# 135 (Supplément 1)
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## L'action pour le catéchisme
### Avertissement
Dans ce fascicule nous avons voulu rassembler (et plusieurs fois préciser ou développer) des réflexions dont la plupart ont été déjà publiées : mais publiées séparément jusqu'ici.
Ces réflexions portent directement sur *l'action pour qu'en dépit de tout continue le catéchisme catholique ;*
1° sur cette action *en elle-même,* ses fondements, ses modalités pratiques ;
2° sur la *reconstitution d'une société chrétienne,* encore limitée sans doute, qui est inhérente à cette action ;
3° sur le fait que cette action est *temporelle* par sa nature.
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Cela fait donc trois sortes de réflexions : mais conjointes, et liées entre elles. Exprimées dans la revue au fil de chroniques ou d'éditoriaux marqués par les circonstances qui les avaient provoquées, séparées les unes des autres par plusieurs mois, elles n'ont pas toujours laissé voir au lecteur leur liaison doctrinale et leur articulation pratique.
Ce que nous proposons, conseillons, recommandons, apparaîtra plus clairement et plus complètement grâce à ce rassemblement de nos raisons et de nos directives.
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Il y a une différence fondamentale entre le premier et le second chapitre du présent fascicule.
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Le premier, qui reproduit l'éditorial de notre numéro 135, expose les *fondements doctrinaux* et définit les trois *lignes directrices pratiques* de toute action catholique pour le catéchisme dans les circonstances actuelles.
Le second, lui, relève de notre action personnelle selon notre état : action en qualité de publiciste, de chroniqueur, de directeur de revue. Nous n'avons nullement l'intention de la proposer en exemple à ceux qui ne sont pas dans la même situation. Ce second chapitre reproduit l'éditorial de notre numéro 134 : par cet éditorial, nous avons voulu contribuer à exprimer le besoin, manifester la nécessité et s'il plaît à Dieu hâter l'heure d'un jugement de l'Église sur le nouveau catéchisme français. Mais nous n'entendons pas du tout suggérer que chaque chrétien indistinctement, dans chaque paroisse et dans chaque école, devrait adopter l'attitude qui est personnellement la nôtre à la place où nous sommes. Nous invitons au contraire chacun à déterminer son attitude selon la place où il se trouve.
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Il est bien clair, au demeurant, quand nous parlons de « directives », que celles que nous donnons (spécialement au chapitre *premier* et au chapitre *troisième*) sont plutôt des lignes générales proposées à la délibération de chacun. Le chef responsable d'une action est toujours celui qui la mène, là où il est, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles il se trouve engagé : à *l'intérieur* de son devoir d'état, et donc avec les grâces d'état et l'expérience concrète qui sont les siennes.
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Nous l'avons assez souvent répété depuis treize ans : notre intention n'est pas de donner des ordres ou des consignes au sens propre, mais des explications. En matière d'action concertée comme en matière d'approfondissement doctrinal, notre tâche est d'expliquer et de faire comprendre ce qui est nécessaire au bien commun : à la lumière de la loi naturelle et de la doctrine révélée. La fonction de la revue ITINÉRAIRES n'est que de persuader et de convaincre.
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Nos indications pratiques auront à être examinées, expérimentées, discutées en tenant compte de la situation, de l'état de vie, de la vocation de chacun : nous insistons toujours sur ce point. Et sur celui-ci : une action pour le catéchisme catholique consiste accidentellement à combattre le faux catéchisme ; elle consiste essentiellement à connaître, faire connaître, étudier, enseigner le catéchisme catholique : à en prendre et en organiser les moyens.
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CHAPITRE I
### Fondements doctrinaux et lignes directrices
\[Cf. It. 135-07-69, p. 3\]
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CHAPITRE II
### La falsification de l'Écriture
\[cf. It. 134-06-69, p. 9\]
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CHAPITRE III
### Pouvoir temporel et société chrétienne
#### I. -- Le crime des autorités officielles dans le monde moderne
Ce que disent et ce que font aujourd'hui les autorités officielles « *relève de la lâcheté, de l'abus de confiance, de la forfaiture *» *:* c'est le doyen de la Faculté des sciences de Paris qui parle en ces termes des autorités officielles de l'Université ([^1]).
Mais ce jugement vaut aussi en dehors de l'Université et pour des autorités qui ne sont pas universitaires. On s'en aperçoit ou on ne s'en aperçoit pas ; la vérité est que les peuples sont abandonnés et trompés par ceux qui les abandonnent, et tenus en main par ceux qui les trompent. Car si l'autorité est généralement démissionnaire des devoirs de sa charge, elle ne s'efface cependant point : elle n'a jamais dans l'histoire du monde levé autant d'impôts, édicté autant de règlements, autant réduit les libertés spirituelles, civiques et professionnelles, fait peser sur les populations une aussi lourde et aussi universelle domination.
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Les autorités religieuses, par contagion peut-être, adoptent les mêmes mœurs que les autorités civiles : une abdication analogue en ce qui concerne le bien commun, une autocratie semblable par voie administrative et réglementaire, un comportement et une propagande qui manifestent aussi audacieusement « lâcheté, abus de confiance, forfaiture ».
L'idée qu'un chef d'État ou un chef religieux peut décider et demander *n'importe quoi,* du moment que c'est lui, en réclamant simplement la confiance au moment précis où il la trompe, et en fabriquant ou en suivant un courant d'opinion ou une majorité de suffrages, sans tenir compte des engagements antérieurement pris, des lois en vigueur, ni bien sûr de la loi naturelle, est une idée caractéristique de notre temps. On l'a vue à l'œuvre dans la soi-disant réforme universitaire en France comme dans la soi-disant réforme liturgique invoquant l'esprit du Concile pour en contredire et bafouer les prescriptions promulguées. Depuis 1958 surtout, la méthode du « *je vous ai compris *» et du « *qui pourrait croire que moi-même... *» n'est plus un accident, pénible et monstrueux : c'est un trait maintenant constant de l'exercice d'une autorité officielle, même religieuse, en notre temps. Ainsi s'établit universellement et quotidiennement une éducation à rebours, venant d'en haut : elle nous vaut et nous vaudra de plus en plus la désintégration de la société civile et de la société ecclésiastique.
Une société humaine est toujours pleine de défauts : il lui faut au moins être viable. Elle ne l'est plus quand, au lieu de ne violer qu'accidentellement, voire fréquemment, la parole donnée et le droit promulgué, l'autorité fait un système permanent de tenir pour rien son propre droit, sa propre parole, sa propre doctrine.
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Quand l'autorité ne fait plus acte d'autorité que pour ravager les fondements moraux de toute autorité on peut assurément parler d'autodestruction : comme un cancéreux parlerait du cancer.
Cette situation contre nature, qui est celle du monde moderne au stade où il en est arrivé, est tellement extraordinaire qu'elle se laisse difficilement concevoir. Elle ressemble à un cauchemar et chacun se dit spontanément : Mais non, ce n'est pas possible, je dois rêver ; je vais, nous allons nous réveiller ; on n'en est tout de même pas là ; il doit bien y avoir autre chose ; d'ailleurs, ça ne pourrait pas durer...
Ça ne pourrait pas durer sans les plus graves conséquences : mais ça dure, et les conséquences, nous les avons ; et la plus grave : *l'enfant n'est plus protégé ni éduqué, mais avili, par la société civile et par la société ecclésiastique.* C'est le point extrême de la désintégration, de la perversion, de l'inversion d'une société.
Le crime majeur de la société moderne est celui qui est commis chaque jour contre l'enfance et contre la jeunesse. Leur droit principal est le droit à l'éducation intellectuelle et morale. *C'est le fondement du lien socia*l : ce lien, avant d'être une solidarité entre égaux, est un agencement organique de droits et de devoirs dissymétriques, de dettes insolvables et de tendresses gratuites, où le perfectionnement de chaque individu est reçu avant d'être assumé. Quand manque ce fondement, quand disparaît ce « contrat social » qui n'est conclu par personne mais qui s'impose à tous, la subversion de la société est déjà réalisée.
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Dans les sociétés animales, les petits reçoivent la vie physique, et puis s'en vont très vite chacun de son côté, ou entrent automatiquement dans la ruche ou dans la fourmilière. Dans la société humaine, les enfants reçoivent en outre la vie morale et l'éducation, qui comporte toutes les formes d'apprentissage et d'instruction, et qui est principalement l'éducation de la liberté. Car on apprend à devenir libre : il y faut des maîtres et des disciplines. La liberté de l'âme est une conquête difficile et longue, et toujours menacée, où l'enfant est d'abord strictement conduit, puis souplement aidé, puis discrètement étayé : au bout de quoi, au bout seulement, il commence à s'intégrer par lui-même à une civilisation tout en y faisant éventuellement un apport original.
Le Play le disait avec plus de raideur : « *Chaque génération qui surgit équivaut à une invasion de petits barbares. Dès que les parents tardent à les dompter par l'éducation, la décadence devient imminente. *»
Quand des parents déjà plus ou moins désorientés ou aveuglés voient en outre leurs faibles efforts instinctifs d'éducation systématiquement contredits ou détruits par les autorités civiles et religieuses, alors la société atteint la dernière phase de sa décadence : la désintégration.
#### II. -- La guerre parmi les enfants
Aujourd'hui, l'enfant élevé dans la foi catholique ne se heurte pas seulement à l'éternelle contradiction du monde : il rencontre aussi l'insulte et le mépris des mauvais prêtres, leur ricanement, leurs manœuvres sordides. Il faut l'avertir, le mettre en garde, l'armer. Non point nourrir l'illusion qu'on pourra le tenir indéfiniment à l'écart.
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Il doit savoir que dans la paroisse ou à l'école, le prêtre aveuglément soumis à un épiscopat infidèle lui met entre les mains un Évangile falsifié et lui enseigne un catéchisme de mensonge. S'il ne le sait pas, il recevra le faux pour le vrai. S'il le sait, il sera en butte aux persécutions ecclésiastiques, aux moqueries, aux insultes, comme un véritable disciple du Christ. Et il se défendra : tout seul s'il le faut, avec la grâce de son baptême. Mais souvent à plusieurs. Victorieusement : car la présence de Jésus dans l'âme d'un enfant est plus forte que la perfidie d'un mauvais prêtre.
La communion des enfants instituée par saint Pie X est pour notre temps plus encore que pour le sien : car aujourd'hui, les enfants sont au centre du combat spirituel.
Ce n'est pas nous qui avons installé la guerre religieuse parmi les enfants. C'est Satan lui-même et ses suppôts : ils ont vidé le catéchisme de tout contenu surnaturel, et ils ont mis l'éducation sexuelle à la place de l'éducation de la foi. Il est toujours trop tôt, selon eux, pour enseigner aux enfants la doctrine révélée, mais il n'est jamais trop tôt, simultanément, pour leur révéler la sexualité et ses sortilèges. Tel est le combat du Démon dans notre société pourrie.
Ce que les païens eux-mêmes n'avaient pas fait, la remarque est de Pie XII, les pornographes catholiques l'entreprennent contre la pureté des enfants. Ce sont les mêmes qui reculent l'âge du catéchisme et qui avancent l'âge de l'éducation sexuelle. Mais le catéchisme qu'ils reculent n'est plus le catéchisme, l'éducation sexuelle qu'ils avancent n'est pas une éducation. Ils pervertissent tout ce qu'ils touchent.
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Ne refusez pas la vérité religieuse aux enfants et vous verrez qu'ils sauront très bien -- mieux que nous, parce qu'en eux la grâce parle plus aisément -- distinguer un bon prêtre d'un mauvais prêtre. Vous verrez qu'ils sauront s'entendre, mieux que les adultes, pour constituer dans leurs écoles des cellules chrétiennes et y organiser l'action capillaire de la résistance spirituelle.
De toutes façons, parents chrétiens, vous n'avez pas le choix.
#### III. -- Dans un monde apostat : la contre-révolution immanente
Le monde antique avait laborieusement découvert le sens de la nature des choses et de la nature de l'homme ; et il avait conçu la règle de *suivre la nature.*
Mais il n'y arrivait pas : plus il s'efforçait de suivre la nature, plus il constatait qu'il s'en éloignait.
Dans ce désastre incompréhensible comme une obscure malédiction, la révélation du péché originel fut une bonne nouvelle et d'abord une explication : l'humanité n'était donc pas maudite, elle était guérissable, et le salut était venu jusqu'à elle.
Voici maintenant d'autres jours, où l'humanité ne veut reconnaître ni nature ni péché, et n'attend plus rien que du rêve collectif. Le monde moderne s'est détaché du réel et dérive dans l'imaginaire, qui est le seul domaine où l'homme puisse se faire dieu. Les autorités officielles ne regardent qu'à satisfaire en rêve les rêves des hommes et non plus leur nature.
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Et maintes autorités religieuses travaillent à faire du christianisme, revu et corrigé, un rêve adapté à cet univers de rêve, afin qu'il remporte lui aussi des succès : des succès mondains au sein d'un monde en train de s'évanouir.
Il s'enfonce, ce monde moderne, en un désastre incomparablement plus grand que celui du monde païen : car l'antique monde païen était victime d'une énigme dont il n'avait pas reçu la clef, tandis que le monde moderne avait tout reçu, il était l'héritier ensemble du monde antique et du monde chrétien, et ensemble il a rejeté la nature et la grâce, le problème et sa solution, la sagesse des hommes et la folie de la Croix. C'est en quoi résident sa nouveauté et sa mutation.
Et les docteurs de l'apostasie immanente se sont mis à son école. Ils ne veulent pas « se couper » du monde moderne, sans comprendre que l'heure qui sonne est celle de son effondrement, annoncé par saint Pie X : « On a tenté de traiter les affaires du monde en dehors du Christ ; on a commencé à bâtir en rejetant la pierre angulaire. Saint Pierre le reprochait à ceux qui crucifièrent Jésus. Et voici qu'une seconde fois la masse de l'édifice s'écroule, en brisant la tête des constructeurs. » ([^2])
Au contraire le christianisme s'est toujours séparé du monde. Écoutez Bossuet : « *Qu'est-ce que le peuple fidèle ? C'est un peuple séparé des autres, de la masse de perdition et de la contagion générale. C'est un peuple qui habite au monde, mais néanmoins qui n'est pas du monde. Il a sa possession dam le ciel, il y a sa maison* *et son héritage.*
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*Dieu lui a imprimé sur le front le caractère sacré du baptême, afin de le séparer pour lui seul. Oui, chrétien, si tu t'engages dans l'amour du monde, si tu ne vis comme séparé, tu perds la grâce du christianisme. -- Mais comment se séparer, direz-vous ? Nous sommes au milieu du monde, dans les divertissements, dans les compagnies. Faut-il se bannir des sociétés ? Faut-il s'exclure de tout commerce ? Que te dirais-je ici, chrétien, sinon que tu sépares du moins le cœur ? C'est parle cœur que nous sommes chrétiens :* « *Corde creditur *» (*Rom., X, 10*) ; *c'est le cœur qu'il faut séparer... Cette entreprise est bien difficile, d'être toujours au milieu du monde et de tenir son cœur séparé... Mais que voulez-vous que je vous dise ? Puis-je vous prêcher un autre évangile à suivre ? De tant d'heures que vous donnez inutilement aux occupations de la terre, séparez-en du moins quelques-unes pour vous retirer en vous-même. Faites-vous quelquefois une solitude, où vous méditerez en secret les douceurs des biens éternels et la vanité des choses mortelles. Séparez-vous avec Jésus-Christ... *» ([^3])
Se séparer du monde moderne par une opération de pensée individuelle ne concernerait que des individus. Ce ne serait pas rien : mais les vocations érémitiques sauront toujours trouver le chemin du désert qui leur convient. Il s'agit de se séparer du monde moderne par une opération concertée, collective, sociale : il s'agit de *tisser des cellules et des communautés chrétiennes dans le tissu même de ce monde.* L'inverse en somme, ou plutôt le contraire de l'apostasie immanente qui est entrée dans l'Église : la « contre-révolution immanente », vécue et fomentée non pas au désert mais à l'intérieur du monde moderne, *au point exact d'insertion du devoir d'état de chacun.*
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La SÉPARATION d'avec le monde moderne est spirituelle et non pas physique : vivre dans ce monde comme n'en étant pas. S'en donner aussi les moyens temporels, ce qui veut dire à la fois les inventer et les réaliser. Besogne d'animateurs, de chefs temporels et non pas religieux : tout mon propos est de l'expliquer.
Besogne qui n'entend nullement se passer du ministère sacerdotal, de la prédication sacerdotale. Mais bien besogne temporelle et de commandement temporel : car s'il est vrai, pour prendre un exemple, que la Parole de Dieu, transmise par la prédication sacerdotale, est la cause nécessaire, et en un sens suffisante, des cathédrales, des hôpitaux, des orphelinats qui ont couvert la terre chrétienne, ils n'ont pas cependant été construits avec des mots, ni par des clercs, ni au moyen des sciences ecclésiastiques. Il y fallut l'art et la science du gouvernement temporel des hommes.
L'art et la science du gouvernement temporel, qui est en vue de fins spirituelles qu'il ne se fixe point à lui-même, mais auxquelles il a mission de conduire un groupe social en tant que groupe, -- cette science et cet art ne peuvent guère trouver refuge et s'exercer sainement, dans ce monde devenu apostat, qu'au niveau de l'élémentaire, c'est-à-dire des plus petites sociétés fondées sur la proximité locale, l'affinité immédiate, l'entraide entre voisins et compagnons. C'est ce qui spécifie notre situation en ce moment de l'histoire humaine : l'apostasie moderniste est gigantesque et totalitaire ; le christianisme en est revenu, comme firent les premiers chrétiens, à tisser des micro-réalisations, de petites sociétés chrétiennes qui en elles et à partir d'elles referont une chrétienté.
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#### IV. -- De la famille à la société
Rien ne le montre mieux que le catéchisme, résumé des connaissances nécessaires au salut, les naturelles (car il inclut le Décalogue) et les surnaturelles.
Au niveau des grandes sociétés nationales, et même au niveau diocésain, au niveau des grandes administrations civiles et ecclésiastiques, tout enseignement moral est désintégré (seul survit cahin-caha l'enseignement des sciences physico-mathématiques, anthropo-mathématiques, socio-mathématiques). Cas particulier, en somme, du désastre général de l'enseignement et de l'éducation : l'enseignement du catéchisme catholique est en voie de disparition.
Il ne survit, sauf exceptions qui se font rares, qu'au niveau de la famille chrétienne.
Mais la famille chrétienne n'y suffit que pour les premiers âges de l'enfant.
Nous vérifions ici le principe de philosophie sociale selon lequel la famille est une « société imparfaite », c'est-à-dire incapable de se procurer partout et toujours à elle-même tout ce dont elle a besoin.
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C'est pourquoi les familles s'assemblent en société la société civile. Elle est dite « société parfaite » en ce que, grâce à leur coopération en son sein, les familles peuvent s'y procurer les unes aux autres, par complémentarité, l'ensemble des biens matériels et moraux nécessaires à la poursuite de leur fin, qu'elles ne pourraient obtenir de leur industrie propre en demeurant isolées. C'est sur cette base et pour cette raison que se fonde la société.
La société civile moderne est devenue entièrement apostate quant à ses autorités, ses institutions, sa législation, ses idéaux, sa culture, son enseignement, ses moyens d'information, ses coutumes et ses loisirs. Dans cette société apostate, *les familles chrétiennes recommencent à fonder à partir d'elles-mêmes la société chrétienne,* en s'unissant par petits groupes pour s'assurer l'enseignement du catéchisme qui, sans cela, ne leur serait plus assuré. La défense de la foi de leurs enfants les conduit pratiquement, et par surcroît, à tisser entre elles une société de catacombes : de catacombes non plus physiques, en tous cas point pour le moment, mais de catacombes mystiques ([^4]). Quand cela est possible, et c'est le meilleur des cas, avec une école, autour d'une école chrétienne, petite et libre, d'autant plus libre que petite.
Cette auto-défense des familles est une organisation temporelle ayant une fin spirituelle, comme toute société ; elle relève du *pouvoir temporel chrétien du laïcat,* à qui il appartient de prendre toutes dispositions pratiques pour ordonner temporellement l'entraide et la complémentarité entre les familles qui veulent vivre dans la fidélité à la loi naturelle et à la doctrine révélée. Il a toujours fallu quelque péril prochain, quelque nécessité majeure pour que se constituent des autorités temporelles.
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Celles qui se constituent aujourd'hui par la plus majeure des nécessités, la nécessité du catéchisme catholique, restaurent dans les faits, sur le terrain, et presque empiriquement, les premières fondations d'un pouvoir temporel du laïcat chrétien.
Même si l'on n'a pas approfondi l'exacte coïncidence de ce mouvement spontané avec les principes de la philosophie sociale, on peut s'y joindre d'instinct, cet instinct juste des hommes d'action que les philosophes appellent connaturalité (et qu'ils se hâtent ordinairement d'oublier aussitôt après l'avoir nommé).
#### V. -- Précisions et distinctions sur le pouvoir temporel
Le pouvoir temporel, distinct du pouvoir spirituel, ce n'est pas seulement l'État, le gouvernement et ses préfets. Ceux-là, tels qu'ils sont aujourd'hui, étrangers au christianisme, le chrétien les subit parce qu'il ne peut pas faire autrement : mais il n'en pense pas moins.
Le chrétien remarque que ce pouvoir temporel ignore non seulement le Dieu des chrétiens, mais encore le Dieu de la loi naturelle, et que cette soi-disant neutralité tournera forcément à la ruine de ceux qui la professent et qui la vivent ès-qualités, quel que soit par ailleurs leur sentiment intime : et d'autant plus coupables si d'aventure leur sentiment intime est plus ou moins chrétien.
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Non que le chrétien attende de l'État qu'il impose par la violence, à un peuple infidèle, la reconnaissance de la Seigneurie de Jésus-Christ : mais le chrétien sait qu'un État ne reconnaissant point pour loi fondamentale la loi naturelle, y compris les trois premiers commandements du Décalogue, est condamné à l'évanouissement.
Soumis cependant aux lois et aux chefs de la cité dans la mesure où ils ne commandent rien de contraire à la loi de Dieu, le chrétien, *d'autre part,* en tant que *laïc chrétien,* a besoin (surtout aujourd'hui et pour le catéchisme) de *chefs temporels :* qui ne sont évidemment pas les chefs temporels de la cité apostate.
En qualité de citoyen, le chrétien reconnaît dans toute la mesure possible le pouvoir de l'État. En qualité de chrétien, il ne reconnaît à l'État non-chrétien aucune autorité sur *le temporel chrétien.*
Le temporel chrétien réclame un pouvoir temporel ce pouvoir se confond en partie avec celui de l'État quand l'État est chrétien. Dans le cas contraire, il s'en distingue. C'est aussi simple que l'œuf de Christophe Colomb : il fallait seulement s'en aviser ([^5]).
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CHAPITRE IV
### Les trois connaissances et les quatre points
LE CATÉCHISME, c'est-à-dire l'enseignement qui est donné sous ce nom et qui est contenu dans un livre ainsi dénommé, a pour but de procurer LES CONNAISSANCES NÉCESSAIRES AU SALUT.
Tout catéchisme catholique comporte *quatre* points obligatoires, incluant les *trois* connaissances nécessaires au salut.
#### I. -- Les trois connaissances
Trois connaissances sont nécessaires au salut :
1\. -- La connaissance de ce qu'il faut croire (vertu théologale de foi), procurée par l'explication du *Credo.*
2\. -- La connaissance de ce qu'il faut désirer (vertu théologale d'espérance), procurée par l'explication du *Pater.*
3\. -- La connaissance de ce qu'il faut faire (vertu théologale de charité), procurée par l'explication des *Commandements.*
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Ces trois connaissances nécessaires au salut demeurent généralement inefficaces sans le secours des *Sacrements.* Nous disons : « généralement », parce que, par exemple, en période de persécution violente les chrétiens peuvent être privés plus ou moins, voire totalement, des sacrements que le prêtre administre : pénitence, eucharistie, extrême-onction ; ils n'en seront pas pour autant privés du salut éternel. Le baptême lui-même, qui est nécessaire au salut ([^6]), peut être suppléé par le « baptême de sang » ou par le « baptême de désir » (voir catéchisme).
#### II. -- Les quatre points
Le véritable « Fonds obligatoire » de tout catéchisme catholique *comporte donc les trois connaissances nécessaires au salut et la doctrine des sacrements.*
Ces quatre points indispensables ne résultent pas d'une option, d'une fantaisie, d'une préférence permise mais facultative à laquelle on pourrait opposer d'autres préférences également facultatives et permises. Ces quatre points sont ceux qui contiennent en résumé toute la doctrine chrétienne, selon la tradition *doctrinale et pédagogique* de l'Église, codifiée avec autorité par le Catéchisme du Concile de Trente.
Leur ordre de succession est libre, mais aucun d'eux ne peut être omis :
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1\. -- L'explication du Credo.
2\. -- L'explication du Pater.
3\. -- L'explication des Commandements.
4\. -- L'explication des Sacrements.
On ne veut pas dire que le catéchisme se *limite* à ces quatre points. Histoire sainte, vie de Jésus, vies de saints, explications liturgiques, explication et méditation des mystères du Rosaire, histoire de l'Église, etc., prennent normalement place dans le catéchisme : dans des proportions et selon des méthodes qui peuvent varier. Ce qui ne peut varier, ce qui est indispensable, ce sans quoi un catéchisme n'est plus catholique, ce sont les quatre points obligatoires.
#### III. -- Considérations pédagogiques
En théorie, il demeure possible d'enseigner la doctrine chrétienne autrement que par l'explication du Credo, du Pater et des Commandements. Mais cette éventualité théorique n'a aucune portée pratique dans la plupart des cas, et notamment en ce qui concerne les enfants du catéchisme.
Les « enfants du catéchisme » sont des enfants ayant environ de 7 à 13 ans.
Comment admettre que l'on pourrait :
-- soit les laisser dans l'ignorance du Credo, du Pater et des Commandements,
-- soit mettre entre parenthèses le fait qu'ils les savent déjà et qu'ils en vivent ?
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Le Pater et le Credo de la prière quotidienne, les Commandements de l'examen de conscience quotidien, comment admettre qu'ils restent pour les enfants des formules récitées par cœur, qui ne leur auraient jamais été expliquées :
Toutes les considérations « pédagogiques », si elles tiennent compte de la réalité, sont ici convergentes :
1\. -- La réalité même de la vie spirituelle de l'enfant est fondée sur sa prière de chaque jour et sur son examen de conscience quotidien. Cette vie spirituelle progresse, pour ce qui relève du catéchisme, à mesure que progressent l'explication du Credo, l'explication du Pater, l'explication des Commandements.
2\. -- Cette explication est une « *explication de textes *»*.* -- Il existe deux méthodes fondamentales et permanentes d'éducation intellectuelle et morale, toutes deux nécessaires simultanément : a) expliquer (et faire expliquer) des textes ; b) raconter (et faire raconter) des histoires. Toutes deux se conjuguent dans le catéchisme : on *explique les textes* du Credo, du Pater, des Commandements (et de la liturgie) ; on *raconte* des épisodes de la vie de Jésus, des vies de saints, de l'histoire de l'Église.
3\. -- Les textes à expliquer obligatoirement : Credo, Pater, Commandements, sont d'une part ceux que l'enfant utilise quotidiennement ; ils sont d'autre part les textes les plus « officiels » de l'Église et de la foi chrétienne, les textes fondamentaux. Deux motifs pour lesquels il faudrait de toutes façons les expliquer : et justement c'est leur explication qui procure, selon la pédagogie traditionnelle de l'Église, l'essentiel de la doctrine chrétienne.
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Répétons qu'il ne serait pas théoriquement impossible d'enseigner la doctrine chrétienne sans expliquer ces trois textes fondamentaux : mais on voit que ce serait manifestement *absurde.*
Le nouveau catéchisme français, s'il s'est libéré des trois connaissances et des quatre points, ce n'est pas pour enseigner d'une autre manière la religion chrétienne : c'est pour ne plus l'enseigner, comme on peut le constater.
#### IV. -- Conseils pratiques
Le seul catéchisme romain est le Catéchisme du Concile de Trente.
Parmi les adaptations ou résumés authentiques qui en ont été faits, nous recommandons en priorité le Catéchisme de S. Pie X et le Catéchisme de la famille chrétienne du P. Emmanuel.
Ces catéchismes-là sont certainement catholiques. Ils seront utiles aux familles, aux écoles, aux groupes d'études pour réapprendre la doctrine chrétienne. Mais, selon les lieux et les circonstances, ils pourront éventuellement paraître (à tort ou à raison...) insuffisamment à la portée des enfants. De toutes façons, parents et maîtres choisissent librement les manuels qu'ils utilisent, pourvu que ce soient des manuels véritablement catholiques.
Ils les reconnaîtront pour tels en examinant s'ils y trouvent les *quatre* points obligatoires, dont les *trois* connaissances nécessaires.
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Insistons cependant pour que le lecteur ne se laisse pas arrêter par l'effort laborieux et suivi que réclame par exemple le Catéchisme du Concile de Trente. Quelles sont donc les connaissances qui seraient faciles, qui ne réclameraient point d'effort suivi et laborieux ? Et quelles connaissances, davantage que les connaissances *nécessaires au salut,* mériteraient donc ce travail sérieux, prolongé, méthodique ?
Qu'on ne parle point à ce niveau d'adaptation. L'adaptation ne demande pas tant de contorsions, de discours pseudo-scientifiques, de commissions ésotériques. La mère de famille parle spontanément un langage adapté à son petit enfant. Tout enseignement *oral,* celui du catéchisme comme les autres, est par lui-même, inévitablement, et au moins instinctivement, une adaptation à ceux qui l'écoutent. Les uns sont plus doués que d'autres ; mais c'est affaire aussi d'amour, de connaturalité, d'expérience ; et de prière, et de grâce. Et non pas d'une prétendue science psychologique qui, telle qu'elle est aujourd'hui, est *vaine* dans le meilleur des cas, et *fausse* le plus souvent.
L' « adaptation » n'est d'ailleurs pas le problème premier ni le problème essentiel. L'enseignement du catéchisme en France ne souffre pas d'abord d'*inadaptation*, il souffre d'abord d'*infidélité* et d'*ignorance*. C'est à l'ignorance et à l'infidélité qu'il faut avant tout porter remède.
Depuis un siècle, tous les Papes ont répété que *l'ignorance religieuse* est le mal initial et majeur qui affaiblit et désoriente les catholiques dans le monde moderne.
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Les parents, les enseignants, les animateurs de cellules et de réseaux doivent tous aujourd'hui *vérifier* leurs connaissances religieuses fondamentales, souvent les rafraîchir ou même... les acquérir. Sans quoi ils seront incapables de poursuivre leur tâche en conscience et en vérité, et ils se trouveront finalement emportés eux aussi, quoi qu'ils en aient, dans le tourbillon de l'apostasie immanente.
On peut présumer que chez la plupart des docteurs de l'apostasie, l'ignorance est une conséquence de l'infidélité. En revanche, chez les chrétiens du rang, le cas le plus général est celui d'une infidélité aveugle, conséquence de l'ignorance religieuse.
La base indispensable de tout le combat spirituel et de toute l'action culturelle de notre temps est dans le réapprentissage méthodique des trois connaissances nécessaires au salut et des *quatre* points obligatoires du catéchisme catholique.
Pour les adultes, la méthode que nous recommandons, non certes comme obligatoire, mais comme point de départ, se décompose en trois moments successifs :
1° Étudier et méditer à fond un chapitre du *Catéchisme du Concile de Trente..*
2° Apprendre par cœur le chapitre correspondant du *Catéchisme de* S. *Pie X.*
3° S'inspirer directement du chapitre correspondant du *Catéchisme de la famille chrétienne* du P. Emmanuel, pour, ensuite, « faire le catéchisme » aux enfants.
Point de départ ? Oui : car, selon les besoins, selon les niveaux, selon les personnes, ce schéma sera expérimentalement amendé ou complété. Au travail !
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CHAPITRE V
### Face à l'évêque infidèle
LE CLERGÉ CATHOLIQUE est administrativement pris à la gorge. N'allons pas demander à nos prêtres des initiatives publiques qui les désigneraient sans nécessité à la persécution : nous arriverions ainsi à les faire déplacer, suspendre, interdire les uns après les autres. Pour qu'ils puissent continuer leur ministère sacerdotal, c'est à nous de les couvrir, de les protéger, bientôt peut-être de les cacher. Ne les mettons pas en avant, mais autant que possible à l'abri. Nous avons besoin du prêtre : il faut donc éviter que ses pouvoirs lui soient canoniquement retirés ; il ne faut pas l'exposer imprudemment à cet assassinat spirituel. Sous la Révolution française, il fallait dissimuler le prêtre aux pourvoyeurs de la guillotine. Sous le règne de l'apostasie immanente, il faut le dérober aux sicaires du meurtre canonique.
#### I. -- Un sinistre avertissement
Aucun secours administratif ne vient de Rome pour le moment : au contraire. Il faut le savoir. Il faut savoir que le prêtre persécuté pourra de moins en moins compter sur un recours à Rome qui de plus en plus sera rejeté d'avance. Cela ne durera pas toujours. Mais cela dure pour le quart d'heure, et même s'aggrave.
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Le cardinal Gut, préfet de la Congrégation des Rites, a fait publier dans le Bulletin diocésain de Beauvais, à la veille de la Pentecôte 1969, une lettre parfaitement significative. Les termes de sa conclusion constituent une menace précise pour tous les prêtres fidèles et annoncent pour eux un redoublement de l'asphyxie réglementaire.
Le cardinal-préfet y déclare indigne d'attention et de considération « *un prêtre qui ne serait pas en parfait accord avec son évêque *» ([^7])*.*
Cela paraît aller de soi ?
Point du tout. A l'heure qu'il est, avec les évêques que nous avons, c'est un propos sinistre.
C'est même un propos sinistrement nouveau dans l'Église, sous cette forme absolue, universelle, péremptoire.
#### II. -- L'accord parfait avec l'évêque n'est pas la règle unique, suprême ou inconditionnelle
Autrefois et naguère, la constatation d'un désaccord entre un prêtre et son évêque *constituait* le litige, mais ne le *concluait* pas : il y avait possibilité d'en demander le jugement selon la vérité, selon le droit, selon la justice.
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Cette possibilité est toujours inscrite dans le droit canon encore en vigueur.
Il y avait des dicastères et des tribunaux romains notamment pour cela.
Le *parfait accord avec l'évêque* n'était point requis du clergé comme un absolu et comme le seul absolu, indépendamment de toute légitimité, de toute légalité, de toute vérité.
Aujourd'hui, nouveauté, le fait du désaccord avec l'évêque, au lieu de constituer le litige appelant un jugement de l'autorité supérieure, constitue à lui seul le jugement du litige.
Ce n'est pas un décret ni une loi ; ou pas encore ; c'est un état d'esprit officiel ; c'est une pratique qui devient courante dans les mœurs ecclésiastiques. Elle s'exprime sans complexe par l'étonnant verdict qui clôt la lettre du cardinal Gut.
#### III. -- Le seul principe qui surnage dans l'universel naufrage ?
Il est tristement significatif, en outre, que cette nouveauté-là nous soit énoncée par le préfet d'un dicastère romain.
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Car les dicastères romains ont été impuissants, pour une raison ou pour une autre, par leur faute ou sans qu'il y ait de leur faute, -- mais réellement impuissants, comme on peut le constater, à empêcher que l'on fasse voler en éclats la liturgie, le droit, la théologie et le texte même de l'Écriture.
Au milieu de cette dévastation générale qu'ils n'ont pu ni prévenir, ni éviter, ni guérir, voudraient-ils donc maintenir un seul point fixe, un seul canon, tenant lieu désormais de tous les principes et de tous les rites qu'ils ont laissé mettre en morceaux : le rite unique et l'unique principe du *parfait accord avec l'évêque ?*
Indépendamment de toutes autres considérations ?
Dans tous les cas et pour faire n'importe quoi ?
Ce serait monstrueux et ce serait dérisoire.
J'ignore si les dicastères romains ont véritablement l'intention et auront la possibilité d'imposer aux prêtres l'apparence ou la grimace de cet unique et universel « accord parfait avec l'évêque ». Mais je préviens que dans la situation actuelle ce ne serait qu'apparence et que grimace. Car pour la réalité de l'accord avec l'évêque, personne ne pourra la rétablir en France aussi longtemps que les évêques infidèles n'auront pas été préalablement déchus, remplacés ou convertis.
#### IV. -- Le contenu du parfait accord
*L'accord parfait avec l'évêque,* aujourd'hui, en France, cela veut dire enseigner un catéchisme falsificateur et un Évangile falsifié jusque dans son texte.
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Cela veut dire se détourner et détourner les fidèles de demander à Dieu, en des Rogations maintenant déclarées païennes, ce que le cultivateur moderne demande à l'engrais (enseignement doctrinal officiel de la Conférence épiscopale française, Assemblée plénière de novembre 1968).
Cela veut dire proclamer que le passé de l'Église est fait de vingt siècles de culpabilité et d'erreur, et qu'aujourd'hui seulement il nous est donné d'atteindre à une « conception de la foi » qui soit suffisamment « conforme à l'ensemble de l'Écriture » (même Assemblée) : à l'ensemble de l'Écriture que, de l'autre main, on *améliore...* Et qu'aujourd'hui seulement nous parvenons à la vérité religieuse, découverte entre 1958 et 1969 par des évêques d'une science sans précédent : et il faut voir quelle science ; et on le voit...
*L'accord parfait avec l'évêque,* cela veut dire que l'on rejette ce qui a toujours été la philosophie et la théologie de l'Église, et que l'on adopte la soi-disant « profession de foi », solennellement approuvée par l'épiscopat français, du P. Cardonnel : à la lumière de Marx, de Nietzsche et de Freud.
Cela veut dire, selon les lieux, l'accord parfait avec Suenens, l'accord parfait avec Alfrinck, l'accord parfait avec Schmitt et son Marty, avec Pailler et ceteris.
C'est à tout cela que nous faisons obstacle, c'est tout cela que nous combattons, parce que tout cela, c'est l'hérésie radicale et généralisée, c'est l'apostasie immanente,
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#### V. -- Accusations « infamantes » ? -- Ce n'est pas la question.
Un communiqué de Mgr de Beauvais ([^8]) reproche au curé de Montjavoult d'avoir *porté contre l'épiscopat français des accusations infamantes de* « *prévarication collective *»*.*
Il se peut, en effet, que ces accusations de prévarication soient subjectivement ressenties comme « infamantes ». C'est bien dommage ; c'est même douloureux.
Mais c'est là un détail ; c'est de l'anecdote ; c'est une frange de dentelle derrière laquelle les accusés minaudent leur indignation.
Car il y a infiniment plus important : ces accusations sont-elles vraies ?
Elles sont établies sur des faits et prouvées en doctrine.
Que si les preuves étaient insuffisantes ou les faits mal établis, il n'y aurait qu'à le dire, à le montrer, à en faire la démonstration, la chose est assez grave pour requérir un tel soin : mais personne ne s'y risque, on se retranche sur le seul « infamant », on ne se plaint que du coup d'éventail
Pendant deux mille ans, les docteurs de l'Église n'ont jamais cessé de réfuter et de démontrer, de prouver et de justifier, de discuter toutes les objections et toutes les accusations, fussent-elles « infamantes ».
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Les nouveaux docteurs de la religion nouvelle, *cela aussi les démasque,* fuient tout débat en forme et au fond. Ils n'ont en substance qu'une seule réponse : *Silence dans les rangs.*
*-- *Mais votre catéchisme n'est plus catholique !
-- *C'est une décision épiscopale.*
*-- *Vous y avez falsifié jusqu'au texte de l'Écriture.
-- *Ce sont les intentions mûrement réfléchies des évêques de France.*
*-- *Vous avez supprimé de l'Évangile, dans votre version obligatoire du récit de l'Annonciation, la conception virginale de Notre-Seigneur.
-- *Ainsi en a décidé l'épiscopat.*
*-- *Vous avez trafiqué l'annonce des Béatitudes selon saint Matthieu, de manière à en réduire le nombre de huit à cinq ou même à trois.
-- *L'autorité épiscopale en a ainsi disposé.*
*-- *Comment pouvez-vous imposer de construire une nouvelle théologie non plus à partir des articles de foi, mais à partir de la pastorale circonstancielle de « Gaudium et Spes » ?
-- *Les évêques l'ont décrété, inclinez-vous.*
*-- *Les concepts de « nature » et de « personne », qui sont au centre et de la philosophie naturelle et de la théologie révélée, pourquoi, comment voulez-vous en changer la signification ?
-- *C'est la volonté des évêques.*
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*-- *Comment admettre que l'Église se soit trompée pendant deux mille ans ?
-- *Obéissez à vos évêques.*
*-- *Mais l'impiété, mais le blasphème de se vanter de n'aller plus demander à Dieu ce que la science moderne demande à l'engrais ?
-- *Demeurez en parfait accord avec vos évêques.*
*--* Et la loi naturelle ? La loi naturelle elle-même, que votre nouvelle doctrine écarte ou met en pièces, comme survivance de la mentalité d'un autre temps ?
-- *Avec vos évêques, accord parfait obligatoire.*
*--* Au moins, expliquez-vous, expliquez-nous, dissolvez nos objections.
-- *Vos évêques l'ont voulu, cela suffit.*
Ainsi donc, les catholiques anglais eurent raison de devenir anglicans, les catholiques allemands eurent raison de devenir luthériens, quand ils le firent en suivant leurs évêques les yeux fermés. Et nous entrerons semblablement dans l'apostasie immanente du XX^e^ siècle, derrière nos évêques, les yeux fermés par la rumeur du monde, par le progrès moderne et par *l'accord parfait* que, de Rome, nous ordonne le cardinal Gut. Nous embarquerons sur le navire du rêve éveillé, à pleines voiles dans l'imaginaire, sous la conduite d'un épiscopat qui a rompu les amarres avec les réalités naturelles et avec les doctrines révélées, et qui ne mesure plus les hommes et les choses qu'à sa propre volonté de puissance : -- Nous *avons ordonné selon notre volonté souveraine.*
Croire que ça marchera est une fameuse illusion. Le truc est éventé.
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#### VI. -- Tout est trop clair : en voilà assez
L'histoire de l'engrais !
A elle seule, elle est tout à fait claire ; elle est décisive ; elle est définitive.
Elle supprime radicalement, je veux dire par la racine, elle supprime à elle seule toute religion révélée et même toute religion naturelle : ne laissant subsister qu'un verbiage pseudo-mystique et pseudo-messianique. Et c'est la doctrine officiellement promulguée par la Conférence épiscopale française !
La doctrine officielle de l'épiscopat français est maintenant qu'on ne va plus demander à Dieu ce que le cultivateur a bien raison de ne demander qu'à l'engrais ; que les Rogations étaient une survivance du paganisme, dont vingt siècles de christianisme n'avaient pas réussi à triompher ; que l'Église avait capitulé, par lassitude et impuissance, devant cette mentalité païenne ; mais qu'aujourd'hui l' « avènement de la civilisation scientifico-technique » vient « travailler dans le même sens » que l'épiscopat, en détournant les hommes de demander à Dieu ce qu'ils doivent désormais attendre de l'industrie moderne. Tout cela est enseigné aux pages 68, 90 et 91 du volume officiel de l'épiscopat publiant les rapports doctrinaux de l'Assemblée plénière de novembre 1968.
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La doctrine de l'épiscopat français, présentée dans le rapport de l'archevêque de Rouen et officiellement enseignée dans ce volume avec le label et la garantie de la Conférence épiscopale française ([^9]) ne comprend plus que l'on puisse demander en même temps, mais sous un rapport différent, la même chose à l'engrais et à Dieu. Elle ne comprend plus qu'il puisse y avoir simultanément une cause première et des causes secondes. Elle ne comprend plus que Dieu puisse être cause et des causes et des effets : cause et de l'homme, et de l'engrais, et des fruits de la terre ; cause de l'action de l'homme, bien qu'en même temps l'homme soit cause de sa propre action. Elle ne comprend plus la sagesse surnaturelle (mais déjà sagesse naturelle) du mot d'Ambroise Paré : « Je l'ai pansé, Dieu l'a guéri. » Elle croit qu'avec l'avènement de la civilisation scientifico-technique, la guérison vient ou bien du médecin, ou bien de Dieu, c'est l'un ou c'est l'autre, il faut choisir, et elle choisit de n'avoir plus le paganisme superstitieux de demander à Dieu ce que l'homme moderne demande au médecin...
Un enfant du catéchisme, là où il y a encore un catéchisme catholique, surmonte très bien ces pseudo-difficultés intellectuelles où trébuche maintenant et s'effondre, anémique et pervertie, la doctrine officielle de l'épiscopat.
Qu'on n'aille pas, ni dans cette histoire de l'engrais, ni dans toutes celles que j'ai rapportées ci-dessus, espérer que j'invente ou que j' « extrapole ». Hélas non. Tous les textes sont là : textes officiels de la Conférence épiscopale, que j'ai déjà plusieurs fois cités et commentés dans ITINÉRAIRES.
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Je rappelle les références, qui renvoient principalement aux documents établis par deux Assemblées plénières, les deux plus mauvaises, les deux décisives, celle d'octobre 1966 et celle de novembre 1968
1\. -- La falsification de l'Écriture sainte a été opérée par le FONDS OBLIGATOIRE de l'Assemblée d'octobre 1966 : voir notre brochure *Le catéchisme sans commentaires qui* donne les dates, les textes, les références au FONDS lui-même et aux nouveaux manuels pour enfants.
2\. -- La désintégration des concepts de « nature » et de « personne » a été opérée et enseignée par la même Assemblée, dans sa RÉPONSE AU CARDINAL OTTAVIANI : voir les textes dans mon livre *L'hérésie du XX^e^ siècle* (première partie).
3\. -- C'est dans les ORIENTATIONS DOCTRINALES promulguées par l'Assemblée plénière de novembre 1968 que se trouve la consigne de fonder une nouvelle théologie sur la pastorale de « Gaudium et Spes » et non plus sur les articles de foi ([^10]).
4\. -- C'est la même assemblée de novembre 1968 qui a reçu, entendu, révisé, assumé et officiellement publié le « rapport doctrinal » de l'archevêque de Rouen décidant de ne plus demander à Dieu, comme des « païens », ce que les modernes demandent à l'engrais.
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5\. -- Quant aux *sept* propositions hérétiques de la religion de Saint-Avold, elles sont citées et analysées dans mon livre *L'hérésie du XX^e^ siècle.* La plupart de ces propositions hérétiques ont pour auteur un évêque, celui de Metz, qui, après les avoir énoncées, a été promu à l'Orientation doctrinale de la Conférence épiscopale française !
\*\*\*
Sur toutes ces manifestations doctrinales et officielles de l'apostasie immanente, nous nous en remettons au jugement souverain et définitif, qui viendra un jour, de l'Église enseignante.
De l'Église enseignante, c'est-à-dire de la succession apostolique et de la primauté du Siège romain. L'attente d'un tel jugement se prolonge démesurément : mais cette attente prolongée, mais cette absence apparente et provisoire du Magistère vivant ne sont pas un fait inédit dans l'histoire de l'Église. Ce n'est pas un fait sans précédents. On l'a déjà vu, le même, au moment de l'arianisme ; et on l'a vu devant la méforme protestante ; et on l'a revu lors de la Révolution française, notamment face à la schismatique Constitution civile du clergé.
Dans cette attente qui est épreuve et qui durera encore nous ne savons jusqu'où, le devoir de chaque chrétien est de refuser l'apostasie, d'en combattre les idées et les entreprises, *à la condition* de le faire *à sa place et sans en sortir :* sans prendre celle de l'Église enseignante, celle de la succession apostolique, celle de la primauté du Siège romain.
68:135s
*Les moines prient et travaillent.*
*Les prêtres prêchent et donnent les sacrements.*
*Les écrivains écrivent et publient.*
*Les familles élèvent leurs enfants.*
*Les professeurs enseignent.*
*Les chefs temporels du laïcat chrétien organisent la concertation permanente, l'entraide réciproque, l'autodéfense mutuelle des familles et des écoles chrétiennes.*
Chacun mobilisé sur place par son devoir d'état.
Chacun déterminé à vivre et mourir en chrétien selon son état de vie.
Beaucoup, et surtout des prêtres, subissant déjà une sorte de martyre : avec la grâce de Dieu, sans haine pour les persécuteurs. Mais, dans le combat de la foi, sans faire de cadeaux aux suppôts du mensonge.
Et *hardiment,* à la française, sous la bannière de sainte Jeanne d'Arc.
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CHAPITRE VI
### Le discernement nécessaire
IL ME FAUT MAINTENANT demander au lecteur un nouvel effort d'attention. Non point pour d'autres considérations : mais en substance pour les mêmes ; les mêmes, encore une fois ruminées, reprises encore une fois : cette fois-ci pour éclairer plus directement, dans la situation présente, le discernement entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous.
#### I. -- Comprendre
Reprenons donc le fil directeur : nous sommes dans une société en voie de décomposition, mais *des apparences* nous le cachent.
Ces apparences sont celles du « progrès ». Les progrès du XX^e^ siècle, déclarés « admirables », « merveilleux » et « glorieux » par toutes les autorités civiles et religieuses de notre temps, sont des progrès *techniques,* des progrès *matériels :* et ces progrès sont utiles dans leur ordre. Mais ils ne peuvent rien sur la décomposition de la société ; ils ne peuvent que la dissimuler aux yeux de ceux qui s'y laissent divertir ; car la décomposition de la société est d'un autre ordre.
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Elle est d'ordre moral et religieux. Elle s'étale dans l'anarchie ecclésiastique, dans l'anarchie universitaire, dans l'anarchie mentale, -- et dans la vogue mondaine d'un marxisme qui pourtant est intellectuellement, est scientifiquement fourbu et plus que fourbu.
La société moderne se décompose plus vite que ne fit l'Empire romain ; c'est peut-être l'accélération de l'histoire, mais peu importe : ce que je veux faire observer, c'est que l'Empire romain s'est décomposé et effondré en tant que société alors qu'il était en plein progrès matériel et technique. Ce progrès-là n'est ni une garantie ni un remède contre la décadence. Les autorités civiles et religieuses se trompent dans l'admiration qu'elles lui portent et dans la confiance qu'elles lui font : comme si ce progrès pouvait compenser en quoi que ce soit leur propre démission morale.
Le point vulnérable d'une société, le point vital, son cœur en quelque sorte, et en même temps son essentielle raison d'être, c'est l'éducation intellectuelle et morale des générations nouvelles. Quand cette éducation est atteinte, quand elle est détruite ou pervertie, aucune découverte *technique,* aucun progrès *matériel* ne peut y suppléer.
Les familles le sentent, au moins instinctivement quand une société civile (et même une société ecclésiastique) ne sait plus au juste ce qu'elle veut et ce qu'elle doit enseigner aux générations nouvelles dans l'ordre intellectuel et moral, alors cette société n'est plus en cela un facteur de vie mais un facteur de mort. Et le choix entre les acrobaties de remplacement auxquelles elle peut se livrer n'a guère d'intérêt, ni d'influente sur la suite des événements.
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On peut philosopher sur les causes de cette catastrophe. On peut philosopher sur les conséquences. C'est, selon Pascal, la grandeur du « roseau pensant ».
Relisons :
« *La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable... Quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.* »
Nous philosophons donc sur les causes et sur les conséquences de la désintégration intellectuelle et morale dans le monde moderne : cela relève de notre dignité d'hommes ; c'est l'une des fonctions remplies par la revue ITINÉRAIRES. Nous savons que la société contemporaine est en train de mourir. Nous savons pourquoi. Nous travaillons à comprendre, expliquer, faire comprendre la nature, les causes et les conséquences de cette décomposition.
« Comprendre » est justement le titre que Marcel Clément a donné à l'une de ses méditations les plus lucides et les plus ramassées ([^11]) :
« Une société s'écroule. Autour de nous. En France. Dans le monde. Cet écroulement est beaucoup plus grave que celui de la révolution de 1791-1793. Il est beaucoup plus grave que celui de la révolution de 1917. Il est d'abord humain, c'est-à-dire total. Et parce qu'il est totalement humain, il est d'abord spirituel, c'est-à-dire intérieur.
« C'est la société qui s'écroule. Non pas seulement une histoire qui s'achève. Mais une nature qui se nie intellectuellement et qui s'extermine physiquement.
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« Tel est le fait. Nous devons admettre comme arrière-fond à tout ce qui se produira cette explication qui domine de loin chaque événement particulier, si grand soit-il. Que ce soit l'effondrement politique, la crise monétaire, l'escalade de l'animalité, la paralysie universitaire, la grève révolutionnaire, le chaos culturel, la démission des prêtres ou la théologie-fiction, ce ne sont là *que* des épisodes d'une seule réalité historique : la société s'écroule.
« ...Car une société s'écroule lorsqu'à l'intérieur les âmes *lâchent.* A ce point on ne peut, dans l'immédiat, plus rien empêcher. »
« On ne peut plus rien empêcher » au niveau général, global, de l'évolution d'ensemble des sociétés ; en ce sens et pour cette raison que les autorités civiles et religieuses qui sont *en situation* d'agir sur cette évolution d'ensemble sont détenues par des hommes dont l'âme a *lâché* devant la rude épreuve de *comprendre,* la réalité et la signification des temps que nous vivons.
Le diagnostic quotidien porté par Pie XII sur l'évolution du monde moderne, on n'a pas voulu l'entendre ; il est aujourd'hui rejeté, méconnu, oublié (c'est tellement plus commode) par la quasi-totalité des autorités civiles et religieuses, du rang le plus modeste au rang le plus élevé. Ces autorités conduisent leur pensée et déterminent leurs décisions comme si Pie XII n'avait rien enseigné ; comme s'il n'avait pas existé.
Les détenteurs actuels des diverses sortes d'autorités officielles ont grandi sous Pie XII, ils ont reçu son enseignement sur le monde moderne à l'âge de la formation ; à l'âge du séminaire ; à l'âge des études supérieures ; à l'âge des premières responsabilités. Il est infiniment peu probable que nous puissions maintenant les convaincre alors que Pie XII en personne, leur père et leur protecteur, n'y a pas réussi.
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Depuis 1958, plusieurs de nos amis ne cessent de nous presser, ou de s'occuper eux-mêmes, d' « avertir les évêques », d' « éclairer le pouvoir civil », d' « informer le Saint-Siège ». Nous n'y avons pas manqué, même quand nous ne l'avons pas claironné sur les toits. Nous l'avons fait, à mesure que les années passaient, davantage par respect des pouvoirs qui viennent de Dieu que par illusion sur leurs détenteurs : et en constatant, et en vérifiant de plus en plus que cela ne servait absolument à rien. Ce n'est pas de notre part un pronostic : mais une expérience déjà faite, et faite longuement. Des amis, des lecteurs insistent à nouveau : il faut avertir les autorités, il faut les éclairer, il faut les informer. Ah ! quelle respectable pensée, quelle admirable confiance ! Elle est venue du fond des siècles, elle est un vieux réflexe : « Si le Roi savait... »
Si le Roi savait ? Eh ! bien, il sait.
Mais il sait à sa manière, selon ses vues, selon ses catégories mentales et sa conception du monde, selon ses *habitus* intellectuels, selon son tempérament, qui l'empêchent de comprendre la vraie nature et les vraies causes de cet « écroulement » dont parle Marcel Clément.
Marcel Clément dit encore :
« Dieu efface, chaque jour davantage, une politique dont il est absent, et qu'inspire Belzébuth. Il disloque une économie, individualiste ou collectiviste, où Mammon règne à sa place. Il conduit au néant une conception de l'amour où, sous le doigt d'Asmodée, l'impudicité conduit à l'écœurement et au suicide.
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Il laisse rouler à l'abîme une culture qui n'est, à quelques exceptions, qu'un cloaque repoussant à voir et à sentir. Il abandonne à leur propre mouvement des actes qui conduisent à son évanouissement un christianisme de bavards, sans silence et sans intériorité, un christianisme de pseudo-sociologues sans foi ni loi, un christianisme de pseudo-philosophes ignorants du réel et de l'existence même de la nature humaine... »
*Si le Roi savait...* Ancienne et instinctive confiance. Mais le « Roi », tous les rois modernes, tous les pouvoirs établis dans le monde moderne et dans l'Église moderne ont eu tout ce qu'il fallait pour savoir. Ils ont d'immenses dossiers, avec les faits, les chiffres, les statistiques et même les anecdotes. Ce qui leur manque n'est pas une documentation : mais *la clef* pour l'interpréter. Pourtant ils ont eu Pie XII qui leur a donné cette clef ; ils ont eu Pie XII qui pendant vingt ans, jour après jour, leur a enseigné et expliqué, en gros et en détail, ce que Marcel Clément résume ainsi à grands traits. Les détenteurs ou les futurs détenteurs des différents pouvoirs ont endurci leur cœur, leur âme a « lâché » devant la vérité, et ils ont voulu promouvoir *au contraire* une ouverture à ce monde, une adaptation à ce monde dont Pie XII avait montré comment et pourquoi il était en train de s'écrouler.
« *C'est tout un monde qu'il faut refaire depuis ses fondations *»*,* disait Pie XII, et il disait quoi faire et comment s'y prendre. On a voulu au contraire refaire l'Église à l'image et à la dévotion de ce monde-là.
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#### II. -- Le regard sur le monde
Voici deux déclarations séparées par cinq années seulement.
Dans son discours d'ouverture du Concile, le 11 octobre 1962, Jean XXIII déclarait ([^12])
« *Il arrive souvent que dans l'exercice de Notre ministère apostolique Nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu'enflammés de zèle religieux, manquent de justesse de jugement et de pondération dans leur façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines et calamités ; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés* (*...*)*. Il Nous semble nécessaire de dire Notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur...*
Le 7 décembre 1968, Paul VI déclarait ([^13]) :
« *L'Église se trouve en une heure d'inquiétude, d'autocritique, on dirait même d'autodestruction. C'est comme un bouleversement intérieur, aigu et complexe, auquel* PERSONNE NE SE SERAIT ATTENDU *après le Concile. *»
Nous lisons et relisons ces deux déclarations : l'une après l'autre, rapprochées l'une de l'autre. Nous ne cessons de le faire depuis six mois.
\*\*\*
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Il y avait donc en 1962, au moment où s'ouvrait le Concile, des « prophètes de malheur » qui avaient « coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés ».
Ils se ralliaient en cela aux vues de Pie XII.
Ou même, plus simplement, à ce qui leur paraissait une évidence élémentaire du bon sens chrétien : à savoir qu'*une époque qui refuse le Dieu de la révélation et même le Dieu de la loi naturelle a manifestement empiré, et profondément, par rapport aux siècles qui au contraire, si pécheurs qu'ils aient été, confessaient Dieu et Jésus-Christ.*
Notre époque a empiré à ce point de vue. Peut-être voudra-t-on dire qu'elle a empiré *seulement* à ce point de vue-là. Et quand cela serait ? En quoi d'autres progrès pourraient-ils compenser cette régression ? Ou empêcher cette régression de porter peu à peu toutes ses conséquences intellectuelles et morales, personnelles et sociales ?
Il faut bien constater qu'il y a eu successivement deux regards différents, deux jugements contraires portés sur le monde contemporain :
1° le regard et le jugement de Pie XII jusqu'en 1958 ;
2° et, après 1958, un autre regard et un autre jugement.
Mais cet autre regard, mais ce nouveau jugement *voyaient-*ils le monde dont ils parlaient ?
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Nous avons eu un Concile pastoral et des orientations officielles qui se voulaient tournés vers les problèmes les plus actuels du monde actuel : et ce Concile, et ces orientations ont quasiment toujours mis entre parenthèses et volontairement ignoré ce monstrueux, ce pressant, cet universel problème actuel qu'est le communisme. (Sauf pour nous dire, en tout et pour tout, qu'il est bon de « dialoguer » avec des « athées ».)
A aucun moment, malgré tous les avertissements et enseignements antérieurs de Pie XII, ce Concile et ces orientations n'ont considéré que nous sommes dans une société en train de s'effondrer parce qu'elle a renié Dieu.
Que la société moderne soit en train de s'effondrer, c'est « *l'explication qui domine de loin chaque événement particulier, si grand soit-il *»*,* dit très bien Marcel Clément. Cette explication, qui était sans cesse présente à la pensée de Pie XII, a été constamment absente des orientations pastorales données depuis 1958 (ou si l'on veut depuis 1960). Elle a été absente de l'analyse du phénomène de la « socialisation » ; elle a été absente des préoccupations conciliaires ; elle est absente de *Gaudium et Spes.*
Bien sûr, en ce domaine où l'infaillibilité n'est pas formellement engagée, on peut en théorie supposer que *c'était Pie XII qui se trompait,* et qu'au contraire ses successeurs ont eu raison. Mais c'est une supposition qui devient de plus en plus difficile à mesure que les événements suivent leur cours et que la décomposition s'accentue dans la société civile et dans la société ecclésiastique.
\*\*\*
78:135s
Pendant l'hiver 1968-1969, une « lettre au Pape », écrite dit-on à l'instigation du futur cardinal Daniélou, a recueilli en France 200.000 signatures. Cette lettre avait le mérite et l'utilité de manifester l'attachement du peuple chrétien au Magistère romain. Mais elle déclarait aussi au Souverain Pontife quelque chose qui n'est pas vrai :
« *Nous vous disons l'angoisse du peuple chrétien de voir l'admirable effort de renouveau de l'Église inauguré par le Concile, et courageusement continué depuis, compromis par une petite minorité d'agitateurs, clercs et laïcs... *»
Ce n'est point du tout cela qui s'est passé ; ce n'est point du tout cela qui se passe.
Nous n'avons pas vu un « admirable effort de renouveau » qui aurait été « inauguré par le Concile » et « courageusement continué depuis » : nous ne l'avons pas vu *dans les faits.*
Nous l'avons entendu dans les discours et dans les déclarations d'intentions. Nous voyons bien que beaucoup ont cru en ce renouveau et qu'ils l'ont sincèrement espéré. Nous-même, à la veille de l'ouverture du Concile, nous en espérions, et nous l'avons dit en propres termes, *la conversion des évêques.* Elle n'a pas eu lieu. Au contraire. Puis nous avons reçu comme tels tous les textes conciliaires régulièrement promulgués, en prenant soin de les interpréter conformément à la tradition catholique : et non en rupture avec elle comme la mode en fut lancée aussitôt, sans que l'autorité religieuse ait paru sur le moment s'en apercevoir, s'en émouvoir ou y trouver à redire.
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Ces textes promulgués auraient peut-être pu promouvoir un « renouveau » effectif : nous n'en discutons pas, nous n'en tranchons pas, nous n'en savons rien ; nous disons seulement qu'en tous cas ils ne l'auraient pu que dans un monde qui n'aurait pas été le monde actuel : le monde actuel tel que le voyait Pie XII, et nous à sa suite, mais tel que l'autorité religieuse ne le voyait plus.
De fait, il n'y a eu aucun renouveau réel qui se trouverait, aujourd'hui, simplement « compromis ». Ce qui n'a aucunement existé ne saurait être compromis ou menacé.
Entre une *intention* de renouveau et sa *réalisation* s'intercale toujours un jugement dit « prudentiel » comportant une appréciation des circonstances, des opportunités, des possibilités. Ce n'est pas ici, du moins ce n'est pas en soi et forcément, une question de doctrine de la foi : on peut être en même temps orthodoxement catholique et parfaitement chimérique...
Pour ne prendre que l'exemple le plus gros, il était chimérique de prétendre promouvoir un renouveau du christianisme sans prendre à aucun moment en considération l'impact terrible de la constante pression et des manœuvres permanentes du communisme. Je dis du communisme, et non pas de l'athéisme considéré comme la philosophie particulière d'une catégorie spéciale de philanthropes. Du communisme, le Concile n'a rien, dit, le Saint-Siège n'a quasiment plus parlé. Ce n'est qu'un exemple ; il n'explique pas tout ; mais il est caractéristique.
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Il était prévisible qu'à peine annoncé l'effort de « renouveau » serait détourné, saboté, colonisé, exploité de mille manières par la propagande et les autres roueries du communisme, *si l'on ne prenait aucune précaution là-contre*. On n'en a pris aucune. Ce prévisible n'a pas été prévu. Le Concile ni personne n'y a pourvu. On n'a pas seulement sous-estimé la puissance des forces de subversion dans le monde actuel (et dans l'Église moderne) : on les a négligées, on les a ignorées, c'est-à-dire que depuis 1958 (ou 1960) on a laissé le peuple chrétien et le clergé sans défense explicite et active contre elles.
Il n'est pas vrai que les malheurs actuels de l'Église et sa crise d' « autodestruction » proviennent uniquement ou principalement d' « une petite minorité d'agitateurs ». Ils proviennent au moins d'une erreur prudentielle. Seulement cette erreur a été massive, générale (comme on l'a vu lors des débats conciliaires), et elle comportait à l'origine une énorme *impiété naturelle* à l'égard de Pie XII, -- pour ne pas dire plus et n'aller pas chercher plus loin. Ce n'est pas de cette erreur que pourront nous venir secours, lumière et protection.
#### III. -- L'impiété naturelle
Par « impiété naturelle », j'entends non point qu'il était naturel d'être impie : je veux désigner le contraire de la *piété naturelle,* celle du IV^e^ Commandement du Décalogue ([^14]).
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C'est la même « impiété naturelle » qui veut nous persuader qu'avec le progrès, la démocratie et le Concile, notre époque est supérieure à toutes les autres, et les hommes d'aujourd'hui plus épatants que les hommes de tous les temps, et les chrétiens actuels enfin lucides, conscients et adultes comme jamais.
Si c'était vrai, de tels chrétiens se reconnaîtraient d'abord à leur humilité, qui leur interdirait d'avoir de telles pensées.
Je prie et au besoin je supplie le lecteur de ne point voir là une remarque anecdotique, polémique ou épigrammatique. Nous la proposons au contraire comme une remarque absolument fondamentale, touchant à l'essence de la vie chrétienne, au ressort principal de la civilisation, à l'esprit de toute éducation morale.
On peut, admettons-le du moins, dire n'importe quoi dans les journaux et dans les congrès académiques. On ne peut pas dire n'importe quoi aux enfants, aux jeunes gens, dans les collèges, dans les séminaires. Leur dire que leur époque et leurs personnes dépassent en valeur tout ce que l'humanité a jamais vu, c'est en faire, en quelque sorte automatiquement, des barbares et même des sauvages.
Oui, je prie et au besoin je supplie le lecteur d'y arrêter sen attention :
A\) Dire aux hommes de notre temps, et aux jeunes gens, et aux enfants, que leur époque est inférieure aux époques précédentes, cela ne pourrait que leur être salubre et profitable, et les inciter à la piété naturelle, *même si cela n'était pas vrai*. C'est seulement l'orgueil collectif et le messianisme temporel qui se trouvent blessés par un tel propos.
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B\) Inversement, dire aux hommes de notre temps, et aux jeunes gens, et aux enfants, que leur époque est supérieure (ou n'est pas inégale) aux meilleurs des siècles passés, cela ne peut que les pervertir, et les conduire à l'impiété, *même si cela est vrai.* Car, dans l'hypothèse où cela serait vrai, ce ne serait quand même point là-dessus qu'il faudrait fixer leur esprit. C'est seulement l'orgueil collectif et le messianisme temporel qui peuvent se trouver excités et flattés par un tel propos.
Et considérons les saints.
Les saints, eux, ont toujours été les plus prompts à se juger inférieurs aux saints du passé.
Cette perspective est fondamentale. Elle est essentielle à la vertu naturelle. Elle est essentielle à la vertu chrétienne. Elle est essentielle à l'éducation intellectuelle et morale. Elle est essentielle à la vie sociale et à la civilisation.
Depuis 1958, cette perspective a été systématiquement renversée et inversée dans les esprits et dans les mœurs : dans la pensée religieuse, dans la prédication ecclésiastique et dans les orientations pastorales. Ce n'est pas de cet incroyable renversement de perspective, imprudent à toute époque et particulièrement injustifié en la nôtre, que le secours, la protection, la lumière pourront nous venir. Il nous en est venu de grandes ténèbres et une perversion de l'éducation.
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C'est d'ailleurs la proposition y de la religion nouvelle : la cinquième proposition hérétique de la religion de Saint-Avold ([^15]).
#### IV. -- Le domaine de la pensée et celui de l'action
Le lecteur l'a vu, ou du moins il va le voir : nous n'avons pas perdu le fil de notre propos, qui est d'éclairer le discernement, nécessaire à toute action dans la situation présente, entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous.
Il est naturel à l'homme de chercher à *tout* comprendre (dans la mesure où cela lui est possible). Il est donc naturel à l'homme d'examiner, d'analyser, de scruter *même ce qui ne dépend pas de lui.* Nous examinons, nous analysons, nous scrutons la situation du monde moderne, la vaste décomposition actuelle de la société civile et de la société ecclésiastique. Nous philosophons sur ses causes et sur ses conséquences. Nous voulons *comprendre.*
D'autre part, il est surnaturellement naturel au chrétien de *prier* même pour ce qui ne dépend pas de lui, car ce qui ne dépend pas de lui ne cesse pas pour autant de dépendre de Dieu.
Mais en ce qui concerne nos *résolutions pratiques,* si nous ne voulons pas nous contenter de rêves, d'intentions et de discours, il faut nous limiter au domaine de *ce qui dépend de nous :*
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ce domaine est *beaucoup moins étendu* que le domaine des choses sur lesquelles nous pouvons philosopher et que le domaine des choses pour lesquelles nous pouvons prier.
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« Travaillons à bien penser » sur toute chose connaissable, c'est la grandeur et la dignité naturelles de l'homme : et le domaine de notre pensée est quasiment illimité. *Mais le domaine de notre action réelle est beaucoup plus réduit.*
Il est réduit par les circonstances de temps et de lieu ; par notre état de vie ; il s'accroît ou se rétrécit selon les possibilités occasionnelles et l'aptitude à les saisir ; il se mesure aux hommes et aux choses sur lesquels nous avons réellement, à un moment donné, une influence, ou une autorité, ou des moyens d'action.
Oui certes, « travaillons à bien penser » sur toute chose connaissable, mais notre condition humaine fait que nous sommes fort loin de pouvoir *agir* sur tout ce que nous pouvons plus ou moins *connaître.* Caricature : on peut aller au café, traditionnellement dénommé en la circonstance « café du commerce », pour développer toutes les stratégies : pour exposer fortement à nos voisins comment nous conduirions les armées si nous étions le général en chef ; et ce que nous ferions si nous étions le premier ministre ; et ce que nous déciderions si nous étions le pape. On peut même en convaincre les voisins assemblés, et tenir avec eux un meeting, rédiger un manifeste, publier une proclamation, envoyer un ultimatum dictant ce qu'il doit faire au général en chef, au premier ministre ou au pape.
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*Quand on dispose à son gré de la totalité ou de la plus grande partie des moyens de communication sociale les plus puissants,* cela peut constituer une pression objective capable d'obtenir quelque résultat. Mais quand on en est aux catacombes, c'est perdre son temps.
Nous perdons notre temps et nous nous dupons nous-mêmes, dans la situation présente, si nous nous employons à « avertir les évêques », « éclairer le pouvoir civil », « informer le Saint-Siège ». Peut-être quelques personnes sont-elles ou se croient-elles encore en état de le faire : qu'elles le fassent donc, elles verront bien. Mais nous autres, chrétiens du rang, et pensant ce que nous pensons, aimant ce que nous aimons, étant ce que nous sommes, on ne nous demande pas notre avis ; on ne l'attend pas ; on ne le désire pas. A la rigueur, on le fera peut-être figurer une fois ou l'autre, d'ailleurs déformé, trituré, méconnaissable, dans quelque nomenclature plus ou moins statistique ou sociologique, afin de montrer qu'elle est bien complète. Plus souvent, on notera le nom des signataires, s'ils sont prêtres, et on les inscrira au tableau d'avancement pour la prochaine fournée de sanctions canoniques. Mais il n'y a aucune chance humaine, présentement, pour nous, d'être entendu. L'expérience de ces dernières années l'atteste. L'analyse intellectuelle en explique les raisons, ou quelques-unes des raisons.
Tristes raisons. Plus s'approfondit la décomposition de la société civile et de la société ecclésiastique, et moins ceux qui ont proclamé leur « complet désaccord » avec les « prophètes de malheur » acceptent de réviser leur position : l'attitude fondamentale de leur regard sur le monde.
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Ils se persuadent au contraire que « personne ne se serait attendu » à ce qui arrive, ce mot est, dans l'ordre pratique, d'un poids définitif : ils m'ont pas vu les causes, ils n'ont pas accepté de les voir quand c'était un Pie XII qui les leur montrait, ils gardent et garderont, sauf MIRACLE, la conviction instinctive que ce qui arrive est accidentel, fruit de la malchance, de malentendus déplorables, et d'ailleurs inexplicables quand on songe à la bonté du monde, à la bonté de l'homme moderne, à la bonté de la démocratie et à la bonté du progrès...
Au. premier jour du Concile, le 11 octobre 1962, les « prophètes de malheur » ont été brutalement, officiellement, décisivement disqualifiés : on les a ensuite chassés de son univers mental au point d'assurer maintenant que «* personne ne se serait attendu *». Ce n'est pas une injustice (volontaire), ce n'est pas une (volontaire) méconnaissance des faits et de l'histoire la plus récente, c'est une parole profondément sincère, exprimant une évidence subjective. -- Dans la remarque que j'en fais, il ne s'agit pas des personnes, qui n'importent pas, ici, en elles-mêmes. Mais l'important est que ces personnes avaient vu *les causes*, et les avaient dites, et que la suite des événements a montré en outre qu'elles avaient eu raison. Ce sont *leurs raisons*, et non leurs personnes, dont nous demanderions qu'on les prenne enfin en considération, si nous étions en état et en mesure de demander quelque chose. Mais cette demande serait vaine, elle serait tenue pour dépourvue de signification. Car on croit au contraire que l'actuelle autodestruction de l'Église et l'actuelle décomposition de la société moderne étaient imprévisibles : un pur accident, un accident inattendu, incroyable, au point qu'au moment même où l'on évoque en passant son existence on n'arrive pas à se persuader tout à fait de sa réalité, de son étendue, de sa nature exacte.
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Nous sommes là en présence disons d'un phénomène psychologique qui échappe à nos prises, qui échappe à nos discours, qui échappe à nos démonstrations, qui échappe à notre action, qui est hors d'atteinte, bref, *qui ne dépend pas de nous.*
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Détournant nos résolutions pratiques de ce qui ne dépend pas de nous, il nous faut alors faire l'inventaire, chacun pour soi et à sa place, de ce qui dépend de nous. Il faut nous y entraider au niveau des cellules naturelles élémentaires, des petites communautés chrétiennes au plan familial, scolaire, professionnel. *En visant juste :* ce à quoi il faut travailler, c'est à tout ce qui concerne l'éducation intellectuelle et morale, cœur de toute société, de toute civilisation, de toute chrétienté. C'est principalement en matière d'éducation intellectuelle et morale que nous avons été abandonnés, trahis, livrés abominablement par ceux qui devaient nous guider et nous protéger. Leur crime est infini : mais ce n'est plus leur crime, une fois qu'il a été exactement repéré, qui nous importe : c'est ce que nous pouvons faire pour reconstruire, dans nos catacombes. Avec, à la base, au principe et au centre de toute éducation : le catéchisme catholique.
88:135s
CHAPITRE VII
Brochures et livres à votre disposition
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CONCLUSION
### Dans un monde apostat
VOICI le jugement de saint Pie X sur le monde moderne : « *On a tenté de traiter les affaires du monde en dehors du Christ ; on a commencé à bâtir en rejetant la pierre angulaire. Saint Pierre le reprochait à ceux qui crucifièrent Jésus. Et voici qu'une seconde fais la masse de l'édifice s'écroule, en brisant la tête des constructeurs. *» (Encyclique *Jucunda sane,* 12 mars 1904.)
Telles sont, désignées par saint Pie X, les circonstances fondamentales, et interminables, au milieu desquelles nous vivons toujours au XX^e^ siècle.
Le monde moderne n'en finit pas de s'écrouler sur la tête de ceux qui s'acharnent à le « construire », comme ils disent, en rejetant la pierre angulaire qui est le Christ. Et nous, nous avons entrepris tout simplement de déblayer cet immense champ de ruines qu'est devenu le monde moderne où nous vivons. Le déblayer dans l'ordre spirituel : mais, dans l'ordre spirituel, le déblayer tout entier. Comme les premiers chrétiens ont déblayé, au spirituel, mais totalement, le monde païen.
Nous sommes aussi démunis en puissance temporelle devant le monde moderne que les premiers chrétiens l'étaient devant le monde païen ; mais nous sommes autant qu'eux et pour la même raison assurés de la victoire, qui n'est pas la nôtre, mais celle du Christ Notre-Seigneur, victoire déjà acquise par sa Passion et sa Résurrection que le temps liturgique nous fait revivre en ce moment ([^16]).
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Nous voulons déblayer le monde moderne. Qu'on ne nous raconte pas de sornettes à ce propos : « Vous voulez donc revenir à l'âge des cavernes. » Nous parlons de bien autre chose que des perfectionnements matériels dus à l'ingéniosité technique. Il s'agit pour nous du spirituel, et notamment de la culture intellectuelle et morale, naturelle et surnaturelle. Il ne s'agit pas des choses matérielles, mais de l'ordre intellectuel, moral et spirituel que l'homme met dans les choses, et qu'il met d'abord en lui-même.
Les premiers chrétiens ont déblayé le monde païen mais ils n'ont pas pour autant renoncé par exemple à l'invention de la roue : ils ne se sont pas mis à construire des chars avec des roues carrées. En déblayant le monde moderne, nous ne voulons pas revenir matériellement à l'âge des cavernes : nous voulons sortir enfin de L'AGE DES PLUS GRANDES RUINES MORALES DE L'HUMANITÉ, la plus grande et la plus décisive étant son universelle apostasie : car le monde païen était un monde simplement païen, tandis que le monde moderne est un ancien monde chrétien devenu apostat.
Ce monde moderne est plein de furieux combats qui ne sont pas les nôtres. Le libéralisme y est aux prises avec le socialisme : mais le socialisme est sorti du libéralisme comme l'effet de sa cause, et un chrétien n'a rien à faire ni avec le libéralisme moderne ni avec le socialisme moderne.
95:135s
L'Université rationaliste est aux prises avec la révolution culturelle marxiste, mais la révolution culturelle marxiste est la fille de l'Université rationaliste, et nous n'avons rien à faire et rien à voir avec ces combats chaotiques entre responsables du chaos.
\*\*\*
On nous dit gravement, psychologiquement, sociologiquement, que c'est une querelle de générations, une lutte entre générations. Sans doute ; mais précisons c'est une querelle de générations modernes, c'est une lutte entre générations apostates. On peut dire si l'on veut que la lutte entre le libéralisme et le socialisme est la lutte entre le libéralisme *d'hier* et le socialisme *d'aujourd'hui ;* on peut dire que la lutte entre l'Université rationaliste et la révolution culturelle marxiste est la lutte entre l'Université rationaliste *d'hier* et la révolution culturelle *d'aujourd'hui.* Que nous importe, puisque l'apostasie d'aujourd'hui est la fille de l'apostasie d'hier. Cette querelle de générations n'est pas la nôtre.
D'ailleurs ces fameuses querelles de générations, si l'on y réfléchit, c'est-à-dire le combat du fils contre le père et du père contre le fils, sont la chose la plus atroce que Satan ait introduite dans l'histoire de l'humanité. Mais ce combat du fils contre le père et du père contre le fils est le régime inévitable, et en ce sens normal, de l'humanité sans Dieu. Dans la mesure où l'humanité se soustrait à l'adoption divine qui nous est acquise par le Christ Notre-Seigneur, dans la mesure où ainsi l'humanité se retire du régime de la paternité divine, elle entre inévitablement dans le régime d'inexpiables querelles de générations, et de querelles menées dans la nuit.
96:135s
Il n'y a pas de querelles de générations chez les chrétiens, du moins dans la mesure où ils sont chrétiens : il ne peut y en avoir que dans la mesure où ils sont mondains.
Je ne veux pas dire que le soi-disant libéralisme bourgeois et le soi-disant marxisme prolétarien n'aient jamais eu quelque influence sur les chrétiens, car nous vivons dans ce monde moderne, et nous ne savons pas toujours vivre dans le monde *comme n'étant pas du monde,* selon la consigne de saint Paul. Mais à la mesure de notre nécessaire conversion, ces survêtements idéologiques tombent de nous, et nous les voyons tels qu'ils sont : les figures diverses, et divisées entre elles, d'une même apostasie.
C'est-à-dire : cela même qui est à la fois et la culture et la révolution du monde moderne ; cela même que nous voulons déblayer.
\*\*\*
Mais ne vous trompez pas sur ce qui vous attend, et que les vétérans de nos combats connaissent bien. Ce qui vous attend, ce n'est assurément pas que le monde moderne vous tresse des couronnes de lauriers. Vous avez droit d'avance à toutes les persécutions dont le monde est capable, les plus insidieuses et les plus exquises, ces dernières venant ordinairement de ceux que saint Paul appelle les faux frères. Car déblayer le monde moderne, sa culture et sa révolution, est un projet facile à exposer avec des mots et entre nous.
97:135s
Mais en sortant de ce Congrès vous aurez à déblayer le monde moderne dans la vie de chaque jour, au milieu des autres, et selon votre devoir d'état ; en commençant par les devoirs d'état les plus modestes, les plus humbles, les plus quotidiens, qui sont aussi les plus indispensables. Les grands devoirs éclatants dont rêvent avec fierté les plus jeunes d'entre vous viendront vous chercher en leur temps, s'ils doivent venir. Mais considérez saint Pie X : c'est surtout en accomplissant son obscur devoir quotidien de vicaire et de curé de paroisse qu'il a appris, sans savoir qu'il l'apprenait ainsi, à être Pape ; et un saint Pape. Et un Pape méconnu, voire méprisé, même par des catholiques, et même après et malgré sa canonisation. Ce qui vous attend, ce n'est pas la gloire selon le monde, et peut-être même pas la victoire selon le monde.
Ce qui vous attend, c'est la difficulté, c'est l'incompréhension, c'est la contradiction. Il vous arrivera de rencontrer aussi la peur, de la rencontrer masquée, bien sûr, de faux prétextes : mais ce sera bien la peur, et vous aurez à lui répondre, selon le chant de marche et de combat des soldats du Christ-Roi
*Nous n'avons qu'une peur au monde*
*C'est d'offenser Notre-Seigneur.*
Ce chant de marche et de combat, vous pouvez en faire votre chant. Car n'attendez pas du monde qu'il vous distribue ses honneurs et sa considération. A vous aussi ce qui est promis, c'est vos noms voués au déshonneur, au déshonneur selon le monde. Le monde païen a déshonoré les premiers chrétiens, il les a représentés et traités comme des brigands : comme il a fait d'abord pour Jésus lui-même.
98:135s
Il les a accusés de l'incendie de Rome et de mille autres crimes, il les a ridiculisés et dénoncés comme une petite secte (une petite secte intégriste, si je puis dire). Mais le monde païen a été déblayé. Et le monde moderne, avec sa fausse culture et sa vraie révolution, sera déblayé lui aussi -- au même prix.
Et lorsque chemin faisant vous rencontrerez le mépris, comme il vous l'a été annoncé en saint Matthieu on vous insultera, on vous persécutera, on vous calomniera de toutes les manières, on livrera vos noms au déshonneur selon le monde, bienheureux serez-vous alors, et vous chanterez.
Vous chanterez avec les soldats du Christ-Roi Nous n'avons qu'un honneur au monde C'est l'honneur de Notre-Seigneur.
============== fin du supplément 1 au numéro 135.
[^1]: -- (1). *Le Figaro* du 18 avril 1969 ; *Le journal la croix* du 19.
[^2]: -- (1). Encyclique Jucunda sane, 12 mars 1904.
[^3]: -- (1). Deuxième sermon pour la fête de la Conception de la Sainte Vierge, « second point ».
[^4]: -- (1). Sur cette nouvelle sorte de « catacombes », voir notre livre : *L'hérésie du XX^e^ siècle,* pages 89 à 94.
[^5]: -- (1). Cf. *Jean* OUSSET : *Rétablir le pouvoir temporel chrétien du laïcat.*
[^6]: -- (1). Mais qui en cas de nécessité peut être donné par un laïc, homme ou femme, par un hérétique, par un infidèle, pourvu qu'il en accomplisse le rite et qu'il ait l'intention de faire ce due fait l'Église.
[^7]: -- (1). *Le journal la croix,* 23 mai 1969, page 12 ; *Documentation catholique* du 15 juin, page 597.
[^8]: -- (1). Le journal la croix, 23 mal 1969 ; *Documentation catholique* du 15 juin, page 596.
[^9]: -- (1). Un volume de 176 pages : *Jésus sauveur, espérance des hommes aujourd'hui. Épiscopat français, Assemblée plénière, Lourdes 1968.* Paru aux Éditions du Centurion-Bonne Presse, dépôt légal 1^er^ trimestre 1969.
[^10]: -- (1). Textes et commentaires dans « Situation de l'épiscopat », numéro 129 d'*Itinéraires* (janvier 1969). -- Cette même Assemblée fut celle de la fameuse NOTE PASTORALE, citée et commentée dans le même numéro.
[^11]: -- (1). *L'Homme nouveau* du 5 janvier 1969.
[^12]: -- (1). *Documentation catholique* du 4 novembre 1962, col. 1380.
[^13]: -- (2). *Documentation catholique* du 5 janvier 1969, col. 12.
[^14]: -- (1). Sur la piété naturelle, voir notre étude : « La civilisation dans la perspective de la piété », numéro 67 d'*Itinéraires*, novembre 1962 (numéro spécial sur la civilisation chrétienne : ce numéro n'est pas épuisé).
[^15]: -- (1). Cf. notre ouvrage : *L'hérésie du XX^e^ siècle,* pages 179-184 et 222-223 ; cf. aussi les pages 131-135.
[^16]: -- (1). Ce texte est la seconde partie d'une allocution prononcée au Congrès de Lausanne, le Samedi-Saint 1969 : d'où son style « oral », et cette allusion datée.