# 129-01-69
1:129
### Situation de l'épiscopat français
*après son assemblée de novembre 1968*
IL APPARAÎT DONC que l'Assemblée plénière de l'épiscopat français, en novembre 1968, a retenu et adopté mon idée. Je n'en suis pas autrement fier et j'en éprouverais plutôt quelque remords, car l'idée était mauvaise : non point en elle-même, mais par l'usage qui, dans les circonstances présentes, en serait fait à peu près inévitablement. Je ne l'avais pas assez prévu. Mea culpa.
\*\*\*
Le 15 octobre 1966, en présence du Secrétaire général de l'épiscopat, j'étais reçu par deux évêques (dont l'un déjà archevêque et maintenant cardinal) mandatés à cet effet par le Conseil permanent. Entrevue qui se prolongea par un aimable dîner où j'avais l'honneur d'être invité. Je présentai la demande d'être personnellement et physiquement entendu par l'Assemblée plénière de l'épiscopat français.
2:129
Je ne dirai pas que mes interlocuteurs s'esclaffèrent bruyamment en se tapant sur les cuisses avec une dérision amusée, leur courtoisie était parfaite, mais en substance c'était cela. Un laïc entendu par l'Assemblée ! On n'avait jamais rien vu de pareil et il ne pouvait en être question. Il n'y avait pas de précédents. -- Eh ! bien, surmontant ma timidité, je consentais à être le premier. -- Impossible ; pas sérieux ; impensable. Incorrigible fantaisiste, je demandais la lune.
Par la suite, je renouvelai ma demande. Elle avait été orale, mais à des interlocuteurs qualifiés, le 15 octobre 1966. Je la renouvelai par écrit. Ces demandes sont rappelées en tête de *L'hérésie du XX^e^ siècle* ([^1]). Ou plutôt, le rappel se limite aux principales occasions, les plus officielles. Quelque lecteur craint de trouver une ambiguïté dans ma phrase : « *Ces demandes n'ont eu aucune suite. *» -- Cela insinuerait, me dit-il, que vous n'avez même pas eu de réponse ? -- Je n'ai même pas eu de réponse. Mes demandes étaient adressées à l'Assemblée plénière : je n'ai eu aucune réponse de l'Assemblée plénière. Il n'est aucunement évident que tous les membres de l'Assemblée, ni même la plupart d'entre eux, aient été informés de mes demandes renouvelées en 1967 et encore en janvier 1968. Je ne crois pas qu'il y ait eu un vote (seul moyen d'expression et de décision pour une assemblée) statuant à ce sujet.
3:129
En tous cas je n'ai obtenu aucune réponse officielle, aucune réponse écrite, aucune réponse de l'Assemblée. J'ai recueilli parfois des indications orales et privées, uniformément négatives. Mais des indications orales, et surtout privées, n'engageant que le sentiment personnel de mon interlocuteur du moment, ne sont pas des réponses. Mes demandes n'ont donc eu « aucune suite ». Il va sans dire que, les ayant suffisamment renouvelées, je ne les renouvelle plus. Si d'aventure quelque évêque s'intéresse à ce que j'aurais pu dire à l'Assemblée, il le trouvera en substance, et en détail, dans *L'hérésie du XX^e^ siècle,* naturellement augmenté de tout ce qui s'y est ajouté de capital, et de décisif, depuis octobre 1966.
Mais l'idée a fait son chemin. J'avais raison de trouver tout naturel, nullement déplacé, et peut-être nécessaire, que des laïcs soient personnellement et physiquement entendus par l'Assemblée plénière : on l'a fait au bout de deux ans, en novembre 1968. Seulement, on l'a fait pour rien. Ou pour la galerie. On l'a fait pour les laïcs que l'épiscopat entend tout le temps ; on ne l'a pas fait pour ceux qu'il n'entend quasiment jamais.
4:129
#### I. -- Il n'y a plus communication
On dira bien sûr que ma personne n'était pas la mieux désignée ni la plus représentative. J'ai parfois la réputation, je ne sais pourquoi, d'être malcommode, bruyant, excessif ou que sais-je. Pourtant l'on n'ignore pas que je sais me tenir très bourgeoisement quand je suis reçu par des personnes d'un plus haut rang, après tout, que les évêques de France. Mais surtout, ce n'est nullement la question. Je n'ai jamais prétendu être plus représentatif ou mieux désigné qu'un autre : il m'est simplement arrivé de *me trouver là*, en certains lieux, à certains moments, et de me déclarer disposé à faire entendre, sous ma seule responsabilité, un langage et des pensées qui en substance sont ceux de millions de catholiques ; bien que je n'aie demandé ni reçu aucune espèce de mandat de représentation. Il est de fait, en outre, que *placé où je le suis*, c'est-à-dire à la tête, je n'y peux rien, c'est ainsi, du principal organe d'expression, de recherche et de pensée des catholiques classés dans une catégorie que vomit l'épiscopat, j'ai pour cela, et par rapport à cette situation, quelques titres à être écouté au moins avec attention. Mais à cet égard j'ai toujours été disposé, et je le suis plus que jamais, à laisser ma place, à céder mon tour de parole à un autre. Seulement il n'y a aucune place ni aucun tour de parole, dans l'Église de France, pour personne de notre espèce abhorrée.
5:129
La preuve en est faite depuis longtemps. Elle est refaite chaque jour, avec une abondance désormais superfétatoire, car la cause est entendue dans les faits, malgré toutes dénégations théoriques. Je passe pour je ne sais quoi ? Mais des gens aussi respectueux, aussi dociles, aussi soumis, aussi discrets, aussi réglementaires, aussi doux, aussi volontairement et héroïquement effacés que ceux qui se groupent dans l' « Association française Una Voce » ont publié à l'occasion de la dernière Assemblée plénière le communiqué suivant (texte intégral) :
A Lourdes du 2 au 9 novembre, la conférence épiscopale française tient son assemblée plénière annuelle et l'on nous apprend que des laïcs y prendront la parole.
Au nom des laïcs non consultés sur leurs besoins et leurs légitimes préférences, laïcs qu'aucun porte-parole ne représentera à Lourdes, nous croyons devoir élever une voix respectueuse mais ferme pour rappeler ce qui constitue aux yeux de tant de fidèles de très graves sujets de douleur et d'inquiétude :
1\) Contrairement à la Constitution conciliaire et aux préférences de beaucoup de fidèles, la célébration en langue latine a été presque complètement éliminée dans nos paroisses et, lorsque à l'occasion de mariages ou de funérailles, les familles demandent une messe en latin, cela leur est trop souvent refusé malgré la législation en vigueur.
6:129
2\) Depuis le 15 août dernier, dans la plupart des paroisses, l'admirable canon romain est presque systématiquement éliminé et remplacé par la première des nouvelles prières eucharistiques, en dépit du Décret de la S. Congrégation des rites qui n'autorise l'introduction de ces nouvelles prières que « à côté du traditionnel et vénérable canon romain, qui demeure évidemment en usage ».
3\) Malgré leur caractère et malgré l'interdiction émise par le Saint-Siège (Lettre du 25 janvier 1966 aux Conférences épiscopales), la musique de jazz et ses dérivés sont introduites de plus en plus dans le culte, en particulier à la faveur des messes dites « de jeunes ». C'est avec la plus vive des craintes que l'on peut évaluer les dégradations qui en résulteront tant pour la Louange divine que pour la piété des fidèles.
C'est pourquoi l'association UNA VOCE supplie instamment les évêques de prendre des mesures efficaces pour que la prière publique de l'Église ne s'écarte en rien « de la foi, de la tradition, de la loi canonique » pour reprendre l'expression utilisée par le Souverain Pontife dans sa récente allocution aux Pères du Conseil pour l'application de la Constitution sur la liturgie.
Ce communiqué concerne spécifiquement la liturgie, conformément aux statuts et à la vocation de 1'Association. Mais regardez-le bien : on peut le transposer dans tous les domaines. Il s'est passé exactement la même chose pour le catéchisme ; pour l'apostolat des laïcs ; pour les questions sociales ; pour l'école chrétienne ; pour tout.
7:129
D'aventure ont été consenties à ceux-ci ou à ceux-là quelques audiences épiscopales, les faits montrent que, quoi qu'il en soit des intentions profondes, c'était en réalité pour la frime et par alibi : ces audiences sont comme n'ayant jamais eu lieu, elles n'ont servi à rien, elles n'ont eu aucune suite pratique, elles ont été comme un rêve. Elles n'ont même pas servi à une platonique compréhension réciproque. Elles sont oubliées aussitôt terminées. Les évêques français ne *comprennent absolument rien* à ce qu'ont pu leur dire, en de très rares occasions d'ailleurs, les chrétiens fidèles à la loi naturelle, à la liturgie romaine, au catéchisme catholique. A l'origine, ce n'était pas toujours mauvaise volonté : mais c'est que l'épiscopat, comme il le montre surabondamment par ses paroles et par ses actes, avait commencé à ne plus comprendre le catéchisme catholique lui-même, ni la liturgie romaine, ni la loi naturelle. D'est donc normal qu'il n'entende rien à la « mentalité », au comportement, aux requêtes de ceux qui s'efforcent avant tout d'y être fidèles. Cette situation développe ensuite d'énormes malentendus lourds d'incidents de plus en plus déplaisants, voire insupportables : mais ces malentendus ne proviennent pas de quiproquos ordinaires surgis de l'infirmité du langage humain, de la distraction ou de la malchance ; ils proviennent d'une hétérogénéité croissante, et fondamentale, des structures intellectuelles. Nous parlons un langage qui a toujours été entendu dans l'Église parce qu'il a toujours été et sera toujours celui de l'Église : un langage en continuité sémantique et spirituelle avec celui de saint Augustin, de saint Thomas, de saint Pie X, de vingt Conciles œcuméniques.
8:129
Nos évêques n'entendent plus ce langage. Ils n'entendent plus le langage théologique et liturgique de l'Église, ils n'en veulent plus, ils le disent assez, ils le rejettent, ils en appellent et ils en inaugurent un autre. Ils ne comprennent plus la langue de la plupart des encycliques, de *Quanta cura* et d'*Æterni Patris* à *Humanæ vitæ* en passant par *Divini Redemptoris* et par *Humani generis*. Ils ont même commencé à ne plus comprendre le langage du Pater : voyez la traduction qu'ils en supportent, et qu'ils en imposent. Ils ne comprennent plus la langue de saint Jérôme ; ni la langue de saint François de Sales ; ni celle du curé d'Ars ; ni celle de Pie XII. A plus forte raison, alors, pour nous-mêmes.
Il y a eu un précédent et cela porte un nom : cela s'appelle la tour de Babel. Avec cette différence redoutable qu'à Babel du moins il n'y avait pas d'évêques.
\*\*\*
S'impose ici une distinction capitale.
Cette communication intellectuellement impossible se constate aussi entre catholiques : elle ne peut alors ni ne doit être traitée de la même façon.
Que des docteurs ordinaires et des docteurs en théologie soient devenus des DOCTEURS SANS LOI ET SANS DOCTRINE, c'est-à-dire mentalement *hétérogènes à la doctrine et à la loi de l'Église*, c'est un scandale public et c'est une prévarication qui appellent une netteté intellectuelle entière et au besoin brutale.
9:129
Il y va de tout que chaque fidèle comprenne ceci : les DOCTEURS SANS DOCTRINE ET SANS LOI, quoi qu'il en soit de leur culpabilité subjective qui nous échappe, ont objectivement trahi leur charge. Il y va de tout que chaque fidèle comprenne ceci : les DOCTEURS SANS DOCTRINE ET SANS LOI n'ont aucun pouvoir pour nous faire déserter ou renier la loi et la doctrine de l'Église. Le refus de les suivre n'est pas une possibilité facultative, encore moins une licence discutable, mais un devoir absolu ne comportant pas la moindre ombre d'incertitude.
De simples catholiques, peut-être en grand nombre, pensent à leur suite et comme eux. Ils ne relèvent pas de la même rigueur intellectuelle. Ils n'ont aucune fonction hiérarchique, aucune charge publique. Tout en veillant le cas échéant à ne pas leur laisser prendre une influence funeste, du moins dans la mesure éventuelle où cela dépendrait de nous, veillons aussi à ne point nous raidir à leur égard. C'est *la même charité* qui commande la rigueur intellectuelle à l'encontre des docteurs coupables de prévarication, et la mansuétude, dans toute la mesure licite, à l'égard des personnes privées qui sont désorientées par les erreurs à la mode. Plus que de l'attitude extérieure, je parle de la charité qui est à l'intime du cœur, et qui rectifie d'abord notre vie intérieure, qui purifie le regard que nous portons sur les êtres et sur les choses. Si dans une confusion universelle nous sommes restés en continuité sémantique et spirituelle avec la pensée de l'Église, la loi naturelle, la liturgie romaine, le catéchisme catholique, ce n'est assurément point par nos seules forces. Et nous sommes pécheurs comme tous nos frères, peut-être davantage si en outre nos péchés, nos faiblesses, nos manquements sont ceux de consciences mieux éclairées.
10:129
Si nous avons gardé la continuité sémantique et spirituelle avec toute l'histoire et la vie même de la sainte Église, cela nous crée la responsabilité et nous impose le devoir de barrer la route avec une détermination absolue aux docteurs de la prévarication, de la honte et de la trahison : mais cela ne nous élève point au-dessus de nos frères égarés. A leur endroit, abstenons-nous de toute attitude de morgue ou de raideur, mais ce n'est pas l'essentiel, purifions notre cœur, demandons à Dieu un cœur purifié : par Jésus doux et humble de cœur. Demandons *l'esprit dur et le cœur doux* qu'enseignait saint Pie X. Si j'ose gloser sur une telle parole, je dirai que les docteurs infidèles ont droit principalement aux justes et publiques rigueurs de l'esprit dur, et que les frères égarés, rencontrés en privé, avec lesquels la communication intellectuelle est devenue souvent impossible pour les mêmes raisons, ont besoin surtout des fraternelles attentions d'un, cœur doux passant au travers de toutes les barrières mentales. De l'un comme de l'autre, nous sommes tous incapables sans l'esprit de pénitence et sans la grâce. *Veni, Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende*.
\*\*\*
Nos évêques ont perdu jusqu'à la sensibilité catholique -- ils ont été irrités qu'il y ait eu des fidèles pour accepter purement et simplement, sans objection, sans contestation, l'enseignement de l'encyclique *Humanæ vitæ.* Ces fidèles, ils les ont publiquement couverts de mépris, d'un *raca* explicite assorti de reproches caricaturaux :
11:129
1. -- Vous êtes trop enthousiastes, leur ont-ils dit.
2. -- Vous manifestez une joie sauvage.
3. -- Taisez-vous, car il y a d'autres encycliques que vous n'acceptez pas aussi facilement.
4\. -- Votre adhésion est passive et sans discernement, ce n'est pas bien.
Tels sont les quatre principaux thèmes de désapprobation qui, en substance et même littéralement, ont été orchestrés par plusieurs évêques français avant l'Assemblée plénière. Je n'ai pas eu connaissance par les journaux, fût-ce par les journaux catholiques, qu'un seul évêque français ait publiquement donné son approbation, ses encouragements, sa bénédiction aux catholiques qui ont accepté *Humanæ vitæ* purement et simplement. Nos évêques se sentaient mieux à l'aise avec les catholiques qui disaient « oui, mais » à l'encyclique, ou même avec ceux qui ne lui disaient aucun « oui ». Ce n'est certes pas la première fois qu'une encyclique est malaisément reçue voire plus ou moins contestée parmi les catholiques : et, humainement, c'est fort compréhensible. L'Église n'est pas une caserne. Les évêques sont là, du moins en principe, pour expliquer avec patience et charité l'enseignement du Saint-Siège à ceux pour qui il fait difficulté. Mais précisément : leur insistance opportune doit tendre à recommander et encourager l'acceptation. Les propos de nos évêques avant l'Assemblée ont eu pour résultat de la décourager, de la présenter comme méprisable ou comme suspecte.
12:129
Parlant des diverses attitudes à l'égard de l'encyclique, ils n'ont parlé de l'acceptation pure et simple que pour trouver à y redire, et plusieurs fois avec une méchanceté véritablement calomnieuse. Leur excuse évidente, je le répète, est que manifestement ils ne *comprennent* pas : ils ne comprennent pas l' « argumentation philosophique » de l'encyclique, ils ne comprennent pas ses « motifs allégués », comme ils disent : et alors, forcément, ils ne comprennent pas non plus la « mentalité » des catholiques qui sont spontanément en communion avec ce langage et avec cette doctrine. D'où leur irritation : qui fait un singulier contraste avec ce qu'ils ont nommé « le respect des consciences *en désaccord* avec l'encyclique ». Ils recommandent ce respect-là, mais ils n'ont eu aucun respect des consciences *en accord* avec l'encyclique, ce qui est tout de même un peu gros, ils les ont caricaturées dans les termes que nous avons dits : joie sauvage, adhésion suspecte, soumission passive et sans discernement, triomphe sans discrétion. -- Personnellement je suis tout à fait partisan du *respect des consciences en désaccord,* et je me réjouirais de voir l'épiscopat français y venir enfin, s'il y venait vraiment. Mais il y vient comme à un prétexte circonstanciel, strictement limité à un seul cas, celui des consciences en désaccord avec *Humanæ vitæ*.
Respect des consciences en désaccord avec le Pape enseignant la loi naturelle : *mais aucun respect des consciences en désaccord avec l'épiscopat.* Nous avons là un « test », comme dirait le P. Daniélou ; nous avons plus qu'un test ; nous avons une preuve.
13:129
Ont-ils recommandé ce « respect des consciences en désaccord », en ont-ils donné l'exemple quand il s'agissait de consciences en désaccord avec eux-mêmes, en désaccord avec leur national-catéchisme ? Point du tout. Au contraire. Ils ont foncé dans le tas, et tout de suite, par des communiqués tapageurs et intransigeants, dénonçant les consciences en désaccord comme des calomniateurs, des menteurs, des insensés, qu'il convenait de flétrir et de condamner sans aucune rémission. Ce qu'ils disent dans leur « Note pastorale sur *Humanæ vitæ *» ([^2])*,* ils auraient pu le dire dans les mêmes termes, cela aurait donné :
« *Des catholiques ne parviennent pas à comprendre notre* NOUVEAU CATÉCHISME. *Menant leur réflexion par des voies différentes, ils déclarent ne pouvoir loyalement y adhérer... Qu'ils poursuivent leur recherche, sans hésiter à faire part de leurs travaux aux évêques, car il est évident que bien des questions se posent encore... *»
Ils auraient pu le dire mais ils ne l'ont pas dit. Les catholiques qui ne peuvent en conscience accepter leur catéchisme ne sont pas traités comme des « consciences en désaccord » et apparemment ne sont même pas considérés comme ayant une conscience : ils ont été au contraire *tous* indistinctement dénoncés comme déloyaux et insensés par le cardinal Lefebvre, par Mgr Gand, par Mgr Gouyon. L'épiscopat n'a nullement traité ces catholiques comme des êtres humains « menant leur réflexion par des voies différentes », il les a traités comme des individus supposés incapables de réflexion.
14:129
C'est qu'en réalité, lorsque les évêques parlent du « respect des consciences en désaccord », ils parlent avant tout d'eux-mêmes : c'est l'épiscopat français qui, sur la loi naturelle, avait mené sa « réflexion » par des « voies différentes », et d'ailleurs qui continue. C'est lui d'abord qui ne « parvient pas à comprendre » ce qu'a dit l'encyclique *Humanæ vitæ*, c'est envers lui-même qu'il se montre infiniment respectueux, et c'est pour lui-même qu'il réclame du Saint-Siège le « respect des consciences en désaccord ». L'épiscopat respecte les consciences en désaccord *seulement* s'il s'agit d'un désaccord avec la doctrine romaine -- ce seul désaccord-là se trouve privilégié, on voit bien pourquoi, c'est parce qu'il est le désaccord de l'épiscopat lui-même, qui ne comprend pas les enseignements du Saint-Siège. Oui, c'est un phénomène d'hétérogénéité des structures mentales et c'est un phénomène d'incompréhension massive. Seulement il y a, au for externe, toutes les apparences et tous les signes que si nos évêques ne comprennent plus, c'est par leur faute : à cause du poids de leurs pensées antérieures, de leurs omissions antérieures, des habitudes spirituelles qu'ils s'étaient données. Si bien que, sans pouvoir ni intention de juger, je crains bien que l'excuse de l'incompréhension soit dans ce cas dépourvue de valeur absolutoire. Il apparaît que cette incompréhension résulte d'une culpabilité préalable. Que tout un épiscopat n'ait plus l'intelligence du langage théologique et liturgique de l'Église, cela ne peut résulter d'un malentendu superficiel ou d'une circonstance fortuite.
15:129
Ils disent souvent qu'ils veulent traduire la doctrine catholique en une langue accessible aux hommes de notre temps : mais en l'occurrence les hommes de notre temps, c'est d'abord eux-mêmes, qui n'ont plus accès au langage et à la doctrine de l'Église : comment pourraient-ils traduire ce dont ils n'ont plus l'intelligence ? Ils ont perdu la communication.
Le phénomène mineur dont nous sommes les témoins et les acteurs est important surtout parce qu'il est le signe d'un phénomène majeur. Qu'il n'y ait plus aucune communication entre l'épiscopat et un certain nombre de catholiques est en soi un malheur, mais la raison de ce malheur atteste la réalité d'un malheur infiniment plus grand. Car s'il n'y a plus de communication possible entre les évêques et nous, ce n'est point pour les motifs qu'ils en supposent dans leur fiévreuse irritation et qu'ils énoncent avec une richesse quasiment inépuisable d'invention rhétorique : non, ce n'est point parce que nous serions, comme ils disent, des intégristes, des conservateurs, des routiniers sans discernement, des traditionalistes passifs, des polémistes attardés, toutes notations qui sont à la fois caricaturales, marginales, et hors de la question. Il n'y aurait là ni raison suffisante ni cause proportionnée à l'impossibilité de communication intellectuelle qui s'est établie entre la plupart des évêques français et les catholiques de la catégorie honnie et méprisée. Ce qui est devenu étranger à l'épiscopat, c'est la pensée même dont nous sommes les témoins ; et nous en sommes les témoins comme nous pouvons, mais d'un cœur entier et résolu. Les évêques ne sont pas dressés contre nous à cause de nos infirmités personnelles : ce serait d'ailleurs, de leur part, bien peu « pastoral ».
16:129
Ce à quoi ils sont devenus allergiques, ce n'est pas à l'imperfection des témoins, c'est à l'objet du témoignage : la pensée de vingt Conciles œcuméniques, la pensée des Pères grecs et latins, la pensée des saints docteurs, la pensée du Siège romain. Georges Hourdin était en parfaite communion avec l'épiscopat français, et en exacte conformité avec la « réponse au cardinal Ottaviani » élaborée ([^3]) selon les vues de l'Assemblée plénière de 1966, quand il énonçait, encore récemment, le dessein selon lui nécessaire de « *dire en termes nouveaux et familiers inspirés des philosophies modernes, notamment de l'existentialisme, ce qu'une autre école théologique dit en termes inspirés de l'aristotélisme *» ([^4])*.* Tout le malentendu est là, et l'on voit aussitôt que c'est beaucoup plus qu'un malentendu. Nous l'avons déjà remarqué : ce qui est ramené ainsi au simple rang d'une école théologique parmi d'autres, c'est la pensée tout à la fois de saint Augustin et d'Albert le Grand, de saint Thomas et de saint Bonaventure, de vingt Conciles, de tous les Papes. Ce qui est promu au rang d'inspiratrices, ce sont des philosophies modernes non seulement antichrétiennes, mais athées, anti-naturelles, idéalistes et imaginaires. Quelle que soit la mesure dans laquelle on accorde que les termes par lesquels l'Église s'exprime sont « inspirés de l'aristotélisme », il n'en demeure pas moins que *ces termes* sont ceux de l'Église, et que l'inintelligence de ces « termes » entraîne forcément -- sauf miracle -- une inintelligence de la pensée même de l'Église.
17:129
Les conséquences inévitables en ont été la méconnaissance de la loi naturelle, le saccage de la liturgie romaine, le massacre du catéchisme catholique. Maintenant, il est humainement trop tard, ces évêques-là ne comprennent définitivement plus ce qu'ils ont négligé, omis ou dédaigné de comprendre quand ils le pouvaient encore ; ils ne pourront plus désormais le comprendre, du moins par eux-mêmes et même s'ils en tentaient l'effort, ce qui d'ailleurs n'est pas le cas. Il y faudrait, venue de Dieu, une grâce véritablement extraordinaire, et il faudrait en outre qu'ils la reçoivent et qu'ils l'acceptent, dans leur liberté spirituelle assurément subsistante mais terriblement affaiblie et encombrée. En attendant ils s'enfoncent, sans s'inquiéter des symptômes irrécusables que manifestent, sans qu'ils y comprennent rien, leurs discours et leurs actes.
18:129
#### II. -- La « Note pastorale »
La NOTE PASTORALE DE L'ÉPISCOPAT FRANÇAIS SUR L'ENCYCLIQUE HUMANÆ VITÆ, que l'Assemblée plénière a publiée le 8 novembre ([^5]), déclare que les évêques français ont « reçu cette encyclique en esprit de foi » et proclame que les fidèles « *doivent lui accorder une soumission religieuse de la volonté et de l'intelligence *». Cette soumission réclamée des fidèles est la soumission exactement réglementaire, coïncidant légalement et littéralement avec ce qui était dû : elle s'exprime ([^6]) par la citation entre guillemets des termes mêmes de la Constitution conciliaire sur l'Église (*Lumen gentium*) ([^7]) expliquant quelle sorte de soumission l'on doit aux enseignements du Souverain Pontife. C'est d'un parfait légalisme. L'épiscopat français n'exprime aucune reconnaissance filiale, aucun remerciement explicite, il n'y était pas tenu par le règlement.
19:129
Il a voulu marquer qu'il faisait son devoir réglementaire, sans y ajouter et sans en retrancher. Ce n'est pas si courant aujourd'hui : pour cette raison et dans cette mesure, il a pu espérer que le Saint-Siège estimerait opportun (ou accepterait) de lui dire qu'il lui en sait gré. L'épiscopat français n'a aucun désir, aucune intention de paraître formellement schismatique. Il s'est solidement installé à l'égard du Pape dans la « perspective » qu'il réprouve par ailleurs : celle « du permis et du défendu », étant entendu que seules comptent les défenses et les permissions du seul Vatican II. Quand l'épiscopat français s'oppose au Saint-Siège, c'est en s'appuyant sur ce que lui concède ou paraît lui concéder la lettre réglementaire du dernier Concile, et en s'appliquant à ne (paraître) rien refuser de ce que cette même lettre réglementaire l'oblige à consentir. Rien de plus, rien de moins : si cette stricte discipline ne semble pas toujours exactement observée, c'est dans la mesure où la lettre réglementaire de Vatican II, considérée isolément et séparée de toute la tradition de l'Église, laisse place à une certaine marge d'interprétation. Les évêques savent parfaitement bien qu'ils ne seraient plus rien du tout dans l'esprit de personne en France à partir du moment où leur opposition au Saint-Siège serait ouverte et avouée.
Cela même, pourtant, ne va pas sans ambiguïté. La « soumission religieuse » est réclamée des *fidèles* dans un contexte où les *fidèles* sont explicitement distingués des *évêques.* Qu'elle ait été consciemment voulue ou non, la portée d'une telle distinction en un tel endroit est immense. Cela revient à méconnaître qu'à l'égard des enseignements du Souverain Pontife, les évêques sont d'abord et premièrement des fidèles ; ou devraient l'être ; eux les premiers.
20:129
Ils ont, comme le clergé du second ordre et comme les laïcs, le devoir de la « soumission, religieuse » et ils en doivent l'exemple. Les membres de l'Église enseignante, même le Pape, appartiennent sous un rapport à l'Église enseignée ; ils sont dépositaires et intendants de la doctrine révélée, ils n'ont pas le pouvoir d'en disposer à leur gré, ils ne sont point placés au-dessus. Vérité peut-être trop oubliée, et qui n'est quasiment jamais rappelée, avec tout ce qu'elle implique. La. NOTE PASTORALE, réservant aux fidèles la « soumission religieuse », attribue aux évêques d'avoir reçu l'encyclique « en esprit de foi » : l'usage habituel de cette dernière formule lui confère plusieurs significations. Un sens non point obligatoire, mais fort courant, est que l'on reçoit et supporte les épreuves « en esprit de foi ». Or il est peu niable que l'épiscopat français a reçu l'encyclique *Humanæ vitæ* comme une épreuve qui n'était ni désirée, ni attendue.
\*\*\*
Les positions de la NOTE PASTORALE sont loin d'être, aussi claires et assurées qu'il pourrait le paraître à la seule considération initiale de cette « soumission religieuse » proclamée à l'usage des « fidèles » explicitement distingués des « évêques » ([^8]).
21:129
La portée du texte a été mise en lumière par les commentateurs les plus autorisés. Le « Directeur de l'opinion » pour le compte de l'épiscopat, Mgr Dominique Pichon, expliquait aussitôt ([^9]) : « Le Pape traite dans l'encyclique d'un point particulier, les évêques disent que cela doit être replacé dans l'ensemble de la moralité ». Question : l'encyclique n'avait donc pas replacé le point particulier dans l'ensemble de la moralité ? Mgr Pichon ajoutait : « Les évêques sont absolument d'accord avec le Pape, mais ils resituent la pensée du Pape dans la pensée générale de la morale ». Question : cela n'avait donc point été fait par l'encyclique ? et il a fallu attendre que cette resituation soit opérée par les évêques français ? Le P. Wenger écrit dans le même sens : « Il ne s'agissait pas, pour les évêques, de discuter l'enseignement du Pape, mais pas davantage de répéter purement et simplement *Humanæ vitæ.* L'encyclique existe et demeure. La visée particulière des évêques de France a été de ne pas enfermer les gens dans le permis et le défendu, mais d'aider les consciences à s'éduquer. » ([^10]) Question : le Pape avait donc enfermé les gens, et son encyclique n'aidait point à l'éducation des consciences ? L'abbé René Laurentin inscrit son commentaire dans la même ligne, avec une précision supplémentaire :
22:129
« L'intérêt du document épiscopal, c'est qu'il renoue avec l'enseignement total du Concile, restreint par la perspective d'*Humanæ vitæ *» ([^11])*.* Donc, la NOTE PASTORALE de l'épiscopat français apporte quelque chose qui manquait à *Humanæ vitæ ;* et elle l'apporte non par mode de simple complément documentaire ou explicatif, mais par mode de rectification d'un manquement, d'un défaut, d'un tort de l'encyclique.
Il se joue là un jeu assez subtil. J'en veux indiquer tout de suite et examiner à fond le point le plus radical, qui a été sans retard mis en lumière par *Le Monde* ([^12]) *:* l'épiscopat français « *esquive la difficulté de prendre parti sur la loi naturelle très contestée en France *». Lisons en son entier cette observation aiguë ([^13]) :
« L'épiscopat français évite d'essayer de justifier les arguments qui conduisent le Pape à ses propres conclusions. Il distingue soigneusement les conclusions de Paul VI -- qu'il accepte -- des motifs allégués sur lesquels il glisse... Ce faisant, il esquive la difficulté de prendre parti sur la loi naturelle très contestée en France. »
Que la loi naturelle soit en France, et généralement dans le monde moderne, « très contestée », au incomprise, ou rejetée, notamment par des évêques, c'est un fait bien connu, sur lequel la proposition VII de la religion de Saint-Avold apporte une pleine lumière ([^14]). Que la question ait été *esquivée* dans la NOTE PASTORALE, cela mérite une considération attentive.
23:129
La « doctrine du mariage » exposée par l'encyclique *Humanæ vitæ* est une « doctrine fondée sur la loi naturelle, éclairée et enrichie par la Révélation » (§ 4), car « il appartient au Magistère de l'Église d'interpréter aussi la loi naturelle » (id.). L'objet de l'encyclique est de « rappeler les hommes à l'observation de la loi naturelle » (§ 11). *La loi naturelle ôtée, ou mise entre parenthèses, que pourrait-il bien rester de l'encyclique ?* C'est la question qui va se poser de plus en plus après la NOTE PASTORALE de l'épiscopat français.
La loi naturelle n'est jamais nommée par la NOTE. Elle n'est pas non plus mentionnée, sauf dans une allusion, en forme de citation, au § 5 : une citation de la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse (n° 14), évoquant le pouvoir de l'Église de déclarer et confirmer « les principes de l'ordre moral découlant de la nature même de l'homme ». Cette citation isolée ne trouve aucun écho dans la suite de la NOTE PASTORALE.
Et c'est en son § 18 que la NOTE PASTORALE « esquive » la loi naturelle par l'habileté que voici :
« Plus malaisée est la situation des catholiques qui ne parviennent pas à comprendre l'enseignement du Pape. Menant leur réflexion par des voies différentes, ils déclarent ne pouvoir loyalement y adhérer. Nous leur demandons d'abord, à l'instigation même du Pape, de ne pas confondre l'enseignement fondamental de l'encyclique avec les motifs allégués (*Humanæ vitæ*, n° 28).
24:129
Qu'ils considèrent aussi en catholiques que le Pape, connaissant leur position, a cependant, dans une vision pastorale des choses, jugé qu'il ne pouvait en conscience abandonner l'enseignement de ses prédécesseurs. »
Nous tenons ici un ressort fondamental. Ressort fondamental de la « contradiction entre l'article 16 de la Note pastorale et l'enseignement du Magistère de l'Église » ([^15]). Cette contradiction est un fait. Mais ce fait a des causes. L'erreur de la NOTE PASTORALE, en elle-même, pourrait être une simple erreur de raisonnement ou d'appréciation, survenue accidentellement : cela peut se produire tout le temps et partout. A partir de principes vrais, on peut aboutir à une conclusion fausse si le raisonnement n'est pas correct. Un peu, si vous voulez, comme l'enfant qui a trouvé la « solution » juste de son problème d'arithmétique, mais qui arrive à un « résultat » faux parce qu'il a commis en cours de route une « erreur d'opération ». Cette sorte d'erreurs accidentelles est la plus aisément rectifiable. L'erreur de la NOTE PASTORALE est *dans les principes :* une telle erreur en une telle matière n'est rectifiable que par une conversion.
25:129
L'épiscopat français, depuis longtemps en fait, et ouvertement depuis l'Assemblée plénière d'octobre 1966, raisonne à partir de *faux principes* philosophiques, moraux, théologiques, dans une *problématique fausse* et avec de *fausses méthodes.* Ces méthodes, cette problématique, ces principes ne peuvent porter que des fruits empoisonnés ou, dans le moins mauvais des cas, des fruits nuls. L'*erreur de principe* de l'épiscopat français est la plus radicale qui soit, la plus universelle, la plus destructrice, la plus barbare : *la méconnaissance de la loi naturelle.* J'ai déjà analysé cette erreur, dans mon livre sur *L'hérésie du XX^e^ siècle,* à partir d'un document de l'Assemblée plénière de 1966 et à partir des enseignements de Mgr Schmitt, qui en l'occurrence n'est pas un isolé, comme on le voit de mieux en mieux. L' « esquive » que nous venons de citer, au § 18 de la NOTE PASTORALE, est révélatrice sous un triple rapport :
**1.** *Ne pas confondre l'enseignement fondamental avec les motifs allégués* est une recommandation bien connue dans le cas des définitions dogmatiques infaillibles. Mais c'est ici une recommandation ésotérique, nullement faite « à l'instigation du Pape », qui ne dit pas cela. Elle se réfère, sans s'expliquer autrement, au § 28 d'*Humanæ vitæ *: la phrase de ce paragraphe de l'encyclique qui contient effectivement les termes : « motifs allégués » fait elle-même référence, sans davantage s'expliquer autrement, au § 25 de la Constitution conciliaire *Lumen gentium*.
26:129
Or ces trois textes ne concordent pas sous ce rapport.
Voici la phrase de l'encyclique visée par la référence de la NOTE PASTORALE :
« Cet assentiment \[au Magistère de l'Église\] est dû, vous le savez, non pas tant à cause des motifs allégués que plutôt en raison de la lumière de l'Esprit Saint, dont les pasteurs de l'Église bénéficient à un titre particulier pour exposer la vérité. »
Ici l'encyclique fait, en note, référence au § 25 de la Constitution *Lumen gentium *: à tout le paragraphe et non à une phrase en particulier ([^16]). On peut le lire et le relire en son entier, il ne mentionne pas la question des « motifs allégués » : il met en relief l'assistance de l'Esprit Saint. Donc la référence faite par le § 28 d'*Humanæ vitæ* concerne seulement « la lumière de l'Esprit Saint ».
Et cette phrase du § 28 veut dire : C'est pour cela principalement, c'est en raison de cette lumière et de cette assistance, qu'un assentiment religieux est dû à l'enseignement du Magistère.
Autrement dit : même si les « motifs allégués » ne vous persuadent pas, il reste que la considération du Magistère de l'Église, et de l'assistance dont il est favorisé, est un motif suffisant (et le motif principal) dans tous les cas pour entraîner votre adhésion.
27:129
Mais cela ne signifie nullement que les « motifs allégués » seraient négligeables, comme un ornement rhétorique sans valeur, mis là pour étoffer la sauce, simple bavardage sans portée. Quand le Magistère « allègue » des « motifs », il ne parle pas pour ne rien dire : il propose ces motifs eux-mêmes comme lumière pour l'intelligence. Il peut arriver que des catholiques ne parviennent point à entrer dans ces motifs. Quand c'est un épiscopat tout entier qui donne à entendre qu'il n'y entre point, et qu'il ne se soucie guère d'y entrer, encore moins de les expliquer et de les faire comprendre, on ne peut pas dire que l'on se trouve en présence d'une situation normale.
**2. **Mais *que recouvre au juste la distinction* faite par « l'épiscopat entre « l'enseignement fondamental » de l'encyclique et « les motifs allégués » ? La NOTE PASTORALE ne le précise point explicitement ([^17]) ; elle se donne l'apparence de simplement faire écho à la phrase citée du § 28 d'*Humanæ* *vitæ*. Or elle le fait dans un autre contexte.
28:129
L'encyclique disait : il y a les motifs allégués (nullement disqualifiés), mais il y a aussi et surtout l'assistance de l'Esprit Saint.
La NOTE PASTORALE, elle, en son § 18, traite des catholiques qui « ne parviennent pas à comprendre l'enseignement du Pape » et qui « mènent leur réflexion par des voies différentes ». Nous savons de qui et de quoi il est question en fait, bien que la NOTE PASTORALE ne le précise point : il s'agit des catholiques (et des docteurs en théologie) qui ont reproché à l'encyclique de conserver « *la vieille notion de loi naturelle *». Leur « réflexion » personnelle n'avait pas pris cette « voie », -- la voie de la loi naturelle, -- mais « des voies différentes » : différentes de celle du Pape en matière de loi naturelle. Ce faisant, ces catholiques sont en concordance avec l'épiscopat français, selon lequel, comme on sait, *l'acception des mots nature et personne est aujourd'hui différente de ce qu'elle était au V^e^ siècle ou dans le thomisme* ([^18]) : si l'on croit cela, comme l'épiscopat français le croit, le professe et l'enseigne, on ne croit plus que la loi (morale) naturelle puisse comporter rien d'immuable ; on ne croit plus qu'il existe une loi naturelle ; ou bien l'on croit qu'elle n'est rien d'autre que « l'expression de la conscience collective de l'humanité » ([^19]). -- La « réflexion » du Souverain Pontife se fonde sur la loi naturelle, la « réflexion » de certains catholiques, et de l'épiscopat français, a pris « des voies différentes ».
29:129
De quoi l'on peut conclure : pour l'épiscopat français, *la loi naturelle n'est pas un enseignement fondamental du Magistère, auquel serait dû un assentiment religieux *; elle passe dans la catégorie des « motifs allégués », qui sont désignés comme secondaires et facultatifs. Les prescriptions concrètes de l'encyclique sont examinées *abstraction faite de la loi naturelle*. Cette position, l'épiscopat français ne l'énonce qu'indirectement dans sa NOTE PASTORALE ; mais, si indirectement que ce soit, c'est bien cette position qui est énoncée.
Parce que l'énoncé de cette position est plus insinuant que catégorique, *Le Monde* a pu observer ([^20]) :
« On pourra lui reprocher de ne pas aller au fond des choses par peur, sans doute, de contribuer à miner l'autorité du Pape et de contester une certaine philosophie encore privilégiée dans l'Église. »
Aller (explicitement) au fond des choses, c'eût été dire en clair : la loi naturelle n'est pas un enseignement fondamental du Magistère ; ce n'est que « motif allégué », dans la perspective d'une « certaine philosophie » ou d'une certaine « voie de réflexion », ce n'est qu'un élément facultatif, transitoire, folklorique.
**3. **A aucun moment la NOTE PASTORALE ne prend en considération explicite ce qui crève les yeux, ce qui a suscité les plus grandes fureurs contre l'encyclique : à savoir que dans *Humanæ vitæ* le Pape parle en interprète autorisé de la loi naturelle.
30:129
A aucun moment la NOTE ne tente l'effort « pastoral » d'expliquer l'existence et la signification d'une loi (morale) naturelle. -- Pourquoi donc le Pape a-t-il tranché comme il a tranché ? -- Simplement parce que, dit l'épiscopat français, il a « *jugé qu'il ne pouvait en conscience abandonner l'enseignement de ses prédécesseurs *». C'est vrai : mais à soi seul, isolé de tous les autres « motifs », présenté comme unique raison digne d'être rapportée et utile à prendre en considération, cela devient un trait perfide. Le Pape a jugé qu'il ne pouvait abandonner l'enseignement de ses prédécesseurs : un autre Pape pourra demain en juger autrement. Et Paul VI en a jugé ainsi «* dans une vision pastorale des choses *» : le terme « pastoral », pour l'épiscopat français, s'entend par distinction d'avec « doctrinal ». Si le Pape a parlé comme il l'a fait, ce n'était donc pas pour énoncer *une loi de Dieu* qu'aucun homme n'a pouvoir de modifier, et sa « vision des choses » n'était pas *doctrinale *: elle était « pastorale », et les jugements pastoraux tels que les entend le plus souvent la terminologie française peuvent changer en fonction des circonstances. C'est bien un jugement circonstanciel que l'on attribue à Paul VI : il a jugé en somme qu'il n'était pas (encore) opportun, ou pastoralement possible, de contredire l'enseignement antérieur de Pie XI et de Pie XII ; il a estimé que les temps n'étaient pas venus, que le peuple de Dieu n'était pas suffisamment préparé, qu'une modification prématurée de la discipline en vigueur risquerait de trop scandaliser, et autres considérations semblables. En quoi d'ailleurs il s'est probablement trompé : mais enfin on reconnaît qu'il a « jugé en conscience », dans sa « vision pastorale des choses ».
31:129
Ainsi la NOTE PASTORALE expose (ou, selon les passages, contredit) les prescriptions de l'encyclique dans une perspective *uniquement disciplinaire*. Le Pape a le droit de formuler de telles prescriptions ; il aurait pu ne pas les formuler. La « soumission religieuse de la volonté et de l'intelligence » qui a été initialement proclamée par l'épiscopat français concerne des prescriptions concrètes dont le degré d'obligation est dissimulé ; elle ne concerne pas la doctrine catholique de la loi naturelle.
\*\*\*
Ces prescriptions et interdictions précises du § 14 d'*Humanæ vitæ* sont assurément, dans l'encyclique même, « replacées dans l'ensemble de la moralité » et « resituées dans la pensée générale de la morale », pour employer les termes dont use le Directeur de l'opinion Dominique Pichon. Seulement, ce que le Directeur appelle « ensemble de la moralité » et « pensée générale de la morale », *c'est pour l'encyclique la loi morale naturelle*. A partir du moment où l'on rejette cette loi naturelle au rang de simples « motifs allégués », transitoires et facultatifs, les prescriptions du 14 ne sont plus « placées » ni « situées » dans rien ; à partir du moment où on les a séparées de la loi naturelle, elles apparaissent en effet isolées. D'où l'effort de l'épiscopat français pour les *resituer* et les replacer : dans autre chose. Dans un « ensemble de la moralité » et dans une « pensée générale de la morale » qui ne sont plus la loi naturelle : mais qui sont la « moralité » et la « pensée morale » attribuées à la Constitution pastorale *Gaudium et Spes*.
32:129
C'est bien ce qu'explique de son côté le P. Wenger : la NOTE PASTORALE a pour fonction de montrer quelque chose que l'encyclique n'avait pas montré, à savoir « *comment l'enseignement du Pape s'insère dans la doctrine de Vatican II sur le mariage *» ([^21]). Ainsi donc, il existerait sur le mariage une doctrine propre à Vatican II, que l'on trouverait dans la Constitution, déclarée pastorale et non-doctrinale, *Gaudium et Spes *: et la doctrine catholique du mariage serait désormais celle-là et nulle, autre ([^22]). Le Pape a commis la faute de ne pas « insérer » son enseignement à l'intérieur de cette « doctrine ». Il a même commis une faute plus grande encore, puisqu'il a *inséré* explicitement son enseignement *dans une autre doctrine*, à laquelle il se réfère en ces termes (*Humanæ vitæ *; § 4) : «* la doctrine morale du mariage, doctrine fondée sur la loi naturelle *». Il y a de la sorte une concurrence entre deux doctrines de référence. Pour Paul VI, c'est la loi naturelle.
33:129
Pour l'épiscopat français et ses commentateurs autorisés, il convient de mettre désormais, *à la place* de la doctrine catholique de la loi naturelle, la « doctrine » de *Gaudium et Spes*. -- Ne dites pas que c'est la même chose : ce n'est pas la même chose pour vous, ce n'est pas la même chose pour les commentateurs autorisés et les porte-parole officiels de l'épiscopat français.
Vous dites *non* à la doctrine catholique de la loi naturelle et vous dites *oui* à la « doctrine » de *Gaudium et Spes *: c'est donc que vous voyez entre les deux une différence suffisamment substantielle pour fonder un choix aussi déterminé et aussi exclusif. Et vous élevez cette substitution au rang d'*orientation doctrinale*.
Car simultanément, voici que la Constitution *Gaudium et Spes* est transformée en « base » à partir de laquelle édifier une « théologie » nouvelle.
Cela figure en propres termes dans un autre document officiel de l'Assemblée, celui des ORIENTATIONS DOCTRINALES ([^23]) :
« Les évêques de France souhaitent vivement que les théologiens s'attachent à promouvoir la théologie, encore rudimentaire, des réalités terrestres, à partir de la base que constitue *Gaudium et Spes*. »
C'est l'aveu.
Et ce serait inénarrable si ce n'était aussi furieusement abominable.
34:129
**1. **La « théologie des réalités terrestres » est donc déclarée *encore rudimentaire*. Ils n'en savent rien et tels qu'on les connaît ils sont parfaitement incapables d'en juger. Ils en jugent pourtant. Avec une hauteur qui n'a d'égale que leur ignorance, ils jugent la théologie catholique, ils la jugent « encore rudimentaire » au chapitre des réalités terrestres. *Ils croient tout savoir sans avoir rien appris*, comme dans Molière. Ils jugent rudimentaire une théologie dont ils ignorent jusqu'au rudiment. Le scandale intellectuel d'une barbarie tellement gonflée de sa propre suffisance atteint à l'horreur des plus inimaginables scènes de cauchemar. Non seulement ils sont nuls en théologie, où ils multiplient, quand ils y touchent, bourdes, cuirs et pataquès, mais ils s'en vont prétendre que c'est la théologie catholique qui est nulle. Un tel spectacle inflige à l'esprit humain une humiliation sans bornes, humainement insupportable... Saint Augustin, saint Thomas, et tous les saints docteurs, et Pie XII, sont déclarés *rudimentaires* par l'actuelle collection d'évêques français. Les cadres ordinaires de l'impiété au front de taureau viennent de voler en éclats. Comparés à la science théologique de notre présente collection épiscopale, saint Benoît, et saint Bernard, et Cajetan, et Bossuet, et Jean de Saint-Thomas, et les Carmes de Salamanque, et saint François de Sales, et saint Alphonse de Liguori, et cent encycliques, sont donc jugés « encore rudimentaires ».
Intellectuellement, c'est inexpiable.
Et c'est, aussi, définitif.
35:129
La *théologie des réalités terrestres,* cela ne veut absolument rien dire, ou bien cela désigne la THÉOLOGIE MORALE. Les « évêques de France », lorsqu'ils décrètent que la « théologie des réalités terrestres » est « encore rudimentaire », ou bien n'expriment rien d'intelligible et ne savent même pas ce qu'ils veulent dire, hypothèse qui d'ailleurs ne saurait être écartée a priori, ou bien déclarent « encore rudimentaire » la THÉOLOGIE MORALE CATHOLIQUE. Dans leur esprit, oh certes, la théologie morale catholique est encore rudimentaire, elle est même au-dessous du rudimentaire, c'est là une évidence plus que solaire. Mais qu'ils comprennent ou non ce qu'ils profèrent, cela les regarde, il est monstrueux que de telles paroles puissent être proférées par « les évêques de France » collégialement assemblés. La théologie des réalités terrestres -- si elle est une théologie -- c'est la théologie de la loi naturelle, c'est la théologie des vertus, de la prudence, de la justice ; c'est la théologie des vertus théologales, qui sont vécues sur terre, et sur terre seulement pour les deux premières ; c'est la théologie des béatitudes, qui commencent sur terre. Rudimentaire ? Rudimentaire ! Comme Staline demandant combien le Pape avait de divisions, ou comme Gagarine assurant qu'il n'avait pas rencontré Dieu dans le ciel : ils sont installés à ce niveau. *Le barbare nie ce qu'il ne comprend pas,* et au lieu d'essayer de l'apprendre, il le tourne en dérision et bientôt le saccage. Les évêques de France ont opté pour UNE MORALE SANS LOI ET SANS VERTU ([^24]) : de fait, si vous enlevez à la théologie morale tout ce qui concerne les vertus et tout ce qui concerne la loi, il ne reste pas grand-chose : il reste surtout la « conscience » kantienne et post-kantienne.
36:129
Une théologie morale sans loi et sans vertus, après tout oui, c'est une théologie « encore rudimentaire » : c'est la leur, celle qu'ils se sont fabriquée avec un aveuglement sauvage. Je répète qu'ils infligent à l'esprit humain une humiliation sans bornes, je répète que cette humiliation est humainement insupportable. Nous n'avons plus là de recours que de nous jeter à cœur perdu dans le troisième des Mystères douloureux du Rosaire, celui de la mortification de l'esprit : le Couronnement d'épines.
**2. **La nouvelle théologie morale sera construite « A PARTIR DE LA BASE que constitue *Gaudium et Spes *». Par quoi nous retrouvons le fil de notre propos, qui paraissait un instant interrompu, mais ce n'était qu'une apparence. Pour une théologie, *la base* dont elle *part,* cela s'appelle équivalemment, et plus exactement, ses « principes ». Les principes de toute théologie sont LES ARTICLES DE FOI. Prendre *Gaudium et Spes* pour principe d'une nouvelle théologie, c'est élever *Gaudium et Spes* au rang d'article de foi. Pas moins !
37:129
Oui, nous avons ainsi retrouvé le fil de notre propos. La « théologie des réalités terrestres » que veulent et qu'appellent « les évêques de France » ne prendra plus pour « base » la loi naturelle qui, tout en n'étant pas inaccessible à la raison, a été révélée par Dieu dans ses principes essentiels et immuables. *A la place* de la révélation, la « base » sera *Gaudium et Spes,* qui se trouve élevée par le fait même, et quoi qu'il en soit des intentions, à la dignité de révélation nouvelle.
Qu'on n'aille point dire que les évêques de France ont voulu parler d'une *théologie naturelle *: car la théologie naturelle, tout en étant soumise elle aussi au contrôle du Magistère, ne trouve sa base ou ses principes dans aucun document ecclésiastique, mais seulement dans la raison et dans les faits. Une théologie qui prend pour « base » un document ecclésiastique n'est plus une théologie naturelle, elle est forcément une théologie révélée, elle appartient à la *sacra doctrina*. De quelque manière que l'on tourne ou retourne la question, il n'y a aucun moyen de fonder une THÉOLOGIE sur la « base » de *Gaudium et Spes *: pour une théologie naturelle, C'EST TROP, pour une théologie sacrée, C'EST TROP PEU. Mais nous voyons de mieux en mieux qu'avec la Constitution pastorale *Gaudium et Spes* on nous fait le coup de la Constitution-prétexte pour fonder sur cette « base » autre chose que ce qui était par elle annoncé.
C'est bien une nouvelle religion : SA THÉOLOGIE A UN FONDEMENT NOUVEAU. Elle se fonde sur *Gaudium et Spes,* C'est-à-dire sur l'idée qu'ils s'en font, sur l'intention qu'ils en avaient, sur les hérésies qu'ils tentèrent d'y déposer, et dont les ambiguïtés qui subsistent dans le texte portent en quelque sorte le reflet.
\*\*\*
38:129
La contradiction entre les prescriptions concrètes d'*Humanæ vitæ* (§ 14) et leur traduction « pastorale » dans la NOTE française (§ 16) : voilà le plus visible, et le plus lourd de conséquences immédiates. Pour cette double raison, c'est de quoi l'on parle le plus, aussi bien sous le rapport de l'atteinte portée à la norme objective de la morale que sous le rapport du hiatus perceptible entre l'épiscopat et le Saint-Siège.
Mais, si grave que soit ce qui vient de se produire, beaucoup plus grave en est la raison, et d'autant plus grave qu'elle est une raison permanente.
Moins visible. Plus profonde. Aisément perceptible, mais seulement à l'analyse philosophique et théologique. Si l'on rectifiait la lettre du § 16 de la NOTE PASTORALE pour la mettre en accord avec le § 14 de l'encyclique *Humanæ vitæ*, tout serait rétabli, tout irait bien en apparence. Mais rien n'irait mieux. Les prescriptions données par le Pape comme une expression de la loi naturelle seraient retransmises par la NOTE avec une pleine exactitude matérielle, et une terrible mutilation formelle : retransmises comme de simples stipulations disciplinaires.
Telle est L'HÉRÉSIE DU XX^e^ SIÈCLE. Elle était restée longtemps en accord matériel, extérieur, apparent avec le Saint-Siège. Selon son estimation du rapport des forces, elle cherchera ou non à retrouver cet accord-là Mais son esprit n'est pas l'esprit du Christ, sa foi n'est pas la foi catholique.
39:129
#### III. -- Interludes
Nous avions dans notre épiscopat, mais nous ne le savions pas, un grand massacreur d'Allemands devant l'Éternel. Modeste et caché pendant plus d'un quart de siècle, Mgr Boillon nous le découvre enfin : « J'ai tué quatre Allemands pendant la guerre. » Quatre, ce n'est pas banal, et Mgr l'évêque est un tueur hors de pair : il suffit d'un calcul très simple pour s'en rendre compte. Si chaque soldat français avait tué quatre soldats allemands, ou même trois, ou seulement deux, l'armée allemande, au lieu d'arriver aux Pyrénées en un mois, eût été taillée en pièces et anéantie ; et la face du monde en eût été changée. Quatre Allemands tués par un seul soldat français, voilà qui est beaucoup ; mais quatre Allemands tués par un prêtre ([^25]), sans être spécialement anti-militariste ni objecteur de conscience je trouve que c'est plus que beaucoup. Il faut assurément que les circonstances expliquent ce tour de force, mais Mgr l'évêque ne nous a point dit les circonstances, il nous a dit seulement que c'était « pendant la guerre », et c'est cela qui paraîtra un peu rapide, et passablement insuffisant, du point de vue de la théologie morale.
40:129
N'omettons point toutefois cette hypothèse : peut-être Mgr l'évêque a-t-il exposé les circonstances qui, en la matière, fournissent au jugement moral un élément indispensable et décisif. Et les journaux ne les auront point rapportées... Pourtant j'ai sous les yeux la relation apparemment la meilleure : celle de l'abbé René Laurentin, lui-même grand théologien et fin casuiste, de surcroît historien exact et scrupuleux, ainsi qu'on le sait, et plusieurs fois diplômé, comme il ne le laisse jamais ignorer. Si même l'abbé Laurentin a passé sous silence un élément essentiel des propos qu'il rapportait, à qui se fier désormais ? Il faudrait alors en conclure, comme nous-même l'avons fait pour notre part depuis longtemps, que certains des fameux « moyens de communication sociale », et notamment, parmi eux, les plus complaisamment employés, sont par nature impropres à transmettre les précisions les plus délicates et les plus nécessaires de la théologie morale ; ils sont en la matière des moyens d'*incommunication*, de non-communication, malgré l'apparence contraire, et fortement trompeuse ; ils sont des moyens de déformation et non d'information. Même en mettant toutes les chances de son côté : même quand l'exposé est fait par un homme aussi éminent que Mgr Boillon et même quand il est rapporté par un journaliste aussi loyal, aussi savant et aussi expert que l'abbé René Laurentin. La conférence de presse est un « genre » -- disons par lointaine analogie un « genre littéraire » -- foncièrement inadéquat à l'enseignement des vérités morales et religieuses. Telle est en tout cas notre opinion. C'est de moins en moins celle de l'épiscopat français.
41:129
On complètera le propos de Mgr Boillon en supposant avec bienveillance, et je l'espère avec vraisemblance, que les quatre Allemands tués par Mgr l'évêque étaient des soldats, et qu'ils ont été tués en combat. Cela va sans dire dans le cas d'un tel évêque ? Mais cela ne va pas sans dire quand justement on est occupé à enseigner la morale, et il est dommage que l'exposé omette de le préciser, invoquant seulement « la guerre » en général, comme s'il allait de soi qu'en temps de guerre le V^e^ Commandement du Décalogue se trouve universellement suspendu. Or il ne l'est point. Il garde au contraire toute sa force, ou devrait la garder. Qu'il y ait la guerre n'autorise pas à tuer purement et simplement, ni n'importe qui ou n'importe quand. L'état de guerre n'autorise pas à tuer les non-combattants, ni même les combattants quand ils sont, précisément, hors de combat : désarmés, blessés ou prisonniers. D'ailleurs la guerre, pour les chrétiens, et même pour beaucoup d'autres, ne consiste pas principalement à tuer, mais plutôt à être tué. Nous ne savons pas combien Péguy a tué d'Allemands en 1914, ni même s'il en a tué un seul : nous savons comment il y a été tué. Le métier militaire est celui où l'on fait d'avance le sacrifice de sa vie, et non pas celui où l'on collectionne les cadavres recensés de ses ennemis trucidés. La grandeur et l'honneur de ce métier viennent de ce qu'essentiellement on y peut recevoir en service commandé la mort à tout instant, et non de ce qu'accidentellement on peut être en situation de la donner.
42:129
Ni le métier militaire ni la guerre ne sont soustraits au V^e^ Commandement, voilà ce que je voulais dire, et que Mgr l'évêque semble bien n'avoir pas dit : cela aurait diminué d'autant la portée de la comparaison qu'il invoque entre le VI, Commandement supposé suspendu en temps de guerre, et les prescriptions d'*Humanæ* *vitæ* supposées suspendues en temps de concupiscence. Car ou bien Mgr Boillon parle pour ne rien dire, ou bien il veut dire qu'on peut utiliser la pilule comme il a tué des Allemands. Il y aurait lieu sans doute d'expliquer plus à fond les rapports entre la guerre et le V^e^ Commandement, c'est un exemple capital, où toute la morale se trouve en jeu ; mais elle est pareillement en jeu partout, et il nous faut déjà courir à l'affirmation suivante de Mgr l'évêque, qui ne nous laisse pas le temps de respirer.
C'était lors de la brillante conférence de presse qu'il tint à Lourdes pour présenter à l'opinion publique la NOTE PASTORALE adoptée par l'Assemblée plénière au sujet de l'encyclique *Humanæ vitæ*. ([^26]). Assurément, on a dû confier cette présentation à celui qui était le plus fort. Je veux dire non pas le plus fort pour tuer des Allemands, des Juifs ou des Turcs, mais le plus fort en théologie morale. C'est lui qui dirigeait les débats de l'Assemblée plénière sur cette question ([^27]). Voici donc ce qu'a dit ce champion :
43:129
« J'ai opéré une femme mère de huit enfants \[me confiait un chirurgien\]. C'était la deuxième césarienne... L'utérus en état désastreux. Son mari s'en fichait. J'ai fait une ligature des trompes. »
« Sur le moment je lui ai répondu : -- J'aime mieux que vous me disiez cela après qu'avant car je ne sais pas ce que j'aurais pu vous conseiller. -- Aujourd'hui je traiterais ce problème comme un conflit de devoirs. »
Donc, avant l'année 1968, Mgr Boillon, et à l'en croire tous nos évêques, ignoraient encore cette précieuse notion nouvelle : *le conflit de devoirs.* Le progrès de la théologie française, qui s'est poursuivi impavidement malgré l'opposition bornée des conservateurs et des obscurantistes, a fini par élaborer, juste à temps pour l'Assemblée de novembre 1968, cette notion superlativement moderne, sans laquelle nos évêques croupissaient dans l'embarras le plus paralysant. Si le « conflit de devoirs » avait été déjà découvert à l'époque où il parlait avec son chirurgien, Mgr Boillon n'aurait pas redouté d'être interrogé « avant », il aurait su quoi « conseiller ». Mais à l'époque il n'avait encore que l'enseignement explicite de Pie XII sur cette question : il ne lui serait pas venu à l'esprit de s'en aviser, encore moins de s'en inspirer.
On ne sait encore, au moment où nous écrivons ces lignes, à qui attribuer le mérite d'avoir enfin « élaboré » cette notion qui nous manquait : « le conflit de devoirs ». Selon le premier texte publié de la NOTE PASTORALE elle-même (§ 16), la découverte serait conciliaire, elle serait l'œuvre du § 51 de *Gaudium et Spes *: mais c'est insoutenable, ce paragraphe de la Constitution conciliaire ne contient ni le terme ni la notion ; et il dit le contraire ([^28]).
44:129
On s'est aperçu, non pas *in extremis,* mais un peu plus tard qu'*in extremis*, qu'une telle référence était saugrenue et même dangereuse : on l'a purement supprimée ([^29]). Les théologiens qui ont suggéré à l'épiscopat d'avoir recours à la notion de « conflit de devoirs » vont encore s'en mordre les doigts. Ils avaient bien calculé leur coup, sauf en ceci qu'ils n'avaient pas prévu que les évêques, se saisissant avec émerveillement de la « notion » qu'on leur glissait entre les mains, iraient en outre proclamer son étincelante *nouveauté *: une notion que nous avons seulement « aujourd'hui », assure Mgr Boillon. Ce qui met tout par terre : car une fois de plus ces évêques manifestent qu'ils n'entendent guère ce qu'on leur fait dire, et qu'ils n'y connaissent rien.
45:129
*Au Concile*, me confiait l'autre année un de leurs « experts » les plus en vue, *des textes pourtant très connus de l'Écriture que nous leur apportions étaient pour eux une découverte.* Les voici qui offrent à l'humanité et à l'Église ce qu'ils prennent pour la dernière invention du dernier progrès moderne de la théologie, et qu'ils ont un moment attribué, on ne sait pourquoi, au § 51 de *Gaudium et Spes *: « le conflit de devoirs ».
N'allez point leur murmurer que pour les conflits de devoirs, un certain Corneille... Ils risqueraient de vous répondre du tac au tac :
-- Mais parfaitement, nous tenons ce Korhn-Heil pour l'un des auteurs les plus positifs de la nouvelle vague marxiste, et vous voyez vous-même que nous n'hésitons pas à prendre chez lui la part de vérité...
\*\*\*
Mgr l'archevêque des bûchers de Rennes avait son tour de parole à la radio pendant l'Assemblée de Lourdes ([^30]).
46:129
« Comme les semaines précédentes, explique *Le journal la croix* ([^31])*,* les questions posées ont été trop nombreuses pour qu'il soit possible de répondre à toutes sur l'antenne, et Mgr Gouyon nous a confié trois réponses qu'il n'a pas eu le temps de faire de vive voix. » L'une de ces trois réponses est au contraire une réponse qui a été faite « sur l'antenne », et que j'y ai entendue de mes oreilles. Comme quoi les secrétaires se sont un peu embrouillés dans les textes préfabriqués par lesquels Mgr Gouyon faisait des réponses improvisées à des questions impromptues. Que voulez-vous, la mise en ondes a son côté de mise en scène.
A quoi nous devons d'avoir, imprimé dans *Le journal la croix,* ce texte mémorable :
« ...Je crois que la délatinisation de la messe répond à un besoin pastoral.
« Mais je ne suis pas pour les mesures radicales. Et je comprends que certains demandent que la disparition ne soit pas définitive ni absolue. C'est bien là d'ailleurs le souhait du Concile. Il n'est pas interdit, tout au contraire, de chanter encore au cours d'une messe un *Kyrie,* un *Gloria* ou un *Credo* et même un bel introït grégorien. »
Cela devait arriver. Il fallait bien qu'un jour ou l'autre quelqu'un nous parlât du *Kyrie* à propos de la DÉLATINISATION de la messe. C'est fait.
Sa Grandeur nous procure du même coup une notion nouvelle, encore une, qui viendra utilement relayer celle, déjà un peu usagée, de « l'esprit » du Concile : « *le souhait *» du Concile.
Le Concile, qui a promulgué une loi liturgique, a donc émis aussi, dans un autre genre littéraire, un « souhait », contraire à la loi promulguée, naturellement.
47:129
Si l'on fait abstraction de la loi et si l'on retient seulement le « souhait » (demeuré implicite, sans doute), on arrive à faire endosser au Concile la responsabilité de la *délatinisation de la messe,* de la *disparition du latin,* étant entendu que cette *disparition* ne sera toutefois, en théorie, *ni définitive ni absolue.*
La Constitution liturgique, appelée Constitution *De sacra liturgia* ou Constitution *Sacrosanctum Concilium,* a été publiée officiellement dans les *Acta Apostolicæ Sedis* du 15 février 1964. Vous en trouverez une traduction française dans la *Documentation catholique* du 15 décembre 1963, et dans un volume du Centurion-Bonne Presse avec une introduction de Mgr Jenny. Vous pourrez y relire les stipulations bien connues :
« Art. 36. -- § 1. -- L'usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé ([^32]) dans les rites latins. § 2. -- Toutefois, soit dans la messe, soit dans l'administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l'emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple : on pourra donc lui accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants. »
« Art. 101. -- Selon la tradition séculaire du rite latin dans l'office divin, les clercs doivent garder la langue latine ; toutefois, pouvoir est donné à l'Ordinaire de concéder l'emploi d'une traduction en langue du pays, conformément à l'art. 36, pour des cas individuels, aux clercs chez qui l'emploi de la langue latine est un empêchement grave à acquitter l'office divin comme il faut. »
48:129
« Art. 116. -- L'Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c'est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d'ailleurs, doit occuper la première place. »
Il n'est pas niable que, dans l'ordre de la causalité et de la succession historiques, la *délatinisation* de la messe est sortie des facultés, permissions et latitudes consenties par cette Constitution conciliaire. Il est possible de se demander, du point de vue de l'art du gouvernement des hommes, s'il était psychologiquement opportun de concéder de telles permissions en un tel moment d'universelle désintégration. Mais il est bien clair en tout cas que *conserver* ne signifie pas *supprimer,* qu'ouvrir éventuellement *une plus large place* ne veut pas dire imposer obligatoirement *toute la place,* et que les dispositions impératives de la Constitution conciliaire ont été bafouées « au nom du Concile », de son « esprit » et maintenant de son « souhait ». En faire la remarque ne suffira certes point à y changer quoi que ce soit : le désastre liturgique, il faudra plus d'un jour et plus d'une année pour le réparer ; ce sera une œuvre de longue haleine, qui actuellement n'est ni commencée ni même envisagée. Il reste que l'on nous a trompés par une inexpiable fourberie, celle qu'a dite Louis Salleron en termes définitifs ([^33]) *:*
49:129
« *La Constitution sur la liturgie est violée. Par un véritable coup de forcie, les bureaux ont décrété l'assassinat du latin, du chant grégorien et de la musique sacrée. Ils ont l'impudence supplémentaire de présenter leur entreprise comme une application des décisions conciliaires. Mais quand la Constitution déclare que* « *l'usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera observé dans les rites latins *» *et que* « *l'Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine *», *nul ne peut en conclure que cela signifie que le latin et le chant grégorien seront supprimés. Pour nous, laïcs, le blanc est le blanc, le noir est le noir, oui est oui, et non est non. On entend nous tromper, et nous tromper par un mensonge. Nous en rougissons doublement, comme hommes et comme catholiques*. »
Du moins, le saccage actuellement irréparable de la liturgie romaine aura servi à quelque chose, ce sacrifice n'aura pas été un sacrifice inutile. Il nous aura montré comment procède la subversion ecclésiastique, et ce que valent ses promesses, et sa déloyauté sans limites qui appelle une méfiance aussi étendue. Nous connaissons maintenant le *coup du latin,* variante ou analogue du fameux *coup du lapin,* je prie le linotypiste d'y accorder toute son attention et de ne pas s'y tromper. Le *coup du lapin,* avec un *p*, est un coup donné par derrière, et qui vous estourbit raide mort. Le *coup du latin,* avec un *t,* qui sera désormais aussi classique, est moins soudain, mais également par derrière ; sa surprise vient non de sa rapidité, mais de sa tromperie progressive et calculée, mise en œuvre avec un culot phénoménal ; le résultat définitif est identique.
50:129
Pour le latin lui-même, le *coup du latin* a consisté à utiliser une Constitution conciliaire qui ordonnait de le « conserver » mais permettait de donner éventuellement une place « plus large » au vernac et au volapuck : à ne considérer que le texte, personne n'aurait pu y voir ordonnée la « délatinisation », la *disparition* du latin, cette disparition fût-elle déclarée, en guise de consolation d'ailleurs trompeuse, « ni absolue ni définitive ». C'est pourtant la disparition qui a été organisée. Tel est le coup.
On nous refait partout le *coup du latin.* Et notamment pour le catéchisme. On invoque pareillement le Concile. Le COMMUNIQUÉ SUR LES NOUVEAUX CATÉCHISMES publié par l'Assemblée plénière comporte cette indication :
« Comme le demande le décret conciliaire sur la charge pastorale des évêques : dans cet enseignement \[du catéchisme\], on adoptera l'ordre et la méthode qui conviennent non seulement à la matière dont il s'agit, mais, encore au caractère, aux facultés, à l'âge et aux conditions de vie des auditeurs (*Christus Dominus,* n° 14). »
Cela va de soi. Ce n'est pas une découverte de Vatican II. On ne trouve là rien qui ordonne ou autorise l'interdiction de tous les catéchismes catholiques existants, ni leur remplacement par les seuls CATÉCHISME HOLLANDAIS et FONDS OBLIGATOIRE français. Mais c'est *le coup du latin.* On criera partout que « le Concile l'a dit », et que ceux qui refusent de marcher sont de tristes déchets, survivance anachronique et rétrograde d'une « mentalité anté-conciliaire ».
51:129
Peu importe que le COMMUNIQUÉ de l'Assemblée ait élégamment arrêté sa citation au bon endroit ; au milieu d'une phrase, à un simple point-virgule ; la phrase citée du Décret conciliaire (mais qui donc ira y voir ?) continuait en disant : « *cet enseignement sera fondé sur la Sainte Écriture, la Tradition, la Liturgie, le Magistère et la vie de l'Église *». La citation complète eût été inopportune, vu la place que font, ou plutôt que ne font pas les nouveaux catéchismes à « la Tradition » et au « Magistère de l'Église » : cela aurait pu donner à penser.
Si l'épiscopat s'est avisé seulement deux ans après coup de rattacher officiellement le national-catéchisme français à une citation tronquée d'un texte conciliaire, c'est peut-être, hypothèse finalement la plus honorable, l'hésitation devant l'emploi d'un tel procédé qui est la cause d'un retard aussi remarquable.
En mourant le latin nous aura rendu ce dernier service de nous faire voir clairement quelle sorte de coup en nous fait, désormais contre la foi elle-même.
*Le coup du latin *: il éclaire la méfiance quasiment illimitée avec laquelle nous considérons légitimement la manipulation du catéchisme, dont il faut parler maintenant.
52:129
#### IV. -- Le catéchisme
Dans son COMMUNIQUÉ SUR LES NOUVEAUX CATÉCHISMES ([^34]), l'Assemblée plénière a évité de reprendre à son compte les violences verbales du cardinal Lefebvre, de Mgr Gouyon et de Mgr Gand contre les « calomnies » des « détracteurs » et des « insensés ».
L'Assemblée plénière n'a pas cru non plus pouvoir reprendre à son compte la blague énorme de Mgr l'archevêque de Rennes, selon laquelle les nouveaux catéchismes auraient été fabriqués *en exécution docile de directives antérieurement données par Paul VI à l'épiscopat français* ([^35])*.*
Le COMMUNIQUÉ déclare principalement :
1° Que « les auteurs sont tout disposés à perfectionner » les nouveaux catéchismes « en tenant compte des critiques faites par les utilisateurs », mais seulement « après l'emploi généralisé de ces instruments de travail ».
53:129
Ce qui signifie que l'épiscopat ne veut admettre aucune critique *doctrinale *; il n'admettra que des critiques *pédagogiques,* et il les admettra *seulement après* que les nouveaux catéchismes auront été imposés et utilisés partout. Comme disait l'ancien règlement militaire : « La réclamation n'est permise au subordonné que lorsqu'il a obéi. » Mais quand il s'agit d'un Oradour des âmes, il vaut mieux réclamer *avant,* et n'y point participer, et y faire obstacle dans toute la mesure où on le peut.
2° Qu' « *il n'est pas sérieux de suspecter les évêques d'avoir donné leur visa à des manuels hérétiques *».
3° Qu' « *un catéchisme pour des enfants de neuf et dix ans n'est pas un catéchisme pour adultes *» et que « *ces manuels ne concernent qu'une étape de la formation religieuse *» ([^36])*.*
Les évêques français ont donc ainsi confirmé, renouvelé et approfondi leur engagement en faveur du national-catéchisme tel qu'il est. L'opinion soutenue par Louis Salleron avait pour elle une pleine vraisemblance psychologique et sociologique : à savoir qu'en 1966, lors de l' « approbation » du FONDS OBLIGATOIRE par l'Assemblée plénière, la plupart des évêques ne l'avaient probablement pas lu et certainement point étudié.
54:129
De mon côté je pensais surtout, comme d'ailleurs Salleron lui-même, que cette probable vérité psychologique et sociologique n'avait aucune importance pratique, ce qu'ils avaient décidé, à la légère sans doute pour plusieurs d'entre eux, resterait décidé. De fait, plus de deux années ont passé : aucun évêque n'a manifesté la moindre opposition au nouveau catéchisme. Au contraire, l'assemblée des évêques réitère l'approbation. Après deux ans de délai et huit mois de débats publics, on ne peut plus présumer la distraction. Ils ont d'ailleurs, chacun dans son diocèse, par des actes précis, ordonné la mise en place de nouveaux catéchismes, interdit presque partout l'utilisation de tous catéchismes antérieurs ou différents, et pour plusieurs d'entre eux, donné un *imprimatur* qui, s'ajoutant au « visa » de la Commission présidée par Mgr Gand, les engage personnellement.
« Il n'est pas sérieux de suspecter les évêques d'avoir donné leur visa à des manuels hérétiques. » Mgr Gand avait déclaré quelques jours plus tôt dans le même sens : « Il est injuste et inadmissible de prêter à la Commission épiscopale qui a étudié de près tous les ouvrages et donné son visa, l'intention d'introduire une nouvelle religion en France. » ([^37]) Ces protestations sont caractéristiques. Elles relèvent d'un *subjectivisme total,* au demeurant bien commode.
55:129
Mais nous ne SUSPECTONS pas les évêques de France : de toutes façons le stade du « soupçon. » est bien dépassé ([^38]) ; nous ne PRÊTONS aucune INTENTION à la Commission de Mgr Gand (dont le principal et décisif travail fut d'ailleurs accompli sous la présidence et selon les intentions de Mgr Ferrand, qui ne dit plus mot). Les intentions sont *inconnues*, sauf dans la mesure où elles sont éventuellement *déclarées.* Dans le FONDS OBLIGATOIRE, il y a de fréquentes *déclarations d'intentions*, qui sont dès lors, et dans cette mesure, un fait objectif. Mais enfin la critique élevée contre le national-catéchisme n'a pas consisté à PRÊTER ou à SUSPECTER une INTENTION. Au demeurant, il est vraisemblable qu'un hérétique n'a pas normalement *l'intention d'être hérétique *: il a normalement l'intention de dire la vérité, mais il se trompe.
56:129
Ce que nous affirmons et ce que nous avons prouvé ([^39]) (et nos preuves valent tant qu'elles n'ont pas été réfutées) c'est que les *textes* du FONDS OBLIGATOIRE sont étrangers et même contraires à la doctrine catholique sous trois rapports :
1° Plusieurs fois, par ce qu'ils disent formellement.
2° Souvent par ce qu'ils omettent de dire.
3°) Quasiment toujours, par les présupposés théologiques qu'ils impliquent nécessairement.
Que le FONDS OBLIGATOIRE « approuvé » par l'Assemblée plénière d'octobre 1966 soit indéfendable, nous en trouvons la confirmation externe dans le fait que l'épiscopat français ne le défend pas : il n'en parle plus. Il ne parle plus que des « manuels » et « livres » de catéchisme, comme si le FONDS OBLIGATOIRE n'avait jamais existé. Seulement, ces livres et manuels sont *officiellement déclarés,* point par nous mais par l'épiscopat, *conformes* au FONDS OBLIGATOIRE. Ils sont revêtus du « visa », précisément, du visa épiscopal, et ce visa atteste cette conformité (il n'atteste d'ailleurs rien d'autre et rien de plus). Il est ainsi rédigé : « *Visa de conformité au* FONDS OBLIGATOIRE *du catéchisme national du cours moyen, délivré par la Commission épiscopale de l'enseignement religieux *». Ce visa est signé : « *A. Gand, évêque de Lille, président de la Commission épiscopale de l'enseignement religieux *». Tous les manuels de catéchisme sont épiscopalement déclarés conformes à un FONDS OBLIGATOIRE qui n'est pas catholique :
57:129
et qui, d'abord et avant tout, comporte et impose comme obligatoires des versions falsifiées de l'Écriture sainte ([^40]), ce qui suffit à soi seul pour que la cause soit entendue. Il ne s'agit aucunement de supputer quelle *intention* épiscopale (ou peut-être, hélas, quelle absence d'intention) a bien pu présider à ces falsifications de l'Écriture : il suffit de les constater comme un fait, quelles qu'en soient les causes. On peut en outre constater que ces falsifications avaient échappé à l'examen épiscopal, si « approfondi » et « mûri » qu'il se prétende ; et que, signalées publiquement depuis dix mois maintenant, elles n'ont été ni regrettées, ni rectifiées, ni expliquées.
D'autre part, dès le début de l'année 1968, avant même la parution des nouveaux « manuels » (qui ne sont sortis qu'à l'automne), le *recyclage* catéchétique des prêtres et des catéchistes avait été entrepris *avec et selon le Fonds obligatoire.* C'est encore un fait, s'ajoutant au « visa de conformité » ou plutôt le précédant. L'épiscopat se tait maintenant sur l'essentiel, qui est le FONDS OBLIGATOIRE, nous en prenons acte, mais ce silence ne saurait empêcher que l'essentiel demeure l'essentiel.
Les « manuels » eux-mêmes sont tellement vides, tellement inconsistants, qu'ils ne paraissent contenir en général aucune hérésie. Pour contenir ou exprimer une hérésie, il faut contenir ou exprimer quelque chose, ce qui n'est pas le cas. Pour être hérétique, il faut être. Déjà le FONDS OBLIGATOIRE lui-même, en maints passages, échappe à l'hérésie par son inconsistance intellectuelle ; les « manuels » qui en sont issus et qui lui sont conformes présentent surtout l'apparence du néant.
58:129
C'est pourquoi, pour notre part, plutôt que de les déclarer « hérétiques » (à notre jugement personnel, et sous réserve du jugement définitif de l'Église), nous en disons plus volontiers : *ils ne contiennent plus les trois connaissances nécessaires au salut*. Mais il y a, comme dit Luce Quenette, *l'esprit* de toute cette machine catéchétique, qui est un esprit d'hérésie, qui est l'esprit de l'hérésie : car c'est l'esprit du FONDS OBLIGATOIRE. Le vide des manuels ne restera pas vide : il sera inévitablement rempli par l'esprit soi-disant nouveau. A ne prendre que les manuels en eux-mêmes et comme un phénomène supposé isolé, sans contexte spirituel et sociologique, ils n'entraîneraient peut-être rien d'autre et rien de plus que l'annulation pure et simple du catéchisme : sa paralysie, sa viduité, sa suppression. (Et ce serait déjà un événement formidable.) Mais ces manuels répondent à une pensée et, si l'on veut parler d' « intention », ils répondent à une intention déclarée : la pensée et l'intention déclarée du FONDS OBLIGATOIRE, qui sont étrangères et contraires à la foi catholique.
Les plus optimistes supposent que l'épiscopat, ayant aperçu après coup l' « erreur » du FONDS OBLIGATOIRE, entend s'en tirer subrepticement, en le rectifiant sans le dire au niveau des « manuels », des « livres du maître » et de l' « étape suivante ». Peut-être a-t-on eu quelque part cette bonne intention. Mais c'est impossible. Nous avons eu dix mois de recyclage catéchétique des prêtres et des catéchistes selon le FONDS OBLIGATOIRE (voire selon le CATÉCHISME HOLLANDAIS, ce qui d'ailleurs revient finalement au même) : ils enseignent déjà le FONDS OBLIGATOIRE, son esprit et son contenu.
59:129
Ce qui a été mis en route dans les intelligences et dans l'enseignement ne relève d'aucun COMPLÉMENT annexe ni d'aucun ADDITIF supposé rectificatif. C'est l'ensemble, c'est la totalité et c'est l'esprit qui doivent être radicalement rectifiés, c'est-à-dire que le FONDS OBLIGATOIRE doit être au moins annulé, au mieux refait. Nous n'en sommes pas là ; et plus le temps passe, et plus l'épiscopat s'engage et s'enfonce dans la voie prise en octobre 1966, plus ce sera difficile : à vues humaines, impossible. On n'a point affaire à des lapsus, des distractions, des omissions involontaires, des formules inadéquates par inadvertance : on a affaire à tout l'appareillage conceptuel d'une autre religion.
J'ignore si « la Commission » a eu cette « intention », ou une autre, ou aucune ; les « intentions » subjectives de Mgr Gand comptent d'autant moins que, je le répète, le FONDS OBLIGATOIRE n'a pas été fabriqué sous sa présidence, mais sous celle de Mgr Ferrand, qui a disparu de la circulation depuis bientôt un an, non sans avoir fait au préalable quelques mémorables déclarations (qui étaient d'ailleurs, plus d'une fois, des déclarations d'intentions auxquelles on peut utilement renvoyer Mgr Gand). Leurs intentions réelles, les uns et les autres peuvent en faire l'examen devant leur conscience, et ils en rendront compte à Dieu. Ce n'est pas du tout notre affaire. Qu'on daigne enfin cesser de nous encombrer avec d'invérifiables discours sur les intentions subjectives. Nous parlons de *l'objet*.
60:129
Nous parlons même de l'objet de la foi ; de son objet formel et de son objet matériel ; et de son *absence objective* dans la nouvelle littérature catéchétique : à commencer par le FONDS OBLIGATOIRE, texte de référence par rapport auquel est délivré le « visa de conformité ». Un tel visa de conformité est équivalemment un *visa de non-conformité* au catéchisme catholique.
\*\*\*
Dans sa conférence de presse en marge de l'Assemblée plénière, Mgr Gand a déclaré en outre, à propos du CATÉCHISME HOLLANDAIS, et cela est capital : « *Aucune directive n'a été donnée directement ou indirectement aux libraires catholiques pour leur en interdire la vente *» ([^41])*.* Mgr Gand ne pourrait pas dire semblablement qu'aucune directive n'a été donnée, *directement ou indirectement,* pour détourner les libraires (et les éditeurs) de mettre en vente les catéchismes antérieurs au FONDS OBLIGATOIRE, c'est-à-dire les catéchismes catholiques. Voilà donc, au niveau des *actes,* et quelles que soient les « intentions », ce que l'on *fait.* Diocèse après diocèse, et *en vertu d'accords au plan national* ([^42])*,* on RETIRE DE LA CIRCULATION tous les catéchismes catholiques, y compris le Catéchisme de saint Pie X, y compris le Catéchisme du Concile de Trente. Mais on n'interdit pas, fût-ce « indirectement », le CATÉCHISME HOLLANDAIS, et l'on s'en vante hautement.
61:129
Si nous tentions l'impossible entreprise de sonder les intentions profondes, nous verrions là, dans cet excès objectif de perversité, plutôt un signe d'inconscience subjective : en quoi d'ailleurs nous nous tromperions peut-être. Mais cette insoluble question n'est pas la question, je le redis encore, pour ne laisser aucune apparence d'excuse à ceux qui s'obstinent à détourner toute l'affaire en un chimérique débat d' « intentions ». Il y a les *textes*, il y a les *faits*, il y a les *actes.* Les catéchismes catholiques, fût-ce celui de saint Pie X, fût-ce celui du Concile de Trente, ne jouissent même plus en France de la tolérance ouvertement consentie au CATÉCHISME HOLLANDAIS. D'ailleurs personne n'a pu répondre rien à la question posée par l'abbé Berto :
-- *Quelle différence substantielle voyez-vous donc entre le Catéchisme hollandais et le Fonds obligatoire français ?*
Les questions de cette sorte, quand elles sont laissées sans réponse, se répondent d'elles-mêmes. S'il avait été possible d'établir, par voie d'exposé et d'argumentation, une différence substantielle entre le FONDS OBLIGATOIRE français et le CATÉCHISME HOLLANDAIS, on l'aurait fait depuis longtemps. On ne s'y est pas risqué.
On voit au contraire que ce sont *les mêmes,* Georges Hourdin en tête, qui prennent la défense du FONDS OBLIGATOIRE français et du CATÉCHISME HOLLANDAIS.
La réponse unique et universelle est le seul argument d'autorité :
-- *Voyons, vous n'allez tout de même pas sérieusement supposer que des évêques, et qui plus est, les évêques de France, puissent être hérétiques ?*
62:129
Au point où nous en sommes cette unique réponse ne répond plus à rien. La CAUSE PROPORTIONNÉE à tout ce qui SE DIT, SE PASSE ET S'ENSEIGNE dans l'Église de France est forcément, d'une manière ou d'une autre, de la catégorie de l'hérésie, sans exclure d'ailleurs d'autres catégories. L'épiscopat français en a fait *davantage,* surtout à partir de 1966, que n'en avait fait l'épiscopat anglais au début de l'anglicanisme : il est *déjà* beaucoup plus loin. C'est en octobre 1966, comme nous l'avons dit, qu'à vues humaines et sauf miracle il a ouvertement franchi le point de non-retour.
63:129
#### V. -- La tension a changé
Nous avons suivi avec une grande attention et un vif intérêt ce que la presse nous a fragmentairement rapporté des trois principaux rapports présentés avec tant de brio à l'Assemblée plénière : celui de Mgr Schmitt, celui de Mgr Matagrin et celui de l'évêque dont malheureusement le nom m'échappe toujours depuis 1965, l'évêque du « schisme pour décembre ». Ce que les journaux en ont dit, et aussi la personnalité de leurs auteurs, laisse supposer que ces trois rapports ont en effet une grande importance. Plusieurs affirmations carrément contraires à la foi chrétienne leur ont été attribuées, entre guillemets ou en style indirect. Mais la publication intégrale est annoncée. Avant d'avoir en main leur texte authentique, nous n'en dirons pas un mot.
\*\*\*
64:129
En tous cas, les choses se découvrent peu à peu. Elles en viennent à rétrospectivement éclairer ce qui s'est réellement passé pendant le Concile. Toute une presse interprétait alors les actes conciliaires dans un sens contraire au sens catholique. Nous avions plus souvent le soupçon que la preuve que cette assurance arrogante, les journalistes ne la tiraient pas d'eux-mêmes, mais qu'ils y étaient encouragés. Ce que les évêques n'ont point dit alors, ou guère, se contentant de le laisser dire et de le faire dire, ils le disent maintenant. Nous avions été amenés à supposer de plus en plus que MM. Fesquet, Laurentin, Rouquette et leurs analogues ne tiraient pas de leur propre initiative et de leur propre fonds les inventions convergentes qu'ils livraient au public avec tant d'aplomb. Depuis lors, beaucoup d'évêques ont pris eux-mêmes la parole, individuellement ou « collégialement », dissipant toute incertitude. Les phrases ambiguës de *Gaudium et Spes* tirées dans leur sens le plus incroyable, ce n'était pas fantaisie de journalistes : ils avaient reçu orientations et confidences. Non seulement l'interprétation incroyable venait de plus haut, mais encore ces phrases à double sens avaient été placées à dessein là où elles se trouvent. Le Pape se « réservait » la question traitée par *Humanæ vitæe :* mais on avait bien la volonté d'hypothéquer ce que pourrait dire le Pape, d'anticiper sur sa réponse, « l'orienter et de la limiter : et maintenant, sans pudeur, on déclare vouloir « resituer » l'encyclique dans le cadre de ce que l'on avait déposé, on cru déposer, dans *Gaudium et Spes*. Il est vrai, comme *L'Osservatore romano* s'est attaché à le montrer, qu'*Humanæ vitæe* est en continuité avec la Constitution *Gaudium et Spes* interprétée dans un sens catholique.
65:129
Mais il est à peu près aussi vrai que le contraire d'*Humanæ vitæe* peut se réclamer d'une autre interprétation de *Gaudium et Spes,* moins conforme au sens catholique mais plus conforme aux arrière-pensées des auteurs de diverses équivoques figurant, au moins à l'état de traces, dans cette Constitution pastorale. Les interprétations délirantes qui pouvaient paraître, au moment du Concile, bévues de journalistes ignorants, étaient la traduction à peine romancée d'une pensée concertée, et ces traducteurs fidèles étaient parfaitement au courant : au courant des sentiments, des volontés, des arrière-pensées de l'épiscopat. Lequel, aujourd'hui, exprime en enseignements explicites et formels ses arrière-pensées d'avant-hier.
De 1960 à 1965, les articles de MM. Fesquet et Laurentin contenaient en substance ce que l'épiscopat déclare lui-même depuis 1966.
Ce dévoilement explique pourquoi *la tension* est devenue extrême (et insupportable aux seules forces humaines) à l'intérieur du catholicisme français : les évêques ont ouvertement jeté le poids de leur autorité morale dans la balance, en faveur de ce qui passait jusque là pour idées extrêmes de journalistes irresponsables. Si je compte bien, c'est depuis les années 1965-1966 que s'est peu à peu produit ce changement. Auparavant, les évêques n'employaient guère que des moyens indirects, qui se résumaient à la prépotence ou au monopole de certaines équipes dans la presse, dans l'administration ecclésiastique, dans ce qui était l'Action catholique. Cette prépotence, nous comprenons mieux aujourd'hui, nous comprenons en toute clarté, qu'elle n'était ni subie ni tolérée, comme on le laissait croire, mais voulue et activement soutenue.
66:129
Quand le rédacteur en chef de *Témoignage chrétien* révélait après coup qu'à partir de 1950 (cinquante) « tous » les articles parus dans la presse catholique française devaient être compris dans une perspective de résistance à Rome ([^43]), il parlait d'un état d'esprit et d'une action qui étaient soutenus par les éléments dirigeants de l'épiscopat, même si les exécutants du niveau de Georges Suffert ne le savaient pas toujours à l'époque et quelquefois s'y trompaient, ainsi qu'il l'a raconté. Et quand en 1955 je publiai deux volumes qui d'aucune manière ne mettaient en cause l'épiscopat, mais seulement ce que j'appelais la « non-résistance » au communisme de plusieurs journaux catholiques, j'eus la surprise de voir la direction de l'épiscopat (c'était alors l'Assemblée des cardinaux et archevêques) se dresser résolument contre ces deux volumes et défendre une presse dont on spécifiait pourtant d'autre part qu'elle n'engageait aucunement les évêques. Elle n'engageait aucunement les évêques ? C'était surtout pour Rome qu'on le disait, mais les évêques la soutenaient, la protégeaient, la privilégiaient efficacement, quelquefois sous le couvert d'anodins rappels à l'ordre mis en scène pour la galerie et pour le Saint-Siège.
67:129
On peut relire aujourd'hui, si l'on en a la patience et le loisir, ces deux volumes de 1955, *Ils ne savent pas ce qu'ils font* et *Ils ne savent pas ce qu'ils disent* ([^44]) : treize et quatorze années après, on mesurera combien nos observations d'alors, précises et limitées, ont été plus que confirmées par la suite des événements. Les « non-résistants » allaient bien où nous disions qu'ils allaient, ils sont même allés beaucoup plus loin, comme on peut le constater : et non seulement les équipes protégées par l'épiscopat, mais l'épiscopat lui-même, découvrant enfin ses pensées et ses arrière-pensées. La DÉCLARATION DU CONSEIL PERMANENT ([^45]) en date du 20 juin 1968 dépasse infiniment ce que je reprochais aux « non-résistants » de 1955, et que l'épiscopat me reprochait de leur reprocher. On organisait bel et bien non seulement la non-résistance systématique et délibérée, comme je disais en 1955, mais le ralliement actif à la Révolution marxiste. On veillait seulement à ne pas inquiéter Rome, et à ne pas non plus scandaliser le peuple fidèle, car il fallait qu'il suive peu à peu, doucement, les yeux fermés. De 1950 à 1966, si vous étiez résolument anti-communiste, vous ne trouviez apparemment contre vous dans l'Église de France que les équipes de la prépotence, sans qu'il soit prouvé qu'elles étaient volontairement soutenues par l'épiscopat sur ce point. Depuis 1966, et plus encore depuis mai 1968, vous trouvez en face de vous l'épiscopat lui-même. Vous ne pouvez plus combattre le marxisme et le communisme sans être en désaccord public, en opposition flagrante avec l'épiscopat français. Si vous restez docilement soumis à l'épiscopat, vous êtes conduits à l'acceptation progressive de la Révolution marxiste.
68:129
Assurément, c'est un cas de conscience, et ce n'est pas moi qui nierai tout ce qu'il comporte de délicat et d'épouvantable. Je ne prétends nullement imposer à qui que ce soit de le résoudre comme je l'ai résolu pour ma part. Je récuse seulement les chimériques (ou peut-être les hypocrites, je n'en sais rien) qui s'attardent encore à prétendre que ce cas de conscience ne se poserait pas, ou ne se poserait pas dans ces termes-là.
Les doctrines du P. Chenu ont été soutenues, longtemps en secret, par l'épiscopat français. Quand on s'y opposait en 1950 ou en 1960, on pouvait croire ne s'opposer qu'à une école parmi d'autres : c'était néanmoins une opposition constamment poignardée par l'épiscopat français, y employant des moyens plus ou moins indirects. Mais on pouvait encore imaginer, presque autant qu'on le voulait, qu'il y avait là une cascade de malentendus, et qu'en tous cas l'épiscopat n'était pas vraiment engagé derrière les doctrines du P. Chenu. Depuis 1965 on ne peut plus soutenir une telle illusion. Car c'est le moins extrémiste de nos évêques, c'est le cardinal Feltin en personne qui a présidé à la « réhabilitation » du P. Chenu et qui à cette occasion lui a officiellement avoué cette énormité : « *Vos écrits et vos discours nous ont appris ce que l'Église et sa théologie demandaient dans les circonstances présentes *» ([^46]). Un tel aveu pèse lourd et il faut en soupeser tout le poids. On ne pouvait plus dès lors douter ou nier.
69:129
Quand nos évêques nous enseignent ou nous insinuent « ce que l'Église nous demande dans les circonstances présentes », ils nous enseignent ou ils nous insinuent ce qu'ils ont d'abord appris dans le P. Chenu. Si nous écoutions docilement nos évêques, c'est aux doctrines du P. Chenu qu'ils nous conduiraient. Si nous continuons à critiquer et à refuser les doctrines du P. Chenu, nous ne pouvons plus le faire qu'en désaccord public et qu'en opposition flagrante avec l'épiscopat. C'est un cas de conscience ? Bien sûr. Qu'il appartient à chacun de résoudre selon les responsabilités de l'état qui est le sien. Je ne prétends en dicter à personne une solution préfabriquée. Mais je conteste les boniments de ceux qui tentent encore de nous faire croire que ce cas de conscience ne se poserait pas.
Il en va de même sur tous les points ou presque, en tous cas sur tous les points les plus importants. Les organes collectifs de l'épiscopat français ont *pris parti,* ouvertement, officiellement, en faveur de doctrines, d'attitudes, de pédagogies hétérodoxes et révolutionnaires que nous avons toujours combattues et que nous n'accepterons jamais. Nous découvrons, maintenant en toute certitude, qu'ils avaient pris parti depuis longtemps, mais c'était en secret, ou discrètement, et l'on pouvait jusqu'en 1965 maintenir la fiction vraisemblable qu'en combattant les doctrines du P. Chenu ou le mouvement de ralliement progressif au marxisme on ne combattait pas les volontés de l'épiscopat. Cette fiction n'est plus soutenable, elle a pris fin, elle a été renversée par l'épiscopat lui-même, prenant position peu à peu et de plus en plus clairement en 1965, en 1966, en 1967, en 1968.
70:129
Si aujourd'hui vous voulez être fidèles à l'enseignement de Pie XII, de saint Pie X, de vingt Conciles œcuméniques, si vous vous efforcez d'être fidèles à la loi naturelle, à la liturgie romaine, au catéchisme catholique, vous ne rencontrez plus seulement l'opposition d'équipes dont la prépotence dans l'Église de France était discrètement organisée par l'épiscopat : vous le faites en désaccord public et en opposition flagrante avec les positions de plus en plus explicites officiellement déclarées par un nombre croissant d'évêques et par les organismes dirigeants de l'épiscopat depuis deux et trois ans. Situation nouvelle, non pas dans sa réalité profonde, mais dans son caractère maintenant avoué, découvert, affiché. Ce n'est pas nous qui avons créé cette situation nouvelle. Ce n'est pas nous qui avons changé, ce n'est pas non plus la sainte Église qui a changé en ce qui concerne le marxisme, les doctrines du P. Chenu et de ses amis, la loi naturelle, la liturgie romaine, le catéchisme catholique. C'est l'épiscopat français qui a rendu de plus en plus publiques et officielles des positions qui étaient déjà les siennes, au moins virtuellement, mais en faveur desquelles il s'était gardé jusque vers 1965 d'engager ouvertement et directement son autorité. La tension qui en résulte a non seulement grandi : elle en a changé de nature. Nous n'y sommes pour rien. Les choses étant ce qu'elles sont, c'est-à-dire illégales, illégitimes, violentes, oppressives, il est inévitable que la tension soit devenue d'une autre essence, d'une autre, gravité, d'une autre portée. Il n'y a jamais de fidélités faciles. La fidélité difficile à la loi naturelle, à la liturgie romaine, au catéchisme catholique comporte aujourd'hui de nouveaux devoirs, dont nous demandons à Jésus doux et humble de cœur de nous inspirer l'exacte mesure.
\*\*\*
71:129
Les ORIENTATIONS DOCTRINALES publiées par l'Assemblée plénière de novembre 1968 marquent une étape supplémentaire du mouvement épiscopal vers le marxisme ; disons plus précisément : de l'installation d'une pensée marxiste à la place de la pensée chrétienne. Le document contient encore quelques formules qui sont littéralement chrétiennes et catholiques, mais qui sont annulées par ces deux phrases :
« Saurons-nous, à force de lucidité et de générosité, utiliser les prodigieuses possibilités offertes par les sciences et les techniques pour lutter contre tout ce qui aliène l'homme et faire progresser partout la justice et la paix ? Serons-nous capables de mener ce combat en faisant appel à la conscience et en suscitant des libertés ? » ([^47]).
De telles ORIENTATIONS DOCTRINALES ne peuvent plus, quoi qu'elles disent par ailleurs, être reconnues comme des orientations chrétiennes.
**A. **Première phrase. Elle paraît interrogative. Mais l'interrogation porte sur : *saurons-nous utiliser*. La phrase contient aussi une affirmation catégorique : *les sciences et les techniques offrent de prodigieuses possibilités pour lutter contre tout ce qui aliène l'homme.*
72:129
Là-dessus, aucune interrogation. C'est une vérité assurée : pour lutter contre *tout,* contre TOUT, contre TOUT ce qui aliène l'homme, les sciences et les techniques offrent de prodigieuses possibilités. Saurons-nous les utiliser, c'est une question, c'est la question, c'est l'interrogation posée. Ce qui demeure incertain, c'est si nous saurons utiliser ces possibilités. Ce qui est certain c'est que ces possibilités offertes par les sciences et les techniques sont prodigieuses pour lutter contre *tout* ce qui aliène l'homme. Nous ne sommes pas ici en présence d'un développement rhétorique ou « pastoral ». Pour une fois, nous sommes en plein DOCTRINAL. Et vous avez bien lu. Mais oui. Ce qui aliène l'homme, tout ce qui aliène l'homme, relève des possibilités scientifiques et techniques. C'est donc de l'aliénation marxiste qu'on nous parle ; dans une problématique marxiste ; nous sommes en plein marxisme.
Là-contre le chrétien sait que la principale « aliénation » de l'homme, la plus profonde, et en un sens la seule, la seule en tous cas pour quoi il y a des évêques et une Église, est le péché : le péché originel et le péché actuel, que les ORIENTATIONS DOCTRINALES ne connaissent plus. La véritable « lutte » contre l' « aliénation » n'est pas de l'ordre des sciences et des techniques, elle est de l'ordre de la conversion. Tel est le désaccord public et l'opposition flagrante de n'importe quel chrétien avec cette *orientation doctrinale* de l'épiscopat français.
73:129
Les sciences et les techniques ne sont ni méprisables, ni inutiles. Elles offrent de prodigieuses possibilités en même temps qu'elles font courir des dangers prodigieux. Savoir les utiliser est en effet un important problème. Mais les croire utilisables contre *tout* ce qui aliène l'homme, et l'affirmer EN DOCTRINE, est une pensée naturaliste, rationaliste et marxiste bien digne des auteurs du nouveau catéchisme.
C'est effarant ? Je ne vous le fais pas dire. Mais ce n'est pas moi qui l'invente. Ce sont les nouvelles ORIENTATIONS DOCTRINALES.
**B. -- **Seconde phrase. « En suscitant des libertés. » Pourquoi « des » libertés, non précisées, plutôt que « les » libertés précisément conformes au droit naturel ? Phrase vague, vide, qui paraîtra purement rhétorique si on la considère isolément. Mais elle ne l'est pas : elle n'est pas isolée, elle n'est pas vide. Elle est DOCTRINALE. Elle a un contexte, elle vient après la phrase précédente, qui considère que la lutte contre l'aliénation relève d'une certaine utilisation des sciences et des techniques. La première phrase affirme ce qu'affirme le socialisme (marxiste). La seconde phrase pose donc en substance « le problème » actuellement à la mode chez les marxistes : *comment concilier le socialisme et la liberté ?* Tous les magazines et toutes les radios ne parlent que de cela. Cette fièvre de recherche socialiste, les évêques y sont présents. Ils accueillent la Révolution, ils l'ont déjà dit par leur DÉCLARATION du 20 juin 1968 : mais en faisant « appel à la conscience » et en se préoccupant d'y « susciter des libertés ». C'est la problématique du P.S.U. et du néo-marxisme.
74:129
Pour le chrétien, il n'y a pas « des » libertés, n'importe lesquelles, pourvu qu'on arrive à en « susciter » à l'intérieur du socialisme. Il y a « les » libertés, exactement définies, qu'il faut maintenir, défendre ou rétablir (notamment contre le socialisme). L'opposition est publique, le désaccord est flagrant.
\*\*\*
Notre propos, on voudra bien le noter, est en quelque sorte documentaire. Autant qu'il est en nous, nous disons *ce qui est.* Nous n'avons pas dit *ce qu'il faudra :* ce qu'il faudra faire si une telle situation, comme il est probable, se prolonge. Nous n'avons proposé au lecteur aucune ligne de conduite, hormis bien sûr de demeurer inébranlablement fidèle, avec la grâce de Dieu, à la loi naturelle, à la liturgie romaine, au catéchisme catholique. Cela va sans dire. Mais cela va commander, de plus en plus, des actes. Notre propos présent n'est aucunement d'insurger qui que ce soit contre les évêques actuels ; il n'est pas non plus le propos contraire. Il se limite à prendre la mesure d'une « situation », comme disait Péguy : d'une situation qui elle-même est en constant développement. Une telle analyse descriptive est notre première responsabilité, la plus immédiate, de publicistes et de chroniqueurs. Elle nous expose, et nous oblige, à manifester une opposition publique, un désaccord flagrant avec les documents officiels publiés par l'Assemblée plénière de novembre 1968, et déjà avec ceux qui étaient issus de l'Assemblée plénière d'octobre 1966.
75:129
Mais nos lecteurs ne sont eux-mêmes, en général, ni chroniqueurs ni publicistes de leur état, leurs responsabilités sont autres. Ils ont à comprendre ce que nous disons, ils n'ont point, en principe et dans la plupart des cas, à nous imiter. Le plus souvent ils vivent en fait très loin de l'évêque et sans contact personnel avec lui. Il leur est facile d'éviter jusqu'à l'apparence d'une friction avec l'épiscopat : il faut toujours, dans toute la mesure licite, tâcher de l'éviter. Pratiquement, nous leur avons recommandé et nous leur recommandons à nouveau d'*étudier méthodiquement le catéchisme catholique,* pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Il est peu probable que ce soit l'évêque en personne qui vienne tenter de le leur arracher des mains : une telle violence directe sera forcément peu fréquente. Nous ajoutons qu'ils seraient très mal armés pour n'importe quelle action religieuse éventuelle aussi longtemps qu'ils ne connaîtraient pas à fond le Catéchisme du Concile de Trente, ou au moins le Catéchisme de saint Pie X. Qu'ils se préparent donc à toute éventualité, dans la prière et dans l'étude. *Telle est pour le moment notre consigne pratique,* et il ferait beau voir que quelqu'un osât venir nous reprocher d'avoir incité nos lecteurs à étudier le Catéchisme de saint Pie X et le Catéchisme du Concile de Trente. Nos responsabilités de publicistes et de chroniqueurs sont malheureusement beaucoup plus publiques, et nous nous y débrouillons comme nous pouvons, mais encore une fois ce ne sont pas les vôtres, et vous n'avez pas normalement à assumer les risques auxquels pour notre part nous ne pouvons nous dérober. Nous les assumons pour vous tenir au courant, vous exposer le cours des choses, vous expliquer ce qui se passe.
76:129
Nous vous demandons de réfléchir, nous vous demandons d'étudier, nous vous demandons de vous préparer, par la ferveur priante et le studieux labeur de vos petites communautés chrétiennes. Ce que nous vous demandons de *faire* là est en tous cas d'une légitimité indiscutable : la prière, le catéchisme, l'entraide fraternelle, la fidélité. N'allez pas de vous-mêmes au devant des heurts et des conflits, pensez que souvent vous ne seriez pas encore en état de les soutenir contre des sophistes et des persécuteurs habiles à vous tromper ; bien entendu ne cédez jamais si l'on vous provoque à quelque apostasie, tenez bon sous le regard et avec l'aide de Dieu, mais ne prenez aucune initiative inutile ou prématurée. Amis lecteurs, comprenez, étudiez : demain peut-être vous aurez le plus grand besoin d'avoir personnellement étudié à fond le catéchisme catholique, et peut-être aussi toutes les occasions de dépenser sans compter une générosité ardente et courageuse ; et solidement éclairée. *Ne provoquez de vous-mêmes aucun affrontement ni aucune rupture.* Ne prenez pas les devants. Demeurez à l'intérieur des responsabilités les plus certaines de votre état de vie : vos responsabilités d'aujourd'hui, sans anticiper sur ce que seront éventuellement vos responsabilités du lendemain. L'extrême gravité de notre situation religieuse requiert de tous un extrême sérieux et un extrême sang-froid.
77:129
#### VI. -- Les bavures
Dans son étincelante conférence de presse déjà citée, Mgr Boillon a révélé que pour adopter leur NOTE PASTORALE, les évêques français avaient été « *unanimes à deux ou trois bavures près *» ([^48])*.* Ces deux ou trois « bavures » sont les deux ou trois évêques qui n'ont pas approuvé. Il y a donc eu au moins deux ou trois « évêques-bavures » ; on nous assure même qu'il y en eut quatre ([^49]). Rien n'indique à coup sûr que nous puissions les considérer comme nôtres, les raisons pour lesquelles ils n'ont pas approuvé ne sont pas connues. Peut-être, hypothèse qui n'est pas à exclure, ont-ils trouvé que les textes adoptés par l'Assemblée n'étaient pas encore assez naturalistes, assez rationalistes, assez marxistes. Peut-être Mgr Paul-Joseph Schmitt est-il l'un de ceux qui ont voté contre ou qui se sont abstenus.
78:129
Les diverses proclamations de l'épiscopat s'inspirent largement de la religion de Saint-Avold, dont le principal Docteur était à la direction des travaux doctrinaux. Cependant, les sept propositions de la religion nouvelle n'ont pas été littéralement reproduites dans ces proclamations : telle est peut-être la cause de l'opposition ou de l'abstention des quatre « évêques-bavures ». Ce n'est pas impossible mais c'est peu vraisemblable, pour la raison suivante.
Si les abstentionnistes et les opposants avaient été des religionnaires de Saint-Avold, Mgr Boillon ne les aurait pas appelés des « bavures » : il nous aurait plutôt invités au « respect des consciences en désaccord », et il aurait manifesté à leur endroit de la déférence et non de l'insolence. Des « évêques-bavures », ce ne peut être raisonnablement que des évêques encore attachés à la loi naturelle et à l'enseignement du Saint-Siège : les chrétiens de cette catégorie, fussent-ils évêques, sont dignes de tous les mépris.
Une telle considération n'atteint peut-être pas à la certitude scientifique, mais elle s'en rapproche beaucoup.
Dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons donc assurer formellement à nos lecteurs que sur les 108 évêques ayant participé au vote en question, il y en a quatre qui désapprouvent les proclamations non catholiques de l'Assemblée plénière. Nous ne pouvons l'assurer mais il semble que nous puissions raisonnablement l'espérer.
Quatre évêques fidèles, c'est plus qu'il n'en faut.
A certains moment de l'histoire de l'Église, il n'y en avait point tant.
79:129
Il n'y en avait point tant pour prendre publiquement position. Il y en avait sans doute beaucoup, qui demeuraient fidèles honteusement, qui s'abstenaient plus ou moins, qui auraient peut-être poussé le courage jusqu'à émettre un vote anonyme et secret, comme nos quatre « évêques-bavure ».
Par parenthèse, concernant le respect dû aux évêques (aux évêques catholiques), vaste question que je ne traiterai pas au fond, du moins cette fois-ci, je ferai remarquer à ceux qu'effarouchent mes observations *doctrinales* que je ne suis jamais allé jusqu'à traiter de « bavure » quelque évêque que ce soit. Comme on peut le voir, j'analyse leurs textes et leurs actes publics, je ne m'en prends point à leurs personnes. Mais les formes extérieures que le respect des personnes peut revêtir selon les temps et les lieux sont extrêmement variables et dépendent des usages établis. La règle à l'égard des évêques est d'abord d'observer comment ils se traitent entre eux ; et c'est bien ainsi qu'ils l'entendent : quand ils ont voulu se faire appeler « Monseigneur », ils n'ont promulgué aucun décret, ils ont simplement commencé eux-mêmes à se donner du « Monseigneur » les uns aux autres. Maintenant ils se donnent de la « bavure ». J'observe et je prends note, en déclarant toutefois que cette licence nouvelle qui vient d'entrer dans l'usage, je n'ai point l'intention d'en user pour ma part. Fin de la parenthèse.
Les quatre évêques qui n'ont pas voté l'approbation l'ont fait pour des raisons superficielles ou pour des raisons fondamentales. Si c'est pour des raisons fondamentales, ce sont alors nos raisons, ou des raisons analogues : des raisons en tout cas de la même catégorie. Ils ont estimé en conscience que les positions de l'Assemblée plénière ne sont pas catholiques. Il leur reste maintenant à porter le témoignage public de la foi.
80:129
Oh ! non point forcément par des déclarations fracassantes. Aussi modestement qu'ils le voudront. Mais certainement en restaurant intégralement la foi, les mœurs et la discipline *dans leur diocèse.*
Si l'un de ces quatre évêques s'y décidait fermement, je puis lui garantir qu'il verrait fondre sur lui une énorme persécution en papier mâché : tous les magazines érotico-mondains, à commencer par ceux qui portent le nom catholique ou chrétien, le dénonceraient à l'opinion publique comme ils l'ont fait par exemple pour Mgr Marcel Lefebvre (qui n'en est pas mort). Il n'aurait d'ailleurs qu'à interdire cette presse aux fidèles de son diocèse (qui déjà ne la lisent pas, ou ne la lisent que par quiproquo), et tout serait dit. Je puis aussi lui garantir une persécution qui ne serait pas en papier mâché. Son diocèse a peut-être des dettes, comme la plupart des diocèses : il verrait aussitôt les créanciers se précipiter, ne consentant plus aucun délai, en même temps qu'il verrait toutes les sources habituelles de crédit se fermer devant lui comme par enchantement. Mais oui : cela compte, et même beaucoup, dans le gouvernement de l'Église de France. Mais il saurait d'avance que Dieu du moins ne l'abandonnera pas. Il verrait aussi, peut-être, ces fameux dossiers secrets qui dorment paraît-il au ministère de l'Intérieur lui être brandis sous le nez avec menace, et leur publication commencer dans les magazines érotico-mondains de la presse catholique ou non.
81:129
Il arrive toujours dans un diocèse qu'il y ait quelque misère trop humaine d'un membre du clergé : on étouffe l'affaire, on évite le scandale public, mais on garde le dossier aux archives. Eh oui, cela compte aussi, cela compte beaucoup dans le gouvernement de l'Église de France. Et alors ? Si Pierre n'avait pas fait consigner dans l'Évangile la trahison de l'apôtre Judas, et son propre reniement, cela aurait constitué un joli dossier pour la police secrète de l'Empire, ou pour celle du Sanhédrin, en vue d'un chantage permanent qui aurait grandement impressionné les faibles. Mais il n'y avait pas de faibles dans le collège apostolique après la Pentecôte. Et nous sommes toujours après la Pentecôte, Monseigneur, pensez-y. Que l'Église sainte soit composée de pécheurs, on le sait depuis deux mille ans, ce n'est pas nouveau, ça n'apprend rien a personne. Passez outre aux misérables dossiers, s'ils existent.
Mais à cet évêque imaginaire, ou peut-être déjà virtuel, et qui peut-être en ce moment se prépare dans la prière et le recueillement à faire dans son diocèse l'humble coup d'éclat de restaurer l'intégrité catholique, je puis aussi garantir autre chose.
Je puis lui garantir qu'il ne manquera pas de prêtres. Il n'aura plus dans son diocèse aucune crise des effectifs. Il lui en viendra de partout.
Je puis lui garantir que son séminaire diocésain sera d'un coup trop petit et qu'il faudra aussitôt l'agrandir. Toutes ces vocations qui aujourd'hui ne savent où aller... Il n'y aura plus dans son diocèse de crise du recrutement sacerdotal.
82:129
Je puis lui garantir qu'il ne manquera pas non plus de ressources matérielles. Les fidèles de toute la France viendront chez lui verser leur denier du culte, doublé, ou décuplé.
Je puis lui garantir qu'il ne manquera pas d'hommes, de femmes, de jeunes gens et d'enfants pour lui faire un rempart de leurs prières et s'il le faut de leurs poitrines.
Je puis lui garantir que dans chaque famille chrétienne, à l'heure de la prière du soir, son nom sera béni d'un seul cœur, et ses intentions présentées au Seigneur dans la joie, l'espérance et la pénitence.
Je puis lui garantir des migrations bouleversant toutes les prospectives économiques : des familles viendront, au prix des plus grands sacrifices, s'installer dans son diocèse pour que leurs enfants reçoivent, de par l'évêque et non plus en secret, le catéchisme catholique.
Je puis lui garantir que les groupes et syndicats de mauvais prêtres, après avoir cherché un moment à créer des incidents par leurs colloques, leurs menaces de grève, leurs occupations de locaux et leurs communiqués à la presse, ne tarderont pas à quitter d'eux-mêmes le diocèse. Au besoin le peuple chrétien, rassemblé autour de l'évêque, saurait les en persuader.
Je puis lui garantir que ses écoles chrétiennes, si elles sont chrétiennes, et libres, au milieu de mille difficultés d'accueil, de locaux, de pléthore, seront spirituellement florissantes. Elles ne manqueront ni de maîtres, ni d'élèves, ni de vocations.
83:129
S'il est un évêque catholique. Un évêque humble, un évêque fidèle, un évêque ferme dans la foi et ferme dans le gouvernement. Bavure aux yeux du monde. Un évêque béni de Dieu.
\*\*\*
Mais il faut d'abord qu'il existe.
\*\*\*
Mon Dieu, abrégez notre épreuve. Mon Dieu, ne nous laissez pas abandonnés. Mon Dieu, souvenez-vous du peuple de France. Mon Dieu, donnez-nous des évêques ; ayez pitié. Mon Dieu, donnez-nous un évêque.
*En la fête de la Présentation*
*de la T. S. Vierge Marie*
*21 novembre 1968*
Jean Madiran.
85:129
*Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,*
*Madame, et je sais l'art de lever les scrupules.*
*Le Ciel défend, de vrai, certains contentements,*
*Mais on trouve avec lui des accommodements.*
*Selon divers besoins, il est une science*
*D'étendre les liens de notre conscience,*
*Et de rectifier le mal de l'action*
*Avec la pureté de notre intention.*
*De ces secrets, Madame, on saura vous instruire ;*
*Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire.*
(Acte IV, scène V ; ou § 16.)
86:129
### L'Église et les pécheurs
par R.-Th. Calmel, o.p.
JAMAIS LA MORALE chrétienne n'a été tenue pour facile et accommodante. Jamais l'Église ne nous a enseigné que si la pratique de la loi de Dieu exige de nous de trop lourds sacrifices nous ne sommes plus tenus en conscience. Personne, si ce n'est *le faux dévot,* n'a prétendu initier les chrétiens à la science abominable de pécher sans commettre de fautes :
Le Ciel défend de vrai certains contentements
Mais on trouve avec lui des accommodements.
Selon *divers besoins* il est une science
D'étendre les liens de notre conscience...
Jamais les évêques des premiers siècles, à l'époque où faire profession de christianisme exposait obligatoirement aux supplices, jamais les évêques du temps de Dèce ou de Galère n'ont adressé un discours papelard aux avocats chrétiens, aux centurions ou aux rhéteurs chrétiens pour leur dire en substance :
87:129
« Nous avons considéré *collégialement* votre dure situation. Nous avons constaté que vous êtes pris entre deux devoirs : ou bien assurer la vie de votre famille en continuant d'exercer votre métier mais, pour avoir cette faculté, sacrifier aux idoles ; ou bien confesser la foi, mais alors perdre votre place et sans doute votre vie, et exposer votre famille. Dans ce conflit de devoirs choisissez comme bon vous semble, au terme d'une réflexion commune avec votre femme ; veillez toutefois à mener cette réflexion avec le plus grand soin. »
Jamais l'Église n'a déclaré que, dans des circonstances extrêmes où la fidélité demandait une force d'âme peu commune, le chrétien qui péchait alors par faiblesse n'était pas vraiment coupable. La mission de l'Église n'est quand même pas d'accommoder la loi mais de la proclamer, de donner les sacrements qui communiquent la force même de Dieu pour la mettre en pratique, de pardonner le pécheur repentant c'est-à-dire le pécheur qui s'avoue coupable : qui, loin de se chercher des excuses, se confie dans la grâce du Christ crucifié et repart avec courage dans le bon chemin.
88:129
La mission de l'Église n'est pas de reconnaître les droits de la faiblesse ou de la veulerie humaines, car ils n'existent pas, mais elle donne aux êtres faibles et pécheurs, que nous sommes tous, la grâce suffisante pour triompher de la faiblesse, nous convertir, prendre la voie étroite de la sainteté.
Aux époux qui ont beaucoup de mal à observer la continence, qui ne peuvent se fier aux rythmes naturels d'infécondité, et qui d'autre part ne peuvent envisager sans beaucoup d'appréhensions la venue d'un nouvel enfant, bref aux époux qui ont à pratiquer la morale du mariage en des circonstances difficiles, voici que des évêques en assemblée plénière osent déclarer tranquillement : « Les époux se détermineront (sous-entendu : comme bon leur semble) au terme d'une réflexion commune, menée avec tout le soin que requiert la grandeur de la vocation conjugale. » Même s'ils choisissent la contraception, il n'y aura ni péché, ni devoir de se confesser loyalement, puisque, assurent les évêques, « la contraception est toujours un désordre, mais ce désordre n'est pas toujours coupable ». Le contexte suggère suffisamment qu'elle n'est pas coupable lorsque l'observation de la loi est devenue trop pénible.
89:129
C'est un scandale pour le peuple fidèle et ce n'est pas un gage de bénédiction divine pour les évêques lorsque ceux-ci en viennent à dire équivalemment aux ménages qui, dans certains cas, pratiquent d'un commun accord la fraude conjugale : « Allez en paix, vous n'avez pas péché. » Pour nous, nous en restons à la parole du Christ Rédempteur à la femme adultère : « Allez en paix et ne péchez plus. » Si le Seigneur a institué des prêtres à la fois comme ministres de sa grâce et prédicateurs de sa vérité et de sa foi, c'est en leur demandant d'être trouvés fidèles (I^e^ aux Cor., IV, 2), loin de devenir des casuistes retors ([^50]), faussement miséricordieux, qui, abusant de leur autorité, détournent les hommes d'accepter d'un cœur simple la loi de Dieu et d'espérer véritablement dans la toute-puissance de la grâce.
R.-Th. Calmel, o. p.
90:129
### Les évêques et la contraception
par l'Abbé V.-A. Berto
ON SAIT COMMENT des épiscopats entiers ont refusé d'entendre l'adjuration finale aux évêques de l'Encyclique *Humanæ vitæ,* si touchante, si émouvante pour tout cœur bien né.
L' « Assemblée plénière » française vient de se signaler par une énorme imposture collective, qui est en même temps une énorme insulte à toute la tradition catholique, à la tradition des saints comme à la tradition des docteurs, auxquels on impute frauduleusement d'avoir dit ce qu'ils ont constamment refusé de dire.
On ose imputer à la « morale » et à la « sagesse traditionnelle » d'enseigner que, dans ce qu'on appelle un « *conflit de devoirs *», elles « *prévoient *» (quel français !) « *de rechercher devant Dieu quel devoir en l'occurrence est majeur *».
91:129
Mais, quand on se trouve en présence d'une action INTRINSÈQUEMENT MAUVAISE, ni la « morale », ni la « sagesse traditionnelle » n'admettent qu'il y ait « conflit de devoirs ». On doit éviter à tout risque l'INTRINSÈQUEMENT MAUVAIS, en faisant d'ailleurs ce qu'on peut pour porter remède aux conséquences éventuelles. Et de ce qu'on ne pourrait pas éviter, on se remet à Dieu qui l'a ainsi permis.
L'INTRINSÈQUEMENT MAUVAIS est un mur infranchissable, ou plutôt on est devant la face de Dieu, et il n'y a qu'à dire avec le patriarche Joseph : « Comment donc pourrais-je faire ce mal, et pécher envers mon Dieu ? *Quomodo ergo possum hoc malum facere et peccare in Deum meum ? *»
Ou bien, selon l'interprétation que la tradition catholique unanime a toujours donnée du mot de saint Paul, il n'est pas permis de faire ce qui est (intrinsèquement) mal pour qu'il en arrive du bien : « *non faciamus mala ut veniant bona *». Ce que l'on traduit couramment, et presque vulgairement, par l'axiome : *la fin ne justifie pas les moyens.* La moralité des moyens doit être pesée en elle-même, et un moyen *intrinsèquement mauvais* doit être rejeté, quelque soit le bien qu'on se promet de son emploi.
On ne peut supposer que l' « Assemblée plénière » ait ignoré ces vérités élémentaires ; on doit donc crier qu'en faisant dire à la « *morale *» et à la « *sagesse traditionnelle *» ce qu'elles ne disent pas, ce qu'elles ont toujours condamné avec dégoût, l' « Assemblée plénière » a MENTI et CALOMNIÉ.
\*\*\*
92:129
Parlant du même exécrable abus, la contraception directe et volontaire, saint Augustin dit que les époux qui vivent ainsi dans le mariage ne sont pas des époux, « LA FEMME Y EST LA PROSTITUÉE DE SON MARI, LE MARI Y EST L'ADULTÈRE DE SA FEMME » *aut illa est quodammodo meretrix mariti, aut ille adulter uxoris *» ([^51])*.*
Quinze siècles plus tard, le cardinal Pie, s'entretenant avec son clergé du même triste sujet (car, si on n'en était pas aux procédés hormonaux ou chimiques, on savait déjà, et de plus d'une manière, procurer la contraception), le cardinal Pie, disions-nous, rappelait à ses prêtres que « *le Saint-Office a condamné, comme scandaleuses, erronées, contraires à la nature de l'union conjugale, et déjà implicitement réprouvées par Innocent XII, les propositions qui tendaient à excuser ce hideux abus du mariage, ou à jeter quelque doute sur son opposition avec le droit naturel... Le péché dont il s'agit est contraire à la loi naturelle et, commis volontairement, il est toujours mortel en lui-même, voilà ce qui est hors de tout doute *». Il ajoutait un peu plus loin : « *Mais enfin, Messieurs, ou il faut déchirer toute la théologie, ou les sacrements ne peuvent pas, ne doivent pas être sciemment donnés aux indignes. *» ([^52])
Aussi l' « Assemblée plénière » n'y est pas allée par quatre chemins : ELLE A DÉCHIRÉ TOUTE LA THÉOLOGIE.
\*\*\*
93:129
Sous cette calomnie dont elle a souillé la « *morale *» et la « *sagesse traditionnelle *» l' « Assemblée plénière » a camouflé l'arrière-pensée que la contraception directe et volontaire ne serait pas intrinsèquement mauvaise. Oh ! ce n'est pas dit franchement ! Comme toute assemblée officielle -- sauf assistance particulière de Dieu -- celle-ci est de sa nature fourbe et lâche, ayant en vue, non point *ce qui est,* mais *l'effet* que produiront ses déclarations : « dites-nous des choses qui nous plaisent, *loquimini nobis placentia *». En vain y chercherait-on la droiture évangélique : « Oui quand c'est oui, non quand c'est non, *est, est ; non, non*. » On laisse seulement entendre que la contraception directement et volontairement procurée *n'est pas* intrinsèquement mauvaise, qu'elle ne brise pas la finalité essentielle du mariage, alors que l'union conjugale est non point par circonstance, mais *par identité*, en vertu de l'émission masculine qu'elle comporte, l'acte essentiellement ordonné à la procréation ; on laisse entendre qu'elle peut être nécessaire à « l'équilibre des époux » ou à « l'harmonie du foyer », alors que, comme dit le P. Vermeersch, après saint Augustin, après le cardinal Pie, après mille autres, « ce vice est exécré de la nature même, *a natura abhorreri *»*,* et que « c'en est fait de la dignité du mariage, *de dignitate matrimonii actum est*, si on le tolère » ;
94:129
alors qu'au contraire, comme tout directeur en a fait cent fois l'expérience, comme l'enseigne *Humanæ vitæ,* « l'harmonie du couple » et « l'équilibre du foyer » se trouvent, et ne se trouvent que dans l'humble soumission à la loi de l'institution primordiale du mariage, dans l'aide mutuelle, dans la piété, dans la prière, dans le recours assidu aux sacrements.
Pour faire plus que « laisser entendre », il faudrait d'abord *démontrer* cette proposition : « la contraception directement et volontairement procurée *n'est pas* intrinsèquement mauvaise », démonstration cent et mille fois elle-même démontrée impossible, et l' « Assemblée plénière » le sait pertinemment. Ensuite, ce serait ouvertement contredire l'Encyclique, et l' « Assemblée plénière » s'en garde avec soin ; il est plus conforme à son génie de ne la contredire qu'hypocritement.
On laisse donc dans une pénombre utile ce point fondamental, principal, capital, et à la faveur de l'obscurité, on jette sur la couche nuptiale sans tache, *thorus immaculatus*, des couples qui se chargeront de la salir, -- mais vertueusement, comment donc !
Et comme aucune distinction n'est faite dans la « Note pastorale » entre les voies et moyens de contraception, rien n'empêchera les jeunes fiancés de demander à leur évêque de bénir, avec leur anneau de noces, quelques capotes anglaises. Il ne peut vraiment pas leur refuser ça !
\*\*\*
95:129
Telle est la situation présente, et elle est épouvantable. L' « Assemblée plénière », en matière doctrinale, s'est séparée d'avec le Souverain Pontife, et d'avec l'Église de tous les siècles. C'est une séparation dans l'espace d'avec le Pape aujourd'hui régnant, d'avec d'autres épiscopats, et c'est une séparation dans le temps, une séparation d'avec l'enseignement constant universel ininterrompu, de toute l'Église.
Les textes que nous disposons ci-dessous sur deux colonnes pour plus de clarté, sont décisifs. Non seulement la « Note pastorale » s'écarte de l'Encyclique, mais elle met calomnieusement au compte de l'enseignement constant de la « *morale *» et de la « *sagesse traditionnelle *» une solution qui ne fut jamais la leur dans le cas considéré. Un cas analogue est celui de l' « avortement thérapeutique ». Que faire, si l'on ne peut sauver la mère qu'en assassinant l'enfant ? Une certaine déontologie parlait alors aussi d'un prétendu « conflit de devoirs », et concluait à sauver la mère par le meurtre de l'enfant. L'Église n'a jamais, nous disons bien *jamais*, accepté cette solution.
96:129
Le médecin doit jusqu'au bout faire tous ses efforts pour sauver les deux vies, on ne peut assimiler l'enfant à un « injuste agresseur », et le meurtre d'un innocent est alors intrinsèquement mauvais. Mais alors la mère et l'enfant périssent ? Peut-être, et ce seront deux grands malheurs, mais *aucun péché.* L'ancien professeur de théologie morale -- et actuellement aumônier de clinique -- qui nous a remis en mémoire si fort à propos le cas de l' « avortement thérapeutique » ajoutait que grâce à la fermeté de l'Église (jointe aux progrès de la médecine) façonnant la conscience des médecins et des époux chrétiens, on en est venu peu à peu à transformer la déontologie médicale, et à faire disparaître la pratique criminelle de l' « avortement thérapeutique ».
Voici donc les textes :
HUMANÆ VITÆ, (§ 14) :
« Il n'est jamais permis, même pour de très graves raisons de FAIRE le mal afin qu'il en résulte un bien, c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte positif de volonté ce qui est *intrinsèquement* un désordre et par conséquent une chose indigne de la personne humaine, *même avec l'intention* de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels, *familiaux* ou sociaux. »
NOTE PASTORALE (§ 16) :
« Il arrive en effet que les époux se considèrent en face de véritables conflits de devoirs... A ce sujet nous rappelons simplement l'enseignement constant de la morale : quand on est dans une *alternative* de devoirs où quelle que soit la décision prise on ne peut éviter un mal, la sagesse traditionnelle prévoit de rechercher devant Dieu quel devoir en l'occurrence est majeur. »
97:129
Il est impossible de s'y méprendre : la « *Note pastorale *» *ne se justifierait que dans l'hypothèse, où la contraception directe et volontaire ne serait pas intrinsèquement mauvaise.* Et le Souverain Pontife, avec toute la tradition depuis l'Évangile, écrit en effet qu' « il est parfois licite de TOLÉRER un moindre mal moral afin d'éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand ». Alors, en effet, il y a « conflit de devoirs », ou pour parler plus justement, et encore avec le Pape, « hiérarchie de valeurs ». Ainsi de la maman qui a le devoir d'assister à la messe le dimanche, et *aussi* le devoir de rester à la maison pour prendre soin de son enfant malade ; les exemples seraient infinis. Les deux devoirs « hiérarchisés » ne s'élident pas, puisqu'ils procèdent de chefs différents, mais la loi qui prescrit le moins important est suspendue par la loi qui impose l'autre. Manquer la messe demeure un mal dans l'en-soi, mais n'en est pas un pour Mme Dupont ou Mme Durant qui reste chez elle un dimanche pour garder son bambin qui a gagné une pneumonie. Tout cela va vraiment de soi. Mais jamais, nous le redisons, jamais, au grand jamais, ni « *la morale *», ni « *la sagesse traditionnelle *» n'ont transposé ce raisonnement au cas où l'une des actions proposées constitue « un désordre intrinsèque », la rupture d'une finalité essentielle, inscrite dans la nature des choses, et l'Encyclique n'est pas moins ferme là-dessus. Mais si l'on ne perçoit pas ce désordre ? Alors il est absolument insuffisant de dire qu'on doit suivre sa conscience, même erronée.
98:129
Il faut d'abord réformer cette conscience erronée, la remettre dans le vrai, et non comme le fait la « Note pastorale » l'entretenir dans le faux. Certes, il n'est pas toujours facile de redresser une conscience erronée ; il faut l'épurer de la passion, de l'intérêt, il faut fixer son intention sur le bien puisque, comme le dit saint Thomas, « c'est par rapport à la volonté rectifiée que l'on détermine la vérité de l'intellect pratique, *veritas intellectus practici sumitur per conformitatem ad appetitum rectum *». Nous n'hésitons pas à dire que dans la plupart des cas et dans la plupart des hommes, il faut s'en remettre. Mais à qui s'en remettre ? A l'autorité. Pour calculer la surface de la circonférence, s'il fallait avoir au préalable calculé la valeur de π ; ce ne sont pas seulement les écoliers du certificat d'études, c'est la multitude des adultes qui ne s'en tirerait pas. Mais on leur a appris, *par voie d'autorité*, que π = 3,1416. Et sachant cela, rien de plus aisé que de calculer π R^2^. Il n'en va pas autrement en morale, soit par l'imperfection de la raison naturelle, même supposée intacte en sa vigueur, soit par les suites du péché originel. Il est absolument certain que dans l'état historique de l'humanité, la morale naturelle, non seulement ne peut être pratiquée intégralement et durablement sans l'appoint d'une grâce surnaturelle, mais même ne peut être connue totalement et clairement sans l'appoint de la lumière d'une Révélation surnaturelle (en fait la Révélation chrétienne).
99:129
Si donc deux autorités égales prononçaient différemment en un point très grave de la morale, la conscience chrétienne serait jetée dans des ténèbres qu'elle ne dissiperait *jamais*. C'est à ce coup qu'il y aurait un « conflit de devoirs » ; et un conflit sans solution. Mais il n'en est pas ainsi, et Dieu y a pourvu. Nulle autorité en ce monde ne prévaut sur celle du Pontife romain ni ne lui est égale. Toute autorité qui se prononce contre elle est en cela abusive, trompeuse, et en outre, si l'Autorité suprême s'est déjà prononcée, rebelle et en son fond schismatique ; autant de chefs de nullité.
\*\*\*
La question dépasse même la personne du Pontife régnant, en ce que l'Encyclique *Humanæ vitæ* ne fait autre chose que renouveler un enseignement irréformable, aussi ancien que l'Église romaine. Ceux qui ont amené Paul VI à supprimer l'ancienne Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office ont bien su ce qu'ils faisaient. Que le Pape, de sa personne, prît son temps, se donnât du champ pour la réflexion, pour l'étude, pour la prière, nul n'y a trouvé à redire. Il avait d'ailleurs, et à plusieurs reprises, déclaré que, jusqu'à ce qu'il se prononçât, nul ne devait tenir pour abrogées ou « périmées » les normes établies par ses prédécesseurs.
100:129
Mais il n'y avait plus, dans sa propre Église locale de Rome, seule indéfectible de droit divin ([^53]), aucun organe de vigilance qui pût faire respecter cette volonté du Saint-Père : il l'avait détruit de ses propres mains. Pendant quatre ans, les plus pernicieuses propagandes ont eu libre cours ; pendant quatre ans, les époux les plus fidèles, les plus chrétiens, les plus romains ont été non seulement troublés dans leur conscience par ces propagandes, mais bafoués, tournés en ridicule, insultés et méprisés, livrés sans protection à la raillerie, a l'insulte, à la perfide insinuation du doute ; pendant quatre ans, ils ont fidèlement tenu leurs yeux levés vers ces collines romaines d'où ils espéraient le secours : *levavi oculos meos ad montes unde veniet auxilium mihi*. Qu'il y eût eu un Saint-Office, la vérité, l'ordre, la paix étaient en sûreté ; faute du Saint-Office, C'est le chaos. Quelles qu'aient pu être les espérances dont on pouvait se flatter en 1965, l'expérience a montré, et montre plus abondamment tous les jours, que les Évêques catholiques sont *incapables* de se passer de l'autorité, non seulement du Pape, mais de l'Église particulière de Rome. La distorsion présente, cet écartèlement effroyable, sont dus tout entiers à la suppression du Saint-Office qui a engendré, qui devait inévitablement engendrer, l'anarchie épiscopale.
101:129
Ceux qui ont vu le péril ont été littéralement écrasés sous les clameurs « progressistes », c'étaient des « inquisiteurs », des « immobilistes », des « fanatiques de la romanité ». Et cependant l'illustre auteur du *Paysan de la Garonne,* tout en se plaignant d'avoir été lui aussi « dénoncé au Saint-Office » (plainte fort injuste, tout écrivain catholique étant exposé à de telles « dénonciations ») n'en écrit pas moins : « *Il faut un Saint-Office ; seulement ce n'est pas moi que cela regarde*. »
Non, cela ne regarde pas M. Jacques Maritain, mais son opinion n'est pas négligeable. Élevant donc notre humble voix vers « Celui que cela regarde », nous ne finirons pas sans adresser notre supplique au Saint-Père, à ce qu'il lui, plaise rétablir la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office, avec ses prérogatives connaturelles d'organe nécessaire de l'Église Mère et Maîtresse. Les reproches qui ont été faits jusqu'en plein Concile au Saint-Office étaient la plupart très immérités et eux aussi calomnieux ; eussent-ils été tous mérités, tous fondés, ce n'était rien auprès des maux terribles que sa suppression a entraînés. Puisse donc revivre la très glorieuse et très vénérable Suprême Congrégation du Saint-Office, portion la plus illustre de la sainte Église romaine, vouée par son nom même au devoir le plus sacré de tous les devoirs, celui de garder jalousement intact, Pour l'honneur de la vérité de Dieu, pour la paix et l'union de la famille catholique, le « dépôt de la foi, *depositum fidei *».
\*\*\*
102:129
Que fera Paul VI ? Content d'avoir rempli sa fonction de Rocher et d'avoir ainsi sauvé l'avenir et même le présent, s'enfermera-t-il dans le silence pour éviter un plus grand mal ? Exigera-t-il que cette « Note pastorale », publiée aussitôt qu'arrêtée, et sans son aveu, soit révisée et refondue ? Nous ne savons. Les catholiques n'ont qu'une chose à faire, la tenir pour nulle. N'étant point juge, nous ne pouvons rien déclarer *avec autorité.* Mais, comme théologien particulier, reprenant les termes que le cardinal Pie empruntait du Saint-Office, nous *constatons* que la « Note pastorale » de l'Assemblée plénière contient des propositions « scandaleuses, erronées, contraires à la nature de l'union conjugale, déjà implicitement réprouvées par Innocent XII », et explicitement, ajoutons-nous, par l'Encyclique *Humanæ vitæ.* Le Pontife romain jouissant, aux termes de Vatican I -- et c'est un article de foi -- d'un pouvoir vraiment ordinaire, épiscopal et immédiat sur tous les fidèles et sur chacun d'eux, étant l'Évêque de l'Église catholique, *Episcopus Ecclesiæ catholicæ*, l'Encyclique lie immédiatement la conscience de tous, sans aucun intermédiaire nécessaire. Ainsi, il y a obligation morale grave de se tenir purement et simplement à l'enseignement de l'Encyclique.
\*\*\*
103:129
L' « Assemblée plénière » est en droit une personne morale collégiale, un « dernier sujet d'attribution, *ultimum subiectum attributionis *», qui ne se résout pas dans les membres qui la composent, et LES PROPOSITIONS QU'ON ÉNONCE A SON SUJET NE CONVIENNENT PAS A CHACUN D'EUX. On ne peut donc attribuer à chacun d'eux pris à part ce qui n'est vrai que de la personne morale comme telle. Ceci n'est pas une précaution oratoire, nous croyons avoir montré que nous prenons nos responsabilités. Mais c'est notre persuasion profonde que ce texte néfaste n'a pas reçu des évêques une approbation unanime, et beaucoup s'en faut. Nous ne voyons pas comment plusieurs évêques, qui ont parlé déjà, et bien parlé, comme pasteurs de leurs diocèses, auraient pu, sans s'infliger à eux-mêmes le démenti le plus déshonorant, donner leur *Placet* à la « Note pastorale ». Quand le secret des Conférences épiscopales (bien plus étouffant, bien plus opprimant, bien plus noir que le secret du Saint-Office ne le fut jamais) aura été levé, on verra ce qu'on a vu, depuis que le monde est monde, dans l'histoire de toutes les Assemblées, les Conciles non exceptés. Quelques phraseurs non-évêques, glorieux de leur vain titre d'experts, habiles à faire prendre des vessies pour des lanternes, auront intimidé les uns, surpris la bonne foi des autres, mais non pas de tous.
104:129
Seulement, quand il s'agit des Conciles œcuméniques, on est sûr au moins, que venue l'heure de la promulgation, l'Esprit Saint fera toujours que nulle hérésie ne soit définie. Verrons-nous ici-bas la levée de ce secret ? Nous l'ignorons, mais ce qui se lèvera, c'est le jour de la lumière d'or de l'éternité, où tous les secrets seront révélés.
*Manécanterie saint Pie X,*
*Novembre 1968.*
L'Abbé V.-A. Berto.
105:129
### Analyse détaillée de leur prévarication
par Henrî Rambaud
IL FAUT OBSERVER la justice envers tout le monde. Au lendemain de l'encyclique, les réactions individuelles de certains évêques avaient été excellentes : à l'appel du vicaire de Jésus-Christ, point d'hésitation ni d'ergotage, le vieux fond chrétien répondait : Présent ! comme on vole au service d'un maître bien-aimé. « Paul VI reprend une des grandes lois de la vie morale, écrivait sous le coup de l'événement le cardinal Renard, archevêque de Lyon et président de la Commission épiscopale de la famille : l'usage des moyens purs pour obtenir une fin bonne : la « pureté des moyens » a toujours été l'exigence et l'honneur de la morale chrétienne. » ([^54]) On ne pouvait en moins de mots aller plus droit à l'essentiel. Irréprochable, aussi, quelques jours plus tard, la déclaration de Mgr Marty, archevêque de Paris, par sa profession de la « grande reconnaissance » due à Paul VI pour l'immense service qu'il rendait « à la chrétienté et à l'humanité entière », en exposant une nouvelle fois, « avec tant de clarté et de précision, dans toute sa pureté, la doctrine constante de l'Église » ([^55]). Et je ne dis pas que ces deux voix aient été les seules à sonner juste, s'il y en eut bien aussi qui, déjà, sonnaient faux. Mais c'était le premier mouvement, celui dont il faut se défier, parce qu'il est le bon.
106:129
Il n'aura fallu que trois mois pour que la réflexion, qui peut inspirer la peur autant que la sagesse, ait changé cet or pur en plomb vil.
La faction néo-moderniste qui, présentement, pour le malheur des âmes, détient le gouvernement de fait de l'Église de France, se devait d'adjoindre à ces propos inconsidérés, jaillis de cœurs chrétiens à la façon des simples et non des sages de ce monde, la prudence supérieure du plus intelligent des siècles. L'institution des conférences épiscopales, avec l'obligation qu'il en résultait pour les évêques de France de publier une déclaration commune sur *Humanæ vitæe* au terme de leur assemblée plénière, tenue à Lourdes du 2 au 9 novembre de cette année-ci, vient de lui en fournir le moyen, et, maintenant, par la grâce des experts et des théologiens, servie par la complicité, l'inconscience ou la lâcheté, selon les cas, de nos évêques (ce n'est pas à moi de faire le partage), la situation est heureusement rétablie : *Humanæ vitæ* n'a plus de raison de « traumatiser » ([^56]) personne.
107:129
Je n'étais pas à Lourdes et je n'ai pas reçu de confidences, mais il n'est pas besoin de savoir par le menu comment les choses se passèrent. Le certain est que les débats furent laborieux et l'accord difficile ([^57]) : huit rédactions successives pour le moins ([^58]) et quelque sept cent cinquante amendements ([^59]). La conclusion fut celle qu'il fallait attendre d'une assemblée. La veille de la clôture, devant la nécessité d'en finir et le désir d'un vote unanime, la résistance rendait les armes avec tant d' « abnégation » ([^60]) qu'elle oubliait de réclamer les honneurs de la guerre. Aux dernières nouvelles, 104 oui, 2 non, 2 bulletins blanc ([^61]). Deux et deux quatre, 4 sur 108, vieille tradition épiscopale, cependant aggravée : proportionnellement, même pas ce qu'il y avait d'apôtres au pied de la Croix. Dommage aussi que les deux opposants et les deux abstentionnistes ne se soient pas fait connaître. Je le dis dans leur intérêt, non par curiosité : parce qu'aussi longtemps qu'ils ne se seront pas désolidarisés publiquement du document collégialement voté, force sera bien de leur faire partager la responsabilité des cent quatre. Et je les en avertis, c'est une responsabilité qui est lourde.
Je ne juge aucunement, en disant cela, les personnes, qu'il ne m'appartient ni de condamner ni d'absoudre. Je juge le texte que ces personnes ont voté et dont elles auront un jour à répondre, individuellement et non collégialement, comme j'aurai moi-même à répondre de ce que j'écris ici, et c'est pour cela même que je l'écris : pour que, ce jour-là, qui ne saurait plus être maintenant pour moi tellement éloigné, ne me soit pas reproché mon silence.
108:129
Il n'est pas impossible, en effet, que plusieurs de ces têtes consacrées n'aient été assez légères pour ne pas savoir ce qu'elles faisaient, tous les hommes y sont exposés. Je vais donc le leur expliquer, en les suppliant, dans leur intérêt même, non certes de me croire sur parole, -- elles n'en ont pas le droit, -- mais d'examiner sérieusement les observations suivantes sur la *Note pastorale* dont elles ont recouvert la pure lumière d'*Humanæ vitæ*. L'écart des deux documents y éclate avec assez d'évidence pour que de ces pasteurs, qui tiennent leur autorité de leur communion avec le Pasteur suprême et, hors de cette communion, n'en ont aucune, les plus honnêtes, s'ils ont encore le souci des devoirs de leur charge, s'interrogent sur ce qu'ils ont à faire.
Je suis tranquille : beaucoup de nos évêques connaissent cet écart et ne s'en troublent pas, et quant à ceux qui ne l'ont pas aperçu, fort peu prendront le soin de le mesurer et moins encore auront le courage de tirer les conséquences. Ils jugeront plaisant qu'un de ces laïcs auxquels ils refusent avec tant d'intrépidité de prêter l'oreille, parce qu'ils n'ont rien à répondre à leurs critiques précises et pertinentes, ose les prier de constater que leur langage ne s'accorde pas avec celui de Paul VI et préféreront abriter leur propre responsabilité du majestueux manteau de Noé du collège épiscopal. A leur aise : n'inquiéterais-je, dans leurs rangs, qu'une conscience, une seule, je n'aurais pas perdu ma peine. Et puis, la question n'est pas là. J'aurai fait pour eux ce que je devais. Et aussi pour les fidèles dont ils trompent la bonne foi par un texte qui ne se peut qualifier que de forfaiture. Le reste appartient à la Providence. Car Pascal le disait admirablement : « Nous n'avons pas reçu mission pour faire triompher la vérité, mais pour combattre pour elle. »
**1. **L'objet de la *Note pastorale* de l'épiscopat français est exprimé en ces termes par le n° 3 de cette *Note,* que je transcris tout entier :
109:129
3\. -- Cette encyclique, les évêques l'ont reçue en esprit de foi, selon la volonté du Seigneur, qui a confié à Pierre la charge quotidienne de toute l'Église. Le Pape y engage sa responsabilité : c'est pourquoi, bien que ce document ne soit pas revêtu du caractère d'infaillibilité, les fidèles « doivent lui accorder une soumission religieuse de la volonté et de l'intelligence » (*Lumen gentium*, 25).
Pour autant, nous ne saurions prêter trop d'attention à la souffrance de consciences divisées entre leur volonté de fidélité à l'enseignement du Pape et les difficultés quasi insurmontables auxquelles elles se heurtent, ainsi qu'au malaise de ceux qui, au terme d'études sérieuses, étaient parvenus à des conclusions différentes. Nous voudrions aider ces hommes de bonne volonté à comprendre la pensée du Saint-Père et à retrouver la paix du cœur.
Soit : l'enseignement d'*Humanæ vitæ* a rencontré deux sortes d'objections, de l'ordre de la théorie et de l'ordre de la pratique, et bien des âmes sont troublées ; le devoir des fidèles étant d'accorder à cet enseignement « une soumission religieuse de la volonté et de l'intelligence », pour leur rendre cette soumission nécessaire plus facile, « nous voudrions les aider à comprendre la pensée du Saint-Père », -- c'est-à-dire sans doute (car c'est ici moi qui parle, mais on ne voit pas quel autre sens, dans ce contexte, pourrait être donné à « la pensée du Saint-Père ») leur expliquer ce que leur demande *Humanæ* *vitæ*, et avec quel degré d'autorité, pour quelles raisons ; bref, à quoi, exactement, ni plus ni moins, les fidèles ont le devoir de se soumettre et ce qui fait que l'injonction n'est pas exorbitante.
Tel est le propos déclaré de la *Note* pastorale. Il est manifestement sans reproche.
110:129
Le malheur, le très grand malheur, est qu'au mieux ce propos a tout juste eu la force des bonnes intentions dont l'enfer est pavé. Car le texte de la *Note pastorale* le dément. Elle n'aide pas à « comprendre la pensée du Saint-Père » : elle la cache et lui substitue une autre pensée jugée plus acceptable. L'écart est même double, la *Note pastorale* diminuant d'abord l'assentiment dû à l'encyclique pour laisser aux fidèles plus de latitude de n'en pas accepter l'enseignement, lui-même substantiellement altéré.
Dans ces conditions, l'acceptation de l'encyclique « en esprit de foi » peut bien être verbalement professée ; elle est réellement mensongère (consciemment ou inconsciemment), et le vrai dessein de la *Note pastorale,* tel qu'il ressort du texte (je mets à part les intentions des personnes), prend une figure exactement contraire à son propos déclaré. Il est proprement d'allier l'apparence de la docilité avec la réalité d'une atténuation très sensible de l'autorité de l'encyclique et de ses prescriptions. Il n'est pas de faciliter la soumission des fidèles ; il est de fournir à leur insoumission des excuses.
Il ne m'échappe pas que je porte ici une accusation grave et que j'en dois fournir la preuve. Que le lecteur veuille donc bien peser les raisons que je vais alléguer ; car lui non plus n'a pas le droit de me croire sur parole. L'autorité des évêques est plus grande que la mienne. Mais l'argument d'autorité, quand cette autorité n'est qu'humaine, est le plus faible de tous, et l'évidence le balaye comme un fétu.
**2. **Il n'y a pas à reprocher à la *Note pastorale* de dire, comme on vient de le voir, qu'*Humanæ vitæ* n'est pas un « document revêtu du caractère d'infaillibilité » (n° 3). Cette proposition est vraie : *Humanæ vitæ* n'est certainement pas tout entière infaillible.
111:129
Il est grave, en revanche, de ne pas avoir dit que la triple condamnation (de l'avortement, de la stérilisation et de la contraception) portée au § 14, non seulement est conforme à l'enseignement constant de l'Église, ce qui suffit pour lui donner caractère de vérité soustraite au doute, mais, de plus, est dite en propres termes, au § 18, une condamnation sur laquelle la loi divine ne permettra jamais à l'Église de revenir : *eique* \[*Ecclesiæ*\] *numquam fas erit licitum declarare* ([^62]) *quod revera illicitum est, cum id suapte natura germano hominis bono semper repugnet*. Ce qui fait de cette condamnation une décision dite explicitement, par l'encyclique elle-même, irréformable, et par suite, impose à tout chrétien l'obligation d'adhérer sans aucune espèce de réserve au point de doctrine enseigné ; il est de l'ordre de la vérité absolue.
*Humanæ vitæe* peut bien, par sa forme, être un acte du magistère ordinaire de Paul VI. En y prononçant « en vertu du mandat que le Christ lui a confié » (*vi mandati Nobis a Christo commissi*) (§ 6) la condamnation de l'avortement, de la stérilisation et de la contraception et en ajoutant que l'Église ne rapporterait jamais cette condamnation, Paul VI y a engagé beaucoup plus que sa « responsabilité » -- ce qu'il a mis dans la balance est proprement son *autorité* de pasteur et docteur de tous les fidèles prononçant de façon définitive sur un point de doctrine touchant la foi et les mœurs.
En le taisant, la *Note pastorale* diminue gravement l'autorité de l'enseignement d'*Humanæ vitæ* et trompe les fidèles.
112:129
**3. **La *Note pastorale* ne méconnaît pas moins gravement le caractère de cet enseignement.
Il s'y lit au n° 18 :
Plus malaisée encore est la situation de catholiques qui ne parviennent pas à comprendre l'enseignement du Pape. Menant leur réflexion par des voies différentes, ils déclarent ne pouvoir loyalement y adhérer. Nous leur demandons d'abord, à l'instigation même du Pape, de ne pas confondre l'enseignement fondamental de l'encyclique avec les motifs allégués (*Humanæ vitæ*, n° 28). Qu'ils considèrent aussi en catholiques que le Pape, connaissant leur position, a cependant, dans une vision pastorale des choses, jugé qu'il ne pouvait en conscience abandonner l'enseignement de ses prédécesseurs. Qu'ils veuillent donc ne pas tenir leurs convictions comme définitivement arrêtées. Qu'ils poursuivent leurs recherches, sans hésiter à faire part de leurs travaux aux évêques, car il est évident que bien des questions se posent encore.
Demander « de ne pas confondre l'enseignement fondamental de l'encyclique avec les motifs allégués » est entièrement juste : la distinction se trouve en effet dans l'encyclique, qui, expressément, ne réclame pas le même assentiment pour les « motifs allégués » que pour « la doctrine de l'Église sur le mariage » (*Ecclesiæ de matrimonio doctrina*) (§ 28). Mais dire que, « dans une vision pastorale des choses », le Pape « a jugé qu'il ne pouvait en conscience abandonner l'enseignement de ses prédécesseurs », est donner d'*Humanæ vitæ* une vue si gravement incomplète qu'elle altère substantiellement la vérité.
113:129
Il est bien certain que Paul VI a eu des préoccupations pastorales : sa charge de Pasteur suprême des fidèles lui en faisait un devoir. Il est faux que sa « vision » des choses ait été uniquement ou principalement « pastorale ». Elle est d'abord, elle est essentiellement doctrinale. La pastorale ne vient qu'ensuite et est fondée sur la doctrine. Le plan même de l'encyclique le dit : « I. *Aspects nouveaux du problème et compétence du Magistère *; II. *Principes doctrinaux *; III. *Directives pastorales *» ([^63]). Et c'est pour ainsi dire à chaque page que la seconde partie répète le terme de « doctrine (*doctrina*) » (§§ 10, 11, 12, 14, 16, 17, 18) ; et il n'est pas seulement là (§§ 4, 6, 20, 28, 29, 31) ([^64])
Mettre la pastorale au premier plan est donc donner à l'encyclique un caractère différent du véritable : l'encyclique met au premier plan la doctrine. Mais il y a là plus qu'un déplacement d'accent, du fait que, reléguée au second rang, la doctrine elle-même est altérée.
114:129
La pastorale dépend dans une large mesure des circonstances et par conséquent, dans la même mesure, peut changer : il y a des moments où il est sage de s'en tenir aux règles fixées par ses prédécesseurs et d'autres où il est sage de les abolir et d'en édicter de nouvelles. Lier la doctrine à la pastorale, comme fait cette phrase, est donc la lier à quelque chose, par nature, de mobile, et par suite admettre implicitement que la doctrine pourra changer si les circonstances l'exigent (et c'est bien aussi pourquoi la *Note pastorale* n'emploie pas ici le terme de « doctrine », mais celui d' « enseignement », qui n'a pas les mêmes résonances d'immutabilité). C'est très exactement revenir à la thèse de la majorité de la Commission d'étude, thèse rejetée par Paul VI, à savoir que « des erreurs se sont glissées dans la doctrine du Magistère et de la Tradition » et que, « si, sur une question bien déterminée, se présentent des raisons spécifiques de doute et de pensée neuve (*recogitatio*) », il faut rectifier la doctrine sur ce point ([^65]).
Dire que, « *dans une vision pastorale des choses *», c'est-à-dire en considération du bien des âmes, Paul VI a jugé ne pouvoir en conscience abroger la condamnation de la contraception portée par ses prédécesseurs ne signifie donc nullement que cette condamnation ne sera jamais rapportée, comme l'encyclique le déclare expressément. Cela implique qu'elle pourra l'être un jour, les circonstances ayant changé.
115:129
Le néo-modernisme a fait de tels ravages dans l'Église de France, principalement aux postes de commande, que cette pensée est vraisemblablement celle d'un certain nombre des cent quatre évêques qui ont voté la *Note pastorale.* De tous ? Il serait sans doute injuste d'aller jusque là ; mais ceux qui ne le pensaient pas auront suivi, dans le sentiment qu'il vaut mieux contribuer en chœur à tromper les fidèles que diminuer l'autorité du collège épiscopal en ne le montrant pas unanime, ou simplement parce que, faute d'avoir fait d'assez bonnes études ou d'avoir l'esprit bien éveillé, ils n'auront pas compris ce qu'on leur faisait voter.
Je les prierais alors pour exercer leur sens de la logique, de remarquer que la *Note pastorale* raisonne d'étrange façon en faisant suivre la phrase dont je viens de montrer ce qu'elle implique, de celle-ci : « Qu'ils veuillent donc ne pas tenir leurs convictions comme définitivement arrêtées. » Excellent conseil, il n'est pas question de le contester, mais pourquoi ce « donc », quand c'est à une conclusion exactement contraire que conduit la phrase qui précède ? Pourquoi les « catholiques qui ne parviennent pas à comprendre l'enseignement du Pape » seraient-ils bien inspirés de ne pas tenir leurs convictions pour « définitivement arrêtées » si l'enseignement qui s'y oppose n'est lui-même assuré d'être définitif ? Qu'ils s'y soumettent certes, par discipline ; mais il n'y a pas de nécessité qu'ils abandonnent leurs convictions, quand peut-être il ne leur faudra que vivre assez longtemps pour voir l'Église les adopter.
La phrase suivante va nettement dans ce sens « Bien des questions se posent encore... » Sans doute Il en reste toujours. Mais il y en a bien une qui ne se pose plus depuis *Humanæ vitæ*, et que d'ailleurs avait déjà réglée *Casti connubii,* pour ne pas remonter plus haut : c'est de savoir si la contraception est toujours illicite. Elle l'est toujours. Et cela, la *Note pastorale* ne le dit pas, nous verrons même qu'elle dit expressément le contraire. L'intention manifeste du texte est de laisser la question ouverte.
116:129
**4. **On se tromperait à penser que j'abuse d'une rédaction maladroite. Le refus de la *Note pastorale* de tenir la condamnation de la contraception pour définitive est confirmé par un autre refus, qui est celui de fonder cette condamnation sur « la loi morale naturelle, éclairée et enrichie par la Révélation divine » (§ 4), comme fait *Humanæ vitæ.* Je n'émets pas là une opinion personnelle : c'est l'opinion des commentateurs les plus favorables à la *Note pastorale.* « L'épiscopat français évite d'essayer de justifier les arguments qui conduisent le pape à ses propres conclusions, écrivait Henri Fesquet ; \[...\] il glisse sur les motifs allégués. Ce faisant, il esquive la difficulté de prendre parti sur la loi naturelle très contestée en France. » ([^66]) Analyse d'une parfaite justesse.
La loi naturelle apparaît bien pourtant aux numéros 5 et 6 de la *Note pastorale,* dans la section intitulée *L'enseignement fondamental*, et particulièrement dans la citation faite par le n° 5 du n° 14 de la *Déclaration sur la liberté religieuse*, selon lequel la fonction de l'Église « est d'exprimer et d'enseigner authentiquement la vérité qui est le Christ, en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité, les principes de l'ordre moral découlant de la nature même de l'homme ». Il est même ajouté au n° 6 que c'est « dans cette même lumière » que le Pape « développe son enseignement fondamental », à savoir qu' « il y a un lien essentiel entre l'union des époux et l'ouverture à la transmission de la vie ». Mais la *Note pastorale* ne va pas au-delà de cette observation très générale, au demeurant de l'ordre du simple constat. Elle ne dit mot de l'argument du § 11 d'*Humanæ vitæ* qui voit une intention de la sagesse divine dans « les lois et les rythmes naturels de fécondité qui espacent déjà par eux-mêmes la succession des naissances » ([^67]) et de cette disposition naturelle déduit qu'elle est le moyen voulu par Dieu d'en permettre une saine régulation. Il est difficile de ne pas penser avec Henri Fesquet que ce silence est volontaire.
117:129
Mieux que cela : qu'oppose la *Note pastorale* aux esprits qui « rejoignent difficilement cette vision des choses » ? Les « conséquences » -- morales et sociales -- « qu'aurait entraînées, à court ou à long terme, le silence du Pape ». Il est exact que l'argument figure dans *Humanæ vitæ* (§ 17). Mais il y est secondaire. Il n'est aucunement le fondement de la doctrine enseignée, il montre seulement que cette doctrine est bienfaisante, mais ce n'est pas pour ses bienfaits que Paul VI l'enseigne, c'est parce qu'elle est vraie, et cette vérité, il ne la fonde pas seulement sur le fait que cette doctrine est « la doctrine constante de l'Église (*constans Ecclesiæ doctrina*) » (§ 10), il la fonde sur des arguments, c'est-à-dire, il faut le répéter, « sur la loi naturelle, éclairée et enrichie par la Révélation divine ». Or, sur ce plan, sur le plan doctrinal, sur le plan de la vérité, la *Note pastorale* n'oppose exactement *rien* aux contradicteurs. Faut-il penser qu'elle est de leur avis ?
Il semble bien en effet qu'elle le soit et seulement n'ait pas osé le dire ouvertement. « Document « pastoral » plutôt que doctrinal », écrit encore Henri Fesquet, décidément le plus précieux des commentateurs. Et il ajoutait : « De ce point de vue, ce texte pourra être jugé faible. On pourra lui reprocher de ne pas aller au fond des choses, par peur, sans doute, de contribuer à miner l'autorité du pape et de contester une certaine philosophie encore privilégiée dans l'Église. » ([^68])
118:129
Ce sentiment honore grandement nos pasteurs et Paul VI serait d'une noire ingratitude s'il n'était ému jusqu'aux larmes que ses vénérables frères dans le Seigneur aient montré tant de retenue à miner son autorité, tant de délicatesse à lui faire comprendre que sa philosophie est désormais dépassée.
**5. **Diminuer l'autorité d'*Humanæ vitæ* en cachant que sa condamnation de la contraception est irréformable, en ensevelir la portée doctrinale sous la valeur pastorale, de son argumentation faire un exposé si sommaire qu'il revient à l'écarter sans autre forme de procès sont évidemment des manières fort mal appropriées de « faire comprendre la pensée du Saint-Père », mais il est tellement énorme que nos évêques aient osé prendre à l'égard du chef de l'Église une attitude qui n'est pas seulement celle de la contestation, mais qu'il faut dire celle de la rébellion, parce que c'est le terme propre, que les timides, toujours plus enclins à obéir aux autorités les plus proches qu'à la plus haute, ne voudront vraisemblablement voir dans les trois dissimulations dont je viens de faire la preuve que ce qu'on est convenu d'appeler des « réticences », et ces réticences étant le fait d'évêques, leur esprit de soumission les portera à les juger légitimes. Les évêques ont grâce d'état pour « prêcher au peuple qui leur est confié la foi qu'il doit croire et qu'il doit faire passer dans ses mœurs » ([^69]) et c'est sagesse de la part des simples, s'il leur advient quelque difficulté, d'accorder plus de crédit a ce que leur dit leur évêque qu'à leur jugement propre. Mais nous ne sommes pas en des temps normaux et l'histoire de l'Église présente assez d'exemples d'évêques passés à l'hérésie, l'épiscopat de tout un pays parfois, pour qu'il puisse s'en trouver encore sans que l'Église soit pour cela moins divine. Il n'y a que Pierre, le seul Pierre, à qui la promesse ait été faite que sa foi ne connaîtrait pas de défaillance.
119:129
Il ne manque pas en France de fidèles fermement résolus à ne pas souffrir que rien les détache du vicaire de Jésus-Christ. Montrons leur donc qu'ayant déclaré recevoir l'encyclique « en esprit de foi », l'épiscopat français n'a pas craint de pousser l'impudence jusqu'à substituer à son enseignement un enseignement non seulement différent, mais contraire, mais expressément réprouvé par *Humanæ vitæ*e. La preuve n'est que trop facile.
Il s'agit du passage que tout le monde a relevé comme le principal, et qui l'est en effet, étant celui qui formule l' « orientation » à suivre, selon nos évêques, dans les cas où le précepte posé par *Humanæ vitæ*e serait d'observance difficile. Le lecteur me pardonnera de le transcrire tout entier : je veux qu'il soit en état de juger sur pièces authentiques :
16\. -- La contraception ne peut jamais être un bien. Elle est toujours un désordre, mais ce désordre n'est pas toujours coupable. Il arrive, en effet, que des époux se considèrent en face de véritables conflits de devoirs. Nul n'ignore les angoisses spirituelles où se débattent des époux sincères, notamment lorsque l'observance des rythmes naturels ne réussit pas « à donner une base suffisamment sûre à la régulation des naissances » (*Humanæ* *vitæ,* n° 24). D'une part, ils sont conscients du devoir de respecter l'ouverture à la vie de tout acte conjugal ; ils estiment également en conscience devoir éviter ou reporter à plus tard une nouvelle naissance et sont privés de s'en remettre au rythme biologique. D'autre part, ils ne voient pas, en ce qui les concerne, comment renoncer actuellement à l'expression physique de leur amour sans que soit menacée la stabilité de leur foyer (*Gaudium et spes*, n° 51, 1).
120:129
A ce sujet, nous rappellerons simplement l'enseignement constant de la morale : quand on est dans une alternative de devoirs où, quelle que soit la décision prise, on ne peut éviter un mal, la sagesse traditionnelle prévoit de rechercher devant Dieu quel devoir, en l'occurrence, est majeur. Les époux se détermineront au terme d'une réflexion commune, menée avec tout le soin que requiert la grandeur de la vocation conjugale.
Ils ne peuvent jamais oublier ni mépriser aucun des devoirs en conflit. Ils garderont donc leur cœur disponible à l'appel de Dieu, attentifs à toute possibilité nouvelle qui remettrait en cause leur choix ou leur comportement d'aujourd'hui. Sans jamais perdre de vue la mission que Dieu leur a confiée et qu'ils aiment humblement, ils entendront comme il convient et avec reconnaissance la parole que saint Augustin, en d'autres circonstances, adressait aux fidèles de son temps : « Paix aux époux de bonne volonté. » (P. L., 44, 419.)
Ils remarqueront d'ailleurs que le sentiment d'être écartelés entre des obligations contraires se rencontre dans l'existence de presque tous les ménages, qu'il faille concilier le bien physique et moral d'un conjoint avec celui de l'autre, le bien des enfants avec celui des parents et même celui de chacun des enfants avec celui de ses frères et sœurs ou le devoir de l'engagement avec celui des exigences du foyer. Là aussi des options graves entre de graves devoirs s'imposent souvent.
C'est en somme l'expérience douloureuse de la condition humaine : elle permet de mieux comprendre tant de drames analogues en ces multiples domaines, médicaux, sociaux, syndicaux, économiques, politiques, internationaux... Chrétiens, nous n'ignorons pas que c'est notre monde tout entier qui, malgré sa participation à la résurrection du Christ, n'est pas encore délivré de la contradiction et de la mort. Seul le dernier avènement du Christ dans la gloire fera surgir « un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap., 21, 1), accordés de toutes parts à un homme qui aura enfin reçu le don plénier de l'unité intérieure.
121:129
Que les époux cependant n'en concluent jamais qu'ils sont dispensés de tout effort : témoins de l'espérance, ils ont à combattre, avec la grâce de Dieu, le mal sous toutes ses formes et à faire apparaître, dès maintenant, le commencement d'une création transfigurée (*Jacques,* 1, 16).
Écartons d'abord une méprise. En écrivant que la contraception « n'est pas toujours coupable », la *Note pastorale* ne vise pas la culpabilité subjective des époux. La proposition n'exprimerait alors que cette vérité incontestée que notre culpabilité personnelle ne dépend pas seulement de la matière de nos fautes, mais encore de nos dispositions intérieures, et, par suite, qu'une faute matériellement grave dont nous ignorerions entièrement qu'elle est une faute ne charge pas notre conscience : cas qui s'est certainement présenté fréquemment pour la contraception, pratiquée par de très nombreux couples sans culpabilité de ce chef, faute de savoir qu'ils n'en avaient pas le droit. Mais la culpabilité concrète des individus est un point qui ne concerne que les intéressés, seuls compétents, et la *Note pastorale* ne traite pas du problème de la conscience erronée, *ayant précisément pour objet d'éclairer les consciences*. Dès lors, la proposition signifie sans ambiguïté possible ce que tout le monde y a entendu : « Dans certaines circonstances, vous pourrez pratiquer la contraception sans être coupables. »
Ce n'est nullement que la *Note pastorale* convie les couples à la pratiquer ou seulement leur en donne toute licence. Elle les presse tout ce qu'il y a de plus expressément, au contraire, de ne pas oublier qu'ils ont le devoir de ne pas la pratiquer, parce que la contraception, dit-elle, « ne peut jamais être un bien, est toujours un désordre ».
122:129
Si donc ils y sont réduits, ce ne sera pas une solution parfaite. Mais il y a peu de solutions parfaites dans la vie, qui nous « écartèle » constamment « entre des obligations contraires ». Le devoir de ne pas pratiquer la contraception n'est pas le seul devoir des couples et il se peut qu'ils se trouvent dans des circonstances telles que leurs autres devoirs, fort impérieux aussi, ne se puissent, en fait, concilier avec celui-là. Par conséquent, « quelle que soit la décision prise », ils ne pourront « éviter un mal ». Quelle ligne de conduite alors adopter ? La *Note pastorale* énonce le principe qui doit guider la décision des ménages : dans ces conditions, leur répond-elle, « l'enseignement constant de la morale » « est de rechercher devant Dieu quel devoir, en l'occurrence, est majeur », autrement dit (mais, quoiqu'elle veuille dire exactement la même chose et soit d'usage plus courant, la *Note pastorale* n'emploie pas l'expression, on verra dans un instant pourquoi) quel est le moindre mal. « Les époux se détermineront au terme d'une réflexion commune, menée avec tout le soin que requiert la grandeur de la vocation conjugale. » Et la suite, qu'on peut lire plus haut, où l'on remarquera qu'attentive à ne pas prêter le flanc au reproche de laxisme, la *Note pastorale* demande aux époux de « garder leur cœur disponible à l'appel de Dieu », de façon à être toujours prêts, si la possibilité s'en présente, à renoncer à la contraception.
C'est en somme la solution de l'abbé Laurentin ([^70]) : ne pas pratiquer la contraception est incontestablement le mieux, et il faut y tendre ; mais c'est un « idéal » ; il peut parfaitement se présenter des circonstances où, non seulement elle ne soit pas coupable, mais où l'on serait coupable de ne pas la pratiquer, puisqu'on serait ainsi amené à manquer à un devoir plus grand.
123:129
La règle des règles est de « réaliser progressivement la perfection de la charité » ([^71]), où l'on ne parvient que lentement. « Toute existence est mêlée de bien et de mal. L'essentiel est que malgré cette ambiguïté, progresse le sens de la vie et de l'amour, dans une fidélité loyale à la vérité. » (n° 12)
Est-ce aussi la solution de Paul VI, pasteur et docteur suprême de tous les fidèles ? Reportons-nous à la seconde moitié du § 14 d'*Humanæ vitæ*, qui traite tout juste de ce même problème du conflit des devoirs : paragraphe, selon Henri Fesquet, « aussi technique que concis et d'une rédaction laborieuse » ; qui donc, ajoutait-il, avec son génie de la litote, « méritait d'être largement explicité, disons même interprété ». De là que nos évêques, toujours selon Henri Fesquet, et c'est encore une expression ravissante, l'ont « exploité à fond, au plan de la théologie morale » ([^72]). Il faut seulement croire qu'eux et moi n'avons pas les mêmes goûts, ou bien peut-être leur modestie a-t-elle craint que la comparaison ne leur fît la part trop belle : ils ne l'ont pas cité, laissant ainsi dans l'ombre leur mérite et la reconnaissance que les couples leur doivent. Mais je tiens trop à leur rendre pleine justice pour ne pas faire à leur pudeur une sainte violence.
Je transcris donc ci-dessous ce dernier alinéa du § 14, dans la traduction française, seul texte vraisemblablement que nos évêques aient consulté, étant trop absorbés par leurs soucis pastoraux et collégiaux pour être encore des hommes d'étude ; ils ont des experts pour cela. Et certainement c'est regrettable, la conséquence en étant que nous n'avons plus en France d'évêques qui soient des docteurs, alors que c'est une de leurs premières fonctions, où les experts n'ont pas, comme eux, grâce d'état.
124:129
Mais je veux être bon prince, et, s'il est vrai qu'ils ont eu tort de ne pas se reporter au texte original, comme j'ai fait par scrupule de méthode, au demeurant, on le constatera, non sans profit, ils ont assez d'autres torts plus graves pour être tenus quittes de celui-là.
Et on ne peut invoquer comme raisons valables, pour justifier des actes conjugaux rendus intentionnellement inféconds, le moindre mal ou le fait que ces actes constitueraient un tout avec les actes féconds qui ont précédé ou qui suivront, et dont ils partageraient l'unique et identique bonté morale. En vérité, s'il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral afin d'éviter un mal plus grand ou de promouvoir un bien plus grand, il n'est pas permis, même pour de très graves raisons, de faire le mal afin qu'il en résulte un bien, c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte positif de volonté ce qui est intrinsèquement un désordre et par conséquent une chose indigne de la personne humaine, même avec l'intention de sauvegarder ou de promouvoir des biens individuels, familiaux ou sociaux. C'est donc une erreur de penser qu'un acte conjugal rendu volontairement infécond, et par conséquent intrinsèquement déshonnête, puisse être rendu honnête par l'ensemble d'une vie conjugale féconde.
Passage laborieusement rédigé ? comme le pense Henri Fesquet. Il est bien difficile de le savoir, mais ce n'est pas ce qui nous importe. Facilement ou difficilement venu, il est du moins D'UNE NETTETÉ PARFAITE, et, particulièrement, il est clair comme le jour qu'il énonce une thèse fort différente de celle de la *Note pastorale,* au point de lui être positivement contraire. Je n'examine pas pour l'instant laquelle des deux a raison : je dis simplement que pas une tête normale ne trouvera le moyen de concilier ce que dit là *Humanæ vitæ* avec ce que dit la *Note pastorale.*
125:129
*Humanæ vitæ* dit : « IL N'EST PAS PERMIS, MÊME POUR DE TRÈS GRAVES RAISONS... » Mais la *Note pastorale :* « Non pas ! Dans certaines circonstances, la contraception n'est pas coupable. » *Humanæ vitæ* écarte expressément l'argument du « moindre mal » ; la *Note pastorale* allègue l'argument du « devoir majeur », autrement dit du « moindre mal » (on comprend maintenant pourquoi elle a évité l'expression) et, aux époux placés devant un « conflit de devoirs », dit de rechercher devant Dieu quel est le plus grand, quand *Humanæ vitæ* leur épargnait l'embarras du choix : « Pas de contraception. » Bref, nous avons affaire à une « interprétation » qui, sans contestation possible, est de l'ordre du faux en écritures publiques, délit qui, en des temps moins doux que le nôtre, conduisait aux galères. Les Cent Quatre ont de la chance que l'Église ait décidé de ne plus condamner. Tout de même, à leur place, si j'avais eu le même souci de désarmer *Humanæ vitæ,* par coquetterie ou seulement par vergogne, j'aurais cherché des arguments d'une imposture moins visible que celui-là pour ne pas abuser avec autant d'indiscrétion de l'assurance de l'impunité. Leurs experts ne sont pas assez futés. Encore ai-je cité la traduction, parce qu'il ne fallait pas permettre à des faussaires d'alléguer mensongèrement que leur bonne foi s'était laissée surprendre par une traduction inexacte : cette traduction inexacte suffit à les confondre. Il n'en est pas moins intéressant d'observer que l'écart est beaucoup plus sensible encore avec une traduction plus fidèle. Je souligne les changements qui visent à rendre plus exactement le texte latin, sans avertir typographiquement de ceux qui n'ont en vue que le style, le sens restant le même. Le texte latin, en note, permettra le contrôle.
126:129
Pour justifier des actes conjugaux rendus *artificiellement* inféconds, *il n'est pas permis* d'invoquer le moindre mal ou le fait que ces actes formeraient un tout avec les actes féconds qui ont précédé ou qui suivront et, en particulier, en partageraient l'unique et identique bonté morale. En vérité, s'il est parfois licite de tolérer un moindre mal moral pour éviter un mal plus grand ou promouvoir un bien supérieur, il n'est *toutefois jamais* permis, pas même pour les raisons *les plus* graves, de faire le mal afin qu'il en résulte un bien, c'est-à-dire de prendre comme objet d'un acte positif de la volonté *ce qui tient de sa nature même d'être une transgression de l'ordre moral* et *doit* pour cette raison *être jugé* indigne de l'homme, quelque intention qu'on ait de sauvegarder ou de promouvoir le bien de l'individu, de la famille ou de la société. Ce serait par conséquent une erreur *absolue* de penser qu'un acte conjugal rendu *artificiellement* infécond et, par là, intrinsèquement déshonnête, puisse *être justifié* par les rencontres fécondes de toute la suite d'une vie conjugale ([^73]).
On voit le parti tiré par la *Note pastorale* de la principale divergence. « La contraception est toujours un désordre, écrit-elle, mais ce désordre n'est pas toujours coupable. »
127:129
C'est-à-dire : avec la contraception, les choses ne se passent pas comme elles devraient normalement se passer, et, en cela, la contraception est toujours un désordre ; mais il y a des circonstances où ce désordre est permis par la loi morale. Et, de fait, nous le constations tout à l'heure, la traduction qualifie bien la contraception de chose « qui est intrinsèquement un désordre ». Il y avait donc, sur ce point, une certaine apparence de fidélité au texte de l'encyclique, encore qu'il faille s'appliquer beaucoup pour ne pas comprendre de quelle espèce de « désordre » il s'agit. Avec le texte latin exactement traduit, cette apparence même disparaît, y étant précisé que l'ordre que la contraception offense est l'ordre *moral.* Faites la substitution dans la phrase de la *Note pastorale :* « La contraception est toujours une transgression de l'ordre moral, mais cette transgression n'offense pas toujours la morale. » Une contradiction dans les termes.
Reste à trancher le débat au fond. Pourquoi Paul VI écarte-t-il l'argument du moindre mal ? Pour une raison bien simple qui se trouve dans tous les traités élémentaires de morale : parce que ce très grand mal, que nous ne pourrons pas éviter, ne sera pas commis *par nous* et que c'est de notre conduite, non de celle d'autrui ou du temps qu'il fera demain, que nous aurons à répondre devant Dieu. Il se peut fort bien que ma fidélité à la loi ait pour moi ou pour d'autres des conséquences douloureuses. Je n'en dois pas moins rester fidèle à la loi, en confiant les suites à la Providence. Elle ne m'épargnera peut-être pas la douleur, ni à d'autres, parce qu'il n'est pas dans la condition de l'homme de ne pas la connaître et qu'il lui est avantageux de faire son purgatoire sur terre ; mais je dois savoir qu'elle ne tente personne au-dessus de ses forces, envoyant la force avec l'épreuve, et si je m'abandonne à sa bonté avec la simplicité d'un enfant, je la trouverai plus maternelle infiniment, même à mes faiblesses, que n'est l'orgueilleuse sagesse humaine.
128:129
Voilà les réflexions qu'il est naturel à un chrétien de se faire et dont on est surpris de ne pas trouver trace dans la *Note pastorale *: à jurer que les Cent Quatre n'ont jamais lu le Sermon sur la montagne ou ne croient pas à ce qu'il dit. Et ils n'ont pas non plus réfléchi, car la réflexion ne semble pas leur fort, que leur argumentation, si elle était fondée, devrait les conduire à déclarer licites, dans certaines circonstances, bien d'autres comportements que la seule contraception. L'avortement, par exemple (qu'ils réprouvent formellement, n° 19), qui, dans certaines circonstances, nullement imaginaires, hélas ! peut, lui aussi, simplifier tant de choses ! ou encore la torture, pour arracher un secret qui sauvera des vies innocentes, cela s'est vu. -- Pardon, m'arrêtent-ils, ce sont là des actes beaucoup plus graves que la contraception, ce sont des actes indignes de l'homme. -- Parfaitement d'accord. Mais c'est leur raisonnement que j'attaque. Je veux les forcer à reconnaître qu'il y a certains actes dont la gravité fait qu'il n'y a pas de raison si pressante qui autorise à les commettre. Ils en conviennent pour l'avortement, ils en conviendront pour la torture, ils n'en conviennent pas pour la contraception. Preuve qu'intimement ils ne tiennent pas la contraception pour un acte véritablement grave, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas d'accord avec l'encyclique sur l'essentiel de son enseignement. Ils se bornent à déclarer que la contraception « ne peut jamais être un bien ». *Humanæ vitæ* va beaucoup plus loin : la contraception n'est JAMAIS licite. L'épiscopat dit expressément qu'elle « n'est pas toujours coupable », c'est-à-dire qu'elle est QUELQUEFOIS licite. Accorde qui pourra les deux propositions.
129:129
La rébellion -- le lecteur est-il maintenant convaincu que c'est le terme propre ? -- est donc indéniable. « En vertu du mandat que le Christ lui a confié », Paul VI, dans la plénitude de son autorité magistérielle, enseigne une doctrine qu'il dit être « la doctrine de l'Église ». Présentant le document qui la formule, qu'ils déclarent recevoir « en esprit de foi », nos évêques en enseignent une autre qui est inconciliable avec la doctrine enseignée par le pape, c'est-à-dire, mettons les points sur les i, que *si la doctrine des évêques est vraie, celle du pape est fausse*, et qu'inversement, *si la doctrine du pape est vraie celle des évêques est fausse.* Telle est l'exigence de la logique, et, de plus, la contradiction est si visible, si patente qu'on a peine à imaginer qu'elle ait pu échapper même aux plus obtus d'entre les Cent Quatre.
Cependant, se souvenant de la consigne mémorable, au lendemain d'*Humanæ vitæ,* de cet autre évêque hérétique ([^74]) qu'est le cardinal Bernard Alfrink, archevêque d'Utrecht : « Le temps des schismes est révolu » ([^75]), nos évêques continuent de se dire docilement soumis au pape. Car telle est la tactique présentement assignée par le Prince du mensonge à ses suppôts conscients ou inconscients : on ne se sépare pas de l'Église, on la pourrit du dedans. Et, sérieusement, ce n'est pas bête. Aussi bien serait-il sot de penser que le Diable soit bête. Il est fort intelligent, au contraire, il l'est beaucoup plus que les gens dont il se sert. Et même que ceux qui le combattent, qui ne lui échapperaient pas, s'ils n'avaient que leur propre force pour le vaincre.
130:129
Il importe souverainement, dans la crise présente de l'Église, la plus grave peut-être de son histoire, que cette tactique soit démasquée, pour qu'elle ne trompe pas les fidèles résolus à garder l'intégrité de leur foi dans l'exacte soumission au magistère de Pierre. On aurait donc le plus grand tort d'en croire la feinte docilité dont la *Note pastorale* couvre la réalité de sa rébellion. Il faut qu'il soit dit, qu'il soit crié que, dans sa teneur (encore une fois, je mets à part les intentions des personnes, dont je n'ai pas à connaître) cet acte collectif de l'épiscopat français, et non pas acte hâtivement rédigé, mais mûri, mais longuement débattu, est, au sens propre du terme, un acte hérétique : en ce qu'il rejette un point de la doctrine de l'Église, point très particulier sans doute, mais de grande importance pratique et d'absolue certitude : la contraception est toujours illicite.
**6. **Je terminerai cette analyse de la *Note pastorale* en me plaçant au point de vue où elle s'est elle-même placée, c'est-à-dire, son titre le dit, de la « pastorale ». Cette *Note r*endra-t-elle aux fidèles plus facile ou plus difficile de se conduire comme ils le doivent et, par là, d'atteindre leur fin dernière ? Question qu'il semble que les Cent Quatre aient dû se poser, s'ils ont encore quelque souci de leurs responsabilités et qu'en tout cas ne sauraient éviter les prêtres, à qui cette Note donne les règles à suivre dans la direction des consciences.
L'originalité de la position de la *Note pastorale* à l'égard d'*Humanæ* *vitæ* (et quand je dis originalité, on entend bien que c'est pour être aimable, infidélité serait plus juste) consiste en son refus du « légalisme » au bénéfice de la morale plus intérieure de l'intention. Soucieuse d'éclairer les ménages et, pour cela, de leur tracer avec netteté la frontière du licite et de l'illicite, *Humanæ vitæ*e se présente comme un code des rapports conjugaux. La *Note pastorale* a voulu rompre avec ce « légalisme », jugé par elle trop peu spirituel.
131:129
A la vérité, le bon sens gardant quelque droit jusque dans les têtes les plus folles, elle se flatterait de croire qu'elle y a entièrement réussi : l'avortement reste positivement interdit (n° 19). Mais elle y a du moins soustrait la contraception, située par elle au delà du permis et du défendu ([^76]) : aux époux d'apprécier.
Ce refus du « légalisme » n'est d'ailleurs pas une invention des Cent Quatre. Il s'est manifesté dès les premiers commentaires d'*Humanæ* *vitæ*, on le trouve chez le P. Martelet, chez l'abbé Laurentin. Il est même antérieur à l'encyclique, inspirant déjà, nous l'avons vu, le *Document de synthèse* de la majorité de la Commission d'étude. Il est une des formes caractéristiques du modernisme d'aujourd'hui et les Cent Quatre n'ont fait que s'abandonner au courant en l'épousant de toute l'ardeur de leur âme moutonnière.
Ici encore, je n'émets pas un jugement personnel. « Les évêques ont apaisé le trouble de beaucoup de consciences catholiques déformées par une conception légaliste de la morale », écrivait Henri Fesquet, au lendemain de la *Note* pastorale ([^77]). Et quelques jours plus tard :
Ils ont trouvé, semble-t-il, le moyen de satisfaire au maximum à la fois Rome et la part du « peuple de Dieu » dont ils sont responsables. Leur texte a été favorablement accueilli ici et là. Certains pourtant se sont inquiétés de la largeur de la brèche creusée, qui permettra aux catholiques peu scrupuleux d'abuser de la situation.
132:129
Cette crainte n'est pas imaginaire. Mais l'épiscopat a jugé en conscience que le risque valait la peine d'être couru. En effet l'heure du choix a sonné : ou bien la hiérarchie continue à exercer une action autoritaire et de nature casuistique cherchant à régir dans les moindres détails la conduite morale des chrétiens ; ou bien elle mise sur l'éducation des consciences et sur « *la liberté des enfants de Dieu *» baptisés et confirmés. Retenant le second terme de cette alternative, les évêques ont renoncé à une certaine « morale de la peur » bonne pour des mineurs plutôt que pour des adultes. A chacun de juger quel est « *le moindre mal *» : l'emploi de moyens contraceptifs ou telle ou telle situation particulière risquant de porter atteinte à l'épanouissement matériel et spirituel du couple et de la famille ([^78]).
Remercions Fesquet de la loyauté de son analyse : c'est bien en effet le choix qu'ont fait nos évêques, c'est là le « risque », point « imaginaire », qu'en rejetant le « légalisme » ils ont accepté de courir, ou plutôt, soyons justes, leur comportement personnel étant vraisemblablement hors de cause sur ce point, que leur « conscience » a cru judicieux de faire courir aux âmes dont ils ont la charge. Et ce n'est pas un risque qui soit petit. J'entends bien qu'en joignant à *Humanæ vitæ*, comme leur contribution propre à l'enseignement du Souverain Pontife, la permission de ne pas l'observer, nos évêques ont posé comme condition expresse que ce soit seulement « au terme d'une réflexion commune, menée devant Dieu avec tout le soin que requiert la grandeur de la vocation conjugale ».
133:129
Mais ce rappel de la grandeur du mariage ne pouvait leur voiler la certitude morale absolue (Fesquet n'émet pas le moindre doute, et il a raison) qu'il se trouverait des couples très nombreux pour ne retenir de la majestueuse sévérité de leur langage ecclésiastique que le secret de se donner bonne conscience en couvrant de vertueux prétextes ce que l'on a trop envie de faire. En quoi ces « catholiques peu scrupuleux » ne feront que suivre l'exemple de leurs pasteurs, la rigoureuse condition posée n'étant pas là pour limiter l'usage de la permission donnée, elle a trop peu de chance d'y réussir, mais pour permettre à des prélats soucieux de ne pas offenser leur dignité de donner cette autorisation avec bonne conscience, au nom d'une moralité supérieure, alors qu'ils pouvaient difficilement ignorer qu'ils n'en avaient pas le droit.
On ne se demande pas sans un certain frisson comment notre épiscopat a bien pu en venir à méconnaître aussi manifestement le service des âmes, ainsi privées par lui du secours de la loi et abandonnées sans sa protection à toutes les tentations. On s'en étonnera plus encore si l'on songe que parmi ces docteurs de la voie spacieuse, et c'était même, de l'auguste assemblée, l'un des membres les plus éminents, se trouvait un homme qui, du parti proprement démentiel qu'elle a pris, avait fait la critique la plus pertinente. « *Laisser les moyens à la sincérité subjective,* écrivait sous le coup de l'événement le cardinal Renard, *ce serait admettre l'indifférence des moyens, le relativisme moral et son invasion redoutable dans tous les secteurs de la vie : familiale, économique, sociale, civique,* etc. » ([^79]). On ne peut penser mieux. Mais c'était le cardinal Renard du 2 août, c'était l'homme, c'était le chrétien, c'était le pasteur spontanément et joyeusement soumis au Pasteur des pasteurs ; ce n'était pas le membre de la Conférence épiscopale. Et nous ne savons pas ce qu'a été le cardinal Renard de novembre.
134:129
De celui-là, nous ne savons qu'une chose, que je n'écris pas sans tristesse, s'agissant d'un homme de qui la foi ni la piété ne sont douteuses et qui, je le sais, mérite d'être aimé, mais c'est une chose qui porte à trop de réflexions pour ne pas être écrite : nous savons seulement qu'en dépit de ce qu'il professait trois mois plus tôt, lui aussi porte avec les Cent Quatre la responsabilité du document qu'il n'a peut-être pas voté (je l'ignore et n'en suis pas curieux), mais dont il ne s'est pas désolidarisé.
Qu'on mesure à ce trait la malfaisance des conférences épiscopales. N'existeraient-elle pas, chaque évêque aurait présenté l'encyclique à ses diocésains, et, bien sûr, ils n'auraient pas tous dit la même chose, mais, même avec l'épiscopat d'aujourd'hui, il s'en serait bien trouvé une dizaine pour être autrement qu'en parole soumis à Paul VI. Mieux eût valu mille fois ce désaccord visible que de voir, comme aujourd'hui, l'épiscopat de France, quatre inconnus, quatre valeureux silencieux exceptés, unanime à faire de l'appel adressé par le Pontife suprême à tous ses frères dans l'épiscopat pour qu'ils l'aident à présenter, « sans ambiguïté d'aucune sorte » ([^80]), la doctrine du Christ, une occasion de le trahir en protestant respectueusement de leur fidélité.
Ce n'est pas cependant que nos évêques ne se fussent fait une joie d'être soumis à Paul VI, ils ne lui veulent pas de mal ; mais avant leur fidélité au vicaire de Jésus-Christ passait dans leur cœur celle qu'ils doivent au monde moderne et c'est celle-là qu'ils entendaient ne trahir à aucun prix. Alors, les pauvres, ils ont fait de leur mieux pour servir leurs deux maîtres à la fois : ils ont donné à Paul VI l'apparence de leur fidélité et sa réalité au monde moderne.
135:129
N'allons pas surtout en conclure, car il ne faut pas les calomnier, qu'ils ne soient bien décidés à rester chrétiens, quand c'est au contraire pour l'être davantage et gagner plus d'âmes au Christ qu'ils se mettent à l' « écoute » de ce monde d'où nous vient aujourd'hui la véritable intelligence de cette incomparable foi chrétienne dont les ténèbres d'avant le Concile cachaient à nos pères l'humaine sublimité. Quel triomphe pour l'Église le jour où l'univers aura compris enfin que le Christ a surgi d'entre les hommes pour conduire l'homme à toute sa grandeur -- *eritis sicut dii* -- et qu'il n'a passé par la croix que pour nous l'épargner et sans elle faire de cette terre un nouveau paradis ! Erreur donc, erreur capitale que de maintenir les exigences chrétiennes des temps révolus quand c'est aux exigences nouvelles de l'humanité, servies par les pouvoirs que l'homme s'est découvert sur la nature que le christianisme doit s'adapter pour conquérir les foules.
Les malheureux ! Comme s'ils ne devraient pas savoir que le christianisme est une lumière qui nous vient d'au-delà de ce monde et que, loin qu'il ait à se mettre à l'école du monde pour être lui-même, c'est au contraire le monde qu'il doit mettre à l'école de l'Évangile.
Ou ce n'est plus le christianisme.
Voilà ce que l'épiscopat de France en corps, à en juger par son dernier document, pour ne pas parler d'un certain nombre d'autres, ne sait plus ; et il ne sait même pas qu'il l'ignore ; telle est son inconscience qu'il croit savoir. Quand on en est là, il n'y a que les voix rudes pour être bienfaisantes et vous réveiller des illusions qui conduisent au précipice.
136:129
Et c'est pourquoi, devant le monument de complaisance au monde et d'infidélité à Rome qu'est la *Note pastorale de l'épiscopat français sur* « *Humanæ vitæe *», c'est devoir de mettre sous les yeux de ceux d'entre les Cent Quatre qui croient encore au magistère de ce Pierre à qui le Christ a confié son Église, et même des Cent Huit, -- et sous les yeux aussi des prêtres placés sous leurs ordres, qui partageraient la forfaiture de leur épiscopat s'ils avaient la faiblesse de transmettre à leurs ouailles, parce qu'il leur vient de leur supérieur immédiat, un enseignement contraire à celui du présent successeur de Pierre, S. S. Paul VI, glorieusement régnant, -- et tous, grands et petits, de les inviter à méditer les graves et sévères paroles qu'un autre Souverain Pontife, sur le même sujet de la contraception, adressait aux prêtres qui auraient le malheur de tenir le langage que ces évêques, ces princes de l'Église n'ont pas rougi d'étaler au grand jour et de couvrir des dehors de leur hypocrite soumission :
Si d'ailleurs un confesseur, ou un pasteur des âmes -- ce qu'à Dieu ne plaise ! -- induisait en ces erreurs les fidèles qui lui sont confiés, ou si, du moins, soit par une approbation, soit par un silence calculé, il les y confirmait, qu'il sache qu'il aura à rendre à Dieu, le Juge suprême, un compte sévère de sa prévarication ; qu'il considère comme lui étant adressées ces paroles du Christ : « Ce sont des aveugles, et ils sont les chefs des aveugles ; or, si un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse. » ([^81])
C'est aujourd'hui.
Henri Rambaud.
137:129
### Court traité philosophique d'une trahison
par Marcel De Corte
**1. **On avait pu espérer que la contestation de l'Encyclique *Humanæ vitæ,* inaugurée par les évêques, hollandais, allemands et belges, n'aurait pas fait tache d'huile, et que cette rébellion d'épiscopats entiers contre l'autorité pontificale en matière de mœurs, unique dans l'histoire de l'Église, aurait provoqué ailleurs de saines et promptes réactions. Il n'en est rien. Voici que l'Assemblée des évêques de France, apparemment unanime, entre à son tour dans la résistance à l'oppression vaticane.
Avec un certain retard, il est vrai. Les cent huit évêques et archevêques présents à Lourdes pour définir leur position en cette matière nous assurent qu'ils ont pu de la sorte « *procéder à de larges consultations auprès des prêtres et des laïcs, notamment des foyers *» et que « *de nombreux théologiens leur ont fait part de leurs réflexions, ainsi que des experts de diverses disciplines *».
138:129
Le texte que nous avons sous les yeux ([^82]) est, paraît-il, la huitième version du projet initial et a subi 494 amendements. Nous sommes en présence d'un document exceptionnellement élaboré, dont tous les termes ont été calculés et combinés avec précision, en appréciant avec exactitude leur portée et leurs conséquences.
L'intention de leurs auteurs est de « *répondre au désir du Pape et à l'attente des fidèles *». Ils ne font que « *présenter aujourd'hui cette Encyclique *» à leurs ouailles. En réalité, ils en gauchissent la signification, et le délai qu'ils se sont accordé, ainsi que le traitement minutieux qu'ils ont fait subir à leur texte, leur a précisément servi à parfaire l'entreprise de destruction de l'Encyclique commencée par les trois épiscopats précités. Cela est visible entre les lignes et dans les lignes.
Mgr Marty a maladroitement vendu la mèche en parlant de la Note collective de l'Épiscopat français à la Télévision. Nous avons *traduit* l'Encyclique, a-t-il dit, à l'usage des Français.
Le verbe *traduire* exprime bien l'intention de l'Épiscopat. Comme il ne peut être ici question de son premier sens. « faire passer un ouvrage d'une langue dans une autre », il nous faut recourir au second : « expliquer, interpréter ». Il ne s'agit plus donc d'une simple *présentation*, il s'agit d'une *interprétation.*
Autrement dit, il ne s'agit plus de la façon de voir les choses qu'a le Pape en son Encyclique, mais de la façon de les voir qu'en ont les évêques de France. Autrement dit encore, il ne s'agit plus de dire en d'autres termes ce que le Pape a dit, mais d'*expliquer* aux Français comment leurs Évêques lisent l'Encyclique.
On comprend donc l'adjonction de « *l'attente des fidèles *» au « *désir du Pape *». Ainsi que nous allons le voir, la NOTE PASTORALE des évêques s'inspire d'une conception radicalement subjectiviste de la morale : elle répond à « *l'attente des fidèles *», à leurs aspirations, à leurs requêtes, aux exigences de leur subjectivité, bref à la caractéristique la plus nette de l'homme contemporain : le culte du Moi. C'est ce qu'on appelle en jargon « l'épanouissement de la personne humaine ».
139:129
La NOTE ne répond nullement ni en son ensemble ni en son inspiration à « *l'attente des fidèles *» qui se figurent recevoir exactement ce que le Pape a dit, un enseignement sûr et ferme, désormais garanti par toutes les autorités de l'Église, des directives sans équivoque et conformes aux vœux du vicaire du Christ ([^83]). Elle s'efforce, au contraire, malgré quelques clauses de style, insérées sans doute ça et là dans le texte par quelques contestataires de la contestation impuissants, mais scrupuleux, d'infléchir la solide doctrine pontificale dans « le sens de l'histoire » et selon les vœux du monde. Alors que le Pape ramène sans cesse son argumentation et ses instructions *à la finalité objective du mariage :* la transmission de la vie humaine, qui doit commander la conscience et les actes des époux, la NOTE tente au contraire d'enrober cette doctrine que l'Église a toujours faite sienne, dans une *interprétation* qui satisfasse « *l'attente des fidèles *» en ce qu'elle a de subjectif et au sens que la mentalité moderne donne à ces mots : attente, désir, aspiration, exigence, etc. « *L'attente *» est ce qu'on désire, comme on le désire. Ce n'est pas ce que l'on reçoit, c'est ce que l'on projette et dont on escompte la réalisation. L'homme moderne n'attend pas une chose parce qu'elle est bonne en elle-même : cette chose est bonne parce qu'il l'attend. « Le monde *attend* l'apparition d'un nouveau style de vie sacerdotal », lisons-nous dans le récent Manifeste des 120 « Enragés » à l'Épiscopat. Tout ce que le monde *attend* est bon.
140:129
Le monde veut un mariage qui ne réponde ni à l'essence ni à la finalité objective du mariage ? il l'aura. Son *attente* sera comblée. Il suffira de transformer l'enseignement pontifical en enseignement épiscopal sans qu'on s'en aperçoive. Identifier ces contradictoires : objectivité et subjectivité, soumission du sujet à l'objet et soumission de l'objet au sujet, est chose aisée. Toute la philosophie moderne depuis Kant et Hegel jusqu'à Marx et Teilhard enseigne les recettes, dûment éprouvées par des centaines de milliers d'applications quotidiennes. Il suffit de faire dire aux mots non pas ce qu'ils signifient, mais ce qu'on veut qu'ils expriment. A la limite, on est dupe soi-même du procédé. On l'utilise en toute bonne conscience. Le mariage du *non* et du *oui* s'effectue automatiquement. Comme on respire.
**2. **Lisons. « *Cette Encyclique --* celle-là précisément, mise à part avec *Humani Generis* sans doute -- les *évêques l'ont reçue en esprit de foi *». On n'y ajoute pas « en esprit d'obéissance et en parfaite communauté de vues ». C'est uniquement parce que le Seigneur « *a confié à Pierre la charge quotidienne de toute l'Église *» qu'on l'a reçue. L'Encyclique est donc un acte du gouvernement « *quotidien *» de l'Église. Un autre acte du gouvernement « *quotidien *» pourra donc l'amender, la gauchir, lui donner un sens nouveau, voire même la supprimer. Selon « *l'attente des fidèles *», laquelle varie à son tour selon les époques. Il est toujours permis de se renier au niveau du « quotidien » : demain n'est pas aujourd'hui et aujourd'hui n'est pas hier, lorsqu'on ne se place pas au niveau de l'éternel.
Lisons encore : « *Le Pape y engage sa responsabilité *». On n'y ajoute pas : « Nous y engageons la nôtre, car c'est là un acte du gouvernement permanent de l'Église qui nous lie pour l'avenir comme elle a lié nos prédécesseurs pour le passé ». Aussi complète-t-on immédiatement la réticence à s'engager (bien que la mode soit chez les clercs à s'engager partout) en disant que « *ce document *» n'est « *pas revêtu du caractère d'infaillibilité *».
141:129
Sans doute, la NOTE PASTORALE des évêques français évite-t-elle le ton agressif, hautain, pédant, des Lettres hollandaise, allemande, et belge. Elle n'a pas leur lourdeur. Elle laisse proclamer à l'abbé Oraison que « ce document est faillible et qu'il comporte des aspects discutables, sinon même inexacts ». Seuls, « *les fidèles doivent lui accorder une soumission religieuse de la volonté et de l'intelligence *». Les membres de la Hiérarchie, de l'archevêque au vicaire en passant par le théologien, ne paraissent pas astreints à cette obligation. Cette « *soumission *», du reste, n'est que « *religieuse *», c'est-à-dire, si je comprends bien et selon mon Littré : « exacte, ponctuelle, scrupuleuse, -- à travers la traduction épiscopale, s'entend -- au point de s'en faire une sorte de religion ». Entendons donc que la soumission requise est religieuse sans l'être et qu'elle peut être même un tantinet non religieuse au sens propre du terme. Il ne peut en être autrement puisque l'Encyclique « *n'est pas revêtue du caractère d'infaillibilité *».
Aussi la NOTE parle-t-elle aussitôt des « *difficultés quasi insurmontables *» que rencontrent les « *consciences *» devant « *l'enseignement du Pape *» et du « *malaise *» qu'éprouvent devant lui tous ceux « *qui, au terme d'études sérieuses, étaient parvenus à des conclusions différentes *». Il y a donc des « *difficultés quasi insurmontables *» et des dissentiments « *sérieux *», motivés, dignes de considération, à suivre l'ordre naturel de la vie dont le Pape rappelle l'urgente et nécessaire discipline. On n'est pas loin d'assurer qu'on peut faire à cet enseignement des objections graves qui emportent « quasi » l'adhésion et que le Pape se trouve seul à le soutenir. Leurs auteurs sont groupés sous la dénomination bienveillante « *d'hommes de bonne volonté *». Les stratèges de la campagne menée pendant quatre ans pour faire plier le Pape sous « l'injonction » de l'opinion publique téléguidée, les théologiens perfides, les empoisonneurs des esprits, etc. sont décidément de bien braves gens, au même titre que les pauvres victimes de leur intoxication publicitaire.
142:129
Dans cette « affaire », il y a eu « *de multiples commentaires et des réactions passionnées *», mais on tait de quelles insultes le Pape a été abreuvé. On ne les condamne pas, même d'une manière générale. Le Pape « *a engagé sa responsabilité *». Qu'il se débrouille ! Nous, les évêques, nous n'avons d'autre dessein que « *d'aider ces hommes de bonne volonté à comprendre la pensée du Saint-Père et à retrouver la paix du cœur *».
**3. **Et voici comment s'exécute ce dessein.
L'enseignement du Pape, insistons-y, dépasse volontairement l'actualité et se situe au plan de l'éternelle nature humaine, de sa finalité objective, du respect des lois inscrites au cœur de tout homme et des conséquences ruineuses pour l'individu, la société, le salut de l'âme, qu'entraîne leur reniement en une matière aussi importante. On le replace, dès le début de la *traduction* de l'Encyclique, au plan de l'actualité et de l'actualité elle-même pour ainsi dire désactualisée et interprétée selon la perspective progressiste chère à la Hiérarchie française.
Poursuivons notre lecture : « *Si l'intervention du Pape a provoqué de tels remous *» -- comment des « *remous *» peuvent-ils résulter d'une « *bonne volonté *», c'est ce qu'un esprit fidèle aux principes fondamentaux de la pensée et du réel ne peut comprendre -- « *c'est sans doute parce qu'il aborde ce qui touche à la source même de la vie et que la civilisation est actuellement en pleine crise de croissance *».
143:129
Essayez de comprendre la jonction de ces deux raisons qu'on nous donne ! Vous ne trouverez rien d'autre qu'un essai de justification du « progrès » qui permet à l'homme de pénétrer jusqu'aux sources mêmes de la vie, de les soustraire à la loi du Créateur et de les soumettre à sa propre loi.
La preuve, c'est la phrase suivante : « *Les progrès sont considérables et transforment la condition humaine. Les sciences confèrent une emprise étonnante sur la création et même sur l'homme *» -- l'on évite soigneusement de dire à qui et l'on préfère écrire en mauvais français -- « *Et, pour la question qui nous préoccupe, les recherches actuelles sur l'amour et la sexualité ont ouvert des perspectives nouvelles sur leur signification réciproque. *»
Que ces recherches soient contestables et contestées par de nombreux savants, psychologues, et philosophes, ainsi que par quelques trop rares théologiens, on ne nous en dit rien. Alors que les échecs de ces prétendus inventeurs atteignent la dimension de leur suffisance, les évêques leur accordent toute leur confiance.
Ce n'est rien encore : la NOTE se refuse d'admettre que « le progrès » en est arrivé à un point où il donne manifestement la preuve qu'il libère les forces de destruction dont il est gros : témoin la bombe atomique que tant de catholiques égarés voudraient réserver aux seuls porteurs du progrès de l'humanité, les communistes.
Le bon sens nous dit qu'un clou chasse l'autre. L'expérience nous montre que tout progrès exhausse une valeur et en dégrade corrélativement une autre. L'observation psychologique et historique révèle qu'à partir d'un certain pouvoir sur les êtres et les choses l'homme succombe à la tentation de la démesure : *le vouloir suit alors le pouvoir au lieu de le diriger.* De cet immense danger, la NOTE ne dit pas un seul mot.
144:129
Au lieu d'admettre tout simplement ce que la réalité proclame avec force : à savoir que « la pilule » est *un progrès dans la thérapeutique* de certaines maladies de la femme et une régression dans l'ordre moral et religieux, on confond avec allégresse les plans. On est alors contraint, par ce progressisme même et par cette installation délibérée dans l'imaginaire, à faire de ce progrès technique un progrès humain et à insinuer que « la pilule » sera bienfaisante à tous égards.
J'exagère ? Non ! La phrase qui suit immédiatement le prouve. Sa forme interrogative et son balancement même suggèrent invinciblement une réponse affirmative : « *Comment, loin d'être asservi par ses propres conquêtes, l'homme trouvera-t-il l'occasion d'exercer une maîtrise éclairée et courageuse de sa condition ? *» On n'écrit pas : « loin d'être asservi un jour par ses propres conquêtes ». Que non ! L'homme est d'ores et déjà maître de ses conquêtes et de son destin. De cela, on en est sûr. L'Encyclique n'est pas infaillible, mais la NOTE l'est. C'est une certitude absolue que « le progrès ». L'homme va de progrès en progrès. Devant ce progrès qu'est « la pilule », il ne s'agit donc plus que de trouver le moyen, la recette, le truc grâce auquel l'homme sera toujours davantage maître « *de sa condition* », bref d'aller plus avant dans la voie du progrès, d'améliorer une technique par une autre technique, indéfiniment. Après « la pilule » qui supprime la régulation ovulaire, on en trouvera une autre qui supprimera la hantise de la morale et du juridique.
Notons l'emploi du mot *condition* et, plus haut, celui de *condition humaine*. C'est l'expression, communément répandue aujourd'hui, qui remplace la nature *humaine* entachée d'un incurable et intolérable « immobilisme ». On change de condition, on peut en changer sans cesse, on ne change pas de nature. Ce vocabulaire montre bien dans quelle perspective les évêques lisent, traduisent et présentent l'Encyclique aux fidèles : ce n'est pas celle de l'Encyclique elle-même, fondée sur l'ordre éternel de la nature, c'est-à-dire, comme vient de l'écrire avec suffisance le R.P. Ribes, directeur des *Études*, sur une conception « qui n'est pas substantiellement différente de celle des marxistes les plus primaires ».
145:129
C'est, au contraire, celle d'un évolutionnisme latent qui ne diffère pas « substantiellement » de la conception marxiste selon laquelle l'homme se dépasse sans cesse lui-même grâce à ses techniques.
**4. **On pouvait dès lors s'attendre à ce que le résumé que la NOTE des évêques français nous fabrique de l'Encyclique fût aussi terne et flasque que possible. Quiconque le lit immédiatement après l'Encyclique, éprouve le sentiment de se trouver en présence d'un pensum. C'est plat. Cela n'a en aucune manière la vigueur, le muscle, la sève de l'original. Là où le Pape juge, les évêques interrogent. L'emploi des contraceptifs dégrade la femme, écrit le Pape. « *Est-on si assuré que la nécessaire promotion de la femme coïncide réellement avec l'emploi des procédés contraceptifs ? *», transposent les évêques.
Tout le reste est à l'avenant. J'ai fait lire à un incroyant l'Encyclique et la NOTE, l'une après l'autre. Sa réaction ne pouvait être « passionnée ». La lecture de l'Encyclique n'a donc pas provoqué en lui « une joie sauvage », comme l'a dit témérairement un évêque de catholiques qu'il ne nomme pas. Voici son sentiment : « Le Pape est persuasif, convainquant même, m'a-t-il dit, les Évêques me donnent l'impression de croire à peine à ce qu'ils écrivent. »
Je n'insisterai pas sur ce parallèle trop cruellement, exact. Je dirai simplement que cette conviction chétive des évêques les porte à insister beaucoup moins -- et même pas du tout ! -- sur la puissance salvatrice de l'Encyclique que sur ses « *difficultés d'application *» dues « *au progrès lui-même *» et « *aux déficiences de la société *», dont on nous déclare qu'elle ne s'adapte pas assez vite à ce progrès et qu' « *il est urgent de la modifier *».
146:129
Le progrès a « *renouvelé les données du problème *». Dès lors, si les données du problème sont différentes, c'est dire, sans oser aller jusqu'à la conclusion que tout homme moyennement intelligent doit en tirer, *que la solution à en donner est différente et, par voie de conséquence, que le Pape s'est fourvoyé.* Quand les données d'un problème changent, sa solution change à son tour. En refusant de tenir compte du « *progrès *» apporté par « *la science *», le Pape n'a fait que répéter une morale périmée et intenable : on ne va pas contre le progrès, et les difficultés de « *quasi insurmontables *» deviendront insurmontables.
D'autre part, avancer que l'Encyclique rencontre des « *difficultés d'application *» dans la société contemporaine et qu' « il est urgent de modifier le contexte » dans lequel l'individu s'insère, c'est croire que la facile réforme des institutions pourra remplacer la difficile réforme des mœurs et s'abandonner à un « juridisme » contre lequel, par ailleurs, nous l'avons vu, on s'élève.
De fait, NULLE PART LES ÉVÊQUES NE FONT APPEL A LA CONTINENCE ET A LA CHASTETÉ CONJUGALES. Ces vertus fortifiantes ne sont plus à la mode.
**5. **A force d'affaiblir l'Encyclique, on en arrive de la sorte à la contredire et, par là-même, à proposer aux fidèles une doctrine morale qu'il ne faut pas hésiter à qualifier de *fausse* et *perverse.* On n'en prendra évidemment pas le contre-pied à la manière des évêques hollandais, allemands et belges, qui transforment dialectiquement les instructions d'*Humanæ vitæ* en leurs contraires. Ce qui est défendu deviendra tout de même autorisé. Avec onction.
147:129
D'abord, par un sophisme dont on rougit pour les évêques français : « *La contraception ne peut jamais être un bien. Elle est toujours un désordre, mais ce désordre n'est pas toujours coupable. *» Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Si la contraception ne peut jamais être un bien, elle est donc TOUJOURS un mal. La VOULOIR, c'est VOULOIR LE MAL, et vouloir le mal est toujours être COUPABLE. La baptiser « désordre » pour la permettre subrepticement est une rouerie indigne d'hommes qui sont responsables du salut des âmes que le Christ leur a confiées.
Ensuite, et c'est le comble, en motivant cette absence de culpabilité attachée au « *désordre *» par une théorie morale qui entraînerait, si elle est accréditée, une subversion totale de la morale et des mœurs.
« *Il arrive, en effet, que des époux se considèrent en face de véritables conflits de devoirs --* (*il est bien dit :* VÉRITABLES). *Nul n'ignore les angoisses spirituelles où se débattent des époux sincères, notamment lorsque l'observance des rythmes naturels ne réussit pas à donner une base suffisamment sûre à la régulation des naissances* ([^84]). *D'une part, ils sont conscients du devoir de respecter l'ouverture à la vie de tout acte conjugal ; ils estiment également en conscience devoir éviter ou reporter à plus tard une nouvelle naissance, et sont privés de la ressource de s'en remettre aux rythmes biologiques. D'autre part, ils ne voient pas, en ce qui les concerne, comment énoncer actuellement à l'expression physique de leur amour sans que soit menacée la stabilité de leur foyer* ([^85]). *A ce sujet, nous rappellerons simplement l'enseignement de la morale : quant on est dans une alternative de devoir où, quelle que soit la décision prise, on ne peut éviter un mal, la sagesse traditionnelle prévoit de rechercher devant Dieu quel devoir, en l'occurrence, est majeur.*
148:129
*Les époux se détermineront au terme d'une réflexion commune menée avec tout le soin que requiert la grandeur de leur vocation conjugale. Ils ne peuvent jamais oublier ni mépriser aucun des devoirs en conflit... Sans jamais perdre de vue la mission que Dieu leur a confiée et qu'ils aiment humblement, ils entendront comme il convient et avec reconnaissance la parole que saint Augustin, en d'autres circonstances, adressait aux fidèles de son temps :* « *Paix aux époux de bonne volonté ! *»
Autrement dit : « Ne vous confessez même pas. Vous n'êtes pas coupables. Allez en paix ! »
Je le dis tout net, en pesant mes mots, et avec l'autorité que me confère tout de même une vie passée tout entière à enseigner la philosophie morale : *Je ne connais pas de doctrine plus* ABOMINABLE que cette pseudo-doctrine des conflits de devoirs où éclate -- bien qu'il soit dissimulé avec soin -- le subjectivisme dont la « pensée » des évêques français est la proie ([^86]). En premier lieu, il n'y a pas de «* véritables conflits de devoirs *». Certes, on peut vivre subjectivement un conflit intérieur COMME un conflit de devoirs, mais dès qu'on soumet ce conflit au discernement de la prudence qui le replace dans l'axe objectif du bien à faire, il s'évanouit aussitôt. Le commandement de la prudence qui nous intime notre devoir ne balance pas entre deux devoirs : il n'y en a pour lui qu'un seul. Il n'y a pas « en l'occurrence » un devoir « majeur » et un devoir « mineur », sauf au niveau verbal. Ce qui se présentait subjectivement comme un devoir en conflit avec un autre devoir se révèle à la réflexion objective comme un devoir fallacieux et une illusion.
149:129
L'exemple le plus obvie est celui du chirurgien qui doit opérer d'extrême urgence un malade pour tenter de lui sauver la vie alors qu'il se trouve seul et qu'un autre cas, d'extrême urgence également, se présente à lui. Il ne pourra trancher cet apparent conflit de devoir qu'en recourant au seul devoir *réel* et *objectif* que lui impose son discernement prudentiel. Ainsi, l'un des patients est un vieillard célibataire et l'autre une jeune mère de famille nombreuse. Le seul et unique devoir est évident. Il n'y a jamais *objectivement* qu'*un seul* devoir.
D'autres cas peuvent être beaucoup plus complexes et requérir une plus longue délibération avec ses alternances du pour au contre et du contre au pour. Mais en fin de compte le conflit subjectif s'évanouit : le devoir apparent, qui n'est donc pas un vrai devoir, le cède au seul vrai devoir, soit au terme de la délibération menée personnellement, soit à la lumière des conseils donnés par un tiers compétent. Si l'on hésite, il faut en effet s'instruire de son devoir. C'est une obligation. Et notre conseiller a le devoir IMPÉRIEUX de nous recommander la voie du seul devoir *objectif*.
« *En l'occurrence *», le cas de conscience proposé par la NOTE des évêques doit donc être tranché sans hésitation ni tergiversation possible. L'emploi des contraceptifs dans l'acte conjugal est intrinsèquement mauvais. Le Pape vient de le déclarer formellement. La raison confirme cette condamnation. *L'ériger en devoir est une* ABERRATION ([^87]). Il n'y a pas même ici un devoir apparent en conflit avec un devoir réel. Il n'y a qu'un devoir réel et un seul : repousser la tentation d'user de tels moyens. Quiconque propose une autre solution que celle-là, FÛT-IL ÉVÊQUE, est un MALFAITEUR parce qu'il collabore au mal.
150:129
Les époux dont on nous propose l'exemple (serait-ce afin de le généraliser ?) « *ne voient pas, en ce qui les concerne, comment renoncer actuellement à l'expression physique de leur amour *», c'est-à-dire en termes EXACTS : *à l'emploi de contraceptifs dans l'acte conjugal,* « *sans que soit menacée la stabilité de leur foyer ? *». On nous la baille belle ! La stabilité de leur foyer est infiniment plus menacée par le désordre moral qu'ils y introduisent que par la pratique vertueuse de la continence !
Que des évêques proclament *urbi et orbi* qu'on se trouve ici « *dans une alternative de devoirs où, quelle que soit la décision prise, on ne peut éviter un mal *» et qu'il faut alors « rechercher DEVANT DIEU », s'il vous plaît, *quel devoir, en l'occurrence, est majeur*, dépasse l'entendement : comment se placer « *devant Dieu *» au moment même où l'on décide, avec approbation épiscopale unanime, *de se détourner de Dieu ?*
A ce compte, on arrive à tout permettre aux conjoints. Nous disons bien TOUT, car il ne faut « *jamais oublier ni mépriser aucun des devoirs en conflit *». Si les conjoints « *ne voient pas, en ce qui les concerne comment renoncer à l'expression physique de leur amour *» par la voie de Sodome et Gomorrhe, tout aussi illicite que celle des contraceptifs, « *sans que soit menacée la stabilité de leur foyer *», il faudra donc permettre au mari de sodomiser sa femme ? En élargissant le débat : les conjoints qui « *ne voient pas *» comment assurer « *la stabilité de leur foyer *» sans voler ou tuer, en recevront-ils l'autorisation épiscopale ? LA FIN JUSTIFIE LES MOYENS ?
**6. **CEST FOU. C'est fou au sens que lui donne Chesterton : le fou n'est pas l'homme qui a perdu la raison, mais bien celui qui a tout perdu, *sauf la raison*. Nos évêques ne parviennent plus à utiliser leur raison.
151:129
Ils ne sont plus capables d'atteindre le réel et d'en dégager les lignes intelligibles (dans l'ordre spéculatif) ou des normes objectives de conduite (dans l'ordre pratique). Alors ils sont obligés d'INVENTER, de CRÉER de toutes pièces un univers imaginaire qui n'existe que dans leur esprit.
Faute d'intelligence spéculative et pratique, ils se rabattent sur la forme *poétique* de l'intelligence. Ils sont ainsi engagés, A LA SUITE DE LA RÉVOLUTION et singulièrement du MARXISME, dans l'impossible *construction* d'un *homme nouveau,* d'une *morale nouvelle,* d'un *monde nouveau,* d'une *société nouvelle.* Car la Révolution n'est rien d'autre en sa racine : une subversion de l'esprit qui, au lieu de se soumettre aux lois du réel, prétend soumettre le réel à ses propres lois. La réalité s'y refuse ? Eh bien ! on détruira la réalité pour faire place à « l'esprit », à « l'idée », à « l'idéologie ».
Si la nouvelle morale INVENTÉE de toutes pièces par ces évêques à la pensée vagabonde venait à s'accréditer, ce serait LA FIN DE LA MORALE. Déjà, avec le nouveau catéchisme, le déracinement de l'esprit hors des réalités essentielles de la Foi et la construction artificielle d'un type nouveau de religion chrétienne se trouvent tolérés PAR EUX, A CAUSE D'EUX, AVEC LEUR CAUTION, SOUS LE COUVERT DE LEUR AUTORITÉ (*de leur pseudo-autorité*) ET DE LEUR FAIBLESSE (*de leur trop réelle faiblesse*). La nouvelle conception du mariage suit la nouvelle conception de la Foi. Un seul et même mouvement destructeur les soulève l'une et l'autre.
Il suffit de réfléchir un instant pour le comprendre. La religion imaginaire dont le nouveau catéchisme est le véhicule et la morale imaginaire dont les évêques sont les champions ont le même point de départ : l'homme moderne ne peut plus admettre d'être guidé ni dans ses démarches intellectuelles ni dans sa conduite morale par une loi extérieure à lui-même. Il faut que le christianisme s'adapte à cette situation sous peine de mort.
152:129
La conscience chrétienne ne se soumettra donc plus à la réalité du dogme ni à la règle objective des mœurs qu'est la loi naturelle. Elle n'en prendra que ce qui s'adapte à sa subjectivité. Ainsi la foi et la morale, en faisant peau neuve, seront-elles sauvées ! A quel prix ? En liquidant l'ancienne religion, l'ancienne morale périmées. On tue l'éternel pour préserver le temporel.
Telle est l'inéluctable conséquence du SUBJECTIVISME dont l'esprit des évêques est la proie.
Le danger de la subversion s'accroît : il touche ici « *à la source même de la vie *», il exclut donc, sauf miracle, toute possibilité de résurrection de « l'éternel » en l'homme, il ravale l'homme au niveau de la brute.
PAR LA VOIE DE LA NOUVELLE MORALE SEXUELLE QUE LEUR NOTE PROPOSE, LES ÉVÊQUES FRANÇAIS AUTORISENT LE MAL QUI A ENVAHI DÉJA LE DOMAINE SPÉCULATIF (voyez ce que devient le *Credo !*) ET LA CITÉ (car la socialisation est désormais une grâce) A PÉNÉTRER DANS LE SEUL ÎLOT DE RÉSISTANCE OÙ IL ÉTAIT ENCORE, VAILLE QUE VAILLE, TENU EN ÉCHEC : LE FOYER CHRÉTIEN ([^88]).
Un foyer « chrétien » abandonné aux délices et aux délires de la nouvelle morale subjectiviste ne pourra plus élever humainement et chrétiennement sa progéniture : le subjectivisme n'engendre par définition que le subjectivisme. Si des épiscopats entiers lui enseignent qu'il n'y a plus de normes objectives de conduite, plus de lois, plus d'obligations inscrites dans la nature des êtres, et qu'il a « le devoir » d'inventer « son devoir », ce foyer ne sera pas long à se dissocier et, s'il ne le fait pas, à contaminer de son mal tout son environnement social ainsi que la progéniture qui naîtra (occasionnellement) de lui par maternité et paternité « responsables ». *Il n'y aura plus de salut possible pour l'humanité, et pour l'Église dans l'avenir :* LA TRANSMISSION DU DÉPOT DOUBLEMENT SACRÉ DE LA VIE NATURELLE ET SURNATURELLE SERA INTERROMPUE.
153:129
L'Encyclique ranimait l'espérance de voir LA TRADITION se continuer *au moins au niveau de la famille* et, par là, d'assurer notre salut, au jour voulu par Dieu. La NOTE de l'épiscopat français, jointe à tant d'autres, l'exténue. C'est pourquoi elle est un CRIME. Elle tue le seul organe qui n'était pas encore menacé de rupture par de fausses conceptions morales d'origine pseudo-chrétienne et qui véhiculait encore la *continuité*, condition essentielle de toute vie humaine et chrétienne.
« L'homme seul est un animal ou un dieu. » Ce mot bien connu d'Aristote nous décrit ce qui nous attend désormais, nous et notre descendance : le subjectivisme, l'idéalisme, l'irréalisme, l'individualisme, le narcissisme -- c'est chou vert et vert chou -- de l'Épiscopat intronisent la future collectivité animale et la future religion de la Bête. LE NÉANT HUMAIN. DIEU MORT.
**7. **Je ne sais si les cent huit évêques français et les innombrables courtisans dont il s'entourent pratiquent dans l'Église *la paternité spirituelle responsable* dont le Christ les a investis. S'ils savent ce qu'ils font, l'espoir se rallume de la guérison : celui qui s'égare en sachant qu'il s'égare peut encore retrouver son chemin. *S'ils ne savent pas ce qu'ils font, tout est perdu.*
Plus que jamais, le destin de l'humanité et de l'Église est dans les mains de Dieu, en Ses seules mains. Du fond de l'abîme de déréliction où nos évêques nous plongent, nous crions vers Vous, Seigneur...
Marcel De Corte.
*Professeur à l'Université de Liège.*
154:129
### Sacra virginitas
par Luce Quenette
LA VIRGINITÉ a brillé éclatante avec l'avènement de l'Homme Dieu. Il a voulu naître d'une Mère Vierge, *--* et c'était la nécessaire condition de son incarnation. Dès que l'Ange, pur esprit, se présente à Nazareth, la Virginité reçoit la consécration non seulement de la Beauté, de la Pureté humaine, de la complaisance divine (« Il fut envoyé à une Vierge... ne craignez pas, vous avez plu... »), mais encore la gloire de la fécondité miraculeuse... le Saint Esprit *obumbrabit* et vous enfanterez. Désormais la Virginité décidée et offerte est à la fois gloire et mystère. Éclatante dans l'Église -- et cependant, secret de l'âme consacrée. « Comprenne qui peut comprendre. »
\*\*\*
L'encyclique *Sacra Virginitas* de Pie XII (25 mars 1954) expose merveilleusement cette estime obligatoire du célibat consacré. Ce serait, comme nous l'allons démontrer, *une grâce profonde de la lire aujourd'hui dans toutes les familles.* Le Pape évoque l'avènement de la glorieuse virginité avec l'Église Elle-même, « la sainte virginité et cette parfaite chasteté qui est consacrée au service de Dieu sont, sans aucun doute, un des plus précieux trésors que son Fondateur a laissés comme héritage à la société qu'Il a établie : l'Église. »
155:129
Tous les saints Pères, dit le Pape, l'ont exaltée et ils sont « une multitude, les fidèles qui depuis le début de l'Église jusqu'à nos jours ont consacré à Dieu leur chasteté... les uns en gardant intacte leur virginité ; d'autres en lui vouant, à la mort du conjoint, leur veuvage, d'autres, enfin, en regrettant leurs péchés, par le choix d'une vie parfaitement chaste »...
Cette estime si grande, c'est, dit le Pape, « une invitation, une aide et une force ». La catholicité glorifie les Vierges... elle proclame la beauté de leur consécration. Mais cette gloire, cette estime établie en doctrine, méritée en perfection et en multitude, a sa résonance et « sa figure » dans le cœur de l'homme. L'Ancien Testament l'a exprimée et le paganisme l'a pressentie. Les cœurs purs et les Impurs en ont eu la nostalgie.
\*\*\*
Certes le vœu des Vestales était temporaire, mais deux coutumes nous montrent en quelle estime était leur célibat, l'honneur qui leur était fait : le consul lui-même leur cédait le pas ; l'horreur de leur châtiment si elles manquaient à leur promesse.
Non seulement la plus haute pensée grecque louait la virginité, mais encore la regardait comme la protection de la cité ; la Vierge, c'est la victime bienfaisante, agréée des dieux ; elle en pressentait la « fécondité miraculeuse ». C'est Iphigénie, sacrifiée en Aulis, pour obtenir de Diane un vent favorable à la flotte grecque : « Je donne ma vie à la Grèce -- sacrifiez-moi, ce seront là mes titres auprès d'une longue postérité, ce seront là mes enfants, mon mariage et ma gloire. Examinez combien je suis dans le vrai ! »
156:129
Et la chasteté austère du farouche et charmant Hippolyte. Il fuit l'amour de Phèdre sur son char léger -- le voilà dans la forêt, il marche jusqu'à une clairière mystérieuse où il offre des fleurs champêtres à sa déesse chérie la Vierge sauvage, Diane Artémis. J'en veux à Racine d'avoir, moins qu'Euripide, compris Hippolyte. Ce chaste chevalier solitaire, amant de liberté, devient dans Racine le mol amoureux d'une petite Aricie fabriquée pour la circonstance... Racine avait mieux fait dans Andromaque et dans Britannicus -- et rejoint un des aspects superbes de la Virginité que le Christianisme a puissamment marqué et que le paganisme avait pressenti : la chasteté préparation au mariage ; la chasteté, amoureuse fidélité du veuvage. Britannicus, son amour, est mort, Junie échappe à Néron chez les Vestales *et le peuple indigné protège sa chaste retraite*. L'Andromaque chrétienne garde à l'époux unique une jalouse fidélité :
*Ma flamme pour Hector fut jadis allumée*
*Dans la tombe avec lui elle s'est enfermée.*
Ainsi l'homme, même dans les civilisations de la chair, a goûté l'aimable chasteté, elle lui a paru belle, féconde et gardienne de l'amour. Marie et Jésus, l'Église, ont établi sa valeur et montré son triomphe.
Et notre temps oblige un Pape à définir le célibat ecclésiastique et à défendre la nature de l'acte du mariage.
Et quand il le fait, c'est avec des précautions compatissantes. Les fidèles, surpris, lui en sont éperdument reconnaissants, -- les enfants de colère l'accusent de cruauté et d'incompréhension. La gloire de la Virginité s'est donc éteinte dans notre société, -- le Célibat y est moqué, -- le mépris le marque, et le Mariage, proclamé le seul état normal, l'Ordre par excellence, la règle de tous, est réduit rageusement à la satisfaction de la chair.
157:129
Sa fin naturelle est condamnée par l'usage et par des clercs et il se trouve un Oraison pour dire que « l'artificiel » est la marque de l'homme moderne et donc supérieur par l'intelligence au naturel et regardé comme plus naturel que le naturel. Le vice se dit droit légitime et loin de se cacher se proclame et réclame.
\*\*\*
Il ne s'agit pas de nier les difficultés du mariage. Elles étaient grandes, -- nommées tribulations de la chair par saint Paul et inhérentes à sa condition. -- Elles sont devenues inextricables. Inextricables quant à la chair, et par le rappel de la Loi, et par la douleur de l'âme, car toute concession contriste l'esprit, et quand le Pape proclame permis les actes conjugaux qui n'ont pas pour but la fécondité, mais le seul plaisir, pourvu qu'ils n'enfreignent pas les lois de la nature, l'âme reste irritée, irritable et douloureuse et comme honteuse d'un esclavage auquel son baptême répugne.
En effet, les concessions, les arrangements, même légitimes et qui ne touchent pas à une limitation violente des naissances, exhalent une tristesse jusque dans la contestation. Rien n'est triste comme cette « compassion » obligatoire envers le couple. La famille s'attriste et chose affreuse, l'enfant, même avant l'adolescence, pressent (quand il ne *sait* pas) chez ses parents, cette appréhension, cette soif de plaisir lugubre qu'il gêne, dont il est l'obstacle *naturel.* Jamais on ne mesurera le mal qu'a fait à l'esprit de famille, à l'enchantement de l'enfance, à la confiance de l'adolescent, cette traînasserie de l'ignominieuse PILULE.
158:129
Je parle du mot, avec son évocation, sa bizarrerie. Je suis malade quand j'entends en classe de cinquième une voix (naïve chez nous je l'espère, cynique ailleurs) demander « ce que c'est que la pilule ? » Pour l'adolescent, il ne demande pas. Le diable sait ce qu'il sait. Et ainsi le ricanement et le dépit sont descendus jusqu'à l'enfant en une irréparable dégénérescence.
C'est que, tandis qu'est proclamée la primauté du plaisir jusque dans la famille, *la primauté du vice règne sur les conjoints de demain* et j'en résume l'abomination en répétant qu'elle est prêchée dans les églises par la presse catholique, tandis que le prêtre se tait sur l'*Humanæ* *vitae*. Le film « Théorème » a été choisi par le jury catholique et interdit par le Procureur de la République à cause de son obscénité. -- J'ai sous les yeux la publicité de *Club Inter*. On sait l'atroce abrutissement de drogues et d'érotisme de Trafalgar Square. C'est cette turpitude anglaise que prêchent *Club Inter* et *Record :* « Qu'est ce que The London Look ? Un style ? Une ambiance ? un souffle de Londres, plein de fraîcheur et d'originalité, cent pour cent jeune et follement gai... La pop music, la mode, les voitures et surtout le maquillage fantastique qui émerveille le monde entier... Faites vos yeux (voir, ci-contre, un œil entièrement maquillé !) », etc. Et je saisis au hasard cette page de publicité : Vêtement Wrangler : quatre garçons debout -- par terre une fille en pantalon, jambes croisées, un garçon a posé son pied sur sa cuisse et elle lui embrasse la jambe. Vendu dans les églises !
159:129
Gloire de la Chair -- Corruption lugubre -- « Ils sont là, dit *Monde et Vie* (Trafalgar Square) cinq cents, mille... assis en rangs serrés, sur la balustrade. D'autres vont et viennent... les fauves n'ont pas ce regard vide... des yeux cernés de noir qui semblent fixer un point très loin, hors du monde -- fixité, pupilles dilatées : drogue ? Question qui se pose souvent à Londres. Silence glacé où l'on s'ignore, monde déjà mort. » Mort pourrie d'où s'élève la subversion et, au-delà, l'inertie stupide, puisque l' « animal divin » Cohn Bendit n'a pu soulever ces jeunes chairs anglaises pour en faire, au moins comme chez nous, l'anarchie des rues. « Pour se battre, se révolter, encore faut-il en avoir la force, ne pas être complètement annihilé. La révolte paraît tonique à côté de la contemplation morbide de son *moi. *» (*Monde et Vie*, 181.)
En effet, interdire la pilule dans cette atmosphère, c'est faire éclater un étonnement, c'est révolter les foules, c'est éblouir les pauvres fidèles désespérés.
\*\*\*
Y a-t-il une voie de salut ?
Il y a une voie de salut, directe et infaillible : *Rétablir la gloire de la Virginité*.
La rétablir où ? car le Pape l'a voulu faire dans le Sacerdoce et sa parole reste lettre morte. Dans la jeunesse, mais la corruption fait ricaner la jeunesse ?
Je dis nettement : la rétablir *dans la famille*, dans les écoles pures, -- et auprès *de l'élite des jeunes* -- car les familles chrétiennes ne sont pas mortes et l'élite existe dans la jeunesse. Et les prêtres fidèles aussi. Sortir de ce climat de tristesse, de soupir, de concession, de défaite, d'hommages forcés au sexuel et aux libertés et aux difficultés du couple et proclamer la beauté, la vigueur, la grandeur, l'éclat de la Virginité.
160:129
Et par-dessus le marché, pour fonder à nouveau cette gloire, que ce soit surtout les Pères et les Mères qui, *exprès*, étudient le célibat consacré, l'estiment et pénètrent de cette estime l'éducation des fruits voulus de leur amour. Je vais montrer que c'est possible, en montrant que c'est naturel, surnaturel et *pratique.*
Pères et Mères, vous avez un immense intérêt à ce que je gagne mon pari.
\*\*\*
Nous établirons d'abord l'évidence devant la raison. Qu'est-ce que *la chasteté devant la raison.* Le mépris de la raison, la considération pour les données irrationnelles du subconscient, le freudisme, le goût de l'absurde, débouchent sur l'impureté. La raison purifie. L'amour de l'évidence apaise la chair. C'est par la conviction rationnelle qu'il faut commencer.
Je l'ai dit : si la chair trouble l'adolescence, la raison, au même âge, donne sa lumière ; et sa force peut compenser largement et juger les douteuses aspirations glandulaires.
Mais il faut l'évidence. Cherchons-la : la Chasteté, dit saint Thomas (Somme Théologique CLLI, 5) est la vertu par laquelle *nous corrigeons* la concupiscence *pour la soumettre à la raison.* Tout de suite voyons que Chasteté signifie contrainte -- châtiment -- *privation*, *retenue*, discipline non pas forcément « exaltante » comme on s'imagine aujourd'hui. Rien ne m'agace comme ces assurances qu'on peut apprendre la procréation aux enfants dans la sérénité, la facilité, comme une simple belle chose à contempler. Erreur. -- Et la concupiscence ? Et le danger ? Et la chair corrompue et attentive qui surveille sa pâture ? Et le pressentiment de la volupté ? Je dis que la meilleure préparation proportionnée à tout âge, c'est ce que nous faisons maintenant : l'exposé rationnel de la nature véritable de cette vertu de Chasteté.
161:129
Discipline *afflictive d'abord --* qui ne redoute pas la diminution de la chair, mais l'ordonne et la provoque. Le terme *castitas* est éloquent ; il est punitif et militaire : chasteté, *castra*, camp romain ; *castigare *: *châtier*.
Analysons à fond, en ce temps d' « épanouissement de la nature », grosse réclame bourrée d'erreurs, cette vertu, elle-même vassale de la grande vertu cardinale de mesure : la Tempérance.
Ne craignons aucune notion fondamentale. Elles sont toutes oubliées en ce temps où la chair est proclamée principale et fondamentale expression de l'amour.
Nous sommes composés d'une âme spirituelle et du corps matériel qu'elle anime. Tout le problème est là.
Les vertus naturelles et surnaturelles : Foi, Espérance, Amour de Dieu, Sagesse, reçoivent de la Vérité Elle-même un élan sans mesure. Elles peuvent adorer sans crainte leur divin objet. Il n'est pas de limite pour elles. Il n'est pas de trop grand amour de Dieu, de trop profonde contemplation de Sa beauté, de trop grande science de Ses perfections, de trop grand usage de la Sagesse, pas de trop grande admiration de la Beauté incréée, -- l'esprit n'est jamais trop esprit et on n'use jamais trop des choses spirituelles. Plus on les goûte, plus le cœur s'enrichit ; et plus on les « partage » plus elles se multiplient, plus les possède celui qui les donne ; plus elles apparaissent grandes, inépuisables. La marque de l'infini, « marque de l'ouvrier sur son ouvrage », fait que l'intelligence humaine est toujours invitée à passer outre par la Vérité de Celui qui est, ayant comme limite non l'aspiration, mais la faiblesse de notre intelligence que l'Espérance nourrit de cette certitude : l'éternité sera pleinement occupée de la jouissance sans fin de Dieu Parfait.
162:129
Mais l'homme a pour œuvre propre d'exprimer le vrai spirituel *dans la matière*. Dès qu'il *a compris*, il façonne, il réalise. Son ouvrage rappelle son origine : Dieu prit *un peu de boue* et y insuffla une âme. L'homme, à son tour, prend *un peu* de matière et lui fait exprimer sa pensée. Grand mystère de notre nature. Au plus bas degré de cette incarnation de la pensée humaine naît l'outil, la machine : des mains « éclairées » de l'homme sort un automate qui fait pour lui une tâche ingénieuse. Malheur à l'homme si la machine, sortie de ses mains, trop ingénieuse, trop puissante, trop grande et toujours stupide, le gouverne et si, pour elle, il détruit les structures de sa vie paysanne, de sa vie familiale, de sa vie humaine. La matière, *trop* aimée, s'est vengée.
Quand c'est la Beauté que l'homme a comprise,... inspiré, il prend le violon, la plume, sa propre voix, la glaise, la couleur, la pierre -- et il exprime l'invisible par la musique, la sculpture, le poème : et naissent sous ses doigts ces créatures nouvelles, sensibles sans doute, mais seulement pour signifier l'éternelle et invisible splendeur. C'est l'art.
Mais alors, dès l'instant que l'homme incarne ainsi le Spirituel dans la matière, s'impose à lui une règle délicate et sévère : La MESURE. Proportion d'ordre dans l'usage du sensible, mesure : « amie de la raison ». Cette Vérité illimitée, cette Beauté inspiratrice qu'il éprouve en lui-même, ne peut vivre dans l'œuvre visible de ses mains que, s'il mesure avec précision la nature et la quantité de matière qu'il utilise pour l'exprimer.
163:129
L'outil le plus humble exige ce dosage minutieux de quantité et d'espèce. -- Les mains de l'homme, sévères dispensatrices, sont AJUSTEUSES par fonction. Les mains artisanes et les mains artistes choisissent, pèsent, *ajustent* assez de matière, pas trop, ici le bois, tel bois, là le marbre, là l'airain, là les notes harmonieuses, -- harmonieuses parce que réglées dans tel ton, par tel rythme, -- là les paroles mesurées par tel vers, telle rime afin que « la pensée foulée aux pieds exigeants de la poésie me frappe plus ardente et plus nette ».
*Se borner* dans l'usage de la matière, c'est la loi de toute production heureuse. Il est bon de méditer ce point longtemps, en soi, devant les chefs d'œuvre d'une part et les aberrations de l'art, d'autre part, condamnées par Pie XII : les statues colossales et monstrueuses, l'effrayante étrangeté des « églises » de ce jour, le dénuement ignoble et intentionnel des sanctuaires, -- les taches frénétiques, les orgies de couleurs, et de sons qui salissent impétueusement le sens et mettent en fuite « l'Idée » laquelle remonte au Ciel, inexprimée. En effet, c'est un blasphème contre l'Idée d'appeler cet art « *abstrait *» car l'abstraction est essentiellement opération d'intelligence et cet art est soûlerie de matière « libérée », le contraire de la mesure et donc de l'expression de l'esprit, mais expression de sensualisme et démission de l'intelligence. En toute œuvre, l'usage de la matière est obligatoirement *restrictif* sous peine d'enlisement et de disparition de la pensée.
Mesure : telle est la règle de toute expression.
L'esprit se sert donc du corps comme de l'instrument naturel dont il a besoin pour mesurer la matière nécessaire à l'expression de la pensée. Telle est la loi de l'usage de la matière dans les œuvres industrielles et artistiques de l'homme. La matière cherchée pour elle-même, c'est l'échec.
Telle est la loi aussi dans ses œuvres morales. La mesure formule essentiellement l'usage direct du corps par l'âme et l'usage moral de la matière pour ce corps.
164:129
Les sensations, les images, les démarches physiques, la nourriture, le sommeil, le plaisir, l'émotion sont moralement mesurés par la raison en vue de sa fin propre qui est Dieu.
Autrement dit, l'homme n'a pas le droit de manger, de sentir, d'imaginer sans contrôle -- il ne le peut, sous peine de faire perdre toute valeur à ses actes, que *dans une certaine mesure*.
Mais toute mesure, toute modération implique un problème -- une évaluation continuelle et délicate entre le plus et le moins, l'insuffisant et le superflu. Comment régler la dose permise ? Il y faut la Vertu -- la naturelle vertu de Tempérance avec ses sœurs : la Sobriété, la Continence, la Pudeur et la noble Chasteté.
Seule la Tempérance peut inspirer les continuels jugements de valeur dans l'usage de la matière. La Tempérance nous inspire, d'abord par l'étude de la fin spirituelle, ensuite par l'examen des besoins et des prétendues exigences de la chair, -- de ces deux séries d'observations raisonnables jaillissent ses ordonnances.
Jusqu'à présent, nous ne sommes pas sortis de la *sagesse naturelle.* Quand bien même, en effet, l'âme n'aurait pas été appelée à la grâce et la chair n'aurait pas été occasion et instrument de péché, encore devrait-elle se soumettre à la mesure raisonnable. Mais elle a été l'occasion et l'instrument du péché : un excès dans la matière procurée au corps, une liberté indue qui lui fut accordée, voilà le début du péché originel : « Ève vit que le fruit était bon... et elle en mangea et en porta à Adam qui en mangea après elle. » Et ainsi le désordre s'installa dans la chair devenue exigeante.
165:129
Notre faiblesse commence par un « *fruit défendu *», une jouissance, une volupté interdite par l'Éternelle Sagesse à la raison créée.
Vous mangerez de tout *sauf. -- Vous ne toucherez pas.* -- Si vous manquez de mesure, les sens feront basculer la raison, -- et le désordre marquera l'origine de chaque enfant des hommes. Vous naîtrez irrités contre la défense, prêts à manger, à jouir, à sentir sans mesure. La raison sera entourée de révolte et, pour établir sa modération, devra tout attendre de la grâce. -- Telle est la concupiscence : le désir *d'user trop* de la chair, d'outrepasser la norme, de l'envoyer au diable, de faire le saut par-dessus la frontière dans l'interdit.
Nous savons maintenant en quoi consiste la chasteté. Conserver avec un soin constant la juste mesure au milieu des tentations, retenir la concupiscence, tel est l'état de Pureté -- dont la nécessité et l'obligation sont admirablement délimitées dans ces deux maximes :
L'esprit est rapide, la chair est faible.
Veillez et priez de peur que vous succombiez à la tentation.
Dans notre état de péché, *la Pureté est une vertu douloureuse :* ces deux maximes ont été trouvées pour nous en pleine agonie au Jardin des Oliviers.
\*\*\*
*De l'utilité de la méditation sur la Virginité dans les liens du mariage :*
Nous avons analysé la nature de la Pureté. Nous allons contempler activement la Beauté de la Pureté. Notre temps analyse minutieusement « le sale », -- le décrit documentairement, -- se plaît à le « comprendre » et non à le juger, reste dedans, -- l'évalue par comparaison avec lui-même, le soupèse, s'y habitue, l'absout, mieux, le divinise.
166:129
Le sale a des droits ; l'impur, jusque là appelé impur, est devenu le nécessaire. Refoulé jusqu'à Freud, on presse l'inconscient pour que le sale jaillisse, se montre au grand jour et y jouisse d'une existence légale, -- l'impur est « compris », il n'existe plus en tant qu'impur -- et par là le Pur se dissipe au vent. Cette connaissance du sale, cette initiation, les ignobles éducateurs la proclament indispensable. Je sais qu'en confession, certaines voix disent à l'ignorant de 14 ans « *A ton âge, tu dois bien avoir fait cela et cela. *» C'est horrible ; mais que de Parents honnêtes sont indécis devant l'initiation au mal... on leur dit que c'est si utile -- et que le plus tôt sera le mieux -- et ils laissent le Sartre aux mains de 15 ans, et ils laissent le film aux yeux de seize ans -- et ils admettent en soupirant la promiscuité de la surboum et certains ont été amenés à l'acceptation sereine de la mixité scolaire... « Comme cela le Mal ne fera plus choc ! »
Mais c'est tordre la raison, c'est fouler la grâce, *il faut* que le Mal fasse choc. Malheur à l'adolescent pour qui l'impur est devenu le courant, l'admissible, voire l'inévitable. C'est le Bien qui juge le mal. C'est le Pur qui juge l'impur. C'est par l'admiration du Pur et la longue préservation de l'impur que les jeunes flairent, évitent, condamnent l'impur.
Les enfants de Fatima ne savaient rien du vice. Bernadette était la pudeur la plus sévère : « Baisse ta robe », disait-elle rudement à sa sœur en traversant le Gave le 11 février 1858. François de Fatima lui aussi était sévère : « Ne riez pas tant disait-il à sa sœur et à sa cousine, cela déplaît à Notre-Dame. » L'équivoque, le douteux se fait sentir à l'honnête.
167:129
La marche que nous suivons est donc une marche positive qui justifie la contrainte de la chair par l'estime de son intégrité. *Nous ne parlerons pas du mal avant de parler du bien.* C'est l'appréciation de l'état de santé qui fait la base de la médecine, -- le zèle pour soigner le malade vient de la conviction du bien qu'est la santé.
C'est pourquoi nous regarderons avec attention non l'impureté mais la pureté du cœur à son plus haut degré, telle que l'Église la loue et l'encourage dans l'*état de Virginité.*
Vous direz peut-être que cette contemplation n'est pas votre affaire et qu'étant appelés par Dieu à un état différent, vous perdriez votre temps à en contempler un autre. En quoi vous vous tromperiez : parce qu'en toute activité humaine, la contemplation du mieux est une obligation efficace. Que ce soit pour devenir forgeron, peintre, sculpteur, en tout ce sont les chefs-d'œuvre qui sont les éducateurs. Du moins jusqu'aujourd'hui. Dans l'éducation classique qu'on détruit sous nos yeux, éducation chrétienne occidentale, la classe était « un commentaire des chefs-d'œuvre ». Chefs-d'œuvre classiques car la plus haute gloire d'un auteur c'est d'être enseigné à la classe des jeunes esprits. Le latin refoulé, conspué, interdit, toléré, va nous enlever cette haute formation : le contact journalier avec l'admirable : la technicité fera le reste.
Mais la règle et l'obligation que l'on veut détruire restent inchangées. Doit-on tenir compte de la médiocrité du disciple, de son peu de capacité d'imitation, pour former son goût ? Loin de là, d'emblée, il le faut jeter devant les chefs-d'œuvre. Surtout l'écolier. C'est la seule voie pour éveiller en lui le sens du beau et l'arracher à la vulgarité.
168:129
Sous prétexte que les élèves ne sont pas appelés à la vocation de Racine ou de Corneille, leur doit-on montrer des œuvres médiocres plus en rapport avec leurs dons ? On y arrivera bientôt, on le pratique déjà, car il s'agit d'étouffer l'homme, mais c'est un attentat. Dieu veuille que des maîtres, des parents placent encore des enfants face au Cid, face à Michel-Ange, Andromaque, Bossuet, parce que c'est là que les principes du beau sont les plus clairs, parce que toute intelligence et toute volonté y trouve sa haute et essentielle nourriture.
La religion, activité souveraine, loi de toutes les autres, proclame obligatoire la contemplation de la sainteté. Au fond, en tout, c'est l'héroïsme qui mène toutes les consciences. -- L'Église nous présente Jésus-Christ, homme Dieu parfait, « roi des Vertus », et Notre-Dame reine de tous les meilleurs : des Vierges, des Martyrs et des Confesseurs. *Personne ne peut accomplir son devoir ordinaire sans la grande vision habituelle de la Perfection*. La Perfection est l'attrait qui rend possible la fidélité ordinaire : « Pour vous, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Et nous avons vu que le paganisme si souillé a parfois contemplé la Virginité.
Il faut nourrir notre vertu d'admiration pour le Parfait. On arrive à la mesure qu'exige la Chasteté par l'élan que donne l'admiration de l'Intact. Tous nous avons en nous la nostalgie de « l'absolument pur » c'est-à-dire de l'absolument intact *pour Dieu.*
Le remède souverain à la corruption, c'est d'apprendre au jeune homme et à la jeune fille la valeur et la beauté de la Virginité, -- c'est la contemplation de l'Absolu qui sauvera la jeunesse. Les concessions, les demi-mesures laissent l'âme dégoûtée, l'absolu emporte la jeune volonté. Est-il besoin de jeter les yeux sur tous ces noviciats, ces séminaires vidés par le dégoût de la liberté ? L'austérité victorieuse d'une chasteté sans tache, telle est la séduction de l'élite. S'ils regardent l'impudeur avec un cynisme amusé, cela vient de ce qu'on ne leur a pas appris l'estime enivrante de l'Absolu.
169:129
Dieu n'est adoré que transcendant et absolument jaloux, absolument exigeant. La Vérité toute pure, toute à Dieu, toute chevaleresque, seule est séduisante. Il y a un mépris tout prêt au cœur des jeunes hommes d'élite pour l'impudeur de la femme, pour l'odieuse mode, pour la bêtise de l'érotisme, il y a une indignation latente qui s'élèverait, « prendrait le fouet de la satire » si on lui faisait *estimer* la vigoureuse chasteté. Je dis bien estimer, ce verbe 17^e^ siècle, cette base d'amour, ce socle solide du jugement. C'est en supprimant l'Absolu, en effaçant la Valeur qu'on a livré une jeunesse prête à l'indignation, à la révolte stérile -- à la révolte en soi.
On évalue bien les pierres fausses quand on a trouvé les diamants. On vend tout quand on a rencontré la perle sans défaut. Que les Parents considèrent donc que l'estime du Célibat volontaire et consacré, est indispensable à l'éducation de la Pureté chez leurs enfants. TOUT ENFANT DOIT ÊTRE ÉLEVÉ VIRGINALEMENT. La raison et l'Église nous enseignent que la virginité jalousement gardée est la plus efficace préparation au mariage d'amour. Voilà pour ceux de vos enfants qui se marieront. Mais, d'autre part, vous avez la mission de *préparer des vocations* religieuses, lesquelles reposent toutes sur la virginité. Autrement dit, sur cette terre, *la Virginité prépare à tout.*
*C'est donc le Père et la Mère* qui doivent donner aux enfants le goût de l'intégrité absolue.
Je réponds ici à une objection : « Vocation religieuse dans le chaos actuel ! » : les séminaires, les couvents en plein aggiornamento, c'est-à-dire « en voie de disparition », les nonnes à la piscine « en deux pièces », ou à l'Université, en mini-jupes.
170:129
Un trait en deux mots, c'est notre vieux Père Galen qui parle : « Une petite en demi-jupe attend au parloir des PP. Jésuites. Le Supérieur : « Mademoiselle, que désirez-vous ? » -- « Mais voyons, Père, je suis la Sœur Agnès. »
Les renvois des « attardés » commencent. On avertit deux, trois religieux coupables d'attachement à la Tradition, qu'ils aient à quitter l'Institut.
Le courageux Abbé Coache, ému des affreuses persécutions qu'on inflige aux religieuses fidèles, écrit :
« *Les religieuses qui souffrent.* Beaucoup n'en peuvent plus. On veut leur supprimer l'habit religieux, on leur impose des directives contraires aux Constitutions et aux usages religieux, on veut les laïciser. (Vous êtes des laïques consacrées, il faut que vous puissiez vous resituer)... Inepte ! Le principe de l'autorité est battu en brèche, les couvents sont démocratisés, les « Mères » deviennent des Responsables, elles n'ont plus droit qu'au titre de « Sœur » quand on ne les appelle pas par leur prénom ! Elles sont tellement « en recherche » les pauvres sœurs, qu'on leur donne la télévision jusqu'à 11 heures du soir, ce qui implique en pas mal de maisons le lever à des heures irrégulières, la suppression de la Messe, et, bien sûr, de l'oraison. »
Il est 21 heures, le jeune séminariste qui est venu nous voir doit regagner le séminaire à 200 km de chez nous. « Vous ne partez pas ? » -- « Je ne suis pas pressé. » -- « Mais vous pouvez rentrer la nuit quand vous voulez ? » -- « Bien sûr, et nous laissons le pauvre supérieur dormir, nous nous sommes fait 10 clés pour notre commodité. »
Il est courant qu'un séminaire d'aujourd'hui groupe sept séminaires d'hier. C'est le vide et en même temps l'optimisme stupide, béat : « Tout va pour le mieux », dit un autre, « nous sommes en carrefour, en recyclage, le seul embêtement, c'est qu'avec cette vie, nous grossissons, l'embonpoint nous guette, aucun exercice n'étant obligatoire » etc. etc.
171:129
Et ce que je dis là, c'est le convenable, ce n'est pas le scandaleux, qui est quotidien. A quoi bon, par conséquent, préparer des vocations religieuses ?
Je réponds :
Dieu a toujours ses oasis. La Foi a toujours ses rares et fervents asiles. Certes, il faut examiner, ausculter avec prudence, -- mais il est encore, tant pour les hommes que pour les femmes, d'admirables Instituts héroïquement fidèle. Les familles peuvent en connaître les noms, -- et ces Instituts recrutent et se remplissent et essaiment. Persécutés, fidèles, ils prospèrent selon la grâce.
Mais je réponds aussi : En dehors de ces cloîtres, il est de virginales vocations d'apôtres en ce monde de malheur. Les rares Instituts qui se sont gardés sont contemplatifs. C'est le cloître qui conserve les rejetons sacrés. Seulement Dieu suscite, dans la jeunesse, des contemplatifs de l'intégrale Foi, apôtres en même temps. Il en suscite parmi les Pères et les Mères de famille -- jamais il n'y eut plus de « familles religieuses ». -- C'est à ces saints Parents que je m'adresse. A leur foyer va sûrement éclore une vocation de célibat consacré. Que leur esprit soit libre et leur cœur préparé ! Car le préjugé subsiste, et quand le jeune homme livre enfin son secret, quand, préparé au combat par la grâce, préparé par l'étude, par l'horrible vision de la subversion dans l'Église, par une retraite dans un de ces rares monastères qui, retirés du monde, lancent des apôtres dans le monde, quand, certain au retour d'un Congrès de Lausanne d'avoir mille frères aussi décidés que lui, le jeune homme exprime sa résolution de célibat à ses pieux parents, -- l'antique préjugé des gens mariés, bien souvent, lui répond :
172:129
*Premièrement :* C'est ta première ferveur, tu changeras et tu voudras prendre femme, tu te trouveras alors *sans situation.*
*Deuxièmement :* Célibat dans le monde ! Vieux garçon, quoi ? C'est bien égoïste et c'est peu reluisant. -- Si encore tu te faisais religieux !
Ces deux pauvres réponses ont un singulier pouvoir de désintégration. A la vision sublime, à la vision de foi de la virginité pour Dieu seul, des voix respectables suggèrent que tout cela est superficiel, illusoire, et que, dans le monde actuel, prendre femme devient fatal, nécessaire ; et aussi, par une contradiction flagrante, on préfère la séparation totale comme plus « annonçable », plus « esthétique » pour ce monde dont l'opinion et la vanité inspirent les jugements chrétiens. Cet accueil est plus déprimant que la franche persécution de la famille impie. C'est exactement l'atmosphère qui a accueilli *Humanæ vitæ *: surprise, sentiment de l'anormal, assurance intime que ça pourra se normaliser, qu'il y a irréalité, un idéal devenu ridicule.
Une institutrice qui avait ainsi voué sa vie au saint enseignement me confiait -- « J'ai eu beaucoup à combattre pour repousser les mariages que l'on m'offrait, mais ma plus forte tentation de dégoût dans ma vocation, ce fut le jour où, en entrant dans le confessionnal d'un célèbre directeur pour confier mon projet, j'entendis seulement cette phrase péremptoire : « *Ma fille, le mariage est la vocation normale de toute femme. *» Je savais bien que non, dans la grâce et même dans la nature, mais il m'avait glacée. »
173:129
C'est pourquoi il faut que les familles ferventes méditent la doctrine exacte de l'Église sur la Virginité -- afin que, lorsque son grand fils vient -- au prix de quelle victoire sur soi-même ! -- confier cet auguste secret, une mère pieuse sente son cœur inondé de reconnaissance et de recueillement, et *qu'elle reçoive dignement* ce fruit saint qu'elle a enfanté, qu'elle écoute *sérieusement,* qu'elle encourage *respectueusement,* qu'elle se réjouisse *profondément.* Que la prudence maternelle obligatoire lui inspire plus *la crainte* d'une illusion en son enfant *que le bas désir* qu'il se soit trompé, -- et qu'enfin l'humilité chrétienne lui fasse aimer cette humble et superbe vocation qui ne s'annonce pas, qui fait sourire le monde, et qui cependant s'enfonce en lui comme un coin puissant.
Qui sait si ces jeunes gens là, quand le Cœur de Marie triomphera, que les séminaires seront redevenus des séminaires de saints, qui sait si ces jeunes gens là ne seront pas ces prêtres des derniers temps, brûlants de zèle, indomptables, comme Grignion de Montfort les voyait prophétiquement.
En attendant, ces jeunes gens sauveront quelques écoles LIBRES, -- de celles qui sont vraiment libres -- ou ils en ouvriront quelques-unes parce que l'éloignement du célibat est une des causes de l'asservissement de l'école chrétienne. La pauvreté convient au célibat ; le patrimoine, au mariage. Un maître marié, s'il n'a pas de fortune personnelle, ne peut dédaigner le contrat. L'instituteur célibataire n'en a cure et s'il a le feu sacré pour les âmes d'enfants, il est libre et puissant.
\*\*\*
Livrons donc, à la méditation des saintes familles chrétiennes vivaces en ces jours de malheur, la pure doctrine de l'Église sur la Virginité :
174:129
Nous devons tous croire que *cet état est supérieur au mariage,* à condition qu'il soit *pour le Royaume des Cieux,* « c'est-à-dire pour pouvoir vaquer aux choses divines » (St Paul), pour arriver plus sûrement un jour à la béatitude éternelle, pour pouvoir enfin plus librement conduire les autres aussi au règne de Dieu... Voilà ce que dit Pie XII qui ajoute : « Ils ne peuvent donc revendiquer une supériorité sur le mariage, ces chrétiens et chrétiennes qui y renoncent par égoïsme démesuré ou pour en fuir les charges, comme l'observe saint Augustin, ou même à la manière des Pharisiens pour faire orgueilleusement parade de leur intégrité corporelle -- ce que déjà réprouvait un ancien Concile condamnant ceux qui s'abstenaient du mariage comme d'une abomination et non pour la beauté et la sainteté de la Virginité. »
Ainsi l'Église nous éloigne de prendre quelque résolution sublime en apparence, par orgueil ou mépris. Et même la virginité, la possession du corps ne sont bonnes, enseigne-t-elle, « que parce qu'elles sont consacrées au Seigneur ». Toute complaisance en soi, tout mépris des autres états détruit la valeur du don. Dans ce cas le mariage est bien supérieur. Mais il n'échappe pas à la même condition : il faut qu'il soit décidé et réalisé par amour de la volonté de Dieu. Tout étant ainsi bien défini et bien mis en place, l'Église enseigne que *la Virginité est, de foi, supérieure au mariage.* De cette vérité, il convient qu'un père et une mère chrétiens soient convaincus.
Mais pour comprendre et goûter une telle vérité, il ne faut plus « peser le siècle au poids de la nature », par exemple comparer les épreuves et les responsabilités du mariage à celles du célibat volontaire, juger d'après tel cas individuel où un célibataire, consacré à Dieu soi-disant, s'est montré avare, et un père de famille généreux.
175:129
*Il faut regarder* JÉSUS-CHRIST : de même que l'épouse doit tout quitter pour son époux et ne quitter que par amour pour lui, de même ceux qui renoncent au monde ne le font que par amour de Jésus-Christ.
« J'ai méprisé le royaume de ce monde et tout le faste du siècle pour l'amour de Jésus-Christ que j'ai vu, que j'ai aimé, en qui j'ai cru, que j'ai préféré. » (*Pontificale romanum*. -- Pie XII.)
« Ô Christ, tu es tout pour moi. Je me garde pour toi et tenant ma lampe resplendissante, je cours au-devant de toi. » (Saint Méthode d'Olympe, cité par Pie XII.)
Une femme mariée qui veut élever vers Dieu son mari et ses enfants ne perd donc point son temps quand elle médite sur l'excellence de la Virginité. Elle comprend que cet état d'appartenance absolue à Dieu *donne plus de liberté* pour Lui plaire, car il est de foi que la vierge est moins tiraillée de soucis que la femme mariée (Pie XII), « de soucis aigus » reprend le Pape. Les conjoints ne doivent pas s'élever en eux-mêmes comme si ce tiraillement aigu leur était une supériorité. Ce n'est pas pour être tiraillés, pour souffrir plus qu'ils se sont mariés. C'est pour faire, ce doit être pour faire la Volonté de Dieu, en profitant de l'attrait humain qu'ils avaient pour cet état et pour leur conjoint.
Ils doivent donc estimer avec simplicité ceux qui ont sauvegardé plus de liberté pour vaquer au Service divin. Aucune des grandes œuvres apostoliques, développe Pie XII, de saint Vincent de Paul par exemple ou de saint François Xavier, ne pouvait s'accomplir dans les devoirs du mariage. Il est bon de le méditer et de l'apprécier.
176:129
Cette liberté n'est point une propriété, c'est pour en faire don. Les gens mariés doivent, pour que leurs esprits soient élevés et clairs, estimer la liberté de jugement qui résulte de la privation des joies du mariage. Il y a un lien intime rompu avec le monde qui laisse l'âme ouverte à l'éducation sans jalousie personnelle, -- ouverte à l'habitude de rechercher dans l'enfant non ses propres traits, mais ceux du vrai père et de la vraie mère, si bien que l'éducateur ainsi libéré devient l'auxiliaire précieux du mariage, « car, appuie le Pape, bien que ceux qui ont embrassé l'état de chasteté parfaite aient renoncé à l'amour humain, on ne peut dire que, par là, ils aient diminué leur personnalité humaine ».
\*\*\*
Ces considérations doctrinales doivent avoir comme première conclusion en famille : l'estime *du célibat des prêtres.*
Après en avoir respectueusement reconnu la beauté et l'efficacité apostolique, invitons la famille à considérer ce célibat ecclésiastique comme une garantie et une protection de la dignité du mariage. En effet : « *Toute atteinte désordonnée à la loi du célibat provoque, dès qu'elle devient un fait social, un avilissement de la condition de la femme et une atteinte à la dignité du mariage. Qu'il s'agisse du concubinat dans certains pays catholiques latins, ou du mariage des prêtres et nonnes soudain libérés de leurs entraves, comme dans l'Allemagne de Luther, ils ont toujours provoqué, non un progrès ni un assainissement des mœurs, mais leur dégradation. Si des êtres consacrés à Dieu agissent ainsi, s'ils cèdent à la tentation, s'ils se libèrent de leurs vœux avec tant d'impétuosité, l'unique raison éclate au grand jour et paraît dans leurs discours mêmes, c'est parce que l'instinct de la chair a été le plus fort. Et voilà la sainte institution du mariage atteinte du même coup.*
177:129
*Ils peuvent tous à grands cris proclamer la violence irrésistible des passions de l'amour, mais ils n'arrivent pas* *à en célébrer la vertu, la noblesse, la générosité. Ce ne sera jamais un bien pour le sacerdoce que l'acceptation du concubinage des prêtres ou la suppression légale du célibat, mais ce sera plus encore une injure faite au mariage, désormais considéré comme le simple assouvissement d'un instinct charnel. Il en est du* « *mariage des prêtres *» *exactement comme de l'adultère, que sa dénomination légale de* « *divorce *» *n'arrive pas à réhabiliter. Ils mènent l'un et l'autre du même pas une société civilisée à la ruine, en dégradant la dignité sacrée du lien conjugal*. » (Abbé de Nantes, lettre 232, août 1966.)
C'est l'honneur, le goût de la dignité, *le goût du mieux*, que des parents qui ont compris ces choses installent dans leur famille. Ils évitent la complaisance sur soi, -- les airs de tribu satisfaite. Ce que le monde méprise, voilà qu'ils l'estiment et par là se sanctifient. « Ces balayures » comme dit S. Paul, la chasteté, la pudeur, on les regarde maintenant dans cette famille comme un idéal. -- On comprend que la virginité voulue, un peu comme celle de la Sainte Vierge, s'épand sur toutes les âmes en Maternité, en Paternité.
L'amie ou l'ami qui n'a rien cherché dans le monde vient aux âmes du monde souffrantes, libre d'aimer généreusement, d'accueillir l'enfant, l'abandonné, le solitaire. Et la Maternité, la Paternité charnelles en deviennent plus spirituelles. Le père et la mère de famille trouvent dans la méditation sur la Virginité volontaire *un témoignage de Foi vivante au Royaume des Cieux*. Quand ils résument leurs raisons de vivre, ils nomment leur foyer, leurs enfants. Sans cela, pensent-ils volontiers, que serait notre vie ?
178:129
Eh bien, en voyant ceux dont l'intérêt vital n'est que l'établissement du Royaume des Cieux, le bien des âmes, l'amour et l'imitation de Jésus-Christ, les époux comprennent mieux : *la vraie raison de vivre,* qui est *la Volonté de Dieu. --* Ils sont attirés à cette soumission valeureuse dans les épreuves, -- à ce détachement, à cette conclusion salutaire que tout passe et que *le vrai trésor est ailleurs.* Ce qui soutient totalement des vies doit être solide : donc, père et mère qui estiment la virginité se détachent plus facilement des vanités, des jouissances passagères, eux aussi cherchent le solide. Ils sont encouragés à trouver dans leur amour *l'union des âmes, le progrès mutuel,* les retraites en commun, la prière commune : ils s'adressent plus facilement au Ciel l'un pour l'autre. Ils sont portés enfin à se différencier du monde, -- à lire, -- à méditer, -- à s'éloigner. Leur amour y gagne *en fraîcheur*, ils y trouvent un nouveau goût qui n'est plus soumis au seul sensible, un *gage de durée*, *--* bref les charmes de l'amitié. Ils ne tiennent plus, par superbe, par vanité de réussite, à être si différents des non-mariés, -- ils se sentent épris du même idéal, bien que par une voie différente, -- ils voient la vieillesse plus douce, ils envisagent *les pertes de luxe* avec sérénité.
Alors l'atmosphère qui sort d'eux et enveloppe les enfants se fait *virginale*. Le père et la mère sont chargés, avant tout, autre, de la virginité de leurs enfants. Ce n'est pas dans une ambiance de familiarité charnelle, facile, découverte, abandonnée qu'on peut former des âmes d'enfants, -- la virginité est leur climat. Nous développerons un jour ce point abondamment, mais déjà nous avertissons que dans une famille où on n'a pas *l'estime motivée de la Virginité*, on ne peut créer et entretenir le véritable milieu de l'enfant. Il y respire un air « précoce » de petite femme et de petit homme, un air de laisser-aller, de curiosité, de facilité grossière de grandes personnes, de sous-entendus adultes : le plus pervertissant des climats.
179:129
J'ai dit que les parents qui auront compris (« que celui qui peut comprendre comprenne ») sauront accueillir une vocation au célibat consacré. Il est bien évident que, non seulement ils sont les amis de la sainte vocation, mais encore ils en sont les puissants et fermes *promoteurs*, car les rêves purs de sacrifices qui s'éveillent sous l'impulsion de la grâce dans le cœur des petits sont confiés et devinés, et suggérés, et soutenus, avec une aisance merveilleuse...
Précieuse entre toutes, une union conjugale précédée pour chaque conjoint, au moins pour l'un d'eux, d'une aspiration à la vie religieuse. C'est le secret de cet enfantement des saints : Joseph Sarto, don Bosco, Thérèse Martin et de tant d'autres. Le sein qui les a portés a été sanctifié, d'abord, par les purs désirs.
\*\*\*
Pour conclure, reprenons cette forte pensée : la *Virginité prépare à tout :* au Sacerdoce, à la vie religieuse, au mariage. C'est essentiellement le même apprentissage : *se garder pour un seul*. Dans tous les cas, c'est pour l'Amour et par l'Amour que le cœur et le corps se gardent intacts. L'époux et l'épouse terrestres apprécient ce don total et premier comme le Roi des Cieux -- don continué, gardé, renouvelé selon les états.
Luce Quenette.
180:129
### Les héros et les saints
par R.-Th. Calmel, o.p.
PARTANT des environs de Metz, j'hésitais entre deux pèlerinages. En auto, nous pouvions prendre aussi facilement la route de Verdun que celle de Domremy. Au terme de la première route, celle qui passe par Briey, c'était l'Ossuaire de Douaumont, le Bois des Caures, la Cote 304 ; je retrouverais le souvenir du sacrifice de centaines de milliers de soldats chrétiens qui, vaille que vaille et parfois très consciemment, avaient uni leur mort pour la France au saint Sacrifice de nos autels. Au terme de l'autre route, celle qui se dirige sur Pont-à-Mousson, c'était Vaucouleurs et le Bois Chenu, les sinuosités de la Meuse parmi de tranquilles pâturages ; je retrouverais le souvenir de la sainte Pucelle et de sa miraculeuse vocation ; le souvenir de la « fille de Dieu », magnifique non seulement par l'héroïsme guerrier, mais d'abord et plus encore par l'héroïsme de sa charité surnaturelle. Ces pensées diverses s'opposaient, se contrebalançaient et se complétaient dans mon cœur. Cependant ma délibération ne fut pas bien longue et je demandai que nous prenions la route de Pont-à-Mousson et Vaucouleurs. Il me paraissait en effet tellement nécessaire de savoir que parmi tous les héroïsmes, celui qui importe le plus et transcende les autres, d'aussi haut que la grâce transcende la nature, c'est celui de la sainteté.
181:129
Or le Seigneur y appelle tous ses disciples. Quant à l'héroïsme des soldats, si nécessaire dans notre monde pécheur pour défendre et garder les patries, il ne trouve son sens chrétien que dans le rayonnement des saints et des saintes. C'est pourquoi la patronne céleste, qui défend et garde la France, c'est après Notre-Dame de l'Assomption, une jeune fille qui a porté les armes, mais comme sait les porter une vierge consacrée à Dieu, sainte Jeanne d'Arc ; c'est elle qui « défendra avec tant de soins ce royaume contre l'effort de tous ses ennemis que, soit qu'il souffre le fléau de la guerre ou jouisse de la douceur de la paix que nous demandons à Dieu de tout notre cœur, il ne sorte pas des voies de la grâce qui conduisent à celle de la gloire. » ([^89])
\*\*\*
La sainteté est héroïque ; non que chacun des saints, à l'image des premiers martyrs, ait été déchiré par des ongles de fer ou broyé sous la dent des bêtes ; mais chacun des saints était prêt à subir effectivement les peines qu'il plairait à Dieu, pour son amour. Et s'il était disposé à tous les sacrifices c'est parce qu'il était tellement pris par l'amour du Bien-Aimé qu'il vivait au-delà de soi et de ce qui le touche. Est-ce donc que le saint serait parvenu par une tension effrayante de la volonté à extraire de son cœur et de ses sentiments toute trace de « l'ancien levain » ? Autant se prendre par les cheveux pour se soulever soi-même vers le ciel. Ce n'est évidemment pas par nos propres forces que nous serons vidés de nous, remplis de Dieu, unis à Dieu.
182:129
Si le saint est transformé dans le Bien-Aimé, s'il a sur soi-même un tel empire que son âme revient toujours au Bien-Aimé et ne trouve plus d'attrait ni d'intérêt pour soi-même, c'est parce que le saint a pleinement accepté d'être aimé par Dieu et qu'il n'a cessé de répondre à son amour. Vigilance, précaution, lutte, patience ; -- être à l'égard de soi-même à la fois inflexible et clément ; -- ne rien se passer mais aussi ne pas se laisser décourager devant la nécessité des reprises et des recommencements, toutes ces diverses notes se trouvent dans la sainteté ; l'effort vigoureux et la fermeté dans le vouloir en sont peut-être les aspects qui nous frappent davantage. Prenons garde toutefois que cette force du vouloir correspond à une attitude plus cachée, plus centrale, plus intime ; la disposition d'être livré en simplicité à l'amour et à la miséricorde du Seigneur. Aussi bien, sur le visage des saints ce n'est pas la tension de la volonté que nous lisons ; ce n'est pas non plus une paix insouciante ; c'est la paix solide, inébranlable, d'une âme qui est remplie par l'amour de Dieu, possédée par cet amour.
Parce qu'elle est inséparable du don de soi, de l'oubli de soi jusqu'à la mort selon la manière qui plaira à Dieu, la sainteté mérite d'être appelée un héroïsme ; l'héroïsme en effet, d'une façon générale, consiste *dans la grandeur d'âme portée jusqu'au point extrême de subir volontairement la mort pour des biens qui nous dépassent.* La sainteté est héroïque dans l'amour, dans l'ordre intérieur de l'amour, et c'est pour cela qu'elle se traduit en héroïsme visible dans les actes extérieurs. C'est parce qu'ils sont héroïques dans l'amour que les saints se montrent capables d'héroïsme dans le témoignage de la foi comme les martyrs ; dans la solitude du cœur et la totale réserve du corps comme les vierges consacrées ; dans la douceur et la fermeté du zèle apostolique comme les prêtres confesseurs ;
183:129
dans les humbles vertus domestiques et civiques comme les saintes femmes et les confesseurs laïques, dans l'humilité et dans le courage pour dispenser la vérité divine comme les docteurs ; dans les travaux de la guerre comme les saints capitaines ou soldats, en particulier comme sainte Jeanne d'Arc.
L'héroïsme de l'amour de Dieu est très capable de susciter et d'entretenir cet héroïsme guerrier ; il ne l'évite pas lorsque Dieu le demande. Or il arrive que Dieu le demande car le service de la patrie, même par les armes, est de soi-même un bien.
L'Église connaît trop notre condition concrète de fils d'Adam pour estimer que le métier des armes serait de soi une offense à Dieu ; de même elle estime que l'institution des prisons et des amendes, malgré les abus possibles, n'est pas nécessairement un péché. Ce sont des hommes pleins de chimère qu'ils soient ou non de l'Église, ce n'est pas l'Église, notre mère très sage, qui a jamais rêvé d'une société humaine sans la protection et la défense des gardes et des soldats. Ainsi l'héroïsme de l'amour loin d'exclure l'héroïsme guerrier peut le nourrir, le purifier et le porter, de même qu'il anime et soulève d'autres formes d'héroïsme. L'héroïsme de l'amour fleurit obligatoirement en héroïcité des vertus, aussi bien dans la paix que dans la guerre ; aussi bien dans la condition de consacré que dans celle de laïque. Toute l'histoire des saints en fournit la preuve comme du reste l'histoire de chacun des saints.
\*\*\*
184:129
C'est l'héroïsme de la grâce et de l'amour que Jésus a révélé au monde. Il suffit de méditer sur sa mort en croix et sa Passion très douloureuse (*Père, si ce calice ne peut passer sans que je la boive, que votre volonté soit faite*) ; il suffit de prêter l'oreille aux maximes évangéliques pour prendre conscience de ceci : la sainteté que Jésus-Christ a instituée par son exemple et sa doctrine est nécessairement héroïque : *ne craignez pas ceux qui tuent le corps -- qui ne renonce pas à tout à cause de moi n'est pas digne de moi -- qui met la main à la charrue et jette un regard en arrière est impropre au Royaume de Dieu -- je vous envoie comme des brebis au milieu des loups -- s'ils m'ont persécuté ils vous persécuteront -- heureux ceux qui souffrent persécution pour le Royaume des Cieux -- je suis venu apporter non pas la paix mais le glaive -- si ton œil te scandalise arrache-le -- pardonnez jusqu'à soixante-dix-sept fois sept fois.* Or non seulement Jésus nous enseigne cet héroïsme de l'amour, non seulement il fait l'honneur aux faibles humains que nous sommes de ne jamais nous adresser des paroles qui soient en dessous de l'héroïsme, mais encore il nous rend capables de faire passer sa doctrine dans nos actes. C'est ici, par rapport à l'héroïsme de la grâce, que les thèses de la théologie traditionnelle dévoilent leur portée et leur profondeur ([^90]).
Jésus, nous dit cette théologie, est cause méritoire et cause efficiente de notre Rédemption. Qu'est-ce à dire sinon que les mérites de Jésus sont assez précieux pour nous obtenir auprès du Père la grâce de toutes les vaillances et de tous les renoncements ; par ailleurs, c'est Jésus lui-même par la vertu toujours vivante de sa Passion qui est le principe actif de la force des martyrs, de la fermeté des docteurs, de l'attachement irréductible des vierges. Il opère ces merveilles à l'intime de leur être et de leur liberté blessée (mais guérie et « graciée ») au plus profond de la débilité de leur nature.
185:129
C'est lui-même, le Seigneur qui voulut être « mis à mort et qui est toujours vivant » ([^91]) qui *opère dans ses disciples le vouloir et le faire* jusqu'à la perte totale de soi, jusqu'au sacrifice héroïque. Il l'opère, en vertu de sa Passion, par l'action efficace des sacrements, en particulier la Messe et l'Eucharistie. *Jesu fortitudo martyrum, lumen confessorum, puritas virginum miserere nobis* ([^92]).
Une telle doctrine si peu accordée à ce que nous sommes naturellement, une telle action du Christ, aussi indifférente à première vue, à ceux de nos attraits qui sont les moins beaux et les moins limpides mais qui existent et qui sont terriblement tenaces, -- de quel droit et à quel titre, s'est écriée de tout temps la lâcheté de l'homme et son orgueil ? Et l'Église, au nom de Jésus, répond à tous les hommes et à tous les siècles : du droit qu'il tient de sa filiation divine ; de son droit de Fils de Dieu qui assume notre nature en l'unité de sa personne ; de son droit de Verbe incarné égal au Père et consubstantiel ; -- et encore de son droit de Verbe incarné rédempteur, *plein de grâce et de vérité*, qui nous a aimés jusqu'à la mort de la croix, qui porte dans son corps de ressuscité les cicatrices de son amour et de sa victoire. Dans ces conditions -- ces conditions d'amour et de force victorieuse, de mérite infini et d'efficacité souveraine -- dans de telles conditions divines -- l'enseignement d'héroïsme dans l'amour -- dispensé par Notre-Seigneur Jésus-Christ, n'a rien de surprenant ni d'exagéré ; son action intérieure, consumante et transformante au point de nous configurer à sa croix, n'a rien d'indiscret, d'intolérable ou d'inhumain. Jésus-Christ est Fils de Dieu. Rédempteur ; tout est là ; à partir de ce mystère, l'héroïsme de l'amour, c'est-à-dire la sainteté de ceux qui croient en lui, n'a rien que de très normal et de très convenable.
186:129
Il serait au contraire incompréhensible que ceux qui croient en lui et participent de sa vie et de sa plénitude ne soient pas destinés à une pareille grandeur et soient abandonnés à des réalisations médiocres.
\*\*\*
Nous savons fort bien distinguer, nous ne confondons aucunement l'héroïsme du saint et celui du soldat... « Vieux amis des hauteurs battues par le vent, compagnons des nuits furieuses, troupe solide, troupe inflexible, magnifique mâchoire resserrée trois ans, pouce à pouce, sur la gorge allemande, et qui reçûtes un jour, en pleine face, le jet brûlant de l'artère et tout le sang du cœur ennemi -- ô garçon !... Le onze novembre nous bûmes le dernier quart du vin de nos vignes, le onze novembre nous rompîmes le dernier pain cuit pour nous. » ([^93]) Combien de fois n'avons-nous pas repris la strophe déchirante d'un témoin irrécusable de la grande guerre, meurtri jusqu'aux dernières fibres de l'âme à la vue de la victoire de la France détournée et avilie par la politique de la Révolution. Oserons-nous toutefois exprimer le fond de notre pensée en écoutant cette clameur poignante et fière, brûlante comme un sanglot qui vous, serre la gorge ? Si le cœur eût été plus profondément creusé par l'amour divin, consumé par une charité héroïque, il semble bien que la détresse à la vue de la victoire trahie et tant de sacrifices bafoués eût été plus paisible, perdue dans l'adoration. -- Nous distinguons sans peine deux héroïsmes ; nous n'avons jamais identifié le cri du héros tombé pour une *patrie charnelle* et le cantique du saint qui expire consumé par la charité divine.
187:129
Nous savons fort bien que les dernières paroles de Jeanne expirante expriment avant tout l'héroïsme de la sainteté ; et ses paroles ne furent telles que parce que dans son âme, l'héroïsme du chef de guerre était illuminé, transformé, par l'héroïsme de la Pucelle, « fille de Dieu ». Nous enseignons les distinctions irréductibles de la nature et de la grâce mais nous n'avons garde de les changer en oppositions ; et nous estimons indispensable, nous étant brièvement expliqué sur l'héroïsme du saint, de magnifier l'héroïsme du soldat. Ils appartiennent à deux ordres différents, c'est sûr ; mais un ordre peut pénétrer l'autre, resplendir à travers l'autre, comme une flamme ardente à travers un beau cristal. Nous tenons d'autant plus, parlant de l'héroïsme du saint, à faire mémoire de l'héroïsme guerrier que, sans un tel héroïsme -- qui ne paraîtra négligeable qu'à des cœurs lâches ou à des intellectuels cérébraux, devenus abominables dans leur égoïsme cogitateur, -- sans l'héroïsme du soldat, la société des hommes n'a plus le moyen de savoir pratiquement, concrètement, qu'elle est établie pour autre chose que la production et la consommation ; au mieux pour les plaisirs de l'esprit, pour les grâces florentines d'une intelligence déliée, ou pour les raffinements abominables d'une sensualité hypocrite qui se cache et se dissimule derrière les prétendues recherches de la pensée et de l'art. Sans l'héroïsme du soldat la société tombe en putréfaction ; une âme vivante n'y peut plus respirer, ou du moins est-elle à tout instant menacée d'asphyxie Sans l'héroïsme du soldat la société, -- close sur elle-même, devient semblable tantôt à une usine colossale dont toutes les portes sont verrouillées les unes après les autres avant que personne ne sorte ; tantôt à un cirque gigantesque, menacé de crouler parmi les flammes dévorantes d'un incendie implacable. Je ne m'occupe pas ici de considérer si, et comment, le soldat peut dégénérer en soudard (il est trop clair que cette déchéance est possible) ;
188:129
je ne m'occupe pas non plus de distinguer l'héroïsme de « la guerre sans haine » et le fanatisme démoniaque d'un militarisme impérialiste ; cette distinction va de soi. Ce que je veux seulement indiquer c'est qu'une cité qui méprise le soldat perd le sens de l'honneur, devient indigne de l'homme, ne sait plus en pratique que l'établissement sur la terre n'est pas le bien suprême. -- Du fait que la mission du soldat tient de fort près à la vie de l'âme et à la vie surnaturelle, on comprend que la société moderne infestée de matérialisme entretienne à l'égard du soldat une solide aversion. « L'État moderne, simple agent de transmission entre la finance et l'industrie a des raisons de flairer dans l'armée une autre Église, presque aussi dangereuse, presque aussi incompréhensible. Ne gardent-elles pois toutes les deux, bien qu'inégalement, le secret de former des hommes qui, le jour venu, feront tout plier devant eux par la seule force de l'esprit, car le héros ne le cède qu'au saint. Aussi l'État qui classe prudemment le saint parmi les aliénés, contraint d'utiliser en temps de guerre le héros tâche de ne s'en servir qu'à coup sûr, avec le minimum de risques. Il sait très bien que la seule idée du sacrifice, introduite telle quelle dans sa laborieuse morale de la solidarité, y éclaterait comme une bombe. » ([^94])
\*\*\*
L'un des points où l'héroïsme de la sainteté diffère le plus manifestement de l'héroïsme des champs de bataille c'est l'universalité. A chacun de ses disciples en effet le Seigneur adresse l'appel confondant à livrer sa vie pour lui-même et pour le Royaume ; il ne fait point de cas de la situation ou de la fonction, des manquements passés, des faiblesses présentes, de la débilité native.
189:129
*Omnia traham ad meipsum*... Depuis qu'il fut élevé sur la croix, le Fils de l'homme attire tous les hommes à l'héroïsme de la grâce et de la charité, bien au-delà de leurs dispositions naturelles. -- D'un certain point de vue qui n'est certes pas négligeable, il serait paradoxal de parler d'un héros du petit commerce, d'un héros de l'industrie textile ou de l'élevage du mouton. Paradoxal du point de vue des exigences de ces métiers, qui à la différence du métier des armes ne réclament pas en eux-mêmes l'héroïsme, ce langage peut néanmoins devenir très exact lorsqu'il désigne des chrétiens qui dans ces métiers tendent vers la sainteté. Il suffit de lire une vie des saints pour s'apercevoir que, même dans les métiers les plus ordinaires, ceux de cordonnier par exemple ou de laboureur, il s'est rencontré des chrétiens, -- il s'en rencontre toujours -- pour aimer jusqu'à l'héroïsme Dieu et le prochain. Nos ancêtres en avaient tellement conscience que pour eux la pratique d'un métier supposait l'agrégation à une confrérie, le recours officiel au patronage du saint qui avait exercé ce métier avec l'héroïsme de l'amour. Les avocats se confiaient à saint Yves et les peintres à saint Luc. Ils se plaçaient sous leur garde et se confiaient à leur intercession, moins pour un avantage temporel que pour l'avantage éternel de la sanctification quotidienne dans l'accomplissement du labeur temporel. Il peut paraître, anachronique de rappeler ces vérités au temps de la laïcisation de la plupart des occupations et des tâches d'ici-bas. Qu'importe. Il n'en demeure pas moins que les chrétiens sont appelés à aimer le Seigneur au point de tout sacrifier pour lui, dans tous les métiers et toutes les professions.
190:129
Et lorsqu'il arrive que la société devienne tellement anti-naturelle et démoniaque que certains métiers, ou même beaucoup, ne puissent plus être exercés sans un péril prochain d'y perdre son âme, les chrétiens sont appelés à renoncer à ces métiers et même à risquer la mort, plutôt que de damner leur âme et *de porter sur le front le signe de la Bête.*
Lorsque la société est tellement pervertie qu'il ne reste pour ainsi dire plus de place pour les confesseurs, c'est alors à l'héroïsme des martyrs que les chrétiens sont appelés. Mais il s'agit toujours d'un appel à l'héroïsme de la charité et de la grâce.
\*\*\*
Comment en seront-ils rendus capables ? Nous avons déjà répondu : par la force de la croix, par la grâce toute-puissante qui dérive du Cœur du Christ et nous touche dans les sacrements. Dirons-nous que notre âme est bien faible et par trop inégale à ces grandeurs divines ? Mais plus nous conviendrons simplement de notre faiblesse et de notre pauvreté, plus nous permettrons à l'Esprit de Dieu de s'emparer de notre liberté et de nous transformer en flamme d'amour. L'humble Vierge Marie le proclame bien haut dans le Magnificat : *exaltavit humiles ; esurientes implevit bonis*. -- C'est l'Esprit de Dieu, l'Esprit d'amour qui, habitant dans une âme pleinement docile, y réalise lui-même, sous une forme, ou sous une autre, la surnaturelle contemplation ; et par la contemplation il prépare l'âme à l'héroïsme de l'amour. Mais cet Esprit de Dieu ne fait son œuvre dans les âmes qu'à proportion de leur humilité, en même temps qu'il approfondit cette humilité. De sorte que l'héroïsme des saints serait incompréhensible sans la contemplation, comme la contemplation à son tour serait incompréhensible sans l'humilité.
191:129
L'héroïsme des saints est évidemment de l'ordre de la grandeur d'âme ; c'est même la grandeur la plus sublime ; mais une grandeur surnaturelle, qui *ne procède pas de la chair et du sang*, mais de la miséricorde du Père et de la grâce du Rédempteur. Grandeur d'humilité que chante admirablement le héros du Carmel ([^95]) :
*Quand mon âme montait chantante*
*Bien haut, dans ce transport divin,*
*Tout en bas retombait soudain*
*Pareille à flamme vacillante*
*Je dis : c'est hors de ma portée...*
*Mais je m'abaissais tellement*
*Que je bondis d'un grand élan*
*Et j'obtins la proie désirée.*
R.-Th. Calmel, o. p.
192:129
## DOCUMENTS
### Réflexions sur « Humanae vitae »
Nous reproduisons ci-après un article du « Courrier de Rome » (publié 25, rue Jean Dolent à Paris -- 14^e^).
Le « Courrier de Rome » a donné ces derniers mois toute une série d'articles de première qualité sur l'encyclique « Humanæ Vitæ ». Celui-ci est l'un des plus remarquables.
#### I. -- Le mariage est difficile
Sur la rigueur des exigences de l'état conjugal, les premiers disciples de Jésus ont eu, pour l'éternité, le cri du cœur, qui était à la fois celui de la faiblesse humaine et celui de la conscience morale éclairée par l'enseignement nouveau que le Seigneur venait de leur donner. Il leur disait :
« Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Matth. : XIX, 6). C'était, au-dessus de la casuistique des Rabbins, condamner sans appel le divorce.
Alors, les disciples, naïvement :
« Si telle est la condition de l'homme à l'égard de la femme, *il vaut mieux ne pas se marier... *»
Or, cette inévitable, cette dure loi de l'*indissolubilité* du mariage, elle est liée *intrinsèquement* à deux autres obligations, la *fidélité* et la *fécondité *: tout se tient dans cet état, fondé sur la nature même des choses.
193:129
En parlant d' « obligations » nous donnons une tonalité *morale* à ce qu'on devrait d'abord considérer comme les propriétés *quasi physiques* d'une certaine institution naturelle : propriétés qui la distinguent essentiellement d'autres vagues unions qui, plus ou moins, lui ressembleraient : le concubinage, l'union libre, la simple fornication.
Ce faisant, nous ne perdons pas de vue la répugnance presque épidermique de certains clercs modernes à ce qu'ils appellent le « légalisme ». Quand on leur parle des lois du mariage, ils répondent : « relations *inter-subjectives* du couple ». -- S'il ne s'agissait que de substituer des termes obscurs à des termes clairs, on leur pardonnerait une pédanterie dont ils ont besoin pour se donner de l'importance. Que subsisterait-il de « la Pastorale du mariage », si les préposés à icelle parlaient tout bonnement de ces questions comme en parlaient le Curé d'Ars et Timon-David ? Depuis Rabelais et Molière, l'on sait qu'il faut à certains médicastres un peu d'inintelligibilité pour acquérir un peu d'autorité.
Mais il y a autre chose dans ce patois « phénoménologico-personnaliste » : il y a la vieux fond d'hostilité à *la règle extérieure*, à l'ordre commandé, qui s'impose « du dehors ». De Luther à Rousseau, de Rousseau à Kant, de Kant aux moralistes laïques de l'Université française, la filiation est rigoureuse : pour tous, il n'y a de loi contraignante que *celle qu'on se fait à soi-même*.
Seulement, ces Pastoraux de l'autonomie morale ont-ils songé que leurs « relations inter-subjectives » trouvaient parfois, sans le secours d'aucun aumônier, des réussites merveilleuses dans les personnages de la vie de Bohême ?... Jusqu'au jour, jusqu'au jour...
(*Où*) *Musette qui n'est plus elle*
*Disait que je n'étais plus moi.*
Si l'ENFANT n'est pas là alors, entre le père et la mère, quand l'outrage des ans a relâché les chères relations intersubjectives, qu'est-ce qui retiendra les oiseaux de voler vers d'autres nids ? (C'est saint Thomas qui me fournit la comparaison de ces capricieuses créatures.)
Je vous entends : « L'enfant ? Soit ! Mais combien ? »
St je le savais, je vous le dirais. Et si le Créateur avait voulu qu'on le sache, il nous aurait mieux instruit sur les quartiers de la lune.
194:129
Je regarde avec beaucoup de curiosité les techniciens du « planning familial » (ceux, du moins, qui veulent rester catholiques) courir de la pilule interdite à une licite « régularisation des cycles » (comme ils disent si élégamment) : c'est la pierre philosophale de ces nouveaux alchimistes. S'ils devaient, un jour, parvenir à la découvrir, nous souhaitons bien du bonheur aux futurs sujets de quelque émule renouvelé de Hitler ou de Mao. -- ; Mais quels périls alors pour la variété de l'humanité terrestre ! On tremble à l'idée qu'une prévision trop exacte des fameux cycles n'aille priver l'Église de l'an 2 000 du hasard d'un abbé Laurentin.
Par bonheur, la maîtresse Nature a d'étranges ruses ou de plus étranges vengeances, quand on veut lui ravir certains secrets. Toutes les « paternités raisonnables », si loin qu'elles aillent dans cette « rationalisation », n'empêcheront jamais que la première page du Livre de Vie ne soit écrite à l'insu du père. Écrite par Celui « de qui toute paternité, au Ciel et sur la Terre, tire son nom. » (Éphès. : III, 15). Vous serez peut-être parvenu à choisir la couleur des yeux de votre enfant, mais l'âme, « l'âme singulière » restera toujours l'œuvre *d'un Autre.*
Et cela est bien comme cela. Il est bon que la source du fleuve reste inconnue ; que la vie de la vie reste hors de l'atteinte des vivants au-dessus des prises de la biologie et de la simple morale du permis et du défendu : dans cette région où règne le bon plaisir de la Prédestination divine : la région *du mystère et du* SACRÉ. -- Le sacré : il n'y a pas ici d'autre mot.
Nous avons lu et entendu, ces derniers mois, d'excellentes choses, mais bien banales, sur les « hasards » de la paternité. Nous aurions aimé voir rappeler, du moins aux chrétiens, qu'il y a, contre ces hasards, deux infaillibles certitudes : celle qu'apporte la continence, dans un cas, et la prière, dans l'autre. La continence quand il convient de refuser l'enfant ; la prière, quand on veut l'obtenir tel qu'il soit agréable à Dieu et à son père.
Au lieu de cela, quoi ? Des recettes de guérisseurs ou des formules d'apothicaires : la morale réduite à des dragées, comme si les clercs, trop faciles apparemment, pour eux-mêmes, avaient honte d'être difficiles pour les autres. Or, c'est vrai que l'Église demande à ses témoins d'être des saints, mais s'ils restent pécheurs, qu'ils ne soient pas en outre infidèles !
195:129
Le mariage est difficile : ce ne sont point les clercs qui l'ont fait tel.
#### II. -- "J'ai couru dans la voie de vos commandements..." (Psaume : CXVIII, 32)
« J'ai couru dans la voie de vos commandements, *lorsque vous avez dilaté mon cœur*. » -- C'est l'un des versets de ce psaume 118, qui en contient 176 : tout autant de cris, indéfiniment répétés, d'admiration ou d'affection ou d'espérance sur « la Loi » de Dieu.
Il paraît que ce psaume était le préféré de Pascal. Sa sœur Gilberte nous l'apprend : « Quand il s'entretenait avec ses amis de la beauté de ce psaume, il se transportait, en sorte qu'il paraissait hors de lui-même. »
« Penchez mon cœur vers Vos préceptes !...
« J'ai levé mes mains vers Vos commandements...
« J'ai défailli en pensant aux pécheurs qui abandonnent Vos voies... »
Les plus exacts à observer cette loi, les saints, apparaissent aussi les plus libres des hommes. Saint Augustin nous a dit pourquoi : « Celui qui aime fait tout sans peine, ou bien sa peine il l'aime. » Il court sans s'essouffler sur cette « voie étroite » dont parle l'Évangile, parce que Dieu a « dilaté » sa poitrine.
Ce n'est point que la Sagesse divine ignore la fatigue des hommes. Ni leur fatigue ni leurs chutes. Elle a même compté celles-ci : *sept fois* par jour chez le « juste » lui-même. Et Jésus-Christ a commandé à Pierre de pardonner « septante fois sept fois » : était-ce qu'Il supposait plus d'indulgence au cœur de Sa créature, qu'Il n'en porte dans le Sien ?
Seulement, il y a des bontés qui sont cruelles. Il n'est pas un pédagogue, il n'est pas un père qui ne vous le dira. On ne voit le relâchement de la loi que sous l'aspect de la miséricorde ; or, il peut être aussi l'effet d'une lâcheté : celle du démagogue qui a peur, par ses exigences, de déplaire ou de perdre une clientèle.
196:129
A sa première annonce du mystère de l'Eucharistie Jésus fait scandale (Jean VI, 59 et suiv.) :
-- « Cette parole est dure ; qui peut l'écouter ? », et, « dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et ils n'allaient plus avec lui. »
Alors, il se tourne vers les Douze :
-- Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? »
Il appelle tous les hommes, mais il n'en retient aucun. Il sait que c'est la vérité seule qui « affranchit » (Jean : VIII, 32.)
Les Apôtres n'ont pas converti le monde autrement, et nous savons quel il était quand ils commencèrent à lui prêcher la loi de la Croix. Pour ne parler que de Rome et de la loi conjugale, on se souvient du trait terrible de Sénèque sur ces femmes « qui ne devraient plus compter les années par la succession des consuls, mais par celle de leurs maris ».
Or, les faux frères déjà ne manquaient pas, qui mettaient *de l'eau dans le vin* de l'Évangile, comme saint Paul le leur dit sans ménagement (2^e^ aux Corinth. : II, 17).
Ceux-là cherchaient « la faveur des hommes » ; lui, la faveur de Dieu :
« Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas le serviteur du Christ » (Galates : I, 10).
En ces temps d' « église post-conciliaire », la mode est aux prophètes : des prophètes *de bonheur* comme ce Frère Sauvage, des « Écoles chrétiennes », qui a découvert, lui aussi, un « Nouveau Monde », un monde où clercs et religieux pourront, nous dit-il, « s'insérer » et vivre gaiement leurs trois vœux ; le monde de *Gaudium et Spes :*
« Ne faut-il pas reconnaître que la mise en valeur des trois conseils évangéliques (virginité, pauvreté, obéissance) a pu trop souvent être réalisée à partir d'une certaine, dépréciation des réalités humaines auxquelles ils font renoncer : *l'amour humain et la sexualité,* les biens terrestres, la liberté et l'autonomie de la personne ? »
Nous l'avons déjà dit, et nous exhortons nos lecteurs à le répéter sans cesse avec nous : la contestation opposée à *Humanæ vitæ* se nourrit beaucoup moins du rappel fait par l'encyclique d'une loi conjugale austère, que d'une immense déception : celle de voir l'Église renoncer à « la joie et à l'espérance (*Gaudium et Spes*) » de ce monde.
197:129
Tout commence par cette déception ; les raisons philosophiques viennent après : à la rescousse et masquées.
#### III. -- Quand Escobar essaie de dorer la pilule
De ces raisons philosophiques, nous avions connu l'avant-goût à la tribune du Concile. Les trois cardinaux Suenens, Alfrink et Léger s'y étaient distingués. Mais il y a eu ensuite, là comme ailleurs, l'accélération vertigineuse de la « dynamique » du « Vatican II ». Depuis la publication de l'Encyclique de Paul VI, les journaux, les radios ont regorgé de cette théologie morale mise à jour.
S'il fallait, au milieu de ce tumulte d'Arche de Noé, conférer un bonnet d'honneur, nous le donnerions sans hésiter non pas à l'abbé-docteur Oraison, mais au Révérend Bruno Ribes, directeur des *Études,* « revue mensuelle fondée en 1856 par des Pères de la Compagnie de Jésus », et devenue, en 1968, une « revue d'information et de culture, qui s'intéresse à toutes les manifestations de l'esprit ».
Quand M. Oraison parle de la pilule, c'est franchement faux. Ce qu'en dit M. Ribes est hypocritement vrai. -- Quand c'est vrai, et ça l'est rarement, il y a, dans les jugements de M. Oraison une brusquerie de salle de garde. Les propositions de M. Ribes sont un chuchotement de salon ; s'il avance quelque vérité difficile, c'est à voix basse, en s'excusant et se couvrant aussitôt de quelque affirmation contraire.
On peut se croire ainsi à l'abri de toute critique : (« Vous ne m'avez pas saisi : lisez ma page 36... »), mais quel guide a-t-on apporté aux époux, aux confesseurs ?
L'encyclique de Paul VI avait pour but d'éclairer les consciences. L'article des *Études* a pour résultat d'obscurcir l'encyclique. Qui, dès lors, ne pensera : « Le Pape aurait mieux fait de se taire » ? -- M. Ribes nous le dit lui-même (entre ses dents) :
« La publication de ce texte a accéléré un processus de *crise...* dont il eût été peut-être préférable... *qu'il se déployât lentement.* Crise culturelle d'abord, et qui se traduit par des divergences fondamentales... Crise d'institution et d'autorité, intimement liée à la précédente » (p. 446).
198:129
Mais la « crise », Monsieur, c'est vous et vos pareils qui la créez par vos sournoises contestations !
Ce qui suit touche au sommet de l'hypocrisie :
« Face à cette situation, chacun doit se sentir *responsable de l'unité* du peuple de Dieu. Au diable les provocateurs. »
Nous ne savions pas que les Pères des *Études* croyaient encore au diable. Mais qu'ils se rassurent : nous ne demandons, quant à nous, aucune place dans leur paradis, et nous acceptons joyeusement leur injure, si c'est être *provocateur* que de rappeler simplement à des chrétiens l'exigence de leur baptême et à des jésuites celle de leur vœu d'obéissance *spéciale* au souverain Pontife.
Peut-être donnerions-nous moins d'importance à l'article de M. Ribes, si ses sophismes se bornaient à la seule matière de l'Encyclique, mais, pour dorer la pilule, ce sont des principes universels de la philosophie et de la théologie qui sont mis en péril : le concept de « loi naturelle » et de « nature » ; l'autorité du magistère de l'Église en matière morale ; la constance de la Tradition comme source de la révélation divine ; les concepts de bien et de mal moral.
Des confusions puériles, des sophismes cent fois réfutés, qui ont servi à édifier la pauvre morale évolutionniste avec le relativisme dogmatique des Modernistes, voilà toute la substance « culturelle » de cette vingtaine de pages, qui avancent masquées, à petits pas feutrés ([^96]).
199:129
Souhaitons que quelque brave théologien de la Compagnie refasse passer à l'élève Bruno Ribes un baccalauréat qu'il semble n'avoir guère passé que sous le manteau de la cheminée. Nous nous bornerons, dans cet étroit Courrier, à rappeler quelques principes sur le caractère d'une morale RÉVÉLÉE et sur le concept de *nature* (et de loi naturelle).
Ce rappel voudrait aider une *lecture catholique d'Humanæ vitæ,* mais il ne saurait remplacer la foi théologale et l'humilité de l'esprit. C'est à ces vertus que nous pensons... *provoquer* nos lecteurs, modestement, au-delà des paroles...
200:129
#### IV. -- "Roma locuta est..."
*Roma locuta est ; causa finita est *: « Rome a parlé ; la cause est entendue ». Nous reprenons la formule illustre de saint Augustin dans une controverse qui avait mis le feu à l'église d'Afrique. En invoquant le jugement prononcé par l'évêque de Rome, ces mâles berbères ne s'abandonnaient pas à une commode et lâche aliénation. Ils savaient, quand il le fallait, défendre leur autorité contre des clercs douteux, condamnés dans leurs conciles, qui faisaient, disaient-ils, « le voyage d'outre-mer » pour aller intriguer derrière la Chaire de Pierre. Mais quand il s'agissait d'une affaire de foi où les évêques eux-mêmes se divisaient, alors ils donnaient le dernier mot à cette Chaire « auprès de laquelle une dépravation de la foi ne peut avoir accès ».
Ainsi de l'univers catholique, celui d'Occident et celui d'Orient. L'Église de Rome terminait le doute, fixait la croyance et sauvait l'unité. Mais cette *certitude* communiquée à tous les autres, fidèles ou évêques, supposait un don surnaturel : la protection contre l'erreur, donnée par Celui qui, avant de remonter au Ciel, avait dit à Ses apôtres : « Allez, prêchez... *Je suis avec vous* jusqu'à la consommation des siècles ».
La prétention à l' « infaillibilité » est la plus exorbitante qui se puisse imaginer dans une créature humaine, particulièrement en matière religieuse. Cette assurance est pourtant, dans l'Église catholique, la conséquence naturelle des TROIS PRINCIPES qui fondent toute la raison d'être de sa mission :
201:129
1° L'homme a un destin éternel, qu'il doit atteindre moyennant certains mérites.
2° La FOI, EXACTE et FERME, à certains dogmes et la pratique de certains préceptes MORAUX sont nécessaires à ce mérite (à ce « salut »).
3° Des hommes choisis par Dieu ont reçu de Lui la charge d'enseigner avec AUTORITÉ ces dogmes et de faire observer ces préceptes.
Nous ne disons pas que ces trois principes sont ceux d'une religion NATURELLE, telle que la raison humaine, laissée à ses seules forces, aurait pu les concevoir. Nous disons qu'ils sont ceux de la religion RÉVÉLÉE par Jésus-Christ. On n'est pas catholique si on ne les admet pas. Il faut donc accepter leur suite logique : qu'il doit y avoir, qu'il y a, dans l'Église, un certain ORGANE D'INFAILLIBILITÉ.
Quel est cet organe ? C'est *le Corps des Évêques* qui déclare, soit dans un (vrai) concile œcuménique, soit dans son enseignement ordinaire *universel* et *constant,* ce qui doit être tenu comme révélé par Dieu. -- Et c'est aussi *le Souverain Pontife* seul quand il « parle ex cathedra ».
Il est certain qu'un tel pouvoir étonne. Mais pas plus que celui de consacrer l'Eucharistie et d'absoudre des fautes.
Une fois admis que la mission de Jésus-Christ devait se continuer « jusqu'à la consommation des siècles », les conditions humaines de cette perpétuité exigeaient que le Sauveur fît participer des hommes à ses pouvoirs surhumains :
« *Comme* le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jean : XX, 21-23).
L'identité de la *mission* produit l'identité de la *puissance *: « Qui *vous* écoute, *m'*écoute ; qui *vous* rejette, *me* rejette et qui *me* rejette, rejette *Celui* qui m'a envoyé » (Luc X, 16).
L'enchaînement est rigoureux. Le charisme de l'infaillibilité n'en est qu'une conséquence. Le contester conduit à réduire la FERMETÉ de l'acte de foi à l'adhésion IN-FIRME d'une opinion.
202:129
Les Protestants l'ont si bien compris qu'ils ont conféré à chaque croyant l'infaillibilité qu'ils refusaient à un magistère officiel. Comme on l'a dit : chaque protestant, devant sa Bible, est Pape. Pour exclure l'infaillibilité d'un homme, Luther et les siens la donnaient à des milliers.
On sait à quoi cet individualisme a mené des églises et des États.
#### V. -- Fins, nature et critères d'un jugement infaillible
La finalité du charisme d'infaillibilité est donc double : donner à *chaque* chrétien la CERTITUDE sur ce qu'il doit CROIRE et FAIRE pour accomplir son salut ; produire ainsi, dans la *société* chrétienne, *l'unité*, qui est une preuve complémentaire de la vérité et l'un des quatre SIGNES qui distinguent des sectes l'Église de Jésus-Christ.
Mais à quoi servirait cette infaillibilité, si elle n'était pas *reconnaissable elle-même avec certitude ?*
On nous dit que l'encyclique *Humanæ* *vitæ* a causé scandale. Le grand scandale, le seul, c'est qu'elle soit contredite ou minimisée par des catholiques, et, avec elle, l'autorité suprême du Successeur de Pierre.
Dans les semaines qui ont suivi sa publication, les adhésions de fidèles, de prêtres, d'évêques individuels n'ont cessé d'affluer à Rome (sans parler d'incroyants et de non-chrétiens). Cela, c'était la réaction instinctive de la foi. Mais on a vu bientôt se produire, avec une audace accrue, le même appareil de propagande qui avait été déjà déployé avant, en vue d'influencer la décision de Paul VI.
Il en est résulté un reflux dont les déclarations COLLECTIVES de certains épiscopats ont donné l'affligeant spectacle.
Preuve nouvelle qu'un évêque *seul* n'est pas le même homme *dans une assemblée...* Si l'on veut remonter ce processus de désagrégation, il est temps que l'épiscopat opère une « conversion » véritable, qu'il renonce à la détestable « collégialité » et qu'il se subordonne étroitement à l'autorité MONARCHIQUE Souveraine de Pierre, « de qui tout épiscopat tire son principe ».
203:129
Dans le cas précis d'HUMANÆ VITÆ (qui n'est, après tout qu'*un* exemple-test), nous dirons fermement notre avis : la DÉCISION morale qu'elle prononce est un acte *qui engage l'*INFAILLIBILITÉ. Toutes les atténuations dites « pastorales » qu'on essaiera d'apporter à cette franche constatation seront du vent, et il faudra rendre les armes à M. Oraison qui a, lui, le mérite de la franchise :
« Quand on dit *d'un document* COMME CELUI-LA qu'il n'est pas infaillible, cela signifie qu'il est faillible : c'est-à-dire qu'il peut comporter des aspects discutables, sinon même inexacts. Ou bien alors le langage n'a plus de sens. La notion d' « un petit peu infaillible » fait sourire. C'est ou ce n'est pas ». (*Le Monde *: 7 septembre.)
« ...Un document *comme celui-là*. » -- C'est fort bien dit : car d'une *autre espèce* de document, il faudrait parler *autrement*. En effet, l'usage humain d'une autorité quelconque exige que le chef ne soit pas contraint, à *chacun* de ses actes, d'exercer cette autorité selon toute sa *plénitude* et au degré *suprême*. Il n'y a aucune vie communautaire possible (familiale, politique...), si les sujets se réservent le pouvoir de désobéir dès là que le supérieur « PEUT » se tromper : nous avons assez vu, en cette année 1968, à quelles puériles anarchies cette « contestation » peut mener.
Mais l'on doit aussi fermement déclarer que *certaines* matières *religieuses* ne souffrent pas de DÉCISION *provisoire, réformable* et donc *discutable.*
Nous disons biens : DÉCISION, par opposition à un conseil, à une « directive », à une exhortation, et nous bornons notre affirmation à ces matières *purement* dogmatiques ou morales qui sont *intrinsèquement* exemptes de toute complication profane. En effet, l'on ne peut refuser à l'Église, « experte en humanité », d'exprimer quelquefois ses avis, ses souhaits, ses encouragements en quelque matière « mixte ». Elle ne prétend alors à aucune infaillibilité. Elle est, dans de tels cas, la *Mère* des hommes plus que leur *Maîtresse.* Les derniers Papes ont particulièrement usé de cette sollicitude où la charité a plus de part que la froide raison. Qu'on pense à cette encyclique POPULORUM PROGRESSIO où Paul VI touche à vingt-deux et quelques sujets mi-moraux mi-profanes : document dont il avait éclairci lui-même le caractère en le qualifiant de simple « lettre respirant l'amour chrétien ».
204:129
Mais dans HUMANÆ VITÆ*,* c'est une toute autre affaire. Au-delà des aspects biologiques et politiques qui ne lui sont que *tangents et point intrinsèques,* c'est un problème de pure morale, où les chrétiens sollicitaient de l'Église autre chose et bien plus qu'un avis prudentiel : à savoir un véritable JUGEMENT qui tranche catégoriquement un doute par un OUI ou par un NON. S'il s'était agi d'une pieuse exhortation, Paul VI n'aurait pas SOUSTRAIT LA QUESTION au Concile, pour se la réserver ! Il y avait eu déjà, de ce concile sans précédent, assez de documents « pastoraux », œcuméniques, homilétiques, parénétiques ! Un de plus, un de moins... En assumant la cause à son tribunal, Paul VI signifiait déjà, *a priori,* qu'il entendait la décider en vertu de son autorité SUPRÊME.
Si, ensuite, au cours de délibération personnelle, il avait estimé qu'il ne pouvait arriver à une CERTITUDE, il nous semble qu'il n'aurait pas, *sur une pareille matière,* et en de telles *circonstances historiques*, exprimé une simple OPINION. Il se serait tu. Or, il a parlé, et en des termes qui excluent absolument, à la fin, toute hésitation de sa part.
*En de pareils cas*, l'enseignement des théologiens est *unanime *: le Christ doit protéger le successeur de Pierre pour que « sa foi ne défaille pas » (Luc : XXII-32).
Nous ne citerons là-dessus que le grand cardinal Billot. Il commence par bien déclarer que l'infaillibilité ne consiste absolument pas dans une RÉVÉLATION. Ni « une révélation de *nouvelles vérités *», ni non plus « une *nouvelle révélation* des vérités elles-mêmes qui sont contenues explicitement ou implicitement dans le dépôt apostolique ».
Qu'est donc l'infaillibilité ? Une « pure ASSISTANCE que le Christ donne, en des cas *limités très précis,* au Chef visible de Son Église.
« Cette assistance est une providence qui dirige le magistère et qui le garde de dévier jamais de la voie de la vérité, *quand* il exprime la révélation faite jadis, ou *quand* il explique ce qui est implicitement contenu en elle, ou *quand* il condamne les erreurs qui s'y opposent. »
Le magistère de l'Église n'a pas une sphère illimitée, l'assistance divine suppose donc deux conditions : « *Primo*, que (ce magistère) ne puisse jamais défaillir sur son objet propre ; *secundo*, que, dans l'acte d'enseigner, il ne puisse sortir hors du champ de cet objet. »
205:129
Mais comme « l'infaillibilité (promise par le Christ) n'est pas hypothétique, qu'elle est absolue et accompagnant toujours, nécessairement, l'exercice du magistère (dans des cas bien spécifiés), il n'est pas besoin de chercher si telles ou telles précautions ont été observées : en effet, *du seul fait* que le magistère suprême propose une doctrine, elle doit, par ce fait même, être conforme à la vérité, et marquée du caractère de l'inerrance ».
#### VI. -- Simples notes d'application pour la lecture d' "Humanae vitae"
Cette doctrine offusque la raison ? Nous avons déjà remarqué que les Protestants l'admettent en fait pour *chaque individu* croyant. Quant aux rationalistes « libres-penseurs », il suffit de les renvoyer aux intransigeances des idéologies politiques, les « démocratiques » autant que les « totalitaires », quand leurs principes fondamentaux leur paraissent en jeu. Ils ont leurs inquisitions, leur Saint-Office et leurs bûchers.
Et que dire de l'assurance des biologistes décidant, avec quelle autorité ! de la normalité et de l'innocuité des manipulations opérées avec leurs pilules ?...
Nous voudrions donner maintenant, tirées des principes généraux, quelques règles *pratiques* pour une lecture d'*Humanæ vitæ,* faite à la lumière de la vertu théologale de foi et selon le « sens catholique ».
1°) On peut raisonner de *deux* façons pour déterminer la qualité de l'adhésion requise du fidèle à l'Encyclique de Paul VI : le Pape a fait intervenir son charisme d'infaillibilité ; donc sa décision est irréformable. -- Ou bien : le Pape a déclaré que son jugement est irréformable ; donc il a été assisté de la protection divine qui garantit son infaillibilité.
On ne cesse de nous jeter à la face : « L'encyclique n'est pas infaillible » ; et, *de là*, on s'autorise pour la contester. Or, dans le cas présent, c'est la démarche inverse qui est celle du croyant : « La foi est une conviction de choses *qu'on ne voit point *» (Hébreux : XI, 1). C'est de la lecture (loyale) des termes par lesquels Paul VI a exprimé son jugement, d'une manière visible, qu'il faut remonter à la nature *invisible* de l'autorité de ce jugement :
206:129
2°) Nous sommes stupéfaits du gros sophisme commis dans les déclarations des épiscopats germains, anglo-saxons et flamands. -- Ils disent en somme : le Pape n'a point parlé ex cathedra ; donc l'encyclique n'est pas infaillible. Or, la définition ex cathedra n'est pas *l'unique façon* pour l'Église de déclarer infailliblement ce qui doit être cru de foi divine et catholique. La prédication *constante, universelle*, par le magistère ORDINAIRE, d'une vérité comme révélée ou comme connexe à une vérité révélée, suffit à définir qu'elle est objet de foi, sans qu'une déclaration SOLENNELLE soit, en plus, nécessaire.
Nous ne dirons pas, certes, que les définitions ex cathedra sont superfétatoires ni qu'elles sont un moyen « de remplacement » : elles peuvent avoir une raison d'être urgente dans un temps de crise, pour clore une controverse qui diviserait les fidèles. Mais, même dans un cas semblable, on peut être absolument certain que le Pape n'apporterait aucune doctrine *nouvelle, inconnue, sans racine* dans le plus vieux passé. Seulement, entre deux affirmations théologiques opposées, librement discutées jusque là, il jugerait que celle-là seule est contenue vraiment dans le dépôt révélé.
3°) Et, sur ce point encore, nous devons avouer notre surprise attristée de voir que les déclarations épiscopales jusqu'ici publiées, bornent leur attention à la seule Encyclique (... pour l'amenuiser autant qu'elles peuvent), au lieu de l'éclairer et de la fortifier par le rappel du jugement constant le plus ancien de la théologie morale (sur « l'onanisme conjugal ») et du droit canonique (sur la nullité du mariage que la volonté catégorique d'un seul même des conjoints aurait résolu de rendre infécond, au moment où il se mariait).
Contre cette tradition, que ceux-là mêmes qui l'attaquent avouent presque millénaire (ils la font remonter sans discussion au moins jusqu'à S. Thomas), qu'a-t-on opposé ? -- Une thèse inventée de toutes pièces il y a une quarantaines d'années par des théologiens allemands pour donner une justification ou, du moins, une excuse aux détestables théories et pratiques du racisme et de l'eugénisme (... en attendant l'euthanasie). Ajoutez-y la « morale de situation », qui n'est pas autre chose qu'un aggiornamento pour 1968 de la « morale » des vieux Cyniques ; complétez par les « relations inter-subjectives des couples », en y ajoutant l'hymne à « l'éternel féminin » du P. de Lubac (afin, tout de même, de ne pas *institutionnaliser* les « couples » très inter-subjectifs d'homosexuels). Et vous aurez au grand complet toute la théologie nouvelle de la « paternité responsable ».
207:129
La découverte de la Pilule n'est venue qu'*après* cette théologie, comme un auxiliaire chimique de la Morale : la boîte de dragées, enrubannée, pour ces très nouveaux mariés.
L'Encyclique est allée droit aux conclusions. Mais ce serait le devoir du *magistère ordinaire* de développer maintenant ses racines *traditionnelles* profondes.
4°) L'autorité infaillible d'un jugement doctrinal se termine à *la définition elle-même*. Elle ne s'étend ni aux arguments ni aux développements purement explicatifs. -- Nous ne disons pas ceci en pensant particulièrement à *Humanæ vitæ*, mais parce que telle est la précision affirmée, de tout temps, par les théologiens : Billot la donne, après Melchior Cano, et le Card. Journet l'a appliquée à l'Encyclique, en citant la déclaration de Paul VI qui, dans l'appel « aux prêtres », vers la fin de l'Encyclique, dit expressément :
« Soyez les premiers à donner... l'exemple d'un assentiment loyal, interne et externe, au Magistère de l'Église. Cet assentiment est dû, vous le savez, *non pas tant à cause des motifs allégués* que plutôt en raison de la lumière de l'Esprit Saint... »
5°) Cette considération est particulièrement importante quand la définition doctrinale touche non pas une matière *de foi*, mais les « *mœurs *». En effet, la définition d'une vérité de foi énonce une proposition de l'ordre *spéculatif *: ce qui EST. (Par ex. : le Verbe EST consubstantiel au Père. -- Jésus EST ressuscité.)
La définition d'une loi morale énonce ce qui DOIT être.
Or, si la loi NATURELLE (pour ne parler que de celle-là) doit se conformer à un ordre OBJECTIF, celui-ci est de nature MORALE ; il est de l'ordre du VRAI mais aussi de l'ordre du BIEN. Le jugement qui énonce une Loi avec l'obligation correspondante qu'elle crée, est autre chose qu'un jugement « scientifique » : il intègre, dans son énoncé, des considérations diverses, complexes, qui ont été posées, estimées, appréciées par rapport à des FINS.
208:129
Adversaires et (quelquefois) apologistes de l'Encyclique ont tous omis cet aspect capital et réduit leur examen à des raisons *biologiques* ou *psychologiques*, d'où il est radicalement impossible de déduire une LOI MORALE, si l'on n'y fait entrer le poids de la FINALITÉ TOTALE de L'HOMME TOTAL.
6°) Ceci nous amène au cœur de la question : dans quel sens et dans quelle mesure l'usage d'un contraceptif ARTIFICIEL est-il contraire ou peut-il être conforme à la « NATURE » ?
Ce Courrier est déjà trop long pour que nous puissions traiter à fond ce sujet aujourd'hui. Mais dans la perspective où nous nous sommes placés, depuis que nous avons abordé l'examen de l'Encyclique, à savoir celui de la doctrine RÉVÉLÉE, annoncée par des APÔTRES et proposée à l'adhésion SURNATURELLE, de la Foi THÉOLOGALE, nous nous bornerons à dire ceci :
Dans l'état habituel de la raison humaine blessée par le péché originel, dans l'état actuel de ce monde moderne soûlé d'érotisme, seule la *révélation* divine peut enseigner à l'homme *avec certitude* et facilité ce qui est BON et ce qui est MAUVAIS, singulièrement en cette matière de chasteté tellement exposée aux justifications que la passion est si subtile à inventer.
Nous ne faisons que répéter et appliquer ici ce que l'Église n'a cessé d'enseigner sur « la nécessité de la révélation », même à l'égard de vérités qui sont, en soi, à la portée de la raison.
Nous ne voulons pas dire que Paul VI a reçu une révélation, mais que l'Esprit de Dieu l'a conduit pour que, comme saint Pierre, il ne parle pas selon « la chair et le sang ».
Comme le P. de Lestapis, s.j. et comme le Professeur Gedda, nous pensons que le monde reconnaîtra un jour : la doctrine de Paul VI a été *prophétique*.
209:129
## AVIS PRATIQUES
### Dans la situation présente
■ Par la force des circonstances, le présent numéro est devenu un numéro spécial. Il s'attache à *expliquer,* et à expliquer en allant *au fond des choses*, ce qui s'est produit à l'Assemblée plénière de novembre 1968 : non pas un *accident* isolé, mais une *conséquence* de causes permanentes.
■ Au moment même où éclatait le drame, nos abonnés n'ont pas été pris de court : il avaient déjà en main notre numéro 127, paru au début de novembre, contenant notre série d'études sur l'encyclique *Humanæ vitæ*. Ils étaient donc solidement défendus contre les criminels sophismes de la prévarication collégiale.
■ Aucune autre publication française n'a donné un tel ensemble d'études explicatives : celles de notre numéro 127 et celles du présent numéro. Nous le remarquons non point pour nous en glorifier, mais pour rappeler à nos abonnés leurs responsabilités : cet ensemble d'études explicatives, allant au fond des choses, ils doivent le faire connaître à ceux qui, autour d'eux, en ont besoin.
■ A quoi vient s'ajouter le livre sur *L'hérésie du XX^e^ siècle* (paru aux Nouvelles Éditions Latines). Ce livre montre la fausseté des PSEUDO-PRINCIPES collégialement proclamés depuis l'Assemblée d'octobre 1966 : c'est *la cause* du drame qui vient d'éclater. Et ce livre, par voie de *contre-proposition* rappelle LES PRINCIPES VRAIS de la loi naturelle et de l'Évangile.
210:129
■ Tout cela demande à être étudié sérieusement, méthodiquement, autant que possible à plusieurs, en cellule de travail -- pour savoir et pour comprendre. Sans quoi vous seriez amenés ou entraînés à juger et à agir à l'aveuglette.
■ *Notre situation religieuse est d'une extrême gravité*. C'est l'avis très minutieusement motivé que nous donnons C'est l'avis qu'a donné de son côté Marcel Clément dans *L'Homme nouveau*.
■ En effet : l'imposture collégiale a cette fois entièrement fait voler en éclats les règles de la morale, l'ensemble de la théologie, les conditions indispensables à l'exercice légitime de l'autorité ecclésiastique.
■ L'Assemblée épiscopale a bafoué l'autorité du Saint-Siège. Et aussitôt, par une conséquence inévitable et que nous avions annoncée (MÉMOIRE de Jean Madiran AU CONSEIL PERMANENT en date du 20 octobre 1966, § 7), les groupes et syndicats de mauvais prêtres bafouent, ouvertement désormais, une autorité épiscopale qui a elle-même déchiré les conditions de son exercice légitime. *Les prêtres se mettent à traiter les évêques de la même manière qu'ils ont vu les évêques traiter le Saint-Siège.*
■ Il vous faut avant tout être en mesure d'y voir clair, de regarder les choses en face, de demeurer lucidement fidèles à la loi naturelle et à la sainte Église.
C'est pour cela que nous mettons à votre disposition -- non pour le parcourir mais pour l'étudier à fond -- cet ensemble d'études qui vous permettent de connaître : 1° les faits ; 2° leur signification et leur portée ; 3° les ressorts doctrinaux, ceux d'une fausse religion, qui expliquent ces faits.
211:129
■ Si l'on esquivait une appréciation exacte, approfondie, religieuse de la situation réelle, les bonnes intentions seraient condamnées à rester en l'air ou à côté ; et l'on en serait alors réduit, comme le rappelait Jean Ousset, «* à ne vivre que d'intentions et à s'en savoir gré *».
■ On s'arrêtera particulièrement à deux articles du présent numéro :
-- SACRA VIRGINITAS, par Luce Quenette ;
-- LES HÉROS ET LES SAINTS, par le P. Calmel.
C'est la conversion, c'est la vie chrétienne et c'est l'éducation familiale qui permettront de tenir bon et de faire en sorte qu'en dépit de tout, le christianisme ne soit pas tué en France pour plusieurs générations.
■ Chaque jour qui passe et chaque événement nouveau vérifient l'urgente utilité de la consigne que nous avons donnée pour l'année scolaire 1968-1969 : cette année, *réapprendre le catéchisme catholique*. L'étudier en cellules d'adultes.
Le catéchisme catholique : vous en aurez de plus en plus besoin. Soyez prêts.
#### Comment former une cellule de travail
Une cellule d'action catholique se constitue de la même manière qu'une cellule d'action civique -- selon les méthodes qu'expose Jean Ousset dans son livre sur *L'action* ([^97]). Ce qui vaut pour l'étude des encycliques sociales vaut pour l'étude du catéchisme romain.
212:129
La naissance d'une cellule n'obéit à aucune règle fixe : elle naît d'une rencontre. Par exemple, à l'occasion d'une distribution de tracts reproduisant le communiqué de l'amiral de Penfentenyo ([^98]), plusieurs personnes engagent la conversation. Elles tombent d'accord pour reconnaître qu'on ne peut plus faire confiance les yeux fermés, aujourd'hui, à n'importe quel individu plus ou moins revêtu de l'habit ecclésiastique. Mais elles reconnaissent aussi que le discernement nécessaire leur est bien difficile, parce qu'elles ont passablement oublié leur catéchisme. Elles rassemblent et confrontent les *documents sûrs,* les documents *certainement catholiques* dont elles disposent : le *Catéchisme de S. Pie X* (tous les abonnés d'*Itinéraires* l'ont en leur possession), le *Catéchisme du Concile de Trente* (beaucoup plus rare), le commentaire du *Pater* à l'intention du peuple chrétien, par saint Thomas d'Aquin (Nouvelles Éditions Latines). Elles prennent la résolution de se retrouver chaque mercredi à 21 heures, chez celle d'entre elles la plus grandement logée, pour étudier ensemble, *s'entraider dans l'étude.* Une « cellule » est née : le concierge n'en sait rien, ni même les participants.
On ne peut systématiser la manière dont se forme une cellule. Car la cellule n'est pas une institution figée : elle établit seulement la périodicité (de préférence hebdomadaire) des rencontres entre amis, voisins ou relations ayant une préoccupation commune, -- comme le bridge ou la belote pour d'autres...
Une cellule peut naître :
-- soit du besoin de se concerter, besoin ressenti par des pères et mères de famille réagissant comme tels devant un aspect concret, qui les touche directement, de la *non*-*éducation* croissante des enfants et des jeunes à l'école, dans les organisations de jeunesse, etc. ;
-- soit du besoin de se former assidûment, éprouvé en face des mensonges et des saletés de la presse, de la radio, de la télé, et aussi hélas, de plus en plus, des mauvais prêtres ;
213:129
-- soit de la commune inquiétude d'amis, de voisins, d'anciens camarades de collège devant les progrès de la subversion ecclésiastique ;
-- soit du désir de plusieurs, exprimé dans une conversation, d'en « savoir davantage » sur les questions soulevées par l'encyclique *Humanæ vitæ,* la « Note pastorale », le nouveau catéchisme, le glissement collégial vers le marxisme, etc.
\*\*\*
Ce qui caractérise la cellule c'est la méthode de travail :
1° Petit nombre : pas moins de 3 mais pas plus de 10.
2° Régularité des rencontres : une fois par semaine. Deux fois risque de demander un trop grand effort. Une seule fois tous les quinze jours risque d'être insuffisant.
3° Lieu : partout. Sans tambour ni trompettes. « Dans les trains, les autobus, les familles, les quartiers », disait Pie XII (5 octobre 1957).
4° Fonctionnement : voir en particulier les pages 253 à 257 du livre cité de Jean Ousset sur *L'action.*
\*\*\*
Bien entendu, il peut éventuellement exister des cellules *atypiques,* c'est-à-dire s'écartant sur un ou plusieurs points, pour des raisons particulières, des règles générales de fonctionnement.
Toutefois on gardera ceci présent à l'esprit : les règles générales indiquées par Jean Ousset dans son livre sur *L'action* ont fait leurs preuves sur le tas depuis plus de vingt ans ; elles ont été précisées et développées en bénéficiant d'une expérience de presque un quart de siècle ; on aura toujours intérêt à les pratiquer ou au moins, en cas d'impossibilité circonstancielle, à s'en rapprocher le plus possible.
214:129
*Toute cellule est naturellement ordonnée à l'action*. Mais en matière de catéchisme et de subversion religieuse, il convient plus encore qu'ailleurs de « s'asseoir avant de bâtir » : c'est-à-dire de réapprendre le catéchisme catholique. L'action catholique sortira du catéchisme catholique soigneusement réappris. Faute de quoi, vous tomberiez dans les pièges de la subversion ou dans ceux d'un activisme provocateur.
\*\*\*
A ce premier stade, une cellule se suffit à elle-même (sauf à essaimer si le nombre des participants dépasse la dizaine). Outre l'étude du catéchisme catholique, la prière en commun et l'exercice discret de l'entraide fraternelle, peu à peu, tissent leurs liens et portent leurs fruits naturels et surnaturels.
Cependant, même dès ce premier stade, une cellule peut être aidée : si elle le désire, elle peut prendre contact avec des organismes constitués.
Les cellules dont le travail est plus spécialement civique ou culturel peuvent, comme on le sait, entrer en contact avec l'un des organismes se réclamant du patronage de l'Office international des œuvres de formation civique et d'action culturelle selon le droit naturel et chrétien (siège social : 146, boulevard de Saint-Cloud, 92 - Garches).
Pour les cellules qui veulent s'attacher plus particulièrement, durant cette année scolaire 1968-1969, à l'étude du catéchisme catholique, elle peuvent (aussi bien pour obtenir les documents de base que pour être tenues au courant des développements de la situation) entrer en contact avec :
-- Les Compagnons d'Itinéraires, 49, rue Des Renaudes, Paris 17^e^ ;
-- Le S.I.D.E.F. (Secrétariat d'information et d'études familiales), 31, rue de l'Orangerie, 78 - Versailles.
D'une manière générale, « Les Compagnons d'Itinéraires » sont à votre disposition pour vous aider à constituer des cellules de travail prenant plus spécialement pour base d'études les publications de la revue *Itinéraires* et les livres de la « Collection Itinéraires ».
============== fin du numéro 129.
[^1]: -- (1). Un volume aux Nouvelles Éditions latines ; p. 9 : « *L'auteur de ce livre a demandé à être personnellement entendu par l'Assemblée plénière de la Conférence épiscopale française. Première demande le 15 octobre 1966* (*avant l'Assemblée plénière d'octobre 1966*). *Seconde demande le 12 juin 1967* (*Mémoire au Conseil permanent*). *Troisième demande le 12 janvier 1968* (*lettre au Président de la conférence épiscopale*). *Ces demandes n'ont eu aucune suite. *»
[^2]: -- (1). Au § 18. -- C'est la fameuse « Note pastorale » dont il sera question plus loin.
[^3]: -- (1). Sur ce document, voir *L'hérésie du XX^e^ siècle*, première partie. « Préambule philosophique ».
[^4]: -- (2). *Informations catholiques internationales* du 15 octobre 1968, p. 27.
[^5]: -- (1). Texte dans *Le journal la croix* des 10-11 novembre, avec les rectifications et corrections parues dans le numéro des 12-13 novembre.
[^6]: -- (2). Au § 3 de la NOTE PASTORALE.
[^7]: -- (3). Avec référence au § 25 de cette Constitution.
[^8]: -- (1). Mais, dira-t-on, cette distinction explicite vient de la considération du fait que les évêques n'ont point (encore) l'usage du mariage. Ce serait une mauvaise plaisanterie. Les évêques ne sont pas mariés, mais ils ont à enseigner et à faire enseigner la doctrine du mariage : sous ce rapport ils doivent eux aussi une « soumission religieuse » à l'enseignement du Magistère.
[^9]: -- (1). Sur les antennes du poste Europe n° 1, le 9 novembre, un peu avant 13 heures ; entendu de mes oreilles et noté par moi.
[^10]: -- (2). *Le journal la croix*, 10-11 novembre.
[^11]: -- (1). *Le Figaro* des 9-10 novembre.
[^12]: -- (2). Numéro des 10-11 novembre (H. Fesquet).
[^13]: -- (3). Aiguë, certes, mais probablement facilitée par les explications et confidences que l'on avait reçues.
[^14]: -- (4). Voir : « La septième proposition », dans *Itinéraires*, numéro 125 de juillet-août 1968 ; ou, plus développé, dans *L'hérésie du XX^e^ siècle*, cinquième partie.
[^15]: -- (1). C'est en ces termes que Marcel Clément, le premier, a énoncé dans *L'Homme nouveau* que le § 16 de la NOTE PASTORALE est en contradiction avec le § 14 de l'encyclique *Humanæ vitæe*. Il en a énoncé aussitôt la conséquence : « *Ce n'est pas faire un jugement téméraire de songer que par la force des choses, les prêtres formeront de plus en plus les consciences de leurs pénitents selon la pastorale du § 16. Quant à ceux qui ne s'y soumettront pas, ils feront figure d'attardés, ou de mystiques admirables mais non imitables. *» (17 novembre.)
[^16]: -- (1). La note 39 de l'encyclique *Humanæ* *vitæ*, dans son texte complet (Acta 1968, p. 501) renvoie non seulement au § 25 de *Lumen gentium*, mais précise en outre : « pages 29 à 31 des *Acta* de 1965 », ce qui désigne le § 25 dans sa totalité.
[^17]: -- (1). Selon les intertitres introduits dans la NOTE PASTORALE par la version qu'en donne le *Bulletin diocésain de Paris* (numéro du 16 novembre) -- qui peut être considérée comme une publication officielle -- l' « *enseignement fondamental *» est constitué par les paragraphes 4 à 7 de la NOTE ; les paragraphes 14 à 23 (c'est-à-dire notamment les très importants, paragraphes 16 et 18) relèvent des « *orientations pastorales *».
[^18]: -- (1). Réponse de l'épiscopat français à la « lettre du cardinal Ottaviani », 17 décembre 1966 ; voir *L'hérésie du XX^e^ siècle*, première partie : « Préambule philosophique ».
[^19]: -- (2). Septième proposition de la religion de Saint-Avold.
[^20]: -- (1). Numéro des 10-11 novembre (H. Fesquet).
[^21]: -- (1). Antoine WENGER, dans *Le Journal la croix* des 10-11 novembre.
[^22]: -- (2). Le 13 novembre, Louis Salleron faisait à la NOTE PASTORALE le « grief » de « référer l'encyclique non pas à l'enseignement traditionnel de l'Église, mais exclusivement à Vatican II ». Louis Salleron ajoutait à ce propos : « C'est ahurissant et en quelque sorte monstrueux. Car, d'une part, il n'y a pas un nouveau catholicisme qui a commencé avec Vatican II et, d'autre part, on nous a suffisamment expliqué que ce Concile était uniquement pastoral. Alors pourquoi vouloir subordonner l'autorité du Pape à celle du Concile ? Et pourquoi vouloir justifier un enseignement doctrinal par des textes pastoraux, d'autant que la Note se réfère exclusivement à « *Gaudium et Spes *», qui est le plus pastoral des documents conciliaires ? » Ces observations de Louis Salleron sont extraites de la chronique religieuse qu'il fait chaque semaine, sous le titre : « Le laïc dans l'Église » dans l'hebdomadaire *Carrefour*.
[^23]: -- (1). Texte dans *Le journal la croix* du 15 novembre.
[^24]: -- (1). Marcel CLÉMENT remarque très justement dans *L'Homme nouveau* du 17 novembre que si la NOTE PASTORALE est vraie (notamment si l'on « juge également licites deux formes de conscience morale aussi différentes que celle des époux auxquels s'adresse l'article 15, et que celle des époux auxquels s'adresse l'article 16 »), alors « *c'est qu'il n'y a plus de normes morales objectives, pas de vérité morale supérieure au jugement individuel de chaque conscience *». Ce « subjectivisme » est la conséquence fatale des positions philosophiques adoptées par l'épiscopat français dans sa lettre du 17 décembre 1966.
[^25]: -- (1). Mgr Pierre Boillon avait été ordonné prêtre en 1935.
[^26]: -- (1). Conférence de presse rapportée dans *Le Figaro* des 9-10 novembre par l'abbé René Laurentin.
[^27]: -- (2). Précision donnée par le P. WENGER dans *Le journal la croix* des 10-11 novembre.
[^28]: -- (1). Il dit notamment : « L'Église rappelle qu'il ne peut y avoir *de véritable contradiction* entre les lois divines qui régissent la transmission de la vie et celles qui favorisent l'amour conjugal authentique. » -- Mais, bien sûr, on peut interpréter cette phrase en comprenant qu'elle signifie : ce qui à nos yeux contrarie l'amour conjugal authentique ne peut donc être une loi divine. Nous avons été rassasiés de semblables interprétations des documents conciliaires en général et de celui-là en particulier.
[^29]: -- (2). Cf. les corrections et rectifications au texte de la NOTE PASTORALE parues dans *Le journal la croix* des 12-13 novembre. Plusieurs de ces corrections rectifient une mauvaise transmission téléphonique (nous dit-on). Mais aucune défectuosité de transmission n'était susceptible d'inventer une référence au § 51 de *Gaudium et Spes* là où il n'y aurait eu en réalité aucune référence... d'ailleurs cette référence « supprimée » a subsisté par exemple dans la publication officielle de la NOTE PASTORALE faite par le Bulletin diocésain d'Arras, numéro du 22 novembre, page 812.
[^30]: -- (1). Chaque vendredi « un évêque répond à vos questions » sur les antennes de R.T.L. (Radio-Luxembourg). Voir à ce sujet *Itinéraires*, numéro 128 de décembre 1968, pp. 27 à 30. -- Pour cette émission hebdomadaire, le vendredi a été choisi en fonction de la « recherche » de nouvelles formes de pénitence remplaçant l'abstinence d'aliments gras.
[^31]: -- (2). Numéro des 10-11 novembre.
[^32]: -- (1). On sait que cette traduction est vicieuse : il y a dans le texte *servetur et* non *servabitur *; c'est-à-dire : « doit être *conservé *» et non pas seulement : « *sera conservé *»*.* \[Voir en outre *Itin*. n° 117, p. 87, note 1 : non pas *conservé* mais *observé*. -- note de 2002\]
[^33]: -- (1). « Subversion de la liturgie », dans *Itinéraires*, numéro 117 de novembre 1967.
[^34]: -- (1). Texte dans *Le journal la croix* du 8 novembre.
[^35]: -- (2). Cette assertion de Mgr de Rennes a été reproduite et commentée dans *Itinéraires*, numéro 128 de décembre 1968, pp. 17 à 20.
[^36]: -- (1). Louis SALLERON remarque dans *Carrefour* du 13 novembre
« Pour le catéchisme hollandais, les novateurs nous disent « C'est un catéchisme pour adultes. Vous ne voudriez tout de même pas qu'il ait la rigueur simpliste d'un catéchisme pour enfants. » Et pour le catéchisme français ils disent : « C'est un catéchisme pour enfants. Vous ne voudriez tout de même pas qu'il comporte tous les développements d'un catéchisme pour adultes. »
Or, sous ces prétextes apparemment divers, ce sont en substance les mêmes choses qui manquent à l'un et à l'autre. Autrement dit : la vérité catholique ne convient pédagogiquement ni aux adultes, ni aux enfants.
[^37]: -- (1). Journal la croix, numéro des 3-4 novembre 1968.
[^38]: -- (1). Nous nous étions au contraire absolument refusé à suspecter les évêques et leur catéchisme tant que nous n'avions pas les textes, tant que nous avions seulement l'analyse que M. Henri Fesquet faisait du FONDS OBLIGATOIRE un an avant sa parution (analyse publiée dans *Le Monde* du 8 décembre 1966) : car par privilège M. Fesquet avait eu confidence et communication du FONDS OBLIGATOIRE un an avant tout le monde. -- On retrouvera le rappel précis de cet épisode, et les preuves attestant notre attitude aux pages 1 à 7 de notre brochure : Le nouveau catéchisme (reproduisant en ces pages ce que nous avions écrit en février 1967 dans *Itinéraires*, numéro 110). -- D'octobre 1966 à la fin de l'année 1967, c'était si l'on veut le temps du soupçon, on ne pouvait rien de plus que « suspecter » ; mais ce temps est bien dépassé aujourd'hui, nous avons en main les productions elles-mêmes. Pour notre part, pendant tout ce temps, nous avons refusé de soupçonner le nouveau catéchisme épiscopal et, selon notre habitude (qui est assez connue), nous avons attendu pour prendre position d'avoir les textes eux-mêmes, authentiques et intégraux. -- Naturellement, une fois de plus, les évêques nous reprochent le contraire de ce que nous avons fait.
[^39]: -- (1). Principalement dans notre brochure : *Le nouveau catéchisme*, 4° édition, 76 pages
[^40]: -- (1). Les principales falsifications (et non leur recensement exhaustif) sont consignées dans notre brochure citée : *Le nouveau catéchis*me.
[^41]: -- (1). *Journal la croix,* 8 novembre.
[^42]: -- (2). Voir les Bulletins diocésains ; notamment celui qui est cité dans notre numéro 128, rubrique « Documents » : « *Une catéchèse d'adjudants *».
[^43]: -- (1). Révélations de Georges Suffert, ancien rédacteur en chef de *Témoignage chrétien*, publiées dans *L'Express* du 6 juin 1963. -- Voir textes cités et commentés dans *Itinéraires*, numéro 77 de novembre 1963, pp. 133 et suiv. -- Georges Suffert écrivait notamment : « *A partir de cette date* (1950), *tous les articles parus en France se lisent dans une perspective de résistance à Rome. La vérité n'a plus grand chose à voir avec ce qui est écrit*. »
[^44]: -- (1). Nouvelles Éditions Latines.
[^45]: -- (2). Sur cette DÉCLARATION, voir *Itinéraires*, numéro 125 de juillet-août 1968, pp. 367 à 369 ; ou, beaucoup plus développé : *L'hérésie du XX^e^ siècle*, sixième partie : « La trahison ».
[^46]: -- (1). Texte, référence et commentaire dans *L'hérésie du XXe siècle*, pp. 291 et suiv.
[^47]: -- (1). *Journal la croix* du 15 novembre, p. 11, col. 1.
[^48]: -- (1). *Le Figaro* des 9-10 novembre, relation de l'abbé Laurentin.
[^49]: -- (2). Information publiée par un confident du cardinal Renard : « *Selon les renseignements qui m'ont été donnés personnellement par le cardinal Renard, cent quatre évêques ont voté oui, deux évêques seulement ont voté non, et deux autres blanc. *» (Henri FESQUET, dans *Le Monde* du 14 novembre, p. 7. note 1.)
[^50]: -- (1). Voir dans Denzinger les condamnations d'Innocent XI, en 1679, contre les casuistes roublards. Nombre de leurs thèses condamnées avaient été pourfendues, en 1656, dans les Provinciales.
[^51]: -- (1). *De nuptiis et concupiscentia*, XV, 17.
[^52]: -- (2). *Lettre synodale au clergé diocésain*, décembre 1857.
[^53]: -- (1). Nous nous proposons de nous expliquer plus tard sur la distinction entre l'autorité personnelle du Pape et l'autorité propre de l'Église romaine, « mère et maîtresse » de toutes les Églises épiscopales.
[^54]: -- (1). « L'encyclique du courage » (*la Croix*, 2 août).
[^55]: -- (1). *La Croix*, 8 août.
[^56]: -- (2). Le mot est d'Henri Fesquet (*Le Monde*, 10-11 novembre).
[^57]: -- (3). En sens contraire, le P, Wenger, *Les évêques de France veulent aider les consciences à s'éduquer* (*La Croix*, 11-12 novembre) : « Si les étapes du texte furent nombreuses et les discussions longues, ce n'est point en raison de désaccords, mais pour intégrer des expériences multiples et tenir compte des études et des réactions que l'encyclique a dès à présent suscité... » De toute évidence, simple opinion personnelle, et de celles qui renseignent plus sur leur auteur que sur leur objet.
[^58]: -- (1). Le mardi soir, 5 novembre, on en était déjà à la huitième (*Le Monde*, 7 novembre). L'abbé Laurentin parle dune dizaine (*Le Figaro*, 9-10 novembre).
[^59]: -- (2). *Le Monde*, 10-11 novembre.
[^60]: -- (3). Le mot est d'Henri Fesquet (*Le Monde*, 10-11 novembre).
[^61]: -- (4). D'après le renseignement donné à Henri Fesquet par le cardinal Renard (*Le Monde*, 14 novembre).
[^62]: -- (1). On remarquera la traduction : « sans pouvoir jamais déclarer licite... », traduction qu'on ne peut dire inexacte, mais : 1° s'y appliquant au temps indéterminé « jamais » n'a pas la même force qu'appliqué expressément au futur (« n'aura jamais le droit ») ; 2° le sens spécifique de *fas*, qui désigne la loi divine, a disparu.
[^63]: -- (1). Le texte latin n'a ni titres ni sous-titres, mais les titres mis par la traduction française aux trois parties correspondent très exactement à leur contenu.
[^64]: -- (2). Il faut prendre garde que la traduction française n'est pas toujours exacte à traduire *doctrina* par « doctrine ». Elle dit souvent « enseignement » (chap. 10, 14, 16, 18, 21), qui, étymologiquement, signifie la même chose et peut passer pour une traduction correcte, surtout accompagné de l'épithète de « constant », mais qui dans l'usage implique beaucoup moins de fixité : il y a des enseignements de circonstance. Cf. § 18, où « enseignement » affaiblit nettement le texte : *Praevideri potest non omnes fortasse traditam hujusmodi doctrinam facile accepturos esse*, « On peut prévoir que cet enseignement ne sera peut-être pas facilement accueilli de tout le monde. » *Traditam* a sauté et *hujusmodi* est faiblement traduit. Plutôt : « On peut prévoir qu'étant telle, cette doctrine traditionnelle, etc. »
En revanche, « conception » est proprement inadmissible pour traduire *doctrina*. § 14 : *Quare primariis hisce principiis humanæ et christianæ doctrinæ de matrimonio nixi*, « En conformité avec ces points fondamentaux de la conception humaine et chrétienne du mariage... » On ne voit pas (ou l'on voit trop) pourquoi il n'a pas été traduit : « C'est pourquoi, Nous fondant sur ces principes fondamentaux de la doctrine humaine et chrétienne du mariage... »
Je fais ces remarques parce qu'il faut que les travailleurs sérieux sachent que la traduction française d'*Humanæ vitæ*, quoique étant celle de l'édition publiée par la Typographie polyglotte vaticane, ne peut être utilisée sans référence au texte latin. Quantité de petites altérations, très petites, mais ce qui est inquiétant, toutes dans le même sens : tendant toujours à atténuer la force du texte.
[^65]: -- (1). *Document de synthèse sur la moralité de la régulation des naissances*, établi par la majorité de la Commission d'étude et remis à Paul VI en juin 1966, dans Jean-Marie PAUPERT, *Contrôle des naissances et théologie* (éd. du Seuil, 3^e^ trim. 1967), pp. 55-56.
[^66]: -- (1). *Le Monde,* 10-11 novembre.
[^67]: -- (2). *Deus enim naturales leges ac tempora fecunditatis ita sapienter disposuit ut eadem jam per se ipsa generationes subseqatntes intervallent*.
[^68]: -- (1). *Le Monde*, 10-11 novembre.
[^69]: -- (1). *Lumen gentium*, n° 25.
[^70]: -- (1). *L'encyclique* « *Humanæ vitæ *» carcan ou idéal (*Le Figaro*, 9 septembre.)
[^71]: -- (1). *Ibid.*
[^72]: -- (2). *Le Monde*, 10-11 novembre.
[^73]: -- (1). *Neque vero, ad eos conjugales actus comprobandos ex industria fecunditate privatos, haec argumenta ut valida afferre licet nempe, id malum eligendum esse quod minus grave videatur insuper eosdem actus in unum quoddam coalescere cum actis fecundis jam antea positis vel postea ponendis atque adeo horum unam atque parem moralem bonitatem participare. Verum enimvero, si malum morale tolerare quod minus grave est interdum licet, ut aliquod majus vitetur malum vel aliquod praestantius bonum promoveatur, numquam tamen licet, ne ob gravissimas quidem causas, facere mala ut eveniant bona : videlicet in id voluntatem conferre quod ex propria natura moralem ordinem transgrediatur atque idcirco homine indignum sit judicandum, quamvis eo consilio fiat ut singulorum hominum, domesticorum convictuum aut humanae societatis bona defendantur vel provehantur. Quapropter erret omnino qui arbitretur conjugalern actum sua fecunditate ex industria destitutum ideoque intrinsece inhonestum fecundis totius conjugum vitæ congressionibus comprobari posse.*
[^74]: -- (1). Lui et les autres évêques de Hollande. Voir dans *La Documentation catholique* du 23 juin leur réponse à la lettre du cardinal Ottaviani du 24 juillet 1966, réponse publiée en Hollande le 2 février 1968 et où, notamment, la virginité physique de Marie est mise en doute (*Doc*. *cath*., col. 1105).
[^75]: -- (2). Dit par lui à deux reprises à la presse (*Le Monde* des 1^er^ et 13 août).
[^76]: -- (1). Cf. le mot caractéristique de Mgr Boillon, évêque de Verdun. présentant la *Note pastorale* à la presse et lui expliquant, selon Henri Fesquet que « l'épiscopat français a refusé de laisser enfermer dans une morale du permis et du défendu ». « Trop souvent, a-t-il dit, nous avons chosifié la morale au risque de produire des consciences infantiles. » (*Le Monde*, 11-12 novembre). Quel courage n'aura-t-il fallu à l'éminent évêque pour se résigner à « chosifier » la morale sur le point de l'avortement !
[^77]: -- (2). *Le Monde*, 11-12 novembre.
[^78]: -- (1). *Le Monde*, 14 novembre.
[^79]: -- (1). *L'encyclique du courage* (*La Croix*, 2 août).
[^80]: -- (1). Lettre adressée par le cardinal Cicognani à tous les évêques quelques jours avant l'encyclique. Paul VI, leur y disait-il, « se tourne vers ses frères, les évêques du monde catholique, pour leur demander de se tenir à ses côtés dans cette circonstance. Le pape compte sur l'attachement de ses frères dans l'épiscopat à la chaire de Pierre. Il est nécessaire qu'au confessionnal comme par la prédication et par la presse tout effort pastoral soit fait afin qu'aucune ambiguïté ne demeure parmi les croyants en ce qui concerne la doctrine de l'Église. » (I.C.I., 1^er^ septembre, p. 20).
[^81]: -- (1). Pie XI, *Casti connubii*.
[^82]: -- (1). *Note pastorale de l'Épiscopat français sur l'Encyclique* « *Humanæ vitæ *», dans *Revue de la Vie diocésaine de Paris, Créteil, Nanterre, Saint-Denis,* Bulletin diocésain de Paris, dit « Semaine religieuse de Paris », 16 novembre 1968, n° 46, pp. 817-824.
[^83]: -- (1). « *L'attente *» de cette catégorie de fidèles « sous-développés » risque d'être longue.
[^84]: -- (1). Ce dernier membre de phrase à partir de « donner » est emprunté à *Humanæ vitæ*, paragr. 24. On voit l'astuce. Pour un lecteur pressé (et ils le sont tous) cette insertion d'un texte pontifical dans un contexte qui fausse totalement l'enseignement pontifical, est une astuce.
[^85]: -- (2). Ici un renvoi à *Gaudium et spes* (51, paragr. 1), avec la même remarque que la précédente.
[^86]: -- (1). Si c'est encore une « pensée », car elle ne correspond plus au réel, elle ne dit plus la vérité.
[^87]: -- (1). C'est quasi explicitement que les évêques l'érigent en devoir. En effet, c'est un « *devoir *» pour les époux de se donner physiquement l'un à l'autre et dans le cas donné, ils ne peuvent le faire sans user des contraceptifs.
[^88]: -- (1). Nous disons bien : *le foyer chrétien.* Non pas qu'il faille exclure les autres. Mais nous tenons que la grâce consolide la nature et la rend moins vulnérable à la subversion.
[^89]: -- (1). Consécration du Royaume de France à Notre-Dame par le roi Louis XIII, le 10 février 1638.
[^90]: -- (1). Voir IIIa Pars de la *Somme théologique*, qu. 48, 49, 56 et 57.
[^91]: -- (1). Apocalypse I, 18 et II, 8.
[^92]: -- (2). Litanies du saint Nom de Jésus.
[^93]: -- (1). BERNANOS**,** *La Grande Peur des Bien-Pensants*, page 29. -- Aux pages 28-29, une grande lamentation en quatre strophes : Prodigieux naïfs... Héros désaffectés... Citoyens vainqueurs... Vieux amis.
[^94]: -- (1). (1) BERNANOS**,** *La Grande Peur des Bien-Pensants* (Club du livre civique, 49, rue des Renaudes, Paris -- 17^e^), p. 414 ; voir aussi p. 451 sur « l'héritier pourtant bien déchu de la chevalerie occidentale... »
[^95]: -- (1). Saint Jean de la Cmix, Glose sur le divin, *Tras de un arnoroso lance*...
[^96]: -- (1). Voici quelques extraits de M. Ribes :
D'abord, une citation (approuvée par lui) d'un « Père Antoine » : « La loi naturelle ne peut plus être comparée à une sorte de donné préfabriqué, auquel l'homme n'aurait qu'à se soumettre passivement... La raison et la liberté de l'homme... jouent un rôle *actif*, non seulement dans la reconnaissance, mais *dans l'élaboration* de la loi naturelle. » (pp. 429-430.)
Autre citation (d'un P. Bouillard), également approuvée par M. Ribes : « Au moment où (l'Église) se dit *gardienne* de la loi naturelle, elle ne saurait oublier qu'elle n'en est pas la *source* (?) unique. Elle ne peut *donc* pas remplir sa mission sans écouter les hommes et sans viser à un *accord* avec leurs propos raisonnables. » (p. 431.)
Sur... l'inconstance prétendue de la Tradition de l'Église en matière morale, M. Ribes donne quatre exemples : l'esclavage, le prêt à intérêt, les secondes noces et... la révision « révolutionnaire », par l'Église à Vatican II, de « sa position traditionnelle sur la liberté religieuse ». -- Exemples puérils, qu'un étudiant en I^e^ année résoudrait par le plus banal des *distinguo*.
Ces « mutations » de « principes moraux » autorisent M. Ribes à se demander si le Pape peut être infaillible en matière morale, comme le définit pourtant le I^er^ Concile du Vatican ! Il cite cette définition (Denz : 1839), et ajoute : « Il est bon nombre de théologiens pour soutenir que la formule « *sur la foi et les mœurs *» dans la déclaration (du Concile) est une locution stéréotypée qui, selon les uns, ne vise pas les principes moraux..., selon les autres n'inclut les principes moraux que dans la mesure où ils sont directement liés à une vérité de foi. » (pp. 432-443).
A l'égard de l'ordre naturel et de ses lois, M. Ribes décrit deux attitudes possibles : l'une de « domination » (et de liberté), l'autre de respect (et de soumission). Il ne les juge pas : « L'homme sera toujours tiraillé entre ces deux *exigences *» (p. 455), mais afin que nul n'ignore de quel côté vont ses préférences, il écrit :
« On a pu lire des approbations de l'Encyclique qui, défendant uniquement « l'ordre de la nature », témoignaient d'une pensée qui n'était pas substantiellement différente de celle *des marxistes les plus primaires*. » (p. 443.) -- On souhaiterait voir préciser, ces textes à l'appui, ces approbations catholiques de l'ordre naturel, qui seraient « substantiellement » marxistes.
...De même qu'on aimerait savoir, à l'inverse, si le concept de « nature » et de « conscience morale » que M. Ribes emprunte à son confrère, M. Régnier (*ibid*. : pp. 447-450) n'est pas un concept « substantiellement » MODERNISTE. Ce M. Régner écrit, en effet :
« Ce serait une conception simpliste que d'imaginer qu'il y a, comme en un point de départ de l'histoire, une essence, une nature humaine, d'où un esprit pénétrant aurait pu déduire à l'avance, en détail, tout ce qui *se révélera* un jour *être loi naturelle*, exigence de la nature humaine. L'avenir est *imprévisible*. Le progrès de la conscience morale est *invention, création* même, *analogue à la création artistique*. »
Conception et vocabulaire empruntés à Ed. Le Roy (... qu'on a l'ingratitude de ne point citer). Voici ce qu'écrivait celui-ci, dans « *Le Problème de Dieu *», p. 55 :
« Ne nous représentons pas je ne sais quel code éternel et abstrait promulgué une fois pour toutes et suspendu dans le vide au-dessus des changements humains. La moralité n'est pas *quelque chose de fixe*, de parfait dès l'origine -- on la découvre, je dirai même on l'invente peu à peu. Bref, l'évidence morale, comme l'évidence intellectuelle, est en *perpétuel devenir*. » (On perçoit la confusion sophistique entre l'ordre comme tel et la connaissance de cet ordre).
[^97]: -- (1). Un volume au Club du livre civique.
[^98]: -- (2). Communiqué sur le catéchisme : voir plus loin : « Consignes pour l'année scolaire 1968-1969 ».