# 119-01-68
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Que nos lecteurs veuillent bien comprendre et accepter que nous les engagions à un redoublement de prière. La prière personnelle est l'affaire de chacun. La prière familiale est réglée et dirigée par le chef de famille. Nous proposons à nos amis de remettre en honneur la prière de l'*Angelus,* trois fois le jour, le matin, à midi et le soir. C'est, avec le Rosaire, la prière des temps de grand péril pour l'humanité. Ceux qui ne la connaîtraient pas et n'auraient plus de missel la trouveront aux pages 20 et 21 du *Catéchisme romain* de S. Pie X. Trois fois le jour, les cloches de la paroisse nous rappellent que le monde est sauvé s'il y consent, parce que Dieu s'est fait homme pour nous en naissant de la Vierge Marie, et elles nous invitent à réciter l'*Angelus.* Là où il n'y a plus de paroisse, là où les cloches ne sonnent plus, nous leur donnerons refuge dans le silence de notre cœur, trois fois le jour. Et cet *Angelus Domini*, si vous le voulez bien, nous le réciterons plus spécialement aux intentions qui nous sont communes, dans les terribles nécessités qu'expose l'éditorial ci-après.
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## ÉDITORIAL
### La religion de Saint-Avold ou l'hérésie du XX^e^ siècle
«* La mutation de civilisation que nous vivons entraîne des changements non seulement dans notre comportement extérieur, mais dans la conception même que nous nous faisons tant de la création que du salut apporté par Jésus-Christ. Les remises en question les plus fondamentales engagent non seulement une nouvelle pastorale, mais plus profondément une conception plus évangélique -- à la fois plus personnelle et plus communautaire -- du dessein de Dieu sur le monde. *»
(*Enseignement donné par l'évêque de Metz à ses prêtres lors de la session de Saint-Avold, reproduit dans le Bulletin de l'évêché de Metz, 1^er^ octobre 1967.*)
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« *Seigneur, comment se fait-il\
que ce soit à nous que tu doives te\
manifester, et non pas au monde ? *»
*Question posée à Jésus par un\
de ses apôtres* (*Jean, XIV, 22*)*.*
I. -- Une religion sans objet.
II. -- La « socialisation », nouvelle grâce de la religion nouvelle.
III. -- La conjonction de la religion nouvelle avec le communisme.
IV\. -- La proposition pré-requise.
V. -- Les contre-propositions.
VI\. -- Suite des contre-propositions, ou la part de vérité.
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LA RELIGION NOUVELLE était installée un peu partout déjà dans l'Église, au niveau des commissions, groupes de pression et organes de diffusion, c'est entendu. Des évêques y prêtaient les mains, en mandatant plus ou moins les théologiens et les apôtres du nouveau culte, en imposant leurs œuvres et leur personne, en faisant pratiquer une liturgie d'inspiration identique, et à l'occasion en donnant eux-mêmes de la voix par des propos d'une équivoque calculée ou non. Surtout depuis l'année 1962, le climat spirituel, l'ambiance ou l'atmosphère redevenaient, comme au temps de *Pascendi*, véritablement « pestilentiels » : « *A la faveur de l'audace et de la prépotence des uns, de la légèreté et de l'imprudence des autres, il s'est formé une atmosphère pestilentielle qui gagne tout, pénètre tout et propage la contagion. *» ([^1])
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Mais, comme pour le modernisme, il fallait relier entre elles des affirmations apparemment accidentelles, il fallait interpréter, rapprocher, faire la synthèse, comparer les demi-aveux et les fausses mises au point, éclairer les discours par les actes et les projets par les résultats, entreprendre tout un travail d'élaboration intellectuelle si l'on voulait saisir les articulations théologiques et le cœur de la religion nouvelle. Elle était déjà enseignée de toutes les manières, sauf par un enseignement en forme. C'est à Saint-Avold que, pour la première fois à ma connaissance, au mois de septembre 1967, un évêque français parlant en qualité d'évêque et donnant officiellement à ses prêtres un enseignement magistral, a formulé comme évidentes et nécessaires les propositions dogmatiques de la nouvelle religion. C'est à Saint-Avold que, pour la première fois, en énonçant les principes de la religion nouvelle, un évêque français imposait à ses prêtres le devoir de s'y convertir. Le Message de Saint-Avold est simultanément une révélation et un acte d'autorité. Il ordonne et il définit. C'est l'évêque qui parle en évêque, et il parle en toute clarté. Il édicte la formulation indépassable, et à cet égard définitive, de la religion séculière qui à l'intérieur de l'Église combat la religion chrétienne. Ses deux propositions principales ont entièrement dévoilé le visage jusqu'alors plus ou moins masqué de la nouvelle religion :
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1° la transformation du monde (mutation de civilisation) enseigne et impose un changement dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ ;
2° cette transformation nous révèle que la pensée de l'Église sur le dessein de Dieu était, avant la présente mutation, insuffisamment évangélique ([^2]).
Par ces deux affirmations, Mgr de Metz a énoncé les deux propositions nécessaires et suffisantes de la religion nouvelle. Toutes les autres propositions sont secondaires ou dérivées, connexes ou subséquentes, et se ramènent à ces deux-là. Luther avait affiché le 31 octobre 1517, sur la porte de la chapelle de Wittenberg, 95 propositions en trois cents lignes de texte latin.
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L'hérésie de Moselle, en septembre 1967, a résumé en dix lignes et deux propositions de langue française ce qui est l'hérésie même du XX^e^ siècle. On peut sans doute en expliciter le contenu en beaucoup plus de 95 propositions : c'est déjà fait, dans d'innombrables collections de librairie, articles de journaux, prédications et catéchèses, encore qu'avec de grands brouillards, éléments épars d'un puzzle à recomposer. Le docteur de Saint-Avold y a porté l'ordre et la simplicité, la rigueur de la définition, le poids de l'autorité. Il fallait sans doute les charismes d'un évêque catholique, détournés de leur fonction mais toujours subsistants, pour arriver à énoncer l'anti-christianisme actuel dans sa formule la plus nette, la plus fondamentale, la plus universelle.
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Le scrupule m'était venu, en parlant de *religion de Saint-Avold,* d'insulter à la mémoire du saint canonisé qui peut-être portait ce nom. Je me suis donc renseigné : ce saint n'a jamais existé, c'est un saint mythique, un faux saint. Ou plus précisément, le nom de « Saint-Avold » (chef-lieu de canton du département de la Moselle, à 18 km de Forbach) est une corruption de saint Nabor : celui dont on fait éventuellement mémoire, là où on fait encore mémoire des saints, le 12 juin et le 12 juillet. Soldat romain, compagnon de saint Nazaire, de saint Basilide et de saint Cyrin, il fut martyrisé sous Dioclétien, et saint Ambroise fit son panégyrique.
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Saint Nabor est à l'origine, mais phonétique seulement, de saint « Avold » qui n'eut sous ce nom aucune existence et aucune religion. *Saint Avold* étant le nom et le résultat d'une erreur, il convient donc très bien pour donner son patronage à la religion nouvelle de Mgr de Metz, qui est l'hérésie du XX^e^ siècle.
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#### I. -- Une religion sans objet
Les deux propositions de l'hérésie de Moselle, qui sont les deux propositions nécessaires et suffisantes de l'hérésie du XX^e^ siècle, n'ont pourtant aucun contenu positif. Elles sont en quelque sorte purement méthodologiques, et purement négatrices : elles ne disent pas en quoi consiste la religion nouvelle, elles disent seulement qu'il en faut une, imposée par le monde contemporain et par sa mutation. Elles annoncent un changement, sans dire lequel. Elles rejettent la religion catholique préexistante comme inactuelle, puisque le monde change, et comme insuffisamment évangélique, puisque le monde la déclare telle.
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Le monde mutant reçoit la fonction magistérielle d'interpréter l'Évangile : en effet, l'insuffisance évangélique de la religion catholique préexistante n'est pas aperçue en se tenant à l'écoute *de l'Évangile* reçu dans et par la tradition apostolique, mais en se tenant à l'écoute *de la mutation du monde :* « La foi écoute le monde » ([^3]). C'est énorme, mais c'est bien cela. S'il s'agissait de confronter avec l'Évangile l'état actuel des hommes d'Église et de leurs pensées, la mutation du monde n'aurait rien à y voir et rien à y faire. Mais il s'agit de confronter l'état actuel de l'Église avec le monde mutant, et de la faire mutante à son image et ressemblance, c'est le monde qui est *Magister* et c'est le magistère explicitement allégué du monde mutant qui décrète l'Église catholique insuffisamment évangélique. -- Si l'on rejette ainsi la religion catholique préexistante, on va vers quelle religion ? Cela n'est aucunement énoncé et cela ne peut pas l'être. La religion nouvelle n'a *aucun contenu objectif déclaré* parce qu'elle n'a aucun *objet avoué*. En fait, elle n'a pour objet que le monde, et le monde ne pouvant pas être l'objet d'une religion, elle se trouve absolument vide. Sa fonction intrinsèquement subversive n'est que de détruire.
Ni objet ni but, sinon le but implicite de s'immerger dans le mouvement du monde mutant auquel la fonction magistérielle est expressément attribuée. Mais qu'enseignent de positif la mutation du monde et le magistère mondain ?
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Strictement rien dans l'ordre du péché, de la grâce et du salut : rien, sinon qu'il n'y en a point. On gardera plus ou moins les mots eux-mêmes, pendant quelque temps sans doute, pour assurer la transition sous anesthésie : on en aura changé la « conception même », c'est-à-dire qu'on les aura vidés de toute signification. On nommera encore *la grâce,* mais la grâce des temps nouveaux, tenez-vous bien, dans la doctrine de Metz, c'est la « socialisation », comme nous allons le voir tout à l'heure.
La nature ici du moins, a horreur du vide. Le vide de la religion nouvelle ne peut rester un pur néant. La religiosité de Metz, vidée du catholicisme pré-existant, ne demeure pas vide, elle *s'ouvre* au monde mutant, et un vide, quand il est ouvert, fait une singulière aspiration. Elle aspire le marxisme, de préférence en sa forme communiste, sous le couvert de moins en moins équivoque de ce qu'elle appelle la « socialisation ».
L'esprit et la situation de cette mutation religieuse sont analogues, voire identiques, à la situation et à l'esprit de la doctrine sociale de François Bloch-Lainé, dont la formule fameuse, relevée en son temps par Louis Salleron ([^4]), proclamait le dessein de *favoriser une évolution sans prétendre en déterminer la fin*.
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Si vous ne déterminez pas vous-mêmes la fin de l'évolution que vous favorisez cependant, ne craignez rien, d'autres sauront la déterminer. Le gouvernail abandonné ne restera pas à l'abandon, il changera de main. Au vrai, c'est déjà fait.
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#### II. -- La « socialisation », nouvelle grâce dans la religion nouvelle
Parlant en qualité d'évêque de Metz, le docteur de la nouvelle religion enseigne officiellement :
« La socialisation n'est pas seulement un fait inéluctable de l'histoire du monde. Elle est une grâce. » ([^5])
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Affirmation d'abord historique : *un fait de l'histoire.* Affirmation philosophique : ce fait est *inéluctable.* Mais affirmation religieuse : *c'est une grâce.*
Affirmation religieuse inconnue dans la religion catholique préexistante. Affirmation propre à la religion nouvelle.
Il existait en effet, dans les documents officiels de l'Église, trois notions distinctes de la socialisation ; mais aucune ne la concevait ni comme inéluctable, ni comme une grâce.
##### 1. -- *La socialisation selon Pie XII*
« Il faut empêcher la personne et la famille de se laisser entraîner dans l'abîme où tend à les jeter la *socialisation de toutes choses,* socialisation au terme de laquelle la terrifiante image du Léviathan deviendrait une horrible réalité. C'est avec la dernière énergie que l'Église livrera cette bataille où sont en jeu des valeurs suprêmes : dignité de l'homme et salut éternel des âmes. » ([^6])
##### 2. -- *La* «* socialisation *» (*?*) *selon Jean XXIII*
« La « socialisation » est un des aspects caractéristiques de notre époque. Elle est une multiplication progressive des relations dans la vie commune (...).
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« Il ne faut pas considérer la « socialisation » comme le résultat de forces naturelles mues par un déterminisme. Elle est au contraire, comme nous l'avons noté, œuvre des hommes, êtres conscients, libres... » ([^7])
Nous citons-là le « texte français » de l'Encyclique *Mater et Magistra*. Il contient le mot « socialisation », entre guillemets. Ce mot est absent du texte latin de l'Encyclique, qui dit *socialum rationum incrementa* (les développements des relations sociales) et six autres expressions analogues, toutes traduites uniformément par « socialisation » ([^8]).
##### 3. -- *La* «* socialisation *» *selon* «* Gaudium et Spes *»*.*
« Les relations de l'homme avec ses semblables se multiplient sans cesse, tandis que la « socialisation » elle-même entraîne à son tour de nouveaux liens, sans favoriser toujours pour autant, comme il le faudrait, le plein développement de la personne (...) ([^9])
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« Les relations mutuelles et les interdépendances ne cessent de se multiplier : d'où des associations et des institutions variées, de droit public ou privé. Même si ce fait, qu'on nomme socialisation, n'est pas sans danger, il comporte cependant de nombreux avantages (...). » ([^10])
Le texte latin de *Gaudium et Spes* emploie dans ces deux passages le mot *socializatio* ([^11])*.*
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Aucune de ces trois notions connues de la « socialisation » n'est celle de Mgr de Metz. Aucune n'affirme que la socialisation est *une grâce.* La socialisation au sens propre, sans périphrases ni guillemets, est un péril horrible contre lequel l'Église luttera avec la dernière énergie (Pie XII). La socialisation au sens plus ou moins figuré de Jean XXIII n'est pas un fait inéluctable de l'histoire, mais l'œuvre d'hommes libres. La socialisation de *Gaudium et Spes* « n'est pas sans danger ». Mgr de Metz rompt avec ces trois notions et en enseigne une quatrième.
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L'Église d'aujourd'hui *lutte* selon l'enseignement et la prédiction de Pie XII, *elle lutte avec la dernière énergie contre la socialisation*. Du moins l'Église sainte, qui n'est pas toujours la plus immédiatement visible. Des valeurs suprêmes sont en jeu : la dignité de l'homme et le salut éternel des âmes. Mais cette lutte de l'Église se situe dans le sein même de l'Église, et nous comprenons mieux maintenant pourquoi la prophétie de Pie XII avait ce ton dramatique, et pourquoi il parlait par avance de la *dernière énergie,* celle des combats le dos au mur, quand les remparts ont été emportés, que l'ennemi est dans la place et qu'il croit déjà y parler en maître. « *C'est avec la dernière énergie que l'Église livrera cette bataille *», annonçait Pie XII en 1952, il parlait au futur, il parlait pour aujourd'hui. La dernière énergie. Car cette bataille est intérieure à l'Église, comme l'ont toujours été les plus terribles batailles de l'Église. C'est à l'intérieur de l'Église que la socialisation, *péril mortel pour la dignité de l'homme et le salut éternel des âmes*, est prônée, prêchée, applaudie, imposée : et jusqu'aux alentours immédiats des structures divines de l'Églises, où l'on s'efforce chaque jour davantage de socialiser les organes d'information, d'administration, d'autorité, sous le prétexte menteur d'une fausse collégialité et par le moyen des commissions, ateliers, conseils collectifs et restreints.
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L'Église résiste dans ses profondeurs, et dans sa sainteté, à cet assaut que Pie XII annonçait *terrifiant et horrible,* mené par les sectateurs de la religion nouvelle, avec la complicité plus ou moins consciente d'évêques qui recherchent un compromis avec cette nouvelle religion, imaginant qu'ils vont l'apaiser par des concessions en cascade, ou même inconscients du fait qu'ils sont progressivement colonisés par une religion ennemie de Dieu.
Le texte de *Gaudium et Spes* restera sans doute comme un témoignage de cette hésitation, de ce vertige, de ce collapsus d'un moment de l'histoire de l'Église. Ce texte, comme on le sait, n'est pas infaillible, ni même doctrinal, mais pastoral et exhortatoire. L'assistance promise de l'Esprit Saint y est manifeste, car tous les efforts humains, et ils furent nombreux et formidables, sont restés impuissants à lui faire dire, comme on le voulait, que la socialisation : 1° est sans danger ; 2° est un fait inéluctable de l'histoire. Cela, on n'a pu le dire qu'après, en prétendant se couvrir de *Gaudium et Spes*, mais c'était un mensonge, *Gaudium et Spes* ne le dit pas. Défendu contre cette erreur explicite qui voulait s'imposer, le texte de *Gaudium et Spes* reste malheureusement mou et gris, c'est la part de l'œuvre humaine. Il déclare que la socialisation « n'est pas sans danger », il omet de rappeler que ce danger est horrible et terrifiant, et que l'Église se bat contre lui avec la dernière énergie. Il ne nie pas, mais il n'affirme pas non plus le point essentiel et discriminatoire : que la socialisation, de quelque manière qu'on l'entende, n'est pas un fait inéluctable de l'histoire, n'est pas le produit d'un déterminisme de forces aveugles, mais qu'elle dépend de la libre initiative de l'homme en société.
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L'hérésie de Moselle enseigne autre chose que *Gaudium et Spes,* mais elle ne trouve pas dans le texte de *Gaudium et Spes* l'anathème préventif dont le peuple chrétien, le clergé et le monde lui-même avaient un tel besoin. N'ayant plus été défendus, après la mort de Pie XII, contre le terrifiant et contre l'horrible que Pie XII avait dénoncés, il nous incombe de nous défendre nous-mêmes avec la résolution farouche, avec la *dernière énergie* à laquelle Pie XII nous invitait : et au vrai il ne nous y invitait même pas, il était sûr d'avance et il annonçait comme un fait certain que, le moment venu, cette énergie serait la nôtre dans cette bataille suprême où sont en jeu la dignité de l'homme et le salut éternel des âmes. Qu'on n'aille point attendre de nous que nous fassions mentir la prophétie de Pie XII : et d'ailleurs, qu'on le comprenne bien, nous ne le pourrions pas. Nous sommes dans une de ces situations dont parlait Bernanos, où la conscience voit en toute clarté qu'*il n'y a pas moyen de faire autrement.* Nous n'aimons aucune bataille, et nous n'y entrons que lorsqu'il nous apparaît qu'il est moralement impossible de nous y dérober. Nous sommes longuement circonspects avant de nous mettre en marche, mais quand nous nous y décidons c'est avec une résolution sans retour.
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Avec la grâce de Dieu et pour autant qu'il est en nous, pauvres pécheurs très ordinaires, nous ne ferons pas défaut à l'Église sainte, il n'y aura ni trêve ni capitulation, dussions-nous être temporellement écrasés si le Seigneur le permet, en tous cas on ne nous aura pas vivants, parce que nous nous souvenons de Pie XII et que sa parole a tracé pour nous la voie de l'irrécusable devoir : *C'est avec la dernière énergie que l'Église livrera cette bataille où sont en jeu la dignité de l'homme et le salut éternel des âmes.* Nous croyons en l'Église sainte, même quand elle paraît recouverte par les fauteurs d'hérésie, et c'est l'Église sainte qui lutte avec la dernière énergie contre la socialisation. Il y va de la dignité, de l'homme et il y va du salut éternel des âmes. Nous répondons présents.
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#### III. -- La conjonction de la religion nouvelle avec le communisme
Définir la socialisation comme « un fait inéluctable de l'histoire du monde » est affirmer une conception matérialiste, déterministe et marxiste de l'histoire de l'humanité. La conjonction de l'illuminisme religieux avec le communisme est déjà réalisée, sous ce couvert et de cette manière-là. Car enfin, quelle est donc cette *mutation de civilisation* qui, selon l'hérésie de Moselle, doit changer jusqu'à la conception même du salut ? Cette mutation est la « socialisation », elle-même « fait inéluctable », nous dit-on.
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La conception religieuse se trouve placée dans la dépendance d'un déterminisme historique et matériel, elle en devient un épiphénomène, nous débouchons ainsi sur l'orthodoxie marxiste.
La proposition n° 1 du Message de Saint-Avold déclare :
*-- La transformation du monde impose et enseigne un changement dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ.*
Cette transformation *mater et magistra,* c'est la socialisation, « fait inéluctable », que l'hérésie enseigne à tenir pour UNE GRACE.
La proposition n° 2 du Message de Saint-Avold déclare :
-- *La pensée de l'Église, avant la présente mutation du monde, était insuffisamment évangélique.*
Le supplément d'évangélisme qui manquait au christianisme, c'est LA GRACE de la socialisation qui nous en apporte la nouvelle Pentecôte.
« *La foi écoute le monde *», enseigne Mgr de Metz ([^12]). Elle écoute la mutation du monde. Elle s'y soumet. Le monde lui enseigne : « *La socialisation n'est pas seulement un fait inéluctable de l'histoire du monde. Elle est une grâce. *» Le monde enseigne à la foi nouvelle les faits inéluctables du monde, et les faits inéluctables du monde sont la grâce nouvelle. Comme quoi le marxisme-léninisme n'est pas incompatible avec toute religion : il peut s'adjoindre la religion de Saint-Avold que Lénine, il est vrai, n'avait pas imaginée.
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C'est plus fort que du Piasecki. Naturellement : nous sommes passés du niveau policier de Pax au niveau épiscopal de Metz. Mais sans solution de continuité.
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Mgr de Metz enseigne ([^13]) :
« *Dût notre bonne conscience en être troublée, il nous faut prendre en considération le reproche que nous font les marxistes. Les chrétiens, disent-ils, en dix-neuf siècles, n'ont pas réussi à mettre l'économie au service de l'homme et à répartir équitablement les biens de ce monde. L'exploitation de l'homme par l'homme est encore une tragique réalité en de nombreux secteurs du monde économique... Il serait vain de répondre que les chrétiens n'en sont pas les seuls responsables ou de rappeler la lutte séculaire de L'Église contre le prêt à intérêt. *»
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Comme si Jésus-Christ s'était incarné et comme si l'Église avait été fondée pour « répartir équitablement les biens de ce monde ». Comme si cela était la promesse de l'Évangile. Comme si le christianisme était ainsi pris en flagrant délit de n'avoir pas réalisé son but.
Après avoir présenté le reproche marxiste dans toute sa force, Mgr de Metz écarte la vaine réponse de l'Église, en ignorant sans doute que la réponse de l'Église n'est pas du tout celle-là. S'il l'ignore, bien sûr, il est forcément incapable de l'enseigner. (Mais où donc est-on allé chercher de tels évêques ?) Il vit dans un univers mental où les objections des marxistes sont formidables et où les réponses (qu'il imagine) de l'Église sont faibles et vides. Avant de ravager les âmes de son clergé et de son peuple, il est lui-même ravagé, victime du collapsus doctrinal avant d'en devenir à son tour relais et fauteur.
Si l'on adoptait le même processus de « pensée », on dirait semblablement qu' « en dix-neuf siècles » l'Église n'a pas encore « réussi » à rendre nos évêques infaillibles et indéfectibles. Et l'argument aurait exactement la même valeur, c'est-à-dire nulle : sauf sans doute dans l'univers mental conditionné, colonisé, démembré, finalement désertique et nu comme le dos de la main où ces choses peuvent être proférées avec un semblant d'apparence de fantomatique existence.
Le châtiment de notre temps, c'est d'avoir à subir que le désert mental s'affirme forêt, champ et jardin, aux applaudissements unanimes de tout le barnum mondain.
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Ce désert, avec son vide ouvert à un emplissement marxiste, nous enseigne magistralement :
« *Aucune époque autant que la nôtre n'a été en mesure de comprendre l'idéal évangélique de vie fraternelle. *» ([^14])
Aucune, non, sans aucun doute : c'est encore un enseignement assuré, une évidence nécessaire. La « chronolâtrie. », comme dit Maritain, atteint ici sa plus parfaite certitude et son entière universalité : « aucune époque autant que la nôtre n'a été en mesure de comprendre ». -- Mais qu'est-ce qu'il en sait ? Qu'est-ce que nous en savons ? Qu'est-ce qu'on peut en savoir ? Et à quoi riment d'aussi acrobatiques et futiles supputations ?
Il ne suppute pas : il sait. Il sait de foi certaine. C'est un article de foi indispensable de la religion nouvelle : *aucune époque autant que la nôtre...* LE DEGRÉ DE CHAQUE CERTITUDE EST RÉVÉLATEUR. En face du marxisme, Mgr de Metz a moins de certitude que d'hésitation : « *Marx exagère sans doute en disant que les infrastructures économiques déterminent les superstructures idéologiques *» ([^15]). C'est sans doute, c'est peut-être une simple exagération. Mgr de Metz ne sait pas de foi certaine que ce matérialisme est une erreur et un mensonge. Il ne sait pas de foi certaine que le communisme est intrinsèquement pervers. Mais il sait de foi certaine qu' « aucune époque autant que la nôtre... ».
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*En mesure de comprendre* l'idéal évangélique : de *comprendre.* Il ne s'agit même pas de mesurer et d'estimer des réalisations pratiques. L'époque de saint François d'Assise n'était certainement pas en mesure de comprendre l'idéal évangélique de vie fraternelle autant que l'époque de Mgr de Metz. Ni l'époque de saint Benoît. Ni celle des premiers chrétiens. La *mutation* (proposition n° 1 de Saint-Avold) n'était pas encore survenue. La révélation n'était pas achevée, puisque l'on n'était pas *en mesure de comprendre autant* qu'aujourd'hui, où nous avons enfin la ressource de nous instruire dans le Bulletin diocésain de Metz. Il fallait que l'intelligence humaine ait eu le temps de progresser jusqu'à l'état où l'établit sous nos yeux le prophète de Saint-Avold.
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Nous n'en avons pas à la déficience personnelle d'un homme parmi d'autres, d'un évêque parmi d'autres. L'évêque de Metz s'appelle légion. Le service exceptionnel qu'il rend à l'Église est d'avoir énoncé les propositions nécessaires et suffisantes auxquelles s'articulent logiquement les divagations éparses de la religion nouvelle. Des évêques de l'autre bout du monde formulent des enseignements implicitement ou explicitement hérétiques qui sont les pièces apparemment isolées d'un système caché, dévoilé en son architecture essentielle seulement dans le Message de Saint-Avold.
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La conjonction de la religion nouvelle avec le communisme par le moyen de la « grâce » nouvelle (qui est le fait inéluctable de la socialisation) est sous-jacente à un grand nombre d'attitudes épiscopales et d'enseignements épiscopaux, d'une manière quasiment insaisissable. On peut néanmoins la saisir parfois au passage quand ils saluent dans le communisme l'apparition d'*un système social moins éloigné de la morale de l'Évangile*. C'est l'affirmation de seize évêques groupés pour l'occasion autour de Don Helder Camara, archevêque de Recife : leur « message » du 15 août 1967 nous est assené et ressassé, pour notre édification, depuis une dizaine de semaines, dans toute la presse dite catholique et jusque dans la *Documentation catholique* elle-même. Le communisme n'y est pas nommé, ou plutôt il est revêtu du faux nom de « socialisme » dont il aime à se couvrir. Point nommé, et pourtant désigné sans erreur possible, quel serait donc, en dehors de lui, cet *autre système social* que l'Église, aux dires de ceux qui la trahissent, *se réjouit de voir apparaître ?* Je cite, et c'est moi qui souligne ([^16]) :
« L'Église depuis un siècle a toléré le capitalisme avec le prêt à intérêt légal et ses autres usages peu conformes à la morale des prophètes et de l'Évangile. Mais elle ne peut que *se réjouir de voir apparaître* dans l'humanité *un autre système* social *moins éloigné* de cette morale.
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Il appartiendra aux évêques de demain, selon l'invitation de Paul VI, « de reconduire à leurs vraies sources qui sont chrétiennes, ces courants de valeurs morales que sont la solidarité, la fraternité, la socialisation » (cf. *Ecclesiam suam*). Les chrétiens ont le devoir de montrer que le vrai « socialisme », c'est le christianisme intégralement vécu, dans le juste partage des biens et l'égalité fondamentale de tous... »
(Le vrai sens et le vrai but de l'incarnation de Jésus-Christ, c'est donc de réaliser *au temporel* le juste partage des biens et l'égalité fondamentale de tous. -- *Quand donc viendra le temps, Seigneur, où vous réaliserez le Royaume du socialisme *?)
« ...Le vrai « socialisme », c'est le christianisme intégralement vécu, dans le juste partage des biens et l'égalité fondamentale de tous. Bien loin de le bouder, sachons y adhérer avec joie, comme à une forme de vie sociale mieux adaptée à notre temps et plus conforme à l'esprit de l'Évangile. »
Nous le disons : un tel tissu de confusions est indigne d'évêques catholiques. Mais surtout, c'est une trahison. L'*autre système social*, non pas hypothétique ou idéal, mais salué comme existant déjà, c'est le communisme intrinsèquement pervers, que l'on nous garantit *moins éloigné* de la morale évangélique que ne l'est le capitalisme.
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Et cette trahison est d'abord un mensonge. Depuis un siècle, l'Église a enseigné sur ces questions une doctrine très explicite, très ferme et entièrement obligatoire pour les évêques comme pour tous les catholiques ([^17]). Par cette doctrine, nous savons que le capitalisme est fort éloigné (quoique moins éloigné aujourd'hui qu'au siècle précédent) de la morale évangélique. Il en est éloigné par des vices et des tares que nous connaissons par cœur, ou devrions connaître par cœur depuis Pie IX et Léon XIII. Mais le « socialisme » naît du « libéralisme » ; et le communisme est le système social qui *pousse monstrueusement à la limite les tares et les vices du capitalisme*.
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C'est pourquoi le capitalisme (libéral) est dit gravement pervers (par accident), tandis que le communisme est pervers intrinsèquement, et en tant même que régime social. Les 17 évêques qui pieusement et moralement se réjouissent de l'apparition du système communiste osent ajouter ([^18]).
« Que personne n'aille chercher dans nos paroles une inspiration politique quelconque. Notre seule source est la parole de Celui qui a parlé par ses prophètes et apôtres. »
Aucune « inspiration politique » ? on les croira sur parole si on veut. Mais je leur reproche de n'avoir en cela aucune inspiration *religieuse*, et d'invoquer en vain le nom de Dieu. Ou plutôt d'avoir pour inspiration religieuse la religion nouvelle et non la religion catholique. Car la vraie religion du Dieu vivant leur enseigne, à eux comme à nous, que « nous rejetons le communisme en tant que système *social*, en vertu de la doctrine *chrétienne *» ([^19]). C'est pour des raisons *religieuses* que nous refusons le système *social* du communisme : et qui n'a pas compris cela, ou qui ne le sait plus, fût-il évêque, n'est plus en cela de la religion catholique mais d'une autre religion. Le communisme est *l'effort permanent pour incarner dans des institutions sociales le contraire même du Décalogue*. C'est assez gros, l'intrinsèquement pervers.
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L'évêque qui ne le discerne plus comme tel manifeste par le fait même son infirmité spirituelle. Et l'évêque qui en fait l'éloge au nom de la morale évangélique et au nom de l'Église est coupable, tout à la fois au spirituel et au temporel, d'une inexpiable trahison.
Les seize évêques mutants groupés autour de l'archevêque en titre de Recife nous balancent les précisions complémentaires que voici ([^20]) :
« L'Église salue avec joie et fierté une humanité nouvelle où l'honneur ne va plus à l'argent accumulé entre les mains de quelques-uns, mais aux travailleurs ouvriers et paysans. »
(Ils disent « les travailleurs ouvriers et paysans » comme les manuels du marxisme-léninisme ; ils n'ont jamais entendu parler, des autres travailleurs ? qui, eux, sont et resteront sans honneur ?). (Et ils ont avalé, et ils répercutent le mensonge de propagande du communisme, selon lequel « l'honneur » -- ils veulent d'ailleurs dire les honneurs -- iraient aux travailleurs ouvriers et paysans... En quel lieu de la terre ont-ils donc à notre époque imaginé voir cela ?)
« L'Église se réjouit de voir se développer dans l'humanité des formes de vie sociale où le travail trouve sa vraie place qui est la première. »
31:119
(Et la vraie place de la contemplation, c'est sans doute la dernière ? Quels esclavagistes ils sont en cela, probablement sans même le savoir.) (Mais en quel lieu de la terre, aujourd'hui, ont-ils donc vu ces « formes de vie sociale » où le travail trouve sa vraie place ? La société actuelle où le travail trouve la place la moins éloignée de celle qui lui est due, c'est sans doute la société nord-américaine, encore qu'elle s'oriente présentement, semble-t-il, trop souvent au rebours du droit naturel. Mais ce ne sont pas les « formes sociales » de la société nord-américaine que Don Helder Camara et ses 16 associés entendent désigner. Ils écartent le « capitalisme » tout court (ils ne disent même pas : « le capitalisme libéral »), et ils se tournent vers les soi-disant réalisations « socialistes » du communisme...)
Ces dix-sept évêques assemblés en dehors de toute règle canonique, simple association privée qui réunit l'Ordinaire de Laghouat (Sahara) et celui de Vitoria (Brésil), celui de Wallis et Futuna (Océanie) et celui de Florencia (Colombie), celui de Beyrouth (Liban) et celui de Vientiane (Laos), et cetera, prétendent audacieusement parler au nom de l'Église universelle. Ils ne doutent de rien, et surtout point d'eux-mêmes. Quand on prétend parler au nom de l'Église universelle et que l'on n'est point le Pape en personne, ou le Concile, on doit s'appuyer sur des documents du Magistère universel explicitement cités en référence, et de manière conforme à leur contenu, sans quoi il y a abus de confiance.
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Les dix-sept évêques n'en ont aucun. Ils affirment gratuitement, mais en jouant la comédie d'une impayable autorité : l'Église salue avec joie, l'Église se réjouit de voir se développer... Va-t-on protester après coup qu'ils n'ont nommé personne, qu'ils ne voulaient pas dire cela, qu'ils ne faisaient qu'exprimer les vœux pieux d'une morale abstraite ? Ce n'est pas vrai. Ils parlent bien d'un *autre système social* qui en notre siècle *apparaît* dans *l'humanité *; ils parlent de *formes de vie sociale* qui *se développent* réellement ; ils parlent de quelque chose qui existe en fait et non pas d'un idéal souhaitable et incertain. Ils parlent du communisme, et de ce qui précisément dans le communisme est intrinsèquement pervers : son système social. Ils veulent nous y faire *adhérer avec joie*, « comme à une forme de vie sociale mieux adaptée à notre temps et plus conforme à l'esprit de l'Évangile ». Attention à cet *esprit de l'Évangile :* voilà une « formulation » qui se répand à l'instar de l' « esprit du Concile ». De même que l'*esprit du Concile* permet d'annuler, spécialement en matière de liturgie, la loi régulièrement promulguée par le Concile, de même *l'esprit de l'Évangile* sert présentement à écarter les précisions impérieuses du Décalogue et celles de la loi du Christ. Ils nous parlent de plus en plus, et d'autres comme eux de « l'esprit de l'Évangile » comme l'entend Leprince-Ringuet : « *l'esprit de l'Évangile en général *», abstraction faite des dogmes et des formulations doctrinales que ne supportent plus les subjectivités déchaînées ([^21]).
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Ainsi l'on peut aller où on veut, n'importe où, et spécialement en direction du communisme, l' « esprit de l'Évangile » des dix-sept évêques associés aboutit à un « christianisme intégralement vécu » qui finalement s'identifie à l'intrinsèquement pervers. Il nous a été annoncé que nous les reconnaîtrions à leurs fruits...
Mais si l'on veut comprendre comment ces malheureux ont pu en arriver là, on en trouvera la clef nécessaire et suffisante dans les deux propositions du Message de Saint-Avold, propositions synthétiques et universelles que nous devons aux charismes épiscopaux de Mgr de Metz.
\*\*\*
Après ces manifestes épiscopaux ouvertement pro-communistes, qu'on veuille bien se dispenser de continuer les histoires à dormir debout sur la « socialisation ». Assez d'invoquer Jean XXIII et son Encyclique *Mater et Magistra* qui ne nomme pas la « socialisation » dans son texte authentique latin (mais on ne veut plus du latin, disent-ils ; pourquoi ? pour cela aussi, ou peut-être pour cela d'abord : pour nous rendre désormais esclaves de leurs traductions arbitraires des Encycliques et pour nous empêcher d'aller y voir nous-mêmes).
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Assez d'invoquer la « socialisation » de *Gaudium et Spes *: s'il n'y avait que son texte à ce sujet, cela ne casserait trois pattes à aucun canard. Ce texte mou et banal de *Gaudium et Spes* sur la « socialisation » n'est certainement pas la CAUSE PROPORTIONNÉE du déluge verbal de « socialisation » dont on nous inonde en toutes circonstances sous ce faux prétexte, et qui d'ailleurs avait commencé avant le Concile. La vogue du mot dans le collège épiscopal, *collegium seu corpus*, ne peut venir ni de *Mater et Magistra* qui ne l'emploie pas, ni de *Gaudium et Spes* qui en fait une mention fugitive et anodine (redoutable seulement par sa grisaille indistincte et son abstention de toute mise en garde). Ni le Concile ni Jean XXIII ne sont la cause ; ils sont le prétexte. Ils n'ont pas été les auteurs, mais le trop faible rempart. Ne soyons pas dupes et regardons les réalités : *la socialisation est le pseudonyme que s'est donné le communisme dans l'Église*. Il y a bien sûr des naïfs qui marchent sans comprendre, qui répètent sans savoir, mais c'est le mot de passe : à ce mot les collaborateurs, auxiliaires et agents de l'appareil communiste à l'intérieur de l'Église se reconnaissent entre eux, comme au radar, à distance, et même d'un continent à l'autre. Chaque fois que l'un d'entre eux parle de la socialisation 1° comme d'un fait inéluctable et 2° ne comportant aucun danger, tous les autres le reconnaissent comme étant des leurs, et nous aussi à cela nous le reconnaissons pour tel.
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Mais aller jusqu'à en faire la GRÂCE nouvelle de la nouvelle Pentecôte, c'est un excès de zèle qui plaiderait plutôt pour l'innocence de l'inventeur, en même temps d'ailleurs qu'un témoignage de ses charismes théologiques : car la nouvelle religion doit nécessairement aller jusque là, et implicitement elle y est déjà.
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#### IV. -- La proposition pré-requise
Les deux propositions de Saint-Avold en présupposent une autre, mais Mgr de Metz y a pourvu, et quelques mois plus tôt il avait enseigné la proposition pré-requise. Je l'ai citée tout à l'heure. Je la cite à nouveau, car il faut y revenir avec l'attention la plus vigilante. Elle n'était pas une boutade, ou un propos de table, elle non plus, mais un enseignement magistral donné par l'évêque en tant qu'évêque et traitant dans son Bulletin diocésain de « L'Église comme communion » ([^22]) :
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« *Aucune époque autant que la notre n'a été en mesure de comprendre l'idéal évangélique de vie fraternelle. *»
Cet illuminisme était soutenu par un jugement historique magistralement enseigné ([^23]) :
« *Au cours des âges, la charité chrétienne a souvent été inventive pour soulager les détresses personnelles. Elle l'a été beaucoup moins en ce qui concerne les besoins collectifs. Trêve de Dieu ou Paix de Dieu n'ont eu qu'une efficacité limitée. *»
Elles n'ont eu qu'une efficacité « limitée » ... Et alors ? Ce n'est pas le christianisme, c'est le marxisme-léninisme qui prétend avoir une efficacité temporelle illimitée, et il fait croire aux imbéciles qu'il la possède. -- L'efficacité illimitée de la grâce est une efficacité non point temporelle mais spirituelle. -- Même pour soulager, au temporel, les « détresses personnelles » que Mgr de Metz lui abandonne, la charité chrétienne n'a jamais eu qu'une efficacité « limitée » ; elle n'a d'ailleurs jamais promis (ce n'est pas elle qui a promis) le paradis sur la terre. Où va-t-on donc chercher des évêques qui ne savent même plus cela.
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Et d'autre part ce que la charité chrétienne a inventé pour répondre aux « besoins collectifs », ce ne fut pas seulement, il s'en faut de beaucoup, la « Trêve de Dieu ou Paix de Dieu ». L'histoire de l'Église est désormais un livre fermé pour le nouveau type d'évêques mutants : il leur est donc facile de se persuader qu' «* aucune époque autant que la nôtre n'a été en mesure de comprendre... *»
Aucune époque avant la nôtre n'avait eu la chance, le bonheur, la grâce d'être enseignée par un Paul-Joseph Schmitt, évêque de Metz, docteur de Saint-Avold, et membre du Conseil permanent de l'épiscopat français au titre admirable de « délégué de région apostolique » ([^24]).
Pour lui faire honte, s'il est encore possible, d'enseigner épiscopalement *la plus vieille erreur de l'humanité*, ouvrons Péguy en son « Zangwill » :
« Nous croyons plus ou moins obscurément que l'humanité commence au monde moderne, que l'intelligence de l'humanité commence aux méthodes modernes. »
« Cette idée que l'humanité moderne est la dernière humanité, *qu'on n'a jamais rien fait de mieux dans le genre*... L'humanité a toujours pensé qu'elle était la dernière et la meilleure humanité... »
« Ce qui est nouveau, ce qui est intéressant, ce n'est point que l'humanité moderne ait cru, à son tour, qu'elle était la meilleure et la dernière humanité ; ce qui est intéressant, ce qui est nouveau, c'est que l'humanité moderne se croyait bien gardée contre de telles faiblesses par sa science ; par l'immense amassement de ses connaissances, par la sûreté de ses méthodes
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Tout armé, averti, gardé que fût le monde moderne, c'est justement *dans la plus vieille erreur humaine* qu'il est tombé, comme par hasard, et dans la plus commune ; les propositions les plus savamment formulées reviennent au même que les premiers balbutiements... La même humanité, devenue la plus savante du monde, s'est retrouvée stupide et désarmée devant *la plus vieille erreur du monde*, comme au temps des plus anciens dieux elle a mesuré les formes de civilisation atteintes, et elle a estimé que ça n'allait pas trop mal, qu'elle était, qu'elle serait la dernière et la meilleure humanité... »
C'est du Renan que nous enseigne Mgr de Metz : du Renan de *L'Avenir de la science*, livre écrit en 1848 et 1849, déchiffré par Péguy en 1904, dans le troisième cahier de sa sixième série. L'excuse de Mgr de Metz, à moins que ce ne soit une circonstance aggravante, est que lorsqu'il enseigne du Renan il n'en sait rien : «* Aucune époque autant que la nôtre n'a été en mesure de comprendre... *» C'est du Renan mais c'est aussi la plus vieille, la plus ancienne erreur de l'humanité, présente à chaque époque, et Mgr de Metz ne le sait pas davantage. (Mais d'où sort-il donc, et où va-t-on se procurer des évêques de ce calibre.) C'est la plus vieille erreur de l'humanité, à deux nuances près pourtant, l'une qui est un perfectionnement intrinsèque, l'autre qui manifeste un progrès extrinsèque. J'entends perfectionnement dans l'ordre de l'erreur, et progrès de l'erreur envahissant un domaine nouveau.
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Mgr de Metz croit et enseigne que l'humanité d'aujourd'hui est la plus épatante qu'on ait jamais vue, mais il ne dit pas qu'elle est la dernière. D'autres plus épatantes encore pourront apparaître, et apparaîtront sans doute, illuminées par la religion nouvelle qui vient seulement de naître et qui n'a pas eu le temps encore de déployer toute son efficacité temporelle illimitée. Voilà pour la nuance intrinsèque.
Et voici pour la nuance extrinsèque. Cette erreur, la plus ancienne de l'humanité, était à chaque époque l'erreur du monde. Car sur ce point le monde n'a fait ni sa conversion ni sa mutation ; n'en déplaise au docteur de Saint-Avold, il n'a pas du tout « muté », le monde, il n'a pas du tout muté sur ce point, il est exactement semblable à lui-même. Il s'imagine toujours, aujourd'hui comme naguère et comme autrefois, être le meilleur des mondes qui ait jamais existé, le plus intelligent, le plus malin. Mais cette erreur du monde n'était pas entrée dans l'Église : il a fallu l'hérésie du XX^e^ siècle pour l'y introduire. C'était le monde profane, le monde de la science, le monde de la raison, le monde des prestiges et pouvoirs temporels qui se croyait, à chaque époque, parvenu à un niveau d'excellence morale sans équivalent dans l'histoire antérieure de l'humanité : et c'était la religion chrétienne qui détrompait le monde sur lui-même.
41:119
Aujourd'hui la religion s'aligne sur le monde (proposition n° 1 de Saint-Avold), et nous obtenons une variante inouïe de la plus vieille erreur de l'humanité : c'est la religion qui transforme sa conception même du salut et qui à son tour devient la religion la plus épatante que l'on ait jamais vue. Mgr de Metz et son presbyterium ont mission de nous donner, pour la première fois dans l'histoire des religions, une conception suffisamment évangélique du dessein de Dieu (proposition n° 2 de Saint-Avold). *Aucune époque autant que celle de Paul-Joseph Schmitt n'a été en mesure de comprendre l'idéal évangélique de vie fraternelle.* Ainsi parla Paul-Joseph Schmitt. *So sprach der neue Zarathustra.*
Péguy l'avait prévu :
« Dans le monde moderne tout est moderne, quoi qu'on en ait, et c'est sans doute le plus beau coup du modernisme et du monde moderne que d'avoir en beaucoup de sens, presque en tous les sens, rendu moderne le christianisme même, l'Église et ce qu'il y avait encore de chrétienté. C'est ainsi que quand il y a une éclipse, tout le monde est à l'ombre. »
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#### V. -- Les contre-propositions
De tous les points du monde, souvent méticuleusement recueillies par l'érudite et impassible *Documentation catholique,* nous viennent depuis des années trop d'anomalies portant la signature de docteurs ordinaires. La médiocrité intellectuelle régulièrement croissante et la fermeté de caractère régulièrement décroissante dans le *corpus seu collegium* sont deux phénomènes simultanés, complémentaires et convergents qui caractérisent notre époque (un autre « signe des temps », sans doute).
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Nous aurions continué à les subir en silence, selon la résolution que nous en avions prise depuis longtemps, s'ils n'étaient pas allés jusqu'à s'en prendre directement à la foi elle-même, non plus en ses implications indirectes ou enveloppées, perceptibles aux seuls théologiens, mais au niveau manifeste du petit catéchisme, du Pater, de l'Ave, du Credo. Nous sommes maintenant contraints par l'acte de foi de leur opposer le témoignage de la foi. Et au moment où ils sortent de la légitimité et de la vérité, au moment où ils en sortent visiblement désormais, au moment où ils se mettent hors la loi qui les faisait docteurs ordinaires, plus rien ne saurait nous empêcher d'ajouter, de remarquer, de faire constater que simultanément ils prétendent trancher de tout ce qu'ils ignorent. Ils avouent le dessein ingénu, orgueil épouvantable, de refaire de leurs mains, et en un tournemain, quinze siècles d'élaboration liturgique, vingt-cinq siècles d'élaboration philosophique, deux mille ans de spiritualité et autant d'élaboration théologique : parce qu' « aucune époque autant » que la leur « n'a été en mesure de comprendre » cela et tout le reste. Ils renversent tout pêle-mêle. Et sans rien « comprendre » à ce qu'ils renversent. Nouveaux Vandales. Ils ne respectent plus rien et ils prétendent néanmoins être eux-mêmes respectés. La prétention est abusive. Nous avons supporté dans le silence, ou dans le demi-silence, qu'ils commencent à massacrer avec un mépris affiché les concepts les plus éprouvés de la pensée chrétienne et les principes les plus solides du patrimoine moral de l'humanité. Nous avons subi, sans faire entendre de protestations directes et pleinement explicites, l'impiété énorme et universelle avec laquelle ils jettent par-dessus bord les trésors liturgiques, moraux, doctrinaux de l'Église, comme s'ils en étaient les propriétaires et non les intendants.
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Nous avons patienté, non sans la contrecarrer activement, devant cette barbarie nouvelle, celle du *barbare chrétien,* que nous avons analysée et nommée en 1962 déjà, sans préciser que le barbare auquel trop souvent nous avons affaire, c'est l'évêque, victime et relais et fauteur de la barbarie nouvelle. Nous avons iréniquement opposé à l'insolence grandissante du mal l'exposé *positif* des vérités fondamentales et des valeurs absolues, ainsi nommées et illustrées pendant dix-neuf ans, dans une langue et une problématique parfaitement adaptées au monde contemporain, par le génie universel de Pie XII. Nous avons fait un recueil sur *La civilisation chrétienne* ([^25])*.* Nous avons fait un recueil sur *La primauté de la contemplation* ([^26])*.* Il a fallu en venir à consacrer un numéro spécial au *Catéchisme* ([^27])*,* parce que nous étions peu à peu privés de tout catéchisme catholique. Nous n'avons pas tout dit et cela ne ferait pas un programme complet (et au demeurant nous ne nous sommes pas limités à cela) ; mais enfin cela compose, il me semble, un certain programme POSITIF :
-- La civilisation chrétienne ;
-- La primauté de la contemplation ;
-- Le catéchisme romain.
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Seulement, parvenus à ce dernier point de notre opposition irénique par voie d'exposé positif, l'éclat public devenait inévitable. Ce n'est pas normalement notre affaire de procurer le CATÉCHISME CATHOLIQUE ROMAIN aux familles chrétiennes auxquelles il n'est plus fourni, ce n'est pas notre affaire sinon par fonction vicariante dans la pénurie organisée par la subversion. Mais quand des laïcs doivent en venir à exercer une telle fonction vicariante, en réponse à l'appel et aux besoins spirituels du peuple chrétien, c'est que le temps est venu aussi d'adresser *au corpus seu collegium* la plus solennelle réclamation, explicitement produite devant les hommes, devant l'histoire et devant Dieu.
Au Moyen-Age, la fonction vicariante s'exerçait plutôt dans l'autre sens : quelquefois l'évêque défendait en outre la cité temporelle qui n'avait plus de défenseurs. Par fonction vicariante inverse, aujourd'hui, des laïcs doivent procurer aux fidèles le catéchisme catholique romain que personne ne leur procurait plus. Ne vous y trompez pas, la publication par des laïcs, en septembre-octobre 1967, du *Catéchisme de S. Pie X* marque une date singulière dans l'histoire de l'Église de France.
Nous étions stupéfaits nous-mêmes d'avoir dû en venir là. Et nous nous demandions, dans cette situation extraordinaire, où était maintenant le devoir. Septembre-octobre 1967. Au même moment, Mgr de Metz nous a décisivement éclairés. Septembre, il envoie à ses prêtres le Message de Saint-Avold, octobre, il le publie dans son Bulletin diocésain.
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Nous n'étions plus en face des médiocrités, des vulgarités, des déficiences, des injustices qu'il faut subir silencieusement chez les évêques quand Dieu les permet pour exercer notre patience. Nous étions en présence de l'hérésie compacte, systématique, enseignée magistralement par l'évêque en tant qu'évêque, principalement en deux propositions de portée universelle qui dévoilaient la *raison des effets :* LA RAISON DOGMATIQUE DE CE QUE NOUS VOYONS SE PRODUIRE UN PEU PARTOUT DANS L'ÉGLISE. Et simultanément ces propositions-clefs contredisent une proposition de foi définie. Nous ne voyons pas comment on pourrait soutenir que Mgr de Metz ne tombe pas sous le coup de l'anathème du premier Concile œcuménique du Vatican, et comment on pourrait prétendre qu'il n'est pas anathème : « *Si quis dixerit fieri posse ut dogmatibus ab Ecclesia propositis* \[création, rédemption, -- c'est-à-dire la conception même du salut apporté par Jésus-Christ et du dessein de Dieu sur le monde\] *aliquando secundum progressum scientiæ* \[Mgr de Metz subdistingue ou nuance : *secundum civilis cultus mutationem*\] *sensus tribuendus sit alius ab eo quem intellixit et intelligit Ecclesia, anathema sit *» ([^28]). Il n'y avait plus alors qu'à marcher au combat, quoi qu'il puisse nous dégringoler sur la tête. Septembre-octobre 1967 : oui, c'est une date.
\*\*\*
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A la religion de Saint-Avold, forme parfaitement explicite et universelle de l'hérésie du XX^e^ siècle, nous nous opposons, proposition contre proposition.
Dans la crainte et le tremblement, comme toujours quand il s'agit du salut éternel. Et tout autant, comme toujours, dans la paix et la joie, dans la foi et l'espérance en l'Église sainte, qui demeure indéfectible même quand ses membres défaillent.
Nos contre-propositions sont improvisées comme une tranchée hâtivement creusée sous le feu de l'ennemi. Viendront à l'heure de Dieu les saints docteurs, évêques ou ermites, moines ou prélats, qui renverseront l'hérésie dans toute l'étendue de ses faux principes et dans toutes les dimensions de ses œuvres de mort. Il faut tenir jusque là comme on peut, sans rien lâcher de la foi, en s'aidant les uns les autres et en s'unissant pour se défendre, dans l'état d'abandon provisoire où le peuple chrétien présentement est laissé face à l'entreprise diabolique d'une religion nouvelle.
\*\*\*
A la première proposition diabolique de Saint-Avold, nous opposons la tradition apostolique, gardée identique et sans changement depuis saint Pierre et saint Paul, consignée, explicitée et illustrée dans les documents de la sainte Église sans interruption, contradiction ni mutation, *eodem sensu eademque sententia*, de la Pentecôte à nos jours.
48:119
Numériquement et explicitement, cette tradition apostolique apparaît de moins en moins conservée, de moins en moins explicitée, de moins en moins illustrée dans les actes publics du corps épiscopal d'aujourd'hui, *corpus seu collegium*. Ce collapsus est l'épreuve formidable de notre temps. Dieu en sait la raison et la fin. Veillons et prions.
\*\*\*
A la première proposition diabolique de Saint-Avold, qui transforme en vérité religieuse ce qu'enseigne paraît-il la mutation présente du monde contemporain, nous opposons la parole du Seigneur :
« C'est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à Lui seul que tu rendras un culte. » (Premier commandement du Décalogue, Deut. VI, 13 ; opposé par Jésus au Démon : Mt. IV, 10.)
\*\*\*
Les sectateurs de la religion nouvelle sèment le trouble et l'inquiétude parmi les évêques en demandant comment il peut se faire que l'Église n'arrive pas à manifester au monde sa divinité et sa vérité. Tout procède de ce sentiment d'échec. Or nous le savons : c'est depuis l'origine que circule à l'intérieur du collège épiscopal, *collegium seu corpus*, cette question inquiète, mais c'est aussi depuis l'origine qu'elle a reçu sa réponse :
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-- « *Seigneur, comment se fait-il que ce soit à nous que tu doives te manifester, et non pas au monde ? *» (Jean, XIV, 22.)
La question posée au Seigneur est maintenant la question posée à l'Église qui est Jésus-Christ. Comment se fait-il qu'elle n'ait point su se manifester au monde ? Pourquoi le monde a-t-il cette méconnaissance et cette haine de l'Église ? Le monde pourtant est si innocent, si plein de bonne volonté, le monde attend... Il faut donc que l'Église n'ait pas su répondre à l'attente du monde et qu'elle ait été historiquement coupable. Il faut changer d'Église pour la rendre aimable au monde (lequel est toujours moderne, toujours contemporain et toujours mutant). Il faut trouver *dans* l'Église, et renier, et supprimer, *la cause* de la haine que le monde porte à l'Église.
Mais la cause, c'est Jésus-Christ :
« *Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, et qu'au contraire mon choix vous a tirés du monde, à cause de cela le monde vous hait. *» (Jean, XIV, 18-19.)
« *Ils m'ont haï sans raison. *» (25)
« *Vous serez haïs de tout le monde à cause de mon nom, mais celui qui aura persévéré jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. *» (Mt. X, 22.)
En cela et sur ce point, il n'y aura jusqu'à la fin aucune mutation du monde. Le monde est et reste tel même à l'intérieur d'une société chrétienne. A plus forte raison dans la société moderne...
50:119
Mais le monde aime ce qui est à lui. Le monde, à en juger par ses journaux, ses radios, ses honneurs publicitaires, ne hait point l'hérésie du XX^e^ siècle et ceux qui en sont les fauteurs. *Quand vous êtes du monde, le monde aime ce qui lui appartient*. « Malheur à vous quand tout le monde dira du bien de vous. » (Luc, VI, 26.)
\*\*\*
Relisons Gilson là-dessus :
« Nous sommes dans le monde, que nous le voulions ou non, c'est un fait, et il dépend pas de nous d'y être ou de n'y être pas ; mais nous ne devons pas être du monde... Non seulement le monde s'affirme, mais *il ne veut pas admettre qu'on le renonce *: c'est la plus cruelle injure qu'on puisse lui infliger. »
« Vivre en chrétien, sentir en chrétien, penser en chrétien dans une société qui n'est pas chrétienne, alors que nous ne voyons, n'entendons et ne lisons presque rien qui n'offense le christianisme ou ne le contredise ; alors surtout que la vie nous fait une obligation, et que la charité nous fait souvent un devoir de ne pas rompre en visière avec des idées et des mœurs que nous réprouvons, c'est chose difficile et à peine possible. C'est aussi pourquoi *la tentation nous assiège sans cesse de diminuer ou d'adapter notre vérité*, soit pour diminuer la distance qui sépare nos manières de penser de celles du monde, soit même, et parfois en toute sincérité, dans l'espoir de rendre le christianisme plus acceptable au monde... »
51:119
« Ce que je regrette, c'est qu'au lieu de dire en toute simplicité ce que nous devons à notre Église et à notre foi, au lieu de montrer ce qu'elles nous apportent et que nous n'aurions pas sans elles, nous croyions de bonne politique, ou de bonne tactique, dans l'intérêt de l'Église même, de faire comme si, après tout, nous ne nous distinguions en rien des autres. Quel est le plus bel éloge que beaucoup d'entre nous puissent espérer ? Le plus grand que puisse leur donner le monde : *c'est un catholique, mais il est vraiment très bien : on ne croirait pas qu'il l'est*. »
« Une visite au cimetière des doctrines scientifiques inconciliables avec la Révélation nous ferait passer devant bien des tombes. Dans notre seule vie, au nom de combien de doctrines abandonnées depuis par leurs auteurs mêmes nous a-t-on sommés de renoncer à l'enseignement de l'Église ! » ([^29])
\*\*\*
A la seconde proposition diabolique de Saint-Avold, nous opposons le témoignage de tous les saints. Aucun d'entre eux jamais n'a cru être le premier qui pouvait enfin comprendre suffisamment et suffisamment mettre en œuvre le message évangélique.
52:119
Aucun d'entre eux n'a imaginé découvrir une vérité religieuse qui n'aurait pas déjà été renfermée dans le trésor de l'Église. Les plus créateurs d'entre eux furent toujours ceux qui étaient le plus humblement soumis à la tradition apostolique. Ceux qui paraissent à nos yeux avoir inventé quelque nouvelle nuance ou méthode de spiritualité ou d'apostolat ne se souciaient de promouvoir aucune invention, mais seulement d'être fidèles, à leur place et quotidiennement.
Que tous les saints du Paradis obtiennent à notre temps les humiliations et les grâces de la conversion, qui nous détourneront définitivement de croire que nous allons apporter nous-mêmes, et nous les premiers dans l'histoire de l'humanité, une pensée qui serait enfin suffisamment évangélique.
53:119
#### VI. -- Suite des contre-propositions ou la part de vérité
Mais la méthode dite moderne, pastorale et charitable serait de rechercher plutôt la « part de vérité » contenue dans les deux propositions de Saint-Avold, et de fonder sur elle une apologétique progressive et positive. Car la méthode dite moderne affirme le principe qu'un Cardinal occasionnellement de ma correspondance ne craignait pas d'attribuer à saint Thomas : « Toute erreur contient une part de vérité. » C'est aussi l'avis du merveilleux Jean Guitton : « Dans toute objection il existe une part de vérité » ([^30]).
54:119
C'est enfin l'avis de tous les magazines illustrés et de tous les docteurs radiophoniques en renom, avis hautement professé à l'égard du monde moderne tout entier, mais immédiatement renié dès qu'il s'agit d'une erreur attribuée à de supposés « conservateurs » ou d'une objection formulée par de surnommés « intégristes ». A lire saint Thomas, que Jean Guitton lui aussi invoque au profit de la « part de vérité » automatique, on n'aperçoit rien de semblable. On aperçoit plutôt que *quelquefois*, et peut-être *souvent*, l'erreur contient une part de vérité, mais non point *toujours *: car souvent aussi elle n'en renferme aucune. Quantité d'erreurs ont été dénoncées et rejetées par saint Thomas soit comme perverses, soit comme absurdes, soit comme entièrement erronées, soit comme indignes de la moindre discussion. Au lieu d'affirmer sottement que l'erreur *contient toujours* une part de vérité, il serait plus sage de remettre ce « toujours » à sa place exacte et de rappeler qu'en face d'une erreur on doit *toujours se demander* si d'aventure elle ne contiendrait pas une part de vérité : mais la réponse n'est pas donnée d'avance ; il arrive qu'elle n'en contienne point.
Tel est justement le cas des deux propositions de Saint-Avold.
La première *évoque* peut-être l'idée qu'il y a lieu d'adapter à certains changements du monde les explications et les illustrations d'une foi qui elle-même est hors des prises de tels changements. Évoquée, cette idée n'est pas *contenue* dans la proposition, qui énonce *au contraire* que la conception même du salut doit en être transformée.
55:119
La seconde proposition de Saint-Avold évoque peut-être l'idée que nos pensées ne seront jamais assez évangéliques, et qu'il faut les convertir sans cesse par un incessant effort de meilleure conformité à la pensée de l'Église. Évoquée peut-être, cette idée n'est pas *contenue* dans la seconde proposition, qui énonce *au contraire* que c'est la pensée de l'Église qui doit être rendue plus évangélique.
D'habitude, cela n'apparaît point avec une telle clarté parce que les docteurs de la religion nouvelle soit par confusion d'esprit, soit par tactique, embrouillent les concepts dans un épouvantable magma. Ils veulent changer *la conception même* du salut, mais leur cheval de bataille est d'annoncer qu'ils s'en prennent seulement aux *formulations *: ils s'en prennent effectivement aux formulations elles-mêmes, mais d'une manière qui défigure jusqu'à la réalité formulée. Ils paraissent, dans leur erreur, détenir une « part de vérité », car il est vrai que certaines formulations peuvent ou doivent être modifiées. Mais leur part de vérité n'est qu'une apparence. Ils disent « formulation » et simultanément c'est sur « la conception même » qu'ils portent la main. On dirait qu'ils savent fort bien qu'en certains cas, dogmatiques et même liturgiques, la « formulation » est en fait inséparable de la « conception même », et qu'il leur suffit de modifier la première pour subvertir la seconde : alors ils ne parlent que de la « formulation », c'est assez pour blesser du même coup la « conception même » qu'ils faisaient mine de ne pas vouloir mettre en cause. Ils dissimulent ainsi les clartés que manifestent sans équivoque les deux propositions de Saint-Avold.
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En réalité ils se moquent de nous, tandis que le Message de Saint-Avold dévoile l'intentionnalité véritable. Ils se moquent de nous comme le dominicain François Biot faisant du terme *formulation* l'emploi extrême, et extrêmement révélateur, que voici :
« Le message de Martin Luther est reconnu par l'Église catholique comme une expression valable de la prédication évangélique, même si certaines *formulations* lui apparaissent inacceptables. » ([^31])
Ce n'est pas formulations qu'il faudrait dire mais, selon le vocabulaire de Saint-Avold : les conceptions même. Le dominicain François Biot a employé un mot pour l'autre PARCE QU'IL EN A L'HABITUDE, Consciente ou inconsciente. Il a l'habitude d'attaquer les « conceptions » de l'Église en les nommant « formulations ». Au moment de concéder que « quelques conceptions » de Luther sont déclarées inacceptables par l'Église catholique, il les baptise : « quelques formulations ». Après quoi il faut vraiment avoir décidé d'avance de ne rien voir et rien entendre si l'on n'aperçoit toujours point ce qui est réellement mis en cause par la querelle des « formulations ».
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Et ce qui nous arrive sous le couvert d'un nouvel évangélisme.
L'Église plus évangélique qui nous est annoncée est une Église largement luthérienne. On ne nous avoue pas très souvent *en doctrine*, comme le dominicain François Biot, qu'il nous faut désormais tenir le message de Luther pour « une expression valable de la prédication évangélique ». Mais on nous y conduit ordinairement *en acte*, et d'abord dans les actes liturgiques. Les soi-disant « nouveautés » de la messe moderne, vernaculaire et rectifiée sont empruntées aux vieilleries machinées au XVI^e^ siècle par Martin Luther. On nous « évangélise » d'abord par les gestes, par la manière de prendre de l'eau bénite, ou de n'en plus prendre. Le dessein reste le même : rendre l'Église « *plus évangélique *» selon des *critères pris hors de l'Église*, hors de la tradition apostolique -- et en définitive hors de l'Évangile. Il n'y a AUCUNE part de vérité dans un tel dessein. En chaque erreur religieuse, la part éventuelle de vérité est seulement ce qu'il y peut subsister de conforme à la tradition apostolique. Il y a une part de vérité chez Luther : elle n'est pas luthérienne, elle est catholique.
Quasiment à tout coup et presque infailliblement, quand on veut nous mettre à l'école de la part de vérité contenue dans une erreur moderne, c'est en plein *la part d'erreur* de l'erreur que l'on nous assène magistralement. Et c'est bien normal. Car pour être capable d'aller reprendre la « part de vérité » éventuellement contenue dans une erreur moderne, il faut être soi-même singulièrement formé, grandi, nourri, élevé en vérité (et en sainteté).
58:119
Ce qui n'est plus si fréquent parmi les docteurs catholiques d'aujourd'hui : ça se saurait.
\*\*\*
*La foi écoute le monde* ([^32]) *...* Quelle est la part de vérité ? Il n'y en a aucune Si l'on parle de la foi théologale, de la foi catholique. Qu'est-ce que la foi ? *La foi est une vertu surnaturelle, infuse par Dieu dans notre âme, par laquelle, appuyés sur l'autorité de Dieu même, nous croyons tout ce qu'il a révélé et qu'il nous propose de croire par son Église,* tel est l'enseignement du catéchisme catholique romain que l'on refuse désormais de procurer aux familles chrétiennes, mais que nous leur procurons ([^33]). La foi n'est pas sur les choses que l'on voit ni sur les choses que l'on sait : la foi écoute Dieu et non pas le monde. -- Mais enfin qu'a-t-il voulu dire ? demandera-t-on. Quel était le contexte ? Il n'y en avait aucun, ou quasiment aucun. C'est une phrase complète, insérée dans un bref alinéa :
« *La foi écoute le monde. Dans la lecture des* « *signes du temps *», *chacun, dans l'Église, doit apporter sa part, selon son charisme et sa vocation propre.*
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*Prêtres, religieuses et laïcs, il nous faut absolument vouloir nous compléter dans notre regard sur le monde, nous aider dans le* « *juger *», *et nous concerter dans l'* « *agir *».
Aucun contexte explicatif, comme on le voit. La phrase pourrait être une simple maladresse, oui, elle pourrait l'être, si le Message de Saint-Avold ne venait de la même plume et du même docteur ordinaire. Quand on enseigne d'une part que *la mutation de civilisation entraîne des changements dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ,* on ne peut d'autre part affirmer *la foi écoute le monde* sans que cet aphorisme ne revête alors une signification conséquente.
La part de vérité évoquée par l'aphorisme, mais non contenue en lui, est que nous regardons le monde dans la foi. Dans la foi qui n'écoute pas le monde, ce n'est pas sa fonction, mais qui purifie le regard que nous portons sur le monde. La foi guérit la raison comme la grâce guérit la nature ([^34]). Et parmi les œuvres de la foi, il en est qui concernent aussi le monde. La philosophie chrétienne est une œuvre de la raison rendue possible par la foi. La civilisation chrétienne est une œuvre temporelle rendue possible par la vie spirituelle.
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La doctrine sociale de l'Église éclaire le progrès naturel qui est dans la vocation des sociétés humaines. Mais justement : la religion nouvelle, on ne le sait que trop, ne veut plus entendre parler de « civilisation chrétienne », ni de « philosophie chrétienne », ni de « doctrine sociale de l'Église ». Elle veut en sens inverse *civiliser* le christianisme et le *rationaliser* et le *socialiser* selon les critères du monde sans Dieu et selon les critères de la raison sans la foi ; elle met la religion à l'école et à l'écoute de la raison, du monde et de la société, au lieu de mettre la société, le monde et la raison à l'écoute et à l'école de la foi. *La foi écoute le monde *: c'est tout un programme, et c'est bien ce programme-là qui est mis en œuvre tous les jours sous nos yeux. C'est le contraire du programme chrétien.
\*\*\*
De toutes les manières et de plus en plus nous est enseigné le mépris de l'Église préexistante parce qu' « elle a perdu » : elle a perdu, nous dit-on, la classe ouvrière, elle a perdu la civilisation technique, elle a perdu le monde moderne. Que lui sert dès lors de garder un dépôt dont le monde ne veut pas ? Que lui sert de garder son âme si la marche du monde s'en éloigne ? L'Église préexistante a gardé son dépôt et son âme à l'intérieur d'un juridisme, d'un dogmatisme, d'un intégrisme, d'un ghetto que rejette la religion nouvelle par mille considérations qui se résument en une seule question : -- *Que sert de garder son âme si l'on en vient à perdre le monde ?*
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Nous en avons assez dit, et surtout Mgr de Metz en a assez dit pour que chaque chrétien baptisé et confirmé puisse en regard, et en toute certitude, reconnaître de quel esprit il est.
Nous n'avons rien à mettre en œuvre contre la religion nouvelle, nous n'avons ni les prestiges ni les pouvoirs du monde, nous n'avons ni les moyens massifs d'information ni les organisations de masse, et d'ailleurs nous n'en voulons pas, nous ne saurions qu'en faire en l'occurrence et ils ne nous serviraient de rien, nous n'avons rien que la Parole de Dieu :
*--* « *Que sert à l'homme de gagner le monde, s'il vient à perdre son âme ? *» (Mt. XVI, 26.)
Et que sert donc en vérité aux hommes d'Église de gagner le monde s'ils viennent à perdre leur âme ?
C'est le Diable qui pose la question :
-- Que sert à l'Église de garder son âme si elle vient à perdre le monde ?
Il n'y a d'autre réponse que la question inverse :
-- Que servirait à l'Église de gagner le monde si elle venait à perdre son âme ?
Mais elle ne le peut pas.
Nous savons de connaissance humaine que même au prix de son âme l'Église ne gagnerait pas les pouvoirs, les honneurs et les complaisances du monde, mirages offerts par la tentation mais qui n'ont aucune existence : ils s'évanouiraient entre ses mains comme l'eau d'une source impure, n'y laissant qu'un peu de boue.
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Et nous savons par la foi que l'Église sainte qui est le Corps mystique du Christ Notre-Seigneur perdra tout plutôt que son âme.
Recouverte mais non souillée par le mystère d'iniquité, l'Église sainte se recueille dans le mystère de charité et demeure indéfectible dans la foi ; au regard de la foi mystérieusement visible. *Vigilate et orate*.
\*\*\*
La religion catholique préexistante qui est disqualifiée par le Message de Saint-Avold comme inactuelle (proposition n° 1) et comme insuffisamment évangélique (proposition n° 2) sera aussi la religion survivante après quels carnages, nous commençons à en avoir une idée ; je vous l'ai annoncé, amis lecteurs, dès 1966 ([^35]). Quoi qu'il arrive, c'est l'Église sainte, une, catholique qui survivra : telle est notre foi. Cette Église et cette religion dites anciennes, et traditionnelles, et dépassées, sont celles dont nous vivons. Elles ont formé des hommes libres : nous leur rendons ce témoignage et nous allons maintenant devoir le leur rendre par nos actes. Des hommes libres, les docteurs de la religion nouvelle ne savent plus ce que c'est, même quand ils n'ont que le mot de liberté à la bouche.
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Des hommes libres ne sont pas des moutons ni des robots. *L'agenouillement d'un homme libre,* disait Péguy, *le bel agenouillement droit d'un homme libre*, mais vous ne voulez plus d'agenouillements et vos séides, l'hostie en main ! donnent des coups de pied dans les jambes à ceux qui se présentent à genoux pour communier. Vous vous êtes bien trompés quand vous pensiez que nous nous mettions à genoux par « christianisme sociologique » et par servilité routinière devant les grandeurs humaines d'établissement. Vous vous êtes bien trompés en imaginant que nous marcherions n'importe où et accepterions n'importe quelle religion, par séidisme, du moment que les « directives » nouvelles auraient la garantie « épiscopale ». Nous respections l'autorité que vous ne respectiez pas, et nous la respectons toujours et vous ne la respectez pas davantage, mais vous pensiez que l'on pourrait faire de nous des apostats et des traîtres par argument d'autorité, par voie d'autorité, et d'avoir annexé quelques autorités à votre nouvelle religion vous faisait espérer qu'ainsi nous y entrerions par obéissance en rangs par quatre. Vous n'avez jamais compris que nous prenons très au sérieux l'autorité et l'obéissance, dont vous faites présentement une farce, celle que vous a dite Alexis Curvers : « *Les progressistes disent aux intégristes :* « *Nous exigeons de vous, parce qu'elle est dans vos principes, une obéissance que vous n'avez pas à attendre de nous, parce qu'elle n'est pas dans les nôtres. *» *Et le plus fort est que les intégristes répondent en s'inclinant *:
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« *Puisque le respect de l'autorité n'est pas dans vos principes et qu'il est dans les nôtres, bafouez tant qu'il vous plaira l'autorité dont nous nous réclamons, et comptez que nous restons soumis à celle dont vous vous emparez. *» ([^36]) Nous n'obéissons pas aux farces. Parce que nous prenons très au sérieux l'obéissance et l'autorité, nous savons depuis toujours qu'aucune obéissance aux hommes ne peut prétendre nous faire aller contre l'obéissance à Dieu et à ses lois, qui sont la loi naturelle ou Décalogue et la loi du Christ ou Évangile, l'une et l'autre reçues, apprises et obéies dans et par la tradition apostolique de la sainte Église. Vous n'avez rien compris au type d'homme nouveau dont la sainte Église éduque la liberté depuis deux mille ans. Vous avez pris les fidèles pour les séides automatiques d'un séidisme sociologique, vous avez pris ces fronts courbés et ces genoux en terre pour ceux de l'esclave alors qu'ils sont ceux de l'homme libéré. Vous n'avez rien compris à *l'agenouillement d'un homme libre*, -- libre de la liberté du Christ Notre-Seigneur. Vous aurez affaire maintenant à la profondeur, à l'étendue, à la hauteur du refus d'un homme libre. La liberté que vous n'avez pas aperçue dans l'agenouillement et l'adoration, vous aurez à en faire connaissance dans l'opposition radicale à laquelle vous vous heurterez désormais. Vous aurez à connaître ce qu'est la liberté du chrétien : vous ne l'avez pas reconnue dans sa dévotion, dans sa discipline, dans sa patience, vous la subirez dans son refus légitime des idolâtries du monde.
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Lisez donc Polyeucte (c'est de Corneille) (qui est un poète français) (et un poète chrétien), cela vous instruira peut-être de certaines choses. C'est une seule et même liberté qui adore à genoux la présence réelle du Dieu vivant et qui s'en va briser les idoles quand il le faut.
C'est une seule et même liberté en face de laquelle, dès que vous déclarez vous écarter de la tradition apostolique, vous n'avez plus aucun poids moral, vous n'êtes plus rien, simulacres sonores, docteurs de néant. Vous pouvez bien nous supprimer le catéchisme, qui vous condamne : nous le savons par cœur, et nous ferons en sorte, avec la grâce de Dieu, qu'il soit toujours appris. Déjà dans plusieurs paroisses les petits qui ne vont plus au pseudo-catéchisme du nouveau prêtre sont regroupés pour apprendre ailleurs les vérités du salut. L'autodéfense spirituelle va s'organiser partout, dans la sainte liberté des enfants de Dieu. Et les impasses où vous croyez nous bloquer, Dieu lui-même, à son heure, les ouvrira devant ceux qui, quoi qu'il arrive, auront été inébranlablement fidèles.
\*\*\*
Quant à Mgr de Metz lui-même, ce n'est pas mon affaire de savoir si l'hérésie qu'il enseigne, il l'enseigne habituellement et uniquement. Personne, ou presque personne, pas même Luther, n'enseigne uniquement l'hérésie. Savoir s'il l'enseigne habituellement ou accidentellement, que d'autres s'en occupent s'ils veulent, ou si leur charge les y incite.
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Par un tour de force inégalé, Mgr de Metz a synthétisé en deux propositions l'hérésie du XX^e^ siècle, il l'a fait en une occasion solennelle, imposant avec autorité à ses prêtres d'entrer dans la nouvelle religion. Que ces deux propositions coexistent, dans la doctrine de Mgr de Metz, avec quelques restes de la vérité catholique sera peut-être retenu en sa faveur par ceux qui auraient à le juger : mais ce n'est point mon propos ni d'ailleurs mon avis. J'en ai directement et seulement à la religion nouvelle elle-même, dans la formulation la plus universelle qui à ma connaissance lui ait été donnée à ce jour. Pour le reste je n'en sais rien ou n'en veux rien savoir, je sais simplement que l'expérience du modernisme classique nous invite à la plus grande circonspection « *A entendre les modernistes, à les lire, on serait tenté de croire qu'ils tombent en contradiction avec eux-mêmes, qu'ils sont oscillants et incertains. Loin de là : tout est pesé, tout est voulu chez eux* (...)*. Telle page de leur ouvrage pourrait être signée par un catholique, tournez la page, vous croyez lire un rationaliste. *» (*Encyclique Pascendi, § 20*). Telles pages de Mgr de Metz pourraient être signées par un catholique ; mais tournez la page... Je n'ai point à démêler cet imbroglio, inconscient ou calculé, mais qui certainement s'est perfectionné de maintes subtilités nouvelles depuis le modernisme classique. Il était suffisant, il était nécessaire de saisir au passage les deux propositions nécessaires et suffisantes du néo-modernisme, clés de toutes les autres propositions énoncées ou énonciables par lui ; et de leur opposer le témoignage de la foi théologale. Voilà qui est fait pour autant qu'il était en moi.
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Il me reste pourtant à adresser un mot personnel à la personne de Mgr de Metz. Ce sera le premier et le dernier. Le premier, car tout ce qui a été dit jusqu'ici dépassait infiniment sa personne et la mienne ; et le dernier parce que, quoi qu'il puisse arriver, je n'aurai rien à y ajouter et rien à en retrancher.
A l'endroit de Mgr de Metz lui-même, je n'ai qu'un désir, et je lui en fais ici la confidence publique : aller m'agenouiller à ses pieds et lui demander filialement sa bénédiction d'évêque catholique. Que cela puisse se faire ! Que cela devienne possible ! C'est rigoureusement impossible aujourd'hui. Sa bénédiction, je n'ai le droit ni de la demander ni de l'accepter, parce qu'il enseigne l'hérésie, et qu'aux termes du premier Concile œcuménique du Vatican ses propositions sont anathèmes : *Si quis dixerit... anathema sit*. Il lui incombe d'abjurer son hérésie, aussi solennellement qu'il l'a enseignée. Il lui incombe de l'abjurer avec vraisemblance, avec crédibilité, avec efficacité. Je confie son âme à l'intercession de saint Augustin, dont l'exemple montre que les *rétractations* nécessaires ne sont pas indignes d'un docteur de l'Église. Ce sont au contraire les faux docteurs qui toujours s'y refusent avec obstination.
*En la fête de saint André,*
*30 novembre 1967.*
Jean Madiran.
69:119
## CHRONIQUES
70:119
### Lettre à Son Excellence
*sur le canon vernaculaire\
à tirer dans les coins*
par Joseph Thérol
Par 80 voix contre 20, l'Assemblée a décidé\
qu'à partir du 26 novembre le Canon de la Messe\
serait dit en français (les journaux).
MONSEIGNEUR,
J'imagine que vous êtes de ces vingt évêques qui ont voté contre la récitation du Canon de la Messe en français. Car il faut bien se rendre à l'évidence : la liturgie est maintenant mise aux voix. Et la langue vernaculaire -- compte non tenu, une fois encore, de l'avis de la communauté chrétienne qui n'a pas été consultée -- a récolté 80 voix d'évêques contre 20.
Je ne veux pas ici rechercher si cette nouvelle divergence est de nature à favoriser l'unité de l'Église. Il y a beau temps que nous ne nous étonnons plus de voir la hiérarchie déchirer de ses propres mains la robe sans couture. Je ne veux même pas m'inquiéter de savoir qui a tort ou qui a raison.
71:119
Ce qui m'intéresse, c'est ceci : Vous avez voté contre, Monseigneur, vous n'êtes donc pas partisan du Canon en français. Et sans doute vous avez pour cela de bonnes raisons. *Mais maintenant, que va-t-il se passer dans votre diocèse ?*
Je me rappelle un mot du très honorable et libéral René Coty, alors récemment élu à la Présidence de la République, et je me permets de vous le remettre en mémoire : « Comme Sénateur, j'ai combattu cette mesure ; comme Président, je dois la faire appliquer. »
Ah ! ces libéraux ! Aux gens de bon sens, il apparaît tout normal que celui qui tient une décision pour nuisible la considère comme nulle et non avenue, et, s'il s'y voit contraint, se démette plutôt que de s'y soumettre.
Alors, Monseigneur, qu'allez-vous faire dans votre diocèse ? Allez-vous obéir à une majorité à laquelle vous donnez tort ? Ou bien vous démettrez-vous plutôt que d'appliquer une mesure que vous condamnez ?
Car, enfin, qui commande dans votre diocèse ? Est-ce de cette majorité que vous tenez vos pouvoirs, votre crosse et votre mitre ? Dépendez-vous directement du Pape, ou bien acceptez-vous que s'interpose entre Votre Excellence et Lui une assemblée qui n'a point la charge des âmes sur le territoire dont vous seul avez le gouvernement et la responsabilité ?
Quoi ! Vous êtes sûr -- et vous avez manifesté cette certitude par votre vote -- que la récitation du Canon en français est une décision à rejeter. Parce que l'avis contraire a recueilli plus de voix que le vôtre, allez-vous conclure que ce que vous jugez mauvais doit être accepté et imposé ? Est-ce au nombre des voix « pour » et des voix « contre » que le noir devient blanc, et le curare inoffensif ? Parce qu'une majorité l'emporte en faveur du noir ou du curare, consentirez-vous qu'on aveugle ou empoisonne vos diocésains ?
72:119
Un jour, Monseigneur, vous le savez bien tout de même -- et, je le suppose du moins, vous croyez encore que le Fils de Dieu jugera les vivants et les morts -- un jour vous comparaîtrez devant ce Suprême Juge. Vous abriterez-vous, *in die illa*, derrière cette majorité ? Il n'y aura plus de majorité. C'est vous, et vous seul, qui aurez à rendre compte de votre épiscopat. Nous, agneaux et brebis, nous pourrons gémir : « C'est notre Pasteur qui nous a fourvoyés. C'est lui, le responsable ! » Mais vous, le Pasteur, vous le Responsable, vous Monseigneur, direz-vous : « Ah ! Seigneur, les autres étaient 80 ! » Non, vous n'aurez même pas idée de le dire parce qu'en ce jour-là, *in die illa*, vous verrez on ne peut plus clairement que 80 torts ne font pas une raison.
J'entends votre objection d'aujourd'hui, Monseigneur. « Il n'est pas prouvé que la récitation du Canon en français soit préjudiciable aux âmes. » Pardon ! Pardon ! D'abord vous avez voté comme si vous le pensiez. -- Ensuite, il n'est pas de mon propos de contester ici la bienfaisance ou la nocivité de cette décision. J'imagine seulement le cas où vous l'appliqueriez quoique l'ayant jugée mauvaise. Et je l'espère encore, je veux l'espérer -- vous allez prouver, Monseigneur, que rien ne peut vous empêcher de conformer vos actes à votre pensée.
Daigne Votre Excellence agréer l'hommage de mon profond respect.
Joseph Thérol.
#### Notes conjointes par Jean Madiran
I. -- Le processus de la tromperie.
Sous la signature de « Joseph, cardinal Lefebvre, archevêque de Bourges », daté de Lourdes, le 10 novembre 1967, on a rendu public le communiqué suivant, dénommé « ordonnance » :
73:119
« La Conférence épiscopale française a décrété ce qui suit :
Article premier. -- Aux Messes célébrées avec présence du peuple, le prêtre *POURRA* utiliser la langue française pour le Canon de la Messe.
(...)
Article IV. -- Les dispositions ci-dessus entreront en vigueur le dimanche 26 novembre 1967. »
Mais, dans *La Croix* parue au lendemain soir de ce dimanche, datée du 28 novembre, et forcément rédigée au plus tard le lundi 27 novembre au matin, on lisait en page 5 (c'est nous qui soulignons en grandes capitales italiques, dans le texte cité ci-dessus et dans celui cité ci-dessous) :
« ...Ce dimanche 26 novembre où *DANS TOUTES LES ÉGLISES DE FRANCE* comme sur les écrans de télévision pour la première fois le canon de la messe a été dit en français. »
J'affirme qu'il était MATÉRIELLEMENT IMPOSSIBLE à *La Croix* d'avoir, dès le matin du lundi 27 novembre, la certitude vérifiée que le Canon avait été dit en français dans toutes les églises de France.
C'était forcément, et seulement, une certitude morale, et une certitude *a priori.*
Que cette certitude ait pu exister et être exprimée constitue l'aveu qu'il y a un système de mise en condition ; et qu'il y a des autorités parallèles qui dirigent le fonctionnement d'un tel système.
La décision de la Conférence épiscopale disait officiellement : pourra. Tout se passe comme si elle avait dit : devra, -- mais elle ne l'a pas dit. *Quelqu'un d'autre l'a dit et l'a fait.* Le Canon en français, qui n'a pas été rendu obligatoire *de jure,* se trouve l'avoir été immédiatement *de facto.*
Le terme « pourra » de la décision officielle du 10 novembre et la phrase « dans toutes les églises de France » de *La Croix* du 28 novembre doivent être conservés pour les historiens. La distance automatiquement et immédiatement franchie entre la simple autorisation et l'application, uniforme révèle quelle est la manière, sournoise et efficace, dont l'Église de France est présentement tyrannisée.
74:119
II\. -- Quelles autorités parallèles ?
J'appelle *autorités parallèles* les autorités de fait qui, dans l'Église, imposent des décisions n'ayant ni origine légitime ni forme légale régulièrement promulguée.
C'est un coup de force liturgique qui a été perpétré le 26 novembre par les autorités parallèles supplantant les autorités légitimes.
Ces autorités parallèles peuvent avoir, et ont souvent en fait, pour animateurs, les mêmes hommes qui *d'autre part* sont revêtus de l'autorité légitime. Elles n'en sont pas moins des autorités parallèles *dans leurs actes d'autorité de fait* qui sortent de la légitimité et de la légalité.
Il y a un magistère clandestin dans l'Église de France. Nous avons plusieurs fois déjà constaté son existence. Nous objecter qu'il est composé en fait d'évêques en fonction et non encore déposés est une objection nulle. Quand des évêques agissent clandestinement et en dehors de la loi, ils ont beau être évêques *d'autre part*, ils n'en constituent pas moins *en cela* un magistère clandestin.
La fraction dominante de l'épiscopat français ne pouvait pas, à l'intérieur de la légalité et de la légitimité, rendre obligatoire le Canon en français : un tel ukase eût directement contredit la loi liturgique régulièrement promulguée par le Concile, et il eût été de ce fait nul et non avenu.
75:119
C'est pourquoi on a décrété une simple *permission,* mais en faisant *d'autre part* tout ce qu'il fallait pour que cette permission soit *pratiquement* tenue pour un ordre absolument impératif.
Et *La Croix*, entrant dans le jeu, assure que depuis le 26 novembre le Canon est dit en français « dans toutes les églises de France ».
Voilà donc comment on nous dupe et comment on tourne en dérision, tout ensemble, l'obéissance due à la loi liturgique et le respect dû au peuple fidèle.
Après un tel tour de force, qui est un coup de force, venez donc nous demander d'avoir « confiance » en vous. Venez donc un peu nous le demander. Pour voir si seulement vous l'osez encore.
III\. -- Autre version,\
mais qui revient au même.
*Témoignage chrétien*, en revanche, a éprouvé le besoin d'expliquer les choses d'une manière apparemment moins raide (numéro du 30 novembre 1967, page 20) :
« Dimanche dernier, pour la première fois officiellement, l'immense majorité des paroisses de France ont utilisé la possibilité que leur a donnée la dernière assemblée plénière de l'épiscopat à Lourdes, de dire la messe intégralement en français, y compris sa partie essentielle : le canon.
En fait, l'application de cette décision reposait sur les curés juges de son opportunité. Il semble bien que le très grand nombre ait répondu à l'attente de leurs fidèles, dont la majorité s'étonnait de la persistance de l'emploi du latin précisément à la partie centrale de la messe.
Et il suffit, pour saisir le caractère anachronique de cette situation, d'avoir assisté dimanche dernier, ici ou là, à la messe d'un prêtre « réfractaire » s'obstinant, dans son superbe isolement, à dire la prière du canon en latin. »
76:119
Les curés étaient -- en théorie -- juges de l'opportunité... Mais ils n'étaient pas libres. Ceux qui ont conservé le Canon en latin (ou qui ont simplement voulu attendre un ou deux dimanches avant de capituler) *sont aussitôt* traités dans la presse de *réfractaires.* Une pression psychologique et sociologique *qui vient souvent des évêchés ou qui est appuyée par eux* est mise en œuvre pour IMPOSER LE CONTRAIRE de ce qui est stipulé par la loi liturgique.
Tyrannie de fait dans une situation qui, en droit, est manifestement anarchique.
On nous assure que « la majorité » des fidèles désirait la messe intégralement en français. Cela n'a jamais été prouvé et il y aurait beaucoup à dire là-dessus mais de toutes façons cela n'est pas la question principale.
La question principale, la voici.
La Constitution conciliaire sur la liturgie a été promulguée le 4 décembre 1963.
MOINS DE QUATRE ANS PLUS TARD*,* le 26 novembre 1967*, elle est déjà considérée en fait comme n'ayant plus force de loi* et, CONTRAIREMENT A SES STIPULATIONS, la messe est dite intégralement en français dans « toutes » les églises selon *La Croix*, qui en remet, ou dans « l'immense majorité d'entre elles » selon *Témoignage chrétien*.
Il faut donc demander : qu'était donc en réalité ce Concile *dans l'esprit de ses plus bruyants partisans* qui se réjouissent, moins de quatre ans après la promulgation de la loi conciliaire, que cette loi soit déjà tenue pour inexistante ?
Nous assistons là à un processus ouvertement subversif et révolutionnaire.
L'autorité du Concile, l'autorité de sa loi promulguée sont ainsi devenues une triste farce.
Ceux qui parlaient le plus fort d' « obéissance au Concile » nous *mentaient*, leurs actes le démontrent aujourd'hui.
Et ceux, du Cardinal Lercaro jusqu'aux membres français du *corpus seu collegium*, qui avaient pour charge de faire observer la loi conciliaire sont précisément ceux qui ont « permis » qu'on la jette par-dessus bord.
Nous obéissons volontiers aux autorités légitimes et aux lois régulièrement promulguées.
Nous ne sommes pas tenus d'obéir aux farces de ce genre.
Ni d'en respecter les auteurs responsables.
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IV\. -- Les « droits » :\
ils veulent faire de l'argent\
avec leurs textes liturgiques ?
Mais voici un autre aspect de la farce.
*La Croix* du 13 novembre prévenait, au sujet du nouveau Canon vernaculaire, que *les droits de reproduction sont réservés par les éditeurs.*
Ce qui laissait apparaître qu'un texte OFFICIEL, qu'un texte donné comme appartenant désormais à la PRIÈRE DE L'ÉGLISE, était la propriété d'une firme commerciale, laquelle tirerait, et en exclusivité, des bénéfices de la diffusion de ce texte par les autorités ecclésiastiques.
Cette énormité (mais cela ne fait qu'une de plus) méritait d'être établie avec précision.
Renseignements pris, voici quelle est la situation.
Les nouveaux textes liturgiques officiels sont bien, si invraisemblable que cela puisse paraître, sous *copyright*. Ce *copyright* appartient à une dénommée « Association épiscopale liturgique » (A.E.L.), agissant en qualité de firme commerciale. Il est géré par un comité ou club intitulé « Centre national de pastorale et de liturgie » (C.N.P.L.). Pour toute reproduction une autorisation est commercialement nécessaire. On laisse benoîtement entendre que l'autorisation n'est pas *toujours* assortie de droits à payer !
V. -- Simonie ? Non point.
Des esprits trop prompts pourraient parler ici de ce vice contraire à la justice qui s'appelle la *simonie.* Ils auraient tort.
La simonie consiste à vendre les choses *saintes.*
Tel n'est évidemment pas le cas.
J. M.
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### Léon Daudet, ce vivant
par Michel de Saint Pierre
« IL Y A DES MORTS qu'il faut qu'on tue ! »
Depuis beau temps déjà, cette petite phrase est tombée comme un couperet. Elle est plus qu'une simple phrase, d'ailleurs : elle est une réalité surprenante, essentiellement actuelle.
Maniant aujourd'hui des moyens d'hypnotisme, de mensonge et de perversion dont les autres âges ne disposaient pas, notre temps semble propice à l'assassinat des morts. Si tel écrivain, par exemple, avait de son vivant la réputation d'un homme sans peur, attaché à son honneur, à l'honneur de la France et à l'honneur de Dieu ; si de surcroît on le disait « de droite » ; si, fidèle en amitié, il était encore souverainement fidèle à ses adversaires, en sorte qu'ils le trouvaient debout devant eux, en travers de leur chemin -- s'il aimait enfin sa patrie jusqu'au sacrifice, jusqu'à l'effusion -- alors, soyez-en sûrs, notre subversion fouisseuse lui creusera une tombe de plus en plus profonde. S'efforcera-t-elle, après sa mort, de le déchirer ? Aucunement. Je le répète, elle lui ouvrira un insondable caveau, pour recouvrir sa mémoire d'oubli et de silence.
C'est ainsi, par le silence, par l'oubli, que les adversaires de la France, de la civilisation chrétienne et de l'Occident, ont prétendu supprimer jusqu'au nom de Léon Daudet. De même qu'ils ont voulu effacer les syllabes magiques formant le nom de Charles Maurras.
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Car la conspiration du silence n'est pas un mythe aimable, nonchalamment appuyé sur une formule heureuse : *c'est un fait*. C'est le fait de chaque jour, à l'époque étrange où nous voici. Comment expliquer, pour nous borner à cet aspect des choses, que notre enseignement philosophique, en France, fasse une si large part à l'étude du marxisme, au nom de l'objectivité -- en méconnaissant totalement, et d'une manière concertée, les vastes et puissants courants de la pensée nationaliste qui vont de Barrès à Maurras et à Daudet, de l'Action Française à Brasillach et Saint-Exupéry, de Bernanos à Ploncard d'Assac ?
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Le 16 novembre dernier marquait, pour nous autres gens fidèles, le centième anniversaire de la naissance de Léon Daudet. Léon Daudet qui avait contribué à sauver la France, lors de la guerre de 1914-1918, en démasquant le Bonnet Rouge et les trahisons ; Léon Daudet qui fut l'un des grands serviteurs de son pays ; Léon Daudet qui a été pour deux générations d'hommes, en compagnie de Maurras, l'inspirateur, l'insuffleur du patriotisme le plus efficace et le plus pur ; ce terrible Léon dont le rire et la colère ont fait trembler tant de vitres, chez tant de froussards et de traîtres, et pendant tant d'années !
Eh bien, j'ai honte de le dire pour cette France que nous aimons : nous n'avons pas été nombreux à souligner cette date, cet anniversaire de la naissance d'un lion. Une presse juste (elle n'est pas la plus puissante ni la plus répandue, hélas, tant s'en faut !) a rappelé ce que fut et ce que reste Léon Daudet. Ici même, dans le numéro de novembre d' «* Itinéraires *», Georges Laffly consacrait des pages éloquentes au souvenir de « Bloy et Daudet ». Quant à l'autre presse dite française, elle avait, pensez-vous, bien d'autres anniversaires à célébrer : tels le centenaire du « Capital », de Karl Marx -- et le cinquantenaire de la Révolution soviétique d'octobre !
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Je crois pouvoir affirmer, cependant, que tout ce grand effort de silence, de la part de la subversion, échoue misérablement : trop d'âmes, dans ce pays, raniment la flamme qui veille sur Léon Daudet et Charles Maurras. Et pour reprendre l'étonnante image d'Anna de Noailles, leur cendre est plus chaude que bien des vies !
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-- « Quand vous avez la chance de posséder l'amitié d'un lion, vous ne l'attachez pas, vous ne le mettez pas en cage », disait en substance Charles Maurras à tel abonné de « *l'Action Française *» qui se plaignait, un jour, des véhémences et des truculences de Daudet.
Je n'ai pas connu Léon Daudet ; parmi ceux que la terre a pris pour elle, il est cependant l'un des plus vivants dans mon esprit et dans mon cœur. Cela tient à deux ou trois raisons que voici : d'abord, Daudet était celui qui avait toutes les formes du courage et, dans la période d'avilissement et de bêtise où je vis, je ne mets rien au-dessus du courage. Il était, d'autre part, un humaniste : membre d'une espèce humaine essentielle, et pourtant en voie de disparition. Nous savons bien ce que c'est, l'humanisme : c'est l'étendue de l'esprit, fertilisée non seulement par une somme de savoir, mais par cet incomparable levain qu'on appelle la curiosité c'est l'épanouissement gratuit et végétal de la connaissance, une terre privilégiée qui reçoit les graines des quatre vents, sans que la fleur y soit jamais d'un moindre prix que le blé.
Baudelaire parlait de la « Morne Incuriosité ».
Nous la rencontrons bien dans le monde d'aujourd'hui, à tous les échelons et dans toutes les professions, chez les gratte-papier autant que chez les diplomates, chez les gens d'affaires, chez les ingénieurs trop souvent enfoncés dans la grande nuit de la technique, et chez les bêtes politiques, davantage que partout ailleurs. Daudet, lui, était un grand curieux, un immense curieux comme Rabelais, comme Shakespeare, comme le tsar Pierre le Grand, comme Stanley, Marchand et Livingstone, comme Clemenceau et Gallieni, comme Pasteur et Curie, comme Léon Bloy et Charles Maurras.
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Mais la curiosité de Daudet portait une marque singulière, qui n'appartenait qu'à lui : je ne sais quel appétit dévorant, quelle puissance d'assimilation, quelle ardeur d'ogre joyeux -- et tout cela fait de cet homme un phénomène unique dans l'histoire littéraire et politique des cinquante dernières années.
Il y avait, dans ce « gros géant », une certaine qualité de délicatesse dont nous reparlerons ; malgré les excès véhéments et débordants de sa nature, elle lui permettait de saisir dans l'air un parfum, un poème, la beauté d'une femme ou l'or gaspillé d'un soir.
De celui-là, de ce Léon Daudet pour qui j'ai tant de vivante amitié -- et l'amitié est un mot dont je n'ai jamais abusé -- je ne parlerai certes pas ici avec ordre et méthode, mais au gré d'une fantaisie et d'un désordre qui me conviennent. Je veux répéter qu'une figure de cette taille ne se détruit pas -- même si les acides politiques s'en mêlent et que cette effigie à la fois rieuse et terrible, nous ne permettrons pas qu'on l'oublie.
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Il existe une tournure d'esprit que l'on nomme le « non-conformisme » et qui se résume à recevoir toutes les influences, sans en subir aucune -- à ne pas lever en l'air le doigt mouillé de la prudence, pour savoir d'où vient le vent -- à traverser les fleuves de la vie sans jamais se préoccuper du sens du courant -- à traiter les gens en place, les gens au pouvoir, les gens titrés, décorés, cravatés, le percepteur et le chef d'État, exactement de la même manière qu'on traite les autres humains (et sous bénéfice des mêmes inventaires). A se ficher éperdument, pour reprendre l'expression même du « grand Léon », des amis ou des ennemis qu'un article ou un livre pourront vous faire. A ne jamais renoncer à l'orgueil savoureux d'être sincère ; au plaisir délicat et profond d'être juste ; à la volupté de plomber les cuistres et de saluer les héros. Et surtout, pour me résumer, à choisir librement et jusqu'au bout l'air que l'on respire, les mots que l'on dit et les mains que l'on serre.
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Dans ce domaine, Léon Daudet pourrait servir de maître à la plus grande part des soi-disant élites d'aujourd'hui, qui prennent si volontiers leur part de l'aplatissement général. Et que l'on ne s'y méprenne pas. Je n'érige nullement ici l'agressivité en modèle, ni la polémique en vertu. Je veux simplement qu'un homme indigné garde le courage d'exprimer son indignation -- et que devant l'injustice, le malheur, la misère et le mensonge, un être humain soit toujours prêt à souffrir jusqu'à la révolte. C'est exactement ce que faisait Léon Daudet, prompt à laisser résonner sa colère comme un tambour de fer ; plus prompt encore à s'incliner, avec des mots de pitié et de compassion incomparables, devant la pauvreté, la maladie, la solitude et la douleur.
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Je le vois, grâce à l'excellent portrait à la plume que Roger Wild a tracé de lui, large, vaste, doué pour le rire, enfonçant dans un fauteuil ses épaules énormes, calant un ventre robuste et copieux ; laissant filtrer sous les lourdes paupières le regard d'un observateur que nul n'a jamais pu tromper. Son visage est épais, généreux, redoutable -- et bon. Les plis y apparaissent sur des traits vultueux qui me donnent le sentiment d'une irrésistible force. Le nez est courbe, sensuel ; les narines sont aptes à capter les parfums du monde et l'odeur des bonnes cuisines ; les sourcils épais soulignent encore ce qu'il y a d'indomptable dans le personnage et cette avidité prodigue...
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Je ne raconterai pas ici la vie de Léon Daudet. Je dirai simplement qu'il adorait son père Alphonse Daudet -- jusqu'à la vénération ; qu'il était fidèle à ses amis ; attaché farouchement à sa femme, la charmante « Pampille » -- et désespérément dévoué, jusqu'au dernier souffle, à la mémoire de son petit garçon Philippe, assassiné dans les caves de la Troisième République.
Je dirai aussi que son amitié avec Maurras fut l'une des plus belles qui aient jamais existé ; que Léon Daudet a relevé tous les défis dans tous les ordres ; que sa fidélité aux idées pour lesquelles il se sacrifiait valait sa fidélité aux êtres ; et que si l'on peut, sans aucun doute, lui reprocher un certain débordement dans l'expression de sa pensée, un certain parti pris touchant plusieurs de ses adversaires (de même qu'une indulgence excessive à l'égard de ses partenaires), jamais rien de bas ni de mesquin n'a visité le cœur ni l'âme de cet homme-là.
Un livre intéressant à bien des égards, de son biographe Paul Dresse ([^37]), nous décrit les duels célèbres de Léon Daudet, dont j'avais lu le récit dans ses propres mémoires : « *Fantômes et Vivants *», « *Études et Milieux littéraires *», « *Salons et Journaux *», « *Paris vécu *», « *Devant la Douleur *», « *L'entre-Deux Guerres *», « *Député de Paris *» ([^38]) et bien d'autres. Le fait est que notre homme s'est battu quatorze fois en duel, généralement à l'épée -- mais qu'il ne dédaignait pas le sabre ni le pistolet. Voici, racontés par Daudet lui-même, quelques-uns de ces combats.
Il nous montre, par exemple, Georges Claretie « *dans un maillot de couleur sombre, mince, agile, plein d'entrain *», et il conclut : « Finalement, je touchai mon adversaire à la poitrine et la côte, *heureusement*, arrêta l'épée. » Au terme d'un combat avec Henri Bernstein, les deux adversaires sont blessés l'un et l'autre -- et Daudet nous dit : « *Je mourais de soif. Nous allâmes dîner dans un restaurant voisin de la Bourse, célèbre par ses rognons aux pommes de terre... *» Puis enfin, il nous narre minutieusement un duel « *qui m'est demeuré, au souvenir, le plus cocasse, celui avec un royaliste impétueux, intrépide et charmant : André Legrand. *»
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Après avoir manqué cent fois de s'embrocher, les combattants font match nul. Et j'aime assez le ton de Léon Daudet, pour exprimer la philosophie de l'histoire : « *J'eusse été désolé de le blesser grièvement, ou de le tuer, mais l'instinct de conservation m'incitait à riposter très dur -- j'étais élève du grand Ayat, c'est tout dire -- et à contre-attaquer Legrand à toute volée. Résultat : deux égratignures. Le fer a parfois pitié de l'homme. *»
Est-il possible d'éprouver pour ses adversaires moins d'animosité -- je dirai même, plus d'amitié, d'estime, de sympathie ?
Mais ce qui me plaît davantage encore, c'est la décision que Daudet prit un jour (à mon avis plus courageuse qu'aucun duel) de ne plus se battre ; il la notifia sans ambages : « *Je tiens à déclarer, une fois pour toutes, que le duel pour motifs politiques, après le drame terrible et les hécatombes de la guerre, m'apparaît aujourd'hui comme une formalité ridicule et qui a fait son temps. *»
Il ajoutait, pour clore la même déclaration : « *J'estime l'heure venue de renoncer à une pratique que condamnent actuellement le bon sens et les hommes les plus qualifiés en matière de courage et d'honneur : tel, par exemple, mon illustre collègue, le Général de Castelnau, auteur d'une proposition de loi contre le duel* ([^39])*. *»
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Léon Daudet, je le répète, ne supportait pas sans révolte l'ignominie, la bassesse, la cupidité ni le mensonge. C'est dire qu'il eût à souffrir, pendant la durée de cette Troisième République où s'écoula l'essentiel de sa vie d'homme politique, de directeur de journal, de chef de parti, de journaliste -- en un mot, d'homme public.
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Un être à la fois pratique, idéaliste et amoureux de son pays comme Daudet, ne pouvait pas observer sans frémir l'extraordinaire guignol de ce régime, ce jeu de massacre puéril et cocasse, le gaspillage insensé de l'intelligence et de l'énergie au service d'idées fausses, de mauvaises causes ou d'intérêts privés -- en un mot, ce « dégonfling » pathologique, masqué par les solennelles draperies et la mélasse des discours officiels.
Aussi bien, il est infiniment réjouissant de passer en revue la galerie des portraits dessinés par Léon Daudet, d'un trait noir à la Daumier, à la Forain, à la Goya.
Il avait -- et je pense que ce détail le faisait davantage haïr que toute son énergie dangereuse et profonde -- le génie de la caricature. Au Parlement, cela ne pardonne pas. Ailleurs, non plus.
Sous la plume du terrible Léon, le Président Paul Deschanel devenait « *Poldéchanelle* ». Du parlementaire César Chabrun, il affirmait qu'il « *ressemblait bien plus à un chat qu'à un César *». Léon Blum devenait « *une sorte de lévrier hébreux, minaudant et hautain *». Voici maintenant comment Daudet voyait Paul Boncourt : « *Avocat à la coule, tout en ronds de bras et qui porte, sur un corps de poulet dorloté par les belles, une tête à la Robespierre que couronne une ondulation platine argentée. *» Herriot, lui, « *manque de caractère, et on le sent flottant, sous ses formules friables, comme un costaud de saindoux dans un caleçon de tulle illusion *». Je crois bien que c'est Daudet qui avait surnommé Poincaré « *le nain de Lorraine* »*.* Un certain Monsieur Lhopiteau était « *une moule sénatoriale, mais non toxique *». Quant à Albert Sarraut, Daudet le décrivait « *physiquement semblable à un singe défraîchi *» ...
On n'en finirait pas, si l'on voulait énumérer les trouvailles de cet aquafortiste génial. De Georges Clemenceau, il affirmait qu'il avait l'air « *d'une tête de mort sculptée dans un calcul biliaire *». Il disait du Président Fallières : « *Sa place est au marché, c'est certain. Il est fait pour être tâté, soupesé, puis attaché à une longe, conduit à l'abattoir, hélas, vendu, bouilli et mangé ! *» L'un de ses confrères apparaissait sous les traits d'une « *aimable larve, blanc comme s'il sortait des caves de la timidité *». Painlevé, apostrophé par Léon Daudet, roulait des yeux, « *pareil à un chat effrayé qui fait ses besoins dans la braise refroidie *».
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Mais il avait d'autres définitions, plus courtes et plus terribles encore : Cachin, ou « *l'extatique à la tête de veau *», Millerand ou « *le derrière émerveillé *», Émile Combes ou « *cette petite tête de perroquet malade *», Tardieu ou « *le mirobolant *». Briand devenait « *une fille publique *» *;* Barthou, « *le Garde des Seaux *», Chautemps, « *le courtois ténébreux *» et Gustave Téry, « *la truie verticale *». De celui-ci, de Téry, Daudet allait brosser d'ailleurs un tableau beaucoup plus complet, que je trouve dans l'extraordinaire volume de ses mémoires intitulé « *Député de Paris *» ([^40]), et que voici :
« *Téry avait arboré, pour la circonstance, une costume merveilleusement adéquat : un complet gris et rose, couleur* « *truie *», *qui lui moulait les tétines et la croupe, de la plus agréable et galante façon. Sa face naturelle, qu'a popularisé le crayon de Sennep, semblait un petit masque, écarquillé et imité de l'animal en question, auquel un costumier facétieux eût ajouté des moustaches et un menu bouc... le bouc qui écrivit les Cordicoles. Ce masque reposait sur un triple rang de volutes alternées de lard et de saindoux, grivelées et retombantes à miracle. Dans la moitié inférieure de ce quadrupède redressé, le pantalon, extraordinairement ample et court, semblait aggravé et alourdi de plusieurs bouses internes qui sautaient et marchaient avec Téry. Car l'animal n'était pas immobile.* »
Allant de pair avec ses dons de caricaturiste, le don de la farce, de la plaisanterie énorme lui appartenait également. Tenu compte de la manière dont ses ennemis le traitaient, c'était d'ailleurs d'excellente guerre. Bonnevay devenait « Bonnevesse » ; Franklin-Bouillon était surnommé « Washington-Potage ». Et dans ses meilleurs jours, le tumultueux Léon lançait à ses amis des plaisanteries rabelaisiennes, telles que : « Je vous parie le prépuce de Blum contre un million... »
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Un jour, durant son mandat de député de Paris, l'un de ses adversaires politiques parlait d'abondance à la tribune -- et vraisemblablement pour ne rien dire. On vit alors Léon Daudet parcourir les rangs de l'hémicycle en répétant d'une voix monotone, comme il l'avait entendu faire aux employés de gare avant le départ des trains de nuit : « Oreillers... couvertures... Oreillers... couvertures... »
Le rire devint si contagieux sur tous les bancs -- le « polygélasme » de Rabelais -- que l'orateur dit-on arrêta net son discours.
Or, à cette époque, vivait un être privilégié qui parvint à rassembler sur sa personne équivoque tous les orages de la verve léonesque. Ce fut Briand -- l'un de ceux qui contribuèrent le plus efficacement, l'histoire l'a déjà dit et le répétera, à conduire la France tout droit vers sa défaite. « *Mais mon paillasse de choix et celui sur lequel je m'essuyais les pieds avec le plus d'entrain, c'était, au premier rang, Aristide Briand. Il m'inspirait : et, quand je l'apercevais, méfiant déjà, la margoulette de biais sous sa pluie de cheveux sales, je me sentais d'aplomb comme jamais. *»
Déjà, Briand n'avait pas été ménagé par Clemenceau qui l'avait surnommé « le voyou de passage ». Ni par Tardieu, qui voyait en lui « un chien crevé au fil de l'eau ».
Mais rien n'approcha du feu d'artifice de Léon Daudet, s'agissant de notre Aristide national. « *Il ressemble à une huître sur laquelle on a versé du citron *», disait-il après l'avoir apostrophé en pleine Chambre. Daudet, toujours lui, appelait la fameuse et peu solide éloquence de Briand, un « *vadrouillando ma non troppo* ».
Voici, telles que nous les rappelle Paul Dresse, ou telles que nous les retrouvons dans ses Mémoires, les ultimes variations de Léon Daudet, sur le thème Aristide Briand, variations que nous serons loin, encore, d'avoir épuisées :
« *Le chat bossu... *»
« *Briand, avec son physique de voleur de chiens de banlieue... *»
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« *Ce dégingandé, à faciès de photographe mystique, a toujours la main sur son cœur. A chaque instant, des intonations de placier en cartes transparentes... *»
« *Il y a en Briand un singulier mélange du mystificateur et de l'hypocrite, un mystificateur qui se prend au sérieux, un hypocrite qui simule la loyauté avec sa belle voix sombre et les mains en avant :* « *Voyez, messieurs, pas une goutte de sang. *» *Comme s'il n'y avait que le sang qui tache.* »
« *Quel régal d'avoir Briand, Aristide Briand en contrebas, avec sa petite bosse omoplatéenne, tel un gosse sur le dos d'une négresse ! *»
Et pour finir, ce trait qui met bien en valeur le manque de culture ahurissant dudit Briand : « *Son point faible, c'était son ignorance totale, cosmique, universelle, en histoire, géographie et le reste. Il prenait le Concile de Trente pour une réunion de trente personnes... *»
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Un portraitiste est incomplet, s'il n'est capable que de caricatures. Daudet savait aussi -- il savait surtout -- parler de ses amis, de ceux qu'il aimait et admirait. C'est lui, ancien étudiant en médecine, qui écrivit sur l'un de ses maîtres cette phrase admirable : « *Au chevet des agonisants, le docteur Potain devenait immatériel, impalpable, telle qu'une lueur de phare sur les flots. *»
De Charcot, le célèbre professeur de la Salpetrière :
« *Charcot, avec un front trop bas, avait la rectitude du visage d'un Bonaparte replet, et j'imagine que cette presque ressemblance, soigneusement cultivée, influa sur ses manières et sur son destin. Je n'ai pas connu d'homme plus autoritaire, ni qui fît peser sur son entourage un despotisme plus ombrageux. Il suffisait, pour être fixé, de le voir, à sa table, promener un regard circulaire et méfiant sur ses élèves ou de l'entendre leur couper la parole d'un ton bref. Il était gras, complètement rasé, avec une bouche à l'arc méditatif et dur, de larges joues, un corps trapu, des jambes courtes et fortes, à l'aide desquelles il marchait lourdement.*
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*Au repos, il mâchonnait ou tripotait son lorgnon d'une belle main assez molle et froide. La voix était impérieuse, un peu âpre et sourde, souvent ironique et appuyée ; l'œil d'un feu extraordinaire. *»
La puissance d'évocation de tels portraits me semble inégalable, et je pense qu'elle est restée de nos jours inégalée, digne du célèbre « Bertin » sous le pinceau d'Ingres -- ou du « Bonaparte » de David.
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Ayant lu avidement presque toute l'œuvre de Léon Daudet, je puis tenter un jugement sur les diverses allées et frondaisons de cette immense forêt.
Je pense qu'il fut un mauvais romancier, « *Les Morticoles *» mis à part et peut-être deux ou trois autres romans à thèse. Je ne comprends pas, je ne comprendrai jamais comment un être aussi doué dans l'observation, le portrait, et davantage : la description des ambiances, le démontage même des plus délicats rouages psychologiques -- non, je n'arrive pas à comprendre pourquoi il fut un aussi piètre auteur de romans.
Car enfin, je n'hésite pas à dire -- après bien d'autres -- que Léon Daudet a été certainement l'un des écrivains les plus complets et géniaux de ce siècle.
Cela dit, il est pour moi -- et restera dans l'histoire des Lettres -- le premier des mémorialistes du temps. Et certainement aussi, son critique littéraire numéro un. Il projetait, sur le talent et sur l'absence de talent, une sorte de phare éblouissant. D'ailleurs, c'est lui qui, en dépit de tout ce qui les opposait, souligna jusqu'au bout le génie cosmique de Paul Claudel. Lui encore qui découvrit notre grand La Varende et l'annonça aux foules dans un article resté célèbre, à grands coups de trompette et de cymbales... Lui toujours qui sut arracher à pleines mains, quoi qu'il pùt lui en coûter, l'ivraie de nos champs de blé.
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Il jugeait aussi bien les vivants que les morts -- et voici une étonnante description de Hugo : « *Le plus miraculeux assembleur de mots, tel nous apparaît bien Victor Hugo.* (...) *Volcan en perpétuelle éruption, il lance des comparaisons étincelantes, des figures emblématiques : chacune de ses œuvres est une coulée de laves qui se refroidissent en cathédrales. *»
Amateur des correspondances mystérieuses, il parlait aussi bien des peintres et des musiciens que des romanciers et des poètes. Sous sa plume, l'Art devenait un vaste orchestre dont les instruments s'accordaient. Voici, à propos de Beethoven : « *La musique, mélodique ou symphonique,* SURTOUT SYMPHONIQUE*, est non seulement chère, mais indispensable à tous ceux et à celles qui, las de regarder leur douleur en face, et de la subir de plein fouet, cherchent un dérivatif, un baume, une consolation, dans le Léthé des rythmes et des sons,* SURTOUT DES RYTHMES *dont le son n'est que la couleur. *»
Et Léon Daudet ajoutait : « *Beethoven, ce n'est pas le dessert, c'est le pain ! *»
Au delà même des correspondances artistiques, sa formation médicale le servait pour jeter entre les gens et les choses des ponts hardis. « *Qu'est-ce que la doctrine maurrassienne, c'est un cours de clinique politique : ce sont les règles de la science de l'organisme, appliquée à l'État. *» Et ceci, drolatique, touchant l'une de ses bêtes noires : « *Pauvre Herriot ! Il croit au Front populaire. Il ne voit pas que le frontal se détachera immanquablement des pariétaux. *»
Et puis, bien sûr, l'artiste et l'humaniste, chez Léon Daudet, trouvaient leur indispensable complément dans un gastronome de premier ordre. Ce gourmand, ce gourmet, savait exprimer sa joie de la manière la plus succulente, la plus gaillardement évocatrice. Par exemple : « *l'anguille ainsi saisie -- ne pas omettre le poivre -- a toute sa délicieuse et moelleuse saveur, un peu à la façon dite* « *tartare *», *où, comme chacun sait, elle est grillée. Mais le lard lui fait un arrière-plan solide et charnu comparable aux préparations de Rembrandt dans ses eaux-fortes les plus poussées*. »
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Cette formule encore, qui est la réhabilitation du divin aïoli : « *Rien de plus suave, de plus tendre même -- physiquement parlant -- que cette crème aux reflets verts, du ton du vert de Velasquez sur les persiennes de la Villa Médicis. *»
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Dans le fameux « *Courrier des Pays Bas *», que Léon Daudet écrivit en exil (pour avoir défendu avec trop d'ardeur la mémoire de son petit Philippe assassiné), j'ai lu les plus hautes pages que l'on ait jamais écrites sur Baudelaire -- des pages où le critique s'élève jusqu'au poète, par la hauteur du ton et la beauté du chant. En voici un trop court passage, alors qu'emporté par l'admiration, j'avoue que j'allais tout citer ([^41]) :
« *J'avais quinze ans quand j'écrivis cette remarque qui s'applique bien à Baudelaire :* « *L'homme qui s'écoute entend un glas. *» *On se rappelle le* « *Mon cœur, comme un tambour voilé, va battant des marches funèbres. *» *Cette âpre pente de son âme l'eût incliné au pessimisme d'un Schopenhauer et d'un Leopardi, si n'eût veillé en lui la certitude de la divinité du Sauveur, une certitude qui faisait le pont entre sa sensibilité quasi agonique et sa raison de diamant taillé*. »
\*\*\*
Qu'il me soit permis de clore ainsi non pas une étude, mais des propos à bâtons rompus que m'inspire l'amitié pour un homme que je n'ai pas connu.
Nul peut-être -- et pas même Maurras -- n'a suscité autant de haine que cet homme-là, qui était bon. Et nul n'a été plus méconnu que cet écrivain d'une race prodigieuse, que cet artiste qui, sous d'assez frustes apparences, cultivait une âme délicate, riche en pétales et en parfums -- comme certains jardins secrets de l'Espagne que l'on découvre derrière l'épaisseur des murs.
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D'ailleurs, tous les dons, chez Léon Daudet qui avait connu la pire souffrance et bu son calice amer jusqu'à la lie, étaient soutenus, éclairés, exaltés par une foi qui n'a jamais faibli.
C'est encore à propos de Baudelaire qu'il a écrit -- et de telles paroles en disent long, très long sur la qualité d'une âme et d'un esprit : « *Il vécut dans la foi catholique, au moins théoriquement, et toute la structure intime de sa pensée orientée vers le rachat et le pardon, la transmutation de la volonté en douleur et de la douleur en extase, marque la hantise du calvaire. Il a le frisson de la croix... *»
Michel de Saint Pierre.
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### L'Université moderne, centre de subversion
par Thomas Molnar
A CÔTÉ, mais en conjonction avec les *mass media* notre époque voit surgir une institution nouvelle, l'Université. Je dis « nouvelle » car l'Université contemporaine n'a, au fond, que peu d'attaches avec celles qui ont existé pendant des siècles. Il est vrai que l'Université du XIX^e^ siècle, par exemple, ne ressemblait pas tellement à ce qu'ont été, au Moyen Age, la Sorbonne ou Oxford, et qu'ainsi les changements, même profonds, dans la vie institutionnelle des Universités sont, apparemment, dans la nature des choses. Il n'en est pas moins vrai qu'il faut examiner cette institution dans ses formes actuelles afin de ne pas se tromper sur ses caractéristiques qui jouent et joueront dans l'avenir un rôle tout à fait spécial dans la vie des nations.
\*\*\*
Le fait le plus significatif depuis deux décennies environ est que l'instruction obligatoire embrasse aujourd'hui les Universités dans son ambition d'inculquer dans toute la jeunesse, les connaissances et attitudes requises dans le monde moderne. Cela a commencé aux États-Unis où aux anciens combattants, au sortir de la seconde guerre mondiale, le gouvernement a octroyé les frais d'inscription et un minimum de maintien à l'Université de leur choix afin que les années « perdues » puissent être ainsi « rattrapées ».
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Ce geste de Washington a eu comme résultat l'ouverture de centaines de nouvelles écoles pour dispenser telles ou telles connaissances. C'était du bon « business », et il n'y avait personne pour imposer au moins un certain niveau. Le deuxième résultat a été l'habitude prise par les parents et les jeunes de continuer les études au-delà de l'enseignement secondaire, de toute manière extrêmement pauvre comme préparation intellectuelle et culturelle. De nombreuses bourses de plus en plus généreusement distribuées permirent aux Universités d'augmenter le nombre des inscrits, et partant leur propre prestige.
Cette véritable inflation dans le nombre des étudiants n'allait pas sans une inflation correspondante dans le nombre et la qualité -- des professeurs. Il est regrettable mais normal que dans ces conditions l'orientation et des professeurs et des étudiants devienne extra-universitaire, et, à cause de la pente du siècle, idéologique. Il est plus facile à un professeur et à une classe inadéquatement préparés dans telle discipline de discuter « informellement » des affaires du monde en général que de se consacrer à la grammaire, à l'histoire de l'Antiquité ou à telle autre matière.
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En outre, la « population » universitaire ainsi accrue tente par son nombre même les agitateurs politiques qui ont, parmi ces étudiants futurs électeurs, un public facilement impressionné, influencé, persuadé. Bref, nous sommes devant le phénomène non seulement de la politisation, mais aussi de l'idéologisation (si l'on me permet ce barbarisme) de la population universitaire.
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En Amérique latine ce processus est beaucoup plus avancé, d'ailleurs, qu'aux États-Unis. Là ce n'est pas l'invasion du nombre qui l'avait déclenché mais le marxisme après la révolution de 1917. Ce qui a frayé passage à ce marxisme, c'était la haine des intellectuels sud-américains contre le capitalisme des États-Unis. Dès 1919 des lois sont passées (en Argentine d'abord, puis dans les autres pays) selon lesquelles chaque Université serait gouvernée par une commission composée de professeurs, d'étudiants et d'anciens étudiants. C'était, en peu de temps, laisser la main presque libre aux étudiants, c'est-à-dire au groupe radical qui clamait le plus fort et qui devint « représentatif ».
Une des raisons de la tolérance des professeurs se trouve dans la structure même de l'économie. Les professeurs, afin de subvenir aux besoins de leur famille, cumulent trois, quatre, cinq « jobs », ce qui est phénomène courant dans ces pays. Ce cumul ne leur permet pas de devenir compétents dans la matière qu'ils enseignent, et ne leur permet pas non plus de passer davantage que les quelques heures requises dans l'enceinte de l'Université. Cet état de choses les rend, évidemment, très vulnérables : même s'ils voulaient voter contre les propositions adoptées par les étudiants, ils ne s'y risqueraient guère, de peur d'être soumis au chantage au bout duquel se trouve leur renvoi pur et simple. Car ces « commissions mixtes » ont même l'autorité d'engager et de renvoyer les enseignants, avec les conséquences qu'on devine : le nombre des professeurs communistes et d'extrême-gauche est en croissance.
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Ajoutons que depuis les années 1950 le nombre des étudiants enrôlés augmente lui aussi. L'urbanisation des couches populaires, l'industrialisation qui exige certaines compétences théoriques ouvrent plus larges les portes des Universités à des gens que mobilise assez facilement la propagande extrémiste. C'est à tel point vrai que la majorité des guérilleros latino-américains se recrute parmi les étudiants. Au Guatemala j'ai entendu dire à un industriel, séquestré pendant plusieurs semaines par un groupe de guérilla avant que sa famille n'ait payé la rançon, que ses gardiens parlaient de leurs études et que certains disparaissaient de temps en temps pour être présents aux examens.
Malgré leur structure moderne, ces Universités gardent encore leur privilège traditionnel d'extraterritorialité. Comme la police n'y pénètre pas, les étudiants établissent à l'intérieur des Universités des places-fortes, des arsenaux d'armes légères, et même, à Caracas, par exemple, des chambres de torture où sont exécutés leurs adversaires politiques kidnappés en pleine rue. Ce n'est qu'avec la prise de pouvoir du gouvernement Ongania qu'en Argentine la police est venue à bout de la résistance « estudiantine » avant que les forces rouges ne puissent se barricader et se servir de leurs armes. Et à Caracas, le gouvernement du socialiste Leoni envoie des troupes afin de déloger les étudiants de leurs positions de défense.
En Afrique et en Asie les Universités sont, elles aussi, en une période de transition. Là où elles sont de fondation catholique et dirigées encore par les Pères (Lovanium près de Kinshasa, Saigon, l'Université Sophia à Tokyo, etc.), l'agitation politique est nettement moindre quoique étudiants et professeurs en bon nombre soient ouvertement des radicaux. Mais dans la plupart de ces pays dits du Tiers-Monde un régime plus ou moins dictatorial impose des limites assez strictes aux activités des étudiants, même dans les Universités non-catholiques. Ce n'est qu'au Japon, pays « occidentalisé », que nous voyons de nouveau les Universités comme centres explosifs de l'agitation de gauche.
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Avant de tourner notre attention vers les Universités d'Europe et vers leur avenir déjà prévisible, ajoutons encore quelques remarques sur ces Universités américaines auxquelles celles de l'Europe ressemblent davantage, et d'ailleurs de plus en plus.
L' « inflation », dans le nombre des professeurs entraîne, nous l'avons dit, une nette détérioration de leur qualité et leur compétence. Cela devient évident quand nous réfléchissons à ceci : cette catégorie, presque seule aujourd'hui parmi les catégories d'intellectuels, n'est guère attachée à la société et ses fonctions par des liens de responsabilité directe. Aux États-Unis tous ceux qui manipulent des idées (*idea-men, opinion makers, opinion leaders* sont déjà les termes qui les désignent), à l'exception des professeurs et des journalistes, sont devenus ou sont en train de devenir des fonctionnaires quasi-publics. C'est, paraît-il, inscrit dans la structure même des sociétés de masse, industrialisées, où même les grandes féodalités (entreprises, syndicats, fondations culturelles, armée) collaborent afin d'éloigner les périls de conflit grave et d'anarchie. Peu à peu les *idea*-*men* deviennent les représentants des groupes, des représentants élus et responsables, de sorte que leur liberté de manipulation se restreint, leur fonction devient circonscrite. C'est que les *interest groups* derrière eux n'ont plus le champ pratiquement libre comme au bon vieux temps de la libre entreprise ; ces *interest groups* doivent à présent réaliser leurs objectifs dans les couloirs étroits que la compression de la société leur réserve mais où d'autres cherchent également à pénétrer.
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Les Universités ne constituent guère une exception à cet égard, du moins les Facultés de science pure et appliquée. Le recteur et son administration ne sont plus libres de la pression sociale qui se manifeste par les commandes passées par les grandes entreprises et, toujours davantage, par le gouvernement lui-même. Ainsi les Facultés de science se dégradent à n'être que des laboratoires au service de l'industrie privée et du gouvernement (par exemple de l'armée).
Cela n'est évidemment pas le cas des Facultés de lettres, de philosophie, d'histoire et de politique, etc. Les professeurs de ces sections sont encore libres, mais cette liberté se traduit surtout par l'irresponsabilité idéologique. D'abord, ils n'ont de compte à rendre à personne. Ensuite, l'organisation croissante de la vie, académique et extra muros, les rend rebelles, rébellion qu'ils poussent jusqu'au nihilisme, d'autant plus que devant eux ils n'ont pas des électeurs attentifs mais des étudiants eux-mêmes en pleine insurrection, ne fût-ce qu'à cause de leur âge. Je répète que la raison la plus sérieuse de cette attitude des professeurs est le nombre de positions universitaires ouvertes à n'importe qui pourvu qu'il soit muni des diplômes requis mais aujourd'hui trop faciles à obtenir sans compétence véritable.
L'atmosphère à l'intérieur des Universités n'est pas, par conséquent, pénétrée par la soif authentique des connaissances et de la vérité. Les jeunes gens y arrivent afin de faciliter l'obtention d'un job, et, d'ailleurs, l'Université américaine les pousse à ne chercher que cela, car elle leur offre un choix multiple digne d'un super-marché étalant ses marchandises. Ce qui est étonnant c'est que la survie d'une habitude terminologique nous oblige encore à parler d'études, de formation intellectuelle, de personnes doctes, et en général d'élites -- quand, au fond, il s'agit de petits fonctionnaires futurs auxquels un personnel plus ou moins étroitement spécialisé communique des bribes d'information plus ou moins monnayables. « Monnayable » se réfère, par ailleurs, non seulement à ce que l'on peut convertir en salaire, mais aussi à ce qui aide à formuler les idées reçues et les slogans idéologiques en usage dans les grands journaux et petites revues, aux meetings politiques, aux manifestations de rue et aux cocktail-parties. De cette façon le professeur contribue à alimenter, en chair humaine et en idées prétentieuses, la révolution permanente.
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Cette tendance, je n'en doute pas, va bientôt envahir les Universités européennes également. Nombre croissant d'étudiants, baisse de niveau chez eux ainsi que chez les professeurs, Universités en symbiose plus ou moins volontaire avec l'industrie et avec l'État -- ce sont les étapes, ou plutôt les phénomènes parallèles de l'évolution. Il est » vrai, les Universités européennes sont depuis longtemps politisées, leurs corporations et syndicats estudiantins sont inféodés aux partis politiques de préférence extrémistes. Et les professeurs de même. Mais ce qui est nouveau, d'ailleurs aux États-Unis aussi, c'est le début d'une prise de pouvoir à l'intérieur des Universités par les étudiants. « L'expérience » sud-américaine est donc à craindre. Elle pourra se répéter.
A l'Université de Californie (Berkeley) le groupe radical de l'agitation Mario Savio était à deux pas du « pouvoir » (appuyé par beaucoup de professeurs, surtout les jeunes assistants) lorsque la crise éveilla quand même les autorités. A New York et dans plusieurs autres villes les éléments ultra-gauche établirent, plus ou moins simultanément avec les événements de Berkeley, une « Université Libre » où sont enseignées des « matières » comme action révolutionnaire, structure de la société bourgeoise, bouddhisme Zen, psychanalyse, drogues (*sic !*) et existentialisme. (N'oublions pas que Fidel Castro a été étudiant de l'Université marxiste-léniniste au Mexique, et que les Universités « libres » un peu partout en Occident, même si elles s'enorgueillissent d'un curriculum grotesque, sont encadrées par les marxistes. N'oublions pas non plus que la « révolution culturelle » en Chine communiste mobilise, contre le Parti et l'Armée, même contre les ouvriers, les universitaires et les lycéens pour lesquels la révolution servira « d'éducation ». Or, ces événements à l'échelle mondiale, et glorifiés dans la presse de nos pays, exercent une forte influence sur la jeunesse des « sociétés d'abondance » que la vie trop confortable énerve et désaxe.)
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Pour revenir aux Universités d'Europe, nous y voyons déjà les tendances à l'anarchie et à la démagogie. Ces phénomènes commencent, en règle générale, par être « officialisés » par les autorités universitaires qui, primo, n'ont pas le courage d'y résister, secondo, ne veulent pas perdre la face. (Encore une fois, c'est le modèle sud-américain.) Ainsi en Suède, le programme des classes universitaires est établi collectivement par le professeur et les étudiants. Ces derniers élisent deux délégués qui vérifient au cours du semestre que le professeur se tient au programme convenu. Cette même caricature de l'enseignement sera bientôt suivie dans plusieurs Universités américaines où les étudiants exigent le droit de « co-gestion », notamment un ou plusieurs sièges à la commission qui élabore le programme. En outre, les étudiants de chaque cours donneront des « notes » au professeur selon qu'ils le trouvent acceptable, médiocre ou inacceptable.
Une étape considérable dans cette « escalade » sera réalisée à Berlin-Ouest cette année. Là, on se rappelle, se trouve depuis les débuts de l'occupation une Université Libre (Freie Universität Berlin), autorisée et financée par les Alliés, surtout les Américains, et dont les Facultés sont peuplées par les anciens émigrés de l'Allemagne nazie ainsi que par la crème de l'Europe et de l'Amérique progressiste. Tout comme Berlin-Ouest forme une enclave de liberté en territoire communiste, la Freie Universität constitue une enclave marxisante dans Berlin-Ouest. Notre siècle a de ces paradoxes...
A présent les étudiants de la F.U. ont décidé de mettre sur pied une « Université critique » (Kritische Universität), laquelle ne sera pas, comme à New York, une « contre-université » mais s'installera, justement, à l'intérieur de la F.U., transformant en partie celle-ci en une K.U. ! Le baccalauréat ne sera pas requis pour qui veut s'inscrire, et seront admis « étudiants, ouvriers, fonctionnaires et professeurs ». Les séminaires, les groupes de travail, les colloques et les « forums » seront organisés uniquement par les étudiants eux-mêmes qui éliront un directeur de cours dans leurs propres rangs. Les professeurs véritables ne pourront jouer que le rôle de « spécialistes » associés aux études.
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Pour le semestre 1967/68 trois « matières » seulement ont été mises au programme : 1) Critique permanente des Universités et réforme pratique des études ; 2) Intensification de l'action politique spontanée à partir de Centres militants ; et 3) Préparation des étudiants à la pratique (!) des sciences sociales en vue de leur profession future. Un cercle d'étude est prévu avec ce titre : « La démocratisation, des écoles par l'action politique des élèves et des étudiants. »
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Dans ces quelques pages j'ai attiré l'attention du lecteur uniquement sur les phénomènes les plus saillants de la vie universitaire de nos jours. Je n'ai pas parlé de la salle de classe moyenne où la pensée de gauche (pas nécessairement marxiste) est inculquée aux étudiants sous une forme ou une autre. (Et je n'ai pas parlé non plus de la résistance à cette pensée dans d'autres salles de classe et dans d'autres cours.) Ce qui saute aux yeux, cependant, c'est que des millions et des millions de jeunes gens et de jeunes filles sont assujettis à la propagande nihiliste et révolutionnaire sous prétexte d'un enseignement universitaire. Cela se fait, comme j'y ai déjà fait allusion, moins dans les Facultés de science que dans celles dites d'arts libéraux et d'humanités. D'où la jonction, mentionnée au début, de cet enseignement et des *mass media,* revues à grand tirage, journaux progressistes, radio et télévision. Il suffit qu'un groupe d'étudiants et de professeurs de ces Facultés descende dans la rue portant pancarte, signe un manifeste ou donne une conférence de presse, pour que la télévision braque sur lui ses antennes et que de doctes éditorialistes de gauche lui consacrent des textes obscurs quant au style mais clairs quant à la signification et surtout à l'intention. L'Université est ainsi érigée en haut lieu de la conscience morale de l'humanité, sans que les gens se rendent compte de la tricherie perpétrée, notamment que ces Universités ont cessé depuis longtemps d'être les centres désintéressés des études, de la recherche et de la réflexion honnête.
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On peut alors envisager deux solutions entre lesquelles nos sociétés devront tôt ou tard choisir : l'une serait de créer des « contre-Universités » sérieuses où les matières et disciplines seraient remises à l'honneur, où l'on poursuivrait des études sérieuses au lieu de « s'engager ». Il faudrait, dans un deuxième temps, chercher à placer les diplômés de ces écoles dans les postes universitaires où ils exerceraient une attraction certaine sur les étudiants authentiques. Il s'agirait donc d'une autre « prise de pouvoir » à l'intérieur des Universités, cette fois par les hommes instruits, consacrés aux études dans le sens traditionnel de ce terme. Cette solution peut paraître utopique dans l'Europe des Universités d'État et, d'ailleurs, fortement structurées, mais elle est déjà dans la phase de l'expérimentation aux États-Unis, patrie de l'initiative privée.
La deuxième solution se réalisera peut-être automatiquement lorsque les dirigeants responsables de la société se rendront compte que la population universitaire, censée fournir à la société ses cadres, devient de plus en plus inutilisable, intellectuellement et moralement dévoyée, professionnellement instable. Il faudra alors retirer son prestige à l'enseignement universitaire et découvrir des moyens nouveaux pour canaliser et développer les talents et les bonnes volontés.
Une chose est certaine : nos sociétés complexes et hautement développées ne pourront longtemps subir l'invasion des barbares de l'intérieur qui en dévorent la substance. Les gardes rouges diplômés à l'intérieur de la Cité sont infiniment plus dangereux que les hordes en armes devant les portes.
Thomas Molnar.
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### Comment apprendre le grégorien
par Henri Charlier
En tête de notre précédent numéro, nous avons présenté au lecteur le livre d'Henri et d'André Charlier : *Le chant grégorien,* et nous avons expliqué pourquoi il est par excellence, aujourd'hui, *le livre de la résistance spirituelle.*
En voici un chapitre. Henri Charlier, aux pages précédentes, a exposé que le chant grégorien : 1° est un art mélodique ; 2° comporte des modes qu'il faut distinguer très nettement : les distinguer non point en notions verbales (classifications plus ou moins artificielles), mais *musicalement*, en donnant aux exécutants une oreille juste et fine ; 3° le rythme est libre et non mesuré.
Rappelons enfin qu'Henri Charlier a pratiqué l'enseignement qu'il expose, pendant vingt ans, dans une paroisse paysanne où toute la paroisse chante chaque dimanche en grégorien l'ordinaire et le propre de la Messe. Il parle donc là de ce qui est parfaitement possible et qu'il a fait lui-même.
POUR DONNER une oreille juste aux enfants il faut simplement qu'ils puissent s'en donner la peine, c'est-à-dire contrôler eux-mêmes la justesse, et il est indispensable pour cela de supprimer l'harmonium. Car avec cet outil les enfants tomberont toujours à peu près juste, mais ne se formeront pas l'oreille ; ils ne feront pas l'effort de discernement nécessaire. Voici comment il faut procéder.
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104:119
Sur un grand papier fixé à une planchette légère qu'on accroche pour la leçon de chant, on trace une portée comme ci-dessus. Le *la* du diapason est marqué ainsi que la place des ½ tons. Pourquoi la clef de sol ? Parce qu'il est plus facile de n'avoir qu'une clef à apprendre, et il existe des éditions grégoriennes en clef de sol. Comme nous avons tout essayé, nous estimons qu'il y a un grand gain de temps à agir ainsi.
On a un sifflet (diapason) donnant le la on le garde à la bouche et on part du *la*. Les enfants descendent, remontent, montent, redescendent. Quand on arrive au la on donne un coup de sifflet. C'est juste ou non ; mais les enfants le constatent très bien et on recommence. Ils font ainsi pour chanter juste un effort dont les effets sont très rapides. Il y a des enfants qui chantent juste du premier coup. Il y a un petit nombre (5 % environ) qui sont vraiment incapables de chanter juste. Tous les autres y arrivent et leur oreille se forme très bien... provisoirement. Les mauvaises habitudes, la paresse, l'absence de bons maîtres produisent ici les mêmes effets qu'en toute chose.
Les enfants donnent en chantant le nom de la note mais il faut aussi les faire vocaliser sur a et aussi sur les autres voyelles, dès qu'ils sont un peu exercés. En général nous nous arrêtions au *ré* d'en bas. Les voix non exercées ne montent guère plus haut que le *ré* d'en haut ; et si une foule doit chanter, ou répondre ou répéter un membre de phrase comme *Kyrie eleison*, il est bon de le savoir, sinon les gens se tairont faute de pouvoir monter, ou bien ils hurleront.
Mais les enfants acquerront petit à petit par l'exercice une, deux, trois notes et même plus.
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105:119
Voici maintenant quels exercices il convient de faire ; ils se réduisent à apprendre avec justesse les différents intervalles. Le même tableau ci-dessus dessiné, sans livres, sans copies, suffit pour tous les exercices. Il suffit qu'il soit assez grand et les notes assez grosses pour être vu de tous ; assez léger aussi pour être très facilement déplacé. Avec une longue baguette et le diapason à la bouche, le maître indique les notes à chanter, secondes, tierces, etc.
On siffle au la et on recommence si ce n'est pas juste. La justesse est atteinte très rapidement. On passe ensuite aux tierces, puis aux quartes quand les enfants savent chanter correctement les tierces.
A mesure des progrès on passera aux quintes, aux sixtes, aux septièmes, à l'octave. Il est très important d'éviter la gamme de do, car les enfants ne s'habitueront jamais trop tôt aux *modes* de la musique grégorienne, ce pourquoi il suffit de faire les exercices tels que nous les indiquons.
106:119
Dès que les enfants savent chanter les tierces, on peut leur faire déchiffrer des chants très simples dans l'ordinaire de la messe, ou même avec la baguette, sur le tableau, des chants populaires qu'ils ont plaisir à reconnaître comme *La tour prends garde* ou *Au clair de la lune*. C'est une distraction lors de commencements toujours arides.
Enfin, puisque les enfants sont entraînés à chanter juste sans accompagnement, on peut leur faire *serrer* les *demi-tons,* sans rien dire ; il suffit simplement de porter leur attention sur leur caractère. Instinctivement les enfants les feront *courts*, ce qui est d'un excellent effet car le caractère des modes en ressort mieux. Les anciens et les hommes du haut Moyen Age chantaient ainsi. C'est la gamme dite pythagoricienne. Dans un art simplement mélodique l'instinct y pousse et c'est là certainement un élément de beauté. Et si d'autre part on est obligé de donner la note à l'ensemble des fidèles, il est bon d'avoir un groupe exercé simplement mais finement, capable de chanter un graduel et un alleluia avec cette délicatesse. Sans accompagnement le résultat est une impression de pureté.
Ces exercices dureront plus ou moins longtemps, mais même lorsque les enfants sauront très bien déchiffrer et chanter, toutes les leçons de chant devront débuter par un exercice de ce genre, plus ou moins difficile, jusqu'aux arpèges, toujours avec le sifflet pour qu'ils contrôlent eux-mêmes la justesse. La souplesse des voix s'acquiert par les vocalises, on peut y consacrer cinq ou dix minutes au début de la leçon. Il arrive que l'humidité de l'air, la température obligent à s'exercer plus longtemps pour obtenir la parfaite justesse d'un chœur. Il est utile de vocaliser aussi sur chaque voyelle.
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##### *Étude des chants*
Tout ce qui précède a trait à la formation des voix pour obtenir une véritable musicalité grégorienne quelle que soit la manière dont on procède ensuite pour faire participer les enfants aux offices.
Il y a deux méthodes, le *déchiffrage* ou le *serinage*. La première est plus lente, car les enfants (et adolescents) retiennent très facilement une mélodie qu'on leur joue sur un instrument. Mais alors ils ne chanteront à peu près juste et correctement qu'avec un accompagnement bruyant et généralement improvisé et sans qualité. Non seulement sans qualité, mais innocemment contraire à l'esprit musical du chant grégorien.
Enfin une schola doit comprendre des chanteurs exercés à lire rapidement un texte musical nouveau, capables d'entraîner et de soutenir les chanteurs de bonne volonté mais moins doués. L'avenir du chant dans les paroisses en dépend. Celui qui sait solfier rapidement et correctement le sait pour toute sa vie. De plus il est impossible de faire chanter les jeunes gens dont la voix mue. S'ils savent convenablement solfier, ils peuvent pendant cette période prendre un instrument de musique, et quand leur voix sera fixée, ils pourront chanter ou jouer sans difficulté.
La voix des fillettes mue aussi, sans changer. Il est d'une insigne barbarie de les faire chanter sur un registre élevé. Entre quinze et vingt ans on devrait toujours ménager leur voix.
108:119
Il est bon de faire prendre les instruments aux garçons dès que la voix menace de muer et c'est leur donner une occupation très fructueuse pendant les loisirs de leur adolescence.
Mais il faut les faire participer le plus tôt possible à un office ou à une cérémonie dans des œuvres très simples qui les encouragent à persévérer. Par exemple aux laudes de Noël, l'antienne « Qu'avez-vous vu bergers, dites-le nous ? » était chantée au Mesnil-Saint-Loup en dialogue par les petites filles et les petits garçons. La clarinette accompagnant ceux-ci, la flûte accompagnant celles-là. Après l'Élévation de la messe de minuit, les mêmes instruments jouaient à la dixième un petit menuet de Campra pour les bergers d'une simplicité enfantine et d'une effet tout à fait adapté à la cérémonie.
Il s'agit d'étudier maintenant un chant particulier. On commencera par des chants très simples, syllabiques, sans intervalles éloignés. On lit les notes, puis on les chante. Quand le chant est bien su, on y applique les paroles, et la plus grande attention est nécessaire ici. Il faut exiger une articulation excellente, il faut que les enfants mordent dans les consonnes pour que le texte soit entendu et que son accentuation contribue à la vie musicale du chant. Ne pas articuler est un défaut très fréquent chez les chanteurs français, qui les rend inférieurs (malgré de très belles voix) aux chanteurs étrangers. Cela vient de la première éducation. Il faut donc dès les premières répétitions d'un chant simple veiller à l'articulation et à l'accentuation des paroles.
Il est souvent nécessaire de transposer. Les enfants s'y habituent sans difficulté. Ils continuent à solfier (ou déchiffrage) sur le nom des notes : le sifflet correspond alors au si ou au *do* ou au *sol*.
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*Au rythme maintenant.* J'ai vu des maîtres enseigner d'abord à distinguer et chanter correctement chaque neume ; cette méthode n'est pas bonne. Elle est d'ailleurs contraire à la manière dont l'inspiration est venue au musicien, pour qui le grand mouvement mélodique est apparu d'abord à l'esprit. Il faut donc commencer par faire comprendre le grand rythme et celui de ses principales divisions. Ensuite on peut raffiner et ajouter à la perfection rythmique des détails. Et comme dans les beaux chants le rythme est dans un certain rapport avec les paroles, c'est le moment de faire entrer la schola plus avant dans la prière de l'Église, en lui expliquant le sens des paroles, leur origine, les tenants dans l'Histoire Sainte et leur sens religieux. La musique change fréquemment le sens spirituel des paroles, en s'envolant sur un mot plutôt que sur un autre, ou bien elle impose un sens identique à des paroles différentes. C'est ainsi que le graduel de la messe des morts (*Requiem aeternam...*) a le même chant que le graduel de la messe de mariage (*Uxor tua... Que ton épouse...*). La musique impose à ces paroles différentes, en des cérémonies en apparence si contraires, de chanter *l'espérance de l'éternité.* Mais sur les paroles identiques, le chant peut exprimer des sentiments spirituels différents. Le verset alleluiatique du XVIII^e^ dimanche est composé sur les paroles : *De profundis clamavi* et l'offertoire aussi. Tous deux sont composés de même et répètent pour finir la phrase musicale du début, tous deux sont en deuxième mode (*ré*)*,* mais dans le premier ce mode est en l'air, il est obtenu comme une modulation modale à la quinte du mode de sol par lequel il commence et finit. Le second s'étale au grave et descend d'une quarte au-dessous de la finale (*ré*)*.*
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Ainsi l'étude du chant dans la prière de l'Église (qui est celle du Saint Esprit lui-même) fait progresser la jeunesse dans la vie spirituelle et lui donne tout au moins le respect de la pensée de l'Église. Ce sont là des impressions puissantes pour l'avenir. Car une schola est composée non seulement de bons chrétiens, mais aussi de gens qui aiment tout simplement chanter. Ce goût qu'ils ont doit être tourné à leur profit spirituel. Les scholas sont certainement un moyen irremplaçable pour former la jeunesse, l'instruire (l'occuper aussi) et avoir une élite paroissiale. Je doute que les chants proposés aujourd'hui puissent jouer le même rôle. Car le moyen prédestiné par le Saint Esprit pour pénétrer dans la pensée de l'Épouse du Christ est assurément de participer aux offices et de les étudier ne fût-ce que par l'amour du chant. Mais l'amour du chant est par lui-même une prédisposition de l'esprit à un certain mode de *pensée*, de *connaissance* et de *contemplation* qu'il est précieux de développer au sein de la Révélation.
##### *Le rythme grégorien*
Nous avons vu avec quelle audace les créateurs du chant grégorien avaient adopté une manière entièrement nouvelle de concevoir le chant. Ils adoptèrent, certes, les modes antiques, mais ils en renouvelèrent entièrement l'esprit, ils accentuèrent le caractère propre à chacun d'eux en les débarrassant du chromatisme et de toutes les nuances qu'y ajoutaient les musiciens de l'antiquité. Ils les rendirent ainsi propres à exprimer la grandeur, la force et la profondeur de la louange divine. La société antique était en pleine décadence et l'art, tourné à la sensualité et à la sentimentalité, était devenu incapable de la grandeur qu'il avait eue au temps de Sophocle.
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Mais les artistes chrétiens avaient une supériorité sur Sophocle. Ils connaissaient la solution des problèmes que se posaient les tragiques grecs : celui du mal et celui du salut, c'est pourquoi leur réforme modale fut si profonde. Le mode de la tragédie était le mode de mi enharmonique, mode défectif d'une tragique douceur, devenu insupportable aux païens décadents. Nos chrétiens en lui rendant sa pureté diatonique en firent un « mode mystique ». Ils eurent un système modal capable de tous les sentiments mais profondément optimiste pour glorifier la nature et la grâce.
Enfin, ils avaient libéré la musique même de la métrique poétique en l'écrivant sur de la prose latine. Celle-ci quand elle est belle, l'est par son rythme, comme tout langage, et telles sont les traductions de saint Jérôme, mais ce rythme est libre. Les musiciens chrétiens y surajoutèrent la liberté de la musique même.
Ils y furent conduits par la vie chrétienne, qui débarrasse l'âme de beaucoup de contraintes accidentelles et la fait vivre sous l'influx de la grâce selon la vraie nature. L'âme est libre et ses mouvements sont entièrement nouveaux à chaque instant et imprévisibles. La musique d'une âme libre, libérée du péché, est une musique de rythme imprévisible et toujours neuf. La musique allemande qui depuis deux siècles impose sa suprématie rend à nos contemporains presqu'inconcevable cet esprit musical car la musique allemande nous a habitués au rythme de la passion et non plus à celui de l'esprit. Les mesures répétées avec un temps fort régulier, ces galopades de chevaux sont des artifices employés pour émouvoir la sensibilité et non plus l'âme.
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Sans doute cette époque a eu des musiciens inspirés et l'inspiration qui est une communication de l'être est toujours libre, mais l'influence d'une malheureuse époque, troublée plus encore par le désordre intérieur des consciences que par les événements, a poussé les musiciens à faire entrer leur inspiration dans la cage des barreaux de mesure pour obtenir un effet d'émotion ; il s'en est suivi un système musical qui amène la décomposition de l'art. Car, de surenchère en surenchère dans le surfin et l'étonnant on est arrivé à la musique atonale et amodale qui ne peut être qu'une succession de sensations et d'impressions car elle s'est enlevé tout moyen d'un choix métaphysique et moral. La même misère avait atteint la musique antique.
Quant au *jazz,* il a pu avoir à ses débuts des musiciens très libres dans leur inspiration, mais il est devenu une plongée dans la barbarie sensuelle. Comme dans l'antiquité, il recherche certaines fausses notes enlevant sa pureté au diatonisme ; enfin sa *batterie* accentue l'animalité de cette musique.
Le rythme est toujours une succession d'élans et de repos, de levés et de posés généralement inégaux. La force s'y ajoute ici ou là, indiquée par l'accent des mots importants ; mais c'est souvent la mélodie qui indique quel est le mot et l'accent important et si la force est au *levé ou* au *posé.*
Celui qui comprend le langage musical et pour qui il est vraiment le langage de son âme n'a besoin que de pratique et non d'explications. Le chant grégorien se dirige donc non en battant une mesure, mais en levant la main sur les levés du rythme et en la baissant sur les posés. Mais les neumes (notes groupées) peuvent être l'un par rapport à l'autre levés et posés. La main simplifie ces mouvements, s'enroule, s'élève et s'abaisse suivant en quelque sorte la ligne mélodique.
Henri Charlier.
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### Vie de Jésus (III)
par Marie Carré
##### *L'oraison. *(*Luc IV, 42-44*) * *(*Mc. I, 35-39*)
Le lendemain matin, la foule revient à la maison de Simon-Pierre pour chercher Jésus mais Il n'était plus là. Il était parti, longtemps avant le jour, pour se rendre dans un lieu solitaire afin de prier son Père. Constamment Jésus s'éloignera dans la solitude pour se mettre en oraison. Le rythme indispensable à toute vie chrétienne est, par le fait même, enseigné. Une vie apostolique ne saurait s'accomplir sans de quotidiennes oraisons à l'abri de toutes les agitations. Jésus en donnera souvent l'exemple, car les œuvres ne peuvent venir que d'une profonde union avec Dieu, source de toute grâce. Les œuvres pieuses ou saintes sont vouées au plus parfait échec sans la vie d'oraison. De nos jours, on invente toute sorte de merveilleux moyens humains pour convertir le monde et, bien entendu, on ne convertit personne. Beaucoup se donnent un mal insensé, allant jusqu'à la limite de leurs forces. C'est l'autre égarement de notre siècle d'agitation. Plus on s'agite, moins Dieu agit. L'art c'est de faire travailler Dieu, c'est de puiser en Lui la grâce et non pas de fonder œuvre sur œuvre dans une perpétuelle agitation de mouche bourdonnante. Toute œuvre, bonne en elle-même, ne peut réussir que si Dieu en est l'instigateur. Il est parfaitement vain de vouloir enseigner au Seigneur de nouveaux moyens de convertir le monde. Il n'y a pas de nouveaux moyens, il n'y en a qu'un seul : l'oraison.
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L'œuvre doit naître de l'oraison, se nourrir de l'oraison et se soumettre à l'oraison. L'oraison la meilleure est la plus simple, celle qui donne à l'homme sa vraie place d'instrument docile, de petit enfant qui ne sait ni lire, ni écrire, ni marcher, ni rien faire, mais seulement aimer. Au Seigneur il n'est pas besoin de faire des discours. Au Seigneur il est tout juste besoin de dire : Jésus, je vous aime. Rien d'autre n'est nécessaire, tout le reste est sous-entendu : « Si je vous aime, je veux faire ce que vous voulez, comme vous le voulez, parce que vous le voulez, autant que vous le voulez ; mais vous savez que je ne peux pas, que cela m'est absolument impossible, alors, aidez-moi ».
C'est dans la solitude qu'il faut faire oraison ; mais, si nécessaire, on peut se créer une solitude dans le bruit. Il est relativement facile de renoncer au bruit extérieur, mais plus nécessaire et plus difficile de renoncer au bruit intérieur. C'est ce bruit-là qui empêche l'homme de trouver Dieu. C'est ce bruit-là qui empêche la grâce de parler. C'est ce bruit-là qui affaiblit les âmes, donnant à leur prière autant d'agitation qu'à leur vie. Dieu n'aime pas le bruit, c'est ce qu'il faudrait crier sur tous les toits.
Simon-Pierre et la foule, désolés de ne plus voir Jésus, se mirent à sa recherche et, l'ayant trouvé, essayèrent de le retenir définitivement. Ils lui disaient : « Tout le monde vous cherche », d'un air de dire : Il ne faut pas partir, il faut rester avec nous, nous ne pouvons plus vivre sans vous.
Seigneur, cela restera toujours vrai que nous ne pouvons pas vivre sans vous et que nous serons souvent obligés de vous dire : Ne faites pas semblant de partir, de nous abandonner, de nous laisser tout seuls avec nos faiblesses. Bien sûr, aujourd'hui, nous savons que vous êtes toujours là, à la disposition de tous, mais quelquefois vous êtes comme caché ; ne vous cachez pas trop longtemps. Considérez, s'il vous plaît, Seigneur, combien nous sommes petits. Les petits enfants, il ne faut jamais les laisser seuls, il peuvent faire des bêtises.
Ce jour-là, du reste, Jésus comprenait bien qu'Il était recherché pour son pouvoir sur les maladies. On voulait surtout garder le médecin. De nos jours encore, combien ne cherchent Jésus que le jour où ils ont besoin de médecin. A ce moment-là on se précipite à l'Église et on crie : Seigneur, au secours, ne m'abandonnez pas.
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On parle ainsi à Celui qu'on avait soi-même abandonné et qu'on abandonnera à nouveau dès que tout ira bien. Faudra-t-il que Dieu se dise que seuls les maladies, les deuils, les défaites et toutes les souffrances peuvent éveiller dans le cœur des hommes quelque amour pour Lui (si on peut appeler cela de l'amour). Mais où sont ceux qui aimeront Dieu même dans la prospérité et qui se réjouiront qu'elle ne dure pas trop longtemps parce qu'ils savent bien qu'elle n'a rien de grand à offrir et qu'elle peut même se transformer en idolâtrie ? Où sont ceux qui ne demanderont jamais à être mieux traités que Jésus, mieux traités que sa Mère ? Si on pouvait, une fois pour toutes, cesser tous ensemble de demander les bonheurs temporels, les grâces seraient tellement abondantes que le monde entier en serait transformé.
Mais Jésus ne leur reproche pas encore leur égoïsme foncier. Il leur dit simplement :
« Il faut que j'annonce aussi aux autres villes la bonne nouvelle du Règne de Dieu car j'ai été envoyé pour cela. » -- « Et Il s'en alla, prêchant dans les synagogues, guérissant toute maladie et chassant les démons. »
##### *Vocation. *(*Mc. I, 16-20*) * *(*Mt IV, 18-22*)
Jésus avait des disciples mais qui, ayant un métier, celui de pêcheurs, retournaient de temps à autre à leurs filets. Jusque là leur vocation et leur amour pour Jésus ne les empêchaient pas de continuer à gagner leur vie pour eux et leur famille. Ils ne savaient pas encore que, pour le Christ, il faut tout quitter, jusqu'à sa famille, jusqu'à soi-même. La parole de vocation va retentir à leurs oreilles : « Suis-moi » et cette parole retentira jusqu'à la fin des âges au cœur de beaucoup.
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-- « Or, en marchant le long de la mer de Galilée, Jésus vit deux frères, Simon-Pierre et André, qui jetaient leur filet dans la mer et Il leur dit : « Suivez-moi et je vous ferai pêcheurs d'hommes. » Eux, aussitôt, laissant leurs filets, le suivirent. Et s'avançant au-delà, Il vit deux autres frères, Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui se trouvaient eux aussi dans une barque, raccommodant leurs filets, et Il les appela. Eux, aussitôt, laissant la barque avec leur père et ses mercenaires, le suivirent. »
*Aussitôt*, il n'y a plus ni père, ni mère, ni famille, ni métier, ni rien, il n'y a plus que Jésus et la conversion du monde. Ces quatre futurs Apôtres connaissaient Jésus et l'avaient déjà suivi plusieurs fois mais ils n'avaient pas encore tout quitté pour Lui. La vocation porte toujours la marque de l'intransigeance, Jésus ne veut pas de partage. Et, pour fortifier ces quatre hommes qui abandonnent tout pour Lui, Jésus va leur montrer l'image symbolique de leur future action.
##### *La première pêche miraculeuse. *(*Luc V, 1-11*)
-- « Or un jour que, pressé par la foule qui écoutait la parole de Dieu, Il se tenait sur les bords du lac de Génésareth, Il vit deux barques arrêtées sur les bords du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Il monta dans l'une des barques qui était à Simon-Pierre et pria celui-ci de s'éloigner un peu du rivage puis s'asseyant, de la barque Il enseignait les foules.
« Quand Il eut fini de parler, Il dit à Simon « Avance en eau profonde et lâchez vos filets pour la pêche. » Simon répondit : « Maître nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur votre parole je vais lâcher le filet. » L'ayant donc fait, ils prirent une grande quantité de poissons et leurs filets se rompaient. Ils firent signe alors à leurs associés qui étaient dans l'autre barque de venir à leur aide. Ceux-ci vinrent et on remplit les deux barques au point qu'elles enfonçaient.
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« A cette vue Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant « Éloignez-vous de moi Seigneur, car je suis un pécheur ». La stupeur en effet l'avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause du coup de filet qu'ils venaient de faire ; même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon. Mais Jésus dit à Simon : « Rassure-toi ; désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ramenant leurs barques à terre et laissant tout, ils le suivirent. »
La pêche miraculeuse se renouvellera quotidiennement dans l'Empire romain et périodiquement, par la suite, selon l'Esprit qui souffle où il veut... La pêche miraculeuse est toujours en action.
##### *Le lépreux. *(*Luc V, 12-16*) * *(*Mc. I, 40-45*) * *(*Mt VIII, 1-4*)
Alors que Jésus était dans une ville de Galilée, un homme couvert de lèpre, l'ayant vu, se prosterna la face contre terre et le pria en disant :
-- « Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. » Jésus, étendant la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, soyez guéri. » Et au même instant, sa lèpre disparut. »
Jésus guérit ainsi plusieurs lépreux ; combien, nous n'en savons rien. Mais une marque du miracle c'est son instantanéité. D'autres lépreux, ou malades aussi graves et aussi spectaculaires sont encore de nos jours, à Lourdes notamment, guéris instantanément, sans même passer, par une longue période de convalescence. D'aucuns affirment gravement que leur imagination en est la cause unique. Que la confiance et un moral élevé jouent un grand rôle dans les guérisons normales, personne ne le nie.
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Mais que la confiance, la foi, le bon moral et l'imagination puissent en un clin d'œil reformer des quantités impressionnantes de chairs décomposées, rongées, ruisselantes de pus et de sang, l'affirmer c'est crier sa volonté formelle de refuser la Foi.
Au lépreux guéri, Jésus recommande de ne rien dire à personne. C'est une recommandation que nous l'entendrons faire très souvent. Il semble du reste que peu obéissaient. Ils n'avaient rien de plus pressé que de courir partout raconter le miracle, et des foules toujours plus nombreuses harcelaient Jésus.
Les miraculés auxquels Jésus ordonne de se taire doivent comprendre que les guérisons corporelles sont peu de chose à côté des guérisons spirituelles. Ils doivent comprendre que leur propre guérison n'est qu'une signature au bas des Évangiles mais que le miracle surtout désirable est la guérison du cœur.
De ces deux sortes de guérisons, Jésus est le Maître. Deux mille ans de Chrétienté sont là pour le chanter.
##### *Le paralytique de Capharnaüm. *(*Luc V, 17-26*) * *(*Mc. II, 1-12*) * *(*Mt IX, 2-7*)
La renommée de Jésus s'étant répandue de plus en plus, l'ère des conflits va s'ouvrir. Les Pharisiens vont commencer à grogner. L'hypocrisie est une maladie que Jésus ne guérira pas. C'est une des maladies les plus graves qui soient puisque, ayant pour particularité de ne pas se reconnaître elle-même, elle refuse d'aller chercher le médecin. L'hypocrite peut aller jusqu'à prétendre avoir besoin de médecin pour quelques autres maladies, mais jamais pour la plus grave, qu'il prétend ne pas avoir. L'hypocrite est un paralytique qui ne veut pas se rendre compte de la gravité de son état. Et c'est devant ces hommes à l'âme paralysée que Jésus va guérir un paralytique visible.
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La foule étant extraordinairement dense, les braves gens qui portaient le malade n'eurent qu'une ressource, faire une ouverture dans le toit, pour descendre le grabat aux pieds de Jésus. Et Jésus, voyant leur Foi, dit au paralytique :
-- « Aie confiance mon fils, tes péchés te sont remis. »
Mais, ce jour-là, devant les scribes, les Pharisiens et les Docteurs de la Loi, tous gens fort savants mais très paralysés, Jésus guérit d'abord l'âme du malade, car connaissant toute pensée, Jésus savait que cet homme le désirait. A d'autres malades, Jésus ne parlera pas de leurs péchés. Il se trouve que celui-là avait la conscience chargée et souffrait plus de son péché que de sa maladie. Et Jésus en profite pour donner une leçon aux hypocrites qui l'entourent. Scribes, Pharisiens et Docteurs de la Loi n'osent pas encore faire des reproches publics à Jésus. Ils n'en sont pas encore là. Car le péché, comme la maladie, s'il n'est pas soigné à temps, s'aggrave. Pour le moment, ils raisonnent intérieurement, se disent en eux-mêmes, avec la plus vertueuse indignation :
-- « Celui-ci blasphème ! Qui petit remettre les péchés si ce n'est Dieu Seul ? »
Ils étaient tellement imbus d'eux-mêmes qu'ils ne sont plus capables d'aller jusqu'au bout de leur raisonnement et de dire : Puisque Dieu Seul peut remettre les péchés. Celui-ci est peut-être le Fils de Dieu... peut-être... sûrement même, puisqu'Il souffle sur les maladies comme sur un grain de poussière... alors, sûrement, Il va aussi souffler sur cette paralysie... Mais non, ces savants ont décidé depuis longtemps que le Messie ne serait qu'un homme, mais un homme vraiment royal, avec des armées, du prestige et du panache (plus une bonne petite haine pour les païens). Donc ils ne veulent pas d'un Messie dont toutes les actions et paroles tendent à dire : Je suis le Fils de Dieu, égal au Père. Tous ont parfaitement compris que Jésus s'annonce comme tel. Cela est par trop clair pour toutes ces âmes pieuses. Jésus ne cesse de l'annoncer. Chaque jour, chaque fois qu'il guérit par sa propre volonté, Il l'annonce. Personne d'autre que Dieu ne peut faire des miracles. Et quand les chrétiens en feront, ils diront toujours : Au nom de Jésus de Nazareth.
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Jésus connut aussitôt par son esprit ce qu'ils pensaient en eux-mêmes et leur dit :
-- « Pourquoi entretenez-vous ce raisonnement dans vos cœurs ? Lequel est le plus aisé de dire à ce paralytique : Vos péchés vous sont remis ou de dire : Levez-vous, emportez votre lit et marchez ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, Je vous le dis, levez-vous, -- dit-il au paralytique -- prenez votre grabat et retirez-vous dans votre maison. »
Et aussitôt, prenant son grabat, le miraculé sortit au vu de tous. De sorte que tous étaient stupéfaits et rendaient gloire à Dieu en disant :
-- « Nous n'avons jamais rien vu de pareil ! »
Et pourtant, parmi ceux qui ont vu, beaucoup vont continuer à grogner et s'indigner... vertueusement. Ils n'auront même pas idée de confesser leurs péchés à Celui qui peut les remettre, et de Lui demander la guérison de leur âme. C'est là un événement qui se renouvellera. Ceux qui pensent ne pas avoir de péché, ou n'avoir que des péchés mignons dont le Seigneur ne peut pas s'offenser, ceux-là perdent la Foi et s'en étonnent. Leur âme est paralysée, et quand ils disent -- « Je ne peux croire », ils disent juste en partie. Mais, contre la paralysie de l'âme il y a un médicament absolument efficace : la confession sincère et totale.
##### *Vocation de Saint Matthieu. *(*Luc. V, 27-28*) * *(*Mc. II, 13-14*) * *(*Mt IX, 9*)
Et Jésus sortit de nouveau le long de la mer. Et toute la foule venait au-devant de Lui. Et Il les instruisait.
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-- « Et s'éloignant, Il vit Lévi, fils d'Alphée (qui sera appelé Matthieu) assis au bureau de la douane, et Il lui dit : -- Suis-moi ! Et se levant, il le suivit. »
Saint Matthieu était donc un douanier, c'est-à-dire un publicain, catégorie de gens particulièrement méprisée des Juifs. Ces douaniers travaillaient pour le compte des Romains, ce qui représentait, pour les Juifs une transgression de la Loi, une trahison, voire une apostasie. Les Romains ne trouvaient pour ce métier que des êtres assez vils, rebut de la populace. Et, bien entendu, ceux qui acceptaient cette fonction si décriée s'efforçaient de faire fortune au plus vite. Le mot de publicain était donc à la fois synonyme d'impie et de voleur.
Lévi, plus tard nommé Matthieu, avait déjà entendu Jésus et connu de nombreux miracles. Il se sentait attiré par la sainteté du Maître mais il devait se dire intérieurement : Celui-ci est probablement le Messie mais jamais Il ne s'abaissera jusqu'à s'occuper d'un homme comme moi. Lévi devait être profondément persuadé que jamais le Christ ne lui adresserait la parole. Cette conviction devait lui paraître tellement légitime qu'il n'en souffrait même pas. Il était indigne, un point c'est tout. Et voilà que Jésus, passant devant son bureau dit : -- « Suis-moi ! »
Et Lévi est tellement émerveillé qu'aussitôt il abandonne tout.
Les plus ardents disciples, dans la suite des temps, seront souvent ceux qui étaient tout à fait indignes et le savaient. Ceux-là comprennent qu'ils n'ont rien à perdre et tout à gagner et, sans plus discuter, sans plus réfléchir, ils abandonnent tout. Les autres, quand ils sont appelés, ont souvent de longues discussions avec eux-mêmes. D'avance ils regrettent ceci, ils regrettent cela et parfois même ils restent dans le monde en se disant à eux-mêmes qu'ils ne sont pas capables. Mais c'est là de la fausse modestie, une humilité orgueilleuse puisque, de toutes façons, personne n'est capable.
Et Jésus choisit pour disciples des incapables. Dans la suite des temps, les Saints auxquels seront confiées de grandes et difficiles missions seront souvent des incapables. C'est au point même que des femmes seront choisies pour des rôles qui, humainement parlant, n'auraient convenu qu'à des hommes.
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Une jeune fille boutera les Anglais hors de France et rétablira la royauté légitime. Une autre jeune fille fera beaucoup pour mettre fin au schisme d'Occident. Il faut que les serviteurs se sentent et se sachent parfaitement incapables pour que la Gloire de Dieu soit manifestée.
##### *Les pécheurs et le médecin. *(*Luc V, 29-32*) * *(*Mc. II, 15-17*) * *(*Mt IX, 10-13*)
Lévi est tellement content qu'il fait préparer un grand festin pour recevoir le Seigneur. Et beaucoup de publicains et de pécheurs y sont évidemment invités. Et les Pharisiens s'empressent de manifester leur indignation. Ils n'osent pas encore s'adresser à Jésus directement. Dans l'espoir que cette leçon de morale sera transmise ils s'adressent aux disciples :
-- « Pourquoi votre Maître mange-t-Il avec les publicains et avec les pécheurs ? »
Pour eux, un Prophète qui ne respecte pas le prestige des hommes qui font profession de piété est suspect.
Mais Jésus, les entendant, leur dit :
-- « Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais ceux qui se portent mal. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs à la pénitence. »
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Et quand Jésus dit : « Je suis venu appeler les pécheurs », Il veut également dire : Ne croyez pas que je vous guérirai définitivement de votre paralysie ou de votre fièvre et que vous pourrez passer de la condition de pécheur à la condition de juste. La Bible disait déjà que le juste pèche sept fois par jour. Les Pharisiens ne l'ignoraient pas. Jésus, médecin des âmes, est donc un médecin dont on aura besoin tous les jours. Et pour qu'Il puisse être un bon médecin, il faut que nous sachions que nous ne serons jamais, dans ce monde, complètement guéris. Aux Saints, même, Jésus laisse certains défauts pour les protéger contre la complaisance en soi. Et aux Saints, Jésus donne une conscience plus claire, ce qui leur permet de se considérer sans mentir comme de grands pécheurs, ou bien comme capables de n'importe quel crime. L'art du chrétien c'est de se savoir perpétuellement malade ou sur le point de l'être, mais d'avoir une confiance éperdue dans son médecin. Et pour que l'équilibre ne soit pas rompu, la confiance doit toujours dominer. Car il est absolument certain que le médecin ne se lassera jamais.
##### *Le Jeûne. *(*Luc V, 33-34*) * *(*Mc. II, 18-19*) * *(*Matt., IX, 14-15*)
Les Pharisiens auraient mieux compris la réponse de Jésus si les disciples avaient eu des airs de componction et s'étaient livrés à des pénitences spectaculaires. Selon leur habitude, qui était de suivre leur propre idée sans la moindre humilité, ils espèrent embarrasser Jésus en critiquant la joie toute simple des disciples.
-- « Les disciples de Jean jeûnent fréquemment et font des prières et de même ceux des Pharisiens, tandis que les vôtres mangent et boivent. »
Ils mettent en avant les disciples de Jean, saint personnage que pourtant ils n'aiment pas. Et Jésus leur dit :
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-- « Est-ce que les garçons de noce peuvent jeûner pendant que l'Époux est avec eux ? Aussi longtemps qu'ils ont l'Époux avec eux, ils ne peuvent jeûner. Mais viendront des jours où l'Époux leur aura été enlevé, alors ils jeûneront. »
Jésus semble dire : Patience, les quelques privilégiés qui sont avec moi pour trois ans seulement ont le droit de recevoir cette Joie dans la simplicité de leur cœur, mais n'ayez crainte : pour eux aussi la Croix viendra. Je ne suis pas venu apprendre aux hommes à se délecter des biens de ce monde, je suis venu pour donner l'exemple de la souffrance expiatoire. N'ayez crainte, jusqu'à la fin des temps, mes amis jeûneront et sauront que rien de chrétien ne se fait sans sacrifice. N'ayez crainte, ce que je viens enseigner au monde, c'est la folie de la Croix... un peu de patience. N'ayez crainte, mon Église n'oubliera pas que le jeûne est non seulement une pénitence salutaire mais un moyen de fortifier l'âme et de lui faciliter la prière et la méditation. Si vous pouviez voir mon Église comme je la vois, dans la suite des temps, vous cesseriez de vous indigner inutilement.
##### *Les vieilles outres. *(*Luc V, 36-39*) * *(*Mc. II, 21-22*) * *(*Matt., IX, 16-17*)
Et Jésus, sentant chez ces Pharisiens une admiration étroite pour leurs pratiques formalistes, lance sa première parabole, une de celles qui opposent le Temple à l'Église.
-- « Personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement le vin rompra les outres et sera perdu aussi bien que les outres. Mais on met le vin nouveau dans des outres neuves et les deux se conservent. »
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Le vin nouveau, c'est la doctrine chrétienne. Et les vieilles outres dont Jésus ne veut pas pour son vin, c'est le cadre religieux juif, encombré de pratiques compliquées que les outres neuves ne voudront pas perpétuer. Mais Jésus savait que l'attachement aux vieilles coutumes empêcherait beaucoup de Juifs d'essayer seulement de goûter au vin nouveau :
-- « Et personne, pendant qu'il boit du vin vieux ne veut du nouveau car il dit : Le vieux est bon ! »
Quand, un instant auparavant, Jésus disait : « Ce sont les malades qui ont besoin de médecin... » aucun Pharisien n'a répondu : Je suis malade. Leur maladie c'était l'admiration d'eux-mêmes, maladie qui les empêchera de recevoir le Messie, maladie qui fera de la nation juive une nation errante, inquiète, avide et jamais satisfaite, pour des siècles. C'est pourquoi Jésus les met en garde par une parabole qu'ils comprenaient très bien.
Mais, ayant peur de comprendre que Jésus se présente comme le Messie, le Sauveur du Monde, Celui qui vient parfaire la religion de Moïse en enseignant une Vérité plus haute, plus complète et plus pure, les Pharisiens vont, jour après jour, s'évertuer à prouver au Maître qu'Il n'y connaît rien. Ils sont dans la position de celui qui sait mieux que Dieu. Position qui se renouvellera constamment car il y aura toujours quelqu'un pour essayer de prouver à l'Église qu'elle n'y connaît rien.
Et les Pharisiens vont prendre pour base de leurs récriminations le respect du sabbat. Ils veulent apprendre à Dieu Lui-même comment et jusqu'à quel point l'homme doit respecter le jour que Dieu s'est réservé.
##### *Jésus, Maître du Sabbat. *(*Luc VI, 1-5*) * *(*Mc. II, 23-28*) * *(*Matt., XII, 1-8*)
Il advint que Jésus passait un jour de sabbat à travers les récoltes et ses disciples, chemin faisant, parce qu'ils avaient faim, se mirent à arracher des épis. S'en apercevant quelques Pharisiens lui dirent :
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-- « Voici que vos disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire un jour de sabbat. »
Ils ne disent même plus : Pourquoi leur permettez-vous ? Ils en sont déjà arrivés au stade où on donne des conseils à Dieu Lui-même. Jésus ne se fâche même pas et, se plaçant sur le même terrain qu'eux, celui de l'Ancien Testament, Il leur dit :
-- « N'avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu'il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui ? Comment il entra dans la Maison de Dieu et, sous les yeux du Grand Prêtre Abiathar, mangea les Pains de Proposition, qu'il n'est permis qu'aux prêtres de manger, et en donna à ceux qui étaient avec lui ? »
Et Il leur disait encore :
-- « Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat, en sorte que le Fils de l'Homme est maître même du sabbat. »,
Il nous paraît évident aujourd'hui que le Jour du Seigneur a été créé pour que l'homme soit joyeux d'avoir un jour libre par semaine pour adorer son Créateur et son Sauveur, Le remercier, méditer dans le calme et la paix et reprendre des forces pour le devoir quotidien. Si, de nos jours, nous ne sommes plus en danger d'étouffer nos dimanches par la terreur de faire un geste ou un pas de trop, le reproche contraire serait tout à fait opportun. Le Jour du Seigneur n'est plus un jour de joies spirituelles parce que l'agitation moderne a étouffé l'esprit de prière. Il semble que la prière soit devenue une corvée dont on se débarrasse au plus vite. Mais la prière est la respiration de l'âme et sans elle l'âme est infestée de toxines.
La réponse de Jésus importe surtout par cette annonce qu'Il est le Maître du Sabbat. Il ne pouvait dire plus clairement qu'Il était l'égal de Dieu. Personne ne saurait être Maître du Jour réservé à Dieu, sinon Dieu Lui-même.
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Et la lutte va continuer entre ceux qui ne veulent pas comprendre et Celui qui ne se lassera pas de signer son enseignement, faisant, miracles sur miracles, avec la simplicité de Celui qui peut tout.
Et il arriva, un autre jour de sabbat, qu'il entra dans la synagogue et enseigna. Et il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. Or les Scribes et les Pharisiens l'épiaient pour voir s'Il guérirait le jour du sabbat, afin de trouver à l'accuser.
La mauvaise volonté humaine n'a pas de limites. Ils savent que Jésus peut guérir n'importe quelle maladie incurable en un clin d'œil mais, au lieu de se prosterner, ils ne pensent qu'à une chose : il ne faut pas que cet homme prétende détenir la Vérité Sainte car nous la connaissons mieux que Lui. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil : d'autres ne veulent pas entrer dans la Sainte Église ni même entendre parler des très nombreux miracles qu'elle accomplit car pour eux il ne faut pas que cette Église prétende détenir la Vérité Sainte ; eux en connaissent quelques centaines de bien meilleures.
Or Jésus connaissait leurs pensées (comme Il connaît les nôtres). Et Il dit à l'homme qui avait la main desséchée :
-- « Lève-toi et tiens-toi au milieu. »
Puis, s'adressant aux Scribes et aux Pharisiens Il leur posa cette toute simple question :
-- « Je vous demande s'il est permis le jour du sabbat de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une vie ou de l'ôter ? »
Et eux gardaient le silence. Ce silence était un double aveu : l'aveu de leur erreur et l'aveu de leur hypocrisie. Quand on ne veut pas avouer son erreur on se console en s'admirant soi-même dans un silence méprisant. Jésus posait souvent des questions auxquelles personne ne répondait jamais, parce qu'il n'était pas possible de trouver une réponse qui fût autre chose qu'un aveu d'erreur.
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Il est beaucoup de questions, encore aujourd'hui, auxquelles certains ne peuvent répondre que par le silence ou des injures. Les Pharisiens arriveront rapidement aux injures, car la Vérité porte en elle une telle évidence et une telle force qu'elle peut être seulement ou adorée ou détestée. Les fausses vérités seules peuvent faire naître une tolérance bienveillante qui se croit la marque d'un esprit assez subtil pour admettre qu'il n'y a pas de Vérité.
Jésus, voyant leur silence, leur pose une question encore plus précise :
-- « Quel est celui d'entre vous qui, n'ayant qu'une brebis, si elle tombait dans une fosse le jour du sabbat, ne la saisirait et ne la retirerait ? Combien un homme l'emporte sur une brebis ! Il est donc permis de faire du bien le jour du sabbat. »
Personne bien entendu n'ose dire qu'une brebis vaut plus qu'un homme. Et tous devaient rager intérieurement car il est fort pénible d'avoir tort. Mais on oublie souvent que « reconnaître ses torts » provoque la Joie et la Paix. Passé l'humiliation de l'aveu, la récompense est immédiate. Et quelle récompense ! Une récompense qui dure et qui émerveille. L'obstination dans l'erreur conduit à la haine qui enlève toute Joie et toute Paix et souffre de n'être jamais rassasiée.
Et Jésus promenant ses regards sur eux avec colère, attristé de l'endurcissement de leur cœur, dit à l'homme :
-- « Étends ta main. »
Et il l'étendit et sa main redevint saine comme l'autre. Jésus est en colère. Il ne faut pas oublier que Jésus peut se mettre en colère. Des preuves de sa Divinité, Il ne cesse d'en donner et ceux qui ont la chance d'en être témoins s'endurcissent dans leur orgueil. Des preuves de l'origine divine de l'Unique Église, Jésus en donne assez tout le long des âges et beaucoup de ceux qui en entendent parler endurcissent leur cœur en affirmant tout tranquillement que le miracle n'existe pas.
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Le miracle est pourtant la signature même de Dieu car seul l'Auteur des Lois peut déroger à ses lois : Si le miracle fut pendant les trois ans d'évangélisation la plus grande preuve que Jésus se crut obligé de donner aux hommes, cette même preuve a été accordée à l'Église.
##### *Premier dessein de perdre Jésus. *(*Luc VI, 11*) * *(*Mc. III, 6*) * *(*Matt., XII, 14*)
Or, les Pharisiens sortirent remplis de fureur. La marque très fréquente de l'erreur c'est la fureur. La Vérité reste calme et sereine.
Et les Pharisiens s'abouchent avec les Hérodiens qu'ils méprisent, pour chercher un moyen de perdre Jésus. Les Hérodiens sont des partisans dévoués de ce roi détesté, qui n'est qu'un demi-étranger et un dépravé.
Mais ici, ce que les Pharisiens désirent surtout, c'est de ne plus entendre la voix de Jésus et c'est que le peuple ne soit plus autorisé à l'entendre. Tout ce que Jésus a souffert doit se renouveler constamment dans l'Église qui est le Corps du Christ, la Vie du Christ prolongée. Ainsi d'autres Pharisiens essaieront de détruire l'Église et surtout d'empêcher le peuple d'être enseigné.
##### *Les douze Apôtres. *(*Luc VI, 12-16*) * *(*Mc III, 13-19*) * *(*Mt X, 14*)
En ce temps-là, Jésus alla sur une montagne pour prier, et Il y passa la nuit à prier Dieu.
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Avant toute action importante une prière prolongée est de première nécessité. Aucune décision ne devrait être prise sans cette précaution. Aucune action ne devrait être entreprise sans cet appel. Les œuvres où on ne se met pas d'abord à genoux vivotent péniblement ou même s'effondrent. Jésus qui était Dieu et Homme se soumet en tant qu'homme à cette obligation afin de nous donner l'exemple. Plusieurs fois nous le verrons passer des nuits entières en prière car c'est dans le silence que Dieu parle au cœur. Il faut à tout prix se soustraire à l'agitation moderne si nous voulons que la grâce ne soit pas étouffée.
Et quand le jour parut, Il appela ses disciples qui étaient déjà fort nombreux et choisit douze d'entre eux qu'Il nomma Apôtres.
Jésus choisit à dessein des hommes simples, des hommes incapables par eux-mêmes de faire ce qu'Il va leur ordonner, c'est-à-dire fonder l'Église universelle car : « Il choisit ce qui est insensé selon le monde pour confondre les sages, afin que nul homme ne se glorifie devant Lui. » Les Apôtres choisis par Jésus ne pourront pas s'imaginer être quelque chose, ils ne pourront pas se tromper eux-mêmes puisqu'ils ne sont rien. Ainsi ils pourront transformer le monde et rester humbles (I Cor 1, 27-29) (Gal VI, 3).
Le premier nommé et qui sera toujours nommé en premier c'est Simon-Pierre. Sur lui l'Église sera fondée et elle ne s'écroulera pas en l'an 69 quand il mourra martyr, crucifié la tête en bas, sous Néron, dans les jardins du Vatican. Jésus n'a pas fondé une Église pour une génération et Pierre, Prince des Apôtres, revit en ses successeurs promettant qu' « il aurait soin même après sa mort que nous puissions toujours nous rappeler ces enseignements ». (II Pi, 1, 15.)
Sur l'emplacement exact du tombeau de Simon-Pierre, l'Empereur Constantin construisit la première basilique dédiée au premier Pape. Depuis lors elle fut détruite et reconstruite mais toujours à la même place, et des fouilles récentes ont permis de retrouver cette tombe sous l'autel et de vérifier une tradition séculaire. Ces fouilles ont permis de trouver d'autres tombes et sur l'une d'elles un portrait de Simon-Pierre avec cette inscription : « Pierre prie pour les chrétiens ensevelis ici ». Dans la primitive Église on ne pensait pas que les morts sont totalement séparés des vivants et on aurait été bien stupéfait d'apprendre que seize siècles plus tard l'édit de mort serait lancé à Genève contre ceux qui prieraient pour les trépassés.
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Le deuxième Apôtre est André, frère de Simon-Pierre, crucifié en Achaïe. Son martyre fut tellement admirable qu'il fut écrit en détail par les prêtres et diacres qui en furent témoins, pour la joie des Églises.
Puis deux autres frères : Jacques et Jean, fils de Zébédée et de Salomé, pêcheurs comme Simon-Pierre et André, et que Jésus appela « Boanergès » ce qui veut dire : « Fils du tonnerre ». Il semble donc assez inexact de s'imaginer Jean l'Évangéliste comme un tout petit jeune homme levant suavement les yeux au Ciel. Jean était plein de feu et plein de zèle. Il eut comme les autres à lutter contre les premiers hérétiques et ne se montre ni tolérant ni conciliant quand il dit :
-- « Mes Bien-Aimés, ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu ; car plusieurs faux-prophètes se sont élevés dans le monde... Tout esprit qui divise Jésus-Christ n'est point de Dieu. » (I Jn, IV, 1-3.)
-- « Si quelqu'un vient à vous et n'apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne le saluez même pas. » (II Jn, 10.)
La tradition veut que Saint Jean, précipité dans une chaudière d'huile bouillante, en ressortit frais et rose. Ceux qui estiment ce genre de choses impossible sont des naïfs, rien n'est impossible à Dieu. Jean vécut beaucoup plus longtemps que les autres, c'est pourquoi son Évangile cherche seulement à compléter les trois autres (que tout le monde savait par cœur) en insistant tout particulièrement sur la Divinité de Jésus de Nazareth, dogme que certains hérétiques comprenaient de travers. Déporté dans l'île de Patmos, il y eut de grandes révélations sur la vie de l'Église jusqu'à la fin du monde et fut autorisé à nous les communiquer sous le nom d'Apocalypse.
Jacques le Majeur, frère de Jean, est le premier Apôtre Martyr (Actes XII, 1-2). Il fut décapité sur l'ordre d'Hérode Agrippa qui pensait ainsi se faire bien voir des Juifs. Il pensait même renouveler cet exploit puisque aussitôt après il fit arrêter Pierre, mais le Seigneur en avait décidé autrement et l'Ange libéra Pierre sans même que les gardes s'en aperçoivent, ce qui n'est pas moins étonnant que de sortir frais et rose d'une bassine d'huile bouillante.
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Selon la tradition, le corps de Saint Jacques le Majeur aurait été emmené à Compostelle en Espagne, vraisemblablement parce qu'il avait évangélisé ce pays. C'est lui également qui aurait eu l'apparition de Notre-Dame del Pilar si vénérée en Espagne.
De Philippe, galiléen également, nous ne savons pas grand-chose. Polycrate, évêque d'Éphèse, nous apprend que ses filles furent au nombre des premières vierges (car dans la primitive Église, la virginité était déjà considérée comme supérieure au mariage).
Et, de nos jours, il semble que le problème de la limitation des naissances serait moins grave si les enfants qui reçoivent du Ciel la vocation religieuse voulaient bien ne pas jeter cette perle de grand prix dans la boîte à ordures. Car Saint Jean Bosco affirmait qu'un tiers des petits garçons reçoivent la vocation, (et donc, pourquoi pas également un tiers des filles ? ...)
Nathanaël, ami de Philippe, aurait pris le nom de Barthélemy et, selon la tradition, évangélisa les Indes où il mourut martyr.
Matthieu est le publicain Lévi dont l'Évangile se termine par les paroles claires et pressantes de Jésus Ressuscité :
-- « Toute puissance m'a été donnée sur le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder *tout* ce que je vous ai commandé. Et voilà que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. »
Celui qui est avec nous tous les jours ne peut pas laisser son Église bien-aimée s'enfoncer dans l'idolâtrie comme cependant certains l'en accusent.
Après Matthieu, deux autres frères : Jacques le Mineur et Jude appelé Thaddée, tous deux cousins de Notre-Seigneur. Jacques le Mineur et Thaddée sont fils d'Alphée et de Marie, sœur de la Sainte Vierge. Comme la coutume orientale appelle frères et sœurs les cousins et neveux, il n'est pas impossible que cette Marie soit une nièce de la Sainte Vierge comme le prétend Anne-Catherine Emmerich, dont les visions extraordinaires ont signalé des détails d'archéologie que les savants ont, par hasard, vérifiés beaucoup plus tard.
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Jacques le Mineur, cousin de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et premier Évêque de Jérusalem, est l'auteur d'une Épître adressée aux douze tribus d'Israël et qui dénonce onze siècles avant Luther et en termes très clairs l'hérésie de la Foi qui sauve sans les œuvres (Jacq., II, 14-26). Il répète à plusieurs reprises que la Foi sans les œuvres est une Foi morte qui ne peut sauver personne. Luther croyait y voir une contradiction avec les Épîtres de Saint Paul. Mais quand Saint Paul dit que nous serons justifiés par la Foi sans les œuvres de la Loi, il veut seulement montrer l'inefficacité des multiples observances de la Loi mosaïque (Rom. III, 28). Cela est d'autant plus certain que quelques lignes plus haut il dit que Dieu rendra à chacun selon ses œuvres (Rom. 11, 6-7). Luther était du reste si peu sûr de lui qu'il ajouta le mot « seulement » à la proposition : « Nous serons justifiés par la Foi » ce qui lui fut véhémentement reproché même par ses collègues. Ensuite, pour plus de sécurité, lui ou ses disciples firent disparaître de la Bible toute l'Épître de l'Apôtre Saint Jacques. Elle fut rétablie deux siècles plus tard quand il y avait moins de danger qu'elle ne troublât les esprits, le dogme absurde de « la Foi qui sauve sans les œuvres » étant incrusté dans les esprits par voie d'héritage. Jacques le Mineur fut Évêque de Jérusalem pendant près de trente ans et lors d'une fête de Pâques, sommé par le prêtre Ananus de ne plus prêcher Jésus, il s'écria devant la foule : « Il est assis à la droite du Tout-Puissant et reparaîtra sur les nuées du Ciel ». Il fut lapidé et achevé à coups de bâton. On l'enterra près du Temple. Huit ans après, Jérusalem n'était plus qu'un monceau de cendres.
Jude ou Thaddée, également cousin de Notre-Seigneur, écrivit comme son frère une Épître dite catholique parce qu'elle s'adresse à l'Église universelle (le mot catholique voulant dire universel). Cette Épître dénonce particulièrement ceux qui se séparent, ceux qui sortent de l'Église universelle pour fonder une église locale et schismatique. Le schisme comme l'hérésie est classé par tous les Apôtres dans la catégorie des péchés graves. Ceux qui font profession de n'être que les héritiers des Apôtres ne peuvent pas pratiquer cette fausse douceur qui met les erreurs sur le pied d'égalité avec la Vérité, voilant la Charité sous des mots ambigus. Comme le dit Saint Thomas d'Aquin : « Si supporter les injures qui n'atteignent que nous-mêmes est un acte vertueux, supporter celles qui atteignent Dieu n'est pas de la piété ».
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Simon, dit le Zélote, était peut-être aussi un cousin de Notre-Seigneur puisque Saint Matthieu nous nommera quatre de ces cousins (Mat. XIII, 55) : Jacques, Joseph, Simon et Jude. Les zélotes formaient une secte qui croyait bon de réprimer par les armes toute atteinte à la Loi. C'étaient donc de dangereux agités. Il n'est pas impossible qu'un des Apôtres ait été choisi dans ce milieu-là, Jésus étant parfaitement capable de transformer un zèle intempestif en un zèle très saint.
Thomas est assez connu pour sa prudence. On choisit volontiers son patronage quand on veut informer le monde de la suprême intelligence avec laquelle on décide de ne croire que ce que l'on peut toucher ou voir. Et pourtant, c'est pour nous fortifier tous que Thomas fut laissé quelques joursi à son incrédulité. Et s'il fut heureux de pouvoir mettre ses mains dans les plaies de Jésus, plus heureux encore sommes-nous, dira le Seigneur, de croire sans avoir vu. La Tradition veut aussi que Thomas ait évangélisé l'Orient où son tombeau aurait été retrouvé.
Et le douzième : Judas Iscariote qui le trahit. De la mentalité de Judas nous ne savons qu'une chose : qu'il aimait l'argent et qu'ayant de grands besoins il ne se gênait pas pour voler les pauvres. L'argent est une idole qui entraîne à beaucoup de perversités : l'hypocrisie, le vol, le crime, la trahison. C'est une idole insatiable. Avec sa sœur l'Orgueil, que de ravages ne commet-elle pas ?
(*A suivre.*)
Marie Carré.
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### Les Sept Paroles (III)
« *ET JÉSUS DIT AU DISCIPLE :* « *Voilà ta mère. *» *Et depuis cette heure, le disciple la prit chez lui. *»
Marie quitta des yeux la Croix où le sang coulait doucement des mains et des pieds de son Fils et jeta un regard à S. Jean, qui, le visage bouleversé avait peut-être attendu jusque là un miracle décisif. Mais non ! Jésus acceptait sa mort puisqu'il confiait sa mère au seul apôtre présent au pied de la Croix. Les autres n'étaient pas loin certainement, et attendaient comme lui un miracle, mais la garde n'avait laissé approcher qu'un petit nombre de personnes et les femmes plutôt que les hommes.
Les apôtres assistaient à une catastrophe, Marie au mystère du Salut. Elle vit qu'elle aurait à le faire comprendre au moins à celui à qui elle était confiée par son Fils. Il fallait que ce violent comprît que Dieu est amour pour qu'il le pût écrire et prêcher, afin d'entrer dans la vie de la Sainte Trinité qui est une vie d'amour éternel. Et c'est ainsi qu'après une vingtaine d'années de vie commune avec la Sainte Vierge Jean devint le théologien parmi les apôtres.
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Marie était l'épouse du Saint Esprit ; à la Pentecôte elle reçut encore de nouvelles grâces spéciales à elle-même pour son rôle dans l'Église. Oh ! très modestement ; le gouvernement de l'Église appartenait aux apôtres. A eux de garder le dépôt de la foi. Marie se contenta de prier et de parler avec Jean de tout ce que son Fils avait accompli. Elle lui expliqua bien des choses que son Fils lui avait fait entendre à elle-même et que Jean a recueillies principalement dans le long discours de Jésus après la Sainte Cène. Elle fut pour Jean l'exemplaire de la vie en Dieu chez une créature, de la participation au mystère des trois personnes divines.
\*\*\*
Or récemment un nouvel évêque lors d'un pèlerinage de la Sainte Vierge, au milieu de beaucoup de bonnes paroles, et croyant instruire, a supprimé ce rôle exceptionnel de la Mère de Dieu. C'est là une mode intellectuelle du faux œcuménisme dont nous voyons partout les effets qui sont de protestantiser l'Église. Il a présenté Marie simplement comme la meilleure des chrétiennes, la plus parfaite et qu'il nous faut imiter : « En Elle, fille de la terre, en Elle, femme comme toutes les femmes dans son cheminement terrestre, nous admirons la réussite que Dieu a opérée et, en la regardant, nous reprenons courage, mais ce que nous voyons en Elle, nous devons le vouloir non seulement pour chacun de nous, mais pour toute l'humanité. » Eh bien non ! on ne met pas de côté cette partie de l'enseignement de l'Église que S. Bernard ou S. Louis de Montfort après Tertullien, après S. Irénée, ont si fortement éclairée.
137:119
La Sainte Vierge n'est pas « une femme comme toutes les femmes ». L'Évangile le dit, qu'elle est bénie entre toutes. Elle fut seule épargnée par la souillure originelle ; seule elle enfanta étant Vierge. Le Verbe éternel et le Verbe incarné en Jésus étant une seule personne, la mère de Jésus se trouve aussi mère de Dieu. C'est extraordinaire ; c'est un mystère d'amour lié à ce fait que l'homme fut créé à l'image de Dieu. Mystère qui fait Dieu plus intime en nous que nous-même, qui éclaire notre esprit pour pénétrer Dieu, et qui lie la nature et la grâce. C'est extraordinaire, mais nous n'y pouvons rien ; ceux qui ne l'admettent pas ne comprennent pas qui est Jésus.
Ce rôle unique de la Sainte Vierge l'a maintenue dans la vérité spirituelle qui est de vivre l'humilité dans l'amour. Elle a donc vécu la vie des femmes de son temps dans une extrême pauvreté et simplicité, sans cesser de remplir cette fonction d'être non seulement mère de Dieu mais de tous les hommes que Dieu a créés.
Aussitôt que Jésus eut été conçu par l'opération du Saint Esprit Marie, en hâte et sans aucune autre preuve que l'acte de foi, part dans les montagnes de Judée pour faire à pied les deux ou trois jours de marche qui la mèneront chez sa cousine. Elle porte ainsi Jésus à Élisabeth et à S. Jean qui reposait dans le sein de sa mère. Marie porta ainsi Jésus dans sa famille, aux futurs apôtres cousins de Notre-Seigneur, elle le porta à Jérusalem et puis aux bergers de Bethléem. C'est elle encore qui le porta au vieillard Siméon. Sans doute ce que dit de Siméon la sainte liturgie « Le vieillard portait l'Enfant et l'Enfant gouvernait le vieillard » est vrai aussi de de la Sainte Vierge comme de nous tous. C'est le mystère de la grâce et de la liberté, et Marie, exempte de péché était la plus libre qui fût et sera jamais de tous les enfants des hommes.
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S. Louis de Montfort commence son Traité par ces mots : « J'avoue avec toute l'Église que Marie n'étant qu'une pure créature sortie des mains du Très Haut, comparée à Sa Majesté Infinie, est moindre qu'un atome, ou plutôt n'est rien du tout, puisqu'il est seul « Celui qui est ». Et le Père Emmanuel lui-même, qui confia son apostolat à N.-D. de la Sainte-Espérance, écrit dans son catéchisme : « L'immense péril est d'oublier la Très Sainte Trinité, de mettre à sa place la seule personne de Notre-Seigneur considérée plus dans son humanité que dans sa divinité, remplacer la médiation du Sauveur par celle de la Très Sainte Vierge, et glisser à côté de la foi pour se faire une religion qui, tout en étant un extrait du christianisme pourrait en devenir une falsification... »
Le peuple oublie ces vérités quand on ne l'instruit pas, mais aussi lui faire croire que la Vierge Marie n'est qu'une femme comme les autres aboutit à une falsification du christianisme, ce que nous voyons s'accomplir journellement.
Marie était donc chargée de porter Jésus. Elle le porta en Égypte (ô Égypte tu as été visitée trois fois !) où devaient naître tant de saints des premiers âges et tant d'initiatives spirituelles.
Elle le conduisit à Jérusalem s'instruire de la pensée des scribes et des docteurs, et Jésus était soumis à ses parents.
L'apôtre Jean put voir en vivant avec Marie ce qu'était une perfection chrétienne qu'il était loin d'approcher. Elle lui servit de modèle pour calmer sa violence (Jésus appelait les deux fils de Zébédée : fils du tonnerre) et il s'habitue ainsi à lui obéir sans qu'elle commandât ; comment résister a sa perfection ?
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Elle lui communiquait sans vouloir enseigner ce qu'elle avait reçu de son Fils touchant les mystères. Et Jean se souvint alors des noces de Cana, il comprit la scène et se promit de l'écrire. Il se rendit compte qu'il avait assisté en ce jour au dernier entretien de la vie cachée de Notre-Seigneur avec sa mère ; il saisit quels avaient été leurs rapports : Marie ne demandait même pas, elle suggérait et Jésus accomplissait. « Ils n'ont plus de vin. » Jésus fit une objection : « Que vous importe à vous et à moi ? Mon heure n'est pas encore menue. » Et Marie connaissant l'amour infini de son Fils, passant sur l'objection dit simplement : « Faites tout ce qu'il vous dira. » Ce jour-là elle mettait elle-même un terme à la vie cachée ; elle lançait son Fils dans la vie publique qui allait si tôt aboutir au gibet. Mais par ce premier miracle de son Fils elle agissait directement sur les apôtres, pour augmenter leur foi.
Le Verbe incarné connaissait tout cela d'avance, il le fit cependant par Marie. Il interposa la liberté de sa mère dans l'opération divine, dans la disposition éternelle de notre salut.
Marie garde cette fonction d'apporter Jésus, d'enfanter Jésus dans les âmes, dont son histoire terrestre la montre revêtue. Ce qu'elle fut avec Jésus adulte dans sa vie cachée, nous le voyons aujourd'hui au pied du Calvaire, transporté aux apôtres et à tous les hommes par cette simple parole : Voici *ton fils*.
\*\*\*
De même que Jésus après sa mort, sa Résurrection et son Ascension demeure dans le ciel de l'Apocalypse « l'Agneau comme immolé » (comment dire cela en langage humain) de même tous les saints gardent dans le ciel le caractère lié aux grâces reçues sur la terre et qu'ils ont eu à faire fructifier ; et comment pourrait-il en être autrement, la grâce et la nature ont le même auteur, et la grâce couronne en chacun de nous une nature qui est unique.
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Marie a donc ce rôle personnel d'être le moyen ordonné par la Sainte Trinité pour rendre humaines les grâces divines, et Sa Sainteté Paul VI écrit : « *la coopération* (*s'exerçant d'abord par l'intercession*) *de Marie à la naissance et à la croissance de la vie divine en chaque homme racheté fait partie intégrante du mystère du salut des hommes et doit être un objet de foi pour tous les chrétiens *».
Ô ! femmes chrétiennes ! continuez à méditer les mystères du Rosaire. Marie l'a fait la première ; la Providence l'en avait fait le principal acteur créé, et malgré la distance qui nous sépare de ses perfections, nous participons ainsi aux grâces qu'elle a reçues et qu'elle est chargée de répandre sur le monde.
Partout les chrétiens doivent porter Jésus comme la Sainte Vierge l'a fait avec modestie et charité, soit d'une manière cachée, comme Marie avant la nuit de Bethléem, soit d'une manière ouverte et simple comme à la Chandeleur lorsque Marie présenta l'enfant au vieillard. Toute parole de foi et d'espérance est un exemple et bien souvent Dieu les attend pour donner lui-même des grâces de conversion.
Ainsi serons-nous missionnaires à la manière de Marie et la première mission qui nous est confiée, la plus certaine, la plus évidente, commence dans la famille, car bien rarement ceux qui vivent ensemble sont au même point ; tous pécheurs sans doute, mais peut-être renégats avoués ou secrets, ou bien douteurs, ou hostiles, ou peut-être sur la voie de la sainteté. Et Dieu seul sait ce qui en est. Les chrétiens se doivent les uns aux autres l'exemple de la foi et au besoin les avertissements discrets et charitables.
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Ce peut être l'enfant bien instruit, gardant l'innocence baptismale, qui est le modèle et l'instructeur d'adultes qui bien souvent n'ont pas été fidèles aux promesses du baptême. Comme l'Enfant Dieu, qui était soumis à la Sainte Vierge et à S. Joseph, veillait cependant sur eux et les avait destinés comme Verbe éternel, à un rôle immortel, ainsi quelqu'enfant pré, destiné peut porter Jésus et ouvrir à des adultes les portes du ciel. Ainsi se mélangent le temps et l'éternité, ainsi la pensée divine intercale notre liberté, comme celle de Marie, dans l'histoire du monde, par un acte d'amour créateur et sauveur.
Profitons de ces trésors de grâce, laissons-nous, comme S. Jean, instruire par Marie dans l'amour des mystères que son Fils est venu révéler et accomplir.
D. Minimus.
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## NOTES CRITIQUES
### Ce que Jean XXIII n'avait pas dit
Est-ce une malédiction ? Ce que l'intoxication, ne gagne pas sur le moment, elle le gagne après coup. Les paroles que Jean XXIII *n'a pas prononcées le 11 octobre 1962* mais qui ont fait quasiment le tour de la presse profane et d'une certaine presse catholique, les voici enfin avalisées, cinq ans plus tard, en première page de *La France catholique* du 1^er^ décembre 1967.
En un temps d'intoxication comme le nôtre, il faudrait pourtant se méfier de ce qui est « dans toutes nos mémoires » et vérifier avant de citer. L'article, par ailleurs raisonnable, de *La France catholique* du 1^er^ décembre commence par ces mots :
« Les paroles de Jean XXIII dans son discours d'ouverture du Concile sont dans toutes nos mémoires : « La doctrine authentique sera exposée suivant les méthodes de recherche et de présentation dont use la pensée moderne. Autre est la substance de la doctrine antique contenue dans le dépôt de la foi, autre la formulation dont elle est revêtue. »
Je répète que ces paroles, je parle de la *première* des deux phrases attribuées à Jean XXIII, NE SONT PAS AUTHENTIQUES.
L'article de *La France catholique* ajoute aussitôt en note :
« Beaucoup de discussions ont entouré ces paroles du 11-10-62 -- il semble que le texte original ait été pensé par Jean XXIII en italien, puis traduit en latin, le bureau de presse fit la traduction française d'après le texte italien ([^42]). D'où les différences, mais le sens reste clair... »
143:119
Les « discussions » évoquées, selon le contexte faisant allusion à l'existence de variantes, étaient les discussions sur *l'authenticité* des paroles en question. Ces discussions eurent lieu dans *Itinéraires*. Elles n'ont pas seulement eu lieu, comme un fait sans signification et sans résultat. Elles ont -- peut-être ? -- apporté quelque lumière ; et quelques preuves : des preuves probantes dans leur ordre, qui est celui de la critique des textes. D'une critique des textes subalternée, comme elle doit l'être dans un tel cas, à la théologie.
\*\*\*
Ces discussions eurent en outre ceci de remarquable (de très remarquable pour l'occurrence présente) : le propre correspondant de *La France catholique à* Rome pendant le Concile, Georges Daix, vint y participer dans *Itinéraires*, et par une lettre publiée dans notre numéro 70 de février 1963 (pages 100 à 103), lettre longue et circonstanciée, il attestait que notre version était bien « *la version exacte *» de ce passage ; il produisait à l'appui des arguments supplémentaires ; et il ne manquait pas de souligner à son tour la grande importance de cette question.
\*\*\*
Nous n'allons pas reprendre ici toutes les pièces du débat ([^43]). Il nous suffira de rappeler que le discours du 11 octobre 1962 fut celui que *prononça* Jean XXIII à l'ouverture du Concile. Les paroles authentiques sont donc *celles qu'il a effectivement prononcées*. Après quoi, il aurait certes pu les corriger : mais les seules corrections authentiques eussent été celles qui auraient été apportées au texte lors de sa publication, officielle aux *Acta Apostolicae Sedis* ([^44])*.* Il n'y en eut aucune.
144:119
Jean XXIII a dit :
« *Oportet ut haec doctrina certa et immutabilis, cui fidele obsequium est praestandum, ea ratione pervestigetur et exponatur, quam postulant tempora nostra*. »
Nous traduisions :
« Il faut que cette doctrine certaine et immuable, à laquelle on doit une fidèle soumission, soit étudiée et exposée selon la méthode postulée par les circonstances actuelles. »
La *Documentation catholique* du 4 novembre 1962 donnait de son côté une traduction substantiellement identique à la nôtre :
« Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. »
Et non pas, ce qui est tout autre chose : « *exposée suivant les méthodes de recherche et de présentation dont use la pensée moderne. *»
C'est encore la *Documentation catholique* qui remarquait que les traductions italienne et française du discours « *différaient notablement, sur plusieurs points, du texte latin qui a été prononcé par le Pape *». ([^45])
\*\*\*
145:119
Or l'important, notamment pour l'histoire du Concile et l'histoire de l'Église, réside en ceci : le retentissement immédiatement donné au discours du 11 octobre par les journaux (et même par les évêques encore peu habitués pour la plupart, le premier jour du Concile, à entendre directement le latin) l'a été en mettant *principalement l'accent sur* des points qui figuraient dans les traductions *et non* dans le texte authentique latin effectivement prononcé. La phrase inexacte, malencontreusement avalisée par *La France catholique* en 1967, constitue l'un de ces points.
Point qui est capital.
S'agit-il en effet d'une méthode *adaptée à* notre temps et aux circonstances, ou de la méthode *employée par* la pensée moderne ?
Ce n'est pas du tout la même chose.
On le comprendra mieux, s'il en est besoin, par la comparaison que nous avions aussitôt proposée :
-- Ce ne serait pas du tout la même chose, disions-nous, de préconiser par exemple une méthode d'apostolat *adoptée au* communisme, ou de préconiser la méthode *employée par* le communisme !
\*\*\*
En outre, que voudrait donc dire l'affirmation que *la doctrine certaine et immuable* devra désormais être exposée selon des méthodes *de recherche *? selon les méthodes de « recherche » dont use la pensée moderne ?
Une telle RÉVOLUTION, si elle avait été précisément voulue par le Magistère, aurait demandé quelque développement. Elle n'aurait pu être introduite par l'emploi d'un seul mot, non expliqué, mais en lui-même terrible par sa résonance intellectuelle et psychologique.
Si l'on veut bien considérer qu'aujourd'hui les « méthodes de recherche dont use la pensée moderne » sont brutalement et massivement introduites jusque dans l'enseignement du petit catéchisme -- lequel en est désintégré -- on comprendra peut-être tout ce qui se trouvait mis en question par le simple emploi de deux ou trois mots *différents* de ceux qui figurent dans le texte authentique.
146:119
Et l'on peut être certain d'avance que l'histoire s'attachera avec attention à ce problème, et qu'elle sera sévère pour les mains qui, en octobre 1962, trafiquèrent délibérément le texte du discours de Jean XXIII : elles portent la responsabilité directe des ruines et décombres où nous nous trouvons aujourd'hui.
\*\*\*
C'est pourquoi nous avons parlé plusieurs fois des ÉQUIVOQUES MASSIVES qui ont surgi autour du discours du 11 octobre 1962.
Des équivoques convergentes ont semblablement surgi à l'occasion d'autres textes de Jean XXIII : la « socialisation » de *Mater et Magistra,* le problème de la doctrine et du mouvement historique dans *Pacem in terris*, et cetera.
Équivoques soit suscitées, soit aggravées, selon les cas, par des traductions arbitraires.
C'est un problème immense. Il exige d'abord, pour chaque texte mis en cause, une analyse attentive et détaillée dont nous voyons bien qu'elle impatiente certains esprits : ils paraissent n'y voir que chinoiseries de détail, et ils trouvent plus commode de s'en remettre à ce qui, par la grâce du conditionnement et de l'intoxication, est « dans toutes nos mémoires ». Tant pis. Nous n'y pouvons rien. Que maintenir en tous cas le témoignage de nos laborieux grimoires, lesquels ne feront une fois de plus aucun effet ceux qui auront négligé l'avertissement du vieux proverbe « On a souvent besoin d'un plus petit que soi. »
J. M.
### Notules et informations
**A signaler **: le livre du Dr Ernest Huant qui vient de paraître aux Éditions du Cèdre : « Masses, morale et machines » ; sous-titre : « La morale devant l'hypertechnie et le conditionnement ».
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147:119
**Le Congrès des laïcs 1968.** -- Ce sera celui de Lausanne, sur le thème : « Le sens chrétien de l'histoire ». Dates 5. 6 et 7 avril 1968. A noter : à partir du 1^er^ février, le programme complet des journées et les bulletins d'inscription seront envoyés sur simple demande adressée au Secrétariat des Congrès, 49, rue des Renaudes, Paris XVIII^e^.
\*\*\*
**Club du Livre civique **: même adresse, ouvert chaque mercredi soir jusqu'à 22 heures. Nouvelle formule : allez voir ; invitez vos amis. Vous y trouverez les livres « introuvables » ou prétendument « épuisés » chez les soi-disant libraires.
\*\*\*
**Élégance et anarchie.** -- La Congrégation de la Doctrine de la Foi avait demandé que l' « imprimatur » ne soit plus donné à l'abbé Oraison.
En conséquence, l'abbé Oraison a été... autorisé à publier ses livres sans « imprimatur ».
L'anarchie, quand elle est à peu près totale, permet de ces solutions élégantes.
\*\*\*
**Avec l'imposture en plus.** -- L'élégance, c'est toujours bien. L'anarchie, on n'y peut rien : sans doute ne fallait-il pas l'établir un peu partout dans l'Église. Mais elle est établie maintenant, comme on le constate une fois de plus, et désormais personne probablement n'y pourra rien, sauf les saints que nous attendons. -- Cela dit, le mensonge et l'imposture demeurent inacceptables. Or on ment au peuple chrétien, et c'est l' « autorité » qui lui ment.
On ment. Car si l'abbé Oraison a été autorisé à faire paraître son livre sans « imprimatur », c'est « en raison du caractère de recherche de ses travaux ». Moyennant quoi, le livre est publié chez Fayard et partout répandu dans le public.
Quand des « travaux » ont un « caractère de recherche », on les publie ailleurs que chez Fayard : dans des revues spécialisées, chez des éditeurs spécialisés, à l'intention des spécialistes. On ne les lance pas dans le grand public.
\*\*\*
**Compléments d'information.** -- Selon « Le Monde » en date du 9 novembre -- information confirmée et réitérée dans « Le Monde » du 29 novembre -- la formule apposée sur le livre est la suivante :
« *En raison du caractère de recherche de ses travaux, M. l'abbé Oraison est autorisé à faire paraître son livre sans imprimatur.*
148:119
« Le Monde » du 29 novembre ajoute :
«* La formule apposée sur ce livre a été mise au point à la suite de pourparlers entre le secrétariat de l'épiscopat et l'intéressé, et en plein accord avec le cardinal Lefebvre, archevêque de Bourges, membre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. *»
Eh bien !
\*\*\*
**Une polémique abracadabrante... mais qui est un signe des temps.** -- « Témoignage chrétien » ayant accusé « La Croix » d'avoir qualifié -- en 1917 ! -- la révolution russe de « gangrène » et de « crime », « La Croix » se défend énergiquement dans son numéro du 8 novembre (page 8) :
« *Ce n'était pas la révolution russe qui y était qualifiée de* «* gangrène *» *et de* «* crime *», *mais la paix séparée de Brest-Litovsk. Nulle part ailleurs on ne trouve dans* «* La Croix *» *ces qualificatifs appliqués à la Révolution russe. *»
Mais de quoi donc a-t-on ainsi peur à « La Croix » ? Du communisme en général ou de « Témoignage chrétien » en particulier ?
Pourquoi « La Croix » éprouve-t-elle le besoin de jurer qu'elle n'a pas dit de mal de la Révolution russe ? Si elle l'avait qualifiée de « gangrène » et de « crime », ce serait tout à son honneur, elle n'aurait fait là que son devoir.
La Révolution marxiste-léniniste de 1917 était bien une *gangrène* et un *crime :* l'Église, à défaut du journal « La Croix », a prononcé de telles qualifications, ou des qualifications équivalentes, et même plus graves : le communisme est, au jugement du Magistère, non seulement « criminel », mais « plus criminel que ce que l'on avait jamais vu de criminel ».
Et aujourd'hui comme hier, le communisme demeure, au regard de la foi catholique, une criminelle gangrène.
Que nos confrères de « La Croix » se rassurent : on n'est pas -- encore -- pendu ou guillotiné, en France, si l'on dénonce de tels jugements.
On n'est pas non plus guillotiné ou pendu si l'on est convaincu d'avoir énoncé de tels jugements... il y a cinquante ans !
Mais peut-être le journal « La Croix » songe-t-il à l'avenir incertain ?
\*\*\*
**Crise d'hystérie révolutionnaire.** -- L'organe des Dominicains de Paris, « Signes des temps », consacre son éditorial, sous la signature du bon Père R.-Ch. Chartier, à Ernesto Che Guevara :
149:119
«* L'Église catholique d'Amérique latine compte hélas parmi les forces conservatrices et réactionnaires, malgré les efforts d'une minorité active* (*...*)*. Mais déjà Camillo Torres, prêtre qui se fit réduire à l'état laïc pour aller se battre et mourir dans les rangs des guerilleros, de jeunes chrétiens, constatant l'absence de bases d'une politique* «* chrétienne *», *se préparent, sans rien abandonner de leur foi, à assumer la révolution à côté de ceux qui comme Guevara trouvent dans le marxisme l'esprit de leur action*. »
On pourrait demander comment ils font pour assumer la révolution marxiste sans « rien » abandonner de leur foi... Mais le suave éditorialiste dominicain donne la réponse, en proposant en exemple le manifeste de ces jeunes gens qui déclarent :
-- *L'exception, signalée par Paul VI dans l'encyclique* Populorum Progressio, *qui justifie l'insurrection révolutionnaire dans le cas* «* d'une tyrannie évidente et prolongée qui porterait gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et nuirait dangereusement au bien commun du pays *», *est applicable intégralement à la grande majorité des pays de notre continent pour autant que l'action de l'impérialisme yanki, du capitalisme et du néo-colonialisme est la forme manifeste et constante de la tyrannie exercée sur nos peuples.* «* Tout révolutionnaire sincère doit reconnaître que la voie des armes est la seule qui reste *» (*Camillo Torres*)*.*
*-- Suivent les enseignements de Jean XXIII, dans l'encyclique Pacem in Terris, les chrétiens doivent être disposés à collaborer loyalement et franchement avec tous les authentiques révolutionnaires qui, à l'avant-garde, conduisent le développement de la lutte dans les mouvements populaires et armés de libération. Cette collaboration des chrétiens, étant sauves les différences idéologiques fondamentales, doit aller avec le plus grand esprit de générosité, de confiance, de loyauté et d'espérance. Ce sera le vrai sens du* «* dialogue *» *entre catholiques et marxistes, croyants et non-croyants, proposé officiellement à l'Église catholique par le concile Vatican II..., ce sera l'authenticité et la présence de l'Amour qui se manifeste dans la solidarité active avec tous les hommes qui ont faim et soif de justice.*
On pourrait demander encore où donc Jean XXIII (que ce soit dans « Pacem in terris » ou ailleurs) aurait prôné la collaboration avec les « authentiques révolutionnaires » qui « conduisent des mouvements armés » !
L'éditorialiste dominicain, doux et pieux, est en tous cas bien d'accord avec ces révolutionnaires.
Il ajoute non pas une réserve, mais un vœu, en ces termes :
150:119
«* Camilo Torès, Che Guevara, dont les exemples atteignent à la force du mythe, sont réunis dans la mort. Puisse cette réunion inciter ceux qui les suivent à joindre à la haine révolutionnaire contre l'oppression et l'injustice, l'amour chrétien de ces hommes que restent les oppresseurs, afin que la violence soit contenue dans les limites de la nécessité. *»
Ces merveilleux docteurs enseignaient il n'y a guère qu'il fallait être «* contre la violence d'où qu'elle vienne *».
Maintenant (et avec eux Félix Lacambre promu à « La Croix »), ils sont pour la violence nécessaire, à la seule condition qu'on leur laisse la charge de fabriquer eux-mêmes ce qu'ils commencent à appeler une « théologie de la violence ». En effet : ils changent de théologie morale comme de chemise, selon l'opportunité.
Mais ils voudraient en outre que l'on respecte leurs personnes d'éminents théologiens ?
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### Bibliographie
#### Autour d' « Astérix légionnaire »
Le rôle principal que je me suis assigné dans notre chronique bibliographique consiste à évoquer les ouvrages dont on parle beaucoup, bons ou mauvais, utiles ou pernicieux, sérieux ou fantaisistes, primés ou non primés, mais de toute façon représentatifs de notre temps, et nous permettant périodiquement de faire le point. Alors pourquoi m'interdire d'évoquer les albums d' « Astérix » ? Les adultes les lisent autant que les enfants, ce n'est plus un mystère. Je lis un article sérieux dans un journal catholique ami, et je trouve en conclusion : « ...Mais comme dirait Abraracourcix : C'est pas demain la veille ! » J'en arrive à me demander si « Astérix » est moins révélateur de l'esprit de 1967 que les « Antimémoires » de Malraux.
151:119
Semblable par certains côtés au mythe de « Tintin », « Astérix » s'en distingue notablement ; « Tintin » était un reflet du roman, « Astérix » est un reflet de l'histoire, et par là se prête davantage à l'interprétation satirique, à la transposition imagée nécessaire à la formulation de l'esprit critique. Ainsi avons-nous entrevu les « Beattles » dans un album précédent ; dans celui-ci, l'Égyptien Courdetenis prend le camp de César pour un camping du « Club Méditerranée ». Le phénomène astéricien est comparable à la naissance de « Pantagruel » et « Gargantua » greffés sur une facétie populaire anonyme, les « Grandes et inestimables cronicques », et d'ailleurs Obélix est un personnage du type gargantuesque.
« Ubu-Roi » écrit collectivement dans une classe de lycée, « Cosinus » et « Fenouillard » créés par un homme fort lettré pour des enfants, sont des exemples qui nous laisseraient à penser que l'autonomie de la littérature enfantine est une vérité très relative. « Astérix Légionnaire » est accessible à des adolescents qui ont déjà terminé leur classe de Quatrième ; et ce qui est plus scandaleux encore pour l'esprit post-conciliaire, il suppose qu'ils ont étudié assez de latin. Même ainsi, les plaisanteries demandent souvent un supplément d'explication que le climat familial ou l'ambiance scolaire peuvent seules fournir : lecture de collaboration, supposant paradoxalement une part d'incompréhension et de recherche, impensable dans le cas d'une jeunesse révoltée, confinée dans une dissidence boudeuse et agressive. « Astérix » est-il « dans le vent » ? Où est le vent ?
L'apparition de la séduisante Falbala est peut-être un signe de la « croissance » d' « Astérix ». Falbala et Tragicomix, du point de vue du dessin, tranchent-ils trop sur le style des autres personnages ? Mais après tout, je me sens avec eux fraternel : ils ont été étudiants comme moi à « Condate Redonum », c'est-à-dire Rennes, et sont mes condisciples à quelques siècles de distance... Je vois là un essai d'adaptation « nationaliste » des bandes illustrées américaines : les amoureux sont sympathiques, mais le jeune premier Tragicomix se situe dans l'action à un degré fort subalterne. Il est sauvé par Astérix et par le brave Obélix, amoureux sans espoir de la belle Falbala ; et Astérix lui-même avait eu le cœur pincé... Cette nouvelle disposition des valeurs est assez symptomatique. La force de Tarzan, c'est Obélix qui la détient ; et la notion simpliste du surhomme fait place au sacrifice du dévouement et à une certaine chevalerie. En fin de compte, la popularité d' « Astérix » donne à penser que la littérature comique enfantine peut offrir la perspective d'un certain dégel, et la fidélité obstinée à certaines valeurs que méconnaît systématiquement l'intellectualisme officiel. Ce « défoulement » non freudien serait chose piquante, mais pas impossible...
*Jean-Baptiste Morvan.*
152:119
#### André Malraux « Antimémoires » (N.R.F.)
Chaque génération française a connu son type idéal, la personnification littéraire de son rêve de prédilection : l'humaniste, le héros « généreux », l'honnête homme, le philosophe, l'homme sensible, le héros romantique, l'artiste se sont ainsi succédé. La littérature du vingtième siècle semble encore trop peu décantée pour que nous puissions y discerner les modèles dominants. Le voyageur et le militant sont sans doute les personnages exemplaires auxquels elle s'est le plus souvent référée, mai simultanément et concurremment ; l'esprit du temps hésite entre les deux, non sans souffrir d'ailleurs parfois de ce dualisme. L'inspiration d'un Cendrars et d'un Kessel, l'universalisme maritime d'une partie de l'œuvre de Claudel donne à penser que pour certains, au moins à certaines heures, l'étude humaine installée dans la patrie manque d'ouverture et de vitalité ; c'est le vieux dialogue de Pyrrhus et de Cinéas, et Pyrrhus bénéficie souvent de plus de sympathies secrètes. La France ne serait-elle qu'une gare régulatrice ? Le militant lui-même ne doit-il pas se faire voyageur, et chercher son destin vers les grottes chinoises et sur les steppes des grandes caravanes ? Les « longues marches » profitent de ce préjugé favorable, et après avoir opté pour Pyrrhus, il est assez logique qu'on en arrive à justifier Picrochole. Le voyage semblait gratuit, altruiste et fraternel ; mails au bout du compte, voyage-t-on innocemment ?
Malraux lui-même a souligné, à propos de la texture complexe des « Antimémoires » ce qu'il devait aux « Mémoires d'outre-tombe ». L'héritage de Chateaubriand renfermait bien des leçons -- au moins littéraires -- dont s'inspirèrent des gens qui Souvent ne s'en vantèrent point. Les prolixités diffuses et les délectations de Loti y étaient déjà, et plus qu'à l'état virtuel. Mais dans les « Mémoires d'Outre-tombe » la Patrie était aussi Précieuse sans qu'elle eût besoin de s'insérer dans un combat, cette situation parfois proche parente du voyage.
153:119
Chateaubriand-Cinéas savait chérir ces charmes subtils et en repos, que Proust, Colette et bien d'autres dilettantes ressusciteraient. Si moralement discutable que soit son romantisme, il enveloppait un faisceau de fidélités simples. Chez Malraux, une intarissable poésie des paysages paraît être le « divertissement » exigé par une métaphysique négative du destin. Aux steppes des désirs lointains, il nous prend parfois l'envie d'opposer un monde dessiné et restreint, cantonné et cantonal, tellement nous avons l'impression que le cheval de Mazeppa nous entraîne malgré nous, liés et désarmés.
Malraux représente-t-il un cas de bonapartisme littéraire ? Pour Napoléon, l'Europe était « une taupinière ». Pour Barrès dont le bonapartisme intellectuel a marqué l'œuvre, les jardins sur l'Oronte étaient aussi nécessaires. Chez Malraux, les pages relatives à de Gaulle, au maquis, aux déportés se relient naturellement aux évocations de Nehru et de Mao. Je me souviens du mot dur de Rebutet sur Malraux : « un sous-Barrès bolcheviste ». Barrès il est vrai, avait siégé un temps près des Socialistes à la Chambre... et lui-même apparut à certains comme une réplique trop fidèle parfois de Chateaubriand. On peut en tout cas trouver un rapport assez constant entre une solitude morale plus ou moins accentuée et le culte de l' « homme à cheval ». Au contraire de Barrès et de Drieu, le gaullisme de Malraux est une tendance qui a trouvé son point de cristallisation, mais il n'en échappe pas pour autant à la hantise des errances. L'évocation obsédante des vents sur les plaines désertes de l'Asie contribue encore à donner à tant de traits et d'anecdotes une apparence de poussières glacées ; certaines pages, en particulier le suicide du grand-père, recherchent une dignité stoïcienne froidement hiératique qui m'a fait, je crois, pressentir pour la première fois la parole « dure à entendre » de l'Évangile : « Laissez les morts enterrer leurs morts ». En bien des endroits, on attend en vain un soupir, un élan du cœur.
Le refus de la continuité ordinaire du temps dans la rédaction des Mémoires peut être un procédé utile à la découverte d'une continuité plus profonde ; je crains qu'elle soit aussi autre chose : un dogme, qu'on songe même à appliquer d'autorité à l'enseignement de notre littérature, dans certains cénacles. Des gens -- je n'ose affirmer que ce soit le cas de Malraux -- veulent casser l'histoire, de peur parfois que l'histoire un jour ne les casse ; de peur aussi que le prestige de la continuité pourvue de chaleur humaine ne redonne la foi en un certain traditionalisme. Le Barrès qui est en Malraux n'oublie pas le bolcheviste. Barrès avait pu se dire et se croire socialiste, il avait néanmoins choisi ; Malraux est conservateur de son propre dilemme, qui ressemble trop souvent à une contradiction figée. Ce monde est froid. Malraux, si épris de l'art sculptural asiatique, aurait-il trop regardé les idoles ? La « reine » de Casamance ressemble à un masque africain parmi tant d'autres masques impassibles. « Aures habent et non audient... ». Trouvons-nous ici vraiment un univers qui nous parle et qui nous écoute ? « similes illis fiant qui faciunt ea ; et omnes qui confidunt in eis ».
154:119
La vision planétaire tend à prendre l'aspect d'un désespoir. Un ton de conviction tranquille règne dans tout le livre, et on y sent l'aisance du virtuose ; mais cette autorité du ton est une écharpe colorée qui flotte sur le néant. Nous avons le droit de récuser le témoin, de refuser de laisser sur leurs trônes les Nehru et les Mao, de rejeter les masques et les usurpations intellectuelles. Il n'est que trop vrai que Malraux représente un style de vie qui tend pour certains à s'insérer dans le réel ; il reste à se demander si le drame d'un Régis Debray est à inscrire dans le catalogue exemplaire d'un « De viris » du siècle, si la jeunesse de demain doit connaître comme modèle indiscutable une situation d'ombre chinoise, et la carrière de bon élève bien studieux dans une école paradoxale et peut-être déjà désuète de condottieri, pour la plus grande gloire de quelques sous-Mao, prométhées sans aigles dévorants, et trop bien assis.
*J.-B. M.*
#### Renée Massip « Le rire de Sara » (N.R.F.)
« Le Rire de Sara » n'est pas un roman, et si l'on en cherchait le personnage essentiel, on hésiterait entre Lourdes et la narratrice elle-même ; ce n'est pas non plus, exactement, ni une suite de dialogues, ni une autobiographie, ni une confession, ni un essai, bien que tous ces aspects y soient présents aussi. Et de ces constatations, je tirerais volontiers le premier éloge, et non le moindre à mon sens, car dans l'état présent de la littérature, l'efficacité requiert que l'on forge son outil : tant d'autres se sont donné des airs d'initiateurs et de découvreurs avec des instruments maladroitement empruntés ! Le « Rire de Sara » remet trop de choses en question pour ne pas remettre aussi en question des structures littéraires insuffisantes.
A chaque détail, à chaque réflexion, j'éprouve le choc de la vérité. Ces conversations de l'auteur avec l'amie d'enfance, institutrice et mère de deux filles modèles, font ressurgir ce que j'ai moi-même entendu, et ce que j'ai répondu, ou eu envie de répondre.
155:119
J'ai écrit là-dessus des pages laissées dans les cartons : il est des mots que l'on ne peut dire sans blesser, si une expérience comme celle de Lourdes ne donne pas le tact nécessaire ; mais dans les conversations du livre, je me trouve en tiers, et Renée Massip parle pour moi, en s'adressant à Madeleine Méritoire. Le nom de celle-ci est à n'en pas douter symbolique ; il me remet en mémoire toute une éducation que je ne veux ni ne peux renier, et contre laquelle je ne cesse de protester cependant : ce monde parfait rêvé par les maîtres d'école, mes aïeux depuis celui qui naquit en 1805 et qui n'était peut-être pas le premier. Morale « laïque », mélange d'un stoïcisme cornélien repensé par le Kantisme et d'un scientisme anti-microbien dont Pasteur devenait le prophète... « N'allez pas trop loin ! » répète Madame Méritoire à ses filles en promenade ; la formule dit beaucoup en peu de mots, comme le langage turc de Molière. Une prudence épargnante était le premier principe d'un système où le risque s'identifiait au péché, où il était entendu qu'un rhume de cerveau était la conséquence d'une faute. On se tromperait étrangement, pourtant, en croyant lire sous la plume de Renée Massip un essai de satire. Cet univers moral qui nous a choyés, nous ne pouvons en parler sans mêler indissolublement la tendresse au grief. Ceux qui firent de leur mieux n'ont pas pensé que la vie obligeait à « aller trop loin », et qu'un jour l'on pouvait seulement offrir à Celle qu'à Boquen en appelle « Notre-Dame du Risque » les incertitudes d'un cœur divisé. Ce pèlerinage, c'est à Lourdes que Renée Massip l'accomplit. Miracle marial. A ceux qui n'ont connu que cet idéal laïc, et de bonne foi, le « Rire de Sara » apprendra qu'il peut exister un conflit, tôt ou tard, entre la révélation du monde trop humain et le moralisme scolaire, aussi bien qu'une crise peut naître de la confrontation de la vie avec l'enseignement d'une pieuse enfance. D'autres encore comprendront qu'une certaine « ouverture à gauche » a pu apparaître à bien des esprits comme une tentative pour les ramener à un puritanisme aussi assommant qu'héroïque, un peu trop hâtivement paré d'une extrême poésie par l'auteur laïc du « Vase de Soissons ». Et qu'on sache aussi que les gens dont l'héritage contint à la fois le legs vivace du christianisme et l'impératif catégorique du bien n'en éprouvèrent point plus de facilité dans leur vie intérieure. En voyant l'usage que des personnages influents ont fait de la prédication scolaire servie à notre candide enfance, nous sentions monter à nos lèvres le cri que déjà, gamins au temps du Six Février, nous gribouillions sur nos pupitres : « A bas les voleurs ! » car en France, le Bouteiller de Barrès semble être immortel...
A quoi bon les colères ? Notre enfance a gravé dans nos âmes l'impératif catégorique de la solution, mais à la manière d'un problème de robinets pour certificat d'études. Il vient une heure où la solution mystique est la seule. Ainsi Pascal troublait salutairement les esprits géométriques en introduisant l'infini dans les données de l'équitation. Lourdes fournit l'occasion à Renée Massip.
156:119
Il ne lui a pas été donné de voir un miracle, dans l'acception ordinaire du mot, mais un autre miracle que l'on ne peut ici définir, et dont la lecture du « Rire de Sara » fera sentir la nature. Si toutefois on pouvait risquer quelque approximation, on pourrait parler d'abord d'une restauration de la douleur physique dans sa présence originale, préalable à la charité et à la vérité. Montaigne avait déjà, contre les stoïciens, vigoureusement séparé la maladie et la mort ; Pascal en tira d'autres conséquences. « Adieu Angelina », la chanson de la saison dernière, dit : « Des maquilleurs s'escriment à fermer les yeux de la Mort » ; il n'est pas moins vrai que d'autres maquilleurs s'escriment à fermer les yeux de la douleur. Lourdes est le royaume de la douleur aux yeux ouverts ; en face du rêve puéril d'une vie aseptique, pasteurisée ou embaumée, la piscine de Lourdes suggère une autre perspective, pour une toute autre lustration. La douleur des malades nous enseigne à garder les yeux ouverts, nous aussi, malgré l'intelligence satisfaite et enfermée qui provoque en nous, au premier abord, l'instant de scepticisme et le rire de Sara devant la promesse du Seigneur.
*J.-B. M.*
#### Han Suyin : « L'arbre blessé » (Stock)
Il existe en littérature une tradition édifiante, attendrissante et larmoyante au sujet de la Chine, avant Voltaire, il faudrait peut-être remonter aux fables de Fénelon pour retrouver les prodromes d'un mythe encombrant et puéril. Les Chinois des contes, c'est comme l'éléphant des fables, on n'en dit jamais de mal. Cette imagerie a du moins emprunté à la culture lointaine dont elle est le reflet partiel et partial, une tendance à l'obésité solennelle et au moralisme fossilisé. Confucius réadapté par les missionnaires repris eux-mêmes par les philosophes, puis par les puritains de divers peuples (y compris nos puritains laïcs) voilà un étrange climat de connaissance intellectuelle. Notre après-guerre continuait à lire l'abondante littérature de Pearl Buck, et se gargarisait avec les « Clefs du Royaume », autre chef-d'œuvre du genre : Delly chez les Chinois... Il en reste quelque chose dans l'œuvre crypto-communiste de Mme Han Suyin, dont je me décide à parler un peu tard, mais qui connaît un grand succès.
157:119
On s'attendrit volontiers sur les photos de cette famille Sino-belge, aux différents âges, et ces « documents » donnent confiance. Le procédé est enfantin et sûr, la sauce fait passer le poisson -- le poisson rouge. Je suis frappé par les complexes rancuniers de cet auteur métissé, et plus encore par les intentions anti-chrétiennes : tableau des catholiques chinois, avec ce banquier à demi paralysé entouré de concubines et rossant les mendiants de sa cravache, avec ces religieuses ignares, superstitieuses et criminelles qui attendent rituellement une journée avant de soigner les enfants pour savoir si le Bon Dieu veut qu'ils survivent. Que dans ces chrétientés trop anciennes et trop récentes à la fois, d'existence difficile, on puisse rencontrer des abus, des erreurs invétérées chez les indigènes convertis, cela est malheureusement possible et même probable. Mais il semble que la perspective soit savamment disposée pour faire ressortir le sacrifice méritoire des premiers communistes persécutés par les généraux tyranniques et les principicules de l'époque anarchique des « Seigneurs de la guerre ». Tout cet ouvrage est équivoque, d'ailleurs sans mérite littéraire. La prolixité des histoires familiales distille un comique qui n'est pas dû seulement aux intentions satiriques. Il y a une chose à laquelle l'auteur n'a pas pensé : c'est la possibilité de recueillir quelques éléments critiques quant au caractère chinois ; depuis trop longtemps il est admis que seules les nations blanches ont des vices et des défauts. L'auteur de l' « Arbre blessé » mise sur cette disposition préalable avec une confiance un peu excessive.
*J.-B. M.*
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#### G. Cerbeleau-Salagnac « Fatima et notre temps » (France-Empire)
« Le drame de notre temps, le vrai, le seul, c'est bien que la subversion est entrée dans le sein même de l'Église, pour la ruiner par l'intérieur » (p. 26).
Après bien d'autres, nous en avons eu de nouvelles preuves quand, à l'occasion du pèlerinage de Paul VI à Fatima pour le cinquantenaire des apparitions, certains hérauts, clercs et laïcs, de l'intelligentsia soi-disant catholique se sont permis d'ordonner au Pape de gauchir -- c'est bien le cas de le dire -- les messages de la T. S. Vierge.
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Terriblement gênants sont en effet ce pèlerinage et ces messages pour quiconque ne veut concevoir l'ouverture au monde qu'en direction du communisme. Mais il suffit de replacer sans tricher ces « six jours de 1917 » dans leur cadre historique et de mettre en parallèle les événements de Fatima et l'histoire du monde en cette année-là et depuis pour retrouver le chemin de la fidélité.
C'est le travail qu'a voulu faire G. Cerbelaud-Salagnac. Il l'a réussi.
*J. Thérol.*
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#### Raoul Auclair « Les épiphanies de Marie » (Beauchesne)
« Scrutez les Écritures... elles rendent témoignage de Moi » (Jean, V, 39). Quand Raoul Auclair, redécouvrant la veine des Mystères du Moyen-Age, a diffusé sur France-Culture ces adaptations des grandes apparitions des cent dernières années, ses auditeurs, tout au déroulement de si belles histoires, ont-ils assez remarqué son empressement à se rendre à cette invitation de Notre-Seigneur ? Mais voici les textes. Et si l'on peut constater que ce poète connaît les Écritures sur le bout du doigt, on constate en même temps qu'il est un poète intelligent, au sens étymologique et plein du terme (intus legere). Par delà les paroles et les signes et tout ce qui concerne le temporel et le matériel, il entend la signification spirituelle profonde, les résonances éternelles.
Mais plus que ces mises en scènes, très vivantes et prenantes en effet (Paris, La Salette, Lourdes, Fatima, Beauraing, Banneux) nous aimons la longue introduction de ce livre, intitulée L'ANNONCE FAITE PAR MARIE. Cette synthèse remarquable montre dans les Écritures les clés des symboles et des signes dont la Vierge s'est entourée lors de ces apparitions et qui, certes, ne pouvaient être d'inutiles fantaisies. Quelle que soit parfois notre surprise, Raoul Auclair nous donne là une interprétation beaucoup plus poussée et même toute nouvelle de ces événements providentiels. Et il apparaît raisonnable d'admettre que depuis 1917 nous vivons le temps du grand combat des derniers temps, au terme duquel la Femme prophétisée dès l'origine écrasera la tête du Dragon.
*J. T.*
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#### Albert Garreau « Monsieur Henri-Marie Boudon » (Éditions du Cèdre)
Même si l'on ne partage pas toujours toutes les façons de voir de l'auteur il serait difficile de ne lui être pas reconnaissant d'avoir évoqué avec soin une des figures les plus admirables de la renaissance catholique française au 17^e^ siècle. Monsieur Boudon est aujourd'hui presque inconnu. Et cependant ses livres ont édifié les peuples pendant deux siècles et sa vie est à la hauteur de ses traités. L'étude que lui consacre son biographe est édifiante au vrai sens du terme. La sainteté de Monsieur Boudon nous est en effet proposée avec tant de sympathie qu'elle nous émeut et nous entraîne. Ce prêtre à l'âme contemplative et apostolique, qui s'était d'abord très durement mortifié lui-même, s'est trouvé un jour comblé par son prochain des tribulations les plus inattendues et les plus humiliantes. Loin de s'irriter, de se durcir, de capituler il demeura doux et ferme sous la calomnie et les condamnations injustifiées ; son cœur débordait de prière et de pardon, sa vaillance ne fléchissait pas.
Sans l'équiparer aux très grands saints qui furent le plus persécutés comme saint Jean de la Croix ou sainte Jeanne d'Arc, il faut cependant convenir qu'il appartient à la même famille. « Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux. »
Le plus pénible de l'histoire, mais c'est très humain, est de constater que Monsieur Boudon a été « prudemment » abandonné de ses amis à l'heure de l'épreuve. L'attitude de saint Jean Eudes lui-même n'est pas d'un courage poussé jusqu'à la témérité. L'on est gêné de voir que celui qui déploya un tel zèle pour répandre la dévotion aux Cœurs de Jésus et de Marie ne montra pas lui-même davantage de cœur à l'égard de son ami affreusement calomnié. Il est vrai que, pour transposer un mot de Neuman, si nous sommes obligés de vénérer Jean Eudes comme un saint, nous ne sommes pas obligés d'affirmer qu'il l'était en 1665.
De quoi s'agissait-il à cette date pour les amis de Monsieur Boudon ? De déclarer bien haut et auprès des autorités supérieures simplement deux choses qui étaient évidentes : que Monsieur Boudon ne s'était pas aperçu que son servant de Messe ordinaire, qui s'habillait comme un homme, n'était qu'une femme déguisée (tout le monde d'ailleurs s'y était trompé) ;
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deuxièmement : les accusations infâmes portées contre le prêtre à l'occasion de cette méprise étaient un tissu de calomnies, forgées par de méchantes personnes qui avaient intérêt à mentir ; Monsieur Boudon en effet, étant archidiacre d'Évreux, n'était pas tendre pour les mauvais pasteurs qui corrompaient le troupeau au lieu de le garder. En tout cas Monsieur Boudon ne fut défendu par presque aucun de ses défenseurs naturels. Cependant, au milieu de ses tribulations, il demeura d'une patience, d'une humilité, d'une force d'âme font penser à un ange plus qu'à un homme et qui donnent la plus haute idée de sa fidélité à la grâce sacerdotale.
Les vies de saints édifiantes sont devenues rares depuis une vingtaine d'années. Je salue celle-ci avec d'autant plus de joie et je me permets de vous inviter à la lire, en attendant que l'auteur nous donne des morceaux choisis des œuvres de Monsieur Boudon. Car ce saint prêtre fut un écrivain spirituel rempli d'onction et de piété, exprimant d'une manière très accessible, parfois négligée il est vrai, le grand mystère de la mort totale à nous-mêmes pour vivre de Dieu seul.
R.-Th. Calmel, o. p.
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## DOCUMENTS
### L'échec doctrinal du Synode d'octobre
Faut-il dire « échec » ou « démission » ? -- Mais c'est la démission doctrinale de la majorité des évêques composant le Synode qui a naturellement entraîné l'échec doctrinal de leur assemblée.
Démission entre les mains d'une « commission » selon un processus que l'on implante de plus en plus à tous les niveaux dans l'Église, et qui impose le pouvoir de fait d'autorités parallèles, non canoniques, neutralisant l'autorité légitime (d'ailleurs trop souvent consentante à sa propre démission), et organisant la subversion.
Un tel processus mérite d'être analysé avec précision. Nous prenons cette analyse dans le numéro 20 (15 novembre) du « Courrier de Rome », publié 24, rue Jean Dolent à Paris 16^e^ :
**1. -- **Nous allons faire cette analyse en prenant comme objet d'observation le débat relatif au thème principal du Synode : les déviations doctrinales à l'intérieur de l'Église, et l'athéisme.
L'examen de ce thème a occupé une partie de la quatrième séance, plus cinq autres complètes. Il donna lieu à 81 interventions, qui émanaient d'orateurs parlant tantôt « au nom de leur conférence épiscopale », tantôt au nom de leur charge dans la Curie romaine, tantôt « en leur nom personnel ». Parmi ces interventions, 12 furent faites, à la fin, « sous forme de riposte » (sic. : O.R. : 11 oct.) ripostes d'orateurs à des discours précédents.
Au début de la discussion, le Cardinal Browne, rapporteur du thème, avait énuméré les neuf principales matières doctrinales particulièrement exposées, de nos jours, aux déviations. Les voici :
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1\. -- Un certain naturalisme théologique qui assujettit l'étude de la Révélation à des critères exclusivement « naturels », spécialement en exégèse biblique. -- D'où : « démythisation » de la Sainte Écriture. A quoi s'ajoute un relativisme philosophique et « historiciste ».
2\. -- Erreurs sur le dogme de l'Incarnation, soit à l'égard de la nature humaine de Notre-Seigneur (par négation du caractère historique des narrations évangéliques), soit à l'égard de sa nature divine -- Altération, sur ce point, des « formules dogmatiques » considérées comme désormais « dépassées ».
3\. -- Respect diminué du Magistère, en vertu d'une opposition entre l'église « institutionnelle » et l'église « charismatique ».
4\. -- Le dogme du péché originel, dans ses rapports avec les nouvelles exégèses du premier chapitre du livre de la Genèse, et avec les théories modernes de l' « évolution ».
5\. -- Les fondements de la Morale : objective et subjective.
6\. -- La morale dite « sociale ».
7\. -- Le dogme de la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie (Il est très surprenant et déplorable qu'à propos du même sujet, l'attention du Synode n'ait pas été attirée sur les erreurs concernant la réalité du Saint Sacrifice de la Messe).
8\. -- Les devoirs des pasteurs à l'égard de la vie des hommes sur terre et de leur conduite vers la vie éternelle, qui est leur fin dernière.
9\. -- Enfin, les diverses formes modernes de l'athéisme.
**2. -- **Sur tous ces points, que demandait le Souverain Pontife aux Père synodaux ? -- Apparemment une information et un avis. Un diagnostic et une thérapeutique.
Là-dessus, de nombreux fidèles et de nombreux évêques ont dû se poser la question : pour quels motifs Paul VI a-t-il soulevé un problème de cette gravité, deux ans à peine après la clôture d'un concile œcuménique ? -- Que disons-nous : deux ans ! C'est six mois qu'il faut dire si l'on considère que les neuf déviations doctrinales soumises à l'examen du Synode reproduisent à peu près exactement le questionnaire adressé, d'ordre du Pape, par le Cardinal Ottaviani, à toutes les conférences épiscopales du monde, en juin 1966.
Il n'y a que deux réponses possibles à cette question, réponses qui, d'ailleurs, ne s'excluent pas :
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La première, c'est que le Successeur de Pierre, qui est au-dessus des conciles, a estimé de son devoir de combler la lacune fondamentale du deuxième Concile du Vatican, lequel, à force de se vouloir « œcuménique » et « pastoral », avait fini par ressembler beaucoup plus à un congrès qu'à un concile. Un exposé « pastoral » de la doctrine chrétienne n'est pas, en effet, l'affaire du magistère extraordinaire d'un concile proprement dit, mais du magistère ordinaire, quotidien, des évêques et aussi des prêtres. Dans un vrai concile, les évêques seuls sont rassemblés, et pas seulement en qualité de pasteurs, mais, d'abord, de juges. Juges de la foi, à une heure de l'histoire de l'Église où cette foi, étant mise en péril par une hérésie ou un schisme, les successeurs des Apôtres doivent alors exercer le pouvoir, reçu du Christ, de lier-délier : c'est-à-dire de DÉFINIR avec autorité ce qui a été révélé par le Fils de Dieu : définition où l'exposé de la vérité est inséparable de la CONDAMNATION de l'ERREUR adverse.
Tous les conciles de l'histoire sans exception ont procédé de cette manière. Dans la mesure où le 2^e^ concile du Vatican avait laissé cette tâche incomplète, il semble que le premier synode épiscopal avait pour l'un de ses objectifs d'y suppléer. Il l'aurait fait d'abord à sa mesure, mais rien n'empêchait ensuite l'Autorité Suprême d'assumer la décision synodale et de lui donner, en la CONFIRMANT (c'est le terme traditionnel) une valeur vraiment conciliaire.
Il y a un deuxième motif imaginable pour justifier cette tâche d'un jugement doctrinal confié par Paul VI à un synode si tôt après la réunion d'un concile : c'est que les déviations doctrinales soumises à ce jugement avaient, sans être tout à fait nouvelles, acquis une virulence et une audace accrues à la faveur d'un certain climat spécifiquement postconciliaire.
L'histoire se prononcera librement sur les motifs déterminants du Synode de 1967 et sur son programme.
Elle expliquera aussi, plus facilement que nous ne pouvons le faire, comment une auguste assemblée, réunie pour énoncer une déclaration doctrinale, n'a accouché que d'une commission. Pour nous, nous ne saurions faire plus que d'esquisser le processus de cet accident.
**3. -- **Aurait-il suffit de le prévoir, cet accident, pour l'éviter ? Nous ne savons. Il fallait, en tout cas, le prévoir. Cela n'était pas si difficile, puisque nous l'avions prévu nous-mêmes, à la place infime où nous sommes, simples correspondants de ce Courrier. Nous le disons sans mérite et sans joie : dans le n° 17, écrit dans le courant de septembre, nous avions, sous le titre : « Quatre dangers autour du Synode », relevé ce que nous appelions « l'alibi », dont le premier procédé, disions-nous, pourrait être « le renvoi à la Commission ». Nous ajoutions : « L'alibi le plus prévisible de ce Synode sera celui qui cherchera à enterrer dans les caves du Vatican la question IV, la question doctrinale » (devenue question II).
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Laissons aujourd'hui le mot : enterrer, et voyons, sur le vif, la génétique d'une « commission ecclésiastique ». Celle que nous allons examiner est venue au jour en cinq phases :
1°) La dissociation des PENSÉES par l'expression publique des OPINIONS.
2°) Le retour à *une* unité par une « synthèse ». Cette opération synthétique s'accomplit en quatre métamorphoses successives :
a\) On décide la formation d'une COMMISSION (la première provisoire), chargée de faire la synthèse.
b\) On fait un VOTE (le premier) pour élire les membres de cette commission.
c\) La commission, une fois constituée, fabrique :
-- un RAPPORT qui est censé synthétiser les opinions émises au début ;
-- Une MOTION où sont formulés, selon les vues personnelles de la commission de synthèse, certains vœux, extraits par elle de la discussion originelle.
d\) Parmi ces vœux se trouve celui de la formation d'une *nouvelle* commission, la deuxième, permanente celle-là. Dans le cas particulier que nous examinons, il s'agit d'une commission de « théologiens », dits « de toutes tendances », à laquelle le Synode confie le soin de faire la Déclaration doctrinale qu'il n'a pas pu ou, qu'il n'a pas voulu faire lui-même.
Avant de pousser plus loin l'analyse, une observation saute aux yeux : c'est qu'il y a toutes probabilités pour que, au niveau de cette commission de théologiens engendrée par le Synode, se produise, selon les mêmes lois, un processus identique : différenciation ; unité synthétique ; votes ; production d'une... (sous-) commission, puis de deux, puis, qui sait ? de trois, et de quatre.
Ce phénomène de multiplication d'un être par division est bien connu des physiologistes. Ils l'appellent scissiparité. Mais on ne le trouve que dans le règne végétal et dans quelques animaux inférieurs, comme certains polypes d'eau douce et quelques annélides, tels que les lombrics (vulgo : vers de terre).
Il serait fâcheux qu'une institution ecclésiastique puisse donner, de son, activité, une aussi chétive image, car l'on serait ensuite tenté de conclure de son *agir* à son *être : operari sequitur esse*. Il y aurait une image plus noble, mais guère moins réjouissante : celle du tonneau des Danaïdes ou de la tour de Babel.
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Et puis, enfin, si tout doit finir par des commissions (comme on dit que, quelque part, tout finit par des chansons), une bonne pratique demandera : pourquoi ne pas commencer par là ? Pourquoi ne pas laisser aux *commissions de théologiens* le soin de convoquer les *synodes d'évêques,* quand ces théologiens auraient fini par se mettre d'accord entre eux ? -- Nous ne plaisantons pas : Nous pensons aux analogies fournies par certains précédents que résument les noms des « conciles » de Constance et de Bâle. Nous pensons également à la remarque de l'un des Pères synodaux, Mgr Gonzalez, archevêque de Barcelone : que le renvoi du magistère à une commission de théologiens risquait fort d'humilier la charge, épiscopale. (Peut-être aussi pensait-il à ses petits abbés catalans qui « descendent dans la rue » et font, à l'occasion, le coup de poing avec les représentants de l'ordre.)
Mais voyons maintenant, d'un peu plus près, les transitions successives de la métamorphose synodale.
**4. -- **Et, d'abord, la DIFFÉRENCIATION de l'Assemblée par l'émission publique des avis.
Un esprit léger dira : si les différences d'avis se sont manifestées à la tribune, c'est qu'elles existaient avant. Cette explication méconnaît une loi, bien connue, de la « psychologie des groupes », illustrée par Joseph de Maistre, en termes un peu drus :
« Dans l'ordre moral et dans l'ordre physique, les lois de la *fermentation* sont les mêmes. Elle naît du CONTACT et se proportionne aux masses fermentantes. *Rassemblez* des hommes rendus *spiritueux* par une passion quelconque, vous ne tarderez pas de voir la chaleur, puis l'exaltation... »
Maistre pensait principalement aux passions agressives. Mais il y a ce qu'on pourrait appeler des passions dégressives. La tribune peut agir aussi bien comme excitant que comme lénitif. Il y a des discours qui opèrent à la manière de ce que la thérapeutique moderne appelle les « tranquillisants ». -- Un Père synodal, inquiet quand il est seul, est très capable de s'apaiser au contact de quarante Pères tranquilles.
La majorité du Synode était -- ou a paru être -- composée de prélats sans soucis. Voici comment l'un d'eux a cru pouvoir décrire l'ensemble des interventions sur le thème doctrinal :
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« Parmi les orateurs de toutes tendances, on trouve un aveu raisonnable (*sobria recognizione*) d'une crise théologique....Mais il n'y a pas une semblable unanimité sur la forme précise qu'elle prend, la mesure de ses effets sur la foi, les points doctrinaux sur lesquels il y a lieu de se préoccuper... Nul ne tire le signal d'alarme. On considère qu'il y a beaucoup de lumière et d'air frais à la sortie du tunnel, mais, sur les 90 pour 100 de ceux qui composent le large accord (*consenso*) du Synode, aucun n'a indiqué quand pourra se terminer le passage à travers le tunnel, ni le moyen de hâter la marche. » Et voilà !
Nous laissons à l'heureux Mgr Wright la responsabilité du calcul de ce pourcentage. A lire, un par un, les comptes rendus de tous les discours et, surtout, des votes, ce pourcentage nous est apparu gravement inexact, soit pour le thème doctrinal, soit surtout, pour le thème des « mariages mixtes » et celui de la liturgie.
-- Qu'il nous suffise de rapporter quelques lignes de l'un des discours sur le thème doctrinal :
« Les arguments qui se sont affrontés, ces jours-ci, dans cette salle, sont nombreux et divers. Il ne sont pas tous également acceptables, même à la lumière de ce que nous enseigne l'histoire et de ce que nous démontre l'expérience quotidienne elle-même. Mais ce ne sont pas tant les *opinions* qui sont périlleuses, que, plutôt, la mentalité qui est en train de se former *autour d'elles*. Par exemple, il y a aujourd'hui une *incertitude* et une crise qui envahit un peu tous les champs de la doctrine, ce qui, beaucoup plus que dans le passé, rend difficile la réponse aux objections. On se trouve en face d'incertitudes sur lesquelles l*es musulmans eux-mêmes ne manifestent aucun doute*. Le Magistère n'est pas nié, certes, mais pratiquement il arrive à être considéré comme s'il n'existait pas. Et pense-t-on à l'EFFET que cela peut AVOIR sur les PRÊTRES et sur les CHRÉTIENS QUI SOUFFRENT LA PRISON POUR LA FOI ? »
Ô Paroles mâles d'un véritable apôtre : elles font écho à celles de Saint Paul. Mais qu'un prélat américain ait donné moins d'attention à ce son du cor de Roland mourant à Roncevaux qu'à la clarinette d'un évêque du « Marché commun », apporte la meilleure des confirmations à notre analyse : que l'ambiance des assemblées est déformante : elles dépersonnalisent le jugement et tendent à produire une opinion artificiellement commune par l'illusion du nombre que crée la simple répétition de discours identiques.
**5. -- **Venons-en à la genèse de la première commission : la Commission de « Synthèse ».
Le lundi 9 octobre, au cours de la 8^e^ séance, et alors que le thème doctrinal était *encore en cours de discussion*, Mgr Villot, qui présidait, annonça soudain que, le surlendemain, l'Assemblée serait invitée à élire huit membres d' « une commission » dont quatre autres seraient nommés par le Pape. (O.R. : 9 oct., p. 6, col. 3).
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Le président du lendemain, Mgr Conway, devait « préciser les tâches de cette Commission : elle devra, sur la base de ce qui aura été dit, en séance, sur le thème doctrinal, composer une synthèse des *suggestions* et *propositions* avancées par la *majorité* durant la discussion de ces jours-ci. Cette synthèse sera ensuite soumise à l'Assemblée qui exprimera, en temps opportun, SON AVIS PERSONNEL. La Commission aura dix jours pour tourner sa synthèse (O.R. : 11 oct., p. 2., col. 5).
Initiative inopinée d'une *synthèse*, AVANT même que les *éléments* de la discussion, encore en cours, soient connus ! Nous croyons savoir que l'idée de cette initiative ne vint pas de Paul VI lui-même, auquel seulement on la fit approuver.
Elle appelle trois interrogations :
1°) Pourquoi soumettre à un vote la composition d'une Commission théologique chargée de faire simplement une SYNTHÈSE ? Qui dit : *synthèse*, annonce quelque chose d'objectif. Qui dit : *vote*, avoue implicitement l'introduction, dans une opération objective, d'éléments SUBJECTIFS de préférences, exprimés par l'élection.
2°) Pourquoi n'avoir pas laissé au Pape lui-même le soin de faire cette synthèse, en lui remettant purement et simplement la sténographie des discours ?
Il n'y a qu'une réponse à ces deux interrogations : c'est que, dans la pensée des ordinateurs, la synthèse devait être une combinaison et même une *combinazione*. Elle avait pour but de brasser les 81 discours de manière à produire un magma qui donnerait la valeur dominante aux éléments *préférés* de ces discours : en somme la « synthèse finale » répéterait, à quelques molécules près, le canevas préfabriqué dans le Pré-et le Parasynode.
Ce n'est pas les quatre membres ajoutés par le Pape aux huit élus qui pourraient modifier sensiblement les proportions, d'autant que Paul VI, fidèle aux principes de l'Encyclique *Populorum progressio*, avait tenu à choisir ses quatre candidats parmi des évêques du « Tiers-Monde ».
3°) Mais il y a une troisième interrogation, capitale :
Pourquoi, avant de voter sur la COMPOSITION de la Commission, n'a-t-on pas fait voter les Pères synodaux sur la CONSTITUTION elle-même *d'une* commission ? Il y avait là, en effet, un problème PRÉALABLE qu'on aurait dû soumettre à la décision de l'Assemblée ! Le « règlement » ne s'y opposait pas, et on aurait pu, au besoin, l'élargir par respect à l'égard de *l'Assemblée* et par loyauté à l'égard de la *vérité*.
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Ce vote préalable aurait eu au moins la valeur d'un sondage. En l'omettant arbitrairement, en enfermant *d'emblée* les Pères dans le simple choix des commissaires d'une commission, *déjà décidée à leur insu*, les Ordinateurs limitaient arbitrairement la LIBERTÉ du Synode.
Regardons maintenant l'élection de ces Commissaires :
**3. -- **La loi de ce vote était la suivante : majorité *absolue* au premier tour. Et si cette moitié plus un n'avait pu y être obtenue, un deuxième tour, où suffirait alors la majorité *relative.* Le premier tour eut lieu le mercredi 11 octobre. Les votants étant au nombre de 188, la majorité absolue aurait dû être de 95. *Elle ne fut atteinte par aucun des Pères synodaux*. Il est regrettable pour l'historien vivant que le détail des suffrages n'ait pas été publié : il révélerait une physionomie plus fidèle de l'assemblée que celle du second tour, où des « regroupements » risquent de se produire au détriment de la spontanéité des avis. (Ceci soit dit sans marquer aucune confiance *illimitée* aux élections).
Deuxième tour, le lendemain. Résultats sur 185 votants :
-- Cardinal SEPER (Yougoslavie) 140 voix
-- Mgr Carlo COLOMBO (Italie) 128
-- Mgr WRIGHT (U.S.A.) 110
-- Cardinal DÖPFNER (Bavière) 95
-- Cardinal VEUILLOT (Paris) 78
-- Mgr MC GRATH (Panama) 78
-- Cardinal SUENENS (Belgique) 71
-- Mgr EDELBY (Syrie) 69
Sur quoi, nous nous bornerons aujourd'hui à une seule observation :
Prenant (au hasard) l'exemple de Mgr SUENENS, nous remarquons : ayant été élu par 71 suffrages, il apparaît ainsi le préféré de 71 Pères synodaux sur 185. C'est dire que 114 autres Pères synodaux, soit 43 de plus, avaient *d'autres* préférences. Mais comme ces préférences se sont éparpillées sur plusieurs candidats, il en résulte que 114 évêques sur 185 auront, pour les représenter dans la Commission de synthèse, un évêque très méritant, mais dont ils n'avaient pas voulu...
Maintenant, si quelqu'un nous dit : cela n'a pas de conséquence, je lui dirai : vous le direz aussi bien de chacun, mais, alors, l'*ensemble *? Ne voyez-vous pas que vous allez condamner les commissions élues ?
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## AVIS PRATIQUES
Le temps nous manque...
Le temps nous manque, ce mois-ci, en pleine bataille contre la religion de Saint-Avold, pour rédiger les « Avis pratiques » que vous trouvez habituellement à cette place.
Mais notre précédent numéro étant spécialement copieux et divers, il a pu se faire que plusieurs lecteurs aient négligé les Avis *pratiques* et la *Note de gérance* qui y figuraient.
Nous les y renvoyons.
Nous ne pourrions d'ailleurs, ce mois-ci, que les répéter en substance.
Nous insistons très vivement, en tous cas, pour que tous nos amis veuillent bien méditer, en particulier, cette *Note de gérance* de notre numéro 118 (décembre).
============== fin du numéro 119.
[^1]: -- (1). Encyclique *Pascendi*, § 46.
[^2]: -- (1). Citons à nouveau le texte central : « *La mutation de civilisation que nous vivons entraîne des changements non seulement dans notre comportement extérieur, mais dans la conception même que nous nous faisons tant de la création que du salut apporté par Jésus-Christ. Les remises en question les plus fondamentales engagent non seulement une nouvelle pastorale, mais plus profondément une conception plus évangélique -- à la fois plus personnelle et plus communautaire -- du dessein de Dieu sur le monde. *» Enseignement donné par l'évêque de Metz à ses prêtres lors de la session de St-Avold, reproduit dans le Bulletin officiel de l'évêché de Metz, le 1^er^ octobre 1967.
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE. -- Le Bulletin diocésain de Metz porte pour titre : *Église de Metz*. Mais sa qualité est affirmée par le sous-titre qui figure au bas de la dernière page de la couverture : « *Bulletin officiel de l'évêché de Metz *»*.*
[^3]: -- (1). Enseignement de Mgr de Metz, Bulletin officiel de l'évêché de Metz, numéro 134 du 1^er^ septembre 1967, page 2.
[^4]: -- (1). François BLOCH-LAINÉ écrivait dans son livre *Pour une réforme de l'entreprise*, Éd. du Seuil, 1963, page 12 : « Les verrous juridiques qu'il s'agit de faire sauter libéreront des tendances dont l'aboutissement n'est pas encore connu. On ne saurait à la fois, reconnaître une évolution et l'arrêter. L'entreprise est en pleine mue. C'est ce phénomène qu'il s'agit de favoriser, en modifiant ce qui l'entrave, sans prétendre en déterminer la fin. » Nous avons dans la citation, souligné l'entreprise : relisez-la maintenant en remplaçant *l'entreprise* par *la religion*, et vous aurez une formulation très valable de la religion nouvelle. -- Cf. Louis Salleron : « Sur un livre de M. Bloch-Lainé : pouvoir et propriété de l'entreprise », dans *Itinéraires*, numéro 75 de juillet-août 1963.
[^5]: -- (1). *Bulletin officiel de l'évêché de Metz*, numéro 134, 1^er^ septembre 1967, page 4.
[^6]: -- (1). Pie XII, 14 septembre 1952.
[^7]: -- (1). Encyclique *Mater et Magistra*, § 59 et § 63. -- Texte latin de ces deux passages dans les *Acta Apostolicae Sedis*, année 1961, page 415 et page 417.
[^8]: -- (2). Voir notre *Note sémantique sur la socialisation et sur quelques autres vocables de* « *Mater et Magistra *» (supplément de la revue *Itinéraires*). -- L'Encyclique *Mater et Magistra* aurait très bien pu, si elle l'avait voulu, employer dans son texte authentique latin le mot « socialisation » (socializatio) : la Constitution conciliaire *Gaudium et Spes* l'a fait. -- D'autre part, on oublie un peu trop facilement que Jean XXIII en personne, annonçant dans son discours du 15 mai 1961 la parution imminente de Mater et Magistra, déclarait que son seul texte officiel serait le « *texte officiel latin *». Voir ce discours de Jean XXIII, texte intégral, dans *Itinéraires*, numéro 55 de juillet-août 1961, pages 110 et suiv.
[^9]: -- (1). *Gaudium et Spes*, VI, 5 de la « traduction élaborée par les Soins de l'épiscopat français », édition Spes, page 71.
[^10]: -- (2). XXV, 2 de la traduction citée.,
[^11]: -- (3). Au § 6 et au § 25 du texte latin : *Acta Apostolicae Sedis*, année 1966, page 1029 et page 1045. La première fois, *socializatio* est en italiques (à quoi correspondent les guillemets de la traduction française), la seconde fois non.
[^12]: -- (1). *Bulletin officiel de l'évêché de Metz*, numéro 134 du 1^er^ septembre 1967, page 2.
[^13]: -- (1). *Bulletin officiel de l'évêché de Metz*, numéro 125 du 1^er^ mars 1967.
[^14]: -- (1). *Bulletin officiel de l'évêché de Metz*, numéro 125 du 1^er^ mars 1967, page 2.
[^15]: -- (2). Même page.
[^16]: -- (1). « Message de quelques évêques », dix-sept dont le premier signataire est Helder Camara. Documentation catholique du 5 novembre 1967, col. 1902.
[^17]: -- (1). Mais où est aujourd'hui la *doctrine sociale de l'Église *? Ils l'ont mise au frigidaire ; ils croient l'avoir mise au tombeau. Ils invoquent « la pastorale » pour n'en plus parler et pour prêcher le contraire. « *La doctrine sociale de l'Église est claire en tous ses aspects ; elle est obligatoire ; nul ne peut s'en écarter sans langer pour la foi et l'ordre moral *», enseignait Pie XII le 29 avril 1945. Où est énoncée maintenant cette doctrine obligatoire et « claire en tous ses aspects » ? Ce n'est pas ici un collapsus doctrinal, c'est un coma. Dans la vie de chaque jour et dans ce qui tient lien d'enseignement, l'ensemble de la doctrine sociale de l'Église a été remplacé par l'unique « socialisation ». Il le fallait d'ailleurs, pour que l' « ouverture à gauche » puisse devenir plus ouvertement ce qu'elle était depuis l'origine : une ouverture au communisme. -- En droit, la doctrine sociale de l'Église demeure telle quelle est, et obligatoire. Mais allez donc chercher où elle est. Où elle est enseignée maintenant... Nous voudrions écrire une « situation de la doctrine sociale » qui reprendrait les choses à partir du point où les a laissées notre *Note* sémantique sur la socialisation de 1962 (spécialement la 3^e^ partie).
[^18]: -- (1). *Documentation catholique*, numéro cité, col. 1906.
[^19]: -- (2). Pie XII, Message de Noël 1955.
[^20]: -- (1). *Documentation catholique*, numéro cité, col 1903.
[^21]: -- (1). Voir Leprince-Ringuet cité dans *Itinéraires*, numéro 115 de juillet-août 1967, page 14 ; ou numéro 118 de décembre 1967, page 331. -- La doctrine religieuse de Leprince-Ringuet sur « l'esprit de l'Évangile en général », etc., est enseignée dans les églises, par le canal de *Club-Inter*, aux jeunes catholiques de langue française, avec la caution morale de l'épiscopat français.
[^22]: -- (1). *Bulletin officiel de l'évêché de Metz*, numéro 123 du 1^er^ mars 1967, page 2.
[^23]: -- (1). Ibid.
[^24]: -- (1). Cf. *La Croix* du 15 novembre 1967, page 4.
[^25]: -- (1). Numéro 67 de novembre 1962.
[^26]: -- (2). Numéro 76 de septembre-octobre 1963.
[^27]: -- (3). Catéchisme de S. Pie X : numéro 116 de septembre-octobre 1967.
[^28]: -- (1). Denzinger, édition de 1960, n° 1818 ; édition de 1955, n° 3043.
[^29]: -- (1). Étienne GILSON, *Itinéraires*, numéro 118 de décembre 1967, pages 69 et suivantes. -- Voir Étienne Gilson -- *Christianisme et philosophie*, Vrin éditeur, pages 142 et suivantes.
[^30]: -- (1). Voir « Jean Guitton et le dialogue », dans *Itinéraires*, numéro 91 de mars 1965, pages 189 et suiv.
[^31]: -- (1). *Témoignage chrétien* du 25 octobre 1967, page 16. -- C'est nous qui, dans la citation. avons souligné le mot formulations.
[^32]: -- (1). Bulletin officiel de l'évêché de Metz, numéro 134 du 1^er^ septembre 1967, page 2.
[^33]: -- (2). Catéchisme de S. Pie X, numéro 116 d'*Itinéraires*, page 266.
[^34]: -- (1). Voir Étienne GILSON. « Christianisme et philosophie », dans *Itinéraires,* du numéro 113 au numéro 118.
[^35]: -- (1). « Nous ne sommes présentement qu'au seuil d'un épouvantable carnage spirituel. Dieu, dans sa miséricorde, reconnaîtra les siens. » (*Ubi caritas et amor*, supplément hors commerce réservé à nos abonnés et à nos amis, juillet 1966, page 41.) \[105-bis\]
[^36]: -- (1). Alexis Curvers, : « Pages de journal » dans *Itinéraires*, numéro 115 de juillet-août 1967, page 29.
[^37]: -- (1). Paul DIRESSE, Léon Daudet vivant, Robert Laffont édit.
[^38]: -- (2). Tous ces volumes, chez Grasset, excepté les deux volumes de *Paris vécu*, qui ont paru chez Gallimard.
[^39]: -- (1). L'Action française, 7 novembre 1920.
[^40]: -- (1). Grasset éditeur.
[^41]: -- (1). Les pèlerins d'Emmaüs, Grasset, éditeur.
[^42]: -- (1). Note d'*Itinéraires*. -- Cette précision est elle aussi inexacte. Selon le témoignage du propre correspondant à Rome de *La France catholique*, Georges Daix, « ces traductions n'avaient pas été effectuées par le bureau de presse ; celui-ci s'était contenté de les transmettre ; les traductions émanaient tout simplement de la Secrétairerie d'État ». (Lettre de Georges Daix publiée dans *Itinéraires*, numéro 70 de février 1963, page 102.)
[^43]: -- (1). On les trouvera dans *Itinéraires*, numéro 70 de février 1963, pages 100 à 106 ; et numéro 72 d'avril 1963, pages 46 à 54.
[^44]: -- (2). Année 1962, page 791.
[^45]: -- (1). Documentation catholique, numéro du 4 novembre 1962, note à la col. 1377.