# 145-07-70 1:145 Notre page précédente ([^1]) reproduit une partie de la der­nière page du *Figaro* en date du 7 mai 1970, réduite envi­ron de moitié. Pour le cas où cette réduction rendrait le texte malai­sément lisible, le voici à nouveau : LE SOUVERAIN PONTIFE a bien voulu donner audience, hier, à notre rédacteur en chef Marcel Gabilly qu'accom­pagnaient l'abbé René Laurentin et Jean Bourdarias. Marcel Gabilly a présenté ses collaborateurs en précisant que l'équipe parisienne des informations reli­gieuses du « Figaro » tenait à assurer le Pape de son filial attachement. Il a associé à cette démarche le représentant permanent du « Figaro » auprès du Vatican, Bernard Noël. Il a souligné le souci de notre journal de donner à la vie de l'Église, dans ses colonnes, une valeur sans cesse réaffirmée. Paul VI, fils de journaliste, qui a tant fait pour ouvrir le Vatican à l'information religieuse, a reçu ses hôtes avec une particulière cordialité. Il a dit à Marcel Gabilly combien il appréciait l'effort d'objectivité du « Figaro », la qualité et la sérénité de son information : « *Je bénis,* lui a-t-il dit, *tous ceux, à quelque place qu'ils se trouvent, qui y contribuent. *» Le pape a évoqué la tâche délicate de Jean Bourdarias en ajoutant qu'il s'adressait moins au responsable qu'à l'ami. A l'abbé René Laurentin, il a dit combien il appréciait la clarté de ses articles, de ses commentaires et, d'une manière plus générale, ses travaux sur la Vierge. A chacun, il a prodigué ses encouragements, bénissant leurs familles et leurs entreprises. *Le Figaro* en général, l'abbé René Laurentin en particulier, sont donc félicités sans aucune réserve par Paul VI pour la qualité, la sérénité, l'objectivité de leur « information » : de leur information particulièrement religieuse et de leur infor­mation générale. Une mention spéciale est faite des « commentaires » de l'abbé René Laurentin, et aussi de ses « travaux sur la Vierge ». \*\*\* 3:145 Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour comprendre que Paul VI manifeste ainsi, non pour la première fois, ses senti­ments personnels, ses tendances, ses préférences : en faveur de Laurentin comme il l'a fait en faveur de Congar, d'Oraison, et ceteris. Ce n'est point là un *acte du Magistère ;* c'est un *acte de la personne privée.* Cet acte nous *renseigne,* assurément ; il ne nous *oblige* en rien. \*\*\* Cette distinction, nous ne l'avons pas inventée ; nous l'avons simplement, à plusieurs reprises, rappelée. C'est une distinction de bon sens. C'est une distinction en­seignée par l'Église, par les papes, par la tradition théologique ; c'est une distinction exposée et expliquée notamment, parmi les auteurs vivants, par le théologien Charles Journet et par le théologien Dom Paul Nau : nous avons reproduit leurs textes (voir entre autres, pour Charles Journet, notre numéro 137 de novembre 1969, pages 6 et suivantes ; pour Paul Nau, notre numéro 138 de décembre 1969, pages 188 et suivantes). \*\*\* Cette distinction *nécessaire,* cette distinction *obligatoire,* cette distinction *catholique,* les séides de la soumission servile feignent de ne point l'entendre. Ou peut-être, vu le discernement habituellement manifesté par certains d'entre eux, n'arrivent-ils vraiment pas à compren­dre de quoi il s'agit. Et alors ils crient au sacrilège. \*\*\* C'est ainsi que les agités qui publient une petite feuille d' « *informations *» soi-disant « *urgentes *» exposent avec scan­dale « *la position de Monsieur Madiran *» en des termes qui d'ailleurs relèvent plutôt du faux et de l'usage de faux. Ne comprenant rien, ou ne voulant rien comprendre, à la distinction *catholique* que nous venons de dire, ils préten­dent que ce serait une distinction de notre invention *entre le Pape et celui que nous appelons dédaigneusement Montini* ([^2]) ils nous accusent de *rompre avec Paul VI,* non sans *insulte faite au Père commun,* etc., etc. 4:145 Leurs calomnies contre nous n'ont évidemment aucune im­portance. Mais leur confusion perpétuelle, théorique et pratique, entre *l'obéissance servile* et *l'obéissance chrétienne* peut abrutir et fourvoyer des âmes sincères et mal instruites, comme eux-mêmes en ont été fourvoyés et abrutis. C'est pourquoi nous insistons à nouveau sur ce point ca­pital de la doctrine catholique. \*\*\* Mais d'abord, la preuve par le fait. La première chose qu'il convient de répondre aux confu­sionnistes de la servilité inconditionnelle, c'est : -- *Chiche !* C'est-à-dire : allez-y. Montrez-nous. Mettez donc en prati­que vos conceptions d' « obéissance » qui vous font vous « sou­mettre » à toute parole tombée de la bouche du pape, sans exa­miner s'il a parlé au titre de son Magistère ou s'il a simplement énoncé une opinion privée. Et par exemple, sur le vu du *Figaro* du 7 mai, reproduit ci-dessus en page 1 : -- abonnez-vous au *Figaro,* recrutez-lui des abonnés, recom­mandez partout ce journal, répétez et diffusez l'éloge sans ré­serve de ses qualités ; -- alignez-vous religieusement sur les « commentaires » religieux si « appréciés » de l'abbé René Laurentin ; -- soumettez votre dévotion mariale à ses « travaux sur la Vierge ». Alors, oui ou non ? \*\*\* Dans le *Figaro* du 25 mai 1970, parlant de Don Helder Ca­mara, l'abbé René Laurentin écrivait : «* Paul VI lui a manifesté sa confiance et donné le feu vert pour s'exprimer à travers le monde. *» 5:145 Les inconditionnels de Paul VI doivent donc religieusement se ranger derrière don Helder Camara. Pas moyen d'y échapper, dans leur conception de l'*obéis­sance sans distinction ni discernement.* Paul VI garantit les informations du *Figaro* en général et de Laurentin en particulier. Laurentin à son tour garantit que Don Helder Camara est approuvé par Paul VI. Alors, vous marchez ? Vous « obéissez » ? \*\*\* Nous avions, preuves en main, rangé M. Jean Daujat dans la catégorie de ces inconditionnels du séidisme servile ([^3]). Après une méditation longue mais fructueuse, M. Jean Daujat déclare qu'il ne s'y était rangé que par étourderie : « C'est dans cette rubrique de « Lecture spirituelle » que nous aurions dû placer, quand nous l'avons recom­mandé, *Les Saisons de l'âme* de Jean XXIII, et c'est par pure étourderie que nous l'avions placé dans la rubrique « Les Enseignements de l'Église ». On nous l'a reproché. Le reproche a été fait de manière malveillante ([^4]) mais il est exact quant au fond : ces admirables textes sont en effet des écrits purement privés de ce saint pape et nullement des textes officiels constituant des enseigne­ments de l'Église. Nous croyons opportun de donner cette mise au point à cause de l'importance dans les circonstances présentes de ne pas confondre les ensei­gnements et décisions de l'autorité ecclésiastique qui réclament notre totale adhésion d'esprit avec les écrits ou déclarations de caractère privé de ses détenteurs comme par exemple des interviews accordées à des journalistes ou à des speakers. » ([^5]) Quand on bouscule un peu M. Jean Daujat, il se réveille ; et quand il se réveille, il lui arrive d'être excellent. 6:145 Il dit ici, en termes précis, tout l'essentiel. Et il précise bien : « *dans les circonstances présentes *». Il ne veut point dire par là que dans d'autres circonstances la nécessité *théorique* de cette distinction serait annulée. Mais il donne à entendre que sa nécessité *pratique* est spécialement impérieuse dans les circonstances actuelles : parce que, ajou­terons-nous, le risque de *confusion* sur ce point est aujourd'hui plus grand et plus grave que jamais. Aujourd'hui en effet les autorités religieuses, à Rome comme en France, multiplient les actes ATYPIQUES, les « déclarations » et « décisions » énoncées *en dehors des règles* du droit cano­nique. Il y a donc, dans beaucoup de cas, au moins *un doute* légitime sur leur valeur, sur leur portée, sur leur nature. *In dubiis libertas*. \*\*\* M. Jean Daujat s'en est tenu, pédagogiquement, au cas le plus clair : « par exemple des interviews accordées à des journalistes ou à des speakers ». Cela s'applique directement au *Figaro.* \*\*\* Mais il faut ajouter que cette distinction doit être faite *pour les encycliques elles-mêmes.* Nous l'avons rappelé à propos de l'encyclique *Ecclesiam suam,* dont on voudrait nous imposer « la doctrine », alors que l'auteur et le texte même de l'encyclique s'y opposent. Annonçant cette encyclique, Paul VI déclarait (discours du 5 avril 1964) : « *Une encyclique peut être doctrinale ou dogmatique quand elle traite de vérités ou d'erreurs relatives à la foi ; ou bien exhortatoire si elle vise à réconforter ceux qui la reçoivent... La prochaine encyclique peut se rattacher à cette seconde catégorie. Elle ne traite donc pas de questions théologiques ou doctrinales particu­lières. *» 7:145 Dans le texte même de l'encyclique *Ecclesiam suam,* Paul VI précisait : « *La présente encyclique ne veut pas revêtir un carac­tère solennel et proprement doctrinal, ni proposer des enseignements déterminés d'ordre moral ou social... *» Cette encyclique n'est donc pas un acte doctrinal du Ma­gistère pontifical. Nous rappelons avec insistance, sur pièces et par le fait, cette vérité particulière, systématiquement méconnue dans ce cas. Cas particulier d'une vérité générale : *une encyclique peut contenir, ou ne pas contenir, dans sa totalité ou dans l'une de ses parties, un enseignement du Magistère.* Ce discernement indispensable est souvent laissé à l'attentive sagacité du lec­teur. Pour *Ecclesiam suam,* il est explicitement réclamé par Paul VI. \*\*\* L'erreur de fait sur *Ecclesiam suam,* l'erreur générale sur la portée des encycliques, nous les avons rencontrées dans le manifeste de l'Association sacerdotale allemande *Pro Papa et Ecclesia* ([^6])*.* Faussant un texte de Pie XII, ce manifeste prétendait appliquer à toute encyclique en tant que telle, et à la totalité de chaque encyclique, la parole du Seigneur (en Luc, X, 16) « Qui vous écoute m'écoute. » Une telle erreur est d'une gravité catastrophique « *dans les circonstances présentes *»*,* comme dit M. Jean Daujat. Faudrait-il donc la laisser courir dès lors qu'elle se pré­sente sous des couleurs « traditionalistes » ? Ce n'est pas notre avis. \*\*\* Il est vrai que l'on se remet, ici ou là, à parler beaucoup de « l'union des traditionalistes ». S'il s'agit de faire, sous cette étiquette, un parti dans l'Église, remarquons d'abord que l'étiquette est fort mal choi­sie : dans le vocabulaire catholique, « traditionalisme » désigne non pas forcément, mais notamment, un fidéisme condamné par Pie IX. 8:145 Quelle que soit l'étiquette, le parti à constituer mettrait ensemble (supposé leur consentement) Georges plus Noël plus Pierre plus Louis plus deux Marcel plus trois ou quatre Jean etc., etc. : tous priés de considérer « seulement ce qui les unit » et de taire « ce qui les divise ». Vue subjective et pragmatique : -- *subjective,* en ce qu'elle substitue l'association des per­sonnes à l'unité sur les principes : la divergence à taire peut concerner (et de fait concerne plus d'une fois) un point de doctrine véritablement essentiel ; -- *pragmatique,* en ce qu'une telle « union »*,* fondée sur le rassemblement d'une liste de personnes davantage que sur la communauté des idées et des méthodes, ne pourrait jamais être que pour un objectif temporel à court terme. \*\*\* A nos yeux, la seule *unité* qui ait, notamment dans les cir­constances présentes, une valeur durable, et une utilité pour le bien commun, est celle qui est fondée sur une commune et prioritaire adhésion militante : -- au catéchisme romain ; -- au Missel romain ; -- et généralement à tout ce qui appartient à la doctrine catholique. Il se peut qu'une telle adhésion -- du moins dans la me­sure où elle est *professée,* où elle est *prioritaire,* où elle est *militante --* détermine de nouvelles lignes de partage. Non plus d'après le classement habituel des personnes, mais d'après la réalité de leur pensée et de leur action. \*\*\* Nous ne nous tairons point, fût-ce par amitié, -- encore moins par respect des grandeurs d'établissement, -- et encore moins par considération supposée tacticienne d'on ne sait quelle « union » fictive, -- devant ce qui porte atteinte à la vérité, quelle que soit l'étiquette de cette atteinte. 9:145 *Dominique Morin est mort aux premières heures du 22 mai, après une maladie de plusieurs années et un calvaire de sept mois. Son nom est familier à nos lecteurs, ils sont habitués à le trou­ver à une place modeste et fréquente, celle de l'éditeur d'ouvrages indispensables, et d'abord des catéchismes du Père Emmanuel. Mais ce qu'ils ne peuvent savoir, c'est que Dominique Morin a été, en cela et en outre, pour cette revue et pour son directeur, un ami et un frère de cha­que jour, dans la prière et le travail, prenant sa part de chaque peine et de chaque souci, appor­tant sa part à chaque réflexion, à chaque délibé­ration, à chaque projet. Fils spirituel de saint Benoît, du Mesnil-Saint-Loup, de la sainte Église de Rome, il nous quitte au plus fort du combat* le *plus nécessaire, où il fut engagé à nos côtés jus­qu'au dernier souffle. Mais non, nous savons qu'il ne nous a pas quittés. Il est passé à la vraie vie, et maintenant, invisible, il nous est plus fraternel que jamais.* 10:145 ## ÉDITORIAUX ### A chaque messe PARMI LES PRÊTRES ayant adopté, sous la contrainte, l'un ou l'autre des mille et un rites nouveaux ad libitum, le nombre augmente chaque jour de ceux qui, soit en préambule à la célébration, soit au moment de l'homélie, soit à un autre moment, prononcent une *décla­ration,* ou profession de foi, sur la nature du SACRIFICE et sur la nature de la PRÉSENCE. C'est une réponse spontanée à la désintégration de la messe. L'affirmation du sacrifice et de la présence étant atténuée, estompée, équivoque dans le texte même des rites nouveaux, ces prêtres l'*ajoutent* dans leurs « expli­cations » de la cérémonie ; ils la réitèrent *à chaque messe.* Plusieurs l'affichent en permanence à l'entrée de leur église. *Ainsi la validité de leur messe n'est pas une validité clandestine, mais une validité manifeste, comme il convient au culte catholique.* \*\*\* Notre soutien matériel et moral, nous le donnons en priorité, on le sait, aux prêtres qui maintiennent vivant dans l'Église le MISSEL ROMAIN : ils remplissent une fonc­tion indispensable. Qu'ils la remplissent dans le mépris du monde, sous les crachats des catholiques mondains, et sous les coups de la persécution épiscopale, cela en augmente le prix surnaturel. Nous sommes avec eux d'abord ; et, comme on ne peut être partout, le plus souvent nous som­mes avec eux uniquement. 11:145 Mais nous ne sommes ni inattentifs ni hostiles aux réac­tions de la foi chez les prêtres qui ont courbé la tête sous l'arbitraire, qui ont cédé à la contrainte, qui ont estimé qu'ils ne pouvaient faire autrement, et qui pourtant cher­chent à maintenir, au moins par morceaux et plus ou moins en catimini, la fidélité aux grâces et aux devoirs de leur ordination. Qu'ils veuillent sauver la validité de leur messe à travers les méandres mouvants d'un rite multiforme et en constante décomposition, cela n'est pas rien. Dans leur faiblesse, dans leur désarroi, dans leur abdication devant l'abus de pouvoir ils ont conservé pourtant cette étincelle précieuse de bonne volonté et de désir droit. Ils n'ont pas étouffé dans leur cœur la honte qu'ils ressentent de la ma­nière moins digne, et progressivement indigne, dont on leur fait célébrer la messe ; de la manière moins respectueuse, et progressivement irrespectueuse, dont on leur fait distri­buer la sainte communion. Ah ! ils ne sont pas un exemple. Ils ne sont pas un exemple d'héroïsme. Ni même de fierté chrétienne. Mais ils sont ce qu'ils sont. Ils s'efforcent de demeurer des prêtres. Nous les assurons d'une compassion sans mépris. #### Précision A tous nous suggérons ce que plusieurs d'entre eux ont spontanément trouvé : emprunter au catéchisme les for­mules qui donneront une *précision* suffisante à la déclara­tion qu'ils font sur la *nature* de la présence et du sacrifice. ##### A. -- LE SACRIFICE. Nous avons annoncé une réclamation qui ne cesserait point. Donc nous ne cessons pas. La messe n'est pas sim­plement « un » sacrifice ; elle n'est pas n'importe quel sacrifice offert à Dieu. Il ne nous suffit pas que le mot « sa­crifice » se trouve encore ici ou là dans les rites nouveaux ; il ne nous suffit pas que ceux-ci aient pour unique qualité la qualité négative de « n'être pas positivement héré­tiques », la seule qualité *catholique* que leurs partisans puissent alléguer ! 12:145 Redisons donc : 1\. -- Comme les païens et comme les juifs, nous offrons un sacrifice à Dieu. Mais à la différence des juifs et des païens, nous offrons à Dieu le sacrifice du Nouveau Tes­tament. 2\. -- Comme les protestants, nous offrons à Dieu le sacrifice du Nouveau Testament : mais à la différence de la cène protestante, qui en est une simple commémora­tion, la messe est le renouvellement du sacrifice du Cal­vaire, avec le même Prêtre et la même Victime. Cette vérité qui n'est plus affirmée sans équivoque par les rites nouveaux, pour la rétablir il suffit de prononcer l'affirmation du catéchisme : le sacrifice de la messe est substantiellement le même sacrifice, quoique de manière non sanglante, que le sacrifice de la Croix. ##### B. -- LA PRÉSENCE. La présence réelle du Corps, du Sang, de l'Ame et de la Divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin après la consécration n'est pas seulement la présence spirituelle que reconnaissent les protestants, et que reconnaît l'article 7 de l'*Institutio generalis* de l'ORDRE NOUVEAU, en invoquant la parole (en saint Mat­thieu, XVIII, 20) : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, là je suis au milieu d'eux. » Après la consécration, le pain est le Corps, le vin est le Sang de Notre-Seigneur, *en ce sens précis* qu'énonce l'affirmation du catéchisme : *il ne reste rien du pain et du vin*, sauf leurs apparences. \*\*\* Nous réclamons des prêtres que ces deux affirmations soient *déclarées à chaque messe*. Elles sont déclarées par le rite dit de S. Pie V. 13:145 Elles doivent être *ajoutées* aux rites dégradés de l'ORDRE NOUVEAU. Mais puisque l'ORDRE NOUVEAU demande au célébrant de bavarder quasiment à jet continu pendant la célébration, il a donc la possibilité « légale » de faire à haute voix cet *ajout,* qui rend manifeste la validité de sa messe. #### Constatation Que la nécessité d'un tel *ajout* soit spontanément dé­couverte par un nombre croissant de prêtres ayant accepté de subir l'ORDRE NOUVEAU de la messe et du catéchisme, cela constitue un témoignage vécu. Ce qu'ils maintiennent, ce qu'ils *déclarent,* c'est ce qui ne figure plus, en termes non équivoques, ni dans le nou­veau catéchisme ni dans les nouvelles messes. Ils témoignent ainsi qu'au regard de la foi catholique, il y a un *manque* dans l'ORDRE NOUVEAU du catéchisme et de la messe, et que ce manque est *essentiel*. Cet essentiel, ils l'ont reçu de l'Église : ils l'ont reçu du CATÉCHISME ROMAIN et du MISSEL ROMAIN. Ils ne peuvent y renoncer : ils ont l'évidence qu'y re­noncer serait faire acte d'apostasie (fût-elle « immanente », c'est-à-dire implicite ou clandestine). Ils résument et manifestent, par un acte décisif, les reproches fondamentaux que la foi catholique adresse à l'ORDRE NOUVEAU. \*\*\* Leur témoignage est donc, en lui-même, plein de signifi­cation. Mais leur résistance verbale risque d'être précaire. Qu'en resterait-il si toute tradition, tout souvenir du MISSEL ROMAIN et du CATÉCHISME ROMAIN étaient estompés ? \*\*\* 14:145 Il n'est nullement assuré que la bureaucratie collégiale laissera les prêtres déclarer, *à chaque messe,* leur foi ca­tholique dans la vraie présence et dans le vrai sacrifice. Sous prétexte de « pastorale d'ensemble » et de « formula­tion adaptée », ces déclarations manifestement *issues du catéchisme* roman et du *Missel romain* attireront les repré­sailles et les interdictions. Le pouvoir dans l'Église est actuellement aux mains d'un parti dont le sectarisme sans limite n'est pas d'humeur à supporter la moindre in­fraction à ses ukases. Si ce parti a mis à l'index le caté­chisme romain et le Missel romain, ce n'est pas pour to­lérer qu'on en maintienne les affirmations essentielles par manière de préambule, d'explication ou de complément. Pas à pas, peu à peu, morceau après morceau, détail après détail, les prêtres seront amenés à tourner *intégra­lement* le dos au catéchisme romain et au Missel romain. Leur résistance sera plus simple et plus solide s'ils décident au contraire d'y redevenir *intégralement fidèles,* plutôt que de se défendre par la porte dérobée de compro­mis à tiroirs, de restrictions mentales et de finasseries élastiques. Ce choix clair -- *ce choix* entre *l'obéissance à l'Église de toujours* et la soumission servile *aux abus de pouvoir* -- ils ont pensé l'éviter. Ils ne l'éviteront pas indéfiniment, si le parti de l'apostasie immanente conserve encore quel­que temps le gouvernement de la société ecclésiastique. #### Avertissements Pour nous, nous prenons acte des avertissements qui nous sont donnés dans les faits. Et nous ne croyons pas pouvoir les laisser ignorer à nos lecteurs. Nous ne croyons pas pouvoir leur laisser ignorer que l'administration ecclésiastique s'emploie effi­cacement à multiplier les obstacles sur le chemin de la fidélité catholique. 15:145 La permission explicite de célébrer en latin la messe dite, de S. Pie V jusqu'au 28 novembre 1971 n'est pas abro­gée : mais elle a été donnée de la main droite, et voici que la main gauche s'efforce sournoisement de l'étrangler. L'annexe qui fait suite au présent éditorial (Annexe I) ex­pose la situation. Les obsèques, en avril et en mai, d'Henri Massis, de l'amiral de Penfentenyo, de Dominique Morin, constituent un autre avertissement. Elles ont été ostensiblement barbouillées de vernac et de rite nouveau, par un affront calculé à la volonté des défunts et à la piété des vivants. Dans chacun de ces trois cas, il n'y avait aucun doute que la ferme volonté du défunt était d'avoir des obsèques intégralement en latin, intégralement en grégorien, inté­gralement selon le Missel romain. Il n'y avait aucun doute non plus que c'était leur droit incontestable, même du point de vue de la « légalité » nouvelle. Dans les trois cas, la messe de funérailles a été intégralement une messe de rite nouveau, avec un mélange de latin et de vernac en proportions variables. *Si les sectaires au pouvoir n'ont pas toléré le Missel romain dans ces trois cas, qui étaient les plus indiscutables que l'on puisse imaginer, cela veut dire qu'ils entendent ne le tolérer absolument dans aucun cas*. Les exceptions subsistantes tiennent seulement à leur discrétion, à l'insuffisance des délations, éventuellement à une négligence provisoire. Mais les prêtres fidèles au Missel romain doivent le savoir, ils peuvent se tenir pour avertis : tous et chacun, tôt ou tard, ils auront à combattre. Les cruels sectaires qui colonisent présentement l'adminis­tration ecclésiastique ne font pas de quartier, n'accordent aucune tolérance, ne consentent aucune exception. Il leur faut un clergé et un peuple serviles, et d'ailleurs ils les ont, mais la majorité numérique ne leur suffit pas, il leur faut que le clergé et le peuple chrétiens soient tout entiers réduits en servitude. Ils ne veulent pas qu'il subsiste un *petit reste :* ils le traquent par tous les moyens, ils veulent l'écraser, ils veulent le supprimer. Témoin l'évêque de Nancy, qui ne tolère pas qu'*une* seule église de son diocèse puisse (conformément à la législation en vigueur et à la permission donnée par le Saint-Siège) conserver le Missel romain. 16:145 En quoi l'évêque de Nancy n'est certainement pas plus misérable que ses collègues de la collégialité, il est comme eux tous, il est tout à fait banal. Il vote, il signe, il exécute. Il n'est plus capable que d'une mini-crise de nerfs si on lui montre l'évidence, à savoir qu'il a lui aussi laissé son existence personnelle basculer dans la fiction, -- dans la fiction collégiale. La résistance devient plus difficile. C'est-à-dire qu'elle exige une plus grande résolution et un plus grand effort. Que chacun donc se ceigne les reins, s'éprouve et se prépare : dans la prière et par la messe. \*\*\* Car la messe survivra. La messe sera sauvée par la messe. Par toutes les messes *valides.* Et principalement par celles qui n'ont pas peur de l'être *manifestement :* le plus manifeste et le plus sûr étant dans la fidélité intégrale au Missel romain. C'est la messe qui obtiendra de Dieu que cette épreuve nous soit abrégée. C'est sur la messe que se brisera l'apostasie provisoi­rement triomphante. C'est par la messe que l'Église sortira du collapsus qui neutralise son autorité légitime. C'est la messe qui sans cesse suscite, fortifie, inspire les témoins de la foi. J. M. 17:145 ANNEXE I ### Les cas prévus par la loi La Congrégation romaine du culte divin continue à démolir *en fait* les lois, instructions et règlements qu'elle a promul­gués *en droit*. C'est l'aspect le plus spectaculaire de l'autodémolition de l'Église : l'encouragement à un mépris systématique pour la législation existante, même récente, et l'établissement de facto d'une sorte de *vacance de la légalité* de plus en plus étendue. Ce système, nous l'avons analysé en 1969 dans un cas exem­plaire, que nous avons appelé « le processus de la communion dans la main ». Il est universellement employé. A la question : -- *Quels sont les cas prévus par la loi où l'on peut célébrer en latin une messe avec assistance du peu­ple ?* la Congrégation a répondu en substance : -- *Il n'y en a aucun !* Contre-vérité manifeste, qui feint d'ignorer JUSQU'A LA LOI CONCILIAIRE elle-même. Le numéro 36 de la Constitution conciliaire sur la liturgie a édicté : « *L'usage de la langue latine, sauf droit particulier, doit être conservé dans les rites latins *». Comment serait-il conservé, s'il ne l'est *en aucun cas ?* Cette loi conciliaire s'est d'ailleurs traduite par de multiples dispositions réglementaires décrétées par la Congrégation elle-même. Sans en rien abroger en droit, la Congrégation feint main­tenant d'ignorer jusqu'à leur existence. \*\*\* La réponse de la Congrégation a été faite en mars 1970. Elle a été connue en France par sa publication dans la *Documen­tation catholique* du 3 mai 1970 (page 450) : Question. -- *Quels sont les cas prévus par la loi où l'on peut dire en latin une messe avec assistance du peuple ?* 18:145 Réponse. -- Ces cas sont prévus et fixés par les Ordinaires des lieux pour leurs propres diocèses, dans certaines circonstances. C'est ainsi, par exemple, que le Vicariat de Rome a décidé que, pour le bien spirituel des pèlerins, certaines messes seraient célébrées en latin dans certaines églises ([^7]). Le contenu de la réponse est clair : il y a des messes en latin *selon la décision de l'Ordinaire, en* *fonction des circons­tances.* La question demandait : -- Quels sont les cas *prévus par la loi ?* Silence sur la loi. Silence sur l'obligation pour la décision de l'Ordinaire d'être prise *en fonction et dans le cadre de la loi*. Encouragement explicite à un pur arbitraire. L'impulsion, comme on le voit, vient de haut. \*\*\* L'exemple donné dans la réponse est accablant pour le Vicariat de Rome. Celui-ci, nous dit-on, a décidé, seulement pour le bien spi­rituel des pèlerins (étrangers), qu'il y aurait à Rome quelques messes en latin. Autant dire que le Vicariat de Rome méprise la loi conci­liaire : *l'usage de la langue latine doit être* *conservé dans les rites latins.* Comment l'usage de la langue latine serait-il conservé dans les rites latins si, *à Rome même*, au lieu d'être *la pratique cou­rante et de plein droit*, il ne subsiste que par EXCEPTION, en vertu seulement de DÉCISIONS PARTICULIÈRES, prises uniquement en fonction des CIRCONSTANCES ? \*\*\* La Constitution conciliaire sur la liturgie avait ordonné : 1° La conservation du latin comme langue liturgique (n° 36). 19:145 2° « Toutefois », « on pourra accorder » à la langue du pays « une plus large place » (n° 36) ; « on pourra donner la place qui convient à la langue du pays » (n° 54). C'est-à-dire que le latin devait demeurer la pratique cou­rante, habituelle et de plein droit. Et que le vernac était possible, selon les permissions, auto­risations et décisions qui paraîtraient opportunes. *On a fait le contraire.* Partout, même à Rome, c'est le vernac qui est la pratique courante, habituelle, de plein droit et comme allant de soi, sans autorisation spéciale. Et c'est le latin qui a besoin en fait, dans chaque cas particulier, d'une permission, d'une autorisation, d'une décision, d'ailleurs le plus souvent refusées. Naturellement, cette situation ne date pas d'aujourd'hui. Nous l'avons vu s'établir. Il y a plus de quatre ans, on pouvait lire dans ITINÉRAIRES : « *S'il était permis sans restriction à tous d'user de la langue du pays dans l'office liturgique le latin pourrait rester la langue officielle des documents pontificaux... Mais ce serait une déri­sion que de continuer à le déclarer langue liturgique. Or l'Église dit qu'il l'est et le demeure. *» ([^8]) \*\*\* Voici donc qu'un questionneur, probablement un évêque, avait demandé à la Congrégation compétente non point si les évêques ont des décisions à prendre concernant les messes en latin, mais quelle est la loi en vigueur selon laquelle ces déci­sions doivent être prises. La Congrégation répond en substance qu'elle ne connaît aucune loi en vigueur, et que les évêques n'ont qu'à faire comme ils veulent, selon leur bon plaisir et selon les circonstances. \*\*\* Les termes de la question posée laissent apercevoir ce qui est en cause : la permission explicite, jusqu'au 28 novembre 1971, de célébrer la messe selon le rite de S. Pie V, pour les prêtres qui célèbrent en latin soit en privé soit *en public dans les cas prévus par la loi*. 20:145 Cette expression : « dans les cas prévus par la loi », est une expression *de la Congrégation elle-même.* C'est elle qui l'a employée. C'est elle qui y a fait référence : « Nous vous *lirons* certaines indications *émanant de la S. Congrégation pour le culte divin qui a compétence en la matiè­re *», déclarait Paul VI le 26 novembre 1969. Et il citait, *entre guillemets :* « Les prêtres qui célèbrent en latin, en privé, ou également *en public dans les cas prévus par la loi... *» ([^9]) Puisque c'est précisément la Congrégation du culte divin qui parlait, en novembre 1969, de messes célébrées en latin, en public, « dans les cas prévus par la loi », il était tout naturel de lui demander, précisément à elle, le rappel de ces « cas prévus par la loi » dont elle faisait mention. Elle s'est volontairement abstenue de mentionner dans sa réponse, fût-ce par simple référence, la législation en vigueur sur laquelle on l'interrogeait. Elle l'a *oubliée.* Elle ne la con­naît plus. Elle n'en veut plus rien savoir. Mais il n'existe aucun devoir d' « obéissance » qui nous im­poserait de nous soumettre aux mensonges par omission de la Congrégation. Au contraire. Nous allons donc donner en détail la réponse que la Congré­gation a refusée. #### I. -- Voici les cas prévus par la loi 1\. -- Il convient d'abord de réitérer avec clarté et fermeté une considération générale qui est tout à fait impérative. Aucun « décret d'application », aucune « instruction d'application » n'a le pouvoir d'*abroger* la loi qu'il s'agit d'*appliquer*. La loi actuellement en vigueur est celle de la Constitution conciliaire *Sacrosanctum Concilium* (ou : *de sacra liturgia*) promulguée par Paul VI le 4 décembre 1963 : le latin doit *demeurer* la lan­gue *liturgique* de l'Église latine ; TOUTEFOIS *le vernac peut être autorisé*. Dans la mesure où les décisions d'application ten­draient à *interdire* le latin dans la liturgie, elles iraient contre la loi et seraient, en cela, nulles de plein droit. 21:145 Les autorités religieuses ont le pouvoir d'*autoriser* le vernac, elles n'ont pas le pouvoir d'*interdire* le latin : du moins tant qu'un acte ex­plicite, légal et proportionné (qui ne peut venir que du pape lui-même, ou d'un autre concile) n'aura pas abrogé en bonne et due forme la Constitution liturgique de Vatican II. On peut déplorer cette situation ; on peut trouver mauvaise, ou imparfaite, cette loi liturgique (qui n'est de soi ni infailli­ble ni irréformable) : qu'on s'en réjouisse ou qu'on le regrette, *elle est la loi.* L'évolution qui tend à faire du vernac la langue liturgique, et du latin une exception soumise à autorisation préalable, est une évolution *de facto*, imposée souvent par la violence, l'abus de pouvoir, la persécution, qui ne change rien à la situation *de jure.* Que cette évolution ait été tolérée ou même machinée par l'autorité religieuse ne suffit pas à empêcher qu'elle soit *contraire à la loi* et parfaitement *illégitime*. 2\. -- Donc, *le latin est la langue liturgique* des rites latins. Plusieurs cas ont été explicitement prévus par les instructions d'application : il est évident (parce que conforme aux principes généraux du droit) que ces cas, au nombre de quatre ([^10]), *ne sont pas limitatifs*. Ce sont simplement les quatre cas où la loi générale du latin langue liturgique trouve une application plus spécialement stipulée et garantie par la réglementation subséquente. a\) Premier cas. La messe est célébrée publiquement en latin lorsque cela *correspond mieux aux* *possibilités de l'assemblée locale.* Cela ressort de l'Instruction de la Congrégation des rites ([^11]) en date du 5 mars 1967, VI^e^ partie, art. 47 : « Selon la Constitution sur la liturgie, « l'usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera ([^12]) conservé dans les rites latins ». Parce que cependant « l'emploi de la langue du pays peut être souvent utile pour le peuple », « il revient à l'autorité ecclésiastique territoriale de statuer si l'on emploiera la langue du pays et de quelle façon, en faisant agréer, c'est-à-dire ratifier, ses actes par le Siège apostolique ». 22:145 En observant exactement ces normes, on emploiera donc la forme *qui correspond le mieux aux possibilités de chaque assemblée*. » Cela n'exclut pas le jugement de l'évêque. Mais cela fixe la loi qui doit présider à son jugement. Il doit prendre sa déci­sion *en fonction des trois règles* qui viennent d'être rappelées : 1\. -- *Le latin* DOIT *être conservé dans la liturgie latine.* ([^13]) 2\. -- *Le vernac* PEUT *être autorisé.* 3\. -- *Dans chaque cas particulier, on emploiera la langue qui* CONVIENT LE MIEUX AUX POSSIBILITÉS DE L'ASSEMBLÉE LOCALE. Quand l'évêque *interdit* le latin aux assemblées locales qui l'emploient, quand il en *prive* celles qui le réclament, *il agit illégalement.* Il y a lieu alors de faire appel de sa décision au Saint-Siège, et de conserver paisiblement le latin tant que la procédure est en cours. b\) Second et troisième cas. La messe est célébrée en latin quand il s'agit de messes latines *maintenues dans certaines églises, surtout des grandes villes,* et lorsqu'il *se trouve un assez grand nombre de fidèles de diverses langues.* Cela ressort de l'article 48 de la même Instruction (5 mars 1967). A vrai dire les deux cas y sont un peu mélangés (si bien que l'on pourrait soutenir que c'est *seulement* dans les grandes villes comportant un assez grand nombre d'étrangers que des messes doivent être maintenues en latin ; mais cette interpré­tation, contraire à la loi conciliaire qu'il s'agit d'appliquer, est également contraire, comme on le verra plus loin, aux explica­tions du cardinal Gut, préfet de la Congrégation et auteur de l'Instruction) « Là où l'on a introduit l'usage de la langue du pays dans la célébration de la messe, les Ordinaires des lieux jugeront s'il est opportun de maintenir une ou plusieurs messes célébrées en latin, -- spécialement la messe chantée, -- dans certaines églises, de grandes villes surtout, où se trouve un assez grand nombre de fidèles de diverses langues... » 23:145 Les Ordinaires des lieux « *jugeront s'il est opportun de maintenir une ou plusieurs messes... *» On peut penser que, par ce texte, les Ordinaires des lieux ont pouvoir de juger opportun d'avoir encore ou de ne plus avoir du tout de messes en latin. Mais ce serait une fausse interprétation, contraire à la loi conciliaire qu'il s'agit d'appliquer. Le jugement laissé à l'Ordinaire du lieu porte seulement sur le choix entre *une* ou *plusieurs.* Il jugera s'il est opportun de maintenir *ou bien* « une », *ou bien* « plusieurs » messes célébrées en latin. S'il décidait *aucune,* il serait en infraction à la loi : l'usage de la langue latine doit être conservé dans les rites latins. Qu'on n'aille pas dire que notre interprétation est tirée par les cheveux. C'est l'interprétation donnée par le cardinal Gut en personne, préfet de la Congrégation qui a promulgué cette Instruction du 5 mars 1967. Faisant référence précisément à cette Instruction, le cardinal Gut a très clairement déclaré : « Nous souhaitons que le latin soit conservé à la messe dans la mesure du possible, pour les cercles restreints aussi bien que pour les messes paroissiales. *Il y a une Instruction qui* *prévoit que, dans les grandes villes, deux ou trois églises célébreront la messe en* *latin chaque dimanche. *» ([^14]) Ainsi le cardinal Gut confirme le sens de l'Instruction. Elle laisse à l'Ordinaire du lieu le soin de décider si, dans chaque grande ville, il y aura *une* messe en latin (c'est le minimum), *ou bien* s'il y en aura *plusieurs.* La norme courante, ou moyenne, visée par l'Instruction, est qu'il y en ait *deux ou trois chaque dimanche. --* D'autre part, la déclaration du cardinal Gut confirme que la présence d'un assez grand nombre d'étran­gers n'est pas en cause ici. Il y a donc bien une distinction entre le cas n° 2 (une ou plusieurs messes en latin chaque dimanche dans les grandes villes) et le cas n° 3 (présence parmi les fidèles d'un assez grand nombre d'étrangers) : dis­tinction qui n'était pas absolument évidente dans la rédaction littérale de l'article 48, mais qui est imposée par le contexte de la législation (la loi conciliaire n'a nullement décrété en effet que le latin devrait être conservé seulement quand il se trouvera dans la même église un assez grand nombre de fidèles de diverses langues). 24:145 En conséquence, l'Ordinaire du lieu N'A ABSOLUMENT PAS LE DROIT d'interdire *toute* messe en latin, ni de faire en sorte qu'il n'y en ait *aucune.* Son pouvoir consiste seulement à faire qu'il y en ait, chaque dimanche, *une ou plusieurs,* bref à en fixer *le nombre :* mais s'il décide que ce nombre sera *zéro,* il com­met un abus de pouvoir. Les habitants de chaque ville peuvent donc : 1\. -- demander à l'Ordinaire du lieu qu'il y ait au moins *une* messe en latin, *chaque* dimanche ; 2\. -- en cas de refus, traîner le tyran devant les tribunaux du Saint-Siège (avec le concours d'un avocat ecclésiastique compétent et résolu). c\) Quatrième cas. Sont célébrées de plein droit en latin, *sans que l'Ordinaire du lieu ait pouvoir de l'empêcher,* toutes les messes *conventuelles* ou *de communauté* chez les diverses sortes de *religieux* et de *religieuses,* et dans les *communautés laïques* des Instituts d'états de perfection. Cela ressort de l'Instruction de la Congrégation des rites en date du 23 novembre 1965 sur la langue à employer par les religieux dans la célébration de l'office divin et de la messe, articles 1 à 3, 9 et 10, et 17 à 20. Cette Instruction a été publiée aux *Acta* du 30 décembre 1965 (pages 1010 et suivantes). Elle a été largement citée et commentée dans ITINÉRAIRES, numéro 102 d'avril 1966, pages 48 à 55. Nous en avons donné là une traduction française qui est plus exacte, en tout cas plus littérale, que la traduction française ordinairement reçue. Néanmoins, pour éviter toute contestation insignifiante, nous citons cette traduction fran­çaise reçue, qui suffit à établir ce que nous affirmons : « Art. 1. -- Les religions cléricales « astreintes au chœur » sont tenues de célébrer l'Office divin « au chœur » en latin, conformément à l'art. 101, 1 de la Constitution sur la liturgie et au n° 85 de l'Instruction du 26 septembre 1964. Art. 2. -- Cependant on pourvoira de façon parti­culière à ce que les monastères situés en pays de mission et composés en majorité de religieux indigènes puissent employer la langue maternelle selon l'esprit de l'article 40 de la Constitution. Art. 3. -- L'autorité compétente pour accorder la concession mentionnée au numéro précédent est la S. Congrégation des Religieux. 25:145 Art. 9. -- Les moniales peuvent obtenir la faculté de célébrer l'Office divin en langue maternelle, même au chœur. Dans les monastères où selon leur tradition propre on célèbre solennellement l'Office divin et où l'on cultive le chant grégorien, on conservera autant que possible la langue latine. Art. 10. -- Pour un motif particulier on accordera que les monastères situés en pays de mission, et composés en majorité de religieuses indigènes, puissent employer la langue maternelle. Art. 17. -- Les religions cléricales astreintes au chœur, à la messe « conventuelle » : a\) sont tenues de conserves la langue latine, comme il a été établi plus haut (art. 1 et 2) pour l'Office divin ; cependant les lectures peuvent être proclamées dans la langue maternelle ; b\) peuvent employer la langue maternelle, dans les limites fixées par l'autorité territoriale compétente, lorsque la communauté religieuse est chargée du minis­tère pastoral dans une paroisse, un sanctuaire ou une église très fréquentée et que la messe « conventuelle » est célébrée pour rendre service aux fidèles. Art. 18. -- Les moniales, selon ce qui a été fixé pour leur célébration de l'Office divin au chœur, ou bien conserveront la langue latine, ou, bien pourront employer la langue maternelle, dans les limites fixées par l'autorité territoriale compétente. Art. 19. -- Les religions cléricales non astreintes au chœur, dans la célébration de la messe « de commu­nauté », peuvent employer, à côté de la langue latine, la langue vulgaire dans les limites fixées par l'autorité territoriale compétente, quelquefois (par exemple deux ou trois) par semaine. Art. 20. -- La messe appelée « messe de communauté » pour les communautés laïques des Instituts des états de perfection, soit d'hommes, soit de femmes, peut être célébrée habituellement en langue maternelle, dans les limites fixées par l'autorité territoriale compétente. » ([^15]) 26:145 Toutes ces messes peuvent donc, *avec autorisation,* être célébrées en vernac (sous les réserves et dans les limites qui ont été stipulées). Mais, pour être célébrées en latin, elles n'ont *besoin d'au­cune autorisation de qui que ce soit.* L'évêque n'a *aucun droit* de leur *interdire* le latin. S'il le fait, c'est un abus de pouvoir. Il convient alors de le traîner devant les tribunaux du Saint-Siège (avec le concours d'un avocat ecclésiastique compétent et résolu). Il convient aussi, pendant toute la durée de la procédure, de conserver le latin. \*\*\* Voilà donc quelle est la législation en vigueur en ce qui concerne les cas où la messe peut être publiquement célébrée en latin. Dans tous ces cas, le célébrant *peut* en outre, *cela ne re­garde que lui-même, --* car c'est une permission donnée *direc­tement* par le Saint-Siège au célébrant, en vertu du pouvoir *immédiat* du Saint-Siège -- célébrer la messe selon le Missel romain de S. Pie V. Mais cette permission, toujours en vigueur, nullement abro­gée en droit, est elle aussi attaquée en fait : -- elle l'est d'abord, comme nous venons de le voir, par l'omission volontaire et l'ignorance feinte des cas prévus par la législation où la messe peut être célébrée en latin : la célé­bration en latin étant la condition matérielle d'une célébration selon le Missel romain ; -- elle l'est ensuite par la mise sous le boisseau de la per­mission elle-même, et c'est ce qu'il nous faut examiner main­tenant. #### II. -- La permission escamotée Sur l'ORDRE NOUVEAU de la messe, Paul VI a prononcé deux allocutions successives, le 19 novembre et le 26 novembre 1969. La première présentait cet ORDRE NOUVEAU comme un « *changement *» qui a « *quelque chose de surprenant, d'extra­ordinaire *», comme « *une nouveauté si surprenante *», etc. 27:145 La seconde contenait, entre autres, cette affirmation d'une nouveauté effectivement extraordinaire et surprenante : « *Ce n'est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe *» *;* « *le latin sera remplacé par la langue courante. *» Affirmation objectivement et manifestement contraire à la loi en vigueur, non abrogée, telle que nous venons de la rap­peler ; contraire aussi au numéro 116 de la Constitution litur­gique, que nous n'avons pas encore cité, et auquel on se réfère trop rarement au sujet du latin ; numéro 116 qui stipule : « *L'Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c'est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d'ailleurs, doit occuper la première place. *» Sans latin, plus de grégorien. SI LE GRÉGORIEN EST LE CHANT PROPRE DE LA LITURGIE ROMAINE, C'EST DONC QUE LE LATIN EN EST OBLIGATOIREMENT LA LANGUE PROPRE. *Si le grégorien doit occuper la première place dans les actions liturgiques, c'est donc, obligatoirement, que le latin doit y occuper la pre­mière place.* Le pape a (sans doute) le pouvoir d'abroger la loi conci­liaire ; mais une simple *allocution,* même du pape, *n'a pas ce pouvoir.* Au demeurant Paul VI déclare à jet continu que le Concile en général et la Constitution liturgique en particulier doivent toujours être tenus pour loi de l'Église... \*\*\* Donc, quand Paul VI déclare dans son allocution du 26 no­vembre 1969 : « *Ce n'est plus le latin, mais la langue cou­rante, qui sera la langue principale de la messe *», quand il précise sans équivoque que désormais « le latin sera *remplacé* (sic : REMPLACÉ) par la langue courante », quand il ajoute : « *Nous* PERDONS *la langue des siècles chrétiens, nous devenons comme des intrus et des profanes dans le domaine littéraire de l'expression sacrée *» ([^16]), -- il énonce ainsi son opinion privée, sa tendance personnelle, sa préférence particulière, dont il donne d'ailleurs aussitôt le motif : il en espère une plus grande « compréhension », il pense que le latin risque de « nous couper », peut-être (il n'en est pas tout à fait sûr), « des enfants, des jeunes, du monde du travail et des affaires ». C'est une opinion. Ce n'est qu'une opinion. Rien ne nous im­pose d'y adhérer. Rien ne nous interdit de la critiquer (beau­coup de raisons, enseignées par l'Église, nous y invitent au contraire). Cette opinion n'est nullement proposée à notre obéissance par un acte du Magistère. 28:145 C'est une confidence sur un état d'âme (et cette confidence, bien sûr, nous *renseigne* terriblement). C'est une volonté individuelle : la volonté déclarée de «* remplacer *» le latin par le vernac. C'est une im­pulsion, c'est un encouragement donnés à tout un parti dans l'Église, le plus puissant, le plus dévastateur : celui qui veut nous transformer *en intrus et en profanes dans le domaine de l'expression religieuse*. -- Mais enfin il est bien clair, que cette volonté personnelle de *remplacer* le latin par le vernac dans la liturgie est *contraire aux lois de l'Église* en général et à la loi de Vatican II en particulier. Cette infraction aux lois, nous en prenons acte, sans irrespect, sans plaisir, mais sans faiblesse. \*\*\* Cette même allocution du 26 novembre 1969 contenait la permission de célébrer la messe, jusqu'au 28 novembre 1971, selon le Missel romain de S. Pie V. Mais attention : dans le passage qui donne cette permis­sion, Paul VI n'exprimait pas une *opinion*, il ne faisait pas une simple *allusion* à une éventualité ; il ne donnait pas une *assurance *; il ne prononçait pas une *promesse *; il ne formu­lait pas un *souhait* personnel, il ne faisait pas une *confidence* sur son *état d'âme*, ni rien d'autre de ce genre. Il *rendait publique* une DÉCISION prise *selon les formes *; il en rendait public le texte même. Relisons : « ...Pour terminer, Nous vous *lirons* certaines indications émanant de la S. Congrégation du culte divin, qui a *compé­tence* en la matière. » Paul VI *lit* le texte même de la décision. Il souligne qu'elle émane de la Congrégation romaine qui *a compétence *: et « compétence » veut dire ici *pouvoir*. Non point évidemment que Paul VI, en cela, se soumette à un pouvoir qui serait supérieur au sien. Tout son *pouvoir*, la Congrégation le tient du Souverain Pontife. En soulignant la *compétence* de la Congrégation, Paul VI précise donc qu'il s'agit bien là d'un *acte officiel du Saint-Siège.* Et il lit, dans leur texte même, il cite entre guillemets les termes de cette décision ayant autorité. \*\*\* 29:145 Eh ! bien, de ces deux allocutions jumelles, de ces deux allocutions sur la messe, toujours citées ensemble comme insé­parables, celle du 19 novembre et celle du 26 novembre, on a publié aux *Acta* seulement la première ; et point la seconde, la seule des deux, pourtant, qui contienne un *acte officiel* du Magistère pontifical. L'allocution du 19 novembre 1969 a paru dans les *Acta* du 30 décembre 1969. Ce même numéro des *Acta* contient des allocutions du 23 novembre, du 27 novembre, du 8 décembre. Mais point celle du 26 novembre ! L'Index chronologique des *Acta* pour l'année 1969 confirme que l'allocution du 26 novembre 1969 demeure omise et in­connue. Un oubli... \*\*\* Quand on veut se reporter au *texte officiel* de cette *décision ayant autorité*, on ne le trouve point dans les *Acta* ([^17]). C'est commode ! Un remerciement spécial à ceux qui nous ont charitablement machiné cette commodité... On ne le trouve pas non plus dans *La Croix*. Dans son numé­ro du 28 novembre 1969, elle n'a donné de ce passage qu'un résumé incorrect, inexact, incomplet et finalement inintelli­gible. On le trouve en italien dans *L'Osservatore romano* du 27 novembre 1969. On le trouve aussi, traduit correctement en français, dans la *Documentation catholique* du 21 décembre 1969, page 1103, colonne 2. Deux numéros précieux, celui de la *Documentation catho­lique* et celui de *L'Osservatore romano *: qu'il est prudent de conserver et de faire photocopier. \*\*\* 30:145 Naturellement, il arrivera le plus souvent, il est déjà sou­vent arrivé que l'évêque, le vicaire général et tutti quanti aient l'hypocrisie formidable de dire : -- *Où est-elle, cette fameuse permission de Paul VI ? Pou­vez-vous me la montrer ? Quel est son texte ? Avez-vous des preuves ?* Il ne faut pas se laisser troubler. Il faut leur répondre : -- *Halte-là ! C'est vous qui êtes* CHARGÉS *de la produire, de la montrer, de la faire connaître, de l'appliquer. Si vous êtes réellement ignorants, allez d'abord vous renseigner et vous instruire.* Et il faut, prêtre ou laïc, ajouter : -- *Je suis dans mon bon droit, cela me suffit, j'y reste et je ne vous demande rien. Mais si vous venez me persécuter et me réclamer de* FAIRE LA PREUVE, *je la ferai* DEVANT LES TRIBU­NAUX DU SAINT-SIÈGE : *je vais vous y traduire immédiatement.* \*\*\* Parenthèse. Plusieurs nous disent : -- *Mais que ferons-nous après le 28 novembre 1971 ?* La réponse est dans l'Évangile : « *A chaque jour suffit sa peine* ». S. François de Sales paraphrasait et complétait : « *A chaque jour suffît sa peine, sa demi-lumière et son cantique. *» Son cantique grégorien et son Missel romain. Occupez-vous donc de la messe *aujourd'hui,* au lieu de rêver. Rien ne vous garantit que vous serez encore de ce monde après le 28 novembre 1971. Ou que le pape n'aura pas changé d'ici-là. Ou que la permission ne sera pas prorogée. Fin de la parenthèse. #### III. -- Conclusions pratiques **1. -- **La première conclusion à tirer de tout ce qui précède est que *le droit* de chacun, en ce qui concerne la messe, est *difficile à connaître* et *difficile à faire valoir.* La situation a été *artificiellement embrouillée* par l'autorité religieuse elle-même, et cela pour une raison qui devient de plus en plus manifeste : l'autorité religieuse actuelle ne veut *ni abroger ni appliquer les lois de l'Église.* 31:145 **2. -- **On ne peut pas attendre de chaque prêtre et de chaque laïc qu'ils aient une connaissance exacte et complète d'un dossier aussi complexe. S'ils restent *isolés,* ils se feront à chaque coup « posséder » par l'arbitraire cruel et rusé de la bureaucratie ecclésiastique. **3. -- **De plus en plus, nous recevons des lettres de lecteurs qui nous demandent comment faire pour obtenir *au moins* une messe de mariage ou de funérailles qui soit célébrée selon le Missel romain de S. Pie V. Nos réponses, quand nous avons le temps d'en faire, les déçoivent. Mais c'est de leur faute : ils sont *trop seuls* et ils s'y prennent *trop tard.* Ils n'ont que quelques jours pour une messe de funérailles, que quelques semaines pour une messe de mariage, et souvent *pas même un prêtre* qui accepte de célébrer la messe selon leur vœu. Dans ces conditions, il est impossible de contre­carrer le refus paroissial ou diocésain. Il n'existe aucun truc miracle permettant d'imposer le Missel romain et le grégorien à un clergé qui n'en veut pas. *Il fallait s'y prendre plus tôt, s'organiser en temps utile, s'être déjà regroupé* CHAQUE DIMANCHE *autour de messes de S. Pie V :* s'être déjà documenté, avoir déjà des prêtres, déjà des contacts suivis avec les associations qui s'en occupent, et être déjà en relations avec un avocat ecclésiastique compétent et résolu. **4. -- **Groupez-vous pour être forts, pour être renseignés, pour être défendus : *entraide et autodéfense mutuelle.* Trouvez le moyen d'être *en possession paisible* de la messe de S. Pie V chaque dimanche. Attendez l'attaque sur cette position. Quand viendra la persécution administrative, vous ferez appel, selon les formes, de la décision locale à l'Ordinaire du lieu ; puis de la décision de l'Ordinaire au Saint-Siège. Procédures longues et difficiles. Vous y serez embrouillés, vous y serez débordés, si vous y allez isolés et en amateurs. Au contraire, ces procé­dures vous seront facilitées si vous êtes groupés, si vous êtes puissants, si vous avez des conseils juridiques compétents. C'est en quoi peuvent vous rendre service des associations comme LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES et comme UNA VOCE. A la condition de ne pas les alerter au dernier moment, en catastrophe : mais *d'y être déjà organisés* quand survient l'arbitraire. 32:145 **5. -- **Oui, la position la plus simple et la plus forte est de s'éta­blir habituellement dans la messe latine de S. Pie V : *aucune autorisation préalable n'est nécessaire.* Aucune autorité n'a *le droit* de *l'interdire.* Mais bien sûr cette interdiction vien­dra tôt ou tard, par abus de pouvoir : il faut être prêts, être organisés, dès maintenant. Quand vient l'arbitraire, alors, sans céder, on fait appel, jusqu'à Rome, et de toutes façons l'appel est suspensif des mesures d'interdiction. Des prêtres pour cela, il en existe ; des avocats ecclésiastiques compétents et résolus, il en existe aussi. Naturellement, *nous ne les indiquerons pas à nos lecteurs sur simple lettre.* Si vous voulez des prêtres, si vous voulez des avocats, si vous voulez des messes de S. Pie V, si vous voulez des renseignements, des conseils, des moyens d'action, entrez d'abord dans les associations qui vous les procureront *quand elles vous connaîtront suffisamment ;* pas avant. Comprenez donc que tout cela est extrêmement sérieux, extrêmement grave, et ne souffre à aucun degré la légèreté ou l'improvisation. 33:145 ANNEXE II ### Réapprendre le latin AVIS : ceux qui ont *oublié* le latin, l'ayant *peu appris, ou mal appris,* ou longtemps cessé de le *pratiquer,* peuvent le réapprendre *facilement,* s'ils le veulent. \*\*\* Même des prêtres en grand nombre sont dans ce cas. Au séminaire le latin a été négligé ou saboté. Par la suite, ils se sont dispensés ou on les a dispensés du Bréviaire ; ou ils ont eu un Bréviaire moderne en langue vernaculaire. Depuis des années, ils pratiquent une liturgie vernac. Et maintenant, parce qu'ils sont prêtres, et qu'ils veulent rester des prêtres catholiques, au milieu et à contre-courant de la décomposition générale, ils constatent expérimentale­ment combien le latin leur manque. Ils constatent que, sans le latin, ils deviennent *des intrus et des profanes dans le domaine de l'expression religieuse.* Le latin leur manque pour *revenir* au MISSEL ROMAIN : au moment où ils sentent la nécessité impérieuse d'un tel retour. Ils n'osent pas toujours avouer ni même regarder en face la paralysie où les tient leur ignorance. En quoi ils ont tort. Qu'ils reconnaissent avec simplicité : -- *Je sais que je ne sais pas.* C'est le début de toute connaissance. Qu'ils ne s'imaginent pas condamnés à des années d'études, dont ils n'ont pas le temps, ni peut-être le courage. Il existe une méthode *simple et facile,* et *adaptée* à leur situation, quelques minutes chaque jour, pour réapprendre *le latin de la Vulgate et de l'Église.* \*\*\* A vrai dire, bien entendu, il existe plusieurs méthodes. Nous indiquons ici les grandes lignes d'une méthode parmi d'autres. 34:145 Ce qu'il faut en saisir, c'est le principe. Chacun, prêtre ou laïc, l'appliquera sans peine à son cas particulier. \*\*\* Il suffit de faire, chaque jour, *deux* lectures de l'évangile du jour. 1\. -- Première lecture : verset par verset : *a*) en cherchant d'abord, sans regarder la traduction, à en comprendre le sens ; *b*) en allant ensuite le découvrir, le compléter ou le véri­fier dans la traduction ; *c*) en arrêtant son attention aux mots que l'on ne connais­sait pas ou aux expressions que l'on n'avait pas comprises. 2\. -- Seconde lecture : le texte latin ayant été bien compris verset après verset, le *relire tout entier à haute voix* (ou à mi-voix), non pas seulement de bouche, mais en fixant son atten­tion sur la signification. Naturellement, cet exercice n'exclut pas, mais propose une méditation quotidienne de l'évangile du jour. On fera cette méditation sur les expressions latines de l'évangile, une fois qu'elles auront été bien comprises (et leur signification bien vérifiée dans la traduction). \*\*\* *Parenthèse sur la lecture à haute voix. --* Il est bon, en même temps, de prendre l'habitude d'une prononciation cor­recte. C'est-à-dire : A. -- De marquer les accents (ils sont très soigneusement indiqués dans tous les textes latins des anciens missels). B. -- De prononcer « à l'italienne ». Le latin étant *la langue vivante de l'Église,* il faut exclure les prononciations « à la française », « à l'allemande », « à l'anglaise », etc., qui abou­tissent à une diversité de prononciations inintelligibles les unes aux autres. Il faut exclure également la prononciation dite « restituée » (*Kikero* pour *Cicero*)*,* parce qu'elle est arti­ficielle, éventuellement contestable, et *sans référence vivante* à une langue actuellement parlée. Il faut se régler sur la pro­nonciation *réellement pratiquée aujourd'hui à Rome,* c'est-à-dire sur la langue vivante de l'Église romaine (*Tchitchéro* pour *Cicero*)*.* \*\*\* 35:145 A mesure que cette pratique quotidienne procurera une certaine aisance dans la compréhension du latin -- ou bien dès le début, les jours où l'on disposera de plus de temps -- on pourra y ajouter, selon la même méthode de la double lecture, l'introït, le graduel, l'épître, les oraisons de la messe du jour. Il est bien entendu que ces exercices doivent être faits non point pendant la messe, mais en dehors (et de préférence avant, soit le matin, soit la veille au soir). D'ailleurs, en beaucoup d'endroits on a adopté (ou on subit) le « nouveau calendrier », avec de nouveaux textes. Il n'y a donc aucune occurrence avec la messe du jour dans les anciens missels. \*\*\* Il est utile *d'apprendre par cœur* quelques textes latins. Par exemple des psaumes. Des psaumes courts comme le *De profundis* (psaume 129). Des psaumes de bonne longueur comme les psaumes de la péni­tence, et en premier lieu le *Miserere mei* (psaume 50). Pour apprendre un psaume par cœur, il suffit de le réciter chaque jour (livre fermé) jusqu'à l'endroit où on ne le sait plus, et de lire la suite à haute voix. Mais toujours en portant son attention sur la signification, et en s'arrêtant pour la retrouver chaque fois qu'elle échappe. \*\*\* Vous découvrirez que le latin d'Église, spécialement le latin liturgique, est presque toujours une langue accessible et facile, à la seule condition de la pratiquer, *quelques minutes chaque jour.* Les encycliques pontificales sont souvent d'une langue beaucoup plus difficile. Le Secrétariat aux lettres latines, com­posé d' « humanistes » distingués et savants, y emploie trop souvent une syntaxe et un vocabulaire « cicéroniens » ; ce sont d'admirables thèmes latins, mais artificiels et compliqués. La langue vivante de l'Église est d'abord celle de la Vulgate et de la liturgie romaine : véritable *langue maternelle* pour les peuples latins. A tous ceux qui ont appris un rudiment de latin, même s'il est passablement oublié, il est *simple et facile* de devenir ou redevenir *rapidement* capables de comprendre d'une manière courante le latin d'Église. Il suffit de le remettre dans sa prière de chaque jour. 36:145 ### La certitude dans l'Église par R.-Th. Calmel, o.p. SELON LA RÉVÉLATION et selon l'enseignement de la Tradition le Seigneur a voulu une Église hiérar­chique afin de demeurer présent parmi nous avec sa vérité, sa grâce, son sacrifice, la réalité physique de son corps et de son sang dans le sacrement de l'autel. Pour cette société hiérarchique de la grâce chrétienne il a voulu un chef qui soit son propre Vicaire et non le représentant démocratique de la multitude des fidèles ou de l'oligarchie épiscopale. Enfin ce Vicaire, ce Pasteur Suprême, ce Père commun des pasteurs et des fidèles, ce Successeur de Pierre, ce Pape pour tout dire, il l'a doué du privilège unique de l'infaillibilité ; mais pour autant il ne l'a pas rendu impeccable. Cela ne convenait pas d'ailleurs : pour­quoi aurait-il pour ainsi dire fabriqué une humanité excep­tionnelle, confirmée en grâce, pour tous et chacun des prêtres qui deviendraient ses vicaires au cours des âges ? L'une des grandes lois de l'économie rédemptrice, n'est pas, selon la formule du Cardinal Journet, *l'élimination de la souffrance --* et l'une des grandes souffrances nous vient par le péché ou l'incapacité des chefs -- *mais l'illumination de la souffrance.* Et cette illumination est très redevable à la grâce et à la vérité que peuvent encore nous dispenser les chefs légitimes, même incapables ou indignes. 37:145 Mais le Pape qui est infaillible accomplit si rarement des actes ou il s'engage formellement au titre de son infail­libilité, que si nous ne devions compter en tout et pour tout que sur de tels actes, la sécurité qui en résulterait pour l'Église serait assez restreinte. Seulement, il est une contrepartie du privilège d'infaillibilité qui fonde un genre de sécurité continue : le Pape n'enseignera jamais positivement d'hérésie dans un acte formel de son magis­tère, même ordinaire. De là pour l'Église *une sécurité, que j'appellerai suprême,* qui repose à la fois d'une part sur les actes et définitions solennelles des Papes et des Conciles et d'autre part sur la continuité et la cohérence de l'en­seignement ordinaire avec les actes solennels et surtout avec l'enseignement de toujours : *quod unique, quod sem­per, quod ab omnibus* et en définitive, *quod ab ecclesia Romana.* Cependant le Pape qui est infaillible et qui dispense à l'Église la sécurité suprême et continue que je viens de rappeler n'est aucunement impeccable, n'ayant pas été comme Pierre après la Pentecôte confirmé en grâce après son élection. De là découle plus ou moins souvent une douloureuse conséquence. Si le Pape ne peut jamais enseigner positi­vement le contraire de la vérité révélée, il peut cependant pécher contre cette vérité en omettant de la confesser et de la proclamer lorsque tel est son devoir ; il peut pécher par silence, par omission, par équivoque. Donc si la sécurité que j'appelais *suprême* ne peut pas manquer à l'Église, en revanche l'Église peut être plus ou moins démunie *d'une sécurité que j'appellerai ordinaire ;* ce genre de sécurité qui devrait entourer la sécurité su­prême, lui donnant un visage très humain et très attirant, le reflet même des vertus et des qualités du Pape, en par­ticulier sa force de caractère, sa droiture, son indépen­dance ; en un mot ces dons et ces fruits de nature et de grâce qui inspirent aux subordonnés une générosité con­fiante, les rendant heureux et fiers de servir sous un chef suprême digne de ce nom. Il arrive hélas ! que ces qualités et ces vertus ne se rencontrent pas, ou à peine, en tel ou tel Pape. Notre-Seigneur n'a promis nulle part que cette épreuve serait épargnée à l'Église. On peut lire l'Évangile et le Nouveau Testament tout entier, on n'y trouvera pas une telle promesse. Il faut se rendre à l'évidence : l'Église peut ne pas recevoir du Pape une certaine sécurité -- d'un genre assez humble sans doute, mais tout de même extrê­mement précieuse. 38:145 Que faire alors ? Redoubler de prière pour le Pape et persévérer dans la prière jusqu'à ce que nous ayons sur­monté le scandale et persévérer même et surtout après cette première victoire, car jamais ici-bas nous ne sommes immunisés contre le vertige spirituel. -- Ensuite, mettre à profit au maximum la sécurité suprême dont je parlais plus haut s'attacher en particulier à la Tradition : *quod unique, quod semper, quod ab omnibus,* et en définitive *quod ab Ecclesia Romana ;* savoir que nul Pape, quels que soient sa variabilité, sa faiblesse, son esprit chimérique, les roueries de sa prudence mondaine, nul Pape ne peut, dans un acte où il s'engage formellement, clairement, comme Pape, briser avec la Tradition de tous les Papes. -- Enfin, par rapport aux critères de la sécurité suprême, juger des actes et des décrets douteux et, dans la mesure où ils induisent à altérer le dogme et le culte, s'opposer avec fermeté ; avec respect sans doute, car il s'agit du Pape ; avec fermeté tout autant, car il s'agit de ne pas se rendre complice d'un péché contre la vraie confession du dogme et la vraie célébration du culte. Voilà pourquoi par exemple j'en ai toujours appelé, avec non moins de révérence que de netteté, du Pape de la nouvelle Messe au Pape de *Mysterium Fidei.* Non que je tienne que le Pape de *Mysterium Fidei* ait porté solennelle­ment dans cette encyclique une définition infaillible, mais il y enseigne et rappelle une doctrine à jamais définie comme infaillible. J'en appelle du Pape qui commande (ou qui fait semblant) une Messe équivoque, acceptable par les Luthériens, au Pape de *Mysterium Fidei* qui rejette toute équivoque dans la Foi en l'Eucharistie, et donc *dans sa célébration* (car l'objet de la Foi est ici un sacrement qui se célèbre). Voilà le grand point d'appui pour résister aussi bien au nom des définitions solennelles infaillibles que de l'enseignement ordinaire en continuité et cohérence avec la Tradition, bref au nom de ce qui fonde la sécurité suprême que nous donnent les Papes et le Pape, refuser les actes faillibles et réformables qui, de toute évidence, détruisent cette même Tradition. \*\*\* 39:145 Certains me diront peut-être : attention trop grande apportée à des cas exceptionnels ; trop d'importance atta­chée aux fautes éventuelles de la personne ; vous risquez de perdre de vue la sublimité de la fonction. -- Je ne le pense pas. Je crois avec toute l'Église et j'enseigne que ce qui constitue le Pape c'est l'autorité unique reçue du Sou­verain Prêtre, de Jésus-Christ lui-même, à partir d'une élection légitime et régulière ; mais enfin cette autorité, cette fonction ne sont pas hypostasiées : elles sont confé­rées à une personne qui est telle ou telle : Honorius ou saint Grégoire VII, Pie VI ([^18]) ou saint Pie X. Dans l'exercice formel de sa charge (magistère solennel ou ordinaire) le Pape ne peut jamais induire à pécher, il ne peut que nous confirmer dans la foi et c'est avant tout ce privilège que le sens chrétien reconnaît et vénère dans tous les Pa­pes. Mais il n'est pas impossible que le Pape (d'une ma­nière indirecte sans doute mais cependant réelle) par les faiblesses, ou même par les lâchetés qui interfèrent avec l'exercice de sa charge, il n'est pas impossible que le Pape ne nous induise indirectement à trahir la vraie doctrine et le culte du *Testament nouveau et éternel.* Au nom de quoi m'interdiriez-vous de m'en apercevoir ? Et comment arri­ver jamais à m'en apercevoir si je ne dois considérer dans le Pape, en tout et pour tout, que sa fonction unique qui subsisterait comme dans une réalisation hypostasiée, au lieu que la fonction unique est enracinée dans une chétive personne de pauvre pécheur. 40:145 Il est heureusement exceptionnel que les décrets du Pape, j'entends des décrets réformables et non infaillibles, nous mettent en un mauvais chemin. La Providence spéciale du Seigneur sur son Église fait que c'est exceptionnel, sans cela l'Église ne tiendrait pas ; un scandale aussi consi­dérable venant d'en haut, d'une façon habituelle, jetterait l'Église par terre, les portes de l'Enfer auraient prévalu, contrairement à la parole qui ne peut nous tromper. C'est donc exceptionnel ; mais l'exception aussi a droit d'exister et elle existe un jour ou l'autre effectivement. Par ailleurs il suffit d'ouvrir les yeux pour s'apercevoir que les procédés et méthodes révolutionnaires ont pénétré jusque dans l'Église. Ils consistent notamment dans la mise en œuvre organisée, contrôlée, structurée de moyens de pression et d'autorités parallèles qui dominent les au­torités régulières et font sanctionner par celles-ci des inno­vations et bouleversements radicalement destructeurs de la Tradition dans le dogme, les mœurs, la discipline et le culte. Eh ! bien, si déjà en période à peu près normale il n'est pas inouï, bien que ce soit exceptionnel, que le Saint-Père prenne telle mesure qui, d'une manière indirecte mais réelle, constitue un péril pour la foi et le culte, à plus forte raison ce ne sera pas inouï en période révolutionnaire. Et le devoir sera de résister. \*\*\* Le lecteur aura pressenti sans doute que la question principale sous-jacente à tout ce propos est celle de la Nou­velle Messe. C'est cela en effet. Après bien des approches inquiétantes, comme l'introduction des langues vulgaires jusque dans le Canon, la suppression de deux génuflexions juste au moment où le Seigneur se rend présent comme victime immolée, la fabrication de trois nouvelle prières eucharistiques dont une particulièrement brève et inex­pressive, bref après ces offensives feutrées, poursuivies avec une ténacité féroce, nous avons eu la promulgation de tout un *Ordo Missae* à la préparation duquel des pro­testants ont travaillé et qui est polyvalent, c'est-à-dire valable à la fois pour les hérétiques et les catholiques et même, par son manque de netteté et sa rupture avec la Tradition, plus valable pour les hérétiques que pour les catholiques. 41:145 Du fait de prescrire, ou du moins d'avoir les apparences de prescrire, une Messe équivoque le Saint-Père favorise le péché contre la foi. Et quel péché ! Il expose en effet à abolir la Sainte Messe en réduisant son efficacité d'ordre sacramentel à la commémoraison inefficace de la cène protestante. Ce n'est pas parce qu'un péché contre la foi est favorisé par un décret, certes non infaillible, du Vicaire de Jésus-Christ, que ce péché cesse d'être un péché. Si l'on tient, en pratique, quoi qu'il en soit des décla­rations théoriques, que le Pape est impeccable, alors on s'interdit de voir le mal profond de la nouvelle Messe ; on se prive de la défense intellectuelle qui préserverait effi­cacement de mettre le doigt dans l'engrenage de la subver­sion liturgique universelle ; on se met dans la situation d'avoir à se débattre bientôt dans des difficultés inextri­cables, ne sachant plus ce que l'on pourra encore accepter ou refuser d'une Messe qui deviendra de plus en plus *nou­velle,* jusqu'au moment où elle s'évanouira purement et simplement dans la cène luthérienne ou calviniste. \*\*\* Comme tout chrétien je tiens fermement qu'il faut lire les textes de l'Évangile relatifs aux pouvoirs du Pape en nous réglant non seulement sur l'Écriture mais encore sur la Tradition, en particulier sur la définition solennelle de Vatican I ; et je tiens que ce que nous devons lire avant tout dans le chap. XVI^e^ de saint Matthieu c'est la primauté de Pierre et son infaillibilité : c'est cela qui est spécifique. Cependant je ne trouve pas indispensable qu'on lise les textes sublimes et porteurs d'un réconfort souverain, dans saint Matthieu, dans saint Jean et dans saint Luc, en de­hors de leur contexte très humble et d'une certaine ma­nière angoissant ([^19]), de sorte que *la grandeur spécifique* fasse oublier *la misère commune,* que le *Tu es Petrus...* le *Tibi dabo claves*... éclipse le *Vade post me, Satane, scan­dalum es mihi *; 42:145 que le *Pasce agnos meos, parce oves meas* ne tienne pas compte de l'interrogation douloureuse, trois fois répétée *Simon Joannis amas me*, qui est sans aucun doute une invitation à réparer le triple reniement, la lâ­cheté misérable du Vendredi-Saint. Ce qui fait de saint Pierre le premier Pape ce n'est pas le refus de la croix pour son Maître, le Verbe de Dieu incarné ; nous le savons bien ; c'est l'investiture solennelle après la confession sans faille, divinement inspirée par *le Père de Jésus qui est dans les cieux.* Mais enfin, même après avoir été favorisé de cette inspiration, le premier Pape a pu s'égarer au point de dire du mystère de la croix : *Absit a te Domine, non erit tibi hoc*. Pourquoi nous efforcerions-nous de l'oublier ? ([^20]) Est-ce que l'Église l'oublie, elle qui implore pour le Pape dans son oraison officielle, la grâce de sauver son âme ? Est-ce que l'Église à certaines heures de vertige, de trouble, de tentations sataniques redoublées, n'est pas obligée de reprendre à son compte la parole du Seigneur au premier Pape : *Vade post me, Satana ? *Et lorsque l'Église reprend à son compte ce cri terrible, avec l'indignation très pure de son cœur d'Épouse du Christ, ne parle-t-elle pas unique­ment sous la pression de son amour pour son chef visible sur la terre et en vertu de sa foi inébranlable dans la fonc­tion du Pape, dans le privilège de cette fonction ? Tenir compte lorsqu'il faut (or dans les périodes révo­lutionnaires cette obligation peut s'imposer plus souvent) tenir compte dans certains cas précis du *Vade post me, Satana* ce n'est pas nier le *Tu es Petrus*, adopter je ne sais quelle attitude protestante, s'égarer dans le libre examen ; c'est entendre le *Tu es Petrus* selon la doctrine de la Foi. Car la doctrine de la Foi, qui est sûre, entend la primauté pontificale non dans un sens de pur arbitraire et de façon que les chrétiens soient ravalés au rang indigne de sujets inconditionnels du Pape, mais dans un sens de conformité à la Tradition. Par là même l'obéissance du chrétien est contenue dans des limites définies. L'autorité qui prétend s'affranchir de ces limites ou qui fait semblant, oblige par là même les sujets à ne plus lui obéir. \*\*\* 43:145 Ces questions de résistance au Pape, j'entends dans les cas de résistance légitime, sont vite embrouillées et trou­blent facilement les âmes pour peu que l'orgueil s'en mêle ou la pusillanimité. Et ces questions deviennent insolubles si l'on conçoit *pratiquement* l'Église, quoi qu'il en soit des *théories* à l'usage des étudiants et des lecteurs, comme une sorte de divine administration, aux rouages parfaitement huilés, dans laquelle il est d'abord requis d'avoir l'échine souple et de se faire une spécialité du retournement de veste au nom de la vertu d'obéissance et du principe d'au­torité, car il serait entendu une fois pour toutes que, en obéissant, on ne se trompe jamais. Seulement l'Église est la société hiérarchique de l'héroïsme chrétien, non du conformisme commode, et par ailleurs on peut pécher hé­las ! même en obéissant. Nous le savons depuis la solen­nelle déclaration de Pierre et des Apôtres : *Mieux vaut obéir à Dieu* qu'aux hommes (Actes V, 29) et surtout depuis la sentence définitive du Seigneur lui-même : *Ne craignez pas ceux qui tuent le corps* (Luc XII, 4) (quelle que soit la nature de leur autorité), sentence qui ne contredit pas mais éclaire et précise la sentence d'investiture des Apôtres : *Qui vous écoute m'écoute, qui vous méprise me méprise* -- il est sous-entendu qui vous écoute dans votre fonction d'Apôtre. L'Église n'est pas une gigantesque administra­tion religieuse où ne serait demandé que le conformisme sans chercher plus loin ; c'est le Corps Mystique du Christ, son Épouse sainte, une société au niveau de la vie théolo­gale et de l'honneur des saints, une société hiérarchique de la grâce où nous est prescrit l'héroïsme de la charité, dans l'obéissance véritable, bien différente des conformismes de toute nature. C'est le sens et l'expérience de la transcen­dance du mystère de l'Église qui permet aux âmes obéis­santes d'opposer un refus respectueux mais ferme aux décrets de la hiérarchie lorsque, de toute évidence, ils viennent heurter la Tradition la plus certaine. 44:145 L'expérience de la transcendance de l'Église persuade le chrétien que la vie théologale de l'Église est marquée du signe de la croix -- une croix qui peut venir par les dignitaires hiérarchi­ques même ; lorsqu'il en est ainsi il n'y a donc pas à se scandaliser. L'expérience de la transcendance du mystère de l'Église permet d'opposer aux ordres illégitimes un re­fus serein sans être brisé ni empoisonné, car ce refus est l'autre face, la face négative, de la soumission à l'autorité légitime du Pape et de l'attachement à la Tradition, que les Papes et le Pape ont mission de garder et d'interpréter fidèlement. \*\*\* *Media vita in morte sumus* ([^21]). Voici qu'au milieu de notre vie nous est sauvagement arrachée la douce *sécurité ordinaire* que nous dispensait l'Église depuis saint Pie X. Il nous reste la *sécurité suprême ;* nous saurons nous en contenter jusqu'au jour où il plaira au Seigneur de conso­ler à nouveau la *Cité bien-aimée,* qui demeure toujours son Épouse sans tache. Dans la mort vivante où nous voici jetés, notre Mère Marie et nos frères du Ciel nous préserve­ront de la mort spirituelle et nous obtiendront de faire face. Nous nous souvenons de ceux *qui nous ont précédés mar­qués du signe de la Foi* et du caractère sacerdotal. Humbles curés des belles campagnes françaises au début du siècle sous la rafale glacée des persécutions de la maçonnerie, magnifiques prêtres-soldats, aumôniers inflexibles sur les champs de batailles hallucinants ([^22]), petits vicaires de faubourgs, abbés de patronage, prédicateurs de mon Ordre indifférents à la spécialisation des auditoires qui annon­ciez, infatigables, l'Évangile éternel au tout-venant du peuple fidèle, 45:145 -- immense foule de nos aînés qui avez passé devant nous comme des modèles vivants de sainteté sacerdotale, frères héroïques qui nous montrez la voie, âmes limpides et fortes qui avez toujours cru à votre digni­té de prêtre et vous êtes gardés libres de toute contamina­tion des sophismes d'action catholique, certes votre croix ne fut pas légère et votre ferveur se tint à la mesure de votre croix ; mais du moins aviez-vous le réconfort ordi­naire que vous versait à pleines mains la lucidité et la vigueur du Pontife de Rome. Non seulement vous le saviez infaillible, -- il le reste, il le reste à jamais, -- mais vous saviez qu'il ne mettait pas en veilleuse, dans le train or­dinaire de sa charge, son pouvoir surnaturel de *lier ;* quand il condamnait vous saviez à quoi et à qui vous en tenir ; quand il commandait vous saviez l'objet et la portée de son commandement. L'épreuve la plus aiguë pour le cœur chrétien soumis à Rome vous fut bien heureusement épar­gnée : assister depuis notre humble poste dans le combat pour la Foi au vacillement du Successeur de Pierre ; subir les contre-coups innombrables de son omission de *lier,* du moins dans le gouvernement concret des êtres ; s'in­terroger sur la valeur de ses promulgations, jusque dans les matières les plus graves. Une seule fois sans doute l'inquiétude vous avait saisis à la vue des décisions romaines : ce fut lors de la condam­nation, si mal engagée, de l'*Action française,* avec les im­plications inévitables d'une mise à l'index dans de pareilles conditions ([^23]). Cependant vous aviez été capables de garder un cœur simple et bon dans cette épreuve inouïe. Et puis vous entrevoyiez à l'horizon l'aurore de la justice, vous voyiez se lever le jour où le grand Pape de la réconciliation mettrait fin au cauchemar. Le quiproquo serait levé. 46:145 En tout cas, le catéchisme était sûr ; sûre la Messe et sûre la communion ; l'année liturgique était sûre. Il exis­tait en vérité des paroisses, des diocèses et des évêques. Tout n'avait pas été broyé par l'implacable machine ré­volutionnaire : par les mouvements nationaux et monoli­thiques, les commissions irresponsables, les recyclages per­manents, les conférences nationales. -- Je disais que la Messe était sûre et la communion. Elles le sont encore ; elles le demeureront à jamais. Mais maintenant le Vicaire du Christ parle et agit de telle sorte que beaucoup de petits en demeurent scandalisés ; harcelés par l'ouragan des transformations liturgiques sans fin comme sans motif, ces humbles, ces *pusilli* du peuple chrétien se posent en trem­blant d'épouvante une effroyable question : la religion aurait-elle donc changé ? Prêtres nos aînés, vous qui êtes comblés pour les siècles éternels de la vision face à face et de la béatitude infinie, vous souvenant de la sécurité or­dinaire qui fut hier votre partage dans l'Église militante, obtenez-nous de ne pas nous inquiéter, maintenant que cette espèce de sécurité nous fait défaut. Au-delà des flé­chissements dans le gouvernement du Pape ([^24]), apprenez-nous à nous établir dans la fermeté de la Tradition qu'il lui est impossible de rejeter positivement par un acte formel de son Magistère. -- Encore qu'il laisse pratique­ment répandre un catéchisme qui véhicule l'hérésie mo­derniste, nous entendons nous régler sur le *Catéchisme du Concile de Trente ;* là est la sécurité ; c'est dans cette assu­rance que nous combattrons sans répit ces faux catéchis­mes qu'il laisse passer, nous privant par là d'une sécurité ordinaire qui nous était d'un grand secours. -- Alors qu'il promulgue (ou donne l'apparence de promulguer) une Messe polyvalente qui a tout ce qu'il faut pour dissoudre la réalité sacramentelle de la Messe dans la commémorai­son inefficace de la cène luthérienne, nous entendons célé­brer envers et contre tout la Messe romaine de saint Léon et saint Grégoire, codifiées par saint Pie V, 47:145 -- la Messe qui oppose un mur inexpugnable à toutes les manipulations hérétiques, -- la messe qui contient sous forme de rite le dogme irréformable défini une fois de plus par le grand Concile de la Contre-Réforme ([^25]) ; là est la sécurité su­prême ; c'est dans cette assurance que nous nous opposons, selon notre pouvoir, à l'*Ordo* polyvalent ([^26]) que promulgue le Pape (ou qu'il fait semblant de promulguer). Mais nous savons que dans cette affreuse négligence Pierre n'est pas engagé au titre de Pierre. Réduits à nous passer de ce qui dans le Pape n'est point formellement le Pape, mais qu'il est ordinaire de rencontrer en lui et dont nous avons un tel besoin, réduits à cette privation, nous ne périrons pas de détresse et d'angoisse, notre foi s'étant affermie dans la doctrine et dans le culte qui sont maintenus par les Papes de toujours, quand ils parlent et agissent formelle­ment comme Papes. R.-Th. Calmel, o. p. 48:145 ### Les « petits groupes » dans l'Église par le Chanoine Raymond Vancourt SI ON EN CROIT ceux qui ont tendance à s'en réjouir, nous assisterions, depuis plusieurs décades, à la naissance « spontanée » (?) de nombreux groupes de laïcs (auxquels se mêlent parfois des prêtres), « com­mandos spirituels » qui estiment avoir découvert une for­me d'apostolat particulièrement adaptée à notre société totalement déchristianisée. Ces « groupuscules », dans lesquels, nous dit-on, on sent passer un « souffle prophé­tique », vont enfin mener à bien la rénovation du catholicisme, rénovation à peine esquissée par Vatican II. Cer­tains journalistes pour désigner ces groupes ont employé l'expression d' « Église souterraine ». A leurs yeux, elle l'emporte évidemment, en authenticité et en dynamisme, sur l'Église officielle. Celle-ci, d'ailleurs, sera bien obligée, à la longue, de le reconnaître. Elle y a été, ajoute-t-on, heureusement préparée, d'une certaine manière, par l'im­portance qu'elle accorde, depuis quarante ans, aux mouve­ments d'Action catholique, malgré toutes les déceptions qu'elle en a éprouvées. Et elle vient de faire un geste spec­taculaire d'accueil aux « petits groupes », en leur concé­dant une liturgie particulière, assortie sans doute de quel­ques recommandations, mais qui, nous dit-on crûment, sont déjà dépassées. Bref, on s'aperçoit, en lisant la presse et en regardant autour de soi, qu'il existe un problème, posé par la présence à l'intérieur de l'Église de petits grou­pes « prophétiques ». De ce problème assez complexe, essayons de dégager du moins les aspects principaux. 49:145 Remarque préliminaire. Depuis longtemps déjà, les protestants parlent de « pe­tits groupes » et s'efforcent d'en préciser le rôle, d'en assu­rer l'efficacité. Le théologien Brunner, par exemple, un de ceux auxquels certains de nos théologiens empruntent la thèse de la « décadence de l'Église depuis le IV^e^ siècle », et qui voudrait qu'on liquide le « funeste héritage cons­tantinien » pour arrêter l'inflation de l'organisation ecclé­siale ; Brunner, dis-je, préconise, pour y parvenir, la créa­tion de « cellules vivantes de communauté », à l'intérieur lesquelles on restaurerait l'esprit du christianisme primi­tif. Dans une brochure intitulée *Les Églises, les groupes et l'Église de Jésus-Christ,* il se pose en défenseur de ces groupes, sans toutefois fermer les yeux sur les dangers qu'ils peuvent faire courir à l'Église. Brunner souligne, et il vaut la peine d'y prêter attention, que l'éclosion des groupuscules religieux s'explique, à l'intérieur du protes­tantisme, par la doctrine du sacerdoce universel des laïcs, doctrine redécouverte par Luther et susceptible de mener à une authentique démocratisation de l'Église. -- Qui ose­rait prétendre que l'apparition et la multiplication des groupes dans le catholicisme ne doivent rien à l'influence protestante ? #### Essai d'explication psychologique. A elle seule, cependant, cette influence n'expliquerait pas tout. Si les groupuscules ont ainsi proliféré, il faut l'at­tribuer, pour une part, au contexte dans lequel nous vivons. L'homme moderne a un peu l'impression d'être immergé dans la société comme la goutte d'eau dans l'Océan ; de n'être qu'un élément interchangeable, un simple pion anonyme et facilement remplaçable sur un immense échi­quier. Il se sent comme « dépersonnalisé » et dilué. Aussi aspire-t-il spontanément à s'intégrer en de petites commu­nautés où son individualité se verrait reconnue et revalo­risée, où il vivrait dans un climat de chaude amitié. Il veut pouvoir s'exprimer librement, ne pas simplement être l'écho d'une conscience collective tyrannique. 50:145 Il désire aussi assumer des responsabilités, pouvoir prendre des ini­tiatives ; le rôle de mouton de Panurge ne lui sourit guère. Toutes ces aspirations, il lui semble qu'un milieu plus ré­duit, infiniment moins complexe que celui constitué par nos sociétés modernes, fussent-elles ecclésiastiques, per­mettrait de les réaliser. L'homme moderne constate aussi que l'histoire a tou­jours été écrite par des « élites », qui ne se sont pas conten­tées de la subir, mais ont montré assez de volonté pour la façonner. Il croit, non sans raison, que cette loi s'applique également à l'Église ; que le dynamisme de quelques-uns est susceptible de réveiller les endormis et tous ceux qui n'ont ni assez de clairvoyance, ni assez de courage pour construire l'avenir. \*\*\* Jusqu'ici, il n'y aurait pas grand-chose à objecter. En soi, l'existence des petits groupes peut s'avérer excel­lente et il en est plus d'un dont l'Église a tout lieu de se féliciter. Mais le problème ne se pose pas dans l'abstrait Concrètement, de nos jours, qu'en est-il de toute une série de groupuscules qui ont surgi comme par un coup de ba­guette magique ? Quelle idéologie les inspire ? Dans quelle direction veulent-ils mener l'Église ? Comment se com­porte à leur égard la hiérarchie ? Autant de questions très actuelles qu'on ne peut vraiment plus éluder. #### L'idéologie des groupuscules. Beaucoup parmi ces « commandos spirituels », dont on nous chante volontiers les mérites, sont animés par une idéologie qui apparaît comme un *mélange de protestan­tisme, de marxisme et d'anarchisme,* mélange plutôt explo­sif. En général, ces groupes se trouvent à la pointe de la « contestation ». J'en connais un dont les animateurs se firent remarquer lors des événements de mai 68, en orga­nisant un débat dans une église de Lille, débat qu'ils ont exigé de l'autorité ecclésiastique et qu'ils ont ensuite répété. Durant la discussion on passa tout au crible : 51:145 le « cadre périmé » de la paroisse, les mouvements d'Action catholique dans la mesure où ils se laissent guider par la hiérarchie, la « structure pyramidale » de l'Église qu'on voudrait remplacer par une forme plus démocratique, où le pouvoir proviendrait de la base, etc., etc. -- Quel dom­mage, disait l'un des participants à un de mes amis, que ce groupe n'ait pas fleuri avant le Concile ! Il aurait pu l'influencer efficacement et l'aurait peut-être empêché de se contenter de demi-mesures. Le groupe est plus que réti­cent en ce qui concerne le célibat ecclésiastique. Son principal promoteur avait, quelque temps avant les événements de mai, publié dans la « Semaine religieuse » un article sur lequel personne n'a émis de réserves, et dans lequel il décrétait du haut de son infaillibilité qu'il était impossible aux prêtres d'avoir une foi profonde et adulte, étant donné qu'il leur manquait l'expérience irremplaçable de l'amour et de l'union charnelle de l'homme et de la femme. Ce groupe a été récemment mêlé à une protestation adressée aux évêques du Nord et du Pas-de-Calais après leur décla­ration en faveur de la position prise par Paul VI sur le célibat ecclésiastique : les laïcs auraient dû être consultés au préalable. Le groupe en question ne paraît pas réunir plus d'une trentaine de personnes. Il n'empêche qu'on leur donne officiellement pignon sur rue. Une affiche, destinée à signaler aux catholiques du diocèse les moyens mis à leur disposition pour « se ressourcer », présente ce groupe comme s'occupant de « rechercher les bases d'une foi adulte », un autre groupe s'intéressant à des « *recher­ches* pour une prière en vérité », car il est bien entendu que nos prédécesseurs n'ont point su ce que c'était que prier en vérité. \*\*\* Contestataires, les groupuscules s'inspirent souvent de l'idéologie marxiste. Au débat dirigé par le groupe auquel je faisais allusion, on souleva la question : un chrétien peut-il se compromettre avec un mouvement politique d'extrême gauche ? Il fut répondu en substance : non seu­lement il le peut, mais il le doit. Et l'Église tout entière devrait, elle aussi, se compromettre davantage qu'elle ne le fait. En défendant cette thèse, les groupuscules n'in­novent pas ; ils ne font que marcher dans les sentiers où s'étaient engagés depuis longtemps plusieurs mouvements d'Action catholique. 52:145 Quand on écrira l'histoire des ava­tars qu'a subis l'Action catholique ouvrière, depuis la J.O.C. initiale jusqu'à notre époque, on s'apercevra que l'influence de la pensée et de la terminologie marxistes est allée sans cesse grandissant à l'intérieur de ce mouvement, et ce, pour une part importante, par la faute des aumôniers. -- Et que dire de l'évolution de la J.E.C. ? -- Que dire aussi de cette volonté de couper toute référence explicite au chris­tianisme, volonté qui a mené le syndicalisme chrétien où l'on sait, à des attitudes telles qu'on peut se demander en quoi il diffère de la C.G.T. ? -- Heureusement qu'il s'est trouvé des hommes fidèles, courageux et lucides, pour tenter de mettre un frein à ce processus ; mais ces hommes, chose navrante, se heurtent à l'hostilité non dis­simulée du clergé. -- Bref, marxisation des « petits groupes ». Qui pourrait sincèrement nier qu'elle s'est opé­rée en des proportions inquiétantes ? \*\*\* Contestataires, marxisés, les groupuscules tendent à introduire l'anarchie dans l'Église. Leurs critiques, en effet, atteignent par priorité la hiérarchie religieuse, le Pape et les évêques. Ils ne leur reprochent point leur rela­tive passivité ou leur manque de lucidité ; ils s'attaquent *au principe même de leur autorité*. Ils trouvent non seule­ment qu'ils l'exercent trop, mais qu'ils ont tort de s'attri­buer un pouvoir d'origine divine. Une telle conviction, d'après eux, outre qu'elle ne repose sur aucune base solide, ne peut que contrecarrer l'inéluctable évolution de l'Église vers une « démocratisation radicale ». D'ailleurs la hiérar­chie a beau faire ce qu'elle veut, la pression du laïcat finira par l'emporter et l'obligera à transformer foncière­ment le concept d'Église, voire de religion. Pour les membres de ces commandos spirituels, l'essentiel est « l'en­gagement militant révolutionnaire ». La relation person­nelle avec Dieu n'a qu'une importance fort secondaire. Peu importe ce qu'on pense de Dieu, puisqu'après tout, « on ne sait rien de lui ». L'essentiel est d'aimer les hommes, car celui qui aime les hommes aime Dieu, même quand il croit le nier. Un athée, un communiste, qui lutte pour la libération de l'homme, fait partie de l'Église sou­terraine, prophétique, la seule vraiment authentique. -- Ces thèses, proposées déjà par des penseurs protestants, Bonhoeffer et Tillich, par exemple, les groupuscules essaient de les inoculer à la jeunesse chrétienne et ils n'y réussissent parfois que trop bien : je pourrais citer de lamentables exemples. \*\*\* 53:145 Devant cette situation, je ne puis m'empêcher de poser une question à laquelle il m'est impossible de répondre d'une manière satisfaisante. Je n'ai pas été maurrassien. Vers les années 1930, je me trouvais loin de France et occupé à des tâches assez différentes de celles que la Pro­vidence m'a fait assumer dans la suite. J'ai quand même suivi les controverses de cette époque, et, si mes souvenirs sont bons, je me rappelle qu'on a condamné Maurras parce que sa doctrine, disait-on, risquait de compromettre la foi des jeunes. Cette foi, elle est bien plus en péril actuelle­ment du fait de l'idéologie qui sévit en de nombreux mi­lieux catholiques. Mais cette idéologie, qui a le courage de la considérer en face, de l'attaquer ouvertement, de détourner les jeunes des mouvements et des groupes qui s'en inspirent ? -- On est sans doute un peu gêné pour le faire, lorsqu'on a, pendant plusieurs décades, laissé le poison s'introduire. Il faudrait avoir, au préalable, l'hu­milité d'avouer qu'on s'est trompé ; reconnaître qu'une méthode qui a porté des fruits aussi amers n'était pas tout à fait la bonne. Il est relativement aisé de battre sa coulpe pour des fautes et des erreurs que l'Église a com­mises *il y a trois ou quatre siècles ;* c'est facile et peu effi­cace. Il aurait fallu beaucoup plus de lucidité, de courage et de désintéressement pour s'accuser en toute simplicité des maladresses des quarante dernières années. -- On ne l'a pas fait, que je sache, ni au Concile, ni ailleurs. Le fera-t-on jamais ? On peut en douter ; et il est fort à craindre que les commandos spirituels continueront à avoir le champ libre pour mener leur action néfaste. #### Une "liturgie pour petits groupes". Non seulement la hiérarchie ne semble pas manifester de réticences à leur égard, mais elle a voulu leur fabriquer une liturgie sur mesure, dont elle a récemment rappelé les principes et codifié les règles. En lisant le document qui les contient, je ne peux m'empêcher de poser les ques­tions suivantes. 54:145 N'assistons-nous pas, une fois de plus, au déroulement d'un processus maintes fois signalé ? Des prêtres et des laïcs d' « avant-garde » introduisent des « nouveautés » plus ou moins douteuses. Au début on réagit, ensuite on les entérine. Il y a quelques années on a pu voir dans *Match* une messe célébrée dans une salle à manger par un prêtre en veston. Beaucoup ont été choqués. Depuis, la pratique s'est répandue sous des formes diverses. La revue de l'Action catholique espagnole *Ecclesia,* fort bien infor­mée, le constate dans son numéro du samedi 11 janvier 1969 : « Les groupes se réunissent dans les maisons parti­culières où on célèbre l'Eucharistie assis autour d'une table, après un souper frugal. On célèbre ces messes dans un climat de *désacralisation* accusée : le prêtre s'abstient de revêtir les ornements, consacre des morceaux de pain ordi­naire que tous mangent et du vin ordinaire dans un grand verre où tous boivent. La liturgie est soumise à la libre création, selon l'inspiration de chacun. Le temple n'est pas nécessaire, Dieu, on le trouve dans les hommes et non dans le temple. L'église ne doit pas être considérée comme un lieu sacré, la maison de Dieu. Elle est la *maison du peuple de Dieu et doit être mise au service du peuple,* pour d'autres usages profanes (salle de lecture, conférences, réunions, etc.). Elle doit être à la disposition de tous les hommes sans distinction d'idéologie. » \*\*\* Les évêques croient-ils vraiment que la *Note de la commission épiscopale de liturgie* sur les « messes de petits groupes » va endiguer le mouvement et permettre de conserver au Saint Sacrifice son caractère religieux ? S'ils le croient, ils sont dans l'illusion. D'abord, ils n'endigueront rien. Je pourrais citer des exemples qui le prouvent déjà. Tout récemment une com­munauté religieuse avait accueilli pour une retraite un groupe d'Action catholique. En fin d'après-midi, l'aumô­nier dit à la supérieure : Nous allons maintenant dire la messe. 55:145 La religieuse répond : Je m'en vais préparer la chapelle. Réplique de l'aumônier : N'en faites rien. N'avez-vous donc pas encore compris que l'Eucharistie doit se célébrer là où on mange et là où on travaille ? Un peu éberluée, la religieuse balbutie : Je m'en vais au moins vous chercher les ornements. Réplique de l'aumônier : Inu­tile. Sachez que désormais nous n'allons plus nous embar­rasser, pour dire la messe, de tout le saint-frusquin habituel... \*\*\* Le plus grave, c'est que la messe pour petits groupes fera inéluctablement perdre de vue le caractère sacrificiel de l'eucharistie, le dogme de la présence réelle et le respect du sacré. On peut se demander si les meneurs de jeu ne visent pas précisément à transformer la foi traditionnelle, à la remplacer chez les jeunes par autre chose. Nos chefs devraient se rappeler qu'on perd la foi d'une double façon : par un enseignement contraire aux vérités révélées, mais aussi par les comportements qui s'introduisent dans le culte. Max Scheler, dans un ouvrage intitulé *De l'éternel dans l'homme,* souligne que le sentiment religieux s'ex­prime dans les attitudes corporelles, qu'il varie avec celles-ci et qu'en tolérant certaines façons de « prier » on peut modifier les idées que l'on a de Dieu et du Christ : « *Le croyant qui s'absorbe dans sa prière, s'agenouille, ferme les yeux, etc., n'a pas la même représentation concrète de Dieu que celui qui prie debout, les yeux ouverts, les bras ballants. *» -- Remarque de bon sens, qu'on a peut-être trop oubliée. \*\*\* Croit-on que dire la messe autour d'une table, dans une salle à manger, après avoir « discutaillé » sur des questions religieuses, sans lecture des textes sacrés (il se dit déjà des messes où il n'y a ni confession, ni épître, ni évangile, le tout étant remplacé par des « témoignages ») ; croit-on que recevoir l'hostie, ou ce qui la remplace, des mains d'accortes jeunes filles en mini-jupes, qui, sous l'œil atten­dri des religieux, passent dans les rangs des fidèles avec le « plat », comme cela se fait dans un couvent de Lille ; croit-on que des pratiques de ce genre et d'autres analogues renforceront la foi du chrétien dans le sacrifice de la messe, la présence réelle, la transcendance de Jésus ? 56:145 Je constate que beaucoup de jeunes, non seulement ne croient plus à tout cela, mais n'ont même pas la moindre idée de ce que ça peut signifier. Ils sont devenus, en ce domaine, comme en d'autres, protestants sans le savoir. Par la faute de qui ? Je doute fort que « la messe pour petits groupes » ira enrayer ce mouvement de décadence. On me répondra : Mais nous ne faisons que restaurer des pratiques courantes aux premiers siècles ; et nous redonnons à l'Eucharistie sa finalité : renforcer les liens d'amitié entre les fidèles. -- Comme si la communion à la table sainte, à l'intérieur de l'église, n'était pas capable d'atteindre ce but ! Comme si la messe n'était pas autre chose qu'un moyen de se sentir « coude à coude ». -- Et, phénomène curieux, les gens qui n'ont à la bouche que les mots de progrès et d'évolution, les voilà qui veulent main­tenant nous ramener vingt siècles en arrière ! Il faudrait quand même être sérieux. Quand le redeviendra-t-on dans l'Église ? Chanoine R. Vancourt. 57:145 ### Présence de Jésus par D. Minimus L'ÉGLISE nous a fait répéter pendant tout le temps pascal ces paroles de s. Paul aux Colossiens « *Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez les choses d'en haut, où est le Christ, assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d'en haut, non celles de la terre. *» Quand sommes-nous ressuscités avec le Christ ? Mais, par le baptême : « *Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés au Christ Jésus, c'est en vue de sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, ainsi nous-mêmes marchions en nouveauté de vie. Car si nous sommes devenus une seule plante avec lui par la ressem­blance de sa mort, nous le serons aussi par celle de sa résurrection... Notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que soit détruit le corps du péché. *» Voilà ce que dit s. Paul aux Romains (ch. VI). Telle est la théologie chrétienne, et Tertullien explique : « Vous êtes insérés (greffés) dans le Christ comme des rameaux en un arbre nouveau, et vous devenez son propre corps, à savoir mystique, qui est l'Église. » Il suffit d'être fidèle aux promesses du baptême pour accomplir ce qui nous est demandé par l'apôtre de « marcher en nouveauté de vie ». Il semble, à voir l'état du monde chrétien, que ce soit très difficile. Oui : quand les grâces du baptême n'ont pas été entretenues, quand l'instruction n'a pas suivi le déve­loppement de l'âge et des facultés de l'esprit. Grandeur du rôle des jeunes mères ! 58:145 Le catéchisme commence trop tar­divement, les enfants y arrivent dans une ignorance crasse parce que leurs mères n'ont pas fait leur devoir ou pas su le faire, ou encore parce qu'on ne leur a jamais enseigné à le faire. On ne peut toucher les enfants que par leurs mères, ce sont les mères qu'il faut former, même en dehors des structures normales de l'Église, par des « foyers de prières ». En notre France où toutes les femmes ont des saints de leur famille au ciel depuis près de deux mille ans, beaucoup y sont disposées qui ne mettent jamais les pieds à l'église et parfois ne sont pas baptisées. \*\*\* Or jamais un jeune arbre n'a autant besoin d'être dirigé que dans les premières années de sa végétation. On lui met des « tuteurs », petites baguettes de bois léger pour maintenir les jeunes branches souples dans une bonne direction vers la lumière et le soleil, et calmer les pousses qui s'étoufferaient sous la ramure. La maman est le tuteur spirituel ordonné à cette, tâche par la nature et par la grâce. Qu'elle ne croie pas s'élever en confiant son enfant à la crèche (pour éviter les fonds de culotte malpropres) afin de travailler en quelqu'usine ou quelque bureau, alors qu'elle est (et doit être) pour son enfant la présence de Dieu. Voilà la grâce de son état. Car tout est contenu dans l'exercice de la présence de Dieu ; et cette sainte présence est la source aisée et bien coulante d'un examen constant de nos actes et de nos pen­sées. Ce n'est pas une « *entreprise aride et contractée *»*.* La présence de Dieu peut nous donner de la crainte et l'Écriture dit que c'est le commencement de la sagesse. Mais quelle crainte ? De ne pas aimer Dieu comme il faut, ni autant qu'il faut. Et c'est une douceur, car qui oserait penser que Dieu n'aime pas sa créature, même pécheresse ! Ne va en enfer que celui qui le veut et y choisit sa place. \*\*\* 59:145 Mais reprenons les paroles de s. Paul : « *Goûtez les choses d'en haut, non celles de la terre. *» Est-ce là l'ouver­ture au monde tant prêchée et qui semble consister surtout à l'imiter ? S. Paul semble dire qu'il faut faire goûter au monde les choses d'en haut. L'Église, ce corps mystique du Christ dont nous sommes les membres, doit s'ouvrir au monde pour lui découvrir le ciel ; mais le monde ne le lui permet pas toujours. Les empereurs de Rome le lui inter­dirent pendant trois siècles. L'ouverture au monde des chrétiens fut alors de confesser la foi, de subir publique­ment le martyre, et le « sang des martyrs fut semence de chrétiens ». Il ne semble pas que ce soit le genre d'ouver­ture qui soit envisagé présentement. Et pourtant... et pourtant, c'est celui qu'emploient en ce moment même les chrétiens qui vivent au delà du rideau de fer. Le temps des catacombes est revenu pour d'immenses contrées, le sang et la mort y jouent le même rôle que du temps des Césars ; il donne et donnera naissance à de jeunes troupes « *aspirant au lait sans mélange, afin que par lui vous crois­siez pour le salut, si vous avez goûté que doux est le Sau­veur *». Mais le renoncement à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, ce sont les promesses du baptême, est-il sincère ? Est-il sérieusement enseigné ? Les pompes de Satan sont d'abord les vanités du siècle, être cité dans le journal, être salué dans la rue, paraître comme Simon le magicien « *qui ébahissait les gens de Samarie en prétendant être quelque chose de grand *». Grand par la fortune ou son apparence, par les relations ou leur apparence, par les alliances. Je crois bien qu'il arrive à des chrétiennes de vouloir rivaliser d'élégance entre elles sans jamais songer qu'elles y ont renoncé en renouvelant les promesses du baptême ; et ne sont-elles pas fières, ce qui est horrible si on entend bien ce que les mots veulent dire, d'être la plus « séduisante » d'une assemblée ? Telles sont les ap­proches insensibles des grandes tentations et des chutes retentissantes. \*\*\* 60:145 S. Paul ne vous demande pas de renoncer à planter des choux, si vous avez des choux à planter. C'est une nécessité de nature. Il vous demande de les planter soigneusement et, autant que possible, guidé par la foi reçue au baptême, de remercier Dieu pour les choux, car vous ne les auriez pas inventés vous-mêmes. Il vous demande, ce qu'on peut très bien faire en plantant des choux, de penser que votre salut est suspendu à l'adoration de la part d'action céleste contenue entre vous, Dieu et vos choux. Elle n'est pas mince, elle est essentielle et fondamentale. Qui est dans la vérité ? Celui qui ne pense qu'à vendre ses choux très cher ou celui qui les prend pour un moyen de s'unir à la pensée divine ? Or, sachez que des multitudes de chrétiens ont gagné le ciel en plantant leurs choux et en remerciant Dieu. Nous n'avons qu'à les imiter. C'est bien souvent l'exemple de la foi qui donne aux incroyants le premier désir de la foi. A commencer par l'exemple de la prière. Voilà l'ou­verture au monde pratiquée par les martyrs et les mis­sionnaires de tous les temps. L'exemple de l'entraide est une conséquence ; la philanthropie ne remplace pas la foi. \*\*\* Nous sommes grandement aidés. L'Église nous demande de vivre avec Jésus ressuscité. Son corps glorieux et im­passible gardait l'apparence d'un corps mortel. Il man­geait avec ses disciples et pouvait ne plus peser comme il le leur prouva le jour de l'Ascension. Tous les états pos­sibles de la matière sont connus de Dieu et non des hommes Jésus pouvait traverser les murs et partager en­suite avec ses disciples du poisson séché et un rayon de miel. Et il nous a laissé de semblables merveilles. Car maintenant encore et jusqu'à la fin des temps, nous pou­vons vivre avec Jésus ressuscité parmi nous et l'appro­cher d'aussi près que les apôtres l'ont pu faire. Ô sainte présence de Jésus dans le tabernacle, comment des chré­tiens peuvent-ils être inattentifs à ce grand acte d'amour ? Il a été prévu et ordonné par Jésus pour demeurer parmi nous comme compagnon de nos agitations et de nos ter­restres démarches avant d'atteindre aux joies éternelles ! 61:145 Ô hommes pressés par le travail dans un monde in­sensé qui de désordre en désordre court hâtivement à sa propre ruine, donnez donc cinq minutes au passage à cet ami tout puissant qui s'offre à vos entretiens avec lui dans la plus modeste et la plus humble des conditions ; n'est-il pas là comme un prisonnier ? Et prisonnier de nos faiblesses. Sortez du songe de grandeur et d'insatiables désirs où vous vivez. Jésus demande seulement que vous ayez vous-mêmes un coup d'œil pour l'humilité de la condition humaine devant la maladie, les coups du destin et devant la mort : «* Prenez sur vous mon joug et recevez mes leçons car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. *» La vérité pour l'homme est dans la vue de sa bassesse ; cette vue est plus méritoire pour les puissants de ce monde et les favorisés de la fortune, elle est plus facile et plus profonde pour ceux que la société a tendance à mépriser. La Providence a des vues singu­lières ; ce qu'elle ouvre au monde, c'est le trésor des mar­tyrs et des sacrifiés et Jésus l'a dit (Matt. XI) « *Je te loue Père, Seigneur du ciel et de la terre pour avoir caché ces choses-là aux sages et aux* *habiles et les avoir révélés aux petits, car tel est ton bon plaisir* (*...*) *Venez à moi vous tous qui êtes trop* *chargés, et je* vous REFERAI. » D. Minimus. 62:145 ## CHRONIQUES 63:145 ### L'apostasie immanente du cardinal Suenens par Jean Madiran AU MOIS DE MAI 1969, le cardinal Suenens avait, selon la juste remarque d'Henri Fesquet, publi­quement condamné « la théologie officielle de l'Église » ([^27]). Henri Fesquet rappelait à cette occasion que le cardinal « fut l'un des principaux leaders de la majo­rité conciliaire » ([^28]). Un an plus tard, le cardinal Suenens n'est plus *l'un des* principaux, mais *le* principal, l'unique principal : « *Leader principal de la majorité à Vatican II *» ([^29])*.* Ainsi le cardinal Suenens, quoiqu'il en soit de ses in­tentions intimes, que Dieu seul connaît au for interne, et dont Dieu seul est juge, se manifeste objectivement comme candidat à la succession de Paul VI. Ce que le cardinal de Milan fit à sa manière pendant la première session du Concile, aujourd'hui le cardinal de Malines le fait à la sienne. Jean XXIII avait été élu comme pape de transition, principalement chargé de créer cardinal Mgr Montini et de lui préparer les voies ; et son âge laissait prévoir un règne bref. A son tour le règne de Paul VI approche maintenant de son terme : inventeur de l'étrange « limite d'âge » fixée à 75 ans, il ne peut s'y dérober ; on tient pour probable qu'il donnera l'exemple de la soumission à la règle qu'il a lui-même établie. 64:145 C'est pourquoi les cardinaux ont leurs regards tournés vers la succession : et les cardinaux de Curie plus encore que les autres, puisque désormais, par la volonté de Paul VI, ils doivent automatiquement perdre leur charge à chaque changement de Pontife. La conséquence des mesures prises par Paul VI est donc cet isolement, humainement total, où il se trouve désor­mais, au Vatican même. Même les cardinaux de son parti et de sa clientèle, même ceux qui lui doivent tout, évitent maintenant de s'engager trop avant et de se compromettre avec le Pon­tife qui s'en va. Tous ont déjà commencé à se situer par rapport au Pontife qui vient. Pour ceux qui veulent une Église *démocratisée,* le Pon­tife qui vient est forcément *le leader de la majorité.* Ainsi s'avance Suenens ; non ignorant sans doute des préparatifs contraires en faveur de l'officieux et obscur cardinal B... ; mais jouant à fond la carte de l'opinion, de la majorité, de la démocratie. -- *Quel Pape magnifique il fera !* murmurent déjà ses agents, tandis que les « infor­mateurs objectifs » se contentent de le consacrer, avec une insistance croissante, *leader de la majorité,* ce qui suffit. Suenens lui-même, en bon démocrate, fait son métier de candidat, il expose périodiquement au monde son pro­gramme de gouvernement de l'Église universelle. \*\*\* Ce que nous opposons au cardinal Suenens, c'est que la « majorité » dont il est le leader n'est pas une majorité catholique, mais la majorité de l'apostasie immanente. Et que l'apostasie immanente est au cœur de ses déclarations de mai 1969 et de mai 1970. Notre démonstration, la réfutera qui voudra, ou qui pourra. 65:145 #### I. -- Inversion de l'Église Comme nous l'avions fait pour sa déclaration du 15 mai 1969 (et nous y reviendrons tout à l'heure), nous retien­drons de sa déclaration au *Monde* du 12 mai 1970 ce qui a plus spécifiquement une portée doctrinale : « ...Ces questions d'ordre interne ne nous écartent pas des problèmes angoissants de notre monde contemporain. On ne peut les disjoin­dre : l'Église *ad intra* est pour l'Église *ad extra.* En s'efforçant de résoudre les questions internes, on s'ouvre au vent du large... » Ce qui est DOCTRINAL dans ce passage, c'est la proposi­tion : « l'Église *ad intra* est pour l'Église *ad extra *»*.* A ceux qui l'auraient oublié, une note rappelle que l'Église *ad intra* est « l'Église considérée en elle-même, autrement dit de l'intérieur » ; l'Église *ad extra* est « l'Église par rapport à ses fonctions extérieures, c'est-à-dire par rapport au monde ». Il y a entre elles un rapport de finalité. Tout l'*être* de l'Église en elle-même est en vue de son rapport avec le monde. Tout l'ordre interne de l'Église est en vue des problèmes angoissants du monde contemporain. Voilà un cardinal qui ne sait plus que *l'Église est une fin dernière,* et qui enseigne le contraire. C'est un cas remar­quablement net d'apostasie immanente. La finalité de l'histoire humaine n'est plus, pour le cardinal, l'achèvement du nombre des élus : c'est-à-dire la constitution de l'Église en ses dimensions définitives. L'Église est devenue pour lui une fin *intermédiaire,* rela­tive au monde (contemporain), en vue de « s'ouvrir au vent » (du large). L'ouverture à ce vent ne porte témoi­gnage que contre le mauvais rhéteur. Mais l'affirmation proprement DOCTRINALE que l'Église *ad intra* est POUR l'Église *ad extra* porte témoignage que la religion du car­dinal Suenens, en cela, n'est plus la religion catholique. \*\*\* 66:145 Sa pensée est exactement *invertie.* Si le rapport au monde a valeur de fin pour la vie intérieure de l'Église, c'est que l'Église est une fin intermédiaire et le monde une fin dernière. La fausse idée de *service* répandue depuis le Concile est à l'origine de cette inversion : idée fausse parce que la notion de service est altérée dès qu'on la sépare de la notion de BIEN COMMUN. On est allé partout répétant que « l'Église est au service des hommes », sans aperce­voir qu'un tel aphorisme justifierait ce que l'on avait re­proché (à tort ou à raison) par exemple à l'Action françai­se : « Se servir de l'Église au lieu de la servir ». Si l'Église est au service des hommes, les hommes n'ont pas à servir l'Église, mais à s'en servir, comme s'en servent effecti­vement, pour leurs desseins de domination temporelle, les sectes et maffias présentement installées dans les rouages de sa bureaucratie. En vérité on peut dire que l'Église est au service des hommes, mais sous réserve de deux précisions qui retournent l'inversion du cardinal Suenens : 1° l'Église est au service des hommes *sous le rapport de leur bien commun surnaturel ;* 2° ce bien commun surnaturel de l'humanité, *c'est l'Église elle-même.* La première de ces deux précisions corrige ou prévient l'erreur, que l'on peut dire personnaliste, selon laquelle la personne humaine, sous prétexte qu'elle transcende le « bien commun » temporel, ne serait pas finalement ordonnée à un « bien commun » surnaturel, mais verrait au contraire ce bien commun ordonné à elle-même ([^30]). La seconde s'oppose directement au messianisme temporel dans lequel, en fait, s'est fourvoyé l'*aggiornamento* conciliaire. \*\*\* 67:145 Spécifiquement destinée au bien commun surnaturel de l'humanité, et constituant elle-même ce bien commun, l'Église n'est cependant point indifférente à l'histoire tem­porelle des hommes : ici encore, on peut la dire à *leur service,* mais ici encore, sous réserve de précisions indis­pensables : 1° Tout en faisant, à chacun selon ses moyens, un de­voir d'accomplir les *œuvres de miséricorde* ([^31]) envers les *personnes individuelles,* l'enseignement et l'action de l'Égli­se en ce qui concerne le monde regardent principalement aux *biens communs* temporels dont se composent les sociétés humaines : parce que l'Église sait qu'à chaque ni­veau du temporel et du spirituel, le meilleur bien de la personne individuelle est le bien commun. 2° Mais l'Église n'est pas *directement* au service des biens communs temporels. Ce n'est pas sa finalité spécifi­que. (Sa finalité spécifique, insistons, n'est pas d'apporter directement une réponse, ou une solution, aux « angois­sants problèmes du monde contemporain ».) Aux biens communs temporels, l'Église rend *service* par un apport indirect, ou par un surcroît, que la doctrine sociale catho­lique nomme de préférence une « *contribution *»*.* Une simple contribution (qui d'ailleurs consiste essentiellement, pour l'Église, à *être ce qu'elle est*) *:* elle n'a pas la charge de ces biens, qui relèvent dans chaque cas des institutions et autorités temporelles correspondantes. Contribution effi­cace pourtant, et même incomparable, du moins quand le monde daigne l'écouter. 3° Ces biens communs temporels, si consistants en eux-mêmes, si légitimes, si respectables, si précieux soient-ils, sont passagers ; par nature, ils sont *en vue du salut éter­nel.* C'est en vue du salut éternel, *c'est-à-dire d'elle-même,* que l'Église y apporte indirectement sa contribution. \*\*\* 68:145 Inverser les finalités, leur orientation, leur hiérarchie, est l'erreur doctrinale la plus profonde, la plus complète, la plus subversive, la plus mortelle qui puisse être com­mise. La cause finale est *causa causarum *: cause des cau­ses. Une inversion de finalité entraîne une défiguration ra­dicale de l'être. La personne est pour le bien commun. L'action est pour la contemplation. L'ordre naturel est pour l'ordre surnaturel. Le temporel est pour l'éternel. Le monde est pour l'Église. Et non l'inverse. L'erreur sur la finalité est l'analogue intellectuel (voire la manifestation) du péché contre l'Esprit. La nature de cette erreur est telle que, seule, elle peut mettre en échec la miséricorde toute-puissante de Dieu. L'inversion des finalités provoque l'inversion des com­portements. A l'inverse du chrétien qui *vit dans le monde comme n'en étant pas,* le cardinal Suenens, s'arrange chaque jour davantage pour vivre dans l'Église comme n'en étant pas : il est d'une Église à venir plutôt que de l'Église telle qu'elle est ; il est d'une Église réformée par lui-même en fonction du monde et en vue de son rapport avec le monde. Il vit dans l'Église comme étant du monde et pour le mon­de. Quand on traverse ses bavardages rhétoriques, ou électoraux, pour aller jusqu'aux affirmations proprement doctrinales qu'il profère, on aperçoit que sa pensée est absolument étrangère à la pensée chrétienne. Le chrétien va du monde à l'Église : Le cardinal Suenens va de l'Église au monde, comme l'y pousse le vent (du large). Le chré­tien a dessein de réformer le monde selon l'Église, en vue de l'Église. Le cardinal Suenens a dessein de réformer l'Église selon le monde, en vue du monde. Sauf conversion, et rétractation subséquente, l'incompatibilité est insurmon­table. #### II. -- Un seul mot ? On objectera peut-être que notre analyse se fonde sur un seul mot : le mot « POUR », dans la proposition : « L'Église *ad intra* est POUR l'Église *ad extra *». -- Mais une telle objection, si elle se prétend décisive, équivaut alors à déclarer que le cardinal Suenens parle pour ne rien dire, et qu'il n'y a pas lieu, de le prendre au mot. 69:145 Un seul mot mis en sa place suffit pour commander la phrase, définir la pensée, et constituer un blasphème ou une hérésie. Une seul mot de trois lettres, le mot *non*, suffit à transformer une affirmation en négation. Un seul mot de quatre lettres, le mot *pour*, suffit à établir une fi­nalité. Si l'on récuse la signification de tels vocables, on renonce à l'emploi du langage articulé. Alors qu'on se taise. Au demeurant, ce mot unique est en correspondance manifeste avec tout le courant, ou mouvement, dit « ma­joritaire », qui depuis le Concile bouleverse et tyrannise l'Église. Déjà pendant le Concile, nous avons mis en lu­mière l'inversion d'une pensée qui considère le monde comme *enseignant* et l'Église comme *enseignée* ([^32]). Dire « l'Église est pour le monde », c'est énoncer une proposi­tion dont il apparaît immédiatement qu'elle manifeste le principe DOCTRINAL inspirant les anomalies PASTORALES que l'on voit prévaloir dans le gouvernement actuel de l'Église. Dès lors, quand le cardinal Suenens affirme en termes doctrinaux, et même techniques : « l'Église *ad in­tra* est POUR l'Église *ad extra *», ce ne peut être un propos en l'air, une boutade après boire, ni un lapsus. On y re­connaît le théorème rigoureux de ce que l'on fait méthodi­quement subir à l'Église : sa domestication, sa mise en servitude, son autodestruction. Tout le drame actuel est que les hommes qui détiennent le pouvoir ecclésiastique, au lieu de *se réformer eux-mêmes selon l'Église,* ont entrepris de *réformer l'Église selon eux-mêmes*, c'est-à-dire selon le monde. La cohérence, la persistance, la pertinacité du cardinal Suenens comme porte-parole et *leader* d'un tel dessein saute aux yeux si l'on rapproche son affirmation doctrinale de mai 1970 et celle de mai 1969. 70:145 #### III. -- Rappel Pour la clarté de l'exposé, nous allons donc rappeler ce que nous disions l'année dernière. Simple réitération, que nos lecteurs reconnaîtront ; mais ils reconnaîtront également qu'elle trouve sa place ici. Nous redisons donc : Dans sa déclaration du 15 mai 1969, le cardinal Sue­nens énonçait une affirmation *doctrinale* que personne ne semble avoir remarquée, disions-nous à l'époque, et il est encore vrai aujourd'hui que personne ne paraît l'avoir aperçue : « *On peut,* disait le cardinal Suenens, *faire une im­pressionnante liste de thèses enseignées à Rome, avant-hier et hier, comme seules valables, et qui furent éliminées par les pères conciliaires. *» ([^33]) Nous réitérons les trois remarques qu'appelle cette affirmation doctrinale : 1\. -- Ce n'est pas là un propos isolé. C'est bien le sen­timent général d'une « majorité » dont le cardinal Sue­nens est le « leader ». Visiblement, une grande quantité d'autorités religieuses pensent de la même façon et ensei­gnent à jet continu que le Concile a *modifié* ce qui était antérieurement enseigné par Rome : modifié non pas la seule FORMULATION, mais bien la DOCTRINE elle-même. 2\. -- Les « pères conciliaires » en question, et à leur tête le « leader » Suenens, ont agencé en cela une impos­ture caractérisée et insupportable. Ils avaient en effet abso­lument omis de dire dans l'aula conciliaire et d'inscrire dans leurs schémas : -- *Nous voulons éliminer une im­pressionnante liste de thèses enseignes par Rome comme seules valables.* Ils ont caché leur dessein d' « éliminer » les doctrines romaines : s'ils les ont éliminées, comme l'assure le cardinal, ils l'ont *fait sans le dire,* et même ils l'ont fait *en protestant du contraire.* 71:145 C'est-à-dire qu'ils ont menti. En face de la religion que maintenant ils nous prêchent au nom de cet exploit conciliaire, notre suspicion est légi­time, et aussi illimitée que leur fourberie. 3\. -- Car, *attention,* attention ! Les « thèses » ainsi « éliminées », ce ne sont pas des thèses qui en leur temps auraient été données comme « préférables » ou comme « plus probables », et qui, elles, peuvent effectivement varier. Il s'agit, dit le cardinal, de thèses « *enseignées comme seules valables *» : donc comme *seules vraies.* Et non pas une ou deux, mais « une liste impressionnante ». C'est l'aveu d'une révolution doctrinale introduite dans l'Église, sous le couvert du Concile, par un coup de force et de ruse aussi inacceptable par son objet que par sa ma­nière. Personne n'a jamais pu nous dire comment *un Concile pastoral aurait eu qualité pour convaincre Rome d'erreur doctrinale.* Tout s'est passé en catimini, par un agencement d'équivoques calculées et de glissements suc­cessifs. Le résultat visible est que le dernier Concile est devenu l'unique référence « doctrinale » de nos hiérar­ques, annulant pratiquement tous les Conciles antérieurs ; et que la tradition de l'Église avant 1958 est désormais considérée, selon les paroles du cardinal Suenens en 1969, comme un « lourd héritage » qui « nous enveloppe dans sa chape de plomb ». De fait, l'ORDRE NOUVEAU du catéchisme et de la messe est *en rupture ouverte* avec « une impressionnante liste de thèses enseignées à Rome, hier et avant-hier, comme seules valables ». Le principe de ce renversement schismatique, énoncé en mai 1969, est homogène à l'inversion blasphématoire et apostate de mai 1970 : *l'Église est* POUR *le monde* ([^34])*.* 72:145 #### IV. -- L'Église et le monde Le monde moderne dissimule sous ses virtuosités scien­tifico-techniques une décomposition intellectuelle et mo­rale qui est sans doute la plus grave de l'histoire de l'hu­manité. Et le monde entraîne l'Église dans sa décomposi­tion : il y entraîne du moins tout ce qui dans l'Église peut y être entraîné, les esprits et les mœurs, il y entraîne une société ecclésiastique séduite par la société civile. L'apostasie prétend qu'ainsi l'Église sort du « ghetto » où elle s'était enfermée par le *Syllabus.* Mais l'Église du *Syllabus* n'était nullement un « ghet­to » coupé du monde, indifférent à l'histoire du monde, retranché sans portes ni fenêtres. Le dernier des papes du *Syllabus,* le pape Pie XII, disait clairement, et en propres termes, sa préoccupation du mon­de, son souci pour le monde, son dessein sur le monde : -- *C'est tout un monde qu'il faut refaire depuis les fondations.* Non pas refaire l'ordre du monde sorti des mains de Dieu et inscrit dans la loi naturelle. Mais refaire le monde moderne sorti des mains de l'homme apostat. Refaire ce monde *selon l'Église,* gardienne de la loi naturelle et de la Révélation divine. La doctrine de Pie XII était la doc­trine chrétienne de toujours. Depuis 1958 nous avons vu grandir l'*inversion,* le dessein inverse : *au lieu de refaire le monde selon l'Église, refaire l'Église selon le monde.* Mais ce dessein déjà connu, dessein rationaliste, dessein naturaliste, dessein maçonni­que, est aussi le dessein d'une maffia hiérarchique ayant peu à peu, depuis 1958, circonvenu ou confisqué les pou­voirs dans l'Église. Ainsi la vieille apostasie moderne, la même, celle contre quoi se dressait le *Syllabus*, est deve­nue « immanente » : l' « apostasie immanente » de ceux qui prétendent conserver le nom chrétien et se couvrir de l'autorité de l'Église pour enseigner l'inverse du christia­nisme. \*\*\* 73:145 La vocation du chrétien est d'être méprisé par le mon­de, et de passer outre. Que si au contraire il veut être esti­mé par le monde, il lui faut alors se soumettre au jugement du monde, aux critères du monde, renoncer à ce qui paraît au monde SCANDALE et FOLIE, c'est-à-dire à l'essence du christianisme, à la croix de Jésus-Christ. C'est bien ce qu'exprime l'interrogation-programme du congrès « théologique » -- du congrès de la « majorité » -- qui se tiendra en septembre prochain à Bruxelles autour de Suenens et sous la présidence de Schillebeeckx : « Pouvons-nous esquisser théologiquement, à l'aide des sciences humaines et sociales moder­nes, les structures dans lesquelles l'Église de l'avenir devra fonctionner pour retrouver sa crédibilité ? » ([^35]) Cette interrogation-programme affirme ou insinue les présupposés suivants : *a*) l'Église a perdu sa crédibilité ; *b*) elle la retrouvera en fonctionnant selon certaines struc­tures (nouvelles) ; *c*) ces structures seront indiquées par les sciences humaines et sociales modernes ; *d*) lesquelles sciences détiennent et fixent les critères de toute crédi­bilité. Ce sont les présupposés de ceux qui ont perdu la foi (et qui le cachent, ou l'ignorent) ; de ceux qui ont perdu *l'objet formel* de la foi. Les sciences humaines et sociales modernes, dans l'hy­pothèse non démontrée où elles seraient véritablement scientifiques, détiendraient tout au plus les critères d'une crédibilité naturelle, -- et non pas de la crédibilité surna­turelle de l'Église. 74:145 Les structures nouvelles qu'ils veulent donner à l'Église, dans l'hypothèse non démontrée où leur efficacité sociologique ferait l'admiration du monde contemporain, provoqueraient tout au plus une adhésion de l'opinion, -- et non pas l'acte de *foi*. Ces docteurs sont à la recherche d'une foi, d'une Église qui seraient *croyables au monde *; naturellement croya­bles ; scientifiquement croyables : et qui donc ne seraient plus la foi chrétienne et l'Église de Jésus-Christ. Ils sont à la recherche d'une *Église* de l'avenir dont les structures ne seraient plus fixées à jamais par Jésus-Christ, mais inventées par la théologie moderne, par la science moderne, *par l'homme* (moderne). Admettre, comme position du problème de l'Église, l'in­terrogation-programme du congrès Suenens-Schillebeeckx, c'est faire acte d'apostasie immanente. #### V. -- Le pape et le cardinal Les intentions intimes du Pontife régnant, Dieu seul les connaît au for interne, Dieu seul en est juge. Objective­ment, il a présidé à la mise en œuvre du Concile dans le sens même que réclamaient la « majorité » et son « lea­der ». Il ignore ostensiblement Pie XII, et saint Pie X, et le Syllabus. Il tolère le catéchisme hollandais, diffusé main­tenant dans toute la catholicité avec la permission du Saint-Siège ; il tolère le nouveau catéchisme français ; il en honore, en flatte, en favorise les auteurs ; il nous recom­mande publiquement, avec une insistance sans fin, les nou­veaux docteurs, Congar, Oraison, Laurentin. Il a réha­bilité de facto ce que Pie XII avait écarté ou condamné dans *Humani generis *: son opposition personnelle à la doctrine religieuse d'*Humani generis* avait d'ailleurs été immédiate, elle date de 1950, nous avons là-dessus le té­moignage irrécusable de Jean Guitton ([^36]). 75:145 Il procède or­dinairement par enseignements et promulgations *atypi­ques*, qui N'ENGAGENT PAS EN DROIT LE MAGISTÈRE PONTI­FICAL, et qui donc PEUVENT ÊTRE LIBREMENT CRITIQUÉS, mais que tout un parti *présente ensuite comme articles de loi* \[sic\] *ou paroles d'Évangile*. Simultanément, et inversement, il a laissé falsifier le texte même de l'Écriture dans la nouvelle version OBLIGATOIRE imposée en France aux ca­téchistes et aux catéchismes. Au moment même où l'on *dévalorise* les décrets des Conciles, les enseignements des Papes antérieurs à 1958, et jusqu'aux textes authentiques de l'Ancien et du Nouveau Testament, on *majore* sans limite les paroles privées ou exhortatoires du Pontife régnant. Tout cela culmine dans l'autodémolition de la messe, dont le nouvel ORDO en est maintenant à la *qua­trième* version de son « édition officielle », la quatrième *en un an*. Le leader Suenens peut trouver, ou feindre de trouver, que les choses ne vont pas assez vite : il lui faut bien imaginer, au moins pour la grimace, une surenchère de candidat à la succession. Avec lui, on aurait sans doute quatre versions nouvelles de l'ORDRE NOUVEAU par mois et non plus par an : pour nous, c'est exactement la même chose. Henri Rambaud a fait, sur le gouvernement actuel de l'Église, deux remarques profondes. La première est que Paul VI aime à procéder « en se faisant démocratiquement forcer la main par les évêques », « mais ce n'est qu'une politesse, il sait parfaitement où ils le conduiront, et c'est bien où il veut aller » ([^37]). Seulement, il se produit aussi que les évêques, ou une maffia parmi eux, celle de la « majorité » et de son « leader », en rajou­tent : à la mise en scène d'une pseudo-contrainte imposée au pape, télécommandée de haut, ils ajoutent des appen­dices de leur cru. On en arrive ainsi à ne plus savoir, pour chaque cas, dans quelle mesure la contrainte ostensible­ment subie par le Pontife est feinte ou réelle. Le cardinal Gut, préfet de la Congrégation pour le culte divin, a déclaré, on s'en souvient : 76:145 « Jusqu'à présent, il était permis aux évêques d'auto­riser des expériences, mais on a parfois *franchi les limites* de cette autorisation, et *beaucoup* de prêtres ont simple­ment *fait ce qui leur plaisait*. Alors, ce qui est arrivé par­fois, c'est qu'*ils se sont imposés*. Ces initiatives prises sans autorisation, on ne pouvait plus, bien souvent, les arrêter, car cela s'était répandu trop loin. Dans sa grande bonté et sa sagesse, le Saint-Père *a alors cédé,* SOUVENT *contre son gré*. » ([^38]) Une telle description n'a pu nous être proposée qu'en accord avec Paul VI. Sa vérité saisissante s'en tient pourtant aux apparences : des apparences qui tantôt manifestent et tantôt dissimulent la réalité, selon un enchevêtrement qu'il est impossible de débrouiller à coup sûr. Le cardinal Suenens fait figure, davantage que d'oppo­sant, de pièce essentielle au fonctionnement d'un tel systè­me. Il est bien excusable d'estimer qu'il en est le succes­seur tout désigné. Voici la seconde remarque d'Henri Rambaud sur l'ac­tuel gouvernement de l'Église : « Depuis saint Célestin V (1294), l'ermite égaré sur le trône de saint Pierre, mais de qui du moins la sagesse (et l'humilité) comprit en peu de mois qu'il n'était pas l'homme qu'il y faut, deux papes seulement sur soixante-dix-neuf ont été mis sur les autels : saint Pie V et saint Pie X. Les deux pontifes dont le présent pontificat semble s'être juré de prendre le contre-pied. » ([^39]) A ces deux pontifes dont le présent pontificat prend le contre-pied, il faut ajouter Pie XII, au titre particulier de la piété filiale que sa personne, sa doctrine, sa mémoire pouvaient attendre d'un collaborateur si proche, durant tant d'années. Mais, du vivant même de Pie XII, le colla­borateur intime a montré comment *on peut n'être à aucun degré, ni intellectuellement ni spirituellement, disciple du Pontife régnant*. 77:145 Cette absence affichée de piété naturelle, inévitablement, hypothèque tout l'actuel Pontificat, par la redoutable vertu de l'exemple. Un grand nombre d'évê­ques et de théologiens ont traité l'encyclique *Humanæ vitæ* de Paul VI COMME, oui EXACTEMENT comme ils avaient vu Mgr Montini traiter dès 1950 l'encyclique *Humani gene­ris* de Pie XII. Cette hypothèque a toutes chances de ne pouvoir prendre fin qu'avec le règne. Le pape Paul VI, dont la sensibilité aime à faire appel aux sentiments, aura été en somme rétribué, par ses évêques et ses cardinaux, des mêmes sentiments dont il a rassasié la personne, les actes, la mémoire de Pie XII, de saint Pie X, de saint Pie V. Ce n'est pas à dire qu'un tel exemple devait être suivi : mais qu'il est difficilement évitable que soit suivi dans l'Église un exemple donné par le pape. Reste saint Célestin y et son exemple, que Paul VI, en revanche, a publiquement honoré. \*\*\* Il y a beaucoup d'autres choses dans la déclaration faite par le cardinal Suenens le 12 mai 1970 : comme il y en avait beaucoup d'autres dans celle qu'il avait faite le 15 mai 1969. L'année dernière il voulait imposer, au nom du Concile qui n'en a pas soufflé mot, le terme et la notion de « collégialité » ; et en réponse Paul VI, dans ses discours d'ouverture et de clôture du Synode épiscopal d'octobre 1969, se mit à employer abondamment le terme *collegia­litas* qu'il avait jusqu'alors évité ; il affirma même que le terme et la notion avaient été définis par le Concile, sans toutefois, et pour cause, citer aucun texte ni donner aucune référence conciliaire où *collegialitas* figurât. Cette année, le cardinal Suenens réclame en substance « une extension de la collégialité » ([^40]) : pourquoi pas ? L'année dernière l'admission, cette année l'extension, d'un terme et d'une notion qui jamais n'ont été définis par l'Église ([^41]) : 78:145 *ainsi s'étend le domaine de l'incertain, de l'arbitraire, de l'indé­fini,* au nom de quoi on entend recycler les esprits, réfor­mer les institutions, régler le gouvernement, établir la succession. J'insiste : recycler, réformer, régler, établir NON PLUS SUR LE CERTAIN ET SUR LE DÉFINI, partout es­tompés dans l' « ordre nouveau » de la messe, du caté­chisme, de la pastorale ; estompés et traités comme péri­més, car ils sont antérieurs à Vatican II, antérieurs à 1958. J'insiste : tout recycler, réformer, régler, établir SUR LES DÉFINITIONS APPROXIMATIVES OU MÊME ABSENTES attribuées au dernier Concile et au mouvement post-conciliaire. Em­ployé *en dehors de toute définition qui fasse foi,* employé *à la place des définitions qui font foi*, « collégialité » signi­fie tout et n'importe quoi, et notamment, et pratiquement « majorité », et « majorité » signifie, d'ailleurs par arti­fice, Suenens. Son ambition jusqu'en 1969 visait, paraît-il, la Secrétairerie d'État, au moins comme étape intermé­diaire ; désormais elle vise directement le trône de Pierre, qui souvent déjà, au cours de l'histoire, fut l'enjeu de combinaisons temporelles : au point de tomber parfois entre les mains de brigands. Le décret qui fera du Souve­rain Pontife l'élu du collège épiscopal, et non plus de l'Église de Rome, est tout prêt dans l'ombre : va-t-il en sortir ? Bien sûr, après avoir tant abaissé la *primauté* de­vant la *collégialité,* Suenens ne s'emparerait que d'un pou­voir préalablement démembré de ses propres mains : mais pour avoir une chance d'y accéder, il faut bien qu'il l'abais­se jusqu'à lui. Agents et adversaires du cardinal de Malines se perdent à l'envi dans les nombreux détails rhétoriques de ses abon­dantes déclarations. Ni les uns ni les autres n'ont arrêté leur attention à son affirmation doctrinale du 15 mai 1969 ; il est douteux qu'ils s'arrêtent davantage à celle du 12 mai 1970. Les agents, clients et partisans aperçoivent sans doute que cette doctrine est à la fois nécessaire et insou­tenable : *nécessaire* au mouvement de réforme de l'Église dont le cardinal est le leader, mais *insoutenable* au regard des principes catholiques. 79:145 Quant aux adversaires, ils sont légers, voilà tout, et une fois de plus ils reculent devant une analyse doctrinale dont ils pressentent qu'elle les mè­nerait trop loin pour leur tranquillité : alors ils opposent à Suenens des considérations anecdotiques, d'ailleurs jus­tes en général, mais sans poids réel. Ils s'attardent à tirer argument des contradictions secondaires, ou apparentes, entre Suenens et Paul VI. Si ces contradictions avaient quelque importance véritable, il reviendrait à Paul VI d'en foudroyer Suenens, au lieu d'en jouer. Mais justement. Paul VI répond au cardinal de Malines. Il ne lui répond pas au nom des définitions de l'Église. Il lui répond au nom de *l'indéfini,* au nom de la seule « col­légialité », dont tout le monde et n'importe qui peut dire n'importe quoi. Paul VI répond au cardinal Suenens que la « collégialité » exigeait « un style plus fraternel » : mais que nous importe le *style* du primat de Belgique ? Ce n'est point dans son style que se trouve son apostasie. L'unique critère, désormais, de la religion catholique, paraît ainsi résider dans l'unique Concile ; et l'unique critère hérité de ce Concile qui n'a rien défini se limite à la seule « col­légialité »... Moyennant quoi, Paul VI peut déclarer que les voix du leader Suenens et de sa majorité « *ne sont rien d'autre qu'une interprétation d'une certaine opinion théologique *», et prononcer : « *Une théologie particulière ne représente pas le Concile, aussi légitime puisse-t-elle être. *» ([^42]) Telle est la réponse. 80:145 La théologie de Suenens est particulière ; mais elle est légitime. Devant cette réponse nous formulons, sans élever la voix, une ferme réclamation. Nous n'acceptons pas de tenir pour « légitime » une « théologie » qui : 1° rejette ce qui a toujours été la théologie officielle de l'Église ; 2° élimine une impressionnante liste de thèses ensei­gnées par Rome comme seules valables ; 3° considère l'Église comme une fin intermédiaire, rela­tive au monde. Du point de vue indéfini et arbitraire de la « collégia­lité », il se peut que la doctrine du cardinal Suenens appa­raisse « légitime ». Mais ce point de vue ne nous intéresse en rien. Du point de vue de la doctrine révélée, irréformablement définie comme telle par l'Église, c'est-à-dire du point de vue du salut éternel, la doctrine du cardinal Suenens coïncide substantiellement avec l'apostasie immanente. Le cardinal Suenens est actuellement le produit épis­copal le plus réussi de la décomposition mentale du catho­licisme moderne. Par quoi je ne voudrais point faire tort à un Marty ou à un Schmitt, dont les doctrines misérables ont été elles aussi l'objet d'analyses qui n'ont pas été réfu­tées ; ce sont d'ailleurs, en substance, les mêmes doctrines, fabriquées en série dans les mêmes officines. Mais Suenens est pour le moment le leader de la majorité flibustière piratant au vent du large : la vedette principale, parce qu'il est le plus mondain. Tel qu'il est, il ne sera jamais le pape de l'Église dans le monde moderne. Il est déjà le pape du monde moderne dans l'Église. Jean Madiran. 81:145 ### La lise par Antoine Barrois « D'AILLEURS, l'être lui-même n'est qu'une pré­tention du rien. » Ceux qui parlent le plus du monde contemporain (et de la muta­tion) et se mêlent le plus de la façon d'y aller pour le convertir, devraient examiner de telles formules, délicates ciselures d'écrivains de ces temps. Cet examen leur per­mettrait de ne pas donner l'impression qu'ils donnent généreusement à ceux qui viennent du monde : le senti­ment tenace qu'ils ne savent pas au juste de quoi ils parlent. Le monde contemporain peut bien présenter les appa­rences de l'être ; discuter et agir avec ceux qui jouent son jeu pourvu qu'après Dieu l'homme en meure, sous couvert de changement et de modernité. \*\*\* Quand on a été élevé dedans et pratiquement formé par lui, on sait ce que vaut le fourbi qui sert de culture au monde moderne. Mais alors il est désagréable (assom­mant) d'en entendre parler de travers. Fréquenter les musées d'art moderne, les machines mobiles qui dessinent, Tinguely, Klein, les monochromes, l'action painting, Pollock ; le théâtre du moment, Samuel Beckett, les poubelles, Brecht et le cercle de craie ; les moments sonores, structures possibles, *musique déplai­sante,* au Domaine musical ; Korbzyski, la sémantique générale, Edouard Shuré, les grands initiés. En arriver à rechercher la beauté comme un avatar amusant et bizarre de ce remue-ménage. 82:145 Vivre dans l'incommunicable et mo­nologuer dans l'approximation ; s'installer dans la fange de l'âme et en faire son fumier ; éprouver l'enlisement et savourer ses fruits ; s'agiter de toute l'agitation humaine pour toujours et constamment étendre la lise. Faire de l'être un muet, de l'esprit un bavard. Connaître intimement l'inversion de soi-même qui permet de vivre à l'envers ; avoir fait l'apprentissage de l'engluement dans tous les possibles, dans tous les imaginaires, qui maintient l'inver­sion (apothéose du vague) ; savoir l'extraordinaire capacité de ruse ; ruse continuelle avec soi-même, pour ne pas se cogner et pour n'avoir pas mal. Rechercher, hérétiques de l'existence, équilibristes du néant, un peu d'aise dans l'absurde, un peu de fraîcheur dans l'animalité, un peu de divertissement dans le bâillement. Ça ne fait pas l'objet d'expériences. \*\*\* De la même façon, apprendre à produire, ces temps, et à faire consommer ; utiliser les mass media et les tech­niques de groupes ; structurer l'entreprise et la faire fonctionnelle ; former le personnel. Travailler prospecti­vement ; étudier les lignes de produits et analyser des situations. Se soucier des problèmes humains et faire des plans de carrières ; déplacer de la main-d'œuvre et la spécialiser. Implanter des machines, généraliser leurs fonctions ; connaître la *quincaillerie,* et ses ordinants qui savent diriger la *mémoire centrale* et les *périphériques.* Rendre compte de tout en termes de finances : des pro­duits, des hommes, des métiers, du temps et de la qualité. S'enrichir d'horizons de barèmes, de prospérités salariales et de prix de revient ; allonger les loisirs, donner des struc­tures de décision ; planifier les migrations quotidiennes et saisonnières. Attendre, limaces économiques, vampires économiques, un peu de liberté des augmentations, un peu d'animation de l'expansion, un peu d'espoir de l'avoir. Il faut le vivre pour en mesurer l'exacte pesanteur. \*\*\* 83:145 De la même façon, connaître les seuls mutants bien connus de la mutation contemporaine, fabriqués en série par le divorce et les familles en déroute, fous, fugueurs, drogués et ceux qui se suicident ; savoir que pour les fous, dans le monde moderne, il y a des sédatifs puissants et des moyens chimiques énergiques contre leurs angoisses ; ce qu'est l'esclavage chimique d'un être ; savoir un peu de quoi il s'agit quand on parle de fugues et de suicides, mène à la pudeur : à ne rien dire et à ne pas s'en mêler inconsidérément. Car ces mutants-là ne savent pas le verbe être. Ils ne savent plus ce qu'ils sont. \*\*\* La gigantesque entreprise d'enlisement public qu'est le monde contemporain répand cette maladie : si tous n'en meurent pas, tous en sont atteints par les chemins du monde. Ceux qui sont enlisés ne conçoivent rien que la lise, et se moquent éperdument de ce qui n'est pas elle et eux, puisqu'ils vivent d'elles, qu'ils n'ont d'être qu'elle. Ceux qui connaissent le chemin temporel de l'Église, qui ne connaissent que lui, souvent ne savent pas la diffé­rence considérable, l'abîme, entre le chemin sur lequel ils vont, reconnaissant à chaque pas la route éternelle, et les chemins d'errance de ceux qui sont sans Dieu. Avoir vécu sous le charme et comme ensorcelé apprend qu'il n'y a pas de compréhension de part et d'autre et pas de main tendue. Dès que l'on tente de *comprendre,* d'aller voir, c'est l'engloutissement dans le satanique fondoir d'âmes, dans la pâte à zombis, dans l'atroce et tranquille sanie. Les apprentis-sorciers, meneurs qui s'approprient et dirigent un moment le fondoir, peuvent inquiéter, provo­quer même une révolte : insignifiante, imbécile, quelques remous l'avalent. Même émouvantes, justifiées, justifiables, il ne faut pas tenter de comprendre ces révoltes ; il ne faut pas y aller voir ; car on ne peut y aller qu'en suivant un chemin de perversion, et comprendre, que perverti. \*\*\* 84:145 Pour se convertir, le monde moderne a besoin du chemin du réel. Il n'a pas tellement besoin qu'on lui parle, de ses fantasmes, de ses sortilèges et de ses illu­sions : il a besoin pour se désenliser qu'on lui donne autre choses de solide. Un refus de l'enlisement : sous une forme quelconque il lui faut un *non,* l'indication que *ce n'est pas vrai,* qu'il n'y a pas que la lise. *Non, ce n'est pas vrai.* Sous une forme quelconque dite, vécue, rencontrée, éprouvée ou apprise, c'est la seule marque qui compte. C'est beaucoup, d'un seul coup, pour un seul homme, de se cogner au réel, rudement, sur un refus, sur l'affirma­tion de l'être et de la vérité. Peut-on même imaginer la stupeur devant un tel refus et une telle affirmation ? Et la joie du charme rompu, du monde nouveau à apprendre, à aimer : le monde très ancien, familier comme celui de l'enfance, le monde de ce qui est ? \*\*\* Mais ça ne va pas tout seul et le charme (rompu) trompe encore son bonhomme. Ça ne va pas tout seul à cause de l'impatience, parce qu'on ne tient pas compte de la mémoire et des habitudes. Commencer d'apprendre ce qui est vrai et bon, pour le connaître, le comprendre et la détermination de s'y mettre, rend souvent présomptueux. Parce que la fréquentation habituelle d'idées tordues ; la prostitution continuelle du regard et de l'ouïe ; l'habi­tude de l'à-peu-près, du vague, de l'indéterminé, façonnent un goût du faux dont on est bien empêtré. Parce que le vertige du hideux finit par détourner de toute beauté de crainte de la diabolique. Parce que dans le monde le plus moderne, celui des villes, ne poussent que des fleurs de bitume : habitudes artificielles et mémoires bousillées. Ça ne va pas tout seul parce qu'on ne voit pas qu'il faut, du même mouvement, s'en prendre aux dispositions ordinaires, aux idées antérieures, aux méconnaissances acquises, et que c'est difficile et long. On ne sait pas, d'abord, l'immense travail qu'est une rééducation de la mémoire et des habitudes ; à quel point il est indispen­sable d'y appliquer toute son intelligence et toute sa volonté. 85:145 Ils montrent, en ce point, qu'ils ne connaissent pas le monde moderne, ceux qui en parlent le plus. S'ils savaient un peu ce que sont la mémoire et les habitudes des hommes de ces temps, ils seraient plus méfiants. Ils ne croiraient pas qu'on peut tout bousculer, d'un seul temps, par déci­sion humaine. Ils ne se fabriqueraient pas un arrange­ment possible avec le monde. Ils ont tort aussi, sur ce point, ceux qui laissent filer aujourd'hui toute la trace temporelle de l'Église éternelle : tous ses trésors. Parce que la fréquentation de la falsi­fication et de l'ambiguïté laisse une marque. On arrive à comprendre et à se déterminer de travers, par dispositions acquises et par idées reçues. \*\*\* Il y a d'autres difficultés car la trace temporelle de l'Église, ces temps, ne facilite pas les choses : elle renvoie aux pires billevesées par l'ignorance et la paresse de ses enfants. Tout le monde ne rencontre pas Dieu par illumination l'apprentissage du réel ne réserve pas toujours ce cadeau. Dans la mesure où l'apprentissage se fait et se poursuit selon la vigueur et la fermeté de la trace temporelle, il est parfois bien lent. Quelquefois on vacille ; la prudence apprend à ne pas se retourner : le vertige est trop fort. C'est là qu'ils nous font rire jaune les idolâtres de l'ou­verture au monde : est-ce qu'ils savent ce qu'ils disent ? Et c'est là qu'ils nous inquiètent les équilibristes de l'action par les chemins du monde : est-ce qu'ils savent ce qu'ils font ? Et c'est là qu'on s'interroge : savent-ils bien ce qu'ils sont, ceux qui se mêlent le plus de convertir le monde ? Car enfin, tout de même, fils de Dieu rachetés, ils pourraient s'apercevoir que ce qu'ils disent, ce qu'ils font, ce qu'ils sont, n'a d'autre résultat que d'étendre la lise. Sinon, tout de bon, on finira, par se demander si, véri­tablement, ils sont bien ce qu'on croit. \*\*\* C'est ainsi qu'on nous assomme avec le monde contem­porain et la mutation : parce que ceux qui en parlent et y vont sans savoir et se mêlent le plus de fabriquer un arrangement avec lui, n'y font que des bêtises, n'en disent que des âneries, finissent par en être. 86:145 Il y a d'autres assommeurs. Pour commencer : les soucieux de l'isolement qui se sentent tenus de mettre en garde contre le ghetto. A cause des enfants qui seraient maladroits et ignorants s'ils étaient isolés ; qui ne sau­raient pas se battre dans le monde et ne s'y habitueraient pas. Mais la vie cachée de Dieu en Palestine, et le travail avec Joseph, c'était peut-être un ghetto, non ? Peut-être que c'est pour ça qu'Il a fini par être crucifié ; parce qu'Il était ignorant et qu'Il ne savait pas y faire ; et qu'Il ne prenait pas l'habitude du combat dans ce monde. S'Il avait su se battre, sûrement Il aurait été Roi et il n'y aurait pas eu de désunion parmi les Juifs ; ils auraient eu la paix. \*\*\* Les autres assommeurs, ce sont ceux qui connaissent le monde moderne, qui en viennent et qui (il serait utile de savoir pourquoi) se croient généralement tenus (pour faire bonne mesure ?) d'exiger des catholiques une audace qu'ils sont supposés ne pas avoir : une foi à marcher sur les flots et à transporter les montagnes. Mais enfin, sapristi, cette audace et cette foi, ils l'ont, avec la grâce de Dieu, jusqu'à preuve du contraire, quand ils sont catholiques. Voilà des gens qui refusent la lise, qui ne jouent pas son jeu ; voilà des gens qui traversent la lise et ne s'enlisent point ; voilà des gens qui gardent le chemin du réel, envers et contre tous ; et ça ne suffit pas ? Non, vraiment, c'est une plaisanterie. Décidément, on nous casse un peu les pieds avec le monde contemporain. Et la façon d'y aller pour le convertir. Car il n'y en a qu'une : c'est de n'en être pas. Antoine Barrois. 87:145 ### Le processus légal contre la famille par Michel de Penfentenyo IL Y A TROIS ANS, le Haut Comité Consultatif de la Famille et de la Population remettait au Gouvernement de la République Française un Rapport sur « les problèmes de la régulation des naissances » (janvier 1967). Ce Rapport traitait de la *contraception* et de *l'avorte­ment.* Pour ce qui est de la contraception, le Haut Comité donnait un feu vert : « *Dans les pays anglo-saxons on parle déjà, à propos de la régulation des naissances de* « *cin­quième liberté *». *Le refus de l'ancienne fatalité* (*...*) *gagne aujourd'hui notre pays. *» ([^43]) Pour ce qui est de l'avortement, le Rapport du Haut Comité Consultatif considérait qu'il « *correspond très exactement au concept de légitime défense *» (*sic*) et con­cluait qu' « *il devrait être accepté dans toutes les situations où la mère peut légitimement, pour sa propre sauvegarde, demander l'interruption de sa grossesse *» ([^44])*.* « Liberté » contraceptive... « liberté » abortive. Un mois plus tard, la Revue les « Études » ([^45]) estimait « *remarquable que, sans le dire expressément, le Rapport* (*du Haut Comité*) *soit tout naturellement conduit à pro­longer sur le plan moral la conception de la liberté reli­gieuse exprimée par Jean XXIII dans son encyclique* « *Pa­cem in Terris *» *et par le Concile Vatican II dans sa Décla­ration* « *Dignitatis Humanœ *». 88:145 Relisez bien ces lignes abominables : lorsque demain les ménages formés par les RR.PP. des *Études* commence­ront par pratiquer l'horrible cuisine de la contraception et que « l'enfant surprise » se sera tout de même mani­festé, ces ménages pourront l'assassiner en toute tranquil­lité de conscience, il y aura désormais un argument « théo­logique » pour rassurer leur conscience : la « liberté » religieuse ! \*\*\* Six mois après, le Parlement français légalisait la con­traception (Loi Neuwirth). Et trois ans plus tard, 1970, commençait la campagne d'action psychologique pour persuader les Français d'ac­cepter une loi tendant à faciliter « l'interruption de la grossesse ». Contraception. Avortement. Deux sommets d'une même chaîne révolutionnaire. Deux sommets dans une série de réformes législatives... apparemment sans relations les unes avec les autres et qui portent la subversion à la racine même du mariage, de la vie conjugale et de l'édu­cation des enfants : « liberté » contraceptive ; divorce par consentement mutuel ; abolition de l'autorité pater­nelle (remplacée par l' « autorité parentale ») ; avortement. Telles sont, en France, les étapes de cette sub­version acquises ou sur le point de l'être. L'Angleterre, en avance sur nous de quelques années dans le processus de désa­cralisation de la vie humaine et de destruction de la fa­mille est tout prêt d'admettre la légalisation de l'homo­sexualité et de l'euthanasie et, cela va de pair... la sup­pression de toute éducation religieuse à l'école, etc. Ne nous y trompons pas, il s'agit bien d'une offensive mondiale. Pourtant, un examen attentif des méthodes d'action appliquées par les groupes moteurs de la subversion fait très vite apparaître que l' « évolution » des lois et des mœurs familiales n'a rien de fatal ni de spontané mais qu'elle est au contraire le résultat laborieux 1°) d'un combat d'idées, 2°) mené par de très petits groupes sub­versifs, strictement articulés sur les mass-media. 89:145 Bien entendu le mal engendre le mal ; et le désordre, surtout lorsqu'il est rendu légal, suscite le désordre. Il n'est pas possible, par exemple, que le truquage perma­nent de la sexualité par la contraception, que la perversion de l'amour, lorsqu'il est systématiquement réduit aux proportions d'un jeu aphrodisiaque, n'entraînent une dénaturation du sens de la vie et de « l'ordre de l'amour humain ». Et les faits démontrent effectivement que par­tout où la loi et le consensus populaire ont fait bon accueil à « la pilule » et au pan-sexualisme, on a observé l'accrois­sement du nombre des avortements et des divorces ([^46]). Et pourtant nous sommes obligés de constater que sans l'action permanente des maffias, sans l'œuvre astucieuse et dynamique de leurs « moteurs idéologiques », les mœurs familiales résistent de façon étonnante. Le Docteur Simon, Grand Maître de la Grande Loge de France, avouait cette résistance des mœurs au cours de l'émission d'Europe n° 1 (le 5 mai dernier) lorsqu'il déplo­rait que « *malheureusement la contraception n'est pas encore entrée dans les mœurs de la médecine ou de la psy­chiatrie et que* PENDANT UNE OU DEUX GÉNÉRATIONS, CE NE SERA PAS ENCORE UN FAIT DE CIVILISATION DANS NOTRE PAYS ». Il ne suffit donc pas de réfuter l'erreur au seul plan de la doctrine. Il faut aussi combattre sa machine de guerre, et pour cela connaître ses méthodes d'action. Et comment mener efficacement un tel combat sans une perception suffisante des objectifs généraux de l'adver­saire. Car, enfin, où veut-il en venir ? A-t-il vraiment une idée générale qui lui sert de fil directeur dans ses attaques successives ? ##### 1. -- La révolution sociale exige la révolution familiale. D'abord quelques textes marxistes anciens. Ils sont généralement assez connus, mais nous croyons utile de les rappeler pour montrer à quel point ce qui nous semble surprenant et déroutant... dans les attaques modernes contre la famille, n'est généralement que la réplique sco­lairement formulée des programmes révolutionnaires du siècle passé. 90:145 « *L'affranchissement de la femme* (*...*) *exige la sup­pression de la famille individuelle comme unité écono­mique de la société. *» (Engels) ([^47]). « *Sur quelles bases repose la famille bourgeoise d'à pré­sent ? Sur le capital, sur le profit individuel. *» (Manifeste du Parti Communiste.) « *La transformation* (*des rapports entre les sexes*) *sera possible du moment qu'on supprimera la propriété privée, qu'on élèvera les enfants en commun et détruira les deux bases principales du mariage actuel, à savoir la dépen­dance de la femme vis-à-vis de l'homme et celle des en­fants vis-à-vis des parents. *» (Engels) ([^48]). « *La monogamie se manifeste comme l'assujettisse­ment d'un sexe par l'autre *»... « *le premier antagonisme de classe qui parut dans l'Histoire coïncide avec le déve­loppement de l'antagonisme entre l'homme et la femme dans la monogamie, et la première oppression de classe avec celle du sexe féminin par le masculin. *» (Engels) ([^49]). D'où il découle « naturellement. » que la révolution sociale dépend de la révolution au sein de la famille. L'union libre, la prise en charge des enfants par l'État, l' « émancipation » des femmes, c'est-à-dire leur enrôlement dans le collectivisme révolutionnaire et leur politisation n'étant que les moyens d'une transformation plus complète de la société. « *Toutes les pensées des ouvrières,* disait Lénine, *doivent être dirigées vers la révolution prolétarienne. C'est elle qui créera également une base pour les nouvelles condi­tions du mariage et les nouveaux rapports entre les sexes. *» ([^50]) \*\*\* 91:145 On retrouve la même logique révolutionnaire sur le versant maçonnique de la Révolution : la destruction du « vieil ordre », condition première de la « libération huma­nitaire ». « *Pour mieux étouffer tout germe catholique et chré­tien *», Piccolo Tigre désignait toujours comme premier objectif « *d'isoler l'homme de sa famille et de l'amener à perdre toute morale *». Piccolo Tigre, c'était l'Italie. Mais Vézinier à Londres disait la même chose au London Inter­national : « *Pour nier la divinité, il faut affirmer l'homme, sa force et sa liberté. Quant à la famille, nous la répudions de toutes nos forces au nom de l'émancipation de l'huma­nité. *» ([^51]) \*\*\* Passons maintenant aux textes marxistes ou maçon­niques actuels. Soit, par exemple, les ouvrages de Wilhelm Reich, réédités et traduits actuellement en allemand, en anglais, en italien, en français et fort diffusés dans les milieux étudiants. Le mariage y apparaît comme « *une institution conser­vatrice qui ne repose que sur des intérêts économiques *» ([^52])*.* W. Reich préconise donc la révolution sexuelle comme moyen de faire la révolution familiale, car la famille est le « *talon d'Achille de la Société *». La famille monogame est « *la cellule élémentaire du capitalisme *», le « *collec­tivisme sexuel *» doit ouvrir la voie du « *collectivisme social *». 92:145 Ce qui permet à Daniel Guérin, auteur des deux livres récents, *Essai sur la Révolution sexuelle* et *Pour un marxisme libertaire*, d'expliquer que « *la révolution ne peut être seulement, politique, elle doit être en même temps culturelle, sexuelle et transfigurer ainsi tous les visages de la vie et de la société, *»... « *si la génération de mai a redé­couvert Reich, c'est qu'il militait en même temps pour la révolution sociale et pour la révolution sexuelle *» ([^53]). \*\*\* Ne nous empressons pas de classer trop vite ces idées au magasin des curiosités lubriques. Ces idées ne restent pas enfermées dans les livres, ni dans les esprits de quel­ques détraqués. Elles passent dans les officines, dans les réseaux révolutionnaires et dans les mœurs comme en témoignait cet extrait du journal des classes (N° 1) du Lycée « Jules Vernes » à Nantes (distribué gratuitement aux élèves des classes du second cycle, Terminale, Première et Seconde, le samedi 18 janvier 1969) : « *La sexualité participe au système oppressif actuel* (*...*) *Thèse 1 -- L'aliénation provient de la division, de la spécialisation et de la hiérarchisation de l'individu dans la sexualité comme dans le travail.* *Thèse 2 -- Le détournement de l'énergie sexuelle a donné naissance à un capitalisme de la sexualité, institutionnali­sant les échanges sexuels.* *Thèse 3 -- Le couple institutionnalisé en* « *personne mo­rale *» *indivisible et durable est aliénant. Les relations de propriété ainsi introduites entre les deux partenaires sont un vol en même titre que le capital.* *Thèse 17 -- Il n'y aura plus de* « *problèmes familiaux *» *si l'enfant est économiquement à la charge de la société dès sa naissance.* *Thèse 18 -- L'enfant accèdera à l'autonomie par l'édu­cation permanente, comprenant l'éducation sexuelle, qui sera à la charge de la société.* *Thèse 20 -- La famille institutionnelle balayée, chacun choisira librement, etc.* » 93:145 Un autre tract nous tombe sous les yeux ; ce tract était diffusé récemment par le M.N.E.F. et l'A.G.E.G. dans les Facultés de Grenoble ; il fournit les arguments idéolo­giques et techniques aux étudiants désireux de se libérer des « tabous sexuels » ; conclusion de ce document : « *Qui sont ces gens* *qui disent non à la pilule, qui disent non à l'avortement ? -- Ce sont les prétendus défenseurs de la* MORALE. *Mais qu'est-ce que cette morale sinon l'expression d'une idéologie ?* IDÉOLOGIE HÉRITÉE EN PARTIE DU CHRISTIANISME QUI PRÔNE L'ABSTINENCE, LE RESPECT DE LA VIE ([^54]). *Idéologie qui par* *son aspect répressif rend possible l'exploitation de l'homme, l'aliénation de l'indi­vidu... *» ([^55]) \*\*\* Des textes révolutionnaires anciens (Piccolo Tigre, Vézinier, Engels), aux textes révolutionnaires contempo­rains, qui niera la continuité ? « *La nature des choses, voilà l'ennemi. L'homme qui fait son métier d'homme est celui qui refuse de s'y sou­mettre *» notait *L'Express* (28-2-70) à propos du Manifeste du Parti Radical de cet hiver. Mot admirable pour résu­mer l'esprit de la Révolution. 94:145 ##### 2. -- L'évolution des lois et des mœurs familiales, résultat d'un combat laborieux mené par de très petits grou­pes subversifs articulés sur les mass-media. Tout le monde, aujourd'hui, constate l'influence du conditionnement social par les « mass-media ». Mais les mass-media ne sont qu'un outil. Où sont les ouvriers ? Où sont les cerveaux de la subversion ? Ne commet-on pas l'erreur, trop souvent, de se laisser hypnotiser par les aspects massifs et collectifs des mé­thodes d'action révolutionnaire : campagnes de presse, propagandes passionnelles, procès retentissants, manifes­tations, films scandaleux... Cet aspect spectaculaire ne cache-t-il pas à nos yeux le travail obscur mené en profondeur par les petites équipes entièrement consacrées à l'action idéologique ? « *L'Église doit tenir compte des puissances obscures qui ont toujours été à l'œuvre dans l'histoire *», disait Pie XII ([^56]). Ceux qui ont tant soit peu étudié Augustin Cochin savent à quel point la Révolution française a été l'œuvre d'un nombre relativement restreint de moteurs idéolo­giques. Tout montre aujourd'hui que la subversion menée contre le mariage et les lois de la vie obéit aux mêmes principes d'action. Bien entendu, nos adversaires cachent soigneusement le rôle de leurs groupes moteurs. Que deviendraient le mythe de l'Évolution immanente et son cortège de fariboles pseudo-scientifiques ? Mais que les catholiques négligent d'étudier les points de départ d'où découle l'efficacité révolutionnaire, voilà qui est grave, une meilleure connaissance des groupes restreints et des centres de pilotage de la subversion pour­rait contribuer efficacement à donner une idée plus juste des possibilités et des chances du combat catholique, au temporel. \*\*\* 95:145 Arrêtons-nous un instant à l'exemple de la Grande-Bretagne où, depuis dix ans, la législation familiale subit les assauts victorieux de la Révolution. La France passe sensiblement par les mêmes étapes et les techniques de subversion ressemblent étrangement à celles pratiquées outre-Manche ; aussi l'examen du processus anglais nous permet-il de connaître avec une avance de quelques années les prochaines étapes probables de la subversion anti­familiale ([^57]). ####### Le processus britannique de subversion antifamiliale. Le processus britannique a été clairement analysé par Dillon Mac Carthy. Dillon Mac Carthy est un journaliste anglais et un homme de lettres anti-marxiste mais d'origine socialiste (il a appartenu à un groupe du parti travailliste) ; il a analysé maintes fois les processus révolutionnaires menés dans son pays par voie légale, et son étude publiée par *The Crusader* (juillet-août 1969) sur « Le Programme des athées en Grande-Bretagne » explique de façon parti­culièrement remarquable que les assauts de la subversion seraient voués à l'échec sans une préparation massive des esprits et la complicité des autorités morales et, si pos­sible, religieuses du pays ([^58]). Mais, à son tour, cette pré­paration massive de l'opinion publique serait vouée à l'échec sans l'action de petits moteurs idéologiques organi­sant de façon méthodique et intensive la pénétration des divers milieux sociaux. Cette action coordonnée a été animée et dirigée en Grande Bretagne par la « Bristish Humanist Association », comme elle l'est en France par le « Mouvement Français du Planning Familial » (pour ce qui est des campagnes contraceptives) et par l' « Association nationale pour l'Étude de l'Avortement » (pour ce qui est de la campagne abortive). 96:145 « *Depuis l'arrivée au pouvoir de l'actuel gouvernement travailliste en Grande-Bretagne, en octobre 1964,* explique Dillon Mac Carthy, *les chrétiens de ce pays ont été les témoins d'attaques ininterrompues contre toutes les lois qui expriment et défendent les valeurs de l'ordre moral chrétien. Le pays est en train de devenir le paradis des pédérastes et des pornographes, alors que la liberté d'élever nos enfants selon notre* foi *chrétienne fait main­tenant l'objet d'attaques de la part de l'athéisme organisé et ce, au nom de la liberté. *» Encore faut-il comprendre que ces attaques ne sont pas le fait d'une simple anarchie morale qui engendrerait des attaques désordonnées et sans relation les unes avec les autres. « *Le programme complet des athées est maintenant publiquement révélé : l'abolition totale de la censure, la législation de l'homosexualité et de l'avortement, le divorce imposé au conjoint innocent par celui qui est coupable, la législation de l'euthanasie, la suppression de l'éducation religieuse, la suppression de toutes les écoles privées *»*,* etc. Examinons comment s'est organisée l'articulation et la concertation des agents de la subversion. « *Le centre même de l'opération athée, son* « *Haut Commandement *»*, est* « *l'Association Humaniste Britannique *» (*British Humanisa Association*) *formée, semble-t-il, dans ce but en 1963.* « *Les Humanistes *» (*la confisca­tion de ce terme par les athées fut un chef-d'œuvre de sémantique et de psychologie*) *ont des liens avec toutes les soi-disant sociétés pour* « *des réformes légales *» *qui sont étroitement en contact les unes avec les autres. Il faut remarquer aussi que les différentes campagnes de propa­gandes pré-législatives suivent l'actualité, sans se mêler pour autant à l'action parlementaire : toutes les forces athées sont soigneusement concentrées en un seul point, à un moment donné. *» Dillon Mac Carthy explique que la plupart de ces « SOCIÉTÉS DE RÉFORMES LÉGALES *ont des adresses différentes, mais que les organisations les plus significatives ont la même adresse que... la* BRITISH HUMANIST ASSOCIATION : *l'Alliance internationale des Femmes, la Ligne Progressiste, l'Union Démocratique du Contrôle, l'Association Médicale Socialiste, la Société pour l'Euthanasie* (*les trois dernières associations partagent non : seulement la même adresse, mais encore le même téléphone...*)*. La Direction de la British Humanist Association abrite aussi l'Association des Téléspectateurs... *» 97:145 Tel est l'appareil apparemment diversifié et démocra­tique, dans sa structure, en fait bureaucratisé et centra­lisé comme un appareil de lutte idéologique. Voyons maintenant les étapes de l'action. Vient d'abord la période de familiarisation des idées et des mots qui les véhiculent. Idées et mots qui, jusqu'ici, appartenaient à la sphère du sacré ; idées et mots qui ne se discutaient pas : ils étaient gardiens du sacré : « *Pensez seulement aux mots imprononçables autre­fois qui apparaissent fortuitement dans les journaux dits sérieux, ou que l'on prononce à la radio ou à la télévision sans que personne en soit choqué ou surpris.* « *Tous les efforts sont faits pour donner l'impression que le public accepte cette idée. La manière la plus usuelle est celle des* « *résolutions *» *que l'on propose et que l'on fait voter dans des réunions publiques manipulées. Une autre méthode consiste à organiser des débats dans des universi­tés où une assemblée préalablement* « *conditionnée *» *en viendra à voter une motion athée. Un autre moyen impor­tant, actuellement, consiste à faire parler des sympathi­sants travaillant à la télévision et qui feront des émissions en faveur de l'athéisme.* « *De tels programmes de télévision nous sont malheu­reusement devenus familiers,* poursuit M. Dillon Mac Car­thy, *aussi une mentionnerai-je qu'une récente émission de la B.B.C., censée impartiale, sur l'éducation religieuse. Le programme était basé sur des visites dans quatre écoles chrétiennes totalisant environ 2 000 élèves. On interrogea vingt et un élèves : trois seulement furent favorables au christianisme et dix-sept furent amèrement hostiles.* « *L'émission commença par la déclaration d'un élève :* « *Ce n'est pas le christianisme qui m'a fait horreur, mais le caractère obligatoire du christianisme. *» *Le programme se termina par une véritable incitation à l'apostasie adres­sée à l'élève.* « *Entre temps, le reporter censé impartial n'avait cessé d'attaquer le Christianisme par de rapides et subtiles in­sinuations* (*...*) « *Par de telles méthodes, des mots et des idées autre­fois intolérables sont implantés dans l'esprit du public et l'on donne une impression fausse et puissante d'un soutien populaire croissant. Ensuite, la campagne athée entre dans sa phase parlementaire. *» 98:145 Phase parlementaire bien connue de part et d'autre de la Manche : des projets de loi soigneusement préparés circulent ; l'identité des arguments et des mots-clés donne l'illusion d'une volonté populaire déjà acquise et de mœurs déjà établies. Les volontés fléchissent. L'aboutissement légal paraît fatal et d'ailleurs on trouvera toujours quel­ques clercs ou autres « autorités morales » pour fournir les arguments pour faire céder les consciences qui résistent encore : la laïcité des lois, le « pluralisme », le respect des majorités... la restriction de conscience... le moindre mal... l'union, etc. ####### Et en France ? La transposition de l'exemple britannique au terrain français sera très facile lorsqu'on aura la clef des princi­paux moteurs idéologiques français. Il y a d'abord et principalement le M.F.P.F. (*Le Mou­vement Français du Planning Familial*)*.* C'est lui qui a mené inlassablement le combat en faveur de la contraception depuis l'année 1956, animant des dé­bats à la T.V., multipliant des Centres de Planning et des Permanences du M.F.P.F. dans tous les départements fran­çais, alimentant en arguments des chroniques de Revues féminines et des journaux médicaux... etc. « *La fondatrice et ancienne présidente du M.F.P.F. est Mme Marie Andrée Weill-Hallé, née Lagroua, veuve de M. Benjamin Weill-Hallé, professeur à la faculté de Médecine de Paris, qui fut membre du Parti Communiste et prési­dent de l'organisation crypto-communiste Conseil Mon­dial de la Paix. *» ([^59]) Au *Comité d'honneur,* on trouve Mme Gabriel Ardant (née Louise Bernheim) ; le docteur Aron-Brunetière ; M. Richard Dupuy, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France ; M. Grunebaum-Ballin ; M. François Jacob, prix Nobel de médecine ; M. Kahane, président de l'Union ra­tionaliste ; le Professeur Gérard Lyon-Cahen ; Mme Clara Malraux, née Goldschmidt ; M. Daniel Mayer, président de la Ligue des Droits de l'Homme ; Mme Salem ; Mme Schwab, déléguée de la Ligue de l'Enseignement ; Mme Daniel Schwartz ; Mme Louise Weiss, etc. 99:145 Au *Conseil d'Administration,* le Président : Docteur J. Dalsace ; Vice-président : le Dr Pierre Simon, successeur de M. Richard Dupuy, comme Grand Maître de la Grande Loge de France, etc. L'œuvre principale du M.F.P.F. fut la loi Neuwirth. Tout le monde connait la portée de la loi Neuwirth en ce qui concerne « la pilule ». Mais peu connaissent l'autre aspect de cette loi infâme en ce qui concerne l'organisation étatique de l'éducation sexuelle des petits Français. Le M.F.P.F. avait fait campagne en faveur de l'étati­sation de l'éducation sexuelle. On retrouve là le vieux thème maçonnique de l'éducation sexuelle obligatoire. Le Convent du Grand Orient de France par exemple avait déjà réclamé une « formation pédagogique sexuelle » pour les maîtres de l'enseignement... Le Syndicat National des Instituteurs avait également fait campagne pour que « *soit rendue possible l'utilisation des contraceptifs et au­torisé l'avortement thérapeutique *» et simultanément que soit réalisée « *l'intégration de l'éducation sexuelle à l'édu­cation générale *». « *L'éducation sexuelle* (*...*) *doit être partie intégrante de l'Éducation nationale *» avait affirmé le S.N.I. à son Congrès de 1967. ([^60]) Conformément donc aux vœux du M.F.P.F. et des or­ganismes maçonniques, Neuwirth avait demandé au Lé­gislateur de ne pas disjoindre 1) la légalisation de la con­traception et 2) la création d'un « office national d'Infor­mation et d'Éducation familiale » dont la mission devait être d'organiser « l'éducation sexuelle et la planification des naissances »... Cet office devait aussi, pour atteindre sa mission, « *organiser la formation des éducateurs quali­fiés *», « *mettre à la disposition des associations, organi­sations et groupements intéressés, les éléments d'informa­tion à caractère éducatif *» ; et enfin « *aider les centres d'information et de documentation créés dans un même dessein *» ([^61])*.* 100:145 Pourquoi cette collusion, dans la loi, de la contraception et de l'éducation sexuelle par voie étatique ? Eh bien, c'est la Revue du M.F.P.F. (n° 13 de mars 67, p. 9) qui répond à cette question : « *Les Centres* (*de Planification*) *existants peuvent fournir une irremplaçable infrastructure* de *départ.* OR LES SEULS CENTRES VRAIMENT STRUCTURÉS ET AYANT DÉJA UNE EXISTENCE DE PLUSIEURS ANNÉES SONT CEUX DÉPENDANTS DU M.F.P.F. » ([^62]) Voilà qui éclaire singulièrement les cheminements ré­volutionnaires de la subversion et qui montre deux choses importantes : *Primo :* que la subversion antifamiliale se rend compte qu'il ne suffit pas de légaliser platoniquement la contra­ception pour la faire passer dans les mœurs d'un peuple enraciné, malgré tout, dans ses traditions chrétiennes. Il faut un appareil, des moniteurs, la force et la con­trainte de l'État pour « éduquer » et faire entrer la con­traception dans l'esprit des jeunes Français. Rappelons-nous l'aveu du Docteur Simon, Grand Maître de la Grande Loge de France : « *Malheureusement la contraception n'est pas encore entrée dans les mœurs de la médecine ou de la psychiatrie et* PENDANT UNE OU DEUX GÉNÉRATIONS, CE NE SERA PAS ENCORE UN FAIT DE CIVILISA­TION DANS NOTRE PAYS » (5.5.1970, Europe N° 1). Ne nous y trompons donc pas ; lorsque nous entendons parler d' « éducation sexuelle » dans les milieux du M.F.P.F. ou de l'Association pour l'Étude de l'Avortement ou du Syndicat National des Instituteurs, il ne s'agit absolu­ment pas d'un enseignement bonasse de sciences naturelles, il s'agit tout crûment d'initiation à la contraception... ([^63]). 101:145 *Secundo :* que les appétits sordides ne sont jamais étrangers aux « croisades » libertaires et humanitaires des maçonneries. En effet, si la loi avait réalisé intégralement les vœux de Neuwirth, c'était pour les « centres existants », c'est-à-dire pour le M.F.P.F., la garantie du financement de l'État. Reconnaissons que le coup n'eût pas manqué de pi­quant s'il était arrivé à faire passer sans transition le M.F.P.F. de la situation de mouvement hors la loi ([^64]) au statut de société privilégiée, mandatée (au double sens du mot) par l'État pour apprendre aux jeunes Français la pratique des techniques contraceptives. En fait, la loi Neuwirth passa mais le projet initial fut amendé et, notamment, l'exorbitante prétention du M.F.P.F. fut considérablement réduite. Mais elle ne fut pas totalement rejetée puisque la loi admet que l'État régle­mente les conditions dans lesquelles peut être dispensée l' « information » ou la « consultation » familiale, et qu'il donne son agrément à des « centres de planification ou d'éducation familiale existant ». C'est flou. C'est ambigu comme tout texte fait pour laisser entrebâillée une porte qu'on n'a pas voulue grande ouverte mais qu'on n'a pas le courage de fermer complètement. \*\*\* Il faut signaler un autre « moteur idéologique » de la subversion antifamiliale : l'*Association nationale pour l'Étude de l'Avortement.* 102:145 Créé fin 1969, ce nouveau moteur a pour mission de préparer les esprits à un nouvel assaut : la légalisation de l'avortement. Un coup d'œil sur la composition du Bureau et la liste des Membres de l'Association a tôt fait de nous éclairer sur son esprit : c'est, à peine démarquée, la réplique du M.F.P.F. : *Président :* le Dr Raoul Palmer, Président de la Socié­té de Gynécologie et d'obstétrique, *membre du Comité d'Honneur du M.F.P.F.* *Vice-Présidents :* le Pasteur André Dumas, professeur de Morale à la Faculté de Théologie protestante de Paris, *membre du Comité d'Honneur du M.F.P.F.* M^e^ Charles Libman, Avocat à la Cour de Paris, le Père R. Simon, Président de l'Association théologique pour l'étude de la Morale et professeur de Morale à l'Institut Catholique (eh ! oui... !, vous avez bien lu !). (Ici il y a du nouveau : pour la campagne contraceptive, il n'avait pas manqué de voix « théologiennes » pour cautionner les thèses subversives... mais les cautions ecclésiastiques étaient données de l'ex­térieur. Tandis qu'ici elles sont arrivées à se faire ouvrir les portes du... sanhédrin et c'est « de l'intérieur » de la citadelle para-maçonnique qu'elles travaillent à attaquer les positions du droit naturel et chrétien.) *Secrétaire Générale :* M^e^ Anne-Marie Dourlen-Rollier, avocat à la Cour de Paris, *membre du Conseil d'Adminis­tration du M.F.P.F.* *Trésorière :* Docteur Cécile Goldet, *membre du Conseil d'Administration du M.F.P.F.* Quelques noms significatifs dans la liste des Membres de l'Association Nationale pour l'Étude de l'Avortement : Dr Aron Brunetière (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Mme Amado Lévy-Valensi, Professeur agrégée de Phi­losophie ; psychanalyste ; Mme Simone de Beauvoir (*Comité d'honneur M.F.P.F.*)*. ;* Dr Jean Cohen, (Chef de clinique à la Faculté) ; M. Pierre Cot, Ancien Ministre ; Dr Jean Dalsace, *Président M.F.P.F. ;* Dr Gabriel Deshaies, Médecin des hôpitaux psychiatri­ques (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Dr Daniel Douady (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Dr Ivan Dreyfus ; 103:145 Professeur Ellenherger, Faculté de Sciences d'Orsay (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Professeur Fr. Jacob. Prix Nobel (*Président Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Professeur Ernest xahane, Faculté des Sciences de Montpellier (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Dr Serge Lebovici (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Professeur André Lwoff, Prix Nobel, *président Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; M. Daniel Mayer, Président de la Ligue des Droits de l'Homme (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Professeur J. Monod, Prix Nobel, (*président Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; M° Netter, Avocat à la Cour de Paris (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Mme Salem (*Comité d'honneur M.F.P.F.*) ; Dr Pierre Simon, Grand Maître de la Grande Loge de France ; Mme Catherine Valabrégue, *Rédactrice en chef de la revue du M.F.P.F. : Planning familial, etc.* Les noms significatifs se retrouvent de part et d'autre des deux groupements « M.F.P.F. » et « Association Na­tionale pour l'Étude de l'Avortement » (A.N.E.A.). On peut augurer que les méthodes d'action seront les mêmes. Déjà la Radio a prêté ses ondes aux argumenteurs de l'A.N.E.A. ; la Revue *Elle* leur a ouvert ses colonnes. Ce qui est nouveau, par contre, au moins à ce degré, c'est *le rôle des ecclésiastiques* chargés de jouer les « cau­tions morales » de l'opération. Il faut voir d'ailleurs, sur pièce, l'étonnante qualité intellectuelle des arguments pro­posés par ces RR.PP. ; soit par exemple ce compte rendu de la réunion de la « Commission d'Éthique » (17.2.70), où se retrouvent entre autres le Pasteur Dumas, les Pères Julien, Pohier, Quelquejeu et Simon (qui voisine si bien dans la liste alphabétique avec le Président de la Grande Loge de France). Quelques bribes des débats, au cours de la « Commission d'éthique » : « *L'Église ne devrait exercer aucune pression pour blo­quer l'évolution de la législation, même si elle ne veut pas elle-même modifier sa position. *» « *Les catholiques ne doivent pas tenter d'imposer leur morale à l'État. *» (Père Pohier.) 104:145 Le même Père Pohier déplore également « *l'influence culpabilisante de l'Église dans le domaine de la sexualité *». D'ailleurs, il faut bien poser la question : « *Qu'est-ce que la vie, où commence l'atteinte à la vie ? Peut-on parler des droits du fœtus, de l'embryon ? *» « *Notre génération doit se poser la question des origi­nes de la vie à la lumière de la biologie. *» (Père Quelque­jeu.) « *Où commence la vie humaine ? Toute intervention est-elle un meurtre ? *» (Père Simon.) \*\*\* Sainte Thérèse écrivait, il y a quelques quatre-vingts ans : « *En songeant aux tourments qui seront le partage des chrétiens au temps de l'Antéchrist, je sens mon cœur tressaillir et je voudrais que ces tourments me soient réservés *» ([^65])*.* Nous savons, bien sûr, que l'Antéchrist est vaincu d'avance. Nous savons de foi certaine que Notre-Seigneur, le Christ Roi, est vainqueur. Et qu'il viendra. Il viendra dans Sa gloire. Il communiquera Sa gloire à Ses fidèles. A ceux qui auront tenu bon, « forts dans la foi ». Nous sa­vons de foi certaine que les élus de Notre-Seigneur seront appelés à régner avec Lui. Nous savons aussi qui seront ces élus : ceux-là même qui ne se seront pas contentés de dire, *Seigneur, Seigneur ;* mais qui *auront fait la Volonté de Dieu.* Ceux qui auront reconnu, aimé et honoré, par exemple, les lois du Mariage, les lois de la Vie, les lois de la fidélité conjugale, la loi naturelle dans la conception de l'enfant et son accueil dans ce monde, son éducation... pour le conduire à Dieu. Mais nous savons aussi, de foi certaine, qu'avant la parousie glorieuse du Christ et de ses Amis devra se pro­duire l'apostasie universelle sous la domination de l'Anté­christ ([^66]) : C'est l'Écriture qui nous l'affirme : « *Le Christ ne paraîtra pas avant que ne survienne l'apostasie et que l'homme de péché ne se manifeste, il est le fils de la perdition* (...) *alors se manifestera l'impie, que le Seigneur doit détruire du souffle de sa bouche et anéantir par l'éclat de son avènement. L'impie dont l'apparition se réalise selon l'action de Satan par toutes sortes de* (*...*) *prodiges trom­peurs* (*...*) *pour ceux qui se perdent parce qu'ils n'ont pas ouvert leur cœur à l'amour de la Vérité qui les eut sau­vés *» ([^67])*.* 105:145 Nous ne savons pas si le temps de l'Antéchrist est pro­che. Mais ce qui nous paraît clairement évident c'est que la société qui sortirait des séries de réformes législatives proposées pour transformer le mariage et la famille serait une société typiquement de l'esprit de l'Antéchrist. Car la raison formelle de la *société* est *l'éducation.* Or la « société nouvelle » qui s'annonce à partir des seules réformes familiales considérées (contraception, divorce, avortement, euthanasie, homosexualité...) serait une société qui réaliserait aussi intégralement qu'il est possible, ici-bas la révolte humaine -- socialement organisée -- contre la loi divine, la première de toutes : la destination de la vie humaine. La raison formelle de la société est l'éducation... Ce qui indique aussi la formidable responsabilité des deux autorités chargées d'assurer la conservation de la société l'autorité civile et l'autorité religieuse. Et lorsque les puissances d'apostasie parviennent à opérer la subversion des lois sociales et la perversion de la famille, grâce à la complaisance de pouvoirs politiques dégénérés et de pouvoirs religieux aveugles, muets ou com­plices ? La réponse est simple : ou bien la doctrine catholique de la société ne signifie rien ou bien un telle perversion des Pouvoirs suprêmes, une telle inversion de leur finalité essentielle est bien près de ressembler à cette apostasie totale, tyrannique, *sociologique* annoncée par l'Apôtre. Et alors que faire ? 1 -- Se rappeler que l'Apostasie n'est pas fatale ni la puissance de « l'Être de perdition » insurmontable. Elles ne le sont que « *pour ceux qui se perdent faute d'avoir accueilli l'amour de la Vérité qui les eût sauvés *». (II, Tess. 10.) 106:145 2 -- Si « *la société est plus à fuir qu'à rechercher *» (Pie XI), si les pouvoirs politiques (...voire religieux) loin de remplir leur fonction livrent les familles aux puissances de corruption, alors il faut que les familles résistent en­semble. Elles ne résisteront pas seules. Mais impuissantes à changer la société elles doivent refaire des sociétés de soutien mutuel ; des micro-sociétés capables de s'armer, de défendre leurs libertés chrétiennes, de réaliser ensemble les fonctions simples de toute société chrétienne : enseigner les enfants, les évangéliser, les former à leurs tâches civi­ques, les armer en vue des terribles combats qu'ils auront à mener contre la société apostate, *qui se dresse contre tout ce qui porte le nom de Dieu ou est objet de culte.* (St Paul, II thess.)... ...avec la grâce du Christ Roi, par la médiation de Marie Reine. Michel de Penfentenyo. 107:145 ### La troisième voie par Louis Salleron LE 19 MAI DERNIER, la télévision nous offrait un duel, « à armes égales », entre le cardinal Daniélou et Roger Garaudy sur le thème : chrétiens et marxis­tes devant le monde moderne. J'avais espéré que le cardinal se placerait sur le terrain religieux, comme Garaudy se plaça sur le terrain marxiste. Tout au contraire, dans le film qu'il présenta, puis tout au long du débat, il se cantonna dans la question sociale, se contentant de l'éclairer de la lumière chrétienne. Pra­tiquement, pour le spectateur moyen, la leçon à tirer était la suivante : si le communisme acceptait le Dieu chrétien, il serait parfait. Dans *la Croix* du 21 mai, M. Jacques Buisson écrit, à propos du film du cardinal -- film destiné à illustrer sa thèse : « ...nous eûmes l'impression que le cardinal Daniélou avait eu la suprême habileté de choisir une chré­tienne manifestant des convictions politiques et sociales qu'il ne prenait pas nécessairement à son compte... » La jeune chrétienne en question -- une convertie -- avait expliqué que sa « rencontre » avec le Christ illuminait son combat pour le « partage », contre le « capitalisme », la « loi anti-casseurs » etc. Suprême habileté ? Mais si le cardinal ne prenait pas à son compte les convictions de son aimable vedette, rien ne permit de le savoir, ni de le supposer. Car il précisa qu'il assumait l'entière responsabilité du film, et les pro­pos qu'il tint par la suite étaient, à un niveau plus élevé, en harmonie parfaite avec ceux de la jeune enfant. Toujours dans *la Croix*, et le même jour, faisant écho à la même émission, M. Yves de Gentil-Barchis écrit : 108:145 « Actuellement, les chrétiens voudraient échapper à cette formule lapidaire « qui n'est pas marxiste est capitaliste » et trouver une troisième voie. Mais devant les questions économiques et politiques, ils n'ont pas encore la grille d'analyse des marxistes, ni leur outil théorique et prati­que (...). Peut-être le recours à des méthodes d'analyse plus rigoureuses et à des techniques économiques et sociales plus hardies les rendront-ils progressivement plus efficients, sans leur faire perdre leur originalité. » Ces propos me semblent mieux rendre compte de l'atti­tude du cardinal Daniélou. Il renvoyait dos à dos capitalis­me et marxisme sans rien proposer, inclinait à accepter « l'analyse » marxiste, et ne trouvait rien à répondre quand Garaudy lui faisait observer que l'Église condamne le communisme comme « intrinsèquement pervers » alors qu'elle ne condamne que les abus du capitalisme. « Je préférerais, disait Garaudy, que vous condamniez le ca­pitalisme dans son principe et le communisme dans ses perversions. » On souffrait... Ou du moins, je souffrais. Je souffrais qu'un homme supérieurement intelligent et aussi profondément chrétien que le cardinal Daniélou se trouvât coincé par des propos de ce genre. Et je souf­frais qu'ayant accepté de présenter le christianisme sous son aspect économico-social, qui n'est certes pas sa spécia­lité, il ne se sentit pas en mesure de rappeler ce qu'est la solution chrétienne, que le journaliste de *la Croix* appelle « la troisième voie ». Oh ! je sais bien pourquoi. D'abord, il la connaît mal. Ensuite il est évidemment convaincu que le communisme a d'ores et déjà gagné la partie et que tout le problème est maintenant de le « récupérer » en le noyant dans une sauce chrétienne qui le transformera en « socialisme démo­cratique » -- ce socialisme dont tout le monde rêve sans que personne soit capable de nous en tracer un « modèle », même approximatif. Puis-je indiquer au cardinal -- à mon vieil ami Danié­lou -- que le porche royal qui ouvre la troisième voie est le premier alinéa du deuxième chapitre de l'encyclique *Mater et Magistral ?* Le voici, en langue vernaculaire : « *Qu'il soit entendu avant toute chose que le monde éco­nomique résulte de l'initiative personnelle des particuliers, qu'ils agissent individuellement ou associés de manières diverses à la poursuite d'intérêts communs. *» 109:145 Cette proposition de base exclut à la racine l'abolition de la propriété privée des moyens de production, en quoi consiste -- Marx *dixit* -- tout le communisme. Elle inclut, à l'inverse, la diffusion la plus large de la propriété privée, le contrat, l'association et, plus généralement, la liberté de l'activité économique *réglée* par le Pouvoir politique, représentant du bien commun auquel doit être subordon­née l'Économie. C'est là la doctrine sociale de l'Église. Ce n'est que sur elle qu'on peut atteindre la justice, la liberté et la pros­périté, dans la mesure où ces biens peuvent être atteints. Et c'est ce qui subsiste de cette doctrine ou ce qu'on en redécouvre qui explique que les nations occidentales, avec toutes leurs tares, assurent à leurs populations une vie moins injuste, moins tyrannique et moins misérable que celle qu'on observe dans les nations soumises au joug com­muniste. La doctrine sociale de l'Église serait-elle périmée ? On doit reconnaître qu'elle l'est effectivement aux yeux de l'épiscopat français. C'est pourtant celle qu'affirmait hier encore Jean XXIII comme c'est celle que professe le R.P. Calvez, jésuite éminent, parfait connaisseur de Marx, et spécialiste en France des questions économiques. Il est d'ailleurs remarquable que l'aspect le plus urgent de cette doctrine, la diffusion de la propriété, retient l'at­tention de tous les pays occidentaux. Le jour même où le cardinal Daniélou dialoguait avec Garaudy, *Le Monde* (19 mai 1970) publiait cinq colonnes d'information sur « la politique sociale de la République fédérale allemande ». Un article s'intitulait : « Le gouvernement allemand veut que chaque salarié dispose d'un capital » (c'était le com­mentaire de la loi dite « des 312 DM », du 1^er^ juillet 1969, destinée à « favoriser la formation de capital chez les salariés »). Un autre avait pour titre : « Le gouvernement veut « privatiser » une partie du domaine public » (il s'agit de dénationaliser des entreprises d'État en les donnant à un holding dont les parts appartiendraient en majorité à l'État mais dont le reste serait souscrit par les particuliers). 110:145 Dira-t-on que le gouvernement allemand est socialiste ? Mais précisément, comme le gouvernement travailliste an­glais, il refuse catégoriquement le communisme et son totalitarisme, reconnaissant que la liberté politique exige une économie à base de propriété privée. L'exemple alle­mand est particulièrement intéressant parce que le gou­vernement actuel ne peut, malgré son étiquette, que suivre la politique d'Adenauer qui se réclamait explicitement de la doctrine sociale de l'Église. Si aujourd'hui les deux grandes nations catholiques et latines, la France et l'Italie, s'abandonnent à l'illusion de baptiser le communisme, alors que l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis s'inspirent consciem­ment ou inconsciemment de la doctrine de l'Église, elles ne réussiront qu'à se vouer à l'esclavage. Leur commu­nisation entraînerait-elle celle des pays germaniques et anglo-saxons ? Dans cette hypothèse (peu probable) il n'y aurait plus que la révolution universelle et la pluie des bombes atomiques. On ne voit vraiment pas ce qu'y gagnerait l'humanité, ni le christianisme. Louis Salleron. 111:145 ### Le salut qui nous viendra des Harkis par Maurice Avril IL EXISTE UNE ŒUVRE CONSACRÉE AUX HARKIS, L'ŒUVRE NOTRE-DAME. Son centre : Salérans, petit village à la jonction des Hautes-Alpes, des Basses-Alpes et de la Drôme. C'est là qu'en 1957, alors que notre colonie de Mas­cara venait d'être détruite par les fellaghas, nous avons acheté et aménagé une vieille ferme. En 1962, lors de l'exode, nous sommes heureux de trouver ce pied-à-terre ; j'y échoue, avec une bonne centaine d'enfants, en grande partie des orphelins, et des familles dont le nombre ne cessera d'augmenter. Dès 1963, l'Œuvre décide de se con­sacrer exclusivement au service des Harkis. Pour les adultes, nous avons ouvert des centres d'alpha­bétisation et d'enseignement ménager, des vestiaires, nous assurons des jumelages. Nous visitons et faisons visiter les Harkis, nous suivons et faisons suivre les Harkis chrétiens. Les enfants, qui, surtout, retiennent notre attention, viennent à Salérans de toute la France, pour les colonies de vacances, les camps, les sorties, les sessions de forma­tion de nos futurs cadres. En huit ans, nous avons reçu 1820 enfants, ce qui représente près de 50 000 journées, et près de 50 millions de dépenses, plus une somme équi­valente pour les diverses constructions. 112:145 Eh dehors des vacances, c'est nous qui allons chez ces enfants, dans les hameaux de forestage, où nous assurons les loisirs ; actuellement, nous nous occupons régulière­ment de quatre hameaux, nous en visitons quelques autres chaque mois. Nous organisons pour ces enfants des biblio­thèques, des cours de rattrapage scolaire, des jumelages, et nous polycopions un petit journal auquel ils tiennent beaucoup. Je suis aidé dans ce travail par une équipe de jeunes qui donnent à l'Œuvre une année de leur vie ; mais il les faudrait beaucoup plus nombreux, et je fais appel aux âmes généreuses. Je fais des conférences pour réveiller la conscience chrétienne, pour assurer notre recrutement et nos ressources financières. Pour soutenir ces réalisations, nous ne comptons, en effet, que sur la générosité de notre millier d'adhérents ; il nous en faudrait d'autres, et nombreux, car l'Œuvre se développe et doit se développer à la mesure infinie des problèmes à résoudre. Nous sommes de plus en plus sollicités par les familles, qui ont en nous une confiance émou­vante. De plus, à Salérans, les constructions ne sont qu'é­bauchées : il faut terminer la colonie de vacances, le foyer d'accueil, le Centre de l'Œuvre, le bloc sanitaire -- ce qui représente, en plâtres, aménagements, ameublements, un nombre considérable de millions. Il faut enfin réaliser peu à peu l'ensemble de notre projet, la création d'un village chrétien, centre de prière et de rayonnement apostolique -- et, donc, la mise en exploitation des terres, la création d'un artisanat, la fondation d'une école privée et, par-dessus tout, si Dieu le veut, la fondation d'un séminaire où nos Harkis pourront se spécialiser dans l'évangélisation de leurs frères. Car, au-delà de l'Œuvre et de ses réalisations présentes, nous voyons d'autres buts à atteindre, dont l'importance est capitale. Il faut : -- replacer nos Berbères dans leur orbite d'origine, latine et chrétienne ; -- replacer ensuite, avec eux et par eux, les autres riverains de la Méditerranée dans la même orbite ; -- afin de reconstituer d'abord le contexte qui permet­tra au cœur méditerranéen de reprendre sa mission civi­lisatrice ; -- et de redonner ensuite à la France le sens sacré de sa vocation, en l'aidant à retrouver les bases spirituelles qui seules permettront d'enrayer la décadence généralisée, et seront les moyens du vrai renouveau et du vrai salut de l'humanité. \*\*\* 113:145 C'est du Christ que nous partons, car sa venue est le tournant décisif de l'histoire de l'humanité, et instaure la nouvelle économie du salut. Avec lui s'achève la Révé­lation ; désormais, « qu'au nom de Jésus, tout genou flé­chisse, sur terre, au ciel et dans les enfers ! » -- désormais, « il n'est pas d'autre nom par qui nous puissions être sauvés ! » -- désormais, « Allez par le monde entier et annoncez l'Évangile à toute créature » -- désormais, « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ! » Pour installer la nouvelle alliance, le Christ commence par s'implanter solidement dans notre humanité. Il choi­sit pour s'incarner le sein de la Vierge de Nazareth. Il choisit son peuple, le peuple élu, préparé depuis des siè­cles à sa venue. Il choisit une époque dont il assume toutes les valeurs, qu'il restaure en lui -- « instaurare omnia » -- pour en composer une civilisation qui ne sera plus jamais que la civilisation chrétienne : les Hébreux, dans l'attente du Messie, avaient atteint le plus haut degré de religion ; le Christ n'aura qu'à ajouter son plan surnaturel, la vie de la grâce ; -- les Grecs avaient porté à son plus haut degré d'épanouissement la raison humaine ; à leur philo­sophie réaliste, le Christ n'aura qu'à ajouter le sens de la destinée surnaturelle de l'homme ; -- Rome avait tiré les conséquences pratiques de la philosophie grecque, dans son système perfectionné d'institutions et de lois ; le Christ n'aura qu'à perfectionner et couronner cet édifice d'ordre par la charité. Enfin, le Christ choisit de naître dans le pays dont la situation géographique est le plus favorable à la propaga­tion du message évangélique : la Palestine est à la croisée des chemins, elle constitue une charnière entre les trois continents qui ont peuplé le reste du monde ; elle fait partie de l'Empire romain, qui a réalisé l'unification de tout le monde alors connu. C'est Rome qui va fournir son réseau routier et ses voies maritimes ; c'est Rome qui va prêter sa puissance établie, qui va donner sa langue, et ses élites : car les chrétiens, tant pour corriger les mœurs dépravées que pour convertir leurs persécuteurs, occupe­ront peu à peu les postes-clés jusqu'au résultat définitif, acquis sous Constantin. 114:145 Pilate fut vraiment inspiré, qui fit une lumineuse syn­thèse de tous ces choix du Christ par la triple inscription de la Croix, rédigée en *hébreu,* en *latin* et en *grec*. Les autres pays riverains de la Méditerranée ont connu le même processus civilisateur que la Palestine et ont béné­ficié des mêmes bienfaits de la « Pax Romana » ; la Gaule, par exemple, a reçu l'empreinte des Grecs phocéens, et de l'occupation de Jules César ; ses premiers chrétiens seront, comme partout ailleurs, de culture gréco-latine. L'Afrique du Nord ne fait pas exception. Ethnologique­ment et sociologiquement, en effet, les gens du pays sont des Européens de race méditerranéenne ; et leur race n'a même, pas été altérée par les différentes invasions qu'ils ont subies : celle des Phéniciens, de race sémite, venus de Tyr au VII^e^ siècle avant J.-C., qui fondèrent Carthage et sa république maritime ([^68]) ; l'occupation romaine en­suite, qui sera suivie de tant d'autres invasions : les Vandales, au IV^e^ siècle, les Byzantins au vie, les Arabes au VII^e^, les Turcs au XIV^e^, en attendant l'occupation française au XIX^e^. Mais jamais ce pays n'a pu constituer une nation tant qu'ont joué les seuls facteurs économiques, car l'homogé­néité des productions naturelles ne favorisait aucun échange. Rome seule a réalisé l'unité de ce peuple, parce qu'elle lui a apporté une civilisation, donc une âme. Rome seule a pu engendrer une prospérité à la fois économique et humaine : devenue le grenier à blé de l'Empire, la Numidie était aussi un grenier d'élites, d'où sont sortis des littérateurs, des tribuns, des préfets, des consuls -- deux empereurs. Enfin se réalise une unité religieuse, qui engendre une prospérité chrétienne. Le pays, les villes du moins, furent christianisées dès le premier siècle ; au II^e^ siècle, on comp­tait 129 évêques. Au III^e^ siècle, l'évangélisation des cam­pagnes connaît un essor extraordinaire ; au IV^e^ siècle, on dénombre jusqu'à 690 évêques. L'Afrique du Nord était devenue un grenier de valeurs chrétiennes ; elle a donné des théologiens, des Docteurs, dont le grand prince de la pensée, saint Augustin, des écrivains, des martyrs, des moines, des papes, des missionnaires, dont certains contri­buèrent à l'évangélisation de la Gaule : le premier évêque de Digne fut un Numidien. 115:145 Par la Pax Romana et le christianisme, la civilisation s'était si solidement implantée que, de civilisés, nos Afri­cains devenaient civilisateurs ; germe devenu semence, la chrétienté d'Afrique du Nord obéissait à sa vocation dans le plan de Dieu ; répandre la Bonne Nouvelle, à partir du cœur méditerranéen, jusqu'aux extrémités du monde connu et à connaître, peuplé et à peupler. Dans ce pays, la Pax Romana a duré près de huit siècles, et le christianisme, plus de six siècles ([^69]), au cours desquels l'invasion des Vandales ne fut qu'une négligeable parenthèse, qui laissa subsister les structures romaines et les cadres berbères. Quel merveilleux augure pour l'avenir du monde ! La route était tracée, large et lumineuse... Hélas ! s'en vint l'Islam... Dans le contexte de la révélation progressive qui abou­tit à celle, éminente et définitive, du Christ, l'Islam, venu après le Christ, est sans objet, illégitime, rebelle par na­ture, pernicieux dans la mesure où il garde les âmes cap­tives de l'erreur -- donc, à combattre. Bien des chrétiens jubilent parce que l'Islam va jusqu'à faire du Christ un grand prophète : il faut hurler qu'il n'est pire blasphème que de dire du Christ tout le bien qu'on peut -- sauf qu'il est Dieu. Parce qu'il refuse de connaître le Christ, l'Islam refuse de connaître le seul et vrai Dieu, et par là même, de con­naître le plan d'amour de Dieu et le mystère du salut. C'est la fin de toute lumière dans la vie, de tout sens de la vie ; c'est la négation de la nature humaine et donc de tout droit naturel. C'est l'atrophie de l'intelligence, à qui d'ailleurs toute discussion sur la religion est interdite, et l'on sait que la chair dirige à la mesure de la démis­sion de l'intelligence ; ce qui explique cette allergie aux universaux, ce nominalisme pratique, cette fréquente mentalité infantile. Que reste-t-il à l'homme ? Sa liberté, bien essentiel, lui est confisquée, puisqu'elle est sans em­ploi. 116:145 Le fatalisme musulman abolit tout sens de l'effort, toute vie intérieure, au bénéfice d'un ritualisme sans âme. L'Islam est exclusif, comme la vérité, mais comme il n'est pas la vérité, il est fanatique. Seule l'Église peut se permettre d'être tolérante ; elle n'est ni ne peut être libérale, parce qu'elle possède la vérité qu'elle a le devoir de proclamer ; elle ne peut accepter le droit absolu à la liberté de conscience ni déclarer égales toutes les reli­gions. Mais l'Église est tolérante : si elle juge les doc­trines, elle s'interdit de juger leurs tenants, qu'elle aime comme ses brebis ; elle se penche sur eux avec compré­hension, respecte leurs cheminements, et les respecte au point de leur annoncer la vérité et de la proposer à leur, liberté. L'Islam est totalitaire : en pays musulman, le temporel est soudé au religieux, la politique à la foi ; la religion devient un moyen d'asservissement, le joug commun sous lequel ploient les nations conquises : « L'Islam, écrivait Renan, est la chaîne la plus lourde que l'humanité ait jamais portée. » Car l'Islam est conquérant : un siècle après la mort de Mahomet, il a envahi tout le nord de l'Afrique, alors pos­session de l'empire byzantin. Un croissant se constitue au sud de Rome, qui devient plus tard un étau, quand les hordes déferlent à l'ouest jusqu'à Poitiers, à l'est jusqu'à Vienne. Mais surtout on assiste à l'éclatement du monde civi­lisé, à la rupture de l'équilibre naturel de la Méditerranée. Désormais, toute l'histoire est hypothéquée par ce fait nouveau : l'Occident passera de la défensive, à Poitiers, en 732, à l'offensive des Croisades ; de la défensive, à Vienne, après 1500, à l'offensive, à Lépante, en 1571. Plus tard, au contraire, d'atermoiements en tergiversations, on en arrive à la coexistence pacifique ; la laïcisation et la paga­nisation progressives des pays occidentaux leur font ou­blier que l'Islam est une religion, et ils traitent de bonne grâce avec les États musulmans. La France qui, officielle­ment, mais mollement, s'est toujours proclamée protec­trice des chrétiens d'Orient a été, officieusement, mais obstinément, protectrice de l'Islam en Occident. Donner droit de cité et d'existence à des hommes est une chose, et légitime ; donner droit de cité et d'existence à l'erreur en est une autre, et criminelle. 117:145 Nous n'avions pas le droit de renoncer à la lutte contre l'Islam, de laisser, livrés à eux-mêmes et à l'erreur, des frères que nos multiples lâchetés ont abandonnés, quand notre amour aurait dû leur apporter vérité et salut. \*\*\* Les Maures qui occupent si longtemps l'Espagne sont en majorité des Berbères. Berbères aussi, les envahisseurs de notre hexagone, qui montent jusqu'à Sens, Autun, Besan­çon, et poussent leurs incursions en Italie, jusqu'à Rome où ils pillent deux fois le trésor de Saint-Pierre. Ils sont arrêtés à Poitiers, mais ne refluent pas tous ensuite vers leur pays d'origine ; nombreux au contraire sont ceux qui restent dans le sud de la France. Il y a donc des Berbères au nord et au sud de la Médi­terranée ; ils sont tous héritiers d'une tradition latine et chrétienne et, à tous, les conquérants arabes viennent d'im­poser l'Islam comme moyen d'unité et d'asservissement ; mais le sort des uns et celui des autres seront bien diffé­rents. Les Maures venus et restés en « Francie » subissent le rayonnement d'une civilisation qui leur fait retrouver leurs traditions antérieures à l'Islam. Un brassage s'opère, des mariages se contractent : les Maures redevenus chré­tiens deviennent, tout naturellement, Français, et si Fran­çais que nous ne pensons plus que beaucoup d'entre nous comptent des Maures parmi leurs lointains ancêtres. Quant aux Berbères restés en Berbérie, ils subissent la domination de l'Islam ; le latin est évincé par l'arabe, véhicule de l'Islam ; les ports sont rapidement islamisés, et leurs roitelets sont aussi bien des Arabes que des Berbères renégats, des Italiens, Maltais, Français renégats, et bientôt des Turcs musulmans. Nous connaissons leurs tristes exploits de pirates, et avec quelle effronterie ils ont tenu les puissances chrétiennes au bout de leurs canons. Que d'Ordres religieux ont été fondés pour le rachat des captifs et pour l'abjuration des renégats ! L'arrière-pays, lui, n'abandonne pas si facilement son christianisme, et les 700 évêchés ne périront que d'une lente asphyxie. Bien des îlots survivront, saint Louis en rencontrera. 118:145 Mais peu à peu, l'Islam va tout anéantir, conformé­ment à son triste génie ; on connaît la phrase célèbre d'Ibn Khaldoun : « La civilisation a disparu, ainsi que la popu­lation ; le sol même paraît avoir changé de nature. » Alors que les Romains avaient fait de la Numidie un joyau de la civilisation, il ne restera rien ; c'est un arrière-pays désolé, ruiné, dépeuplé, aride, désertique, livré à l'anar­chie et aux ténèbres que nous trouvons en Algérie en 1830. \*\*\* Cette année 1830 voit un grand sursaut, la France latine et chrétienne retrouve son souffle traditionnel. Il s'agit pour elle de débarrasser la mer des pirates barba­resques et de réduire leurs repaires, pour protéger les chrétiens et délivrer ceux qui étaient détenus dans les bagnes d'Alger et de Tunis. Cette intention première était très belle, mais incom­plète ; on débarquait, après... l'on verrait. Ce qu'on a vu, ce sont les hésitations dans la conquête, et dans l'utilisa­tion de cette encombrante conquête. Ce qu'il fallait, c'était se replacer dans l'optique d'origine, occuper le pays dans le dessein de lui restituer son visage latin et chrétien, de rendre la population à sa culture et à sa religion d'origine, de lui faire reprendre conscience de son passé et de sa mission, de remercier cette sœur aînée, en accomplissant en retour, pour elle, un travail analogue au travail mis­sionnaire accompli jadis par elle en Gaule ; et s'associer à nouveau cette sœur latine pour rétablir peu à peu l'équi­libre latin et chrétien de la Méditerranée, pour pénétrer les terres islamisées avec l'intention de les ramener à leur christianisme originel ([^70]). Au lieu de cela, qu'avons-nous fait ? Nous avons colo­nisé ; sans doute. Coloniser est un devoir qui consiste à partager ses richesses matérielles par le développement économique et l'élévation du niveau de vie ; à partager ses richesses culturelles, en formant une élite et des cadres ; à partager ses richesses spirituelles, surtout, qui donnent unité et vie aux précédentes. En résumé, coloniser, c'est civiliser. Et c'est un devoir pour des civilisés que de civi­liser. Coloniser, c'est apporter la civilisation chrétienne, et ce qui seul peut l'expliquer, la promouvoir et la soutenir la religion chrétienne. 119:145 Avons-nous réalisé ce programme ? Certes, nous avons accompli un travail admirable pour arracher ce peuple à ses ténèbres, pour changer ce désert en oasis, pour faire progresser l'Algérie de plus de mille ans. Ce fut une mer­veilleuse réussite technique, mais ce ne fut pas une réus­site humaine, car nous avions introduit des idées qui, elles, ont fait le plus grand mal : nos idées libérales et irréli­gieuses de 1789. Bref, *nous avons voulu apporter notre civilisation, qui reste chrétienne, sans ce qui, seul, peut lui permettre de* *subsister : la religion chrétienne.* Au contraire, nous avons rabaissé, déprécié, humilié l'Église ; nous avons fait profession officiellement de laïcisme, ce qui a engendré à notre égard un mépris profond. Nous avons fait plus. Alors que l'Islam n'avait quelque solidité que dans les villes, où l'arabe avait prévalu, dans les montagnes, où l'on parlait berbère, il restait très super­ficiel. C'est nous qui avons arabisé et islamisé, d'abord pour tenir le pays, ensuite par principe. On a imposé l'Islam, on a codifié l'erreur, on a fortifié la contre-vérité : l'Orient aux Orientaux, l'Occident aux Occidentaux ; l'Europe aux Chrétiens, l'Afrique aux Musulmans ; les Français euro­péens, les Algériens arabes. Ces idées simplistes sont fausses, sont monstrueuses ! -- On a donné tous les droits à l'Islam, on en a fait pratiquement une religion d'État. Qui ne se souvient de ces numéros de music-hall où nos parlementaires et officiels, les yeux mouillés, la voix che­vrotante, présidaient avec des accents de prédicateurs de nonnes aux solennels embarquements de pèlerinages gra­tuits pour La Mecque. Quelle prostitution ! Comment en eût-il été autrement ? En perdant sa tra­dition catholique, la France perdait sa flamme spiri­tuelle et sa personnalité ; elle se préparait ainsi à perdre bien davantage, et à se perdre. En islamisant ces pauvres gens, nous les avons trompés sur leur passé, sur leur destinée ; nous les avons amputés de leur mission. 120:145 En les islamisant, nous avons permis l'islamisation de tout le continent africain, nous avons rendu possible l'isla­misation de toute l'Europe, et bien au-delà de Poitiers. Nasser, célébrant l'anniversaire de la victoire de Mansou­rah sur saint Louis, déclarait : « *Notre victoire ne sera complète que lorsque les cavaliers d'Allah auront che­vauché sur Notre-Dame de Paris et rasé Saint-Pierre de Rome. *» Et cette menace est en voie de réalisation : les conversions à l'Islam augmentent sans cesse (une dizaine de milliers chaque année, en Angleterre ; les mosquées, les centres culturels islamiques et autres officines se mul­tiplient silencieusement, mais efficacement). En les islamisant, nous nous sommes préparé des enne­mis : chrétiens, ils auraient christianisé l'Afrique ; musul­mans, ils devaient nous en chasser. Comment ne pas citer ici la lettre du Père de Foucauld à René Bazin, datée du 1^er^ juillet 1916 (oui, 1916) « Ma pensée est que si, petit à petit, doucement, les Musulmans de notre Empire colonial du Nord de l'Afrique ne se convertissent pas, il se produira un mouvement nationaliste... Une élite intellectuelle se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir le caeur ni l'esprit français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui gardera l'étiquette pour pouvoir, par elle, influencer les masses ; d'autre part, la masse des nomades et des campagnards restera ignorante, éloignée de nous, fermement mahométane, portée à la haine et au mépris des Français par ses marabouts, par les contacts qu'elle a avec les Français, contacts qui, sou­vent, ne sont pas propres à nous faire aimer d'elle. « Le sentiment national ou barbaresque s'exaltera donc dans l'élite instruite ; quand elle en trouvera l'occasion, par exemple lors de difficultés de la France en dedans ou au dehors, elle se servira de l'Islam comme d'un levier pour soulever la masse ignorante et cherchera à créer un empire musulman africain indépendant... Si nous n'avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils deviennent chrétiens. Sinon, avant cinquante ans, nous serons chassés de l'Afrique du Nord. » ... Et nous avons été chassés... \*\*\* 121:145 Mais voici que, pour la troisième fois, l'inlassable Pro­vidence va remettre dans les bras l'une de l'autre ces deux sœurs latines, et pour la seconde fois au nord de la Médi­terranée. -- 1962 : des Harkis débarquent en France. Je tais les raisons et les circonstances de ce drame sans mesure et sans qualification. *Que les Français en restent rongés par le remords, qu'ils passent leur vie à réparer,* m'écrit un officier, *n'est que justice.* Le point essentiel, c'est que les Harkis sont Français, qu'ils ont largement payé le droit de l'être, par leur con­fiance, par leur sang, par leurs deuils. Français, ils sont libres ; libres de devenir réellement ce qu'ils sont déjà de droit ; libres de secouer le joug séculaire de tant de né­fastes contre-vérités ; libérés d'un esclavage sans merci ; libérés du cadre sociologique qui les privait de leur dignité humaine ; considérés soudain comme des personnes, comme des hommes, ils sont maîtres d'eux-mêmes et de leur destinée, ils sont libres enfin de choisir, avec la civi­lisation chrétienne, la religion qui en est le soutien et le garant. Est-ce possible ? Oui. Je ne reprendrai pas ici les longues analyses psychologiques que j'ai faites ailleurs ([^71]) ; j'ai repris toutes les objections classiques, pour les déman­teler, ce qui n'est guère difficile, puisque le classique, en ce domaine, est composé de contre-vérités. J'ai crié, à temps et à contre-temps, pour réveiller la conscience chré­tienne, pour lui faire comprendre qu'une occasion provi­dentielle nous était offerte de nous attaquer au vrai pro­blème, de réintégrer ces hommes dans leur civilisation d'origine, latine et chrétienne, pour, ensuite, replacer dans la même orbite leur pays natal, et continuer la croi­sade jusqu'à redonner au cœur méditerranéen la possibi­lité de reprendre en charge la civilisation et l'évangélisa­tion de tout l'orbe terrestre. Telle est notre mission, notre vocation éternelle, et notre chance de nous racheter, de nous arracher, nous aussi, à nos ténèbres. \*\*\* 122:145 Pratiquement, comment avons-nous reçu nos Harkis ? « Primum vivere » : il a fallu d'abord leur trouver un toit et du pain. Nous avons assisté à une admirable conjugai­son d'efforts entre l'administration, les associations privées et tant d'officiers, qui furent simplement des héros ! Je parle en témoin direct : quand, depuis sept ans, on s'est occupé uniquement de Harkis, comment n'être pas ému et émerveillé de tant de dévouements, comment n'être pas ébloui par toutes ces générosités qui étoilent notre nuit, et nous laissent espérer une éclatante aurore ? Mais quand vint le jour où, vaille que vaille, les Harkis furent pourvus du nécessaire, et leurs enfants régulière­ment scolarisés, l'intégration parut en bonne voie, et les diverses associations, si méritantes, il faut le répéter, se réunirent une dernière fois pour déclarer le but atteint. Eh ! bien, non, l'essentiel demeurait, qui leur avait échappé : le vrai problème était et reste un problème spi­rituel. Quel dommage de n'avoir pas su le dominer, le situer dans son contexte historique et providentiel ! Quel dommage d'avoir ignoré que notre action humanitaire devait, nécessairement, avoir un prolongement spirituel ! Nous avons renouvelé l'erreur passée, nous avons apporté les avantages techniques de la civilisation, sans nous soucier de son fondement moral et religieux. Au fond, nous avons trompé encore une fois les Harkis sur nous-mêmes, sur eux-mêmes, et sur la valeur de la civilisation chrétienne. A leur arrivée, les Harkis, nos frères, nous étaient confiés, par la force des choses ; et ils se sont entièrement abandonnés à nous, avec une confiance d'enfants. Ils étaient neufs, disponibles. Ils ont attendu ; longtemps ; ils savent attendre longtemps, ces seigneurs de la montagne. Avec le pain, ils espéraient la lumière, la vraie ; celle qui, seule, peut assurer la véritable promotion ; la culture, la vraie, et surtout les bases spirituelles de cette culture. D'une France qui tend vers le ciel tant de clochers et de calvaires, ils n'attendaient qu'un signe sur leur front avide : le signe de la croix. *J'ai vu des villages entiers réclamer pendant des mois ce signe pour leurs enfants ;* j'ai longuement décrit ailleurs ces désirs et ces chemine­ments. 123:145 Mais *rien n'est venu,* et rien ne pouvait venir. Ils aspi­raient aux bienfaits de la civilisation chrétienne, et n'ont rencontré que notre matérialisme jouisseur. Ils ont compris qu'une civilisation qui n'est plus religieuse redevient une barbarie. Nous n'avons pu leur cacher notre décadence ; nous n'avions rien, plus rien à leur donner. Ils ont bien remarqué et n'ont pas compris notre silence obstiné sur le problème religieux. Si nous possédons la Vérité, pourquoi ne la répandons-nous pas ? S'ils la pos­sèdent, eux, avec ce qu'ils ont retenu de l'Islam, pourquoi ne nous y rallions-nous pas ? Ou bien, ne les aimons-nous pas ? Les méprisons-nous au point de leur refuser ce que nous avons de meilleur -- en refusant par là-même que ce meilleur, qui est partage et charité, le soit d'abord pour nous ? Pis encore, nous les trompons en les considérant tou­jours comme des Arabes et des musulmans, en leur four­nissant même les moyens de se perfectionner en arabe, qui est le véhicule de l'Islam. Que dire alors de ceux qui leur enseignent positivement l'Islam, alors qu'ils en étaient libé­rés ? Qui, peut s'arroger le droit d'enseigner l'erreur ? Qui peut assumer la responsabilité de les replonger à nouveau et peut-être définitivement dans leurs récentes ténèbres ? Remettez-les à part et dans l'Islam : ils constitueront bientôt une sous-population, un ferment explosif, -- et que de nouvelles souffrances ils devront subir ! Disons le mot : c'est là de la ségrégation, une ségré­gation, dont nous avons déjà contracté une profonde et quiète habitude. Et nos Harkis ont déjà contracté une pro­fonde et amère habitude d'être laissés pour compte. Ils nous voient vivre à côté, continuer à vivre à côté, eux qui sont à côté, mais de l'autre côté, eux qui subissent de nous d'être considérés de l'autre côté. Nantis de nos raisons de vivre, nous n'avons jeté dans leur sébile que de quoi vivre sans raisons ! Nous les avons trompés sur la valeur de la civilisation chrétienne -- la leur, à l'origine, je ne me lasse pas de le répéter. Puisque nous l'avons pratiquement abandon­née, et puisque nous ne la leur avons pas proposée, c'est qu'elle ne nous est pas aussi indispensable que l'air à nos poumons, et la lumière à nos yeux. *Quant à l'Église, ils l'ont vue complètement absente de leur drame, et en ont d'autant plus souffert que c'est d'elle qu'ils espéraient ce que tout le monde leur refusait.* Son refus de reconnaître le problème original des Harkis français lui a fait adopter un ostracisme de fait qui les a remplis d'une amertume et, parfois, d'un désespoir, dont je porte témoignage. \*\*\* 124:145 Est-il trop tard, et devons-nous désespérer ? L'on parle de crise de civilisation, mais c'est plutôt d'un refus de civilisation qu'il s'agit, et d'une lutte contre la civilisation dont il faut bien légitimer le refus. Le fruit unique de ce refus, c'est l'échec ; nous avons échoué, sans nous douter que nous avons, en fait, adopté le processus naturaliste de l'Islam : refus pratique de reconnaître Dieu en Jésus-Christ, refus pratique de vivre la nouvelle économie sur­naturelle du salut, abandon de l'ordre naturel, du droit naturel et, par l'enchaînement logique des abandons, aban­don du réel, de l'esprit, de toute doctrine, de toute auto­rité. A notre tour, nous voici abandonnés au sensoriel, au sensible, au sensuel. Comme nous devrions méditer ces paroles de S. Pie X : « La civilisation de l'humanité est une civilisation chrétienne. Elle est d'autant plus vraie, plus durable, plus féconde en fruits précieux qu'elle est plus nettement chrétienne ; d'autant plus décadente, pour le malheur de la société, qu'elle se soustrait davantage à l'idée chrétienne. » Nos jeunes ont vu notre échec et notre décadence. Alors, ils se sont révoltés en bloc, contre tout l'héritage en bloc. Ils remettent en cause les principes fondamentaux de cette civilisation d'échec, ils raisonnent à partir de cet échec et ils vont jusqu'au bout de leur raisonnement, peut-être dans l'inconscient espoir de déceler une faille en che­min, qui serait une petite lumière dans leur nuit. Mais non ; c'est jusqu'au désespoir et à la négation qu'ils iront, jus­qu'à l'anarchie et au nihilisme. Et pourtant, au fond, nos jeunes ne recherchent que ce que nous avons abandonné, ils ont soif d'absolu, ils ont besoin de vérité, de LA vérité, ils ont besoin d'une éva­sion autre que la drogue, le sexe ou la violence, d'une éva­sion spirituelle, d'une raison de vivre. Ils fuient les chaînes dorées de notre monde factice et mécanisé, ils veulent vivre leur propre vie et la réussir, ils aspirent à un idéal tout neuf, à une cause toute neuve, juste, exaltante. \*\*\* 125:145 Cette cause, je la propose à tous, aux adultes, pour qu'ils se relèvent, se rachètent et retrouvent ce qu'ils ont perdu ; aux jeunes, pour répondre à leur soif d'idéal. Cette cause est une cause urgente, la cause prioritaire. Reprenons donc conscience de ce que nous sommes : latins et chré­tiens, français et civilisateurs. Reprenons foi en notre Occi­dent, en sa mission d'équilibre spirituel, moral, mental même de l'humanité. Reprenons foi en la vocation de notre France, fille aînée de l'Église, reine de la pensée, experte en générosité. Redevenons les pionniers que nous devons être pour accomplir notre devoir et notre mission. La dernière heure a chance, alors, d'être la plus belle ; le dernier bastion de la Chrétienté démantelée et aux abois reprend soudain l'offensive pour une aventure exception­nelle, qui rend la vie à notre hexagone anémié, change le cours de l'histoire, retourne le vent et chasse les nuages. Pratiquement, il s'agit d'un engagement, qui peut revê­tir deux aspects : -- Un engagement d'ordre général, qui consiste à tirer les conclusions de tout ce qui précède : *s'informer, se réfor­mer, se reformer ;* se libérer des contre-vérités officielles, comprendre le vrai problème, engager sur tous les plans le combat qui doit arrêter notre déliquescence et produire un renouveau décisif ; assumer une reprise personnelle de toutes les valeurs de civilisation ; se refaire une mentalité intégralement chrétienne et missionnaire, française et ci­vilisatrice ; ne pas craindre de se pénétrer de l'obligation de réparer, et couronner ce devoir par un amour sans me­sure. Lutter ensuite, et par conséquent, contre la Révolu­tion, refuser les structures mentales et le conditionnement qu'elle veut imposer, rejeter sans compromis ni compro­mission, sous peine d'entraînement fatal, tout le processus de désagrégation diaboliquement déclenché. -- Un engagement particulier aussi, qui consiste à apporter une aide à l'Œuvre Notre-Dame de Salérans. Pas de commune mesure, certes, entre son infime modestie et l'importance souveraine de la cause, mais il ne tient qu'aux amis de l'Œuvre de la faire grandir par leur valeur et leur générosité. \*\*\* 126:145 Pourquoi ne pas exposer nos besoins, pour finir ? Nous avons besoin de collaborateurs saisonniers, pour nos camps, colonies et centres aérés -- cadres, ou personnel ; dans nos Centres de Promotion et Foyers d'amitié, pour l'alpha­bétisation et l'aide ménagère, ou pour assurer les loisirs des enfants ; à notre siège social, à Salérans, pour du secrétariat ou des travaux matériels (maçonnerie, menuise­rie...). Que d'amis nous offrent déjà une semaine, un mois, ou même une année de leur vie. Nous avons besoin de permanents ; à Salérans, pour prendre en charge l'organisation et la direction de nos Œuvres, l'organisation et la responsabilité des travaux, du matériel, de toutes les tâches matérielles ; j'ai besoin d'une équipe missionnaire, de jeunes qui prennent en charge les enfants des hameaux de forestage que nous voyons chaque semaine, de jeunes qui montent d'autres Foyers d'amitié et assurent la relève. J'ai besoin de familles qui acceptent le jumelage avec des familles de Harkis. Je compte parmi les permanents ceux qui nous aident financièrement par leur adhésion personnelle et par leur action pour nous faire connaître. Un bulletin de liaison et une abondante correspondance établissent entre tous les membres de l'Association une amitié profonde, et, à Sa­lérans, nous vivons en état de prière et d'offrande à toutes leurs intentions. L'aide financière qu'ils nous apportent est vitale pour nous et doit être toujours plus substantielle à qui me demande le détail de nos besoins, j'ai l'habitude de répondre : nous avons, non besoin de détails, mais des besoins de taille -- alors, taillez dans vos besoins ! Enfin, je recevrais volontiers des âmes généreuses qui voudraient consacrer toute leur vie au service de Dieu dans nos frères les plus pauvres. Engager des fonds, c'est bien, s'engager à fond, c'est mieux. Au-delà de la simple prise de conscience, au delà du simple effort de redressement moral, il existe la consécration totale : elle n'est pas éteinte, que je sache, la race des Geneviève, des Jeanne d'Arc et des Charles de Foucauld ! L'héroïsme est offert, l'enrôle­ment est ouvert. C'est une grande lumière que je veux offrir, cueillie dans les yeux de nos harkis, de ceux qui sont morts pour la France, de tous ceux qui sont encore marqués dans leur chair et dans leur âme par le drame qu'ils ont vécu, de tous ces mal-aimés, de toute cette multitude d'enfants, de tous mes enfants de nos dernières colonies, de nos derniè­res visites a travers le pays, de notre dernier Noël. 127:145 ...Des yeux tout pareils à ceux de ce petit enfant aban­donné que saint Vincent de Paul avait amené, comme dernier argument, devant de grandes dames de la Cour, qu'il avait d'ailleurs complètement dépouillées, en leur disant : « Son sort est entre vos mains, Mesdames ; si vous ne voulez plus en être la mère, vous en deviendrez le juge et le bourreau ». Il faut que cette grande lumière cueillie dans ces yeux innocents incendie vos vies, embrase le monde d'un feu tout neuf, s'attise dans vos générosités toutes neuves aussi, et vous fasse comprendre combien demain, DES HARKIS NOUS VIENDRA LE SALUT ! Maurice Avril,\ prêtre. 128:145 ### Le cours des choses par Jacques Perret C'EST TROP DIRE que tous les défenseurs de l'Algérie française ont repris du service pour combattre la Réforme, le chapelet succédant au plastic. Nous ne sommes pas au complet. Si le terrain a changé, l'ennemi est pourtant le même et lui, sans faire le détail, est assez fondé à mettre dans le même sac les paras du poutch et les militants de Pie X : intégrité du territoire, intégrité de la foi, affaires conjointes à l'enseigne du fa­natisme conservateur. Nous ferons de même pour gaullistes et modernistes qui, par intelligences ou par hasard, ont eu partie liée, non déliée à ce jour. Qu'ils le veuillent ou non les doux prê­cheurs de la nouvelle Pentecôte ont baigné dans la Toussaint sanglante. Eux aussi bien sûr, les accordés du processus for­faiteur et de la pastorale amoureuse, ont connu des défec­tions, beaucoup d'entre eux se retrouvent dans la religion de papa. Maurice Clavel entre autres, gaulliste forcené, consacre un peu de son talent à l'étrillage des confesseurs pilulaires cependant que Mauriac détourne une partie de son curare sur les énergumènes de la mutation, faisant tous deux bien comprendre au lecteur qu'ils n'ont pas fini pour autant de nous détester. \*\*\* 129:145 Bref examen de l'évolution de l'Église considérée com­me auxiliaire du Processus. En Algérie, un évêque digne de ce nom eût considérablement gêné, enrayé peut-être, les machinations du général mais, heureuse coïncidence, Duval était là, sur place, quasiment renégat, l'homme rêvé pour le désespoir des Pieds-Noirs. Seul évêque au monde qui fût capable de livrer son troupeau à l'Islam avec autant de bonheur et d'impitoyable onction. Cardinal de mon cœur, disait le bon pape Jean, tandis que tous les paroissiens d'Algérie, le couteau sur la gorge, lui criaient au secours, et las d'attendre un geste, espéraient une pa­role de compassion qui n'est pas venue. Mystère de la raison d'Église. Kroutchef aux petits fours de l'Élysée, son beau-frère aux petits soins du Vatican. Tous les zé­phyrs d'encyclique dans les voiles du gaullisme, les neu­vaines pour la paix d'où qu'elle vienne, les drapeaux con­quis à Puebla rendus au Mexique et les trophées de Lé­pante au grand Turc, symétrie ingénieuse, et Paul VI cablait ses bons vœux à M. Boumedienne. Un comité de liaison n'était pas nécessaire pour accorder les violons, tout allait de soi, tout ce qu'il fallait pour complaire aux vainqueurs présumés de la vieille patrie comme aux enne­mis si fraternels de l'Église romaine. Les instructions et chantages pour le oui-oui des bons catholiques, les pétitions de charité pour les tueurs de chrétiens, les calomnies feu­trées pour les égorgés récalcitrants, les bombes sarrazines dans la valise des petits pères de la Merci, l'abbé Davezie sur le sein du cardinal Liénart, et Dieu sait dans quels couvents se façonnaient les insignes fellagas... On voudra bien m'excuser de rappeler ces détails et je n'en fais pas mon régal, mais enfin si le gaullisme est un peu fatigué, l'hérésie prospère et tous deux auront bien profité l'un de l'autre. Il fallait au moins la force des choses pour accorder aussi bien les manières d'endormir ici les fidèles et leurs curés, là les petits colons et leurs capitaines : l'aggiorna­mento c'est l'évangile vécu et le salut dans un fauteuil, l'autodétermination c'est la France généreuse et la fin des impôts, que vous faut-il de mieux ? L'Algérie restera fran­çaise et la messe catholique, et comment pouvez-vous imaginer que Moi de Gaulle, et Nous le saint Père, etc. Ainsi renforcé de l'obéissance absolue à Rome, le Gaullisme inconditionnel se promulguait infaillible. S'il y a encore des mécontents il faudra bien qu'ils s'arrangent d'une liturgie frelatée comme les patriotes se lèvent encore à la marseillai­se pour l'irrésistible amour d'une patrie déshonorée. 130:145 Et voici revenu le temps des points de ruptures, sage­ment ou lâchement reconduits. De la paix des braves au cessez le feu unilatéral, de la rue de l'Isly au drapeau vert sur le forum, chaque fois les colonels ayant décidé le holà ! interrogeaient leur conscience et soupiraient hélas. Ainsi va-t-on du nouveau catéchisme à la nouvelle messe ; fau­dra-t-il aller de non possumus en non poterimus jusqu'au mémorial en pique-nique. Nous voilà aux prises avec un sacré sophisme du genre sorite : si j'ôte un grain du tas de sable, il y a toujours un tas de sable, si j'en ôte cent il y a encore un tas de sable, à quel moment devrai-je dire qu'il n'y a plus de tas de sable ? Arrêtons là ces rapprochements. Ils ne sont pas telle­ment absurdes mais j'admets l'inconvenance qu'il peut y avoir à comparer la démarche d'un fidèle devant les vicis­situdes de l'Église éternelle, et celle d'un citoyen devant les forfaitures d'un parti éphémère. \*\*\* Entre autres signes avant-coureurs de la débâcle litur­gique, celui-ci m'avait tout de suite frappé : la libération du pouce et de l'index après la consécration, comme on se fût débarrassé d'une vieille manie. Mais c'était un relâ­chement au sens propre. Un signal discret mais précis, le petit commencement de l'ouverture au monde. On laissait tomber le souvenir tangible d'un mystère capital. Ces deux doigts volontairement soudés faisaient un maillon de la chaîne et le maillon a sauté, point de départ d'une avarie et pas de panique dans l'équipage. Si le commandant ni les gabiers n'ont rien dit c'est que la chose ne tirait pas à conséquence, ou qu'ils étaient eux-mêmes dans un coup de sabotage ou de baraterie. Cette cassure n'allait-elle pas livrer passage à toutes sortes de profanations ? Nous avions compris dès l'enfance que ces deux doigts comme scellés par la nouvelle alliance ne voulaient plus rien saisir, plus rien effleurer qui fût de ce monde, au moins jusqu'aux ablutions. On y voyait l'abrégé d'une précaution infiniment dévotieuse, humble­ment limitée dans le temps parce qu'il faut bien que les institutions divines aient ici-bas leur économie, mais le temps que ces deux doigts privilégiés demeuraient accolés était suffisant et nécessaire à témoigner d'un contact inef­fable. Et dès l'enfance nous étions sensibles à l'effort léger qui compliquait un peu les manipulations rituelles pour mieux nous persuader que la transsubstantiation était accomplie. Et là encore nous n'aurions plus droit d'être fidèles à l'enfance. 131:145 Des chercheurs supérieurement intelligents ont décou­vert que le sacré est une notion forgée de toutes pièces pour barrer la route aux aspirations démocratiques de la spiri­tualité universelle. En conséquence ils ont décidé que le profane et le sacré s'anéantiraient par confusion. Toutefois, la liturgie demeurant un appareil de propagande encore utilisable, il ne fallait pas la démolir entièrement et tout de suite. Ils ont commencé par des opérations de détail appa­remment anodines. Mais un fidèle du rang et tant, soit peu attentif, à première vue de ces doigts déliés, aura pu com­prendre que la transcendance ne tarderait pas à être mise en question, il aura même entrevu que l'hostie pouvait tomber au niveau métaphysique du cachet d'aspirine. Il a senti sur-le-champ qu'il y avait là un point de rupture, quasiment au sens propre. Il aura dû en souffrir bien d'au­tres et, passant outre, il en souffrira sans doute encore, c'est le mysterium fidei. A mon avis, sujet à caution bien sûr, le martyr serait téméraire qui pousserait le sacrifice jusqu'à la cohabitation avec le diable. \*\*\* Le chapitre de Mai. Si l'âge suffisait à faire le doyen, il n'y aurait pas de problème. La charge et l'honneur en seraient obligatoirement dévolus au plus âgé des profes­seurs après vérification du curriculum et sous réserve d'un coefficient caractériel négatif. Mais la doyenneté n'implique pas l'aînesse et de toutes manières le privilège de l'âge est une vieille lune féodale, n'en parlons plus. Qu'est-ce donc, en l'occurrence, que ces doyens qui ne font tant parler d'eux que pour se dérober ? -- Oui, au fait, qu'est-ce qu'un doyen ? se dit le doyen tandis qu'autour de lui les bouteilles d'encre éclatent sur les murs de son bureau pillé. Il prend le téléphone : rap­pelez-moi donc, M. le ministre, ce qu'est un doyen ; ses devoirs, ses droits, sa fin, ses moyens. Je suis pressé. -- J'allais vous le demander, mon cher, car enfin qui le saurait si ce n'est vous ? Il est inadmissible qu'un doyen ne sache pas ce qu'est un doyen. 132:145 -- Hélas, monsieur le ministre, saurons-nous jamais ce que nous sommes ? -- Très bien, tout en question, la recherche, grande pensée du siècle, l'avenir est au départ à zéro, tous les matins, l'éponge à la main, mais je vous rappelle que vous êtes déchargé de cours, mon cher doyen. -- D'accord, M. le ministre, mais justement, dans le cas où d'autres charges m'incomberaient, envoyez-moi donc la notice et le mode d'emploi, c'est urgent. -- Et quoi encore ? Vous avez l'autonomie, la coges­tion, l'exterritorialité, le campus, le foutoir, tous les scru­tins qui vous passent par la tête, et vous me demandez ce qu'il faut faire ! Mais fonctionnez, mon cher, c'est en fonctionnant qu'on apprend la fonction. -- Que je fasse l'empirique maintenant ? Vous plai­santez. La fonction, à la rigueur, soit, expédient provisoire, mais toute fonction est aliénante, M. le ministre, et je la sens venir l'aliénation fonctionnelle, le cabanon du doyen, l'environnement est sur le point de me détruire, n'entendez-vous pas les impacts ? -- Impacts de quoi ? -- Watermann tous calibres. -- Faites comme moi : à plat ventre. -- Mais je ne fais que ça, M. le ministre, tant et si bien que je me demande si je n'aurais pas avantage à me re­dresser un peu, qu'en pensez-vous. -- Ah je vous en prie, vous n'allez pas jouer au petit soldat, non ? A l'heure où... La voix se perd, une glace vanille vient de s'écraser entre l'oreille et l'écouteur. \*\*\* Soyons sérieux ; si l'ayant-droit s'interroge, interro­geons le mot. Doyen : altération du mot dizennier qui dé­signait jadis le chef d'une dizaine d'hommes armés ; au­jourd'hui sorte de mannequin fait d'un corps de chiffons et d'une tête de Turc, en usage dans certains établisse­ments de l'enseignement public pour accélérer la forma­tion adulte des étudiants oisifs. 133:145 Depuis deux ans un si grand nombre de doyens sont morts au champ d'honneur que le recrutement par candi­dature au sein du personnel enseignant est tari. Vu que les professeurs n'entendent plus professer en tant que pro­fesseurs mais que dialoguistes fondus dans la rumeur d'un dialogue innombrable et horizontal, il a été question de soumettre la candidature de n'importe qui à l'agrément de tous les familiers de campus, vagabonds, rôdeurs ou séden­taires. Il y a là en effet un corps électoral admirablement entraîné, fonctionnant à plein temps pour mettre aux voix unanimes la paix au Vietnam, les menus de la cantine, la libération des terroristes zoulous, les auteurs du program­me, la vanité des programmes et l'érotisme en recherche libre à l'intérieur du périmètre. Ils auraient donc été pres­sentis pour établir une liste de jeunes analphabètes agréga­tifs et d'en tirer un doyen. Si le résultat n'est pas concluant, si la nursery persiste à casser ses joujoux avant de savoir en jouer, on essayera de la doyenneté collégiale progressi­vement étendue à l'ensemble des effectifs intéressés. Ainsi le doyennat, splendidement embaumé dans le collectif, em­paqueté dans l'anonymat, ira-t-il s'allonger dans le caveau déjà pléthorique des hiérarchies. C'est alors que, par mi­racle ou scrutin unanime, la fonction ressuscitera dans sa peau de doyen, avec sa règle de bois dur, tant pour montrer la direction à suivre que pour taper sur les doigts. C'est ce qu'on appelle une péripétie, au sens propre, et des plus classiques. Ils se disaient enragés, réflexion faite ils se découvrent sauvages. Tabous et totem, masques et tam-tam, grands et petits sorciers. Ils capturent à l'occasion les renégats transfuges de la société bourgeoise pour s'en cuisiner des bouillons rituels. Ils sont plutôt gentils dans l'intervalle de leurs expéditions, pas plus bêtes que les autres, générale­ment originaires des régions déshéritées du Seizième, dopés aux nids d'hirondelles, motorisés pour la plupart, docile­ment complexés dans leur conscience collective, tout dé­voués à leurs idoles orientales, voire aux dieux patagons, et néanmoins entièrement disponibles. S'ils arrivent à leurs fins nous les verrons défiler au pas, tête droite, che­veux en brosse et la pelle sur l'épaule. C'est encore une péripétie très classique. Au fait, ils n'ont pas précisé à quel genre de sauvages nous aurions affaire désormais. S'agirait-il de l'espèce philosophique dite Huron de trumeau ou Chinois de para­vent qu'on en serait charmé, malheureusement ce n'est pas bien dans leur manière, sauf peut-être chez les hippies qui ne font parmi eux qu'une minorité gyrovague et peu agissante. 134:145 En revanche, s'ils se prennent pour résurgence des sociétés primitives telles que M. Durkheim les inventa, l'expérience, quoique parfaitement idiote, sera suivie de près par tous les zélateurs du ressourcement. Il leur faudra en casser de la structure, et de l'externe, et de l'interne, et se croyant enfin sauvages ils se trouveront tels qu'ils sont partis, comme vous et moi. Toujours la péripétie. \*\*\* On se demande s'ils n'auraient pas confondu sauvage et barbare. En ce cas il faudrait les prévenir que sous nos climats les barbares authentiques viennent toujours de l'Est et qu'ils ont peu de considération pour les petits malins de Seine-et-Oise qui prétendent les singer. Quoi­qu'il en soit, épris de tradition, ils empruntent à la bar­barie son principe destructeur en le sublimant d'un appa­reil pédantesque, traditionnel lui aussi, et, non moins traditionnellement, ils ne triompheraient jamais que d'une société appliquée elle-même à sa ruine et tout acquise à ses lendemains barbares. Tout cela est fort déplorable, pas forcément catastrophique, il y aura peut-être quelque chose à en tirer. Une péripétie. Les péripéties ne sont pas fatales, on peut les aider. C'est une affaire de vocation magistrale et les appelés ne sont pas si rares. Quelques bravaches se maintiennent en exercice à des postes mineurs et pour la gloire ; ils sont fichés. Les autres se gardent en réserve, et bon gré mal gré ils en sortiront. Diplômés, galonnés ou non peu im­porte, ils feront alors démonstration autoritaire d'une demi-douzaine de vérités très anciennes et fraîches comme l'œil, fascinantes et immédiatement applicables. \*\*\* On dit encore qu'en passant de rage à sauvagerie ils n'auraient effectué qu'une opération tactique. La rage n'ayant été qu'un artifice temporaire, une grimace de combat, un épouvantail à bourgeois reconnu inutile à l'usage. 135:145 Vraiment pas la peine en effet d'attraper la rage pour forcer le cabinet d'un patron qui vous attend sur le seuil, sourire aux lèvres et culotte basse, préside avec bonhomie au sac des archives et vous raccompagne en slip jusqu'à la sortie de l'établissement pour s'assurer que les gendarmes ne vous pinceront pas les oreilles ; après quoi vous recevez caution de l'esprit saint recyclé. \*\*\* A soumettre au législateur timide : l'empereur Justi­nien, effrayé de la mode barbare qui se répandait à Byzance et craignant qu'elle ne devînt nocive, édicta que les jeunes gens qui déambuleraient par la ville vêtus de peaux de bête, la barbe inculte et la tignasse beurrée, se­raient frappés de peines corporelles. \*\*\* L'empire du désordre autant que l'ordre régnant est parfois d'une fragilité déconcertante. On raconte en effet que, parmi tant de recteurs, doyens et proviseurs surpris dans leur travail par un commando chahuteur, quelques-uns auraient inauguré une formule irrésistible et d'une économie confondante : « Mes petits amis, d'abord on n'entre pas chez moi sans cravate, ensuite le premier qui vient m'em... je lui f..., mon pied au c... » Bien sûr, la magie de ces paroles, mais quand même, la dignité humaine en prend un coup. \*\*\* En fait il s'agit là d'une méthode renouvelée des Grecs, du temps de leurs colonels antiques. Plusieurs de mes confrères, et l'un d'entre eux parfaitement démocrate, ont sorti pour l'occasion un texte de Platon qui a déjà beau­coup servi sans cesser d'être neuf. Il y est dit en subs­tance que le bonheur de la cité ne vaut pas cher et que la tyrannie est proche quand les élus s'aplatissent devant les citoyens et les pères devant leurs enfants. On sait bien que les moralistes, comme les professeurs de calcul, n'ar­rêtent pas de ressasser les mêmes règles archi-démon­trées de génération en génération. Mais les efforts de ceux-là grâce à Dieu sont perdus et leur patience est vaine. Si leurs leçons venaient à s'entendre comme deux et deux font quatre, nul ne se conduirait comme s'ils faisaient cinq, et le monde sans doute en périrait d'ennui. 136:145 De tout cela je fais un peu roman, ce n'est pas bien le lieu, mais le sujet persiste à fouetter les imaginations. L'intox aidant, les acteurs eux-mêmes n'en reviennent pas. Et la grande poésie elle-même, découvrant les trésors du jargon de Mai, menacerait de se jeter dessus ; l'épopée, la saga, la chienlide, pas plus idiot après tout ni moins culturel que les chansons de carabin. Pour finir en simplicité voici un petit rapport sur le moral de l'Université. A la demande d'un personnage excessivement haut placé il a été rédigé par le paléodoyen des appariteurs : *17 mai 1970. Au cours de la semaine écoulée il m'est apparu que la situation était normale, vue la conjoncture extérieure. Ayant considéré d'un même œil les maîtres et les étudiants j'ai observé en effet d'un côté comme de l'autre que les éléments sérieux et les dissipés étaient en proportion de ce qu'ils étaient à la veille des Cabochiens, d'Étienne Marcel et des Maillotins.* Appréciation frappée au coin du bon sens et dégageant une forte odeur de vérité. Elle a tout pour plaire à condi­tion de tenir compte d'un facteur tout récemment décou­vert et qui est le suivant : la démographie galopante va de telle sorte qu'à tous les échelons de la société la progres­sion est arithmétique pour les bons gars, géométrique pour les voyous. Jacques Perret. 137:145 ### Journal des temps difficiles par Henri Rambaud ##### 6 février. Qu'il est donc difficile à un homme de pensée de ne pas avoir trop de confiance dans le discours ! C'est son instrument propre, sa façon à lui d'agir sur les hommes, et souvent la seule qu'il connaisse : qu'il lui faille cons­tater que ce qu'il a dit n'a pas obtenu ce qu'il voulait, et il se reprochera plutôt d'avoir maladroitement parlé qu'il ne cherchera une autre manière de se faire écouter. Paul VI avait pensé mettre le point final à la discussion sur le célibat ecclésiastique par *Sacerdatolis cœlibatus.* L'épiscopat de Hollande faisant la sourde oreille, il con­firme maintenant sa volonté de maintenir le lien entre le sacerdoce et le célibat par une lettre ouverte au cardinal Villot : comment ne comprend-il pas que ce second docu­ment affaiblit le premier ? Non qu'il le démente, mais parce qu'il le répète ; ne fait qu'ajouter des paroles à des paroles. Et les paroles nouvelles sont moins fortes que les anciennes, en ce qu'elles rouvrent un débat que l'ency­clique déclarait clore. Chose secondaire, auprès de cette remise en question, que les thèses soutenues soient raisonnables. Car le fait est qu'elles le sont. Très bien, notamment, de préciser que s'il peut y avoir des raisons valables de relever des prêtres de leur vœu, ces prêtres ne seront pas admis à poursuivre leur ministère. 138:145 Et très bien aussi de se demander si, « dans une situation d'extrême insuffisance de prêtres et uni­quement pour les régions qui se trouvent dans ce cas », il n'y aurait pas à envisager l'ordination d' « hommes mûrs ayant donné autour d'eux le bon témoignage d'une vie professionnelle et familiale exemplaire » et, devant les périls de cette solution, de refuser de s'engager inconsidé­rément dans cette voie. Certains penseront que Paul VI aurait été plus prudent de ne pas lever le lièvre. Tout bien réfléchi, je ne crois pas le reproche justifié. Car on ne peut nier que la question ne se pose : en droit, du moment qu'il n'y a pas d'incompatibilité essentielle entre le sacerdoce et le mariage ; mais en fait aussi, l'ordination d'hommes mariés étant positivement demandée, non seulement par les protestants masqués que sont les évêques de Hollande, mais aussi, chose plus sérieuse, par plusieurs évêques d'Amérique latine, qui manquent bien réellement de prêtres. Ce n'est pas cependant que cette lettre ne contienne *in cauda* quelque chose qui me gêne. Paul VI voit très bien les données du problème ; mais il me semble que, telles qu'il les expose, elles devraient lui dicter une tout autre ligne de conduite. Il faut bien convenir que, sur le plan local, la demande des évêques d'Amérique latine se défend : non qu'il soit sans inconvénient que le prêtre soit marié, les charges d'un foyer gêneront inévitablement son ministère ; mais parce que la pratique des sacrements est essentielle à la vie chrétienne et, par conséquent, qu'une fois bien prouvé que, dans tel cas particulier, il n'y a pas d'autre moyen de mettre les sacrements à la disposition des fidèles que d'ordonner un homme marié, ce peut être sagesse de s'y résigner, pour la raison que mieux vaut pour ces fidèles un prêtre gêné par le mariage dans l'exercice de son minis­tère que pas de prêtre du tout. Exactement comme il n'ap­partient pas, normalement, à un laïc d'administrer le bap­tême et que, cependant, en cas de nécessité, il le doit parce que mieux vaut manquer à la règle instituée sur un point qui ne touche pas à l'essence du sacrement que de laisser mourir un enfant dans un état qui ne lui permet­tra pas de posséder la vision de Dieu. 139:145 Il n'empêche que cette considération ne règle pas la question. Elle vaut sur le plan local. Mais pour qu'elle fût déterminante, il faudrait être sûr de pouvoir s'en tenir à ce plan-là, et, par suite, la prudence se doit d'examiner, de plus, si le manquement à la règle ne fera pas brèche dans la norme. Risque très variable selon les cas. Il n'y a pas de péril pour le baptême administré par un laïc : la norme n'est pas menacée. Il n'y aurait eu qu'un péril restreint pour l'ordination d'hommes mariés il y a trente ou cin­quante ans : il était encore indiscutablement admis que le prêtre doit être célibataire, l'ordination d'un homme marié pouvait facilement être limitée aux seuls cas qui l'eussent exigée et garder caractère d'exception. Mais aujourd'hui ? C'est sur ce point que l'attitude de Paul VI est véri­tablement confondante. Il formule excellemment l'objec­tion en dénonçant l' « illusion fort périlleuse » qu'il y aurait vraisemblablement à croire qu'un tel changement de la discipline traditionnelle pourrait, dans la pratique, se limiter à des « cas locaux de véritable et extrême nécessi­té » ; et, avec cela, comme le personnage de la comtesse de Ségur qui se jetait à l'eau pour ne pas être mouillé par la pluie, c'est lui-même qui, spontanément, porte la question sur le plan de l'Église universelle en parlant d'instituer une consultation générale des évêques pour en débattre en union avec lui ! Mais comment évitera-t-il que la norme elle-même, qu'il entend maintenir, soit alors remise en question ? C'est foncer sur le péril qu'il veut éviter. Il y avait pourtant une autre solution. Car de quoi s'agit-il ? De concilier les besoins spirituels des commu­nautés privées de prêtres avec le maintien de la loi du céli­bat, trop bienfaisante pour être abandonnée et, de plus, discutée aujourd'hui. Premier point, par conséquent : de ne faire à aucun prix de cette loi un sujet de débat : ne parlerait-on que de l'aménager, elle risque de s'en aller en morceaux. Mais qu'il faille la laisser telle quelle n'exclut pas qu'il n'y ait à venir en aide aux communautés chrétiennes en trop grande difficulté de fréquenter les sacrements : simplement, qu'au lieu de jeter sur le tapis la question, l'autorité procédât par voie de dispense, qu'elle serait libre d'accorder ou de refuser. 140:145 Et je ne dis pas que cette solution : elle-même serait sans péril, surtout dans le climat actuel ; mais le péril qu'elle présenterait ne serait pas comparable à celui d'une consultation générale, du fait que l'autorité resterait maîtresse de ses décisions et limi­terait beaucoup plus facilement l'exception aux seuls cas où le bien supérieur des âmes ne pourrait être autrement assuré. Et elle y gagnerait aussi de voir sur le terrain les avantages et les inconvénients de ces dispenses, tandis que la vaste consultation envisagée ne fera qu'accroître le trouble des esprits sans rien apprendre à personne. Quand il s'agit de résultats, il n'y a que l'expérience qui instruise ; qu'il sied toutefois de faire sur une petite échelle, pour que les dégâts ne soient pas trop considérables si les choses tournent mal. Voilà de quel côté, à mon sens, s'orienterait un pouvoir véritablement soucieux du bien des âmes en même temps que de cette prudence sans laquelle ce bien ne peut être procuré. La grande qualité des gouvernements. Mais Paul VI est l'opposé d'un empirique, il ne gouverne pas l'Église à la lumière des résultats heureux ou malheureux obtenus par ses prédécesseurs, et il ne donne même pas le sentiment de voir les âmes de ses ouailles telles qu'elles sont, l'âme des humbles et des simples surtout ; il gouverne l'Église selon l'idée qu'il se fait de ce qu'elle doit devenir. ##### 7 février. Oublié que c'était hier le vingt-cinquième anniversaire de la mort de Brasillach, mais je ne puis dire que ce soit par pénitence que j'ai rouvert le livre de Madiran ([^72]), d'une courbe si imprévue et si heureuse : partir de l'inter­diction de *La Reine de Césarée* pour aboutir aux poèmes de la préparation à la mort, avec tant de profonds aperçus en cours de route qu'à la dernière page presque tout a été dit ! Un portrait qui va loin dans l'âme du modèle, pour en amener au jour cela même que Brasillach ne laissait qu'entrevoir et qui pourrait bien avoir été le principal. 141:145 Je me demande de quel côté nous le trouverions aujour­d'hui dans le combat qu'il nous faut mener, si différent de celui que la rancune des vainqueurs lui fit payer de sa vie. Aucun doute : Brasillach serait de notre côté. Et pas seulement le Brasillach de qui Mauriac me disait un jour : « Brasillach n'est pas mort courageusement, tout le monde meurt courageusement ; Brasillach est mort saintement. » A quelque âge qu'on le prenne, son choix aurait été le même. Il pouvait être de pratique peu régulière ; profon­dément, Madiran l'a très bien vu, il restait de chrétienté. Jamais l'homme « que toute sa vie le procès de Jeanne d'Arc avait hanté ». ([^73]) -- quelle prémonition ! -- l'homme aussi qui, par deux fois, avait mis ses pas dans les pas de Péguy sur la route de Chartres, jamais cet homme-là n'au­rait accepté qu'on nous prêche un christianisme où ni Péguy ni Jeanne d'Arc ne se seraient reconnus. Mais serait-il allé jusqu'à se jeter dans la bagarre ? Ici encore, Madiran me paraît voir très juste : Brasillach avait conservé la foi, mais il la tenait à l'écart de son œuvre et, dans une certaine mesure, de sa vie ; il ne la reniait pas, mais il ne la professait pas non plus ; il n'ai­mait pas à en parler, pour ne pas se distinguer, et aussi, je croirais, parce qu'il se jugeait un chrétien trop mé­diocre pour en revendiquer le titre. Mais s'il répugnait à proclamer sa foi, sa façon de parler de celle des autres montrait que la sienne n'était qu'endormie, point morte. Savoir si les événements que nous vivons ne lui auraient pas fait surmonter cette répugnance ? Je le crois : je l'imagine mal acceptant de ne pas dire son mot devant la révolution sans précédent qui fait au­jourd'hui trembler les colonnes de l'Église. Mais je crois aussi qu'il ne serait pas alors resté le même : que les paroles qu'il lui aurait fallu prononcer pour ne pas taire sa pensée l'auraient conduit à devenir un chrétien en moindre désaccord avec ce qu'il savait intimement être la vérité. 142:145 J'entends bien qu'il est aussi vain que facile de récrire l'histoire à notre convenance. Mais ce qui dans le cas de Brasillach n'est qu'imagination a pour d'autres été réalité parce qu'il y a un bon usage à faire de cela même qui, de soi, n'est pas un bien, qui est de faire servir ce mal à notre réforme intérieure. Je ne verrai pas ce temps-là ; mais je ne serais pas surpris que la crise qui présentement déchire l'Église fût plus tard jugée heureuse, pour avoir tiré de leur torpeur quantité de croyants par coutume et forcé la réflexion de bien des incroyants aussi. Le pro­blème de Dieu est trop important pour l'homme pour que ce ne soit pas un bien qu'il soit obligé de se le poser, si ce n'en est pas un qu'un chrétien remette en question les certitudes que sa foi devrait lui dire définitives, quand il aurait à s'en servir pour pousser plus avant dans sa connaissance de l'inépuisable dépôt. Je ne conclus donc pas de là qu'il n'y ait qu'à laisser les choses suivre leur cours, bien au contraire : car c'est alors que ce résultat heureux ne se produirait pas. Mais je regarde ce qui se passe pour les laïcs que nous sommes. Nous ne pensions pas à défendre la foi, nous ne demandions qu'à laisser ce soin aux gens de qui c'est le métier ; mais ils s'en acquittent si mal aujourd'hui qu'il a bien fallu nous mettre à la besogne, non certes pour sau­ver l'Église, elle se tirera bien d'affaire sans nous, mais pour la servir et qu'elle nous sauve. Et, de fait, c'est bien nous qui y gagnons le plus, par la conscience plus vive que nous sommes amenés à prendre des vérités du christia­nisme, que nous ne croyions pas naguère moins ferme­ment qu'aujourd'hui, mais qui n'occupaient pas aussi cons­tamment notre pensée. Grand bénéfice pour la piété elle-même : car, s'il est vrai qu'il importe plus encore de se bien conduire que d'avoir des idées justes, parce que la vérité de notre cœur s'exprime par notre comportement, il est absurde d'opposer l'attachement aux définitions de la foi à la ferveur de la vie chrétienne ; 143:145 le normal est au contraire que les deux se fortifient mutuellement, et je trouve plein de sens que le même saint Pie X ait été l'adversaire du modernisme et le pape de la communion fréquente. \*\*\* Il reste que les voies sont diverses et que c'en est une autre, plus douloureuse infiniment, que le Christ avait choisie pour retrouver Brasillach. Je ne puis me défendre d'y voir le signe d'une mystérieuse élection, la passion qu'il fallait qu'il souffrît pour que fût manifesté ce qu'à l'insu de tous, et de lui-même le premier, sa nature cachait, je ne dis pas seulement de noble, mais proprement de sublime, et qu'il n'y avait que le sacrifice de lui-même pour faire resplendir. Que de douleurs seraient ainsi moins amères si nous avions plus de foi dans la Bonté qui nous les im­pose, au lieu de l'imaginer à la mesure de la nôtre, qui est petite ! Et certes elles seraient toujours des douleurs, nous continuerions de souffrir ; mais notre souffrance ne serait plus infinie, à côté d'elle, à travers elle, rayonnerait au plus secret de l'âme le commencement de cet accomplis­sement qui*,* tout ensemble, est l'objet de notre vœu le plus profond et de notre plus radicale impuissance, dans notre double ignorance non seulement du chemin, mais du but, de cette figure singulière qui est le dessein particulier de Dieu sur chacun de nous et seule pourra nous combler de la joie d'être enfin pleinement nous-même. Car c'est ainsi pas plus que Jeanne d'Arc ne serait Jeanne d'Arc sans le bûcher de Rouen, Brasillach non plus ne serait Brasillach sans le poteau d'exécution. ##### 8 février. Repensant à ce que j'écrivais hier, à propos de Brasil­lach, du dessein particulier de Dieu sur chacun de nous, me revient en mémoire une correction que j'ai faite autre­fois d'un vers de Corneille. Dans *Horace,* II, 3 : 144:145 *Et comme il voit en nous des âmes peu communes,* *Hors de l'ordre commun il nous fait des fortunes.* Je propose : *Et comme il* VEUT *en nous des âmes peu communes...* Grande différence. Dans le texte de Corneille, le héros tire son exceptionnelle grandeur de soi. Et dans le mien, c'est Dieu qui la façonne, en lui suscitant des fortunes qui l'obligent à s'élever au-dessus de lui-même (tellement vrai de Brasillach !). Je préfère mon texte. Différence qui conduit la pensée très loin ; qui touche au génie même de Corneille, si peu chrétien. Car Corneille n'est pas le poète du devoir, comme on le raconte aux enfants ; il n'est même qu'à peine le poète de l'honneur, il ne l'est que parce qu'il est d'abord le poète de l'orgueil. La religion de Corneille : il faudra bien que j'aborde quelque jour le sujet, où il y a tant de découvertes à faire. Mais c'est aussi que mon Corneille n'est pas du tout, mais pas du tout, celui de Péguy ; et il diffère sensible­ment aussi de celui de Brasillach, qui a pourtant écrit sur lui le meilleur livre qu'on ait encore fait ; il a très bien vu, en particulier, l'extraordinaire diversité du poète dramatique, qui lui fait chaque fois ouvrir une voie nou­velle. -- Peu chrétien, Corneille ? Et *Polyeucte ?* *-- Polyeucte,* bien lu, confirme ; et n'en devient d'ail­leurs que plus beau, mais d'une autre beauté, plus com­plexe. Le mot de l'affaire est dans le motif pour lequel Polyeucte renverse les idoles et par là se condamne à mort, résolution où l'amour du Christ a bien sa place, mais d'abord, mais principalement inspirée par la volonté de faire le bonheur de Pauline en disparaissant pour la lais­ser à Sévère. Il faut prendre garde au moment où Polyeucte se décide au martyre : 145:145 à ce que vient tout juste de lui dire Pauline, à l'accueil ébloui (point jaloux) qu'il a fait à son aveu que Sévère garde le pouvoir de la charmer. Un des plus beaux « dessous » de Corneille, où l'on en trouve­rait bien d'autres si le retentissement de la voix ne détour­nait de prêter l'oreille à ce que les paroles impliquent. Autre amélioration d'un texte fameux, pas de moi, celle-ci, mais que je ne crois pas qu'on ait encore écrite et qui mérite de ne pas périr. Je la tiens de Joseph Hours, qui la tenait lui-même de Paul-Louis Couchoud, lequel, quoiqu'il eût écrit tout un livre pour prouver que Jésus n'avait pas existé, n'était pas un sectaire, mais un esprit loyal et un homme exquis ; aussi bien lui fut-il accordé de mourir positivement *in* *via.* Couchoud était allé voir Marthe Robin, et sa surprise n'avait pas été petite de l'entendre lui citer « le mot de Pascal » en ces termes : « Tu ne me chercherais pas si je ne t'avais trouvé. » Combien plus beau que le vrai mot, si beau déjà ! Plus théologique surtout, du fait qu'avec le changement de sujet, l'initiative de la recherche passe de l'homme à Dieu : parce qu'en effet c'est Lui qui nous a aimés le premier. ##### 21 février. Admirable article de Guitton dans *La Croix* d'hier. Sur ce thème que c'est « une loi fondamentale de l'exis­tence » que « *l'esprit* (en ce monde incarné) *a besoin d'une lettre *». Et, s'il vous plait, le souligné est de Guitton excellente formule en effet, formule définitive. Mais c'est tout l'article qui est extraordinaire : fin et profond, et spirituel de surcroît ; mais surtout d'un bon sens qui ravit par le temps qui court. Qui aurait cru que le vent de déraison qui souffle sur l'Église réduirait « la chose du monde la mieux partagée » à chercher refuge dans la tête d'un philosophe patenté ? 146:145 Cela commence par l'histoire du pavé de l'ours, ou plutôt, mais c'est la même, de certain « ami précaution­neux » qui, en nettoyant le portrait d'un ancêtre avec de l'alcali, « en avait fait disparaître le nez ». Moralité tirée par le philosophe : Tout le problème est là : *ôter les accidents sans attein­dre les essences.* Je comprends qu'on veuille supprimer les rites désuets, les marques extérieures de respect : et toutefois, je suis obligé de constater qu'après avoir ôté les rites anciens, sans les avoir remplacés par des formes équivalentes, sans avoir surtout enraciné des équivalences dans le corps et dans l'habitude, ce que l'on trouve, ce n'est pas l'essence, la pure essence : c'est le vide. Et maintenant la vérification par l'expérience quoti­dienne : Les vœux de bonne année, les signes de politesse, sup­primons-les. Supprimons dans les écoles le respect du maître. Soit. Tutoyons-nous tous. Soit. Appelons les évêques « Frères ». Soit. Que restera-t-il ? La vérité humaine ou le cynisme ? Le cynisme, bien sûr, voyez de toutes parts. De même dans le domaine du sacré. Trois exemples : l'agenouille­ment en signe d'adoration, le chapelet, le maigre du ven­dredi. Supprimez-les parce que ce sont des mécanismes indignes des adultes que nous sommes devenus : vous visiez un progrès de l'esprit de prière et de pénitence, vous obtiendrez qu'il n'y aura plus à prier et à se mortifier que « quelques êtres d'élite » (ceux-là mêmes, ajouterai-je, qui déjà joignaient à l'observance de la règle prière et mortification intimes : perte sèche, par conséquent). Et, comme les choses ont une logique, Guitton craint fort qu'elles ne s'arrêtent pas là et qu'une religion aussi désincarnée n'aboutisse à mettre dans les têtes l'idée « qu'on honore Dieu par le confort et que le Curé d'Ars était un arriéré ». 147:145 On ne peut mieux dire. Cependant, je résume ou transcris, je ne force rien. Décidément la gloire a du bon, pour avoir permis d'imprimer de ces vérités capitales dans *La Croix.* Je n'ai pas le bras aussi long et n'ai garde de m'en plaindre. Pour étendre encore les applications de cette loi en effet fondamentale, que l'esprit ne peut se passer d'une lettre, Guitton n'aurait eu qu'à se souvenir des pages que je lui ai naguère envoyées de mon livre (encore inédit, hélas !) sur *Humanæ vitæ*. Car voici comment j'y exposais le différend de la majorité et de la minorité de la commis­sion dite Famille-Natalité, différend tranché par l'ency­clique en faveur de la minorité : Les majoritaires n'avaient pas un moindre souci de la moralité que les minoritaires, mais ils la concevaient autrement, même de façon, à leurs yeux, plus exigeante, parce que plus intérieure ; plus digne par là de la gran­deur de l'homme proclamée par le Concile et du nouvel âge de l'Église. Ils ne jugeaient pas, comme la minorité, que la contraception fût un acte intrinsèquement mau­vais et, par suite, à proscrire absolument ; ils pensaient que sa bonté ou sa malice dépend de l'intention dans laquelle elle est pratiquée, et que *Gaudium et spes,* avec la notion de paternité responsable, laissant les époux libres de déterminer le nombre de leurs enfants, c'était une conséquence nécessaire de la permettre, à charge de n'en user que selon des critères objectifs de moralité, dont l'appréciation ne pouvait revenir qu'aux époux : à eux de ne pas oublier qu'il leur faudrait répondre de­vant Dieu du bon ou mauvais usage qu'ils auraient fait de la faculté qui leur était concédée. Suivait un développement où je montrais que « la thèse de la majorité dépassait de très loin le problème de la régulation des naissances : elle aboutissait à refuser l'infaillibilité à l'enseignement ferme et constant de l'Église pour ne lui reconnaître qu'une valeur de situation puis­qu'il serait appelé à changer si la situation changeait », la visée seule restant fixe. Puis : 148:145 On dirait équivalemment que de l'enseignement de l'Église la majorité ne jugeait immuable que l'esprit ; la lettre ne devait en être conservée qu'aussi longtemps qu'elle n'apparaîtrait pas périmée. Dans le cas des rap­ports conjugaux, il n'en restait véritablement que fort peu : l'interdiction de l'avortement était maintenue, mais pour la contraception la lettre du juridisme était si bien abolie qu'il revenait au couple de décider s'il devait ou non la pratiquer pour répondre à la volonté de Dieu. Le malheur est que ce culte de l'esprit prenait tout juste le moyen de l'asservir : parce que, s'il est très vrai que c'est l'esprit qui vivifie et que la lettre seule tue, toujours la fixité d'une lettre est nécessaire pour proté­ger l'esprit et le garder de s'égarer. Cette lettre peut appe­ler des améliorations, voire des changements ; il en fau­dra toujours une. Cela se vérifie dans tous les domaines dogmatiques, juridiques, institutionnelles, partout des structures stables sont la condition du progrès, et ce n'est que parce que l'Ange des ténèbres est habile à se dégui­ser en ange de lumière qu'aujourd'hui tant de bonnes vo­lontés ne prennent repos ni trêve qu'elles n'aient jeté bas des structures qui avaient fait leurs preuves et que l'es­prit pourrait encore habiter : vrais sauvages qui, pour que le cerf-volant monte plus haut, coupent la corde. En l'espèce, la majorité passait indubitablement la me­sure. Elle se défendait d'être laxiste ; mais viser autant qu'elle le faisait à rendre la doctrine de l'Église de moins en moins formaliste pour qu'elle devienne de plus en plus intérieure allait droit à la vider de tout contenu. L'accord de pensée est-il assez frappant entre ce que j'écrivais il y a dix-huit mois et ce qu'écrit aujourd'hui Guitton. Seule différence de quelque portée : il s'en tient au domaine de la spiritualité. Ainsi déjà Pascal, ce Pascal qui m'a si longtemps irrité par son manque de tendresse dans le cœur et fréquemment aussi de rigueur dans l'esprit et qui m'est presque devenu un ami depuis que je me bats contre les jésuites : « C'est être superstitieux de mettre son espérance dans les formalités ; mais c'est être superbe de ne vouloir s'y soumettre. » ([^74]) Toutefois, si Guitton n'étend pas au dogme et à la morale la nécessité d'une lettre, ce n'est certainement pas qu'il ne pense, lui aussi, qu'elle s'y impose pareillement : c'est seulement, je croirais, qu'avec bien des dons que je n'ai pas, il a moins que moi l'esprit de synthèse, qui me porte d'instinct à rattacher les cas particuliers à leur principe le plus général. 149:145 Une pente d'ailleurs bien gênante : on ne peut considérer le moindre objet sans qu'y chante l'auguste chœur des lois de l'être, et l'on n'en finit pas. Je me demande si l'arrivée, il y a une douzaine de jours, de ma *Phrase de Madeleine* ([^75])*,* avec une belle dédicace d'une longueur presque proustienne, n'aurait pas fait relire à Guitton ce qu'il a \[dit\] de mon *Encyclique contestée.* Essai et dédicace, je les lui devais bien. Non certes que soit dans sa ligne ce petit exercice de lecture au micros­cope (« petit » est une façon de parler : soixante pages sur une seule phrase) : rien de plus contraire à son tour d'esprit que la rigueur minutieuse avec laquelle j'ai tâché de faire le départ du vrai et faux dans l'une des plus fameuses confidences de Gide et de débrouiller les motifs qui l'avaient incité à altérer délibérément la vérité. Mais il y a si longtemps que Guitton me presse d'écrire chaque jour ce qui me viendra et de l'envoyer à l'imprimeur sans le relire (mais cela, non, pas possible) qu'il est bien pour une part à l'origine de ce *Journal des temps difficiles.* Comme j'aurais plaisir, s'il vient à paraître en volume, à le lui dédier en souvenir de ma découverte émerveillée de son *Cantique des cantiques,* plus de trente ans déjà ! et en reconnaissance de tout ce que je lui dois depuis ce temps ! Et c'est un plaisir qu'il faudra que je me refuse : je n'ai pas le droit de couvrir de son autorité des pages qu'il n'approuvera certainement pas toutes. Je ne suis pas tellement sûr déjà que quelques-uns des feuillets que j'y écris depuis trois mois ne lui inspireront pas, quand il les lira, un certain regret que j'aie suivi son conseil. Je lui envoie du moins ce feuillet-ci pour lui faire cons­tater que, moi aussi (quelquefois, quand l'amitié m'y pousse) je suis capable d'écrire vite. *De profuindis ad excel­sa*. Mais, tout bien réfléchi, quand on trouve une revue pour vous imprimer, ce n'est pas une condition tellement inconfortable d'être un pestiféré. On est plus franc du collier. 150:145 ##### 12 avril. Passage de Mme X. Son fils pense à se faire prêtre, et, ne souhaitant pas qu'il grossisse les rangs des contestatai­res, elle est allée demander conseil à son archevêque : où mettre le garçon pour qu'il reçoive la meilleure formation ? Réponse : « *Surtout pas dans mon séminaire. *» -- Louons le Seigneur, lui dis-je. Cela prouve qu'il y a encore en France des évêques qui savent ce qu'est un prê­tre et, de plus, assez honnêtes pour ne pas taire la vérité, quand un de leurs diocésains les consulte. C'est égal, je pense au mot de Louis XV que Joseph Hours aimait à citer. Comme on déplorait le nombre crois­sant des accidents de voiture : « Si j'étais préfet de police, j'interdirais les cabriolets. » Et je pense aussi à saint Pie X, qui, étant évêque de Mantoue, s'imposa, plusieurs années durant, de faire per­sonnellement le cours de dogme de son séminaire. Il le pouvait parce que son diocèse était petit ; mais, à vrai dire, ce n'est pas la fonction d'un évêque d'être lui-même le professeur de ses futurs prêtres, et je ne conseillerais pas aux nôtres d'imiter en cela Mgr Sarto, sans compter que, tels qu'ils sont, je ne serais pas tellement rassuré. N'im­porte : c'est une belle chose que de pousser jusqu'à cet excès le souci de ses responsabilités. 151:145 ##### 10 mai. Je viens d'éprouver une surprise qui m'humilie un peu. J'avais prêté à un ami très cher mes feuillets du mois dernier sur Paul VI. Il me trouve trop indulgent. Serais-je un écrivain moins clair que je ne pensais ? Ce qui est vrai, c'est que j'avais (que j'ai toujours) grand souci de comprendre l'homme qu'est Paul VI, et comment comprendre un homme sans entrer dans ses façons de penser et de sentir ? Pas de critique qui puisse être pénétrante ou simplement équitable si le critique ne commence par se prêter à l'objet de son étude. Et certai­nement, ce n'est qu'un premier temps, il devra plus tard prendre de la distance pour n'admirer que l'admirable et blâmer ce qui doit être blâmé. Mais il faut d'abord qu'il épouse le dessein de l'auteur, artiste, penseur ou meneur d'hommes, quitte à montrer ensuite, s'il y a lieu, les dé­fauts de la conception ou de l'exécution. C'est pour cela que j'avais esquissé ce parallèle de Paul VI et de saint Pie X : parce que le contraste des deux figures est si vif -- autant le Louis XVI et le Bonaparte du 10 août -- que la comparaison fait ressortir les traits de l'une et de l'autre avec un éclat sans pareil. Et je le redis, comparaison qui n'apporte pas seulement une lumière ; qui a toutes les chances d'être une explication. Je n'en sais naturellement rien, mais j'en jurerais, la clef de Paul VI est là : dans les sentiments du jeune Gianbattista Montini, si bien doué, si véritablement intelligent et si heureux de l'être, -- mais oui, un « premier de la classe », et très justement, comme mon vieux camarade Georges Bidault, -- devant ce qui ne pouvait lui paraître que les étroitesses d'esprit du pape alors régnant. Et non pas, encore une fois, qu'il ne dût juger justifiée la condamnation du modernis­me ; mais avec sa pente à chercher partout ce qu'il y a de bon, la manière de Pie X ne pouvait que le révolter : frapper comme un sourd, quand il y avait à séparer le grain de la paille ! comme l'Église y aurait gagné ! 152:145 Pour moi, me relisant, c'est autre chose que je me reproche : je n'ai pas tiré du parallèle tout le parti que j'aurais dû. Je regrette surtout de ne pas avoir dit que, visant d'abord à faire progresser le christianisme en pro­fondeur, saint Pie X avait obtenu de surcroît de le faire progresser en extension aussi (les conversions étaient fré­quentes sous son pontificat), tandis qu'on ne voit pas que le progrès en extension visé par Paul VI s'accompagne pareillement d'un progrès en profondeur. Vérification des plus remarquables du *Quærite primum regnum Dei.* Ou encore, formule qui me vient à l'instant, tandis que Pie X cherchait à faire de meilleurs chrétiens, c'est plutôt notre conception elle-même du christianisme que Paul VI s'efforce d'améliorer, en le montrant capable, sans altéra­tion de son essence, de s'adapter à l'âge de l'humanité où nous sommes parvenus comme d'intégrer tout ce qu'il y a de valable dans les autres religions : un peu dans le même esprit que Teilhard s'appliquait de toutes ses forces à répandre un « meilleur christianisme » ([^76]) et voyait « la religion de l'avenir » dans « une convergence générale des religions sur un Christ-Universel qui au fond les satisfait toutes » ([^77]). Toutefois, différence capitale : Paul VI ne parlerait jamais d'une « religion nouvelle », il entend fermement maintenir ces exigences du dogme que Teilhard interprétait d'une manière qui équivalait à les jeter par-dessus bord. Et de fait, il les maintient : point d'abandon du péché originel et de la valeur rédemptrice de la Croix, point de « Christ-Universel », aucune tendance au pan­théisme. 153:145 Maintenant, je suis bien tranquille : pour équilibrer les choses, ces feuillets jugés trop indulgents par cet ami, d'autres lecteurs en prendront scandale. Et même des hommes pour qui j'ai grande estime, nullement suspects de progressisme et qui seulement ne comprennent pas ce qui se prépare, comme cet autre ami, que je sais d'uns piété profonde et que le nouveau visage de l'Église remplit d'un enthousiasme dont je reste éberlué ; communiant dans la main, bien sûr ! Le cher homme m'a si souvent déclaré que « nous avons un pape sensationnel » (hélas oui !), « un grand pape », que s'il me lit, il s'indignera que je me permette de parler de Paul VI avec la même liberté d'esprit que je ferais de n'importe quel personnage de l'histoire. Je continuerai pourtant. Je ne vois pas ce que cette franchise a de choquant, quand de si grands intérêts sont en jeu, et je vois très bien, au contraire, ce qu'elle peut avoir d'utile pour avertir les chrétiens de l'espèce de ce second ami de la voie sur laquelle, par sa façon de con­duire l'Église, Paul VI engage le troupeau dont il a la charge, en se flattant imprudemment qu'il saura l'arrêter à temps. Je ne juge pas ses intentions, qui, non plus que celles de personne, ne sont pas de notre compétence. Et je ne conteste pas non plus qu'il ne soit indubitablement le vrai et seul pape, le chef légitime de l'Église, avec la double conséquence de son infaillibilité quand il prononce comme pasteur et docteur de l'Église universelle en matière de foi et de mœurs, et de notre devoir d'obéissance quand il légifère au nom de l'Église. Limites à ne franchir à aucun prix, c'est trop clair. Mais qu'on me demande davantage, qu'à l'intérieur de ces limites, l'intelligence doive encore être frappée de paralysie ou la plume choisir entre le si­lence et la servilité, je ne marche pas : parce que c'est abus de réclamer pour la personne ce qui n'est dû qu'au rang qu'elle occupe. Et la personne de Paul VI pose trop de questions inquiétantes pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en traiter librement, ouvertement, sans s'en laisser impo­ser par une dignité dont le poids écrasant devrait plutôt nous inspirer de l'entourer de prières que de compliments. Car, après tout, il en est des papes comme des autres hommes, qui ne sont jamais canonisés, et pas tous les hommes, pas tous les papes, qu'après leur mort. Nous n'avons pas à anticiper. 154:145 ##### 12 mai. Recherché le nombre de papes canonisés : exactement 79 sur 260, soit près d'un sur trois, exactement 30,4 %. Proportion énorme. Mais c'est le partage dans le temps qui est intéressant : pour les cinq premiers siècles : 48 sur 50, soit 96 % ; pour les quatre siècles suivants, 26 sur 67, soit 38,7 % encore ; après quoi, sur 143 papes, en tout et pour tout : saint Léon IX et saint Grégoire VII au XI^e^ siècle ; saint Célestin V au XIII^e^, ; saint Pie V au XVI^e^ ; et enfin saint Pie X : ce qui fait tomber le pourcentage à 2,8 %. Parce qu'à partir du X^e^ siècle les vertus héroïques ont été plus rares sur le trône de saint Pierre ? ou parce que l'Église est devenue plus exigeante en matière de preuve ? Je croirais qu'il y a des deux. Ce qui est sûr, c'est que la suite des papes en montre de toute sorte : de très prudents, de très saints, même en de­hors de ceux qui sont sur les autels ; mais aussi, et natu­rellement en plus grand nombre, de moins prudents, de moins saints, quoique très honnêtes gens encore, de vie di­gne et de piété certaine ; de plus politiques que pieux aussi, et dont on doit raisonnablement douter que l'ambi­tion fût toute surnaturelle ; enfin, pas très nombreux, met­tons une bonne dizaine à vue de pays, de franchement indi­gnes : après tout, la proportion était plus forte parmi les apôtres. Par exemple, il y a une chose qui m'intrigue. Dans la « liste officielle des Souverains Pontifes adoptée en 1947 par le pape Pie XII » -- que je prends tout bonnement dans le *Quid ?* de 1963, mais elle doit bien être exacte -- un nom fournit à lui tout seul trois pontificats. Je copie : 146\. 1032 : Benoît IX. 147\. 1045 : Sylvestre III. 148\. 1045 : Benoît IX, pour la 2^e^ fois. (Déposé.) 149\. 1045 : Grégoire VI, Jean Graziano. 150\. 1046 : Clément II, Suitger, comte de Morsleben. 151\. 1047 : Benoît IX, pour la 3^e^ fois. 152\. 1048 : Damase II, comte Poppone. 155:145 Le nom de Benoît IX ne me dit rien. Je cherche dans Daniel-Rops. Comme dates : 1033-1045 seulement ; puis l'expédie en trois lignes dont la première me fait sursauter « sacré à douze ans ». Bigre ! L'âge de Jésus parmi les docteurs, je veux bien, mais tout de même ! D'autant que la précocité de ce benjamin des papes aurait été d'une autre sorte : « et déjà perdu de mœurs ». Et l'on ne peut pas dire que le jeune libertin se soit assagi sur le trône de saint Pierre : il « accumula tant de scandales que la foule ro­maine finit par s'en indigner et par le chasser » ([^78]). Mais Rops n'est pas un auteur très sûr. Ses livres étaient bien tout entiers de sa plume, mais avec une matière aussi étendue que l'histoire de l'Église, des origines du peuple d'Israël à nos jours, il fallait bien qu'il s'informât de seconde ou de troisième main et travaillât vite. Impossible qu'un ouvrage de cette nature ne présente des erreurs, et l'on aurait tort de lui en faire d'aigres reproches, pourvu qu'elles ne soient pas trop grosses. Il vaut mieux que l'ou­vrage existe. C'est égal, j'aimerais bien savoir s'il est vrai qu'il y eut un pape de douze ans. Un roi, cela se comprend : une ré­gence peut gouverner à sa place. Mais le pasteur et docteur de tous les fidèles ? ##### 13 mai. Un peu mieux renseigné maintenant sur Benoît IX, ayant été m'en enquérir dans la grande *Histoire de l'Église* de Fliche et Martin ([^79]). « A douze ans » ne paraît pas exact ; 156:145 d'après les plus récents travaux, « était aux entours de la trentaine et appartenait au clergé romain quand il fut élu » ([^80]) ; mais, il n'y a pas à tenir rigueur à Daniel-Rops, les douze ans sont dans tous les dictionnaires, même spécialisés, la source en étant l'affirmation répétée de Raoul Glaher. En revanche, pas de doute sur les scandales ; le détail n'en est pas donné, mais on a bien l'impression que, galanteries et cruautés, le goulu s'en est mis jusque là. L'important est que le cas n'est pas unique à l'époque. « Le dernier pape d'une triste série », disait Daniel-Rops. Très juste. Mais la série est diablement longue. Je n'avais jamais regardé de ce côté, et j'en reste effaré, cela passe tout ce que j'imaginais : depuis la mort du pape Formose (896), dont neuf mois plus tard son successeur Étienne VI fait comparaître la momie en jugement, avec un diacre à côté d'elle pour répondre en son nom aux questions du tribunal, -- elle sera ensuite dépouillée de ses vêtements, on ne s'arrêtera qu'au cilice, et jetée au Tibre, -- depuis le « concile cadavérique », donc, comme on l'appelle, jusqu'à l'avènement de saint Léon IX (1049), un siècle et demi d'horreurs. Serge III (904-911) devient pape par un coup de force et fait exécuter son prédécesseur Léon V, puis devenu l'amant de la jeune, ambitieuse et puissante Marozie, en a un fils, lequel, quand il aura l'âge, sera pape à son tour, sa mère ayant le bras long, Jean XI (931-935) ; 157:145 autre figure scandaleuse, Jean XII, bâtard du tout-puissant Albéric, fait pape à vingt ans par la volonté de son père, lui-même fils, légitime celui-là, de la même Marozie, et ce ne sont pas les seules tiares de la famille, et que d'autres, à côté, obtenues par la violence, assassinat compris, par la simonie, par l'influence des femmes, ou, plus tard, que l'empereur im­pose ! Quelques papes respectables cependant, mais de trop court pontificat et trop bridés par les maîtres de Rome pour faire beaucoup ; et la grande figure de Sylvestre II, mais qui, lui aussi, passe trop vite (999-1003). Au total, de loin la pire époque de la papauté, quoique la foi persistât. Je me demande ce que j'aurais pensé si j'avais été un chrétien (un bon chrétien) de ce triste temps. Pas question de craindre pour l'Église : l'Église n'était pas moins divine, pas moins assurée de survivre sous Serge III, Jean XII ou Benoît IX qu'elle ne le sera plus tard sous saint Pie V et sous saint Pie X, qu'elle ne l'est au­jourd'hui sous Paul VI, et je n'aurais pas été chrétien si j'en avais douté ; je n'avais le droit de craindre que pour les âmes, c'est bien assez déjà. 158:145 Mais pas question non plus de me croire tenu de penser qu'étant papes légitimes (car ils l'étaient, selon la coutume de l'époque), Serge III, Jean XII et Benoît IX ne pouvaient agir qu'au mieux des intérêts de l'Église ; aucune obligation de leur tresser des couronnes. Aurais-je donc conclu du spectacle que m'offrait la pa­pauté qu'à l'exemple du vieil Homère, l'assistance du Saint-Esprit *quandoque dormitat ?* J'aurais été bien mauvais phi­losophe. Mais plutôt, du moins je l'espère, je me serais dit que la sagesse qui nous mène passe de si loin celle de l'hom­me qu'elle n'a pas besoin de ne mettre à la tête de son Église que des chefs d'une profonde prudence et d'une vertu éprouvée. Certes, les médiocres, pour ne parler que de ceux-là, y feront des pas de clerc, c'est bien le cas de le dire ; et d'ailleurs, les meilleurs aussi, mais moins graves : le dégât n'ira pas plus loin qu'il ne lui sera permis d'aller et tournera finalement au bien des élus. Ah ! comme on devrait pratiquer davantage l'histoire de l'Église ! Je ne savais rien, il y a huit jours, des papes du X^e^ siècle et ne pensais pas m'en occuper ; mais il y avait cette bizarrerie d'un pape à éclipses et j'ai voulu en savoir le mot. Et maintenant que je connais un peu mieux les successeurs de saint Pierre au X^e^ siècle, je suis bien près de leur savoir gré d'avoir été, quelques-uns, de franches ca­nailles. Car enfin, nous aussi, notre époque n'est pas tellement rassurante, nous ne savons pas si l'Église n'est pas à la veille de jours comparables aux jours les plus sombres qu'elle ait traversés. Et, si nous voulons être sérieux, nous sommes bien obligés de nous demander si nous n'aurions pas été jetés, si nous ne sommes pas maintenus au plus noir de la bourrasque par quelque erreur de route du pilote. Alors, c'est grande douceur, parce que c'est une li­bération de l'intelligence, que de pouvoir se dire qu'il entre dans les desseins de la Providence que son Église n'ait pas toujours pour la gouverner des chefs *di primo cartello ;* que nous n'avons donc pas à nous gêner pour prendre leur me­sure, puisqu'il y en a de toute sorte. Car ce n'est pas en eux, quels qu'ils soient, que nous devons avoir confiance, mais en Dieu, qui sait tirer parti des ouvriers les plus iné­galement qualifiés, experts, gâcheurs et tout-venant. 159:145 Autrement dit, ce n'est pas une vérité de foi que le pape, fût-ce le pape régnant, soit un grand homme. Mais d'ailleurs ce n'en est pas une non plus qu'il soit un imbécile. A nous de voir ce qu'il est, qualités et défauts, en faisant de notre mieux pour ne pas manquer à la justice, qui doit être la seule règle de notre jugement. ##### 15 mai. Lettre d'un prêtre de mes amis, qui a lu les feuillets parus de ce *Journal* et trouve que j'y « noircis » Paul VI. C'est son expression. A la bonne heure ! Parce que ça, c'est un reproche que je comprends très bien. Je fais de mon mieux pour ne rien écrire que de juste (dans les deux sens du terme) : je me relis avec soin, j'ajoute, je retranche, je corrige, -- je re­commence quand je ne suis pas content, -- mais toute cette vigilance ne fait pas que je sois infaillible. Ai-je été injuste pour Paul VI ? Sérieusement, je ne crois pas. Je serais plutôt porté à souligner plus fortement les traits inquiétants de son caractère. Et d'abord, son extraordinaire sûreté de soi. Car il faut tout de même un degré d'assurance, de confiance en soi peu commun pour vouloir être pape, -- et l'oraison funèbre de Jean XXIII prononcée par le cardinal Montini dans la cathédrale de Milan était un acte de candidature. Parce qu'avec ses grands dons, il se jugeait l'homme qu'il fallait pour opérer graduellement, hardiesse et modération savam­ment dosées, la mutation de l'Église qu'il tenait pour né­cessaire, comme de Gaulle se jugeait désigné par le destin pour nous faire passer sans révolution de la société libérale à la société communiste ? Certainement. Mais il avait aussi beaucoup souffert de son exil à Milan, et s'il ne dut pas chercher une revanche, c'en était une. 160:145 Je préfère saint Pie X passant les nuits en prière et suppliant avec larmes Dieu et les hommes que ce fardeau ne fût pas mis sur ses épaules ; et finalement l'acceptant « comme une croix » ([^81]). Autre trait de première importance chez Paul VI et souvent méconnu : son habileté manœuvrière. J'ai souvent entendu dire qu'il n'était pas un chef : au fond, cela signi­fiait simplement qu'il ne faisait pas ce qu'on jugeait qu'un bon chef aurait fait. Mais si c'était précisément ce que Paul VI ne voulait pas faire ? Si cela revenait à accuser de Gaulle d'avoir par impéritie perdu l'Algérie ? Il me semble que Paul VI n'est pas si maladroit dans l'art de commander. Il sait fort bien parvenir à ses fins. Pas de doute que sa nomination comme archevêque de Milan, le 1^er^ novembre 1954, n'ait été un exil, *promoveatur ut amoveatur *: beaucoup de compliments, mais pas de cha­peau, Pie XII ne voulant pas qu'il fût du Sacré-Collège, pour diminuer les chances de l'avoir pour successeur. Mais quelle remontée ! Pie XII meurt le 9 octobre 1958 et le 15 décem­bre Mgr Montini est créé cardinal par Jean XXIII. Et quatre ans plus tard, c'est lui qui rédige le discours d'ouverture du Concile, première manifestation de l'esprit nouveau. Il se fait élire pape. Il veut avoir des majorités massives pour les actes du Concile, et il les obtient, en assurant les évêques conservateurs qu'une fois le Concile terminé, il reprendra d'une main ferme le gouvernement de l'Église. Et c'est bien ce qu'il fera ; mais non pas dans le sens que ses interlo­cuteurs avaient compris. Amleto, a-t-on dit. Ah non ! ce n'est pas un Hamlet, pas du tout. Beaucoup de suite dans les idées, au contraire, capable de vues à longue échéance, préparant de très loin ses offensives. Un politique de grande classe. Mais c'est surtout sa profonde pensée qui m'inquiète parce que, à y regarder de près, -- je parle de sa pensée, non de ses intentions, -- elle s'inspire moins de la personne de Jésus-Christ que d'une philosophie de l'histoire. 161:145 Cela ne veut pas dire que cette pensée ne soit pas or­thodoxe. Elle veut l'être et elle l'est. Aucune crainte à avoir : Paul VI ne cèdera jamais sur les vérités de la foi. Mais ces vérités sont pour lui des limites à ne transgresser à aucun prix, elles ne sont pas la source de sa constante pensée. Sa constante pensée va au visage nouveau qu'il entend donner à l'Église, sans qu'elle cesse d'être elle-même : visage plus largement ouvert sur le monde, par la philanthropie et par l'œcuménisme ; et sans doute toujours chrétien ; mais sans que son premier souci soit d'être plus intimement chrétien. Au fond, je l'écrivais l'autre jour, c'est un teilhardien, moins les erreurs théologiques de Teilhard. Et j'entends bien que la différence n'est pas petite ; mais elle laisse subsister une inspiration essentiellement mondaine (dans tous les sens du terme). Je me souviens d'un mot de Pierre Lemaire. Le Concile venait tout juste de s'achever et il revenait de Rome, dé­bordant d'enthousiasme. « Ce qu'il y a d'admirable chez Paul VI, nous disait-il, c'est que, lorsque la doctrine est en jeu, il est capable de se piétiner pour la maintenir. » Très vrai. Mais c'est tout juste ce qui m'inspire plus encore d'inquiétude que d'admiration. Parce que, lorsque on a besoin de se piétiner pour être fidèle à la doctrine de la foi, il y a toutes les chances qu'on attende le dernier moment pour manifester cette fidélité et qu'on s'en tienne au strict nécessaire, qui, pratiquement, ne sera pas toujours le suffisant pour les âmes. Cas de la *Nota explicativa praevia* qui a bien sauvé la primauté de Pierre, mais *in extremis* et par la bande : de quoi nous voyons aujourd'hui les inconvénients. Cas d'*Humanæ vitæ*, elle aussi venue bien tard. Et il y a autre chose encore : c'est que l'essence d'une doctrine s'énonce par des textes et que son existence dans l'âme des fidèles s'obtient par des actes ; et que la pureté de l'essence n'est pas atteinte par les blessures de l'existence. Et malheureusement entre les actes et les paroles de Paul VI, la distance est sensible. Tout le monde l'a constaté, et pas seulement de notre côté. « Remarquez, disait un ami romain au P. Rouquette en 1967, que, si les paroles de Paul VI sont souvent des mises en garde contre les excès de la réforme, ses décisions vont pour la plupart dans le sens de cette réforme. » ([^82]) 162:145 Partage caractéristique : comme pour faire de bonne besogne sous le couvert de paroles qui calmeront les inquiétudes. On se demande si les bonnes intentions qui placardent ces paroles rassurantes ne leur accorderaient trop d'importance : l'essentiel pourrait bien être ailleurs. Certes, elles sont sincères ; mais Paul VI porte plus d'intérêt aux nouveautés qu'à la simple fidélité, à laquelle il ne veut pourtant pas manquer. Et s'il ne s'agissait que de discipline, chose pourtant grave déjà ! Mais le même homme qui avait prononcé la splendide *Profession de foi* -- la doctrine est sauve -- laisse en fonction les évêques hollandais, qui professent une foi différente : aux fidèles de choisir entre les deux. De même pour la nouvelle messe : interprétée dans un contexte catholique, elle n'est pas hérétique : le minimum indispen­sable est sauvegardé. Mais les barrières que le Concile de Trente avait élevées contre l'hérésie ont disparu et Taizé déclare pouvoir s'accommoder du rite nouveau sans avoir à changer de théologie : équivoque. « Nous cherchons des formules que vous puissiez accepter », disait pendant le concile un cardinal à un pasteur protestant. -- « Éminence, lui répondit le pasteur, ce n'est pas sur les mots qu'il faudrait s'entendre, c'est sur les choses. » Je préfère la fran­chise du pasteur protestant à l'ingéniosité du cardinal catholique. Je crains bien qu'un pontificat aussi discret dans l'affir­mation de la doctrine ne soit l'origine de grands malheurs pour l'Église. Et je pense qu'il faut le dire. Sans révolte, sans insoumission. Pour éclairer les fidèles simplement. Et pour qu'ils sachent que le Saint-Père a besoin d'être entouré de plus de prières qu'il n'en demande. (*A suivre.*) Henri Rambaud. 163:145 ### Journal logique par Paul Bouscaren L'ENSEIGNEMENT CONCURRENCÉ PAR L'INFORMATION, la science des maîtres contestée par les savoirs de la jeunesse, (*Figaro,* 5 mars), -- quel enseignement et quels maîtres ? Est-ce à dire une sottise au point de ne pas voir, ou d'être incapable de faire voir, qu'il s'agit en effet, pour les jeunes, d'acquérir *la science,* et que cela ne leur est pas possible avec *l'information* et *les savoirs* qu'elle leur fournit, et que se faire illusion là-dessus est la pire preuve d'un besoin extrême ? La pire preuve, mais non certes à la honte des jeunes ! Les jeunes sont beaucoup plus nombreux dans la société d'aujourd'hui que dans celle d'hier ; l'éducation nationale, d'abord neutre par principe touchant la religion, a étendu à tout l'humain *le véritable principe de l'incompétence scientifique,* mais on ne veut pas reconnaître que le principe scientiste de l'éducation natio­nale est de s'interdire toute éducation ; le milieu familial s'est trouvé, dans la décomposition de la société par l'idéo­logie démocratique, à peu près comme un château de sable sur une plage où déferle la marée noire : telle est l'incapacité ordinaire des parents à défendre matériellement et spirituellement ce milieu indispensable aux enfants ; que voudrait-on alors des jeunes et par quel miracle, pour se récrier sans que ce fût de bêtise énorme et d'énorme hypocrisie, devant d'énormes difficultés à maintenir les jeunes dans l'ordre, -- même si l'ordre était moins indigne de ce nom ? \*\*\* 164:145 Les Facultés fermées à la police quoiqu'il arrive, s'agit-il d'autre chose que la société, (en son état actuel), sans la crainte du gendarme pour personne, -- et les pires n'y fe­raient pas la loi ? Nanterre est sans autre mystère que le re­fus général d'y voir prouvée la nécessité aussi grande que jamais d'une gendarmerie à faire peur, aux ordres d'une justice impitoyable autant que de besoin. Tartufe qui s'en étonne, le dialogue universel exige l'universelle dissuasion. \*\*\* L'adolescent, c'est l'adulte en formation prochaine, c'est donc par nature la soif de l'affirmer comme une personne entre les personnes ; la condition des mineurs, étroite en cela, par nécessité, sera donc toujours difficile ; insuppor­table, avec la conception moderne de la liberté, qui en fait le contraire de l'obéissance requise par la vie sociale, alors que, hors, de celle-ci, aucun exercice de la liberté, pas de vie personnelle concrète. \*\*\* Cinquante militants, cent à cent cinquante sympathi­sants, c'est le groupe trotskiste à Nanterre, du propre aveu de celui de ses militants que *France-Inter* nous fait entendre le 12 mars, à 13 heures, un bon bout de temps ; si pareil pri­vilège de pareille minorité, entre beaucoup d'autres beau­coup moins minoritaires, n'est pas un privilège de la vio­lence, -- alors, quoi ? \*\*\* « Homo autem, cum ad perfectam aetatem pervenerit, incipit jam communicare actiones suas ad alios ; antea vero quasi singulariter sibi ipsi vivit. » (IIIa, 72, 2). A ce compte, la psychologie de l'adolescent le rend incapable des respon­sabilités du citoyen, (faut-il dire : allergique à la politique ?), et c'est un crime contre lui-même et contre la société, que de l'arracher de la sorte au solipsisme de son âge, -- cet âge du déséquilibre entre l'équilibre de grâce de l'enfance et l'équilibre de conquête personnelle de l'adulte. Quel jour sinistre sur notre « démocratisation de l'enseignement » ! \*\*\* 165:145 On me fait rire avec l'absurdité de l'existence ; une fois abstrait le *fait* d'être, et d'une *forme* de l'être, (nature), et d'une *fin* de l'être, (Dieu), quelle *raison* d'être veut-on avoir ? \*\*\* « L'organisation collective, est, de nature, injuste, car elle pose des règles générales, alors qu'il n'est de situations qu'individuelles. » (François de Closets, *En danger de pro­grès*, page 182). Cela est vrai selon qu'il s'agit des indi­vidus *en tant qu'individus ;* mais comme il n'y a d'individus humains que membres du corps social, une justice qui ne commence pas par les règles générales nécessaires à l'exis­tence sociale est une justice abstraite, individualiste, anti­sociale, et, envers les hommes vivants, la pire des injustices. \*\*\* « Mais au nom de quoi pourrait-on être Français et catholique, par exemple, mais pas Français et juif ? » Étrange question, si quelque chose pouvait être étrange au lecteur du *Figaro *! La différence d'être juif à être catholique échappe-t-elle ou non, donnons-la tout de même à voir, dirait mon père : être juif partage les hommes en Peuple élu et goïms, le monde en Terre promise et pays de la Diaspora, -- de là, sous nos yeux, une dualité assez criante du Juif en Israël, soldat paysan à en revendre, avec les Juifs en exil, plutôt réduits au commerce et à la banque, dit-on, et, dit-on aussi, non sans une aide appréciable apportée aux magni­fiques jardiniers de la Terre sainte, voire à ses défenseurs contre les Samaritains. « Le salut vient des Juifs », (Jean, 4/22), voilà au nom de quoi... \*\*\* Les nouvelles religieuses faisaient récemment écho à cet intéressant témoignage du cardinal Vous-allez-comprendre, alias Daniélou, selon quoi « il n'y a pas de crise dans l'Église » ; le *Figaro* du 17 mars nous sert deux titres en duo, l'un en haut de la page vingt : « Le synode de Saint-Brieuc demande une plus grande liberté dans l'expression de la vie chrétienne », et, au milieu de la page, cet autre titre : 166:145 « Il n'y a pas dans l'Église le moyen de faire entendre des voix discordantes -- affirme à Rome le Père Émile Pin. » Lisez les lignes sous le premier de ces deux titres, et veuillez soupeser, entre autres, les suivantes : « ...Un vœu qui devait être soumis à la hiérarchie catholique... de­mandait que l'acte pénitentiel du début de la messe puisse avoir valeur sacramentelle. La majorité, très faible, a pré­féré la formule traditionnelle de la confession. » Voilà... Pardon, il y a aussi le sous-titre du *Figaro *: « Un langage nouveau pour exprimer la foi. » Quelle foi, demandez-le au cardinal Pas-de-crise-allons-à-la-pêche. \*\*\* Reconnaître les fils de Dieu à leur conduite fraternelle envers leurs frères, soit ; mais tourner ce critère à moindre estime de la foi et de l'espérance chrétiennes, et de tous les secours de la religion traditionnelle, ne pourrait-on s'aviser enfin du sophisme de pareille conséquence : tel frère, tel homme devant Dieu et avec Dieu, *donc,* peu importe ce que Dieu a pu nous donner pour arriver à être fraternels ? Et d'où vient le sophisme sinon du préjugé, envers et contre toute expérience de soi-même et des autres, d'une liberté par spontanéité créatrice ? Mais il y a autre chose à redire, au critère même de la conduite, en tant que visible à tous les regards ; s'il est vrai que rien d'autre ne peut y suppléer, au témoignage constant de l'Écriture, saint Paul nous dénonce la possible illusion : « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » Le corps livré aux flammes évoque Jeanne d'Arc, et sa réponse topique : « Si je n'y suis, Dieu m'y mette ; si j'y suis, Dieu m'y garde ! » Et quant à au­jourd'hui, n'est-il pas admirable que ses prophètes de tout poil admirent l'amour des torches volontaires, sans aucun égard au coup de crosse charitable de l'Apôtre ? \*\*\* On ne fait son salut qu'en vainqueur du monde entier, l'époque moderne est semblable aux autres en ce point ; mais il n'est guère possible de sauver les autres contre le monde entier, c'est la catastrophe moderne, la tragédie des pères en tous les ordres. \*\*\* 167:145 La détérioration du matériel génétique humain pose un problème angoissant, je le crois ; mais combien plus, la détérioration mentale qui veut résoudre ce problème en « faisant abstraction de toute morale ancienne » (*En dan­ger de progrès*, pp. 231 et 237) ! La méthode expérimen­tale exclut le recours, comme à un principe même intermé­diaire de ses solutions, à toute logique des sentiments, de la foi, de la conscience morale ; ce qui ne peut jouer dans *l'exercice de la méthode* ne compte pas comme *donnée des problèmes humains,* ce n'est pas moins à la science d'appor­ter à ceux-ci une *solution moderne* obligeant à mettre au rancart toute prétention religieuse ou morale : tel est le sophisme de la soi-disant logique scientifique ; ce qui n'est pas la vie scientifique de l'intelligence humaine, ce n'est pas davantage la vie humaine aux yeux de l'intelligence scien­tifique, -- disons alors : cette grosse bête moderne. (Qui se mêle parfois de lire Maurras, on doit le craindre.) \*\*\* Ouvrir les yeux suffit pour voir, non pour regarder, ni pour décrire et juger de bonne sorte ; de même « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », mais c'est un moyen sûr de le noyer que d'en faire à tous un droit et un devoir d'opiner sur toutes choses humaines, alors qu'il serait déjà horriblement sot de prétendre que le bon sens suffise, là où il discerne le vrai du faux, à s'exprimer, argumenter, se justifier à ses propres yeux et aux yeux d'autrui. On jette le bon sens à la déraison, puis l'on se rit de Descartes, qui insiste avec force pour mettre en garde sur ce point ; le bon sens de saint Thomas d'Aquin a certes beaucoup manqué au bon sens de Descartes, mais que dire du bon sens comme en usent les hommes d'aujourd'hui ! En voici une image. « Je crois qu'il n'y a que les militaires pour tuer les gens comme ça, sans raison... » (M. Bernard Clavel à *France-Inter,* 13 h., le 24 mars). Sans raison à mes yeux, donc, je dis : sans raison à leurs yeux... Voilà, il me semble, un aveu assez répugnant. Peut-être protestera-t-on : sans rai­son personnelle pour le militaire non plus que pour moi ? Mais n'est-ce pas avouer qu'on ne veut avoir pour raison personnelle une raison de bien commun ? \*\*\* 168:145 S'il n'est de vie chrétienne qu'en unité de vie avec Jésus-Christ, aucune distinction entre les hommes ne peut séparer les chrétiens, (Galates, 3/28) ; comprendre que les chré­tiens sont arrachés aux besoins de la nature humaine con­crète, est-ce croyable, et n'est-ce pas pourtant ce que nous prêche un évangile moderne de négation de tout ce qui par­tage les vivants, -- fût-ce le sexe, au moment même où règne le pansexualisme ? \*\*\* *Stat crux dum volvitur orbis :* dix-neuf siècles chrétiens ont vu le monde aller de crise en crise, ou de croissance, ou de décomposition, et l'Église romaine demeurer l'Église romaine ; de nos jours, l'Église ouverte au monde paraît pour la première fois à la dérive du monde, et douteuse à l'instar du monde lui-même ; là-dessus : « la crise de l'Église est une crise de l'humanité », nous assure le cardi­nal Vous-allez-comprendre, (*Figaro,* 25 mars). La Merveille au péril de la mer s'écroule dans les flots en bramant d'amour pour eux, voilà la vérité. \*\*\* Je n'ai jamais douté de l'obligation chrétienne de « dé­fendre l'homme en tant que tel » en soi-même et en autrui ; je ne croirai jamais que cette obligation consiste si peu que ce soit à *ne pas défendre le chrétien en tant que tel* en soi-même et en autrui, (voire à prêter main-forte à ses ennemis déclarés ou hypocrites, méchants ou stupides, du dehors ou du dedans). \*\*\* 169:145 « ...Nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appe­lés, soit Juifs, soit Grecs, puissance de Dieu et sagesse de Dieu... afin que votre foi repose, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » ; ce langage de saint Paul, (I Cor., 1/23,24 et 2/5), me semble clair : les incroyants sont aveugles à la puissance et la sagesse de Dieu dans la Passion du Christ, les chrétiens ont des yeux pour *voir ce qui est, cette sagesse et cette puissance.* Non moins clair de la même clarté me paraît le récit de la Passion selon saint Jean, de la première phrase (13/1) à la dernière (19/28-30), et, en chacune de ses pages, aussi loin que pos­sible de faire mentir saint Paul, ... pour justifier cette « impression » de M. Jean Guitton : « Dieu... désire d'appa­raître impuissant. » (*Figaro,* 27 mars). Une fois de plus, je me pose la question : que ce lecteur-là de l'Évangile puisse lire de la sorte, (« Je l'ai relu hier encore et je voudrais dire mon impression »), en aussi plein accord avec une idéolo­gie actuelle aussi contraire au langage de saint Jean, faut-il donc que les chrétiens d'aujourd'hui soient les uns aux autres des énergumènes ? \*\*\* « Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre : « Retire-toi de moi, Satan, tu m'es un scandale, car tu n'as pas l'intelli­gence des choses de Dieu ; tu n'as que des pensées hu­maines. » (Matth., 16/23.) Qui que ce soit dont le langage dans l'Église d'aujourd'hui appelle cette apostrophe acca­blante du Sauveur, (et combien plus s'ils sont légion, si leur voix domine partout), est-il sérieux de demander quelle hérésie particulière on reproche ? N'est-ce pas faire le jeu de l'antéchrist, comme il s'agit avec lui de tout autre chose que de choisir dans le credo catholique ? Le monde prend la place de Dieu, dans son orgueil frénétique de se voir mo­derne, et vous demandez quelle hérésie distincte fait de tout homme un Abraham qui sacrifie au monde son fils unique ? Dites le philosophe « le spécialiste des généralités », ce n'est plus qu'un ruminant des sciences ; que peut être pour l'apôtre de Jésus-Christ sa « mission au service des hom­mes », sinon la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu tour­née en politique humanitaire, et c'est-à-dire démocratique et socialiste, et c'est-à-dire, en fait de « climat chrétien », au zéro absolu ? Une fois le messianisme temporel moderne de la démocratie, du socialisme, du marxisme, rattaché au messianisme temporel trouvé par les Juifs dans la lecture de leurs prophètes, quelle raison reste-t-il pour expliquer la démocratie, le socialisme et le marxisme comme des faits de l'histoire *chrétienne,* puisque l'hérésie, voire l'inversion radicale de l'Évangile, a sa source *antérieure à Jésus-Christ ?* \*\*\* 170:145 Le libéralisme a donné aux prolétaires la liberté de crever de faim, le socialisme donne à tous la pitance des esclaves, le scientisme appelle mutation une destruction totale des hommes, en eux-mêmes, corps et âmes, et dans leurs milieux de nature et de société ; voilà le monde mo­derne à quoi le Syllabus jetait l'anathème, et auquel s'est ouverte l'Église de ce qu'on dénomme Vatican deux, -- par ce comble de mensonge qui farde la rupture en suite natu­relle. \*\*\* « Ils sont deux millions, vous êtes trente-huit millions ; levez-vous et soufflez dessus ! » N'est-ce pas reprendre l'in­croyable adjuration de Victor Hugo à la France envahie par l'armée allemande, que d'inviter « la majorité silencieuse » des étudiants à « faire elle-même la police de l'Uni­versité » ? En termes concrets, que peuvent-ils faire de ce genre, sinon opposer à minorité violente une autre minorité violente, à l'instar de la police contre les malfaiteurs de tout acabit ? Des étudiants agissent-ils en effet de la sorte, la radio n'arrête plus de parler des « extrémistes de droite et de gauche », -- à croire que l'invitation précédente était un piège tendu aux jeunes capables de s'organiser contre les révolutionnaires... Paul Bouscaren. 171:145 ### Éléments pour une philosophie du réel *Chap. I -- suite* par le Chanoine Raymond Vancourt #### I. § 4. La contemplation dépréciée. De nos jours, cependant, leur identité ne va plus de soi et la « sagesse contemplative » a mauvaise presse. Chose curieuse, même ceux qui, par profession, devraient, sem­blent-il, la défendre, se mettent désormais à la contester et les amis de la vie contemplative se font de plus en plus rares. Que lui reproche-t-on au juste ? On tient d'abord en suspicion son objet. Le sage prétend posséder la science des premiers principes, des fondements et du sens de tout ce qui existe ; ou si on préfère une autre terminologie fréquemment employée, la science du divin, de l'Absolu, du supra-sensible, et trouver dans cette science un bonheur imperdable. Mais cet objet dont il fait dépendre son contentement, a-t-il une réalité hors de lui ? Le monde des principes et de l'Absolu ne serait-il point un fantôme créé par nous, une image que nous projetterions à l'extérieur ? Notre contemplation, au lieu de déboucher sur quelque chose d'authentique, n'irait-elle pas se perdre dans le vide ou le néant, comme les mystiques eux-mêmes, si on en croit cer­tains de leurs interprètes, l'avouent dans leurs moments de lucidité ([^83]) ? A moins qu'on ne dise -- mais le sort de la contemplation n'en serait pas meilleur -- que dans celle-ci, l'homme ne retrouve jamais que lui-même, ses aspirations et ses désirs. \*\*\* 172:145 De l'aveu de ceux qui l'apprécient, la contemplation est un privilège réservé à une élite. D'après Socrate, Platon et Aristote, pour ne parler que des grands ténors, elle exige des loisirs ; elle suppose que ceux qui s'y adonnent ne soient pas préoccupés par les nécessités pressantes de l'exis­tence, par les contingences de la vie matérielle. Mais le caractère « aristocratique » de la sagesse contemplative n'est point une recommandation aux yeux de nos contem­porains, imprégnés d'esprit « démocratique », et désireux d'instaurer dans la société un nivellement général. Ils sou­lèvent une objection qui leur paraît décisive : l'ouvrier de nos usines, le docker de nos ports, l'homme d'affaires aux innombrables soucis, comment pourraient-ils aspirer à ce savoir supérieur, qui leur permettrait de garder le contact avec la réalité absolue, d'éclairer leur existence à la lumière que ce contact fait jaillir et de parvenir à un bonheur qui laisserait loin derrière lui la satisfaction de nos tendances inférieures ? La conception traditionnelle de la sagesse ne peut plus désormais être la nôtre ; la sagesse doit être autre chose qu'un bonheur fondé sur la « science des principes ». \*\*\* La transformation de nos idées sur la sagesse s'impose d'autant plus, dit-on, que nous vivons dans un climat cultu­rel différent de celui des Grecs, lesquels ignoraient les sciences et les techniques, dont notre existence dépend chaque jour davantage. Pour les Grecs, le cosmos est divin. Si Platon et Aristote minimisent, à certains égards, la valeur des réalités sensibles, celles-ci n'en sont pas moins pénétrées par les *Idées ;* aussi la nature leur paraît-elle, à sa manière, parfaite. Le monde est fondé sur des forces, primitives, gouverné par des lois éternelles qui le maintiennent dans l'ordre. L'homme, assujetti à ces forces et à ces lois, en res­pecte craintivement le pouvoir ; craintivement... et cepen­dant avec confiance, car l'univers tout entier est bon, sacré, rempli par le divin, qui se cache dans les bosquets, les ro­chers, les animaux, les vagues de la mer, etc. 173:145 Il ne s'agit donc point d'y toucher, de vouloir le refaire, le changer, mais simplement de s'accorder avec l'harmonie du monde, de la contempler et de s'y soumettre. Certes, les philosophes, Platon par exemple, invitent à l'action morale, politique, éducatrice ; mais cette action a besoin de la présence du divin et doit s'éclairer à la lumière d'un Principe absolu. Elle n'est pas liée à une transformation de la nature, ana­logue à celle que nous opérons grâce à la science et à la technique. De cette interprétation du monde, des penseurs du XX^e^ siècle, tel Max Scheler ([^84]), ont fort bien analysé les aspects fondamentaux et laissé entrevoir les conséquences : si les Grecs n'ont pas inventé les sciences expérimentales, ce n'est point parce qu'ils en étaient incapables, mais plutôt parce qu'ils ne le voulaient pas, étant donné le caractère divin attribué par eux à l'univers. Dans le judaïsme et le christianisme les rapports entre Dieu, l'homme et le monde se situent dans une perspective différente. Dieu, Être personnel et transcendant, produit l'univers de rien et fait l'homme à son image. L'homme est à l'image de Dieu par sa raison et sa liberté, mais aussi par sa puissance d'aimer et de créer. Nous sommes des fils aux­quels Dieu confie l'administration de ce monde. Plus même que son administration, car Il nous, associe à son action créatrice ; non que nous puissions susciter quelque chose du néant, mais en ce sens qu'Il nous remet l'univers pour que nous le dominions, le transformions et en tirions parti. Ayant donné à l'homme la liberté, Dieu l'invite à inventer ses conditions d'existence, matérielles, morales et sociales, et à se forger sa destinée terrestre. Les réalités de ce monde perdent désormais leur caractère sacré ; elles n'ont plus rien de divin ; ce sont des choses que nous manipulons sans crainte de commettre un sacrilège. Nous nous efforçons d'en pénétrer les secrets et nous les modelons pour qu'elles soient mieux à notre service. Le dogme judéo-chrétien de la création désacralise la nature, annonce la mort du « grand Pan », permet la naissance des sciences et des techniques, lesquelles, au fur et à mesure de leur développement, donnent à l'homme une confiance de plus en plus ferme dans la puissance de sa raison, d'une raison qui lui assure chaque jour davantage la maîtrise sur le monde. 174:145 Nous ne sommes donc pas ici-bas pour le contempler et en contempler les « principes » ; encore moins pour passer notre temps à nous regarder nous-mêmes, comme le Boud­dha absorbé dans la vision de son nombril. Nous avons mieux à faire. Il s'agit de forger notre être, corps et âme ; non seulement notre être individuel, mais aussi la société dans laquelle nous vivons. A la contemplation, qu'on traite avec un mépris juvénile, on préfère l'action ; celle-ci permet à l'homme de faire régner la raison en lui-même, dans la collectivité et la nature ; elle engendre des satisfactions qui n'ont rien d'illusoire. En s'y adonnant, en accomplissant les tâches qui s'offrent à nous et sont à notre portée, nous éprouverons la fierté du créateur, que Hegel, Marx et Nietzsche ont décrite, en des contextes différents, mais avec un égal enthousiasme. -- Si, pour être fidèle à la tradi­tion, on tient absolument à définir la sagesse comme la syn­thèse du savoir et du bonheur, qu'on donne alors à ces termes un contenu positif, qu'on ne se laisse point séduire par des mirages, et qu'on fasse descendre la sagesse du ciel sur la terre. #### I. § 5. Sagesse et perfection. Ces objections ont du poids et il faudra les examiner de près. Le moment, toutefois, n'en est pas encore venu, car nous n'avons pas fini d'explorer les richesses de la notion de sagesse. Que celle-ci rende heureux ceux qui la possèdent semble tellement évident qu'on pourrait croire inutile d'in­sister sur ce point. Comme, d'autre part, la « science des principes » donne l'impression d'être inaccessible -- Aris­tote avoue que son acquisition s'avère difficile ; on serait tenté d'accorder la préférence à une autre définition de la sagesse, qui l'assimile à la perfection morale, définition qui, croit-on, devrait rallier tous les suffrages. On risque sans doute, en l'adoptant, de confondre le sage et le saint, ce dernier apparaissant également comme un homme parfait. Ce danger, -- qui d'ailleurs peut être facilement évité, car par certains aspects la sainteté se distingue assez bien de la sagesse ([^85]), -- ne doit pas empêcher de reconnaître que l'image du sage évoque, tout naturellement, celle de l'homme parfait. 175:145 La sagesse s'identifierait-elle donc avec la perfection morale ? Dans l'affirmative, comment ce nouvel élément se compose-t-il avec ceux dégagés jusqu'ici ; le savoir et le bonheur ? C'est ce qu'il nous faut maintenant tenter d'expliquer. \*\*\* Dans le langage courant, une réalité « parfaite » est celle qui se rapproche le plus de l'idéal, de sorte qu'on puisse difficilement en concevoir une meilleure dans son ordre. Le terme s'applique à tout ce qu'on veut ; on parle de ma­chines parfaites, d'un cheval de course parfait, d'une beauté parfaite, etc., etc. -- Comme chaque espèce présente des ca­ractères qui la différencient des autres, la perfection, pour les représentants d'une espèce, consiste à pousser au maxi­mum ses notes distinctives, et à devenir ainsi capable d'exercer au mieux ce que les Grecs appellent « la fonc­tion propre de chaque être ». L'homme dépasse tout ce qui existe en ce bas monde par la conscience de soi et la liberté. C'est en développant celles-ci au plus haut point qu'il atteint la perfection de son espèce ; il s'en éloigne au con­traire, s'il se conduit, comme on dit vulgairement, en parfait animal. \*\*\* Inséparable du développement de la conscience et de la liberté, la perfection engendre, chez celui qui l'atteint, le bonheur, la satisfaction. Celle-ci peut revêtir des formes caricaturales, lorsqu'on se croit parfait sans l'être. C'est le cas du pharisien. Intimement persuadé de s'être élevé au plus haut sommet de la moralité, il se montre content de luis Il n'éprouve aucune envie de changer, de s'améliorer, de devenir autre. Il remercie Dieu de l'avoir fait ce qu'il est, de n'avoir pas permis qu'il ressemblât au publicain. A tra­vers cette déplaisante suffisance, on entrevoit cependant un aspect essentiel de la notion de sagesse. Le sage, conscient de sa perfection, est nécessairement satisfait, content de soi, heureux. Le stoïcien entend bien demeurer ce qu'il est, il ne voudrait pas changer ; Pyrrhon, Épicure, Plotin, Spinoza, etc., non plus. Qui d'ailleurs leur proposerait d'abandonner un état où manifestement ils trouvent le bonheur ? \*\*\* 176:145 On en a d'autant moins envie que la perfection du sage nous sert de modèle. Il n'est point nécessaire pour cela que le sage le veuille expressément, qu'il dise comme saint Paul *Imitatores mei estote*, qu'il émette la prétention d'entraîner le monde à sa suite. Il lui suffit d'être ce qu'il est : un homme « qui sait », qui a pleinement conscience de sa situa­tion et de sa destinée, qui trouve dans cette prise de conscience le contentement, pour qu'aussitôt, il joue, selon l'expression de Liant, le rôle de « prototype ». En pensant au sage, nous sentons s'éveiller au plus intime de notre être « cet homme divin que nous portons en nous et auquel nous nous comparons pour nous juger et nous corriger, mais sans pouvoir jamais en atteindre la perfection » ([^86]). \*\*\* Les analyses précédentes ont permis de dégager les aspects de la sagesse ; elle est simultanément satisfaction, science, perfection, Chacune de ces composantes soulevait des problèmes que nous avons évoqués en cours de route, dans l'intention de nous préparer à aborder les questions majeures qui se posent à leur sujet et de la solution des­quelles dépend le sort de la sagesse. Le moment est venu de les affronter. Et d'abord, de ses trois éléments constitutifs, quel est celui qui commande les autres et tient le premier rang ? Certes, contentement, savoir et perfection, étroitement mê­lés, sont reliés par une sorte de causalité réciproque et apparaissent comme les aspects indissociables d'un même tout. On doit se demander toutefois à quoi le sage aspire en premier lieu. La réponse semble s'imposer : il est en quête du bonheur. A ce besoin primordial la « science des principes » et la perfection morale sont manifestement subordonnées. S'il cultive « la science des choses divines et humaines », c'est pour justifier à ses propres yeux et pro­téger contre les bourrasques le contentement auquel il parvient ; et il cherche la perfection parce qu'elle débouche sur le bonheur. 177:145 Celui-ci se trouve donc bien au centre de tout. Mais alors une question surgit inévitablement : qu'est-ce que le sage veut en priorité ? Le bonheur ou la vérité ? S'il donne la préférence au premier, ne serait-ce point une raison majeure pour tenir la sagesse en suspicion ? Husserl, le fondateur de la phénoménologie, n'est pas loin de le penser. \*\*\* Sa méfiance est encore accrue par une autre difficulté, non moins grave. La sagesse, jusqu'ici, n'a été considérée par nous que d'un point de vue formel. Elle est bonheur, sa­voir, perfection ; soit. Mais de quel bonheur s'agit-il ? Sur quoi porte le savoir obtenu par le sage et que vaut-il ? Quant à la perfection, Kant souligne, non sans raison, que c'est le concept le plus vide et le plus indéterminé qui soit ([^87]). Nous ignorons donc de quoi est fait le contenu de la sagesse. -- Circonstance aggravante, nous constatons qu'il a été conçu de bien des manières et que ces façons de le com­prendre ne coïncident pas. Même si, dans la vie quotidienne, les divergences s'estompent, la sagesse stoïcienne ne peut se confondre avec celle d'Épicure. N'est-ce point un motif de plus, tout à fait sérieux, de regarder les choses de près ? Husserl, en tout cas, est de cet avis, et il va prononcer contre la sagesse un réquisitoire sévère, qu'il faut écouter attentivement, car des arguments avancés par Husserl dé­pend le sort de la célèbre notion. #### I. § 6. Sagesse ou science ? Y a-t-il une ou des sagesses ? Husserl se demande si on a le droit d'amalgamer, comme on l'a fait dans le passé, la sagesse et la science. Chez les Grecs et dans la philosophie occidentale, on discerne une double aspirations D'une part, les philosophes prétendent construire une discipline conforme aux normes de la raison, susceptible, par conséquent, de réaliser l'accord des esprits et de les libérer de la tyrannie des opinions contradictoires entre lesquelles la violence seule permettrait finalement de décider. 178:145 Il s'agit donc de conférer à la philosophie le statut d'une « science rigoureuse », étant bien entendu que le terme, chez Platon et ses successeurs, n'a point tout à fait la même signification que nous lui donnons depuis le XVI^e^ siècle et la découverte de la physique mathématique. Il désigne simplement l'exigence de rationalité, seul moyen de parvenir à des vérités susceptibles d'échapper à toute con­testation. Bref, à travers la philosophie occidentale, on devine la nostalgie d'une connaissance qui ne le cède en rien à celle que procurent les sciences ([^88]). En même temps, cette philosophie obéit à une autre im­pulsion, au désir de parvenir à la sagesse, c'est-à-dire de préciser les buts ultimes que nous devons viser dans nos actions, et de trouver les moyens pour les atteindre. En d'autres termes la philosophie veut aussi nous apprendre comment conquérir ce à quoi nous aspirons avant tout : le bon­heur. -- Mais les deux fins ainsi poursuivies ne sont pas nettement distinguées ; on les vise simultanément, car on les estime inséparables. \*\*\* Cet amalgame, si on en croit Husserl, joue en faveur de la sagesse et au détriment du savoir. Sans doute définit-on la première comme « la science des choses divines et hu­maines » ; mais il ne s'agit pas, en réalité, d'une véritable science, d'une discipline susceptible de produire l'accord des esprits. Ce qu'on propose sous ce nom prestigieux n'est qu'un ensemble disparate de *Weltanschauungen* va­riées, c'est-à-dire d'interprétations du monde conçues à partir de perspectives propres à un philosophe, une époque, un milieu, dont elles reflètent les aspirations. Le philosophe se contente de présenter sa façon à lui de voir les choses, sa manière « de donner un sens à la vie humaine selon une échelle de valeurs, une approche de ce qui est le fondement de toute réalité et la justification de toute valeur : la trans­cendance » ([^89]). 179:145 Il explicite les « parti pris » par lesquels il s'affirme, sa réaction personnelle devant les énigmes et les contradictions de l'existence. Ce faisant, il se résigne à occuper « un rang scientifique inférieur » et à demeurer éloigné de l'idéal de rationalité. \*\*\* De ces philosophies peu « rigoureuses », se nourrissent des sagesses variées. Elles ne sont certes point à dédaigner. Elles campent, chacune dans le contexte d'une Weltans­chauung déterminée, un certain type exemplaire d'humanité. Elles invitent à « l'action morale », à un effort constant en vue « d'atteindre la fin sublime de l'homme », sa perfec­tion, telle qu'on la conçoit à l'intérieur d'une interprétation du monde ; elles incitent à acquérir « les facultés et habi­tudes » requises pour travailler à la réalisation de cet idéal ([^90]). Mais, intégrée dans une vision des choses dénuée de valeur scientifique, chacune de ces sagesses en partage les défauts ; elles manquent toutes de rigueur et ne peuvent prétendre à l'universalité. \*\*\* De la sagesse ainsi conçue Husserl ne veut pas, et pour ceux qui s'en font les promoteurs, il a manifestement peu de considération. Il s'en prend à Plotin et aux stoïciens, à Schelling et à Hegel, en qui il voit, non des philosophes, mais des sages, autrement dit, « de brillants et profonds impro­visateurs » ([^91]). Ce n'est point de « sagesse et de profon­deur de pensée » que nous avons d'abord besoin, mais d'un savoir rigoureux, où la raison trouverait son compte, où il serait en premier lieu question de *vérité* et non de bonheur et de vertu. Husserl admet que les sagesses stoïcienne, épi­curienne, plotinienne, etc., ont été utiles, et qu'elles ont joué un rôle non négligeable, tout comme la sagesse hindoue ou chinoise. Le problème n'est point là. 180:145 Il faut choisir entre la science, dont rien ne peut entraver la marche triomphante, car c'est la marche même de la raison, « qui n'admet nulle autre autorité à côté ou au-dessus de soi » ; il faut, dis-je, choisir entre le savoir rigoureux et la sagesse ancienne, laquelle, selon Husserl, n'a été qu'une pseudo-science des choses divines et humaines ([^92]). \*\*\* Husserl va-t-il, pour autant, rejeter absolument toute idée de sagesse. Il ne semble pas et sa position paraît plus nuancée ([^93]). A l'entendre, les diverses philosophies anciennes et modernes, ces *Weltanschauungen* qui exprimaient les aspirations de leurs promoteurs, quelles que soient leurs imperfections, n'en visaient pas moins un idéal de ratio­nalité qui, s'il avait été atteint, aurait finalement supprimé leur diversité. De même les sagesses, malgré leur carac­tère hétéroclite, tendaient vers une sagesse universelle, unique, valable pour l'humanité entière, une sagesse sus­ceptible d'enthousiasmer les générations à venir, d'attirer tous les hommes et par conséquent de les rendre « philo­sophes dans le sens le plus originaire du terme » ([^94]). Mais la découverte d'une telle sagesse, d'un idéal de bonheur et de perfection auquel tous communieraient, ne sera possible que si, aux *Weltanschauungen* diverses et opposées, on substitue une philosophie rigoureusement rationnelle qui, ne reposant sur aucune option injustifiée, réaliserait l'accord des esprits et permettrait de s'entendre sur les fins ultimes que l'homme doit poursuivre. Une philosophie admise par tous ne pour­rait qu'engendrer un type de sagesse pareillement univer­sel ([^95]). Alors, mais alors seulement, la sagesse mériterait le nom de « science des principes ». Pour Husserl, il est urgent de la fonder. L'humanité y réussira lorsqu'elle aura mis au premier plan de ses préoccupations la recherche de la vérité : ce n'est point de bonheur et de vertu que nous avons en priorité besoin, mais de vérité. \*\*\* 181:145 Est-ce absolument sûr ? Husserl lui-même pourra-t-il tenir jusqu'au bout cette position ; ou bien lui faudra-t-il, à un moment donné, en rabattre de la confiance qu'il plaçait en la « science rigoureuse », et restituer à la sagesse une préséance qu'il était porté à lui refuser ? Le problème peut se formuler en termes simples. La sagesse, avons-nous dit, telle que la tradition occidentale la conçoit, est faite de trois composantes : la satisfaction, le savoir, la perfection. Quelle est la plus importante ? La réponse paraît aller de soi. L'homme veut d'abord être heureux, éliminer le malaise dont il souffre et qui tient à sa condition. Être charnel et pensant, limité et cependant infini dans ses aspirations, il se sent intérieurement déchiré et de ce déchirement il veut guérir. Il cherche le bonheur et à cette recherche le reste semble subordonné. On a, en tout cas, fortement cette im­pression quand on examine de près, par exemple, la philo­sophie de Spinoza. Celui-ci prétend, lui aussi, construire une philosophie *vraie ;* aussi vraie que les mathéma­tiques ([^96]). Il ne s'agit pas, explique-t-il, de savoir si elle est meilleure qu'une autre ; l'unique question est de savoir si elle est vraie ou non. On ne peut affirmer plus nettement, semble-t-il, la primauté du besoin de la vérité. Et cepen­dant, dès le début, par exemple, du *Traité de la réforme de l'entendement,* nous entendons un autre son de cloche. Spinoza proclame avec force que l'essentiel, pour lui, est d'atteindre le bonheur, la satisfaction, la paix de l'âme. Il explique qu'on n'y parvient point lorsqu'on s'attache à ce qui est caduc, passager, mouvant ; 182:145 l'homme demeure malheureux si, emporté par la fuite inexorable du temps, il ne trouve pas quelque chose de stable à quoi s'accrocher ; si, en d'autres termes, il ne réussit pas à considérer tout ce qui arrive *sub specie æternitatis.* La raison elle-même nous le fait comprendre et, en ce sens, la sagesse en est la fille. Elle n'en est pas moins essentiellement orientée vers la recherche du bonheur, laquelle semble ainsi jouir de la prio­rité sur la recherche de la vérité ; ce qui, en dernière ana­lyse et pour parler un autre langage, signifie la subordina­tion de la métaphysique, de l'ontologie à la morale. Husserl voit-il les choses autrement ? Ce n'est peut-être pas absolument sûr. Lorsqu'il déplore l'anarchie qui règne en philosophie, lorsqu'il gémit sur « le désarroi de la situa­tion actuelle », c'est, sans doute, pour des raisons théo­riques, mais aussi parce qu'à ses yeux, seule « une philo­sophie vivante », faisant l'unanimité autour d'elle, permet­trait de résoudre la crise de la civilisation contemporaine et apporterait aux hommes le salut et le bonheur. Ne som­mes-nous pas en droit de conclure que la sagesse demeure, quoi qu'il en dise, au premier plan de ses préoccupations ? \*\*\* Husserl l'admettrait probablement. Il soulignerait tou­tefois, avec raison, que le bonheur authentique ne se sépare pas de la vérité, qu'un contentement fondé sur une erreur ou une demi-vérité ne peut être que frelaté. Nous serions vo­lontiers de cet avis ; nous ajouterions qu'il n'y a de vérité que lorsque nous appréhendons ce qui est. Construire son bonheur en faisant fi de la réalité, en se comportant comme si elle n'existait point, c'est s'engager dans un chemin qui ne conduit nulle part, sinon au malheur. D'accord avec Husserl nous considérons la sagesse comme un idéal où se trouvent réunis le bonheur, la perfection et la connaissance de ce qui est. Mais il s'agit d'un idéal et la question surgit désormais inévitablement : est-il réalisé quelque part ? Le philosophe, par définition, aime la sagesse, y aspire. Lui arrive-t-il de l'atteindre ? Est-il seul à y parvenir ? (*A suivre.*) Chanoine Raymond Vancourt. 183:145 ### Le cinéma comme il est *vivre pour vivre ?* par Hugues Kéraly QUAND ON NE SAIT PLUS TRÈS BIEN quoi dire pour in­téresser les enfants aux enseignements tradition­nels, on a généralement recours aux questions ; mais cette pédagogie indirecte -- qui était celle de Socrate -- réserve parfois bien des surprises. Une dame catéchiste racontait quelque jour qu'ayant demandé à ses élèves à quel personnage connu ils aimeraient le plus ressembler, elle s'entendit répondre par une petite fille, dont elle vit pour la première fois les yeux briller d'une vive admiration : « Marlène Jobert ! »... Réponse doublement étonnante, pour qui connaît le genre de films où cette actrice se produit ([^97]), et si l'on précise que cela se passait dans une petite ville de province où les cinémas n'abondent pas. Mais, à la réflexion, a-t-on vraiment le droit de s'en éton­ner ? Après tout, si cette petite fille écoute la radio, si elle visionne la télévision, ou même simplement si elle est atten­tive à ce qui se dit autour d'elle, ne voit-elle pas chaque jour des adultes semblablement questionnés répondre com­me elle, et avec la même ardeur, que telle ou telle vedette de cinéma représente pour eux l'idéal de vie le plus haut qui soit ? Chez certains, la fascination exercée par des « modè­les » bien souvent moins enviables que celui de la petite fille agit si puissamment qu'elle va jusqu'à susciter des phéno­mènes de mimétisme, voire de fétichisme, absolument éton­nants ; et si les jeunes en détiennent la spécialité, les « grandes personnes » n'y échappent pas pour autant... Le cinéma a ses monstres sacrés pour tous les âges. 184:145 Quant à ceux qui n'ont pas gardé la naïveté de leur enfance, les grands consommateurs de films à thèse, ne cultivent-ils pas également leurs mythes et leurs modèles, sous couvert d'esthétisme et de symbolique, bien malheu­reux s'ils doivent attendre trop longtemps \[la\] dernière suren­chère du byzantinisme cinématographique ? Entre le ve­dettariat des acteurs et celui de certains auteurs de films, il y a en fin de compte peu de différence, tous deux agissant comme un opium. Le second genre, toutefois, influence un public beaucoup plus restreint que le premier. Le film à thèse, en effet, n'est pas un produit de très grande consommation, parce qu'il s'avère relativement long à réaliser ; même avec beaucoup d'imagination, on n'en produit difficilement plus d'un par an : le quartier latin ne s'amadoue pas aussi aisément que les Champs-Élysées. Il y faut du neuf, des sujets toujours plus métaphoriques, un ton sans cesse plus sardonique, plus glacial, des intentions plus machiavéliques encore qu'hier ; il y faut la maîtrise d'un Bunuel, le délire d'un Pasolini, d'un Fellini, le froid calcul d'un Robert Bresson, si l'on ne veut pas y trépasser, en moins de temps qu'il n'en a fallu aux étudiants de la Sorbonne pour expliquer à Jean-Paul Sartre en quoi il était définitivement dépassé. L'intellectualisme cinématographique n'est pas une position bien confortable, quand l'intelligentsia elle-même est en perpétuelle révolu­tion... Mais de l'aberration grandissante de ce cinéma « à thèse », nous avons par ailleurs suffisamment parlé. Exa­minons un peu l'autre face. \*\*\* Au tout venant des réalisateurs de films, il reste donc le *cinéma d'acteurs,* d'invention assez récente, mais d'un rap­port certain, puisqu'il a sa bourse et sa cote des valeurs, qu'il suffit de consulter au préalable pour s'assurer de la sécurité de ses placements. Les producteurs ne s'y sont pas trompés, qui entreprennent les vedettes avant de connaître le scénario (quand ils le lisent), et qui commandent un « Bardot-Cassel » ou un « Mia Farrow-Hoffman », à des réalisateurs suffisamment commercialisés pour trouver tout naturel que la publicité prenne le pas sur le talent, et la ma­tière sur la forme. 185:145 Mais les films ainsi « bâclés » en quelques mois ne sont pas pour autant des films anodins ; et en l'occurrence, le manque de *fond* ne produit pas des œuvres plus inoffensives que l'absence de droiture dans la pensée. L'influence *morale* d'un tel cinéma nous semble même beaucoup plus évidente que celle du film à thèse, dont l'ésotérisme limite heureuse­ment la portée dévastatrice à un public d'initiés : il faut déjà une certaine inversion intellectuelle, un certain goût morbide du casse-tête, pour entrer dans les méandres du cinéma d'auteur ; le point de vue de l'absurde n'est pas à la portée du premier venu... Rien de tout cela par contre dans le ciné­ma d'acteurs, conçu pour les « honnêtes gens », ceux qui vont au cinéma *pour se distraire,* et qui sont bien persuadés ne faire rien d'autre en y allant. Ici l'influence est directe, accessible à tous. On y raconte une histoire, qui a un début et une fin, un intérêt, des res­sorts dramatiques, et surtout des personnages, des types... Car l'influence morale d'un tel cinéma ne doit pas tant être cherchée dans la vérité ou la valeur artistique de ce qui nous est conté (ce qui demanderait déjà un certain recul de la part du spectateur), que dans l'interprétation elle-même, par laquelle généralement on nous donne à contempler des héros, et parfois aussi des traîtres à vilipender. Comme les conteurs populaires aux enfants, on y parle un langage ma­nichéen : celui du bon et du méchant... S'il est exclu qu'un tel cinéma soit jamais moral (puisque la morale d'un film relève exclusivement de son auteur, et du jugement qu'il nous amène à prononcer sur l'histoire racontée), on peut penser par contre qu'il est terriblement *moralisateur,* en ce sens qu'il a pour résultat de nous imposer ses modèles sans discussion possible. Ces films sont beaucoup plus nombreux qu'on pourrait le croire au premier abord, et accaparent peu à peu presque tout le marché du cinéma commercial, imposant leur loi aux autres, y compris au cinéma dit « politique » ou d' « ac­tualité ». On se souvient de l'immense succès remporté par le film « Z », de Costa-Gavras. N'était-ce pas avant tout un film d'acteurs, et tellement fragile pour cette seule raison ? 186:145 Quand on réunit Montand, Trintignant, Bozzuffi, Irène Pa­pas et autres sommités du vedettariat international pour dresser la condamnation d'un régime politique existant, c'est sans doute qu'on ne se sent pas tout à fait assez sûr de la force intrinsèque de ses arguments, et du résultat éven­tuel d'un ton un peu plus sérieux et sobre ; et quand on place tous les acteurs réputés « sympathiques » d'un côté, et le restant de l'autre, c'est certainement qu'on cherche davantage à séduire qu'à démontrer ([^98]). Dans ces films où le jugement du spectateur n'importe pas, c'est l'acteur qui, à chaque instant, nous est présenté comme le véritable intérêt, et son style personnel qu'on veut nous faire admirer. Non pas son talent d'interprète, d'artiste, mais son style tout court, son *style de vie,* la manière dont il se comporte dans l'histoire contée. A la limite, le film sera d'autant plus réussi que la super-vedette engagée peut rester pleinement semblable à elle-même, c'est-à-dire au type qu'elle s'est fixée ; type dont la valeur reste évidem­ment à déterminer, mais que le public tient à retrouver quel que soit le sujet (ce qui prouve qu'il est de moins en moins sensible à l'art). Les événements de la vie quotidienne, où l'acteur n'a aucun « rôle » à jouer sinon celui de se montrer, constituent dès lors la matière idéale pour ce genre de productions. Lelouch l'a fort bien compris... « Sombre, sonore et amère citerne » (Valéry), il parvient à combler son vide personnel à grand renfort de mangeaille et d'allumage de cigarettes, et fait courir le tout-Paris aux tics préférés de quelques vedettes, aux seules fins de s'assurer si elles dor­ment bien, mangent bien et couchent bien ensemble comme auparavant ! Avec « *Un homme et une femme *», « *Vivre pour vivre *», « *Un homme qui me plait *»*,* il est devenu le maître incontesté (pour la France) du cinéma d'acteurs, et qui veut réussir dans ce domaine doit l'imiter. Mais il est un film récent qui semble obtenir un succès aussi considérable que celui obtenu il y a quelques années par « *Un homme et une femme *», et dont le titre un peu pompeux fait irrésistiblement penser à Lelouch : « *Les choses de la vie *». Cela mérite qu'on y prête attention. \*\*\* 187:145 Le dernier film de Claude Sautet, « *Les choses de la vie *», se présente comme l'adaptation d'un roman de Paul Guimard, paru sous ce même titre il y a déjà quelque temps. L'histoire en est simple, volontairement banale : un homme meurt à la suite d'un violent accident de la route. Durant les quelques minutes qui séparent son réveil dans l'ambulance de sa chute définitive dans le coma, cet homme revoit les principaux événements des dernières années de sa vie... On dit que ces minutes-là sont les plus riches, la mémoire n'interdisant plus alors aux sensations trop intenses, aux souvenirs marquants et préoccupants, de faire surface à nouveau. S'il en est ainsi, le héros du film de Sautet n'avait pas grand'chose à redouter d'une pareille épreuve, sa vie semblant totalement dénuée d'intensité. Ni réellement déplaisant, ni absolument sympathique, l'ingénieur Pierre Bérard (Michel Piccoli dans le film) est en effet le type même de l'indécis, qui n'a su mener à son terme aucun de ses devoirs familiaux, sans par ailleurs s'engager assez dans la voie de son aventure extra-conjugale pour rompre définitivement avec son passé. Hélène (Romy Schneider) lui semble manifestement agréable, mais comme une passade plus que comme une passion ; chez cet être faible pour lequel l'environnement est tout, il n'y a pas place pour un sentiment réellement nouveau ; et quand s'offrira à lui la possibilité de « refaire sa vie » avec Hélène en Tunisie, où il a reçu des offres pour exercer son métier d'architecte, Pierre ne saura jamais ni se décider à partir, ni avouer à Hélène qu'il est incapable de ce départ... Quant à sa femme, Catherine, elle continue apparemment à bénéficier sur lui d'un certain ascendant. Il ne s'interdit pas, d'ailleurs, de la revoir de temps à autres, ou de venir errer dans leur ancien appartement à la recher­che d'une certaine « atmosphère » dont il a la nostalgie, et où le souvenir des amis communs et des merveilleuses va­cances passées ensembles à l'île de Ré semblent tenir plus de place que l'amour de sa femme elle-même. Cette attitude, aussi insultante pour Hélène que pour Catherine, nous semble tout à fait caractéristique de l'indéfectible veulerie du héros cinématographique moderne, aussi ignorant du mérite et de la volonté qu'incapable d'une grande passion. Son métier non plus ne semble pas lui tenir suffisam­ment à cœur pour conférer un sens à sa vie quotidienne. Pierre est un de ces bourgeois fortunés pour qui le travail est davantage une raison sociale et un passe-temps qu'une véritable fonction. 188:145 C'était aussi la caractéristique de tous les héros de Lelouch de ne jamais se trouver matériellement gênés, préoccupés par les vicissitudes d'une profession ou d'une vocation quelconque ; le héros doit avant tout se rendre disponible à *l'accessoire,* notion essentielle du cinéma d'acteurs. Le seul point sympathique chez Pierre est sans doute son affection pour son fils Bernard, qu'il cherche souvent à revoir, et avec qui il rêve de retourner en vacances à Ré. Mais ne l'a-t-il pas, lui aussi, abandonné ? Recherche-t-il autre chose en lui qu'une compagnie agréable, le souvenir rassurant des sorties en bateau et des plaisirs calmes ? L'enfant, ici, n'est pas le fils, mais bien le père implorant perpétuellement ses proches pour qu'ils le protègent de la vie, et le délient eux-mêmes de ses responsabilités à leur égard. Survient l'accident, brutal, irrémédiable, habilement réglé dès le début du film comme une mécanique que rien ne pourra arrêter, ni l'habileté certaine du conducteur, ni la tentative désespérée du camionneur pour dégager le croise­ment où il venait de caler à la dernière minute. La belle Jaguar (ou Alfa Roméo ?) de Pierre est en feu, et Pierre va mourir... Que pense-t-il, à la minute décisive, sur cette couchette d'ambulance où il prend conscience que tout va finir pour lui dans quelques instants ? Rien, il songe qu'il est en train de s'endormir, et que cela n'est pas beaucoup plus désagréable que l'éveil à la vie. Ses dernières paroles, prononcées en voix *off* sur le ton de la douceur et de l'apaisement, tandis qu'on le mène sous la lumière de la table d'opération, ne nous laissent aucun doute là-dessus : « Je vais de mieux en mieux... la lumière, c'est mer­veilleux... Ils ont détraqué la musique de l'orgue... parce que le musicien s'est endormi... » Il a vécu ; il a aimé ; il n'y a plus rien... Tout à l'heure, au large de l'île de Ré, il se baignait autour du bateau où sa femme, son fils et son meilleur ami amorçaient une manœuvre qui devait le laisser définitivement à l'écart de leur petit groupe joyeux et vivant. Maintenant il coule, seul, indiffé­rent à tout, et le bateau s'éloigne, avec sa musique de va­cances jouée pour d'autres que lui. Mais lui ne semble pas le regretter et coule, heureux que la musique ait laissé la place au silence. Le film prend fin pour lui sur cette image. 189:145 Lelouch dirait avec sa grande logique : ce fut la der­nière « chose » de sa vie... \*\*\* D'où vient-elle l'étonnante fortune populaire du mot *chose ?* Les événements d'une vie, les pensées d'un homme, l'acte extraordinaire ou le fait quotidien, l'obscur ou l'évi­dent, autant de « choses » auxquelles le mot va comme un gant, pour peu qu'on ne cherche pas à les exprimer avec plus de précision : ce sont les « choses de la vie », autant dire une infinité de possibles, autant dire rien. Comprenant toutes les déterminations qu'on voudra, le mot n'en désigne aucune particulièrement. La *chose* remplace ici commo­dément ce à quoi on n'a pas pu attribuer un sens quelcon­que, ou dont on ne tient pas à chercher le sens ; c'est l' « in­forme », qui devrait nous laisser indifférent. Car seul compte pour l'homme le sens des choses, significations sur lesquelles il a prise, vérités avec lesquelles il doit compter. « Le non-être n'est pas », aimait à répéter Parménide, sur le ton mystérieux d'une révélation divine. Vivre l'instant en tant qu'instant, le devenir en tant que devenir -- « vivre pour vivre » -- équivaut à refuser toute signification et toute permanence de l'être, à se priver d'être. Mais d'où vient alors qu'il y ait encore tant de « choses » dans notre vie, dont nous apprécions qu'elles ne soient que cela, dont nous ne voulons et ne savons plus comprendre le sens ? Choses ni pensées, ni ordonnées, ni comprises, à peine prononcées ; choses qui nous mènent en réalité, et dont nous refusons de connaître le nom parce que nous préférons ignorer l'existence de la maladie qui nous ronge : *l'inconsistance,* le manque de poids et de sérieux qui fait de notre vie cette suite de « choses » un peu lointaines, et fumeuses bien souvent. Voilà l'humeur maligne, le fond de toutes les maladies de notre siècle : nous sommes vides de tout et d'abord de nous-mêmes ; nous méritons tous les jours ces terribles paroles que Saint-Exupéry mettait dans la bouche du vieux Seigneur de « Citadelle » : « Ceux que je hais, c'est d'abord ceux qui ne sont point (...) Et moi j'honore d'abord ce qui dans l'homme résiste au feu ». 190:145 En vérité, dès qu'il s'agit de l'homme et non plus des divers éléments de l'univers physique, c'est alors que le non-être ne saurait nous laisser indifférent. (Sartre a raison : l'homme est cet être « vis-à-vis de qui aucun être ne peut garder l'impartialité » ; il a raison sur ce point là au moins, s'il a tort sur tous les autres.) L'homme qui n'est pas -- c'est-à-dire qui ne veut pas être, car il a l'être évidemment -- nous angoisse. Et la colère de Saint-Exupéry est belle, quand elle fait dire au roi qu'il ne devrait pas être permis d'exister si peu à celui qui a tant reçu en partage, en possi­bilité de noblesse (et de rachat), à celui-là seul qui peut toujours plus pour son salut : l'homme, quand il n'a pas peur de sa propre élection, inscrite en lui par son Créateur, et quand il ne refuse pas de s'élever. « Mon père était du sang des aigles », pouvait dire le fils de ce grand roi, qui par bien des côtés eût mérité d'être chrétien. Restons encore un instant avec Saint-Exupéry. Les « au­tres », qui le cachent maintenant, l'ont assez exploité en tous sens pour que nous lui rendions un peu la place qui pourrait être la sienne dans la littérature contemporaine. « Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, écrivait-il dans *Terre des hommes,* alors seule­ment nous serons heureux ; car ce qui donne un sens à la vie, donne un sens à la mort. » La mort aussi peut n'être qu'une « chose » parmi d'au­tres, quand la vie a été placée sous ce signe ; alors seulement elle ne représente rien. Et c'est bien le pire de tous nos péchés, celui qui nous ferme à l'Espérance. Telle est pour nous la principale leçon à tirer du film de Claude Sautet : « *Les choses de la vie *»*,* que nous aime­rions pouvoir rebaptiser : *vie et mort d'un héros moderne ;* car cette œuvre a au moins le mérite de nous faire réfléchir sur le revers d'un certain style de vie, et qui est l'atroce mort de celui qui meurt sans rien avoir compris. La mort de Pierre ne pouvait pas avoir d'autre sens que celui de l'absurde et de la vacuité, quand sa vie elle-même se trouvait diluée dans le refus successif de tout sens, à commencer par *le* refus de sa propre dimension spirituelle, raison profonde de tous les autres. 191:145 Il faudrait trouver d'autres mots, plus simples, écrire d'autres contes moraux (mais authentiquement moraux cette fois-ci), afin d'expliquer tout cela à la petite fille de tout à l'heure. Si éloigné qu'il se sente de l'emprise de la mort, un enfant peut et doit comprendre cela ; il dépend de nous en tous cas qu'il le comprenne, et n'admire pas n'importe qui à cause de notre propre incapacité de fournir d'autres objets à son admiration. Il y a tellement de belles choses à leur montrer... Mais en sommes-nous encore capables ? Hugues Kéraly. ##### Notule. Au dernier film politique de Costa-Gavras, « *L'aveu *», on ne saurait appliquer le jugement que nous portions tout à l'heure sur le premier. « *L'Aveu *» n'est pas un film d'acteurs, et sa seule in­terprétation suffirait déjà à le rendre moins suspect à nos yeux que « Z » : Montand, l'acteur principal, ne se contente pas cette fois-ci de jouer son personnage habituel, et met au contraire tout son talent au service de la narration stricte d'un fait, ou plutôt d'un livre sur la réalité politico-policière du système juri­dique d'un pays de l'Europe de l'Est. L'horrible et radicale inhu­manité de ce qui se passe dans ces prisons, fort bien rendue du début à la fin du film, nous empêche de penser un seul instant que l'auteur de ce livre ait pu imaginer lui-même de semblables traitements. En mauvais communiste (mauvais objectivement), celui-ci dit toute la vérité sur cette « purge » dont il reste le seul rescapé, et cette vérité ne peut que se retourner contre le système tout entier. Fort naïvement, il prend soin de déclarer à la fin de l'histoire qu'il demeure authentiquement et sincèrement com­muniste. Mais cette mise en garde vient trop tard : la sincérité et l'authenticité n'est pas ce qui intéresse le Parti ; tout le film le démontre suffisamment. Pour ce film-là, Costa-Gavras risque de se faire tirer les oreil­les par *L'Humanité* pendant encore un bon bout de temps... Mais il ne s'en plaindra sans doute pas : après tout, ce n'est pas la plus mauvaise des publicités qu'on pouvait souhaiter pour son film. H. K. 192:145 ### Quia surrexit dominus vere Remarque liminaire DEPUIS l'année 1968, nous ne tenons plus aucun compte de ce qui s'écrit dans la revue ÉTUDES. Nous l'avons dit ; nous avons dit pourquoi. Quelques lecteurs ont pu croire que nous parlions par hyperbole ; d'autres ont pu l'oublier. Rappelons donc nos raisons : page 323 de notre numéro 126 (septembre-octobre 1968) : « *Dans notre numéro 125, nous affirmions au courant de la plume que la vieille revue* ÉTUDES *des Jésuites de la rue Mon­sieur est devenue l'officine de la plupart des subversions à la mode, intellectuelles et religieuses, sociales et politiques, et qu'à ce point elle est devenue insignifiante, sans aucune importance, ayant perdu toute autorité morale. Nous n'y revenons que pour* PROUVER *cette affirmation*. » La preuve donnée occupe les pages 323 à 333 du même nu­méro. On peut s'y reporter. On pourrait en donner vingt ou cent autres analogues. Nous avions mis en cause *le manque fondamen­tal de loyauté intellectuelle,* quand on est jésuite, de faire ce que fait la revue ÉTUDES. Et notamment : vouloir *à la fois* demeurer jésuite et prendre parti pour la Révolution communiste, c'est une duplicité insupportable. Prétendre *simultanément* continuer à passer pour des religieux catholiques et prendre rang aux côtés des marxistes, c'est plus qu'une tartuferie ; c'est une sorte de forfaiture et un abus de confiance. Leur habit, qu'ils ne portent plus guère, leur fonction, leur sacerdoce, leurs vœux solennels leur font obligation de nous enseigner en quoi et pourquoi le communisme est intrinsèquement pervers. Obligation de nous donner la doctrine catholique. Ils ne le font pas. Ils font le contraire. « En toute loyauté ? » Ce n'est pas soutenable. 193:145 Et voici quelle était notre conclusion : « *Pour l'honneur de la Compagnie de Jésus -- dans l'hypo­thèse où par une sorte de miracle elle renaîtrait de sa désinté­gration actuelle -- nous souhaitons que la revue* ÉTUDES*, telle qu'elle est devenue, tombe rapidement dans le néant, qui est sa vraie place, et dans l'oubli, dont on lui fera la charité. Et que viennent d'autres* « *Pères de la Compagnie *», *des vrais, comme les fondateurs, pour fonder à nouveau une* «* revue mensuelle *» *qui soit digne et loyale.* » \*\*\* Depuis lors nous n'avons plus fatigué nos lecteurs par des recensions et des critiques, qui eussent été fort monotones, des manifestations diverses de l'entreprise de subversion en tout genre qu'est devenue la revue ÉTUDES. Mais voici que deux de nos collaborateurs habituels, l'abbé Raymond Dulac et Louis Salleron, sont tombés, chacun de son côté, sur un article de la revue ÉTUDES portant atteinte au dogme catholique de la Résurrection de Notre-Seigneur. Ils en ont été vivement émus, soit parce qu'ils n'avaient pas attentivement suivi l'évolution des ÉTUDES ces dernières années, soit parce qu'ils conservaient sur elle un jugement plus indulgent que le nôtre. Cet article sur la Résurrection est parfaitement dans la ligne de la plupart des articles parus dans les ÉTUDES, depuis au moins deux ans, sur tous sujets politiques, moraux ou religieux. *Ce n'est nullement un accident*. Nous n'aurions donc publié ni les trois méditations pascales de l'abbé Raymond Dulac, ni le travail étendu de Louis Salleron, s'il ne s'agissait que de la revue ÉTUDES, ou s'il s'agissait d'elle principalement. Elle n'a plus rien (sauf l'apparence trompeuse) qui puisse retenir l'attention d'un catholique. Nous les publions en raison de leur qualité propre ; et en raison de l'opportunité, dans l'actuelle décomposition mentale du catholicisme, de réaffirmer, professer, motiver notre foi catholique en la Résurrection. *Quia surrexit Dominus vere alle­luia !* J. M. 194:145 ### Trois méditations pascales par l'Abbé Raymond Dulac IL Y AVAIT une façon de contredire un dogme, commune, habituelle et qu'on pourrait appeler, elle aussi, *tradi­tionnelle.* Elle consistait soit à nier ce que le dogme af­firme, soit à affirmer ce qu'il nie. Le siècle de l'atome désintégré en a inventé une autre, qui paraît bien mieux réussir. Elle consiste à conserver les termes ou les formules dogmatiques, mais en leur donnant *un autre* sens. Ni vu, ni connu, du moins pour ceux qui pensent avec des mots, et l'on sait qu'ils sont nombreux aujourd'hui, hors de l'Église et au dedans. Et puis, il y a, pour masquer le leurre, la renommée des savants qui le fabriquent : comment ne ferait-on pas con­fiance à des professeurs qui savent si bien l'hébreu, à des rabbins rompus aux secrets des « genres littéraires », des *midrash,* et de l' « anthropologie » sémitique ? On continuera donc à réciter le *Credo,* tous les articles du *Credo *: on parlera toujours de « présence réelle », de « naissance virginale », de « révélation », de « résurrec­tion », mais on aura changé le *poids du métal.* Ce dogme dévalué et, quelquefois, volatilisé peut, d'ail­leurs, suffire à une religion qui serait réduite à une morale ou à une sociologie. Mais telle n'est point la religion catho­lique : pour elle l'homme est sanctifié non seulement par ce qu'il fait, mais aussi par ce qu'il pense. 195:145 Déjà pour cette raison que la pensée éclaire l'action, mais plus encore parce que la connaissance du vrai produit une assimilation de l'âme aux choses qui est déjà une fin en soi, quelle que soit, pour le chrétien, l'obligation de prolonger en amour et en bonnes œuvres, la pure conception du verbe intérieur. \*\*\* Ces réflexions nous viennent après la lecture d'un article du P. Xavier Léon-Dufour paru sous le titre : « Présence de Jésus ressuscité. » ([^99]) Il ne serait pas facile de résumer ces pages, toutes en méandres et repentirs : deux pas en avant, un en arrière. On croit comprendre que cet exégète veut être « pastoral ». Très bien, mais nous le mettons seulement au défi de *se faire comprendre,* de quelque auditoire que ce soit. Ne parlons pas d'édifier ! Or c'est là tout son but : rendre la résurrection de Jésus *acceptable* en la rendant *intelligible,* et, pour la rendre in­telligible, l'exprimer en des termes qui ne cherchent à re­présenter le *réel* que selon *la conception* que s'en fait le su­jet : l'homme de ce vingtième siècle finissant. Avons-nous bien compris ? Qui viendra à notre aide ? -- Voici quelques citations du P. Dufour : « Nous sommes tellement habitués à formuler la foi pascale avec les catégories de « *résurrection *», que nous sommes surpris au premier abord si l'on nous déclare que ce langage *n'est pas le seul possible.* La question ne concerne plus immédiatement la *réalité* du fait, mais le *langage* dans lequel celle-ci est transmise ». (p. 596.) « Dans la mesure où, de façon incoercible, l'esprit de mon interlocuteur assimile purement et simplement résur­rection et *réanimation* du cadavre, *je devrais éviter* de lui imposer d'emblée un langage *inintelligible* pour lui. Il sera préférable de partir de l'expression : « Jésus, qui mourut, *est aujourd'hui vivant *» *;* mais il faudra aussi parachever l'intelligence de mon auditeur en précisant que Jésus est vivant à jamais. » (p. 601.) 196:145 Ceci encore : « La foi ne procure pas de certitude *historique,* mais elle peut donner la certitude que tel fait est *réel.* Fidèles à ce vocabulaire, nous dirons donc que la Résurrection, en tant que réveil de la mort... *n'est pas* un événement histo­rique, quoiqu'elle soit *perçue* par le croyant comme un évé­nement réel. » (p. 612.) On le voit : rien, du fait de la résurrection de Jésus ne *paraît* nié. Mais qu'en reste-t-il qui soit vraiment *affirmé ? --* Affirmé du côté de *la chose ?* Car c'est cela qui nous im­porte pour notre salut. On dit quelquefois : « c'est la foi qui sauve ». Oui, mais c'est d'abord la réalité de *la chose* à laquelle adhère cette foi. La distinction des *deux* sens du terme « historique » ([^100]) est un sophisme, qui touche au jeu de mots. La distinction ne vaudrait d'ailleurs que pour les croyants qui n'ont connu le fait que par *les témoignages.* Mais les Apôtres ? Comment saint Pierre, comment saint Thomas ont-ils *perçu* la réalité du Crucifié redevenu vivant le troisième jour ? -- Ou les récits évangéliques sont men­songers, ou ces hommes ont perçu *d'abord* le *Ressuscité* au­trement que par une foi. Nous disons bien : *le Ressuscité. --* La « résurrection » dit autre chose : la *nature* de la chose, son *comment,* lequel peut créer des objections à la raison, mais absolument pas à la vue, à l'ouïe, au toucher ! Il n'y a pas d'objections pour la connaissance *sensible.* Pour celle-ci, c'est tout ou rien : ou l'on voit ou l'on rêve. La Pastorale 1970 du P. Dufour veut paraître jeune. Elle est vieille. Elle était déjà vieille en 1900. Saint Pie X l'a déjà nommée en 1907, quand il condamnait le Moder­nisme. 197:145 Cette distinction entre la « science historique » et « la foi » n'est pas autre chose qu'un succédané de l'agnos­ticisme kantien : du *veleno kantiano,* comme disait un autre, *tout autre,* jésuite : le Père Mattinssi. ... Encore un aggiornamento qu'il faudra remettre à jour ! #### Piscis assi et favum mellis Il n'a jamais eu tant faim, que depuis qu'Il est entré dans la gloire. Quand il avait une chair mortelle, Il disait « Ma nourriture, c'est de faire la volonté de Mon Père. » Mais maintenant, comme David échappé à la meute de Saul, Il a faim et soif, d'une faim et soif d'homme voyageur : à Emmaüs ; au Cénacle, le soir de sa Pâques ; sur la grève au lac de Tibériade ; encore au Cénacle ; plus tard, avant Son Ascension... -- « Avez-vous quelque chose à manger ? -- « Enfants, avez-vous quelque chose pour prendre avec mon pain (*prosphagion*) ? » Pierre, c'est le Seigneur ! Il a faim ! Comme avant ! Et Il n'a rien ! Ah ! le Christ ne dira pas ce que David fait dire au Père : « J'ai eu faim, et vous ne M'avez pas donné à manger ! » Je vois Pierre qui cherche dans la masse grouillante, la plus brillante espèce, la plus fine. Quand le *père* demande un poisson est-ce que le *fils* lui donnera un serpent ? Mais voici que le pêcheur hésite : s'il allait se tromper, comme jadis en Samarie, au puits de Jacob, quand ils Lui offraient du pain et qu'Il demandait des âmes ?... Et pourquoi dit-Il : « apportez de votre poisson, de celui que vous avez pris » ? -- Le sien, sur les charbons, ne suffit donc pas ? Ses mains ressuscitées seraient-elles moins fortes qu'au jour où, dans le désert, Il emplissait, de rien, les douze corbeilles ? 198:145 Mais non : c'est de leur pêche qu'Il veut. C'est de mon poisson laborieux que Jésus a faim. Le sien, c'est au néant qu'Il est allé le pêcher, mais avant de remonter à Son Père, Il veut encore goûter aux poissons de Tibériade. Ah ! cette eau, ce sel, cette chair amèrement douce qui ont nourri Son corps trente et trois années ! Du poisson, une dernière fois du poisson de Son pays ! Puis ; on dirait qu'Il veut s'assurer, Lui aussi, de Sa résurrection, se prouver qu'Il les aime du même cœur qu'Il les aimait avant ; et, quand Il a essayé sur eux ses yeux d'éternité, quand Il sait qu'Il ne les voit pas trop menus avec ses pupilles de gloire, Il se donne faim et Il goûte de nouveau aux nourritures mortelles. Il leur dit : « Venez et mangez. Et aucun des disciples n'osait lui demander : Qui es-tu, sachant que c'était le Seigneur ». Cette fois, la vérité est entrée, par tous les pores, dans leur âme : après la vue et le toucher, après l'oreille de Madeleine, voici le goût, l'haleine et le parfum. Après «* palpate et videte *», c'est «* gustate *» : goûtez comme le Seigneur est doux. Et *la Sagesse qui sort de la bouche du Très-Haut* leur tend le pain qu'Elle a mordu, les restes que Ses lèvres ont touchées : *sumens reliquias dedit eis*. L'œil et le doigt de Thomas laissaient son Dieu extérieur, distinct et distant, et Madeleine ne Le saisissait que dans un souffle qui passe. Maintenant Il leur donne cette connaissance par le dedans, cette expérience fondante des choses divines, qui n'est plus un savoir mais une saveur. Il ne dira plus à Pierre : «* Vade post me, Satana, quia non sapis quæ Dei sunt *» *:* Simon a désormais le goût de Dieu, ils se con­naissent à fond, ils ont échangé leurs poissons et leurs salives. *Petre, surge !* Pierre lève-toi, Lève-toi, pêcheur ! Va saler toutes les nations ! Corneille t'attend à Joppé ! Ce que Dieu a purifié, toi ne l'appelles plus profane ! Reçue, à tes lèvres closes, la dernière onction de ton apostolat, va porter dans tous les déserts de ce monde, cette manne cachée qui con­tient en elle tous les goûts et toutes les délices. 199:145 Ce repas a scellé et authentifié leur mission. Quand il convertira son premier païen, « Dieu, dira saint Pierre, n'a pas permis que Son Fils ressuscité se montrât à tout le peuple, mais aux témoins choisis d'avance par Dieu, à nous : à nous qui avons mangé et bu avec Lui, après qu'Il fût ressuscité : *nobis qui manducavimus et bibimus cum Illo, postquam resurrexit *». Mais ce matin, Simon Pierre ne pense pas si loin : il est trop heureux de voir son Seigneur devant lui, de voir qu'Il a faim, et qu'Il mange et que c'est lui qui L'a nourri. Oh ! qu'il est bon d'être là ! Quand Il semblait un homme, il était bon, au Thabor, de découvrir qu'Il était Dieu ; mais maintenant qu'Il est tout divin, il est meilleur de savoir qu'Il reste un homme, avec nos goûts et notre faim. Il leur parle, tout en mangeant : *convescens præcepit...* Il se hâte, Il va bientôt quitter, et pour toujours, cette Égypte et le Pharaon, Il doit partir *évangéliser d'autres villes :* les Anges l'attendent, là-Haut. Cette fois c'est pour de bon le dernier repas : Il ne boira plus du fruit de la vigne, avant de le boire, nouveau, avec eux, dans le royaume de Son Père. En attendant Son retour, nous vivrons de ses miettes : *nam et catelli edunt de micis, quæ cadunt de mensa divitis* *...Piscis assi et favum mellis *: du poisson grillé et un rayon de miel. -- Le poisson : Sa chair passée au feu cruel de la Croix. Le miel : la douceur de sa vie pascale. Double manne des voyageurs, dont ils devront remplir, tous les matins de leur pèlerinage terrestre, la mesure exacte d'un gomor. Je ne veux plus des viandes d'Égypte ! Je porte en moi la faim de mon Seigneur. Je veux vivre désormais des restes d'un Dieu. #### ... Quoniam advesperascit Ces deux hommes, sans histoire, sans visage, qui appa­raissent soudain dans l'ombre et qui disparaissent dans la lumière, les deux pèlerins désespérés qui descendent en même temps que le soleil à l'horizon et qui, bientôt, au signe du Christ ressuscité et reconnu, remontent au jour et à l'espérance, n'est-ce pas toi, n'est-ce pas moi ? 200:145 Ces voyageurs, je les connais bien : c'est ma raison et mon amour, c'est ma jeunesse qui déclinent ! Ah ! les Vêpres de la vie humaine, quand déjà l'homme descend, cette odeur de cierges éteints dans l'église devenue noire et privée d'orgues. Cléophas et l'autre, qui n'a pas de nom... Ils ne courent pas, comme Pierre et Jean, ce matin ; ils vont, à pas lents, courbés, lourds. Ils tournent le dos à Jéru­salem, la ville de la paix, ils retournent en Occident, c'est-à-dire à leur désespoir, à leurs doutes. *Sperabamus...* Ah ! si nous n'avions jamais espéré, nous ne désespérerions pas aujourd'hui ! -- Mais impossible d'arracher à leur cœur cette promesse de conquête et de gloire, que ce Jésus de Nazareth a figée en eux comme une flèche. Ils l'aiment cette blessure qui appelle un baume meil­leur qu'une chair intacte. *Tertia die est*... C'est peu, mais c'est bien trop ! Trois jours qu'il ne parle plus, qu'il ne répond plus à leurs ques­tions. Trois jours que le soleil ne s'est plus levé, et mainte­nant les ténèbres sont devenues audacieuses et autoritaires elles parlent, à la place du prophète, elles s'approchent de l'oreille des deux hommes : « Pourquoi êtes-vous tristes ? » Il a été fort votre Sau­veur ! Elle était belle Sa promesse ! Longtemps elle a poussé et fait marcher les hommes. Allez, cela suffit à votre bonheur et à Sa gloire ! Que voulez-vous de plus ? Regarde, fils d'Adam, à tes pieds ; mesure tes joies, ne va pas courir après des choses qui ne finissent pas ; n'embrasse que le possible ! Ce que tu appelais, au catéchisme, sa résurrection, c'est le corps vaporeux de ton souvenir et de tes rêves. -- « Il est ressuscité », cela signifie : il a vécu, après sa mort, dans l'amour et la mémoire des Madeleine. Comprends bien : c'est votre espérance qui a créé sa résurrection : il ne pouvait pas mourir tout à fait, celui que tant de femmes ont embaumé de tant de myrrhe... Tu t'irrites ? Eh ! bien, dis-moi, pourquoi, après deux mille ans, le Fils de Dieu continue d'être cloué à la croix par ses ennemis, et renié par ses disciples ? -- Compte ! Combien sont-ils à communier à sa messe ? 201:145 Alors, quand la nuit est devenue si épaisse qu'on la touche, Jésus, qui marchait derrière, les rejoint. Ils ne reconnaissent point celui qu'ils n'attendent plus. Mais Il leur parle de ce qu'ils aiment encore et, une à une, sous la cendre, au fond de leur cœur, les prophéties se sont rallu­mées. Ils sont pris, une fois de plus, au piège des belles fables de Moise, que leur mère jadis, quand ils pleuraient, leur contait, pour les endormir. Ils revoient le Père Abraham sortant de Chaldée, les pro­messes de Dieu d'abord jurées puis contredites : Isaac, sacrifié et conservé ; Israël luttant dans les ténèbres et enfin victorieux de l'Ange, au petit jour ; Joseph d'abord prison­nier, ensuite roi ; l'esclavage, puis la Pâques ; la longue er­reur dans le désert et, à la fin, l'entrée au pays des Amorrhéens. Leur cœur s'émeut, comme jamais, au souvenir des saintes images des vieux pères qui acceptaient de vivre et mourir pèlerins, pour un espoir qu'ils saluaient toujours de loin. Et voici, à la fin, éclipsant toutes les autres figures, ce lépreux sans visage, l'Homme-aux-douleurs du livre d'Isaïe, que leurs rabbins n'osaient jamais leur dévoiler. Le voilà le Christ, comme Yahweh l'a voulu, l'agneau chargé du péché des hommes et qui reçoit, pour son âme livrée, une descendance interminable... L'étranger maintenant s'est tu, mais Sa parole vole et bourdonne de leur cœur à leur raison, puis, doucement, leur âme se vide ; bientôt ils ne retiennent plus que les sons de la chère voix et le bruit, sur le chemin, de leurs pas, accordés au pas de l'inconnu. Où va-t-il ? -- Comme Il se presse ! -- Emmaüs, déjà ! -- Ils sont arrivés ? -- L'étranger ne s'arrête point ? -- Une fois de plus, leur joie va s'éloigner et la prophétie continuer sa route ?... « Reste avec nous, car la nuit vient et, déjà, le jour tombe... » Il s'arrête. Il perce ces yeux naïfs et désolés qui se tournent à gauche, vers la cabane, avant le village, entre les vignes et l'olivier. 202:145 Alors Il entre avec eux. Tous les pauvres objets de leur vie paysanne sont là, intacts depuis quatre grands-pères : les outils, la besace au mur, l'âtre garni de sarments éteints, le banc, la table crevassée et luisante, où tant de fois, en­fants, la tête sur le coude, ils rêvaient aux gerbes innom­brables du dernier fils de Jacob, devenu une sorte de roi, en terre d'Égypte. Toutes ces choses, toujours les mêmes, leur cher héri­tage, cette vie depuis des siècles asservie au travail, aux sai­sons ; et, au plus profond de leur sang juif, ces révoltes sans cesse soulevées et sans cesse calmées par une espé­rance surhumaine... Cléophas a allumé la lampe. Je ne vois plus la figure des objets, mais cette flamme qui halète à petits coups et qui, à chaque souffle, agrandit immensément, sur le mur, les humbles choses quotidiennes. Une à une les apparences terrestres se sont évanouies : il n'y a plus que des ombres et, bientôt, que des signes. L'Étranger est toujours là, devant eux, à table. On ne perçoit plus son visage, ni son corps, mais seulement des Mains, Ses Mains, Ses mains saintes du jeudi Saint, Ses mains vénérables, qui prennent le pain, qui le Bénissent, qui le rompent... -- « C'était Lui ! » Déjà, Il n'est plus là. Ils retournent à Jérusalem. Ils refont toute leur vie en sens inverse. Ils remontent leur passé. La nuit, la nuit totale est venue, mais elle est pleine d'étoiles. #### Palpate et videte Ils disent : c'est leur espérance qui a forgé son idole, c'est leur foi qui a créé son objet, c'est leur attente qui a fait ressusciter Jésus. Demandez-leur : Et cette espérance, qui est-ce qui l'a fait ressusciter ? -- Car elle était bien morte, elle aussi, crucifiée, enfouie sous la terre, avec une grosse pierre sur le cœur, et des gardes. 203:145 A la vérité il est apparu à ceux qui ne l'attendaient pas comme un voleur, à des dormeurs qui avaient éteint leur lampe et qui n'avaient plus d'huile. Aussi leur premier mouvement est d'avoir peur. De quoi ? -- Que ce ne soit pas Lui, que ce soit un fantôme. C'est donc qu'ils savent les distinguer et que la seule image de ce qu'ils aimaient ne les pourrait satisfaire. Ils seront satisfaits quand ils pourront dire : « Ce qui était au commencement, le Verbe de Vie, nous l'avons en­tendu ; nous l'avons vu, avec nos yeux, nous l'avons exa­miné, scruté, dévisagé ; et avec nos mains nous l'avons serré et palpé. » Ce n'est point par l'effet d'un engagement gratuit et aveugle que ces pêcheurs ont quitté leurs filets et leur père, ni par l'œuvre d'une foi qui ne se soutiendrait que par l'élan de sa ferveur : comme leurs prophètes, comme toutes les saintes âmes avant eux et après, comme les Anges qui, nous dit saint Pierre, brûlent du désir de voir Celui qui doit venir, c'est la Face de Dieu qu'ils cherchent, c'est à une connaissance que, de toute sa force, leur religion aspire. Moïse a demandé son nom à Dieu, et Bernadette à la Vierge. Le premier mot du Prophète et de la bergère, devant l'apparition : « Qui es-tu ? Comment t'appelles-tu ? » Et saint Paul terrassé à Damas, à peine relevé, inter­roge : «* Quis es, Domine ? *» *:* Qui êtes-vous, Seigneur ? Après, seulement : «* Quid vis ut faciam ? *» *:* Que voulez-vous que je fasse ? La conviction avant l'action, pour éclai­rer l'action, et déjà pour la pure perfection de connaître. Il pensait à cette heure le grand Apôtre, quand il dira plus tard : « Je Le poursuis pour tenter de Le saisir, comme j'ai été moi-même saisi par Lui, le Christ-Jésus. » Une prise, une capture, une appropriation, avant même la constatation et l'assurance. -- Je t'ai sauvé avant que tu ne l'aies su, et si j'ai voulu que tu en sois certain, c'est que j'ai voulu, avant, que cela soit vrai. Voilà le fond : « Si le Christ n'est pas vraiment ressuscité, votre foi est vaine. » Ce qui signifie : tous les mérites de votre foi, sa ferveur, sa fermeté, sa promptitude ne sont rien, votre foi est un vase vide, si le Crucifié du Vendredi n'est pas sorti, vivant, du tombeau, le troisième jour. 204:145 Car vous n'êtes pas rachetés par un idéal, vous êtes rachetés par du sang et la vérité d'une promesse. Si votre foi n'est pas vraie, elle ne vous fait sortir de vous, que pour vous faire retomber sur vous-même. \*\*\* Alors Il s'offre à leur cinq sens, Il les oint un par un. Il les ouvre de nouveau, comme au Paradis : « *Voyez mes mains, voyez mes pieds. C'est bien moi. Touchez, voyez : un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'ai. *» *Palpate, videte...* Quel changement depuis le temps où Oza fut tué pour avoir, par mégarde, touché à l'Arche ! L'approche même de la montagne où Dieu parlait était alors mortelle, et les Juifs devaient se tenir loin de ce Dieu loin. Ils sont *devenus près,* comme dit saint Paul, le jour où Il a pris une chair. Alors « toute la foule cherchait à Le tou­cher ». Mais Il ne le permet pas à tous : pour saisir la seule frange de son manteau, on Le prie, on Le supplie : *roga­bant, deprecabantur.* On ne touche pas le Verbe de Dieu au hasard, par surprise ou sans qu'Il le veuille ; on ne Le touche que par grâce. Quand cette femme, un jour, essaye, par derrière, Il demande : « Qui m'a touché ? », car Il a senti qu' « une force est sortie » de Lui. Mais depuis qu'Il est entré dans sa vie immortelle, Il fait plus que permettre, Il ordonne. Il ne se laisse pas tou­cher, Il se fait toucher : Il vient au devant de leurs mains tendues, Il ouvre le manteau, Il se donne : «* Palpate et videte *» *--* Cela rappelle : «* Accipite et comedite. *» Pourquoi hésiterai-je, pourquoi aurai-je honte de pren­dre Dieu comme un objet, puisque son amour m'y invite D'où vient cette délicatesse à quelques-uns et, sous le mas­que mystique, un dédain de la raison et de l'humble théolo­gie, qui ressemble au docétisme de ceux que nos vieux Pères grecs appelaient des *Fantaisistes *? S'ils demandent : « Comment Dieu peut-Il être objet de connaissance ? », oublient-ils ceux qui demandaient : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » 205:145 C'est de son gré que le Verbe de Dieu gît devant moi et arrête mon œil. Il a par amour et pour notre faiblesse, une gauche, une droite et une ombre. Il a des os qu'on peut compter. David le compare à un vase jeté qu'on pousse du pied, et Lui-même s'est appelé une pierre : une pierre où les uns se brisent, sur laquelle les autres fondent. Voilà ce Dieu solide et maniable que Thomas a fouillé, avant de l'adorer, et que les doigts de Madeleine voulaient fixer en terre pour y ancrer son cœur. Il condescend à cette faiblesse d'être une chose qu'on nomme et qu'on touche : parce qu'Il ne veut pas d'amour qui ne procéderait d'une assurance. De la plus humble même, s'il faut commencer par là : il ouvre alors les petites fenêtres obliques qui ne laissent entrer qu'un faible jour dans le Temple de Salomon : *manus, pedes, ossa, latus.* Une autre fois, Il se forcera à manger et celle qui se trompe à la vue le reconnaîtra à un certain accent de sa langue. Il apprivoise ainsi leur chair peureuse, l'aigle habitue ses petits à regarder en face le soleil. Un jour viendra où saint Paul pourra dire : « Si j'ai connu, un jour, le Christ selon la chair, plus maintenant », et où Ses fils pourront, comme Son prophète, *le désirer dans la nuit,* quand la gloire du jour temporel descend, et que les paroles éternelles s'allument, les unes après les autres, au ciel de l'âme. A ceux-là il dira : « Il vous est bon que je m'en aille. » Mais, avant de les faire entrer dans la nuit lumineuse, la Parole incarnée accepte et commande que *le juste médite la sagesse avec sa bouche et sa langue et ses doigts.* Les vrais fils ne s'y trompent pas : ce n'est pas à des syllabes et des articles qu'ils prétendent s'unir, c'est à une Personne vivante et vraie (*Deo vivo et vero,* comme dit, deux fois, la liturgie de la Messe). Cependant comme la Parole s'est faite chair, il faudra que la chair se fasse parole, et la parole dogme : c'est sa deuxième incarnation. Comme vous aurez toujours des pauvres parmi vous, vous aurez toujours, aussi, des théologiens et même une sco­lastique. Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? En répandant ce parfum sur les pieds de Jésus, elle l'a fait en vue de Sa sépulture. 206:145 Car il devra mourir plusieurs fois et revivre, pour faire d'eux tous, un par un, des « fils de résurrection ». Mais toutes ces pâques renouvelées qui ne vont plus cesser de soulever la race des hommes, ne seront plus que l'écho répercuté de la nouvelle que ces premiers témoins se redisaient, avec une assurance plus grande encore que leur joie : « Nous avons vu le Seigneur. » Vous dites que c'est notre espérance qui est ressuscitée ? eh ! bien, oui ! Mais nous l'avons vue cette espérance ! C'est une espérance qui respire, c'est une espérance qui marche, qui parle, une espérance avec des yeux, avec des mains et des cicatrices sur des mains. Nous l'avons vue cette espé­rance ; nous l'avons touchée ; nous lui avons donné du poisson et du miel. Abbé Raymond Dulac. 207:145 ### La Résurrection, événement historique par Louis Salleron DANS *Études* d'avril 1970, le P. Xavier Léon-Dufour explique pourquoi, à ses yeux, la Résurrection du Christ n'est pas « un événement historique ». En quoi il s'oppose au Cardinal Daniélou qui emploie cette expression dans son livre sur « la Résurrection » (1969, p. 66). Pour le P. Xavier Léon-Dufour, dans le « domaine qui est connaissable par la foi », un fait « peut être qualifié de *réel,* par opposition à fictif ou imaginaire », sans être pour autant *historique.* Selon lui, il faut « réserver l'épithète *historique* pour qualifier ce qui est connaissable par la science ». Cette thèse ne nous paraît pas seulement fausse en elle-même, mais à travers la démonstration qu'en tente le P. Léon-Dufour. Certes on peut (jusqu'à un certain point) définir les mots comme on veut et en tirer, par conséquence, des conclu­sions autrement contestables. Encore faut-il que les défini­tions soient certaines et que les raisonnements qu'on bâtit à partir d'elles soient corrects. Tel ne me paraît pas être le cas de l'entreprise du P. Léon-Dufour. Parlant du « bon usage du mot *historique *» il écrit : « A lire en effet les productions françaises récentes sur le sujet, on peut être surpris devant la diversité des affirma­tions qui s'y trouvent. Ainsi, l'année dernière, à un mois d'intervalle, deux auteurs de renom écrivaient respective­ment : la résurrection du Christ est « un événement histo­rique » (Daniélou), et « ce serait un contresens total que de considérer la résurrection de Jésus comme un événement historique, au sens que l'on donne à ce terme quand on l'applique à sa vie terrestre et à sa mort ». (P. Grelot). 208:145 Pour le premier, le terme équivaut à « réel », selon la définition que me proposait un correspondant : « Est historique un événement qui s'est réellement passé à une date déterminée de l'histoire. » Pour l'autre le terme « historique » qualifie un événement qui, non seulement s'est réellement passé à une date déterminée et en un certain lieu, mais est de soi connaissable par la science historique : ainsi la bataille de Waterloo ou l'existence de Jésus de Nazareth. Étant donné l'importance grandissante de la science historique, nous nous permettons de formuler un vœu : réserver l'épithète *historique* pour qualifier ce qui est connaissable par la science » (p. 611). On pourrait s'arrêter là. Si un événement « qui s'est réellement passé à une date déterminée de l'histoire » n'est pas historique, si un événement « qui s'est réellement passé à une date déterminée et en un certain lieu » n'est pas histo­rique, on se demande quel événement peut être historique. (On pourrait, à la vérité, considérer que, pour être histo­rique, un événement doit, non seulement s'être réellement passé à une certaine date et en un certain lieu, mais qu'il doit encore avoir une certaine importance, une certaine signification. Mais ce n'est pas le débat que soulève le P. Léon-Dufour. Aussi bien nul ne met en doute l'importance et la signification de la Résurrection.) Non, la « contestation » du P. Léon-Dufour porte sur le caractère scientifique de la connaissance. Est historique, pour lui, un événement « connaissable par la science » (ou par la « science historique »). Alors *qu'est-ce que la science ?* qu'est-ce que la *science historique ?* On eût aimé que le P. Léon-Dufour nous donnât là-dessus quelques explications. Peut-être s'est-il expliqué ailleurs, dans des ouvrages qu'il suppose connus du lecteur. Peut-être estime-t-il que le mot « science » est suffisam­ment explicite pour qu'il n'ait pas besoin d'être expliqué lui-même. Pourtant, s'il faut expliquer « historique », on peut penser que « science » a également besoin d'explica­tion. Et « science historique » fait peut-être encore supplé­mentairement problème. C'est laisser penser qu'il y a diverses sciences -- mathématique, physique, historique, etc. 209:145 On doit alors expliquer en quoi ces sciences sont diverses et ce qui fait leur unité -- laquelle serait la science elle-même. C'est-à-dire *quoi ?* Essayons, à travers un certain nombre de phrases de l'article du P. Léon-Dufour, de saisir sa pensée exacte. (C'est nous qui soulignons.) « ...l'acte par lequel Dieu a ressuscité Jésus n'est pas l'objet d'une connaissance historique, ce n'est pas *un fait public, constatable par tous. En ce sens,* la Résurrection de Jésus n'est pas un événement historique. » (p. 595) « En dépit de quelques voix discordantes, les critiques s'entendent à reconnaître la *valeur historique de la tradition sur la visite au tombeau... *» (p. 603) « Pouvons-nous affirmer davantage et déclarer, non pas, certes, que le cadavre de Jésus a été assumé par le Christ ressuscité (c'est là une *conséquence* qui, déduite de la foi en la Résurrection, *ne peut s'imposer à l'incroyant*)*,* mais que le tombeau de Jésus a été trouvé vide par les saintes femmes ? De fait, le *récit* de la découverte du tombeau vide, *qui n'appartient pas au genre historique,* a été relié tardive­ment *au récit historique de l'ensevelissement,* si bien qu'il n'offre pas les mêmes *garanties historiques* que ce dernier. » (pp. 604-605) « (Les récits de la Résurrection) ne sont pas des *récits de type historique* (comme le *récit de l'ensevelissement,* par exemple), mais des *récits théologiques* qui veulent montrer etc. » (p. 608) Nous citons ces quelques phrases, parmi beaucoup d'autres analogues. Elles sont suffisamment caractéris­tiques pour faire comprendre que par « événement histo­rique » -- c'est-à-dire susceptible d'une « connaissance historique », selon les canons de la « science historique » -- il faut entendre (pour le P. Léon-Dufour) un événement 1) suffisamment attesté pour qu'il ne puisse être mis en doute par des examinateurs loyaux et intelligents, 2) *d'une nature telle qu'il soit en lui-même recevable à la raison.* C'est évidemment le second point qui constitue le pro­blème. Car voyons de près comment se présente la difficul­té « historique » de la Résurrection. Il y a d'abord le fait qu'elle n'a pas été *vue,* qu'elle n'a pas été « un fait public, constatable par tous ». 210:145 Est-ce là un élément suffisant pour priver un événement de son caractère « scientifiquement connaissable » ? Cer­tainement pas. Toutes les méthodes scientifiques du monde tomberont d'accord qu'un élément manquant dont l'exis­tence est postulée par un système de relations nécessaires existe effectivement. Prenons un exemple très simple. Nous sommes une dizaine de spectateurs dans un aérodrome. Nous voyons sur la piste d'envol, un avion se mettre à rouler puis prendre de la vitesse pour décoller. Au moment et à l'endroit du décollage, il y a un pâté de maisons qui nous masque la vue. Pendant trois secondes nous ne voyons pas l'avion. Puis il réapparaît à dix mètres au-dessus du sol et prenant de la hauteur. Pour nous tous, il est absolument certain qu'il a décollé. Et cependant nous ne l'avons pas vu décoller. Qui prétendrait qu'un doute « scientifique » plane sur le décol­lage ? Projeté dans le passé, l'exemple demeure le même. Aussi bien, dès que constaté l'événement est passé. Avec les années et les siècles, il devient « historique ». -- du moins s'il a quelque signification (c'est une autre question). En ce qui concerne la Résurrection, nous tenons ferme­ment l'*avant* et l'*après*. S'agissant de la mort, c'est plus que suffisant. Cependant, on objectera que l'*avant* et l'*après* ne sont pas de même nature. Pour l'*avant*, le P. Léon-Dufour (et presque tout le monde aujourd'hui) est d'accord. Non seulement Jésus-Christ est un personnage « historique », c'est-à-dire dont l'existence n'est pas contestée, mais sa passion, sa crucifixion et son ensevelissement sont également « historiques ». On peut discuter sur les détails, mais non sur l'essentiel qui est la mort et la mise au tombeau. Aussi bien, le P. Léon-Dufour parle à ce sujet de « récit historique ». En ce qui concerne l'*après*, c'est moins clair. La pensée du P. Léon-Dufour est douteuse. Il écrit : « ...nous dirons donc que la Résurrection, en tant que réveil de la mort et en tant qu'exaltation auprès de Dieu ([^101]), n'est pas un événement *historique,* quoiqu'elle soit perçue par le croyant comme un événement réel. 211:145 Elle *devient histo­rique* dans les *apparitions*, c'est-à-dire dans les rencontres qu'ont vécues les Apôtres, mais aussi dans la parole de l'Église (...) les apparitions du Ressuscité répondent avant tout à la nécessité d'enraciner *historiquement* le point de départ de la foi chrétienne et de l'Église. Les témoins ont vu le Seigneur vivant en une *expérience historique :* c'était sans doute au cours d'un repas communautaire, d'une pro­menade, d'une pêche... » (p. 612) Voilà qui est terriblement embrouillé. Nous n'arrivons pas à discerner si *l'après-Résurrection* est historique ou non pour le P. Léon-Dufour. Distinguons trois phases. La première est celle de l'exis­tence de Jésus, de sa vie, de sa passion, de sa crucifixion et de son ensevelissement. Pour le P. Léon-Dufour, tout cela est *historique* et donne lieu à des « récits *historiques *». La seconde est celle de la Résurrection proprement dite, celle du passage de la mort à la vie. Pour le P. Léon-Dufour, cette phase n'est pas *historique.* La troisième, c'est celle des apparitions du Christ ressuscité et des témoignages qui existent à leur sujet. Sommes-nous là dans l'*historique* ou non ? Il n'est pas facile de savoir ce qu'en pense le P. Léon-Dufour. Quand il dit que la Résurrection, événement non histo­rique, « *devient historique* par les apparitions », que celles-ci répondent à la nécessité « d'enraciner *historiquement* le point de départ de la foi chrétienne », et que les témoins ont vu le Seigneur vivant « en une expérience *historique *», on ne voit pas comment cette phase de la vie du Christ ressuscité ne serait pas *historique,* à ses propres yeux. Si elle l'est, on ne voit pas comment il peut refuser le caractère *historique* de la Résurrection elle-même. S'il est *historique* que Jésus-Christ a vécu, est mort et a été enseveli, et s'il est *historique* qu'après sa mort et son en­sevelissement quantité de personnes l'ont vu et que leur témoignage est reconnu valable, on doit en conclure que sa Résurrection est également *historique.* Il faut être logique. Ou bien l'après-Résurrection est *historique,* comme l'avant-Résurrection, et la Résurrection l'est évidemment. Ou bien *l'aprés-Résurrection* n'est pas *historique,* mais le P. Léon-Dufour n'a pas l'air de vouloir le concéder. 212:145 C'est pourquoi sa démonstration est si faible. Et c'est pourquoi nous pensons qu'il faut dire tout bonne­ment, avec la Tradition (et les Écritures) : le Christ est ressuscité. ##### Vie et Résurrection D'où vient l'embarras du P. Léon-Dufour ? Ou, si l'on préfère, où est la difficulté objective ? Elle est dans le caractère de l'événement *qui n'est pas en lui-même recevable à la raison --* ce qui le prive de son caractère historique (pour le P. Léon-Dufour). Autrement dit, la difficulté est dans la « nature » de la vie du Christ ressuscité. Cette vie est différente de notre vie terrestre, comme elle est différente de la vie terrestre du Christ lui-même anté­rieurement à sa mort. Notons au passage que cette difficulté se trouve être, pa­radoxalement, un argument en faveur du caractère histori­que tant de la Résurrection que des apparitions. Car les « té­moignages » des apôtres ne dissimulent rien. Ils voient le Christ, ils le touchent, ils mangent avec lui, et cependant ce Christ vivant, ce Christ réel est un autre que celui qu'ils ont connu avant sa mort. Un autre ? Le même. Le même, autrement, quoiqu'identiquement le même. Cela ne s'invente pas. C'est pourquoi, quand le P. Léon-Dufour considère com­me des « récits *théologiques *» les récits de la Résurrection, par opposition aux « récits de type *historique* (comme le récit de l'ensevelissement, par exemple) », il crée de toute pièce l'opposition. En retenant son vocabulaire, il faudrait dire que le récit de l'ensevelissement est *seulement histori­que* (à condition qu'on l'admette), tandis que les récits de la résurrection sont *à la fois théologiques et historiques.* Si nous nous en tenons au seul récit de la découverte du tom­beau vide, qui fait le pendant à celui de l'ensevelissement, il est *typiquement historique.* Qu'on conteste, si l'on veut, certains détails, qu'on impute, si l'on veut, à la théologie certains autres détails, il reste que ce va-et-vient, à l'aube de Pâques, autour du tombeau vide est criant de vérité -- de vérité *historique.* 213:145 Outre qu'il apparaît bien normal que, dès la fin du sabbat, ceux et celles qui ont aimé Jésus se rendent sur sa tombe pour pleurer, on est frappé du désarroi -- mélange de stupeur, d'effroi et de joie étouffante qui « n'ose y croire » -- de Marie-Madeleine, des saintes femmes, de Jean et de Pierre. Tout cela, y compris les courses précipitées de la ville au tombeau et du tombeau à la ville, respire l'authen­ticité. Il se passe quelque chose d'incroyable et la confusion est à son comble. La confusion des récits est le vivant reflet de la confusion des événements. C'est vraiment une heure *historique* que nous rend la plus *historique* des relations. Libre à chacun d'imaginer là-dessous la réalité qui lui plait : par exemple que le corps du Christ a été volé, ou transporté ailleurs. Mais le témoignage est historique comme le seront les témoignages des apparitions qui vont suivre et qui, justement, authentifieront l'événement Résurrection. Le P. Léon-Dufour, au sujet du Christ, tient que « celui qui mourut est vivant à jamais », mais il estime que « le pasteur » (l'homme de la pastorale), « *devant tel auditoire non préparé *», *ne devrait pas parler de* « *résurrection *», *mais simplement de* « *vie à jamais *» ! Ainsi donc, répétons-le, pour le P. Léon-Dufour, le Christ est mort, *c'est de l'Histoire.* Après sa mort, il a vécu d'une vie réelle qui a eu de nombreux témoins, *c'est de l'Histoire.* Mais il n'est pas ressuscité, au sens *historique* du mot. -- La thèse est insoutenable. Il faut dire, à l'inverse : le *témoignage historique* des apôtres sur la vie du Christ après sa mort est la preuve du *caractère historique de sa résurrection.* *Ou bien, il faut refuser le caractère historique des appa­ritions et des témoignages.* Mais, en toute hypothèse, affirmer la « vie à jamais » du Christ, c'est affirmer sa résurrection. Et choisir de parler de la vie à jamais du Christ en taisant la Résurrection, pour ne pas effaroucher les esprits, est enfantin. Car, à supposer qu'on soit très éloquent et très persuasif, on les convaincra d'une quelconque vie sans consistance d'un Christ lui-même inconsistant. On sera à mille lieues du Christianisme. 214:145 Notre critique à l'égard du P. Léon-Dufour est donc double : -- d'une part, nous lui reprochons un illogisme flagrant, celui qui consiste à admettre comme *historiques* l'avant et l'après-Résurrection mais non la Résurrection elle-même ; -- d'autre part, nous lui reprochons de nier (pratique­ment) la Résurrection, pour s'en tenir illusoirement à une « vie à jamais » dépourvue de sens sans la Résurrection. Notons en passant que le sens commun des fidèles est là-dessus en accord spontané avec l'enseignement de l'Église. Le « Christ est ressuscité ! » des orthodoxes et la joie pas­cale de toute la chrétienté centrent toute la vie chrétienne sur le mystère de la Résurrection. Ajoutons que la lettre de l'Écriture sainte est aussi claire et aussi catégorique que son esprit. « *Si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine *» dit saint Paul (I Co, V -- v. 15), qui porte d'autre part ce témoignage : « *je vous ai transmis tout d'abord ce que j'avais moi-même reçu : que le Christ est mort, pour nos péché selon les Écritures, qu'il a été mis au tombeau, qu'il est ressuscité, le troisième jour, selon les Écritures, qu'il est apparu à Cé­phas... *» (I Co, V, 3-5.) Le P. Léon-Dufour rappelle lui-même ces textes au début de son article. Ils devraient suffire. Mais c'est le drame des spécialistes que trop souvent les arbres leur cachent la forêt. Des « découvertes », contemporaines sur le langage, sur les genres littéraires, sur la biologie, sur n'importe quoi, pren­nent dans leur esprit une importance démesurée et finissent par leur faire perdre le sens des proportions. On s'en rendra compte d'une manière frappante en lisant l'article du P. Léon-Dufour. En réalité, tous les « apports » de la science moderne, intéressants en eux-mêmes, ne pèsent pas un gramme dans la question de la Résurrection. Et cela pour une raison très simple : c'est que les données fonda­mentales sont identiquement les mêmes aujourd'hui qu'hier et dès le premier jour. On peut avoir fait des progrès consi­dérables en linguistique, en exégèse, en herméneutique, on peut connaître mieux l'esprit sémitique et l'esprit helléni­que, on peut être beaucoup plus fort en médecine, en chimie et en physique, il n'en reste pas moins qu'en 1970 comme il y a deux mille ans la mort est la mort et la vie, la vie ; et que par conséquent la Résurrection et cette vie nouvelle qui fut celle du Christ après la Résurrection posent exacte­ment les mêmes problèmes à nos contemporains qu'ils po­sèrent aux contemporains de Jésus. Ces problèmes mettent en cause les rapports de la *foi* et de la *raison.* 215:145 Quels que soient les progrès de la science d'aujourd'hui et de la science à venir, ces rapports n'en seront pas modifiés d'un iota. C'est le bon sens même et l'évidence même. ##### Les fuites de l'intelligence Dans l'examen de ce genre de problèmes, il faut éviter ce que j'appellerais volontiers les « fuites » de l'intelligence. Aux deux sens du mot « fuite » -- une fuite de robinet ou un itinéraire de fuite. Ce que je veux dire est difficile à exprimer. Je vais tâ­cher d'être clair. *Premier exemple.* Le P. Léon-Dufour ne veut pas que la Résurrection soit un événement historique parce que ce n'est pas un « fait public, constatable par tous ». Supposons donc que le fait ait été public, constaté par tous, qu'est-ce qu'il y aurait de changé ? D'abord, s'agissant d'un fait passé, on nierait la valeur des témoignages -- parce qu'il est impossible qu'un mort ressuscite. Supposons le fait au présent. Même chose. On le nie, parce qu'il est impossible. Nous avons tous vu au music-hall une femme se faire enfermer dans une malle. Un coup de baguette magique, et la femme réapparaît sur la scène en entrant par la porte. Nous nous interrogeons, nous admirons, nous sommes un peu inquiets -- mais nous n'y croyons pas. Nous y croyons moins encore si la femme a la tête tranchée devant nos yeux, avec tout le sang nécessaire, et qu'elle réapparaît dix secondes plus tard avec son plus gracieux sourire. On ne croit pas à ce qu'on voit quand c'est impossible. Prestidigitation, magie noire, n'importe quoi, mais il y a autre chose que ce qu'on a vu -- que ce qu'on a cru voir. Alexis Carrel raconte comment il s'est converti. Il était médecin, et incroyant. Le miracle lui faisait naturellement hausser les épaules. Un jour, il accompagne à Lourdes une femme qui était une morte en sursis. « Si celle-là guérit, dit-il, je croirai au miracle. » Or le miracle se produit, et se produit devant ses yeux. 216:145 Quelle fut la conclu­sion de Carrel ? Celle qu'on imagine. La maladie, se dit-il, était guérissable, et l'autosuggestion est plus puissante qu'on ne croit. Il demeura longtemps dans cet état, perplexe et un peu gêné vis-à-vis de lui-même. A la fin, il se convertit. Mais sa conversion est tout de même d'un autre ordre. Elle n'est pas déterminée par l'espèce de pari qu'il s'est fait à lui-même. Il pouvait ne pas se convertir. Il pouvait parfaite­ment tenir jusqu'au bout le raisonnement qui, en un sens, était correct : à savoir que si la femme était guérie, c'est qu'elle était guérissable. (Comment dire le contraire ?). Entraient cependant en jeu pour lui, sceptique mais loyal, mille considérations à travers lesquelles la foi finit par triompher. Il refusait la fuite de l'intelligence. *Deuxième exemple* -- du même ordre. Le P. Léon-Dufour préfère qu'on ne parle pas de résurrection, mais simplement de « vie à jamais ». « Les esprits contemporains, explique-t-il, entreraient alors plus facilement dans la lecture des récits évangéliques, car ils ne glisseraient pas subreptice­ment dans la formulation de leur foi l'imagination d'un ca­davre réanimé qui intervient brusquement dans un monde dont il ne dépend plus, comportement qui répugne à beau­coup d'esprits contemporains. » Il s'agit, en somme, si je comprends bien, de convertir les gens sans qu'ils s'en doutent. Mais une intelligence en fuite à la recherche d'intelligences fuyantes n'a pas grand chance d'aboutir à des résultats sensationnels. La « vie à jamais » ne gêne pas le P. Léon-Dufour parce que l'idée en est équivoque ([^102]). Alors on peut en parler devant n'importe qui. La « résurrection », c'est au contraire brutal. Parlons-en donc le moins possible, jusqu'au moment où l'idée en sera elle-même devenue équivoque... Pourtant si, de mort, ou redevient vivant, quelle que soit la vie nouvelle c'est une résurrection. « Cadavre réanimé » ? J'ignore. Si, comme Lazare, le mort revient à sa vie terrestre, je peux appeler cela réani­mation du cadavre. Quand il s'agit de la vie nouvelle du Christ, j'ignore en quoi consiste exactement la résurrection, et ce ne sont pas les médecins qui me le diront ; l'image du cadavre réanimé n'a donc rien pour me choquer. 217:145 Car ce n'est pas le cadavre qui fait problème, ce n'est pas la mort, c'est la résurrection, et qu'il s'agisse d'une vie nouvelle, différente de la vie terrestre antérieure ne change rien au fait de la résurrection. Si des esprits simples, comme le mien, et qui croient à la Résurrection, l'imaginent sous les espèces d'un cadavre réanimé, quel inconvénient ? Et si des esprits compliqués butent sur la Résurrection parce que l'image d'un cadavre réanimé leur répugne, qu'ils imaginent donc autre chose ; c'est sans importance. Mais ils croiront ou non à la Résurrection, et ce n'est pas dans une fuite de l'intelligence qu'ils trouveront réponse à la question posée. *Troisième exemple* -- toujours du même ordre. Le P. Léon-Dufour dit que si le cadavre de Jésus a été assumé par le Christ ressuscité, c'est là une conséquence qui, déduite de la foi en la Résurrection, « *ne peut s'imposer à l'in­croyant *». Nous voilà au cœur de la question. Pour reprendre le vocabulaire du P. Léon-Dufour, le « réel » ne coïncide pas avec l' « historique » et le « scien­tifique ». J'en suis bien d'accord. Et je partirai de là pour tâcher de clarifier la question. Il me faut simplifier à l'excès, car c'est toute une théorie de la connaissance qu'il faudrait bâtir, afin d'assigner à chaque mot son sens exact par rapport aux autres. Laissons de côté l'*historique* pour nous en tenir au *scientifique*, afin de le distinguer du *réel* et de voir en quoi une *connaissance du réel* se distingue elle-même de la *connaissance scientifique.* Partons de cette dernière. « *Le caractère propre de la connaissance scientifique, écrit M. Piaget, est de parvenir à une certaine objectivité, en ce sens que, moyennant l'emploi de certaines méthodes, soit déductives* (*logico-mathématiques*)*, soit expérimentales, il y a finalement accord entre tous les sujets sur un secteur donné de connaissances *». ([^103]) 218:145 C'est à peu près, en effet, ce que tout le monde pense. Acceptons cette définition. On voit aussitôt tous les pro­blèmes qu'elle soulève. (Il en serait de même pour toute autre définition analogue). Car il faudrait s'entendre sur les mots « objectivité », « méthodes », « sujets », etc. Ne soulevons pas tous ces problèmes. Nous n'en sorti­rions pas. *Analysons* seulement et *prolongeons* la définition de M. Piaget. Nous constatons que la connaissance scienti­fique présente *les caractères suivants :* 1° Elle fait *l'accord* des sujets. C'est pourquoi le P. Léon-Dufour, considérant l'*historique* comme du *scientifique,* cherche un terrain d'entente avec les incroyants autre que la résurrection (non-scientifique). 2° Cet accord peut exister parce que la connaissance scientifique parvient à une certaine *objectivité.* Autrement dit, la variété des sujets, quant à leurs croyances, leurs préjugés, leurs intentions, etc., n'entre plus en ligne de compte. C'est *l'objet* qui fait l'accord. M. Piaget ne va pas plus loin (réserve faite de la question des méthodes). 3° Quelle est la nature de cet *objet,* qui permet l'*objec­tivité ?* Voilà qui n'est pas facile à préciser, car le réel aussi peut être dit objet. Nous dirons qu'ici est objet une *réalité concrète,* ou une *réalité abstraite mais relative à la réalité concrète.* 4° *Pratiquement,* la connaissance scientifique apparaît comme *indiscutable,* parce que *précise,* et précise parce que référée, dans son objet, au concret, c'est-à-dire à la *matière,* c'est-à-dire au quantifiable, au mesurable. C'est pourquoi la connaissance scientifique apparaît, *pratique­ment,* comme la seule *certaine,* face à la connaissance non-scientifique qui apparaît incertaine parce que vouée à un certain coefficient de *subjectivité.* 5° Du fait que c'est la *matière* qui est, immédiatement ou médiatement, son objet, la connaissance scientifique se révèle vite, dans sa nature profonde, comme un pouvoir -- un pouvoir sur la matière, sur la nature, sur la réalité extérieure. Connaître scientifiquement, c'est ultimement, « finalement », approprier, dominer, transformer, utiliser, « finaliser » la nature à l'homme. 219:145 6° Parce qu'elle est un pouvoir -- le pouvoir absolu, en quelque sorte ; la connaissance scientifique tend à engendrer, chez celui qui s'y livre exclusivement, une *métaphysique* qui débouche elle-même dans une *foi* de nature religieuse. A force de connaître, l'esprit incline à penser qu'il connaîtra *tout,* qu'il connaîtra le *tout* de la nature, du réel, de ce qui est. Le nombre et la difficulté des problèmes qu'il a résolus le portent à transformer en *problème* le *mystère* universel. Il *croit* donc, d'une foi inconsciente (qui n'est ni scientifique, ni rationnelle) que tout, un jour, sera *connu* et *dominé.* Il se voit ainsi *tout-puissant,* c'est-à-dire *créateur,* c'est-à-dire Dieu. Cette conclusion n'est pas fatale. Mais elle est le terme normal d'une courbe qui y conduit, si l'esprit se livre tout entier à la connaissance scientifique, sans prendre ses dis­tances par rapport à elle et à son objet. Si les *sciences d'observation et d'expérimentation* ten­dent à éloigner de Dieu par le contact permanent avec le concret matériel, la *science mathématique* est plus « luci­férienne » par les abstractions transcendantales dans les­quelles elle se meut et qui donnent à son pouvoir une sorte de caractère suprême. André Lichnerowicz a écrit là-dessus des pages très suggestives. Citons le paragraphe suivant : « Les données expérimentales peuvent, dans une certaine mesure, suggérer les structures mathématiques qu'il con­vient d'introduire ou d'écarter, elles assurent d'une manière stricte le contrôle final. Mais ce n'est pas d'elles que dépend, en dernier ressort, l'apparition d'une théorie nouvelle, mais de la richesse créatrice d'un esprit mathématicien. De là vient cet aspect de « quasi-révélation » que présentent les plus élaborées des théories scientifiques, les axiomes, dont la justification n'est qu'*a posteriori,* devant être admis comme les règles du jeu royal que le savant joue. Les mathé­matiques ne sont plus ici des instruments, mais sont la pensée même du créateur ». Il conclut : « Nos modes de connaissance sont bien mathématiques. A eux sont indisso­lublement liés nos pouvoirs ». ([^104]) Le ton est presque religieux. Il s'agit de création, de quasi-révélation. L'homme scientifique, s'il s'absorbe dans la science, est l'homme d'une religion qui exclut toute autre religion. Accepter le « dialogue » avec l'homme scientifique en admettant sa foi comme un postulat intel­lectuel, c'est une fuite de l'intelligence. 220:145 ##### Science et Foi A première vue, il semblerait que rien ne fût plus facile que d'établir la distinction entre Science et Foi, entre objet de la Science et objet de la Foi. Il faut constater que ce n'est pas facile, puisque la confusion est partout à ce sujet. La confusion n'existe pas, évidemment, quand les do­maines sont eux-mêmes incontestablement distincts. Le scientifique ne prétend rien contre le mystère de la Sainte Trinité. Le chrétien n'interfère pas dans le diagnostic de la scarlatine, la théorie des quanta ou la construction d'Apollo XIV. Mais la vaste nature, celle de l'univers et celle de l'homme, est le domaine de la rencontre entre la Foi et la Science. Or ici nous assistons au heurt fréquent de l'impé­rialisme de la Foi et de celui de la Science, ou plus exacte­ment au choc de deux « fois ». Pour qu'il n'y ait ni heurt, ni choc, ni conflit chez le chrétien, il faut qu'il ait une notion juste de la Foi et de la Science. C'est possible, et cela se voit fréquemment ; mais ce n'est pas tout de même si commun, car cela suppose une Foi très profonde et très profondément vécue, ou une connaissance précise de ce qu'est la Foi (ou les deux). En fait bien des chrétiens tendront à se donner une *explication* religieuse (qu'ils croient une vue de la Foi) de phénomènes scientifiquement connaissables, tandis que beaucoup d'au­tres, et de plus en plus nombreux, refuseront à la Foi une *compréhension* de la réalité dont *la Science* ne rend raison que dans ses aspects extérieurs ou devant laquelle son pouvoir s'arrête. La confusion peut revêtir toutes les formes possibles et imaginables, selon notamment qu'il s'agit de réalités globales ou de réalités de détail. 221:145 Par exemple, s'il s'agit de l'univers, ou de l'homme, ou de l'histoire, il est difficile de ne pas les voir pourvus d'un « sens » quelconque qui est, qu'on le veuille ou non, d'ordre métaphysique et, finalement, religieux -- c'est-à-dire de l'ordre de la foi, que celle-ci soit plus ou moins consciente ou inconsciente, plus ou moins ferme ou dou­teuse. Je laisse aux théologiens de dire les choses dans les termes qui conviennent. Mais ce que chacun aperçoit, c'est qu'il y a, à la fois, continuité et discontinuité entre le royaume de la Foi et celui de la Science, comme entre le surnaturel et le naturel. Pascal parle, admirablement, des trois ordres, -- de la charité, de l'esprit et du corps ; mais l'homme est un. Et tout est ainsi dans la création. On peut donc parler de l'autonomie de la Science, et nul ne verra de difficulté à ce que croyants et incroyants s'accordent sur des systèmes scientifiques. Mais entre le système scientifique et le système philosophique, il n'y a souvent que l'épaisseur d'un cheveu. La Foi catholique peut ne pas s'accorder à un système qui devient *philoso­phie,* et celle-ci, *théologie.* On le voit très bien, par exemple, dans le cas de l'Évolution qui, de système scientifique, peut devenir évolutionnisme philosophique et se heurter à la Foi -- qui, de son côté, se prolonge en philosophie (non pas dans tel système philosophique unique, mais dans un *ordre philosophique* ne pouvant intégrer n'importe quel système philosophique). De même, le fait de détail, s'il donne prise sans diffi­culté à la connaissance scientifique, rentre, cependant, dans une vue globale de la Foi, au niveau même de cette connais­sance (qui est *reconnaissance* de l'ordre divin) et, d'autre part, éventuellement au niveau du surnaturel, à un titre ou à un autre, si la Science ne l'explique pas ou ne l'expli­que pas correctement aux yeux du croyant. Tel est le cas, par exemple, du miracle. Une maladie connue et guérie est de l'ordre de la connaissance scientifique. Une maladie connue, déclarée scientifiquement inguérissable, et qui guérit instantané­ment, pose un problème. L'incroyant considérera modeste­ment qu'il s'est trompé dans son diagnostic ou qu'on con­naîtra un jour la raison de cette guérison subite qui présentement échappe à la science. Le croyant, sans refuser d'ailleurs nécessairement ce point de vue, pourra néan­moins voir l'action directe de Dieu dans cette guérison et y reconnaîtra un miracle. Alexis Carrel a vécu intimement ce débat. 222:145 De nos jours, la Science a pris un tel empire sur les esprits, *à cause de son pouvoir sur la nature,* que la con­naissance scientifique tend à se confondre avec la connais­sance du réel dans son essence même. La Science explique tant de choses que les esprits finissent par penser 1) qu'elle possède, au moins virtuellement, l'explication du *tout* des choses, notamment dans l'ordre des réalités globales, 2) que les réalités qui lui échappent, notamment dans l'ordre du détail, ne sont pas du réel. Le chrétien, quand il se laisse mordre par « l'esprit scientifique », incline ainsi peu à peu à perdre non seule­ment la Foi mais l'*intelligence.* Car c'est la reconnaissance du *mystère* qu'il évacue en lui, comme il évacue la *diversité du réel* et la *diversité des modes de la connaissance* qui y correspondent. Pratiquement, pour prendre les deux termes extrêmes du réel, le chrétien mangé par la science évacue la Provi­dence et le *miracle.* De Descartes à Kant, la séparation du monde de la Science et de celui de la Foi a peu à peu vidé le christianisme de sa substance. Le chrétien qui veut rester chrétien ne se sauve que par le *fidéisme,* aussi con­traire à la raison qu'à la Foi. Bultmann nous en est un bel exemple. On se rappelle l'extraordinaire rapport « doctrinal » (sic) présenté à l'assemblée plénière de l'Épiscopat fran­çais, en 1968, à Lourdes, par Mgr Pailler. Redonnons-en ici quelques passages ([^105]) : « Sans doute, et il faut en prendre conscience, un *héri­tage païen* venant du fond des âges a-t-il sédimenté l'âme chrétienne dès sa naissance, et les séquelles de cet héritage sont loin d'être totalement disparues, même de *notre rituel ; au scandale* ou à la *risée de l'homme moderne,* une partie, à vraie dire de plus en plus réduite, de *notre liturgie* continue de *demander à Dieu ce que le paysan demande à l'engrais,* un salut cosmique qui fait de Dieu le suppléant de nos insuffisances » (...) 223:145 « Paul n'a pas transigé avec les usages païens. Sans doute l'Église, elle, a tenté de le faire, mais avait l'excuse de ne pouvoir faire autrement (?). *Aujourd'hui,* l'avènement de la *civilisation scientifico-technique* lui donne *une chance appréciable* parce qu'elle travaille dans le même sens (?) *le cultivateur compte plus sur les engrais que sur les roga­tions pour faire lever sa moisson *» (...) Je renvoie à l'article de Jean Madiran pour le commen­taire de ces textes (et de quelques autres du même ton­neau). Tirons-en la conséquence directe : c'est l'abolition du *sacré,* l'abolition de la *liturgie,* l'abolition de la *prière.* Nous sommes passés, grâce au monde de la Science, et avec ce qui eût été jadis la bénédiction de Mgr Pailler, des Rogations aux engrais, du sacré au profane, de la liturgie au gospel-night, de l'église à la rue, de la contemplation à l'action, de la prière à la prospective et de l'épiscopat à un je ne sais quoi, qui n'a de nom dans aucune langue. Le « donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien » du *Pater* devient, « doctrinalement », terriblement suspect. Peut-être le supprimera-t-on un de ces jours. ##### La Résurrection Revenons à la Résurrection. Tout l'atteste, dit le P. Léon-Dufour, mais comme il s'agit d'un fait que la Science ne reconnaît pas, l'Histoire ne peut le reconnaître davantage. Voilà la fuite totale de l'intelligence. L'assimilation de la connaissance « historique » à la connaissance « scientifique » est déjà un trompe-l'œil, en ce sens que la Science qui est ici en référence tacite est la Science physique, la Science de la nature. Or la science historique est autre. Quelle est-elle ? A en juger par le nombre des écoles historiques, les experts ne semblent guère être d'accord sur la question. Toujours est-il que l'Histoire concerne les *faits* qui ont eu lieu dans le passé. 224:145 Que la notion de « fait » soulève mille difficultés, j'en suis conscient autant qu'un autre. Quand Claude Lévi-Strauss écrit que « le *fait historique* participe de la nature du *mythe *» ou que « le *fait* *historique* n'a pas de *réalité objective *», je ne suis pas d'accord avec lui, mais je retiens de ses déclarations (qu'il faut lire naturellement dans le contexte de sa philosophie et de son vocabulaire) qu'on ne peut, comme fait le P. Léon-Dufour, trancher aisément du « fait historique » comme d'un fait relevant de la « connaissance scientifique » (laquelle ?). Quand on examine attentivement la question on s'aper­çoit que le « fait » se situe autour des deux axes suivants 1) il y a le « fait », au sens communément reçu -- « c'est un fait » -- et qui est normalement du domaine de l'obser­vable ou du « concluable » simple ; 2) et il y a le « fait » qui relève de la « connaissance scientifique » et qui, établi par un appareil de connaissances élaborées, fait l'accord des « savants », souvent contre le fait simple d'observation, et normalement par la confirmation d'une vérification posté­rieure, d'ordre expérimental -- *Eppur si muove.* Sur quoi il faut présenter deux observations. La première, c'est que le fait scientifique a toujours pour premiers négateurs les savants eux-mêmes. Ceux qui « savent », -- les savants, les experts, les « scientifiques » -- commencent toujours par repousser comme impossible ou comme fausse toute invention dans d'ordre pratique ou théorique. Quand la « grosse Bertha » bombarda Paris en 1918, les as de la balistique nièrent qu'il pût s'agir d'un canon. « Scientifiquement », le fait était impossible. Le fait était là cependant. Quand je ne sais plus quel aviateur, à l'aube de l'aviation, déclara qu'il allait tenter, après avoir décollé, de virer en plein vol et de revenir à son point de départ, Painlevé le supplia de renoncer à son entreprise, car les mathématiques démontraient qu'il glis­serait et se casserait la figure. L'aviateur décolla, vira et revint à son point de départ. Painlevé refit ses calculs et confirma que c'était possible. Je laisse aux mathématiciens le soin de fournir des exemples inverses, c'est-à-dire où la théorie mathématique révéla le fait physique inconnu, inobservable et, au départ, invérifiable. Depuis Le Verrier et sa planète Neptune, ils abondent. Actuellement, la science va si vite, dans ses théories comme dans ses applications, que le fait scientifique est, si l'on peut dire, en suspension permanente, parce qu'on ne sait plus, dans aucun domaine, où en est la connaissance, la méthode, l'hypothèse et la mode. 225:145 La seconde observation, c'est que le « fait historique » est de la première catégorie, c'est-à-dire de l'ordre des faits « au sens communément reçu », c'est-à-dire encore de l'ordre des faits qui, situés *dans le passé, ont été* observa­bles ou « concluables » sans un appareil compliqué de connaissances élaborées. Comme il s'agit du passé, la « science » de l'historien portera sur l'établissement de l'*authenticité* des documents et des *témoignages.* Mais le fait n'est, en lui-même, nullement scientifique, en ce sens que, connu *au présent,* il eût été du domaine de l'observable et du « concluable » simple. Si, dans la Résurrection, on est d'accord sur l'authen­ticité des documents et des témoignages -- comme est d'accord, apparemment, le P. Léon-Dufour -- le *fait* est évidemment *historique,* et donc *crédible.* Pour y croire, il y faut, certes, la Foi. Mais *pour n'y croire pas, il faut nier le fait, et on ne peut le nier que par une* « *foi *» *scienti­fique :* c'est impossible, parce que c'est contraire à l'ordre de la nature. Si je crois à la Résurrection, faut-il donc dire que la Foi est première ? Oui, bien sûr. En tout, Dieu est toujours premier. Il est le Créateur, et je suis la créature. Il m'a aimé le premier, il m'a fait croire le premier, il m'a donné le premier la raison et la liberté. Mais cette raison et cette liberté me plaçant devant le *fait* de la Résurrection, j'y crois, sans lui opposer l'ordre de la science et de la nature, parce qu'en croyant je me trouve dans une cohérence totale de toutes les facultés de mon être. Pour moi, la Résurrection est un *fait historique* parce qu'elle correspond à tout ce qu'on peut appeler un fait historique. Que ce fait soit à tous égards extraordinaire, étant *unique* dans l'Histoire, j'en suis bien d'accord avec l'incroyant. Mais nous sommes à deux de jeu dans l'attitude à tenir en face de ce fait unique. Je constate la sienne. Je garde la mienne qui me paraît plus vraie que la sienne pour mille raisons et qui à cet égard, me paraît plus « scientifique ». Il m'est donc impossible de refuser le caractère de *fait historique* à la Résurrection. Refuser ce caractère, ce n'est pas seulement incliner ma Foi religieuse devant sa foi athée, c'est incli­ner la rigueur de mon raisonnement devant la fragilité du sien, c'est arrêter la *méthode scientifique* au seuil d'un domaine où sa valeur me la rend particulièrement intéres­sante, c'est finalement me mutiler dans l'intégralité et l'intégrité de mon être humain. 226:145 A cette aune, d'ailleurs, c'est la science elle-même qui s'évanouit. L'Histoire n'existe plus puisqu'elle est invérifiable et « inexpérimentable » pour l'éternité. L'invention mathématique perd ses droits. L'intelligence est réduite à l'instinct des fourmis. Ce qui est curieux dans le cas du P. Léon-Dufour, c'est que la « vie à jamais » du Christ lui paraisse la voie par laquelle il pourrait introduire l'incroyant à l'idée de résur­rection. Car comment peut vivre à jamais quelqu'un qui est mort -- sinon parce qu'il est ressuscité ? Et comment, d'ailleurs, la « vie à jamais », pur concept de foi, serait-elle une voie d'introduction rationnelle à l'idée de résur­rection ? A cet égard, la séparation totale que Bultmann opère entre l'histoire et la foi est infiniment plus logique. On croit à la Résurrection comme fait historique ou on ne croit pas à la Résurrection. Tout le reste est dérobade, fuite de l'intelligence -- et construction pure de l'esprit. C'est pourquoi je trouve parfaitement logique, ration­nel et raisonnable le décret *Lamentabili* (3 juillet 1907) de Pie X, quand il condamne les deux propositions sui­vantes : XXXVI*. -- La résurrection du Sauveur n'est pas pro­prement un fait d'ordre historique, mais un fait d'ordre purement surnaturel, ni démontré, ni démontrable, que la conscience chrétienne a peu à peu déduit d'autres faits.* XXXVII*. -- La Foi en la Résurrection du Christ, à l'origine, porta moins sur le fait même de la résurrection que sur la vie immortelle du Christ auprès de Dieu.* On est frappé, en lisant ces textes, de voir comme les nouveautés en ce domaine sont toujours peu nouvelles. Les idées du P. Léon-Dufour couraient déjà les rues en 1900, et les couraient d'ailleurs depuis toujours. Seul change un peu le vocabulaire, en fonction de théories pas­sagères. Ces idées, depuis un siècle, dans leur diversité on les englobe sous l'appellation de « modernisme ». Il y a dix ans, je n'aurais pas osé dire que le P. Léon-Dufour est « moderniste » parce que j'aurais craint de le blesser, ou de le froisser, ou de lui faire du tort. Aujourd'hui, c'est à la fois un compliment, un brevet d'orthodoxie et une promesse de louange et d'audience. 227:145 En 1907 -- c'était, pour Pie X, le péché majeur. J'ai cité *Lamentabili.* Il faudrait relire *Pascendi* (8 sep­tembre 1907). Donnons-en de brefs passages : « ...*Au point où nous en sommes, Vénérables Frères, nous avons plus qu'il ne faut pour nous faire une idée exacte des rapports qu'ils* (*les modernistes*) *établissent entre la* foi *et la* science, *entendant aussi sous ce dernier mot* l'Histoire. *En premier lieu, leurs objets sont totalement étrangers entre eux, l'un en dehors de l'autre. Celui de la foi est justement ce que la science déclare lui être à elle-même* inconnaissable. *De là, un champ tout divers : la science est toute aux phénomènes, la foi est toute au divin, cela est au-dessus de la science. D'où l'on conclut enfin qu'entre la science et la foi il n'y a point de conflit possible ; qu'elles restent chacune chez elle, et elles ne pourront jamais se rencontrer, ni partant, se contredire.* « *Que si l'on objecte à cela qu'il est certaines choses de la nature visible qui relèvent aussi de la foi, par exemple la vie humaine de Jésus-Christ, ils le nieront.* « *Il est bien vrai, diront-ils, que ces choses-là appar­tiennent par leur nature au monde des phénomènes ; mais, en tant qu'elles sont pénétrées de la vie de la foi, et que, en la manière qui a été dite, elles sont transfigurées et défigurées par la foi, sous cet aspect précis les voilà sous­traites au monde sensible et transportées, en guise de matière, dans l'ordre divin. Ainsi, à la demande si Jésus-Christ a fait de vrais miracles et de véritables prophéties ;* s'il est ressuscité *et monté au ciel :* non, *répondra la science agnostique ;* oui*, répondra la foi.* « *Où il faudra bien se garder pourtant de trouver une contradiction : la négation est du philosophe parlant à des philosophes et qui n'envisage Jésus-Christ que selon la* réalité historique ; *l'affirmation est du croyant s'adressant à des croyants et qui considère la vie de Jésus-Christ comme* vécue à nouveau *par la foi et dans la foi* (*...*) « *...L'homme ne souffre point en soi de dualisme, aussi le croyant est-il stimulé par un besoin intime de synthèse à tellement harmoniser entre elles la science et la foi, que celle-ci ne contredise jamais à la conception générale que celle-là se fait de l'univers. Ainsi donc,* vis-à-vis de la foi, liberté totale de la science ; *au contraire, et nonobstant qu'on les ait données pour étrangères l'une à l'autre,* à la science asservissement de la foi (...) 228:145 « *...Si vous y prenez garde, il y a pour eux deux exégèses fort distinctes : l'exégèse* théologique et pastorale, *l'exégèse* scientifique et historique (...) ». *Durus est hic sermo*... On ose à peine réimprimer ces vieux textes où la Foi et le bon sens s'épanchent en une telle assurance. Et pourtant, dès que le Magistère s'exprime, il ne peut s'exprimer autrement, sous peine que s'effondre le christianisme lui-même. « *Si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine *». Le 4 avril dernier, Paul VI, recevant les participants au Symposium international sur la Résurrection, ne pouvait que redire ce que dit l'Église depuis saint Paul et les Évangélistes. Évoquant les « tentatives d'une gnose tou­jours renaissante », il mettait en garde contre la « tenta­tion bien compréhensible, certes, et sans doute inévitable, mais dont une pente redoutable tend à évacuer insensible­ment toutes les richesses et la portée de ce qui est d'abord *un fait :* la *résurrection du Sauveur *»*.* Il ajoutait : « Aujourd'hui même (...) nous voyons cette tendance manifester ces ultimes conséquences dramatiques, allant jusqu'à nier, chez des fidèles qui se disent chrétiens, la valeur historique des témoignages inspirés ou, plus récemment, en interprétant de façon purement *mythique, spirituelle ou morale,* la résurrection *physique* de Jésus » ([^106]). Que dire d'autre ? ##### Avec Saint Thomas d'Aquin Je dois cependant manifester ma reconnaissance au P. Léon-Dufour : il m'a fait relire saint Thomas d'Aquin -- la troisième partie de la Somme Théologique, questions 50-59, aux éditions de La Revue, des Jeunes, traduction française du P. Synave O.P. 229:145 Ce n'est pas la première fois que je lis ces questions, qui concernent la Résurrection. Je les avais lues il y a de longues années. Je les ai lues de nouveau, lentement, avec toutes les notes du P. Synave -- du moins les questions 50 à 56. *Tout y est,* exactement *tout.* Je me félicite parfois d'être un autodidacte en matière de thomisme. J'ai échappé aux cours qui peut-être me l'auraient fait prendre en dégoût. Ayant déjà pas mal roulé ma bosse quand je l'ai découvert, j'ai été émerveillé. Et chaque fois que j'ai l'occasion de le rouvrir, il m'émerveille davantage. C'est un paysage de lumière absolue. Foi, intui­tion, poésie, intelligence, raison raisonnante, loyauté -- il a tous les dons. Théologie et philosophie se marient en lui dans une unité parfaite et une distinction non moins parfaite. *Inconfuse...* Je dois dire que ce qui me séduit le plus dans Thomas d'Aquin, c'est sa poésie. Il est poète jusqu'au bout des ongles. Non seulement dans ses admirables poèmes eucha­ristiques, mais dans sa prose la plus scolastique. A cet égard, les questions de la Somme sur la Résurrection sont un véritable enchantement -- l'enchantement de la Résur­rection. Comment ne pas être saisi de ravissement par cette simple « solution » de la première « difficulté » de l'article 2 de la question 55 : « *Ad primum ergo dicendum quod Apostoli potuerunt testificari Christi resurrectionem et de visu : quia Christum post resurrectionem viventem oculata fide viderunt, quem mortuum sciverant. Sed sicut ad visionem beatam pervenitur per auditum fidei, ita ad visionem Christi resurgentis pervenerunt homines per ea quae prius ab angelis audierunt*. » « Les apôtres ont pu attester la résurrection du Christ et en témoins oculaires : car ils ont vu, des yeux de la foi, le Christ vivant après sa résurrection, lui qu'ils avaient su mort. Mais comme on parvient à la vision bienheureuse par l'audition de la foi, ainsi les hommes sont parvenus à la vision du Christ ressuscité par ce qu'ils avaient d'abord entendu des anges. » Pour moi, une telle phrase me rend raison de tout : du théologique, de l'historique et du « genre littéraire ». Mais je n'oblige personne à penser ou sentir comme moi, et j'éprouve même un certain plaisir, probablement per­vers, à imaginer que, ce qui est pour moi synthèse et réponse est justement pour d'autres source de questions sans fin et provocation à l'analyse illimitée. 230:145 Ceci dit, je ne vais pas faire l'exégèse de saint Thomas. Je vous renvoie à lui. Vous m'en remercierez (ceux du moins de mes rares lecteurs qui ne connaissent pas ces textes). De mon côté, je remercie d'avance celui qui voudra m'apporter la réponse à une question que je pose depuis longtemps sans obtenir la réponse. Est-ce que la prodi­gieuse expression « oculata fide » appartient à saint Thomas ? Ou bien était-elle usuelle de son temps, et chez qui la trouve-t-on pour la première fois ? L'auteur en est nécessairement un poète et un saint. Louis Salleron. P. S. -- En 1963, le P. Xavier Léon-Dufour a publié, aux éditions du Seuil, « Les évangiles et l'histoire de Jésus », un gros livre de 528 pages. On me l'avait signalé, à l'époque, comme le dernier cri de la science. J'en fis l'acquisition et le lus, crayon en mains. C'est un livre effectivement très savant, très intelligent, et qui serait parfaitement satisfaisant pour l'esprit si, précisé­ment, le souci de ne pouvoir être taxé de « non-scientifique » ne se manifestait à chaque page. L'effet, sur moi, de ce genre de livre, est le suivant. A chaque phrase, à chaque paragraphe, je me dis : « Oui, c'est bien cela, c'est exactement cela, c'est bien ainsi qu'il faut dire » ; puis, quand j'ai terminé le livre, je me sens submergé par l'accumu­lation des tout petits riens qui me créaient, malgré moi, une certaine gêne à chaque page, et mon impression finale est : « L'auteur est complètement « à côté de la plaque ». Ce n'est plus l'Évangile. Ce n'est pas le Christ. » En écrivant l'article qu'on vient de lire, je n'avais pas pensé à rouvrir le livre du P. Léon-Dufour. Je viens de le faire. L'épreu­ve est curieuse et pleine d'enseignement. Dans son livre, le P. Léon-Dufour dit à peu près ce qu'il dit dans son article des *Études*, mais il colle tout de même de beaucoup plus près à l'événement *historique,* au *fait historique* de la Résurrection. Qu'on relise les pages 438 à 450, on sera fixé. Il faudrait tout citer parce que la rédaction est très nuancée. Mais on trouve des phrases du genre de celles-ci : « ...telle apparaît la résurrection, à la fois fait et mystère, qui s'offre à l'historien et le dépasse en même temps. Comment prouverait-on un mystère ? 231:145 Et cependant, il n'est pas impossible de montrer que l'événement *historique­ment* assuré est lourd d'un mystère qui le déborde de toutes parts ». (p. 442.) Le P. Léon-Dufour se réfère, d'ailleurs, aux textes de saint Thomas que nous avons rappelés et avec lesquels il semble d'accord. Que signifie tout cela ? Que quand le modernisme s'insinue dans l'esprit, il croît et se développe par une nécessité inéluc­table. En sept ans, le modernisme invisible, latent et virtuel du P. Léon-Dufour est devenu visible, patent et actuel. Encore, sans doute, n'en connaissons-nous pas l'expression ultime. L.S. 2^e^ P. S. -- Relisant cet article au moment de le donner à l'impression, je me dis que je le ferais autrement si j'avais à le refaire. Peut-être le P. Xavier Léon-Dufour m'en donnera-t-il l'occasion. Je n'hésiterais pas, cette fois, à aborder ce que j'ai voulu précisément éviter ici (de peur de faire trop long) : les différents modes de *connaissance*, la *science*, la *connaissance scientifique*, la nature de l'*Histoire*, la nature du *fait* etc. Pour­tant, il est probable que je m'arrêterais en route, car ce serait la tâche d'une vie. Le problème est toujours le même, et il est le suivant : l'autonomie de la science et de la philosophie, c'est-à-dire finalement l'autonomie de l'homme est-elle absolue, au sens plein du mot « absolu » ? L'homme, qui n'est pas un absolu dans son être, constitue-t-il un absolu dans son activité ? Sa liberté exclut-elle la liberté divine ? Sa nécessité exclut-elle la nécessité divine ? Sa raison exclut-elle les conclusions de dépassement auxquelles elle conduit elle-même ? La fécondité, -- d'une part, -- du cartésianisme et du kantisme, qui ont leur transcription religieuse dans le luthéranisme et le bultmannisme, et, d'autre part la fécondité de la dialectique hégéliano-marxiste qui a sa transcription religieuse dans le teilhardisme, ne sont-elles pas totalement épuisées et ne nous pressent-elles pas de retrouver une vue unitive de l'absolu et du relatif, du transcendant et de l'im­manent, de la Foi et de la raison ? L'empire actuel de la mathé­matique, qui devient une véritable méta-physique, ne nous in­vite-t-il pas à concevoir une méta-mathématique qui, quoique d'un autre ordre, nous aiderait puissamment à nous libérer de toutes les phénoménologies en nous réintroduisant dans la vérité de l'architecture spirituelle du thomisme ? La Résurrection nous offre, à cet égard, un merveilleux point d'accrochage, car, objet de Foi, elle est aussi objet de raison. On ne peut y accéder plei­nement sans la Foi, mais la raison libre ne peut absolument pas la refuser. Elle s'impose à l'intelligence, qui ne peut la supporter. Pas plus que la mort et le soleil, elle ne se peut regarder fixe­ment. L'éblouissement aveugle. Elle est là comme un *fait*, comme l'événement *historique* par excellence, celui qu'on ne peut pas ne pas voir, mais qu'on ne peut voir qu'*oculata fide*. -- L.S. 232:145 ## NOTES CRITIQUES Déplacements, villégiatures, nominations, etc. « L'Osservatore romano » du 7 mai 1970 a annoncé la nomination de « Monsignor Gilberto Agustoni » au poste d'auditeur au Tribunal de la Rote. ([^107]) R.I.P. Coïncidence Dans la nouvelle édition de la « Note doctrinale » de Dom Lafond, on a retranché et on passe maintenant tout à fait sous silence l'approbation de « Monsignor Gilberto Agustoni », qui était mentionnée dans la première édition. Un puissant théologien Une sentence du cardinal Daniélou citée par « L'homme nouveau » du 15 mars (page 11, col. 2) : « Pour moi, l'intégriste c'est celui qui dit non à tout et le progressiste celui qui dit oui à tout. » Bigre ! Ce cardinal est un rude penseur... #### Un faux dans "La Croix" Dans *Le journal la croix* du 2 juin 1970, page 7, sous la signa­ture de M. Pierre Gallay, assomptionniste, le paragraphe sui­vant : 233:145 Le cardinal \[Eugenio de Araujo Soles, archevêque de Bahia\] a qualifié le Parlement d' « instrument valable et très important de la volonté populaire » et cité les paroles de Pie XII sur la démocratie « postulat naturel imposé par la raison même ». Attribuer à Pie XII, et entre guillemets, l'affirmation que la démocratie est un *postulat naturel imposé par la raison même,* cela est un faux caractérisé. Ce faux est attribué par *La Croix* au cardinal Sales, arche­vêque de Bahia au Brésil. Nous ne savons pas si le cardinal Sales est réellement l'au­teur de ce faux. Ce n'est malheureusement pas impossible, ce n'est pas absolument invraisemblable, à une époque où des car­dinaux couvrent et approuvent jusqu'à la falsification de l'Écriture sainte. De toutes façons, il y a *faux* et *usage de faux.* \*\*\* Qu'on ne dise pas que la « bonne foi » de *La Croix* a été « surprise ». Car le faux saute aux yeux. Il est parfaitement clair et connu que, selon la doctrine de l'Église, la démocratie n'est pas la seule forme légitime de gou­vernement. Si elle n'est pas la seule forme légitime de gouvernement, elle ne peut donc être un *postulat naturel imposé par la raison même.* \*\*\* La direction et la rédaction du *Journal la croix* sont absolu­ment *tenues,* sont moralement *tenues,* sont professionnellement *tenues,* par leur fonction, de connaître la doctrine catholique. Elles sont moralement et professionnellement *tenues* d'être capables de reconnaître au premier coup d'œil qu'attribuer à Pie XII, entre guillemets, une telle affirmation est certainement un faux. \*\*\* Pie XII a personnellement enseigné que la démocratie n'est pas la seule forme légitime de gouvernement (2 octobre 1945). 234:145 Il a personnellement enseigné qu'il ne faut pas faire des formes démocratiques une idole (14 septembre 1946). Il a personnellement enseigné que la « démocratie moderne », ou « actuelle structure démocratique », telle qu'elle est « cons­tituée », « devra échouer » (Noël 1956). \*\*\* Les paris sont ouverts : y aura-t-il une rectification dans *La Croix ?* #### Analyse d'un exemple très ordinaire Il nous croira ou il ne nous croira pas : nous n'avons rien, absolument rien, contre la personne de M. Pierre Gallay, jour­naliste assomptionniste. Il est jeune, il est gentil, il paraît plutôt sympathique, et nous sommes plutôt désolé de le rencontrer une fois de plus là où nous allons le rencontrer maintenant : à la signature d'un article exemplaire publié par *Le journal la croix* du 2 mai 1970, parlant d'un livre « de Jean-François Six », « du secrétariat français pour les non-croyants ». Article exemplaire, parce qu'il est du modèle actuellement le plus courant, parce qu'il est parfaitement ordinaire, parce que son contenu et sa manière sont ceux de dix et cent mille articles de la même farine, et qu'il permet de constater et méditer CE QUE l'on donne couramment à lire, et à croire, au lecteur catho­lique. Nous allons en faire une lecture intégrale, en ne nous occu­pant que du contenu objectif : c'est-à-dire sans chercher à démê­ler ce qui revient, dans cette cascade de contre-vérités, à M. Six ou à M. Gallay. Cet article est une « recension ». En somme, il « informe ». A aucun moment, il ne formule une critique ou une réserve. Tout y est donné comme bon pain et argent comptant. Nous n'en avons d'ailleurs pas en ce moment aux responsabilités, mais à la nature, mais au contenu, mais à la signification de ce qui est enfourné dans le crâne du public catholique. Les respon­sabilités, M. Gallay et M. Six, et la direction de *La Croix*, et l'épiscopat qui patronne, recommande et impose ce journal, se les partageront comme ils voudront, ce n'est pas notre affaire. 235:145 Commençons notre lecture : « Pour Jean-François Six, du Secrétariat français pour les non-croyants, qui, dans un entretien paru dans *La Croix* du 5 décembre 1969, soulignait la date que constituait, pour l'Église, l'année 1964 grâce à l'ency­clique *Ecclesiam suam* de Paul VI, encyclique-programme du dialogue avec tous les hommes, athées compris... » L'encyclique *Ecclesiam suam,* comme on le sait, ou comme on devrait le savoir, n'est pas un acte doctrinal du Magistère. Elle est une simple exhortation, selon ce qu'ont déclaré son au­teur et son texte, comme nous le rappelons fréquemment (textes cités encore une fois dans le présent numéro, pages 6 et 7). On est donc allé prendre un PROGRAMME dans une encyclique qui n'engage pas l'Église en tant que telle, et qui ne présente aucune garantie. On a ainsi installé dans l'Église un programme qui n'est pas (garanti) d'Église. Simultanément, on tient pour nuls, ou pour périmés, ou pour secondaires, les ACTES DU MAGISTÈRE. Nous saisissons là sur le vif la nature et le processus de la du­plicité objective qui règne dans l'Église d'aujourd'hui. Que ce système soit, apparemment ou réellement, toléré ou encouragé par le Pontife actuellement régnant, cela est éventuellement une circonstance aggravante mais n'est pas une justification. Tout homme d'Église peut être plus ou moins infidèle à l'Église. Même un pape peut ne pas conformer son attitude personnelle aux Actes de son Magistère. Cela ne change rien au fait que le « pro­gramme » de l'encyclique exhortatoire *Ecclesiam suam* n'est ni OBLIGATOIRE, ni GARANTI. C'est, tout au plus, si l'on veut, le programme d'une école particulière, d'une tendance ou d'un parti dans l'Église. Ce programme ne peut être imposé ni au nom de la doctrine révélée, ni au nom de l'obéissance. Mais c'est, implicitement ou explicitement, au nom de l'autorité dont Paul VI est revêtu dans les Actes de son Magistère, que l'on privilégie comme pratiquement obligatoires, et comme seuls obli­gatoires, de soi-disant « programmes » qui n'ont aucune autorité. « ...il était tentant de remonter le cours de l'histoire récente. Sans le remonter très loin du reste : cent ans auparavant c'était, en 1864, le Syllabus de Pie IX. « Une année qualifiée d'année zéro du dialogue par Jean-François Six dans son dernier livre, *Du Syllabus au* *dialogue* (Éd. du Seuil, 12,50 F). » Pourquoi « année zéro du dialogue » ? 236:145 On ne le saura pas. On donne seulement à entendre que le Syllabus était le contraire du dialogue. Mais alors, le dialogue actuel est le contraire du Syllabus ? \*\*\* Autre remarque. C'est un fait que le Syllabus fut admiré et favorablement commenté par un grand nombre de non-croyants, à l'époque et plus tard, et constitua pour eux l'occasion et la base de leur dialogue avec l'Église. Le plus illustre d'entre eux est sans doute Charles Maurras, et son commentaire du Syllabus est assez célèbre ([^108]). Dire que le Syllabus marque « l'année zéro du dialogue », c'est donc avoir en vue un dialogue qui exclut les esprits de la catégorie de Charles Maurras. On nous dit pourtant : « *dialogue avec tous les hommes, athées compris *»*.* Avec tous les hommes... *sauf avec les chrétiens et les non-croyants qui ne répudient pas le Syllabus.* « Premier document pontifical écrit dans un style moderne, avec ses maximes brèves, claires, bien frap­pées... » Le style « moderne », c'est donc en somme... l'*imperatoria brevitas* des anciens Romains ! Sottise ? Mais significative : il faut enfoncer dans le crâne du lecteur que seul le *moderne* est bon. Toute qualité est mo­derne. Tout défaut est anté-moderne ou anti-moderne. Quand les modernes, imbéciles et incultes, trouvent, fût-ce dans le Syllabus, quelque chose qui leur plaît, ils s'extasient -- Comme c'est déjà moderne ! (Et le Concile de Trente, entre autres, n'avait donc pas de maximes brèves, claires, bien frappées ?...) « ...*le Syllabus errorum* (catalogues des erreurs)... » Non. Le titre est tronqué ; comme un texte de l'Évangile dans le nouveau catéchisme. Le Syllabus n'était pas un (ou le) « ca­talogue des erreurs », purement et simplement. 237:145 Il était, il est le catalogue, ou plutôt le *résumé,* des erreurs *modernes* qui ont été signalées *par Pie IX.* Voici son vrai titre : « *Syllabus ou résumé des principales erreurs de notre temps signalées dans les allocutions consisto­riales, encycliques et autres lettres apostoliques de notre T.S. Père le pape Pie IX. *» ([^109]) Il n'y a rien, dans ce que le Syllabus dit en résumé, qui n'ait été énoncé en détail par les enseignements *antérieurs* du même Pontife. Le Syllabus *n'ajoutait rien.* Il avait été *expliqué d'avan­ce.* L'accueil qui lui fut fait demeure comme le témoignage irré­cusable de la sottise des « modernes », qui n'avaient rien com­pris, et surtout d'un trop grand nombre d'évêques (déjà) qui n'avaient pas compris davantage. Ils avaient tranquillement reçu les discours et les lettres de Pie IX sans s'apercevoir de rien. Ils ont sursauté seulement quand on leur en a donné en outre *la table des matières.* Ils étaient, déjà à cette époque, avant tout des ignorants ; ils avaient déjà perdu le contact intellectuel avec la doctrine romaine. Cette origine lointaine mais réelle de l'actuelle dissidence épiscopale, nous l'avons évoquée dans l'avant-propos de notre ouvrage : *L'hérésie du XX^e^ siècle* (tome I ; le tome II, en préparation, n'a pas encore paru). \*\*\* Le lecteur, à ce point, commence peut-être à trouver que no­tre commentaire est beaucoup plus étendu que le texte commen­té. C'est inévitable. Nous sommes en présence d'une série d'affirmations péremp­toires, enfilées les unes aux autres, où *tous les mots* sont inexacts, ou tendancieux, ou trompeurs. \*\*\* Continuons : « ...fit apparaître pour longtemps l'Église comme une force réactionnaire, anti-moderne et opposée à la liberté. » Trois vérités sont ainsi implicitement niées ou rejetées : 238:145 1\. -- L'Église n'apparaissait pas : elle était, elle est, elle sera toujours en réaction contre les erreurs du monde. 2\. -- L'Église était (et sera toujours) anti-moderne, parce que ce qui est spécifiquement « moderne » dans le monde contempo­rain, c'est un complexe d'idéologies et de comportements con­traires et à l'ordre naturel et à l'ordre surnaturel. Péguy, entre autres, et sans doute plus que tout autre, l'a radicalement démon­tré ; l'a philosophiquement, l'a théologiquement démontré ([^110]). 3\. -- L'Église était (et sera toujours) opposée à la liberté illu­soire, mensongère, tyrannique de la démocratie populaire, du socialisme, du communisme (etc.) ; opposée à la fausse liberté du « libéralisme », -- du libéralisme dont sont sortis le socialisme et le communisme. A la fausse liberté selon le *monde,* l'Église n'a cessé et ne cessera d'opposer la vraie *liberté selon Dieu.* « Malgré qu'il (le Syllabus) ait condamné un libé­ralisme anticlérical de l'époque, fort différent du libé­ralisme actuel... » Mensonge. Double et triple. Et quadruple. Le Syllabus n'a pas condamné « un » libéralisme. Il a condamné *le* libéralisme. -- Il n'a pas condamné un libéralisme qui était « anti-clérical ». Il a condamné le libéralisme dans son principe. -- Le libéralisme de cette époque n'était pas seulement ou principalement « anti­clérical » : il était anti-chrétien. -- Tout libéralisme, consciem­ment ou non, est anti-chrétien par son principe, et le Syllabus se situait au niveau des principes. -- Le « libéralisme actuel » est aussi condamnable et aussi condamné que celui du XIX^e^ siècle, car c'est le même (quant aux principes). « ...malgré le commentaire habile de Mgr Dupanloup (à croire que les évêques français sont des maîtres dans l'interprétation des documents pontificaux contestés)... » Hélas ! Hélas ! des maîtres en capitulation sournoise devant la contestation du monde ; des maîtres en infidélité camouflée mais profonde. Point par inadvertance, point par accident, point seulement par ignorance. Ils le savent et ils s'en vantent, ou s'ils s'en font vanter, dans leur *Journal la croix*, par la parenthèse cynique que l'on vient de lire. « ...le Syllabus est resté, à l'égal de l'affaire Galilée en science, comme un péché originel de l'Église face au monde moderne, dans l'opinion publique. » 239:145 Mais le monde moderne se trompe ? mais l'opinion publique a tort ? et on va le leur dire ? Point du tout. Au contraire : « Cette réaction ecclésiastique de peur, car ce fut essentiellement cela... » Le Syllabus : essentiellement, une réaction de peur. « ...a mis un siècle pour être dominée. Il a fallu des hauts et des bas, des héroïsmes de toute sorte, pour enfin accepter sans crainte le pluralisme, le dialogue direct. » Ainsi l'on fait *mentir à fond* le langage lui-même. Dire en face au monde moderne qu'il se trompe et qu'il va à la mort -- comme l'ont fait le Syllabus et tous les papes du Syllabus, de Pie IX à Pie XII ; contredire l'opinion publique, s'opposer, combattre, dire la vérité sans compromission ni capi­tulation, c'est avoir *peur*. Céder au monde, suivre l'opinion, se faire bien voir, récolter dans le monde des sourires, des applaudissements, des succès, des prébendes, accepter le pluralisme mondain, « dialoguer », c'est cela le courage, et même *l'héroïsme.* « Jean-François Six décrit à grands traits ces cent ans d'histoire, la lucidité de Léon XIII, la triste décade 1900-1910, l'ouverture des années 30, le rôle de premier plan joué par la France dans cette évolution... » 1\. -- La lucidité de Léon XIII ? Sa doctrine est intrinsèque­ment et explicitement la *même* que celle du Syllabus. Il l'a dé­veloppée dans une multiplicité d'encycliques qui constituent le corpus doctrinal détaillé de la Contre-Révolution catholique. Mais on se moque bien de la *doctrine* des papes : c'est, une fois pour toutes, zéro. Léon XIII a fait « le Ralliement », qui d'ail­leurs a échoué : vive sa « lucidité ». 2\. -- La « triste décade 1900-1910 » : c'est une manière de désigner saint Pie X, son opposition active au modernisme et au Sillon. Pourquoi *décade,* pourquoi l'arrêter en 1910 ? et pourquoi la faire commencer en 1900 ? Par ignorance réelle ; ou feinte, pour ne pas avoir trop l'air. 240:145 Il ne s'est rien passé dans l'Église en 1900, aucune décade, triste ou non, n'y a commencé cette année-là. Mais saint Pie X a bien régné, approximativement, une décade : de 1903 à 1914. Il est extrêmement rare, surtout dans les temps modernes, d'avoir un pape suffisamment saint pour qu'il soit canonisé : en moyenne, un sur quarante. Quand cela, par exception, se produit, il convient d'en dire : *triste* période. 3\. -- Quant aux non-croyants, cette « triste » période, celle de saint Pie X, est celle où ils se convertissent : Péguy, Psichari, Massis, Maritain, les Charlier, etc. Quelle tristesse, dont nous voilà heureusement délivrés. 4\. -- L'ouverture des années 30 : c'est-à-dire le temps où les catholiques d'Action française sont espionnés, traqués, pourchas­sés, *privés des sacrements ;* le temps où l'on commence à choisir systématiquement « à gauche » les évêques français ; le temps aussi où l'Action catholique commençait son illusoire carrière. 5\. -- Le rôle de premier plan joué par la France : oui, dans ces années trente, où des dizaines de milliers de catholiques français subissaient des *rigueurs terroristes,* allant jusqu'à la privation de la sépulture chrétienne, au refus de la célébration des mariages, etc., dans une « répression » dont il n'existe *aucun autre exemple équivalent* au XX^e^ siècle ni même au XIX^e^... Voilà bien l'ouverture et le pluralisme, tels qu'on les parle et tels qu'on les fait. « ...l'arrivée de Jean XXIII, le Concile avec ses grands textes sur l'Église dans le monde de ce temps et sur la liberté religieuse, la création du Secrétariat pour les non-croyants. » C'est-à-dire la période qui a été officiellement reconnue comme celle de *l'auto-démolition* de l'Église. Bravo. Vive l'auto­démolition. « On lit cette histoire avec une certaine amertume car bien des condamnations et des drames ont brisé des vies... » Entendez : les « condamnations », très significatives mais pratiquement fort légères, qui ont frappé quelques Congar et quelques Chenu ; ou, antérieurement, quelques Blondel et quel­ques Laberthonnière. 241:145 Par une énorme tartuferie, la légende bien établie parle de *drames* et de *vies brisées.* Bande de fumistes publicitaires. Bien entendu, un désaveu ecclésiastique n'est jamais agréable pour un prêtre ou un fidèle. Mais les censures portés contre les moder­nistes, libéraux et analogues furent *limitées* en nombre et en sévérité disciplinaire. Ils n'ont jamais été des *dizaines de mil­liers* à subir ce qu'ont subi les catholiques d'Action française : la privation du mariage, la privation des funérailles, la priva­tion des sacrements, laïcs et ecclésiastiques systématiquement traités selon les plus *graves* sanctions réservées aux *pécheurs publics.* Fumistes et tartufes, ils le savent bien : beaucoup de leurs actuels pleureurs publics sont les auteurs, ou les acteurs, ou les complices (ou leurs disciples directs) des mesures atroces et massives prises contre l'Action française. Les seuls catho­liques qui, au XX^e^ siècle, aient eu à subir dans l'Église une per­sécution en règle, innombrable et dramatique, ce sont les mili­tants du Syllabus. Et les machinateurs et accélérateurs de cette persécution sans analogue sont les adversaires du Syllabus : qu'est-ce qu'ils viennent maintenant se lamenter sur ce qu'ils ont eu à souffrir. Ils ont été et ils demeurent des sectaires cruels et sournois, et par-dessus tout, *menteurs.* « ...et créé une mentalité qui continue d'alimenter, certains secteurs de l'opinion résolument hostiles à toute ouverture. » Quel dommage qu'il y ait encore des « secteurs » de l'opinion catholique qui soient *résolument hostiles* à toute ouverture à l'autodémolition... « On comprend mieux aussi pourquoi les chrétiens sont finalement si mal équipés pour sortir de leur ghetto traditionnel, sans danger pour leur foi. Il faudra encore une longue patience et une formation personnelle conçue pour le grand air. » *Tous les mots* sont mensongers, démoniaques : 1\. -- L'Église conçue comme un *ghetto,* tandis que le monde est le *grand air* (refrain habituel des Suenens, Marty et compa­gnie). 2\. -- L'Église qui forme et équipe mal ses fidèles, tandis que le « grand air » du monde moderne les équiperait et formerait beaucoup mieux... 3\. -- Et l'énorme aveu : sortir de ce qu'ils appellent le « ghetto » est tout de même un *danger pour la foi :* mais ça ne fait rien, il faut sortir quand même ! La foi compte peu ; en tout cas elle compte *moins :* 242:145 moins que tout le reste, le monde, le grand air, l'ouverture, le pluralisme et tous les vastes projets temporels analogues. -- C'est tout le programme, en effet, de l'autodémolition. « Ce livre de Jean-François Six est cependant l'histoire d'un non-retour en arrière, non retour illustré par quatorze textes des cinq dernières années (1964-1969), parmi les plus significatifs de l'esprit de dialogue, des textes de Paul VI, des cardinaux Marty, Koenig ; des PP. Miano, Arrupe, ainsi que des documents du Secré­tariat pour les non-croyants. » Que les textes des cinq dernières années soient quatorze ou cent quarante, peu nous importe. Ils expriment des *opinions.* Ils n'expriment pas des enseignements *authentiques, officiels, obligatoires* de l'Église. Aucun d'eux n'a une autorité doctrinale équivalente à celle du Syllabus. La doctrine résumée par le Syllabus n'a pas cessé d'être la vérité, quels que soient les efforts de mise en scène pour donner à croire que la vérité catholique aurait changé -- et qu'elle serait désormais rectifiée ou remplacée par la vérité du monde moderne. \*\*\* Vous pouvez maintenant relire à la suite tout l'article cité. Il n'est pas extraordinaire, non : il est un bon exemple ordinaire du contenu et de la manière de ce qui s'écrit partout, à toutes les pages de *La Croix*, des bulletins diocésains, des feuilles pa­roissiales. Tout y est faux, chaque ligne comme ce qu'il y a entre les lignes. Il en ressort que l'Église s'est trompée jusqu'en 1958 ; mais que depuis Jean XXIII et Paul VI, *dans la mesure* (réelle ou apparente) *où ils prennent le contre-pied de leurs prédécesseurs,* le catholicisme s'est mis enfin en chemin de deve­nir moderne, ouvert, libéral et pluraliste... ... et auto-détruit. \*\*\* Tout cela parce que les catholiques modernes ont fait une grande découverte. Une découverte très simple, comme les dé­couvertes vraiment grandes. Il était très difficile d'expliquer aux incroyants pourquoi l'Église a raison, et les incroyants tort. Il est beaucoup plus aisé d'expliquer aux incroyants qu'ils avaient raison, et que l'Église se trompait. 243:145 Naturellement, les incroyants n'écoutent pas du tout une Église qui commence par professer s'être toujours trompée. Alors on fait cette prédication aux catholiques, en leur imposant, par abus de pouvoir, de l'écouter en silence et d'y croire. Ainsi pro­gresse l'apostasie immanente. J. M. ### L'Église et "l'homme d'aujourd'hui" -- Que demandez-vous à l'Église de Dieu ? -- La foi. Jean Madiran rappelait récemment cette antique liturgie du Baptême pour constater que le clergé n'enseigne plus la foi. A l'autre extrémité de l'horizon catholique, Jacques Duquesne, chroniqueur religieux de L'EXPRESS et d' « EUROPE N° 1 », direc­teur de PANORAMA CHRÉTIEN, fait la même constatation que Jean Madiran ([^111]). Au terme d'une enquête de trois cents pages parue chez Grasset sous le titre « Dieu pour l'homme d'aujourd'hui », il conclut que l'Église n'annonce plus la Bonne Nouvelle du Salut. C'est pourtant « sa seule justification, sa seule raison d'être », remarque-t-il avec une amertume bien proche d'une sainte colère. « Il faut bien constater qu'elle demeure la plupart du temps muette. Ce n'est pas qu'elle ne parle ni ne fasse de bruit. Parfois, sa voix, ses voix, forment même une véritable cacophonie. Mais s'agissant de Dieu, elle est trop souvent l'Église du silence. » (p. 293) De quoi parle-t-elle ? Jacques Duquesne a relevé les inter­ventions de Paul VI publiées au cours de l'année 1968 par LA DOCUMENTATION CATHOLIQUE. Classées par thèmes, cette petite expérience donne : 65 interventions sur les affaires intérieures de l'Église, 27 discours protocolaires, 21 interventions sociales, 18 discours politiques et 17 allocutions sur Dieu et le sens de la vie. Le modèle de ce dernier genre est l'allocution du 12 juin 1968. Paul VI déclare : « Aujourd'hui, la foi en Dieu se trouve prise dans ce tourbillon ténébreux au point que nous pouvons tout résumer dans cette question : est-il encore possible aujour­d'hui de croire en Dieu ? Question redoutable. Il faudrait des volumes pour y répondre... » Et le Pape d'enchaîner. « C'est pourtant cette réponse qui est attendue », dit Jacques Duquesne, tristement. 244:145 Enquêtes et sondages l'amènent à constater que « l'homme d'aujourd'hui » n'est nullement l' « adulte » scientiste et fier-à-bras que s'imaginent nos pastorales d'ensemble et de détail. La foi en le Progrès et la Science a reçu un rude coup à Hiroshi­ma. Ce qui préoccupe étudiants, cadres et mineurs de fond, c'est le sens de la vie. Que faisons-nous dans cette univers absurde ? A cette question angoissée, l'Église ne répond pas. Cependant, Jean XXIII avait réuni un Concile pour adapter la foi au lan­gage des « hommes d'aujourd'hui ». Quant aux fidèles, les décapants modernistes de la « démy­thisation » ne leur laissent plus grand-chose des « vérités à croire », pour parler comme l'ancien catéchisme. D'où cette autre constatation de Jacques Duquesne : le doute et l'angoisse se répandent chez les croyants eux-mêmes. Quels remèdes y apportent les évêques ? « Pendant ce temps, le corps épiscopal publie des communiqués sur la situation économique ou sociale. Avec beaucoup de bonne volonté qui ne supplée pas toujours à l'incompétence. » (p. 196) Remarque cruelle qui vaudra à l'auteur quelques solides inimitiés. Son livre reçoit d'ailleurs dans la presse de ses amis, un accueil réservé. Mais si l'Église « enseignante » ne remplit plus sa mission et si elle erre dans des domaines qui ne sont pas de sa compétence, à quoi sert-elle « aujourd'hui » ? \*\*\* Les résultats obtenus par l'I.F.O.P., la S.O.F.R.E.S. et autres organismes de sondages en France et à l'étranger, sont parfois bien plaisants. Nous nous entendons reprocher à longueur d'an­née par notre clergé, « le contre-témoignage » que notre vie donne à l'Évangile. C'est là une vue de l'esprit (de l'esprit du clergé). « La manière de vivre des pratiquants » a très peu d'influence sur les incroyants. S'il leur arrive d'être choqués, c'est souvent... par des membres du clergé. Autre fait, mis en relief par les sondages : nombre d'athées le sont très consciemment, par le rejet de la morale catholique qui les gêne, tout simplement. « Croire en Dieu, c'est définir cer­taines règles de conduite et s'y tenir. Pour moi, depuis mon en­fance, la croyance en Dieu s'est identifiée à l'Église catholique. Et celle-ci oblige ses membres à suivre une certaine morale, certaines règles de conduite. Je reconnais que c'est normal de son point de vue à elle, mais moi, cela me gêne. » (Cadre supé­rieur, 28 ans, Paris.) Ce motif très répandu d'athéisme semble échapper complètement à de nombreux clercs. Peut-être fe­raient-ils mieux d'employer leur temps plus utilement, sur l'ordre même du Christ : 245:145 « Dites aux gens : « Le Royaume de Dieu est tout proche de vous. » Mais là où l'on ne vous accueillera pas, secouez sur eux la poussière de vos pieds. Je vous dis que Sodome en ce jour-là, aura un sort moins rigoureux. » (Luc, 9-12.) Au lieu de cela, dit Jacques Duquesne, « on garde le silence sur ce qui paraît « ne pas pouvoir passer ». Les catholiques passent désormais leur temps à écouter. Ils n'osent plus dire qui ils sont, ils n'osent plus être eux-mêmes, ils manquent de consistance. C'est aussi parce qu'ils manquent d'assurance. L'incertitude sur le contenu de la foi s'est étendue. Informulée, la crainte existe qu'un dialogue en profondeur sur cette foi en abattrait de grands pans. Il paraît donc préférable de ne pas l'exposer, de la préserver des vents tumultueux. Et de ne pas trop y réflé­chir. De là vient aussi... ce rejet de l'étude, de la recherche, au profit de la seule action. » (p. 297) C'est un cercle vicieux : moins on étudie, moins on approfondit sa foi. Il faut voir aussi quel genre d'enseignement est actuellement dispensé, notam­ment à l'Institut Catholique de Paris pour ne citer que lui. Autre cercle vicieux : la foi, édulcorée de ce qui semble « ne pas pouvoir passer », donne l'impression aux incroyants d' « être mise à toutes les sauces » et confirme les croyants dans l'idée qu'une théologie mutante n'est pas une théologie sérieuse. Que de pentes à remonter quand l'Église s'occupera de les remonter ! Car il est des incroyants qui attendent quelque chose de l'Église. Quoi ? Jacques Duquesne énumère pêle-mêle : les preuves que Dieu existe, une réponse au problème du mal et surtout -- cela revient comme un leitmotiv -- *le sens à donner à la vie* ([^112])*.* « L'homme d'aujourd'hui » ne s'inquiète plus guère de la vie éternelle. Mais il veut savoir pourquoi il est sur cette terre et ce qu'il y fait. L'auteur rappelle qu'un professeur en Sorbonne, Claude Tresmontant, a publié un livre *Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu*, pour démontrer que, grâce à la science, « il n'a jamais été aussi facile de prouver qu'il y a un Dieu ». Facilité dont l'Église profite peu. Cette carence, au moment où l'homme ne se résigne pas à être « massifié » et nivelé, a et aura des conséquences incalcu­lables dont Jacques Duquesne souligne deux résultats immé­diats : 1° le succès croissant des tireuses de cartes, devins, spi­rites et cartomanciennes (de grandes entreprises font faire l'horoscope de leurs employés à l'instar de Catherine de Médicis et de Mazarin !) ; 2° l'extension du déisme. La plupart des gens croient qu'il y a « quelque chose » (ils disent rarement « quel­qu'un ») au-dessus d'eux, mais quoi ou qui ? Le Grand Archi­tecte, le Grand Horloger, le Dieu de l'Univers, cher à Voltaire et aux Maçons déistes du XVIII^e^ siècle. 246:145 Sur la même pente, des chrétiens pratiquants eux-mêmes, dans la proportion du quart (24 %), ne sont pas sûrs que Jésus-Christ soit Dieu. Il s'agit bien, insiste Duquesne, de *pratiquants.* C'est-à-dire de « messalisants » qui se réunissent chaque diman­che (ou chaque samedi soir, hélas !) au nom du Christ et com­munient en majorité. Pensent-ils recevoir un morceau de pain bénit ? Là encore, l'auteur incrimine « l'homélie dominicale » qui parle de tout, sauf de Jésus-Christ. Ajoutons que la pratique qui se généralise de faire puiser les hosties dans une corbeille en osier et la suppression du « consubstantiel » dans le Credo ne sont pas faites pour accroître la foi en la divinité du Christ. La carence de l'Église apparaît ici sous un aspect que Jacques Duquesne n'aborde pas. Le silence de l'Église sur les vérités essentielles, ses bouleversements liturgiques qui atteignent les dogmes avec une persévérance et une habileté machiavé­liques pour ne pas dire diaboliques, sont précisément trop ha­biles et trop efficaces pour ne pas être voulus. Voulus par ceux qui nous acheminent sous le couvert de l'Œcuménisme, vers la Religion universelle sans dogmes, sans Christ et sans Croix et avec un Pape qui sera le Président du Conseil Œcuménique des Églises. Cela, Jacques Duquesne ne le dit pas. Mais tel qu'il est, son petit livre est riche et dense, bourré d'enseignements précieux. Il se contente, en conclusion, de souhaiter que l'Église rede­vienne militante « pour annoncer Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ». C'est aussi notre vœu. Édith Delamare. ### Bibliographie #### Jean Giono : L'iris de Suse (Gallimard) Il est à croire que les romanciers de la jeune génération sont étouffés par l'abondance des douloureux et philosophiques mes­sages qu'ils ont à nous livrer, au point qu'ils ont perdu la parole. 247:145 Leurs aînés savent qu'on écrit un roman quand on a une his­toire à raconter ; aussi comblent-ils bien souvent le vide présent. Giono a sans doute naguère déconcerté ses lecteurs, d'abord par les fulgurations d'une poésie naturiste, ensuite par une adap­tation personnelle de la manière stendhalienne, allusive et elliptique ; et du reste les deux aspects sont parfois mêlés. « Le Moulin de Pologne », « Un roi sans divertissement » ont laissé à bien des lecteurs des énigmes irritantes ; mais on ne peut s'em­pêcher d'y revenir, et d'apporter une collaboration rageuse, mais efficace à l'auteur, qui l'a prévu avec un art conscient de la mystification. Il m'a semblé que l' « Iris de Suse » usait moins des obscurités calculées ; mais l'utile mystification du conteur subsiste. L' « Iris de Suse » n'est pas un iris, mais à l'image d'une Serrure Savante découverte dans l'antique cité, c'est un os infime de la boîte crânienne des oiseaux, et auquel l'ensemble osseux doit sa cohésion. Telle est du moins la théorie de M. de Casagrande, ornitho­logue, ostéologue, monteur de squelettes d'oiseaux, sorte de Faust consciemment comique et que son environnement un peu ma­cabre n'empêche pas d'étudier voluptueusement la dégustation des truffes. Après tout, l' « iris de Suse » n'existe peut-être pas du tout, mais on le regretterait... Et nous nous demandons, dans le roman aussi, quel est l'élément essentiel et mystérieux qui assure la paradoxale unité d'une évocation où se rencontrent truands, bergers de la transhumance, artisans de villages et hobereaux singuliers, au sein des paysages familiers de Giono. Car cette unité existe bien ; vient-elle de la présence de Trin­glot, dit aussi Tourniquet, qui apparaît au début, dans une aube poétique et campagnarde, en rase-pet et chapeau melon ? A la fin, ce truand farfelu, avisé, pittoresque, ce personnage sautil­lant qui doit compter en son passé beaucoup de vols et sans doute quelques meurtres (bien qu'il s'en défende pudiquement) choisira l'état pacifique de forgeron-bourrelier de village. Il aura été, entre temps, l'intermédiaire picaresque et le lien fortuit entre bien des personnages étranges. Mais l'unité ne réside-t-elle pas aussi dans l'âme du lecteur, qui entre dans le jeu, qui admet que certains personnages sortent à peine de l'ombre pour y rentrer presque aussitôt, et que leurs propos abondants rendent parfois plus mystérieux encore ce qu'ils expliquent ? Le dérou­lement linéaire des destinées est continuellement interrompu, comme dans la vie même, par des sensations immédiates, pitto­resques et prenantes où reparaît la poésie propre à Giono. C'est un roman à recoins, bâti sur deux thèmes toujours chers aux vieux enfants que nous sommes, l'histoire de brigands et la chasse au trésor. Le récit est semblable à cette énumération des « caches » où les brigands dissimulent leurs prises, et dont Tringlot se récite la longue liste. Il abandonnera finalement à ses anciens complices le magot jalousé et trouvera le vrai trésor de Giono, le pays que le romancier a tant de fois célébré. Tout cela se passe vers 1890, mais, comme disait Vidal de La Blache, « en des lieux où l'horloge du temps retarde ». 248:145 Le siècle et le pays sont ceux du rêve et de l'éternelle aven­ture picaresque, avec des crimes dans un arrière plan discret ; les hommes semblent émerger d'un songe curieusement pourvu des puissantes suggestions de la réalité rustique ; on oublie les mystères pour suivre le dressage d'un mulet rétif et sournois, et pour recenser les provisions d'hiver dans le sac du berger. S'il arrive aux personnages de philosopher à leur manière, leurs sen­tences font aussi partie du conte. S'il y a une leçon à tirer du roman, elle est indirecte mais importante : faut-il croire encore que les exhibitions avilissantes et morbides soient nécessaires au roman, quand un Giono peut aisément s'en passer ? Jean-Baptiste Morvan. #### Albert Garreau : Inquisitions (Ed. du Cèdre) M. Albert Garreau vient de publier un petit volume qui en annonce un autre et qui a pour titre INQUISITIONS. *La religion des grands classiques français.* L'auteur explique ses intentions dans la Préface ; mais l'expé­rience m'ayant appris que la préface est généralement écrite en dernier, j'ai fait comme je crois que font les auteurs : j'ai lu d'abord le livre qui m'a fait comprendre la préface. Je commençai donc par ce que l'auteur dit de Corneille, que je relis toujours et je fus un peu choqué de lire beaucoup de détails de la biographie de notre grand tragique dont je ne m'étais jamais préoccupé. Et il en était de même pour Molière, pour Pascal. Et je m'avisai qu'Albert Garreau avait eu raison : on ne peut connaître la «* religion des grands classiques fran­çais *» sans savoir quels obstacles ils trouvèrent à la pratiquer dans leur tempérament, leur éducation, dans le milieu où ils vivaient et les circonstances qui s'offraient à leur prudence. Et je n'étais pas non plus poète, car je m'avisai que j'avais lu et fouillé la vie des grands peintres et sculpteurs pour y trou­ver un encouragement à persévérer dans l'étude, y trouver des méthodes de travail et aussi pour y chercher un mode de vie convenable en ces métiers. 249:145 Nos grands prédécesseurs de la fin du XIX^e^ siècle avaient eu à mener une lutte sévère pour vivre et imposer leurs œuvres dans une société matérialiste et démocra­tique fort inintelligente de l'art. Ils avaient été les martyrs de leur tentative de redressement spirituel de l'art. En outre, la dissolution par la Révolution Française des organisations sociales naturelles leur avait en quelque sorte interdit d'être aussi des artisans, ce qui est indispensable à tout artiste. Et les écarts de leur vie privée montraient qu'il leur avait manqué la régulation acceptée de la grâce divine. Or les « inquisitions » d'Albert Garreau mettent en évidence que nos grands classiques ont eu la foi, ont eu à lutter pour y conformer leur vie, qu'ils ont été comme nous des pécheurs se connaissant pécheurs, c'est-à-dire de vrais chrétiens. Tel est Molière lui-même, perspicace mais faible, persévérant et éner­gique pour son art seulement, plein de qualités naturelles, géné­reux «* pour l'amour de l'humanité *» comme il le fait dire à don Juan. Cette parole est même très déplacée dans la bouche d'un tel gredin ; elle nous donne la pensée de Molière, non celle du personnage, et il n'est que de lire la pièce pour y voir que l'athéisme de don Juan est un crime de plus dont le charge Molière. Venons à Pascal. Albert Garreau cite beaucoup de critiques anciens et contem­porains qui détaillent les défauts du caractère et de la conduite de Pascal et veulent frapper en lui l'apologiste chrétien. Il était certes hardi, bouillant et dur. En écrivant les «* Provinciales *» Pascal s'est bien amusé, il a joui en triomphateur des dons excep­tionnels qu'il tenait de son Créateur et en a usé au sujet de ques­tions sur lesquelles il était peu renseigné par une étude per­sonnelle. Mais je suis étonné des controverses qui continuent au sujet de ses sentiments pendant les deux dernières années de sa vie. Que ses amis de toujours, les Jansénistes, sa famille, Louis Racine, obstinés dans leurs convictions, aient mis en doute sa conversion, aient prétendu qu'il n'ait pas été compris du curé Beurrier qui l'a confessé et lui a donné les derniers sacrements, c'est dans l'ordre des passions humaines. Mais aujourd'hui ? Après tant d'éditions des Pensées ? Pascal serait-il lu de nos jours « en diagonale » ? Car je trouve dans les Pensées ce para­graphe : « *S'il y a jamais un temps auquel on doive faire profession des deux contraires, c'est quand on reproche qu'on en omet un. Donc les Jésuites et les Jansénistes ont tort en les celant, mais les jansénistes plus, car les Jésuites ont mieux fait profes­sion des deux. *» C'est le numéro 438 de l'édition de Zacharie Tourneur, l'un des meilleurs (et même célèbre pour cela), des lecteurs du ma­nuscrit griffonné par Pascal. 250:145 Il a pris, comme Lafuma, l'ordre dans lequel Pascal avait lui-même classé ses notes, et non le classement arbitraire d'un éditeur. Ce numéro 438 correspond aux pages 225 et 253 du recueil des documents originaux. Il s'agit dans ce fragment de la grâce et du libre arbitre, éternel sujet de discorde entre les intellectuels. Cependant un artiste inspiré a donné la solution. Elle est restée inaperçue des savants. Elle a pourtant la clarté des paroles de Notre-Seigneur. Cet artiste est saint Bernard. Et sa solution la voici : « *Sans la grâce rien qui sauve, sans la liberté, rien à sauver. *» Ce pourrait même être du Pascal. La logique est un art ; il y a peu de grands artistes en n'importe quel art. L' « inquisition » continue sur Boileau, La Bruyère, le fils aîné de Racine ; il n'y a que du bien à en dire. Elle se termine par une note sur *Marivaux chrétien.* Et nous sommes très heu­reux de le voir figurer dans ce livre. Car on ne saurait donner aux personnages de son théâtre des sentiments aussi délicats que ceux qu'il leur donne et d'une aussi parfaite franchise et pureté sans les avoir soi-même dans le cœur. Il serait bien exceptionnel de les garder sur cette terre sans l'aide de Dieu. Finissons maintenant par la Préface où notre auteur explique sa pensée : « *Nous éprouvons le besoin un peu abusif de voir dans nos grands hommes, saints du monde laïque, des parangons de toutes les vertus. Parce qu'ils nous ont émus, nous ont été don­nés en exemple, nous ont formé l'esprit et parfois le cœur, nous voulons qu'en eux tout soit parfait. L'université a déniché les saints pour les remplacer par les savants, les littérateurs, les ratiocinateurs. Pascal a été le seul saint de nos années de col­lège, homologué* par *MM. Brunschvicg, Juif, et Malapert, franc-maçon. Nous avons donc le droit, aujourd'hui, de demander à nos grands hommes compte de leur foi et de leur bonne foi. Ont-ils écrit, ont-ils vécu selon leurs croyances ?* ...... *Les auteurs du grand siècle sont un sujet rebattu. On n'espère pas apporter ici de documents nouveaux : les archives ont donné à peu près tout ce qu'elles pouvaient. Mais il restait peut-être à tenter des éclairages inattendus et qui révéleraient le fond des âmes. *» C'est ce que le livre d'Albert Garreau a tenté avec bonheur. Henri Charlier. 251:145 #### John Updike : Couples (Gallimard) « Il court parmi le monde un livre abominable. Et de qui la lecture est même condamnable... » dit un personnage de Molière. Ma foi, il en court tellement en ce temps qu'on ne les compte plus, on les laisserait volontiers dans leur ombre malodorante si, infailliblement, on ne voyait ressurgir ensuite leurs théories dans le bric-à-brac pseudo-philosophique de la « culture » de ce temps. C'est pourquoi je me permets d'évoquer parfois les livres à ne pas lire, après avoir dispensé nos lecteurs d'une besogne de vidangeur que le critique doit assumer -- même s'il préférerait écrire de la poésie. Peu avant Pâques, j'entendais un conférencier ecclésiastique (appartenant au juste-milieu hagard d'une Église officielle en proie à un début de molle panique) déclarer, devant un auditoire de vingt personnes sur une cité de quinze mille âmes, qu'il n'était pas tellement inquiétant que la « culture » présente proclamât la mort de Dieu : ce n'était, selon, lui, qu'une fausse culture ; la preuve en était qu'elle n'offrait aucun penseur universel de la taille de Descartes ou de... Teilhard de Chardin. Ma grand-mère eût dit : « Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd. » Comme si les formes de culture, même les plus profondes, n'avaient pas d'abord prévalu par leurs séductions spectaculaires et superficielles ! Comme si de fausses cultures n'avaient pas été tenaces ! Par exemple, ce voltai­rianisme gâteux mais increvable qui, dépourvu de tout nouvel écrivain valable, continua pourtant jusqu'à l'aube du XIX^e^ siècle à diffuser ses optimismes simplets et ses goguenardises de table d'hôte ! C'est pourquoi je parlerai du livre abominable. Même si les idées fausses ou les questions mal comprises se prélassent dans la sentine, le militant ne peut les négliger : elles seront partout demain, si elles n'y sont secrètement déjà. C'est un roman touffu, mal fait. L'auteur semble le représentant typique d'une certaine caste intellectuelle américaine à qui les penseurs « avancés » de l'Occident ont fait croire que le nihilisme baveux et blasphématoire était le signe évident de la supériorité ; ce type de cuistre du XX^e^ siècle serait à étudier. Mais passons. A la recherche d'un thème qui permette de centraliser les observations sur le monde, et sur la société bigarrée des États-Unis, ce roman, comme naguère la « Lolita » de Naboukov, choisit la sexualité. En d'autres temps on eût choisi la raison en quête du sublime ou la notion chrétienne du salut. La concentration obtenue n'est qu'illusoire : systématisation puérile, et tombant rapidement dans un infantilisme malpropre. La sexualité cherche son expression dans l'érotisme, et en croyant s'approfondir intellectuellement, elle retrouve, au-delà des domaines du désir, tous ceux de la physiologie, et surtout la scatologie. 252:145 Les angoisses infantiles sont portées au moins autant vers l'intestin, les incidents de la digestion, que vers les inquiétudes naissantes du sexe. Et il semble qu'en 1970 la scatologie devienne un thème complémentaire et rival de la sexualité, de façon de plus en plus marquée ; il n'est que de voir les pièces d'Arrablal. Inapte à une organisation des perspectives humaines et sociales, la thématisation sexuelle laisse subsister une mosaïque incohérente du monde ambiant, un désordre qui peut toujours permettre à l'auteur la satisfaction facile de la raillerie et du sourire supérieur. Ce roman qui s'intitule « Couples » est l'histoire de couples qui se défont, d'autres qui se font, au hasard des rencontres. En somme, une chronique longue et pesante illustrant les déficiences essentielles du couple. Remarquons aujourd'hui que quand on parle du couple, c'est toujours pour en évoquer les déficiences, les lézardes éventuelles. Par là aussi le roman d'Updike me semble fort représentatif. Il convient de noter au long de notre après-guerre la vogue du mot « couple ». « Famille » faisait « vichyssois », ménage semblait pot-au-feu. Les lieux de résidence, vu la crise du logement, étaient souvent médiocres, précaires, fortuits. Comme l'oiseau sur la branche ; comme les oiseaux sur la branche : couples... Et le couple était défini désormais par la seule sexualité, ce qui était beaucoup plus commode, et permettait de considérer les biens de ce monde comme réalités secondaires. Le marxisme n'en recevait nul ombrage ; les oiseaux vont par couples, et constituent un prolétariat ailé. « Problèmes du couple »... On s'est gargarisé de cette expression. Et ces problèmes finissaient par être du type de ceux que pose l'élevage. On aurait pu transférer à cette notion du couple la formule de Renan : « Un Français qui naît enfant trouvé et qui meurt célibataire ». La même chose, multipliée par deux. Le problème du couple n'était plus le mariage, mais un éventuel divorce. La déficience essentielle du couple paraît due à l'absence d'insertion dans un milieu social structuré. Organisé peut-être, mais non structuré, affecté d'une carence d'historicité. Même dans la civilisation bourgeoise de la France au XIX^e^ et au XX^e^ siècle commençant, si décevante qu'elle fût parfois du point de vue de la famille, les couples restaient soumis à un impératif d'union ; et les plus malheureux, même s'ils étaient sans foi véritable, restaient réticents devant le divorce parce qu'ils tenaient, ensemble et individuellement, à un climat perçu et senti dans une perspective d'histoire. L'élément central de cette conscience historique de l'existence, c'était l'Église catholique ; elle restait la colonne maîtresse d'une histoire de la France identifiée à l'histoire des familles. Rien de commun avec la juxtaposition gratuite et indif­férente de quantité d'églises, de quantités de sermons, de quantité de pasteurs, pluralité qui constitue la toile de fond américaine du roman, d'Updike. La primauté catholique imposait une conscience existentielle générale pour la patrie et les familles et témoignait d'une réalité permanente dont les urgences reléguaient à l'arrière-plan les caprices personnels. 253:145 Elle était désobligeante, mais au nom, d'une conscience séculaire, et par là efficace. Les activités discrètes des sociétés particulières et amicales auxquelles on prétend maintenant ramener le catholicisme ne sauraient prétendre à un tel rôle. Et si « Couples » nous pose des problèmes, c'est parce qu'il existe désormais entre ce monde et le nôtre une pénible analogie. On voudrait bien ne pas avoir l'air d'un suppôt de l'Inquisition et d'un « prophète du passé ». Mais enfin, si le tableau intellectuel et moral, anti-moral et anti-intellectuel, d'Updike est assimilable à notre fameuse « culture », on peut avoir des doutes sur la coexistence tolérante des Églises et sur ses vertus, déjà aimablement prônées par Voltaire dans les « Lettres Anglaises ». Placés dans un monde où, semble-t-il, rien ne coûte et où « il est interdit d'interdire », sans qu'il soit gauchiste pour autant, les couples d'Updike semblent frappés de dénutrition mentale. Un monde sans histoire et un monde où l'on ne fait pas d'histoires. L'histoire de Monime est peut-être souffrance, mémoire de souffrances authentiques, au moins cet écho atténué de souffrance qu'est le regret des heures et des minutes heureuses, ne s'agit-il que des crêpes jadis mangées à la Chandeleur chez la grand'tante Adélaïde ! Malheur à l'homme seul, et l'homme le plus seul est comme ici l'homme sans passé. Faut-il dire : Malheur à l'homme libre ! Oui, si l'homme « libre » est l'homme « émancipé ». Il est possible que certaines manifestations publiques et œcumé­niques contre l'érotisme aient été maladroites et pour une part ridicule. Assimiler le mot anglais « hair » au verbe « haïr », c'était saugrenu. Quant à brandir l'épouvantail *du* nanisme, il eut encore fallu songer à un autre aspect de la question. Gaxotte a dit du parti nazi qu'il fut le parti des pères de famille allemands : l'anarchie morale de Weimar ne donnait pas à la famille allemande sa justifi­cation sociale et historique. Elle saisit la panière solution apparente qui semblait combler ce vide, apporter aux enfants et à leur avenir une garantie de durée, une conscience de durée. L'individualisme sexuel, le divorce, ferment au couple et à la personne les portes de l'histoire. Une réaction peut être aveugle et fruste. Il n'y a que les imbéciles pour croire qu'en histoire ce qui est faux ou excessif ne saurait compter. Je veux bien croire que le panorama fourni par de tels romans américains est strictement et volontairement dénigrant, que ces ro­manciers atteints de nihilisme gauchiste ont fourni l'image la plus diaboliquement frénétique et la plus déconcertante qu'on puisse imaginer. Il est tout de même inquiétant que nous ne percevions pas d'échos différents. Est-ce le fait d'une sélection opérée au niveau des maisons d'éditions françaises pour diffamer l'Amérique tout en y cherchant un suffrage supplémentaire aux idées destructrices que certains s'efforcent de faire prévaloir chez nous ? Cela se peut ; mais pour le fond de la question, les idées reçues de cette société américaine s'opposent-elles radicalement à ce désordre gluant ? 254:145 S'il reste dans ces peintures une part de vérité, elle est capable de fournir contre le mythe de la liberté pure un sérieux argument, et même contre l'idée d'une liberté restreinte aux personnes apparem­ment dignes d'en bénéficier. Un laxisme idéologique, répandu sur des confessions d'obédience chrétienne, mais diverses, aboutit à l'atonie et à la stérilisation de l'esprit. Les couples évoqués par Updike ne sont ni très beaux, ni très jeunes ; et souvent, pas du tout. Cette description serait-elle capable d'inspirer une réaction morale, par contraste, par dégoût ? Les per­sonnages eux, ruminent leur érotisme au point que l'on peut se demander s'il n'est pas en train de trouver en lui sa propre dérision. Mais ils le font d'une manière si inlassable qu'on peut aussi se demander si les leçons de notre « culture » ambiante n'ont pas déjà commencé à persuader l'homme qu'il devait se complaire à sa rumination et s'enfermer dans sa dérision. Il serait trop facile d'imaginer que l'excès libère mécaniquement l'âme quand une cer­taine borne est passée. Il y a déjà dans Flaubert et dans Maupassant la preuve que les dérisions n'amènent pas nécessairement les esprits à se libérer seuls, encore moins à se réformer. J.-B. M. #### Kléber Haedens : Une histoire de la littérature française (Grasset) Kléber Haedens, en nous donnant une nouvelle édition de son livre, nous propose en même temps une curieuse expérience. De notre littéra­ture, il nous présente non pas « l'histoire » dogmatique, im­pérative et scolaire, mais « une histoire » au fil de ses impressions et selon ses pers­pectives personnelles : il nous invite par là-même à en éla­borer une autre en pensée, en marge de la sienne. J'ai pu éprouver encore la fausseté d'une opinion qui prête à la critique « de droite » un con­formisme pesant et une iné­vitable unanimité ; à l' « Ac­tion Française » déjà, Maur­ras et Daudet n'avaient pas toujours, tant s'en faut, les mêmes critères d'apprécia­tion. En lisant Kléber Hae­dens, il m'arrive de m'éton­ner quand je me sens si peu d'accord avec lui sur cer­tains auteurs et certaines œu­vres, alors que je puis souscrire sans restriction à bien d'au­tres de ses jugements. J'avoue que Nimier me laisse indif­férent, que je ne puis avaler Jouhandeau, que je préfère Veuillot à Léon Bloy ; et pour les siècles antérieurs, je n'ad mire point la « franchise » d'un Diderot auquel j'appli­querais volontiers le surnom donné par Daudet à Herriot (je crois) : « l'imposteur cha­leureux ». 255:145 Surtout mon désac­cord porte sur la méthode : je trouve souvent ici la for­mule : « On ne lit plus Un Tel » ou « On ne lit plus telle œuvre » : La tentation me prend d'ajouter en interli­gne : « ...mais on a tort ! ». Au fait, qui est « on » ? Avant 1940, on pouvait prendre en considération les dédains de ce personnage indéfini et col­lectif car il paraissait éclai­ré, et on savait qu'il lisait. Mais si aujourd'hui « on » ne lit plus ? si « on » ne sait plus lire ? Peu importe que nombre de barbouilleurs té­léguidés à la mode de mai 68 ne lisent plus ceci ou cela. Et vers 1940 j'avais par exemple peu de goût pour le « scep­ticisme » de Montaigne ; en­suite les reîtres et les truands offerts par le nazisme et parfois par ses adversaires, la frénésie récente des nou­veaux « réformateurs » reli­gieux, nous ont rendu assez généreusement l'ambiance du XVI^e^ siècle finissant, et je com­prends mieux les prudences sarcastiques des « Essais » sans pour autant y approuver toutes choses. Un détail peut m'attacher : à cause de ses peintures montagnardes, je ne sacrifierais pas volontiers « Jo­celyn ». Certaines heures de la vie peuvent parler le lan­gage de Baudelaire ou de Ra­belais, certaines autres ont dé­jà le ton confidentiel et désuet de Bernardin de Saint-Pierre ou de George Sand. Le « On ne lit plus » me paraît suggé­rer à des lecteurs peu cultivés une sorte de progressisme lit­téraire assez vain. Si j'avais à écrire une histoire de la lit­térature française, je crois bien que j'en ferais trois ou quatre, ou davantage : un panorama des œuvres ancien­nes et modernes qu'on lit actuellement (en me deman­dant pourquoi) ; une histoire des œuvres qu'on lisait jadis ou naguère, sans omettre Bé­ranger, Paul de Kock, le « Ro­man d'un Brave Homme » d'Edmond About et les rêve­ries champêtres d'André Theu­riet, et sans me croire obligé de découvrir comme certains rénovateurs de la critique, des vertus cachées dans l'œuvre d'Eugène Sue (car tout cela a formé bien ou mal les géné­rations précédentes qui ont aussi lu Coppée et récité Dé­roulède, mais non pas Baude­laire ou Rimbaud), une his­toire des écrits utilisables comme documents historiques, psychologiques et sociaux ; peut-être encore une histoire de la littérature démodée, avec le commentaire de ses charmes ; enfin la littérature catholique, traditionaliste et nationale réduite dans les pré­sents manuels à la portion congrue. On éviterait peut-être ainsi bien des amalga­mes trompeurs. Mais, à vrai dire, voilà des idées qui ne m'étaient point venues avant de lire ou de relire Kléber Haedens ; et je puis l'en re­mercier -- en lui laissant une énorme responsabilité ! J.-B. M. 256:145 #### Francis Cliford, A chacun son mensonge (Casterman) On ne peut renoncer tout à fait au simple roman d'aventu­res contemporaines ; mais les romans français de ce genre ne sont pas tous écrits en fran­çais : alors autant recourir à des romans étrangers s'ils ont la valeur de ceux de Clifford et si le texte français présente les mérites des traductions d'Alyette Guillot-Coli. Le récit a la sûreté et la finesse d'une corde solide, la technique ro­manesque de Clifford me fait songer au travail minutieux de son héros, anglais honnête, mé­thodique et précis, devenu dy­namiteur malgré lui, et amené pour racheter sa liberté, à faire sauter la porte d'une prison sicilienne. Le lecteur, prison­nier des bandits comme lui, est entraîné dans l'aventure et suit avec une angoisse mêlée d'es­poir les préparatifs de l'atten­tat. Nous parions dans un pari absurde où tout est pourtant soumis à un enchaînement lo­gique absolu, depuis la soirée dans le Casino, le suicide dans la chambre d'hôtel voisine, la rencontre de la blonde Inger : le hasard opère ainsi d'étranges greffes sur l'arbre d'une vie. Mais si imprévus que soient les événements, l'homme y retrou­ve le fil conducteur de sa des­tinée ; Forrester n'est-il pas un ancien de la guerre de Corée, et son passé ne vient-il pas se superposer au présent ? Quelle est la vérité d'un destin et d'une âme ? Et qui a-t-on le droit de condamner ? L'idée est devenue banale, elle a ici le mérite de garder la sobriété dé­sirable pour ajouter un sens à l'aventure sans tomber dans un délayage trop fréquent ail­leurs ; où le thème devient dis­cutable tant du point de vue de la morale que de la technique romanesque. Ce roman se lit avec plaisir. J.-B. M. #### Henri Queffélec : La faute de Monseigneur (Presses de la Cité) A ce roman on est tenté d'ap­pliquer l'épithète, chère à Léon Bloy, de « désobligeant ». Une gêne, un malaise s'en dé­gage, tenacement, malgré les circonstances atténuantes que la situation historique peut ap­porter à l'acte de l'évêque. 257:145 Un écrivain catholique eût peut-être hésité naguère à représen­ter un prêtre devenu dénoncia­teur, fût-ce par ingénuité ; à plus forte raison, un évêque. Nous sommes émancipés, bien malgré nous, et en somme vic­times de cette émancipation. Les évêques ont l'habitude d'être contestés, comme les rec­teurs d'université d'être coiffés de poubelles. Aucune malveil­lance pourtant n'anime ici l'auteur : si Monseigneur révèle au préfet impérial un réseau d'arrière-chouannerie, c'est plus par souci de sauvegarder la paix du diocèse que par une vanité trop sensible aux préve­nances officielles. Mais le fait demeure, comme une marque au fer. Et il s'agit d'un ancien émigré, non point d'un asser­menté comme ce conventionnel régicide, évêque constitutionnel du Finistère, fusillé un soir sur une lande ; ou encore comme le pitoyable Le Coz, évêque de Rennes puis archevêque de Besançon, dont, pendant les Cent Jours, les mandements s'essoufflaient à suivre les vents contraires de l'histoire. L'au­teur s'est-il souvenu de l'Abbé Bernier, accusé d'avoir livré Stofflet ? ou d'un fait divers récent, quand un malheureux remit aux gendarmes les tracts de l'O.A.S.-Ouest, à lui confiés par une dévote scrupuleuse ? On ne voit pas en tout cas dans l'histoire, ancienne ou proche, de fait semblable reproché à un évêque en fonctions. Queffélec a-t-il voulu, en por­tant le problème à la limite, exorciser l'idée, combattre le réflexe abrupt du soupçon, ma­nifester un acte de foi en mon­trant son évêque fidèle à sa mission, à travers une faute qui devient un calvaire ? Mais s'il n'y avait que la faute ! Le paysan Louis Me'ar dont on a livré les imprudentes confiden­ces qu'il avait pu croire cou­vertes par un secret semblable à celui de la confession, se suicide. Un évêque responsable d'un suicide : c'est la démarche littéraire de la profanation. Une profanation provisoire sans doute, qui épargne toute­fois à Monseigneur le stigmate supplémentaire de la dérision ; mais il s'en faut de peu. La tentative de dérision est vain­cue, humiliée et repentante en la personne de l'aventurière Élisabeth ; le personnage n'é­tant pas à la hauteur de l'ou­trage. Mais l'insulte posthume incluse dans la lettre du suici­dé n'est effacée que par Dieu même dans la messe. On peut considérer que ce livre est en­core salutaire en son audace, mais la pente est dangereuse. En entendant les outrages et les reproches, nous devrions être immédiatement gênés ; nous ne le sommes qu'après coup, à la réflexion, et c'est cela qui est grave. La politique nous guette tou­jours, elle est perfide ; nous ne la chassons pas en sacralisant le fait accompli, en le jugeant neutre et sans problème. L'ins­titution de la Saint-Napoléon est un fait d'époque évoqué à plusieurs reprises, non sans une nuance comique qui a va­leur d'avertissement. Les paix historiques, durables ou pré­caires, ne sont point la vraie paix. La démarche de l'homme de Dieu ne consiste pas à com­battre une nouvelle flambée de guerre civile en aidant un pré­fet à étouffer la conspiration à sa naissance ; si les moyens qui lui étaient propres lui ont paru trop faibles, c'était là un man­que de foi. 258:145 Mais ce livre est aussi l'his­toire d'une rédemption, que tout semble appeler : la foi et la bonne volonté de l'homme faible, la présence de ses prê­tres, des paysans, des enfants au cours de cette tournée de confirmation où il se sent ré­concilié avec son domaine pro­pre. Elle compense les menaces et les insultes lancées par les conspirateurs dans la séance nocturne consécutive à l'enlè­vement de l'évêque. Alors qu'un certain respect humain, ou des scrupules d'actualité amè­nent parfois les intellectuels celtisants à dédaigner les thè­mes traditionnels du lyrisme breton, il est réconfortant de sentir les suggestions poétiques émanant des villages et des campagnes retrouver ici toute leur puissance de vibration im­médiate. Et s'il en ressort déjà une impression de bienveil­lance et de pardon, c'est parce que notre ancienne liturgie, maintenant abolie ou défigurée, est propre à guider et à expri­mer ce chant des âmes et des campagnes dans un climat d'é­ternelle jeunesse. « Dans toute la campagne, les ajoncs étaient en fleurs. Une eau pure coulait dans tous les ruisseaux, jaillis­sait dans toutes les sources. Des milliers de chapelles priaient sous de vieux arbres. Une fem­me se signait en passant devant une croix. » J.-B. M. #### Philippe Aziz. Tu trahiras sans vergogne (Fayard) L'auteur nous confie qu'ayant entrepris de raconter l'histoire de la Gestapo française de la rue Lauriston, il rencontra fort peu d'encouragements et nous le croyons sans peine. Tout d'a­bord les amnisties légales l'ont obligé à recouvrir certains per­sonnages de noms fictifs : on en reconnaîtra facilement quel­ques-uns sous leur masque de carton. Ensuite, il est des évé­nements que l'on n'aime pas à évoquer, pour la dignité de la France et de la nature humai­ne. La Bruyère parle de ces maux « cachés et enfoncés comme des ordures dans un cloaque... on ne peut les fouil­ler et les remuer qu'ils n'ex­halent le poison et l'infamie : les plus sages doutent quelque­fois s'il est mieux de connaî­tre ces maux que de les igno­rer. » Mais le moraliste évo­quait de telles hontes à l'inté­rieur d'une société établie ; au contraire l'histoire de la Ges­tapo de la rue Lauriston a déjà cette relative utilité de mon­trer que l'écroulement de l'or­dre national ne libère pas l'in­nocence primitive de l'homme mais assure la promotion et bientôt la primauté d'un contre-état, celui des truands, qui préexistait secrètement. Ces promotions peuvent être incroyables et vertigineuses, comme celle de Lafont. L'auteur a pour lui une relative indulgence, à cause de son enfance malheureuse de jeune délin­quant. 259:145 Je n'en discuterai point : un historien ne peut manquer d'avoir quelque préférence pour son personnage central. Je suis plus intéressé par Bon­ny, le policier des affaires Sta­visky et Prince (et de quelques autres), l'enfant chéri de la presse de gauche à l'époque. J'avais ouï parler de « l'affaire d'exportation de capitaux pra­tiquée par un haut dignitaire de l'Église » : « Les procès-verbaux qu'il dresse à cette occasion et qui ne parvien­dront d'ailleurs jamais à l'au­torité judiciaire ne seront pas inutiles à Aristide Briand lors­qu'il « négociera » avec le Va­tican la condamnation de l'Ac­tion Française. » Quoi qu'il en soit, Bonny pas plus que La­font ne représente l'hydre fasciste dévouée par nature à Hitler ; et Lascaux, neveu de Bonny commence par espion­ner les cadres clandestins du P.S.F., et le M.S.R. d'Eugène Deloncle, que la Gestapo de la rue Lauriston assassinera pour 300 000 francs. La truanderie n'a cure d'étiquettes politiques, elle recrute aussi bien les élé­ments anti-sociaux que les sous-produits douteux du « pays légal ». Et tous ceux qui veulent obtenir des libéra­tions ou des grâces doivent passer par Lafont. Plus enco­re : un beau morceau de litté­rature est représenté par le dialogue entre le colonel ré­sistant et Lafont dans une boîte de nuit ; dialogue que je crois recomposé à la manière des historiens latins, car il me pa­raît bien littéraire pour La­font qu'on nous dit analpha­bète. Mais que fut-il advenu si un jeune résistant nerveux ou mal instruit eût eu vent de l'entretien, et révolvérisé le co­lonel à la sortie de la négocia­tion inutile ? Ou si Lafont avait accepté de se rallier à la Ré­sistance ? Eût-on blanchi cet amateur d'orchidées qui se faisait envoyer les têtes des gens qu'il donnait ordre de supprimer ? Et avec d'autres, de telles négociations n'ont-elles jamais abouti ? Écartons ce cauchemar ! N'essayons point de tracer d'un trait trop appuyé certai­nes lignes en pointillé. Et pré­venons les lecteurs que cer­taines relations d'assassinats demandent un cœur bien ac­croché. Mieux vaut insister sur les personnages dont la réali­té dépasse toute fiction, l'indis­pensable Joanovici et des fem­mes dont Balzac ou Pierre Benoît n'auraient osé écrire la vie, de peur d'invraisemblan­ce littéraire. Cette histoire qui se déroule sur les décors alter­nés des caves de torture et des maisons closes me paraît au fond édifiante. Le chrétien doit se garder du jugement hâtif : « C'est du roman ! » On le di­rait volontiers à propos du Vautrin de Balzac si l'on ne sa­vait que derrière Vautrin, il y a le très réel Vidocq. Là, Vau­trin et Vidocq sont finalement soumis, même si la société en sort humiliée. Mais placez Vau­trin ou Vidocq dans une dé­faite comme celle de 40 et vous avez Lafont ; et c'est l'ex-policier qui devient gangster : alors vous avez Bonny. « Il n'est point de repos pour un citoyen quand sa patrie est dé­truite », disait Bossuet : et cette vérité porte loin, jusque dans le domaine des principes où toute sécurité morale et in­tellectuelle paraît ébranlée. Toute société a ses Bonny vir­tuels, ses Lafont possibles, qui peut-être s'ignorent encore eux-mêmes, ou que l'on emploie dis­crètement. Une certaine tech­nocratie administrative et policière juge volontiers que son efficacité tient à l'utilisation in­telligente et dosée des truands ; 260:145 elle veut ignorer que cette effi­cacité dépend en fait du poids de stabilité apporté par les mi­lieux intègres qui souvent se refusent à « accueillir le monde » pour mieux élaborer la santé précaire et complexe de ce monde : l'apparente abs­tention d'un Montaigne qui n'ignore pas ce que les hautes charges, en de tels moments, comportent d'illusions et de compromissions. Montaigne, qui sait ? aurait pu être le Laval de son époque... Et surtout il y a le monde apparemment clos des concentrations monastiques et religieuses. J'espère qu'on écrira une étude d'ensemble sur l'appui offert par les mo­nastères à la vraie résistance, et qu'on montrera quel en fut le prix, incomparablement su­périeur aux ralliements tentés ou obtenus d'un Lafont ou d'un Joanovici. Je ne parle que du domaine qualifié de pratique, si superficiel qu'il soit en vé­rité. Mais ceux qui ne sont accessibles qu'à ce genre de considérations pourront se de­mander au moins ce que de­vient une société en péril quand ces asiles et ces forte­resses de certitude sont dimi­nués ou détruits. Il y aura tou­jours la possibilité d'aller api­toyer Lafont. Bon appétit, mes­sieurs... J.-B. M. #### Jean Dutourd L'école des jocrisses (Flammarion) D'aucuns ont lu avec un plaisir non dénué de malice, sous la plume de Dutourd, des phrases que les maîtres du na­tionalisme et du traditionalis­me eussent pu prendre à leur compte. Barbey d'Aurevilly se fut sans doute réjoui de la ti­rade réhabilitant comiquement l'Inquisition et regrettant que les inquisiteurs n'eussent point rôti en plus grand nombre ces savants qui ont fait de la science « l'instrument d'un néo-paganisme tout axé sur le confort », « race abominable qui portait en germe les hor­reurs du monde moderne, de l'atomixeur à la bombe ther­monucléaire ». Cela, c'est Du­tourd en belle humeur et je ne crois pas au fond que Barbey ait été beaucoup plus que lui partisan du fagot. Dans un style plus sérieux on lit : « ...la démocratie, où chacun peut dire son mot, et où la politique consiste à faire la bête pour enrôler des électeurs ou endoc­triner des foules, est un ter­rain plus propice pour la bê­tise que la monarchie ou l'aris­tocratie. » On retiendra aussi : « Et c'est cette époque préci­sément, où les langages se mê­lent et se déforment comme au temps de Babel, que l'Église choisit pour chasser le latin de la liturgie, sous prétexte qu'il faut que les fidèles compren­nent ce que le prêtre dit pen­dant la messe ! 261:145 Au XVII^e^ siècle, il n'y avait pas un analphabète qui ne comprît le latin d'église, et c'était bien car la magie du langage s'était réfugiée là, au service de Dieu. Maintenant, elle est au service des sous-vê­tements féminins et des agita­teurs politiques. » Dutourd redécouvre Maurras quand il écrit : « L'action des parents sur l'enfance, en vingt ans, reproduit l'action de l'homme sur la nature telle qu'elle se manifeste depuis le début du monde. Il s'agit de domestiquer, de rendre utilisa­ble et bienfaisant quelque cho­se qui ne possède pas le sens du bien et du mal » ; mais il mêle dans tout le chapitre des résonances grinçantes que l'on retrouve partout à propos de la jeunesse. La critique railleuse des cheveux longs est bien facile, et pour ma part, en psy­chanalyste amateur, je verrais volontiers dans ce déploiement capillaire une sorte de réflexe défensif inconscient et naïf. Je ne suis pas aussi sûr que lui d'un goût naturel de la jeu­nesse pour les auteurs médio­cres parce qu'elle est « igno­rante des choses subtiles qu'on n'apprend qu'après avoir tâté de l'existence » ; l'âge mûr doit se défendre aussi contre une grisaille encrassante qui ne se prête pas toujours à l'ap­préciation des grandes œuvres. Et à quoi bon s'exclamer : « Pauvre jeunesse, si glorieuse de n'être tombée dans aucun des pièges où sont tombés ses aînés ! Les pièges, hélas ! sont pour demain et elle y tombera forcément » ? Pourquoi ne lui promettre que médiocrité, et ridiculiser l'impression qu'elle changera la face du monde ? Elle la changera, peu ou prou, bien ou mal, comme toutes les jeunesses précédentes. Quant aux pièges, elle y est effective­ment déjà tombée, et le moins dangereux n'est pas l'officielle « école des jocrisses » que l'on dirait, ma foi, inventée par elle ! Dutourd semble oublier vingt-cinq ans d'université marxisée. L'assaut donné à l'U­niversité vient de l'Université elle-même ; le racolage mar­xiste, l'intimidation et les pro­motions de copains datent du temps où Dutourd écrivait son « Bon Beurre ». Le bon beur­re, il y en a qui se le sont fait, et je me demande qui a patron­né l'école des jocrisses en ce temps déjà lointain, et qui plus récemment a couvé et imposé M. Edgar Faure. Et cela continue : actuelle­ment de vieux messieurs « éclairés » et porteurs de la « lumière », associés à de jeu­nes animateurs des facultés ré­volutionnaires (l'union des voraces et des coriaces) organi­sent leur apostolat pour plier l'enseignement de la littératu­re française aux impératifs d'une rénovation « structura­liste » qui ajoute à quelques in­tuitions intéressantes de Ba­chelard les méthodes de Ro­land Barthes et le primat de l'explication sexuelle. N'en déplaise à Dutourd, nous ne regrettons point que Sartre ait été un jour hué par des « en­ragés » car il fut et demeure un des maîtres de l'école des jocrisses. Quand on veut dégonfler des nuées, il faut savoir au nom de quoi on parle. Dutourd veut absolument que les respon­sables soient les bourgeois et que le désordre soit un fascis­me « travesti en idées de gau­che », alors qu'il s'agit en fait des idées de gauche les plus authentiques. 262:145 Pour finir, il nous offre un petit lexique ironique, imité du « Dictionnaire des idées reçues » de Flaubert : il y mêle astucieusement des clichés indiscutablement absur­des et des griefs assez communément formulés contre le gaullisme. C'est ce qu'on ap­pelle l'amalgame ; et d'ailleurs, pour certaines notions telles que « racisme » ou « ségréga­tion », on voit mal s'il se pro­pose de réviser les opinions officielles ou simplement de critiquer la banalité fossilisée de l'expression. En somme cette « brochure », comme d'autres essais analogues rédi­gés après mai 68, donne l'im­pression d'une bigarrure où l'intimidation et le sophisme se mêlent à des critiques valables que l'auteur ne profère qu'avec mauvaise conscience : réac­tion, mais réaction porte-à-faux, où les « réactionnaires » pourvus d'idées claires se sen­tiront finalement assez mal à leur aise. J.-B. M. #### Anthony Mockler Histoire des Mercenaires (Stook) Ce livre, traduit de l'anglais par Robert Latour, plaira à tous ceux qui aiment l'his­toire et la psychologie des hommes de guerre. En le li­sant, on regrette qu'il n'ait pas été écrit par un Français. L'auteur tente tout d'abord de donner une définition du mot *mercenaire.* A juste titre il ne se satisfait pas de celle du *Larousse :* « Soldat qui sert à prix d'argent un gouverne­ment étranger. » Il lui préféré la suivante : « Un mercenaire est un homme qui se bat pour de l'argent dans une cause qui ne le concerne pas. » Cette dé­finition ne nous convient pas davantage que la précédente. Elle ne tient pas compte du facteur idéologique. Le merce­naire a souvent d'autres mo­biles que l'appât du profit. Il se bat pour une cause qui le concerne puisqu'il l'a choisie. Il a son éthique, des motifs sentimentaux, son romantisme, tel le Légionnaire, tel aussi le soldat des Brigades interna­tionales de la Guerre d'Espa­gne. Il se voue à la guerre pour la guerre : par plaisir. Ce non-conformiste la considère comme un sport, comme une épreuve où il peut dépenser son activité, faire montre de qua­lités guerrières que la paix ne lui permet pas de déployer. Si le mercenaire n'a certes pas toutes les vertus, il a du moins généralement une qualité : il ne ressemble pas aux « pan­caliers. » Le mercenaire est aussi parfois un *desperado.* Il cherche à se racheter, a se faire pardonner des fautes de jeu­nesse. Au suicide, il préfère « le lit d'honneur ». 263:145 Toujours objectif, l'auteur se refuse à condamner le mer­cenaire, si « affreux » soit-il, à cause de la mauvaise réputa­tion dont il jouit générale­ment : « La justice, écrit-il, veut que nul homme ne soit condamné sans avoir été en­tendu. » Il s'étonne de voir les historiens libéraux qui exècrent Machiavel accepter comme parole d'évangile le jugement défavorable qu'il porte sur les *condottieri.* Il démontre que les arguments de l'auteur du *Prin­ce* sont dénués de valeur his­torique si l'on considère les événements de l'époque : « Si les mercenaires manquaient de loyauté, soutient-il, en fait de perfidie, ils n'étaient que des amateurs par comparaison avec leurs employeurs. » Anthony Mockler est un excellent histo­rien. Il fait appel à des sour­ces sérieuses qu'il s'agisse des condottieri de la Renaissance, des Suisses, et des Allemands auxquels l'Angleterre fit appel pour combattre les « Insur­gents » d'Amérique. Il rend hommage à la Légion étran­gère, explique « le mythe » de la Légion avec un pragma­tisme bien britannique. Enfin, il raconte sans parti pris l'a­venture des mercenaires du Congo, au service de Tschom­bé. Il étudie leur tactique, leurs opérations avec un louable souci de la vérité historique. Il ne craint pas de s'opposer souvent aux assertions *des pro­sateurs à l'encre rouge,* de faire fi des racontars de la presse africaine. Anthony Mockler est un bon portraitiste. Ses personnages pour la plupart peu connus, Sir John Hawkwood, le con­dottiere de la Renaissance, le capitaine Danjou de la Légion étrangère, le colonel Schramme, combattant du Katanga, ne sont pas des soldats de plomb. Et la conclusion du livre fournit au lecteur matière à ré­flexion : « En tout état de cause, comme le nationalis­me militariste des États-Na­tions de l'Europe perd de sa virulence au profit de vagues idées de supranationalité, il devient de plus en plus vrai­semblable que la soldatesque mercenaire grossira ses rangs. Du strict point de vue acadé­mique, il sera intéressant de voir dans quelle mesure l'his­toire, qui s'est si souvent répé­tée en ce domaine, continuera à se répéter. » Jacques Dinfreville. #### Jacqueline Chauveau : La conjuration de Satan, persécution religieuse sous la Révolution (Nouvelles Éditions Latines) Entre autres mérites dus à la science et au talent de l'au­teur, cet ouvrage a celui de nous rendre l'essentiel de nom­bre de textes précieux devenus introuvables. 264:145 L'histoire vraie qu'il nous conte si bien, on ne la trouve bien sûr dans aucun des ma­nuels scolaires officiels de nos cinq républiques. On la trouve aussi de moins en moins, avouons-le, dans ceux des éco­les « privées » ; et beaucoup d'historiens, par ailleurs re­commandables, préfèrent pas­ser vite. Car elle prouve que la cause profonde et véritable de la Révolution dite française est l'origine satanique de ce drame. Et pourtant, sous la plume des contemporains qui, eux, ne s'y sont pas trompés reviennent sans cesse ces deux mots « diabolique conjura­tion ». L'antique germe luciférien d'où sortit la révolte des Anges avait déjà souvent poussé sur terre ses fruits mortels, quand Adam Weisshaupt, qui avait fondé à Ingolstadt en 1776 la secte des Illuminés de Bavière organisa en 1783 à Wilhemsbad un Congrès Maçonnique universel. Effrayé par les suites qu'il lui était facile d'entrevoir, le roi de Bavière ordonna la dis­solution de la secte. Mais les Loges d'Europe avaient eu le temps de répandre partout le mot d'ordre. On le trouve clai­rement exprimé dans la fameu­se lettre de Voltaire à son ami Étienne-Noël Damilaville, fa­rouche ennemi du christianis­me et que le peu suspect d'Holzbach appelait « le gobe-mou­ches de la philosophie ». « La religion chrétienne, écrivait Voltaire, est une reli­gion infâme... Il faut que les philosophies courent les rues pour la détruire, comme ses missionnaires courent les ter­res et les mers pour la propa­ger... Écrasons, écrasez l'in­fâme. » Déjà Diderot, membre de la Loge parisienne *Les Neuf Sœurs*, vendant la mèche au cours d'un furieux accès d'élo­quence, avait révélé le dessein du complot. « Avec les boyaux du dernier des prêtres, étran­gler le dernier des rois. » Impossible toutefois en France, de toucher à l'Église -- dont les « Philosophes » s'acharnaient depuis longtemps à corrompre le clergé -- avant d'avoir renversé la barrière protectrice que constituait la vieille monarchie très chré­tienne. La Maçonnerie s'y em­ploya. Et lorsque Louis XVI, qui d'abord avait cru pouvoir apaiser l'orage, eût décidé qu'on ne l'entraînerait pas plus loin dans la lutte contre la re­ligion, il fut abattu. La haine satanique put alors se donner libre cours. Les autels furent profanés, les sanctuaires jetés bas ; les prêtres qui refusèrent de prêter le serment civil im­posé furent traqués, exilés, dé­portés dans des conditions atroces, massacrés sans pitié, ou -- ce qui peut-être fut pire -- entassés dans des pon­tons du modèle de cet ancien « négrier » *Les Deux Associés,* où 112 d'entre eux, sur 400, moururent en trois mois. Si jamais le mot de Plaute *Homo homini lupus* s'est véri­fié, c'est bien pendant cette révolution dite française. Loups féroces, ces imbéciles verbeux, ces assassins dégui­sés en magistrats, et surtout ces monstres, si habiles dans l'art de torturer, qui allaient jus­qu'à dévorer tout vif encore le cœur et à laper tout chaud le sang de leurs victimes. Mais à cette lie du genre humain fi­rent face, « agneaux pleins de douceur », des milliers de fi­dèles, curés, vicaires, religieux, religieuses ou laïcs. 265:145 Diptyque, que l'ouvrage de Jacqueline Chauveau rend sai­sissant. Comment, devant ces tableaux, ne pas se rappeler les vers de Péguy : *Les armes de Satan, c'est l'envie et la haine.* *Les armes de Jésus, c'est l'a­mour et la peine.* Comment ne pas se rappeler cette parole du Christ à ses apôtres : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » En se réalisant dix-huit siècles plus tard sous la Révolution dite française, cette prédiction fournissait une preuve de plus de la divinité du Christ, puisque pour Dieu tout est présent. Satan ne s'endort jamais. C'est dans l'Église en ce mo­ment qu'il souffle la révolution. Que l'exemple des fidèles dont Jacqueline Chauveau nous conte ici le martyre nous aide donc à comprendre ce qui peut se cacher derrière « l'ou­verture au monde » et tant d'autres formules ambiguës, et à nous imprégner de cette au­tre parole de Notre-Seigneur : « Celui qui persévère jusqu'à la fin sera sauvé. » J. Thérol. 266:145 ## DOCUMENTS ### L'Institut de philosophie comparée #### Création de l'Institut Mai 68 : A la base du mouvement qui se développe et des violences qu'orchestrent et qu'exploitent les révolutionnaires apparaît en profondeur une motivation : étudiantes et étu­diants souffrent d'une faim intellectuelle et spirituelle que ne peut apaiser l'enseignement qui leur est donné. Les observa­teurs les plus sagaces sont d'accord sur le diagnostic. Aux jeunes gens et aux jeunes filles qui demandent la vérité, les vieilles structures de l'enseignement ne leur donnent rien qui les satisfasse. Une des causes très profondes de l'explo­sion, c'est la famine philosophique. C'est de cette constatation, à partir de laquelle se sont re­joints des parents, des professeurs et des étudiants qu'est né l'Institut de Philosophie Comparée. Fondé sur l'initiative de l'Association de Parents pour la Promotion de l'Enseignement Supérieur Libre ([^113]), l'I.P.C. ([^114]) manifeste, de manière typique, la fécondité des initiatives dont notre époque est capable. Le nom choisi par les fondateurs exprime suffisamment le but profond qu'ils ont poursuivi. Les servitudes du programme officiel ont réduit l'enseigne­ment de la philosophie en France à n'être que l'étude de l'his­toire des philosophies. Cette perspective, conséquence presque inéluctable d'une limitation étatique de la liberté de pensée, a abouti à stériliser la présentation des philosophies les plus an­ciennes et à ne leur attribuer qu'une valeur de référence intel­lectuelle. 267:145 Inversement, les philosophies contemporaines sédui­sent en raison de leur « succès » sociologique plus que de leur capacité propre d'affronter de l'intérieur des pensées qui res­tent vivantes, même si le maître qui les a formulées est mort depuis des siècles. C'est devant ce signe d'épuisement, parmi d'autres, des disciplines philosophiques, dans la crise de civilisation moderne, que l'Institut a été fondé, afin de tenter, pour sa part, et en toute indépendance, un effort qui conduit à puiser une nouvelle fois aux sources de l'esprit. Aborder la pensée de chaque phi­losophe, non comme le système d'un temps et d'un lieu donnés, mais comme une méthode vivante, digne de l'intelligence de l'homme, pour aider à résoudre les problèmes de toujours et ceux d'aujourd'hui, telle est la condition de la philosophie com­parée au sens où l'Institut veut la faire progresser. Réunissant d'ores et déjà des maîtres de huit pays et de trois continents, c'est en outre pour promouvoir une vaste coopération interna­tionale que l'I.P.C. a été créé. C'est l'expérience non moins que l'indépendance de l'esprit qui a conduit les fondateurs de l'Institut à développer les tra­vaux de recherche et d'enseignement en utilisant, de manière privilégiée, la philosophie d'Aristote et de son commentateur, Thomas d'Aquin. Dans une large mesure, le dialogue qui peut s'instaurer entre les diverses écoles de pensée se trouve en effet largement facilité dès que l'on cesse de la maintenir dans un ostracisme que rien ne justifie. D'ores et déjà, les résultats de l'enseignement de l'Institut de Philosophie Comparée témoignent de l'opportunité et de la nécessité de l'œuvre entreprise. Les temps qui s'ouvrent devant nous requièrent qu'une école de haut savoir, dans le cadre d'une collaboration internationale, donne à une élite d'étudiants et d'étudiantes et au-delà, à tous ceux qui en éprouvent le besoin ou le goût, une aide efficace pour acquérir ou développer une vraie formation de l'esprit et pour mieux comprendre les pro­blèmes les plus actuels. Ceux qui aideront à rendre à la pensée humaine, dans les jours de demain, les certitudes de l'intelli­gence, de façon substantielle, seront aussi, contrairement à un préjugé répandu, les plus pratiques et les plus efficaces des hommes et des femmes de notre temps. #### Diplômes décernés L'Institut de Philosophie Comparée tend, en communiquant un vrai savoir, à développer une méthode intellectuelle. 268:145 Il tend moins à exercer la mémoire qu'à permettre d'acquérir une dis­position scientifique dans l'intelligence. On ne s'étonnera donc pas qu'à la fin de chaque année, le diplôme décerné aux étu­diants ne corresponde pas à la terminologie traditionnelle. De­puis longtemps, en effet, il faut déplorer que le nom des diplô­mes ne se conforme plus guère à une réalité. Le choix qui a été fait des quatre certificats décernés par l'I.P.C. résulte d'une volonté explicite d'orienter l'esprit des étudiants et des étudian­tes vers l'effort propre qu'il doivent fournir au cours de chaque année. L'Institut de Philosophie Comparée décerne les diplômes suivants : Année I  : Auditeur en philosophie. Année II  : Lecteur en philosophie. Année III  : Commentateur en philosophie. Années suivantes : Maître en philosophie. Chacun de ces grades universitaires correspond à une étape pédagogique précise et selon un ordre qui est celui-là même de l'avancement de la disposition scientifique de l'intelligence. Année I : AUDITEUR Le Certificat d'Auditeur en philosophie sanctionne normale­ment la première année de cours et de travaux des étudiants à temps complet. Il indique suffisamment qu'au cours de cette première étape l'étudiant et l'étudiante auront eu à acquérir et à perfectionner une disposition intellectuelle précise : celle d'être capable de suivre et de comprendre l'enseignement philosophi­que élémentaire qui introduit à la pensée des principaux philo­sophes. Si l'on insiste particulièrement, non sur les matières enseignées, mais sur la participation des étudiants à l'audition des cours, c'est afin de mieux faire paraître, d'une part, que le fait de *suivre un cours* de philosophie est *une activité qui se perfectionne* et, d'autre part, que cette activité constitue non le point d'arrivée, mais *le point de départ* des études supérieu­res en cette discipline. A la fin de la première année, l'étudiant et l'étudiante ont *entendu*, au sens intellectuel et même spiri­tuel du mot, les premières grandes synthèses des principaux philosophes. Ils sont en état de faire un travail plus personnel. 269:145 Année II : LECTEUR C'est ce travail plus personnel qui commencera au cours de la deuxième année (qui correspond au DUEL). Seuls les étudiants titulaires du grade d'AUDITEUR de l'I.P.C. (ou d'un diplôme universitaire reconnu équivalent par le conseil des professeurs) seront admis à suivre les travaux et les cours de cette deuxième année. Au cours de la deuxième année, l'étude des auteurs et des problèmes est poursuivie, l'accent est mis très fortement sur l'étude de la pensée vivante des philosophes dans les textes. L'étudiant et l'étudiante doivent être *capables de lire un texte* de l'un des principaux philosophes en comprenant ce texte dans le sens et dans l'esprit de ce philosophe lui-même. Au sens le plus dense et le plus plein des mots, l'étudiant, à la fin de la *première* année, doit savoir écouter et comprendre l'exposé d'une pensée. A la fin de la *deuxième* année, il doit être capable de lire, en le restituant dans son contexte d'en­semble, le texte d'un auteur. Année III : COMMENTATEUR Comme précédemment, seuls les étudiants titulaires du grade de LECTEUR ou d'une équivalence reconnue, sont admis à suivre les travaux et les cours de la troisième année. L'importance de cette troisième année est tout à fait fonda­mentale. C'est au cours de son déroulement que le caractère personnel de la pensée de l'étudiant et de l'étudiante est appelé à s'affirmer. C'est essentiellement ce *caractère personnel d'une pensée indépendante des modes intellectuelles*, profondément objective dans l'effort d'intelligence de chaque auteur et capa­ble de s'exprimer à l'occasion de l'étude d'un texte philosophi­que que veut manifester le grade de COMMENTATEUR. Le com­mentaire de texte est en effet la forme la plus élevée de l'exercice personnel de la réflexion car il est en même temps occasion de recevoir la lumière de ce texte et occasion d'éclairer ce texte lui-même de toutes les remarques, comparaisons, de tous les rapprochements et approfondissements qu'une pensée sé­rieuse et mûrie peut formuler. La philosophie comparée trouve ici sa consécration puisqu'elle donne la liberté à la réflexion philosophique personnelle. Un mémoire manifestant l'aptitude aux commentaires et à la pensée philosophique sera rédigé sur un sujet choisi en accord avec un professeur et sous la direc­tion de celui-ci. 270:145 Années terminales : MAITRISE Les étudiants désirant poursuivre et compléter leurs études en vue de l'obtention de la maîtrise doivent être titulaires du diplôme de COMMENTATEUR et avoir obtenu l'autorisation d'exercer les fonctions de moniteurs ou d'assistants dans le cadre des travaux, des équipes de recherche, ou des cours professés à l'Institut. Ce stade de la formation dispensé par l'Institut peut se ré­partir sur plusieurs années afin de permettre la préparation simultanée d'un Doctorat. Il doit correspondre à l'acquisition et au développement des qualités qui sont celles du maître dans le domaine de la réflexion, de l'expression et de la transmission des disciplines philosophiques. C'est, dans une large mesure, la maturité intellectuelle et les qualités pédagogiques (tenant compte de l'ordre d'apprentis­sage respectueux de la démarche naturelle de l'intelligence) qui permettent d'obtenir la maîtrise en philosophie. Il importe que ce diplôme corresponde en vérité, et non seulement pour la forme, à l'autorité même que sa dénomination exprime. #### Conditions générales d'obtention des diplômes -- avoir participé régulièrement aux cours, travaux, séminaires, sessions spéciales de l'année d'étude ; -- avoir effectué les dissertations, lectures et exposés soumis à la notation continue ; -- avoir subi avec succès les examens partiels et les examens de fin d'année ; -- pour le diplôme de commentateur, avoir soutenu un mé­moire accepté par un jury de professeurs de l'I.P.C. L'avenir des étudiants En même temps qu'à ses diplômes propres, l'Institut prépare aux diplômes d'État. Contrairement à un préjugé courant, les étudiants qui préparent les diplômes de philosophie n'ont pas actuellement de difficultés particulières à trouver une profes­sion correspondant à leur formation. 271:145 Non seulement les carrières de l'enseignement leur sont ouvertes mais encore les qualités intellectuelle, morales et pratiques qu'une formation philosophique véritable développe, permettent une admirable polyvalence dans l'orientation : rela­tions humaines, publicité, informatique, journaliste, directeur du personnel, sociologue, etc., sont autant de voies ouvertes où la formation profonde assure des succès à long terme et la possibilité d'accéder à de hauts niveaux de responsabilité. #### Corps professoral Directeur : M. André CLÉMENT, docteur en philosophie. \*\*\* M. Jean-Claude ABSIL, professeur de mathématiques supérieures (BRUXELLES). Chargé du cours de philosophie des mathé­matiques et des travaux dirigés en philosophie des sciences. Mme Monique ATTALI, licenciée et D.E.S. en philosophie. Char­gée du cours de philosophie moderne et contemporaine. M. Marcel CLÉMENT, docteur en sciences sociales et économi­ques ; licencié et D.E.S. en philosophie ; licencié en droit, D.E.S. en économie politique. Anc. professeur à l'Université Laval (QUÉBEC) et à l'Université de Montréal. Professeur à la Faculté autonome d'économie et de droit. Professeur en philosophie sociale. M. Jean-Baptiste ÉCHIVARD, licencié en philosophie. Assistant (philosophie de la nature). Lecture des textes en philosophie médiévale et moderne. M. John GALLUP, docteur en philosophie. Professeur à l'Univer­sité Laval (QUÉBEC). Chargé du cours de linguistique. M. l'Abbé Paul GRENET, docteur ès lettres ; licencié en philoso­phie scolastique ; membre de l'Académie de ROUEN ; pro­fesseur à l'Institut Catholique (PARIS). Professeur de philo­sophie ancienne et médiévale. M. Tashimitsu HASUMI, docteur en philosophie. Anc. assistant à l'Université Sophia de TOKYO. Philosophie comparée de l'Extrême-Orient et de l'Occident. P. Joseph DE SAINTE-MARIE O.C.D., docteur en théologie, licencié en philosophie. Professeur à la Faculté pontificale de théologie du C.I.C.S. (ROME). Chargé d'un cours en théologie naturelle. 272:145 M. Thomas DE KONINCX, docteur en philosophie ; ancien bour­sier Rhodes à l'Université d'Oxford. Professeur à l'Univer­sité Laval (QUÉBEC). Professeur d'histoire de la philosophie grecque et de philosophie de la nature. M. Robert LAHAYE, licencié ès lettres. Chargé du cours de phi­losophie du vivant (psychologie). Commentaire de textes des philosophes grecs. Mlle Aline LIZOTTE, docteur en philosophie. Université Laval. Chargée de cours en métaphysique et philosophie de la nature. P. Henri-Marie MANTEAU-BONAMY O.P., docteur en théologie ; licencié en philosophie ; anc. professeur au Saulchoir. Pro­fesseur de philosophie moderne. Mlle Suzane MOLNAR, licenciée en philosophie. Assistante (mé­taphysique). M. Jacques DE MONLÉON, docteur en philosophie ; licencié ès lettres et en droit. Professeur agrégé à l'Université Laval et à l'Institut Catholique (PARIS). Professeur d'éthique et de politique. P. Albert MORACZEWSKI O.P., docteur en philosophie. Maître de recherches au « Texas Medical Center », HOUSTON (U.S.A.). Chargé de cours en philosophie des sciences. M. André DE MURALT, docteur en philosophie. Professeur à l'Université de GENÈVE. Chargé de cours en philosophie moderne et contemporaine. M. Warren MURRAY, docteur en philosophie ; licencié ès scien­ces. Professeur à l'Université Laval (QUÉBEC) et dans plusieurs autres universités des E. U. Professeur de philo­sophie de la nature et de philosophie des sciences. Mlle Alix PARMENTIER, docteur ès lettres. Chargée de cours en philosophie moderne (philosophes anglais). M. Dirk PEREBOOM, docteur en philosophie. Professeur et char­gé de recherches à l'Université de FRIBOURG. Professeur de logique ; chargé d'un cours de critique de la connaissance et de la lecture des philosophes modernes et contemporains. P. Marie-Dominique PHILLIPPE, O.P., docteur en théologie : li­cencié en philosophie. Professeur à l'Université de FRIBOURG. Professeur de métaphysique. M. l'abbé Francis RUELLO, docteur en philosophie, docteur ès lettres. Ingénieur au C.N.R.S. Professeur aux Facultés libres d'Angers. Professeur de philosophie morale. M. Carlos A. SACHERI, docteur en philosophie, docteur en droit. Professeur à l'Université de BUENOS AIRES et de QUÉBEC. Chargé de cours en philosophie morale. 273:145 M. l'Abbé Roger VERNEAUX, docteur en philosophie, docteur ès lettres, docteur en théologie. Professeur à l'Institut Catholi­que (PARIS). Professeur d'épistémologie et de philosophie moderne. M. Michel VILLEY, professeur à la Faculté de droit et de sciences économiques (PARIS). Professeur de philosophie du droit. Mme Madeleine VIOLLET, docteur en médecine, licenciée eu philosophie, psychanalyste. Professeur de psychologie. \*\*\* *Pour tous renseignements et inscriptions, s'adresser à l'ad­ministration de l'* « *Institut de Philosophie comparée *»*, 11, rue Pierre Cherest, 92 - Neuilly-sur-Seine.* 274:145 ## AVIS PRATIQUES ### Il y a urgence ■ La revue ITINÉRAIRES ne survivra pas si elle n'est pas *directement soutenue* par une *action* intellectuelle et mo­rale, civique et culturelle, religieuse et *organique.* LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES sont aujourd'hui la *seule* organisation qui apporte à la revue un soutien *effec­tif et militant.* ■ Si vous ne donnez pas *aujourd'hui* votre aide à cette or­ganisation, alors *demain* la revue disparaîtra. *A vous de décider.* ■ LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES ont besoin de votre aide vous pouvez *au moins* leur envoyer fût-ce simplement une *souscription sans adhésion :* C.C.P. 19.241.14. LES COMPA­GNONS D'ITINÉRAIRES n'ont pas de ressources en dehors de vos cotisations et de vos souscriptions. LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES organisent : 1*° Une entraide matérielle :* l'entraide à l'abonnement, en établissant des bourses (partielles ou totales) d'abonne­ment à la revue. 2*° Une entraide intellectuelle* dans tout le champ d'ac­tion de la revue, défini par sa DÉCLARATION FONDAMENTALE. 3*° Une entraide spirituelle :* en vous réunissant loca­lement, pour que vous vous donniez ainsi les moyens de trouver des solutions pratiques aux problèmes qui vous sont posés par l'extension de l'apostasie immanente. 275:145 ■ Si vous n'avez encore aucun contact avec LES COMPA­GNONS D'ITINÉRAIRES, écrivez à leur direction centrale. 49, rue des Renaudes Paris XVII^e^. ■ Trois cas peuvent se présenter : 1° Il existe dans votre localité un groupe local des COMPAGNONS ; nous vous l'indiquerons. 2° Il n'y a encore aucun groupe local, mais votre loca­lité est située dans une région qui dépend d'une « déléga­tion régionale » des COMPAGNONS déjà constituée : vous examinerez avec cette « délégation régionale » l'opportunité de fonder un groupe local dans votre localité. 3° Il n'existe encore ni groupe local dans votre localité, ni délégation régionale pour votre région : c'est alors direc­tement par la direction centrale des COMPAGNONS D'ITINÉ­RAIRES que vous serez mis en contact avec les autres lec­teurs de la revue qui dans votre région se seront pareille­ment fait connaître. *■* *Avant de partir en vacances,* examinez donc sérieuse­ment : *a*) si vous pouvez envoyer au moins une souscription aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES (C.C.P. Paris 19.241.14) ; *b*) si vous vous décidez en outre à *prendre contact,* pour voir comment vous pourrez bénéficier de l'aide des COMPA­GNONS ou leur apporter votre renfort. "Situation"\ de la revue Sous ce titre, un supplément reproduisant la réponse de Jean Madiran à Michel Demange parue dans notre numéro pré­cédent. Ce supplément, *vous le trouverez dans les permanences, clubs et bibliothèques des* COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES. Il est à employer en priorité pour faire *connaître* la revue et pour faire *comprendre* son action. ============== fin du numéro 145. [^1]: **\***-- ne figure pas ici. \[2002\] [^2]:  -- (1). Page II du supplément n° 2, *Défense du Foyer* n° 114, avril-mai 1970. -- Il est assez connu, et assez aisément vérifiable, que nous n'avons jamais appelé Paul VI : « Montini » ; encore moins l'avons-nous fait « dédaigneusement ». L'auteur de ce mensonge est moralement tenu à rectifier et à réparer. Il le fera s'il est honnête. [^3]:  -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 138 de décembre 1969, page 188. [^4]:  -- (2). De manière malveillante ? -- Être *malveillant*, c'est *vouloir du mal* à quelqu'un. Nous ne voulons aucun mal à M. Jean Daujat. Nous ne lui voulons que du bien (et de fait nous venons de lui en procurer). Nous voulions le réveiller, et pour le réveiller nous lui avons fait un reproche de manière *bousculante*. Par quoi nous l'avons amené à rectifier son erreur, et à publier cette « mise au point » qu'il déclare « opportune » et de grande « importance ». Il nous devait donc des remerciements proportionnés. Il les a entièrement omis. Mais nous ne lui en tenons aucune rigueur. [^5]:  -- (3). *Doctrine et Vie*, numéro d'avril 1970, page 8. [^6]:  -- (1). Manifeste publié en France par *La Pensée Catholique,* numéro 124. Voir ITINÉRAIRES, numéro 143 de mai 1970, pages 165 à 170. [^7]:  -- (1). Référence de la *Documentation catholique* aux *Notictiae* de la Congrégation, numéro de mars 1970, page 104. [^8]:  -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 102 d'avril 1966, page 55. [^9]:  -- (1). Ou : « dans les cas prévus par la législation ». C'est nous qui soulignons. Paul VI a fait cette lecture en italien (*Osservatore romano* du 27 novembre 1969) : « I sacerdoti che celebrano in latino, in privato, *o anche in publico per i casi previsti dalla legis­latione... *» [^10]:  -- (1). Il y en a même un cinquième, concernant les célébrations liturgiques dans les Séminaires. [^11]:  -- (2). La Congrégation « des rites » a simplement changé de nom, elle est devenue Congrégation du « culte divin ». [^12]:  -- (3). Comme on le sait, cette traduction française de la loi conci­liaire est faible. Il n'est pas dit : *sera conservé*, mais, plus fortement *doit être* conservé. [^13]: **\*** -- cf. *Itin*. n° 117, p. 87, note 1 : non pas *conservé* mais *observé*. [^14]:  -- (1). Déclaration du cardinal Gut, *Documentation catholique* du 16 novembre 1969, page 1049 (souligné, en italiques, par nous). [^15]:  -- (1). Ce qu'une telle « législation » peut avoir de navrant dans sa pensée et dans son style décadents, voire son allure de machiavélique sournoiserie, saute aux yeux. Nous ne nous y arrêtons pas. Nous ne plongeons là-dedans que pour en tirer les « cas prévus par la loi. » [^16]:  -- (1). *Documentation catholique* du 21 décembre 1969, page 1102. [^17]:  -- (1). De quoi certains tirent argument pour prétendre que ce n'est donc point une décision officielle. Mais ils se trompent, ou ils mentent. Il n'est nullement obligatoire que les décisions des Congré­gations romaines soient publiées aux Acta pour être valides ; de fait, beaucoup d'entre elles n'y figurent point. [^18]:  -- (1). On sait comment le déplorable retard de Pie VI à condamner la constitution civile du clergé avait induit Louis XVI et beaucoup de prêtres à prêter le serment. Une plus grande promptitude, un plus grand courage de la part du Saint-Père, mon seulement auraient épargné des drames de conscience à bien des prêtres, mais auraient porté un grand coup à la Révolution. [^19]:  -- (1). Voir Matt. XVI, 13-19 et 21-23 ; puis Jo. XV, 17 ; puis Lc XXII, 31-35. [^20]:  -- (1). Saint Pierre, il est vrai, et les Apôtres, selon une opinion commune furent confirmés en grâce par la venue du Saint-Esprit. Mais ce privilège de saint Pierre et des Apôtres n'a pas été transmis aux successeurs. [^21]:  -- (1). *Au milieu de notre vie nous sommes déjà dans la mort.* Répons des Complies Dominicaines en Carême -- jusqu'au saccage liturgique de ces dernières années. [^22]:  -- (2). A ce propos je tiens à recommander hautement la vie de l'*Abbé Lucien Chatelard* (*1883-1916*) par le Chanoine Maugendre, tome III de *la Renaissance catholique au début du XX^e^ siècle* (Beauchesne éd., rue de Rennes, Paris). Plus on connaît l'histoire de ces nombreux prêtres qui donnèrent leur vie pendant la guerre 14-18, plus on se persuade que l'église de France connut alors une des plus belles efflorescences (la plus belle peut-être) de la sainteté sacerdo­tale. Quand on lit dans la vie de l'Abbé Maugendre (p. 191) le récit de la communion dans les tranchées pendant l'hiver de 1916 et quand on compare avec les mises en scènes sacrilèges, devenues courantes aujourd'hui, pour la distribution de la communion, on est effrayé de la déchéance du clergé en l'espace d'un demi-siècle. [^23]:  -- (1). On peut se reporter sur ce sujet au livre de Bernard Faÿ *L'Église de Judas ?* (la première partie) Éditions Plon, à Paris. [^24]:  -- (1). Relire par exemple l'étude de Madiran sur le *Processus de la Communion dans la main* (ITINÉRAIRES, troisième supplément au numéro 135 de juillet-août 69). Ou bien la lettre de M. de Corte à Madiran (ITINÉRAIRES, février 70). [^25]:  -- (1). C'est le nerf de l'argumentation de la grande supplique adres­sée à Paul VI par les deux cardinaux Ottaviani et Bacci. En qualité de gardien infaillible de la doctrine irréformable de Trente que le Saint Père daigne revenir sur un acte qui n'e rien d'infaillible et qui « s'éloigne de façon impressionnante dans l'ensemble comme dans le détail » de la doctrine définitive du. Concile de Trente. [^26]:  -- (2). *Polyvalent :* c'est-à-dire qu'il est destiné à valoir aussi bien pour les pasteurs protestants que pour les prêtres catholiques, comme le démontre depuis plus de six mois le *Courrier de Rome,* sans que ses arguments aient jamais été réfutés. [^27]:  -- (1). *Le Monde* du 17 mai 1969. [^28]:  -- (2). *Ibid.* [^29]:  -- (3). Henri Fesquet dans *Le Monde* du 12 mai 1970. [^30]:  -- (1). Nous en avons traité dans notre opuscule : *Le principe de totalité* (Nouvelles Éditions Latines, 1963), spécialement aux page 65-79. [^31]:  -- (1). Sur les quatorze œuvres de miséricorde (sept corporelles et sept spirituelles) : voir le catéchisme. [^32]:  -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 97 de novembre 1965 : *Perplexités sur le monde enseignant et l'Église enseignée.* [^33]:  -- (1). Interview du cardinal Suenens aux I.C.I. du 15 mai 1969. [^34]:  -- (1). Que l'Église ne soit plus une fin dernière dans la « théologie » du cardinal Suenens, c'est aussi l'avis du « théologien » François Biot qui écrit dans *Témoignage chrétien* du 28 mai 1970 : « Il nous semble que les intuitions du cardinal Suenens conduisent logiquement à cet ultime déplacement : *l'Église n'est pas au centre, elle n'est pas le but, ni la fin de l'humanité. *» -- D'ailleurs le cardinal Suenens l'a dit en propres termes le 3 mai 1970 à la télévision française (texte dans les I.C.I. du 15 mai 1970, gage, 20) : « L'Église est pour le monde ». [^35]:  -- (1). Schillebeeckx, Le *Monde* du 22 mai 1970. [^36]:  -- (1). Jean GUITTON, *Dialogues avec Paul VI,* page 27 (et les pages à l'entour pour le contexte). Commenté dans ITINÉRAIRES, numéro 128 de décembre 1968, pages 154-158. [^37]:  -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 144 de juin 1970, page 1311. [^38]:  -- (1). *Documentation catholique* du 16 novembre 1969, page 1048 (c'est nous qui soulignons). Texte déjà cité et commenté par l'abbé Raymond Dulac dans ITINÉRAIRES, numéro 140 de février 1970, pages 41 et suiv. [^39]:  -- (2). ITINÉRAIRES, numéro 143 de mai 1970, page 112. [^40]:  -- (1). H. FESQUET dans Le *Monde* du 12 mai 1970. [^41]:  -- (2). Sur le terme de *collégialité,* sur son absence dans les textes conciliaires de Vatican II, sur son origine réelle, etc., voir notre Journal écrit pendant un Synode, dans ITINÉRAIRES, numéro 138 de décembre 1969, pages 162 à 172. [^42]:  -- (1). La traduction : « *aussi légitime puisse-t-elle être *» est contestée par *L'Homme nouveau* (7 juin), qui préfère traduire « encore qu'elle puisse être légitime », et qui insiste : « ces nuances (entre les deux traductions) sont éclairantes ». -- Ainsi *L'Homme nouveau* cherche à « nuancer » d'une (légère et hypothétique) incer­titude l'affirmation que la théologie suenensienne est légitime. -- Mais voici les paroles exactes de Paul VI (discours du 15 mai, *Osservatore romano* du 16 mai) : « *Una teologia particolare -- occore ribadirlo -- non è il* CONCILIO, PER QUANTO POSSA ESSERE LEGITIMA ». C'est-à-dire : « quelque puisse être sa légitimité ». -- Bien que la « nuance » introduite par la traduction de *L'Homme nouveau* soit très mince, et inspirée par une émouvante bonne volonté, elle ne nous paraît donc pas exacte. [^43]:  -- (1). P. 12. [^44]:  -- (2). P. 63. [^45]:  -- (3). Mars 1967, p. 339. [^46]:  -- (1). Cf. notre plaquette *Planification des naissances*, Collection Le Comoran. En vente au S.I.D.E.F., 31, rue de l'Orangerie, 78 - Versailles (3 F.). [^47]:  -- (1). ENGELS : *L'origine de la Famille* (Costes, 1946). [^48]:  -- (2). ENGELS : *Principes du Communisme* (Bureau d'Éditions, 1928, p. 29). [^49]:  -- (3). ENGELS : *L'origine de la Famille* (Costes, 1946, pp. 65-66). [^50]:  -- (4). S'il est logique que le marxisme ait conduit à ces consé­quences, objectera-t-on peut-être, comment expliquer qu'après les « expériences » catastrophiques des débuts du communisme, l'État soviétique ait remis la famille à l'honneur et la chasteté en vigueur ? Il faut, pour comprendre cette « contradiction », se rappeler que le propre du « matérialisme historique » est de ne reconnaître aucune valeur métaphysique à aucun ordre des choses. Seule compte l'efficacité historique du mouvement révolutionnaire. Ayant donc cassé l'ordre moral naturel, rejeté tout caractère sacré et spirituel du mariage et réduit la famille aux proportions conven­tionnelles de moyen à la disposition du socialisme révolutionnaire, rien n'empêchait les Soviétiques de travailler à refaire en U.R.S.S. des familles fortes et disciplinées, bons instruments d'une politique totalitaire. [^51]:  -- (1). Cité par Dillon Mac Garthy (« Atheist Agenda » in « The Crusader », juillet-août 1969). [^52]:  -- (2). Wilhelm REICH : *La Révolution sexuelle*, Plon 1968. [^53]:  -- (1). Dans un entretien publié par *Le Monde* du 15 novembre 1969. [^54]:  -- (1). Souligné par nous. [^55]:  -- (2). Les courants marxistes et maçonniques sont en parfaite con­cordance lorsqu'il s'agit de casser la famille traditionnelle. On pouvait lire, en septembre dernier, dans les comptes rendus donnés par *Le Monde* du Convent du Grand Orient que ce dernier avait «* mis à l'étude la compatibilité de la pensée marxiste avec l'idéal maçonnique. Il réclame l'institution d'une formation pédagogique sexuelle pour les maîtres et celle d'un enseignement sexuel pour les enfants. Il demande la révision de la législation matrimoniale de manière à rendre moins hypocrite et plus aisée la procédure du divorce, etc. *» Quant au convent de la Grande Loge de France (que l'on donne souvent pour anti-marxiste et « spiritualiste »... lisez A. Mellor) il nous apprenait l'été dernier les états de service maçonniques du Dr. Pierre Simon, élu Grand Maître de l'Obédience, président du Collège médical du Mouvement Français pour le Planning familial ; «* il a été un des fondateurs de ce Mouvement dont il est vice-président. Il a joué, on le sait, un rôle important dans la préparation de la Loi Neuwirth sur la contraception *» ... (*Le Monde*, 16 sept. 1969). [^56]:  -- (1). Discours à Pax Christi, 13-9-1952. [^57]:  -- (1). Il est clair que le « retard » de la France dans ce cercle infernal tient au fait que les nations catholiques sont malgré tout plus solidement ancrées dans l'ordre naturel que les peuples à majorité protestante. [^58]:  -- (2). Le texte de Dillon Mac Carthy a été diffusé en France par le S.I.D.E.F., 31, rue de l'Orangerie, 78 - Versailles (en vente, 2 francs franco). *L'Homme Nouveau* a repris ce texte dans son numéro du 17 mai 1970. [^59]:  -- (1). « Nouvelles de Chrétienté », n° 536 du 28-4-69. [^60]:  -- (1). « Combat », 14-7-67. \[manque l'appel de note dans l'original\] [^61]:  -- (2). Les passages entre guillemets sont tirés de la « Proposition de Loi » enregistrée à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 5 avril 1967. Annexe au procès-verbal de la séance du 12 avril 1967. [^62]:  -- (1). Souligné par nous. [^63]:  -- (2). Il n'y a pas que ces milieux à prendre prétexte « d'éducation sexuelle » pour faire l'éducation contraceptive : l' « éducation sexuelle » pratiquée en maints collèges catholiques est très souvent consacrée à l'initiation contraceptive. On pourrait citer beaucoup d'autres exemples d' « éducation sexuelle » sous caution religieuse pratiquant l'apologie des « *expériences sexuelles hors mariage *» ; « *il n'est pas interdit de faire des expériences à condition de n'abuser personne *» *;* « *jeux sexuels, escarmouches avant la ba­taille... *» ; « *que la* « *liberté sexuelle *» *obtienne, à son niveau et avec ses responsabilités propres à l'égard du partenaire, droit de cité, que les tabous anatomiques et sociaux se désacralisent à ce niveau* (*etc.*) *alors* (*l'engagement total et social*) *que l'on nomme généralement mariage* (*...*) *peut à son tour et à son niveau retrouver sa valeur et sa portée *». Où croyez-vous que nous ayons trouvé ces lignes ? Dans la revue du Grand Orient ? Pas du tout : dans *Documents Service Adolescence* d'avril 1970, pp. 29-30. Cette revue est cautionnée par le C.N.E.R., *Centre National de l'Ensei­gnement Religieux.* [^64]:  -- (1). Le M.F.P.F. était hors la loi avant 1967 dans la mesure où il avait pour but essentiel d'initier le public à des pratiques condam­nées par la loi de 1920. [^65]:  -- (1). Lettre à Sœur Marie du Sacré-Cœur. [^66]:  -- (2). Voir l'article « De l'Antéchrist » du R.P. Calmel : ITINÉRAIRES numéro 111, mars 1967, page 144. [^67]:  -- (1). Saint Paul aux Thessaloniciens, III, 3-13. [^68]:  -- (1). C'est eux qui donnèrent aux autochtones le surnom de « Maures », quinze siècles donc avant la naissance de l'Islam. [^69]:  -- (1). C'est en 681 qu'une tribu arabe, chassée de Haute Égypte, envahit l'Afrique du Nord. [^70]:  -- (1). Tel était le dessein de Saint Louis : rechristianiser le couloir nord-africain et en faire la base logistique à partir de laquelle il eût repris les Lieux Saints. [^71]:  -- (1). Cf. mes conférences sur : « l'évangélisation des masses mu­sulmanes » (1965), « l'année de la foi, avec ou sans les Harkis » (1966), « l'Islam et la liberté religieuse » (1966) et « la promotion spirituelle des Harkis » (1967). -- Note d'ITINÉRAIRES : on peut écrire au Père Maurice Avril, directement à l'adresse : Salérans, Hautes-Alpes (05). Téléphone : numéro 9 à Salérans. [^72]:  -- (1). *Brasillach,* Nouvelles Éditions Latines, 1958. [^73]:  -- (1). Lettre de sa mère à Brasillach, du 21 janvier 1945 (cité par Madiran, p. 218). [^74]:  -- (1). Éd. Brunschvicg, fr. 249. [^75]:  -- (1). Dans le premier numéro des *Cahiers André Gide*, Gallimard, 1969. [^76]:  -- (1). A Léontine Zanta, 26-1-36 (*Lettres à L. Z.,* p. 127). « Ce qui va dominant mon intérêt et mes préoccupations intérieures, vous le savez déjà, c'est l'effort pour établir en moi, et diffuser autour de moi, une religion nouvelle (appelons-la un meilleur Christianisme, si vous voulez) où le Dieu personnel cesse d'être le grand propriétaire « néolithique » de jadis pour devenir l'Âme du Monde que notre stade religieux et culturel appelle. » [^77]:  -- (2). *Comment je crois,* 28.10.34 (Œ., X, 150). Suite du texte : « Telle me paraît être la seule conversion possible du Monde, et la seule forme imaginable pour une Religion de l'Avenir. » [^78]:  -- (1). *L'Église des temps barbares,* p. 642. [^79]:  -- (2). *Tome VII, L'Église au pouvoir des laïques,* pp. 89-98, chapitre dû à Émile AMANN. [^80]:  -- (1). Id., p. 90, n. 1. Pour donner une idée des vicissitudes de la papauté à cette époque : De la famille des comtes de Tusculum, comme les deux papes précédents, Benoît VIII (1012-1024) et Jean XIX (1024-1032), dont il est le neveu, Benoît IX est sacré en janvier 1033. Nature fougueuse et passionnée, se rend vite odieux. Aux der­nières semaines de 1044, une insurrection éclate. Réussit à s'enfuir, et, de la campagne, harcèle Rome où il garde des partisans. Ba­tailles de rues. A la fin de janvier, les Romains excédés élisent comme pape l'évêque de Sabine, qui prend le nom de Sylvestre III. Cinquante jours plus tard, les frères de Benoît IX le rétablissent au Latran, d'où Sylvestre III est chassé (10 mars 1045), sans qu'on sache ce qu'il devient. Ce second pontificat de Benoît IX ne durera pas deux mois. Il pense à se marier, et, pour être plus libre, en échange, semble-t-il, d'une pension, se démet en faveur de son parrain, Jean Gratien, très bon prêtre, qui, pour débarrasser l'Église d'un pape aussi fâcheux, accepte et le 5 mai 1045 devient Grégoire VI, à la joie de tous les honnêtes gens d'Italie. Mais ce nouveau pape favorisera-t-il les intérêts germaniques, comme avaient fait les papes de la maison de Tusculum ? Sous prétexte de rétablir l'ordre dans l'Église, alors que Grégoire VI n'était pas contesté (on ne savait ce qu'était devenu Sylvestre III), le roi de Germanie Henri III réunit un « concile », qui, à Sutri d'abord, dépose simultanément Sylvestre III et Grégoire VI (20 décembre 1046), puis, à Rome (23 décembre) enregistre la démission de Benoît IX et le déclare déposé. A leur place, le roi fait choix de l'évêque de Bamberg, qui le 25 décembre prend le nom de Clément II et le sacre aussitôt empereur. Clément II meurt le 9 octobre,1047. Benoît IX ressort de l'ombre c'est son troisième pontificat (novembre 1047-juillet 1048). On avertit l'empereur, qui le 25 décembre 1047 désigne l'évêque de Brixen, lequel se fait tirer l'oreille et ne sera sacré que le 17 juillet 1048, sous le nom de Damase II. Benoît IX s'est discrètement effacé, et meurt presque aussitôt. Mais le pontificat de Damase II ne durera pas un mois : il meurt le 9 août. L'empereur désigne alors l'évêque de Toul Brunon (25 décembre 1048), qui sera saint Léon IX (1049-1054) et commencera énergiquement la réforme de l'Église que mènera à bien saint Gré­goire VII (1073-1086). [^81]:  -- (1). Georges BAHAUD, *Pie X, le pape de l'unité,* Desclée De Brouwer, 1951, p. 81. Petit livre peu connu, et véritablement des meilleurs. [^82]:  -- (1). *Études*, juillet-août 1967, p. 80. [^83]:  -- (1). Plotin dit lui-même que « l'âme en état de contemplation a peur d'étreindre le néant ». (*Enaeades,* VI, 9, 3). [^84]:  -- (1). Max SCHEELEN, *Philosophische Weltanschauung,* 2^e^ édit., Berne, 1954, pp. 23 ss. [^85]:  -- (1). Dans la sainteté, du moins dans la sainteté chrétienne, interviennent les idées de péché, de grâce, de salut, etc. [^86]:  -- (1). KANT, *Critique de la raison pure*, trad. Tremesaygues, 4^e^ édition, p. 414. [^87]:  -- (1). KANT, *Fondements de la métaphysique des mœurs*, trad. Delbos, p. 174. [^88]:  -- (1). HUSSERL, *La philosophie comme science rigoureuse,* trad. Lauer, P.U.F., p. 55 : « Une telle volonté de science rigoureuse dominait la révolution socratico-platonicienne en philosophie, ainsi que la réaction scientifique contre la scolastique au début des temps modernes, en particulier la révolution cartésienne. L'impulsion de cette volonté traverse les grands systèmes du XVII^e^ et du XVIII^e^ siècles ; elle se renouvelle radicalement dans la critique kantienne de la raison et agit encore sur la philosophie de Fichte. » [^89]:  -- (1). *Op. cit.,* pp. 107 ss. [^90]:  -- (2). *Op. cit.,* p. 111. [^91]:  -- (3). L. CHESTOV, *Le pouvoir des clefs*, p. 313. [^92]:  -- (1). HUSSERL, *op. cit.,* pp. 110 ss. [^93]:  -- (2). Peut-être, à cet égard, L. Chestov durcit-il quelque peu la pensée de Husserl. Hering et d'autres le lui ont reproché. [^94]:  -- (3). HUSSERL, *op. cit.,* p. 113. [^95]:  -- (4). Pour Hegel aussi, mais dans un contexte différent, il n'y a qu'un seul type de sagesse possible. « Le savoir du sage est total ; le sage révèle la totalité de l'être par l'ensemble de sa pensée. Or, puisque l'être obéit au principe de l'identité avec soi-même, il n'y a qu'une seule et unique totalité de l'Être, et par conséquent qu'un seul et unique type de savoir qui le révèle entièrement. Il n'y a donc qu'un seul et unique type de sagesse... » (KOJÈVE, *Introduction à la lecture de Hegel,* p. 276.) [^96]:  -- (1). SPINOZA, *Lettre à Burgh :* « Je ne prétends pas avoir rencontré la meilleure des philosophies, mais je sais que je comprends la vraie philosophie. Si vous demandez comment je puis savoir cela, je dirai que c'est de la manière que vous savez que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits : et personne ne dira que cela ne suffit pas, s'il a le cerveau sain, et s'il ne rêve pas d'esprits impurs nous inspirant des idées fausses semblables à des idées vraies : le vrai, en effet, est la marque et du vrai et du faux » (dans *Œuvres complètes*, édit. de la Pléiade, p. 1346). [^97]:  -- (1). « *L'Astragale *», « *Le passager de la pluie *», « *Dernier domicile connu *», etc. [^98]:  -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 133, pages 151 à 154. [^99]:  -- (1). Dans ÉTUDES, avril 1970, pp. 593-614. [^100]:  -- (1). Selon l'un de ces sens, *historique* est « ce qui s'est réellement passé ». Selon l'autre, historique est : « ce qui est *connaissable* par la science historique ». Le P. Dufour a besoin du PETIT ROBERT pour s'assurer de cette distinction. [^101]:  -- (1). Il y a là deux questions distinctes. Si elles n'en font qu'une dans la réalité profonde, c'est la première qui constitue l'événement historique. [^102]:  -- (1). Les journaux de la fin avril relatent les fêtes de Moscou pour le centenaire de Lénine. Des banderoles publient que Lénine est vivant à jamais. Il n'en est pas moins embaumé au Kremlin. [^103]:  -- (1). « L'épistémologie et ses variétés », par Jean PIAGET, dans *Logique et connaissance scientifique*, p. 14 -- Bibliothèque de la Pléiade, N.R.F., 1967. [^104]:  -- (4) \[sic\]. « Remarques sur les mathématiques et la réalité », par André LICHNEROWICZ, pp. 483-484. -- *In op. cit.,* note précédente. [^105]:  -- (1). C'est nous qui soulignons. -- Nous prenons ces textes dans la « Chronique des grandes Litanies » de Jean MADIRAN, pp. 152 et s. d'*Itinéraires*, n° 135, juillet-août 1969. [^106]:  -- (1). *Documentation catholique,* n° 1561, 19 avril 1970. [^107]: **\*** -- Cf. « Sur la lettre du cardinal Ottaviani à Paul VI », n° 142, p. 209, *in fine.* \[2005\] [^108]:  -- (1). Charles MAURRAS : « Sur le texte du Syllabus », dans *L'Action française* du 15 mai 1906. Repris d'abord dans le volume : *La politique religieuse,* puis dans le volume : *La Démocratie religieuse,* Paris 1921, pp. 258 et suiv. [^109]:  -- (1). «* Syllabus complectens præecipuos nostrae aetatis errores qui notantur in allocutionibus consistorialibus, in encyclicis aliisque apostolicis litteris sanctissimi Domini nostri Pii Papae IX. *» [^110]:  -- (1). Sur Péguy comme étant « *le théologien chrétien du XX^e^ siècle *»*,* voir notre ouvrage : *L'hérésie du XX^e^ siècle,* spécialement la note 1 de la page 63. [^111]:  -- (1). Voir Jean MADIRAN : *L'hérésie du XX^e^ siècle* (Nouvelles Éditions Latines). [^112]:  -- (1). Voir spécialement sur ce point les pages 89 à 95 de *L'hérésie du XX^e^ siècle,* par Jean MADIRAN. [^113]:  -- (1). A.P.P.E.S.I., 20, avenue Rapp, Paris 7^e^. [^114]:  -- (2). Institut de philosophie comparée.