# 139-01-70 1:139 ### 1970 : année du septième centenaire de la mort de S. Louis La première vertu de saint Louis, c'est la piété. Cette piété n'était ni aveugle ni servile ; elle ne faisait pas de lui un instrument servile du clergé. On voit en effet dans son histoire qu'il sut résister plusieurs fois à des évêques, et même aux évêques réunis qui lui demandaient des choses injustes ; il sut résister même au pape. Sa piété, en un mot, ne fut jamais de la faiblesse. Fustel de Coulanges. 2:139 Pour l'année du septième centenaire de la mort de saint Louis, l'ATELIER DOMINIQUE MORIN réédite l'une des « leçons à l'Impératrice » de Fustel de Coulanges intitulée : *Saint Louis et le prestige de la royauté.* Nul mieux que Fustel de Coulanges n'a montré que ce prestige français fut un prestige essentiel­lement moral. Cet ouvrage est en quelque sorte le livre par excellence du septième centenaire ; nous le re­commandons aux familles et aux écoles. On le commandera non point à la revue, mais directement à l'ATELIER DOMINIQUE MORIN, 27, rue Maréchal Joffre, 92 Colombes (C.C.P. 82.86.67). L'exemplaire est envoyé *franco* au prix de 8,50 F (prix spécial pour les lecteurs se recom­mandant d'ITINÉRAIRES). \*\*\* Nous reproduisons aux pages ci-après la pré­sentation des éditeurs, expliquant la portée actuelle de cet ouvrage de Fustel de Coulanges. 3:139 ### Le livre du septième centenaire *Les éditeurs au lecteur bienveillant* Nous vous présentons cet ouvrage de Fustel de Coulanges pour deux raisons principales. La première est qu'il est un chef-d'œuvre de notre littérature historique ; la seconde, qu'il répond par un exemple éclatant aux besoins de notre époque. Depuis la Révolution française nous en sommes peut-être à notre vingtième constitution de l'État, après une quinzaine de révolutions triomphantes ou avortées. Il est avéré que la France n'a jamais retrouvé la paix intérieure, ni la justice entre les citoyens ; et les révolutions sont des efforts successifs et incohérents pour retrouver un équi­libre social. Elles ont toutes échoué à cause des idées fausses qui régnaient alors et qui, régnant toujours, ne peuvent, qu'en­tretenir le désordre. Elles peuvent se réduire à deux d'abord la croyance à la bonté naturelle de l'homme ; les réformateurs les mieux intentionnés ont échoue pour n'avoir pas tenu compte du péché originel et leurs propres amis les ont qualifiés d' « utopistes ». Ensuite la croyance au progrès continu, irrésistible et fatal de l'humanité, ce qui permet aux hommes vivants de se contempler comme ce qu'il y eut jamais de mieux dans l'espèce humaine. 4:139 Il y a confusion entre les progrès matériels de l'huma­nité, voulus par Dieu, certes, qui s'additionnent, s'accu­mulent et arrivent à modifier les conditions extérieures dans lesquelles les hommes sont amenés à vivre. Il leur faut donc changer pour s'y adapter. Mais les progrès moraux dépendent des lois stables de la nature humaine. Il ne peut y avoir de famille sans subor­dination et sans respect mutuel. Il ne peut y avoir de société si on s'y vole et entretue. Il faut donc ici, au lieu de poursuivre le changement en mieux comme fait notre outillage, conserver des règles qui ne changent point. Et si on veut s'adapter au progrès matériel sans se préoccuper en même temps de protéger et conserver la loi morale naturelle, on aboutit aux sociétés instables et corrompues comme celle dans laquelle nous vivons. \*\*\* Or l'histoire nous apprend qu'il y eut de tout temps des sociétés heureuses et prospères, malgré la rusticité de la vie et les moyens très pauvres dont disposaient nos an­cêtres. Ces époques sont celles d'un équilibre social res­pecté. Le Play, dans la préface de son livre sur la *Réforme sociale* écrit ce qui suit au sujet des autorités sociales naturelles, qui peuvent être soit un agriculteur respecté dans un village, soit le maire d'une petite ville, ou un in­dustriel ayant fourni de l'ouvrage à une jeunesse surabon­dante : 5:139 « *Elles appartiennent à toutes les classes, aux pay­sans comme aux grands propriétaires. Toutes se recon­naissent à une aptitude saisissante : dans le cercle de leur influence, elles résolvent sûrement le grand problème, qui consiste à faire régner la paix publique sans le secours de la force. Pour atteindre ce but, elles emploient toutes les mêmes moyens : elles donnent le bon exemple à leur loca­lité, en inspirant à leurs serviteurs, à leurs ouvriers et à leurs voisins le respect et l'affection.* « *Quand elles agissent en toute liberté, elles créent des sociétés stables et prospères, mais quand elles sont para­lysées par les gouvernements et les constitutions écrites, elles ne peuvent conjurer ni les révolutions, ni la déca­dence. Les autorités sociales opèrent en effet, comme les grands réformateurs de tous les temps : elles ne mani­festent guère la vérité que par leur pratique. *» Saint Louis se contenta, dit Fustel, d'être un honnête homme, c'est-à-dire qu'il respecta et par là même fit res­pecter la loi naturelle entre les citoyens ; il sut faire respecter, suivant les contingences sociales de son temps, les contrats, l'équilibre entre les communes affranchies et la noblesse. C'est sous son règne qu'Étienne Boileau rédigea le *Livre des Métiers* qui est pour son temps ce code du travail que le maréchal Pétain commença de rédiger. Mais le titre même d'Étienne Boileau montre une adapta­tion à la diversité du réel qu'un code trop général et rigide ne saurait avoir. \*\*\* Certes, les prédécesseurs de S. Louis avaient préparé sa tâche. Philippe-Auguste fut un grand roi comme Henri IV, pas davantage porté à la sainteté que son lointain suc­cesseur. Mais, le soir de Bouvines, Philippe-Auguste, qui s'était battu avec les milices des communes, écrivit trois lettres, une à son fils qui vingt-cinq jours auparavant avait battu sur la Loire l'armée du roi d'Angleterre, une autre à l'Université de Paris alors en train de se constituer sur la montagne Sainte Geneviève : « *Louez Dieu,* *mes très chers amis !* disait-il, *car nous venons d'échapper au plus grand danger qui nous puisse menacer. *» 6:139 La troisième lettre était adressée au prétendant à l'Empire ; il lui envoyait les débris de l'aigle d'or de l'empereur Othon. Nous venions d'échap­per à la première coalition européenne contre la France. Les milices communales étaient avec le roi sur le champ de bataille et avec la noblesse aussi. Après un combat haras­sant sous le soleil de juillet et où il avait failli perdre la vie, Philippe ne négligea pas les utilités de la politique étrangère, mais songea au grand ordre de son royaume qui ne combattait pas. Il écrivit à ceux qui fondaient alors la grande théologie classique à l'aide de la philosophie na­turelle de l'esprit humain. Notre-Dame de Paris était ache­vée à l'intérieur ; on travaillait à la grande façade. S. Louis enrichit ces notions saines du gouvernement des hommes par l'éclat de sa sainteté, et prouva qu'en tout temps et quelles que fussent les institutions que l'histoire impose à telle ou telle époque, la paix et la justice sociales peuvent être respectées à condition qu'on observe les dix commandements. En ce moment même des universités libres renaissent pour enseigner ces vérités. La source longtemps tarie re­paraît, c'est le moment le plus grave de notre histoire depuis 1789. 7:139 ### *Avis à nos lecteurs* *La réédition intégrale que nous avions faite en 1967 du* CATÉCHISME DE S. PIE X *est épuisée.* *La réédition que nous venons de faire, par notre numéro 136, du* CATÉCHISME DU CONCILE DE TRENTE *sera bientôt épuisée.* *Il y a là plusieurs choses à examiner et à comprendre ; il y a des leçons à en tirer.* *Nous invitons chacun de nos lecteurs à lire attentivement à ce sujet les indi­cations, explications et réflexions qui figurent à la fin du présent numéro dans la rubrique* «* Avis pratiques *». 8:139 ### Mise en garde Nous devons renouveler la mise en garde que nous avions déjà faite au sujet des catéchismes français de 1937 et de 1947. Face à la nouvelle religion du nouveau catéchisme -- qui a été éditorialement définie par le fameux Bulletin diocésain de Metz : « *il y a un nouveau catéchisme parce qu'il y a un monde nouveau *» -- on a parfois trouvé plus commode, plus facile ou plus habile de se retran­cher sur l' « ancien catéchisme », sur le « catéchisme national » de 1947 ou sur celui de 1937. Nous avons des raisons graves de le déconseiller absolument. Ces raisons, nous les avions déjà données, notamment aux pages VII à XI de notre brochure : *Le nouveau catéchisme* (3^e^ *édition*)*.* Nous les donnons à nouveau, à l'intention de ceux qui les auraient oubliées ou négligées. \*\*\* Pour comprendre ces raisons, il faut d'abord se rap­peler que les trois CONNAISSANCES NÉCESSAIRES AU SALUT sont données par la triple *explication* du Credo, du Pater et des Commandements : ce sont là trois des quatre points obligatoires, selon le Concile de Trente, de tout catéchisme catholique (cf. là-dessus la brochure : *Notre action catholique,* chapitre III : « Les trois con­naissances et les quatre points »). 9:139 Un tel catéchisme n'est point « abstrait » au sens péjoratif du terme. Il est au contraire fondé sur l'une des plus anciennes, des plus fécondes, des plus nécessaires, des plus concrè­tes méthodes pédagogiques : *l'explication de textes.* Et cette explication concerne les textes essentiels que le petit chrétien sait par cœur et qu'il doit utiliser *chaque jour dans sa vie :* le Credo et le Pater dans sa prière, les Commandements dans son examen de conscience. \*\*\* La « déviation abstraite » reprochée par les nova­teurs (non sans quelque raison) au catéchisme « ancien » ne réside pas dans ce plan et ce contenu traditionnels du catéchisme catholique. C'est une déviation récente. Elle se fit jour dans la mesure et à partir du moment où l'Église de France s'était *écartée du catéchisme ro­main.* Ce n'est pas une histoire tellement ancienne : il faut la rappeler, car il importe de la connaître pour com­prendre la crise actuelle du catéchisme. \*\*\* L'évêque étant docteur de la foi pour son Église diocésaine, chaque diocèse de France avait son catéchis­me jusqu'en 1937. 10:139 Ces catéchismes diocésains s'inspiraient plus ou moins directement, plus ou moins heureusement de l'unique Catéchisme du Concile de Trente. Littéralement, ils étaient plus ou moins différents les uns des autres. D'où un inconvénient pratique pour les enfants qui changeaient de diocèse pendant leurs années de catéchisme : inconvénient qui préoccupa l'épiscopat français « aux environs des années 30 » ([^1]), en raison de la mobilité croissante de la population. En quoi l'épiscopat français était déjà « en retard » : cette préoccupation avait été celle de saint Pie X *un quart de siècle plus tôt.* En publiant pour les diocèses de la Province de Rome le catéchisme qui porte son nom, saint Pie X exprimait le vœu et formulait l'espoir que les évêques du monde entier, ou au moins ceux d'Italie l'adopte­raient chacun pour sa part : « Nous avons confiance que les autres diocèses vou­dront aussi l'adopter *pour arriver ainsi à ce texte unique, au moins pour toute l'Italie, qui est dans le désir de tous. *» ([^2]) Un quart de siècle plus tard, on commença en France à prendre en considération ce désir et ce besoin. \*\*\* Or j'ai personnellement connu l'un des experts alors consultés : l'abbé. V.-A. Berto. Je tiens de sa bouche que par lui au moins (et peut-être par d'autres) fut donné l'avis suivant : 11:139 *-- Si l'on renonce aux catéchismes diocésains, il faut alors adopter en France le catéchisme romain : le Ca­téchisme de Pie X* (qui n'était pas encore saint Pie X). Cette solution fut écartée. A cause de Pie X. L'opposition à sa personne, à sa mémoire, à sa doc­trine était très puissante dans les milieux dirigeants de l'Église de France (cette opposition n'a d'ailleurs fait qu'y grandir depuis sa canonisation...). On voulait un catéchisme « français ». On eut donc le « Catéchisme à l'usage des diocèses de France », publié en 1937. Repoussant un projet qui se présentait (déjà) comme « plus évangélique » que l'enseignement traditionnel, le cardinal Verdier avait déclaré : -- *Ce que nous voulons, c'est le catéchisme de l'Égli­se : dogme, morale, sacrements* ([^3])*.* En quoi le cardinal Verdier se trompait. Il se trompait non quant à l'intention : vouloir le catéchisme *de l'Église.* Mais il se trompait sur la pédagogie traditionnelle de l'Église. Le catéchisme de l'Église romaine n'est pas ainsi composé : « dogme, morale, sacrements ». La formule erronée du cardinal Verdier a été mal­heureusement exhumée en 1968 et répétée un peu partout. Contre le catéchisme falsificateur, on s'est mis à réclamer un catéchisme qui enseigne « le dogme, la morale, les sacrements ». 12:139 Mais le Catéchisme du Concile de Trente ne comporte point ces trois parties-là : « dogme, morale, sacre­ments ». Il en comporte quatre : -- l'explication du Credo ; -- l'explication du Pater ; -- l'explication des Commandements ; -- les sacrements. Le Catéchisme de S. Pie X est lui aussi fondé princi­palement sur ces trois explications de textes et ces quatre parties. En France, au lieu de continuer à fonder le catéchis­me sur une *explication de textes* concernant les trois textes religieux les plus QUOTIDIENS, les plus FAMILIERS en même temps que les plus nécessaires et les plus officiels, on allait se mettre à enseigner aux enfants « *le dogme *» et « *la morale *». Leur enseigner « le dogme » comme à des étudiants en théologie. Leur enseigner « la morale » comme à des étudiants en philosophie. (Et abandonner l'éducation de la vertu théologale d'espérance que procure l'expli­cation du Pater.) C'était passer du *concret vécu* à un *intellectualisme* excessif et prématuré. Les partisans d'un catéchisme « plus évangélique » purent *alors,* avec quelque raison, reprocher à ce ca­téchisme français d'être devenu trop « abstrait ». -- Plus « abstrait », à vrai dire, par son plan, par son orientation, par sa présentation que par son contenu ; mais c'était bien un catéchisme *en train de perdre le contact avec le concret vécu du Credo, du Pater, des Commandements.* \*\*\* 13:139 On prétendit remédier à cette « abstraction » excessi­ve dans l'édition « revue et corrigée » du catéchisme national de 1947. Mais on était déjà enfoncé dans le verbiage. On ne revint donc pas au concret de la vie religieuse quotidienne : Credo, Pater, Commandements. On se contenta de *changer les mots.* A la place de « dogme », on écrivit : « Les vérités que Jésus-Christ nous a enseignées », et ainsi de suite. Dans ce catéchisme de 1947, on expliquait encore (un peu) les Commandements. Les articles du Credo étaient cités davantage comme ornement épigraphique que comme texte à expliquer point par point. Et le Pater était expédié avec *huit lignes* de para­phrase pour toute explication ! \*\*\* En notre siècle marqué d'abord par *le recul de l'es­pérance surnaturelle* (recul qui s'est produit, *même dans les catéchismes,* depuis un demi-siècle environ), c'est le *premier test* que vous devez faire subir aux caté­chismes que vous choisissez : comportent-ils une expli­cation du Pater ? Une véritable explication ; point par point ; non pas une dizaine de lignes, ou une page ou deux, survivant à titre de butte-témoin. Cette explication point par point du Pater est, selon la tradition de l'Église, l'adéquate *éducation catéchéti­que* de la vertu d'espérance. Ce que peut être cette explication, ce qu'elle doit être, vous le trouverez dans le Catéchisme du Concile de Trente ; vous le trouverez dans le Catéchisme de S. Pie X ; vous le trouverez dans le Catéchisme de la famille chrétienne du P. Emmanuel. 14:139 Si le test est négatif, si le catéchisme que vous vous proposiez d'adopter ne comporte pas cette explication détaillée du Pater, *cela suffît pour ne point l'adopter,* et nous vous recommandons instamment de ne l'adopter point ([^4]). \*\*\* Le refus initial de l'épiscopat français, en 1937, *le refus du catéchisme romain,* a progressivement porté ses conséquences : ses conséquences visibles, ses consé­quences mystérieuses. A savoir : *la décadence conti­nuelle, ininterrompue depuis lors, sans cesse accélérée du catéchisme* « *français *». Jusqu'à en venir à l'état de confusion dernière et de dernier dénuement où il se trouve aujourd'hui. Entre 1930 et 1937, l'occasion s'était offerte d'adopter en France le catéchisme romain. L'épiscopat français ne le voulut point. Depuis ce refus, à cause de ce refus, notre « catéchis­me national » s'est peu à peu désintégré. \*\*\* Ce n'est donc point le pseudo « ancien catéchisme », ce n'est point le « catéchisme français » de 1947 (ni celui de 1937) que nous réclamons, que nous regrettons ou que nous recommandons. 15:139 Sans doute, il était encore un catéchisme catholique, alors que nous en sommes arrivés à un quelque chose qui n'est plus ni catholique, ni catéchisme. Mais c'était un catéchisme *déjà malade.* Le catéchisme que nous réclamons, celui que nous recommandons à nos lecteurs et que nous avons mis à leur disposition, c'est le catéchisme romain ; pour trois motifs : 1° son contenu doctrinal authentique ; 2° le réalisme surnaturel de sa pédagogie ; 3° l'autorité du Magistère et de la Tradition qui le garantissent et le proposent. Ce catéchisme romain est celui qui *n'était plus em­ployé en France depuis plusieurs générations.* Ne retombons pas dans le refus des années 30. Ne retombons pas dans le catéchisme « français », et *malade,* de 1937 ou de 1947. \*\*\* Le catéchisme romain, nous vous l'avons proposé et nous vous le proposons sous trois formes principales : ##### 1. -- *Le Catéchisme du Concile de Trente* C'est notre numéro 136 (un volume de 584 pages). On peut encore nous le commander (25 F franco l'exemplaire). Nous conseillons aux utilisateurs de le faire relier. On peut aussi en trouver des exemplaires reliés aux Nouvelles Éditions Latines. ##### 2. -- *Le Catéchisme de S. Pie X* C'est notre numéro 116, qui est maintenant épuisé (400 pages). Tous nos abonnés de 1967 l'ont reçu à l'époque. Voir *l'Avis aux lecteurs* qui figure ci-dessus page 7, et les *Avis pratiques* à la fin du présent numéro. 16:139 ##### 3. -- *Le Catéchisme de la famille chrétienne* C'est le catéchisme du P. Emmanuel, pour la première fois publié en volume. Il n'a pas pété publié par la revue ITINÉRAIRES, mais par l'ATELIER DOMINIQUE MORIN. Si l'on a déjà plusieurs autres catéchismes, celui-ci *ne fera pas double emploi avec eux.* Si l'on préfère n'avoir qu'un seul livre de catéchisme, *c'est celui-ci que nous recommandons.* C'est le catéchisme de la famille, c'est le catéchisme en famille, il est pour les parents et pour les enfants, pour les grands et pour les petits. L'exemplaire : 25 F franco, à commander à l'ATELIER DOMI­NIQUE MORIN, 27, rue Maréchal Joffre, 92 -- Colombes (C.C.P. Paris 82.86.67). \*\*\* Le catéchisme catholique, le vrai ! est à la base, au principe et au centre de toute éducation morale, de toute action culturelle, de toute formation civique. Faire qu'il continue en dépit de tout, c'est *notre ac­tion catholique,* expliquée avec tous les renseignements nécessaires dans la brochure qui porte ce titre. Et c'est aujourd'hui notre action principale. J. M. 17:139 ### Congrès de Lausanne 1970 *Patries, Nations, États* 3 avril -- *Amédée d'Andigné :* Rapport introductif. -- *Marcel Clément :* La vocation des nations dans le plan de Dieu. -- *Herbert Gillessen :* A la recherche de la patrie perdue. -- *Jean Beaucoudray :* Élites civiques et vie politique des nations. 4 avril -- *José Bayolo Pachemo de Amorin :* Le concept de nation. 18:139 -- *Marcel De Corte :* L'État et le dynamisme de l'éco­nomie. 5 avril *-- Hamish Fraser *:.Autonomie des nations et action coordinatrice de l'État. -- *Jean Ousset :* Unité spirituelle et union nationale. *L'horaire de la dernière journée du Congrès a été amé­nagé pour le cas où la rentrée scolaire serait maintenue le lundi 6 avril au matin pour la France : cet horaire per­met éventuellement aux congressistes de voyager dans l'après-midi du 5 avril pour le retour.* Pour tous renseignements complémentaires et ins­criptions, s'adresser au Secrétariat des Congrès, 49, rue Des Renaudes, Paris-17^e^. 19:139 ### Préambule : lettre à un évêque 28 novembre 1969 Monseigneur, Je suis très ému par votre message du 22 no­vembre qui en quelques lignes me confie vos pensées et décrit le désastre présent. Ce désastre est l'ouvre d'idées fausses, c'est évident : mais par l'intermédiaire d'une cama­rilla toute puissante dans l'Église. Et cette camarilla est protégée, appuyée, en­couragée par XXX, -- si même il n'en est pas le chef. Vous me dites que de nombreux évêques du monde entier se rendent compte de la situation très bien, mais où sont-ils ? 20:139 Vous vous souvenez peut-être, Monseigneur, qu'en d'autres circonstances, et jusqu'à l'affaire du catéchisme inclusivement, j'ai directement et indirectement donné l'avis à des ecclésiastiques qui me le demandaient, et quelquefois peut-être à des ecclésiastiques qui ne me le deman­daient pas, de se tenir tranquilles : c'est-à-dire de ne pas se découvrir inutilement par des déclarations publiques, de ne pas se dési­gner eux-mêmes sans nécessité à une persé­cution dont je savais la puissance et la déter­mination. Je disais : laissez-nous faire, nous laïcs, nous sommes plus libres et moins vulnérables. Je sais que cet avis n'a pas toujours été compris ; et notre action, bien réelle quoique volontairement peu spectaculaire, notamment en matière de ca­téchisme, n'a pas toujours été comprise elle non plus par quelques-uns qui nous soupçonnaient de faiblesse ou d'indifférence. Peu importe, ce qui compte ce sont les familles chrétiennes que nous avons ARMÉES : non de discours, mais de caté­chismes catholiques, avec des indications précises sur la manière de s'en servir. Je ne reviens là-dessus que pour souligner davantage L'AVIS DIFFÉRENT que j'ai maintenant au sujet de LA MESSE. C'est d'ailleurs moins un avis qu'un appel : un appel urgent, un appel au secours ; non pour moi, mais pour le peuple chrétien. Pour la messe, il faut que des évêques parlent publiquement. Je ne leur demande évidemment pas d'attaquer la personne de (...) : qu'ils mettent cette personne entre parenthèses, mais qu'ils s'élè­vent contre l'acte de l'ORDO MISSÆ et contre la doctrine qu'implique (ou parfois qu'énonce) cet acte incroyable. 21:139 A l'heure actuelle, un seul prêtre français, l'abbé Georges de Nantes, et dans le monde entier deux cardinaux seulement ont parlé ouvertement. La longue note donnée par « un groupe de théolo­giens » dans LA PENSÉE CATHOLIQUE est d'un con­tenu très utile : mais elle demeure anonyme. Pour la messe, nous avons besoin de témoins qui disent leur nom, et qui mettent dans la balance leur personne et s'il le faut leur vie. Qu'ils parlent ! Qu'ils parlent sans doute de la manière respectueuse qui est celle du cardinal Ottaviani, de la manière objective qui est celle du « groupe de théologiens ». On ne leur demande pas d'attaquer qui que ce soit ; on leur demande de défendre ce qui doit être défendu. Quand des prêtres abandonnent le catéchisme, les laïcs peuvent très bien le faire sans eux. Quand des prêtres abandonnent la messe de toujours, nous ne pouvons pas, nous autres laïcs, la célébrer à leur place. Cette différence fondamentale, tenant à l'es­sence de la sainte messe et à l'essence du sacerdoce catholique, met obligatoirement, cette fois, le cler­gé au premier rang du combat : ou plutôt, dans le clergé, ceux qui sont revêtus de la plénitude du sacerdoce. Le premier rang va-t-il rester désert ? J'imagine qu'un cardinal Pie, qu'un Dom Gué­ranger parleraient aujourd'hui à haute voix et sous leur nom. Si ce que dit le cardinal Ottaviani est vrai, la messe a besoin de témoins : c'est l'heure, c'est maintenant. 22:139 Il ne s'agit point au demeurant de prendre une véritable initiative : le cardinal Ottaviani est passé devant, il ne s'agit que de le suivre, de té­moigner avec lui, de ne pas le laisser seul. Mais il s'agit tout de même d'une responsabilité à assumer. Car ce que le peuple chrétien attend des évêques dont je réclame qu'ils parlent, ce n'est pas d'abord ou ce n'est plus uniquement qu'ils se joignent au cardinal Ottaviani pour demander à Paul VI l'abrogation du nouvel ORDO MISSÆ. Ce que l'on attend, c'est l'indication des conséquen­ces pratiques que les fidèles doivent tirer, dans leur vie de chaque jour, des affirmations énoncées par le cardinal Ottaviani. Ce que l'on attend, c'est une parole intelligible et claire qui dise avec net­teté quelle attitude précise, hebdomadaire, quo­tidienne, l'on peut ou l'on doit adopter à l'égard des diverses messes qui, en droit et en fait, nous sont maintenant offertes. On attend que des évêques prennent la respon­sabilité publique de déclarer qu'il n'y a aucun péché pour les prêtres et les fidèles qui continuent en dépit de tout à célébrer la messe selon le Missel romain. 23:139 La théologie et le rite de la messe selon le Concile de Trente ne sont pas frappés d'interdit ; ils ne sont, ils ne peuvent être décrétés schisma­tiques ; l'instinct de la foi le proclame avec évi­dence et résolution. Mais l'instinct de la foi en demande la confirmation explicite aux évêques catholiques, et se prendrait à douter de lui-même, ou qui sait du sacerdoce, si décidément il ne se trouvait aucun évêque pour donner au peuple chrétien la charité d'un clair témoignage, vérita­blement pastoral, lui disant quoi faire et comment faire dans les circonstances actuelles. Il faut qu'un évêque nous dise que la nouvelle messe, si elle peut être acceptée quand l'action principale en est présumée valide, ne peut toute­fois être acceptée QUE SOUS RÉSERVE : sous réserve du jugement définitif de l'Église, -- ce jugement clarificateur et souverain qui est manifestement appelé par tout le système de confusions inextri­cables issues du Concile et grandies sous le règne actuel. Que cette acceptation sous réserve est commandée par la nécessité de ne point nous pri­ver du sacrement de l'Eucharistie, aussi longtemps qu'il nous sera distribué d'une manière présumée valide. Mais que cette RÉSERVE, d'abord intérieure, doit être vigilante, pour ne pas dériver nous aussi dans le courant de ce que le cardinal Ottaviani a nommé « un impressionnant éloignement » à l'égard de la théologie catholique de la messe, et pour éviter d'en venir, comme les nouveaux rites nous y laissent aller, à confondre le sacrifice de l'autel avec une simple commémoration. 24:139 Et que cette réserve intérieure, pour ne pas rester un sentiment vague et fragile, devra s'exprimer, avec dignité et fermeté, notamment par un refus visi­ble de participer aux dialogues, gesticulations et chœurs, pour le moins suspects, dont on veut maintenant entourer l'action principale. Et qu'en­fin il est mieux, toutes les fois qu'on le peut, de participer à une messe CERTAINEMENT CATHOLIQUE EN TOUS POINTS, la messe d'avant la « réforme » liturgique, la messe dite de saint Pie V. Tout cela, bien entendu, je le dirai, Monseigneur, sous ma responsabilité, parce que mes lecteurs me deman­dent mon sentiment et ont le droit de le connaître ; mais ce n'est de ma part qu'une opinion ; je n'ai aucune autorité en la matière, et point d'autre devoir que de donner mon opinion, en précisant d'ailleurs qu'elle est aussi une conviction mûrie, raisonnée, ferme ; j'entrerai même dans le détail des multiples moyens par lesquels la réserve né­cessaire pourra se manifester pour ne point faiblir ou s'interrompre. Mais le peuple chrétien est-il donc condamné à n'avoir rien de plus, pour le soutenir et le guider dans la crise présente, que des opinions ? Restera-t-il privé de la parole au­torisée d'un évêque ? Les « nombreux évêques » dont vous me parlez, et dont vous m'assurez qu'ils sont en plein accord avec le cardinal Ottaviani, vont-ils fermer leur cœur à l'appel au secours qui du peuple chrétien monte vers eux ? Voilà du moins l'état de mes pensées. 25:139 Je vous l'ai toujours livré, vous le savez, Mon­seigneur, tel qu'il est, sans fard aucun : plus sou­vent il est vrai dans un passé qui commence à s'éloigner (mais qui ne s'éloigne pas dans mon souvenir) que dans un passé plus récent, où je ne sais quels facteurs, sans doute géographiques, avaient à ma grande tristesse raréfié les commu­nications. Je me réjouis de la bonté par laquelle vous avez, Monseigneur, pris l'initiative de les rétablir entre nous. Daigne Votre Excellence agréer l'hommage filial de ma très respectueuse et très fidèle affection. Jean Madiran. 26:139 ### Sous réserve, pas plus L'OBLIGATION COMMENCE en France le 1^er^ jan­vier 1970. Bien que la nature, la portée, voire la réalité de cette obligation demeurent juridiquement obscures et incertaines, nous allons nous trouver devant une situation générale : la plupart de nos paroisses ont annoncé leur intention d'adopter la messe nouvelle ; elles l'ont même adoptée, quand elles ont pu en avoir les textes, dès le 30 novembre, avant l'entrée en vigueur de l'obligation. La plupart des fidèles risquent donc de n'avoir désormais à leur disposition d'autre messe que celle-là. Que faire dans une telle situation ? La question nous est posée de toutes parts. Je n'ai pas qualité pour y répondre avec au­torité. Je ne puis donner rien d'autre qu'une opinion, n'engageant que moi-même, simple laïc du rang, pécheur très ordinaire, de science limitée, de juge­ment faillible, mais chargé du poids de la con­fiance que me font les lecteurs qui m'interrogent depuis six mois. 27:139 Que le simple directeur d'une revue de cul­ture générale ait aujourd'hui à faire face à de telles interrogations, cela manifeste qu'on ne sait plus qui interroger, -- ou à quel point on a inter­rogé en vain. Comme on le sait sans doute, les prêtres qui nous honorent de leur amitié et dont nous aimons écouter et peser les conseils, et spécialement par­mi eux les liturgistes, canonistes ou théologiens, ne sont pas tombés d'accord sur *l'attitude pra­tique* à recommander aux fidèles à l'égard de la nouvelle messe. \*\*\* Telles sont les circonstances qui m'amènent à publier mon *opinion.* Il y a des degrés dans l'opinion. Celle-ci est une ferme *conviction,* préparée pendant plusieurs mois, éprouvée et méditée depuis plusieurs se­maines, et je la motive explicitement. 28:139 **I. -- **Il m'apparaît absolument impossible en conscience que l'acceptation de la nouvelle messe -- là où il y aura possibilité et nécessité de l'accep­ter -- aille jamais plus loin qu'une prudente, circonspecte et désolée acceptation sous réserve. **1. -- **POURQUOI ACCEPTATION. -- Il est à présumer que dans beaucoup de cas l'action consécra­toire, dans la nouvelle messe, demeurera valide, du moins au début et pendant un certain temps. Deux conséquences : a\) il est impossible de mépriser ou d'ignorer cette présence réelle du Christ Notre-Seigneur ; b\) si l'on n'a pas d'autre messe à sa disposi­tion, il n'est pas possible en règle générale de se priver soi-même du sacrement de l'Eucharistie tant qu'il sera distribué d'une manière présumée valide. 29:139 **2. -- **POURQUOI SOUS RÉSERVE. -- Parce que le nou­veau rite de la messe a été fabriqué d'après des définitions explicites qui ne sont plus catho­liques. Page 15 de l'édition vaticane (petit livre rouge) de l'ORDO MISSÆ, la messe est définie comme « la sainte assemblée ou le rassemblement du peuple de Dieu, sous la présidence du prêtre, afin de célé­brer, le mémorial du Seigneur » (numéro 7, pre­mière partie). La présence du Christ à la messe est assimilée à la présence spirituelle promise en saint Matthieu (XVIII, 20) : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, là je suis au milieu d'eux » (numéro 7, seconde partie). La messe catholique n'est pas seulement cela nous le savons par le catéchisme. Page 25 de la même édition vaticane du nou­vel ORDO MISSÆ, la « prex eucharistica » (c'est-à-dire l'ancien canon, avec les paroles de la consé­cration) est définie comme « une prière d'action de grâce et de sanctification » (numéro 54). Or elle n'est pas seulement cela : par le caté­chisme, nous le savons ([^5]). \*\*\* 30:139 Insistons. On nous assure ([^6]) que ce nouvel ORDO MISSÆ n'a pas été « improvisé », mais « éla­boré et longuement discuté par d'éminents litur­gistes ». Si éminents soient-ils, *ils ont énoncé leur idée de la messe* après, donc, longue élaboration, et ils lui ont donné le genre littéraire d'une « défi­nition ». Cette idée de la messe a été contresignée et promulguée. Même si après coup on démentait, annulait ou modifiait cette inacceptable défini­tion, ce serait tout au plus un *aveu :* ce ne serait point une rectification des rites nouveaux qui ont été fabriqués *dans cette intention déclarée, dans la ligne de cette pensée exprimée.* Pour cette rai­son, ces rites appellent au moins une réserve, tra­duisant une suspicion légitime. Le simple fidèle peut ne pas se sentir en état de *se prononcer caté­goriquement* lui-même et pour lui-même sur les problèmes théologiques et canoniques ainsi sou­levés ; mais il ne peut pas se dissimuler qu'il existe au moins un *doute grave* et non résolu. \*\*\* 31:139 Insistons encore. Depuis cinq mois environ, dans les couloirs du Vatican, on ne cesse de con­céder à voix basse que les définitions du numéro 7 et du numéro 54, que nous venons de citer, appellent une retouche. C'est donc qu'à la ré­flexion on n'en est pas très fier ? Mais depuis cinq mois on avait amplement le temps de corriger ces textes qui *offensent* la nature du saint sacrifice. Estimerait-on qu'il n'y a aucune urgence, ou au­cune gravité ? M. le secrétaire Hannibal Bugnini a reconnu, dans *L'Osservatore romano* du 20 novembre 1969, que dans l'*Institutio generalis,* partie intégrante du volume intitulé ORDO MISSÆ, quelques points font difficulté : « Ce n'est pas un texte dogmatique, a-t-il expliqué, mais une pure et simple exposition des normes qui règlent la célébration eucharistique ; on n'a point voulu donner une définition de la messe mais seulement une description du rite. » L'allusion au numéro 7 est aussi claire qu'ina­déquate. M. le secrétaire Bugnini ne dit pas la vérité ; et, selon une méthode abondamment em­ployée, il déclare *une intention* pour escamoter *la réalité objective du texte.* Le numéro 7 se pré­sente comme une définition de la messe : il est en tout cas impossible d'y voir une « description du rite ». Relisons : « *La Cène du Seigneur, appelée aussi la messe, est la sainte assemblée ou le ras­semblement du peuple de Dieu, sous la présidence du prêtre, afin de célébrer le mémorial du Sei­gneur. *» 32:139 Aucun « rite » n'est « décrit » dans cette phrase. On n'y *décrit* rien du tout. On y *définit.* Quelle que soit l'intention, que Dieu connaît, cette phrase *est* une définition ; et une fausse défini­tion ; et une définition qui, non encore corrigée ou abrogée, est déjà enseignée un peu partout comme la nouvelle définition de la messe. M. le secrétaire Hannibal Bugnini ajoute en terminant : « Dans la publication définitive du Missel romain, il sera toujours possible de retoucher quelques expressions de l'*Institutio generalis,* pour en rendre le texte plus clair et plus compré­hensible. » ([^7]) C'est se moquer du clergé et du peuple chré­tiens. Le numéro 7, le numéro 54 ne sont nulle­ment obscurs ; ils n'ont aucun besoin d'être ren­dus plus clairs : ils le sont tout à fait. Ils ne sont pas incompréhensibles, ils sont inacceptables. Les « retouches » ne sont même pas promises elles sont une éventualité possible, rien de plus. Nous en prendrons acte quand elles auront eu lieu ; pas avant. Nous prenons acte du fait qu'elles n'existent pas encore ; et que jusqu'à nouvel ordre *la messe nouvelle demeure placée sous le régime et pro­posée dans la perspective des énoncés du numé­ro 7 et du numéro 54, inacceptables, inchangés.* 33:139 La modification du seul numéro 7 et du seul numéro 54 ne serait au demeurant, il faut le répé­ter, rien de plus et rien d'autre qu'un aveu. Avec ou sans cet aveu, avant comme après lui, une sus­picion radicale est légitime et nécessaire à l'égard de ceux qui ont pu « élaborer longuement » et inscrire de tels énoncés dans une loi de l'Église. M. le secrétaire Hannibal Bugnini se moque du clergé et du peuple chrétiens d'une autre ma­nière encore, quand il concède qu' « il sera toujours possible de retoucher quelques expressions » comme s'il s'agissait d'une malfaçon rédaction­nelle tout à fait marginale et adventice. Il appa­raît au contraire que tous les changements fondamentaux introduits dans la célébration de la messe ont *une seule fonction et un seul résul­tat :* la transformer DE MANIÈRE A LA CONFORMER, AU MOINS PARTIELLEMENT, AUX ÉNONCÉS du numéro 7 et du numéro 54. On pourrait maintenant corriger ou abroger ces énoncés : comme un architecte peut détruire le plan selon lequel il a construit une maison, une fois la maison construite. Tel qu'il est, le nouvel ORDO MISSÆ demeurera *au moins partiellement conformé à ces deux définitions* (*même*) *abrogées.* 34:139 Ces deux définitions, celle du numéro 7 et celle du numéro 54, non cohérentes avec la doctrine du Concile de Trente, sont en revanche parfaitement cohérentes avec les transformations et nouveautés introduites dans les rites de la messe. Il ne suffirait donc pas d'abroger ou de rectifier ces deux défi­nitions : il faudra rectifier ou abroger les fabri­cations qui en sont issues. \*\*\* Insistons enfin, après ces éléments intrinsèques, sur des facteurs extrinsèques. Les publications épiscopales françaises nous répètent à satiété dans quelles intentions, dans quelles pensées, dans quelles perspectives la nou­velle messe est reçue et imposée : « *il y a un catéchisme nouveau parce qu'il y a un monde nou­veau *» ; « *il n'est plus possible, à un moment où l'évolution du monde est rapide, de considérer les rites comme définitivement fixés *» ([^8])*.* Le nou­veau catéchisme français avait déjà donné une nouvelle définition de la messe qui ne faisait qu'anticiper sur l'énoncé du numéro 7 : « *Nous allons à la messe pour nous réunir autour de Jésus qui nous conduit vers le Père *» ([^9])*.* La nou­velle messe est alignée sur le nouveau catéchisme. L'un et l'autre fondent leur nouveauté sur une seule raison : le monde évolue, il y a un monde nouveau. Ils se fondent sur le monde ; sur la nou­veauté du monde ; sur le changement du monde. Une religion ainsi fondée sur le monde, c'est « l'hérésie du XX^e^ siècle ». 35:139 Le nouvel ORDO MISSÆ, conçu et reçu dans une telle perspective, pris dans un tel mouvement, ne peut donc être tenu pour un point d'arrivée. Il est une étape. Plus encore que de le photogra­phier, il importe de cinématographier l'évolution dirigée dont il n'est qu'un moment. Nous voyons cette évolution ; nous voyons sa direction ; nous ne pouvons plus accorder une confiance incondi­tionnelle aux déclarations d'ailleurs très rares et fort peu solennelles qui voudraient faire renaître l'espoir illusoire d'une stabilité retrouvée par le nouvel ORDO. Et les explications officielles du Centre français de pastorale liturgique viennent confirmer que les rites changeront encore, avec la collaboration de « spécialistes des sciences hu­maines » ([^10]). On a voulu adapter la liturgie au changement du monde : mais le monde change tout le temps et n'arrêtera de changer qu'à la fin de l'histoire. Les *motivations* données aux changements liturgiques motivent un *changement perpétuel.* Nous n'y entrerons pas. Nous n'acceptons ni ces motivations ni leurs inévitables conséquences. Au stade actuel, la limite exacte de notre refus se situe avec précision : -- *Si l'on accepte par nécessité la nouvelle messe, que ce soit seulement sous réserve.* 36:139 **3. -- **SOUS RÉSERVE DE QUOI ? -- Sous réserve du jugement définitif de l'Église, qui viendra tôt ou tard, mais nécessairement, nous sauver de la confusion générale où la catholicité est plongée depuis le Concile. Jusqu'à ce jugement, la confusion continuera de grandir et le désastre de s'étendre. Nous assistons au démembrement *de facto* des pouvoirs du Pontificat suprême. Leur caractère « immédiat » sur chacun des membres de l'Église est efficacement estompé par la « médiation », rendue pratiquement obligatoire, de la bureau­cratie collégiale. Une fausse collégialité, ni dé­finie ni même nommée par le Concile, est établie en regard de la primauté, dans l'intention décla­rée de la limiter puis de l'absorber : en « situant » la primauté « à l'intérieur du déploiement normal de la collégialité », c'est-à-dire en l'y enfermant. Simultanément, la doctrine révélée est accommo­dée au goût du monde, revue et corrigée par les « spécialistes des sciences humaines ». Le caté­chisme et la messe subissent des adaptations, des amputations, des mutations féroces. 37:139 La religion d'aujourd'hui, par une sorte de *schisme* général, se sépare chaque jour davantage des comporte­ments, des pensées, des rites qui furent toujours ceux de l'Église. Les décrets de tous les Conciles, à la seule exception du dernier en date, sont trai­tés comme périmés ou abolis ; tournés ou oubliés ; profondément méprisés. Les enseignements de tous les Papes antérieurs à 1958 sont enfouis dans une indifférence impie, dans une ignorance déli­bérée. Tout cela, manifestement, traduit une vo­lonté et révèle une signification. Du dernier Concile lui-même, ce qu'il gardait de consistant et de net à travers ses ambiguïtés est maintenant écarté sans ruse et sans masque. Sa volonté expresse de « conserver la langue la­tine dans les rites latins » ([^11]) devient par magie « *la langue principale de la messe ne sera plus le latin, mais la langue parlée *» ([^12]) ; sa déclaration « l'Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine » ([^13]) aboutit par prestidigitation à l'annonce que par le nou­veau rite « *nous perdons une grande partie du chant grégorien *» ([^14]) ; il est maintenant énoncé sans circonlocutions que, grâce aux « réformes » actuelles, finalement « *nous devenons comme des intrus et des profanes* (quasi intrusi e profani) *dans le domaine de l'expression religieuse *» ([^15])*.* 38:139 Tout cela et le reste a été opéré par coups de pouce successifs, glissements plus ou moins insen­sibles, ambiguïtés en cascade, équivoques et réti­cences calculées, restrictions mentales, promesses fallacieuses et autres procédés analogues que le Saint-Siège, au cours de l'histoire de l'Église, avait parfois ou souvent employés dans sa diplomatie et dans sa politique, mais quasiment jamais dans son enseignement magistral. Le nouveau catéchisme et la nouvelle messe se situent dans cet ensemble mouvant, plastique, aux replis indistincts, qui tend de plus en plus à s'af­firmer comme une religion nouvelle, *séparée* de l'Église d'avant le Concile. Les principes qui sont nécessairement impliqués et parfois explicitement énoncés par cette mutation religieuse relèvent du jugement de l'Église et appellent un jugement so­lennel. Ce jugement infaillible sur les principes pourra seul nous délivrer de leurs conséquences : il n'y suffira pas, mais il y est indispensable. C'est ce jugement que nous attendons, confiant en la promesse du Seigneur à son Église et au Roc sur lequel elle est bâtie. Nous l'attendons dans la prière et dans l'espérance. Et dans la fermeté : la législation actuelle n'a pu démontrer sa cohérence avec la tradition des Papes et des Conciles ; sou­vent même, elle se fait gloire de lui tourner le dos. Donc, quand on croit devoir accepter quelque chose de cette législation, la frontière morale à ne pas franchir est celle de l'acceptation *sous réserve :* sous réserve, pas plus. 39:139 **II. -- **La réserve dont je parle est d'abord intérieure, ou elle n'est rien. Vivante dans l'âme, fortement motivée, fréquemment rappelée à soi-même par l'étude sous le regard de Dieu. La lettre du cardinal Ottaviani sur la nouvelle messe est le résumé des raisons de notre réserve à l'égard de l'ORDO MISSÆ ([^16]). Ces raisons sont accessibles à tout chrétien. Pour les comprendre, il est nécessaire mais il est suffisant de bien con­naître le catéchisme catholique au chapitre de l'Eucharistie. Je recommande à nouveau d'étudier et de faire étudier, de méditer et de faire méditer les pages 203 à 247 du *Catéchisme du Concile de Trente* ([^17]). 40:139 Et ensuite d'apprendre par cœur les pages correspondantes du *Catéchisme de S. Pie X* ([^18]) les pages 65 à 72 du « Petit catéchisme », les pages 211 à 226 du « Grand catéchisme ». Le catéchisme est à la portée de tous, néces­saire à tous. Ceux qui en auront exactement et attentivement assimilé la substance sur la messe pourront alors, s'ils ont une certaine culture reli­gieuse générale, se reporter studieusement aux 43 grandes pages données par « un groupe de théo­logiens » à *La Pensée catholique* ([^19]) *:* analyse serrée du nouvel ORDO MISSÆ qu'il faut recom­mander ou même procurer à tous les prêtres catholiques de langue française. Aux raisons ex­posées par cette analyse, et qui avant leur publi­cation avaient été communiquées en privé, sous diverses formes, aux instances responsables, aucune réfutation n'a pu être opposée. Plusieurs parmi nos lecteurs ne se sentiront pas les moyens d'en discuter en public. Qu'ils n'en discutent pas. La discussion publique n'est pas la vocation de tout chrétien indistinctement. Mais *qu'ils gardent leur cœur.* 41:139 Qu'ils le gardent à l'Église : cela seul est universellement requis de tous. Malgré tout ce que leur racontent trop de prêtres, qu'ils n'aillent pas croire que pendant quinze siècles l'Église nous avait donné une messe infirme ; ni que le changement du monde (qui est de tous les temps) ait légitimement pouvoir, pour la première fois au XX^e^ siècle, de venir « amélio­rer » le saint sacrifice de la messe. Cette réserve, cette résistance doivent être vivantes et fermes dans chaque conscience, même si elles demeurent implicites. Nous gardons notre cœur à la messe catholique de toujours, dont la nature est nette­ment déclarée par les définitions du catéchisme romain. Que la nouvelle messe corresponde à ces définitions est *contesté* par le cardinal Ottaviani et reste, pour le moins, *douteux.* Il n'est pas con­forme à la religion catholique d'avoir installé un tel doute sur un tel point : nous attendons donc un jugement solennel de l'Église sur les circons­tances et les stipulations *suspectes* du nouvel ORDO. Telle est notre réserve. \*\*\* Une réserve qui ne s'exprimerait ou ne se manifesterait d'aucune manière serait en risque de s'estomper insensiblement, surtout si la situa­tion actuelle se prolongeait. Plusieurs moyens sont à la disposition soit de tous, soit de certains, pour une expression indi­viduelle ou collective de la réserve nécessaire : 42:139 **1. -- **NON-PARTICIPATION AUX RITES NOUVEAUX. -- Si nous assistons à la nouvelle messe, ce sera uniquement par nécessité, et seulement dans la mesure où l'action consécratoire en sera présumée valide. Demeurant (pour le moins) réservés à l'égard de rites équivoques, nous n'aurons donc aucune participation physique à ces rites. Nous le pour­rons d'autant mieux que la participation physique qui consiste à dialoguer avec le prêtre, à écouter ses paroles ou à les suivre dans son missel n'a jamais été requise comme indispensable pour par­ticiper véritablement au saint sacrifice de la messe. Pie XII enseigne ([^20]) : « Le tempérament, le caractère et l'esprit des hommes sont si variés et si différents que tous ne peuvent pas être dirigés et conduits de la même manière par des prières, des cantiques et des actes communs. En outre, les besoins des âmes et leurs goûts ne sont pas les mêmes chez tous, et ne de­meurent pas toujours les mêmes en chacun. Qui osera donc dire que tant de chrétiens ne peuvent participer au Sacrifice eucharistique et jouir de ses bienfaits ? Mais ces chrétiens le peuvent assu­rément grâce à une autre méthode, qui se trouve être pour certains plus facile, comme par exemple de méditer pieusement les mystères de Jésus-Christ, d'accomplir d'autres exercices de piété et faire d'autres prières qui, bien qu'elles diffèrent des rites sacrés par la forme, s'accordent cependant avec eux par leur nature. » 43:139 Cela était vrai pour la messe célébrée selon le Missel romain. Combien plus vrai, si l'on peut dire, combien plus opportun pour la messe célé­brée selon le nouvel ORDO. Pour y *méditer pieusement les mystères de Jésus-Christ,* on pourra prendre son chapelet et le réciter intérieurement, ou à voix basse, en suivant les mystères du Rosaire. \*\*\* On s'abstiendra évidemment de « servir » les messes soi-disant « améliorées » ; et l'on veillera à ce que les enfants dont on a la responsabilité (au titre de parents ; de directeurs d'écoles et d'insti­tutions diverses ; etc.) n'aillent point « servir » de telles messes ni participer d'aucune manière aux chœurs, dialogues et mouvements d'ensemble pré­vus pour les agrémenter. On expliquera aux en­fants eux-mêmes, avec *simplicité,* c'est-à-dire sans détours et sans biaiser, que la messe des Papes et des Conciles, la messe des saints, la messe de l'Église, la messe de leur catéchisme est grave­ment bouleversée par des innovations qui, dans toute l'histoire, n'ont aucun précédent, sinon chez les schismatiques et les hérétiques. 44:139 Devant ce grand malheur et ce mystère, il convient de rester *réservé,* dans l'attente du jour de Dieu où le Pape rétablira *l'ordre de la messe.* Une telle explication n'est pas hors de la portée de leur foi ; elle leur est due ; elle les préparera utilement aux temps dans lesquels ils sont appelés à vivre et à se sanctifier. \*\*\* Il n'existe plus, à notre connaissance, de raison impérative d'arriver pour le début de la célébra­tion : il suffira d'entrer dans le lieu de culte juste avant l'action consécratoire (quand elle est pré­sumée valide). Ceux qui choisiront ce mode d'ex­pression devront néanmoins arriver à l'heure : et attendre ce moment sous le porche, à l'extérieur de la porte, soit isolément soit en groupe, par exemple en récitant le chapelet à l'intention du Souverain Pontife. \*\*\* Dans les cas de plus en plus fréquents où le sermon est suspect (et notamment quand il s'em­ploie à expliquer que la messe a enfin été « amé­liorée »), on peut très bien sortir, et ne rentrer que lorsqu'il est terminé. 45:139 Le nouveau dispositif incite le « président de l'assemblée », ci-devant prêtre célébrant, à faire l'équivalent de deux ou trois sermons au cours de chaque messe, à n'importe quel moment ou presque. On peut alors se grouper au fond de l'église pour être en mesure de sortir chaque fois, et de ne rentrer que lorsqu'il se taira. La permis­sion donnée au prêtre-président d'étaler sans li­mite sur les fidèles le déluge de sa subjectivité appelle en effet des mesures énergiques de pro­phylaxie et de décence. Cependant, ceux qui choisiront ce mode d'ex­pression de leur réserve devront veiller avec at­tention à ne pas glisser dans un mépris quelconque (ni dans l'apparence d'un mépris), ni même dans une hostilité ou un soupçon personnel à l'égard du prêtre qui a cru devoir accepter la nouvelle messe et y multiplier les manifestations de son éloquence. Nous ne sommes pas juges de sa conscience. Si nous allons à sa messe, c'est parce que nous en présumons valide l'action consécratoire : ne rete­nons donc que cela. Mettons le reste entre pa­renthèses, et prions pour lui. **2. -- **NON-PARTICIPATION AU DENIER DU CULTE. -- Il existe beaucoup de raisons objectives de di­minuer, non pas symboliquement mais effective­ment, les dons faits aux quêtes et les versements au « denier du culte ». *A un culte qui se présente comme* « *allégé *» *doit correspondre un* « *denier du culte *» *allégé dans les mêmes proportions.* 46:139 Nous recommandons même la suppression radicale de tout versement dans les cas où le curé et ses vi­caires sont déjà remplacés par une « équipe de secteur » plus ou moins anonyme. Deux conditions toutefois doivent être obser­vées : 1\. -- La diminution ou la suppression des ver­sements doit être *désintéressée :* c'est-à-dire que des versements au moins équivalents devront être faits à un saint prêtre dans le besoin ou à une œuvre religieuse méritant toute confiance. 2\. -- Au curé de la paroisse lui-même, s'il est sans ressources personnelles, il faudra maintenir quelques dons directs, mais seulement s'il s'engage à les garder pour lui-même (ou pour ses vicaires) et à n'en rien transmettre à l'évêché. **3. -- **RÉCLAMATION ININTERROMPUE. -- De toutes les manières et dans tous les cas opportuns et convenables, nous expliquerons au clergé et aux autres fidèles le sens de notre attitude, les motifs de notre réserve, et notre désir de retrouver la messe catholique de toujours. 47:139 Là où, provisoirement, existe encore une *pa­roisse* ou quelque chose qui y ressemble suffisam­ment, les fidèles peuvent s'entendre et se grouper pour manifester au curé, pacifiquement mais avec une ferme résolution, leurs sentiments, leurs dé­sirs, leurs volontés : non dans l'intention de les imposer, mais pour lui expliquer la diminution (ou la suppression) de leur participation physique, dans l'attente du jugement définitif et solennel de l'Église. (Là où n'existe déjà plus que l' « équipe de secteur » d'une « unité pastorale nouvelle », il est inutile de rien lui expliquer ni manifester, elle n'a aucune existence canonique ni aucune res­ponsabilité véritable ; elle est un organisme de fait, sans consistance ni autorité.) \*\*\* Telles sont les premières indications que l'on peut proposer dès maintenant quant aux diverses *expressions* possibles de la *réserve* des fidèles. Elles devront s'affirmer sans révolte et sans dé­sordre, avec dignité, et avec une fermeté inenta­mable. Elles se garderont de toute espèce de *ju­gement téméraire* sur les prêtres et les laïcs qui acceptent SANS RÉSERVES la nouvelle messe : ils sont comme nous victimes du malheur commun. Tant qu'ils conservent dans le Saint Sacrifice et dans la Présence réelle une foi conforme à celle qu'exprime la liturgie du Missel romain -- et qui n'est plus explicite dans les rites nouveaux -- ils sont en communion avec nous et nous avec eux. Entre eux et nous, il y a une tristesse, non une rupture ni une hostilité. 48:139 Si des prêtres-présidents de la nouvelle messe se montrent indiscrets dans leur zèle en faveur du rite nouveau, on tâchera toujours de leur faire comprendre, par la seule fermeté de notre réserve et sans aucune sorte de représailles, l'insignifiance de leurs pressions. Ne parlant ici que des prêtres dont l'action consécratoire est présumée valide, je suppose, ou plutôt je veux espérer que nous n'aurons pas à traiter de circonstances plus violentes. 49:139 **III. -- **Tout ce qui précède est extrêmement pénible à mettre en œuvre ; pas toujours réalisable ; peut-être insuffisamment adéquat aux périls où les âmes sont jetées à l'abandon. Nous sommes plon­gés dans la confusion, dans le désastre, dans le malheur : tant que l'ordre de la messe n'aura pas été rétabli dans une vérité sans équivoque, il ne sera au pouvoir d'aucune initiative particulière d'inventer un remède qui ne peut se trouver, précisément, que dans l'intégrité restaurée du saint sacrifice. Le mieux, dont nous serons souvent privés, est dans la messe célébrée selon les canons du Concile de Trente et les rites immémoriaux de la tradition catholique codifiée par saint Pie V. Cette messe, il faut partout continuer à l'ai­mer ; et l'aimer plus que jamais. Là où elle dispa­raît, il faut en vénérer et en réciter les formules sacrées, il faut en cultiver la doctrine apprise dans le catéchisme romain. 50:139 Il faut aimer, avec une piété redoublée, même s'ils sont ailleurs, même s'ils sont loin, même s'ils sont inconnus, les prêtres qui y demeureront fi­dèles. Il y en aura beaucoup ou il y en aura peu. Mais il y en aura. Aidons-les chaque fois que nous le pouvons. Défendons-les. Ne les livrons pas. Je m'explique et je développe. **1. -- **REFUSEZ, DÉTRUISEZ LES LISTES. -- Ne deman­dez pas la liste des prêtres fidèles au Missel romain, et si on vous en propose une, refusez-la, détruisez-la par tous les moyens. Nous donnons l'avis QU'AUCUNE LISTE ÉCRITE ne doit exister ni circuler, fût-ce en privé. Elle vous paraîtrait peut-être une commodité : elle serait un assassinat. Soyez impitoyables sur ce point. Dans tous les cas et quelles que soient les intentions, démentez, empêchez, supprimez les listes de cette sorte. S'il s'en faisait, elles devraient être considérées comme un attentat et traitées comme telles. Pour plu­sieurs raisons : a\) De telles listes ne peuvent jamais être com­plètes : elles jettent une suspicion injuste sur les prêtres qui y ont été omis. 51:139 b\) Elles n'ont aucune autorité et vous donnent une sécurité trompeuse. Au point où nous en sommes, c'est à chacun de vous personnellement de décider à quelles messes et à quels prêtres il peut faire confiance. Et c'est une décision dont il n'aura de comptes à rendre qu'à Dieu. c\) De telles listes sont un instrument objectif de délation ; même discrètes, elles tomberont un jour ou l'autre, si elles sont écrites, entre les mains de la bureaucratie collégiale. d\) Dans tous les cas où des prêtres conservent le Missel romain soit en vertu de la législation, soit par autorisation spéciale, leur seule présence sur une liste serait un prétexte suffisant pour supprimer l'autorisation, ou pour exiler le prêtre. e\) Vous aurez certes besoin d'échanger entre vous des informations : ces informations, ne les écrivez jamais plus. Elles ne doivent circuler que de bouche à oreille. Si vous êtes isolés, ne réclamez pas des circulaires et des annuaires, sortez enfin de votre isolement. Voilà des années que vous en êtes prévenus. **2. -- **PENDANT DEUX ANS, JUSQU'AU 28 NOVEMBRE 1971, TOUTE MESSE CÉLÉBRÉE EN LATIN PEUT ÊTRE CÉLÉBRÉE SELON LE MISSEL ROMAIN. 52:139 Ce point était obscur et le reste encore pour beaucoup. On s'est gardé de le mettre en la lu­mière précise qui est la sienne. Les journaux ont publié là-dessus une grande quantité d'inexacti­tudes contradictoires. -- Voici donc ce que Paul VI, le 26 novembre, a déclaré ([^21]) : « *Les prêtres qui célèbrent en latin, en privé, ou également en public dans les cas prévus par la législation,* PEUVENT *employer, jusqu'au 28 no­vembre 1971,* SOIT *le Missel romain* SOIT *le rite nouveau.* « *S'ils emploient le Missel romain, ils* PEUVENT *utiliser les trois nouvelles anaphores et le Canon romain avec les modifications prévues dans le dernier texte* (*omission de quelques saints, des conclusions, etc.*) *Ils* PEUVENT *en outre dire en langue vulgaire les lectures et la prière des fidèles. *» Il est clair que Paul VI, nommant « le Missel romain » par distinction d'avec « le rite nouveau », parle ici du Missel romain de saint Pie V. Nous ferons de même ; nous continuerons de le nommer, purement et simplement, *le Missel romain.* 53:139 Les prêtres qui célèbrent en latin peuvent donc, jusqu'au 28 novembre 1971, conserver in­changée la messe de toujours. Ils n'ont pour cela aucune permission à demander, aucune autori­sation préalable à obtenir de la bureaucratie collégiale. Simple délai, qui ne règle rien quant au fond ? Mais *à chaque jour suffit sa peine, sa demi-lu­mière, -- et son cantique.* Le 28 novembre 1971, au train où vont l'Église et le monde en cette saison, c'est fort loin. Bien des choses et bien des hommes, s'il plaît à Dieu, auront d'ici-là changé ou disparu. Que l'on ne vienne donc pas nous dire, comme on l'a fait déjà, et avant même le 1^er^ janvier 1970, avec une hâte obscène et une feinte désolation : -- *Je n'y peux rien. Je n'ai pas le choix. Je ne peux pas faire autrement.* Justement si : vous pouvez faire autrement, Messieurs les Curés, et vous avez le choix. Toutes les paroisses qui avaient conservé fût-ce une seule messe en latin peuvent la garder inchangée jus­qu'au 28 novembre 1971. Si votre curé ne la garde pas, qu'il ne vous raconte pas de boniments : c'est parce qu'il ne le veut pas ; ou ne l'ose pas. Mais il en a le droit. Un droit qui lui sera peut-être contesté par l'administration bureaucratique ; un droit qu'il aura, comme toujours, ce n'est pas nouveau, c'est la vie, à faire respecter. 54:139 Que Messieurs les Curés n'aillent pas, contre leurs fidèles et pour leur imposer le nouvel ORDO, invoquer *les volontés de Paul VI,* et simultané­ment tenir pour nulles les mêmes volontés quand elles permettent, de plein droit et sans aucune formalité, de conserver le Missel romain pour les messes célébrées en latin. Le latin, qui a toujours été (en outre) une protection, vient encore une fois protéger ceux qui lui étaient restés fidèles. Quel signe mysté­rieux : *à la condition de la célébrer en latin, vous pouvez encore, et en pleine* « *légalité *»*, célébrer la messe catholique de toujours.* **3. -- **LE MISSEL ROMAIN NE PEUT PAS ÊTRE FRAPPÉ D'INTERDIT. -- La nouvelle législation entrée en vigueur le 30 novembre 1969, et qui devient « obligatoire » en France le 1^er^ janvier 1970, ne signifie pas que le Missel romain ait été déclaré schismatique ou hérétique. Au demeurant, si l'on n'en est pas sûr, le seul moyen de le savoir d'ex­périence est de le conserver, sans provocation mais sans faiblesse, et d'attendre et voir ce qu'il en adviendra. Il y aura sans doute des pressions, des menaces, des promesses, des chantages, des rumeurs : tout cela ne comporte point en soi-même la preuve de sa réalisation effective. 55:139 On ne voit pas quel *péché* il pourrait y avoir, pour un évêque, pour un prêtre, pour un fidèle, à préférer absolument le Missel romain, à énoncer les motifs naturels et surnaturels de sa préférence absolue, et à s'y conformer en fait. **4. -- **DÉFENDRE NOS PRÊTRES. -- Il est à craindre cependant que la bureaucratie collégiale, en beaucoup de cas, agisse administrativement com­me si le Missel romain était schismatique, héré­tique, interdit : et *frappe* ouvertement ou sournoi­sement ceux qui continuent à l'utiliser. De telles mesures administratives, si elles se produisaient, devraient être dénoncées, flétries, traduites en justice et contrecarrées par tous les moyens légitimes. \*\*\* Il ne dépend pas de nous que la messe catho­lique de toujours continue selon le Missel romain. Nous l'attendons de beaucoup de prêtres et de plusieurs évêques. Nous pouvons seulement faire un rempart à ceux qui auront cette fidélité. Si des prêtres sont persécutés pour être restés fidèles à la messe de leur ordination, à la messe du Padre Pio, à la messe de Pie XII, à la messe de saint Pie X, à la messe du curé d'Ars, à la messe du Père Emmanuel, à la messe de saint Pie V, à la messe du Concile de Trente, à la messe de toujours, d'hier et de demain, -- alors il faudra s'être mis en mesure de leur apporter, contre cette persécu­tion, tous secours et toutes défenses en notre pouvoir. 56:139 Dans l'extraordinaire cas de conscience où l'on a volontairement placé l'ensemble du clergé et du peuple chrétiens, la règle qui est au moins la plus probable est de s'en tenir fidèlement au plus sûr, au plus ancien, au plus constant, au plus traditionnel. La nouvelle messe est en marche vers sa propre dissolution. *Le temps n'épargne rien de ce qu'on fait sans lui.* Conçue en quelques mois, adaptée à une certaine conjoncture soi-disant « œcuméni­que », elle s'en ira comme la conjoncture, avec elle, au fil des mois. Elle n'en a pas pour longtemps. Pour y « présider », les séminaires ou ce qui en tient lieu ne trouvent quasiment plus personne en dehors des « sous-marins » envoyés par les Jeunesses communistes sur l'ordre du Parti. Mais quand tout se sera effondré, le culte, la paroisse, la doctrine, l'éducation chrétienne, combien res­tera-t-il encore de prêtres catholiques romains ? Ceux qui sont au milieu de nous, il faut les défendre et il faut les aimer. 57:139 **IV. -- **Nous n'avons pas le vain espoir que l'on puisse un jour, en un jour, rétablir simplement par décret ce qui avait été établi par des siècles de sainteté et qui a été interrompu par la série des décrets liturgiques entrés en vigueur du 7 mars 1965 au 30 novembre 1969. Il ne faut qu'un moment pour interrompre. Il ne faut qu'une génération de barbares pour interrompre une tradition. Et nous voilà d'un coup au milieu d'un désert. Mais bien sûr la législation des années 1965-1969 avait été préparée par une secrète démi­néralisation, par une imperceptible perte de substance, par une perte d'âme. On avait perdu la signification et la réalité spirituelles des rites catholiques. Considérer le Missel romain et le chant grégorien comme « les vieux vête­ments de soie dont la prière était royalement habillée » ([^22]), c'est manifester à quel point on en avait préalablement perdu l'âme, et l'âme ne se retrouvera pas seulement par décret. 58:139 Il était iné­vitable et en somme normal que ceux qui ne les vivaient plus dans leur âme acceptent d'un cœur léger d'en être privés : ce n'est pas pour eux une privation réelle. Ils imaginent même qu'ils pour­raient gagner quelque chose, et d'abord l'appro­bation et la faveur du monde, en échange d'un tel sacrifice : mais il n'y a pas sacrifice chez ceux qui sont devenus incapables d'en comprendre le prix. Quand, même chez des Bénédictins, on ne sait plus au juste de quoi il s'agit, c'est que l'heure des Barbares est vraiment venue. Mais quand les Barbares sont installés jusque dans l'Église, alors revient l'heure des fils de saint Benoît, c'est notre espoir, notre espoir lointain. A la fin de l'année 1967 paraissait le livre d'Henri et d'André Charlier : *Le chant grégorien* ([^23])*.* Nous avions le sentiment qu'il y allait de tout : *Dans l'affaire du chant grégorien,* écrivions-nous ([^24]), *directement ou indirectement ce qui est en question c'est finalement l'ensemble des valeurs naturelles et surnaturelles qui donnent un sens à la vie... L'attaque contre le chant grégorien est une attaque contre la spiritualité catholique elle-même. Bien entendu, la spiritualité catholique peut en théorie se passer du chant grégorien ; elle s'en est passée avant qu'il existât.* 59:139 *Mais* LES MOBILES ET MOTIFS *invoqués aujourd'hui pour le supprimer sont mortels pour la spiritualité catholique tout entière et contraires même à l'ordre naturel. Ils s'en prennent ouvertement au chant grégorien mais implicitement, intrinsèquement, ils s'en prennent à la foi chrétienne.* Il faut reconnaître deux ans plus tard que nous n'avons pas été suffisamment entendu, même de nos lecteurs habituellement les plus attentifs. Trop d'entre eux ont négligé cet ouvrage que nous leur présentions pourtant comme LE LIVRE DE LA RÉSISTANCE SPIRI­TUELLE. Dans ce livre, prêtres et laïcs, et même évêques, auraient pu trouver ce qui leur manque aujourd'hui pour faire face au malheur général de la catholicité. Ils ont cru, sans s'y arrêter da­vantage, que « le chant grégorien » était chose sympathique sans doute, intéressante, souhai­table, mais secondaire et marginale par rapport au drame religieux que nous vivons : alors qu'elle est absolument centrale. Nous leur disions pour­tant que c'était un livre de doctrine et d'ensei­gnement ; et nous les avertissions que cet ouvrage avait en outre -- il l'a toujours -- une saisissante valeur de témoignage, celle-ci : « Ni Henri ni André Charlier ne sont nés ca­tholiques. Ils sont l'un et l'autre *venus du monde moderne à la foi chrétienne.* Ils portent témoi­gnage contre le cheminement inverse : le chemi­nement trop souvent ecclésiastique qui *s'en va de la foi chrétienne au monde moderne.* On veut nous imposer ce cheminement inverse : il constitue la plus grande décadence surnaturelle et naturelle de l'histoire de l'humanité. 60:139 « Sur leur chemin *du monde moderne à la foi chrétienne,* Henri Charlier et André Charlier ont plus d'une fois croisé un évêque ou un autre qui s'en allait en sens inverse *de la foi chrétienne au monde moderne.* Ils se regardaient dans les yeux au passage, à l'instant de cet étrange croisement. Ce ne sont pas les Charlier qui avaient à baisser les yeux. » Les deux années qui viennent de s'écouler au­ront peut-être éclairé ces lecteurs, nombreux, très nombreux, trop nombreux, qui nous écoutent un instant, au passage, avec gentillesse et intérêt, mais je ne sais pourquoi, puisque c'est apparem­ment sans nous entendre. Ils peuvent en tout cas mieux comprendre au­jourd'hui ce que nous écrivions en décembre 1967. Qu'ils le comprennent dans leur esprit et dans leur cœur ! Il est temps ! -- *Pour l'étude, et même pour leur sanctifica­tion, nous invitons tous nos amis à se procurer, à méditer et à faire méditer autour d'eux le livre d'Henri et d'André Charlier.* Voilà en propres termes ce que nous vous disions il y a deux ans. Et encore ceci : *Il faut de toute urgence intensifier une étude et une action enracinées dans la prière. Le livre d'Henri et d'André Charlier y est une contribution du plus grand poids. Il doit, à notre avis, être entre toutes les mains, sur toutes les tables, dans tous les cercles et groupements, dans chaque cellule d'étude et d'action.* 61:139 *C'est le livre d'aujourd'hui pour le combat spirituel de mainte­nant.* En cette année 1967, nous donnions à nos abonnés le *Catéchisme de S. Pie X* et nous leur recommandions *Le chant grégorien* d'Henri et d'André Charlier. C'était en temps utile. Ceux qui nous ont entendu et qui se sont mis au travail, *à ce travail doctrinal,* et je dis bien *doctrinal* et je dis bien *celui-là,* plus fondamental et plus nécessaire qu'aucun autre travail doctrinal, ceux qui se sont mis à l'œuvre d'une étude et d'une action enraci­nées dans la prière et dans la sanctification, n'ont été ni surpris ni désemparés par ce qui s'est passé dans l'Église en 1969 : ils apercevaient le sens de l' « évolution » que l'on veut nous imposer, ils en comprennent la portée, ils voient le jeu des causes et des effets ; ils discernent l'essentiel du secondaire ; ils savent sur quels points fixes il faut tenir, et comment ; ils n'ont quasiment aucun besoin du présent éditorial ; ils ne sont point de ceux qui posent des questions angoissées mais de ceux qui donnent des réponses solides ; ils ne sont pas aujourd'hui écrasés sous le poids de responsa­bilités inattendues et auxquelles ils ne se senti­raient pas préparés. Ils ne sont pas légers. Ils prennent les choses au sérieux, mais encore plus au sérieux celles qui sont encore plus sérieuses. Pour eux, *la doctrine,* c'est d'abord et essentielle­ment la doctrine spirituelle, la doctrine religieuse, la doctrine catholique, la doctrine révélée. Nous avions donné les avertissements et les instru­ments. \*\*\* 62:139 Non, cher André Frossard, nous ne sommes pas « déconcertés » par la nouvelle messe. Hélas, nous nous y attendions, nous nous en savions menacés. Nos lecteurs étaient tenus au courant. Dans le même numéro où nous présentions le livre des Charlier sur le chant grégorien comme « le livre de la résistance spirituelle », dans notre numéro 118 de décembre 1967, nous donnions aux pages 307 et suivantes d'amples renseignements et des considérations doctrinales très précises sur la « messe normative » d'où est sorti deux ans plus tard le nouvel ORDO MISSÆ. -- Mais André Fros­sard nous croit « déconcertés », et c'est à nous que son propos s'adresse : « A ceux des catholiques, mes frères, qui sont déconcertés par la « nouvelle messe », je voudrais dire ceci, pour les aider : Imaginez qu'au lieu d'être nés dans une famille chrétienne vous ap­parteniez à une famille incroyante, et qu'étant catholiques depuis samedi soir vous ayez assisté dimanche à votre première messe. Vous l'auriez trouvée fort belle, et tout aussi riche de contenu spirituel qu'elle a pu l'être sous les différents revêtements de son passé. » ([^25]) 63:139 André Frossard s'adresse à nous avec amitié ; c'est avec amitié que nous lui répondons. Nous lui répondons qu'avec son génie de la concision, il a rassemblé en quelques lignes (et semble avoir accepté) les principaux faux-semblants de ce drame : 1\. -- Ce n'est pas spécifiquement ceux qui sont « nés dans une famille chrétienne » qui (par rou­tine peut-être, ou par sentimentalité ?) demeurent inébranlablement attachés à la *spiritualité gré­gorienne* et à la *sanctification par* le grégorien. Henri et André Charlier ne sont point nés dans une famille chrétienne, ils sont des convertis de l'âge adulte, et personne en notre temps (quoi­qu'en puisse penser un certain orgueil clérical, ou plus précisément régulier) n'a compris, en­seigné et pratiqué le grégorien comme ils l'ont fait, avec des résultats spirituels aussi manifestes et aussi durables. Ils témoignent d'une chose qu'ils n'ont pas inventée, et ils l'expliquent : une chose qui appartient à la tradition, à la sagesse, à la pédagogie de l'Église, et que dans l'Église on est en train de méconnaître et d'oublier. *A savoir qu'en matière d'éducation religieuse, le grégorien est plus surnaturel, plus simple, plus universel, plus populaire que tout le reste*. Bien entendu, à la condition de l'apprendre et de le pratiquer mais il faut toujours apprendre ; or ce qu'on nous enfourne aujourd'hui est beaucoup plus compli­qué à apprendre, beaucoup plus compliqué à pra­tiquer, et spirituellement vide. 64:139 2\. -- Car ce n'est pas une question de *revête­ments* supposés interchangeables. Et tout est lié ensemble. Le chant grégorien, les définitions dog­matiques, la théologie scolastique (qui au niveau du catéchisme est le *Catéchisme de S. Pie X*) sont irremplaçables en fait. Le faux-semblant est de nous dire que leur contenu spirituel sera CONSERVÉ mais TRADUIT autrement, dans un langage plus accessible, mieux adapté à notre temps, afin de rendre plus facile « la participation du peuple, de ce peuple moderne habitué à une parole claire, intelligible, traduisible dans sa conversation pro­fane » ([^26]). La religion révélée n'est pas tradui­sible dans la conversation profane : mais elle s'énonce dans un langage beaucoup plus simple. Le langage de la foi est infiniment plus simple que le pédantisme artificiel de la conversation pro­fane d'aujourd'hui ; et il ne peut être le même. D'ailleurs si c'était vrai, si c'était possible, s'il s'agissait réellement de « traduire » -- et non pas de *changer,* et surtout de *détruire* -- il faudrait d'abord que les « traducteurs » connaissent par­faitement ce qu'ils ont dessein de traduire, et il est évident au contraire qu'ils le méconnaissent : qu'ils en ont perdu l'intelligence et qu'ils en ont perdu l'âme. Je voudrais bien savoir, par exemple, comment ceux qui ne *comprennent* pas la théolo­gie scolastique pourraient bien nous traduire dans un autre langage ce que la théologie scolastique est *seule* à nous dire de manière non-équivoque ? 65:139 -- S'il s'agissait véritablement de « traduire » dans un langage nouveau, il faudrait des traducteurs qui aient été formés au contenu spirituel de la scolastique, de la dogmatique, du grégorien. Or ils n'en savent quasiment plus rien. Ils y sont allergiques. Ils n'en veulent plus d'abord pour eux-mêmes. Ils n'y sont jamais réellement entrés. Comment le nouveau clergé pourrait-il *traduire* ce qu'il ne connaît pas ? ce qu'il méconnaît ? ce qu'il méprise ? 3\. -- *Aussi riche,* la nouvelle messe ? C'est bien impossible. Ou ce serait un miracle (alors qu'on nous dise carrément que le nouvel ORDO est un miracle). D'ailleurs M. le secrétaire Hannibal Bugnini disait davantage. Il disait : *Plus riche que tout ce qu'on a vu depuis vingt siècles* ([^27])*.* Qu'en quatre ou cinq ans l'actuelle généra­tion d'experts diplômés et de bureaucrates ecclé­siastiques ait pu fabriquer une messe « plus riche » ou « aussi riche » que le patrimoine sécu­laire accumulé et cultivé par la piété, la fidélité, la sainteté catholiques, c'est une énormité que l'on croira ou que l'on ne croira pas. Mais on la croira ou ne la croira pas en quelque sorte *d'em­blée*. Il y a là un réflexe qui s'enracine, si je puis dire, dans l'instinct de l'âme (on peut le réveiller, chez André Frossard, s'il s'est endormi) : un ré­flexe qui vient du plus profond de l'être et qui l'engage tout entier. 66:139 4\. -- Le rite nouveau est presque entièrement annexé par ce que l'on appelait autrefois la pré­dication : mais une prédication sans règle et sans mesure. La messe nouvelle multiplie les lectures au choix et les commentaires libres. Elle institue ainsi le règne d'une logorrhée sans limite et sans norme, par laquelle la subjectivité du prêtre-pré­sident et de ses assesseurs va s'écouler indéfini­ment sur l'assemblée. C'est psychologiquement insupportable, c'est à soulever le cœur, c'est à faire fuir. Le nouveau rite s'enlise dans le laïus. Depuis qu'ils ne savent presque plus rien de la Révélation, les nouveaux prêtres se mettent à nous parler sans trêve et sans fin : ça ne tiendra pas debout, ce n'est plus un *ordre* mais une décom­position. \*\*\* Qu'on n'imagine pas que l'on pourra aisément faire *l'aller et retour* d'une messe à l'autre. Ce qui est interrompu sera perdu pour longtemps. Ce qui est brisé ne se raccommodera pas au commande­ment. Ce qui est arraché ne reprendra pas racine. Non, qu'on ne s'imagine pas qu'on peut bien céder pour le moment, sous la contrainte, et qu'il sera toujours temps, à la première éclaircie, de reve­nir au Missel romain. Ce n'est pas vrai. 67:139 Ceux qui ont la possibilité de maintenir, fût-ce à l'écart, en petits groupes, en catacombes ou en ermitages, la liturgie romaine et le chant grégorien, en tiennent le sort historique entre leurs mains : ils ont la responsabilité d'en assurer, tout au long de l'hiver dans lequel nous sommes entrés, la transmission vivante et ininterrompue, en vue du nouveau printemps chrétien sur le monde que saint Pie X et Pie XII nous ont annoncé. 68:139 **V. -- **Avant le 30 novembre 1969, que M. le secrétaire Hannibal Bugnini a nommé « une date véritable­ment historique » et « le début d'une nouvelle époque », il restait encore un dimanche, le diman­che 23 novembre, le dernier dimanche de l'année liturgique : le dimanche de la dernière messe. La radiodiffusion de l'État français, ce jour-là, parce que c'est quand même la France, et quand même le Seigneur qui règne, a retransmis la messe du Mesnil-Saint-Loup, avec une présenta­tion, des commentaires, un sermon du P. Lelong O.P. qui n'étaient pas indignes d'une circonstance aussi extraordinaire et aussi mystérieuse. Tous ceux de nos amis qui avaient pu être prévenus l'ont écoutée dans une même communion, avec de mêmes larmes. Ils ont entendu dans leur cœur le chant des paroles qui ne passeront point : 69:139 *Dicit Dominus : Ego cogito cogitationes pacis, et non afflictionis : invocabitis me, et ego exau­diam vos...* Dans l'extrême malheur qui atteint la catho­licité entière, le Seigneur nous redit que Ses pen­sées ne sont pas d'affliction, mais de paix ; nous L'invoquons, et à Son heure Il nous exaucera. Le P. Lelong l'a rappelé (ou révélé) sur les an­tennes de l'État français : pendant plus de quinze années, Henri Charlier est allé chaque jour faire la demi-heure de chant à l'école du village. Mais école chrétienne d'une paroisse chré­tienne, convertie par le P. Emmanuel. Et ainsi tous les hommes et toutes les femmes du Mesnil-Saint-Loup, paysans et artisans, comprennent et chantent en latin, chaque dimanche, l'ordinaire et le propre de la messe. C'était possible : cela est. Cela est surnaturellement naturel. Cela était, cela demeure possible partout, dans chaque vil­lage, dans chaque paroisse et même à la rigueur dans chaque « secteur sociologique ». *Mais il y faut la conversion ; et il y faut ensuite la persé­vérance :* le labeur quotidien, l'éducation, l'insti­tution, voués et consacrés à Notre-Dame. Le scan­dale le plus énorme de l'Église, je veux dire le plus visible, aura été de renoncer au latin précisé­ment au moment de la *scolarisation obligatoire jusqu'à seize ans.* C'est aussi le scandale de l'État, et dans cette affaire ils s'appuient l'un l'autre, et se valent. 70:139 On fait du bi-linguisme et du tri-lin­guisme, on apprend l'anglais, l'allemand et le reste, mais point cette langue maternelle, *facile,* que le saint abbé Berto enseignait à ses orphelins de Pontcallec : le latin d'Église, le minimum de latin d'Église permettant de comprendre au moins l'ordinaire de la messe. Et avec le latin, l'accès au grégorien, la pratique du grégorien, du grégorien le plus simple, qui est souvent le plus beau et le plus spirituel, en même temps que le plus popu­laire. On ne l'a pas fait, on ne le fait plus, parce qu'on a voulu l'interrompre, et c'est un crime. Le P. Lelong, qu'il soit béni pour ses paroles ce jour-là, et pour sa grâce de fils de saint Domi­nique, de fils du Rosaire, a dit à la fin de la messe du Mesnil-Saint-Loup : -- Venu ici, une première fois, il y a trente ans, j'écrivais dans mes notes : voilà une paroisse comme toutes devraient l'être. Dans l'enthou­siasme de la jeunesse, je notais, : il nous faut des milliers de curés d'Ars. Et nous l'avons entendu ajouter à voix basse : -- Je dis maintenant : quelques-uns suffi­raient. Je cite de mémoire, et je ne sais plus s'il a dit « Quelques-uns suffiraient », ou bien : « Quel­ques-uns auraient suffi ». Qu'importe, car les deux sont vrais. A n'importe quel moment, car il n'est jamais trop tard, par la miséricorde de Dieu, tant que continue l'histoire humaine, *quelques-uns suf­firont.* 71:139 Mais *quelques-uns auraient suffi* pour éviter l'affreuse désolation présente. Si le clergé avait fait son devoir ; si seulement quelques dizaines de paroisses (les autres auraient suivi) avaient été converties et instruites, et si elles avaient chaque dimanche vécu la messe ca­tholique comme on la vit au Mesnil-Saint-Loup, nous n'aurions pas été privés de ce trésor et de cet héritage. Mais une messe qui *ennuyait* les prêtres, ils la trouvaient compliquée et peu intel­ligible, on s'en doutait et maintenant ils l'avouent, une messe à laquelle ils n'éduquaient plus les fidèles, il était sans doute juste qu'à la fin des fins ils en soient privés, et qu'ils l'aient, leur messe nouvelle, leur messe allégée, leur messe vidée, leur messe améliorée, adaptée à l'épouvan­table barbarie où ils sont retombés... Ils sont bien sincères, et bien honnêtes, pas tous mais beau­coup, nos pauvres prêtres du nouveau catéchisme et de la nouvelle messe, et nos pauvres évêques. Qu'avons-nous à faire de leur honnêteté ? Blanc de Saint-Bonnet l'annonçait au siècle dernier : -- *Le clergé saint fait le peuple pieux ; le clergé pieux fait le peuple honnête ; le clergé honnête fait le peuple impie.* Nous y sommes. (Et même un peu plus loin, avec le clergé impie.) On leur saccage la messe, à ce peuple et à ce clergé, et dans beaucoup de paroisses ni l'un ni l'autre n'y voient rien, parce qu'ils se sont mis en état de n'y rien voir. 72:139 Oh ! nous ne leur jetons aucune pierre. Nous pesons le poids, nous payons le prix de nos négligences, de nos indifférences ; de notre tié­deur ; de notre médiocrité spirituelle ; de nos indé­licatesses à l'égard de l'Amour de Dieu. Nous avions la messe : nous étions distraits, ou trop habitués, devant ce don qui échappe à toute me­sure humaine. Dieu, qui ne se lasse jamais, a fini par faire comme s'Il s'était lassé : et par nous retirer presque, pour un temps, la messe qu'Il nous avait donnée. Ce n'est pas pour nous déses­pérer, mais pour nous incliner à la pénitence et pour réveiller notre amour. Ce n'est pas pour notre perte, mais toujours et encore pour notre salut. Ceux qui seront empêchés, d'une manière ou d'une autre, contre leur volonté, de célébrer la messe catholique de toujours, qu'ils se souviennent alors de ceci : il n'y a aucun empêchement ni au­cun interdit qui puisse les détourner d'aimer. Quelles que soient les circonstances, ils de­meurent maîtres de leur cœur. L'Église a plus que jamais le désir et le besoin d'être aimée : d'être aimée dans sa tradition, dans son existence historique, dans sa continuité, dans sa messe de toujours. Elle est actuellement offen­sée, bafouée, défigurée par ceux qui méprisent ses institutions, ses saints canons, ses sacrements, son histoire, son visage, et qui avouent l'orgueilleux dessein, impie, dérisoire, de l' « améliorer ». 73:139 Il faut d'abord l'aimer dans sa gloire d'hier et de toujours, dans sa crucifixion d'aujourd'hui. Il faut l'aimer avant tout dans le silence intérieur. Et puis l'amour trouvera un chemin ; qui sera comme toujours un chemin de croix. Il faut appor­ter à l'Église la consolation, chétive mais entière, de notre amour. Car consoler l'Église, c'est con­soler Jésus-Christ dans sa Passion. Tous ceux qui, dans ce drame, discernent le visage outragé du Christ Jésus, doivent s'entrai­der pour tenir, dans la fidélité, jusqu'à l'heure du Seigneur : et, par charité, faire ce qu'il faut pour être en mesure de se soutenir et de se défendre les uns les autres. Non, la messe au Mesnil-Saint-Loup, le der­nier dimanche avant la messe nouvelle, ce n'était pas la dernière messe. C'était la messe à Notre-Dame de la Sainte-Espérance. *Le ciel et la terre passeront,* y disait le Seigneur : *mes paroles ne passeront pas.* Jean Madiran. 74:139 ### Déclaration du P. Calmel, o.p. *On a lu aux pages précédentes l'opinion d'un laïc, n'engageant que lui-même. On va lire maintenant la déclaration d'un prêtre, n'engageant également que lui-même.* Je m'en tiens à la Messe traditionnelle, celle qui fut codifiée, mais non fabriquée, par saint Pie V, au XVI^e^ siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l'ORDO MISSÆ de Paul VI. Pourquoi ? Parce que, en réalité, cet ORDO MISSÆ n'existe pas. Ce qui existe c'est une Révolution liturgique universelle et permanente, prise à son compte ou voulue par le Pape actuel, et qui revêt, pour le quart d'heure, le masque de l'ORDO MISSÆ du 3 avril 1969. C'est le droit de tout prêtre de refuser de porter le masque de cette Révolution liturgique. Et j'estime de mon devoir de prêtre de refuser de célébrer la Messe dans un rite équivoque. 75:139 Si nous acceptons ce rite nouveau, qui favorise la confusion entre la Messe catholique et la Cène protes­tante -- comme le disent équivalemment deux Cardinaux et comme le démontrent de solides analyses théolo­giques ([^28]) -- alors nous tomberons sans tarder d'une Messe interchangeable (comme le reconnaît du reste un pasteur protestant) dans une Messe carrément héré­tique et donc nulle. Commencée par le Pape, puis abandonnée par lui aux églises nationales, la réforme révolutionnaire de la messe ira son train d'Enfer. Comment accepter de nous rendre complices ? Vous me demanderez : en maintenant, envers et contre tout, la Messe de toujours, avez-vous réfléchi à quoi vous vous exposez ? Certes. Je m'expose, si je peux dire, à persévérer dans la voie de la fidélité à mon sacerdoce, et donc à rendre au Souverain Prêtre, qui est notre Juge Suprême, l'humble témoignage de mon office de prêtre. Je m'expose encore à rassurer des fidèles désemparés, tentés de scepticisme ou de désespoir. Tout prêtre en effet qui s'en tient au rite de la Messe codifié par saint Pie V, le grand Pape dominicain de la Contre-Réforme, permet aux fidèles de participer au Saint Sacrifice *sans équivoque possible *; de communier, *sans risque d'être dupe,* au Verbe de Dieu incarné et immolé, rendu réellement présent sous les saintes espèces. En revanche, le prêtre qui se plie au nouveau rite, forgé de toutes pièces par Paul VI*, collabore* pour sa part à instaurer progressivement une Messe menson­gère où la présence du Christ ne sera plus véritable, mais sera transformée en un mémorial vide ; par le fait même le Sacrifice de la Croix ne sera plus réellement et sacramentellement offert à Dieu ; enfin la communion ne sera plus qu'un repas religieux où l'on mangera un peu de pain et boira un peu de vin ; rien d'autre ; comme chez les protestants. 76:139 -- Ne pas consentir à collaborer à l'instauration révolutionnaire d'une Messe équivoque, orientée vers la destruction de la Messe, ce sera se vouer à quelles mésaventures temporelles, à quels malheurs en ce monde ? Le Seigneur le sait dont *la grâce suffit.* En vérité la grâce du Cœur de Jésus, dérivée jusqu'à nous par le Saint Sacrifice et par les sacrements, suffit toujours. C'est pourquoi le Seigneur nous dit si tranquillement : *celui qui perd sa vie en ce monde à cause de moi la sauve pour la vie éternelle.* Je reconnais sans hésiter l'autorité du Saint Père. J'affirme cependant que tout Pape, dans l'exercice de son autorité, peut commettre des abus d'autorité. Je soutiens que le Pape Paul VI commet un abus d'autorité d'une gravité exceptionnelle lorsqu'il bâtit un rite nou­veau de la Messe sur une définition de la Messe qui a cessé d'être catholique. « La Messe, écrit-il dans son ORDO MISSÆ, est le rassemblement du peuple de Dieu, présidé par un prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. » Cette définition insidieuse omet de parti pris ce qui fait catholique la Messe catholique, à jamais irré­ductible à la Cène protestante. Car dans la Messe catholique il ne s'agit pas de n'importe quel mémorial ; le mémorial est de telle nature qu'il contient réellement le Sacrifice de la Croix, parce que le corps et le sang du Christ sont rendus réellement présents par la vertu de la double consécration. Cela apparaît à ne pouvoir s'y méprendre dans le rite codifié par saint Pie V, mais cela reste flottant et équivoque dans le rite fabriqué par Paul VI. 77:139 De même, dans la Messe catholique, le prêtre n'exerce pas une présidence quelconque ; marqué d'un caractère divin qui le met à part pour l'éternité, il est le ministre du Christ qui fait la Messe par lui ; il s'en faut de tout que le prêtre soit assimilable à quel­que pasteur, délégué des fidèles pour la bonne tenue de leur assemblée. Cela, qui est tout à fait évident dans le rite de la Messe ordonné par saint Pie V, est dissimulé sinon escamoté dans le rite nouveau. La simple honnêteté donc, mais infiniment plus l'honneur sacerdotal, me demandent de ne pas avoir l'impudence de trafiquer la Messe catholique, reçue au jour de l'Ordination. Puisqu'il s'agit d'être loyal, et surtout en une matière d'une gravité divine, il n'y a pas d'autorité au monde, serait-ce une autorité ponti­ficale, qui puisse m'arrêter. Par ailleurs la première preuve de fidélité et d'amour que le prêtre ait à donner à Dieu et aux hommes c'est de garder intact le dépôt infiniment précieux qui lui fut confié lorsque l'évêque lui imposa les mains. C'est d'abord sur cette preuve de fidélité et d'amour que je serai jugé par le Juge Su­prême. J'attends en toute confiance de la Vierge Marie, la Mère du Souverain Prêtre, qu'elle m'obtienne de rester fidèle jusqu'à la mort à la Messe catholique, *véritable et sans équivoque.* TUUS SUM EGO, SALVUM ME FAC. R.-Th. Calmel, o. p. 78:139 ## CHRONIQUES 79:139 ### Minettes, gaminettes... par Luce Quenette C'ÉTAIT UN DEVOIR commun du Clergé, dans l'histoire, de « tonner » contre la mode. On disait « ton­ner » car, du haut de la chaire, le prédicateur lançait des foudres contre le luxe et l'indécence. Ces foudres, c'était la menace de l'Enfer. Finis, la chaire, les foudres et l'Enfer ! Le Clergé « comprend » au mieux l'érotisme ambiant, un Oraison le prêche et, dans notre village, la Sœur ensei­gnante à la page a poussé le dévouement jusqu'à la mini-jupe, pour aller aux âmes. Il ne lui parviendra que des félicitations ! \*\*\* Je relis avec admiration les fortes paroles de Pie XII contre l'horreur des modes ; contre la même horreur, quelques accents doux et désolés de Jean XXIII. Remon­tons à Pie XI : énergique protestation et cependant le Pape ne voyait pas un seul genou féminin. Depuis, ni chaire, ni tonnerre. La Sainte Vierge, elle, a tonné par la voix précise des enfants de Fatima : Jacinta, quelques jours avant sa mort disait : 80:139 « Les péchés qui jettent le plus d'âmes en Enfer sont les péchés d'impureté. *On lancera certaines modes qui offen­seront beaucoup Notre-Seigneur.* Les personnes qui servent Dieu ne doivent pas suivre ces modes... Notre-Seigneur est toujours le même... » Autant en emporte le vent. J'écris pour « les personnes qui prétendent servir Dieu », pour les chrétiennes, les familles qui s'indignent de la catastrophe des mœurs et de la religion. Eh bien, je dis que les paroles des Papes qui ont parlé de l'impudeur des modes, et les paroles de la Sainte Vierge n'ont servi à rien du tout -- à rien qu'à augmenter l'épouvantable res­ponsabilité des jeunes mères chrétiennes et de beaucoup de mûres et de vieilles. Je me souviens d'une conférence entre intégristes -- sous la présidence d'un écrivain tout adonné à la cause de l'Église, dans un salon des plus distingués. Le conférencier tenait les yeux levés au niveau des visages -- visages sé­rieux, âgés, ou jeunes, attentifs, voire soucieux et, sous ces visages pieux s'avançaient insoucieusement, en contraste extracomique, les plus ronds, ou gras, ou osseux genoux et les cuisses naissantes, plus ou moins appétissantes. C'était en 65. Depuis, les cuisses assises ne sont plus naissantes. \*\*\* La doctrine : Avant la chute, Adam et Ève étaient nus, sans honte. Après le péché « leurs yeux s'ouvrirent, et ils connurent qu'ils étaient nus, et ayant assemblé des feuilles de figuier, ils s'en firent des ceintures ». Créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, leur corps était soumis à leur raison, leur raison et leur cœur vivant dans la grâce. Dépouillés de la grâce et leur chair révoltée contre la raison, ils prirent honte à bon droit de cette chair et la couvrirent sur les parties où la révolte était plus sensible et plus honteuse. 81:139 Dieu sanctionna cette honte et cette précaution : Il leur fournit Lui-même des tuniques de peaux de bête et « les en revêtit ». Saint Jean Chrysostome dit : « Ces mots signifient que *Dieu commanda* que ces tuniques existent, et voulut que le vêtement rappelât sans cesse la désobéissance. » A partir de là, nous dit saint Thomas, le plaisir de la chair troubla la raison, ce fut la volupté -- et c'est pourquoi la privation volontaire ou virginité fut déclarée supérieure au mariage. Le corps devint « captif de la loi du péché qui est dans ses membres » ; la chair est ennemie de l'esprit -- le corps est un corps de mort dont la nature ne délivre pas. Mais la Grâce de la Croix de Jésus-Christ par le baptême -- la Croix de Jésus-Christ portée avec Lui, dans une lutte qui dure jusqu'à notre dernier jour. Car le corps marqué du péché reste ennemi par la concupiscence. L'homme ne doit jamais faire confiance à la chair. Il n'est redevable à la chair que de la mort. La vue elle-même, faite pour présenter à la raison le sensible (dont elle doit abstraire l'intelligible), la vue elle-même agit sur la chair directement comme chez les animaux et directement sur les organes de la génération. L'imagination n'a même pas besoin d'images nouvelles, elle en garde suffisamment pour provoquer les mauvais désirs, surtout à l'âge de la puberté et dans l'habitude du vice. L'imagination excite les sens et provoque la curiosité de la chair. Quand on satisfait cette curiosité par le nudisme, l'orgueil et la satiété temporaire retiennent la sensualité -- pour la rendre irrésistible, l'expérience passée. Le ma­riage est à la fois, pour ceux qui y sont appelés, une épreuve et un apaisement, pourvu qu'il soit observé dans la grâce du sacrement, selon les fins de la nature et la loi de Dieu rappelée par l'Église. Il reste que donner satisfaction aux passions, quelles qu'elles soient, c'est nourrir un dragon insatiable, fortifier l'obsession et la rendre despotique. Le spectacle de la nudité est la nour­riture de l'obsession. 82:139 *Calmer la chair est non l'œuvre de la chair qui ne produit que la corruption, c'est l'œuvre de l'esprit sanctifié dans la Grâce.* Ce corps de mort avec ses tentations mourra. S'il a satisfait ses exigences, il ressuscitera pour l'Enfer éternel, s'il a été vaincu par l'esprit en état de grâce, il ressuscitera incorruptible « comme un ange dans les Cieux ». Il faut donc « refouler » les appétits de la chair ou plutôt « purifier l'œil intérieur » par la Croix de Jésus-Christ, délivrer l'âme par Sa sainte mort, cette mort pro­gressive en Jésus qui s'appelle tempérance, sobriété, chasteté, mortification, méditation quotidienne de la mort physique certaine -- l'Espérance du Ciel. Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Le monde nie que ce corps est corps de mort et de péché. Moi, je l'affirme, et j'affirme en même temps que je suis destiné à un amour éternel dans la contemplation du bonheur même de Dieu. Pour nous chrétiens, le remède n'est pas de nier les ravages du péché originel dans notre nature. « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » Saint Paul ne répond pas : « Moi-même, en me persuadant que je suis indemne, que la chair satisfaite est amie et épanouissement. » Mais « Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. » Enseveli dans la mort de Jésus par le bap­tême, j'en sors vivant, vêtu d'une robe blanche : « Recevez ce vêtement blanc. -- Puissiez-vous le porter sans tache jusqu'au Tribunal de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de manière à posséder la vie éternelle. » C'est le vêtement du respect de ce corps devenu Temple Vivant de la Sainte Trinité. « Telle est la guerre entre l'esprit et la chair ; ne donnez pas dans l'illusion de croire votre âme insensible... aux excitations qui jaillissent des images et qui, colorées des appâts du plaisir, saisissent l'imagination... elles trouvent la maligne complicité des instincts de notre nature, déchue et désordonnée. » (Pie XII, 22 mai 1941, à la jeunesse féminine.) 83:139 Voilà à quoi expose « la vue de la chair nue ». -- Le savent clairement *et l'appliquent ceux qui vivent ouvertement du vice.* Voilà ce que font semblant d'ignorer les familles dites chrétiennes qui exposent des cuisses de filles ou des collants sur les formes, occasion de chute immédiate dans leur organisme pour beaucoup d'hommes et de jeunes gens -- et les culottes et shorts invraisemblables des petits garçons et les petites filles victimes d'amitiés troubles, d'actes in­nommables, d'attentats réels de la part de malheureux jeunes gens et de « gens très bien » que la vue de la chair a tentés, surtout quand leur vie se passe dans l'auto, le confort, les magazines, l'alcool, le tabac, la rigolade et la sécurité. Le vêtement n'est plus vêtement, dit Pie XII, il est exigu ou collant, *pour montrer.* D'où l'estime de la Tunique, -- de la longue robe -- telle que nous apparaît la Reine des Cieux, -- d'où cette soutane, cette aube qui vit (vivait) sous nos yeux comme un rappel constant de notre condition dangereuse et infini­ment digne. La malice se plaît à remédier à la peau par le pantalon adhérent, la femme abdique sa féminité. La confusion des sexes est un stade de l'impureté. Ce pantalon « adhérent » sert ainsi à deux fins : On argue de la commodité. Commodité double : pour être à son aise, et perdre son âme. Le vêtement masculin pour la femme, formé d'un pourpoint fortement attaché aux chausses et complété par la huque qui descend jusqu'à la cheville, peut être légitimement adopté par toute femme enfermée la nuit en prison avec une « soldatesque sans scrupules ». C'est le cas de Jeanne d'Arc. \*\*\* Le plus grand malheur, ce n'est pas que ces modes existent, les modes de nudité ou de « collement » ont toujours existé pour les mérétrices, les courtisanes, les demi-mondaines etc. etc. 84:139 C'est, dit Pie XII, avec une terrible perspicacité « qu'elles sont acceptées par les femmes croyantes et même pieuses... elles font par leur exemple tomber *les dernières hésitations.* Tant que ces « toilettes » restent le triste privilège des femmes de réputation dou­teuse *et quasi le signe qui les fait reconnaître,* nul n'osera les adopter. Mais dès qu'elles sont portées par *des personnes au-dessus de tout soupçon,* on n'hésite plus à suivre le courant, un courant qui entraîne peut-être aux pires chutes. » Nous écrivons donc aujourd'hui pour ces femmes croyantes, même pieuses, *au-dessus de tout soupçon.* Voilà les responsables, les coupables, celles qui ont ouvert les vannes au courant du cloaque. \*\*\* L'Église a dû lutter en tous temps contre le fléau du luxe et de l'impudicité. Satan connaît son monde. Mais l'entreprise a été et est trop menée aujourd'hui pour ne pas faire penser à des « *tentatives préméditées,* à une offensive sans précédent qui ne connaît pas de trêve », selon les justes expressions de Jean XXIII. Avec les démons, des hommes veulent « submerger l'intégrité de la conduite morale ». Léon XIII : « Il s'est trouvé, dans la Franc-Maçonnerie, des hommes... pour soutenir qu'il fallait systématiquement employer tous les moyens pour saturer la multitude d'un laisser-aller illimité dans les vices. » Le Pape possédait là-dessus des documents d'une entière clarté -- par exemple la lettre du 9 août 1838 entre deux chefs de la « Haute Vente Italienne » : « *Ne nous lassons jamais de corrompre,* pour abattre le catholicisme corrompons la femme... » Sous le Second Empire, la mode commence à pénétrer les campagnes. Élément de la persécution morale du paysan dont nous avons parlé, que cette guerre du costume régional, « habit sobre et modeste qui garantissait la liberté spirituelle ». (Père Emmanuel). 85:139 L'étape principale de cette corruption, c'est l'école laïque. Puis c'est la mode « de langage oblique, de vanité audacieuse, de fatuité » (Pie XII) ; le nudisme comme remède à « l'hypocrisie », -- le nudisme relatif des plages, -- qui s'installe, par le tourisme, jusqu'au cœur du pays -- le divorce -- et puis ce que nous savons si bien maintenant : le cinéma, la publicité, la télévision, Helga et Michaël, l'école mixte, l'union libre, la contestation, la mini-jupe, la cuis­serie complète de notre temps. Les femmes, et par elles les familles, ont été condition­nées par un progressif despotisme auquel elles ont appris à obéir, gentiment, sans répugnance, *avec respect.* La répugnance, le sarcasme, le haussement d'épaule, elles l'adressent à celles qui osent braver ce despotisme, et porter encore des habits décents. \*\*\* Quand on pense qu'en 1928, puis en 1930, Pie XI déclarait indécent le décolletage de plus de deux doigts au-dessous du cou, ordonnait que les manches allassent jusqu'au coude, signalait ces coquins d'affreux bas couleur de chair « qui donnent l'illusion que les jambes ne sont pas couvertes », ordonnait aux prêtres de refuser la Com­munion aux personnes ainsi vêtues ! Mon Dieu, que nous avons puissamment évolué, que tout cela fait bête, fait grand'mère 1930 : avant le déluge, temps des illusions -- 1969 : temps des fortes réalités : ce qui est nu, est nu ! Aussi, Madame Verdier, fondatrice en 1944 du Renou­veau français contre l'indécence des modes, pouvait dire : « Je suis seule, absolument seule ! » Les rarissimes « qui couvrent leurs genoux même quand elles sont assises » peuvent, chacune en sa sphère, prononcer cette parole découragée. 86:139 Alors, on rappelle les voix saintes, ces voix véhémentes, suppliantes, Pie IX, Pie X, tous les Papes et Jacinthe et Lucie, qui prêchent la « Croisade de la Pureté ». Ah, disent-elles, les yeux sur la Vierge Marie, marchez vers cette étoile du matin qui dissipe les tentations du Malin. Consacrez les familles au Cœur Immaculé de Marie -- au Cœur douloureux et immaculé de Marie, d'autant plus que vous avez moqué et détruit les Congrégations d'Enfants de Marie fondées après les Apparitions de la rue du Bac. Contemplez les douleurs indicibles de la Mère de Dieu au pied de la Croix. Comment une femme, une jeune fille de cœur, en face d'une telle douleur, accepterait-elle d'être une occasion de chute par l'immodestie de sa tenue... ? Et le cri bouleversant de Pie XII : « *Ô Mères chrétiennes, si vous saviez quel avenir d'an­goisses et de périls, de hontes mal contenues, vous pré­parez à vos fils et à vos filles, en les accoutumant à vivre à peine couverts, en leur faisant perdre le sens de la modestie, vous rougiriez de vous-mêmes, et vous redouteriez l'injure que vous vous faites à vous-mêmes, le tort que vous causez à ces enfants que le Ciel vous a confiés pour les élever chrétiennement. *» Ces cris, ces saintes supplications ont certainement ébranlé et converti quelques femmes. Nous en voyons, nous les connaissons. Mais pour l'immense majorité des femmes dites catholiques et, selon l'expression de Pie XII, « des personnes au-dessus de tout soupçon », toute la doctrine, toute la morale, toutes les exhortations, toutes les apparitions, toutes les menaces, n'ont servi absolument de rien. La Toute puissance diabolique a commandé genou ! Le genou est apparu. Elle a dit : cuisse, et la cuisse est venue. De 5, 10, 15, 20 cm. de cuisse, selon l'humeur, debout, et selon la nécessité, assise. Cependant, c'est la doctrine de Jésus-Christ qui con­damnera, c'est pourquoi nous l'avons redite. \*\*\* Elle est et elle demeure. 87:139 C'est d'elle que vient la vie et la conversion. Mais pour l'enseigner, l'appliquer et l'opposer aux vices, il est plus d'une manière. Quand le vice est parvenu à une certaine pourriture publique, quand il prend la forme d'un aveuglement paisible et collectif, de telle sorte que les corps et les âmes en font comme une seconde nature, le portent « humblement » (dans une parodie de l'humilité vertueuse) comme un joug légitime, quand en un mot, les cuisses des femmes de bonne réputation se montrent en une obéissance régulière, par un dressage bien assoupli, l'exposé de la doctrine, les appels, les élévations et les supplications voire les menaces de l'Enfer éternel sont vains et, aux yeux des solides dévotes de la mode, paraissent ridicules, comme si, contre l'Évolution toute puissante, nous, imbéciles retardataires, lancions des flèches de papier. *L'inversion est devenue totale,* car les tenants de la doctrine et des bonnes mœurs « se sentant seuls, absolu­ment seuls » n'ont guère confiance en leurs armes, ils de­mandent en vain secours aux autorités, encore heureux quand celles-ci, sans les contredire, se contentent de dé­tourner les yeux et, tout amollis, perplexes, ils sont près de croire aussi à la puissance évolutive de la chair, ils doutent du bien-fondé de leurs observations. -- Peut-être, pensent-ils, ces femmes qui trottent à la messe, cuisses visibles, qui s'approchent de la Sainte Table (plus de table !) en tenue de plage sont-elles, tant leur expression est sérieuse et aisée, sont-elles revenues à l'innocence pri­mitive et que nous seuls voyons du mal où il n'y a que « suppression d'hypocrisie ». Quoi de plus loyal qu'une cuisse chrétienne ? C'est de l'autre côté, du côté du strip-tease méthodique qu'est la paix, l'assurance et la certitude. Je me rappelle à propos une observation que je reçus un jour du commissaire de police. La veille, très tard, je méditai en vain l'écriteau du « stationnement permis jus­qu'à 20 h. 45 » et c'est de ce côté que je laissai sottement ma voiture. Le lendemain matin, sur ce côté fatal, sous l'essuie glace : le petit papier trop connu. Mais le Commis­sariat est à deux pas, je vais arguer de ma bonne foi. Et le commissaire sans humour, gravement : «* Comment,* dit-il, *vous ne vous êtes pas sentie complètement seule ! *» 88:139 « Un homme en spencer en 1844 ! s'écrie Balzac. Pour le cousin Pons, les passants se retournaient. » Voilà ! c'est cela, l'impressionnante, l'inconvenante soli­tude des cuisses invisibles en 1969 ! Quand les choses en sont là, par le jeu diabolique d'une subversion sans précédent, il n'est plus qu'une métho­de pour réveiller les chrétiennes endormies : le Fouet. Le Fouet de la Satire. Il n'est plus que la Colère généreuse, la Haine vigoureuse, la merveilleuse et pure Indignation pour se présenter avec son grand fouet de dompteur. Quand le Père Damien entendait les premiers crépite­ments du feu autour duquel ses nègres, chrétiens trop neufs, allaient se griser de danses lascives, quand lui ve­naient certains accents diaboliques des langues et des tam-tam, embrasé de colère, le grand Flamand bousculait le feu, frappait au hasard, dispersait à coups de poings et de pieds les danseurs -- et les pauvres, terrorisés de sa sainte colère, sentaient s'évanouir en eux la fièvre féti­chiste. (Maintenant, on sollicite dans leurs cœurs sauvages ces « originalités africaines ».) J'ai dit « tonner ». C'est avec des tonnerres et des fouets que les Pères de l'Église maudissaient les femmes folles de leur temps, que saint Cyprien leur disait : « Avec vos lèvres rougies, vous ressemblez à des ours revenant du carnage... Tu ne peux prétendre que d'âme tu es chaste... Ce sont les anges apostats qui t'apprennent à marquer tes yeux d'un cercle noir, à peindre tes joues, à teindre tes cheveux... » Et saint Jérôme : « Vos mèches teintes ont la couleur des flammes de l'enfer !... » C'est ainsi qu'Isaïe crie aux filles vaniteuses de Sion « Le Seigneur vous rendra chauves ! » 89:139 « Il frappe comme un sourd », disait Madame de Sévigné quand elle « allait en Bourdaloue » -- « Sauve qui peut ! » Le divin Roi, le Saint des Saints, voilà le grand Maître de la Satire. De la Satire contre l'hypocrisie. Mais qu'est-ce autre chose que le pire des hypocrisies, cette prétendue honnêteté des femmes vêtues comme les courtisanes de Rome que la loi obligeait à la jupe courte pour qu'à pre­mière vue on les distinguât des matrones. N'est-ce pas des Pharisiens (« sépulcres blanchis, race de vipères ! ») ces théologiens de la mort de Dieu qui sont les maîtres de ce culte effrayant de la chair, parce qu'ils détruisent tout absolu dans les âmes, toute exigence divine, tout commandement sacré, tout ordre millénaire. Le Sauveur les maudit, armé du fouet terrifiant des plus cinglantes malédictions. Un jour, pour appuyer la Sainte Écriture devant un autre vice (établi, paisible, public, admis), en un tourne­main, avec un paquet de cordes qu'il y avait là, il fit, comme un artisan habile à se débrouiller, un vrai fouet tournoyant : « Ma maison est une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs. » Le fouet de la satire, en notre temps, est toujours par terre ; de ces souples cordes, aucune indignation ne fait prestement une longue et cinglante chambrière. Et pourtant, Dieu sait que jamais viande au vent ne tenta mieux les généreuses cravaches. L'honnête homme doit connaître le rire puissant de l'indignation, cette magnifique forme d'amour du seul bien, cette nerveuse et sapide défense de la Vérité. Ici, nous arasons de ce mépris superbe des garçons intelligents. Ils prennent la liberté féroce de juger les femmes, en premier examen, sur le degré de la dénudation. Leur chasteté n'a-t-elle pas le droit d'appliquer sévèrement le principe énoncé par le pape Benoît XV : « Une femme n'est vertueuse que si elle se montre telle dans la façon de se vêtir. » \*\*\* 90:139 *Les laides. --* « Laides, elles consternent ! » ([^29]). Laides -- les jambes laides, et laides dans cette mode. *C'est l'immense majorité !* D'une laideur que nous nous plairons à analyser. Une seule fois, j'ai vu une jeune femme impressionnée par un jugement sur la mode. Ce n'était pas un jugement moral (ce jugement-là, je l'ai dit, l'immense majorité s'en moque). C'était un jugement esthétique et physiologique. « Très peu de femmes, lui dis-je (exprès), ont les membres parfaitement droits. C'est invisible pour les bras. La plupart ne s'en doutent pas pour les jambes. Mais si l'on étend un bras nu comme pour un serment, on peut s'apercevoir du désaccord relatif des os. » Ma jeune femme étendit le bras nu. Elle rougit et dit : « En effet, si c'est pareil pour les jambes ! » Je me souviens qu'à treize ans, j'assistai pour la première fois à un ballet classique... je trouvais le spectacle bien beau. Or un vieux Monsieur, prés de moi, dit « Il n'y a pas une jambe droite sur dix », et je vis aussitôt qu'il avait raison. Ce qui est apparu depuis la mini-jupe (pardons, prenons garde : depuis le compromis que font les dames catho­liques avec la mini-jupe) est inimaginable. C'est le défilé des horreurs. La jupe verticale et plissée, ou même droite, couvrant jusqu'à un cinquième du mollet, cette jupe était d'une exquise charité -- elle laissait venir en la démarche, même celle des jambes les moins bien faites, une certaine grâce, car on ne pouvait en évaluer la verticale -- surtout, *on n'y pensait pas.* Non seulement les « mauvaises pensées » d'impureté n'étaient point excitées, mais les supports bé­néficiaient d'une bienveillante estimation ; et pour les plus laides, d'une large indifférence. Relevée, la jupe impose aux yeux toutes les disgrâces de la nature. Au-dessus du genou, en effet, malformations, déformations, cagnes et arcatures sont évidentes. Grosse victoire sur « l'hypocrisie » ! Tout se prépare, pour les deux supports du corps humain, à l'endroit où la cuisse rejoint le genou. C'est là que s'amorce la laideur de toute la construction, comme sa beauté. 91:139 Vraiment, avant cette tempête, l'œil n'avait point aperçu, chez les femmes, une certaine forme de misère humaine. Virgile dit bien cela : Quand une tempête exception­nelle fait rage, les flots retirés avec force font entrevoir d'horribles rochers, inconnus des navigateurs, *miserabile visu*. Jamais l'on n'aura plus d'occasions de comprendre que l'habit que veut la pudeur était destiné aussi à voiler, atténuer, arranger les suites déformantes des péchés uni­versels. D'abord les *jambes grosses* : elles sont légion, même chez les jeunes : graisse et cellulite bien plaquée sur la cuisse, genou à fossettes adipeuses où s'amorce une colonne sans galbe qui suffisait bien, auparavant, à blesser la vue. Mais la graisse, et l'épaisseur, ne sont rien à côté de l'architecture. Nous ne savions pas que tant de cuisses, fatiguées de porter le corps, formaient avec le reste un losange lamentable -- les genoux surchargés s'écartent, les tibias rachètent comme ils le peuvent, et voilà pourquoi ces pieds-là marchent tellement en dehors ! On ne l'aurait jamais su. Vous n'allez pas dire que je manque de charité, que je ris des infirmités, des torsions que la fatigue, la maladie, la maternité ont infligées aux deux colonnes de l'être féminin. C'est la Mode qui est cruelle, ce n'est pas moi ! La Mode dont l'indécence détruit cette charité élémentaire, ce respect tout instinctif qui voile d'invincibles et in­nocentes déformations. Moi je ris en effet, avec dégoût et amertume. C'est bien fait ! Qui vous oblige à montrer tout ça ? L'ignominie de la mode seule ? Alors, c'est bien fait ! 92:139 J'entendis un jour une femme de 45 ans, assez élégante et déjà court vêtue, annoncer dans un grand dîner « qu'elle aussi, bientôt, adopterait la mini-jupe. -- Tu verras... » disait-elle, mignarde, à son mari. « Moi, dit-il, sombre, j'ai vu -- les autres verront ! » Il avait vu, je veux bien, cependant je prétends que *beaucoup de maris ne savaient pas, avant de les voir trotter dans la rue, que leur femme était tordue*. C'est qu'il faut voir marcher les genoux et les cuisses, les voir trotter d'ici de là, pour se rendre compte du port défec­tueux de la plupart des femmes. Car beaucoup de jambes paraissent droites tant qu'elles n'ont pas chargé leur fardeau, et, découvertes, révèlent à tout œil ce qu'il leur en coûte. Que de cagneuses et déportées ! que de poils et de varices ! que de bâtons ! que de piliers ! Je vais vous dire une effrayante exhortation que m'a rapportée celle qui en fut l'objet. Elle refusait de raccourcir ses jupes. Alors, sa sœur aînée, jeune mère de quatre enfants : « Si tu crois, lui-dit-elle, que cela ne m'a pas coûté, avec mes varices, de montrer mes jambes. Les premiers temps, ça me faisait vraiment de la peine, -- mais *j'ai été courageuse*. Tu verras, fais effort, on s'y habitue très bien ! » Langage chrétien, hein ! La mode, pour les dames catholiques, voyons, c'est un devoir de charité. Et pour les yeux du prochain, s'il a un peu de goût, quelle avantageuse mortification ! C'est que, avant, il y a très longtemps, (bien que ce fût en 1956) on faisait encore *attention au visage*. En gros, on n'était pas trop distrait du visage, et *le visage, c'est l'âme*. Ça valait la peine, si l'on n'était pas très bien bâti, d'avoir un gai, aimable, voire joli visage. Aujourd'hui, toute femme, dans la rue -- peu ou prou -- vous invite à la regarder d'abord en « en bas ». Ça va venir, le dégarnissage de l'en haut, ça va sûrement (c'est déjà fait à tout soleil) se faire. Pour le moment, il y a encore des centaines de ces coquines de petites robes serrées, à col presque monté, avec, en bas, des cuisses signalantes qui appellent intensément le regard. Oui, la femme se rend intéressante par là... 93:139 Et par là détruit son visage ; je m'explique : Cette tenue, en en bas, de petite girl dévergondée, appelle un visage frais, insolent, provocant. Les pauvres filles aux visages maussades, l'infortunée jeunesse elle-même, dro­guée, ne le sait pas plus que les dames catholiques quand on va cuisses au vent, il faut rigoler. Or les dames ont, par là-dessus, *leur air de tous les jours*. Rien n'est plus grotesque que cette gravité soucieuse de mères de famille au-dessus de ces chairs exposées de l'étage inférieur. Mais l'infortune sans nom, c'est l'âge. De dos : regardez la grosse gamine. Ciel ! elle se tourne : 55 ans sont inscrits sur ses traits, 55 ans indélébiles, défi­nitifs, *à cause du contraste*, de la déception, si vous voulez. Je vous dis que cela ne s'est jamais vu : une matrone en jupettte, de brusques cheveux gris montés sur cuisses -- l'effet est immanquable -- il faut encore un lustre pour que l'œil s'y fasse. « Des Mémés court vêtues » c'est affolant. Et rien ne fait vieillir brusquement, je le répète, comme le contraste. Ces deux moitiés en combat surprendraient un Romain de la Rome d'Auguste, comme s'il voyait pour de vrai un Centaure, homme de torse, cheval de croupe -- une sirène, femme d'en haut, poisson de queue. On a envie de leur dire, à ces chères femmes au cœur sérieux dont apparaissent les genoux : « Mon Dieu, mon Dieu, vous que les maternités ont appesanties ou épuisées, dont le visage reflète les vertueuses fatigues et la noblesse d'une vie de dévouement, comprenez, mais comprenez la silhouette qui vous convient ! Respectez ces rides que vos grands fils doivent baiser, ces cheveux gris que vous décolorez au recolorez et qui, naturels, mettraient tant de douceur à votre regard. Ah, que flottent autour de vous, quelques plis descendants, quelque majesté discrète qui appelle « l'affection respectueuse ». Vous perdez, vous gaspillez l'unique et rare beauté des ans sur un visage aimé. Comment peut-on sacrifier de tels biens, pour faire la gamine, pour exposer à tous les yeux vos incapacités à ce rôle infâme... C'est à pleurer ! » 94:139 Cette mode perverse est faite, en effet, pour défigurer toute distinction, pour rendre grotesque toute dignité, pour mettre en relief toute infirmité, pour avilir toute expression morale -- pour ravaler tout ce qui n'est pas gamin, voyou, né d'hier, pour classer les générations à l'envers. Le modèle, c'est la gamine, que la grand-mère s'y conforme ! La jupe remontée signale les « croulants » aux rires des « dans le vent ». \*\*\* « *Leur impudeur trouble... quand elles sont jolies. *» ([^30]) Mais enfin (c'est vous qui parlez, vous qui m'en voulez) puisque vous le prenez par là, par l'élégance, la grâce, oublions la luxure, la tentation, les mauvaises pensées, suggérées par tant de cuisses trottantes, posées, exposées, mutine en un mot ; ne parlons que beauté, beauté du diable si l'on veut, beauté quand même. Eh bien, c'est cela, ne parlons que beauté. Car enfin, il est de jolies femmes aux jambes ravis­santes, aux cuisses longues, juste rondes à point, et quelle grâce dans cette ligne exquise qui, révélée presque de la taille, file jusqu'au bout du pied ; surtout avec le bas nylon, transparent, juste destiné à polir tout en expliquant. Eh bien oui (parlons en folles) c'est galant, une jolie femme habillée haut. Bon, vous admettez que cette mode sans charité est abominable pour les mûres, les vieilles, les lourdes, les déviées, mais au moins qu'elle est le fripon triomphe de la perfection physique. Et même que par la saturation ocu­laire des jolies cuisses, le « trouble » dont parle Jean Ousset se dilue tranquillement. 95:139 Autrefois, du temps de Balzac ou de Renoir, alors, oui, le trouble, le choc existait, quand la Parisienne, d'un geste qu'on eût cru éternellement féminin, soulevait (au moyen de la ganse passée à son bras) la longue jupe à tournure et à volants et qu'apparaissait une cheville de déesse et la naissance d'un mollet roulé -- alors, oui, la rareté de ce délicat spectacle, chez des gens frustrés, causait le trouble et le choc. Mais l'indigestion actuelle, loin de troubler les entrailles, les a délivrées. Beau résultat, en effet, que la satiété ait détruit la pudeur ! Que dirait-on d'une langue assez infectée pour ne plus sentir les aliments pourris -- d'une oreille tellement gâtée qu'elle ne réagit plus à la cacophonie. Quand le choc et le trouble disparaissent, le chrétien a renié son baptême, l'homme civilisé a rejoint le barbare, la chair a saturé l'esprit. Mais revenons à nos « jolies », aux cuisses impeccables. Analysons bien soigneusement, au fer rouge. Dans le hall du bel hôtel Méditerranée à Genève, je vois soudain du bureau de réception sortir une créature de rêve : jeune, les jambes longues, admirablement faites, le bord de jupe à 15 cm du genou... je décris par en bas, en montant, car c'est instinctif, c'est la méthode « d'abord les cuisses », une jupe rouge vif « en forme », juste de quoi voler à chaque mouvement, le corsage ajusté, un amour de petit col -- un visage frais -- la chevelure légère. -- Je somnolais (faites bien attention, j'analyse) et soudain, dans ce décor officiel, à cette apparition, une idée s'impose à moi : cette petite vient faire « son numéro ». Elle est en tenue pour cela. C'est charmant, elle va sauter, virer, s'élancer dans les airs -- je ne somnole plus -- la fille s'approche et sèche, sérieuse, terre à terre, contredi­sant toute sa tenue de bayadère, elle me dit : « Madame, voulez-vous faire votre fiche ! » -- J'étais si frappée que je me dis : il y a là une révélation -- je la gardai dans mon inconscient. Elle s'illumina : ce fut un soir d'automne, dans un grand salon familial. La conversation, sérieuse, ménagère, allait bon train. Soudain, à la porte, des voix. « Ce sont les X », dit la maîtresse de maison et me glisse à l'oreille : « Vous ne les connaissez pas, ELLE est superbe. » Alors les X firent leur « entrée ». ELLE était superbe, en effet. Robe rouge encore, la jupe découvrant les plus belles jambes du monde, encore une jupe « en forme » faite pour voler ; des bras de Minerve, nus. 96:139 Un Monsieur sérieux, habillé en manager, conduisait cette belle créature. Alors mon pressentiment devint hallucination : Il l'amenait pour un numéro sensationnel, elle allait nous régaler de danse, plutôt de sauts inoubliables -- et je m'avançai pour mieux la voir « travailler ». Hélas la belle acrobate tendit la main à la ronde en disant, de l'air le plus pot au feu : « Je suis en retard, ma belle-mère n'en finissait pas de m'expliquer ce point de tricot que... qui... dont... ». Le manager qui l'avait épousée ratifiait sans un sourire. J'étais encore frustrée, mais j'avais compris : *ce costume n'est légitime que pour faire* « *un numéro *». C'est la tenue permise, agréable, légale des histrions, des danseuses, des acrobates et des écuyères de cirque. C'est aussi, en plus audacieuse, la tenue dégagée de la Diane rapide, la main sur la licorne. *Mais il faut faire un numéro !* Le droit de découvrir les cuisses, c'est le devoir de démontrer leur force et leur agilité. Ce costume, pour les jolies, est donc un costume pro­fessionnel. Et voilà pourquoi l'entrée des jeunes couples de ce temps est désopilante, surtout aux enterrements ! Alors j'évoque l'Étoile classique, laborieuse, de Degas, avec le tutu rigoureux, qui cerne d'un cercle pur la verti­cale sévère des jambes, et le sourire imperturbable appris à la barre, en mesure, au métronome. Le vieil André Levinson, ce « choréologue », ne s'en laissait pas imposer. A la ballerine charmante, il ne passait rien. Son principe était absolu, je le traduis ainsi : la danse révèle, par une géométrie mécanique exacte, la domination de l'intelligence sur le mouvement. Aussi, après le ballet, impitoyable : « Mademoiselle, disait-il à la plus applaudie, vous nous avez supprimé un battu et volé d'un entrechat. Ce n'est pas sérieux ! » 97:139 Quand j'étais petite, on me menait au cirque, nous grimpions sur ces bancs de bois qui sentent la bohème et les gens du voyage, sous le chapiteau de la « Maison » Napoléon Rancy, et là, j'admirais ardemment l'écuyère et la trapéziste. Cette petite personne, l'écuyère, paraissait justement dans le costume de Madame X, sans cravache, souriante ; et le manager, en habit noir comme Monsieur X, par le couloir qui donne sur la piste, tendu de drap rouge et or, faisait pénétrer la monture magnifique. Alors, évidemment, éclatait la nécessité du costume de Diane. Je me souviens surtout d'un merveilleux exercice sur un gros trotteur pommelé : il parcourait la piste avec une régularité par­faite ; l'écuyère bondissait, légère, sur la croupe luisante et dans l'accompagnement du trot régulier, dansait, gracieuse, sur les reins complaisants -- soudain s'immobili­sait, posant un seul pied, attentive, rose, toujours sou­riante, tandis que l'animal continuait imperturbable son rythme pacifique. C'était un déchaînement de jeune en­thousiasme tant l'accord de cet esprit et de cette bête était satisfaisant, aisé, reposant. Justement, l'énergique et courageuse personne, d'une seule détente, assise, puis couchée, semblait dormir sur l'encolure, puis debout, inlassable, en un dernier tour de piste, nous disait adieu. Venait la trapéziste. Elle se présentait vêtue d'un long péplos de Troyenne. Les machinistes achevaient de fixer là-haut deux trapèzes légers, frémissants -- une échelle de corde les unissait au sol. Alors la chère créature laissait tomber le manteau antique, et elle paraissait en costume de travail : corselet étincelant, chausses collantes, et, au-dessus des genoux : petite jupe rouge. Elle grimpait comme un joli chat jusqu'au trapèze. Quelquefois un filet rassurait la vue, -- mais hélas, la pauvre petite risquait souvent sa vie sans filet pour un gain plus élevé, -- j'étais tremblante et éblouie. La frêle balançoire la recevait deux lignes verticales, une ligne horizontale servaient alors la gloire de ce corps humain maîtrisé, lumineux. Pas un instant le sourire ne quittait le visage, droit, renversé, tournant, pendant. 98:139 On la voyait, suspendue juste par les pieds nerveux sur les deux extrémités de la barre, imprimer son mouvement à la périlleuse nacelle, et soudain retournée, d'un seul pied elle donnait un certain élan au deuxième trapèze vide. Simplement retenue par les mains, l'artiste attendait une mystérieuse synchronisation, alors, les deux poignets délicats et si vigoureux quittaient volon­tairement leur point d'appui (je priais pour elle). C'était le vide, l'imprévisible, une fraction de seconde, et fidèle, le deuxième trapèze recueillait les deux mains tendues. En un clin d'œil assise, victorieuse, elle lançait un baiser et glissant sur l'échelle, redescendait chez les humains. Les membres merveilleux animaient de nouveau le peplos re­trouvé... elle s'en allait, hélas, la belle travailleuse ! Qu'eussions-nous dit si, prenant Maman à témoin de notre enthousiasme, nous l'eussions vue soudain, horreur ! vêtue comme la trapéziste ! Les pauvres enfants d'au­jourd'hui ne voient que des mamans trapézistes, qui ne font jamais de trapèze. Car le plus grand malheur, main­tenant, le plus profond -- l'inconsolable, c'est que les petits enfants ne *voient* plus de mamans chrétiennes. Chré­tiennes, elles le sont, ou croient l'être, elles vont à la messe et même elles prient, et même, maintenant, elles déplorent la Révolution dans l'Église, elles, ont l'horreur des messes casse-croûte et elles en sont pour le célibat ecclésiastique, mais ça ne se voit ni dans leur silhouette, ni dans leur démarche, dans « leur apparition » ; C'est qu'avec la Mode -- la Dame, la vision de la Dame a disparu, vous comprenez à qui je pense -- à la Dame par excellence, la Mère par excellence, la belle Immaculée, la Dame de Lourdes, la Dame de la Salette, la Dame de Fatima, la Dame Annonciation, la Dame Piéta, le modèle de toutes les mères chrétiennes, l'Élégante souveraine, la silhouette céleste dont la robe atteint les pieds ornés de roses, dont les étoiles et « le croissant fin et pur » de la lune achèvent la toilette -- celle qui apparaissait familiè­rement au Curé d'Ars et que d'aucuns ont vue, à la sacris­tie, une dame très distinguée, qui n'était pas entrée et qu'on n'a pas vu sortir -- bref la Dame qui écrase le ser­pent, -- Celle à qui toute mère baptisée doit obligatoire­ment ressembler. 99:139 La grande Dame. Les enfants ne voient plus de « dames ». Pourquoi dit-on encore « Madame » aux jeunes mariées, servantes de la Mode. « Citoyenne » serait mieux ou « Minette ». Gaminette, par exemple. Mais pas ce nom sacré. \*\*\* Deux petits Anglais, 7 ans, 4 ans, Humphrey et Guy, dont la mère est morte depuis trois ans, visitent les blés avec leur Papa et leur Oncle. On parle de la fête de la moisson. Quelles danseuses choisiront les deux petits gar­çons ([^31]) ? -- « Quelle est la dame assez heureuse pour être fa­vorisée de ton choix ? » demanda l'Oncle Charlie. -- « Ce n'est pas une dame du tout, dit Humphrey avec indignation, c'est Dolly, la lingère. Elle porte des patins et des manches retroussées, et ses bras sont aussi rouges que ses joues. Dolly ne ressemble pas le moins du monde à une dame. » -- « Excepté le dimanche, répliqua le petit Guy, parce qu'alors elle baisse ses manches et se fait très belle. -- « Ce n'est pas cela qui lui donne l'air d'une dame, dit l'aîné des garçons d'un air dédaigneux. Ce n'est pas la peine de chercher à t'expliquer *ce que c'est qu'une dame*, Guy, car tu n'en vois jamais. » -- « Pas même Madame Jones, la femme de l'inten­dant ? » répliqua Guy timidement, car il se sentait sur un terrain dangereux. 100:139 -- « Non, dit Humphrey, ce n'est pas une vraie dame, *ce que j'appelle une dame.* Vois-tu, Guy, ajouta-t-il en baissant la voix et se rapprochant de son frère afin de n'être pas entendu, je ne pourrai jamais te faire com­prendre, *parce que tu ne peux pas te rappeler Maman.* » -- « C'est vrai ! » dit le pauvre petit Guy avec douceur. Il savait par expérience que l'argument était concluant, et il ne trouvait jamais rien à répondre ([^32]). Heureux celui garde l'image sacrée de sa mère, le sou­venir délicieux de ce temps « *où le bord de sa robe était notre univers *». \*\*\* Les Anciens, les païens aussi, savaient qu'une Mère, une Matrona, une dame, marche dans les plis d'une longue tunique. Je vais encore vous citer Virgile. Vénus est mère d'Énée. Vous savez que la mythologie sert tantôt le diable, tantôt le pressentiment du Dieu véritable. Ainsi Vénus est démon d'impureté, ou bien mère très digne du Pater Aeneas. C'est à ce titre qu'elle vient au secours de son infortuné fils, après la tempête, quand il erre dans des bois redoutables. Pour rester inconnue, elle paraît en chasseresse de Sparte ([^33]), je traduis : *suspenderat arcum Venatrix...* Sa mère vint à lui, marchant dans la forêt, Avec le port, l'habit d'une vierge spartiate, Car, selon leur usage, elle avait à la hâte, Pendu l'arc à l'épaule, à la taille les traits Et laissé dans le vent flotter sa chevelure. De Diane chasseresse, elle imitait l'allure *Et retenait d'un nœud, au-dessus du genou,* *La grâce de sa robe aux plis flottants et doux* *Nuda genu, nodoque sinus collecta fluentes...* 101:139 Mais voici quelle simple merveille la fait reconnaître ([^34]) : et avertens rosea cervice refulsit... Elle détourne alors un visage de roses, De ses cheveux s'exhale une suave odeur, *Son vêtement divin reprend sa noble ampleur* *Les longs plis déroulés jusqu'à ses pieds reposent.* Elle avance, et son pas nous la fait voir déesse, Le héros dit « ma Mère » à l'ombre qui s'enfuit, Puis il la perd des yeux, sa voix seule la suit. *ille ubi matrem agnovit...* Et nous, nous que la Pure et Parfaite est venue visiter, nous traînons des bébés dont les petites mains rencontrent des cuisses à la place des plis chéris de la robe maternelle. J'ai vu un petit mignon de deux ans, entre les genoux de sa Mère en visite, jouer avec la peau de ses cuisses -- il grattait, tirait, imprimait ses petits doigts. La femelle, habituée, « regardant vaguement quelque part ». D'ailleurs, à la piscine, à la mer, il la voit nue, avec deux pièces colo­rant deux places. Ce vol invraisemblable, honteux, fait à l'enfant, per­sonne ne s'en soucie. On ne le frustre ni de flatteries, ni de bonbons, ni de luxe, ni de confort, on lui vole « l'image immortelle de la mère ». Comme si la Sainte Vierge n'exis­tait pas. Quelles expiations devront payer cet effacement, cette suppression de la plus douce Majesté ! Il ne faut pas s'étonner ensuite, si nos enfants ne voient plus dans leur mère que la femelle, et nous disent, comme ce gosse de cinq ans, averti et cynique : « hier, Maman a fait son petit ! ». \*\*\* 102:139 Le vêtement, abri et chaleur du pauvre corps, le vête­ment, voile de pudeur, le vêtement voile d'infirmité, est encore *commentaire de beauté.* Dire qu'il faut rappeler ces choses aux femmes du christianisme, enté sur la dignité gréco-romaine ! La vie de l'esprit qui anime le corps passe dans l'étoffe, fait vivre les plis, fait tressaillir de grâce une écharpe et surtout une longue jupe. *Et vera incessu patuit dea...* *Sa démarche la révèle déesse...* Il est vrai qu'on ne regarde plus la taille, le port, la démarche. Les jeunes filles se déhanchent et se roulent, plus soucieuses de montrer le nu, quel qu'il soit, que de spiritualiser le mouvement par « la tombée » vivante d'une belle toilette. Elles ignorent cette révélation. On le voit quand, pour une comédie, pour une fête, on met une jeune fille dans la noble parure d'Angélique ou de Célimène. C'est un ravissement, elle se regarde entraîner cette gloire charmante en chacun de ses gestes, pourvu que la nature (rarement) ou un dur apprentissage lui per­mette de « savoir la porter ». J'en ai vu auxquelles la longue robe ou seulement un modeste costume régional enseignait d'emblée une fugitive dignité. Notre temps est la mort du costume. Le corps est sans gloire, il lui reste l'appel de la luxure -- je l'ai démontré, puisque les cuisses visibles ne s'expliquent que par là. Pressés, poussés, du métro dans l'auto, nous avons dû renoncer au volume qui célèbre le mouvement humain. Mais c'est l'impureté seule qui abolit l'ondoiement mesuré d'une jupe mi-longue, chantant la rapide démarche. Depuis la raison grecque, depuis l'Empire romain, depuis la Loi avant la Rédemption, depuis Jésus-Christ, jamais épouses et mères n'avaient provoqué ainsi les fouets, le sarcasme, le dégoût et la colère divine. \*\*\* 103:139 Je pense que j'ai fini -- bien que le fouet soit encore tout neuf. Je vais vous offrir ma conclusion, conclusion que je prends dans un jardin fermé et que je vous présente comme un bouquet parfumé de fleurs rares. Comment êtes-vous, Madame, pour recevoir ce bouquet ? Tout entière de mon côté ? Ou un peu fâchée ? ou très fâchée ? Vous pensez, par exemple : « C'est trop de co­lère, trop de malice contre une mode respectable comme toutes les modes. » -- C'est donc à vous que je m'adresse et je suppose que, assise et fâchée, les yeux *sur vos genoux,* vous en soyez à la conclusion -- la conclusion la plus chaste, la plus aimable du monde. L'argument auquel vous vous rendez. -- Je n'y suis pour rien, je m'en empare. C'est le soir, vous êtes lasse. Eh bien, pour le lire, allez mettre votre robe de chambre. Vous avez bien une robe de chambre longue, en nylon, en soie, en laine, qui bruit peut-être, quand vous marchez, ce bruit charmant, oublié, ce bruit de robe de maman. On vous aime bien comme cela. Alors lisez mon bouquet -- cueilli aux *Simples Ta­bleaux d'Éducation* de Mlle Monniot (1868). Les réflexions entre ( ) sont de moi. ##### *La robe de Jaconas rose* Ne voilà-t-il pas qu'une fillette dont les dix ans viennent à peine de sonner, ma petite Marie, s'avise, elle si naturelle et si simple jusqu'ici, de prendre... certaines petites ma­nières prétentieuses ! Et pourquoi ? Pour une robe neuve *une robe de jaconas rose* qui lui sied à merveille, et dont chacun lui a fait compliment. Moi-même, j'avais eu la faiblesse, en lui essayant cette robe, il y a huit jours, de m'applaudir tout haut de l'avoir si bien réussie... Vanité d'ouvrière, vanité de maman. La robe était bien faite, et ma fille me semblait jolie. La vanité engendre la vanité... 104:139 Le jour où Marie a mis cette robe pour la première fois lui a paru un jour de fête. Elle était d'une gaîté, d'un entrain !... Elle se regardait, du coin de l'œil, dans toutes les glaces -- ce que j'ai feint tout d'abord de ne pas remarquer. Je craignais de *donner corps à ces impressions fugitives, en l'obligeant à* *se les avouer* (Ô FREUD, GRAND IMBÉCILE !). J'espérais d'ailleurs que la réflexion triom­pherait du premier mouvement... Point ! Ma fille a pris de plus en plus plaisir à contem­pler et la jolie toilette et la petite personne qui s'en montrait parée (ADMIREZ LA PURETÉ ET LA GRACE DU STYLE). Ses amies étant absentes, elle s'est retournée, pour un épanchement insolite, du côté de notre vieille négresse Judith. -- « N'est-ce pas que cette couleur me va bien ? » lui demandait-elle avant-hier, au moment où j'entrais dans la chambre. Judith commençait un éloge hyperbolique, lorsque, sur un signe de Marie, elle s'est arrêtée court. Ma fille était devenue soudain plus rose que sa robe (PRÉSENCE DE LA MÈRE, RAPPEL DE LA CONSCIENCE). -- « Que disiez-vous donc à Marie, Judith ? » ai-je demandé. La bonne négresse a recommencé sa tirade. -- « Je pense, ma fille, ai-je repris, que tu en sais assez maintenant, sur cette toilette. Nous t'avions tous dit qu'elle est fort jolie ; tu as voulu aussi l'opinion de Judith. Tu vas cesser, sans doute, de t'en occuper ? » -- « Oui, Maman ! » Mais les coups d'œil au miroir n'ont pas diminué, non plus que l'air suffisant et les poses maniérées... (CELLES QUE PRENNENT, SOUS L'ADMIRATION GÉNÉRALE, NOS FUTÉES *de quatre ans*). Mes paroles n'avaient frappé que la surface sans péné­trer dans le jeune cœur où travaille le démon de la frivolité. J'ai compris que j'userais inutilement mon influence contre le mur d'enceinte -- si promptement élevé parce que l'ennemi trouve toujours, hélas, des intelligences dans la place. 105:139 (QUELLE GRAVITÉ, QUELLE VUE DE FOI ! LÀ OÙ LES « ÉDUCATEURS » 1969 TROUVENT GAMINERIE, MATIÈRE A RIRE ET A EXCITER « L'ENNEMI »). Et je me suis dit : « employons une ruse de guerre... » (L'ÉDUCATION = GUERRE AU DÉMON. QUI Y PENSE ?) Ne pro­nonçant plus un mot contre la vanité, je laisse ma fillette se pavaner -- secrètement troublée par les observations qu'elle a rejetées et par la gêne de sa conscience ; un peu blasée sur le plaisir, dont la nouveauté s'émousse -- et cependant étonnamment satisfaite encore. (QUELLE ANALYSE, QUELLE VUE de l'âme ! QUEL ART DE *comprendre pour veiller !*) J'aurais pu faire mettre de côté la robe ; à quoi cela eût-il servi ? *Ce n'est pas au prétexte, mais à la cause que doivent s'attaquer mes efforts*. J'attendrai... une oc­casion propice, puis, *Dieu aidant, je tenterai l'assaut*. (AS­SAUT, GUERRE, ENCEINTE : LE SÉRIEUX TRAGIQUE DE L'ÉDU­CATION... POUR UNE ROBE DE JACONAS ROSE ! MESURONS L'EFFONDREMENT DE NOTRE « PÉDAGOGIE »). Ce 19 mai. -- Il n'est venu qu'hier, le succès désiré. L'eussé je jamais pu croire, qu'une robe de jaconas me serait un rempart presque inexpugnable ! (MUSIQUE D'UNE LANGUE FERME, CLASSIQUE, HAUTEMENT DISTINGUÉE !) Chaque jour, depuis le commencement de mai, je fais faire à Marie une petite lecture dans « un mois de la Sainte Vierge » ; j'ai l'habitude d'ajouter quelques réflexions qui rendent plus personnelle et plus pratique pour ma chère enfant, l'impression produite. (MÉTIER DE MÈRE, QUI PARLE DE LA MÈRE PARFAITE.) Jusqu'ici, j'avais soigneusement évité toute allusion au but que je souhaitais poursuivre. Mais hier, *l'occasion* s'est présentée d'elle-même. *Nous avions à contempler* la divine Mère sur le Calvaire. Je me suis emparée, pour mon commentaire accoutumé, du texte sacré : « Ils prirent aussi sa tunique ; et comme elle était sans couture et d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas, ils se dirent : ne la partageons point, mais tirons au sort à qui l'aura... » 106:139 J'ai dit à ma fille que cette tunique avait été filée -- la tradition l'affirme -- par la Sainte Mère du Sauveur, dans la paisible solitude de Nazareth. « Avec quel amour elle avait dû se livrer à cet ouvrage ! Une mère n'est jamais plus heureuse qu'en s'occupant de ses enfants. Et la Vierge Marie voyait son Dieu dans son Fils... Le respect, l'admi­ration, l'amour remplissaient on cœur, tandis que travail­laient ses doigts agiles : (ALLEZ, LAISSEZ VOUS EMPORTER, MÉDITEZ, C'EST LE DEVOIR). Ce vêtement, pensait-elle, cou­vrira mon Fils pendant ses courses fatigantes... Je n'ajou­terai pas un seul ornement à cette robe sans couture, mon Jésus ne le voudrait pas. Lui qui prêche aux hommes l'hu­milité, l'obscurité, qui leur recommande de ne pas plus s'inquiéter de leur parure que les modestes fleurs des champs... « Ô pauvre tunique dont va se revêtir le Dieu fait homme, si tu pouvais apprendre aux hommes à chérir la simplicité !... Le monde recherche ce qui brille, et mon Jésus passe inconnu. Il est né dans une étable... il cache sa Majesté sous de grossiers vêtements, il se cachera plus complètement sous les ombres de l'Eucharistie. Mon Jésus vit de souffrances, d'humiliations. *De ses vêtements, à Lui, l'on ne parlera que le jour où sa mort* leur aura donné le prix qu'ils n'avaient point. Ma petite Marie, je comprends ton émotion. Telles devaient être les pensées de l'auguste Mère... *Nous avons entendu parler de cette tunique sans couture, parce que le sang de Jésus-Christ l'a rendue plus précieuse que la pourpre des rois.* Quel profit retirerons-nous, ma fille, de ces grandes leçons ? Voulons-nous être les disciples du monde, ou ressembler au divin Jésus ? » (TRIOMPHE DE LA FOI, DE L'ART, DE LA GRACE SURNATU­RELLE !) Ma fille chérie, hors d'état de me répondre, appuyait son visage sur ma poitrine en suffoquant. (AH QUE NOUS LES AVONS DURCIES, NOS FILLES, L'INDÉ­CENCE LES REND PIERREUSES.) Enfin, l'explosion s'est faite : -- « Maman, Maman, vous aviez deviné que je devenais vaniteuse et coquette (CE GRAND MALHEUR DONT SOURIENT AUJOURD'HUI LES DURS CŒURS MATERNELS). 107:139 -- « Oui, Maman, j'aurais voulu montrer ma robe à tout le monde... Et pourtant j'avais honte de moi... j'avais de mauvais sentiments : je ne pouvais m'empêcher de penser qu'Émilie et Zoé n'ont pas de robe rose, et d'en être contente tout bas. A l'église, j'ai eu des distractions tout le temps... Vous m'avez avertie, et je n'ai pas suivi vos conseils. (CLAIRVOYANCE ET VIGUEUR DE LA CONSCIENCE.) *Je crois que cette robe me rendait sourde.* (C'EST CELA, *la mode :* MÊME LA PLUS HORRIBLE LES REND SOURDES.) *Si je l'avais eue sur moi aujourd'hui,* Maman, *je n'aurais pas compris* ce que vous venez de dire de la tunique de Notre-Seigneur (ILS ONT FAIT QUE, DÉVÊTUES COMME ELLES SONT, *elles ne peuvent plus* REGARDER JÉSUS-CHRIST). « Que faut-il que je fasse ? Est-ce que vous ne voudriez pas me reprendre ma robe ? Mais c'est vous qui l'avez faite, je ne peux la mépriser... Quel malheur que vous n'en ayez pas choisi une autre, Maman ! » A ce débordement d'aveux, de regrets et de reproches, j'ai répondu : « J'étais fort éloignée de supposer, ma chère enfant, que cette robe produirait sur toi de si fâcheux effets -- je l'ai choisie parce que je la trouvais jolie et que je pensais qu'elle t'irait bien ! » -- « Mais Maman, a-t-elle interrompu vivement, c'est juste ce que j'ai pensé moi aussi. Alors ce n'est donc pas mal, puisque vous-même... (*tout ce qui suit est pour la jolie et décente robe de jaconas rose ; ce n'est pas pour ces pagnes que je n'ose qualifier entre ces lignes si pures*)*.* *--* « Écoute-moi, ma fille. Il n'est pas défendu à une mère de soigner la toilette de ses enfants. C'est même une obligation... je vous habille toujours simplement. Une robe de jaconas n'a rien d'extraordinaire... » -- « Ce n'est pas le jaconas, Maman, a-t-elle balbutié, c'est *le rose. *» 108:139 -- « Le rose était nouveau pour toi... j'ai trouvé naturel le premier mouvement de plaisir. Tu es une en­fant... Mais, ce que je blâme, c'est l'excès de ta joie pour si peu de chose. Notre-Seigneur a dit : « Où est votre trésor, là est votre cœur ». Ton trésor serait donc une robe de jaconas rose ? » -- « Oh Maman, non ! » -- « Non, ma fille. Ton trésor est placé ailleurs, dans l'amour du bon Dieu, la tendre affection pour tes parents, pour ton frère, ta sœur, tes jeunes amies... Mais alors, *pourquoi tant de pensées à ce que tu n'aimes point* (PUISQUE VOUS HAÏSSEZ LES ERREURS DE CE TEMPS, POURQUOI PORTER SA LIVRÉE AVEC TANT DE SOUMISSION ?) -- « Je ne comprends pas d'où cela peut venir, Maman. » -- « Je vais te l'apprendre. (ÉCOUTONS BIEN !) Ce n'est vraiment pas la robe que tu aimes : une futilité qui pare ton corps et ne peut rien pour le bien de ton âme. (NON, CE N'EST PAS CETTE MODE, FEMMES CATHOLIQUES ET SÉRIEUSES, QUE VOUS AIMEZ.) Ce que tu aimes trop, *c'est toi.* *--* « Moi, Maman, oh je vous assure que je me déteste, parce que je vois comme je suis méchante ! » -- « Si tu te détestais, ma fille, tu ne serais pas enchan­tée que l'on te trouvât bien. Tu ne ferais pas mille efforts pour obtenir des éloges... Tu n'aurais pas tant de plaisir à te regarder. » (S'AIMER DANS UNE JOLIE ROBE ! MAIS S'AI­MER DANS UNE MODE INFAME !!) -- « Maman, reprenez ma robe, je vous en prie. Faites en une robe pour Hélène. » -- « Je ne suis pas de ton avis, ma fille, ce serait un triomphe du démon... tu t'avouerais vaincue, n'ayant pu porter ta robe de jaconas rose sans que la tête t'en tournât. Je veux que tu t'habitues à mettre une toilette *sans y atta­cher d'importance.* Prends ce que je te donne. Le mal est dans *l'amour déréglé de soi-même. *» *--* « Maman, j'ai peur de moi. Le moyen le plus sûr, ce serait de me faire porter des robes laides. » -- « Le moyen le plus sûr, le voici, ma chérie : *dans chacune de tes toilettes, laide ou jolie, rappelle-toi la pauvre tunique du Sauveur.* » \*\*\* 109:139 Heureuse robe de jaconas rose : jolie et décente. Jus­qu'où a été *l'amour déréglé de nous-mêmes* de porter le laid et l'indécent par soumission au méprisable. Respirons le parfum de cette éducation chrétienne !... Je le sais ! Je sais d'où vient notre malheur. Les consa­crés dont la chasteté garde nos foyers, les prêtres, ont renié la sainte tunique. Un prêtre qui dépouille la livrée de Jésus-Christ, qui prend pour modèle la livrée du monde, c'est par un mystère poignant, une victoire de l'antique serpent sur la décence et la grâce des mères et des filles. Mais enfin, dans la trahison multipliée, il faut bien nous sauver. Alors prenez le moyen le plus sûr : en pensée, près de la Mère des douleurs, devant la glace, interrogez-vous durement : « Puis-je, *avec cette robe,* « depuis le haut jusqu'en bas », *honorer la sainte tunique de Jésus-Christ ? *» Luce Quenette. 110:139 ### La démocratie chrétienne au Chili par Jean-Marc Dufour L'APPARITION, en Amérique Latine, de groupements ou partis se réclamant de l'idéologie démocrate-chrétienne est un phénomène assez récent. Jus­qu'aux alentours des années vingt, la politique latino-amé­ricaine mettait en présence deux grands partis -- sous des noms variables selon les pays. D'une part, les libéraux, héritiers de la pensée « éclairée » du début du XIX^e^ siècle, liés au monde du commerce international, favorables aux puissances anglo-saxonnes (Angleterre d'abord, États-Unis ensuite) et en rapports étroits avec la franc-maçonnerie. Les conservateurs, constitués en majeure partie de propriétaires fonciers et de leur clientèle, se rattachaient à une tradition plus hispanique, se présentaient comme les défenseurs de la religion catholique. \*\*\* La décennie qui suivit la première guerre mondiale vit s'effondrer ce dualisme politique assez simple. Il se produisit alors deux phénomènes : d'abord, les États-Unis cessèrent de représenter l'idéal révolutionnaire -- ce rôle étant dès lors assumé par la naissante Union Soviétique ; ensuite, l'idéologie traditionnelle des partis conservateurs ne coïncida plus avec l' « évolution » rapide de la « pensée catholique ». Du premier phénomène naquit le mouvement communiste ; du second, le mouvement démocrate-chrétien. 111:139 Dès la fin du XIX^e^ siècle, apparaissent dans toute l'Amé­rique Latine des groupements qu'il conviendrait d'appeler « chrétiens sociaux » et qui seront sans aucun doute à l'origine des actuels mouvements démocrates chrétiens. Mais, en cours de route -- et c'est là un processus quasi-universel, l'héritage a été détourné : *ce* qui était au départ une tentative de défense contre « *le courant maudit du socialisme *», selon le mot de Mgr Mariano Casanova en 1893, deviendra l'un des éléments -- et non des moindres -- dudit courant. Parmi les initiateurs de ce mouvement social catholique, figurent : au Chili, l'*Asociacion Catolica de Obreros* (fondée par le conservateur Abdon Cifuentes et le Père Rafael Angel Jara) ainsi que la société *Orden y Trabajo* (fondée en 1898) ; au Mexique, la *Asociation de Operatios Guadolupa­nos*, qui publiait en 1905 *Restauration y Democracia Cris­tiana*. Les 20 000 affiliés de cette dernière association for­mèrent, en 1908, la *Union Catolica obrera*, d'où naquit (1911) le *Partido Catolico*. Pour un certain nombre des fondateurs de ces associa­tions et mouvements sociaux-chrétiens, il s'agissait avant toute chose de s'opposer à la propagande socialiste, puis anarchiste. Les premiers groupes d'intellectuels et de mi­litants socialistes étaient, en effet, apparus en Argentine en 1837 avec Esteban Echeverria, au Chili en 1850 avec la fondation de la *Société de l'Égalité,* au Mexique en 1861 avec l'arrivée de C. Rhodakanaty qui devait créer, trois ans plus tard, une école socialiste. Les anarcho-syndicalistes étaient venus un peu plus tard : 1872 en Argentine, 1893 au Chili, et à peu près à la même époque au Mexique pour ne retenir que ces trois pays. S'opposer à cette propagande, défendre la religion contre le matérialisme n'apparut pas à une partie des militants, et surtout aux jeunes qui se révélèrent après la guerre de 1914-1918, comme un moyen de résoudre les problèmes de la société sud-américaine. « Durant tout le XIX^e^ siècle, la critique des autorités ecclésiastiques s'exerça contre le libéralisme politique, écrit Jaime Castillo dans *Les sour­ces de la démocratie chrétienne,* mais elle ignora ses bases sociales et économiques ». 112:139 Les militants de ce qui deviendrait la démocratie chré­tienne se recrutèrent principalement parmi les éléments sensibles à cette constatation. Il était dans la logique d'une telle position qu'ils allassent militer au Parti Conservateur : le libéralisme au­quel ils étaient opposés -- tant sur le plan politique, que sur les plans économique et social -- était la raison sociale même de l'autre grand parti politique, le Parti Libéral. Mais il était aussi dans la nature du Parti Conservateur qu'ils ne restassent pas dans ses rangs : « *Les partis conservateurs sont, dans les pays latino-américains par exemple, les maîtres des grands domaines fonciers. Ainsi se produit une étonnante et curieuse coïncidence de points de vue entre l'anti-libéralisme et le pro-capitalisme. En d'autres termes, l'attitude des conservateurs, tout au long du XIX^e^ siècle et dans les débuts du XX^e^, consista à se faire les hérauts de la lutte contre le libéralisme insti­tutionnel et, en même temps, contre les représentants de l'ordre économique qui permit à cette idéologie libérale tant combattue de survivre. *» ([^35]) Dès à présent, il s'avère que la tendance des mouvements sociaux catholiques d'Amérique Latine, à la différence de ceux d'Europe et notamment de la démocratie-chrétienne française, fut moins de « convertir » l'Église à la démocra­tie, que de faire passer dans les programmes politiques l'enseignement des Encycliques « sociales » et de se préoc­cuper du sort des travailleurs. Le premier grand changement d'orientation de ces grou­pements d'où dérivera leur engagement dans le mouvement international de la démocratie chrétienne -- sous une forme assez voisine de la forme française -- est certainement l'une des conséquences du développement de la J.O.C. en Améri­que Latine. *Mouvement Syndicaliste Paraguayen, Fédé­ration Haïtienne de Syndicalisme Chrétien, Action Syndi­caliste Uruguayenne, Front authentique du Travail* (Mexi­que)*,* C.E.D.O.C. (en Equateur), C.U.S.I.C. (au Venezuéla), A.S.E.C.H. (au Chili), etc., tous ces mouvements syndicaux, qui devaient s'unir en créant le C.L.A.S.C. (Confédération Latino-Américaine de Syndicat Chrétien), ont joué un rôle primordial dans l'évolution de la démocratie-chrétienne. 113:139 Ils sont tous nés, selon le théoricien du syndicalisme chrétien Emilio Maspero, de l'action « *des jeunes prêtres qui étu­dièrent en Europe et furent une source d'inspiration et d'action en faveur du syndicalisme chrétien. Souvent, malgré la hiérarchie et contre la hiérarchie de l'Église, les militants exercèrent le droit naturel d'association et d'organisation qui ne peut être méconnu par aucun organisme responsable et démocratique. *» Il est impossible d'étudier dans le cadre d'un article l'immense variété des mouvements démocrates-chrétiens latino-américains. Je choisirai donc le cas particulièrement exemplaire du Chili, où la démocratie chrétienne se trouve actuellement au pouvoir. \*\*\* L'origine du mouvement démocrate chrétien au Chili, dans les années qui précèdent la seconde guerre mondiale, doit être recherchée dans un certain nombre d'organisations étudiantes patronnées par des ecclésiastiques. En premier lieu, *l'Action sociale,* dirigée par Mgr Edwards, et les *Réu­nions du Lundi,* dirigées par le Père Fernandez Pradel s.j. La première était un groupement d'Action Catholique où se rencontraient les représentants de tous les courants plus ou moins avancés de la politique d'inspiration chrétienne -- « à l'exclusion des réactionnaires », précise Ricardo Boizard dans *La Démocratie Chrétienne au Chili ;* les *Réunions du Lundi* étaient une sorte de club de jeunes où l'on s'exerçait à l'analyse des principaux ouvrages politiques. Les adhé­rents de ces deux formations se retrouvaient à *l'Association Nationale des Étudiants Catholiques,* fondée par les chefs conservateurs inquiets de la progression des idées subver­sives au sein de la vieille *Fédération des Étudiants.* L'état d'esprit qui régnait alors dans la jeunesse chi­lienne ne peut se comprendre que si l'on rappelle briève­ment les événements survenus au cours des deux années précédentes. 1931 avait vu s'écrouler la dictature du général Ibanez ; en septembre de la même année, s'étaient produits le soulèvement -- à tendance communiste -- de la flotte chilienne, et la capitulation de celle-ci. Un coup d'État, où les jeunes officiers avaient eu une part prépondérante, avait amené au pouvoir (en juin 1932) la République Socialiste de Marmaduque Grove ; laquelle s'écroula sans gloire au début du mois d'octobre suivant. 114:139 Ceux des jeunes Chiliens qui avaient mis leur espérance d'un renouveau social dans l'action des forces armées cons­tataient que toute révolution militaire était impossible et que le mieux, pour l'armée, était de rentrer dans ses caser­nes. Ceux qui avaient cru au Marxisme s'en écartaient à cause de sa collusion avec les maires sous le régime de Marmaduque Grove. Il faut noter, dès cet instant, l'exis­tence d'une tendance qui expliquera bien des points de l'évolution de ce groupe. Ses membres, ne rejettent pas le marxisme en tant que doctrine politique conduisant à l'asservissement de l'homme. Ce qui les choque au plus haut point, c'est non seulement la collusion des marxistes avec les militaires, mais encore que cette collusion n'ait pas été couronnée de succès : « *Ce qui allait arriver,* écrit Ricardo Boizard, historien quasi officiel du mouvement démocrate-chrétien, en se réfé­rant à la République socialiste de Marmaduque Grove, *c'est que, en cette occasion, le socialisme chrétien allait vivre d'emprunts. Il n'aurait pas la possibilité de susciter un Lénine ou un Trotsky, dont la seule envergure personnelle eut suffi pour exercer une influence incontrôlable sur le gouvernement. Son pouvoir dépendrait des militaires et son caudillo serait, grâce au prestige de l'uniforme, un colonel bonasse et délirant.* (...) » ([^36]) Les plus lucides se résolurent alors à utiliser les partis politiques existants comme moyen et comme levier, afin d'obtenir la transformation sociale qu'ils recherchaient. Le parti libéral représentant tout ce qu'ils rejetaient, les partis et groupes marxistes une fois écartés pour cause de militarisme, il ne leur restait plus d'autre possibilité que de rejoindre le parti conservateur ; ce qu'ils firent, sous l'in­fluence de Don Rafael Luis Gumucio et de son fils, leur camarade, Rafael Agustin Gumucio. C'était faire entrer le loup dans la bergerie. 115:139 « *Les jeunes, récemment inscrits au Parti, soutenaient cependant des idées opposées à celles de Gumicio,* écrit encore Boizard. *Les déclarations hispanophilies de Garreton ne lui plaisaient pas. Il écoutait avec une méfiance respec­tueuse les élucubrations maritaines d'Eduardo Frei. Les abstractions profondes de Narho Palma lui semblaient une musique céleste.* « *Il avait ouvert son foyer à ces garçons pour les in­fluencer, et non pour se laisser aller à partager leurs utopies. Le temps, cependant, s'écoulant lentement, il advint, len­tement aussi, que le vieux chef de l'individualisme libéral, qui disait* « *les encycliques me pèsent *»*, se transforma en chrétien de cœur et mit le poids de son autorité du côté de la Phalange naissante. *» En 1933-1934, une autre influence, venue d'Europe, se fit sentir : celle de la Phalange espagnole de Jose Antonio Primo de Rivera. Ce fut sans doute la plus forte des impul­sions reçues par les Jeunes Conservateurs depuis leur fon­dation. Ils adoptèrent le nom de l'organisation espagnole et fondèrent, en 1935, la Phalange Nationale Chilienne, dont les principes, le programme et le vocabulaire même reflé­taient fidèlement ceux des Chemises Bleues d'Espagne. Le principal interprète de cette influence hispanique fut alors Manuel Garreton. D'un voyage en Europe, il revint partisan tout à la fois de Mussolini et de Gil Robles, em­pruntant au premier le corporatisme, au second le souci de l'ordre social. Pourtant, l'impact de Jose Antonio Primo de Rivera demeurait le plus important. Lorsque Garreton écrit dans *Lircay* (le journal de la Phalange) : « *Il y a une volonté d'hommes qui mettent en gestation la rédemption d'un peu­ple,* « *cara al sol *» (*face au soleil*)*, sous la sérénité de l'azur *», on est bien obligé de reconnaître dans ce style lyrico-politique, un reflet plus que fidèle du langage pha­langiste espagnol. Depuis lors, les historiens de la démocra­tie chrétienne chilienne -- comme de celle du Venezuela -- ont sans cesse tenté d'effacer cette « tache » originelle. Ils n'y sont pas encore parvenus. La cohabitation de la Phalange et du Parti Conservateur ne fut pas une continuelle lune de miel. Dès 1936, Bernardo Leighton déclarait au Congrès de la Phalange : « *Nous sommes dans le Parti Conservateur pour chercher sa trans­formation. *» L'année suivante, Fernando Duran précisait « *La jeunesse conservatrice ne se confond pas avec le Parti Conservateur. *» Ces manifestations oratoires n'auraient pas eu de grosses conséquences ; mais l'activité de Bernardo Leighton comme ministre du Travail d'Arturo Alessandri, en 1937, inquiéta beaucoup les hiérarques du Parti. 116:139 La jeunesse aidant -- Leighton n'avait pas même trente ans -- le nouveau ministre se conduisit comme le plus par­fait démagogue : « *Le ministre savait que sa mission consistait à réparer de longs siècles d'oppression des faibles et, dans ses décisions, il paraissait atteint d'une évidente partialité. Il n'attendait pas que les grèves éclatassent et les devançait en menaçant les patrons. Il n'attendait pas que les ouvriers vinssent frapper à la porte de son bureau, mais assistait et prenait part aux délibérations syndicales. Il n'était pas le ministre, il était le serviteur de ses frères ; il était le défen­seur des victimes du capitalisme ; il était la vengeance et la justice, face à une si longue et ignominieuse exploitation, dénoncée par les Pontifes depuis la Chaire de Rome. *» Les élections de 1938 et la victoire du Front Populaire précipitèrent la rupture entre les Conservateurs et la Pha­lange. Alors, commença pour celle-ci une période de ré­gression : de sept députés, elle descendit à cinq, puis à trois, et ne fut bientôt plus représentée au Sénat que par un seul sénateur. De 1938 à 1954, seize ans de lutte, « *malgré des efforts héroïques, ne donnèrent que de maigres résul­tats *»*,* avoue Rafael A. Gumucio. Seize années au cours des­quelles l'idéologie de la Phalange avait subi une transforma­tion profonde. Non point que les principes démocrates-chrétiens qui allaient résumer le programme politique du parti aient été absents de ses préoccupations dans les pre­mières années de son existence, mais parce que bien d'autres influences, à commencer par celle de Jose Antonio Primo de Rivera sont alors rejetées et, pour ainsi dire, oubliées. Il fallut néanmoins attendre jusqu'en 1957 pour que la Pha­lange se transforme en Parti Démocrate Chrétien. Cela représentait treize ans de semi-obscurité, durant lesquels elle eut constamment à lutter contre « *les deux tentations démoniaques qui furent toujours repoussées dans les réso­lutions de la Phalange : celle du* « *démon de la pureté *» *et celle du* « *démon de l'opportunisme immédiat *». 117:139 Sur le plan intellectuel, il est certain que l'œuvre philo­sophique et politique, au sens élevé du terme, qui exerça le plus d'emprise sur le mouvement aux premières années de son existence et sur celui qui allait en devenir le person­nage-clé -- Eduardo Frei --, fut celle de Jacques Maritain. Il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir les bibliogra­phies des ouvrages théoriques de la démocratie-chrétienne chilienne. \*\*\* L'histoire du Parti Démocrate Chrétien du Chili se con­fond pratiquement, dans les récentes années, avec celle d'Eduardo Frei ; ce dernier est, d'autre part, le seul de ses membres à avoir atteint, et ce depuis longtemps, une noto­riété internationale certaine. Son élection à la Présidence de la République, le 4 sep­tembre 1964, fut une surprise pour beaucoup, à commen­cer par ses adversaires marxistes du Front d'Action Popu­laire : ils avaient déjà prévu un « défilé de la victoire » pour célébrer le succès de leur candidat, le Dr Salvador Allende. L'ascension de la démocratie-chrétienne avait été surprenante. Deux ans plus tôt, lorsque Marcel Nieder­gang publia ses *Vingt Amériques Latines,* la démocratie-chrétienne tenait si peu de place sur l'échiquier politique chilien qu'il ne lui consacra pas un mot. Pourtant, Eduardo Frei avait déjà été candidat à la présidence de la Répu­blique en 1958. Il s'était alors classé troisième, derrière Jorge Alessandri et Salvador Allende. La chance tourna vraiment en mars 1964 : aux élec­tions partielles de Curico, où le parti démocrate-chrétien obtint 27,6 % des voix. Aux élections présidentielles qui suivirent, Eduardo Frei battit le Dr Allende par 1 418 101 voix contre 982 122. Me trouvant alors à Bogota, je pus me rendre compte sur place de l'atterrement des intellectuels communistes et communisants, qui attendaient de la vic­toire d'Allende la création d'un second Cuba, sur le conti­nent sud-américain cette fois. Les élections législatives qui suivirent (7 mars 1965) virent le triomphe de la démocratie-chrétienne : pour la première fois dans l'histoire du Chili, un parti politique obtint la majorité absolue à la Chambre des Députés. Que s'était-il donc passé entre 1958 et 1964 ? Dans un article du *Monde,* Marcel Niedergang l'explique en toute simplicité : 118:139 « *C'est le renouveau spectaculaire de l'Église du Chili qui est la cause essentielle de l'explosion démocrate-chré­tienne. *» (*Le Monde,* 10 juillet 1965.) Autrement dit, le poids de la hiérarchie ecclésiastique, qui, jusque là, avait joué en faveur des partis traditionnels chiliens, avait, cette fois, favorisé un nouveau groupement grâce auquel certains pouvaient espérer trouver une solu­tion de rechange autre que le marxisme du F.R.A.P. \*\*\* Il est d'ailleurs certain que le « verbalisme révolution­naire » d'Eduardo Frei devait séduire les amateurs, de même que son insistance à énumérer les changements nécessaires, la rupture obligatoire avec tout ce qui était tradition : « *La démocratie-chrétienne doit rompre avec les forces traditionnelles. Elle doit être capable de passer dans le camp populaire et de devenir l'antagoniste du com­munisme au niveau populaire. *» Cette affirmation revenait avec une particulière insistance sous la plume du nouveau président de la République du Chili. « *La démocratie-chré­tienne,* écrivait-il dans *Religion, Révolution et Réforme, im­plique en premier lieu une rupture avec l'ordre établi. *» Il développa cet aspect de sa pensée dans un article publié en France par la revue démocrate-chrétienne *France-Forum,* en mars 1963 : « *Il faut mettre l'accent sur le mot* « *révo­lution *», *parce que, aujourd'hui, sur notre continent, il n'est plus temps de recourir à l'évolution. Qui croit que l'on dispose de vingt ou vingt-cinq ans pour accomplir une lente évolution se trompe. *» Je n'entrerai pas dans le dédale des complications poli­tiques chiliennes. Il suffit, pour s'en faire une idée approxi­mative, de relire quelques lignes de M. Jacques Lambert, Professeur à la Faculté de Droit de Lyon, touchant le para­doxe le plus surprenant de la politique intérieure sud-amé­ricaine, à savoir que le régime de démocratie représentative a toujours favorisé le maintien de structures sociales archaïques : « *L'élection introduit dans la vie politique nationale, du fait des rapports de dépendance personnelle du paysan au notable, les défenseurs les plus conservateurs de l'état de choses anachronique qui persiste dans les zones rurales. *» 119:139 Si l'on ajoute à ce fait la constatation que le pouvoir des « caudillos » peut être arbitraire, mais jamais totalitaire, qu'il protège le paysan d'interventions incomprises et désas­treuses du pouvoir central et qu'on aboutit à ce que « *la loi protège le péon ou le colon, mais que le péon ou le colon sont habitués à demander au notable de les protéger contre la loi *», on saisira tout de suite combien il est imprudent de se hasarder en quelques lignes sur un terrain aussi mouvant. La politique étrangère chilienne est, en définitive, plus aisée à suivre. Elle est à ce point exemplaire qu'on pourrait appliquer son analyse à la politique étrangère des démo­crates-chrétiens vénézuéliens -- seul autre parti démo­crate-chrétien qui soit parvenu au pouvoir -- à cette seule différence que les Chiliens semblent avoir rencontré moins d'écueils et enregistré moins d'échecs que le Dr Caldera. L'un des premiers soins du gouvernement de M. Frei fut de renouer des relations diplomatiques avec les pays du bloc socialiste. Elles étaient rompues depuis 1947. En deux mois, l'U.R.S.S., la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Bulgarie renouaient avec le Chili. Restait le plus gros morceau : Cuba. L'échange de défis qui eut lieu entre La Havane et Santiago constitue le seul élément comique de la Présidence de M. Frei. Celui-ci exposa, au lendemain de son élection, que les rapports avec Cuba devaient être basés sur l'autodétermination et la non-intervention ; que, d'autre part, la rup­ture ayant été décidée en application d'une décision de l'Organisation des États Américains, il fallait une décision en sens contraire, du même organisme, pour que le Chili puisse les renouer. La réponse de Fidel Castro fut : « *On verra bien quel est le pays qui se développera le plus *». Premier défi. A quoi le ministre de l'Intérieur chilien répondit que « *Fidel Castro dénigrait le gouvernement du Chili *», qu'il était libre de venir voir sur place ce qu'il se passait au Chili, mais que lui, ministre de l'Intérieur, mettait Fidel Castro au défi de le laisser aller librement constater de quelle manière, à Cuba, les démocrates-chrétiens étaient humi­liés et maltraités. Deuxième défi. 120:139 « *Si le ministre de l'Intérieur chilien a effectivement lancé un tel défi, je le relève *», s'écria aussitôt Castro ; sur quoi, il invita Bernardo Leighton à visiter Cuba en toute indépendance. Quatre jours plus tard, le gouvernement chilien déclarait « *qu'il ne convenait pas à des membres du gouvernement du Chili de se rendre à Cuba en réponse au défi lancé par Fidel Castro *». L'affaire en est restée là. Corollaire d'une telle mésaventure : la politique chi­lienne vis-à-vis des États-Unis a toujours été empreinte d'une grande modération et d'une parfaite courtoisie. Le gouvernement de M. Johnson ne pouvait que se féliciter de trouver un pays latino-américain désireux de promouvoir « *la révolution dans la liberté *» *--* formule que l'on aurait pu peindre sur les portes des bureaux de l'Alliance pour le Progrès. Les démocrates américains y flairaient un parfum de kennedysme qui les ravissait. Ils s'habituèrent si bien à considérer cette formule comme faisant partie de leur folklore national qu'elle fut à l'origine du seul incident sérieux qui vint troubler les rapports américano-chiliens : M. Frei devait se rendre en visite aux États-Unis. Il demanda, selon les règles constitutionnelles, l'autorisation du Sénat. Comme prévu, les socialistes et communistes votèrent « non » en raison de la guerre du Vietnam. La sur­prise vint des nationalistes de droite : ils refusèrent l'auto­risation sous le prétexte que, M. Johnson ayant fait allusion dans son invitation à « *la révolution dans la liberté *», cela constituait « *une ingérence intolérable dans les affaires intérieures du Chili *». Le voyage ne fut donc pas autorisé. Quant à la « *chilénisation du cuivre *», c'est-à-dire l'expropriation des sociétés minières nord-américaines, elle fut menée avec tant de précautions qu'elle ne souleva pas de protestations de la part desdites sociétés ; toutefois, elle est sans doute à l'origine d'une grande partie des diffi­cultés que rencontre actuellement le Président Frei. Il se produit, en effet, à l'heure actuelle, au sein même du Parti démocrate-chrétien chilien, une opération qui n'est pas sans rappeler celle à laquelle se sont livrés, il y a quelque trente ans, les actuels dirigeants de ce parti, lorsqu'ils se trouvaient dans le parti conservateur. 121:139 Dès le mois d'août 1965, les premiers signes d'une opposition à M. Frei, à l'intérieur même de la démocratie-chrétienne, se manifestaient à l'occasion de l'élection du nouveau président du parti. Si Patricio Alwyn, dépeint comme « modéré » et « représentant de la tendance Frei » était élu, son adversaire le plus sérieux, Alherto Jerez, représentait le courant gauchiste naissant. Il n'était pas difficile d'imaginer, dès lors, qui serait le mieux à même de pratiquer la démagogie « révolutionnaire », du Président au pouvoir ou des groupes gauchistes. Pour éviter à la démocratie-chrétienne un glissement à gauche, il eût fallu un ferme magistère de l'Église et de sa hiérarchie locale. Cela eût requis un courage qui ne semble pas la chose du monde la mieux partagée. Le transfert du siège de la C.L.A.S.C. à Santiago de Chile devait pousser encore un peu vers la gauche le mou­vement démocrate-chrétien. Dès 1964, un document confi­dentiel du gouvernement colombien dénonçait les agisse­ments des groupes gauchistes de la C.L.A.S.C. Ce travail de sape était, en effet, particulièrement sensible en Colom­bie, où les syndicats catholiques (*Union de Trabadores de Columbia, U.T.C.*) avaient acquis une grande importance. Le document en question soulignait un fait assez surpre­nant : c'était avec des fonds fournis par la démocratie-chré­tienne et l'épiscopat allemand, transitant par une organi­sation dont le siège se trouvait à Louvain, que les groupes gauchistes pouvaient mener une action révolutionnaire à partir de Santiago de Chile, à l'intérieur des mouvements catholiques. Cependant, à l'extérieur du Parti Démocrate Chrétien Chilien se formait un nouveau groupement de gauche, le M.I.R. (Mouvement de la Gauche Révolutionnaire ; ces ini­tiales désignent invariablement des groupes castristes, ou sino-castristes, quel que soit le pays où on les rencontre). Le réformisme de M. Eduardo Frei devint dès lors la cible de l'opposition interne et externe, à peu près au même titre que la droite traditionnelle ou le Parti Radical Chi­lien. Le Président de la République se trouvait pris dans une série de contradictions qui rendaient son action, sinon incohérente, du moins difficilement compréhensible. En même temps qu'il mettait en œuvre une réforme agraire -- dont les esprits les plus sages annonçaient qu'elle allait créer artificiellement des kolkhozes dans la campagne chi­lienne -- il faisait appel à l'entreprise privée. 122:139 « *Comme l'État a atteint l'extrême limite de ses possibilités en ma­tière de dépenses,* déclarait-il le 21 mai 1966, *nous devons chercher à obtenir une collaboration croissante du secteur privé, et ce à tous les niveaux... *» Il tentait d'opposer une digue à l'inflation verbale des responsables démocrates-chrétiens, surtout des jeunes : « *Un parti qui est au gouvernement ne doit pas faire de déclarations excessives, car ce que les gens lui demandent, ce sont des faits et des résultats *» (28 août 1966). Les élections municipales d'avril 1967 virent une avance de toutes les oppositions : droite, gauche et centre. Le pourcentage des voix démocrates-chrétiennes passa de 42 à 35 %, ; un grand nombre de Chiliens qui avaient voté démocrate-chrétien parce qu'ils pensaient que ce parti inaugurerait une troisième voie, ni capitaliste ni commu­niste, ne se sentaient aucun goût pour le collectivisme « sauce curé ». Ce fut une victoire des conservateurs et des adversaires de la réforme agraire de M. Frei. A ce succès de la droite, s'ajoutait la violence révolu­tionnaire de la gauche. Au cours de l'année 1969, la police chilienne découvrit un certain nombre de dépôts d'armes et d'explosifs qui ne laissaient aucun doute sur les inten­tions du M.I.R., en particulier sur le recours au terrorisme dans un avenir plus ou moins rapproché. L'opération la plus spectaculaire du M.I.R. fut l'enlèvement, à Conception au mois de juin dernier, du directeur du journal *Noticias de la Tarde*, coupable d'avoir publié des informations trop exactes et précises sur le M.I.R. Séquestré, M. Hernan Osses Santamaria fut torturé par ses geôliers qui voulaient lui extorquer le nom de son informateur. 1970 est la dernière année de la Présidence d'Eduardo Frei : la constitution chilienne lui interdit d'être réélu immédiatement pour un nouveau mandat. La démocratie-chrétienne a donc dû trouver un autre candidat. C'est un parti affaibli qui affrontera les électeurs. Après la défaite des élections de 1967, une scission s'est, en effet, produite de même que la Phalange s'était séparée à son heure du Parti Conservateur, l'aile gauche de la démocratie-chré­tienne s'est séparée d'elle pour former à son tour le M.A.D.U. (Movimiento de Accion Popular Universitaria). 123:139 Menacé sur sa droite, amputé sur sa gauche, le Parti Démocrate Chrétien s'engage sur le chemin des concilia­tions révolutionnaires : Radomiro Tomic, choisi pour suc­céder à M. Eduardo Frei, se déclara partisan de l'Union des Gauches et présenta un programme d'une telle démagogie que rien, aux yeux des journalistes étrangers, ne le sépa­rait du candidat socialiste ; certains purent même croire un instant que le parti communiste chilien allait l'appuyer. \*\*\* Ainsi se termine, dans une atmosphère assez trouble, la première expérience gouvernementale chrétienne d'Amé­rique Latine. La rébellion militaire du mois d'octobre a encore assombri les pronostics. Il fut de bon ton de plai­santer sur ce général qui « se mettait en grève ». Le soulèvement du général Viaux-Marambio eut en réalité une toute autre importance : la mutinerie de Tacna lui fut en fait imposée par les officiers subalternes et si, seul, le régiment d'artillerie motorisée de Tacna passa à l'action, cette rébellion était soutenue par un énorme pourcentage d'officiers chiliens. Il ne reste donc plus à la démocratie-chrétienne d'Eduardo Frei qu'une solution : tâcher de survivre pen­dant les quelques mois de pouvoir qui lui sont donnés, naviguer d'un bord à l'autre, mettre aux arrêts le général Viaux, mais le libérer quelques semaines plus tard, faire appel, -- devant le péril militaire -- aux ouvriers marxistes de la C.U.T. (Confederacion Unica de Trabajadores), mais satisfaire les réclamations de l'armée. En somme, survivre par tous les moyens pendant que retentit à la canto­nade l'écho des prédictions de Fidel Castro : « *La révolu­tion chilienne ne se fera pas avec Frei ; elle se fera après lui. *» Jean-Marc Dufour. 124:139 ### Contribution à l'histoire de Léon XIII et du pouvoir temporel par Maurice de Charette LORSQU'EN MARS 1860, Napoléon III avait accepté, moyennant la Savoie et le Comté de Nice, d'entériner l'annexion de la Romagne par Victor-Emmanuel II, roi de Piémont, Pie IX s'était écrié : « Non devo, non posso, non voglio », et la décision naquit dans son esprit de défendre, même par les armes, les États Pontificaux. Quelques jours plus tard, en avril, La Moricière ([^37]) fut nommé général en chef, et les volontaires commencèrent à s'engager. Parmi les tout premiers, on trouvait le capi­taine de Charette ([^38]), dont l'inscription inquiéta le Secré­taire d'État, Mgr Antonelli ([^39]) : 125:139 -- Un tel royaliste ! Son nom est un drapeau. -- Si c'est un royaliste, répondit Pie IX en souriant, il défendra bien ma royauté. Si c'est un drapeau, il saura rallier du monde autour de moi. Ainsi commença l'étrange aventure qui fit de Pie IX le dernier Pape combattant et qui transforma le pontife libé­ral, ancien carbonaro, en défenseur « du droit, de la justice et de la vérité », selon ses paroles du 15 janvier 1861. Il ajoutait : « je ne consentirai jamais aucun abandon, ni aucune transaction honteuse... Je garde mes provinces parce que tel est mon devoir... les royaumes de la terre sont une misère ; mais ce qui est à moi, personne n'a droit d'y toucher et, jusqu'à la fin, je ferai entendre cette voix de justice et de vérité... » Dans les mêmes temps, réunissant les diplomates accré­dités auprès du Saint-Siège, Pie IX s'attribuait à soi-même l'épée d'or traditionnellement remise à un Prince, bon défenseur de l'Église, et commentait sa décision en ces termes : « Puisque nous n'avons trouvé personne qui voulut assumer notre défense, il faut bien que nous gardions cette épée et que nous la brandissions pour la défense de notre droit... Si le Vicaire du Christ ne défendait pas le bon droit, lui serviteur de la vérité et du droit, qui s'en charge­rait au monde ? » \*\*\* 126:139 Le bon droit fut vaincu, comme trop souvent, et le 20 septembre 1870, Victor Emmanuel II entrait dans Rome, tandis que le vieux Pie IX s'enfermait dans son palais du Vatican, dont le Piémontais n'osa point le chasser. Le Pape, refusant toute indemnité qui eut mis un terme juridique à la spoliation, s'installa dans la position de prisonnier volontaire au grand dam des « réalistes » et des « combinards » qui auraient bien voulu trouver une solution pour bénir le fait acquis et innocenter ainsi la révolution triomphante. Le nouveau roi d'Italie devait mourir en janvier 1878, quelques semaines avant le vieux Pape qui, bien malade depuis des mois, survécut cependant jusqu'au 8 février de la même année. Pie IX avait été mourant fin décembre 1877 et Victor-Emmanuel, malade lui-même, avait signé son dernier décret pour prescrire un deuil de 15 jours à l'occasion de la mort de Pie IX, tandis qu'il faisait confectionner une livrée de deuil pour sa Maison. Un raconte que le Pape avait bien ri de cette nouvelle, sachant la ladrerie du Roi, et avait assuré : « Il mourra avant moi. » Le 8 février donc, Pie IX s'éteignait à son tour et, dès le 9, le Vatican prenait toutes mesures pour procéder, en cas de nécessité, à une élection brusquée, tandis que le Conclave était régulièrement convoqué pour le 18. Le 20, le Pape était fait. Le Cardinal Pecci, Camerlingue, était élu et prenait le nom de Léon XIII. Il avait fallu faire vite. Depuis 1870, beaucoup d'hommes politiques italiens soutenaient, en effet, que Pie IX conser­vait son Palais seulement à titre viager et que son succes­seur devrait quitter Rome. La longue maladie du Saint-Père avait excité la presse de gauche, et l'on y parlait ou­vertement d'installer le roi au Vatican dès la mort du Pape... La disparition providentielle de Victor-Emmanuel, survenue quelques semaines plus tôt, avait désorganisé toutes ces machinations ! 127:139 Son fils, Humbert I^er^, ne jouissait ni de l'autorité ni du prestige de son père ; tout occupé à déjouer les intrigues républicaines et les tendances séparatistes de certaines provinces, il n'était pas en mesure d'entreprendre quoi que ce soit. Au surplus, certaines Princesses de Savoie, d'une réelle piété, avaient souffert des événements et s'opposaient à une nouvelle rapine de pur prestige. Enfin, la population romaine tenait à son Pape, et surtout aux profits commerciaux qu'elle retirait des visiteurs et pèlerins. D'emblée, Léon XIII bénéficiait donc de quelques cir­constances provisoirement favorables. Il était trop avisé pour ignorer que la chance ne dure guère et doit se saisir au vol. Dès le 25, il déclarait au Duc de Parme ([^40]), venu le saluer, sa volonté de lancer une protestation : « Nous ne pouvons renoncer à nos droits. » Il parlait dans les mêmes termes à M. de Chevigné ([^41]), venu représenter le Comte de Chambord au couronnement, et lui tenait des propos flatteurs sur les zouaves français et leur chef. Certains éléments du Vatican intriguaient cependant pour que le nouveau Pape reprit la coutume de sortir dans Rome et lui faisaient une réputation d'homme raisonnable, modéré, soucieux du « possible », et désireux de parvenir à un compromis. Un autre clan assurait que la position ne serait pas tenable, que les Papes ne pouvaient d'ailleurs pas demeurer éternellement reclus, et qu'il faudrait bien quitter Rome pour se retirer à Malte, en Espagne, ou en quelque autre lieu. Seuls, quelques attardés, soudards im­pénitents, souhaitaient que le Pontife fasse preuve d'éner­gie et espéraient qu'il sortirait l'épée du fourreau à la pre­mière occasion. 128:139 Il paraît bien pourtant que la décision du Pape ait été prise fermement dès le premier instant, ainsi qu'il ressort de la phrase au Duc de Parme et des marques particu­lières de bienveillance réservées au général Kanzler ([^42]), ancien ministre des Armes de Pie IX, ainsi qu'aux 10 ou 15 anciens zouaves pontificaux accourus à Rome, sous la hou­lette de M. d'Andigné ([^43]), dès la mort de leur cher vieux Pontife. Le 16 février, le futur Pape les a reçus à titre de Camerlingue et les a accueillis de la meilleure façon « assu­ré qu'au premier appel ils viendraient encore se ranger autour de ce Saint-Siège Apostolique ». Le 26, Léon XIII les reçoit à nouveau et leur dit : « J'ai toujours admiré votre dévouement et si un jour nous avions besoin d'y faire appel, je suis assuré que vous seriez là ! » D'une seule voix, les anciens soldats, galvanisés, ré­pondent : « A la vie, à la mort, Très Saint-Père ». Le Pape les remercie de leur spontanéité par « un gracieux salut » qui les comble de joie. Ils seront parmi les rares privilégiés qui assisteront au couronnement dans la Chapelle Sixtine. Le 11 mars, Léon XIII confirme Mgr Daniel ([^44]), ancien aumônier des zouaves, dans ses fonctions de Camérier Secret surnuméraire. En mars également, il est question du licenciement de la Garde Suisse et le général de Charette songe à proposer les zouaves pour la remplacer. Mgr Daniel l'en dissuade et lui fait remarquer qu'il ne s'agit que d'une fonction de parade, « des Suisses de Cour, des Suisses d'Église ». L'Aumônier estime qu'il faut réserver les zouaves pour des tâches plus directement militaires. \*\*\* 129:139 Pour qui connaît un peu le caractère de Léon XIII, son mélange de grandeur royale et de diplomatie prudente, il n'est pas douteux que ces premières attentions à l'égard des soldats de Pie IX n'aient été le fruit d'une volonté arrêtée, d'un calcul précis, à tout le moins l'application du vieil adage Si vis pacem para bellum. Dans cet esprit, le Pape accueillit bientôt le général de Charette qui fut convoqué à Rome, fin mai ou début juin 1878. Dès la première audience, le Saint-Père parla lon­guement du régiment des Zouaves Pontificaux, des anciens combats puis, à brûle-pourpoint, demanda : « Combien seraient prêts à répondre à un appel... 200 ? » -- « 2 000, 20 000, tout ce que voudra le Pape », répon­dit le bouillant général, déjà ragaillardi à la pensée de prendre à nouveau les armes. En une autre occasion, et à une date qu'il n'est pas possible de préciser tant la chose fut secrète (peut-être vers fin 1878 ou en 1879), Léon XIII fit dire au général de Charette de se rendre d'urgence et sans publicité à Rome. Le général accourut mais ne put obtenir audience, les pré­lats de service l'assurant que le Pape était souffrant et ne recevait pas. Pressentant une intrigue et tourmenté au plus haut point, le général errait dans Rome lorsqu'il rencontra un prêtre espagnol de ses amis qui avait audience pour le lendemain avec tout un groupe. Il se dissimula parmi les hidalgos et ne se découvrit qu'à l'entrée du Saint-Père. -- Vous ici, Charette, s'exclama le Pape ! -- Je n'ai pu faire autrement pour approcher votre Sainteté... Je suis depuis huit jours à Rome. Il paraît que le Vatican trembla de la colère du Pape et que, du haut en bas de la Secrétairerie d'État, on rasa les murs, de terreur... et de fureur d'avoir été « possédés » par ce traîneur de sabre. 130:139 La chose était d'importance. Quelques semaines aupa­ravant, un député italien avait repris la vieille idée et déposé un projet tendant à faire voter par les Chambres l'installation du Roi au Vatican et l'expulsion du Pape. Léon XIII, qui ne voulait pas plus que Pie IX renoncer à son bon droit, confia la défense du palais à Charette avec ordre de réunir en grand secret cent ou deux cents zouaves fidèles, d'acheter des armes et de prévoir un combat d'hon­neur. « Je ne céderai que lorsque le sang aura coulé, conclut le Pape, car il faut que la violence soit patente et le droit affirmé. » Des armes furent commandées, et peut-être amenées au Vatican ; quelques zouaves, amis et fortunés, furent invités à venir faire du « tourisme » à Rome, mais il ne semble pas que les choses allèrent plus loin. Au surplus, le Quirinal fit prévenir le Vatican qu'on ne désirait nullement se lancer dans cette aventure peu glorieuse, et le projet ne vint jamais devant les chambres italiennes. \*\*\* Ce ne fut pas la dernière alerte, bien au contraire, puisque le 25 novembre 1881, Charette écrivait dans une circulaire secrète : « Je me suis mis à la disposition de Léon XIII dans le cas où Sa Sainteté serait obligée de quitter Rome. Elle a bien voulu prendre acte de nos offres de service. » Le 22 janvier suivant, il écrit à un ami citant une lettre du général Kanzler. Celle-ci laisse entendre que la bataille est proche, et se termine par ces mots : « dites vos prières ». Dans les mêmes jours, le Pape recevant en audience une parente de Charette, lui confie : « Dites au général qu'il se tienne prêt à venir me défendre. » Le 5 février, Raymond du Puget, ancien lieutenant aux zouaves, assiste à la messe du Pape qui lui affirme, devant quarante personnes : « Le régiment n'est pas dissous... qu'il se tienne prêt. » 131:139 Un mois plus tard, le Secrétaire d'État dit à Kanzler d'un air navré : « Oh oui ! On peut compter sur les zouaves, mais il n'y a pas besoin de stimuler leur zèle, il faut au contraire les retenir. » Le moins qu'on puisse dire est que la Secrétairerie ne partageait pas les goûts belliqueux du Pape. Léon XIII songe d'ailleurs toujours à la nécessité de quitter Rome, soit par contrainte, soit pour retrouver sa liberté de manœuvre, et il pose à un lord catholique la question de confiance : -- « Que dirait-on si j'allais en Irlande, ou si je me fixais à Malte ? » \*\*\* En juillet de la même année 1882, Charette est au Cana­da ([^45]), avec l'entier accord (ou sur l'ordre formel) du Pape qui lui aurait confié le soin de mobiliser les énergies et de dénombrer les possibilités. L'accueil est triomphal : récep­tion dans les gares avec musiques, bannières, drapeaux, tapis rouges etc. ; défilés dans les rues ; saluts solennels dans les églises ; discours enflammés ; réceptions dans les évêchés, les collèges et les monastères ; enfin, descente du Saint-Laurent avec des arrêts-acclamations à chaque bour­gade. Rien n'y manque, et il ne paraît pas qu'aucun général français ait, jusqu'à ces tout derniers temps, remporté pareil succès au Canada. On prétend que la Cour d'Angle­terre fit dire à Rome son mécontentement. 132:139 Mais, en dehors de cet aspect folklorique, il y eut un sérieux et profond travail accompli auprès des anciens zouaves canadiens qui furent rassemblés, passés en revue, moralement mobilisés pour une éventuelle défense du Saint-Siège... ou pour une participation à une restauration monarchique en France. Le trône et l'autel n'avaient pas encore été séparés dans l'esprit de ces arriérés ! Tandis que Charette parcourt le Canada, l'Évêque d'Ot­tawa qui rentre de Rome où il a reçu les dernières instruc­tions, ordonne des neuvaines de prières spéciales « pour ceux qui travaillent à la restauration du Pouvoir Temporel ; pour l'encouragement des tièdes ; pour la conversion des ennemis de l'Église, etc. ». L'ancien zouave qui en informe Charette, lui joint la liste des hommes disponibles. Il s'agit bien d'une pré­mobilisation, d'une revue des effectifs. \*\*\* Ainsi passent les années. Le Comte de Chambord est mort en 1883 et le Comte de Paris ([^46]), grand-père du Prince actuel, lui a succédé. Léon XIII s'informe des intentions du nouveau prétendant et, en 1886, au cours d'une audience qu'il accorde au général de Charette il pose des questions précises et est heureux de prendre connaissance d'une lettre dans laquelle le Prince déclare s'opposer aux Catholiques libéraux « car pour moi, je suis catholique tout court parce que je ne connais pas deux manières de l'être... Nous savons que la républi­que conservatrice et catholique est une chimère... » Mais le Pape s'inquiète à plusieurs reprises de l'attitude du Comte de Paris à l'égard du Pouvoir Temporel et ne se montre satisfait que lorsqu'il a reçu de multiples apaise­ments de la part du général. Enfin, le Saint-Père « rit franchement » en entendant un texte du Prétendant dans lequel il est écrit : 133:139 « Je sens combien il est délicat pour nous autres laïcs de faire la distinction entre la partie dogmatique dans la­quelle le Saint-Père se prononce *Ex Cathedra* du haut de son infaillibilité, et la partie politique dans laquelle le chef des fidèles indique à ceux-ci de quelle manière l'Église apprécie certaines questions d'ordre humain, ignorées hier, passionnément discutées aujourd'hui, et qui seront peut-être oubliées demain. « ...Le seul fait de louer est par lui-même l'affirmation du droit de critiquer. Je me sens maintenant à l'aise pour vous dire que j'admire sans réserve la politique énoncée par Léon XIII sur les rapports de l'Église et de l'État... » Par contre, le Pape estime que, dans un autre passage, le Prince a l'air d'accepter le principe de la souveraineté nationale : « on est (alors) l'esclave de son peuple et on ne peut rien faire de bien », commente le Pontife. \*\*\* Ainsi donc, en 1886, le Pape n'est nullement opposé à une restauration monarchique en France. Encore en 1890, il demande que lui soit remise une photographie du jeune Duc d'Orléans ([^47]), et applaudit au regard franc ainsi qu'à l'aspect martial du Dauphin : Et pourtant, nous sommes bien près du toast d'Alger et de l'Encyclique « Au milieu des sollicitudes ». Que s'est-il passé ? Le Pape Pecci, ce Prince, est-il donc devenu démocrate ? Croit-il désormais à la souveraineté populaire ? A-t-il été convaincu par certains rapports des Nonces à Paris qui, depuis la chute de Mac-Mahon, suggè­rent d'accepter la réalité républicaine ? 134:139 Non, sans doute ; pas davantage qu'il y a quelques années. Mais Léon XIII veut rétablir le Pouvoir Temporel et il a imaginé de renverser (ou de laisser renverser) la monarchie italienne en difficulté, puis de faire attribuer à la papauté la présidence d'une fédération des républiques italiennes. Il lui faut pour cela favoriser les républiques catholiques en Europe et la France n'est qu'un objet pour la politique vaticane, car ce vrai Romain méprise tout ce qui n'est pas Rome. Lorsque M. de Parseval ([^48]), envoyé par le Comte de Paris, s'étonne au Vatican du toast imposé au Cardinal Lavigerie ([^49]), un membre de la Curie lui répond : « Nous n'en avons trouvé aucun autre qui fut assez coglione pour le faire. » Et, de fait, ni le Cardinal Archevêque de Reims, ni le Cardinal primat de Bretagne, ni les quelques autres sollicités, ni Charette lui-même, aucun n'avait voulu se montrer assez coglione. Comme devait le dire un jour le général de Charette : « Quand le Saint-Père parle doctrine ou morale, je me mets à genoux et je crois ; lorsqu'il parle discipline, je reste debout mais j'obéis ; lorsqu'il parle politique, je demeure assis et j'écoute... par déférence. » 135:139 A propos de Léon XIII, est-ce donc Gambetta qui avait raison lorsqu'il écrivait à un ami, au lendemain du Con­clave : « Il ne rompra pas ouvertement avec les traditions et les déclarations de son prédécesseur, mais sa conduite, ses actes, ses relations vaudront mieux que des discours et, s'il ne meurt pas trop tôt, nous pouvons espérer un mariage de raison avec l'Église. » \*\*\* La morale de cette histoire est fournie par une lettre de Charette à M. Teste, auteur d'une étude sur l'Italie : « ...Il est tout naturel que vous ayez un petit faible pour votre Pape (Léon XIII), car vous seul l'aviez proclamé un an avant son élection et, comme il arrive souvent, vous avez pris le représentant du dogme et du principe pour le dogme et le principe lui-même. Que Pie IX ait régné trop longtemps, je vous l'accorde, mais il ne reste pas moins comme Pape une des plus grandes figures de l'Église ; c'est ce que l'on ne saurait nier, vous me l'accorderez bien. « S'il a perdu son pouvoir temporel, parce qu'il était trop *italien* ([^50])*,* il n'en aura pas moins proclamé deux grands dogmes de l'Église, l' « *Immaculée-Conception *», l' « *Infailli­bilité *». « Malgré les chemins de fer et les télégraphes qui mena­cent de confondre toutes les races et les nationalités en une espèce de cosmopolitisme sans couleur, je suis d'avis que le Pape doit toujours être *italien.* « Aucune autre nation n'a les qualités, voire même les défauts, pour pouvoir et savoir équilibrer et diriger à pareil degré les forces vitales du monde entier. Elles viendront toujours, comme vous le dites fort bien, aboutir à Rome, siège de la Papauté. Le Pape assis sur cette pierre, contre laquelle les flots de la Révolution viendront se briser, sûr de son dogme, « Patiens quia aeternus », peut seul mettre en pratique cette formule que l'on devrait inscrire au-dessus du Vatican : *Cunctando restituit*. 136:139 « L'Italien a la finesse, la souplesse, le sang-froid ; seul il fait des études sérieuses de la théologie, cette science sans laquelle on ne peut conduire ni les hommes ni les choses de ce monde. « Quelle que soit la portée d'esprit, quelles que soient les tendances politiques du Pape, il doit être italien, il doit habiter Rome, il doit avoir un domaine temporel. « Des Papes guerriers, voire même au Moyen Age, il y en a peu, et c'est justement parce que la Papauté représente une faiblesse que le Pape doit être italien, parce qu'un des signes les plus caractéristiques de ce peuple (pour lequel je professe un si grand amour et une si vive admiration), c'est qu'il puise sa force dans cette même faiblesse, ce qui n'empêche pas cet orgueil qui lui vient de ses ancêtres, et qui est resté ancré dans le cœur de tout Romain, que ce soit le mendiant, que ce soit le grand seigneur, il vous tendra la main en disant dans son intérieur : «* Barbare, paye ton tribut. *» « Le Pape doit être italien, mais il lui faut, plus qu'à un autre, un domaine temporel, quand ce ne serait que pour le faire descendre des hauteurs dans lesquelles il vit, afin de traiter avec les peuples et les Rois des affaires tant spi­rituelles que temporelles : Il lui faut un pouvoir temporel parce que, dans les affaires humaines, et lorsqu'il ne parle pas « ex cathedra », il n'est pas infaillible. Ôtez au Pape souverain les difficultés temporelles, il acquerra une telle puissance qu'il est probable qu'avec l'infirmité de notre nature, il ne rêve dans un temps donné à la *suprématie universelle*. On accuse votre Pape de ne pas vouloir des­cendre des hauteurs du *Docteur Angélique* et, quoique la critique soit aisée et l'œuvre difficile, il est permis de dire que si, comme doctrine, ses actes politiques sont merveil­leux, il n'a pas eu, dans ses relations avec les gouverne­ments, autant de prudence et d'habileté que s'il s'était trouvé aux prises avec les difficultés d'un pouvoir tem­porel. 137:139 « Je me résume. «* Si le pouvoir temporel n'existait pas, il faudrait l'inventer *» et, si j'étais gouvernement révolution­naire et anticlérical, mon premier acte serait de rétablir ce pouvoir pour essayer d'amoindrir la Papauté. Je ne parle pas ici d'une question de principe, ce qui prouve que nous autres monarchistes nous sommes logiques. « ...Quelle belle page que celle où vous démontrez la lutte de la Papauté contre le *Dieu-État *! Vous avez mis le doigt sur la plaie, en parlant des craintes sérieuses du retour du Comte de Chambord parce qu'il n'est pas clérical. Là encore, j'ai le bonheur de me rencontrer avec vous et j'ai dit, dans un discours quelconque, qu'on ne voulait pas du Roi, parce que lui revenant, chacun serait à sa place, *le clergé surtout*. « ...Vos idées politiques sur l'avenir de l'Italie dénotent une profonde étude. J'ai un principe, il y a deux puissances en ce monde : celle du *Bien* et celle du *Mal*. La première est représentée par le Pape, la seconde par la Révolution. Toutes deux ont leur siège à Rome. Elles sont en guerre depuis le commencement des temps et, si la dernière paraît sur le point de l'emporter, ce n'est que *momentanément*, car l'Italien étant un peuple éminemment agricole, est essentiellement *conservateur*. « La centralisation des affaires et des intérêts, faite par la Maison de Savoie, ne subsiste qu'au nom de l'unité ita­lienne, mais elle froisse tous les instincts de ce peuple divisé par *nationalités*. Le rêve de tout italien est une confédération *ayant pour base les municipalités indépen­dantes*. Les chemins de fer, les télégraphes, le progrès moderne, n'ont fait qu'effleurer sans toucher en quoi que ce soit le fond de la nation. Le Napolitain reste Napolitain ; le Toscan tient à parler sa langue ; le Vénitien regrette l'Autriche et le Romain les regarde tous du haut de sa grandeur déchue. La Maison de Savoie a fini son temps et sera bien heureuse si Dieu lui permet, grâce à ses saintes, de rentrer un jour, *bien humblement*, dans son petit Pié­mont. Selon l'expression de Thiers : «* Elle a mangé du Pape, elle en crèvera. *» « ...Remarquez qu'un des signes distinctifs de ce peuple italien est son tempérament politique. Ils cherche­ront un *modus videndi* et c'est ce qui pourrait amener peut-être le Pape à accepter la présidence du peuple italien. Le Pape, en ce faisant, resterait fidèle à ses aspirations de patriote italien et serait logique avec la formule « *Cunctan­do restituit *». Maurice de Charette. 139:139 ### Le conte du Grand Mire par Claude Franchet ÉCOUTEZ, les petits en rond devant le feu ; ce conte est tout exprès pour vous. Deux enfants, le frère et la sœur, s'en venaient par la plaine. Passe une route : -- Où allez-vous, petits ? -- Madame, nous allons chez le Grand-Mire (mire était le nom du médecin en ce temps-là) pour notre père qui est bien malade. -- Venez avec moi, vous serez plus vite arrivés. Ils ont à peine eu le temps de s'asseoir au bord sur un joli petit banc soudainement apparu, et de voir défiler champs et bois leur faisant des signes d'amitié, que les voilà rendus à la ville. Après une belle révérence à la route ils abordent poli­ment un passant : « Où demeure le Grand-Mire, monsieur, s'il vous plaît ? Nous venons le consulter pour notre bon père qui est ma­lade. -- Là-bas, dans cette grande maison jaune avec des volets rouges. -- Bien le merci, monsieur. -- Il n'y a pas de quoi, c'est plaisir d'obliger des en­fants bien élevés. 140:139 Mais le Grand-Mire n'était pas chez lui, il était allé au loin soigner à sa maison de campagne un illustre malade. Ils sortent de la ville tout attristés. Passait une rivière : -- Que faites-vous là, petits ? -- Nous venions consulter le Grand-Mire pour notre père qui n'est pas bien. C'est le petit garçon qui a répondu. -- Pas bien du tout, ajoute la petite fille fondant en larmes. La bonne rivière pleure aussi, à inonder ses bords. Mais elle n'est pas embarrassée : -- Mettez-vous sur mon dos, vous serez plus vite arrivés où est celui que vous cherchez. Ils voient alors près du bord un joli radeau, ils y des­cendent, et les voilà si vite entraînés que les prairies de chaque côté ne semblent plus que deux tapis verts tout brodés de fleurs... Au bout du voyage une belle maison de campagne se présente à eux, entourée de jardins, avec un homme en tablier à grande poche qui travaille dans un parterre. « C'est ici, monsieur le jardinier, qu'est venu le Grand-Mire ? -- Oui, mes enfants, mais il est parti pour le château du roi qui fut pris cette nuit d'une méchante colique. Les deux petits en sont de nouveau tout accablés : -- Et nous qui venions le chercher pour notre père bien malade ! Mais le jardinier ne les écoutait plus : un bruit venait qui semblait l'inquiéter, et aussitôt voilà toutes courbées les cimes des arbres du parc, et toutes éparpillées les graines qu'il tenait. Puis le vent s'adoucit et attendit les enfants à la porte du domaine : « Où allez-vous, petits ? -- Nous allons chercher le Grand-Mire... Et ils ont conté leur histoire, ajoutant qu'ils étaient partis d'eux-mêmes, pour faire une surprise à leur bonne mère : ce qui était vrai, sans être sage. Le vent réfléchit, puis : 141:139 -- Montez sur mon dos ! Parce qu'il a eu pitié des gentils étourneaux. Ils se sont donc installés sur ses ailes jusqu'à l'entrée d'une immense allée au bout de laquelle ils ont vu le châ­teau dans l'ombre du soir, la nuit tombant. -- Le Grand-Mire ne nous recevra pas à cette heure, dit le frère ; il nous faut coucher ici. -- Si au moins nous avions notre petit lit, dit la sœur un peu délicate. Elle avait à peine achevé que se dressa devant eux une trop jolie maisonnette juste faite à leur mesure, avec deux chambres et dans chacune un lit couvert de soie couleur de rose, un petit fauteuil au coussin de même étoffe, un gentil guéridon au milieu et de la mousseline à la fenêtre. Puis les lits s'ouvrirent laissant voir les draps des plus fins et merveilleusement brodés, des couettes de satin, des édre­dons en duvet de cygne. Les petits ont fait leur prière, et bien dormi jusqu'au moment où deux doigts rosés aussi sont venus taper aux carreaux : c'était l'aurore qui passait. Ils se sont encore mis à genoux et fait leur toilette dans la source à côté, enfin pris le bon déjeuner servi sur l'un des guéridons, de chocolat et de gâteaux. Après tout a disparu, il n'y avait plus que la longue allée devant eux et le château tout au bout. « Allons trouver le Mire, dit le garçon. -- Oui... et cependant la petite fille soupirait. -- N'es-tu pas pressée de savoir ce qui guérira notre père ? -- Oh si ! Mais je songe comme nous avons été gâtés jusqu'ici dans notre voyage : la route, la rivière, le vent, la fée peut-être qui nous a fait voir la jolie maison ; tout le monde a été si bon pour nous. Comment reconnaître cela ? -- En étant bons à notre tour, petite sœur, comme notre mère nous l'a appris, et quand l'occasion s'en présentera promettons-nous de ne jamais la laisser passer. 142:139 -- Oh je veux bien, petit frère ! Elle saute, ils s'embrassent. Mais voilà un gémissement au pied de l'arbre sous lequel ils se tenaient. Un petit de colombe était tombé, l'aile toute froissée ; ils se souviennent alors de leur promesse ; la petite fille prend le pauvret dans ses mains, lui baise la tête et le cou pendant que le petit garçon va chercher de l'eau à la source fraîche dans une feuille de tilleul, nettoie la plaie puis la panse avec du géranium-Robert. Et enfin reprenant la colombe des mains de sa sœur, il la met contre son cœur sous sa chemise et monte la reposer doucement dans son nid. Déjà la mère poussait des plaintes autour de l'arbre, déjà le père inquiet arrivait du fond du bois ; comme ils furent heureux de voir leur colombeau apaisé, sans fièvre, endormi. Les deux enfants s'étaient éloignés en se souriant. -- Ce n'est pas très difficile d'être bon, petit frère. -- Non, petite sœur, mais voilà du temps passé avant d'avoir vu le Grand-Mire. -- Hélas ! Et la pauvre enfant aurait bien recommencé à pleurer si le garçon n'avait ajouté : -- Ce n'est pourtant pas du temps perdu : Maintenant ils volaient par le chemin. Si vite ils allaient qu'ils ont heurté un vieil homme à genoux auprès d'un fagot à terre. Plus vite encore ils se sont excusés, d'autant plus attristés de leur étourderie que le misérable bûche­ron avait l'air si las, si plein d'angoisse ! Vous semblez bien malheureux, cher vieux père ? -- C'est que mon fagot est tombé, je ne peux le rechar­ger, et n'aurai point de feu ce soir. Déjà il était si lourd ! Les deux petits ne songent pas tout de suite au mieux, la meilleure idée ne vient pas toujours la première : -- Nous allons vous le remettre sur les épaules, votre fagot ! Et une, deux, trois, hop, le faix balancé entre leurs mains s'élève, monte et monte encore, trop haut puisqu'il s'envole par-dessus la tête du vieil homme. 143:139 Ils le ramassent alors, se regardent, hochent leurs petits bonnets comme pour se dire : « C'est une sottise d'avoir voulu le remettre en place, il est bien trop lourd pour un pauvre vieillard ; mais à nous deux le porterons bien ! » Et ils partent, le fagot entre eux, le vieux tout joyeux trottinant derrière. Mais qu'il était devenu léger ce faix, on n'aurait jamais cru ! A la porte de sa cabane le bonhomme les a bien remerciés, les priant aussi d'y passer le seuil : le plus pauvre peut être poli et hospitalier. Eux cependant : « Excusez, nous allons chez le roi parler au Grand-Mire. » -- Le Grand-Mire, c'est moi ! C'était une grosse voix derrière eux ; ils se sont retournés. Le vieux avait enlevé sa calotte. A vrai dire ils ne comprenaient pas comment le Grand-Mire se trouvait là tout d'un coup, mais n'aurait-il pas dit son nom qu'ils l'auraient bien reconnu à son air noble, sa robe noire et son chapeau pointu ; une belle mule encore pleine de dignité, tapait du pied à côté. Il reprit : « J'étais venu me promener par ici pour mettre un peu d'ordre en mes pensées ; je ne voyais pas bien clair à l'état du roi ; ou plutôt je le voyais en grand danger mais ne savais comment l'en tirer. Maintenant c'est fait, le grand air a tout démêlé : il lui faut, à sa Majesté, prendre toutes les heures de l'Eau-rouge aux quarante fleurs. Seulement tout le monde perd la tête au château, personne ne saurait la trouver ; allez, mes enfants, demander par les maisons s'il n'y en a pas à donner au roi. » Il a parlé d'un tel ton qu'il n'y avait à répliquer ni même à s'expliquer. Le cœur serré du retard, les petits, ce premier jour, ont couru tout le village et puis les hameaux à la recherche de la moindre maisonnette où il y aurait eu de l'Eau-Rouge ; mais ils n'ont rien trouvé. Seule une vieille femme a secoué devant eux un fond de bouteille : 144:139 « Voilà tout ce qui est resté après que mon défunt mari en eût usé durant une maladie : même il en a encore duré vingt ans avant son trépassement. Pauvre Berton, il était le meilleur homme du monde, mais aussi le plus plein d'obstination. » Elle s'est essuyé les yeux d'un coin de son devantier, puis a continué : « Mais je peux vous donner la recette : il y faut du thym, de la marjolaine, de la menthe, de la mélisse, du romarin, du mélilot, de la lavande, de l'angélique, du mille-feuilles, du mille-pertuis, du... ». Comme un moulin tourne elle a dit les quarante fleurs, les a fait réciter par cœur aux petits. Avec cela, et répétant tout le long du chemin : « Du thym, de la marjolaine, de la menthe, de la mélisse... », ils sont allés retrouver le Grand-Mire, un peu tremblants de ce qu'il allait leur demander encore : mais ne faut-il pas être bon aussi pour le roi qui en a besoin comme les autres ? Bien entendu le Grand-Mire n'a pas cherché midi à qua­torze heures pour se faire entendre : « Ne perdez donc pas une minute, les petits, allez cher­cher les quarante fleurs... » Ils y sont allés, par les chemins, par le bois, par la plaine et par la montagne ; sous les haies, au pied des arbres ou sur le faîte, au bord des sources, le long des petits sentiers couverts ; ils ont marché, se sont baissés, ils ont grimpé, rampé, ont tout fait jusqu'à se suspendre au bord d'un précipice, en grand danger, pour cueillir l'arnica à la couronne d'or. Et bien d'autres choses ; ils se sont déchiré les mains, les pieds, les genoux, écorché la figure, laissé de leurs cheveux blonds aux broussailles comme les agneaux font de leur laine, mis leurs habits en lambeaux et la récolte a duré quatre grands jours. Le soir du dernier, ils n'osaient plus penser à leur pauvre père tant il y avait longtemps qu'ils l'avaient quitté, ni au chagrin de leur mère, qui devait les faire chercher de tous côtés. Pourtant les qua­rante fleurs étaient là, dans le tablier de la petite, qui les présentait au Grand-Mire sans pouvoir s'empêcher d'avoir les larmes aux yeux. Mais alors le Grand-Mire lui passa doucement la main sur la tête et de l'autre caressa la joue du garçon. 145:139 « Mes enfants vous voilà libres ; retournez maintenant chez vous où je ne tarderai pas à vous rejoindre. Apprenez en attendant que votre malade est encore en vie, vos bonnes actions ayant éloigné de lui la Mort. Pour la suite nous verrons. Au revoir, à bientôt ! » Il avait mis une pièce d'or dans la poche du petit tablier. Avec cela ils ont pu acheter de quoi manger et faire gaillar­dement un bout de chemin, puis ils ont rencontré le vent. « Hé, vous revoilà, petits ! Où allez-vous à cette heure ? -- Nous retournons chez nous, monsieur le vent. -- Justement je vole aujourd'hui de ce côté. Remontez sur mon dos pour arriver plus vite. Ils ont monté et sont arrivés à toute allure jusqu'à la rivière. -- Où allez-vous maintenant, petits ? -- Madame, nous rentrons chez nous après avoir trouvé le Grand-Mire. -- Trouvé ! Quel bonheur !... Et la bonne rivière ver­serait bien encore des pleurs, de joie cette fois ; elle a fort confiance au Mire, baignant sa maison et guettant tout ce qui s'y passe. Elle continue : « Eh bien, remontez sur mon dos, avec le radeau je m'arrangerai bien. » Elle les a ramenés jusqu'au pont de la ville. La route passait toujours là ; même cérémonie : « Où allez-vous, petits ? -- Nous rentrons chez nous. -- Montez sur mon dos. » Les routes vont en tous sens, elle a eu beaucoup moins de peine que la rivière. Après leur remerciement ils ont couru par la plaine en se donnant la main, ont fait un bond jusqu'à la maison. Tiens. La mule du Grand-Mire y tapait du pied devant la porte. Et au-dedans son maître était penché sur le malade ; et l'Eau-Rouge brillait dans une grosse bouteille, et le fagot du vieux bûcheron jetait des flammes dans la che­minée tandis que le bonhomme tout rajeuni travaillait au champ du père. Un nid de colombes était plein de petits roucoulements sur le romarin du clos. 146:139 Tout saisis les deux petits restaient au seuil, bras et jambes écartés. « Vilains enfants chéris, dit la mère, par quelles an­goisses vous m'avez fait passer, comme si ce n'était pas assez de la maladie du père ! » Et elle les serrait dans ses bras. -- Mais les voilà comme ils sont partis, dit le Mire qui promenant ses mains sur eux sans en avoir l'air répara en un instant le désordre de leur toilette. Et même en meilleur état puisqu'ils reviennent avec le cœur si joliment orné... Sachez-le, mes petits, je suis aussi quelque peu magicien, de loin j'ai dirigé toute l'affaire, et cependant que j'éprouvais votre charité je commençais à guérir votre papa. Puis se tournant à nouveau vers la femme encore tremblante, et lui remettant une bourse : « Tenez, le Roi l'envoie à ses petits chercheurs de plan­tes bienfaisantes, et c'est cela justement qui manquait à votre mari ; le souci de votre pauvreté le minait ; à partir de maintenant il ne sera plus malade isi cet argent est em­ployé comme il faut, ce dont je ne doute pas. Mais veillez surtout, bonnes gens, au beau trésor qu'est le cœur de vos enfants, la vie pourrait le leur ravir... Adieu, soyez heu­reux ! » Là-dessus comme la mule dansait d'impatience il sauta dessus avec le vieillard en croupe et vola hors de vue. Mais il laissait le feu, l'Eau-Rouge, et dans le romarin les oiseaux d'amour pour réjouir la maison où tout le monde se mit à s'embrasser en riant et pleurant. Et puis : Est venue la pt'tit'souris qui a fait : ki, ki, ki, ki, j'ai passé par barbari mon petit conte est fini ! Claude Franchet. 147:139 ### Pages de journal par Alexis Curvers LES CURÉS des années 60 nous auront fait quelque chose d'épouvantable. Une fois la bride sur le cou, ils nous ont forcés de voir que les trois quarts d'entre eux ne croient pas un mot de ce qu'ils racontaient encore dans les années 50 ; que les trois quarts du quart qui y croyait n'en étaient pas très sûrs et n'y tenaient pas beau­coup ; et que les trois quarts du seizième restant meurent de peur à l'idée d'avouer qu'ils y tiennent toujours en cachette. Presque tous tenaient ou avaient l'air de tenir, assez pour nous en avoir inspiré le respect et l'amour, à tout ce qu'on a connu de doux, de sublime et de céleste sur la terre : Jésus, l'Évangile, la Vierge Marie, les anges, les saints, la liturgie catholique, la vérité source de tout bien ; au point même qu'ils nous ont donné, avec le sentiment d'être à jamais indignes d'un tel trésor, le courage d'es­sayer de l'être un peu moins. Comme nous n'avions guère de courage, ils ont bourrelé notre jeunesse de remords et de tourments, exigeant de nous efforts et sacrifices conti­nuels, et plus de scrupules qu'ils n'en montrent eux-mêmes. Et tout cela, ils nous le disent enfin, pour des prunes. 148:139 Il est déjà peu commun que des charlatans, non con­tents d'avoir extorqué l'obole de la veuve et le tribut du sang, expliquent ensuite à leurs dupes le bon tour qu'ils leur ont joué. Ceux qui se vantent maintenant de nous avoir si longtemps escroqués vont plus loin : ils passent ouvertement au service de la baraque d'en face, ils y dé­ploient les mêmes talents et ils y font la même collecte, seulement avec plus de fourberie dans le boniment et plus de cynisme dans la rapacité. C'était donc par obéissance qu'ils exécutaient naguère, avec un ensemble si beau, la danse devant une arche qu'ils ne croyaient pas être l'arche sainte mais qui, l'étant en effet, leur communiquait malgré eux assez de vertu pour compenser sinon pour justifier leur cafardise. A présent qu'ils se livrent devant Baal à toutes les variétés de la danse du ventre, c'est toujours par obéissance, mais par obéissance à qui ? Certainement pas à Baal auquel ils ne croient pas non plus ; en quoi d'ailleurs ils ont tort, car l'obscénité de leurs actuelles simagrées reflète avec exacti­tude la réalité de l'idole dont ils sont devenus les esclaves. Le troupeau du bon Pasteur n'a fait que changer de maître ; mais il est plus troupeau que jamais, quoique rendu à l'état sauvage. Baal aussi a perdu au change, ces ministres qu'il a débauchés n'arrivant pas à nous ôter le souvenir mais bien plutôt à exciter en nous le regret et l'adoration de l'arche sainte qu'ils ont trahie : Eux-mêmes n'étant plus en état de comprendre combien ils sont horribles à voir, si au moins ils pouvaient sentir que le ridicule dont ils se couvrent rejaillit sur leur nouveau dieu ! 149:139 SI PAUL VI est Louis XVI, quoique moins naïf, Sue­nens est Philippe Égalité, quoique plus canaille. Le second vote la mort du premier, c'est inexpiable. Pourtant, l'antinomie des deux principes contradictoires qu'ils représentent finira bien par se résoudre, mais autre­ment qu'ils ne l'espèrent : la primauté, que l'un soutient si doucement, et la collégialité, que l'autre innove si furieu­sement, se concilieront sur l'échafaud où leurs deux têtes rouleront dans le même panier. \*\*\* On a cependant peine à se figurer Suenens aussi exact que Philippe d'Orléans au rendez-vous de la guillotine qu'il aura si bien machinée. Il n'est pas improbable que plutôt son fauteuil soit déjà réservé dans le dernier avion qui partira pour l'Amérique. Et qu'une fois à bon port il nous exhorte par radio à résister héroïquement à l'oppres­seur ; sans pouvoir s'empêcher de lui adresser encore, entre deux phrases réprobatrices, quelque clin d'œil d'in­telligence à toutes fins utiles. \*\*\* Peut-être n'a-t-on pas été assez attentif à ce geste par lequel Paul VI a dessiné d'avance la figure de son règne, lorsque, archevêque de Milan, il emprunta le couvre-chef d'un coureur cycliste pour se faire applaudir dans un vélodrome. Il dépose aujourd'hui la tiare pour la mitre, comme alors la mitre pour la casquette. Et il en est applau­di cette fois par le délégué du mouvement communiste « Pax », comme Louis XVI coiffé du bonnet rouge fut acclamé des sans-culottes. Gardez-vous de changer de cha­peau devant des gens qui pensent à vous couper la tête. \*\*\* 150:139 Je n'ai trouvé que dans *La Meuse* du 29 octobre l'infor­mation suivante : « Au terme de ce Synode, je dis : « *Vive le Pape, vive Paul VI !* a déclaré à l'A.F.P. le délégué de « Pax », M. Nicolas Rostworowski. « Je dis : *Vive le Pape !* a-t-il répété, car son action personnelle a aidé énormément à dégager le concept de collégialité, appelé à avoir une influence profonde sur la vie de l'Église. » On ne peut vraiment pas mieux dire. Mais il faut avouer que les sans-culottes avaient eu, devant le roi découronné, le triomphe plus discret. EST-CE UN PRÉSAGE en sens contraire ? *Le Soir* des 11 et 12 novembre publie en première page une pho­tographie dont voici la légende, parfaitement con­forme à l'image : « Le Pape Paul VI essaye, avec le sourire, une tiare africaine, pendant sa visite au Collège philosophique de la Propagation de la foi. Collège qui est fréquenté par de nombreux étudiants des pays africains. » 151:139 Paul VI donc à nouveau ceint la tiare, et voici qu'elle est africaine... On sait que les évêques noirs presque seuls ont parlé au Synode le filial et ferme langage de l'orthodoxie et de la fidélité. La papauté devra-t-elle à l'Afrique la restauration de ses droits divins, symbolisés par la triple couronne ? Ainsi déjà, à la suite de Clovis, les peuples barbares convertis restituèrent à l'évêque de Rome la plénitude de sa primauté, que les fils de Rome dans leur course à l'abîme avaient foulée aux pieds. Cette Église noire encore néophyte qui veut que le pape soit pape, a-t-elle chance d'être mieux exaucée que Rivarol conseillant à Louis XVI qui ne savait que faire : « Sire, faites le roi » ? Il est permis de l'espérer. « Je vous bénis, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux doctes et aux habiles, et les avez révélées aux petits. » UN DES AVANTAGES de la fin du Synode, c'est que je ne vais plus me croire ou me feindre obligé d'acheter chaque jour *Le Monde* et *Le Figaro,* pour la morose et maigre satisfaction de constater que ce qui arrive dépasse tout ce qu'on avait pu craindre. -- Dire qu'on n'a plus le temps de lire les tragiques grecs ni les fables de La Fontaine, et qu'on épluche quotidiennement la prose des Fesquet et des Laurentin ! Plus le temps de lire Bossuet, alors qu'on absorbe à loisir l'excrément intellectuel que sème à tous vents la faconde d'un Suenens ! \*\*\* 152:139 Quant à ce dernier, rien de plus conventionnel, de plus folklorique, de plus jobard que l'idée que s'en fait Mauriac : « Ce grand Flamand bâti à chaux et à sable », écrivait-il dans son Bloc-notes (*Figaro littéraire* des 10-16 novembre 1969). Mauriac se trompe de cardinal : la définition eût parfaitement convenu à Mgr Van Roey, le robuste, iné­branlable, taciturne et vénéré prédécesseur de l'inconsis­tant personnage qui, du haut du trône archiépiscopal de Malines, étonne la Belgique par sa vulgarité d'ailleurs très peu flamande, et nullement par sa force ! Voyez ce visage effacé de pince-sans-rire, ce regard coupé court, cet air à la fois insistant et absent, ces traits mous, durcis par une cruauté glacée en lutte avec une peur secrète. Voyez ces bravades ingénues, d'autant plus effron­tées que mieux calculées pour laisser toujours ouverte une porte de sortie. Écoutez surtout ce langage où tout, sauf les arrière-pensées, est équivoque, ininventable réper­toire des tours de passe-passe les plus éculés de la sophis­tication progressiste. Plutôt qu'à chaux et à sable, Suenens est bâti, pour la solidité, en carton-paille, et en caoutchouc synthétique pour la souplesse avec laquelle il a su prendre au bon moment chacun des virages qui ont jalonné sa surpre­nante carrière. Pour le jugement c'est une girouette, pour l'originalité c'est un perroquet, et pour la liberté dont il a la bouche pleine c'est le tyran sans entrailles que con­naissent tous ceux qui l'ont approché si ce n'est en ram­pant. L'Église de notre temps a les antipapes qu'elle mé­rite. Et s'il faut expliquer par le génie de la Flandre la fortune d'un Suenens, c'est au grand James Ensor que Mauriac aurait dû emprunter la fameuse phrase à valeur d'oracle : « Les suffisances matamoresques appellent la finale crevaison grenouillère. » 153:139 #### Sur la "collégialité" De Pie VIII aux Évêques de Prusse\ (lettre du 30 juin 1830) « ...Nous ne devons point vous dissimuler, vénérables frères, dans quelle amertume notre cœur est plongé, depuis qu'il Nous a été rapporté qu'il en est un parmi vous, qui loin de défendre l'Église catholique et sa doctrine en combattant les erreurs et les nouveautés et en prémunissant par des avis et des préceptes salutaires les fidèles confiés à ses soins, n'a pas hésité au contraire à donner, par son assentiment et son con­cours, une nouvelle autorité et une nouvelle force à ces principes faux et erronés. « La gravité de la faute fait que Nous croyons l'accusation fausse. Nous répugnons trop à porter sur vous un jugement si injurieux, et à admettre que quelqu'un d'entre vous ait pu trahir la cause de l'Église de Jésus-Christ dans des choses aussi importantes que le sont celles qui intéressent sa constitution et son essence. « Car la raison même et la nature du gouvernement de l'Église établie par Dieu montrent que ce ne peut être que dans un temps d'attaques et de troubles contre elle que les puissances du siècle dominent sur elle ou prétendent diriger sa doctrine... 154:139 « Quiconque voudrait y introduire une nouvelle forme de gouvernement, dit saint Cyprien, s'efforcerait de faire une Église humaine. » De Grégoire XVI (lettre apostolique\ Cum in Ecclesia du 17 septembre 1833) : « ...Ils attaquent de tous côtés l'autorité infaillible de l'Église, et s'efforcent surtout d'affaiblir par tous les moyens les droits divins de la Chaire apostolique, en qui réside la fermeté de l'unité ecclésiastique. Parmi eux, nombreux sont ceux qui, dans de vastes régions de l'Allemagne, réunis en une sorte de société, tiennent des congrès et des délibérations, et ne craignent pas de s'occuper de l'Église pour l'adapter, comme ils disent, aux besoins du temps ; ils sont d'autant plus dan­gereux que, sous couleur de zèle pour la religion, en affichant de pieux desseins, ils induisent les naïfs en erreur par leur prétention de régénérer et réformer l'Église. La témérité de ces hommes est à ce point aveugle qu'ils ne craignent pas de re­prendre, pour appuyer leurs opinions perverses, des erreurs condamnées auparavant par les décrets bien connus des Sou­verains Pontifes et des Conciles. « Ce n'est pas en cachette ou secrètement, ni avec des périphrases, mais de la manière la plus ouverte, oralement, par écrit et même en chaire, qu'ils affirment à maintes reprises et prétendent audacieusement que tous les évêques, en tant que successeurs des Apôtres, ont reçu du Christ un pouvoir égal et souverain de gouverner l'Église, et qu'il ne réside pas seule­ment dans le Pontife romain, mais dans l'épiscopat entier ; bien plus, le Christ aurait voulu que l'Église soit administrée à la manière d'une république, en sorte que tous, non pas seulement les clercs de rang inférieur, mais même les laïcs, jouissent du droit de suffrage. Ainsi tout le pouvoir aurait été donné immédiatement à la société des fidèles pour être délégué aux évêques et au Souverain Pontife. Ils affirment enfin que beaucoup d'articles de la discipline actuelle, tenus pour inu­tiles, dangereux ou nuisibles, devraient être modifiés confor­mément aux idées de l'époque. 155:139 Ces deux textes, reproduits en supplément par le *Bulle­tin indépendant d'Information catholique* (Bruxelles, juillet 1969), sont cités d'après *Les enseignements pontificaux : l'Église,* 2 volumes édités par les moines de Solesmes (Des­clée et C^ie^, 1959). \*\*\* Du cardinal Litta (*Lettres sur les 4 articles,* publiées et plusieurs fois rééditées en France de 1809 à 1826) : « Il s'élève des questions sur la foi ; je cherche une autorité enseignante pour m'éclairer. Voilà que j'entends la voix de Pierre qui prononce son jugement ; ici je de­mande : puis-je craindre quelque erreur dans ce jugement ? Jésus-Christ a prié pour Pierre, afin que sa voix ne manque pas. » On a bien lu : *que sa voix.* Le cardinal veut dire qu'il ne suffit pas que Pierre prononce, il faut encore que sa voix porte et retentisse. Or Jésus a prié pour que *la foi* de Pierre ne défaille point. Mais c'est de Pierre, de son courage et de son autorité qu'il dépend que son jugement se fasse entendre, couvrant tous les tumultes. Et tel est le sens de la *conversion* de Pierre. Celui-ci, dans la cour de Caïphe, n'a pas perdu la foi, garantie par la prière du Christ. La voix seulement lui a manqué, c'est-à-dire la force d'*affer­mir ses frères.* Il l'a retrouvée au matin de Pâques, devant le tombeau vide. \*\*\* 156:139 De Bossuet (*Sermon sur l'unité de l'Église,* à lire et à relire dans son entier) : « L'autorité ecclésiastique, premièrement établie en la personne d'un seul, ne s'est répandue qu'à condition d'être ramenée au principe de son unité, et que tous ceux qui auront à l'exercer se doivent tenir inséparablement unis à la même chaire. » Et dire que Bossuet passe pour avoir été gallican ! *L'autorité ecclésiastique, premièrement établie en la personne d'un seul*... Que n'y avons-nous pensé plus tôt ! Effectivement on chercherait en vain dans les quatre évan­giles un seul mot de Jésus qui conférât ombre d'autorité à quelque autre que Pierre ; et dans les *Actes*, un seul cas où quelque autre autorité aurait balancé celle de Pierre. Celui-ci, partout et toujours, décide souverainement. C'est de lui que Paul tient la permission de lui présenter ses conseils, et le droit de les mettre en pratique. Paul accueille les Gentils dans l'Église longtemps après que Pierre a baptisé le centurion païen. Ainsi l'autorité qu'exercent les évêques leur est déléguée par le pape, comme le pape exerce sur eux l'autorité que Jésus-Christ a déléguée à Pierre et à Pierre seul. La collégialité est une invention moderne, une pure légende, un non-sens, un canular théologique. Il fallait une époque aussi bête que la nôtre pour en admettre seule­ment le nom. Car, pas plus que la chose, le mot n'a jamais existé. 157:139 DANS *Le Soir* du 5 novembre 1969, Adrien Jans tra­duit ces quelques vers d'un poète yougoslave : *Personne n'écrira plus la poésie.* *Les objets chantés quitteront les chansons,* *Mécontents des explications, des interprétations.* *Tout ce qui a servi de sujet à la poésie* *S'élèvera contre elle et sa faiblesse.* *Les choses exprimeront elles-mêmes ce que les poètes n'ont pas osé.* L'auteur, Matiya Betchkovitch, a 30 ans, paraît-il. Génie précoce, donc, autant qu'universel. Il a compris le monde moderne et tout compris. Ce vide, ce néant qu'il découvre dans ce qu'on appelle encore la poésie ne se fait pas moins sentir dans ce qu'on appelle encore la théologie, la philo­sophie, les arts, la critique, l'enseignement, etc. Dans tous les domaines où s'exerce ne disons pas la pensée contem­poraine, mais bien plutôt cette folle mécanique épuisée qui sert aujourd'hui de substitut à la pensée, partout des mots ont remplacé les choses. Ce ne sont pas seulement les objets, c'est la *notion même d'objet* que nous avons dissoute et forcée à la désertion. Nous n'avons plus des choses que le succédané verbal qu'on en fabrique en grande série sous le nom de « culture ». Il fallait être un grand poète pour avertir que les choses ne tarderont pas à crier vengeance contre les mots parasites qui les ont évincées. Car si les hommes n'ont plus rien à dire, *les pierres mêmes parleront*. Mais ce poète yougoslave est jeune. Formé à la nou­velle école, il ne connaît de poésie que récente. Il ne sait pas qu'il fut des temps où les poètes osaient exprimer le réel, et l'exprimaient avec beauté. 158:139 M. ARAGON a beau nous dire, dans *les Lettres françaises* (8-14 octobre 1969), que le parti communiste français a désapprouvé l'an dernier, « *pour des raisons qui ne sont pas de tactique *», l'invasion de la Tchécoslovaquie. Pour quel genre de rai­sons lui-même approuve-t-il et continue-t-il d'approuver son parti d'avoir prononcé « cette condamnation d'un acte *qui met en danger l'avenir du socialisme dans le monde entier *». ? M. Aragon va plus loin. Il a cette fois le courage de republier le texte d'une circulaire que le pseudo-gouver­nement tchécoslovaque aux ordres des Russes adressait, le 16 septembre 1969, aux autorités universitaires du pays, et semblablement « à tous les fonctionnaires et même aux usines ». Cette circulaire marque, dit-il, « l'instauration dans un pays socialiste de la délation systématique comme devoir national ». Comme si l'usage de la délation obliga­toire et généralisée était une nouveauté exceptionnelle en régime communiste ! Mais passons là-dessus. L'indignation de M. Aragon fait plus d'honneur à son sens moral que son étonnement n'en fait à sa documentation. Cette circulaire, déclare M. Aragon, « il ne semble pas que des Français puissent l'accepter sans rien dire ». Faut-il entendre qu'ils pourraient l'accepter en disant quelque chose ? Et que dit M. Aragon ? Les motifs de sa protesta­tion tiennent en peu de lignes : ce qu'il déplore, c'est que le régime de terreur et de délation officiellement rétabli par les armes en Tchécoslovaquie « *porte un coup qui peut être mortel à l'internationalisme prolétarien, à la con­fiance des peuples dans le socialisme, et au rassemblement en France des forces démocratiques déjà gravement compromis *». C'est tout. 159:139 Or ces raisons sont d'ordre exclusivement tactique. Et M. Aragon ne laisse pas d'appeler *démocratiques* les forces dont il souhaite que la coalition victorieuse impose à Paris le même socialisme qu'à Prague. Alexis Curvers. 160:139 ### Journal logique *de mai à novembre 1969* par Paul Bouscaren FAIRE TOUT CE QUE demande le salut des hommes en est-il l'unique chemin réel, (et non idéal), les perdre en a deux : les démolir eux-mêmes, ou la société ; empêcher l'être personnel, ou son milieu propre. La révolution est la tactique moderne de Satan, -- sa pêche au filet. \*\*\* Sauver le monde, pour l'Église d'hier, c'était avoir à soigner un malade indocile ; comme le monde est moderne, il fait de son indocilité sous toutes les formes dignité per­sonnelle et amour des hommes ; l'Église d'aujourd'hui ne voit plus de salut pour le monde qu'à rouler sur ses pentes. \*\*\* *Bene sperantium superna expectatio est*, (saint Augus­tin, cité par saint Thomas) ; à présent, le calembour du « Dieu de l'En-Avant » avec le « Dieu de l'En-Haut » ; car Celui-ci est ainsi appelé à raison de Lui-même, et par méta­phore de sa transcendance à tout le créé, -- tandis que le Dieu teilhardien s'explique sans métaphore par une rela­tion au cosmos en cosmogenèse. \*\*\* 161:139 *Mettre le feu au monde pour cuire son œuf,* qui ne le fait aujourd'hui à mesure qu'il « prend conscience », veut « être moderne », et, dare-dare, « s'engage » ? Sauver le monde tient peut-être à lui rendre un sens des proportions qui est peut-être le bon sens même. \*\*\* « ...Consacrer l'égalité politique et civique de tous les hommes devant l'État, comme le Christ avait consacré leur égalité naturelle devant Dieu », c'est du Lamartine ; la réelle égalité chrétienne des hommes devant Dieu, c'est leur misère devant sa miséricorde, leur impuissance devant sa grâce, leur besoin de renaître pour être ses enfants ; l'égalité prétendue des hommes devant l'État, celle de leurs droits (déclarés), de leur liberté (volontariste), de leur souveraineté (idéale, et à mesure, corruptrice). « C'est l'amour se sachant lui-même et goûtant pro­fondément cette science, l'amour harmonisé qui ne périra plus par folie d'amour. » L'homme qui parle ainsi ne prend pas pour le grain des choses, lui, la paille de ce mot, (et pourquoi le seul nom de l'amour serait-il incapable de tromper, d'égarer l'esprit, de faire périr ?) Cet homme est Jules Michelet, que l'Histoire de France avait amené à « l'*Imitation de Jésus-Christ,* le plus beau livre chrétien après l'Évangile... » \*\*\* *Un Sauveur crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens :* scandale et folie de la croix, non point du Sau­veur religieux, pour les contemporains de Paul ; mais au­jourd'hui, aux yeux des modernes, scandale et folie de la croix, de la religion, d'un Sauveur des hommes qui les sauve d'eux-mêmes ; et des apôtres comme il n'en eut jamais ne veulent rien savoir des obstacles à la foi de la mentalité moderne comme telle. \*\*\* 162:139 *A quoi bon gagner le monde entier, si l'on vient à perdre son âme ?* Gagner le monde peut s'entendre de mille ma­nières, des plus avares aux plus généreuses (d'intention), des moins réformistes aux plus révolutionnaires (quant à la violence destructrice) ; le fait est que l'on ignore l'Évan­gile, à vouloir évangélique de gagner le monde *et sauver son âme par là-même,* puisque cela identifie ce que l'Évan­gile met en opposition, -- ici, formellement et par principe, partout ailleurs selon ses exigences pratiques. \*\*\* *Unum in se faceret pro quibus offerebat*, (IIIa, 48, 3), -- voilà en quel sens peut être vraie la mystérieuse prière « qu'ils soient un comme nous sommes un » ; sens appelé par le contexte immédiat : qu'ils soient un en moi et par moi ; qu'ils accèdent, en moi et par moi, à l'unité qui est la nôtre. On glisse, chose incroyable, de ce sens divinement composé au sens idiotement divisé d'une unité *humaine* qui reproduirait *humainement* l'unité divine. \*\*\* Le Christ est notre Rédempteur selon qu'il est l'un de nous, hommes par la création, aliénés par le péché, -- alié­nation qui est justice de Dieu (IIIa, 48, 4), et veut pour l'homme la libération du péché, (ibid.), -- quoi qu'il en puisse être de l'injustice sociale, et d'une « libération » marxiste attendue de la société sans classes. Pour nous sauver, Dieu a voulu vivre avec nous notre vie terrestre, mais, c'est-à-dire, vivre d'obéissance à son Père jusqu'à mourir sur la croix ; 163:139 quel rapport à cette *forme chrétienne, --* obéissance et sacrifice d'adoration, -- de l'humaine vie, de notre vie terrestre comme telle, sinon celui d'une ma­tière sans valeur que par sa forme ? Non certes, pour cette vie sans la foi, mais pour cette vie dans la foi au Christ, la vie temporelle est, ni plus, ni moins, la *matière* de *l'ins­trument* que *nous* sommes aux mains de Dieu pour que *Dieu opère* notre salut éternel *en Jésus-Christ,* (ibid., a.5 et a.6). \*\*\* Rien ne doit s'opposer, tout doit concourir à ce que les idées, la liberté, la conscience, aient le dernier mot, fassent de leur choix notre décision, puisque la vie humaine consiste par idées, liberté, conscience ; mais non pas que noblesse humaine puisse aller sans obliger les idées au réel, la liberté à ses conditions, la conscience à tenir compte de tout, les yeux ouverts, humblement ; mais non pas, encore, que ces obligations personnelles aillent sans conditions sociales, -- comme il semble à l'idiotie démo­cratiste, (même Jean Paulhan nous en fut témoin, « La Démocratie fait Appel au Premier venu »), idiotie moderne, et, tout d'un coup, catholique romaine. J'appelle idiotie de nous faire un plat de l'éminente dignité de la personne humaine, et du chrétien adulte, et de vouloir, pour ce festin de rois, une société de simple cueillette. Je précise que le monde moderne vient de l'Évangile comme l'abstrait vient du concret, mais surtout, (c'est l'idéologie), comme un abstrait qui prend la place du concret, (sous couleur d'amener le réel à la perfection de l'idéal). \*\*\* 164:139 Il y a des hommes chez qui l'amour de la vie, dans sa force, a des racines profondes, et leur donne faim et soif de l'ensemble des conditions communes et permanentes de la vie, ce qu'ils appellent l'ordre ; pour de tels hommes, connaître l'histoire de l'Église, c'est admirer et chérir spontanément une incomparable mère des hommes, « la meilleure amie de chaque homme, la bienfaitrice commune du genre humain, sans cesse inclinée sur les âmes pour les cultiver, les polir et les perfectionner, ... leur interdire de se choisir pour centre », (Charles Maurras, « Le dilemme de Marc Sangnier », Introduction). Tout au rebours, l'esprit qui se choisit pour centre, l'esprit moderne des gens de gauche ne les accorde à la vie qu'abstraite en idées ; pour un tel esprit au lieu de l'homme vivant, un homme vivant, Balzac ou Maurras n'a pu aimer l'Église et mettre foi en elle « qu'en dépendance d'une certaine idée qu'il se faisait de l'ordre », (François Mauriac, le *Figaro littéraire* du 23 juin). La maudite équivoque ! Penser, parler, agir, et même aimer, dépendent pour chacun de ses idées, mais en deux manières : les idées à leur place comme les lunettes sur le nez, avec bon sens ; les idées à la moderne, à la place des choses, créatrices de la vérité des choses par une liberté créatrice de la personne, -- vive la mort et le chaos ! (Envoyé à François Mauriac le 25 juin). \*\*\* « Le vieux curé intégriste, pour qui le canon de la messe ne mène vers Dieu qu'en latin... », (Brice Parain, « Petite métaphysique de la parole », p. 104). A cela près, cher monsieur, que l'intégrisme tient précisément à ne pas rêver qu'aller à Dieu n'exige pas une persévérance humaine, et c'est-à-dire l'enfantillage d'y prétendre comme d'un coup d'aile d'ange, l'enfantillage de ne pas voir l'ensemble qu'il y faut, et d'être sûr qu'un tel ensemble n'avait pas de place, en fait, pour la messe en latin. \*\*\* 165:139 L'État n'est qu'une exigence de sa fin spécifique, la société ; par sophisme, on tire de là un peuple seul souve­rain de droit, comme si le peuple actuel, et tel qu'il se trouve, et réduit au corps des électeurs, était identiquement la vie sociale. Même si la démocratie selon Rousseau ne crevait pas d'un tel sophisme, c'en serait un énorme, parler du pape dans l'Église comme de l'État dans la société ; car l'Église n'est pas, *ne peut pas être,* la seule société visible des *disciples* de Jésus-Christ, elle est le Corps mystique de Jésus-Christ, et c'est-à-dire le Christ vivant qui, lui-même l'a dit, fait vivre de sa vie les chrétiens, comme un cep de vigne ses sarments ; dès lors, s'il y a dans l'Église un Vicaire de Jésus-Christ, n'est-ce pas nier Jésus-Christ lui-même que de vouloir son Vicaire, dans le peuple de Dieu, sans autre rapport à la Vie qui fait ce peuple, que celui de l'État démocratique à la vie sociale. \*\*\* « C'est à la conscience des époux de décider », non à l'encyclique *Humanæ vitæ* en leur lieu et place (*Figaro,* 30 juin). Il est hors de doute, humainement et chrétienne­ment, que chacun doit se conduire selon sa conscience, et que des époux ne peuvent obéir en conscience, (qui est la seule véritable obéissance), à une règle de conduite *immo­rale à leurs yeux en ce qui les concerne,* d'où que vienne cette règle. Mais cela dit, le choix de la conscience, comme il le faut toujours et comme il exclut toujours d'être en mal, doit-il, oui ou non, être compatible avec l'obligation d'obéir, afin d'être toujours en bien, soit selon l'obligation fondamentale de la vie morale, soit selon telle obligation particulière, -- l'obligation d'obéir, dis-je, lorsque la conscience n'arrive pas à déterminer un choix indispensable ? Les époux doivent agir selon leur conscience, ils ne peuvent obéir à *Humanæ vitæ* contre leur conscience, fort bien, puisque sans cela, point de conscience ; mais s'agit-il d'user de conscience, ni plus ni moins, si des époux décident de faire ce que le pape déclare intrinsèquement immoral ? Qui répond oui, et à l'encontre de qui, sinon la conscience moderne à l'encontre de la conscience chrétienne ? 166:139 Cha­cun doit agir selon sa conscience, je distingue : oui, agir selon sa conscience qui lui fait *un devoir certain,* soit d'agir ou de ne pas agir de telle manière ; mais si la conscience incline à *se permettre,* en vue d'une fin honnête, mais non à *prescrire,* le recours à un moyen *déclaré illicite par une autorité morale indubitable,* s'agit-il encore, et de même, de se conduire selon sa conscience, en prenant ce moyen ? L'hypothèse de la certitude, et, à la fois, du mal chez cette autorité, du bien dans la multitude des consciences, n'est-elle pas à désespérer de la conscience, précisément comme elle est en cause ? Ou à désespérer du monde actuel, s'il rend inévitable pareille catastrophe, pareil aveuglement des consciences ? Ici vient se poser la question que voici : combien de consciences ne veulent pas savoir de façon à se voir obligées à l'encontre de la liberté générale, non par volonté expresse de ne pas savoir, mais *faute de la volonté requise pour voir au contraire de l'opinion générale ?* A titre d'illustration, notre assemblée des évêques a-t-elle essayé sa Note pastorale sur *Humanæ vitæ* à la pierre de touche de la Somme de théologie, Ia IIae, q.19, a.6 : *Utrum voluntas concordans rationi erranti, sit bona* ? \*\*\* « Une question de conscience », de Louis Salleron, (*Itiné­raires* de juillet) ; mon Dieu, *il y aura des abus,* c'est le plus certain de beaucoup ! Quelles que soient les institu­tions, les hommes seront incapables d'en user sans en abuser ; pareille incapacité, n'est-ce pas le péché originel comme il est observable par tous ? Le croire, ou s'y refu­ser, distingue excellemment la droite et la gauche, car il suit aussitôt de choisir les institutions compte tenu des abus prévisibles, selon leur nocivité *sociale, --* qui peut aller au point de rendre chimériques les progrès attendus de la perfection abstraite des types institutionnels. Et quant à la question des abus ecclésiastiques *aux dépens de la vérité,* veuillez observer qu'ils étaient, jusqu'ici, à l'encontre des adversaires de l'Église, extérieurs à l'Église, ou des particuliers dans l'Église ; 167:139 mais aujourd'hui, les adversaires de l'Église traditionnelle sont au dedans, et c'est à la vérité chrétienne que s'attaquent les abus ; cela change tout quant à *la nocivité sociale* du mensonge dans l'Église. Si le mensonge est un moyen d'autant plus efficace qu'il s'administre à moins capable de le discerner, quelle sur­prise, au déluge des mensonges en régime de souverai­neté populaire, et dans l'Église démocratisée ? \*\*\* « Le Père veut des adorateurs en esprit et en vérité », c'est l'Évangile ; en voici l'intelligence moderne : l'homme doit faire l'ange, ignorer la vérité de la condition humaine, réduire à rien la religion extérieure sans craindre d'étouffer la religion en esprit ; celle-ci est irremplaçable, *donc,* nous l'aurons toute pure et toute seule, ou nous ne l'aurons pas... Pauvre intelligence moderne, malheureux hommes qui en sont là ! \*\*\* Jésus est la vérité comme Dieu est la Vérité ; connaître Jésus, c'est connaître que le Père et lui sont Un ; la vérité en ce sens-là est accessible à la seule foi, que Dieu seul peut donner. Autre chose, la vérité philosophique, laquelle peut, par hypothèse, s'opposer à Jésus selon que la vie humaine aurait une origine sans Dieu, ou n'aurait pas Dieu pour fin, dans une totale absurdité, au moins pour nous, de toute la réalité comme de toute notre pensée. Dostoïevski peut fort bien dire, en ce sens-là, qu'il choisit Jésus contre une vérité philosophique peut-être contre lui, et, pour être telle, tellement intolérable à la vérité de notre vie, comme celle-ci, en fait, est évangélique. Mais autre chose, beaucoup plus, la vérité scientifique, la vérité galiléenne, expérimentale et métrique, reçue de plus en plus pour la seule vérité recevable humainement, et c'est-à-dire par tous les hommes, -- *on ne nous dit pas quels hommes le sont tous par abstraction de ce qui les fait les hommes divers et opposés qu'ils sont, et, entre autres, à l'égard du Christ ;* 168:139 en réalité, les hommes réduits à une forme d'intelligence aussi propre que l'on voudra au progrès technique, mais qu'il est fantastique de voir donner pour l'homme même, et pour unir les hommes du moment qu'ils s'y accordent, alors qu'ils sont hommes, bien plutôt, où ils n'arrivent pas à s'accorder, précisément parce que là, il y va de leur tout, donc, de leur liberté, de leur pauvre liberté... A mesure, Dostoïevski doit être la voix de la vérité même, en se disant avec Jésus contre pareille vérité scientifique, si honteusement et catastrophiquement appelée la vérité. Qu'est-ce que la méthode expérimentale ? Un refus de croire, dont l'efficacité fait croire en la science au mépris de son principe, auquel on substitue celui-ci : qui peut le moins peut le plus, lorsque le moins émerveille la foule. De sorte que la science, donnée pour mutation de l'homme, accuse en lui le même imbécile toujours superstitieux, sans différence des ignorants et des savants : \*\*\* Si Dieu est Dieu, force est bien qu'il soit Amour au regard de ses créatures, à moins de leur être méchanceté ; il n'en va pas du tout de même pour les hommes, sinon en idéologie, car les hommes ne sont point une pure volonté bienveillante ou malveillante, mais d'abord une existence besogneuse, et solidaire par nécessité multiforme ; le néo­christianisme est rigoureusement sans queue ni tête, de nous vouloir amour comme Dieu est Amour, -- abstrac­tion faite, et de la condition humaine en tant que telle, et du don de Dieu, seul assez puissant pour nous élever à la vie de Dieu ; et, d'autre part, un don soumis à des condi­tions réductibles à celle-ci : ne pas être une bête incapable de Dieu. \*\*\* 169:139 L'homme idéologique est donné par hypothèse à l'esprit de gauche, l'esprit de droite regarde aux conditions de l'hypothèse, et il les veut premières, puisqu'elles sont pre­mières ; en ce sens-là, *politique d'abord* est la maxime du salut temporel, aussi fondamentale que *cherchez d'abord le Royaume de Dieu* la maxime du salut, sans épithète, -- non par opposition de l'éternel au temporel, mais celui-ci pris dans celui-là, autre *enracinement* intolérable au *volon­tarisme* moderne. \*\*\* Toutes les vérités sont égales quant à l'honnêteté de la pensée et du langage, nullement par leurs objets ; mais une aberration inverse nous vaut les savants prétentieux pour la science à la mesure de l'honnêteté, les gens d'Église cuisiniers sans vergogne des vérités qui ne sont pas la Vérité ; deux prostitutions du langage. \*\*\* L'ordre social peut se définir, à la suite de l'ordre des objets dans la maison, *une* place pour chacun et chacun à *sa* place ; de manière analogue, l'intégrisme, à la suite du bien moral, *bonum ex integra causa,* puisque, rigoureu­sement, *malum ex quocumque defectu*. \*\*\* Il n'est plus possible à l'Église de parler au monde comme la Vérité de Dieu à l'ignorance et aux erreurs des hommes, selon la foi, depuis que le monde croit à la science comme la Vérité des hommes, ce canular des canu­lars, tourné en farce par nos Scapins ecclésiastiques. \*\*\* 170:139 Je ne crois pas aux droits de l'homme pour la bonne raison que *l'homme n'existe pas,* et je le prouve, à la diffé­rente des athées, ces incrédules négatifs ; mais comment une incrédulité de bon sens traditionnel serait-elle ima­ginable, à l'époque d'une découverte de « la mort de l'homme », deux siècles après Joseph de Maistre, qui n'avait rencontré l'homme nulle part ? Un seul mythe nous tue, le mythe de l'homme ; alors, *Pacem in terris* et *Populorum progressio*... Mieux vaut ramper, m'est avis, que d'être jeté dans le vide, et je demande ce que gagneraient les hommes à passer de la tyrannie de l'économisme à une société que celui-ci ne disputerait plus à l'idéologie humanitaire. « Substituer mentalement la définition à la place du défi­ni » est de règle stricte en mathématique, où les noms désignent *les êtres définis en tant que tels *; mais dans la vie, les noms désignent les êtres et les réalités que nous présentent *l'existence*, et qu'elle nous présente à *des condi­tions à elle*, plus ou moins insaisissables selon l'être défini ; de sorte que rien n'est plus sophistique, en dehors de la géométrie dont parle Pascal, que « cette méthode... qui suffit seule pour bannir toutes sortes de difficultés et d'équi­voques », -- et c'est là que nous en sommes toujours davan­tage, depuis 1789, d'abord en politique, puis en économie, enfin dans la vie religieuse, l'une après l'autre tombées en pourriture démocratique, socialiste, moderniste. \*\*\* Le salut chrétien exige d'abord la foi en la Passion du Christ, ensuite la conformité à la charité du Christ souf­frant pour notre salut, (IIIa, 52, 6). Un salut par l'amour n'est pas autre chose que la substitution d'un mythe à la foi dans le Sauveur ; cela, au point de rendre radicale­ment inutile un Sauveur, selon que l'amour est la perfec­tion en toute hypothèse, que l'homme soit ou ne soit pas un être perdu. Oui ou non, la foi exige-t-elle que l'homme soit sauvé, pour aimer ? \*\*\* 171:139 Tout ce monde visible « n'est qu'un trait impercep­tible dans l'ample sein de la nature », combien plus « les petites choses » de notre vie en ce monde, au regard des « grandes choses » de la vie éternelle ! Voilà ce que sont la terre et le ciel pour le chrétien, ce qu'est pour la foi l'Ascension du Seigneur, etc. Mais parce que deux hommes vont marcher sur la lune, le *Figaro* me flanque une chro­nique de Jean Guitton qui a pour titre : « le ciel et la terre », et qui se termine sur ces mots : « Pour tout résu­mer, la Terre ne sera plus la Terre. Désormais elle fait partie du ciel. » Bien entendu, « dans les perspectives du Père Teilhard »... Les perspectives de saint Thomas, je les rencontre le lendemain : « Incoepit etiam in Christi resurrectionem tertius status Sanctorum. Nam primus fuit sub figuris legis ; secundus, sub veritate fidei ; tertius erit in aeternitate gloriae quam Christus inchoavit resurgendo », (IIIa, 53, 2) ; les trois états de l'esprit selon la (vraie) foi... \*\*\* « ...La boutade bien connue : si un évêque dit de prier, ce n'est pas une information ; c'en est une, au contraire, si un évêque dit de ne pas prier ! ». (*France catholique* du 18 juillet). Drôle de regard, qui peut, qui veut voir là une boutade ! Information dit actualité comme elle est nou­velle, comme elle vous tombe dessus sur l'heure, avec la télévision et la radio ; qu'est-ce à dire autre chose que la vie regardée, non pas comme une terre ferme, mais comme un torrent, et un torrent beaucoup plus ravageur qu'utile sur son passage ; *il y a un venin révolutionnaire dans le principe même de l'information*, -- mais on ne veut pas le savoir, telle est la vérité, précisément, de l'information comme elle sévit. \*\*\* 172:139 Liberté, c'est : « A moi le choix ! » La liberté dit bien disposition de soi, mais laquelle ? On la veut sans autre limite que de ne pas disposer d'autrui comme de soi-même, pourquoi, si elle est absolue comme on le veut d'abord ? Quelle apparence, aussi, que l'on puisse dispo­ser de soi d'autre sorte que l'on n'est soi, et qui, s'il y regarde, doutera d'être soi comme il est *donné à soi*, ce qui n'a rien d'absolu, ce qui relève de conditions internes et externes, et, en particulier, de conditions sociales ? Si l'on est donné à soi et si l'on est soi comme l'on est membre du corps social, on dispose de soi comme d'un membre du corps social, on ne prétend pas à une liberté d'être *laissé à soi*, -- laissé à zéro. Qu'il faille la société comme milieu d'existence, comme condition sine qua non ; que la société ne puisse aller sans autorité obéie, sans imposer à chacun de faire sien le choix d'un autre ; voilà des vérités toutes différentes et au contraire de la liberté que l'on aime, qui est la rose au mépris des racines. Liberté, mot anarchiste. Égalité, c'est : « Pourquoi les uns et pas les autres ? » Or, si la société doit permettre à tous ses membres sans exception leur vie humaine, encore faut-il que société il y ait, en assez bon état de marche ; ce qui ne se peut qu'à mesure d'organisation, autant dire d'inégalité multiforme. Égalité, mot antisocial. Fraternité, c'est : « Pas de frontières, ! » Mais saint Thomas d'Aquin : « Habet autem hoc naturalis ordo rerum divinitus institutus, ut quælibet causa primo operetur in id quod est sibi propinquius, et per illud operetur in alia magis remota... : et ipse Deus primo illuminat substan­tias sibi magis propinquas, per quas illuminat magis remotas... » (IIIa, 56, 1). Fraternité, mot impie. Et l'im­piété au comble, vouloir la société des hommes à l'image de la Communion ineffable des Trois Personnes divines, qui n'est pas une action mutuelle et ne peut relever d'au­cune inégalité ni en constituer aucune (IIIa, 58, 2).. Le moindre sens social devrait rire ou s'indigner également, du zéro des « sociétés animales », et de l'Infini blasphémé de la « société des Trois Personnes en Dieu ». 173:139 *Je mets en fait le pouvoir désintégrateur de certains mots, qui font disposer du réel par leur seule significa­tion*, et détruisent à mesure des humains arrachés à l'existence sociale, nous venons de le voir, mais aussi bien à tout ce qui est de la condition humaine. Par exemple, avec cet autre hameçon pour tirer hors de leur élément les carpes parlantes, le mot *changer*. On vient de me dire, (à bon en­tendeur salut) : « Il y a des gens qui ne veulent rien chan­ger ! » A quoi je répondrais, soit : Calomnie sans aucune apparence ! soit : Comme de juste ! Changer, tout le monde fait ça, dans son propre corps, à longueur de vie, et com­ment éviter que la vie elle-même n'en soit contrainte à beaucoup changer ? De fait, où sont les gens qui se dé­clarent opposés à tout changement de n'importe quelle sorte ? Mais au rebours, quel homme raisonnable ne tien­dra pour un éloge le grief de ne vouloir rien changer, s'il faut entendre son refus de rien changer *sans autre préci­sion *? Changer quoi ? Changer en quoi ? Changer, mais qui en décide, en vertu de quel pouvoir ? Dans quelles circonstances de temps et de lieu ? Certes, qui me parle de changer, sans plus, je suis contre, je ne veux rien chan­ger, -- avec cette question : « S'agit-il de changer pour un an ou pour un jour, et pourquoi l'un plutôt que l'autre ? » Nonobstant cela, je suis pour tout changer, de ce qui le peut *en mieux, réellement*. Derechef, je suis pour ne rien changer dans l'Église, de la manière dont cela s'est fait depuis le Concile, en particulier dans mon diocèse et dans ma paroisse. Au demeurant, lorsque la société se démocra­tise, est-il possible que le sens des mots ne tombe pas au niveau le plus bas, celui de la facilité pour tous ? Le gré­gorien ne dit rien à la jeunesse, pourquoi refuserait-on à celle-ci le tam-tam *qui lui plaît*, demande-t-elle, -- sauva­gement. \*\*\* Autant que jamais, les hommes ont besoin qu'un autre monde leur soit accessible pour que les biens de ce monde-ci ne les soûlent point, pour que les maux de ce monde-ci ne les jettent pas au désespoir ; *vivez de ce monde en tra­vaillant à le sauver de tous les passe-droits qui font ses malheureux :* 174:139 c'est la neuve réponse de l'Église ouverte au monde, aveugle et sourde à mesure, pour la première fois, à la *pauvreté* des hommes en ce monde et à leur unique *béatitude* en l'autre monde. La réponse de la foi chrétienne à cette aliénation au monde ne peut hésiter : *à bas l'anté­christ !* Qu'est-ce que l'antéchrist, sinon l'Adversaire à la place du Sauveur *dans l'Église même, confondue avec le monde,* par la pensée, la parole, et l'action ? Voilà des mil­lénaires et des millénaires que l'intelligence humaine a fait ses preuves admirables de pénétration, que la sensi­bilité humaine a révélé une admirable délicatesse, que la civilisation a produit toutes sortes de chefs-d'œuvre admi­rables ; quelle n'est donc pas l'inculture moderne pour se voir toute prête, envers et contre tout le passé, à ce que le passé n'a pu faire, -- pourquoi ? faute d'avoir notre science et nos machines ! Et que s'agit-il d'obtenir, et sans retour ? Le règne de Dieu (catégorie de l'idéal) par la justice des hommes, au lieu de ce vieil évangile de la justice des hommes par le règne de Dieu, notre Sauveur. \*\*\* L'amour attache la volonté où il faut, et il n'est point d'amour inactif ; voilà dans quel sens l'amour peut être la perfection de celui qui aime, -- non pas l'action parfaite par lui seul ! \*\*\* Oui ou non, les différentes fonctions sociales peuvent-elles trouver des titulaires à la hauteur chez les femmes et non seulement chez les hommes ? Ce point de vue moderne ignore le point de vue des anciens : oui ou non, la société se construit-elle sur la famille, qui exige un partage com­plémentaire entre le père et la mère, et ce partage doit-il être un principe pour toute l'organisation sociale ? Tel est le regard de saint Paul et de toute la Bible, -- regard hor­riblement masculin pour l'horrible cécité sociale des modernes. \*\*\* 175:139 De quelque manière qu'on veuille l'expliquer, ou l'igno­rer, le pape Paul VI maintient la doctrine de la foi malgré les évêques modernistes, mais, avec cela, il abonde en leur déraison pour faire abonder le monde moderne en sa dérai­son ; de sorte qu'il y a moins d'incohérence personnelle chez les évêques, -- par ce comble inattendu au malheur de l'Église : devenue invisible aux chrétiens avec des évêques opposés au pape que le pape n'excommunie pas, elle n'a de consistance, aux yeux du monde, que chez les évêques. \*\*\* Le chant grégorien à Sainte-Anne de Kergonan, (France-Culture, 10 juillet, 9 h. 30). Le chant grégorien est humi­lité, chasteté, adoration de Celui qui est par ceux qui ne sont pas ; non un témoignage de foi, mais la respiration de la foi prosternée, mais la prière en son essence, -- l'âme qui coule en Dieu sur ses pentes *comme elles sont divines.* On ne veut plus de ce ruissellement, est-ce pour une autre prière, ou pour ne plus prier ? \*\*\* « Omnes pueri aequaliter se habent ab baptismum, quia non in fides propria, sed in fide Ecclesiae baptizantur », (IIIa, 69, 8), -- à la manière des hommes qui naissent libres, non de leur propre liberté, mais de la liberté dont la société des hommes est le milieu. Ce n'est pas un hasard si l'on méconnaît l'un et l'autre, aujourd'hui, c'est par la même abstraction de l'être humain. \*\*\* 176:139 Conversation, dialogue, ou débat, préparent à réfléchir, non à choisir ; on en use au rebours, en dépit ou faute de toute expérience personnelle de cette double vérité. \*\*\* Vingt siècles de christianisme ont combattu sur la terre pour triompher au ciel ; combattre sur la terre pour triom­pher sur la terre de n'avoir plus à combattre sur la terre est moderne, à coup sûr, mais quel christianisme peut-il y avoir là-dedans ? \*\*\* Au rebours de la logique de saint Thomas (IIIa, 58, 4), l'un des sophismes qui corrompent aujourd'hui le christia­nisme consiste à vouloir chez les chrétiens, *selon qu'ils ne sont pas le Christ,* ce qui n'a de vérité que dans le Christ et par le Christ : selon que nous sommes le Christ comme les membres de notre corps sont nous. De là que les détrac­teurs d'un « triomphalisme » d'hier, où il s'agissait du Christ, versent et abondent dans un triomphalisme en effet abominable, où il s'agit des sectateurs d'un évangile à leur niveau moderne. \*\*\* « Quand on parle de l'idéal, c'est avec son cœur ; on pense alors au beau rêve vague par lequel s'exprime le sentiment intime ; -- et il est également sûr que l'homme y tend et qu'il n'y arrivera jamais. » Taine (cité par Ro­bert) et Bersot (cité par Littré) parlent ainsi en témoins de tous. L'Évangile est d'un autre ordre ; lequel ? D'abord, l'ordre de nos fins éternelles, qui est divin à un double titre : par la transcendance de Dieu même, par le mode surnaturel de notre union à Dieu. Ensuite, l'ordre des moyens propres et directs de ces fins éternelles, auxquelles les fins temporelles sont soumises, mais non point à titre de moyens propres et directs. On dit fort bien ceux-ci, en ce sens-là, *religieux.* 177:139 On parle aussi du *sacré,* mais confu­sément. Tout au monde est sacré selon qu'il est de Dieu, et doit parler de Dieu au fils de Dieu qu'est l'homme ; saint Paul accuse les païens, non d'avoir vu Dieu partout, mais au contraire d'avoir fermé les yeux à la lumière de l'invisible reflétée par le monde visible. L'intelligence mo­derne ferme ainsi les yeux, mais elle, *par une abstraction méthodique où elle voit la science même et la raison même ;* passe pour la méthode expérimentale, mais sous réserve d'en user, (moins confortablement), comme la myopie de son abstraction spécifique tient à la faiblesse, non à la force de l'humaine intelligence. Revenons au sacré, y voir toute la nature est bien loin de faire erreur, -- quitte à distinguer, avec saint Thomas, le sacré au sens plein des sacrements, (IIIa, 60, 2). Mais alors, cette question : ri­chesse d'argent, richesse de science, laquelle des deux éloigne le plus le monde moderne de Dieu, laquelle est la plus méchante envers les hommes ? \*\*\* Si l'existence veut être humaine, un besoin, aujourd'hui, ne le cède à aucun autre, ni pour l'homme ou le chrétien, ni pour le citoyen ou le professionnel : savoir raisonner. Il n'y a pas de fruit plus indispensable de l'éducation, l'école n'a rien à enseigner de plus utile à tous, pour tout. Voilà mon principe et ma fin de père et de professeur. \*\*\* L'Évangile est l'amour de Dieu, commandé par Dieu, qui nous commande l'amour du prochain comme nous a aimés Dieu fait homme ; on peut dire, en ce sens-là, que l'Évangile commence par l'amour et soumet tout à l'amour ; il faut, à mesure, dire l'Évangile à l'opposé de la politique, selon que l'art d'exister commence par les conditions né­cessaires de l'existence, en tant qu'existence à telles con­ditions nécessaires. 178:139 Une première déraison, prévisible, a fait de l'Évangile, cet art héroïque d'aimer Dieu et le pro­chain, l'amour-dieu et l'idéologie de l'amour. Suit une autre déraison, invraisemblable mais nous l'avons sous les yeux, celle de l'Évangile pris pour un art d'aimer à la manière d'Ovide, et pour un art politique à la manière de Lénine, ou de Mao. \*\*\* Aimer Dieu fait un besoin de le prier, aimer les siens fait un besoin de prier pour eux, et un besoin qui s'étend à tout amour des hommes ; prier avec les autres est un besoin beaucoup moins direct et beaucoup moins net de l'amour, -- au rebours criant de la pastorale communau­taire. \*\*\* « Respecter la vérité de l'autre » : la vérité de l'autre peut être qu'il n'y a pas de vérité, ou pas de vérité respec­table. S'il faut comprendre : le respect de ce que l'autre considère comme une vérité qui l'oblige à se respecter lui-même en la respectant, -- il s'agit alors de la vérité en tant que vérité pour tous, et nullement celle de l'autre plutôt que la mienne. \*\*\* « Une fausse religion » à la vérité humaine d'être religieuse, il y aurait la vérité humaine de l'adoration, à « être à genoux devant le monde » ; plût à Dieu qu'il en aille ainsi du communisme et du néo-christianisme ! Le malheur véritable atteint la monstruosité d'hommes en qui, et non seulement aux yeux de qui, rien ne pourrait être religieux sans les aliéner, s'il s'agit des communistes ; et s'agit-il des néo-chrétiens, je ne les vois pas à genoux de­vant le monde, je les vois incapables d'être dans le monde à hauteur d'une vérité juge du monde, et non pas con­substantielle au monde actuel, -- ce monde sans hommes. \*\*\* 179:139 Jésus-Christ est le Fils de Dieu venu au monde pour être le Sauveur des hommes, il n'est pas un sauveur des hommes et fils de Dieu en cela même ; moins encore les chrétiens peuvent-ils être chrétiens, identiquement, par la mission de sauver leurs frères ; il leur faut, de toute évidence de la foi, naître à la vie de frères de Jésus-Christ, pour que pareille mission soit autre chose que des « paroles verbales ». Cette évidence de la foi redouble une évidence de bon sens : que peuvent être les « militants » à la mode, par la vocation et « la mission de faire rayonner l'amour dans le monde », comme si l'amour était de ces biens que nous pouvons avoir à nous et qu'il dépend de nous de partager avec les autres ? \*\*\* La science expérimentale est-elle un instrument au service de la raison, ou faut-il y reconnaître la raison même, cette noblesse des hommes qui les oblige ? Répondre qu'elle est l'un et l'autre, l'équivoque ordinaire n'illumine pas moins la grossièreté où nous sommes tombés ; car si l'ac­tivité de la raison dans la science oblige à la dignité de la raison, c'est au niveau de la science et dans sa sphère, pas davantage, et pour cause. Et plût au ciel que cette distinc­tion théorique élémentaire ne fût pas vérifiée sous nos yeux par des pratiques hypocrites du même ordre, en vérité, que certaine médecine des camps nazis ; combien plus que ceux-là n'ont tué, on fait mourir les hommes, à petit feu ou à grands coups, par cette raison que la vie des hommes se doit désormais d'être scientifique, puisqu'il est impossible d'arrêter le progrès. Hurlez au sinistre canular d'une vie scientifique où l'homme est mort avec Dieu mort, la réponse universelle me paraît, à moi, aussi fanatiquement raciste qu'il se puisse : mutation de l'homme ! Le crime d'Hitler fut de croire la race des seigneurs allemande, alors qu'elle est scientifique, si je comprends bien. \*\*\* 180:139 Peu importe, on s'y attarde beaucoup trop, qui sont les pauvres de la première Béatitude, et quelle leur pauvreté ; l'essentiel ne fait pas de doute : il s'agit de pauvres en leur réelle pauvreté, heureux sont-ils selon qu'en esprit le Royaume des cieux est à eux. Confirmation a contrario, malheur aux riches, selon qu'il en va pour eux tout au rebours. Mais alors, malheur à ces riches que sont les hommes modernes, comme ils ne se veulent pas pauvres, mais riches de leur science, de leur technique, et, chose incroyable au moins chez les croyants, riches de leur li­berté comme ils en usent, de leur intelligence comme elle ne peut plus lire l'Évangile. La Béatitude des pauvres en esprit dit-elle quelque chose d'essentiel à la foi chrétienne, confessons alors que les temps modernes ont mis fin aux temps évangéliques, puisqu'il n'y a plus de pauvres, parmi nous, que privés de la richesse moderne, injustement mal­heureux à mesure ; et leur « pauvreté en esprit », la ré­volte, et leur Royaume des cieux, la révolution. Et leur « Église des pauvres ». \*\*\* « Pour tous, ergo, par tous », le sophisme de la démo­cratie moderne est enfantin, comme il veut fonder un droit exclusif des peuples « adultes », (passez muscade), à être leurs propres souverains ; l'époque actuelle devait voir un comble à cet enfantillage : le droit égal de tous les hommes au salut en Jésus-Christ, non seulement par leur propre foi et leur propre vie unie à sa Vie, moyennant sa grâce, mais du seul fait d'être des hommes, d'une part, et selon qu'il s'agit, d'autre part, d'un salut pour tous travesti en salut de tous, (des lendemains qui chantent). \*\*\* 181:139 Le libéralisme consiste à vouloir pour tous toute liberté d'être libéral ; je demande la différence de dogmatisme avec le dogmatisme, lequel veut pour tous l'obéissance aux vérités par où à ses yeux, sous ses yeux, commence né­cessairement l'humain, la liberté, la dignité, l'entraide. \*\*\* Ce n'est pas l'amour du monde qui rend l'Église idiote, c'est l'Église devenue assez idiote avec le monde pour l'aimer comme il s'aime, non d'être le monde, mais le micmac incroyablement bête des idées modernes sur le monde. *Pacem in terris, Populorum progressio, Canis re­versus ad suum vomitum et sus lota in volutabro luti*, (2 Pet., 2/22). \*\*\* Comme les douze tribus d'Israël étaient un seul peuple de Dieu sur le Rocher de Yahvé, les douze apôtres (envoyés) de Jésus-Christ ont à rassembler une seule Église établie sur le Rocher qu'est l'un d'entre eux ; les Israélites n'avaient eu un roi terrestre que par leur initiative, c'est le Christ qui veut Pierre pour l'unité de son peuple de rachetés ; quoi de plus fort que la manière dont cette volonté se déclare dans l'Évangile ? Un partage entre les Douze de la fonction unifiante de Pierre, aucune trace, au contraire, de pareille « collégialité » ; aussi bien, hormis le préjugé démocratiste, d'où viendrait à la pluralité de pouvoir unir ? D'autre part, le Christ lui-même n'avait mission de travail que pour « les brebis perdues de la maison d'Israël » annoncer partout la Bonne Nouvelle et en faire vivre toutes les nations, voilà pourquoi douze Envoyés ; mais pour une seule Église au monde, il y a Pierre ; la collégialité démocratique, c'est la confusion d'un travail nécessairement multiple, à beaucoup de points de vue, de la pastorale chrétienne, avec l'unité indispensable des fruits de ce tra­vail, pour « l'édification du Corps du Christ ». 182:139 Au pape, principe de l'unité dans l'Église, on objecte scandaleuse­ment, (*Figaro* des 16 et 17 octobre), que ce principe ne peut être que Jésus-Christ, l'Esprit Saint, ou même le principe visible constitué par l'Eucharistie ; je trouve scandaleuse pareille objection, d'ignorer l'analyse thomiste de la causalité des sacrements. (Un article devrait suffire IIIa, 64, 2.) Pourquoi le pape ne serait-il pas le principe, mais instrumental, de l'unité dans l'Église ? Comment un tel principe ne serait-il pas nécessaire dans une Église visible d'humains, et non pas d'esprits ? Quel rapport à la condition humaine, d'un principe qui ne puisse être lui-même que sans principe ? (Même la Sainte Humanité de Jésus-Christ nous justifie et nous sauve, non à titre d'au­teur principal, mais comme instrument de la divinité, -- Ibid., art. 3.) L'Eucharistie, enfin, ne suppose-t-elle pas l'unité de la foi, dans ceux qui viennent à elle, pour être en effet leur communion de charité chrétienne, et non seulement un geste communautaire, peut-être un geste partisan ? \*\*\* Indépendance ou liberté de l'information, je distingue : quant à l'informateur, peut-être y a-t-il en effet un droit qui s'exerce aujourd'hui en France, non dans la Grèce des colonels ou en Tchécoslovaquie (république démocra­tique populaire de) ; mais quant à l'informé, au droit de l'informé de n'être pas le jouet d'une propagande, outre la publicité, égale à la publicité plus l'hypocrisie, suffit de lire les informations religieuses du *Figaro* pour me voir administrer une preuve très au-delà du vraisemblable, jour après jour. Une perle du collier : « Réactions hostiles de plus en plus amples à la position définie par le Pape à propos de la pilule » ; sous ce titre, le *Figaro* du 31 juillet 1968 assure : « Et nous ne parlons guère ici que de l'opinion catholique... » Nombre des réactions citées, vingt-trois ; attribuées à des catholiques, dix ; les sixième et septième en premier ; je ne les compte pas, ces lignes catholiques, mais c'est une longueur globale de trente centimètres sur cent trois. Mise au point ou rectification après un an, néant. \*\*\* 183:139 Je ne vois pas qu'il faille accorder le baptême de leur enfant à des parents auxquels on devrait le refuser pour eux-mêmes ; je ne vois pas davantage que les nouveaux prêtres puissent le refuser à quiconque, si l'amour est le tout du christianisme qu'ils ressassent, (l'auberge espagnole où chacun trouve ce qu'il apporte) : rencontrent-ils jamais personne pour leur en faire difficulté ? \*\*\* N'importe quel être ajouté à n'importe quel être *sup­prime celui-ci* du moment qu'il le fait *définir par relation, et non par l'être propre ;* n'est-ce pas la logique des effets d'une certaine « ouverture au monde » ? Bâtarde de Hegel, ce me dit-on ; il me suffit bien de Bertrand Russell. \*\*\* S'il s'agit pour le moi humain d'une activité psycholo­gique invisible dans l'inconscient, visible avec la conscience, mais tellement la même ici et là que « la nature profonde d'un homme » se trouve dans son inconscient, comme un iceberg flotte selon sa partie immergée ; d'où vient que la conscience guérisse de ses indigestions d'inconscient du seul fait de les amener sous son regard ? Ce regard médecin ne serait-il pas, plutôt qu'un faiseur de miracles, la vie même du moi, impossible à l'inconscient en tant qu'in­conscient, -- et la « psychologie des profondeurs », une physiologie du cadavre ? L'incohérence inaperçue, (là com­me ailleurs), qui, sinon le freudisme, s'est chargé de « la mort de l'homme » ? Et quelle « ouverture au monde » en a « pris conscience » ? \*\*\* 184:139 Le choix intérieur de soi-même, cette liberté véritable en toute occurrence de choix extérieur possible ou impos­sible, permet seule, à des hommes qui l'ignorent par pré­jugé, de mourir en héros pour le mensonge moderne de la liberté par le choix extérieur, -- celui des animaux en liberté. « Misère de grand seigneur », au compte de grand seigneur de Blaise Pascal ; mais à celui de nos ci-devant seigneurs les évêques en mutation, l'enseignement chrétien, comme ils le traitent, est en effet contraire à « la liberté des jeunes de refuser la foi ». Je prends la liberté de mettre les pieds dans ce plat mis par terre ; si la liberté n'est pas séparable du choix entre le bien et le mal, du meilleur au pire, et, semble-t-il, le choix du pire sa meilleure preuve ; quelle liberté voulez-vous dans un pouvoir social, ès mains humaines cependant, qu'une injustice, (Dreyfus, par hy­pothèse), constitue l'ennemi du genre humain et destitue ipso facto, s'il ne vient à résipiscence à n'importe quel prix ? Exacte inversion des deux vérités : vérité de la personne, impossible à trouver ailleurs que dans le bon usage actuel de sa liberté, sans être, à la fois, digne et indigne, sacrée et exécrable ; (agir contre la loi prouve la liberté comme le mensonge prouve la parole, comme la marche prouve le mouvement : *argumentum baculinum,* l'intelligence satisfaite de sa bêtise raisonnante) ; vérité du milieu social, dont le pouvoir est une condition sine qua non, mais rien de plus, et le pouvoir sera donc criminel sans autoriser le moins du monde à l'en punir aux dépens de la société, (« la France en état de péché mortel » des drey­fusards). Si l'injustice de l'État met la vie sociale en état de péché, l'État fait donc le mérite ou le démérite de la vie sociale ; quoi de plus totalitaire ? \*\*\* Se réclamer de l'Évangile contre ce qu'on trouve injuste dans la vie sociale actuelle peut ne pas être abusif, à deux conditions : distinguer les principes évangéliques et l'ap­plication que l'on en fait ; montrer que l'on use de sagesse, parlant et agissant contre l'injustice, de même que le Christ en ne se déclarant pas contre l'esclavage de son temps. \*\*\* 185:139 Si l'amour est la fin du mariage, comment Jésus-Christ a-t-il pu répondre, à l'objection sadducéenne d'une femme épousée, à la queue-leu-leu, par sept frères intrépides, (Matth., 22) : « Vous êtes dans l'erreur, ne comprenant ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. Car, à la résurrection, les hommes n'ont point de femmes, ni les femmes de ma­ris ; mais ils sont comme les anges de Dieu dans le ciel » ? Alors que la doctrine traditionnelle est toute claire de bon sens : « post resurrectionem non erit matrimonium, quia cessabit generatio, ad quam ordinatur matrimonium » (IIIa, 63, 5). Ensuite, vouloir pour fin première du mariage l'amour mutuel des époux au lieu de la seule procréation des enfants, il y a là un contresens sur la doctrine tradi­tionnelle, et ce contresens illumine la véritable opposition des modernes aux anciens. Impossible au lecteur attentif de la Somme de théologie d'en éprouver un doute, le ma­riage a pour fin spécifique d'assurer « cette continuelle re­crue du genre humain » dont parlera Bossuet, non par la naissance des enfants, mais, de façon un peu moins ina­déquate, en étant pour la société d'abord, pour l'Église ensuite, la nécessaire et l'irremplaçable *fabrique à citoyens.* L'Église ni la société ont-elles que faire d'enfants, pour être l'Église et la société ? Seraient-elles, par hasard, des bouquets de fleurs ou des jardins pour ça ? Voilà pour le contresens, et je dis qu'avec lui s'illumine la véritable op­position de la mentalité moderne à l'ancienne, qui n'est pas la victoire de l'amour sur l'instinct, le libre don de soi au lieu d'une satisfaction animale de l'être comme il penche, (ces beaux paravents), mais en réalité la prétention abstraite à un personnalisme privé de la dimension sociale si forte, au contraire, dans la mentalité traditionnelle. (Un article de la Somme suffirait à justifier ce langage : IIIa, 65, I. La solution ad 5 éclaire d'un jour satanique l'actuel déluge d'érotisme : 186:139 « Contra concupiscentiam venereorum opor­tuit specialiter remedium adhiberi per aliquod sacramen­tum : primo quidem, quia per hujusmodi concupiscentiam non solum vitiatur persona, sed etiam natura ; secundo, propter vehementiam ejus, qua rationem absorbet ».) \*\*\* « Pour la première fois dans l'histoire, le pape est un homme moderne. » (Mgr Paul Poupart, attaché à la Secré­tairerie d'État au Vatican, à R.T.L., 11 octobre.) Hélas ! Car le pape dit au monde que le monde est malade, et l'homme moderne Paul VI dit au monde moderne combien c'est merveilleux, ce monde moderne émerveillé des causes de sa maladie : lui-même comme il est moderne ! Étonnez-vous donc si un cardinal Suenens contestataire trouve un cardinal Daniélou à qui parler de l'Évangile contestataire, (*Figaro* du 18 octobre), pour m'en tenir à sa petite dernière. \*\*\* La liberté de l'homme, c'est la personnalité dans le temps, la disposition de soi non pas définitive, mais d'ins­tant en instant, et qui doit pouvoir changer à tout instant, sous peine de faire deux avec la réalité temporelle de notre vie ; mais pouvoir changer de la sorte ne rend pas du tout impossible à Dieu de nous préserver de changer en mal, et il est sophistique de prétendre que le respect de notre liberté oblige Dieu à nous laisser pécher, (je viens de l'en­tendre une fois de plus, -- à R.T.L., ce 11 octobre). « Ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal », serait-ce pas hasard, prière à Dieu de nous priver de liberté ? \*\*\* 187:139 S'il faut « un pont entre la pensée chrétienne et le monde moderne », (Mgr Haubtmann, *Figaro* du 5 novem­bre), ce sont là deux terres fermes coupées l'une de l'autre. Déclaration énorme, et quant à la terre ferme de part et d'autre, et quant à la coupure exigeant un pont. Qu'est-ce que le salut du monde en Jésus-Christ, s'il peut y avoir une pensée *chrétienne* et néanmoins *coupée du monde,* une pensée du salut incapable d'elle-même de joindre ce qu'il s'agit de sauver ? Si le monde moderne est *une terre ferme coupée de Jésus-Christ,* en quoi s'agit-il d'un monde perdu si Jésus-Christ ne le sauve ? Cette deuxième question donne la réponse : *en tant que moderne, le monde ne peut être le monde perdu de nos pères ;* l'ancien monde perdu par là-même, bien sûr, et plus encore qu'il ne croyait, mes frères ; mais le moderne perdu à son tour par une égale incapacité de son salut, impossible, impensable ! Le besoin de jeter un pont ne peut donc venir que de la pensée chrétienne. -- Voilà, il me semble, qui définit assez bien la décomposition progressiste et, à mesure, la réaction intégriste. \*\*\* *Tous les criminels sont des malades, et des malades de naissance,* non seulement c'est la doctrine traditionnelle du péché, dont la Somme de théologie ne cesse de témoigner en gros et en détail, mais ces malades ont médecin et re­mèdes ; mais l'un de ces remèdes est offert à toutes les rechutes, sans autre condition, pour guérir aussitôt, que de le prendre réellement. La nouveauté de la moderne désacralisation du péché, car il y a réelle nouveauté, con­siste à vouloir que la maladie *ne puisse pas être responsable.* En guérir impossible par là-même, la remarque se trouve chez Nietzsche : « Dans l'ancien droit pénal une idée *religieuse* était puissante :... la punition est une dette que l'on acquitte, on est vraiment *débarrassé* de ce pourquoi l'on a tant voulu souffrir :... Aujourd'hui, la punition isole plus que la faute... Lorsque l'on a accompli sa peine on est passé au rang des *ennemis* de la société... » (*Volonté de puissance*)*.* Paul Bouscaren. 188:139 ### Liturgies vieil-or par Jean-Baptiste Morvan JE SUIS un « chrétien sociologique » ; et pire encore, certainement, un chrétien consciemment sociologique. A vrai dire, sociologiques, nous le sommes tous, insérés dans une société et dans une génération, inscrits dans une durée dont les premiers ans sont déjà très haut par-dessus nos têtes : dans une antériorité désormais poétique, ils nous re­gardent, passés et paradoxalement présents : ... *Vois se pencher les défuntes Années* *Sur les balcons du Ciel, en robes surannées...* Notre aujourd'hui est composé de beaucoup de jours d'hier que nous connaissons mal, dont souvent nous ne distinguons pas l'actuelle survivance ; composé aussi d'un présent spontané, fortuit, soudain et brutal, parfois saugrenu, que nous n'aimons point ou pas encore. A moins d'avoir le cœur blindé, de tendre un poitrail avantageux et poli comme une cuirasse, à moine de s'être sclérosé dans l'incompréhension triomphante et de se répéter constamment des axiomes de progressisme élémentaire, chacun de nous est contraint de déceler en lui-même les ves­tiges de ce qui fut, obligé d'évaluer tout ce que l'existence contient d'incertain et de paradoxal en sa chronologie. Il peut arriver que l'on se mente à soi-même : je crois que cela ne dure pas. 189:139 Quant à diviser les chrétiens en deux groupes, les uns formés du pur cristal d'un présent qui serait déjà de l'ave­nir, les autres n'étant que résidus minables et chimiquement constitués des scories sociales du passé, je me demande si une telle discrimination peut subsister cinq minutes dans un esprit doué de la moindre sincérité. \*\*\* Je suis sociologique, donc, et conservateur encore si l'on veut. Conservateur de quoi ? Des principes du bien ; des mo­ments trop rares où l'on bénéficie d'une inspiration salutaire ; des signes, surtout peut-être. Quels signes ? Quelque chose comme la cage à serein emportée de la maison natale au cours d'un exode de guerre comme une boîte à espérance. L'impor­tant, c'est la roue, dit la chanson Conservateurs, traditionaliste : celui qui transmet, qui porte à travers la forêt un coffret dont il ne sait pas très exactement le contenu, un message qu'on ne lui a pas permis de lire, mais dont il sait tout de même l'importance pour la cause. Il ne s'agit nullement de se réfugier dans un symbolisme ésotérique qui fait toujours bon ménage avec l'agnosticisme, mais de reconnaître que le mystère est dans la mission, qu'une vraie mission ne peut exister sans mystère. \*\*\* De ce que j'ai reçu, de ce qui me fut légué, j'ai beaucoup perdu, on m'a beaucoup enlevé. L'âge venant, la longueur des jours ont leur part dans ces frustrations : *Eheu ! fugaces, Postume, Postume,* *Labuntur anni...* Mais de la valeur exacte et profonde de ce qui me reste, je ne reconnais pas aux tyranneaux agités du recyclage spirituel le droit de juger. Personne ne peut me contraindre à jouer le rôle de suicidé vivant. Tant pis si je parle avec des voix d'hier : 190:139 C'est le sort commun à tous ceux qui tiennent une plume. A de certains moments ces voix se font plus claires et plus persuasives, et il y a sans doute une raison, même et surtout si leur résonance prend un ton étrange, si leur résurgence est soudaine et bizarre : ainsi pour Chateaubriand la grive du parc de Montboissier fit un soir, au soleil couchant, reparaître aux regards de l'âme l'image de Combourg ; il était encore temps que le passé se rappelât au souvenir, mais il était temps. Il faut savoir reconnaître dans la vie et dans le siècle certaines bornes invisibles ; et on n'écrit pas seulement pour des lecteurs de vingt ans, on écrit toujours pour des lecteurs qui n'auront plus vingt ans et dont la destinée connaîtra les mêmes interro­gations et les mêmes retours. \*\*\* Ayant banni tout respect humain, je vais jouer, ingénument et cyniquement, le rôle du tentateur anachronique. Je vais vous apporter de l'or : de l'or triomphaliste, de la lumière sclérosée, fossilisée, solidifiée, cristallisée. Vous autres, les non-sociologiques, les beaux coursiers, les étalons de l'avenir, le vous entends déjà piaffer d'indignation. Vous n'aimez pas l'or, ce soleil poli ; mais le vrai soleil vous semble encore trop doré, trop louisquatorzien. Agréez au moins cette occasion of­ferte à vos réprobations pathétiques. Pardonnez-moi si vous pouvez ; et si vous ne le pouvez pas, je m'en passerai. Mais je ne puis me passer ni de l'or ni du soleil. Je suis venu d'une province à vocation triomphaliste. Le sang du soleil y reparaît dans les grains gonflés du raisin blond, il s'extravase dans la pourpre des vignes d'automne. Le rouge est ondoyant et divers dans sa franchise et dans sa cer­titude mêmes, et l'or connaît des heures de discrétion pâlie. Vous aurez au moins la satisfaction de trouver à cet or effronté­ment offert à vos regards une nuance d'atténuation, de mor­tification, comme sur les chasubles bazardées aux antiquaires et qui attendent l'heure de recouvrir des fauteuils, comme sur les ciboires appelés au rôle de lampe de chevet. 191:139 Méfiez-vous cependant de cet éclat affecté d'une apparente agonie. Il existe un mot mal défini, rituellement et presque machinalement appli­qué aux métamorphoses indécises de l'or et de l'écarlate : le mot « vermeil ».. Il retient encore tous les prestiges du rêve. Vermeille, l'aurore qui durera peu ; vermeil, le crépuscule mourant : triomphes précaires et dont la valeur ne peut vous rassurer que si vous remarquez leur caractère éphémère et sociologique. Vermeille sans doute aussi, la Toison d'Or de nos anciens ducs, triomphe lumineux déjà réduit à sa propre dé­pouille au début de l'aventure légendaire, comme les songes et comme la jeunesse. Ce signe des enthousiasmes adolescents et fous, c'est la peau d'un mouton clouée à un arbre, mais d'un mouton lumineux. « J'ai pesé le soleil ainsi qu'un gros mouton que deux hommes forts suspendent à une perche entre leurs épaules », dit une Ode de Claudel. Il n'est pas besoin de deux porteurs : la Toison d'Or que je vais chercher dans la forêt de mon passé, je suffirai bien pour la soutenir. Mais j'ai besoin d'or et de lumière. Trop de choses ont été ternies et salies. Le cra­paud de la bêtise a bavé partout. \*\*\* J'écoute et je regarde jusqu'au fond de mon temps à moi, de ce temps vaniteux et encombrant qui sera avec moi jusqu'au jour final. En attendant on peut évoquer, et chanter. Vous ne disposez pour l'instant que de bâillons inefficaces : vos clichés, vos slogans, vos airs pincés et vos bons mots dédaigneux, tout un appareil ridicule dont nul ne se soucie. Et vous me pouvez pas enfoncer la « poire d'angoisse » dans la gorge du passé. J'écoute et je regarde. C'est d'abord une grand'messe, ou quelque solennelle commémoration à la Cathédrale d'Auxerre, un jour de printemps ou d'été. Des vieillards en vêtement d'or secouent la fumée, des encensoirs comme pour envelopper déjà d'un nuage bleu, subtil et irréel, ce jour qu'ils confient à nos jeunes mémoires. 192:139 Des vieillards dans le soleil : sur le vieil or des chasubles aux formes de violons, c'était l'été qui venait par les vitraux, le soleil de Dieu, éternel, confidentiel, cordial et secret, humble et immuable. Un monde lumineux, noble et fra­gile ; nous avions onze, ou douze ans, la vie présentait sans doute ses amertumes enfantines, mais pouvait encore offrir la saveur d'un pain frais et doré. Liturgies vieil-or, archaïques et rituelles, léguant des coutumes antiques à des regards d'enfance... On eût dit toujours qu'elles se déroulaient dans le silence ; la musique de l'orgue et de l'harmonium étant servante d'un silence. La Cathédrale d'Auxerre sera toujours pour moi le silence de l'homme devant Dieu. Tout un monde humain, par la délégation de ces vieillards, de ces paysans humbles sous l'or, était tourné vers un monde intérieur. Les voix elles-mêmes semblaient venir d'ailleurs. \*\*\* Quelqu'un ricane : « Vous refaites le « Génie du Christia­nisme » ! » -- Qu'importe, si je sens ce que je dis ? La vie est courte. Croyez-vous que je vais vivre en m'encombrant à toute heure, à toute minute, de vos objections que je sais par cœur au point de pouvoir les formuler avant vous ? Le « Génie du Christianisme » ? Vous vous entendez, il est vrai, à élaborer un Christianisme sans génie. L'entreprise semble hasardeuse. Mais de toute manière, ce que vous me présentez aujourd'hui ne saurait effacer ce qui me fut donné hier. L'homélie semble découpée dans « France-Soir » quand elle ne résume pas, plate­ment et maladroitement, un épisode jugé édifiant du feuilleton télévisé de la veille au soir. Les Chants évoquent pour moi, par un irrévérencieux caprice du souvenir, la comparaison imagée du P. Garasse qui a tant irrité Pascal : « C'est ainsi que Dieu, qui est juste, donne aux grenouilles la satisfaction de leur chant ». Mais il me semble que les paroissiens subissent encore ce rôle plus qu'ils ne s'en délectent. Un jour, par inadvertance ou par quelque juste sursaut de l'âme, l'officiant entonna le « Sanctus » en latin. Un souffle d'enthousiasme anima pendant une minute le chant des fidèles, et tout parut changé. 193:139 Il me semblait que le chant latin découpât à travers le temps une de ces éclaircies à la fois harmonieuses et étranges, comme il s'en ouvre le soir entre les nuages. Mais ces déchirures glo­rieuses entre les nuées crépusculaires, ne nous procurent-elles pas cette élévation, cette exaltation sereine parce que, dès l'en­fance, nous les avons observées dans les tableaux sacrés de Léonard et de Raphaël ? Ou même, plus simplement encore, sur ces gravures pieuses aux fines nuances, aux dégradés de noir et de gris, qu'on imprimait encore vers 1880 ou 1900 : le Christ, le Père Éternel, la Vierge apparaissaient dans le blanc d'une ouverture céleste, au milieu d'une sérénité d'aube ou de journée suggérée par les nuages, passant devant nous comme des épo­pées inconnues. Les images des cosmonautes ne donnent que des nuages en boules de coton, en excroissances quasi-charnelles, sur une terre qui n'est plus qu'un objet sans nom. Le triomphe ingénu des gloires, des nimbes, des doigts de rayon traversant les nuées indécises, tout cela ne bénéficiait pas d'une aptitude spontanée à saisir la poésie du monde ; dès le premier jour où nous avions vu sans les bien comprendre îles images d'un missel, l'art religieux nous avait guidés vers les mystères des paysages. Et nous ne prouvons nous résoudre à léguer aux en­fances d'aujourd'hui une nature qui ne serait point illuminée du triomphe de Dieu, où les grisailles uniformes et le froid des bleuâtres mornes serait la vérité ; l'or : le mensonge, et où les paysages du ciel seraient morts faute de la leçon des liturgies. « Cette fois, c'est Baudelaire », ricane à nouveau la voix. « Les nuages, les magnifiques nuages !... Les affamés du Biafra se nourrissent-ils de vos nuages ? » Utiles affamés, à quelles di­versions dérisoires ne les a-t-on pas fait servir ? Mais je consens à retirer ma pensée vers une messe du matin dans l'aube la plus tenue. Un réflexe ancien et sans doute condamnable m'a fait emporter mon missel. Il n'a point ce luxe de gravures des livres d'autrefois, mais la tranche, hélas ! en a encore été dorée. En­fant, je comparais le missel à un gâteau de miel alors que je n'avais encore jamais observé le contenu d'une ruche. Le sou­venir m'en revient, car mon livre s'est ouvert à la page du psaume «* Cœli enarrant gloriam Dei *». 194:139 Les magnifiques nuages, peut-être encore ? Et l'or, aussi, à nouveau : «* Plus désirable que l'or, que l'or le plus fin, ses paroles sont plus douces que le miel, que le suc des rayons *». Je ne tiens l'or pour indispen­sable que dans les images littéraires, et l'âge des sucreries est passé. Mais faudra-t-il épurer les psaumes de toute trace du radieux métal, et des saveurs chères à l'enfance ? Retirons-nous plus encore dans l'ombre ; mais l'humilité simpliste et singulière qu'on nous prescrit, en abolissant l'or et le miel, garderait-elle encore cependant le sens des présences et des visages ? Il était vraisemblable que des réformateurs soucieux de suivre un siècle haletant et toujours pressé, élimineraient la nomenclature de cette encombrante parenté si modeste et si mal connue : « Mat­thias, Barnabé, Ignace, Alexandre... » De vieilles cousines appe­lées Perpétue ou Anastasie ne sont présentables ni dans un cocktail ni dans un colloque. Pourtant, c'étaient des gens qu'on avait l'habitude de rencontrer, fugitifs et discrets, mais toujours présents aux messes du petit matin, jeunes filles, vieux pêcheurs et vignerons ; et l'on avait su plus tard que l'un avait sa petite maison et son chien, un autre son atelier au fond d'une cour, qu'un autre encore avait son parentage dans la même campagne que nous... Je ne suis venu que fort tard à la lecture de la vie des Saints, au moment où une exigeante critique commençait à tous les transformer en soldats inconnus ; j'avais terminé des études universitaires où les maîtres fort officiels m'avaient en­seigné à me méfier des extravagances teutoniques de ce genre de méthode. Triste destin ! Je n'ai donc pu apporter mon suffrage admiratif à de religieux démolisseurs. Les Saints, vieux amis, vieux parents, où sont-ils ? Et faudra-t-il que chacun de nous se procure, difficilement peut-être, leurs statues-miniatures, pour les disposer sur un rayon de bibliothèque, ou dans une vitrine, petits sanctuaires où l'on pourrait leur parler encore ? \*\*\* 195:139 Je puis du moins les retrouver présents en ce retable du transept de la Basilique Saint-Sauveur de Dinan. Sur un fond gris clair, des guirlandes d'un or passé les entourent. Leurs silhouettes que de loin je distingue mal, composent un univers symbolique et une humanité représentative à travers le monde et le temps. Les statues sont faites pour regarder et pour nous parler : grand avantage dans les périodes révolutionnaires dont l'éloquence est simpliste, brutale et pauvre ; elles suggèrent un dialogue, alors que tant de gens qui voudraient en faire profession ne nous en inspirent pas tellement le désir. Les images des Saints restent dans la mémoire visuelle, et je concède volontiers qu'elles concurrencent les « moyens de communica­tion » à la mode. Mais dans l'Écriture, l'œil est le symbole des intentions de l'âme, et les Saints, à ce propos, donnent con­fiance. La Sainte Vierge est au centre du retable, comme en sa maison au cœur d'une ville. A l'entour, les Saints ont leurs de­meures, habitants exemplaires et de leur vivant gens de métiers divers. Les feuilles d'or des festons les entourent, comme les forêts, les campagnes et les fruits des saisons encerclent nos vies et nos années. L'ensemble me rappelle un mot de Mon­taigne : « Ce grand monde, c'est le miroir où il nous faut regarder pour nous connaître de bon biais. Je veux que ce soit le livre de mon écolier ». Ici est notre vrai monde, notre monde réel, notre pays réel, celui où la sainteté préside aux lois de l'intelligibilité. Quel pays que celui que ne viendrait pas tempérer, affiner, vivifier le culte marial dans la conscience de ses structures, dans les perspectives de l'homme sur le prochain et sur la collectivité ! Les images sculptées et peintes des Saints autour de la statue de Notre-Dame aident à donner au peuple visages de famille et visages de personnes. Le monde, le pays est marial, ou bien il est l'univers maudit de Kafka, un climat de sottise où se sont perdues les raisons du cœur, aussi néces­saires au groupe qu'à la personne. Ce retable est une cité, il esquisse une perspective sur le monde, impose un apprentissage de l'esprit, trace une concitoyenneté spirituelle. Tout cela va-t-il être perdu ? 196:139 Serons nous les derniers à offrir en grâces, autour des statues de la Vierge et des Saints, ces ornements décriés, ces guirlandes naïves, ces festons de vieil or atténué qui restent pourtant le symbole même des liens unissant les Saints et les pécheurs, les vivants et les morts ? \*\*\* Sombre est le temps ; la bruine tombe au dehors, le bleu des vitraux noircit. Je voulais vous donner de l'or et je crains de vous avoir encore donné de l'ombre. Mais quelque part un reflet demeure et luit encore. Jean-Baptiste Morvan. 197:139 ### L'Église de Rome : Mater et Magistra par l'Abbé V.-A. Berto *La grande étude sur* « *l'Église de Rome *» *que je demandais à l'abbé Berto depuis des années, il s'y était mis enfin ; en 1968 ; il l'a laissé inachevée à sa mort.* *La voici telle qu'il l'a laissée. Après une ample introduction et des souvenirs personnels, et après une digression déjà connue de nos lecteurs, elle aborde le sujet, puis s'arrête au milieu d'une phrase.* *J. M..* « MATER ET MAGISTRA GENTIUM... CATHOLICA ECCLESIA CONSTITUTA EST... » A un évêque qui lui demandait de tenir la main à l'exécution d'une Constitution apostolique de son propre Pontificat, Jean XXIII répondait bonnement : « *Mais le Pape ne lit pas ses Encycliques ! *» Ce que nous croyons volontiers du même Jean XXIII, mais nullement de ses prédécesseurs : nous savons de science certaine que Pie XI, tout en ayant recours à des théologiens de métier pour la rédaction de l'Encyclique *Quas primas*, les faisait tra­vailler comme sous ses yeux, demandant qu'on s'étendît ici, qu'on se resserrât ailleurs, mettant lui-même la der­nière main au document. 198:139 A elle seule, la critique interne le démontrerait : qui a entendu Pie XI reconnaît du premier coup dans l'Encyclique ce style lent, assez embarrassé, surchargé de relatives et d'incidentes, laborieux autant à écouter qu'à lire, mais finissant toujours par dire ce qu'il voulait dire, inculquant, tenaillant, martelant et assénant sans élégance aucune, mais avec une indomptable vigueur. Tel il était dans ses discours, tel nous le retrouvons dans ses écrits. De Pie XII, il faudrait dire la même chose, sauf la différence, à la vérité surprenante, des génies : là le forgeron s'essoufflant à frapper l'enclume, ici l'essor d'une expression aisée, naturellement souveraine, avec le je ne sais quoi qui subjugue et donne envie de suivre. N'ayant pas vécu à Rome sous son Pontificat, nous n'avons jamais été à portée de savoir comment il faisait travailler ses théologiens, mais la critique interne suffit encore ; il n'y a qu'à comparer l'une ou l'autre de ses innombrables allocutions avec l'une ou l'autre de ses En­cycliques, *Sacra Virginitas* ou *Mystici Corporis *; rien dans celles-ci de moins majestueux ou de moins fortement dit que dans *Ubi arcano* ou dans *Quas primas*, mais cet aérien, ce lumineux qui manquait au rude Pie XI. Rude ! Plût à Dieu que Pie XII l'eût été davantage ! Nous y aurions perdu beaucoup de ces « paroles ailées » dont parle Homère, mais nous y eussions gagné un autre épiscopat. Pie XI est mort le 12 février 1939 : il n'y avait plus, le 11 octobre 1962, beaucoup d'évêques de sa nomination. Le 11 octobre 1962, il n'y avait pas tout à fait quatre ans que Jean XXIII régnait : ce n'était pas un espace à pouvoir nommer un grand nombre d'évêques. Sans nous livrer ici à une étude statistique, on peut avancer que la plupart des cardinaux qui ont élu Paul VI étaient des créatures de Pie XII, et que les sept dixièmes au moins des Pères conciliaires tenaient leur promotion de Pie XII. 199:139 On ne croira pas davantage que Paul VI « ne lise pas ses Encycliques ». Non seulement il a lu *Humanae Vitae*, mais nous jurerions presque qu'il l'a composée. C'est telle­ment lui ! Lui avec sa compassion sans mesure pour la faiblesse humaine, lui avec sa conscience scrupuleuse sous l'aiguillon de laquelle il gémit écrasé. Comme s'il disait tout le temps : « Mes pauvres enfants, que je voudrais vous dire autre chose ! Je l'ai tant souhaité, tant espéré, vous dire autre chose ! J'ai attendu longtemps, j'ai tra­vaillé, j'ai prié surtout. Seulement voilà, ma prière n'a pas été écoutée, ou plutôt Dieu ne répondait qu'une chose : *Tu es Petrus*. Ce n'est pas l'envie qui me manquait de bouger un peu, mais les rochers ne peuvent pas bouger, le Rocher que je suis malgré moi moins que tout autre. Ce n'est pas l'envie qui me manquait d'être un peu tendre, de me laisser entamer un peu. Mais les rochers, c'est de la pierre, et le rocher que je suis est une pierre inentamable. A mesure que j'ai voulu m'attendrir, je me suis senti devenir plus dur. Tout ce que je sais, c'est que c'est pour votre bien, mes pauvres enfants puisque, dans le sable du monde, vous ne sauverez vos pauvres âmes qu'en vous cramponnant ferme au Rocher que je suis. Que je bouge, vous êtes tous perdus. Qu'un éclat se détache de moi, ceux qui s'y seront accrochés seront perdus. Vous voyez bien que je ne peux pas bouger, que je ne peux pas me laisser entamer. Je ne suis votre salut qu'à ce prix, parce que c'est à moi, hélas, à moi qu'il est dit : « Tu es un Rocher, et sur ce Rocher je bâtirai mon Église ». Oui, c'est là Paul VI, et l'Encyclique le peint. Nul envol, nulle ampleur, une constriction de la gorge plutôt, des mots qui ont peine à sortir, le ton même que Paul VI avait lorsque dans Saint-Pierre il déclara « la très sainte Marie Mère de l'Église » comme s'il eût craint, (et il crai­gnait, et il avait sujet de craindre), un cri de fureur sur certains bancs conciliaires. Un évêque italien nous disait que non loin de lui, des Pères ne s'étaient pas joints à l'ac­clamation commune, étaient restés assis, verts de rage, *verdi di rabbia*. 200:139 Là non plus, il ne pouvait pas dire autre chose ; là aussi, malgré lui le Tu es Petrus résonnait dans sa conscience. Nul de ceux qui l'ont entendu ce jour-là ne songera à dire que Paul VI « ne lit pas ses Encycliques ». Bien plutôt ils diront qu'on l'y entend. *Ici prenait place une digression* « *arrachée *» *à l'abbé Berto par la* « *Note pastorale *» *de novembre 1968.* *Mais, en raison de l'urgence, cette digression d'ac­tualité ne pouvait attendre, pour être publiée, qu'il ait terminé la présente étude.* *La digression devint donc notre supplément in­titulé :* « *Humanae vitae et la Note pastorale *»*, paru et diffusé en décembre 1968, puis elle prit place dans notre numéro de janvier 1969 sous le titre :* « *Les évêques et la contraception *»*.* Après ces pages véhémentes que nous a arrachées cette trahison de l'Encyclique, cette connivence avec le mal, qui, au pied de la lettre, nous empêche de dormir depuis trois jours, revenons à notre sujet. Nous supposons que Jean XXIII, qui, de son aveu (une boutade, nous le voulons bien, mais que rend vraisemblable ce que nous savons de son scepticisme auquel n'échappait qu'une foi d'enfant) « ne lisait pas ses Encycliques », a bien dû lire au moins la première phrase de celle que nous citions en commençant et s'applaudir d'un si beau coup de cymbales : « Mater et Magistra », indéniablement, c'est une ouverture trouvée, comme aurait dit Péguy. Le malheur, et, selon nous, l'immense et presque irrévocable malheur, c'est que cette magnifique expression soit placée en apposition aux mots : *Ecclesia catholica*, alors qu'elle n'aurait dû souffrir auprès d'elle que les mots *Ecclesia* ROMANA. 201:139 Ce n'est pas, on le pense bien, que l'Église catholique ne puisse être appelée la Mère et la Maîtresse des peuples ; il ne s'agit que de savoir à quel titre elle mérite cette glo­rieuse appellation. Ce n'est pas non plus que, dans les documents émanés de la Première Chaire, ces mêmes mots n'aient jamais été appliqués à l'Église universelle, nous n'en savons rien, nous n'avons pas dépouillé vingt siècles de Bullaires. Toutefois, de tels documents nous n'en con­naissons pas un seul. Dans la Profession de Foi catholique de Pie IV, on trouve au contraire cette phrase solennelle, dont notre étude ne sera que le commentaire : « *Sanctam Catholicam et Apostolicam* ROMANAM *Ecclesiam omnium Ecclesiarum matrem et magistram agnosco, Romanoque Pontifici beati Petri Apostolorum Principis successoris ac Iesu Christi Vicario veram obedientiam spondeo ac iuro*. » Phrase contenue dans la formule de serment de la profes­sion de foi, *formula iuramenti professionis fidei,* que Pie IV, par la Bulle *Iniunctum nobis*, imposa aux bénéficiers ecclé­siastiques le 13 novembre 1564. Depuis lors, c'est-à-dire depuis quatre siècles, Cardinaux, Évêques, Docteurs en Théologie, préalablement à leur création, promotion ou institution, ont émis ce serment. Il n'a été remplacé qu'en 1965 ou 1966, par une formule beaucoup plus courte, une addition de quelques lignes au Symbole de Nicée, où men­tion demeure de la primauté du Pontife romain, mais où a fait naufrage la reconnaissance de l'Église particulière de Rome comme « Mère et Maîtresse de toutes les Églises », ce qui est pour nous et pour bien d'autres, la source d'un intarissable regret. L'autorité de l'Église romaine (une fois pour toutes disons que dans cette étude, « Église romaine » signifiera « Église particulière de Rome » et non « l'Église catho­lique romaine ») est tout entière dérivée de celle de son Évêque, comme toute autorité dans l'Église. 202:139 Seulement, elle est la seule Église *particulière* dont l'Évêque soit le Pape. Elle est la seule qui jouisse du pri­vilège de se donner son Évêque, et par là même du privi­lège incomparable de donner, en la personne de son Évêque, un chef à toute l'Église. « Il n'est douteux pour personne », dit le III^e^ Concile œcuménique célébré à Éphèse, « il est au contraire connu de tous les siècles que le saint et très bienheureux Pierre, Prince et Chef des Apôtres, colonne de la foi et fondement de l'Église catholique, a reçu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Sauveur et Rédemp­teur du genre humain, les clefs du royaume, lequel jusqu'à maintenant et pour toujours vit et exerce la judicature en la personne de ses successeurs ». D'où il suit, ajoute le XX^e^ Concile œcuménique (Vatican I) « que quiconque succède à Pierre en cette chaire selon l'institution du Christ lui-même, reçoit la primauté sur toute l'Église ». Contrairement à ce que même de pieux fidèles, mais mal éclairés, s'imaginent, les Papes ne sont point évêques de Rome à raison de ce qu'ils sont Papes, comme si le siège de Rome était en dépendance de la dignité pontificale ; c'est la dignité pontificale qui est attachée au siège de Rome, et les Papes sont Papes à raison de ce qu'ils sont Évêques de Rome. Il y a ici la rencontre providentielle d'une disposition divine et d'une conjoncture historique. Dans l'antique et vénérable définition du Pape *Petri heres in sede romana* il y a d'abord le *Petri heres :* pour être Pape, il faut être l'héritier de Pierre, cela, c'est ce qui a été immédiatement déterminé par le Seigneur. Mais nous ne lisons point qu'il ait expressément désigné Rome pour le lieu où mourrait Pierre, et où le successeur devrait recueillir l'héritage. Que Pierre fût mort sur son premier siège d'Antioche, à per­pétuité ce sont les évêques d'Antioche qui eussent été les Papes. *In sede romana*, c'est la conjoncture historique. Mais comme il n'existe pas de machine à remonter le temps et à effacer l'histoire, il demeure à la fois divine­ment vrai et historiquement certain que le Pape est « l'hé­ritier de Pierre sur le siège romain, *Petri heres in sede romana *», et personne n'y peut plus rien. 203:139 Personne ? Nous ne croyons pas qu'il soit entré dans la tête d'aucun Père de renverser cet arrangement dont le caractère, pour qui du moins croit à la Providence, est assurément providentiel. Mais à quoi ne s'est pas atta­quée la rage antiromaine de certains « experts » ? Nous en avons entendu un -- entendu de nos oreilles -- nous dire que le temps était venu de dissocier la Papauté d'avec le Siège romain ; qu'il convenait que le Pape désor­mais fût élu, non par les seuls membres cardinaux du clergé romain, mais par un sénat représentatif des évêques du monde entier, ou même au suffrage universel par les évêques du monde entier, et que cet élu pût être l'arche­vêque de Sidney ou de Chicago ; lequel serait Pape sans quitter son siège et sans occuper celui de Rome, en sorte que Rome ne serait plus qu'un évêché parmi les autres, et son évêque un évêque parmi les autres. Si cet inepte rêve a troublé d'autres cervelles, nous l'ignorons ; nous n'en serions surpris qu'à moitié : il y a eu autour de ce Concile tant de conventicules et de concilia­bules où ont plastronné tant d'homoncules, que nous ne voudrions jurer de rien. Le vraisemblable serait plutôt qu'il y ait eu un comploticule en gésine d'un horrible avorton. C'est bien fait. Car, sans parler du reste, cette sottise était encore plus impraticable que venimeuse. Ima­gine-t-on les innombrables services nécessaires à l'activité du Chef de l'Église catholique, même réduits à l'extrême, obligés de se déconstituer et reconstituer sans cesse, et de se transporter tous les dix, douze ou quinze ans d'un continent à un autre, accompagnés de cent trains d'affaires courantes, de cinq cents trains d'archives, sans compter le personnel et le mobilier ? La « lenteur romaine » est proverbiale, et sans nous en émouvoir outre mesure, nous n'en sommes pas plus enchanté que d'autres. 204:139 Mais s'il fallait subir les délais d'une affaire commencée à New York, continuée à Copenhague, et poursuivie à Melbourne, la « lenteur romaine », par comparaison, paraîtrait un prodige d'*expédivité.* C'est nous arrêter trop longtemps à une élucubration absurde. Mais un autre bruit court, avec, hâtons-nous de le dire, tous les caractères d'un « ballon d'essai » qui paraît, disparaît, reparaît et disparaît encore, parce que, de Rome même, rien ne vient qui l'aplatisse une bonne fois. On insinue, on chuchote, que le Pontife régnant, sans déposséder entièrement son Église du privilège aussi ancien qu'elle-même de choisir son Évêque, l'en dessaisirait partiellement. Elle ne serait plus *seule.* V.-A. Berto. 205:139 ### Notre-Dame du temps de l'Antéchrist par R.-Th. Calmel, o.p. « JE VOUDRAIS VIVRE au temps de l'Antéchrist » écrivait la petite Thérèse ([^51]) sur son lit d'agonie. Nul doute que la Carmélite qui s'est livrée en *victime d'holocauste à l'amour miséricor­dieux* ne doive intercéder spécialement quand se lèvera l'Antéchrist ; nul doute qu'elle n'intercède déjà tout spécialement en notre époque où les précurseurs de l'Antéchrist ont pénétré dans le sein de l'Église ; nul doute surtout que sa prière ne se perde dans une suppli­cation qui est, pour ainsi dire, infiniment plus puissante : celle de la Vierge Mère de Dieu. Elle qui écrase le Dragon par sa conception immaculée et sa maternité virginale, elle qui est glorifiée jusque dans son corps et qui règne dans le ciel auprès de son Fils, elle domine en souveraine tous les temps de notre histoire et par­ticulièrement les temps plus redoutables pour les âmes : les temps de la venue de l'Antéchrist ou ceux de la pré­paration de cette venue par ses diaboliques précurseurs. 206:139 Marie se manifeste non seulement comme la Vierge puissante et consolatrice dans les heures de détresse pour la cité terrestre et pour la vie corporelle ; elle se montre surtout comme la vierge secourable, *forte comme une armée rangée en bataille,* dans les périodes de dé­vastation de la sainte Église et d'agonie spirituelle de ses enfants. Elle est reine pour toute l'histoire du genre humain, *non seulement pour les temps de détresse mais pour les temps d'Apocalypse.* -- Un temps de détresse fut celui de la grande guerre : hécatombes des offensives mal préparées, écrasement implacable sous un ouragan de fer et de feu ; Forêt de Rossignol et Bois des Caures ; Ravin de la mort et Chemin des Dames... Combien d'hommes, ayant bouclé leur ceinturon, partaient avec la certitude terrible de périr dans cette tornade hallucinante, sans jamais voir apparaître la victoire ; parfois même, et c'était le plus atroce, un doute effleurait leur esprit sur la valeur des chefs et le bien-fondé du com­mandement. Mais enfin sur un point ils n'avaient pas de doute, sur une question qui dépassait toutes les autres celle de l'autorité spirituelle. L'aumônier qui assistait ces hommes voués à servir la patrie jusqu'à la mort était d'une fermeté absolue au sujet de tous les articles de la foi et la pensée ne lui serait jamais venue d'inven­ter je ne sais quelle transformation « pastorale » de la sainte Messe ; il célébrait le saint Sacrifice selon le rite et les paroles antiques ; il le célébrait avec une piété d'autant plus profonde, une supplication d'autant plus ardente qu'ils pouvaient être appelés d'un moment à l'autre, lui prêtre désarmé et ses paroissiens en armes, à unir leur sacrifice de pauvres pécheurs rachetés à l'uni­que sacrifice *du Fils de Dieu qui enlève les péchés du monde.* La fidélité de l'aumônier s'appuyait elle-même, tranquillement, à la fidélité de l'autorité hiérarchique qui gardait et défendait la doctrine chrétienne et le culte traditionnel ; qui n'hésitait pas à bannir de la communion catholique les hérétiques et les traîtres. 207:139 Sur le front de bataille, tout à l'heure, dans quelques instants peut-être, les corps allaient être broyés, déchiquetés, dans une horreur sans nom ; ce serait peut-être la suffo­cation inexorable, la lente asphyxie sous une nappe de gaz ; mais malgré le supplice du corps, l'âme resterait intacte, sa sérénité serait inaltérée, son recès suprême ne serait pas menacé, le plus noir des démons, celui des suprêmes mensonges, ne ferait pas entendre son ricane­ment, l'âme ne serait point livrée à l'attaque perfide, lâchement tolérée, des pseudo-prophètes de la pseudo-église ; malgré le supplice du corps l'âme s'envolerait de la retraite tranquille d'une foi protégée vers la retraite lumineuse de la vision béatifique en Paradis. La grande guerre fut un temps de détresse. Nous voici entrés désormais dans un temps d'Apocalypse. Sans doute nous n'en sommes pas encore à l'ouragan de feu qui affole les corps, mais nous en sommes déjà à l'agonie des âmes, parce que l'autorité spirituelle paraît ne plus s'occuper de les défendre, semble se désinté­resser aussi bien de la vérité de la doctrine que de l'in­tégrité du culte, *du fait qu'elle renonce ostensiblement à condamner les coupables.* C'est l'agonie des âmes dans la sainte Église minée de l'intérieur par les traîtres et les hérétiques qui ne sont toujours pas bannis. (Pendant la durée de l'histoire il y eut déjà d'autres temps d'Apo­calypse. Souvenons-nous, par exemple, des interroga­toires de Jeanne d'Arc privée des sacrements par les hommes d'Église, reléguée au fond de son noir cachot sous la garde d'affreux geôliers.) Mais les temps d'Apo­calypse sont toujours marqués par les victoires de la grâce. Car même lorsque les bêtes de l'Apocalypse pénètrent jusque dans la cité sainte et l'exposent aux derniers périls, l'Église ne cesse pas de rester l'Église : cité bien-aimée inexpugnable au démon et à ses suppôts, cité pure et sans tache dont Notre-Dame est Reine. 208:139 C'est elle, la Reine immaculée, qui fera raccourcir par le Christ son Fils les années sinistres de l'Anté­christ. Même et surtout durant cette période, elle nous obtiendra de persévérer et de nous sanctifier. Elle nous conservera la part dont nous avons absolument besoin d'autorité spirituelle légitime. Sa présence au Calvaire, debout au pied de la croix, nous le présage infaillible­ment. Elle se tenait debout au pied de la croix de son Fils, le Fils de Dieu en personne, afin de s'unir plus par­faitement à son sacrifice rédempteur, afin de mériter en lûi toute grâce pour les enfants d'adoption. Toute grâce ; la grâce pour affronter les tentations et les tribulations qui jalonnent les existences les plus unies, mais aussi la grâce de persévérer, se relever, se sanctifier dans les pires épreuves ; les épreuves de l'épuisement du corps et les épreuves, bien plus noires, de l'agonie de l'âme ; les temps où la cité charnelle devient la proie des enva­hisseurs et surtout les temps où l'Église de Jésus-Christ doit résister à l'autodestruction. En se tenant debout au pied de la croix de son Fils, la Vierge Mère dont l'âme fut déchirée par un glaive de douleur, la divine Vierge qui fut broyée et accablée comme nulle créa­ture ne le sera jamais, nous fait saisir, sans laisser de place à l'hésitation, qu'elle sera capable de soutenir les rachetés lors des épreuves les plus inouïes, par une in­tercession maternelle toute pure et toute puissante. Elle nous persuade, cette Vierge très douce, *Reine des mar­tyrs,* que la victoire est cachée dans la croix elle-même et qu'elle sera manifestée ; le matin radieux de la résur­rection se lèvera bientôt pour le jour sans déclin de l'Église triomphante. 209:139 Dans l'Église de Jésus en proie au modernisme jusque parmi les chefs, à tous les degrés de la hiérar­chie, la souffrance des âmes, la brûlure du scandale atteignent une intensité bouleversante ; ce drame est sans précédent ; mais la grâce du Fils de Dieu rédemp­teur est plus profonde que ce drame. Et l'intercession du Cœur Immaculé de Marie, qui obtient toute grâce, ne s'interrompt jamais. Dans les âmes les plus abattues, les plus près de succomber, la Vierge Marie intervient nuit et jour pour dénouer mystérieusement ce drame, rompre mystérieusement les chaînes que les démons imaginaient incassables. *Solve vincla reis*. Nous tous que le Seigneur Jésus-Christ, par une marque d'honneur singulière, appelle à la fidélité dans ces périls nouveaux, dans cette forme de lutte dont nous n'avions pas l'expérience, -- la lutte contre les précur­seurs de l'Antéchrist qui se sont introduits dans l'Église, -- revenons à notre cœur, revenons à notre foi ; sou­venons-nous que nous croyons en la divinité de Jésus, en la maternité divine et la maternité spirituelle de Marie Immaculée. Entrevoyons au moins la plénitude de grâce et de sagesse qui est cachée dans le Cœur du Fils de Dieu fait homme et qui dérive efficacement vers tous ceux qui croient ; entrevoyons aussi la pléni­tude de tendresse et d'intercession qui est le privilège unique du Cœur Immaculé de la Vierge Marie. Recou­rons à Notre-Dame comme ses enfants et nous ferons alors l'expérience ineffable que les temps de l'Anté­christ sont les temps de la victoire : victoire de la Ré­demption plénière de Jésus-Christ et de l'intercession souveraine de Marie. R.-Th. Calmel, o. p. 210:139 ### Avec Jésus enfant NOËL EST PASSÉ depuis huit jours. L'Église célé­brait naguère en cet octave de la Nativité la Circoncision de Jésus, jour où son nom lui fut donné. Pourquoi ce premier sang versé par Notre-Seigneur est-il passé sous silence maintenant ? Pour­quoi cette pudeur soudaine en un temps qui exalte la sexualité ; où on fait enseigner par des religieuses, en des classes mixtes, les mystères de la reproduction de l'espèce humaine à de jeunes enfants approchant seule­ment de la puberté ? Les péchés de la chair, disent les saints, emplissent l'enfer plus que ne font les autres. Aussi le premier acte solennel de la vie de Jésus fut, en recevant la blessure par laquelle il entrait dans l'alliance d'Abraham, de racheter par ce premier sang versé ces péchés si répandus attachés à la propagation de l'espèce humaine. Il rendait possible ainsi la pureté des enfants et des hommes ; il aidait à celle des filles et des femmes. 211:139 Pères de famille (car c'est vous qui êtes chargés de cette tâche indispensable) lorsque vous voyez le moment venu d'initier vos garçons au mystère naturel de la commu­nication de la vie, n'oubliez pas de vous aider du mys­tère religieux de la Circoncision par lequel Jésus a rendu possible la chasteté dans tous les états de vie, celui du soldat éloigné de sa famille, celui du prisonnier comme celui du moine. Malgré sa constitution parfaite, Jésus blessé gémit et pleura durant ces premiers jours de janvier des larmes parfaitement innocentes et l'innocence de Marie elle-même fit de ses préoccupations et de sa peine l'exercice de sa mission co-rédemptrice. Que les jeunes mamans n'oublient pas ces merveilles de la maternité de Marie ; elles peuvent s'y associer et y trouver un réconfort parfois bien nécessaire. L'Église fait dire à Marie : « *Félicitez-moi, car moi, pauvre petite, j'ai plu au Très-Haut. *» Qui essayera de plaire au Très-Haut ? \*\*\* Mais l'Église fait passer sous nos yeux toute la vie de Notre-Seigneur en un catéchisme annuel dont les grandes fêtes marquent le cours. Il lui faut concentrer les trente années qui vont du premier Noël à la pre­mière Ascension en quelques mois. C'est ainsi que la fête de l'Épiphanie est celle des premières manifesta­tions du Sauveur au début de sa vie cachée, de sa vie publique, de son enseignement. « *Engendré avant que la lumière fût, et avant les siècles, notre Seigneur est apparu au monde. *» 212:139 Et l'antienne des deuxièmes vêpres de l'Épiphanie nous l'explique en chantant : « *Trois miracles embellissent ce saint jour ; aujourd'hui, l'étoile conduit les Mages à la crèche, aujourd'hui, aux noces, l'eau est changée en vin ; aujourd'hui, Jésus, pour nous sauver, voulut, de Jean, recevoir le baptême, alleluia ! *» Ensuite, l'Église se place hors du temps pour unir ces mystères qui l'ont constituée et nous unir en elle à la grâce qui nous fait chrétiens : « *Aujourd'hui l'Église est unie à son céleste époux, car dans le Jourdain le Christ a lavé ses fautes ; les Mages accourent à ces noces royales et de l'eau changée en vin les convives se réjouissent, alleluia ! *» Convives du Saint Sacrifice de la messe, réjouissez-vous ! \*\*\* Mais nous pouvons aussi demeurer avec Jésus en­fant, entouré, certes, de miracles éclatants, réservés alors aux bergers, aux Mages, au vieillard Siméon, à la prophétesse Anne, fille de Phanuel et nous continuons à en jouir nous-mêmes grâce à la Bonne Nouvelle répan­due en tout le monde par l'Évangile. Nous pouvons méditer aussi comment Jésus a vécu sa vie de petit homme avec Joseph et Marie. La Circoncision passée, il a commencé de sourire à sa mère. L'intelligence se développe incroyablement vite chez les petits ; ils com­prennent le langage bien avant de savoir parler eux-mêmes. Ils essayent leurs forces et contrôlent leurs moyens d'action ; ils veulent saisir la lumière qui éclaire leur berceau et apprennent à distinguer la vue du toucher, à estimer les distances. 213:139 Marcher tout seul est un grand triomphe dans leur existence (et un grand danger pour les objets ménagers). Jésus a donc fait comme tous les petits ; il a fait son expérience de la vie par les mêmes moyens. S. Luc nous dit, au mo­ment du voyage à Jérusalem : « *Cependant l'enfant grandissait et se fortifiait, se remplissait de sagesse, et la grâce de Dieu était sur Lui. *» Sa Sagesse éternelle ne pouvait être accrue, mais son expérience humaine, oui. Il avait créé le soleil, il avait créé la vie ; mais pour savoir l'effet d'un coup de soleil sur la peau, il faut avoir une peau vivante. Créer la désintégration atomique dans un astre est tout autre chose ; de même créer une peau par l'intérieur des cellules comme une fin appro­priée aux conditions de la vie. C'est infiniment plus, mais une âme d'homme peut seule avoir l'expérience particulière d'une brûlure de la peau qu'elle anime. Dieu qui l'a créée n'avait point de peau avant l'Incar­nation. Il avait dans notre oreille créé les canaux semi-circulaires et les savait accordés aux conditions de notre équilibre sur la terre, mais l'enfant Jésus apprit à ne pas rompre cet équilibre soit en butant sur une pierre, soit en se penchant en avant. Et la Sainte Vierge l'em­pêcha de tomber. \*\*\* Quel mystère que Dieu ait ainsi voulu faire partie de sa création ! 214:139 Et la hausser par là jusqu'à Lui ! Quelle éclatante vérité est celle de la Révélation faite aux Patriarches, au Père des croyants, Abraham, et à Moïse ; elle unit le monde à son Créateur par la volonté amoureuse et consciente de Celui-ci. Quelle grandeur se découvre en Celui qui Est ! Quelle supériorité sur ce que l'intelli­gence peut trouver par elle-même ! \*\*\* L'enfant Jésus était Dieu, mais sa nature humaine progressa comme celle de tous les enfants des hommes. En élevant les vôtres, petites mères, songez à l'enfance de Jésus et imitez ce que fut son éducation. Tous les enfants jouent (et les petits chats aussi) ils apprennent ainsi leur métier d'adulte. Le petit chat s'exerce à attraper les souris en se lançant sur la queue ballante de sa mère. La petite fille joue à la maman, à la marchande, fait des cuisines imprévues. Le petit garçon joue au gendarme et au voleur, aux barres, à l'épervier, construit des maisons et des hangars pour son tracteur. Jésus, dès qu'il sut marcher, voulut aider sa mère. S. Joseph lui fit un petit balai de genêt et Jésus balaya. Il apportait des copeaux pris dans l'atelier pour allu­mer le feu. Accompagnant sa Mère à la fontaine, il vit le monde, le plus curieux pour un enfant, les poules, les pigeons, les colombes, les ânes, l'âne de la crèche et l'âne de la fuite en Égypte. *L'âne ne savait pas par quel chemin de palmes* *Un jour il porterait jusqu'en Jérusalem* *Dans la foule à genoux et dans les matins calmes* *L'enfant alors éclos aux murs de Bethléem.* 215:139 Il vit de petits enfants comme lui ; il connut ce qu'il y a dans l'homme, et en souffrit aussitôt car sa Passion commença avec sa vie. Il vit des maisons, S. Joseph levant une charpente et de retour fit avec des brins de bois des « constructions ». N'avait-il pas à construire son Église ? mais avec des pierres vivantes... Ne dites donc pas à vos enfants : tu m'embarrasses, ôte-toi de là. Donnez-lui un petit travail à sa portée ; dites-lui : « Joue à la sainte Famille » et vous entendrez des propos bien touchants. Si vous voulez garder la con­fiance de vos enfants, entrez dans leurs jeux, intéres­sez-vous à la santé de la poupée, conseillez l'appel au médecin, achetez à la petite marchande, donnez des matériaux au petit constructeur. Les enfants ne sont pas dupes, ils savent qu'ils jouent ; mais c'est très sérieux, ils jouent leur avenir possible. Dansez donc avec les adolescents, déguisez-les, faites-leur jouer des proverbes, et continuez jusqu'au-delà de la puberté. Quand on joue avec les enfants, ils se sentent compris et s'ouvrent sans difficulté jusqu'à l'âge adulte. Or c'est là le grand atout de l'éducation. Faites-le en songeant à Jésus enfant, à *la vie cachée* qui restera la vie de la plupart d'entre nous ; c'est l'état de vie le plus favorable à l'éclosion et au perfectionnement des vertus chré­tiennes. Ô mystère ! La sainte Vierge eut des surprises ; elle savait bien qui était le Père de son fils et que son fils serait le Sauveur du monde, mais elle eut bien des occasions de voir « que la grâce de Dieu était sur Lui » comme dit saint Luc ; il fit des miracles connus de sa mère seule, ce qui s'est passé aux noces de Cana le prouve, mais on a vu de petits enfants convertir des adultes et c'est aussi un miracle. 216:139 L'attitude de l'enfant devant le péché était aussi très significative. Et quand Jésus connut le nom des oiseaux, Marie voulut le faire jouer à « pigeon vole ! » Elle renonça : Jésus ne se trompait jamais. L'union au Verbe Éternel le rendait entièrement maître de son âme ; son attention et sa mémoire étaient sans défaut. Mais vous aurez aussi des surprises car un petit enfant baptisé à qui on enseigne à prier est une merveille de la candeur et de l'innocence que nous avons perdues. Or voici comment Jésus enfant apprit à prier. Quand il ouvrait les yeux, il disait : « *Béni sois-tu Éternel notre Dieu, roi de l'univers, qui ouvre les yeux des aveugles. *» Quand il accomplissait les fonctions du corps, il avait, à penser : « *Béni sois-tu, Éternel notre Dieu, roi de l'univers, qui as modelé l'homme avec sagesse et as créé en lui des issues et des canaux ; qui bénis toute chair et agis miraculeusement. *» En s'habillant : « *Béni sois-tu, Éternel notre Dieu, roi de l'univers, qui vêts ceux qui sont nus. *» Et ainsi en mettant ses sandales, ceignant sa ceinture et se couvrant. Depuis Jésus-Christ jusqu'à aujourd'hui, tous les prêtres selon l'ordre de Melchisédech n'ont pas cessé de faire ainsi quand ils revêtent les ornements sacerdotaux ; mais Marie et saint Joseph faisaient de même... S. Paul en vertu de sa grâce d'apôtre simplifie tout et dit : « *Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire de Dieu. *» Et ailleurs (Eph. 15-18) « *Soyez remplis de l'Esprit, vous entretenant vous-mêmes de psaumes, d'hymnes, de cantiques spirituels. *» Chantez donc si vous pouvez. Si vous ne pouvez, Dieu vous aura donné d'autres moyens. 217:139 Chez nous, il y avait une chanson pour mettre le thermomètre, céré­monie que les enfants n'apprécient guère. Cette chanson était : « *Le printemps venait de naître... *» Chantez avec les petits, avec les grands, nos vieilles chansons pay­sannes, chantez le chant grégorien (les antiennes simples de préférence), il vous unit à la spiritualité des chrétiens des premiers âges. Et si vous ne pouvez chanter, contez. Contez le marquis de Carabas, contez la vie des saints ; elle était la nourriture quotidienne de nos pères. La jeu­nesse est généreuse, les grands exemples la soulèvent, et Péguy disait, pour vous aussi, parents : « *Toute famille chrétienne a les yeux fixés sur la famille de Nazareth. Des milliers de familles chrétiennes, des centaines de milliers, des familles chrétiennes innombrables ont fait leur salut et gagné le ciel ensemble,* EN FAMILLE*, les yeux uniquement fixés sur la famille de Nazareth... Un fait nouveau s'est produit pour nous, un fait d'une consé­quence et d'une portée incalculable. Une famille modèle a pour ainsi dire fonctionné devant nous, sous nos yeux, une famille à imiter... Depuis ce jour tout père et toute mère chrétienne est une image de Joseph et de Marie, tout fils et toute fille chrétienne est une image de Jésus... Jésus a créé pour nous le modèle parfait de l'obéissance filiale et de la soumission dans le même temps ensemble qu'il créait pour nous le modèle parfait du travail ma­nuel et de la patience. *» (*Laudet,* pp. 41-42.) \*\*\* 218:139 Trop souvent aujourd'hui les parents veulent vivre pour eux-mêmes et se débarrassent de leurs enfants. C'est pour les chrétiens, même si on les en sollicite, une grave erreur. La société est en décomposition, c'est la civilisation même qui périt entre la mollesse des jouissances du corps et la fureur de ce qu'elles ne peuvent toutes s'assouvir. On méprise les lois natu­relles de toute société qui veut durer, car la faiblesse humaine est telle qu'il est impossible de respecter ces lois naturelles sans une grâce surnaturelle. Il ne faut pas espérer que la société se réforme naturellement ; sans doute il faudra des règles naturelles conformes à la raison, mais l'avenir du monde est suspendu au retour d'une société chrétienne et il faut un petit reste qui serve de ferment. Il se trouve dans la famille, qui est la cellule fondamentale de la société. Notre-Seigneur a dit : « *Le règne des cieux est semblable à du levain qu'une femme a pris et caché dans trois mesures de farine jusqu'à ce que tout ait fermenté. *» Marie fut cette femme, l'Incarnation a débuté par son consente­ment. Voyez si votre part est belle. Consentez-vous, femmes chrétiennes, à être le levain caché ? D. Minimus. 219:139 ## NOTES CRITIQUES ### Bibliographie #### Paul Claudel : Psaumes (traduction 1918-1953) (Desclée de Brouwer) Il ne s'agit point à vrai dire d'une publication tout à fait ré­cente, puisqu'elle remonte à deux ans ; et c'est un peu par hasard, je le confesse, qu'au milieu de bien d'autres problèmes, j'ai été conduit à lire ces « Psaumes » de Claudel. Mais quand il s'agit d'un grand écrivain et d'une édi­tion posthume, l'actualité n'entre guère en ligne de compte. Clau­del, lui, pose toujours d'innom­brables problèmes. Nous ne parle­rons point ici de l'homme, de certaines mesquineries et de cer­taines défaillances ; encore que son adaptation médiocre du Psaume « Exaudiat » se ressente d'une excessive prudence, et que l'introduction d'un « Domine, salvam fac rempublioam » fasse sourire. L'œuvre de Claudel m'a toujours attiré et déconcerté ; un tel résultat était sans doute cherché par le poète ; mais s'il nous déconcerte, est-ce exacte­ment de la façon qu'il se propo­sait ? Ses « Psaumes » ne sont ni une traduction, ni un commen­taire, ni une adaptation libre ; un peu de tout cela, dans une appropriation personnelle où nous retrouvons le génie claudélien dans sa force plutôt que dans sa splendeur. Le style de Claudel est baroque, au sens élevé et vé­ritable du mot ; il eût pris à son compte le mot du poète italien « Celui qui ne sait pas étonner mérite l'étrille ». Dieu chez Clau­del doit d'abord être étonnant « le Bon Dieu que l'on reçoit en pleine figure ». Et souvent cette poésie de la surprise ne nous laisse pas insensible : « J'étais mort, et tout à coup, cette main à moi tendue, c'est le matin » ; ou encore : « Où êtes-vous, ti­son ? rouge lueur au fond de mon âme comme une braise ». Une intelligence toujours active se voue à une mission de rénovation de l'esprit par le langage inso­lite ; elle remanie sans cesse l'ex­pression, non sans inconvénient parfois, car les répétitions lanci­nantes de l'Écriture s'affaiblis­sent en se diversifiant. Claudel a en commun avec Léon Bloy une certaine volupté assez gratuite du vocabulaire : « Tu domines les potentialités de la mer » ou « il m'a circumenveloppé d'allégres­se » ; nous touchons au latinisme ronsardisant avec « les chèvres vertigineuses » et « il m'a collo­qué dans les ténèbres des morts ». Un procédé plus général dans toute l'œuvre de Claudel, c'est le recours à la familiarité, qui pose l'éternel problème de la « naï­veté dans l'art ». 220:139 On en voit bien les raisons : avec une manière qui rappelle Hugo, il applique à un but chrétien la technique ex­pressionniste de Rimbaud. Mais les psaumes se prêtent-ils à ce labour de défoncement ? La char­rue de Claudel soulève de bien lourdes mottes. La bonhomie du style mêlée de quelque truculence argotique suppose une satisfac­tion au moins passagère de l'es­prit que l'angoisse ou l'admira­tion contemplative du Psalmiste n'offre pas. Ah ! si le familier pouvait atteindre à l'éternel ! mais la plaisanterie vieillit. Cer­taines formules plaisantes don­nent l'impression que Claudel se pastiche lui-même : « Ce cheval pour vous sauver, il faudra qu'il ait plus de quatre pattes pour le fourrer dans votre boîte de vi­tesse » ou « J'ai mis un compteur à mon embouchure » (pour dire qu'il se replie vers le silence). « C'est tout cousu main » était plus fréquent et plus immédiate­ment propre à la métaphore dans les années trente et le pamphlé­taire Nocher en usait souvent. Souvent liées à un passé déce­vant, ces formules nous gênent ; nous les reconnaissons, mais précisément elles nous isolent en portant leur âge et le nôtre, nous les ressentons en nous comme des fibres mortes. Et pourtant, sommes-nous dispensés de re­prendre en le renouvelant l'exem­ple de Claudel en ces années-ci, où la langue s'appauvrit et se déssèche, dans les clichés de maintenant ? Encore faudrait-il trouver le vrai terrain d'applica­tion. Il est des genres qui n'ad­mettent que le sublime, et où l'écrivain ne peut consentir, en vue d'une efficacité proche, à une future désuétude. C'est le cas des Psaumes. Le style naïf peut-il atteindre au sublime ? Certaines expressions de Claudel sonnent aussi faux aujourd'hui que le terme de « Saintes chan­sonnettes » chez Marot dans sa propre traduction. Le style de Claudel donne le sens de la dif­ficulté spirituelle plus que du tragique intérieur. Le style de la naïveté peut convenir aux thè­mes religieux jusqu'au moment où se fait sentir le vertige de la transcendance et la présence de l'Éternel. Le « nous sommes bien ici, plantons-y trois tentes » de saint Pierre n'est possible pour personne en ce monde, même pas pour le poète. Les Psaumes sont au sommet de la montagne, et il est difficile de paraître encore cheminer. Claudel à la recherche de la grandeur s'est appuyé sur l'exemple d'Eschyle ; mais la ru­desse des Psaumes est différente et l'indéniable effort spirituel du dramaturge grec ne se dégageait que lentement d'une fruste, ef­frayante et brutale mythologie. De plus les Psaumes sont ter­riens et montagnards et Claudel a un jour opposé une éthique de la Mer et des Vivants à l'éthique barrésienne de la Terre et des Morts. Il y a bien un côté pay­san de Claudel, dans l' « An­nonce faite à Marie », dans l' « Otage » ; mais ses instants de lyrisme solitaire s'accommo­dent mieux des perspectives ma­rines, et le Psalmiste se situe dans ce lyrisme solitaire. Le tex­te sacré consent rarement au monde riche et nuancé des eaux et des feuillages, il ne possède pas le théâtre multiple des hu­maines présences. Un grand poè­te, si anti-classique qu'il se pro­clame, arrive à une sorte de classicisme personnel en certaines œuvres ; mais l'auteur du « Sou­lier de Satin » pouvait-il trouver dans les Psaumes une authentique sublimation de son génie propre, malgré tout l'intérêt souvent puissant de ce recueil posthume ? J.-B. Morvan. 221:139 #### Michel Fromentoux : Le Pigeonnier Quarante années de décentralisation\ littéraire et artistique\ en Vivarais A Charles Foret qui l'entrete­nait de son projet, un libraire parisien demandait : « Mais qui donc ira se faire éditer à Saint-Félicien ? » « Nous verrons bien » répondit Foret. Nous avons connu trop d'expériences dites « culturelles » qui n'étaient au départ conçues que comme des « expériences », avec cette arriè­re-pensée qu'elles n'étaient pas destinées à durer. Mais quand on situe l'expérience à Saint-Félicien, c'est avec un capital de conviction que ne possèdent ni certaines initiatives parisiennes éphémères ou farfelues, ni des institutions officielles que nous connaissons bien. « Le Pigeon­nier », c'est le pays réel présent dans une « maison de la culture » qui est déjà et restera vraiment une maison ; et qui sera vraiment une culture. La réalité commence avec le matériau et l'outil, le papier et la presse ; les fonda­teurs du « Pigeonnier » étaient les descendants ou les amis de célèbres familles de papetiers du Vivarais, et quelques lignes de Charles Foret révèlent le technicien passionné, on pourrait pres­que dire le gourmet du papier : considération non dépourvue d'in­térêt en un temps où l'on oppose la technique à l'héritage. On songe à Plantin, aux imprimeurs humanistes de la Renaissance. « Papier est doux, il souffre tout » dit un Proverbe ; mais Mallarmé évoque aussi bien « le vide papier que la blancheur défend », et l'his­toire littéraire du « Pigeonnier » illustre en somme un aspect de l'honneur professionnel et litté­raire qui veut que le texte ne démente point la noblesse de la présentation. On alla se faire éditer à Saint-Félicien : Paul Bourget, Louis Le Cardonnel, les Tharaud, Maurras, Valéry, bien d'autres encore. Le projet révéla sa fécondité dans tous les do­maines : la poésie avec Charles Farot lui-même, Louis Pize, R. de Pampelonne, Louis Mercier, Lebrau, Flory, Jacques Reynaud, Chabaneix, et les poétesses Su­zanne Renaud, Amélie Murat, Mercédés de Gournay, Élisabeth Borione ; presque tous les genres littéraires, le théâtre nourri et animé par Ghéon, et même les gravures et peintures, les poteries et le Pavillon Forez-Vivarais de l'Exposition de 1937... L'étude de Michel Fromentoux est le pas­sionnant tableau d'un petit uni­vers balzacien où l'idéal triompherait sans compromissions. D'abondantes citations poétiques lui confèrent un charme prenant. Mais en plus des satisfactions esthétiques, il y a là une bonne leçon de méthode pour ceux qui se proposeraient de semblables activités : le nihilisme intellec­tuel a depuis longtemps sa stratégie : dans ce genre d'insti­tutions, ses habiletés paraissent se solder par un échec, sans doute parce que Bertolt Brecht ne nourrit pas. 222:139 On ne réussit qu'avec le meilleur : c'est encore un enseignement du « Pigeon­nier ». (Chez l'auteur, 20, rue Melchior de Voguë, 07 -- Anno­nay.) *J.-B. M.* #### Jacques Vier : Littérature à l'emporte-pièce (5^e^ série) (Éditions du Cèdre) Le travail du critique est de questionner la littérature, et par­fois de la tourmenter de manière nouvelle et imprévue. Faut-il tourmenter les auteurs, ou les textes, ou encore les uns et les autres ? Certains ont cru que, pour échapper aux fadeurs inef­ficaces de l'académisme, on de­vait user d'une inquisition policière digne de Kafka. Telle est la méthode d'Henri Guillemin, que M. Jacques Vier retrouve et discute à propos de Louis Racine ; comme j'aime à me ra­conter des histoires, je me sou­viens d'en avoir inventé une qui commençait ainsi : « Une nuit, Henri Guillemin se réveilla en criant, couvert d'une froide sueur : il avait lu, dans un cau­chemar, sa propre biographie écrite par Henri Guillemin... » Une autre méthode consiste à appliquer aux textes une vivisec­tion qui les réduit à des schémas assez semblables aux « formules développées » de la chimie ou aux équations de second degré c'est la critique structuraliste et, aussi allergique que M. Jacques Vier à l'inquisition biographique, je partage l'intérêt prudent qu'il manifeste à la deuxième formule, dans la phrase finale du livre qui choquera peut-être l'illusoire conservatisme littéraire de cer­tains : « Le nouveau roman, la nouvelle-critique le nouveau théâtre ne semblent guère avoir suscité que des ripostes d'éteignoirs ». Mais la « Litté­rature à l'emporte-pièce » nous ouvre une troisième voie, celle d'un empirisme médité dans le renouvellement et la variété des perspectives d'appréciation : on trouvera ainsi, pour la « Princesse de Clèves », une analyse ; pour Léon Bloy, une exégèse gramma­ticale ; Sade justifie une cer­taine attitude pamphlétaire, dont les lecteurs d' « Itinéraires » se souviennent. La dispersion n'est souvent qu'apparente, et les des­tinées tragiques de Brasillach et de Camus, étudiées successive­ment, peuvent offrir des sujets communs de réflexion. Un trip­tyque associe expressément Mas­sis, Thérive et Bernard Faÿ. Une haute et saine conception de la pensée religieuse nous oriente à travers Chateaubriand et Lamennais, comme à travers saint François de Sales et Louis Racine, Marie Noël et Michel de Saint Pierre. 223:139 On connaît les for­mules pittoresques et percutantes de M. Jacques Vier : elles sont en fait un supplément de mé­thode d'appréciation ; ce n'est pas tout d'appeler un chat, un chat : il faut le faire avec art. L'art consiste à éveiller une hu­meur qui est le plus souvent de la bonne humeur ; elle met en appétit, permet de goûter l'œuvre autrement qu'en dégustateur bla­sé, et sans la présenter comme un pot de confiture. Je ne suis pas, je l'avoue, encore tout à fait convaincu des mérites de Louis Racine, ni d'un ou deux contem­porains ; mais ces chapitres ne m'intéressent pas moins que les autres. Une familiarité allègre anime cette « Littérature à l'em­porte-pièce » dont le titre un peu provocant correspond en fait à une vraie cure de rajeunissement pour nous autres, lecteurs invé­térés. *J.-B. M.* #### M. C. Pédrazzini et J. Griès : Autant en emportent les mots (Robert Laffont) Les mots d'esprit sont si bien considérés comme une des for­mes caractéristiques de l'esprit français que, sans collectionner tous les recueils d' « ana » il est bon d'en avoir un dans sa bibliothèque, et celui-ci est assez satisfaisant : Ces productions de l'esprit sont sans doute futiles, parfois indécentes, mais elles posent bien des problèmes im­portants. Il est assez curieux de constater par exemple avec quelle facilité les bons mots échappent à la propriété de leurs auteurs s'ils ne sont pas imprimés ; et même s'ils sont publiés assez tôt, avec quelle difficulté on peut les attribuer à coup sûr à tel ou tel personnage. Le plagiat est cou­rant ; parfois il est inconscient ; pas toujours et l'on raconte que Talleyrand possédait un bon ar­senal de mots antérieurement formulés, sans doute oubliés mal­gré leur réunion en un ou plusieurs volumes. En cette matière on ne se fait guère scrupule d'appliquer la phrase de Molière « Je prends mon bien, où je le trouve » ; et Talleyrand pouvait fournir la mise en scène historique d'une situation mémorable. Les mots comiques semblent bien moins appartenir à leurs auteurs que les mots profonds ou tragiques ; peut-être qu'on ne tient guère à reprendre ceux-ci : ils brûlent les mains. Qui donc oserait re­prendre « Madame se meurt, Ma­dame est morte » ? En littéra­ture une certaine souffrance, une certaine épreuve au moins, sanc­tionne la propriété. Le mot co­mique semble toujours avoir été déjà prononcé : est-ce parce qu'il appartient déjà trop au public, parce qu'il est tellement fait pour ce public qu'il est comme hypo­théqué ? 224:139 La facilité nécessaire à un contact instantané avec l'auditeur mondain marque le mot le plus raffiné d'une frivolité démagogique et un peu servile et le lecteur des recueils a l'im­pression humiliante d'écouter aux portes malgré lui. Ce genre a triomphé au XVIII^e^ siècle au point qu'on fit des bons mots jusque sur l'échafaud : c'eût été un beau sujet de réflexions pour un Pascal ; et le calembour où excellait le Marquis de Bièvre a de nos jours tenté les psychana­lystes. Comment faire la part des motivations subconscientes, de l'emprise sociale, ou bien en­core des réflexes défensifs, des sensibilités dissimulées sous le masque agressif ? La belle épo­que du mot d'esprit est aussi le temps du préromantisme. La langue, la meilleure et la pire des choses... On ne peut exalter sans mesure les mots d'esprit, ni se dissimuler leurs aspects douteux ; mais dans les périodes comme la nôtre qui ne paraissent point en être fertiles, on ne peut se défendre de quelque inquiétude. Le mot d'esprit suppose une cen­sure intérieure, et toute censure suppose des principes et une fa­culté critique ; si l'on ne se sou­cie plus de piquer les sensibilités, n'est-ce point parce que l'indifférence et le cynisme ambiant les ont hébétées et neutralisées ? Qu'est devenue aussi une certaine agilité d'esprit, une attention portée au langage, qualités sen­sibles à travers ces propos d'un charme équivoque et qui procu­rent une stimulation même si on les écoute comme un bavardage pittoresque en fond sonore ? *J.-B. M.* #### Abbé Louis Preuvot : Le Cantique des Cantiques Cette traduction en vers inté­resse d'abord par la grâce du style et la spontanéité des images con­servées dans l'alexandrin fran­çais, tout particulièrement pour l'immortelle évocation du retour du printemps, texte qu'on aime­rait à voir figurer dans les antho­logies scolaires au même titre que l'éloge de l'Attique dans So­phocle, les fraîches visions cham­pêtres des « Oiseaux » d'Aris­tophane et le « Solvitur acris hiems » d'Horace. Mais la Bible est ignorée ; il est vrai que les Grecs et les Latins seront bien­tôt oubliés... Les images bibliques sont sans doute, ici ou là, d'un ly­risme surabondant et d'un choix parfois surprenant que le traduc­teur ramène à un peu plus de so­briété ; on espère d'ailleurs que le travail du patient artisan et de l'homme de goût sera conve­nablement apprécié. Mais l'inten­tion dépasse l'effort littéraire, mê­me conçu d'après un texte scrip­turaire : comparant le « Canti­que des Cantiques » au Psaume 45 conçu également sous la forme d'un hymne nuptial, M. l'abbé Preuvot souligne fortement en son préambule l'importance et la né­cessité de l'interprétation mys­tique, que le Psalmiste met plus fortement en lumière. 225:139 Je me suis toujours demandé si l'hypercritique, théoriquement neu­tre, ne serait pas matérialiste par essence, mécaniste dans ses ap­plications, et toujours déficiente en poésie (sans parler même de la religion). Elle devait néces­sairement penser que dans ces deux œuvres qui font appel à l'opulente symphonie de la grâce féminine, des fruits, des plantes, des parfums et des métaux précieux, une compréhension mysti­que ne pouvait être que gratuite, artificiellement surajoutée : en somme, qu'elle était une sorte de tentative désespérée pour trans­poser dans le domaine de l'amour divin ce qui n'était que voluptés humaines : Dans l'ordre intel­lectuel, un aveugle vient au se­cours d'un autre aveugle, et le psychanalyste matérialiste arrivé à la rescousse ne manquerait pas d'ajouter que l'amour divin n'est que le « transfert » de l'amour humain en une illusion sublimée. Encouragé par la tentative poé­tique de M. l'abbé Preuvot, j'es­quisserais volontiers d'après le « Cantique des Cantiques » un renversement du problème, et à partir de la poésie, une contre-critique interne. L'évocation sensuelle de la beau­té, la splendeur efflorescente d'images ne suffit point à rendre compte de l'émotion poétique ; il faut encore tenir compte de cette agitation inquiète, fiévreuse qui circule à travers des thèmes amoureux nuancés et assez di­vers pour créer une unité pa­thétique. Les différents motifs sont comparables à des refrains, des bribes de chansons entendus jadis dans une soirée radieuse, et qu'une âme retrouve pour il­lustrer une quête plus générale et plus essentielle qu'une simple fic­tion passionnelle : des reflets multiples de l'amour orchestrant une passion unique et profonde. Les forêts, les vents, les cimes lointaines et tutélaires des monta­gnes, le dessin du terroir natal proposent à l'âme une contempla­tion admirative, agrandissant à l'infini les perspectives de l'amour. Dans les éclatantes allégresses d'un printemps champêtre transparaît l'appel à une protection puissante et suprême, à une justi­fication éternelle du sentiment. Plus il est précieux (et tout le cadre l'invite au sublime) plus il se sent menacé au cœur mê­me du bonheur : vexations et insultes agitent le rêve de la fiancée, ainsi que l'angoisse éper­due d'une vaine errance à tra­vers la ville ; d'une recherche af­folée de l'être aimé. Cette dialec­tique du bonheur et de l'anxié­té, n'est-ce pas l'élément le plus profond ? L'amour n'en serait-il pas la cristallisation et le lyrisme de la passion n'en offre-t-Il pas le véhicule commode, tradition­nellement littéraire, à tous ac­cessible ? Il n'y a point de médi­tation sur l'amour qui se dispen­se de l'inquiétude : « Ton amour taciturne et toujours menacé » ainsi Vigny conclut-il la « Mai­son du Berger ». Dans le « Can­tique », il n'est point taciturne. Rien de janséniste ici, ni de bau­delairien malgré l'abondance des « correspondances » suggestives du domaine sensible, car il ne s'y mêle pas ce venin aigri trop souvent pris pour l'esprit de mor­tification. L'Épouse n'a pas à gé­mir quand l'Époux est avec elle ; l'âme est heureuse, mais in­quiète : telle est l'humaine con­dition. 226:139 Mais les chants voluptueux du « Cantique » ? Le mot d' « éro­tisme », tellement à la mode, ne conviendrait-il pas à certains ver­sets ? Je ne le crois pas, car il ne s'agit point d'une aspiration voluptueuse qui s'enfermerait en elle-même comme en une prison. L'idée fixe de l'amour peut de­venir obsessionnelle, sensuelle­ment névrotique ; elle est alors cancéreuse et, littérairement, re­pousse les idées au lieu de les attirer ; l'érotisme croit trouver l'essentiel de l'humain et le perd. Quand cette idée centrale cher­che son aboutissement idéal et profond, elle attire, concentre, et compose les thèmes de la mé­ditation philosophique, du paysa­ge, de l'anecdote ; elle peut alors, sous des formes platoniciennes et pétrarquistes, paraître laborieuse et forcée. Enfin, s'il est placé sous le regard de l'Éternel, l'amour peut, comme dans le « Cantique des cantiques » être juvénile et provocant : mais une immense capacité d'invocation et d'accueil le rend sensible à tout l'univers traversé par les souffles du ciel ; Il échappe à la prison des égoïs­mes, et la chanson de la « petite sœur » et de la « Vigne de Salo­mon » me semblent entrer dans cette farandole de bonheur où l'âme essaye de rassembler tou­tes les images de sa vie. L'exu­bérance vitale y gagne une sorte d'ingénuité : paradoxe, cas ex­trême, sans doute ; une harpe touchée par une poésie seulement humaine eût-elle pu réussir un tel chant sans l'avilir ? Referait-on le « Cantique des Cantiques » à la seule gloire de la passion humaine sans que les images poétiques ne prennent le carac­tère artificiel d'une archéologie plaquée ? Qui sait si le fond de la question n'est pas une postula­tion métaphysique incluse dans toute œuvre littéraire -- même comique au besoin -- et à laquel­le la littérature se doit de répon­dre au moins quelque peu, à la­quelle elle ne saurait mentir ou renoncer sans déchoir et sans s'exténuer ? (Chez l'auteur, curé d'Abresch­viller -- 57). *J.-B. M.* 227:139 ## DOCUMENTS ### La licéité de la nouvelle messe Dans les « Documents » d'un précédent numéro, nous avons reproduit les réponses que l'abbé Georges de Nantes apportait à la question : -- *La nouvelle messe est-elle valide ?* (voir ITINÉRAIRES, numéro 137 de no­vembre 1969, pages 322 à 326). L'abbé Georges de Nantes a ultérieurement répondu à la question : -- *La nouvelle messe est-elle licite ?* Voici ses réponses à cette seconde question ([^52]). \*\*\* L'abbé de Nantes pose la question en ces termes : « A supposer que les rites nouveaux n'altèrent pas *nécessairement* l'essence même du Saint-Sacrifice, étant bien entendu que nous voulons célébrer selon l'inten­tion de l'Église de toujours et dans son obéissance, nous est-il permis en conscience de suivre l'Ordre nouveau de Paul VI, ou cela nous est-il interdit par la loi morale ? Ou encore : nous est-il permis moralement de célébrer selon l'un et l'autre rit indifféremment ? » 228:139 Puisque « ce rit n'est pas matériellement inva­lide » ([^53]), « tout sera cas d'espèce, selon la connaissance et le degré de liberté de chacun ». L'abbé de Nantes distingue trois cas, selon trois types ou classes de prêtres. **1. -- **PREMIÈRE CLASSE : « Cette grande masse de prêtres (et d'évêques ?) de vocation droite et ferme qui, depuis dix ans, ont renoncé à rien comprendre de tout cet aggiornamento, du trafic qui se manigance en dehors d'eux, en liturgie, en morale, en théologie dogmatique et en catéchèse. » « Ces prêtres (ces évêques) se reconnaissent publi­quement, ou dans leur for intérieur, intellectuellement *incapables de discerner* en toutes ces réformes le vrai du faux, le bien du mal, le fruit des inspirations divines des œuvres du Mauvais. » Pour continuer leur minis­tère, ils ont décidé d' « obéir aveuglément » et de « s'ali­gner inconditionnellement ». Ils sont la grande masse du clergé catholique : « La très grande majorité des prêtres du monde entier obéira, une fois encore, à la volonté absolue, im­placable du Pape, le constituant lui seul responsable devant Dieu pour eux tous du bien ou du mal qui décou­lera de cette Réforme. » A tous ceux-là, tels qu'ils sont, l'abbé de Nantes déclare : -- *Vous n'avez qu'à suivre. Vous ne pouvez rien faire d'autre, du moins tant que là-haut les évêques et cardinaux romains n'auront pas bougé.* 229:139 **2. -- **SECONDE CLASSE : le groupe des prêtres éclairés mais de conscience douteuse. « Ils ont lu, se sont enquis des divers avis, ont réflé­chi et sont arrivés à la conclusion que le nouvel Ordo est équivoque, incertain, suspect. Ils hésitent sur un devoir qui, pour eux, n'est pas clair. Par exemple, les démonstrations du *Courrier de Rome* sur la quasi sup­pression luthérienne de l'Offertoire les ont inquiétés, et les articles de Nobili dans *L'Homme nouveau* ne les ont pas entièrement apaisés... Dans le doute, la force de la décision pontificale et le consentement unanime (comme toujours !) de l'épiscopat français leur font résoudre le cas par l'obéissance, mais non sans scrupule. » Deux cas parmi ceux-là : a\) « Aux uns, la soumission me paraît permise mora­lement ; elle est même la solution la plus sûre pour eux. Faute de claire certitude et de vraie liberté de choix, l'obéissance religieuse l'emporte sur toute autre consi­dération. Je m'oppose à ce désordre plus grand que cherchent les aventuriers et activistes de toujours, de pousser les hésitants, pour faire nombre, dans une déso­béissance qui prenne l'allure d'une injuste et folle révolte. » b\) « A d'autres, je dis qu'*ils n'en seront pas quittes avec d'honorables doutes soigneusement dissimulés.* Une conscience douteuse a pour premier devoir d'éclairer sa religion afin de connaître parfaitement la volonté de Dieu et la suivre entièrement. Ils pourront adopter la Nova Missa, mais seront tenus d'exprimer leurs inquié­tudes à leurs Supérieurs ordinaires et à l'Auteur de la loi. Ils pécheraient en cessant d'en débattre en vue de se justifier eux-mêmes de leur pratique. Leur soumis­sion les met en position très forte pour demander et obtenir des éclaircissements nets de la part des auto­rités auxquelles ils se sont soumis. » 230:139 « Et si l'un de ces prêtres reçoit pour salaire de son obéissance la charge de l'épiscopat, voire le cardinalat, qu'il se souvienne alors de ses frères demeurés dans la servitude de l'obéissance aveugle, pour les délivrer par de courageuses prises de position ! » **3. -- **TROISIÈME CLASSE : « Le petit nombre de prêtres parfaitement éclairés. » Ceux-ci sont « la meilleure part du clergé » : « car il faut dénier à ceux qui mettent l'obéissance au-dessus de tout, et même de la foi, de l'espérance et de la cha­rité, autant qu'à ceux dont le zèle réformateur et nova­teur est enthousiaste, d'être des modèles de prêtres catholiques romains ». « Bien des prêtres capables et de vertu éprouvée ont étudié les rites nouveaux dans leur rapport aux anciens ; ils ont pesé les raisons officielles et officieuses apportées à ces changements ; ils ont supputé leurs con­séquences pour eux et pour le troupeau confié à leurs soins... Et ils ont conclu qu'on voulait une nouvelle fois, mais de l'intérieur et d'en haut, « détruire la Messe papiste ». Ces prêtres (et évêques, et cardinaux) ont le devoir absolu de s'opposer à l'instauration de la Messe de Paul VI, *mais dans la mesure où cela leur sera pos­sible et convenable.* » Ici encore, et pour ceux-là aussi, l'abbé Georges de Nantes distingue deux cas. Il remarque en effet qu'aujourd'hui l'Église est « gou­vernée comme une démocratie populaire » : c'est-à-dire que tout prêtre désormais, « si savant, si apôtre, si saint qu'il soit » est exposé à être « dénoncé, fiché, écarté et enfin rejeté » par la camarilla ecclésiastique qui détient le pouvoir. 231:139 Dans cette situation donc, et par prudence surnatu­relle, voici les deux cas à distinguer : a\) « A certains encore je conseillerai de se soumettre, malgré la claire conscience qu'ils ont du caractère pernicieux de cette réforme. Cela pour leur éviter d'être aussitôt destitués de leur charge et aussitôt remplacés par quelque progressiste (...). S'ils hésitent à dissimuler ainsi, je leur rappellerai qu'il est moralement permis d'obtempérer au for externe à une loi mauvaise, du mo­ment qu'elle ne commande pas un acte intrinsèquement immoral. » b\) « La minorité de la minorité, enfin, préférera obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. » « Ceux-là n'ont pas besoin de mes conseils. Ils marchent au martyre : le pire qu'un prêtre puisse concevoir et ne point fuir, celui qu'il recevra de ses propres pères et frères dans la foi et dans le sacerdoce. « Vous n'en sortirez pas vivants. Mais votre martyre démontrera leur satanisme. » \*\*\* En tête du même numéro de la *Contre-Réforme catholique,* l'abbé Georges de Nantes cite un texte sai­sissant : « *Le Jeudi Saint 13 avril 1525, le Vendredi Saint et le Jour de Pâques, sous les voûtes éton­nées du Grand Münster, le culte se déroula selon un ordre absolument neuf. L'allemand bannissait entièrement le latin de la liturgie.* 232:139 *Les chœurs ne chantaient plus. Seules s'élevaient à l'entrée du chœur les voix de Zwingli et des deux prêtres qui l'assistaient, récitant alternativement des textes tirés des Psaumes ou du Credo. Par moments, la foule qui se pressait dans la collé­giale les soutenait par des répons : Dieu soit loué, Amen ou encore, agenouillée, récitait avec eux le Notre Père. La cène remplaçait la messe.* « *Les espèces du saint repas reposaient sur une table ordinaire. Zwingli officia face à l'assem­blée, au lieu de rester, comme dans la liturgie romaine, tourné vers l'autel. Des acolytes distri­buèrent ensuite le pain dans les bancs des fidèles, qui prirent eux-mêmes dans leur main un mor­ceau et le portèrent à leur bouche. La coupe, apportée de même, circula ensuite d'un com­muniant à l'autre. Zwingli avait tenu à ce que le vin repose dans des calices de bois, afin de répu­dier ouvertement tout faste.* « *Ces sensationnelles innovations rencontrèrent peu d'opposition. La facilité avec laquelle l'Église se sépara d'une tradition séculaire fut confon­dante. Pendant plusieurs années, les partisans de l'ancienne loi furent autorisés à se rendre le dimanche dans des territoires voisins où ils retrouvaient les vêtements sacerdotaux, l'encens, le Kyrie eleison, le Gloria, la confession, disparus des sanctuaires zurichois. Quand les relations entre Confédérés se tendirent, peu après le pas­sage de Berne à la Réforme en 1528, la tolérance tomba. *» Ce texte, l'abbé de Nantes le commente notamment dans les termes suivants : 233:139 « L'angoisse religieuse nous étreint à lire aujourd'hui ce récit du livre de Jean Rilliet *Zwingle, le troisième homme de la Réforme* (1959). Notre éminente amie, l'his­torienne Marie-Madeleine Martin, qui me le commu­nique, décèle à de nombreux signes dans toutes les inno­vations actuelles une imitation servile de la réforme zwinglienne, Zwingle, « le plus radical des Réforma­teurs » nous écrit-elle... » « Un immense bouleversement autoritaire, extraordi­nairement concerté mais dissimulé, progressif mais étonnamment rapide ajuste l'Église Catholique Romaine à la Réforme protestante et, au-delà, à l'Humanisme rationaliste et romantique qui caractérise l'esprit mo­derne. » « *La lettre des Cardinaux* Ottaviani et Bacci exprime la pensée du clergé romain : vingt cardinaux devaient la signer. Ils n'ont pas osé ou n'ont pas pu. *Mais l'Église universelle croit ce que croit Ottaviani.* Tous à Rome savent quelle est la folie de Bugnini et s'étonnent du pouvoir absolu laissé à cet homme de mettre en coupe réglée le trésor sacré de la Liturgie. » 234:139 ## AVIS PRATIQUES #### Le Catéchisme de S. Pie X est épuisé : leçons à en tirer, disposition à prendre. Nous avions fait une édition complète du *Catéchisme de S. Pie X*, comprenant en un seul volume de 400 pages : -- Notions préliminaires. -- Petit catéchisme. -- Grand catéchisme. -- Instruction sur les fêtes. -- Petite histoire de la religion. C'est notre numéro 116 de septembre-octobre 1967. Ce numéro, maintenant, est complètement *épuisé.* La revue ITINÉRAIRES n'est pas une maison d'édition et n'a pas les moyens matériels de rééditer indéfiniment ses propres publications. Au demeurant, *cela n'est ni dans sa fonction, ni de sa responsabilité.* La revue ITINÉRAIRES est au service de ses abonnés sous le rapport de leur bien commun. Notre tâche est de fournir *à nos abonnés,* pour autant que nous le pouvons, ce qui leur est utile. Nous leur avons fourni le *Catéchisme de S. Pie X* dès le mois d'octobre 1967, c'est-à-dire à un moment où quasi­ment personne ne prenait encore suffisamment au sérieux l'évolution catastrophique du catéchisme : Les abonnés d'ITINÉRAIRES n'ont eu aucune difficulté, aucune peine ni rien à débourser pour se procurer le *Caté­chisme de S. Pie X* et le *Catéchisme du Concile de Trente :* l'un et l'autre leur ont été fournis automatiquement ; et « gratuitement », c'est-à-dire au titre de leur abonnement, sans avoir à faire aucun versement supplémentaire (bien que le premier comporte 400 pages, et le second 584). 235:139 A ceux qui déplorent de ne l'avoir pas su, et de n'avoir pu acheter le *Catéchisme de S. Pie X* quand nous en avions encore quelques exemplaires, c'est l'occasion de faire remarquer trois choses : **1. -- **Ils n'ont pas su : mais ils auraient su s'ils avaient été abonnés à ITINÉRAIRES. Nos abonnés trouvent, groupées dans la revue, un ensemble d'informations qu'ils ne trouvent pas ailleurs, ou qu'ils ne trouvent ailleurs que fragmentairement, -- ou que trop tard ! Ils trouvent dans la revue, en temps utile, les informations et la documen­tation qui sont *réellement* les plus importantes, même si cela ne leur paraît pas tel sur le moment. -- Dans l'affo­lement actuel, certaines publications ont mentionné... en 1969 que la revue ITINÉRAIRES avait réédité le *Catéchisme de S. Pie X*... en 1967 ! **2. -- **Ce qui s'est produit hier se reproduira demain. *Le plus sûr est de s'abonner* à la revue ITINÉRAIRES, *pour être au courant de l'essentiel. --* La même chose va se passer pour le *Catéchisme du Concile de Trente,* que tous nos abonnés ont reçu : c'est notre numéro 136, il sera bientôt épuisé. Ceux qui n'étaient pas abonnés au moment de sa parution peuvent encore nous le commander (25 F franco l'exemplaire). Ceux qui ne lisent pas ITINÉRAIRES n'auront souvent même pas su que nous avons réédité le *Catéchisme du Concile de Trente :* ils l'apprendront par hasard, dans plusieurs mois, quand il sera épuisé à son tour. Nous n'y pouvons rien. Nous sommes responsables seulement de l'information, de la documentation fournie *à nos abonnés. --* Mais nos abonnés sont responsables à l'égard de leurs proches : ils ont à leur montrer -- ce qui est extrêmement facile -- combien il est *utile* d'être abonné à ITINÉRAIRES. **3. -- **On pourra toujours trouver le *Catéchisme de S. Pie X* auprès de nos abonnés de 1967 ; on pourra le consul­ter ou l'emprunter dans les bibliothèques des CLUBS ITINÉ­RAIRES localement constitués sous l'égide des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES. -- Il devient de plus en plus important et urgent que ces bibliothèques, que ces clubs soient consti­tués partout où cela est possible. 236:139 Il y en a peut-être déjà dans votre ville sans que vous le sachiez ; ou bien il y en aura quand *vous* qui lisez ces lignes en ce moment, vous aurez pris l'initiative d'en constituer. Renseignez-vous là-dessus : en écrivant au siège central des COMPAGNONS D'ITI­NÉRAIRES, 49, rue des Renaudes, Paris 17°. \*\*\* En théorie (et chimériquement) nous aurions pu éditer un très grand nombre de *Catéchismes de S. Pie X* et de *Catéchismes du Concile de Trente* pour les mettre à la dis­position, pendant des années, de l'ensemble des populations francophones. Mais nous ne sommes pas une maison d'édition. Nous n'avons pas de capitaux. Nous n'avons pas de réserves financières. Nous n'aurions pu payer (tout de suite) d'énormes factures d'imprimerie pour des centaines de milliers d'exemplaires qu'on nous aurait achetés (ensuite) dans trois ou quatre ans... Nous n'aurions même pas la place (les locaux) pour entreposer de tels stocks. -- Bref, si nous le tentions, nous ferions faillite, et le seul résultat en serait qu'il n'y aurait plus de revue ITINÉRAIRES. Ce n'est donc point par égoïsme ou par indifférence, mais par nécessité, que nous devons nous limiter *au ser­vice de nos abonnés*. Mais tout le monde et n'importe qui peut bénéficier de ces services : en s'abonnant. Nous pouvons dire et nous pouvons faire remarquer que la somme des services intellectuels, moraux, docu­mentaires rendus par la revue ITINÉRAIRES à ses abonnés est absolument *sans équivalent* en langue française. A chacun donc de décider s'il veut pouvoir en bénéficier : en s'abonnant ; ou s'il trouve que c'est trop cher, ou inutile... Répétons que nous ne sommes pas éditeurs ; nous édi­tons seulement une revue mensuelle, qui est ce qu'elle est ; point parfaite assurément : si vous trouvez mieux ail­leurs, allez-y tout de suite. Mais si vous avez mesuré l'im­portance des services que la revue ITINÉRAIRES rend à ses abonnés, alors rendez vous-même à votre prochain le ser­vice de l'abonner ou de le faire s'abonner. Abonnez vos prêtres ! Vos prêtres d'abord ! Avez-vous vérifié s'ils sont tous abonnés ? Abonnez-les, sous la seule réserve, qui va de soi, et qui est obligatoire, de leur consentement préa­lable. 237:139 Non, ce n'est point par indifférence aux autres que nous nous limitons au *service de nos abonnés*. C'est par la nécessaire application de ce principe de bon sens mis en lumière par Henri Charlier : « *Un charretier qui, pour obliger un voisin, veut transporter une matière dont il connaît mal la densité, puis verse en chemin ou crève son cheval, ne sauve rien du tout, ne passe pas pour un héros mais pour un imbécile. *» Nous ne pouvons ni faire fabri­quer ni entreposer des stocks innombrables de chacune de nos publications, pour les vendre quelques années plus tard à ceux qui s'aviseraient après coup de leur existence et de leur utilité. Nos publications sont destinées à tous ceux qui étaient abonnés avant leur parution : il ne peut pas en être autrement. \*\*\* Il en sera de plus en plus ainsi même pour nos divers « numéros spéciaux », « suppléments » et « tirés à part ». Nos abonnés connaissent leur existence -- et le plus souvent les reçoivent automatiquement -- en temps utile. Sur le moment, il en existe en général des exemplaires supplémentaires que l'on peut nous commander. Mais *le plus simple et le plus sûr est d'être* PERSONNELLEMENT *abonné*. Faites-le comprendre autour de vous. Cette situation va s'aggraver de toutes les manières et pour beaucoup de raisons. Les conditions économiques qui sont faites à la presse, à l'édition, à la diffusion de l'imprimé deviennent de plus en plus sévères. Ces conditions sont établies par les plus riches et les plus puissants, et à leur profit, dans une inten­tion de commerce ou de domination ; elles visent directe­ment ou indirectement à asphyxier économiquement les entreprises qui demeurent indépendantes de la finance et du pouvoir. 238:139 Il est vraisemblable que nous serons de plus en plus amenés à *limiter nos tirages au nombre de nos abonnés* c'est-à-dire à diminuer radicalement et même à supprimer le tirage supplémentaire qui était fait à l'intention de ceux qui voulaient se procurer après coup nos supplé­ments et nos numéros spéciaux. Nos abonnés seront ainsi *de plus en plus des privilégiés* nous ne pouvons pas faire autrement. Mais ils ne consti­tuent pas une caste fermée : n'importe qui peut y entrer, en s'abonnant. Il est donc important et urgent, répétons-le, de cons­tituer localement des *bibliothèques* qui pourront entre­poser au moment de leur parution et *prêter* par la suite, quand ils seront épuisés, nos tirés à part, suppléments et numéros spéciaux, et même les numéros ordinaires. Cela va devenir de plus en plus indispensable aux cercles d'études et groupes de travail. Vous êtes avertis. Vous êtes responsables. ============== fin du numéro 139. [^1]:  -- (1). Selon le témoignage du chanoine André Boyer dans la revue Catéchèse, numéro 29, page 401. [^2]:  -- (2). Lettre de saint Pie S au cardinal Pierre Respighi, le 14 juin 1904. [^3]:  -- (1). Mot attesté par le chanoine André Bayer, loc. cit., page 402. [^4]:  -- (1). Que le monde actuel ait été atteint *d'abord* par l'affaiblisse­ment ou la perte de *l'espérance* surnaturelle, voir à ce sujet notre ouvrage : *La vieillesse du monde,* pages 212 et suivantes. [^5]:  -- (1). Pour établir que le numéro 55 ne suffit pas à corriger ce numéro 54, nous renvoyons le lecteur à l'analyse théologique parue en tête *de La Pensée catholique,* numéro 122. [^6]:  -- (1). Discours du 19 novembre 1969. [^7]:  -- (1). Cette affirmation de son article de *L'Osservatore* romano du 20 novembre 1969, M. le secrétaire Hannibal Bugnini l'a réitérée (sans l'améliorer) en conclusion de son article de *L'Osservatore romano* du 29 novembre. [^8]:  -- (1). Voir l'éditorial de notre numéro précédent : numéro 138, pages 13 et suiv. [^9]:  -- (2). *Fonds obligatoire. Catéchismie français du cours moyen :* page 143. [^10]:  -- (1). Voir *Le Monde* du *29* novembre *1969 et Le journal la croix* du 1^er^ décembre. [^11]:  -- (1). Constitution conciliaire sur la liturgie, numéro 36. [^12]:  -- (2). Discours du 26 novembre 1969. [^13]:  -- (3). Constitution citée, numéro 116. [^14]:  -- (4). Discours du 26 novembre 1969. [^15]:  -- (5). Même discours. [^16]:  -- (1). Texte intégral de cette lettre dans ITINÉRAIRES, numéro 138 de décembre 1969, pages 22 à 24. [^17]:  -- (2). Numéro 136 de la revue ITINÉRAIRES. -- Il existe une sorte de petit *Dentziger* (recueil des textes doctrinaux du Magistère) en traduction française : *La foi catholique,* recueil traduit et présenté par Gervais Dumeige, réédité aux éditions de l'Orante en 1969 ; les décrets du Concile de Trente sur le saint sacrifice de la messe y figurent aux pages 414 à 419. [^18]:  -- (1). Numéro 116 de la revue ITINÉRAIRES. Ce numéro est épuisé. [^19]:  -- (2). La Pensée *catholique,* numéro 122. Le numéro : 7,50 F. franco à l'adresse : 13, rue Mazarine, Paris VI^e^. -- A la suite, dans le même numéro, une « consultation » sur le même sujet donnée par « un groupe de canonistes ». -- On pourra bientôt se reporter aussi à une traduction française du *Breve esame critico del novus Ordo Missae* qui a été approuvé par le cardinal Ottaviani et présenté par lui à Paul VI. [^20]:  -- (1). Encyclique *Mediator Dei.* Tome I de « La liturgie » dans la collection des « enseignements pontificaux » par les Bénédictins de Solesmes : pages 371-372. [^21]:  -- (1). *Osservatore romano* du 27 novembre 1969. -- *La Croix* du 28 novembre n'a donné de ce passage qu'un résumé incorrect, inexact et incomplet. Voici donc, tel qu'il a paru dans *L'Osservatore romano*, le texte italien de ce passage : « *I sacerdoti che celebrano in latino, in privato, o anche in pubblico : per i casi previsti dalla legislatione, possono usare, fino al 28 novembre 1971, o il Messale romano o il rito nuovo. Se usano il Messale romano possono peso servirsi delle tre nuove anafore e del Canope Romano con gli accorgimenti previsti nel testo ultimo* (*omissione di alcuni Santi, delle conclusioni, ecc.*). *Possono inoltre dire in vulgare le letture e la pregheira dei fedeli *». [^22]:  -- (1). Discours du 26 novembre 1969. [^23]:  -- (1). Édité par l'ATELIER DOMINIQUE MORIN (27, rue Maréchal Joffre, 92 -- Colombes ; C.,1C.P. Paris 82.86.87). L'ouvrage : 19,50 F franco. [^24]:  -- (2). Voir l'éditorial : « Le livre de la résistance », dans ITINÉRAIRES, numéro 118 de décembre 1967. [^25]:  -- (1). *Figaro* du 1^er^ décembre 1969. [^26]:  -- (1). « *Traducibile nella sua conversazione profana*. » Discours du 26 novembre 1969. [^27]:  -- (1). Propos entendu, publié et attesté par Louis Salleron : cf. ITINÉRAIRES, numéro 138 de décembre 1969, page 6. [^28]:  -- (1). Entre autres, *Pensée catholique* n° *122 et Courrier de Rome* depuis le n° 49. [^29]:  -- (1). Jean Ousset. [^30]:  -- (1). Jean Ousset. [^31]:  -- (1). *Méconnu*, par F. Montgommery (traduit de l'anglais) Lettre de la Péraudière -- Janvier 69, [^32]:  -- (1). *Méconnu*, par F. Montgommery (traduit de l'anglais). Lettre de la Péraudière -- Janvier 69. [^33]:  -- (2). *Énéide* I, 319 etc. [^34]:  -- (1). *Énéide* I, 402 et suiv. [^35]:  -- (1). *Jaime Castillo : Les sources de la démocratie chrétienne.* [^36]:  -- (1). Ricardo Boizard. [^37]:  -- (1). La Moricière (1806-1865) : ancien officier des Zouaves d'Afrique, vainqueur d'Abd et Kader, La Moricière fut sollicité de prendre la tête des armées pontificales par Mgr de Mérode, Pro-Ministre des armes de Pie IX. Il accepta, sans hésitation, de lier son nom et son prestige à une inévitable défaite. [^38]:  -- (2). Charette (1832-1911) : petit neveu du général vendéen, sa mère l'accoucha secrètement pendant le soulèvement organisé par la Duchesse de Berry en Vendée. Cadet à Turin, puis officier à Modène, il devint colonel dans l'armée de Pie IX, avant de devenir général des volontaires de l'Ouest pendant la guerre de 1870. Le 1^er^ décembre 1870, à la bataille de Loigny (Eure-et-Loire), il arbora la Bannière du Sacré-Cœur. Fut, après la guerre, l'un des chefs du parti royaliste. [^39]:  -- (3). Ces notes ont été rédigées, hormis la partie historique officielle, à l'aide des archives du général de Charette, ancien colonel des Zouaves Pontificaux. Nous nous excusons donc, par avance, de le citer de multiples fois. [^40]:  -- (4). Duc de Parme : descendant de Philippe V d'Espagne, ancien Duc-Souverain de Parme avant l'unité italienne, et père de l'actuel Prince Xavier de Bourbon-Parme. [^41]:  -- (5). Le Comte de Chevigné faisait partie de l'entourage du Comte de Chambord avec le titre de gentilhomme d'honneur. [^42]:  -- (6). Kanzler : d'origine Badoise, il fut nommé en octobre 1865 aux fonctions de Ministre des armes et de général en chef de Pie IX. C'était un brave gros militaire allemand, un peu lourd, mais bon organisateur et profondément dévoué au Saint-Siège. Il mourut Rome au début du règne de Léon XIII. [^43]:  -- (7). Lui-même ancien Zouave Pontifical. [^44]:  -- (8). Nantais, comme La Moricière et Charette, Mgr Daniel avait obtenu de quitter son diocèse pour servir en qualité d'aumônier dans l'armée pontificale. Demeuré à Rome après 1870, il y fut toujours le représentant officieux, mais avisé, des anciens soldats du Pape. [^45]:  -- (9). Avec la Hollande, le Canada était le pays qui avait fourni le plus grand nombre de soldats à Pie IX. Aujourd'hui encore, il existe au Canada un régiment des Zouaves Pontificaux qui s'exerce au maniement des armes et assure le service d'ordre dans certaines manifestations catholiques. Lorsque le Nonce ou un Évêque assiste à une cérémonie, un détachement avec drapeau présente les armes. [^46]:  -- (10). Petit-fils de Louis-Philippe, le Comte de Paris fut reconnu par l'ensemble des royalistes français comme prétendant au trône de France, en sa qualité de descendant de Louis XIII, à la mort du Comte de Chambord. Celui-ci était en effet le dernier héritier mâle de Louis XIV, si l'on excepte la branche espagnole et une éventuelle survivance de Louis XVII [^47]:  -- (11). Fils et héritier du Comte de Paris. [^48]:  -- (12). Familier du Comte de Paris, il fut de nombreuses années membre de son entourage. [^49]:  -- (13). Archevêque de Carthage, Lavigerie prit la tête de la croisade anti-esclavagiste, fonda les Pères Blancs et fut un grand Évêque missionnaire. Napoléon III lui avait obtenu le Chapeau mais ni lui ni Pie IX n'avaient songé à en faire un premier ministre, alors qu'il s'estimait l'égal de Richelieu. D'où une profonde amertume et un goût prononcé pour l'intrigue politique. Il semble bien que le Vatican se soit servi de ces tendances pour lui faire porter le Toast d'Alger qui fut à l'origine de la politique de Ralliement à la république prônée par Léon. XIII. [^50]:  -- (14). Les parties soulignées le sont dans le texte lui-même. [^51]:  -- (1). Exactement : « Je voudrais que les tourments (qui seront le partage des chrétiens au temps de l'antichrist) me soient réservés... » Lettre à Sœur Marie du Sacré-Cœur dans les *Manuscrits autobiographiques.* [^52]:  -- (1). D'après le numéro 26 (novembre 1969) de la *Contre-réforme catholique.* [^53]:  -- (1). Point que l'abbé de Nantes a exposé dans le numéro 24 de la *Contre-Réforme catholique *; cf. ITINÉRAIRES de novembre 1969, pages 322 è 329.