# 105 (Supplément)
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## UBI CARITAS ET AMOR...
#### I. -- Ceux qui le voulaient
L'APPEL AUX ÉVÊQUES, je l'avais placé sous l'invocation de la parole qui ne passera point : « *Lequel d'entre vous, si son fils demande du pain, lui donnera une pierre. *»
Nous n'avons pas reçu une pierre : mais un pavé. Telle fut du moins ma première impression. Elle ne s'est pas dissipée après un examen attentif ; au contraire.
Il faut avec la grâce de Dieu recevoir ce pavé d'un cœur chrétien. Ce qui ne veut certes pas dire d'un cœur léger.
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Au nom des « aspirations du monde ouvrier », qu'ils prétendent fallacieusement exprimer, les dirigeants de l'A.C.O. (Action catholique ouvrière) introduisent dans l'Église les procédés désintégrateurs et subversifs de la lutte de classe. Ils exercent depuis des mois et des mois une pression continue sur l'épiscopat pour arracher notre condamnation. Ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est eux qui l'ont dit, au moment où ils sont passés des délations clandestines aux délations publiques, afin d'accroître, par cela même, la pression de leurs exigences. Leur communiqué a paru dans toute la presse et il a été publié dans la *Documentation catholique* du 2 mai 1965 (col. 829 et 830). En termes comminatoires assortis de menaces à peine voilées, ils ont réclamé de l'épiscopat qu'il nous blâme et nous rejette ;
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ils ont fixé d'avance la procédure qu'ils entendaient imposer : il leur fallait une intervention du Conseil permanent, il fallait qu'elle soit publique et que nous y soyons nommément désignés. Ils exprimaient leur mécontentement de n'avoir pas obtenu les têtes qu'ils exigeaient. Ils ont aujourd'hui satisfaction.
Les procédés révolutionnaires qu'ils n'ont pas inventés, mais adoptés, font la preuve, maintenant à l'intérieur de l'Église, de leur redoutable efficacité. Nos mises en garde précises contre l'action subversive des actuels dirigeants de l'A.C.O. étaient suffisamment fondées sur des faits pour n'avoir pas besoin de cette vérification supplémentaire. Mais ce supplément nous a quand même été donné, sans doute pour l'instruction et l'édification de ceux qui auront un jour à réparer les dégâts, qui deviennent immenses, et à rétablir l'ordre de la charité dans l'Église.
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Les dirigeants de l'A.C.O. sont un élément accélérateur de la subversion : mais point le seul. Le grand dessein stratégique est de fabriquer artificiellement la blessure profonde d'une nouvelle affaire d'Action française. Ici non plus, ce n'est pas moi qui le suppose : c'est *La Croix* qui l'a dit. Son éditorial du 8 mai 1965 appelait et souhaitait le renouvellement du même drame, en sachant qu'il ne pouvait être qu' « infiniment douloureux », et en l'acceptant. Je cite :
« Nous sommes à une heure qui rappelle douloureusement ce temps de l'entre-deux guerres où Pie XI éloigna du troupeau des meneurs redoutables, sans parvenir à empêcher que telle ou telle brebis soit entraînée avec eux, plus ou moins longtemps, sur des chemins de perdition. Cette façon de « faire la part du feu » avait été infiniment douloureuse pour Rome et pour tous les catholiques français soucieux de charité lucide
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Sans elle, cependant, n'auraient pu se développer ultérieurement en France ni la J.O.C. ni les autres mouvements d'Action catholique. »
Voilà ce que pensent, ce que racontent, ce que font croire ceux qui se veulent nos mortels adversaires. Soi-disant hérauts de l'avenir et du progrès, ils ne savent finalement que rabâcher le passé et chercher à le reproduire mécaniquement.
Je répète, avec une insistance redoublée, ce que j'ai déjà dit à ce propos en juillet 1965.
Tout l'essentiel a été révélé en trois phrases de *La Croix*. Nous sommes aujourd'hui, selon cet éditorial, dans une situation analogue à celle de 1926. Il faut pareillement trancher et « faire la part du feu », c'est-à-dire rejeter hors de l'Église une partie des catholiques. Ce ne fut jamais ni la pensée ni la volonté de Pie XI. Mais ce furent la pensée et la volonté de ceux qui, avec quelle atroce sauvagerie spirituelle, et au prix de quels ravages, exploitèrent sans mesure et sans merci la condamnation de l'Action française -- et ne se consolèrent jamais de la levée de cette condamnation.
Oui, tout est dit en trois phrases de *La Croix.* Car enfin on pourrait se demander en quoi et pourquoi l'Action française (et les catholiques qui sans être d'Action française furent atteints indirectement ou amalgamés dans cette condamnation) auraient donc empêché le développement de l'Action catholique.
Ils ne l'auraient pas empêché, c'est trop évident : ils y auraient été, ils en auraient été. Et l'Action catholique en eût été différente. Elle s'est trouvée amputée en France, dès l'origine, d'une partie bien déterminée des prêtres et des fidèles. (L'épiscopat aussi a subi la même amputation : il n'a plus été recruté dans une certaine partie du clergé.) On déclare aujourd'hui que cette amputation était nécessaire au développement de l'Action catholique : à un *certain* développement, dans un *certain* sens. Il fallait en ces années-là faire l'Action catholique, mais sans les catholiques d'Action française.
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Il faut aujourd'hui faire la « promotion du laïcat ». La promotion *mais.* La promotion *sans.* La promotion du laïcat, mais sans les laïcs que l'on déclare « de droite », « intégristes », d' « un certain milieu », d' « un certain état d'esprit », coupables de « papisme », de « dévotion mariale », d' « anticommunisme ». Une promotion du laïcat sélective et discriminatoire. Une promotion du laïcat qui s'engage dans la « construction du socialisme » ; qui soit un mouvement d'animation spirituelle du socialisme universel.
Il ne s'agit là, en aucune manière, de questions librement débattues et de libre divergence des opinions se situant en deçà ou passant au-delà des limites permises. Il s'agit d'un dessein subversif et persécuteur.
Je répète ici encore ce que je disais dès juillet 1965. L'affaire d'Action française, pour le grand public, est peut-être oubliée ou inconnue. Elle n'est ni inconnue, ni oubliée des nouveaux théologiens et des nouveaux stratèges de la religion nouvelle, qui eux-mêmes sont très âgés et ont personnellement vécu les événements de 1926. Et les persécuteurs ont choisi avec concupiscence le précédent qui est spirituellement le plus atroce : la privation des sacrements, l'espionnage et la délation jusque sur les lits de mort. On avait déjà remarqué, au moment des concélébrations du 25.000^e^ numéro de *La Croix*, que ce journal racontait sa propre histoire de manière telle que la lutte contre l'Action française en était le principal combat et le point culminant. On avait remarqué aussi que *La Croix* y renouvelait la condamnation de l'Action française en annulant de sa propre autorité la levée de la condamnation. Ce n'était pas sadisme spirituel purement gratuit. C'était la préparation lointaine d'une opération qui est maintenant entrée dans sa phase de préparation rapprochée : quand je le disais l'année dernière, références à *La Croix* en main, plusieurs restaient incrédules. Et maintenant ?
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#### II. -- Ce qui a été fait
AMIS CONNUS ET INCONNUS, illustres ou obscurs, c'est à vous que j'écris ici. Il m'est impossible de répondre individuellement à ce flot continu de vos lettres qui m'arrivent chaque jour depuis la sombre journée du 27 juin. Elles m'apportent le témoignage émouvant et le réconfort de votre résolution, de vos prières, des messes que vous célébrez ou que vous faites célébrer, des sacrifices multipliés par lesquels vous donnez ou vous augmentez votre contribution matérielle à l'œuvre commune. Je ne puis vous remercier que tous ensemble. Et, pour vous, avec vous, essayer de faire le point.
Le communiqué du Conseil permanent de l'épiscopat français rendu public le 27 juin ne porte contre la revue *Itinéraires* aucune condamnation. (Ne parlons même pas de sa qualification canonique et de sa note théologique.) Il met en cause seulement « des » articles parus « notamment » dans *Itinéraires,* dans *Le Monde et la Vie,* dans *Défense du foyer* et dans *Lumière.* Quels articles ? Nous ne le savons pas ; on ne nous l'a précisé ni en public ni en privé. Le porte parole autorisé, Mgr Pichon, et le secrétaire général, Mgr Etchegaray, ont indiqué que les auteurs des articles en question avaient eu droit à une communication personnelle du document.
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Je suis le seul, parmi les auteurs d'articles d'*Itinéraires*, qui ait bénéficié de cette communication. On peut donc en déduire que ce sont seulement mes articles personnels, ou certains d'entre eux, qui dans *Itinéraires* font l'objet d'une mise en garde. Nous savons, nous savons même par cœur, qu'une mise en garde n'est pas une condamnation. C'est un « monitum », Comme pour Teilhard. L'autorité qui publie ce « monitum » étant beaucoup moins haute, et son texte étant beaucoup moins sévère -- on n'est pas allé jusqu'à nous reprocher un fourmillement d'erreurs graves qui ruinent la doctrine catholique -- nous ne pouvons sans doute pas prétendre à ce que la mise en garde qui nous concerne ait des conséquences aussi vastes que celle qui concernait Teilhard, et qui a eu pour effet une intense diffusion du teilhardisme dans le clergé et dans les organisations catholiques.
Mais sous un autre rapport il s'agit bien d'une condamnation.
Dans l'état actuel des mœurs et des esprits, quand une publication est nommément désignée, la plupart comprennent qu'elle est « condamnée » ; et les autres feignent de le comprendre. Dans l'état actuel des moyens d'information, et du personnel choisi qui les fait fonctionner, il est automatique que la thèse de la « condamnation » soit partout orchestrée. Quiconque connaît le monde d'aujourd'hui (et l'on nous a bien dit que la pastorale française était fondée désormais sur une connaissance exacte du monde actuel) ne peut ignorer que c'est là l'inévitable effet psychologique d'un communiqué de cette sorte. J'ouvre un journal qui n'est pas plus bête qu'un autre et j'y apprends : « *L'épiscopat français condamne sans ambiguïté les catholiques qui... *» J'y apprends que je suis « *un chef de file intégriste *» et que je m' « *oppose à la plupart des décisions conciliaires tant dans le domaine de la pastorale et de la catéchèse que dans celui de l'organisation de l'Église *».
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Et en somme ce journal est plutôt indulgent de m'incriminer d'une opposition seulement à « la plupart » des décisions conciliaires. Le communiqué du Conseil permanent n'a pas de ces nuances : il me reproche de « *contester les principes *» du renouveau conciliaire ; il ne dit pas certains des principes ou la plupart des principes, il dit : les principes, tous les principes.
Le communiqué du Conseil permanent daté du 23 juin et publié le 27 juin nous accuse d'attaquer le Pape et les décisions du Concile. Tout le monde l'a compris ainsi : et c'est bien le sens général de ce texte en même temps que sa lettre explicite. On peut croire ou ne pas croire une telle accusation : mais elle est effectivement celle-là. Et auprès de ceux qui la croient, et qui sont catholiques, nous sommes normalement discrédités et déshonorés.
Voilà exactement ce qui a été fait.
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#### III. -- La protection demandée
CES ACCUSATIONS ont été publiquement portées contre nous sans que nous ayons été entendus à leur sujet, ni jamais invités à nous en expliquer. Le porte parole autorisé a prétendu que le communiqué du Conseil permanent avait été rendu public seulement parce que les efforts épiscopaux de dialogue charitable et pastoral avec nous avaient échoué. En réalité nous n'avons même pas été avisés de l'existence de ces accusations ; je n'ai reçu aucune demande d'explication ou d'entretien à leur propos ; je n'ai pas non plus reçu le texte du communiqué avant sa diffusion, bien que le porte-parole autorisé ait beaucoup insisté sur la grande délicatesse manifestée par cette transmission préalable. Sur tous ces points on trouvera plus loin, à la rubrique « documents », dans ma lettre du 29 juin au Secrétaire général, toutes les précisions utiles.
Allons plutôt à l'essentiel.
Le communiqué du Conseil permanent est la seconde réponse obtenue par l'APPEL AUX ÉVÊQUES.
La première était celle de l'évêque de Rome.
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Devant les persécutions, les délations calomnieuses et la véritable guerre psychologique dont nous sommes victimes en permanence, depuis des années, à l'intérieur de l'Église de France, Michel de Saint Pierre s'était solennellement adressé à ceux qui sont les responsables de l'ordre de la charité dans l'Église ; et ce fut son cri pathétique, à la première des cinq phases constitutives de l'Appel aux évêques :
-- *Nous invoquons pour notre honneur et notre fidélité la protection de la Hiérarchie catholique.*
Oui, l'Appel aux évêques était premièrement une demande de protection : car il n'est pas conforme à l'ordre de la charité d'avoir à se faire justice soi-même, ni même, dans l'Église, d'avoir à se défendre soi-même.
Nous étions traités comme des chiens et traités de chiens. Nous étions l'objet d'une discrimination et d'une exclusive universelles et permanentes. Quant à être aimés de nos pasteurs, il y a maintenant neuf ans, c'était le 25 juin 1957, que j'ai exposé à l'un des plus distingués et des plus influents d'entre eux que nous ne le sommes pas. Il en fut, semble-t-il, bouleversé. Il me témoigna pendant quelque temps, de manière strictement privée, de la bienveillance et de la compréhension. Mais il ne put ou ne sut rien faire qui soulageât d'un iota la situation qui est la nôtre dans l'Église de France.
Parlant le 22 novembre 1965 aux évêques de langue française, le Pape Paul VI a déclaré :
« *Il faut qu'aucune âme de bonne volonté et foncièrement attachée à l'Église ne puisse légitimement se plaindre d'être tenue à l'écart, de n'être pas entendue, comprise et aimée par ses pasteurs. *»
De cette phrase du Pape, l'un des membres les plus actifs de la Hiérarchie en France déclara :
« *C'est une phrase malheureuse. *»
Le même, à un laïc spécialement distingué qui lui parlait du Congrès de Lausanne, répondit :
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« *La vie est courte, et nous n'avons pas une minute à perdre avec ces gens-là. *»
Nous n'ignorons pas ces choses, et bien d'autres semblables. Nous avions prévenu que l'Appel aux évêques ne s'adressait pas aux réactions spontanées de personnes charnelles dont les sentiments humains à notre endroit ne sont certes pas un mystère.
Mais l'évêque dans l'Église, c'est autre chose qu'une subjectivité individuelle.
Et c'est à autre chose qu'une collection de subjectivités individuelles que notre Appel aux évêques a été, est et demeure adressé.
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#### IV. -- La réponse
BIEN ENTENDU, j'ignore si le Pape avait, le 22 novembre 1965, l'intention de répondre au point le plus pathétique, le plus immédiatement dramatique de l'Appel aux évêques. Je constate qu'objectivement sa phrase, remarquable et remarquée, y répondait.
Mais la parole du Pape ne pouvait, semble-t-il, constituer une « réponse » au sens habituel du terme. Il est le Pape. Et nous n'en avions pas appelé au Souverain Pontife, mais aux évêques de France. Nous avons donc considéré la parole du Saint-Père comme la cinquième phase constitutive de l'Appel aux évêques : comme la très haute, très paternelle et très consolante confirmation que nous étions dans l'ordre de la charité, dans l'ordre de l'Église, lorsque nous en appelions d'abord à nos propres évêques.
En substance nous leur disions :
-- *Notre demande filiale est que, dans le catholicisme français, aucune âme de bonne volonté et foncièrement attachée à l'Église ne puisse légitimement se plaindre d'être tenue à l'écart, de n'être pas entendue, comprise et aimée par ses pasteurs.*
Et voici que la voix très haute, très paternelle et très consolante du Saint-Père disait aux mêmes évêques :
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-- *Il faut qu'aucune âme de bonne volonté et foncièrement attachée à l'Église ne puisse légitimement se plaindre d'être tenue à l'écart, de n'être pas entendue, comprise et aimée par ses pasteurs*.
Même si c'était une pure coïncidence, il y avait réellement coïncidence objective des requêtes. L'appel qui parvenait d'en haut à l'épiscopat français coïncidait avec celui qui, par nous, lui était adressé d'en bas.
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Je ne sais pas si les auteurs du communiqué publié le 27 juin par le Conseil permanent ont eu l'intention de répondre à l'Appel aux évêques. Je constate qu'en fait c'est une réponse, sur un point précis : et une réponse d'un poids psychologique terriblement lourd.
En effet, dans la troisième des cinq phases constitutives de l'Appel aux Évêques, le 28 avril 1965, je disais, -- et je ne puis citer ce texte autrement qu'il est, je ne puis feindre d'avoir oublié le passage que j'y souligne :
« Les uns et les autres \[hors de France\] se réfèrent comme nous à la lettre et à l'esprit des Constitutions et Décrets conciliaires effectivement promulgués, selon leur teneur authentique. Contre eux, *contre nous, on lance l'abominable calomnie, l'accusation menteuse d'être* «* opposés aux orientations conciliaires *» *et d'être* «* contre *» le Concile, parce que nous refusons les aberrantes fabrications de toute une littérature para-conciliaire ou pseudo-conciliaire puissamment orchestrée, mais qui précisément n'a pas pu faire passer ses revendications dans les textes conciliaires promulgués. »
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Il y a dix ans et davantage que l'on nous dénonce comme « intégristes » (etc.). Mais depuis le Concile, on y ajoutait l'imputation d'être anti-conciliaires. Sans mandat et sans vérité, sans preuve et sans vraisemblance, par la simple force du mensonge indéfiniment répété avec de puissants moyens de mise en condition, on nous accusait d'être des rebelles qui contestent les décisions du Concile.
Par nos déclarations catégoriques, par nos protestations motivées et par nos actes, nous avons clairement répondu, pendant des mois et des mois, à ces accusations sans fondement.
Mais nous avons en outre, sur ce point aussi, pour notre honneur et notre fidélité, demandé la protection de la Hiérarchie catholique.
C'est là que le communiqué du Conseil permanent est, en fait, une réponse.
Il refuse clairement sa protection et il fait même le contraire.
Il nous accuse publiquement de «* contester, au nom d'une fidélité au passé, les principes du renouveau entrepris *».
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Les « principes du renouveau entrepris » sont ceux du Concile. On ne peut entendre qu'il nous serait reproché de contester un renouveau entrepris selon d'autres principes que ceux qui ont été promulgués par le second Concile du Vatican. On ne saurait supposer que le communiqué du Conseil permanent désire prendre la défense d'*autres* principes que ceux de l'Église. Au demeurant, le contexte montre qu'il s'agit bien des « enseignements et décisions » du Concile : nous sommes accusés d'en contester (tous) les principes.
Désormais, ceux qui à l'intérieur du catholicisme français nous frappent de discrimination, d'exclusive et de persécution pour le motif que nous attaquerions les décisions conciliaires, pourront le faire deux fois plus, et en s'appuyant sur l'autorité du communiqué publié par le Conseil permanent.
Il serait vain de vouloir minimiser la situation psychologique qui, ainsi, a été délibérément créée. On nous enfonce encore davantage dans le discrédit, dans le déshonneur, dans le mépris, aux yeux de tous ceux qui font confiance à une déclaration du Conseil permanent.
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D'autre part, en ce qui concerne l'intérêt même, déjà fort compromis dans l'ordre psychologique, de l'autorité légitime de l'épiscopat, les dégâts pratiques sont immédiats et ils sont profonds. Il se trouve en effet que nous étions à peu près les seuls à défendre l'autorité des évêques *en tant* qu'évêques : la notion même de cette autorité est en voie de disparition (provisoire). Regardez les journaux catholiques, écoutez les prédicateurs catholiques, vous verrez que presque partout on prêche l'obéissance aux évêques (quand on la prêche) parce qu'ils sont des hommes de progrès, des hommes de grande intelligence, des hommes d'une science avertie, des hommes d'un cœur généreux. C'est-à-dire en substance parce que l'on est, l'on se sent ou l'on se croit « d'accord » avec eux.
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Donner pratiquement à l'autorité épiscopale, pour fondement habituel, un fondement aussi fragile, c'est préparer sa subversion. Les supputations, les pronostics, les préjugés ou les illusions sur le cœur généreux des évêques, sur leur science, sur leur intelligence et sur leur amour du progrès n'ont absolument rien à voir avec leur qualité, leur fonction, leur autorité de successeurs légitimes des Apôtres. Que ces considérations entrent en ligne de compte quand il s'agit de les choisir et de les nommer, tant mieux, espérons-le. Pour notre part, l'expérience humaine que nous avons eue personnellement de la plupart d'entre eux nous a plutôt parue humainement décevante. Mais cela est sans rapport avec l'autorité qui est celle de l'évêque.
C'est seulement par les évêques, ou avec leur consentement, que pourra aujourd'hui ou demain être rétabli l'ordre de la charité dans l'Église en France. C'est eux qui ont, en communion avec le Saint-Siège, la charge de l'unité catholique, et c'est par eux que sa restauration dans notre pays va être progressivement réalisée ou provisoirement manquée. C'est cela que professe clairement l'Appel aux évêques. Et même si je formule le pronostic qu'ils sont en train de manquer beaucoup plus que de réaliser, un tel pronostic ne change rien à ce qu'est l'évêque.
Nous l'avons cru, nous l'avons dit, nous le croyons toujours, *cela est*, mais comment pourrons-nous le dire désormais ? Dès le soir du sombre lundi 27 juin, je le faisais remarquer à un évêque :
-- Nous étions presque seuls à défendre et professer l'autorité de l'évêque en tant qu'évêque, auprès d'un peuple chrétien qui souffre impatiemment cette vérité ou qui ne la comprend plus. Et voici que les évêques nous désavouent. Alors ?
-- Mais ce n'est pas un désaveu !
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-- Merci, Monseigneur, de me le dire. C'est pourtant, psychologiquement, un désaveu : tout le monde l'a compris ainsi, personne ne peut le comprendre autrement. Quand nous parlerons désormais de l'autorité légitime des évêques, on nous ricanera au nez : ce sera bien normal.
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Nous croyons et nous professons toujours l'autorité légitime de l'évêque en tant qu'évêque. Elle est affirmée d'un bout à l'autre de l'Appel aux évêques, auquel rien n'est changé. Mais nous venons d'être placés en situation psychologique de ne plus pouvoir servir efficacement cette vérité.
C'est l'histoire d'Épiménide. Épiménide dit que tous les Crétois sont des menteurs ; mais Épiménide est un Crétois : donc...
Nous sommes dans l'analogue psychologique de l'histoire d'Épiménide. L'opinion retient finalement, du communiqué, que les évêques nous donnent tort. Or nous disions qu'on doit respecter l'autorité des évêques...
Il faudra bien que nos prochains travaux et notre activité à venir prennent d'autres sujets et observent un certain silence sur celui-là.
Il restera, pour défendre l'autorité épiscopale, ceux qui l'affirment parce qu'ils se sentent, se croient ou se prétendent personnellement « d'accord » avec les évêques. On verra comment les évêques pourront s'en faire obéir. On le voit déjà.
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#### V. -- La Note secrète
IL NE FAIT malheureusement aucun doute que les évêques de France un à un n'ont pas personnellement pris en considération l'Appel aux évêques., ni dans chacune de ses cinq phases *constitutives*, ni dans l'ensemble ainsi *constitué*. Bien sûr, les textes sont arrivés aux évêchés. D'autres textes, d'une origine qui imposait beaucoup plus l'attention, y étaient arrivés également : par exemple la Note du Saint-Siège sur l'organisation Pax. On sait qu'elle n'avait été, en général, même pas lue...
Il y a lieu de craindre que les évêques aient lu, en revanche, certains papiers confidentiels que leur adressent les bureaux du Secrétariat de l'épiscopat.
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Si nous prenons (entre autres) les six pages imprimées de la Note secrète envoyée aux évêques par le Secrétariat général de l'épiscopat, sous la référence 12/66 et à la date du 23 mai 1966, nous y trouvons, pages 4 et suivantes, sous couleur d'information objective, une polémique en règle contre nous, qui commence par la caricature : nous y sommes définis comme « *les nostalgiques du passé *». Ce qui dans cette rubrique des nostalgiques du passé concerne le journal *L'Homme nouveau* est un particulier record dans le contresens et l'injustice.
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Les fonctionnaires subalternes des bureaux du Secrétariat général (cette Note 12/66 est signée des initiales de l'un d'eux) s'arrogent le droit de diffamer les personnes et les pensées dans des communications destinées à éclairer la religion de l'épiscopat français. Leur caractère secret fait peut-être croire aux destinataires qu'il s'agit d'informations confidentielles de la plus haute importance, garanties par on ne sait quelle « autorité centrale » devant laquelle les évêques auraient à s'incliner. En fait, ce sont des propos sommaires, simplistes et tendancieux, d'un affligeant niveau intellectuel.
Voici comment la Note 12/66 du 23 mai 1966 « informait » les membres de l'épiscopat français sur l'Appel aux évêques :
« Les dirigeants de ces mouvements et les inspirateurs de ces tendances \[les nostalgiques du passé\] se dérobent le plus souvent au dialogue de père à fils que les membres de la hiérarchie ont essayé de ménager. Pour donner à leur cause une plus grande publicité, ils ont lancé dans leurs périodiques un *appel aux évêques de France.* Que cet appel soit sincère, on veut bien l'admettre. Mais il faut constater qu'il sert de moyen de propagande et que cette interpellation tapageuse ne permet pas aux évêques de répondre de la même manière, en se prêtant à une controverse publique. »
C'est donc cela que les évêques français ont su de l'Appel aux évêques.
Appel lancé par de mystérieux « dirigeants de mouvements » et de plus mystérieux encore « inspirateurs de tendances ».
(Les trois auteurs responsables de l'Appel aux évêques, comme tout le monde le sait, sauf le Secrétariat général, sont Michel de Saint Pierre, Jean Ousset et moi-même, et personne d'autre.)
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Appel lancé « POUR DONNER A LEUR CAUSE UNE PLUS GRANDE PUBLICITÉ ». Pour donner une plus grande publicité à leur cause de nostalgiques du passé. Le fonctionnaire subalterne des bureaux du Secrétariat général sonde les cœurs et juge les intentions. Il « informe » les évêques qu'il s'agit d'une opération publicitaire.
Après cela, il « veut bien admettre », par un effort inouï de condescendance et de générosité, que cet appel est « sincère ». Il veut bien l'admettre en paroles, après avoir spécifié ce qui rend suspecte cette sincérité : « pour donner à leur cause une plus grande publicité ». Il récidive d'ailleurs aussitôt en le qualifiant de « moyen de propagande ».
Et les évêques, recevant secrètement cette Note du « Secrétariat général de l'épiscopat », croient comprendre et savoir de bonne source pourquoi l'on doit traiter l'Appel aux évêques par le mépris.
C'est ainsi que, par leurs « informations » confidentielles, les fonctionnaires du « Secrétariat général » travaillent à fabriquer l'opinion des évêques français.
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On ne s'abaisserait pas à discuter cette Note secrète si l'on ne tenait compte que de son origine et de ses auteurs.
Mais par égard pour ses destinataires, il faut bien démentir ses mensonges.
L'Appel aux évêques ne demande, contrairement aux assertions que nous avons citées, aucune « controverse publique ». Il ne cherche aucunement à entraîner les évêques dans une telle controverse. Il expose une situation dramatique et il professe que seuls les évêques, *et seulement par des actes*, peuvent y porter remède. Il apparaît qu'au nombre des actes les plus urgents, on peut souhaiter le nettoyage de certains bureaux, qui distillent clandestinement la diffamation dans le corps épiscopal.
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La Note 12/66 préparait psychologiquement, auprès de ses destinataires, le communiqué du Conseil permanent, en leur faisant croire que les auteurs de l'Appel « se dérobent le plus souvent au dialogue de père à fils que les membres de la hiérarchie ont essayé de ménager ». Quels membres de la hiérarchie ? Chacun d'entre eux est ainsi conditionné à penser qu'il s'agit de son voisin ; chaque évêque est amené à croire qu'il s'agit d'un autre ; et que le « Secrétariat général » a centralisé, enregistré, constaté l'échec de ces tentatives charitables. C'est un système de tromperie clandestine et irresponsable.
Chaque évêque isolément est incité à supposer que les Notes secrètes du Secrétariat général expriment la pensée de tous les autres évêques, et transmettent les informations certaines recueillies par eux. En fait, un autre magistère, anonyme, clandestin et sans responsabilité se substitue au magistère légitime des évêques et les met en condition.
Il ne suffira pas de nettoyer les bureaux. Il faudra sévèrement réviser le système. Cette diffamation clandestine des chrétiens auprès de leurs évêques est intolérable.
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Prestige et puissance de l' « information », surtout quand elle se présente comme confidentielle : le Secrétariat général prétend aller jusqu'à conduire les évêques à se désavouer eux-mêmes. Sa Note 12/66 et ses déclarations publiques dans *La Croix* du 23 juin en apportent un exemple particulièrement instructif :
Dans la Note :
« Ces nostalgiques du passé sont communément appelés intégristes (...). Ils en souffrent comme ils font souffrir ceux qu'ils nomment progressistes (...). Ce serait un premier résultat que de biffer du vocabulaire chrétien ces qualificatifs : progressistes, intégristes. »
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Dans *La Croix :*
« Le vocabulaire catholique devrait commencer par bannir ces mots : intégristes, progressistes, qui blessent profondément ceux à qui ils sont adressés. »
Je me demande comment le terme « progressistes » pourrait blesser ceux qui ont choisi de se nommer eux-mêmes ainsi : l' « Union des chrétiens progressistes », créée en 1947, et l' « Union républicaine progressiste » qui, sauf erreur, existe encore aujourd'hui.
Mais le plus phénoménal est ailleurs.
Les termes « intégristes » et « progressistes » n'appartiennent point à n'importe quel « vocabulaire chrétien » ou « vocabulaire catholique », ils appartiennent au *vocabulaire officiel de l'épiscopat français*. On ne trouve jamais « intégristes » dans les documents du Saint-Siège, et je crois d'ailleurs qu'on n'y trouve guère non plus, ou même pas du tout, le terme « progressistes ». Ces deux termes appartiennent à la langue officielle de nos évêques. Tantôt l'un et tantôt l'autre figurent notamment dans les documents suivants :
-- Lettre pastorale du cardinal Suhard : Essor ou déclin de l'Église (11 février 1947) ;
-- Communiqué du cardinal Suhard du 31 janvier 1949 ;
-- Déclaration du 28 avril 1954 de l'Assemblée plénière de l'épiscopat français ;
-- Rapport doctrinal présenté le 30 avril 957 à l'Assemblée plénière de l'épiscopat français, dont l'Assemblée a ordonné la publication.
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La liste n'est pas exhaustive. Je pense qu'elle est déjà suffisante. Personnellement je me passerais de ces deux vocables sans ressentir aucune privation : je récuse le terme d' « intégristes » et je n'emploie quasiment jamais le terme de « progressistes ». Mais je trouve énorme qu'un fonctionnaire subalterne prenne sur lui de censurer le vocabulaire officiel de l'épiscopat français, et le fasse comme s'il était assuré que les évêques ont oublié qu'il s'agit de leur propre vocabulaire, dans des textes célèbres, présents à la mémoire de tout catholique moyennement « informé ». Il faut croire que le Secrétariat général a une grande confiance en son prestige et en l'efficacité de ses méthodes de mise en condition.
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Si les bureaux du Secrétariat général traitent avec une telle désinvolture les documents officiels de l'épiscopat, il ne faut évidemment pas en attendre plus de respect et plus d'exactitude pour nos personnes, pour nos pensées et pour nos textes.
Mais nous avons certainement le droit de déclarer à chacun des évêques français que les bureaux du Secrétariat général leur ont donné sur notre compte des informations qui sont fausses, qui sont caricaturales, qui sont diffamatoires.
Je récuse solennellement les contre-vérités de la Note 12/66.
Je déclare que le contenu de cette Note pose gravement la question du fonctionnement et du personnel des bureaux qui en sont responsables.
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#### VI. -- Les neuf griefs
L'ACCUSATION générale portée par le communiqué du Conseil permanent est de contester les décisions du Concile et d'attaquer le Saint-Père. Mais cette accusation générale se développe en une série de neuf griefs consécutifs, qui n'ont d'ailleurs aucun rapport avec des attaques contre le Souverain Pontife ou le Concile ; ils ont en revanche, du moins la plupart, un rapport avec le témoignage que nous portons, avec l'objet de nos travaux, avec le drame que nous vivons, avec le désastre spirituel qui s'approfondit chaque jour.
**1. -- **ILS AFFIRMENT QUE L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX EST EN CRISE. -- Je suis prêt à faire mienne une telle affirmation et à la signer, sous la seule réserve que le mot « crise » est une discrète litote. Oui, je crois que l'enseignement religieux est en crise et plus qu'en crise : où est, en cela, mon crime ?
Je ne vois pas en quoi cette affirmation pourrait être contraire à la foi ou aux mœurs.
Mais je comprends très bien qu'en repoussant cette affirmation, le communiqué du Conseil permanent déclare donc hautement que l'enseignement religieux n'est pas en crise.
Je prends acte de cette dénégation.
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**2. -- **ILS AFFIRMENT QUE L'ÉCOLE CHRÉTIENNE EST EN PÉRIL. -- Selon le communiqué du Conseil permanent, nous sommes donc avertis qu'aujourd'hui, en France, *l'école chrétienne ne court aucun péril*. Je prends acte de cette sécurité. Je n'ose espérer qu'elle apportera une consolation suffisante aux écoles contraintes de fermer, aux enseignants chrétiens menacés par le chômage, aux parents d'élèves qui constatent avec scandale ce que l'on enseigne à leurs enfants. Car le péril où se trouve l'école chrétienne est double ; l'un est externe, l'autre interne. Externe : l'asservissement ou l'asphyxie. Interne : dans trop d'écoles chrétiennes, on enseigne une psychologie freudienne, une histoire marxiste, une religion teilhardienne.
Eh bien non ! L'école chrétienne, aux yeux du Conseil permanent, n'est menacée d'aucune espèce de péril en juin 1966. Je prends acte et je prends date.
Mais je ne vois pas en quoi il pourrait être contraire à la foi, aux mœurs, au Concile, de croire ou de craindre que l'école chrétienne soit en péril. Je ne vois pas comment une telle crainte ou une telle croyance mérite d'être publiquement dénoncée par une mise en garde.
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**3. -- **ILS AFFIRMENT QUE L'AUTORITÉ PERSONNELLE DE CHAQUE. ÉVÊQUE EST MINÉE PAR LES ORGANISMES COLLECTIFS DE L'ÉPISCOPAT. Cette question a été traitée, dans *Itinéraires* par un Archevêque ; et d'une manière prospective : c'était avant la mise en place des nouveaux « organismes collectifs ».
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J'ai parlé plus haut de la Note secrète 12/66 du « Secrétariat général » : diffamé par elle, auprès des évêques, jusque dans les intentions qu'elle me prête, j'ai peut-être le droit de protester contre le fonctionnement effectif d'une telle institution. Qu'elle soit ou non un « organisme collectif ».
Mais je n'ai pas vraiment abordé ces problèmes, faute d'informations suffisantes : on ne nous en donne pas beaucoup, ou bien elles sont contradictoires. C'est ainsi qu'un récent numéro de *La France catholique* assurait que le Conseil permanent de l'épiscopat fait partie de «* l'organisation actuelle de la Conférence épiscopale française, conformément au Décret conciliaire sur la charge pastorale des évêques *». -- Conformément au Décret conciliaire sur la charge pastorale des évêques ! Mais justement ce Décret est actuellement sous la *vacatio legis* que le Souverain Pontife vient encore de proroger ; c'est-à-dire que ce Décret n'est pas entré en vigueur, qu'il n'a pas encore force de loi, et qu'il faut attendre les mesures d'application qui seront édictées en leur temps par les commissions post-conciliaires et le Saint-Siège. Il apparaîtrait donc, sous ce rapport, que le Conseil permanent n'a encore aucun pouvoir et que nul ne sait aujourd'hui quel sera exactement le sien un jour. Voilà un problème juridique particulièrement ardu. Je ne me risquerai pas dans une question aussi complexe, aussi obscure, aussi contestée.
Je ne m'y suis d'ailleurs jamais risqué, et je ne comprends pas pourquoi le communiqué (publié, précisément, par ce même Conseil permanent) me met en cause sur ce point.
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**4. -- **ILS AFFIRMENT QUE LA PRIMAUTÉ DU SAINT-PÈRE EST COMPROMISE PAR LA COLLÉGIALITÉ. -- Nous avons affirmé que la primauté du Saint-Père serait compromise par une fausse notion de la collégialité, celle que le Concile a refusé d'avaliser : *la collégialité au sens strict,* la collégialité *au sens juridique*, qui a été EXPLICITEMENT écartée par le Concile. *Collegium non intelligitur sensu stricto juridico*. Nous savons bien que, pendant le Concile, des Français voulaient faire proclamer la collégialité juridique. Nous savons qu'ils accusaient d'être « opposés à l'esprit du Concile » ceux qui refusaient cette collégialité-là. Mais rien ni personne ne nous la fera admettre, puisque les promulgations conciliaires l'ont nettement écartée. Nous sommes parfaitement en paix et parfaitement résolus là-dessus.
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**5. -- **ILS AFFIRMENT QUE LA DOCTRINE SOCIALE DE L'ÉGLISE EST FAUSSÉE PAR LE PROGRESSISME. -- Je crois en effet que le « progressisme » n'exprime pas la doctrine sociale de l'Église, mais qu'il la fausse (et même qu'il la pervertit radicalement) : dans beaucoup d'esprits, comme on peut le voir, et dans un certain nombre de publications catholiques, comme on peut le lire. Où est ma faute en cela ?
Commentateur (et à l'occasion traducteur) de plusieurs Encycliques sociales, je croyais n'être pas suspect de tenir en mince estime la doctrine sociale de l'Église. Cette doctrine ne m'a jamais parue « faussée » dans son expression constitutive :
« ...La doctrine sociale de l'Église dont les points principaux sont contenus dans les documents du Saint-Siège, c'est-à-dire dans les Encycliques, les Allocutions et les Lettres pontificales. » (Pie XII, 17 octobre 1953.)
Mais plus j'y réfléchis, et moins j'aperçois ce que, sur ce point, le communiqué du Conseil permanent a voulu signifier au juste.
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**6. -- **ILS AFFIRMENT QUE LA FOI DE NOMBREUX CLERCS EST PERVERTIE PAR DES ERREURS DOCTRINALES ET MORALES GRAVES. -- Je n'ai pas le souvenir précis d'avoir affirmé exactement cela ; mais si l'on m'interroge à ce sujet, je suis prêt à l'affirmer catégoriquement. C'est l'évidence quotidienne. Et ils deviennent effectivement trop *nombreux,* les clercs qui répandent publiquement, par la parole et par l'imprimé, des erreurs graves, sans que la foi des fidèles soit défendue par un communiqué explicite et nominal du Conseil permanent.
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**7. -- **ILS CONTESTENT L'APPLICATION QUI EST FAITE DE LA LITURGIQUE. -- L'application qui est faite... Je ne vois pas très bien comment contester « l'application qui est faite » a pu être assimilé à une contestation des « principes ». Je ne vois pas non plus en quoi il serait criminel, ou simplement fautif, de contester une application qui contredit aux prescriptions conciliaires. La Constitution sur la liturgie permet un certain emploi des langues modernes mais stipule que, dans l'Église latine, la langue liturgique demeure le latin. Partout où on étend la permission de manière à ne plus jamais célébrer en latin, il est clair que le latin ne demeure plus, en fait, la langue liturgique, et que la Constitution conciliaire est en cela bafouée.
Ce n'est pas spécialement moi qui ai traité ces questions dans *Itinéraires.* Mais, sur interpellation du communiqué, je déclare volontiers qu'en effet l'application « qui est faite » de la Constitution liturgique est manifestement, sur plusieurs points importants, contraire aux prescriptions de cette Constitution.
Pour les Séminaires, l'application de la Constitution liturgique est réglée par une Instruction du Saint-Siège qui, jusqu'à présent, est restée lettre morte en France. La revue *Itinéraires* a été la seule publication française à en donner le texte. Le magistère clandestin embusqué dans les bureaux de certains « organismes collectifs de l'épiscopat » a fait croire que « les évêques » avaient rejeté cette Instruction approuvée et ratifiée par le Saint-Père.
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Suis-je coupable d'avoir, seul en France, publié l'Instruction dont le Souverain Pontife avait ordonné la publication ?
Si c'est cela que l'on veut dire et si c'est pour cela que l'on me condamne, je déclare en toute tranquillité que cela ne me pose aucun problème de conscience. Et que si c'était à refaire je le referais. Et que lorsqu'il faudra le refaire je n'y manquerai pas.
Je déclare aussi que s'il y a des coupables en cette affaire, il faut les chercher là où ils sont.
Et enfin je déclare qu'en matière de liturgie comme en d'autres, ceux-là seuls peuvent rappeler efficacement à la discipline qui donnent l'exemple de l'obéissance.
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**8. -- **ILS CRITIQUENT LES MOUVEMENTS APOSTOLIQUES ET LEURS MÉTHODES. -- Il est donc purement et simplement interdit de les critiquer ? C'est la première fois que j'entends promulguer une telle interdiction.
On critique tout dans la presse française vendue à l'intérieur des églises, mais surtout la Curie romaine et le Souverain Pontife. Un religieux parmi des dizaines d'autres, un religieux lié au Pape par un vœu spécial, peut critiquer en termes méprisants les actes officiels du Saint-Siège sans arriver à obtenir pour lui-même, ou pour la revue ecclésiastique où il s'exprime, un communiqué du Conseil permanent.
Seuls, donc, les mouvements d'Action catholique ne devront pas être critiqués.
Si c'est vrai, ils en mourront.
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La critique des méthodes est humainement indispensable au progrès des méthodes. En soi, elle n'a au demeurant, que je sache, rien de contraire à la foi ou aux mœurs.
Mais dire qu'ils en mourront, ce n'est déjà presque plus une prophétie.
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**9. -- **ILS APPELLENT PRÊTRES ET FIDÈLES A S'UNIR POUR SAUVER L'ÉGLISE DE LA DÉCADENCE. -- Nous avons appelé prêtres et fidèles à s'unir pour autre chose : pour se défendre contre la persécution, ce qui est un droit naturel.
Contre cette même persécution, nous avions demandé aussi la protection de la Hiérarchie catholique, avec le succès que l'on vient de voir.
En conséquence, puisque nous ne pouvons attendre de protection que de nous-mêmes, nous appelons plus que jamais prêtres et fidèles persécutés dans l'Église de France à s'unir pour leur défense.
Mais s'unir pour sauver l'Église de la décadence, non, hélas, non : cela n'y suffirait pas. Nous n'avons pas des pensées aussi sommaires.
...DE LA DÉCADENCE A LAQUELLE LA CONDUISENT IRRÉMÉDIABLEMENT LES PASTEURS, est-il ajouté.
Je n'ai jamais rien dit de semblable, ni personne autour de moi. Il n'y a pas d'*irrémédiable*. Et si je croyais l'Église *irrémédiablement* conduite à la décadence, il est évident que par le fait même je désespérerais de la sauver. Vraiment, on me reproche n'importe quoi.
J'ai dit et j'ai écrit : *c'est par voie d'autorité et de sainteté, et non de révolution ou de subversion*, qu'un remède pourra être apporté aux maux dont souffre l'Église. Si ce langage est inintelligible à mes censeurs, je n'y puis rien.
J'ai dit aussi qu'aujourd'hui en France il est demandé aux évêques -- par la situation même -- d'être héroïques.
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Je le répète volontiers dans les mêmes termes :
« *En France, l'Église a besoin d'évêques.*
« *Elle a besoin d'évêques héroïques qui assument les risques moraux et matériels de nettoyer la maison. Je dis moraux. Et je dis bien : matériels. Ils le savent, d'ailleurs.* »
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Amis connus et inconnus, c'est à vous que j'écris, et à personne d'autre. Voici donc les neuf griefs successifs qui ont été formulés par le communiqué du Conseil permanent. Ils touchent tous plus ou moins à ce désastre spirituel que nous vivons chaque jour, nous autres chrétiens du rang. Les écoles qui ferment et les écoles qui mentent. Les séminaires qui se vident. Les prêtres qui manquent partout ; et les « nouveaux » prêtres qui défont ce qui restait debout. On nous dit qu'il n'y a aucune crise, aucun péril, aucune décadence : nous en prenons acte, mais comment pourrions-nous le croire ? Notre vie à nous ne se passe pas dans les bureaux d'un Secrétariat général ou d'une commission spécialisée, à écrire des notes secrètes pour diffamer derrière leur dos les chrétiens qui, comme ils le peuvent, assument des responsabilités qu'ils n'avaient pas demandées. De toutes parts, des chrétiens désemparés, et même des prêtres, nous appellent au secours. A la mesure de nos moyens, mais avec la grâce de Dieu, nous ne leur ferons pas défaut, cela est clair.
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#### VII. -- Autorité personnelle.
MAIS JE REVIENS sur le grief numéro trois. L'AUTORITÉ PERSONNELLE DE CHAQUE ÉVÊQUE MINÉE PAR LES ORGANISMES COLLECTIFS DE L'ÉPISCOPAT. -- « Minée » n'est peut-être pas le mot. Il doit bien tout de même se passer quelque chose. Dans cette affaire, je n'ai pas encore trouvé un évêque qui soit personnellement responsable du communiqué, ni même qui ait personnellement étudié les articles incriminés. Cet évêque existe néanmoins ? Il est jusqu'ici hors d'atteinte, et non identifiable. Ceux qui me connaissent, ceux que je connais, il n'en est aucun pour me dire qu'il m'accuse d'avoir attaqué le Pape et le Concile ; il n'en est aucun pour me confirmer qu'il aurait vainement recherché le dialogue avec moi au sujet des accusations qui m'ont été faites. Alors je suis conduit à me poser quelques questions : les questions même qui sont publiquement soulevées par le communiqué sur l'autorité personnelle de chaque évêque. Il n'y a pas d'autorité quand personne n'est responsable. Il n'y avait aucune signature au bas du communiqué. On n'a vu se manifester personnellement que le Secrétaire général et le porte-parole autorisé, qui eux-mêmes ne sont pas membres du Conseil permanent. Il y a bien une commission épiscopale pour la presse, mais le président de cette commission serait normalement récusé comme juge dans toute juridiction régulière : récusé pour inimitié personnelle avouée.
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Il a déclaré précédemment qu'il n'accorde « jamais aucun crédit » à ce que publie la revue *Itinéraires*. « Jamais aucun », il apparaît que c'est vraiment beaucoup, surtout si l'on a présente à l'esprit la liste complète de nos collaborateurs. Au demeurant la commission est une chose, le Conseil permanent en est une autre, ce n'est pas la commission qui a publié le communiqué.
L'autorité personnelle de chaque évêque se trouve depuis le 27 juin dans l'étrange situation que voici : il lui est impossible de déclarer que l'enseignement religieux est en crise et que l'école chrétienne est en péril, et il ne lui est pas possible de prendre des mesures explicitement adéquates à ce péril et à cette crise, puisque le Conseil permanent a décrété qu'il n'y en a point. Il lui est impossible de rectifier l'application « qui est faite » de la Constitution liturgique, puisque cette application est bonne et que ceux qui la contestent, on met les fidèles en garde contre eux. Il en va de même pour les erreurs doctrinales et morales graves, qui sont niées, et pour les méthodes de l'Action catholique, qui sont tabou.
Par quoi il apparaît que la portée positive du communiqué du Conseil permanent est beaucoup plus grande encore que sa portée négative de mise en garde : à vrai dire, les deux sont étroitement liées. Ce que le communiqué avalise ainsi, ce qu'il place hors des atteintes de toute critique et de toute rectification, est considérable. Il disqualifie toute opposition constructive et toute médication appropriée aux maux dont nous souffrons, puisqu'il est interdit, sous peine de mise en accusation publique, de seulement les discerner.
La voie est ouverte et couverte, bien protégée, pour ces phénomènes de désintégration sur lesquels on ne doit même plus ouvrir la bouche.
Cela est assurément de grande conséquence.
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Ce n'est évidemment pas au lendemain d'un tel communiqué qu'un évêque ou que l'ensemble des évêques pourront appeler les chrétiens à se mobiliser pour faire face au péril qui menace les écoles : il est officiellement garanti qu'il n'y a aucun péril. Et ainsi de suite, et de tout ainsi. C'est formidable, ce que l'on vient de faire.
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Et comment être entendu par le Conseil permanent ? il se réunit « au moins trois fois par an ». On le voit mai ménager dans son emploi du temps le loisir d'interroger et d'entendre, avec l'exacte et longue patience que requiert l'examen des textes, les auteurs des articles incriminés. En tout cas il ne les a pas entendus, ni demandé à les entendre. On peut s'entretenir avec un évêque et même, puisque c'est le mot à la mode, « dialoguer » avec lui. Je n'aperçois pas comment on pourrait s'entretenir ou dialoguer avec un Conseil permanent. En m'accusant réception de ma lettre du 29 juin que l'on trouvera ci-après parmi les « documents », le Secrétaire général m'assurait qu'il informerait de « tout cela » (*tout cela*, c'est ma lettre) le président et le vice-président du Conseil permanent. Ma lettre lui précisait à deux reprises qu'elle est destinée, par son intermédiaire, à l'Assemblée plénière de l'épiscopat. Combien d'évêques en auront communication et pourront la lire dans son texte même, si je ne m'en occupe pas ? Combien d'évêques pouvaient, le 23 juin, ou le 27 juin, ou pourraient maintenant donner la référence précise des articles, et des passages d'articles, incriminés en leur nom par le communiqué du Conseil permanent ? Il est au moins permis de concevoir quelques doutes, et je ne vois pas pourquoi il serait interdit de les exprimer.
Dans la procédure observée par les « organismes collectifs » pour l'affaire qui nous concerne, il y a bien des obscurités, bien des étrangetés, bien des irrégularités, où j'aperçois mal des signes manifestes de sainte justice. *Ubi caritas et amor, Deus ibi est*.
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#### VIII. -- Ce qui « généralise »
QUAND NOUS DISONS que le catholicisme français est en plein désastre, nous nous alarmons de « CAS QUI DEMEURENT LIMITÉS » : et nous les « généralisons indûment ». Ou plutôt, nous ne sommes pas vraiment alarmés. Nous faisons semblant. Nous jouons la comédie. Nous prenons ces cas comme autant de « PRÉTEXTES ». Un prétexte, voir dictionnaire, c'est une « raison alléguée pour dissimuler le véritable motif d'une action ». Nous dissimulons donc le vrai motif de notre action, qui est évidemment pervers. On ne nous reconnaît même pas le bénéfice ou l'excuse de la bonne foi. On ne dit pas que nous nous alarmons à tort ; que nous nous trompons ; que nous sommes abusés. On dit que nous prenons un *prétexte.* Oui, on est allé jusque là.
« Tout en voulant comprendre et partager l'inquiétude des esprits de bonne foi et de bonne volonté », d'une part, il s'agit de nos lecteurs, d'autre part on les met en garde contre nous, dont la bonne volonté est suspecte et la bonne foi discutable, puisque nous *prenons prétexte.* Cela est dans le communiqué du Conseil permanent :
« PRENANT PRÉTEXTE D'EXAGÉRATIONS OU D'AFFIRMATIONS ERRONÉES QUE LES ÉVÊQUES SONT LES PREMIERS A CONDAMNER, CES CHRÉTIENS GÉNÉRALISENT INDÛMENT DES CAS QUI DEMEURENT LIMITÉS. »
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Prenant prétexte... Les mots ont un sens, et l'accusation est précise.
Elle est bien dans la ligne de la Note secrète 12/66 du 23 mai 1966, par laquelle le Secrétariat général mettait en cause nos intentions.
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« Exagérations ou affirmations erronées que les évêques sont les premiers à condamner. » Les premiers, je l'ignore, mais les plus discrets, c'est bien certain. Au demeurant je ne demande pour ma part la condamnation de personne. Un enseignement et un gouvernement, cela me suffirait. Qu'en France l'Église enseigne, et qu'elle soit la première à mettre en pratique son enseignement dans son propre gouvernement. Mais ce que je souhaite n'a aucun intérêt pour le Conseil permanent ni pour l'ensemble de l'épiscopat, qui ne me l'ont jamais demandé, en ce temps de consultation des laïcs. Cela se comprend d'ailleurs puisque, s'ils reconnaissent la bonne volonté et la bonne foi de mes lecteurs, ils contestent publiquement les miennes. Laissons donc le chapitre des souhaits et tenons-nous en aux faits.
Il y a des exagérations. Il y a des affirmations erronées. Limitées ? C'est une question de point de vue. Je crois que le nombre de prêtres et de religieux qui enseignent, insinuent ou pratiquent le néo-modernisme est somme toute assez restreint. Mais il augmente. Et il augmente notamment parce que ces prêtres et ces religieux disposent de fonctions, de tribunes, d'organes officiels ou autorisés pour répandre leurs affirmations erronées. Cas « limités » peut-être en nombre absolu, mais point cas isolés ni cas accidentels. Ils ont toutes les apparences de jouir d'autorisations supérieures et d'encouragements qualifiés. Ils se donnent pour approuvés par l'autorité religieuse, et celle-ci ne leur oppose généralement aucun démenti perceptible. C'est cela qui fait problème, et non pas leur nombre absolu.
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Ce n'est pas nous qui *généralisons* leurs erreurs : c'est eux qui sont en mesure de les *généraliser*, par l'influence qui leur est consentie et par les moyens de presse et d'édition qu'ils utilisent sans subir aucune censure préalable ou subséquente qui soit une censure efficace. Leurs personnes sont présentées comme dignes de foi, leurs exemples sont publics, leurs livres sont recommandés en priorité et largement diffusés, leurs périodiques sont vendus à l'intérieur des églises ; et leurs contradicteurs éventuels sont automatiquement réprouvés. Alors le néo-modernisme tend à se « généraliser » sans rencontrer d'autres obstacles que les initiatives privées de chrétiens désavoués par le communiqué du Conseil permanent : il se généralisera donc encore mieux après le communiqué.
Et puis, les « exagérations » ont bon dos. Nous nous trouvons en présence non point de vérités ou de vertus exagérées, mais de tout autre chose. Le marxisme n'est pas une exagération de la charité chrétienne. Le modernisme n'est pas une exagération de la doctrine catholique. La pratique de la dialectique n'est pas une exagération de la justice. L'athéisme n'est pas une exagération de la foi au Dieu vivant. La nouvelle religion n'est pas une exagération de la religion révélée.
Des exagérations, il y en a toujours et partout, et en soi ce n'est pas tellement grave. Si l'on en est encore à croire que nous avons affaire seulement à des exagérations de zèle mal équilibré ou de générosité mal informée, il faut tout reprendre au commencement, il faut recommencer l'établissement du diagnostic. Nous sommes en présence d'un système et d'une organisation, installés dans l'Église. Un système idéologique et l'organisation d'un magistère clandestin, qui travaillent à substituer subrepticement une religion de l'homme à la religion du Christ.
Le communiqué du Conseil permanent est passé à côté du drame qui se joue quotidiennement dans le clergé et dans le peuple chrétien. Mais il n'a pas raté ceux qui en portent témoignage.
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#### IX. -- La tête des autres
VOUS ME DEMANDEZ dans vos lettres : pourquoi en ce moment, pourquoi le 23 juin 1966 ? Je ne le sais pas, ou pas encore. Le 23 juin est la vigile de mon saint patron Jean le Baptiste. On sait qui demanda sa tête, et pour quelle raison. Mais cette occurrence m'est personnelle. Je ne crois pas que le communiqué du Conseil permanent ait été le fruit d'une improvisation circonstancielle. Notre tête était exigée de longue date. L'ultimatum public des dirigeants de l'A.C.O. avait plus d'un an, et aussi l'éditorial de *La Croix* préparant les esprits à une nouvelle affaire d'Action française ; et encore les déclarations d'un évêque dont le nom m'échappe sur le schisme que nous préparions, selon lui, pour décembre 1965. A deux reprises au moins et à deux ans de distance, des interlocuteurs qualifiés, bien placés pour savoir de quoi ils parlaient, m'ont exposé le grand dessein pastoral de « l'Église de France », qui est de rompre visiblement avec « la droite » et d'aménager une « ouverture au monde » consciemment conçue comme une « ouverture à gauche ». Ils approuvaient eux-mêmes ce dessein et n'étaient donc pas suspects de dénigrement ; et ce sont eux qui employaient ces termes de « gauche » et de « droite ». Ils me certifiaient que telle est bien la pensée du noyau dirigeant des « organismes collectifs de l'épiscopat ».
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Ils m'en parlaient d'ailleurs sans hostilité à l'égard de ma personne, et sans imaginer non plus qu'on irait jusqu'à un communiqué solennel me désignant à la réprobation publique. Un troisième, qui ne m'est pas non plus personnellement hostile, m'expliquait récemment que ma situation dans l'Église ne peut pas ne pas être analogue à celle des « catholiques de gauche » au XIX^e^ siècle ou au début du XX^e^, avec pourtant une différence qu'il notait au passage : les catholiques de gauche avaient alors quelques évêques capables de les défendre ouvertement, tandis qu'aujourd'hui, dans l'Église de France, je ne saurais bien sûr escompter une semblable faveur ; si quelques évêques comprennent et approuvent mes travaux, il y a maintenant des « organismes collectifs de l'épiscopat » qui leur imposent, sinon en droit, du moins en fait, de se taire et de s'aligner.
J'ai bien écouté tout cela et j'ai parfaitement entendu. Je n'aime pas ces catégories de « droite » et de « gauche », qui me paraissent inadéquates. Mais elles ont une réalité certaine : dans les esprits qui y croient. Et depuis longtemps je me faisais cette réflexion : quand on ne veut plus paraître « de droite », quand on veut se faire admettre par « la gauche », il n'y a qu'un moyen d'y parvenir, l'expérience le montre et le démontre depuis plus d'un siècle : c'est d'apporter aux gens de gauche la tête des gens de droite. Cela est encore plus vrai aujourd'hui qu'hier, la gauche actuelle étant dominée ou impressionnée par le Parti communiste, lequel a systématisé et poussé à la limite les procédés traditionnels de la gauche révolutionnaire. D'ailleurs nous l'avions dit depuis que des catholiques recherchent ou implorent le dialogue et la collaboration avec le communisme : la première condition qu'y pose le Parti, c'est la condamnation des « intégristes ».
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Quand les journaux écrivent, comme ils viennent d'en avoir l'occasion : « *L'épiscopat frappe sévèrement à droite *», il y a des stratèges qui se réjouissent. Ils pensent qu'un grand pas est ainsi accompli devant l'opinion pour démontrer que l'Église n'est pas « liée avec la droite » et qu'elle est « ouverte à gauche ». Si ces dangereux innocents (pas tous, innocents) avaient fait une analyse sociologique et idéologique des catégories de « droite » et de « gauche », ils comprendraient la vanité de leur stratégie, et ses conséquences ruineuses. La gauche révolutionnaire les rejettera « à droite » quand elle voudra, comme elle l'a fait même pour les Girondins, pour Danton, pour Trotski, pour Boukharine, pour Béria. Elle aura encore moins de difficulté à y rejeter, quand il sera opportun, « les curés ». On aura perdu beaucoup de temps, et accumulé des catastrophes, dans le vain dessein de *paraître aux yeux de la gauche* n'avoir (plus) aucun « lien avec la droite ». Comme s'il ne suffisait pas d'être simplement ce que l'on est. Ces gens qui prétendent comprendre le monde moderne n'y voient goutte, mais se laissent prendre à chacun de ses attrape-nigauds. Ils ne savent même pas ce qu'est en réalité le jeu « gauche contre droite », ils en ignorent jusqu'à la règle constitutive, et ils prétendent y jouer. Comme ce n'est point pour eux que j'écris ici, je n'en dirai pas davantage nos plus anciens lecteurs me reprocheraient de rabâcher les plus récents me permettront de les renvoyer là-dessus aux chapitres II et III de mon petit livre : *On ne se moque pas de Dieu.*
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On se souvient de l'assaut mené pendant le Concile contre la Curie romaine en général et contre le Saint-Office en particulier. Ce que l'on a oublié, c'est que, bien avant l'ouverture du Concile, l'appel à la lutte contre le Saint-Office avait été lancé aux catholiques par les communistes. C'est par exemple *L'Humanité*, organe central du Parti communiste français, qui dès le 9 janvier 1960 appelait « les chrétiens dans leur masse » au combat contre le cardinal Ottaviani et contre les « Torquemada du Saint-Office ».
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Je n'y puis rien, les dates sont là : les communistes eurent la priorité, c'est eux qui ont mis en train cette universelle mobilisation de l'opinion. Bien entendu, la plupart de ceux qui ont participé à ce « combat » ignoraient jusqu'à l'existence de l'appel et de la consigne du Parti communiste. Les « courroies de transmission » servent précisément à dissimuler qui mène le jeu : d'autant plus facilement en l'occurrence que les communistes n'étaient pas les seuls intéressés à l'affaire. L'organisation communiste « Pax » servit de centre mobilisateur : comme je l'ai déjà fait remarquer, l'amicale des théologiens sanctionnés par le Saint-Office, à supposer qu'elle existe, n'aurait pas été capable, à elle seule, d'ameuter l'ensemble de l'opinion mondiale. Il est bien vrai que nous avons la spécialité agaçante de mettre le doigt sur des vérités désagréables, qui sans nous resteraient inaperçues. Nous accumulons ainsi contre nous beaucoup de rancunes et même, je le crains, des haines inexpiables. Mais les vérités désagréables n'en sont pas moins des vérités.
Un combat où le Saint-Office lui-même n'a pu survivre, nous n'avions certes pas la prétention de nous en sortir indemnes. Il fallait bien que quelque chose nous arrivât : et ce qui vient de nous arriver n'est probablement presque rien auprès de ce qui nous attend, si la situation dans l'Église n'est pas bientôt retournée par voie d'autorité et par voie de sainteté. Nous avons l'air bien tranquilles, et nos amis eux-mêmes, parfois, s'y trompent : cette tranquillité qu'ils aperçoivent, elle doit beaucoup plus à la paix de l'âme que Dieu donne largement à ceux qui la Lui demandent, qu'à des illusions qui n'encombrent guère notre bagage.
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Au printemps de l'année 1962 fut lancé le nouveau mot d'ordre de la guerre dans l'Église :
« Les intégristes sont les pires ennemis de l'Église, plus dangereux que les communistes. »
J'ai assez commenté depuis quatre ans le radical changement de front qu'implique et qu'organise un tel mot d'ordre, pour pouvoir me dispenser d'y revenir aujourd'hui en détail. Je l'ai commenté encore dans la seconde des cinq phases constitutives de l'Appel aux évêques (*Dossier de l'Appel aux évêques,* pp. 12 à 15). Par ce changement de front, la subversion entrait pratiquement et quotidiennement dans l'Église, au niveau non plus seulement de quelques cercles, de quelques bureaux, de quelques sociétés secrètes, mais de la « grande information » et de l' « opinion de masse ». Une pression formidable est exercée depuis lors d'un bout à l'autre de l'organisation ecclésiastique, avec une mise en condition telle que la plupart de ceux qui la subissent n'en ont même pas conscience et croient agir selon leur libre décision.
Nous ne sommes présentement qu'au seuil d'un épouvantable carnage spirituel. Dieu, dans sa miséricorde, reconnaîtra les siens.
42:105s
#### X. -- Dans la même charrette
CE QU'IL Y A DE BON, quand on est flanqué dans la même charrette, c'est qu'on apprend à mieux se « connaître. Je connaissais déjà André Giovanni, qui est directeur de la rédaction du *Monde et la Vie *; et j'avais déjà beaucoup d'estime et d'amitié pour lui. Il a d'ailleurs publié, dans son numéro de juin, l'admirable article de l'abbé Louis Coache sur la nouvelle religion, dont nous reparlerons dans les mois à venir. C'est *Le Monde et la Vie* qui le premier a fait paraître le texte de la première phase constitutive de l'Appel aux évêques, l'adresse de Michel de Saint Pierre. Des noms amis et des noms illustres collaborent plus ou moins régulièrement au *Monde et la Vie *: il y avait le regretté Louis Bounoure, il y a Louis Salleron, il y a Pierre Gaxotte, il y a Henri Rambaud, il y a Alexis Curvers, il y a Marcel De Corte, il y a Jacques Perret, il y a Édith Delamare. Sur un tout autre plan qu'*Itinéraires*, bien sûr mais je m'aperçois (en méditant dans la charrette) que souvent l'on risque d'être trop exclusivement préoccupé par ce que l'on fait soi-même. Tout mon effort est de faire vivre une revue de réflexion, sans images, sans anecdotes, une revue de travail en un temps où l'école apprend à tout le monde à lire le journal et simultanément, par la même méthode, rend tout le monde incapable de lire autre chose que le journal.
43:105s
La revue *Itinéraires,* à contre-courant de cet abrutissement généralisé, s'adresse à l'effort intellectuel, au recueillement spirituel, elle exige de son lecteur qu'il prenne sur lui de faire silence et de demeurer dans sa chambre : qu'il en prenne le temps et les moyens. Dans un autre domaine, qui est également très important à mes yeux, la revue *Itinéraires* entend préparer une réforme fondamentale des structures financières de la presse, et la préparer de la seule manière efficace : en commençant par soi. Il s'agit, on le sait, du refus de toute publicité payante, simple détail aux yeux de ceux qui ne connaissent pas ces questions, mais détail décisif. André Giovanni travaille, lui, là où il est, dans la presse telle qu'elle est. Mais nos préoccupations sont beaucoup plus complémentaires, ou convergentes, qu'il n'apparaît superficiellement. Je connaissais donc déjà son courage, son dynamisme, son sang-froid dans la bataille, et son sens de l'amitié. Mais le communiqué du Conseil permanent nous rapproche davantage encore, nous associe, consacre en quelque sorte notre compagnonnage, d'une manière que ni lui ni moi ne pourrons désormais oublier.
Quant à Pierre Lemaire, directeur de *Défense du foyer*, c'est une figure quasiment légendaire du catholicisme français. Ses maladresses monumentales, qu'elles soient réelles, ou supposées, appartiennent à l'histoire de l'Église en France depuis la fin de la guerre. Maladresses honorables toujours, bénéfiques souvent, qui triomphèrent en son temps du « catéchisme progressif », sans parler de bien d'autres hauts faits analogues. Des amis communs qui me sont très chers, et que je ne puis guère aller visiter qu'à cheval, comme dans un film du Far-West, me faisaient reproche de l'éloignement qui était le mien à l'égard de Pierre Lemaire. Ils avaient raison. Pierre Lemaire est un militant du culte et du règne du Cœur de Jésus. *Ubi caritas et amor*... Le communiqué du Conseil permanent achève de m'éclairer, et je lui donne mon amitié.
44:105s
Je ne connais pas les animateurs de *Lumière*. D'avance et a priori, je leur réserve les mêmes sentiments.
\*\*\*
Pendant que j'écris, vos lettres continuent à me parvenir, abonnés des premières années qui rappellent leur présence invisible autour de moi, lecteurs occasionnels qui décident en ce moment de souscrire un abonnement, cohorte d'inconnus familiers et attentifs qui expriment leur fidélité et leur confiance. Les amitiés anciennes se mêlent aux amitiés nouvelles, dans un grand élan de communion, de prière, de résolution. A tous je réponds : paix et joie.
45:105s
#### XI. -- PAIX ET JOIE
PAIX ET JOIE... La paix chrétienne n'est pas l'absence de batailles, et n'est certainement pas l'absence de combat spirituel. La paix chrétienne est cette grâce mystérieuse que Notre-Seigneur donne même au milieu des guerres, il faut simplement la demander et la recevoir, et Il ne la donne pas comme le monde la donne. La joie chrétienne lui est associée, elle est tout aussi mystérieuse, elle vient au milieu des plus lourds chagrins, elle ne supprime pas notre croix, mais elle fait que nous l'aimons, et tout alors est transfiguré.
Paix et joie en vous, amis lecteurs, récents et anciens, connus ou inconnus. Dans l'angoisse, dans la souffrance, dans le combat, paix et joie. Dans la persécution et dans le désastre spirituel du catholicisme français, aimons-nous les uns les autres, établissons l'entraide fraternelle et le soutien mutuel, de proche en proche et de prochain à prochain, par les réseaux d'amitié, le développement capillaire, le resserrement autour des petites communautés. *Ubi caritas*... Paix et joie dans la confiance en notre Père des cieux, dont l'infinie sagesse a tout disposé de toute éternité pour notre salut et pour Sa gloire. *Ubi caritas et amor, Deus ibi est *: c'est cela que je chante chaque jour depuis le 27 juin, et maintenant à chaque instant en vous écrivant.
46:105s
Je ne vous l'ai pas caché : nous ne sommes qu'au seuil de ce qui nous attend, si par sainteté et par autorité le cours actuel des choses n'est pas retourné dans l'Église. L'Appel aux évêques vient de recevoir sa réponse. On comprend la portée de la réponse quand on la compare au contenu de l'Appel. Si vous relisez maintenant d'un bout à l'autre le « Dossier de l'Appel aux évêques », vous verrez que tout est parfaitement clair quant à l'essentiel.
Avec la grâce de Dieu, et tous ensemble, et chacun à son exacte place et selon son état de vie, nous tiendrons ferme.
Par Marie, Mère de l'Église, demandons les uns pour les autres au Sauveur d'augmenter notre Foi, notre Espérance, notre Charité. Et tout le reste nous viendra de Sa main également, mais à la sueur de notre front, dans l'épreuve et dans la lutte.
Paix et joie.
Jean MADIRAN.
47:105s
## DOCUMENTS
### La lettre du Secrétaire général
Le directeur d'*Itinéraires* a reçu la lettre suivante, datée du (samedi) 25 juin et arrivée normalement le lundi 27 juin :
Monsieur le Directeur,
Durant sa première session, le Conseil permanent de l'épiscopat a analysé certaines attitudes des catholiques français face aux enseignements du Concile et de l'Épiscopat.
Au terme de cet examen, il a jugé bon de rédiger le communiqué ci-joint dans lequel votre publication est mentionnée.
Plusieurs Évêques avaient, à maintes reprises, cherché un dialogue avec les auteurs des articles mis en cause. Aujourd'hui encore, les membres du Conseil permanent ont tenu à ce que ce texte vous soit adressé personnellement avant d'être publié, et ils m'ont chargé de vous le faire parvenir. Si vous désirez un entretien, je suis bien entendu disposé à vous recevoir.
Daignez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de mes respectueux et religieux sentiments.
*R. ETCHEGARAY,\
Secrétaire général de l'Épiscopat.*
48:105s
### Le communiqué du Conseil permanent
A la lettre du Secrétaire général était joint un double de texte dactylographié, sans signature, intitulé : « Communiqué du Conseil permanent de l'épiscopat ». C'est le texte qui était rendu public au moment même où il parvenait au directeur d'*Itinéraires*. Le voici en son intégralité :
Le Concile vient de s'achever, rendant plus étroite que jamais l'union du Pape et des Évêques, laissant à l'Église, pour faciliter son renouveau, un ensemble d'enseignements autorisés et de décisions en faveur desquels les Pères se sont prononcés avec une remarquable unanimité.
Le devoir des catholiques est clair. Ils ont à recevoir filialement et à mettre en œuvre ces enseignements et ces décisions. La plupart des fidèles s'y sont conformés avec une joyeuse obéissance et un grand élan d'espérance. Une minorité cependant, avec une audace qui s'affirme, conteste, au nom d'une fidélité au passé, les principes du renouveau entrepris.
Prenant prétexte d'exagérations ou d'affirmations erronées que les Évêques sont les premiers à condamner, ces chrétiens généralisent indûment des cas qui demeurent limités et font à l'Épiscopat et aux prêtres de France un procès de tendance dans lequel -- des publications récentes en font foi -- ils ne craignent pas d'impliquer le Saint-Père lui-même. Ils affirment que l'enseignement religieux est en crise ; l'école chrétienne, en péril ; l'autorité personnelle de chaque évêque, minée par les organismes collectifs de l'Épiscopat ; la primauté du Saint-Père, compromise par la collégialité ; la doctrine sociale de l'Église, faussée par le progressisme ; la foi de nombreux clercs, pervertie par des erreurs doctrinales et morales graves. Ils contestent l'application qui est faite de la Constitution liturgique. Ils critiquent les mouvements apostoliques et leurs méthodes. Ils appellent prêtres et fidèles à s'unir pour sauver l'Église de la décadence à laquelle la conduiraient irrémédiablement les pasteurs.
49:105s
Or, après comme avant le Concile, les catholiques de France, unis à leurs évêques, croient à la divine présence du Christ dans l'Eucharistie, au rôle éminent de Marie dans l'économie du salut, à l'autorité suprême du Pape. Dans tous les diocèses l'Église s'applique à promouvoir l'enseignement religieux et est décidée à maintenir l'école catholique. Elle est soucieuse de la sanctification du Peuple de Dieu par une morale vraiment évangélique comme par un authentique renouveau liturgique. Elle manifeste enfin une ouverture missionnaire constante et compte plus que jamais sur le laïcat pour un dialogue apostolique avec le monde d'aujourd'hui.
Par respect de la vérité et par amour des âmes les Cardinaux de France et le Conseil permanent de l'Épiscopat exhortent les chrétiens à ne pas se laisser égarer par cette campagne qui dépasse et de loin ce qu'autorise la libre divergence des opinions dans des questions librement débattues.
Tout en voulant comprendre et partager l'inquiétude des esprits de bonne foi et de bonne volonté ils considèrent comme un devoir de mettre en garde les fidèles contre des articles parus notamment dans des magazines comme *Le Monde et la Vie* des revues comme *Itinéraires* et *Défense du Foyer* des bulletins comme *Lumière.*
Ils souhaitent vivement que cette mise en garde éclaire les responsables de ces articles, apaise les nombreux catholiques profondément attachés à la doctrine de l'Église et qui sont aujourd'hui troublés dans leur foi et leur docilité envers la Hiérarchie.
Le premier Concile du Vatican a déjà connu pareilles réactions et l'Église a continué. Aujourd'hui aussi l'Église continue. Les évêques qui portent dans l'Église la charge première de l'Évangile et la responsabilité de l'apostolat, réaffirment leur sollicitude aimante à l'égard de tous les chrétiens de ce pays et les appellent tous à promouvoir, dans un dialogue fraternel et avec une filiale docilité, le renouveau voulu par le Concile et sans cesse rappelé par le Saint-Père.
Paris, le 23 juin 1966
50:105s
Ce communiqué ne portant aucune signature, nous avons recherché nous-mêmes quels sont les membres du Conseil permanent de l'épiscopat. Des diverses informations que nous avons pu recueillir dans la presse de ces derniers mois, il semble ressortir :
-- que le cardinal LEFEBVRE, archevêque de Bourges et président de la Conférence épiscopale française, est président (honoraire, semble-t-il) du Conseil permanent à titre de représentant des cardinaux ;
-- que le cardinal FELTIN y est également représentant des cardinaux. ;
-- que Mgr MARTY est vice-président élu du Conseil (élu par l'Assemblée plénière de l'épiscopat) ; on considère généralement que le vice-président élu est celui qui dirige effectivement les travaux du Conseil permanent : d'ailleurs il en préside le « bureau » ;
-- que ce « bureau » du Conseil permanent a pour secrétaire Mgr PUECH ;
-- que les autres membres du Conseil permanent sont NN. SS. RENARD, ANCEL, FERRAND, VIAL, LEULLIET, DUPUY, VEUILLOT, GUFLFET, COLLIN, GUYOT, DUBOIS (mais ce dernier vient récemment de donner sa démission d'archevêque de Besançon -- nous ignorons s'il continue à faire partie du Conseil permanent), BOUDON, STOURM (qui est par ailleurs le président bien connu de la Commission épiscopale de l'opinion publique et des moyens de communication sociale), MÉNAGER, GOUYON, GOUPY, MAZIERS, DE PROVENCHÈRES, SCHMITT, SAUVAGE.
51:105s
### Le commentaire du porte-parole autorisé
Le lundi matin 27 juin, Mgr Dominique Pichon, « directeur du secrétariat de l'opinion publique et des moyens de communication sociale », et à ce titre porte-parole autorisé de l'épiscopat, rendait public le communiqué du Conseil permanent, et en expliquait les motifs et la procédure.
Ses déclarations ont été rapportées par *La Croix* du 28 juin en ces termes :
Mgr Pichon a d'abord rappelé qu'au cours de leur récent Conseil, les cardinaux et les membres du Conseil permanent ont passé en revue les attitudes diverses des catholiques devant la mise en place des premières dispositions post-conciliaires.
Et face aux mouvements d'opposition qui se développent, plusieurs évêques, en particulier les ordinaires des auteurs d'articles ou des promoteurs favorisant une telle campagne, ont déjà vainement tenté de dialoguer, malgré des déclarations contraires manifestées hautement et certain « appel aux évêques ».
Aussi, devant l'insuccès de leurs efforts, les évêques du Conseil permanent, en vertu du devoir qui leur incombe d'affermir la foi des catholiques et de gouverner le peuple de Dieu, ont-ils décidé de publier le communiqué ci-dessus, où certaines publications sont citées.
Cependant, ces mêmes évêques ont voulu que ce communiqué fût porté personnellement et avant quiconque à la connaissance des directeurs des publications mentionnées.
52:105s
De plus, -- nous a précisé Mgr Pichon, -- les directeurs d'autres publications qui ne sont pas nommées dans le communiqué, seront avertis prochainement que ce texte les concerne également.
Le communiqué des cardinaux et du Conseil permanent -- a conclu le directeur du Secrétariat de l'opinion publique, -- indique le droit chemin aux fidèles qui auraient pu être troublés et veut éclairer les auteurs des mouvements incriminés, afin de les amener, avec leurs disciples, à mettre leur zèle et leur générosité au service du renouveau post-conciliaire de l'Église, selon le vœu le plus cher des évêques.
53:105s
### Le communiqué de la revue "Itinéraires"
En raison des déclarations faites à la presse par le porte-parole autorisé de l'épiscopat, la revue Itinéraires donnait à l'A.F.P. (Agence France-Presse), le lundi 27 dans l'après-midi, le communiqué suivant, que plusieurs journaux de Paris et de province reproduisirent intégralement :
Contrairement à ce qu'affirment les commentaires accompagnant le communiqué du Conseil permanent de l'épiscopat, la revue « Itinéraires » n'a été l'objet d'aucune demande d'entretien ou de contact de la part de l'Ordinaire du lieu ni d'aucune autre autorité épiscopale.
Contrairement à ces mêmes commentaires, le communiqué en question n'a pas été porté à la connaissance de la revue « Itinéraires » avant sa diffusion.
D'autre part, la revue « Itinéraires » a sans cesse affirmé et maintient son entière adhésion aux enseignements de l'Église, spécialement à ceux du Saint-Siège et du Concile.
54:105s
### La lettre de Jean Madiran au Secrétaire général
A la lettre du Secrétaire général datée du samedi 25 juin et reçue le lundi 27, Jean Madiran a répondu par la lettre suivante :
Monseigneur R. ETCHEGARAY
Secrétaire général de l'épiscopat
106, rue du Bac
Paris Vll,
29 juin 1966\
S. Pierre et S. Paul
MONSEIGNEUR,
Je vous accuse réception de votre lettre datée du samedi 25 juin 1966, qui m'est normalement parvenue le lundi 27 juin, au moment même où était rendu public le communiqué du Conseil permanent de l'épiscopat dont vous me transmettiez par cette lettre une copie, et dans lequel la revue ITINÉRAIRES est mentionnée.
En réponse à votre lettre, j'ai l'honneur de porter à votre connaissance les précisions suivantes, que je vous demande de communiquer à l'Assemblée plénière de l'épiscopat :
**1. -- **Vous m'avisez que « plusieurs évêques avaient, à maintes reprises, cherché un dialogue avec les auteurs des articles mis en cause ».
En ce qui concerne la revue ITINÉRAIRES, cela n'a pas eu lieu.
55:105s
Ni pendant ni depuis le Concile, aucun évêque ni aucun représentant ou messager de l'épiscopat n'a demandé à entrer en contact avec la revue ITINÉRAIRES au sujet des questions soulevées par l'interprétation ou l'application des décisions conciliaires.
Aucun évêque ni aucun représentant ou messager de l'épiscopat n'a jamais fait connaître à la revue ITINÉRAIRES qu'il pouvait être question de lui reprocher de « contester, au nom d'une fidélité au passé, les principes du renouveau entrepris ».
Jamais aucun évêque, jamais aucun représentant ou messager de l'épiscopat ne nous a manifesté l'intention d'entreprendre avec nous un dialogue concernant l'orientation générale de la revue ITINÉRAIRES ou sa participation supposée à une « campagne ».
**2. -- **C'est même l'inverse qui s'est produit. Co-responsable, avec Michel de Saint Pierre et Jean Ousset, de l'Appel aux évêques, je n'ai reçu à cet Appel aucune réponse avant l'unique réponse -- qui se présente comme un refus de prise en considération et une fin de non-recevoir -- constituée en somme par le présent communiqué du Conseil permanent de l'épiscopat.
Depuis dix années qu'existe la revue ITINÉRAIRES, j'ai à plusieurs reprises fait savoir à des membres de ce qui était en son temps l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques, puis à des membres de ce qui est aujourd'hui le Conseil permanent, que je suis prêt à tout moment à répondre filialement à toute convocation de l'autorité religieuse. Je n'en ai reçu aucune. Au cours de ces dix années, quand j'ai rencontré un membre de l'épiscopat, ce fut toujours sur demande d'audience de ma part, jamais sur convocation ou invitation.
Cette situation est d'ailleurs parfaitement illustrée par un épisode récent.
Le 19 avril dernier, Mgr l'Archevêque d'Aix-en-Provence, que je n'ai pas l'honneur de connaître personnellement, et que je n'ai jamais rencontré, m'écrivait :
« Voudriez-vous dire à ceux de vos amis qui demeurent sur mon diocèse que je suis tout disposé à les recevoir ? »
56:105s
C'était apparemment une recherche de dialogue : mais exactement précisée et limitée aux dimensions d'un diocèse. Aucun des auteurs qui écrivent dans la revue ITINÉRAIRES n'habite le diocèse en question.
Je répondis le 24 avril qu'à mon avis ce sont les auteurs, et notamment ceux qui écrivent dans ITINÉRAIRES, qu'il est urgent -- je disais bien : « urgent », le 24 avril 1966 -- d'entendre d'abord, plutôt que leurs lecteurs. J'ajoutais : « Je me tiens à votre disposition pour vous expliquer plus avant, si vous le désirez, ce qui m'apparaît anormal et tragique dans la situation actuelle. »
La réponse de l'Archevêque d'Aix, le 2 mai, fut pour se récuser « au plan national », plan auquel « il faut s'adresser au président du Conseil permanent de l'épiscopat ».
Le 8 mai, je répondais à l'Archevêque d'Aix que mes rencontres avec des membres de l'épiscopat avaient toujours eu lieu parce que j'avais demandé une audience, jamais parce que j'avais été convoqué. Et je précisais :
« Il est bien connu -- je l'ai fait savoir à maintes reprises, oralement et par écrit -- que je suis prêt (comme il est simplement naturel) à *répondre à tout moment, filialement, à toute convocation*. Quand on s'aperçoit -- sur une période de dix années -- que l'on est reçu seulement sur demande d'audience, et jamais sur convocation ou invitation, on est amené à en prendre acte. Dix années (et quelles années ! les années 1956-1966 ...), cela offre matière à méditation. Quand on n'est jamais ni invité ni convoqué, on finit par se dire qu'il y a quelque indiscrétion à toujours prendre soi-même l'initiative de demander audience.
A cette nouvelle lettre, je n'ai reçu aucune réponse.
Mais l'Archevêque d'Aix est membre du Conseil permanent de l'épiscopat.
Je pouvais donc légitimement supposer que le Conseil permanent de l'épiscopat était informé de ma ferme et constante disposition à répondre à tout moment, filialement, à toute convocation, confirmée par moi-même, une fois de plus à la date du 8 mai 1966, c'est-à-dire moins de deux mois avant le présent communiqué du Conseil permanent.
**3. -- **Mgr Dominique Pichon, directeur du secrétariat de l'opinion publique, a présenté à la presse le communiqué du Conseil permanent par des déclarations qui sont rapportées dans LA CROIX du 28 juin. Il ne s'agit pas là de quelconques « commentaires de presse ».
57:105s
Mgr Pichon est en l'occurrence le porte-parole autorisé de l'épiscopat ; et de nombreuses déclarations épiscopales attestent que LA CROIX doit être tenue pour digne de foi quand elle rapporte la pensée ou les propos de l'épiscopat français ou de ses porte-parole autorisés.
Mgr Pichon, selon LA CROIX, et d'ailleurs conformément à ce qu'ont entendu tous ceux qui assistaient à cette conférence de presse, a déclaré que le Conseil permanent en était venu à publier ce communiqué parce, que, malgré leurs efforts, les évêques n'avaient pu obtenir un dialogue avec les intéressés.
Nous sommes ici en présence de l'exposé autorisé des motifs qui ont amené le Conseil permanent à publier son communiqué.
Je vous rappelle qu'en ce qui concerne ITINÉRAIRES, il n'y a eu aucune demande de dialogue, ni même d'entretien ou de contact.
Il apparaît en conséquence que le Conseil permanent a été induit en erreur sur la situation réelle.
**4. -- **Le motif déterminant de la publication du communiqué étant le résultat d'une méprise radicale, et n'ayant aucune réalité, il s'ensuit, me semble-t-il, qu'en droit le communiqué ne s'applique pas à la revue ITINÉRAIRES.
Cette évidence ne saurait demeurer théorique et implicite, alors que les affirmations erronées lancées contre ITINÉRAIRES par le porte-parole autorisé de l'épiscopat ont déchaîné contre nous l'ensemble de la presse et de la radio. Il m'apparaît qu'une rectification également autorisée est de droit. Si elle était différée, il m'appartiendrait de demander l'établissement juridique des faits par les tribunaux ecclésiastiques compétents.
**5. -- **Subsidiairement, votre lettre datée du 25 juin m'assure que « les membres du Conseil permanent ont tenu à ce que le texte » du communiqué me « soit adressé personnellement avant d'être publié ». Les déclarations autorisées de Mgr Pichon ont également insisté sur ce point. Or vous savez que vous n'avez pas exécuté cette volonté des évêques du Conseil permanent.
58:105s
Le communiqué est daté du 23 juin. Votre lettre de transmission est datée du 25 juin, qui était un samedi : il n'y a pas de distribution de courrier le dimanche. En outre, la date de la poste montre que votre lettre a été postée seulement le dimanche soir 26 juin, levée de 18 h. 30 : elle ne pouvait donc point me parvenir avant le lundi 27 juin, jour où, dès 10 heures du matin, Mgr Pichon rendait public le communiqué.
Il aurait suffi de cinq minutes de conversation pour dissiper les méprises radicales que comportent l'exposé des motifs du communiqué et le communiqué lui-même. Tout s'est trouvé arrangé pour qu'aucune conversation ne puisse avoir lieu avant la publication.
**6. -- **Le communiqué du Conseil permanent nous reproche d'attaquer le Saint-Père. La méprise est totale. Les journaux et revues catholiques qui ont plusieurs fois attaqué la personne et les actes officiels du Saint-Père sont vendus à l'intérieur des églises (ce qui n'est pas notre cas) ; ce sont souvent ceux sur lesquels, semble-t-il, pourrait s'exercer le plus directement l'autorité de l'épiscopat ; certains d'entre eux sont dirigés par des religieux et publiés avec l'autorisation explicite des supérieurs ecclésiastiques. Ces autorisations, et l'approbation tacite dont ils jouissent en apparence, développent dans la communauté chrétienne une psychologie virtuellement insurrectionnelle, à laquelle il est de fait que nous sommes seuls, ou presque seuls, à nous opposer explicitement et publiquement.
Plusieurs de ces attaques contre la personne et les actes officiels du Saint-Père ont été relevées et réfutées par la revue ITINÉRAIRES : faut-il voir là l'origine d'une erreur de lecture qui nous aurait attribué les thèses et les attitudes que justement nous combattons ? Ce serait incroyable. Mais on cherche en vain une autre explication.
**7. -- **Sans entrer dans le détail des griefs nombreux et divers qu'énumère le communiqué, et qui auraient certainement pu faire l'objet d'une conversation utile avant sa publication, je remarque que le grief général est en substance de contester les principes énoncés par le Concile.
59:105s
Il est paradoxal que la revue ITINÉRAIRES puisse être visée nommément par une telle accusation. Notre adhésion à tous les textes conciliaires promulgués a été entière, catégorique et explicite. En revanche, ce sont encore des journaux et revues vendus à l'intérieur des églises qui ont dénigré, regretté ou contesté plusieurs textes promulgués par le Concile. Et ici encore, ce faisant, ils ont suscité ou encouragé parmi leurs lecteurs une psychologie virtuellement insurrectionnelle, contre laquelle, c'est un fait, nous avons été seuls, ou presque seuls, à nous élever avec précision, explicitement et publiquement.
Qu'il y ait en tout cela une méprise globale, considérable, totale, et une cascade de malentendus, c'est assez renversant, mais après tout c'est humain : cela aurait pu être évité par des conversations préalables. Il est inimaginable, et pourtant il est bien réel, que l'on ait pu porter des accusations publiques aussi graves sans seulement entendre les accusés.
**8. -- **Et maintenant vous me dites dans votre lettre du 25 juin que *si je désire* un entretien vous êtes disposé à me recevoir.
Je désire, comme il est naturel, être entendu avant d'être condamné. Je ne désire pas être entendu après.
Je ne désire certainement pas avaliser, de ma propre initiative ou de mon propre consentement, la procédure selon laquelle les accusés sont admis à être entendus seulement après que leur condamnation ait été publiée.
Si je suis convoqué par l'autorité épiscopale ou en son nom, je me rendrai à cette convocation.
D'autre part, si dans l'avenir un autre communiqué est en préparation contre la publication que je dirige ou contre les travaux que je publie, non seulement je désire, mais je demande formellement à être entendu sur ce qui me serait éventuellement reproché : à être entendu avant et non après.
Mais pour le communiqué déjà publié, je ne puis que déposer entre vos mains, par la présente lettre destinée à l'Assemblée plénière de l'épiscopat français, ma réclamation contre les méprises manifestes et radicales dont je suis la victime.
Si les faits que je viens d'exposer sont contestés, ou si pour quelque autre raison on refuse, ou on diffère de m'en donner acte publiquement, il sera tout naturel que je m'en remette alors aux tribunaux que la sagesse et le droit de l'Église ont érigés pour les cas de cette sorte.
60:105s
**9. -- **Il est d'autres faits encore qui apparemment n'ont pas été portés à la connaissance du Conseil permanent, et qui sont susceptibles eux aussi de faire l'objet d'un établissement juridique par les mêmes tribunaux.
La revue ITINÉRAIRES et les auteurs catholiques qui s'y expriment sont depuis des années au nombre de ceux qui subissent en permanence une sorte d'index clandestin, de boycottage systématique et de persécution multiforme à l'intérieur des structures sociologiques du catholicisme français : exclus d'avance et toujours de toutes les rencontres, de tous les colloques, de toutes les « semaines », de tous les congrès, diffamés par des journaux et revues vendus dans les églises sans que jamais aucune voix autorisée ne rappelle en notre faveur au respect des personnes et des obligations de la justice, dénoncés périodiquement par des dirigeants catholiques mandatés et par des publications dites religieuses aux répressions du pouvoir temporel et à celles du pouvoir spirituel, notamment par des « dossiers » calomnieux publiés cum permissu superiorum ; accusés nommément, par des publicistes que l'épiscopat semble honorer et encourager sans réussir à tempérer l'expression de leurs audaces, de n'être ni chrétiens ni catholiques, mais de nous en donner seulement les apparences... Cette situation, qui est exposée dans l'Appel aux évêques, est antérieure, il importe de le souligner, à l'annonce même de la célébration du dernier Concile. Elle n'est donc ni nouvelle ni récente. Mais elle empire chaque jour.
L'année dernière, un communiqué public des dirigeants de l'Action catholique ouvrière (A.C.O.) (paru dans la DOCUMENTATION CATHOLIQUE du 2 mai 1965, col. 829 et 830) exigeait en termes comminatoires une intervention épiscopale notamment contre la revue ITINÉRAIRES ; il en fixait d'avance la procédure, réclamant que ce soit une intervention publique et nominale du Conseil permanent de l'épiscopat se prononçant à l'unanimité ; il exprimait le mécontentement des dirigeants de l'A.C.O. devant les retards apportés à leur donner satisfaction.
61:105s
Le présent communiqué du Conseil permanent de l'épiscopat vient d'être publié dans le contexte de cette situation générale de discrimination et de persécution : il a pour résultat de l'aggraver.
En vous priant de transmettre à l'Assemblée plénière de l'épiscopat l'expression filiale de mon entière soumission à toutes les vérités définies par l'Église enseignante, je vous adresse, Monseigneur, avec mes plus énergiques protestations contre le retard de transmission dont vous êtes personnellement responsable, mes salutations attristées,
Jean MADIRAN.
62:105s
### Une manœuvre désespérée de "La Croix"
DERNIÈRE HEURE, ou dernière minute, au moment où je boucle le présent « supplément » : *La Croix* du 7 juillet tente une diversion. Nous connaissons les précédents, nous reconnaissons la technique. *La Croix* accuse la revue *Itinéraires* d'avoir « mis en cause l'Épiscopat français », afin de dresser contre nous l'opinion des évêques.
Voici en son entier l'article de *La Croix *:
UN ARTICLE DE LA REVUE\
« ITINÉRAIRES »
La revue *Itinéraires* vient de publier un article qui met en cause l'Épiscopat français à propos de l'instruction de la Congrégation des séminaires et universités sur la formation liturgique dans les séminaires. Le même article reproduit une lettre et des extraits de lettres du rédacteur en chef de *la Croix* adressées à des tiers. Déjà le magazine *le Monde et la Vie* avait eu recours à ce procédé.
Nous croyons utile de rappeler, à cette occasion, le récent communiqué du Conseil permanent de l'Épiscopat paru dans la Croix du 28 juin 1966 et qui déclare notamment :
63:105s
« *Tout en voulant comprendre et partager l'inquiétude des esprits de bonne foi et de bonne volonté, ils* \[les cardinaux de France et le Conseil permanent de l'Épiscopat\] *considèrent comme un devoir de mettre en garde les fidèles contre les articles parus notamment dans des magazines comme* le Monde et la Vie, *des revues comme* Itinéraires *et* Défense du Foyer, des bulletins comme *Lumière*.
*Ils souhaitent vivement que cette mise en garde éclaire les responsables de ces articles, apaise les nombreux catholiques profondément attachés à la doctrine de l'Église et qui sont aujourd'hui troublés dans leur foi et leur docilité envers la hiérarchie*. »
L'article d'*Itinéraires* visé par *La Croix* est mon article sur le « Magistère clandestin », paru dans notre numéro 105 de juillet-août. *La Croix* ne donne aucune référence précise, pour que ses lecteurs puissent supposer que cet article était visé par le communiqué du Conseil permanent, habilement reproduit à nouveau « à cette occasion ».
D'autre part *La Croix* cherche à créer la confusion au sujet d'une lettre de son rédacteur en chef (le P. Wenger) et insinue sans préciser que l'on a « eu recours à ce procédé ».
Précisons donc que la lettre du P. Wenger reproduite à la page 53 de notre numéro 105 de juillet-août (numéro paru le 1^er^ juillet) était dans le domaine public depuis plus d'un mois. Elle avait été publiée dans *Le Monde et la Vie* de juin (paru fin mai), ainsi que nous l'indiquions. Le P. Wenger n'avait pas manifesté dans *La Croix*, ni d'aucune autre manière, pendant plus d'un mois, qu'il faisait opposition à la reproduction de ce document, d'ailleurs particulièrement instructif et même d'une portée capitale. *L'Homme nouveau* également l'a reproduit.
J'ai envoyé au Directeur de *La Croix* la lettre suivante :
7 juillet 1966.
Monsieur le Directeur,
Votre journal en date de ce jour, sous le titre : « Un article de la revue *Itinéraires *», accuse notre article de « mettre en cause l'Épiscopat français ».
64:105s
C'est entièrement inexact.
Notre article a au contraire mis *hors de cause* l'Épiscopat français. Nous y avons dit pourquoi nous refusons de croire, malgré les affirmations de votre rédacteur en chef, que l'Épiscopat français ait rejeté l'Instruction du Saint-Siège sur la formation liturgique dans les Séminaires.
D'autre part, la « lettre privée » de votre rédacteur en chef que nous avons reproduite dans ce même article est depuis plus d'un mois dans le domaine public. Elle a été publiée par *Le Monde et la Vie* de juin et plus récemment par *L'Homme nouveau.*
Enfin, par une habile présentation, vous tentez de faire croire que le communiqué du Conseil permanent de l'épiscopat, daté du 23 juin et rendu public le 27 juin, s'appliquerait à un article de la revue *Itinéraires* paru seulement le 1^er^ juillet. J'élève les plus vives protestations contre ce procédé incroyable.
Je vous prie, Monsieur le Directeur, et au besoin vous requiers, d'insérer intégralement les présentes rectifications et protestations dans votre prochain numéro, et dans cette attente je vous adresse mes salutations distinguées.
Jean MADIRAN.
Concernant l'Instruction romaine, l'épiscopat français et le P. Wenger, je rappelle brièvement l'état de la question :
1. -- L'instruction du Saint-Siège, ratifiée par le Pape Paul VI qui en a ordonné la publication (Instruction concernant l'application de la Constitution liturgique dans les Séminaires), n'a été publiée en France que par *Itinéraires* (numéro 103 de mai 1966, pages 83 et suiv.).
2\. -- Selon les témoignages écrits du P. Wenger, rédacteur en chef de *La Croix,* « les évêques » de France auraient rejeté cette Instruction du Souverain Pontife et interdit de la publier en France.
3\. -- Nous avons solennellement contesté cette thèse et nous avons déclaré qu'il est impossible de croire à une telle rébellion de l'épiscopat français. (Il est donc très clair que nous n'avons pas *mis en cause,* mais au contraire *mis hors de cause* l'épiscopat français.)
65:105s
4\. -- Nous n'avons d'ailleurs pas mis en doute la bonne foi personnelle du P. Wenger, qui selon nous a été trompé par le magistère parallèle, illégal et clandestin fonctionnant à l'intérieur de l'Église de France. Ce magistère clandestin a frauduleusement fait croire au P. Wenger, et à d'autres, qu'il diffusait une consigne secrète donnée par « les évêques ».
5\. -- Nous avons seulement remarqué, concernant le P. Wenger, qu'il avait trouvé vraisemblable une telle révolte « des évêques », et que, la tenant pour réelle, il *s'était rangé aux côtés d'évêques supposés en rébellion contre le Souverain Pontife*. Il y a là le test irrécusable d'un état d'esprit.
\*\*\*
Que *La Croix* vienne maintenant nous prendre à partie sur cette affaire, où son propre rédacteur en chef le P. Wenger a joué un rôle qui n'est pas spécialement brillant, c'est de sa part une imprudence qui doit bien avoir un motif.
Il apparaît que certains sont aux abois, et tentent une fuite en avant, ou même ne savent plus du tout ce qu'ils font.
J. M.
============== fin du numéro 105 Bis.