# 128-12-68 1:128 Les Parents sont seuls. Ils doivent se méfier des prêtres. La chose est démontrée. Ils doivent ap­prendre aux enfants à se méfier, ce qui est beau­coup plus triste et entretient le cœur dans une agonie habituelle. Chaque jour apporte sa turpitude nouvelle : il faut maintenant mener nos filles aux films éroti­ques pour qu'elles admirent la technicité ; un jeu­ne prêtre recommande aux petits de la Première communion privée de ne pas se gêner pour « mâ­cher l'hostie » ; etc., etc. Nous n'y reviendrons pas. La marée d'horreur monte à l'assaut de leurs âmes. Il faut nous débrouiller, seuls. Mais se dé­brouiller le cœur à l'aise ? Non. Se dire : nous nous passerons aisément du prêtre ? Non ! Nous sommes plus libres sans les mauvais prê­tres. Mais nous sommes très malheureux sans de bons prêtres. 2:128 Le catholique a besoin du prêtre, la famille ca­tholique a besoin de la vertu du sacerdoce. Le prê­tre est irremplaçable. Nous ne pouvons nous passer des prêtres. Tou­te la doctrine des Sacrements le proclame. Les prêtres progressistes ont tous les leviers. Leur presse, leurs carrefours, leurs rencontres, leurs conseils, leur tenue, leurs allures, leurs sar­casmes détruisent, détruisent. Alors, comprenons bien la seule position catholique : passons-nous du prêtre en gémissant. -- Alors, direz-vous, vous nous conseillez de nous passer du prêtre en nous convainquant que nous ne pouvons nous en passer ? -- Exactement. C'est le cas de nécessité. Sans doute la famille exercera ses pouvoirs d'enseignement, elle enseignera la religion quand elle la saura bien (ce qui est urgent), quand père et mère l'auront étudiée dans le Catéchisme de S. Pie X. Ils s'éclaireront de leur foi ravivée pour protéger leurs petits enfants contre le catéchisme faux et tronqué des mauvais prêtres. Mais ils souffriront, ils gémiront devant Dieu, ils soupireront de ce martyre de l'âme pour une mère, pour un père catholique : remplacer l'irremplaçable prê­tre ! Ils supplieront Dieu : 3:128 « Donnez-nous des prêtres, donnez-nous de bons prêtres, ayez pitié de nous ! Ne nous laissez pas ainsi abandonnés. Notre famille a besoin d'ai­mer le prêtre, de recevoir le prêtre, d'aller au catéchisme de Monsieur le Curé, de sentir com­bien notre école chrétienne est chère à notre Curé, comme il tremble pour elle, comme il la voudrait indépendante et vigoureuse. Notre famille a be­soin de la bonté, de la fréquentation, de l'honneur, de la dignité, de la chasteté du prêtre. » Se débrouiller sans le prêtre, mais avec une telle douleur, une telle foi dans le sacerdoce, une telle supplication pour la sainteté du prêtre, pour l'apparition d'un bon prêtre, que ce sera agir dans l'humilité, attendant en espérant : méfiants, in­quiets, sur le qui-vive, vérifiant ou refusant le faux catéchisme, mais priant, faisant prier les pe­tits, et guettant le vrai prêtre avec ferveur. Cette disposition nous est surnaturellement toute naturelle. Il faut que la famille souffre cou­rageusement de la carence du prêtre et qu'elle le demande à Dieu sans se lasser : *sans cela elle fera fausse route, ce sera présomption et suffisance.* Je connais des familles où l'on a horreur des hérésies actuelles, où chaque soir père et mère in­terrogent les enfants pour redresser un enseignement funeste, et qui, en même temps, cherchent dans l'angoisse la rencontre d'un bon prêtre. 4:128 *Et elles le trouvent, car il y en a beaucoup.* Ordinairement, il porte la soutane, il est découragé, abattu, solitaire, surtout solitaire, parfois dans la misère, bref, il est de « ces prêtres qui souffrent ». Alors la famille se précipite vers lui, le soutient, l'admire, le gronde un peu, exige son courage, sa foi, sa doctrine, sa bénédiction, son autorité, sa place. Luce QUENETTE\ (Itinéraires, mars 1968.). 5:128 Les trois éditoriaux qui ouvrent le présent numéro : « Variétés tristes », « Variétés gaies », « Ce qu'il faut », peuvent être lus chacun séparément. Mais ils se font en quelque sorte suite l'un à l'autre. Les lecteurs les plus méthodiques et les plus patients feront donc mieux de les lire successivement dans l'ordre où ils sont. \*\*\* Ces trois éditoriaux, chacun dans un « genre littéraire » distinct, font à eux trois le point de la situation du catholicisme français au moment où se réunissait l'Assemblée plénière de Lourdes. Ils contribuent déjà à faire comprendre le contexte, les circonstances et la portée des graves événements qui y ont eu lieu. Dans notre prochain numéro on lira : « Situation de l'épiscopat français après son assemblée de novembre 1968. » 6:128 ## ÉDITORIAUX ### Variétés tristes LE BULLETIN DIOCÉSAIN officiel de l'évêché de Metz comporte habituellement en dernière page un éditorial signé « *Église de Metz *». Dans le numéro 155 du 1^er^ octobre 1968, cet éditorial déclare que « 1969 est déjà commencé », et il distribue les vues religieuses que voici : « Le problème de l'homme dans une société en mutation est à la base de toute la recherche que font l'Église et toutes les autres institutions de la société pour se situer dans ce monde difficile. Ainsi, le « nouveau catéchisme » n'est pas une nouvelle recette pour occuper les curés. Il y a un nouveau catéchisme parce qu'il y a un monde nouveau. Les nouveaux livres de théologie sont moins des variations sur le Concile -- même s'ils en font la synthèse -- qu'un effort pour situer le royaume du Seigneur dans le monde de demain. Il en va de même pour la revitalisation de la vie religieuse. « Dans quinze ans, les religieuses iront chez le coiffeur. Les lecteurs de Hans Kung feront déjà sourire les jeunes prêtres, et les conservateurs regretteront le vieux catéchisme de 1968. N'est-ce pas une époque passionnante que celle-ci, où il est nécessaire d'être toujours à l'affût ? » 7:128 Ce morceau de littérature religieuse officielle est véri­tablement fascinant. Il a quelque chose d'abyssal. Mais il n'est pas exceptionnel, ou ne le sera pas longtemps : l' « église de Metz » est bien sûr *en avance* sur les autres églises diocésaines de France, mais seulement d'une courte tête. Ce que l'on enseigne ouvertement à Metz devient très vite un enseignement commun ; d'autant plus facilement que ce qui est enseigné ouvertement à Metz est ce qui est enseigné déjà, mais plus discrètement, un peu partout. *Revitalisation de la vie religieuse : dans quinze ans les religieuses iront chez le coiffeur.* Pourquoi dans quinze ans seulement ? Quel manque d' « optimisme ». La revitalisation capillaire de la vie religieuse n'attendra pas si longtemps. -- Donc tôt ou tard « les religieuses iront chez le coiffeur », et pourquoi ? sans doute pour être *séduisantes*. On ne voit pas quelle autre finalité pourrait avoir une telle démarche. -- D'ores et déjà, avec la permission de minuit et la permission de la nuit, les séminaristes vont en de bien d'autres lieux que chez le coiffeur... Mauriac, dans son Bloc-notes du 27 septembre : « Si j'en crois ce curé, le souci d'un de ses amis, supérieur d'un grand séminaire, serait d'avoir autant de clés qu'il a de séminaristes, car ils exigent de sortir librement le soir et de rentrer quand ça leur chante (...). Il n'y a pas, il n'y a jamais eu de vie spirituelle sans ascèse. Le refus de l'ascèse, c'est la mort de toute spiritualité. L'histoire de ces clés que m'a racontée un petit curé de campagne, je n'aurai rien entendu de plus triste en ce soir de ma vie. » Une lettre (parmi d'autres) reçue d'un séminariste de vingt ans : « *C'est un grand merci que je vous adresse mais je déplore que personne n'ait parlé de ce qui se passe dans les séminaires et des souffrances que nous avons à y endurer. Beaucoup de séminaristes n'en peuvent plus. Nous sommes obligés de nous taire et de faire comme tout le monde : sinon c'est très souvent la porte qui nous attend. Qui aura la bonté de parler pour nous ? Qui aura le courage de dénoncer ce qui se passe dans les séminaires ?* 8:128 « *On organise des bals, on fait le mur pour aller retrou­ver des jeunes filles, quand ce ne sont pas des jeunes garçons... Est-ce cela le futur clergé ? Beaucoup de jeunes ayant une vocation sont découragés par des prêtres qui leur conseillent comme* PLUS UTILE *la vie familiale. La messe quotidienne n'est plus obligatoire, la sociologie entre dans l'instruction religieuse quand même elle ne la remplace pas, certains séminaristes ont un langage de voyous et des manières d'agir inqualifiables. Si c'est cela les futurs représentants de Dieu, ne nous étonnons pas que le monde refuse Dieu.* « *Venez à notre aide ! Cela ne peut plus marcher ainsi, il faut réagir. C'est votre devoir à vous journalistes catholiques, votre conscience ne peut rester sans émoi devant toutes ces folies... *» Mauriac journaliste a commencé à « dénoncer ce qui se passe dans les séminaires ». Ce sera son honneur ; non unique. Je pourrais redire ce que j'écrivais de lui, à un autre propos, il y a dix ans, non sans choquer pareillement ses amis et ses adversaires : « Honneur, mais point le seul, d'une carrière de journaliste qui est sans égale dans le bien et dans le mal... » Il n'y a aucune raison pour que je sois le seul à recevoir des lettres semblables de séminaristes de vingt ans. A coup sûr, Fabrègues reçoit les mêmes ; et Gilbert Cesbron, qui parle si fort à la radio, et quelquefois bien ; et nos évêques, s'ils n'en reçoivent plus, ont dû en recevoir aussi longtemps qu'on a espéré que ces choses se passaient à leur insu. On sait maintenant d'expérience ce que peut donner, en France et aujourd'hui, un appel aux évêques. Le Saint-Siège aussi en a certainement reçu des quantités : sans doute y a-t-il plusieurs demeures dans la maison du Saint-Père, qui ne peut évidemment lire lui-même tout le courrier venu du monde entier. -- Du côté des évêques, on dit paisiblement qu'il ne faut pas faire de « généralisations », que ce sont là « bavures » ou « exceptions » : cela serait-il vrai (mais ce l'est chaque jour de moins en moins), elle n'en seraient pas moins abominables... Et qui donc était chargé de *veiller sur* les séminaires, et sur chaque vocation ? \*\*\* 9:128 *Il y a un nouveau catéchisme parce qu'il y a un monde nouveau*. Ce n'était pas la raison officiellement alléguée à l'issue de l'Assemblée plénière qui en octobre 1966 « approuva » le Fonds obligatoire du national-catéchisme. On nous avait donné un autre motif. Le cardinal Veuillot en personne avait dit ([^1]) : « La pédagogie a évolué considérablement et très heureusement, depuis des années. Il était normal que l'enseignement des vérités religieuses et l'enseignement du comportement religieux bénéficiât de tous ces progrès de la pédagogie dans toutes les matières profanes. C'est pourquoi on a voulu refaire un catéchisme national qui soit adapté à la mentalité des jeunes d'aujourd'hui et à ce progrès de la pédagogie. » Si nous avons un nouveau catéchisme, c'est parce que l'on a voulu en 1966 adopter les *progrès de la pédagogie profane.* On tente maintenant soit de dissimuler cette motivation, soit de modifier sa place dans la chronologie. Mais c'était bien en 1966, c'était bien le cardinal Veuillot, c'était bien la vraie raison. Elle est aujourd'hui inavouable : depuis 1966, il y a eu mai 1968. Tout ce qui apparaissait aux évêques, en 1966, comme *progrès de la pédagogie profane,* a été culbuté sans rémission ; la pédagogie profane telle qu'elle fonctionnait, avec tous ses « progrès », en 1966, est enterrée. Elle ne subsiste désormais que dans le nouveau catéchisme, qui *date,* qui *retarde* sur l'évolution progressiste des pédagogies profanes : le nouveau catéchisme est *dépassé...* Depuis le temps que des hommes d'Église s'épuisent à courir après le monde, ils devraient bien commencer à s'apercevoir que le monde court toujours beaucoup plus vite qu'eux. 10:128 Pour cacher que l'on a été une fois de plus distancé dans cette course absurde, on ne nous parle plus du « progrès de la pédagogie profane ». On préfère dire, en termes plus généraux, qu'il y a *un nouveau catéchisme parce qu'il y a un monde nouveau*. On s'appuie là sur du solide : sur la proposition I de la religion de Saint-Avold, selon laquelle la transformation du monde enseigne et impose un changement dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ. La fécondité de cette proposition est universelle et inépuisable. La proposition nouvelle sur le catéchisme en est un corollaire logique, inévitable et allant de soi. \*\*\* Dans quinze ans, les conservateurs regretteront le vieux catéchisme de 1968. Il faut vous dire, si vous ne le savez pas encore, que « conservateur » est devenu un terme couramment, uniformément et unilatéralement péjoratif dans le langage épiscopal et mondain. Pendant la révolution de mai 1968, Sa Grandeur l'archevêque de Paris a déclaré avec une remarquable opportunité : « Dieu n'est pas conservateur ». Ce puissant aphorisme, destiné sans doute à enrichir ce que l'on appelle la connaissance de Dieu par la « voie négative », est source et occasion de méditations presque infinies. Ayant scruté sa vertigineuse profondeur pendant vingt semaines d'intense et docile attention, je puis commencer à livrer mes premières réflexions. Le siège archiépiscopal de Paris est actuellement vacant. Il l'est depuis mai 1968. A partir du moment où Dieu n'est plus conservateur pour l'archevêque de Paris, l'archevêque de Paris n'a plus rien qui le CONSERVE DANS L'ÊTRE, et Sa Grandeur, dans l'instant même, est retournée au néant. Quoiqu'il en soit d'apparences contraires, d'ailleurs minces, la rigueur métaphysique de la conclusion est absolument contraignante. -- Vous abusez, dira-t-on : il est invraisemblable que le propos de Sa Grandeur ait pu avoir la moindre intention métaphysique ou théologique. -- C'est en effet pleinement invraisemblable et c'eût été sans précédent. Personne n'imaginerait une telle hypothèse. D'où il suit que le propos était donc politique et social. 11:128 « Dieu n'est pas conservateur » au sens politique et social, cela veut dire que Dieu n'est pas du parti conservateur, ou qu'Il ne soutient pas la tendance conservatrice. Sa Grandeur l'archevêque de Paris n'a pas jugé bon, en mai 1968, de dire par exemple, selon la terminologie antérieurement habituelle de l'épiscopat français : « Dieu est en dehors et au-dessus des partis ». C'est au seul parti conservateur qu'a été contestée la caution divine. A s'en tenir à l'aphorisme lui-même : « Dieu n'est pas conservateur », on pourrait supposer que sa proclamation unilatérale était commandée par un urgent devoir pastoral. On pourrait imaginer que les journées de mai 1968 étaient le fait d'une formidable vague conservatrice qui menaçait de tout emporter et qui en outre se réclamait abusivement de Dieu. Alors, avec une apostolique intrépidité, l'archevêque se dresse face à la vague et proclame : « Non, Dieu n'est pas conservateur ». L'histoire de l'Église nous donne de nombreux exemples d'évêques manifestant un saint héroïsme de cette sorte. Seulement, il se passait tout le contraire en mai 1968. La vague n'était pas conservatrice mais révolutionnaire, avec une très dynamique participation de clercs réguliers et séculiers répétant dans l'enthousiasme la pieuse maxime du dominicain Cardonnel selon laquelle « *un Carême réussi serait une grève générale, qui bloquerait tous les mécanismes *». Dieu était, si l'on peut ainsi parler, enrôlé chaque jour et par ses propres prêtres, sous les bannières de la Révolution : Il l'est d'ailleurs resté. La terminologie et la problématique des documents ecclésiastiques de cette époque, des jésuites, des dominicains, et encore de la Déclaration du Conseil permanent en date du 20 juin, coïncident merveilleusement avec la terminologie et la problématique du P.S.U. : petit parti politique à l'Assemblée nationale et dans le corps électoral, mais puissant dans l' « intelligentsia » des journaux, des radios, des chefs syndicaux et des docteurs catholiques. Au point que l'on pourrait demander si maintenant « Dieu est P.S.U. », hypothèse rendue apparemment plausible par le langage que tiennent tant d'ecclésiastiques et par la précision unilatérale que « Dieu n'est pas conservateur ». Par cette maxime, Sa Grandeur n'opposait pas un *non licet* aux puissants du jour, mais au contraire leur criait un *allez-y* presque dénué d'artifice. 12:128 Du temps de l'Assemblée des cardinaux et archevêques, organisme en quelque sorte précurseur de l'actuel Conseil permanent, les documents ecclésiastiques répétaient à satiété, selon la formule chère à Mgr Guerry, que Dieu, l'Église, la doctrine catholique sont « *en dehors et au-dessus *» des partis : imparfaitement respecté par ceux-là même qui le proclamaient, ce « principe » avait au moins une apparence d'impartialité qui n'est plus sauvegardée en 11968, et qui même, sans doute, paraîtrait fâcheuse désormais. Au moment où tant de membres du clergé du second ordre, et même du premier, nous affirment en substance que « Dieu est pour la Révolution », Sa Grandeur l'archevêque de Paris couronne le tout en déclarant en propres termes que « Dieu n'est pas conservateur ». Ces épaisses finesses sont cousues d'un fil trop gros. Nous sommes mal contents, pour parler avec modération, que le saint nom de Dieu soit impliqué dans ces astuces opportunistes. Le peuple de Paris, en mai 1968, fut très surpris d'entendre Sa Grandeur l'archevêque multiplier des déclarations publiques où il n'était jamais question de Dieu ; ce sentiment était injuste, puisque Sa Grandeur finit par nommer Dieu dans l'aphorisme : « Dieu n'est pas conservateur ». Mais, prononcé au moment précis où la Révolution paraissait triomphante, cet aphorisme trop opportun fit alors, à bon droit, regretter l'abstention pure et simple. On s'imagine, semble-t-il, que les chrétiens sont hommes à supporter tout et n'importe quoi. On se trompe grandement. \*\*\* 13:128 L'église de Metz, pour en revenir à son éditorial, croit que dans quinze ans les conservateurs regretteront le bon vieux catéchisme de 1968 : mais de quelque manière qu'on l'entende, le national-catéchisme de 1968 ne deviendra la mais un « bon vieux ». L'église de Metz prophétise semblablement que *dans quinze ans les lecteurs de Hans Kung feront déjà sourire les jeunes prêtres* (et aussi sans doute les jeunes religieuses dans leurs papotages chez le coiffeur). Péguy disait que l'on ne « dépasse » pas Platon « comme le pneumatique creux a dépassé le caoutchouc plein ». Le Bulletin diocésain de Metz affirme éditorialement, au contraire, que les catéchismes et les théologiens se dépassent constamment les uns les autres comme les pneumatiques. *Dans quinze ans, les possesseurs d'une Fiat 1968 feront sourire les jeunes automobilistes :* cela est probable ; cela est même certain, si toutefois aucune guerre atomique ou autre calamité générale n'est venue interrompre l'expansion continue du PROGRÈS MATÉRIEL. Mais ce qui échappe de plus en plus à l'église de Metz, et à beaucoup d'autres, c'est qu'on ne fabrique pas des théologies et des catéchismes comme des automobiles, *parce que cela est d'un autre ordre*. Un ordre où le progrès n'est pas mécanique, n'est pas continu, n'est pas objet de prospective : un ordre où le progrès est lent, où il est rare, et ordinairement coupé de grandes rechutes et de longues décadences. Le progrès collectif, en matière intellectuelle, morale et religieuse, dépend de l'héroïsme et de la sainteté de quelques-uns, qui sont imprévisibles, et qui en outre ne sont pas toujours, il s'en faut, compris et suivis par les sociétés humaines. Ce progrès qui est d'un autre ordre que l'ordre industriel n'est d'ailleurs jamais opéré en s'y prenant comme l'église de Metz : en se tenant *à l'affût* des nouveautés mondaines d'une « époque » même supposée « passionnante ». A l'origine d'un des plus grands progrès de l'Europe, dans l'ordre moral et religieux, il y a une certaine démarche initiale de saint Benoît. Lisez donc sa vie par saint Grégoire le Grand. A la première page vous y verrez qu'au premier contact qu'il prit avec le savoir de perdition enseigné dans les écoles de son temps, il décida de s'en retirer : « *sciemment ignorant et sagement illettré *», dit la plume admirable de saint Grégoire. Avis aux jeunes gens auxquels l'état présent de la société et de l'Église n'offre plus guère que des écoles où, à la place des connaissances nécessaires au salut, on ne pratique qu'un lavage de cerveau d'abêtissement, d'avilissement et de perdition. \*\*\* 14:128 Je viens d'écrire, j'en ai parfaitement conscience, quelques phrases inintelligibles et scandaleuses à l'intelligentsia catholique contemporaine, tant laïque que cléricale. Mais je n'y suis pour rien. C'est la doctrine et c'est la vie de tous les saints qu'ils ne comprennent plus ; et qui les scandalise. « Sciemment ignorant et sagement illettré » : ils vont naturellement en conclure que ce saint Benoît et son saint Grégoire furent donc deux illettrés, deux ignorants... \*\*\* Mauriac, dans son Bloc-notes du 5 octobre : « A quoi bon formuler des pensées qui ne peuvent plus guère trouver d'écho dans ce monde où même la Sainte Église accordée à l'éternité donne l'impression parfois d'être condamnée à se mettre au goût du jour ? » Mauriac ajoute : « Face à l'absurde, face au désespoir d'un monde sans Dieu, ah ! que l'Église, telle qu'à travers les siècles l'Esprit Saint l'avait constituée, apparaissait, en dépit de ses fautes, comme un miracle de jeunesse sans déclin ! » La prévarication des docteurs catholiques de l'apostasie immanente est infiniment triste. Et infiniment tristes les conséquences de leur prépotence sociologique. Nous n'en sous-estimons, rien. Nous les combattons sans trêve. Mais ils ne l'emporteront pas. S'ils s'obstinent à ne pas se convertir, ils se briseront contre la foi : sans comprendre ce qui leur arrive, et en inventant dans leur déconfiture des histoires à dormir debout. Le national-catéchisme est une agression directe contre la foi chrétienne : mais il ne passera pas, il ne passe pas, il n'est pas accepté, il est déjà rejeté. Les docteurs de perdition le pressentent dès maintenant sans parvenir à l'expliquer. 15:128 Ils forgent des explications de croquemitaine : « Les prêtres, les catéchistes et les parents sont inondés sous un flot de littérature prétendant dénoncer la nocivité de ce catéchisme » ([^2]). Je suis peut-être assez bien placé pour savoir que c'est hélas un mensonge : il n'y a aucun flot ni aucune inondation. Il n'y a qu'une diffusion qui est encore NUMÉRIQUEMENT très modeste et très pauvre : qui n'atteint pas à la cheville du « flot » de papier imprimé dont ceux qui parlent ainsi « inondent » quotidiennement le peuple chrétien et le clergé. Menteurs et hypocrites : éditant des dizaines de publications, des centaines de livres chaque année, monopolisant les librairies catholiques et les tables de presse des églises, lançant partout des prospectus, des dépliants, des affiches, des annonces radiophoniques, mastodontes capitalistes manipulant des chiffres d'affaires qui se comptent par milliards, ils osent parler d'un flot et d'une inondation qui ne seraient pas les leurs, et qui leur seraient contraires ([^3]). Le flot et l'inondation sont en faveur et au profit du national-catéchisme. Il n'existe pas en France un seul journal catholique qui ait dit : ce nouveau catéchisme n'est pas catholique, il ne peut être accepté. Mais la vérité est que, devant nos contre-offensives matériellement minuscules et désarmées, leur flot et leur inondation se révèlent impuissants quand il s'agit de la foi : qui se défend d'abord elle-même. Mais qui commande d'agir. 16:128 Nous invitons à nouveau nos lecteurs et nos amis à se mobiliser comme ils le doivent, nous les invitons instamment à répondre à nos appels et à nos consignes ([^4]) : et alors ce ne sera plus un mensonge aussi total de prétendre que « les prêtres, les catéchistes et les parents sont inondés sous un flot de littérature dénonçant la nocivité de ce catéchisme ». Encore aujourd'hui et demain et toujours, *l'Église est et sera*, n'en doutez pas Mauriac, *un miracle de jeunesse sans déclin*. L'agression du national-catéchisme contre la foi chrétienne fera sans doute des ravages très étendus : mais elle demeurera impuissante à l'emporter. Les I.C.I. l'ont déjà constaté : « Un très ferme communiqué du cardinal Lefebvre avait mis les choses au point en mars dernier. En vain manifestement. ([^5]) » *En vain manifestement :* c'est l'adversaire qui le reconnaît. En vain pour une raison bien simple. Avec une entière détermination, mais surtout avec la grâce de Dieu, nous serions prêts à mourir pour le catéchisme catholique. Alors que peuvent peser les diffamations misérables et les mesquines persécutions des janissaires du national-catéchisme. Ils vont retourner au néant dont ils étaient à peine sortis. \*\*\* Hommes de mensonge. Janissaires du mensonge. Voici ce qu'on m'écrit : « *Mon doyen à qui j'ai montré le Catéchisme de S. Pie X m'a dit : Pourquoi voulez-vous faire passer Pie X et son catéchisme avant Paul VI qui a autorisé celui de France, sans quoi nos évêques ne l'auraient pas donné ? *» Ce brave doyen n'a pas inventé cela. Il faut qu'on le lui ait dit. On lui aura dissimulé, ou présenté comme négligeable, la propre *Profession de foi* de Paul VI ; mais on lui aura imposé le national-catéchisme, par argument d'autorité, comme le catéchisme voulu par Paul VI. « Nos évêques auraientils osé, sans l'autorisation du Saint-Siège ? » 17:128 Ils ont osé et ils s'en vantent. Il n'est que de lire *Le journal la croix* et la *Documentation catholique* pour savoir qu'ils ont en 1966 « approuvé » et imposé le Fonds obligatoire sans avoir reçu ni demandé la moindre autorisation. *Il n'y avait pas lieu,* font-ils, dire par leurs Saudreaux à ceux qui sont au courant. Mais à la grande masse des gens, et des prêtres, qui ne suivent pas eux-mêmes les choses de près, on fait croire que le national-catéchisme français, est le catéchisme de Paul VI. Cynisme énorme de ce chuchotement que l'on répand de bouche à oreille : -- *Nos évêques n'auraient pas donné ce catéchisme sans l'approbation de Paul VI.* \*\*\* Mais voici que ce chuchotement longtemps murmuré devient clameur et paraît au grand jour, frappe sur la table et se prétend approuvé par le Saint-Siège. Plusieurs jours après le propos du doyen et la lettre citée, *le journal la croix* du 23 octobre a publié cette proclamation de Mgr Gouyon, archevêque de Rennes (c'est nous qui soulignons) : « Le nouveau catéchisme a été édité par la volonté des évêques de France. Ce sont eux qui portent la responsabilité de l'évangélisation dans la ligne authentique de la mission qu'ils ont reçue comme successeurs des apôtres. Leurs relations déférentes et fraternelles avec le Souverain Pontife, qui ne manque pas une occasion de rendre hommage à la lucidité et au zèle de l'épiscopat français, disent assez que *rien ne se fait sur ce terrain que dans la docilité aux directives du chef de l'Église*. » L'audace et la gravité de cette contre-vérité nous obligent à ne pas dissimuler que Mgr Gouyon en a menti. Le Pape Paul VI n'a donné *aucune directive* à l'épiscopat français en vue de la fabrication d'un nouveau catéchisme. 18:128 On ne voit d'ailleurs pas pourquoi des directives pontificales concernant le catéchisme auraient été clandestines et secrètes ; ni pourquoi ces directives ne seraient invoquées ou attestées par l'épiscopat français que deux ans après coup : deux ans exactement, l' « approbation » du nouveau catéchisme par l'Assemblée plénière française est d'octobre 1966. On nous en a raconté de toute sorte pendant ces deux années ; mais on ne nous avait pas encore raconté celle-là. La forgerie de Mgr Gouyon n'est même pas vraisemblable. Mais elle ne cherche pas à l'être. Elle est le premier acte d'une épreuve de force. Elle est un ultimatum qui place le Saint-Siège au pied du mur, elle annonce que le nouveau catéchisme français sera désormais officiellement présenté comme étant le *catéchisme de Paul VI,* et que le Saint-Siège est mis au défi de démentir cette invention nouvelle de l'épiscopat français. La forgerie de Mgr Gouyon accrédite, auprès de ceux qui le croiront sur parole, la fable suivante : l° *Paul VI avait secrètement donné à l'épiscopat français des directives pour la rédaction d'un nouveau catéchisme.* 2° *Le nouveau catéchisme français est l'exécution docile de ces consignes de Paul VI.* L'audace de Mgr Gouyon est d'escompter que ce mensonge sera ratifié, au moins implicitement, par le silence du Saint-Siège. Son audace va plus loin. Il fixe les termes de la déclaration que *doit* faire Paul VI. Elle est prête, il ne manque que la signature, la voici : -- *Nous rendons hommage à la lucidité et au zèle déployé par l'épiscopat français dans la fabrication d'un nouveau catéchisme. Nous déclarons que ce catéchisme nouveau est un exemple de docilité aux directives que Nous avions données sur ce terrain.* 19:128 Paul VI n'a jamais dit cela, bien qu'il ait eu largement le temps de le dire, s'il l'avait voulu, depuis octobre 1966. Mgr Gouyon exige publiquement qu'il le dise. \*\*\* Il n'est nullement prouvé que cette audacieuse initiative de Mgr Gouyon ait eu l'accord préalable de l'épiscopat français. On remarquera au contraire que la fable inventée par Mgr l'archevêque de Rennes, selon laquelle *sur ce terrain*, celui du catéchisme, rien n'a été fait par l'épiscopat français *que dans la docilité aux directives du chef de l'Église,* s'est trouvée démentie dès la semaine suivante par Mgr Gand, président actuel de la Commission épiscopale de l'enseignement religieux. *Le journal la croix* avait publié dans son numéro du 23 octobre les extraordinaires déclarations de Mgr Gouyon ; dans son numéro des 3 et 4 novembre, il publiait celles, en sens contraire, de Mgr Gand, qui précisaient notamment : « Il me paraît normal qu'un épiscopat ait le souci de tenir le Saint-Siège au courant des réalisations pastorales faites sous l'autorité directe de cet épiscopat, ce qui est le cas prévu pour les manuels de catéchisme. » Le nouveau catéchisme a donc été « réalisé sous l'autorité directe de l'épiscopat français ». Il n'y a pas eu de *directives de Paul VI* à ce sujet, ni non plus de *docilité* à l'égard de directives qui n'ont pas existé. Le Saint-Siège a seulement été « tenu au courant » : il l'a été *deux ans après coup*. C'est en octobre 1966 (*soixante-six*) que le nouveau catéchisme a été « approuvé » par l'Assemblée plénière de l'épiscopat. Et c'est en octobre 1968 (*soixante-huit*)*,* quelle hâte et quelle déférence, que, « sans y être convoqué », Mgr Gand est allé « présenter les nouveaux catéchismes » aux « instances romaines » : 20:128 « Je voulais, au nom des évêques de France, leur présenter les nouveaux manuels et livres du catéchisme, leur expliquer de vive voix nos objectifs, les motifs pédagogiques de telles options, la manière dont nous espérions réaliser une catéchèse valable et éducatrice de la foi. » Dans l'état actuel de nos connaissances sur cette affaire obscure et embrouillée, il apparaît donc que : 1° Le « Fonds obligatoire », qui est *le seul* qu'ait « approuvé » l'Assemblée plénière de l'épiscopat en 1966, n'a pas été « présenté » au Saint-Siège ; 2° On a « présenté » au Saint-Siège, en 1968, *seulement* les « nouveaux manuels et livres », qui, eux *n'ont pas* été approuvés par les évêques, mais seulement par la « commission » que préside Mgr Gand. A suivre. \*\*\* Le Bulletin diocésain officiel de Metz cautionne et recommande Hans Kung avec une malice qui est à double détente articulée : il y a la recension et il y a l'éditorial. A l'intérieur du même numéro, en effet, l'ouvrage de Hans Kung récemment traduit en français, *L'Église*, est présenté avec complaisance et faveur, sans l'ombre d'une réserve jusqu'aux toutes dernières lignes ainsi rédigées : « D'aucuns s'étonneront des audaces de l'auteur. Plusieurs points prêteraient à discussion. Emporté par sa rhétorique et un certain « anticonformisme » théologique, l'auteur manque parfois de nuances et de réflexion constructive. On lui saura gré d'inciter à une reconsidération des grandes questions ecclésiologiques. » Grâce à cette conclusion, l'église de Metz pense sans doute pouvoir prétendre, en cas de besoin, n'avoir pas recommandé Hans Kung sans réserve. Mais à s'en tenir au texte de cette réticence finale, on pourrait se demander longtemps si elle se veut sévère ou anodine, et quel effet pratique elle produira sur le lecteur. 21:128 L'éditorial vient alors donner le sens global du jugement porté : *dans quinze ans les lecteurs de Hans Kung feront déjà sourire les jeunes prêtres*. Vous voilà donc avertis, orientés et poussés « en avant ». Hans Kung est déjà presque dépassé. Ne restez pas en arrière. Or l' « ecclésiologie » de Hans Kung, non pas sur « quelques points », mais dans sa totalité, dans sa substance et dans son esprit, présente la simple particularité de *n'être pas catholique*. Hans Kung est « largement tributaire de l'ecclésiologie protestante » ; « il regarde l'Église comme un pur implicite dans la prédication évangélique » ; « il atténue la signification de la définition de l'Église comme Corps mystique du Christ » ; il « tombe dans la déviation propre à l'ecclésiologie protestante : à savoir de considérer l'Église comme étant seulement le nouvel Israël, mais non le vrai Israël : comme étant un succédané (et donc substantiellement une reprise) mais non comme un achèvement et un accomplissement » ; « le caractère néo-protestant de l'ecclésiologie de Kung se fait sentir encore dans la façon dont il traite de l'apostolicité » ; « le poids gnostique du luthéranisme dans sa version barthienne pèse lourdement sur le livre de Kung » ; « on pourrait le considérer comme une interprétation protestante des structures du catholicisme ». Ces graves mises en garde, ce n'est point dans le Bulletin diocésain de Metz qu'on peut les lire : mais dans la revue *Renovatio* de Gênes, sous la plume de Gianni Baget Bozzo ([^6]), et dans la revue *Nova et vetera* du cardinal Journet à Fribourg en Suisse ([^7]), où s'expriment encore des docteurs catholiques qui soient catholiques. L'église de Metz au contraire invite ses prêtres à se jeter sur Hans Kung avec confiance, hâte et délectation, en faisant oraison sur le thème : N'est-ce *pas une époque passionnante que celle-ci, où il est nécessaire d'être toujours à l'affût ?* 22:128 A l'affût de quoi ? A l'affût des nouveautés mondaines. « Il y a un monde nouveau. » Il y a de nouvelles automobiles et de nouvelles machines à calculer. Il y a, au moins en apparence, de nouvelles doctrines. Allant au nouveau parce qu'il est nouveau, et parce qu'elle suppose implicitement le nouveau meilleur que l'ancien, l'église de Metz imagine que ceux qui ne participent pas aux excitations de cette foire aux nouveautés sont donc des conservateurs, elle imagine qu'ils préfèrent l'ancien parce qu'il est ancien, et qu'on les verra un jour, mais seulement vers 1983, apprécier le nouveau catéchisme de 1968. Elle ne comprend pas que, toute considération d' « ancien » ou de « nouveau » mise à part, les chrétiens aspirent aux CONNAISSANCES NÉCESSAIRES AU SALUT. Les I.C.I., dans leur numéro du 15 octobre, se donnent beaucoup de mal pour faire croire (pour faire croire au Saint-Siège, semble-t-il) que « le catholicisme français est un ilôt de calme », -- « même si l'agitation de petites minorités », ceux qui refusent le saccage de la liturgie et du catéchisme, « peut parfois donner le change ». Sous, Néron, les intellectuels installés considéraient avec le même mépris l'insignifiante agitation des petites minorités chrétiennes. « *En France, aujourd'hui,* écrivent les I.C.I., *aucun grand théologien ne paraît disposé à prendre les positions en flèche d'un Häring, d'un Tavard ou d'un Kung*. » Il y a d'ailleurs des fonctionnaires du Saint-Siège qui tiennent paisiblement à peu près le même langage. -- Mais Kung est recommandé aux séminaristes et aux prêtres, à qui le lavage de cerveaux et le bourrage de crânes font croire que dans quinze ans les lecteurs de Hans Kung feront déjà sourire les jeunes prêtres. -- Avant quinze ans, on s'apercevra qu'il n'y avait vraiment là, ni dans un sens ni dans l'autre, pas de quoi « sourire »... La France n'est pas la Hollande... Mais le « Catéchisme hollandais » est en substance imposé aux petits enfants sous les espèces du national-catéchisme français, et les adultes, les séminaristes, les prêtres, sont constamment incités à faire du « Catéchisme hollandais » l'étude et la méditation que les Pontifes ont demandé de faire du « Catéchisme du Concile de Trente ». 23:128 Une religion veut se substituer à une autre, en France comme en Hollande. Dans, le même numéro déjà cité des I.C.I., Georges Hourdin ([^8]) presse les catholiques français de se repaître du « Catéchisme hollandais » : « *Il dit en termes nouveaux et familiers inspirés des philosophies modernes, notamment de l'existentialisme, ce qu'une autre école théologique dit en termes inspirés de l'aristotélisme. *» L' « autre école théologique », c'est simplement une vingtaine de Concile œcuméniques et tous les Papes, ramenés au rang d'une « école » parmi d'autres. Quant aux philosophies modernes en question, le fait qu'elles soient foncièrement athées ou directement anti-chrétiennes n'a évidemment aucun inconvénient, ni pédagogique ni pastoral, au contraire. Avec le même sophisme, on pourra demain nous offrir un catéchisme rédigé *en termes nouveaux et familiers inspirée du marxisme*. Mais que dis-je demain ! Déjà le national-catéchisme actuel manifeste aussi, et sans pudeur ni cachotterie, une inspiration marxiste. « Le besoin d'un tel livre demeure », assure Georges Hourdin, « mon christianisme en est sorti enrichi ». Qu'était-il donc avant cet enrichissement... \*\*\* 24:128 Voilà donc où nous en sommes, de Metz à Paris, d'information en recyclage, du journal au séminaire, de la théologie au catéchisme, de commission permanente en conseil restreint : au-delà de l'hérésie, au-dessous de la bêtise, en deçà de l'humain. Et vous croyez que tout cela peut longtemps encore tenir debout ? J. M. 25:128 ### Variétés gaies LA NOUVELLE RELIGION a besoin de nouveaux fidèles : avec les catholiques elle n'arrive finalement à rien. Elle ne peut que les chasser des séminaires, qui s'en trouvent vidés : il lui faudra pourtant les remplir d'une manière ou d'une autre si elle veut avoir les troupes et les cadres de quelque chose qui ressemble à un clergé. Ce n'est plus avec des catholiques qu'elle les remplira. Après une sérieuse « étude du marché », elle a déterminé sa nou­velle stratégie publicitaire. Nous en avons plusieurs signes. #### I. -- Le problème du journal ci-devant nommé « La Croix » *Le journal la croix*, ci-devant nommé *La Croix*, a entrepris à partir du mois d'octobre une fracassante cam­pagne de « promotion », c'est-à-dire de publicité commerciale, visant à diffuser ce quotidien non plus comme organe militant d'une Église militante, mais comme « journal d'in­formation » sans particularité « confessionnelle ». Les lecteurs actuels de *La Croix* -- au moment où cette campagne commence -- sont dans une proportion égale au moins à 99 sur 100 des lecteurs catholiques. Aux catholi­ques, PAR LA VOIE DU JOURNAL, la « campagne de promo­tion » propose de diffuser des abonnements de propagande au prix exceptionnel de 10 F. Dans le même moment, aux non-catholiques, PAR LA VOIE D'ANNONCES RADIOPHONIQUES, la « campagne de promotion » propose des *abonnements gratuits sur simple demande*. 26:128 Il y faut de considérables moyens financiers. Sans doute, d'autres quotidiens font des services gratuits de propagande à des adresses sélectionnées selon divers procédés. Mais ici, il n'y a aucune sélection, aucune limite, l'abonnement gratuit est offert à n'importe qui et à tout le monde : il est offert à « dix millions d'auditeurs », qui ne répondront pas tous, mais qui pourront répondre aussi nombreux qu'ils le voudront. Sur simple demande, l'abonnement gratuit est accordé. Nous avons vérifié qu'il ne s'agissait pas d'une galéjade ; cela fonctionne à merveille, automatiquement : vous le demandez, vous l'avez. Énorme à ce point, la richesse a quelque chose d'insolent et de scandaleux. Mais plus que cette richesse elle-même, ce qui doit retenir l'attention est l'usage qui en est fait. Elle est employée en vue d'assurer à *La Croix* un public en majorité non-catholique, avec lequel on se sentira enfin parfaitement à l'aise. Aux catholiques, *La Croix* a été imposée de toutes les manières depuis un quart de siècle, jusques et y compris les périodiques mandements épiscopaux lus aux messes du dimanche et parlant du devoir moral de lire et de soutenir ce journal. Mais les évêques ne proposaient pas aux fidèles des abonnements gratuits à volonté. La proposition est faite aux autres, par le canal d'une publicité radiophonique. Ayant les moyens financiers d'offrir des quantités illimitées d'abonnements gratuits, *La Croix* ne les propose pas aux prêtres, aux catéchistes, aux maisons religieuses, aux fidèles, par le canal de l'administration ecclésiastique et des organisations catholiques. Depuis longtemps nous entendons, raconter que les curés de paroisse, ou certains d'entre eux, auraient reçu l'autorisation de payer leur abonnement en en prélevant le montant sur le produit de la quête : nous n'avons pu vérifier décisivement ce point mais, serait-il exact, il faut encore, en ce cas, payer. Si *La Croix* cherchait à étendre son public d'organe militant de l'Église militante, c'est au clergé et aux fidèles qu'elle proposerait des abonnements gratuits. 27:128 Mais elle sait bien qu'elle n'a plus grand, chose à attendre des catholiques : malgré l'obligation morale arbitrairement décrétée par les évêques, malgré la carte forcée par la situation d'unique quotidien catholique, les catholiques refusent de lire *La Croix,* qui n'a finalement que 120.000 lecteurs environ. Si l'unique quotidien catholique correspondait aux sentiments de l'immense majorité des catholiques français, il trouverait en France, et très facilement, beaucoup plus de 120.000 lecteurs. *La Croix* l'a compris. Mais *La Croix* ne veut pas répondre aux convictions des catholiques. Dans sa campagne publicitaire, elle cherche donc à devenir de préférence le quotidien des non-catholiques... Elle va le devenir en quelque sorte automatiquement, par la technique employée. Le catholique lecteur de *La Croix* ayant à payer 10 F pour chacun des abonnements de propagande qu'il voudra distribuer autour de lui, et le tout-venant des auditeurs de radio n'ayant rien à payer, il est évidemment prévisible que cette seconde catégorie sera de beaucoup la plus nombreuse à bénéficier de ces abonnements. En tous cas, l'opération est techniquement agencée de manière à obtenir ce résultat. Elle peut rater. Mais enfin elle est entreprise dans l'espoir de réussir : si elle réussit, elle aura pour effet d'amener au *Journal la croix* un public composé en majorité de non-pratiquants, de non-catholiques, de non-chrétiens. Au moment où vous lirez ces lignes, ce sera déjà fait. #### II. -- A la radio Au même moment, même opération épiscopale : une fois par semaine, sur les antennes du même poste périphérique, un évêque vient répondre aux questions des auditeurs, quels qu'ils soient et quelles qu'elles soient. Bien entendu, il y a chaque fois des centaines de questions, et l'évêque ne répond publiquement qu'à une dizaine, triées et choisies ; aux autres, il répond en privé. Aux catholiques en tant que tels, dans leurs assemblées, il n'est pas donné de voir l'évêque venir « se livrer à leurs questions ». 28:128 Les organismes collectifs de l'épiscopat racontent qu'ils « con­sultent les laïcs » : mystérieuses consultations, réservées à des états-majors et à des comités dont les membres sont plus ou moins directement nommés par l'épiscopat lui-même. Au demeurant, les évêques français ont une fois pour toutes décidé de ne pas entendre les fidèles : les catho­liques fidèles à la liturgie romaine, à la teneur exacte de la Constitution liturgique, aux enseignements pontificaux, au catéchisme romain n'ont droit qu'à la diffamation publique et à l'expression intarissable du mépris où on les tient. On vient encore de le constater à l'occasion d'*Humanæ vitæ :* les fidèles qui n'avaient jamais cessé d'y voir la doctrine jamais abolie de l'Église sont traités par les évêques de tous les noms, c'est un véritable concours de verve épiscopale pour leur dire d'une manière ou d'une autre qu'ils sont des imbéciles, des passifs routiniers, des bornés sans discerne­ment, nous avons, cité quelques-unes des meilleures trou­vailles dans notre précédent numéro ([^9]). Dans les rapports épiscopaux adressés au Saint-Siège, on calomnie aussi sys­tématiquement les fidèles, dont on dépeint la fidélité comme animée de « raisons politiques et sociologiques » ([^10]). Mais le tout-venant des auditeurs de radio, ils se mettent respec­tueusement à leur disposition et font mine de répondre à toutes leurs questions. A toutes leurs questions ? Il n'y a qu'une question à laquelle les évêques aient charge de répondre : la question du salut. Et ils n'ont de réponse que pour une seule caté­gorie d'hommes : ceux qui aperçoivent ou pressentent que l'homme a besoin d'un salut qui ne peut venir de l'homme. -- Mais ce n'est pas du tout leur perspective. A la radio, jouant les vedettes, ils s'exercent à leur rôle nouveau d'ani­mateurs spirituels du mouvement pour la construction du monde de demain ; ils s'efforcent de se faire admettre comme tels auprès des masses. Apôtres de « la mutation » et du « progrès », ils s'en font les haut-parleurs, c'est-à-dire la mouche du coche. Après avoir cru et nous avoir raconté depuis un siècle que « saint Paul aujourd'hui se ferait journaliste », ils pensent maintenant que saint Paul aujourd'hui se ferait tout à la fois radioparleur, psychana­lyste, cosmonaute et agitateur syndicaliste. 29:128 Certains d'entre eux se persuadent sans doute qu'ainsi ils vont aux incroyants. Ils ne savent pas ce qu'ils font. Ils ne savent plus de quel esprit ils sont. Ils s'imaginent peut-être qu'ils, remplissent le devoir d' « *apporter le meil­leur et le plus grand de leurs soins à ramener les masses laborieuses au Christ et à l'Église *». Ils ignorent d'ailleurs l'origine de cette consigne, ils ignorent qu'elle est tirée de l'encyclique *Divini Redemptoris* (§ 62) qu'ils abhorrent sans la connaître, et ils en ont fait la maxime : « priorité à ceux qui sont loin ». Ils ne comprennent plus que cette priorité est relative et non point absolue : s'ils ne s'occupent d'abord, en effet, de former de vrais prêtres, catholiques et de vrais militants, et de constituer de vraies communautés chré­tiennes, avec qui iront-ils « à ceux qui sont loin », et pour leur apporter quoi ? Ils ignorent que la consigne pontifi­cale, dans son texte complet, marquait explicitement le caractère relatif de cette priorité, car elle disait : « *Les prêtres, tout en s'occupant* D'ABORD*, comme il convient, de l'ensemble des fidèles, doivent* ENSUITE *apporter le meilleur et le plus grand de leurs soins à ramener les masses labo­rieuses au Christ et à l'Église *». Et d'ailleurs RAMENER veut dire CONVERTIR, et leur action soi-disant apostolique a pour premier principe avoué, affiché, proclamé de ne plus cher­cher à convertir. Pour convertir qui que ce soit, il faudrait au demeurant qu'ils commencent par leur propre conver­sion. Mais non. Ils vont faire les guignols à la radio : *airain sonore* et *cymbale retentissante* (I Cor., XIII, 1). Non, saint Paul ne se serait fait ni journaliste dans la presse d'aujourd'hui, ni radioparleur dans la radio d'aujour­d'hui, parce qu'il n'aurait pas consenti, en y entrant soit au service de l'État soit au service de l'Argent, à devenir *cymbale retentissante* et *airain sonore*. \*\*\* 30:128 Pour avoir les mains libres, on ne pense plus désormais qu'à se débarrasser des chrétiens fidèles. Soyons juste : on a bien parlé un moment d' « *intégrer les intégristes *», géné­rosité grande, mais c'était à la condition de leur conversion docile à l'apostasie immanente. Et maintenant, ayant rejeté tout ensemble le catéchisme catholique et ceux qui y sont attachés, on s'occupe carrément de construire une autre église, une église autre, avec d'autres que les catholiques, en conservant quelque apparence et le nom même de l'Église. (De même que Loisy, ayant perdu la foi, voulait non seule­ment rester dans l'Église, mais encore devenir évêque de Monaco.) On ne compte plus sur les fidèles, on a d'ailleurs bien raison, et l'on fait appel, par des techniques publici­taires et des artifices mercantiles, aux masses indistinctes de l'univers radiophonique. Univers imaginaire, au demeurant, et drogué. La con­version, pour l'homme du XX^e^ siècle, consiste notamment à sortir de cet univers factice. La nouvelle religion y trouve au contraire son milieu propre, elle se donne corps et âme à ce somnambulisme. #### III. -- La forte blague des « anonymes » Les chrétiens fidèles sont donc parfaitement habitués maintenant à se voir désigner au mépris public par les évêques sous toute sorte de sobriquets : « intégristes », « conservateurs », « traditionalistes », « routiniers », « constantiniens », « tridentins », « scolastiques », « pa­roissiens », « pratiquants », « confessionnels », « passifs et sans discernement ». Nouveau progrès : ils sont réduits à l'anonymat par décret de Mgr l'archevêque de Rennes. Ce fut la rumeur orchestrée à la fin du mois d'octobre. Dans *Le journal la croix* (23 octobre) : « Mgr Gouyon réprouve sévèrement les campagnes contre le nouveau caté­chisme. » 31:128 Dans *Le Monde* (27 octobre) : « L'archevêque de Rennes blâme les attaques perfides lancées contre le nouveau catéchisme. » Lisons donc la réprobation sévère, lisons le blâme : « Depuis plusieurs années déjà, des papiers anonymes sont envoyés dans les presbytères et les communautés religieu­ses pour mettre en cause les réformes qui ont été décidées dans l'Église par le Concile du Vatican. « La parution du nouveau catéchisme nous vaut aujourd'hui une prolifération accélérée de ces feuilles d'automne. Elles sont clandestinement déposées dans les boîtes aux lettres, répandues jusque dans les églises, glissées parfois dans les ma­nuels mis par le clergé à la disposition des fidèles. « Le procédé lui-même discrédite ses auteurs aussi bien que les positions qu'ils entendent défendre. Quand une cause est bonne, elle n'a pas besoin de recourir à ces moyens honteux. » Qu'il y ait des « anonymes » qui s'en prennent aussi au nouveau catéchisme, c'est bien possible. Des anonymes, il y en a partout, se réclamant de toutes les « causes », et même des causes chères à Mgr Gouyon. Il y a périodique­ment des écrits de théologiens anonymes dans *Le Monde,* il y en a eu encore un à l'occasion d'Humanæ vitæ ([^11]). Mgr Gouyon, en sa justice et en son équité, ne les a ni blâmés ni réprouvés, il ne leur a pas opposé que « quand une cause est bonne elle n'a pas besoin de recourir à ces moyens honteux ». La haute pensée de Mgr Gouyon est comme la lune : elle a des éclipses. 32:128 Pourtant il a fallu en l'occurrence à Mgr Gouyon beau­coup plus qu'une hardiesse ordinaire : feindre que les campagnes contre le nouveau catéchisme seraient princi­palement, seraient uniquement l'œuvre d'auteurs anonymes et de libelles clandestins, et le feindre face au public, c'est avoir une idée fort avantageuse de sa force de persuasion. Cette énorme blague, qui la croira ? Mais apparemment il ne s'agit pas de la croire, on ne vous en demande pas tant : il vous suffit de la répéter. C'est la consigne archiépiscopale ; c'est la vérité officielle. Les catholiques mal contents du nouveau catéchisme et fidèles au catéchisme romain sont décrétés anonymes. Vous le saurez donc : l'amiral de PENFENTENYO, auteur du communiqué sur le nouveau catéchisme, est un « ano­nyme ». *Anonymes* comme lui (et, pour mémoire, comme moi-même) les prêtres et les laïcs de toutes origines et de tous lieux qui ont publiquement pris acte du fait que le nou­veau catéchisme ne contient plus les connaissances néces­saires au salut : « anonymes », Louis SALLERON et Pierre DEBRAY ; l'abbé BERTO et Mgr Marcel LEFEBVRE ; Pierre LEMAIRE et l'abbé DE NANTES ; Luce QUENETTE et Édith DELAMARE ; et tous les autres... #### IV. -- L'auteur et la cause du trouble dans le catholicisme belge Prenez maintenant la *Documentation catholique*, numé­ro du 20 octobre, col. 1763, note 10. Nous sommes dans les « réflexions et directives pastorales de Mgr Charue, évêque de Namur », au sujet des « problèmes doctrinaux d'aujour­d'hui ». Faisant allusion à ce qu'il appelle « le » livre de J.A.T. Robinson, Mgr l'évêque insère une note, la note 10, que voici : 33:128 « J. A. T. Robinson, *Honest to God*, Londres 1963. Le titre de la traduction française, *Dieu sans Dieu*, qui est de janvier 1964, ne répond pas au titre an­glais. Il n'en est que plus provocant et il est à noter que l'explosion du malaise religieux chez nous date d'alors. » C'est en effet à noter ; personne ne l'avait noté encore. On avait même noté le contraire : à savoir que le « ma­laise religieux » en Belgique n'avait pas attendu janvier 1964. Bien avant janvier 1964, nos amis Alexis, Curvers et Marcel De Corte en avaient porté témoignage. L'évêque de Namur, bien évidemment, ne les a pas lus : pas plus qu'il n'a lu le livre de Robinson dont il parle. S'il l'avait lu, il y aurait découvert que « Dieu sans Dieu » y figure explicitement, sous la forme d'une citation que Robinson fait de Bonhoeffer et qu'il approuve ([^12]) ; cela faisait donc un titre très, convenable et très fidèle, à la place d'*Honest to God* qui est un jeu de mots intraduisible en français (mais qui figure en anglais sous le titre fran­çais). Il y a des gens qui croient pouvoir parler des livres sans les avoir lus, seulement d'après leur titre et d'après ce qu'ils en ont entendu dire. -- Si le titre français « ne répond pas au titre anglais. », il répond au contenu du livre, où il figure littéralement. Mgr Charue ne l'a pas su, n'étant appa­remment pas allé plus loin que le titre. Mais il a « noté » que l' « explosion du malaise religieux chez nous date d'alors », ce qui fait du traducteur Louis Salleron -- nullement nommé d'ailleurs par Namur, puis­qu'il est d'autre part décrété « anonyme » par Rennes -- l'origine, la cause et l'auteur du malaise religieux en Belgique. 34:128 La *Documentation catholique* nous apprend en outre, fort opportunément (col. 1761, en note) que le texte de Mgr Charue a été publié aux *Éditions Duculot.* Un tel détail ne s'invente pas. Ces éditions Duculot seraient bien utiles également à Mgr de Rennes : nous tenons leur adresse à sa disposition. #### V. -- Les bûchers de Rennes Ayant, comme on l'a vu, défendu contre les « libelles clandestins » ses chers diocésains, Mgr l'archevêque de Rennes ajoute à leur intention (sa verve ne connaissant plus de limites) : « Peut-être seront-ils reconnaissants aux auteurs desdits libelles de leur avoir fourni gratuitement, à l'approche de l'hi­ver, un papier si utile pour allumer leur feu. » L'invitation à brûler les écrits condamnés ne prend donc aucun déguisement. On n'a point entendu dire que Mgr l'archevêque de Rennes ait jamais envoyé au feu les écrits des communistes, des francs-maçons ou des protestants. Esprit ouvert et par­faitement moderne, il n'aurait pas supporté une seconde l'idée que la presse de progrès pût écrire : « *A l'archevê­ché de Rennes, on brûle les livres *». Laquelle presse n'au­rait pas manqué d'ajouter, selon sa coutume, avec allusion explicite à l'Inquisition : « *On commence par brûler les livres, on continue en brûlant les auteurs. *» La condamnation au feu est réservée aux catholiques : car dans ce cas, la presse de progrès ne fait entendre au­cune protestation. 35:128 Vous savez, comme tout le monde, qu'à l'occasion du Concile et depuis lors, nouveaux prêtres et nouveaux évêques ont impitoyablement fait le procès rétrospectif de l'In­quisition. Vous aviez peut-être compris qu'ils reprochaient à l'Inquisition d'avoir *brûlé* les hérétiques. Regardez-y mieux : ils lui reprochaient plus exactement d'avoir brûlé *les hérétiques*. Nuance. Et preuve : ils n'ont jamais reproché à l'Inquisition d'avoir brûlé Jeanne d'Arc. Ils lui ont repro­ché d'avoir brûlé Galilée (qui d'ailleurs n'a pas été brûlé). Ils ont tout reproché à l'Inquisition, sauf Jeanne d'Arc, jamais. (Ni d'ailleurs Savonarole.) Les crimes de l'Inquisi­tion qu'ils condamnent, ce sont les autres nommément dési­gnés, à l'exception de celui-là toujours passé sous silence. Je n'y peux rien, je n'invente rien, c'est un fait, regardez-y vous-mêmes. Ils ont voulu déshonorer les procès de l'Inqui­sition : mais le procès de Jeanne d'Arc ne leur a point paru un argument à retenir. Un oubli. -- Un oubli ? J'ai le sentiment, je le répète, que lorsqu'ils disent : « L'Inquisition a eu tort de brûler les hérétiques », ils ne disent pas : « L'Inquisition a eu tort de *brûler* les hérétiques », mais ils entendent plutôt : « L'Inquisition a eu tort de brûler *les hérétiques*. » A Rennes, selon la volonté de Mgr l'archevêque, on brûle déjà les écrits condamnés. #### VI. -- Synonymes de rien Le 25 octobre à la radio, Mgr de Metz s'est expliqué sur la proposition IV de la religion de Saint-Avold, dont il est l'auteur : « *La socialisation n'est pas seulement un fait inéluctable. Elle est une grâce. *» Toute son explication consiste à accuser ceux qui n'adhèrent point à cette proposition de « confondre socia­lisation et socialisme ». Explication reprise et applaudie par Fesquet (*Le Monde* des 27-28 octobre). Apparemment, c'est cette approbation-là que l'explication recherchait : elle l'a. \*\*\* 36:128 Ne vous inquiétez pas outre mesure de cette avalanche de faux-semblants, d'escamotages, de diffamations, de men­songes et de calomnies que la nouvelle religion vous déverse sur la tête : c'est la forme actuelle d'une persécution qui est inévitable. Ne nous occupez pas d'y « répondre » ; et n'attendez pas que nous « répondions » à tous ces syno­nymes de rien. Chaque jour la presse et la radio nous en apportent des kilomètres. Nous en prenons quelquefois une demi-douzaine par-ci par-là, parmi les plus tonitruants, pour vous montrer où ils en sont. La radio atteint des millions d'auditeurs : nous n'y Pou­vons rien. Nous ne pouvons que vous déconseiller, à sup­poser qu'une telle mise en garde soit encore nécessaire, d'imaginer que l'on étudie le catéchisme et la théologie à la radio. Tous les jours les journaux, tous les journaux quoti­diens, sont remplis d'analogues sottises : mais vous n'allez pas puiser votre spiritualité dans les journaux. Il y a une centaine et des centimes de Bulletins diocésains qui, d'ail­leurs en se répétant les uns les autres, diffament et vouent au mépris public, avec toutes, sortes de calomnies, les catho­liques attachés au catéchisme catholique. Il n'y a rien d'autre à y faire que de laisser cette petite guerre tomber dans le vide. Elle ne peut rien contre la foi ; elle ne peut rien contre une foi solidement instruite et formée par l'étude régulière du Catéchisme du Concile de Trente. Toute l'agitation fiévreuse de l'apostasie immanente vise à nous représenter devant l'opinion publique comme *scandale* et *folie*, scandale pour la nouvelle religion et folie pour les nouveaux incroyants : en quoi elle ne se trompe aucune­ment, bien que ses moyens soient malhonnêtes et surtout risibles par leur inadéquation et leur impuissance. Travaillez en profondeur. Établissez-vous sur le solide. A l'écart de la mode, du bruit artificiel, du goût du jour, des vaines rumeurs audio-visuelles. Un simple revers de main suffit à écarter ces bulles de savon soufflées dans l'eau sale des pensées mondaines. Apprenez à tourner le dos, sereinement, à toute cette cuisine, maléfique sans doute, mais surtout sans consistance. J. M. 37:128 ### Ce qu'il faut comprendre Ce qu'il faut faire ■ Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est beaucoup moins *lut­ter contre* le national-catéchisme que *faire en sorte que continue le catéchisme catholique.* Nous demandons au lecteur sa plus exacte attention. Voici les faits et voici nos raisons. ■ Le national-catéchisme a été « adopté » par l'As­semblée plénière d'octobre 1966 (soixante-six). Il est *déjà dépassé* aux yeux de ceux qui, jouets de la subver­sion installée dans l'Église, s'appliquent à suivre la « mutation du monde ». Cette fameuse mutation a fait beaucoup de chemin depuis 1966. Le catéchisme « nou­veau » de 1966 n'est plus « au goût du jour » dont le propre est de changer constamment. Le « nouveau » catéchisme retarde déjà en 1968 ; et en 1969 il retardera encore plus. Ce sont les mutants eux-mêmes qui se pré­parent à le liquider en le dépassant. Ils ont déjà com­mencé. ■ La revue *Catéchistes,* numéro 76 d'octobre 1968, a éditorialement publié un tableau pédagogique qui règle la question et qui dit tout. 38:128 Ce tableau décisif, ce définitif manifeste de la bar­barie absolue, nous le reproduisons intégralement : ----------------------------- ------------------------------ ------------------------- -------------------------------------------------- **Autrefois** **Avant mai 1968** **Maintenant** **L'enseignant** mandarin chef d'équipe membre du groupe **Relation éducative** dépendance conditionnement catalyse **Attitude de l'enseigné** passivité coopération créativité **Type de sécurité** le père l'équipe le pari de la relation **Rapport\ le passé conditionne\ le présent conditionne\ le futur conditionne\ passé-futur** le présent le futur le présent **Type de morale** le devoir la situation l'amour **Type d'Église** hiérarchique centrée sur les œuvres « ecclésia » de base **Relation\ par le savoir :\ par les œuvres :\ par l'homme : amour inconditionnel de tout homme à Dieu** théologie pastorale **Conception de la vérité** adæquatio rei et intellectus sens de l'histoire « alethéia »\ dévoilement **Agent de la médiation** prêtre, clergé technicien poète, prophète ----------------------------- ------------------------------ ------------------------- -------------------------------------------------- ■ On nous avait prévenus. On nous l'a dit cent et mille fois : après la révolution de mai 1968, « rien ne sera plus comme avant ». *Rien.* Pas même le nouveau caté­chisme de l'épiscopat français. Il faut être de son temps. 39:128 ■ L'éditorial de la revue *Catéchistes* où s'inscrit ce magnifique tableau récapitulatif rappelle que la révolution de mai 1968 fut une « *explosion libératrice *» et ré­pète que désormais « *demain ne sera plus comme hier *»*.* Il suppute avec joie « *jusqu'où va porter la contestation en nos terres catéchétiques *». Il dévoile et approuve « *le sens novateur des revendications en cours *»*.* ■ « Hier », c'est le catéchisme de l'épiscopat français. C'est contre lui maintenant que s'élève la « contestation » progressiste ; c'est par rapport à lui que les « revendi­cations en cours », orchestrées et organisées parmi les catéchistes en mutation, ont un « sens novateur ». Le « Fonds obligatoire » d'avant mai 1968 est direc­tement visé par la division du tableau en trois parties : ce « Fonds obligatoire » n'appartient plus à la catégorie « maintenant », il appartient déjà au passé, à la caté­gorie « avant mai 1968 ». ■ Il faut exactement comprendre ce que cela signifie. Et d'abord comprendre ce que cela ne signifie pas. ■ Cela ne signifie pas que, devant les nouveaux progrès de la subversion ecclésiastique, nous devrions défendre le national-catéchisme comme un « moindre mal ». Le « moindre mal » a un sens en politique et en général dans les affaires temporelles. Mais en ce qui con­cerne les *connaissances nécessaires au salut*, il n'y aurait aucun sens à défendre un catéchisme qui ne les contient pas contre un catéchisme qui les contiendra encore moins. 40:128 ■ La subversion, et plusieurs bulletins diocésains, veu­lent faire croire que nous défendons *l'ancien contre le nouveau,* en ce sens que nous défendrions le catéchisme national de 1937 contre celui de 1947 ; puis celui de 1947 contre celui de 1966 ; et enfin celui de 1966 contre la nouvelle « progression » actuellement en cours. Mais nous ne voulons aucune de ces mutations en cascade. Nous ne voulons ni du catéchisme de 1966, ni du caté­chisme de 1947, ni du catéchisme de 1937. Nous voulons *le catéchisme catholique.* ■ Le catéchisme catholique, c'est le Catéchisme du Concile de Trente : catéchisme à l'intention des curés de paroisse, des pères et mères de famille et de tous les chrétiens adultes. Il n'y a pas d'autre catéchisme romain. Le catéchisme catholique, c'est encore toute adapta­tion légitime et authentique du Catéchisme du Concile de Trente. Par exemple : le Catéchisme de S. Pie X, adaptation authentique et légitime du catéchisme ro­main à l'usage des enfants. ■ La subversion consiste à imposer un régime de *mutation permanente* dans le sentiment d'un *progrès fatal :* cette permanente mutation et ce progrès constant se vérifient à peu près pour les arts ménagers, les mo­teurs de toute sorte, les avions de bombardement ; pour les machines en général. Régime approximative­ment normal dans l'ordre des *fabrications mécaniques,* c'est un régime mortel dans l'ordre de *la vie naturelle,* déjà au niveau de l'agriculture et de l'élevage ; encore plus mortel au niveau de la vie humaine : éducation morale, culture intellectuelle, beaux-arts, philosophie. Et infiniment plus mortel, encore plus radicalement assassin dans l'ordre de *la vie surnaturelle :* religion ré­vélée, connaissances nécessaires au salut, vertus théologales, dons du Saint-Esprit. 41:128 *-- La catéchèse actuelle applique aux humains des idées qui ne conviennent même pas aux veaux et aux aubergines, mais seulement à la manipulation des corps inanimés.* On nous parle à tort et à travers de « matérialisme pratique » : le comble du matérialisme pratique est de traiter les hommes avec des conceptions qui ne conviennent qu'à l'aspect le plus matériel du progrès industriel. ■ Nous n'allons pas commenter en détail le mirifique tableau pédagogique de la revue *Catéchistes.* Il le méri­terait pourtant et nous y reviendrons peut-être une autre fois. C'est un chef-d'œuvre. L'auteur en est inconnu, l'éditorialiste l'attribue à « un correspondant ». Ce cor­respondant a du génie. Il a réussi à inscrire en un tableau synoptique toute l'illusion, toute l'imposture et toute la machinerie subversive du XX^e^ siècle (dans l'ordre intel­lectuel du moins). *Faire croire qu'il en est ainsi,* faire croire que ce tableau est le vrai et dit le bien, c'est la condition nécessaire et suffisante du désastre le plus total de l'histoire de l'humanité. ■ N'en retenons ici que l'impact catéchétique. La révo­lution opérée par le national-catéchisme de 1966 s'inscrit dans le passage de la catégorie n° ! : « autrefois » à la catégorie n° 2 : « avant 1968 ». Deux ou trois points font exception cependant -- sur deux ou trois points, le natio­nal-catéchisme peut déjà s'inscrire dans la catégorie n° 3 : « maintenant ». Il était donc, aussi, un peu « pro­phétique ». Mais deux ou trois points seulement sur dix, ça ne fait pas le poids. 42:128 On n'arrête pas le progrès et le progrès a déjà fait que le national-catéchisme de 1966 est dépassé à 70 ou 80 %. ■ Les différentes « réformes pédagogiques » interve­nues au XX^e^ siècle, dans l'enseignement universitaire comme dans l'enseignement catholique relèvent d'un *processus de dégradation *: lequel, en s'accélérant, devient un processus de pourriture et de désintégration. Nous sommes dans une décadence intellectuelle, morale et religieuse qui devient sous nos yeux une décomposi­tion générale. A chaque phase nouvelle de la décompo­sition, on nous raconte que c'est un nouveau progrès. Nous ne marchons pas. ■ Nous ne marchons pas, cela veut dire que nous ne devons pas nous attarder à prendre en considération excessive les prétextes et les illusions dont s'orne chaque phase de la décomposition. Ni non plus nous retrancher dans la phase antérieure, considérée comme un « moin­dre mal ». Nous devons et nous voulons retrouver les sources de la vie : qui sont, pour le catéchisme, les con­naissances nécessaires au salut. Le catéchisme catholique, dans beaucoup de cas, n'est plus à « défendre » ni à « conserver » : car on ne l'avait déjà plus en France. Il est à retrouver et à restaurer. ■ Il importe assurément de ne pas capituler devant l'arbitraire administratif qui fait mine d'imposer le national-catéchisme de 1966. Mais n'exagérons rien : il en impose surtout aux débiles, aux lâches et aux igno­rants. Dans la décomposition actuelle de toute autorité, n'allons pas imaginer qu'il faudrait une vaillance surhumaine pour passer au travers d'une tyrannie im­puissante. 43:128 On n'a encore excommunié, emprisonné, torturé ni mis à mort personne en France pour crime de catéchisme catholique. Cela viendra ? Dieu le sait. Rennes, apparemment, y travaille. Pour le moment, n'appelons pas héroïsme ce qui relève du minimum de courage le plus ordinaire et le plus modeste. Exerçons-nous à ce courage modeste, ordinaire, quotidien : cet exercice est la meilleure préparation aux grands et ter­ribles devoirs qui viendront peut-être nous chercher par la suite. Mais pour l'heure, il s'agit simplement de ne pas se laisser impressionner et de ne pas s'en laisser conter. Plus personne n'obéit à personne, et l'enseignement le plus courant est maintenant qu'il ne faut même plus parler d' « obéissance » : ces mœurs et cette, prédica­tion nouvelles désarment la tyrannie, ou la limitent. Le refus de l'apostasie immanente ne conduit pas présen­tement au bûcher. Quoi qu'il en coûte et quoi qu'il arrive, il ne faut jamais obéir à l'injustice, à l'imposture, au mensonge : mais dans l'anarchie actuelle, un tel refus n'est pas un tour de force. Les janissaires de l'oppression catéché­tique sont des janissaires en papier mâché. ■ La religion nouvelle, toujours en mouvement, tient le national-catéchisme de 1966 en un mépris croissant et met déjà sur pied *autre chose* dans ses revues, ses colloques et ses recyclages. Quand ses janissaires viennent simultanément nous sommer d' « obéir » aux prescriptions imposant ce même catéchisme, ils rient sous cape et s'en cachent à peine. Il n'y a ni à discuter ni à dialoguer avec eux : simplement leur signifier une fois pour toutes que ça ne prend pas. 44:128 Bien sûr, la religion nouvelle voudrait laisser debout une seule autorité : celle qui aurait pour fonction exclu­sive de contraindre à l'apostasie les chrétiens fidèles, ou de les condamner s'ils refusent. Mais une aussi dérisoire comédie n'a de pouvoir que sur les débiles qui en prennent peur. ■ Le national-catéchisme est ce qu'il est : mais surtout, il est *rien,* et ce *rien,* il l'est d'abord aux yeux de ceux qui font mine de nous l'imposer un moment. Ce qui s'est passé en matière de liturgie vient ici éclairer ce qui se passe en matière de catéchisme. Nous comprenons mieux maintenant pourquoi il était inutile de trop s'attarder à critiquer par exemple la mauvaise traduction fran­çaise du Canon romain. Cette critique était parfaite­ment fondée ; elle avait, elle garde une valeur pédago­gique pour ceux qui en ont été instruits. Mais elle était sans portée sur le déroulement des choses : parce que cette traduction française était de la frime, on ne vou­lait pas durablement nous l'imposer. Car voyez la suite : à l'étape suivante ils ont bazardé le Canon romain, même en traduction. La traduction mauvaise a donc été liquidée par eux-mêmes. A quoi servait-il de tant discu­ter si le Canon romain pouvait être dit en français ? En vérité il s'agissait d'arriver progressivement à ne plus le dire du tout. Chaque « réforme » est bientôt « réfor­mée » à son tour. Quotidiennement ainsi, non seulement ils jettent leur enfant avec l'eau du bain, mais ils jettent jusqu'au bain. Les exemples de ce genre se multiplient sous nos yeux en tous les domaines. Dans les domaines profanes également, car c'est un trait constitutif de la barbarie moderne. 45:128 La réforme Edgar Faure fait sortir l'Université de son « immobilisme immémorial », nous dit-on, mais cet « immobilisme » présumé, est la qualifi­cation appliquée à l'Université mouvante de la réforme Fouchet, qui avait déjà tout bouleversé de fond en comble et n'était vieille que de deux ou trois ans. Même tabac, oui le même, pour le catéchisme. On se moque universellement de nous. Fût-ce dans l'intention louable de les transpercer de nos traits, nous n'allons pas suivre à la course ces cas­cades d'innovations en chute libre. Elles n'ont chacune guère de consistance ; elles n'ont pas de durée. Le nou­veau catéchisme de 1966, déclarant intégrer les « progrès de la pédagogie profane » de cette époque, c'était le catéchisme de la réforme Fouchet. On nous prépare maintenant celui de la réforme Edgar Faure. Ce ne sont qu'étapes, uniformément accélérées, d'une désintégra­tion totale. Nous ne pourrions qu'y gaspiller notre temps et nos forces. Quelques réfutations, quelques contro­verses ont paru nécessaires de 1958 à 1968 ; elles le sont de moins en moins. Nous entrons dans l'ordre des évi­dences fulgurantes. La seule question qui mérite un examen approfondi est celle des justes résolutions pra­tiques et de leur mise à exécution. ■ Nos réfutations, et ce que l'on appelle parfois nos « polémiques », n'en sont guère, ou plus du tout. *Elles sont uniquement pédagogiques.* ■ Elles enseignent à discerner le vrai du faux ; elles l'enseignent sur des cas concrets et réels, sur des textes et sur des faits, plutôt que sur des cas fictifs, rêvés ou trop vaguement énoncés. Elles éclairent ceux qui nous reçoivent. 46:128 Ceux qui ne nous reçoivent pas, nous allons plus loin sans nous y arrêter ; nous avons assez à faire ailleurs. Et ceux qui se veulent nos adversaires, nous n'entendons leur faire aucun mal, pas même verbale­ment : et d'ailleurs, si nous avions le vindicatif dessein de leur nuire, nous n'arriverions pas, et de loin, à leur faire autant de mal qu'ils s'en font. Dans leur triom­phalisme rutilant, dans leurs tonitruants faux-semblants radiophoniques, ils courent au néant. Si cela dépendait de nous, nous les sauverions plutôt. ■ Quelque lecteur s'y trompe encore, qui nous demande l'effet éventuel de nos observations et de nos critiques sur ceux qu'elles « visent ». Mais elles ne les visent pas. Elles ne cherchent à produire sur eux aucun effet. Elles n'attendent d'eux aucune réponse. Elles sont faites uni­quement pour l'instruction de nos lecteurs ordinaires : qui feraient mieux de s'interroger sur l'effet produit sur eux-mêmes, c'est-à-dire sur le profit qu'ils y trouvent et le parti qu'ils en tirent, car tel est notre seul but. Nous écrivons pour l'information, la documentation, la médi­tation de nos lecteurs : pour les aider dans leur prière quotidienne et leur devoir de chaque jour. ■ Notre livre *L'hérésie du XX^e^ siècle*, qu'on ne nous demande pas si « des évêques y ont répondu ». Il n'est pas écrit pour cela ; et cela n'a plus aucune importance ; et ce n'est pas ainsi qu'il faut le lire. Il n'est pas essen­tiellement une interpellation. Il n'attend aucune réponse des évêques. Il s'adresse à nos lecteurs ordinaires, dans le silence de leur réflexion attentive et studieuse. Non pour qu'ils entreprennent de réformer l'Église, et pas davantage de réformer les réformateurs de l'Église : 47:128 mais pour leur propre réforme intellectuelle et morale, chacun commençant par soi, et progressant de proche en proche, de prochain à prochain, selon son état de vie et ses responsabilités réelles là où il est, ce qui est le grand secret, secret à ciel ouvert mais souvent incom­pris, de la jeunesse éternelle et de l'éternelle fécondité de J'Église. L'avenir, même temporel, dépend de votre vie intérieure, de votre vie familiale, de votre vie pro­fessionnelle et des petites communautés chrétiennes que vous formez. C'est en tout cas le seul public auquel j'aie dessein de m'adresser. ■ Il vous faut cette année *réapprendre le catéchisme catholique.* Vous ne pouvez pas demeurer dans cet état de désarmement intellectuel et spirituel qui est, inconsciemment souvent, celui de la plupart d'entre vous. Les prêtres eux-mêmes, quelquefois parmi les meilleurs, ont perdu de vue le catéchisme catholique. Je répète que le Catéchisme du Concile de Trente a été fait pour les adultes, et d'abord pour les curés de paroisse, et qu'il n'existe aucun autre catéchisme romain. Il a été, ce catéchisme, oublié une première fois par les prêtres et par les fidèles, ce fut au XVIII^e^ siècle, et ce fut la Révolu­tion de 1789. Il a été au XX^e^ siècle oublié par la catéchèse même avant 1966, et même avant 1947, et même avant 1937 : et nous voici, bien sûr, en pleine subversion. La crise actuelle vous sollicite, chacun personnellement, de vous interroger sur vos connaissances religieuses. Non pas en fonction de la doctrine d'Ernest, de Jules ou d'Arthur, mais en fonction du catéchisme catholique. 48:128 ■ Étudiez en cellule le catéchisme catholique. *En cel­lule,* cela veut dire : un groupe libre et peu nombreux, se réunissant n'importe où, mais une fois par semaine, régulièrement. C'est beaucoup plus important que de polémiquer contre le très provisoire et déjà ancien « caté­chisme nouveau » de 1966. A son égard, il suffit de com­prendre qu'il ne contient plus les connaissances néces­saires au salut. Si l'on veut que continue le catéchisme catholique, il ne s'agit plus de pousser des cris, mais de le faire continuer en l'étudiant, en le pratiquant, en le vivant. ■ Et en l'enseignant. Mais rien ne s'improvise. Il faut d'abord l'étude, le travail et l'organisation. *Vous n'êtes pas seuls.* Les « consignes d'action » que nous donnons pour cette année scolaire dans les « Avis pratiques » à la fin du présent numéro vous procurent le moyen de susciter des rencontres : qui seront souvent inattendues. L'esprit de foi, ou pour ainsi parler l'instinct de la foi, a tendance à rejeter *spontanément* le nouveau catéchisme. Contre quoi la subversion, qui possède ou neutralise la quasi totalité des « moyens de communication sociale », met en scène et en œuvre un conditionnement artificiel, faisant croire à chacun qu'il est isolé dans son refus ou dans son malaise en face du national-catéchisme : qu'il est un hurluberlu, un « grotesque » comme disent *Le Figaro* et M. René Laurentin (26 octobre), une exception inconvenante. Ce n'est pas vrai. Distribuez comme nous vous l'indiquons (comme nous vous l'indiquons dans les « Avis pratiques ») tracts et brochures, vous constaterez que *vous êtes très nombreux :* et qu'en tout cas, où que vous soyez, vous êtes *plusieurs.* Cela suffit pour consti­tuer une cellule d'étude ([^13]). 49:128 De cette cellule, de son travail en commun et de sa prière en commun sortiront les initiatives locales, hardies et prudentes, fermes et discrètes, par lesquelles vous assurerez à vos enfants l'enseignement du catéchisme catholique. Mais vous ne leur assurerez rien du tout si vous continuez à l'ignorer ou à le connaître trop mal. On ne donne que ce que l'on a. ■ L'édition française du Catéchisme du Concile de Trente est interdite en fait. Aucun éditeur ne l'édite plus, aucun libraire ne la met plus en vente, sauf peut-être, par exception, quelque librairie de livres d'occasion. Il y en avait des exemplaires neufs au *Club du livre civique* (49, rue Des Renaudes, Paris XVII^e^), mais ils seront pro­bablement tous partis déjà quand vous lirez ces lignes. Je ne vois pas comment il pourrait être réédité cette année. Faites partout main basse sur les exemplaires qui en existent. Empruntez-le aux bibliothèques privées ou publiques qui consentiront à vous le prêter. Vous serez les premiers étonnés de constater combien de prêtres ne l'ont même pas en leur possession : témoignage déci­sif de la décadence du catéchisme en France. Mais vous finirez par en trouver ici ou là. ■ Tous vous avez déjà le Catéchisme de S. Pie X : c'est le numéro 116 de la revue *Itinéraires.* ■ Lequel de ces deux catéchismes recommandons-nous davantage ? -- Nous recommandons d'employer les deux simultanément. Les prêtres, les catéchistes, les familles doivent avoir l'un et l'autre sous la main. Chaque cellule doit se procurer au moins un exemplaire de l'un et un exemplaire de l'autre. S'agit-il donc d'apprendre par cœur des questions et des réponses ? 50:128 Pas forcément ; pas toujours ; point uniquement. D'ail­leurs le Catéchisme du Concile de Trente n'est pas rédigé en questions et réponses. Mais beaucoup d'entre vous éprouveront de plus en plus le besoin du par cœur et y viendront d'eux-mêmes. ■ Pour une cellule d'adultes qui veut véritablement être armée pour la défense de la foi, le mieux est d'étu­dier et de méditer, point par point et méthodiquement, chapitre par chapitre, le Catéchisme du Concile de Trente : et ensuite, chaque fois, à titre de résumé authen­tique et de sûr vade-mecum, d'apprendre par cœur le chapitre correspondant du Catéchisme de S. Pie X. ■ *Les connaissances nécessaires au salut* supportaient quelque approximation, quelque à peu près et quelques oublis quand il existait un minimum de traditions, de pratiques, d'habitudes, de liturgie romaine, d'encadre­ment social. Aujourd'hui l'agression contre la foi et la trahison sont permanentes, universelles, -- puissantes même à l'intérieur de l'Église. Vous devez réapprendre d'un bout à l'autre les connaissances nécessaires au salut : il y va de votre salut éternel et de celui de vos enfants. Non, les articles qui dans ce numéro de la revue parlent de Jean Guitton ([^14]) ou de *La France catho­lique* ([^15]) ne sont pas non plus une INTERPELLATION qui leur serait adressée. Ce sont des travaux pratiques sur du réel, pour vous exercer et éventuellement vous aider à l'indispensable discernement. Ce n'est pas contre eux. C'est pour vous. 51:128 ■ Nos écrits ne sont pas, ou presque jamais, des remon­trances aux grands de ce monde, qui d'ailleurs sont empêchés de les lire par toute sorte d'impossibilités extérieures ou intérieures, superficielles ou profondes. Nos amis, s'ils veulent entrer dans notre pensée, doivent bien comprendre qu'ils faussent les perspectives s'ils lisent la revue *Itinéraires* en supputant l'éventuel EFFET PRODUIT sur les grands de ce monde. Quel que soit le sujet traité, cela est écrit pour vous, amis lecteurs, pour votre instruction, pour vous venir en aide, pour vous inciter à réfléchir et à discerner, et à vous comporter en conséquence. La marche du monde dépend indirectement de nous tous : mais de notre prière, de notre vie intérieure, et de toutes les œuvres extérieures qui sortiront de cette prière et de cette vie. IL FAUT MULTIPLIER LES PETITES COM­MUNAUTÉS CHRÉTIENNES DE FAIT. Leur existence, leur den­sité, leur vivacité est cela seul qui permettra de tirer profit du meilleur, s'il advient, et de résister au pire, s'il se produit : dans la cité et dans l'Église. *Il n'y a point de malheur des temps,* disait Péguy : *tous les temps appartiennent à Dieu.* J. M. 52:128 ## CHRONIQUES 53:128 ### Éducation de l'adolescent par Luce Quenette ON M'AVAIT CHARGÉE d'un cours de Latin dans cette école très chic qui réunissait les jeunes gens en convalescence à la montagne. La petite classe de Philosophie était au bout du couloir, elle devait être pleine de soleil, face au Mont Blanc. J'entendais la voix du pro­fesseur, haute, distincte, son cours n'était pas fini, j'écou­tai donc. Je compris qu'on en était au développement de la personne, à la jeunesse, on résumait, on résumait par Freud -- la voix appuyait sur libido, refoulement, le *ich* et les « moi » superposés, le sexuel omniprésent : les mêmes termes revenaient dans des combinaisons, descriptives, dites d'un ton sans réplique, comme le récit hallucinant d'un spéléologue descendu dans les profondeurs sombres et rap­portant vaniteusement ses horreurs. Que se passa-t-il ? Je me représentai les jeunes têtes que l'on bourrait ainsi, les jeunes corps tourmentés auxquels on réduisait leur âme, ce démantèlement de la personne à l'âge vainqueur où elle s'élance...Vous est-il arrivé d'attaquer avant d'avoir résolu d'attaquer ? J'ouvre la porte, je vois deux tout jeunes gens penchés sur leur stylo -- je vois la dame agrégée qui dic­tait libido -- je m'entends dire. « Est-ce là, Madame, ce que vous appelez l'éveil de la personne ? parlez-vous à des organes ou à des âmes ? La jeunesse humaine, c'est la rai­son enfin consciente de l'affirmation du Vrai, l'acte de la jeunesse c'est le jugement, l'âme est maîtresse du corps qu'elle anime ». 54:128 Je n'oublierai jamais les trois regards : les yeux des deux gosses encore embués d'ennui, brusquement amusés, luisants de malice vers la dame agrégée, toute rouge, la main sur son Sigmund Freud, palpitante de droit outragé. Je dis : « Je m'excuse, Madame, mais vous comprenez, la jeunesse ce n'est pas cela, vous les désarmez quand ils ont tant de force. » Elle se lève, elle part -- les suites furent orageuses, l'épilogue immédiat, gai. « Vous avez bien fait, me dit l'un des garçons, vous savez, de sa libido on en a ras la caisse ! » Alors je médite aujourd'hui sur l'avènement de l'ado­lescence. Comment la génération des maîtres et des parents reçoivent-ils ce prince nouveau qui entre au palais de la jeunesse. Quatorze ans, quinze ans, seize ans. Comment les recevons-nous pour que de ces années ra­dieuses, leurs souvenirs soient si souvent lourds, impurs, « énervants » (ce terme équivoque de vaincu) ? Cette adolescence, on l'appelle crise, puberté, âge ingrat, âge difficile, années inquiétantes ; et on la nourrit de pro­grammes sans poésie, on l'excite à la « situation », au « dé­bouché », et si le malheureux « travaille en classe » on s'inquiète peu de ses yeux troubles, de ses lectures de hasard, de ses gestes incertains ou on les « comprend » (misérable et fausse charité) comme l'insécurité et le tourment pas­sager d'un malade -- d'un vieil enfant chargé de chaînes. « Quand il eut douze ans, ils l'emmenèrent avec eux à Jérusalem... Ils le trouvèrent au milieu des Docteurs, les écoutant et les interrogeant et tous ceux qui l'entendaient étaient dans l'admiration de sa sagesse et de ses réponses. » « Et il leur dit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne savez-vous pas qu'il faut que je sois aux choses de mon Père. » « Ils ne comprirent pas. « Mais sa mère gardait cette parole dans son cœur. « Il vint avec eux et il leur était soumis. » C'est toute l'adolescence. Rien n'est plus Grâce que l'ado­lescence. Le Fils de l'homme n'en est-il pas l'exemplaire puisqu'Il a racheté dans sa Grâce charmante et toute-puis­sante votre enfant à vous. 55:128 Si vous l'avez gardé pur, ou si, le sachant souillé petit par les camarades (hélas, hélas) vous l'avez rudement mené à la conversion, porté à la confession, redressé dans cet âge adulte de l'enfance, facilement équilibré, qui précède les années décisives, alors vous le verrez entrer comme le jeune David allant au camp voir ses grands frères. Le pied vif, en tunique de berger, il apporte aux soldats les fromages des troupeaux paternels. Mais les frères sont tristes, ils répondent à peine à son salut, David suit leurs regards... tous contemplent le géant Philistin, Goliath, qui défie entre les deux camps, les hommes d'Israël. David voit comme ils ont peur. Il rougit pour eux, son cœur n'est que fierté, que désir de combattre, la Grâce l'inspire, il va trouver le Roi : « Si vous voulez, dit-il, j'irai et je le tuerai, et je délivrerai mes frères. » Avant d'être jaloux, on a pitié. Cet âge ingrat est bien hardi, cet inexpérimenté est bien insouciant. Le Roi lui fait endosser sa belle armure, l'en­fant sourit, il dit merci et prestement, derrière une haie, il dégrafe et laisse tomber la lourde protection du monde. Regardez-le, pieds nus dans le torrent, sagace, avisé, triant quelques cailloux ronds pour sa jeune victoire. Voilà l'éveil du jeune homme et sa puissance. Avant que de les nourrir de ces belles apparitions, esti­mez vous-mêmes la valeur unique de ces années rapides. Je suppose que vous n'avez pas ri de sa timidité, que vous n'avez pas dit, méprisant, devant lui : « Il n'aime pas sortir, il n'est guère sociable, j'en vois de si dégourdis à son âge, il a horreur des filles, je voudrais tant qu'il cherche un peu à plaire » ; et enfin, pour résumer : « Il n'a pas confiance en lui-même ! » Si vous dites toutes ces bêtises, vous ternirez la Grâce. Cette réserve un peu sauvage et rarissime, ne la troublez pas, respectez-la. Cette crainte de soi-même, c'est la pudeur, faites-la vite consacrer à la Sainte Vierge, donnez l'arme si commode et rustique du chapelet, et surtout ne demandez pas qu'il soit de plain-pied avec ce que les adultes appellent la vie, et qui n'est que plaisir et galette. Ne lui demandez pas « d'avoir confiance en soi », non-sens pour un chré­tien, vieillissement du cœur. 56:128 On vous dit : parlez-lui de son corps, avertissez-le, mu­nissez sa curiosité. Assurément. Il faut bien. Hélas, pour le préserver de l'immonde « initiation », pour l'arracher à la saleté technique scolaire. Vous aurez de la peine. Mais je vous donne l'infaillible moyen : estimez la beauté de l'adolescence. Parlez-lui de cette aurore de la raison. « Estimez la raison. » On leur parle sentiment, on ne leur dit pas que la raison, étincelle divine, image et res­semblance, « marque de l'ouvrier sur son ouvrage », signe sur nous du Visage de Dieu, *signatum euper nos vultus tui*, est la base et la lumière sans quoi rien n'est possible. Facul­té du Vrai, nourrie du Vrai, à la recherche de son évidence, elle chante en toutes ses œuvres : Dieu est. Celui qui critique la raison, celui qui lui oppose le sen­timent, un je ne sais quoi émotif irrationnel, croit échapper au rationalisme. Il n'en est rien. Le rationalisme, c'est l'usage de la raison contre Dieu. Ce qui est contre la nature même de la raison, laquelle nous dit : Dieu est infini, il m'est donc raisonnable de le proclamer incompréhensible, infiniment au-dessus de ma raison. La soumission à l'Infini, c'est la plus belle « démarche » de la raison, et l'adoles­cent formé à cette école goûte et comprend que « cette humi­liation de la raison est la plus, conforme à la raison ». Depuis sa petite enfance, il a l'habitude du vrai -- mais mainte­nant, avec ses 14 ans, sa raison a grandi, elle est puissance d'analyse et surtout de synthèse, -- d'abstraction. Tout est reflet de Dieu, tu le sais bien, mon cher enfant, depuis que tu pries et tu pries depuis tes premiers mois ; mais cette idée de Dieu, contenu de ta raison, va s'éclai­rant, maintenant tu sais abstraire du sensible l'intelligible, nourriture de pensée et précision (petite) sur Dieu infini. Toute ta dignité est dans la pensée. Un pouvoir naturel immense t'est donné contre la chair c'est-à-dire contre les tentations de la concupiscence et du monde. Sur cette belle raison, Dieu a enté sa belle Grâce. Et quand vient l'adoles­cence, si la raison est nourrie du Vrai, la Grâce éclate et grandit. 57:128 C'est le moment, petit soldat de Jésus-Christ, d'entrer résolument dans le combat et de t'occuper des choses de ton Père -- car tu ne nous appartiens pas, tu es à Dieu et sa voix va se faire entendre à mon cher Samuel. Tu ré­pondras : « Seigneur, votre serviteur écoute. » La poésie, l'immense beauté de l'art va se précipiter dans ton cœur, attention, tu vas croire que tout pour toi se change en amour. Mais tu n'es rien sans la volonté. Ta volonté, c'est cela ton amour. La nourriture de ta volonté, c'est le Bien. La sagesse éclairée par la Foi nous l'apprend : vouloir c'est aimer ; aimer c'est vouloir le Bien. Nous ne sommes libres que pour servir le Dieu parfait. Parents, réfléchissez : vous êtes arrivés, par la prière, l'étude du Catéchisme, la méditation, l'estime de l'homme racheté, à faire comprendre, vivre et prononcer par votre adolescent cette splendeur : la volonté, c'est la faculté spi­rituelle par laquelle, la raison nous ayant montré le Vrai, nous aimons librement le Bien. Notre volonté, c'est notre amour. La fin de notre volonté selon le dessein de Celui qui l'a créée, c'est l'amour de Sa divine Beauté. L'enfant se lève, son visage resplendit d'intelligence, la clarté de l'évidence baigne ses traits où se dessine encore l'enfance, où paraît l'aimable dureté de l'homme. Il sait, il comprend. La voix mêle le soprano finissant aux notes déjà graves. L'Amour n'est pas pour lui l'émoi troublant des sens, s'il l'éprouve, c'est pour le juger et le gouverner, car l'Amour est pour lui indissolublement uni à la raison, à la volonté, et toute force lui vient de la Grâce racinée puis­samment dans la nature, nature connue, définie, crainte, offerte à Dieu, *castra *: rempart déjà solide, où grandit la vertu, castra digne de toute préservation. C'est dans ce camp (« castra ») à l'enseigne de Jésus-Christ, que l'explication infirme de la chair infirme entrera sans désordre. Mais de cette chair dont on envahit la chas­teté adolescente pour en massacrer toutes les protections, nous reparlerons selon les normes de Pie XII -- au moins pour mesurer le désastre du temps, et pour faire étinceler le devoir des Parents et nous l'appellerons « mission de la Virginité dans l'éducation ». \*\*\* 58:128 Vous me dites : où sont-ils ces adolescents d'idéal -- en avez-vous vu ? Vous rêvez ! Nous voulons du réalisme ! Eh bien, c'est du réalisme. Une élite se lève, pleine de faiblesse encore, mais bien vivante et bien résolue et j'écris sous leur réalité, et ils ont 15 ans en 65 -- 66 -- ou 67 ou 68. Mais actuellement, continuez-vous, vous l'avouez vous-mêmes, nos enfants sont tous pervertis ! Pervertis ! En­tendons bien le terme. Je sais qu'ils n'ont pas gardé la pureté de leur baptême, je sais que les œuvres de Satan, par l'enseignement impie, sont entrées dans leur cœur. Mais un perverti, c'est celui qui cherche le bien pour en faire le moyen du mal, c'est celui qui appelle Jésus Belzébuth, le « mordu » de ce satanisme de révolution qui se révèle par un scepticisme railleur, et une inattention maladive, et le dégoût de la Sainte Vierge. Au train où vont les éducateurs depuis le mois de mai, et le « Fonds obligatoire », il y en aura des pervertis. Moi je parle d'adolescents formés comme j'ai dit -- le perverti est rare car il est contre nature. Mais l'adolescent d'aujourd'hui doit être un *converti*. Et la con­version à cet âge doit être brutale, dure comme une chirur­gie sans anesthésie ; mettant le cœur en face de son avenir éternel, de sa déchéance, pour mieux donner la seule dou­ceur infinie de la miséricorde de Jésus, et la porte ouverte sur une jeunesse renouvelée, véritable. Le R.P. Calmel l'a si bien expliqué (seulement je n'ai pas ici la référence) : tout ce qu'on enlève à la conscience du péché, dit-il, on l'enlève à la miséricorde délicieuse, à la tendresse merveil­leuse du pardon. Bref, le contre-pied des procédés du psychiatre. En effet, quels que soient les torts de la famille ou de l'école, c'est le péché personnel, la responsabilité réelle de l'adolescent devant Dieu qu'il faut lui rendre évidents. Que nous en avons vu de ces troubles figures où l'enfance sert la fourberie, où les yeux tour à tour malicieux et in­quiets signalent l'emprise du mal. Un je ne sais quoi dans le regard avertit cependant que l'âme veut sa délivrance. Je me souviens qu'un dimanche de printemps, un père exaspéré et une mère en larmes poussèrent dans notre cour un gamin au rire faux : « Renvoyé de partout ! » gémissaient-ils. 59:128 Nous l'avons emmené seul, et une voix sé­vère lui a dit : -- Crois-tu en Dieu ? -- Oui. -- Alors, pour­quoi n'as-tu pas peur ? Regarde ta vie. Tes péchés sont dans ton rire. Tu ne penses tout de même pas sauver ton âme en tuant ta mère ? L'enfer est pour tes semblables, le crois-tu ? -- Oui. Les yeux s'emplirent de crainte et de raison, il dit : -- C'est vrai. -- Alors, va leur dire que ton cœur est changé. Nous t'essaierons huit jours. Tu te con­fesseras de tous tes péchés. On verra après. Il est resté cinq ans, et c'est à celui qui lui tint ce rude langage qu'il a attaché son cœur fortement. Il lira ces lignes et je sais bien ce qu'il nous écrira tout de suite. En cet âge béni, l'âme affleure sans ambition terrestre, dégoûtée du mal et souple au relèvement. Vous direz : souple aussi à la rechute. Je répondrai : non, si vous pré­servez par la raison, la vertu dans le surnaturel. Pourquoi attendre « l'année terminale » pour ces notions de l'éternelle philosophie que je viens de dire. Tout le christianisme nous y porte, l'âme y est toute prête : « La doctrine chré­tienne nous manifeste Dieu et Ses infinies perfections bien plus clairement que le font les facultés naturelles... par la Foi, qui vient de l'intelligence, par l'Espérance qui vient de la Volonté, par la Charité qui vient du cœur, et ainsi elle soumet tout l'homme au souverain Créateur et Maître. » (Pie X, *Acerbo nimis* sur l'enseignement de la Doctrine Chrétienne.) Ainsi l'adolescent pénètre dans la lumière avec une fermeté et une tendresse qui ne se contredisent pas entre elles, mais qui sont d'une qualité unique en cet instant de la vie. *Fermeté* parce qu'*il n'a pas d'intérêt temporel *: la Véri­té, la Beauté lui montrent leur visage absolu. Il appelle l'avenir, mais sous le nom pur de vocation. *Tendresse* aussi... défiant de lui-même, mais ardent, *il brûle de servir.* *-- *Non, dites-vous, il brûle d'indépendance, d'insolence, il rejette, il secoue... 60:128 -- Oui, en apparence, parce que vous ne l'avez pas nourri de raison, de volonté, de grâce, et alors cette raison impétueuse sans objet évident, loin de Dieu, mais vivante et méchante, *critique,* raille et se mord elle-même. Le juge­ment, cette affirmation du vrai, devient affirmation de soi, surtout quand l'entourage lui a montré comme idéal un voyou débrouillard et cynique. Tenez, pour comprendre cette sotte servitude qui tour­mente l'adolescent mal éclairé et qu'on appelle : soif d'in­dépendance, écoutez cette petite « drôlerie » authentique : Le Papa en visite à la Péraudière. La porte de la salle d'étude est ouverte, le fils, 15 ans, peut entendre comment son père s'emploie à excuser ses sottises : « Que voulez-vous, à cet âge, j'enrageais d'être soumis. A 17 ans, dans une soirée, je me dis : tu vas danser avec cette belle fille en rose qui te fait peur. Eh bien, je n'ai jamais osé l'inviter, -- et dans mon coin, j'en voulais à mon Père et à ma Mère. Et je me disais : tu n'as appris qu'à obéir. Alors je résolus de prendre le contre-pied de tout ce que j'entendrai et quand on me dirait : voici un poulet noir, d'affirmer : c'est un poulet blanc... » (doux anarchiste direz-vous, anarchiste quand même !). Je réponds au Monsieur : que dire le contraire résolu­ment, c'est encore laisser résolument l'initiative à autrui. Je parle fort pour que le fils comprenne. Il comprit. Le soir, à table, c'est lui qui enlève le couvercle de la soupière. C'était un potage brun, bien brun, aux lentilles. Il me regar­de, et souriant : « Pour l'indépendance, dirai-je : voici une belle soupe blanche au lait ? » La puérilité de l'anarchisme lui était apparue. Mais notre adolescent, notre disciple de Jésus an Temple, notre David, notre Samuel familier de Tarcisius et de Dominique Savio, le nôtre cherche sa vraie servitude. L'adolescent chrétien sait qu'il « n'a pas à opter entre la liberté et la servitude -- mais à choisir *où il situe sa servitude et où il situe sa liberté*. La religion du Christ l'affranchit *autant qu'il sait le vouloir*, des tyrannies maté­rielles : celles des habitudes physiologiques, celle de la force brutale et de l'argent -- mais c'est qu'en même temps, il s'est fait *esclave de Dieu *»*.* Ces lignes de « Ils ne savent pas ce qu'ils font » (p. 175) font partie du cours sur la liberté à La Péraudière. Les figures de 16 ans sont belles, qui les écoutent. 61:128 Cette alternative, ce noble choix de servitude, cette autre chevalerie apparaît, en effet, à l'adolescent. Il en a, si son âme est pure, la première vision étincelante : « Au jeune homme demeuré pur, le Divin Maître propose sous la forme d'une invitation et la promesse d'une récompense, un idéal *de sainteté parfaite* (Pie XI, *Sing. illud*) ; de par la disposi­tion de la Providence, la jeunesse est ainsi faite que, soit pour la culture intellectuelle et morale, soit pour la forma­tion générale de la vie, selon l'esprit chrétien, elle ne peut réaliser aucun progrès *sans se soumettre à la direction d'autrui*. » La plus haute démarche d'un adolescent dans cette voie de servitude, qui scelle sa vraie liberté, *c'est de se chercher un Maître.* A quinze ans, un enfant vertueux juge le caractère éphé­mère de la vie -- et son caractère d'épreuve unique. Rien n'est plus sérieux. Et alors, ce cœur frémissant, qui ne demande pas le bonheur, mais le Maître, comment le recevons-nous ? « Le livrons-nous, crédule et sans défense -- crie Léon XIII -- à des *maîtres suspects*, ou à des *maîtres éprouvés *? » (Léon XIII, *Quod in novissimum*, 10 avril 1887). J'ai dit : « qui ne demande pas le bonheur, mais le Maître admirable ». Je le répète, l'adolescent de nos jours sombres, le vrai, ne demande pas à la vie d'être heureux. Il ne prie pas la Vie, mais Dieu, et il cherche l'absolu. Le « je ne vous promets pas de vous rendre heureux sur la terre » de Notre-Dame de Lourdes, ils l'ont entendu. Et ils jugent sévèrement « la recherche tenace du bonheur » de la génération qui les a précédés. Les jeunes chevaliers remettent en honneur dans leur vie la « condition de voyageurs » qui est celle du chrétien et ils chaussent les rapides sandales de l'Espérance surna­turelle. Tout bien examiné, c'est là le point qui pourrait diviser, si l'on n'y prend garde, les deux générations, car il faut les croire, là-dessus, c'est eux qui ont raison. 62:128 Dans notre cantique à la Sainte Vierge, les voix vibrent d'enthousiasme à ce verset-là : *Nous ne demandons pas le bonheur sur la terre* *Nous savons qu'il faudra combattre pour la Foi* *Nous attendons de toi la force et la lumière* *Reste bien près de nous, debout contre la croix.* Parents, connaissez-vous rien de plus frais et de plus sublime que les jeunes voix qui chantent : « Nous ne de­mandons pas le bonheur sur la terre. » Ils demandent un maître pour les mener à Dieu -- un Maître humain pour les mener au Maître divin. Dangereux, mortel désir. Les abandonnés se jettent sur le caïd, les pervertis se jettent sur un Cohn Bendit. Et les nôtres ? Pères, où êtes-vous ? Que j'en ai vu des adolescences brisées *parce qu'elles étaient pures*. Que de fois j'ai entendu la phrase fatale : « Vous l'avez si bien formé, il a eu de si bons maîtres, il est solide maintenant, il faut qu'il se frotte au grand nom­bre, il se gardera ; il ne craint plus rien. » Mon Dieu, quelle méconnaissance de l'enfer moral où on les jette ! Mais surtout quelle destruction soudaine de l'élan de servitude et d'admiration ! Pères, où êtes-vous ? Le plus grand malheur de notre activisme, c'est l'absen­ce du père au moment où s'élancent ces 13 ans, 14 ans, 15 ans vers la Vérité. Épier cet éveil, écouter cette voix, regar­der ce visage sérieusement, le père n'y pense pas. Le plus grand événement de la vie du fils passe inaperçu. Cette grande fleur éclot sur un frais sommet sans qu'un regard la contemple. Elle est fragile ; elle meurt si vite dans le cy­nisme ou l'hypocrisie. 63:128 Mais le père est suroccupé, tiraillé, éreinté, il songe « avec ténacité » à ce bonheur qu'il veut pour les siens. La mère quelquefois trouve le grand silencieux, lointain, elle est prise par les soins, les caresses, les urgences d'amour des plus petits. On demande à l'adolescent l'examen de passage -- les concours -- on lui permet beaucoup de choses, il va en classe de neige, il prend l'avion, il fréquente les agences, combine ses voyages, séjourne en Angleterre, tout est paré pour son avenir -- mais les « grandes pensées et les vastes desseins » qui brûlent son cœur restent ignorés, ou bien un sourire amusé (assassin) les détruit brusquement quand sa soif d'un maître l'a fait approcher du père, non du papa surmené et gentil, qui embarque les bagages dans la voiture, qui reçoit ses clients, qui téléphone au bureau, qui prévoit les vacances, papa ingénieur, papa directeur commercial... Non, mais « le Seigneur Père ». Le Seigneur Père, c'est encore de nos jours le paysan -- l'adolescent arrête plus facilement les yeux et l'attention de son père laboureur parce qu'il travaille avec lui -- ses congés sont pour la terre. C'est vrai que « l'exploitation familiale » est le milieu privilégié de la possible intimité. Dès que la piété règne dans la maison des champs, l'esprit de contemplation vient plus facilement qu'au soir où la ville rend à la famille son pauvre chef épuisé. Mais ce sera toujours une œuvre de volonté. L'adolescent espère « le penseur » de la maison, celui qui comprendra, peut-être, comme c'est beau ce que le maître a expliqué en classe, Socrate, Corneille, saint Augustin, la stratégie de Scipion, l'amitié de Nisus et d'Euryale, ou bien « la fuite à Varennes » : « Si tu savais, papa, c'était si clair, ah si les officiers de l'autre côté de la rivière avaient suivi le retour, et attaqué ; avec le professeur, on croyait y être ! » C'est le début des grandes confidences, des élans vers l'art et vers l'héroïsme. Vous voulez des faits, j'en ai beau­coup d'authentiques. J'entrai au dessert dans la famille. Éclats de rire, propos animés. Six enfants, l'aîné 16 ans, boudait. *Le Père :* Nous organisons les vacances, il faut installer la caravane, ça n'intéresse pas Monsieur ! *Une sœur* rieuse : ce qui l'intéresse, ce sont les Carthaginois. -- L'aîné lève les yeux, le rouge envahit le front, je sens la colère le dévorer. 64:128 *Le Père :* Oui, il veut nous faire partager son enthousias­me pour son professeur de Tite Live... *L'aîné,* farouche : Je ne *veux* rien, je trouve qu'ils (le regard désigne les frères et sœurs qui s'esclaffent) disent tous des bêtises. *Le Père* qui a humé l'insolence : Tu insinues que *nous* disons tous des bêtises -- et tu préfères les Carthaginois ? Où vis-tu, mon ami ? Je ne sais ce qu'il a, il n'est pas de la famille. Le garçon jette sa serviette, de rouge il est pâle. Un sourire sec que je trouve sinistre, la porte claque. C'est fini. Il ne dira plus rien. Car de Tite Live et de l'art du professeur à la beauté de l'histoire, à la civilisation, à la gloire, à la valeur de la vie, le chemin était direct, si deux yeux graves l'eussent regardé. Une mère et une tante amènent un jour un onze ans aux yeux bleus endormis. La jeune tante me dit « Il fait le désespoir de son père, les autres sont si vifs et « marchent si bien ». Moi j'ai confiance qu'il est intelligent. Voici pour­quoi : à 7 ans, on l'a mis à l'école du village, l'institutrice était communiste et ce gosse est devenu un petit rouge mi­litant (c'était en 1961). Il croyait en la Révolution, figurez-vous -- et il savait sa vilaine histoire par cœur. On s'en souciait peu. Moi j'ai voulu le sauver par l'intelligence, je l'ai eu en vacances, je lui ai fait visiter toutes les merveilles du Bourbonnais, et devant les statues mutilées, les portails massacrés, il entendait le guide expliquer que c'était là l'œuvre des révolutionnaires. D'autres fois, il apprenait que ce monastère, ce cloître avait été « préservé de la Révolu­tion ». Au bout du mois, mon bonhomme me dit sans une hésitation, très paisible : « Vous aviez raison, la Révolution, c'est le mal. » -- Alors j'ai expliqué, et il est fervent d'his­toire ; par là vous formerez son âme. » Ce qui arriva. Du garçon endormi, la Vérité fit un adolescent réfléchi, judicieux, plus intelligent que volon­taire. Le professeur l'encourageait à briser la froideur injustifiée de son père. Le gamin revenait de sortie : « J'ai dit à Papa, j'ai expliqué à Papa, Papa est très content. » Vision charmante. 65:128 Un lundi, je revois Philippe les yeux mornes, la bouche tremblante. Qu'y a-t-il ? -- J'ai dit à Papa : je suis heu­reux -- Je sais m'a-t-il répondu, on t'a bien développé, maintenant je suis fier de toi, je vais t'enlever de ton petit collège, tu iras dans une grande boîte, comme j'y suis allé, et tu verras d'autres gens et d'autres idées. J'ai dit : Je ne veux pas, je serai malheureux. Mais il a ri et il m'a dit : C'est un chagrin qui passe à ton âge... Je revis la jeune tante : « Hélas, me dit-elle, il s'est confié ! Au lieu de le voir sage, on l'a vu brillant. Ce sera un lâche, car la volonté n'était pas à la hauteur de l'épreuve. Je comprends seule et je ne puis rien. » \*\*\* L'histoire suivante est terrible, elle est vraie. Je ne sais de quelle école et de quel maître était venue la conversion, la plénitude, l'éclosion de l'âme, je ne l'ai jamais demandé. Il avait 15 ans, c'est la mère qui parle : « Il nous célébrait toujours cette école et ce professeur. Et puis son père a décrété un brusque changement. L'enfant se révolta, irrité avec son père, suppliant avec moi. Mon Dieu, ce qu'il me disait était beau et touchant, mais je ne me donnai pas la peine de l'écouter, je riais, je disais -- à ton âge... Alors cet enfant a prononcé des paroles extraor­dinaires, qui me brûlent le cœur, aujourd'hui : si vous m'arrachez mon maître et mon école, je ne sourirai jamais plus. J'ai ri, encore ! Son jeune visage, à mon fils, allons donc ! Son père a haussé les épaules. Et il a quitté ce maître sage que nous dédaignions. Le pauvre petit n'a plus souri. Il était paisible, poli, toujours sérieux. Que n'aurais-je donné pour un éclat de rire, pour une détente, pour une confiance. L'habitude sinistre est venue, le mystère de l'âme s'est établi. Et il est parti en Algérie -- la guerre -- il nous a quittés grave, sans sourire, et il est mort. Je n'ai jamais revu le visage, je n'ai jamais su ce que nous avions brisé : quinze ans : insondable. » 66:128 Et voici textuelle, sous la plume d'un religieux, la confi­dence sacrée de son adolescence : « J'avais treize ans, horreur de la classe. J'étais dans une école dirigée par un fort brave prêtre surmené qui, sen­tant autour de lui la corruption et la sottise, intervenait de loin en loin en colères rouges, coups de pieds et gifles reten­tissantes. Entre temps, les salauds étaient fort tranquilles. Je les fuyais, mais dans le vide et le désespoir de mon cœur. La soif d'un maître, d'une admiration me torturait. L'ac­quisition laborieuse de sciences inutiles me semblait affreu­sement vaine. A quoi bon ? Cependant j'étais chrétien. Ma Mère m'avait saintement inculqué l'horreur du péché. Je voulais mon salut, mais mon âme flottait dans un désarroi que je mettais toute mon énergie à dissimuler. Mes Parents me donnaient les conseils que donnent tous les bons Pa­rents : travaille, apprends, fais ton devoir, pense à l'avenir. Mais ce travail me paraissait dérisoire, ridicule, bon pour la mort. Je me souviens qu'un jour de printemps, seul sur la route verdoyante de mon école, je reconnus le chant de la tourterelle. Une prière soudaine me brûla le cœur : « *Mon Dieu, envoyez une voix, un maître de cette terre pour m'en­seigner votre beauté -- je veux la beauté -- par la beauté, j'apprendrai à vouloir. *» « Je sus que j'étais exaucé. Cette voix, je la connus, le soir, à la radio. Depuis longtemps, dans mon ignorance pourtant complète de la musique, j'en étais mystérieuse­ment averti. Ce soir-là, aux premières notes de la troisième ouverture de Léonore, j'avais trouvé mon maître : Beetho­ven. Dieu me l'envoyait. Je pris deux résolutions : celle de recueillir chaque jour, âprement, cette voix, et celle de cacher sous l'air le plus bête ma découverte et mon bonheur. Ma vie était transformée. La beauté la plus mâle l'avait saisie. Comment résumerais-je cette formation lente d'un gamin de 13 ans par le vieux génie, à l'insu de tout l'entou­rage. Un livre n'y suffirait pas. Cependant, j'essaie en ces quelques maximes : 67:128 « *Tous les tourments du cœur peuvent être gouvernés par la Beauté, dans l'œuvre d'art, quoi qu'il en coûte, et pour la gloire de Dieu. La beauté veut règle et construction, l'âme domine le sentiment, et l'immortelle Beauté domine l'âme. *» « L'air bête me réussit au-delà de mes espérances. En famille, en classe, je passai pour un peu imbécile. Mon secret en était enchanté. Ils me trouvent tous idiot, pensais-je avec volupté, mais ils ne connaissent pas Beethoven ! » « Un jour, je trouvai Pie XII qui pensait comme moi. » « J'ai été comblé d'autres grâces, mais le Maître de l'Héroïque et le grand Pape poète furent à la racine de ma vocation. J'emportai le baccalauréat et on me trouva intel­ligent. » \*\*\* Les témoignages, s'il ne fallait se réduire, me pressent de partout. Le temps de la persécution est arrivé. L'adoles­cent est l'enjeu du progressisme. J'en reviens à ma suppli­cation : *Où êtes-vous, Parents ?* Et j'affirme sur l'expérience la plus vive, la plus quotidienne que si le grand nombre désertent devant le massacre des innocents, l'élite, mainte­nant, se lève ; des pères et des mères écoutent, une union se forme avec les maîtres rares, fidèles à l'éternelle Église, à la civilisation chrétienne. Et je sens aujourd'hui que j'écris pour des cœurs inquiets, des pères qui désirent honorer fermement l'adolescence -- devenir des maîtres respectés et pieux, et même qui veulent élever « *parmi les enfants *» des saints à Jésus-Christ. « Il y aura des saints parmi les enfants » (Pie X). Des parents qui veulent préparer des prêtres pour le temps où le Cœur de la Sainte Vierge triom­phera, où il faudra précipiter dans la moisson d'indompta­bles ouvriers. Des parents que je vois vivre ont compris devant Dieu ces choses que je rappelle en ordre : 1\) l'adolescence est donnée pour être belle, belle comme l'aurore ; 2\) elle se prépare par une enfance pure ou elle se purifie par une rude conversion, une conversion catholique, c'est-à-dire sacramentelle, non par une consultation psychiatrique *toujours impie* ([^16]) ; 68:128 3\) l'adolescent chrétien cherche la servitude de l'absolue vérité ; 4\) les parents doivent épier cette soif d'absolu dans la prière et l'inquiétude, au lieu de se réjouir d'un petit maî­tre de la terre avisé et débrouillard, adapté aux techniques de la vallée de larmes ; 5\) le *sérieux* enfin, doit recevoir l'adolescence. Le sé­rieux -- ni la flatterie, ni la facilité, ni la complaisance. \*\*\* Voyez encore l'histoire sainte, comment le grand prêtre Héli agit avec le petit Samuel. Héli était bon et pieux. Mais il avait manqué de fermeté avec ses deux fils, lesquels étaient devenus impies et sa­crilèges. Il savait que Dieu l'en punirait sévèrement. Il était clairvoyant et repentant. Et il avait élevé avec un grand soin l'enfant élu : Samuel. C'était son cher fils spirituel. Or, une nuit, l'enfant entendit une voix qui l'appelait : Samuel, Samuel ! Il ne douta pas que ce fût celle de son père Héli. Et il alla frapper à sa porte. Père, dit-il, vous m'avez appelé. Le bon Héli le rassura et lui dit d'aller reposer. L'appel se fit entendre une deuxième et une troi­sième fois ; une deuxième et une troisième fois l'enfant cou­rut à son Père. Or Héli prit la chose au sérieux. Il connais­sait la sagesse de son petit disciple, il pressentait que Dieu se servirait de sa grave innocence et il attendait peut-être ainsi le châtiment promis à sa faiblesse. Courbé sous la main puissante, l'humble vieillard dit à l'enfant : Si la voix se fait encore entendre, réponds : « Parlez Seigneur, votre serviteur écoute. » 69:128 Quelle sagesse ; quelle mesure, quel respect ! L'épilogue nous fait trembler : Alors Dieu parla pour la quatrième fois et sa voix chargea le pauvre petit d'une terrible : révé­lation : « J'ai déclaré à Héli que j'allais juger sa maison à cause de ses deux fils. Le crime de la maison d'Héli ne sera expié ni par des sacrifices, ni par des oblations. » Le lendemain, nous dit le texte sacré, l'enfant ne courut pas embrasser son cher maître, tremblant d'une mission au-dessus de ses forces il ouvrait tristement les portes du sanctuaire. Héli vit le trouble sur le visage si pur. Il l'appela dans le respect de son cœur brisé et le pria bonnement de lui répéter la parole de Justice. Méditez ce puissant récit. Tout est digne, grave et ce­pendant exactement mesuré à la portée d'un tout jeune cœur. L'éducateur, avec une héroïque humilité, salue la vocation, mais comme la servitude absolue au Dieu parfait. Vous accepterez une autre histoire : On menait à la mort une fille de Juda, Suzanne, accusée d'adultère par deux misérables. Et la foule les crut « parce qu'ils étaient vieillards et juges d'Israël ». Alors Suzanne s'écria à haute voix : « Dieu éternel, qui connaissez ce qui est caché... vous savez qu'ils ont rendu un faux témoignage contre moi et maintenant, je meurs sans avoir rien fait de ce que leur malice a inventé ». Le Seigneur exauça sa prière. Comme on la conduisait au supplice, il éveilla l'Es­prit Saint dans un jeune enfant « *pueri junioris *» Daniel. Et ce garçon se mit sans crainte à crier à haute voix « pour moi, je suis pur de ce sang ». A la voix frémissante de ce gamin, l'Écriture nous dit : « Tout le peuple se tourna vers lui », *conversus omnis po­pulus ad eum*. On sait ce qui s'en suivit. « Et le sang inno­cent fut sauvé », *in die illa *: « pour cette fois », ajoute tris­tement l'auteur sacré. \*\*\* 70:128 Laissons-nous frapper par ces augustes récits. Le sérieux qui non seulement accueille mais suscite les vraies confi­dences, demandez-le, père et mère, à Celle qui reçut la tragique et étrange déclaration de son adolescent : « *Pourquoi me cherchiez-vous ? ne faut-il pas que je sois aux choses de mon Père ? *» Elle se tut et conserva la parole charmante et terrible dans son cœur, jusqu'au sacrifice du Prêtre éternel. Prier ; méditer ; tenir ferme le douze ans, interdire la bêtise, permettre et partager la gaîté, stopper la bouffonne­rie, parler de Dieu, désirer d'un désir fervent l'éveil du saint amour dans la volonté du *pueri junioris*, quelle tâche, quelle ambition merveilleuse ! Lisez *Jordi, mon fils* de José-Luis Martin Vigil (Casterman) : rien n'a ouvert à son père le cœur de Jordi, ni la tendresse, ni la complaisance, ni les jeux partagés, ni même la sévérité, ni la douleur, ni la pitié. Et soudain, comme hors de lui-même, le père ulcéré, oubliant l'âge du petit, révèle sa vie héroïque, son martyre chez les rouges, et la sublime amitié chrétienne d'un compagnon de douleur, confidence d'homme jamais dévoilée. L'enfant, écrasé d'amour parce qu'écrasé d'admiration, devient le fils disciple, en dépit de la chair. Il est de moins tragiques et pourtant profondes preuves de cette entente exquise. Je me souviens de ce papa, un peu goguenard, qui vient inscrire son treize ans à la Toussaint -- le gosse baisse gaîment le nez : -- « Oui, je l'amène, dit le père. Il s'est bien arrangé ; il avait combiné l'affaire avec son aîné, votre élève, il a fait grève au lycée. J'ai compris, c'était pour l'amour de la Vérité ! Les fins de mois seront plus sévères, mais il faut que je récompense la sainte malice. » Louis lève un œil radieux, ils rient tous les deux. Et papa soupire : « ils avaient mis leur mère dans le coup. » Mon dernier récit : Voici, à Pâques, des parents paysans qui viennent de bien loin. En nous voyant pour la première fois, nous nous sommes reconnus. Je veux dire ce qu'ils ont fait pour un de leur fils prédestiné : « Nous vivons tous unis dans la Foi, les mêmes principes -- huit enfants -- le travail de la terre -- la vie dure très aimée -- nous souffrons ensemble de l'hérésie. 71:128 Mon E. veut être prêtre, c'est ce que nous désirons le plus. Il est au séminaire. Madame, j'ai senti tout d'un coup qu'il souffrait, que ça ne marchait plus, comment dirai-je ? j'ai senti que ça se so­viétisait autour de lui. Nous sentons tout ce qui se passe dans le cœur de notre enfant. Je pars, on me dit qu'il a la grippe -- je le vois : « *Je n'ai pas la grippe, Papa, je veux partir, j'ai peur de perdre ma vocation, on nous marxise, on nous arrache à notre Foi. *» Je lui ai dit : sois tranquille, je t'emmène et je te trouverai un saint prêtre ; une sainte Maison, je te dis que tu seras à Jésus-Christ. -- J'ai été trouver le Supérieur, je l'ai écouté sans dire un mot, m'ex­pliquer que mon fils n'était pas dans le vent de la Nouvelle Église. Je suis paysan, je suis patient, je sais faire peur, je voyais ses mains tortiller un coupe-papier et l'enfiler dans son étui de plus en plus vite. J'ai dit : C'est bien, je sais, je l'emmène, c'est tout payé. Alors la Sainte Vierge a pris la chose en mains. Je connaissais un prêtre saint. Il a vu mon E. Ça n'a pas traîné. Il m'a dit : menez-le là où règne l'esprit du Père Emmanuel. Mon enfant s'y est trouvé heureux d'un seul coup. C'est que nous le connaissions, nous ne voulions pas perdre le trésor de Dieu. » Peut-être, la prochaine fois, nous pourrions « faire la classe » et expliquer, en ce sens, la tragédie de Corneille qui traite magistralement de la question, Cinna. Corneille est le professeur de grandeur qui convient à l'adolescence. A moins qu'un autre sujet nous oblige. -- Nous nous plai­rions, peut-être, à reproduire pour vous cette classe de Cinna où nous apprenons à l'adolescent la noble passion du Maître, la passion de la grandeur. Luce Quenette. 72:128 ### L'Université livrée à l'obscurantisme marxiste par Étienne Malnoux La Révolution marxiste l'emporte à l'Université. Mais c'est « la révolution par la loi ». En septembre-octobre 1968, les féodalités marxistes déjà installées à l'intérieur de l'Université y ont reçu, en fait, la réalité du pouvoir : elles l'ont reçu de l'État, du ministère de l'Éducation nationale et des Assemblées législatives. C'est la suite logique de la précédente « réforme » universitaire, la réforme Fouchet, dont Étienne MALNOUX avait analysé le contenu et annoncé les conséquences, en 1966, dans nos numéros 104 et 105. Il nous expose maintenant ce qu'il faut savoir sur l'actuelle prise en main de l'Université par les féodalités marxistes. J. M. -- L'octroi d'une certaine autonomie aux établissements d'enseignement supérieur qui déterminent eux-mêmes leurs statuts et leurs structures internes (art. 7) ; -- La possibilité pour les « unités de recherche et d'enseignement » de se constituer en Universités « pluridisciplinaires » associant « autant que possible des disciplines littéraires et scientifiques » (art. 4) ; 73:128 -- La *participation des étudiants* aux conseils d'administration des établissements dans des conditions qui préservent néanmoins les prérogatives des enseignants, et selon des modalités qui assurent la régularité et la représentativité du scrutin, notamment *l'institution d'un quorum de 60 %* et l'exclusion des étudiants de première année (art. 8 et 9) ; -- L'éventuelle association à ces conseils de « personnes extérieures » (art. 8) ; -- La cooptation des « enseignants permanents » d'un établissement par des enseignants d'un rang au moins égal (art. 23) ; -- La possibilité pour ces établissements, en plus des enseignants permanents, «* déclarés aptes par une instance nationale à exercer les fonctions pour lesquelles ils sont recrutés *», de faire appel à des personnels contractuels : «* chercheurs, personnalités extérieures et, dans la mesure du possible, étudiants qualifiés *» (art. 22) ; -- Un certain équilibre entre l'indépendance pédagogique, puisque les établissements « déterminent leurs activités d'enseignement, leurs programmes de recherche, leurs méthodes pédagogiques, les procédés de contrôle et de vérification des connaissances et aptitudes », et la nécessité de maintenir l'unité des « programmes d'études conduisant à des grades, titres, ou diplômes nationaux relevant du ministère de l'Éducation Nationale » (art. 14-15) ; -- La substitution de stages d'orientation à la sélection (art. 16), l'information des étudiants sur les problèmes de l'emploi et sur les débouchés éventuels de leurs études (art. 17) ; « l'accueil de candidats déjà engagés dans la vie professionnelle, qu'ils possèdent ou non des titres universitaires » (art. 18) ; l'organisation de « l'éducation permanente » (art. 19) ; -- L'assouplissement du contrôle financier de l'État (contrôle a posteriori) et la possibilité de disposer de ressources propres, legs, donations et fondations, rémunérations de services, fonds de concours et subventions de collectivités publiques (art. 20) ; 74:128 -- La régionalisation de l'enseignement supérieur, con­crétisée par l'institution d'un *conseil régional de l'enseignement supérieur et de la recherche*, composé de représentants élus, enseignants et étudiants, des Universités, des établissements d'enseignement supérieur indépendants de ces Universités, et, pour un tiers, de personnalités extérieures représentatives des collectivités locales et des activités régionales. Ces conseils *contribuent* à la prévision, à la coordination et à la programmation de l'enseignement supérieur et de la recherche... *ils donnent leur avis* sur les programmes et sur les demandes de crédits des universités et autres établissements d'enseignement supérieur (art. 5) ; -- La sauvegarde de l'unité de l'enseignement supérieur sur le plan national *par un conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche*, émanant, par scrutin secret et collèges distincts, des conseils d'Université et des conseils d'établissement, et exerçant auprès du ministre les attributions de conseil et d'avis actuellement dévolus au conseil de l'enseignement supérieur (art. 6) ; -- La garantie de « *franchises universitaires *» aux enseignants et aux chercheurs, qui « jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes d'objectivité et de tolérance » (art 25) ; -- L'octroi aux étudiants « *de la liberté d'information à l'égard des problèmes politiques, économiques et sociaux, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche, qui ne prêtent pas à monopole ou propagande, et qui ne troublent pas l'ordre public *», dans des locaux... « distincts des locaux destinés à l'enseignement et à la recherche et extérieurs aux enceintes hospitalières » (art. 27). Telles sont, en gros, et sommairement résumées, les principales et plus marquantes dispositions de la loi d'orientation élaborée par M. Edgar Faure et ses collaborateurs (MM. Alliot, Antoine, Trorial, etc.) et votée à la quasi unanimité par l'Assemblée nationale et par le Sénat, avec quelques amendements mineurs. \*\*\* 75:128 En apparence, dans l'absolu et dans l'abstrait, du point de vue de Sirius, et en négligeant les faits actuels, cette loi ne serait peut-être pas mauvaise. Dans l'absolu et dans l'abstrait, dans une Utopie à la Thomas More, dans une Cité Idéale fondée sur le civisme et la vertu républicaine, où le bon sens et l'intelligence seraient les choses du monde les mieux partagées, où la tolérance et le respect d'autrui seraient effectifs, la « loi d'orientation » de M. Edgar Faure pourrait apparaître comme le couronnement d'un système libéral et judicieusement équilibré, qui ferait une juste part au besoin d'autonomie et de diversité, comme à la nécessaire unité nationale, dont l'État est l'instrument et le garant. Ne serait-il pas naturel, dans une telle société, que les futures élites de la nation s'initient et s'entraînent, dès l'Université, à la vie politique, sociale, économique, dans des « debating societies » comparables à celles où s'exerçaient à Oxford ou à Cambridge, les futurs dirigeants de la « Mère des Parlements » ? N'est-il pas légitime et désirable, « *dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche, qui ne prêtent pas à monopole ou propagande, et qui ne troublent pas l'ordre public *», que « *les étudiants disposent de la liberté d'information à l'égard des problèmes politiques économiques et sociaux *» ? Qui pourrait s'élever là-contre ? ni M. Edgar Faure, certes, ni les politiciens de l'une et l'autre assemblée ! Participation de représentants élus des étudiants à toutes les instances universitaires, où la compétence des étudiants peut normalement s'exercer ? Pourquoi pas, si ces étudiants représentent vraiment leurs camarades, et s'ils sont animés de la seule et louable émulation de travailler au meilleur fonctionnement de leur Université, d'assurer les meilleures conditions d'études, de garantir la valeur des titres et diplômes qui seront décernée à leurs camarades ? 76:128 Pourquoi pas un quorum de 60 %, suffisant pour garantir une certaine représentativité, tout en respec­tant la liberté de s'abstenir ? Qui, d'ailleurs, dans ce meil­leur des mondes, songerait à se dérober au devoir électoral de la vertu républicaine ? Pourquoi pas des conseils régionaux et nationaux, si l'on sait que leurs avis judicieux seront sagement écoutés par le meilleur des ministères possibles dans la meilleure des républiques possibles. Dans l'abstrait et dans l'absolu, sur une feuille de papier vierge, quelle chimère biscornue ou merveilleuse ne peut-on s'amurer à dessiner ? Celle de M. Edgar Faure n'est pas pire qu'une autre. \*\*\* Mais en octobre 1968, la France, sous la V^e^ République, constitue-t-elle vraiment cette société idéale de paix sociale et politique, de tolérance idéologique, de prospérité écono­mique, de souverain bon sens qui seule permettrait le fonc­tionnement normal de cette « loi d'orientation » ? Tout se passe comme si le ministre et ses collabora­teurs s'étaient abstraits dans quelque autre planète, pen­dant que se déroulait en France la Révolution de mai 68 ; comme si les députés avaient oublié (Français, vous avez la mémoire courte !) ladite révolution marxiste et la terreur qui, répandue dans la nation, provoqua l'élection de la majorité d'entre eux. Or tout est faussé par la redoutable réalité des faits. Si elle parvient à être mise en place, cette innocente chimère a toutes les chances de se muer en un monstre qui risque d'anéantir en peu de temps ce qui nous reste encore d'être national et de civilisation. La Révolution marxiste de Mai a échoué dans le pays. Les élections ont été un écrasement de tous ceux qui, de près ou de loin, avaient misé sur cette révolution. La France massivement a dit non à cette révolution. Mais il y a un point où la révolution a réussi : l'Université. 77:128 A Paris, certains bastions, comme l'Institut d'Anglais et l'Institut de Géographie, n'ont jamais été nettoyés de leurs occupants marxistes (enseignants et étudiants), et ont servi de base pour la réoccupation de la Sorbonne, en toute quiétude, dès que celle-ci a été rouverte. Les étudiants occupants de ces Universités d'été ont été payés par les « comités d'action » sur les fonds desdits Instituts. Certes, la Sorbonne n'est pas toute l'Université de Paris, et Paris n'est pas toute la France. Nancy n'a pas été touché par la Révolution culturelle ; à Paris même, grâce à la fermeté de son doyen, le professeur Zamansky, la Faculté des Sciences est beaucoup moins atteinte que celle des Lettres. Mais dans l'ensemble, toutes les Universités, à Paris comme en province, sont plus ou moins dominées par des autorités de fait, de véritables Soviets universitaires, issus de la Révolution de Mai. Et ce qui se passe à la Sorbonne a pour le reste du pays une valeur exemplaire et symbolique : c'est l'Université pilote de la Révolution culturelle. \*\*\* Essayons donc de saisir la situation de fait à la Faculté des Lettres de Paris. Le doyen élu par l'assemblée plénière révolutionnaire de mai (comprenant tous les enseignants de la Faculté, pro­fesseurs, maîtres de conférence, maîtres-assistants, assis­tants, sous la surveillance d' « observateurs étudiants »), M. Las Vergnas, est toujours en place. Il semble prisonnier de la révolution culturelle, et dépourvu de toute autorité réelle. 78:128 Les groupuscules révolutionnaires extrémistes ont exigé de lui le report des examens du début à la fin d'oc­tobre, et il a dû s'incliner. Ayant accordé au M.U.R. (Mou­vement universitaire pour la Réforme) un amphithéâtre pour une réunion au sujet des examens, il fut dans l'inca­pacité d'empêcher un groupe révolutionnaire d'expulser par la violence des organisateurs de cette réunion. La cour de la Sorbonne est de nouveau la base stratégique exclu­sive des communistes prochinois qui y vendent en toute tranquillité leur littérature et apposent leurs affiches sur les panneaux mis officiellement à leur disposition. Les pro­fesseurs qui osent contester cette occupation de fait et cette propagande unilatérale sont insultés, menacés, *frappés,* en toute impunité. Le professeur Deloffre, secrétaire général du Syndicat autonome des Facultés des Lettres a été assailli et frappé ; il est quotidiennement menacé de mort par les étudiants maoïstes ; le secrétaire du SNESup, M. Herzberg, l'a menacé de « règlement de compte », ainsi que ses collègues, dès la rentrée : aucune sanction n'a été prise contre les auteurs de ces menaces. A une délégation du M.U.R. composée de professeurs les plus éminents (MM. Le Bonniec et Picard entre autres) qui protestaient avec indignation sur la manière dont il faisait respecter les libertés politiques, le doyen a dû répondre qu'*il ne voyait d'autre solution que la création de groupes d'autodéfense par ceux qui voulaient avoir le droit de s'exprimer à la Sorbonne*. En d'autres termes, un retour avoué au règne des grandes compagnies, milices privées, gangs, mafias etc., ou si l'on préfère, la guerre civile. L'assemblée plénière, « le plenum » qui devait se subs­tituer à l'assemblée révolutionnaire de mai et comprendre à parité des représentants des enseignants, des services administratifs, des étudiants, n'a semble-t-il, jamais pu être constituée, en raison des dissensions interminables provoquées par sa composition. La Faculté des lettres s'est finalement « sectorisée », c'est-à-dire fractionnée et brisée en secteurs et sections, en fiefs pratiquement indépendants. C'est une anarchie féo­dale. Chacune de ces sections s'est créé, au petit bonheur, ses statuts particuliers, sans trop se soucier de ce qui se passait ailleurs. Si les sections d'histoire ancienne, de latin et de grec semblent avoir traversé la tourmente sans trop de dommages, d'autres sections ont été profondément bou­leversées par la Révolution culturelle. 79:128 L'énorme section d'Anglais, par exemple (17 profes­seurs, 32 maîtres assistants, 13 lecteurs, en 1967-68) est maintenant dirigée par un « conseil exécutif » de 54 mem­bres, 27 enseignants et 27 étudiants, issu de la Révolution. Le président en est le professeur Culioli, structuraliste marxiste, reconnu semble-t-il comme autorité légale par le doyen et le ministère, et persona grata du reste, puisque c'est à lui qu'a été confiée la direction du futur « centre pluridisciplinaire » d'Antony. Les étudiants membres du conseil sont évidemment les dirigeants de l'UNEF, les en­seignants membres du SNESup, avec l'adjonction de quel­ques membres du SGEN ou de non syndiqués. L'astuce a consisté, bien entendu, à introduire dans ces conseils révo­lutionnaires quelques bonnes poires modérées, infiniment flattées d'avoir été mises dans le coup et complètement inof­fensives, ce qui permet de dire : « Vous, voyez bien que nous ne sommes pas des extrémistes et des sectaires, il y a parmi nous une opposition modérée ». Juste ce qu'il faut pour se donner des airs de démocratie et de tolérance. En fait, c'est le SNESup qui fait la loi, et toutes les décisions du comité exécutif sont préalablement élaborées par la cellule syndicale. Des assemblées générales croupion des étudiants et professeurs ont lieu de temps à autre. Elles sont menées, organisées et préparées par les dirigeants révolutionnaires en place ; les ordres du jour sont toujours incomplets, où l'on a soigneusement omis de mentionner les dispositions importantes annoncées à l'improviste au moyen d'une motion toute prête, sortie à la dernière minute, et que l'on fait voter tambour battant en essayant d'en éviter la discus­sion. Cette tactique réussit d'autant mieux que seule une faible proportion des étudiants a été prévenue ou s'est dé­placée. 80:128 A la dernière assemblée générale, des étudiants de licence (certificat I, première année du 2^e^ cycle), sur un millier d'étudiants inscrits, cent cinquante environ étaient présents et la décision de dispenser d'examen un certain nombre d'étudiants après consultation de fiches pédago­giques et sociales par des « jurys » mixtes d'étudiants et d'enseignants fut finalement votée par quelques cent trente personnes (sur un millier d'étudiants). Des résultats très différents seraient certainement obtenus si les votes étaient obligatoires. Les « examens » se sont déroulés dans des conditions anormales et irrégulières, contraires aux règlements en vigueur, aux proclamations ministérielles, aux dispositions de la future loi d'orientation qui précisent bien qu'en au­cun cas des étudiants ne peuvent participer aux jurys d'exa­men. Pour le Duel (diplôme universitaire d'études litté­raires, 2, année du 1^er^ cycle), des *jurys mixtes de 4 ensei­gnants et 4 étudiants* ont procédé à *l'examen des fiches* de chaque groupe de travaux pratiques... Environ 80 % des étu­diants ont été ainsi reçus au DUEL *sans examen*, les 20 % sont autorisés d'ailleurs à passer l'examen normalement. La proportion moyenne jugée normale de succès aux exa­mens en Anglais était de l'ordre de 30 %. Il est donc évident que, les conditions de travail de l'année 1967-68 ayant été particulièrement mauvaises, le DUEL 1968 est dépourvu de toute valeur. Pour le certificat I, la proportion des dispensés d'exa­men a été beaucoup plus, faible ; mais l'examen lui-même a été réduit à un oral. L'écrit devait consister en une disser­tation littéraire et une version. Les licenciés d'Anglais n'auront donc pas eu à faire la preuve de leur capacité à écrire, à s'exprimer et à penser en Anglais. La présente d'observateurs étudiants avait été prévue *près* des Jurys. Il convient d'admirer la subtile ambiguïté des termes : lesdits « observateurs » ne font pas partie des jurys : ils sont seule­ment présents « près » des jurys. Les réticences de certains professeurs, le refus de quelques autres de participer à de tels jurys a déchaîné la colère du conseil exécutif, mais semble avoir aussi provoqué le retrait des observateurs étu­diants auxquels on a dû conseiller de s'absenter. 81:128 Depuis plusieurs années, l'Institut d'Anglais est « noyauté » et même colonisé par le SNESup. L'arrivée de certains professeurs « linguistes » comme MM. Culioli et Baquet a été le début d'une ère nouvelle. La nécessité de recruter un très grand nombre de nouveaux assistants a permis à ces nouveaux patrons très actifs, implantés dans les nouvelles structures, d'introduire leurs camarades et créatures massi­vement dans la place, selon des critères linguistiques et politiques. Quelques exceptions servent de couverture. Beaucoup d'enseignants n'apprécient pas ces procédés « dé­mocratiques », mais ils acceptent, par crainte, par ambi­tion, par lâcheté, par indifférence, par aveuglement. Dès maintenant, des commissions diverses ont entrepris des réformes du contenu et des méthodes de l'enseigne­ment : suppression de l'agrégation et du CAPES remplacés par un concours unique purement linguistique, amputa­tion du certificat L du tiers des auteurs au programme (4 au lieu de 6) car l'ambitieux et mirifique projet de réforme ne permet pas l'étude de six ouvrages dans l'année. Les cours magistraux sont évidemment supprimés ; à la place, on fera de la coordination, de la méthodologie : *tout sauf étudier les textes du programme.* Dirigisme, embriga­dement, caporalisation. A de rares exceptions près, per­sonne n'ose s'opposer aux diktats pédagogiques. Réduits au rôle d'agents enseignants, les professeurs courbent l'échine avec l'espoir, peut-être chimérique, que ces sys­tèmes rigides et a priori ne résisteront pas à l'épreuve de la réalité. A l'Institut de Géographie, la situation est similaire, comme il ressort de ce texte que nous empruntons à « *Liber­tés Universitaires *» (Revue bimensuelle d'information n° 1, publiée par les syndicats autonomes des Facultés des lettres et des Facultés des Sciences : 10, rue Saint-Louis-en-l'Ile, Paris IV^e^) : « L'Institut de géographie est, en apparence, plus tran­quille, car les communistes orthodoxes y font la loi. Pour­tant, la situation n'en est pas moins dramatique pour les étudiants non-marxistes. « Depuis bientôt six mois, l'Institut de géographie de Paris est occupé par les tenants de la « révolution permanente ». A quinze jours d'hypothétiques examens, quelle est la situation ? 82:128 « Une commission paritaire issue des innombrables assemblées générales de mai et de juin, dans laquelle les éléments modérateurs ou simplement apolitiques ont été systématiquement écartés, impose ses « diktats ». C'est ainsi que cet organisme illégal a décidé que les examens de licence seraient passés sous la forme d'oraux, qu'en cas d'échec à une épreuve et si les autres notes ne suffisent pas à le rattraper, un candidat pourra, la demi-journée sui­vante, repasser l'épreuve devant un autre jury, jury dans lequel pourraient siéger pour l'examen de première année des étudiants membres du « Comité d'action »... De plus, l'université d'été, organisée sous de fallacieux prétextes à l'Institut, n'a eu qu'un but, qu'un objectif : préparer l'agi­tation à la rentrée et transformer l'Université au service de la Nation en une base d'agression contre la société. Que dire également des chercheurs élus par tous les étudiants et non par leurs collègues qualifiés, et que penser enfin et surtout de certains, manifestes des « autorités de l'Insti­tut » qui, en juin, menaçaient d'exclusion de la communauté géographique et brandissaient l'excommunication contre ceux qui ne passeraient pas sous les fourches caudines de la Révolution ? » \*\*\* Nous nous excusons auprès de nos lecteurs de cette lon­gue énumération de détails fastidieux. Nous la croyons ce­pendant nécessaire pour comprendre concrètement la si­tuation de fait à la Sorbonne. Quel remède la « loi d'orientation » apporte-t-elle à cet état de fait révolutionnaire ? Tout s'est joué sur une disposition essentielle concernant le vote des étudiants et qui donne à la loi sa véritable orien­tation : *quorum limité à 60 % ou vote obligatoire.* *On peut dire en gros que le vote obligatoire aurait assuré la déconfiture de l'U.N.E.F. et des groupuscules révolution­naires ; au contraire, la limitation du quorum à 60 % permettra, en règle générale, aux marxistes de conserver la majorité dans les conseils, et livrera donc légalement l'en­seignement supérieur à la révolution culturelle marxiste.* 83:128 La commission des affaires culturelles familiales et sociales de l'assemblée nationale avait modifié l'article 9 du projet de loi ministériel par l'amendement suivant. « *Les représentants des diverses catégories d'électeurs dans les conseils des unités d'enseignement et de recherche, dans les conseils des universités et dans les conseils des autres établissements à caractère scientifique et culturel sont désignés par vote obligatoire et secret en collèges distincts. *» Cette obligation de vote concernait donc aussi bien les enseignants que les étudiants. Dans la plupart des instan­ces universitaires, le vote des professeurs est obligatoire. On ne voit donc pas pourquoi il ne le serait pas pour les étu­diants. Seuls s'y sont violemment opposés ceux qui savent bien qu'ils en seraient les victimes, les « démocrates » du S.N.E.Sup., de l'U.N.E.F. et des groupuscules révolutionnai­res. Au point de vue pratique, l'organisation d'un tel vote ne présente aucune difficulté : la carte de l'étudiant est tamponnée au moment du vote ; ce tampon est obligatoire pour que l'étudiant puisse se présenter aux examens, comme l'est à l'heure actuelle celui qui atteste que l'étudiant a subi la visite médicale obligatoire. L'obligation de voter concerne la masse des modérés, des indifférents, ceux qui ne veulent pas faire de politique, qui oublient de venir ou qui ont la flemme de se déranger ; ceux encore que la chienlit universitaire écœure, que le spectacle des barbus castristes et le déploiement officiel et paisible de la propagande maoïs­te révulse ; ceux qui craignent les puces et exècrent la crasse et les mauvaises odeurs. Dans l'ensemble, des étu­diants et étudiantes qui, contraints de voter, se prononce­raient contre les listes de l'U.N.E.F. et les listes révolution­naires, assurant ainsi la défaite du marxisme. L'article 9 finalement voté par les deux assemblées est ainsi rédigé : 84:128 « Les représentants des étudiants sont élus au scrutin de liste à un tour, sans panachage ni vote préférentiel, avec représentation proportionnelle. Des dispositions seront prises pour assurer la régularité du scrutin et la représentati­vité des élus, notamment par l'interdiction des inscriptions électorales multiples dans deux ou plusieurs unités d'ensei­gnement et de recherche et par l'institution d'un quorum qui ne peut être inférieur à 60 % des étudiants inscrits. Si le nombre des votants est inférieur à 60 % des étudiants inscrits le nombre des sièges attribués est fixé en proportion du nombre des votants par rapport à ce chiffre. » Ce quorum doit permettre aux marxistes de se mainte­nir en place. Notamment à la Sorbonne. Installés à peu près partout d'une façon exclusive et totalitaire, disposant de moyens puissants de propagande et de « dissuasion » à l'égard des mouvements adverses, ayant déjà mis en place leurs institutions et leurs agents, il sont l'espérance justifiée que la loi d'orientation leur profitera, et qu'ils seront les bénéficiaires de l'autonomie. Tenant les différents organes des Universités, ils seront les maîtres de la situation et la « loi d'orientation » sera bel et bien la légalisation de l'état de fait, c'est-à-dire de la Révolution culturelle. On peut douter en effet que les dispositions qui seront prises pour assurer la régularité du scrutin et la représentativité des élus ait plus d'effet pratique que les mesures qui sont prises par le doyen et le ministre pour assurer la « liberté d'information des étudiants à l'égard des problèmes poli­tiques, économiques et sociaux, dans des conditions... qui ne prêtent pas à monopole ou propagande, et qui ne trou­blent pas l'ordre public ». Il est probable que le quorum de 60 % ne sera pas atteint en raison de l'abstentionnisme et des répugnances des « modérés ». Le nombre des représen­tants étudiants en sera donc proportionnellement diminué ; mais la proportion des marxistes dans la représentation des étudiants s'en trouvera augmentée. On pourra objecter que l'U.N.E.F. a fait savoir qu'elle ne participera pas aux élections et engagera les étudiants à n'y pas participer sous prétexte que « le quorum de 60 %, qui n'a jamais été exigé pour les élections professionnelles, donne la parole à ceux qui n'ont rien à dire ». Cela fait partie de la tactique révolutionnaire de la contestation per­manente : on doit lutter contre l'État bourgeois, la société de consommation et le pouvoir personnel, même quand il vous octroie tout ce que l'on demande ; on doit refuser ce qui vous est offert pour le prendre de force. 85:128 Il est possible que l'U.N.E.F. empêche que les élections aient lieu ; elle en a les moyens pratiques. Mais nous avons tout lieu de penser que le point de vue réaliste du S.N.E.Sup. l'emportera : M. Culioli, qui s'était signalé au printemps par son irréductible opposition au pouvoir gaulliste, à la société bourgeoise, etc., proclamait récemment sa satisfaction à l'égard du projet gouvernemental de « loi d'orientation », notamment sur le point du quorum. Il est vrai qu'entre temps, le ministre lui avait offert la direction du centre d'Antony. Aurait-il suffi de ce pourboire pour rallier un chef révolutionnaire authentique au pouvoir personnel et à la société bourgeoi­se ? Du reste, une motion commune du S.N.E.Sup. et du S.G.E.N. en date du 10 octobre mettait en garde l'Assemblée Nationale contre les amendements proposés par la commis­sion des affaires culturelles. « *Ces amendements, notam­ment l'instauration du vote obligatoire pour les étudiants* (...) *et la mise en cause de la parité, vident de son contenu le principe de la cogestion et condamnent pratiquement son application*. » \*\*\* Mais, objectera-t-on, le ministre et ses collaborateurs ne sont-ils donc pas au courant de ces faits ? Les parlementai­res n'ont donc pas été avisés, prévenus, éclairés ? Comment expliquer cette unanimité des deux Assemblées à voter une « loi d'orientation » qui favorise si manifestement la révolution marxiste ? Comment expliquer en outre que seuls les communistes se soient abstenus de voter une loi qui devrait les combler d'aise ? Disons tout de suite que c'est précisément l'unanimité des deux Assemblées à voter la loi de M. Edgar Faure qui a permis aux communistes de s'abstenir de voter une loi qui livre l'enseignement supérieur au marxisme et de rester cependant inconditionnellement fidèles à leur opposition systématique « au pouvoir personnel et à la société bour­geoise ». 86:128 M. Edgar Faure et ses collaborateurs ont été avisés des divers dangers que comportait leur projet de réforme, en particulier par les délégations du Syndicat autonome des Facultés des lettres, de la Société des Agrégés, du Mouve­ment Universitaire pour la Réforme, par M. Zamansky, doyen de la Faculté des Sciences de Paris, etc. Le ministère n'a pas voulu voir, a refusé d'entendre. Ou plutôt, il n'avait d'oreilles que pour les cloches du S.N.E.Sup., de l'U.N.E.F., du S.G.E.N., etc., qui furent seuls consultés, seuls conviés aux commissions d'étude et d'élaboration du projet de loi. *Plus l'interlocuteur était marxiste, révolutionnaire, enragé, plus il était considéré comme valable.* On est en droit de s'interroger sur les intentions du réformateur. Il semble que pour un grand bourgeois radical et franc-maçon comme M. Edgar Faure, champion de l'esbroufe parlementaire, de la répartie brillante et du compromis politique, arriviste, incroyant en quoi que ce soit, intelligent et cynique, maquignon par habitude, déma­gogue par profession, l'attitude du marxiste révolutionnaire, doctrinaire et sectaire, soit parfaitement inintelligible. Ha­bitué aux marchandages de comices agricoles ou électoraux, aux compromis d'intérêt, l'ancien ministre de l'agriculture qui est si brillamment parvenu à dindonner la paysannerie française semble parfaitement incapable de comprendre l'absolutisme révolutionnaire des intellectuels marxistes. Peut-être espère-t-il les tromper, comme il a fait pour les paysans ? C'est ce qu'on pourrait attendre de mieux de cet ambitieux retors qui louche avec concupiscence sur l'hérita­ge du vieux général. Peut-être l'habile homme juge-t-il inoffensive une agitation révolutionnaire limitée aux encein­tes universitaires, puisque l'ensemble du pays a repoussé la Révolution ? Il semble que le risque d'une révolution mar­xiste violente immédiate est provisoirement exclu. Quel danger par conséquent à abandonner des « places de sûreté » aux marxistes dans un but d'apaisement, quand on sait qu'ils y sont prisonniers ? C'est ce qu'a dit le ministre à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'assemblée nationale, le 26 septembre 1968 : 87:128 « En ce qui concerne la police, il ne faut rien changer du tout. Actuellement, le droit commun me permet d'agir. Je l'ai fait d'ailleurs l'autre nuit à Nanterre. Par consé­quent, nous disposons de tous les moyens. D'autre part, nous maintenons l'idée que les autorités universitaires disposent des pouvoirs de police. En outre, un article général prévoit que lorsque l'établissement ne « marche » pas, le Ministre ou le recteur peut prendre les décisions nécessaires. Il s'agit de l'article 13. Cependant le droit commun nous permet beaucoup. Dans les mêmes conditions, le recteur peut prendre des mesures conservatrices. Il peut y avoir urgence et nous n'allons pas laisser péricliter les bâtiments de l'État ou autoriser des troubles. Cette disposition est très suffisante. » Mais c'est sur ce point précis que ce raisonnement poli­tique nous paraît erroné et terriblement périlleux. La place de sûreté universitaire est fondamentale dans notre être national. Quelques années d'Université et d'enseignement marxistes suffisent à accomplir en douceur une « révolution culturelle » à la chinoise ; de même qu'un cancer, au bout de quelques années, anéantit l'organisme le plus robuste. L'Assemblée nationale elle aussi a été dûment avertie. La commission des affaires culturelles et familiales a prêté une oreille particulièrement favorable aux avis qui lui étaient donnés, comme en témoignent les amendements pro­posés par la dite commission. M. Robert Poujade, président de l'U.D. V^e^, déclara même à une délégation du M.U.R. que le projet de loi d'orientation lui paraissait tellement mau­vais qu'il le jugeait inamendable. *Les députés de la majorité ont formulé les critiques les plus justes et les plus sévères du projet ministériel.* Cependant, les bons mots, formules percutantes, pitreries, brillants sophismes de M. Edgar Faure ont séduit certains. Le ministre de l'Éducation Natio­nale est un parlementaire consommé, rompu à toutes les roueries du métier : il sait les formules et maîtres-mots auxquels un authentique parlementaire ne saurait résister. Quant aux plus récalcitrants qui avaient élaboré les critiques les plus pénétrantes et les mieux informées du projet de loi d'orientation, le poids du glaive du Général, jeté in extre­mis dans la balance, les a finalement réduits à l'obéissance. 88:128 L'attitude de M. Robert Poujade, agrégé des lettres, pro­fesseur de Khâgne et fort au courant des problèmes univer­sitaires est particulièrement symptomatique : « Notre groupe soutiendra loyalement une application loyale de la loi. Notre confiance, je le pense, unanime, va à Celui Qui en a inspiré les principes, qui vous a chargé, Monsieur le Ministre, de les mettre en œuvre sous le con­trôle du premier ministre, et qui ne nous a jamais déçus ni trompés. » C'est donc au chef de l'État lui-même qu'il convient d'attribuer la responsabilité de cette « orientation ». Quant au Sénat, il fut mieux informé, comme en témoi­gne le copieux rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles par M. André Cornu. Parmi les auditions figurent celle de M. Demoule, président de la Société des professeurs de Français et de langues anciennes, de M. Nepote, président du mouvement des étudiants de Nanterre, de M. Deloffre, secrétaire général du Syndicat autonome des facultés des lettres, de M. Guy Rayet, président de la Société des Agrégés, de M. Solanet, secrétaire général du M.U.R., de M. Jacques Perret, professeur à la Sorbonne, de M. Paul Malliavin, professeur à la Faculté des Sciences de Paris, maître de conférence à l'École Polytechnique, du Comité étudiant pour les libertés universitaires, de M. Herz­berg, secrétaire général du S.N.E.Sup. ; « mise en mesure de présenter ses observations, l'U.N.E.F. n'a pas cru devoir répondre à l'invitation de la commission ». Toutefois, Monsieur le Ministre de l'Éducation Nationale, ancien sénateur, sut trouver pour convaincre ses anciens collègues menacés, dit-on, d'une prochaine expropriation, des arguments très persuasifs *:*... « *Je crois pouvoir dire que l'audace et la jeunesse ne sont pas intruses dans notre mai­son *». A combien l'amour ne revient-il pas aux vieillards ! \*\*\* 89:128 Il paraît donc difficile de faire bénéficier le gouverne­ment, le ministère de l'Éducation nationale, l'Assemblée nationale et le Sénat des circonstances atténuantes de l'igno­rance et de l'imbécillité : *Ils savent ce qu'il font*. Les pro­pos, déclarations et décisions du Ministre de l'Éducation Nationale corroborent et confirment l'intention délibérée de ruiner l'enseignement français, et par conséquent de détrui­re son patrimoine intellectuel, d'anéantir son esprit. En refusant toute sélection à l'entrée de l'enseignement supérieur, alors précisément que le baccalauréat 68, réduit à un oral embryonnaire et attribué à 90 % des candidats, n'a absolument aucune valeur (sa parité est dénoncée avec les examens équivalents de la plupart des pays européens), M. le Ministre *aggrave le dramatique envahissement de l'en­seignement supérieur par des élèves inaptes *; par consé­quent la masse des mécontents et des médiocres qui consti­tuent la facile clientèle des universités livrées aux propagan­distes marxistes. Leur endoctrinement politique sera pro­portionnel à l'insuffisance de leur formation intellectuelle. Les simulacres de diplômes qui leur seront attribués grâce au principe de la « notation continue » leur donneront la licence d'enseigner d'ici trois ans. Façonnés en agents éducateurs marxistes, ils transmettront à leur tour dans l'enseignement ex-secondaire le virus révolutionnaire qui leur aura été inculqué à l'Université. Il convient de mentionner par parenthèse que les nou­veaux centres universitaires de Vincennes, d'Antony et de la Porte Dauphine sont conçus pour un nombre limité d'étudiants, ce qui implique donc une certaine forme de sélection ; tel n'est pas le cas pour les Universités tradition­nelles. Il est vrai que le chiffre des inscrits est loin de ré­pondre aux espérances des promoteurs ; les étudiants ne s'y précipitent pas. Le personnel de ces nouveaux centres, en particulier celui d'Antony, est essentiellement constitué de membres du S.N.E.Sup., à part les quelques modérés inoffensifs habi­tuels nécessaires pour sauver la face. 90:128 L'enseignement du second degré, déjà presque inexis­tant, reçoit le coup de grâce avec la suppression de l'ensei­gnement du latin dans les classes de 6^e^ et de 5^e^, la constitu­tion d'un tronc commun « moderne » obligatoire pour ces deux classes à base de Français, d'une langue vivante, et de « mathématiques modernes », la cassure définitive de l'enseignement secondaire en deux cycles. M. le Ministre vient de déclarer à l'assemblée nationale (29 oct. 68) : « *Il faut bien comprendre qu'il n'y aura plus de lycées en premier cycle du second degré. Il faut en finir avec les chevauchements. En premier cycle, il y aura les C.E.S. et les C.E.G. Le lycée sera réservé à la seconde, la première et la classe terminale. *» C'est très clairement l'annonce de la mise en place du « plan Billières » (radical et franc-maçon) ([^17]), en attendant celle du plan Langevin-Vallon (communiste). Un collabo­rateur subalterne et indiscret du ministre, M. Biancheri, ancien inspecteur d'Académie à Bourges, avouait d'ailleurs voici quelques mois, au « Berry Républicain », que *la ré­forme d'Edgar Faure n'était pas autre chose que le plan Langevin-Vallon.* Il nous faudra revenir plus en détail dans un prochain article sur ces nouveaux et ultimes coups portés à l'ensei­gnement secondaire. Contentons-nous d'insister aujourd'hui sur la très vaste portée d'une « orientation » qui consiste en dernière ana­lyse à démanteler tout notre système d'enseignement pour le livrer, sous couleur d'autonomie et de démocratisation, à la révolution culturelle marxiste. Dans quelques dix ans, si une vigoureuse réaction n'a pas retourné le cours de l'histoire, *les enfants de France, en masse, auront été endoctrinés dans des universités po­pulaires marxistes ;* les éducateurs, de l'enseignement public et de l'enseignement libre, massivement, *seront des propa­gandistes marxistes.* La Révolution culturelle marxiste se sera accomplie paisiblement, du dedans, sans heurts, dans nos écoles et dans nos Universités. 91:128 Il est difficile de ne pas avoir à l'esprit le propos que l'on prête au Général : « *Je fais le communisme sans le dire *». Décolonisation, écrasement de l'Algérie française, abandon de l'O.T.A.N. et de l'Alliance Atlantique, ouver­ture vers le Tiers-Monde, appui au Nord-Viet-Nam contre les États-Unis, aux États Arabes contre Israël, anéantisse­ment progressif de la petite entreprise familiale libre agri­cole, industrielle ou commerciale, démoralisation de l'armée et de la magistrature, toute cette politique de destruction de notre être national trouve sa conclusion et son achèvement dans la livraison de l'âme de la France et de l'enseignement français à la forme la plus virulente de la barbarie mo­derne, la révolution culturelle marxiste. Et ce n'est pas sur l'épiscopat français que l'on peut compter pour sauver les restes de la civilisation chrétienne. \*\*\* Dans cette perspective de ténèbres, le seul point de lu­mière et d'espérance, c'est la possibilité de création d'une véritable *Université française libre*. Ce qui semblait im­pensable il y a quelques mois, devant la menace de mar­xisation de l'enseignement supérieur public apparaît sou­dain pour beaucoup comme la voie du salut. Des professeurs de la Sorbonne et de la Faculté des Sciences y pensent sé­rieusement et s'en occupent activement. Si ce projet pre­nait forme, ce dernier bastion de la haute intelligence française pourrait devenir la base de la reconquête de la civilisation occidentale, française et chrétienne contre la grande invasion de la barbarie marxiste. Étienne Malnoux. 92:128 « La réforme présentée par Edgar Faure, mais en réalité imposée par les événements de mai, rend-elle plus difficile ou plus facile l'action socialiste au sein de l'Université ? La réponse ne fait aucun doute : la bataille est plus facile à mener après qu'avant. » Gilles Martinet,\ « Le Nouvel Observateur » du 4 novembre. « C'est une drôle d'idée de supprimer l'enseignement du latin en sixième, puis en cinquième. Il n'était pas obligatoire. Entrait en section classique qui voulait. Pourquoi prive-t-on la jeune Français d'être latiniste s'il en a le goût ? Où est « la liberté » ? Pierre Gaxotte,\ « Le Figaro » du 1^er^ novembre. On pourra consulter avec intérêt, outre les comptes rendus des débats de l'Assemblée nationale et du Sénat : -- le rapport de M. Capelle au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'assemblée natio­nale, et les propositions d'amendement au projet de loi (docu­ment n° 288) ; -- le compte rendu des auditions de cette commission (document n° 288 bis) ; -- le Rapport de M. Cornu au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat (n° 8). 93:128 ### Courrier du "Tiers-Monde" par Norbert Raymond #### I. -- La « folie des armements » dans le Tiers-Monde C'est un homme politique danois qui le signale : peut-être lui accordera-t-on quelque attention dans les cercles diplomatiques, -- et dans les milieux du Vatican... Il s'agit de M. Helveg-Pertersen, ministre danois « de la culture, du désarmement et des rapports avec le Tiers-Monde ». Voici sa remarque : les États du Tiers-Monde *dépensent en armements des sommes supérieures à celles qu'ils re­çoivent des pays industriels à titre de prêts et de dons pour l'élévation du niveau de vie de leurs populations.* Les chiffres donnés par M. Helveg-Petersen sont un peu anciens parce que, dit-il, on ne dispose pas de statistiques récentes. Mais il n'apparaît pas que cet état de choses ait beaucoup changé. Au demeurant, les chiffres de M. Helveg-Petersen ne font que confirmer ce que l'on pouvait au moins entrevoir avec un peu de bons sens. Cette situation est manifestement absurde. La cause de cette absurdité, -- à savoir le système en vigueur d'aide au Tiers-Monde, -- est elle-même une absurdité. Mais ni l' « information » de nos journaux et de nos radios, ni les « grandes consciences » qui nous exhortent habituellement n'osent parler de cette *situation réelle* et l'envisager telle qu'elle est. 94:128 Cette réalité, il faut reconnaître en outre que l'ency­clique *Populorum progressio* ne paraît pas en avoir été informée, et en tout cas ne signale aucunement sa gravité ni ne suggère quel genre de remèdes on pourrait essayer d'y apporter. Bien entendu, on fera remarquer que les pays accédant à l'indépendance nationale et se constituant en États sou­verains devaient normalement disposer de forces armées nationales. Mais à peu près partout l'ancienne puissance coloniale, en se retirant, avait laissé en place les installa­tions militaires et les équipements nécessaires aux troupes dont les nouveaux États avaient besoin. Ce n'est pas alors que les dépenses en armements se sont élevées le plus haut. C'est par la suite que s'est instituée une course aux arme­ments entre les nouveaux États souverains. Ces jeunes États, à l'O.N.U. et ailleurs, et leurs avocats de toute sorte, proclamaient que la course aux armements entre les « grands » était un scandale, et que tout cet argent serait mieux employé au profit du développement des jeunes nations. Mais c'est à leur développement *militaire* qu'ont essentiellement servi les prêts et les dons qui leur ont été faits. En Algérie, l'armée constitue la principale (voire la seule) force organisée du régime, le principal (voire le seul) instrument de gouvernement. Ailleurs, c'est la guerre, froide ou chaude, épisodique ou permanente. Si encore ces États pouvaient s'approvisionner en armes chez eux : ils feraient travailler une industrie nationale, et une partie de leurs dépenses militaires se retrouveraient en salaires pour des ouvriers africains. Mais nulle part ou presque on ne fabrique des armes en Afrique, pour ne parler que de ce continent. Les armes sont achetées au dehors, à des trafi­quants ou à des États, en échange soit de devises soit de produits avec lesquels on pourrait se procurer des devises. Peut-on interdire ou contrôler le commerce internatio­nal des armes ? En théorie tout paraît toujours possible. En réalité Américains, et Soviétiques, chacun pour leur part, ne voudront pas laisser désarmés les pays qui se four­nissent chez eux, car ce serait les mettre en situation d'in­fériorité par rapport à ceux qui se fournissent en face... On pourrait bien signer une « convention internationale », elle resterait lettre morte. -- Il était évidemment beaucoup plus facile de créer les conditions qui mettraient, sûrement et pour longtemps, l'Afrique à feu et à sang, qu'il ne le serait maintenant de porter remède à cette situation bien établie. 95:128 La *décolonisation* a été effectuée d'*une manière* absurde et criminelle ; les communistes le savaient, y trouvaient avan­tage et y poussaient ; mais le vertige et la démission des Européens n'ont guère d'excuses. Ce qui se passe aujour­d'hui juge ce qui a été fait il y a dix ans et davantage. Demeure la question : pourquoi continuer à *donner*, quand il est établi que cela *sert avant tout à la course aux armements ?* Il serait temps d'envisager au moins *une autre manière* de donner. Il en existe, et qui ont déjà fait leurs preuves : par exemple les « micro-réalisations » du Secours catholique. Toujours utiles aux populations, jamais utili­sables pour l'armement et la guerre. Mais ce que l'on a voulu et ce que l'on veut en tout cela, ce n'est point l'élévation des pays du Tiers-Monde : c'est l'abaissement des nations d'Europe. Pie XII avait très bien discerné les choses et avait dit en temps, utile tout le néces­saire. Depuis la mort de Pie XII (1958), il n'y a plus aucune « autorité morale », et à l'O.N.U. moins qu'ailleurs, qui paraisse avoir conscience des situations réelles. Il y a un ministre danois de la culture pour lancer un cri d'alarme que d'ailleurs personne n'écoute. C'est peu. #### II. -- La Méditerranée devient soviétique Après la « guerre des six jours » militairement gagnée par Israël, la plupart des États arabes se sont trouvés dans un profond désarroi dont l'U.R.S.S. a profité pour réaliser son implantation stratégique en Méditerranée. L'U.R.S.S. a largement contribué à sauver Nasser et son régime ; elle a donné son appui aux extrémistes baasistes de Syrie dont le pouvoir à Damas dépend de plus en plus de Moscou ; et elle a considérablement développé la présence active de sa flotte de guerre : cinquante ou soixante unités qui circulent librement en Méditerranée (avec des troupes d'élite spécialisées dans les opérations de débar­quement), mouillant à Lattaquié et à Alexandrie, voire Alger ou même Casablanca. Surveillant de très près la VI, flotte américaine, la marine de guerre soviétique manifeste clairement son ambition d'exercer son contrôle sur toute la périphérie de la Méditerranée. 96:128 L'armement soviétique fourni au Caire, à Damas et à Alger est sans cesse plus important. Les Soviétiques contrôlent l'armée égyptienne par leurs « conseillers » qui décident de la nomination et de l'affectation de la plupart des officiers de la R.A.U. ; la mainmise soviétique est sensible sur les services de sécurité et de renseignements de l'Égypte et de la Syrie. Il semble bien que l'U.R.S.S. soit maintenant décidée à empêcher, par les armes s'il le faut, toute tentative de renversement des régimes installés au Caire et à Damas. En ne poussant par leur offensive, pendant la « guerre des six jours », jusqu'au renversement de ces deux régimes, qui était alors facile, les Israéliens ont probablement, en réalité, perdu cette guerre : et ils l'ont perdue au profit de l'U.R.S.S. Ne parlons pas des Américains, qui ont laissé passer toutes les occasions et n'ont rien compris *politiquement.* Nasser et les dirigeants syriens apparaissent chaque jour plus étroitement liés à Moscou. Le colonialisme soviétique progresse dans cette partie du monde. #### III. -- La Corée du Nord et l'Afrique On a pu constater, depuis quelque temps, que la Corée du Nord s'intéressait de plus en plus à l'Afrique. Les diplomates communistes nord-coréens, en poste en Afrique, voyageaient beaucoup, circulant notamment dans les pays qui n'entretenaient pourtant pas de relations diplomatiques avec Pyong-Yang. L'ambassadeur de la Corée du Nord à Bamako était particulièrement actif. Il semble avoir été chargé des pays du Sahel. Celui de Conakry s'occupait surtout des États du Golfe du Bénin et celui de Brazzaville « couvrait » les pays de l'Afrique équatoriale. Tous ces efforts ont permis aux Nord-Coréens de faire participer aux festivités qui ont marqué le 20^e^ anniversaire de leur République populaire un nombre assez impressionnant de représentants africains. Outre les délégations gouvernementales, il y eut à Pyong-Yang des délégations officielles d'États qui cependant n'ont pas de relations, diplomatiques avec la Corée du Nord (Niger, Dahomey, Haute-Volta, etc.), ainsi que des délégations officieuses et des représentants de mouvements nationalistes révolutionnaires, tel, par exemple, Gaston Soumialot. 97:128 Partant généralement de Conakry, transitant par Budapest, Moscou et Irkoutsk, les délégués africains, dont les frais de voyage furent entièrement assumés par le gouvernement communiste nord-coréen, assistèrent aux cérémonies marquant le 20^e^ anniversaire de la République et eurent l'occasion de visiter la Corée du Nord. Ils purent également s'entretenir avec Kim Il Sung, chef de l'État. De toute évidence, les Nord-Coréens ont voulu profiter de cette occasion pour élargir leurs liens avec l'Afrique et essayer d'établir avec certains États des relations diplomatiques. Si les visiteurs africains furent, en général, assez impressionnés par l'effort de développement accompli en Corée du Nord, ils furent également frappés par l'invraisemblable culte de la personnalité dont jouit Kim Il Sung. Les Africains furent aussi étonnés de constater à quel point la Corée du Nord était sur pied de guerre. On peut d'ailleurs penser que c'est précisément en vue d'un éventuel conflit avec la Corée du Sud que les Coréens du Nord cherchent aujourd'hui à s'attirer les sympathies des États africains dont les voix aux Nations Unies peuvent leur être si précieuses. L'éventuelle fin de la guerre au Vietnam pourrait coïncider avec une vive tension dans la péninsule coréenne. Les dirigeants de Pyong-Yang n'ont jamais dissimulé leurs ambitions de réunifier le pays sous l'autorité communiste. #### IV. -- Les communistes et la lutte armée dans le sud de l'Afrique Les communistes d'obédience pro-soviétique s'opposent à ceux d'obédience pro-chinoise et à ceux d'obédience castriste sur la question de la lutte armée ; mais si les positions des uns et des autres diffèrent, la différence est seulement de degré ; elle n'est pas de nature. Les pro-chinois et les castristes déclarent que la lutte armée est le seul moyen pour faire la révolution, qu'elle est partout nécessaire et partout possible. 98:128 Les pro-soviétiques répliquent qu'elle n'est pas partout possible, qu'elle n'est pas toujours nécessaire et que souvent on recule au lieu d'avancer en y ayant recours, mais ils ne condamnent pas pour autant le recours à la lutte armée quand il leur apparaît comme le moyen le plus efficace. On ne s'étonnera donc pas de voir la très pro-sovié­tique *Nouvelle Revue Internationale* consacrer, dans son numéro de septembre 1968, un long article à la lutte armée menée par les communistes et leurs alliés dans le sud de l'Afrique. « *En Afrique du Sud, la lutte pour la libération est en­trée depuis août 1967 dans une nouvelle phase d'importance vitale *», écrit A. Lerumo, un des dirigeants du P.C. sud-africain. « *Le combat armé s'est engagé au Zimbabwe* (*c'est-à-dire en Rhodésie du Sud*)*, mettant aux prises d'une part les combattants pour la liberté appartenant à l'Alliance du Congrès National africain d'Afrique du Sud* (*A.N.C.*) *et de l'Union populaire africaine du Zimbabwe* (*Z.A.P.U.*) *et d'an­tre part les forces combinées de l'armée et de la* *police de Rhodésie et de la République sud-africaine. *» Fondé en 1912, le Congrès national africain a peu à peu glissé vers des théories révolutionnaires et des formes d'action violentes, si bien qu'en 1960, il a été interdit. Son président clandestin (par intérim) est Olivier Tambo. L'année suivante, en 1961, « *les leaders de l'A.N.C. et du Parti communiste sud-africain, interdit depuis 1950, ont entrepris de former une force armée dénommée* « *Fer de lance de la nation *» *qui s'est manifestée dans l'arène poli­tique par une série de sabotages des installations de l'État à travers le pays *»*.* L'auteur fait état ensuite des échecs subis, « *l'arrestation de chefs de la résistance à Rivonia et le procès de Sisulu, Mandela, Mbeki, Kathrada, Goldberg et d'autres, l'arresta­tion après un an de travail clandestin d'Abraham Fischer, la condamnation de ces révolutionnaires à la prison à vie, l'exécution du patriote Mini et de beaucoup d'autres *». 99:128 Mais les communistes et leurs alliés ne se sont pas dé­couragés. Ils ont repris l'offensive, comme le prouvent « *l'en­trée sur le territoire du Zimbabwe de guérillas entraînées et habiles et la reprise par le Congrès national africain, par le Parti communiste et par les organisations clandestines d'une propagande et d'autres activités minutieusement pla­nifiées à Johannesburg, au Cap, à Durban, à Port Élisabeth et dans d'autres villes... *» Selon Olivier Tambo, à mesure que la guérilla va s'éten­dre vers le sud (si elle y parvient) les forces révolutionnaires devraient être rejointes, « *non par quelques éléments mais par le pays tout entier, par toutes les minorités opprimées, par les Indiens et les nations de couleur, par un nombre croissant de démocrates blancs *». Il n'était pas possible au chef d'un mouvement révolu­tionnaire de ne pas paraître optimiste sur les résultats de la lutte entreprise. En fait, rien ne permet de croire que la guérilla se développera très vite. Ce que la lecture de l'article de la *Nouvelle Revue Inter­nationale* suggère plutôt, c'est qu'il est en train de se consti­tuer dans le sud de l'Afrique un bloc negro-blanc, dont le centre sera la République sud-africaine, à laquelle se rallie­ront d'une façon ou de l'autre, non seulement la Rhodésie du Sud, mais les petits États noirs nouvellement constitués du Lesotho et du Swaziland, et aussi, sur le plan écono­mique, le Botswana et le Malawi, et bien entendu le Mozam­bique si le Portugal venait à lui accorder l'autonomie. Norbert Raymond. 100:128 ### Le général Pédron par Jacques Dinfreville *In Memoriam* LE PORTRAIT du général Pédron ne me semble pas aisé à faire. Non qu'il fût le moins du monde dissimulé. Il donnait volontiers à tous ses beaux yeux clairs. Son regard était direct et assuré. Il répugnait aux attitudes ténébreuses comme aux coquetteries et aux artifices. Son style n'avait nul besoin de ces majuscules, de ces échasses qu'empruntent volontiers ceux qui ont besoin de hausser leur personnalité. Il reposait sur de solides assises physi­ques. On remarquait dès l'abord sa taille bien prise, ses épaules larges, sa poitrine étoffée. Des manières simples. Une démarche aisée. Jamais aucune hésitation ni dans la voix, ni dans la poignée de mains. Telle était la première impression que laissait Raymond Pédron à ses subordonnés et à ses camarades. Bien que nous ayons appartenu à la même promotion de Saint-Cyr, celle du *Souvenir* (1921-23), je l'ai très peu connu jeune. Si je n'avais pas eu la chance de lui succéder à la tête de la 4^e^ D.I.M., et donc de servir sous ses ordres, lorsqu'il commandait le corps d'armée d'Oran, en 1956-57, durant les opérations d'Algérie, je limiterais à cette esquisse son portrait. Mais le contact constant que j'ai eu avec mon chef au cours de ces années difficiles m'autorise et me donne le devoir d'appuyer sur la plume. Compte tenu de l'inévitable distance qui sépare toujours un chef de son subordonné dans l'armée française, j'ai mis alors quelque temps à comprendre et à pleinement apprécier le général Pédron. Le chef le plus expansif doit toujours porter un masque au combat. 101:128 Un général de corps d'armée ne fait point de confi­dences à la Jean-Jacques Rousseau ou à la Stendhal. Par ailleurs, sous les ordre du général Juin, pendant la campa­gne d'Italie, et à l'état-major de la Défense nationale, le général Pédron avait assumé de hautes responsabilités, traité des problèmes d'une portée stratégique mondiale, fré­quenté des sommités politiques et militaires. Ce fait le rendait enclin, sinon à poser à l'intention de l'Histoire, du moins à adopter une attitude empreinte d'une certaine réserve. Il a fallu, si l'on peut dire, le secours, de circons­tances exceptionnelles pour me permettre de soulever le voile qui l'enveloppait pour moi. Des lettres que le général Pédron m'a adressées, plus tard, en 1958 et en 1960, m'ont aidé aussi à éclairer son comportement. Sa personnalité fait songer à celle du maréchal de Catinat dont Saint-Simon a vanté : « la vertu, la sagesse, la modestie, le désintéressement, la supériorité si rare des sen­timents, et les grandes parties de capitaine. » Quelles étaient les *grandes parties* de Raymond Pédron ? D'autres, ceux qui l'ont vu à l'œuvre en Italie, ceux qui ont été ses élèves à l'École de Guerre, où il fut professeur de tactique générale, sont plus qualifiés que moi pour louer son envergure intellectuelle, pour rappeler la valeur du stratège. Je me contenterai de souligner son bon sens, le soin avec lequel ce théoricien de l'art militaire tenait compte des possibilités réelles du moment. Son application ne laissait rien au hasard. Il décomptait ses moyens en bon Normand et en bon fantassin qu'il était. Tout en reconnais­sant leur valeur, il se méfiait des armes modernes, de l'avia­tion, (et des aviateurs !), à plus forte raison de la bombe atomique, ces pavés de l'Ours qu'il vaut mieux brandir que manier, qui sont impuissants dans la guerre subversive. L'artisan de la bataille de Garigliano sut en Algérie se rappeler qu'il avait été officier du Service des Affaires indigènes au Maroc. Il montra qu'il connaissait l'Islam et les Musulmans, ne s'en laissa point conter ni par les apprentis-sorciers des communes mixtes, ni par les sous-préfets belliqueux. Il accomplit en Oranie une œuvre capitale. C'est lui qui a conçu et édifié le barrage face à la frontière du Maroc : une idée nouvelle, car alors (en 1956) il n'était nullement question de la ligne Morice face à la frontière de Tunisie. Le 17 février 1958, il m'écrivait de Lille, où il commandait la 2^e^ région militaire : « la 4^e^ étoile qui vient de m'être attribuée n'est qu'une satisfaction mo­rale. 102:128 Avec ou sans elle, j'aurais préféré conserver mon commandement à Oran pour asseoir l'œuvre commencée et qui prenait vraiment bonne tournure... (aujourd'hui) l'hôpital de Tlemcen, pratiquement vide depuis trois mois, atteste la valeur du barrage et la stérilisation de l'action du F.L.N. dans tout l'Ouest oranais. » S'il avait conscience des résultats qu'il venait d'obtenir durant son commandement, le général Pédron n'en sous-estimait pas pour autant l'ampleur du problème algérien : « L'affaire d'Algérie, m'écrivait-il dans la même lettre, ne s'arrangera que si l'effort est poursuivi encore pendant des dizaines de mois... » Bien que sans illusions sur la difficulté de la tâche entreprise, il n'était pas de ceux qui font demi-tour au milieu du gué. Le 4 mai 1960, en me remerciant de lui avoir envoyé mon livre, *L'Effervescent maréchal de Saint-Arnaud*, il ne celait nullement sa manière de penser : « ...Je partage entièrement tes idées sur la cause que nous avons défendue ensemble en 1956-57 et sur les voies et moyens de résoudre le problème dans le sens le plus français... Mais liront-ils ton livre ceux dont dépend le sort de l'Algérie ? Et s'ils le lisent, ne le rejetteront-ils pas avec le dédain de ceux qui croient connaître le sens de l'Histoire, ce sens qui s'identifie vraiment trop pour nous avec celui des catastrophes natio­nales successives auxquelles serait voué notre pays, si on les suivait aveuglément... » Le général Pédron possédait la qualité essentielle du chef : le caractère. Il exprimait sans ambages son avis à ses supérieurs, quelles que soient les conséquences de sa fran­chise, même si sa carrière devait en souffrir. Ce fut le cas, en 1957. Je cite les termes un peu vifs de la lettre où il me racontait sa mésaventure : « La 4^e^ D.I.M. n'est pas sortie encore de ses difficultés dont tu connais comme moi les origines. C'est d'ailleurs pour avoir appelé l'attention du Ministre (sic), de passage à Oran en juin dernier, sur la question des effectifs et de l'encadrement -- particulière­ment de la 4^e^ D.I.M. -- que la maison Salan a pris feu et exigé mon départ... » En dépit de son franc-parler, le général Pédron prati­quait avec abnégation la vertu de la discipline. Sur les pas du maréchal Juin, son maître à penser, il resta fidèle *à l'esprit d'obéissance militaire qui a fait la grande fierté et l'unité de notre armée depuis trois siècles : de Condé au dégagement de l'Algérie* ([^18])*.* On peut penser que ce fut avec une profonde douleur et les poings serrés : il était né à Constantine. 103:128 Raymond Pédron savait se dominer lui-même, comme il savait dominer son sujet, lorsqu'il pensait et écrivait. Son caractère était à la hauteur de son intelligence. Si, en fin de compte, un inexplicable ostracisme lui a refusé des satisfactions de carrière qu'il méritait sans aucun doute, les amis du général Pédron, ceux qui l'appréciaient, ont vu là une preuve de son indépendance de caractère. A cette triste époque de notre Histoire où la défaite vit pulluler les généraux d'armée, il demeurera un homme libre, à la manière dont les Athéniens comprenaient la liberté. S'il souffrit de cette injustice, il ne le laissa nullement paraître. Depuis longtemps, il pensait plus à la carrière des autres qu'à la sienne. Je me souviens qu'en 1956, au moment de l'établissement du tableau d'avancement, il me disait : « Notre tâche ici-bas est terminée. Il nous reste à désigner ceux qui nous succéderont. Nous ne prendrons jamais assez de soin pour les bien choisir. » Souhaitons que ceux que le général Pédron a choisis, souhaitons que ses disciples (ils sont nombreux dans notre armée) soient dignes d'un tel chef. Jacques Dinfreville. 104:128 ### Provinciale en Auxerrois sur le romantisme janséniste par Jean-Baptiste Morvan DÉDIÉ AU SOUVENIR de Marie Noël : « Et j'aurai été toute ma vie animal des plus domestiques, bête de somme, chien attaché, serin en cage. Ou légume à faire la soupe. C'était la volonté de Dieu. » (Marie NOËL, *Notes intimes*.) Personnages : Edme ; un religieux. EDME. -- Mon Père, je ne sais pas ce que doit m'apporter ce crépuscule d'hiver sur ma ville. J'ai attendu dix ans avant de retrouver, comme une cime de ma vie, ce paysage de cité, cette estampe de gris et de rose ; je vais repartir, et quitter ce qui me sera toujours cher. Les amis qui m'entou­raient tout à l'heure viennent de s'en aller. Vous restez à l'instant amer et équivoque des réflexions, quand on se sent tourmenté par les tentations contraires de la confidence et de la méfiance : méfiance envers soi-même, envers tous, envers l'âge et la vie. Tout n'est plus que regret et souvenir ; les chemins de l'avenir ne se contentent pas d'être incer­tains, ils sont invisibles. 105:128 LE PÈRE. -- Je ne suis ni votre confesseur, ni votre directeur de conscience. Et nous ne nous sommes, je crois, jamais rencontrés sans nous heurter. Il n'est pas dans mon caractère d'être un compagnon d'amertume. Vous savez bien que si je reste après tous les autres à m'entretenir avec vous, j'attaquerai même votre mélancolie ; non pas à vrai dire pour vous en décharger, car vous ne le souhaitez pas plutôt pour vous amener à sentir comment vous, la désirez. Car vous avez en fait déjà sur elle vos arrière-pensées, quelque obscur projet. EDME. -- Ce soir est, j'en conviens, trop important et trop grave pour que je n'y cherche pas un bien essentiel. Mais le monde s'est obscurci. J'avance à tâtons dans une cave où les tonneaux seraient vides ; ces futailles ont un écho profond, inquiétant. Les anciennes caves de vignerons sont de même maintenant dépossédées de leur raison d'être, comme serviteurs inutiles. La Tour-Saint-Jean, clocher de l'abbaye de Saint-Germain, en est séparée ; elle est isolée, comme une parole prophétique et comme l'élan d'une dou­leur, comme le prologue de Saint Jean qui, au début de son évangile, se dresse et annonce. J'aime cette tour que nous voyons d'ici. Quel sens a-t-elle pour moi ? Revendi­cation ou obligation d'isolement ? Arrivé à cette heure de ma vie, je ne sais trop ce que j'annonce pour les autres et pour moi, si je suis ou si je fus, si encore je serai. Subissons-nous la punition d'avoir trop aimé les jours que Dieu nous fit, ou avons-nous eu dès le début de nos existences le pres­sentiment de leur caractère fugitif ? LE PÈRE... -- Orgueil... EDME. -- J'ai été l'enfant sage. J'ai beaucoup répété. Je me révolte aujourd'hui contre l'enfant qui sut trop bien tant de leçons. Notre vie semble avoir toujours été faite de maximes et de proverbes. Comment expliquer alors que je reste épris de tout ce qui m'apparaît comme autant de lourdes chaînes ? Quand ces dictons ont cessé d'exprimer nos vérités intérieures, quand les désillusions de la vie ne nous ont plus permis de les regarder comme de beaux jouets neufs et de croire à la simplicité des événements et des choses, du moins expriment-ils encore nos, nostalgies, un besoin profond, une angoisse d'avant l'enfance, un désir de souvenir inconnu, une réminiscence en creux. La révolte inquiète de l'âme est plus amère chez l'homme mûr, car il sait que tout le bagage de l'esprit, il ne le déposera jamais, qu'il sera la matière même de sa réflexion, le langage de sa plainte. 106:128 LE PÈRE. -- Pourquoi ne pas respirer pleinement vos joies d'aujourd'hui ? Il y a pour le chrétien une interpréta­tion juste et profitable du « Carpe diem ». Votre province est toujours apparue comme douée d'une richesse plus im­médiatement communicable, plus, simplement vitale que l'image que vous dessinez d'elle en même temps que de vous-même. EDME. -- Auxerre, dernier évêché janséniste, avec Mgr de Caylus... Quand je songe à ces couplets, à ces proverbes de l'ancien Auxerrois, de l'ancienne Bourgogne, chacun d'eux trouve en moi sa contradiction. « Joyeux enfants de la Bourgogne » ? Nous nous forçons, notre réalité est autre, elle se nomme inquiétude. Notre destin n'est pas d'être simplement exubérants quand le monde est inquiet. Car il est inquiet, mais pas comme nous, moins bien que nous. LE PÈRE. -- Orgueil encore... EDME. -- Qui saurait vivre sans un petit verre d'orgueil, d'orgueil toujours et dès l'origine contrarié ? « Auxerrois, vin de rois ». Pascal eût dit : « Misères de grand seigneur, de roi dépossédé. » LE PÈRE. -- Reconnaissez que la règle est d'être dépos­sédé, et attendez le don nouveau. Ces campagnes viticoles, inlassablement, ont tout donné. A chaque automne, après les vendanges, l'antique terroir semble prononcer le « Nunc dimittis » du vieillard Siméon. Mais vous voulez pour chaque dépouillement un vertige absolu. Vous êtes roman­tique. EDME. -- Nous aurions pu être romantiques, sans toutes ces structures de pierre : cathédrale, beffroi bâti sur un mur romain, églises nombreuses, vieilles maisons. La situation est celle d'une tristesse durement entourée par un cadre ancestral. Nous sentons trop d'obligations pour entrer plei­nement dans le courant de la mélopée romantique, mais nous ne pouvons nous empêcher de souffrir des images per­dues, de la tendresse fragile des visages. Jansénisme en rose et gris, tuiles et pierre calcaire, mystérieusement parent des vins rosés et des vins gris du terroir... 107:128 LE PÈRE. -- Vendanges jansénistes, grappes d'ombre, vendanges de rien ! EDME. -- N'est-il pas vrai que je n'aurai désormais plus d'autres vendanges que ces vendanges-là ? Le dernier mot est pour le sacrifice, et il doit être douloureux pour être intégral. Je me résigne, mais à la non-résignation. Si j'écris un jour des « Élégies Burgondes », je crois qu'elle seront dans cette tonalité-là. LE PÈRE. -- Prenez garde d'y mettre quelque rage re­cuite. EDME. -- Écoutez encore un de nos beaux dictons d'ici : « Enfant d'Auxerre, enfant du vin -- âpre de la gueule, leste de la main. » J'ai été l'un de ces enfants aux colères sans objet et qui ont cru longtemps ensuite aux objets plus vrais d'autres colères. Mais il vient un temps où l'on dit comme l'Émilie de Corneille : « Ma haine va mourir que j'ai crue immortelle. » Et je ne trouve plus que l'ombre de mes colères, et le regret des tableaux de mon enfance. LE PÈRE. -- Avouez donc à vous-même que votre enfance fut une nostalgie de nostalgies : enfance au cœur gros, qui souhaitait avoir de quoi regretter. EDME. -- Je ne le nie point. Bêtes à chagrin, le chagrin est notre pâturage. Je me remémore tant de beaux étés dont je savais que je porterais le deuil. Un jour (j'étais tout enfant) je me faisais grande joie d'une petite réception que mes parents devaient donner le soir à neuf heures. Tout le jour je m'efforçais de bien penser à cette fête pour qu'elle restât un point de repère dans ma vie. Je ne l'ai point oublié. LE PÈRE. -- Vous avez vécu votre enfance en la regret­tant déjà ; vous avez su trop tôt que la figure de ce monde passe. 108:128 EDME. -- Je ne suis point janséniste, mais je reste fidèle à un certain reflet de jansénisme. Ce dessin de rose et de gris, ces architectures mystiques au sein des coteaux vignobles m'ont toujours suggéré un stoïcisme de vigneron ou un atticisme spartiate, soit dit sans faire hurler les mots. Et pourtant bien souvent j'eusse voulu y échapper. LE PÈRE. -- Point janséniste mais... Renan du jansénisme, comme l'autre repensait au cloître de Tréguier. Vous tendez à devenir un Kierkegaard du jansénisme bourguignon. N'y a-t-il pas là quelque snobisme ou quelque attitude surtout extérieure ? Vous vous plaisez à la démangeaison. EDME. -- Mais nous n'avons pas inventé la démangeaison. Peu m'importe que les cinq propositions aient été ou non dans Jansénius. Ce ne serait encore qu'une manière détournée de me demander ce qui est vraiment en moi. Mes aïeux ont quitté plus ou moins la foi chrétienne pour le jacobinisme, et pour le Kantisme plus encore, même ceux qui n'avaient jamais lu le philosophe de Königsberg. C'était l'idéologie dominante. « Agis de manière à ériger ton action en règle de morale universelle. » Je cite de mémoire, et approximativement. Abreuvés donc d'un jansénisme rebouilli en morale laïque, nous avons peut-être, sans nous en douter, recherché les cinq propositions de Jansénius en nous acharnant à trouver l'impératif catégorique du bien. Dans l'un et l'autre cas, c'est une quête sans fin, obsédante et tatillonne, la recherche de l'aiguille dans la botte de foin. LE PÈRE. -- Et c'est ainsi que vous avez toujours accueilli les sourires de la vie sous la double enseigne du regret et de la crainte. Votre enfance trop pensive et trop partiellement mûre vous a empêché de mûrir. Et vous la regrettez aujourd'hui en la mettant en accusation tout en la chérissant. Vous auriez mieux fait de ne pas vous demander comment ériger vos souvenirs de crépuscule sur la rivière en règle de morale universelle ! Un gigantesque Mercredi des Cendres a projeté son amère grisaille sur votre vie, comme un Vésuve dispensateur d'ensevelissements. Vos « anamnésies », comme vous dites parfois, explorent une enfance d'Herculanum et de Pompéi. La cendre, hélas, n'est pas légère ! EDME. -- Peut-être est-ce un divertissement adapté à la longueur et à la sévérité des jours. Les souvenirs et, les joies sont feuilles mortes et il ne reste que la ligne des arbres sur le quai et ces jeux de lumière sur les murailles, et ce cours à la fois doux et désespérant de la rivière. 109:128 LE PÈRE. -- L'Yonne serait donc encore un fleuve de Babylone ? EDME. -- Nos ancêtres ont dû contempler trop souvent les bois flottés descendant du Morvan au gré de la rivière. Fleuve de Babylone... Ces maisons du quai, interminablement, semblent des consciences et des témoins comme dans « le Passeur d'Eau » de Verhaeren. LE PÈRE. -- Il vous faut des témoins ; vous avez bien peur qu'on vous ignore. Orgueil encore, mais cela fait passer le temps : l'orgueil est divertissement. EDME. -- Oui ! le divertissement... Je crois me souvenir que les chanoines avaient ici à certains jours le droit de jouer à la paume dans la cathédrale. On peut y trouver un symbole. Le divertissement est partout, et toujours douloureux. Je ne crois pas au « chemin de velours ». Comme disait José-Antonio Primo de Rivera : « Nous voulons un Paradis difficile, vertical, implacable, un Paradis où l'on ne se repose jamais et devant la porte duquel des Anges montent la garde avec des épées. » LE PÈRE. -- Vous n'aimez point le chemin de velours parce que vous avez la crainte de le voir trop tôt usé. Crainte du temps, avarice de la vie, oublieux du don toujours possible. Le Jansénisme est contemporain d'Harpagon ; et le plus janséniste, c'est bien Harpagon. La pire chose est de le laisser à lui-même. Vous avez peur qu'on ne vous refuse, et en même temps tout ce qui vous est accordé vous paraît excessif et immérité. Le normal, c'est en somme que la gelée vous prive de la vendange. Vous proclamez des exigences pour vous convaincre vous-même que vous êtes capable de vous satisfaire avec les choses du monde, mais au fond vous, n'y croyez pas. EDME. -- Si tout cela est vrai (et après tout j'y consens) vous comprendrez que le seul moyen relatif d'assumer ces contradictions était d'adhérer à ce nationalisme que vous m'avez parfois reproché. C'est seulement ainsi que l'on peut se charger de cet étrange métier de bourreau de soi-même. 110:128 Car la nation, jamais satisfaite d'elle-même, va d'une inquiétude à une autre. Du trésor multiple et confus de ma ville, des odeurs des tilleuls du vieux Lycée Amyot, des musiques militaires de jadis sous le kiosque des Promenades, je n, ai retenu qu'une vocation de dévouement boudeur et quinteux. Un royaume est un pressoir ; dans la suite harassante des jours, je reconnais le royaume et pourtant je ne le reconnais point comme en me regardant moi-même au miroir. Quelque chose le prolonge et quelque chose le nie. Ainsi je me sens docile un jour aux normes du climat commun, et ne vois que la simple nécessité de lui offrir mon service ; mais ce service se doit dès le lendemain de s'appuyer d'une protestation qui soit la garantie de ma liberté inventive pour rendre d'autres services futurs. Il y aura de toute façon en nous, comme le dit le titre de la pièce irlandaise : « L'ombre d'un franc-tireur », « The Shadow of a gunman ». Et je sais bien que je serai toujours sous la main du Seigneur, à la fois la vendange et le pressoir. Ô ma ville, ville de tombes monacales, de souterrains murés, de saints trop éloignés dans les temps ! Auxerre, cité d'adoption de Patrick l'Irlandais ! Quand je creuse l'idée que j'ai de toi, ma ville, c'est mon cœur que je fends ! LE PÈRE. -- Inlassable mineur de vos propres scrupules, vous ne cessez d'ouvrir de nouveaux souterrains. Vous cherchez à augmenter la nuit et le froid qui égarent, par le cheminement de ces voies secrètes et patientes. Je crois qu'une pudeur maladive vous empêche d'avouer que vous préparez en ces cryptes des sanctuaires à Dieu. EDME. -- Que ces catacombes soient à jamais ma patrie ! Mais je vais repartir, avec plus d'amertume que jamais. Est-elle ainsi la voie du salut ? N'avoir jamais su si l'on choisissait la vraie route ? LE PÈRE. -- La Providence mène les hommes grâce à ceux d'entre eux qui croient toujours s'être trompés de train. J'ose vous dire que pour vous, j'ai quelque bon espoir. Jean-Baptiste Morvan. 111:128 ### Le carré magique (VIII) par Alexis Curvers CHAPITRE VIII\ L'Ane et la Croix Le quatrième graffito relevé par de Rossi dans la même salle n'est autre que l'inscription fameuse, et cette fois indiscutée : MVLVS HIC MVSCELLAS DOCVIT (*C.I.L.*, IV, 2016). C'est de nouveau une plaisanterie, et de nouveau très susceptible d'une interprétation anti-chrétienne : *Ici, un mulet a enseigné...* A enseigné qui ? Que signifie *muscellas*, mot inconnu par ailleurs ? De Rossi, comme tout le monde, y a vu un synonyme de *muscula*, diminutif de *musca, mouche.* Mais l'idée d'un mulet enseignant des mouchettes est un peu trop absurde pour avoir été vraiment drôle. 112:128 Le regretté Pierre Debouxhtay, dans une note du *Musée belge* (1925) sur le mot *muscellarium*, a établi que *muscella* ne vient pas de *musca,* mais bien de *mulus*, et désigne donc la muletonne, femelle du muleton, jeune mulet. Dans un article de la *Revue bénédictine* (1910), dom de Bryne avait déjà signalé d'anciennes versions latines de la Bible où *muscella* est mis pour *mula,* correspondant au mot *hêmionos* des Septante, qui signifie *demi-âne* (d'où le français *hémione,* âne sauvage). Notre graffito pompéien doit donc se traduire : *Ici, un mulet a enseigné de jeunes mules.* Ici, c'est-à-dire dans la même salle où le *menteur* envoie au *véridique* son double salut ricanant, et où le nom des chrétiens s'est écrit en toutes lettres dans une épigramme également offensante à leur égard. L'idée de vilipender des ennemis publics en mauvaise posture par des noms d'animaux, tels que *cygnes, mulets* ou *ânes,* est de celles qui viennent assez naturellement aux esprits, bien pensants. Nous avons vu que *cygne* est une injure proprement juive. *Ane* ou *mulet* sont des injures à usage international, et vieilles comme le monde, l'homme dont ces animaux sont les bons serviteurs les ayant rendus célèbres, fort injustement d'ailleurs, pour leur prétendue inintelligence, leur entêtement et leur aptitude à recevoir des coups sans émotion apparente : c'étaient précisément ces caractères qu'on admirait avec réprobation chez les premiers chrétiens. « Ne soyez pas comme le cheval ou le mulet sans intelligence », lit-on déjà dans le psaume XXI de la Vulgate, verset 9. 113:128 A l'article *Ane* de son Dictionnaire (1, 2, 1907), dom Leclercq ne manquait pas de mentionner, avec le graffito de Pompéi, l'interprétation qu'en avait proposée de Rossi. Mieux, il l'appuyait en rappelant qu' « on a représenté Jésus avec des oreilles d'âne et portant le livre des évangiles sous le bras ». De quoi il rapprochait deux indices archéologiques analogues : 1\) Une gemme romaine, non datée, où figure un âne cri toge instruisant deux jeunes garçons. 2\) Une terre cuite retrouvée à Naples en 1881 : « Sur un trône pourvu de l'escabeau siège un âne vêtu de la toge, tenant un rouleau à la main. Devant lui, sur deux banquettes, sont alignés six babouins, et trois autres se tiennent autour du maître. Tous ces élèves tiennent à la main leurs tablettes ; l'un d'eux, debout près de l'âne, est ithyphalle et récite sa leçon. M. Helbig ([^19]) attribue cette terre cuite aux premiers temps de l'époque impériale. » (C'est-à-dire aux débuts du christianisme.) Et, de cette coïncidence des dates et de cette proximité des lieux, dom Leclercq concluait que « le graffite de Pompéi : *Hic mulus muscellas docuit,* que l'on a pensé pouvoir interpréter soit d'une satire, soit d'une calomnie à l'adresse des chrétiens, trouve une précieuse illustration » dans cette terre cuite napolitaine qui, en effet exprime par l'image exactement la même idée. Plus exactement même que ne le soupçonnait dom Leclercq, lequel, par une erreur bien excusable, voyait des *babouins,* c'est-à-dire de jeunes singes, ou magots, là où l'inscription de Pompéi indique des *muletons* (*muscellas*)*,* ainsi que devaient l'élucider dom de Bruyne en 1910 et Pierre Debouxhtay en 1925. 114:128 Élucidation qui rend à la satire ou à la calomnie leur tranchant et leur cohérence ; les chrétiens sont des ânons, et le maître qu'ils écoutent, le dieu qu'ils adorent est un grand âne. C'était, appliquée aux chrétiens, une variante du dicton populaire *Asinus asinum fricat*, qu'Érasme a d'ailleurs recueilli, parmi ses adages, sous la forme : *Mulus mulam fricat*. Donc, en 1907, persuadé que l'intaille, la terre cuite et le graffite reflètent chacun à sa façon la même idée, dom Leclercq n'hésitait pas à rattacher ces trois documents aux « calomnies infâmes qui, dès la moitié du I^er^ siècle, pou­vaient avoir été mises en circulation contre les chrétiens ». On est seulement un peu étonné qu'il ajoute aussitôt : « Il n'entre pas dans notre pensée de coordonner la terre cuite au graffite pompéien » (c'est pourtant bien ce qu'il vient de faire), « mais, on ne peut se dispenser de rapprocher l'un de l'autre pour ce que ce rapprochement contient de sug­gestif. » Or le rapprochement suggère irrésistiblement que la terre cuite et le graffite sont bel et bien coordonnés entre eux, et coordonnés au fait qu'il y avait des chrétiens calom­niés à Naples et à Pompéi *dès la moitié du I^er^* *siècle.* Dom Leclercq, malgré qu'il en eût, coordonnait si bien ces coordonnées qu'il redéclare lui-même avec insistance dans le corps du même article : « L'intaille et la terre cuite appartiennent très étroitement, la dernière surtout, au cycle iconographique de l'onolâtrie. » -- « Une gemme, une terre cuite et quelques graffites de Pompéi nous permettent de prendre une idée de l'expansion qu'a eue chez les païens la calomnie dont nous parlons. » C'est dire, et c'est répéter que la calomnie avait cours à Pompéi, et qu'elle y visait des chrétiens. C'est même le dire avec superfétation, car le reproche d'onolâtrie n'est pas attesté à Pompéi par « quelques graf­fites », mais par le seul d'entre eux où apparaît le mot MULUS*.* Les autres graffites auxquels pensait dom Leclercq sont ceux qui, sans les traiter de mulets, concernent aussi les chrétiens. 115:128 Et en effet il mentionnait ici, groupées autour du MULUS dans l'atrium de ce qu'il ne craignait pas alors de nommer la *Casa dei Cristiani*, « plusieurs inscriptions qui nous semblent justifier la conjecture touchant l'existence d'un lieu d'assemblée des chrétiens dans cette maison » : allusion plus que favorable à la conjecture proposée et aux inscriptions déchiffrées par de Rossi non encore évincé par Renan. \*\*\* Disons tout de suite par anticipation que la Casa dei Cristiani touchait dès lors au terme de son existence. Les bombardements de la dernière guerre achevèrent contre elle l'ouvrage des modernistes. Au printemps de 1967, un voya­geur en demanda l'emplacement au gardien qui veillait sur les ruines des ruines de ce quartier de Pompéi. Le tracé même de la rue s'étant effacé, on le mena, parmi des débris qu'il fallut enjamber, jusque dans un enclos aux limites imprécises, terrain vague envahi par les herbes folles. C'était là. Le gardien était assez âgé pour se souvenir, du moins il le croyait bien, que l'endroit s'était appelé jadis *il giardino dei Cristiani*. De ce lieu, témoin gênant de la plus antique foi chrétienne, il ne restera bientôt plus trace ni sur la terre ni dans la mémoire des hommes. Par des moyens divers, la science moderne a réussi à détruire la chose. *L'oubli reprend le nom*. \*\*\* 116:128 Toujours, en 1907, dans le même article *Ane*, dom Leclercq reproduisait la célèbre et sacrilège caricature découverte au Palatin en 1857 (conservée à Rome au musée Kircher, actuellement au musée des Thermes.), qui représente un personnage à tête d'âne crucifié sur une croix en forme de T, avec la légende : *Alexamenos sébetai theon* (*Alexamène adore Dieu*, ou *son dieu*). Cet Alexamène est dessiné à côté de la croix, portant la main à ses lèvres comme pour envoyer un baiser en signe d'adoration. Puis l'inscription latino-grecque similaire, découverte au même endroit en 1870 par C.L. Visconti : *Alexamenos* FIDELIS. On sait que les chrétiens se décernaient entre eux le surnom de *fidèles,* tandis que leurs ennemis les affublaient volontiers de celui d'*Asinarii*. Inutile de signaler que Renan fit la moue. Dom Leclercq nous l'apprend avec une charmante candeur : « E. Renan, qui se montrait assez peu bienveillant à l'égard des découvertes archéologiques romaines, disait à l'Académie (en 1870) qu'il y aurait à vérifier l'authenticité du deuxième graffito. » C'était une lapalissade, car il faut toujours tout vérifier. Il faudrait surtout vérifier le bien-fondé des préjugés de Renan : pourquoi, par exemple, il avait plus ou moins de « bienveillance » à l'égard de certaines catégories de découvertes archéologiques ; et pourquoi il se contredisait. En 1870, il exprime à l'Académie des Inscriptions ses doutes sur le graffito qu'on vient de découvrir au Palatin. En 1873, au chapitre II de l'*Antéchrist*, relatif à l'année 61, il écrit : « Les murs des lieux où se réunissaient les chrétiens étaient couverts de caricatures et d'inscriptions injurieuses ou obscènes contre les frères et sœurs. » C'était souscrire à la version Fiorelli du graffito pompéien : .HRISTIANOS... SORORES. Renan la connaissait par de Rossi, dont il cite, en note, l'article de 1864. 117:128 Dans le texte, il continue sans rien objecter : « L'habitude de représenter Jésus sous la forme d'un homme à tête d'âne était déjà peut-être établie » (en 61). Nouvelle note : « M. de Rossi (Bull., 1864, p. 72) croit avoir lu sur les murs d'une salle de Pompéi qui lui semble avoir servi à des réunions chrétiennes : *Mulus hic muscellas docuit*. » Suit toute une volée de références archéologiques s'accordant avec cette lecture et la légitimant. Et enfin : « Comp. aussi le crucifix grotesque du Palatin », sur lequel il renvoie notamment aux « *Comptes rendus de l'Acad. des inscr.,* 1870, pp. 32-36 », où ses « doutes » sur le second graffito (*Alexamenos fidelis*) ont été consignés trois ans auparavant : loin de s'être évanouis dans l'intervalle, « les doutes de la page 36 se sont fortifiés pour nous », dit-il en terminant, mais il ne dit pas pourquoi. On devine même que ses doutes s'étendent maintenant au premier graffito (le crucifix grotesque), découvert en 1857. Ainsi, dès 1870, Renan a des doutes. En 1873, ces doutes se sont fortifiés, si l'on en croit cette fin de note, mais dissipés, si l'on s'en remet au texte de *l'Antéchrist* et au reste de cette même note, où il admet implicitement et les images onocéphales, et les lectures faites à Pompéi par Fiorelli et de Rossi, et la signification commune qu'il indique lui-même avoir été celle de tous ces documents dès l'année 61. Un peu plus tard enfin, à la réflexion, mais toujours sans qu'on sache pourquoi, Renan les rejettera tous en bloc : les graffiti pompéiens ne seront plus que des *barbouillages,* la copie de Minervini ne sera plus *suffisante pour justifier les lectures arbitraires* proposées par Fiorelli et de Rossi, la *thèse* concordante de Zangemeister (.HRISTIAN) sera *douteuse encore,* le MULUS lui-même ira s'estompant parmi les *griffonnages des environs*, et la « salle de Pompéi » se sera miraculeusement transformée en « la boutique d'un marchand de vin » par la vertu du mot VINA, seul rescapé du jeu de massacre. 118:128 L'art de marier les contraires en un ronronnement ber­ceur n'a jamais été porté plus loin, pas même par les mo­dernes épigones de Renan, chez qui cet art est devenu une routine mécanique et comme une seconde nature. Une telle pensée, si l'on ose dire, a le chatoiement de la gélatine ; elle en a le tremblement, et elle en a la solidité. Le truc consiste à énoncer dans le texte un fait (« Les murs des lieux où se réunissaient les chrétiens étaient cou­verts de caricatures et d'inscriptions injurieuses ou obs­cènes contre les frères et les sœurs »), puis à mettre en doute, dans une note, la condition dont ce fait dépend (« M. de Rossi *croit avoir lu* sur les murs d'une salle de Pompéi qui lui semble avoir servi à des réunions chré­tiennes », etc.). Ou bien à énoncer sur le mode potentiel dans le texte (« L'habitude de représenter Jésus sous la forme d'un homme à tête d'âne était déjà *peut-être* éta­blie ») le fait qui dans la note est l'objet de « doutes forti­fiés ». Il n'y a plus alors qu'à laisser faire le temps : le doute subrepticement introduit éclipsera le fait d'abord apparemment acquis, *les peut-être que oui* deviendront des *peut-être que non*, les premiers doutes de pure forme gros­siront d'eux-mêmes et, *sans jamais s'alimenter d'aucun élément nouveau*, évolueront peu à peu en doutes sur le fond, puis en certitudes gratuites, et se fortifieront si bien que toute une postérité moderniste édifiera sans peine, sur ces branlantes assises, les inexpugnables forteresses de la Négation absolue. 119:128 C'est à présent chose faite. Le voile est tombé sur de Rossi, sur ses conjectures et explications si raisonnables. Les contre-conjectures madrées et brouillonnes de Renan ont seules survécu, que dis-je ? elles ont prospéré et proliféré, elles ont enfanté des dogmes, et des oracles, qui ont à leur tour prévalu par la simple force d'une inertie insensi­blement et savamment manœuvrée. Plus personne, bien entendu, ne songe à éclairer sa lanterne en allant consulter le *Bulletino di Archeologia cristiana* de 1864, pas plus d'ail­leurs que les *Comptes rendus de l'Académie des Inscrip­tions* des années 1870 et suivantes. Ces archives sont d'accès difficile. Mais très facilement accessibles sont les ouvrages ultérieurs, et qui ne sont pas tous des ouvrages de vulgari­sation, qui n'ont fait que développer et accréditer univer­sellement par voie de répétition amplificatrice, les échos de ce qui, depuis cent ans, n'a jamais été rien de plus qu'un murmure, un on-dit, un bruit qui court : que de Rossi avait cru voir et que Renan voyait. Petites causes, grands effets. Supposez que Renan se soit borné à ses deux phrases de l'*Antéchrist*, et n'ait pas insinué dans ses notes le contraire de ce qu'il disait dans son texte : à moins que celui-ci n'eût par là même perdu beaucoup de son prestige, tout obstacle était levé et tout changeait de face ; de Rossi ni ses quatre confrères allemands et italiens n'auraient eu la berlue, dom Leclercq coordonnait sans panique le mulet pompéien et le napolitain, les inscriptions réputées chrétiennes du I^er^ siècle étaient des inscriptions chrétiennes, les pillards campaniens n'avaient plus besoin de se convertir et de se surmener, ni Ézéchiel de prêter ses roues au P. de Jerphanion et son *taw* au P. Daniélou, M. Carcopino n'était plus obligé de fabriquer à Lyon la charrue fantôme du « carré magique », et les chrétiens de Pompéi recevaient, signé de la main du maître, un permis de séjour en bonne et due forme, valable depuis 61 ; en un mot le bon sens eût gardé ses droits. C'était justement ce qu'il ne fallait pas. 120:128 La question n'est pas de savoir à quel moment Renan se moquait du monde, mais à quel moment il s'est senti pressé d'interrompre par l'injure l'aimable cours de ses palinodies et de ses entrechats. Le voici : c'est quand il a compris qu'à force de se balancer entre les contraires il risquait de ruiner son propre système en ménageant trop au christianisme le bénéfice du doute, en lui accordant trop de chances, de vigueur et de place à Pompéi et dans le I^er^ siècle. Dès lors, fini de rire. Il lui était interdit de com­promettre par jeu le succès de l'entreprise que ses succes­seurs auraient à mener jusqu'au terme : la négation totale du christianisme, et sa destruction. C'est très joli de se balancer et c'est même, au début, très, habile. Qui se méfie d'un balancement ? il importe seulement, parfois il est urgent de faire pencher la balance du bon côté, et c'est toujours du même côté qu'elle penchera en définitive. \*\*\* En 1907, dom Leclercq tenait encore bon sur presque toute la ligne, notamment sur l'authenticité des graffiti du Palatin. Bien que citant avec révérence Renan et ses « doutes fortifiés », il ne se gênait pas pour trancher : « Sa science s'est laissé mettre en défaut sur ce point. » Formule admi­rable, d'ailleurs, qui sous-entend que sur les autres points la science de Renan n'était pas en défaut. Le gant de fer cache une main de velours. Mais enfin c'était tenir bon que d'écrire : « En tout cas le sens de ces petits monuments (onocéphales) ne fait aucun doute. Il en fait d'autant moins que l'épigraphie pariétaire de Pompéi a apporté deux inscriptions que nous croyons -- malgré les objections très solides qui ont été présentées à leur sujet. -- devoir rattacher à la question qui nous occupe. » Remarquez seulement que les « doutes » éprou­vés par Renan en 1870, déjà « fortifiés » en 1873, sont reconnus en 1907 comme des « objections très solides » ; dom Leclercq ne dit pas lesquelles. 121:128 Cependant il passe outre : « Ainsi l'intaille, la terre cuite (de Naples) et le graffite (de Pompéi) nous font voir l'existence d'une calom­nie obscène attribuant la naissance du Christ à un accou­plement monstrueux dont il eût porté la marque dégradante sans en être empêché toutefois de porter la doctrine aux *muscellæ* que nous voyons représentées » (représentées dans la terre cuite de Naples, et nommées dans le graffito de Pompéi, par conséquent dès le I^er^ siècle). \*\*\* Aucun doute non plus n'est possible sur la signification toute semblable des deux graffiti du Palatin. Ils dénoncent en Alexamène un chrétien, adorateur d'un âne crucifié, et dans ce chrétien un officier, esclave ou familier de la cour, car on les a trouvés dans la *domus Gelotiana*, annexés au palais impérial. Mais quelle en est la date ? Elle est « bien difficile à fixer », dit dom Leclercq. D'après l'estampille des briques, la maison ne remonterait pas au-delà de 123, sous le règne d'Hadrien. C'est fort heureux pour les graffiti, qui, un peu plus anciens, auraient encouru d'emblée l'ex­communication moderniste et partagé immanquablement la disgrâce des barbouillages de cafetiers ou de cambrio­leurs pompéiens. Encore n'y échappent-ils que de justesse, grâce à dom Leclercq qui, pour leur épargner cette déchéance, va leur appliquer bénévolement le même traitement que M. Carco­pino appliquera au « carré magique » : il va leur retran­cher un bon siècle d'âge. 122:128 Car en 1914, dans le tome III, 2^e^ partie, du Dictionnaire, à l'article Croix et crucifix, il ne reparle plus du tout d'Alexamène et des deux graffiti « qu'il y a lieu d'attribuer à l'époque des premiers Antonins » c'est-à-dire au début du II^e^ siècle) comme il en parlait en 1907. En 1914, ayant pris le vent pendant sept ans, il écrit : « La date d'un monument de cette nature n'est pas aisée à discuter ; la paléographie des graffites est chose très incertaine, néanmoins les archéo­logues sont à peu près d'accord pour proposer la première moitié du III^e^ siècle, on peut s'en tenir là. » En 1907, l'opinion des archéologues se partageait entre deux hypothèses : pour certains, Alexamène avait vécu sous les premiers Antonins (et « rien ne semble s'y opposer », disait dom Leclercq) ; pour d'autres, sous les Gordiens (III^e^ siècle). En 1914, le problème est résolu : Alexamène, décidément, a vécu sous les Gordiens, « on peut s'en tenir là ». Les Gordiens l'ont emporté haut la main, et avec eux l'hypothèse moins favorable au christianisme. Entre 1907 et 1914, que s'est-il donc passé ? Rien. La paléographie des graffites est-elle devenue moins incer­taine ? Non. A-t-on fait quelque nouvelle découverte révé­lant en Alexamène un contemporain non plus des premiers Antonins au début du II^e^ siècle, mais décidément des Gor­diens au III^e^ ? Non, pas la moindre. La date, encore qu'elle ne soit « pas aisée à discuter », a-t-elle brusquement cessé d'être « bien difficile à fixer » ? Parbleu, elle semble au contraire bien facile, du moment que « les archéologues sont à peu près d'accord » pour la retarder ! Nous avons à nous incliner devant l'argument d'autorité : « On peut s'en tenir là. » Pourquoi ? Simplement parce qu'Alexamène, avec sa croix, a dérivé bon gré mal gré au fil du courant qui, issu du timide ruisseau des premiers « doutes » renaniens, déporte insensiblement mais irrésistiblement, comme un fleuve de plus en plus majestueux, toutes les épaves du christianisme primitif vers des régions de plus en plus éloignées de sa source. Assis au bord de l'eau dont ils ont mission de surveiller le mouvement, les archéologues, catholiques et autres, n'ont eu pour seul travail qu'à se mettre « a peu près d'accord » pour oublier de fermer les écluses. 123:128 De la sorte, échouée aussi loin que possible des redou­tables parages du 1^er^ siècle, différée sans autre raison qu'une convention amiable conclue entre les préopinants, la cari­cature de la crucifixion, tout en demeurant de l'aveu de dom Leclercq « la représentation la plus ancienne du crucifix », n'offre plus rien qui offusque les modernistes les plus mo­dernisants. Dom Leclercq d'ailleurs, puisqu'ils ne peuvent nier que la caricature concerne bien le christianisme, s'éver­tue à calmer leurs dernières alarmes : « Cette interpréta­tion de bon sens ne préjuge rien toutefois quant à l'anti­quité du crucifix, puisque le graffito prouve seulement que les païens reprochaient aux fidèles d'adorer un dieu mort sur la croix. » Rassurez-vous, messieurs ! il n'est même pas dit qu'à ce crucifix anti-chrétien du III^e^ siècle préexistât un crucifix chrétien ; les païens peut-être en ont eu la pre­mière idée, dont les chrétiens peut-être ensuite n'auront fait que s'inspirer, Seulement, dom Leclercq ne paraît pas s'être aperçu qu'un tel excès de prévenance manquait un peu son but en le dépassant. Car si les païens ont eu le sentiment que les chrétiens adoraient un dieu mort sur la croix, c'est que les chrétiens sans doute l'avaient eu avant eux, et ici le sentiment compte encore plus que l'image. \*\*\* Bien entendu, en 1914, dom Leclercq ne se risque plus à esquisser si légèrement que ce soit le rapport qu'en 1907 il avait imprudemment suggéré en rapprochant l'âne crucifié du Palatin et le mulet enseignant de Naples et de Pompéi, -- rapport désormais irrecevable, puisque, en 1901 le mulet pouvait avoir servi de cible aux calomnies du I^er^ siècle, tandis que l'âne, en 1914, ne peut avoir subi qu'une crucifixion du III^e^. 124:128 Dom Leclercq, on le voit, ne sautait que pour mieux reculer, devant des modernistes qui sautaient sans reculer jamais. Par la même chiquenaude dont il expulse du I^er^ siècle la croix non figurative de Pompéi, il expulse du II^e^ la croix figurative d'Alexamène. Tout le monde a le droit de changer d'avis, mais non de changer d'avis sans exposé des motifs et toujours dans le même sens, qui n'est pas celui que les antécédents font attendre. Ces variations ré­pondent merveilleusement aux vœux que le modernisme n'a même pas à formuler. Dès 1914, dernière année du règne de Pie X, tout obéit, tout se plie, tout se met en place, tout mûrit, tout conspire, tout s'organise invisiblement pour préparer l'avènement et le futur triomphe de la grande idée qui sera le dogme du XX^e^ siècle : que le christianisme, s'étant formé indépendamment de son prétendu fondateur et longtemps après lui, n'est pas d'institution divine ; et que le prétendu fondateur de cette religion tout humaine n'est pas le Fils de Dieu. Ce que les milieux catholiques modernes appellent le progrès scientifique se mesure à l'ascendant qu'exerce sur eux ce nouveau dogme nullement démontré par la science, mais patiemment installé par imposture, intimidation, suggestion, propagande et poudre aux yeux. Il est bien vrai que Renan est « dépassé », comme se plaisent à le dire ses plus fidèles disciples. Mais il l'est en ce sens que ses petites astuces, encore réglementées chez lui par un certain souci de décence intellectuelle, ont un air d'enfantillage et presque d'honnêteté auprès des bourdes énormes que ses héritiers en ont tranquillement déduites. 125:128 Les milieux catholiques ont dépassé Renan non pas, en corrigeant ses erreurs mais en y ajoutant ; non pas en déjouant ses pièges mais en y donnant tête baissée ; non pas en critiquant sa méthode mais en l'embrassant et en la poussant beaucoup plus loin que lui. Quant aux milieux anti-catholiques, ils ne songent même plus à cacher leur jeu ni à colorer leurs desseins par des précautions désormais superflues. L'Université Libre de Bruxelles vient de créer un Institut d'histoire du christianisme que dirige M. Charles Delvoye, président de la Faculté de Philosophie et Lettres. Celui-ci annonce la nouvelle dans un article de « *La pensée et les hommes,* revue mensuelle de philosophie et de morale laïques » (Bruxelles, octobre 1965), où nous lisons : « S'il est vrai que l'œuvre de Renan est dépassée sur certains points, notre devoir n'est pas d'accompagner dans leur recul ceux qui veulent revenir en deçà, mais, de progresser au delà. (...) A notre époque, désireuse de construire sur de solides fon­dations un avenir meilleur où des hommes plus lucides se libéreraient des forces qui les aliènent, s'impose le besoin de dresser un inventaire critique des traditions qui sont les nôtres. A l'U.L.B. Eugène Dupréel s'était déjà chargé du mythe de Socrate. Le moment nous a paru venu de nous occuper aussi du christianisme. » Mais non, monsieur, vous arrivez trop tard. Le nouveau christianisme s'entend beaucoup mieux que vous à se démystifier lui-même (hélas ! par les mêmes moyens), et vous ne prêcherez plus que des déconvertis. Les néo-catho­liques n'ont pas attendu 1965 pour suivre le conseil de « progresser au delà ». Ils sont tout près de vous dépasser comme ils ont dépassé Renan. Vous inscriviez au pro­gramme de la séance inaugurale de votre Institut une con­férence de M. Dupont-Sommer. Je ne sais si c'est un grand, docteur du libre-examen, mais, je sais que c'en est un de la nouvelle Église. 126:128 Sujet de la conférence : « Les manus­crits de la mer Morte et l'histoire des origines chrétiennes. » C'est la tarte à la crème du P. Daniélou, qui dès 1957 a écrit tout un livre à peu près exactement sous le même titre, où il affecte un tour d'esprit si proche du vôtre que, eût-il remplacé au pied levé M. Dupont-Sommer à votre tribune, presque personne ne s'en serait aperçu. Enfin sous votre article je trouve un avis de « l'Association des Parents pour la Morale laïque », invitant vos lecteurs à une confé­rence de l'ex-abbé Georges Las Vergnas. Sujet de cette conférence : « Jésus-Christ a-t-il existé ? » Il me semble avoir sous les yeux mon bulletin paroissial. Destiné à « s'occuper » du christianisme comme E. Du­préel « s'était chargé » de Socrate, le nouvel Institut se dresse comme une machine de guerre bien inutile contre des remparts déjà démantelés de l'intérieur, le vrai mal­heur du christianisme ne résidant pas, de nos jours, dans la valeur de ceux qui l'attaquent, mais dans celle de ses défenseurs. Les assaillants ont la tâche si facile qu'ils n'ont même plus souci de prétendre à l'impartialité scientifique. Loin de s'engager à dépasser Renan sous la seule conduite de la science, ils savent et annoncent d'avance que ce dépas­sement les mènera au seuil de l' « avenir meilleur » tel qu'ils le préjugent, le souhaitent et le préparent. Leur but n'est pas la vérité à découvrir, mais la position à conqué­rir. Nous avons affaire à des hommes d'action, non à des hommes d'étude, encore moins de pensée. \*\*\* 127:128 Tout cela dit, j'ignore évidemment, comme tout le monde, si l'Alexamène du Palatin fut en réalité un chrétien du II^e^ siècle plutôt que du III^e^ ou de quelque autre. Et fort peu importe. Fort peu importe la date, mais beaucoup im­porte l'intention de ceux qui la règlent sur une présomption arbitraire. Sans aucun doute, ce graffito n'a été ni le pre­mier ni le dernier échantillon d'une épigramme qui a cir­culé pendant trois siècles contre les chrétiens : c'est seule­ment le premier qui soit parvenu jusqu'à nous sous forme de dessin, parmi des milliers d'autres qui se sont perdus, ou qui nous sont parvenus sous d'autres formes. Rien n'au­torise dom Leclercq à dire que le graffito du Palatin soit « la représentation la plus ancienne du crucifix » ; c'est, tout au plus, la plus ancienne que nous connaissions *de visu*. Le modernisme profite de cette inexactitude de langage pour exécuter aussitôt son tour de passe-passe habituel, qui se décompose en quatre temps : 1) Cette représentation la plus ancienne connue est donc la plus ancienne. 2) Elle n'est d'ailleurs pas tellement ancienne, car Alexamène, puisqu'il appartient au II^e^ ou au III^e^ siècle, appartient sûre­ment au III^e^**.** 3) Par conséquent le crucifix n'existe pas avant le III^e^ siècle. 4) En conclusion, les chrétiens des deux premiers siècles n'ont ni honoré ni représenté ni même conçu l'image du Christ en croix. Ce qu'il fallait démontrer. Pour dater le « carré magique », on exigera que les textes, Apocalypse et *Pater noster*, aient la priorité sur les monuments. Pour dater le crucifix, c'est le contraire : les monuments, fussent-ils réduits à un seul graffito d'époque indéterminée, prévalent sur les textes, qui n'ont que l'inconvénient d'être plus nombreux, plus explicites et plus anciens. \*\*\* 128:128 Dans la fable de *l'Ane qui porte la statue d'un dieu* (joli­ment édulcorée par La Fontaine dans *L'Ane portant des reliques*)*,* Ésope se moque du pauvre animal qui se ren­gorge, croyant que les gens se prosternent devant lui. Et l'ânier coupe court à cette illusion en s'écriant : « Ô tête sotte ! il ne manquait plus que cela, qu'un âne soit adoré par des hommes ! » Les Anciens voulaient bien que Jupiter eût pris la forme d'un taureau ou d'un cygne, et que les dieux égyptiens empruntassent les traits de quelques autres animaux répu­tés honorables, mais la réflexion de l'ânier d'Ésope montre que l'idée de déifier un âne leur eût paru aberrante et gro­tesque entre toutes. C'est donc l'idée qu'ils prêtèrent le plus naturellement du monde aux tenants de toute religion étrange et mal famée. Ils la prêtèrent longtemps aux Juifs. Dans son *Contra Apionem* (II, IV - 79), Flave Josèphe (37-95) réfute l'accu­sation d'Apion, selon laquelle Antiochus IV Épiphane, lors­qu'il s'empara du trésor du Temple de Jérusalem, vers 170 avant Jésus-Christ, y aurait trouvé une tête d'âne en or, à quoi les Juifs rendaient un culte. Josèphe répond d'abord par un excellent argument *ad hominem* : Apion étant égyp­tien, de quoi se mêle cet adorateur de chiens, de chats, de crocodiles ? Mais il disait tenir le renseignement de Posido­nius d'Apamée et d'Apollonius Moloin, à qui Josèphe reproche d'avoir en effet mal parlé du Temple. Ce qui don­nait du poids à leurs informations fantaisistes, c'est que Posidonius avait été l'ami de Cicéron et de Pompée, lequel à son tour, environ un siècle après Antiochus, avait profané et pillé le Temple de Jérusalem, du reste sans y rien décou­vrir de choquant. Josèphe insiste : ni Antiochus II Théos (261-246), ni Pompée, ni Crassus, ni enfin Titus, qui tous avaient pénétré dans le Temple et l'avaient dépouillé de ses richesses, n'y ont rien vu qui ne leur eût inspiré du respect. 129:128 Pour Antiochus Épiphane, il cite cinq historiens grecs qui ont dit de lui la même chose, expliquant son sacri­lège par la cupidité mais ne le justifiant par rien qui eût ressemblé, même de loin, à une tête d'âne. N'empêche que le bruit avait continué à courir. \*\*\* Il courait encore à l'époque de Tacite (55-120). Celui-ci, au livre V de ses *Histoires*, raconte, sur le ton d'un Romain philosophe, l'histoire du peuple juif. On l'y sent partagé entre un reste de complaisance envers une légende trop répandue pour être à ses yeux tout à fait dénuée de fonde­ment et la volonté de démentir les calomnies ineptes que cette légende a engendrées. Voici ce qu'il distingue de vrai ou de faux dans la légende de l'onolâtrie juive. *Chapitre III :* la sortie d'Égypte. Version de Tacite : les Juifs en furent expulsés par le roi Bocchoris ([^20]), l'oracle d'Ammon les ayant déclarés responsables d'une épidémie de lèpre et ayant ordonné au pharaon « de purger son royaume et de déporter sur d'autres terres cette race d'hommes, comme étant l'objet de la colère des dieux ». Ils furent donc conduits dans le désert et abandonnés à eux-mêmes. Alors qu'ils étaient tous dans l'abattement, un seul parmi ces exilés, Moïse, les avertit de ne plus espérer de secours ni des dieux ni des hommes ; qui les avaient égale­ment trahis, mais de se confier à lui, Moïse, « leur guide envoyé par le ciel, à ce qu'ils croyaient, et le premier qui les eût aidés à se délivrer de leurs présents malheurs ». 130:128 Cela signifie que, pour les païens, les Juifs étaient des impies, qui avaient rejeté les dieux pour se confier à un homme. Tel était le grief lancé contre eux, d'après Josèphe, par Posidonius et Apollonius Molon : ils n'honoraient pas les mêmes dieux que les autres hommes. Incapables de concevoir pareille anomalie, les Anciens y cherchèrent une explication, soit, comme Tacite, dans l'athéisme supposé de Moïse, soit en soupçonnant les Juifs d'adorer en secret quelque dieu inavouable et méprisé de tous les autres peuples, comme était précisément l'âne. Cette dernière hypothèse se dessine dans la suite de l'histoire, telle que Tacite l'a notée. Se voyant perdus au désert, les Juifs sombrèrent dans le désespoir. « Rien ne les éprouvait autant que le manque d'eau. Déjà, près de mourir, ils restaient étendus à même le sol, quand vint à passer un troupeau d'ânes sauvages qui, étant allés paître, se dirigeaient vers un rocher couvert d'une épaisse forêt. Moïse, les ayant suivis, devina que ce terrain herbeux recelait des sources abondantes. Ce fut là le salut. Ayant décidé de continuer à marcher dans la même direction pendant six jours consécutifs, les Juifs s'arrê­tèrent le septième dans un pays dont ils chassèrent les habitants pour y fonder leur ville et leur temple. » C'est manifestement une transposition rationalisée de l'épisode biblique de Raphidim, où Moïse fit jaillir de l'eau en frap­pant la pierre de son bâton (Exode, XVII, 1-7). L'oasis que rejoignent les ânes de Tacite se signale par un rocher (*rupes*) qui est une variante du rocher d'Horeb. Et Tacite, assez bizarrement, plante sur ce rocher une forêt (*nemus*), indice naturel qui ôte à la découverte de l'eau souterraine tout caractère miraculeux. 131:128 *Chapitre IV.* « Moïse, afin de s'assurer la fidélité future de son peuple, lui imposa des rites nouveaux, contraires à ceux des autres mortels. On y tient pour impie tout ce qui pour nous est sacré ; et l'on y autorise tout ce que nous jugeons impur. L'image de l'animal qui les avait mis sur le bon chemin et sauvés de la soif, ils la consacrèrent dans leur sanctuaire le plus caché. » Et ainsi de suite. Détaillant point par point les singu­larités les plus marquantes de la Loi juive (les sacrifices de béliers et de bœufs, l'abstinence de la viande de porc, les jeûnes, le pain azyme et le sabbat), Tacite en rattache l'origine à divers souvenirs de la captivité et de l'exode. Le fait est que, dans ce chapitre, il ne révoque aucunement en doute l'onolâtrie des Juifs, pas plus d'ailleurs qu'il ne la blâme ; il paraît plutôt l'excuser. *Chapitre* V. « Tous ces rites, de quelque manière qu'ils se soient introduits, se soutiennent par leur antiquité ; mais certaines autres institutions, sinistres et honteuses, se sont établies par la perversion. Il n'est homme si mauvais, fou­lant aux pieds la religion de ses pères, dont les offrandes et les présents ne soient accueillies dans ce temple. L'accrois­sement des biens des Juifs vint de là ; et de ce qu'ils ont les uns pour les autres un attachement que rien ne rebute, une inlassable indulgence, mais contre tous les étrangers une haine active. Ils n'acceptent de partager avec eux ni leur table, ni leur chambre ; ces Juifs, race très encline à la passion charnelle, et qui entre eux se permettent tout, s'in­terdisent tout commerce avec des femmes étrangères. Ils pratiquent la circoncision obligatoire, afin de se reconnaître à cette particularité physique. Ceux qui entrent dans leur communauté adoptent aussi cet usage ; et la première chose qu'on leur inculque est de renier leurs propres dieux, de renoncer à leur patrie et de ne plus compter pour rien leurs parents, leurs enfants, leurs frères. Tout est prévu cepen­dant pour augmenter le chiffre de la population ; ils regardent comme un crime de tuer un seul nouveau-né, et pensent que les âmes de ceux qui meurent au combat ou dans les supplices sont immortelles. 132:128 D'où leur amour de la procréation et leur mépris de la mort. Ils ont hérité des Égyptiens la coutume d'inhumer les cadavres, au lieu de les brûler ; ainsi que leurs craintes et leurs croyances au sujet des enfers. Mais au sujet des choses du ciel, alors que les Égyptiens vénèrent la plupart des animaux et nombre d'images sorties de leurs mains, les juifs, au contraire, conçoivent leur dieu unique uniquement par l'esprit. C'est pour eux une profanation que de former de matières péris­sables des images de dieux à ressemblance humaine. Leur dieu est un être suprême existant de toute éternité, im­muable et sans fin. Aussi ne tolèrent-ils aucune statue dans leurs villes ni dans leurs temples. Ils refusent même cet hommage aux rois, cet honneur aux Césars. Il est vrai que, leurs prêtres chantant avec des flûtes, et des tambours, et se couronnant de lierre, une vigne d'or trouvée dans leur temple a fait croire à certains qu'ils honoraient Bacchus, lequel règne sur tout l'Orient. Mais les deux cultes n'ont rien de commun. Bacchus a institué des fêtes et des rites joyeux, alors que le rituel des Juifs est grinçant et terne. » *Chapitre IX.* « Le premier des Romains qui vainquit les Juifs et pénétra dans leur temple par droit de conquête fut Pompée. On apprit par là qu'il n'y avait à l'intérieur au­cune image, que le sanctuaire était entièrement nu et ne renfermait rien de secret. » On aura remarqué chez Tacite une étrange contradiction. D'une part, dans ces derniers passages, il s'inscrit en faux contre la fable de l'onolâtrie juive, et reconnaît expressé­ment que le seul Dieu qu'on adore à Jérusalem est d'essence purement spirituelle. D'autre part, dans ce qui précède, il a non moins expressément affirmé que le culte de l'âne fut secrètement instauré par Moïse en commémoration d'un incident de l'exode. 133:128 Et, bien qu'il range ce culte parmi les « rites nouveaux, contraires à ceux des autres mortels », il l'a en quelque sorte justifié par l'explication la plus accep­table pour ses lecteurs romains : les Juifs devaient leur salut à des ânes. Cette idée était familière aux Anciens, habitués par leurs mythologies à célébrer maint animal divin et bienfaisant, particulièrement dans le rôle d'animal-guide qu'avaient souvent joué l'oiseau, la vache, etc. A sa nature près, l'âne, puisqu'il avait guidé les Juifs vers l'eau salvatrice, méritait bien d'obtenir d'eux une dévotion qui n'eût été ni moins logique ni plus scandaleuse que celles des autres peuples zoolâtres. Tacite, si sévères que soient par ailleurs ses préjugés contre les Juifs, plaide donc ici pour eux à la fois le non lieu et les circonstances atténuantes. C'est un rationaliste, qui se défend de céder aux entraînements de l'imagination populaire. Historien, il sait par le témoignage de Pompée qu'il n'y avait point de figure d'âne dans le temple de Jéru­salem ; et il est assez initié à la religion juive pour savoir qu'il ne pouvait y en avoir. Attentif cependant aux rumeurs de l'opinion publique, il en rapporte également le témoi­gnage pour ce qu'il vaut, en vertu du principe qu'il n'y a pas de fumée sans feu ; s'il y a quelque ancien fond de vérité dans la légende de l'onolâtrie juive, il l'enregistre à toutes fins utiles, quitte à en proposer une version honorable et admissible. Autrement dit, Tacite, sur cette question controversée, fait écho et fait leur part aux théories di­verses qui avaient cours parmi ses contemporains. Il est certain que ceux-ci, comme l'historien lui-même, avaient de plus en plus de raisons de se montrer sceptiques. Ils avaient eu sous les yeux, lors du triomphe de Titus, les dépouilles du temple de Jérusalem, étalées pour la première fois en public : la table d'or de Salomon sur laquelle se rangeaient les pains de proposition, les trompettes d'argent, le chandelier à sept branches et toutes les merveilles du spectacle que commémorent jusqu'aujourd'hui les bas-reliefs de l'arc de Titus, mais rien de pareil à la tête d'âne qui était sans doute ce que la foule romaine guettait avec le plus de curiosité. 134:128 De plus, pour se laver de l'accusation, les Juifs disposaient depuis 70 d'un argument décisif : le temple de Jérusalem n'existant plus, où donc auraient-ils caché la tête d'âne objet de leur prétendue adoration ? Les synagogues de la diaspora n'étaient pas des sanctuaires secrets ; on n'y célébrait ni mystères ni sacrifices, on n'y brûlait point l'encens ; simples lieux de réunion et de prière, la moindre enquête, la moindre visite permettait d'y constater l'absence de toute image, et même de toute forme extérieure de ce que les païens appelaient un culte. C'est précisément par quoi la religion juive les déroutait, et leur embarras se trahit aux hésitantes contradictions de Tacite. En tout cas, de son temps, la légende de l'onolâtrie juive ne cessait de perdre du terrain. Pourtant elle avait la vie dure, et circulerait longtemps encore. Mais contre qui ? Qui donc, parmi tous ceux qu'on nommait indistinctement les Juifs, continua, après la destruction du temple de Jérusalem, à pratiquer des rites mystérieux, à révérer une image réputée infâme, à adorer un Dieu inconnu des autres peuples, à réitérer des offrandes et des sacrifices qui, pour n'être pas sanglants, n'en étaient que plus insolites ? Et qui donc s'exposait par là à l'accusation d'onolâtrie ? Évidemment les chrétiens. 135:128 Il fallut un siècle et davantage pour que leur séparation d'avec les Juifs fût de notoriété publique. Chez les païens du I^er^ siècle, spectateurs superficiels de ce qui n'était à leurs yeux que divisions intestines d'une religion étrangère, l'erreur était celle que les juifs avaient justement le plus grand intérêt à ne pas rectifier : que les chrétiens étaient des juifs à peu près comme les autres, certes rebelles, hétérodoxes, mais d'une secte juive ni plus ni moins singulière que tant d'autres. Qu'on songe que dans tout ce I^er^ siècle ils ne furent désignés nulle part sous ce nom de chrétiens qu'ils s'étaient librement donné ([^21]) à Antioche dès l'année 40 ou même plus tôt. On parlait cependant beaucoup d'eux, mais en usant de sobriquets déformés volontairement ou non, et d'autant plus dédaigneux qu'imprécis ; les Juifs ne s'y opposaient pas. Nous verrons plus loin pour quels motifs et par quels moyens ils entretinrent la confusion entre eux et les chrétiens ; et comment, contraints par la force des choses à s'en dissocier enfin formellement, ils profitèrent de ce divorce officiel pour rejeter sur les seuls chrétiens les calomnies que les uns et les autres avaient jusque là essuyées en commun. Deux détails, dans le texte de Tacite, laissent entrevoir cet état de confusion dont l'historien était encore témoin, mais qui déjà, à la fin du I^er^ siècle, était sur le point de se dissiper au désavantage des chrétiens. Premièrement, il mentionne la croyance des Juifs à l'immortalité des âmes. Or les Sadducéens refusaient violemment d'y croire, eux qui pourtant avaient détenu à Jérusalem, avant la ruine du Temple, le pouvoir politique et l'autorité pontificale. Seule la minorité pharisienne avait foi dans la résurrection, et les chrétiens en cela s'accordaient avec elle ; de là des ménagements réciproques, voire l'étrange sympathie que marque aux Apôtres, dans les *Actes,* un pharisien éminent comme était Gamaliel. 136:128 Dans son résumé du judaïsme, Tacite ne recueille donc pas la doctrine officielle, privée de ses appuis sadducéens et fort en déclin depuis 70, mais bien la doctrine pharisien­ne, que les chrétiens professaient, développaient et propa­geaient dans tout l'Empire. Si surprenant que cela paraisse, l'idée qu'il se fait du judaïsme est déjà fortement imprégnée de certains apports chrétiens. Il prête aux Juifs en général quelques traits proprement chrétiens, même de ceux par lesquels les Juifs pardonnaient le moins aux chrétiens de se différencier. Secondement, quand il attribue à Moïse l'institution de l'onolâtrie, il recourt de même, bien qu'il ne s'en doute pas, à l'un des thèmes les plus saillants et les plus constants de la première apologétique chrétienne. Tous les discours des Apôtres, dans les *Actes,* commencent par un appel à l'exemple et à l'autorité de Moïse, invoqué comme l'annonciateur et le garant du Christ ([^22]) ; nous reverrons le nom de Moïse mêlé à toutes les affaires où des chrétiens, sont impli­qués, bien qu'il n'y soit parlé que de juifs. Si bien que ce nom de Moïse, placé en tête de la fable des ânes, suffit pres­que à nous avertir que cette fable, au moment où Tacite la consigne, était comme une parodie de l'argumentation et de la prédication chrétiennes plutôt que juives. Comme tous les novateurs, les chrétiens se flattaient volontiers de renouer avec une tradition plus antique que celle dont se réclamaient leurs adversaires conservateurs. 137:128 Prétention dont les Juifs se moquèrent, fût-ce aux dépens de Moïse lui-même, au moment où retombèrent sur les chrétiens seuls les calomnies anti-juives des païens qui avaient longtemps pris les chrétiens pour des juifs. La rupture enfin consom­mée, les Juifs ne se gênèrent plus pour imputer aux chrétiens ce qu'on leur avait imputé à eux-mêmes, et qui bien souvent s'était retourné contre eux parce qu'ils l'avaient d'abord imputé aux chrétiens confondus avec eux. Les inconséquences de Tacite reflètent cette situation trouble et transitoire où la ligne de démarcation, sans être nettement tracée entre Juifs et chrétiens, devenait de plus en plus tranchée, chacun des deux camps l'utilisant désor­mais pour sa défense. Mais les Juifs, mieux armés, se dé­fendirent et contre-attaquèrent avec plus de succès que les chrétiens, réussissant à se décharger exclusivement sur eux de la risée, de la suspicion et de l'animosité des païens, et exploitant contre eux, en particulier, la légende de l'âne dieu. \*\*\* Cette légende s'étoffa, dans le courant du II^e^ siècle, de plusieurs écrits satiriques à grand tapage, où le thème de l'âne fournit matière à amplifications bouffonnes. Mais, sous le voile de la bouffonnerie, ces ouvrages roulent uni­formément sur des sujets religieux : superstitions, magie, métempsycose, cultes ésotériques, eschatologies inédites. Au milieu de ce fatras fortement teinté d'orientalisme se promène un âne, personnage principal, dont la présence, obscène et même absurde pour des lecteurs non prévenus, ne semble guère avoir étonné ceux du II^e^ siècle : c'est qu'ils en connaissaient d'avance la signification intentionnelle, et qu'aux aventures fantastiques de l'âne ils associaient, par une accoutumance déjà longue, tout un système d'allu­sions et d'arrière-pensées qui nous échappent. 138:128 Pourquoi le héros de ces contes s'appelle-t-il toujours Lucius ? Pour­quoi est-il voué toujours aux mêmes apothéoses imaginaires et aux mêmes tribulations effectives ? On admet communément, selon une tradition attestée par Photius, que *l'Ane* de Lucien et *l'Ane d'or* d'Apulée ont pour source commune *la Luciade ou l'Ane,* roman au­jourd'hui perdu d'un certain Lucius de Patras. Je ne sais si Paul-Louis Courier a raison de restituer à ce Lucius *l'Ane* généralement attribué à Lucien (et qu'il a d'ailleurs traduit dans un français délicieux). La chronologie de ces textes est aussi incertaine que leur généalogie, alors que la parenté en est matériellement évidente. Ce sont manifeste­ment des pièces et morceaux détachés d'une immense épopée burlesque, sorte de geste populaire qui proliféra dans le II^e^ siècle avec un succès prodigieux (un peu à la manière de notre Roman de Renart). Nous n'en possédons pas la clef, faute d'en connaître l'origine exacte et sûrement beaucoup plus ancienne. Mais le nom de Lucien mêlé à cette histoire suffit à nous avertir qu'il s'y mêla aussi des intentions tout autres qu'innocentes. Pas plus que Voltaire, Lucien ni même Apulée ne sont d'humeur à écrire des contes de fées pour le seul plaisir d'amuser les enfants. L'abondance du genre, la constance du thème, la truculence du ton montrent qu'en tout cas cet âne à prétentions reli­gieuses, si familier au public du II^e^ siècle, y excitait non seulement le rire, mais la pitié, la frayeur, la cruauté, et la réflexion. S'agissait-il encore d'une figure de l'âne des Juifs ? Probablement non, car cette figure, tirée au clair au moins depuis Tacite, ne demandait plus à s'envelopper de tant de mystère et d'affabulation. Tout s'explique beaucoup mieux si c'est l'âne des chrétiens qui aurait ici substitué ou du moins ajouté et mélangé son image à celle de son prédécesseur. 139:128 Car, que cet âne risible et pathétique entré dans la littérature du II^e^ siècle soit ou non dérivé de l'âne censément adoré à Jérusalem, il en est fort différent, tandis qu'il ressemble comme un frère, par le pédantisme, à l'âne en­seignant de Naples et de Pompéi, et, par le caractère tra­gique de sa détresse bafouée, à l'âne crucifié du Palatin. L'onolâtrie qu'on reprochait aux Juifs avait pour objet une tête d'or, un simple fétiche, une idole inerte comme celles des païens. Au contraire, l'âne qui se manifeste au début de l'ère chrétienne est un être vivant, tout à tour homme et bête, glorieux et misérable, qui agit, qui enseigne et qui souffre, honni des uns, follement aimé de ceux qui croient en sa mission divine. Telle cette femme dont parle Apulée (IX, 14) : « Ennemie de la foi, ennemie de toute pudeur, elle méprisait et foulait aux pieds nos divinités saintes ; en revanche, elle était initiée à une religion sacrilège, elle croyait à un Dieu unique ; par ses dévotions hypocrites et vaines elle trompait tous les hommes. » -- « On ne saurait être plus clair », remarque dom Leclercq, lequel, dans ce portrait d'une femme amoureuse d'un âne, reconnaît avec raison (en 1907) « le signalement minutieux d'une chré­tienne ». \*\*\* Ainsi, cumulant en lui le scandale de la croix et le scan­dale de l'âne, le christianisme apparaît aux païens du II^e^ siècle, fascinés malgré eux, comme ce comble de scandale qu'illustre parfaitement le graffito du Palatin. L'âne cruci­fié n'est autre chose que la conjonction tout à fait logique des deux thèmes qui dès l'origine avaient servi séparément à nourrir l'hostilité populaire contre les chrétiens. 140:128 En l'absence de tout grief légal ou moral, ce n'était pas trop de ces deux thèmes injurieux, choisis parmi les plus gros­siers, pour entretenir, stimuler ou ranimer une hostilité qui de la part des Romains était beaucoup moins naturelle que de la part des Juifs. Ce n'est pas un hasard si le chrétien Minucius Félix, écrivant son *Octavius* avant la fin du II^e^ siècle, y réfute au chapitre XXVIII la calomnie touchant le culte de l'âne, et au chapitre XXIX la calomnie touchant le culte de la croix : les deux calomnies étaient intimement liées. Mais il traite la première avec mépris, et la seconde avec prudence. C'est que le reproche d'onolâtrie était vraiment trop bas pour être encore pris au sérieux par des gens, raisonnables, tan­dis que la croix continuait d'inspirer aux païens éclairés une aversion sincère qui réclamait certains ménagements. Loin de répondre sur le fond, l'apologiste rétorque seu­lement que les païens honorent, eux aussi, des objets en forme de croix, tels que trophées, hampes de drapeaux, mâts de navires, jougs de charrues, etc. C'est parler pour ne rien dire ; et c'est esquiver la question, laquelle porte évidemment sur l'unique et véritable croix du Christ, nulle­ment sur les images communes que les chrétiens emprun­taient aux païens pour l'y dissimuler. Ces images d'ailleurs ne dissimulaient plus rien, du moment que Minucius Félix ébruitait le secret. Quant à la lettre T, elle était déjà tellement surannée qu'il n'en rappelle même pas le souve­nir. 141:128 Sa première phrase est d'une habileté consommée : *Cruces etiam nec colimus nec optamus*. « Même les croix, nous ne les cultivons ni ne les souhaitons. » Il feint d'en­tendre que ce qu'on réprouve à tort comme une spécialité des chrétiens n'est rien de plus que l'innocente manie de collectionner *les* croix, les croix au pluriel, toutes les va­riétés et simulacres de croix qui se mêlent au décor de la vie quotidienne, comme si à travers elles la croix du Christ n'était pas seule visée. Cette phrase de dérobade, où la croix se confond avec les croix, constitue par elle-même une *crux dissimulata*, la mieux déguisée et la plus évasive de toutes. Se borner à dire que la forme de la croix n'offense ni la nature ni la coutume universelles, et que les chrétiens en font usage au même titre que les païens, il y a certes là un manque de courage et même de bonne foi. Mais comment expliquer à des païens le mystère par lequel l'instrument du supplice est devenu l'instrument du salut ? Avant qu'une grâce surnaturelle leur ait ouvert les yeux, comment leur dévoiler ce bouleversant mystère sans risquer de les scandaliser davantage ? Le mensonge, au moins par omission, est ici une précaution élémentaire. Rien de plus atroce que la croix : c'est une de ces horreurs qui souillent tout ce qu'elles touchent et tout ce qui les touche, et dont l'humanité civilisée, à toutes les époques, supporte mieux l'usage que la vue. Que les chrétiens se complussent et même s'édifiassent à un si affreux specta­cle, c'était faire le jeu de leurs ennemis que d'en rien découvrir à ceux que la grâce du baptême n'avait pas initiés à l'intelligence d'un tel mystère. \*\*\* Les ennemis des chrétiens ne s'y trompèrent pas, et nulle propagande n'eût été plus efficace que celle qui ameu­tait l'opinion publique contre des individus assez anormaux pour adorer en même temps la croix, symbole de malheur, et l'âne, symbole de bêtise. 142:128 Ces deux symboles funestes sont complémentaires l'un de l'autre et se renforcent en se combinant, ainsi que le montre leur réunion si expressive dans le graffito du Palatin : il fallait une croix pour achever l'avilissement de l'âne, et un âne pour achever la diffama­tion de la croix. Depuis, la propagande anti-chrétienne a peu renouvelé ses thèmes : elle accuse toujours les fidèles du Christ et de porter malheur au monde, et de méconnaître les lumières de la raison. Alexamène, à travers les siècles, reste seul à savoir que l'humilité de l'âne et l'acceptation de la croix sont au contraire les conditions du salut du monde ; la raison lui éclaire, l'expérience lui confirme ce que la foi lui enseigne, et le baiser qu'il envoie au Crucifié est un acte de lucide amour et de suprême sagesse. Nous voyons chaque jour le monde sans le Christ s'enfoncer à la fois, et de plus en plus vite, dans le malheur et dans l'ânerie. Du demi-silence dont les premiers chrétiens ont entouré la croix, le modernisme infère stupidement qu'ils ne la connaissaient pas. Imbus des mêmes répugnances que leurs contemporains, ils auraient rougi d'un Dieu crucifié, et ne seraient arrivés que par de longues transitions à se repré­senter le Calvaire comme lieu et moyen de la Rédemption. Le récit évangélique de la Passion serait donc le fruit d'une élaboration lente ; cette excroissance parasite d'éléments antérieurs ou étrangers au christianisme, tributaire de la faveur dont jouissaient certains symboles fortuitement cruciformes, n'aurait que finalement triomphé de tous les obstacles psychologiques. Et loin donc que la croix du Christ ait suscité pour s'y envelopper et s'y refléter les images de l'ancre, de la hache ou de la charrue, elle aurait au contraire profité des vertus et du prestige de ces images préexistantes dont elle se serait peu à peu dégagée. 143:128 Ce raisonnement suppose établi ce qu'il veut établir : que la croix du Christ ne se serait pas imposée comme un fait historique, mais accréditée comme une création de la pensée humaine. On comprend d'autant moins pourquoi la pensée humaine aurait elle-même créé l'objet de sa dévotion sur le modèle de ce qu'elle exécrait. On comprendrait mieux le raisonnement inverse : il faut que la croix se soit mani­festée avec toute la force d'un indiscutable fait historique, pour que les chrétiens l'aient embrassée contre tous les vœux de la nature, et que les martyrs, sur les bûchers et dans les arènes, en aient répondu au prix de leur vie. Ils n'y ont gagné en ce monde que la risée, la suspicion et l'animosité publiques, l'impopularité, la persécution et la mort. Les fétiches que les hommes inventent sont générale­ment moins répulsifs et moins onéreux. Si les chrétiens ont inventé la croix, qu'est-ce qui les empêchait de lui préférer quelque autre symbole plus en­thousiasmant ? Ils n'avaient que l'embarras du choix : un Christ de leur affabulation pouvait être mort glorieusement par le feu, comme Hercule ; ou déchiré par un aigle, comme Prométhée ; ou emporté sur un char céleste, comme Élie ; ou tué les armes à la main, comme les Macchabées. D'où vient qu'ils auraient eux-mêmes condamné leur Maître à la mort des esclaves ? Dom Leclercq note avec raison que les chrétiens, comme tous les anciens, répugnaient « à associer le Christ adoré au gibet infâme ». Mais pourquoi ont-ils surmonté cette répugnance, si ce n'est pas respect de la vérité ? Il ajoute : « Être Dieu et être crucifié : cette contradiction était, pour certains, une objection formida­ble. » Les modernistes tirent de là un parti plus formidable encore, en prétendant que les chrétiens, incapables de sur­monter l'objection, n'ont pas admis ensemble les deux ter­mes de la contradiction. Mais cette objection ne se rencon­tre que chez des païens comme Lucien, Celse et Julien, et elle est de leur part tout à fait naturelle. Pour des chrétiens, c'est justement parce que le Christ est Dieu qu'il n'est pas souillé par la crucifixion : la foi en sa divinité est la condition nécessaire et suffisante pour que l'objection tombe d'elle-même et que la contradiction se résolve. Ce n'est plus alors la croix qui disqualifie le Christ, c'est le Christ qui réhabilite la croix. 144:128 Dire que les chrétiens, parce qu'ils partageaient le préjugé commun, auraient refusé comme dégradante et monstrueuse une religion qui se fût d'abord recommandée du signe infamant de la croix, cela revient à dire que les royalistes français ont cru la monarchie déshonorée par la guillotine qui décapita Louis XVI. Il est vrai qu'ils en eurent honte, mais seulement pour les bourreaux ; non pour le roi ni pour sa cause, qui au contraire sortirent du supplice auréolés d'une gloire nouvelle. De même, si les chrétiens firent violence au préjugé commun et à leur propre instinct au point d'adopter comme sacrée la croix jusque là chargée d'ignominie, c'est qu'ils la savaient régénérée et sanctifiée par le sang du Sauveur. Ils savaient qu'à un récent moment de l'histoire le signe d'infamie s'était brusquement converti en merveille de la grâce. Mais ils étaient seuls à le savoir. C'est pourquoi la réticence ambiguë de Minucius Félix, qui, près de deux siècles après le Christ, masque encore la croix sous les croix, ne signifie absolument pas qu'il la désavoue, encore moins qu'il l'ignore, mais seulement qu'il la cache. Il la cache ou du moins il l'estompe et la banalise aux yeux des païens qu'il entreprend, de peur de trop heurter d'emblée leurs habitudes mentales les plus invétérées. Il leur en épargne l'insupportable révélation pour les y préparer. Il est plus que douteux que les païens antiques aient mis autant de complaisance que nos modernistes à se laisser duper par ces précautions oratoires, qui du reste, à l'époque de Minucius Félix, n'étaient déjà plus que des clauses de style. Cet apologiste n'a rien d'un apôtre. 145:128 C'est un rhéteur, un avocat du christianisme, qui engage avec la partie adverse, dans le respect des formes, un dialogue de lettrés. Dans son éloquence fleurie, le seul nom de la croix du Christ eût détonné comme un gros mot. La chose n'en était pas moins puissamment présente à l'esprit des deux parties. Cela non plus n'a pas changé. Au XX^e^ siècle comme au II^e^, l'humanité se divise en deux camps sur la ligne de démarcation desquels, tragique signe de discorde qui cherche à les unir sous ses bras étendus, se dresse la croix du Christ. Les hommes de l'un et l'autre camp n'ont les yeux fixés que sur elle. Ils y pensent toujours et n'en parlent jamais, si ce n'est par allusions. Les uns taisent leur haine, parce qu'elle est trop violente ; les autres taisent leur amour, parce qu'il est trop faible. Un siècle avant Minucius Félix, quelqu'un pourtant ne s'était pas tu. S'adressant à de jeunes églises déjà chrétiennes, et ferventes, saint Paul, qui d'ailleurs n'était pas homme à ne pas appeler les choses par leur nom, n'avait pas craint de brandir la croix du Christ toute sanglante en pleine lumière, et de rendre fièrement témoignage du Sauveur crucifié. Les modernistes ne s'en émeuvent pas. Ces passages des Épîtres, comme le drame du Calvaire auquel ils se rapportent, seraient tous, d'après eux, interpolés et antidatés. Par ce moyen bien simple, la croix est expulsée des origines chrétiennes, et par conséquent de Pompéi. Mais si, comme les modernistes nous en persuadent, les évangélistes ont tardivement fait œuvre d'imagination, il faut avouer que leur imagination est pauvre auprès de celle des modernistes. \*\*\* 146:128 Il n'est pas étonnant que l'*horror crucis* ait persisté jusqu'aujourd'hui pour ainsi dire à l'état pur, et nous semble même s'être fortifié assez pour prédominer jusqu'à la fin des temps, comme Notre-Seigneur l'a d'ailleurs annoncé lui-même. Ce sentiment d'horreur est, de la part du monde, tellement instinctif et viscéral qu'il n'a pas eu à se transformer pour durer. Contre la croix, la conjuration de la haine, du mépris, du mensonge, du sarcasme, de la frivolité, de la lâcheté et du silence est restée sous nos yeux ce qu'elle était dès le I^er^ siècle. Il nous était seulement réservé de voir une époque où le crucifix est journellement arraché de l'histoire et de la terre par les mains, non plus des ennemis du Christ, mais de ses prêtres convertis au monde ou, comme ils disent, « ouverts » au monde. La plaisanterie sur l'âne, au contraire, aurait eu la vie plus courte si elle n'avait pas évolué selon les caprices de la mode. Elle s'est si bien adaptée aux circonstances qu'elle est parfois méconnaissable sous les travestissements successifs dont la décore le goût du jour. On ne dit plus aujourd'hui que les chrétiens adorent un âne. On dit qu'ils manquent d'esprit scientifique ; et le malheur est qu'ils tâchent d'en avoir. Ce grief ronflant respire une sottise inchangée. Mais la sottise ne se perpétue qu'en revêtant sans cesse de nouveaux oripeaux. Au XVIII^e^ siècle, les chrétiens n'étaient pas philosophes. Le vrai malheur est qu'ils le sont devenus. Il est curieux d'observer les variations par lesquelles, dans les deux premiers siècles déjà, la plaisanterie vite éculée de l'âne s'est continuellement rajeunie. Elle commença par se dédoubler. Il y avait d'une part la tête d'âne en or que les Juifs étaient censés avoir secrètement déifiée dans le temple de Jérusalem. Les chrétiens l'héritèrent telle quelle, et c'est encore sous cette forme fixe (*caput asini*) que Minucius Félix la mentionne, si vieille qu'il n'a besoin pour s'en débarrasser que d'un haussement d'épaules. C'est son procédé habituel : il rencontre les objections en leur état le plus faible, et n'y répond pas sur le fond. 147:128 « Vous les premiers, dit-il aux païens, vous adorez des bêtes ; et vous aussi vous honorez des croix. » Cette réplique, aussi peu sérieuse que les médisances auxquelles elle fait écho, prouve du moins qu'au I^er^ siècle les deux objections touchant l'âne et la croix étaient déjà traditionnellement associées en un seul lieu commun ; et par conséquent aucune raison interne n'oblige à reporter au III^e^ siècle le graffito du Palatin où elles sont assemblées. Car d'autre part, une fois transférée aux chrétiens, la tête d'âne des Juifs n'avait pas tardé à se métamorphoser en animal vivant, tantôt âne, tantôt mulet, tantôt adoré, tantôt crucifié, tantôt pontifiant, tantôt bouffonnant. On peut supposer que l'imagination des Juifs, trop heureux de détourner la satire sur la secte renégate et rivale, ne fut pas sans contribuer à cet enrichissement du thème. Le thème ainsi diversifié se perpétua sous ses différentes formes tantôt isolées, tantôt mélangées. Il est frappant qu'à partir du I^er^ siècle tous les apports qu'il s'est annexés sont colorés de christianisme. Le MULUS nommément désigné à Pompéi dans la *Casa dei Cristiani* instruit les mêmes « muletons » que son congénère représenté dans la terre cuite de Naples. L'âne crucifié du Palatin est une illustration des moqueries verbales dont les divers romans de l'Ane démontreront la popularité. \*\*\* Ces moqueries contre le Dieu crucifié remontaient bien plus loin encore, car elles renouvelaient une manœuvre qui s'était amorcée dès la nuit du vendredi-saint dans le palais d'Hérode. Les meurtriers du Christ avaient besoin du consentement de Pilate pour légaliser leur action. Le concours d'Hérode n'était pas moins nécessaire pour la rendre effica­ce. 148:128 Le procès, la condamnation n'auraient servi de rien sans un intermède comique qui désabusât les fidèles en bafouant la victime. C'est pourquoi Jésus, dans cette Passion où il restait sublime, devait être publiquement raillé par Hérode qui l'affubla de la robe des fous, première version du bonnet d'âne, puis par la populace et la prêtraille qui avaient hurlé : « Crucifiez-le ! » mais qui au Calvaire, tenant leur victoire, se déridèrent soudain pour ricaner avec bonne humeur : « Hé toi qui détruis le Temple et le rebâtis en trois jours, si tu es le Roi des Juifs, si tu es le Christ, sauve-toi toi-même... Si tu est Fils de Dieu, alors descends de la croix !... Voilà qu'il appelle Élie ! Voyons si Élie va venir le délivrer ! » Ces sarcasmes abjects trahissent chez les meneurs une intention très réfléchie : il s'agit maintenant de déconsidérer Jésus aux yeux de la foule, non plus en répétant les accusations pseudo-sérieuses qu'on a portées contre lui devant le sanhédrin et devant Pilate, mais en le ridiculisant, en le taxant de déficience mentale. C'était le meilleur moyen de discréditer, après lui, sa doc­trine, et de convaincre ses disciples futurs qu'il se donne­raient pour maître un âne. Telle est bien la technique éprouvée de tous les « tribunaux populaires », dont la fonction n'est pas de rendre la justice, mais de préparer l'avenir en dictant à l'histoire la leçon qu'ils en attendent. Il est inutile de chercher une date au graffito du Palatin : il sort tout droit des évangiles, l'idée qu'il exprime est vieille comme le christianisme et durera sans doute aussi longtemps que lui. Nous la retrouvons tout à la fin du II^e^ siècle, dans la variante améliorée que Tertullien en a enregistrée. (*A suivre.*) Alexis Curvers. 149:128 ### Jésus a répondu par Jean Madiran C'EST DEPUIS L'ORIGINE, disions-nous récemment, que circule dans le corps épiscopal la question inquiè­te, mais c'est aussi depuis l'origine qu'elle a reçu sa réponse ([^23]). Non point, rétorque Jean Guitton, Jésus n'a pas répondu. Examinons donc. \*\*\* -- *Seigneur, comment se fait-il que ce soit à nous que tu doives te manifester, et non pas au monde ?* La question normalement posée au Seigneur par Judas (celui qui n'est pas l'Iscariote) est aujourd'hui la question anormalement posée à l'Église qui est Jésus-Christ. Anor­malement, parce que la réponse est dans l'Évangile ; et parce que la question est posée avec scandale par ceux qui avaient mission de nous transmettre la réponse. Ils ignorent la réponse du Seigneur et ils en insinuent une autre. Comment se fait-il que l'Église qui est Jésus-Christ n'ait point réussi à se manifester au monde moderne ? Pourquoi le monde a-t-il cette méconnaissance et cette haine de l'Église ? Le monde pourtant est plein de bonne volonté ; le monde attend... 150:128 Il faut donc que l'Église n'ait pas su répondre à l'attente du monde ; il faut qu'elle ait été historiquement coupable. Il faut changer l'Église pour qu'elle se manifeste au monde ; et pour qu'elle devienne aimable au monde. Il faut trouver *dans* l'Église, et renier, et supprimer, *la cause* de la haine que le monde porte à l'Église. Mais la cause, disions-nous, c'est Jésus-Christ : « *Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous *» (Jean, XV, 18). « *Ils m'ont haï sans raison *» (25)*.* « *Vous serez haïs de tout le monde à cause de mon nom *» (Mt., X, 22). \*\*\* Voilà donc ce que nous disions. Là-dessus Jean Guitton assure implicitement que nous avons rêvé, il affirme explicitement que la question est restée sans réponse : « Jésus se laissait interroger. Et il ne répondait pas toujours. La part du mys­tère. « Ainsi à cette question de Judas (non pas l'Iscariote) : « *Seigneur, pourquoi te manifestes-tu à nous et non pas au monde ? *» Cette question, je me la pose aussi, je n'y trouve pas de réponse. » ([^24]) Que Jean Guitton n'aperçoive pas la réponse, c'est le mystère des âmes. -- Mais qu'il donne cette question comme l'exemple de celles auxquelles Jésus n'a pas, répondu, c'est d'abord une erreur de fait. La question est le 22^e^ verset du chapitre XIV de l'évan­gile selon saint Jean. 151:128 Immédiatement, le 23^e^ verset déclare : « *Jésus lui répondit. *» Et même, littéralement : « *Jésus répondit et lui dit. *» (APEKRITHÈ IESOUS KAI EIPFN AUTO). (*Respondit Jesus et dixit ei*). L'Évangile affirme que Jésus répondit et Jean Guitton que Jésus n'a pas répondu. Cela dépasse l'anecdote : car c'est, une fois de plus et une fois encore aujourd'hui, la question du jour ; séparée de sa réponse, tournée contre l'Église, elle provoque le trouble et la chute d'un grand nombre. C'est aussi, d'ailleurs, la question que se pose Jean Guitton : « *Cette question, je me la pose aussi. Je n'y trouve pas de réponse. *» La brièveté forte et discrète de ces deux phrases laisse supposer une recherche longue, patiente, peut-être angoissée. Et pourtant la réponse est là, sous les yeux, à portée de la main. Elle est mystérieuse : mais elle existe. C'est même, Jean Guitton joue de malchance, la plus longue réponse que le Seigneur ait faite à une question. Il prend la parole, l'Évangile l'atteste, pour répondre à Jude, et la réponse s'étend sans interruption sur toute la fin du chapitre XIV (neuf versets), sur tout le chapitre XV (vingt-sept versets) et la première moitié du chapitre XVI (seize versets). Les commentateurs modernes remarquent que « la ré­ponse n'est pas directe, mais c'est bien une réponse » ([^25]) ; que Jésus « répond à la question » avec « des compléments doctrinaux d'une grande profondeur » (sic), par lesquels on « atteint un des plus hauts sommets de l'Évangile » ([^26]). Certains, notamment à cause de XIV, 31, veulent placer tout ou partie du chapitre XV avant le chapitre XIV, mais « cette supposition n'a aucun appui dans la tradition ma­nuscrite » ([^27]) ; d'autres pensent que les chapitres XV et XVI « seraient une addition faite après coup par l'évangéliste lui-même » ([^28]). 152:128 Quoi qu'il en soit, ces cinquante-deux versets, même s'ils sont partiellement tirés d'un autre discours de Jésus, répondent et continuent de répondre, dans l'ordre de succession où nous les lisons, à la question de l'apôtre Jude, et c'est au demeurant une réponse qui avait déjà été donnée, selon la profonde remarque du P. Lagrange : « Jésus avait déjà suggéré la réponse ; il n'a donc qu'à remettre cette réponse sous les yeux de ses disciples : c'est que cette révélation est réservée à ceux qui aiment » ([^29]). Pour entendre cette réponse, il n'y a aucun inconvénient, au contraire, à lire d'un seul trait et à la suite depuis XIV, 23 jusqu'à XVI, 33. Dans son commentaire *Super evangelium S. Joannis*, saint Thomas déclare qu'il voit bien une *Christi responsio*, une réponse du Christ, qui expose pour quelle raison Il se manifeste aux disciples et non au monde ([^30]). Elle est tout entière contenue déjà dans les versets 23 à 25 de ce cha­pitre XIV : mais les quarante-neuf versets suivants déve­loppent ou prolongent la même réponse, notamment de XV, 18 à XVI, 4, avec la citation du psaume 35 (19) et du psaume 69 (5) : *oderunt me sine causa*, ils m'ont haï sans raison ([^31]). -- *Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tirés du monde, le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : le serviteur n'est pas plus grand que son maître s'ils m'ont persécuté, ils vous persécute­ront vous aussi ; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre. Mais ils feront tout cela contre vous à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé* (Jean, XV, 18-21). \*\*\* 153:128 Ce n'est pas une doctrine ésotérique. Elle était couram­ment attestée et enseignée dans toute la vie quotidienne de l'Église avant les derniers bouleversements. J'ouvre le Missel vespéral romain de Dom Gaspar Lefebvre, ancienne édition bien sûr, qui me fut donné à l'âge de quatorze ans ; au 28 octobre : « Jude avait demandé au Maître à la dernière Cène pourquoi il se manifestait aux Apôtres et non pas au monde. Et Jésus lui répondit qu'il ne se manifestait qu'aux âmes qui lui témoignaient leur fidélité en observant ses comman­dements. » La réponse tant cherchée par Jean Guitton était naguère dans les missels. Et l'évangile du 28 octobre est Jean, XV, 17-25. \*\*\* « Interroger, dit Jean Guitton, ne veut pas dire avoir droit à la réponse. La réflexion, en moi, interroge toujours. L'abîme ne répond pas toujours. » Encore faut-il savoir qui l'on interroge, et sur quoi, et pourquoi. Et vers quel abîme on se tourne. Dieu en tout cas ne nous a pas privés des *connaissances nécessaires au salut *: c'est le national-catéchisme qui nous en prive systématique­ment ; et, d'aventure, nos Académiciens. Jésus au contraire nous a prévenus. « Je vous ai dit cela pour vous préserver du scandale » (Jean, XV, 16). Le scan­dale organisé aujourd'hui autour de l' « échec » de l'Église conduit à rechercher les moyens de la « réussite » aposto­lique dans une Église nouvelle. C'est toujours la même ques­tion que se posent les hommes, et les apôtres eux-mêmes, la question de saint Jude. Mais Jésus a répondu. \*\*\* 154:128 Ce cas, chez Jean Guitton, d'inattention aux textes et d'erreur de fait, m'en a remis un autre en mémoire : dans son ouvrage *Dialogues avec Paul VI* ([^32]). Marcel Clément estime ([^33]) que l'on n'a pas donné à ce livre le « retentis­sement » qu'il méritait. La publicité qu'on lui a faite était pourtant énorme. On n'en a parlé ici que par occasion ([^34]). J'aurais eu beaucoup de choses à en dire et j'ai eu la ten­tation de les dire, puisque personne ne les remarquait. Appa­remment. On peut néanmoins supposer qu'elles n'ont pas échappé à ceux qui savent lire : ils auront pensé comme nous-même que leur commentaire public ne changerait actuellement rien à rien, et trouverait sa place normale en son temps, avec du recul et dans une perspective déjà histo­rique. Mais puisque nous parlons d'inattention aux textes et d'erreurs de fait, je peux bien dire que j'avais buté sur la page 27 de Jean Guitton, à propos de l'encyclique *Humani generis* de 1950. J'en fut d'emblée tellement secoué que je rouvris l'encyclique, ce qui est toujours une grâce, une béné­diction, une lumière : j'en remercie Jean Guitton qui en a été la cause occasionnelle. En sa page 27 nous sommes à la date du 8 septembre 1950. L'encyclique n'est pas vieille d'un mois : elle est du 12 août. Elle est tout à fait présente à l'esprit de ceux qui viennent de la lire, de la relire, de commencer à l'étudier. Or, à cette date, en cette page, recopiant les « notes qu'il avait écrites le soir même » de ce 8 septembre, voici le propos que rapporte Jean Guitton : « Vous avez sans doute remarqué vous-même les nuances qui sont inscrites dans ce texte pontifical. Par exemple, jamais l'Encyclique ne parle d'ERREURS (*erro­res*). Elle parle seulement d'OPINIONS (*Opi­niones*). Ceci indique que le Saint-Siège vise à condamner non des erreurs pro­prement dites, mais des modes de pensée qui pourraient amener des erreurs, mais qui en eux-mêmes demeurent respec­tables. » 155:128 L'erreur de fait est complète ; l'inattention au texte invoqué est totale ; et point par point : **1. ***Jamais l'encyclique ne parle d'*ERREURS (*errores*). *--* Le mot « erreurs » apparaît dès la *première ligne* de la traduction française, pour rendre le terme latin *aberratio*, qui n'est pas *error*, mais qui n'est pas moindre, au contraire. Nous retrouvons *aberrationem* dès le début du second para­graphe. Au § 6, il est question d'une *novæ aberranti philo­sophiæ*, une nouvelle philosophie aberrante. Au § 7, d'un historicisme *qui subvertit veritatis legisque absolutæ fun­damenta*, c'est-à-dire qui « mine en son fondement toute vérité et toute loi absolue » ([^35]) : serait-ce là simple « opinion », et nullement « erreur » ? Au § 10, nous trouvons *erroribus* et *errorem*, pour nous prévenir que parmi nos philosophes et nos théologiens, il en est qui « tâchent de se soustraire à la direction du Magistère et tombent insen­siblement et sans en avoir conscience dans le danger d'aban­donner même la vérité divinement révélée et d'entraîner avec eux les autres dans l'erreur ». Au § 18, il est souligné que ce qu'expliquent les encycliques des Pontifes romains « est négligé par certains d'une manière habituelle et pré­méditée ». Parlant des assertions contre lesquelles s'élèvent les dix-huit premiers paragraphes, le § 19 déclare : « Tous ces dires peuvent paraître fort adroits, l'erreur pourtant n'y manque pas » (le latin ne dit pas *error* ni *errores*, il dit : *fallacia*, qui est équivalent, ou qui plutôt est encore plus grave). Au § 22, il est question de docteurs catholiques qui « renouvellent la théorie déjà plusieurs fois condamnée... ». 156:128 Au § 37, l'encyclique répète qu'elle signale des erreurs manifestes et des dangers d'erreur : *manifestos errores errorisque pericula *; non seulement, donc, des DANGERS d'erreur, mais bien des ERREURS MANIFESTES. Le § 58 répète : *ces erreurs*, « aujourd'hui répandues ouvertement ou en secret » (*iis erroribus*). Qu'on se reporte au texte authentique latin ou à la tra­duction française, il est incroyable que l'on ait pu avancer une telle proposition : « Jamais l'encyclique ne parle d'ER­REURS (*errores*) ». Elle en parle tout le temps. Quand elle ne dit pas *errores*, elle dit *aberrationes* et elle dit *fallacia*. **2. ***L'encyclique parle seulement d'*OPINIONS (*opiniones*). -- Le terme « opinions » figure en effet dans le titre : « *De nonnullis falsis opinionibus quæ catholicæ doctrinæ fundamenta subruere minantur *» : « De quelques opinions fausses qui menacent de ruiner les fondements de la doc­trine catholique. » Il n'est donc pas question de simples « opinions », l'encyclique ne parle pas « seulement d'opi­nions », elle parle d'*opinions fausses*. On voit mal quelle différence on pourrait apercevoir entre une « opinion fausse » et une « erreur », s'agissant d'opinions fausses qui menacent de *ruiner les fondements* de la doctrine catho­lique. Il n'est pas vrai, nous l'avons vu, que l'encyclique n'em­ploie jamais le terme *errores *: elle l'emploie souvent. Il est vrai qu'elle emploie en outre les termes *opiniones* et *opina­tiones*, mais dans le même sens qu'*errores *: outre le titre, cela ressort du § 58 où « ces opinions nouvelles » (*novas ejusmodi opinationes*) et « ces erreurs » (*iis erroribus*) sont employées tour à tour non pas pour désigner deux sortes différentes de choses, mais comme deux expressions ayant en l'occurrence même extension et même compréhension. **3.** *Le Saint-Siège vise à condamner non des erreurs proprement dites, mais des modes de pensée qui pour­raient amener des erreurs.* 157:128 A\) Voici, dans l'ordre, les « modes de pensée » qui sont explicitement désignés dans l'encyclique : -- la théorie moniste et panthéiste (§ 5) -- le matérialisme dialectique des communistes (id.) -- l'immanentisme, le pragmatisme, l'existentialisme (§6) ; -- un faux historicisme (§ 7) ; etc., etc. Il est singulièrement étrange de voir en ces doctrines « non des erreurs proprement dites, mais des modes de pensée qui *pourraient* amener des erreurs »... B\) D'ailleurs, l'encyclique déclare explicitement qu'elle vise non pas des pensées qui *pourraient amener* des erreurs, mais des nouveautés QUI ONT DÉJA PRODUIT, DANS PRESQUE TOUTES LES PARTIES DE LA THÉOLOGIE, DES FRUITS EMPOISON­NÉS (§ 25 : *ac mirum non est hujusmodi novitates, ad omnes fere theologiw partes quod attinet, jam venenosos peperisse fructus*). Des fruits empoisonnés ! Déjà produits ! Dans presque toutes les parties de la théologie ! Au § 16 il était dit : « Ces tentatives non seulement *conduisent* à ce que l'on appelle le relativisme dogmatique, *mais le contiennent déjà réellement *» (*non tantum ducere... sed illum jam reapse continere*). Ainsi, par deux fois au moins, le texte de l'encyclique, de la manière la plus explicite et la plus précise, s'applique à prévenir et à écarter l'interprétation qui prétendrait qu'elle vise « non des erreurs proprement dites, mais des modes de pensée qui POURRAIENT AMENER des erreurs ». Néanmoins cette interprétation fut mise en avant moins d'un mois après sa publication. C'est donc bien, comme on vient de le voir, *point par point et mot à mot* que le propos du 8 septembre 1950, rap­porté en la page 27 de Jean Guitton, contredit des affirma­tions explicites de l'encyclique *Humani generis.* 158:128 A la page précédente, Jean Guitton avait rapporté sa propre opinion : « L'encyclique a besoin d'une interpré­tation. » C'est possible : au moins en ce sens que toute lecture est interprétative. Interpréter, c'est par exemple rechercher quel sens donner aux termes *errores*, *aberra­tiones*, *fallacia*, contenus dans le texte. Mais commencer par dire (et apparemment par croire) que ces termes ne sont pas dans le texte, et que leur absence est une caracté­ristique de la plus haute importance, qui doit commander toute la lecture du document et qui indique son intention générale, -- ce n'est plus une interprétation. Ce n'est même pas une interprétation fausse. C'est, en deçà de toute inter­prétation, la négation de l'*objet,* le refus du texte à inter­préter, remplacé par une rêverie gratuite sur laquelle on construit des considérations d'une allure déterminante et impérative, mais qui sont accrochées en l'air. Ainsi la réflexion, au lieu de scruter *ce qui est*, devient purement « poétique », au sens grec où l'entend Marcel De Corte ([^36]), et se met à planer dans un arbitraire qui, décourageant les communications intellectuelles opérées par le moyen du langage articulé, ne laisse en définitive, nécessairement, subsister entre les hommes que des rap­ports de force. Vous connaissez l'histoire du chaudron : -- Tu ne m'as pas encore rendu mon chaudron neuf ? -- Tu ne m'en as prêté aucun. Et il n'était pas neuf. Et je te l'ai déjà rendu. La pensée catholique, chez un nombre croissant de ses représentants les plus hautement éminents, en est donc à l'heure du chaudron. \*\*\* J'ignore si en 1967, au moment où l'on relisait les épreuves de la page 27, on a eu la simple curiosité de rouvrir l'encyclique *Humani generis* de Pie XII ; j'ignore si la contradiction arbitraire qu'on lui faisait par chuchotement privé en 1950, et que l'on a publiquement renouvelée en 1967, a été volontairement délibérée, en pleine connaissance de cause. Je constate les faits. 159:128 Comparée à l'état présent du monde et de l'Église, l'en­cyclique de Pie XII est aussi actuelle que la réponse de Jésus à saint Jude. Mais on nous fait croire que Jésus n'a pas répondu ; et que les « erreurs manifestes » signalées en 1950 n'étaient pas vraiment des erreurs. Alors cette géné­ration d'hommes s'enfonce dans l'angoisse et dans la nuit. Jean Madiran. 160:128 ### Défense du Canon romain par R.-Th. Calmel, o.p. NOMBRE DE PRÊTRES qui déjà s'étaient mis à dire tout fort le Canon romain, dans une traduction systématiquement erronée, en sont venus désor­mais à réciter d'autres canons au petit bonheur et selon leur fantaisie : trois Canons de plus ; pourquoi pas dix, quinze ou quatre-vingts, je me le demande. -- Seraient-ils tenus à obéir à quelque prescription légitime ? Pas du tout. Il n'existe en la matière aucune obligation. La dévotion du célébrant en serait-elle favorisée ? Avant de répondre, j'attends d'avoir des preuves. Le « peuple de Dieu », selon l'expression qui fait fureur pour le quart d'heure, avait-il une telle nécessité d'entendre crier le Canon, et en langue vulgaire, et dans quatre formulaires interchangeables ? Le peuple de Dieu n'aspirait à rien de tel. Que l'on fasse plutôt le compte des fidèles qui, à la mort de Pie XII, donc il y a dix ans à peine, avaient demandé le Canon en français, à haute voix et selon quatre formulaires différents. Le compte sera vite bouclé. Il faut honnêtement en conve­nir : il y a dix ans de cela les fidèles ne désiraient pas ces changements, ils ne les pressentaient même pas. 161:128 Mais leur confiance et leur docilité ont été surprises par des prêtres agités, situés ou dissimulés à des postes importants, des prêtres en mal de subversion, généra­lement dépourvus de responsabilité pastorale directe, gâtés par l'esprit de système ou gangrenés par le néo­-modernisme. \*\*\* Avant de poursuivre, je pourrais démontrer longue­ment que le Canon romain « traduit » est en réalité un Canon falsifié. -- Si par exemple l'on fait toujours monter la supplication vers le Père, ce Père n'est plus *très clément,* mais seulement infiniment bon ; on ne rappelle plus qu'il manifeste sa bonté infinie par le don suprême de sa *clémence* et de sa miséricorde : l'immolation pour nous de son propre Fils. Ce Père n'a plus à être *apaisé* par le sacrifice de Notre-Seigneur : il suffit qu'il accepte notre offrande avec bienveillance. On ne lui demande plus de considérer d'un *regard favorable* une hostie de propitiation, sans tâche et *immaculée*, mais seulement de regarder notre offrande avec amour. Comme l'on pouvait le craindre, silence absolu sur l'*éternité* de la damnation. On prie sans doute encore pour les défunts, mais sans en appeler à l'*indulgence* du Père, comme sans faire allusion au *rafraîchissement* du Paradis après les flammes du Purgatoire. La *dévotion,* exprimée formelle­ment dans le texte latin, est changée en simple attache­ment, afin de voiler autant que possible la transcendance du Créateur et notre condition de créature. Pour en finir avec cette énumération, qui est loin d'être exhaustive, des arrangements et truquages devant lesquels n'ont pas reculé des novateurs sans scrupules ni piété, relevons cette omission insolente, odieuse, dans le récit de l'insti­tution qui enchâsse les paroles consécratoires : le mot *vénérable* n'est plus employé pour qualifier les mains de notre Sauveur. 162:128 Ces mains divines qui, avant d'être clouées à la croix, ont rompu pour tous les rache­tés le pain eucharistique et nous ont présenté à jamais le calice du salut, il ne sera plus dit qu'elles sont des mains infiniment dignes de vénération. A quoi bon insister ? C'est par un véritable abus de confiance que les traducteurs se permettent d'appeler Canon romain un formulaire de leur cru, qui n'est ni une traduction, ni même une paraphrase ; -- c'est un formu­laire différent qui, sans rendre la Messe invalide, a été cependant exactement combiné pour ne pas attirer l'attention sur l'essence de la Messe : sacrifice de pro­pitiation pour nos péchés ; sacrifice identique à celui de la croix (le mode étant seul différent) et donc sacri­fice satisfactoire, et qui n'est louange parfaite que parce qu'il est d'abord satisfaction infinie ; enfin sacrifice qui doit être offert avec toute la vénération, dévotion et humilité dont est capable une Église sainte mais com­posée de pécheurs toujours fragiles, toujours exposés à se perdre. Dans le Canon truqué il est visible qu'on a tenu à ne pas éveiller au cœur du prêtre ou du fidèle soit les sentiments de dévotion et d'humilité, soit les sentiments de foi, dans ce qui est constitutif de la Messe : sacrifice de propitiation au même titre que celui de la croix, ne différant que par la manière d'offrir. \*\*\* A tout ceci l'on répondra peut-être que le texte en langue vulgaire, qui usurpe le nom de Canon romain, n'est quand même pas hérétique ; ensuite qu'il « permet de comprendre ». L'une et l'autre proposition appellent des remarques capitales. -- D'abord ce texte non héré­tique est quand même très orienté, dûment infléchi dans le sens des hérésies modernes : nier la rédemption du péché par la croix, méconnaître l'infinie transcendance du Créateur et la gravité, en quelque sorte infinie, du péché de l'homme. 163:128 Eh ! bien une fois engagés sur cette pente, les fabricants de nouvelles formules pour la Messe et les sacrements nous conduiront plus ou moins vite, mais tout droit, à des textes carrément hérétiques, des textes teilhardiens-néo-chrétiens, chrétiens-critiques ou chrétiens-révolutionnaires qui véhiculeront la religion nouvelle de Saint Avold. Après tout, cette religion héré­tique n'a jamais été désavouée, que je sache, par l'au­teur ni ses confrères. Et vous pourrez toujours tenter de nous rassurer en nous faisant observer que la collégialité épiscopale saura freiner les changements et y mettre bon ordre. Nous sommes payés pour savoir comment elle met bon ordre à un Fonds obligatoire de catéchisme héré­tique, cette collégialité épiscopale, et comment elle est capable de faire taire ou de chasser les prédicants apostats, issus tant du clergé séculier que régulier. Il faudrait être ignorant ou naïf au sujet de l'actuel processus de changement de religion au sein même de l'Église pour estimer que la collégialité est en mesure d'arrêter à temps, sur le chemin de l'hérésie, les auteurs de formu­laires nouveaux qui déjà ont infléchi leurs textes dans une direction hérétique. C'est pourquoi d'ailleurs je ne manque pas de répondre à ceux qui me prient de remar­quer que le Canon en français n'est pas hérétique : savez-vous jusqu'où l'on vous mènera dans cette voie des chan­gements, modifications, expériences et altérations ? Qui peut vous garantir que, par ce sentier douteux, vous ne vous retrouverez pas bientôt en dehors de la foi ? Après tout c'est ce qui est arrivé au clergé d'Angleterre et d'Allemagne il y a à peine un peu plus de quatre siècles quand il a voulu ou quand il s'est laissé imposer le Canon et la Consécration en langue vernaculaire. Est-ce que par hasard vous seriez plus malin ou bien croiriez-vous en l'infaillibilité des collèges épiscopaux ? \*\*\* 164:128 Mais enfin avec le nouveau Canon « on peut com­prendre » : voilà le grand argument que l'on estime irréfutable. Sa faiblesse est de passer à côté de la ques­tion. La question en effet n'est pas, ici, de comprendre un sermon ni un exposé de doctrine mais de nous unir de la manière la plus convenable à l'action liturgique, au Saint Sacrifice, à ce rite mystérieux qui réalise à la fois, en vertu de la double consécration, la transsubstantia­tion du pain et du vin et l'oblation, sous un tel signe, du Sacrifice de la croix. Nous ne sommes plus, ici, dans la « liturgie de la parole », comme vous dites, mais dans la « liturgie du sacrifice ». La question est ici de nous unir dans la foi au sacrifice du Seigneur présent sur l'autel, non pas de saisir une explication sur un point de dogme ou de morale. -- Encore faut-il comprendre pour s'unir ? -- Sans doute ; mais cela veut dire : ici, dans cette partie essentielle de la Messe, il faut, par la foi, reconnaître que le Saint Sacrifice s'accomplit sous nos yeux et nous y unir de cœur, mais il ne faut pas, ici, avec notre raison, nous mettre à développer des explications, même orthodoxes, sur ce qui se passe. Silen­ce et adoration. D'une façon générale, il faut nous appro­cher des sacrements et y participer dans une attitude de prière et de componction -- *in spiritu humilitatis et in animo contrito* -- non pas dans une attitude curieuse qui argumente et multiplie les discours. Or la récitation du Canon en latin et à voix basse aide incomparable­ment mieux à s'unir dans la foi et la prière au Saint-Sacrifice que la récitation à haute voix. En effet dans ces instants de la Messe la récitation à voix haute a quelque chose d'indiscret et de distrayant. Pour peu que le prêtre soit saisi par ce que le Seigneur réalise à travers son serviteur indigne il n'a pas la moindre envie de crier. -- Par ailleurs la récitation en français, même à voix basse, de cette partie de la Messe, expose à des dangers prati­quement insurmontables : dangers de traductions ten­dancieuses sur la pente de l'hérésie ; dangers de briser l'unité catholique en refusant, pour la liturgie du sacri­fice, une langue immuable et universelle. 165:128 Aux prêtres qui me font valoir les prétendus avan­tages de réciter pieusement un canon français qui serait exactement traduit je réponds en substance : pour vous peut-être. Mais nous ne sommes pas tout seuls. Ouvrons les yeux sur le vaste monde à travers lequel est répan­due l'Église de Jésus-Christ. Estimeriez-vous par hasard les évêques et les prêtres de tant de nations diverses tellement sûrs et réfléchis, tellement pieux et saints, tellement doctes qu'ils échapperont bien longtemps aux formulations hérétiques, alors qu'ils seront privés de cet instrument d'expression universel et immuable que constitue la langue latine et qu'ils seront réduits à révi­ser, modifier, réadapter sans cesse les versions en langue nationale ? Si le fidèle est instruit de sa religion, il comprend suf­fisamment pour s'unir en esprit et en vérité à la liturgie du sacrifice célébrée en latin et à voix basse ; et si le fidèle n'est pas instruit, ce n'est pas alors le moment de faire son instruction : la liturgie du sacrifice est faite, pour offrir et adorer, non pas directement pour ensei­gner. Et vous n'obtiendrez pas une meilleure participa­tion des fidèles en clamant ni surtout en vociférant le Canon. Il m'est parfois arrivé, pendant que s'accomplis­sait la liturgie du sacrifice, à très haute voix et en langue vivante, de jeter un regard sur « l'assemblée » ; or, à voir la plupart de ces visages fermés, ennuyés, privés de lumière intérieure, ces moines visages dont toute expression de piété est absente, j'ai pu vérifier ce que je savais déjà : la véritable participation à la Messe n'est pas une conséquence de la récitation du Canon en lan­gue vulgaire. Ce n'est point par l'usage des Canons en langues vivantes que la foi dans la Messe deviendra vi­vante, éclairée, humblement adhérente au mystère. C'est avant tout, en même temps que par la fidélité aux anciens rites, par la dévotion du prêtre, sa vraie et solide piété, la force et la sûreté de sa prédication, sa transfor­mation dans le Christ. 166:128 Malheureusement, les prêtres ont de moins en moins le souci d'initier les fidèles à la vie intérieure et de les nourrir de saine doctrine afin de les introduire conve­nablement aux saints mystères ; les prêtres sont maintenant à l'affût de recettes « pour que les gens compren­nent » et ils ont trouvé des fournisseurs infatigables dans les équipes « omnivalentes » des centres nationaux de fabrication liturgique. Eh ! bien, tant que vous y êtes, sinistres fabricants de nouvelles liturgies, changez aussi les paroles de la Con­sécration, on plutôt entourez-les de formules et de ges­tes donnant à penser que ces paroles du *mystère de la foi* se réduisent aux limites de notre esprit ; introduisez et accompagnez le rite consécratoire avec des expres­sions et des attitudes qui fassent comprendre sans ambages qu'il ne s'agit pas d'une « incompréhensible » trans­substantiation ni d'un sacrifice « physiquement » offert. Il s'agirait d'une réalité qui va de soi, qui s'explique na­turellement : une évocation religieuse, porteuse de l'ave­nir et du développement de notre planète, mais sans nulle efficacité de transsubstantiation. Quant au sacrifice de la croix, parfait et unique, il ne serait plus réalisé qu'au titre de simple mémorial absolument vide. Évo­cation vaine, non point réalisation efficace. Avant comme après la consécration ce qui existerait ce serait du pain et du vin ; nous ne serions pas rendus présents au Sacri­fice de la croix, nous serions présents, en tout et pour tout, à l'action religieuse d'un fonctionnaire du culte qui accomplirait un rite de simple souvenir. Voilà sans doute ce que vous voulez que l'on comprenne ; vous voulez en finir avec la foi et l'adoration et voilà pour­quoi vous vous acharnez sournoisement contre le Canon romain. 167:128 Car si vous vouliez que l'on comprenne ce qui est à comprendre, c'est-à-dire que l'on comprenne qu'il ne s'agit plus, ici, d'une réalité à la mesure de l'entende­ment naturel mais d'un mystère surnaturel et révélé, un mystère qu'il faut croire et adorer, eh ! bien vous laisse­riez intactes ces formules latines plus que millénaires, qui furent inspirées à l'Église catholique pour permettre de croire et d'adorer de la manière la plus digne. *Il faut bien sûr que l'on comprenne* d'après vous, que le Concile de Trente et toutes les professions de foi, jusqu'à celle de Paul VI inclusivement, ne sont que de vieilles histoires et que les saints mystères se laissent ramener aux con­ceptions de la raison humaine ; une raison qui crève d'orgueil évolutionniste et hégélien, révolutionnaire et nihiliste. Vous voulez probablement que l'on comprenne cela, qui est d'une autre religion... Quelqu'un me fait ici remarquer que les auteurs de liturgies nouvelles ont d'excellentes et très chrétiennes intentions. Il se peut. Toutefois en introduisant la trans­formation permanente dans la liturgie de la Messe, sans excepter le Canon, *au moment même* où l'autorité se désagrège dans l'Église et où la foi d'un grand nombre devient vague et incertaine, j'affirme que les novateurs, même bien intentionnés : travaillent en fait à ruiner le culte catholique et font le jeu de l'hérésie. -- Qu'impor­te ; leur tentative est vouée à l'échec. Ils ne viendront jamais à bout de ces prêtres qui, avec une parfaite tranquillité d'âme, continueront de refuser, par respect pour la Messe et amour pour les fidèles, les mutations effrénées et les expérimentations perfides. \*\*\* 168:128 Par ailleurs à ceux qui prétendent que l'usage du latin dans le Canon et l'unicité du formulaire servaient à déguiser la tiédeur et la routine, je réponds à chaque coup : même chez un curé d'Ars ? même chez un Père de Foucauld, un saint Pie X et la phalange magnifique des saints prêtres, pontifes ou non pontifes, qui depuis des siècles et des siècles ont consacré en latin, et ont dit le Canon romain avec une intensité de foi, d'adoration, de surnaturelle tendresse qui saisissait les fidèles et frap­pait doucement à ce recès du cœur où l'homme le plus superficiel, le plus endurci, a perçu un jour ou l'autre l'interrogation dernière : ce que dit la religion, ce qu'elle fait, est-ce sérieux ? -- Réciter le Canon, toujours le même, à voix basse et en latin, a favorisé la routine chez les prêtres qui avaient consenti à la tiédeur : voilà tout. La cause de la routine n'est pas à chercher dans le Canon romain, mais dans la médiocrité du prêtre. -- Et puis, quel besoin de poser tout de travers cette question de routine. Car il s'agit avant tout de savoir *si, oui ou non, dans le ministère des sacrements, il est des paroles qui sans être absolument requises pour la validité, y tiennent cependant de trop près pour envisager d'en fournir des versions multiples et indéfiniment variables. La réponse est oui.* Dès lors, contre le danger de routine le remède est à chercher non dans la variation de telles formules mais dans l'accroissement de la vie intérieure. Et que l'on ne m'accuse pas pour autant de fixisme intolérable. Je n'ai jamais pensé que rien n'aurait dû changer dans toute la liturgie de la Messe*.* J'ai applaudi comme les autres à l'usage du français dans l'épître et l'évangile, lorsque du moins la traduction est juste et que la « spi­querine » de service, religieuse en habit court ou petite demoiselle pincée, ne vient pas se trémousser devant le micro et nous infliger une proclamation sans pudeur de tel ou tel récit du Vieux Testament, choisi à dessein pour sa crudité ou son étrangeté. Et puis quoi qu'il en soit de l'épître et de l'évangile en français, -- autre, je le répète, la liturgie de la parole et autre la liturgie du Sacrifice. \*\*\* 169:128 Peur, ignorance, affaiblissement de la vie spirituelle, ces trois raisons conjuguées expliquent sans doute la désaffection qui se généralise à l'égard d'un texte re­commandé au plus haut point par son antiquité, sa justesse et sa plénitude. -- Tel prêtre qui n'avait pas été profondément imprégné par les sentiments de foi et de dévotion exprimés dans le Canon romain le trouvait cependant tout à fait adapté à introduire dans l'intimité du mystère de la double consécration. Pourquoi donc l'avoir lâché si vite ? Ce prêtre a eu peur de ce que dirait le confrère « s'il n'entrait dans le mouvement » ; le confrère à son tour a eu peur de ce que dirait le doyen ; le doyen s'est alarmé de ce que pourrait dire la session de « recyclage » ; les prêtres en « recyclage » ont tremblé, sans vouloir en convenir, à la pensée des blâmes éventuels du vicaire épiscopal et du « père évêque » ; le « père évêque » enfin a blêmi et frissonné en songeant au conseil permanent et francophone, à la commission spécialisée, à la session restreinte. Et voilà comment d'appréhension en frayeur et de frayeur en épouvante, par une réaction en chaîne de respect hu­main et de lâcheté -- qualifiée bien entendu prudence apostolique -- ce qui était une simple tolérance non légitime, -- (les trois Canons français non encore ap­prouvés à Rome) -- est devenu aux yeux d'un grand nombre un véritable précepte, plus obligatoire que les commandements du Décalogue, plus digne de respect que la tradition ecclésiastique de quinze siècles. 170:128 Cependant, quelle que soit la débilité de notre nature déchue, la seule peur ne rend pas raison de ce que la démission soit devenue aussi fréquente et la résistance aussi exceptionnelle. Trop de prêtres ignorent ou ne veulent pas savoir. Ils ignorent ou ne veulent pas savoir que la traduction du Canon romain est erronée par principe, ensuite et surtout que les changements conti­nuels jusqu'à ce que l'on finisse carrément dans l'hérésie, ces transformations et altérations ininterrompues et gra­duées, sont l'effet non du hasard, mais d'un système nou­veau de gouvernement : l'actuel système tel qu'il existe et fonctionne jusqu'ici, de la fameuse collégialité. La collégialité, telle qu'elle existe de fait, en diluant la responsabilité, étouffe les réactions ou les sursauts de la conscience du chef et porte à son point de nuisance le plus extrême le pouvoir destructeur des mobiles d'action les moins avouables : la peur ou l'envie. Ce que le chef, responsable pour son propre compte, *in conspectu Dei*, ne se résoudrait à faire que très difficilement, il le laisse passer sans beaucoup s'émouvoir quand il voit que c'est mis au compte de l'assemblée et que lui-même, du moins en apparence, n'y est pas pour grand chose. Combien d'évêques, par exemple, s'ils avaient dû (comme naguère encore -- à peine 7 ou 8 ans --) s'ils avaient été obligés de décider seuls, quitte bien sûr à prendre conseil, com­bien auraient signé la réponse insolente au Cardinal Ottaviani ou l'ordre d'enseigner le *Fonds soi-disant obli­gatoire* d'un catéchisme hérétique ? Seulement la collé­gialité leur a épargné autant que possible la peine de se sentir personnellement responsables. « Après tout, se disent-ils, ce n'est pas tellement ma faute ; cela regar­de la commission, le conseil ou le comité ; et il y a là-dedans des personnages bien plus habiles que moi. Je ne vais donc pas me tracasser. » Ainsi les réactions élé­mentaires d'une conscience honnête sont terriblement entravées, sinon neutralisées. Ce qui s'est passé pour l'affaire PAX, pour la réponse au cardinal Ottaviani, pour le *Fonds obligatoire*, s'est également passé pour le bou­leversement indéfini imposé à la liturgie de la Messe. Jusques à quand ? Qu'il se lève enfin quelques évêques réfractaires à la constitution collégiale ! Quelques évê­ques se souvenant que saint Athanase n'a pas combattu en collégialité l'hérésie d'Arius ni saint Martin évangé­lisé nos campagnes en collégialité ; et les deux La Ro­chefoucauld ne sont pas non plus tombés, en vertu d'un martyre collégial, sous les sabres et les piques des mas­sacreurs de septembre 1792. 171:128 Cependant pour maintenir la dignité, sinon la validité de la Messe, ce qui importe le plus c'est, parmi le clergé, une vie spirituelle ardente et vigoureuse. Prenez un prêtre qui aura désiré de toutes ses forces de *vivre selon l'Esprit*, pour parler comme l'Apôtre, et qui aura goûté par expérience combien la récitation du Canon romain est efficace pour soutenir sa propre participation au divin sacrifice dont il est le ministre, et combien d'autre part cette pieuse récitation est bienfaisante aux fidèles, prenez un prêtre qui aura cette double expérience : pensez-vous qu'il va céder au conformisme des Canons nouveaux ? Il aura tout de suite deviné que sa propre dévotion n'y gagnerait rien, et la dévotion de ses frères non plus. Il ne va pas rejeter le Canon romain, le prêtre catholi­que qui pendant des années aura senti jusqu'au fond du cœur la parfaite consonance entre les paroles de ce Canon et les paroles sacramentelles de la double consé­cration. En revanche, si la prière personnelle est telle­ment insignifiante qu'elle n'Wa point trouvé à se nourrir dans le Canon romain, il est comme inévitable hélas ! que le prêtre se tourne vers des formulaires divers et variés, et qu'il ne s'aperçoive même pas que la prétendue traduction du Canon romain, encore qu'elle ne rejette pas ouvertement le Mystère, ne soutient pas cependant l'essor de l'âme à cette altitude, ne fait pas assez com­prendre qu'il s'agit de l'unique sacrifice, le *sacrifice saint, l'hostie immaculée* offerte à un Dieu mortellement offensé et qui ne fait miséricorde que par le sang très précieux de son propre Fils. \*\*\* 172:128 L'excellence du Canon romain traditionnel tient à ceci : il est en harmonie plénière avec le mystère du Saint-Sacrifice. -- Lorsque le Seigneur s'est offert sur l'autel en vertu de la double consécration, plus exactement lorsque l'immolation du Calvaire, avec le même prêtre et la même victime, est devenue réellement présente sur l'autel, en vertu de la double consécration et de la transsubstantiation, sans doute n'y a-t-il pas autre chose à faire que adorer, implorer le Père d'agréer le Sacrifice que lui présente l'Église de la terre, pour elle-même, pour l'Église du Purgatoire, en union avec l'Église du Ciel. Encore faut-il cependant que l'adoration et la supplication, le repentir d'avoir attiré le courroux de Dieu (comme l'on disait si justement au XVII^e^ siècle), l'imploration de l'infinie miséricorde, encore faut-il que ces sentiments de l'âme chrétienne s'expriment en formules convenables. Or le Canon romain répond pleinement à cette nécessité première ; en particulier il nous tient à la hauteur de ce sacrifice de propitiation ; ce sacrifice qui n'est louange parfaite que parce qu'il est propitiation infinie. -- Pour bien saisir cette adaptation si juste et délicate, cette harmonie très belle entre le Canon romain et la profondeur du Mystère, méditons plutôt et dans l'ordre où ils sont placés, les passages qui font allusion à l'extrême *clémence* du Père, à l'*apaisement* de son courroux, à notre condition dépendante et menacée et qui peut défaillir jusqu'à la *damnation éternelle*. Mais pourquoi mentionner tel ou tel passage de préférence ? Le Canon romain tout entier est un cristal sans défaut qui réfracte fidèlement jusqu'à l'intime de nos oœurs la lumière mystérieuse des paroles divines de la double consécration ([^37]). \*\*\* 173:128 Mais que faut-il donc pour que soit conservé ou repris le Canon romain en latin ? Sans parler de l'intervention de Rome, voici ce qui est toujours en notre pouvoir. D'abord que les prêtres n'hésitent plus à considérer en face les ruines spirituelles accumulées par les changements effrénés, les traductions faussées, les expérimentations sans limites ; considérer en face et tirer les conclusions logiques ; -- ensuite qu'ils sachent d'expérience l'harmonie profonde, la consonance admirable qui existent entre les paroles sacramentelles de la double consécration et le texte du Canon romain ; -- enfin qu'ils se rendent à cette évidence : la première participation des fidèles à la Sainte Messe consiste dans le recueillement de la foi ; or cette participation essentielle est merveilleusement favorisée par la récitation pieuse et à voix basse du Canon romain traditionnel. Trois conditions qui se réduisent en fait à une seule : que les prêtres entrent le moins mal possible dans les mystères divins qu'il plaît au Seigneur de célébrer par leur ministère. *Agnoscite quod agitis, imitamini quod tractatis* ([^38])*.* R.-Th. Calmel, o. p. 174:128 ### S. François de Sales et la traduction de la Bible en langue vulgaire par Raymond Dulac PARMI LES ŒUVRES de saint François de Sales il y a un opuscule qui mériterait d'être mieux connu et lu assidûment, en ce temps d'œcuménisme, par les catholiques et les protestants. On l'a édité après la mort du saint, sous le titre de *Controverses.* Le P. Sineux a fort bien décrit l'occasion qui donna le jour à cet ouvrage ([^39]) : « On a rassemblé sous le titre de « *Controverses *» toute une série de « méditations » et de placards, ce que l'on appellerait aujourd'hui des « tracts », que s. François de Sales, vrai précurseur des méthodes contemporaines, faisait distribuer dans les maisons ou afficher sur les murs, pendant sa mission dans le Chablais, à l'intention des protestants que les préjugés ou le respect humain empêchaient de venir entendre ses prédications. » 175:128 En fait, comme on le voit d'après sa correspondance, le missionnaire avait revu, complété, ordonné ces feuilles volantes, de manière à leur donner la forme d'un ouvrage composé, qu'il comptait bien faire imprimer et publier. C'est un véritable traité de ce qu'on appellerait aujourd'hui *la théologie fondamentale*, qui est, comme on sait, l'introduction à la théologie *dogmatique*. Avant, en effet, d'étudier, un par un, les dogmes de la foi, il est nécessaire de poser les « fondements » de cette foi : le fait de la « révélation » ; ses « sources » (l'Écriture et la Tradition orale) ; les signes pour reconnaître l'église véritable, etc. Ce plan, devenu classique, paraît déjà tout dessiné dans les *Controverses*, mais, au lieu d'un ouvrage écrit calmement dans un bureau, il s'agit d'un ouvrage qu'il faut bien appeler *polémique*, en enlevant à ce terme sa signification péjorative : il est polémique comme le sont maints ouvrages de l'antiquité chrétienne : d'un Justin, d'un Tertullien, d'un Minucius Félix, d'un Augustin, d'un Jérôme. Pour ces héros chrétiens, dont plusieurs furent des martyrs, la foi n'est pas une théorie philosophique, dont on peut tranquillement disserter en déambulant sous les portiques d'une école. La foi est, pour chaque homme, une question de vie et de mort. De vie et de mort éternelle ! Et, pour ceux qui ont une charge pastorale dans l'Église, l'enseignement et la défense de la foi est un devoir où leur salut personnel est engagé à un titre supplémentaire. Donc les pages des *Controverses* se ressentent de leur origine : les « feuilles volantes » datent de 1595-1596. Saint François avait à peine 28 ans ; il était prêtre depuis deux ans. On pourrait dire que son style sent la poudre : il rappelle souvent la verdeur et la vigueur, rude et drue, de nombreux auteurs français profanes de l'époque : d'un Montluc, d'un Pasquier, de Montaigne, qu'il a lus et qu'il cite ! Style qui paraît très éloigné de ce qu'il sera dans *l'Introduction à la Vie dévote *; mais l'homme, le serviteur de Dieu restait à vrai dire le même. N'est-ce pas dans ce deuxième ouvrage (composé une dizaine d'années après : en 1607-1608), que l' « apôtre de la douceur » écrit ces lignes qui étonnent nos oreilles modernes : (au chap. XXIX de la 3^e^ partie : « *de la médisance *») : 176:128 « Il faut surtout observer, en blâmant le vice, d'épargner le plus que vous pourrez la personne en laquelle il est. Il est vrai que, des pécheurs infâmes, publics et manifestes on en peut parler librement, pourvu que ce soit avec esprit de charité et de compassion... J'excepte entre tous, les ennemis déclarés de Dieu et de son Église ; car ceux-là, il les faut décrier tant qu'on peut, comme sont les sectes des hérétiques et schismatiques et les chefs d'icelles : c'est charité de crier au loup quand il est entre les brebis, voire où qu'il soit. » Nous devions faire ces remarques préalables, afin de donner leur sens véritable à certains traits qu'on trouvera dans quelques-unes des citations que nous allons faire. \*\*\* C'est à propos des « RÈGLES de la Foi » que S. François de Sales traite des traductions de l'Écriture sainte en langue vulgaire : l'Écriture est, en effet, la première de ces Règles. (2^e^ partie : chap. I, art. 7 à 11.) Le saint Docteur commence par reprocher aux Protestants trois « violations » des livres saints, relatives soit à la liste qu'ils en dressent à leur fantaisie, soit aux nouvelles « interprétations et versions », qu'ils en ont tentées. Il en vient ensuite à « la profanation ès versions vulgaires », quel que soit l'usage qu'on peut faire de ces traductions : lecture privée ou lecture au cours des offices liturgiques. Voici le principe : « Le saint Concile de Trente ne rejette pas les traductions vulgaires imprimées par l'autorité des Ordinaires, seulement il commande qu'on n'entreprenne pas de les lire sans congé (= permission) des supérieurs : ce qui est très raisonnable, pour ne mettre pas ce couteau... en la main de qui s'en pourrait égorger soi-même » ([^40]). 177:128 Et là-dessus il cite Montaigne : il n'est pas, raisonnable, dit l'auteur des Essais de « voir tracasser (= remuer en tous sens, agiter) le saint Livre des sacrés mystères de notre créance », car « ce n'est pas en passant et tumultuairement qu'il faut manier un étude si sérieux et vénérable ». Et il ajoutait : « Dissiper une parole si religieuse et importante, à tant de sortes d'idiomes, a beaucoup plus de danger que d'utilité. » ([^41]) C'est ce que J. de Maistre dira plus tard, à sa manière brusque : « Quant au peuple proprement dit, s'il n'entend pas les mots, c'est tant mieux. Le respect y gagne, et l'intelligence n'y perd rien. Celui qui ne comprend point, comprend mieux que celui qui comprend mal. » ([^42]) Saint François de Sales insiste sur cette raison, qui commande en effet toutes les autres : « Sachons un peu, de grâce, pourquoi on veut avoir les Écritures et services divins en vulgaire. Pour y apprendre la doctrine ? Mais certes, la doctrine ne s'en peut tirer si quelqu'un n'a ouvert l'écorce de la lettre, dans laquelle est contenue l'intelligence » (p. 183). Il y faut un *maître* qualifié : « La prédication sert à ce point. » « Qui est celui, tant houppé (= huppé) soit-il et ferré, qui entende sans étude les Prophéties d'Ézéchiel et autres, et les Psalmes ? » Il ne suffira pas de traduire dans la langue vulgaire commune, il faudra parler, pour les gens du peuple, « le propre barragouin de leur contrée ». Là-dessus, il rapporte, d'après saint Bellarmin, le cas, arrivé en Angleterre, d'une « bonne femme » qui avait ouï le ministre réformé lire le chapitre 25 du livre de l'Ecclésiastique, où la réputation de la femme est malmenée par l'auteur sacré ([^43]). 178:128 -- « Et quoi ? s'écria-t-elle ? Est-ce là la parole de Dieu ? Dites plutôt du diable ! » ([^44]) C'est un fait, que l'expérience de ces dernières années a mis dans une cruelle évidence. Pour ne parler que des traductions en français, il est vite apparu que, dans des cas multiples, les mots, le style, le ton du livre sacré étaient *aussi difficiles* à saisir *en vulgaire qu'en latin !* Le Peuple de Dieu (et pas seulement les illettrés !) ne comprenait pas ou comprenait de travers ! D'où la conséquence inévitable : à la traduction pure et simple il fallut ajouter une *interprétation*, une *paraphrase*. De quoi découlent deux inconvénients détestables : d'abord, ces interprétations sont d'une exactitude au moins discuta­ble, ensuite on en arrive à substituer la parole *de l'homme* à la Parole *de Dieu !* Sur ce point, S. François de Sales manifeste une sainte colère. Il s'en prend aux « rimailleries » de Clément Marot mises sur les Psaumes (p. 185) : « Qui ne voit combien est violée la sacrée Parole ? Car le vers, sa mesure, sa contrainte ne permet pas qu'on suive *la propriété des mots* de l'Écriture, mais y *mêle-t-on du sien* pour rendre le sens parfait, et a été nécessaire à cet igno­rant rimeur de choisir *un* sens, là où il y en pouvait avoir *plusieurs*. Et quoi ? n'est-ce pas une profanation et viola­tion extrême d'avoir laissé à cette cervelle éventée un jugement de si grande conséquence, et puis suivre aussi étroitement le triage d'un bateleur, ès prières publiques... Combien de mots, combien de sentences couche-t-il là de­dans, qui ne furent jamais en l'Écriture... » \*\*\* 179:128 Mais voici un nouveau dommage, causé par les traduc­tions vulgaires : en croyant faciliter la lecture de la Parole de Dieu, on l'expose au libre examen de chaque lecteur, qui y puise sa croyance personnelle, au détriment de l'unité de la Foi : « Voici un des plus prégnants (= *gros de conséquences*, qui sont contenues en germe) artifices que l'ennemi du Christianisme et d'unité ait employé en notre âge pour atti­rer les peuples à ses cordelles, il connaissait la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement pro­pre. 2 » (p. 179.) -- Il faut donner ici au mot *curiosité* son sens classique : empressement à apprendre des choses ra­res, nouvelles, singulières. Là-dessus, le saint docteur n'a aucune peine à montrer que les grands maîtres du Protestantisme se sont, dès le début divisés sur le sens à donner à tels ou tels passages de l'Écriture : Déjà « la porte (était) ouverte à la témérité », dès lors que « ces regrateurs de vieilles opinions » prétendaient re­faire, « chacun au biais de son jugement », la vieille tra­duction *latine* des Livres saints (p. 177). Il en advint que chacun « prisait » sa traduction et méprisait celle de son « compagnon » : « On a tournaillé tant qu'on a voulu », au point de « renverser la majesté de l'Écriture et la mettre en mépris vers les peuples, qui pensent que cette diversité d'éditions vienne plutôt de l'incertitude de l'Écriture que de la bi­zarrure des traducteurs. » Que dire alors, quand, de ces *nouvelles* versions latines de la Bible, « contournées » par les « Religionnaires », on passera aux traductions en vulgaire ? Il suffit de penser aux sens les plus opposés qu'ils en vinrent à donner aux paroles les plus simples. « D'où vient cette discorde, si fréquente et irréconcilia­ble, qui est entre vous autres, frères en Luther, sur ces seules paroles, *Ceci est mon corps,* et sur le point de la justification ? » 180:128 Et puis, n'y a-t-il pas une contradiction, et les réformateurs, ne se condamnent-ils pas eux-mêmes en mainte­nant des « *interpréteurs *» et des « *prédicants *» pour expli­quer des textes que leur traduction en vulgaire était censée avoir mis définitivement au clair ? Mais voilà ! Si l'obscurité des livres saints vient de la langue et non du mystère des choses divines, quelle cham­brière, quel cuisinier ne se croiraient capables de trancher des questions théologiques ? Et de rappeler le mot de saint Basile à un marmiton de l'Empereur qui avait voulu faire l'entendu à produire certains passages de l'Écriture : « Ton affaire est d'assaisonner les sauces, et non point d'apprêter les dogmes divins. » \*\*\* L'unité de la foi est, en outre, compromise par ces traductions en langues vulgaires, à un nouveau point de vue : c'est que les langues parlées par les peuples sont su­jettes à une perpétuelle évolution : « Ces langues ne sont point réglées, mais de ville en ville se changent en accents, en phrases et paroles, elles se chan­gent de saison en saison, et de siècle en siècle... Si donc il nous fallait avoir, sur tout pour les services publics, des bibles chacun en son langage, de cinquante ans en cinquante il faudrait remuer ménage, et toujours en ajoutant, levant ou changeant une bonne partie de la naïveté sainte de l'Écriture. » (p. 181.) En fin de compte, ce n'est pas seulement l'*unité* qui est en cause, c'est l'*intégrité :* « C'est l'intention de Satan de corrompre l'intégrité de ce testament ; il sait ce qu'il importe de troubler la fontaine et de l'empoisonner, c'est gâter toute la troupe égale­ment. » (p. 180.) \*\*\* 181:128 Toutes les raisons qui précèdent sont d'une inspiration principalement *théologique.* Mais le missionnaire du Cha­blais n'oubliait pas les raisons *pastorales *: celles, en par­ticulier, qui intéressent la Liturgie : « Comme notre Église est universelle en temps et en lieux, elle doit aussi faire ses services publics en un langage qui soit de même universel en temps et lieux, tel qu'est le Latin en Occident, le Grec en Orient ; autrement nos prêtres ne sauraient dire messe, ni les autres l'entendre, hors de leurs contrées ». (p. 183.) \*\*\* Cette question des langues vulgaires peut paraître se­condaire à des esprits superficiels, de nos jours surtout où tant d'hommes sont devenus indifférents à la vérité des idées et à la propriété des termes. On pense et on parle vaille que vaille. Les langues se dévaluent comme les mon­naies. La notion de mots « nobles », « familiers », « tri­viaux », « grossiers » a presque disparu de nos sociétés. Le principe de cette hiérarchie subsistait dans les offices de l'Église. On le trouvait dans de simples « manuels de pié­té ». Le respect avec lequel l'homme parlait à Dieu prépa­rait la civilité du langage entre les hommes mêmes. Un mot résumait tout cela, pour les choses religieuses le sens du SACRÉ. Ce souci est sous-jacent à toutes les re­marques, que nous venons de rapporter, de François de Sales, théologien et pasteur. Ce souci, et l'autre : la fidélité à *la Tradition,* qui est *avant* même l'Écriture, la *source* de la Révélation et la règle sûre de la foi. C'est la Tradition qui interprète infaillible­ment l'Écriture, *quelle que soit la langue où celle-ci est écrite*. Comme dit gentiment notre saint docteur : ce sont les deux ailes de l'oiseau : « l'une ne va pas sans l'autre ». Tout réduire à l'Écriture, rendue prétendument « com­préhensible » grâce aux traductions vulgaires, c'est ruiner l'Écriture même, abandonnée au sens propre d'un chacun. Raymond Dulac.\ prêtre. 182:128 ### Actualité de saint Venceslas par Édith Delamare MAX CLOS, le correspondant du FIGARO, décrit ces choses vues à Prague à la date du 2 sep­tembre 1968 : « Prague est redevenue une ville banale, où l'on a du mal à retrouver les traces de la semaine du courage et de l'es­poir. Pourtant, devant la statue de saint Venceslas, qui est devenue une sorte d'autel du souvenir, des jeunes gens, guère plus d'une cinquantaine, se relaient pour honorer ceux des leurs qui ont été tués dans les combats, ou plutôt pour commémorer le souvenir d'un rêve mort. Deux d'entre eux tiennent un drapeau tchèque et le troisième, un drapeau noir. Il n'y a pas de cérémonial organisé. De temps en temps, un garçon ou une fille sort du groupe, monte les degrés, et remplace le porteur. Autour de la statue, des gens plus âgés regardent en silence, sans faire de commentaires. » Le FIGARO du surlendemain, 4 septembre, reproduit un avertissement paru dans le journal pragois du Soir, VECERNI PRAHA, lequel conjure ses lecteurs de « ne pas s'assembler en groupe autour de la statue de saint Venceslas, patron de la Bohême, car ces groupes sont considérés par certains milieux comme une provocation ». Ainsi, même pour les ennemis de son peuple, saint Venceslas est demeuré le symbole de sa force spirituelle. Cette force dont le cardinal Koenig, archevêque de Vienne, devait dire en ces jours-là, qu'elle est « un phénomène presque unique à notre époque, donnant à tout un peuple le courage de résister à la tentative de l'écraser par la force ». (LA CROIX, 3 septembre 1968.) 183:128 Ce phénomène nous fait désirer d'en connaître la cause : le jeune prince fauché à vingt-deux ans qui se dresse encore devant les ennemis du Christ et de la Tchécoslova­quie. \*\*\* Les sources de la vie de saint Venceslas sont les sui­vantes : 1° une biographie rédigée sitôt sa mort, en slavon, dans les caractères glagolitiques inventés par saint Cyrille pour traduire les Livres, Saints à l'usage des Moraves. -- 2° une « Vita » en latin, intitulée « Crescente fide », égale­ment contemporaine du saint, aussitôt traduite en tchè­que et en allemand. -- 3° une biographie écrite par Gumpold, évêque de Mantoue, sur l'ordre de l'Empereur Othon II, c'est-à-dire, à la même époque. -- 4° une deu­xième « Vita », rédigée pour saint Adalbert, évêque de Pra­gue (982 -- 997), par le moine bénédictin Laurent, du Mont-Cassin. -- 5° une troisième « Vita », également rédigée sur l'ordre de saint Adalbert par le prince Christian de Bo­hême, entré dans l'Ordre de Cluny. Le « moine Christian » était le propre neveu de saint Venceslas, fils de son frère (et assassin), Boleslas. Il était à même de connaître bien des circonstances de la vie et de la mort de son oncle et il corrige en maints endroits la « Crescente fide » et les récits de Gumpold et de Laurent. C'est un document pré­cieux pour l'histoire de la Tchécoslovaquie, dont l'authen­ticité a été établie en 1906 par les travaux du savant tchèque J. Pekar. C'est elle qui fut éditée par les Bollan­distes. En 1929, l'abbé Francis Dvornik, professeur à l'Uni­versité Charles IV, s'en inspira pour présenter au public un « Saint Venceslas, duc de Bohême », pour le millième anniversaire de la mort du saint. C'est dans ce livre que nous avons puisé. \*\*\* 184:128 En novembre 375, l'Empereur Valentinien campe sur le Danube qu'il nettoie des bandes de barbares Moraves qui dévastent la Pannonie (Hongrie). Valentinien, Valens, Gra­tien, Julien, sont de ces Empereurs d'une tragique gran­deur qui courent du Rhin à l'Euphrate pour repousser le flot sans cesse montant des Barbares. Habituellement, l'Empereur passe l'hiver dans la capi­tale de la Gaule, Trêves, mais cette année-là, il prend ses quartiers d'hiver sur le Danube. Les Moraves, inquiets, lui envoient une députation « pour implorer la paix et l'oubli du passé ». Ils entrent ici dans l'Histoire avec leurs carac­tères spécifiques : rusés, roublards et pince-sans-rire. Si leurs journaux sont pleins aujourd'hui des dégâts causés par les chars soviétiques sur les pelouses des jardins d'en­fants entre deux discours-fleuves à l'O.N.U. sur le-droit-des­-peuples-à-disposer-d'eux-mêmes, Ammien Marcellin, officier de Valentinien et dernier historien de langue latine, nous a laissé de leur délégation une description pleine de promesses. Les Quades (Ammien les appelle « les Quades », c'est-à-dire les Slaves) ne savent vraiment pas comment « certains des leurs ont désobéi à leurs chefs » et contrarié Rome en bousculant quelques légionnaires. Mais pourquoi Rome a-t-elle édifié un fort sur le Danube au mépris des dispositions pacifiques du peuple morave ? Elle ne doit s'en prendre qu'à elle-même si la trêve a été un peu rom­pue. « A ces mots, écrit Ammien, l'Empereur, outré de colère, les interrompit avec véhémence. Mais tout à coup, il demeura sans pouls, sans voix, suffoqué et le visage en feu. Ses serviteurs s'empressèrent, en l'emportant, d'ôter ce spectacle à de pareils yeux. » Il fut difficile de trouver un médecin, l'armée étant décimée par la dysenterie. Il en vint un, qui le saigna aussitôt. Mais Valentinien mourut dans la nuit en faisant de vains efforts pour recouvrer l'usage de la parole, foudroyé par une attaque d'apoplexie en enten­dant les Barbares récriminer contre Rome. 185:128 Cinq siècles plus tard, ce sont les Moraves qui sont aux prises avec la barbarie. Le 20 novembre 900, le Margrave de Bavière, Luitpold, qui fait une promenade militaire en Moravie, se trouve nez à nez avec des cavaliers répondant trait pour trait à la description d'Ammien Marcellin : « Les Huns sont d'une férocité qui passe l'imagination... » Ce ne sont pas les hordes d'Attila (mort en 453), mais un rameau hunnique, les Magyars, chassés d'Asie centrale par les Petchénègues. C'est la dernière des grandes invasions dans l'immense brassage de peuples qui jette les bases de l'Eu­rope. Terrorisés par « les cris effroyables » des « bêtes à deux pieds », les Bavarois plient. Mais le Comte Luitpold les ramène au combat et les Magyars s'enfuient en laissant douze cents des leurs sur le terrain. Cinq ans auparavant, en 895, le duc de Bohême, Borijov, avait sollicité l'alliance de l'Empereur Arnulf contre les Magyars. Mais l'Empereur avait pour principe de diviser pour régner en Moravie. Sitôt la mort de Charlemagne, la Bohême s'était retirée du « halo » d'alliés qui entourait l'Empire et avait cessé le versement du tribut : cinq cents pièces d'argent et cent vingt bœufs. C'est pourquoi Arnulf y dépêchait de temps à autres les Bavarois, à titre d'aver­tissement. Arnulf étant mort en 899, c'est le Comte Luitpold qui gouverne pour son successeur, Louis, un enfant de six ans. Au début de 901, la réponse de l'Allemagne parvient à Prague, au successeur de Borijov, Spytihnev : l'Empe­reur Louis accepte l'alliance de la Bohême contre la bar­barie. Le jeune frère de Spytihnev, Vratislas, qui monte la garde sur l'Elbe, peut respirer durant quelques années. Il épouse une fille de la noble famille des Lutici et en 907 il lui naît un fils, premier-né de sept enfants. Le petit prince reçoit au baptême le nom de Venceslas. Mais Vratislas doit quitter précipitamment son château de Stochov où son fils a vu le jour : les Magyars dévalent en Allemagne par la Pologne. Le Margrave Luitpold périt avec son armée le 6 juillet 907. C'est une catastrophe pour les deux pays, entraînant avec elle d'autres désastres : en 908, c'est l'armée saxonne qui est anéantie avec son chef, le Margrave de Thuringe. En 909, la Souabe subit le même sort. En 910, la Franconie est dévastée, ses femmes emme­nées en captivité « nues et attachées les unes aux autres par leur chevelure ». Le flot magyar déferle jusqu'à Metz. Le Roi de France, Charles le Simple, aux prises avec les Normands, n'est d'aucun secours. Au seuil de l'An Mil, il semble que l'Europe s'enfonce dans la nuit. 186:128 Un enfant grandit cependant en Bohême, au cours de ces années terribles. Vratislas a confié son fils à sa mère, Ludmilla, veuve de Borijov dont elle a été la sainte Clotilde. Le prêtre Paul, qui baptisa le petit Venceslas, lui apprend à lire grâce à l'alphabet inventé par saint Cyrille pour la conversion de la Moravie. Paul a été baptisé par saint Méthode, frère de Cyrille, ainsi que Borijov qui fut le pre­mier duc de Bohême à demander le baptême. Mais le pays est resté païen et non seulement païen mais hostile au chris­tianisme, si bien que Borijov dut renoncer à construire une église à Prague et se contenter d'une chapelle dans sa résidence de Lévy-Hradec. Pourquoi la Moravie était-elle hostile au Christ ? par patriotisme. Les premières semences du christianisme avaient été jetées par les marchands grecs et vénitiens et poussaient si bien qu'en 845, quatorze princes tchèques s'étaient fait baptiser par des prêtres allemands et qu'en 852, le Concile de Mayence pouvait mentionner « la chré­tienté encore mi-sauvage de Moravie ». Mi-sauvage, soit, mais chrétienté tout de même. Cependant, la christianisa­tion s'avérait beaucoup plus lente que ne l'avaient permis d'espérer ces brillants débuts. Dès 846, le duc de Bohême Ratislas, monté sur le trône grâce à l'appui de l'Empereur Louis le Germanique, avait vu le danger de l'emprise de l'Épiscopat allemand sur son pays. Il avait demandé au Pape saint Léon IV des missionnaires italiens parlant slavon. Malheureusement, le Pontife n'en avait aucun à sa disposition. En 862, une ambassade morave avait présenté la même requête à Byzance et le Patriarche Photius avait saisi l'occasion de jouer ce bon tour à « l'Évêque de Rome ». C'était ainsi que Cyrille et Méthode, deux frères apparte­nant à une famille noble de Salonique, avaient été donnés à la Moravie. La christianisation aurait alors fait de grands progrès si le clergé latin ne s'était dressé contre l'entreprise de Byzance. « Le clergé latin », c'est-à-dire les prêtres alle­mands. De l'accusation d'hérésie à Rome à l'emprisonne­ment de Méthode dans un cachot bavarois, tous les moyens furent employés, Ratislas lui-même étant livré au prince Carloman de Bavière par son neveu Svatopluk. 187:128 De cette rivalité honteuse, les Moraves conclurent qu'ils préféraient le paganisme à l'hégémonie germanique et c'est pourquoi Borijov n'avait pas osé construire une église à Prague. Mais sachant que l'avenir appartient à Dieu, il avait fait baptiser ses deux fils, Spytihnev et Vradislas. En 915, Spytihnev meurt, épuisé par ses incessantes campagnes contre les Magyars et Vratislas lui succède. Son fils aîné a huit ans. Il le reprend à Ludmilla pour l'envoyer au château de Budec où se tient une école des cadets. Là, Venceslas apprend le maniement des armes et le latin, langue de la diplomatie. Le professeur de latin à Budec est un prêtre tchèque, Uceno, qui conservera aux chroni­queurs le souvenir d'un élève appliqué à l'étude et à la prière, compatissant aux pauvres et joyeux camarade. « Avec la grâce de Dieu », il s'emploie à acquérir la douceur, ce qui laisse supposer qu'il ne l'a pas trouvée dans son berceau. Cette heureuse enfance prend fin l'année de ses treize ans. En 920, Vratislas est tué à trente-trois ans dans un suprême combat contre les Magyars. Venceslas quitte Budec pour Prague « où le peuple l'installe sur le trône de son père ». Mais, poursuit le chroniqueur Christian, « comme il n'était pas encore sorti de l'âge juvénile, les seigneurs se concertèrent dans un conseil plein de sagesse et confièrent à Ludmilla, servante du Christ, l'éducation du jeune duc et de son frère Boleslas, afin qu'avec la grâce de Dieu ils fissent des progrès en âge et en force ». Quant à la régence, elle sera exercée jusqu'à la dix-huitième année du prince, par sa mère, Drahomira. Drahomira, nous l'avons dit, appartenait à la noble famille des Lutici. Noble et païenne, c'est-à-dire dans le contexte politique de la Moravie au X^e^ siècle, opposée à l'Allemagne. Or, sitôt la mort de saint Méthode en 885 (saint Cyrille était mort d'épuisement à Rome en 868 en se défen­dant auprès du Pape Nicolas I^er^ d'une nième accusation d'hérésie), le suffragant de Méthode, Wiching, avait chassé les prêtres « byzantins » qui avaient fui en Bulgarie. Ceux qui étaient restés étaient donc des « latins », c'est-à-dire des Germains, ou des prêtres indigènes formés par les mis­sionnaires allemands de l'évêque de Ratisbonne. 188:128 On ne sait si Drahomira était chrétienne, mais elle agit en tout comme une païenne violente et rusée, aimable mé­lange de Frédégonde et de Brunehaut, type apparemment répandu dans la gent féminine du Haut Moyen Age, coexis­tant avec les saintes Clotilde, Radegonde et Ludmilla. La Régente de Bohême a toujours été jalouse de la douce in­fluence de sainte Ludmilla sur Vratislas, puis sur Venceslas. Mais comme cette jalousie domestique est de peu de poids aux yeux des seigneurs du Conseil, elle leur représente que sa belle-mère élève le duc de Bohême comme un moine aux ordres de Ratisbonne. Les braves chevaliers du Conseil n'au­raient pas trouvé cela tout seuls mais ils donnent comme un seul homme l'ordre d'exiler Ludmilla dans son château de Stettin. Cela ne suffit pas à Drahomira. Dans quatre ans, Ven­ceslas sera majeur et son premier soin sera certainement de faire revenir celle qui l'a élevé auprès de lui. Deux sei­gneurs bohémiens « favoris de la Régente », dit pudique­ment Christian, Tunna et Gommon, se chargent d'étrangler Ludmilla, moyennant le partage de ses biens (16 septembre 921). Drahomira a désormais son fils à sa merci. Les prêtres sont chassés de Moravie et Venceslas a ordre de cesser toute pratique de piété. Une telle violence faite à un enfant de quatorze ans peut avoir deux résultats : ou l'adolescent, privé de tout soutien spirituel et moral, cède et oublie plus ou moins prompte­ment, ou il se révolte. La première solution a des avantages exposés à la page 151 du Fonds Obligatoire de notre Nou­veau Catéchisme : « Les enfants peuvent être amenés, en certaines situa­tions, à témoigner de leur foi au Christ, soit individuelle­ment, soit à plusieurs. Cependant, il ne conviendrait pas de majorer pour eux la nécessité d'un témoignage explicite. En effet, les enfants restent très dépendants de leur milieu et ils ne peuvent, sans risque grave, s'en dissocier tota­lement. » 189:128 Le petit Venceslas court ce risque. Il se cache dans les bois ou dans le fond de son lit pour faire sa prière. Avec la complicité de valets pris de pitié, il reçoit de temps en temps la communion des mains d'un prêtre qui réussit à se glisser près de lui « nuitamment ». Le risque est grave, évidem­ment : c'est le risque du martyre. C'est aussi le risque d'obtenir des chrétiens bien trempés. L'année suivante, en 922, les Magyars lui procurent une diversion. Le duc se porte à leur rencontre dans les défilés des Monts de Bohême. Ne nous étonnons pas de voir un en­fant de quinze ans exposé aux hasards de combats qui ont coûté la vie de son père. Vratislas n'était guère plus âgé que lui, quand il montait la garde sur l'Elbe. Charles VI avait quatorze ans à Rosebeecke et Philippe le Hardi, qua­torze ans à Poitiers (« Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche. ») Condé avait vingt-deux ans à Rocroi et il nous plaît de citer ici cette lettre du maréchal de Belle-Isle à son fils, le comte de Gisors, nommé à dix-neuf ans colonel du régiment de Champagne : « Le régiment que le Roi (Louis XV) vient de vous don­ner est un des meilleurs de l'armée. Tous les capitaines qui le composent sont plus âgés que vous. Cependant, c'est vous qui allez être leur chef. Que cette première réflexion ne sorte jamais de votre mémoire. Je ne vous dirai point : cherchez à mériter l'estime du corps que vous allez com­mander. Cette maxime est trop triviale. Mais je vous dirai : cherchez à en mériter l'amour. Je vous ai accoutumé il y a déjà longtemps à vous lever dès quatre heures du matin. Conservez cette habitude heu­reuse : jamais vous n'aurez autant d'études à faire et de choses à exécuter. Ayant été fait colonel très jeune, vous serez, selon les apparences, de très bonne heure officier général. Il ne sera presque plus temps alors de vous livrer à l'étude... Assistez à tous les services que fera votre régi­ment. Soyez toujours le premier au rendez-vous que vous lui aurez assigné. Paraissez uniquement occupé de vos devoirs. Soyez actif, vigilant, exact, et vos officiers seront ponctuels, attentifs, zélés. Voici enfin mon dernier précepte : souvenez-vous sans cesse, mon fils, que ce n'est point pour vous que vous avez été fait colonel, mais pour le bien du service et l'avantage du régiment qui vous est confié. Que la gloire de l'État soit donc votre grande préoccupation. » 190:128 Mme Marie-Madeleine Martin, à qui nous emprun­tons cette citation, y ajoute ces précisions : « Le jeune officier auquel s'adressaient ces préceptes, les suivit si bien qu'il pouvait écrire quelques années plus tard à son père : « Sans présomption, j'ose dire que je suis parvenu à avoir le régiment le mieux marchant de toute l'armée. Comme je ne descends de cheval qu'une heure et demie après toutes les opérations et manœuvres, je vois tout par moi-même. » Quelques jours après l'envoi de cette lettre, il se faisait tuer à la tête de ses hommes sur le champ de bataille de Grefeld (1758). » (Marie-Madeleine Martin, *Les Doctrines Sociales en France et l'Évolution de la Société Française du XVII^e^ siècle à nos jours,* Éditions du Conquistador, p. 219.) Au temps de Venceslas, il suffit à peu près de savoir manier la lance, mais le courage et le poids des responsa­bilités sont identiques. L'intégration des jeunes ne faisait pas « problème » dans ces sociétés obscurantistes, mais il leur arrivait de se faire tuer. La mort épargne cette fois le duc de Bohême, promis à une fin plus glorieuse encore. Il rentre à Prague victorieux pour reprendre sa pénible existence d'enfant traqué. Lui, si vif, si impatient, a appris à se dominer, à attendre, à mesu­rer ses gestes et ses paroles dans l'espoir de la furtive Visite de Celui qui refait ses forces. Les raids des Magyars s'espacent. Tandis que les Nor­mands s'installent en Neustrie, ils font de même en Hon­grie. Apprenant qu'ils engrangent les récoltes, l'évêque de Passau leur dépêche des missionnaires... Il lui plairait fort de se voir à la tête d'un archevêché. Par le canal de cette ambition épiscopale, « la grâce de Dieu », dirait Venceslas, fera bientôt s'épanouir cette fleur de sainteté : le prince magyar Vajk que l'Église canonisera sous le nom de saint Étienne de Hongrie. « Le christianisme porte partout des fruits savoureux et doux. » (Pie XII.) Mais ces choses ne se font pas en un jour et en atten­dant la naissance de Vajk, en 959, l'Europe s'enfante dans la douleur. Tandis que les Magyars « explorent » l'Italie et menacent Rome, l'Allemagne et la Moravie respirent. 191:128 L'Empire morave se résigne à la perte de la Hongrie qui lui avait été donnée en fief par Charles le Gros et se consacre à relever les ruines de ce qui lui reste. Malheureusement, son alliance avec l'Allemagne ne survit pas à une année de tranquillité : inquiet de l'attitude hostile de la Régente Drahomira, l'Empereur Henri I^er^ l'Oiseleur ordonne au Margrave de Bavière Arnulf, fils de Luitpold, de reprendre les expéditions préventives. En 923, Venceslas repart en campagne, mais, cette fois, contre les Bavarois. Il les bat à plate couture. Plus tard, il résumera cette série de vic­toires en ces termes alliant la concision militaire à l'humi­lité chrétienne : « Avec la grâce de Dieu, je défendais le pays, autant qu'il était possible, contre ses puissants enne­mis ». L'ennemi, désormais, est l'Empereur. En 925, le duc de Bohême atteint enfin sa majorité. Il inaugure son règne par un « discours du trône » aux membres du Conseil, proclamant la liberté de conscience en des termes où explosent l'indignation du chrétien contre ces païens endurcis « qui, par leur injustice, retiennent la vérité captive » (Romains I, 18), et la contrainte subie durant cinq ans par le fils de Drahomira. (Il est juste de rappeler qu'au X^e^ siècle les châteaux ne sont pas des cours d'amour mais des corps de garde) : « Canailles ! Scélérats ! Menteurs ! Pourquoi m'empê­chiez-vous d'apprendre la loi divine de Jésus-Christ et d'obéir à ses commandements ? Si vous ne trouvez aucun plaisir à servir Dieu, cela vous donne-t-il le droit d'empê­cher les autres de l'aimer ? Quant à moi, débarrassé main­tenant de votre surveillance et de votre tutelle, je rejette vos conseils car j'entends servir Dieu de tout mon cœur. » Quels étaient ces conseils ? Certainement de maintenir l'indépendance du pays en se gardant du clergé allemand. Telle a été la politique de Drahomira, laquelle commence par prendre le chemin de l'exil. Il faut dire qu'elle vient encore une fois de se souiller de sang en faisant exécuter son ancien complice Gommon, devenu trop puissant grâce aux biens de Ludmilla. Et non seulement Gommon, mais tous les membres de sa famille jusqu'aux enfants, ont été assassinés sur son ordre. Cette extermination mérovingienne d'une famille, emplit Venceslas d'horreur. S'il limite sa justice à l'exil de sa mère, qui se réfugie auprès de son fils cadet Boleslas, il donne à ses partisans ce sévère avertis­sement : 192:128 « Que l'amour de la paix intérieure et extérieure anime le pays ! Que les juges se gardent de condamner sans en­tendre, et d'empêcher les entreprises utiles ! Que personne ne se rende plus coupable de l'abominable crime de meurtre que vous avez si souvent commis ! Si la crainte du Roi suprême ne vous empêche pas, ô princes, de transgresser sa loi, notre colère, avivée par notre zèle pour la gloire de Dieu, sévira contre les scélérats et fera décapiter qui­conque se rendra coupable de ce crime. » L'éloignement de Drahomira devait produire les mêmes effets que celui de Marie de Médicis : féodaux et courti­sans comprennent en quelles mains, désormais, est le sceptre. Tranquille de ce côté, le nouveau duc peut se donner tout entier au relèvement du pays. \*\*\* A lire les chroniques, il semble que la population ne soit composée que de veuves et d'orphelins. Le tableau est certainement poussé au noir, mais il vaut pour l'Europe entière. Des régions sont retombées en friches, des cités naguère florissantes ne sont que cendres, la misère est effroyable. Le duc de Bohême s'attaque à la besogne avec la fougue de ses dix-huit ans. Les premières mesures prises par ce prince pacifique concernent son armée. Partageant depuis l'enfance la vie de ses soldats, il les a vus mal équipés et mal armés. Le pieux chroniqueur Christian, plus soucieux d'hagiographie que d'intendance, donne cependant ces détails précieux : « Il fournit à ses soldats, non seulement les meilleures armes, mais aussi un uniforme convenable. » Et cette mer­veille de concision : « Il redonne la vie aux villes et aux villages détruits. » La justice est l'un de ses grands soucis. 193:128 Le code pénal n'a pas changé depuis « les Quades ». Désor­mais, nul ne sera plus exécuté sans jugement : c'est l'aube de la civilisation. L'effet est immédiat : « Il diminua ainsi considérablement le nombre des potences et des prisons dont plusieurs furent fermées. » C'est ce qui vaut, aujour­d'hui encore, à Venceslas, d'être invoqué sous les vocables de « Libérateur des captifs » et de « Consolateur des pri­sonniers ». L'activité d'un peuple laborieux pose des problèmes commerciaux. Les Bulgares coupant les communications avec Byzance et les Magyars avec l'Italie, les échanges ne peuvent se faire qu'avec l'Allemagne. Où l'on voit que la solution préconisée en 1968 par M. Ota Sik, n'est pas nou­velle. L'une des premières conditions d'une activité com­merciale est l'existence d'une monnaie. Le duc fait frapper la première monnaie de l'État tchèque. (Une loi de 1923 imposera l'effigie de Venceslas sur les monnaies d'or de la Tchécoslovaquie.) A la veille de sa mort, il résumera cet immense labeur de quatre années avec son admirable simplicité : « Avec la grâce de Dieu, je gouvernais le pays. » Entre temps, Drahomira est revenue à de meilleurs sen­timents et elle reprend sa place au palais où son fils l'ac­cueille « par respect du commandement divin qui nous ordonne d'honorer père et mère ». Cela ne témoigne pas d'une grande affection. Élevé loin de sa mère, puis tyrannisé par elle, il n'a eu de tendresse qu'auprès de Ludmilla. Ce­pendant Christian évoque certainement des souvenirs de famille quand il assure qu'à cette époque la terrible Draho­mira commence à aimer son fils aîné. Celui-ci n'a pas oublié sa grand'mère, suppliciée sur l'ordre de cette mégère. Il la fait exhumer de Stettin pour la faire enterrer à Prague. Car Venceslas ose ce que ni son père, ni son grand-père n'ont osé -- construire une église à Prague. Sitôt son avènement, son premier soin a été en effet de demander des prêtres à l'Évêque de Ratisbonne. Les mis­sionnaires bavarois sont revenus « avec des reliques et des livres ». « Venceslas leur donnait de l'or et de l'argent, de beaux ornements, ainsi que les vêtements dont ils avaient besoin. » Bref, l'évangélisation a repris. Mais qui l'eût cru ! 194:128 La dédicace de la future église de Prague se heurte à l'op­position des prêtres allemands de l'entourage du prince. Et aussi à celle du chapelain de Ludmilla, le prêtre Paul. Cette opposition fait honneur à leur prudence et à leur sagesse. Venceslas désire dédier cette église à saint Emme­ran, évêque de Ratisbonne, mort assassiné en haine de la foi. Ses conseillers estiment que dédier la première église de Prague à un évêque allemand, serait défier les sentiments nationalistes du peuple, exaspérés par l'incursion du Mar­grave Arnulf. Mais Venceslas est têtu et sa jeunesse ignore la prudence, don de l'Esprit Saint. Il tient à saint Emmeran, lequel n'est pas Allemand mais Français, « étant né en Poitou ». La christianisation de la Moravie est due en grande partie aux évêques de Ratisbonne et à leur clergé. Quel témoignage plus éclatant de reconnaissance le duc de Bohême pourrait-il leur rendre ? N'ont-ils pas tout donné à son pays en lui portant le Christ ? Et puis comment savoir, dans « la brillante cohorte des martyrs » (car Venceslas tient à un martyr), celui qui s'intéresse à « la chrétienté mi-sau­vage de Moravie » ? Quel saint intercède pour la Bohême au­près du trône de Dieu ? Bref, tout ce qu'obtiennent ses conseillers, c'est un sursis jusqu'à ce que l'église soit ache­vée. A ce moment, si Dieu n'a pas fait connaître les secrets de son propre Conseil, l'église de Prague sera dédiée à saint Emmeran. La prudence est une vertu poitevine et saint Emmeran décline l'honneur. Cette année 926, l'Empereur Henri 1^er^ a de nouveau les Magyars sur les bras. Ils déferlent sur la Bavière et la Souabe qui viennent à peine de renaître à la vie. Églises, cités et monastères flambent de toutes parts. Augsbourg est sauvée par son évêque, Ulrich, mais Cons­tance est incendiée après une longue résistance et l'abbaye de Saint-Gall est pillée de fond en comble. Les Barbares se répandent jusqu'en Lorraine, jusqu'en Champagne. Quand ils consentent à refluer, c'est pour exiger de l'Allemagne le paiement d'un tribut. 195:128 L'Empereur, « très affecté par ces événements », réunit évêques et seigneurs laïcs à Worms, au début de novembre 926. Le duc de Bourgogne, Rodolphe, est présent à ces assises. Trois propositions sont retenues : la construction de fortifications, l'organisation des populations en vue de la résistance et le renouvellement de l'alliance avec la Bohême. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Henri envoie une ambassade à Prague. Mais pour faire oublier au duc de Bohême la promenade militaire du Margrave de Bavière, l'Empereur ajoute selon la coutume du temps, aux joyaux et aux pièces d'orfèvrerie, les plus précieuses parmi les reliques gardées dans les couvents d'Allemagne. Est-ce une délicate attention de saint Emmeran ? Ces reliques viennent de France. En 836, l'Abbé de Saint-Denis, Hilduin, avait donné des reliques de saint Guy à Warin, Abbé de Corvey, en Saxe. L'Abbé de Corvey ne peut rien refuser à Henri, lequel est duc de Saxe. Et c'est ainsi que la première église de Prague fut dédiée à saint Guy, jeune noble sicilien baptisé à douze ans à l'insu de ses parents, élevé en cachette dans la foi du Christ et martyrisé sous Dioclétien. On ne sait si Venceslas considéra cette similitude comme un présage, mais la réponse du Ciel dut le combler de joie. Nous osons prêter ici à saint Venceslas de Bohême, les sentiments de sainte Thérèse de Lisieux, recevant en songe la visite de la Vénérable Mère Anne de Jésus, coadju­trice de sainte Thérèse d'Avila et fondatrice du Carmel en Belgique et en France : « A mon réveil, je croyais, je sentais qu'il y a un ciel, et que ce ciel est peuplé d'âmes qui me chérissent et me regardent comme leur enfant. Cette impression reste dans mon cœur, d'autant plus douce que la Vénérable Mère Anne de Jésus m'avait été jusqu'alors, j'ose presque dire indifférente. Je ne l'avais jamais invoquée et sa pensée ne me venait à l'esprit qu'en entendant parler d'elle, chose assez rare. Et maintenant, je sais, je comprends, combien de son côté je lui étais peu indifférente. Et cette pensée augmente mon amour, non seulement pour elle, mais pour tous les bienheureux habitants de la céleste patrie. » (*Histoire d'une âme*, chapitre onzième.) \*\*\* 196:128 Ceci nous amène aux vertus que Venceslas pratiqua héroïquement. Don d'intelligence, don de force, don de piété, don de crainte, le libre jeu, en lui, des dons du Saint-Esprit, témoignent de façon éclatante de l'empire qu'il sut, si jeune, acquérir sur lui-même, dans une époque violente et terrible où la barbarie n'avait pas besoin de franchir le fleuve. Si chaque saint reflète un aspect du Christ, il semble que Venceslas ait particulièrement acquis la douceur. Ce n'est pas pour rien que son neveu Christian le compare « à un agneau au milieu des fauves ». Cette douceur, ce miel, dont parle Charles de Foucauld, ce fut le baume du Ciel sur la Bohême meurtrie du X^e^ siècle. Il importait peu aux lecteurs de Christian que Venceslas ait fait battre monnaie. Ce qu'ils voulaient savoir, c'est ce qui était capable de les édifier. Nous puiserons ici à pleines mains dans les joyaux de sa céleste couronne : « Pendant le Carême, il allait pieds nus par les chemins abrupts et couverts de glace, de sorte qu'on pouvait le suivre à la trace du sang. Pour garder la chasteté, il portait un cilice très rude conservé encore de nos jours par respect pour lui. Sous ses splendides vêtements royaux, il portait un vêtement de laine comme un simple moine, brillant ainsi et devant Dieu et devant les hommes. Il prenait très peu de nourriture, passait une longue partie de la nuit en prière et rendait constamment grâce à Dieu. Lorsqu'il lui arrivait de se trouver au milieu des seigneurs, tel un agneau parmi les fauves, et de boire plus que d'habitude, il se levait de bon matin et courait à l'église la plus proche. Devant le premier prêtre qu'il y trouvait, il se mettait à genoux et lui demandait instamment de prier pour lui, afin que, dans sa grande miséricorde, Dieu lui remit le péché dont il s'était rendu coupable la veille. Il était assidu au service divin. Il allait lui-même pétrir la farine et cueillir les raisins destinés au Sacrifice et les pressait dans ses mains. Il portait lui-même secrètement du bois aux veuves et aux orphelins. Un jour, un garde le surprit et le bastonna si rudement que le duc eut à peine la force de regagner le château. Il rachetait les esclaves sur le marché de Prague pour les convertir au Christ. Il conversait affablement avec tous, en particulier avec les gens de bien, mais il déployait un zèle divin contre les méchants. 197:128 Il battait les ivrognes de verges pour les ramener dans le chemin de la vertu. En vrai père de famille, il invitait ses sujets à sa table et rendait à la Sainte Mère l'Église les enfants qu'il avait arrachés aux griffes de Satan. Brandissant ainsi contre l'antique ennemi le bouclier de la foi et la lance du Saint-Esprit qui est la parole de Dieu, il se montrait véritable adorateur du Christ. » Dans tout cela, rien des récits extraordinaires dont le Moyen Age était friand. Et pourtant, la réputation de sainteté de Venceslas commença à se répandre de son vivant. \*\*\* Au printemps de 927, le duc entre en campagne, et cette fois, il ne s'agit ni des Allemands, ni des Magyars : la puissante tribu des Zlicané s'est soulevée, ralliant les mécontents. Son chef, Radislav, est battu. La clémence de Venceslas l'autorise « à vivre dans son château jusqu'à sa mort, mais sous la garde d'une garnison pragoise ». Ainsi neutralisée, l'opposition doit se chercher un autre chef. Mais en 928, un événement met provisoirement tout le monde d'accord : l'Empereur Henri II, battant l'un après l'autre tous les seigneurs moraves, vient mettre le siège devant Prague. On ne sait ce qui détermina l'Oiseleur à rompre l'alliance conclue dix-huit mois plus tôt. Voici ce qu'en dit Augustin Fliche au tome deux de l'*Histoire du Moyen Age* (Presses Universitaires de France, Paris 1930, pp. 38-39) : « En même temps qu'il protège le Royaume contre les Hongrois, Henri I^er^ prend l'offensive contre les Slaves. Ceux-ci ne donnaient pourtant aucun signe d'agitation immédiate, mais les ducs saxons ont toujours eu la passion de la guerre et non contents de maintenir, comme l'avaient fait les Carolingiens, les tribus installées autour de l'Elbe, ils ont été les attaquer chez elles... Devenu roi, il reste esclave des traditions familiales. De plus, une défaite des Slaves ne peut que concourir à donner à la monarchie saxonne le lustre nécessaire à la durée, et c'est là une raison de plus pour se jeter sur l'ennemi héréditaire. 198:128 L'attaque se déclenche au sud en 928... en 929, il pénètre à Prague, après un siège qui a vivement frappé les chroniqueurs, et oblige le duc Venceslas à s'incliner devant lui. La Bohême rentre, elle aussi, dans l'orbite de la politique allemande qui, sous le règne d'Otton le Grand (936-973), y favorisera, comme dans les autres pays slaves, la pénétration chrétienne. » En effet, Venceslas, se rendant compte de l'inutilité d'une résistance qui risquait de faire purement et simplement annexer la Bohême à l'Allemagne, capitula. Sur les négociations qui s'ensuivirent, la légende « Oriente iam sole », publiée à Prague en 1913 par Mgr Podlaha, relate un incident qui met la dernière touche au portrait de notre saint : l'Empereur fixa une heure matinale au vaincu pour une première rencontre. Le duc le fit prier de retarder la conférence d'une heure « car à cette heure-là, il était à ouïr la Messe ». Passant outre à cette requête, Henri maintint l'heure qu'il avait fixée. L'Empereur d'Allemagne, le Margrave de Bavière, le Margrave de Thuringe et autres seigneurs attendirent donc le duc de Bohême tant et si bien qu'Henri « regarda ce retard comme un affront et défendit aux princes de se lever et de donner place au duc quand il arriverait. A l'heure qu'il avait demandée, Venceslas entra. Quelle ne fut pas la surprise des princes, quand ils virent l'Empereur en personne se lever, aller à la rencontre du Saint et le faire asseoir à son côté. Expliquant après son étrange attitude, l'Empereur leur dit : « J'ai cru voir entrer un ange... » Henri I^er^ l'Oiseleur n'a pas laissé dans l'Histoire le souvenir d'un mystique, mais le fait est que la Bohême s'en tira avec l'obligation de reverser l'antique tribut exigé par Charlemagne : cinq cents pièces d'argent et cent vingt bœufs. 199:128 Christian, qui évoque, on le sait, des souvenirs de famille, dit que « Venceslas se lia d'une amitié sincère avec Henri de Saxe ». Ce dernier aurait probablement pu faire l'économie d'une guerre qui ranima un farouche nationalisme en Bohême, valut les pires ennuis à ses successeurs Otton I^er^, Otton II, Otton III, saint Henri II et Conrard II et coûta finalement la vie de Venceslas. \*\*\* La reddition de Prague cristallise l'opposition autour du frère cadet de Venceslas, Boleslas, lequel a hérité du caractère violent et jaloux de leur mère. Un trait peint ce grand seigneur du X^e^ siècle : comme il désire remplacer son château en bois (analogue aux forteresses en bois reproduites sur la tapisserie de Bayeux) par un château en pierre, ses vassaux se dérobent à la corvée. Ils veulent bien construire un château en bois, mais pas en pierre. Boleslas fait décapiter les récalcitrants, histoire de donner du cœur à l'ouvrage aux autres. C'est dans son château de Boleslava que la perte de Venceslas est décidée. Le frapper à Prague serait risqué. Son frère l'invite à Boleslava pour la fête des saints Côme et Damien, patrons du domaine. « Car on a cru qu'il était païen, écrit son fils Christian, mais il était chrétien... » Venceslas arrive le 27 septembre au matin, avec une petite escorte, pour entendre la Messe en l'honneur des deux frères martyrs. La journée se passe en réjouissances diverses pour se clôturer par un banquet. Il est prévu que le duc sera assassiné au cours du festin. « Venceslas entra gaiement dans la salle du banquet, relate Christian. Lorsque les esprits des iniques convives, remplis depuis longtemps du fiel du meurtre, commencèrent à s'échauffer sous l'effet de la boisson, ils tirèrent doucement les épées cachées sous leurs vêtements. Trois fois, ils se levèrent et trois fois ils se rassirent sans exécuter leur dessein, car Dieu ne le leur permettait pas, VOULANT PEUT-ÊTRE SANCTIFIER LE JOUR SUIVANT QUI DEVAIT DEVENIR UN JOUR DE FÊTE. » 200:128 Cependant, le bruit du complot a transpiré. Un seigneur de la suite de Venceslas le prend à part et lui dit : « Fuyez, Monseigneur, votre cheval est sellé en bas, la mort vous guette, ici. » Venceslas, incrédule, réplique : « Je ne ferai pas cette injure à mon frère. » Et il rentre dans la salle du festin. Mais craignant peut-être de se laisser entraîner à boire (« Avec le vin, ne fais pas le brave », recommande l'Ecclésiastique), il lève sa coupe « en l'honneur du bien­heureux Archange Michel dont nous entrons dans la vigile de la fête », embrasse son frère et se retire. « Il fit une longue prière puis s'endormit, vaincu par la fatigue. » Les conjurés décident alors de le frapper le lendemain matin, quand il se rendrait à la Messe. Par surcroît de précaution, Boleslas ordonna à son chapelain de verrouiller l'église in­térieurement. Puis, chacun alla se coucher. « Le lendemain matin, Venceslas -- sacrifice offert par le Christ -- se leva de bonne heure pour aller à l'église, selon sa pieuse habitude. Il voulait être seul, pour pouvoir prier longuement. Tout à coup, il aperçut son frère sur le sentier et il alla l'embrasser, le remerciant de l'avoir si bien reçu, lui et les seigneurs de sa suite. Boleslas répon­dit : « Je vous ai servi hier de mon mieux, mais aujour­d'hui, voilà comment le frère va servir le frère. » Et tirant son épée, il le frappa à la tête. Mais Venceslas avait paré le coup, de sorte qu'il coula très peu de sang. Boleslas s'affola et frappa une seconde fois en appelant à l'aide. « Vous me faites mal ! » dit Venceslas, dégainant à son tour. Mais sa main ensanglantée jeta l'épée aux pieds de Boleslas et il s'écria : « Je pourrais vous écraser comme un insecte, mais je ne me rendrai pas coupable d'un fratricide indigne d'un chrétien ! » Et il s'enfuit vers l'église, Boleslas courant derrière lui et appelant toujours à l'aide. Venceslas frappa à la porte de l'église, mais le prêtre, plein d'iniquité, en le voyant arriver, avait fermé la porte selon les ordres reçus. Les malheureux se jetèrent alors sur Ven­ceslas et le tuèrent devant la porte de l'église en le criblant de blessures. La sainte âme, délivrée de la prison de cette vie, ornée de la couronne des martyrs, s'envola vers le Sei­gneur, le 28 septembre de l'An de Grâce 929. » \*\*\* 201:128 L'infortunée Drahomira avait couru derrière ses fils, ce fut elle qui releva le corps ensanglanté de son aîné. Aidée par le prêtre Paul, elle l'enterra à côté de la petite église, puis s'enfuit en Croatie tandis que Boleslas courait à Prague, s'emparer du pouvoir. Il y eut des combats aux­quels il ne semble pas que le peuple fût mêlé. Parmi les morts, Christian mentionne Podiven, le valet qui introdui­sait nuitamment des prêtres auprès de son petit maître. Podiven tua l'un de ses meurtriers, fut capturé et pendu. Boleslas chassa le clergé, mais tant qu'Henri l'Oiseleur vécut, c'est-à-dire jusqu'en 936, il n'osa même pas sus­pendre le versement du tribut. Preuve que la politique paci­fique de Venceslas était la seule possible en 929. Ajoutons que deux des filles de Boleslas fondèrent les premiers cou­vents féminins de Bohême, que l'un de ses fils, Christian, y introduisit l'Ordre de Cluny et que son fils Boleslas II fit ériger Prague en évêché pour y appeler celui qui devait être saint Adalbert et achever la christianisation du pays (923). L'œuvre de Boleslas s'écoula « comme les eaux qui s'en vont ». Le peuple manifesta silencieusement son attachement au jeune mort en venant de plus en plus nombreux se recueillir à Boleslava. Tant et si bien que Boleslas se déter­mina à ramener le corps de son frère à Prague, le 4 mars 932. On le trouva tel que sa mère l'avait relevé, le sang frais imbibant son cilice et sa robe de soie. Ce fait, et de nombreuses guérisons, répandirent son culte en Europe. Il vint même « des malades de pays Franc, qui s'en retour­nèrent guéris ». La France sera traditionnellement chère aux Rois de Bohême. L'un d'eux, Jean I^er^, sera tué aux côtés de Philippe VI de Valois à Crécy. Leur sang généreux cou­lera dans les veines de nos rois par le mariage de la prin­cesse Guta de Bohême que nos manuels appellent Bonne de Luxembourg, qui fut l'épouse de Jean le Bon et la mère de notre Sage Roi Charles V. L'Empereur Charles IV, l'allié de Charles V, qui vénérait Venceslas, construisit pour hono­rer ses reliques la cathédrale Saint-Guy de Prague sur l'em­placement de la modeste église édifiée en 926. Il en deman­da les plans à un architecte français, Matthieu d'Arras. 202:128 En 1436, les Hussites, qui acceptèrent de se soumettre aux décisions du concile de Bâle, attribuèrent à l'interces­sion de saint Venceslas leur retour à la foi catholique. Ils entonnèrent ce cantique du XIII^e^ siècle que l'abbé Dvornik entendit chanter « dans toutes les églises tchèques » en 1929, lors des fêtes du millénaire. On remarquera le « Kyrie éleison », résurgence probable de la Liturgie de saint Méthode : *Saint Venceslas, duc de la terre tchèque,* *Ô notre prince, priez Dieu pour nous.* *Kyrie éleison.* *Vous, l'héritier de la terre de Bohême,* *Ô notre prince, souvenez-vous de votre race,* *Kyrie éleison.* *Saint Venceslas, ne laissez périr, ni nous,* *Ni nos enfants, ô notre prince,* *Kyrie éleison.* *Ayez pitié de nous, consolez ceux qui sont* *Tristes, chassez tout ce qui est mal, ô Venceslas,* *Kyrie éleison.* *Vous êtes l'ornement brillant de la cour* *Céleste ; heureux qui peut y entrer avec vous,* *Ô Venceslas, ô notre prince !* *Amen.* A la bataille de la Montagne Blanche, en 1620, qui assura la victoire des Habsbourg catholiques sur les princes pro­testants, on vit à la tête de l'armée combattre un cavalier vêtu de blanc. La renaissance catholique qui s'ensuivit fut placée par les Jésuites sous le patronage de saint Venceslas. 203:128 Le 28 septembre 1968, Mgr Tomasek, administrateur apostolique du diocèse de Prague, s'adressant aux milliers de fidèles qui se pressaient dans la cathédrale pour la fête du saint protecteur de la Bohême, déclara : « Saint Ven­ceslas a empêché depuis mille ans ce pays de périr. Il ne le laissera pas périr. SI NOUS GARDONS LA FOI. » LA CROIX du 1^er^ octobre 1968 qui rapporte cette céré­monie, ajoute qu'au moment où Mgr Tomasek « allait célé­brer la Messe, des jeunes sont venus l'entourer avec des drapeaux tchécoslovaques, après avoir déjoué la surveil­lance des patrouilles soviétiques ». Édith Delamare. 204:128 ### Vie de Jésus (fin) par Marie Carré ##### *Barabbas. *(*Luc XXIII, 13-25*) * *(*Mc XV, 6-14*) * *(*Mt XXVII, 15-23*) * *(*Jn XVIII, 39-40*) Pilate ayant donc convoqué les Grands-Prêtres, les Chefs et le peuple, leur dit : -- « Vous m'avez présenté cet homme comme poussant le peuple à la révolte ; or j'ai instruit cette affaire devant vous et je n'ai trouvé cet homme coupable d'aucun des crimes dont vous l'accusez. Hérode non plus puisqu'il L'a renvoyé devant nous. Je Le relâcherai donc après L'avoir châtié. » Pilate voit bien qu'il ne peut pas renvoyer l'Innocent purement et simplement car prêtres et pharisiens ameute­raient la foule par fanatisme national. Pour sauver Jésus il propose donc de Le châtier, espérant que la foule se contentera d'un peu de souffrance et d'un peu de sang. A son idée, quelques trente on quarante coups de fouets apaiseront la soif de tous ces gens-là. Mais ils se mirent à vociférer tous ensemble : -- « A mort, cet homme ! » 205:128 Pilate, effrayé, cherche alors un autre moyen de sauver Jésus. La coutume voulait qu'à chaque Fête il leur accordât la liberté d'un prisonnier de leur choix. Il y avait alors un prisonnier célèbre, nommé Barabbas, qui, dans une sédition, avait commis un meurtre. Pilate leur dit donc : -- « Voulez-vous que je vous relâche Barabbas ou Jésus, appelé Christ ? » Mais les Grands-Prêtres et les Anciens persuadèrent la foule de choisir Barabbas et l'excitèrent à demander la mort de Jésus. Et la foule, sans cœur, sans âme, sans raison et sans conscience, hurla : -- « Fais périr celui-ci et relâche-nous Barabbas ! » Pilate espérait encore retourner cette foule, ce qui n'était pas déraisonnable car, avec un peu d'astuce et beaucoup de chance, on peut faire faire demi-tour à une foule afin qu'elle adore ce qu'elle a brûlé et qu'elle brûle ce qu'elle a adoré. Tel devait être l'espoir de Ponce-Pilate quand il leur dit : -- « Que ferai-je donc de Celui que vous nommez le Roi des Juifs ? » Eux crièrent : -- « Crucifie-Le, crucifie-Le ! » Pour la troisième fois, il leur dit : -- « Quel mal a-t-il donc fait ? je n'ai rien trouvé en Lui qui méritât la mort. » Mais ils crièrent plus fort « Crucifie-Le, crucifie-Le ! » ##### *La Flagellation et le Couronnement d'épines.* Alors Pilate ordonna qu'Il fut flagellé car, pour éviter une émeute qui aurait pu lui faire perdre sa situation, il fallait qu'il donnât à la foule un peu de ce qu'elle aime : de la souffrance et du sang. Aucun animal, dit sauvage et cruel, n'enchaîne son frère pour le faire souffrir sans trop de peine. Mais chez les hommes, on trouve toujours quelqu'un pour faire souffrir et faire office de bourreau. C'est une de nos nombreuses supériorités, semble-t-il. Et on trouve tou­jours aussi des spectateurs pour offrir leur aide bénévole. Quand Jésus eut la peau du dos éclatée en tous sens, les soldats se dirent : voilà un jouet pour nous et ils convo­quèrent toute la cohorte pour qu'il n'y ait pas de jaloux. Et, l'ayant dévêtu, ils L'enveloppèrent d'une casaque écar­late, puis, ayant tressé une couronne avec des épines, ils la mirent sur Sa tête avec un roseau dans la main droite. 206:128 Et, ayant ployé le genou devant Lui, ils se jouèrent de Lui, en disant : -- « Salut, Roi des Juifs ! » Et ils crachaient, sur Lui, Lui frappant la tête avec un roseau et Lui donnaient des soufflets. ##### *La femme de Pilate. *(*Mt XXVII, 19*) Or Pilate avait une épouse laquelle, selon la Tradition grecque, se nommait Claudia Procula. Cette femme, pendant que Pilate siégeait sur le tribunal lui envoya dire : -- « Qu'il n'y ait rien entre toi et ce Juste car j'ai beaucoup souffert aujourd'hui en songe à cause de Lui. » Cette intervention paraît être d'une grande importance. Voilà donc une femme qui se permet de déranger son mari dans l'exercice de ses fonctions, qui sont des fonctions publiques, et qui se permet de lui donner plus que des conseils, de lui donner un ordre concernant les dites fonc­tions. Il fallait donc qu'elle fût extraordinairement sûre d'elle, et même qu'elle fût fortifiée par la grâce de Dieu. Le Seigneur Tout Puissant essayait donc, par l'entremise de Claudia Procula, de sauver Ponce-Pilate d'un crime abomi­nable : la condamnation d'un innocent. La tradition grecque veut que Claudia Procula, par la suite, ait quitté son mari pour rejoindre les premiers chrétiens. ##### *La lutte de Ponce-Pilate. *(*Jn XIX, 4-15*) * *(*Mt XXVII, 24-25*) Pilate ressortit dehors et leur dit : -- « Voici que je vous L'amène pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » Et il leur présenta Jésus portant sa couronne d'épines et le manteau d'écarlate, le visage ravagé par la souffrance et couvert de crachats et de sang, et il leur dit : 207:128 -- « Voilà l'Homme ! » Voilà ce que l'homme fit à l'homme, voilà ce que l'homme fait à Celui qui guérissait les infirmes et les incu­rables, à Celui qui n'avait qu'un seul enseignement : Aimez Dieu votre Père par-dessus toutes choses et aimez-vous les uns les autres pour l'amour de Lui. Pilate espérait forte­ment que ce Jésus, ce Roi mystérieux et pacifique, ainsi défiguré, bafoué, abaissé, leur paraîtrait devenu inoffensif et dérisoire, et qu'ils se contenteraient de cette victoire. Il ne savait pas encore (et peut-être, comme beaucoup d'autres, ne l'a-t-il jamais compris) que contre Dieu il n'y a jamais de victoire. Contre Dieu c'est la guerre perdue d'avance, mais c'est aussi la guerre sans fin. Les trêves ne sont que des leurres. Dès que les Grands-Prêtres et les satellites virent Jésus, ils crièrent : -- « Crucifie-Le, crucifie-Le ! » Pilate répondit : -- « Prenez-Le vous-mêmes et crucifiez-Le ; moi je ne trouve en Lui aucun motif de condamnation. » Les juifs répli­quèrent : -- « Nous avons une Loi et d'après cette Loi Il doit mourir car Il s'est fait Fils de Dieu. » A ces mots, Pilate fut encore plus effrayé. Jésus s'était déjà affirmé Roi du monde invisible ; Claudia le croyait véritablement Saint ; et voici qu'il était question mainte­nant qu'Il fût le propre Fils du Dieu des Juifs. Pilate n'a pas du tout envie d'être l'ennemi d'un dieu, Pilate tient à ses aises et à sa carrière. Il rentra donc dans le prétoire pour demander à Jésus : -- « D'où es-Tu ? » Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Alors Pilate Lui dit : -- « Tu ne veux pas me parler à moi ? Ne sais-Tu pas que j'ai pouvoir de Te relâcher et pouvoir de Te crucifier ? » Jésus lui répondit : -- « Tu n'aurais sur Moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut ; aussi celui qui m'a livré à toi porte un plus grand péché. » Comme Pilate cherchait de nouveau à Le relâcher, les Juifs crièrent : -- « Si tu Le relâches, tu n'es pas ami de César, qui­conque se fait Roi se déclare contre César. » 208:128 Dans cette accusation nouvelle, les Juifs accumulent les ruses les plus abjectes : ils opposent les droits d'un descendant de David aux droits de César, leur conquérant détesté, de César qui justement commet le sacrilège inouï de se faire adorer comme Dieu ; tout cela pour faire peur à Pilate qui doit tenir à sa situation (situation qu'il perdra quand même du reste). Les Juifs ayant donc fait allusion à la Royauté de Jésus, Pilate L'amena dehors en un lieu appelé Lithostrotos où se dressait un tribunal. C'était le jour de la préparation de la Pâque et il leur dit : -- Voici votre Roi. Il semble que Pilate ne cherche plus qu'à se moquer de ces exaltés qu'il exècre. Les Juifs s'écrièrent : -- « Enlève-Le, Enlève-Le, crucifie-Le. » Pilate répon­dit : « Crucifierai-je votre Roi ? » A cette féroce ironie, les Juifs répondirent par une abjecte abdication : -- « Nous n'avons d'autre Roi que César. » Alors Pilate, voyant que le tumulte augmentait, prenant de l'eau, se lava les mains en présence de la foule, disant : -- « Je suis innocent de ce sang ; à vous de voir ». Tout le peuple répondit « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! Si j'avais l'honneur d'être juive, j'aurais du mal à par­donner cette parole à mes ancêtres, et je serais tentée de leur crier : Aviez-vous le droit de nous associer à votre déicide jusqu'à la centième génération ? De quel droit avez-vous appelé ce sang innocent sur nos têtes inno­centes ?... Et, me tournant vers Yahvé, je lui dirais : -- Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, soyez sourd, je vous prie, à cette parole maintenant deux fois millénaire, effacez-la de votre mémoire pour ne plus vous souvenir que de l'Alliance Sainte et de votre Peuple Élu, de votre Peuple préféré. Dans ce Peuple vous avez choisi Marie l'Immacu­lée, qui nous donna Jésus, vrai Dieu et vrai Homme ; je vous en supplie, n'ayez plus de colère contre nous mais, que votre sainte grâce nous appelle, nous envahisse et nous en­traîne sur le chemin de Vie tracé par Votre Fils. 209:128 Si j'étais juive et que je fasse cette prière pour tous mes frères de la dispersion, je ne pourrais m'empêcher de sourire en pensant : Voici que je demande au Dieu de nos pères exactement ce qu'il a envie que je lui demande. ##### *La condamnation. *(*Luc XXIII, 24-25*) * *(*Mt XXVVII, 26-31*) * *(*Jn XIX, 16*) Alors Pilate, voulant donner satisfaction au peuple, relâcha Barabbas, le brigand meurtrier, et leur livra Jésus pour qu'il fût crucifié. Et les soldats recommencèrent à se jouer de Lui en Lui enlevant son manteau pour Lui remettre ses propres vêtements. ##### *Le chemin de Croix. *(*Luc XXIII, 26-32*) * *(*Luc XV, 20*) * *(*Mt XXIII, 31*) * *(*Jn XIX, 16*) Et ils L'emmenèrent pour le crucifier. En sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, qui reve­nait des champs et ils le requirent pour qu'il aide Jésus à porter sa croix. Le peuple, en grande foule, Le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Lui. Mais, se retournant vers elles, Jésus dit : -- « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur Moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants. Car voici venir des jours où l'on dira : Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n'ont pas enfanté et les seins qui n'ont pas nourri. Alors on se mettra à dire aux mon­tagnes : Tombez sur nous ! Et aux collines : Couvrez-nous ! Car si l'on traite ainsi le bois vert, qu'adviendra-t-il du bois sec ? » 210:128 Une tradition tout à fait respectable nous a conservé quelques autres détails sur le chemin de Croix du Seigneur. Ainsi Jésus, pendant cette montée difficile serait tombé plu­sieurs fois sous le poids de Sa Croix. Si on nous enlève les images et les méditations sur ce point particulièrement émouvant de la Passion, sur ce point où nous voyons une image de nos chutes et une aide pour nous relever, si on nous les enlève sous prétexte qu'elles ne sont pas dans la Tradition écrite, il nous manquera quelque chose, nous serons amputés de quelque chose de grand et je ne vois pas à qui cela pourra faire du bien. Une autre Tradition veut qu'une des Saintes Femmes qui servaient Jésus et dont il est question dans les Évangiles et sans qu'elles soient toutes nommées, qu'une de ces Saintes Femmes ait profité d'une chute de Jésus et donc d'un arrêt du cortège, pour lui essuyer son pauvre visage couvert de sang, de sueur et de crachats et, qu'en récom­pense, le portrait du Divin Maître se soit imprimé sur ce voile. Cette femme fut, par la suite, surnommée Véronique (on suppose que ce nom pourrait venir de « vera icon » : véritable image) et elle serait particulièrement vénérée dans l'Église grecque. Le voile de sainte Véronique se trouve à Saint-Pierre de Rome. On le sort en de très graves occa­sions. Mais s'il est difficile de le voir, il est facile d'en avoir une photographie, ainsi du reste que du Saint Suaire de Turin qui porte, lui, le portrait entier de Notre-Seigneur. La Tradition orale veut encore que Jésus, sur le chemin du Calvaire ait rencontré Sa Très Sainte Mère. Le fait est d'autant plus probable que les Évangiles nous disent que Marie se tenait debout au pied de la Croix. La douleur de Marie n'est pas imaginable : je veux dire qu'elle dépasse l'imagination. Elle est aussi totalement silencieuse et donc acceptée. Elle est aussi une réponse, la réponse à tous ceux qui se plaignent que Dieu pourrait, s'Il voulait,... que Dieu permet,... et on ne comprend pas pour­quoi Il permet, que trop d'injustices, que trop de misères, que trop de larmes, que trop de cataclysmes etc. etc. ravagent le monde. Dieu n'a pas épargné Sa propre Mère et pourtant, Il l'avait choisie Lui-même, Il l'avait préservée de tout péché et lui avait même accordé son premier miracle en avance sur l'heure prévue. Au ciel, Il lui accordera une puissance incontestable, mais sur terre, Il ne lui épargnera aucune Douleur. Il faut croire que ces grands coups de serpe, qui taillent à même la chair, renouvellent des forces et font éclore les fleurs et les fruits puisque Dieu ne les épargne pas à Sa Mère ; même un vigneron très sage ne les épargne pas à sa vigne, ni un jardinier très prudent à ses rosiers. 211:128 ##### *La Crucifixion. *(*Luc XXIII, 33*) * *(*Mc XV, 22-25*) * *(*Mt XXVII, 33-35*) * *(*Jn XIX, 17*) Lorsqu'ils arrivèrent au Calvaire, qu'on appelle en hébreu Golgotha, ils Le crucifièrent, ainsi que deux mal­faiteurs, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. Et ils Lui donnèrent du vin aromatisé, mais, l'ayant goûté, il ne vou­lut pas en boire. C'était la troisième heure. La crucifixion est le supplice le plus abominable que l'imagination humaine ait jamais inventé, et Dieu sait que la liste est longue de ces inventions-là. Mais la crucifixion est géniale en ce sens qu'elle fait tout souffrir en même temps les muscles, les nerfs et les os. Les muscles sont distendus et tordus en mille crampes, les nerfs sont frottés par les clous ou arrachés par l'extension, les os sont déboî­tés, la poitrine est compressée, créant une lente asphyxie, la soif est intense, les épines s'enfoncent un peu plus en tous sens dans la tête, et tout cela est voué à une immobilité donnée en spectacle à la foule ironique et amusée. Mais Jésus adoré, il faut vite, vite que je vous dise, avant de continuer à raconter votre mort que, pour des millions et des millions, les crucifix sont aujourd'hui objet d'amour et de réconfort ; que nous les embrassons avec tant d'amour qu'il est certain que personne n'est aimé comme vous... Et cependant, je crie que vous n'êtes pas assez aimé, je le crie à chaque page de ce livre, à chaque page de tous mes livres, et plût au Ciel que ces pages ne soient pas vaines. ##### *Le Roi des Juifs. *(*Luc XXIII, 38*) * *(*Mc XV, 26*) * *(*Mt XXVII, 37*) * *(*Jn XIX, 19-22*) Pilate, pour se venger des Juifs qui l'avaient acculé à condamner un innocent, Pilate fit faire un écriteau en trois langues : hébreu, latin et grec, où il était écrit : 212:128 « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. » Et il fit placer l'écriteau en haut de la Croix. Les grands prêtres, furieux, dirent à Pilate : -- « N'écris pas « Le Roi des Juifs », mais qu'Il a dit je suis le Roi des Juifs. Pilate répondit Ce que j'ai écrit est écrit. » Hé oui, Ponce-Pilate, ce que vous avez écrit sous l'ins­piration de la colère était, en réalité, justement ce que Dieu voulait que vous écriviez. Il arrive extrêmement souvent que les hommes, se livrant à leur colère, à leur méchanceté, à leur vengeance, à leurs ruses ou à leurs calomnies, soient simplement les exécutants d'un immense concert que dirige le Seigneur. Et quand je dis « extrêmement souvent », je me trompe, je devrais dire « il arrive toujours ». Mais si ce toujours-là ne nous est pas familier, c'est parce que nous ne faisons pas assez confiance à la suite des événe­ments. Dieu connaît la suite, Il connaît même ce qui serait arrivé si... s'Il nous avait trop souvent écoutés... avec nos petites vues et nos petits programmes, et nos petits désirs. ##### *La Sainte Tunique. *(*Luc XXIII, 34*) * *(*Mc XV, 24*) * *(*Mt XXVII, 35-36*) * *(*Jn XIX, 23-24*) Les soldats, comme c'était leur droit, se partagèrent les vêtements de Jésus. Il faut récompenser les bourreaux et ne pas se préoccuper de la famille des condamnés, car de toutes façons, elle ne dira rien, elle aura bien trop peur. Donc, ils se partagèrent ses vêtements en quatre parts. Mais la tunique était sans couture, d'un seul tissu (il n'est pas impossible qu'elle ait été tricotée par la Très Sainte Vierge Marie.) Les soldats se dirent donc : -- « Ne la déchirons pas, mais tirons au sort à qui elle sera. » 213:128 Depuis longtemps, le Psaume 22, décrivant la crucifixion du Juste, avait annoncé : -- « Ils se sont partagés mes vêtements, Et ils ont tiré ma robe au sort. » ##### *Les insultes. *(*Luc XXIII, 35-37*) * *(*Mc XV, 29-32*) * *(*Mt XXVII, 39-43*) Le même Psaume 22, que chaque Juif avait récité je ne sais combien de fois dans sa vie, ce même Psaume 22 annon­çait les insultes que Jésus aurait à supporter : « Et moi, je suis un ver et non un homme, « L'opprobre des hommes et le rebus du peuple. « Tous ceux qui me voient se moquent de moi, « Ils ouvrent les lèvres, ils branlent la tête « Qu'il s'abandonne à Yahvé, Il le sauvera, « Il le délivrera puisqu'Il l'aime ! » Et tous ceux qui passaient L'insultaient en branlant la tête et disant : -- « Hé, Toi qui détruis le Temple et le rebâtis en trois jours, sauve-Toi Toi-même, en descendant de la Croix ! » « Il a sauvé les autres, Il ne peut se sauver Lui-même ! » « S'Il est Roi d'Israël, qu'Il descende maintenant de la Croix et nous croirons en Lui ! » -- « Il a mis sa confiance en Dieu ; qu'Il le sauve maintenant s'Il tient à Lui, car Il a dit : "je suis le Fils de Dieu" ! » Les soldats aussi se jouaient de Lui, s'approchant pour Lui offrir du vinaigre en disant : -- « Si Tu es le Roi des Juifs, sauve-Toi Toi-même ! » Et cependant Jésus était plus que le Roi des juifs, puisqu'Il était Roi de l'univers, puisqu'Il était Dieu le Fils, puisqu'Il était égal au Père et Deuxième Personne de la Très Sainte Trinité ; mais voilà, Il était venu au monde non pas pour nous dire. « Je suis grand et vous êtes petits », mais pour nous dire : Vous êtes petits et je vais vous gran­dir ; vous êtes petits et je vais vous sauver ; vous êtes petits et je vais payer pour vous ; vous êtes petits et pleins de faiblesse et de péchés, mais je vais les prendre tous sur moi, tous ceux du passé, tous ceux du présent et tous ceux de l'avenir ; et cela fait un poids, un poids infini et mon Amour aussi est Infini, si bien que Lui seul peut rétablir l'équilibre. 214:128 A tout instant Jésus pouvait évidemment descendre de la Croix et s'écrier : Allez-vous enfin croire en moi ? Les spectateurs se seraient affalés dans la poussière, mais les autres ?... Les autres auraient dit -- Vous racontez des his­toires, je ne crois pas à vos histoires, vous avez des hallucinations, il faut vous soigner... Je crois en Dieu *quand...* Voilà, chaque homme a décidé à quel prix il daignera croire en Dieu et en Son Fils. J'en connais qui accepteraient de croire en Dieu si, à Lourdes, Il faisait repousser un membre amputé, Dieu ne l'a pas fait à Lourdes (pas encore) mais Il l'a fait en Espagne pour exaucer Notre-Dame del Pilar, Il l'a fait un 29 mars 1640 pour une jambe amputée sous le genou depuis fin octobre 1637. Mais c'est peu connu en France et peut-être me répondrait-on à moi : J'y croirai quand il s'agira d'une jambe amputée en dessus du genou, mais pas en dessous... Une telle réponse ne serait pas plus étonnante que les exigences des Juifs au sujet de Notre-Seigneur. Des milliers de guérisons instantanées et specta­culaires, la tempête apaisée, la multiplication des pains et des poissons, quelques résurrections dont celle d'un pauvre homme qui sentait déjà mauvais, non, ils ont décidé que cela ne leur suffirait pas. Que maintenant donc, ce Fils de Dieu descende de sa Croix et eux lui feront l'hon­neur de croire en Lui. ##### *La 1^e^ Parole de Jésus en Croix. *(*Luc XXIII, 34*) A toutes ces insultes, Jésus répondit : -- « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » Et c'est exactement ce qu'il nous est demandé à tous, de redire à notre tour, sans aucune exception, ni restriction mentale. 215:128 ##### *La 2^e^ Parole. *(*Jn XIX, 25-27*) Or, près de la Croix de Jésus se tenaient sa Mère, la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Ma­deleine. Voyant Sa Mère et, près d'elle, le disciple qu'Il aimait (c'est-à-dire Jean l'Évangéliste) Jésus dit à Sa Mère : -- « Femme, voici ton fils. Puis Il dit au disciple : Voici ta Mère. » A partir de cette heure, le disciple la prit chez lui. » Dans toute Parole et action de Jésus, il faut, bien sûr, voir la cause locale et passagère, mais il ne faut pas voir *que* cela, il faut voir surtout la raison symbolique et éter­nelle. L'Église a toujours cru que Saint Jean représentait tous les chrétiens à venir et, qu'en donnant Jean comme fils à Sa Mère, Jésus ne pensait pas seulement à sa solitude ter­restre mais voulait lui donner une maternité universelle. Elle est donc notre Mère et il est sage d'aller à Jésus par elle, puisque Jésus nous est venu par elle. L'Histoire chrétienne prouve abondamment que Marie est toute puissante sur le Cœur de Son Divin Fils. Nous serions bien sots de nous pri­ver de son intercession. Combien de fois n'a-t-elle pas obtenu de venir sur terre ranimer la flamme ? Et combien de grâces merveilleusement puissantes n'a-t-elle pas dé­versées sur des milliers de pèlerins, à Lourdes par exemple (mais pas seulement à Lourdes) qui sont des grâces encore plus merveilleuses que les guérisons, des grâces d'accepta­tion joyeuse pour tous. Il serait impossible d'entreprendre la relation des grâces déversées sur la terre par l'intermédiaire de celle qui se tenait debout au pied de la Croix de Son Fils. Car elle se tenait debout et se taisait, ce qu'il ne faudrait pas oublier. Nous pourrions peut-être essayer de lui donner un peu de joie à elle qui eut tant de douleurs. Et la seule joie pour elle c'est qu'un homme de plus prenne la décision d'aimer Jésus plus que tout. ##### *La 3^e^ Parole. *(*Luc XXIII, 39-43*) * *(*Mc XV, 32*) * *(*Mt XXVII, 44*) L'un des malfaiteurs qui était crucifié à Ses côtés, l'in­sultait aussi, disant : 216:128 -- « N'es-Tu pas le Christ ? Sauve-Toi toi-même et nous aussi. » Mais l'autre, le reprenant, lui dit : « Tu n'as donc même pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même peine ? pour nous, c'est justice nous payons pour nos actes, mais Lui n'a rien fait de mal. » Ensuite il dit à Jésus : « Souviens-Toi de moi, lorsque Tu seras dans Ton Royaume. » Jésus lui répondit : -- « En vérité, le te le dis, aujourd'hui même, tu seras avec moi dans le Paradis. » Et le premier chrétien sauvé par Jésus est donc un malfaiteur d'une certaine envergure, car on n'était tout de même pas condamné à la crucifixion pour un petit vol banal. Et c'est adorable ! Tous les accusés et tous les condamnés ont là un modèle, un ami et un intercesseur. ##### *La 4^e^ Parole. *(*Luc XXIII, 44-45*) A partir de la sixième heure, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu'à la neuvième heure. Ces trois heures de ténèbres en plein après-midi ont dû remplir les habitants de Jérusalem d'une terreur sans nom. Et même dans le reste du monde, chacun dut se demander quel cataclysme allait s'abattre sur la terre et beaucoup de gens ont dû se mettre en prière ; même si ces prières s'adressaient à un dieu dérisoire et inexistant, le Seul Vrai Dieu a dû les récolter pour Lui et les écouter comme si elles lui étaient adressées puisque justement ces ténèbres annonçaient que Son Fils Bien-Aimé, Son Fils Unique, achevait de racheter tous les péchés du monde, pour que le monde entier soit uni dans une seule et même foi. -- « Vers la neuvième heure, Jésus s'écria d'une voix forte : « Eli, Eli, lamma sabachtani ? » C'est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-Tu abandonné ? » Ce sont les premières paroles du célèbre Psaume 22 où le Psalmiste parle comme s'il était Jésus Lui-même en croix, disant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-Tu abandonné ? « Et moi je suis un ver et non un homme, « L'opprobre des hommes et le rebut du peuple. « Tous ceux qui me voient se moquent de moi, 217:128 « Ils ouvrent les lèvres, ils branlent la tête « Qu'il s'abandonne à Yahvé, Il le sauvera, « Il le délivrera puisqu'il l'aime... « Je suis comme de l'eau qui s'écoule, « Et tous mes os sont disjoints ; « Mon cœur est comme de la cire, « Il se fond au milieu de mes entrailles. « Ma force s'est desséchée comme un tesson d'argile, « et ma langue s'attache à mon palais... « Ils ont percé mes mains et mes pieds, « Je pourrais compter tous mes os. « Eux, ils m'observent, ils me contemplent, « Ils se partagent mes vêtements, « Ils tirent au sort ma tunique... » Les assistants connaissaient bien les Psaumes, mais certains ne surent que railler, disant : -- « Voilà qu'il appelle Élie ! » Peut-être faisaient-ils semblant de ne pas comprendre, pour étouffer la peur qui les tenaillait. ##### *La 5^e^ Parole. *(*Mc XV, 36*) * *(*Mt XXVII, 48-49*) * *(*Jn XIX, 28-29*) Après cela, Jésus dit : -- « J'ai soif ! » Sa soif devait être aussi atroce que celle de quelqu'un qui est perdu dans le désert depuis plusieurs jours, avec ceci qu'elle était doublée d'une soif terrible de sauver le monde, de sauver *tout le monde.* ...Et tant, et tant, et tant qui ne voudront pas !... et Il le savait ! Il y avait là un vase rempli de vinaigre. Une éponge imbibée de vinaigre fut fixée à une branche d'hysope et on l'approcha de sa bouche. Mais d'autres, disaient : -- « Laissez, voyons si Élie va venir le sauver ! 218:128 ##### *La 6^e^ Parole. *(*Jn XIX, 30*) *--* « Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit : "Tout est consommé" » ##### *La 7^e^ Parole. *(*Luc XXIII, 46*) * *(*Mc XV, 37*) * *(*Mt XXIII, 50*) * *(*Jn XIX, 30*) *--* « Et, poussant un grand cri, Il dit : « Père, je remets mon esprit entre Tes mains ». Et, ayant incliné la tête, Il rendit l'esprit. » Ce Dieu-homme qui meurt d'asphyxie, trouve la Force surnaturelle de pousser un grand cri, un cri de triomphe car, cette immense et totale défaite est aussi la plus grande victoire connue, la seule Victoire qui puisse réellement porter ce nom, car plus jamais personne ne pourra la ravir ou la diminuer ou l'effacer. Je sais bien que beaucoup voudront jusqu'à la fin des âges, la contester ou la mépriser ou la dédaigner, mais tout cela est aussi dérisoire qu'une fourmi qui parlerait d'éteindre le soleil. ##### *La fin de la re­ligion mosaïque. *(*Luc XXIII, 45-49*) * *(*Mc XV, 38-41*) * *(*Mt XXIII, 51-56*) * *(*Luc XII, 49*) Comme Jésus rendait l'esprit, le Voile du Temple, qui cachait le Saint des Saints aux fidèles, ce grand Voile sacré se déchira par le milieu du haut en bas. La religion de Moïse avait vécu, elle avait accompli son œuvre, mainte­nant elle devait céder la place, non pas à une religion nou­velle et étrangère mais à son propre perfectionnement. Car Jésus n'était pas venu abroger la Loi ni les Prophètes, Il était venu parfaire. 219:128 Pour atteindre ce perfectionnement, Il venait de donner Sa vie volontairement. Pour parfaire l'Antique Alliance, Il était venu jeter un feu sur la terre et avait Lui-même brûlé pendant 33 ans du désir qu'il soit allumé, sachant qu'il devait pour cela recevoir un baptême angoissant qui n'était autre que Sa mort en Croix. Avec Son sang et Sa douleur et Sa mort, Jésus vient d'acheter l'Église Universelle qui est Unique comme Lui, Éternelle comme Lui et qu'Il n'abandonnera jamais. Pendant que le Voile du Temple se déchirait en deux, plongeant les prêtres juifs dans une terrible angoisse, les rochers se fendirent et les tombeaux s'ouvrirent, et beau­coup de saints ressuscitèrent. Ils entrèrent dans la ville et ils se montrèrent à de nombreuses personnes. Le centurion et les soldats qui, avec lui, gardaient Jésus, voyant le tremblement de terre et tout ce qui venait de se passer, furent saisis d'une grande frayeur, disant : -- « Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu ! » Et les foules qui étaient accourues pour assister à ce spectacle, voyant ce qui s'était passé, s'en retournaient en se frappant la poitrine. Et les Saintes Femmes qui s'étaient mises au service de Jésus, ainsi que ses amis, se tenaient à distance, observant ces choses... ##### *Le coup de lance. *(*Jn XIX, 31-38*) * *(*Ex. XII, 46*) * *(*Nb IX, 12*) * *(*Zac XII, 10*) Pour que le lendemain, jour de sabbat, et de sabbat très solennel, les corps ne restent pas en croix, les Juifs deman­dèrent à Pilate qu'on leur brisât les jambes et qu'on enlevât les corps. Les jambes brisées devaient achever l'asphyxie des suppliciés car ils ne pourraient plus s'appuyer sur les plaies des pieds pour retrouver un peu de souffle. « Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes au premier, puis au second de ceux qui avaient été crucifiés avec Lui. Arrivés à Jésus, comme ils virent qu'Il était déjà mort, ils ne Lui brisèrent pas les jambes. 220:128 Mais un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau. Et celui qui a vu cela en rend témoignage, et son témoignage est véridique, et celui-là sait qu'il dit la vérité, afin que, vous aussi, vous croyez. » Car cela est arrivé pour que fut accomplie cette parole de l'Écriture -- concernant l'agneau pascal -- « Aucun de ses os ne sera brisé ». Cet ordre que Dieu donna longtemps auparavant et qui semblait ne concerner que la façon de manger l'agneau pas­cal, cet ordre était valable aussi pour le Seul et Unique et Véritable Agneau Pascal, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car l'Ancien Testament est une Image ou un symbole du Nou­veau, tout en étant quand même une histoire. « Et cela est arrivé pour que fut accomplie cette autre parole de l'Écriture : ils regarderont Celui qu'ils ont transpercé ! » Oui, les générations futures Le regarderont jusqu'à la fin des temps, regarderont ce Cœur qui a tant aimé les hommes, ce Cœur brûlant et transpercé, ce Cœur qui ne se lassera jamais d'appeler et de pardonner. ##### *Joseph d'Arimathie. *(*Luc XXIII, 50-56*) * *(*Mc XV, 42-47*) * *(*Mt XXVII, 57-61*) * *(*Jn XIX, 38-42*) Le soir venu, un homme riche, membre du Conseil, nommé Joseph d'Arimathie, et qui, lui aussi, attendait le Règne de Dieu, s'en vint hardiment trouver Pilate et deman­da le corps de Jésus. De la part d'un Juif de grande fa­mille, c'était là une démarche extraordinairement coura­geuse. Pilate s'étonna que Jésus fût déjà mort et, ayant fait appeler le centurion, il lui demanda s'il était déjà mort. Informé par le centurion, il accorda le corps à Joseph. Nicodème, un autre Juif important, qui était venu ques­tionner Jésus en secret, la nuit, apporta cent livres de myrrhe et d'aloès, selon la manière d'ensevelir en usage chez les Juifs. Et Joseph d'Arimathie, aidé de Nicodème, ayant reçu le corps, l'enroula dans un linceul d'une blancheur immaculée et le plaça dans son propre tombeau tout neuf, qu'il avait creusé dans le roc ; puis, ayant roulé une grosse pierre contre l'entrée du tombeau, il s'en alla. 221:128 Les Saintes Femmes, celles qui l'avaient accompagné depuis la Galilée, avaient suivi de près. Et elle regardèrent le Tombeau et comment avait été placé le corps et, s'en étant retournées, elle préparèrent elles aussi des aromates et des parfums. ##### *Le Samedi-Saint. La garde du Sépulcre. *(*Mt XXVII, 62-66*) Le lendemain, les grands Prêtres et les Pharisiens se rendirent en corps chez Pilate et lui dirent : -- « Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit de son vivant -- « Après trois jours je ressusciterai ». Commande donc que le sépulcre soit tenu en sûreté jusqu'au troisième jour, pour éviter que ses disciples ne viennent le dérober et ne disent au peuple : « Il est ressuscité des morts ». Cette dernière imposture serait pire que la première. » Pilate leur répondit : « Vous avez une garde ; allez et prenez vos sûretés comme vous l'entendez. » Ils allèrent donc et s'assurèrent du sépulcre, en scellant la pierre et en postant une garde. » ##### *La Résurrection. *(*Luc XXIV, 1-8*) * *(*Mc XVI, 1-8*) * *(*Mt XXVIII, 1-7*) * *(*Jn XX, 1-2*) Toute la journée du samedi, jour où il était interdit de faire quoi que ce soit, se passa dans la tristesse. Les Apôtres et les disciples avaient perdu, les miraculés avaient honte de ne pas l'avoir défendu et beaucoup de Juifs importants avaient peur et n'osaient pas l'avouer. Ils avaient peur car enfin, le Ciel avait agi comme s'il était mécontent de cette condamnation : ténèbres, tremblement de terre, voile dé­chiré, morts ressuscités... est-ce que cet homme mort va continuer de faire parler de Lui ?... c'est ce qu'il ne faut pas, à aucun prix. 222:128 Aussi le corps de cet homme mort, bien inaccessible ce­pendant derrière l'immense pierre qui garde son tombeau, ce corps est gardé comme un trésor. Le tombeau est scellé, les soldats sont nombreux et solidement armés. Et ce sont des gaillards qui n'ont pas du tout envie de perdre leur place. Ils sont parfaitement décidés à défendre le mort au péril de leur vie. Et, quand le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques et Salomé achetèrent des aromates pour venir pratiquer sur Lui les onctions... Et de grand matin, le dimanche, comme le soleil était déjà levé, elles allèrent au Tombeau. Trois femmes seulement, et la Mère de Jésus n'en fait pas partie. Nul ne dira jamais que la Sainte Vierge manquait de courage et que, trop éprouvée, elle re­nonce à revoir encore une fois son Fils et à Lui apporter son dernier cadeau : des aromates. Marie se tenait debout au pied de la Croix. Marie se tenait debout sans rien dire... Sans rien dire ?... Est-ce ainsi qu'une mère se conduit ? Est-ce ainsi qu'une mère ordinaire se conduit ?... Non, non, la mère ordinaire d'un fils ordinaire, quoique génial, se fût précipitée chez Pilate, se fût précipitée chez Caïphe, se fût précipitée chez Hérode, se fût précipitée partout, disant : Rendez-moi mon fils, ne lui faites pas de mal, c'est seulement un exalté mais il n'est pas méchant, rendez-le moi et je vous promets que nous irons à nouveau nous cacher en Égypte, mais rendez-le-moi et vous n'entendrez plus parler de lui... Et, si ces démarches auprès des grands de ce monde n'avaient rien donné, une mère ordinaire eût essayé de retourner la foule. Une foule, c'est seulement un animal qui se laisse dominer par des impressions violentes. Elle peut aussi bien exalter un homme que le massacrer, le même homme, le même jour, presque au même instant. La Mère de Jésus aurait pu se montrer suffisamment éloquente et pathétique pour que la foule qui venait de crier : « Cruci­fie », se mette à exiger. Qu'il soit Roi, qu'Il monte sur le trône de David, son père. Mais Marie qui n'avait jamais voulu faire que la Vo­lonté de Dieu et qui se considérait uniquement comme la Servante du Seigneur, Marie ne dit rien, Marie accepte et offre sa propre souffrance, debout au pied de la Croix, sachant que ce glaive qui lui fut prédit est nécessaire au Salut du monde. Puisque Son Fils veut s'offrir en Victime, pour le rachat de tous les pécheurs, elle ne va pas protes­ter, ni même s'écrouler, elle va accepter, et même participer. 223:128 Il est donc extrêmement remarquable que la Mère de Jésus ne se soit pas dérangée pour aller au Tombeau dès le dimanche matin ni même à aucun moment de cette sainte journée. Il arrive que le silence et l'inaction soient de très grands enseignements. Par toute son attitude Marie affirme, dans une Paix totale, et sans qu'une parole soit prononcée, qu'elle sait que Son Fils, est ressuscité et que le Tombeau est vide. Mais les autres ne le savent pas. Et, en montant au Sépulcre, les Saintes Femmes se disaient entre elles : -- Qui nous roulera la pierre pour dégager l'entrée du Tombeau ? » Car cette pierre était très grande et il fallait plusieurs hommes pour la rouler. « Et voici qu'il y eut un grand tremblement de terre ; car un Ange du Seigneur descendit du Ciel et s'approchant, roula la pierre et s'assit dessus. Son aspect était comme un éclair et son vêtement blanc comme la neige. A sa vue, les gardes, effrayés tremblèrent et devinrent comme morts. » Quand les Saintes Femmes arrivèrent, elles purent en­trer mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur. Alors elles virent un jeune homme revêtu d'une robe blanche qui leur dit : -- « Ne craignez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ; Il est ressuscité, Il n'est pas ici. Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est Vivant ? Voici la place où on L'avait déposé. Mais allez, dites à ses disciples et à Pierre : « Il est ressuscité d'entre les morts et voici qu'Il vous précède en Galilée, là, vous le verrez. Souvenez-vous de ce qu'Il vous avait dit, qu'Il devait être livré entre les mains d'hommes pécheurs et être crucifié et ressuscité le troisième jour. » En sortant du tombeau, les Saintes Femmes s'enfuirent, prises d'effroi et hors d'elles-mêmes. Marie-Madeleine courut plus vite que les autres et arriva près de Simon-Pierre et de Jean pour leur dire : 224:128 -- « On a enlevé le Seigneur du Tombeau et nous ne savons où on L'a mis ». Et toutes ensuite annoncèrent la même nouvelle aux Onze et à tous les autres. Mais ces paroles leur parurent un radotage de femmes. ##### *Saint Pierre et saint Jean. *(*Luc XXIV, 12*) * *(*Jn XX, 2-10*) Cependant Simon-Pierre courut au Tombeau avec Jean. Tous deux couraient ensemble. Mais Jean, plus jeune, arri­va le premier. Il se pencha sans entrer, car Simon-Pierre était le Chef et il voulait le laisser entrer le premier, mais il se pencha et vit les bandelettes gisantes. Arrive donc aussi Simon-Pierre qui entra dans le Tombeau. Il put con­templer les bandelettes et le suaire qui était roulé séparément. Ils ne comprenaient pas encore qu'il devait ressusciter des morts et ils retournèrent donc chez eux. ##### *Marie-Madeleine. *(*Luc VIII, 1-3*) * *(*Mc XVI, 9-10*) * *(*Mt XXVIII, 9-10*) * *(*Jn XX, 11-18*) Or, Marie-Madeleine qui avait pour Jésus une adoration d'autant plus vive qu'il l'avait délivrée de sept dénions et délivrée d'une vie misérablement bête, Marie-Madeleine était retournée au Tombeau et pleurait parce que son Seigneur avait été enlevé. Et, s'étant penchée, elle aperçut deux Anges vêtus de blanc, l'un à la tête et l'autre aux pieds, où avait été déposé le corps de Jésus. Et ceux-ci lui dirent : -- « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle répondit : -- « Parce qu'on a enlevé mort Seigneur, et je ne sais pas où on l'a mis. » En disant ces mots, elle se retourna, aperçut un homme qui lui dit : -- « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » 225:128 Marie-Madeleine, pensant qu'il s'agissait du jardinier lui dit : -- « Seigneur, si tu L'as emporté, dis-moi où tu L'as mis et j'irai le prendre. » Alors l'homme lui dit seulement « Mariam ! » Et elle, le reconnaissant enfin, s'écria en hébreu « Rabbo­ni » c'est-à-dire : Maître). Jésus lui dit « Ne me retiens pas car je ne suis pas encore monté vers le Père mais, va vers mes frères et dis leur : -- Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Marie-Madeleine courut donc raconter ces choses aux disciples mais ils ne la crurent pas. » ##### *Comment on écrit l'Histoire. *(*Mt XXVIII, 11-15*) Pendant ce temps les gardes étaient revenus de leur éva­nouissement et de leurs terreurs. Et quelques-uns allèrent en ville annoncer aux Grands Prêtres tout ce qui s'était passé. Ceux-ci tinrent une réunion avec les Anciens et, après avoir délibéré, ils donnèrent aux soldats une forte somme d'argent avec cette consigne : -- « Vous direz ceci : Ses disciples sont venus la nuit et l'ont dérobé tandis que nous dormions. Et si l'affaire vient aux oreilles du Gouverneur, nous l'apaiserons et nous vous mettrons hors de cause. » C'était justement pour avoir la garantie de soldats étran­gers et indifférents à toutes ces querelles religieuses que les Grands Prêtres avaient voulu faire garder le Tombeau par des soldats romains. Les soldats, ayant pris l'argent, iront donc répéter leur fable, mais nul ne nous dit ce que les officiers pensèrent de sentinelles qui dorment. Cependant les mensonges trouvent toujours des gens qui ont intérêt à les colporter. C'est là leur seule force. Quelques dizaines d'années plus tard, quand Saint Matthieu écrivit son Évangile, il y avait encore des Juifs pour croire à cette absurdité si commode... ##### *Les Disciples d'Emmaüs. *(*Luc XXIV, 13-35*) * *(*Mt XVI, 12*) Ce même premier dimanche de Pâques, de la Pâque chrétienne, deux des disciples quittèrent Jérusalem pour un bourg nommé Emmaüs. 226:128 Et ils s'entretenaient entre eux de tout ce qui s'était passé. Or, tandis qu'il devisaient et discutaient ensemble, Jésus, en personne s'approcha et fit route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître, il leur dit : -- « Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant ? » Et ils s'arrêtèrent, le visage morne. L'un d'eux, nommé Cléophas, Lui répondit : -- « Es-tu donc le seul habitant de Jérusalem qui ne sache pas ce qui s'y est passé ces jours-ci ? » Et il leur dit : -- « Quoi donc ? » Ils répondirent : -- « Ce qui concerne Jésus de Naza­reth, homme qui fut un Prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, et com­ment nos grands prêtres et nos magistrats l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. Pour nous, nous avions l'espoir que ce serait Lui qui délivrerait Israël, mais encore, voici le troisième jour, depuis que ces choses ont eu lieu. Cependant quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés. S'étant rendues de grand matin au tombeau et n'ayant pas retrouvé son corps, elles sont même venues dire qu'elles avaient vu une apparition d'Anges qui Le disent en vie. Et quelques-uns des nôtres sont allés au Tombeau. Et ils ont bien trouvé les choses comme les femmes avaient dit, mais Lui, ils ne Vont pas vu... » Alors Jésus, qu'ils n'avaient toujours pas reconnu, leur répondit : -- « Esprits sans intelligence, lents à croire tout ce qu'ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces souffrances pour entrer dans Sa gloire ?... » Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, Il leur interpréta dans toutes les Écritures, ce qui Le concernait. Quand ils furent près d'Emmaüs, Jésus fit semblant de vouloir aller plus loin. Mais eux le pressèrent avec instance, disant : -- « Reste avec nous, car le soir tombe et le jour touche déjà à son terme ». Il entra donc pour rester avec eux. Or, après s'être mis à table avec eux, Il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. A ce moment leurs yeux s'ouvrirent et ils Le reconnurent. Mais il avait disparu. » 227:128 C'est donc à la fraction du pain que Jésus se fait reconnaître, à ce pain qui doit se transformer pour nous en nourriture très adorable, à ce pain qui devrait être notre pain quotidien, à ce pain qui est Lui. Et, après que Jésus eut disparu, les deux disciples se dirent l'un à l'autre : -- « Notre cœur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand Il nous parlait et nous expliquait les Écritures ? 2 » Et, se levant à l'heure même, ils retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons et racontèrent ce qui s'était passé. Certains les crurent, disant : « Le Seigneur est vraiment ressuscité, Il est apparu à Simon ». Mais d'autres ne les crurent pas. ##### *La confession. *(*Jn XX, 19-23*) * *(*Luc XXIV, 36-42*) Au soir donc de ce même dimanche de Pâques, les portes de la maison où étaient les disciples étant fermées (à cause de la peur que les Juifs leur inspiraient) Jésus vint et se tint au milieu d'eux. Et Il leur dit : -- « La Paix soit avec vous ! » Stupéfaits et saisis de crainte, il leur semblait contem­pler un esprit. Et Il leur dit : -- « Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes s'élèvent-ils en vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ! Touchez-moi et rendez vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. » Ce disant, Il leur montra ses mains et ses pieds. Et comme, dans leur joie, ils se refusaient à croire et demeu­raient ébahis, Il leur dit : -- « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé. Il le prit et le mangea sous leurs yeux. Puis, Il leur dit de nouveau : -- « La Paix soit avec vous « Comme le Père m'a envoyé, « Moi aussi, je vous envoie. » 228:128 Et, ayant dit cela, Il souffla sur eux et leur dit : -- « Recevez l'Esprit Saint, « Ceux à qui vous remettrez les péchés, « ils leur seront remis ; « Ceux à qui vous les retiendrez, « ils leurs seront retenus. » Et voici institué ce que nous appelons le Sacrement de Pénitence, dans toute sa merveilleuse générosité. Car enfin, une fois de plus, Dieu se met au service des hommes. Non content de nous donner Son Corps en nourriture, non con­tent de donner à nos prêtres le pouvoir de transsubstancier, Dieu accorde à ces mêmes prêtres le pouvoir de pardonner les péchés et le pouvoir de les retenir (pouvoir qui permet d'exiger certaines réparations indispensables avant que le pardon ne soit accordé). Toute la scène est simple et sublime. Dieu envoie Son Fils, Jésus, Jésus envoie les Douze Apôtres (le douzième sera remplacé sous peu) et les Apôtres vont, en envoyer des centaines qui en enverront des milliers, jusqu'à la fin des âges. Le nécessaire est seulement, pour un prêtre, de faire partie de cette chaîne, d'être un des maillons d'une chaîne reliée aux Apôtres afin que le souffle de Notre-Seigneur Jésus-Christ passe aussi en lui. Et chacun sait que, pour être certain d'être un maillon de la chaîne, il est sage, pru­dent et tout simple de se vouloir fidèle sujet de Simon-Pierre, le Prince des Apôtres. ##### *Saint Thomas *(*Mc XVI, 14*) * *(*Jn XX, 24-29*) -- « Thomas, l'un des Douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux quand vint Jésus. Les disciples lui dirent -- « Nous avons vu le Seigneur. » Il leur répondit : -- « Si je ne vois à ses mains la marque des clous et si je ne mets le doigt dans la marque des clous et si je ne mets la main dans son côté, je ne croirai pas. » Saint Thomas est très populaire. Le monde entier, je crois bien, sympathise avec lui. Chacun se sent de taille à tenir le même langage que lui. Et beaucoup même le citent joyeusement en mille occasions parfaitement vaines. 229:128 -- « Huit jours après, les disciples se trouvaient de nouveau dans la même maison et Thomas avec eux. Jésus vint, toutes portes closes, et se tint au milieu d'eux. Il leur dit : -- « La Paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : -- « Mets ton doigt ici, voici mes mains -- avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule mais croyant ». Thomas lui répondit : -- « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Et Jésus lui dit : -- « Parce que tu me vois, tu crois ! Heureux ceux qui croiront sans avoir vu ! » ##### *La Sainte Église Universelle. *(*Jn XXI, 1-23*) Après cela, Jésus se montra encore aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. Voici comment : Simon-Pierre, Thomas appelé Didyme, Nathanaël de Cana en Ga­lilée, les fils de Zébédée, (soit Jacques le Majeur et Jean l'Évangéliste) et deux autres de ses disciples se trouvaient ensemble. Simon-Pierre leur dit : -- « Je vais pêcher ! » Dans toute cette histoire qui lui paraît éminemment incompréhensible, Simon-Pierre ne sait plus ce qu'il doit faire. Aussi prend-il la seule décision sage : travailler. Re­tourner à son métier, pêcher des poissons, gagner sa vie et celle de sa famille, faire comme tout le monde, dans l'ordre voulu par Dieu. « Les autres lui dirent : -- "Nous venons avec toi." » Déjà, sans même s'en apercevoir, Simon-Pierre est celui qui décide, celui que les autres suivent avec joie et empres­sement. Ils sortirent, montèrent en barque ; mais cette nuit-là, ils ne prirent rien. « Au lever du jour, Jésus parut sur le rivage ; mais les disciples ne savaient pas que c'était Lui. Jésus leur dit « Les enfants, avez-vous du poisson ? » Ils Lui répondirent : -- « Non ! » Alors Il leur dit : -- « Jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez ». Ils le jetèrent donc et ils ne parvenaient plus à le relever tant il était plein de poissons. Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : -- « C'est le Seigneur ! » A ces mots, Simon-Pierre mit son vêtement, car il était nu, et se jeta à l'eau. » 230:128 Simon-Pierre se précipite à l'eau tout habillé pour re­trouver Jésus plus vite. C'est ainsi qu'on voudrait voir agir tous ceux qui sont encore hors de l'Église, et peut-être que cela en réveillerait certains qui sommeillent dans l'Église. Les autres disciples vinrent en barque, remorquant le filet et ses poissons. Une fois descendus à terre, ils aper­çoivent un feu de braise avec du poisson dessus et du pain. Jésus Lui-même leur avait préparé un repas. Mais, aucun des disciples n'osait lui demander : « Qui es-Tu ? » car ils savaient bien que c'était le Seigneur. Jésus leur dit : -- « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » Simon-Pierre remonta dans la barque et tira à terre le filet, plein de gros poissons : cent cinquante trois ; et quoiqu'il y en eut tant, le filet ne se déchira pas. » Pêche symbolique. Toute la nuit ils ont travaillé pour rien... semble-t-il mais, dès que Jésus donne un ordre, les poissons accourent d'eux-mêmes dans le filet. Jésus leur dit : -- « Venez déjeuner. » Mais comme les disciples semblaient très intimidés, Jésus s'approche, prend le pain et le leur donne ; de même le poisson. « Ce fut la troisième fois que Jésus se montra à ses disciples, une fois ressuscité des morts. » Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il lui répon­dit : -- « Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. » Jésus lui dit : -- « Pais mes agneaux ! » En d'autres termes : Sois le pasteur de mes agneaux, le pasteur de tous mes chrétiens, l'Unique Pasteur des foules qui viendront à moi des quatre coins du monde. « Et Jésus lui dit une seconde fois -- « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » il lui répondit « Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. » Jésus lui dit « Pais mes brebis. » En d'autres termes : Sois le pasteur de mes brebis qui sont les mères de mes agneaux, sois le pasteur de tous ceux qui dirigeront, les agneaux, sois l'Unique Pasteur de tous les Prêtres qui se dévoueront pour mes agneaux. 231:128 « Et, pour la troisième fois, Jésus lui dit : -- « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut peiné de ce qu'Il lui demandait pour la troisième fois : M'aimes-tu ? et il lui dit : -- « Seigneur, vous savez toutes choses, vous savez que je vous aime. » Jésus lui dit : -- « Pais mes brebis ! » A ce moment, les disciples durent se souvenir de cette si grave prophétie de Notre-Seigneur : -- « Il n'y aura qu'un Seul Troupeau sous un Seul Pasteur. » Ce pasteur Unique, c'est Simon-Pierre ; dans la Primi­tive Église, personne n'en a jamais douté. Et, de toute évi­dence, nous avons droit au même privilège, car Dieu est juste, et le Pasteur unique en qui nous avons pleine et en­tière confiance et à qui nous sommes extrêmement joyeux d'obéir, en toutes circonstances, c'est le successeur légitime de Simon-Pierre. Le Prince de ce monde essayera parfois de faire monter un de ses amis sur le trône de Pierre. Cela ne trompera que ceux dont l'intérêt temporel sera de faire semblant d'être trompés. Le Prince de ce Monde réussira (très rarement, heureu­sement) à faire tomber certains Papes dans des péchés visibles, mais jamais l'un de ceux-là n'enseignera le Mal comme étant licite. Si bien qu'il est impossible de trouver une bulle scandaleuse signée d'un Pape scandaleux. C'est là une preuve éclatante du constant miracle dont le Seigneur nous a gratifiés. Après avoir dit pour la deuxième fois : « Pais mes brebis », Jésus ajouta : -- « En vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, un autre te nouera ta ceinture et te mènera où tu ne voudrais pas ». Il indiquait par là le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu. » En effet, la Tradition chrétienne veut que Simon-Pierre ait été crucifié la tête en bas (à sa propre demande) dans les Jardins du Vatican, sous Néron, pendant la première persécution, enterré tout près du lieu de son supplice ; son tombeau fut l'objet d'une constante vénération. 232:128 On y venait en pèlerinage prier le Prince des Apôtres. Quand l'Empe­reur Constantin mit fin à l'ère des persécutions, il décida de faire bâtir une basilique sur l'emplacement de ce tom­beau vénéré. Saint-Pierre de Rome fut rebâtie plus tard mais le tombeau est toujours là. Jésus ayant ainsi parlé à Simon-Pierre, lui dit : -- « Suis-moi ! » Pierre alors se retourne et aperçoit, marchant à leur suite, le disciple que Jésus aimait, celui qui, durant le repas du Jeudi Saint, s'était penché sur la poitrine du Maître et lui avait dit : -- « Seigneur, qui est-ce qui va vous livrer ? » (Autrement dit, c'est Jean, celui qui raconte les faits ci-dessus. En le voyant, Pierre dit à Jésus :) -- « Et lui, Seigneur ? » Jésus lui répond : -- « S'il me plaît qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe, toi, suis-moi ! » Le bruit se répandit alors parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Pourtant Jésus n'avait pas dit à Pierre : « Il ne mourra pas » mais : « S'il me plaît qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne... » ##### *L'Ordre. *(*Mc XVI, 15-18*) * *(*Mt XXVIII, 16-20*) * *(*Luc XXIV, 44-49*) Les Onze Apôtres se rendirent ensuite en Galilée sur une montagne où Jésus leur avait donné rendez-vous. Et quand ils Le virent, ils se prosternèrent, eux qui avaient douté. Venant à eux, Jésus leur dit ces paroles : « *Tout pouvoir m'a été donné,* « *Au ciel et sur la terre.* « *Allez donc enseigner toutes les nations,* « *Les baptisant au nom du Père et Fils* « *et du Saint-Esprit,* « *Leur enseignant à pratiquer* « *Tout ce que je vous ai commandé.* « *Et voici que je suis avec vous pour toujours* « *Jusqu'à la fin du monde. *» 233:128 Et Jésus ajoute une précision extrêmement frappante : -- « Allez par le monde entier « Prêcher l'Évangile à toute créature. « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, « Celui qui ne croira pas sera condamné. » Comme il est impossible de penser que Dieu s'amuse­rait à refuser la Foi à quelques-uns de ceux qui ont été enseignés et qu'ensuite, à leur mort, Il les condamnerait pour cette absence de Foi, comme il est impossible d'émettre une proposition aussi absurde et scandaleuse, nous sommes amenés à penser que ceux qui ont été enseignés et préten­dent ne pas avoir la Foi (ou l'avoir perdue), ceux-là ont pris *volontairement* cette position négative. Ce n'est pas qu'ils n'ont pas reçu la Foi comme ils le prétendent, c'est qu'ils l'ont refusée ; ce n'est pas qu'ils ont perdu la Foi comme on perd ses clefs, c'est qu'ils l'ont chassée. Ils es­sayent de se tromper eux-mêmes et essayent de tromper les autres. Ils ne sont pas toujours très conscients de cet état de fait, car ils agissent sous l'empire d'une passion. La Foi étant une Force intérieure, qui n'accepte pas facilement de cohabiter avec le désordre, la haine, la vio­lence, et autres bruyants personnages, qui n'accepte pas non plus de partager ses droits avec Dame Hypocrisie, la Foi se retire parfois mystérieusement mais, pendant cet exil, sa sœur jumelle l'Espérance lui tient compagnie. Et à ceux qui auront une Foi vive, Jésus promet qu'ils feront les mêmes miracles que Lui et même de plus grands. Cela s'est vérifié nombre et nombre de fois dans l'Histoire. Et Jésus leur donna l'ordre de rester à Jérusalem jus­qu'à ce qu'ils fussent revêtus de la Force d'En Haut. ##### *L'Ascension. *(*Luc XXIV, 50-52*) * *(*Mc XVI, 19*) * *(*Act 1, 1-14*) Après Sa Passion, Jésus se montra vivant, avec force preuves, pendant quarante jours. Le quarantième jour, Il les emmena vers Béthanie. Et, ayant levé les mains, Il les bénit. Puis Il leur dit : 234:128 -- « Lorsque le Saint-Esprit descendra sur vous, vous recevrez la Force et vous serez Mes Témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. » Un témoin est celui qui a vu, qui croit et qui raconte. Mais un témoin, c'est aussi celui qui a vu les premiers té­moins et qui répète et qui croit et qui raconte. Et un témoin c'est encore celui qui reçoit une chaîne de témoignages qui aura bientôt deux mille ans d'âge, et qui s'y attache pour toujours, si bien qu'il porte témoignage que Jésus, le Fils du Dieu Vivant, mort en croix pour nous, est vraiment ressuscité des morts le troisième jour. Et il porte témoi­gnage, non seulement par ses paroles, mais aussi par ses actes et aussi par ses intentions. Et il faut préciser : plus par ses actes que par ses paroles, encore que bien des actes ne soient visibles que pour Dieu Seul. « Quand Jésus leur eut dit ces paroles, Il fut élevé de terre sous leur regard et un nuage le déroba à leurs yeux. Et, comme ils avaient la vue fixée vers le Ciel pendant qu'Il s'en allait, voici que deux hommes, vêtus de blanc, se présentèrent à eux et leur dirent : -- « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous à regarder vers le Ciel ? Ce Jésus qui, d'auprès de vous, a été enlevé au Ciel, viendra de la même manière que vous l'avez vu s'en aller. » Vous reviendrez, Seigneur, nous le croyons. Mais quand ?... C'est votre secret. Après l'Ascension, tous retournèrent à Jérusalem et ils persévéraient dans la prière avec la Sainte Vierge Marie. ##### *Marie. *(*Actes I, 14*) * *(*Luc XI, 27-28*) Depuis la Crucifixion, c'est la première fois que les Écritures nous reparlent de Marie. Elle est cette silencieuse Mère qui fut enviée autrefois, quand Jésus se jouait de la maladie et de la mort. Et quand, dans la foule, une femme n'avait pu s'empêcher de s'écrier : 235:128 -- « Heureux le sein qui t'a porté et les mamelles que tu as sucées. » Jésus avait répondu : -- « Bien mieux : Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique. » Celle qui sera justement nommée « Mère de Dieu » se tient humblement au Cénacle avec les cent vingt personnes qui forment la première Communauté chrétienne. Pendant ces quarante jours, combien de fois a-t-elle vu son Fils ? Personne ne le sait. Mais ce que nous savons bien c'est qu'elle ne va pas rester inactive. Elle nous a donné son Fils et elle va continuer. Le surprenant serait qu'étant maintenant au Ciel, près de la Sainte Trinité, elle se désintéressât de ceux qui continuent de trébucher, de pleurer et de peiner et de prier... ##### *La Pentecôte. *(*Actes. II*) « Comme le jour de la Pentecôte (fête juive) était arrivé, ils étaient tous ensemble en un même lieu. Tout d'un coup, il vint du Ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Et ils virent paraître des langues séparées, comme de feu, et il s'en posa une sur chacun d'eux. Et tous furent remplis de l'Esprit Saint, et ils se mirent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit le leur ordon­nait. » Il ne faudrait pas croire que le Saint-Esprit s'est mani­festé ce Saint Jour de Pentecôte pour la dernière fois. Non, le Saint-Esprit continue d'agir en chacune de nos âmes. Mais pour l'entendre, il faut faire silence, il faut chasser tout cet excès d'agitation cérébrale qui accable le monde moderne. 236:128 Si on veut être enseigné par le Saint-Esprit, il faut refuser d'être trop enseigné par les hommes. Il faut refuser le « trop » qui caractérise notre époque : trop de connais­sances, trop de renseignements, trop de prévisions, trop d'explications, trop d'événements, trop de bruit, trop de distractions, trop d'agitations, trop de paroles oiseuses... tant et tant de paroles oiseuses... et dire qu'il faudra rendre compte pour chacune d'elles ! Le Saint-Esprit, Lui, parle sans bruit de paroles. Et pour L'entendre, chacun doit s'exercer à se creuser des petits silences personnels à l'intérieur du bruit. Et c'est dans ces silences que nous pourrons dire CREDO ! Je crois ! Marie Carré. 237:128 ### Avec Jésus NOUS NOUS AFFLIGEONS bien souvent de la routine et de l'espèce d'indifférence avec laquelle il nous arrive de débobiner les prières habituelles et particulièrement la plus noble et la plus excellente de toutes, le « Notre Père ». N'est-ce pas Notre-Seigneur lui-même qui nous l'a enseignée, qui l'a dite le premier et qui l'a dite pour luimême, en tant qu'il est venu sur la terre « en forme d'esclave » partager notre vie et nos souffrances ? Ne pourrions-nous essayer de dire cette prière avec Jésus même, en même temps que Lui, tranquillement, comme des enfants avec un maître bien aimé, qui est en même temps le modèle de ce qu'il enseigne ? Jésus commence et dit : Notre Père. C'est dire : Mon Père c'est aussi le vôtre. Je vous apporte la possibilité de le reconnaître. Consentez-vous à l'adoption divine ? « Vous avez reçu, dit S. Paul, l'esprit d'adoption des enfants par lequel nous crions : Abba, Père. » Et S. Jean dit au début même de son évangile : « *Mais à tous ceux qui le reçurent* (*le Verbe incarné*) *il donna pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont nés ni du sang, ni d'un vouloir charnel mais de Dieu. *» 238:128 Nous sommes nés de Dieu, par la grâce de Jésus-Christ, lors de notre baptême. Comme nous l'oublions facilement ! attirés pendant la prière même par toute sorte d'imbécillités familières. Quelle confusion ! Pour des « *fils de la lumière et fils du jour *» comme le dit S. Paul aux Thessaloniciens. Contemplons donc avec Péguy dans les « Saints Innocents » de quelle puissance nous disposons en disant avec Jésus, derrière Jésus : Notre Père. « Et mon vaisseau est mon propre fils, chargé de tous les péchés du monde Et la pointe du vaisseau ce sont les deux mains jointes de mon fils. Et devant le regard de ma colère et devant le regard de ma justice Ils se sont tous dérobés derrière lui. Et tous ces pécheurs et tous ces saints ensemble marchent derrière mon fils, Et derrière les mains jointes de mon fils. ...... Du haut de mon promontoire Du promontoire de ma justice, Et du siège de ma colère, Et de la chaire de ma jurisprudence *In cathedra jurisprudentiæ* Du trône de mon éternelle grandeur Je vois monter vers moi du fond de l'horizon, je vois venir Cette flotte qui m'assaille La triangulaire flotte Me présentant la pointe que vous savez ...... Et le plus fort est devant faisant la pointe du triangle. 239:128 ...... (Voilà comme je suis attaqué, je vous le demande, Est-ce juste ?) (Non ce n'est point juste, car tout ceci est du règne de ma Miséricorde.) Il est difficile de s'arrêter en citant ces pages immor­telles. Que les citations incitent à lire le livre ! Il vous montrera que Dieu n'est point avare de ses dons ; que la jeunesse a eu à l'aurore du siècle tous les maîtres à penser dont elle avait besoin. L'Université les lui a cachés et les lui cache encore... et des chrétiens ont emboîté le pas de ces mauvais maîtres, athées ou pour le moins agnostiques. \*\*\* Jésus dès l'abord nous traite comme un frère et dit avec nous, comme nous, pour nous, les demandes qui suivent de sa grande prière : *Que votre nom soit sanctifié !* N'est-il pas venu pour que le monde entier bénisse la miséricorde que Dieu nous fait d'avoir envoyé un Sauveur ? Qui a désiré davantage que nous adorions la Sainteté de Dieu par nos actes et nos pensées ? N'a-t-il pas payé le prix ? *Que votre règne arrive !* Nous demandons à sortir des misères causées par le péché, nous demandons d'entrer dans ce royaume qu'annonçait le Précurseur : « Faites pénitence, parce que le royaume de Dieu est proche. » Or Jésus lui-même déclare à Pilate que son royaume n'est pas de ce monde. Il dit aux Juifs, aux enfants du peuple élu de Dieu pour garder sa parole : « *Le royaume de Dieu est au dedans de vous. *» Ce royaume est surnaturel, il n'a pas son origine dans la création naturelle. Pour y entrer il faut « *renaître de l'eau et de l'Esprit *» (d'une source qu'Ézéchiel a vu sortir du côté droit du temple -- du flanc percé de Notre-Seigneur). 240:128 Dieu fait dire par son *Fils :* « *Cherchez d'abord le royaume de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît. *» Jésus continue dans le ciel à faire avec nous cette demande. Mais la faisons-nous de bon cœur, comme il l'a faite lui-même, et avec Lui ? La recherche du royaume de Dieu est très sou­vent sacrifiée par les chrétiens à celle des biens terrestres, des situations avantageuses, de celles qui donnent de la gloire auprès des hommes. Et cela malgré la pro­messe immanquable et très certaine de Notre-Seigneur. Quelle honte pour nous, et comme nous prions en hypo­crites ! On voit quelle grâce ce peut être de tourner son ambition vers l'espérance du ciel. Mais il faut la demander. « *Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. *» Cela veut dire dans l'amour de Dieu. Sans doute la volonté de Dieu est faite au ciel avec une perfection et une qualité de l'amour qu'il nous est bien impossible d'atteindre sur cette terre, mais ce que nous demandons par là est tout de même l'amour de la volonté divine, quoiqu'elle nous ménage d'épreuves et de maux. Et Jésus souffrait de voir en nous si peu d'amour, car le règne de Dieu est « *justice, paix et joie dans l'Esprit Saint *». Mais n'est-il pas aussi « *comme un trésor caché dans un champ *» ? Il faut donc le chercher. Mais pour chercher, il faut une grâce préalable à la foi même. Pour cher­cher sérieusement, il faut croire. Et en nous offrant par grâce la foi, l'espérance et la charité, Dieu nous attire ; et peu à peu notre âme se détache du monde et de ses concupiscences, elle n'est plus esclave. Et comme le dit S. Benoît du moine qui a monté les douze degrés d'humi­lité, nous pouvons alors parvenir à l'amour parfait qui nous rend véritablement libres. 241:128 Or Jésus a fait la volonté de Dieu non seulement dans son sacrifice, mais il a obéi au commandement de la loi naturelle. Il allait à la synagogue le jour du sabbat, fai­sait le pèlerinage de Jérusalem aux jours dits, chantait les psaumes que nous chantons nous aussi. Mais ce fai­sant il souffrait profondément de vivre au milieu des pécheurs qu'il venait sauver. Il savait « ce qu'il y a dans l'homme », il lisait dans le cœur du passant les passions qui le dévoraient, le mépris qu'on avait pour sa pauvreté, et même la haine et la duplicité des Pharisiens. Le séjour au milieu des hommes (car nous sommes tous pécheurs) était pour Jésus une épreuve constante. Et aujourd'hui, dans le tabernacle, que pense-t-il d'une assistance de fidèles ? Car IL SAIT. On n'ose y songer qu'avec tremble­ment. Et pourtant il les aime tous et leur offre toujours les mêmes moyens de salut. Seule peut le consoler par instant quelque parole de foi. Devant le doute (si répan­du aujourd'hui chez les chrétiens et enseigné même par certains prêtres) il lui arriva de dire : « *Jusqu'à quand vous supporterai-je ? *» Personne n'a demandé que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel avec un désir plus ardent que Jésus. Avec lui enrichis­sons-nous de ce désir. *Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour.* Le jeune ouvrier de Nazareth, qui « levait » des char­pentes, qui avec S. Joseph sciait de long des solives et des planches, façonnait des charrues et des jougs, à la plane et à la gouge, polissait les endroits où c'était néces­saire, a su, comme tout artisan, dans quelle dépendance nous sommes de la Providence divine. Il arrive que l'ou­vrage se fasse rare, que les intempéries le gênent ou le détruisent. Jésus a eu de tout cela une connaissance expérimentale jusqu'au jour où sa Mère, aux noces de Cana, l'a lancé dans sa mission publique. Bien sûr, Jésus savait d'avance qu'il allait obéir à sa Mère et commencer sa prédication. Il lui a tout de même dit : « *Que vous importe à vous et à moi ; mon heure n'est pas encore venue. *» Manifestant ainsi quel rôle extraordinaire était celui de sa Mère, épouse du Saint-Esprit, annonciatrice des désirs de la Très Sainte Trinité. 242:128 Le Verbe incarné a toujours caché la gloire qui lui était connaturelle, sauf au jour de la Transfiguration, et il a vécu volontairement la vie ordinaire d'un homme du commun, et bien qu'il pût tout, il a eu chaud, il a eu froid, il a eu soif, il a eu faim et il a demandé le pain quotidien avec la vérité du pauvre et la prière qu'ignorent en nos pays ceux qui s'arrogent le gouvernement des États. Imitons Jésus, c'est plus sûr. La Vulgate dans le texte de S. Matthieu dit : donnez nous notre pain supersubstantiel. Cette traduction date de S. Jérôme. Il a calqué l'expression latine sur le mot grec (*épiousion*). En grec *epiousia emèra* (le jour par-dessus) veut dire le lendemain. Donnez-nous le pain de demain ; c'est la même chose que le pain quotidien, et les plus anciennes traductions en font foi. Comme nous ignorons le mot araméen dont s'est servi Notre-Seigneur, nous pouvons soupçonner S. Jérôme d'avoir dans sa traduction voulu nous suggérer ce Pain du Ciel qui nous divinise et qui est un gage d'éternité. Amen ! Amen Amen ! *Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé.* Qui donc autant que Jésus eut à pardonner des offenses ? Comme il arrive à un homme pauvre et jeune de la part de riches insolents ; à un prophète de la part de ceux chez qui la lettre tue l'esprit ; à Dieu enfin dont tout péché offense la Sainteté. Jésus Sauveur a été mis à mort par ceux qu'il venait racheter et sa première parole sur la Croix fut pour dire : « Père, pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. » 243:128 Nous de même, ne savons pas ce que nous faisons quand nous avons peine à pardonner ; mais Jésus est venu et derrière lui une multitude de saints parmi les quels nous comptons tous des ancêtres. Nous devrions savoir ce que nous faisons, et il est bon de dire le Pater avec Jésus qui a eu l'occasion de pardonner à nous-mêmes tant de fois. *Ne nous laissez pas succomber à la tentation mais délivrez-nous du mal.* Jésus a été tenté ; c'est tout dire ; mais alors que nous éprouvons quelque séduction, lorsqu'on nous tente, Jésus avait horreur de ce démon qui souhaitait lui arracher une faiblesse et Satan vit qu'il avait affaire au Sauveur promis. Avons-nous horreur du péché ? J'en doute, car il nous arrive d'en rire ! Jésus nous l'accordera si nous prions avec lui le Père des Lumières dont tout bien descend, car « *nous avons pour nous aider un Pontife qui peut compatir à nos infirmités ayant été lui-même tenté et éprouvé en toutes choses. *» Ayons confiance, puisque Jésus lui-même nous le dit : « Car j'ai vaincu le monde. » C'est par cette victoire livrée sur la Croix que nous serons délivrés du mal. \*\*\* Cette terre est un lieu de combat, un temps d'épreuves. Mais tous les baptisés peuvent jouir de l'amitié de Dieu, s'ils le veulent, s'ils sont fidèles aux promesses du baptême. Ou bien renoncer à Satan, à ses gloires et à ses œuvres, ou renoncer à l'amour de Dieu. Sur le fléau d'une balance qui penche de droite et de gauche s'inscrit notre fidélité. Pour faire le poids du bon côté, accrochons-nous à Jésus dans la prière. Par Lui, avec Lui, en Lui, nous goûterons combien le Seigneur est doux et combien heureux ceux qui espèrent en Lui. D. Minimus. 244:128 ## NOTES CRITIQUES ### Le témoignage de la foi ne peut être ésotérique Un malheur : limité sans doute, mais sérieux. Le 18 octobre, *La France catholique* a pris position en faveur de l'acceptation triste du nouveau catéchisme. Elle fait des réserves, d'ailleurs justes, sur la méthode pédagogique. Elle esquive l'essentiel : le nouveau catéchisme n'est plus catholique. A l'heure du plus grand combat pour la foi, et malgré l'évidence, *La France catholique* a reculé. Nous le regrettons pour elle. Nous le regrettons plus encore pour les âmes qui appellent au secours. \*\*\* L'article de *La France catholique* confirme que la décadence, la dilution, la défiguration du catéchisme catholique étaient commencées en France depuis longtemps. Il le confirme en ceci que cet article, manifestement honnête et bien intentionné, d'un auteur qui aurait dû connaître et pratiquer le vrai caté­chisme, *ne sait plus ce qu'est et ce qu'était le catéchisme catho­lique*. Il se réfère à un catéchisme antérieur déjà très vidé de sa substance, sans apercevoir qu'il était vidé. On y lit : « *Les catéchismes partaient souvent du symbole des apôtres et les questions et réponses reflétaient les décisions des conciles que l'on appelle des* « *canons *»*, autrement dit les normes de la pensée chrétienne. *» 245:128 C'est véritablement ne pas savoir de quoi on parle. Ou plus exactement, c'est le savoir *vaguement*, ce qui est pire : car alors en outre, on croit qu'on sait. « Partir (souvent !) du symbole des apôtres » n'était et n'est, si l'on peut ainsi parler, que *le quart* du catéchisme catholique, dont le vrai Fonds commun obligatoire, codifié dans le Catéchisme du Concile de Trente ([^45]), comporte *quatre* points distincts et également nécessaires, et non le seul Credo. De plus, il ne s'agissait pas de « partir », ou de « partir souvent » ; il s'agissait d'une *explication de textes *: du Credo, du Pater, des Commandements, dont le contenu explicité cons­titue « *les trois connaissances nécessaires au salut *» : il sem­blerait que *La France catholique* n'en ait jamais entendu parler en tant que telles. Quant à la méthode -- dans sa plus grande généralité, et supportant la diversité des applications particulières -- le caté­chisme était fait de cela et d' « histoire sainte ». Il n'y a pas d'autre moyen d'instruction religieuse que ces deux moyens conjugués (avec ou sans « questions et réponses ») : 1° raconter des histoires (histoire sainte, vie de Jésus, vie de saints) ; 2° faire (et faire faire) des explications de textes (Credo, Pater, Commandements, textes liturgiques). Les catholiques, et même les plus fidèles, et les prêtres, et même souvent les meilleurs, ont un besoin urgent de réap­prendre *ce qu'a été* le catéchisme catholique *avant* sa déca­dence déjà largement commencée en 1937 (trente-sept). C'est d'ailleurs à ce réapprentissage que s'emploient présentement des milliers de prêtres et de fidèles. *La France catholique* y viendra elle aussi un jour : du moins, nous n'avons pas cessé de l'espérer. \*\*\* 246:128 Probablement parce qu'elle se croit plus libre en matière simplement « pédagogique », *La France catholique* remarque avec pleine raison : « C'était au catéchiste ou au prêtre qu'il revenait de trouver *la méthode* (...) Chacun savait la doctrine et inventait la méthode. La difficulté des manuels d'au­jourd'hui se situe à ce niveau, pour commencer. Des pédagogues donnent leur méthode, on cherche la doc­trine. Or la méthode elle-même est très contestable. » *La France catholique* note qu'avec « la méthode » imposée, les enfants sont considérés comme « n'ayant pas d'autre person­nalité que celle de leur milieu : les urbains, les ruraux, les milieux chrétiens, les déchristianisés, les païens ». C'est absur­de en effet : c'est une massification de sauvages. Mais c'est *tant mieux* si la « pédagogie » du nouveau catéchisme est mauvaise : puisqu'il enseigne *autre chose* que la religion, chré­tienne, il est bon qu'il l'enseigne mal, et inefficacement. \*\*\* Voici en quels termes *La France catholique* apporte son adhésion et recommande le ralliement au nouveau catéchisme : Les choses étant ce qu'elles sont, prêtres, parents et catéchistes ne doivent pas se mettre à bouder les manuels qui sont mis entre les mains de leurs enfants. » C'est misérable. Qui parle de *bouder ?* Le national-catéchisme est un assassinat de la foi des enfants. Ce n'était pas la peine que *La France catholique* aille, avec le P. Daniélou, crier contre « *les assassins de la foi *» non désignés : c'est pure rhétorique, si dans le même temps on désigne et on accepte le catéchisme de l'apostasie. Et si l'on ose désigner la résistance catholique comme une « bouderie ». \*\*\* 247:128 Suite de l'article : « Il faudra en faire admirer les images, la présen­tation et, comme l'aurait dit Pégny, les pages blanches. Il faut les utiliser, essayer de comprendre l'effort d'adaptation, même si la réussite est contestable. » Il ne faut rien de tout cela : il faut le contraire. Mais n'y a-t-il pas là quelque habile ironie ? L'ironie, la litote, l'épigramme sont peut-être habiles, -- mais certainement dérisoires quand il s'agit de la foi de tous les enfants de France. La foi demande le témoignage, *oui, oui, non, non*, et non point des épigrammes mouchetées, des litotes réticentes et de secrètes ironies. On les comprend si on les analyse. L'ancien catéchisme, selon *La France catholique,* donnait la vraie doctrine et laissait le catéchiste légitimement libre de la méthode ; le nouveau catéchisme impose une méthode absurde, et « on cherche la doctrine » ; il nous procure des manuels où l'on pourra ad­mirer les images, la présentation matérielle, les pages blanches, et c'est tout. -- Ce n'est d'ailleurs même pas vrai pour les « images » qui, tantôt belles et tantôt laides, sont presque toujours celles qui ne conviennent pas. -- Mais passons. -- Si l'on pèse ces appréciations de *La France catholique,* on est conduit à conclure que ce nouveau catéchisme est donc lamen­table et criminel. Mais *La France catholique* ne le dit point, et ses lecteurs risquent d'entendre le contraire : *Il faut ad­mirer... Il ne faut pas se mettre à bouder... Il faut utiliser... Il faut comprendre...* La foi exige un témoignage qui ne soit pas aussi précau­tionneusement enveloppé, -- voilé... \*\*\* Nous devons compléter ce catéchisme, conclut *La France catholique.* Le compléter ou le rectifier ? L'utiliser on le re­jeter ? Le subir dans un ferme refus intérieur, quand à la limite on ne peut faire autrement, et en le contredisant pas à pas, ou bien l'accepter ? 248:128 Je sais : ce catéchisme est celui de l'épiscopat français, que l'on ne croit pas pouvoir, -- ou pas *encore*, -- contredire de front et en face. Si c'est cela, c'est un faux-fuyant chimérique. Car écrire que *le catéchisme de l'épiscopat français est admirable pour ses pages blanches, ou encore qu'il donne une méthode, d'ail­leurs mauvaise, mais qu'on y cherche en vain la doctrine*, ce sont, pour les auteurs, approbateurs et responsables, autant de gifles, secrètes et cinglantes, qu'eux-mêmes comprendront fort bien et ressentiront comme telles ; et le cher Jean Daujat en frémira d'indignation. Mais c'est à la fois insuffisant et superflu, à l'intérieur d'un ésotérisme littéraire tout à fait stérile. L'heure n'est pas à transpercer les évêques d'épigram­mes ésotériques. L'heure est à dire les choses comme elles sont avec simplicité, et en clair. Parce que l'heure est à aider le peuple chrétien : l'aider à demeurer ferme dans la foi, et à conserver -- ou, selon les cas, à restaurer -- le catéchisme catholique. Le lecteur de *La France catholique* sera, sur ce point vital, terriblement démuni. \*\*\* D'ailleurs, voyons, voyons ! écrire que le solennel caté­chisme de l'épiscopat français *a besoin d'être complété*, c'est déjà un affront, aussi insupportable que l'insolence de prétendre *l'admirer pour ses pages blanches*. Le cher Jean Daujat se chargera au besoin de vous l'expliquer, à défaut de raison démonstrative, par argument d'autorité : « reportez-vous à mon cours, XXXIV^e^ partie, chapitre 715, théorème 2547 WX 38, codicille 2.181, note 14.890, lignes 12 à 32, et copiez-les trente fois ». D'où il ressortira que *La France catholique,* schisma­tique, hérétique et relapse, est daujatiquement anathématisée. L'avis d'un tel expert entendu, le Conseil permanent chassera *La France catholique* de la vente dans les églises. -- « *La vente* dans les églises », cela sonne bien, cela sonne clair, cela sonne évangélique, voir le cours du même Jean Daujat, XVII^e^ partie de la partie encore implicite. 249:128 -- Eh ! bien, la belle affaire, *La France catholique* est déjà chassée de la plupart des églises, sous l'impulsion ou avec le consentement des « organismes collectifs » de l'épiscopat. Il est inévitable qu'elle le soit tout à fait à bref délai, si elle continue à ne point se convertir à l'apostasie immanente. Puisqu'elle est déjà chassée, et qu'elle le sera de plus en plus, qu'au moins ce soit pour avoir rendu, simple et net, un entier témoignage à la vérité dans la question vitale du catéchisme, -- plutôt que pour avoir simplement biaisé avec des insolences feutrées qui auront déplu aux janis­saires de la nouvelle religion. \*\*\* Pour ce qui est de simplement « compléter » -- compléter le catéchisme de l'épiscopat français -- voici les recomman­dations de *La France catholique :* « Comment complèterez-vous les manuels que l'on a remis à vos enfants ? Essayez, par tout moyen que vous jugerez bon, de donner à ces enfants une très belle, très haute, très grande idée de Dieu, du Dieu qu'ils vont apprendre toute l'année à mieux connaître... » (C'est donc que le catéchisme de l'épiscopat français donne de Dieu une idée qui n'est ni grande, ni haute, ni belle. Ou plutôt, qu'il n'en donne finalement aucune idée.) « ...Ce peut être pour un groupe par une célébration à l'église, pour un enfant en particulier, par la con­templation d'une rose, d'un feuillage d'automne. Que votre enfant s'émerveille et qu'il apprenne que tout ce qui est beau est un reflet de Dieu, que tout ce qui est laid, sale, désordre, méchanceté, tout cela ne vient pas de Lui. Et dites-lui qu'il doit lui-même contribuer à ce que le monde soit beau. Conduisez-le à l'église recueillement, génuflexion bien faite, prière vraie. » Oui, bien sûr. Cela fait certainement partie de l'éducation. Mais que deviennent *les trois connaissances nécessaires au salut ?* Elles ont été remises, pour une part aussi, à *La France catholique*. Les petits enfants du catéchisme d'aujourd'hui lui en demanderont compte, à elle aussi, comme à nous tous, au Jugement dernier. J. M. 250:128 ### Notules et informations **Attention : ne pas confondre.** -- On a vu apparaître au mois d'oc­tobre des tracts non signés qui désapprouvaient le national-caté­chisme. Nous ne voulons pour no­tre part décourager aucune bonne volonté. Nous n'allons pas non plus nous scandaliser de cet « ano­nymat » qui a excité l'éloquence de Mgr l'archevêque de Rennes (voir l'éditorial II du présent nu­méro, chapitre III : « La forte blague des anonymes »). Le nom­bre des « anonymes » a toujours et partout été assez élevé, le re­cord étant sans doute détenu par les modernistes d'hier et d'aujour­d'hui. -- Les anonymes de Rennes ont peut-être des raisons de garder l'anonymat ; peut-être de bonnes raisons ; peut-être de mauvaises. Nous ne prétendons pas être assez grands clercs pour en préjuger à coup sur. \*\*\* Certains de ces tracts anonymes affirment que les nouveaux caté­chismes ne contiennent plus le Pater ni le Credo. C'est matériellement faux pour plusieurs de ceux que nous avons eu sous les yeux. Et ce n'est pas la question. Il ne s'agit pas de savoir si les nouveaux catéchismes contiennent *le texte du Pater et du Credo*. Ce que nous avons dit, quant à nous, et que nous répétons, c'est que les nouveaux catéchismes ne contiennent plus *l'explication* du Credo, *l'explication* du Pater, *l'ex­plication* des Commandements, qui sont «* les trois connaissances né­cessaires au Salut *». \*\*\* Profitons de cette occasion pour rappeler que toutes les publica­tions de la revue « Itinéraires », y compris *les tracts*, portent *le nom et l'adresse de la revue*. \*\*\* 251:128 Prière instante à nos lecteurs de se reporter avec la plus grande attention aux «* Consignes d'action *» pour le catéchisme qui fi­gurent dans les « Avis pratiques » à la fin du présent numéro. \*\*\* **Un nouveau Lapeyre. --** Eugène Lapeyre vient de publier : Le jeune homme riche, tragédie en trois actes et en vers. -- A la Librairie Lapeyre, 28, rue Masséna à Nice. \*\*\* **Quand « Le journal la croix » prend la défense des « principes »** **et annonce une « récente décou­verte métaphysique ».** -- Nous lisons dans « Le journal la croix » en date du 4 octobre, page 5, un bouleversant morceau d'éducation morale sur ce qu'est une vie vrai­ment réussie : «* Comment gagner beaucoup d'argent et réussir brillamment dans la vie. -- Ceux qui réussis­sent et qui gagnent beaucoup d'argent, que ce soit dans les af­faires, dans l'industrie, dans les professions libérales ou dans le spectacle, appliquent tous quel­ques principes essentiels. On ne parle généralement pas de ces principes... *» Comme c'est vrai ! Mais, heu­reusement, il y a au moins « La Croix » pour nous rappeler « les principes ». « ...*On ne parle généralement pas de ces principes. Pourquoi ? Parce que ceux qui ont réussi pré­fèrent laisser croire que leur réus­site est due à leur intelligence, à leur mémoire, à leur travail, à leur efficience* (...). *Leur secret ? Il est dévoilé dans un curieux petit livre qui vient d'être édité par le Centre National de Caractérologie. Vous y apprendrez toute la vérité sur une méthode révolutionnaire basée sur une récente découverte métaphysique*... » Et il y a encore des gens qui croient que la métaphysique ne sert à rien ! Elle sert à s'enrichir, si elle est bien comprise. «* Vous y découvrirez qu'une for­midable puissance mentale som­meille dans votre cerveau. Vous comprendrez ce qui a pu jusqu'à présent freiner votre réussite. Vous aurez la révélation d'une méthode qui vous permettra de matérialiser vos rêves, d'obtenir quelque chose pour rien, d'amener les gens vers vous, de les influencer, d'obtenir d'eux ce que vous voulez sans même le demander. *» Voilà donc ce que l'on entend par « les principes », et la « mé­taphysique », et une vie « réus­sie ». \*\*\* Nous avons voulu savoir jus­qu'où allait ce charlatanisme du « Journal la croix ». Car on y lisait encore : «* Tout ce que vous avez à faire pour recevoir ce livre et le rece­voir tout à fait gratuitement, est de renvoyer le bon ci-dessous au Centre National de Caractérologie, 37, boulevard de Strasbourg à Paris. Il n'y a absolument rien à dépenser. Mais envoyez le bon au­jourd'hui même, car ce petit livre ne sera distribué gratuitement que jusqu'à épuisement de l'édition. Ensuite il n'y aura plus moyen de l'obtenir. *» 252:128 Cela sent à plein nez l'attrape-nigauds. Nous voulions savoir quel genre de piéges « Le journal la croix » tend ainsi à ses chers lec­teurs. Nous avons donc rempli « le bon ci-dessous » et nous l'avons envoyé à l'adresse indiquée. Nous n'avons rien reçu. Nous ne saurons donc pas. Mais nous savons au moins une chose. Si nous n'avons rien reçu, c'est que l'édition était donc déjà épui­sée. Et pourtant, nous avons écrit sans aucun retard... D'où il ressort que ce charlata­nisme marche fort bien auprès du bon public de « La Croix » : il se précipite en grand nombre. Ah ! savoir parler aux hommes de notre temps le langage qu'ils attendent ! \*\*\* **La question du jour pour les théo­logiens. --** Le théologien Monta­gnes (au pluriel), dans la revue du Saulchoir, numéro de juillet, page 427, déclare : «* La question à laquelle nous ne pouvons nous dérober aujour­d'hui est la suivante : la théologie peut-elle encore parler de Dieu ? *» Le « progrès théologique » cher au P. Congar, voilà donc où il a mené les théologiens du jour (et du Saulchoir) \*\*\* **Assertions. --** Le catholique pro­éminent Jacques Duquesne (chef de file du magazine « Panorama chrétien » vendu dans nos églises, -- dans toutes celles, du moins, que vous n'avez pas encore net­toyées vous-mêmes), écrit dans « L'Express » du 14 au 20 octo­bre : «* Vatican II a valorisé le changement. Des théologiens mis à l'index et sanctionnés dix ans plus tôt ont été honorés par les Pères conciliaires, cités dans les ency­cliques. *» Du même, au même endroit : «* Des théologiens chaque jour plus nombreux constatent qu'il y a contradiction entre les définitions de Vatican I et les timides essais de participation démocratique de Vatican II. *» On se demande si cet auteur a clairement conscience de la portée de ce qu'il écrit. \*\*\* **Fusion. --** Nous venons de nom­mer « Panorama chrétien ». On annonce sa fusion avec « Chrétiens d'aujourd'hui ». Fusion facile, ces deux périodiques *chrétiens* (dans le titre) étant l'un et l'autre pu­bliés par la Maison de la Bonne Presse. Le titre nouveau conserve ce qu'il y avait d'avouable dans les deux titres antérieurs, et supprime ce que l'un et l'autre avait de désormais inavouable. Car le titre nouveau est « Pa­norama d'aujourd'hui -- n'y a que « chrétien » qui a disparu. Tant mieux. On s'y trompera moins. \*\*\* **Précisions.** -- Les journaux du monde entier ont reproduit au dé­but d'octobre les fortes paroles du dominicain Schillebeeckx : *Le Pa­pe Paul VI est prisonnier de cinq ou six cardinaux qui actuellement sont en train de détruire l'Église*. 253:128 En réponse à ces fortes paroles : 1° La Curie générale des Pères dominicains a officiellement repous­sé l'idée d'une «* prétendue sus­picion qui pèserait sur lui *» sur le P. Schillebeeckx, s'entend ; la Curie générale n'a pas repoussé la suspicion que le P. Schillebeeckx fait peser sur Paul VI (cf. « Le journal la croix », 5 octobre). 2° Mgr Volloinc, « chef de la salle de presse du Saint-Siège », a déclaré. « Il n'y a pas de pro­cès contre le P. Schillebeeckx, il n'y en aura pas, et *on ne voit pas pour quelle raison* il y en aurait » (cf. « Le journal la croix » du 10 octobre). \*\*\* **Un « soupçon de déloyauté » sur le texte du « Catéchisme hol­landais ». Serions-nous revenus aux temps des Turmel et con­sorts ?** -- Le 8 octobre, « Le jour­nal la croix » a reproduit en page 6, comme « document », une lon­gue étude de Jean-Julien Weber, ancien archevêque de Strasbourg, sur le « Catéchisme hollandais ». L'auteur est très favorable à la manière et à la méthode du Caté­chisme hollandais, où il voit «* un instrument de choix pour la re­cherche de Dieu et la culture chrétienne, livre d'oraison et de lecture spirituelle, d'épanouisse­ment et d'intériorisation *». Mais l'auteur fait en outre une remarque troublante. Il pense d'une part que le texte du Catéchisme hollandais « suffit pour affirmer » la virginité de Marie. D'autre part, cependant, il note : 1° Que le P. Schoonenberg, dans la préface qu'il a donnée à l'édi­tion Herder non mise dans le com­merce, atteste que les auteurs du « Catéchisme hollandais » ont « considéré ce dogme comme ma­tière libre, donc soumise à la dis­cussion ». 2° Que *l'épiscopat hollandais, dans un acte officiel, a manifesté qu'il ne croit plus à la virginité perpétuelle de Marie ni à la con­ception virginale de Notre-Seigneur* (« Documentation catholique », année 1968, col. 1105). S'ils n'y croient plus, que penser alors des formules, trop maladroites ou trop habiles, de leur catéchis­me ? Mgr Weber en conclut : «* La chose me semble assez grave, d'autant plus grave qu'elle laisserait peser un soupçon de dé­loyauté sur le texte du* «* Caté­chisme hollandais *». Serions-nous revenus aux temps des Turmel et consorts que nous avons connus il y a soixante ans ? » \*\*\* **Ruines.** -- Du « Bulletin de Paris », le 11 octobre : «* On accumule trop de ruines. Les démolitions sont trop étendues. L'effondrement voulu de l'Univer­sité, la suppression pratique des examens et de la sélection auront des conséquences qui se feront sentir la durée d'une génération. On joue cruellement avec l'avenir des garçons et des filles qui de­vraient travailler d'arrache-pied pour se préparer à la vie. On s'emploie, pour satisfaire l'extrême-gauche, à en faire des ratés mal instruits, pourvus de diplômes sans valeur et non reconnus à l'étran­ger, tout comme on prépare la désaffection des carrières univer­sitaires. Car, à moins d'y être déjà engagé, qui voudrait faire désormais le métier de professeur humilié ? *» 254:128 Et dans le numéro suivant (18 octobre) : «* Les orateurs de la majorité, ayant signalé le caractère funeste de la loi sur l'enseignement su­périeur, en ayant exactement pré­vu les conséquences désastreuses, l'ayant amendée en commission de cent vingt façons, l'ont, pour ter­miner, votée avec ensemble, sans changement.* «* Ils ont ainsi fait la preuve que les électeurs de 1968, qui s'étaient prononcés contre les en­ragés, ont été aussi dupés que les électeurs de 1958 qui avaient voté pour l'Algérie française. *» ### Bibliographie #### S. Moreau-Rendu. Le prieuré royal de Saint-Louis de Poissy (Alsatia) Fondé au début du XIV^e^ siècle par Philippe Le Bel, en l'honneur de saint Louis, son grand-père, le prieuré royal de saint Louis dura jusqu'à la Révolution. Les religieuses (dominicaines) qui l'occupaient durent, plus d'une fois, le quitter, notamment aux XIV^e^ et au XV^e^ siècles, à cause des guerres qui désolaient le royaume. Aux époques de stabilité, il connut les vicissitudes de tout monastère, c'est-à-dire d'alternances de périodes d'observance rigoureuse et de grande piété avec des périodes de relâchement ou de querelles intérieures. Mais au total il *tint*. Près de cinq siècles, ce n'est pas rien. Et si nous disons qu'en 1791, quand intervint l'ordon­nance gouvernementale qui rendait la « liberté » aux religieuses, 144 sur 160 voulurent persévérer (elles furent expulsées en 1792), on comprendra que la foi demeurait profonde chez ces filles de saint Dominique. S. Moreau-Rendu nous retrace de manière très vivante ce demi-millénaire de notre histoire catholique et nationale. Les érudits apprécieront l'étude savante fondée non seulement sur de nombreux ouvrages mais sur quantité de documents originaux conservés dans nos archives nationales et dépar­tementales. Les lecteurs plus modestes (de notre genre) goûteront le récit, souvent pittoresque, des heurs et malheurs du célèbre prieuré. 255:128 Les saintes âmes n'y sont pas rares, mais leur humilité ne les met pas en vedette. Les esprits cultivés y sont fréquents et, au siècle de la Pléiade, les poétesses s'y révèlent, telle cette Anne des Garets en l'honneur de qui Ronsard trousse ce sonnet : *Quelle nouvelle fleur apparaît à nos yeux ?* *D'où vient ceste couleur, si plaisante et si belle ?* *Et d'où vient ceste odeur passant la naturelle* *Qui parfume la terre et va jusques aux Cieux ?* *La rose, ny l'œillet, ny le lys gracieux* *D'odeur ny de couleur ne sont rien auprès d'elle* *Aux Jardins de Poissy croist cette fleur nouvelle,* *Laquelle ne se peut trouver en autres lieux.* *Le printemps et les fleurs ont peur de la froidure.* *Cette divine fleur est toujours en verdure,* *Ne craignant point l'yver qui les herbes destruict.* *Aussi Dieu pour miracle en ce monde l'a mise,* *Son printemps est le ciel, sa racine est l'Église* *Sa foy et œuvres sont ses feuilles et son fruict.* Au XVIII^e^ siècle, les prieures se font nommer par le roi, en contravention avec la règle. Elles mènent grande vie, sans que d'ailleurs le désordre semble s'installer dans le monastère. Des comptes bien tenus nous permettent de connaître les dé­penses faites pour « bains de madame », « orgeat pour le dessert de madame », « café moka pour madame », « souliers et mules tant de castor que de veau retourné pour madame », « peintures des caisses de l'orangerie de madame », etc. Tout cela n'est plus. Quelques pierres seulement évoquent encore le passé. Quelque pierres, mais aussi désormais le livre de S. Moreau-Rendu grâce à qui nous ne pourrons plus oublier que la ville qui eut l'honneur de voir naître saint Louis est aussi celle qui abrita pendant tant de siècles un des plus glo­rieux prieurés de l'ordre de saint Dominique. *Louis Salleron.* 256:128 #### Charles Maurras : Mes idées politiques Préface de Pierre Gaxotte (Fayard) Cette réédition était fort at­tendue et le centenaire de la naissance de Maurras coïncide avec une période où une « con­testation » souvent creuse mais orientée vers la politique cherche des idées et des thèmes de dis­cussion. Pierre Gaxotte, dans une préface nécessairement courte, s'efforce de déblayer le terrain en s'attaquant aux erreurs in­téressées et aux mensonges conscients : Maurras germanophile, collaborateur, apôtre de la dicta­ture ; et il invite à une lecture plus complète de l'œuvre dans son ensemble. « Mes idées poli­tiques » constituent en effet un exposé concentré d'éléments doc­trinaux qui, ainsi réunis, ont la majesté d'une pensée de valeur éternelle, mais peuvent paraître abstraits et éloignés des faits matériels, des événements quotidiens qui furent la matière de la réflexion. Nous ajouterions vo­lontiers que le monde intellectuel où se forma la critique maurras­sienne, et contre lequel elle a réagi, présentait des aspects d'anarchisme et de nihilisme très semblables à ceux de notre temps. « De vieux professeurs renaniens et de jeunes étudiants nietz­chéens » disait Paul Morand de la Sorbonne dans son « 1900 ». Certaines attitudes, certains pas­sages des premières œuvres de Maurras (que « Mes idées poli­tiques » en 1937 n'a pas conservés) s'expliquent par le fait qu'on n'échappe pas facilement et im­médiatement à l'univers de sa jeunesse, même si l'on va le con­tester. Il est probable que notre époque connaîtra des démarches analogues -- et les mêmes diffi­cultés. *J.-B. Morvan.* 257:128 ## DOCUMENTS ### Sur le texte de la Profession de foi du 30 juin Nous ne publierons pas la traduction de la Profession de foi de Paul VI que nous avions annoncée. Voici pourquoi nous l'avions annoncée ; et voici pour­quoi nous ne la publierons pas. \*\*\* 1\. -- La Profession de foi du 30 juin 1968 fut prononcée par Paul VI en latin, et le texte latin ainsi prononcé fut reproduit par *L'Osservatore romano* dans son numéro 149 daté du 1^er^ et du 2 juillet. La traduction française d'origine vaticane qui en fut aussitôt répandue ([^46]) présentait de notables différences avec le texte latin. A titre d'exemples, nous en retiendrons deux : 1° Au début, « nous croyons en un seul Dieu », il était dit : « *Ille est qui est... Ille est amor... : ita ut duo haec nomi­na, Esse et Amor, supra quam dici potest divinam eamdem exprimant Illius veritatem, qui seipsum nobis manifes­tavit*... » 258:128 La traduction française déclarait : deux noms, Être et Amour, expriment ineffablement la même divine réalité de Celui qui a voulu se faire connaître à nous... » Dans la locution française : « expriment *ineffable­ment *»*,* nous avions vu : *a*) un contresens ; *b*) une sorte de non-sens, car *ineffablement* veut dire *inexprimablement,* et « exprimer inexprimablement » est assez singulier. Nous aurions volontiers proposé la traduction suivante : « Ces deux noms, Être et Amour, expriment d'une ma­nière qui ne peut être surpassée la même divine vérité de Celui qui s'est manifesté à nous. » 2° Plus loin (§ 26), dans la conclusion du développe­ment sur la Messe et l'Eucharistie, après les mots : « ...*ubi Eucharisticum sacrificium peragitur *» et avant les mots : « *Eadem autem existentia*... », nous lisions dans le texte latin la phrase que voici : « *En habemus illud Mysterium fidei atque eucharistica­rum divitiarum, cui assentiamur sine ulla exceptione oportet.* » Cette phrase a été ENTIÈREMENT OMISE dans la traduction française. Nous en aurions volontiers proposé la traduction sui­vante : « Voilà le Mystère de la foi et des trésors eucharistiques auquel il nous faut donner un assentiment sans aucune res­triction (ou : sans aucune réserve) ». \*\*\* 259:128 Nous n'avons pas l'intention de présenter une étude critique de toutes les différences qui existaient entre le texte latin et la traduction française (on verra plus loin pourquoi une telle étude est devenue sans objet). Nous nous limitons à ces deux exemples, car ils suffisent pour les explications que nous devons à nos lecteurs. Il nous apparaissait donc qu'il y avait lieu d'entre­prendre une nouvelle traduction française de la Profession de foi ; une traduction qui serrerait de plus près le texte latin, et qui naturellement éviterait cette forme extrême de l'inexactitude : l'omission de phrases entières. Nous avions donc annoncé, dans notre numéro 126, page 337, sa parution prochaine. \*\*\* II\. -- Et nous ne la publierons pas. Car voici ce qui s'est passé. Dans la seconde quinzaine du mois de septembre, le numéro des *Acta Apostolicæ Sedis* daté du 10 août (numé­ro 8 de l'année 1968) est arrivé aux abonnés français de cette publication officielle. Ce numéro contenait le texte latin de la *Sollemnis pro­fessio fidei* du 30 juin. Au premier coup d'œil, il sautait aux yeux que le texte latin avait été REFAIT D'APRÈS LA TRADUCTION. Pour nous en tenir aux deux exemples cités : 1\. -- Au lieu de : « *Duo haec nomi­na, Esse et Amor, supra quam dici potest divinam eamdem exprimant Illius veritatem, qui seipsum nobis manifes­tavit... *»*,* qui figurait dans le texte prononcé par Paul VI le 30 juin et reproduit par *L'Osservatore romano,* le texte des *Acta* porte (§ 9, page 436) : « *Duo haec nomina, Esse et Amor, ineffabiliter divinam eamdem exprimant Illius essentiam, qui seipsum nobis manifestare voluit*... » Nous notons, sans commentaire, que l'on a introduit dans le texte latin l' « ineffabiliter » issu de la traduction française ; que « veritatem » a été remplacé par « essentiam. » ; et que « manifestavit » a été remplacé par « mani­festare voluit ». 260:128 Ces modifications sont calquées sur la traduction fran­çaise. Elles ont pour intention apparente et pour résultat évident de conformer le texte latin à la traduction. 2\. -- La phrase du § 26 : « En habemus... oportet », qui disait, selon la traduction que nous en aurions faite : « VOILA LE MYSTÈRE DE LA FOI ET DES TRÉSORS EUCHARISTIQUES AU­QUEL IL NOUS FAUT DONNER UN ASSENTIMENT SANS AUCUNE RESTRICTION », phrase qui avait été prononcée en latin par Paul VI le 30 juin, et qui figurait dans le texte latin de *L'Osservatore romano*, mais que la traduction française avait supprimée, se trouve maintenant supprimée aussi dans le texte latin des *Acta* (cf. p. 443). -- Ainsi le texte latin a été conformé même aux omissions de la traduction. Ces deux exemples suffisent à montrer que c'est bien *d'après la traduction* qu'a été *refait* le texte latin. Mais seul le texte des *Acta* est juridiquement officiel. Il est arrivé d'autres fois qu'un document pontifical déjà publié par *L'Osservatore romano* subisse encore quelque retouche ou correction avant sa publication aux *Acta* (encore que nous n'ayons pas le souvenir de retouches aussi nombreuses et aussi importantes). Entre les deux ver­sions, aucune hésitation n'est possible : *L'Osservatore romano* est digne de foi mais non officiel ; seule est officielle la version parue aux *Acta*. Cette règle constante et indubitable joue-t-elle pleine­ment quand il s'agit d'une profession de foi qui a été pro­noncée ? Le titre du document dans les *Acta* (p. 433) déclare : « *Sollemnis professio fidei a Paulo VI Pont. Max.* PRONUNCIATA *ante Basilicum Petrianum die XXX mensis Iunii*... » Le lieu, la date, le texte *prononcé *: du point de vue du fait, le texte officiel des *Acta* ne rapporte pas exac­tement les paroles qui ont été effectivement prononcées par Paul VI à cette date et en ce lieu. Il y a peut-être là matière à un doute : nous le livrons à de plus savants que nous. 261:128 Tant que ce doute éventuel n'aura pas été résolu avec autorité, il nous paraît plus raisonnable de nous en tenir à la règle commune. Le texte officiel étant celui des *Acta*, et ce texte ayant été refait sur la traduction française (ou italienne, qui est identique à la française), la traduction française existante *devient* ainsi parfaitement fidèle au *nouveau* texte latin désormais officiel. Et pour cette raison, une autre traduction est maintenant sans objet. \*\*\* La comparaison des deux textes latins successifs, celui qui a été prononcé par Paul VI et celui qui a été finalement publié aux *Acta*, va poser aux historiens et aux théologiens divers problèmes assez ardus. N'en retenons qu'un seul, à propos de l'un de nos deux exemples, et à titre d'exemple. A\) *Aux théologiens*. -- Il est établi que Paul VI, pronon­çant le 30 juin la Profession de foi, a déclaré (en latin) ce que nous traduisons ainsi en français : « Voilà le Mystère de la foi et des trésors eucharistiques auquel il nous faut donner un assentiment sans aucune restriction ». Puis Paul VI a supprimé cette phrase. Pourquoi ? En quoi était-elle, sinon erronée, du moins insuffisam­ment certaine ? Y a-t-il donc un doute légitime sur l'assentiment sans aucune restriction que nous devons au « Mystère de la foi et des trésors eucharistiques » qui venait d'être énoncé ? B\) *Aux historiens *: est-ce Paul VI lui-même qui a opéré ce retranchement ? a-t-il été averti de cette suppression ? Ce retranchement, Paul VI l'aurait opéré après une ré­flexion supplémentaire : mais dans ce cas, comment la traduction française aurait-elle pu anticiper aussi exacte­ment sur cet imprévisible retranchement ? N'y a-t-il pas là matière à soupçonner une intervention préméditée, exté­rieure aux intentions de Paul VI, et à son insu ? -- Certes, nous savons que ce genre de problème a toutes chances de rester sans solution jusqu'au Jugement dernier... \*\*\* 262:128 III\. -- La traduction des documents pontificaux a tou­jours donné lieu à toute sorte de difficultés. Nous ne pensons pas qu'elles étaient insurmontables. Mais elles n'ont pas été surmontées. Si bien que la situation est la suivante : les traductions françaises des documents ponti­ficaux ne sont, en général, pas bonnes ; elles sont entachées d'inexactitudes, d'omissions ou d'équivoques plus ou moins graves. Une situation qui dure depuis quasiment un siècle appelait des remèdes que l'on aurait eu le temps d'appor­ter ; il n'en a rien été. C'est l'une des raisons, annexe celle-ci, mais non négligeable, pour lesquelles un siècle de documents pontificaux sont mal parvenus ou ne sont pas parvenus à l'ensemble du peuple chrétien. Incomparable trésor, trésor ignoré, trésor perdu, avant de devenir, comme aujourd'hui, un trésor habituellement méconnu et délibé­rément méprisé par la plupart des docteurs catholiques ayant un grand renom publicitaire ou des fonctions d'auto­rité dans l'enseignement religieux. Nous avons souvent entretenu nos lecteurs de cette question au cours des années passées. Parmi les causes les plus visibles de ce désordre anarchique, il y eut le fait que les traductions étaient d'abord établies à la hâte (à ce qu'il semble), pour répondre tout de suite à l'attente des organes d'information ; et, par commodité, établies à partir de la traduction italienne : une *traduction de traduction* a peu de chances d'être une bonne traduction. Mais alors, « la » tra­duction existait : par paresse, on n'en établissait pas sou­vent une autre. Et point seulement par paresse. Par igno­rance ou par absence de scrupules, les éditeurs -- à commencer par la Maison de la Bonne Presse -- trouvaient avantageux de présenter la traduction existante comme étant « la » traduction « officielle » : ce qui décourageait d'avance, ou plutôt décrétait inutile et non permise toute autre traduction. C'était un décret arbitraire et menteur : mais qui le savait ? 263:128 Le fait qu'une traduction provienne « du Vatican » ou soit éditée par la Librairie « vaticane » ne lui confère aucun caractère officiel. La « Libreria editrice vaticana » édite des publications officielles (comme les *Acta*) et d'autres qui ne le sont pas. -- Les traductions françaises existantes, arbitrairement réputées « officielles », ne per­mettent pas, en général, une étude sérieuse, précise et sûre de la doctrine pontificale. Les auteurs français qui ont réel­lement étudié telle ou telle partie de cette doctrine ont qua­siment toujours été amenés à contester tel ou tel point des traductions existantes, comme par exemple Marcel Clément pour *Quadragesimo anno* de Pie XI, et éventuellement à rendre le service public de procurer une traduction nou­velle de telle ou telle encyclique qui était plus particuliè­rement au centre de leurs travaux. Ce n'est sans doute point par hasard, par fantaisie ou par originalité, que Maritain retraduisit *Æterni Patris* de Léon XIII un demi-siècle après sa promulgation ; que Labourdette fit établir une autre tra­duction d'*Humani generis* de Pie XII ; que j'ai traduit *Divi­ni Redemptoris* de Pie XI et *Læxtitiæ sanctæ* de Léon XIII. Je cite les premiers exemples qui me viennent à l'esprit : ils sont à eux seuls assez divers quant aux époques des ency­cliques et aux sujets qu'elles traitent pour attester, ou au moins pour suggérer, que l'insuffisance des traductions françaises existantes est un fait général et non pas un fait exceptionnel. Toutes ces difficultés en quelque sorte classiques et traditionnelles ont été singulièrement accrues depuis 1958 par diverses circonstances et divers procédés que nous avons signalés au fur et à mesure dans *Itinéraires*. Voici maintenant que se produit un fait qui est, à ma connaissance, sans précédent : la traduction étant, une fois de plus, trop différente de l'original, cette fois c'est l'original que l'on aligne sur la traduction. Nous n'avons présen­tement aucune explication de ce phénomène. *J. M.* 264:128 ### Recyclage universel et catéchèse d'adjudants Sur l'abominable et criminelle entreprise de « recyclage » du clergé catholique, nous avons déjà publié des précisions terribles : dans notre numéro 125 de juillet-août, pages 342 et suivantes. C'étaient, on s'en souvient, des précisions extraites de la partie « doctrinale » d'un Bulletin diocésain officiel. \*\*\* Voici d'autres indications, données par Pierre Debray dans son « Courrier hebdomadaire » (publié 18, rue des Quatre-Vents, Paris VI^e^), numéro du 18 octobre : J'ai sous les yeux le compte rendu du premier stage de « recyclage » des RR.PP. Dominicains qui s'est tenu du 17 août au 14 septembre au Séminaire de Saint-Flour. Ce rapport rédigé par le R.P. Paul Grandin, animateur de la Session, nous apprend que les « recyclands » (sic), au nombre de quarante et un, venaient d'un peu partout : de Stockholm, comme d'Alger ou de Saïgon. Dix couvents français étaient représentés : quatre religieux de Dijon, quatre d'Évreux, trois de Montpellier, un de Marseille, de Lyon, Lille, Nancy, Poitiers, Strasbourg, Clermont-Ferrand. Il y avait également un dominicain belge. On sait que le « recyclage » est à la mode dans le clergé. Sous ce nom barbare se dissimule d'ordinaire un remodelage des âmes et des intelligences en fonction des nécessités du christianisme « post-conciliaire ». 265:128 Les méthodes semblent tout à fait au point : « Une première période de deux semaines et demie vise à la mise en contact avec les problèmes par une rencontre systématique avec des représentants du monde actuel. Ils devaient nous faire réaliser (resic) quelque chose de leur spécialité et l'homme qu'ils étaient dans cette spécialité. Chaque rencontre durait quarante-huit heures. » Bien entendu, ces rencontres furent conduites au moyen de la fameuse « dynamique de groupe », qui représente à l'heure actuelle la meilleure technique de lavage de cerveau qui puisse se trouver sur le marché. D'ailleurs, la liste des personnalités choisies prouve qu'il s'agit d'une opération partisane. Jugez-en plutôt : M. Fourastié, prophète du productivisme technocratique, M. Rocard, secrétaire général du P.S.U., M. Bataillon, qui met, à Aubervilliers, le théâtre au service de l'agitation culturelle du Parti communiste. Pourquoi élire pour « représentants du monde actuel » seulement des gens d'un certain bord ? Le prêtre est l'homme de tous. Il doit comprendre tous les hommes : ceux de gauche, sans doute, mais encore ceux de droite car ceux-là existent aussi. En plus de ces laïcs un peu trop « orientés » pour mon goût, deux « spécialistes » religieux figuraient au programme : un philosophe, le R.P. Colette, un exégète, le R.P. Brière. J'ignore à peu près tout d'eux, mais ce que rapporte de leurs propos le R.P. animateur me fait dresser les cheveux sur la tête. Ainsi, selon lui, le R.P. Colette procéda au « déniaisement » (l'expression est du R.P. animateur) des participants, leur expliquant que « la philosophie classique » (entendez saint Thomas) « ne pouvait récupérer l'ensemble de l'expérience humaine de ce temps ». Ce langage de chiffonnier consterne. Voici l'expérience humaine transformée en déchets, en fond de poubelle, que le philosophe serait chargé de « récupérer » !... Il est vrai que pour le bon Père, l'essentiel de cette expérience semble se ramener à la disparition de l'autorité « plus ou moins ressentie sous le symbole du Père ». Balayons, mes frères, la paternité divine et l'humaine ! Pour récupérer quoi ? Je vous le demande. L'anarchisme des beatniks, sans doute. Pour sa part, le R.P. Brière se chargea de « réinterpréter » le mystère pascal en fonction d'une « expérience dans la foi du mystère de la Résurrection ». Si ce jargon a un sens, il implique un subjectivisme de type existentialiste, condamné par Paul VI. 266:128 En tout cas, le R.P. animateur conclut de l'exposé du R.P. exégète que « nous ne devrions pas chercher dans la Bible un résidu formulé qui serait dans son vocabulaire le roc éternel de la Foi ». Voici qui sent pour le moins le fagot. C'est du Bultmann, tout pur. Ainsi mis en condition et, de l'avis du R.P. animateur, « désécurisés » (c'est-à-dire, privés des certitudes intellectuelles et morales qu'ils possédaient au départ), les « recyclands » passèrent à la seconde étape. En fait, si je comprends bien le R.P. animateur qui s'exprime dans une langue prétentieuse, incorrecte et passablement obs­cure, la seconde étape se déroula selon le schéma désormais classique de la « révolution culturelle ». D'abord, une « assemblée générale » de deux jours, qui permit aux « recyclands » de déterminer (spontanément, libre­ment, comme il se doit -- et l'on sait assez ce que cela veut dire) « les points de réflexion » auxquels ils voulaient « s'at­tacher ». Puis, quatre commissions, baptisées, par un curieux emprunt au vocabulaire maçonnique, ateliers ([^47]). L'un de ces ateliers travailla sur un thème -- « kénose et promotion humaine » -- qui donne à penser que les malheureux « recyclands » ingurgitèrent de fortes doses de « théologie de la mort de Dieu ». Le choix du « théologien de la Session » ne laisse d'ailleurs que peu de doute sur l'orientation des travaux. Il s'agit du R.P. Biot, journaliste à « Témoignage Chrétien » et compère du R.P. Cardonnel tout au long de son « carême-révolutionnaire » donné cette année à Paris dans la salle de la Mutualité. Quand on parle du loup... Le R.P. Cardonnel ne pouvait être bien loin. Et effectivement, « de passage à Saint-Flour » par un heureux hasard, il daigna entretenir les « recyclands » de ses « expériences 2 ». Comme il se devait, « un dialogue suivit, instructif pour tous ». On s'explique la satisfaction du R.P. animateur : « Le pari a été gagné ». Lorsque les « recyclands », soumis à ce traite­ment de choc, regagnèrent leur couvent, ils avaient changé à tout le moins de religion. On tremble d'imaginer, par exemple, les dégâts que risque d'accumuler le religieux recyclé qui, le 15 septembre, a repris le chemin de Saïgon... 267:128 A-t-on le droit de « risquer », comme s'en vante le R.P. animateur, « de défaire des synthèses théoriques et des syn­thèses de vie » ? D'autant que, de l'aveu du bon Père, on pro­pose, à la place « quelque chose de moins achevé et parfait ». Méthodiquement, durant un mois, le R.P. animateur, le R.P. théologien, les RR.PP. philosophe et exégète, aidés de leurs assistants technocratiques ou communistes, ont détruit la doc­trine et l'existence sacerdotale de quarante et un religieux pour substituer à des certitudes héritées de vingt siècles de tradition chrétienne, des phantasmes et des élucubrations personnelles. Le « recyclage » est la plus massive, la plus méthodique des opérations clandestines entreprises à l'intérieur du clergé peur imposer la nouvelle religion. \*\*\* Autre document. Il est, celui-ci, extrait du Bulletin diocésain (officiel) de Verdun, rubrique des « directives dio­césaines », numéro du 18 octobre. Ce n'est pas cette fois sous le nom de « recy­clage », mais équivalemment sous le nom de « session sacerdotale » : on y avait d'ailleurs joint des laïcs pour qu'ils subissent le même lavage de cer­veau et le même bourrage de crâne. Plusieurs détails sont significatifs. On les remar­quera au passage : Ce qui a caractérisé cette année la session « sacerdotale » de catéchèse des enfants, c'est qu'elle comprenait autant de laïques et de religieuses que de prêtres. C'est là un signe : la mission d'enseigner, première mission de l'Église, n'est pas réservée au prêtre ; c'est tout le « peuple de Dieu » qui s'y trouve engagé. C'est aussi une leçon : ce qui s'est réalisé à Benoîte-Vaux doit se réaliser à travers tout le diocèse à lon­gueur d'année ; il faut des rencontres de prêtres, de laïques, et -- si on a la chance d'en avoir -- de religieuses, pour en­semble réfléchir sur la catéchèse des enfants, comme aussi des jeunes et des adultes. (...) 268:128 Il est évident que les méthodes catéchétiques ont progressé considérablement et que les manuels qui vont entrer en vigueur correspondent à ce progrès. Aussi, utiliser les nouveaux manuels sans la formation correspondante serait une négligence grave. C'est pourquoi je me réjouis de ce que tous les secteurs se soient trouvés représentés à Benoîte-Vaux. Mais que les participants ne gardent pas pour eux ce qu'ils ont reçu : qu'ils le fassent partager aux prêtres et aux catéchistes du secteur. Sans doute cela ne suffira pas. C'est pourquoi il est souhaitable, j'allais dire nécessaire, que tous les prêtres et tous les caté­chistes qui auront à utiliser les nouveaux manuels participent à quelque session de formation. Nous sommes malheureusement cette année victimes d'un retard d'édition. Les manuels sont en cours de parution, tous ne les ont pas encore. Le livre du maître n'est pas encore parti. Or il ne faut pas utiliser le manuel si on ne dispose pas du livre du maître, ou si du moins on n'a pas préparé la leçon en équipe avec des participants de la session. Que faire en attendant ? Prendre contact avec les enfants, faire de l'initiation liturgique, ou reprendre la méthode de Paris qui dans ses débuts correspond au nouveau manuel. Mais il est bien entendu que désormais, dans le diocèse, seuls les nouveaux manuels indiqués dans le numéro précédent d' « *Église de Verdun *», doivent être utilisés. En vertu d'accords négociés au niveau national, c'est seulement chez les trois libraires choisis dans le diocèse, à Verdun, à Bar et Commercy, qu'on doit se fournir. On aura en outre trouvé dans ce texte la confir­mation de ce que nous avons déjà plusieurs fois signalé : 1° Tous les catéchismes catholiques existants sont frappés d'interdit : « Seuls les nouveaux manuels doivent être utilisés ». 2° Pour plus de sûreté, « c'est seulement chez les trois libraires choisis qu'on doit se fournir ». Le monopole commercial vient à l'appui de la ty­rannie administrative. On ne prendra jamais assez de précautions pour être assuré que les catéchismes catholiques sont effectivement et totalement retirés de le circulation. 3° Ce monopole commercial est établi « en vertu d'accords négociés au niveau national ». \*\*\* 269:128 Comme on le voit, le « recyclage » ne suffit pas. On y ajoute une organisation minutieuse de l'oppression. Le totalitarisme administratif et la puis­sance commerciale (c'est-à-dire le pouvoir de l'ar­gent) sont étroitement alliés et constituent la hié­rarchie nouvelle de la nouvelle religion. La raison fondamentale de tout cela, nous l'avons donnée en janvier dernier. Le catéchisme catholique, PAR SA SEULE EXISTENCE, condamne les docteurs de l'apostasie : il leur faut donc supprimer cette existence par tous les moyens. Voir « Itinéraires », numéro 119 de janvier 1968, paragraphe 65 : Vous pouvez bien nous supprimer le catéchisme, qui vous condamne : nous le savons par cœur, et nous ferons en sorte, avec la grâce de Dieu, qu'il soit toujours appris. Déjà dans plusieurs paroisses les petits qui ne vont plus au pseudo-catéchisme du nouveau prêtre sont regroupés pour apprendre ailleurs les vérités du salut. L'autodéfense spirituelle va s'or­ganiser partout, dans la sainte liberté des enfants de Dieu. Et les impasses où vous croyez nous bloquer, Dieu lui-même, à Son heure, les ouvrira devant ceux qui, quoi qu'il arrive, auront été inébranlablement fidèles. 270:128 ## AVIS PRATIQUES ### Consignes d'action pour le catéchisme Toute l'année scolaire 1968-1969 est et sera, pour les catéchismes, une année de transition et de mobilisation. Le national-catéchisme est administrativement entré en vigueur : avec des retards et des malfaçons, tant mieux. A mesure que les prêtres, les catéchistes et les parents ont en main les nouveaux catéchismes, les pratiquent et y réflé­chissent, un nombre croissant d'entre eux se posent des questions ou s'insurgent (souvent en secret) : à cause du conditionnement de la presse catholique, beaucoup se croient seuls dans leurs doutes ou leurs refus. Toute l'astuce de la subversion est de donner artificiellement, à chaque membre du peuple chrétien, le sentiment qu'il est « isolé » quand il veut demeurer fidèle à la foi et fidèle au catéchisme catholique. *Tout au long* de cette année scolaire, il faut *avertir*, il faut *alerter*, il faut *se grouper*. Les circonstances locales, en chaque cas, déterminent les formes concrètes de l'action à entreprendre. Nous donnons ici à nos amis les *consignes générales* dont ils auront à s'inspirer sur place, et nous leur indiquons les *moyens matériels* que nous mettons à leur disposition. 271:128 Par leur *action hardie* et par leur *organisation prudente* tout au long de cette année scolaire, *il dépend d'eux* d'avoir mis en place les HOMMES, les RÉSEAUX, les MÉCANISMES pour que tout soit prêt à la rentrée scolaire d'octobre 1969, et qu'ainsi *le catéchisme catholique continue en France*. #### I. -- Avertir et alerter. N'entrez plus dans les controverses au sujet du natio­nal-catéchisme : la cause est entendue. Ces controverses, nécessaires à leur place, seront poursuivies là où elles doivent l'être. *L'action* à entreprendre est *autre*. Il est SUFFISANT mais il est NÉCESSAIRE de faire consta­ter que le national-catéchisme *ne contient plus les connais­sances nécessaires au salut*. Le véritable Fonds obligatoire de tout catéchisme ca­tholique, fixé par le Catéchisme du Concile de Trente, comporte quatre parties indispensables : I. -- L'explication du Credo. II\. -- L'explication du Pater. III\. -- L'explication des Commandements. IV\. -- L'explication des Sacrements. L'explication du Credo expose *ce qu'il faut croire *: vertu théologale de foi. L'explication du Pater expose *ce qu'il faut désirer *: vertu théologale d'espérance. L'explication des Commandements expose *ce qu'il faut faire *: vertu théologale de charité. 272:128 Ce sont là « LES TROIS CONNAISSANCES NÉ­CESSAIRES AU SALUT », selon saint Thomas d'Aquin et toute la tradition doctrinale et pédagogique de l'Église. Le caté­chisme a pour fonction de procurer et d'éduquer ces trois connaissances *nécessaires* au salut. Les Sacrements sont le moyen surnaturel institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour que ces connaissances nécessaires au salut ne demeu­rent pas inefficaces. Il est aisément constatable que les trois connaissances nécessaires au salut ne figurent plus dans le nouveau caté­chisme français. *Cette constatation suffit : elle est sans appel, sans excuse, sans palliatif*. \*\*\* Attention : jouant sur les mots, les auteurs du nouveau catéchisme répondent parfois qu'il y a le texte du Pater et du Credo dans leurs manuels. Le *texte* du Credo, du Pater, -- et des Commandements, -- *n'est pas* le catéchisme, qui ne consiste pas en leur *récitation*, mais en leur *explication *: une explication *point par point*. C'est cette explication qui constitue l'instruction religieuse de base, *nécessaire* à tous. \*\*\* En quelques lignes parfaitement claires, le *communiqué* de l'amiral de Penfentenyo *prend acte* du fait que, les connaissances obligatoires, nécessaires au salut, ne figurent plus dans le nouveau catéchisme français. C'est *ce communiqué* qu'il faut *d'abord* diffuser et redif­fuser partout, d'un bout à l'autre de cette année scolaire 1968-1969. Il *avertit* et il *alerte*. 273:128 Nous l'avons édité en *tract*. A la suite du communiqué, le tract *indique les adresses* des secrétariats de documen­tation auxquels avoir recours pour tous les compléments techniques dont on peut avoir besoin. Nous avons dit, nous répétons, que tout au long de cette année, -- c'est la démarche préliminaire et indispensable, ce tract, *le tract du communiqué*, doit être distribué : -- à la porte des églises ; -- sur les tables de presse ; -- dans les assemblées et réunions ; -- dans les boîtes aux lettres. Le « tract du communiqué » est à commander aux bureaux de la revue. Nous le fournissons en toutes quantités. Prière de joindre aux demandes quelques timbres pour les petites quantités. Pour les quantités plus importantes, joindre une libre participation aux frais (par chèque ou versement à notre C.C.P. : *Itinéraires*, Paris 13.355.73), que l'on calculera, autant que possible, sur la base d'environ 20 F pour mille tracts. Le texte du communiqué est celui qui est reproduit en tête de notre numéro 125 de juillet-août 1968. C'est *un devoir* d'avertir et d'alerter l'ensemble des fa­milles catholiques. Le moyen efficace de les avertir et de les alerter est d'organiser méthodiquement la distribution massive et répétée du *tract du communiqué*. #### II. -- Expliquer et instruire. Avertis et alertés, ceux qui ne savaient pas se posent alors des questions et cherchent des explications. C'est bien naturel. Pour *fournir les premières explications* et pour *commen­cer à instruire*, -- on passe ici de la distribution de masse au travail de personne à personne, -- il faut faire lire la bro­chure de 24 pages : *Commentaire du communiqué*. 274:128 Dans cette brochure on trouve, sous forme brève et claire : 1° L'explication des « quatre points. » obligatoires. 2° L'exposé de ce qu'est le « Catéchisme du Concile de Trente », avec la citation des textes pontificaux qui en recommandent l'étude et la méditation constantes aux prê­tres, aux chrétiens adultes, aux parents, aux catéchistes. 3° L'exposé du *droit* des laïcs, spécialement des parents, en matière de catéchisme. 4° L'indication des dispositions pratiques à prendre pour organiser l'action catholique pour le catéchisme. «* Commentaire du communiqué *» : 1 F. franco l'exemplaire. A commander à la revue *Itinéraires*, 4, rue Garancière, Paris VI ; C.C.P. Paris 13.355.73. La brochure contient évidem­ment le texte même du communiqué. Le texte de cette brochure est constitué par les 21 premières pages de notre numéro 125 de juillet-août 1968. Il faut faire lire cette brochure non seulement pour les explications qu'elle donne et pour le début d'instruction qu'elle apporte, mais aussi pour *inciter à mettre en œuvre* les dispositions pratiques qu'elle indique : -- se rencontrer ; -- se concerter ; -- se grouper sur le plan familial et local, -- en petites, communautés chrétiennes d'entraide, d'autodéfense spirituelle et de soutien mutuel. \*\*\* 275:128 Ceux qui désirent une étude plus approfondie du national-catéchisme peuvent ensuite se reporter à une brochure plus volumineuse (76 pages) : -- Jean MADIRAN : *Le nouveau catéchisme.* C'est l'étude critique la plus complète et en même temps la plus maniable. « Le nouveau catéchisme » (4° édition) : une brochure de 176 pages (paginées de I à XVII et de 1 à 55) : 3 F. franco exemplaire. A commander aux bureaux de la revue *Itinéraires*. La 2° et la 3° édition comportaient une revue de presse reproduisant les articles publiés sur l'affaire du catéchisme. Elle a été supprimée dans la 4° édition, car à mesure qu'elle s'augmentait, elle tendait à faire une brochure trop volumi­neuse et trop coûteuse. En revanche cette 4° édition comporte une préface nouvelle (les pages I à XVII), constituée par le second éditorial du numéro 123 d'Itinéraires. #### III. -- Constituer des cellules et des réseaux. Tout ce qui précède fournit *les bases* sur lesquelles doit s'opérer le *regroupement.* Avertir, alerter, instruire, expliquer, inciter à se grouper et à s'organiser : à ceux qui ont été ainsi persuadés de ce qu'il faut faire, il reste alors à le faire. Parents et catéchistes, par affinités et voisinage -- et avec le concours d'un *prêtre catholique* quand cela est pos­sible -- formeront des *cellules d'étude*. Car les parents, et même souvent les catéchistes, auront pu constater en toute cette affaire qu'*ils ne connaissaient plus*, ou qu'ils ne con­naissaient plus suffisamment, *le catéchisme catholique*, lequel s'était peu à peu dilué, appauvri puis déformé et vidé au fil des « expériences pédagogiques » entreprises succes­sivement, en France, depuis au moins 1937 (*trente-sept*)*.* 276:128 Le point de repère indiscutable est celui qui est fait *pour eux,* adultes, parents, catéchistes, prêtres : le « Catéchisme du Concile de Trente ». Il est aujourd'hui introuvable en librairie et point encore réédité. Mais on le trouvera, d'aven­ture, dans les bibliothèques publiques ou privées de pa­roisses, de curés, d'institutions : non sans peine, et pas très souvent, ce qui est d'ailleurs un *test* terrible de la dispari­tion progressive, commencée en France depuis longtemps, du catéchisme catholique. -- Dans beaucoup de cas, on trouvera déjà beaucoup à apprendre dans le *Grand caté­chisme* de S. Pie X (adaptation du « Catéchisme du Concile de Trente » à l'usage des grands enfants déjà instruits du *Petit catéchisme* de S. Pie X). -- Ce sont, ne l'oubliez pas, *les connaissances nécessaires au salut*. Chacun est directe­ment et gravement concerné. Constituer des cellules d'adul­tes étudiant le catéchisme catholique n'est pas un luxe ni une fantaisie. C'est une nécessité. \*\*\* C'est une nécessité pratique. Vous ne pourrez rien pour le catéchisme catholique si vous ne commencez par le réap­prendre. Vous allez inévitablement vous heurter à des mon­tagnes de sophismes et de mensonges, qui vous trouveront *désarmés* si vous continuez à ne pas *savoir* le catéchisme. Et, à moins d'être déjà d'une assez bonne force en théolo­gie, si vous ne le savez pas *par cœur* comment pourrez-vous remarquer immédiatement, comment pourrez-vous immé­diatement rectifier les formules impropres, vaseuses, fuyan­tes et vite hérétiques que l'on enfourne dans le crâne de vos enfants ? Comment pourrez-vous faire face aux argu­ments spécieux des mauvais prêtres ? Parmi toutes les bonnes méthodes possibles pour les cellules d'étude du catéchisme catholique, et sans en exclure aucune, nous conseillons, celle-ci (pour les adultes) : 277:128 1° *Étudier à fond*, avec prière et méditation, dans le Catéchisme du Concile de Trente. 2° *Apprendre par cœur*, chaque fois, le chapitre corres­pondant du Catéchisme de S. Pie X. \*\*\* Et dites-le hardiment aux mauvais prêtres qui vous as­saillent : -- Quel catéchisme peut se prétendre supérieur à celui du Concile de Trente, ? supérieur à celui de S. Pie X ? \*\*\* Nous avons commencé à rééditer des *livres de catéchis­me* pour les catéchistes, pour les parents et pour les en­fants : ces rééditions vont prendre au cours de la présente année scolaire l'ampleur et la diversité nécessaires. Nous indiquons ci-après ce qui est déjà disponible. Tenez-vous au courant : par la revue *Itinéraires*, qui vous en informe et vous en informera au fur et à mesure, ou en gardant le contact avec des secrétariats de documentation comme, le S.I.D.E.F. (Secrétariat d'information et d'études familiales.), 31, rue de l'Orangerie, 78 Versailles. En liaison par exemple avec le S.I.D.E.F., vous consti­tuerez les *réseaux* par lesquels circuleront et se diffuseront les livres et manuels indispensables. Il ne faut pas compter pour cela, sauf exception rarissime, sur les librairies ni sur les organes de l'administration ecclésiastique, qui sont au service du national-catéchisme, et qui ont accepté de se voir imposer la règle scélérate : *disparition de tous les catéchismes catholiques* (y compris celui de Trente et celui de S. Pie X), tous arbitrairement réputés périmés et inter­dits. 278:128 #### IV. -- A votre disposition dès maintenant. La mise en alerte doit donc déboucher immédiatement sur la mobilisation pour que continue le catéchisme ca­tholique. Quand on a compris et fait comprendre que l'entreprise du national-catéchisme est une agression contre la foi chrétienne -- par la suppression des connaissances néces­saires au salut -- il est inutile de rechercher des critiques nouvelles contre ce nouveau catéchisme. Il suffit d'être ca­pable de faire face aux attaques perfides et continuelles orchestrées par les mauvais prêtres contre le catéchisme catholique, : et d'abord pour n'en être pas soi-même troublé. Or c'est le catéchisme catholique, exactement connu et médité, qui contient tout ce qui est nécessaire à sa propre défense. Léon XIII disait aux évêques et au clergé de France, à propos du Catéchisme du Concile de Trente : « *Celui qui le posséderait à fond aurait toujours à sa disposition les ressources à l'aide desquelles... être en état de réfuter vic­torieusement les objections des incrédules. *» Aujourd'hui c'est à l'intérieur de l'Église que les « incrédules », souvent déguisés en prêtres, répandent leurs « objections » contre le catéchisme catholique. La connaissance exacte du caté­chisme est ce qui permet de leur tenir tête. \*\*\* *Les livres manquent *: leur disparition a été organisée de longue main. On ne pouvait y suppléer en un clin d'œil. 279:128 Mais le nécessaire est *déjà* commencé. Voici les ouvrages et les manuels qui sont dès maintenant à votre dispo­sition. **1. **CATÉCHISME DE S. PIE X. Dans sa réédition actuelle, il est plus commodément utilisable comme « livre du maî­tre » que comme « manuel » à mettre entre les mains des en­fants : car ce sont les différents « âges » du catéchisme recueillis en un seul volume de 400 pages. En outre, l'édition qu'en a faite (et refaite) la revue est *en train de s'épuiser*. Nous espérons que des *éditeurs* (la revue *Itinéraires* n'est pas une maison d'édition) pren­dront le relais au cours de la présente année, en éditant séparément, et sous un format scolaire, le *Petit catéchisme* de S. Pie X, son *Grand catéchisme,* et aussi sa *Petite his­toire de la religion*, qui est à utiliser comme cadre et guide pour de *vivants récits* d'histoire sainte, de vie de Jésus et de vies des saints. « *Catéchisme de S. Pie X *». -- En un seul volume de 400 pages : *Premières notions*. -- *Petit catéchisme*. -- *Grand caté­chisme*. -- *Instruction sur les fêtes. -- Petite histoire de la religion*. 8 F. franco : à commander à la revue Itinéraires. La revue *Itinéraires* n'est pas en mesure d'éditer des livres et ce volume n'est rien d'autre qu'un numéro spécial de la revue. Nous avons ainsi, dès le mois d'octobre 1967, remis en circula­tion dans le public *l'ensemble des catéchismes qui composent le* « *Catéchisme de S. Pie X *», introuvable en langue française depuis fort longtemps, alors qu'il est toujours édité en langue italienne par la Librairie du Vatican. Nous en avons fait une seconde édition dès le mois de décembre 1967. Nous n'envi­sageons pas d'autre réédition car *ce n'est pas notre travail et nous ne sommes pas équipés pour cela*. (Il y a aussi des imbéciles qui estiment que la mention « Itinéraires » suffit à ruiner l'autorité de saint Pie X : auprès de leurs pareils, sans doute.) Il appartient aux *éditeurs* -- aux éditeurs *indépendants* des banques, des administrations et des oukases cléricaux -- de faire leur travail. 280:128 La ferme précision doctrinale du catéchisme catholique doit toujours être soit éclairée et illustrée, soit même pré­parée, *en racontant des histoires vraies*. L'éducation des esprits et des âmes se fait depuis tou­jours et se fera toujours par deux méthodes simultanées : 1° raconter des histoires ; 2° diriger des explications de textes. A l'explication des textes du Credo, du Pater, des Commandements (qui, avec la doctrine des Sacrements, cons­titue le *catéchisme proprement dit*), on n'omettra jamais de joindre des *récits* tirés de l'histoire sainte, de la vie de Jésus et des vies de saints. A cet effet, les catéchistes peu­vent utiliser tous les ouvrages AUTHENTIQUES de vies de saints et d'histoire sainte. Mais une grande partie de la littérature, « catholique » actuelle est *suspecte*, tendancieu­se, hérétique. L'histoire sacrée est souvent présentée sous forme de légende, de poème, de mythe. Un très vigilant *discernement* est nécessaire ici encore. Dans le doute, il vaudra mieux relire la Bible (dans une édition catholique, ancienne, annotée ou commentée), prier et méditer, et donner soi-même aux enfants un récit très respectueux du texte inspiré. Naguère encore, le catéchiste pouvait y ajouter large­ment des *explications de textes liturgiques* (notamment de la messe du dimanche, et des grandes fêtes). L'actuel saccage de la liturgie cause ici un déficit qui pour le moment paraît sans remède. Les textes de la *liturgie romaine* disparaissent progressivement de la prière publique : les parents et catéchistes auront soin de les *conserver* et de continuer à les utiliser en privé pour l'oraison et l'instruction. **2. **LETTRES SUR LA FOI du Père Emmanuel. *C'est par* a *excellence l'ouvrage de méditation et de formation à mettre entre les mains des catéchistes catholiques des pères et mères catholiques*. C'est l'ouvrage de chevet de tout militant qui s'engage dans l'action catholique pour le caté­chisme. 281:128 On a pu lire ces lettres dans les numéros 117 et 118 de la revue. Mais elles existent maintenant en un seul volume. « *Lettres sur la foi *» : un volume de 64 pages, à commander *non point à la revue,* mais à *l'Atelier Dominique Morin,* 27, rue Maréchal Joffre, 92 - Colombes ; C.C.P. Paris 82.86.67. L'exemplaire : 7 F. franco. **3. **L'EXPLICATION DU PATER par saint Thomas d'Aquin : « livre du maître » incomparable pour *l'un des quatre points* obligatoires du catéchisme catholique. Ce sont des *sermons* de saint Thomas, c'est-à-dire non point un ouvrage de théologie savante, mais une instruction destinée au peuple chrétien et directement accessible même à ceux qui n'ont pas de formation théologique. « *Le Pater *» par saint Thomas d'Aquin. -- Traduction française par un moine de Fontgombault (texte latin en regard). Un volume de 192 pages. A commander *non point à la revue,* mais aux *Nouvelles Éditions Latines*, 1, rue Palatine, Paris VI, C.C.P. Paris 978.27. L'exemplaire : 10 F. franco. **4. **CATÉCHISME DU DIOCÈSE DE PARIS : manuel de catéchis­me à mettre entre les mains des enfants. C'est un catéchisme *diocésain* d'avant le catéchisme « *national *» *de* 1937 (nous disons bien : trente-sept, et non 47 comme les éditeurs l'ont imprimé par erreur). Réimprimé à la demande du R.O.C. par les Éditions Saint-Michel sous le titre : « *Catéchisme de nos enfants *». Un volume de 156 pages à commander *non point à la revue,* mais aux Éditions Saint-Michel, 53 - Saint-Céneré ; ou au R.O.C., 14, rue Sainte Sophie, 78 - Versailles. L'exemplaire : 4 F. franco. -- Seul catéchisme actuellement disponible, à notre connaissance, qui soit directement utilisable comme manuel pour en­fants. 282:128 Il est fidèle au « Catéchisme du Concile de Trente », sauf en ce que l'un des quatre points obligatoires a déjà presque complètement disparu : *l'explication du Pater* y est réduite à quelques lignes certainement insuffisantes même pour les plus petits. *Il faudra de toute nécessité que les catéchistes y sup­pléent*, en s'aidant soit du « Catéchisme de S. Pie X », soit du « Pater » de saint Thomas d'Aquin. \*\*\* Au cours de cette année scolaire paraîtront d'autres ouvrages et manuels de catéchisme : le catéchisme des tout-petits et le catéchisme de la famille chrétienne du P. Emmanuel ; l'explication du Credo et l'explication des Commandements par saint Thomas ; etc. Aidez par vos prières l'action catholique pour le caté­chisme. Aidez-la en y participant. Et pour commencer, ne craignez pas de *relire attentive­ment* tout ce qui précède afin de le fixer dans votre mémoire et de pouvoir l'expliquer autour de vous. #### Autres avis pratiques ##### *Le prochain Congrès de Lausanne* Le Congrès de Lausanne 1969 se tiendra à Pâques 5, 6 et 7 avril, sur le thème : «* Culture et Révolution *». 283:128 L'Office international des œuvres de formation civique et d'action culturelle selon le droit naturel et chrétien annonce que ce Congrès étant, comme les précédents, un Congrès de TRAVAIL, il est dès maintenant prévisible qu'il faudra peut-être limiter l'affluence croissante des participants, laquelle approcha en 1968 le point au-delà duquel le sérieux des travaux serait compromis. Tous renseignements au Secrétariat des Congrès, 49, rue des Renaudes, Paris XVIII^e^. ##### *Rappel nécessaire à l'attention de nos lecteurs* La revue ITINÉRAIRES n'est ni une maison d'édition ni une entreprise de librairie par correspondance. On peut commander à nos bureaux : nos numéros, nos numéros spéciaux, nos suppléments, nos tracts, et *rien d'autre.* C'est-à-dire que l'on peut commander à ITINÉRAIRES Seulement ce qui est publié par ITINÉRAIRES. En nous adressant des commandes de livres, nos lecteurs : 1) perdent du temps ; 2) nous font perdre du temps ; 3) provo­quent des embouteillages ; 4) multiplient les occasions d'erreurs matérielles. Personne n'y gagne. Nous voulons bien *rendre service *: mais chacun rend service selon ses *moyens*. Nous ne sommes pas du tout équipés pour faire office de librairie par correspondance. « *Un charretier qui, pour obliger un voisin, veut transporter une matière dont il connaît mal la densité, puis verse en chemin ou crève son cheval, ne sauve rien du tout, ne passe pas pour un héros mais pour un imbécile. *» (Henri Charlier.) On remarquera que nous indiquons toujours avec précision l'adresse de l'éditeur des ouvrages que nous recommandons (Nouvelles Éditions Latines ; Dominique Morin ; Club du livre civique ; Éditions St-Michel ; etc.). Si l'on ne trouve pas ces ouvrages dans les librairies, c'est directement à l'éditeur qu'il faut les commander, *jamais à nous*. Nous comprenons fort bien que certains lecteurs, surtout de l'étranger, trouvent plus commode d'adresser des *commandes* groupées d'une série d'ouvrages parus chez des éditeurs diffé­rents : mais en ce cas, il peuvent envoyer leurs commandes au *Club du livre civique*, 49, rue Des Renaudes, Paris XVIII^e^ qui est à leur service notamment pour cela. ============== fin du numéro 128. [^1]:  -- (1). *Documentation catholique* du 20 novembre 1966, col. 1991. [^2]:  -- (2). *Informations catholiques internationales* (I.C.I.), numéro 322 du 15 octobre 1968, p. 29. [^3]:  -- (3). L'anonyme des I.C.I., auteur du mensonge de ce flot et de cette inondation, pourrait bien être une vieille connaissance, qui avait lancé le même mensonge, dans les mêmes termes quasiment : « submergés par des flots de papier », dans les I.C.I. du 1^er^ novembre 1964. -- Voir texte cité dans notre supplément : L'Affaire Pax en France, p. 191. [^4]:  -- (4). Voir dans les « Avis pratiques », à la fin du présent numéro, les consignes de diffusion et d'action que nous renouvelons avec insistance. [^5]:  -- (5). I.C.I., *loc. cit.* [^6]:  -- (6). Numéro de juillet-septembre 1968, pp. 463-465. [^7]:  -- (7). *Ibid*., pp. 224-226. [^8]:  -- (8). Il faut remarquer que Georges Hourdin a été le premier auteur laïc (et qu'il est resté à peu près le seul) à prendre la défense du national-catéchisme français : dans *Le Monde* du 12 mars 1968. -- Or ce défenseur par excellence du nouveau catéchisme français est aussi un partisan du « catéchisme hollandais ». C'est bien normal : il s'agit du même esprit, et de la même religion nouvelle. -- Ainsi l'attitude de Georges Hourdin illustre à merveille la remarque capitale faite par Marcel Clément dans *L'Homme nouveau* du 1^er^ septembre 1968 : le « Catéchisme hollandais » sert en fait de « livre du maître » dans la mise en place du nouveau catéchisme français. [^9]:  -- (1). Voir *Itinéraires,* numéro 127 de novembre 1968, pp. 221 et 222. [^10]:  -- (2). Voir *Itinéraires,* numéro 117 de novembre 1967, pp. 7 et suiv. [^11]:  -- (1). Voici comment s'expriment à ce sujet les *Informations catho­liques internationales* chères à Mgr Gouyon (numéro du 15 octobre 1968, p. 7, col 2) : « *Il est significatif que le théologien qui a expliqué, dans* « *Le Monde *» *du 8 août, quelles sont les limites de l'autorité d'une encyclique, ait préféré garder l'anonymat*. » Vous voyez que dans ce cas, et pour la bonne cause, l'anonymat est simplement « *significatif *» ; Mgr Gouyon ne l'a pas déclare « *honteux *». [^12]:  -- (1). Voir Louis SALLERON : « Petite histoire d'un titre », dans *Itinéraires*, numéro 109 de janvier 1967. [^13]:  -- (1). En règle générale : *pas moins de trois personnes, pas plus de dix*. Ce qui ne veut pas dire que la porte est fermée aux autres : ­mais que si l'on est plus nombreux il faut faire *plusieurs* cellules. [^14]:  -- (1). Article intitulé : « Jésus a répondu ». [^15]:  -- (2). Dans les « Notes critiques ». [^16]:  -- (1). Le seul psychiatre dont les conseils ne sont pas impies, c'est celui qui dit aux parents : *Votre fils a besoin de la discipline reli­gieuse.* [^17]:  -- (1). Déjà en 1956, sous la IV^e^ République, ce ministre de l'Éducation nationale proclamait : « L'école, *c'est la Révolution* qui conti­nue. 2, Voir l'ouvrage de Jean MADIRAN : *On ne se moque pas de Dieu* (Nouvelles Éditions Latines 1957), pp. 11 et suivantes. -- On constate parfaitement, aujourd'hui, la continuation et la continuité, sur ce point, d'une République à l'autre. [^18]:  -- (1). Les mots soulignés sont empruntés à une lettre du maréchal Juin. -- *Note de la Direction *: Cette maxime du maréchal Juin est rejetée par la revue *Itinéraires* comme exagérée dans son principe et aberrante dans sa dernière application. [^19]:  -- (1). « M. W. Helbig est précisément un de ces critiques dont personne ne conteste la compétence et auxquels on peut se fier sans danger. Personne n'a plus étudié que lui les peintures d'Herculanum et de Pompéi, et il a écrit sur elles deux savants ouvrages qui se complètent l'un par l'autre. » Gaston BOISSIER, *Promenades archéologiques*, Pompéi, ch. III.) [^20]:  -- (1). C'est le Boken-rawn de la XXIV^e^ dynastie, à la fin du VIII^e^ siècle. La Bible situe l'Exode mille ans auparavant. Des historiens hésitent entre le XVI^e^ et le XIII^e^ siècles. Le nom de Bocchoris devint synonyme de sagesse et d'équité. Passaient donc pour justes et bonnes les lois que les contemporains de Tacite attribuaient à ce Salomon égyptien. [^21]:  -- (1). Actes, XI, 26. On traduit souvent : *les disciples reçurent le nom de chrétiens*, et on ajoute à tout hasard qu'ils le reçurent des païens. Rien n'est moins sûr. *Chrêmatisai*, infinitif actif (*prendre pour nom*), ne peut avoir pour sujet que les disciples Tout au plus accep­tèrent-ils ce nom, seul digne qu'ils l'eussent choisi de leur propre initiative. [^22]:  -- (1). C'est d'ailleurs à ce titre que Moïse est déjà présent à la Transfiguration, et que son témoignage est souvent requis dans les évangiles. Voir en particulier : Jean I, 45 ; III, 14 ; V, 46 ; et Luc, XXIV, 44. Notre-Seigneur lui-même, pour se faire reconnaître des disciples d'Emmaüs, leur explique les Écritures en commençant par Moïse (Luc, XXIV, 27). Cet exorde a constamment servi de modèle dans la prédication et l'éloquence apostolique. [^23]:  -- (1). Dans *Itinéraires,* numéro 119 de janvier 1968, pp. 48 et suiv. -- Dans notre ouvrage : *L'hérésie du XX^e^ siècle,* chapitre : « *La fameuse question *», pp. 191 et suiv. [^24]:  -- (2). *Le journal la croix*, 8 octobre 1968. [^25]:  -- (3). LAGRANGE, *Évangile selon saint Jean*, Gabalda 1925, p. 388. [^26]:  -- (4). Pirot et Clamer, tome X par L. Marchal, Letouzey 1950, pp. 430-431. [^27]:  -- (5). *Ibid.* [^28]:  -- (6). *Ibid. -- *Cf. LAGRANGE, *op. cit.*, pp. 397 et suiv. [^29]:  -- (7). *Op. cit.*, p. 387. [^30]:  -- (8). Édition Marietti 1952, § 1940 et suiv. ; et spécialement le § 1949 : *quia mundus non diligit me*. [^31]:  -- (9). Ce sont les psaumes 34 et 68 de la Vulgate. [^32]:  -- (10). Fayard 1967. [^33]:  -- (11). *L'Homme nouveau* du 5 octobre 1968. [^34]:  -- (12). Dans un article de Louis SALLERON -- « Le contexte des mutations liturgiques », publié par *Itinéraires*, numéro 120 de février 1968 ; cf. les pages 118-120. [^35]:  -- (13). Traduction de l'édition Labourdette, parue sous le titre : *Foi catholique et problèmes modernes* (Desclée et Cie, 1953). La numéro­tation en paragraphes est celle de cette édition : elle correspond aux alinéas (non numérotés) du texte latin des *Acta*. Cette même traduc­tion avait antérieurement paru dans la *Revue thomiste*, tome 1, de l'année 1950, pp. 5 et suiv. [^36]:  -- (14). Cf. Marcel DE CORTE : « Le romantisme de la science », dans *Itinéraires*, numéro 126 de septembre-octobre 1968. [^37]:  -- (1). Voir IIIa Pars, question 83. [^38]:  -- (2). Prenez garde à ce que vous faites, imitez le sacrifice que vous célébrez. (Paroles de l'Ordination.) [^39]:  -- (1). Dans son très intéressant ouvrage : *Les Docteurs de l'Église* (Montpellier ; Imprim. de la Charité : 1964) : p. 394. [^40]:  -- (1). Pages 181-182, dans « l'édition complète d'Annecy » : 1892 et suiv. -- Les citations qui suivront seront faites d'après cette édition, mais nous « moderniserons » l'orthographe. -- Le livre des *Controverses* est au tome I. [^41]:  -- (1). Livre 1, ch. 56. [^42]:  -- (2). *Du Pape,* livre 1, eh. *20.* [^43]:  -- (3). « Il n'y a pas de colère qui dépasse la colère de la femme. Il vaut mieux demeurer avec un lion et un dragon que d'habiter avec une méchante femme. La malignité de la femme lui change le visage ; elle prend un regard sombre comme un ours... Son mari gémit et soupire amèrement. » [^44]:  -- (1). Dans son ouvrage : La *tunique déchirée,* Tito CASINI a donné des exemples des fâcheux résultats du latin liturgique traduit en italien (pp. 48 et suiv. dans la traduction française de son ouvrage, paru aux *Nouvelles éditions latines*. -- C'est au point, dit-il, qu'on a dû « expurger le Missel... pour des motifs de *moralité *»!! [^45]:  -- (1). Ni révoqué ni remplacé ni remanié par aucun Concile ultérieur [^46]:  -- (1). C'est celle qui figure dans la *Documentation catholique* du 31 juillet, col. 1249 et suiv. [^47]:  -- (1). Note d'*Itinéraires*. -- Le terme atelier est un terme français et nullement un « emprunt au vocabulaire maçonnique ». C'est le vocabulaire maçonnique qui l'a emprunté : il n'en a pas pour autant le monopole. L'Atelier d'art graphique, par exemple, de notre ami Dominique Morin n'est aucunement une entreprise maçonnique. -- Le mot « atelier » vient du vieux français astelier, lui-même dérivé de astelle qui signifiait « éclat de bois ». La forme actuelle atelier est attestée dès le XIV^e^ siècle. -- Ce n'est donc point du tout une création maçonnique.