# 103-05-66
2:103
## ÉDITORIAUX
### Les laïcs dans la cité
LES ACTES du III^e^ Congrès de l'Office international des œuvres de formation civique et d'action doctrinale selon le droit naturel et chrétien paraîtront prochainement en librairie ([^1]). On pourra y lire les rapports d'Amédée d'Andigné, de Louis Salleron, de Luc Baresta, de Blas Pinar Lopez, de Michel Creuzet, de Gustave Thibon, d'Henri Rambaud, d'Hamisch Fraser, et le rapport de clôture de Jean Ousset. On ne trouvera sans doute point dans ce volume ce qu'il fallait vivre soi-même, l'extraordinaire climat intellectuel et spirituel de ces trois journées de travail. Mais, de près ou de loin, par expérience personnelle ou par ouï-dire, il est désormais impossible de ne pas constater que quelque chose de vivant et de neuf est en train de se développer, progressivement, sûrement, solidement.
\*\*\*
Nous aurons l'occasion d'en reparler ([^2]). Voici dès maintenant la motion finale du III^e^ Congrès. Mais d'abord une remarque préliminaire concernant le nombre des congressistes. Contrairement aux habitudes généralement admises, mais conformément à la règle énoncée lors des précédents Congrès de l'Office international, non seulement le nombre de congressistes mentionné dans la motion finale est « sans inflation », mais en outre il n'est même pas le chiffre de l'affluence maximum.
Il y avait 1.300 congressistes, dénombrés selon la même rigueur, au Congrès de 1964, et 1.500 au Congrès de 1965. La progression numérique n'est au demeurant ni l'objectif principal, ni le principal objectif secondaire des Congrès de l'Office international.
3:103
Mais si l'on veut traduire dans l'arithmétique actuellement employée en ce genre de choses, signalons que le III^e^ Congrès de l'Office international serait appelé :
-- un congrès de « plus de deux mille personnes » dans le langage journalistique ordinaire ;
-- un congrès de « près de trois mille personnes » dans le langage journalistique politique ou syndical ;
-- un congrès de « plus de trois mille personnes » dans le langage communiste.
*Mille sept cents congressistes de l'Office international des œuvres de formation civique et d'action doctrinale selon le droit naturel et chrétien,*
*réunis à Lausanne les 1^er^, 2 et 3 avril 1966 pour étudier les tâches actuelles des laïcs dans la cité,*
-- *affirment leur fidélité à toutes les vérités définies par l'Église enseignante ;*
*-- déclarent leur adhésion aux enseignements sur le laïcat contenus dans la Constitution dogmatique sur l'Église, dans la Constitution pastorale sur l'Église dans le monde et dans le Décret sur l'apostolat des laïcs promulgués par le second Concile du Vatican ;*
-- *constatent que non seulement la possibilité d'une civilisation chrétienne mais la foi elle-même sont menacées aujourd'hui principalement, par de fausses idées sur la nature de l'homme, sur la société et sur l'histoire ; les moyens de communication, d'organisation, et d'information sont employés de plus en plus à la subversion de l'ordre naturel ;*
-- *remarquent qu'une telle situation relève directement des responsabilités propres et immédiates des laïcs ;*
-- *préconisent les méthodes d'action temporelle fondées sur la reconstitution du tissu social fondamental, c'est-à-dire les familles, et les corps intermédiaires entre les familles et la puissance publique ;*
4:103
-- *appellent le laïcat chrétien à s'unir et s'organiser au niveau des corps intermédiaires : c'est dans cette voie qu'il retrouvera, en l'exerçant de proche en proche, le pouvoir temporel qui est le sien, et dont l'effacement est indispensable au développement du totalitarisme moderne.*
5:103
### Le dialogue avec le communisme
*Il faut avoir un esprit particulièrement bien aiguisé pour distinguer sur certaines questions touchant directement la vie chrétienne, ce que dit le Pape et ce que dit* « *L'Humanité* » \[*organe central du Parti communiste français*\]*.*
La constatation reproduite ci-dessus en caractères italiques figure dans les *Documents A.C.O.* (Action catholique ouvrière de France), numéro de février 1966, chapitre : « Révision de vie : le culte « de l'homme », page 8.
Mais ce qui manque à une telle constatation, c'est l'énoncé de *la cause* d'un tel phénomène et l'énoncé de son *explication.*
\*\*\*
Si l'on cherche cette cause et cette explication dans l'étude citée des *Documents A.C.O.,* premièrement on ne les trouve point, secondement on trouve des considérations sur l'Église et des considérations sur le communisme qui risquent fort de suggérer au lecteur une explication aberrante et une cause imaginaire.
6:103
*Sur l'Église *: on apprend (p. 3) que « l'Église n'est plus dangereuse (sic.) du fait même qu'elle ne défend plus (sic) à son propre bénéfice de projet humain particulier » et qu' « elle colle (sic) de plus en plus à tous les projets humains capables vraiment de mettre l'homme debout ». (Formulation, oserons-nous remarquer par parenthèse, qui est plus que malheureuse : s'il fallait la prendre au pied de la lettre, elle serait peu compatible avec la foi chrétienne. Il aurait donc fallu attendre la seconde moitie du XX^e^ siècle pour que l'Église cesse de trahir sa mission ?)
*Sur le communisme *: on apprend (p. 4) que le dernier livre de Garaudy, membre du Comité central du P.C.F., est « d'une certaine façon le plus bel hommage que l'on puisse lire vis-à-vis du christianisme de la part d'un athée » ; et l'on nous annonce (p. 7) que « ces pensées ne sont pas le fait exclusivement de Garaudy personnellement ; elles sont de plus en plus de mise au Comité central du Parti communiste ».
Ces considérations sur l'Église et sur le communisme suggèrent manifestement une conclusion que l'on pourrait énoncer ainsi :
1\. Le Parti communiste *change* (en mieux).
2\. L'Église *change* (en mieux).
3\. Et ces deux changements *convergent.*
C'est dans un tel contexte que les *Documents A.C.O.* citent des extraits de *L'Humanité,* organe central du P.C.F., et des extraits de discours du Pape Paul VI, en assurant qu'il est bien difficile de les distinguer les uns des autres « sur certaines questions touchant directement la vie chrétienne ».
\*\*\*
Nous pensons que LA CAUSE de ce phénomène et son EXPLICATION ne sont pas du tout celles-là, et que les *Documents A.C.O.* ont du moins sur ce point, une vue fausse de l'Église et du communisme.
Le communisme « change » sans doute sous certains rapports : comme tout ce qui vit, ou survit. Mais que le Parti communiste se mettre à *parler apparemment comme le Pape,* cela n'est pas NOUVEAU et ne résulte pas d'un CHANGEMENT de sa part. Il l'a toujours fait : non pas continuellement, non pas sans interruption, mais à chaque époque et en chaque circonstance où il y trouvait profit.
7:103
Il y a presque trente ans, le Pape Pie XI ; dans l'Encyclique *Divini Redemptoris,* accusait déjà les communistes de mettre en avant « des *projets en tous points conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église* »*.* Ce n'est donc pas une nouveauté. Cela ne peut paraître nouveau qu'aux incompétents qui parlent à tort et à travers du communisme et de ses changements, sans savoir ce qu'il était déjà il y a trente ans et ce qu'en disait déjà l'Encyclique *Divini Redemptoris.*
C'est au paragraphe 57 de l'Encyclique, où Pie XI donnait cet avertissement :
« *Au début le communisme s'est montré tel qu'il est, plus criminel que ce qui a jamais existé de plus criminel ; mais ayant compris qu'il écartait de lui tous les peuples, il changea ses méthodes de combat et s'efforça de gagne les foules par toute sorte de tromperies qui dissimulent leur dessein sous des idées en elles-mêmes justes et séduisantes* (*...*)
« *Il arrive en quelques endroits que, sans rien abandonner de leur doctrine, les chefs communistes proposent à des catholiques une collaboration humanitaire ou charitable ; ils avancent alors des projets en tous points conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église.*
« *Ailleurs, ils poussent le mensonge jusqu'à faire croire que, dans les pays plus chrétiens ou plus civilisés, le communisme se comportera avec plus de douceur, assurant à chacun la liberté de pratiquer le culte divin ou de penser ce qu'il veut en matière religieuse.*
« *Quelques-uns même, alléguant une légère modification récemment introduite dans la législation soviétique, en concluent que le communisme est sur le point de renoncer enfin à son dessein de lutte contre Dieu.* »
Ces lignes de l'Encyclique pourraient paraître avoir été écrites au spectacle de ce qui se passe aujourd'hui dans le monde et dans l'Église. Répétons qu'elles datent de 1937 et qu'EN CELA du moins LE COMMUNISME N'A PAS CHANGÉ. Répétons et recopions encore une fois qu'il y a trente ans déjà, les chefs communistes mettaient en avant « *des projets en tous points conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église* »*,* et cela pour « *dissimuler leur dessein sous des idées en elles-mêmes justes et séduisantes* ».
8:103
Quand le Pape, dans une Encyclique, parle de projets EN TOUS POINTS CONFORMES à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église, peut-être qu'il sait ce qu'il dit, et qu'il est assez bon juge en la matière. On n'a donc pas attendu la déstalinisation, et Garaudy, et les années 1965 et 1966 pour assister à cette comédie communiste. Qu'on nous dise si l'on veut que ce n'est pas une comédie, que les chefs communistes sont sincères, qu'il faut les croire sur parole : mais en tous cas qu'on ne nous dise point que cette attitude est NOUVELLE de leur part. Elle a été inscrite dès 1937 dans l'Encyclique *Divini Redemptoris.*
\*\*\*
Remarquons en outre que si les communistes mettaient alors en avant « des projets en tous points conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église », c'est *à la doctrine de l'Église d'alors,* à la doctrine de l'Église de 1937 qu'ils étaient en tous points conformes. Ceux qui imaginent que la doctrine de l'Église a heureusement changé et permet désormais des convergences de cette sorte, ceux-là sont dans l'illusion. Bien avant l'apothéose de Teilhard, la réhabilitation du P. Chenu, la pastorale du P. Liégé, les acrobaties des PP. Jolif et Dubarle, les chefs communistes n'éprouvaient aucune difficulté à présenter « des projets en tous points conformes à la doctrine de l'Église ». Ce ne sont pas les derniers changements (supposés ou réels) dans l'attitude de l'Église qui ont permis aux communistes de « converger » vers une telle « conformité ». Quoi qu'il en soit des *changements* survenus dans l'Église et dans le communisme, ces changements ne sont ni la cause ni l'explication d'un phénomène qui existait déjà avant 1937.
\*\*\*
9:103
La cause et l'explication étaient données par Pie XI aux mêmes passages de l'Encyclique : de la part du communisme, il s'agit de *mensonges* et de *pièges*. Si l'on connaissait tant soit peu l'histoire du communisme, on saurait que partout et toujours il n'a enregistré de succès qu'en *se faisant passer pour ce qu'il n'est pas *: en se faisant passer, selon les temps et les lieux, pour patriote, pour libéral, pour démocrate, pour pluraliste ; en faisant croire qu'il donnerait la terre aux paysans et l'usine aux ouvriers (etc.). Le communisme est, non par accident, mais par essence, un *système de mensonge.* Lancer ou laisser des militants chrétiens dans le « dialogue » sans les avoir instruits de cette réalité objective est assumer, devant Dieu et devant les hommes, une terrible responsabilité. Ce n'est pas la première fois que nous en donnons l'avertissement, avec toutes les considérations explicatives nécessaires.
La « sincérité » subjective de chaque communiste pris isolément n'est d'ailleurs pas en cause : chacun sans doute est un cas particulier, et c'est pourquoi le dialogue *de personne à personne* est toujours possible, du moins en théorie. Avec sa « sincérité » subjective, chaque communiste, surtout s'il est militant, et plus encore s'il est dirigeant, est emprisonné dans un système objectivement et essentiellement mensonger ; dans une propagande de mensonge ; dans un vocabulaire de mensonge ; dans une idéologie de mensonge ; dans une organisation de mensonge. Dieu seul pèse et juge quelle est la participation personnellement consciente de chaque communiste à ce mensonge essentiel. Ce n'est pas la subjectivité des personnes qu'il s'agit de juger. C'est la réalité objective du système qu'il s'agit de comprendre.
Une fois de plus, nous constatons que l'on donne aux militants chrétiens -- particulièrement aux militants de l'A.C.O. -- de fausses lumières sur ces questions, et qu'ils se trouvent par là *moralement désarmés* devant des pièges dont on ne les détourne point.
\*\*\*
La connaissance de CE QU'EST le communisme n'est pas en progrès dans l'Église : elle est en recul. On ne sait même plus ce qui était clairement expliqué dans l'Encyclique. *Divini Redemptoris.* Dans ces conditions, le dialogue actuel des dirigeants catholiques avec les dirigeants communistes tourne à une catastrophe spirituelle probablement sans précédent. La première catastrophe des prêtres-ouvriers dont, *par la faute de leur* « *dialogue* » *avec le communisme*, plus de la moitié ont d'un coup quitté l'Église, risque d'apparaître bientôt comme tout à fait mineure au regard de ce qui se prépare et s'organise jour après jour.
10:103
La manière dont s'estompent et s'oublient, parmi les dirigeants catholiques, toutes les connaissances les mieux assurées, (et les plus solennellement confirmées par le Magistère de l'Église) que l'on avait sur la réalité communiste, est un phénomène annonciateur d'immenses désastres.
*La Croix* du 5 mars 1966, en page 10 et dernière ([^3]), annonçait que selon la *Civiltà cattolica* « quelque chose bouge dans le Parti communiste italien ». *La Croix* se référait à l'article du P. Giuseppe de Rosa, « Il communismo italiano oggi », paru dans le numéro du 5 mars de l'estimable et vénérable revue publiée à Rome par la Compagnie de Jésus, sous la direction distinguée du P. Roberto Tucel. Il est curieux que *La Croix* ait fait si vite (5 mars-5 mars) un tel sort à un tel article. Sans doute la prudence du P. Giuseppe de Rosa y énonçait avec fermeté de graves réserves à l'égard de la manœuvre communiste. Mais quelques mots de l'éminent Jésuite italien pouvaient prêter à confusion, et le quotidien français n'a pas manqué de faire écho justement à ce passage :
-- « *Pour la première fois dans l'histoire du communisme,* écrivait le P. de Rosa (p. 463), *un parti communiste reconnaît théoriquement à la religion une fonction positive et rejette l'athéisme d'État, se prononçant pour la liberté religieuse.* » Ce ne sont que paroles, en l'air ? Mais « *les paroles aussi ont leur poids, assez modeste il est vrai, mais enfin elles l'ont* ». Et plus loin (p. 464) : « *Le Parti communiste italien a rompu son vieil immobilisme, au moins sur certains points.* »
Nous avons revu nous-mêmes la traduction de ces phrases ambiguës sur le texte italien original. Dans un article par ailleurs plein d'utiles réflexions, ces phrases-là risquent de favoriser une grave confusion dans les esprits.
11:103
Que l'honorable Longo, secrétaire général du Parti communiste italien, ait « reconnu théoriquement à la religion une fonction positive » ne doit pas nous faire oublier que cela est déjà, d'une certaine manière et selon certains exégètes, dans Marx lui-même.
Mais en tout cas, ce n'est nullement la première fois dans l'histoire du communisme qu'un Parti communiste rejette l'athéisme d'État et se prononce pour la liberté religieuse : cela *au contraire est constant dans l'histoire du communisme.*
Si l'on se reporte à Lénine, on verra qu'il a parfaitement proclamé que « l'État ne doit pas se mêler de religion » et que « chacun doit être libre de professer n'importe quelle religion ou de n'en reconnaître aucune » ([^4]).
Si l'on consulte la Constitution soviétique de 1924, on constate qu'elle stipulait. « La liberté de propagande religieuse et de propagande anti-religieuse est reconnue à tous les citoyens. » C'est seulement la Constitution actuelle (promulguée par Staline en 1936) qui a introduit une restriction partiellement discriminatoire dans la rédaction de son article 124 ainsi conçu : « La liberté de pratiquer les cultes religieux et la liberté de propagande anti-religieuse sont reconnues à tous les citoyens. »
En 1937 déjà, l'Encyclique *Divini Redemptoris,* dans le passage cité plus haut, notait que les chefs communistes « poussent le mensonge jusqu'à faire croire que (...) le communisme \[assurera\] à chacun la liberté de pratiquer le culte divin ou de penser ce qu'il veut en matière religieuse », et que « quelques-uns en concluent que le communisme est sur le point de renoncer enfin à son dessein de lutte contre Dieu ». Comme quoi l'honorable Longo n'a aucunement innové en la matière et n'est pas, sur ce point du moins, sorti du « vieil immobilisme » qui attache chaque Parti communiste au marxisme-léninisme classique.
\*\*\*
Il est réellement extraordinaire que de telles erreurs de perspective puissent se produire là où elles se produisent, et que jusqu'à des auteurs hautement estimables, comme s'ils étaient eux-mêmes influencés par le climat ambiant, en viennent à donner pour des signes de *changement* (en mieux) du communisme ce qui est de sa part constant depuis son origine.
12:103
-- Mais, dira-t-on, si toutes ces belles déclarations du communisme ne sont pas nouvelles, s'il les a toujours faites, il n'était donc pas ce que l'on croyait ?
-- Eh non ! Le communisme *n'est pas*, ni en bien ni en mal, ce que trop de gens ont cru hier ou croient aujourd'hui. Le communisme est *autre,* et il faut apprendre à le connaître : la plus mauvaise manière de le connaître étant de prendre pour un authentique témoignage sa propagande à usage externe.
Pour le connaître, l'univers catholique a eu l'Encyclique *Divini Redemptoris*. Il l'a généralement peu et mal comprise, et aujourd'hui il l'a presque complètement oubliée. (En France, l'Action populaire est même allée jusqu'à supprimer l'édition commentée qu'elle en avait donnée.)
Dans la ligne même, croyons-nous, de l'Encyclique *Divini Redemptoris,* nous avons dans cette revue passé beaucoup de temps et consacré beaucoup de travaux à expliquer ce que sont « la technique de l'esclavage » et « la pratique de la dialectique » qui constituent la *réalité* du communisme ([^5]). Nous ne pouvons pas ignorer nous ne pouvons, au contraire, que mieux mesurer l'illusion croissante où se trouvent aujourd'hui des zones entières du monde catholique à l'égard du communisme. Nous ne pouvons pas non plus nous dissimuler qu'une illusion aussi étendue serait impossible s'il n'y avait pas quelques *agents conscients* du communisme travaillant à *l'intérieur* du catholicisme, colonisant les moyens d'information de l'autorité, trompant perfidement la confiance des supérieurs, truquant systématiquement la documentation, disqualifiant par la calomnie ceux qui disent la vérité, manipulant tous ceux dont la bonne foi est sans défense faute d'avoir été suffisamment avertie.
13:103
En 1937, voici bientôt trente ans, Pie XI constatait dans *Divini Redemptoris* que les chefs communistes « travaillent de toutes leurs forces à s'infiltrer perfidement dans des associations catholiques » et que « sous des étiquettes qui ne mentionnent même pas le communisme, ils fondent des associations et éditent des périodiques qui ont pour but unique d'implanter leurs erreurs dans des milieux où, sans cela, ils ne pourraient absolument pas pénétrer ». Cette *mise en garde précise* n'a guère été réitérée depuis trente ans ; on ne l'a point rappelée à l'attention et à la vigilance des catholiques. Pendant trente années, les communistes ont donc pu travailler, en quelque sorte tranquillement, à renforcer leur pénétration dans le catholicisme.
Et maintenant il suffit de constater comment, par exemple, a été étouffée l'affaire *Pax* en laissant en place tous les coupables pour mesurer quel degré atteint désormais la pénétration communiste.
Pour toutes ces raisons, et dans une telle situation, le « dialogue avec le communisme » va être un désastre.
Il l'est déjà.
14:103
## CHRONIQUES
15:103
### Lettre au frère Gérard sur l'art et le beau
par Henri CHARLIER
MON BON FRÈRE,
... Vous me posez bien des questions. Il faut dire d'abord que la majorité des philosophes ne s'est pas bien entendue avec les artistes, et qu'en parlant de l'art, les philosophes sont, généralement à côté de la question ; à commencer par Socrate. Lisez les *Mémorables* qui nous donnent avec naïveté le vrai Socrate. Au livre III, ch. 9 et 10, on trouve deux entretiens de Socrate avec le peintre Parrhasius et le sculpteur Cliton. Ses interlocuteurs lui accordent tout ce qu'il veut : le problème n'est pas abordé. Seul le bon et naïf Xénophon est satisfait.
Voici ces textes :
« Quand il lui arrivait de converser avec des artistes qui vivaient de leur profession, il leur était encore utile, il alla voir, un jour le peintre Parrhasius : La peinture, lui dit-il, n'est-elle pas une représentation de ce que l'on voit ? Vous imitez avec des couleurs les enfoncements, les saillies, le clair et l'obscur, la noblesse et la dureté, le poli et la rudesse... -- Cela est vrai. -- Mais quoi, dit-il, le caractère de l'âme, la plus douce, la plus amicale, la plus persuasive, l'imitez-vous ou bien cela n'est-il pas inimitable ? »
16:103
Nous voici dans la psychologie ; or les plus beaux portraits, tous, soit de Fouquet, soit de Rembrandt (si opposés pourtant) sont des enquêtes sur l'union de l'âme et du corps, et non des analyses de caractères.
Les portraitistes prétendus psychologues comme Quentin de la Tour sont loin d'être les plus grands ni même les plus psychologues. Les grands artistes font tous de la métaphysique, on peut dire nécessairement. Fouquet et Rembrandt sont à ce point de vue l'opposé l'un de l'autre. Le premier est un réaliste qui tient à montrer que le développement du corps est informé par l'âme. Le second est un idéaliste qui cache tout ce qu'il peut de cette mystérieuse information et insiste sur l'accidentel pour accroître l'inconnaissable.
Parrhasius répond :
« Comment représenter ce qui n'est ni proportion ni couleur et n'est pas visible ? »
Il répond très bien ; le lieu où se développe le langage de l'art est l'incarnation *d'une âme,* non sa psychologie. Le caractère de l'âme est rendu visible par le développement particulier qu'elle a donné au corps, puisque l'âme est la *forme* du corps.
Alors Socrate se réfugie dans la psychophysiologie, dans l'accidentel où se complaisent les littérateurs en général et tous ceux qui ne comprennent pas le langage plastique.
-- « Mais ne voit-on pas dans les regards tantôt l'amitié, tantôt la haine ?
-- Cela est vrai.
-- Cela n'est-il donc pas imitable dans les yeux ?
17:103
-- Fortement, dit-il. »
Or il est bien évident que toute cette psychologie peut être très bien exprimée (comme cela se voit sur toutes les illustrations à bon marché) et l'œuvre ne rien valoir. Reprenons les *Mémorables :*
« Il alla un jour chez Cliton le statuaire et s'entretint avec lui de son art : « Je vois et je sais, lui dit-il, que tu fais en pierre des coureurs et des lutteurs, des pugilistes ; ce qui enchante le regard c'est qu'ils paraissent animés. Comment mets-tu cela dans tes statues ? » Cliton embarrassé tardait à répondre \[comme nous le comprenons !\]. Socrate, continua : « ...Tu imites dans les poses ce qui tire en haut et ce qui tire en bas, les parties contractées et celles qui sont allongées, celles qui sont tendues et celles qui sont relâchées, et tes statues paraissent semblables aux corps véritables -- Tout à fait, certes. -- Cette imitation véridique des mouvements ne cause-t-elle pas un certain plaisir aux spectateurs ? -- C'est naturel. -- Ne faut-il pas aussi représenter les yeux menaçants de ceux qui combattent, etc. »
Il retombe dans les mêmes bavardages qu'avec Parrhasius et finit en disant :
« Il faut donc que la statuaire représente par la forme les actions de l'âme. »
Nous voyons très bien Cliton hausser les épaules dès que Socrate eût franchi la porte. L'anatomie peut être très exactement observée, la psychologie aussi, les lèvres être souriantes, les yeux menaçants, et la pensée n'être que platitude et l'œuvre n'avoir aucun intérêt artistique. Il faut croire que le but de l'œuvre d'art est tout autre de ce qu'y cherchait Socrate et que les artistes ont des habitudes de pensée toutes différentes de celles qui s'expriment par la parole. La vérité que tous les artistes recherchent n'est donc pas celle qu'envisage Socrate. L'Aurige de Delphes, les figures de Chartres n'ont aucunement besoin ni d'anatomie, ni de psychologie pour être d'une beauté supérieure.
18:103
Socrate, de plus, en vrai rationaliste, confondait le beau et l'utile :
« Enfin tout ce qui peut être utile est bon et beau relativement à l'usage qu'on en peut faire.
-- Un panier à mettre les ordures est donc aussi une belle chose ?
-- Oui, par Jupiter. »
Il disait aussi que la beauté d'un édifice consiste dans sa commodité. Un édifice réellement beau est en effet commode aussi, mais il n'est pas beau parce qu'il est commode. La « commodité » quand elle est belle descend d'une pensée supérieure de l'harmonie qui s'adapte aux conditions matérielles.
Le problème central de l'architecture échappe complètement à Socrate : c'est le problème des proportions, c'est-à-dire celui de la diversité dans l'unité, problème métaphysique par excellence.
Quand il s'est agi de musique, les littérateurs de l'antiquité (et des temps modernes) ont tenté l'explication psychologique des *modes* musicaux avec le même succès que Socrate pour la sculpture. Or un mode n'est pas grave, ou doux, ou triste, ou élégiaque ; il est une « manière » d'envisager tristesse ou joie, ou gravité, ou douceur ; une manière d'envisager l'un suivant telle ou telle qualité de l'amour. Un mode est sur le plan métaphysique ou mystique et non psychologique. Pratiquement c'est un système de proportion entre les sons qui présente une analogie véritable avec les systèmes de proportion architecturale. Ce sont des vues de l'esprit, non sur les sentiments, mais sur *l'être.*
\*\*\*
19:103
Après Socrate, Platon. Vous pourrez lire au livre X de *La République* quelle furie d'erreur le meut contre la poésie :
« Il y a trois espèces de lits, dit-il ; l'un est dans la nature et dont nous pouvons dire, ce me semble, que Dieu en est l'auteur. \[C'est l'archétype du lit, l'idée du lit dans la pensée divine, ce lit est pour Platon le véritable existant\]. Le second, celui que fait le menuisier... ; le troisième, celui qui est de la façon du peintre. Le seul nom qu'on puisse donner au peintre, raisonnablement, est celui d'imitateur... Aussi le faiseur de tragédie, en qualité d'imitateur, est éloigné de trois degrés du roi et de la vérité. »
« Ainsi nous avons démontré deux choses : la première que tout imitateur n'a qu'une connaissance superficielle de ce qu'il imite, que son art n'a rien de sérieux et n'est qu'un badinage d'enfants ; la seconde que tous ceux qui s'appliquent à la poésie dramatique... sont imitateurs autant qu'on peut l'être. »
Platon ajoute, pour les arts plastiques :
« L'illusion que les couleurs font au sens de la vue jette une grande perturbation dans l'âme ; or, c'est à cette disposition de notre nature que l'art du dessin, l'art du charlatan et d'autres semblables jettent des pièges, ne négligeant aucun artifice pour la séduire. »
La peinture en trompe-l'œil paraît être pour lui le tout de l'art plastique. Il reprend ensuite des idées qu'il tient des Pythagoriciens qui sont à l'origine du panmathématisme :
« Ce qui juge en nous sans égard à la mesure est différent de ce qui juge conformément à la mesure.
-- Certainement. »
Ce qui est contraire à la mesure, remarquons-le, est le domaine de la qualité, celui des faits de conscience.
-- Mais la faculté qui s'en rapporte à la mesure et au calcul est ce qu'il y a de meilleur dans l'âme ?
20:103
-- Sans contredit.
-- Donc la faculté opposée est quelque chose d'inférieur en nous.
-- Il faut bien que cela soit...
-- L'imitation étant donc mauvaise en soi et se joignant à ce qu'il y a de mauvais en nous, ne peut produire que des effets mauvais. »
Cette affirmation que la faculté qui s'en rapporte à la mesure et au calcul est ce qu'il y a de meilleur dans l'âme est toute gratuite ; c'est déjà l'illusion du scientisme qui essaie d'envahir un esprit par ailleurs si bien doué. Toute l'œuvre de Platon se ressent de la lutte chez lui entre l'esprit de finesse et l'esprit de géométrie. Sa dialectique, comme il apparaît en ce passage, en est irrémédiablement gâtée. C'est le cas de dire avec Pascal : « Il y a des gens dans le monde qui, ayant renoncé à toutes les lois de Dieu et de la nature, s'en sont faites à eux-mêmes, comme par exemple les soldats de Mahomet, les voleurs, les hérétiques. Et ainsi les logiciens. »
On ne peut guère s'aveugler davantage au sujet des arts que ne fait Platon. Sans doute les arts peuvent avoir un effet détestable sur l'esprit et sur les mœurs. Mais la philosophie aussi. Et pourtant dans ce même ouvrage (La République) Platon lui-même écrivait en poète la célèbre allégorie de la Caverne. Il ne n'est pas aperçu qu'Eschyle et Sophocle faisaient comme lui des paraboles.
\*\*\*
Aristote voulut corriger Platon. Il était d'esprit scientifique et nous pensons que s'il revenait parmi nous, il ne faudrait pas longtemps à un tel homme pour être au courant de toute la science moderne ; mais en art ? Passons. Il crut rendre la tragédie légitime en lui donnant pour but « la purgation des passions » :
21:103
« Nous avons pitié de ceux que nous voyons souffrir un malheur qu'ils ne méritent pas, et nous craignons qu'il ne nous en arrive un pareil quand nous le voyons souffrir à nos semblables. »
Et puis comme tous nos critiques d'art, il donne des règles, lui qui n'a jamais écrit de drame, et par conséquent ignore ce qui pousse un vrai poète à en écrire. Ses propos montrent qu'il n'a jamais rien compris à Eschyle et à Sophocle, qui sont manifestement pour nous des prophètes païens de l'Attente universelle d'un Salut, et en cela bien plus grands que les philosophes leurs contemporains. Il ne veut point « qu'un homme fort, vertueux, y tombe de la félicité dans le malheur, car cela ne produit ni pitié ni crainte parce que c'est un événement tout à fait injuste ».
Sur quoi Corneille le reprend dans son « *second discours de la tragédie.* » Il n'a pas de peine à montrer, en donnant des exemples, que les règles d'Aristote ne se trouvent appliquées qu'en très petit nombre de tragédies. Il marque au passage l'apport du christianisme et le but d'un art chrétien :
« Le fruit qui peut naître des impressions que fait la force de l'exemple lui manquait ; la punition des méchantes actions et la récompense des bonnes n'étaient pas de l'usage de son siècle comme nous les avons rendues celui du nôtre... »
« L'exclusion des personnes tout à fait vertueuses qui tombent dans le malheur, bannit les martyrs de notre théâtre. Polyeucte y a réussi contre cette maxime, et Héraclius et Nicomède y ont plu, bien qu'ils n'impriment que de la pitié et ne nous donnent rien à craindre, ni aucune passion à purger puisque nous les voyons opprimés et prêts à périr, sans aucune faute de leur part, dont nous puissions nous corriger sur leur exemple. »
22:103
Corneille ramène l'art du plan psychologique au plan métaphysique. Le but de sa tragédie c'est l'admiration, c'est-à-dire la louange d'une grandeur morale qui a sa source dans la grâce. Le sujet de ses tragédies est ainsi directement le souverain beau. L'erreur d'Aristote est de ne voir dans l'œuvre d'art qu'une « imitation » dans un but de formation morale élémentaire. La fonction du beau lui échappait, or elle est de faire voir où est le vrai, où est le bien, et de les faire aimer.
Il n'est donc pas bien étonnant qu'Aristote n'ait pas placé le beau parmi les transcendantaux ; il ne compte pas pour lui ; il y a aussi de fausses difficultés qui tiennent au langage. Il est facile et commun d'opposer, avec les mots dont on les a désignés, des puissances qui demeurent cependant, à des degrés divers, unies dans l'étant. Le beau a des rapports avec la connaissance et des rapports avec le bien. Cela ne gêne nullement les artistes ; pour eux le beau est une réussite dans la recherche du vrai, il est un bien ; et même un grand bien.
Il y a des inconvénients à trop découper le réel, car il est très difficile ensuite ou même impossible de rassembler en un ce qu'on a divisé. Vrai, beau et bien peuvent et doivent être distingués sans doute mais sont inséparables dans l'étant. S. Thomas dit, dans un écrit dont je vous reparlerai, que le bien a rapport à la cause finale, et le beau à la cause formelle. Ce qui signifie que les choses sont belles en vue du bien. Mais, le Souverain Bien est Dieu ; la cause de toute forme est Dieu ; le bien et le beau sont unis en Lui et sont causes ensemble et au même degré. Enfin le vrai n'est autre chose que le souverain bien revêtu de sa beauté, que l'aspect de l'être pour l'intelligence discursive, le bien et le beau, justement compris par l'intelligence.
23:103
Aussi la définition du beau comme « *resplendentia formae super materiam* » est-elle excellente. Mais ce qu'il faut en conclure, c'est que cette *resplendance* est indissolublement liée à l'être, et que le vrai est incomplet qui ne le comporterait pas.
On peut dire plus, : *le vrai est incommunicable sans cette resplendance* qui fait corps avec lui ; et c'est par cette resplendance que le vrai pénètre en nous. Quand Notre-Seigneur a voulu montrer sa divinité aux Apôtres, il leur a dévoilé sa gloire sur le Thabor. Cette gloire, il l'avait toujours possédée ; il l'avait cachée pour ne laisser apparaître que son humanité, et donner un exercice nécessaire à la foi. La division que fait le langage entre le beau et le vrai, c'est Jésus sans Sa gloire. Mais la Transfiguration est le modèle de l'art ; il doit dévoiler les choses spirituelles cachées sous les aspects naturels des formes.
L'auteur qui vous expliquerait bien mieux que moi le véritable point de vue de la philosophie, c'est S. Denis l'Aréopagite dans son traité des « Noms Divins ».
« Or le beau et la beauté, dit-il, se confondent dans cette cause qui résume tout en sa puissante unité. »
« Nos théologiens sacrés, en célébrant l'infiniment bon, disent encore qu'il est bon, qu'il est beau et la beauté même, qu'il est la dilection et le bien aimé. Effectivement la beauté et les choses belles préexistent, comme en leur cause, en la simplicité et en l'unité de cette nature si éminemment riche. C'est d'elle que tous les êtres ont reçu la beauté dont ils sont susceptibles ; c'est par elle que tous se coordonnent, sympathisent et s'allient, c'est en elle que tous ne font qu'un. Elle est leur principe car elle les produit, les meut et les converse par amour pour leur beauté relative... Aussi le beau et le bon sont identiques, toutes choses aspirant avec une égale force vers l'un et l'autre, et n'y ayant rien en réalité qui ne participe de l'un et de l'autre. »
24:103
Enfin pénétrant profondément dans les moyens d'expression de toute pensée humaine, qui sont toujours analogiques, il écrit dans son livre de la *Hiérarchie céleste* (ch. II) :
« Si on revêt de corps et de formes ce qui n'a ni corps ni formes, c'est parce que nous ne pouvons avoir l'intuition directe des choses spirituelles, et qu'il nous faut le secours d'un symbolisme proportionné à notre faiblesse et dont le langage sensible nous initie aux connaissances d'un monde supérieur. »
Et encore :
« Il n'est donc point inconvenant de déguiser des choses célestes sous le voile des plus méprisables emblèmes ; d'abord parce que la matière, tirant son existence de celui qui est essentiellement beau, conserve dans l'ordonnance de ses parties quelques vestiges de la beauté intelligible ; ensuite parce que ces vestiges même nous peuvent ramener à la pureté des formes primitives, si nous sommes fidèles aux règles antérieurement tracées, c'est-à-dire si nous distinguons en quel sens différent une même figure s'applique avec une égale justesse aux choses spirituelles et aux choses sensibles. »
Cette dernière réflexion caractérise le *choix* nécessaire dans les moyens de l'art et leur hiérarchie ; mais il indique, aussi, très clairement où est l'erreur générale des philosophes parlant de l'art : ils ne savent pas faire la distinction dont parle l'Aréopagite. Ils croient la faire, comme Socrate et Platon, en s'arrêtant aux descriptions psychologiques ou même à la psychophysiologie.
25:103
Or la psychologie ainsi comprise reste dans l'accidentel. Il n'est pas de véritable artiste qui ne tende au-delà. S. Thomas a écrit un commentaire du Traité des noms divins. Il n'ajoute rien à la pensée de S. Denis : il la transpose seulement dans le langage scolastique, évidemment beaucoup plus précis, mais comportant les dangers, que j'ai signalés plus haut. C'est là où S. Thomas dit que le beau a rapport à la cause formelle et le bien à la cause finale. Il a cependant, dans ce même commentaire, fait une réflexion personnelle très profonde (à son habitude) et très judicieuse que voici :
« Bien que le beau et le bien soient même chose quant au sujet parce que tant la splendeur que l'harmonie sont contenues dans l'idée du bien, cependant ils ont entre eux une distinction de raison car le beau ajoute au bien *un rapport à la faculté de connaître qu'il* (*le bien*) *est tel.* »
Nous l'interprétons en disant que le beau faisant reconnaître le bien, la recherche du beau dans l'œuvre d'art et dans la nature est un mode de connaissance. ([^6])
Quant à la définition du beau que vous me citez et qui est d'apparence inoffensive, le beau c'est « *quod visum placet* », *ce qui étant vu plaît*, elle est en réalité très complète dans sa simplicité. *Visum* c'est l'acte intellectuel, la perception sensible, inséparable d'un acte de l'intelligence (car on ne découpe l'esprit que dans les livres), c'est une connaissance. *Placet* c'est la manière d'agir de la volonté, c'est-à-dire que la connaissance acquise répond à un désir d'amour pour la vérité. Elle est belle et on reconnaît ainsi un bien vrai. Tout l'esprit est engagé sa capacité d'amour comme son intelligence. La définition : *resplendance de la forme sur la matière* dit plus, au point de vue purement intellectuel ; elle analyse la cause et du *visum* et du *placet,* mais élimine l'amour. C'est l'habitude de la philosophie ; car l'amour ne s'analyse pas en concepts ; on ne peut que distinguer grossièrement des qualités en théologie mystique.
26:103
Qu'il s'agisse d'un spectacle naturel, d'un trait de beauté morale chez quelque créature, d'une attitude trahissant une âme, l'esprit a connaissance d'un ordre admirable de la création, d'une puissance spirituelle, d'un accord de l'esprit et de l'étant dont il se réjouit.
Dans une œuvre d'art, l'esprit se complaît à voir mise en évidence l'harmonie extraordinaire de ce qui reste un mystère « *opéré dans le silence de Dieu* »*.* C'est bien là un acte de connaissance de tout l'esprit et non d'un sens spécial.
\*\*\*
C'est seulement le langage dans lequel ces idées s'expriment qui dépend d'un sens spécial, car certains sont portés aux abstractions mathématiques, d'autres aux abstractions philosophiques, d'autres encore aux abstractions plastiques ou musicales. Le langage des uns et des autres est différent parce que telle espèce de mémoire prédomine en eux, parce que tel sens est plus aigu ou plus fin chez l'un ou chez l'autre.
En général les philosophes n'y voient pas bien clair pour philosopher sur les mathématiques, il faut les avoir pratiquées longuement avec le don d'invention propre à cet art. De même quand il s'agit des beaux-arts. Sauf Ravaisson je ne connais pas de philosophe qui en ait eu une pratique même élémentaire. Les comparaisons que Bergson tire des arts et qui font se pâmer les lectrices sont généralement très pauvres et montrent une méconnaissance accentuée de ceux-ci. J'eus un jour une longue conversation avec lui. Il avait lu quelques-uns de mes articles que lui avait communiqués Jacques Chevalier.
27:103
En conclusion de quelque réflexion je dis : « Comme méthode, s'en prendre aux grandes abstractions. » Et Bergson, en s'agitant malgré ses infirmités, disait : « Ah, voilà, voilà, voilà ! » Alors je l'étonnai bien en lui révélant que l'auteur de ces paroles, si justes et si profondes, était Gauguin. Mais quand j'ajoutai que ces grandes abstractions étaient le dessin, la couleur, la valeur, je vis dans les yeux de Bergson, se produire ce vide qui témoigne qu'on n'y est plus du tout.
Pour lui la couleur était un concept très général (puisqu'il y a une multitude de couleurs) mais un concept enveloppant seulement des sensations d'une certaine qualité. Mais pour le peintre dont la couleur est avec le dessin mais unie indissolublement au dessin, le seul moyen d'expression ? Pour lui la douleur *est surtout et avant tout de l'être *; c'est en tant qu'être qu'il l'étudie au travers des sensations, c'est le moyen à sa portée de parler de l'être, de l'*un* et du *divers*, problème qui a divisé jadis Héraclite et Parménide. Et ce n'est pas un problème plus commode pour la peintre que pour les philosophes.
Gauguin ne voulait pas supprimer ces « grandes abstractions », mais en éclairer le sens pour leur rendre leur valeur spirituelle et leur vrai puissance ; à la façon dont les grands philosophes rendent la Vie à des expressions usées ou bien éclairent des notions communes. Car des artistes de grande valeur, comme Delacroix, ont soumis leur art à des idées littéraires. Leurs œuvres sont en quelque sorte des illustrations. C'est l'honneur intellectuel de Cézanne d'avoir peint trois pommes sur une assiette pour rechercher le vrai sens de la plastique et de la couleur.
\*\*\*
28:103
Examinons ces « grandes abstractions » auxquelles Gauguin voulait s'en prendre. L'habitude seule empêche de constater ce fait : la peinture n'existe que si on commence par *supprimer l'espace pour le suggérer.* En quoi ? Comment ? Cela dépend du degré d'abstraction dont est capable l'artiste. Il peut, suivant le naïf langage de Socrate, « imiter avec des couleurs les enfoncements et les saillies, le clair et l'obscur », c'est-à-dire suggérer l'apparence matérielle, mais il peut aussi étudier l'acte qui maintient les choses dans l'être, la permanence et le changement, le temps et la durée, la trace ineffaçable sur un corps de la tension du mouvement dans le temps : c'est l'art du trait.
Tel est le lieu des recherches de l'artiste sur la *forme.* Le troisième chapitre de mon livre, *Le Martyre de l'art* en fait l'analyse : vous l'avez ([^7]).
La couleur ne peut se passer de la forme mais en elle-même, sans la forme, elle ne saurait parler du mouvement du temps, mais seulement, avec plus ou moins de force, du *même* et de *l'autre,* de *l'un* et du *divers.* L'harmonie des couleurs, c'est cela ; la principale préoccupation des peintres est de résoudre ces problèmes pour chaque cas qui se présente. Toute œuvre nouvelle est une nouvelle expérience sur *l'être*. Il est tout à fait inutile que les peintres se posent la question comme le feraient les philosophes ; ils la posent dans leur propre langage.
Il est une autre abstraction qu'on appelle la *valeur.* Elle est si bien pensée comme une abstraction que depuis Léonard de Vinci jusqu'aux impressionnistes, elle a été pensée par les peintres comme une dégradation du noir au blanc. Et les plus grands coloristes de ce temps depuis Montagna (son. S. Sébastien du Louvre est une ébauche) jusqu'à Watteau et Delacroix ont cru bien faire d'ébaucher leurs œuvres en gris ou en bistre : ce qui attriste la couleur de tous les tableaux de cette époque, quels que soient les dons des artistes.
29:103
La valeur est le rapport de l'intensité des couleurs qui *vont bien ensemble*, en elles-mêmes et aussi suivant leur place dans un espace que supprime le tableau et qu'il suggère seulement.
La gloire intellectuelle des impressionnistes est de s'être rendu compte que depuis Léonard les peintres se débattaient contre une abstraction fausse dont plusieurs, comme Poussin et Watteau (en France précisément) ont délibérément essayé de se débarrasser. La valeur est toujours envisagée abstractivement par les peintres, mais ceux-ci savent qu'elle ne peut être exprimée que par une qualité des couleurs, non par du bistre ou, du gris. C'est un retour à une saine conception de l'être, analogue à celle-ci : les essences n'existent pas en dehors de l'être concret. Il est impossible de suggérer la valeur autrement que par la couleur même.
La lumière pour Bergson était une sensation. Qu'en fait le peintre ? Il n'y a aucune source lumineuse dans un tableau, qui ne renvoie guère que cinq pour cent de la lumière qu'il reçoit. Elle ne peut être figurée que par les couleurs qui, physiquement, dans les salles où se trouvent les peintures, n'en peuvent renvoyer qu'une infime partie. Or la *couleur de la lumière est la source de l'unité dans la couleur*. Nous revoici en présence du problème de l'un et du divers. Comme Rameau dans « *l'Enharmonique* » fait entendre un intervalle que les sons ne donnent pas, les peintres font sentir une qualité de lumière dont ils ne disposent pas. Nous laissons ici la qualité du *faire,* très délicate et qui est ici encore une question de méthode intellectuelle ; mais elle ne peut être entendue que des praticiens.
\*\*\*
30:103
Vous voyez par où manque la définition de Kant *Le beau est ce qui plaît universellement sans concept*. Nous dirons sans concept sous la forme verbale, mais avec des concepts plastiques. Le mot est un signe vocal très arbitraire pour désigner un concept, qui, lui, est vivant dans l'esprit sous une forme non matérielle. Il s'enrichit sans cesse par l'expérience et la réflexion sans que change le mot, ni la définition verbale. Un chrétien a de Dieu une idée beaucoup plus riche dix, vingt ou trente ans après son baptême.
Le verbe mental, nécessaire pour penser, est un souvenir d'images et de signes sonores dont le sens intellectuel est très variable.
Lorsque Descartes s'arrêtait sur son « je pense » il ne prenait point garde qu'avec le verbe mental par lequel il formait sa pensée, tout le monde sonore et les images dont le verbe, mental n'était que le souvenir demeuraient présents dans son esprit ; que ces images étaient nécessaires et qu'elles impliquaient, sans qu'il pût s'en détacher, le monde extérieur dont il prétendait douter.
L'expression de la pensée est toujours symbolique puisqu'elle doit employer des signes sensibles, et il est bien impossible de douter d'un monde extérieur sans lequel nous ne pouvons ni penser ni exprimer notre pensée. Huet, l'évêque d'Avranches, fameux sceptique, écrivait :
« Lorsqu'il s'agit de conduire sa vie, de s'acquitter de ses devoirs, nous cessons d'être philosophes, d'être douteux, d'être incertains, nous devenons idiots, simples, crédules, nous appelons les choses par leurs noms... »
Ajoutons : quand il s'agit de *faire* quoi que ce soit. Former seulement une pensée est déjà de l'ordre du *faire,* puisqu'on y emploie un langage particulier.
31:103
Les matériaux de ce *faire* sont en plus des images, le substantif, le verbe, l'adjectif. On s'en sert, Bergson ou Descartes, Huet lui-même, sans les avoir examinés de très près. C'est une infirmité du langage d'être obligé de *nommer* les concepts pour s'y reconnaître, alors que les concepts ne sont que les aspects d'un même être, aspects qu'il vaudrait mieux *qualifier* que *nommer.* L'erreur des intellectuels est de croire que là où il n'y a que des *qualificatifs* comme dans les arts, il n'y a pas de concepts, ou, si vous aimez mieux, que là où il n'y a pas de mots, il n'y a pas de concepts. Une observation sérieuse montrerait qu'il est bien impossible à l'homme le plus illettré de ne pas avoir de concepts, même s'il ne les formule pas.
Vous me dites : si l'art est un mode de connaissance authentique, pourquoi S. Thomas n'en parle-t-il pas ? Le texte cité plus haut de son commentaire des *Noms Divins* prouve qu'il était sur le chemin pour le comprendre. Mais à cette époque les artistes vivaient dans leur corporation avec des *Secrets* et ils ne les communiquaient qu'aux jeunes gens de valeur qui pouvaient leur succéder ; ils formaient un groupe isolé, qui justement à cause de cela a pu imposer ses idées, et les faire évoluer sans que le majestueux appareil de la féodalité, du roi, de la Sorbonne ait jamais eu à en discuter. Quelle chance ils ont eue !
Les théoriciens de la musique, au contraire, étaient souvent des religieux, mais les musiciens ? Les créateurs de la polyphonie, qui étaient français, ne devaient pas beaucoup se préoccuper d'Aristote pour ce faire.
\*\*\*
32:103
Et nous en arrivons à votre question sur les degrés d'abstraction. L'art appartient manifestement au troisième degré d'abstraction, qui est de connaître l'être en tant qu'être. Le style d'un artiste, reconnaissable en chacune de ses œuvres, quelqu'en soit le sujet, est la manifestation la plus profonde de son idée de l'être ; tout portrait est une étude du problème de l'âme et du corps. Sans doute les images tiennent une grande place, mais quand nous disons : « sedet ad dexteram Patris omnipotentis » l'image tient grande place. Il est obligatoire d'user de l'analogie. C'est de la même manière que l'art s'en sert obligatoirement. Et les artistes ne diffèrent pas davantage entre eux que les philosophes, et comme les philosophes ils diffèrent entre eux par leur profondeur abstractive.
Quand Delacroix dit que savoir dessiner c'est être capable de dessiner un maçon tombant d'un échafaudage, il veut dire : saisir avec rapidité un mouvement. Il n'envisage que le mouvement en tant que tel. On peut le chicaner ; sa définition implique beaucoup d'idées car le mouvement du maçon change avec une rapidité qui dépasse les possibilités de l'œil. Le dessin de Delacroix sera donc une synthèse intellectuelle qui aura demandé, mettons trois secondes à réaliser, pendant lesquelles le maçon aura franchi six ou sept étages. Voici bien des problèmes posés, qui sont des problèmes de connaissance. Le dessin du maçon qui tombe est une œuvre synthétique de l'esprit. Quoi de plus abstrait qu'un dessin au trait sans volume et sans mouvement, et qui doit signifier volume, mouvement, tension et harmonie ?
Car le propre des arts plastiques est de traiter tous les problèmes à la fois (comme ils se posent dans la nature) dans une image unique. Ce microcosme que représente le maçon qui tombe est forcément étudié en même temps, que Delacroix le veuille ou non, comme un cas de l'unité du divers, de l'équilibre et de l'harmonie dans le mouvement même. Toute œuvre plastique est un tableau synoptique, mais complet, riche de tous les développements possibles, et non pas un schéma.
33:103
Or Gauguin donne une autre définition ; il écrit à Daniel de Monfreid : « Jusqu'à présent, je n'ai rien fait de saillant ; je me contente de fouiller mon moi-même et non la nature, d'apprendre un peu à dessiner le dessin, il n'y a que ça... »
Il est clair qu'il ne s'arrête pas au mouvement en tant que tel, et qu'une figure immobile (comme celles de la grande statuaire) convient aussi bien et même mieux pour le but qu'il se propose. C'est le problème de la connaissance qui lui est apparu. En dessinant tel objet extérieur, il se demande ce qu'est cet homme qui peut cela, et comment il le peut. Il se rend compte du choix opéré par l'esprit, il en cherche le pourquoi. Ce choix est une abstraction. Gauguin en dessinant recherchait *l'essence *; il savait que le dessin est un effort de *connaissance* qui est traduit par un concept plastique, ainsi que nous l'avons vu plus haut. Et nous *connaissons* quelqu'un à qui l'étude du dessin apporta la révélation de la spiritualité pure des actes de pensée.
Il suffit de comparer un dessin de Delacroix et un dessin de Gauguin (ou une peinture) pour voir où et par quel moyen s'accomplit cet effort de connaissance. L'essence vivante se manifeste par une qualité de tension des formes qui laisse sa trace sur les corps ; moins le mouvement est violent (comme sur l'Aurige de Delphes) plus le corps laisse paraître ce qui n'est pas accidentel, cette tension intérieure qui maintient le corps dans l'être. C'est vrai aussi d'une branche d'arbre qui s'érige contre la pesanteur et peut la vaincre Pendant des siècles.
34:103
Dans un article sur le « Dessin » d'un Dictionnaire Pédagogique, Ravaisson exprime ces mêmes pensées. Il dit d'abord que parmi l'infinité des figures possibles, les plus nombreuses ne sont pas géométriquement analysables ; leur synthèse est donc impossible et la géométrie ne les atteint pas. « Telles sont les figures de tout ce qui vit, peut-être même de tout ce qui est réel... » Cette observation que la géométrie est impuissante à analyser les formes vivantes (et même tout ce qui est réel) condamne le cubisme. Celui-ci remplace la vie par un schéma des formes extérieures : dans une époque où l'art a tenté un puissant effort pour retrouver le moyen d'exprimer l'intérieur de l'être, le cubisme est une revanche du matérialisme. Par impuissance, il nie ce qui a fait la gloire de nos grands prédécesseurs, la recherche du spirituel.
Plus loin Ravaisson dit qu'il y a dans le dessin « pour arriver le plus vite possible à la reproduction des formes, une ligne à suivre qui passe par le principe des formes ». On voit qu'il a dessiné ; l'art du trait est le fond des arts plastiques ; Delacroix et Gauguin diffèrent par l'usage qu'ils en ont fait et la qualité de leurs dons, très supérieurs chez Gauguin. D'où la différence de leurs définitions. Ravaisson continue : « La forme, disait Michel-Ange, doit être serpentine (*serpentinata*) et Léonard de Vinci : « Observe pour dessiner la manière de serpenter de chaque chose. » Autrement dit le secret de l'art de dessiner est de découvrir en chaque objet la manière particulière dont se dirige à travers toute son étendue, telle qu'une vague centrale qui se déploie en vagues superficielles, *certaine ligne flexueuse qui est son axe générateur*. »
Cet axe générateur, c'est l'essence, ce qui fait que les choses sont ce qu'elles sont. C'est celui du dessin des grandes époques religieuses de l'humanité, le dessin des vases grecs, des tombes égyptiennes, des peintures chinoises, comme celui des vitraux de Chartres ; celui de Van Gogh, de Gauguin, de Rodin.
\*\*\*
35:103
Pour terminer voyons en quels termes Bossuet en arrive à parler de l'art. Dieu ayant fait l'homme à son image, Bossuet étudie l'image de la T. S. Trinité dans nos âmes ; c'est la Vl^e^ élévation de la seconde semaine :
« Nous avons vu qu'entendre et vouloir, connaître et aimer sont des actes très distingués ; mais le sont-ils tellement que ce soient choses entièrement et substantiellement différentes ? Cela ne peut être : la connaissance n'est autre chose que la substance de l'âme affectée d'une certaine façon, et la volonté n'est autre chose que la substance de l'âme affectée d'une autre... ma substance est toujours la même dans son fond, quoiqu'elle entre tout entière dans toutes ces manières d'être si différentes.
« Voilà déjà en moi un prodige inconcevable (celui de l'unité du moi dans la diversité des puissances de l'âme) mais ce prodige s'étend dans toute la nature... où tout est distinct et un ; un en substance, distinct en manières, et ces manières quoique différentes, n'ont toutes qu'un même sujet, un même fond, une seule et même substance.
« Je ne sais qui peut se vanter d'entendre cela parfaitement, ni qui pourra se bien expliquer à soi-même ce que les manières d'être ajoutent à l'être ni d'où vient leur distinction dans l'unité et identité qu'elles ont avec l'être même, ni comment elles sont des choses, ni comment elles n'en sont pas... tout cela nous est une preuve que même dans les choses naturelles, l'unité est un principe de multiplicité en elle-même et que l'unité et la multiplicité ne sont pas autant incompatibles qu'on le pense. »
36:103
Comme nous savons gré à Bossuet de ne pas évacuer le mystère dans la connaissance ! Ses pensées ont un étroit rapport avec ce que nous avons dit de l'art. Bossuet donne ensuite un exemple. En grand artiste et avec un esprit supérieur, il prend cet exemple dans les arts plastiques. Car il se rend compte que dans ces arts tout doit s'y dire en *même temps,* et qu'un plasticien est par son art même porté à vivre dans ce climat métaphysique qui le force à étudier l'unité du divers, *en même temps* que la liberté et l'amour.
Je termine donc, pour que vous n'ayez pas à le chercher et vous ne l'avez peut-être pas, en citant la VII^e^ élévation de la seconde semaine : « Fécondité des Arts » :
« Je suis un peintre, un architecte, un sculpteur : j'ai mon art, j'ai mon dessein ou mon idée, j'ai le choix et la préférence que je donne à cette idée par un amour particulier. J'ai mon art ; j'ai mes règles, mes principes, que je réduis autant que je puis à un premier principe qui est un, et c'est là que je suis fécond. Avec cette règle primitive et ce principe fécond qui fait mon art, j'enfante au-dedans de moi un tableau, une statue, un édifice, qui dans sa simplicité est la forme, l'original, le modèle immatériel de ce que j'exécuterai sur la pierre, sur le marbre, sur le bois, sur une toile où j'arrangerai toutes mes couleurs. »
Bossuet pose ainsi en premier le langage particulier dans lequel doit se réaliser la pensée et qui lui est nécessaire (« j'ai mon art, j'ai mes règles, mes principes »), c'est-à-dire la logique propre à chacun des arts. Les philosophes, c'est le reproche qu'on leur pourrait faire, ont l'air d'ignorer qu'ils pratiquent un art plus répandu, certes, que celui des peintres ou des musiciens, mais aussi particulier, qui est de l'ordre du faire, et qu'ils usent d'un langage bien moins universel que celui des arts ; car nous comprenons sans traduction l'art de la Chine et celui des Mayas.
37:103
Il continue :
« J'aime ce dessein, cette idée, ce fils de mon esprit fécond et de mon art inventif. Et tout cela ne fait de moi qu'un seul peintre, un seul sculpteur, un seul architecte : et tout cela se tient ensemble et uni inséparablement dans mon esprit : et tout cela dans le fond c'est mon esprit même et n'a point d'autre substance : et tout cela est égal et inséparable.
« Lequel des trois que l'on ôte, tout s'en va. Le premier qui est l'art n'est pas plus parfait que le second qui est l'idée, ni le troisième qui est l'amour. L'art produit l'un et l'autre, et on suppose qu'il existe, quand il les produit. On ne peut dire ce qui est beau, ou de commencer ou de terminer, ou d'être produit où de produire. L'art qui est comme le père, n'est pas plus beau que l'idée qui est le fils de l'esprit ; et l'amour qui nous fait aimer cette belle production, est aussi beau qu'elle : par leur relation mutuelle chacune a la beauté des trois. Et quand il faudra produire au dehors cette peinture ou cet édifice, l'art et l'idée et l'amour y concourront également en une unité parfaite ; en sorte que ce bel ouvrage se ressentira également de l'art, de l'idée et de l'amour ou de la secrète complaisance qu'on aura pour elle.
« Tout cela, quoique immatériel, est trop imparfait et trop grossier pour Dieu : je n'ose lui en faire l'application : mais de là aidé de la foi je m'élève et je prends mon vol ; et cette contemplation que Dieu a mis dans mon âme, quand il l'a créée à sa ressemblance, m'aide à faire mon premier effort. »
Voilà ce qu'il fut dit de meilleur sur l'art depuis l'Aréopagite. Efforçons-nous donc, mon bon frère, de continuer, dans cette même voie pour rendre à Dieu ce qui en vient.
Henri CHARLIER.
38:103
### Les catholiques et l'amendement Vallon
par Louis SALLERON
EN VERTU de la loi du 12 juillet 1965, art. 33, § 4, « le gouvernement déposera, avant le premier mai 1966, un projet de la loi définissant les modalités selon lesquelles seront reconnus et garantis les droits des salariés sur l'accroissement des valeurs d'actif des entreprises dû à l'autofinancement. »
C'est ce qu'on appelle « l'amendement Vallon » (Je dis « ce qu'on appelle », car il ne semble pas que M. Vallon en soit personnellement l'auteur. Mais peu importe. Il l'a fait sien comme rapporteur général du Budget, et il le défend vigoureusement, du moins dans son principe).
Donc à la date où paraîtra ce numéro, on doit connaître le projet de loi gouvernemental.
Mais à la date où nous écrivons ces lignes, on n'en connaît rien. On a même l'impression que le projet ne verra pas le jour dans les délais prescrits.
C'est que la question est terriblement compliquée.
39:103
Pour tâcher de la débrouiller, le ministre de l'économie et des finances a créé une commission qui a commencé ses travaux le vendredi 18 mars.
Cette commission, présidée par M. Raymond Mathey, conseiller-maître à la Cour des Comptes, est composée de MM. Raymond Barre, professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris, Roger Belin, président de la R.A.T.P., de Lestrade, directeur général de la Caisse nationale des marchés, Georges Perrineau, président de la Chambre syndicale des minerais et métaux bruts, Jacques Plassard, journaliste à la *Vie française*, Jean Ripert, commissaire général adjoint du Plan, Alfred Sauvy, professeur au Collège de France, et René Lenoir, inspecteur des finances, qui en sera le rapporteur général.
\*\*\*
40:103
L'amendement Vallon présente cette particularité curieuse de correspondre, au moins en apparence, à une idée spécifiquement catholique.
On se rappelle, en effet, le paragraphe de *Mater et Magistra* qui a tant fait couler d'encre : « Nous ne saurions ici négliger le fait que de nos jours les grandes et moyennes entreprises obtiennent fréquemment, en de nombreuses économies, une capacité de production rapidement et considérablement accrue, grâce à l'autofinancement. En ce cas, nous estimons pouvoir affirmer que l'entreprise doit reconnaître un titre de crédit aux travailleurs qu'elle emploie, surtout s'ils reçoivent une rémunération qui ne dépasse pas le salaire minimum. »
D'autre part, dans les premiers jours de mars 1966, une « Note de la Commission épiscopale de l'Action charitable et sociale », publiée avec l'accord du Conseil permanent de l'Assemblée de l'Épiscopat, déclare que « l'autofinancement des entreprises, en particulier, fait naître au bénéfice des travailleurs un certain « titre de créance », surtout lorsqu'il est acquis par une pression sur les salaires. Il est urgent de pousser l'étude de ce phénomène complexe et des expériences d'où peuvent se dégager des solutions constructives. Dans sa nature, sa formation et son utilisation, l'autofinancement est un centre de droits multiples, qu'il faut reconnaître, assurer et organiser avec la participation des divers intéressés » (*Documentation catholique,* 20 mars 1966, col. 501-502.)
41:103
M. Louis Vallon, classé gaulliste de gauche, s'est réjoui d'une coïncidence évidemment frappante.
Dans une feuille du régime intitulée « Notre République » (du 11 mars 1966), il écrit :
« Je suis heureux que l'épiscopat français, dans des « réflexions » de haute tenue, ait remarqué que « l'autofinancement des entreprises etc. « (citation) ... Ce renfort, apporté à la thèse de l'article 33, réjouira tous les gaullistes, même s'il indigne quelques politiciens de conseil d'administration, peut-être déjà prêts, semble-t-il, à un certain anticléricalisme, pour mieux combattre ceux qui veulent réformer les structures sociales actuelles. »
Dans le même numéro, M. René Capitant chante un hymne à « la politique sociale de l'Église ». Il se réfère à la Note de la Commission épiscopale et aux « encycliques » *Mater et Magistra*, *Gaudium et Spes* et *Pacem in terris.* (Voilà *Gaudium et Spes* devenue encyclique, mais peu importe) :
« On est bien en présence d'une vraie doctrine de progrès social, d'une doctrine progressiste, au meilleur sens du mot. Le fait qu'elle soit devenue celle de l'Église va donner au progressisme une impulsion nouvelle et vraisemblablement décisive...
« ...\[La force de l'Église\] va peser désormais sur la vie politique et sur le résultat des élections...
« ...Sans doute le gaullisme ne peut-il se confondre avec l'Église. Pas plus que l'Église ne peut se ramener au gaullisme. Mais il se trouve que la doctrine sociale du gaullisme concorde, sur ce point au moins, avec celle de l'Église... »
\*\*\*
42:103
Que vont faire, que vont dire les catholiques nous voulons dire : les catholiques mandatés, patentés, représentatifs ?
Quelle va être la position du patronat chrétien, des syndicalistes chrétiens, des feuilles chrétiennes, des journalistes chrétiens, de tous les chrétiens qu'on voit dans les congrès, les « semaines » et autres manifestations du même genre ?
On le saura quand ces lignes paraîtront. Pour le moment nous n'en savons rien.
Mais nous savons deux choses :
1°) Nous savons qu'il n'est pas facile de diagnostiquer en l'occurrence la position « de gauche », la position « avancée », ou « progressiste ». Car M. Capitant a beau l'indiquer aux catholiques, ceux-ci peuvent la contester.
Depuis la Libération, les catholiques « de choc » sont contre la propriété. S'ils pensent que l'amendement offre une chance de déboucher sur la propriété capitaliste au bénéfice des salariés, ils seront *contre*.
Mais l'amendement Vallon peut devenir « dieu, table ou cuvette ».
L'important est donc de savoir ce que vont dire socialistes et communistes, afin de leur emboîter le pas.
Or, si les jeunes socialistes n'ont plus rien contre la propriété, les vieux s'accordent avec les communistes pour la condamner. Ils proposeront vraisemblablement une caisse nationale d'investissement, qui serait le contraire même de la diffusion de la propriété, et qui à cet égard pourrait avoir leur faveur.
43:103
Mais nous ne croyons pas que M. Vallon accepterait une telle solution. Son socialisme, sauf erreur, est plus proudhonien que marxiste. Il se méfierait d'un nouveau trust d'État, qui ne ferait que renforcer la Caisse des Dépôts et peut-être se confondre avec elle.
2\) Nous savons aussi, et cette pensée nous est amère, que les catholiques « de choc » « aile marchante de l'Église » sont pris au dépourvu parce qu'ils n'ont jamais réfléchi à la question. Pensant « par procuration », comme l'a écrit un jour le P. Bouyer (je crois que c'est son mot, en tous cas c'était l'idée), ils appellent « être avancés » coller au marxisme et au communisme.
Ce qui fait qu'aujourd'hui ils n'ont réellement rien à dire sur la question. Ce qu'ils diront ne peut s'inspirer que de l'opportunisme. Ce sera, probablement, à la fois dérobade et surenchère.
\*\*\*
Fort heureusement, à côté de ces catholiques « officiels » il y a de très nombreux catholiques patrons, cadres, employés, ouvriers, juristes, économistes, intellectuels qui connaissent bien la question.
Il y a notamment tous les chefs d'entreprise qui ont déjà « fait quelque chose », soit dans le sens de l'amendement Vallon, soit dans une orientation analogue.
Beaucoup de ces personnes seront sang doute interrogées par la Commission Mathey, qui entend faire un vaste tour d'horizon.
44:103
Pour le moment nous n'avons rien de plus à dire, nous étant, sur le fond, largement expliqué, principalement dans *Itinéraires* ([^8])*.*
Il reste qu'on doit être reconnaissant à M. Louis Vallon d'avoir fortement posé la question devant l'opinion.
Louis SALLERON.
45:103
*Annexe*
*Conversation avec Louis Salleron\
au sujet de son livre* «* Diffuser la propriété *»
*Nous reproduisons ci-après la* « *Conversation avec Louis Salleron* » *qui avait paru dans notre numéro 88 de décembre 1964, au moment de la publication de son livre :* DIFFUSER LA PROPRIÉTÉ (*dix-septième volume de la* « *Collection Itinéraires* »)*.*
\[...\]
52:103
### Le nouveau « Pater »
par Alexis CURVERS
IL Y A PEU DE TEMPS encore, j'entendais dire autour de moi : « Le Pater, non, ils n'oseront pas y toucher. Ce serait vraiment trop fort ! » Ils ont osé. Nous voici placés une fois de plus, qui n'est pas la dernière, devant le fait accompli. Et maintenant les gens me disent, avec souvent un petit rire : « Il fallait donc qu'ils nous changent tout, même le *Pater !* » Seulement, cela ne se dit pas devant les prêtres. Officiellement tout va très bien. On s'habitue à tout, n'est-ce pas ? C'est dans le secret que les cœurs saignent et que les consciences s'effarent.
Car cette habitude de s'habituer, ces perplexités muettes, ce petit rire, ce haussement d'épaules, ce ton d'indifférence résignée sont le premier résultat positif de la vague de réformes qui tend de plus en plus à fortifier dans l'esprit des croyants l'idée qu'on les mène en bateau, que pas plus que les autres les choses du sacré n'ont de valeur absolue, qu'elles sont, comme les autres, sujettes à évolution dirigée, et que le sentiment religieux, comme les autres, se conditionne à volonté. C'est la notion marxiste de la religion, accréditée par la religion même.
Il paraît que toutes ces réformes, toujours édictées sans consultation des principaux intéressés, c'est-à-dire des simples fidèles, répondent à « l'attente du monde ». Ayons le courage de déclarer que le monde s'en fiche royalement, et qu'il ne dira pas un *Pater* de plus dans la nouvelle formule que dans l'ancienne. Au contraire. Il s'étonnera seulement qu'un texte universellement tenu pour vénérable eût tant besoin d'être manipulé.
53:103
On justifie chaque réforme après coup, par des raisons qui valent ce qu'elles valent, mais dont il est bien clair qu'aucune n'est la raison déterminante. La vraie raison qui a tout mis en branle n'est jamais exposée, encore moins discutée. Ni surtout la question préalable : pourquoi fallait-il une réforme ? qui la demandait ? et d'où est sorti le projet déjà tout préparé ? Interrogez vos souvenirs. Aviez-vous jamais rencontré une seule personne qui, avant les réformes, eût à se plaindre de la liturgie telle qu'elle était, ou du *Pater* que nos parents nous ont appris ?
Le même parti d'abord murmurant qui a tout à coup proclamé l'urgente nécessité des réformes les avait déjà arrêtées, souvent même exécutées avant toute enquête ou délibération de l'autorité, qui s'est ensuite inclinée, et n'a délibéré que sur les moyens de contenter ce parti et de nous y rendre obéissants comme elle.
N'ayant pas eu voix au chapitre, nous bornerons notre fonction de laïques « adultes » à examiner point par point les nouveautés qu'on nous prescrit comme des merveilles désormais intangibles.
**1. -- **D'abord, le tutoiement.
Érigé en règle par les protestants au XVI^e^ siècle, il s'est depuis maintenu chez eux par tradition avec la nuance de solennité dont il était susceptible dans le français d'alors, à peu près comme dans l'anglais de Shakespeare. Au contraire, il ne s'introduit pas aujourd'hui dans la langue sans en bousculer l'usage. Ce *tu* d'innovation moderne n'a plus du tout le même accent que le noble *tu* jadis conservé par fidélité au latin ; il est détonnant et vulgaire.
Nos amateurs de « ressourcement » méprisent assez le latin pour l'avoir expulsé de la liturgie et de l'enseignement ; mais, comme le latin tutoyait, ils lui restituent sur ce point seul une autorité souveraine. Nous sommes donc mis en demeure de renoncer tambour battant au pluriel de respect, censé contrevenir à la grammaire du grec et du latin, où il apparaît néanmoins dès l'Empire. On nous raconte qu'il y apparut tardivement, lorsque Dioclétien eut partagé le pouvoir entre plusieurs empereurs qu'on interpellait naturellement au pluriel. Erreur. Deux siècles plus tôt, sans y être encore obligé par l'étiquette, Pline le Jeune emploie spontanément le vous (vos) dans ses lettres à Trajan, qui pourtant régnait seul.
54:103
Mais le cas n'en est pas meilleur. Déjà taxé de courtisanerie envers la noblesse du temps de Louis XIV, voilà le vous suspect de servilité envers les empereurs romains ! Il n'est donc pas seulement antigrammatical, il est anti-démocratique de naissance ! Tel est son vice rédhibitoire.
Si pourtant nos tutoyeurs, remontant un peu plus loin dans le passé, poussaient le « ressourcement » jusqu'à l'hébreu biblique, ils y verraient Moïse et les prophètes, dans l'impératif des verbes s'adressant à Dieu, user constamment d'une forme emphatique (les grammairiens disent : « énergique ») qui se distingue de la deuxième personne du singulier par une terminaison spéciale. Et par conséquent, nourri qu'il était du style des Écritures, Notre-Seigneur, en quelque dialecte sémitique qu'il ait prononcé le premier *Pater*, pour peu qu'il trouvât dans ce dialecte un moyen analogue de nuancer de respect les verbes à l'impératif, sans doute ne manqua pas d'y recourir.
Le tutoiement suscitera de grands embarras. Si nous tutoyons Dieu le Père, comment parlerons-nous à la Vierge, aux anges et aux saints ? Faudra-t-il corriger le *Je vous salue, Marie* et tant d'autres belles prières ? Gageons plutôt qu'on les récitera de moins en moins : ce sera l'un des effets de la réforme.
Le Centre français de pastorale liturgique, qui publie le nouveau texte, ajoute un commentaire explicatif et justificatif (reproduit par la *Documentation catholique* du 16 janvier 1966) où nous lisons : « Le tutoiement fut d'usage commun dans le *Notre Père* en français jusqu'au XVII^e^ siècle. Il a été conservé par les protestants. »
Quand bien même cela serait exact, il me semble qu'une tradition enracinée depuis plus de trois siècles, et devenue populaire, méritait mieux que d'être soudainement révoquée par décret dictatorial. Elle le fut une fois déjà en l'an II de la République, lorsque les sans-culottes obligèrent tout le monde à tutoyer tout le monde ; mais peut-être oublièrent-ils d'étendre à Dieu l'application d'une loi si propice. Cette mode dura quelques années, tant les suites en furent agréables.
55:103
En fait, c'est depuis un passé bien antérieur au XVII^e^ siècle que les Français se font un point d'honneur de dire vous aux personnes qu'ils révèrent, et singulièrement à Dieu. On m'opposera les versions plus anciennes du *Pater,* où le tutoiement est usité ; j'y ajouterai la *Chanson de Ro*land et Joinville, où Charlemagne et ses preux, saint Louis et ses chevaliers, qui entre eux se donnent du *vous*, donnent encore du *tu* à Dieu seul. Mais jusque là on ne priait guère qu'en latin, et l'on régla sur ce modèle sacré les prières qui s'improvisaient en français : le *tu* y demeure comme un archaïsme, un signe exceptionnel de respect, nullement de familiarité. Plus tard, quand l'habitude se codifia de réciter en français les prières de l'Église, c'est toujours par souci de conformité scrupuleuse au latin resté, vivant que les traducteurs du *Pater* reculèrent devant le vous que la langue profane pratiquait déjà dans les prières privées. Villon ne tutoie pas la Vierge Marie dans la ballade qu'il écrivit pour elle « à la requête de sa mère », femme « pauvrette et ancienne » du XV^e^ siècle. Au XIV^e^, les humbles personnages des *Miracles de Notre-Dame* invoquent Dieu ou la Vierge au pluriel. Ce qui prouve qu'à cette époque le tutoiement qui subsistait dans la prière rituelle était un latinisme propre à la langue savante imposée par les clercs. Le populaire, d'instinct, l'évitait comme une affectation, sinon comme une incongruité.
Et c'est justement alors, au XIV^e^ siècle, que le verbe *tutoyer*, fort de son étymologie si expressive (*être à tu et à toi*), apparaît dans le vocabulaire français où il s'est transmis jusqu'à nos jours sans altération, par un emploi continuel et utile ; car on a fréquemment besoin d'un mot qui désigne une anomalie. Tandis que son pendant *voussoyer*, même déformé en *vouvoyer,* est beaucoup plus rare et n'est guère attesté que chez des érudits ; s'il hésite encore maintenant à s'acclimater et à se fixer dans l'usage, c'est que celui-ci se passe facilement d'énoncer ce qui va de soi. (Rien de plus courant que les mots *borgne*, *louche*, *myope*, etc. Rien de moins commun que leur contraire.) Il y a donc très longtemps que le tutoiement, par rapport au langage ordinaire, se signale comme une particularité assez remarquée pour que tout le monde en connaisse bien le nom.
56:103
Si bien que la règle du *vous* enfin bien établie au XVII^e^ siècle, qui nous la légua, est exactement le contraire de ce qu'on nous dit. Elle ne fit que consacrer une lente et séculaire victoire de la coutume sur la loi, du parler sur la lettre, et de l'esprit de progrès (de progrès véritable et non préfabriqué) sur l'esprit conservateur qu'était celui des protestants d'alors. Les catholiques français osèrent parler publiquement à Dieu comme on lui parlait depuis longtemps par inspiration personnelle, et comme on parlait à tout le monde depuis des siècles par civilité puérile et honnête. Le pluriel des formes verbales du *Pater* est tout simplement un cas particulier et retardataire d'un phénomène général tenant à l'évolution de la langue et à son génie même.
\*\*\*
Le R.P. Dhôtel est d'un sentiment différent. (Voir sa *Note sur les anciennes traductions françaises du* Pater, dans le n° 83 de La *Maison-Dieu,* Paris, éditions du Cerf, 3^e^ trimestre 1965.) Il veut que « le passage du singulier au pluriel » ait eu « une origine polémique » ; ou plutôt il le voudrait, car il nous prévient honnêtement que ce n'est là qu'une hypothèse, mais il ajoute que « l'hypothèse est plausible », voire « intéressante », et il n'en propose aucune autre.
Bien entendu, ce ne sont pas les bons huguenots qui auraient jamais eu l'idée d'entamer la moindre polémique ; ce sont les méchants catholiques qui, à seule fin de les contrarier, ont inventé subitement, « entre 1618 et 1621 », ce pluriel séditieux. Le P. Dhôtel en constate pourtant la présence habituelle dans les lettres et les sermons de saint François de Sales où le *Pater* est cité ; mais il ne dit pas que cet évêque, au demeurant polémiste assez doux, est mort en 1622, qu'il avait été ordonné prêtre en 1594, et qu'il prêchait déjà quand il était diacre.
57:103
C'est que le savant jésuite appartient à cette nouvelle fournée de prêtres dont on se demande pourquoi ils ont brigué le sacerdoce dans une Église qui a toujours tort et qui a tous les torts. De son enfance catholique, comme de l'histoire de son Église, il semble n'avoir gardé que de déplaisants souvenirs : dans la récitation du chapelet, dit-il, l'accentuation de certaines syllabes du *Je vous salue, Marie* « était faite en dépit du bon sens », tandis que « la seconde partie du *Notre Père* était un bredouillage confus » ; quant à « l'énoncé des dix commandements en bouts-rimés » ([^9]), c'est par erreur (une erreur aussi manifestement grave que peu démontrée) qu'il fut « considéré déjà à la fin du 16^e^ siècle comme une tradition « antique » de l'Église gallicane, alors qu'elle est probablement contemporaine de l'invention de l'imprimerie » ; mais comme « cette cantilène a traversé les siècles (...), nos ancêtres ânonnaient donc déjà sous la baguette du catéchiste : *Un seul Dieu tu adoreras et aimeras parfaitement...* »
C'est curieux, je n'arrive pas à trouver cela ridicule, ni ânonnant. Je n'ai connu que des catéchistes sans baguette, fort dévoués et fort gentils, quelquefois même intelligents. Et les prières que nous récitions en commun, surtout quand elles étaient maladroites, me ravissaient et me ravissent encore par leur profonde beauté. Il est vrai que je n'ai pas l'esprit scientifique, tel du moins qu'il s'acquiert aujourd'hui dans les séminaires et les noviciats par illumination collective. C'est peut-être pourquoi notre vieux *Notre Père* me suffira toujours.
On ne donnera donc pas cher de la raison d'ancienneté, avancée par les nouveaux traducteurs en faveur du tutoiement. Voyons celles qu'ils allèguent ensuite :
1\) « Les versions bibliques le maintiennent. »
Lesquelles ? Précisément et uniquement les plus récentes, celles dont les auteurs étaient d'avance gagnés à la réforme et, pour le plaisir de faire échec à la tradition courante, presque toujours à contresens, se piquent de littéralité. La *Bible de Jérusalem* en est un bon exemple, où la cuistrerie enfante souvent l'ânerie. Ni Le Maistre de Sacy ni Crampon ne « maintiennent » le tutoiement. Ce sont leurs successeurs modernes qui, depuis peu, y reviennent.
2 et 3) « L'usage du *Notre Père* dans la messe (où il est suivi de la prière *Délivre-nous, Seigneur, du mal*...) et sa récitation œcuménique supposent nécessairement l'emploi du tutoiement. »
58:103
Raisonnement admirable ! Les mêmes experts qui ont fabriqué la cause en déduisant la nécessité de la conséquence ! Ce sont eux qui d'abord se sont dépêchés de tutoyer Dieu dans le *Libera* nos (d'ailleurs traduit dans son ensemble en dépit du bon sens, comme on verra plus loin), et ils invoquent ensuite la pure logique pour nous sommer d'en faire autant dans le *Pater !* Or, bien évidemment, la logique commandait de procéder à l'inverse. Puisqu'on disait vous dans le *Pater*, ce fut une violence délibérée que de commencer par impatroniser le tu dans le reste de la messe.
La troisième raison, tirée de l'œcuménisme, n'a pas plus de consistance. Si l'on veut une formule identique pour tous, il ne suffit pas que ce soit la plus expédiente, il faut que ce soit la meilleure. Il n'est pas écrit dans le ciel que les catholiques aient à se régler sur le modèle des protestants plutôt que les protestants sur celui des catholiques, mais les uns et les autres autant que possible sur le vrai, lequel n'est pas affaire d'opportunité ni objet de concessions plus ou moins mutuelles.
Du reste, il n'est pas vrai que le nouveau Pater se rapproche de la tradition protestante : il s'en écarte autant que de la tradition catholique, et de toute espèce de tradition en général.
Les seuls emprunts que nos nouveaux traducteurs fassent à la tradition protestante sont au nombre de deux : le tutoiement, et l'anodine variante de la deuxième demande (« que ton règne vienne »), variante d'ailleurs tardive chez les protestants eux-mêmes.
Par toutes ses autres innovations, le Pater qu'on nous raccommode est entièrement improvisé. Il surprendra tout le Monde, et le caractère œcuménique qu'on lui prête est par conséquent une simple hypothèse, qui en fait n'a jamais été confirmée, ni même essayée, ni même proposée par personne à aucun moment du passé. C'est ce que nous allons montrer en détail.
Quant aux Grecs, ils ne changeront rien, puisque, Dieu merci, ils récitent toujours le Pater en grec ancien, langue pour eux aussi sacrée, aussi belle, aussi claire, aussi familière et aussi satisfaisante que l'était pour nous le latin. Envisageront-ils, par œcuménisme, de retraduire notre nouveau Pater en grec moderne ? En ce cas ils y introduiront le vous, qui ne s'est pas moins acclimaté dans leur pratique que dans la nôtre.
59:103
Car, loin d'être senti comme une spécialité française et aristocratique du XVII^e^ siècle, l'usage du vous s'est tellement implanté et répandu partout, dans tous les pays et dans tous les milieux, dans toutes les langues et dialectes romans, germaniques, slaves et helléniques, voire tout à fait extraeuropéens, qu'il n'est pour ainsi dire plus une classe de la société, surtout parmi les plus humbles, ni plus un peuple sur la terre, surtout parmi les décolonisés, qui ne subisse le tutoiement comme une indiscrétion offensante, vaguement teintée de dédain paternaliste ! Sans aucun doute, c'est sur le vous qu'avait le plus de chances de se réaliser de nos jours l'accord œcuménique. C'est le vous qui est moderne, commun et naturel à tous.
Et voilà bien où apparaît, messieurs les réformateurs, l'incohérence de vos propos.
Vous prétendez vous conformer au peuple tel qu'il est, et vous rompez avec une habitude universelle des peuples tels qu'ils sont.
Vous prétendez être modernes, et vous restaurez un archaïsme que plusieurs siècles ont démodé.
En faveur du seul tutoiement, vous renouez d'une main avec le Moyen Age, cependant que de l'autre vous en jetez tout l'héritage par-dessus bord, les cathédrales et les croisades pêle-mêle avec Charlemagne, saint Thomas d'Aquin et Jeanne d'Arc.
Sur ce seul point aussi, vous vous référez au latin, dont vous récusez et abhorrez en toute autre occasion l'autorité, les vertus et le bienfait. Si vous adoptiez le français, pourquoi n'en pas garder le vous ? Si vous vouliez tutoyer, pourquoi ne pas conserver le latin ?
De ces deux choses que vous n'aimez pas, le latin et le Moyen Age, vous vous attachez avec un acharnement extraordinaire à sauver cet unique vestige, ce petit mot tu, et cela au mépris de la tradition populaire et contemporaine que vous préconisez partout ailleurs.
Vos raisons ainsi se détruisant elles-mêmes, et aucune d'elles ne s'accordant à vos propres théories générales, force est de penser que ces raisons que vous alléguez ne sont pas celles qui vous ont décidés.
60:103
Les vrais motifs demeurent obscurs, sauf peut-être le désir de changer pour changer, d'amorcer et d'accélérer sur toute la ligne un mouvement trépidant, une sorte de branle-bas qui ne s'arrêtera plus. Tels sont en tout cas les premiers effets d'une modification qui, comme les précédentes, va permettre surtout d'en espérer bien d'autres. Déjà, dans un bulletin paroissial très répandu (*la Voix du temps,* Liège, 4 février 1966), un professeur de grand séminaire, non content de tutoyer *Notre Père, con*seille de le nommer plus gentiment *Papa.*
**II. -- ***La Documentation catholique* du 16 janvier ne dit pas si le *Commentaire,* qu'elle publie sans date ni signature, émane des « autorités catholiques, orthodoxes et protestantes » qui ont adopté la nouvelle traduction du *Pater* par un acte daté du 4 janvier 1966 ; ou de l'Épiscopat français qui l'avait déjà promulguée par une ordonnance datée du 29 décembre ; ou du Centre de pastorale liturgique qui a publié tous ces textes, y compris le *Commentaire.* Il est donc probable que ce dernier à bénéficié de l'approbation de ces trois organismes, et d'autant plus que le signataire catholique du « communiqué conjoint des diverses confessions » est également président de l'Assemblée plénière de l'Épiscopat.
Toujours est-il que cette Assemblée a pris l'initiative de promulguer la version dite œcuménique du *Pater* six jours avant que ses auteurs l'eussent signée. « La confirmation par le Siège apostolique » avait été donnée dès le 20 décembre. Le *Commentaire* ne dit pas quand « les évêques orthodoxes intéressés ont été respectivement consultés avant de donner leur accord ». Mais le *Communiqué conjoint* nous prévient que « la ratification sera demandée aux synodes (protestants) de 1966 » ; on tremble à penser qu'ils pourraient fort bien la refuser. Ce calendrier respire un certain tumulte.
61:103
(Notons en passant que l'ordonnance des évêques, qui semblent décidément pressés, concède du même coup permission de chanter en français tout le *Pater*, la préface et tout l'ordinaire de la messe. Voilà encore une permission qui sera vite obligatoire. On n'attend plus que la musique. « En effet, dit l'ordonnance, la Commission épiscopale de liturgie a voulu laisser le temps de composer des mélodies adaptées. » D'après celles que nous entendons déjà, on peut prévoir que ce sera joli. Mais adaptées à quoi ? L'épithète ne tirerait un sens que du complément qui lui manque. Et laisser le temps à qui ? Pour rebâtir sur commande vingt siècles de musique sacrée, nous n'avons guère sous la main que le P. Gélineau. Si fécond que soit son génie, on doute que, même avec le temps, il suffise à la tâche. Il est dangereux d'entreprendre des changements quand l'époque est mauvaise, et malheureusement les mauvaises époques ont le goût du changement. Une illusion constante les porte à se croire capables de tout, meilleures même que les bonnes. Car, comme il faut qu'un homme soit très intelligent pour comprendre qu'il est un imbécile, il faut qu'une époque soit très civilisée pour s'apercevoir qu'elle est en décadence.)
Nous nous en tiendrons, faute de mieux, au *Commentaire*, puisqu'il justifie à lui seul, tant bien que mal, l'ensemble des corrections du *Pater*, par les mêmes considérations que nous avons rencontrées à propos du tutoiement :
« 1°) *Fidélité plus grande aux paroles du Seigneur. Le texte usuel laissait à désirer sur plusieurs points.* » \[Le *Commentaire* ne dit pas lesquels, ni pourquoi ; ni en quoi le texte nouveau sera plus fidèle aux paroles du Seigneur. Il affirme sans démontrer.\] « *Il est significatif que les Bibles modernes et les ouvrages d'exégèse lui ont également préféré d'autres traductions pour mieux serrer l'original*. »
Justement, il n'y a que les Bibles modernes et les ouvrages savants qui eussent jusqu'ici apporté aux textes traditionnels telles retouches dites « scientifiques », destinées à être à leur tour indéfiniment retouchées par de nouvelles écoles de philologues, gens pour qui toutes les productions littéraires sont à traiter par les mêmes méthodes, selon les mêmes modes passagères et sous l'empire des mêmes manies.
62:103
C'est en vertu de ce système, hérité de la science allemande, que les philologues en moins d'un siècle ont réussi à tuer complètement dans le public l'amour et la véritable étude des littératures profanes, réduites à l'état de matériel de laboratoire, vide de toute signification humaine et n'intéressant plus que des cénacles de techniciens enfermés dans leurs respectives, arides et futiles spécialités. Le même sort est promis à la littérature sacrée depuis qu'elle aussi est tombée aux mains de savants spécialistes, disciples attardés de ceux qui avaient déjà séquestré le trésor de la pensée, de la poésie et de la beauté classiques dans l'étroit ergastule de leurs éditions critiques et de leurs gloses rébarbatives. Une fois soumis à cette sorte de vivisection, il n'est pas de texte si auguste, si profond et si vibrant qui ne perde comme par enchantement le pouvoir de faire battre les cœurs et de nourrir les âmes, à plus forte, raison de stimuler l'adoration et la prière. Il n'y a donc aucunement lieu, il est même tout à fait anti-scientifique d'appliquer indistinctement les mêmes règles à l'intelligence et à la traduction d'un texte, selon qu'il doit servir de passe-temps aux spécialistes ou d'objet de méditation spirituelle pour les esprits pieux. De quoi j'eus la révélation à des funérailles où j'assistai l'hiver dernier. On sait que le nouveau clergé n'a plus le temps d'accompagner les morts au cimetière, prétextant que la terre des sépultures est déjà suffisamment bénite (par les soins du clergé d'autrefois qui, lui, avait le temps). Vint pourtant, à titre privé, un prêtre ami de la famille, que ceux qui ne le connaissaient pas auraient pris pour un protestant s'il eût été un peu moins débraillé, et qui tira de la poche de son blouson de sport, au lieu du livre de prières qu'on attendait, un très reconnaissable volume de la Bible de la Pléiade. Sans autre cérémonie, il se mit à lire tout à trac un psaume traduit par Édouard Dhorme, cet ex-dominicain à qui sa qualité d'hébraïsant éminent ouvrit les portes de l'Institut (je me souviens de l'avoir entendu faire, encore en robe blanche, une conférence où il qualifiait certains récits bibliques de « charmants petits romans », l'humour des ecclésiastiques sceptiques n'étant guère en progrès sur celui de Renan et de M. Homais). La traduction du psaume était certainement irréprochable, parfaitement littérale pour le vocabulaire et la grammaire, pleine de mots savants, de termes exotiques et de constructions laborieuses.
63:103
Elle laissa tout le monde de glace. C'était un bon travail de philologue totalement indifférent au contenu, à la musique et à l'intention des mots, encore plus aux sentiments brûlants du psalmiste et des chrétiens en deuil que nous étions, qui cherchaient en vain à retrouver dans cette froide et magistrale leçon l'accent de la prière et de la foi. Cet accent-là je n'eus qu'à rouvrir ensuite mon vieux Crampon (je dis bien le vieux, car il en existe des rééditions, hélas ! modernisées) pour l'entendre à nouveau respirer et chanter dans les paroles de ce même psaume, dont au demeurant cette version de style religieux épouse et respecte le sens avec non moins d'exactitude que le plus scrupuleux mot à mot. L'excellence d'une traduction est relative à l'usage qu'on lui réserve. Faut-il rappeler cette évidence à des théoriciens par ailleurs si férus de la division des « genres littéraires » ? La bonne manière de traduire Sophocle ou Shakespeare, le ton juste qu'on leur garde ou qu'on leur restitue, ne sont pas les mêmes pour l'université et pour la scène. Une formule bonne dans l'exposé documentaire peut être exécrable dans la lecture lyrique ou dans l'oraison. Ainsi l'argument d'autorité scientifique est impertinent ou du moins secondaire, s'agissant d'un texte sacré conçu, fixé et récité comme tel : car l'essentiel en ce cas est précisément le caractère qui est l'âme de ce texte et sa raison d'être, et qui prévaut dans cet emploi sur tous ses autres caractères constitutifs, à moins de renverser l'ordre et la hiérarchie de ces caractères mêmes, qui est la pire façon de trahir et de dénaturer l'inspiration de l'auteur. C'est une erreur fondamentale, une ânerie de primaire et une absurdité que de rendre raison des textes sacrés par la seule analyse, sans tenir compte de ce que l'analyse elle-même y rencontre de spécifique et de plus précieux mais qui justement lui échappe. Les psaumes sont pour nous des cantiques plutôt que ces morceaux d'érudition orientaliste qu'ils ne sont que pour les orientalistes. Et le Pater reste une prière fervente et vivante, ce qu'il a été bien avant d'être un échantillon du grec post-classique. Il est téméraire et présomptueux de le corriger « pour mieux serrer l'original », en oubliant que ce qu'il a de plus original est de n'être pas un texte qu'il soit loisible de corriger comme les autres.
64:103
« 2°) *L'introduction du français dans la liturgie catholique entraîne des modifications dans certains textes qui servaient déjà à l'usage privé, mais dont la formulation doit être revue en fonction des exigences du culte public. Il en est ainsi du Notre Père dans la messe*. »
Nous avons déjà fait justice de ce sophisme. Il s'agrémente ici, comme inévitablement, d'un des termes les plus à la mode et favoris des sophistes : exigences, désignant une action impersonnelle et neutre, sans sujet ni complément. Qui est-ce qui exigeait ? Et qui exigeait quoi ? Le culte public n'exigeait nullement la réforme du Pater. Il l'excluait plutôt, puisque l'ancien Pater, pas plus dans le culte public que dans l'usage privé, n'a jamais dérangé personne, excepté toutefois les réformateurs et eux seuls. Ceux-ci n'avancent pas leurs raisons : ils se contentent d'imputer à une abstraction comme « le culte public », sous le nom d'exigences, leurs propres caprices et leurs projets personnels toujours inavoués. Ce sont pourtant bien des hommes qui veulent et imposent la réforme ; à les entendre, celle-ci ne résulterait, par génération spontanée, que d'un enchaînement de phénomènes sans auteurs : le culte public exigerait que soit revue la formulation des textes où des modifications seraient entraînées par l'introduction du français. Quel français, messeigneurs !
Et quelle logique ! Comme le culte public, l'introduction du français a bon dos : le premier « exige », la seconde « entraîne » des changements dont l'un et l'autre se sont fort bien passés jusqu'ici, et dont leurs auteurs profitent pour infliger au texte lui-même des entorses dont ils esquivent ainsi la responsabilité. Mais qui donc a décidé d'introduire le français de plus en plus obligatoirement dans la liturgie ? Qui donc a décidé que le français n'userait plus du vous et nécessiterait soudain la modification d'autres formules qui pourtant lui étaient propres ? Qui donc, contre l'usage tant privé que public, a décidé de tutoyer Dieu dans la liturgie à seule fin de nous contraindre à le tutoyer enfin dans le Pater ? Ce sont toujours les mêmes réformateurs, et eux seuls.
65:103
Si bien qu'il est clair que ce qu'ils nous présentent comme la conséquence des premières réformes en était en réalité la cause finale, et qu'eux-mêmes sont en réalité la cause efficiente et active du bouleversement qu'ils nous présentent comme la suite naturelle de circonstances anonymes et fortuites. Or ces circonstances (introduction du français, du tutoiement etc.), eux-mêmes les avaient d'abord créées de toutes pièces. Quant à leurs intentions véritables et lointaines, puisqu'ils ont soin de les dissimuler obstinément sous tant de mauvaises raisons, ayons le tact de n'en rien soupçonner.
« 3°) L'UNITÉ DES CHRÉTIENS *qui, disant ensemble la prière qu'ils ont également reçue du Seigneur, est mieux manifestée et est facilitée s'ils peuvent le faire dans les mêmes termes*. »
Autant qu'il est possible de suppléer le sens de cette phrase boiteuse (où le même pronom qui a deux antécédents : *les chrétiens*, sujet de *disant*, et *l'unité*, sujet de *est mieux manifestée*), j'ose dire que c'est le bouquet ! Car c'est précisément jusqu'à nos jours que les chrétiens de toutes les confessions et de toutes les époques ont unanimement traduit et récité le Pater dans les mêmes termes, et donné à ces termes exactement le même sens. L'accord œcuménique était parfaitement réalisé sur ce chapitre et n'a cessé de l'être depuis toujours. S'il risque d'être rompu, c'est par les récentes innovations qu'on nous prescrit au nom de l'œcuménisme, alors qu'elles ne sont pas moins étrangères aux traditions orientales et protestantes qu'à la catholique. Toutes ces traditions concordaient si bien que, à vouloir à tout prix les unifier matériellement, le seul choix qui s'imposât était entre le vous et le tu, motivés l'un et l'autre par les antécédents qu'on a vus. La question du tutoiement était la seule qu'il y eût à trancher, et elle est accessoire. Pour tout le reste, le meilleur moyen de contenter tout le monde était de garder les traditions respectives dans l'état où elles nous sont parvenues. Il n'y avait pas un mot à changer à aucune d'elles pour les concilier, puisqu'elles étaient absolument semblables. On en jugera par le rapprochement des quatre textes que nous allons mettre sous les yeux du lecteur. Ce sont :
66:103
I. Une traduction catholique officielle du *Pater* en français, datant du XIV^e^ siècle. C'est celle qu'édicta le second synode de Tours, le 13 octobre 1396. Ce synode se conformait à une tradition vénérable, car ses statuts reproduisirent à peu près ceux du synode qui s'était tenu à Angers en 1220. Sa principale originalité tient à ce qu'il rédigea ses statuts en français : 23 articles, suivis des « pétitions » du *Pater*, articles de foi et fêtes annuelles (cf. Artonne, *Répertoire des statuts synodaux de France*). Ces statuts sont inédits. Je n'ai pu vérifier la seule source par laquelle il semble qu'on les connaisse : manuscrits latins de la Bibliothèque Nationale, numéro 1237, qui contient aussi les statuts du premier synode de Tours. Il existe à ce sujet une étude d'Étienne Fougeron : *Statuts synodaux de Tours* dans les *Mémoires de la Société archéologique de Touraine*, tome XXIII, 1873. Cet ouvrage figure au catalogue de la Bibliothèque de l'Université de Louvain, où j'ai vainement tenté d'en obtenir communication.
Plus heureux que moi, le P. Fabien Deleclos, O.F.M., membre du Centre belge inter diocésain de pastorale liturgique, s'est procuré le texte de ces « pétitions » du *Pater* de 1396, et il l'a publié (sous la date erronée de 1346) dans *la Libre Belgique* du 19 janvier 1966. Je lui ai aussitôt écrit pour lui demander quelque supplément d'information. S'il ne m'a pas répondu, je ne suis pas sûr qu'il faille en chercher la cause dans la suspicion dont m'honorent beaucoup de milieux catholiques depuis que j'ai pris la défense de Pie XII. Le P. Deleclos doit être un peu distrait. C'est ainsi qu'il s'oublie jusqu'à dire que « ni les catholiques, ni les orthodoxes, ni les protestants ne possèdent une version totalement originale » (du *Pater*) ... « Chez les uns et chez les autres, on a usé de textes et de traductions différentes. » Pas plus que certains de ses lecteurs, le P. Deleclos n'ignore assurément que les orthodoxes grecs récitent toujours le *Pater* dans le grec original de saint Matthieu, sans avoir jamais eu l'idée ni le besoin d'en traduire ou d'en modifier un iota. Où sa distraction est plus grave, et peut-être plus involontaire encore, c'est quand, dans un article tout à la louange du nouveau *Pater*, il produit cet ancien *Pater,* vieux de presque six siècles, qui confirme sa thèse sur le tutoiement mais, comme on va voir, la dément sur tous les autres points. J'en citerai le texte tel qu'il l'a transcrit.
67:103
II\. Le *Pater* de Calvin, tiré du *Formulaire* (1541), que je reproduis d'après l'article du P. Dhôtel déjà cité.
III\. Le *Pater* adopté en 1955 par l'Église orthodoxe grecque de Paris (25, rue Georges-Bizet), dans *l'Office divin de saint Jean Chrysostome*, texte grec en regard de la traduction française de Marie E. Rodocanacchi, complété par S.E. l'évêque de Reggio, Mgr Meletios. Une première édition de ce précieux petit livre fut procurée en 1927 aux frais de la traductrice. Préfaçant la seconde en 1955, Mgr Meletios écrivait : « Il est évident que la traduction ne rend complètement ni la beauté, ni le sens exact du texte original. On peut néanmoins considérer qu'elle est la meilleure de toutes celles qui ont paru jusqu'ici en France. »
IV\. Notre nouveau *Pater.*
I. SYNODE DE TOURS (1396)
Notre Père qui es aux cieux,
\(1\) Soit sanctifié ton nom,
\(2\) Advienne ton règne,
\(3\) Soit faite ta volonté en la terre comme en le ciel.
\(4\) Donne-nous aujourd'huy notre pain quotidien
\(5\) Et nous pardonne nos méfaits comme nous pardonnons a nos malfaiteurs
\(6\) Et ne nous laisse point choir en tentation
\(7\) Mais délivre-nous du mal.
II\. CALVIN (1541)
Notre Père qui es ès cieulx,
Ton nom soit sanctifié,
Ton règne advienne,
Ta volonté soit faite en la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien
Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés
Et ne nous induy point en tentation
Mais nous délivre du mal.
68:103
III\. ÉGLISE ORTHODOXE GRECQUE (1955)
Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne arrive,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ;
Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien
Et pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés,
Et ne nous laisse pas succomber à la tentation
Mais délivre-nous du mal.
IV\. NOUVELLE VERSION DITE ŒCUMÉNIQUE (1966)
Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne *vienne*,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain *de ce jour.*
Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Et *ne nous soumets pas* à la tentation
Mais délivre-nous du Mal.
C'est assez d'un regard jeté sur ce tableau pour apercevoir :
1\) Qu'il n'y a aucune divergence entre les textes I, II et III (le *Pater* catholique du XIV^e^ siècle, le protestant du XVI^e^ et l'orthodoxe du XX^e^).
2\) Qu'il n'y en a aucune, sauf le tutoiement, entre eux et le *Pater* qui hier encore était le nôtre.
3\) Que le texte IV, au contraire, ne se rapproche des trois premiers que par le tutoiement, lequel, répétons-le, prend une valeur toute différente selon qu'il est entretenu par une habitude gréco-latine ininterrompue, ou qu'il évince brusquement le vous, régulier chez les catholiques depuis près de quatre siècles dans la prière rituelle, et depuis au moins six siècles dans la prière improvisée, telle que les *Miracles de Notre-Dame* en fournissent maints exemples.
69:103
4\) Mais que ce texte IV, par les quatre innovations qu'il apporte (aux demandes 2, 4, 5 et 6), diverge autant d'avec les trois premiers que d'avec le texte qui fut toujours le nôtre.
Mme Édith Delamare est donc bien bonne de consentir (dans *Rivarol* du 10 février 1966) que « le nouveau *Pater* nous fera prier avec les hérétiques et les schismatiques, mais non plus avec les catholiques d'Espagne, d'Italie ou du Japon ». C'est en cela justement qu'on nous dore la pilule. La vérité est que le nouveau *Pater* nous fera prier autrement que le font non seulement les catholiques, mais aussi les hérétiques et les schismatiques, pour qui la pilule des innovations ne sera ni moins amère ni moins surprenante que pour nous.
\*\*\*
Avant d'examiner ces innovations une à une, remarquons bien que leurs auteurs catholiques ont dû, pour les introduire, malmener deux fois le texte jusqu'ici conservé en commun par toutes les traditions comme par la leur propre : une première fois, pour des raisons « scientifiques », dans « les Bibles modernes et les ouvrages d'exégèse », ils ont apporté au *Pater* des remaniements inconsidérés ; et la seconde fois, au nom de l'œcuménisme, tentant de réunifier ce qu'ils ont eux-mêmes divisé, ils recommencent en l'altérant leur propre ouvrage, mais au prix d'une nouvelle réforme qui ne fait que nous écarter davantage du point de départ commun. Il n'est pas difficile de prévoir que la nouvelle version ainsi replâtrée, à la réflexion, ne satisfera personne. Déjà l'on me dit que des protestants murmurent, et non sans raison. A la place des éditeurs ou des musiciens qu'on sollicite, je me hâterais lentement.
70:103
C'est d'ailleurs par paresse que j'emploie, comme tout le monde, ce mot de *réforme* qu'on applique aujourd'hui à toute espèce de changements. Il y a beaucoup de changements désastreux. Or une réforme est un *changement en bien*. Les changements en mal, indûment appelés réformes, se reconnaissent à ceci que les réformateurs, quand ils en voient les conséquences, s'obstinent à y remédier non par retour au bien, mais par de nouvelles prétendues réformes de plus en plus urgentes et de plus en plus violentes, autrement dit par une aggravation accélérée et fatale du mal où ont abouti les premières. Tristes réformes que celles qu'il faut indéfiniment réformer, jusqu'à exténuation totale de la manière réformable.
(*A suivre*.)
Alexis CURVERS.
71:103
### Une machine à ébranler la foi
par Paul AUPHAN
JE NE SAIS où j'ai lu ces jours-ci cette pensée d'un architecte que dans la mesure où une chaise est une machine à s'asseoir, une église est une machine à prier.
Dans le même sens on peut dire que la Semaine des Intellectuels Catholiques -- plus exactement ce que j'en ai vu dans la seule séance à laquelle j'ai assisté : la première -- est une machine à ébranler la foi.
J'ai tenu à y aller moi-même. Ma demi-surdité ne m'a pas permis de tout entendre. Mais ce que j'ai retenu m'a suffi.
Commençons par ce que j'ai vu.
Sur l'estrade, derrière le tapis vert des conférenciers, cinq personnes en complet veston. Le programme annonçait le R.P. Jolif. J'ai pensé que c'était le plus vénérable, celui qui portait le costume le plus sombre. Erreur : ces cheveux blancs et ce regard intelligent derrières de fines lunettes appartenaient à M. Onimus...
Dans la salle, un public de choix, deux mille cinq cents personnes au moins. Beaucoup de religieuses ; des prêtres et même des prêtres en soutane ; des jeunes gens et des jeunes filles ; mais aussi de nombreux « catholiques moyens », hommes ou femmes, appartenant à tous les milieux et à toutes les conditions, venus chercher là quelques paroles réconfortantes et sûres sur les problèmes qui agitent notre temps.
72:103
Sont-ils progressistes ou le contraire ? Je ne leur donnerais aucune étiquette : Simplement des fidèles accourus comme à un sermon de Carême et assoiffés d'entendre la vérité garantie par la hiérarchie puisque le Cardinal Suenens et Monseigneur Veuillot, qui doivent présider les deux dernières séances, donnent en quelque sorte à la « Semaine » un caractère officiel.
A ce public sûrement composé en majorité de catholiques pratiquants, on est arrivé à faire entendre, et même à faire applaudir, des phrases désagréables sur la foi, sur le dogme, sur l'Église, sur la morale chrétienne, sur Pie XII... Comment cela s'est-il produit ?
C'est au « Canard Enchaîné » ; qu'on a donné la parole. J'avoue ne rien connaître du « Canard Enchaîné ». Il n'entre pas dans mon champ de lectures. Le calembour qui lui sert de manchette hebdomadaire me fait sourire parfois quand il accroche mon regard au moment où je vais acheter mon journal au kiosque voisin. Ce n'est pas suffisant pour juger un périodique. Mais enfin il me semble que pour parler de la morale (sujet de la « Semaine ») à un public catholique pendant le Carême on aurait pu choisir un autre porte-voix que le « Canard Enchaîné ».
Je sais bien qu'il y a le « dialogue ».
Actuellement on ne sait pas réfléchir et travailler tout seul. On ne reçoit pas un enseignement. On le discute. Il faut dialoguer et dialoguer en public malgré le danger de réfutations insuffisantes. Donc on avait imaginé le 2 mars au soir dans le grand amphithéâtre de la Mutualité d'instituer, sous la présidence de M. Jean Rémond, un dialogue entre croyants et incroyants, entre des défenseurs de la morale chrétienne qui s'appelaient Jean Oninius, Révérend Père Jolif et les tenants d'une morale anticléricale ou marxiste représentés par le communiste Vercors et Morvan Lebesque, du « Canard ».
L'enseignement eût été parfait, si, pour le réconfort de l'assistance, les champions catholiques l'avaient emporté. Le malheur est qu'on ne cherchait peut-être pas la démonstration d'une « victoire » et qu'en tout cas, c'est plutôt l'inverse qui s'est produit.
Je souhaite que la suite de la « Semaine » ait, depuis, corrigé cette impression. Dans l'immédiat, les interventions antireligieuses ont sûrement laissé des traces dans la foi d'âmes fragiles exposées à la tentation.
73:103
On a d'abord entendu l'anxieux et sympathique Vercors chercher, à propos de la morale, des buts communs acceptables par les chrétiens et par les marxistes. Je pensais en l'écoutant à ce lumineux article du R.P. Philippe « la Trinité récemment paru dans la « Pensée Catholique » qui oppose si magistralement la morale marxiste à la morale chrétienne et montre qu'elles sont inconciliables... Ce qui est commun, a dit Vercors, c'est que l'homme est mortel et qu'il le sait. Mais il ne sait ni pourquoi il meurt, ni pourquoi il vit... Justice et liberté ne sont que des mots et n'existent pas... Ainsi, dans les pays sous-développés, la planification autoritaire est souvent le vrai bien ([^10]) ... etc.
A cet exposé triste et courtois ont fait écho les attaques plus percutantes du très laïc « Canard Enchaîné » :
Ma morale n'a pas besoin d'un Dieu... L'Église catholique a retardé la morale au XIX^e^ siècle... Si l'on n'avait pas étouffé tant de riches hérésies, on aurait peut-être des solutions aujourd'hui... Pie XII a eu tort de ne pas protéger les Juifs (et toutes les critiques du « Vicaire » y sont passées) ... Tout « système » retarde la morale ; ainsi l'Église retarde la solution du grave problème des naissances... etc.
Ce ne sont là que des échantillons, quelques bribes retenues d'une intervention habile, moins abstraite que les autres et de ce fait très applaudie. Je ne les mets pas entre guillemets par scrupule ; mais je les ai notées et tout le monde a pu en faire autant. Par moments on aurait cru entendre Voltaire.
Qu'ont répondu à cela les catholiques ? M. Onimus a été le plus ferme et le plus pertinent, élevant parfois son exposé au plan de la métaphysique et de la Révélation parfaitement accessible aux catholiques qui l'écoutaient. Mais il n'a pu qu'incomplètement taper sur le clou.
74:103
On comptait sur le Dominicain... Hélas ! trois fois hélas ! comme dit l'autre... Son exposé fumeux et peu compréhensible, au moins pour une cervelle moyenne comme la mienne, n'a rien apporté de net et de droit. Après l'avoir entendu, on comprend mieux le service inestimable qu'il rend aux marxistes en laissant mettre son nom à côté des leurs sur les affiches de leurs réunions, car on se demande s'il est incapable de relever l'erreur en proclamant la vérité ou s'il ne le veut pas. Quelles que soient ses bonnes -- intentions que je ne juge pas -- sa démarche est davantage une collaboration, un complément, qu'une contradiction.
Voilà le drame.
Ce n'est plus un dialogue où l'on se renverrait la balle, mais un duo -- plus exactement un quatuor, puisqu'il y avait quatre orateurs -- où chacun joue son morceau sans s'occuper des fausses notes du voisin, sans réfuter les erreurs qu'il profère et qui par conséquent sont enregistrées par l'auditoire au même titre que les vérités. Il serait naïf de croire que chacun a une compétence doctrinale suffisante pour opérer en soi-même ce tri.
S'il s'était levé à la Mutualité quelque orateur (Jean Daujat, par exemple, afin de ne citer aucun des habitués de cette revue) pour rappeler au public les vérités fondamentales de notre foi et par le fait dissiper l'espèce de magma intellectuel dans lequel on flottait, je pense qu'il aurait été acclamé.
Mais c'eût été la fin du dialogue, du moins du dialogue public avec la tentation ; car en même temps se serait ouvert un autre dialogue, autrement plus fécond, entre catholiques pratiquants.
Paul AUPHAN.
75:103
### Pastorales à Paray-le-Monial
par Jean-Baptiste MORVAN
EN UNE ÉPOQUE où tout voyage estival paraît impliquer rituellement les routes allant de Paris vers l'Espagne ou la Provence, c'est une sorte de pèlerinage paradoxal que de quitter la Bretagne pour la Suisse en traversant la Touraine, le Berry, le Nivernais et le Sud bourguignon : étapes auxquelles on ne pense guère, repères dans une France en demi-teinte ; un peu endormie au fond des souvenirs, malgré Charles VII et Lamartine. Quelques sous-préfectures chantonnent vaguement, comme des ménagères à l'ouvrage ; jachères de l'hexagone, ou rêvèrent cependant naguère Boylesve, Alain Fournier et Jules Renard. Peut-être dans une de ces maisons campagnardes retrouverais-je encore tous les objets dont s'amusait l'imagination de Jules Renard : « Et la passoire grêlée, la bouillotte bavarde et le gril haut sur pattes comme un basset... Et ce balai inusable d'un côté. Et cette demi-douzaine de fers à repasser à genoux sur leur planche, par rang de taille, comme des religieuses qui prient, voilées de noir et les mains jointes. » Je trouvais que les maisons et l'aspect général des villages avait ici moins changé qu'en Bretagne ; mais n'était-ce pas une illusion ? Parce que je me rapprochais de mon pays d'origine et que je rentrais dans ma province natale par une route inhabituelle, comme on rentre dans une maison silencieuse et pleine de souvenirs par la porte du jardin, je m'imaginais une présence inchangée des années de jadis, l' « aurea mediocritas » d'un petit monde modéré ou radical-socialiste qui célébrait le Vase de Soissons, tout ce premier apprentissage de la vie où l'enfant d'un siècle destiné aux guerres pétrolières dessinait sur son cahier le plan colorié d'une meule de charbonniers en forêt.
\*\*\*
76:103
Montagnes et prairies du Charolais... Le village de Suin tout là-haut perché, domine-t-il, comme une strophe de Lamartine, un paysage brumeux de souvenirs révolus ? Oserais-je demander le droit de jouer encore, au moins pour les gens de mon âge, les airs jadis raclés sur leurs crins-crins par les anciens ménétriers ? Nous avons gagné d'étranges scrupules, et nous finissons par nous demander si les âmes ne perdraient pas de leur valeur en vieillissant, comme les voitures. Ces lieux autour de Charolles, depuis Paray-le-Monial jusqu'à Milly, constituaient une pastorale rustique et saisissante à laquelle je ne pouvais échapper. Mais qu'est-ce donc que la pastorale ? Sa musique orchestre les illusions et l'Écriture dit que nous rendrons compte de toute parole vaine ; nous avons pourtant l'intime conviction que le Seigneur ne mesure pas la vanité ou l'utilité des paroles sur la même balance où le siècle prétend les peser. La halte de Paray-le-Monial, ces minutes matinales dans la basilique me suggéraient de rapprocher le sens religieux de la pastorale avec la signification complexe et diffuse que le mot prend sur le plan du rêve, de la musique et de la poésie.
Est-il possible de les accorder, de situer le rêve à l'ombre du clocher et d'en faire un lien de plus pour unir les âmes fidèles ? Lamartine n'a réussi qu'à rendre sa pensée religieuse bizarre, complaisante et moralement douteuse en voulant lui faire porter les visions du rêve. Et la pastorale aujourd'hui veut-être communautaire. Cependant il est une heure dans la vie où l'homme qui retourne vers les prés et les montagnes ne peut s'empêcher d'éprouver la solitude. Sans maudire son temps ni renier les liens de la société, il sent tout à coup que le vêtement coutumier de la vie habille trop large, et l'air est plus froid comme si, l'âme s'était amaigrie. Les voix qui lui répètent sévèrement la nécessité de vivre en situation communautaire se heurtent chez lui à une étrange demi-surdité, à un acquiescement indifférent.
77:103
Il recherche une communauté d'une autre sorte, et s'il désire aussi une sévérité impérative, il en écoute les leçons dans un monde moins proche et moins concret. L'esprit de communauté se trouve atténué par la raréfaction des images communes, par une certaine discordance qui règne dans l'usage des moyens intellectuels. Si attentif qu'on veuille rester au « monde comme il va », on ne saurait empêcher qu'un trésor -- ou un poids -- d'acquisitions lentes au cours des années impose un langage intérieur différent. L'effort de rajeunissement ne saurait être la jeunesse. J'entendais un homme âgé de grande culture parler métaphoriquement des deux plateaux d'une balance devant des adolescents pour qui la bonne vieille Roberval des épiceries anciennes était devenue sans doute une sorte de dinosaure. Les images survivent aux choses. On les garde cependant parce que le réel concrètement présent est sans doute toujours insuffisant quand il s'agit d'illustrer les idées. Les adolescents comprenaient fort bien la balance en tant qu'image et dessin intellectuel : mais il n'avaient sans doute jamais joué avec les poids de cuivre, ni cherché dans la boîte le gramme gros comme un bouton-pression, et toujours perdu.
Sur le mystérieux réseau des raisons du cœur, il faut bien trouver la ligne d'un parcours à continuer. Un monde est mort, ou mourant. Mourant plutôt, mourant lentement ; à côté de lui se prolongent peut-être des agonies encore plus anciennes. La surface du temps nous offre ces lignes parallèles : ce qui vit encore concrètement un peu ; ce qui n'est plus qu'un symbole aux utilités surtout intellectuelles, objets témoins comme la vieille balance ou le bougeoir ; d'autres choses n'existent plus que dans les dessins et les peintures, assez connues cependant pour garder une présence. D'autres enfin n'ont désormais qu'un prestige de noms anciens et habituels, hiératiques, affectés aux liturgies de l'âme, accessibles aux seuls lettrés. A cet univers multiple nous appartenons toujours, tantôt sur un plan, tantôt sur un autre. C'est vraiment une idée par trop simpliste que celle qui veut voir l'homme se dépouiller automatiquement de ses attitudes intellectuelles au bout d'un certain nombre d'années parce que les traits essentiels de son univers technique ont changé. Les « mises à jour » sont partielles et ne résident pas seulement dans le désir d'une conformité ; elles obéissent parfois aux volontés secrètes du divertissement, parfois aux réflexes de la défense ou aux impulsions du défi.
78:103
Bernard Buffet collectionne les sujets animaliers de Rosa Bonheur ; les étalagistes parisiens utilisent les vieux daguerréotypes, les fanfreluches passées ; le cinéma a repris Fenouillard et la télévision le Sapeur Camember. Une époque théoriquement antipaternaliste trouve son obscure revanche dans le culte du grand-père ou du bisaïeul.
\*\*\*
Si l'on voulait imaginer une algèbre un peu futile, une ombre de mathématiques dans le domaine de l'esprit -- comme Pascal le fit pour le pari -- on pourrait concevoir pour chaque époque un coefficient caractéristique d'inadaptation résignée ou volontaire. Une génération ne bâtit pas entièrement ses structures : elle occupe des lieux, des demeures de pierre ou d'esprit déjà préparées. Le concret et les idées préétablies se mêlent étroitement. Le Français de 1966 va vers la Côte d'Azur pour le soleil, mais garde peut-être aussi une part secrète du mythe flatteur des « années vingt » où Juan-les-Pins était l'Eldorado des actrices et des millionnaires. La bourgeoisie provinciale du XIX^e^ siècle s'installa dans les coutumes sociales et mentales des aristocraties locales du XVIII^e^. Ces grandes maisons des bourgs et des petites villes sont pour quelque chose dans l'œuvre de Proust et dans celle de Béhaine, voire dans l'inspiration poétique de Marie Noël. Demeures bâties pour une nombreuse domesticité, elles n'abritaient souvent que Monsieur, Madame, leur demoiselle et la bonne dans des locaux capables d'héberger le Marquis de Carabas et toute sa suite. Comment n'y aurait-on pas ressenti la solitude, l'ennui des heures longues et des longs corridors, quand tombe le jour ? Ainsi vivaient, je crois, mes vieux cousins de Noyers-sur-Serein, parisiens tôt retirés, car la seule façon de justifier sa vie et d'en manifester la réussite était de devenir rentier, ce qu'on appelait encore au début du XIX^e^ siècle « les propriétaires vivant noblement ». Je crois qu'ils se sont souvent ennuyés ; mais les tâcherons les enviaient en disant « Ah ! si j'étais rentier ! » L'homme du peuple souhaitait ainsi, bizarrement mais non ridiculement, une inadaptation qu'il prenait pour l'abondance idéale, une ataraxie solitaire où il croyait voir une plénitude.
79:103
Ainsi les « siècles », longs ou courts, ces périodes qui se définissent par une certaine unité dans les conceptions de la vie, s'installent dans des cadres ambigus ou désuets. La naïveté et la vanité y ont leur part, mais l'homme a toujours la sensation confuse qu'il doit assumer plus qu'il n'est, sans savoir exactement quoi, et qu'il doit léguer ce qu'il aura lui-même peu ou mal connu.
\*\*\*
La France des prospérités réelles ou fausses du XIX^e^ siècle aboutit au drame réaliste, au comique amer de Courteline et aux esquisses de Jules Renard, où l'attendrissement n'ose pas se séparer de l'ironie. Tout cela était peu : l'époque chercha son agrandissement dans les domaines apparemment les plus lointains : Lourdes et le pèlerinage, la méditation de l'histoire héroïque de Jeanne d'Arc. Il n'est pas jusqu'aux statues sulpiciennes dont les coloris parfois indiscrets ne protestaient contre un monde trop sec. Claudel et Péguy surchargent l'expression littéraire avec une volonté consciente. Le culte de Jeanne d'Arc est révélateur : deux intuitions profondes s'y sont rencontrées, celle des écrivains et celle de la spiritualité populaire. Les « demi-habiles », comme dirait Pascal, ne pouvaient guère y participer ; il n'y virent que la conjonction du snobisme littéraire, d'une religiosité féminine et d'une partialité politique, sans même s'interroger sur l'importance d'un fait spirituel qui pouvait réunir des aspirations si différentes en apparence. Et puis, le temps qui vit surgir Lourdes et ressurgir Jeanne d'Arc ne faisait-il que reprendre, en un total renouveau, des modes de pensée oubliés depuis des siècles ? Des traditions cachées n'étaient pas pour autant perdues, ni si lointaines. Les recherches érudites de Mme Pereyrol sur le catholicisme paysan en Saône-et-Loire lui ont révélé par exemple qu'en mars 1733, des vignerons du bourg de Jambles allèrent à pied à Saint-Jacques-de-Compostelle ; leurs arrière-petits-neveux conservent encore le certificat de bonne vie et mœurs établi par le curé, les papiers de route visés aux étapes, et le costume de pèlerin, manteau de cuir, gourde et chapeau. L'enquête qu'elle a bien voulu nous communiquer retrouve aussi dans les ouvrages pieux lus dans la première partie du XIX^e^ beaucoup de titres remontant à Louis XIV et à Louis XV. Le supplément d'âme prend son bien où il le trouve, et non dans le seul moment présent.
\*\*\*
80:103
De telles considérations rendent l'âme moins inquiète à l'âge des solitudes morales. Nous n'avons pas à refuser notre temps, ni à nous enfermer dans des oppositions où l'hérésie peut trouver son compte de tentations. Remarquons simplement que notre temps n'est pas réductible à un schéma simpliste ; on pourrait transférer au temps la théorie discriminatoire du « pays légal » et du « pays réel » : il y a aussi un « temps légal » et un « temps réel ». Et si nous ne pouvons échapper à la nécessité d'une pastorale poétique de l'âme, nous saurons toujours lui enlever son grain d'hostilité à l'égard du monde ambiant. La pastorale véritable a besoin de l'amour véritable. A Paray-le-Monial, je pensais que le culte du Sacré-Cœur, qui a connu depuis le Moyen-Age ses époques de popularité et ses périodes de moindre rayonnement jusqu'au jour où Sainte Marguerite-Marie le proclama, peut nourrir aujourd'hui l'inspiration des écrivains et des poètes en proie à une littérature sans tendresse.
Car la tendresse est un des éléments les plus précieux de l'esprit, et en même temps l'un des plus difficiles à exprimer sans erreurs et sans fadeurs. Un Lamartine fut trop pressé de revenir à la pastorale amoureuse, et par suite à une certaine insignifiance, qui apparaît dans « Jocelyn » comme un délayage décevant du spirituel. On sent parfois la tendresse chez les grands classiques, chez Corneille, chez Bossuet, chez Pascal, en un mot chez les plus rudes : elle existe aussi bien dans la poésie de l'amour que dans le désir du salut spirituel d'autrui ou dans la pitié envers les affamés. Elle a besoin de charité et de pudeur : la discrétion d'un Marivaux sut la retrouver. Mais après lui on l'ignore ou on croit la remplacer par une rhétorique ostentatoire mêlée à une sensiblerie qui ne l'est pas moins. On a cité à propos de Marivaux le mot de Gabriel Marcel : « une transparence de soi-même à soi-même et de soi-même à l'autre ». Cette transparence, cette attention dépend d'un cadre de méditation que la gratuité ou l'artifice de la seule littérature ne saurait offrir.
\*\*\*
81:103
Montagnes et prairies du Charolais, autour de Paray-le-Monial... Je pensais que le mot « villageois » était en train de s'effacer lentement du langage, faute de conserver certaines résonances. Le village, c'était le lieu élu où le souvenir coexistait toujours avec les activités du présent. Peu importe, au fond, que la poésie pastorale en ait affadi l'image, et que les musettes rustiques aient tourné au mirliton. L'Évangile reprend constamment les images champêtres, et l'homme doit d'une manière ou d'une autre être ou se faire l'homme d'un village. Nous conservons durablement le souvenir des sécurités lentement acquises au cours des siècles, la chaumière avec son pain et son fromage, ses berceaux et ses prières. Nous sommes les héritiers d'un ordre de village, et notre grief obscur contre les « grands ensembles » tient précisément à ce qu'ils ne le reproduisent plus. Nous voudrions rendre à nos méditations une progression équilibrée et sûre, où les tendresses seraient régies par l'Esprit. Si ce monde est bruyant, nous savons du plus profond de nous-mêmes qu'il faut y établir non seulement le silence des moteurs, mais les pauses réfléchies d'un calme matinal et vespéral. Le style que nous attendons de notre société, de notre nation, c'est aussi celui qui nous permettra de trouver un digne aliment aux minutes de la prière du soir, aux veillées de Noël et de la Saint-Sylvestre. Cette prière, il faut savoir si nous aurons encore envie de la dire, et pour qui, et pour quoi, afin d'ajouter quelque chose et quelqu'un à une histoire retissée qui sera une histoire de village ou qui ne sera pas. Nous n'attendons nullement la justification de nos vies dans l'optique familière aux quotidiens ou aux manuels d'histoire. Ces documents-là sont presque toujours comme certains torchons, ils se salissent prodigieusement vite, ils semblent sales au sortir de la lessiveuse, ils salissent autour d'eux à la manière des vieilles serpillières encrassées qui défient les lavages. De tous ces écrits, on ne peut tirer à l'égard des hommes qu'une indulgence fade, plus terrible au fond et plus sévère que les sévérités de Dieu.
82:103
Nous recherchons alors une pastorale qui ne soit pas le refuge d'une abstention molle, mais le droit de garder le silence sur ce qui ne vaut pas la peine d'être dit. Les vieilles observances naïves des campagnes bretonnes défendaient la lessive le vendredi, jour de la Passion. Mais la lessive avait son jour rituel. L'âme doit garder sa tendresse, et rester une servante de village.
Sainte Marguerite-Marie, c'est la servante de village au sein d'un monde vraiment pastoral : « ancilla Domini ». Le culte du Sacré-Cœur fut proclamé par une paysanne qui se levait tôt. Il illumine toujours aussi les méditations qui, pour l'homme de n'importe quelle condition, correspondent à l'heure où la faucille est laissée sur les éteules par la main lasse, au moment du regard levé vers les derniers nuages vermeils du jour.
Jean-Baptiste MORVAN.
83:103
### L'Instruction romaine sur la formation liturgique des futurs prêtres
par Paul PÉRAUD-CHAILLOT
La Constitution conciliaire « Sacrosanctum Concillum » (C.C.) sur la liturgie sacrée, votée définitivement par 2147 voix contre quatre, a été promulguée à la fin de la 2^e^ Session, le 4 décembre 1963 ([^11]).
Le Conseil ou commission pour l'exécution de cette Constitution conciliaire a publié une instruction « Inter œcumenici » (I.E.) le 26 septembre 1964 ([^12]).
La Sacrée Congrégation des *Séminaires et Universités *-- dont S. Exc. Mgr Garronne vient d'être nommé Pro-Préfet par S.S. Paul VI a publié à son tour, datée de Noël 1965, une instruction spéciale pour la formation liturgique des futurs prêtres ([^13]).
Nous avons ici même ([^14]) présenté, presque entièrement traduit et brièvement annoté l'instruction de la Congrégation des Rites sur la langue et le sens liturgique chez les Religieux ([^15]).
84:103
Voici maintenant la traduction complète (sans annotation sauf brèves réflexions à la fin) de cette Instruction de la Sacrée Congrégation, des Séminaires.
Elle s'ouvre par une introduction de grand style, et comprend quatre chapitres aux prescriptions précises, minutieuses même, respectivement, consacrés à :
-- la vie liturgique au Séminaire ;
-- la formation spirituelle à la liturgie ;
-- la formation liturgique pratique ;
-- le cours de la liturgie.
C'est dire aussi qu'elle détermine, en ce qui concerne la liturgie sacrée, le décret conciliaire sur la formation sacerdotale du 28 octobre 1965. ([^16]). Elle est suivie d'une *Annexe* importante que nous ne traduirons pas mais présenterons brièvement.
*Instruction sur la formation liturgique\
des élèves du sanctuaire*
#### Introduction
**1. -- **Par l'enseignement et l'exemple. Notre-Seigneur Jésus, en sa vie publique, s'est efforcé d'accoutumer ses disciples à la pratique de la prière commune. Non seulement avec eux Il fréquentait le Temple pour assister aux rites de la loi mosaïque, mais Il leur donna la formule de prière dominicale et l'exemple de la grande prière eucharistique qui constituent dans l'Église le principal élément de la prière publique.
Dès lors ce fut le souci de tous les Pasteurs de l'Église de présider eux-mêmes à la liturgie et aussi de veiller avec soin à son exécution et au développement de ses formes variées.
85:103
**2. -- **Adhérant à ces principes transmis, les récents souverains Pontifes ont été principalement soucieux de l'enseignement de la liturgie sacrée dans les séminaires et de la formation des élèves du sanctuaire au rôle qu'ils devaient jouer (assumer) dans la célébration publique de la prière : La constitution : «* Sacrosanctum Concilium *» du Concile du Vatican II sur la Liturgie insiste fortement sur cette formation à poursuivre durant tout le cours des études ecclésiastiques et que les prêtres eux-mêmes doivent continuer et parfaire toute leur vie sacerdotale. Seuls en effet des pasteurs excellemment imbus de la doctrine et rompus à l'usage de la liturgie pourront enseigner les fidèles du Christ et les amener à participer avec intelligence et ferveur aux diverses actions liturgiques de la communauté chrétienne.
**3. -- **La liturgie, en la forme qu'elle revêt sur la terre, exprime, rappelle à la mémoire et renouvelle de façon permanente le mystère du salut (Mystère pascal). C'est pourquoi elle brille de très nombreuses notes (caractéristiques).
Elle est :
-- manifestation publique indéfectible de la sainteté de l'Église et un des signes les plus transparents de sa divine origine ;
-- cri jaillissant de son âme vers le Père, sous la motion du Saint-Esprit ;
-- louange parfaite et adoration en esprit et en vérité qui, dans le Christ et par le Christ, rend à Dieu honneur et gloire ;
-- instrument toujours efficace de purification et de sanctification des hommes ;
-- moyen (ratio) pédagogique le plus apte et universel pour l'Église d'instruire et de former ses fils ;
-- lumineuse et savoureuse contemplation de tout la trésor de la révélation ;
-- excellent exercice de charité surnaturelle reposant sur la communion des saints pour réaliser pleinement la vivante unité de l'Église.
-- enfin, anticipation de la louange éternelle déjà commencée dans le ciel, constituant avec elle un seul culte, tendant sans cesse vers elle comme à sa consommation.
**4. -- **Quiconque admet cette ample signification de la liturgie en découvre aussitôt les propriétés aptes à exercer leur vertu dans toute la formation des candidats au sacerdoce.
86:103
En effet :
-- toute la liturgie s'appuie sur le Christ prêtre et surtout sur son sacrifice rédempteur toujours demeurant actuellement dans la très sainte Eucharistie ;
-- la liturgie est en premier lieu action sacrée accomplie par l'Église et dirigée vers Dieu : les autres fonctions de sanctification et d'enseignement par où elle regarde les hommes, quoique principales, ne sont que des conséquences de cette fin première, ou des instruments pour l'atteindre ;
-- la liturgie s'exerce toujours par acte intérieur et extérieur à la fois : extérieur, puisque public ; intérieur, puisque vrai et sincère ; l'élément intérieur n'est pas constitué seulement par les pensées et affections du ministre et des assistants, mais il inclut aussi la vie intérieure présente des autres membres de l'Église, signifiant et exprimant toute sa vie en toute cérémonie vraiment liturgique.
Cette participation doit être avant tout surnaturelle et donc appuyée sur la foi, l'espérance, la charité. Sa force principale ne dépend pas de l'appareil scénique ni du nombre des participants, mais de l'ardeur de vie spirituelle et d'union à Dieu dont ils brûlent.
Le culte liturgique comme acte public de l'Église, est nécessairement hiérarchique et donc soumis aux prescriptions de l'autorité compétente. L'arbitraire des particuliers et la désobéissance aux prescriptions légitimes changent donc par le fait même la nature liturgique de l'acte (le dénatureraient).
Ce n'est plus alors culte public, mais culte privé d'une personne ou d'un groupe.
**5. -- **L'attention et le zèle des élèves doivent donc être éveillés et orientés vers la liturgie, en leur montrant comment la vie liturgique enrichit leurs âmes et les adapte à l'exercice du ministère pastoral.
**6. -- **D'abord la liturgie enrichit la vie même du saint ministre sous des aspects variés : doctrinal, spirituel et même simplement humain. Comme actuation de la rédemption même, dans l'unité d'une seule et même action, la liturgie unit l'exercice de la foi et de toute la connaissance théologique et de l'action morale ; ainsi dans l'accomplissement d'une seule et même œuvre, elle unit les multiples aspects de la vie chrétienne. Car comme signification de doctrine, la liturgie sans rien enlever à l'objectivité de la foi et de la science théologique sur lesquelles elle repose, élève celle-ci, de science spéculative, à la vie du culte, mais, en tant que célébration des mystères, on ne peut qu'admirer sa haute valeur pour éveiller et accroître le sens de Dieu et pour habituer efficacement les âmes à révérer la divine transcendance.
87:103
Ainsi la liturgie prévient le danger de transmettre les disciplines théologiques comme fragmentées et disjointes entre elles et elle en facilite l'utilisation dans le ministère futur. En vérité les disciplines ecclésiastiques éclairées à la lumière de la liturgie reçoivent en elle une force nouvelle.
La sainte Écriture trouve son sens plus plein ; le dogme fleurit en adoration ; la discipline des mœurs atteint à la piété ; l'histoire devient l'éloge de la Providence, le Droit tend à prescrire l'amour.
**7. -- **Dans la culture de la vie spirituelle des élèves, la liturgie intervient d'abord comme discipline d'ascèse dans la mesure où elle les fait participer actuellement au mystère pascal du Christ et parce qu'elle impose, dans l'observation religieuse des rites, discipline, renoncement -- les individus disparaissant presque dans l'ombre de l'œuvre commune -- purification du cœur nécessaire à la pénétration du mystère par les symboles qui le couvrent et le cachent.
En outre et principalement la liturgie est la meilleure école d'oraison : elle lui fournit tant la matière et les habitus fondamentaux que la meilleure formule et les intentions les plus universelles.
Enfin la liturgie est école de contemplation surnaturelle sous la motion du Saint Esprit dans l'obscure lumière du mystère de la foi, par les signes sacrés qui unissent à Dieu, sans le révéler pleinement, pour garder et augmenter en l'âme le désir d'une plus parfaite union.
**8. -- **Même la culture purement humaine des élèves profitera de la liturgie : souvent en effet on objecte aux futurs ministres sacrés leur formation humaine tronquée par leur retraite de plusieurs années d'école, où ils vivent séparés du commerce des hommes sans beaucoup s'appliquer à quelque œuvre extérieure. La liturgie porte excellemment remède à cette impéritie. La liturgie en effet comme accomplissement d'une œuvre, fait appel aux vertus variées requises dans l'action, amenant le jeune clerc à exercer non seulement la science acquise mais encore son industrie et ses dons naturels.
Comme accomplissement d'une œuvre commune, la liturgie lui fait déployer les vertus sociales, lui donne le sens de la communion avec ses frères, entretient au plus au point la révérence (*observantiam*), la modestie, la prudence.
88:103
Enfin, comme elle fait usage des arts, poésie et musique, la liturgie est une merveilleuse école d'art : elle a au cours des siècles, formé de grands maîtres et inspiré à des génies de très belles œuvres ; elle alimente donc toute la vie de ceux qui conserveront dans les âmes le culte de la maison de Dieu.
**9. -- **Non seulement la vie liturgique enrichit les élèves du sanctuaire mais elle prépare spécialement leurs âmes, les adapte à exercer avec fruit le ministère sacerdotal. Personne en effet n'ignore de quelle efficacité apostolique est l'action liturgique dignement accomplie où conspirent les esprits du célébrant et des fidèles.
Mais seul le prêtre formé de façon à percevoir lui-même comme il faut la force de la liturgie pourra offrir aux fidèles l'intelligence des rites, l'amour et la prudence dues et -- selon les préceptes et conseils de l'Église, sans jamais aucune adultération -- adapter aux divers groupes pour lesquels il les accomplit les actes liturgiques.
**10. -- **En outre cette formation découvrira toutes les richesses des textes et rites liturgiques qui deviendront l'aliment quotidien de la prédication sacerdotale, celle-ci trouvant ainsi sa place propre et adaptée au sein même de la célébration.
Enfin l'étude ardente de la liturgie mettra le prêtre à même de concilier spontanément en tout rite sacré le recueillement des âmes, la paix et l'ardeur qui rendent la célébration agréable et supérieurement efficace pour la formation spirituelle de l'assemblée des fidèles.
**11. -- **A la formation liturgique des élèves du sanctuaire il faut reconnaître une si grande importance et un tel poids que le saint Concile n'a pas hésité à affirmer qu'on ne peut aucunement attendre pour les fidèles le profit spirituel consistant à puiser dans la liturgie comme à sa source première l'esprit vraiment chrétien, « si les pasteurs d'âmes eux-mêmes ne sont pas d'abord imbus à fond de l'esprit et de la vertu de la liturgie et n'y deviennent maîtres ». Cette sacrée Congrégation a décidé d'éditer une instruction sur la formation liturgique des clercs en appelant et en expliquant plus amplement les principes et préceptes contenus dans la constitution conciliaire sur la Liturgie et opportunément déclarés dans l'Instruction «* Inter œcumenici *» du Conseil pour l'exécution de cette Constitution.
89:103
#### Chapitre I De la vie liturgique à entretenir au séminaire
**12. -- **L'Évêque est le répondant (responsable) de la formation liturgique de ses clercs. Il veillera donc avec un soin attentif tant au choix des maîtres qu'à l'exécution de la présente instruction.
Là où la nécessité le demandera, il accomplira au séminaire la pleine réforme des coutumes liturgiques selon le programme exposé ci-dessous.
**13. -- **Maîtres et professeurs comme agents de l'Évêque et exécuteurs de ses volontés se partageront les aspects variés de la formation liturgique et les assureront avec soin. Pour produire des fruits plus abondants ils uniront volontiers leurs efforts.
Article I\
Des célébrations sacrées\
au séminaire
14-- Il est absolument nécessaire que dans les séminaires on mette un soin extrême à célébrer le sacrifice de la Messe et l'office divin, comme le requiert l'importance que l'Église attache à la liturgie, de sorte que la vie liturgique des séminaristes réponde pleinement à la volonté du Concile énoncée dans la Constitution sur la Liturgie.
15-- « La langue de la liturgie de la messe et de l'office dans les Séminaires sera la (langue) latine, c'est la langue de l'Église latine, et sa connaissance est requise chez tous les clercs. » (Cf. : *Constitution sur la liturgie* N° 36.1 et 101,1.)
Il sera cependant opportun dans la célébration de la masse d'user de la langue du pays à certains jours, par exemple, une fois par semaine, dans la mesure permise par l'autorité compétente et confirmée par le Saint-Siège, pour que les clercs soient préparés de façon plus adaptée (*aptius*) aux rites qu'ils auront à accomplir en cette langue dans les paroisses. L'usage de la langue du pays ne doit donc jamais devenir la norme générale au détriment de la langue latine.
90:103
L'Église, en effet, en concédant l'usage de la langue du pays ne veut pas pour autant que les clercs se croient exempts d'aller aux sources mêmes et négligent le moins du monde (*vel minime*) la langue commune de l'Église latine.
**16. -- **Que les déclarations liturgiques se fassent le plus parfaitement possible, et donc :
a\) que les rubriques soient observées et les cérémonies exercées dignement sous la surveillance assidue des maîtres ;
b\) que les clercs s'acquittent fréquemment des fonctions liturgiques de leur ordre : de diacre, sous-diacre, acolyte, lecteur et en outre de commentateur et de chantre.
**17. -- **Que toutes les célébrations se fassent non seulement avec soin, mais encore en considérant la perfection et la beauté à déployer dans l'accomplissement du service divin. Ainsi les futurs pasteurs se formeront au style de vie qui doit les distinguer afin que, chez les fidèles, avec le zèle et le goût de la prière augmente le sens du sacré et de ses exigences.
**18. -- **Par conséquent, s'il n'y en a pas, qu'on institue un maître (préfet) des cérémonies qui enseigne à chacun son rôle et prenne soin que tout se fasse dignement et avec science. A cette fin, qu'il instruise les clercs, chacun dans sa fonction propre, en se servant pour cela des textes même de la loi, pour qu'ensuite ils sachent les utiliser quand la nécessité du ministère sacerdotal le demandera.
Qu'on fasse des répétions (*experirmenta*)*,* surtout des rites sacrés plus difficiles et inaccoutumés, davantage encore lorsque les clercs sont appelés à prendre part aux célébrations de l'église cathédrale.
*19. -- *Qu'au séminaire « l'église et l'oratoire, le mobilier sacré et les vêtements présentent aussi la beauté de l'art sacré même contemporain ». (I.E. n° 13). « Qu'on ait soin en outre autant que faire se peut de munir l'Église d'un orgue » (C.C. n° 120).
*20. -- *Et que tous les élèves participent activement aux rites sacrés selon l'esprit de la Constitution et des lois liturgiques, surtout aux chants communs. Que tous ceux qui y sont aptes fassent partie de la *Schola Cantorum.*
*21. -- *Les chants liturgiques seront pris surtout du trésor grégorien. En effet « l'Église reconnaît le chant grégorien comme le chant propre de la liturgie romaine. C'est donc lui qui dans les actions liturgiques, toutes choses égales d'ailleurs, doit occuper la première place ».
91:103
Mais selon les ressources de la *Schola cantorum* du séminaire, qu'on puise aussi, dans le copieux répertoire de la polyphonie classique et plus récente, des chants s'adaptant aux textes et exprimant avec une piété sincère la liturgie de l'Église et de dignes louanges de Dieu (C.C. n° 166).
**22. -- **Bien qu'il faille principalement prendre soin que les élèves du séminaire s'attachent au trésor musical propre de l'Église universelle (C.C. n° 112, 114), il faudra cependant pourvoir à ce qu'ils sachent aussi utiliser le répertoire liturgique écrit dans la langue propre du pays et approuvé par l'autorité territoriale compétente (C.C. n° 118).
Article II\
Du sacro-saint mystère\
de l'Eucharistie
**23. -- **Que la messe, contre de toute la vie spirituelle, soit célébrée tous les jours de la semaine et que les clercs du Séminaire y prennent part. « On la célébrera dans les formes variées et plus aptes qui montrent mieux les diverses fonctions dans l'assemblée liturgique et favorisent la participation active de tous les élèves. Mais il est à souhaiter que les clercs soient initiés aux diverses formes de messes qu'ils auront à célébrer avec le peuple dans les paroisses. »
**24. -- **Le dimanche et les autres grandes fêtes, la messe à laquelle prendront part tous ceux qui sont présents dans la maison, sera chantée de préférence avec diacre, et sous-diacre, si on le peut. Qu'on y fasse l'homélie comme il est expliqué ci-dessous et que les élèves soient instamment invités à y recevoir la communion sacramentelle. Il est conseillé aux prêtres du séminaire qui ne sont pas pris par quelque ministère extérieur, de concélébrer la messe, avec la permission de l'Ordinaire, pour mieux manifester l'unité du sacerdoce et de la messe.
92:103
**25. -- **Que les clercs prennent part à la liturgie de l'église cathédrale au moins pour les fêtes solennelles, surtout lorsque le clergé de la ville lui-même y est présent. Puisqu' « il faut » que tous les fidèles du Christ « apprécient souverainement la vie liturgique du diocèse autour de l'évêque surtout dans l'église cathédrale » (C.C. n° 41) les élèves du séminaire seront les premiers à donner l'exemple.
En effet la masse de l'Évêque assisté de son presbyterium et des ministres entourant l'autel est la manifestation principale de la vie du diocèse. Qu'aux fonctions liturgiques à remplir dans l'église cathédrale on emploie aussi les élèves du Séminaire promus à l'ordre correspondant aux fonctions liturgiques qu'on leur confiera.
Article III\
De l'office divin
**26. -- **Il est de la plus haute convenance que les clercs non encore astreints à l'obligation de l'office divin célèbrent en commun chaque jour : le matin, Laudes ; le soir. Vêpres, aux heures vraiment correspondantes, et que les maîtres, autant que possible prennent part eux aussi à cette célébration. Ces heures solennellement recommandées par le Concile du Vatican II (C.C. n° 89) remplaceront fructueusement les prières habituelles du matin et du soir : par cette récitation en commun des Psaumes les élèves prendront goût et s'habitueront à l'office divin.
**27. -- **En général la récitation des Vêpres doit être préférée à celle de Complies. Cependant pour la vérité de l'heure du jour, on choisira de temps en temps Complies. Et si Complies n'est pas récité en commun, il est recommandé aux élèves d'y prendre les éléments de leur prière privée avant le coucher.
**28. -- **Il sera louable d'introduire parfois la célébration de quelque petite heure : Tierce avant les leçons du matin, Sexte avant le repas. None avant les leçons de l'après-midi.
**29. -- **Sauf raison d'empêchement, par ex. l'éloignement du Séminaire, que les élèves selon l'opportunité prennent part aux Vêpres ou à d'autres heures de l'office célébrées avec l'Évêque et le peuple surtout à l'église cathédrale (I.E. n° 16).
93:103
**30. -- **Dans la fixation de l'horaire du Séminaire, il faut bien prendre soin d'accorder aux clercs dans les ordres sacrés un temps suffisant et convenable pour s'acquitter dignement et commodément de l'office divin (I.E. n° 16). Ils sont eux-mêmes instamment exhortés à cette célébration commune recommandée par le Concile (C.C. n° 99) qui non seulement doit être exécutée avec soin mais avec la perfection requise à l'accomplissement de l'office divin.
**31. -- **Et pour que les âmes s'accordent plus facilement aux voix psalmodiant à l'unisson, il faudra d'abord pourvoir à ce que les Clercs, selon leur âge et compréhension soient convenablement initiés à l'intelligence des psaumes et instruits de la dignité des louanges divines dans l'esprit de la Constitution conciliaire.
#### Chapitre II Formation spirituelle à la liturgie
**32. -- **Il est bien évident que la digne et belle célébration des rites sacrés au séminaire ne suffit pas, et qu'est nécessaire aussi cette formation spirituelle des élèves qui leur enseigne à y participer actuellement de façon consciente, active et fructueuse et qui les rende capables d'y puiser la vie spirituelle et de la communiquer aux autres. (Cf. C.C. 11, 17, 18. I.E. n° 14.) Mais la formation à la piété liturgique ne peut se faire convenablement si les maîtres eux-mêmes n'en ont pas fait l'aliment de leur vie spirituelle et ne la tiennent pas pour la source nécessaire de tout vrai esprit chrétien. Cette condition est absolument requise en tous ceux qui donnent leurs soins à la formation des clercs.
**34. -- **Cette formation ne doit absolument pas être négligée dans les petits séminaires ou collèges de jeunes. On y prendra soin de compléter celle reçue déjà au sein de la famille chrétienne et de la paroisse. Elle ne visera pas seulement à transmettre de simples notions, mais à inspirer le goût et la curiosité des choses liturgiques, et s'insérera en outre dans la formation humaine intégrale, dont elle sera comme la fleur et le faîte, puisque cette éducation liturgique prend appui fortement sur cette formation humaine.
94:103
**35. -- **Dans la formation des clercs par l'esprit liturgique, qu'on tienne compte, non seulement de ceux qui dès l'enfance ont été initiés à la vie liturgique et spirituelle, mais encore de ceux qui essaient leurs premiers pas dans ce chemin à l'âge adulte. Qu'à tous donc et à chacun selon son mode soit annoncé le mystère pascal du Christ, renouvelé dans la liturgie et communiqué dans les sacrements, et auquel la vie doit âtre conforme.
**36. -- O**n prendra habilement soin que, dans la célébration liturgique même, l'homélie soit donnée par un maître du séminaire ou un autre prêtre capable, dans l'esprit défini par l'Instruction *Inter œcumenica* (n° 55-56). Qu'on ne l'omette jamais les dimanches et fêtes de précepte. Elle est très recommandée aux messes de la férie en carême, et il est louable de la faire chaque jour, mais très brève.
**37. -- **En lecture spirituelle, qu'on lise, outre les saintes Écritures, non seulement des traités récents d'ascèse et de mystique, mais aussi des écrits des saints Pères et des livres traitent du saint Sacrifice de la messe et de l'année liturgique, et d'une manière générale tout ce qui peut nourrir la piété proprement liturgique. Les maîtres spirituels suggéreront à leurs disciples selon les besoins et la propension de chacun des lectures de ce genre et les orienteront dans leur choix en ce domaine. Ils feront connaître en outre à leurs élèves les œuvres ascétiques et mystiques expliquant le saint sacrifice de la messe et la façon de s'y unir intimement.
**38. -- **Que les Directeurs spirituels aient également soin d'utiliser le don des sacrements que la liturgie dispense pour cultiver les âmes de leurs disciples dans la perfection de la vie. Qu'ils préfèrent aux autres les secours de la liturgie et, suivant l'exemple de l'Église, dont la liturgie est la forme de spiritualité propre, ils aideront les esprits des élèves à pénétrer le mystère du Christ renouvelé et comme ré-accompli par la liturgie, de façon à être gouvernés par Lui et à y unir leur œuvre. La participation consciente et active au culte public de l'Église sera donc l'aliment nécessaire de la vie spirituelle des clercs et son principal instrument.
**39. -- **Et qu'on inculque principalement le culte d'adoration et de piété personnelle à rendre au corps et au sang du Christ réellement présent sous les espèces eucharistiques. Qu'on recommande instamment l'action de grâces après la messe et la communion, selon la faculté de chacun, ainsi que la visite quotidienne au Très Saint Sacrement.
95:103
**40. -- **Tant s'en faut que la vie liturgique fasse mépriser ou empêche la méditation intime qu'au contraire elle éveille et nourrit par les textes sacrés et les formules liturgiques (I.E. n° 14). Qu'on inculque cela souvent aux élèves en l'illustrant par des exemples.
**41. -- **Que les autres exercices de piété déterminés par la loi ou la coutume dans les séminaires soient tenus en l'honneur dû et qu'on ne les interrompe ni ne les néglige pour cause de liturgie. Ils ne sont cependant pas à préférer à la liturgie sacrée qui par nature l'emporte de loin sur eux (C.C. n° 13 ; I.E. n° 12). Compte tenu du temps liturgique il faut régler ces exercices de façon à les accorder à la liturgie sacrée et à montrer qu'ils en dérivent de quelque manière (Ibid.).
**42. -- **Que la régime même du séminaire et la façon d'y vivre soient imprégnés à fond de l'esprit liturgique, et, pour ce qui regarde la succession des temps, qu'on relève par-dessus tout le dimanche et le cycle de l'année liturgique. Que non seulement le dimanche soit le principal jour de fête par la célébration liturgique solennelle, mais encore se distingue des autres jours par la joie commune et la cessation du travail quotidien. Que l'on conserve aussi l'exercice commun que comportent les coutumes et disciplines chrétiennes selon les temps variés de l'année liturgique (I.E. 14 fin).
**43. -- **On traitera avec un soin pieux et vénération ce qui touche de quelque façon au culte de Dieu : qu'on garde donc le silence et le recueillement intérieur à la chapelle, qu'on témoigne le respect dû à la sainte Écriture, au livre des Évangiles, au Missel, aux vases sacrés. Il faut que la révérence gardée dans les rites sacrés le soit aussi en dehors des rites et pénètre toute la vie.
#### Chapitre III Initiation pratique à la liturgie
Article I\
Initiation pastorale
**44. -- **Les élèves du sanctuaire doivent être dès le séminaire acheminés vers les saints ministères auxquels l'Église les appelle. Il est donc très désirable qu'ils connaissent les diverses façons de les exercer. C'est pourquoi, surtout durant les deux dernières années de séminaire, on les enverra chaque mois un dimanche ou deux en paroisse pour aider les prêtres qui y travaillent.
96:103
**45. -- **L'on choisira de préférence pour cela des paroisses où la vie liturgique est plus conforme aux vœux de l'Église. Il est souverainement important que les clercs s'entraînent à l'observance et au respect de la liturgie et apprennent par l'expérience les sages normes établies par l'autorité légitime.
**46. -- **On les instruira cependant des difficultés des paroisses privées de ministres sacrés, où, par nécessité le prêtre est le seul acteur de la célébration liturgique. Mais en même temps on leur inculquera, selon la coutume traditionnelle de l'Église, le devoir pour le prêtre de former les aides requis pour accomplir les rites liturgiques simplement mais dignement.
**47. -- **Qu'on prépare les clercs au rôle difficile de commentateur dans les rites liturgiques de paroisses : qu'on leur apprenne à s'en acquitter avec la prudence et la sobriété dues, en prenant soin qu'ils comprennent qu'un commentateur ne doit jamais s'interposer comme un voile (écran) entre le rite sacré accompli à l'autel et l'assemblée des fidèles appelés à y participer. Les prêtres experts en la matière surveilleront et apprécieront les essais des élèves.
**48. -- **Que les élèves du sanctuaire apprennent à préparer par les exercices dus (répétitions) la célébration paroissiale entière, individuellement ou en s'associant plusieurs. Qu'ils méditent la manière de présenter aux fidèles la catéchèse liturgique de façon adaptée ; qu'ils se penchent studieusement sur les textes de la messe du dimanche ; en scrutent le sens apprécient les lectures, préparent les monitions ; prévoient les chants mieux accordés aux lois liturgiques ; instruisent les lecteurs et autres ministres de l'assemblée liturgique par exercices préalables.
**49. -- **Compte tenu de ce qui se doit, on utilisera aussi le ministère des clercs pour la liturgie sacramentelle : pour les sacrements de l'initiation chrétienne, pour la liturgie du mariage et celle des défunts. Qu'on les instruise donc des rubriques qui leurs seront nécessaires pour l'administration valide et digne des divers sacrements ; qu'ils apprennent également la façon d'éveiller et de promouvoir la participation intérieure et extérieure des fidèles à la liturgie des sacrements.
97:103
**50. -- **Enfin il faut bien avertir les clercs que la liturgie n'épuise pas toute l'action de l'Église (C.C. n° 9-11) ; qu'on leur enseigne également, à l'aide des textes mêmes de Vatican II comment les fonctions variées des Pasteurs se lient comme il se doit avec la liturgie sacrée (1 « n° 7).
Article II\
Initiation\
à la musique sacrée
**51. **-- « Le chant sacré adhérant aux paroles fait partie nécessaire ou intégrale de la liturgie solennelle » (C.C. n° 112). Son étude n'est donc pas une vaine recherche de beauté ; toute formation liturgique qui négligerait le chant sacré serait nécessairement imparfaite.
Qu'on fasse donc grand cas de la formation et de la pratique musicale dans les séminaires, les noviciats et maisons d'études des religieux, hommes et femmes..., et pour assurer cette éducation que les maîtres chargés de l'enseignement de la musique sacrée soient formés avec soin (C.C. n° 115).
**52. -- **La musique sacrée est à mettre au nombre des disciplines nécessaires à la bonne formation des élèves du sanctuaire ; elle doit donc être enseignée dès les premières années du cycle des études et jusque durant les années du cours de théologie, en y consacrant le temps voulu et suivant une bonne méthode. Comme pour les autres disciplines les élèves sont tenus à des examens annuels.
Que chaque séminaire ait donc un maître de musique sacrée qualifié, intégré à tous effets au collège des Professeurs.
**53. -- **Que tous les élèves en sciences sacrées acquièrent donc la connaissance des mélodies grégoriennes, surtout des plus connues ; déjà au séminaire le fréquent usage leur fera retenir par cœur les chants de l'Ordinaire de la messe plus simples et même plus ornés familiers au peuple chrétien.
**54. -- Q**u'on leur transmette aussi les principes de la direction chorale pour qu'ils puissent au moins diriger les chants du Kyriale et la psalmodie et aussi les chants et rythmes en langue du pays.
98:103
**55. -- **Qu'on enseigne aussi aux élèves d'autres genres de musique. Qu'on les forme également au chant populaire vraiment religieux, non seulement récent, mais aussi à celui qui est conservé par la tradition orale du pays.
**56. -- **Si elle n'existe pas déjà, qu'on établisse en tout séminaire une **schola cantorum** dirigée et instruite par un maître de chœur qualifié. On y observera les normes concernant la musique sacrée données par l'Autorité compétente.
**67. -- **Les élèves du sanctuaire sachant jouer de l'orgue poursuivront leur formation au séminaire et on les y aidera de toute façon. Les mieux doués à cet égard seront envoyés après leurs études à des Instituts supérieurs de musique sacrée pour y parfaire leur formation.
**58. -- **On aura soin aussi de procurer en assez grand nombre clavecins (pianos) et petits orgues (harmoniums) pour que les élèves puissent convenablement s'exercer ; pour assurer une exécution plus aisée et parfaite des chants liturgiques, il sera également opportun de mettre à disposition dans les séminaires les moyens didactiques, tels que bandes imprimées, disques et autres semblables.
**59. -- **Il est fort important que l'élocution du prêtre à l'église, qu'il prie ou parle ou lise, soit nette, claire et agréable : qu'à la formation musicale s'ajoute donc une école de parfaite diction dirigée par un maître vraiment expert en cet art.
Article III\
Initiation à l'art sacré
**60. -- **Les normes visant l'estime et la garde du trésor transmis de musique sacrée valent aussi, à proportion, des autres arts sacrés. Les maîtres à qui il appartient doivent donc avoir devant les yeux l'article 129 de la Constitution du Concile. Au cours de leurs études philosophiques et théologiques les clercs seront instruits de l'histoire et de l'évolution de l'art sacré ainsi que des principes sur lesquels doivent s'appuyer les œuvres d'art sacré pour qu'ils apprécient et conservent les monuments vénérables de l'Église et soient à même de donner des conseils opportuns aux artistes pour l'exécution de leurs œuvres.
99:103
**61. -- **Si la *ratio studiorum* (le programme d'études) n'a pas prévu d'initiation à l'art sacré, cette initiation devra être donnée aux élèves au moins par des séries de leçons qu'on pourra demander à des laïques compétents du diocèse, même ne faisant pas partie du corps professoral. Les expositions d'art sacré, ancien ou moderne, seront attentivement suivies et appréciées.
**62. -- **Les maîtres auront soin en outre de faire connaître directement aux élèves les trésors d'art sacré du diocèse et les meilleures œuvres récentes. L'initiation sera telle qu'on n'ait pas ensuite, comme il arrive souvent, à déplorer l'aliénation, la dispersion ou une diminution quelconque du patrimoine sacré d'art des églises confié à la vigilance du Clergé (C.C. n° 126).
**63. -- **On communiquera et expliquera avec soin les principes du Concile du Vatican II sur l'art sacré et la façon de construire et d'orner les Églises (C.C. n° 122-128, cf. I.E. n° 90-99). On montrera en outre aux élèves les normes constantes de cette discipline, sans relever les contradictions et diversités qui peuvent se découvrir sur des points minimes. Au contraire, avec un soin extrême, on discernera et considèrera l'esprit qui inspire tous les documents (enseignements) de l'Église et qui demeure le même en eux tous.
#### Chapitre IV Le cours de formation liturgique
**64. -- **La place à réserver à l'enseignement de la liturgie considéré en soi ou par rapport à la *ratio studiorum* des disciplines ecclésiastiques du cours de Théologie est définie dans la Constitution Conciliaire n° 16. « L'enseignement de la liturgie sacrée dans les Séminaires et maisons d'études des religieux doit compter parmi les disciplines nécessaires et plus importantes et, dans les facultés de théologie, parmi les principales ; et à donner sous l'aspect tant théologique et historique, que spirituel, pastoral et juridique.
100:103
En outre les maîtres des autres sciences, surtout de théologie dogmatique, d'Écriture sainte, de théologie spirituelle et pastorale, auront soin, selon les exigences intrinsèques de chaque objet propre, de faire ressortir le mystère du Christ et l'histoire du salut de telle sorte qu'apparaissent clairement leur lien avec la liturgie et l'unité de la formation sacerdotale. »
**65. -- **Donc pour donner à cette discipline l'importance qui lui est due dans la formation des candidats au sacerdoce, le cours des études liturgiques sera d'une heure par semaine pendant les quatre ans de théologie. Cependant, pour obvier aux nécessités particulières des séminaires en diverses régions, cette discipline pourra être enseignée dès le cours de philosophie et achevée en trois ans ou même en deux, pourvu qu'on garde religieusement le nombre d'heures ci-dessus fixé et que la doctrine soit exposée en toutes ses parties.
**66. -- **On choisira de préférence un professeur expert en théologie et en histoire, bien au courant des problèmes pastoraux et doué du sens de la prière publique de l'Église. Les Ordinaires des lieux auront donc soin d'établir au séminaire un maître bien formé de cette discipline (I.E. n° 11), préparé à sa fonction dans une haute école spécialisée (Cf. C.C. n° 15).
**67. -- **Comme la sainte liturgie est à enseigner tant sous l'aspect théologique et historique que sous l'aspect spirituel, pastoral et juridique (C.C. n° 16), pour rendre la chose plus claire et en faciliter l'exécution, on présente en *Appendice* de cette instruction un résumé des thèmes (argumentorum) qu'il a paru bon de proposer aux étudiants, avec certaines explications sur la méthode à suivre dans l'exposé des divers sujets. Il est cependant permis, selon les règles du Droit, à l'autorité compétente d'organiser de manière différente l'ordre des matières et leur répartition entre les années, pourvu qu'on ne diminue pas la quantité minima et suffisante.
**68. -- **Et tous les professeurs du cours de théologie auront devant les yeux les recommandations du Concile, à savoir que les principales disciplines selon les exigences intrinsèques de chaque objet propre fassent ressortir le mystère du Christ et l'histoire du salut, pour qu'apparaissent clairement leur lien avec la liturgie et l'unité de la formation (C.C. n° 16). Avant tout donc que la théologie des sacrements tienne le compte dû des arguments qui se dégagent certainement de l'histoire de la liturgie et soit abondamment illustrée par des textes liturgiques.
101:103
Mais puisque la prière publique de l'Église s'appuie, et pour ainsi dire roule tout entière sur les saintes Écritures, ce sera toujours le rôle de cette discipline de viser directement à faire acquérir aux élèves l'intelligence plus pénétrante et plus solide des principaux textes de la liturgie et en même temps d'éveiller leur amour et leur piété pour ces textes sacrés (Cf. C.C. n° 24 et 90).
**69. -- **Et pour que surtout les professeurs aient les instruments nécessaires à l'achèvement (perfectionnement) de leur propre formation ou même à la composition de travaux critiques, les supérieurs de séminaires auront soin de munir copieusement la bibliothèque en ce qui concerne aussi la liturgie ils l'enrichiront des ouvrages indispensables et utiles tels que : éditions des monuments liturgiques, écrits des saints Pères, livres traitant de la liturgie sous les aspects biblique, théologique, historique, juridique, ascétique. Il appartient au professeur de liturgie d'initier les élèves à l'investigation des sources mêmes et de leur recommander les livres plus récents et meilleurs.
Cette instruction destinée à assurer la bonne formation liturgique des élèves, la Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités l'a élaborée, préparée, d'entente avec le Conseil pour l'exécution de la Constitution de Sacra Liturgia, et avec l'approbation de la S. Congrégation des Rites.
Le Souverain Pontife par la divine Providence Paul VI, l'a ratifiée, confirmée et a ordonné de la publier, nonobstant toutes choses contraires.
Donné à Rome, du Palais des SS. C.C. en la Nativité du Seigneur de l'an MCMLXV.
(signé)
Le Préfet\
Joseph Card. PIZZARDO\
évêque d'Albano,
Secrétaire
Dino STAFFA archevêque de Césarée de Palestine
102:103
TEL EST CE DOCUMENT de l'organe permanent du Saint-Siège pour orienter et promouvoir dans toute l'Église catholique la formation intellectuelle, spirituelle, pastorale des futurs prêtres en vue de laquelle le saint Concile de Trente (23^e^ Session, 15 juillet 1563, la 7^e^ sous Pie IV), prescrivait la fondation des Séminaires. On a célébré, en 1963, durant la période conciliaire, le quatrième centenaire de l'évènement ([^17]).
Le Concile du Vatican achevé qui, au cours de la quatrième et dernière Session, avait promulgué, le 28 octobre 1965, le Décret *Optatom totius Ecclesiae, de Institutioni Sacerdotali*, la Sacrée Congrégation des Séminaires se devait de prescrire des mesures immédiatement pratiques spécialement pour la formation liturgique des Séminaristes. D'après le Concile et la Constitution *de Sacra liturgia*, elle doit tenir dans l'ensemble de la formation sacerdotale une place proportionnée à celle de la liturgie sacrée elle-même dans la vie de l'Église et des ministres qui la célèbrent pour le peuple de Dieu. Pour avoir de bons pasteurs d'âmes, c'est toute leur éducation qui doit être profondément imprégnée d'esprit liturgique.
Ce serait une étrange méprise que de voir dans l'initiative de la Sacrée Congrégation des Séminaires, confirmée par le Pape qui a prescrit de publier ce texte, une sorte d'usurpation ou de confiscation des droits et des pouvoirs, reconnus et proclamés par ailleurs, de chaque évêque en son diocèse, des assemblées épiscopales régionales ou nationales en divers pays, en ce qui concerne la préparation de leurs collaborateurs, des membres de leur presbyterium. Il n'est pas plus porté atteinte par cette instruction, valable pour l'ensemble de l'Église, aux droits, pouvoirs et devoirs des évêques, en particulier ou assemblés dans leurs pays respectifs, qu'il n'y a été porté atteinte récemment par la Constitution pontificale Pœnitemini ([^18]), rappelant à tous l'obligation de droit divin de faire pénitence et instituant la nouvelle loi ecclésiastique universellement valable pour les catholiques de rite latin des modalités minimales de la pénitence par jeûne et abstinence. Cette constitution, en effet, loin de mettre en péril les juridictions subordonnées, en précise les pouvoirs en ce domaine. De même n'a-t-il pas été porté atteinte aux droits et devoirs des Docteurs que sont et doivent être les Pasteurs puisque la pâture à offrir à leurs ouailles est avant tout le *pabulum doctrinae*, l'enseignement de la foi, lorsque, au cours du Concile, le Pape Paul VI rappelait par exemple, l'enseignement authentique de l'Église sur le *Mysterium fidei* par excellence qu'est l'Eucharistie.
103:103
Il n'était pas davantage porté atteinte aux prérogatives du Concile lorsque le Pape y intervenait par exemple, pour expliquer le vrai sens du chapitre III de « *Lumen Gentium* ». Il remplissait simplement son rôle de suprême docteur de la foi, de confirmateur de ses frères, de chef de l'Église, de pasteur universel des brebis et des agneaux, de tout le troupeau du Seigneur, d'*Episcopus Ecclesiae catholicae,* comme lorsqu'il approuve, avec les évêques en Concile, les Constitutions et décrets qui ne sont actes conciliaires s'imposant à l'Église qu'en vertu de cette promulgation.
Le Pape, en effet, n'est pas le chef de l'Église seulement entre deux Conciles, comme un Général d'Ordre religieux l'est de son Ordre entre deux chapitres généraux mais est lui-même soumis aux chapitres généraux qu'il assemble et préside, et dont il reçoit ordre et mandats. L'autorité du Pontife romain, tant doctrinale que disciplinaire, n'est ni suspendue, ni limitée dans son exercice personnel ou par les dicastères, pas plus en période conciliaire et même durant les sessions qu'en tout autre temps.
Les ministères que sont les Sacrées Congrégations romaines peuvent être institués, réformés, supprimés par le Pape. Leurs attributions peuvent être par lui, et lui seul modifiées, transférées de l'une à l'autre comme, cela va sans dire, leur nom peut être changé ; mais, tant que les Congrégations sont ce qu'elles sont, gardant les attributions qu'elles ont reçues, le Pape peut agir par elles, et, en approuvant et promulguant les actes signés des préfets et secrétaires, les imposer à toute l'Église.
Ces réflexions élémentaires, ce rappel de choses allant de soi seraient superflus si l'on n'avait entendu ou lu depuis cinq ou six ans tant d'attaques contre la Curie romaine, tant de critiques contre le principe même des encycliques comme actes du Magistère Ordinaire, tant d'efforts pour réduire à rien la portée doctrinale du *mysterium fidei* par exemple, tant d'insolences -- il faut appeler les choses par leur vrai nom -- au sujet des interventions de Paul VI au Concile ou d'autres actes de Sa Sainteté. Pas plus que l'Instruction de la Sacrée Congrégation des Rites élaborée de concert avec la Congrégation des Religieux, et le conseil pour l'exécution de la Constitution, sur la liturgie et signée des trois cardinaux deux préfets et le président ne nuit aux droits des supérieurs majeurs et généraux des religieux, la présente Instruction sur la formation liturgique des Séminaristes ne retire leurs droits aux évêques, et aux assemblées épiscopales nationales, mais elle facilite leur tâche en la dirigeant, en l'orientant sur un point particulièrement important. Elle leur laisse le soin d'adapter selon les nécessités particulières locales les dispositions, générales qu'elle édicte.
104:103
Quant à l'ANNEXE programme qui suit le document, c'est une sorte de *ratio studioruun* spéciale, très logiquement ordonnée dont on pourrait aisément tirer la table des matières d'un ouvrage à écrire, ([^19]) et qui peut rendre les plus grands services aux maîtres chargés de la formation liturgique profonde des Séminaristes, telle que l'Église la veut et qui est tout autre chose que l'étude des rubriques à quoi se réduisait souvent, autrefois, le cours dit de liturgie ([^20]) ; elle énumère, à l'indicatif, ou au subjonctif, l'ensemble des thèmes à traiter. Rien d'essentiel et de nécessaire ne sera omis si l'on suit sans amputation ni omission ce programme très sage qui laisse aux choses leur importance respective, garde les proportions, indique ce qui doit être plus développé et ce qui n'a pas à être expliqué *fuse* ou *fusius,* mais peut l'être brièvement. Tous les prêtres du ministère, en effet, n'ont pas à devenir des spécialistes d'histoire ou de droit liturgique, capables de disserter savamment de liturgies comparées, mais tous doivent être de dignes et convaincus exécutants des fonctions sacrées, du sacrifice eucharistique ([^21]), des administrateurs éclairés des sacrements, capables d'en expliquer le sens, la portée, l'efficacité à ceux à qui ils les dispensent.
Voici très sommairement l'ordonnance des parties de ce programme type qui peut être évidemment modifié pourvu que rien d'essentiel ne soit omis ou négligé.
-- La première partie, notions et principes, traite de la nature de la liturgie et son importance dans la vie de l'Église de l'autorité compétente en la matière et des lois liturgiques du caractère de la liturgie comme action hiérarchique et action propre de la communauté ; du caractère didactique et pastoral de la liturgie ; esquisse l'histoire.
105:103
-- La deuxième partie a pour objet la messe et l'Eucharistie : notions générales sur la messe ; normes pour en bien exposer les différentes parties et les rites ; culte de l'Eucharistie en dehors de la messe (diverses dévotions eucharistiques).
-- La troisième partie concerne les autres sacrements et les sacramentaux : sacrements de l'initiation chrétienne (baptême et confirmation, premier accès à l'eucharistie) ; Ordre, mariage à propos duquel il sera question de la virginité, de la consécration des vierges, des cérémonies de profession ; liturgie monastique, liturgie pénitentielle des malades, de la mort chrétienne ; Sacramentaux.
-- La quatrième partie, sanctification du temps, traite du dimanche, pâque hebdomadaire ; de l'année liturgique et de ses divers cycles et temps ; sanctification des heures du jour par l'office divin, prière officielle et publique de l'Église que les clercs ont mission spéciale d'assurer.
Bref, il s'agit, dans ce cours, de donner aux séminaristes au cours de leurs études théologiques une vue d'ensemble, une encyclopédie, adaptée des connaissances liturgiques, mais enseignées de telle sorte que ces futurs prêtres soient éveillés à l'amour et au zèle dit culte chrétien. Il s'agit d'une formation au sens le plus compréhensif de ce mot.
Si l'on suit les documents conciliaires relatifs à la liturgie et la formation des prêtres, si les séminaristes sont éduqués selon les prescriptions et directives de la S. Congrégation, la réforme, liturgique voulue par l'Église pourra porter les fruits escomptés. Les bavures des années de transition seront éliminées sans trop de retard. Les offices seront dignement célébrés, la participation des fidèles bien assurée : ils ne seront plus étonnés, déroutés, scandalisés par des fantaisies, des omissions, des négligences et autres manifestations anarchiques comme celles qui suscitent tant de plaintes justifiées. On n'aura plus à déplorer tant de vulgarité et pauvreté des chants, de bavardages insipides de commentateurs mal préparés, de dilapidations et distractions de trésors d'art sacré. Sans doute aucune formation, si bien assurée soit-elle, ne garantit infailliblement et pour toujours la fidélité de tous ceux qui l'ont reçue, mais c'est la condition indispensable pour que, sauf défaillances individuelles toujours possibles, l'ensemble des ministres de Dieu accomplisse le service divin comme il faut, pour que fleurissent comme il se doit la louange et la vie chrétienne dans l'Église de Jésus-Christ.
Paul PÉRAUD-CHAILLOT.
106:103
### Anomalies et omissions dans l'histoire de Lourdes
*La scène inventée du moulin de Savy*
par Henri MASSAULT
L'ABBÉ LAURENTIN a encore envoyé ses impressions au Directeur d'Itinéraires. Au nom du droit de « réponse », il demande l'insertion d'une lettre -- la troisième -- qui se borne à exposer quelques opinions personnelles fondées uniquement sur ses propres ouvrages. Il répète que nous avons publié cinq articles ne contenant aucune contestation précise de son *Histoire authentique* il n'en aperçoit une que dans le sixième.
Nous dirons plus loin pourquoi nous refuserons désormais de publier une correspondance qui est sans droit et sans valeur.
LA SCÈNE DU MOULIN DE SAVY est une scène imaginaire, démentie par Bernadette. Il est absolument faux que cette scène soit l'une des *mieux* attestées de l'histoire des Apparitions : elle est seulement, dans les ouvrages de l'abbé Laurentin, l'une des plus attestées, tant il s'est acharné à l'accréditer. Mais la quantité factice de ces attestations ne supplée point leur qualité défaillante.
107:103
-- Dans ce que l'abbé Laurentin appelle le « dossier des textes », il a groupé tout ce qui lui a paru confirmer cette scène, sollicitant et interprétant pour créer des témoignages favorables, omettant en revanche de citer plusieurs pièces gênantes. Même dans cette présentation incorrecte, l'authenticité de la scène est insoutenable ; à plus forte raison si l'on rectifie tant soit peu ce dossier, comme nous allons le faire.
Mais lisons d'abord la troisième lettre de l'abbé Laurentin.
27 décembre 1965
« *Monsieur,*
« *Je me perds de plus en plus dans les attaques que Monsieur Henri Massault multiplie avec persévérance contre moi dans la Revue* Itinéraires. *Nous en voici au sixième article, poliment intitulé* Laurentin contre Laurentin II.
« *Avec quelque étonnement, et tout d'abord avec quelque soulagement, je constate qu'enfin, ce sixième article aborde un point précis de l'*Histoire de Lourdes *et présente une contestation contre le récit des Apparitions que j'ai établi dans l'*Histoire authentique. *C'est la première fois !*
*Jusqu'ici, pas un seul détail de mon récit ne s'était trouvé remis en question. Monsieur Massault restait dans la dissertation vague et les polémiques entre le Père Sempé et Henri Lasserre.*
« *Malheureusement cette critique qui vise à déclarer non historique la scène du moulin porte à faux. Cette scène du 14 février, où Bernadette en extase fut transportée de la Grotte au moulin de Savy par ses compagnes et surtout par le meunier Nicolau, est une des mieux attestées de l'histoire de Lourdes.*
« *Ici encore, j'admire le zèle et la passion avec lesquels M. Henri Massault combat l'existence de cette scène, toujours pour le même motif : Henri Lasserre l'ignorait, et a voulu l'ignorer, en dépit des témoignages oculaires multipliés.*
108:103
« *Ces témoignages, j'en ai découvert moi-même quantité d'autres, assez proches des apparitions, notamment dans les correspondances d'époque.*
« *Avec la méthode polémique qui est la sienne, M. Massault n'examine que cinq des témoignages en question, et il fait feu de tout bois pour les éluder. En fait, les témoignages sur la scène du moulin sont beaucoup plus nombreux : plus de 20. Ce sont des témoignages oculaires. Bien plus, tous les témoins oculaires font en quelque manière état de cette scène, et le plus souvent de la manière la plus concrète.*
« *Ce sont des témoignages concordants. Le témoignage de Bernadette concorde avec eux, pour peu qu'on l'examine dans l'ensemble, sans parti pris, et compte tenu du fait que Bernadette* était en extase tandis qu'on la transportait de la Grotte au Moulin.
« *Il est de mauvaise méthode de récuser tous ces témoignages à cause des divergences que l'on peut constater entre eux. La loi fondamentale en matière de critique des témoignages, c'est que des témoins oculaires réellement indépendants divergent toujours en quelque manière. Les accords trop parfaits et trop littéraux, loin de réjouir l'historien, l'avertissent que l'harmonie préétablie provient d'une cause qui n'est point l'évènement lui-même.*
« *M. Massault qui est autodidacte en matière d'histoire semble ignorer cette loi et beaucoup d'autres. A défaut du minimum d'objectivité et de compétence historique qui permettrait une discussion, je me contenté de renvoyer au t. 2 de* l'Histoire authentique *où cette question se trouve traitée rigoureusement et par ordre.*
« *On y trouvera successivement :*
« 1) *Les témoignages exactement et précisément cités dans leur ordre chronologique. Cela occupe plus de trente pages* (*pp. 207-239*)*.*
« 2) *On y trouvera une discussion, précise de ces divergences qui, encore une fois, existent toujours entre les témoins qui ne se recopient pas les uns les autres. On en trouvera la résultante rigoureusement établie, pp. 240-246.*
« 3) *Enfin on trouvera un récit précis de la scène où chaque phrase se trouve justifiée par les citations des témoins* (pp. 263-276)*.*
109:103
« *Il ne me serait pas difficile de reprendre ici tous ces éléments. Mais cela dépasserait les limites de mon droit de réponse, ou m'obligerait à redire les choses de manière trop rapide pour être démonstrative.*
« *Pour cette raison, je me serais tu, assurément, et j'aurais laissé M. Massault à ses exercices polémiques, si l'attaque menée dans* Itinéraires *ne se trouvait accompagnée de lettres envoyées à des personnalités dont l'estime a pour moi quelque importance : lettres où il est déclaré que l'abbé Laurentin n'a rien trouvé à redire ni à répondre aux articles Massault, qu'il est dans un grand embarras et qu'il est bien obligé de reconnaître le bien fondé de toutes les critiques qui lui sont faites.*
« *Non l'abbé Laurentin ne reconnaît pas. Il s'étonne au contraire qu'on puisse écrire avec tant de passion et de mépris des méthodes reçues en histoire, avec tant d'intérêt pour les petites querelles, et si peu d'intérêt pour Bernadette et les apparitions. Il maintient intégralement le récit de la scène du moulin.*
« *Il renouvelle la proposition suivante : qu'un jury soit constitué au choix de l'évêque de Lourdes. Qu'il soit formé d'historiens qualifiés. J'entends par là : ayant des titres équivalents aux miens : Docteur ès Lettres et Professeur de Faculté. Que mon étude de la scène du moulin leur soit soumise avec les contestations de M. Massault. Si les reproches de manque d'objectivité et de partialité qui me sont faits sont en quelque manière justifiés, si l'existence de la scène du moulin, où Bernadette en extase fut entraînée de la Grotte à Savy se révélait être une invention, comme le prétend M. Massault, j'accepte* (*sans risque*) *de payer les frais de l'entreprise.*
« *A cet effet, je suis prêt à verser devant un notaire, à désigner par l'évêque de Lourdes, la somme qui, sera jugée nécessaire pour une telle expertise. M. Massault déposera de son côté la même somme pour payer les frais d'expertise si elle m'est favorable.*
« *Avec un vif regret d'être obligé de dire ces choses pour défendre une réputation injustement attaquée, dont j'ai besoin comme tout homme pour l'exercice de mes différents ministères, je vous prie, Monsieur le Directeur de bien vouloir insérer intégralement la présente lettre dans un prochain numéro d'*Itinéraires, *et sachant votre libéralité en matière de droit de réponse, je vous en dis d'avance mes biens respectueux, remerciements.* »
R. LAURENTIN.
110:103
L'ABBÉ LAURENTIN n'a pas aperçu que les rares défenseurs de la légende du moulin se sont égarés depuis cent ans dans le maquis de la polémique. Prenant leurs tentatives au sérieux, il a essayé de donner l'aspect d'un travail d'histoire à un récit né d'un souci d'édification et de commerce, et non d'un désir d'exactitude.
Pour le prouver :
1\. Nous allons d'abord faire un rappel succinct des objections précises que nous avons formulées et qui sont restées sans réponse. Ce qui montrera que la nouvelle expression du désaccord de l'abbé Laurentin n'a pas de valeur scientifique.
2\. Nous révélerons ensuite quelques-unes des anomalies et omissions du « dossier des textes » relatif à la seconde apparition et à la scène du moulin.
3\. Puis nous montrerons que l'étude critique de ce problème dans l'*Histoire authentique* est partiale et superficielle.
4\. Enfin nous examinerons les moyens que nous oppose l'abbé Laurentin, dans sa troisième lettre, pour tenter de déplacer la question hors du plan de l'histoire.
#### I. Rappel des objections auxquelles il n'est pas répondu ([^22])
En abordant le sujet, l'abbé Laurentin a écrit ([^23]) :
111:103
Bernadette ne fait GÉNÉRALEMENT pas état de la scène du moulin. Bien plus elle raconte PARFOIS les choses comme si l'apparition de ce jour s'était terminée à la Grotte, sans incident, une fois le chapelet terminé.
Or l'examen des témoignages de Bernadette montre que le respect de la vérité aurait dû faire écrire tout le contraire :
Bernadette ne fait JAMAIS état de cette Scène. Elle raconte TOUJOURS sans incident la fin de la seconde apparition.
Nous avons donc dénoncé ici une preuve de partialité et une tromperie.
Nous avons dit aussi que l'abbé Laurentin avait cherché à influencer le jugement du lecteur en faveur de la scène du moulin en lui parlant :
-- de MASSE de témoins OCULAIRES,
-- de six filles qui SE TROUVAIENT là,
-- des dépositions si REMARQUABLES du meunier,
-- d'une IMPRESSIONNANTE SÉRIE de documents DE 1858.
Nous avons prouvé que toutes ces affirmations sont fausses :
-- La MASSE se compose d'UN SEUL témoin qui donne une description détaillée de la scène du moulin. Lui seul se dit témoin oculaire, alors que les témoins réellement oculaires, comme Toinette Soubirous et Jeanne Abadie, ne parlent pas de lui, même quand elles sont questionnées par le P. Cros, pourtant si expert à orienter les dépositions dans le sens de ses conclusions préétablies.
-- Il est faux que l'on possède sur cet épisode les témoignages de six filles qui *se trouvaient là.* Aucune ne décrit un transport de Bernadette au moulin ni une inconscience, sauf Jeanne Abadie et seulement 38 ans après, par personne interposée et dans une évidente fusion de souvenirs n'ayant plus rien d'un témoignage personnel.
-- La confiance totale accordée à la déposition si *remarquable* du meunier Nicolau empêche le lecteur de réaliser qu'IL A DÉPOSÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS VINGT ANS APRÈS, QUAND IL A ÉTÉ AU SERVICE DES PROMOTEURS DE CETTE LÉGENDE, et à la demande de l'enquêteur Cros qui avait mission de sauver à tout prix le récit de la *Petite Histoire.* En droit le témoin est donc récusable.
112:103
Quant aux documents de 1858, l'abbé Laurentin est mal venu à nous reprocher de n'en avoir examiné que cinq puisque c'est là TOUTE l'*impressionnante série* annoncée par lui-même. Pour toute réponse à nos motifs de n'y rien trouver d'impressionnant en faveur de la scène du moulin, il nous accuse d'user de méthode polémique. Nous en concluons qu'il est incapable de réfuter les arguments précis qui interdisent de les invoquer à l'appui du luxe « détails inséré dans son *Histoire Authentique.*
Nous avons demandé aussi pourquoi l'abbé Laurentin s'est acharné à voir des preuves d'authenticité de la scène du moulin là où il n'y en a pas ; pourquoi il ne tient pas compte de son rejet par beaucoup d'auteurs, même ecclésiastiques, qui ont enquêté à Lourdes ; pourquoi il ne signale pas que de nombreux témoins des plus sérieux ont gardé là-dessus un silence fort éloquent ; pourquoi il taxe de polémique et s'abstient d'analyser tout ce qui tend à infirmer l'exactitude de cet épisode ; pourquoi enfin il accueille et cherche à corroborer par tous les moyens les dires du P. Sempé, pourtant si souvent en contradiction avec lui-même et avec les faits dans ses correspondances, ses mémoires et ses pamphlets...
Ces questions restent posées depuis de longs mois. Tant qu'il n'y aura pas été clairement répondu, nous serons obligés de tenir pour démontré et sans réplique ce que nous avons DÉJA DIT.
#### II. Quelques anomalies et omissions dans le dossier des textes relatifs à la scène du moulin
Le principal mérite de l'abbé Laurentin paraît être d'avoir rassemblé et rendu accessible une abondante documentation concernant les apparitions de Lourdes. Mais l'impartialité et l'objectivité n'ont pas toujours présidé au choix des documents ni aux indications de valeur qui précèdent leurs citations. De plus cette documentation est souvent incomplète : l'auteur omet d'y inclure des pièces qui vont à l'encontre de ses conclusions. Quelques observations sur le dossier afférant au 14 février 1858 suffiront à en convaincre.
113:103
Puisque l'abbé Laurentin prétend que nous avons fait « *feu de tout bois pour éluder* » les textes de 1958, nous devons ajouter que nous sommes, au contraire, très loin d'avoir tout dit sur ce sujet, comme sur bien d'autres. Dans chacune de nos études sur Lourdes nous avons gardé tout le bois, sec ou vert, qu'il ne nous a pas semblé indispensable de produire.
Chacun de ces textes appelle donc encore bien des commentaires. Ainsi au sujet du Mémoire Clarens, on pourrait étudier, entre autres choses, soit les raisons personnelles qu'avait le P. Cros d'en parler comme du « *meilleur sans contredit* » et de redouter une divulgation des Archives Massy ; soit l'utilisation de ses termes souvent peu sûrs pour violenter le témoignage de Bernadette en janvier 1879, c'est-à-dire quatre MOIS AVANT que le même P. Cros en ait pris copie sur l'expédition. Il y a tant de motifs de suspecter la fidélité de cette transcription et de ne pas classer ce document incontrôlé parmi ceux DE 1858 ...
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur le « *magma de confusions* » de Sœur Augustine racontant des bruits venus de bouche en bouche jusqu'à Bagnères. Il est de mauvaise méthode d'opposer de telles pauvretés aux dires de Bernadette et de les « *interpréter* » pour justifier un récit contesté par tous les Lourdais.
Faut-il dire quelque chose de plus sur le rapport des médecins ? Eh bien il est loin d'accréditer la scène du moulin par la phrase « *il lui sembla voir l'objet la poursuivant* » puisque l'abbé Laurentin lui-même récuse le mot poursuivi comme « *tout à fait impropre, surtout dans le contexte* » ([^24]). Mais mieux encore, les médecins excluent positivement l'inconscience de Bernadette quand ils la montrent, quelques lignes plus bas, très consciente les 14 et 18 février et AU CONTRAIRE tout à fait hors d'elle-même le 19.
114:103
Comme l'*Histoire Authentique* veut pouvoir dire que « l'inconscience à l'égard du monde extérieur et le point-clé qui permet la juste interprétation du témoignage de Bernadette et des autres » ([^25]) le dossier des textes omet de citer le passage du rapport où trois enquêteurs des mieux qualifiés détruisent dès l'origine et catégoriquement l'option et les interprétations de l'auteur.
L'abbé Laurentin dit qu'il y a : « Quatre récits primitifs DE BERNADETTE racontant en quelque manière la scène du moulin. »
Ce sont le Mémoire Clarens, le rapport des médecins, le Mémoire Sempé et une relation attribuée à un avocat de Dijon. On voit combien il est peu difficile pour appeler récit DE BERNADETTE Ce qui n'en est pas un.
On conviendra que l'avocat a une « *manière* » excessivement ténue de « *raconter* » la scène du moulin : « Alors la vision disparut à la suite du départ des enfants. »
C'est plutôt vague, surtout dans un témoignage dont on n'a qu'une copie faite au moins dix ans plus tard ! Mais l'*Histoire Authentique* le cite parce qu'il est un des très rares qui ne précise pas que la vision a disparu aussitôt après la fin du chapelet. L'exception est ici préférée à la généralité et c'est doublement dommage car selon le document des Archives de la Grotte (casier 10) l'avocat a écrit : « Le chapelet terminé, l'apparition sourit, puis se retira en saluant sans rien dire. Il en fut DE MÊME LA SECONDE FOIS. » L'abbé Laurentin a omis cette phrase gênante dans le dossier des textes.
\*\*\*
115:103
Voici d'autres exemples de pièces non plus seulement tronquées, mais entièrement omises :
12 octobre 1868. Lettre du P. Duboé au P. Sempé : « Mon récit des apparitions trouve noise. La 2^e^ avec son appendice du moulin a remué la foudre ; on a entendu des grondements. »
16 octobre 1868. Lettre du P. Duboé au P. Sempé :
Je commence à sentir des remords pour les variantes que j'ai (biffé : introduites) acceptées dans mon récit. Quoique je n'invente pas, mes témoins sont-ils absolument sûrs ? je les ai bien poussés sans doute. Mais quel effet ces différences produiront-elles, si insignifiantes qu'elles soient pour le fond ? Déjà par ici (= à Lourdes) des désapprobations grognonnes... et même parmi des amis, quelques craintes... Tout ceci est hâtif.
22 novembre 1868. Henri Lasserre vient de faire à Lourdes une enquête minutieuse qui lui a prouvé que la scène du moulin n'avait pas eu lieu. Il écrit à Mgr Laurence, évêque de Tarbes :
L'auteur \[de la *Petite Histoire*\] agit avec une candeur extrême... à l'histoire il substitue la légende... sur des on-dit populaires \[avec\] un esprit dénué de critique. Tantôt des évènements entièrement imaginaires acceptés aveuglément par une intelligence sans discernement...
25 novembre 1868. Lettre de l'abbé Peyramale à H. Lasserre :
J'ai vu le P. Sempé... Je lui dis... « Pour votre honneur et l'honneur de la Vierge, cette histoire doit être anéantie : tout le monde la condamne à tous les points de vue. » Il y a en effet un tollé général contre. Ces MM. (= les chapelains) et une réaction très favorable pour vous. L'Évêque et l'opinion publique feront justice de ce misérable roman.
17 décembre 1868. Lettre du P. Sempé à Louis Veuillot :
Deux détails sans importance attestés par des témoins sérieux pourraient néanmoins être contestés. Un seul fait a surpris (= la scène du moulin) ; on l'ignorait généralement ; mais plus de vingt témoins l'ont vu, peuvent encore le certifier ; et quand le moment de l'apologétique sera venu, il nous sera facile de le justifier et d'en tirer l'édification qu'il renferme.
13 octobre 1869. Le dossier des textes contient les notes prises par Henri Lasserre au cours de l'interrogatoire de Bernadette en vue de la *Protestation.* L'abbé Laurentin y mentionne : « Un mot illisible, peut-être : méchant. » Cela est faux. A la place l'original porte ces mots très lisibles : « *Tout. Eau bénite.* » Ensuite*,* avant : « *Nous n'étions pas tant* » on a omis les mots : « *Une vingtaine.* »
116:103
Il serait fastidieux de détailler ici davantage. Comme il n'y a pas d'erreurs minimes en matière de transcription, celles-ci suffisent pour rendre le lecteur sceptique et lui faire penser que l'*Histoire Authentique* n'a pas été rédigée avec le soin et la rectitude dont elle se réclame. Chacun ne peut, avant d'accorder sa confiance, tout confronter avec les originaux.
Juin-juillet 1870. Lettre fictive, et non envoyée, de Mgr Laurence à Henri Lasserre. La critique interne de ce texte, entièrement élaboré par le P. Sempé, prouve qu'il a été fait bien après la mort du prélat et *au plus tôt* pour le dossier envoyé à Mgr Forcade, évêque de Nevers, chargé de conjurer les suites du recours au Saint-Office contre les légendes de la *Petite Histoire* et contre le mercantilisme :
En entreprenant ce travail le rédacteur \[de la *Petite Histoire*\] ... ne voulait qu'indiquer les évènements étrangers aux apparitions... Une partie de ces détails d'ailleurs pouvait être parfaitement ignorée d'elle (= Bernadette) ... n'ayant pu voir des faits extérieurs que d'autres avaient vus. Cela explique son ignorance parfaite de certains faits qui se passèrent le jour de la deuxième apparition et qu'elle n'a pu remarquer absorbée qu'elle était dans l'extase ; faits qu'ont vus de nombreux témoins... circonstances très peu importantes des premières apparitions... Si la nouveauté de quelques détails surprirent (*sic*) d'abord quelques \[uns\] et déplurent aux quelques esprits prévenus et pas assez désintéressés, d'autres mieux instruits et plus droits en furent très satisfaits.
12 octobre 1871. Lettre de Mgr de Ségur à Mgr Pichenot, évêque de Tarbes. Mgr de Ségur avait enquêté à Lourdes en avril 1870 en vue de son ouvrage *Les Merveilles de Lourdes :*
Sauf la scène du moulin (que j'ai précisément omise dans mon petit travail) la fameuse *Protestation* de Bernadette ne mentionne que trois ou quatre petits faits insignifiants.
Le P. Sempé avait réussi, on le voit, à convaincre Mgr de Ségur de l'insignifiance de la *Protestation*, mais non de l'exactitude de la scène du moulin. Aussi, chargé par l'évêque de Tarbes de corriger les *Merveilles de Lourdes*, *il* n'osa pas y faire insérer cet épisode dont l'authenticité était repoussée de toutes parts.
117:103
2 janvier 1872. Lettre du P. Sempé à Mgr Pichenot :
La manière dont se termina la deuxième *apparition,* lorsque Bernadette fut entraînée au moulin *par ses compagnes* et continua à voir la Sainte Vierge, fut racontée \[dans la *Petite Histoire*\] avec la même naïveté peut-être un peu trop crue. Ce fait seul a fait à quelques esprits une impression un peu pénible ; en réalité il n'en est pas de mieux prouvé. Le scandale produit par ce récit est une des inventions de M. Lasserre.
1872\. Nouvelle édition de la Notice Duboé parue en novembre 1869. Les Chapelains n'osent toujours pas y publier la scène du moulin.
15 décembre 1872. Lettre du P. Sempé à Mgr Pichenot. Cette lettre fut imprimée en janvier 1873 et répandue sous forme de Mémoire Confidentiel. L'abbé Laurentin en a cité, dans le dossier des textes, les passages hostiles à la Protestation, mais il a omis de révéler au lecteur les allusions à l'étonnement et à l'indignation des Lourdais devant la fin légendaire de la seconde apparition.
\*\*\*
Il faut se limiter dans l'examen de ce dossier, bien qu'il reste beaucoup à dire. Ainsi plusieurs auteurs, comme le Père Marie-Antoine, le docteur Dozons, G. de Lagrèze, ont été cités au dossier des textes sur la première apparition ; mais ils ne le sont pas dans celui du 14 février. Leur opposition silencieuse n'est pas mentionnée, non plus que celle de beaucoup d'autres, depuis le P. Bouix jusqu'aux historiens plus récents comme le chanoine Courtin, peu suspect de s'être laissé intimider par Lasserre en 1947.
118:103
#### III. Anomalies et omissions dans l'étude critique de la scène du moulin de Savy
L'abbé Laurentin n'a pas été assez attentif à une double hiérarchie des témoignages qui pourtant s'imposait : leur interdépendance possible, probable ou certaine, et l'éloignement des faits relatés.
Dans une petite ville comme était Lourdes et dans le cercle assez restreint des principaux témoins, tout le monde se connaissait, se fréquentait, causait très souvent des événements de 1858 et lisait ce qu'on en écrivait. De sorte qu'en 1878, lors des enquêtes du P. Cros, au lieu de témoignages distincts, il n'y avait plus, depuis longtemps, que les échos individuels des versions élaborées en commun par l'amalgame et la maturation de souvenirs et de redites que le temps ne cessait de déformer au point de les rendre méconnaissables :
Cependant l'*Histoire Authentique* a mis toutes les dépositions sur le même plan, quelles qu'en soient les dates ou les auteurs, pour choisir ensuite au gré de préférences ou d'hostilités manifestes.
Sur le point précis qui nous occupe ici, une saine critique aurait dû considérer que si vraiment plus de vingt témoins avaient vécu un transport de Bernadette jusqu'au moulin de Savy, s'ils avaient assisté à un si exceptionnel prolongement de l'extase loin de la Grotte, les échos contemporains en seraient nombreux et très marqués. Le chef d'escadron Renault aurait prescrit une surveillance non seulement à la Grotte, mais aux alentours. Les médecins auraient noté dans leur rapport que, pendant ses moments d'exaltation, la voyante pouvait emporter ailleurs qu'à Massabielle l'objet de son illusion. Et surtout le commissaire de police Jacomet se serait alarmé de cette intrusion sur la voie publique ; il n'aurait pas manqué d'en faire grand état et d'en tirer argument. Puis, d'année en année, les témoignages auraient pris du flou, tout en restant unanimes.
Or c'est tout le contraire qui s'est produit. Parmi les contemporains et jusqu'en 1868, silence complet sur cette scène car, pour interpréter quelques mots de 1858 dans ce sens, il faut admettre l'hypothèse non confirmée de l'inconscience de Bernadette et surtout il faut être l'abbé Laurentin. Puis la *Petite Histoire* lança son fameux récit avec un luxe de détails qui suffoque tous les témoins. Enfin nouveau silence, qui durerait encore si le P. Sempé, toujours acharné à justifier ses incartades, n'avait suscité en 1878 la « *véritable description clinique* » d'Antoine Nicolau et quelques vagues échos des Annales recueillis par le P. Cros vingt ans et plus après les apparitions.
119:103
Jeanne Abadie et Toinette Soubirous (13 et 11 ans en 1858) ne sont devenues prolixes et précises qu'avec le recul du temps et grâce à tout ce qu'elles ont entendu dire. Cependant ni l'une ni l'autre n'ont parlé du moulin et du meunier. C'est tellement frappant que le P. Cros y a obvié en falsifiant leurs dépositions. Fidèle aux consignes qu'il a reçues, il a ajouté aux deux textes le précieux mots « *moulin* » qui ne figure pas dans les déclarations. Voici les deux phrases avec les adjonctions en italique ([^26])
Toinette. « Nous trouvâmes Bernadette *au moulin* sur un lit ».
Jeanne : « ...dans cet état. *Quelque temps après, étant au moulin,* je vis venir Louise ».
Seraient-ce là les « *méthodes reçues en histoire* » que l'abbé Laurentin nous reproche de mépriser ?
Dans tout cela l'auteur de l'*Histoire Authentique* n'a rien vu de suspect. Il n'a pas expliqué non plus le silence des *nombreux témoins, plus de vingt,* selon le P. Sempé, capables de *justifier facilement* la scène du moulin. Il était important d'étudier de près cet élément d'information pour savoir si le Supérieur, toujours muet sur ses sources, était en droit d'en menacer tout le monde : les Lourdais, Lasserre, l'Évêque de Tarbes et Bernadette elle-même pour la contraindre à ne pas « *nier ce que disent ces témoins* »*.* La voyante a formellement démenti la scène, malgré cette parade d'une « *masse de témoins* » attestée par *un prêtre* le 16 novembre 1869, à Nevers. Il fallait donc que ses souvenirs soient bien nets sur ce point : elle n'avait pas d'autre moyen pour être sûre que cette *masse* ne témoignerait jamais le contraire. L'*Histoire Authentique* s'est bien gardée de faire cette constatation ; elle a tourné la difficulté de façon arbitraire et peu scientifique en affirmant que le P. Sempé a agi « *loyalement* »*.*
\*\*\*
120:103
L'abbé Laurentin dit qu'il a fondé l'authenticité de la scène du moulin sur 19 références de témoins oculaires. C'est faux. Ce chiffre de 19 est obtenu à l'aide de doubles emplois et surtout grâce à un manque de rigueur qui disqualifie son auteur. Les six plus anciens suffisent à le prouver :
1\. -- CLARENS (1858 ?) N'était pas à la 2^e^ apparition. A écrit quelques jours après avoir entendu Bernadette en patois. A mêlé des ragots « *sans valeur* » ([^27]). Copie douteuse.
2\. -- Sr AUGUSTINE. N'était pas à la 2^e^ apparition. Lettre confuse écrite de Bagnères.
3\. -- SEMPÉ. N'était pas à la 2^e^ apparition. Résume des lettres qu'un de ses élèves reçoit de sa sœur. Celle-ci, âgée de 17 ans, n'était pas à la 2^e^ apparition. Elle relate des redites de provenance inconnue.
4. -- SEMPÉ. 1868. Récit de la *Petite Histoire* dans les Annales.
5\. -- CLARENS. 1869. Copie textuelle de Sempé dans les Annales.
6\. -- Madeleine HILLIO. N'était pas à la 2^e^ apparition. Raconte des souvenirs (?) de sa fille morte depuis 15 ans.
Inutile de pousser plus loin un contrôle qui est, jusqu'au bout, aussi décevant. L'abbé Laurentin lui-même envisage en note que les trois premiers peuvent avoir l'autorité de Bernadette, ou bien provenir d'une *autre source* inconnue ; mais cela ne paraît pas en modifier la valeur à ses yeux ([^28]).
\*\*\*
Dans le peu de témoins qui restent une bonne critique doit en récuser deux, qui se contredisent aussi nettement que les accusateurs de la chaste Suzanne ([^29]). Ce sont Cyprine Gesta et Toinette. Racontant leur arrivée ensemble au moulin, l'une dit que Bernadette était « *assise à quelque distance du feu* », l'autre déclare qu'au même moment elle l'a trouvée « *sur le lit* ». L'abbé Laurentin ne s'est pas troublé pour si peu.
121:103
Au lieu de refuser d'homologuer des témoignages contradictoires, il a écrit : « *Toinette émue doit confondre.* » Puis pour accepter le tout dans son récit, il a juxtaposé les deux affirmations en faisant passer la Voyante de la chaise sur le lit, puis du lit sur une chaise près du feu.
##### *Témoignage d'Antoine Nicolau.*
En réalité il n'y a qu'un UNIQUE TÉMOIN (oculaire d'après lui seul) qui affirme l'inconscience de Bernadette et son transport au moulin : c'est l'ancien meunier de Savy, Nicolau.
Pour l'abbé Laurentin, ce personnage n'a posé aucun problème ; il a servi au contraire à les résoudre tous. Pourtant on pouvait se demander comment ce sauveur de la scène du moulin n'a surgi qu'après vingt ans de silence total, alors qu'il était devenu, comme le mari de Toinette et bien d'autres, employé du P. Sempé, et quand il était locataire et en complète dépendance des chapelains. N'est-il pas étrange que son rôle prépondérant dans l'épisode contesté n'ait jamais été signalé que par lui seul ? N'est-il pas providentiel qu'une fille, Pauline Bourdeu, ait, en le nommant, sapé ce témoignage à la base ? Elle a déposé en 1878 :
D'avance nous avions peur. AUSSITÔT que nous sommes entrées là dedans (= la Grotte), elle (= Bernadette) nous dit :
-- La Dame est là, elle nous regarde ; elle rit. TOUT DE SUITE je remontai le petit sentier et m'en allai toute effrayée. Je trouvai le meunier Ant. Nicolau qui allait vers la Grotte.
Or le meunier affirme n'être allé vers la Grotte que bien plus tard, après tous les faits relatés par la *Petite Histoire* et détaillés encore plus par lui : apparition décrite par Bernadette, aspersion d'eau bénite, récitation de presque tout le chapelet, chute de pierres ; affolement des enfants qui, incapables de remuer la voyante, seraient remontées jusqu'aux abords du moulin ; rencontre de la mère Nicolau qui serait descendue à la Grotte, puis remontée quérir son fils.
122:103
De son côté la compagne de Bernadette paraît digne de foi ; sa frayeur a bien dû lui faire quitter la Grotte *tout de suite* car, à 35 ans, elle n'évoque aucun des autres faits dont, à 14 ans et demi, elle aurait certainement enregistré quelque chose.
Alors ou bien Pauline Bourdeu n'a pas croisé Nicolau qui dit être descendu après tous ces évènements, c'est-à-dire *au moins* une demi-heure plus tard, ou bien elle l'a réellement croisé et son témoignage supprime, dans celui du meunier, le temps nécessaire à l'accomplissement des mêmes évènements. Ce serait la suppression ici de la part provenant de la *collaboration très active du P. Sempé à l'enquête Cros* ([^30])*.* Dans ce cas le meunier n'aurait été qu'un écho du récit de la *Petite Histoire,* mais nullement un témoin original, *riche et sûr *; il aurait subi les mêmes influences qu'Estrade qui, d'après l'abbé Laurentin,
s'autorise à raconter en témoin même les faits dont il n'a gardé aucun souvenir : dès lors qu'il les tient pour véridiques et présume s'être trouvé là.
Au fur et à mesure des années l'approbation de souvenirs étrangers va croissant... Gardons-nous de confondre le fait d'être témoin et celui de parler en témoin. ([^31])
Cependant la déposition de Nicolau a servi de clé à l'abbé Laurentin pour interpréter TOUS les autres documents, à commencer par les propos tout à fait vagues de 1858. Il a tout étoffé au moyen des abondants délavages du meunier. En fonction de cette « *base* » présentée chaque fois comme absolue il a annoté l'interrogatoire de Jacomet ([^32]), le Mémoire Clarens ([^33]), la lettre de sœur Augustine ([^34]), le rapport des médecins ([^35]), etc. Il en a fait un crible pour découvrir des allusions obscures confirmant la scène du moulin, et pour récuser le témoignage de la voyante.
C'est encore sous le couvert de cette unique attestation que, dans sa troisième lettre, il voudrait qu'on examine l'ensemble des dires de Bernadette « *sans parti pris, et compte tenu que* \[*elle*\] *était en extase tandis qu'on la transportait de la Grotte au moulin* »*.* Nous allons voir ci-après que l'extase en question, nullement démontrée par Nicolau, est nettement démentie par Bernadette.
123:103
*L'Histoire Authentique* fait exactement ce qu'elle réprouve en ces termes :
Il faut dénoncer ici plus radicalement l'illusion du témoin absolu. Jamais un témoin ne représente toute la vérité et jamais (à moins d'une sorte de miracle) il ne présente une vérité sans mélange. Or, concrètement, les meilleurs historiens de Lourdes ont raisonné le plus souvent de la manière suivante : « Quel est le bon témoin ? Celui qui fait autorité ? » Et une fois choisi ce magistère, ils lui font confiance sur les points controversés... Ce crédit démesuré est ordinairement lié à un complexe sentimental : une amitié avec ce qu'elle comporte souvent d'aveuglement ; une option avec la partialité qu'elle entraîne. ([^36])
L'abbé Laurentin n'a pas dit pourquoi, en 1868, le P. Sempé a laissé dans l'ombre l'action et même le nom de Nicolau ; pourquoi on l'a érigé, dix ans après, en témoin hors de pair capable d'arrêter toutes les discussions. Il a caché au lecteur qu'à l'origine l'argument du Supérieur était que les faits contestés, y compris la scène du moulin, paraissaient « *sans importance* », alors que, le 12 décembre 1878, il faisait pression sur sœur Marie-Bernard en lui disant : « *Les témoins les plus graves attestent ces faits.* » Enfin il a passé sous silence les protestations des Lourdais contre cette fable, les contrôles de Lasserre et son désir d'une commission d'enquête refusée aussitôt par le P. Sempé, etc. ([^37]).
##### *Témoignage de Bernadette.*
Au fond l'*Histoire Authentique* ne contient aucune analyse critique de la scène du moulin. L'auteur s'est attaché uniquement à limiter la portée -- voire à détourner le sens -- des dénégations de la Voyante là-dessus. Il a voulu démontrer que « *les témoignages de Bernadette ne sont pas aussi nets que le laisserait croire une lecture superficielle* ». Mais il n'y est guère parvenu, car des lecteurs continuent à nous communiquer d'excellentes études réfutant cette prétention insoutenable.
124:103
En effet, comment imaginer que la scène du moulin et le prolongement de l'extase auraient pu se produire sans que Bernadette en ait été informée aussitôt après ? Elle en aurait connu bien vite tous les détails par ses petites compagnes, trop heureuses de lui montrer que, pour une fois, elles en savaient, sur une vision, plus long que la Voyante elle-même ! Alors ses « *réactions négatives* » démontrent que la scène n'a pas eu lieu ? Pas du tout : plutôt que d'admettre une explication ruineuse pour la *Petite Histoire* l'abbé Laurentin pense que la raison suivante l'a incitée à nier :
Il est toujours irritant de découvrir par d'autres des gestes dont on n'a pas eu soi-même conscience. Bernadette, novice en matière de phénomènes mystiques, dépourvue de toute culture humaine et psychologique, ne pouvait qu'être déconcertée par une expérience aussi déroutante que celle du 14 février, un peu comme les gens simples s'étonnent de propos qu'on les a entendus tenir durant leur sommeil.
D'après cette trouvaille, *Bernadette aurait donc préféré mentir* pour ne pas avouer son inconscience. Foin d'aucune grâce d'état capable d'éclairer la Confidente de l'Immaculée sur son aventure ! Il lui aurait fallu une bonne *culture humaine*, probablement un doctorat ès lettres et un poste de professeur de Faculté ! ...
On croit rêver devant une telle incompréhension de la modestie et de l'effacement qui ont caractérisé la petite Voyante de Massabielle. C'est bien mal connaître l'humble sœur Marie-Bernard toujours prête à convenir de ses manquements les plus involontaires. La constante *agressivité à l'égard de la scène du moulin* n'a certainement pas eu pour mobile une irritation mesquine. Sainte Bernadette aurait parlé de son inconscience aussi simplement qu'elle a répondu si souvent : « *Je ne sais pas. Je n'ai aucun souvenir* » ([^38]).
125:103
Elle s'est au contraire défendue énergiquement d'avoir été inconsciente. Si elle, qui « *ne s'engage pas sur ce qu'elle ignore* » ([^39]), a déclaré toute la scène du moulin imaginaire, c'était pour manifester sa réprobation contre la légende où elle voyait la griffe du démon. Elle nous a ainsi dicté le devoir de dénoncer, en attendant de les démontrer mieux encore, l'inexactitude de l'inconscience et du transport au moulin.
##### *A critique erronée : récit fantaisiste.*
Décrire et vanter la « *méthode étiologique* » ne suffisait pas. Il fallait l'appliquer pour que la « *synthèse en forme de récit concret* » ne soit pas aussi décevante. L'examen du récit révèle vite que, trop souvent, les préoccupations rédactionnelles l'ont emporté sur l'acribie de l'historien. Car l'auteur paraît vouloir tenir la gageure de tout utiliser, sans se soucier pratiquement des écueils. Comme il le dit du P. Gros ([^40]) il « a commencé son enquête avec des orientations (qui n'en n'a pas) » mais certainement aussi avec des idées préconçues. D'où ses recours aux *méthodes faciles* qu'il a pourtant répudiées. Il a *choisi le témoignage de Nicolau *; il l'a *érigé en norme,* et même en *témoignage de base* auquel il a *harmonisé les autres.* Il a *composé entre eux les témoignages comme des fragments de la vérité.* Il a *pris une moyenne là où ils divergeaient* ([^41])*.*
Selon son propre avertissement ces procédés conduisent *à* des *solutions homogènes, mais fragiles*, à des résultats *confus, incohérents* et *illusoires,* car « *la vérité ne s'obtient pas par un mélange d'erreurs et d'approximations* »*.*
Son récit est *authentique* en ce sens qu'il utilise des témoignages de gens qui furent mêlés aux évènements. Mais il n'est pas *véridique*, puisque le choix de ces témoignages et la valeur à leur accorder n'ont pas toujours été déterminés de manière impartiale et objective. Il ne se sent pas lui-même en sécurité car il lui arrive de dire en note qu'il s'est référé à un *témoignage pas très bien informé ou qui force un peu la note,* à une *version erronée,* à un dire *tardif et fragile, assez vague, avec marge d'incertitude* ([^42])*.*
126:103
Avertissements prudents, certes. Mais il eût été préférable d'éliminer les sources incertaines. Le récit eût été moins piquant, mais plus vrai.
\*\*\*
Ne pas tenir compte de certains éléments historiques sous le prétexte qu'ils ont été des « querelles », c'est falsifier les données de l'histoire. Les « querelles » elles aussi ont eu leur existence et leurs conséquences. Les différences d'attitude et de mentalité du curé Peyramale et des Chapelains de la Grotte, l'hostilité tenace et quelquefois violente de leur Supérieur contre Henri Lasserre, sont des données historiques : et parce que *leurs conséquences ont été durables* ([^43])*,* elles intéressent l'histoire véridique de Bernadette et des Apparitions.
#### IV. Étranges moyens qui nous sont opposés pour sortir du domaine historique
Concernant l'histoire de Lourdes, nous avons donc publié trois lettres successives de l'abbé Laurentin à la Direction d'Itinéraires : les deux précédentes ont paru dans le numéro 98 et dans le numéro 101.
Nous prenons acte du fait que ces lettres, au lieu de répondre à nos arguments, ont multiplié contre nous les insinuations, les attaques, les diversions d'ordre personnel.
Nous avons jusqu'ici négligé ces manœuvres et nous nous sommes tenus strictement à ce qui est du domaine de l'histoire.
L'insistance de l'abbé Laurentin à nous opposer des moyens qui n'ont rien à voir avec la critique historique nous conduit à faire, pour la première et la dernière fois, une mise au point à ce sujet. C'est, quant à nous, une mise au point définitive, nous n'y reviendrons pas. Elle a un triple objet :
127:103
**1. -- **L'abbé Laurentin, dans sa lettre ci-dessus, nous dénie le « *minimum d'objectivité et de compétence historique qui permettrait une discussion* ». Dans tous les documents que nous avons cités, analysés ou révélés, il feint de ne voir qu' « exercices polémiques ». Sa lettre précédente, parue dans le numéro 101 d'*Itinéraires*, prétendait que notre travail « *ne conteste aucun point précis* » de ce qu'il estime avoir « *établi* » et assurait que nos « *pages* » ne l' « *intéressent en aucune manière* ». Il déclarait son intention de ne pas « *perdre son temps à ces pauvres petites histoires* ». Il exprimait son « *regret d'avoir perdu* \[son\] *temps à lire* » nos « *pages vaines, ennuyeuses et inspirées par la passion* ». Il proclamait : « *Il m'est tout à fait inutile d'engager le débat* ».
Puisque l'abbé Laurentin a choisi de refuser toute discussion et tout débat, ses prétendues lettres de réponse ne relèvent pas du droit de réponse. Et nous ne disons rien des termes volontairement méprisants qu'il emploie à notre endroit : il peut employer de tels termes, s'il le désire, pour nous attaquer dans l'une ou l'autre des nombreuses publications dont il est le collaborateur régulier ; il n'a aucun droit d'en demander l'insertion dans *Itinéraires*.
En accord avec la Direction d'*Itinéraires*, nous avons à plusieurs reprises donné l'avis que la revue est ouverte à toutes communications qui voudraient apporter des précisions ou des objections à nos travaux ; mais nous avons aussi à cause de la teneur inacceptable des lettres de l'abbé Laurentin donné l'avertissement que ces communications veuillent bien s'en tenir aux faits, aux documents, à la critique historique, sans y substituer des questions de personnes, des considérations purement sentimentales ou rhétoriques, des affirmations gratuites.
En conséquence, et toujours en accord avec la Direction d'*Itinéraires*, nous ne tiendrons plus compte de lettres où l'abbé Laurentin se contente, quant au fond, de refuser explicitement toute « discussion » et tout « débat ». Nous ne publierons plus de telles lettres, que nous avons publiées jusqu'ici par pure condescendance, car elles ne sont « conformes ni à l'usage ordinaire du droit de répondre, ni à la loi qui réglemente cet usage » ([^44]).
128:103
**2. -- **L'abbé Laurentin va jusqu'à nous accuser d'avoir envoyé des lettres déclarant « qu'il est dans un grand embarras » (etc.). Nous n'avons eu aucun besoin de faire contre lui les campagnes occultes dont il nous accuse gratuitement ; nous n'avons eu aucun besoin de répéter dans des libelles imaginaires ce que nous publions ici en toute netteté et en toute clarté.
L'abbé Laurentin, au demeurant, déclare et répète qu'il nous refuse tout « débat » et toute « discussion » : c'est-à-dire qu'il ne veut rien *publier* en réponse à nos *publications.* Alors pourquoi va-t-il maintenant écrire des *lettres ouvertes* contre les *lettres privées* qu'il nous attribue ? Cela n'a ni logique ni bon sens. Nous ne nous laisserons pas entraîner dans des diversions qui se situent à un tel niveau.
**3. -- **Plutôt que de réfuter nos observations critiques, l'abbé Laurentin voudrait les soumettre au huis-clos d'un jury d'historiens « *constitué au choix de l'évêque de Lourdes* »*.*
Accepter une telle proposition serait de notre part aussi indélicat qu'il l'a été, de la part de l'abbé Laurentin, d'oser la formuler.
La tâche serait manifestement embarrassante et impossible pour un jury désigné par Mgr Théas qui a cautionné en confiance les travaux de l'auteur de l'*Histoire authentique.* Donner tort au prélat serait déplaisant ; nous donner tort devant un public ayant connaissance des anomalies et omissions que nous avons relevées dans cette *Histoire authentique* serait encourir le soupçon de partialité.
Nous avons pris tout bonnement comme juges ceux qui veulent bien nous lire avec soin. Aux lecteurs attentifs « discerner non pas la vérité de l'abbé Laurentin où celle d'Henri Massault, mais la divine vérité dans l'œuvre essentiellement divine de Lourdes.
129:103
Ils constateront aisément que l'*Histoire Authentique* parle à tort de « *quatre récits primitifs de Bernadette* » puisque l'attribution à la Voyante est injustifiée et que, dans deux cas, il s'agit de rumeurs vagues, d'origine inconnue et enregistrées loin de Lourdes. Ils verront qu'elle appelle à tort « *témoignages oculaires* » des propos émanant de personnes qui n'ont pas assisté aux évènements ou des redites ne présentant pas la moindre garantie d'authenticité. Ils découvriront que l'abbé Laurentin non seulement omet de citer des documents gênants, mais en tronque d'autres et rejette le témoignage de Bernadette sous les prétextes les plus fallacieux.
Point n'est besoin d'être grand clerc pour s'apercevoir que sur 85 textes présentés à l'appui de la seconde apparition, dans l'*Histoire Authentique,* deux seulement sont un récit de la scène du moulin et ils sont tardifs et en connivence certaine : le P. Sempé en 1868 et son serviteur Nicolau en 1878. Comme textes autographes de témoins directs de l'apparition du 14 février, on ne possède que des écrits de Bernadette TOUS omettent un transfert au moulin et TOUS prouvent que la Voyante n'a jamais entendu parler d'un prolongement de l'extase hors de sa « chère Grotte ». On n'a sur l'inconscience de Bernadette que des bruits confus, de sources inconnues et d'authenticité douteuse.
Un vaste public a déjà compris qu'il fallait profiter, ici encore, de l'expérience de l'histoire et du passé, sans taire les questions de personnes que firent autrefois les fauteurs de querelles plus soucieux d'avoir raison, même contre Bernadette, que d'être dans le vrai et d'y rester obscurément.
Dans ce but nous continuerons à respecter la conclusion du chapitre 3 de l'*Histoire Authentique* sur le témoignage de Bernadette ([^45]) : « Bernadette est, de loin, le plus sûr des témoins auquel nous ayons affaire. »
Henri Lasserre, qui l'avait longuement et plusieurs fois consultée, a renoncé, comme bien d'autres, à cette occasion d'écrire un « *morceau de bravoure* »*.* Souhaitons que l'auteur de l'*Histoire Authentique* se souvienne lui aussi que « *la vérité vit d'holocaustes* » ([^46]).
Henri MASSAULT.
130:103
### Lettres à Joseph Lotte (II)
par Théodore QUONIAM
#### Sympathie réticente
St-Malo, 30 mai 1912,
Cher Monsieur Lotte,
Votre réponse au Caporal pacifiste vous a valu l'adhésion d'un instituteur parisien : permettez-moi de vous dire qu'elle m'a fait différer la mienne malgré les efforts de mon ami Bonvalet, votre compatriote et ancien condisciple... Eh oui ! votre adversaire avait raison. Sa théologie est celle de l'Écriture et des Pères... sinon celle de la Libre Parole et de l'Autorité. Vous prétendez accaparer Dieu, le rendre attentif à vos questions d'amour-propre national, l'intéresser à vos conquêtes ; vous lui insinuez que votre succès lui vaudra un surcroît de félicité. De telles illusions peuvent être fécondes, mais ce sont des illusions, dignes d'un Josué, d'un David ou d'un Mahomet. Vous vous attardez à dire : « Gesta Dei per Francos ». Hélas ! Je voudrais l'apercevoir davantage. « Gott mit uns ! » vous réplique l'allemand... Et je tremble qu'il n'ait raison pour un temps contre vous.
Non, Dieu ne connaît pas les races et ne voit pas vos frontières. Il déteste l'ambition, l'orgueil, l'esprit dominateur ; il considère avec tendresse les opprimés, les vaincus, les doux, ceux qui répugnent à verser le sang et attendent obstinément la fin du règne du mal. En conséquence, le chrétien véritable ne saurait prendre au sérieux la question du Maroc ou celle d'Alsace Lorraine. Rien ne compte à ses yeux que le salut des âmes... La puissance des voisins ne lui porte pas ombrage, car il sait que toute gloire est poussière, que Dieu lui demandera dans son jugement « Qu'as-tu fait pour sauver tes frères » et non : « Qu'as-tu imaginé pour les détruire ? »
131:103
Je suis donc résolument votre adversaire quand vous reniez la solidarité de la France et j'ose vous dire : cela n'est pas chrétien.
Mais je suis avec vous quand vous proclamez la nécessité sociale de la religion : sans Dieu, ou, tout au moins, sans l'idée de Dieu, il n'y a ni droit ni moralité possibles, c'est le conflit sans issue de la force, des instincts, des appétits, c'est la rétrogradation certaine vers un état inférieur à celui des bêtes, car chez les bêtes les plus sauvages, les instincts et les appétits s'exercent, après tout, dans les limites d'une juste nécessité.
Sans méconnaître ces principes, la génération d'avant nous fit la guerre à la religion, sous prétexte de la sauver des barbares. Elle crut voir l'aurore de la révélation scientifique ; rendons lui cependant cette justice qu'elle fit pénitence ! Vous avez écouté la plainte mélancolique de Renan devenu vieux : « L'Humanité a vécu jadis d'une ombre ; nous vivons encore de l'ombre de cette ombre ; de quoi vivra-t-on après nous ? ». Et s'il avait vécu davantage, s'il avait été le témoin du désarroi toujours croissant de nos sociétés sans idéal et sans foi, peut-être aurait-il souri avec sympathie à la restauration catholique dont vous êtes l'un des bons ouvriers en dépit de vos hérésies.
Cette restauration si désirable est-elle possible ? Reverrons-nous comme au Moyen-Age, des masses croyantes de cœur et d'esprit et non pas seulement du bout des lèvres ? je crains fort que non. La foule ne sait rien par elle-même, ne sent rien, ne comprend, rien ; elle suit tout simplement ses chefs, dignes ou indignes. Or ses chefs autrefois avaient la foi absolue débordante, qui s'imposait à tous par l'apostolat de la parole et de l'exemple ; Dieu avait des lieutenants qualifiés pour parler en son nom, puisque visiblement, ils étaient des saints et prodiguaient les miracles en signe de leur mission divine.
Nous n'avons pas de saints. Malgré l'unité dogmatique apparente chacun de nous, conscient ou non est dix fois hérétique, sociniens, manichéens, ariens, montanistes pullulent autour de nous : l'autorité religieuse se tait, car ils sont trop ; une pratique extérieure lui suffit. Je connais un très digne prêtre, familier de la maison, que ne croit pas à l'enfer éternel : il s'appuie non sur la raison, comme M. Homais ni sur la célèbre argumentation bouddhiste, mais sur la croyance universelle de l'Église au 3^e^ siècle ; il vous cite imperturbablement à cet égard les témoignages de St Grégoire de Nysse et de St Jérôme. Mon beau-frère tient pour caduques les décisions du Concile du Vatican qui, dit-il, ne sauraient infirmer celles contradictoires, du Concile de Constance ; mon oncle, d'après St Paul, (voir Épître aux hébreux) ne croit pas au sacrement de pénitence...
132:103
Quant à moi... Mais non, je vous épargnerai l'étalage de tout mon scandale. Laissez-moi tout simplement vous confier que je nie le libre-arbitre. En ceci, du reste, je pourrais avoir raison contre l'opinion officielle qui prévaut aujourd'hui. Quand St Paul, déjà cité, écrit textuellement : « Dieu sauve qui lui plaît et endurcit qui il veut » il fait bon marché de la pauvre liberté humaine. J'en prends mon parti sans récriminer : si l'Éternel, même malgré moi, veut bien assumer le souci de mon bonheur, je lui abandonne tout le reste. Être libre ! la belle satisfaction en vérité, débiles enfants que nous sommes, si exposés à utiliser pour le mal les dons les plus précieux. Dites-moi donc en quoi purent exercer leur liberté Abraham suivant les promesses du Seigneur Très Haut, Moïse qui le contemple dans sa gloire, Jean qui fut honoré de la prédilection du Fils ? La religieuse qui mène dans son cloître sa vie immaculée accomplit-elle nécessairement des actes de volonté héroïque ? Non évidemment. Aussi ne disons pas : Dieu nous a voilé ses mystères pour nous donner l'occasion de les rechercher avec notre volonté méritoire. Pourquoi cette épreuve à quelques-uns et non pas à tous ? Du reste ni nos affections ni nos raisonnements ne sont libres au sens absolu du mot, car la liberté serait l'absurdité.
Votre correspondant estime les propositions religieuses aussi inadmissibles que l'équation 2 + 2 = 5. Le beau triomphe que le jour où il se convertirait pour le seul plaisir d'affirmer son indépendance ! Si le dogme du péché originel lui apparaît comme l'antithèse de la bienveillance et du droit, désespérez de sa conversion. A moins toutefois qu'il n'aille à Lourdes et ne se trouve tout à coup changé par la vue d'un miracle ; à moins qu'aux approches de la mort, affranchi des influences qui déterminaient son incrédulité incapable désormais de raisonner ou de haïr, cédant au charme de ses plus anciens souvenirs et aux sollicitations des siens, il ne retourne humble et désarmé, au Dieu qui réjouissait sa jeunesse... Mais en tout ceci je ne vois guère le jeu de son libre-arbitre.
Je m'excuse de vous fatiguer avec mes discours et mon écriture illisible. Je me félicite seulement d'avoir réservé la place nécessaire pour vous dire, combien, tout en vous discutant, j'admire votre zèle, votre entrain et votre courage. Puisse votre œuvre être féconde et votre exemple contagieux : je redoute moins le bûcher des inquisiteurs que la bombe des anarchistes ou la guillotine des Jacobins.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus distingués et tout dévoués.
B. DESMELON,\
5, rue d'Orléans, St-Malo
133:103
Une lettre si explicite montre bien combien faibles sont les objections lorsqu'elles entrent en contact avec une personnalité vraiment apostolique. Elles fondent à la chaleur qui émane d'un cœur ami. On sent à cette lecture une volonté désespérée de maintenir un doute déjà ébranlé et de ne pas accepter de s'avouer vaincu. Mais la sympathie est à l'œuvre et dissipera les nuages qui masquent la vérité. Il est encore dans l'Énigme ; puisse-t-il parvenir bientôt au Mystère.
#### Un sympathisant sourcilleux
Roubaix, 52, rue Colbert, le 7 juin 1914,
Cher Monsieur Lotte,
Permettez-vous à un « abonné possible » une simple remarque ?
« Notre groupe, déclarez-vous dans le premier n° du Bulletin, restera nettement étranger à toute préoccupation d'intérêt corporatif ou politique. » Si je vous comprends bien, vous déclarez que le Bulletin n'adoptera ni une attitude monarchiste, ni une attitude républicaine, mais purement et simplement une attitude catholique.
Or dans le commentaire, d'ailleurs très judicieux, du fameux discours de M. Viviani, par un de vos correspondants (n° 34) je relève cette phrase : « Je suis de plus en plus convaincu qu'il y a opposition radicale entre la République démocratique et l'Église. » Autrement dit, on ne peut pas être à la fois républicain démocrate et bon catholique ?
D'autre part, dans le n° 35, une *L.N.* recommande très chaudement le livre d'Aventino : *La Doctrine de Léon XIII contre le Libéralisme et la Démocratie,* et écrit en particulier ceci : « Les anti-libéraux, les monarchistes, les sociologues prudents ont, *plus que tous leurs adversaires*, le droit de se réclamer des enseignements de Léon XIII et de son œuvre doctrinale etc. »
Ne vous semble-t-il pas qu'il y ait dans l'attitude de ces deux collaborateurs de quoi compromettre le sens de votre propre déclaration et indisposer sérieusement certains de vos abonnés catholiques encore que républicains démocrates ?
Recevez, cher Monsieur Lotte, l'assurance de mes meilleurs sentiments.
134:103
#### Les inquiets
En la Fête de N.-D. de la Paix, 9 juillet 1913,
Monsieur,
Le 6 juillet tombait pendant la semaine préparatoire à la fête de N.-D. de la Paix si vénérée à Picpus. Bien que ne faisant pas partie de votre association, j'ai demandé au Prince de la Paix de faire cesser entre nous tout malentendu.
Depuis quelque temps, je reçois votre bulletin sans m'être abonnée. Cependant je dois vous avouer que, ravie de plusieurs numéros, j'ab été peinée à la lecture d'autres et notamment du dernier.
N'ayant pas certaines de vos idées, je vous prierai, si vous continuez à m'envoyer votre journal, de vouloir bien me l'adresser, non plus à l'école, mais à mon domicile, 46, rue de Paris, St-Germain-en-Laye.
Ce n'est ni « besoin d'abdication » ni « lâcheté « ni paresse » « ni bassesse » qui me fait agir ainsi, loin de moi de mettre mon drapeau dans ma poche : je n'emprunte pas celui des autres, voilà tout.
De très dépendantes fonctionnaires ont offert Dimanche la Ste Communion (qu'elles font toutes les semaines) à cette intention de pacification intérieure.
Avouez qu'elles ne sont pas tout à fait lâches.
Recevez, Monsieur, d'une Pacifiste catholique, l'expression de tous ses regrets au sujet des différences qui nous divisent, avec le désir ardent que nous ne devenions jamais pour nos frères éloignés une occasion de scandale. Que l'on puisse dire de nous, comme autrefois des premiers chrétiens « Voyez comme ils s'aiment » et qu'on ajoute aussitôt « Voyez aussi comme ils nous aiment ».
Mme M.-J. BARBIER-DUVAL
Un certain nombre de ces inquiets s'attachent moins aux idées qu'à la présentation matérielle du Bulletin. Ils s'en excusent, prétendant obéir à des impératifs de prudence. La lettre suivante montre l'attention que l'on porte à la bande d'envoi dont les dimensions doivent être suffisantes pour préserver l'anonymat.
135:103
Dole (Jura), 13 mars 1911,
Monsieur,
Je vous adresse avec mon adhésion au Bulletin des Professeurs catholiques de l'Université un mandat de 6 F.
Les observations que d'autres adhérents ont faites quant au format, à l'impression du Bulletin sont justes. J'ajouterai que la bande sous laquelle le Bulletin est adressé pourrait être plus large, laissant le titre moins apparent ; cela rassurerait ceux qui ne sont plus que vaguement catholiques, et donnerait à ceux qui ont le courage de leur opinion, mais qui ne peuvent faire connaître de quel esprit de vraie charité ce Bulletin émane, une certaine tranquillité relativement aux mauvaises interprétations que les malveillants ne manqueront pas de faire à mots couverts.
L'œuvre est bonne si elle reste désintéressée et pourra faire beaucoup de bien à ceux qu'attriste l'hostilité ambiante, et qui parfois ont la sensation d'étouffer dans leur milieu professionnel, loin de leur famille.
Je vais vous donner le nom d'abonnés possibles :
Mlles Barbarin et Cartier professeurs à l'École primaire supérieure de Chambéry, 7, rue du Colombier.
Mlle Chapuis, directrice de l'École primaire supérieure, Trévous (Ain).
Avez-vous reçu l'adhésion de M. Meynard, professeur de philosophie au collège de Clamecy ? et de son fils, M. Meynard au Lycée de Troyes ?
Avec mes souhaits de prospérité pour l'œuvre, agréez mes cordiales salutations.
Melle BOLU,\
Professeur de Lettres\
à l'école primaire supérieure\
Chambéry
#### Ceux qui refusent
Il y a bien des degrés dans le refus. Il y a le refus brutal par incompatibilité d'humeur sur le plan religieux ou, plus fréquemment, politique. Il y a aussi parfois refus d'adhésion par excès d'humilité.
Voici un échantillon de refus catégorique par défaut d'unanimité sur le plan du « nationalisme » : cette lettre est datée du 23 Mai 1914. Elle est l'expression d'une brisure.
136:103
La Rochelle, 23 mai 1914,
Mon Cher Collègue,
Décidément je ne puis pas rester plus longtemps votre abonné. Votre compte rendu du livre d'Aventino, comble la mesure. Vous êtes libre de faire une politique nationale et religieuse, d'Action Française, encore eussiez-vous pu nous en avertir plus tôt.
Nous sommes, je crois, un bon nombre d'universitaires catholiques trop convaincus que cette politique mène aux pires désastres, nationaux et religieux, pour rester avec vous.
Pour ma part, je regrette profondément que vous vous soyez engagé dans cette voie, et je forme le vœu de vous retrouver, plus tard, pour défendre avec vous de meilleures causes.
Louis BLAIZOT.
Une autre lettre émanant également d'un curé charentais rend de façon plus feutrée le même son de cloche. Elle est imperméable à la grâce maurrassienne qui n'était pas sans toucher quelque peu Lotte.
Hiersac, le 28 mai 1914,
... Laissez-moi vous dire cependant que les citations de Maurras et surtout de Psichari dans un de vos derniers numéros m'ont renversé. Les raisons pour lesquelles le premier rend hommage à l'Église me semblent, non pas étrangères, mais absolument opposées au christianisme. Et quant au livre du second « l'Appel des Armes », je l'avais jugé aussi anti-chrétien qu'il est possible de l'être. Je me trompais évidemment puisque, paraît-il, l'auteur est maintenant converti. Mais je comprends moins que jamais...
L. HAYS,\
curé-doyen d'Hiersac, (Charente)
137:103
Mais il y a aussi des refus inspirés par l'humilité. Ils émanent d'humbles enseignants primaires, avides de lumière, mais d'une lumière tamisée qui ne les éblouisse pas. Le Bulletin leur semble être un phare trop puissant pour le niveau de leurs connaissances. Ils ne se sentent pas à l'aise sur les « glaciers de l'intelligence ». Ils préfèrent un bulletin qui leur apporte de douces exhortations sans les contraindre à des cogitations trop tendues. Simplicité sans érudition, tel est leur vœu.
Voici, dans ce climat, une lettre caractéristique d'une directrice d'école maternelle. Elle est datée du 3 juin mais ne mentionne pas l'année. Il ressort du texte qu'elle est de 1914 :
Monsieur,
Votre appel me joint enfin à Angers où je suis depuis octobre 1913. J'ai l'intention de vous informer que je n'ai pas l'intention de me réabonner à votre Bulletin et cela pour 2 raisons :
1\) Ma nouvelle situation me crée de nombreuses et absorbantes préoccupations qui me laissent peu de loisirs pour la lecture ;
2\) Vous vous souviendrez peut-être qu'une de mes collègues primaires, Mlle Charpentier, vous sollicita autrefois pour que votre Bulletin fît accueil à quelques articles s'adressant exclusivement aux primaires. Son but était d'atteindre ceux-ci par ces articles et de les éclairer par les vôtres. Il nous manque l'érudition des « secondaires », et le temps nécessaire pour l'acquérir. Mademoiselle Charpentier espérait ainsi combler des lacunes qu'elle redoutait de rencontrer en marchant seule. Une amie me disait dernièrement qu'il vous fut impossible de lui donner une réponse affirmative. Dans ces conditions, forte de son courage, de sa vive intelligence et d'amitiés éclairées elle tenta de lancer un petit bulletin qui fût « nôtre ».
Le 2^e^ essai, paru dernièrement, nous permet un joyeux espoir ; il est simple, nutritif et chaud. Vous comprendrez, Monsieur, que mes sympathies aillent à ce modeste messager de nos pensées et de nos cœurs et vous me pardonnerez une séparation qui n'est ni un manque de confiance et d'intérêt, ni un oubli. Croyez que je forme pour votre Bulletin les meilleurs vœux de prospérité et de victoire et recevez l'expression de mes meilleurs sentiments.
M. MORIN,\
Directrice de maternelle publique,\
rue Condorcet, ANGERS (M.-et-L.).
138:103
On rencontre souvent un refus d'idées qui laisse pressentir une rupture. Telle cette lettre datée de Marcigny le 23 janvier 1914 et qui s'insurge contre les tendances nationalistes et maurrassiennes du Bulletin dans lequel le correspondant voit un organe du patriotisme chauvin.
Cher Monsieur,
Je ne puis continuer l'abonnement au Bulletin, pour deux raisons : la première est la modicité de mes ressources et le prix de l'abonnement qui est bien considérable vu la fréquence de la publication. La seconde est la recommandation, qu'un de vos correspondants a faite et que vous avez insérée, du livre de l'athée Maurras : « La politique religieuse. »
Chacun ses goûts évidemment, mais je n'en ai aucun pour l'athéisme et l'hypocrisie d'un homme qui veut se servir de l'Église pour des fins qui n'ont rien de spécifiquement catholique.
Malgré cela, si je ne puis vous apporter le secours de mon argent je vous accorderai bien généreusement le secours de mes prières, à la Sainte Messe, afin que vous fassiez le plus de bien possible au monde universitaire auquel vous vous adressez.
Recevez, Monsieur, l'assurance de mon profond respect en N.-S.
Abbé J. M. BRIGAUD,\
vicaire à Marcigny.
Certains « abonnés possibles » se refusent parce qu'ils croient découvrir dans le Bulletin « un esprit primaire à rebours ». Une lettre émanée de Toulouse nous apporte cette curieuse nuance en contradiction complète avec ceux qui voient dans le Bulletin un organe exclusivement adapté à la culture des secondaires.
Toulouse, 24 juillet 1911,
Monsieur,
Je reçois à l'instant votre bulletin des Professeurs Catholiques l'Université. Je tiens à vous informer que je ne serai jamais de vos abonnés possibles et que vous perdez votre temps et votre argent à m'envoyer votre bulletin.
139:103
Après la lecture de votre numéro de juillet mon catholicisme et mon respect des opinions différentes des miennes font que je ne puis soutenir un journal où la violence, la mauvaise foi et l'esprit primaire à rebours vous amènent à utiliser comme moyen de soi-disant apologétique des armes indignes d'un catholique mettant en tête de son journal « Mes bien-aimés aimons-nous les uns les autres car la charité est de Dieu ». Autant on a le droit de s'indigner contre certaines idées, autant devons-nous ne point attaquer les personnes, surtout une personnalité comme celle de M. Laudet que vous semblez totalement ignorer.
Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.
Ch. de...
Ce correspondant qui ne dit pas sa « condition » répond par son refus au numéro du 20 juillet 1911 qui publiait un long texte de Péguy : le « Laudet ».
#### Cheminement progressif
Voici une lettre fort caractéristique de l'accueil d'abord réservé puis sympathisant que le Bulletin recevait dans les milieux ecclésiastiques. Elle nous peint non sans pittoresque la condition matérielle des prêtres à l'époque. Elle est d'autant plus importante qu'elle apporte indirectement le témoignage de l'abbé Blouet qui fut l'éminent Supérieur du Grand Séminaire de Coutances et dont monsieur l'abbé Paris faisait grand cas.
Barenfon, 12-1-14,
Monsieur,
Je lis avec édification et profit votre revue ; je la fais connaître autant que je puis. J'en ai parlé à M. le Chanoine Blouet, supérieur du Grand Séminaire à Coigny par Prétot. Il s'y intéresse *beaucoup* et dans des Congrès Catholiques il a parlé de votre œuvre, de l'apostolat à faire dans le personnel enseignant de l'État. Il serait certainement content de recevoir quelquefois le Bulletin.
140:103
Vous ne serez pas étonné si je vous dis qu'au début, vos feuilles ont été reçues et lues par certains prêtres avec défiance. On y a vu un essai d'abonnement plus ou moins forcé. Et ce ne sont pas des prêtres nuls, au contraire, et leur sentiment s'explique très bien. Mais les craintes s'en vont et il nous est bon de constater les revanches de la Foi dans des âmes comme les vôtres...
Quesnel, chapelain des Augustines.
*P. S*. En général, le prêtre ignore l'idée que, dans le monde instruit, surtout on se fait souvent du « curé ». J'avais été à même de m'en rendre compte. C'est bien celle que vous signalez et combattez.
Notre réputation de « *goinfres* » vient de nos dîners. Il y a sans doute quelquefois des abus faciles à critiquer. Mais que de circonstances atténuantes ! notre origine plébéienne, paysanne ; l'isolement très pénible où nous vivons presque tous et la joie de nous revoir pour parler de nos communs soucis, le bon cœur du curé de campagne qui ne sait comment recevoir ses confrères. Quiconque a assisté à nos dîners se rend compte que l'alcool y est consommé en très petite quantité. Sans doute le curé de campagne a robuste appétit mais dans la vie ordinaire au presbytère il vit très frugalement : le lard salé est son repas de presque toutes les semaines. Pas de vin. Il vit plus simplement que ses paroissiens pauvres.
Il est fort émouvant de constater que le Bulletin a donné, à certaines âmes une impulsion décisive sur les chemins de la Foi et a été un viatique d'espoir. Cette lettre d'un professeur d'école normale de Mâcon en est un vibrant témoignage.
Mâcon, 11 janvier 1913,
Cher Monsieur,
En même temps que le « Bulletin » de décembre, j'ai reçu l'avis que vous avez adressé aux abonnés possibles.
Voilà deux ans que vous me faites gratuitement le service du Bulletin et la lecture de votre feuille a été pour moi un soutien, un réconfort des plus précieux. Je ne suis pas encore le catholique vrai qui pratique avec amour tous les devoirs de sa religion, mais j'ai fait dans cette voie de grands progrès. Je n'ai plus peur d'aller à la grand'messe du Dimanche, ni quelquefois en semaine à ces délicieuses messes basses qui se disent à la pointe du jour et vous prennent si tendrement le cœur. Je suis persuadé que les belles et fortes pages que je lis dans votre petit journal sont pour beaucoup dans ce que je n'ose encore appeler ma conversion. Vos prières, y sont pour autant.
141:103
Je ne sais comment m'excuser de ne pas vous envoyer encore aujourd'hui les six francs que je vous dois cent fois, mais je vous promets, foi de chrétien de vous les envoyer le mois prochain, et vous prie de me rappeler vertement cette promesse si je venais à lâchement l'oublier.
Croyez à toute la sympathie de votre dévoué,
P. BLANC.
Philibert Blanc, professeur à l'école normale de Mâcon (Saône et Loire) (précédemment à Varsy où mon directeur d'école a eu sur moi la plus heureuse influence).
\*\*\*
Nantes, 126 R. de Rennes, 14-4-14.
Monsieur,
Je suis un peu confuse de m'être fait rappeler à l'ordre. Veuillez me considérer désormais comme « une abonnée ferme », au Bulletin, et recevez le montant de mon abonnement que je vous joins.
Je suis avec vous de pensée et de sentiments. Votre Bulletin m'a souvent fait du bien, et, par mon intermédiaire, il en a fait à d'autres, car je ne l'immobilise pas, je le fais circuler le plus possible.
Je n'ai pourtant pas eu confiance tout de suite, je vous l'avoue, et je me suis réservée pendant quelque temps. Moi aussi j'ai quarante ans et j'ai passé l'âge des emballements ; et puis le « SILLON » m'avait rendue un peu méfiante... Mais il y a longtemps que je suis rassurée, et que j'aime « *notre* Bulletin », longtemps aussi que Mgr Gibier, notre cher évêque de Versailles, m'en a fait l'éloge.
Voulez-vous me permettre de vous signaler deux abonnés « possibles » ?
Mlle M. T. Durand, professeur de Lettres au Lycée de Jeunes Filles, Auxerre.
Mlle Madeleine Ménard (prénom en entier, il y a des homonymes), École Normale Supérieure de Sèvres.
Par cette dernière jeune fille, la diffusion du journal parmi les catholiques pratiquants de l'École (presque un tiers) se trouvera assurée. Vous récolterez sans doute quelques abonnés en tous cas vous ferez du bien.
142:103
Et maintenant, j'ai quelque curiosité de savoir qui vous a donné mon adresse à moi ?
Croyez, Monsieur, à toute la sympathie de quelqu'un qui, de loin, applaudit à votre œuvre et prie avec vous.
E. Le Jemtel, Prof. agrégée de l'Université.
(*A suivre*.)
Théodore QUONIAM.
143:103
### Vie et message du Padre Pio (II)
par E. BONIFACE
#### VI. -- Le Père Pio soldat
En avril 1914, le P. Pio passa la visite militaire d'incorporation (on dit chez nous, Conseil de Révision).
En avril 1915, il lui fut prédit que « la Nation adultère » (l'Italie) allait connaître, elle aussi, bientôt, le châtiment de la guerre. En effet, le 24 mai de la même année, l'Italie, avec une joyeuse inconscience, entra dans la fournaise du premier conflit mondial.
Nous avons vu que, le 14 septembre 1915, la stigmatisation invisible de P. Pio avait été publiquement révélée à Pietrelcina.
En souvenir de cet événement, Mercurio Scocca, un habitant du pays, fit construire une petite chapelle près de l'ormeau où il s'était produit. Cette capellina est située au lieu dit « Plaine romaine », où la famille Forgione possédait un lopin de terre.
Dans les tout premiers jours de novembre 1915, le P. Pio fut appelé sous les drapeaux et, le 6 du même mois, il se présenta au Centre Mobilisateur de Bénévent.
144:103
Le 6 décembre suivant, il fut affecté à la 10^e^ Compagnie des Services de Santé, chargés de l'hôpital militaire de Naples.
Douze jours plus tard, le 18 décembre, il fut réformé temporairement, pour un an.
Il revint, alors à Pietrelcina, où il resta de décembre 1915 à février 1916.
A cette époque, la mobilisation avait dépeuplé les couvents. La présence du Père Pio était donc précieuse et c'est ainsi que le P. Agostino da San Marco in Lamis vint chercher le réformé à Pietrelcina et l'amena à Foggia.
Le 23 février 1916, le P. Pio écrivit à son ancien curé, pour lui annoncer qu'il ne reviendrait pas à Pietrelcina.
A Foggia, le P. Pio entra au couvent de Sainte Anne. Il ne supporta pas le climat torride de la plaine et, au cours de l'été, les forces lui manquèrent. C'est alors que, pour la première fois, il fut envoyé à San Giovanni Rotondo, le 22 juillet 1916. Mais son séjour y fut très bref.
Le P. Paolino, qui, par la suite, devint Provincial et lui fut toujours lié par une grande affection, l'avait accompagné de Foggia à S. G. Rotondo.
Le P. Pio y succéda au P. Angelico da Sarno, en tant que directeur spirituel des étudiants du Collège Séraphique.
A cette époque, au couvent de Sainte Marie des Grâces, le P. Paolino était supérieur (Gardien), le P. Pio, Directeur et frère Nicolas, (frère lai ou convers), jardinier. C'est en ce temps là, également, qu'avec ses étudiants le P. Pio se rendit en pèlerinage à la grotte de Saint Michel, sur le Mont Saint Ange.
C'est ainsi que le P. Pio resta à S. G. Rotondo jusqu'à décembre 1916. A cette date, il retourna à Naples, où, après une nouvelle visite médicale, il obtint un nouveau congé de convalescence, permission de six mois où il était écrit : « ...et ensuite, attendre les ordres ». Le 30 décembre, le P. Pio quitta donc Naples et revint à S. G. Rotondo.
Vers le mois d'avril 1917, le P. Pio obtint la permission de se rendre à Pietrelcina, pour accompagner sa sœur Grazia, qui devait entrer au couvent à Rome, sous le nom de Sœur Pia.
145:103
Au terme de ses six mois de permission (juin 1917) le P. Pio attendit l'arrivée des ordres... mais n'en reçut pas.
Le commandant du régiment, ne voyant plus revenir le soldat Francesco Forgione, écrivit à la section des carabiniers de Pietrelcina, pour qu'ils entreprennent des recherches.
Il lui fut répondu qu'il n'y avait plus de Forgione au pays.
Le commandant ordonna alors d'intensifier les recherches, pour procéder à l'arrestation du... « déserteur ». Peine perdue, les carabiniers ne le trouvaient pas.
Un jour, cependant, passant devant la maison de la sœur du P. Pio, le carabinier lui demanda : « Madame Felicia, ne connaîtriez vous pas un certain Francesco Forgione ? » « Bien sûr, c'est mon frère » « Ou est-il donc ? » « A San Giovanni Rotondo ».
Le brigadier écrivit aussitôt à son confrère de S.G. Rotondo pour qu'il ordonnât au soldat Francesco Forgione d'avoir à se présenter, sans délai, au commandant du régiment. Mais, le brigadier de S.G. Rotondo répondit qu'il ne connaissait personne de ce nom.
Le brigadier de Pietrelcina insista. Lettres et recherches restèrent absolument vaines.
Un jour, ce même brigadier de S.G. Rotondo allant, par hasard, au couvent, eut l'idée de demander à un religieux s'il ne connaissait pas Francesco Forgione. « Certes, répondit le frère, c'est notre Père Pio. »
Le P. Pio, ramené à Naples, eut donc l'amertume de s'entendre accuser de désertion en temps de guerre ! Mais il ne se troubla pas pour autant. Il sortit ses papiers : « Permission de six mois, puis attendre les ordres » et il ajouta : « Les ordres m'ont été donnés hier. »
L'officier reconnut l'innocence du religieux et le dossier du déserteur fut refermé.
Le P. Pio dut reprendre son service vers la mi-août 1917. Le 12 de ce mois, en tous cas, il se trouvait encore à S.G. Rotondo.
146:103
Il devait encore passer plusieurs visites médicales, après lesquelles il espérait bien pouvoir revenir à son couvent. Mais, tout au contraire, la dernière visite l'arrêta à Naples. Le médecin ne l'examina même pas. Il se contenta de le regarder et le déclara bon pour les services intérieurs (on dit chez nous, le service auxiliaire).
C'est ainsi que le P. Pio fut envoyé à la caserne Sales de Naples, où il resta jusqu'au à novembre 1917.
La vie collective en caserne fut pour lui extrêmement dure. Objet de railleries et de brimades continuelles, méprisé comme un pauvre d'esprit, sans cesse astreint aux plus rudes et basses corvées, en butte, du matin au soir, aux grossièretés que seuls peuvent soupçonner ceux qui ont fait, dans les mêmes conditions, l'expérience de la vie commune aux armées.
P. Pio souffrait tellement du milieu où il était plongé, aussi bien que des traitements qu'il devait endurer, qu'il en vint à désirer la mort. Certaines des lettres qu'il écrivit alors en font foi. Il ne pouvait en effet s'empêcher alors de raconter ses peines à son Directeur, à son ancien confesseur et à certaines personnes qu'il continuait à diriger. Par exemple :
« Je retourne à l'hôpital pour passer, devant le colonel, une dernière visite. Il s'est contenté de me dévisager d'un air las ; puis il a décidé que j'étais bon pour le service. Mon Dieu ! ... que d'injustice... Cette épreuve menace de me broyer. Mais que la volonté de Dieu soit faite ! »
Le 5 septembre 1917, il écrit : « Vous étiez au courant de mon sort infortuné. Jésus a voulu me punir avec une mortification au-dessus de mes forces. J'aurais voulu vous faire lire le diagnostic de ma maladie, fait à la clinique : « physique squelettique, nutrition médiocre, catarrhe bronchial diffus, etc. etc. »
Le 14 du même mois, il écrit de nouveau : « Mon état m'afflige au-delà de toute expression, parce qu'il me fait vivre en enfer... Mais Jésus est bon et il trouvera, lui-même, un remède à ma douleur... »
Et encore : « Après tant d'épreuves si riches de souffrance, Jésus a voulu m'assujettir encore à celle d'aujourd'hui, qui me rend la vie positivement insupportable. Je l'accepte avec calme et résignation. »
Parlant de son mal il laisse entendre clairement que « la maladie bien connue » dont il souffre est la tuberculose.
147:103
Le 10 octobre 1917, il griffonne au dos d'une carte postale : « Depuis trois jours, je me trouve dans cet hôpital, (de la Trinité, lit n° 53), où j'ai été envoyé pour y être soigné, parce que la maladie en est à son paroxysme. Depuis samedi, je suis en proie à une fièvre qui ne me laisse jamais un seul moment. Patience ! »
Le 23 du même mois : « Si mon état n'empire pas, il est également certain que n'apparaît aucune amélioration. La fièvre ne m'a pas encore quitté. »
Depuis longtemps, sa correspondante connaît ses lamentations ardentes. Ne lui a-t-il pas dit, dans une lettre précédente, qu'elle était « cruelle » de ne pas prier « pour que l'Époux des âmes brise les liens qui le tiennent prisonnier de son corps ? » Ce refus « lui a brisé le cœur comme un glaive en augmentant son agonie ».
« Pourquoi me refuser cette charité ? Je serais donc seul à prier à cette intention ? Au nom des entrailles de la miséricorde de Dieu, cherchez à le faire dans l'avenir car, autrement, vous deviendrez mon assassin ! »
Sa pieuse correspondante (une religieuse qu'il dirige) fait la sourde oreille à ses ardentes supplications, et continue tout simplement à prier pour sa santé.
Le pauvre Père, pour l'heure le fantassin Forgione, en est navré. Ses instances se font plus humbles et plus timides. Si Sœur Raffaelina ne veut pas prier pour que Dieu le rappelle qu'au moins elle ne prie plus pour qu'il conserve la vie ! Le P. Pio doit avoir une haute idée de la vertu de cette correspondante, car il est très sérieusement troublé en pensant que ses prières peuvent neutraliser celles qu'il fait lui-même. Il emploie donc tous les arguments pour tenter de la convaincre. Il l'accuse même de sentiments « vils et égoïstes » et continue à lui exposer ses raisons : « Si je savais au moins que je sers à quelque chose, en restant sur cette terre, je me résignerais à porter encore le poids de cette vie. Mais je crains et ma crainte est bien fondée, de ne pas honorer en quoi que ce soit mon ministère sacerdotal, et, en conséquence, de rendre stérile cette grâce que j'ai reçue, par l'imposition des mains de l'évêque, le jour de mon ordination. »
148:103
Mais ces moments de dépression ne durent pas. Au comble de son épreuve, plongé dans les ténèbres, mourant à petit feu de ne pas mourir, le pauvre P. Pio ne refuse cependant pas d'adhérer, de toute son âme, à la volonté de Dieu. Et voici qui nous montre la trempe de son finie, : « Comme un fils tendrement affectionné de son Père se soumet, de bon cœur, à toutes les humiliations et remplit les plus humbles services que ce Père daigne lui imposer, non seulement pour ne pas le contredire, mais parce qu'il veut lui faire plaisir en tout, même dans les pires choses... » la phrase resta inachevée. Complétons la : « Ainsi, moi, j'accepte tout. » Et toutefois, le P. Pio, qui continue à exposer ses raisons, ajoute : « Cependant ce bon fils, qui se soumet à toutes les épreuves pour l'amour qu'il nourrit à l'égard de son Père, ne cesse pas, pour autant, de sentir le poids de ses souffrances. »
Quelles sont donc les épreuves qu'évoque ce texte ? En plus des brimades et grossièretés auxquelles il ne pouvait se soustraire, à la chambrée, au réfectoire, en corvée, depuis des années il ne mange et ne dort presque plus. Le Seigneur l'a condamné à cette brutale vie de caserne qui, pour sa sensibilité et pour son innocence, est devenue un véritable calvaire : « Vous penserez sans doute, ma Chère Raffaelina, que j'exagère, mais moi, je sais ce que je dis ! Je souhaiterais, à ceux qui ne le croient pas d'en faire, par eux-mêmes, l'expérience... et après cela, vous resteriez indifférente ? Vous continuerez à ne pas prier le Père céleste pour que je m'en aille ? »
Mais son supplice touchera bientôt à sa fin. Le 3 novembre 1917 il écrit à un autre correspondant : « ...Je t'exhorte à glorifier avec moi le Seigneur. Ce matin, j'ai été présenté par le chef de la division au colonel, qui m'envoie en convalescence pour une durée de quatre mois... Nous devons remercier la bonté du Seigneur. Je ne saurais dire quand je serai remis en liberté. Il me faudra laisser passer encore quelques jours, car ils ne m'ont pas trouvé en état d'affronter un voyage. »
Le 5 novembre, il repart de Naples pour Pietrelcina et S. G. Rotondo.
Le 6 mars 1918, il retourne à Naples, pour une nouvelle visite. Il est réformé définitivement, le 17 du même mois, pour « broncho-alvéolite double » et renvoyé dans ses foyers.
149:103
Les fiches cliniques, concernant les examens auxquels fut soumis le P. Pio dans les divers hôpitaux de Naples, disparurent en septembre 1943. C'est ce qu'a affirmé le commandement du Centre Mobilisateur de Bénévent, à la date du 15 septembre 1950. Mis en congé, le P. Pio repassa par Pompéi et par Pietrelcina, afin de rendre grâces à la Vierge, et, de là, il repartit à destination de S. G. Rontondo, dont il ne s'éloignera jamais plus.
Le P. Pio avait le n° matricule 2094/25. Il fut soldat pendant environ deux ans, quatre mois et onze jours.
Il eut environ 24 mois de permission réglementaire. Il ne connut donc que quatre mois et onze jours de service, qu'il passa, presque tous, dans les hôpitaux militaires de Naples. Si l'on retire encore de ce total le mois qui va du 6 novembre au 6 décembre 1915, lorsqu'il fut appelé à Bénévent, mois qu'il passa toutefois chez lui, il apparaît que le P. Pio fut effectivement soldat pendant cent jours environ. Et le P. Pio, qui a toujours le mot pour rire, a parlé souvent de ses cent jours.
« Mes cent jours » : c'est-à-dire, en fait, la période au cours de laquelle le P. Pio resta à Naples.
#### VII. -- Le Père Pio à San Giovanni Rotondo
Le P. Pio revint à Ste Marie des Grâces, le 3 septembre 1916. A deux reprises, il dut quitter momentanément ce couvent ; la première fois d'août à novembre 1917, puis du 6 au 16 mars 1918. Ici, je crois nécessaire de donner quelques explications aux lecteurs. Je n'ai pas d'autre ambition, ni dessein, en écrivant ces pages, que de faire un travail historique aussi objectif et précis que possible. Mais l'objectivité la plus stricte n'empêche pas l'historien de réagir aux évènements, ni même de prendre, publiquement, à leur sujet, position. Cela, je pense, est admis par tous et n'est pas ce qui peut gêner. La difficulté commence quand il s'agit de mentionner et, surtout, de commenter des faits, qu'il est impossible de prouver. Vaudrait-il mieux les passer sous silence ? Mais, dans la vie d'un mystique, certains de ces faits ont, souvent, une importance extrême et ce serait dénaturer le sujet, ou même, parfois, défigurer le personnage, que de n'en pas parler.
150:103
C'est donc consciemment et délibérément que, soucieux avant tout d'écrire une histoire authentique, je n'hésiterai pas, quand la vérité historique m'y contraindra, à citer de tels faits.
C'est ainsi que je me crois fondé à dire qu'après son second retour à Ste Marie des Grâces, P. Pio s'offrit en victime, pour sa Province Capucine et pour ses élèves du Collège Séraphique. Le jour de la Fête Dieu 1918, il renouvela ce sacrifice, pour les intentions du Souverain Pontife (alors Benoît XV).
Durant la soirée du 5 au 6 août 1918, il éprouva ce qu'on désigne en phénoménologie mystique, sous le nom de « trait de feu », ce qui est intransposable dans le langage normal et n'a aucun sens sur le plan des réalités physiologiques. Mais celui qui éprouve cette blessure mystique ne peut s'exprimer autrement et sait bien, lui, de quoi il parle. Ce fut comme si un glaive de feu avait transpercé son cœur au plus fort de son élan d'amour vers Jésus.
Le vendredi 20 septembre 1918 P. Pio reçut comme son Patron François d'Assise, l'empreinte sanglante des plaies du Crucifié, aux mains, aux pieds, et au côté gauche.
Tous les nombreux livres qui lui sont consacrés, les meilleurs comme les pires, font un récit dramatique, plus ou moins coloré, de cette stigmatisation.
Toutes ces relations sont aussi fausses que pittoresques, ce qui prouve à quel point il faut se défier de l'imagination, quand on se charge d'écrire l'histoire.
Je puis l'affirmer hautement, car j'ai tenu à interviewer, longuement, à deux reprises, en 1957, au couvent de Cerignola, le R.P. Paolino da Casacalenda, qui était le Supérieur du couvent de S. G. Rotondo, quand le P. Pio y fut stigmatisé.
A cette époque, ainsi que je l'ai indiqué plus haut, le personnel du couvent était réduit au strict minimum, le P. Paclino, Gardien, le P. Pio et un Frère Convers, le Fr. Nicolas. En outre, dans des locaux attenants mais extérieurs au couvent, les élèves du Collège Séraphique.
151:103
Ce jour-là, le 20 septembre 1918, le P. Paolino était parti prêcher dans une paroisse voisine et le Fr. Nicolas, quêter dans les environs. P. Pio était donc seul à l'intérieur du couvent. Il est probable que les stigmates lui ont été imposés au cours d'une vision ou d'une apparition du Christ, qui lui aurait montré ses plaies à vif, tandis que le jeune capucin méditait sur Sa Passion, devant le grand Crucifix, placé dans la tribune, située au-dessus du chœur de l'ancienne église conventuelle (tribune servant de petit chœur pour les moines).
Cependant, encore une fois, personne n'était-là, non seulement quand le fait s'est produit, mais encore dans les heures qui ont suivi, personne d'autre que le P. Pio.
Or, il n'a rien dit à son Gardien, quand celui-ci est rentré, à la fin de la journée, ni même dans les premiers jours suivants.
Cela, je le répète, je puis l'affirmer, car je le tiens de la bouche même du P. Paolino, qui a même pris la peine d'écrire diverses choses de sa main, sur mon carnet de notes, et même d'y faire le dessin des stigmates de son illustre confrère tels qu'il les a vus et, plus attentivement peut-être, celui du côté gauche (dit du cœur) pour confirmer, trait pour trait, le dessin que j'avais esquissé moi-même sur ses indications.
Donc, le soir du 20 septembre 1918, le P. Paolino est allé se coucher sans se douter de rien, et il n'en a pas su davantage dans les premiers jours qui ont suivi cette date némorale, ce qui prouve qu'au début les stigmates n'étaient pas ce qu'ils sont devenus ensuite et qu'ils devaient être alors relativement faciles à dissimuler. Nous verrons d'ailleurs bientôt qu'ils ont certainement évolué.
Ce n'est que sept ou huit jours plus tard, environ, que le P. Paolino apprit, et encore par voie détournée, que son unique confrère du couvent était stigmatisé.
En effet, quelques fidèles s'étaient aperçu, pendant la messe, que le P. Pio avait sur le dos de chacune des mains une curieuse petite tache rouge. Certains comprirent ou crurent comprendre et c'est une fille spirituelle du P. Pio, la propre sœur du P. Paolino, qui dit à celui-ci : « *Tu n'as pas l'air de savoir que ton P. Pio a reçu les stigmates !* »*.*
152:103
Là, je préfère rapporter l'essentiel des propos de P. Paolino, tels que je les ai notés sur mon carnet au fur et à mesure qu'il parlait :
« J'étais à la fois émerveillé et incrédule car je ne pouvais croire que le P. Pio avait été stigmatisé, sans l'avoir dit à son Gardien.
« C'est pourquoi je dis à ma sœur : « Je ne te crois pas. » Mais elle : « Eh bien ! demande-le lui toi-même. » Alors, en riant, je lui répliquais : « Ah ! tu crois qu'il va me raconter à moi, maintenant, qu'il a reçu les stigmates ? Mais, s'il ne m'a rien dit jusqu'ici, il ne m'en confiera pas davantage maintenant (...) Bah ! je verrai bien comment m'y prendre pour connaître la vérité. »
« Tous les matins, après avoir confessé dans l'église les gens du pays, je montais chez moi prendre les livres et ce qui m'était nécessaire pour mes leçons à l'école Séraphique, puis, un peu avant l'heure du cours, je m'arrêtais quelques instants dans la cellule du P. Pio, pour échanger quelques paroles et m'entendre avec lui, précisément pour ces cours. Parfois aussi pour retrouver la paix de l'âme, car il arrivait que, m'étant attardé au confessionnal, j'avais laissé passer l'heure d'un cours.
« Alors, j'éprouvais une sorte d'anxiété, devant cette contradiction entre mon devoir de confesser et celui d'instruire mes élèves...
« J'exposai donc au P. Pio, mon trouble d'avoir à choisir entre le confessionnal et l'école.
« Mais lui, qui avait déjà une réputation de sainteté et c'est pourquoi je m'ouvrais à lui, mon inférieur me tranquillisait et m'encourageait, m'expliquant que je n'avais pas le droit de refouler des pénitents venus, à pied, de loin, pour se confesser et que j'avais assez d'expérience et de connaissances pour rattraper, avec mes élèves, le temps passé au confessionnal, etc.
« Ce matin-là, donc, je frappai et, sans attendre qu'il m'ait dit d'entrer, je poussai la porte brusquement.
« Il était en train d'écrire et se leva aussitôt. Mais je lui dis : « Non, non, continuez... Ce matin je n'ai rien de particulier à vous dire, écrivez, écrivez. »
« P. Pio s'assit donc et se remit à écrire. Alors, faisant mine d'aller regarder le jardin par la fenêtre je m'approchais suffisamment de lui et je vis nettement les stigmates sur le dos et dans la paume de sa main droite, tandis qu'il écrivait.
153:103
« Et puis, comme il tenait son papier avec l'autre main j'ai vu de même le stigmate gauche mais seulement sur le dos de la main.
« C'est ainsi que je me suis vu dans l'obligation d'écrire à mon Provincial, pour l'informer de cet événement et lui demander comment je devais me comporter en une circonstance aussi grave, spécialement pour le cas où la population viendrait à apprendre ce qui était arrivé.
« Le Provincial ne me répondit qu'au bout de quelque temps, pour me dire qu'il lui était impossible de venir, à ce moment, à S. G. Rotondo.
« Quant à la question précise que je lui avais posée, il me conseillait de me taire et d'éviter toute publicité ajoutant, toutefois, qu'au cas où quelque chose de nouveau se produirait, il viendrait à S. G. Rotondo.
« Ici, un petit épisode sans importance, mais que je mentionne parce qu'il me revient. Le lendemain du jour où j'avais reçu la réponse du Provincial, je vis P. Pio qui lisait lui aussi une lettre, que lui avait adressée, directement, le Provincial.
« Comme je passais près de lui, il me dit : « Paolino, Paolino, venez voir ce que m'écrit le Provincial. »
Mais... je ne sais plus pour quelle raison (*veramente non so*) ... je ne voulus pas y aller et le P. Pio ne m'en parla jamais plus. »
Voilà, pour la stigmatisation elle-même, le témoignage du P. Gardien de P. Pio, au moment de cette stigmatisation, le seul qualifié pour dire comment les choses se sont passées le 20 septembre 1918.
\*\*\*
Avant de poursuivre le récit de l'interview du P. Paolino, je tiens à dire qu'à la suite de nos entretiens, si confiants, j'ai poursuivi avec le saint religieux une correspondance régulière, devenue peu à peu véritablement affectueuse et que sa récente mort a seule, hélas, interrompue.
154:103
Or, en relisant certains ouvrages consacrés au P. Pio, je n'ai pas pu ne pas être choqué de la manière avec laquelle de bons auteurs racontent, chacun à leur manière, la scène de la stigmatisation... donnant force détails et précisant, par exemple, comment le P. Pio s'est effondré, sanglant, sur le sol, en poussant un grand cri, comment tels ou tels de ses confrères ou supérieurs, entendant ce cri, l'ont secouru, relevé, pansé, etc. ce qui leur a permis de décrire, avec précision, les stigmates... tant et si bien que j'ai fini par en être ému, non que je pusse, cependant, douter de l'exactitude de mes notes, prises, en fait, sous la dictée du P. Paolino.
Je lui ai donc écrit, pour lui faire part de ma stupéfaction, devant des récits en si flagrante contradiction avec son témoignage.
Le P. Paolino m'a alors renouvelé, de la manière la plus nette, ses déclarations orales, et il y est revenu ensuite avec force, en diverses circonstances.
Aucun doute ne doit donc subsister sur ce point. Personne n'a assisté à la stigmatisation de P. Pio. Personne ne l'a secouru, ni pansé après cette stigmatisation. Aucun de ses confrères, ni supérieurs n'a connu cet évènement avant une semaine. Personne ne peut donc en parler en témoin. Il est improbable, mais possible, que le P. Pio ait confié ou confie plus tard à un de ses intimes comment il a été stigmatisé, mais cela ne retire rien à ce que je viens de dire.
Pour en revenir au P. Paolino, il aurait bien voulu savoir, lui aussi, comment les choses s'étaient passées et voici encore ses confidences :
« Un jour, alors que tous les Pères étaient encore mobilisés, je sentis dans mon cœur le besoin de connaître comment le P. Pio avait reçu les stigmates. J'allais donc le trouver. Mais une fois devant lui et au moment de lui poser la question, je ne m'en sentis pas le courage !
« En trois occasions je renouvelai ma tentative, mais dès que j'étais en sa présence, je me sentais désarmé. Pourtant j'étais dans la force de ma jeunesse et tout à fait incapable de me suggestionner. »
155:103
Le P. Paolino aurait donc dû se contenter d'avoir vu seulement les stigmates des mains de son confrère, s'il n'avait été obligé, par les devoirs de sa charge de Supérieur, d'assister aux divers examens pratiqués par les trois médecins, désignés pour y procéder, le premier (le Prof. Romanelli) par la Curie Provinciale des Capucins de Foggia, les deux autres par la Curie Générale à Rome, à savoir, le Prof. Alberto Bignami, puis le Prof. Giorgio Festa.
C'est à l'occasion de ces examens que le P. Paolino a vu les cinq stigmates du P. Pio et a pu nous les décrire. Je reprends donc son récit :
« Un des médecins envoyés par le Saint-Siège ([^47]), qui avait imaginé que les stigmates auraient pu être produits par le désinfectant que le P. Pio mettait sur ses plaies, avait décidé de faire une expérience. Il avait ordonné, avec l'accord du Provincial, de recouvrir chaque plaie d'un pansement, scellé avec un cachet, de telle sorte qu'on ne puisse le défaire.
« C'est ainsi que, de même que certains pères capucins qui venaient d'être démobilisés, j'ai fort bien vu, lors du renouvellement des pansements, au bout de huit jours, chacun des stigmates des mains, des pieds et du côté.
« Celui du cœur est du côté gauche. Il a un peu la forme d'une croix. La plaie la plus longue est à peu près verticale. Celle qui figure la barre transversale, plus courte, la coupe environ dans son milieu, mais non à angle droit, elle est inclinée de gauche à droite.
« Pendant que nous le pansions, nous nous rendions compte que le P. Pio souffrait énormément, mais moins de la douleur physique, pourtant intense, que de l'humiliation d'avoir à montrer ses stigmates.
« Les plaies du côté semblaient résulter d'une brûlure.
« Celles des mains et des pieds étaient un peu plus grosses qu'une pièce de 100 lires, d'une forme ronde dans les paumes et un peu allongée sur les faces dorsales. Il ne semblait pas y avoir de correspondance entre celles du dessus et celles du dessous... Mais nous n'avions pas de moyens de nous en rendre compte.
« Cependant, le docteur de Barletta ([^48]) a senti en les pressant, que ses doigts se rencontraient et l'a mentionné dans un rapport remis à la Curie Provinciale de Foggia. »
\*\*\*
156:103
Cette interview me donne l'occasion d'indiquer les circonstances dans lesquelles le P. Pio avait été affecté au couvent de S. G. Rotondo, deux ans plus tôt. Cela aussi, je l'ai appris de la bouche du P. Paolino :
« On a raconté beaucoup de choses plus ou moins poétiques sur la venue de P. Pio au couvent de Ste Marie des Grâces, dont j'étais, à cette époque, le Gardien. Ce sont-là d'aimables légendes sans la moindre valeur.
« La vérité toute simple c'est que c'est moi qui l'y ai fait venir.
« Une fois renvoyé provisoirement de l'armée, P. Pio avait été affecté au couvent de Foggia, mais, l'été venu, il y souffrait énormément de la chaleur.
« Ayant moi-même, alors, l'occasion d'aller assez souvent à Foggia, je me rendais compte qu'il n'y pourrait pas supporter les ardeurs étouffantes de la canicule et j'eus l'idée de l'amener à S. G. Rotondo, où la température était beaucoup moins pénible et le climat bien meilleur. Or, ce changement était possible parce que, lorsque deux couvents sont voisins, il suffit de l'accord des deux Gardiens pour faire passer un moine de l'un dans l'autre.
« Je demandai donc au Gardien de Foggia s'il permettrait au P. Pio de venir à S. G. Rotondo et il y consentit très volontiers.
« J'en fus heureux et en informai aussitôt l'intéressé, mais, surprise ! Celui-ci s'opposa résolument à mon projet. Il craignait d'indisposer son Provincial qui l'avait affecté à Foggia.
« Je dus donc rentrer seul à S. G. Rotondo, très déçu. Mais à quelques temps de là, j'eus encore l'occasion de retourner à Foggia, afin d'y prêcher, le 26 juillet, pour la fête de Ste Anne, patronne du couvent.
« De nouveau je fus navré de voir P. Pio accablé par la chaleur et je lui renouvelai ma demande, mais en ayant soin de la rendre acceptable. En effet, je lui proposai de venir passer quelques jours à S. G. Rotondo, simplement pour voir si le climat lui réussirait et, dans ce cas, il écrirait, lui-même, au Provincial, pour le laisser juge de la situation.
« Le P. Pio, cette fois, accepta et écrivit sur-le-champ au Provincial.
157:103
« Or, il se trouva immédiatement très bien de l'air frais, léger, tonique de S. G. Rotondo ; mais il s'inquiétait de ne pas recevoir de réponse du Provincial, qu'il craignait d'avoir mécontenté.
« Je m'appliquais, bien entendu, à calmer son inquiétude, surtout en lui répétant : « *Qui tacet consentire videtur* » ([^49])*.* Peine perdue, au bout de quelques jours il voulut absolument s'en aller. Je dus m'incliner et le ramener à Foggia.
« Peu après, je reçus à S. G. Rotondo la réponse du Provincial. En substance : « Puisque vous avez amené P. Pio sans ma permission, maintenant, moi, je l'autorise à rester à S. G. Rotondo, si le climat lui réussit. »
« A cette lettre en était jointe une autre, pour le P. Pio, mais cachetée. J'espérais bien qu'elle contenait la même réponse. Je retournai donc à Foggia et lui remis sa lettre qui, effectivement, était rédigée, dans les mêmes termes que celle qui m'avait été adressée. C'est ainsi qu'il accepta de me suivre sans attendre. C'était le 5 ou 6 septembre 1916.
« Dans la lettre qu'il m'avait personnellement adressée, le Provincial ajoutait : « *Pio restera à S. G. Rotondo jusqu'à ma venue* »*,* mais c'est seulement au mois de novembre que je le vis arriver. C'était l'hiver et la première neige était tombée.
« Le Provincial s'enquit auprès du P. Pio s'il se trouvait bien dans son nouveau séjour.
« *Très bien, mon Père* » répondit celui-ci. « *Même après la neige* » *--* « *Oui, mon Père, je me sens très bien depuis la neige.* » *--* « *Alors, vous voulez rester ici ?* » *--* « *Mon Père, c'est à vous de décider. Je suis le fils de l'obéissance, toujours prêt à vous obéir.* »
« Il faut savoir que le Provincial ne voulait pas laisser P. Pio à S.G. Rotondo, parce que tout le monde avait dit qu'il était tuberculeux. Il craignait donc la contagion, pour les autres moines et les élèves de l'École Séraphique, et m'expliqua ouvertement ses craintes à ce sujet. Je lui répondis qu'à mon sens, il ne s'agissait pas de maladie physique, mais de maux d'ordre surnaturel ; ajoutant que même s'il s'agissait d'une maladie physique, elle n'était sûrement pas contagieuse.
158:103
« Alors, le P. Provincial se déclara convaincu et dit au P. Pio de rester à S.G. Rotondo. Nous étions alors en septembre 1916. »
Le P. Paolino m'a encore, en cette occasion, beaucoup parlé des éminentes vertus du P. Pio, du temps qu'il était sous son autorité, de son humilité, qui le poussait à cacher ses dons charismatiques évidents, de son obéissance parfaite, de son esprit d'oraison qui le retenait souvent au chœur très au-delà de minuit, de sa pureté angélique, de ses colloques avec son Ange Gardien, de l'extraordinaire parfum par lequel il manifeste son action en des lieux très éloignés de celui où il se trouve matériellement, de son privilège de pouvoir également se montrer en plusieurs endroits à la fois, don de bilocation, qu'il a lui-même constaté, et aussi, incidemment, de son pittoresque accent napolitain.
#### VIII. -- Comment voir les stigmates de Padre Pio ?
Il ne viendrait à personne l'idée de demander à voir les stigmates de P. Pio, surtout, bien sûr, celui du côté, même s'il ne lui avait pas été interdit de les montrer sans une autorisation écrite.
Ceux des pieds sont continuellement cachés par des bas sombres, généralement bruns, et ceux des mains par des mitaines de même couleur, sauf pendant la messe, qu'il célèbre, par respect, à mains nues.
Nombreux sont ceux qui ont profité de cette circonstance pour examiner, d'aussi près que possible, les célèbres blessures. Je n'y ai, moi-même, pas manqué, chaque fois que j'ai pu assister à son inoubliable messe, tout près de l'autel, du côté des ablutions pour que ses mains ne fussent pas cachées par le missel.
159:103
A ce bon poste d'observation, malgré le soin qu'il prend pour cacher au maximum ses plaies, avec ses larges manches, descendant jusque sur les doigts, il est très possible d'observer ses mains, qu'il découvre, fatalement, quelque peu, à certains moments, par exemple au cours des manipulations du calice, de la patène, du missel, quand il se retourne vers l'assistance, étendant les bras (dominus vobiscum), quand il bénit, distribue la communion, à l'offertoire et, surtout, pendant l'élévation.
Dans ces diverses occasions on voit très bien ses mains, mais on ne peut pas dire qu'on voie ses stigmates car ils sont masqués par des croûtes de sang séché, recouvrant la largeur des paumes et des faces dorsales des mains.
En effet, contrairement à ce qui se passe chez Thérèse Neumann (dont les stigmates ne saignaient que pendant certaines extases douloureuses et dont le dessin, aux contours francs, apparaissait très nettement, en dehors de ces circonstances) les stigmates du P. Pio suintent constamment. En séchant, le sang forme de petites croûtes, qui se superposent les unes aux autres et forment une masse assez épaisse pour masquer totalement le stigmate lui-même.
A une certaine distance, par exemple quand on voit P. Pio bénir l'assistance, à la fin de la messe, on aurait plutôt l'impression d'un large eczéma de couleur noirâtre.
(*A suivre*.)
E. BONIFACE.
160:103
### Nos anges gardiens
par R..-Th. CALMEL, o.p.
J'AVAIS RECOMMANDÉ à une paroissienne la dévotion aux Anges gardiens. Comme elle n'était pas très convaincue, elle vint causer avec moi par la suite et voici quel fut en substance notre dialogue.
Elle me disait : que je doive trouver une place pour les anges dans la vision que je me suis formée de l'ordre de la nature et de l'ordre de la grâce, après tout je n'ai pas à cela d'objection radicale ; d'autant moins que la Révélation est explicite ; elle ne me permet pas de mettre en doute l'existence des anges ni leur rôle auprès des hommes ([^50]) ; ni même leur rôle dans le cosmos. Cependant l'existence des esprits angéliques étant bien admise, leur rôle ne m'apparaît pas clairement, et je ne sais d'ailleurs pas où les situer ; je ne vois pas, si je peux dire, où les loger.
Je lui répondais : Vous savez fort bien où situer le rôle de ce maître qui par ses explications vous a fait comprendre, par exemple, la nature des sociétés secrètes ; et le rôle de cet homme de Dieu qui simplement par son attitude vous a fait comprendre ce qu'est la vraie douceur. Ce maître ou cet homme de Dieu n'ont pas agi sur votre liberté malgré elle ; cependant ils ont été chacun à leur façon un instrument dont la Providence divine et la Grâce toute puissante se sont servi pour illuminer votre esprit et atteindre votre liberté.
161:103
Dans l'ordre de la connaissance, de l'illumination intellectuelle, comme dans l'ordre de la décision libre vous constatez que, rien n'étant diminué dans les prérogatives divines, cependant des instruments de Dieu sont à l'œuvre ; *des instruments libres et responsables ;* des personnes créées, semblables à vous-même. Eh ! bien entrevoyez par là le rôle des anges et n'hésitez pas à les situer dans l'ordre des personnes créées mais ce sont ici des personnes invisibles, purement spirituelles, toujours éveillées qui interviennent auprès de notre chétive personne, afin de l'illuminer, la protéger, l'engager au chemin de la sanctification.
Elle reprenait : sur ce point je suis d'accord avec vous ; mais enfin, même le rôle des anges étant ce que vous dites, je demeure gênée par certaines attitudes. Ainsi le Pape Pie XI ([^51]), paraît-il, lorsqu'il se trouvait en présence d'un interlocuteur difficile ou redoutable ne manquait pas de prier l'ange gardien de son interlocuteur et le sien propre afin qu'ils arrangent tout pour le mieux. Cela me paraît trop facile et d'ailleurs illusoire. Car enfin l'interlocuteur du Pape avait son caractère, ses défauts, probablement aussi son plan arrêté, et il devait en être de même du Pape. Dès lors devons-nous imaginer que les anges, à la suite d'une invocation pieuse, venaient suspendre le déroulement naturel des effets et des causes, par exemple, les effets de la duplicité de l'interlocuteur, ou de son ambition déguisée ou de sa volonté de puissance ?
Ce n'est pas du tout impossible, lui dis-je. Mais enfin votre objection a du poids et je reconnais avec vous qu'il est une manière puérile de concevoir le rôle des anges qui nous le rend assez peu compréhensible. Comment comprendre en effet que Dieu aurait disposé de petits « dii ex machina » qui nous obéiraient en quelque sorte *ad nutum *? (Du reste on ne saurait dire que tel était le sentiment de Pie XI.)
162:103
Mais sans être le moins du monde des *diï ex machina* qui sèmeraient notre route de miracles, nous dispenseraient aussi bien des soucis et de l'humilité de la prudence chrétienne que des labeurs et des larmes de la conversion, même sans être à notre disposition en quelque sorte mécaniquement, et abstraction faite de nos ressources et de nos défaillances humaines, cependant les anges sont bel et bien nos serviteurs ([^52]) ; ils le sont la plupart du temps à notre insu en vue de hâter dans notre vie l'accomplissement de la Rédemption. C'est affirmé dans le texte célèbre de l'épître aux *Hébreux* 1, 14 : « *Nonne sunt omnes administralorii spiritus...* Est-ce que tous ne sont pas des esprits chargés d'un ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut ? »
Reprenons l'exemple de Pie XI. Lorsque vous allez affronter une entrevue, surtout si vous appréhendez qu'elle ne soit pénible ou orageuse, je trouve bon que vous vous confiiez à votre ange ; non point dans l'espérance qu'il va transmuer votre caractère ou celui de la personne que vous avez en face, mais outre qu'il peut limiter les dégâts que tendraient à provoquer vos défauts de caractère, votre ange ne manquera d'inspirer vos pensées et vos sentiments pendant et après cette rencontre afin que, même si elle échoue à un certain plan, elle porte spirituellement du fruit et vous permette d'approfondir votre expérience en Dieu et de grandir en charité. Vous embarquez-vous en chemin de fer ou en auto, ayez donc la simplicité d'invoquer votre ange, non pour obtenir une garantie absolument infaillible contre toute panne et tout accident, mais quand même pour réduire les risques d'accident et de panne et surtout pour que ce voyage dans lequel ne manqueront sans doute pas les occasions de faire du bien mais aussi les occasions de péché, profite en vérité au bien de votre âme et à l'édification de votre prochain.
163:103
-- Êtes-vous aux prises avec une question doctrinale particulièrement difficile, tournant et retournant les choses dans tous les sens, multipliant lectures et recherches sans jamais parvenir à poser la question en termes clairs, ni entrevoir la réponse, ni percevoir les arrière-plans, ni comprendre le rapport avec les vérités de foi ; eh ! bien dans cette peine et cette perplexité pourquoi ne pas vous adresser à ce compagnon lumineux qui a compris la question avant nous et mieux que nous, qui ne cesse de la voir dans un éclair radieux dont la perception est plus aiguë et plus chantante que celle de tous les docteurs humains, car c'est la perception d'un esprit pur ? Son intervention ne vous rendra point exempt des fatigues de l'abstraction, du harassement de la composition et de la mise en ordre, mais il vous introduira à cette intuition ferme et victorieuse qui importe davantage que tout l'appareil dialectique et en quoi les preuves et les orchestrations trouvent cohérence et procurent enchantement. Don plus précieux que tout : il vous obtiendra l'humilité de celui qui regarde et saisit et disparaît dans la lumière, inattentif à sa propre intelligence. « *Quam sine fictione didici et sine invidia communico...* Ce que j'ai appris sans arrière-pensée, je le communique sans envie. » (Sagesse VII, B).
\*\*\*
Dans la zone la plus secrète et peut-être la plus meurtrie, la plus douloureuse, de la liberté quel sera le rôle de l'ange ? Il se trouve des êtres que le Seigneur dans sa miséricorde a ramenés à luit du fond de l'abîme, qui avaient été esclaves non seulement du péché mais du démon. Sans doute ils n'avaient pas (ou pas encore) signé de pacte avec le diable, mais il était clair cependant qu'ils étaient ses prisonniers ; leurs chaînes n'étaient pas seulement celles de la chair et du sang ou de l'orgueil de l'esprit.
164:103
Il y avait du satanique dans leur péché, dans une certaine subtilité maligne, une certaine obstination, une certaine virtuosité dans le dédoublement qui en vérité ne sont pas de l'homme. Convertis par une immense miséricorde du Christ crucifié, qu'ils lèvent donc leur regard vers Marie, le refuge des pécheurs, mais aussi qu'ils n'oublient pas d'invoquer leur ange. Ils savent fort bien les obstacles inouïs qui empêchent leur conversion de s'approfondir et comment n'importe quoi devient une occasion de retomber dans leur cachot et leurs ténèbres. Ils ont été en quelque manière marqués par les démons. Qu'ils appellent l'ange gardien à leur secours ; étant pur esprit, il possède ce qu'il faut pour enlever une marque et soigner une plaie qui furent faites par un autre esprit pur. Le recours à l'ange gardien ne versera pas dans l'âme une conversion automatique, ne dispensera pas de la vigilance et des larmes pour réduire au saint amour de Dieu les puissances sensibles et spirituelles ; la conversion ne descendra pas dans le vif de l'âme du pécheur sans que celui-ci n'éprouve sa brûlure ; l'affermissement vertueux ne se fera pas sans l'humilité des confessions régulières, sans les reprises en main, souvent renouvelées, avec contrition et patience. Le recours à l'ange gardien n'aura point d'effet automatique ; il aura un effet angélique ; il mettra à l'abri de bien des complications supplémentaires, il apprendra au pécheur converti à se rééduquer avec humilité et douceur, il lui montrera comment une âme devient à l'égard d'elle-même inflexible et, clémente.
Pour faire saisir l'action des anges dans notre vie, je vous ai parlé des entrevues difficiles, de la libération de l'esclavage diabolique, des recherches doctrinales, des voyages par le train ou en auto. Je regrette presque d'avoir pris des exemples un peu exceptionnels (sauf celui des voyages) même s'ils sont plus parlants. Ces exemples ne doivent pas nous faire illusion ; car, en réalité, c'est chaque jour et dans les menus détails de l'existence la plus quotidienne que, les anges mystérieusement interviennent en notre faveur.
165:103
Comme le dit le Psaume 90, *angelis suis Deus mandavit de te ut custodiant te in omnibus viis tuis*, Dieu a donné des ordres a ses anges afin qu'ils te gardent dans toutes tes démarches ; non seulement celles du corps, mais celles de l'esprit et du cœur.
\*\*\*
Après m'avoir longuement écouté, la paroissienne qui était venue vers moi tira elle-même cette conclusion : à l'égard de chacun de nous l'ange tient le rôle d'une personne amie, incomparablement privilégiée, qui ne nous dispense pas d'être nous-même, qui ne fait pas écran à la causalité divine toute-puissante et infiniment miséricordieuse sur notre esprit et notre cœur, mais : il est un instrument parfaitement adapté de cette causalité.
Il me semble, lui répondis-je, que telle est bien la pensée de saint Thomas dans son traité de la vivante hiérarchie des causes, ce traité du gouvernement divin qui nous explique la hiérarchie des causes vivantes et libres (l'une de ces causes étant nous-même) à l'intérieur de la causalité transcendante. Car le Dieu créateur et trois fois saint pénètre, illuminé et conduit la volonté des créatures spirituelles tout le temps que dure le temps -- et même après --, durant toute l'éternité, -- pour sa propre gloire et pour le bonheur des élus *in Christo Jesu*. ([^53])
Du reste quand nous parlons de l'ange comme *d'une personne absolument privilégiée, qui est là pour nous assister et nous défendre*, voyons bien la portée de cette proposition ; car l'ange non seulement se trouve là, mais il y est placé par Dieu en vertu d'une délégation particulière (c'est en effet un des points de la foi catholique que Dieu a délégué pour chacun de nous un ange gardien).
166:103
De plus les privilèges, dont il jouit éclatent d'une rare-somptuosité (encore que notre condition charnelle nous empêche de les apercevoir ici-bas) ; il est sûr en effet que l'ange est impeccable et confirmé en grâce ; son amour pour nous n'est pas interrompu dans sa manifestation par le sommeil, la fatigue, les occupations dispersantes ; son intelligence est toujours en éveil et d'une acuité supérieure à celle des plus grands génies car elle est d'un autre ordre (le plus grand génie en effet ne sort pas de l'ordre de l'intelligence abstrayante, en dépendance du corps et du sensible) ; enfin la soumission de l'ange à Notre-Seigneur Jésus-Christ est d'une entière docilité ; il saisit au vol, si l'on peut dire, les intentions du Christ pour la vie et le progrès de notre âme ; il nous dispose avec une délicatesse et une force non-pareille à nous adapter à cette intention du Christ. Je suis en outre persuadé que les anges sont dans une entente parfaite avec celle qui, étant Mère de Dieu, est leur propre Reine, l'immaculée Vierge Marie ; et je suis persuadé que Notre-Dame obtient, pour ses enfants qui prient et qui l'aiment, une intervention particulière des anges.
\*\*\*
Le monde est beaucoup plus vaste et grandiose que nous ne pensons ; et aussi infiniment plus léger aux mains de Dieu, infiniment plus maniable et ductile à sa toute-puissance que nous ne pouvons l'imaginer : *ludens in orbe terrarum*. Non seulement le monde cosmique et sidéral, mais le monde des esprits. Gardons-nous de rétrécir l'univers des esprits à la seule espèce humaine, à la seule liberté humaine. Il y a les anges damnés, les démons avec leur liberté à jamais fixée dans le mal ; leur liberté invariable, intangible dans la méchanceté. Il y a surtout les anges bienheureux, les bons anges leur liberté entièrement sainte et pure est toujours en éveil ; à la fois pour contempler le Seigneur et pour s'occuper de nous.
167:103
Ils ne nous dispensent pas obligatoirement du labeur et des peines (encore que cela arrive) mais plutôt ils nous donnent de les porter saintement, grâce à une aide et une intervention qui n'appartiennent qu'à eux ; car ce sont des personnes amies et fraternelles, comblées des privilèges de l'esprit pur, confirmées en grâce, envoyées par Jésus-Christ au service des hommes rachetés.
R.-Th. CALMEL, o. p.
168:103
## NOTES CRITIQUES
### Modernisme et néo-modernisme
*Pour le P. Rouquette,\
le Dr Robinson est* «* néo-moderniste *»
Dans l'avertissement que j'avais mis en tête de « Dieu sans Dieu », traduction du livre du Dr Robinson « Honest to God », je disais : « Lisant ce livre, le catholique français que séduit le modernisme en trouvera ici l'image la plus intelligente et la plus « honnête » que nous connaissions. »
Mon avertissement avait eu le don de mettre en colère le P. Rouquette. Dans un article intitulé « Tempête dans l'Église anglicane », il vitupéra le « traducteur intégriste » et fit l'apologie du Dr Robinson (*Études,* mars 1964).
Apologie à double tranchant, car s'il prenait l'évêque de Woolwich sous sa protection, c'était l'effet d'une bienveillance passablement hautaine, pour ne pas dire méprisante.
A ses yeux, Robinson -- qui avait écrit son livre pendant une pénible maladie -- s'efforçait à présenter des idées révolutionnaires mais demeurait, sous quelques mots provocants avec lesquels il se faisait peur à lui-même, le plus traditionnel des hommes.
Ce point de vue, le P. Rouquette disait le partager avec « la plupart des critiques catholiques » qui, ayant lu « Honest to God », « n'y décèlent rien de révolutionnaire et prétendent y retrouver des positions très traditionnelles, simplement présentées abusivement comme neuves et novatrices » (p. 404). Seul le R.P. Schillebeeckx, o.p. « un théologien de valeur et qui n'est pas réactionnaire » avait fait « une vigoureuse critique de fond » (p. 404). (Pourquoi, diable ?)
169:103
Le malheur, pour le P. Rouquette, « c'est que le Dr Robinson proclame à grands cris qu'il va tout révolutionner, y compris la substance de la foi, *alors qu'il ne fait qu'exorciser des caricatures de cette foi* » (p. 405). (C'est moi qui souligne.)
Sur un point cependant, le P. Rouquette faisait des réserves. La « théodicée expérimentale » de Robinson « reste en effet agnostique ».
« ...C'est *peut-être* par ce *biais* d'une *sorte* d'agnosticisme existentiel que Robinson se *rapproche* des penseurs qui ont été dans l'*ambiance* du modernisme » (p. 409). (C'est moi qui souligne.)
Avec une grosse lunette on aperçoit ici le modernisme. Mais il faut de bons yeux.
Et nous voici transportés au printemps de 1966.
Le Dr Ramsey, archevêque de Cantorbéry, rend visite à Paul VI.
Occasion d'un grand article du P. Rouquette, dans « le Monde » du 22 mars, sur « Rome et Cantorbéry ».
Le P. Rouquette nous explique l'église anglicane :
« Trois grands courants s'y mêlent et s'y contrarient, qui ne sont pas institutionnalisés : les « anglo-catholiques », ritualistes qui gardent une notion des sacrements et des ministères proche de celle du catholicisme romain, les *evangelical*, qui insistent sur l'héritage calviniste et qui sont nettement anti-romains, enfin ceux qu'on peut appeler des « néo-modernistes », animés par des théologiens de Cambridge et qui, sous l'influence de Bultmann et de Bonhoeffer, remettent en question les formulations traditionnelles de la foi chrétienne, tel le fameux évêque Robinson, dont le manifeste, *Honest to God*, a été un étonnant best-seller... »
Nous voilà enfin fixés sur la position du P. Rouquette. Il suffisait de connaître son vocabulaire.
Robinson n'est pas *moderniste ; il* est *néo-moderniste.*
Qu'est-ce qu'un moderniste ? Nous ne savons pas trop.
Mais nous savons ce qu'est un néo-moderniste : c'est un homme qui, tout en restant lui-même chrétien parfait, et parfaitement traditionnel, remet « en question les *formulations traditionnelles* de la foi chrétienne. »
170:103
Par exemple, « consubstantiel » deviendra « de même nature », « transsubstantiation » deviendra « transfinalisation », « être » deviendra « devenir », « Dieu » deviendra « évolution », etc.
On ne sauve pas ainsi seulement Robinson. On sauve aussi Teilhard de Chardin. Il est néo-moderniste. Voilà qui arrange tout et nous évitera toute inutile querelle avec nos amis teilhardiens.
Louis SALLERON.
==============
### Pierre Debray et les I.C.I.
Pierre Debray a publié en février 1965, aux Éditions de la Table ronde, un volume intitulé : *Dossier des nouveaux prêtres* (sur ce livre, voir *Itinéraires*, numéro 93 de mai 1965, pages 191 et suiv. ; et numéro 94 de juin 1965, pages 174 et suiv.).
Chez le même éditeur, en décembre 1965, Pierre Debray a publié un second volume, intitulé : *Schisme dans l'Église ?*
Nous n'avons pas encore parlé dans cette revue de ce second ouvrage ; ni non plus de l'ouvrage de Marcel Clément, *La France pays de mission, ou de démission ?* paru en décembre 1965 aux Éditions « Ipso ». Nous voudrions le faire à loisir et en dehors de toute polémique. D'autres tâches nous en ont détournés, Au demeurant ces deux ouvrages dépassent la saison qui les a vu paraître ; ils pourront nous inspirer d'utiles réflexions aussi bien dans quelques mois.
\*\*\*
Mais nous ne saurions attendre davantage pour faire écho à la mise au point de Pierre Debray au sujet de la sorte de piège que lui ont tendu les I.C.I.
Dans *Schisme dans l'Église*, Pierre Debray regrettait certaines expressions polémiques qu'il avait employées contre Jean Madiran et qui lui paraissent aujourd'hui excessives. Les I.C.I. ont feint d'y voir au contraire un désaveu des critiques que Pierre Debray avait élevées contre ceux qui s'efforcent de marxiser l'Église. La supercherie est énorme.
171:103
L'occasion en fut que les I.C.I. avaient ouvert une « *tribune libre* » et que Pierre Debray avait accepté d'y donner un article : les I.C.I. ont aussitôt exploité cette condescendance.
Ceux qui pourraient être sollicités pour la « *tribune libre* » des I.C.I. doivent donc être mis en garde contre les procédés de cette publication.
Il faut en outre savoir que le rédacteur en chef des I.C.I. est toujours, comme s'il ne s'était rien passé, José de Broucker, celui qui s'est porté garant de la sincérité de Piasecki, qui l'a dépeint avec tendresse « songeur, mais calme et serein », qui a évoqué avec émotion « sa voix grave, coupée de respirations profondes et de sourires rares mais précis » et qui a vanté « l'effort de pensée cohérent et conséquent que *Pax* développe depuis quinze ans » ([^54]).
Admirateur de la « pensée » de l'agent soviétique Piasecki, José de Broucker est simultanément celui qui nie la sincérité, la bonne foi et même la foi d'Alexis Curvers, de Michel de Saint Pierre, de Louis Salleron, de la revue *Itinéraires*, etc., qu'il accuse d' « escroquerie » et chez qui il ne voit aucune « pensée » ([^55]).
Par une raffinement (si l'on peut dire) qui est bien révélateur, les I.C.I. avaient disposé quatre lettrines au début de certains paragraphes de l'article de Pierre Debray, de manière à ce que l'on y vit au premier regard, en grandes capitales, le mot : CACA (I.C.I. du le 1^er^ janvier 1966, pages 30 et 31).
La griffe, en quelque sorte ?
\*\*\*
Voici la mise au point de Pierre Debray :
*En octobre dernier les* « *Informations catholiques internationales* » *me tenaient à peu près le langage suivant :* « *Vous préconisez le dialogue. Nous aussi. Accepteriez-vous d'exposer votre point de vue dans une Tribune Libre que nous nous engageons à publier ?* »*.*
*J'ai accepté pour deux raisons :*
1°) *Il me semblait impossible de décourager un geste de bonne volonté, donc de manquer une occasion de situer nos affrontements dans la lumière du Christ, qui est, Amour et Vie, et non plus dans le clair-obscur des combats douteux.*
172:103
2°) *Il me semblait utile et opportun de témoigner devant les lecteurs des I.C.I., donc, de leur montrer le véritable visage de ces chrétiens légitimement attachés aux permanences plutôt que l'image en forme de diable de l'* « *intégriste *»*.*
*Cette tribune libre est parue dans le numéro 255 des I.C.I., daté du 11 janvier 1965. Elle a été publiée intégralement. J'en assume toute la responsabilité. Il n'en va pas de même pour la note qui l'accompagne, qui ne m'a pas été soumise et qui caricature de la façon la plus grave et la plus dommageable mon attitude.*
*En voici le texte :* « Pierre Debray, écrivain et journaliste catholique, collabore habituellement à l'hebdomadaire monarchiste « Aspects de la France ». Il a publié récemment aux Éditions de la Table Ronde un ouvrage intitulé « Schisme dans l'Église ? » qui est une invitation au dialogue entre catholiques « modernistes » et « intégristes ». Il s'y explique notamment sur le mouvement d'humeur qui l'avait amené, l'année précédente, à écrire le « Dossier des Nouveaux Prêtres » dans lequel il s'en prenait injustement à quelques catholiques notoires qui ne partagent pas ses idées ».
1° *Je vous laisse le soin de qualifier comme il vous conviendra la dernière phrase de ce texte. Je m'en garderai, pour ma part, ne voulant pas risquer de me rendre coupable, une fois encore* « *d'injustice* » *à l'endroit de catholiques notoires.*
2° *Il est exact que j'ai déploré dans* « *Schisme dans l'Église* » *d'avoir parfois cédé à la tentation de la polémique. Afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, j'ai tenu à présenter plus particulièrement mes excuses à l'homme qu'en conscience j'estimais avoir attaqué d'une manière particulièrement désagréable, M. Jean Madiran.*
3° *J'ai par contre toujours affirmé, et je le répète, que* « *Schisme dans l'Église* » *non seulement ne contredisait pas le* « *Dossier des Nouveaux Prêtres* »*, mais en présentait la suite logique.*
*Dans le* « *Dossier* »*, ouvrage critique, je démontrais que, selon moi, des* « *militants* » *et des prêtres adoptaient, à leur insu, le mode de raisonnement dialectique des marxistes.*
*D'où la nécessité de compléter ce* « *Dossier* » *par un second ouvrage destiné à opposer au mode de raisonnement dialectique le véritable* « *dialogue chrétien* »*.*
4° *Il n'est donc pas question pour moi de désavouer le* « *Dossier* » *ou d'en donner le sentiment.*
*Me suis-je montré* « *injuste* » *pour des* « *catholiques notoires* » *qui ne partagent pas mes idées ? Si c'est le cas, il faut avouer que l'injustice n'a pas été à sens unique.*
173:103
*Elle explique un* « *mouvement d'humeur* »*, trop souvent justifié par la manière dont sont traités les catholiques réputés* « *intégristes* »*. Sans doute a-t-on toujours tort de céder à un mouvement d'humeur, même trop souvent justifié, comme c'est le cas pour celui-ci. Mais il ne touche qu'à la forme. Il reste le fond. Oui ou non des* « *militants* » *et des prêtres adoptent-ils le mode de raisonnement dialectique des marxistes ? Si c'est une* « *injustice* » *que de le soutenir, je demande qu'on me le prouve, avec des arguments. Qu'on me persuade, si on le peut, que j'ai eu tort, et je m'inclinerai. On ne l'a pas fait pour la bonne raison que personne n'a, jusqu'à présent, discuté ce dossier au fond.*
5° *Évidement, il n'est pas question d'accorder une importance excessive à une péripétie. Je crois néanmoins que le dialogue exige une vigilance de tous les instants, afin que les positions des uns et des autres soient saisies dans leur vérité.*
*Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas qu'un geste de bonne volonté réciproque soit malencontreusement gâché par ce qui pourrait apparaître comme une tentative d'utilisation.*
Pierre DEBRAY.
174:103
## CORRESPONDANCE
### La dernière lettre de M. Laurentin
Voici la quatrième et dernière de la série des lettres de M. Laurentin contre moi-même. La dernière : la plus récente. Mais la dernière aussi parce qu'il est temps de mettre un terme aux abus auxquels cet auteur vient se livrer chez nous.
Henri Massault publie d'autre part, dans le présent numéro, la troisième lettre de M. Laurentin sur l'histoire de Lourdes. Cela fait donc *sept lettres successives* de M. Laurentin que nous avons, à sa requête, insérées. Sept lettres successives, et pas une seule réponse, sur le fond, qui soit réelle ou qui soit véridique.
Notre longue patience, et celle de nos lecteurs, auront du moins permis de faire la preuve sur ce point aussi. Nous arrêtons maintenant cette comédie que nous joue interminablement M. Laurentin : la comédie des réponses qui ne répondent pas, des rectifications qui ne rectifient rien, et des bons sentiments qu'il nous exprime ici pendant qu'il nous calomnie d'autre part.
M. Laurentin est collaborateur régulier du *Figaro* et de « nombreux périodiques où il écrit habituellement » : il peut s'y exprimer autant qu'il le veut. Il peut nous y attaquer comme il l'a fait en nous dénonçant comme lanceurs de bombes, gens qui refusent par principe le Concile et qui brandissent une menace de schisme. Il n'a aucun besoin de notre hospitalité, dont il n'use que pour la bafouer.
\*\*\*
Cette dernière lettre de M. Laurentin est datée du 10 février 1966 : mais la date de la poste est le 12 mars.
175:103
« *Monsieur le Directeur,*
« *Toutes mes lettres de protestation ont le même but et le même sens que j'espère faire comprendre à la longue et qu'il devrait être facile de comprendre. Il s'agit en effet de revenir aux rapports normaux que je souhaite entre nous sur le double plan humain et chrétien.*
« *Je respecte les opinions d'autrui, celles d'*Itinéraires *comme les autres, et je me suis toujours gardé dans les nombreux périodiques où j'écris habituellement de mettre en cause aucun rédacteur de votre Revue, fût-il pseudonyme. Je respecte les opinions des auteurs même sous ces voiles. C'est seulement dans les organes de presse qui participent à la campagne de diffamation menée contre moi, et dans la mesure où leur insistance rend nécessaire l'usage de mon droit de réponse, que j'interviens pour rectifier les inexactitudes ou calomnies dont je suis l'objet. Je le fais autant qu'il est possible sans rappeler le nom des diffamateurs. Grâce à Dieu, dans cette lettre je puis répondre sans nommer personne.*
*Je demande tout simplement, pour ma personne, le même respect dont je ne me départis pas à l'égard des autres : ce respect des personnes que plusieurs évêques français ont rappelé avec force l'année dernière, en demandant à une certaine presse d'en finir avec certains procédés.*
« *Cela dit, il me faut bien rectifier, une fois de plus les attaques et déformations de ma pensée qui ont été multipliées dans le numéro de décembre d'*Itinéraires*, et qui sont propres à discréditer la réputation que j'ai le droit et le devoir de maintenir intacte au service de l'Église.*
« *J'ai dû faire la même chose contre les attaques anticléricales que certains organes attardés de la libre pensée ont multipliées contre moi, en 1958, au moment où je restaurais le crédit de Lourdes compromis durant les années précédentes par de vaines mais habiles attaques lancées dans la grande presse. Je regrette d'avoir à le faire aujourd'hui dans une revue dirigée par des catholiques. Je le fais sans rancœur, par pur souci de justice et d'objectivité. En le faisant, je suis sûr de rendre service à* Itinéraires*, car cette revue dont j'apprécie les bonnes intentions n'augmente pas son crédit en multipliant les attaques personnelles et systématiques aussi dépourvues d'intérêt pour le lecteur que contraires à l'esprit de paix qui doit régner dans l'Église et auquel nous invitent précisément les évêques français.*
176:103
« *Cette lettre concerne le numéro de décembre 1965, sauf ce qui concerne les articles de M. Massault sur Lourdes, car ce secteur appelle une réponse à part.*
« *Je glisse, pour faire plus court, sur la page 149 où vous me citez pour me mettre en parallèle avec Un* « *ambassadeur d'Hitler* »* !* (*p. 150*)*.*
« *Je glisse de même sur la page 211 où vous tentez de m'opposer au pape, bien gratuitement, faute d'avoir lu ou compris mon article intitulé :* « Paul VI pour l'intégrité de la doctrine eucharistique ». *Cet article du* Figaro *qui a été reproduit avec éloge par de nombreuses* Semaines religieuses *et qui a reçu le meilleur accueil à Rome.*
« *Je me bornerai à préciser ou à rectifier trois points connexes sur lesquels je tiens à éviter toute confusion.*
« 1° *En ce qui concerne la page 33 de votre numéro, je crois utile de préciser que l'article que j'ai écrit dans le* Figaro, *au nom duquel je réponds ici, n'avait pas le caractère d'une* « *publicité tapageuse* » *seulement, et n'était pas en première page du journal, comme certains lecteurs pourraient le croire à vous lire.*
« 2° *En ce qui concerne la page 39 : je n'ai pas dit avoir* « *été au nombre des experts ayant participé aux travaux qui préparèrent la décision* » *par lesquelles les évêques de France ont autorisé les prêtres à travailler à plein temps dans les usines. Cela suggère un rôle officiel qui ne fut pas le mien. L'honneur de la décision et de sa préparation revient exclusivement à la commission compétente de l'épiscopat français. Je n'appartiens pas à cet organisme, et mes contacts avec les prêtres ouvriers se situent sur un autre plan. Je pense que votre souci d'exactitude me sera reconnaissant de cette précision. La* « *grande catastrophe* » *que constitue pour vous le fait que l'abbé Laurentin ait été* « *entendu au titre d'expert* » *n'existe pas. C'est ailleurs qu'il vous faut chercher les responsables de la* « *catastrophe* » *si* « *catastrophé* » *il y a.*
177:103
« 3° *Vous me reprochez de rapporter l'une des raisons pour lesquelles Rome et l'épiscopat français ont autorisé les* « *prêtres au travail* » *à se syndiquer : du fait qu'un ouvrier non syndiqué n'est pas un ouvrier pleinement normal. Vous objectez :* « *En France 4 ouvriers sur 5 ne sont pas syndiqués.* » *Vous ajoutez que* « *l'abbé Laurentin ignore malheureusement* » *ce fait, bien plus que j'ignorerais le* « *premier mot* » *de* « *la question* »*. En fait, l'abbé Laurentin n'ignore pas ces choses, et il possède, à cet égard, des chiffres un peu plus précis que ceux que vous citez. Peu importent ici ces chiffres et votre approximation qui serait suffisante pour un traitement aussi rapide de la question. Le problème n'est pas là. Il tient en ceci : que* la majorité n'est pas forcément la normale. *Un simple point de comparaison en un tout autre domaine permettra sans doute de mieux vous faire comprendre ce principe auquel je me suis référé en passant et dont vous semblez curieusement me faire grief. Il y a, dans le monde, un nombre de catholiques que les statistiques évoluent autour de 600 millions. Sur tant de baptisés catholiques, combien vont à la messe le dimanche, selon ce qui est le strict devoir de tout catholique ? Hélas, pas plus de 1 sur 5, et les éléments que nous avons sur la question laissent deviner beaucoup moins. Je n'entre pas ici dans la discussion des chiffres. Ce qui importe c'est la conclusion : un catholique qui ne va pas à la messe n'est pas un catholique* normal, *même s'il est le cas le plus fréquent.*
« *Simple comparaison, en un domaine assurément très différent. Paisse-t-elle vous aider à mieux comprendre ma pensée et à retirer l'accusation d'ignorance qu'une* fois *de plus vous avez porté gratuitement contre la réputation de l'abbé Laurentin.*
« *Encore une fois, je n'entre pas ici dans le fond des problèmes. Le ton polémique que vous avez adopté systématiquement à mon égard ne permettrait pas d'ailleurs une discussion féconde. Je me borne à vous demander de réparer, en justice, le tort que vous me faites. Accuser d'* « *ignorance* » *quelqu'un qu'on présente comme* « *expert* » *n'est-ce pas en effet la plus grave des attaques que l'on puisse porter contre sa réputation ? Si une telle attaque est injustifiée, ne convient-il pas en bonne justice de la retirer ?*
178:103
« *Si j'insiste, c'est que j'ai déjà été l'objet d'attaques semblables et tout aussi injustifiées de votre part. Assez paradoxalement, vous m'avez accusé d'ignorer la doctrine de l'Église sur la propriété, alors que j'ai été, depuis l'origine, expert dans les commissions préparatoires et conciliaires qui ont travaillé en la matière. Plusieurs de vos articles, répercutés d'ailleurs par des conférences publiques, m'ont reproché d'ignorer la vraie doctrine de l'Église et de la contredire. Je pense ne pas avoir besoin de m'expliquer aujourd'hui sur certaines des affirmations qui vous ont étonné, et dont vous m'avez fait grief, puisque ces affirmations-là se trouvent aujourd'hui dans la Constitution pastorale sur l'Église et le monde, où vous pourrez commodément les lire au n° 69. Quant au fondement de mes affirmations, que les rédacteurs d'*Itinéraires *semblaient ignorer, là où ils me reprochaient naïvement mon* « *ignorance *»*, j'ai donné les références nécessaires dans mon* Bilan de la troisième session*, aux notes 11 à 13, pp. 384-385. Cela me dispense d'insister.*
« *J'espère, Monsieur le Directeur que vous ne continuerez pas le procédé qui consiste à répondre 5 pages pour une en noyant la lettre de réponse et en aggravant l'injustice là où je demande au plus court réparation d'une injustice. Je me suis permis d'être un peu plus long, cette fois, afin de vous rendre plus difficile ce procédé qui me semble anormal.*
« *Les tâches d'après le Concile invitent à cesser ces jeux stériles.*
« *Dans l'espoir d'être compris, je vous adresse, Monsieur le Directeur, l'expression de mes respectueux remerciements, et j'exprime l'espoir de relations plus conformes à ce qui convient entre hommes de bonne foi et entre chrétiens. *»
*R. LAURENTIN*.
« P.S. Je vous prie de bien vouloir insérer la présente lettre selon votre louable habitude et conformément à mon droit de réponse. »
\*\*\*
QUANT aux trois points successifs que M. Laurentin prétend explicitement « rectifier », ses rectifications sont, la première insignifiante, la seconde, protocolaire, la troisième radicalement inexacte.
179:103
C'est le procédé ordinaire de M. Laurentin, et nous le connaissons suffisamment désormais : dans ses « réponses », il parle toujours d'*autre chose* que de l'objet réel des contestations que nous lui avons opposées.
**1. -- **Certains lecteurs, dit M. Laurentin, « pourraient » peut-être « croire. », à la suite de notre numéro de décembre, que l'article du Figaro sur les prêtres au travail (25 octobre) était en première page.
Gravissime question.
Mais si ces lecteurs se reportent à la première page du Figaro du 25 octobre, ils se seront ni déçus ni égarés : ils y trouveront effectivement, et en haut de page, *neuf lignes de titres*, pas moins, sur les prêtres au travail, avec renvoi en page 17.
M. Laurentin nous précise en outre que son article n'avait pas seulement le caractère d'une « publicité tapageuse ». Adorable mise au point. Au demeurant, nous n'avons pas dit qu'il avait *seulement ce* caractère.
**2. -- **Dans cet article du 25 octobre, M. Laurentin écrivait lui-même, à propos des prêtres au travail :
« Je puis le dire pour avoir été témoin de leur recherche à laquelle j'ai participé comme théologien. »
Il fallait comprendre que si M. Laurentin a participé à la recherche à titre de théologien, il n'a pas participé à la décision à titre d'expert.
Cette précision est d'un puissant intérêt pour le fond du débat.
**3. -- **Le troisième point de M. Laurentin est l'un des meilleurs exemples de ces pseudo-rectifications dont il nous gratifie depuis des mois. Il expose ce qu'il aurait (peut-être) voulu ou dû écrire, en oubliant complètement ce qu'il a réellement écrit et que nous avons relevé.
Que M. Laurentin pense que « la normale pour un ouvrier est d'être syndiqué, c'est son droit (nous le pensons aussi, du moins sous la réserve qu'il s'agisse de syndicats également « normaux », ce qui n'est pas actuellement le cas en France).
180:103
Mais M. Laurentin n'avait pas écrit cela le 25 octobre. Il disait, chose toute différente, qu'*aux yeux des ouvriers eux-mêmes*, un ouvrier *n'est pas normal et complet s'il n'est pas syndiqué*. A quoi nous avons répondu que M. Laurentin ignore donc qu'en France 4 ouvriers sur 5, qui s'estiment normaux et complets, ne sont pas syndiqués.
Voici en effet ce qu'écrivait M. Laurentin (c'est nous qui soulignons) :
« Les prêtres qui vécurent ainsi (...) n'étaient ni dans un véritable ministère sacerdotal, ni dans une situation, authentiquement ouvrière, *puisqu'un ouvrier non syndiqué n'apparaît pas aux hommes de ces milieux comme un ouvrier complet et normal*. »
M. Laurentin est peut-être *aujourd'hui* très renseigné sur « les chiffres ». Il l'était apparemment beaucoup moins le 25 octobre 1965 : ce qu'il écrivait alors est insoutenable au regard même de ce qu'il nous écrit maintenant.
Mais, maintenant, il expose et défend une position *différente* de celle qu'il exposait dans son article du 25 octobre et que nous avons relevée.
Ce système de « rectification » en trompe-l'œil soutient fort mal la « réputation » que M. Laurentin souhaite sauvegarder.
#### M. Laurentin et « Mysterium Fidei »
Concernant M. Laurentin et l'Encyclique *Mysterium Fidei,* nous n'avons RIEN dit et RIEN fait, si ce n'est de mentionner et de reproduire un article de *La France catholique* qui le prenait incidemment à partie.
A notre connaissance, M. Laurentin n'a envoyé aucune lettre de réponse ou de rectification à *La France catholique *: c'est une faveur qu'il nous réserve.
Les quelques lignes de sa lettre sur ce point réalisent un de ces tours de prestidigitation dont il est coutumier.
181:103
M. Laurentin invoque en effet son article du *Figaro* intitulé : « Paul VI pour l'intégrité de la doctrine eucharistique ». Cet article, naturellement, nous ne l'avons pas compris -- assure M. Laurentin ; et, naturellement encore, cet article a été loué et reproduit par plusieurs « Semaines religieuses » et a reçu à Rome le meilleur accueil. -- Le malheur pour M. Laurentin est qu'IL NE S'AGIT PAS DU TOUT DE CET ARTICLE-LA, et qu'il le sait bien.
C'est dans UN AUTRE article, paru dans UN AUTRE numéro du *Figaro* (14 septembre 1965, page 10, col 1 et 2) que M. Laurentin a trouvé le moyen d'écrire ces lignes qu'avait justement relevées *La France catholique *:
« L'Encyclique est l'objet de conversations. La doctrine eucharistique qu'elle rappelle n'est mise en discussion par nul catholique. »
-- *Comme si cette Encyclique, finalement, s'avérait inutile,* a fort bien remarqué *La France catholique* du 1^er^ octobre 1965.
Nous n'avons pas tenté d'opposer M. Laurentin au Pape : ce serait grotesque. Et M. Laurentin se fait des illusions. Nous savons fort bien qu'on n'oppose au Pape aucun théologien. Et si par impossible nous avions le dessein insensé de vouloir opposer un théologien au Pape, nous choisirions tout de même autre chose qu'un Laurentin. Nous n'avons *rien* fait, répétons-le, que mentionner et reproduire la remarque de *La France catholique.*
Mais puisque M. Laurentin fait mine de n'avoir pas compris la portée de cette remarque, et vient s'en prendre à nous, nous allons lui donner la précision publique qu'il est venu chercher.
Dans l'Encyclique *Mysterium Fidei* on pouvait lire (traduction de la *Documentation catholique* du 3 octobre, col. 1635 et 1636) :
« Nous savons en effet que parmi les personnes qui parlent ou écrivent sur ce mystère très saint, il en est qui répandent au sujet des messes privées, du dogme de la transsubstantiation et du culte eucharistique, certaines opinions qui troublent les esprits des fidèles et causent chez eux une grande confusion sur les vérités de foi,
182:103
comme s'il était loisible à qui que ce soit de laisser dans l'oubli la doctrine précédemment définie par l'Église ou de l'interpréter de manière à atténuer le sens authentique des termes ou la force éprouvée des notions (...) En répandant ces opinions, et d'autres du même genre, on compromet gravement la foi envers la divine Eucharistie, ainsi que son culte. »
M. Laurentin, ayant lu et médité cet avertissement de l'Encyclique, s'y est *lui-même opposé*, en écrivant au contraire (citons de nouveau) :
« L'Encyclique est l'objet de conversations. La doctrine classique qu'elle rappelle n'est mise en discussion par nul catholique. »
Puis il vient nous requérir d'insérer dans *Itinéraires* la lettre ci-dessus, où il proclame que son article (mais en dissimulant qu'il s'agit d'un *autre* article) a reçu le meilleur accueil à Rome et a été reproduit avec éloges par de nombreuses « Semaines religieuses ».
Que M. Laurentin fonde sa réputation sur la machination de tels miquemacs, c'est son affaire. Mais qu'il ne compte plus sur nous désormais pour imprimer des fabrications de ce genre.
\*\*\*
DANS LA LETTRE de M. Laurentin, il y a plus grave encore : le détournement du numéro 69 de la Constitution conciliaire sur l'Église et le monde. Avec une assurance extraordinaire (nous prend-il tout à fait pour des analphabètes ?) il nous garantit que nous pouvons lire ses propres affirmations à ce numéro 69, qui précisément les renverse.
Sur ce point, sur quelques autres et sur notre décision de fermer notre porte à une littérature aussi spécieuse, on pourra lire aux pages ci-après la lettre que nous avons adressée à M. Laurentin.
J. M.
183:103
### Lettre de Jean Madiran à M. René Laurentin
25 mars 1966
MONSIEUR,
Je voudrais faire le point, en ce qui me concerne, des contestations pendantes entre nous ; et vous faire part des réflexions que m'inspire et des décisions que me suggère leur état actuel.
**I. -- **Dans l'ordre chronologique, ma première contestation a porté sur votre profession de foi parue dans le *Figaro* du 8 novembre 1963 :
« *L'Église qui depuis Pie IX s'était repliée sur elle-même, concentrée sur la contemplation des éléments les plus stricts et les plus autoritaires de sa structure, sort de sa chrysalide pour devenir l'Église vivante que le Christ veut susciter.* »
Malgré le nombre et l'étendue des « réponses » que vous m'avez prié d'insérer, vous n'êtes jamais revenu sur ce texte lui-même, pour l'expliquer, le justifier ou le rectifier.
184:103
Mais, dans le *Figaro* du 27 mai 1965, vous avez comparé la situation présente de l'Église à celle du premier siècle : où, disiez-vous, les « *judaïsants* » et les « *traditionnels* » ne « *firent pas et ne pouvaient faire schisme d'avec l'Église. C'est l'Église qui dut quitter la synagogue.* »
Comparaison redoutable en même temps qu'éclairante. L'Église vivante que le Christ veut susciter est encore a naître : et pour sortir de sa chrysalide, elle doit quitter l'Église traditionnelle comme l'Église traditionnelle avait quitté la synagogue.
C'est du moins ce que j'ai lu sous votre plume : si ma lecture était erronée, il vous était facile, dans l'une ou l'autre de vos « réponses » ; de me le dire. Mais c'est justement ce que vous n'avez dit à aucun moment. Vous avez parlé de votre réputation d'illustre théologien, des attaques injustifiées dont je suis coupable à votre égard, du tort que souffre votre réputation. Pas un mot de vous sur votre texte : j'y vois, et je l'ai publiquement déclaré à plusieurs reprises dans *Itinéraires*, une religion radicalement différente de la foi que j'ai reçue, une religion offensante pour la foi du peuple chrétien, une religion fausse et scandaleuse sous la signature d'un docteur catholique.
Néanmoins, j'ai fait explicitement état de l'hypothèse selon laquelle les termes que vous avez employés auraient dépassé ou déformé votre pensée. Vous pouviez confirmer cette hypothèse, vous expliquer, rectifier vos termes. Point. Vous avez laissé les choses et le texte en l'état.
Après plus de deux années, je prends acte du fait qu'en dehors de l'apologie générale de votre personnage, vous n'avez donné ni éclaircissement ni rectification à votre texte contesté.
185:103
**II. -- **Ma seconde contestation portait sur vos affirmations parues dans *Le Figaro* du 5 novembre 1964 :
« *On sait aujourd'hui que les rédacteurs de l'Encyclique* « *Rerum novarum* », *où Léon XIII tenta de restaurer les préoccupations sociales, virent la* « *propriété privée* » *là où saint Thomas parlait de la* « *destination commune* » *de droit divin. Ce contresens favorisa la dévalorisation des droits des pauvres et une certaine exagération des droits de la propriété privée. La récupération de la doctrine fut lente, difficile. Pie XII, le premier, y fit allusion dans un de ses discours. Jean XXIII fit un nouveau pas dans* « *Mater et Magistra* » *et dans* « *Pacem in terris* »*.*
D'après ces lignes de votre main, vous ignoriez à la date du 5 novembre 1964 que la doctrine dite de la « destination commune » figure explicitement dans *Rerum novarum*. Il est vraisemblable que vous l'avez appris depuis lors, ne serait-ce qu'à la lecture de mes protestations répétées. Vous m'écrivez maintenant, en date du 10 février (date de la poste : 12 mars) que j'ai porté une intolérable atteinte à votre « réputation » en prononçant le mot d' « ignorance ». Vous avez été en effet « *depuis l'origine, expert dans les commissions préparatoires et conciliaires qui ont travaillé en la matière* ». Je dois dire que la force de votre argumentation m'échappe complètement. L'histoire profane et l'histoire ecclésiastique sont pleines d' « experts » qui ignoraient plus ou moins, et quelquefois tout à fait, la matière même où on les consultait ; vous en êtes seulement un exemple supplémentaire, cela n'a rien d'inédit, encore moins de « paradoxal ».
Mais voici tout ce que, dans cette même lettre datée du 10 février (date de la poste : 12 mars), vous osez m'assurer à ce chapitre :
« *Assez paradoxalement, vous m'avez accusé d'ignorer la doctrine de l'Église sur la propriété, alors que j'ai été, depuis l'origine, expert dans les commissions préparatoires et conciliaires qui ont travaillé en la matière.*
186:103
*Plusieurs de vos articles, répercutés d'ailleurs par des conférences publiques, m'ont reproché d'ignorer la vraie doctrine de l'Église et de la contredire. Je pense ne pas avoir besoin de m'expliquer aujourd'hui sur certaines des affirmations qui vous ont étonné, et dont vous m'avez fait grief, puisque ces affirmations-là se trouvent aujourd'hui dans la* Constitution pastorale sur l'Église et le monde*, où vous pourrez commodément les lire au n° 69.* »
Monsieur, ces lignes de votre lettre, que je viens de recopier, suffiraient à elles seules, s'il en était encore besoin, à prouver que vous ne dites pas la vérité.
Vous le savez fort bien : mon « reproche », comme vous dites, mon seul « reproche » au chapitre de la doctrine sociale de l'Église, consiste uniquement et précisément à vous faire « grief » d'avoir écrit ceci, que je recopie encore une fois, qu'encore une fois je vous remets sous les yeux :
« *On sait aujourd'hui que les rédacteurs de l'Encyclique* « *Rerum novarum* » *où Léon XIII tenta de restaurer les préoccupations sociales, virent la* « *propriété privée* » *là où saint Thomas parlait de la* « *destination commune* » *de droit divin. Ce contresens favorisa la dévalorisation des droits des pauvres et une certaine exagération des droits de la propriété privée. La récupération de la doctrine fut lente, difficile. Pie XII, le premier, y fit allusion dans un de ses discours. Jean XXIII fit un nouveau pas dans* « *Mater et Magistra* » *et dans* « *Pacem in terris* »*.*
Voilà vos affirmations. Voilà le seul objet de mon « grief » et la totalité de mon « reproche » en la matière. Il y a cela, tout cela, rien que cela.
187:103
Aucune de ces affirmations que vous avez énoncées dans *Le Figaro* du 5 novembre 1964 -- et que depuis lors je vous « reproche », comme vous dites, dans « *plusieurs articles* »*,* comme vous dites encore, sans obtenir de vous ni rectification ni explication malgré ma longue insistance, mais en tous cas vous savez très bien de quoi il s'agit et ce qui est en question, en raison de mon insistance même et de ces « plusieurs articles » que vous avez lus, -- non, aucune de ces affirmations que vous avez énoncées dans *Le Figaro* du 5 novembre 1964 ne se trouve au numéro 69, ni à aucun autre numéro de la Constitution conciliaire que vous invoquez audacieusement.
La Constitution conciliaire ne dit nulle part que l'Encyclique *Rerum novarum* contient un contresens sur la propriété.
La Constitution conciliaire ne dit nulle part que ce contresens, au moins jusqu'à Pie XII, a favorisé la dévalorisation des droits des pauvres.
La Constitution conciliaire ne dit nulle part que Pie XII aurait été le premier à faire seulement une allusion, dans un unique discours, à la vraie doctrine, et que Jean XXIII aurait fait seulement un pas vers son rétablissement.
C'est vous, Monsieur, qui l'inventez et cette invention est intolérable.
La Constitution conciliaire dont vous prétendez couvrir vos affirmations insensées leur apporte au contraire, en son numéro 69, allégué par vous un démenti décisif.
Sur le point précis, en effet, de la « destination commune », une note de la Constitution conciliaire nous renvoie à l'EXPLICATION que Léon XIII a donnée dans *Rerum novarum* de cette doctrine de saint Thomas. Ce que vous dénonciez comme un « contresens », c'est cela que la Constitution conciliaire cite, avalise, recommande à notre attention.
188:103
En outre et inversement, vous pouvez chercher et vous le savez fort bien également : il n'y a aucune des affirmations contenues dans le numéro 69 de la Constitution conciliaire qui soit une affirmation dont je vous aie fait « grief » à aucun moment. D'ailleurs si vous aviez pu en trouver une, vous auriez été trop heureux de la citer.
Je vous fais grâce de l'expression des sentiments que provoque en moi votre audacieuse supercherie, à laquelle vous avez le cynisme de joindre l'ironie, assurant que je pourrai « commodément lire » vos propres affirmations dans le passage de la Constitution conciliaire qui justement les rejette. Mais enfin rien ne m'oblige à descendre avec vous à un tel niveau. Je remarque simplement que, pour tenter de défendre à n'importe quel prix une « réputation » que trop de vos écrits soutiennent mal, vous aggravez sans cesse les affronts que vous y faites vous-même. Celui-ci, le dernier en date, a valeur de point final.
Je vous conseille, si l'on vous y accepte, la Trappe.
**III. -- **J'ai bien remarqué que vous vous appliquiez avec persévérance à présenter nos contestations comme *une campagne de diffamation menée contre vous*. Je prends, soyez-en sûr, cette affirmation de votre part très au sérieux, et j'y vois ce qui nous sépare le plus radicalement : car il s'y révèle que vous vous faites une étrange idée des choses de la foi et des motifs qui peuvent déterminer une âme chrétienne.
189:103
On proteste, contre vos écrits, que l'Église vivante de Jésus-Christ n'est pas encore à naître. On proteste, contre vos affirmations, que la doctrine des Papes n'a point, de Léon XIII à Pie XII, favorisé la dévalorisation des droits des pauvres. Et comment recevez-vous de telles protestations ? Vous mettez-vous à expliquer, à justifier ou à rectifier votre doctrine ? Songez-vous aux âmes que vos assertions ont troublées, ou révoltées, ou égarées ? Nullement. Vous imaginez que l'on a le dessein de diffamer votre personne.
Mais votre personne, mon pauvre Monsieur, compte pour rien, et la mienne pas davantage, en regard de la foi que vos écrits mettent en cause.
En tout cela, vous ne pensez décidément qu'à votre personne. Qu'à votre réputation. Qu'à votre carrière ecclésiastique passée, complaisamment racontée. Qu'à votre carrière ecclésiastique à poursuivre. Qu'à des motifs personnels. Qu'à des questions de personnes. Vous n'imaginez pas un instant que l'on puisse avoir d'autres motifs, d'autres pensées : en quoi vous vous trompez, Monsieur, du tout au tout.
**IV. -- **Je viens de relire à la suite toutes vos lettres adressées à *Itinéraires*. Je n'y trouve rien qui concerne l'objet des contestations, graves et précises, élevées par nous. Cet objet n'est ni vague, ni gratuit, ni personnel, comme vous faites mine de le croire : il concerne la doctrine de vos textes, cités et remis inlassablement sous vos yeux par nos soins. Mais vous en détournez le regard, comme s'ils n'existaient pas. Vous assurez que nous vous accusons injustement, par fantaisie ou méchanceté en somme ? et que nous vous « prêtons » des « intentions », des « propos », des « termes ». Nous citons de nouveau, nous citons vos textes. Vous recommencez à ne pas les voir et à multiplier les considérations rhétoriques ou protocolaires, stylistiques ou sentimentales, sur notre agressivité et sur votre tendresse, sur notre petitesse et votre grandeur, sur notre obscurité et votre réputation.
190:103
Et maintenant il ne vous suffit plus que nous ayons publié vos lettres : il faudrait que nous les publiions sans y répondre nous-même. Vous venez m'accuser de *noyer vos lettres de réponse*, par un « procédé qui consiste à répondre cinq pages pour une ». Jusqu'où irez-vous donc ? La plupart de vos lettres, et la plus grande partie de leur contenu, ont été publiées dans *Itinéraires* par pure libéralité : elles n'étaient conformes, sous plusieurs rapports, ni à l'usage ordinaire du droit de réponse, ni à la loi qui réglemente cet usage. Vous vous êtes servi de notre libéralité pour accroître vos abus. Au nom du droit *de réponse*, vous avez multiplié les lettres qui étalaient insolemment la prétention de ne *rien répondre,* motivée par notre congénitale indignité ; invoquant le droit de rectification, vous avez prétendu nous imposer une prose qui ne rectifiait rien du tout, et allait parfois jusqu'à s'en vanter. Vous nous avez exprimé votre mépris en précisant quasiment chaque fois que vous nous refusiez tout débat, le prétexte de ce refus étant régulièrement tiré de notre insuffisance intellectuelle, morale, universitaire, mondaine et finalement totale. Fort bien : alors cessez de nous écrire des lettres que désormais nous vous renverrions. C'est seulement le fond du débat qui nous importe : sur quoi, n'ayant rien pu tirer de vous, nous n'avons que faire de vos considérations chaleureuses sur votre réputation, votre science, vos diplômes et les approbations qui pleuvent sur votre personnage.
Je comprends parfaitement que vous ayez eu le dessein de faire savoir à nos lecteurs, qui auraient pu en douter à la vue de plusieurs de vos écrits, que vous êtes diplômé, approuvé, honoré et réputé : nous n'avions pas l'intention de le leur cacher. Nos lecteurs savent qu'il n'est pas dans notre habitude de leur dissimuler les misères de ce temps, les misères du siècle, les misères de tous les temps.
191:103
Par l'histoire, par les livres, par la vie, nous avons quelque expérience des grands personnages, garantis tels par les parchemins, par la rumeur du monde et des journaux, par les honneurs profanes et ecclésiastiques. Nos lecteurs aussi : ils sont habitués, pour autant qu'il dépend de nous, à juger les œuvres en elles-mêmes et non d'après les titres mondains de l'auteur. Vous n'arriverez pas à sauver vos textes par tout ce tintamarre extérieur qui, parmi nous, n'impressionne personne. Mais enfin nous vous avons laissé répondre, dans les colonnes mêmes d'*Itinéraires*, comme vous l'avez voulu. Sans jamais en venir aux faits, aux textes, vous avez interminablement répété vos insinuations et vos accusations contre nous, et vos apologies de votre personnage approuvé et diplômé. Vos lettres, toutes semblables en leur facture, nous les savons par cœur, et au besoin nous pourrions les écrire nous-même : vous êtes un grand savant et je ne comprends rien ; vous êtes un illustre théologien et je suis un auteur tout à fait obscur ; vous êtes couvert de diplômes et j'en ai encore moins que vous ne pouvez le supposer : je ne possède pas le certificat d'études primaires (je ne suis même jamais parvenu au point de seulement m'y présenter) ; vous êtes juste et charitable, je suis un intolérable polémiste ; vous portez des jugements mérités et je porte des jugements injustes ; quand vous répondez, c'est votre droit, quand je réponds, c'est un procédé. Tel est votre système de défense, et nos lecteurs en ont eu parfaitement connaissance. Mais j'estime que maintenant la mesure est comble.
Après tant de mois, et même d'années, nous n'avons pas obtenu un seul mot de vous sur cela seul qui nous tient à cœur : l'Église vivante qui est encore à naître, la doctrine sociale de l'Église qui, depuis *Rerum novarum* jusqu'à Pie XII au moins, a favorisé la dévalorisation des droits des pauvres. Je vous précise à nouveau que ni moi ni mes lecteurs n'avons besoin de vos lumières sur ces sujets. Nous savons à quoi nous en tenir. Nous aurions voulu obtenir que vous détrompiez, dans *Le Figaro,* les lecteurs du *Figaro* que vous avez trompés :
192:103
que vous leur disiez vous-même que *Rerum novarum* ne contient pas le « contresens » que vous avez dit ; que la doctrine sociale des Papes n'a nullement, de Léon XIII à Pie XII, défavorisé les pauvres ; et que l'Église vivante que le Christ veut susciter n'a pas attendu l'année 1963 et le réputé Laurentin pour sortir de sa chrysalide.
Mais bien sûr je n'ai aucun *titre* à vous demander ces rectifications. C'était seulement un souhait de ma part, un simple vœu. Vœu impuissant, souhait misérable. Tant pis : Tant pis pour les lecteurs du *Figaro *; tant pis pour le peuple chrétien ; tant pis pour ceux qui prennent la responsabilité de couvrir et d'approuver vos histoires de chrysalide, de contresens, de dévalorisation des droits des pauvres. Nous avons fait ce qui dépendait de nous ; nous n'avons aucune charge de gouvernement. Contrairement à la réputation que l'on nous forge parfois, nous n'avons nullement la prétention d'être plus papistes que le pape ou plus épiscopaliens que les évêques. Si les instances hiérarchiques trouvent fort bon qu'un « illustre théologien » de votre sorte ait pu, en se réclamant d'elles, parler comme vous en parlez de l'Église vivante, du contresens de *Rerum novarum* et du tort ainsi fait aux pauvres, c'est leur affaire et non la nôtre. Vous êtes expert préparatoire, expert conciliaire, docteur, historien, théologien, réputé, illustre, approuvé : et l'on vous laisse dire que jusqu'à Pie XII au moins le contresens de *Rerum novarum* a favorisé la dévalorisation des droits des pauvres ; on vous y encourage même, s'il faut vous en croire : voilà un aspect mineur, mais habituel et bien connu, du mystère de l'Église.
Nous qui, ainsi que vous nous le donnez chaque fois à entendre, ne sommes rien en comparaison de votre illustre grandeur, nous reconnaissons volontiers que nous n'avons pas autorité pour faire rien de plus, et nous n'en avons pas l'intention. La réputation de l'Église et sa réalité vivante avant 1963, ou la valeur de la doctrine sociale de Léon XIII à Pie XII, nous n'avons aucun titre à les défendre, sauf celui de simples chrétiens du rang, de chrétiens baptisés et confirmés.
193:103
Pièces en main, textes reproduits noir sur blanc, nous vous avons publiquement convaincu de contre-vérité, et nous avons inséré vos « réponses » qui ne répondaient, de votre propre aveu, rien sur le fond.
Ce qui dépend de nous, Monsieur, vous pouvez compter que nous n'y faillirons point, parce que c'est notre foi qui est en cause.
Nous ne dirons jamais comme vous que l'Église catholique va enfin devenir, seulement aujourd'hui, l'Église vivante que le Christ veut susciter.
Nous ne dirons jamais comme vous que l'Encyclique *Rerum novarum* contenait un contresens sur la propriété qui a favorisé jusqu'à Pie XII la dévalorisation des droits des pauvres.
Nous portons le témoignage que, malgré l'autorité mondaine du *Figaro* et malgré l'autorité ecclésiastique de votre personnage, il existe un grand nombre de chrétiens qui refusent de croire un seul mot de vos affirmations téméraires.
Vous contraindre à les rectifier, ce n'est ni en notre pouvoir ni dans notre intention.
**V. -- **Mais si nous n'avons pas autorité pour vous faire rectifier vos contre-vérités concernant l'Église, nous sommes tout à fait qualifiés, et seuls qualifiés, pour vous demander compte de vos calomnies contre nous-mêmes.
Le numéro d'*Itinéraires* d'avril 1966, qui paraît quelques jours en avance, aujourd'hui même 25 mars, contient de la page 181 à la page 189 toutes les précisions nécessaires sur ce point.
194:103
A la première page du *Figaro*, le 27 mai 1965 (avec suite en page 18), vous nous avez accusés :
1\. -- de refuser par principe le Concile ;
2\. -- d'être des lanceurs de bombes ;
3\. -- de citer des faits ordinairement défigurés en ce qui concerne le complot communiste ;
4\. -- de brandir une menace de schisme.
Ces accusations étaient dirigées par vous contre le « groupe pilote » qu'anime Jean Ousset, dont nous sommes solidaires par le concours public et sans réserve que nous lui apportons. Vous preniez la double précaution de ne *nommer* personne mais de *désigner* sans risque d'erreur, en précisant que vous visiez le « groupe » dont avait parlé un article récent du *Borghese.* Vous désigniez tout aussi clairement notre ami et collaborateur Michel de Saint Pierre par la mention explicite des « nouveaux prêtres » entre guillemets.
A plusieurs reprises depuis le 27 mai 1965, je vous ai demandé compte de ces accusations gratuites ; je vous ai demandé d'en donner les preuves ou les références ; je vous ai demandé d'en accepter au moins la discussion contradictoire.
Vous n'en avez rien justifié, rien expliqué, rien rectifié. Vous croyez suffisant de vous répandre en discours, également gratuits, sur votre respect des autres, sur les rapports normaux que vous souhaitez voir s'établir entre nous, sur les relations conformes à ce qui convient entre chrétiens : autant de paroles qui sont à la fois superflues et sans valeur. Sans valeur, parce que vos actes n'y répondent point. Superflues en tout cas, parce qu'en une telle matière les actes suffiraient. Je vous demande à nouveau : quand et comment comptez-vous nous rendre raison de vos accusations ?
195:103
Quoi que nous fassions pour vous, ce n'est, à votre goût, jamais assez : mais vous vous gardez bien d'en faire seulement autant à notre égard.
-- Vous vous êtes plaint d' « accusations injustes » de notre part : eh bien, nous avons publié toutes vos plaintes, toutes vos protestations, -- et les preuves de ce que nous avancions.
A votre tour. Faites de même. Produisez les preuves de vos accusations contre nous et soumettez-les à la discussion publique. Dites pourquoi vous nous avez accusés de refuser par principe le Concile, d'être des lanceurs de bombes et de brandir une menace de schisme. Si vous vous êtes trompé, si vous avez été trompé sur notre compte, nous ne vous en tiendrons pas autrement rigueur : mais dites-le, en mêmes lieu et place, à la première page du *Figaro.*
Il n'est pas possible de continuer cette procédure unilatérale par laquelle, tandis que nous publions toutes vos protestations, vous ignorez toutes les nôtres.
Il n'est pas davantage possible de vous laisser continuer à déclarer dans *Itinéraires* que vous appréciez nos bonnes intentions, que vous respectez nos opinions, que vous voulez vivre en paix avec nous, tandis que dans *Le Figaro* vous nous dénoncez à la vindicte publique comme des gens qui menacent de schisme, lancent des bombes et refusent par principe le Concile.
J'attends donc maintenant de lire sous votre signature, à la première page du *Figaro,* la rétractation de vos accusations, ou les preuves sur lesquelles vous prétendez les fonder. Quand vous voudrez : mais jusque là, toute autre communication de votre part sera rejetée, vos lettres éventuelles vous seront retournées sans être lues.
196:103
Veuillez remarquer que la décision à laquelle je m'arrête ainsi est beaucoup plus miséricordieuse que sévère. Elle vous laisse une porte de sortie. Si vous tenez à ne pas rétracter vos accusations, et à ne pas avouer non plus votre incapacité à nous en rendre raison, je ne pousserai pas plus loin le constat de votre carence, qui est déjà suffisamment public et suffisamment avancé à mon gré : mais alors cessez de venir nous prendre à partie et disparaissez de notre horizon. Cela vous est facile, nous ne fréquentons pas du tout les mêmes sphères de la société, du monde intellectuel, du peuple chrétien. Vous pourrez même dire dans les antichambres, les salles de rédaction et les salons que c'est moi qui ai interrompu la discussion : matériellement, ce ne sera pas tout à fait inexact. Vous pourrez en conclure, si cela vous amuse, que l'évidence de votre bon droit, la force de votre science et l'étendue de votre réputation ont mis en déroute mon ignorance, mon infirmité, mon obscurité. Je vous assure du fond du cœur que, venant de vous, cela me sera complètement égal. Mais pesez bien la chance qui vous est ainsi offerte, et ne m'empêchez plus d'oublier votre littérature.
A défaut des hommages auxquels vous êtes habitué, et qu'il m'est impossible en conscience de vous rendre, je vous adresse, Monsieur, les salutations qui vous conviennent,
Jean MADIRAN.
197:103
## DOSSIER
### L'Appel aux évêques
CEUX de nos lecteurs qui connaissent déjà ou croient connaître la plupart des textes ici rassemblés tous ensemble, nous leur demandons néanmoins de se reporter aux trois dernières pages du chapitre VII ci-après : « Se grouper pour se défendre » ; de méditer ces trois dernières pages ; d'examiner ce qu'ils peuvent faire ; de prendre des résolutions pratiques.
D'autre part, nous avons un grand nombre de lecteurs nouveaux qui n'ont pas connu les « cinq phases constitutives de l'Appel aux Évêques », ou la lettre de Gabriel Marcel, publiées ici au fur et à mesure, dans le courant de l'année dernière.
198:103
Enfin, il nous a paru qu'il n'était pas inutile de réunir tous ces textes pour que l'on puisse les relire en une seule fois, les examiner et les faire connaître dans leur totalité. La presse dite « catholique » et la presse dite d' « information » ont rigoureusement passé sous silence les divers textes et jusqu'à l'existence de l' « Appel aux évêques ». Ce qui montre une fois de plus dans quelle illusion sont ceux qui croient « s'informer » au moyen des journaux.
199:103
*Ces pages contiennent :*
##### *Les cinq phases constitutives de l'Appel aux évêques*
1\. L'adresse « à nos évêques et à nos prêtres » envoyée par Michel de Saint Pierre le 1^er^ février 1965.
2\. -- L'appel aux évêques de France lancé par Jean Madiran le 9 février 1965.
3\. -- L'appel à l'union fraternelle du 28 avril 1965.
4\. -- L'appel de Jean Ousset de juin 1965.
5\. -- Octobre et novembre 1965.
##### *Et en outre :*
6\. -- La lettre de Gabriel Marcel à Jean Madiran.
7\. -- Se grouper pour se défendre.
8\. -- Notre témoignage.
Si vous n'avez rien su de l'existence et du contenu de ces appels, qui expriment l'espérance et la résolution de centaines de milliers de catholiques français, demandez à vos journaux habituels quelle est leur conception de l' « information ».
200:103
### I. -- A nos évêques et à nos prêtres
par Michel de SAINT PIERRE
*Adresse envoyée personnellement à tous les évêques de France par Michel de Saint Pierre, au début du mois de février 1965.*
LES LETTRES D'ENCOURAGEMENT, à propos de mon roman, « *Les Nouveaux Prêtres* »*,* affluent vers moi en nombre croissant, des lettres si toniques et si confiantes que j'y puise mes forces.
Mais je reçois également des reproches. Nous avons tous besoin de critiques, et pour ma part, je serais heureux de trouver dans celles que l'on m'adresse des sujets de réflexion, de retour en arrière, d'examen de conscience -- en même temps qu'une invitation à commenter plus longuement tel problème brûlant. Hélas ! Dans une proportion de 95 % ([^56]), mes contradicteurs s'expriment avec une telle colère, un tel orgueil, voire une telle insolence qu'il m'est impossible de tirer parti de ces explosions de rage. Les adversaires crient « touchés ! » âprement, haineusement parfois, et ce sera l'étonnement de ma vie d'avoir pu assembler un pareil dossier.
201:103
Or, quelques-uns de ceux qui se laissent aller aux excès de langage les plus inacceptables, sont des prêtres. Et davantage : les journaux, les bulletins paroissiaux distribués dans les églises -- et notamment dans celles du diocèse de Paris -- atteignent quelquefois un ton véritablement inouï. Mais qui donc espère-t-on convaincre, avec de semblables libelles ?
Depuis mes dernières déclarations, j'avais envoyé en réponse à l'entrefilet agressif d'un périodique dirigé par des prêtres, une simple explication de mon livre, tirée de la pastorale du Curé d'Ars. Mon texte, le journal en question a bien été obligé de le publier (loi de 1881) -- mais il a cru bon de l'assortir d'un commentaire ironique. Je n'invente rien. Tout cela finit par créer en moi une sensation d'écœurement et de tristesse. De nombreux journaux et revues qui se disent « catholiques » ou « chrétiens » et que je vois vendre, je le répète, à l'intérieur même de nos églises, au mépris du Droit Canon et des prescriptions de nos cardinaux et archevêques -- oui, des périodiques sans caractère « spécifiquement religieux », dont l'orientation politique éclate aux yeux les plus soigneusement fermés -- des publications qui ont soutenu le « mouvement Pax » me traitent dans leurs colonnes d'imposteur, d'inquisiteur, de calomniateur, j'en passe ! Elles me traitent aussi d'aristocrate, et j'en suis fier. Et je retrouve en elles, dans nos églises, le ton des journaux communistes lesquels me dénoncent comme « un petit bourgeois qui prétend donner des leçons aux curés progressistes ! ». Dans le même temps, je reçois des conseils : « Taisez-vous » -- « Ne répondez plus » -- « Soyez humble » « Ne vous durcissez pas » -- « Ne soyez pas intraitable » ...
202:103
Dieu sait que je ne me pose pas comme un modèle de douceur. Mais dans la circonstance précise des « Nouveaux Prêtres » je dis que pas une fois -- pas une seule fois -- je n'ai pris le ton de la polémique. Simplement, je réponds à mes détracteurs : « Vous n'avez rien compris à mon livre. Vous avez donné de ce livre une explication que je n'estime pas juste. Voici donc, à l'usage de vos lecteurs, mes propres explications. » Un point c'est tout. Il faudra bien un jour reconnaître que je n'ai jamais répondu dans ces journaux à la colère par la colère, ni à la haine par la haine. Mais cela ne me suffit plus : il faut aussi que cesse, enfin, un tel déchaînement de rage. Il faut que la liberté des enfants de Dieu soit enfin respectée dans la France chrétienne. Il faut que la tolérance soit enfin appelée tolérance et que la haine soit désignée par son nom. Il faut que la majorité la nôtre des chrétiens de France puisse, elle aussi, s'exprimer, sans qu'un concert d'injures s'élève aussitôt dans la plupart des « feuilles » catholiques, orchestré par on ne sait quelles mains. Il faut que l'on puisse librement, dans ce pays, se proclamer *catholique romain,* fidèle aux traditions de l'Église et à l'enseignement des Papes et rigoureusement opposé à l'infiltration marxiste, « intrinsèquement perverse ». Or, je le dis avec toute la fermeté possible : *tel n'est pas aujourd'hui le cas.*
\*\*\*
JE VEUX ENCORE, avant d'aller plus loin, qu'une chose parmi d'autres soit ici bien précisée : *je me désolidarise totalement de ceux qui s'attaquent à la Hiérarchie, à l'Épiscopat, au Concile, à Rome* d'où qu'ils viennent, à quelque bord qu'ils appartiennent. Je professe mon respect le plus profond du sacerdoce et singulièrement de nos évêques, successeurs des Apôtres. Je confesse ma filiale soumission à Rome, d'où nous viennent tout commandement et toute lumière. Je dis l'immense joie que m'ont apportée l'Encyclique *Ecelesiam Suam* de Sa Sainteté le Pape Paul VI, et les interventions du Souverain Pontife au Concile. Loin d'éprouver je ne sais quelle indécente déception à la suite de ces Actes Pontificaux loin de ressentir je ne sais quelle inexplicable « nausée » en évoquant la Primauté de Pierre je dis enfin, moi, simple laïc dans l'Église, que cette Primauté est d'inspiration divine ; qu'elle représente à nos yeux le salut de la Sainte Église et la garantie de sa pérennité.
203:103
Après l'Encyclique *Fulgens Corona* du Pape Pie XII, le Pape Paul VI a, d'autre part, offert comme conclusion à la troisième session du Concile, l'un des plus beaux saluts qu'un homme ait jamais adressés à la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu. Il a voulu -- de sa volonté propre -- qu'Elle fût proclamée Mère de l'Église. Et ce nom nouveau, nous le répétons dans nos soirs de tristesse, portant au cœur l'humble amour des fils que nous sommes. Enfin, nous avons lu avec joie le discours prononcé par le Souverain Pontife *sur l'autorité*, le 4 novembre dernier, dans la Basilique Vaticane et l'hommage éclatant que le Saint Père vient de rendre à la Curie Romaine, « instrument indispensable, élément ordonné, couronne exemplaire autour de la chaire de Pierre, dans sa mission pastorale pour le bien de la Sainte Église ».
\*\*\*
ET MAINTENANT, je me tourne précisément vers cette Hiérarchie à l'égard de laquelle je viens de répéter ma profession de respect. Je lui dis, sur le ton filial que je n'ai jamais cessé de prendre envers Elle : nous souffrons. Ces journaux qui sont vendus dans nos églises ne reflètent pas nos sentiments de chrétiens ni de Français. Ces revues où nous sommes calomniés et injuriés, n'ont plus de « catholiques » et de « chrétiens » que le nom. Pour ma part, je me permets de souligner encore une fois que je n'ai pas répondu au mépris par le mépris. Mais il est temps que cessent l'injure et la diffamation. Il est temps que les bulletins paroissiaux et les publications de nos diocèses apprennent à discuter « avec douceur et respect » il est temps, surtout, qu'une part de la France chrétienne ne prétende plus étouffer ni faire taire l'autre part, ni la réduire au désespoir. Nous sommes les brebis de votre troupeau et nous avons suivi les travaux du Concile. Nous avons entendu les plus hautes voix nous dire : « *Vous aussi, êtes l'Église.* » « *Il existe un sacerdoce des laïcs.* » « *Les laïcs dans l'Église doivent faire entendre leur voix.* » « *Vous êtes adultes...* »
204:103
Et nous vous demandons de nous entendre -- de prendre conseil de nous, appui de nous -- de nous éclairer -- de nous aider à votre tour. Au temps où nous nous taisions, nous avons vu le mal se développer, envahir nos églises, menacer nos enfants. *L'infiltration marxiste, nous nous heurtons à elle, aujourd'hui, à chaque pas de notre vie chrétienne. Nous* voyons, nous entendons, nous savons des choses qui fatalement vous échappent en partie, à vous, nos Pasteurs que nous vénérons et que nous voulons aider. Nous avons fait l'expérience du silence : elle a porté de mauvais fruits. Et si nous sommes inquiets aujourd'hui, certains d'entre nous ont pu éprouver qu'à Rome même, cette inquiétude est partagée.
Nous assistons, chez un nombre croissant de nos prêtres, à une quadruple défaillance, touchant leurs devoirs envers la Patrie (n'ont-ils pas lu le discours de S.S. Paul VI aux Français, en date du 6 décembre 1963 ?) l'esprit d'obéissance (vos prescriptions sur la tenue des prêtres, la vente des journaux à l'église et les innovations liturgiques, pour ne prendre que ces trois exemples, sont constamment bafouées, *sous nos yeux*) la pure et simple charité pastorale (nous nous référons à l'accueil fait trop souvent aux malheureux Pieds-Noirs et aux prêtres rapatriés d'Algérie ; et nous évoquons avec tristesse les étranges accusations jetées du haut de tant de chaires contre la classe bourgeoise, accusations où nous ne retrouvons plus l'Évangile ni le fameux « tout à tous » de saint Paul) et pour finir, une baisse de niveau effrayante dans la spiritualité.
C'est sur le dernier point que nous nous permettons d'insister : de tous les coins de France nous parviennent, en quantités sans cesse accrues, des lettres douloureuses, pathétiques, émouvantes ; elles émanent de prêtres, de religieux, de religieuses, de laïcs engagés dans une action chrétienne, et qui se montrent scandalisés -- scandalisés jusqu'aux moelles par les excès d'une certaine pastorale « activiste » où nous ne reconnaissons *rien* de l'enseignement de l'Église, ni de la sage et noble « mise à jour » du bon Pape Jean XXIII, ni des ordres et recommandations de S. S. le Pape Paul VI. « Dites-le » m'écrit un père de famille effrayé.
205:103
« Si vous ne le dites pas, personne ne le dira. Puisque, jusqu'ici, personne ne l'a dit. » Avec humilité, avec tolérance -- (et nous autres laïcs en savons bien plus qu'on ne croit sur les difficultés de l'apostolat, qu'il s'agisse de la « masse » privée de Dieu, ou de l'élite qui se déchristianise elle-même à vue d'œil) -- nous Vous appelons au secours. Sans nous permettre le moindre reproche à l'égard de qui que ce soit, nous disons clairement que trop souvent *nos cris d'alarme ne sont pas entendus.* Combien de fois, ces jours-ci, m'a-t-on écrit : « J'ai signalé tel ou tel fait, sans que rien soit changé, sans recevoir aucune réponse ? »
Et pendant ce temps, on accorde aux marxistes des faveurs, des « compréhensions », des dialogues -- voire des tribunes -- qui sont refusés à toute une catégorie de chrétiens. On vend dans les églises des publications complices des communistes où s'étalent impunément, contre nous, les outrages. On calomnie un écrivain catholique sans l'entendre et sans prendre garde au fait qu'il ait pu recevoir de très hautes approbations romaines. On ne semble tenir aucun compte de la patience de certains d'entre nous, devant le paquet d'injures qui nous est sans cesse jeté au visage. Voilà pourquoi, nous, laïcs adultes, et dociles à l'invitation du Concile, nous invoquons pour notre honneur et notre fidélité la protection de la Hiérarchie catholique. Et puisque l'on nous dit, du Concile, de Rome et de France : « *Il est temps de parler* »*,* puisque de toutes parts nous arrivent les appels désespérés de chrétiens dans l'Église qui se croyaient abandonnés, nous décidons maintenant, en notre âme et conscience, que nous ne nous tairons jamais plus.
\*\*\*
206:103
TOURNÉS, enfin, vers nos prêtres, nous leur disons : Vous êtes nos guides et nos frères. Aidez-nous.
Permettez-nous de vous aider. Respectez votre Patrie comme nous. Soyez tout à tous, car nous avons besoin de vous. Ne vous détournez pas du Pauvre d'Algérie, prêtre ou Pied-Noir -- car ceux qui ont tout perdu ont le visage de Jésus-Christ. Ne vous acharnez pas contre des œuvres -- institutions ou livres -- où nous avons mis notre cœur, avec notre sincérité. Évitez à notre égard ces « réflexes de caste » dont parlait récemment un expert au Concile, évoquant l'attitude des gens d'Église à l'égard des laïcs. Montrez-nous l'exemple de la charité, de la dignité, de l'obéissance. Et ne nous offrez jamais le spectacle d'un prêtre insulteur -- car il nous est trop douloureux.
Pour le reste -- et bien qu'il vous soit arrivé de moquer notre dévotion aux Saints -- pour le reste qui nous dépasse -- pour le reste qui touche à votre sacerdoce privilégié -- laissez-nous, du moins, vous parler encore de votre « patron » à tous : Jean-Baptiste Marie Vianney, curé d'Ars...
Ce n'est pas aux intellectuels, c'est aux pauvres, à l'ouvrier, à l'artisan qu'il s'adressait, du fond d'un siècle qui fut plus matérialiste que le nôtre. Il leur parlait de choses que nous n'entendons plus guère : du péché, de l'amour divin. Il n'attisait pas leur révolte, mais il leur prescrivait de « s'aimer les uns les autres ». Il évoquait les « choses invisibles » que l'on n'évoque presque jamais aujourd'hui, et qui pourtant sont présentes dans le texte du Symbole de Nicée. Il s'affirmait expressément comme prêtre, présent et séparé, à chaque instant, à chaque pas. Il savait tout de la misère, et de la miséricorde. Et il se plaignait, lui, de ne pas assez comprendre l'extraordinaire éminence du prêtre. Car il disait :
-- Si le prêtre comprenait bien le mystère de la Consécration, il mourrait d'amour !
-- On ne comprendra que *plus tard* le bonheur de dire la Messe.
207:103
**--** A la vue d'un clocher, vous pouvez dire : qu'est-ce qu'il y a là ? Le corps de Notre-Seigneur. Pourquoi est-il là ? Parce qu'un prêtre y a passé, et que ce prêtre a dit la Messe...
Est-ce trop demander à nos prêtres, que les prier instamment de relire la vie et les sermons de *leur* Curé d'Ars ? Comme ancien ouvrier, je crois, c'est ma conviction profonde, que la masse non-chrétienne a besoin de surnaturel, qu'elle éprouve au sein du monde moderne un effrayant vide d'amour, et que pour elle nulle pastorale ne remplacera la parole divine. Comme écrivain, je crois avec la même intime certitude que l'intellectuel a besoin du Mystère et des Béatitudes, au sein même de ses pires blasphèmes et de ses plus violentes négations. « *L'homme n'est pas une bête de travail, mais un esprit créé à l'image de Dieu* »*,* disait encore le Curé d'Ars. A l'élite, à l'ouvrier, n'est-ce pas le langage qu'il faudrait tenir ?
Nous vous aimons, prêtres, et nous vous respectons. Et nous vous supplions de croire vous-mêmes à la dignité incomparable de votre état sacerdotal, sans chercher à tout prix une « nouveauté » dont il n'a pas besoin. *Nous ne vous demandons pas d'être des saints :* de quel droit le ferions-nous ? C'est avec douceur que nous vous parlons, respectueux de vos mains qui ont le pouvoir de consacrer. Mais nous avons besoin du *prêtre de toujours*, éclairé par le brasier de Dieu.
Michel de SAINT PIERRE.
208:103
### II. -- L'appel du 9 février 1965
*La réunion du 9 février 1965 à Paris était convoquée par le* « *Club de la Culture française* » *que préside Michel de Saint Pierre. Jean Madiran y a rappelé et fait acclamer les points principaux de l'adresse* « *à nos évêques et à nos prêtres* » *dont le texte intégral figure aux pages précédentes. Puis, dans la même ligne et la même pensée, Jean Madiran a lui-même lancé un appel pressant et précis aux évêques de France, en vue du rétablissement de conditions normales à l'intérieur du catholicisme français.*
*Cette réunion -- la première d'une série de réunions analogues tenues dans toute la France -- commençait à mettre en lumière la force et le retentissement d'une action qui n'est aucunement une agitation politico-religieuse et encore moins une attaque contre la Hiérarchie.*
*L'affirmation centrale et répétée de Michel de Saint Pierre et de Jean Madiran est que la situation, épouvantable à plusieurs égards, qui est celle du catholicisme français, ne pourra être surmontée dans chaque cas que par un autorité religieuse légitime agissant en tant que telle.*
209:103
*Il serait non seulement indu, mais entièrement stérile de prétendre se substituer à l'autorité religieuse en quelque manière que ce soit. Elle seule peut faire que les catégories entières de prêtres et de fidèles présentement traitées comme des* « *chiens* » *et réputées* « *les pires ennemis de l'Église* » *soient à tous les niveaux réintégrés dans une communauté chrétienne normale et apaisée.*
\*\*\*
*L'année précédente, en 1964, Georges Sauge avait pris l'initiative, louable et généreuse, de proposer entre catholiques divisés un dialogue général. La proposition de Georges Sauge n'a nullement rencontré, auprès de ceux qui sont responsables de l'unité et de la paix, la compréhension active qui lui aurait permis de porter ses fruits. Elle n'a reçu aucun commencement d'exécution.*
*Au demeurant, il ne s'agit pas d'un dialogue privé de personne à personne, qui n'a jamais cessé d'être possible et de se poursuivre dans certains cas.*
*Il s'agit de rendre droit de cité, d'un bout à l'autre de la communauté chrétienne, aux catégories entières de prêtres et de fidèles qui sont exclues de la vie sociale et institutionnelle catholique sous l'accusation d'* « *intégrisme* »*, d'* « *anti-communisme* »*, de* « *dévolution mariale* »*, et autres prétextes analogues.*
*Dans le clergé catholique, la persécution de ces catégories est systématique et prend les allures d'une affaire des fiches.*
*La pacification et la réintégration nécessaires ne sont évidemment opérables que* PAR *la Hiérarchie apostolique,* QUAND *et* COMME *elle croira devoir le faire.*
*Jusque là,* CE QUI DÉPEND DES VICTIMES DE LA PERSÉCUTION EST SIMPLEMENT DE S'UNIR POUR S'ENTRAIDER ET SE DÉFENDRE, PAR TOUS LES MOYENS LÉGITIMES.
\*\*\*
210:103
*Le 9 février, après avoir, pendant plus d'une heure, donné des exemples caractéristiques de ce qu'il a nommé, d'un terme discret, les* « *anomalies majeures* » *que nous subissons présentement, Jean Madiran a lancé un Appel aux évêques de France.*
*Cet Appel aux évêques de France, il ne dépend aucunement de nous de déterminer quel accueil lui sera fait ni quelles suites pratiques lui seront données.*
*L'autorité légitime est maîtresse et responsable de ses décisions comme de ses abstentions.*
*Mais cet appel, il dépendait de nous de le prononcer, en tout respect, en toute netteté, en toute solennité.*
*Jean Madiran a déclaré :*
IL Y A UNE SORTE DE GUERRE à l'intérieur de l'Église. Ce n'est pas une guerre que nous faisons, c'est la guerre que l'on nous fait : la guerre que l'on fait à une partie des prêtres et des laïcs, qualifiés d' « intégristes ». La guerre que l'on fait selon le cri de guerre du Révérend Père Liégé qui a proclamé, comme vous le savez : « Les intégristes sont les pires ennemis de l'Église, plus dangereux que les communistes. »
Je ne disputerai pas le point de savoir si ces prêtres catholiques, si ces laïcs catholiques que l'on désigne comme « pires ennemis de l'Église », « plus dangereux que les communistes », sont une minorité ou une majorité.
J'ai bien mon idée là-dessus. Mais la question principale n'est pas une affaire de majorité ou de minorité.
La question principale est que l'on en soit venu à TRAITER EN ENNEMIS, et en PIRES ENNEMIS, toute une partie du clergé catholique et du peuple chrétien, la partie la plus traditionnelle, la plus intégriste si l'on veut, et en tous cas la plus habituellement fidèle au Saint-Siège.
Cela n'est pas normal.
Cela n'est pas moralement, cela n'est pas spirituellement possible.
211:103
Même dans l'hypothèse dans l'hypothèse extrême, dans l'hypothèse de raisonnement même dans l'hypothèse où nous aurions presque universellement tort, même dans l'hypothèse où ceux qui se veulent nos adversaires et nous traitent en ennemis auraient presque universellement raison, IL Y AURAIT D'ABORD CE FAIT ESSENTIEL QUI LEUR DONNE TORT : c'est de traiter comme des chiens et c'est de traiter en ennemis, comme ils le font, toute une partie du clergé catholique et du peuple chrétien, même si cette partie du clergé catholique et du peuple chrétien est une minorité et même si c'est une minorité qui se trompe.
C'est là que NOUS SOMMES DES TÉMOINS. C'est là notre témoignage, notre vivant témoignage de chrétiens traités en ennemis et traités comme des chiens à l'intérieur de l'Église de France.
Ceux qui se veulent nos adversaires en sont réduits là.
Pour faire triompher ce qu'ils appellent leur « théologie nouvelle », et leur « christianisme nouveau », et leur « construction du monde », ils en sont réduits à nous traiter comme des chiens et à nous traiter en ennemis. ILS FONT AINSI LA PREUVE QUE CE QU'ILS SONT EN TRAIN D'ÉDIFIER DE CETTE MANIÈRE-LA, CE N'EST certainement pas UNE COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE.
\*\*\*
Le moment où l'on fait la guerre à toute une partie du clergé catholique et du peuple chrétien est aussi le moment où, d'autre part, on entame un dialogue avec le marxisme et où, pour entamer ce dialogue avec le marxisme, on entame un dialogue cordial avec les chefs de l'appareil communiste, avec les membres du Comité central et du Bureau politique du Parti communiste.
Je répète :
cela n'est pas normal,
cela n'est pas moralement et spirituellement possible.
212:103
Ceux qui entament un dialogue avec les chefs de l'appareil communiste sont ceux qui empêchent d'instaurer et d'organiser un dialogue fraternel entre catholiques si profondément divisés.
Je ne dis pas que le dialogue entre catholiques soit TRÈS FACILE, au point où l'on en est, au point où l'on a laissé venir les choses, au point de dégradation qu'atteint la situation présente. Je dis que ce dialogue est nécessaire. Je dis qu'il est temps. Et je dis même qu'il est déjà bien tard.
Quand on fait des avances amicales aux chefs de l'appareil communiste au moment même où l'on traite d'ennemis et où l'on traite de chiens toute une partie du clergé catholique et du peuple chrétien, ce n'est pas à nous que l'on fait le plus de tort, ce n'est pas à nous que l'on fait le plus de mal : c'est à l'Église elle-même, et à l'ordre de la charité dans l'Église.
\*\*\*
C'est pourquoi je lance moi aussi, ce soir, un avertissement, un cri d'alarme, et surtout un appel : un appel à qui veut l'entendre, à qui peut l'entendre.
La main tendue DU Parti communiste, et la main tendue AU Parti communiste, c'est une opération politique, mais ce n'est pas principalement une opération politique : c'est une opération religieuse de l'athéisme militant.
Ce que les communistes recherchent réellement, c'est d'apporter le renfort de leur puissance temporelle à une partie des catholiques, pour combattre et liquider les autres catholiques, les « intégristes », les « réactionnaires », les « traditionalistes », les « simplistes », les « chiens ».
Et ce que certains catholiques recherchent du côté des communistes, c'est précisément ce renfort temporel, c'est UN BRAS TEMPOREL pour combattre et pour liquider « les chiens ». Quand on a décrété que les intégristes sont « les pires ennemis de l'Église, plus dangereux que les communistes », il est affreusement logique *de* chercher à faire l'union sacrée avec les communistes contre le plus grand péril catholique.
On pourra ainsi nous combattre, on pourra éventuellement nous liquider, MAIS CE QU'AINSI L'ON DÉTRUIRA SURTOUT, C'EST L'ÉGLISE EN FRANCE, COMME ON L'A DÉTRUITE EN CHINE ET AILLEURS, ET DE LA MÊME MANIÈRE, EXACTEMENT.
\*\*\*
213:103
Il faut choisir entre les deux dialogues.
D'une part, le dialogue avec le Parti communiste, qui aboutit à l'unité d'action des communistes et d'une partie des catholiques pour combattre et détruire l'autre partie des catholiques.
D'autre part, le dialogue entre catholiques, pour rétablir l'unité et la charité dans le catholicisme français, et faire face au péril du communisme ; le dialogue entre hommes de bonne volonté pour établir leur collaboration sociale sur la base de la loi naturelle.
Le choix est le même au plan œcuménique.
Car au plan œcuménique, le communisme est également présent et actif, par personnes interposées, et pas toujours par personnes interposées.
Le communisme propose son dialogue et son concours aux différentes confessions et communautés ecclésiales chrétiennes, pour les aider chacune à liquider leurs « intégristes » et pour les inviter à l'unité d'action avec lui-même dans la « construction du socialisme ».
Il faut choisir ici encore.
IL FAUT CHOISIR ENTRE CE DIALOGUE MONDIAL AVEC LE COMMUNISME, ET LE DIALOGUE ENTRE CHRÉTIENS SÉPARÉS POUR RÉTABLIR L'UNITÉ ET LA CHARITÉ DANS LA COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE ET FAIRE FACE AU PÉRIL UNIVERSEL DU COMMUNISME.
Voilà ce que nous pensons.
Voilà ce que nous disons.
*Voilà notre appel.*
Cet appel qui est le nôtre, nous l'adressons aux hommes qui sur cette terre ont la charge redoutable, écrasante, de l'autorité dans l'Église.
Cet appel, avec pleine et filiale confiance, nous le déposons aux pieds de Marie, Mère de l'Église.
214:103
### III. -- Appel à l'union fraternelle
*Dans une nouvelle réunion présidée par Michel de Saint Pierre, le 28 avril à Paris, Jean Madiran a lancé de nouveau l'* «* appel aux évêques *» *du 9 février.*
*Et cette fois Jean Madiran y a ajouté un autre appel, un appel aux laïcs responsables, à leur action, à leur union :*
On nous a dit de toutes parts : « C'est l'heure du laïcat. Le laïcat doit prendre la parole. Il doit sortir de son sommeil ».
Et puis voici que ceux qui avaient formulé d'aussi pressantes invitations se mettent à faire la grimace à mesure que prend la parole un laïcat qu'ils n'attendaient pas, un laïcat qu'ils n'avaient pas prévu.
215:103
Ou qu'ils croyaient avoir liquidé.
Ce n'est pas seulement un phénomène français.
Aux États-Unis s'est créé depuis plusieurs mois un mouvement -- laïc -- de catholiques sainement traditionnels, robustement actuels, qui déclarent représenter les sentiments de la majorité des catholiques américains. Ils se font rabrouer.
En Hollande, des catholiques ont écrit à leurs évêques : une sorte d' « appel aux évêques analogue à celui que Michel de Saint Pierre et moi-même avons lancé au mois de février. On s'efforce d'étouffer leur voix.
Les uns et les autres se réfèrent, comme nous, à la lettre et à l'esprit des Constitutions et Décrets conciliaires effectivement promulgués, selon leur teneur authentique. Contre eux, contre nous, on lance l'abominable calomnie, l'accusation menteuse d'être « opposés aux orientations conciliaires » et d'être « contre » le Concile, parce que nous refusons les aberrantes fabrications de toute une littérature para-conciliaire ou pseudo-conciliaire puissamment orchestrée, mais qui précisément n'a pas pu faire passer ses revendications dans les textes conciliaires promulgués.
On voit se manifester ainsi l'existence d'un laïcat nombreux, résolu, ardent, mais qui NEST PAS REPRÉSENTÉ dans les congrès officiels, dans les journaux officiels, dans les organisations officielles.
La presse et les organisations catholiques ne sont pas, en général, représentatives des pensées, des sentiments, des aspirations réels du peuple chrétien.
La plupart des organisations catholiques constituées et des journaux catholiques installés ont été colonisés par une faction minoritaire, sectaire, mais puissante, qui ne rêve que d'une « construction du monde » qui serait plus ou moins la « construction du socialisme » menée en collaboration avec les communistes.
\*\*\*
216:103
L'apparition d'un laïcat si différent de ce que l'on prévoyait, si contraire aux schémas sociologiques ou pastoraux préfabriqués, si entièrement libre à l'égard des idées à la mode et des soi-disant courants irréversibles, cette apparition est fatalement tenue DANS UN PREMIER TEMPS pour un phénomène incongru, voire monstrueux.
Et dans ce premier temps, on répond en substance à ce laïcat inattendu :
-- Silence dans les rangs !
Nous sommes dans ce premier temps, qui est bien sûr un temps d'épreuves et de souffrances, voire de persécutions, et qui est susceptible de se prolonger plus ou moins. La faction installée dans les journaux et les organisations officielles nous calomnie systématiquement, parce qu'elle veut, défendre à tout prix son monopole artificiel et sa prépotence, arbitraire. Elle se sert de cette prépotence et de ce monopole pour tenter de faire pression sur l'Église.
Cette faction veut maintenir L'ÉCRAN PERMANENT qu'elle avait réussi à établir entre la plupart des structures ecclésiastiques et la plus grande partie du peuple chrétien.
Depuis trop d'années, ce sont surtout les turbulents, les agités, les révolutionnaires, les subversifs qui se faisaient entendre à peu près seuls et qui prétendaient, « représenter » la « majorité » du peuple chrétien. On supposait que les silencieux étaient passifs et, négligeables.
Or les silencieux étaient en général occupés AILLEURS, à des ŒUVRES RÉELLES d'action sociale ou professionnelle, civique ou culturelle, charitable ou apostolique, et ne se souciaient ni de « se faire valoir » dans les journaux ni de « se faire entendre » des grands de ce monde.
Mais la situation est trop grave maintenant pour qu'ils puissent continuer à rester silencieux, et à laisser le monopole de l'audience -- et des audiences -- aux bavards, aux intrigants et aux subversifs.
C'est, maintenant l'heure de l'effort et c'est l'heure de l'union.
\*\*\*
217:103
En raison même de cette situation, il y aura encore, sans doute, des remous, des difficultés, éventuellement des batailles.
C'est pourquoi il faut maintenant, par delà les incompréhensions ou les divisions d'hier ou d'avant-hier, mettre sur pied l'union fraternelle ; et j'ose dire l'union sacrée de tous ceux qui mènent une action équivalente, parallèle ou analogue. L'UNION SACRÉE POUR LE SALUT de nos sociétés temporelles, de notre civilisation chrétienne, et des âmes dont nous avons, à un titre ou à un autre, plus ou moins directement la charge et la responsabilité.
Nous sentons bien que tout est menacé et qu'il y va de tout.
Oui ; c'est maintenant l'heure de l'effort et c'est l'heure de l'union.
Courage ! Et confiance ! Comme disait Jeanne d'Arc : « Les hommes batailleront, et Dieu donnera la victoire. »
218:103
### IV. -- L'appel de Jean Ousset
*En juin 1965, Jean Ousset publiait dans* « *Permanences* » *une lettre ouverte à Georges Sauge. Il prenait acte du refus, implicite maïs effectif, opposé à la proposition de dialogue entre catholiques faite par Georges Sauge en 1964. L'* « *appel au dialogue* »*, précisait-il, doit être nécessairement précédé par l'* « *appel aux évêques* »* :* « *Appel qu'ont lancé Michel de Saint Pierre et Jean Madiran, appel qu'à notre tour nous devons lancer avec eux et comme eux.* »
Voici un an bientôt que vous avez lancé votre appel au dialogue. Dialogue non exclusivement offert aux catholiques dits « de gauche » comme il advient presque toujours. Mais dialogue offert à tous les catholiques de France. Appel au dialogue dont je vous ai félicité aussitôt. Tant il me parut opportun et heureusement formulé.
Je fus, d'un coup, enthousiaste et craintif.
219:103
Enthousiaste : parce qu'il est clair que c'est là un excellent moyen d'éviter les pires déchirements entre catholiques français.
Craintif : comme on l'est dès qu'on souhaite ardemment le succès d'une opération salvatrice.
Mais où en sommes-nous ? Si j'ai bien compris, cela parut marcher au début. Pour ralentir ensuite. Au point qu'aujourd'hui l'échec semble évident. Et donc est-il déraisonnable de se demander pourquoi un appel, qui paraissait correspondre si bien aux formules en vogue, est quand même resté sans effet ?
\*\*\*
Je ne pense pas qu'il faille mettre en doute la volonté de dialogue de ceux qui jusqu'ici ne passent point tant pour nos amis.
Je suis persuadé que beaucoup souhaitent même, sincèrement, une rencontre.
Mais rencontre à certaines conditions. Qui sont celles d'un dialogue à huis-clos. Cordial, peut-être. Pourvu qu'il reste sans écho. Autrement dit : *un dialogue tout différent de celui que nous voyons si constamment engagé entre certains chrétiens et les communistes, par exemple.*
Dialogue qui, lui, est le bon.
Parce que loyal. Parce qu'il est celui dont on ne rougit pas. Celui dont on ne cherche pas à étouffer l'écho. Celui qu'on affiche. Celui dont on est fier. Celui qui compte aux yeux du public.
Alors que le dialogue qu'on souhaite, peut-être, avoir avec nous est bien différent.
Dialogue honteux. Dialogue dont on ne se vante pas. Dialogue dont il n'est surtout pas question de publier les termes. Dialogue... « pieuse-corvée-de-famille ». De ceux qu'on accorde, par scrupule sentimental, à l'oncle gâteux ou à la vieille tante qui radote. Œuvre de miséricorde ! Bien sûr ! Mais rien d'un dialogue sérieux, d'un dialogue « sociologique », comme on dit aujourd'hui... Le seul qui soit accordé aux « interlocuteurs valables » !
220:103
Autant dire : à n'importe qui.
Car tous sont conviés : orthodoxes, protestants, juifs, bouddhistes, hindouistes, athées, communistes, francs-maçons. Tous. Sauf nous !
Ce qui -- sans le moindre jugement d'intention -- permet d'affirmer que ce dialogue d'universelle concorde offre quand même le petit inconvénient de dialectiser l'Église, avant tout autre résultat. Preuve, comme dit Madiran, que « ce qu'ils sont en train d'édifier de cette manière-là, ce n'est certainement pas une communauté chrétienne. »
Phénomène permanent de ségrégation sans aveu, ou, comme on l'a dit, d'apostolat sélectif.
\*\*\*
Voilà, cher Georges Sauge, ce que l'échec de votre « appel » aura mis au moins en lumière. Car désormais il sera clair que ces gens ne veulent pas de ce dialogue ouvert, affiché, qui dans une société réputée « pluraliste » pourrait seul « rendre droit de cité » comme dit Madiran, « d'un bout à l'autre de la communauté chrétienne, aux catégories entières de prêtres et de fidèles qui sont exclues de la vie sociale et institutionnelle catholique sous l'accusation d'intégrisme, d'anti-communisme... etc. »
Moins naïfs, nous aurions compris depuis longtemps que ce genre de dialogue leur était impossible. Pourquoi ? Parce que ce dialogue, ouvert, public, nous, « réhabiliterait » aux yeux de tous.
Et que c'est là qu'ils ne veulent pas, ne peuvent pas vouloir.
Voici dix ans et plus qu'en ce qui nous concerne, ils ont tout fait pour nous écarter. Nous déconsidérant. Nous calomniant. Nous accusant de soutenir la torture. Nous présentant comme condamnés ou en instance de l'être. Constituant des dossiers menteurs pour nous faire expédier en prison.
221:103
Et, parce qu'ils disposent d'une supériorité matérielle écrasante ; parce qu'ils règnent sur les stands de presse, dans les séminaires, les commissions..., nous passons désormais aux yeux d'une foule de braves gens pour une sorte de vermine, dont il importe de débarrasser l'Église au plus tôt.
« Les pires ennemis de l'Église. Plus dangereux que les communistes. »
Ce qui veut dire quelque chose.
Surtout quand le propos a pour auteur un Père dominicain, qu'on suppose avoir fait des études, et qui sillonne le monde pour dire quel doit être, désormais, le christianisme.
Or tout ce qui a été fait pour obtenir un semblant de justice n'a servi à rien. Les défroqués ont pu se multiplier dans les rangs de nos insulteurs, leur verdict fondamental demeure. Et aucune autorité n'est intervenue pour le leur faire changer on seulement adoucir.
Et donc, cher ami... supposez que vous-même, après les avoir déshonorés, refouliez en quelque ladrerie un assez joli nombre de pauvres types et les y mainteniez... vous sentiriez-vous, ensuite, l'estomac assez solide pour leur rendre visite ? Et leur dire, la bouche enfarinée : or ça, chers amis, dialoguons.
Convenez-en. Il faut pour ces audaces un « culot » que ni vous, ni moi, ni eux n'avons. Dieu merci.
Et dire que nous avons failli être assez « bonnes poires » pour accepter la comédie.
Pour abominable qu'il soit, le déchirement actuel n'est-il pas préférable, en effet, à ce dialogue menteur qui, je le crains, nous aurait été réservé. D'autant que si, au plan des responsables d'organismes ou périodiques, le dialogue ouvert a été refusé, pendant qu'on l'accorde aux communistes, il n'est besoin d'aucun « appel », d'aucune invitation pour lier conversation avec qui l'on veut : Sosthène ou Jules, piétons lambdas ; qui, parce qu'ils sont moins publiquement prisonniers d'une étiquette ou d'une thèse, sont beaucoup plus ouverts et accessibles.
Or ce dialogue, vous le savez, est tout notre travail.
\*\*\*
222:103
Reste qu'entre catholiques la situation est atroce, me direz-vous.
Certes.
Encore que plusieurs -- et non des moindres -- se félicitent de la voir manifester, face aux progrès de la Révolution, la pureté d'une Église enfin débarrassée, prétendent-ils, de toute attache capitaliste.
Dommage que pour ces prophètes cette libération soit aussi promptement, aussi servilement conçue en accueil du tyran qui vient.
Ce qui ne rappelle que de fort loin cette loi des « fenêtres de symétrie » en vigueur au temps de nos débuts. Temps où ceux qui passaient pour « extrêmes » étaient renvoyés dos à dos. « Un coup à droite, un coup à gauche. »
Cette ère des balances -- peut-être contestable -- est, en tout cas, bien terminée.
Car il est plaisant d'entendre dire qu'aucune différence n'est faite entre catholiques de droite ou de gauche, quand tout dénie dans la réalité l'assurance du propos.
Ainsi les choses vont et iront en s'aggravant.
Il est vrai qu'un combat précis nous appelle au temporel. Livrons-le d'autant mieux que nous y pouvons être plus normalement efficaces. Car en ce qui concerne l'aspect du drame propre au catholicisme actuel, vous connaissez la règle à ce degré : « *rien sans l'Évêque* »*.*
C'est pour cela qu'après un an d'attente vaine et de croissante désillusion, je pense que c'est moins un APPEL AU DIALOGUE qu'il importe de relancer qu'un APPEL AUX ÉVÊQUES. Appel qu'ont lancé Michel de Saint Pierre et Jean Madiran.
Appel qu'à notre tour nous devons lancer avec eux et comme eux.
Jean OUSSET.
223:103
### V. -- Octobre et novembre 1965
EN OCTOBRE 1965 paraît le livre de Michel de Saint Pierre : *Sainte colère.* Le chapitre VI est intitulé. « Nouvel appel à nos évêques ». Il reproduit l'appel de février 1965. En le faisant figurer dans un tel livre, Michel de Saint Pierre lui donne cette fois un retentissement international.
Et, le 22 novembre 1965, le Pape Paul VI déclare aux évêques de langue française :
« *Il faut qu'aucune âme de bonne volonté et foncièrement attachée à l'Église ne puisse légitimement se plaindre d'être tenue à l'écart, de n'être pas entendue, comprise et aimée par ses pasteurs.* »
\*\*\*
Telles ont été les *cinq phases constitutives* de l'Appel aux évêques.
224:103
APPEL QUI DEMEURE ET QUI DEMEURERA, COMME CHARTE DE RASSEMBLEMENT ET COMME TÉMOIGNAGE, AUSSI LONGTEMPS QUE SE PROLONGERA LA SITUATION QUI L'A PROVOQUÉ.
L'appel aux évêques n'exprime pas des sentiments isolés : il traduit l'émotion, la souffrance, la résolution et l'espérance des catégories de catholiques, laïcs et prêtres, qui sont victimes d'une exclusive permanente et même, trop souvent, d'une persécution systématique dans l'Église de France.
Ce n'est donc pas un épisode anecdotique et passager.
C'est un programme d'action.
Et c'est un acte de foi en la constitution divine de l'Église telle que Notre-Seigneur Jésus-Christ l'a instituée.
L'Appel aux évêques est la voie de l'ordre, la voie légitime, la voie du témoignage devant l'histoire et devant Dieu.
Nous ne sommes pas des révolutionnaires. Nous ne sommes pas des subversifs. Mais nous ne sommes pas non plus -- et ceux qui auraient pu s'y tromper s'en apercevront -- des pantins ou des fantoches. Nous sommes des hommes libres et résolus. Nous en appelons, pour faire progresser l'Appel aux évêques, à la résolution de tous les hommes libres de la chrétienté française.
225:103
### VI. -- La lettre de Gabriel Marcel
*Entre temps, le 28 avril 1965, Gabriel Marcel adressait une lettre publique à Jean Madiran, pour apporter son appui à l'* « *Appel aux évêques* »*. Appui d'autant plus précieux et d'autant plus significatif que Gabriel Marcel n'est évidemment pas de la même* « *école* » *ou de la même* « *tendance* »* : il ne trouve pas suffisante, et il le dit dans sa lettre, la* « *théologie traditionnelle* »*.*
*Il n'en est que plus décisif de l'entendre déclarer comme nous que l'on tend aujourd'hui à substituer une atroce* « *Église des Tribuns* » *à ce qui a été, ce qui est, ce qui sera* « *l'Église, des Saints* »*.*
*L'Appel aux évêques dit notamment :*
« *L'infiltration marxiste, nous nous heurtons à elle, aujourd'hui, à chaque pas de notre vie chrétienne.* »
*Des aveugles, incurables ou volontaires, prétendent voir là, comme ils disent, une calomnie, une accusation gratuite, une généralisation abusive ou une caricature.*
*Gabriel Marcel, au contraire, confirme la réalité, à l'intérieur du catholicisme, de cette situation angoissante : une* « *lecture marxiste de l'histoire* » *se substitue à la vie chrétienne.*
226:103
*Ce drame est d'une* « *gravité bouleversante* »*, affirme Gabriel Marcel.*
*On est en train de nous bâtir une* « *Église des Tribuns* » *qui est une Contre-Église et qui ne peut éveiller que répugnance et indignation.*
*Naturellement,* TOUTE *la presse catholique, comme* TOUTE *la presse dite d'* « *information* »*, a fait le silence le plus complet sur la lettre publique de Gabriel Marcel à Jean Madiran. De même que l'une et l'autre presse n'ont pas dit un seul mot du contenu ou seulement de l'existence de l'Appel aux évêques.*
*Tant pis pour ce que l'une et l'autre presse racontent à satiété, avec de nobles accents, sur l'* « *objectivité* »*, la* « *loyauté* »*, les* « *devoirs* » *de l'* « *information* »* : la pratique du* MENSONGE PAR OMISSION *y est tenue pour un devoir supérieur, et prioritaire.*
*Voici le texte intégral de la lettre de Gabriel Marcel à Jean Madiran :*
Cher Monsieur,
J'ai sous les yeux l'émouvant appel aux Évêques de France, et je tiens à vous dire combien la situation qui y est dénoncée me paraît angoissante. Elle est pour l'instant à peu près inextricable. Je crains bien que ce ne soit une Église des Tribuns qui tend à se dresser contre l'Église des Saints, et il est certain que cette contre-Église ne peut éveiller que répugnance et indignation.
Seulement, vous le comprenez bien, ce n'est pas si simple. Beaucoup de braves gens (qui sont tout de même encore des chrétiens) égarés par une propagande que nous connaissons s'imaginent de bonne foi que ce j'appelle l'Église des Tribuns est en réalité celle des pauvres, c'est-à-dire celle du Christ. Dans cette perspective, on est conduit à dire que dans le passé l'Église a été recouverte ou déviée -- et sans doute l'un et l'autre -- par une immense mystification dont les classes possédantes ont été les bénéficiaires, et c'est à cette mystification qu'on entend mettre un terme.
227:103
Bien entendu, je ne songe pas à contester que, par le passé et encore aujourd'hui, le comportement de nombre de bien-pensants appartenant aux classes dirigeantes aient apporté à cette thèse une justification plus qu'apparente, mais l'extrapolation dont des faits semblables ont été l'objet implique une mauvaise foi qu'il est à peine utile de dénoncer. Il n'en reste pas moins que pour beaucoup d'esprits honnêtes et abusés, le marxisme se présente comme l'expression contemporaine de la probité intellectuelle. C'est au philosophe et à lui seul qu'incombe le devoir impérieux de démêler cet écheveau de vérités et de mensonges.
Ainsi tout se trouve commandé par une lecture marxiste de l'histoire. Ce qui me paraît presque inconcevable, c'est que tant de religieux aient pu souscrire à cette lecture qui est pourtant incompatible avec les principes fondamentaux du christianisme.
Ceci s'explique pour une bonne part, je crois, par les insuffisances de la théologie traditionnelle (sur ce point, je crains bien que nous ne soyons pas d'accord), par le fait que le thomisme, en ne tenant pratiquement aucun compte de l'histoire, a laissé subsister hors de lui, un vide où une telle pensée a pu se développer sans difficulté.
Mais c'est justement là ce qui donne, même sur le plan spéculatif, une exceptionnelle gravité à la situation présente, car elle met aux prises des théologiens qui se cramponnent à une doctrine philosophiquement dépassée et dont on ne peut soutenir qu'elle satisfasse aux exigences de la conscience contemporaine -- et d'autre part des marxistes ou des crypto-marxistes qui ne s'aperçoivent pas qu'en accordant une telle place à l'auteur du *Capital*, ils abandonnent en fait l'essentiel des principes dont ils croient pouvoir encore se réclamer. J'emploie d'ailleurs à regret le mot principe. Ce qui compte c'est une certaine Vie qui a pris naissance dans l'Incarnation et n'en est que l'exfoliation à travers l'histoire.
228:103
Et, malheureusement, le temps presse. Du côté des Tribuns, hélas, la route est ouverte et l'on peut aller bon train. De l'autre, c'est tout différent. Justement, peut-être, parce que c'est le côté de la Vie et que celle-ci ne comporte pas les possibilités d'accélération démesurée que nous rencontrons dans le domaine de la technique il faudra beaucoup de temps pour que s'édifie me nouvelle synthèse chrétienne, et n'allez pas vous imaginer qu'on puisse en faire l'économie. Je pense que le Père Teilhard ne nous en a présenté qu'un brouillon tout à fait imparfait et dont il est indispensable de souligner le caractère provisoire.
En attendant, nous risquons fort, comme vous le dites, de connaître une ère de persécutions analogue à celle qui a sévi au Mexique, pour ne pas parler de la Chine. Une multitude de dupes risquent fort de se muer en une multitude de complices et aussi sans doute de victimes, -- je laisse de côté volontairement ceux qui seront les profiteurs d'une telle tragédie.
Comme je comprends l'angoisse dont il m'a semblé que le visage du Saint Père était empreint pendant le court entretien qu'il a bien voulu m'accorder en septembre dernier ! Il va de soi, cher Monsieur, que je suis tout disposé à m'entretenir avec vous, si vous le souhaitez, de ce drame dont, vous le voyez, je mesure la gravité bouleversante.
A vous, très cordialement.
Gabriel MARCEL,\
de l'Institut
*Certes, il faut que s'édifie une* « *nouvelle synthèse chrétienne* »*. Ce sera par un complément aux insuffisances de la théologie traditionnelle, pense Gabriel Marcel. Ce sera plutôt, pensons-nous, par un nouveau développement de son contenu et de ses virtualités, comme Pie XII en a donné l'exemple.*
229:103
*Mais cela ne peut être ni une œuvre immédiatement achevée, ni une entreprise accélérée. On a pu accélérer le temps des machines ; on n'accélère pas le temps de la pensée, le temps de l'âme.*
*En attendant, à chaque instant, LA VIE CHRÉTIENNE est psychologiquement et sociologiquement persécutée.*
*Il faut rassembler les persécutés pour organiser leur auto-défense sociologique et psychologique ; pour leur donner les moyens de vivre et de travailler : de vivre en chrétiens et de travailler au salut des âmes.*
*Il y faut l'union, l'organisation et l'entraide.*
230:103
### VII. -- Se grouper pour se défendre
QUELQUES AMIS IMPATIENTS se découragent. Ils nous disent : Vous voyez bien qu'il n'est rien sorti de l'Appel aux évêques. Cela n'a servi à rien. Pas un mot de réponse des évêques français. Vous avez eu tort de vous adresser à eux : ils ne vous aiment pas, ils ne veulent pas vous entendre, ils n'entrent pas dans vos pensées, ils ne vous comprennent pas...
Nous ne méconnaissons pas les sentiments des amis qui nous parlent ainsi. Mais nous leur répondons :
-- Nous ne nous sommes pas adressés aux personnes privées ni aux cœurs charnels des évêques de France. Bien sûr, s'ils avaient pour nous une prédilection sentimentale, ils n'auraient pas attendu notre « Appel », et n'en auraient pas eu besoin, pour nous la manifester par des actes de protection, de bienveillance, de compréhension, d'amitié. Et s'ils n'ont pas cette prédilection, ce n'est pas notre « Appel » qui va la susciter, et ce n'est pas son but. De bonnes paroles nous eussent sans doute été sentimentalement agréables.
231:103
Mais nous avons depuis assez longtemps l'habitude de devoir nous en passer en toutes circonstances pour pouvoir nous en passer aussi en cette circonstance-là sans en faire un drame. Et ce n'est pas du tout la question le catholicisme français est dans une situation où de simples bonnes paroles ne pourraient plus rien.
Il faudra des actes, et point isolés, ni pendant une seule saison.
\*\*\*
La question est que trop de prêtres et trop de laïcs, dans l'Église de France, sont ÉTRANGLÉS ENTRE DEUX COURANTS D'AIR, DANS UN CORRIDOR NOIR, PAR UN FANTÔME INCONNU.
On est étranglé de plus en plus.
Il faut que ce soit de moins en moins par un fantôme inconnu, dans un corridor noir, entre deux courants d'air.
Les manigances occultes du magistère parallèle et clandestin qui s'est installé secrètement dans le catholicisme doivent être portées au grand jour.
Elles le seront, si toutes les victimes de ces ukases occultes se rassemblent et s'organisent pour s'entraider, s'informer, se défendre et contre-attaquer opportunément.
\*\*\*
Un exemple : des consignes de silence artificiel et concerté ont été données à la presse, spécialement catholique, concernant le livre de Michel de Saint Pierre : *Sainte colère*.
Ceux qui ont donné ces consignes et ceux qui y ont obéi ont perdu la face. En effet, lorsque parut le livre *Les Nouveaux prêtres*, à l'automne 1964, les mêmes avaient crié en chœur que c'était exagéré, que c'était caricatural, que c'était « du roman ». A l'automne suivant, *Sainte colère* apporte les preuves, les faits, les textes, les dates. Où est donc passée alors la conscience de tous ceux qui affirmaient en conscience que ce n'était pas vrai ? Devant les preuves, maintenant publiques, ils se sont tus : les mêmes. Sans se croire tenus de revenir sur leur jugement téméraire. Ils ont décidé de faire silence, et de fabriquer le silence.
232:103
Certains de ceux qui ont obtempéré de plus ou moins bon gré à ces consignes de silence ont laissé entendre à mi-voix qu'elles étaient d'origine épiscopale. C'est d'une scandaleuse invraisemblance, c'est moralement impossible. Si c'était vrai, il faudrait admettre en effet qu'il s'agirait d'une sorte de condamnation qui non seulement n'aurait pas publié ses motifs, ni entendu le condamné (comme on l'a tant reproché à l'Index), mais qui en outre NE PROMULGUERAIT MÊME PAS SES PROPRES DÉCISIONS, et les FERAIT EXÉCUTER DANS L'OMBRE, en les GARDANT OCCULTES. Ce procédé de gouvernement est celui des sociétés secrètes, et l'Église l'a toujours radicalement réprouvé en tant que tel.
Mais s'il est moralement impossible que la mise en œuvre d'un tel système occulte soit véritablement et légitimement d'origine épiscopale, il n'en reste pas moins qu'on a réussi à le faire croire, notamment dans les milieux de presse, où des journalistes visiblement de bonne foi assurent ne pouvoir parler de *Sainte colère* et de l' « Appel aux évêques » parce qu'ils ne veulent pas en cela « déplaire » ou « désobéir « à « l'épiscopat ».
Que l'on ait pu créer un tel état d'esprit et répandre une telle crainte, voilà qui atteste l'existence et le fonctionnement de ce MAGISTÈRE PARALLÈLE ET CLANDESTIN, agissant dans l'ombre en prétendant se couvrir de l'autorité épiscopale.
Quand ce magistère occulte s'exerce non plus contre un libre écrivain, qui a tous les moyens de passer outre à ses ukases, mais à l'intérieur du clergé, pour isoler, déconsidérer, désespérer des prêtres de paroisse ou des religieux, alors la persécution ainsi opérée devient atroce.
Il faut déchirer les voiles et faire front : tous ensemble.
\*\*\*
233:103
Contre la dictature occulte de la société secrète des modernistes, contre le magistère clandestin qui usurpe l'autorité légitime, et s'efforce en outre de la circonvenir et de l'annexer, *nous invitons tous les persécutés à s'unir pour se défendre par tous les moyens légitimes*. L'un de ces moyens légitimes, le plus légitime peut-être, est d'élever vers nos évêques un appel filial, clair, public et permanent, et d'organiser un rassemblement pacifique et résolu dans la ligne de cet appel.
Au poids des faits, au poids des raisons, nous travaillerons désormais à ajouter le poids du nombre, le poids de l'union, le poids de la parole publique, le poids de l'action civique méthodique.
A tous nos disons : prenez contact.
*Prenez contact avec Michel de Saint Pierre*. Il est le principal porte-parole de la résistance française et chrétienne. Il a percé le mur du silence. Il prépare d'autres livres, qui auront autant de poids que les précédents : apportez-lui vos informations. Tout ce qu'il écrit a un retentissement international qui est l'une des meilleures armes qui soient pour votre défense.
*Prenez contact* avec l'une ou l'autre des organisations librement fédérées ou articulées sous l'égide de l'Office international des œuvres de formation civique et d'action doctrinale selon le droit naturel et chrétien. Jean Ousset est le penseur et l'organisateur de l'action contre-révolutionnaire en notre temps. Apportez-lui votre renfort ou demandez-lui le secours dont vous avez besoin. C'est autour des organisations souples qu'il a créées que prennent corps l'entraide, la coopération, la défense mutuelle, le coude à coude. On veut vous isoler : mais plus personne aujourd'hui n'a le droit de se dire isolé, sinon par sa propre faute, ou sa propre négligence. Prenez contact avec les réseaux d'amitié et d'action civique de Jean Ousset.
*Gardez le contact* avec l'ensemble de notre action en vous abonnant à la revue ITINÉRAIRES, qui vous tient régulièrement au courant de nos initiatives, de nos publications, de nos campagnes, de l'état réel de la situation et des entreprises de l'adversaire, tout en vous fournissant une documentation indispensable.
234:103
Tout cela est-entre les mains de chacun de vous. Chacun a besoin de tous. Chacun peut contribuer à l'œuvre commune.
A la condition de sortir du noir sommeil du doute et du découragement : c'est en se rejoignant les uns les autres, en s'associant les uns aux autres que l'on en peut sortir.
Vous n'êtes plus seuls : venez travailler et combattre avec nous.
235:103
### VIII. -- Notre témoignage
*On a compris que notre* APPEL AUX ÉVÊQUES *ne place pas d'abord son espérance dans les réactions spontanées de personnes charnelles dont plusieurs, propos peuvent accidentellement paraître discutables, peu aimables, peu pastoraux, du moins à l'endroit d'une partie des catholiques.*
*Avec la grâce de Dieu c'est une espérance surnaturelle qui seule peut donner son sens à une telle démarche.*
*Dans la prière.*
*Dans la patience.*
*Dans la foi.*
*A notre place et sans en sortir d'aucune manière, nous portons le témoignage que les nouvelles idéologies de* « *construction du socialisme* » *et de* « *mise au service du monde 3, produisent en fait non point une nouvelle effusion de charité, mais une persécution religieuse. Ce témoignage, nous continuerons à le porter sans faiblir quoi qu'il en coûte.*
236:103
*Et plus on nous persécutera, plus l'on fera la preuve que notre témoignage est vrai : que c'est bien une persécution religieuse, et non une effusion nouvelle de charité, qui est produite par cette pastorale nouvelle, celle qu'enseigne et résume le P. Liégé en ces termes :* « *Les intégristes sont les pires ennemis de l'Église, plus dangereux que les communistes.* »
*Ce n'est pas contre l'évêque, ce n'est pas sans l'évêque, ce n'est pas à la place de l'évêque que les redressements nécessaires pourront être entrepris et opérés.*
*Ce n'est pas aux évêques en tant que personnes privées que notre appel s'adresse.*
*C'est en tant que, en communion avec Pierre, dans sa dépendance et sous son autorité, ils ont de par Dieu la charge et la responsabilité de l'Église.*
*Nous nous adressons à eux au nom de la parole de l'Évangile :*
« *Lequel d'entre vous si son fils demande du pain, lui donnera une pierre.* »
\*\*\*
*La réponse viendra un jour ou l'autre. Demain, ou plus tard. Notre appel ne se périmera ni ne se prescrira. Nous aurons, Dieu aidant, toute la patience qu'il faudra. Et la persévérance active.*
*C'est trop souvent au nom de l'évêque que l'actuelle persécution religieuse s'organise et se développe. C'est trop souvent au nom de l'évêque que l'on prétend imposer la collaboration avec le communisme dans la construction du monde. C'est trop souvent au nom de l'évêque que l'on répand et que l'on applique le mot d'ordre de la guerre dans l'Église :* « *Les intégristes sont les pires ennemis de l'Église, plus dangereux que les communistes.* »
237:103
*Tout cela n'est pas absolument sans précédent, approximatif ou analogue, dans l'histoire de l'Église. C'est seulement l'évêque qui pourra interrompre l'usage téméraire ou abusif qui est fait de son nom, par une faction puissamment installée, pour couvrir ou pour aggraver la persécution religieuse. Il a souvent existé des abus, et des plus injustes, et des plus cruels, dans le fonctionnement humain des institutions ecclésiastiques. C'est par voie d'autorité et de sainteté, et non par voie de révolution et de subversion, que les abus dans l'Église peuvent être corrigés ou réprimés.*
*Notre appel aux évêques de France a d'abord besoin d'être compris et d'être soutenu. Nous demandons à nos lecteurs de le comprendre, de le faire comprendre, de le répandre et de le soutenir.*
238:103
## DOCUMENTS
### La crise doctrinale : une lettre du T.R.P. Janssens
Nous publions ci-après le texte intégral de la lettre écrite le 11 février 1951 par le T.R.P. Janssens, Préposé Général de la Compagnie de Jésus, pour l'application de l'Encyclique « Humani generis ».
Ce document est un important point de repère historique et doctrinal. Sa portée dépasse de beaucoup le seul cadre de la Compagnie de Jésus ou des circonstances de 1950-1951. Nous vivons la même crise qui a continué à se développer à l'intérieur de l'Église.
Nos lecteurs y trouveront une vive lumière sur l'histoire de ces quinze dernières années et sur les causes de la situation présente.
MES RÉVÉRENDS PÈRES
ET MES BIEN CHERS FRÈRES EN NOTRE-SEIGNEUR,
PAX CHRISTI,
L'encyclique « Humani generis », que le Souverain Pontife a publiée cet été ([^57]), a principalement trait à un mouvement d'idées assez complexe auquel plusieurs des Nôtres ont pris part, et dans lequel certains d'entre eux ont joué un rôle prépondérant. La chose n'est pas douteuse pour quiconque met le document pontifical en regard des discussions philosophiques et théologiques de ces dernières années. Au reste je n'ignorais point que le Saint-Père se proposait d'intervenir dans les débats ([^58]). C'est même parce qu'il eût été inconvenant de le devancer que je n'ai pu joindre d'explication doctrinale aux mesures par lesquelles, à la fin de l'année académique passée, j'ai écarté plusieurs professeurs de l'enseignement.
239:103
Ces mesures ont atteint, je le sais, des travailleurs dévoués et d'un talent incontesté. Il était inévitable qu'elles fussent très douloureusement ressenties, non seulement par les principaux intéressés, mais aussi par beaucoup d'autres autour d'eux. Cette souffrance, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, je la partage. Comment votre père ne la partagerait-il pas ? Mais après avoir beaucoup prié, réfléchi et pris conseil, je me suis reconnu obligé de prendre les mesures en question ainsi que plusieurs autres qui les ont précédées ou suivies. Si je ne les avais point prises, j'aurais failli à mon devoir de veiller efficacement à la sûreté de la doctrine dans la Compagnie. Je me rends compte certes de leur exceptionnelle gravité ; mais un avertissement aussi pressant qu'une encyclique « sur quelques opinions menaçant de ruiner les fondements de la doctrine catholique » ([^59]) témoigne d'une situation qui présente une gravité exceptionnelle également. Cet avertissement du Vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous devons l'accepter en esprit de foi.
C'est de son acceptation que je veux vous entretenir. Car l'encyclique impose des normes qui concernent notre pensée, notre enseignement, nos écrits ; et ces normes doivent être un remède pour ceux qui ont été plus ou moins gagnés à des opinions dangereuses ou erronées. Mais la présence du remède n'est pas encore la guérison. Un mouvement d'idées comme celui qui est en cause ne se redresse pas sans un effort très humble et très filial de ses adhérents. L'histoire de l'Église nous apprend combien un tel effort est difficile et que plusieurs fois l'enseignement du magistère n'a pu réprimer que lentement et avec peine les déviations doctrinales auxquelles il voulait couper court. Je ne parle pas des cas nombreux où il s'est heurté au refus décidé de se soumettre. Je n'en parle pas, car je sais qu'aucun de vous ne voudrait même songer à opposer au Pape un tel refus. La seule attitude qui nous convienne est assurément la soumission parfaite ; mais entre le refus délibéré de soumission et la perfection de l'obéissance, il y a place pour des positions moyennes qu'on est d'autant plus exposé à ne pas dépasser qu'on peut le faire sans s'en rendre clairement compte. J'estime qu'il est de mon devoir, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, de dissiper autant que possible les obscurités, afin de vous prémunir contre une telle tentation.
240:103
Car il en coûte de reconnaître qu'on doit s'être trompé, alors qu'on ne peut encore réussir à le voir et qu'au cours d'ardentes controverses on s'est ancré dans la persuasion de la solidité de ses positions et de la faiblesse de celles des adversaires. A cela s'ajoute que les opinions adoptées sont souvent en rapport avec certaines manières d'aborder ou de traiter les problèmes auxquelles on s'est habitué, qui ont fini par faire en quelque sorte partie de la personnalité et dont on ne saurait se défaire tout de suite à volonté. Enfin, dans de telles circonstances, on trouve souvent trop d'amis qui, faute de pénétration ou de fermeté, soulignent ce qui pourrait jeter un jour défavorable sur l'intervention de l'autorité et touchent à peine les aspects essentiels de la question.
Alors qu'arrive-t-il ? Il arrive que, sans en avoir clairement conscience, on veuille concilier des choses inconciliables : d'une part toute la soumission qui convient et d'autre part le maintien des idées qui sont chères. Par où l'on est amené à soumettre les textes du magistère à une exégèse réductrice, soit qu'on leur applique des distinctions arbitraires, soit qu'on mette une sourdine à leurs exigences, soit enfin qu'on leur prête l'intention de censurer des opinions plus avancées que celles qu'ils visent réellement ; ces dernières pouvant dès lors sembler permises. Chacun sait que les textes ne montrent souvent leur vrai sens qu'à ceux qui désirent le reconnaître quel qu'il soit, et qu'ils le cachent au contraire à ceux qui veulent secrètement le trouver conforme à leurs désirs. L'encyclique « Humani generis » doit être interprétée d'après les règles éprouvées que les meilleurs théologiens appliquent à des documents de ce genre. Cependant une application de règles techniques ne saurait suffire ; il est requis en outre d'interroger le texte en se tenant, si l'on peut ainsi dire, en état de disponibilité vis-à-vis de lui. Il y a lieu de remarquer aussi qu'on ne peut tenir ni les opinions directement opposées à l'encyclique ni celles qui s'y opposent d'une manière indirecte en contredisant les conclusions qu'elle entraîne visiblement.
241:103
Si j'insiste sur ces distinctions, c'est parce que la nature humaine est prompte à se leurrer, à faire croire qu'on obéit déjà pleinement, alors qu'on cherche encore des échappatoires ; c'est aussi -- vous attendez, n'est-ce pas, que je vous parle avec une entière franchise -- parce qu'une série de faits m'ont appris qu'une telle insistance est opportune. Un certain nombre d'entre vous ont besoin que leur Supérieur et leur père les éclaire. Ils semblent fort préoccupés de se défendre ; mais quand le Pape parle, une autre préoccupation devrait prédominer. Y a-t-on songé ? Il y a une manière de se défendre qui reviendrait à opposer un démenti au Souverain Pontife. Par deux fois au moins, il donne clairement à entendre que d'aucuns parmi les « docteurs catholiques », n'ont pas su se garder des erreurs qu'il signale ([^60]). Prétendra-t-on néanmoins que son encyclique atteint seulement les positions extrêmes où conduiraient les opinions de certains théologiens, si elles n'étaient dûment contenues, ou qu'elle concerne uniquement les déformations subies par les idées des maîtres, dans l'esprit de quelques disciples ? Nous ne pouvons vouloir, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, que nos réactions vis-à-vis de l'encyclique rappellent, aussi peu que ce soit, la triste querelle du droit et du fait.
\*\*\*
Il est douloureux d'apporter des précisions ultérieures ; cependant je vous les dois en vue de votre bien et notamment en vue du bien de ceux auxquels elles risquent de causer le plus de peine.
L'encyclique s'oppose au relativisme théologique ; non pas seulement, quoi qu'on ait paru dire, à un relativisme extrême qui rappellerait celui des protestants libéraux, et qu'elle écarte d'une manière indirecte par toute sa teneur, mais aussi à un relativisme plus modéré, qu'elle vise expressément, et dont elle fait la description suivante : « Les mystères de la foi ne peuvent jamais être exprimés, prétend-on, par des notions adéquatement vraies, mais seulement par des notions approximatives, qui peuvent toujours changer, qui indiquent dans une certaine mesure la vérité, mais en lui faisant subir nécessairement une déformation » :
242:103
d'où la nécessité, pour la théologie, « de substituer, en raison des diverses philosophies dont elle se sert au cours des temps, de nouvelles notions aux anciennes, de sorte que, sous des modes à vrai dire différents, voire opposés en quelque façon, mais équivalents, à ce qu'on déclare, elle exprime de manière humaine les mêmes vérités divines » ([^61]). La loyauté envers cet enseignement du Saint-Père nous fait un devoir de ne point admettre que l'absolu ou l'immuable, contenu dans le développement de la théologie, soit un absolu d'affirmation seulement et pas de représentation ; ou que les invariants de la théologie -- mystères révélés et vérités connexes de la raison -- ne puissent être conçus distinctement dans des notions invariables comme eux, mais s'expriment nécessairement dans des conceptions contingentes qui contiennent, lorsqu'elles changent, les mêmes affirmations éternelles ; ou enfin qu'une vérité immuable ne se maintienne, quand l'esprit humain évolue, que grâce à une évolution simultanée et proportionnelle de toutes les notions qui servent à l'exprimer. Ils ne faudra pas non plus qu'après avoir distingué dans la révélation, d'une part le tout du dogme, à savoir la réalité du Christ atteinte par une perception toute concrète et vivante, et d'autre part le monnayage conceptuel du trésor ainsi possédé, on s'exprime comme si nos concepts devaient perpétuellement être révisés pour s'adapter à la vérité normative des mystères ou comme s'ils n'exprimaient partiellement la vérité divine qu'à condition d'être rapportés au tout du dogme, atteint selon un mode supérieur de connaissance.
Pareillement, pour ne pas s'écarter de l'enseignement du chef de l'Église sur la valeur de la raison dans le champ de la philosophie, on se gardera de parler comme si l'idée d'une doctrine philosophique capable d'intégrer en elle les acquisitions éternelles de toutes les autres philosophies enveloppait une contradiction, et comme si l'expression la plus complète de la vérité philosophique devait donc nécessairement se trouver dans une série de doctrines qui soient complémentaires et convergentes, malgré leurs différences, voire leurs oppositions systématiques.
243:103
Tout autre est le langage de l'encyclique. Elle veut qu'on maintienne « la possibilité d'une métaphysique absolument vraie », et elle blâme l'opinion d'après laquelle « les réalités, surtout les réalités transcendantes, ont leur expression la plus appropriée dans des doctrines dissemblables qui se complètent mutuellement, bien qu'elles s'opposent d'une certaine manière les unes aux autres » ([^62]).
L'encyclique parle de deux preuves : celle de Dieu et celle du fait de la révélation. Au sujet de la première, elle nous demande, entre autres choses, de tenir que « sans le secours de la révélation divine et de la grâce, par des arguments pris des choses créées, la raison humaine peut démontrer l'existence d'un Dieu personnel » ([^63]). Pour ne pas s'opposer à cet enseignement ou en réduire abusivement le sens, on admettra que l'existence du vrai Dieu peut être la conclusion logique d'un raisonnement certain ; on niera donc qu'en ce domaine la vraie preuve doive consister à montrer la nécessité où l'homme se trouverait de reconnaître librement Dieu par la foi, sous peine de ne pas répondre à l'appel essentiel du vouloir ([^64]). On admettra également que toute preuve de Dieu n'est pas nécessairement, au sens de saint Anselme, une intelligence de la foi, un effort pour rejoindre par la voie d'un raisonnement l'affirmation préalable de la foi.
244:103
On ne soutiendra pas que toute preuve de Dieu est toujours en fait critiquable, parce que l'appareil dialectique par lequel on peut la saisir, souvent suranné, est en tout cas toujours inadéquat au mouvement de l'esprit qu'il cherche à traduire et qui serait, lui, la vraie preuve. Enfin on se gardera d'énerver, par un autre biais, la preuve naturelle du vrai Dieu en déniant à nos concepts le pouvoir de signifier Dieu d'une manière purement vraie. On ne dira donc pas qu'en raison du caractère déficient de nos concepts, l'affirmation de Dieu est impuissante à justifier aucune des formes particulières où elle prend corps ; au point que l'esprit ne puisse éviter l'écueil de l'athéisme sans rencontrer celui de l'idolâtrie, jusqu'à ce que le don surnaturel de la vie de charité confère à l'affirmation de Dieu un contenu spirituel approprié.
Quant à la preuve du fait de la révélation, l'encyclique note que, grâce aux signes extérieurs donnés par Dieu, « l'origine divine de la religion chrétienne peut être prouvée avec certitude, même par la seule lumière naturelle de la raison » ([^65]). Si on lit ce passage en se référant aux tendances actuelles de la pensée théologique, on voit que le Saint-Père accorde l'appui de son autorité à une thèse classique que la plupart des théologiens maintiennent contre certaines opinions nouvelles. Il ne défend pas de penser qu'en fait la grâce éclaire toujours la raison lorsque celle-ci s'achemine vers la connaissance du fait de la révélation. Si la lumière naturelle de la raison possède, absolument parlant, le pouvoir de discerner les signes de la révélation, il reste cependant légitime de croire qu'au concret l'exercice de ce pouvoir peut être plus ou moins empêché par l'amoncellement des difficultés.
245:103
On doit admettre que la certitude dont parle l'encyclique est une certitude proprement dite ; mais celle-ci ne requiert pas nécessairement un motif excluant la possibilité de n'importe quel doute, il suffit que la possibilité d'un doute prudent soit exclue. Après l'encyclique, on ne soutiendra plus que seul l'appel intérieur de Dieu permet de discerner avec certitude la signification des faits divins qui authentiquent la révélation ; on ne se contentera pas d'admettre qu'aux yeux de la raison, la révélation se présente comme une énigme à déchiffrer dont on ne se débarrasse pas ; mais on tiendra qu'indépendamment d'un secours de la lumière de la grâce, la raison humaine a la force absolument requise pour prouver avec certitude le fait de la révélation. Mon prédécesseur, le P. Ledóchowski, a promulgué, il y a une trentaine d'années, une prohibition qui demeure toujours en vigueur et qui défend aux Nôtres de soutenir une théorie de la foi contenant, entre autres choses, la thèse atteinte par l'encyclique ([^66]). Quelques-uns semblent avoir pensé que cette thèse ne tombait sous la dite prohibition que dans la mesure où elle était engagée dans le contexte de la théorie incriminée. Mais quelle qu'ait pu être la valeur de leur opinion, le texte de l'encyclique ne donne aucune prise à une interprétation de ce genre. Dorénavant les Nôtres se garderont de tenir la thèse en question, en quelque contexte que ce soit.
Ailleurs l'encyclique blâme en termes généraux ceux qui « portent atteinte au caractère rationnel de la crédibilité de la foi chrétienne » ([^67]). Ce qu'on peut faire en tenant la thèse, déjà écartée par elle, de la nécessité absolue d'une illumination surnaturelle pour prouver le fait de la révélation ; mais ce qu'on peut faire aussi de diverses autres manières, notamment en niant la valeur de certaines preuves apologétiques très importantes. Je ne sais si le Saint-Père a en vue une telle négation, mais il est de mon devoir de signaler cet écueil, que vous devrez tous éviter. Il n'est ni juste ni légitime de dire qu'il n'y a pas moyen de fonder une preuve apologétique solide de la résurrection de Jésus-Christ sur le témoignage des documents historiques qui relatent la plus ancienne prédication apostolique, les apparitions et le tombeau vide ([^68]).
246:103
On ne peut davantage soutenir qu'en s'appuyant sur l'autorité des livres du Nouveau Testament, considérés simplement comme des sources historiques, on ne saurait prouver que Jésus s'est présenté comme le Messie et le Fils de Dieu au sens propre, ni qu'il a confirmé ce témoignage sur sa personne par ses miracles et sa résurrection. On ne s'exprime pas d'une manière conforme à la pensée catholique en disant qu'après avoir montré comment Jésus a voulu réaliser dans le cadre d'une vie humaine une obéissance totale à Dieu, l'historien ne peut aller plus avant ; et que, pour ce qui regarde la réponse à la question qui naît alors : « Quel est donc cet homme ? » il doit céder la place au croyant ou à l'incroyant. L'encyclique « Providentissimus » parle en des termes bien différents : « Étant donné dit-elle que le magistère divin et infaillible de l'Église repose aussi sur le témoignage de l'Écriture sainte, il importe de maintenir et de prouver avant tout l'autorité au moins humaine de celle-ci. On s'appuiera sur les Livres saints, pris comme des témoins très autorisés du passé, pour établir manifestement la divinité du Seigneur Jésus-Christ et la légation qu'il a remplie, l'institution de l'Église hiérarchique, et le primat accordé à Pierre et à ses successeurs » ([^69]).
\*\*\*
247:103
Il y a, dans l'encyclique, un enseignement sur la liberté de la création. « On prétend -- dit le Saint-Père -- que la création du monde est nécessaire, parce qu'elle procède de la nécessaire libéralité de l'amour divin » ([^70]) ; et il fait remarquer que cette opinion ne s'accorde pas avec la doctrine du Concile du Vatican. Il s'agit ici avant tout de la création en général ; la forme particulière que la création a prise demeure à l'arrière-plan. Le Souverain Pontife nous rappelle que la création, qui procède certes de l'amour souverainement libéral de Dieu, procède aussi d'un libre choix de cet amour ; en effet la négation de ce libre choix serait exactement l'affirmation que Dieu crée nécessairement. Si on nie que la création ait été librement choisie, on aura beau parler d'une liberté transcendante avec laquelle Dieu aurait créé, il restera, de quelque manière que cette liberté soit conçue, que Dieu n'aurait pas pu ne pas créer. Après quoi on pourrait peut-être encore parler de la contingence de la créature, pour signifier qu'aucun être, hormis Dieu, n'a en soi la raison suffisante de son existence, mais certainement pas pour signifier qu'il eût pu se faire que rien ne fût créé ; on maintiendrait, qu'on le veuille ou non, la nécessité de la création, que l'encyclique rejette. Il serait plus grave encore de tenir un langage qui n'impliquerait pas seulement la nécessité de la création, mais porterait aussi atteinte sinon à la personnalité de Dieu, du moins à son absolue transcendance. Je fais cette remarque, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, parce que certains écrits ont malheureusement circulé qui traitent du rapport entre Dieu et le monde dans les termes les plus équivoques. L'image de Dieu qu'ils suscitent naturellement dans l'esprit déforme gravement les traits du Dieu de notre foi. Mais je n'insiste pas davantage ici sur ce point, car je ne crois pas que ces propos aient trouvé un véritable écho parmi vous.
Le Saint-Père nous parle également de la création immédiate de l'âme humaine. Il touche cette vérité par parenthèse, mais dans les termes les plus nets : « En effet, dit-il, que les âmes soient immédiatement créées par Dieu, la foi catholique nous fait un devoir de le tenir ([^71]). »
248:103
On sait ce que signifie la création immédiate de l'âme par Dieu : l'âme est causée par Dieu de telle sorte qu'elle ne soit pas en elle-même le terme d'une transformation d'un antécédent quel qu'il soit (*non ex aliquo*). On s'exprime d'une manière qui va à l'encontre de cette vérité, si on dit que l'étoffe de l'univers est l'esprit-matière et que l'univers ne comprend que la matière devenant esprit ; si on explique que l'unité du monde est la montée, vers un état toujours plus spirituel, d'une conscience d'abord pluralisée et comme matérialisée ; si on voit dès lors en l'homme simplement le stade le plus élevé que nous connaissions de la croissance de l'esprit sur la terre. Il est clair qu'on ne rend pas ces déclarations acceptables pour avoir noté que l'apparition de la personne humaine marque un point critique et un changement d'état. Même si on ajoute qu'elle représente le franchissement d'un seuil, on ne rejoint pas pour autant la doctrine de la création immédiate de l'âme. Car un changement brusque et même spécifique, survenant au cours d'une croissance, ne suffit pas à définir une création immédiate.
L'encyclique observe que certains « compromettent la vraie gratuité de l'ordre surnaturel, en prétendant que Dieu ne peut créer des êtres doués d'intelligence sans les ordonner et les appeler à la vision béatifique » ([^72]). Quelle est la portée de cette affirmation ? On doit dire, conformément à une règle d'interprétation tout à fait générale, que le Pape demande d'admettre la proposition contradictoire de celle qu'il blâme ; nous devons donc reconnaître qu'il eût été possible à Dieu de créer des êtres spirituels sans les destiner à la vision béatifique. Et le Pape signifie pourquoi il demande de maintenir cette possibilité : en la niant, on compromet la vraie gratuité de l'ordre surnaturel. Qu'est-ce à dire, sinon ceci : la notion traditionnelle du caractère tout gracieux de l'ordre surnaturel implique que Dieu aurait pu créer, sans les convier à la vision bienheureuse, les êtres spirituels qu'il y convie en fait ? Ainsi donc, on ne soutiendra plus dorénavant que la thèse d'après laquelle la créature spirituelle aurait pu n'être pas destinée à la béatitude surnaturelle est l'interprétation d'un dogme à travers une philosophie déficiente ; ou que cette thèse, imaginée pour sauvegarder la gratuité du surnaturel, est impuissante à jouer ce rôle ;
249:103
ou qu'elle est dénuée de signification, dès là qu'on a compris que l'esprit doit aller du réel au possible et non inversement ; ou encore que la destinée surnaturelle est à la fois essentielle à l'homme et gratuite pour lui. Nous ne soutiendrons pas non plus que deux points de vue peuvent être adoptés pour expliquer la gratuité de la vision béatifique : l'un qui impliquerait le recours à la possibilité d'un ordre où Dieu ne destinerait pas la créature intelligente à cette vision ; et l'autre qui exclurait un tel recours, en même temps qu'il le rendrait superflu. Enfin nous accorderons pleinement que Dieu aurait pu créer l'homme sans le destiner à la béatitude surnaturelle ; nous ne dirons donc pas qu'une telle affirmation est légitime seulement comme une manière anthropomorphique d'exprimer la souveraine « gratuité » d'un don que Dieu ne pouvait s'abstenir d'offrir à l'homme, dès là qu'il le créait.
Le Pape se plaint de ce que « sans tenir compte des définitions du Concile de Trente, on détourne de son sens le concept du péché originel » ([^73]). Ces paroles doivent suffire, comme la doctrine du Concile de Trente aurait dû suffire précédemment, à empêcher d'imaginer un péché originel qui ne résulterait pas d'une faute d'abord commise, mais serait une opposition native à la charité, un mal nécessaire de la création humaine engagée dans la matière et appelée à participer à la vie divine. En effet le Concile de Trente enseigne expressément que le péché originel a son origine dans la prévarication d'Adam ([^74]). Et comment éviterait-on de rendre Dieu responsable d'un péché qui, indépendamment de toute faute commise, serait une condition native de la créature humaine ? On ne corrige pas suffisamment une telle opinion en disant qu'elle n'apporte qu'une explication partielle, qu'elle rend compte seulement d'un état inachevé de la tare originelle, et que celle-ci doit son achèvement à l'intervention d'une faute réellement commise. Cette correction demeure tout à fait insuffisante, pour diverses raisons ; en particulier parce que le Concile de Trente nous enseigne : premièrement qu'avant la chute, Adam, « avait été établi » par Dieu, dans « la sainteté et la justice » ([^75]) ; secondement que la concupiscence, qui conduit à la transgression, a eu d'abord son origine en elle ([^76]).
250:103
Le dogme du péché originel est en rapport avec la question de l'origine monogénique ou polygénique de l'homme, au sujet de laquelle l'encyclique contient une importante déclaration. Par monogénisme, les théologiens entendent la propagation de l'humanité entière à partir d'un couple unique ; et par polygénisme, la propagation de l'humanité à partir d'une base plus étendue. Le Saint-Père n'admet pas que le polygénisme (compris certes dans le sens que je viens de rappeler) puisse être un objet de libre discussion, comme peut l'être, dans de justes limites, l'évolutionnisme étendu à l'origine du corps humain. Il commente sa prise de position en ces termes : « En effet les fidèles ne peuvent embrasser une opinion d'après laquelle ou bien il y aurait eu sur terre, après Adam, de vrais hommes qui ne descendirent pas de lui par génération naturelle comme du premier père de tous, ou bien Adam désignerait une certaine multitude de premiers parents » ([^77]). On voit que le Souverain Pontife ne veut pas se prononcer sur l'ancienne hypothèse des « préadamites », pourvu que ceux-ci aient formé une famille humaine éteinte avant l'apparition de la nôtre ; mais sous cette réserve, il défend d'admettre le polygénisme. Il ajoute le motif de cette défense : « Car on ne voit en aucune manière comment une pareille opinion pourrait s'accorder avec ce que les sources de la révélation et les actes du magistère nous disent du péché originel, qui procède de la faute vraiment commise par l'unique Adam, et qui est transmis par la génération à tous les hommes, de sorte qu'il se trouve en chacun et que par chacun il est contracté » ([^78]). En d'autres termes, il n'y a aucune apparence que le polygénisme soit compatible avec les exigences de notre foi.
251:103
Un catholique ne pourra donc pas contester la vérité du monogénisme. Tous nous tiendrons que le mystère du péché originel implique la réalité du premier Adam, chef individuel de l'humanité comme le second, mais qui a entraîné ses descendants dans la ruine dont le second est venu les délivrer.
A propos du péché originel, le Pape signale que l'on corrompt aussi « la notion du péché en général, sous son aspect d'offense de Dieu, et pareillement la notion de la satisfaction que le Christ a offerte pour nous » ([^79]). D'après un exposé publié assez récemment, bien qu'on puisse continuer d'appeler le péché une offense de Dieu, eu égard à l'attitude du pécheur, qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour outrager Dieu, néanmoins le péché n'offenserait pas Dieu de manière à faire contracter au pécheur une dette de réparation vis-à-vis de la justice divine. Aussi Dieu n'aurait-il pu soumettre le pardon de l'humanité coupable à la condition que le Christ offrît à la divine majesté la juste réparation de l'offense du péché ; et il faudrait renoncer à voir, dans la satisfaction de notre divin Sauveur, un hommage destiné à réparer, aux yeux de la justice divine, l'offense faite à Dieu par le péché. L'encyclique nous prémunit contre une telle opinion en nous demandant de ne déformer ni la notion traditionnelle du péché ni celle de la satisfaction offerte par le Christ. Il nous faut donc tenir, en conformité avec la Tradition, que le péché offense Dieu de manière à nous charger d'une dette de réparation envers lui, et que notre divin Sauveur nous a rendu Dieu propice en réparant nos offenses par l'hommage de son obéissance jusqu'à la mort.
\*\*\*
252:103
Je dois vous parler aussi, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, des mystères de la présence réelle et de la transsubstantiation. L'encyclique nous dit : « Il s'en trouve pour soutenir que la doctrine de la transsubstantiation fondée, disent-ils, sur une notion philosophique surannée de la substance, doit être corrigée, de sorte que la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie se réduise à un certain symbolisme, en ce sens que les espèces consacrées ne seraient que les signes efficaces de la présence spirituelle du Christ et de son intime union, en son corps mystique, avec ses membres fidèles » ([^80]). Dans des pages où je ne veux voir qu'un essai hâtif, mais qui n'auraient pas dû être écrites et n'auraient jamais dû circuler, on trouve les considérations suivantes. Tout d'abord, au sujet de la présence eucharistique. Il y a présence réelle, dit-on, parce que la consécration eucharistique est l'offrande du sacrifice de la croix, plus précisément parce qu'elle en est l'offrande efficace qui fait de la divine victime l'esprit vivifiant de l'humanité rachetée. La présence eucharistique -- dit-on encore -- ne doit pas être conçue comme une relation directe ou indirecte au lieu ; l'eucharistie nous donne mieux que cela : elle rend le Christ spirituellement présent à l'humanité ; grâce à elle, où que nous soyons, nous sommes proches du Christ, nous pouvons le prier et compter sur son aide. On ajoute qu'il ne faut pas se laisser enfermer dans le dilemme suivant : ou bien le Christ est présent dans le lieu, quoique non localement ; ou bien il n'est présent que par métaphore ou en tant que l'hostie fait penser à son universelle présence à l'humanité. Car il y a, déclare-t-on, un troisième terme : l'hostie consacrée, qu'il ne faut pas séparer du rite qui la consacra, ne fait pas seulement penser à la présence réelle du Christ à l'humanité, elle en est le signe efficace.
Ensuite au sujet de la conversion eucharistique. Le vocable de transsubstantiation aurait l'inconvénient de se rattacher à une conception inadmissible des scolastiques. Pour eux, explique-t-on, la réalité de la chose étant la substance qui en fait le fond sous les accidents, la chose ne peut changer réellement que si la substance change ; d'où l'idée de transsubstantiation.
253:103
Mais aujourd'hui, ayant appris à distinguer les différents étages de la réflexion, nous savons que chaque chose a un sens et pour ainsi dire un être scientifique, et un sens et un être religieux. Ce dernier la définirait dans sa vraie réalité. Lors donc, nous dit-on, qu'en vertu du rite de la consécration, le pain et le vin sont devenus le symbole efficace du sacrifice du Christ et de sa présence spirituelle à l'humanité, leur être religieux a changé totalement. De par la force créatrice, ils ont subi la plus profonde des transformations, changés qu'ils sont au niveau d'être qui constitue leur vraie réalité. C'est ce que nous pourrions désigner par la transsubstantiation. Il est manifeste que l'encyclique défend de tenir une telle opinion. Comment n'a-t-on pas vu tout de suite qu'elle ne peut s'accorder avec la foi catholique ?
Il m'a été extrêmement pénible de constater, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, que quelques-uns d'entre nous, au lieu de s'opposer résolument à cette conception, s'en sont inspirés. Ils lui ont apporté, je le sais, des modifications et des correctifs, mais ils ont cependant gardé l'idée que la transsubstantiation devait être définie, ou pouvait l'être, comme un changement de sens et de fonction du pain et du vin (ce qu'on a appelé une transfinalisation). Ce faisant, ils ne pouvaient se flatter de renouer avec une ancienne tradition augustinienne, malgré ce qu'on a dit des théologiens médiévaux qui, à partir d'une certaine époque, auraient parlé de la « chair spirituelle » pour désigner l'eucharistie en un sens tout objectif qui serait à peu près à l'inverse des conceptions d'Augustin ; malgré ce qu'on a dit également du tournant historique, marqué par la controverse autour des idées de Bérenger, après laquelle, dans la théologie eucharistique, à la dialectique du signe et de la chose, aurait répondu celle de la substance et de l'accident et de la quantité vice-substance ; malgré enfin ce qu'on a ajouté sur le réalisme sacramentaire qui ne fut plus dès lors qu'accessoirement un symbolisme la foi en la présence réelle commençant d'être protégée, pour une nouvelle série de siècles, par une théologie sacramentaire aux allures et aux connexions tout autres. Nous n'avons pas à substituer une nouvelle représentation du mystère eucharistique à celle que le Concile de Trente a sanctionnée. Nous devons tous tenir que les manifestations sensibles du pain et du vin sont l'expression d'une substance (ou d'un agglomérat substantiel), d'un sujet existant auquel on les attribue ; et que cette substance, par une transformation totale d'elle-même, devient le corps même et le sang du Christ.
254:103
Nous devons tenir également que, par suite de la transformation de la substance du pain et du vin en la substance du corps et du sang de Jésus-Christ, l'humanité de Jésus elle-même est contenue sous les espèces sacramentelles, qu'en sa propre réalité elle est rendue présente sur nos autels, là où sont ces espèces. Sans doute, pendant de longs siècles, le mystère eucharistique n'a pas été formulé d'une manière aussi explicite, aussi précise. Mais, comme l'encyclique le rappelle, la saine méthode théologique défend de faire valoir, contre les expressions explicites de la Tradition plus récente, les expressions encore enveloppées de la Tradition plus ancienne ou de l'Écriture ([^81]). Ce serait méconnaître le rôle qui revient à l'Église et à sa Tradition, d'interpréter et d'exploiter les richesses du donné révélé.
\*\*\*
Le Souverain Pontife ne parle pas seulement du corps de Jésus présent dans l'eucharistie, il fait mention aussi du corps mystique du Seigneur. Il rappelle, parce que tous ne l'ont pas compris, l'enseignement qu'il avait donné dans l'encyclique « Mystici corporis Christi », sur l'identité de l'Église catholique, romaine et du corps mystique ([^82]) « Certains ne se croient pas liés -- dit-il -- par la doctrine enseignée il y a peu d'années dans notre encyclique, et appuyée sur les sources de la révélation, à savoir que le corps mystique du Christ et l'Église catholique romaine sont une seule et même chose » ([^83]). Si on n'a pas compris d'emblée l'enseignement du Pape, ne devrait-on pas comprendre au moins ce rappel ? Il ne faudra plus contester que l'Église visible soit vraiment coextensive au corps mystique du Christ ici-bas ni signifier qu'elle est distincte de lui, encore qu'inadéquatement.
255:103
Qu'on ne persiste pas à dire que le corps mystique est la réalité invisible de la grâce, dont l'Église serait le signe efficace ; et qu'il y aurait par conséquent, entre l'Église visible hiérarchique et le corps mystique, une distinction et une continuité comme entre un signe et ce qu'il signifie. Car le chef de l'Église ne nous parle ni d'une telle distinction ni d'une telle continuité, mais d'une réelle identité : l'Église est une, visible sous un aspect et invisible sous un autre, et elle n'est pas réellement distincte du corps mystique de Jésus-Christ.
\*\*\*
Un passage important de l'encyclique ([^84]) traite de la philosophie scolastique (*philosophia nostris scholis tradita*)*.* Le Pape ne souligne pas seulement, quoi qu'on ait semblé dire, la valeur du réalisme modéré aux yeux duquel les lois de l'esprit, ou les premiers principes, sont aussi les lois de l'être, et d'après lequel une connaissance du monde et d'un ensemble de vérités absolues est possible au moyen de signes conceptuels. Ce réalisme modéré est une position commune à bien des philosophies parmi lesquelles plusieurs s'opposent foncièrement à notre « philosophia perennis ». Aussi le Saint-Père se devait-il de souligner d'autres choses encore. Il observe que la philosophie scolastique contient de nombreux points qui touchent au moins indirectement aux questions de la foi et de la morale, et qu'il n'est pas légitime de contester ; parmi ces points, précise-t-il, il faut compter en premier lieu les principes de cette philosophie et ses principales assertions. Certes il approuve qu'on perfectionne la philosophie scolastique et qu'on l'enrichisse ; il note aussi qu'il est utile de la confronter avec les autres grands systèmes ([^85]). Cependant il ne veut pas qu'on la bouleverse, qu'on y introduise de faux principes ou qu'on la tienne pour une construction grandiose, mais qui aurait fait son temps. Il rappelle que la valeur privilégiée de notre philosophie chrétienne ne lui vient pas seulement de la sagesse humaine, mais aussi de la révélation, prise par nos grands docteurs comme norme directrice de leur recherche ; et il demande qu'on s'efforce de contribuer au progrès de la pensée philosophique non pas en opposant constamment des thèses nouvelles à celles qui ont été dûment établies, mais plutôt en ajoutant du vrai à la vérité déjà possédée, tout en corrigeant les erreurs qui ont pu s'introduire dans les doctrines du passé.
256:103
Au sujet du thomisme enfin ([^86]), il rappelle la prescription du droit canonique en vertu de laquelle les futurs prêtres doivent être formés aux disciplines philosophiques « d'après la méthode, la doctrine et les principes du Docteur Angélique » ([^87]). Il loue la valeur à la fois pédagogique et hautement scientifique de la doctrine de saint Thomas, son accord harmonieux avec la vérité révélée, l'efficacité avec laquelle elle assure les fondements rationnels de la foi, et son aptitude à inspirer une recherche philosophique sainement progressive.
Le Souverain Pontife prend ensuite la défense de la philosophie scolastique contre ses détracteurs. Il écarte les griefs que l'on oppose à son mode d'expression qu'on déclare suranné, et à sa méthode où certains ont voulu voir du rationalisme. Il loue son souci de clarté dans la manière de poser les problèmes et de les résoudre, sa précision dans l'explication des notions et la netteté de ses distinctions. Il l'approuve de maintenir la possibilité d'une métaphysique absolument vraie, et il n'admet pas qu'on l'accuse d'être uniquement une philosophie des essences immuables, incapable de se tourner, comme il le faudrait aujourd'hui, vers l'existence individuelle et le mouvement incessant de la vie. Il la défend également contre le reproche de professer un intellectualisme unilatéral et il décrit avec éloge sa conception du rôle du vouloir dans la recherche de la vérité. Il rejette l'idée que n'importe quelle doctrine philosophique, complétée au besoin ou corrigée à certains égards, puisse s'accorder avec le dogme, comme le fait la philosophie scolastique. En particulier, il nie qu'un pareil accord soit possible, s'il s'agit de certaines formes de la philosophie contemporaine qu'il énumère. Dans cette énumération, je relève la mention de l'idéalisme (en notant que la philosophie hégélienne est assurément idéaliste) et celle de l'existentialisme non seulement athée, mais même religieux, s'il nie la valeur du raisonnement en métaphysique.
257:103
Si certains des Nôtres s'étaient fait une mentalité philosophique qui les désaffectionnât de la méthode ou des grandes thèses des meilleurs docteurs scolastiques et notamment de saint Thomas d'Aquin, s'ils avaient cessé de voir le moyen d'étudier avec fruit les problèmes philosophiques d'aujourd'hui à partir de l'ancienne scolastique et en vraie continuité avec elle, ils ne pourraient, sans une grave déloyauté vis-à-vis du Souverain Pontife, prétendre enseigner la philosophie, surtout aux futurs prêtres ([^88]). Leurs Supérieurs non plus ne pourraient, sans manquer à leur devoir, leur confier une charge, qu'ils ne seraient pas en état d'exercer comme il se doit. Je comprends que, malgré une volonté sincère d'obéir, on ne puisse se faire une nouvelle mentalité du jour au lendemain ; mais je ne saurais nullement approuver qu'on veuille enseigner la philosophie, si on ne peut le faire en conformité avec les normes données par le Saint-Père.
Les normes qui concernent la « philosophia perennis », sont précédées, dans l'encyclique, par celles qui regardent la théologie scolastique ([^89]). En parlant de cette dernière, le Souverain Pontife qualifie d'imprudence extrême le fait de rejeter, de négliger ou de ne pas tenir en estime « tant de choses d'un grand prix qu'au cours d'un travail plusieurs fois séculaire, des hommes éminents par la science et par la vertu ont conçues, exprimées et mises au point, sous la vigilance du magistère et non sans la lumière et la conduite du Saint-Esprit, pour formuler, avec une précision toujours accrue, les vérités de la foi » ([^90]). « Le mépris -- dit-il encore -- de la terminologie et des notions dont les théologiens ont coutume de se servir conduit tout naturellement à priver de consistance la théologie spéculative, qu'on estime dépourvue de certitude, du fait qu'elle s'appuie sur le raisonnement théologique » ([^91]). Un professeur de dogme ne tiendrait pas compte, comme il sied, de ces avertissements, s'il négligeait dans ses cours la théologie scolastique, ou s'il faisait montre de peu d'estime à son égard.
258:103
Si sa mentalité l'empêchait de s'inspirer dans son enseignement des vues de l'encyclique sur la théologie, il ne pourrait pas être maintenu en charge ; lui-même au besoin devrait demander de résigner ses fonctions ([^92]). Bien entendu le Saint-Père ne veut pas qu'une spéculation intempérante envahisse la théologie dogmatique au détriment de la théologie positive. « Les sciences sacrées -- observe-t-il -- trouvent toujours un renouveau de jeunesse dans l'étude des sources de la révélation ; tandis qu'au contraire -- l'expérience en fait foi -- une spéculation qui néglige de pousser plus avant l'étude du dépôt révélé est bientôt frappée de stérilité » ([^93]). Un recours toujours renouvelé à la Bible et à la Tradition est donc nécessaire à la théologie spéculative elle-même ; mais il ne faut pas qu'on en fasse une arme contre l'héritage de la scolastique, auquel l'encyclique attache un si grand prix. Si on désire un resserrement des liens entre la théologie et les saintes Écritures, ce ne sera donc pas, comme on l'a dit, en vue de la dégager d'apports étrangers, qui, sans la vicier foncièrement, l'auraient pourtant constituée souvent hors des catégories scripturaires fondamentales.
Ceci m'amène à dire un mot de la méthode d'interprétation de la Bible ; car l'encyclique touche la question actuellement fort débattue de l'exégèse spirituelle et symbolique. Elle n'entend évidemment pas exclure cette exégèse, qui peut se réclamer de l'autorité de l'Écriture elle-même et de la Tradition ; elle n'entend pas non plus décourager des efforts pour la mettre mieux en valeur, ni défendre d'estimer qu'il y a là des tentatives riches de promesses. Mais elle désapprouve des propos nettement exagérés. Elle ne veut pas qu'on parle comme si l'exégèse littérale devait « céder le pas à l'exégèse qu'on appelle symbolique et spirituelle », et comme si, grâce à ce changement de méthode, « les livres de l'Ancien Testament, qui demeureraient aujourd'hui dans l'Église comme une fontaine scellée, allaient enfin être de nouveau intelligibles pour tous » ([^94]).
259:103
Déjà l'encyclique « Divino afflante Spiritu » avait souligné que « l'interprète de la Bible doit s'efforcer par-dessus tout de discerner et de préciser le sens littéral des paroles bibliques » ; en dirigeant d'ailleurs le meilleur de sa recherche du côté de la doctrine morale et religieuse contenue dans les Livres Saints ([^95]).
On ne s'exprime pas en conformité avec les encycliques « Divino afflante Spiritu » et « Humani generis », lorsqu'on déclare sans plus que le but de l'exégèse de l'Ancien Testament est d'expliquer le symbolisme qui relie entre eux les événements historiques successifs ; ou encore que ce but est d'expliquer le langage intelligible de l'histoire, c'est-à-dire d'établir, par la présence des mêmes symboles, d'un certain style et de certains termes, les correspondances qui relient au cours des siècles les événements et les institutions. Malgré la grande faveur dont les interprétations symboliques ont joui chez les Pères de l'Église, on ne s'exprime pas avec justesse en disant que la découverte des « sacrements » contenus dans l'Écriture était la tâche que se proposait leur exégèse. Ces exagérations présentent un danger, car l'exégèse a certainement pour but d'explorer tout le sens divin de l'Écriture. Si donc on affirme sans plus que le but de l'exégèse des livres de l'Ancien Testament est la découverte de leur sens spirituel ou symbolique, ne parle-t-on pas comme si le sens littéral de ces ouvrages n'était pas un sens divin ? Et si l'on prétend que le Christ est l'unique objet même de l'Ancien Testament, n'a-t-on pas l'air de compter pour peu de chose le sens littéral de celui-ci ? Un exposé a été publié où l'on distingue le sens humain et littéral de la Bible de son sens divin et religieux ; celui-ci étant contenu, dit-on, comme en filigrane dans celui-là. Mais l'encyclique blâme ceux qui parlent d'un sens humain de la Bible sous lequel serait caché son sens divin, le seul qu'ils tiennent pour infaillible ([^96]). Nous devons admettre que le sens divin et infaillible de la Bible recouvre certainement tout son sens humain et littéral.
260:103
Le même exposé est de nature à suggérer que l'inerrance scripturaire s'étend seulement à ce qui, dans la Bible, est dit de Dieu, c'est-à-dire à l'enseignement religieux, et que le reste n'est qu'un véhicule de la vérité, au sujet duquel la question de l'erreur ou de la vérité ne se poserait pas. Mais le Saint-Père, reprenant la doctrine des encycliques bibliques « Providentissimus Deus », « Spiritus Paraclitus » et « Divino afflante Spiritu », rejette l'opinion d'après laquelle « l'immunité des Livres saints contre l'erreur concernerait uniquement leur enseignement sur Dieu et sur les choses morales et religieuses » ([^97]).
\*\*\*
Il me reste à vous parler, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, de certaines opinions qui concernent nos fins dernières. L'encyclique n'y fait pas allusion ; mais on n'a pas toujours gardé, en ce domaine, la prudence nécessaire, et il est de mon devoir de la rappeler. Premièrement on a signifié que la résurrection de la chair dont parle notre Credo est une réalité coextensive à toute la suite des événements de ce monde, une réalité qu'il ne faut situer à un moment plutôt qu'à un autre que si on la rattache soit à chaque individu, et alors elle devrait être placée au moment de la mort, soit à l'ensemble de l'humanité, et alors elle devrait être considérée comme ne s'achevant qu'à la fin des temps. Ce n'est pas ici le lieu de citer une longue série de textes de l'Écriture, des Pères et du magistère auxquels cette opinion vient se heurter. Qu'il me suffise de signaler le passage de la toute récente constitution « Munificentissimus Deus » qui leur fait écho : « Cependant, selon une loi générale, Dieu ne veut pas donner aux justes la pleine victoire sur la mort, avant que vienne la fin des temps. Ainsi donc les corps des justes eux-mêmes sont sujets à la dissolution après la mort, et c'est au dernier jour seulement qu'ils s'uniront, chacun, à leur âme glorieuse. Cependant Dieu a voulu que la Bienheureuse Vierge Marie fût exemptée de cette loi générale » ([^98]).
261:103
Un deuxième point concerne la nature des corps glorieux, celui du Christ et celui des élus, au sujet de laquelle on s'est exprimé d'une manière gravement répréhensible. On a parlé avec défaveur de la conception, traditionnelle cependant, de saint Augustin, d'après laquelle le corps glorieux est un organisme individuel, composé de membres distincts, ayant une localisation particulière. On a déclaré que le corps glorieux du Christ ne pouvait occuper aucun lieu particulier ni dans notre monde expérimental ni davantage en dehors de ce monde, dans le ciel ; que le corps du Christ ressuscité échappait aux catégories de lieu et que sa chair glorieuse, libérée des limitations de l'espace, imprégnait en quelque sorte l'humanité, comme la présence divine. Cependant il est visible que refuser au corps glorieux tout ce qui est de l'ordre d'un organisme et d'une localisation particulière, c'est le concevoir de telle sorte qu'il ne garde aucun des traits distinctifs de la notion que l'on se fait communément d'un corps humain ou tout simplement d'un corps vivant ; et cela est inacceptable. Car l'Église nous demande de croire à la réalité des corps ressuscités et elle le fait en se servant de la notion commune de corps humain. Ainsi, par exemple, dans cette déclaration du quatrième Concile du Latran : « Les élus et les réprouvés ressusciteront dans leur propre corps, dans le corps qu'ils revêtent maintenant » ([^99]). Certes elle admet que les corps ressuscités se trouveront dans un état nouveau ; mais elle ne donne pas à entendre pour autant que la notion commune de corps humain, dont elle se sert, doive être vidée de tous ses traits caractéristiques. Si donc on se flatte d'accepter l'enseignement de l'Église et le message de la foi sur la résurrection des corps, mais en abandonnant tous les traits distinctifs de la notion commune de corps humain, voire de corps vivant, il paraît bien qu'on se fait grandement illusion. Je note aussi qu'une conception trop spiritualisante de la résurrection glorieuse induit à prendre une position singulièrement téméraire au sujet des apparitions du Christ ressuscité. Malgré la manière dont les évangiles rapportent les apparitions de Jésus aux disciples, on prétend qu'elles ne purent être une manifestation extérieure du corps du Christ, et qu'il faut donc les comprendre comme le contre-coup, dans les facultés sensibles, d'une manifestation intérieure spirituelle du Seigneur ressuscité.
262:103
Un troisième point se rapporte au dogme de l'enfer éternel. J'ai eu des échos d'une opinion que d'aucuns auraient émise. D'après celle-ci, nous serions fondés à escompter que le châtiment éternel dont Dieu menace les pécheurs ne sera infligé réellement à aucun d'eux ; car la providence miséricordieuse de Dieu ne saurait manquer de les conduire tous à la conversion et au salut. Mais qui sommes-nous pour juger que les menaces du Dieu de majesté n'ont pas un caractère plus redoutable ? Nous appartient-il de supprimer, dans la description que le divin Maître a faite du jugement dernier, la sentence de condamnation portée contre les méchants ([^100]) ? Si on répandait une telle opinion, on enlèverait aux fidèles la crainte salutaire des châtiments divins. A ce propos, je tiens à vous mettre en garde contre une autre opinion qui obtiendrait le même effet. Rien ne nous autorise à supposer que la miséricorde divine accorde régulièrement, à l'heure de la mort, une lumière et une force spirituelles telles que les pécheurs puissent tous se convertir sans difficulté. S'il en était ainsi, le divin Sauveur n'aurait pas multiplié les avertissements sur la nécessité de veiller pour n'être pas surpris par l'arrivée imprévue du juge céleste ([^101]).
\*\*\*
Je suis sûr, mes Révérends Pères et mes chers Frères, qu'il ne s'est trouvé personne parmi vous pour tenir l'ensemble des opinions que j'ai blâmées dans cette lettre. Quelques-unes avaient commencé de se répandre ; d'autres connurent moins de succès. Le plus grand nombre d'entre vous n'ont accueilli ni celles-ci ni celles-là. Vous aurez constaté, car je l'ai laissé voir, que certaines de mes remarques visaient moins des thèses formulées sans ambiguïté, que des positions pouvant être accréditées par des déclarations fâcheusement équivoques. Je ne vous ai pas parlé de tous les points touchés par l'encyclique « Humani generis ».
263:103
Plusieurs se rapportent à des opinions qui n'ont trouvé, à ma connaissance, aucun accueil dans la Compagnie ; il y en a d'autres au sujet desquels je n'ai pas vu qu'il y eût lieu d'apporter des explications. Il ne m'appartient pas de commenter officiellement l'encyclique du chef de l'Église, mais j'ai le devoir de prendre des mesures efficaces pour qu'elle soit écoutée et suivie dans la Compagnie ([^102]). A cet effet, je donne l'ordre aux Nôtres de se conformer, dans leurs paroles et dans leurs écrits, aux jugements sur les questions doctrinales que j'ai formulés dans la présente lettre. Ils ne feront, dans un sens opposé, aucune propagande ni publique ni privée, ni dans la Compagnie ni en dehors d'elle ; ils ne soutiendront aucune des opinions désapprouvées et ils ne contesteront pas celles qui sont proposées comme devant être tenues. Je sais, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, que mes prédécesseurs n'ont jamais promulgué, en matière doctrinale, des prescriptions aussi étendues. Mais aucun d'entre eux ne s'est trouvé dans une conjoncture où une encyclique du Souverain Pontife ait réprouvé autant d'opinions dangereuses ou erronées, menaçant de devenir contagieuses dans la Compagnie ; et la plupart de mes prescriptions ne font qu'expliquer l'enseignement du Saint-Père, en lui-même ou dans ses conséquences prochaines, pour assurer la soumission qui lui est due.
Après les graves mesures que j'ai prises au cours des mois précédents, et auxquelles j'ai fait allusion au début de cette lettre, j'aurais éprouvé de la consolation, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, à vous écrire avant tout pour vous réconforter et vous encourager. Je ne l'ai pas pu ; j'ai dû en conscience vous envoyer une lettre qui aura ravivé et même élargi des blessures. Cependant j'ose espérer que vous saurez discerner l'intention bienveillante et paternelle qui anime ma sévérité. Je voudrais vous dire, comme saint Paul à ses chers Corinthiens : « Ce n'est pas pour vous humilier que j'écris ces choses mais je vous avertis comme mes enfants bien-aimés » ([^103]). Encore un coup je comprends combien la crise actuelle est douloureuse pour une partie notable d'entre vous : pour un groupe de maîtres, pour leurs amis, pour un bon nombre de nos jeunes prêtres et de scolastiques.
264:103
Mais je dois vous aider à conjurer, quoi qu'il en coûte, un mal qui vous guette et qui est plus grave que votre souffrance. Ce mal serait l'écart plus ou moins inavoué qui subsisterait entre la pensée d'un groupe des Nôtres et les normes doctrinales de la sainte Église. Un tel écart ne manquerait pas de devenir de plus en plus conscient, malgré l'effort que l'on ferait pour ne pas le reconnaître, et il empoisonnerait l'âme. Ce mal là, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, aucun de vous ne peut le laisser s'établir en soi, aucun ne peut le communiquer à d'autres, aucun ne peut l'infliger à la Compagnie. Vous songerez aussi à la réputation de la Compagnie.
Vous opposerez à ce mal la volonté arrêtée d'obéir à l'encyclique sans rien vous permettre qui ressemble à un raidissement, à un refus. Vous vous mettrez délibérément et vous vous maintiendrez dans la disposition suivante : ne pas demeurer attaché à ses opinions d'hier de manière à traiter certains passages de l'encyclique comme des difficultés qu'on cherche à tourner ; mais bien plutôt se détacher assez de ses propres opinions pour prendre l'enseignement du Pape comme un point de départ d'après les exigences duquel on abandonne ou on garde ses positions antérieures. Une telle attitude demande de l'esprit de foi et de l'humilité, mais elle est pleine de vraie grandeur et elle force le respect. Si ceux d'entre vous que l'avertissement du Saint-Père a douloureusement atteints savent la prendre et la garder, le Seigneur pourra tirer de la crise actuelle de grands biens. Nul doute qu'il ne veuille le faire, mais il a besoin de votre concours ; avec l'aide de la grâce, vous le lui accorderez. Vous aurez aussi à cœur de suivre très fidèlement les prescriptions de notre Institut touchant la doctrine dans la Compagnie ([^104]). Je ne voudrais pas vous accabler, mais comment ne pas remarquer que si tous nos professeurs et nos écrivains s'en étaient vraiment inspirés, nous ne nous trouverions pas aujourd'hui dans la situation que nous déplorons. Il est vrai que la voie où s'engagent le théologien et le philosophe, lorsqu'ils s'attaquent à des problèmes nouveaux ou difficiles, est semée de périls. Ce n'est pas une raison de se dérober devant une tâche qui s'impose ; vous l'avez compris et je ne doute pas que vous ne continuiez à le comprendre.
265:103
Mais c'est une raison, pour nous, de n'entreprendre cette tâche que les yeux fixés sur les normes où la Compagnie a consigné les fruits de sa longue expérience. Depuis saint Ignace qui demande que, dans nos Facultés, on enseigne « la doctrine la plus sûre, celle qui jouit de la plus grande autorité » ([^105]), le gouvernement de la Compagnie a toujours mis l'accent sur la sûreté et la solidité de la doctrine. A cette insistance doit répondre, chez tous les fils de la Compagnie, le souci de faire en sorte que leur pensée, leur prédication, leur enseignement et leurs écrits soient marqués de cette sûreté et de cette solidité comme d'un certain air de famille.
Vous avez le sentiment fondé, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, que le travail intellectuel de vos Provinces est loin de se solder seulement par un déficit et que vous avez su développer, dans vos facultés philosophiques et théologiques ainsi que dans vos maisons d'écrivains, des valeurs qui comptent. Vous êtes légitimement fiers de vos périodiques et d'un grand nombre d'ouvrages importants, publiés dans votre Assistance. Parmi les valeurs que vous avez su développer à un degré tel que toute la Compagnie vous en sait gré, je mentionnerai moi-même : la volonté efficace de faire du travail d'une haute tenue littéraire et scientifique ; la préoccupation de répondre aux besoins de l'heure et à l'appel des âmes d'aujourd'hui ; l'élaboration d'une théologie vivante, parce que soucieuse de demeurer en contact étroit avec l'Écriture et avec les écrits des Pères. Vous ne devrez pas renoncer à ces valeurs mais vous continuerez de les développer en les unissant à une acceptation parfaite de l'encyclique « Humani generis ». Vous les développerez aussi avec plus d'humilité et de modestie en songeant moins à repenser, à renouveler et à réformer, qu'à garder, à approfondir et, dans la mesure de vos forces, à corriger et à perfectionner. Sans faire de surenchère intégriste, vous voudrez que vos jugements et vos paroles s'inspirent franchement et filialement du *sentire cum Ecclesia*. Jusque dans votre travail de recherche, vous voudrez demeurer en pleine consonance de pensée avec l'Église et vous vous garderez d'un ésotérisme qui vous mettrait hors du grand courant de philosophie et de théologie qu'elle approuve ([^106]).
266:103
Vous entretiendrez en vous, comme une expression très pure de votre esprit ecclésial, un sentiment de grande vénération non seulement pour la personne du Vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais aussi pour l'enseignement, les ordres et les directives qui émanent directement ou indirectement de lui. L'encyclique insiste à diverses reprises sur la soumission à tous les actes du Saint-Siège ([^107]). Nous devons nous faire un point d'honneur de ne nous permettre à cet égard aucune tergiversation, aucune attitude moins nette, nous qui appartenons à une milice spirituelle que son fondateur a rattachée par des liens tout spéciaux au Vicaire de Jésus-Christ ([^108]). Mais nous ferons de cette soumission avant tout une question de fidélité au divin Roi, à qui nous nous sommes consacrés pour le « servir, lui seul, et l'Église, son épouse, sous le Pontife romain, son Vicaire ici-bas » ([^109]).
Il importe, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, que la crise doctrinale qui a commencé de se développer parmi vous n'ait demain aucune espèce de survivance, mais qu'elle fasse place à un redressement incontestable et unanime. Celui-ci sera une œuvre commune, les uns y collaborant par leur prière et leur vraie charité, les autres le réalisant à force de prière et de courageuse soumission. Vous n'y êtes pas seuls intéressés, la Compagnie et l'Église y sont intéressées également. Elles le sont non seulement parce que vous êtes, pour elles, des membres très chers, mais encore parce que Dieu vous a départi des dons qui assurent à votre pensée un grand rayonnement ; elles le sont parce qu'elles attendent beaucoup de vous. Quant à moi, mes Révérends Pères et mes bien chers Frères, les sacrifices que je dois vous demander et l'espoir que je mets en votre générosité m'attachent à vous d'une manière spéciale. C'est avec une insistance particulière que je prie pour vous notre divin Sauveur.
267:103
Qu'Il vous donne des grâces proportionnées à la difficulté de la crise dont il veut que vous sortiez vainqueurs : indissolublement attachés à la parole de son Église et de son Vicaire par des liens que l'épreuve vous aura rendus encore plus chers !
Je me recommande à vos saints sacrifices et à vos prières.
Rome, 11 février 1951.
Votre serviteur\
en Notre-Seigneur Jésus-Christ,\
IOANNES B. JANSSENS\
*Praep. Gen. Soc. Iesu*
268:103
## AVIS PRATIQUES
##### *III^e^ Assemblée générale des Compagnons d'Itinéraires*
LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES ont tenu le 19 mars 1966, en la fête de saint Joseph, leur troisième Assemblée générale. La messe était célébrée par le P. Calmel O.P.
Le nombre d'adhérents, qui était 151 lors de la première Assemblée générale, et 255 lors de la seconde, est maintenant 354.
Sur ces 354 adhérents, 94 ne sont pas abonnés à *Itinéraires* (acheteurs au numéro, ou lecteurs en seconde lecture).
Le nombre de bourses d'abonnement distribuées, qui était 80 lors de la première Assemblée générale et 114 lors de la seconde, est actuellement 103.
L'Assemblée a enregistré ces résultats ; elle a approuvé le rapport moral et le rapport financier ; elle a délibéré sur l'orientation et les développements à donner aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES.
Il a été constaté que l'effectif des boursiers se renouvelle chaque année dans une proportion de 50 % environ ; il est composé principalement d'étudiants, dont la situation économique est transitoire. La trésorerie de l'Association a pu faire face à la plupart des demandes de bourses d'abonnement qui lui ont été adressées.
Il apparaît maintenant souhaitable d'intensifier et d'élargir les activités de l'Association. Cela principalement à deux niveaux :
1\. Les adhérents (et leurs amis) de la région parisienne sont invités à venir plus fréquemment à la permanence des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES qui est ouverte chaque samedi, 49, rue des Renaudes à Paris, de 15 h à 17 h. Ils peuvent y rencontrer les dirigeants de l'Association et proposer leur aide régulière ou occasionnelle.
269:103
2\. Il faut intensifier en province le regroupement des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES selon les villes et les localités.
Pour cela, chacun doit prendre contact avec la Direction des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES, 49, rue des Renaudes, Paris 17^e^.
Le renforcement numérique de l'équipe dirigeante permettra d'entretenir avec les adhérents une correspondance moins strictement administrative. Le service des « bourses d'abonnement » demeure sans doute la première fonction des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES, : mais, ce n'est là qu'une partie des buts statutaires de l'Association, qui a pour charge de développer la diffusion de la revue *Itinéraires*, et à cet effet d'étudier, de coordonner et de mettre en œuvre toutes initiatives susceptibles de faciliter et d'étendre l'abonnement à la revue.
Notamment, la mise en route d'abonnements de propagande judicieusement sélectionnés doit être étudiée au plan local. Cela suppose l'établissement de contacts réguliers entre nos amis : ils doivent donc intensifier leur effort pour se rencontrer dans leur ville, leur quartier, leur région ; pour assister en commun à la messe du dernier vendredi du mois ; pour organiser entre eux les réunions amicales, les cercles d'études, les demandes d'envois de propagande.
Le nouveau bureau de l'Association est composé comme suit :
Amiral Paul AUPHAN (président), Alain BEAULIEU-CAMUS (vice-président), Émile DURIN, Jean LUCAS, Henri MOREAU, François VALLANÇON.
... ...
*La* « *Collection Itinéraires* »
Publiée aux nouvelles Éditions Latines (1, rue Palatine, Paris VI^e^), la « COLLECTION ITINÉRAIRES » est une collection de librairie à ne pas confondre avec la collection, des 102 numéros de la revue elle-même qui édite des ouvrages se rattachant aux préoccupations, aux travaux, aux inspirations essentielles de la revue ITINÉRAIRES et de sa « Déclaration fondamentale ».
Inaugurée en juin 1959, la COLLECTION ITINÉRAIRES est distincte de la revue mensuelle elle se développe à un autre niveau et sur une autre dimension.
Pour ceux de nos lecteurs qui s'intéressent vraiment à notre travail de réforme intellectuelle et morale, les vingt volumes parus de la « Collection Itinéraires » sont un instrument de travail indispensable qu'il faut étudier et faire connaître.
271:103
1\. Henri CHARLIER : Culture, École, Métier.
2\. Henri MASSIS : De l'homme à Dieu.
3\. R.-Th. CALMEL O.P. : Sur nos routes d'exil.
4\. Pierre ANDREU : Histoire des prêtres-ouvriers.
5\. Jean MADIRAN : De la justice sociale.
6\. Amédée d'ANDIGNÉ : Un apôtre de la charité : Armand de Melun.
7\. Charles DE KONINCK : Le scandale de la médiation.
8\. D.-P. AUVRAY O.P. : Le Cœur Immaculé de Marie.
9\. Marcel DE CORTE : L'homme contre lui-même.
10\. Jean MADIRAN : Le principe de totalité.
11\. François SAINT-PIERRE : La co-gestion de l'économie.
12\. Joseph THÉROL : L'appel du roi temporel.
13\. C.-J. GIGNOUX : Joseph de Maistre, prophète du passé, historien de l'avenir.
14\. John A.-T. ROBINSON : Dieu sans Dieu (traduction et avertissement par Louis SALLERON).
15\. Jean MADIRAN : L'intégrisme. Histoire d'une histoire.
16\. André CHARLIER : Que faut-il dire aux hommes.
17\. Louis SALLERON : Diffuser la propriété.
18\. Dom G. AUBOURG O.S.B. : Entretiens sur les choses de Dieu.
19\. Pierre CARREAU : Le monde et l'unité (préface de Jean de FABRÈGUES).
20\. Jean MADIRAN : La vieillesse du monde. Essai sur le communisme.
##### *La question des libraires*
La revue *Itinéraires* n'est pas elle-même habituellement en vente chez les libraires : elle est en vente au numéro par l'intermédiaire des N.M.P.P. et de leurs dépositaires locaux ; les libraires peuvent d'ailleurs, s'ils le désirent, mettre eux aussi en vente la revue *Itinéraires* en se la procurant auprès des N.M.P.P.
Mais les ouvrages de la « Collection Itinéraires », édités par les Nouvelles Éditions Latines, sont, eux, ou devraient normalement être en vente par l'intermédiaire des libraires.
En fait, le plus souvent, ils ne sont ni en vitrine, ni en magasin, et beaucoup de libraires, beaucoup trop vraiment, répondent qu'ils « ne connaissent pas » quand on vient leur demander l'un ou l'autre de ces ouvrages.
C'est là une grave anomalie, qui n'a pas toujours pour cause simplement la négligence. Et ne parlons pas de l'ignorance qui n'est pas une excuse : le libraire est précisément celui qui a mieux que le public les moyens de se renseigner au sujet des ouvrages qu'on lui demande.
272:103
En attendant les explications et actions publiques qu'une telle situation appelle, voici du moins la liste des libraires qui ont accepté d'avoir en dépôt la totalité des ouvrages parus dans la « Collection Itinéraires » :
Barcelone (Espagne) : Amigos del Catécismo, Condal 31.
Bruxelles (Belgique) : Librairie de France, 31, rue du Luxembourg.
Liège (Belgique) : Librairie Henry, 20, Pont d'Ile.
Martigny (Suisse) : Librairie Marcel Gaillard.
Québec (Canada) : Compagnie Paquet, 545 est, rue Saint-Joseph.
\*\*\*
Paris :
-- Bibliothèque contemporaine, 64, rue de Rome, VIII^e^.
-- Procure du Clergé, rue de Mézières, VII^e^.
Aix-en-Provence : Librairie de Provence, 31, cours Mirabeau.
Angers : Librairie Saint-Joseph, 7, rue Bremigny.
Biarritz : Librairie Tuiague, 16, rue Gambetta.
Caen : Librairie Publica, 44, rue Saint-Jean.
Dijon :
-- Librairie Bazinter, 10 bis Berbisey.
-- Librairie Bigaré, 48, rue du Chaignot.
Lille : Le Furet du Nord, 18, place du Général de Gaulle.
Lyon :
-- Librairie René Charras, 30, rue Servient.
-- Librairie Vitte, 3, place Bellecour.
Nantes : Librairie Coiffard, rue de la Fosse.
Nice : Librairie Damarix, 42, rue Gioffredo.
Orléans : Librairie Jeanne d'Arc, 11, rue Jeanne d'Arc.
Pau : Librairie Bacqué, 10, place Georges Clemenceau.
Rennes : Librairie Béon, 6, rue Nationale.
Rouen : Librairie universitaire, 83, rue Jeanne d'Arc.
Sens : Librairie Moderne René Saffray, 55, rue de la République.
Toulouse :
-- La Bible d'or, 22, rue du Tour.
-- Librairie Labadie, 22, rue de Metz.
Tours : Librairie du Sacré-Cœur, 83, rue de la Scellerie.
Villeneuve-sur-Yonne : Maison de la Presse, 33, rue Carnot.
Toutes les librairies qui acceptent en permanence le dépôt de la totalité des ouvrages parus dans la « Collection Itinéraires » sont en permanence signalées et recommandées au public dans la revue Itinéraires ([^110]) : nous invitons nos amis à les soutenir en leur réservant toutes leurs commandes de librairie et en les faisant connaître autour d'eux.
Ce recensement n'est pas achevé. Les libraires que nous n'aurions pas touchés peuvent prendre l'initiative de nous écrire eux-mêmes.
============== fin du numéro 103.
[^1]: -- (1). A commander au Club du Livre civique, 49, rue des Renaudes, Paris 17^e^.
[^2]: -- (2). Parmi les précédents articles d'*Itinéraires* sur ce sujet, cf. particulièrement : « L'action temporelle du laïcat chrétien » (numéro 94 de juin 1965, pp. 1 et suiv.), et : « Le groupe pilote » (numéro 102 d'avril 1966, pp. 1 et suiv.).
[^3]: -- (1). Nos références à La Croix peuvent parfois -- cela est arrivé -- paraître fausses selon l'édition consultée. Tous les exemplaires de La Croix portant la même date ne contiennent pas toujours les mêmes articles. L'édition de Paris est quelquefois différente de l'édition de province.
[^4]: -- (1). Cf. LÉNINE, *De la religion*, édition française, Bureau d'éditions (communistes), Paris, 1933, page 5.
[^5]: -- (1). « La technique de l'esclavage » et « La pratique de la dialectique » (suppléments de la revue *Itinéraires* aujourd'hui épuisés) sont réunies en un seul volume dans le dernier ouvrage de Jean MADIRAN : La vieillesse du monde. Essai sur le communisme, 20^e^ volume de la « Collection Itinéraires » qui vient de paraître aux Nouvelles Éditions Latines. Voir aussi l'ouvrage de Jean OUSSET : *Le marxisme-léninisme* (Club du Livre civique).
[^6]: -- (1). Comme ces textes ne sont pas traduits et que je ne suis pas spécialistes du latin, voici le texte lui-même qui est très important : **« **Quamvis autem pulchrum et bonum sint idem subjecto, quia tam claritas quam consonnantia sub ratione boni continentur, tamen ratione boni continentur, tamen ratione differunt, nam pulchrum addit supra bonum ordinem ad vim cognoscitivam illud esse hujus modi ».
[^7]: -- (1). N.D.L.R. : Henri CHARLIER, Le Martyre de l'art, Nouvelles Éditions Latines.
[^8]: -- (1). A ceux qu'effraierait (légitimement) la lecture de nos deux livres : « Six études sur la propriété collective » (1949) et « Diffuser la propriété » (1964) aux Nouvelles Éditions Latines, 1, rue Palatine, Paris VI^e^, signalons que nous avons réuni dans une brochure de 32 pages quatre articles de « La France Catholique » consacrés à « l'accession des salariés à la propriété du capital ». (C.E.P.E.C., 4, rue de la Michodière, Paris 2^e^)
[^9]: -- (1). Les bouts-rimés sont tout autre chose, mon révérend père
[^10]: -- (1). Je ferai mon profit de cet argument en faveur de la colonisation.
[^11]: -- (1). A.A.S. 1964, pp. 97-134, trad. française dans Documentation catholique du 15 décembre 1964.
[^12]: -- (2). A.A.S. 1964, pp. 887-900, D.C. 1^er^ novembre 1964.
[^13]: -- (3). *Seminarium*, « Revue d'orientation et de formation pour les universités, pour les Séminaires, pour les vocations sacerdotales », n° 1, janvier-mars 1966, pp. 37-51.
[^14]: -- (4). *Itinéraires*, numéro 102 d'avril 1966, pp. 48 et suiv.
[^15]: -- (5). Ces pages étaient rédigées indépendamment de la version française intégrale du document publiée par la D.C. du 20 février 1966.
[^16]: -- (1). Trad. Française dans D.C. du 21 novembre 1965. Le volume édité par la Commission épiscopale du Clergé et des Séminaires, Les Prêtres dans la pensée de Vatican II, Revue « Vocation », n° 233, janvier 1966, contient tous les textes conciliaires sur les prêtres et leur ministère, la préparation à ce ministère. Introduction et commentaires de N.N.S.S. Gabriel Garrone, Jean-Baptiste Brunon, Henri Jenny, Jacques Ménager, Guy Riobe, Antoine-Marie Cazeaux, Jean Dozolme, Gérard Huyghe, Charles de Provenchères, Paul Gouy, René Stourm, Alfred Ancel, Jean Vilnet, Alexandre Renard, Jean Guyot.
[^17]: -- (1). Cf. La lettre apostolique de S.S. Paul VI, *Summi Dei Verbum*, Seminarium 1963 n° 4 octobre-décembre 1963, pp. 543-558, trad. it. Ibid. pp. 559-572, tr. fr. D.C. 1^er^ déc. 1963. Cf. le volume *Seminaria Ecclesiae catholicae* publié à cette occasion par la Sacrée Congrégation des Séminaires et universités, Imprimerie Vaticane, 1963, s'ouvre par un « Breviarium Historiae institutiones Clericorum » et un Brevarium Historiae S. Congr. de Seminariis et Studiorium universitatibus.
[^18]: -- (2). O.R. 18 février 1966.
[^19]: -- (1). Il en existe d'ailleurs déjà qui répondent à ce programme.
[^20]: -- (2). Mais la formation liturgique n'était pas assurée seulement par ce cours.
[^21]: -- (3). Paul VI, répondant en forme de dialogue à diverses questions, aux curés de Rome et prédicateurs de Carême :
« Le prêtre est avant tout ordonné à la célébration du sacrifice eucharistique dans lequel *in persona Christi et nomine Ecelesiae*, il offre à Dieu sacramentellement la Passion et la Mort de Notre Rédempteur et en même temps en fait l'aliment de vie surnaturelle pour lui et les fidèles à qui il doit faire tout effort pour le distribuer largement et dignement ; le ministère de la parole et de la charité pastorale doivent converger vers celui de la prière et de l'action sacramentelle et en doivent tirer inspiration et soutien. » O.R. du 21-22 février 1966.
Il faut lire toute cette lumineuse exhortation du Père commun : elle résout maints doutes dont souffrent aujourd'hui bien des prêtres et peut les prévenir chez ceux qui en seraient tentés.
[^22]: -- (1). *Itinéraires*, n° 95, pp. 184 à 197.
[^23]: -- (2). Histoire Authentique, par R. LAURENTIN (sigle : H.A.) tome 2, pp. 240 et ss.
[^24]: -- (3). Documents Authentiques (*D.A.*) tome I, p. 297.
[^25]: -- (4). H.A. 2, p. 245.
[^26]: -- (5). Histoire de Notre-Dame de Lourdes d'après les documents et les témoins, par le P. Cros, tome 1. p. 141.
[^27]: -- (6). *H.A.* 2, p. 266, note 96.
[^28]: -- (7). *H.A.* 2, p. 242, note 16.
[^29]: -- (8). Daniel, XIII, 46-60.
[^30]: -- (*9*). *H.A.* 1, p. 110, note 94.
[^31]: -- (10). *H.A.* 1, pp. 111, et 32.
[^32]: -- (11). *D.A.* 1, p. 163, note 19.
[^33]: -- (12). *D.A.* 1, p. 198, note 21.
[^34]: -- (13). *D.A.* 5, p. 69, note 11.
[^35]: -- (14). *D.A.* 1, p. 299, note 11..
[^36]: -- (15). *H.A.* 1, pp. 36-37.
[^37]: -- (16). *Itinéraires*, n° 85, p. 118.
[^38]: -- (17). Sur les 32 questions que lui posa le P. Sempé en décembre 1878, Bernadette, répondit 27 fois : « Je ne sais pas ».
[^39]: -- (18). *H.A.* 1, p. 78.
[^40]: -- (19). *H.A.* *1,* p. 136.
[^41]: -- (20). *H.A.* 1, p. 37.
[^42]: -- (21). Ces notations figurent sur trois pages du récit de la seconde apparition.
[^43]: -- (22). *H.A.* 1, p. 38. \[à vérifier : manque l'appel de cette note 22, p. 127 dans l'original. \]
[^44]: -- (23). Voir la lettre que le Directeur d'*Itinéraires* a envoyée le 25 mars 1966 à l'Abbé Laurentin ; lettre publiée dans le présent numéro, pp. 183 et suiv.
[^45]: -- (24). H.A 2, p. 82.
[^46]: -- (25). H.A. 2, p. 34.
[^47]: -- (1). C'était le Prof. Bignami.
[^48]: -- (2). Le Prof. Romanelli, médecin-chef, de l'hôpital de Barletta.
[^49]: -- (1). Qui se tait doit être considéré comme consentant.
[^50]: -- (1). Épître aux Hébreux, 1, 14 et une foule d'autres textes ; voyez P.-R. RÉGAMEY, o.p., son livre sur les Anges, collection Je sais, je crois, édité chez Fayard à Paris. C'est un excellent petit traité.
[^51]: -- (1). Ce trait est relevé dans l'étude de G. HUBER sur les Anges, au bulletin du *cercle thomiste de* Caen, déc. 1965.
[^52]: -- (1). II Pars. qu. 112, art. 1, ad. 4 : « Dans leurs actions extérieures les anges servent principalement le Seigneur et secondement nous autres ; non parce que nous serions supérieurs à eux, à proprement parler, mais parce que l'homme ou l'ange qui adhère à Dieu devient un seul esprit avec Dieu et, par cela même, est supérieur à toute créature. C'est pourquoi l'Apôtre dit aux *Philippiens*, Il, 3 : « Que chacun de vous estime l'autre supérieur à lui-même. »
[^53]: -- (1). Ia Pars. : La fin, question 103 à 119 ; anges et démons, questions 106 à 115.
[^54]: -- (1). Voir : L'Affaire Pax en France, supplément de la revue *Itinéraires*, en vente à nos bureaux, 200 pages : 6 F., francs. \[\\Itin\\Extraits\]
[^55]: -- (2). L'Affaire Pax en France, pages 190 et suivantes.
[^56]: -- (1). Je mets bien entendu à part, avec le plus grand respect, deux lettres de nos évêques qui ont été rendues publiques. J'ai pu leur donner moi-même, oralement ou par écrit, mes explications personnelles sur mon livre.
[^57]: -- (1). A. A. S. vol. XXXXII, 1950 p. 561-578.
[^58]: -- (2). Voir *Mem. S. I*., vol. VIII, p. 385.
[^59]: -- (3). « De nonnullis falsis opinionibus, quae catholicae doctrinae fundamenta subruere minantur » (A. A S., vol. cit., p. 560).
[^60]: -- (4). Voir A. A. S., vol. cit., p. 564, 577.
[^61]: -- (5). Fidei mysteria nunquam notionibus adaequate veris significari posse contendunt, sed tantum notionibus « approximativis », ut aiunt, ac semper mutabilibus, quibus veritas aliquatenus quidem indicetur, sed necessario quoque deformetur. Quapropter non absurdum esse putant, sed necesse omnino ut theglogia pro variis philosophiis, quibus decursu temporum tamquam suis utitur instrumentis, novas antiquis substituat notiones, ita ut diversis quidem modis, ac vel etiam aliqua ratione oppositis, idem tamen, ut aiunt, valentibus, easdem divinas veritates humanitus reddat » (A. A. S., vol. cit., p. 566).
[^62]: -- (6). « Dictitant enim hanc nostram philosophiam perperam opinionem tueri metaphysicam absolute veram exsistere posse ; dum contra asseverant res, praesertim transcendentes, non aptius exprimi posse, quam disparatis doctrinis, quae sese mutuo compleant, quamvis sibi invicem quodammodo opponantur » (A. A. S., vol. cit., p. 573).
[^63]: -- (7). « In dubium revocatur humanam rationem, absque divinae « revelationis » divinaeque gratiae auxilio, argumentis ex creatis rebus deductis demonstrare posse Deum personalem exsistere » (A. A. S., vol. cit., p. 570).
[^64]: -- (8). Voir également un autre passage de l'encyclique « Quarum \[theodiceae et ethicae\] quidem munus esse censent non aliquid certi de Deo aliove ente transcendenti demonstrare, sed ostendere potius ea quae fides doceat de Deo personali ac de eius praeceptis, cum vitae necessïtatibus perfecte cohaerere, ideoque omnibus amplectenda esse, ut desperatio arceatur atque aeterna attingatur salus » (A. A. S., vol. cit., p. 575).
[^65]: -- (9). « Quamvis tam multa ac mira signa externa divinitus disposita sint quibus vel solo naturali rationis lumine divina christianae religionis origo certo probari possit » (A. A. S., vol. cit., p. 562). Déjà l'encyclique « Communium rerum » de Pie X nous disait : « Egregius Doctor \[sanctus Anselmus\] suos cuique fines constituit, utrique disciplinae \[philosophiae scilicet et theologiae\], ac satis monet, quodnam sit. munus et officium rationis naturalis in rebus quae doctrinam divinitus revelatam attingunt : *Fides... nostra*, inquit, *contra impios defendenda est*. -- At quomodo et quousque ? Verba quae sequuntur aperte declarant : illis... *rationabiliter ostendendum est quam irrationabiliter nos contemnant*. Philosophiae igitur munus est praecipuum, in perspicuo ponere fidei nostrae rationabile obsequium, et, quod inde consequitur, officium adiungendae fidei auctoritati divinae altissima mysteria proponenti, quae plurimis testata veritatis indiciis, *credibilia facta sunt nimis *» (A. A. S., vol. 1, 1909, p. 380, 381).
[^66]: -- (10). Voir *Act. Rom. S. I*., vol III, pp. 229-233.
[^67]: -- (11). « Alii denique rationali indoli « credibilitatis » fidei christianae iniuriam inferunt » (A. A. S., vol. XXXXII, 1950, p. 571),
[^68]: -- (12). Voir, en relation avec ce point, la 36^e^ proposition condamnée par le décret « Lamentabili » : « Resurrectio Salvatoris non est proprie factum ordinis historici, sed factum ordinis mere supernaturalis, nec demonstratum nec demonstrabile, quod conscienta christiana sensim ex aliis derivavit » (A. A. S., vol. XL, 1907, p. 474).
[^69]: -- (13). « Quoniam vero divinum et infallibile magisterium Ecclesiae, in auctoritate etiam Sacrae Scripturae consistit, huius propterea fides saltem humana asserenda in primis vinidicandaque est : quibus ex libris, tanquam ex. antiquitatis probatissimis testibus, Christi Domini divinitas et legatio, Ecelesiae hierarchicae institutio, primatus Petro et successoribus eius collatus, in tuto apertoque collocentur. » (A. S. S., vol. XXVI^e^ 1893-1894, p. 284).
[^70]: -- (14). « Contenditur creationem mundi necessariam esse, cum ex necessaria liberalitate divini amoris procedat » (A. S. S., vol. XXXXII, 1950, p. 570).
[^71]: -- (15). « Animas enim a Deo immediate creari catholica fides nos retinere iubet » (A. A. S., vol. cit., p. 575). Voir aussi le passage de l'encyclique sur la distinction essentielle entre la matière et l'esprit (A. A. S., vol. cit. p. 570).
[^72]: -- (16). « Alii veram « gratuitatem » ordinis supernaturalis corrumpunt, cum autument Deum entia intellectu praedita condere non posse, quin eadem ad beatificam visionem ordinet et vocet » (A. A. S., vol. cit., p. 570).
[^73]: -- (17). « Peccati originalis notio, definitionibus tridentinis posthabitis, pervertitur » (Ibid.).
[^74]: -- (18). Voir Conc. Trid., sess. 5, can. 2.
[^75]: -- (19). « Sanctitatem et iustitiam in qua constitutus fuerat » (Conc. Trid., sess. 5, can. 1).
[^76]: -- (20). Voir Conc. Trid., sess. 5, can. 5.
[^77]: -- (21). « Non enim christifideles eam sententiam amplerti possunt, quam qui retinent asseverant vel post Adam hisce in terris veros hommes exstitisse, qui non ab eodem prouti omnium protoparente, naturali generatione originem duxerint, vel Adam significare multitudinem quamdam protoparentum » (A. A. S., vol. cit., p. 570).
[^78]: -- (22). « Cum nequaquam appareat quomodo huiusmodi sententia componi queat cum iis quae fontes revelatae veritatis et acta Magisterii Ecelesiae proponunt de peccato originali, quod procedit ex peccato vere commisso ab uno Adamo, quodque generatione in omnes transfusum, inest unicuique proprium » (A. A. S., vol. cit., p. 576).
[^79]: -- (23). « Unaque simul \[pervertitur notio\] peccati in universum prout est Dei offensa, itemque satisfactionis a Christo pro nobis exhibitae » (A. A. S., vol. cit., p. 570).
[^80]: -- (24). « Nec desunt qui contendant transsubstantiationis doctrinam, utpote antiquata notione philosophica substantiae innixam, ita emendandam esse ut realis Christi praesentia in Ss. Eucharistia ad quemdam. symbolismum reducatur, quatenus consecratae species, nonnisi signa efficacia sint spiritualis praesentiae Christi ejusque intimae coniunctionis cum fidelilbus membris in Corpore Mystico » (A. A. S., vol. cit., pp. 570, 571).
[^81]: -- (25). Voir A. A. S., vol. XXXXII, 1950, p. 560.
[^82]: -- (26). Voir A. A. S., vol. XXXV, 1943, p. 193 et suiv.
[^83]: -- (27). « Quidam censent se non devinciri doctrina paucis ante annis in Encyclicis Nostris Litteris exposita, ac fontibus « revelationis » innixa, quae quidem docet corpus Christî mysticum et Ecelesiam Catholicam Romanam unum idemque esse » (A. A. S., vol. XXXXII, 1950, p. 571).
[^84]: -- (28). Voir A. A. S., vol. cit., pp. 571-574.
[^85]: -- (29). Voir A. A. S., vol. cit., pp. 563, 564.
[^86]: -- (30). Voir A. S. S. vol. cit., p. 573.
[^87]: -- (31). C. I. C., can. 1366, 2.
[^88]: -- (32). Voir A. A. S., vol, cit., p. 578.
[^89]: -- (33). Voir A. A. S., vol. cit., pp. 566, 567.
[^90]: -- (34). « Tot ac tanta, quae pluries saeculari labore a viris non commumi ingenii ac sanctitatis, invigilante sacro Magisterio, nec sine Sancti Spiritus lumine et ductu, ad accuratius in dies fidei veritates exprimendas, mente concepta, expressa ac perpolita sunt » (A. A. S., vol. cit., p. 567).
[^91]: -- (35). « Despectus autem vocabulorum ac notionum quibus theologi scholastici uti solent, sponte ducit ad enervandam theologiam, ut aiunt, speculativam, quam, cum ratione theologica innitatur, vera certitudine carere existimant » (A. S. S., vol. cit., p. 567).
[^92]: -- (36). Voir A. A. S., vol. cit., p.. 578.
[^93]: -- (37). « Sacrorum fontium studio sacrae disciplinae semper juvenescunt ; dum contra speculatio, quae ulteriorem sacri depositi inquisitionem neglegit, ut experiundo novimus, sterilis evadit » (A. A. S., vol. cit., pp. 568, 569).
[^94]: -- (38). « Ac praeterea sensus litteralis Sacrae Scripturae eiusque interpretatio..., ex commenticiis eorum placitis, novae cedere debent exegesi, quam symbolicam ac spiritualem appellant ; et qua sacra Biblia Veteris Testamenti, quae hodie in Ecelesia tamquam fons clausus lateant, tandem aliquando omnibus aperiantur » (A. S. S., vol. cit., p. 570).
[^95]: -- (39). « Ante oculos habeant interpretes sibi illud omnium maximum curandum esse, ut clare dispiciant ac definiant, quis ait verborum biblicorum sensum quem litteralem vocant » (A. A. S., vol. XXXV, 1943, p. 310) ; voir aussi le reste de la page.
[^96]: -- (40). Voir A. A. S., vol. XXXXII, 1950, p. 569.
[^97]: -- (41). Voir ibid.
[^98]: -- (42). « Attamen plenum de morte victoriae effectum Deus generali lege iustis conferre non vult, nisi cum finis temporum advenerit. Itaque iustorum etiam corpora post mortem resolvuntur, ac novissimo tandem die cum sua cuiusque gloriosa anima coniungentur. Verumtamen ex generali eiusmodi lege Beatam Virginem Mariam Deus exemptam voluit » (A. A S., vol. cit., p. 754).
[^99]: -- (43). Conc. Lateran., IV, c. 1.
[^100]: -- (44). Mt., XXV, 41-46.
[^101]: -- (45). Voir Mt., XXIV, 43, 44 et Lc., XII, 39 ; Mc., XIII, 33-37 et Lc., XII, 35-38 ; Mt., XXIV, 42 ; Lc., XXI, 34 ; Mt., XXV, 1-13 ; Lc., XXI, 36.
[^102]: -- (46). Voir A.A.S., vol. cit., p. 577.
[^103]: -- (47). I Cor., IV, 14.
[^104]: -- (48). Voir surtout Const. P. IV, c. V, n. 4, et c. XIV, n. 1 ; *Coll. Decr*., d. 98-106 ; *Acta Rom. S. I*, vol. XI, p. 36-37.
[^105]: -- (49). Const., P. IV, c. V, n. 4.
[^106]: -- (50). Voir A. A. S., vol cit., p. 567 ; voir aussi la lettre « Tuas libenter » de Pie IX.(A. S. S., vol. VIII, 1874, p. 433-442, surtout p. 440-441).
[^107]: -- (51). Voir A.S.S., vol cit., p. 568-571, 575, 576, 578.
[^108]: -- (52). Exam. genr., c. 1, n. 7 ; *Const*., P. V, c. III,- n. 3.
[^109]: -- (53). « Soli Domino ac Ecelesiae Ipsius sponsae, sub Romano Pontifice, Chriti in terris Vicario, servire » (*Form. Inst*. a S. P. *lulio III approb*., n. 1).
[^110]: -- (1). Insertion gratuite. Comme on le sait, la revue ITINÉRAIRES n'accepte aucune publicité payante.