sion de décliner cette offre « pour rester au cœur des masses ». Un évêque polonais passe sa vie en visites pasto­rales et se sent chez lui et « en famille » parmi les paysans ou les ouvriers. Ce phénomène social est inconnu dans les pays où les masses sont déchristianisées. 178:83 Quant aux « laïques », chaque évêque, chaque curé, a son « conseil » diocésain ou paroissial qui rend des services inap­préciables et forme un véritable rempart contre les mesures répressives de l'Office des cultes. Lorsque ces mesures sont appliquées en dépit de leur résistance, ces laïques protes­tent en silence, par leur présence qui se chiffre par milliers. Quel évêque n'a vu affluer à sa messe, après un coup dur essuyé la veille, des masses d'hommes silencieux, jeunes et vieux, l'air grave et décidé ? Ces laïques privés des moyens d'apostolat connus dans les pays occidentaux, représentent par leur qualité et par leur nombre une force qui fait peur au régime et qui explique, en partie du moins, la situation exceptionnelle de l'Église en Pologne sous un gouvernement communiste. Soulignons qu'aucun membre de PAX ne fait et ne pourrait faire partie des conseils diocésains et parois­siaux. Les étrangers que PAX prend en charge et pilote igno­rent évidemment le statut réel du laïcat polonais. **7. --** A l'occasion du CONCILE, M. Piasecki s'est vu investi d'une nouvelle mission qui redonna du poids à son prestige politique et à ses finances. CENT millions de zlotys comme crédit annuel (au lieu de cinquante). CENT districts comme champ d'action au lieu de TRENTE : tel est le prix, payé à l'avance, dont se solde la participation active de M. Piasecki à l'exploitation du Concile au profit du « camp socialiste ». C'est un fait significatif que ce soient des communistes polonais écœurés par les agissements de M. Piasecki qu'ils considèrent comme un « agent double notoire » qui tiennent au courant et mettent en garde les évêques polonais. « Nous voulons une lutte idéologique loyale, disent-ils, non pas un système d'oppression qui se sert de l'appareil policier et de mesures administratives pour arriver à ses fins ». 179:83 Notons que des groupements « d'athées » polonais invitent parfois des évêques à des discussions à huis clos sur des questions qui les passionnent et qu'ils se refuseraient de débattre avec PAX dont ils se méfient. **8. --** Ne reste donc que *l'étranger* comme champ d'action valable. N'ayant pas réussi de scinder la cohésion de l'épiscopat polonais, PAX s'efforce maintenant de l'opposer à Jean XXIII, proclamé « Pape de la coexistence », ainsi qu'à l'é­piscopat français, « ouvert » et « progressiste ». Cette thèse, martelée sans relâche depuis quelque temps, prend soudain depuis le début de 1963 une ampleur et des résonances particulières. Le ton de la presse de PAX se fait de plus en plus virulent et agressif. L'encyclique PACEM IN TERRIS a été saluée bruyam­ment et « avec une profonde satisfaction » comme la « con­sécration officielle » et le « couronnement des efforts » déployés depuis si longtemps par M. Piasecki et son groupe. « Le chef de l'Église donne raison à ceux qui s'engagent dans une idéologie de coexistence pacifique et de collabora­tion avec des personnes professant d'autres idéologies, ce qui constitue précisément le programme de notre gauche politique ». (Slowo powszechne, 2.5.63). Selon PAX, grâce au Pape Jean XXIII « l'Ère tridentine » dans l'histoire de l'Église semble définitivement révolue et une nouvelle époque commence, « *plus ouverte et plus tolé­rante, portée aux compromis* ». Bien entendu, « la ligne de Jean XXIII » « invite l'épis­copat polonais à réviser ses positions périmées et tributai­res de l'intégrisme de Pie XII ». La presse de PAX insinue que le Cardinal Wyszynski et les évêques polonais sont fort ennuyés par cette prise de position « révolutionnaire » du Pape et que, avec l'aide des « milieux conservateurs » du Vatican, ils font tout leur possible pour minimiser la portée de cette encyclique « historique ». 180:83 **9. --** Il va sans dire que l'optique de PAX se refuse de voir dans PACEM IN TERRIS ce qui contrarie ses positions idéologiques, et que le refus de la censure de publier la tra­duction polonaise de MATER ET MAGISTRA est passé sous silence. Par contre, les devoirs des évêques polonais qui découle­raient de cette grande charte de coexistence que constitue, d'après PAX. « Pacem in terris », sont minutieusement détaillés : « Le fondement de la normalisation tant attendue dans les rapports entre l'Église et l'État implique la reconnaissance officielle par l'Épiscopat polonais de la stabilité du régime socialiste, avec tout ce que cela implique ». (Slowo powszechne 25.4.63). Cette déclaration de M. JANKOWSKI, rédacteur en chef de « Slowo powszechne », le quotidien de PAX, ne laisse aucun doute sur les conditions posées par le régime de Var­sovie pour « la normalisation tant attendue » dans les rela­tions entre l'Église et l'État. Il s'agit en somme de l'appli­cation intégrale du fameux principe « POLITIQUE D'A­BORD », par l'asservissement TOTAL de l'Église au profit de la révolution communiste. Pour qu'il n'y ait aucun doute sur ce point, M. Jankow­ski insiste : « L'expérience résultant de la rencontre de la gauche ca­tholique avec le monde socialiste consiste surtout dans la constatation de la nécessité inéluctable d'enrichir le contenu du socialisme par des chrétiens alliés du Parti de la masse ouvrière » (ibid.). M. Jankowski donne aux évêques polonais des directives dans ce sens : Le Pape « ayant officiellement reconnu la primauté du principe de la coexistence pacifique », *l'épisco­pat polonais devrait en tirer des conséquences* « *conformes aux besoins de la Pologne, en publiant une déclaration spéciale qui serait le point de départ de la normalisation des relations entre l'Église et l'État* » (ibid.). 181:83 Autrement dit, cette « normalisation » ne peut avoir lieu qu'au prix d'UN ENGAGEMENT FORMEL *de l'Église en Po­logne au service d'un parti politique* *déterminé.* Or, les représentants de PAX « *se sentent mandatés par le Pape Jean XXIII à passer à l'action* ». Par conséquent, la presse de PAX prodigue à l'adresse des évêques polonais des conseils, voire des menaces à peine voilées, qui évoquent d'une façon frappante la campagne psychologique de l'époque stalinienne. C'est ainsi que les protestations du Cardinal Wyszynski et de l'épiscopat polonais contre l'intrusion, de l'État dans l'En­seignement religieux refoulé dans l'enceinte des sanctuaires, *s'est heurtée avec la désapprobation formelle de* PAX. Dans un éditorial de Slowo powszechne, en date du 11.4.63, intitulé : « Responsabilités pour une perspective », nous lisons ce qui suit : « La coexistence pacifique n'est pas favorisée par le trans­fert des contradictions philosophiques évidentes dans le do­maine politique. Il faut constater avec une profonde sollicitude, que, malheureusement, certains sermons du Primat de Pologne ne sont pas exempts de ces tendances. Ainsi le Cardinal jugea opportun de revenir, dans un sermon aux Instituts, à la question RÉGLÉE ET EN PLEIN FONCTION­NEMENT de l'enseignement religieux en dehors des écoles, ceci d'une façon, qui, malheureusement, ne favorise pas la solution des problèmes difficiles et compliqués que posent les relations entre l'Église et l'État ». Or TROIS semaines avant cet éditorial, une lettre pasto­rale de l'épiscopat polonais en date du 21 mars 1963, avait donné aux fidèles un aperçu sur cette question apparem­ment « réglée et en plein fonctionnement » : a\) Depuis le début de 1963, les décrets visant l'enseigne­ment religieux ne cessent de se multiplier. b\) L'Office des cultes interdit d'enseigner le catéchisme aux prêtres appartenant à des instituts religieux, même s'ils sont curés ou vicaires chargés de paroisses, aux religieuses et même à beaucoup de catéchistes laïques. 182:83 c\) On interdit l'enseignement religieux dans les maisons privées, dans les salles paroissiales, dans les chapelles et même dans certaines églises. d\) Des inspecteurs de l'enseignement public exigent des curés des rapports détaillés sur l'enseignement religieux qui a lieu dans leurs églises et ils multiplient les visites d'ins­pection. e\) Les curés qui refusent ces rapports sont grevés de lourdes amendes allant jusqu'à dix mille zloty et plus. Ceux qui ne peuvent payer ces sommes exorbitantes sont mena­cés et souvent frappés de prison ou de saisies. f\) On use de tous les moyens d'intimidation, voire de me­naces, pour empêcher les enfants d'aller au catéchisme. Les parents qui refusent de se soumettre sont victimes de graves sanctions. Certains groupes sociaux (les fonctionnaires, les agents de l'U.B., etc.) reçoivent une interdiction formelle d'envoyer leurs enfants au catéchisme, sous peine de licenciement. g\) Tous les ans, les colonies de vacances groupent des milliers d'enfants que l'on empêche, sous mille prétextes, d'aller à la messe le dimanche. Dans certains cas, on les tient parqués derrière des barbelés pendant toute la durée des messes paroissiales. h\) Aucun prêtre, à aucun prix, n'a de droit d'accès dans l'enceinte des colonies ou des camps de vacances. i\) Les enfants qui réussissent de s'échapper pour aller à la messe, le dimanche, sont punis. m\) Les jeunes qui partent en excursion avec un prêtre sont traqués par la police, souvent en hélicoptère, pour vérifier si, à l'abri de la forêt ou de la montagne, ils ne participent pas à la messe. Pris « in flagranti », les étudiants se voient souvent refuser le droit de poursuivre les études. 183:83 Toutes ces chicanes et vexations sont en CONTRADIC­TION FORMELLE non seulement avec la Constitution de la Pologne populaire et avec l'accord de 1950, mais aussi avec les lois et chartes internationales qui garantissent la liberté de conscience et d'enseignement religieux, officielle­ment reconnue par le gouvernement polonais. Alertés par l'Office des Cultes, les agents de la police secrète firent le tour de TOUS les curés polonais pour leur interdire de lire en chaire cette lettre pastorale compromet­tante pour le régime. Face à leur résistance, on passa aux menaces. -- Attendez-vous à de graves conséquences -- Rien ne saurait être pire de ce qui est ! répondit Mgr Choromanski, le secrétaire de l'épiscopat polonais. **10. --** L'attitude de PAX à la lumière des faits détaillés par la lettre pastorale de l'Épiscopat polonais est élo­quente. Loin de se solidariser avec les protestations des évêques devant une situation angoissante et qui provoque une juste indignation chez tout homme honnête, même incroyant, PAX proclame « réglée et en plein fonctionnement » la question, plus que jamais ouverte, de l'enseignement reli­gieux en Pologne. En ce faisant, il obéit au Parti, au détri­ment de l'Église. De cette tactique, personne en Pologne n'est dupe. On sait à l'avance que TOUS les mots d'ordre du P.C., publiés par la presse officielle, seraient repris et monnayés par PAX. Il n'en est pas de même à l'étranger, surtout en France, où la propagande de PAX ne cesse de s'intensifier, en uti­lisant adroitement les sympathies et les tendances des milieux progressistes français, pour bénéficier de leur appui. Le plus grand secret est gardé en tout ce qui concerne la dépendance directe de PAX des services de la police secrète en Pologne. 184:83 Par contre, les agents de PAX à l'Étranger, chargés de mission en France, font grand état des « persécutions » dont ils seraient victimes de la part de l'épiscopat polonais, rétrograde et intégriste. Le Cardinal Wyszynski est particu­lièrement visé et dénigré. **11. --** Disposant de fonds considérables, PAX active depuis ils quelque temps ses contacts et sa propagande, en diffu­sant en français une « Revue de presse catholique en Polo­gne » qui SERT A SES FINS. PAX facilite également des voyages en Pologne à des ca­tholiques français, prêtres et laïques, qu'il prend en charge et qui reviennent en France avec une vision partielle et uni­latérale, voire erronée de la réalité polonaise. Les prêtres français pilotés par PAX rencontrent en Pologne des « prê­tre patriotes ». Les évêques polonais refusent de les voir, craignant des indiscrétions. Ils rentrent en France pour dif­fuser, souvent à la radio comme le Père MOLIN ([^48]), des nouvelles sur la Pologne, qui font peut-être honneur à leur bonne foi, mais non pas à la vérité. En France, les agents de PAX sont en contact permanent avec certains centres de catholiques progressistes qui pren­nent leur défense, dès qu'ils les croient menacés. Au fond, PAX est arrivé à implanter dans certains milieux catholiques français la conviction *qu'il souffre persécution de la part du Cardinal Wyszynski et de la part de l'épiscopat polonais en raison de ses tendances progressistes.* Cette attitude s'est manifestée d'une façon éclatante lors de la parution dans LA CROIX d'une série d'articles sur la situation de l'Église en Pologne, en février 1962. Le R.P. WENGER, rédacteur en Chef de « La Croix » fut immédia­tement pris à parti par des prêtres et des laïques qui démen­taient violemment le contenu de ces articles, en se prévalant de leurs voyages ou excursions en Pologne. 185:83 C'étaient pour la plupart des amis de PAX, du milieu des *Informations catholiques internationales*. Informé que le Cardinal Wyszynski reconnaissait l'exactitu­de des faits rapportés dans les articles de « La Croix » et n'osant l'attaquer de front, M. de Broucker, rédacteur en chef des I.C.I. révéla sa pensée dans une de ses « Lettres aux amis des I.C.I. » distribuée aux initiés, où il fit entendre que le Cardinal Wyszynski devrait rendre des comptes, lors du Concile, aux cardinaux de l'Église romaine, « ses juges et ses pairs ». Lorsque les articles de « La Croix » furent sur le point de paraître en volume, le Censeur ecclésiastique de Paris fit sa­voir à l'auteur « qu'il ne pouvait refuser l'imprimatur, n'ayant trouvé dans le texte aucune erreur doctrinale, mais qu'il es­pérait que l'auteur AURAIT LE COURAGE (expressis verbis) de supprimer le chapitre sur PAX ». Une fois publié, ce livre (Pierre Lenert, l'Église catholique en Pologne), fait l'objet d'une campagne acharnée de la part de PAX et de ses amis français. Curieusement, dans son bulletin. PAX exprime de l'étonne­ment que l'IMPRIMATUR ait pu être accordé à cet ouvrage. Aucun FAIT n'est démenti. PAX reconnaît que le livre de Lenert a été « diffusé » pendant la première session du Concile, mais oublie de dire que les évêques polonais, consul­tés sur ce point, furent unanimes à reconnaître l'exactitude des faits rapportés. Il est visible que PAX *redoute d'être* *démasqué en France.* Il y va de son existence même. Reconnu par les catholiques de l'Occident comme simple agence d'un réseau policier chargé de noyauter et d'asservir l'Église, il perdrait toute audience dans leurs milieux, et, de ce fait, auprès de ses mandataires, SA RAISON D'ÊTRE. « *Ce ne sont pas les communistes qui nous font peur,* a dit un évêque polonais. *Ce qui nous remplit d'angoisse, ce sont* LES FAUX FRÈRES ». 186:83 « L'Homme nouveau »\ en parle le 15 mars Dans son numéro du 15 mars, *L'Homme nouveau* fait une place dans sa revue de presse aux commentaires suscités par l'incident Hourdin de Passy, et déclare que « la question est trop importante pour qu'on puisse la traiter avec des faux-fuyants ». *L'Homme nouveau* accuse *Témoignage chrétien* d'avoir donné « un récit parfaitement imaginaire de ce qui s'est passé » à la conférence de Georges Hourdin. Sur le fond, c'est-à-dire sur l'affaire « PAX », *L'Homme nouveau* prend la position suivante : Cette affaire est certainement très douloureuse. Mais au point où en sont les choses, il n'est plus guère possible d'évi­ter que toute la lumière soit faite. Dans la même revue de presse, *L'Homme nouveau* cite un numéro du quotidien *Paris-Presse* -- c'est un journal que nous ne lisons pas -- qui a publié le 28 février une déclaration de Georges Hourdin et une autre de l'abbé Haubtmann. Selon *Paris-Presse* (cité par *L'Homme nouveau*), Georges Hourdin aurait déclaré : Il y a trois ans, une des publications que j'édite a consa­cré une étude à « L'Église en Pologne ». Cet article à pro­voqué des remous au sein de l'épiscopat polonais. Depuis deux mois je refuse d'engager une polémique à ce sujet, car l'affaire a été réglée avec la Nonciature et les bureaux des épiscopats français et polonais. Selon la même source, l'abbé Haubtmann aurait décla­ré : L'épiscopat polonais a demandé que le mouvement *Pax* ne soit pas présenté aux catholiques d'une façon favorable, par­ce que c'est un mouvement qui porte préjudice à l'Église de Pologne, mais M. Hourdin n'a jamais fait l'objet d'une con­damnation quelconque par Rome. 187:83 On peut douter fortement que la déclaration de l'abbé Haubtmann ait été exactement rapportée ; car, dans son texte de *Paris-Presse*, elle ne correspond pas au contenu réel de la Note dont on a pu lire ci-dessus le texte intégral. Le principal « préjudice » que *Pax* porte à l'Église, ce n'est pas en Pologne qu'il le porte : selon la Note du Saint-Siège, c'est en France et c'est en direction du Concile. ### III. -- La réponse des "I.C.I." Il a fallu attendre le 15 mars 1964 pour que les *Infor­mations catholiques internationales* publient le premier mot sur les accusations graves, fondées, prouvées, dont elle sont l'objet. Soit deux mois et demi de réflexion. Et même beaucoup plus. Car enfin, ainsi qu'il l'a été rappelé, c'est dans le nu­méro de juin 1961 d'*Itinéraires* que les *Informations ca­tholiques internationales* avaient été mises en cause au sujet de Pax. Et c'est dans *La France catholique* du 9 novembre 1956, il y a plus de sept années, que Fabrègues avait lancé son apostrophe fameuse : « *Et vous, qui aviez été parmi nous les répondants, les imitateurs et les introducteurs de Piasecki... *» \*\*\* Les accusations, contre les *Informations catholiques in­ternationales* étant graves, fondées et prouvées, la direction de ce périodique ne sait comment s'en sortir. C'est pourtant bien simple. 188:83 Il n'y a qu'à dire enfin la vérité ; dans les propres colonnes des *Informations catholiques internationales*. Il n'y a qu'à expliquer clairement que *Pax* est une officine com­muniste, qui travaille non seulement en Pologne, mais sur­tout en France et en vue du Concile. Les *Informations ca­tholiques internationales* n'ont qu'à publier le texte inté­gral ou la substance précise de la Note du Saint-Siège, et à l'inclure également dans une nouvelle édition du livre de José de Broucker. Pour notre part, nous ne demandons ni plus, ni moins. \*\*\* Mais nous n'en sommes pas encore là. En attendant, voici la piteuse réponse qu'ont publiée les *Informations catholiques internationales* en date du 15 mars 1964 (page 28 de leur numéro 212) : Depuis janvier, une campagne se développe en France, ac­cusant les *Informations catholiques internationales* d'être des agents du mouvement polonais « Pax ». Cette campagne est dénuée de tout fondement. Nous n'avons jamais reçu un sou de « Pax ». Depuis 1959, pour ne pas remonter plus loin, les *Informations catholiques interna­tionales* n'ont parlé que deux fois de « Pax », en 1961, à titre informatif. Constamment, en revanche, les I.C.I. font écho aux difficultés de l'Église en Pologne, telles notamment que les éprouve et les exprime le cardinal Wyszynski. La collection de la revue en fait foi. Le 25 janvier, le cardinal Feltin, archevêque de Paris, nous invitait, par une lettre, à ne pas nous alarmer d'une campa­gne sans fondement : « Par votre lettre du 23 janvier, vous m'informez qu'une campagne se développe contre les I.C.I., accusant le direc­teur de la revue d'être en relation avec le mouvement « Pax » qui représente, en Pologne, les éléments progressistes. Le cardinal Wyszynski, il y a quelque temps, nous a mis en garde discrètement, par la Secrétairerie d'État, contre ce mouvement, mais il n'a jamais été question que la rédaction des I.C.I. fût parmi les adhérents de « Pax ». 189:83 Vous avez pu parler en fermes favorables de cette orga­nisation il y a déjà plusieurs mois, mais sans qu'on puisse conclure de vos écrits que vous étiez en liaison constante avec ce mouvement polonais. Je pense qu'il faut veiller à ne commettre aucune impru­dence en ce domaine très délicat, mais il ne faut pas vous alarmer d'une campagne sans fondement et il importe, pour vous, de poursuivre avec sérénité votre tâche. En souhaitant prospérité à vos travaux toujours maintenus dans la ligne tracée par l'Église, je vous renouvelle, cher Monsieur, l'assurance de mes sentiments bien dévoués. » De son côté Mgr Stourm, archevêque de Sens et président de la Commission pastorale de l'Épiscopat français pour l'In­formation, tenait à nous « rassurer pleinement » par une let­tre du 29 janvier : « Vous avez eu tout à fait raison de ne pas rester passif devant de si graves accusations portées contre votre revue et je veux espérer que la mise au point que vous avez faite auprès du cardinal Wyszynski mettra un point final à la ques­tion. » A la suite d'incidents, qui ont eu lieu fin février dans une paroisse de Paris, le Secrétariat national de l'Information re­ligieuse, interrogé par les journaux, accréditait enfin l'affir­mation suivante : « Dans les milieux proches de l'épiscopat français, on n'hésite pas à présenter comme tout à fait dé­nuée de fondement l'accusation portée contre M. Hourdin et les journaux publiés sous sa direction, de « compromis­sion » avec le mouvement polonais « Pax ». On le voit : ce qui est manifestement dénué de tout fondement sérieux, c'est la pseudo-réponse des *Informa­tions catholiques internationales*. Elle passe entièrement à côté des questions réellement posées. *Pax*, disait la Note du Saint-Siège, redoute d'être *démas­qué en France*. Pour les lecteurs des *Informations catholiques interna­tionales*, les choses demeurent en l'état, *Pax* n'est toujours point démasqué. La vérité n'est toujours pas dite là où elle devrait l'être, ni par ceux qui devraient la dire. 190:83 Il y a tout un secteur du catholicisme français qui conti­nuera à ignorer la véritable nature et les véritables activités de *Pax ;* qui continuera à prendre *Pax* pour un mouve­ment représentant en somme, les éléments progressistes de Pologne ; qui continuera à ignorer que c'est une officine communiste de noyautage, agissant surtout en France et autour du Concile. Dans tous ce secteur, *Pax* pourra donc continuer tranquillement ses activités. C'est bien l'essentiel. L'essentiel est sauf. \*\*\* La pseudo-réponse des *Informations catholiques inter­nationales* est au demeurant un tissu de contre-vérités. L'action des *Informations catholiques internationales* en faveur de *Pax* est bien antérieure à l'année 1959. Les incidents, protestations, questions, accusations sont bien antérieurs à janvier 1964. Depuis des années, ce problème est posé au sein du ca­tholicisme français. Répétons une fois encore que l'apostrophe de Fabrègues aux répondants, imitateurs et introducteurs de Piasecki est de novembre 1956. Rappelons une fois encore que c'est en 1961 que la revue *Itinéraires* a reproché aux *Informations catholiques inter­nationales* d'avoir mentionné, reproduit, commenté un dis­cours de Piasecki en omettant et dissimulant la phrase es­sentielle : « *Notre mouvement a certainement le devoir de venir en aide, aussi bien en théorie qu'en pratique, aux mouvements sociaux progressistes, particulièrement aux mouvements chrétiens en Europe occidentale et dans le monde.* » Depuis plus de deux ans et demi, nous répétons : il y a donc « aide théorique et pratique » de l'officine « Pax » à des mouvements chrétiens en Europe occidentale ; et il y a les *Informations catholiques internationales* qui, depuis plus de deux années et encore aujourd'hui, dissimulent cette déclaration et cette réalité. \*\*\* 191:83 Depuis plus de deux années, nous disons et nous répé­tons ceci : *-- Nous ne savons pas* QUELS SONT *les* « *mouvements chrétiens* » *d'Europe occidentale qui reçoivent effective­ment l'aide théorique* ET PRATIQUE *de l'officine communiste qu'est le mouvement* « *Pax* »*. Mais il faudrait singulière­ment méconnaître le communisme pour aller supposer que cette aide théorique* ET PRATIQUE *serait une vantardise ou une galéjade, et pour aller croire qu'elle n'ait jamais été réellement donnée, ou qu'elle n'ait été nuite part effective­ment reçue.* \*\*\* Il est intéressant de noter quels sont donc ceux qui os­tensiblement, devant notre question répétée depuis bientôt trois ans, font mine de considérer que c'est une question n'ayant aucune importance ou aucun fondement. \*\*\* Répondre que Georges Hourdin n'est pas un ADHÉRENT de *Pax* (comme si c'était nécessaire) ou qu'il n'en a pas touché un sou (comme s'il en avait besoin), c'est répondre sciemment à côté. Depuis huit ans au moins, il y a cet énorme abcès ins­tallé au sein du catholicisme français. On peut s'obstiner à nier jusqu'à l'existence de cet ab­cès : alors il continuera de tout empoisonner. ### IV. -- Précisions sur les "I.C.I." et les Éditions du Cerf Donc, Pax a été démasqué en France... ... et ne l'a pas été. 192:83 *Pax* a été démasqué devant toute une partie du public catholique. Une autre partie du public catholique demeure fermée, bloquée, impénétrable par la volonté de ceux qui l'ont an­nexée à leur conformisme d'informations pré-digérées. Dans cette autre partie-là, ils se disent, les malheureux, ils se croient « ouverts ». Ouverts sur le communisme, peut-être : mais c'est alors leur seule ouverture, et sans qu'on leur fasse rien connaître des réalités communistes. Ouverts sur le mythe de la construction communiste du socialisme ; ouverts sur des mirages et des mensonges. Ils sont jalousement fermés aux pensées qui ne sont pas les leurs, ils sont même fermés aux simples informations qui les gênent ou leur déplaisent. Ils maintiennent leur public eu vase clos, sans portes ni fenêtres. Un lecteur d'*Itinéraires* connaît non seulement nos in­formations et nos jugements sur *Pax*, mais il connaît aussi les informations et les jugements des *Informations catho­liques internationales*. Il peut librement comparer, il a les pièces en main. La revue *Itinéraires* a reproduit intégrale­ment le principal article sur *Pax* paru dans les *Informations catholiques internationales*. L'inverse n'a jamais lieu. Les *Informations catholiques internationales* n'ont d'autre recours que de lancer des anathèmes généraux contre des « campagnes » déclarées « sans fondement » : le lecteur des *Informations catholiques internationales* ne sait pas vraiment de quoi il s'agit, il ne peut pas juger sur pièces, il n'est pas traité en chrétien majeur : il n'est même pas informé. Quand les *Informations catholiques internationales* dé­clarent n'avoir « parlé que deux fois » de Pax depuis 1959, cette piteuse dérobade n'est même pas vraie. Car en outre, les *Informations catholiques internationa­les* en ont fait un livre. Un livre de José de Broucker, qui est leur rédacteur en chef et même davantage, comme on le verra plus loin. Ce livre a paru aux Éditions du Cerf dans une collec­tion qui est la collection des *Informations catholiques in­ternationales*. Et la responsabilité personnelle de Georges Hourdin n'est probablement ni la seule ni la première, elle est peut-être moins grande que celle de José de Broucker et que celle du P. Boisselot. 193:83 Tout cela demande quelques précisions explicites. Les voici. \*\*\* Il faut savoir que les *Informations catholiques interna­tionales*, qui existent apparemment depuis juin 1955, ont été en réalité fondées par le P. Boisselot en avril 1953 sous le nom de *L'Actualité religieuse dans le monde*. Ces deux titres successifs font une seule publication, de leur propre aveu. L'éditorial des *Informations catholiques internationales*, numéro 107 du 1^er^ novembre 1959, disait en effet, sans am­bages et sans fausse pudeur : « *Cette revue a été fondée en 1953.* » En 1953, date de fondation de *L'Actualité religieuse dans le monde*, et non pas en 1955, date d'apparition des *Informations catholiques internationales*. Cette identité a été plusieurs fois affirmée et réaffirmée. Par exemple dans l'éditorial du numéro 188 du 15 mars 1963 : « Nous continuons donc, naturellement, l'effort entre­pris il y aura dix ans le 1^er^ avril prochain par *L'Actualité religieuse dans le monde*. » Le P. Boisselot lui-même, le fondateur, l'inspirateur, écrivait en tête des *Informations catholiques internationa­les* du 15 avril 1963 : « Le 1^er^ avril 1953 paraissait *L'Actualité religieuse dans le monde*, qui devait faire place, le 15 mai 1955, aux *Infor­mations catholiques internationales*. En ce dixième anni­versaire, nous pouvons présenter un bilan positif... » C'est le P. Boisselot, directeur des Éditions du Cerf, qui a fondé les *Informations catholiques internationales* en 1953 sous le titre d'*Actualité religieuse dans le monde*, et c'est lui, en 1963, qui vient pour le « dixième anniversaire » présenter et commenter un bilan qui est d'abord le sien. \*\*\* 194:83 Le changement de titre survenu en mai-juin 1955 était la réponse « habile » aux mesures prises par l'autorité ec­clésiastique à l'endroit de *L'Actualité religieuse dans le monde* qui avait joué un rôle détestable à plusieurs égards et notamment dans l'affaire des prêtres-ouvriers. Le dernier numéro de *L'Actualité religieuse* (numéro 52 du 15 mai 1955) présentait ainsi les choses : *L'Actualité religieuse* avait été fondée en avril 1953 par le R.P. Boisselot, assisté d'un Comité de direction comprenant des journalistes amis. C'était donc une publication d'inspi­ration dominicaine. Étant donné que les Dominicains ne peu­vent plus s'occuper de la revue, un certain courant apostoli­que ne peut plus s'y exprimer. Il faut pourtant que la revue continue... Elle est aujourd'hui prise en charge par *La Vie catholique illustrée*. C'est M. Georges Hourdin, directeur de ce magazine, déjà membre du Comité de direction de *L'Ac­tualité religieuse*, qui en assumera désormais la responsabilité. M. J.-P. Dubois-Dumée, qui appartient à l'équipe depuis sa fondation, reste rédacteur en chef. Sa formule restera la même (...). *L'Actualité religieuse* voit sa vie transformée, mais non point ôtée. » Bien entendu, il ne s'agissait pas d' « inspiration domi­nicaine » et ce n'étaient pas « les Dominicains ». C'étaient, beaucoup plus modestement, ceux des Éditions du Cerf, qui représentent tout au plus une tendance particulière -- et fort contestée -- dans l'Ordre de saint Dominique. Mais une tendance toujours prompte à crier partout que l'on « attaque les Dominicains », que l'on « attaque l'Ordre de saint Dominique » chaque fois que quelqu'un ose se per­mettre d'élever une objection ou une critique contre les théories ou les agissements du petit groupe des Éditions du Cerf. Bien entendu encore, le groupe des Éditions du Cerf ne s'était retiré qu'en apparence de *L'Actualité religieuse* de­venue les *Informations catholiques internationales*. Le P. Boisselot ne s'était pas retiré bien loin et, d'abord avec quelque précaution, la collaboration continua aussi étroitement que devant ([^49]). 195:83 Le livre de José de Broucker sur *L'Église à l'Est : la Pologne* est dans la Collection des *Informations catholi­ques internationales *; il est sous copyright des seules Éditions du Cerf ; il est commercialisé par les Éditions du Cerf et par la Librairie Plon (celle-ci ayant noué des liens avec le Cerf pour le domaine de l'édition religieuse). On voit dans les *Informations catholiques internationa­les*, numéro 186 du 15 février 1963 (page 32), que cette col­lection et notamment le livre de José de Broucker ont été lancés « par le Cerf et les I.C.I. », et sous le patronage du P. Chenu. Le partage\ des responsabilités En 1955, les *Informations catholiques internationales* annoncent Georges Hourdin comme directeur, J.-P. Dubois-Dumée comme rédacteur en chef. Le numéro 100 du 15 juillet 1959 rend publique une modification. J.-P. Dubois-Dumée devient « directeur ad­joint » et un nouveau rédacteur en chef apparaît : José de Broucker précisément. On se souvient que la Note du Saint-Siège, si elle met globalement en cause « le milieu des I.C.I. », ne met per­sonnellement en cause qu'un seul individu de ce milieu, nommément mentionné : José de Broucker. J.-P. Dubois-Dumée semble avoir été relégué dans un rôle surtout honorifique. Le P. Boisselot, qui a qualité pour parler et qui sait en l'occurrence de quoi il parle, a précisé dans le numéro 190 du 15 avril 1963 comment fonctionnent les *Informations catholiques internationales *: elles fonctionnent « sous l'impulsion générale de Georges Hour­din et sous la direction rédactionnelle de José de Brouc­ker ». Il ne parle plus de J.-P. Dubois-Dumée. C'est José de Broucker qui est chargé de diriger la rédaction. Geor­ges Hourdin ne donne que « l'impulsion générale » : on comprend bien qu'il serait incapable de faire d'avantage. Il dirige tellement de publications, il signe tellement de livres et d'articles, il n'arriverait évidemment pas à soute­nir une activité aussi intense, multiple, étendue, s'il n'était secondé, suppléé, aidé, inspiré. Il y a, heureusement, José de Broucker. Et heureusement, le P. Boisselot. 196:83 Aucune formation\ théologique D'autre part Georges Hourdin écrivait dans les *Infor­mations catholiques internationales*, numéro 172 du 15 juil­let 1962 : « *Nous sommes laïcs et journalistes. Nous n'avons reçu d'autre formation* *théologique que celle du catéchisme et du credo* ». C'est honorable. C'est bien gentil. Mais c'est un peu court, -- à moins d'être le curé d'Ars ou sainte Bernadette -- pour un homme qui, sous sa signature, prétend trancher tant de problèmes délicats, le teilhardisme, le personnalis­me, les prêtres-ouvriers, l'apostolat missionnaire, etc., etc., et qui croit pouvoir « faire » du journalisme catholique et de l'information religieuse sans aucune formation théologique. Aucune formation théologique ? A son âge ? Qu'a-t-il donc fait toute sa vie ? -- Il a surtout fait de la politique. Il a une formation de politicien. Il était au parti démocra­te-chrétien d'avant la seconde guerre mondiale. Il est long­temps resté l'un des dirigeants du M.R.P. et il a fallu in­sister beaucoup pour lui faire comprendre qu'il ne pouvait décemment continuer à être dirigeant à la fois d'un parti politique et d'une presse prétendue « purement religieuse ». Il a finalement choisi la presse religieuse. Avec pourtant une massive indifférence à l'égard de ce que les Papes ont toujours demandé aux journalistes catholiques. Dans son grand discours du 18 février 1950, dit « sur l'opinion pu­blique », Pie XII demandait aux journalistes d'acquérir « *une culture générale surtout philosophique et théolo­gique* ». Quoique démuni d'une telle culture, Georges Hour­din prétend porter des jugements sur le marxisme, sur le communisme, sur la réforme de l'Église, sur son « aggior­namento » et autres sujets analogues. L'analyse du moin­dre de ses textes montre qu'il ne sait pas toujours très bien de quoi il parle. Mais d'autres, auprès de lui, le savent mieux, guident sa main, inspirent sa plume. Le P. Boisselot assigne à Georges Hourdin la charge de donner l' « im­pulsion générale ». 197:83 Mais cette « impulsion générale » qui passe à travers Georges Hourdin, le P. Boisselot sait très bien d'où elle vient. \*\*\* Il serait donc injuste de vouloir faire de Georges Hour­din le bouc émissaire unique d'une impulsion et d'une ins­piration dont il est davantage l'intendant que la source. Il serait également injuste de n'apercevoir en cette affaire que le directeur des *Informations catholiques internationales*, et de fermer les yeux sur le rôle des Éditions du Cerf et de leur directeur. Enfin il serait injuste et inexact d'incriminer « les Do­minicains » alors qu'il s'agit simplement d'un petit groupe d'entre eux, remuant, certes, impérieux et dominateur, mais qui n'engage pas l'Ordre de saint Dominique et qui est très contesté -- depuis une trentaine d'années -- à l'in­térieur même de l'Ordre. ### V. -- Nouvelles précisions dans "La Croix" du 22 mars Le numéro de *La Croix* paru le soir du samedi 21 mars, et portant les dates des 22 et 23 mars 1964, publiait le texte que voici : Nous recevons de la mission catholique polonaise en Fran­ce la mise au point suivante : « Contrairement à la note publiée dans *la Croix*, le 29 fé­vrier 1964, « les incidents » de Passy « n'ont pas été provo­qués par des manifestants pour la plupart d'origine polonai­se ». 198:83 « Aucun prêtre polonais n'y a pris part. On n'a pu identi­fier aucun laïque polonais parmi les manifestants. Cette fausse nouvelle pouvant porter préjudice à l'Église catholique en Pologne, nous tenons à la rectifier. « D'autre part, nous rappelons que le mouvement « Pax » est non seulement sévèrement jugé par le cardinal Wyszynski et par l'épiscopat polonais, mais que le Saint-Siège a multi­plié depuis dix ans des mises en garde contre la collabora­tion avec « Pax ». Ainsi, il est interdit aux prêtres de publier quoi que ce soit dans les Éditions « Pax » ou de collaborer avec ce mouvement. « Mission catholique polonaise en France. » Nous saisissons l'occasion de cette mise au point pour dis­siper une équivoque qui s'est produite dans l'esprit de quel­ques lecteurs. Au sujet des incidents de Passy, nous avons écrit, dans *la Croix* du 29 février 1964 : « Aucune mise en garde publique n'a été faite ni à Rome ni par l'épiscopat français, etc. » Dans notre esprit, cette phrase concernait non le mouvement *Pax*, évidemment condamné par Rome, mais M. Hourdin, directeur des *Informations Catholiques internationales*, injustement accusé de « progressisme ». L'attitude de *la Croix* à l'égard du mouvement *Pax* et du danger qu'il représente en Pologne et hors de Pologne fut claire dès la début et invariable. Trois mois avant la mise à l'Index de l'ouvrage du directeur de *Pax*, M. Piasecki, intitulé *Problèmes essentiels,* le rédacteur en chef de *la Croix*, qui était alors le P. Gabel, lui consacrait un éditorial qu'il con­cluait en ces termes : « On ne pouvait plus radicalement confondre le spirituel et le temporel, inféoder l'Église à un régime, mettre Dieu au service de César. Jamais il ne m'était apparu aussi clairement vers quelle confusion et quel asser­vissement nous acheminait le progressisme » (11 mars 1955). Depuis, nous n'avons cessé de souligner l'obstination de *Pax* à maintenir ses positions, sanctionnées en 1957 par l'interdiction pour les prêtres polonais d'écrire dans ses publications, interdiction prononcée par la S. Congrégation du Concile (Cf. *la Croix* des 3, 14, 20 juillet et 3 août 1957). Pour ne parler que de nos études et enquêtes importantes sur l'Église en Pologne, nous avons à maintes reprises retracé la triste histoire de ce mouvement, que nous avions déjà publiée dans *la Croix* du 30 juin 1955, en même temps que la condamna­tion de Problèmes essentiels (Cf. les articles de A. Paul-Grégoire des 16 janvier, 17 mai et 18 juin 1957 ; de François Bernard, des 12 et 13 avril 1961 ; de XXX du 3 février 1962). 199:83 Le journal *La Croix* est parfaitement fondé à rappeler son attitude courageuse à l'égard du mouvement *Pax*. Nous l'avons soulignée plusieurs fois, et encore, en détail, dans l'article d'*Itinéraires* du 1^er^ janvier 1964 : « Le mouvement *Pax* en Pologne, en France et autour du Concile ». La Note envoyée par le Saint-Siège à l'épiscopat français fait état, comme on le sait, des mauvais procédés que *La Croix* et la Bonne Presse eurent à subir de la part des amis et défen­seurs de *Pax* en France, notamment du « milieu des *Infor­mations catholiques internationales* » en général et de José de Broucker en particulier. Cela dit, le texte de *La Croix* comporte plusieurs omis­sions, inspirées sans doute par la modestie. Toutefois ces omissions n'aident pas à une clarification et nuisent à une information nette et complète. **1. --** L'article signé XXX dans *La Croix* du 3 février 1962 -- et mentionné parmi d'autres dans le texte de *La Croix* que l'on vient de lire -- faisait partie de la série d'ar­ticles repris en volume et édités par le Centurion-Bonne Presse sous le titre : *L'Église catholique en Pologne*, par Pierre Lenert. Ce volume a été suffisamment attaqué, sa publication fut un tel service rendu au bien commun que peut-être *La Croix*, pour cette raison, répugne à le mention­ner et à paraître s'en glorifier. Mais d'autre part ce volume est une pièce essentielle de la documentation sur *Pax* et sur le catholicisme en Pologne. Il serait utile de rappeler au­jourd'hui son existence, dans *La Croix*, à l'intention du public de *La Croix*, -- comme l'a fait, par exemple, *La France catholique* du 6 mars. **2. --** Les mises en garde effectivement anciennes du Saint-Office, les articles de La Croix et le livre de Pierre Lenert ne mentionnaient pas L'ÉLÉMENT NOUVEAU ATTESTÉ PAR LA NOTE DU SAINT-SIÈGE : *l'action de* « *Pax* » *en France et son action en direction du Concile*. 200:83 L'action de *Pax* en France n'est pas mentionnée dans le livre de Pierre Lenert ; elle n'était pas mentionnée dans les articles de *La Croix*. Elle n'avait été mentionnée, sauf erreur, que par *La France catholique* dès 1956, et par *Itiné­raires* surtout depuis 1961. Encore à la date du 2 février 1964, *L'Homme nouveau* (page 17) ne mentionnait la possi­bilité d'une action de *Pax* en France que de manière incidente et dubitative. Le fait nouveau est que la Note du Saint-Siège insiste beaucoup sur cet aspect capital (et qui aurait dû être connu, au moins par la déclaration de Pia­secki de décembre 1960, commentée par *Itinéraires* en 1961, selon laquelle son mouvement avait pour but d'apporter une aide théorique et pratique à certains mouvements chré­tiens en Europe occidentale). Jusqu'à maintenant, les lec­teurs de *La Croix* n'ont pas eu leur attention attirée sur cet aspect de la réalité. Nous comprenons que la douleur et la honte peuvent faire hésiter à en parler. Mais il y a ur­gence, il y a nécessité absolue : il faut mettre en garde les catholiques français et plus généralement les « mouvements chrétiens en Europe occidentale ». **3. --** Le texte de *La Croix* des 22-23 mars est ÉTONNAMMENT EN RECUL sur les faits connus. Oui, il y a eu « *l'obsti­nation de* « *Pax* » *à maintenir ses positions* ». Mais il y a la raison de cette obstination : *Pax* n'est pas un mouvement d'idées, prenant des « positions » pour des motifs doctri­naux, *Pax* est une officine dirigée par l'appareil communis­te. *Pax* n'est pas un mouvement qui « représente, en Polo­gne, les éléments progressistes », comme on a eu l'audace de prétendre le faire croire, même après la Note du Saint-Siège, à l'épiscopat français et à l'archevêché de Paris. Les éléments progressistes, il y en a partout qui sont sincères, tourneboulés par leur idéologie. *Pax* est au contraire un organisme de noyautage. Il eût été utile de le rappeler dans *La Croix* en ce moment. **4. --** *La Croix* s'avance beaucoup en prétendant que Georges Hourdin est injustement accusé de progressisme. Que ce soit ou non du « progressisme » Georges Hour­din est accusé essentiellement et surtout d'une autre chose, beaucoup plus concrète et vérifiable. Il est accusé en tant que directeur responsable d'une publication, les *Informa­tions catholiques internationales*, qui a répandu au sujet de *Pax* une information trompeuse, et QUI N'A JAMAIS ENCORE CONSENTI A RECTIFIER SES TROMPERIES. Dire que cette faute grave, manifeste, terrible, n'est pas du « progressisme », cela n'avance à rien, c'est même déplacer la question. 201:83 Peut-être Georges Hourdin a-t-il surtout la responsabilité juri­dique de cette faute grave et non réparée, peut-être la res­ponsabilité morale en incombe-t-elle plus directement à José de Broucker et à d'autres : c'est notre avis, nous l'avons exposé plus haut. Peut-être une autre qualification que celle de « progressisme » paraît-elle plus appropriée à *La Croix*. L'urgent n'est pas de savoir si Georges Hourdin personnellement mérite d'être théoriquement noté de « pro­gressisme ». L'urgent est de démasquer la tromperie des *Informations catholiques internationales* et de mettre en garde tout un secteur de l'opinion catholique qui a été in­toxiqué. **5. --** Mais si *La Croix* tient à parler de « progressisme », il faut alors se souvenir qu'il existe *deux progressis­mes* : a\) un progressisme au sens strictement religieux ou doctrinal ; b\) un progressisme politique. Cette distinction nécessaire permet seule de comprendre comment des publications telles que les *Informations ca­tholiques internationales* et telles que *Témoignage chrétien* peuvent EN UN SENS protester qu'elles ne sont pas « pro­gressistes ». Leur protestation est très probablement sin­cère (subjectivement sincère, même si elle peut éventuelle­ment demeurer objectivement contestable). On a embrouillé à plaisir cette question du « progres­sisme ». Nous l'avons étudiée en détail. Le lecteur qui désire y voir clair dans la distinction des « deux progres­sismes » pourra se reporter à l'éditorial de notre numéro 11 de mars 1957 : « *Le progressisme doctrinal... et les au­tres* » et au second éditorial de notre numéro 43 de mai 1960 « *Le progressisme installé et le monde qui vient* ». Nous n'y reviendrons pas pour le moment. Mais nous y re­viendrons, et aussi en détail qu'il le faudra, si l'on conti­nue cette manœuvre et si l'on propage cette chanson selon laquelle Georges Hourdin serait « injustement accusé de progressisme ». Rappelons simplement ceci. 202:83 En plusieurs occasions, et notamment dans les deux édi­toriaux cités, nous avons reproduit et commenté des textes des *Informations catholiques internationales*, et de Georges Hourdin personnellement, qui ne relèvent peut-être pas du progressisme doctrinal ou religieux, mais qui relèvent cer­tainement du *progressisme politique*. Jamais aucune ré­ponse ou contestation n'a été opposée à nos analyses. Nous avons démontré et prouvé que dans les publications de Georges Hourdin s'exprime un progressisme politique, et nous avons fait remarquer que ce *progressisme politique* s'exprime dans une presse qui ose se prétendre *purement religieuse*. Ce scandale dure depuis quatre années, depuis sept années et davantage. Il a, naturellement, porté, dans l'enseignement catholique, dans les séminaires, dans le clergé des fruits de toute sorte, dont on a la candeur de s'étonner. Que l'on ne vienne pas aujourd'hui, brusquement, sans l'ombre d'une raison invoquée, gratuitement, arbitraire­ment, prétendre que Georges Hourdin est « injustement accusé de progressisme ». Ce n'est pas de cela qu'il est principalement accusé pour le quart d'heure ; ce n'est même pas lui qui est le principal accusé, mais José de Brouc­ker, auteur des articles sur *Pax* et du livre qui a recueilli et aggravé ces articles. Mais si l'on veut à cette occasion rouvrir la question du PROGRESSISME, alors elle sera rou­verte, et sans difficulté. Tous les textes, toutes les démons­trations ont été produits en leur temps et figurent à leur place, notamment dans la collection des numéros succes­sifs de la revue *Itinéraires*, et certains des plus nets dans notre brochure : *La Technique de l'esclavage*. On n'a pu ni réfuter nos analyses précises, faites sur pièces, ni répondre rien. On a joué le silence. On a obstinément vou­lu demeurer sourd et aveugle, et laisser aller les choses. Aujourd'hui ce n'est plus possible. Il faut qu'enfin la vérité éclate. \*\*\* « Ce qui importe, c'est le fond des choses », écrivent les *Nouvelles de Chrétienté* dans leur numéro du 19 mars, « c'est le scandale d'un constant parallélisme d'actions et de jugements entre une fraction de l'opinion catholique française et le communisme international. » 203:83 Ce parallélisme, selon le moment et l'occasion, est dis­cret ou spectaculaire, précautionneux ou impudent. Il se fait quelquefois souterrain pendant des semaines ou des mois ; il réapparaît ensuite, identique, chez les mêmes, chez les mêmes dont les plus importants, les plus efficaces, ne sont pas des laïcs. Les *Nouvelles de Chrétienté* renvoient une fois de plus à tous les textes, les faits, les actes qui ont été mentionnés et analysés dans la revue *Itinéraires* et dans les *Nouvelles de Chrétienté* elles-mêmes. « Qu'il nous soit donc permis, ajoutent les *Nouvelles de Chrétienté*, de demander que cessent pareilles anoma­lies... Le désir que nous avons d'une plus grande fraternité entre tous les catholiques, quelles que soient leurs opi­nions, est à ce prix. » Les positions\ de « L'Homme nouveau » Dans son numéro daté du 5 avril, mais paru vers le 25 mars, *L'Homme nouveau* a traité longuement de « l'affaire Pax ». L'éditorial de son rédacteur en chef Marcel Clément déclare notamment : ...(Les chefs communistes) s'efforcent de diviser pour affai­blir l'Église. C'est là, si l'on en croit un document autorisé, la mission propre de l'organe polonais *Pax* et de son chef, le progres­siste Piasecki. *Pax* serait un organe communiste du type couramment ap­pelé « courroie de transmission » destiné à faire passer dans les milieux étrangers à gangrener les mots d'ordre du com­munisme international. Et ces mots d'ordre, quels seraient-ils ? Ils se ramèneraient tous à une phrase : introduire la dialec­tique dans l'Église (...). Les agents de *Pax* utiliseraient les ramifications de leur influence pour amener les catholiques, les prêtres, les évêques eux-mêmes à se scinder en deux blocs : les « intégristes » et les « progressistes »... 204:83 Bien sûr, la chose est tellement énorme que nos confrè­res de *L'Homme nouveau* conservent un doute quant à l'existence réelle d'une telle monstruosité, et s'expriment au conditionnel. Pourtant, la réalité de cette entreprise est une certitude, qui est connue comme telle et qui fait partie de l'état de la question non pas depuis le « document auto­risé », mais au moins depuis 1960. Rappelons une fois en­core que Piasecki en personne, à l'assemblée générale du XV^e^ anniversaire du mouvement *Pax*, avait déclaré : « *Notre mouvement a certainement le devoir de venir en aide, aussi bien en théorie qu'en pratique, aux mouvements sociaux progressistes, particulièrement aux mouvements chrétiens en Europe occidentale et dans le monde.* » Il apparaît mani­festement que les études précises et détaillées parues de­puis plus de deux années sur cette question ont échappé à l'attention de nos confrères de *L'Homme nouveau*. Nous leur signalons au demeurant qu'ils trouveront la citation de Piasecki sur l'aide théorique et pratique reproduite dans *La Croix* du 14 avril 1961, article du P. François Bernard. Ils pourront ainsi en faire état en se référant à *La Croix*. \*\*\* Le rédacteur en chef de *L'Homme nouveau* fait de la dialectique dans l'Église une analyse condensée : Mais, dira-t-on (...), l'Esprit Saint est dans le Concile com­me il est dans l'Église. Et les portes de l'Enfer ne prévaudront point contre Elle. C'est vrai. Mais de même que l'Église est infaillible et que les chrétiens peuvent se tromper, le fait que finalement l'Église est invincible n'empêche pas que des chrétiens puis­sent se laisser séduire (...). Si le Concile peut apparaître comme une « liquidation » des « intégristes », il sera facile de déborder rapidement la tendance « progressiste » victorieuse et de faire de cette Église en « dialogue cordial » avec les communistes un élé­ment actif de l'édification du socialisme mondial (...). Actuellement, pour l'immense majorité des catholiques français, le Concile n'est pas vraiment une effusion de l'Esprit Saint utilisant chaque tendance pour arriver, par un approfondissement en commun, à des conclusions sereines dans l'unité croissante des esprits et l'union des cœurs. 205:83 Par l'influence des passions du simplisme intellectuel -- peut-être, hélas, des faux frères -- le Concile c'est ou ce doit être la victoire inconditionnelle d'une tendance sur l'autre. Et à défaut de cette victoire éclatante, violente et « histori­que », le Concile sera présenté comme « un échec ». Cette analyse rejoint la parole du Pape Paul VI pro­noncée le 24 décembre 1963 : « *La célébration du Concile n'est pas, comme des journalistes ignorants et malavisés l'ont insinué, une épreuve de force entre des tendances op­posées, mais c'est l'expression d'une même puissance suprê­me, qui se prononce d'une seule voix. Et cette voix, c'est celle des membres du Concile unie à celle, souveraine, du Pape.* » La partie de la Note du Saint-Siège concernant l'action de *Pax* en vue et autour du Concile est sans doute celle qui a été le moins commentée dans la presse. L'analyse de Marcel Clément en donne l'essentiel. \*\*\* Quant aux complices et agents de *Pax* en France, le rédacteur en chef de *L'Homme nouveau* déclare : S'il y a des complicités précises, actives, délibérées, méthodiques, il ne relève pas de nous, mais du Pape et des évêques unis au Pape, de les amener à renoncer à leur dessein éventuellement de les y contraindre. L'aspect le plus immédiatement choquant de cette af­faire est qu'un *progressisme politique* puisse s'exprimer dans une presse qui se recommande et qui est recomman­dée comme *purement religieuse*. Ce phénomène ne date ni de cette année, ni de l'année dernière. Il pose certainement un problème que seule l'autorité religieuse peut résoudre par voie d'autorité. D'ailleurs, la transmission à l'épiscopat français, par le Saint-Siège, des renseignements précis sur la nature et les techniques de *Pax*, sur son action en France, sur son action en vue du Concile, était un acte qui apparemment n'avait pas pour unique destination d'enrichir les archives ecclésiastiques à l'intention des historiens du siècle prochain. 206:83 D'autre part, l'existence d'un *progressisme politique* ne cesse pas, à partir du moment où il s'exprime dans une presse qui se prétend « purement religieuse », de concerner sous un rapport les responsabilités qui incombent à la conscience de chaque citoyen en tant que tel. \*\*\* A une autre page du même numéro de *L'Homme nouveau* (page 10), un regard aigu, aidé sans doute d'un micros­cope à fort grossissement, discerne que les *Informations catholiques internationales* ont « commencé une action » et entrepris « un effort » contre le communisme et le pro­gressisme. Nous souhaitons profondément, sans oser ni pouvoir y croire, que *L'Homme nouveau* ait raison. A la date du 25 mars 1964 nous n'avons, pour notre part, encore rien aperçu de tel. *L'Homme nouveau* ajoute : Si les *Informations catholiques internationales* continuent leur effort présent jusqu'à démasquer les méthodes et les techniques de *Pax* en France, un pas immense sera fait au sein du catholicisme français. Et après tout, pourquoi pas ? Voilà, en tous cas, le point décisif. Et sur ce point décisif, nous sommes entièrement d'accord avec *L'Homme nouveau*. *Pax* doit être démasqué en France. Et il doit l'être par les *Informations catholiques internationales*. On ne peut pas demander à ceux qui dirigent, inspirent, rédigent les *Informations catholiques internationales* de modifier brusquement des pensées, des croyances, des con­victions qui sont les leurs depuis tant d'années et qui leur tiennent si profondément à l'esprit et sans doute à l'âme. On ne peut pas non plus les y « contraindre éventuelle­ment » fût-ce par voie d' « autorité ». 207:83 Mais on peut attendre d'eux, et leur demander, qu'ils publient des informations exactes et complètes sur ce mou­vement « Pax » qu'ils ont si longtemps et si longuement présenté à contresens. Que les *Informations catholiques internationales* répa­rent leurs erreurs de fait et leurs omissions : cela relève d'ailleurs de la déontologie la plus ordinaire du journalis­me. Si les *Informations catholiques internationales* répa­raient leurs omissions et leurs erreurs de fait, il serait chimérique, imprudent, et même injurieux à leur égard, de vouloir en conclure qu'elles auraient par là renié leurs convictions les plus profondes et les plus permanentes. Mais la Note du Saint-Siège est un fait : en en repro­duisant le texte littéral, ou en en publiant intégralement la substance informative, les *Informations catholiques inter­nationales* pourraient -- et seulement ainsi -- sortir de l'impasse où elles se trouvent. José de Broucker n'en continuera sans doute pas moins à penser que Piasecki est un beau ténébreux qui a mis sur pied l'entreprise « la plus dangereuse pour le communis­me ». Mais il aura enfin fait connaître à son public les jugements « autorisés », et surtout les faits, qui accablent Piasecki. Il conviendrait que les *Informations catholiques inter­nationales* n'omettent pas de mentionner la déclaration de Piasecki -- cette déclaration est un fait -- sur « l'aide théorique et pratique » du mouvement Pax à des « mouve­ments chrétiens d'Europe occidentale » : cette déclaration de Piasecki ne figure pas dans la Note du Saint-Siège, mais elle figure dans le discours de Piasecki que les *Informa­tions catholiques internationales* avaient abondamment cité... en y retranchant ce passage. Quant à ce dernier point, on voudra bien se souvenir que la question ne s'est pas posée seulement en 1964 : c'est la question posée aux *Informations catholiques internatio­nales* par la revue *Itinéraires* depuis juin 1961. Depuis 1961, les *Informations catholiques internationales* ont réussi à tenir, à ne pas desserrer les dents, à dissimuler toujours cette déclaration. Jusques à quand ? ============== fin du numéro 83. [^1]: **\*** ici : *d'abord* (chiffres romains) et puis *ensuite* (chiffres arabes). [^2]:  -- (1). Siège national, 26, rue de Belzunce, Paris X^e^. [^3]:  -- (1). *Archives*..., année 1959, p. 9, où E. Gilson apprécie en spécialiste l'œuvre du P. Théry. [^4]:  -- (1). Exactement, Pierre de Poitiers révisait le texte de la traduc­tion arabico-latine effectuée par Robert de Kétène et Hermann le Dalmate. [^5]:  -- (1). *Pierre Teilhard de Chardin*, par Claude Cuénot, p. 457. [^6]:  -- (1). Extrait de « La faillite du catholicisme despotique », *La Revue blanche* 15 mars 1903. (Cité par Émile Poulat, dans « La crise mo­derniste » Paris, Casterman, 1962, p. 322). [^7]:  -- (2). *Id. p. 3*23. [^8]:  -- (1). Dans une controverse avec saint Ambroise, le païen Symmaque disait à ce dernier : « Le cœur d'un si grand mystère ne peut jamais être atteint en suivant une seule route. » [^9]:  -- (1). Jacques Ellul : *Fausse présence au monde moderne* (p. 73). Éd. « Les Bergers et les Mages ». Diffuseur : Librairie protestante, 140, Bd St-Germain, Paris VI^e^. J'ai déjà signalé cet excellent petit livre, dont je souhaite la plus large lecture (tout en signalant qu'il est très strictement protestant). [^10]:  -- (1). Pour que se répande en long et en large l'excellente sagesse de l'angélique Docteur : il n'est presque rien de plus apte à réfuter les opinions perverses de notre temps ; rien de plus efficace pour conser­ver la vérité (*Acta Leonis XIII*, P.M. vol. 1, 1882, p. 1). [^11]:  -- (2). La Somme théologique avec les commentaires de Thomas de Vio cardinal Cajetan, la Somme contre les Gentils avec les commen­taires de François de Sylvestre de Ferrare. [^12]:  -- (3). Édités dans une excellente typographie, soigneusement corrigés à l'aide des manuscrits découverts et utilisés de nos jours (Lettre au Cardinal Antonin de Luca, Préfet de la Sacrée Congrégation des études, 15 oct. 1879, in *Acta Leonis XIII*, P.M. vol 1, 1881, p. 303). [^13]:  -- (4). Dans l'honneur rendu à saint Thomas est en jeu quelque chose de plus grand que l'estime de saint Thomas lui-même : l'autorité de l'Église, enseignante (Encyclique *Studiorum ducem in A.A.S*. vol. XV, 1923, p. 234). [^14]:  -- (5). D'en haut la source de Sagesse verse à saint Thomas l'abondance, comme un fleuve de lumineuse science ; lui qui reverse la grâce reçue en arrosant toute la sainte Église des flots de son savoir éminent. (Répons du II^e^ Nocturne de la fête de saint Thomas d'Aquin). [^15]:  -- (6). L'émulation dans la recherche de la vérité n'est pas supprimée par la recommandation de saint Thomas, mais elle est plutôt exci­tée et sûrement orientée. (Discours aux séminaristes, 24 juin 1939, ni AAS vol XXXI, 1939, p. 247.). [^16]:  -- (1). Nous citons des formules dont nous connaissons les auteurs. [^17]:  -- (1). Romæ -- ex typographia « editrice Nazionale » -- Via Gregoriana, 1914, 703 pages. [^18]:  -- (1). Ces Méditations sont en vente 4,50 F. franco chez Monsieur le Curé du Mesnil St-Loup, par Estissac (Aube). Et aussi le *Traité du ministère ecclésiastique,* également du Père Emmanuel. Ce court et admirable essai serait à méditer par tous les jeunes prêtres avides de l' « unique nécessaire ». [^19]:  -- (1). Sur la première édition, voir *Itinéraires*, numéro 60, page 151. L'ouvrage de l'abbé Pierre Haubtmann est publié aux Éditions Fleurus et s'intitule : *Mater et Magistra, l'Église mère et éducatrice, texte in­tégral de l'Encyclique de Jean XXIII*, Introduction, annotations et in­dex analytique des thèmes, 5^e^ édition entièrement refondue. [^20]:  -- (1). J. Fuchs, s.j. : *Le Droit naturel. Essai théologique*. Traduit de l'allemand par A. Liefooghe. Desclée et Cie, 1960. [^21]:  -- (1). Paru en 1947 aux Éditions du Portulan. Actuellement en vente aux Nouvelles Éditions Latines. [^22]:  -- (1). Plon 1957. [^23]:  -- (2). Aubier 1963, sorte de supplément à l'Église et la société écono­mique de Calvez et Perrin ; voir *Itinéraires*, numéro 78, pages 198 et suiv. [^24]:  -- (1). On appelle *épiscopalisme* les tendances et théories qui donnent au corps épiscopal, soit réuni en Concile, soit d'autres manières, une autorité excessive, explicitement ou implicitement négatrice de la primauté romaine. [^25]:  -- (1). Texte intégral de la Constitution apostolique *Veterum sapien­tia* dans *Itinéraires*, numéro 63 de mai 1962. [^26]:  -- (2). *Témoignage chrétien* du 5 mars 1964, page 12. [^27]:  -- (1). Voir le numéro 1.000 de *Témoignage chrétien*, numéro commenté dans *Itinéraires*, numéro 77 de novembre 1963, pages 139 et suiv. [^28]:  -- (2). Numéro 1.372 du 18 mars 1962. [^29]:  -- (3). Numéro 63 de mai 1962, article de Louis Salleron : *Le latin, langue vivante de l'Église.* [^30]:  -- (1). Suivant la traduction de la *Documentation catholique*. C'est nous qui soulignons. [^31]:  -- (1). Voir le texte intégral de ce Motu proprio dans les « Docu­ments » du présent numéro d'*Itinéraires*. [^32]:  -- (1). Texte intégral de ce discours dans *Itinéraires*, numéro 55, pp. 110 et suiv. [^33]:  -- (1). Cf. Itinéraires, numéro 65, page 43. [^34]:  -- (1). Voir *Itinéraires*, numéro 81 « Le scandale de Paris » [^35]:  -- (2). Voir *Itinéraires*, numéro 82 « Le scandale de Paris, suite ». [^36]:  -- (3). Dans *Signes du temps*, magazine mensuel illustré des Domini­cains du Cerf, numéro de mars 1964, pages 30 et suiv. [^37]:  -- (4). La « Semaine de la Pensée marxiste », organisée par le Parti communiste. [^38]:  -- (5). Noter la précision : *en tant que prêtre catholique*. [^39]:  -- (1). C'est-à-dire de la Province dominicaine de Lyon. [^40]:  -- (1). Voir entre autres le compte rendu du *Monde*, 18 janvier 1964. [^41]:  -- (1). Texte de ce chapitre cité dans *Itinéraires*, numéro 62, pages 207 et suiv. [^42]:  -- (1). Sur Pacem in terris, voir *Itinéraires*, numéro 74, pages 4 à 18. [^43]:  -- (1). Cette expression est de Georges Montaron présentant en page 3 de *Témoignage chrétien* du 26 mars la démarche du P. Jolif auprès de Krouchtchev. [^44]:  -- (1). Des extraits de la Note du Saint-Siège ont été également publiés, nous dit-on, dans les Documents-Paternité ; nous n'avons pas en connaissance, sinon par oui-dire, de ce numéro. [^45]:  -- (1). Dès qu'ils sont saisis de questions qui concernent, ne fût-ce que de biais, l'Église, les ministères polonais se déclarent aussitôt « incompétents » (par exemple le Ministère de la Défense nationale pour le service militaire des séminaristes, enrôlés à titre de repré­sailles à l'égard d'évêques par trop « réfractaires ») et les renvoient automatiquement à l'Office des Cultes dont le chef, M. Zabinski, ancien stalinien, limogé en 1956, réhabilité depuis, dispose de pouvoirs pratiquement illimités pour tout ce qui concerne l'Église. En Pologne, on parle couramment du « tribunal de l'Inquisition communiste » et de son Grand Inquisiteur. [^46]:  -- (1). On remarquera qu'il n'y a pas de § 3. Cette omission d'un nu­méro, ou cette erreur dans la numérotation, sont celles du document original (N.D.L.R.). [^47]:  -- (1). Cette identité de vues et même de formulations frappe tout lecteur de la presse polonaise. Les publications de PAX reproduisent servilement jusqu'aux expressions de la presse officielle. Un chef invisible semble orchestrer les moindres détails. Ainsi tout récem­ment le conformisme servile dans les appréciations du Concile par TOUTE la presse polonaise saute aux yeux. Nous ne connaissons pas UN SEUL cas où PAX aurait fait preuve d'une certaine indépendance, en prenant parti *pour* l'Église et *contre* ses mandataires. [^48]:  -- (1). N.D.L.R. -- A ce propos on lit dans les *Nouvelles de Chrétienté* du 19 mars (page 22) : « Il semble sûr, d'après les renseignements que nous avons reçus, que le religieux français mis en cause n'a jamais eu aucune ac­cointance avec Pax qu'il considère comme suspect, et a fortiori ne saurait être soupçonné d'avoir été pris en charge par lui. » [^49]:  -- (1). Et si d'aventure on priait aujourd'hui les Dominicains des Éditions du Cerf de ne « plus » collaborer aux *Informations catholi­ques internationales*, ce ne serait pas une nouveauté, mais le simple rétablissement de ce qui avait été établi et ordonné, en 1955, non sans raisons, et tourné depuis lors, non sans astuce.