# 146-09-70
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*Le présent numéro spécial contient, avec quelques précisions complémentaires, la reproduction ou le résumé des principales études publiées par la revue "Itinéraires" sur le saint sacrifice de la messe.*
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### Déclaration liminaire
*Dans tout le drame de la messe plus que dans aucun autre, l'apostasie immanente et ses auxiliaires nous accusent de* désobéissance *en général et d'*anti-papisme *en particulier.*
*Ce n'est qu'une manœuvre de leur part ; ce n'est qu'une diversion ; ce n'est qu'une imposture. Car ce sont eux qui constamment travaillent à gauchir, à réduire ou à supprimer le domaine de* l'OBLIGATION CATHOLIQUE : *ce qu'un fidèle* DOIT *croire* (*foi*)*, ce qu'il* DOIT *désirer* (*espérance*)*, ce qu'il* DOIT *faire* (*charité, -- dans l'obéissance*)*.*
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*Ils travaillent à gauchir, à réduire ou à supprimer le domaine de ce qui est* OBJECTIVEMENT ET UNIVERSELLEMENT OBLIGATOIRE, -- *pour y substituer leur arbitraire subjectif, variable à tous vents mais toujours implacablement dominateur.*
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*Nous, au contraire, nous ne voulons nullement réduire* (*ni augmenter*) *ce domaine de l'obligation catholique, nous le recevons de l'Église : l'Église des apôtres, des papes et des conciles ; l'Église de l'ordre naturel et surnaturel ; l'Église temple des définitions du devoir ; l'Église catholique, apostolique et romaine.*
*Eux veulent limiter ou estomper, par décret humain, par artifice humain, par idéologie humaine, le pouvoir du pape.*
*Nous ne voulons en rien ni dans aucun sens déplacer les limites de ce pouvoir, telles qu'elles sont inscrites dans l'ordre naturel et surnaturel, telles qu'elles ont été explicitées par les définitions de l'Église.* (*Définir c'est toujours, en même temps, limiter.*) *Mais nous ne sommes pas non plus des fidèles passifs : nous défendons l'autorité de l'Église, et spécialement la Primauté du Pontife romain. Nous la défendons contre les doctrines et les manœuvres qui s'efforcent de la réduire, de la défigurer ou de la supprimer et qui, pour donner le change, feignent de nous accuser d'* « *anti-papisme *» *et de* « *désobéissance *»*.*
*Nous militons pour les définitions irréformables de l'Église. Nous militons pour les saintes lois de l'Église. Nous militons pour l'autorité légitime de l'Église : contre ceux qui veulent la* DÉMOCRATISER, *la* COLLÉGIALISER, *la* MODERNISER.
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*Nous militons pour l'obéissance chrétienne, contre les deux sœurs jumelles de l'anarchie spirituelle et de l'obéissance servile.*
*Les nouveaux Tartufes se donnent la réputation publicitaire d'être, par leur modernisme, les seuls dévots, les seuls charitables, les seuls obéissants. Nous les avons démasqués : ce sont des révoltés sans foi ni loi, ce sont des sectaires sournois et cruels, et leur religion est celle du monde, de ses pompes et de ses œuvres.*
*Ils ne sont nullement les promoteurs de l'obéissance au Siège romain, aux canons de l'Église, aux lois et aux définitions des conciles : ils s'en couvrent par tromperie et ils cherchent à imposer, au nom d'une obéissance aveugle, le système de l'obéissance à eux-mêmes, à leur secte, à leur dessein césaro-clérical de domination temporelle.*
*Nous ne recommandons jamais, en aucun cas, aucune désobéissance à l'Église.*
*Mais nous avons remarqué et nous avons prouvé qu'il y a souvent dans l'Église, aujourd'hui, des* « *consignes *» *et des* « *ordres *» *soi-disant, illégaux et illégitimes, qui ne peuvent être ni objet d'obéissance ni objet de désobéissance : misérables abus de pouvoir qui relèvent seulement du mépris, et du fouet.*
*Nous sommes pour le pouvoir légitime, que démolissent les apostats clandestins ; nous sommes contre les abus de pouvoir, qu'ils pratiquent au profit de leur domination.*
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*Nos pensées et nos actes, nous les soumettons au jugement de l'Église : prononcé, s'il y a lieu, par l'autorité légitime, en forme légitime.*
*Depuis octobre 1958, mort de Pie XII, l'apostasie moderne, n'étant plus suffisamment contre-carrée dans l'Église, y a peu à peu conquis droit de cité.*
*Depuis octobre 1962, ouverture du concile, une avalanche de solennelles ambiguïtés a méthodiquement désorienté la foi et l'espérance des fidèles.*
*Depuis l'année 1969, ces ambiguïtés triomphantes ont montré lequel, de leurs deux visages, était le vrai les dispositions édictées pour engager le processus de la communion dans la main ne pouvaient plus laisser aucun doute à quiconque lisait leur texte attentivement. Les masques tombaient : ce que l'on avait pu prendre précédemment pour une extraordinaire accumulation de malfaçons involontaires, d'anomalies fortuites, d'accidents, se révélait et s'avouait système délibéré d'autodémolition de l'Église.*
*Simultanément, un* « *ordre nouveau *» *de la célébration eucharistique était publié à Rome.*
*Le monument, déjà historique, de la fidélité chrétienne au saint sacrifice de la messe est le* « *Bref examen critique *» *présenté à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci. Nous l'avons édité en langue française. Nous ne cessons de le faire connaître et de le faire étudier en France. Nos pensées, nos attitudes en ont été largement tributaires.*
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*Le monument plus modeste de nos propres réactions, le voici.*
*Il contient la* DÉCLARATION *du P. Calmel O.P., la* DÉCLARATION *du P. Guérard des Lauriers O.P., le* TÉMOIGNAGE *de l'abbé Raymond Dulac. Tous trois ont paru dans la revue* « *Itinéraires *» *au début du drame de la messe. L'acte public de ces trois prêtres français a eu et conserve, lui aussi, une valeur exemplaire et une importance historique. Quand on demandera plus tard :*
*-- Mais où donc était, pendant ce temps-là, la fidélité catholique, où donc était la fidélité sacerdotale, que disait-elle ?*
*On pourra répondre :*
*-- Elle était là, et voilà ce qu'elle disait, et voilà ce qu'ont fait le Père Calmel, le Père Guérard, l'abbé Dulac.*
*Ces actes de fidélité sacerdotale, ces manifestations de fidélité catholique, accomplis dès le début du drame, demeurent comme une référence permanente, et comme une lumière au milieu des ténèbres. Leurs auteurs n'ont pas hésité alors, ils n'ont pas varié depuis lors dans leur fidélité. C'est un honneur pour nous de nous trouver à leurs côtés.*
*Le présent recueil rassemble, résume, quelquefois précise ou complète l'essentiel de ce que nous avons dit depuis que la messe a été mise en question dans l'Église.*
*Nos explications.*
*Nos raisons.*
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*Nos résolutions.*
*Nos recommandations.*
*Toutes relatives à un objet unique : l'obéissance à l'Église de Jésus-Christ ; la fidélité à ce qui, en elle, est immortel.*
Jean Madiran.
*Nous attirons l'attention du lecteur sur trois séries* *d'*INDICATIONS PRATIQUES *contenues dans le présent numéro spécial :*
I. -- *Les* «* conclusions pratiques *» *qui terminent l'* «* Annexe au memento *» (*au début du numéro*) *: recommandations concernant les moyens de s'établir ou de se maintenir dans la possession légitime, paisible et habituelle, chaque dimanche, de la messe dite de S. Pie V.*
II\. -- *Vers la fin du numéro, des indications pour apprendre et faire apprendre :*
1\. -- *Comment réapprendre le latin.*
2\. -- *Comment apprendre le latin aux enfants.*
3\. -- *Comment apprendre le grégorien aux enfants*.
III\. -- *Tout à fait à la fin du numéro :* «* L'arsenal *», *c'est-à-dire la liste des ouvrages de travail que nous mettons à la disposition des prêtres et des fidèles en vue du combat spirituel de notre temps.*
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### Memento sur la messe
■ Tous les prêtres qui célèbrent la messe en latin, soit en privé soit en public, peuvent conserver le rite catholique de la messe dicte de saint Pie V.
■ A cause des ignorances tenaces, involontaires ou non, à cause des malveillances actives, inconscientes ou non, nous publions à nouveau la *réglementation en vigueur,* énoncée par Paul VI dans son allocution du 26 novembre 1969 (*Documentation catholique* du 21 décembre 1969, page 1103, seconde colonne) ([^1]).
Pour terminer, Nous vous lirons certaines indications émanant de la S. Congrégation du Culte divin, qui a compétence en la matière :
« En ce qui concerne le caractère obligatoire du rite :
« *Pour le texte latin :* les prêtres qui célèbrent en latin, en privé, ou également en public dans les cas prévus par la loi, PEUVENT jusqu'au 28 novembre 1971 utiliser soit le Missel romain, soit le rite nouveau.
« *S'ils prennent le Missel romain,* ils PEUVENT utiliser les trois nouvelles anaphores ou le canon romain avec les modifications prévues dans le dernier texte (omission de certains saints, des conclusions, etc.).
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Ils PEUVENT dire dans la langue du peuple les lectures et la prière des fidèles. »
■ Le « Missel romain » nommé par distinction d'avec le « rite nouveau » est sans contestation possible le Missel romain de saint Pie V.
■ Les *possibilités,* les *permissions* données DIRECTEMENT par le Saint-Siège aux prêtres, ne peuvent être suspendues ou révoquées par aucune autorité ou bureaucratie intermédiaire. C'est le prêtre *célébrant,* quand il célèbre en latin, qui seul décide de célébrer selon le Missel romain.
■ La question de la LANGUE *est distincte* de la question du RITE.
D'une part : le prêtre célèbre publiquement *en latin* dans les *cas prévus par la loi.*
D'autre part : s'il célèbre en latin dans l'un des cas prévus par la loi, il *peut* choisir lui-même le rite du Missel romain, cela ne regarde légalement que lui.
■ Les cas prévus par la loi où la messe peut être publiquement célébrée *en latin* sont au nombre de quatre ([^2]) :
1\. -- Lorsque cela « correspond mieux aux possibilités de l'assemblée locale » (Instruction romaine du 5 mars 1967, art. 47).
2\. -- Lorsqu'il s'agit des « messes célébrées en latin maintenues dans certaines églises, surtout des grandes villes » (art. 48).
3\. -- Chaque fois qu'il « se trouve un assez grand nombre de fidèles de diverses langues » (id.).
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4\. -- Pour toutes les messes « conventuelles » ou « de communauté » chez les diverses sortes de religieux et de religieuses, et dans les communautés laïques des Instituts des états de perfection instruction romaine du 23 novembre 1965, art. 17 à 20).
■ Ce délai consenti jusqu'au 28 novembre 1971 n'est aucunement *le motif* de notre attachement au Missel romain : notre attachement est d'un autre ordre et n'aura point de terme.
■ Mais ce délai est une facilité administrative, pour les prêtres et les fidèles, en vue de maintenir leurs actes en conformité avec leur cœur : c'est « *la petite aumône jetée dans la main des pauvres de Jésus-Christ, et qui est un trésor du Ciel pour ceux-là dont le cœur est embrasé de fidélité : il ne faut rien mépriser de ce qui est accordé *» (Luce Quenette).
■ C'est un délai proportionné à ce qui est en question. Le 28 novembre 1971 le Missel romain sera toujours identique à lui-même, conservé intact et vivant par les prêtres qui célèbrent la messe en latin.
Tandis que l'inconsistant « rite nouveau », ayant fait l'objet, avec le concours annoncé de « spécialistes des sciences humaines », d'une *amélioration*, et d'un *allégement* perpétuels, aura atteint ou dépassé le degré zéro de sa décomposition.
■ L'état juridique de la question que nous venons de rappeler s'entend dans l'*hypothèse la plus défavorable,* c'est-à-dire dans le cas de l'*interprétation la plus restrictive* des lois et règlements en vigueur.
L'interprétation véritable donne des droits beaucoup plus étendus.
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Notamment pour le latin : selon la Constitution liturgique de Vatican II, il demeure la règle pour l'Église latine, le vernac étant l'exception. C'est-à-dire qu'en réalité la célébration de la messe, en latin est de plein droit, elle va de soi, sans avoir à fournir d'autres justifications ; c'est le vernac (exception ou concession) qui devrait chaque fois avoir à fournir la preuve de son droit. On a, par imposture, imposé le contraire. Le vernac est considéré comme allant de soi, et le latin comme une exception, une tolérance ou une faveur ayant besoin d'être spécialement concédée dans chaque cas. Cela est illégal. C'est un état de fait violent. Il n'y a aucune raison juridique ni morale de s'y soumettre.
De même, le clergé catholique, *en possession paisible et légitime du Missel romain de S. Pie V, n'a en toute vérité aucune justification particulière à invoquer, aucune permission spéciale à demander pour le conserver*. Ce sont les messes nouvelles qui doivent, si elles le peuvent, faire la preuve de leur bon droit.
L'état de fait contraire est sans légitimité et sans légalité.
Mais face à une tyrannie bureaucratique qui l'entend autrement, nous avons tenu à montrer que, *même du point de vue de la légalité* de cette bureaucratie ecclésiastique, l'interdiction de célébrer la messe en latin selon le Missel romain est absolument illégale ; absolument arbitraire ; absolument nulle.
J. M.
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### Annexe au memento et conclusions pratiques
LA CONGRÉGATION ROMAINE DU CULTE DIVIN continue à démolir en fait les lois, instructions et règlements qu'elle a promulgués en droit. ([^3])
C'est l'aspect le plus spectaculaire de l'autodémolition de l'Église : l'encouragement à un mépris systématique pour la législation existante, même récente, et l'établissement de facto d'une sorte de vacance de la légalité de plus en plus étendue. Ce système, nous l'avons analysé en 1969 dans un cas exemplaire, que nous avons appelé « le processus de la communion dans la main » ([^4]). Il est universellement employé.
A la question : -- *Quels sont les cas prévus par la loi où l'on peut célébrer en latin une messe avec* *assistance du peuple ?* la Congrégation a répondu en substance -- *Il n'y en a aucun*.
Contre-vérité manifeste, qui feint d'ignorer JUSQU'À LA LOI CONCILIAIRE elle-même.
Le numéro 36 de la Constitution conciliaire sur la liturgie a édicté : «* L'usage de la langue latine, sauf droit particulier, doit être conservé dans les rites latins *». ([^5]) Comment serait-il conservé, s'il ne l'est en aucun cas ? Cette loi conciliaire s'est d'ailleurs traduite par de multiples dispositions réglementaires décrétées par la Congrégation elle-même.
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Sans en rien abroger en droit, la Congrégation feint maintenant d'ignorer jusqu'à leur existence.
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La réponse de la Congrégation a été faite en mars 1970. Elle a été connue en France par sa publication dans la *Documentation catholique* du 3 mai 1970 (page 450) :
*Question*. -- Quels sont les cas prévus par la loi où l'on peut dire en latin une messe avec assistance du peuple ?
*Réponse. --* Ces cas sont prévus et fixés par les Ordinaires des lieux pour leurs propres diocèses, dans certaines circonstances. C'est ainsi, par exemple, que le Vicariat de Rome a décidé que, pour le bien spirituel des pèlerins, certaines messes seraient célébrées en latin dans certaines églises ([^6]).
Le contenu de la réponse est clair : il y a des messes en latin *selon la décision de l'Ordinaire, en fonction des* circonstances.
La question demandait : -- Quels sont les cas *prévus par la loi.*
Silence sur la loi.
Silence sur l'obligation pour la décision de l'Ordinaire d'être prise en *fonction et dans le cadre de la loi.*
Encouragement explicite à un *pur arbitraire.*
L'impulsion, comme on le voit, vient de haut.
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L'exemple donné dans la réponse est accablant pour le Vicariat de Rome.
Celui-ci, nous dit-on, a décidé, seulement pour le bien spirituel des pèlerins (étrangers), qu'il y aurait à Rome quelques messes en latin.
Autant dire que le Vicariat de Rome méprise la loi conciliaire : *l'usage de la langue latine doit être conservé dans les rites latins.*
Comment l'usage de la langue latine serait-il conservé dans les rites latins si, *à Rome même,* au lieu d'être *la pratique courante et de plein droit,* il ne subsiste que par EXCEPTION, en vertu seulement de DÉCISIONS PARTICULIÈRES, prises uniquement en fonction des CIRCONSTANCES ?
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La Constitution conciliaire sur la liturgie avait ordonné :
1° La conservation du latin comme langue liturgique (n° 36).
2° « Toutefois », « en pourra accorder » à la langue du pays « une plus large place » (n° 36) ; « on pourra donner la place qui convient à la langue du pays » (n° 54).
C'est-à-dire que le latin devait demeurer la pratique courante, habituelle et de plein droit.
Et que le vernac était possible, selon les permissions, autorisations et décisions qui paraîtraient opportunes.
*On a fait le contraire.*
Partout, même à Rome, c'est le vernac qui devient la pratique courante, habituelle, de plein droit et comme allant de soi, sans autorisation spéciale. Et c'est le latin qui a besoin en fait, dans chaque cas particulier, d'une permission, d'une autorisation, d'une décision, d'ailleurs le plus souvent refusées.
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Voici donc qu'un questionneur, probablement un évêque, avait demandé à la Congrégation compétente non point si des évêques ont des décisions à prendre concernant les messes en latin, mais quelle est *la loi en vigueur* selon laquelle ces décisions doivent être prises.
La Congrégation répond en substance qu'elle ne connaît aucune loi en vigueur, et que les évêques n'ont qu'à faire comme ils veulent, selon leur bon plaisir et selon les circonstances.
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Les termes de la question posée laissent apercevoir ce qui est en cause : la permission explicite, jusqu'au 28 novembre 1971, de célébrer la messe selon le rite de S. Pie V, pour les prêtres qui célèbrent en latin soit en privé soit *en public dans les cas prévus par la loi.*
Cette expression : « dans les cas prévus par la loi », est une expression *de la Congrégation elle-même.* C'est elle qui l'a employée. C'est elle qui y a fait référence :
« Nous vous *lirons* certaines indications *émanant de la S. Congrégation pour le culte divin qui a* *compétence* en la matière », déclarait Paul VI le 26 novembre 1969. Et il citait, *entre guillemets *: « Les prêtres qui célèbrent en latin, en privé, ou également *en public dans les cas prévus par la loi...* » ([^7])
Puisque c'est précisément la Congrégation du culte divin qui parlait, en novembre 1969, de messes célébrées en latin, en public, « *dans les cas prévus par la loi *», il était tout naturel de lui demander, précisément à elle, le rappel de ces « cas prévus par la loi » dont elle faisait mention.
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Elle s'est volontairement abstenue de mentionner dans sa réponse, fût-ce par simple référence, la législation en vigueur sur laquelle on l'interrogeait. Elle l'a *oubliée.* Elle ne la connaît plus. Elle n'en veut plus rien savoir.
Mais il n'existe aucun devoir d' « obéissance » qui nous imposerait de nous soumettre aux mensonges par omission de la Congrégation.
Au contraire.
Nous allons donc donner en détail la réponse que la Congrégation a refusée.
#### I. -- Voici les cas prévus par la loi
1\. -- Il convient d'abord de réitérer avec clarté et fermeté une considération générale qui est tout à fait impérative. Aucun « décret d'application », aucune « instruction d'application » n'a le pouvoir d'*abroger* la loi qu'il s'agit d'*appliquer*. La loi actuellement en vigueur est celle de la Constitution conciliaire *Sacrosanctum Concilium* (ou : *de sacra liturgia*) promulguée par Paul VI le 4 décembre 1963 : *le latin doit demeurer* la langue *liturgique de l'Église latine ;* TOUTEFOIS *le vernac peut être autorisé*. Dans la mesure où les décisions d'application tendraient à *interdire* le latin dans la liturgie, elles iraient contre la loi et seraient, en cela, nulles de plein droit. Les autorités religieuses ont le pouvoir d'*autoriser* le vernac, elles n'ont pas le pouvoir *d'interdire* le latin : du moins tant qu'un acte explicite, légal et proportionné (qui ne peut venir que du pape lui-même, ou d'un autre concile) n'aura pas abrogé en bonne et due forme la Constitution liturgique de Vatican II.
On peut déplorer cette situation ; on peut trouver mauvaise, ou imparfaite, cette loi liturgique (qui n'est de soi ni infaillible ni irréformable) : qu'on s'en réjouisse ou qu'on le regrette, *elle est la loi.*
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L'évolution qui tend à faire du vernac la langue liturgique, et du latin une exception soumise à autorisation préalable, est une évolution *de facto*, imposée souvent par la violence, l'abus de pouvoir, la persécution, qui ne change rien à la situation *de jure.* Que cette évolution ait été tolérée ou même machinée par l'autorité religieuse ne suffit pas à empêcher qu'elle soit contraire à la loi et parfaitement illégitime.
2\. -- Donc, *le latin est la langue liturgique* des rites latins. Plusieurs cas ont été explicitement prévus par les instructions d'application : il est évident (parce que conforme aux principes généraux du droit) que ces cas, au nombre de quatre ([^8]), *ne sont pas limitatifs*. Ce sont simplement les quatre cas où la loi générale du latin langue liturgique trouve une application plus spécialement stipulée et garantie par la réglementation subséquente.
a\) Premier cas. La messe est célébrée publiquement en latin lorsque cela *correspond mieux aux* *possibilités de l'assemblée locale.*
Cela ressort de l'Instruction de la Congrégation des rites ([^9]) en date du 5 mars 1967, VI^e^ partie, art. 47 :
« Selon la Constitution sur la liturgie, « l'usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera ([^10]) conservé dans les rites latins ».
Parce que cependant « l'emploi de la langue du pays peut être souvent utile pour le peuple », « il revient à l'autorité ecclésiastique territoriale de statuer si l'on emploiera la langue du pays et de quelle façon, en faisant agréer, c'est-à-dire ratifier, ses actes par le Siège apostolique ».
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En observant exactement ces normes, on emploiera donc la forme *qui correspond le* mieux aux possibilités *de chaque* assemblée. »
Cela n'exclut pas le jugement de l'évêque. Mais cela fixe la loi qui doit présider à son jugement. Il doit prendre sa décision *en fonction des trois règles* qui viennent d'être rappelées :
1\. -- *Le latin* DOIT *être conservé dans la liturgie latine.*
2\. -- *Le vernac* PEUT *être autorisé.*
3\. -- *Dans chaque cas particulier, on emploiera la langue qui* CONVIENT LE MIEUX AUX POSSIBILITÉS DE L'ASSEMBLÉE LOCALE.
Quand l'évêque *interdit* le latin aux assemblées locales qui l'emploient, quand il en *prive* celles qui le réclament, *il agit illégalement.* Il y a lieu alors de faire appel de sa décision au Saint-Siège, et de conserver paisiblement le latin tant que la procédure est en cours.
b\) Second et troisième cas. La messe est célébrée en latin quand il s'agit de messes latines *maintenues dans certaines églises, surtout des grandes villes,* et lorsqu'il *se trouve un assez grand nombre de fidèles de diverses langues.*
Cela ressort de l'article 48 de la même Instruction (5 mars 1967). A vrai dire les deux cas y sont un peu mélangés (si bien que l'on pourrait soutenir que c'est *seulement* dans les grandes villes comportant un assez grand nombre d'étrangers que des messes doivent être maintenues en latin ; mais cette interprétation, contraire à la loi conciliaire qu'il s'agit d'appliquer, est également contraire, comme on le verra plus loin, aux explications du cardinal Gut, préfet de la Congrégation et auteur de l'Instruction)
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« Là où l'on a introduit l'usage de la langue du pays dans la célébration de la messe, les Ordinaires des lieux jugeront s'il est opportun de maintenir une ou plusieurs messes célébrées en latin, -- spécialement la messe chantée, -- dans certaines églises, de grandes villes surtout, où se trouve un assez grand nombre de fidèles de diverses langues... »
Les Ordinaires des lieux « *jugeront s'il est opportun de maintenir une ou plusieurs messes... *» On peut penser que, par ce texte, les Ordinaires des lieux ont pouvoir de juger opportun d'avoir encore ou de ne plus avoir du tout de messes en latin.
Mais ce serait une fausse interprétation, contraire à la loi conciliaire qu'il s'agit d'appliquer.
Le jugement laissé à l'Ordinaire du lieu porte seulement sur le choix entre *une* ou *plusieurs.* Il jugera s'il est opportun de maintenir *ou bien* « une », *ou bien* « plusieurs » messes célébrées en latin. S'il décidait *aucune,* il serait en infraction à la loi : l'usage de la langue latine doit être conservé dans les rites latins.
Qu'on n'aille pas dire que notre interprétation est tirée par les cheveux. C'est l'interprétation donnée par le cardinal Gut en personne, préfet de la Congrégation qui a promulgué cette Instruction du 5 mars 1967. Faisant référence précisément à cette Instruction, le cardinal Gut a très clairement déclaré :
« Nous souhaitons que le latin soit conservé à la messe dans la mesure du possible, pour les cercles restreints aussi bien que pour les messes paroissiales. *Il y a une Instruction qui* *prévoit que, dans les grandes villes, deux ou trois églises célébreront la messe en* *latin chaque dimanche. *» ([^11])
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Ainsi le cardinal Gut confirme le sens de l'Instruction. Elle laisse à l'Ordinaire du lieu le soin de décider si, dans chaque grande ville, il y aura *une* messe en latin (c'est le minimum), *ou bien* s'il y en aura *plusieurs.* La norme courante, ou moyenne, visée par l'Instruction, est qu'il y en ait *deux ou trois chaque dimanche. --* D'autre part, la déclaration du cardinal Gut confirme que la présence d'un assez grand nombre d'étrangers n'est pas en cause ici. Il y a donc bien une distinction entre le cas n° 2 (une ou plusieurs messes en latin chaque dimanche dans les grandes villes) et le cas n° 3 (présence parmi les fidèles d'un assez grand nombre d'étrangers) : distinction qui n'était pas absolument évidente dans la rédaction littérale de l'article 48, mais qui est imposée par le contexte de la législation (la loi conciliaire n'a nullement décrété en effet que le latin devrait être conservé seulement quand il se trouvera dans la même église un assez grand nombre de fidèles de diverses langues). En conséquence, l'Ordinaire du lieu N'A ABSOLUMENT PAS LE DROIT d'interdire *toute* messe en latin, ni de faire en sorte qu'il n'y en ait *aucune.* Son pouvoir consiste seulement à faire qu'il y en ait, chaque dimanche, *une ou plusieurs,* bref à en fixer *le nombre :* mais s'il décide que ce nombre sera *zéro, il* commet un abus de pouvoir.
Les habitants de chaque ville peuvent donc :
1\. -- demander à l'Ordinaire du lieu qu'il y ait au moins *une* messe en latin, *chaque* dimanche ;
2\. -- en cas de refus, traîner le tyran devant les tribunaux du Saint-Siège (avec le concours d'un avocat ecclésiastique compétent et résolu).
c\) Quatrième cas. Sont célébrées de plein droit en latin, *sans que l'Ordinaire du lieu ait pouvoir de l'empêcher,* toutes les messes *conventuelles* ou *de communauté* chez les diverses sortes de *religieux* et de *religieuses,* et dans les *communautés laïques* des Instituts d'états de perfection.
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Cela ressort de l'Instruction de la Congrégation des rites en date du 23 novembre 1965 sur la langue à employer par les religieux dans la célébration de l'office divin et de la messe, articles 1 à 3, 9 et 10, et 17 à 20.
Cette Instruction a été publiée aux *Acta* du 30 décembre 1965 (pages 1010 et suivantes). Elle a été largement citée et commentée dans ITINÉRAIRES, numéro 102 d'avril 1966, pages 48 à 55. Nous en avons donné là une traduction française qui est plus exacte, en tout cas plus littérale, que la traduction française ordinairement reçue. Néanmoins, pour éviter toute contestation insignifiante, nous citons cette traduction française reçue, qui suffit à établir ce que nous affirmons :
« Art. 1. -- Les religions cléricales « astreintes au chœur » sont tenues de célébrer l'Office divin « au chœur » en latin, conformément à l'art. 101, 1, de la Constitution sur la liturgie et au n° 85 de l'Instruction du 26 septembre 1964.
Art. 2. -- Cependant on pourvoira de façon particulière à ce que les monastères situés en pays de mission et composés en majorité de religieux indigènes puissent employer la langue maternelle selon l'esprit de l'article 40 de la Constitution.
Art. 3. -- L'autorité compétente pour accorder la concession mentionnée au numéro précédent est la S. Congrégation des Religieux. Art. 9. -- Les moniales peuvent obtenir la faculté de célébrer l'Office divin en langue maternelle, même au chœur. Dans les monastères où selon leur tradition propre on célèbre solennellement l'Office divin et où l'on cultive le chant grégorien, on conservera autant que possible la langue latine.
Art. 10. -- Pour un motif particulier on accordera que les monastères situés en pays de mission, et composés en majorité de religieuses indigènes, puissent employer la langue maternelle.
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Art. 17. -- Les religions cléricales astreintes au chœur, à la messe « conventuelle » :
a\) sont tenues de conserver la langue latine, comme il a été établi plus haut (art. 1 et 2) pour l'Office divin ; cependant les lectures peuvent être proclamées dans la langue maternelle ;
b\) peuvent employer la langue maternelle, dans les limites fixées par l'autorité territoriale compétente, lorsque la communauté religieuse est chargée du ministère pastoral dans une paroisse, un sanctuaire ou une église très fréquentée et que la messe « conventuelle » est célébrée pour rendre service aux fidèles.
Art. 18. -- Les moniales, selon ce qui a été fixé pour leur célébration de l'Office divin au chœur, ou bien conserveront la langue latine, ou, bien pourront employer la langue maternelle, dans les limites fixées par l'autorité territoriale compétente.
Art. 19. -- Les religions cléricales non astreintes au chœur, dans la célébration de la messe « de communauté », peuvent employer, à côté de la langue latine, la langue vulgaire dans les limites fixées par l'autorité territoriale compétente, quelquefois (par exemple deux ou trois) par semaine.
Art. 20. -- La messe appelée « messe de communauté » pour les communautés laïques des Instituts des états de perfection, soit d'hommes, soit de femmes, peut être célébrée habituellement en langue maternelle, dans les limites fixées par l'autorité territoriale compétente. » ([^12])
Toutes ces messes peuvent donc, *avec autorisation,* être célébrées en vernac (sous les réserves et dans les limites qui ont été stipulées).
Mais, pour être célébrées en latin, elles n'ont *besoin d'aucune autorisation de qui que ce soit.*
L'évêque n'a *aucun droit* de leur *interdire* le latin. S'il le fait, c'est un abus de pouvoir. Il convient alors de le traîner devant les tribunaux du Saint-Siège (avec le concours d'un avocat ecclésiastique compétent et résolu).
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Il convient aussi, pendant toute la durée de la procédure, de conserver le latin.
\*\*\*
Voilà donc quelle est la législation en vigueur en ce qui concerne les cas où la messe peut être publiquement célébrée en latin.
Dans tous ces cas, le célébrant *peut* en outre, *cela ne regarde que lui-même, --* car c'est une permission donnée *directement* par le Saint-Siège au célébrant, en vertu du pouvoir *immédiat* du Saint-Siège -- célébrer la messe selon le Missel romain de S. Pie V.
Mais cette permission, toujours en vigueur, nullement abrogée en droit, est elle aussi attaquée en fait :
-- elle l'est d'abord, comme nous venons de le voir, par l'omission volontaire et l'ignorance feinte des cas prévus par la législation où la messe peut être célébrée en latin : la célébration en latin étant la condition matérielle d'une célébration selon le Missel romain ;
-- elle l'est ensuite par la mise sous le boisseau de la permission elle-même, et c'est ce qu'il nous faut examiner maintenant.
#### II. -- La permission escamotée
Sur l'ORDRE NOUVEAU de la messe, Paul VI a prononcé deux allocutions successives, le 19 novembre et le 26 novembre 1969.
La première présentait cet ORDRE NOUVEAU comme un « *changement *» qui a « *quelque chose de surprenant, d'extraordinaire *», comme « *une nouveauté si surprenante *», etc.
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La seconde contenait, entre autres, cette affirmation d'une nouveauté effectivement extraordinaire et surprenante : « *Ce n'est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe *» *;* « *le latin sera remplacé par la langue courante. *»
Affirmation objectivement et manifestement contraire à la loi en vigueur, non abrogée, telle que nous venons de la rappeler ; contraire aussi au numéro 116 de la Constitution liturgique, que nous n'avons pas encore cité, et auquel on se réfère trop rarement au sujet du latin ; numéro 116 qui stipule :
« *L'Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c'est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d'ailleurs, doit occuper la première place. *»
Sans latin, plus de grégorien.
SI LE GRÉGORIEN EST LE CHANT PROPRE DE LA LITURGIE ROMAINE, C'EST DONC QUE LE LATIN EN EST OBLIGATOIREMENT LA LANGUE PROPRE.
*Si le grégorien doit occuper la première place dans les actions liturgiques, c'est donc, obligatoirement, que le latin doit y occuper la première place.*
Le pape a (sans doute) le pouvoir d'abroger la loi conciliaire ; mais une simple *allocution,* même du pape, *n'a pas ce pouvoir.*
Au demeurant Paul VI déclare à jet continu que le Concile en général et la Constitution liturgique en particulier doivent toujours être tenus pour loi de l'Église...
\*\*\*
Donc, quand Paul VI déclare dans son allocution du 26 novembre 1969 : « *Ce n'est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe *», quand il précise sans équivoque que désormais « le latin sera *remplacé* (sic : REMPLACÉ) par la langue courante », quand il ajoute :
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« *Nous* PERDONS *la langue des siècles chrétiens, nous devenons comme des intrus et des profanes dans le domaine littéraire de l'expression sacrée *» ([^13]), -- il énonce ainsi son opinion privée, sa tendance personnelle, sa préférence particulière, dont il donne d'ailleurs aussitôt le motif : il en espère une plus grande « compréhension », il pense que le latin risque de « nous couper », peut-être (il n'en est pas tout à fait sûr), « des enfants, des jeunes, du monde du travail et des affaires ». C'est une opinion. Ce n'est qu'une opinion. Rien ne nous impose d'y adhérer. Rien ne nous interdit de la critiquer (beaucoup de raisons, enseignées par l'Église, nous y invitent au contraire). Cette opinion n'est nullement proposée à notre obéissance par un acte du Magistère. C'est une confidence sur un état d'âme (et cette confidence, bien sûr, nous *renseigne* terriblement). C'est une volonté individuelle : la volonté déclarée de « remplacer » le latin par le vernac. C'est une impulsion, c'est un encouragement donnés à tout un parti dans l'Église, le plus puissant, le plus dévastateur : celui qui veut nous transformer *en intrus et en profanes dans le domaine de l'expression religieuse*. -- Mais enfin il est bien clair, que cette volonté personnelle de *remplacer* le latin par le vernac dans la liturgie est contraire *aux lois de l'Église* en général et à la loi de Vatican II en particulier. Cette infraction aux lois, nous en prenons acte, sans irrespect, sans plaisir, mais sans faiblesse.
\*\*\*
Cette même allocution du 26 novembre 1969 contenait la permission de célébrer la messe, jusqu'au 28 novembre 1971, selon le Missel romain de S. Pie V.
Mais attention : dans le passage qui donne cette permission, Paul VI n'exprimait pas une *opinion*, il ne faisait pas une simple *allusion* à une éventualité ; il ne donnait pas une *assurance *; il ne prononçait pas une *promesse *; il ne formulait pas un *souhait* personnel, il ne faisait pas une *confidence* sur son *état d'âme*, ni rien d'autre de ce genre.
25:146
Il *rendait publique* une DÉCISION prise *selon les formes *; il en rendait public le texte même.
Relisons :
« ...Pour terminer, Nous vous lirons certaines indications émanant de la S. Congrégation du culte divin, qui a *compétence* en la matière. »
Paul VI *lit* le texte même de la décision. Il souligne qu'elle émane de la Congrégation romaine qui a *compétence *: et « compétence » veut dire ici *pouvoir*.
Non point évidemment que Paul VI, en cela, se soumette à un pouvoir qui serait supérieur au sien.
Tout son *pouvoir*, la Congrégation le tient du Souverain Pontife.
En soulignant la *compétence* de la Congrégation, Paul VI précise donc qu'il s'agit bien là d'un *acte officiel du Saint-Siège.*
Et il *lit*, dans leur texte même, il cite entre guillemets les termes de cette décision ayant autorité.
\*\*\*
Eh ! bien, de ces deux allocutions jumelles, de ces deux allocutions sur la messe, toujours citées ensemble comme inséparables, celle du 19 novembre et celle du 26 novembre, on a publié aux *Acta* seulement la première ; et point la seconde, la seule des deux, pourtant, qui contienne un *acte officiel* du Magistère pontifical.
Quand on veut se reporter au *texte officiel* de cette décision ayant autorité, on ne le trouve point dans les *Acta* ([^14]).
On le trouve en italien dans *L'Osservatore romano* du 27 novembre 1969.
26:146
On le trouve aussi, traduit correctement en français, dans la *Documentation catholique* du 21 décembre 1969, page 1103, colonne 2.
\*\*\*
Naturellement, il arrivera le plus souvent, il est déjà souvent arrivé que l'évêque, le vicaire général et tutti quanti aient l'hypocrisie formidable de dire :
-- *Où est-elle, cette fameuse permission de Paul VI ? Pouvez-vous me la montrer ? Quel est son texte ? Avez-vous des preuves ?*
Il ne faut pas se laisser troubler. Il faut leur répondre :
-- *Halte-là ! C'est vous qui êtes* CHARGÉS *de la produire, de la montrer, de la faire connaître, de l'appliquer. Si vous êtes réellement ignorants, allez d'abord vous renseigner et vous instruire.*
Et il faut, prêtre ou laïc, ajouter :
-- *Je suis dans mon bon droit, cela me suffit, j'y reste et je ne vous demande rien. Mais si vous venez me persécuter et me réclamer de* FAIRE LA PREUVE, *je la ferai* DEVANT LES TRIBUNAUX DU SAINT-SIÈGE : *je vais vous y traduire immédiatement.*
\*\*\*
Parenthèse. Plusieurs nous disent : -- *Mais que ferons-nous après le 28 novembre 1971 ?*
La réponse est dans l'Évangile : « *A chaque jour suffit sa peine* ». S. François de Sales paraphrasait et complétait : « *A chaque jour suffît sa peine, sa demi-lumière et son cantique. *» Son cantique grégorien et son Missel romain. Occupez-vous donc de la messe *aujourd'hui,* au lieu de rêver.
Rien ne vous garantit que vous serez encore de ce monde après le 28 novembre 1971.
Ou que le pape n'aura pas changé d'ici-là.
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Ou que la permission ne sera pas prorogée.
Fin de la parenthèse.
#### III. -- Conclusions pratiques
**1. -- **La première conclusion à tirer de tout ce qui précède est que *le droit* de chacun, en ce qui concerne la messe, est *difficile à connaître* et *difficile à faire valoir.* La situation a été *artificiellement embrouillée* par l'autorité religieuse elle-même, et cela pour une raison qui devient de plus en plus manifeste : l'autorité religieuse actuelle ne veut ni *abroger ni appliquer les lois de l'Église.*
**2. -- **On ne peut pas attendre de chaque prêtre et de chaque laïc qu'ils aient une connaissance exacte et complète d'un dossier aussi complexe. S'ils restent *isolés,* ils se feront à chaque coup « posséder » par l'arbitraire cruel et rusé de la bureaucratie ecclésiastique.
**3. -- **De plus en plus, nous recevons des lettres de lecteurs qui nous demandent comment faire pour obtenir *au moins* une messe de mariage ou de funérailles qui soit célébrée selon le Missel romain de S. Pie V. Nos réponses, quand nous avons le temps d'en faire, les déçoivent. Mais c'est de leur faute : ils sont *trop seuls* et ils s'y prennent *trop tard.*
Ils n'ont que quelques jours pour une messe de funérailles, que quelques semaines pour une messe de mariage, et souvent *pas même un prêtre* qui accepte de célébrer la messe selon leur vœu. Dans ces conditions, il est impossible de contrecarrer le refus paroissial ou diocésain.
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Il n'existe aucun truc miracle permettant d'imposer le Missel romain et le grégorien à un clergé qui n'en veut pas. *Il fallait s'y prendre plus tôt, s'organiser en temps utile, s'être déjà regroupé* CHAQUE DIMANCHE *autour de messes de S. Pie V :* s'être déjà documenté, avoir déjà des prêtres, déjà des contacts suivis avec les associations qui s'en occupent, et être déjà en relations avec un avocat ecclésiastique compétent et résolu.
**4. -- **Groupez-vous pour être forts, pour être renseignés, pour être défendus : *entraide et autodéfense mutuelle.* Trouvez le moyen d'être *en possession paisible* de la messe de S. Pie V chaque dimanche. Attendez l'attaque sur cette position. Quand viendra la persécution administrative, vous ferez appel, selon les formes, de la décision locale à l'Ordinaire du lieu ; puis de la décision de l'Ordinaire au Saint-Siège. Procédures longues et difficiles. Vous y serez embrouillés, vous y serez débordés, si vous y allez isolés et en amateurs. Au contraire, ces procédures vous seront facilitées si vous êtes groupés, si vous êtes puissants, si vous avez des conseils juridiques compétents. C'est en quoi peuvent vous rendre service des associations comme LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES et comme UNA VOCE. A la condition de ne pas les alerter au dernier moment, en catastrophe : mais *d'y être déjà organisés* quand survient l'arbitraire.
**5. -- **Oui, la position la plus simple et la plus forte est de s'établir habituellement dans la messe latine de S. Pie V *aucune autorisation préalable n'est nécessaire.* Aucune autorité n'a *le droit* de *l'interdire.* Mais bien sûr cette interdiction viendra tôt ou tard, par abus de pouvoir :
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il faut être prêts, être organisés, dès maintenant. Quand vient l'arbitraire, alors, sans céder, on fait appel, jusqu'à Rome, et de toutes façons l'appel est suspensif des mesures d'interdiction. Des prêtres pour cela, il en existe ; des avocats ecclésiastiques compétents et résolus, il en existe aussi. Naturellement, *nous ne les indiquerons pas à nos lecteurs sur simple lettre. Si* vous voulez des prêtres, si vous voulez des avocats, si vous voulez des messes de S. Pie V, si vous voulez des renseignements, des conseils, des moyens d'action, entrez d'abord dans les associations qui vous les procureront *quand elles vous connaîtront suffisamment ;* pas avant.
Comprenez donc que tout cela est extrêmement sérieux, extrêmement grave, et ne souffre à aucun degré la légèreté ou l'improvisation.
J. M.
#### Note conjointe
Un nouvel exemple des procédés arbitraires et éventuellement astucieux par lesquels la Congrégation du culte divin détruit *de facto* ce qu'elle a promulgué *de jure :* les textes que la *Documentation catholique* publie dans son numéro du 2 au 16 août 1970, page 716.
En voici la reproduction :
L'ordre des chevaliers de Notre-Dame (Militia Sanctae Mariæ, confrérie érigée canoniquement en 1964 à Chartres, siège : 58, rue Lépou, 27 -- Évreux) a soumis à la S. congrégation du culte divin les deux questions suivantes :
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1\. -- Un prêtre peut-il célébrer la messe en latin pour les fidèles qui le demandent, en vertu des « règles pratiques » rappelées par le Saint-Père dans son discours à l'audience générale du 26 novembre 1969, quelles que soient les dispositions générales de la Conférence épiscopale ou de l'Ordinaire du lieu ?
2\. -- La faculté concédée par le Saint-Père d'utiliser jusqu'au 28 novembre 1971 l'ancien Ordo dit de saint Pie V, est-elle applicable directement, sans qu'il soit nécessaire de demander la permission à l'Ordinaire du lieu ?
Voici la réponse du P. Bugnini, secrétaire de la S. congrégation du culte divin, adressée à Dom Marie-Gérard Lafond, OSB, de l'abbaye de Saint-Wandrille, et datée à Rome du 11 juin 1970 :
Révérend Père,
Nous avons examiné vos questions et nous vous répondons de la manière suivante :
A la première question : un prêtre, quand il célèbre la messe « cum populo », doit se conformer aux dispositions de la Conférence épiscopale et de l'Ordinaire du lieu.
A la deuxième question : la faculté accordée par le Saint-Père d'utiliser l'ancien « Ordo » dit de saint Pie V est applicable sans qu'il soit nécessaire de demander la permission, seulement pour les messes « sine populo », jusqu'au 28 novembre 1971.
Veuillez croire, Révérend Père, à mes sentiments respectueux,
A. BUGNINI,
secrétaire.
Les questions et les réponses ont été formulées en français.
##### Première question
La première question commet d'abord une incroyable erreur. Le 26 novembre 1969, à l'endroit cité des « règles pratiques », Paul VI n'a *pas du tout* traité de la célébration *en latin.*
C'est une question qu'il mentionne comme *déjà connue.* Il évoque la célébration en latin « *également en public dans les cas prévus par la loi *» *:* par la législation existante.
Cette législation n'est pas mentionnée autrement. On la trouvera ailleurs, à sa place et à sa date (nous l'avons longuement citée plus haut).
\*\*\*
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D'autre part, la première question est rédigée de manière tendancieuse. Elle suppose implicitement une *contradiction* entre les « règles » données par le Saint-Père et les « dispositions » épiscopales. Or une telle contradiction ne se présume pas ; elle est exclue en théorie et dans l'ordre normal des choses. Elle ne peut exister qu'en fait, dans des cas particuliers qui demeurent par nature, quel que soit leur nombre, « exceptionnels ».
En conséquence :
-- ou bien le questionneur n'a relevé aucune contradiction entre les « dispositions » épiscopales et les « règles » pontificales : alors sa question est oiseuse, ou provocatrice ;
-- ou bien le questionneur a rencontré une contradiction de cette sorte et en a personnellement été victime : alors c'est sur le fait précis, c'est sur le cas particulier de cette contradiction qu'il est fondé à poser une question (ou à formuler un recours).
\*\*\*
A la première question telle qu'elle est posée, la réponse va de soi.
La question demande en substance :
-- Faut-il obéir à l'évêque ?
D'où la réponse :
-- Oui, bien sûr.
Il est en effet certain qu'il faut obéir à l'évêque. Sauf s'il commande un péché. Sauf s'il commet un abus de pouvoir. Sauf s'il va contre la législation de l'Église. Mais ce sont là des *exceptions.*
En règle générale, il faut *se conformer aux dispositions de la Conférence épiscopale et de l'Ordinaire du lieu.*
C'est ce que répond le secrétaire Bugnini.
Il a raison. Il a raison en théorie. Il a raison en général. Parce que, normalement, on *présume* que ces « dispositions » épiscopales sont elles-mêmes *conformes* à la loi naturelle, aux lois de l'Église, aux réglementations du Saint-Siège.
\*\*\*
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Mais aujourd'hui, et en fait, les « dispositions de la Conférence épiscopale » vont jusqu'à la *falsification de l'Écriture sainte* dans les textes obligatoires du nouveau catéchisme et de la nouvelle liturgie.
Il apparaît alors que la question posée et la réponse donnée sont singulièrement en retard sur la réalité de la situation.
##### Seconde question
La seconde question a été formulée en ignorant ou en feignant d'ignorer la doctrine de l'Église.
Il n'y a et il ne peut y avoir aucun doute : une *faculté concédée par le Saint-Père* ne dépend d'aucune autre autorité et d'aucune permission locale, en vertu du *pouvoir ordinaire et immédiat* du Pontife romain sur l'ensemble de l'Église, sur chacune de ses parties, sur chacun de ses sujets.
Le *doute* proposé met en doute la Primauté du Pontife romain telle qu'elle a été définie par l'Église.
Nos compliments au questionneur.
\*\*\*
Pour qu'une faculté concédée par le pape puisse dépendre, en même temps et sous un autre rapport, d'une permission locale, il faudrait que cette faculté ait été concédée *explicitement sous réserve* de la dite permission locale. Faute de cette réserve explicite, l'Ordinaire du lieu ne peut rien contre une telle faculté.
\*\*\*
Outre ce vice doctrinal, la seconde question contient elle aussi une erreur de fait.
Paul VI n'a pas concédé la faculté d'utiliser « *l'ancien Ordo dit de S. Pie V *». Le questionneur est brouillé avec la nomenclature et avec les textes.
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En effet :
1\. -- L' « ancien Ordo » n'est pas « *dit *» de S. Pie V. Il *est de* S. Pie V ([^15]).
2\. -- Paul VI a donné cette faculté pour ce qu'il a nommé « *le Missel romain *», ainsi appelé par distinction d'avec « *le rite nouveau *» :
« *Les prêtres qui célèbrent en latin, en privé, ou également en public dans les cas prévus par la loi,* PEUVENT *employer, jusqu'au 28 novembre 1971,* SOIT *le Missel romain* SOIT *le rite nouveau. *»
Paul VI n'a nullement parlé d' « ancien Ordo » ni d' « Ordo dit de S. Pie V ».
Nous conservons, pour notre part, cette nomenclature et cette terminologie :
-- « soit le Missel romain » ;
-- « soit le rite nouveau ».
Cette terminologie de Paul VI a le double avantage d'être exacte et d'être immédiatement comprise par tous.
##### La réponse à la seconde question
Naturellement, l'énormité principale est dans la réponse. Le secrétaire Bugnini prétend que la faculté est *applicable seulement* aux messes « sine populo ».
A première vue, il saute aux yeux qu'il ment. Voici les textes face à face ([^16]) :
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PAUL VI
26 NOVEMBRE 1969 :
Les prêtres qui célèbrent en latin, en privé, *ou également* EN PUBLIC dans les cas prévus par la loi, peuvent employer, jusqu'au 28 novembre 1971, soit le Missel romain, soit le rite nouveau.
BUGNINI
11 JUIN 1970 :
La faculté accordée par le Saint-Père d'utiliser l'ancien « Ordo » dit de S. Pie V est applicable, sans qu'il soit nécessaire de demander la permission, SEULEMENT *pour les messes* «* sine populo *» jusqu'au 28 novembre 1971.
Mais est-il véritablement possible que le secrétaire Bugnini ait voulu mentir avec une telle effronterie ?
Il vaut mieux retenir l'hypothèse la plus bienveillante.
Et l'hypothèse la plus bienveillante est qu'il a seulement voulu, avec une souplesse toute italienne, se payer la tête du malheureux Dom Marie-Gérard de Saint-Wandrille.
Pour mentir, il faut dire quelque chose.
En réalité, et si l'on y regarde de plus près, on découvre que le secrétaire Bugnini a soigneusement énoncé une réponse qui ne veut rien dire : qui est dépourvue de signification. Et qui donc est une simple moquerie à l'adresse du questionneur.
\*\*\*
En effet, la réponse à la seconde question parle de choses qui n'existent pas et qui ne peuvent pas exister.
Il est aussi impossible de célébrer « cum populo » une messe dite de S. Pie V que de la célébrer « sine populo ». Les messes dites de S. Pie V sont célébrées soit « en privé », soit « en public ». C'est pourquoi Paul VI, le 26 novembre 1969, a très exactement dit que la messe du Missel romain pourrait être célébrée en privé ou également en public.
Mais la distinction -- différente -- entre messe « avec populo » et messe « sans populo » vaut *seulement* pour les messes de l'ORDRE NOUVEAU. Elle n'a aucun sens pour le Missel romain de S. Pie V ; elle ne s'y applique pas.
Astucieux Bugnini !
\*\*\*
35:146
Si astucieux soit-il, dans l'hypothèse la plus bienveillante, ou si fraudeur soit-il, dans l'autre hypothèse, cela ne change rien. Cela ne change rien à la situation d'anarchie et d'arbitraire que manifestent lugubrement de telles « réponses ».
*Conclusion pratique*. -- Il est tout à fait inutile de poser aux Congrégations romaines des questions aussi générales et aussi théoriques. -- Nous gardons le Missel romain. Si l'on veut nous en empêcher, c'est sur chaque cas concret que nous ferons, soit auprès des Congrégations soit auprès des Tribunaux du Saint-Siège, des recours et des appels précis.
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### Sous réserve
par Jean Madiran
**I. -- **Il m'apparaît absolument impossible en conscience que l'acceptation de la nouvelle messe -- là où il y aura possibilité et nécessité de l'accepter -- aille jamais plus loin qu'une prudente, circonspecte et désolée *acceptation sous réserve*. ([^17])
**1. -- **POURQUOI ACCEPTATION. -- Il est à présumer que dans beaucoup de cas l'action consécratoire, dans la nouvelle messe, demeurera valide, du moins au début et pendant un certain temps. Deux conséquences :
a\) il est impossible de mépriser ou d'ignorer cette présence réelle du Christ Notre-Seigneur ;
b\) si l'on n'a pas d'autre messe à sa disposition, il n'est pas possible en règle générale de se priver soi-même du sacrement de l'Eucharistie tant qu'il sera distribué d'une manière présumée valide.
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**2. -- **POURQUOI SOUS RÉSERVE. -- Parce que cette nouvelle messe est, pour le moins, et selon les cas, *douteuse.* Douteuse pour toutes les raisons contenues principalement dans le *Bref examen* présenté à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci ([^18]), et rappelées, commentées ou développées dans le présent numéro.
Et aussi, après ces raisons intrinsèques, pour les raisons extrinsèques que voici.
Les publications épiscopales françaises nous répètent à satiété dans quelles intentions, dans quelles pensées, dans quelles perspectives la nouvelle messe est reçue et imposée : « *il y a un catéchisme nouveau parce qu'il y a un monde nouveau *» ; « *il n'est plus possible, à un moment où l'évolution du monde est rapide, de considérer les rites comme définitivement fixés *» ([^19])*.* Le nouveau catéchisme français avait déjà donné une nouvelle définition de la messe qui ne faisait qu'anticiper sur l'énoncé du numéro 7 : « *Nous allons à la messe pour nous réunir autour de Jésus qui nous conduit vers le Père *» ([^20])*.* La nouvelle messe est alignée sur le nouveau catéchisme. L'un et l'autre fondent leur nouveauté sur une seule raison : le monde évolue, il y a un monde nouveau. Ils se fondent sur le monde ; sur la nouveauté du monde ; sur le changement du monde. Une religion ainsi fondée sur le monde, c'est « l'hérésie du XX^e^ siècle ».
38:146
Le nouvel ORDO MISSÆ, conçu et reçu dans une telle perspective, pris dans un tel mouvement, ne peut donc être tenu pour un point d'arrivée. Il est une étape. Plus encore que de le photographier, il importe de cinématographier l'évolution dirigée dont il n'est qu'un moment. Nous voyons cette évolution ; nous voyons sa direction ; nous ne pouvons plus accorder une confiance inconditionnelle aux déclarations d'ailleurs très rares et fort peu solennelles qui voudraient faire renaître l'espoir illusoire d'une stabilité retrouvée par le nouvel ORDO. Et les explications officielles du Centre français de pastorale liturgique viennent confirmer que les rites changeront encore, avec la collaboration de « spécialistes des sciences humaines » ([^21]).
On a voulu adapter la liturgie au changement du monde : mais le monde change tout le temps et n'arrêtera de changer qu'à la fin de l'histoire. Les *motivations* données aux changements liturgiques motivent un *changement perpétuel.*
Nous n'y entrerons pas. Nous n'acceptons ni ces motivations ni leurs inévitables conséquences. Au stade actuel, la limite exacte de notre refus se situe avec précision : -- *Si l'on accepte par nécessité la nouvelle messe, que ce soit seulement sous réserve.*
**3. -- **SOUS RÉSERVE DE QUOI ? -- Sous réserve du jugement définitif de l'Église, qui viendra tôt ou tard, mais nécessairement, nous sauver de la confusion générale où la catholicité est plongée depuis le Concile.
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Jusqu'à ce jugement, la confusion continuera de grandir et le désastre de s'étendre.
Nous assistons au démembrement *de facto* des pouvoirs du Pontificat suprême. Leur caractère « immédiat » sur chacun des membres de l'Église est efficacement estompé par la « médiation », rendue pratiquement obligatoire, de la bureaucratie collégiale. Une fausse collégialité, ni définie ni même nommée par le Concile, est établie en regard de la primauté, dans l'intention déclarée de la limiter puis de l'absorber : en « situant » la primauté « à l'intérieur du déploiement normal de la collégialité », c'est-à-dire en l'y enfermant. Simultanément, la doctrine révélée est accommodée au goût du monde, revue et corrigée par les « spécialistes des sciences humaines ». Le catéchisme et la messe subissent des adaptations, des amputations, des mutations féroces. La religion d'aujourd'hui, par une sorte de *schisme* général, se sépare chaque jour davantage des comportements, des pensées, des rites qui furent toujours ceux de l'Église. Les décrets de tous les Conciles, à la seule exception du dernier en date, sont traités comme périmés ou abolis ; tournés ou oubliés ; profondément méprisés. Les enseignements de tous les Papes antérieurs à 1958 sont enfouis dans une indifférence impie, dans une ignorance délibérée. Tout cela, manifestement, traduit une volonté et révèle une signification.
Du dernier Concile lui-même, ce qu'il gardait de consistant et de net à travers ses ambiguïtés est maintenant écarté sans ruse et sans masque. Sa volonté expresse de « conserver la langue latine dans les rites latins » ([^22]) devient par magie :
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« *la langue principale de la messe ne sera plus le latin, mais la langue parlée *» ([^23]) ; sa déclaration « l'Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine » ([^24]) aboutit par prestidigitation à l'annonce que par le nouveau rite « *nous perdons une grande partie du chant grégorien *» ([^25]) ; il est maintenant énoncé sans circonlocutions que, grâce aux « réformes » actuelles, finalement « *nous devenons comme des intrus et des profanes* (quasi intrusi e profani) *dans le domaine de l'expression religieuse *» ([^26])*.* Tout cela et le reste a été opéré par coups de pouce successifs, glissements plus ou moins insensibles, ambiguïtés en cascade, équivoques et réticences calculées, restrictions mentales, promesses fallacieuses et autres procédés analogues que le Saint-Siège, au cours de l'histoire de l'Église, avait parfois ou souvent employés dans sa diplomatie et dans sa politique, mais quasiment jamais dans son enseignement magistral.
Le nouveau catéchisme et la nouvelle messe se situent dans cet ensemble mouvant, plastique, aux replis indistincts, qui tend de plus en plus à s'affirmer comme une religion nouvelle, *séparée* de l'Église d'avant le Concile. Les principes qui sont nécessairement impliqués et parfois explicitement énoncés par cette mutation religieuse relèvent du jugement de l'Église et appellent un jugement solennel. Ce jugement infaillible sur les principes pourra seul nous délivrer de leurs conséquences il n'y suffira pas, mais il y est indispensable.
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C'est ce jugement que nous attendons, confiant en la promesse du Seigneur à son Église et au Roc sur lequel elle est bâtie. Nous l'attendons dans la prière et dans l'espérance. Et dans la fermeté : la législation actuelle n'a pu démontrer sa cohérence avec la tradition des Papes et des Conciles ; souvent même, elle se fait gloire de lui tourner le dos. Donc, quand on croit devoir accepter quelque chose de cette législation, la frontière morale à ne pas franchir est celle de l'acceptation *sous réserve :* sous réserve, pas plus.
\*\*\*
Il ne dépend pas de nous que la messe catholique de toujours continue selon le Missel romain. Nous l'attendons de beaucoup de prêtres et de plusieurs évêques. Nous pouvons seulement faire un rempart à ceux qui auront cette fidélité. Si des prêtres sont persécutés pour être restés fidèles à la messe de leur ordination, à la messe du Padre Pio, à la messe de Pie XII, à la messe de saint Pie X, à la messe du curé d'Ars, à la messe du Père Emmanuel, à la messe de saint Pie V, à la messe du Concile de Trente, à la messe de toujours, d'hier et de demain, -- alors il faudra s'être mis en mesure de leur apporter, contre cette persécution, tous secours et toutes défenses en notre pouvoir.
Dans l'extraordinaire cas de conscience où l'on a volontairement placé l'ensemble du clergé et du peuple chrétiens, la règle qui est au moins la plus probable est de s'en tenir fidèlement au plus sûr, au plus ancien, au plus constant, au plus traditionnel.
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La nouvelle messe est en marche vers sa propre dissolution. *Le temps n'épargne rien de ce qu'on fait sans lui.* Conçue en quelques mois, adaptée à une certaine conjoncture soi-disant « œcuménique », elle s'en ira comme la conjoncture, avec elle, au fil des mois. Elle n'en a pas pour longtemps. Pour y « présider », les séminaires ou ce qui en tient lieu ne trouvent quasiment plus personne en dehors des « sous-marins » envoyés par les Jeunesses communistes sur l'ordre du Parti. Mais quand tout se sera effondré, le culte, la paroisse, la doctrine, l'éducation chrétienne, combien restera-t-il encore de prêtres catholiques romains ?
Ceux qui sont au milieu de nous, il faut les défendre et il faut les aimer.
**II. -- **Nous n'avons pas le vain espoir que l'on puisse un jour, en un jour, rétablir simplement par décret ce qui avait été établi par des siècles de sainteté et qui a été interrompu par la série des décrets liturgiques entrés en vigueur du 7 mars 1965 au 30 novembre 1969. Il ne faut qu'un moment pour interrompre. Il ne faut qu'une génération de barbares pour interrompre une tradition. Et nous voilà d'un coup au milieu d'un désert. Mais bien sûr la législation des années 1965-1969 avait été préparée par une secrète déminéralisation, par une imperceptible perte de substance, par une perte d'âme.
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On avait perdu la signification et la réalité spirituelles des rites catholiques. Considérer le Missel romain et le chant grégorien comme « les vieux vêtements de soie dont la prière était royalement habillée » ([^27]), c'est manifester à quel point on en avait préalablement perdu l'âme, et l'âme ne se retrouvera pas seulement par décret. Il était inévitable et en somme normal que ceux qui ne les vivaient plus dans leur âme acceptent d'un cœur léger d'en être privés : ce n'est pas pour eux une privation réelle. Ils imaginent même qu'ils pourraient gagner quelque chose, et d'abord l'approbation et la faveur du monde, en échange d'un tel sacrifice : mais il n'y a pas sacrifice chez ceux qui sont devenus incapables d'en comprendre le prix. Quand, même chez des Bénédictins, on ne sait plus au juste de quoi il s'agit, c'est que l'heure des Barbares est vraiment venue.
A la fin de l'année 1967 paraissait le livre d'Henri et d'André Charlier : *Le chant grégorien* ([^28])*.* Nous avions le sentiment qu'il y allait de tout : *Dans l'affaire du chant grégorien,* écrivions-nous ([^29]), *directement ou indirectement ce qui est en question c'est finalement l'ensemble des valeurs naturelles et surnaturelles qui donnent un sens à la vie... L'attaque contre le chant grégorien est une attaque contre la spiritualité catholique elle-même. Bien entendu, la spiritualité catholique peut en théorie se passer du chant grégorien ; elle s'en est passée avant qu'il existât. Mais* LES MOBILES ET MOTIFS *invoqués aujourd'hui pour le supprimer sont mortels pour la spiritualité catholique tout entière et contraires même à l'ordre naturel.*
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*Ils s'en prennent ouvertement au chant grégorien mais implicitement, intrinsèquement, ils s'en prennent à la foi chrétienne.* Dans ce livre, prêtres et laïcs, et même évêques, auraient pu trouver ce qui leur manque aujourd'hui pour faire face au malheur général de la catholicité. Ils ont cru, sans s'y arrêter davantage, que « le chant grégorien » était chose sympathique sans doute, intéressante, souhaitable, mais secondaire et marginale par rapport au drame religieux que nous vivons : alors qu'elle est absolument centrale. Nous leur disions pourtant que c'était un livre de doctrine et d'enseignement ; et nous les avertissions que cet ouvrage avait en outre -- il l'a toujours -- une saisissante valeur de témoignage, celle-ci :
« Ni Henri ni André Charlier ne sont nés catholiques. Ils sont l'un et l'autre *venus du monde moderne à la foi chrétienne.* Ils portent témoignage contre le cheminement inverse : le cheminement trop souvent ecclésiastique qui *s'en va de la foi chrétienne au monde moderne.* On veut nous imposer ce cheminement inverse : il constitue la plus grande décadence surnaturelle et naturelle de l'histoire de l'humanité. »
En cette année 1967, nous donnions à nos abonnés le *Catéchisme de S. Pie X* et nous leur recommandions *Le chant grégorien* d'Henri et d'André Charlier. C'était en temps utile. Ceux qui nous ont entendu et qui se sont mis au travail, *à ce travail doctrinal,* et je dis bien *doctrinal* et je dis bien *celui-là,* plus fondamental et plus nécessaire qu'aucun autre travail doctrinal, ceux qui se sont mis à l'œuvre d'une étude et d'une action enracinées dans la prière et dans la sanctification, n'ont été ni surpris ni désemparés par ce qui s'est passé dans l'Église en 1969 :
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ils apercevaient le sens de l' « évolution » que l'on veut nous imposer, ils en comprennent la portée, ils voient le jeu des causes et des effets ; ils discernent l'essentiel du secondaire ; ils savent sur quels points fixes il faut tenir, et comment ; ils n'ont quasiment aucun besoin du présent éditorial ; ils ne sont point de ceux qui posent des questions angoissées mais de ceux qui donnent des réponses solides ; ils ne sont pas aujourd'hui écrasés sous le poids de responsabilités inattendues et auxquelles ils ne se sentiraient pas préparés. Ils ne sont pas légers. Ils prennent les choses au sérieux, mais encore plus au sérieux celles qui sont encore plus sérieuses. Pour eux, la *doctrine,* c'est d'abord et essentiellement la doctrine spirituelle, la doctrine religieuse, la doctrine catholique, la doctrine révélée. Nous avions donné les avertissements et les instruments.
\*\*\*
**III. -- **Non, cher André Frossard, nous ne sommes pas « déconcertés » par la nouvelle messe. Hélas, nous nous y attendions, nous nous en savions menacés. Nos lecteurs étaient tenus au courant. Dans le même numéro où nous présentions le livre des Charlier sur le chant grégorien comme « le livre de la résistance spirituelle », dans notre numéro 118 de décembre 1967, nous donnions aux pages 307 et suivantes d'amples renseignements et des considérations doctrinales très précises sur la « messe normative » d'où est sorti deux ans plus tard le nouvel ORDO MISSÆ.
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Mais André Frossard nous croit « déconcertés », et c'est à nous que son propos s'adresse :
« A ceux des catholiques, mes frères, qui sont déconcertés par la « nouvelle messe », je voudrais dire ceci, pour les aider : Imaginez qu'au lieu d'être nés dans une famille chrétienne vous apparteniez à une famille incroyante, et qu'étant catholiques depuis samedi soir vous ayez assisté dimanche à votre première messe. Vous l'auriez trouvée fort belle, et tout aussi riche de contenu spirituel qu'elle a pu l'être sous les différents revêtements de son passé. » ([^30])
André Frossard s'adresse à nous avec amitié ; c'est avec amitié que nous lui répondons. Nous lui répondons qu'avec son génie de la concision, il a rassemblé en quelques lignes (et semble avoir accepté) les principaux faux-semblants de ce drame :
1\. -- Ce n'est pas *spécifiquement* ceux qui sont « nés dans une famille chrétienne » qui (par routine peut-être, ou par sentimentalité ?) demeurent inébranlablement attachés à la *spiritualité grégorienne* et à la *sanctification par le grégorien*. Henri et André Charlier ne sont point nés dans une famille chrétienne, ils sont des convertis de l'âge adulte, et personne en notre temps (quoiqu'en puisse penser un certain orgueil clérical, ou plus précisément régulier) n'a compris, enseigné et pratiqué le grégorien comme ils l'ont fait, avec des résultats spirituels aussi manifestes et aussi durables. Ils témoignent d'une chose qu'ils n'ont pas inventée, et ils l'expliquent :
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une chose qui appartient à la tradition, à la sagesse, à la pédagogie de l'Église, et que dans l'Église on est en train de méconnaître et d'oublier. *A savoir qu'en matière d'éducation religieuse, le grégorien est plus surnaturel, plus simple, plus universel, plus populaire que tout le reste*. Bien entendu, à la condition de l'apprendre et de le pratiquer : mais il faut toujours apprendre ; or ce qu'on nous enfourne aujourd'hui est beaucoup plus compliqué à apprendre, beaucoup plus compliqué à pratiquer, et spirituellement vide.
2\. -- Car ce n'est pas une question de *revêtements* supposés interchangeables. Et tout est lié ensemble. Le chant grégorien, les définitions dogmatiques, la théologie scolastique (qui au niveau du catéchisme est le *Catéchisme de S. Pie X*) sont irremplaçables en fait. Le faux-semblant est de nous dire que leur contenu spirituel sera CONSERVÉ mais TRADUIT autrement, dans un langage plus accessible, mieux adapté à notre temps, afin de rendre plus facile « la participation du peuple, de ce peuple moderne habitué à une parole claire, intelligible, traduisible dans sa conversation profane » ([^31]). *La religion révélée n'est pas traduisible dans la conversation profane *: mais elle s'énonce dans un langage beaucoup plus simple. Le langage de la foi est infiniment plus simple que le pédantisme artificiel de la conversation profane d'aujourd'hui ; et il ne peut être le même.
D'ailleurs si c'était vrai, si c'était possible, s'il s'agissait réellement de « traduire » -- et non pas de *changer,* et surtout de *détruire* -- il faudrait d'abord que les « traducteurs » connaissent parfaitement ce qu'ils ont dessein de traduire, et il est évident au contraire qu'ils le méconnaissent :
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qu'ils en ont perdu l'intelligence et qu'ils en ont perdu l'âme. Je voudrais bien savoir, par exemple, comment ceux qui ne *comprennent* pas la théologie scolastique pourraient bien nous traduire dans un autre langage ce que la théologie scolastique est *seule* à nous dire de manière non-équivoque ? S'il s'agissait véritablement de « traduire » dans un langage nouveau, il faudrait des traducteurs *qui aient été formés au contenu spirituel de la scolastique, de la dogmatique, du grégorien*. Or ils n'en savent quasiment plus rien. Ils y sont allergiques. Ils n'en veulent plus d'abord pour eux-mêmes. Ils n'y sont jamais réellement entrés. Comment le nouveau clergé pourrait-il *traduire* ce qu'il ne connaît pas ? ce qu'il méconnaît ? ce qu'il méprise ?
3\. -- *Aussi riche,* la nouvelle messe ? C'est bien impossible. Ou ce serait un miracle (alors qu'on nous dise carrément que le nouvel ORDO est un miracle). D'ailleurs M. le secrétaire Hannibal Bugnini disait davantage. Il disait : *Plus riche que tout ce qu'on a vu depuis vingt siècles* ([^32])*.* Qu'en quatre ou cinq ans l'actuelle génération d'experts diplômés et de bureaucrates ecclésiastiques ait pu fabriquer une messe « plus riche » ou « aussi riche » que le patrimoine séculaire accumulé et cultivé par la piété, la fidélité, la sainteté catholiques, c'est une énormité que l'on croira ou que l'on ne croira pas. Mais on la croira ou ne la croira pas en quelque sorte *d'emblée*.
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Il y a là un réflexe qui s'enracine, si je puis dire, dans l'instinct de l'âme (on peut le réveiller, chez André Frossard, s'il s'est endormi) : un réflexe qui vient du plus profond de l'être et qui l'engage tout entier.
4\. -- Le rite nouveau est presque entièrement annexé par ce que l'on appelait autrefois la prédication : mais une prédication sans règle et sans mesure. La messe nouvelle multiplie les lectures au choix et les commentaires libres. Elle institue ainsi le règne d'une logorrhée sans limite et sans norme, par laquelle la subjectivité du prêtre-président et de ses assesseurs va s'écouler indéfiniment sur l'assemblée. C'est psychologiquement insupportable, c'est à soulever le cœur, c'est à faire fuir. Le nouveau rite s'enlise dans le laïus. Depuis qu'ils ne savent presque plus rien de la Révélation, les nouveaux prêtres se mettent à nous parler sans trêve et sans fin : ça ne tiendra pas debout, ce n'est plus un *ordre* mais une décomposition.
\*\*\*
Qu'on n'imagine pas que l'on pourra aisément faire *l'aller et retour* d'une messe à l'autre. Ce qui est interrompu sera perdu pour longtemps. Ce qui est brisé ne se raccommodera pas au commandement. Ce qui est arraché ne reprendra pas racine. Non, qu'on ne s'imagine pas qu'on peut bien céder pour le moment, sous la contrainte, et qu'il sera toujours temps, à la première éclaircie, de revenir au Missel romain. Ce n'est pas vrai.
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Ceux qui ont la possibilité de maintenir, fût-ce à l'écart, en petits groupes, en catacombes ou en ermitages, la liturgie romaine et le chant grégorien, en tiennent le sort historique entre leurs mains : ils ont la responsabilité d'en assurer, tout au long de l'hiver dans lequel nous sommes entrés, la transmission vivante et ininterrompue, en vue du nouveau printemps chrétien sur le monde que saint Pie X et Pie XII nous ont annoncé.
**IV. -- **Avant le 30 novembre 1969, que M. le secrétaire Hannibal Bugnini a nommé « une date véritablement historique » et « le début d'une nouvelle époque », il restait encore un dimanche, le dimanche 23 novembre, le dernier dimanche de l'année liturgique : le dimanche de la dernière messe. La radiodiffusion de l'État français, ce jour-là, parce que c'est quand même la France, et quand même le Seigneur qui règne, a retransmis la messe du Mesnil-Saint-Loup, avec une présentation, des commentaires, un sermon du P. Lelong O.P. qui n'étaient pas indignes d'une circonstance aussi extraordinaire et aussi mystérieuse. Tous ceux de nos amis qui avaient pu être prévenus l'ont écoutée dans une même communion, avec de mêmes larmes. Ils ont entendu dans leur cœur le chant des paroles qui ne passeront point :
*Dicit Dominus : Ego cogito cogitationes pacis, et non afflictionis : invocabitis me, et ego exaudiam vos...*
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Dans l'extrême malheur qui atteint la catholicité entière, le Seigneur nous redit que Ses pensées ne sont pas d'affliction, mais de paix ; nous L'invoquons, et à Son heure Il nous exaucera.
Le P. Lelong l'a rappelé (ou révélé) sur les antennes de l'État français : pendant plus de quinze années, Henri Charlier est allé chaque jour faire la demi-heure de chant à l'école du village.
Mais j'ajoute : école chrétienne d'une paroisse chrétienne, convertie par le P. Emmanuel. Et ainsi tous les hommes et toutes les femmes du Mesnil-Saint-Loup, paysans et artisans, comprennent et chantent en latin, chaque dimanche, l'ordinaire et le propre de la messe. C'était possible : cela est. Cela est surnaturellement naturel. Cela était, cela demeure possible partout, dans chaque village, dans chaque paroisse et même à la rigueur dans chaque « secteur sociologique ». *Mais il y faut la conversion ; et il y faut ensuite la persévérance :* le labeur quotidien, l'éducation, l'institution, voués et consacrés à Notre-Dame.
Le scandale le plus énorme de l'Église, je veux dire le plus visible, aura été de renoncer au latin précisément au moment de la *scolarisation obligatoire jusqu'à seize ans.* C'est aussi le scandale de l'État, et dans cette affaire ils s'appuient l'un l'autre, et se valent. On fait du bi-linguisme et du tri-linguisme, on apprend l'anglais, l'allemand et le reste, mais point cette langue maternelle, *facile,* que le saint abbé Berto enseignait à ses orphelins de Pontcallec : le latin d'Église, le minimum de latin d'Église permettant de comprendre au moins l'ordinaire de la messe. Et avec le latin, l'accès au grégorien, la pratique du grégorien, du grégorien le plus simple, qui est souvent le plus beau et le plus spirituel, en même temps que le plus populaire. On ne l'a pas fait, on ne le fait plus, parce qu'on a *voulu* l'interrompre, et c'est un crime.
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Le P. Lelong a dit à la fin de la messe du Mesnil-Saint-Loup :
-- Venu ici, une première fois, il y a trente ans, j'écrivais dans mes notes : voilà une paroisse comme toutes devraient l'être. Dans l'enthousiasme de la jeunesse, je notais, : il nous faut des milliers de curés d'Ars.
Et nous l'avons entendu ajouter à voix basse :
-- Je dis maintenant : quelques-uns suffiraient.
Je cite de mémoire, et je ne sais plus s'il a dit « *Quelques-uns suffiraient *», ou bien : « *Quelques-uns auraient suffi *».
Qu'importe, car les deux sont vrais.
A n'importe quel moment, car il n'est jamais trop tard, par la miséricorde de Dieu, tant que continue l'histoire humaine, *quelques-uns suffiront.*
Mais *quelques-uns auraient suffi* pour, éviter l'affreuse désolation présente.
Si le clergé avait fait son devoir ; si seulement quelques dizaines de paroisses (les autres auraient suivi) avaient été converties et instruites, et si elles avaient chaque dimanche vécu la messe catholique comme on la vit au Mesnil-Saint-Loup, nous n'aurions pas été privés de ce trésor et de cet héritage. Mais une messe qui *ennuyait* les prêtres, ils la trouvaient compliquée et peu intelligible, on s'en doutait et maintenant ils l'avouent, une messe à laquelle ils n'éduquaient plus les fidèles, il était sans doute juste qu'à la fin des fins ils en soient privés, et qu'ils l'aient, leur messe nouvelle, leur messe allégée, leur messe vidée, leur messe améliorée, adaptée à l'épouvantable barbarie où ils sont retombés...
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Ils sont bien sincères, et bien honnêtes, pas tous mais beaucoup, nos pauvres prêtres du nouveau catéchisme et de la nouvelle messe, et nos pauvres évêques. Qu'avons-nous à faire de leur honnêteté ? Blanc de Saint-Bonnet l'annonçait au siècle dernier :
-- *Le clergé saint fait le peuple pieux ; le clergé pieux fait le peuple honnête ; le clergé honnête fait le peuple impie.* Nous y sommes. (Et même un peu plus loin, avec le clergé impie.) On leur saccage la messe, à ce peuple et à ce clergé, et dans beaucoup de paroisses ni l'un ni l'autre n'y voient rien, parce qu'ils se sont mis en état de n'y rien voir. Oh ! nous ne leur jetons aucune pierre. Nous pesons le poids, nous payons le prix de nos négligences, de nos indifférences ; de notre tiédeur ; de notre médiocrité spirituelle ; de nos indélicatesses à l'égard de l'Amour de Dieu. Nous avions la messe : nous étions distraits, ou trop habitués, devant ce don qui échappe à toute mesure humaine. Dieu, qui ne se lasse jamais, a fini par faire comme s'Il s'était lassé : et par nous retirer presque, pour un temps, la messe qu'Il nous avait donnée. Ce n'est pas pour nous désespérer, mais pour nous incliner à la pénitence et pour réveiller notre amour. Ce n'est pas pour notre perte, mais toujours et encore pour notre salut.
Ceux qui seront empêchés, d'une manière ou d'une autre, contre leur volonté, de célébrer la messe catholique de toujours, qu'ils se souviennent alors de ceci : il n'y a aucun empêchement ni aucun interdit qui puisse les détourner d'aimer.
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Quelles que soient les circonstances, ils demeurent maîtres de leur cœur.
L'Église a plus que jamais le désir et le besoin d'être aimée : d'être aimée dans sa tradition, dans son existence historique, dans sa continuité, dans sa messe de toujours. Elle est actuellement offensée, bafouée, défigurée par ceux qui méprisent ses institutions, ses saints canons, ses sacrements, son histoire, son visage, et qui avouent l'orgueilleux dessein, impie, dérisoire, de l' « améliorer ». Il faut d'abord l'aimer dans sa gloire d'hier et de toujours, dans sa crucifixion d'aujourd'hui. Il faut l'aimer avant tout dans le silence intérieur. Et puis l'amour trouvera un chemin ; qui sera comme toujours un chemin de croix. Il faut apporter à l'Église la consolation, chétive mais entière, de notre amour. Car consoler l'Église, c'est consoler Jésus-Christ dans sa Passion.
Tous ceux qui, dans ce drame, discernent le visage outragé du Christ Jésus, doivent s'entraider pour tenir, dans la fidélité, jusqu'à l'heure du Seigneur : et, par charité, faire ce qu'il faut pour être en mesure de se soutenir et de se défendre les uns les autres.
Non, la messe au Mesnil-Saint-Loup, le dernier dimanche avant la messe nouvelle, ce n'était pas la dernière messe. C'était, la messe à Notre-Dame de la Sainte-Espérance. *Le ciel et la terre passeront,* y disait le Seigneur : *mes paroles ne passeront pas.*
Jean Madiran.
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### Quoi faire, chaque jour
par Luce Quenette
J'AI LU ET MÉDITÉ, dans ITINÉRAIRES de janvier, l'éditorial de Jean Madiran : « *Sous réserve, pas plus *», et il m'est venu quelques réflexions, quelques remarques, quelques conclusions d'expérience. ([^33])
On me dit qu'elles peuvent être utiles.
Notre peine est si grande, le péril si menaçant, notre situation si confuse qu'il est bon sans doute que les modestes fruits d'une expérience pédagogique scolaire, familière, rendent encore plus réelles, plus pratiques les directives vivantes de ces 42 pages ; je le fais donc en toute simplicité.
\*\*\*
*L'expérience des enfants. --* Je veux dire l'expérience qu'ils ont eux-mêmes acquise de la « nouvelle religion ». Elle est étonnante. Jamais les enfants pieux, ardents, de parents sérieusement inquiets, auxquels on a parlé en famille et à l'école, n'ont eu un sentiment plus vif de la beauté de la Messe -- et une connaissance plus exacte de toutes ses parties. J'assure qu'un prêtre ne peut pas modifier la plus petite habitude de célébration sans que de tels enfants s'en aperçoivent. (En étions-nous capables, nous, à leur âge ? -- Sûrement pas. -- Fruit de la persécution : « bien des élus ».) Et il faut le dire : le tribunal des enfants « ne fait jamais la part des choses ».
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On voudrait (lâches adultes !) plus de nuances, une observation moins aiguë, des conclusions moins entières -- les gosses n'y entendent rien. Vous les voulez pieux, attentifs -- ils seront absolus. Quand le Prêtre est tout entier au Saint Sacrifice, que tout ce qu'il dit et fait correspond au gros missel que chacun possède -- c'est une joie solide :
Sinon, que voulez-vous que j'y fasse, ils remarquent tout. Oh, sans méchanceté, sans amertume, sans condamnation -- mais avec une petite résignation qui supprime la joie et me brise le cœur. Je parle des enfants très chrétiens, très résolus, que la Grâce, de bons parents et une bonne école élèvent en ce temps-là, *in eo tempore* -- je ne veux pas développer -- je ferais de la peine aux prêtres qui ont dû renoncer... à tant de choses sacrées, par exemple à cette génuflexion d'amour qui prosterne aussitôt celui auquel le Seigneur vient d'obéir « Hoc est enim corpus meum »... « *Il n'en fait qu'une, dit le petit garçon pensif, il faut que je fasse attention pour la sonnette. *» Et ainsi de suite, sans rémission, d'eux-mêmes, conscients que l'immuable a été violé.
\*\*\*
Le dimanche 30 novembre était jour de sortie pour les pensionnaires de la Péraudière.
Quels retours le lundi ! Quels récits ! Les pauvres visages d'enfants désolés : « A notre paroisse, c'était *déjà* fait : M. le Curé a dit que cette Messe serait bien mieux que l'ancienne. Il riait en annonçant le baiser de paix. »
« Celui-là s'est moqué : quand débarrasserons-nous ce vieux lavabo ? »
« Chez nous, M. le Curé a dit que nous devions tous communier dans la main (aucun de nous ne l'a fait) car nous étions *tous prêtres avec lui... *» « Le prêtre a mis des hosties dans un plateau et a dit aux enfants de chœur allez, distribuez-les entre vous ! » -- « Les gens nous ont dit qu'il y avait une paroisse où la messe était moins *mauvaise que dans la nôtre.* » Qui aurait jamais cru que des bouches d'enfants devaient un jour dire ces désolations !
\*\*\*
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Je conclus que *c'est très grave pour les enfants.* Ah ! nous, quand nous étions enfants, nous n'avions pas cette appréhension si injuste, si contraire à la paix enfantine « Pourvu que ce soit un bon prêtre ! » Et maintenant « Pourvu que ce soit une bonne messe ! » « Il faut tenir nos mains prêtes à voler derrière notre dos » si tout d'un coup, la main consacrée veut poser l'hostie sur la nôtre...
Ce sont des faits... enregistrés, prouvés, expérimentés. Oh misère, misère : « Les petits enfants ont demandé le Pain -- ils ont supplié, ils se sont étonnés -- et ils tombaient inanimés. »
Lamentation du Vendredi Saint. Le pain des Anges, ce vrai « panis filiorum », il faut que nos enfants s'en approchent en tremblant, non pas tremblants de la Majesté divine, mais d'effroi de ses ministres.
Dans l'immédiat, on peut, *on doit protéger* les enfants, mais *on ne peut les rassurer* sur ce qui se passe. Il faut doucement, fermement les entretenir de cette crainte, de ce redoutable danger que court leur assistance à la Messe, leur communion, Dieu le permet. Cependant, je vais vous dire ce qui apaise et fortifie les enfants, tout en éclairant et affermissant leur foi :
C'est justement la « *réserve *».
Madiran écrit : « les principes de cette mutation relèvent du jugement de l'Église, c'est ce jugement que nous attendons... confiants en la promesse du Seigneur... »
Eh bien, voici l'assurance :
Il faut que les parents se pénètrent de cette application de leur Foi qui est « *l'attente du jugement de l'Église *» et qu'ils en instruisent les enfants.
C'est, très facile -- à condition qu'on soit sans préjugé, c'est-à-dire bien munis, bien nourris quotidiennement de Catéchisme (Pie X -- Concile de Trente -- Père Emmanuel). Il faut toujours en revenir là.
\*\*\*
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Et j'ouvre une parenthèse : *j'assure qu'il n'y aurait pas tant de cœurs troublés, hésitants, en désarroi,* *parmi les vrais catholiques, si chaque jour, ils étudiaient le catéchisme.* Que de fois j'ai reçu des gens scandalisés de nos propos, sur l'infaillibilité par exemple, qui restaient étonnés de leur aveuglement quand je consultais avec eux la véritable doctrine de l'Église sur les pouvoirs du Pape. On s'emballe, on se scandalise, on se désarme, on se brouille avec ses meilleurs amis sur une base d'ignorance dévotement conservée... Fin de la parenthèse.
\*\*\*
Mais les enfants, chaque jour nourris d'exacte et simple doctrine, ne sont pas troublés du tout. Ils ont une familière et belle grâce actuelle. Ils souffrent (il le faut bien), ils observent, ils réfléchissent, mais ils entrent avec confiance dans cette *réserve filiale* qui est piété affectueuse envers la solidité de la Mater Ecclesia. Ils la distinguent et l'aiment avec simplicité sous les orages, les masques et les changements.
« *Cher Papa et chère Maman,* écrit un petit garçon, *j'espère que la Sainte Vierge vous a protégé de toute Messe protestante. *»
« *Nous prions, écrit une petite fille, pour que le Pape ne cède pas à l'hérésie. *» Alors, parfois, les parents s'inquiètent : « Mais que leur avez-vous dit ? » -- « Rien autre, Monsieur, que ceci : cet Ordo, valide en soi, peut être l'origine d'un glissement vers l'hérésie. Rien autre que de bien prier pour le Pape, afin qu'il ait la force de résister à ceux qui veulent ce glissement. Sans trouble, sans confusion, les enfants ont conclu et fait « beaucoup de sacrifices pour le Pape. » Jamais la prière *Pro Pontifice nostro,* dite chaque jour, n'a été plus fervente et plus affectueuse. Seulement, l'enfant pieux vole aux conclusions, *la réserve de sa Foi et de son Espérance est complète, confiante, toute simple.*
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Au galop où vont les choses, ces dispositions ne sont pas de luxe dans les jeunes cœurs.
Croyez-moi : les enfants bien instruits, bien surveillés, ne perdent pas si facilement la tête que les grandes personnes.
Si vous prenez occasion (grâce, plutôt) des grands malheurs de notre Église pour fortifier en eux l'Espérance en son jugement certain, vous aurez utilisé au mieux ce trésor de la persécution, vous aurez établi vos enfants dans le bon sens et la confiance.
Mais tout cela ne se réalise que par l'intelligence -- la naturelle, cultivée -- et le don d'Intelligence reçu à la Confirmation et qui s'actualise quand on étudie le Catéchisme.
Un conférencier très pieux, à Lyon, a mis quelque bienfaisante malice à convaincre son auditoire (intégriste) qu'ils avaient tous le Catéchisme de Pie X -- et même le Catéchisme du Concile de Trente (relié, chez les meilleurs) et qu'ils ne l'ouvraient jamais. Son séjour en bibliothèque familiale leur était suffisante panacée.
En ce cas -- les enfants ne sauraient être protégés.
\*\*\*
Sous l'inspiration de cette Sainte Réserve, que je mettrai aux pieds de la Sainte Vierge : Virgo prudentissima, Virgo fidelis -- le dimanche, il faut faire *grand effort* pour chercher et trouver *une messe latine conservée.* C'est dans la mesure où nous souffrirons, où nous nous dérangerons pour elle, que notre Foi restera pure. Avec ce décret (appuyé ces jour-ci par le cardinal Gut) qui autorise ou presque ordonne dans les paroisses de ville, une messe latine, certains pourront trouver.
A tout, *préférer la Messe traditionnelle.*
Mais nous savons que la plupart ne l'auront pas.
Et je sais, par l'expérience de ces quinze jours, que plusieurs attitudes qui semblaient possibles ne le sont plus -- déjà.
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Par exemple à une « nouvelle Messe » célébrée (!) dans beaucoup de paroisses, avec un certain « lyrisme » excitant, accompagné d'exhortations imprévues, réitérées, acclamations, exclamations, le saint projet de lire dans l'ancien missel, fût-ce cinq minutes, est absolument illusoire.
Bientôt, il nous faudra revenir sur le danger de ces « expériences » surtout pour les enfants. Déjà se pose donc, dans la Réserve chrétienne, la question de la validité de telle ou telle Messe -- si bien que la première prudence et la plus douloureuse est de s'enquérir *si, dans notre paroisse, la Messe est valide.*
Je répète encore une fois qu'un bon prêtre, avec l'Ordo Missae, peut célébrer une messe valide. D'ailleurs, les bons prêtres camouflent, sous l'apparence de l'Ordo, les rites traditionnels, ils n'usent pas de l'Offertoire païen, ils prononcent tout bas le *Suscipe sancte Pater...* etc., et ils ne changent rien à la Consécration. Seulement, les fidèles peuvent n'en rien savoir.
S'enquérir donc auprès du prêtre, si on le connaît, si on l'estime, recevoir de lui une assurance de validité.
Quelle attention, quel flair... chez des gens qui n'ont pas perdu l'habitude d'avaler de confiance tout ce que dit et fait le prêtre, -- et qui n'ont pas encore pris l'habitude de vivifier quotidiennement leur Foi par l'étude d'un chapitre de Catéchisme.
C'est là qu'on voit, clair comme le jour, la Volonté du Cœur de Jésus, d'exiger des parents chrétiens infiniment plus qu'ils ne livraient jusque là d'eux-mêmes à la Religion.
Le spirituel, les curés le fournissaient. -- Papa fournissait le temporel, à la sueur de son front.
Et l'on croyait que tout allait bien.
Maintenant, la paternité devient «* provisoirement *» (pour combien d'années ?) la principale sauvegarde spirituelle. *C'est sûrement pour convertir les parents* qui oubliaient de s'éclairer, qui ne comprenaient qu'à demi le rôle du Prêtre, garant, inspirateur et soutien, *non remplaçant* de l'instruction religieuse à la maison.
\*\*\*
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*Ne pas faire dire de Messes* selon le novus Ordo, surtout en en donnant le prix à de grandes organisations anonymes comme cela se fait à Lourdes. Réserver, là aussi, l'argent de ces Messes pour nos morts, à des prêtres qui ont profité courageusement de la dernière permission de Messe romaine latine.
\*\*\*
Toutes les fois que c'est possible, que le prêtre peut écouter, comprendre, apprécier, il faut lui expliquer les motifs de notre réserve « et notre désir de retrouver la Messe catholique de toujours ».
Je connais une jeune femme qui pratique gracieusement cette réclamation continuelle. Le Curé, il est vrai, n'est ni sectaire, ni possédé de « hâte obscène » -- il subit. Chaque dimanche, elle lui montre qu'elle a remarqué sa nouvelle concession, ou son demi-effort de redressement. « Je suis sûre de votre Consécration, Monsieur le Curé, mais je ne viendrai, discrètement, qu'à ce moment-là, le reste pue le protestantisme ! » -- « Ah, Madame, dit-il, ne me faites pas ça ! » -- Elle apprend toujours, aux petits de la paroisse, l'ancien catéchisme et, quand circule un tract menaçant sur ce sujet, elle l'apporte au curé, du bout des doigts : « Monsieur le Curé, c'est vous qui distribuez cette vilenie ? » -- « Oh, Madame, cela vient de l'évêché -- vous avez remarqué, je n'en ai pas parlé en chaire ! » Enfin, le jour où le malheureux a présenté le nouvel Ordo comme un progrès liturgique, elle lui a demandé d'un air soucieux : « Dites-moi, Monsieur le Curé, y a-t-il un temple protestant, ici à X... ? » Et le curé, très œcuménique : « Sûrement, Madame, pas très loin de chez vous. » -- « Bien, je vous le demandais, car, lorsque vous aurez établi votre merveille, nous irons au temple, ce sera plus commode et équivalent... » Et le brave homme de s'exclamer -- et de faire quelque protestation de foi, loyale et désolée. « Dans ce cas, Monsieur le Curé, nous attendrons quelque temps. »
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Et moitié riant, moitié taquinant, grondant, elle maintient... ce qui peut être maintenu dans ce cœur en désarroi.
Mais tout dépend de l'état de souffrance, de contrainte du prêtre. Contre la triomphante équipe de secteur anonyme, rien à faire, rien à dire.
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De cette réserve, tant que la Messe est valide -- de cette abstention quand, dans les semaines et les mois qui vont suivre, on s'apercevra que certaines messes sont invalides, -- de cette invraisemblable et cependant obligatoire attitude morale qui est demandée actuellement aux chefs de famille :
-- peut mûrir un fruit de vie
-- ou un fruit de mort.
##### Un fruit de mort
On est dégoûté, écœuré, désespéré, on se vautre dans la déception et le désarroi ; on ne parle que du scandale de cette effroyable révolution. C'est étonnant, inouï, imprévisible ! On y trouve son excuse : « Je ne me torturerai pas pour savoir si cette Messe est valide ou non. Par la faute du Pape, des évêques, des prêtres, *je suis dispensé,* dispensé de l'obligation du dimanche, dispensé de l'Eucharistie. Je n'y mets plus les pieds. » On peut être moins violent et aller dans le même sens -- peu à peu déserter l'église, l'aumône catholique, ne plus chercher le prêtre, la Messe, bientôt la prière ; « employer ce temps à quelque chose de plus utile ». -- « Eh bien, Monsieur, comme cela, quand on aura un travail pressé, on n'aura plus de remords. » Authentique et inconscient *blasphème* d'un activiste... Ne plus étudier, puisque « ça change tout le temps », -- ÉVITER LE SUJET : « *Je ne m'en occupe plus ! *». *--* Et ainsi arriver, en famille, à un lent ou à un rapide *oubli de Dieu,* le plus grand des péchés -- le fruit empoisonné du scandale, qu'on aura mangé passivement.
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C'est pourquoi j'ose faire une recommandation : dès qu'on est contraint de subir le nouvel Ordo, à plus forte raison quand, devant une Messe sacrilège, on serait tenu à l'abstention, le recours, le paratonnerre, c'est de lire en famille, chaque dimanche, patiemment, ensemble, *l'ordinaire et le propre de la messe romaine,* en assistant en esprit aux bonnes messes conservées, près, par le cœur, des prêtres qui consacrent en vérité le saint corps de Jésus. On le fait avant ou après l'assistance douloureuse à la Messe nouvelle. Je ne crois pas que se boucher les oreilles, se mettre derrière les piliers (ils seraient garnis !), dire son chapelet suffise pour conserver L'amour vivant de la Messe. Il faut la réciter avec ses prières éternelles jusqu'à ce que, vivante, elle revienne à notre église paroissiale et nous trouve tout éveillés, tout pratiquants.
Sinon, fruit de mort.
##### Fruit de vie
L'Église entre en tentation. Si Jésus revenait dans six mois, un an, le 30 novembre 1971, trouverait-Il de la foi dans les âmes ? La Messe est attaquée, ceux qui la maintiendront seront les sauveurs. C'est un Avent : le Seigneur viendra avec sa Sagesse et l'Église dira son jugement. Heureux ceux qui auront maintenu sans crainte, ni pusillanimité ! Des mois, peut-être des années vont s'écouler : « il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ». Il faut cueillir le fruit de vie qui est l'Amour de la Messe de toujours.
Car tout est *pour le Bien des Élus.*
Et, dans notre malheur, il se glisse et règne une paix, une action de grâces. La Messe, la vraie, l'éternel Saint Sacrifice s'est fait plus vivant dans nos cœurs. Voyez et palpez, nous ne savions pas à quel point nous vivions de la chair et du sang du Sauveur.
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Comme elle nous était chère, unique, cette Messe -- inséparable, inaliénable ! Nous n'avons point de tentation. Nous l'aimons tellement que nous voilà armés pour la trouver et la garder.
C'est ce que m'écrivent *de jeunes prêtres :* « J'ai tant souffert pour obtenir l'ordination, jamais je ne me séparerai de la Messe qui m'a été confiée, quelles que soient les persécutions, *la question ne se pose pas pour moi ! *»
C'est ce qu'exprime la simple, la toute belle, la reposante Déclaration du Père Calmel, je dit bien la reposante... Nous donnerions notre vie, nos biens, tout ce qu'il faudra pour protéger ces prêtres-là.
Pour le Saint Sacrifice, ils ne sentent ni ne jugent qu'ils font un sacrifice. Car on se trompe habituellement sur le sens du mot sacrifice. Faire un sacrifice, c'est donner le moins, le temporel, le passager, l'inutile, pour l'Absolu. C'est laisser un petit bien pour un Bien éternel. Ceux qui disent « faisons le sacrifice de tous les trésors de l'ancienne Messe », ne les ont pas dans l'âme et dans le sang. Ils s'imaginent en effet, qu'on sacrifie l'éternelle Messe, comme on quitte « un vêtement de soie » : leur âme n'a plus l'honneur de saigner.
C'est que la Messe de 2000 ans, avec son Offertoire et sa Consécration, et ses rites et le Grégorien, son chant propre, et *tout,* absolument tout ce qui est d'elle, leur est extérieur et comme inerte. Pour nous, c'est l'absolu.
*L'absolu n'est pas objet de sacrifice.*
Jamais, d'ailleurs, le Pape ne pourra condamner le Missel Romain. Condamné, il ne l'est pas, ne le sera jamais -- et pas même interdit.
*Le Missel Romain !* C'est Paul VI, peut-être inconsciemment inspiré, qui l'appelle ainsi, l'autre n'est que « nouveau ».
Celui de notre Foi, seul est ROMAIN.
Luce Quenette.
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### A chaque messe
par Jean Madiran
PARMI LES PRÊTRES ayant adopté, sous la contrainte, l'un ou l'autre des mille et un rites nouveaux ad libitum, le nombre augmente chaque jour de ceux qui, soit en préambule à la célébration, soit au moment de l'homélie, soit à un autre moment, prononcent *une déclaration,* ou profession de foi, sur la nature du SACRIFICE et sur la nature de la PRÉSENCE.
C'est une réponse spontanée à la désintégration de la messe. L'affirmation du sacrifice et de la présence étant atténuée, estompée, équivoque dans le texte même des rites nouveaux, ces prêtres l'*ajoutent* dans leurs « explications » de la cérémonie ; ils la réitèrent *à chaque messe.* Plusieurs l'affichent en permanence à l'entrée de leur église. *Ainsi la validité de leur messe n'est pas une validité clandestine, mais une validité manifeste, comme il convient au culte catholique.*
\*\*\*
Notre soutien matériel et moral, nous le donnons en priorité, on le sait, aux prêtres qui maintiennent vivant dans l'Église le MISSEL ROMAIN : ils remplissent une fonction indispensable. Qu'ils la remplissent dans le mépris du monde, sous les crachats des catholiques mondains, et sous les coups de la persécution épiscopale, cela en augmente le prix surnaturel. Nous sommes avec eux d'abord ; et, comme on ne peut être partout, le plus souvent nous sommes avec eux uniquement.
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Mais nous ne sommes ni inattentifs ni hostiles aux réactions de la foi chez les prêtres qui ont courbé la tête sous l'arbitraire, qui ont cédé à la contrainte, qui ont estimé qu'ils ne pouvaient faire autrement, et qui pourtant cherchent à maintenir, au moins par morceaux et plus ou moins en catimini, la fidélité aux grâces et aux devoirs de leur ordination. Qu'ils veuillent sauver la validité de leur messe à travers les méandres mouvants d'un rite multiforme et en constante décomposition, cela n'est pas rien. Dans leur faiblesse, dans leur désarroi, dans leur abdication devant l'abus de pouvoir ils ont conservé pourtant cette étincelle précieuse de bonne volonté et de désir droit. Ils n'ont pas étouffé dans leur cœur la honte qu'ils ressentent de la manière moins digne, et progressivement indigne, dont on leur fait célébrer la messe ; de la manière moins respectueuse, et progressivement irrespectueuse, dont on leur fait distribuer la sainte communion. Ah ! ils ne sont pas un exemple. Ils ne sont pas un exemple d'héroïsme. Ni même de fierté chrétienne. Mais ils sont ce qu'ils sont. Ils s'efforcent de demeurer des prêtres. Nous les assurons d'une compassion sans mépris.
#### Précision
A tous nous suggérons ce que plusieurs d'entre eux ont spontanément trouvé : emprunter au catéchisme les formules qui donneront une *précision* suffisante à la déclaration qu'ils font sur la *nature* de la présence et du sacrifice.
A. -- LE SACRIFICE.
Nous avons annoncé une réclamation qui ne cesserait point. Donc nous ne cessons pas. La messe n'est pas simplement « un » sacrifice ; elle n'est pas n'importe quel sacrifice offert à Dieu. Il ne nous suffit pas que le mot « sacrifice » se trouve encore ici ou là dans les rites nouveaux ; il ne nous suffit pas que ceux-ci aient pour unique qualité la qualité négative de « n'être pas positivement hérétiques », la seule qualité *catholique* que leurs partisans puissent alléguer !
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Redisons donc :
1\. -- Comme les païens et comme les juifs, nous offrons un sacrifice à Dieu. Mais à la différence des juifs et des païens, nous offrons à Dieu le sacrifice du Nouveau Testament.
2\. -- Comme les protestants, nous offrons à Dieu le sacrifice du Nouveau Testament : mais à la différence de la cène protestante, qui en est une simple commémoration, la messe est le renouvellement du sacrifice du Calvaire, avec le même Prêtre et la même Victime.
Cette vérité qui n'est plus affirmée sans équivoque par les rites nouveaux, pour la rétablir il suffit de prononcer l'affirmation du catéchisme : le sacrifice de la messe est substantiellement le même sacrifice, quoique de manière non sanglante, que le sacrifice de la Croix.
B. -- LA PRÉSENCE.
La présence réelle du Corps, du Sang, de l'Âme et de la Divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin après la consécration n'est pas seulement la présence spirituelle que reconnaissent les protestants, et que reconnaît l'article 7 de l'*Institutio generalis* de l'ORDRE NOUVEAU, en invoquant la parole (en saint Matthieu, XVIII, 20) : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, là je suis au milieu d'eux. »
Après la consécration, le pain est le Corps, le vin est le Sang de Notre-Seigneur, *en ce sens précis* qu'énonce l'affirmation du catéchisme : *il ne reste rien du pain et du vin*, sauf leurs apparences.
\*\*\*
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Nous réclamons des prêtres que ces deux affirmations soient déclarées à chaque messe.
Elles sont déclarées par le rite dit de S. Pie V.
Elles doivent être *ajoutées* aux rites dégradés de l'ORDRE NOUVEAU. Mais puisque l'ORDRE NOUVEAU demande au célébrant de bavarder quasiment à jet continu pendant la célébration, il a donc la possibilité « légale » de faire à haute voix cet *ajout*, qui rend manifeste la validité de sa messe.
#### Constatation
Que la nécessité d'un tel *ajout* soit spontanément découverte par un nombre croissant de prêtres ayant accepté de subir l'ORDRE NOUVEAU de la messe et du catéchisme, cela constitue un témoignage vécu.
Ce qu'ils maintiennent, ce qu'ils déclarent, c'est ce qui ne figure plus, en termes non équivoques, ni dans le nouveau catéchisme ni dans les nouvelles messes.
Ils témoignent ainsi qu'au regard de la foi catholique, il y a un *manque* dans l'ORDRE NOUVEAU du catéchisme et de la messe, et que ce manque est *essentiel*.
Cet essentiel, ils l'ont reçu de l'Église : ils l'ont reçu du CATÉCHISME ROMAIN et du MISSEL ROMAIN.
Ils ne peuvent y renoncer : ils ont l'évidence qu'y renoncer serait faire acte d'apostasie (fût-elle « immanente », c'est-à-dire implicite ou clandestine).
Ils résument et manifestent, par un acte décisif, les reproches fondamentaux que la foi catholique adresse à l'ORDRE NOUVEAU.
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Leur témoignage est donc, en lui-même, plein de signification.
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Mais leur résistance verbale risque d'être précaire.
*Qu'en resterait-il si toute tradition, tout souvenir du* MISSEL ROMAIN *et du* CATÉCHISME ROMAIN *étaient estompés ?*
\*\*\*
Il n'est nullement assuré que la bureaucratie collégiale laissera les prêtres déclarer, *à chaque messe,* leur foi catholique dans la vraie présence et dans le vrai sacrifice. Sous prétexte de « pastorale d'ensemble » et de « formulation adaptée », ces déclarations manifestement *issues du catéchisme roman et du Missel romain* attireront les représailles et les interdictions. Le pouvoir dans l'Église est actuellement aux mains d'un parti dont le sectarisme sans limite n'est pas d'humeur à supporter la moindre infraction à ses ukases. Si ce parti a mis à l'index le catéchisme romain et le Missel romain, ce n'est pas pour tolérer qu'on en maintienne les affirmations essentielles par manière de préambule, d'explication ou de complément.
Pas à pas, peu à peu, morceau après morceau, détail après détail, les prêtres seront amenés à tourner *intégralement* le dos au catéchisme romain et au Missel romain.
Leur résistance sera plus simple et plus solide s'ils décident au contraire d'y redevenir *intégralement fidèles,* plutôt que de se défendre par la porte dérobée de compromis à tiroirs, de restrictions mentales et de finasseries élastiques.
Ce choix clair -- *ce choix entre l'obéissance à l'Église de toujours et la soumission servile aux abus de pouvoir d'un moment* -- ils ont pensé l'éviter. Ils ne l'éviteront pas indéfiniment, si le parti de l'apostasie immanente conserve encore quelque temps le gouvernement de la société ecclésiastique.
#### Avertissements
Pour nous, nous prenons acte des avertissements qui nous sont donnés dans les faits.
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Et nous ne croyons pas pouvoir les laisser ignorer à nos lecteurs. Nous ne croyons pas pouvoir leur laisser ignorer que l'administration ecclésiastique s'emploie efficacement à multiplier les obstacles sur le chemin de la fidélité catholique.
La permission explicite de célébrer en latin la messe dite, de S. Pie V jusqu'au 28 novembre 1971 n'est pas abrogée : mais elle a été donnée de la main droite, et voici que la main gauche s'efforce sournoisement de l'étrangler.
Les obsèques, en avril et en mai, d'Henri Massis, de l'amiral de Penfentenyo, de Dominique Morin, constituent un autre avertissement.
Elles ont été ostensiblement barbouillées de vernac et de rite nouveau, par un affront calculé à la volonté des défunts et à la piété des vivants.
Dans chacun de ces trois cas, il n'y avait aucun doute que la ferme volonté du défunt était d'avoir des obsèques intégralement en latin, intégralement en grégorien, intégralement selon le Missel romain. Il n'y avait aucun doute non plus que c'était leur droit incontestable, même du point de vue de la « légalité » nouvelle. Dans les trois cas, la messe de funérailles a été intégralement une messe de rite nouveau, avec un mélange de latin et de vernac en proportions variables. *Si les sectaires au pouvoir n'ont pas toléré le Missel romain dans ces trois cas, qui étaient les plus indiscutables que l'on puisse imaginer, cela veut dire qu'ils entendent ne le tolérer absolument dans aucun cas*. Les prêtres fidèles au Missel romain doivent le savoir, ils peuvent se tenir pour avertis : tous et chacun, tôt ou tard, ils auront à combattre. Les cruels sectaires qui colonisent présentement l'administration ecclésiastique ne font pas de quartier, n'accordent aucune tolérance, ne consentent aucune exception. Il leur faut un clergé et un peuple serviles, et d'ailleurs ils les ont, mais la majorité numérique ne leur suffit pas, il leur faut que le clergé et le peuple chrétiens soient tout entiers réduits en servitude. Ils ne veulent pas qu'il subsiste un *petit reste :* ils le traquent par tous les moyens, ils veulent l'écraser, ils veulent le supprimer. Témoin l'évêque de Nancy, qui ne tolère pas qu'*une* seule église de son diocèse puisse (conformément à la législation en vigueur et à la permission donnée par le Saint-Siège) conserver le Missel romain.
71:146
En quoi l'évêque de Nancy n'est certainement pas plus misérable que ses collègues de la collégialité, il est comme eux tous, il est tout à fait banal. Il vote, il signe, il exécute. Il n'est plus capable que d'une mini-crise de nerfs si on lui montre l'évidence, à savoir qu'il a lui aussi laissé son existence personnelle basculer dans la fiction, -- dans la fiction collégiale.
La résistance devient plus difficile.
C'est-à-dire qu'elle exige une plus grande résolution et un plus grand effort.
Que chacun donc se ceigne les reins, s'éprouve et se prépare : dans la prière et par la messe.
\*\*\*
Car la messe survivra.
La messe sera sauvée par la messe.
Par toutes les messes *valides.* Et principalement par celles qui n'ont pas peur de l'être *manifestement :* le plus manifeste et le plus sûr étant dans la fidélité intégrale au Missel romain.
C'est la messe qui obtiendra de Dieu que cette épreuve nous soit abrégée.
C'est sur la messe que se brisera l'apostasie provisoirement triomphante.
C'est par la messe que l'Église sortira du collapsus qui neutralise son autorité légitime.
C'est la messe qui sans cesse suscite, fortifie, inspire les témoins de la foi.
Jean Madiran.
72:146
### Déclaration du P. Calmel, o.p.
Je m'en tiens à la Messe traditionnelle, celle qui fut codifiée, mais non fabriquée, par saint Pie V, au XVI^e^ siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l'ORDO MISSÆ de Paul VI. Pourquoi ? Parce que, en réalité, cet ORDO MISSÆ n'existe pas. Ce qui existe c'est une Révolution liturgique universelle et permanente, prise à son compte ou voulue par le Pape actuel, et qui revêt, pour le quart d'heure, le masque de l'ORDO MISSÆ du 3 avril 1969. C'est le droit de tout prêtre de refuser de porter le masque de cette Révolution liturgique. Et j'estime de mon devoir de prêtre de refuser de célébrer la Messe dans un rite équivoque. ([^34])
Si nous acceptons ce rite nouveau, qui favorise la confusion entre la Messe catholique et la Cène protestante -- comme le disent équivalemment deux Cardinaux et comme le démontrent de solides analyses théologiques ([^35]) -- alors nous tomberons sans tarder d'une Messe interchangeable (comme le reconnaît du reste un pasteur protestant) dans une Messe carrément hérétique et donc nulle. Commencée par le Pape, puis abandonnée par lui aux églises nationales, la réforme révolutionnaire de la messe ira son train d'Enfer. Comment accepter de nous rendre complices ?
73:146
Vous me demanderez : en maintenant, envers et contre tout, la Messe de toujours, avez-vous réfléchi à quoi vous vous exposez ? Certes. Je m'expose, si je peux dire, à persévérer dans la voie de la fidélité à mon sacerdoce, et donc à rendre au Souverain Prêtre, qui est notre Juge Suprême, l'humble témoignage de mon office de prêtre. Je m'expose encore à rassurer des fidèles désemparés, tentés de scepticisme ou de désespoir. Tout prêtre en effet qui s'en tient au rite de la Messe codifié par saint Pie V, le grand Pape dominicain de la Contre-Réforme, permet aux fidèles de participer au Saint Sacrifice *sans équivoque possible *; de communier, *sans risque d'être dupe,* au Verbe de Dieu incarné et immolé, rendu réellement présent sous les saintes espèces. En revanche, le prêtre qui se plie au nouveau rite, forgé de toutes pièces par Paul VI*, collabore pour sa part* à instaurer progressivement une Messe mensongère où la présence du Christ ne sera plus véritable, mais sera transformée en un mémorial vide ; par le fait même le Sacrifice de la Croix ne sera plus réellement et sacramentellement offert à Dieu ; enfin la communion ne sera plus qu'un repas religieux où l'on mangera un peu de pain et boira un peu de vin ; rien d'autre ; comme chez les protestants. Ne pas consentir à collaborer à l'instauration révolutionnaire d'une Messe équivoque, orientée vers la destruction de la Messe, ce sera se vouer à quelles mésaventures temporelles, à quels malheurs en ce monde ? Le Seigneur le sait dont *la grâce suffit.* En vérité la grâce du Cœur de Jésus, dérivée jusqu'à nous par le Saint Sacrifice et par les sacrements, suffit toujours. C'est pourquoi le Seigneur nous dit si tranquillement : *celui qui perd sa vie en ce monde à cause de moi la sauve pour la vie éternelle.*
74:146
Je reconnais sans hésiter l'autorité du Saint Père. J'affirme cependant que tout Pape, dans l'exercice de son autorité, peut commettre des abus d'autorité. Je soutiens que le Pape Paul VI commet un abus d'autorité d'une gravité exceptionnelle lorsqu'il bâtit un rite nouveau de la Messe sur une définition de la Messe qui a cessé d'être catholique. « La Messe, écrit-il dans son ORDO MISSÆ, est le rassemblement du peuple de Dieu, présidé par un prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. » Cette définition insidieuse omet de parti pris ce qui fait catholique la Messe catholique, à jamais irréductible à la Cène protestante. Car dans la Messe catholique il ne s'agit pas de n'importe quel mémorial ; le mémorial est de telle nature qu'il contient réellement le Sacrifice de la Croix, parce que le corps et le sang du Christ sont rendus réellement présents par la vertu de la double consécration. Cela apparaît à ne pouvoir s'y méprendre dans le rite codifié par saint Pie V, mais cela reste flottant et équivoque dans le rite fabriqué par Paul VI. De même, dans la Messe catholique, le prêtre n'exerce pas une présidence quelconque ; marqué d'un caractère divin qui le met à part pour l'éternité, il est le ministre du Christ qui fait la Messe par lui ; il s'en faut de tout que le prêtre soit assimilable à quelque pasteur, délégué des fidèles pour la bonne tenue de leur assemblée. Cela, qui est tout à fait évident dans le rite de la Messe ordonné par saint Pie V, est dissimulé sinon escamoté dans le rite nouveau.
75:146
La simple honnêteté donc, mais infiniment plus l'honneur sacerdotal, me demandent de ne pas avoir l'impudence de trafiquer la Messe catholique, reçue au jour de l'Ordination. Puisqu'il s'agit d'être loyal, et surtout en une matière d'une gravité divine, il n'y a pas d'autorité au monde, serait-ce une autorité pontificale, qui puisse m'arrêter. Par ailleurs la première preuve de fidélité et d'amour que le prêtre ait à donner à Dieu et aux hommes c'est de garder intact le dépôt infiniment précieux qui lui fut confié lorsque l'évêque lui imposa les mains. C'est d'abord sur cette preuve de fidélité et d'amour que je serai jugé par le Juge Suprême. J'attends en toute confiance de la Vierge Marie, la Mère du Souverain Prêtre, qu'elle m'obtienne de rester fidèle jusqu'à la mort à la Messe catholique, *véritable et sans équivoque.* TUUS SUM EGO, SALVUM ME FAC.
R.-Th. Calmel, o. p.
76:146
### Déclaration
par M.-L. Guérard des Lauriers, o.p.
LA SUPPLIQUE qu'ont adressée au Pape les Cardinaux OTTAVIANI et BACCI à propos du nouvel *Ordo missæ* est maintenant bien connue. ([^36])
Elle appartient au passé et à l'histoire.
Elle ne laisse pas, cependant, d'appartenir au présent.
Les circonstances, et je le crois, par elles, la Providence m'ont induit jusqu'à présent à conserver l'anonymat. Mû par la profonde conviction qu'il suffit de restaurer la juste expression de la Vérité, pour que resplendisse, persuasive, la lumière de la « très sainte Foi », j'ai apporté une collaboration décidée à la rédaction du « Breve Esame Critico ». En accord avec d'autres théologiens, j'ai développé (Pensée catholique, n° 122) l'aspect doctrinal des considérants contenus dans le « Breve Esame ».
J'ai osé espérer qu'éclairer suffirait.
Des circonstances nouvelles, et, par elles, je le crois, derechef la Providence m'inclinent impérieusement à témoigner personnellement de ce que j'ai exprimé objectivement.
Je pense surtout au désarroi que provoque, en de très nombreux prêtres et fidèles, une « doctrine insolite que l'instinct de la foi estime spontanément suspecte, sans pour autant réussir à en discriminer l'errance » ; l'observation de S. Thomas reçoit actuellement une éclatante confirmation.
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Je déclare donc que les arguments développés dans les deux études précitées n'ont pas seulement pour moi une valeur théorétique. Ils établissent que *c'est précisément dans l'ordre pratique* que le nouvel *Ordo missæ* et l'*Institutio generalis* qui en est le commentaire officiel constituent *pour le moins* un écart, un « faux pas » hors la ligne dont le Concile de Trente a fixé les normes, et cela définitivement, « ad perpetuam rei memoriam ».
Y a-t-il vraiment un « pas » ? Ce « pas » (?) n'est-il qu'apparent, faux en son origine obscurément, comme il est faux en son aboutissant manifestement ? J'aime à le supposer. Je ne l'examine pas. D'autres l'ont fait, et bien fait.
Ce « pseudo pas » (?) est-il rectifié par des « discours » ou par des commentaires, si autorisés soient-ils ? Il n'en est rien.
Les discours se succèdent au fil des jours, ils passent. La Constitution apostolique *Missale Romanum* se réfère à la Constitution apostolique de S. Pie X *Quo primum.* Celle-ci est-elle abrogée par celle-là ? On en discute. Je ne le pense pas. Quoi qu'il en soit, au regard de la multitude, à tort ou à raison, la Constitution apostolique *Missale Romanum* est revêtue du prestige de la loi. A ce titre, en fait et *pour l'opinion,* elle demeure.
La supplique des deux Cardinaux appartient donc bien au présent.
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Je souscris *sans réserve à tous les termes* de cette supplique, en particulier à l'affirmation suivante : « Come dimostra sufficientemente il pur breve esame critico allegato... il *Novus Ordo missæ...* rappresenta sia nel suo insieme come nei particolari, un impressionante allontanamento dalla teologia cattolica della Santa Messa, quale fù formolata nella Sessione XXII del Concilio Tridentino, il quale, fissando definitivamente i « canoni » del rito, eresse una barriera invalicabile contro qualunque eresia che intaccasse l'integrità del Mistero. » ([^37])
En conséquence, je déclare ne pas pouvoir utiliser le nouvel *Ordo missæ*.
M.-L. Guérard des Lauriers, o. p.
79:146
### Témoignage
par l'Abbé Raymond Dulac
S.S. le Pape Paul VI a pris, ces derniers mois, une détermination assez importante pour qu'il ait cru pouvoir dire qu'elle ouvrait « une ère nouvelle dans la vie de l'Église » (Alloc. du 19 nov. 1969) : il a entrepris d'ajouter -- ou de substituer ? -- à l'ordonnance du rite romain de la Messe, en usage depuis dix à quinze siècles, un rite tout nouveau, confectionné, depuis trois ou quatre ans, par une commission d' « experts ». ([^38])
Commentant lui-même l'événement, le Souverain Pontife a déclaré, ce même 19 novembre :
« Le changement a quelque chose de surprenant, d'extraordinaire, la Messe étant considérée comme l'expression traditionnelle, *intangible*, de notre culte religieux, de l'*authenticité de notre foi*. »
Et, le 26 :
« Ce changement... touche notre patrimoine religieux héréditaire, qui semblait... devoir porter sur nos lèvres la prière de *nos ancêtres* et de *nos Saints *; nous donner, à nous, le soutien d'une *fidélité à notre* *passé spirituel*, que nous rendions actuel pour le transmettre ensuite aux générations à venir. »
On ne nous l'a pas dit, mais nous le supposons : Paul VI devait avoir des sanglots dans la voix en annonçant cette révolution subite et spontanée, dont il acceptait de prendre la responsabilité devant les Anges et devant les hommes.
80:146
Une pareille révolution, même préparée, depuis la fin du Concile, par de petites démolitions graduelles, presque imperceptibles, ne pouvait pas ne point susciter, dans le monde catholique -- et même le monde profane -- une énorme émotion.
Celle-ci s'est manifestée de bien des façons, mais son expression la plus saisissante a été la lettre adressée, au mois d'octobre, à Paul VI, par deux cardinaux de l'église romaine : Ottaviani et Bacci.
Cette lettre, dépassant de très haut la considération, à soi seule capitale, d'un bouleversement radical et soudain du plus sacré des rites, cette lettre ne craignait pas d'affirmer :
« La nouvelle ordonnance de la Messe représente, dans son ensemble et dans ses détails, un *impressionnant éloignement de la théologie catholique de la S. Messe*, telle qu'elle fut formulée dans la Session XXII^e^ du Concile de Trente (...) De tout temps, les sujets, au bien desquels une loi est destinée, ont eu, quand la loi se révèle au contraire nuisible, le devoir de demander au législateur l'ABROGATION de celle-ci. »
Ces deux puissantes voix suffisaient largement à donner une confirmation incontestable à une résistance qui allait d'une réserve mesurée jusqu'au refus total.
Le directeur d'ITINÉRAIRES a désiré qu'un simple prêtre, revêtu d'aucun titre d'autorité dans l'Église, fît entendre, à côté de ces hautes paroles, celle de son expérience sacerdotale pure et simple, et qu'il manifestât la position personnelle qu'il prenait à l'égard de la nouvelle messe. Je suppose que Jean Madiran s'est adressé à ma modeste personne pour deux raisons :
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d'abord parce que j'avais reçu, de 1920 à 1926, l'enseignement de *l'église romaine*, au Séminaire français et à l'Université Grégorienne sous des maîtres qui s'appelaient Lazzarini (élève du cardinal Billot), de la Taille, Cappello..., à côté de condisciples qui sont aujourd'hui élevés aux plus hautes dignités ecclésiastiques : les cardinaux Garrone, Lefebvre, les évêques Michon, Johan, Jenny, Théas, Vion, de la Chanonie, etc. (pour ne parler que des français).
Je pouvais, à ce titre, témoigner à côté d'eux, cinquante ans après, de ce qu'était la doctrine *commune, incontestée, très ferme, officielle,* de l'église de Rome, sur la théologie et la liturgie de la Messe.
A cette qualité de témoin pouvait s'ajouter l'expérience assez variée d'un vicaire de ville, d'un curé de campagne, d'un professeur de philosophie, d'un prédicateur de retraites et (par aventure) d'un avocat d'officialité.
Enfin, mon ami Jean Madiran prenait sur lui de supposer que je pourrais, sur un sujet difficile, dans une circonstance redoutable, parler avec l'indépendance d'un homme qui n'espère plus (si même il en a eu, un jour, l'illusion) porter les insignes d'un chanoine, d'un camérier ou d'un décoré de l'État républicain.
Je vais donc, mon cher Directeur, vous apporter mon témoignage, un simple témoignage.
\*\*\*
L'exposé de ma position devrait, pour être complet, répondre à deux questions :
I. -- A ne la considérer que dans sa FORME seule, la Constitution de Paul VI qui « promulgue » la nouvelle messe est-elle revêtue des caractères qui en font une Loi véritable, créant une obligation juridique ?
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II\. -- *Dans l'affirmative* à la question précédente, cette loi peut-elle, sous un autre aspect, être REFUSÉE par les sujets, parce que : NUISIBLE, OU INUTILE, OU IMPOSSIBLE, c'est-à-dire, enfin, parce que contraire au bien commun de l'Église, considéré non pas seulement pour le moment présent mais aussi pour un proche avenir ?
Je ne répondrai, aujourd'hui, qu'à la première question :
LE NOUVEL ORDO MISSÆ PORTE-T-IL UNE OBLIGATION JURIDIQUE, STRICTEMENT DITE ?
Nous répondons : NON.
Pour plusieurs raisons, dont voici les principales :
**1. -- **Un acte de l'Autorité n'a force de Loi que si cette Autorité manifeste, clairement et sans équivoque, qu'elle entend obliger ses sujets.
La seule expression soit d'une « directive », soit d'un conseil, soit d'un désir ne suffit pas.
Même *la manifestation d'une simple volonté* serait sans valeur et inopérante : il faut, en plus, que cette volonté se déclare comme une volonté d'OBLIGER.
Or, pour des raisons connues de lui, le Pape Paul VI n'a pas exprimé dans l'acte de sa Constitution, d'une manière qui ne laisse place à *aucun doute,* sa *volonté* que le nouvel O.M. soit strictement *obligatoire*.
Donc...
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La Majeure de ce syllogisme est connue de tous les Juristes. Dans une Consultation rédigée pour le *Courrier de Rome,* nous avons prouvé la Mineure. Nous nous permettons d'y renvoyer, pour aujourd'hui, le lecteur d'ITINÉRAIRES. -- Il la trouvera reproduite en appendice à la suite du présent exposé.
**2. -- **La Constitution de Paul VI ne légifère point sur une matière entièrement *neuve :* ses dispositions, quelle qu'en soit la force exacte, se présentent comme paraissant *se substituer, à quelque degré,* aux dispositions de la Constitution de saint Pie V : *Quo primum*.
Et *donc,* pour exprimer clairement le caractère exact de l' « obligation » nouvelle qu'il entendrait imposer, Paul VI devrait référer, dans *un détail exprès, complet et précis*, sa Constitution à celle de son Prédécesseur.
Or on paraît ignorer que les dispositions de la Constitution de Saint Pie V étaient *multiples* et *complexes. --* Voici leur énoncé final :
« En conséquence, qu'il ne soit permis à personne, absolument, d'enfreindre... le texte présent de Notre *permission, statut*, *ordonnance, commandement, précepte, concession, indult, déclaration, volonté, décret* et *défense*. Si quelqu'un entreprenait un attentat de cette sorte, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux Apôtres Pierre et Paul. »
*Onze* termes, onze, soigneusement choisis et affirmés ! Même si l'on voulait tenir l'un ou l'autre pour synonymes, ils manifesteraient au moins, par leur insistance, la fermeté d'une résolution. Mais on ne peut absolument pas identifier un « commandement » à une « concession », un « décret » à une « déclaration », un « indult » à une « défense ».
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Saint Pie V sait ce qu'il veut et il veut ce qu'il dit. Il ne le laisse ni ignorer ni deviner, et la menace, à la fin, de « l'indignation » du Dieu tout-puissant et des bienheureux Apôtres, encourue par les délinquants, exprime assez la vigueur *surhumaine* que le Pontife de 1570 entend donner à sa décision. Il faut donc scruter attentivement celle-ci.
Cette décision est quintuple. La voici, dans son détail :
*a*) Le Missel édité devient *obligatoire* dans toute l'Église (latine).
*b*) A ce Missel rien ne pourra être *ajouté* ni *retranché ;* rien n'y pourra être *modifié.*
*c*) Tout *autre* Missel est *prohibé.*
*d*) Néanmoins, *permission* est donnée d'user d'un autre, dans deux cas très précis :
-- Quand cette concession a été accordée par le Siège Apostolique, dès l'institution de ce Missel.
-- Quand cet usage peut s'autoriser d'une prescription de plus de deux cents ans.
*e*) Dans tous les cas, aucune autorité, à aucun titre, ne pourra *imposer* un autre Missel au prêtre qui voudra user de celui qui est édité par Saint Pie V. Le Pontife déclare concéder « *à perpétuité *» ce « libre et licite » usage, comme une sorte de *privilège* ou d'*indult* (« indulgemus »), sans que le prêtre puisse encourir aucune espèce de censure ni de peine.
Cette cinquième disposition vise le cas du célébrant qui, à raison d'une obligation particulière, serait normalement *tenu* de suivre un *autre* Missel que celui de Pie V.
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Il apparaît ainsi que le Missel de 1570 est doté d'un privilège qui ne pourrait être aboli que dans les conditions très *exactes, requises* alors par le Droit.
-- Nous omettons, pour aller vite, les dispositions suivantes, relatives aux éditions et rééditions de ce Missel ;
Et, de même, la clausule finale du « NONOBSTANT », énoncée avec l'indication vraiment *exhaustive* des ordonnances précédentes et des coutumes que la Constitution entend expressément abroger.
Il est manifeste, dès la première lecture, que la Constitution de Paul VI a très volontairement évité pareille précision et pareille décision :
Les quatre cinquièmes du document sont employés à *décrire* tout simplement les nouveautés du nouveau Missel. Quant à la partie finale, qu'on pourrait croire dispositive, le Pape ne déclare avec précision et dans les formes requises :
Ni ce qu'il *commande,*
Ni ce qu'il *prohibe,*
Ni ce qu'il *concède.*
Quant à la clausule finale du NONOBSTANT, elle est trop générique pour que, dans le style technique d'un document de cette gravité, elle soit censée ABROGER, sans laisser de doute possible, l'acte législatif parfaitement clair de Saint Pie V.
Il y a donc lieu d'appliquer ici le canon 23 du Code de Droit canonique :
« Dans le *doute,* la révocation de la loi préexistante n'est pas *présumée,* mais les lois postérieures doivent être ramenées (*trahendae*) aux précédentes, et, autant qu'il est possible, conciliées avec elles. »
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A nos yeux, il n'y a même pas de *doute :* Paul VI n'a certainement PAS VOULU rendre OBLIGATOIRE son missel, d'une obligation vraiment *juridique.*
**3. -- **On peut alors se poser la question : pour quelle raison le Pontife de 1969 n'a-t-il pas voulu *abroger* une Loi de quatre siècles, une loi dont il fait un grand éloge, une loi qu'il ne charge d'aucune critique, une loi qui, à son origine, sanctionnait une COUTUME vieille, déjà, dans sa partie essentielle, de mille ans ; une loi, enfin, revêtue, dans ses termes, des formalités les plus solennelles ? -- Il n'a point voulu, disons-nous, l'abroger, et, néanmoins, *il semble* lui en SUBSTITUER une autre ?
C'est assurément une grande question.
Il y en a une plus grande encore : pourquoi n'avoir PAS DIT clairement qu'*on ne voulait pas abroger ?* Pourquoi avoir laissé à des « spécialistes » le soin et peut-être le péril de le dénoncer ? Pourquoi avoir laissé naître, en certains esprits, le soupçon affreux : « Tout se passe *comme si* l'on n'avait osé imposer une obligation, tout en laissant *croire le contraire ?* »
Ce n'est certes pas l'Instruction du 20 octobre 1969 pour l' « application graduelle » du nouvel *Ordo Missae* qui est capable de lever le soupçon et d'ôter l'incertitude : si on veut l'appeler une explication, c'est l'explication de l'obscur par le plus obscur : *obscurum per obscurius :*
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L'Instruction admet en effet des EXCEPTIONS à l'observation de la loi (présumée). Or celles-ci sont telles, qu'elles devraient normalement tuer le nerf de la loi, *si c'en était une :*
En effet : quelles sont ces « infirmités », ces « maladies », ces « difficultés », reconnues dans l'Instruction comme pouvant légitimement dispenser d'observer la « loi » du nouveau rite ?
Qui les appréciera ? S'agit-il d'incapacités uniquement *physiques ? Psychiques,* aussi ? *Définitives ? Guérissables ?* -- Si nous avions le cœur de rire sur un pareil sujet, nous demanderions à M. Bugnini : allez-vous instituer un Conseil de Révision à côté de la Congrégation des Rites ? Y aura-t-il des « réformés » temporaires ? Des invalides définitifs ? Pensionnés ?
Ensuite : qu'est-ce qu'une messe « avec peuple » ? « sans peuple » ? -- S'agit-il d'une simple *assistance,* ou bien d'une assistance doublée de ces « *participants *» qu'on nous énumère ailleurs : un lecteur, un chantre, un commentateur, un « communicateur », un ordonnateur des mouvements d'ensemble de l'assistance ? -- Car on a préparé un *rôle* pour ces quatre *personnages* (qui pourront être, paraît-il, du sexe féminin) !
Qui ne voit que ces indispensables précisions, si elles étaient ajoutées à une LOI qui en serait vraiment une, en feraient une loi élastique et flottante, c'est-à-dire tout le contraire d'une vraie loi ?
Et quelle application imaginable de pareilles minuties, de pareils artifices, dans les neuf dixièmes de nos paroisses françaises ?
Ah ! c'était bien la peine à M. Bugnini d'ameuter l'opinion contre le « rubricisme » de l'ancienne liturgie, pour lui substituer ce manuel de l'école de section à l'usage d'une escouade de paroissiens ?
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On veut, nous assure-t-on, procurer une plus grande « participation » du « peuple » ? -- Mais cette participation deviendrait, si l'on vous suivait, une *figuration *! Et votre « messe », une *revue !*
Non, Paul VI n'a pas « voulu » obliger à tout ÇA !...
...Ou bien, s'il l'a voulu, il l'a voulu *contraint et forcé*. Mais s'il en est ainsi, quelle peut être la force obligatoire d'une « loi », imposée à *toute* la communauté par un chef auquel une partie de celle-ci a commencé par l'imposer « souvent contre son gré » ?
**4. -- **Poser une pareille question, ouvertement et en public, eût été, il y a quelques mois encore, une injure atroce. Il n'en est plus de même aujourd'hui : l'injure cesse, mais elle fait place à une immense pitié...
... Il n'en est plus ainsi depuis l'interviouve inimaginable accordée à un journaliste autrichien par le Cardinal Gut. -- On sait que celui-ci est le Préfet de la « Congrégation pour le Culte divin », et donc le dignitaire qui préside à la réforme liturgique d'où est issue la nouvelle messe. Cette interviouve a été reproduite dans la *Documentation catholique,* n° 1551, du 16 novembre 1969, aux pages 1048-1949.
Voici le passage capital pour ce qui nous intéresse (p. 1048, col. 2) :
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« Nous *espérons que, désormais*, avec les nouvelles dispositions, contenues dans les documents, cette maladie de l'expérimentation va prendre fin. *Jusqu'à présent*, il était *permis* aux évêques d'*autoriser* des expériences, mais *on* (= ?) a parfois franchi les *limites* de cette autorisation, et beaucoup de prêtres ont simplement fait *ce qui leur plaisait*. Alors ce qui est arrivé parfois, c'est qu'ils SE SONT IMPOSÉS. Ces *initiatives* (!) prises sans autorisation, ON (= ?) ne POUVAIT plus, bien souvent, les arrêter, CAR cela s'était répandu trop loin. Dans sa grande bonté et sa sagesse, le Saint-Père a ALORS CÉDÉ, souvent CONTRE SON GRÉ. »...
Nous voici donc instruits, par le personnage le plus qualifié qui soit en l'affaire, de cette circonstance assez importante : que l'*auteur* de ce que certains voudraient faire passer doucement pour une LOI, ne l'a point édictée LIBREMENT, et que, s'il eût été maître de son choix, il eût édicté sans doute le contraire...
Ne nous attardons pas à nous scandaliser d'un pareil aveu. Mais tirons-en résolument les conséquences.
\*\*\*
Ces conséquences, les voici :
**I. -- **Par la volonté même ou la tolérance de son auteur, la Constitution de Paul VI ne promulgue pas une LOI véritable, imposant une obligation proprement juridique au for *externe. --* On n'y peut reconnaître qu'une sorte de « directoire », fortement conseillé, mais qui reste provisoire et facultatif.
**II. -- **Ce directoire, parce qu'il émane de l'Autorité Suprême, ne saurait être refusé pour la seule raison qu'il est facultatif. -- Ce REFUS, s'il doit s'exprimer, devra être justifié par des RAISONS très graves, qui dépassent les considérations d'une simple préférence personnelle.
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-- Il ne devra, en aucune façon, mettre en discussion le POUVOIR pontifical comme tel, mais concerner uniquement son application dans un cas singulier, extraordinaire ; application qui relève, chez le chef, d'une VERTU, *distincte* de la pure *autorité* et, qui est en soi, absolument *faillible :* la vertu de prudence politique.
**III. -- **Ce REFUS, plusieurs RAISONS le justifient clairement à nos yeux dans le cas présent, à ne considérer déjà que la seule FORME de la Constitution de Paul VI. -- Disons ici, à l'avance, que l'examen de son FOND en révélera d'autres, infiniment plus graves.
Voici ces raisons :
1° Le Pape, au témoignage du Cardinal Gut, ne s'est résolu à la réforme liturgique dont la nouvelle messe est la pièce principale, que *sous l'empire* d'une PRESSION, et d'une pression produite par un parti de clercs rebelles : « Le Saint-Père a *cédé*, souvent *contre son gré*. »
2° L'ordonnance de cette nouvelle messe est tantôt grevée d'*indéterminations*, tantôt assortie de *permissions*, qui doivent nécessairement et pour une durée inimaginable, faire entrer la liturgie romaine dans une période de mutations, d'inventions, de variétés, bref de CHAOS, radicalement incompatible avec la STABILITÉ et la SOLENNITÉ requises par le concept de loi.
3° Les CRITÈRES qui ont servi à justifier, depuis quatre ans, les réformes successives qui ont abouti au rite de 1969, sont, EN SOI, tellement *vagues*, *arbitraires, génériques,* que la seule volonté du Pouvoir Suprême sera incapable de LIMITER leur application par une Loi de portée universelle. Ce sera, ici encore, le chaos.
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Que restera-t-il alors de l'*unité* de l'Église catholique, signe de sa vérité ? L'unité de sa prière *publique ?*
Que restera-t-il même du *lien* social fondamental sans lequel il n'est point de communauté véritable, mais seulement des sectes, ou des clans, ou des hordes ?
Les critères, tels qu'on nous les a révélés, sont les suivants :
*a*) Une plus grande « *participation *» du « peuple » aux rites.
*b*) Une plus grande « prise de *conscience *» de ceux-ci.
*c*) Leur expression de plus en plus « *communautaire *»*.* On le voit : ces notions flasques ouvrent un champ illimité aux « expériences ».
Là-dessus, le Cardinal Gut veut bien appeler celles-ci une « maladie », et déclare : « Nous ESPÉRONS que *désormais,* AVEC *les nouvelles dispositions,* cette maladie de l'expérimentation prendra fin ».
... Quel optimisme ! Faut-il adjoindre à la Congrégation des Rites, des « experts » en « psychologie de la révolution », pour apprendre à des moines ingénus que les concessions précipitées faites à des mutins ne servent qu'à aiguiser leur appétit et encourager leur audace ?
Mais alors l'Église entière devra se plier aux *prochaines* aberrations d'un parti de « malades », parce que le Pape, en lui « cédant », a LÉGALISÉ leur RÉVOLUTION ?
... « Nous *espérons* que désormais... » -- Éminence, une loi fondée sur cette sorte d'espérance n'est pas une « ORDONNANCE de la RAISON », mais la démission lâche et perpétuellement mobile d'un SENTIMENT. Elle est radicalement inapte à exiger le *rationabile obsequium,* la soumission intelligente, dont parle saint Paul.
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Dans un tel cas si quelqu'un la refuse, il n'y a pas un refus, par le sujet, de la loi, mais le simple constat qu'IL N'Y A PAS DE LOI.
Un moine ami vient de nous dire tout à l'heure : Paul VI a cédé « pour éviter un schisme ».
Nous ne pouvons croire que le Successeur de Pierre a, pour éviter une division, consenti à une anarchie.
Si Pierre est de nouveau DANS les LIENS, il faut, comme la première fois, que l'Église se mette en prière, puis s'efforce à le libérer. Or on ne libère pas un prisonnier en s'attachant à ses chaînes.
Paul VI ne cessera de « céder » que s'il trouve *dans l'Église* le soutien d'une résistance dont il n'a pu jusqu'ici trouver la force en lui seul.
Dans la circonstance inouïe où l'Église de Jésus-Christ est jetée, le REFUS est devenu la forme surhumaine de l'obéissance.
4° Nous n'avons plus même à prévoir ce qui doit arriver : l'avenir est déjà présent :
Le rite de la nouvelle messe, décrit dans l'*éditio tgpica* qui a été publiée au mois de juin, n'est plus le même au mois de décembre :
La Constitution... APOSTOLIQUE (!) de Paul VI est enrichie dans son deuxième « tirage » d'un *nouveau* paragraphe ajouté.
On nous annonce, d'autre part, dans un papillon épinglé sur les récents exemplaires de l'édition « originale » (!), que la fameuse *Institutio generalis,* APPROUVÉE par le Pape (*sic : ed. typica : decretum,* p. 5 et *Constit.,* p. 9) subira des remaniements *ad usum delphini.*
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Tout cela dans les actes OFFICIELS du Pape et du Saint-Siège !
Quand on en vient après cela aux « traductions » (-- aux traductions *officielles, approuvées*) des nouveaux textes, substitués aux textes millénaires, alors...
Alors nous avons une TROISIÈME MESSE : ce n'est plus la messe de Paul VI, c'est la messe de Mgr Boudon, président de la Commission Gauloise. Voyez seulement la traduction du Néo-Pseudo-Offertoire : il ne s'agit plus là d'une traduction « infidèle », mais bien d'une traduction adultère. Le pauvre prêtre désemparé de nos campagnes, auquel on demande d' « obéir », questionne alors :
A *qui ?*
Et *jusques à quand ?*
\*\*\*
A qui ?
Et jusques à quand ?
Vous vous êtes fait, mon cher Jean Madiran, l'écho troublé de cette angoisse. Le pur instinct de leur baptême ou de leur sacerdoce a déjà ému des milliers de chrétiens contre une fausse loi qui prétend ouvrir « une ère nouvelle dans l'Église ». Mais ils souhaitent, me dites-vous, les raisons et l'exemple d'un prêtre ?
Des *raisons,* je viens d'en exposer quelques-unes : les plus faciles, celles qui vont *au plus pressé,* qui évitent les redoutables critiques de fond, d'ordre dogmatique, qu'il faudrait faire à un Ordo Missae *polyvalent,* mi-luthérien, mi-catholique. Des raisons qui se bornent à puiser dans les caractères étranges et vraiment inouïs de l'acte pontifical, les MOTIFS RESPECTUEUX DE LE REFUSER.
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Un *exemple ? --* Ils ont celui, éminent, suffisant, de deux cardinaux de l'église romaine : Ottaviani et Bacci. Que pourrait y ajouter celui d'un simple prêtre, revêtu d'aucun titre d'autorité ?
Un témoignage ?
Le voici :
Je témoigne qu'au cours des six années de mes études romaines jamais, au grand jamais, je n'ai entendu, de nos maîtres, un mot, un seul mot qui eût pu suggérer le souhait ou l'idée de la réforme liturgique que l'on tente aujourd'hui d'imposer à l'Église stupéfaite.
Jamais je n'ai reçu, d'aucun maître, un enseignement qui pût autoriser, de près ou de loin, la « théologie » de la messe et de ses rites, que nous voyons serpenter dans l'*Institutio generalis* mise en tête du nouveau missel. -- J'ai entendu un enseignement exactement contraire, souvent, même, en plusieurs points, au nom du *dogme* catholique.
Jamais, en particulier, je n'ai entendu présenter l'Offertoire de la Messe, tel qu'il était, depuis mille ans, énoncé, gestes et paroles, dans notre rite romain, comme un « doublet » superfétatoire qu'on pût, à volonté, supprimer ou « alléger », en le réduisant à une manipulation purement utilitaire de sacristain pressé.
Jamais je n'ai entendu évoquer, sous forme même d'hypothèse, une réforme possible du saint Canon romain c'était chose inimaginable.
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... Et je ne dis rien des « expérimentations », des rites flottants, des traductions fantaisistes, des femmes à l'ambon, des tractations de l'hostie consacrée, des messes-casse-croûte. Ces extravagances, qui copient les « messes sèches » fabriquées pour les chasseurs du haut Moyen Age, ces profanations qui évoquent l'abomination des « messes noires », nous auraient fait horreur, à simplement les imaginer : nous ne les concevions que dans quelque hallucinant tableau de Jérôme Bosch ou dans les cauchemars délirants d'un fébrile.
Voilà donc mon TÉMOIGNAGE.
Je m'assure que si on demandait le leur, mes condisciples romains de 1920-1926, devenus aujourd'hui illustres, ne le donneraient pas différent.
N'est-ce pas, Éminence Garrone, Éminence Lefebvre ? N'est-ce pas, Monseigneur Ancel, Monseigneur Michon, et Johan, et Vion, et de la Chanonie ?
C'est à vous tous que je remets aujourd'hui la déclaration désolée mais ferme de mon refus. C'est à vous, pour que vous la portiez au Souverain Pontife, que je remets aussi ma supplique : elle est celle de milliers de prêtres muets auxquels le moins digne a prêté aujourd'hui sa voix qu'on nous laisse célébrer notre dernière messe comme nous avons célébré la première.
Et que Paul VI, RÉVOQUANT l'acte, quel qu'il soit, qu'il a, « contre son gré », porté, se libère lui-même en libérant l'Église.
Raymond Dulac.\
prêtre.
##### Appendice
Voici la consultation canonique résumée que l'abbé Raymond Dulac a donnée au *Courrier de Rome.* Nous en reproduisons les principaux passages. C'est à la dernière partie du *paragraphe III* et du *paragraphe IV* de cette consultation que l'abbé Raymond Dulac fait plus spécialement référence dans la première partie de son article ci-dessus.
96:146
I. -- Il apparaît, à des signes nombreux et certains, que S.S. le Pape Paul VI n'a pas VOULU donner au nouvel ORDO MISSÆ la force d'une LOI véritable, selon toutes les conditions requises, pour cela, par la tradition canonique.
Il ne peut, dans le cas, s'agir que de ce qu'on appelle une « directive », augmentée assurément d'un *conseil*, d'une *exhortation*, d'un *souhait*, d'un *vœu* pressant, peut-être même d'une *volonté*.
Mais, pour fonder une LOI, une simple volonté ne suffit point. Comme dit Suarez, il ne suffit pas que le supérieur COMMANDE, pour vraiment « légiférer », il faut, en plus, qu'il veuille OBLIGER ses sujets. (...)
II\. -- Que Paul VI n'ait pas voulu créer une vérifiable OBLIGATION juridique, on peut le conclure avec certitude, du fait qu'il ne l'a pas MANIFESTÉ CLAIREMENT, et d'une manière qui ne laisse place à aucun DOUTE.
III\. -- S'agissant d'un acte de portée LÉGISLATIVE, il est sûr qu'il ne faut point chercher la manifestation de l'obligation juridique ni dans les allocutions du St Père, ni dans une simple « circulaire d'application » (telle que l' « Instruction » du 20 octobre 1969).
Il faut chercher l'expression de la CLAIRE VOLONTÉ D'OBLIGER dans l'acte constitutif : à savoir la Constitution Apostolique MISSALE ROMANUM, du 3 avril 1969.
Or, cette claire volonté *ne s'y trouve pas*.
Dans le présent résumé, nous ne pouvons donner que deux signes de ce DÉFAUT : deux signes indirects, mais convaincants à eux seuls :
C'est que, s'apercevant d'une LACUNE qu'ils déploraient probablement, le traducteur italien et le traducteur français (les seuls que nous puissions aujourd'hui juger) ont AUDACIEUSEMENT MODIFIÉ, d'une part et... COMPLÉTÉ, d'autre part, le texte *latin authentique* de la Constitution.
IV\. -- La MODIFICATION touche la phrase de Paul VI qui ouvre la conclusion. La voici :
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« Ad extremum, ex iis quae hactenus de novo Missali Romano exposuimus, QUIDDAM nunc COGERE et EFFICERE placet. »
La traduction sincère, exacte, de cette phrase doit être :
« De tout ce que nous venons jusqu'ici d'exposer touchant le nouveau Missel Romain, il nous est agréable de TIRER maintenant, pour terminer, UNE CONCLUSION. »
Or, voici la traduction française, publiée par « la Salle de Presse du St Siège » (*sic*, dans : *Docum, cathol*. n° 1541, 1^er^ juin 1969, p. 517, col. 1, initio)
« Pour terminer, Nous VOULONS (= placet !) donner FORCE de LOI (= cogere et efficere !) à TOUT (= quiddam !!!) ce que Nous avons exposé plus haut (= hactenus) sur le nouveau Missel romain. »
Et voici la traduction italienne :
« Infine, vogliano dare forza di legge a quanto abbiamo finora esposto... »
V. -- Le... COMPLÉMENT de la CONSTITUTION pontificale est une phrase de 22 mots AJOUTÉE dans la traduction française exactement avant le dernier paragraphe du document. La voici :
« Nous *ordonnons* que les *prescriptions* de cette Constitution entrent en vigueur le 30 novembre prochain de cette année, premier dimanche de l'Avent. »
La traduction italienne comporte la même addition, avec, toutefois, en moins, le mot : « nous ORDONNONS ». -- La voici :
« Le prescrizioni di questa Costituzione andranno in vigore... (etc) »
VI\. -- On peut discuter sur les INTENTIONS qui ont dicté les deux énormes altérations que nous venons de dire. Ce qui est indiscutable, c'est que :
1° Elles constituent *objectivement* un FAUX.
2° Ce faux manifeste *à lui seul,* en voulant frauduleusement la combler, *la lacune essentielle* d'une Constitution que certains souhaiteraient *obligatoire,* mais qui, dans sa teneur authentique, ne l'est pas.
98:146
VII\. -- On ne saurait non plus trouver l'expression de la VOLONTÉ d'OBLIGER dans l'ultime paragraphe de la Constitution, dont voici les mots essentiels :
« Nostra *haec* autem *statuta* et *praescripta* nunc et in posterum *firma et efficacia* esse et fore *volumus*. »
Certes, les cinq mots que nous venons de souligner exprimeraient une *volonté* d'obliger. Mais il y manque l'essentiel le Pontife ne dit pas QUELLES SONT, en *détail précis,* les LOIS et les PRESCRIPTIONS qu'il déclare vouloir rendre « fermes et efficaces » !
Le « HAEC » qui entend les *démontrer,* les *désigner*, se rapporte à tout *ce qui précède.* Or, dams tout ce qui précède, on ne trouve (à la p. 9 de l'ed. typica) que deux prescriptions précisées : les trois nouveaux Canons et l'incise « quod pro vobis tradetur » ajoutée aux paroles de la consécration du pain. Or (sans parler de l'expression à l'indicatif *passé* de la volonté : STATUIMUS -- JUSSIMUS, expression étrange dans un texte qui devrait marquer une décision actuelle et durable) :
1° L'usage des trois nouveaux Canons est présenté comme purement facultatif.
2° Quant à l'addition « quod pro vobis tradetur », les deux motifs qu'on en donne sont tels (les « raisons pastorales » ; la « commodité de la concélébration » !) sont tellement douteuses *en soi* que le doute en rejaillit sur la prescription, *si c'en était une.*
VIII\. -- Il faudrait ajouter, aux VII considérations qui précédent, d'autres qui toucheraient un problème très épineux la Constitution de Paul VI a-t-elle voulu ABROGER celle de St Pie V ? -- Nous disons : NON. Les arguments qui précédent peuvent être aisément étendus jusque là. (...)
99:146
### Le douteux et le certain
par Jean Madiran
JE NE PARLE PAS ICI, moins que jamais, aux puissants du jour. Je parle à mes lecteurs. Parmi eux, il en est qui sont troublés : c'est bien normal. Il en est même qui s'imaginent que rester fidèle au Catéchisme du Concile de Trente et à la messe catholique du Missel romain pourrait être une *désobéissance.* ([^39])
Je leur réponds deux choses, mais attention, qui sont inséparables l'une de l'autre.
Premièrement :
-- *Si vous estimez en conscience que ce serait une désobéissance coupable, ne le faites pas. Suivez votre conscience.*
Secondement :
*-- Vous n'avez pas seulement le devoir de suivre votre conscience. Vous avez le devoir de l'instruire et de l'éclairer. Vous ne vous en rendez pas compte : mais croire que l'on serait coupable en restant fidèle au Catéchisme du Concile de Trente et à la messe catholique du Missel romain, c'est tout de même énorme. On vous a donc laminés et défigurés à ce point ! Au jour du Jugement, plus encore que de vos fautes particulières, vous aurez à rendre compte de l'état de votre conscience : de l'état où vous l'aurez mise, de l'état où vous l'aurez laissée, de l'état où vous l'aurez conduite.*
100:146
N'allez pas prendre la religion catholique pour un fétichisme qui serait dominé par quelques mots magiques : la charité, la justice, le pape, l'obéissance. Quelques mots magiques qu'il suffirait de proférer à tort et à travers, comme font les démagogies, les propagandes, les rhétoriques ; et comme procèdent les révoltés sans foi ni loi qui présentement *vous font marcher* en vous disant : l'obéissance, le pape, la justice, la charité.
Ces mots ont un sens *défini*, c'est-à-dire *précis* et *limité*. Si vous les utilisez, si vous les recevez, si vous les subissez dans le vague de leur sonorité sentimentale, vous êtes perdus. Les imposteurs feront de vous ce qu'ils voudront.
Tout le monde n'a pas à « obéir » n'importe quand, à n'importe qui, pour n'importe quoi.
Les criminels de guerre *obéissaient* à leurs chefs légitimes : on les a fusillés, ou pendus. C'est une histoire qui est d'ailleurs fort loin d'être limpide, mais qui fait partie du folklore quotidien radiotélévisé ; elle ne vous est pas inconnue ; je l'évoque pour réveiller votre conscience, que l'on voudrait fasciner par un sentiment vague mais absolu d'*obéissance*.
Vous avez tout de même entendu dire que les religieux font un vœu d'*obéissance*. Cela ne veut pas dire que les prêtres séculiers soient dispensés d'obéir : mais que l'obéissance des religieux n'est pas la même. Parmi les ordres religieux, il en est un où l'on fait vœu spécial d'obéissance au pape : cela ne veut pas dire que les autres religieux, et les séculiers, et les laïcs soient dispensés d'obéir au pape, mais qu'il y a des degrés et des modalités dans l'obéissance, selon les états de vie, selon les circonstances, selon les matières. Les actuels charlatans du chantage à l'obéissance se moquent bien de ces distinctions : vous, au contraire, vous serez attentifs à vous en instruire, si vous voulez éclairer votre conscience et ne pas l'abandonner aux manipulations de l'apostasie immanente. Et si vous n'en êtes pas encore suffisamment instruits, gardez-vous de prononcer un jugement téméraire de *désobéissance* à l'encontre des prêtres qui demeurent fidèles à la messe catholique du Missel romain et au Catéchisme du Concile de Trente. Car ce faisant, ils ne désobéissent pas, ils obéissent.
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101:146
Il existe un *doute grave* sur la théologie du nouvel ORDO MISSÆ : la lettre du cardinal Ottaviani l'atteste ([^40]).
Il existe un *doute grave* sur la promulgation atypique de cet ORDO MISSÆ et sur son caractère de loi obligatoire : l'abbé Raymond Dulac vous a dit pourquoi ([^41]).
*Il ne vous est pas demandé de trancher* ces doutes mais de ne pas vous dissimuler coupablement leur existence ; de ne pas aveugler volontairement votre conscience ; de voir qu'ils sont graves.
*La conséquence de ces doutes graves* est, sauf meilleur jugement, la suivante : si, par nécessité, vous assistez à la nouvelle messe, que ce soit seulement *sous réserve*. Que cette réserve soit formulée au moins dans le secret de votre caeur : *sous réserve du jugement ultérieur et définitif de l'Église, prononcé* *en forme solennelle* ([^42]).
Cela est simple. Cela est clair. Cela ne comporte aucune désobéissance.
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En revanche :
-- Il n'y a *aucun doute* que le catéchisme du Concile de Trente est un catéchisme certainement catholique, et le seul catéchisme romain ;
-- il n'y a *aucun doute* que la messe du Missel romain est certainement catholique en tous points ;
-- il n'y a *aucun doute* que personne au monde n'a le pouvoir de frapper d'interdit ou d'anathème la messe du Missel romain et le catéchisme du Concile de Trente ;
102:146
-- il n'y a *aucun doute* que chaque prêtre célébrant, à la seule condition de célébrer en latin, peut, même selon la législation actuelle, conserver -- cela dépend de son propre choix et de lui seul -- la messe du Missel romain de saint Pie V.
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Ne dites pas que ces choses sont inconnues de votre curé, de votre aumônier, de votre confesseur, de votre évêque : ils en rendront compte, et non pas vous ; et pour vous ce n'est pas une excuse. Ces choses sont connues de vous c'est de votre conscience, c'est de votre fidélité que vous aurez à rendre compte.
Et aussi, de ce que vous aurez fait pour éclairer votre prochain : ce qui n'est pas toujours possible, ce qui n'est pas souvent facile, -- mais ce qui l'est quelquefois.
Jean Madiran.
103:146
### Principes
par Jean Madiran
SUR LA MESSE comme sur le catéchisme, nous parlons de la place où nous sommes et sans en sortir ; selon notre état de vie ; selon les responsabilités qui sont les nôtres là où nous nous trouvons ; et en application de principes qui ont été publiquement énoncés.
La revue ITINÉRAIRES a été fondée en mars 1956. Son premier numéro s'ouvrait par une « Déclaration liminaire ».
Après plus de deux années de travaux et de mise au point, la revue ITINÉRAIRES publiait en décembre 1958 sa DÉCLARATION FONDAMENTALE.
Cette DÉCLARATION FONDAMENTALE est et demeure notre DÉCLARATION FONDAMENTALE. ([^43])
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Nous en réitérons et réaffirmons, en cette année 1970, spécialement -- et ci-dessous explicitement -- les chapitres I et II.
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A savoir, chapitre I :
*Le Christ est la Voie, la Vérité, la Vie. Nous recevons telle qu'elle se définit elle-même la doctrine qu'enseigne l'Église catholique. Nous y trouvons la règle de nos pensées et de nos actes. Nous lui rendons le témoignage de notre foi publiquement exprimé et, s'il plait à Dieu, de nos œuvres.*
104:146
*Nous croyons qu'un catholique se reconnaît pratiquement à ce que rien ne peut l'empêcher de répondre* « *oui *» *à la question :* « *êtes-vous catholique ? *» *chaque fois que cette question lui est posée et même sans qu'elle lui soit posée. Nous faisons donc entendre ce* « *oui *» *même lorsqu'on ne nous interroge pas, à temps et à contre-temps.*
Le malheur des temps nous oblige à préciser qu'en disant : *Nous recevons telle qu'elle se définit elle-même la doctrine qu'enseigne l'Église catholique,* c'est bien de LA DOCTRINE QU'ENSEIGNE L'ÉGLISE CATHOLIQUE que nous voulons parler. C'est-à-dire la doctrine enseignée par les Papes et les Conciles dans sa cohérence, sa permanence, sa continuité, son explicitation progressive. Nous refusons d' « enjamber » seize siècles de définitions dogmatiques et de tradition liturgique. Nous refusons de prendre désormais comme unique référence *doctrinale* le Concile *pastoral* Vatican II.
Nous nous référons en particulier au Catéchisme du Concile de Trente : seul catéchisme romain, aucun Pape ni aucun Concile n'ayant ordonné depuis lors la rédaction d'un catéchisme différent.
Nous affirmons que la fidélité -- envers et contre tout ce qui le contredit, l'esquive ou le délaisse -- au Catéchisme du Concile de Trente est un *acte d'obéissance à l'Église.*
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105:146
Nous réitérons, en cette année 1970, tous les termes des quatre paragraphes du second chapitre de notre DÉCLARATION FONDAMENTALE.
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Premier paragraphe :
*La fidélité dans la doctrine et l'unité dans la discipline ne peuvent être maintenues que sous l'autorité du Pape et des évêques en communion avec le pape.*
La vérité intemporelle, universelle, nécessaire de ce paragraphe, énoncé *en décembre 1958*, a été tragiquement démontrée par les faits dans les temps que nous vivons *depuis décembre 1958*.
Quand, pour des causes diverses, externes et internes, « l'autorité du Pape et des évêques en communion avec le Pape » se fragmente, se dissout ou, de son propre aveu, subit une *autodestruction*, alors l'unité dans la discipline et la fidélité dans la doctrine subissent inévitablement les atteintes générales et profondes que nous constatons chaque jour de plus en plus.
Dans ce désastre universel, la fidélité aux vérités révélées, définies par l'Église, et la résistance à l'erreur, au mensonge, à l'injustice, ne cessent pas d'être un devoir : un devoir dont chacun aura personnellement à rendre compte au dernier jour, selon ce qu'étaient ses lumières, son état de vie, ses responsabilités.
Cette fidélité et cette résistance sont sans illusion sur leur portée quant à l'évolution générale de l'Église et du monde.
106:146
Les initiatives particulières de la résistance et de la fidélité sauveront s'il plaît à Dieu quelques âmes, quelques familles, quelques écoles existantes ou à fonder, quelques paroisses, quelques monastères, quelques ermitages : condition des lendemains, semence des renouveaux à venir.
Mais pour restaurer *dans l'ensemble* du corps social de l'Église la fidélité doctrinale et l'unité de discipline il faudra que *se restaure elle-même*, après son actuel collapsus, « l'autorité du Pape et des évêques en communion avec le Pape ».
C'est ce qu'exprime, pour le temps présent, la première des « cinq lignes directrices » de la « charte de notre action » en 1970 ([^44]) :
« *La confusion et l'anarchie généralisées qui ont accompagné et suivi Vatican II relèvent de l'autorité suprême de l'Église : quelles que soient les raisons de sa temporisation, de son abstention, de son absence ou de son collapsus, aucune initiative particulière n'est en mesure d'y suppléer ou n'a qualité pour le faire. Rien ni personne ne peut remplacer la succession apostolique et la primauté du Siège romain, ni s'y substituer.*
« *Les détenteurs de cette succession et de cette primauté ont pu déjà, comme le montre l'histoire de l'Église, connaître toutes sortes de faiblesses et commettre plusieurs sortes de crimes, brûler Jeanne d'Arc, hésiter et louvoyer inutilement devant la Réforme protestante et devant la Révolution française, mais ce qui relève spécifiquement de leur charge, personne ne peut le faire à leur place, personne qu'eux-mêmes aujourd'hui ou demain leurs successeurs.*
107:146
« *Aujourd'hui et demain comme hier et toujours, nous nous en remettons pour le jugement souverain à la succession apostolique et à la primauté du Siège romain. *»
Pensant cela, déclarant cela, y réglant notre action, nous professons faire *acte d'obéissance à l'Église*.
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DÉCLARATION FONDAMENTALE, second paragraphe du chapitre II :
*C'est l'Église qui conserve et qui traduit la définition des droits et des devoirs. Elle enseigne aux hommes à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ce faisant, elle est la protectrice de la dignité des consciences, de la responsabilité personnelle selon chaque état de vie, et des libertés fondamentales.*
Commentaire actuel : tout ce qui, s'appuyant à tort ou à raison sur les approximations pastorales de Vatican II, entend *changer* la définition universelle des droits et des devoirs, construire une Église nouvelle et nous imposer une nouvelle religion, nous le rejetons.
Nous déclarons qu'en cela nous accomplissons un acte nécessaire d'*obéissance à l'Église.*
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108:146
Paragraphe troisième :
*Les limites de l'obéissance ne sont pas réduites à celles de l'infaillibilité. Un catholique ne cherche pas à restreindre les domaines où, selon les besoins de chaque époque, le Vicaire de Jésus-Christ précise les implications et conséquences de l'ordre naturel et de la révélation.*
Le malheur des temps nous invite à y ajouter aujourd'hui un exemple et un commentaire.
1\. -- EXEMPLE ACTUEL : dans l'encyclique *Humanæ vitæ*, le Vicaire de Jésus-Christ s'est prononcé contre le sentiment majoritaire de la commission qu'il avait instituée ; il s'est prononcé même contre son sentiment personnel ([^45]). Il a rappelé et précisé, concernant l'ordre naturel, un enseignement irréformable attesté à toutes les époques de la tradition de l'Église. Nous professons que rejeter cet enseignement, comme l'ont fait plus ou moins ouvertement même des évêques, est un *acte de désobéissance à l'Église*.
Mais nous professons qu'il en va tout autrement en ce qui concerne par exemple l'encyclique *Ecclesiam suam *; et que nous ne sommes nullement tenus d'adhérer ou d' « obéir » à ce que l'on appelle « la doctrine » de cette encyclique-là, *qui n'est pas* un acte du magistère doctrinal du Vicaire de Jésus-Christ, ainsi que son texte et son auteur l'ont explicitement déclaré ([^46]).
109:146
2\. -- COMMENTAIRE ACTUEL : nous réaffirmons qu'un catholique n'a pas à *déplacer*, de sa propre autorité, les *limites de l'obéissance*. Il ne lui appartient de les déplacer *ni dans un sens ni dans l'autre*. Il ne lui est pas permis de les ignorer.
L'obéissance chrétienne ne comporte pas des conditions et des limites fixées au gré de chacun.
Mais elle comporte des conditions et des limites objectives, énoncées par l'Église, qu'aucune autorité au monde n'a le pouvoir de supprimer.
D'où la seconde « ligne directrice » de la « charte de notre action » en 1970 :
« *Nous n'avons besoin de rien ni de personne, sauf de la grâce de Dieu qui ne fait pas défaut, nous n'avons besoin d'aucune autorisation préalable pour rejeter tout ce qui nous est proposé ou imposé, par qui que ce soit, de contraire à la loi naturelle et à la doctrine révélée telles qu'elles ont été définies par l'Église.*
« *Ce second point n'enlève rien au point précédent* ([^47])* ; le premier point n'atténue en rien celui-ci.*
« *Nous refusons de nous séparer de l'Église, de nous en laisser séparer, de suivre ceux qui s'en séparent, quel que soit leur rang hiérarchique :*
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*leurs personnes ne relèvent pas de notre jugement, mais nous ne sommes plus soumis à une autorité quelle qu'elle soit dans la mesure où elle déclare son intention de se séparer, et où elle prouve son intention par ses actes*. »
En professant cela et en y réglant notre action, nous déclarons faire *acte d'obéissance à l'Église.*
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Quatrième paragraphe :
*Nous n'éprouvons là aucune entrave à la liberté de la pensée, nous en recevons au contraire la condition et la garantie. Car ce qui embarrasse la liberté de la pensée, ce sont les infirmités humaines, dont l'Église travaille à libérer tous les hommes, y compris les hommes d'Église. La liberté de la pensée est de pouvoir atteindre la vérité.*
Nous disions bien et nous répétons : « ...dont l'Église travaille à libérer tous les hommes, *y compris les hommes d'Église *».
Les membres de l'Église enseignante *font partie* eux aussi de l'Église enseignée : ils ne sont pas au-dessus.
L'Église, dans sa réalité essentielle et mystique, l'Église une, sainte, catholique, apostolique, est aujourd'hui aux prises avec les hommes d'Église.
Depuis 1962, les hommes d'Église dans leur majorité visible (ou du moins apparente) ont entrepris de *réformer l'Église* au lieu de *se réformer eux-mêmes selon l'Église.*
111:146
C'est très exactement en quoi consiste l'actuelle *autodestruction* de l'Église.
Notre prière, notre attente, notre espérance certaine est qu'à l'heure voulue de Dieu, l'épreuve nous sera abrégée, et que ces hommes d'Église, ou leurs successeurs, rentreront dans *l'obéissance à l'Église.*
Il faut travailler pendant ce temps-là ; il faut veiller et maintenir ; s'armer spirituellement et intellectuellement contre les entreprises de l'apostasie immanente. C'est à quoi nous nous employons.
Jean Madiran.
112:146
### Les charnières
par R.-Th. Calmel, o.p.
DANS LA FOI CHRÉTIENNE le dogme du péché originel n'occupe pas une place aussi éminente que le dogme de l'Incarnation rédemptrice du Fils de Dieu. Cependant si le péché originel est nié ou, ce qui est pire, s'il est présenté en termes équivoques, alors le dogme de la Rédemption se videra peu à peu de tout contenu. ([^48])
Le point essentiel de la foi dans l'Église n'est pas l'infaillibilité du Pape, quand il parle *ex cathedra,* infaillibilité qui est indépendante de l'accord des évêques. Le point essentiel de notre foi dans l'Église est de reconnaître dans cette société spirituelle la société hiérarchique de la grâce chrétienne. Il reste que, si l'on néglige la définition véritable de l'infaillibilité, l'Église, dans le climat actuel de démocratisme et de messianisme social, sera réduite à une sorte d'O.R.U. ([^49]) syncrétiste, indéfiniment malléable.
Ce qui importe premièrement dans notre attente du retour du Christ ce n'est point la pensée de la sentence d'éternelle damnation qu'il portera contre un grand nombre d'hommes (je n'affirme pas qu'il seront le plus grand nombre, je dis avec les textes sacrés un grand nombre). Ce qui importe le plus dans notre attente du Christ c'est l'espérance du ciel et la certitude *qu'il fait tout coopérer au bien de ceux qu'il aime.* Ceci dit, si nous supprimons du contenu de notre foi l'Enfer éternel pour beaucoup d'hommes, ou si nous négligeons ce dogme, notre attente de la vie éternelle et de la Parousie va se dissoudre dans un sentimentalisme inconsistant et l'obligation morale ne tardera pas à perdre tout sérieux. Rien ne sera véritablement décisif.
113:146
Croire dans la Messe ce n'est pas croire que l'offertoire soit absolument indispensable à la validité, que le canon romain soit absolument le seul possible, que l'usage de la langue vulgaire transforme nécessairement la messe catholique en cène protestante -- enfin qu'il soit intrinsèquement sacrilège de recevoir la communion dans la main. Croire dans la Messe c'est croire que, en vertu de la double consécration par le prêtre, dans un encadrement rituel approprié, défini par l'Église, le sacrifice de la Croix est sacramentellement renouvelé, le Christ rendu réellement présent comme hostie et comme nourriture spirituelle. Seulement puisque le saint Sacrifice, qui est établi par le Christ comme immuable, doit être offert en gardant son invariabilité et puisque de plus, en notre temps, les rites sacramentels perdent leurs arêtes vives et tendent à devenir interchangeables avec les rites hérétiques, eh ! bien, si, pour la sainte Messe, vous supprimez l'offertoire, le canon romain latin, la mise à part du prêtre dans le droit de toucher l'hostie consacrée, si vous faites tout cela, vous arriverez à vider de son sens la double consécration et transformer en un mémorial vide un sacrifice réel -- le même sacrifice que celui de la croix, mais offert sous les espèces sacramentelles.
\*\*\*
On pourrait dire que les vérités de foi les plus importantes, celles qui expliquent, si on peut dire, toutes les autres, s'articulent entre elles grâce à des vérités qui, sans être centrales, jouent le rôle de charnières. Si vous faites craquer ces charnières ou si elles deviennent cotonneuses, je veux dire si vous leur enlevez toute précision, c'est l'appareil entier de la foi que vous faites craquer. S'il est permis de prendre une image militaire en un domaine purement spirituel, disons qu'il en va du corps de doctrine chrétienne comme des troupes d'invasion.
114:146
Ces troupes s'articulent en plusieurs armées ; si vous intervenez victorieusement à la jointure des armées, si vous faites craquer la charnière et rompez la liaison vous êtes bien prés d'avoir mis l'envahisseur hors de combat. Il ne reste aux armées qu'à se débander ou se rendre. De même dans la doctrine chrétienne. Pour la miner et, concrètement, pour ravager la foi des fidèles, le modernisme n'a pas besoin d'attaquer de front la divinité de Jésus, l'existence de la vie éternelle, la sainteté de l'Église, l'efficacité sanctifiante des sacrements, la maternité divine de Notre-Dame. Le procédé est beaucoup plus simple, et risque beaucoup moins de donner l'éveil. Il suffira de parler en termes vagues et mous du péché originel, de l'Enfer, de la distinction irréductible entre prêtre et laïc, des lois qui président aux rites sacramentels, de la virginité perpétuelle de Marie. Ces vérités une fois dissoutes, les dogmes de l'Incarnation rédemptrice et de l'Église le seront à leur tour et comme automatiquement.
\*\*\*
Du reste, pour avoir encore plus de chances d'aboutir, le modernisme pratique le schisme dans la durée. Il ignore tous les Conciles sauf Vatican II. Et comme Vatican II n'a rien défini, rien condamné, on voit tout de suite la nécessaire inconsistance d'un exposé de la foi qui ne prend ses points de référence que dans un concile « pastoral » qui s'est voulu a-dogmatique.
\*\*\*
Pour achever de donner le change sur ses bonnes intentions, le modernisme, qui expose la foi en mettant de côté tous les conciles sauf Vatican II, allègue surabondamment les textes de l'Écriture. Seulement l'Écriture a besoin, pour révéler sa profondeur et son mystère véritable, de l'interprétation de la sainte Église, c'est-à-dire des précisions et définitions dogmatiques. Alléguée sans tenir compte des définitions et précisions du Magistère, l'Écriture peut être tirée dans bien des sens.
115:146
On tombe dans un biblisme amorphe et bientôt hérétique. Or c'est bien dans un tel biblisme que tombent les présentations de la foi qui ne veulent plus comme règle que le concile a-typique de Vatican II avec les Écritures ([^50]).
\*\*\*
Afin de pouvoir lire en paix saint Jean et les évangiles, afin de me nourrir en vérité des paroles de Jésus et participer à ses états, afin de dérouler paisiblement mon chapelet, je veux connaître et garder les définitions de Chalcédoine et de Trente et leurs anathèmes ; le *tome à* *Flavien,* les anathématismes de saint Cyrille et de saint Léon et les canons sur le péché originel. Afin de méditer en paix sur le second avènement du Christ je veux savoir à quoi m'en tenir sur l'Enfer. Afin de célébrer dignement la Messe je veux garder *l'Ordo* de saint Pie V. Afin de vivre de l'Église je me refuse à reconnaître le nouveau type de gouvernement « révolutionnaire » qui s'est introduit partout, avec le parti pris de ne prononcer aucune sanction contre les novateurs.
R.-Th. Calmel, o. p.
116:146
### Un retour au paganisme
par Henri Charlier
SAINT CÉSAIRE, né vers 470 en Bourgogne, fut évêque d'Arles de 503 à 543 après avoir été moine à Saint-Honorat dans les îles de Lérins. Voici un fragment d'un de ses sermons que son traducteur Cyrille Vogel présente comme « un sermon type pour une paroisse rurale du V^e^ siècle » :
« *Comme nous vous l'avons déjà dit, exhortez vos fils et vos filles et votre parenté à vivre chastes, avec justice et sobriété ; encouragez-les non seulement par vos paroles, mais aussi par votre exemple. Principalement, où que vous vous trouviez, à la maison, en voyage, à table dans les réunions, évitez de tenir des propos impudiques et déshonnêtes ; exhortez plutôt vos voisins et proches à tenir des propos bienveillants et honnêtes, de peur que leurs lèvres, qui devraient louer Dieu, ne causent des blessures, par les médisances, les paroles malveillantes, les danses organisées aux fêtes religieuses, les chants grivois et déshonnêtes. Ces malheureux, ces misérables* -- QUI NE ROUGISSENT NI NE CRAIGNENT DE SE LIVRER AUX DANSES ET AUX SAUTERIES JUSQUE DANS LES VÉNÉRABLES BASILIQUES -- *viennent chrétiens à l'église, mais s'en retournent païens, car l'habitude de danser est une survivance du paganisme... *»
117:146
La danse, comme tous les autres arts, est un moyen de l'esprit pour exprimer de la pensée ; les différents pas qu'on peut inventer sont des attitudes de l'âme. La danse est ce qu'on la fait. Elle a ceci de particulier qu'elle est le seul des arts où le sujet se livre tout entier, de tout son corps en même temps que de son esprit, plus complètement qu'en aucun autre art. Et c'est un moyen de connaître les adolescents que de les faire danser. Les sexes séparés, bien entendu. Dans l'histoire, chaque fois que les bonnes mœurs ont repris le dessus, les sexes se sont séparés pour la danse. Nous-même faisions le projet de faire danser devant le Saint Sacrement de jeunes garçons en aube avec un chœur très lent sur les paroles « *Christum regem adoremus *». La dernière guerre arrêta tout. Mais la danse est utile à la jeunesse pour se débarrasser de la chrysalide d'où elle sort, l'habituer à s'ouvrir sans crainte à ses parents, surtout si elle danse avec ses parents. Je dansais avec les jeunes gens du cercle d'étude, et celui qui parfois s'endormait pendant la lecture et l'explication de l'Évangile, devenait en dansant un modèle d'ouverture de cœur, de bonne grâce et de camaraderie excellente dans l'assemblée de ses camarades.
Les processions où sont chantées les hymnes de l'Église sont elles-mêmes des danses (de pied levé ou de pied posé). Elles gagnent beaucoup en noblesse lorsque tous ceux qui y participent ont un petit sentiment du rythme. J'ai vu des chantres marcher à contre-pied de ce qu'ils chantaient et dans l'incapacité complète de sentir le rapport des deux mouvements ; mais j'ai vu des enfants de chœur suivre en inventant des variations du pas sur le rythme ; ils avaient l'esprit de la danse.
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Cet art demandant qu'on s'y livre personnellement avec tout son être est entre tous celui qui doit être surveillé, organisé et dirigé avec le plus de soin pour éviter les dangers non seulement du goût de paraître, mais de l'enthousiasme dans le don de soi. Dans une société saine il est possible de faire danser la jeunesse (et ses jeunes parents) sans inconvénient et même avec profit pour elle, à condition qu'elle respecte ce qui est commandé par la prudence.
118:146
L'interdire à cause des dangers possibles est la solution des paresseux qui ne veulent pas se donner la peine de l'organiser. Solution dangereuse, car la danse bien dirigée est le meilleur moyen d'user le surplus de forces dont dispose la jeunesse et qu'elle peut employer beaucoup plus mal. Lorsqu'elle s'est bien trémoussée jusqu'à la nuit elle ne songe qu'à dormir sainement.
Mais cet art non guidé par la sagesse chrétienne peut devenir une abominable excitation au désordre de l'esprit et des sens et c'est cette danse que certains voudraient importer dans nos églises.
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Ce retour au paganisme dénoncé par saint Césaire n'est pas le seul. Les théories sur la messe repas sacré, où on laisse en sourdine le sacrifice de la croix (avant de l'éliminer) sont une adaptation des repas en commun auxquels tous les citoyens des cités antiques participaient. Relisons la *Cité antique :*
« *La principale cérémonie du culte de la cité était un repas... ; il devait être accompli en commun par les citoyens...* (p. 170) *Manger un repas préparé sur un autel fut selon toute apparence la première forme que l'homme ait donnée à l'acte religieux. Le repas commençait par une prière et des hymnes. La nature des mets et l'espèce de vin qu'on devait servir était réglée par le rituel... S'en écarter en quoi que ce fût ou altérer le rythme des hymnes sacrés était une impiété grave... *» (p. 181)
Les transformations de la liturgie auxquelles nous assistons tendent à nous ramener aux mœurs de la religion païenne en éliminant la révélation. Il s'y cache comme un désir d'habituer les chrétiens à un syncrétisme de toutes les religions. Que signifie l'enthousiasme débordant pour Teilhard de Chardin, sinon l'acceptation d'une religion universelle en état de changement continu ? Cet auteur n'écrivait-il pas :
119:146
«* Une convergence générale des religions sur un Christ universel qui, au fond, les satisfait toutes, telle me paraît être la seule conversion possible du monde, et la seule forme imaginable pour une religion de l'avenir. *» (Cité par l'abbé Combes.)
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Il est d'autres sirènes dont la voix essaye d'attirer les chrétiens qui ont à passer entre Charybde et Scylla. Voici l'une de ces voix, c'est celle d'un panthéisme immanentiste. Robert Aron, dans son petit livre Ainsi priait l'Enfant Jésus, suggère une solution semblable à celle de Teilhard :
« *Tout se passe, sur le chemin de la révélation, comme si l'unité de mesure était le bimillénaire -- comme s'il fallait deux mille ans, ou presque, pour qu'une révolution religieuse s'inaugure, se confirme et s'achève. *»
Il y a en effet à peu près deux mille ans d'Abraham à Jésus et autant de Jésus à nous. R. Aron continue :
« *Dès lors, le problème qui se pose est de savoir si la réaction salutaire -- et inéluctable -- pour la morale et pour la foi se produira à l'intérieur de la tradition judéo-chrétienne ou en dehors d'elle. *»
Il est tout à fait d'accord avec ce qui se passe :
« *Le monde religieux d'Occident en est à sa nuit du 4 août, c'est-à-dire aux préliminaires. L'effort magnifique et nécessaire du Concile et des synodes qui l'ont suivi, les tentatives, visionnaires ou réfléchies, des papes Jean XXIII et Paul VI pour rapprocher l'Église catholique des réalités de l'époque et pour la faire renoncer à des privilèges désuets* (*!!!*)*, tout cela constitue le préambule nécessaire à l'éclosion d'une révolution en esprit, qui sera celle de notre temps. *»...
« *Tout cela, toutes ces innovations n'affectent pas encore la conception du sacré qui serait celle de notre temps. Tout cela décape les façades des sanctuaires dans lesquels on prie. Tout cela réforme la prière et modernise le culte -- mais n'exerce pas d'influence sur les rapports de l'homme avec l'univers, ni ceux de l'homme avec Dieu, que nous devons redécouvrir, si nous voulons retrouver notre équilibre religieux. *»
120:146
Robert Aron n'a pas la foi, évidemment. Il est déiste et reste attaché aux traditions juives. Décrivant l'enfance de Jésus, il remarque qu'avant son séjour au temple au moment de ses treize ans, Jésus n'avait vu aucun sacrifice sanglant, ceux-ci ne s'accomplissant qu'au temple de Jérusalem. Il estime que ce fait dut frapper l'enfant Jésus et que là s'est ouvert : « *un débat essentiel pour notre temps. Débat entre deux conceptions religieuses du monde, d'une part le monde des bénédictions et d'autre part le monde des sacrifices, c'est-à-dire d'une part le monde du sacré, saisi sans intermédiaire dans son immanence à la vie et à l'univers et d'autre part celui où le sacré, pour être mieux saisi par l'homme, doit être transfiguré, transposé et mythifié. *»
Et « mythifié », vous l'avez entendu. Le sacrifice de Jésus pour sauver le monde est un mythe. Que nous apporte ce « *monde du sacré, sans intermédiaires, dans son immanence à la vie et à l'univers *», si proche des fabulations de Teilhard ? R. Aron se doute-t-il que cette métaphysique est à l'opposé de celle de Moïse, pour qui l'auteur de la Révélation est distinct de sa création ? Ce monde est-il inventé, seulement pour supprimer le péché ? S'il est la réalité, le problème du mal ne se dresse-t-il pas devant nous quand même ? N'y a-t-il pas de misères auxquelles nous entraîne notre autonomie ? N'y aurait-il rien à réparer des fautes commises les uns vis-à-vis des autres ? Comment y arriver sans faire le sacrifice de quelque chose qui nous appartient, à commencer par notre jugement téméraire, origine de bien des maux, sans le sacrifice de quelque bien, ne fût-ce que d'un couple de colombes ? La pourriture braillée par toutes les radios, y compris celle de l'État, ne demande-t-elle pas quelque sacrifice de nos habitudes, de nos mœurs, de nos pensées, pour en sortir ? Nous vivons du sacrifice de nos soldats morts. Les populations d'Afrique vivent du sacrifice de combien de jeunes sous-lieutenants tués au combat pour assurer à ces pays une paix de cent ans qui leur a permis de s'ouvrir à une vie morale supérieure.
121:146
Non, je ne vois pas qu'on puisse dans la vie sociale supprimer le sacrifice pas plus que dans la vie religieuse. C'est de ne pas écouter la Révélation divine que nous périssons dans la fange ; et nous refuserions le sacrifice qui nous permet d'en sortir ? Ce qu'on appelle l'Église, depuis Adam a toujours existé, dit s. Augustin. Eschyle et Sophocle ont espéré en cette aide de Dieu pour sortir l'homme de la fatalité. C'est le sens de leurs tragédies ; la pensée divine absout Oreste du meurtre de sa mère pour arrêter la vengeance du sang exigée par « *les vieux Dieux *». Œdipe, le criminel innocent, victime d'une offense à la fatalité (rectifiez : d'un oubli du péché originel) est invoqué comme protecteur de la cité. R. Aron pense qu'en éliminant le sacrifice de Jésus « *on supprimerait un ensemble d'allégories que notre époque a tendance à mettre en doute et à refuser *». Il garderait volontiers de la religion ce que le judaïsme a gardé de la sienne, les « bénédictions » c'est-à-dire le sentiment de la présence de Dieu qui est la base de tout esprit religieux, naturel ou chrétien. Mais, suivant la tradition judaïque aussi, il supprimerait volontiers l'apport du Christ qui est d'avoir par son sacrifice personnel mis fin à l'ancienne loi et assuré notre salut... si nous consentons à être un sarment de sa vigne.
Robert Aron se fait d'ailleurs une étrange idée de la foi : « *Au Juif moderne,* dit-il, *il faut une certitude ; il ne lui suffit pas de* « *croire *». Il ne se doute pas que la foi, don de Dieu, est la plus grande et la plus parfaite des certitudes.
\*\*\*
Malheureusement, bien des membres de notre clergé partagent des erreurs semblables, sans toujours le dire ; ils oublient que la foi est un don gratuit de Dieu ; plutôt que de faire appel à la grâce, qu'ils semblent ignorer, ils s'appuient sur les « exégètes » dont le seul point d'entente est de vouloir prouver que les évangiles ne sont pas historiques. On élimine aujourd'hui, autant qu'on le peut, ce que la Révélation enseigne sur le sacrifice de la Croix et la présence réelle du Christ dans le Saint-Sacrement.
122:146
On supprime les signes de respect et d'adoration au moment de la sainte communion, elle n'est plus qu'un repas, comme dans le paganisme. Et les formules dont on use permettent au prêtre qui ne croit pas de célébrer tout de même sans mentir à lui-même et aux autres.
Mais nous ignorons si la consécration aura eu lieu réellement. Trop de prêtres ont montré qu'ils n'avaient pas la foi, trop d'évêques ont avalisé leur conduite, pour qu'on se fie à la présentation d'un « *celebret *». Une brochure publiée avec l'imprimatur de Bourges, la *Liturgie de la Messe, Avent 1969*, la définit ainsi : « *La messe est la célébration de l'eucharistie par le peuple de Dieu qui se constitue en assemblée* (ouverture de la célébration), *écoute le message de Dieu dans l'Église* (liturgie de la Parole), *célèbre dans l'action de grâce le sacrifice du Seigneur et y participe par un repas sacré* (liturgie de l'eucharistie), *puis repart fortifié vivre au milieu du monde lac vie des enfants de Dieu* (rites de conclusion). » Et ailleurs : « *L'eucharistie, mémorial du salut réalisé dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ, se célèbre par un repas, et nous sommes conviés à le partager. *»
Nous avons affaire à des hypocrites qui veulent nous imposer leur absence de foi en des textes ambigus où s'exprime leur incrédulité, tout en ayant l'air d'y conserver la pensée de l'Église des apôtres. Car la première phrase citée : « *célébration par le peuple de Dieu constitué en assemblée *» rend inutile le sacerdoce ordonné pour la consécration du corps et du sang de Notre-Seigneur. Tout laïque, tout pasteur protestant peut admettre cette définition et se servir de cette liturgie. La troisième phrase : « *célèbre dans l'action de grâce le sacrifice du Seigneur *», rappelle simplement la Passion du Vendredi Saint, sans laisser même supposer que ce sacrifice se renouvelle actuellement d'une manière non sanglante sur l'autel.
L'autre membre de la phrase : « *et y participe dans un repas sacré *», que signifie-t-il ? Le peuple de Dieu participe à quoi ? à une célébration dans l'action de grâce. Qu'est cette célébration ? Un chant de louange et de remerciement ?
123:146
Ou bien le peuple de Dieu participe-t-il au sacrifice du Seigneur ? On ignore si le sacrifice du Seigneur est réellement renouvelé et par conséquent à quoi et comment le peuple de Dieu participe et si cette participation est réelle ou figurée.
\*\*\*
Or on a tout lieu de croire voulue cette ambiguïté : « Je suis oiseau, voyez mes ailes, je suis souris, vive les rats. » Car on peut arguer que les plus anciens textes chrétiens (à part les Évangiles) sont fort imprécis. La DIDAKÈ ou doctrine des Apôtres date des années 80 environ ; elle dit au début du ch. IX : « *Quant à l'Eucharistie, rendez grâce ainsi* (eucharistèsaté). » Et il semble qu'il s'agisse ici de la consécration. Mais au chap. X elle dit : « *Après vous être rassasiés* (c'est-à-dire après la communion) *rendez grâce ainsi* (eucharistèsaté) », avec le même mot qui correspond à ce que nous appelons l'action de grâce. Et elle ajoute, toujours avec le même mot (eucharistein) : « *Laissez les prophètes rendre grâce autant qu'ils voudront. *»
Mais l'œuvre doctrinale de l'Église, au long des siècles, a été de préciser les termes par lesquels elle transmettait la doctrine révélée aux apôtres et qu'elle avait mission de garder intacte. Elle l'a fait chaque fois qu'une erreur se répandait afin d'empêcher les fausses interprétations. Nous sommes témoins d'un essai persévérant pour revenir à des termes vagues permettant de garder un semblant d'orthodoxie tout en permettant de penser n'importe quoi.
Le texte de Bourges ne peut que FAVORISER L'HÉRÉSIE ; le dernier texte cité en porte témoignage : « *L'eucharistie* (toujours sans majuscule), *mémorial du salut réalisé dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ, se célèbre par un repas, et nous sommes tous conviés à le partager. *» Jésus a bien dit : « *Faites ceci en mémoire de moi *», mais « *ceci *» pour Jésus est la consécration. Contre toute la tradition de l'Église, pour nos falsificateurs, c'est le repas. Le texte : « *mémorial du salut *» joue sur les paroles de Notre-Seigneur : « *faites* CECI *en mémoire de moi *».
124:146
Mais ce n'est plus ici le renouvellement d'un acte, comme l'entend l'Évangile, mais une « mémoire » comme on fait (ou faisait) celle d'un saint lors d'une fête du temporal.
\*\*\*
Ils préfèrent croire que la Sainte Vierge a menti aux Apôtres en leur racontant l'Annonciation, qu'elle était évidemment seule à connaître, plutôt que douter de la science des exégètes. Ou bien alors, ce sont les Apôtres qui ont menti en rapportant les dires de la sainte Vierge ; belle préparation à la venue de l'Esprit Saint. Mais c'est peut-être, dans leur idée, l'Esprit Saint qui leur aurait conseillé de *mentir pour mieux se faire comprendre en leur temps*. Pourtant, qui est le père du Mensonge.
Là-dessus les Apôtres ont donné leur vie pour soutenir leur mensonge. Sans doute, les grands savants qui ont abouti à cette merveille de psychologie ne s'entendent entre eux sur rien, ni longtemps. L'un d'eux, chargé de « recycler » les artistes, est obligé d'avouer que cette soi-disant science change souvent : « *Il est certain,* dit-il, *que les prêtres sont obligés de refaire leur exégèse. Il reste un fond commun à tous les âges de la théologie, mais nous sommes obligés de suivre les résultats souvent hypothétiques des recherches modernes sur la Bible. *»
Obligés par quoi ? M. Bourdoise répondrait : « Que craignent ces ecclésiastiques ? Ont-ils peur d'être canonisés ? »
\*\*\*
Plaignons Paul VI ; personne, dans ses propres bureaux, ne lui obéit. Lui-même s'est enlevé tous les moyens qu'il avait de maintenir son autorité. Qu'est ceci ? Pour lui, une croix, liée comme pour chacun de nous aux événements, à son caractère, à son éducation.
125:146
Pour nous chrétiens, c'est un châtiment de notre laisser-aller, de notre respect humain, de nos courbettes devant le monde, de nos abandons de la tradition chrétienne dans l'éducation, de la méconnaissance des enseignements sociaux de l'Église, de notre mépris des avertissements surnaturels des saints, en un temps où des parents donnant tous les signes extérieurs d'être chrétiens, laissent leurs enfants organiser seuls des « surprise-parties ». Cet endurcissement vient de loin. Déjà entre 1880 et 1890 le père Emmanuel écrivait ses opuscules sur le NATURALISME (dans l'enseignement ecclésiastique), sur LE CHRÉTIEN DU JOUR ET LE CHRÉTIEN DE L'ÉVANGILE, sur LA GRACE DE DIEU ET L'INGRATITUDE DES HOMMES. Plus tard, dans les moments même où s. Pie X avait à combattre le modernisme, Péguy suffit à nous renseigner, et à nous faire comprendre ce châtiment \[qu'est pour nous le voile tendu par le clergé même devant l'autorité de Pierre\]. ([^51])
\*\*\*
Péguy fit paraître le *Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc* le 16 janvier 1910 ; Fernand Laudet, directeur de la *Revue Hebdomadaire*, revue réputée catholique, fit écrire par un nommé Le Grix un article contre l'œuvre de Péguy (juin 1911). Dès le mois de juillet Péguy répondait dans le Bulletin de son ami Lotte et en septembre il publiait un « Cahier » complet sous le titre : *Un nouveau Théologien : Fernand* *Laudet.*
L'article de Le Grix débutait ainsi : «* ...Après le rationalisme blasphématoire de Thalamas, après les pieuses et laïques exégèses de M. Anatole France... *»
Là-dessus, Péguy démarre :
« M. Anatole France est un athée... Le livre de M. Anatole France est le livre d'un athée. La Jeanne d'Arc de M. Anatole France est tout ce qu'on voudra, excepté une sainte et une chrétienne... Rien à dire à cela. Au moins il est conséquent avec lui-même ([^52]).
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Mais qu'ensuite un homme comme M. Laudet, une revue comme la *Revue Hebdomadaire* endosse pour ainsi dire cette attitude de M. Anatole France et essaye de faire croire à sa clientèle catholique et généralement chrétienne que de l'athéisme et de l'impiété constitue une pieuse exégèse, là est la tentative de détournement des consciences fidèles que nous surveillerons désormais... Tout ceci dépasse infiniment la critique littéraire et même la flagornerie politique et littéraire. Il y a là un plan que nous ne nous lasserons point de dénoncer.
(...)
La proposition centrale de M. Laudet est la suivante :
A. -- *Il y a l'histoire, il y a la légende.*
B. -- *Restituer :*
*la Jeanne d'Arc de notre populaire histoire de France ;*
*la Jeanne d'Arc de* « *quand nous étions tout petits *»* ; la surnaturelle Jeanne d'Arc ;*
*enfin sainte Jeanne d'Arc ;*
*ce n'est pas une entreprise historique, la légende suffit.*
En d'autres termes :
C. -- *Il y a l'histoire, il y a la légende. La légende comprend :*
*la Jeanne d'Arc de notre populaire histoire de France ;*
*la Jeanne d'Arc de* « *quand nous étions tout petits *»* ;*
*la surnaturelle Jeanne d'Arc ;*
*enfin sainte Jeanne d'Arc.*
*L'histoire comprend le reste.*
... Or M. Laudet nous permettra de le lui dire, il n'y a qu'une Jeanne d'Arc au monde qui soit historique et c'est la Jeanne d'Arc de notre populaire histoire de France...
127:146
Si la *surnaturelle* Jeanne d'Arc et *sainte* Jeanne d'Arc sont de la légende et ne sont pas de l'histoire, monsieur Laudet, la communion des *saints*, la liaison mystique des *saints* entre eux et avec Jésus le premier des *saints* est aussi de la légende et n'est pas de l'histoire... Toute la vie de saint Jésus c'est aussi, monsieur Laudet, du *surnaturel* et de la *sainteté*. C'est même le même *surnaturel* et la même *sainteté*... Monsieur Laudet, c'est peut-être aussi un Jésus pour petits enfants, un Jésus pour *notre populaire histoire* de chrétienté. »
Voilà, exactement décrit, *le chemin de notre clergé depuis soixante ans*. Péguy, si peu lu aujourd'hui, était si peu compris alors, qu'en 1915, Fernand Laudet était le chef de la délégation des écrivains catholiques qu'on envoyait saluer le nouveau pape, Benoît XV ! La chair de Péguy, tué le cinq septembre précédent, n'avait pas encore eu le temps d'abandonner complètement ses os dans la terre de Villeroy.
\*\*\*
On a donc commencé par dénicher les saints. Il y a cinquante ans, j'étais obligé de protester auprès du religieux directeur d'une pension religieuse ; les enfants avaient entre les mains une histoire où il était dit : « *Jeanne d'Arc crut entendre des voix. *» Et maintenant, c'est le Saint des Saints qui est mis de côté.
\*\*\*
L'imprimatur de Bourges n'y fait rien ; l'écrit que nous citons, en passant sous silence la nécessité du sacerdoce, nie la constitution de l'Église ; il veut *faire passer subrepticement une nouvelle théologie de la messe* qui contredit celle que l'Église a toujours suivie depuis les Apôtres. Les évêques contestent le pape et s'étonnent d'être contestés par leur clergé. Aveuglement ! Ils s'appliquent à séculariser les Ordres religieux, dans une incompréhension si profonde de la vie religieuse qu'on pourrait croire qu'ils aspirent pour eux-mêmes à un statut de fonctionnaires. En résistant, nous soutenons la foi du successeur de Pierre et l'Église de toujours.
Henri Charlier.
128:146
### Les vacances de la légalité
par Jean Madiran
■ La messe est l'affaire de tous les catholiques. Ceux qui disent : *Nous n'y pouvons rien,* ceux qui disent : *Ce n'est pas notre affaire,* en réalité ils ne le croient pas vraiment, ils ne peuvent pas le croire, ils font semblant, ils se jouent la comédie. Car ils sont toujours soumis, s'ils sont catholiques, au précepte de la messe du dimanche. Ils « vont à la messe ». Mais à laquelle ? Il y en a plusieurs maintenant, et DIFFÉRENTES. Nous leur avons déjà posé la question : ([^53])
-- Pour choisir entre les différentes messes, *vous tirez au sort ?*
■ C'est en quoi la messe est et demeure l'affaire de tous les catholiques, même de ceux qui voudraient s'en laver les mains en déclarant n'y rien pouvoir. Ils peuvent au moins décider à quelle messe ils assistent le dimanche. Que ce choix soit fait *en connaissance de cause,* cela est à la portée de chacun, cela relève du catéchisme, c'est un devoir pénible, mais certain.
■ Merveille : en voici qui distinguent entre la messe et le catéchisme ; qui veulent, à les entendre, tout faire pour le catéchisme, et rien pour la messe.
Ils ne savent donc pas ce qu'ils disent. Car *la messe fait partie du catéchisme.* Sans catéchisme, pas de messe : la signification de la messe, c'est le catéchisme qui la donne. Ils prétendraient donc demeurer fidèles au catéchisme catholique, *sauf* en ce qui concerne la messe et l'eucharistie ?
129:146
■ Le Missel romain de saint Pie X correspond au Catéchisme du Concile de Trente. Le rite nouveau correspond au nouveau catéchisme.
Ne pourrait-on que cela, tout le monde le peut : étudier et faire connaître ce que le catéchisme romain enseigne sur la messe catholique.
■ Si vous acceptez le rite nouveau « par obéissance », on ne voit pas pourquoi votre « obéissance » ne vous fait pas accepter aussi le nouveau catéchisme.
Mais obéissance *à quoi ?* Vous n'en savez rien. Obéissance à des rumeurs ; à des informations de presse ; à un conditionnement de l'opinion. *Où est donc l'obligation* de la nouvelle messe, formulée par qui, quand et comment ? Où est la loi promulguée ? Vous l'ignorez : et vous prétendez « obéir » !
■ L' « obligation » de la nouvelle messe, en France, voici donc sur quoi elle se fonde : sur une Ordonnance de l'épiscopat français datée du 12 novembre 1969 : « Ordonnance sur le nouvel ORDO MISSÆ* *» ([^54])*.*
Son article premier rendait « obligatoire » l'usage du nouvel ORDO à partir du 1^er^ janvier 1970. Vous avez obéi sans jamais vous demander si cette unique Ordonnance avait *le pouvoir* d'imposer, *de sa propre autorité,* le rite nouveau comme *obligatoire.*
La plupart d'entre vous, cette Ordonnance, vous ne l'avez même pas lue (ce qui s'appelle : lire).
Vous avez simplement, une fois de plus, dit ce qui se disait partout, et fait comme tout le monde.
130:146
■ Or voici ce qui vous a échappé : l'Ordonnance de l'épiscopat français NE SE RÉFÈRE A AUCUNE LOI DU SAINT-SIÈGE.
Elle mentionne seulement l'*Institutio generalis* (introduction au nouvel ORDO), laquelle n'édicte aucune obligation. ([^55])
Elle ne se réfère, l'Ordonnance épiscopale française, ni à la Constitution apostolique *Missale romanum* du 3 avril 1969, ni au décret d'application publié le 20 octobre 1969 par la Congrégation romaine pour le culte divin ([^56]).
Par son Ordonnance du 12 novembre 1969, l'épiscopat français n'a pas voulu *appliquer* une réglementation romaine de la liturgie : il a voulu *décider lui-même*, en ne se référant qu'à lui-même, le changement de rite en France.
■ Si l'Ordonnance épiscopale avait voulu être une *application* à la France des décisions liturgiques du Saint-Siège, elle aurait nécessairement comporté la mention suivante
« En exécution de la Constitution apostolique *Missale romanum* du 3 avril 1969 et de l'Instruction du 20 octobre 1969 sur l'application progressive de cette Constitution, les évêques de France ont décidé ce qui suit... »
Mais voilà justement *ce qui ne figure point* dans l'Ordonnance épiscopale française du 12 novembre 1969.
■ Elle énonce seulement :
« Les évêques de France, réunis à Lourdes en Assemblée plénière le 12 novembre 1969, ont décidé ce qui suit... »
131:146
C'est-à-dire : l'Ordonnance entend tenir son autorité du seul fait invoqué que « les évêques de France se sont réunis en Assemblée plénière » -- et de rien d'autre.
Pour interdire le Missel romain et rendre obligatoire une messe nouvelle, c'est peu. C'est même trop peu.
■ Donc, la sorte d' « obligation » présentement imposée en France, telle qu'elle a été « promulguée », ne prétend pas tirer son autorité d'une décision ou d'une loi du Saint-Siège. L'ORDO MISSÆ qu'elle impose est celui qui a été publié à Rome : mais elle l'impose de sa propre autorité. Comme pour bien marquer son autonomie, ou son autocratie, l'Ordonnance française, en son article 11, *contredit* l'article 20 de l'Instruction romaine du 20 octobre 1969 elle refuse de soumettre au Saint-Siège l'examen des cas particuliers dont le Saint-Siège s'était réservé l'examen. Sur ce point précis, elle affirme explicitement ce qu'elle manifeste implicitement par toute sa rédaction, à savoir l'*indépendance*, à l'égard du Saint-Siège, de son autorité *liturgique* ([^57]).
■ Et l'on ose, en cette affaire, venir nous parler d'*obéissance au Pape !* Alors que :
1° Aucune décision pontificale sur la nouvelle messe n'a été promulguée ou mentionnée en France par l'Ordonnance de l'épiscopat.
2° Aucune promulgation faite en France sur la nouvelle messe ne se réfère à une décision pontificale ni ne prétend en être une application.
132:146
Les braves moutons sont simplement invités à suivre une Ordonnance autonome, autocratique et arbitraire de l'épiscopat français, dont le texte marque implicitement et explicitement sa volonté d'indépendance liturgique à l'égard du Saint-Siège.
Et ils marchent, bien sûr, les moutons. Par « obéissance ».
■ Autrement dit : *ce ne sont pas* les décisions liturgiques du Saint-Siège qui sont entrées en vigueur dans l'Église de France. Ce sont des décisions plus ou moins analogues ou parallèles prises par l'épiscopat français et promulguées par une Ordonnance qui est sans équivoque un *acte d'autonomie.*
Et pratiquement : si (hypothèse) Paul VI décidait d'abroger le nouvel ORDO MISSÆ*,* selon la requête qui lui en a été faite par le cardinal Ottaviani, cette abrogation *n'abrogerait rien pour la France *; elle n'enlèverait rien à l'Ordonnance épiscopale française du 12 novembre 1969, puisque celle-ci ne se fonde sur aucune promulgation romaine, mais seulement sur sa propre autorité.
■ L'ORDO MISSÆ de Paul VI, l'épiscopat français l'a déclaré obligatoire en France *non point parce qu'il* *vient de Paul VI*, mais parce que *tel est le bon plaisir* de l'Assemblée plénière de l'épiscopat.
C'est pourtant bien le même ORDO MISSÆ* ?*
Oui. A peu près.
Mais ainsi « promulgué », ce n'est pas la même chose.
■ C'est d'autant moins la même chose que l'ORDO MISSÆ de Paul VI *n'est pas obligatoire :*
1° Selon l'Instruction romaine du 20 octobre 1969, il ne l'est *pas encore.*
2° Selon les normes du droit, il est pour le moins *douteux* qu'il le soit jamais, les conditions requises pour la promulgation d'une loi véritable n'ayant pas été remplies.
133:146
■ Objection : c'est pourtant bien l'Instruction romaine du 20 octobre 1969 qui, *sans rendre obligatoire* le nouvel ORDO MISSÆ*,* a décerné *aux Conférences épiscopales*, en son article 7, le pouvoir de le rendre obligatoire d'ici le 28 novembre 1971 ?
Oui. Mais la Conférence épiscopale française *n'invoque ni n'utilise* ce pouvoir-là, parce qu'elle refuse de le tenir du Saint-Siège. Elle ignore ce pouvoir qui lui est concédé. Elle ne veut pas en être revêtue comme d'une concession ou d'une délégation. Elle fait comme si le pouvoir de régler la liturgie en France lui appartenait en propre, souverainement et absolument, de droit divin, -- en vertu de la « collégialité ».
■ Le nouvel ORDO n'est pas un nouveau rite désormais stable. Il est une étape vers un changement permanent du rite. Comme l'a dit le P. Calmel dans sa « Déclaration », la réforme de la messe a été *commencée par le Pape puis abandonnée par lui aux Églises nationales*. Mais justement l'épiscopat français ne veut pas que le pouvoir de réformer la messe lui soit concédé ou abandonné par le Pape, comme s'il ne le détenait pas déjà. D'où le dispositif juridique de son Ordonnance du 12 novembre 1969, qui ne se réfère à aucune décision romaine, qui ne déclare en appliquer aucune, qui prétend au contraire statuer souverainement, de son propre mouvement et par sa propre autorité.
■ On mesure alors à quel point *on fait marcher* les malheureux prêtres et les malheureux fidèles à qui, pour la nouvelle messe, on dit cyniquement : « Obéissance au Pape ! ».
En fait, on leur impose l'obéissance à une Ordonnance épiscopale dont le dispositif est soigneusement établi pour constituer une manifestation juridique tout à fait nette d'indépendance à l'égard du Saint-Siège.
134:146
Les moutons, laïcs et clercs, ne veulent pas se casser la tête. Ils ne veulent pas tant étudier. Ils ne veulent pas d'histoires. Ils ont peur de tout et de leur ombre. Ils disent qu'ils « obéissent » et ils tentent de s'en persuader. Sans voir *à quoi* ils obéissent.
■ Et il n'y a *absolument rien d'autre,* pour la France, que cette Ordonnance épiscopale du 12 novembre 1969. Rien d'autre sur quoi puisse se fonder l' « obligation » de la nouvelle messe.
■ Assurément, quand on y regarde de près, on aperçoit que le désastre est profond : « *l'autorité du Pape et des évêques en communion avec le Pape *» se manifeste désormais, dans le meilleur des cas, sous des formes atypiques, donc douteuses ; voire sous des formes carrément illégales, intrinsèquement contradictoires, divisées contre elles-mêmes. On a en quelque sorte instauré ainsi dans l'Église ce que Léon Blum appelait *les vacances de la légalité*. La légalité étant douteuse, suspendue ou subvertie, c'est alors que l'on réclame « *l'obéissance *» comme on ne l'avait jamais fait : une obéissance aveugle, une obéissance servile, une obéissance de robots ; un séidisme universel. Cette « obéissance » sans rime ni raison, sans fondement juridique, sans base légale, sans queue ni tête, expression de l'*arbitraire,* a pour résultat normal et déjà visible d'*abrutir* ceux qui s'y livrent les yeux fermés.
Jean Madiran.
135:146
### Le processus de la communion dans la main
par Jean Madiran
PAR « PROCESSUS » de la communion dans la main, nous entendons celui qui a été engagé par le mouvement interne de l'Instruction *Memoriale Domini*, et par le mouvement analogue qui va de cette INSTRUCTION à la LETTRE, et de la LETTRE à la NOTE.
Ces trois documents ont paru dans la *Documentation catholique* du 20 juillet 1969, pages 669 à 674.
Les deux premiers proviennent de la CONGRÉGATION romaine maintenant dite POUR LE CULTE DIVIN, le troisième émane de l'organisme dénommé CONSEIL PERMANENT DE L'ÉPISCOPAT FRANÇAIS.
#### I. -- L'Instruction
L'Instruction *Memoriale Domini* de la Congrégation pour le Culte divin, en date du 29 mai 1969, « rédigée par mandat spécial du Souverain Pontife Paul VI » et « approuvée par lui-même », porte les signatures de Benno card. Gut, préfet, et d'Annibale Bugnini, secrétaire.
136:146
Ce document déclare que « de nos jours des changements importants et nombreux ont été introduits dans le rite de la célébration de l'Eucharistie, afin qu'il réponde mieux aux besoins spirituels et psychologiques des hommes d'aujourd'hui », De plus « a été rétabli, dans certaines circonstances, l'usage de la communion sous les deux espèces du pain et du vin ». « Par ces éléments de renouveau (?), le signe du banquet eucharistique et l'accomplissement fidèle du mandat du Christ sont devenus plus manifestes (?) et vivants (!?). »
« Mais en même temps, ces dernières années, la participation plus complète (?) à la célébration eucharistique, exprimée par la communion sacramentelle, a suscité ça et là le désir de revenir à l'ancien usage de déposer le pain eucharistique dans la main du fidèle, lequel se communie lui-même en le portant à sa bouche. »
Et même, « *dans certains endroits et dans certaines communautés, cette façon de faire est pratiquée, bien que le Saint-Siège n'ait pas encore donné l'autorisation demandée *»*.*
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Voilà donc, à la date du 28 mai 1969, quelle était la situation, telle du moins qu'elle était vue du Vatican : le *renouveau* continuait de grandir admirablement, le « signe du banquet eucharistique » était devenu plus manifeste et plus vivant, et cette participation plus complète avait sus-cité (spontanément) le désir de la communion dans la main. Celle-ci était déjà pratiquée par certaines communautés qui en avaient demandé l'autorisation et ne l'avaient pas « *encore *» reçue. Désobéissance grave qui, dans l'Instruction *Memoriale Domini,* n'est à aucun moment qualifiée de désobéissance, et qui à aucun endroit n'est ni condamnée, ni blâmée, ni déplorée, ni même regrettée. Dans la présentation vaticane qui en est ainsi faite, cette désobéissance devient une simple anticipation, parfaitement normale anticipation d'une évolution ultérieure et d'une autorisation à venir. Telle est la manière aujourd'hui habituelle qu'a l'Autorité de détruire elle-même son autorité.
137:146
De toutes façons, à la lecture de la première partie du document, la communion dans la main apparaît comme un fruit logique du « renouveau » dont nous jouissons depuis le Concile (lequel cependant n'est ni allégué ni nommé).
\*\*\*
*Mais, parvenu à ce point, le document change brusquement de ton, de style, de contenu :* comme s'il changeait de rédacteur et même de pensée. Avec une soudaine fermeté et un ample exposé de motifs précis, il se met, en sens contraire, à établir qu'il est meilleur « que ce soit le ministre lui-même qui dépose sur la langue du communiant une parcelle de pain consacré », et que « *rien *» ne doit être changé à cette manière de faire.
Les principales considérations invoquées sont les suivantes :
*A*) « Cette façon de distribuer la sainte communion » (sur la langue) « a derrière elle une tradition multiséculaire. »
*B*) « Elle exprime le respect des fidèles envers l'Eucharistie. »
*C*) Elle « ne blesse en rien la dignité personnelle de ceux qui s'approchent de ce sacrement ».
*D*) Elle « assure plus efficacement... que soit écarté tout danger de profanation ».
*E*) Elle est conforme à la volonté des évêques : sans doute « un petit nombre de Conférences épiscopales » et « certains évêques » avaient demandé la communion dans la main. Le Souverain Pontife a consulté « tous les évêques de l'Église latine ». Trois questions leur ont été posées. Voici les questions et les réponses :
138:146
« 1. -- Pensez-vous qu'il faille exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main ?
« *Placet* (oui) : 567 ;
« *Non placet* (non) : 1233 ;
« *Placet juxta modum* (oui, avec réserves) : 315 ;
« Réponses non valides : 20.
« 2. -- Aimeriez-vous que ce nouveau rite soit expérimenté d'abord dans de petites communautés, avec l'autorisation de l'Ordinaire du lieu ?
« *Placet :* 751 ;
« *Non placet :* 1215 ;
« Réponses non valides : 70.
« 3*.* -- Pensez-vous qu'après une bonne préparation catéchétique, les fidèles accepteraient volontiers ce nouveau rite ?
« *Placet :* 835 ;
« *Non placet :* 1185 ;
« Réponses non valides : 128*.*
« Ces réponses montrent donc qu'une forte majorité d'évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline actuelle ; et que si on la changeait cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles. »
*F*) « C'est pourquoi... eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, *le Souverain Pontife n'a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la sainte communion aux fidèles. *»
\*\*\*
Conclusion : « *Aussi le Saint-Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau, en prenant en considération tant le jugement émis par la majorité de l'épiscopat catholique que la forme utilisée actuellement dans la sainte liturgie, et enfin le bien commun de l'Église. *»
139:146
Cette conclusion rejette avec autorité, sans laisser subsister aucune équivoque ni aucune possibilité d'échappatoire, ce que semblait admettre l'introduction du même document.
\*\*\*
Seulement, l'Instruction *Memoriale Domini* comporte encore quelques lignes : un petit ajout, presque un post-scriptum, dont la longueur est inférieure au septième de la longueur totale du document.
A nouveau changent le ton, le contenu (et peut-être le rédacteur ?) ; et ce qui avait été rejeté se trouve maintenant accepté :
«* Mais là où s'est déjà introduit un usage différent -- celui de déposer la sainte communion dans la main le Saint-Siège, afin d'aider les Conférences épiscopales à accomplir leur tâche pastorale, devenue souvent plus difficile dans les circonstances actuelles, confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les circonstances particulières qui pourraient exister, à condition cependant d'écarter tout risque de manque de respect ou d'opinions fausses qui pourraient s'insinuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie, et d'éviter soigneusement tous autres inconvénients.*
«* De plus, en pareils cas, pour que cet usage s'établisse comme il faut, les Conférences épiscopales prendront, après prudent examen, les décisions opportunes, par vote secret et à la majorité des deux tiers. Ces décisions seront ensuite soumises au Saint-Siège, pour en recevoir la nécessaire confirmation. *»
Ainsi l'Instruction *Memoriale Domini* est un champ de bataille.
Le oui et le non y coexistent, *comme si l'on enregistrait avec impartialité les pensées opposées de deux Papes concurrents.*
140:146
Cette INSTRUCTION, en effet, maintient d'une part la communion traditionnelle comme rite unique exigé par « le bien commun de l'Église », le « Souverain Pontife », « une forte majorité d'évêques », « la valeur des arguments » et cetera.
Mais, d'autre part, elle permet en fait ce qu'elle a déclaré contraire à « la valeur des arguments », à « une forte majorité d'évêques », au « Souverain Pontife » et au « bien commun de l'Église ».
Cette contradiction dramatique inhérente à l'Instruction romaine *Memoriale Domini,* son caractère intrinsèquement « auto-destructeur », et la singulière révélation qui s'en dégage, ont été tenus absolument cachés par l'épiscopat français et la presse française, dans la présentation qu'ils nous ont faite du « nouveau rite » de la communion.
#### II. -- La Lettre
En date du 6 juin 1969, également signée par Benno card. Gut préfet, et Annibale Bugnini, secrétaire, une LETTRE DE LA CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN AU PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE FRANÇAISE, en se référant explicitement à l'INSTRUCTION précédente, autorise la communion dans la main : plus précisément, elle « accorde que chaque évêque (de France), selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser l'introduction du nouveau rite ». Cette Lettre de la Congrégation est une « réponse à la demande présentée par votre Conférence épiscopale sur la permission de distribuer la communion en déposant l'hostie dans la main des fidèles ».
La LETTRE déclare que « la possibilité offerte au fidèle de recevoir dans la main et de porter à la bouche le pain eucharistique » doit « accroître sa foi en la grande réalité du corps et du sang du Seigneur qu'il touche de ses mains ». Mais il n'est aucunement précisé en quoi le fait de toucher l'hostie avec les mains pourrait être de nature à accroître la foi. C'est une simple affirmation gratuite jetée en l'air.
141:146
Les rédacteurs de cette LETTRE se réclament de leur INSTRUCTION précédente et s'y réfèrent. Mais ils l'enfreignent (ou la « dépassent », si l'on préfère) sur deux points qui aggravent encore l' « auto-destruction » :
1° La porte ouverte par l'INSTRUCTION à la communion dans la main était limitée très explicitement : « *là où s'est déjà introduit un usage différent : celui de déposer la sainte communion dans la main *». Il est de notoriété publique, et incontestable, qu'à la date du 6 juin 1969, l'usage de la communion dans la main ne s'était point introduit dans l'ensemble du territoire français. Mais la clause de l'INSTRUCTION : « *là où s'est déjà introduit *», est traitée, au bout de huit jours seulement, comme une astuce déjà périmée, par les mêmes rédacteurs Benno card. Gut, préfet, et Annibale Bugnini, secrétaire.
2° Le « rite nouveau » dont parlait l'INSTRUCTION était très clairement décrit et délimité : « déposer le pain eucharistique dans la main du fidèle », « réception de la communion dans la main », « déposer la sainte communion dans la main ». Ce n'était pas assez : la LETTRE de la Congrégation en rajoute encore. Elle invente, sans autre explication, un rite dont l'INSTRUCTION n'avait pas soufflé mot : « *On pourra,* dit-elle, *adopter aussi une manière plus simple* (!) *en laissant le fidèle prendre directement l'hostie dans le vase sacré. *»
En attendant le prochain document et la prochaine innovation.
#### III. -- La Note
Non datée, cette NOTE a été publiée par le Conseil permanent de l'épiscopat français « au terme de sa réunion qui s'est tenue à Paris du 17 au 19 juin 1969 ».
Elle ne fait aucune allusion à l'Instruction *Memoriale Domini :* considérant sans doute cette INSTRUCTION pour ce qu'elle, a été en fait, un masque, un faux-nez, une étape déjà « dépassée » huit jours après par ses propres rédacteurs Benno card. Gut et Annibale Bugnini.
142:146
« La majorité des évêques, déclare la NOTE, n'est pas favorable à ce que, *d'une manière* générale, la communion dans la main soit *substituée* à l'actuelle manière de faire. » C'est nous qui soulignons. Cette incise : « d'une manière générale », jointe au terme : « substituée », insinue très exactement le contraire de la vérité. La NOTE donne à entendre que la majorité des évêques s'est opposée *seulement* à cette *substitution générale*, et donc qu'elle n'était pas opposée à une introduction facultative. Mais c'est bien l'introduction *facultative* qui a été *rejetée* par la majorité des évêques. Ce qu'ils ont refusé, c'est bien d' « *exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main *».
La NOTE du Conseil permanent poursuivait en ces termes :
« Le Saint-Père a pris en considération le fait que des désirs très nets s'expriment dans certaines régions pour que les fidèles puissent recevoir la sainte communion dans la main. »
Le fait que de tels « désirs » se soient « exprimés » a été pris en considération *pour être catégoriquement rejeté*, et non pour être accepté, ainsi que le montre clairement la lecture de l'Instruction *Memoriale Domini.* Autrement dit, il a été pris en considération... négative.
Ce qui a été pris en considération positive, c'est *un autre* fait : le fait qu'en certains lieux, *la* *communion dans la main était effectivement pratiquée par désobéissance aux lois en vigueur et aux* *volontés du Saint-Siège*. -- On sait que, depuis 1958, la ferme désobéissance est une nouvelle source du droit et de la loi dans l'Église (à condition toutefois que cette désobéissance aille dans un certain sens et non dans un autre). Nous avons là une nouvelle confirmation de cet état d'anarchie et de subversion où sont tombées les lois et les mœurs ecclésiastiques. Nous y voyons aussi, une fois de plus, qu'elles n'y sont pas tombées spontanément : elles y sont poussées par le comportement de l'autorité.
143:146
Mais les évêques français voulaient cacher que la vraie cause, attestée par l'INSTRUCTION, de l'autorisation de la communion dans la main, est la désobéissance prise en considération positive et respectueuse par le Saint-Siège. D'ailleurs, cette fois, ils n'avaient pas eux-mêmes désobéi, ou guère : point assez en tous cas pour fonder un droit selon les nouvelles procédures ecclésiastiques. L'*usage* de la communion dans la main n'avait pas été *introduit* sur l'ensemble du territoire français ; notre épiscopat avait manqué ce train-là. Les évêques n'auraient pas pu dire *aux Français :* -- « Parce que vous communiez déjà dans la main, et seulement « *là où *» vous avez eu le mérite de cette désobéissance, le Saint-Siège vous autorise à continuer. » -- Alors ils inventent autre chose dans leur NOTE.
Mais ce qu'ils ont dit *à Rome,* nous l'ignorons, et ils le tiennent caché. La NOTE du Conseil permanent fait allusion aux « motifs pastoraux exposés par la Conférence épiscopale française » : *exposés au Saint*-*Siège, dans le secret, derrière le dos des fidèles.* Ce fameux exposé de motifs pastoraux n'a pas été publié.
L'examen de ces trois documents, chacun en lui-même et tous comparés à chacun, fait donc apercevoir une cascade d'incohérences, d'inexactitudes et de truquages successifs. Nous ignorons dans quelle mesure une telle constatation atteint leur éventuelle valeur juridique : mais nous n'avons même plus envie de le savoir. Nous constatons que l'on nous trompe à jet continu, et cela nous suffit ([^58]).
Jean Madiran.
144:146
### Note sur le sacrifice de la messe
par M.-L. Guérard des Lauriers, o.p.
PAUL VI EST REVENU sur la question de la nouvelle messe dans plusieurs discours : mercredis 19 et 26 novembre 1969, dimanche 30 novembre à l'Angelus. Nous devons au lecteur de signaler le passage suivant. Il est extrait du discours du 19 novembre, et concerne directement notre objet :
« La Messe est et reste le mémorial de la dernière Cène du Christ, au cours de laquelle le Seigneur, changeant le pain et le vin en son Corps et en son Sang, institua le sacrifice du Nouveau Testament et voulut que, par la vertu de son sacerdoce conféré aux Apôtres, il fut renouvelé dans son identité, mais offert sous un mode différent, à savoir d'une manière non sanglante et sacramentelle, en perpétuelle mémoire de Lui jusqu'à son avènement. »
Cette assertion constitue incontestablement le plus autorisé des commentaires ; et en effet elle recèle l'équivoque même dont se trouve hypothéquée l'*Institutio generalis* et par elle, tout le nouvel *Ordo missæ*.
\*\*\*
145:146
*Équivoque d'abord quant au contenu de l'assertion, au point de vue doctrinal.*
On observe en effet que cette assertion comprend deux parties.
La première est une *affirmation catégorique *: « La Messe est et reste le mémorial de la dernière Cène du Christ. » La seconde est une apposition : apposition à la locution « dernière Cène du Christ », apposition qui explicite et qui explique le sens de cette locution, *mais qui ne modifie en rien la portée de* *l'affirmation catégorique.*
Examinons d'abord l'apposition.
Que signifie la locution « Sacrifice du Nouveau Testament » ?
Si on se réfère à ce qui précède, on doit conclure que le *Sacrifice du Nouveau Testament*, c'est « la dernière Cène du Christ ».
Si on se réfère à ce qui suit, le *Sacrifice du Nouveau Testament* est celui « qui est offert \[maintenant\] sous un mode différent, à savoir d'une manière non sanglante et sacramentelle » et qui par conséquent fut offert primitivement d'une manière sanglante : c'est donc le Sacrifice de la Croix.
Ainsi le « Sacrifice du Nouveau Testament » constitue en quelque sorte le medium grâce auquel se trouve affirmée l' « identité » entre la « dernière Cène » et le Sacrifice de la Croix. Tout cela est parfaitement clair... *pour qui analyse*. Mais tout cela ne concerne, dans l'assertion du pape, que la seconde partie, celle qui est placée en apposition. Ce qui donc demeure en lumière, c'est toute la portée de « la dernière Cène du Christ ». Et cela laisse inchangée l'affirmation catégorique.
Or, précisément, *qu'est-ce que la Messe ?* C'est bien cela qui est en question.
Eh bien, la réponse est contenue dans la première partie de l'assertion de Paul VI, *dans l'affirmation catégorique :* « La Messe est et reste le mémorial de la dernière Cène du Christ ».
146:146
Cela aussi est parfaitement clair. Et c'est très exactement ce qu'énonce le (fameux) paragraphe 7 de l'*Institutio generalis *: « Coena Dominica sive Missa est sacra synaxis... ad memoriale Domini celebrandum ». Paul VI a donc réaffirmé, en son discours du 19 novembre, le contenu essentiel de l'*Institutio generalis.*
Non toutefois sans une notable différence. Si en effet on pouvait admettre à la rigueur que la définition donnée par l'*Institutio generalis* fût seulement *descriptive*, la définition explicitée dans le *discours* est, de par sa teneur, une définition *réelle*, une définition censée adéquate de la réalité.
Et c'est pourquoi le *discours* ne nous paraît pas lever l'équivoque partout latente dans l'*Institutio*. Il n'est pas impossible de sous-entendre que l'*Institutio* consignifie la Messe comme étant un sacrifice. Comment le sous-entendre ? Le *discours* l'indique. Mais pas plus le *discours* que l'*Institutio* n'affirme *directement, explicitement et catégoriquement :* « LA MESSE EST LE SACRIFICE DU CALVAIRE. » Ce qu'affirme catégoriquement le *discours* tout comme l'*Institutio*, ce qui est signifié selon un mode absolu *et que ne peut modifier aucune explication* est ceci : « La Messe est et reste le mémorial de la dernière Cène du Christ. »
Le *discours* ne donne donc pas, par lui-même, plus de sécurité que l'*Institntio*.
Rappelons en terminant, et indépendamment de toute théologie particulière de la Messe, quelques-unes de ces définitions qui sous-tendent la certitude de la foi en affirmant catégoriquement l'essentiel
« En vue de laisser à l'Église, son Épouse bien aimée, un sacrifice représentant visiblement, conformément à la nature de l'homme, le sacrifice sanglant qui devait être accompli sur la croix une fois pour toute... » (Concile de Trente. Session XXII, ch. 1 ; Denz 1740.)
« Si quelqu'un dit que, dans la Messe, n'est pas offert à Dieu un sacrifice véritable et au sens propre ; ou bien qu'offrir \[ce sacrifice\] n'est rien autre que nous donner le Christ en nourriture, qu'il soit anathème. » (Ibid. Canon 1 ; Denz 1751.)
147:146
« Le Sacrifice de la Croix a été accompli sur le Calvaire une fois pour toutes. Il est, par le Mystère eucharistique, représenté d'une manière admirable et opportunément remis en \[notre\] mémoire ; et la vertu salutaire en est appliquée à la rémission des péchés que nous commettons quotidiennement. » (Paul VI. Encyclique *Mysterium fidei*, 3 septembre 1965, A.A.S. t. LVII, p. 759.)
« Nous croyons que la Messe... est le sacrifice du calvaire rendu sacramentellement présent sur nos autels. » (Paul VI. Profession de foi, 30 juin 1968.)
Ces textes affirment *absolument, catégoriquement, explicitement* que la Messe est un Sacrifice et qu'elle est le Sacrifice de la Croix. L'instinct de la foi refuse *non moins absolument* qu'à ces formules claires soient substituées des expressions dont le *modus significandi* compliqué entraîne inéluctablement les plus graves ambiguïtés.
\*\*\*
*Équivoque également, quant à la portée de l'assertion, au point de vue de l'opinion.*
Un *discours* du mercredi n'est pas une *Constitutio* apostolique. Cela est vrai non seulement en droit et dans l'abstrait, mais objectivement dans la réalité concrète. Le *discours* est un jalon, en ce sens il passe. La *Constitutio* est une base ; de soi, et de fait pour autant qu'elle l'explicite, elle demeure pour la vie de l'Église une norme permanente. Cela tout le monde le sait, *réflexivement* du moins. Jusqu'ici point d'équivoque.
Mais l'équivoque apparaît dans la pratique. Car il est difficile de réagir intelligiblement tout en demeurant en état de réflexion, et d'ailleurs l'opinion est malheureusement en fait à l'opposé de la réflexion. En sorte que l'entraînement et la précipitation ont été en l'occurrence, l'expérience l'a montré, à l'origine de deux erreurs superposées.
La première consiste à estimer que Paul VI signifie dans son *discours* autre chose que ce qui est signifié dans l'*Institutio*. Or, nous venons de le voir, il n'en est rien. L'*Institutio*, faut-il le rappeler, ne contient rien qui soit « positivement » erroné.
148:146
L'*Institutio* erre, en signifiant comme étant le tout ce qui est seulement un aspect, ou comme étant premier ce qui est seulement dérivé. *Errance par équivoque*. Le *discours* recèle la même défectuosité tenant à la même ambiguïté : l'expression « sacrifice du Nouveau Testament » peut en effet signifier soit : « dernière Cène du Christ », soit *sacrifice du* *Calvaire.*
C'est donc une première erreur d'estimer qu'il puisse rectifier quoi que ce soit quant à la *signification*.
La seconde erreur également commise, et superposée à la première, concerne la *portée*. Même si le *discours* rectifie le paragraphe 7 de l'*Institutio* (mais il faudrait alors refaire toute l'*Institutio*, laquelle est tout simplement le développement organique du paragraphe 7), même dans ce cas, il reste que le *discours* n'a pas la valeur juridique qui le rendrait apte à remplacer l'*Institutio*, elle-même présentée par la *Constitutio*.
En d'autres termes, quelle que soit la signification du *discours*, il est impossible de le prendre en considération *tant que la Constitution* «* Missale romanum *» *n'aura pas été abrogée par une autre Constitution apostolique, égale à la Constitution* «* Missale romanum *» quant à la *portée*, et pure de toute équivoque quant à la *signification*.
L'erreur en laquelle se trouve induite l'opinion consiste précisément à admettre que le *discours* rend acceptable l'*Institutio*, que la définition donnée dans le *discours* remplace celle du paragraphe 7. Il n'en est rien en droit, il n'en *sera* rien en fait : le *discours* passera, l'*Institutio* demeurera. Le *discours* n'est qu'un opportun lénifiant que le bon peuple trop crédule -- et pas seulement lui -- confond avec un véritable amendement.
Concluons. Le *discours* ne modifie rien aux critiques exprimées dans le *Bref examen*. Il en confirme au contraire le bien-fondé.
M.-L. Guérard des Lauriers, o. p.
149:146
### Le Canon romain
par R.-Th. Calmel, o.p.
JE PARLERAI bien entendu du Canon Romain latin antérieur aux modifications introduites par le nouvel *Ordo Missæ*. ([^59])
Jusqu'aux années 1950-1955 combien, parmi les prêtres qui ont maintenant la phobie de prononcer à la Messe un seul mot de latin, combien avaient envisagé qu'un temps allait venir où dans l'ensemble de la liturgie, non seulement on *bazarderait* le latin, mais même pour le Canon de la Messe la suppression du latin deviendrait une pratique hautement encouragée ? Combien de prêtres dans les années 50 avaient seulement entrevu que, quinze ans après, ils allaient crier bien fort le Canon de la Messe dans la langue nationale et qu'ils auraient le choix entre quatre formulaires, qui d'ailleurs auraient cessé de s'appeler *canon* ou règle invariable ? Que les prêtres et les évêques de France qui dans les années 50 avaient manifesté le désir ou l'espoir de ces chambardements se cherchent et se comptent : ils ne seront pas deux cents. Bien entendu quelques initiés pensaient à tout cela et le préparaient dans les ténèbres ; ils préparaient en général les divers panneaux mobiles et les éléments évolutifs de la religion nouvelle. En tout cas, aux environs des années 50, et même jusqu'à la mort de Pie XII en 1958, la tradition seize fois séculaire du canon romain latin ne faisait difficulté pour personne. Elle était en possession paisible. Ni la piété personnelle du prêtre n'en était gênée, ni la participation des fidèles. Nul n'aurait compris que les prêtres se mettent à dire la Messe en choisissant au petit bonheur entre quatre *prières eucharistiques,* chacune du reste se trouvant assortie de ritournelles variables.
150:146
La tradition ne gênait personne. La ferveur des fidèles n'était pas toujours assez vive, l'assemblée pas toujours assez recueillie, mais on ne songeait pas à rejeter la faute sur la tradition ; on savait que le remède consistait non pas à casser la tradition mais à la comprendre et l'aimer plus profondément. De même que l'on disait au célébrant : méditez donc ces prières si simples et si pleines de l'Offertoire et du Canon, qu'elles soient la nourriture de votre âme ; accomplissez les gestes rituels avec gravité et piété ; de même on exhortait le peuple chrétien à prendre conscience du mystère ineffable que le Christ accomplissait à l'autel par le prêtre. Bref on était sûr que la meilleure célébration de la Messe et la meilleure participation devaient venir de la conversion intérieure qui fait retrouver la tradition dans sa vérité la plus intime, la plus nourricière, bien loin de la bafouer. Mais le Concile est venu, avec ses puissants mirages. La réforme qui aurait dû, qui doit toujours s'adresser d'abord au cœur et chercher d'abord la conversion personnelle, les modernistes et leur maffia l'ont détournée sur les structures les plus saintes. La grande, la belle loi de tous les renouveaux de l'Église a été trahie par Vatican II. Au renouveau véritable en vertu d'une fidélité plus vivante aux coutumes traditionnelles, sous la pression d'une ferveur accrue, le Concile des grandes illusions a substitué un hypocrite renouveau par bouleversement délibéré des traditions, avec une parfaite indifférence à la conversion des cœurs. C'est ainsi que la Révolution de 89 avait prétendu régénérer la France en jetant par terre quinze siècles d'histoire et en demandant aux citoyens, non pas de mieux remplir leurs charges, compte tenu des libertés et franchises particulières, mais de se laisser manipuler par un État totalitaire et d'adopter son idéologie.
\*\*\*
151:146
Une des critiques les plus captieuses que l'on adresse au Canon Romain est la suivante : superbement commencée avec la Préface, pourquoi donc la grande prière qui doit environner, préparer, commenter en quelque sorte la consécration, -- c'est-à-dire l'accomplissement sacramentel du sacrifice unique, -- pourquoi cette prière n'est-elle pas poursuivie d'un seul tenant jusqu'au *Per Ipsum ?* Pourquoi ne progresse-t-elle pas d'une seule coulée comme un fleuve céleste, semblable par exemple à la Préface de bénédiction du cierge pascal ? Pourquoi donc laisse-t-elle l'impression d'être morcelée ?
Je réponds invariablement : vous avez cette impression faute d'avoir pénétré dans son unité dernière. D'ailleurs il s'agit d'infiniment autre chose qu'une solennelle bénédiction liturgique. Il s'agit d'infiniment plus. C'est ici le sacrifice de la Croix, commémoré et transmis jusqu'à nous *dans son objectivité et sa plénitude,* quoique d'une manière non sanglante. Comment mettre en lumière cette richesse tellement prodigieuse sans la dénombrer un peu en détail ? Ce que vous qualifiez de morcellement n'est pas autre chose. Consciente du mystère que le Christ réalise à l'autel et qu'il a remis à ses prêtres jusqu'à la Parousie, comment l'Église pourrait-elle ne pas reprendre souvent sa supplication pour que le sacrifice soit agréé ? Comment pourrait-elle ne pas faire mention des fruits de paix et de salut qu'elle en espère ; comment ne point s'attarder à nommer la hiérarchie ecclésiastique ; comment hésiter à se placer sous le haut patronage de la Vierge Marie, des Apôtres, des Martyrs et de tous les Saints ? Le moyen de ne pas faire, pendant le Canon, une pieuse descente en Purgatoire -- *languentibus in Purgatorio... qui torquentur gravi supplicio* -- et comment ne pas multiplier les signes de notre indignité et incapacité ? Si l'on estime rompre l'unité du Canon par les éléments qui permettent d'entrevoir la qualité infiniment riche de cette unité, alors on ne sait plus de quoi l'on parle.
Pour sûr on peut concevoir une *préface consécratoire* qui, par exemple, commencerait par la préface commune et, sans même la terminer immédiatement après le *Per Christum Dominum nostrum*, passant par-dessus les ajouts supposés « moins primitifs » :
152:146
*Sanctus, Te igitur, Memento, Communicantes, Hanc igitur*, tomberait à pic sur le *Quam oblationem*, puis*,* après les paroles efficaces de la double consécration, omettant toute élévation, poursuivrait par le *Unde et Memores* et le *Supra quœ* pour finir au plus vite avec le *Per Ipsum*. C'est même cela, en l'étriquant encore un peu, que la *Seconde Prière Eucharistique,* celle qui *pratiquement* fait loi, a essayé d'imposer au prêtre et aux fidèles. Dans cette construction arbitraire, il se peut que des liturgistes ultra-cérébralisés découvrent une ligne « plus pure » et « plus continue ». La Messe d'ailleurs demeure valide -- *si du moins l'intention du célébrant est catholique...* En fait et depuis plus de quinze siècles ce n'est pas ainsi que les choses se sont faites et que l'Église les a voulues. Très vite des prières se sont intercalées, non pour briser l'unité de la ligne mais pour manifester de quelle ligne il s'agit : ligne de l'oblation sacramentelle du sacrifice de la Croix, ligne de l'oblation que fait l'Église d'elle-même conjointe au sacrifice de son Époux.
Les termes de chacune des prières et leur balancement, la richesse, la clarté, la cohérence de leur signification, leur enchaînement, tout dans l'ensemble du Canon Romain latin, et tout dans les détails, coopère à l'accomplissement le plus noble du mystère ineffable confié aux prêtres de l'Église, au nom de Jésus-Christ : la double consécration.
\*\*\*
*Oblation *: action de faire une offrande qui a un caractère de sacrifice. Acte par lequel le prêtre offre à Dieu, pendant la Messe, les « oblats » qu'il va consacrer.
*Oblats *: le pain et le vin apportés sur l'autel pour être consacrés.
*Propitiation *: intercession qui a la vertu de rendre Dieu propice, en procurant la remise des fautes.
*Anamnèse *: nom donné par les liturgistes à la prière qui suit la consécration.
153:146
Certains éprouvent quelque surprise devant l'insistance du Canon romain à demander que le sacrifice soit agréé par le Père. Pourtant cette reprise inlassable de la même supplication ne devrait pas étonner. Sans doute, l'oblation du sacrifice de la Croix, rendu présent en vertu des paroles efficaces de la double consécration, cette oblation du Christ en personne est toujours et nécessairement agréable au Père céleste, de même qu'elle accomplit très certainement le salut des hommes. Mais une autre considération s'impose. C'est à partir d'humbles réalités, c'est à partir d'un peu de pain et d'un peu de vin, mis à part au moment de l'Offertoire, que le Christ va consommer le sacrifice de propitiation et de louange, qui plaît infiniment au Père. Eh ! bien, il n'y a point de proportions entre d'un côté ces hosties et ce vin, offerts par l'Église dès l'Offertoire et d'un autre côté l'offrande que fera le Christ de son propre corps et de son sang véritables en vertu de la consécration. Il convient donc à l'Église, dans le sentiment très humble de la condescendance divine, qui daigne opérer la transsubstantiation sacrificielle des modestes oblats qu'elle présente, il convient à l'Église de prier et supplier le Père de vouloir accepter ses propres oblats au point de les faire devenir le corps et le sang du Verbe Incarné Rédempteur. Une autre raison vient justifier encore l'insistance de l'Église à réclamer que le sacrifice soit reçu favorablement par le Père. Si le sacrifice du Christ en effet est toujours accueilli par le Père, du seul fait d'être réalisé, *ex opere operato,* en revanche l'offrande de l'Église en tant qu'elle est jointe à celle du Christ, ne saurait être accueillie qu'en vertu d'une miséricorde infinie et parce que le Père du Ciel aura d'abord rendu l'Épouse digne de l'Époux. Vous me direz qu'il en est toujours ainsi et que le Père ne cesse pas de sanctifier l'Église pour la rendre digne du Christ. Nous n'en doutons pas. Mais savons-nous assez que c'est là un effet de la prière de l'Église, prière qui est elle-même suscitée par l'Esprit du Christ ? En tout cas, avec le Canon romain nous ne risquons pas d'oublier cette loi primordiale de la Rédemption : si le sacrifice du Christ est toujours accepté, le sacrifice de l'Église, qui s'y intègre nécessairement, *n'est accepté que parce que le Père l'a rendu acceptable, et le Père ne l'a rendu acceptable que parce que l'Église n'a cessé de l'en requérir très humblement et dévotement.*
154:146
Tout prêtre, tout fidèle ayant entrevu ce mystère ne trouvera pas trop nombreuses les formules qui, *dès l'Offertoire,* implorent l'acceptation du Sacrifice, -- semblables aux frémissantes ondulations des blés mûrs qui tour à tour se creusent et se gonflent, s'arrêtent et reprennent bientôt, sous le souffle infatigable des grands vents de la Saint-Jean d'été. *Suscipe Sancta Trinitas hanc oblationem... et praesta ut in conspectu tuo tibi placens ascendat*... *-- Et sic fiat sacrificium nostrum ut a te suscipiatur hodie... -- Orate fratres... ut in conspectu Domini sit acceptum sacrificium* ([^60])*... -- uti accepta habeas et benedicas* (dans le *Te igitur*)*. -- Ut placatus accipias* (dans le *Hanc igitur*)*. --* Le *Quam oblationem* tout entier. -- Puis, après *l'anamnèse* (l'*Unde et memores*)*,* où l'Église exprime avec une telle force son assurance et sa paix triomphale : *Offerimus... hostiam puram, voici* de nouveau la même supplication : *Suprae quae propitio ac sereno vultu respicere digneris et accepta habere sicut... -- jube hæc perferri... in conspectu divinae majestatis tuae* (Prière *Supplices te rogamus*) ([^61])*.*
Traduisant à la perfection l'attitude qui convient à l'Église pour offrir le Sacrifice que lui a remis son Sauveur et son Époux, le Canon romain est foncièrement suppliant et oblatif. La disposition suppliante et oblative, qui est essentielle à la Messe, entre dans la texture même du Canon romain.
155:146
Lorsque le formulaire d'un rite répond aussi convenablement à son objet, lorsque ceux qui usent de ce formulaire, invariable depuis plus d'un millénaire et demi, s'en trouvent heureux et comblés, on ne voit vraiment pas de raison suffisante de le modifier ou de lui substituer autre chose. On ne voit au contraire que des raisons de garder intact ce formulaire sans défaut, en user avec la plus grande dignité possible, le méditer humblement dans son cœur.
R.-Th. Calmel, o. p.
*P. S.* -- A ceux qui prétendent que l'usage du latin dans le Canon et l'unicité du formulaire servaient à déguiser la tiédeur et la routine, je réponds à chaque coup : même chez un Curé d'Ars ? même chez un Père de Foucaud, un saint Pie X et la phalange magnifique des saints prêtres, pontifes ou non pontifes, qui depuis des siècles et des siècles ont consacré en latin, et ont dit le Canon romain avec une intensité de foi, d'adoration, de surnaturelle tendresse qui saisissait les fidèles et frappait doucement à ce recès du cœur où l'homme le plus superficiel, le plus endurci, a perçu un jour ou l'autre l'interrogation dernière : ce que dit la religion, ce qu'elle fait, est-ce sérieux ? -- Réciter le Canon, toujours le même, à voix brasse et en latin, a favorisé la routine chez les prêtres qui avaient consenti à la tiédeur : voilà tout. La cause de la routine n'est pas à chercher dans le Canon romain, mais dans la médiocrité du prêtre. -- Et puis, quel besoin de poser tout de travers cette question de routine. *Car il s'agit de savoir avant tout si, oui ou non, dans le ministère des sacrements, il est des paroles qui, sans être absolument requises pour la validité, y tiennent cependant de trop près pour envisager d'en fournir des versions multiples et indéfiniment variables. La réponse est oui*. Dès lors, contre le danger de routine le remède est à chercher non dans la variation de telles formules mais dans l'accroissement de la vie intérieure.
R. Th. C.
156:146
### Eucharistie et liturgie
par R.-Th. Calmel, o.p.
DANS L'ÉGLISE CATHOLIQUE la raison d'être de la liturgie se trouve dans la foi aux sacrements, en particulier le sacrement de l'Eucharistie. Si l'Eucharistie était dépourvue de la consistance surnaturelle que lui reconnaît la foi immuable de l'Église, la liturgie serait également dépourvue de réalité et de valeur. Par suite, si nous voulons porter un jugement solide sur l'actuelle subversion du culte nous devons nous rappeler les enseignements de la Tradition et du Magistère, au sujet du sacrement de l'autel. Ces enseignements tiennent en quatre propositions : ([^62])
1\. A la différence des autres sacrements le rite sacramentel de l'Eucharistie non seulement apporte la grâce mais, pour conférer la grâce, il commence par rendre présent l'Auteur de la grâce en personne.
2\. La présence du Seigneur avec son Corps et son Sang, son âme et sa divinité est tout ce qu'il y a de plus réel, parce qu'elle se réalise par transsubstantiation ; le pain et le vin cessent d'exister et à leur place, sous leurs espèces ou apparences, c'est le Seigneur qui est là dans sa réalité unique de Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité pour nous ; le miracle de la transsubstantiation le rend aussi présent dans tous lieux où se trouvent les saintes espèces qu'il était présent à la crèche entre les bras de la Vierge Marie et qu'il est présent à la droite du Père dans la gloire des cieux.
157:146
3\. Troisième proposition de notre foi dans ce sacrement adorable : à la différence des autres sacrements qui nous appliquent, avec quelle libéralité, des fruits particuliers du Sacrifice unique et définitif offert sur le Calvaire, ce sacrement non seulement applique aux hommes les mérites de la croix mais il contient vraiment le sacrifice de la croix ; il en fait mémoire mais la manière d'en faire mémoire -- c'est-à-dire la consécration séparée du pain et du vin -- réalise, par la transsubstantiation, l'offrande du corps du Christ immolé et de son sang versé. Ainsi la manière de faire mémoire est telle que le sacrifice de la croix est rendu présent ; non pas un sacrifice autre, non pas une ombre inconsistante et une représentation vide, mais le même sacrifice, exactement le même, avec le même prêtre et la même victime, seule étant différente la manière d'offrir.
4\. Enfin, quatrième proposition, ce sacrement est trop grand entre les autres sacrements, il est d'une nature trop spéciale, pour que le caractère baptismal suffise à le réaliser ; il faut ici un pouvoir et un caractère uniques, comme sont uniques les merveilles de l'amour rédempteur ici réalisées ; il faut pour réaliser l'Eucharistie en avoir reçu le pouvoir particulier, par l'intermédiaire de la hiérarchie, de celui qui est l'unique prêtre, le prêtre souverain et éternel ; il faut avoir reçu le caractère sacerdotal ; avoir été élevé à la dignité de prêtre.
\*\*\*
Me souvenant de cette doctrine absolument certaine et irrévocable de notre Mère l'Église et voyant les transformations, bouleversements et expériences qui sont le propre, actuellement, de ce que l'on a le front de qualifier *renouveau liturgique*, je suis bien obligé de conclure que ce chambardement est commandé par une doctrine opposée à la doctrine orthodoxe.
158:146
Reprenons les énoncés de la foi touchant le sacrement de l'Eucharistie. Premièrement : faire ce sacrement est réservé aux prêtres. Eh ! bien, lorsque l'on voit de simples fidèles, parfois des femmes et des jeunes filles, aller prendre le ciboire des hosties consacrées et le calice du précieux sang pour se communier eux-mêmes et faire communier les autres, comment ne pas conclure : ces manières de faire toute nouvelles tendent à mettre le simple fidèle au même rang que le prêtre en ce qui regarde l'Eucharistie. Qu'il y ait, d'un point de vue suprême ; égalité entre fidèles et prêtres *en ce sens que* tous nous n'avons en propre que le néant et le péché et que tous, indistinctement, nous serons jugés sur notre conformité à Jésus-Christ est une chose ; mais c'est une chose entièrement différente de celle-ci Jésus-Christ a racheté les hommes et fondé une Église en telle forme qu'il y a une inégalité infranchissable entre celui qui a reçu pouvoir sur son corps eucharistique et celui qui n'a pas reçu un tel pouvoir. -- Autre énoncé de la foi l'Eucharistie loin d'être un mémorial sans substance du sacrifice du Vendredi-Saint, un mémorial qui n'aurait de vertu que par l'intensité de notre croyance personnelle, de nos sentiments de ferveur religieuse, l'Eucharistie est au contraire un mémorial efficace ; la Messe est le même sacrifice que celui de la croix, exactement le même, seule étant différente la manière d'offrir. Eh ! bien, si *le sacrifice du Testament nouveau et éternel* est offert en usant de formules qui, sans nier la réalité de l'oblation et de l'oblation propitiatoire, ne la mentionnent que furtivement, et encore en usant de formules en langue vulgaire toujours sujettes à révision ; de formules en langue vulgaire que les célébrants adaptent à leur gré selon « les urgences pastorales » -- dans ces divers cas, comment ne pas conclure à une méconnaissance de la réalité sacrificielle de la Messe ; sans doute, sûrement même, dans plusieurs cas, avons-nous à faire à une volonté arrêtée de nier que la Messe soit un sacrifice ; le saint sacrifice et le seul sacrifice ; le sacrifice de la croix mis en forme sacramentelle c'est-à-dire en forme de signe efficient.
159:146
En particulier dans ces Messes où ce que l'on appelle bizarrement « liturgie de la parole » occupe une place démesurée, tandis que le Canon et la consécration sont expédiés à la sauvette de façon à passer presque immédiatement de la fameuse *prière universelle* à une communion aussi peu adorante, aussi peu religieuse que possible, dans les Messes de cette sorte, qui tendent à se multiplier, on a nettement l'impression que le sacrement de l'Eucharistie, s'il est une sorte de repas, du moins n'est plus un sacrifice. C'est ici que les nouvelles pratiques apparaissent comme le véhicule d'une hérésie effroyable ; elles donnent l'idée que la présence réelle et la transsubstantiation sont des théories d'un autre âge et non pas une vérité de foi qui dépasse tous les âges, qui s'impose à tous les siècles comme la source et le principe de leur salut. Quand on voit la négligence et l'irrespect avec lesquels on traite le tabernacle, comment les saluts et les processions sont abolis par principe, comment à la Messe elle-même on supprime inclinations et agenouillements et en général tous les signes d'adoration, on est amené à conclure : si l'Eucharistie n'était pas un sacrement adorable, si le Seigneur n'y était pas présent aussi réellement qu'il siège à la droite du Père, si l'Eucharistie était un repas sans nulle présence réelle, sans nul sacrifice, mais un repas qui donne l'occasion d'une rencontre amicale et vaguement religieuse, s'il en était ainsi, nombre de prêtres ne feraient pas autre chose que ce qu'ils font.
\*\*\*
Ils ont cessé de croire à l'Eucharistie du Seigneur parce qu'ils ont cessé de croire en son amour, en la qualité surnaturelle, divine et transcendante de son amour. En effet, c'est parce que Dieu aime à la manière de Dieu que les sacrements, en particulier l'Eucharistie, ont une consistance de signes efficaces dans l'ordre du salut, une portée pour la vie surnaturelle et éternelle.
Et tel est bien le point de vue de la qualité surnaturelle et transcendante de l'amour de Dieu que nous ne devons jamais oublier lorsque nous nous mettons en travers de l'actuelle subversion liturgique ; telle est la vérité de foi qui doit commander notre résistance et la rendre irréductible, parce que cette vérité de foi aura commandé d'abord et illuminé notre vie intérieure. -- Considérons les sacrements dans cette perspective suprême.
160:146
Parce qu'il était nécessaire que le Christ immolé, le *Saint de Dieu*, ne connaisse pas la corruption, mais plutôt qu'il ressuscite et soit glorifié à la droite du. Père, il devait nous retirer sa présence visible ; d'autant que cela convenait beaucoup mieux pour exercer et purifier notre vie théologale. *Noli me tangere... nondum ascendi ad Patrem meum*... Parce que, d'autre part, notre nature blessée est terriblement attirée par le visible, le sensible, les choses terrestres, il convenait au plus haut point que le Christ remonté aux cieux et répandant sur nous les grâces dont il porte le trésor dans son cœur blessé, il convenait que le Christ glorifié nous communique sa grâce, non pas comme à de purs esprits, d'une nature intègre et angélique, mais plutôt comme à de pauvres hommes charnels, et donc en se servant de choses terrestres, en instituant tout un ordre de signes à notre mesure qui seraient porteurs de sa grâce ; telle est la raison d'être de l'ordre sacramentel. Au baptême le Christ nous communique la grâce qui purifie et qui nous fait renaître -- cette grâce méritée par le sacrifice de la croix -- en se servant de l'eau qui lave et purifie. C'est ainsi que la grâce dont le premier effet est de nettoyer nos âmes du péché et de la faire renaître, nous sera communiquée par un rite d'ablution avec de l'eau pure, en prononçant les paroles voulues par le Seigneur.
De même la grâce méritée par le sacrifice de la croix et qui détient certainement la propriété de purifier de nouveau, même si le pécheur retombe dans le péché mortel, cette grâce si nous l'avons perdue par les péchés commis après le baptême nous sera communiquée de nouveau par un rite de pénitence : humble aveu de nos fautes, manifestation de repentir et paroles appropriées prononcées par le prêtre, qui est à la fois ministre du Bon Pasteur et du Juge Suprême.
Il serait encore loisible de considérer les autres sacrements comme signes sensibles de la grâce, appropriés à notre condition de pécheurs rachetés. Cependant une question resterait pendante : si le Christ par les sacrements touche notre âme sous un signe approprié, par un contact salutaire, est-ce que lui-même en sa personne très sainte ne se donnera point ?
161:146
Quand un enfant est baptisé par exemple c'est bien le Christ qui le touche par l'eau du baptême accompagnée des paroles rituelles, mais cependant le Christ demeure à la droite du Père. C'est un passage de sa grâce, ce n'est pas une présence et permanence de sa personne, comme lorsqu'il était présent à la crèche, sur la croix ou sur le rivage du lac de Galilée. Eh ! bien, ce Christ dont il était nécessaire qu'il remonte dans les cieux, s'il convenait qu'il nous touche par des signes de son choix, ne convenait-il pas aussi qu'il demeure réellement présent au milieu de ses fidèles qui pérégrinent sur ces routes d'exil, qu'il demeure présent et qu'il vienne résider en eux comme une nourriture céleste ? -- Par cette présence et cette résidence personnelle et substantielle il pourrait les toucher d'une manière unique, nouer avec eux les liens d'une intimité confondante, supérieure sans comparaison à celle des autres sacrements. -- Enfin, à supposer que son amour dispose de la puissance qui lui est propre pour demeurer réellement présent parmi nous et résider en nous, ne convenait-il pas qu'il soit présent dans son sacrifice même ? Qu'est-ce qui pourrait l'en empêcher ? Bien mieux, puisqu'il fondait une Église, une société religieuse de la grâce chrétienne, cette Église qui est son Épouse n'aurait-elle de sacrifice qu'en pensée et souvenir ; ne disposerait-elle de l'Offrande de son Époux, immolé une fois pour toutes sur le Calvaire, que sous la forme d'un souvenir lointain, d'une figuration actuellement dépourvue de substance ? -- *A ces questions sur la présence réelle, le sacrifice toujours présent, la communion en réalité parce que le Seigneur en personne vient résider en nous ; à ces questions qui se posent avec tant de force, lorsque du moins l'on entrevoit combien l'économie du salut est commandée par la Charité divine, le Seigneur a répondu en plénitude par l'institution de l'Eucharistie.* Il a fait l'Eucharistie telle que l'Église la célèbre et la célébrera jusqu'à son retour glorieux à la fin des siècles : présence réelle par transsubstantiation ; mémorial de l'unique sacrifice qui le rend présent d'une manière non sanglante ; communion véritable et personnelle ; célébration de ces mystères par des chrétiens ordonnés à cela, par les prêtres qui sont véritablement les ministres du Christ, les seuls par lesquels il exerce son pouvoir unique de faire la transsubstantiation et, par là, de rendre présent son sacrifice.
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162:146
De ces Vérités confondantes les grands docteurs, les modestes théologiens, et la foule immense des simples ont vécu depuis des siècles et des siècles. Cette vérité notamment que le Saint-Sacrement est irréductible aux autres sacrements, qu'il est d'une dignité sans égale, qu'il mérite d'être traité non seulement avec un grand respect, mais qu'il a droit en toute vérité à notre adoration, -- cette vérité fondamentale a nourri la piété des chrétiens depuis les toutes premières messes célébrées par les saints Apôtres. Les prêtres ou les fidèles qui de nos jours laissent affaiblir leur foi dans la présence réelle ou qui adoptent des attitudes ou des façons de faire qui nient, dans la pratique, la présence réelle, ces prêtres et ces fidèles brisent avec deux mille ans de vie chrétienne ou plutôt avec la vie chrétienne de toujours, celle d'hier, d'aujourd'hui et de demain, car il n'existera jamais de vie chrétienne qui mépriserait la foi dans l'Eucharistie.
\*\*\*
Trop sublime, dites-vous. Le peuple chrétien et en général les peuples de la terre dont on prétend qu'ils seraient en pleine mutation, réclament des choses plus accessibles, plus pratiques. Quelle idée d'apporter à l'homme du XX^e^ siècle, l'homme des satellites artificiels, de la démocratie parlementaire ou populaire, et des naissances planifiées, une religion qui ne parle que de surnaturel, de transcendance et de croix. -- Nous ne refusons pas la religion, répète à l'envi un certain clergé. Mais, de grâce, pour un homme nouveau une religion nouvelle !... -- Le malheur est qu'il n'y a pas d'homme nouveau. Ceux qui tiennent ce langage, ou un langage équivalent, ne sont pas plus des hommes nouveaux que je ne le suis moi-même qui les contredis.
163:146
Pareils à tous les hommes qui nous ont précédés nous mourrons, de vieillesse, d'accident, de maladie, de persécution ou victimes de je ne sais quelle guerre ; car il y aura toujours des maladies et des accidents, des tyrannies et des persécutions, des guerres « classiques a ou d'abominables guerres subversives ; ce qui est seulement nouveau c'est le perfectionnement des formes de la persécution anti-chrétienne et les moyens mis en œuvre par les guerres subversives. Mais ces moyens eux-mêmes, qui sont en définitive la terreur et le mensonge, ils sont vieux *comme le vieux péché couvé dans le* *vieux cœur*. Il n'y a pas d'homme nouveau devant la mort, ni devant les passions ni devant les lois invariables et très humbles de l'acquisition et du progrès de la sagesse et de la vertu. Il n'y a pas d'homme nouveau, mais bien l'homme éternel et l'immuable nature humaine.
A un moment de l'histoire, un jour entre les jours, un jour attendu depuis les âges si reculés de la loi de nature et depuis les deux millénaires de la loi écrite, le Fils de Dieu lui-même a assumé notre nature dans le sein de la Vierge, il a révélé les secrets de sa propre vie et les secrets de la vie avec lui, il nous a mérité d'avoir part à cette vie par sa mort ; ressuscité, monté aux cieux, il nous communique cette vie par son Église et les sacrements de son Église, de même que, par elle, il nous transmet ses enseignements. C'est toute la religion. Il n'y a pas de vingtième siècle qui tienne. Immuable nature humaine, transcendance de l'ordre surnaturel, et des sacrements dans cet ordre surnaturel, et surexcellence de l'Eucharistie parmi les autres sacrements tel est l'ordre établi par le Seigneur Dieu dans sa sagesse et son amour ; il est irrévocable ; acceptez donc d'être aimés comme Dieu a voulu vous aimer. Pour le temps de l'éternité c'est la seule chose qui importe.
R.-Th. Calmel, o. p.
164:146
### Le Repas mystique
par R.-Th. Calmel, o.p.
*O Sacrum Convivium in quo Christus sumitur\
*(Antienne de Magnificat des secondes\
Vêpres du Saint-Sacrement).
##### 1. -- Saint Paul et l'Évangile
Avant le Concile déjà, mais surtout depuis, nous aura-t-on assez parlé de l'Eucharistie comme « repas communautaire » ou comme « partage du pain », cependant que le mystère de l'Eucharistie comme sacrifice était de plus en plus négligé, déformé ou même nié. Que la sainte Eucharistie, que la Messe soit un repas, mais un repas mystique ([^63]), la foi chrétienne l'a toujours affirmé. ([^64])
*Ecce panis angelorum*
*Factus cibus viatorum...*
Mais la foi chrétienne a toujours affirmé également que la sainte Eucharistie, la Messe, est un sacrifice non moins réel que celui de la croix ; ou plutôt c'est le sacrifice de la croix commémoré en telle forme -- c'est-à-dire par la consécration séparée, par la transsubstantiation du pain et du vin -- qu'il n'est pas seulement figuré sans réalité objective mais réellement offert ;
165:146
du fait de la transsubstantiation du pain au corps du Christ immolé et du vin en son sang versé, la réalité objective du sacrifice de la croix, (sa sainteté, son efficacité) n'est pas moins présente sur nos autels, à chaque Messe, qu'elle ne fut présente sur le Calvaire l'après-midi du Vendredi-Saint. Seule est différente la manière d'offrir : oblation sanglante le Vendredi-Saint et, à chaque Messe, oblation sous les apparences du pain et du vin, consacrés séparément. Mais le prêtre est le même : Jésus-Christ. La victime est la même : Jésus-Christ. Le sacrifice est le même parce que l'immolation du Vendredi-Saint, la même, est apportée jusqu'à nous sous un signe efficace, un rite sacramentel : *effecit quod significat*. Repas mystique mais réel, sacrifice mystique mais réel, ces deux aspects de la Messe, la Tradition ne les a jamais séparés. Saint Paul donnant des avis pratiques sur *le repas du Seigneur* à Corinthe énonce les deux aspects du mystère d'une part *la mort du Seigneur*, -- cette mort qui est le sacrifice définitif -- *est annoncée à chaque Messe *; et d'autre part, sous l'apparence du pain et dans la manducation de ce qui ressemble à du pain, *c'est le corps même du Christ qui doit être discerné* ([^65]). Nous ne verrons jamais avec trop de netteté la manière unique dont la mort du Seigneur est annoncée à chaque Messe. Elle est annoncée non pas dans une représentation vide d'un événement du passé, mais dans une commémoraison efficace, parce que sous les espèces du pain et du vin sont rendus présents, *là et à cette heure*, sont offerts *là et à cette heure*, le corps et le sang du Seigneur. Le Christ en son sacrifice propitiatoire et définitif est aussi présent et immolé sur la nappe de l'autel qu'il l'était sur la croix le Vendredi-Saint.
La première épître aux Corinthiens désigne donc les deux aspects de l'Eucharistie et de la Messe : sacrifice et repas ; sacrifice réel, et qui est celui de la croix, mais sous un voile ; repas réel et qui n'est autre que la communion au Christ venu résider dans le communiant, mais sous un voile.
166:146
Mais si l'épître de saint Paul est aussi explicite sur le double aspect de l'Eucharistie c'est parce que dans l'institution qu'il a faite du sacrement de l'autel, Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu qu'il y eût à la fois l'une et l'autre merveilles : le sacrifice et le repas. Et s'il a réalisé l'une et l'autre merveilles c'est parce qu'il s'est rendu présent ; présent en telle forme qu'il soit d'abord offert et ensuite donné en nourriture.
Depuis l'institution de l'Eucharistie à la Cène du Jeudi-Saint, depuis qu'il y a la Messe parmi les hommes, l'Église n'a cessé un instant de croire ainsi, de faire ainsi, d'enseigner ces vérités qui sont au cœur de sa foi et de son ministère. Pourquoi donc un peu avant le Concile, et surtout après, cet acharnement, cette manie et parfois cette rage de présenter l'Eucharistie et de la célébrer sous forme de simple *repas communautaire* et comme un *partage du pain ?* Pourquoi écarter le sacrifice ? Parce que l'on ne croit plus au mystère de l'Eucharistie. J'affirme que ces transformations indéfinies de la Messe, nullement supprimées par le *nouvel Ordo,* qui d'ailleurs au bout de quelques mois est déjà *ancien et dépassé*, ces modifications graduelles et ininterrompues dans la façon de prêcher sur la Messe et de la célébrer procèdent d'une modification de la Foi dans la Messe. Mais une modification de la Foi n'est autre que sa disparition pure et simple. Ils ont beau dire, leurs paroles ne nous donnent pas le change. Ils ne croient pas davantage dans l'Eucharistie comme repas que dans l'Eucharistie comme sacrifice. Le repas qu'ils admettent est seulement une allusion non efficace à la dernière Cène et aux divers repas du Seigneur : Ils se servent encore, du reste de moins en moins, du terme Eucharistie. Mais en réalité ce qu'ils croient et ce qu'ils font est un simulacre, non l'Eucharistie, c'est-à-dire la suprême réalité de l'ordre sacramentel ; suprême parce que le Seigneur en personne y est contenu, immolé, reçu en communion. A un prêtre qui m'invitait, en juillet 1969, à distribuer la communion dans la main, parce que disait-il « la communion c'est le partage du pain », je répondis ceci :
167:146
« Mais quel pain ? Si ce n'est pas un pain sacramentel, donc un pain qui présente seulement une apparence de pain, parce que c'est le Christ, c'est Dieu en personne qui est contenu sous l'apparence du pain, alors il n'y a pas besoin de prêtre pour partager et distribuer ce pain ; l'état de grâce n'est point requis pour le recevoir ; nous n'avions pas besoin du Fils de Dieu pour instituer la Messe. »
##### 2. -- L'ordre sacramentel
Parvenus à ce point de notre réflexion, il importe de nous remémorer la doctrine catholique sur l'ordre sacramentel. A l'intérieur de l'univers de l'Incarnation rédemptrice, l'ordre sacramentel est l'ordre de ces réalités surnaturelles qui sont des signes sensibles, institués directement par le Seigneur, pour nous apporter la grâce et nous configurer à sa sainteté. Ils produisent ce qu'ils signifient. Ils rendent effectif ce qu'ils représentent -- (à la condition que la liberté n'y mette pas obstacle). -- *Efficiunt quod significant*. -- L'Eucharistie relève de l'ordre sacramentel, mais sa position au dedans de cet ordre est tout à fait à part, vraiment unique. En effet ce qui est signifié ce n'est pas une action particulière de la grâce -- purification, pardon, « confirmation » -- c'est le propre sacrifice du Seigneur, sacrifice réel comme est réelle la présence de son corps et de son sang en vertu de la transsubstantiation. Si le rite de la consécration ne signifiait pas et ne réalisait pas la présence du Seigneur par transsubstantiation, et par une transsubstantiation en telle forme que le corps et le sang continuent d'être offerts comme sur la croix, quel serait alors le sens du *Hoc est enim Corpus meum ?* Faudrait-il interpréter : *Hoc commemorat corpus meum ?* Mais pour inventer semblable commémoraison, aussi touchante que vide, nous n'avions pas besoin du Fils de Dieu fait homme, du Verbe incarné Rédempteur. N'importe qui d'entre nous est capable de laisser à ses amis un souvenir émouvant. Aussi bien il n'est pas rare que les hérétiques, sectateurs d'une Messe inefficace et inconsistante, estiment que Jésus-Christ n'est pas plus qu'un homme ; un homme divin en quelque sorte, mais non pas la seconde personne de la Trinité qui a daigné assumer la nature humaine.
168:146
Alors que les autres sacrements causent la grâce, l'Eucharistie rend présent et contient l'Auteur de la grâce. *Efficit quod significat*. Dans les autres sacrements ce qui est signifié c'est un effet particulier de la grâce ; ils produisent sur un point particulier une configuration à la sainteté du Christ. Mais dans le sacrement de l'autel ce qui est signifié et réalisé c'est la présence de l'auteur de la grâce en son sacrifice. Le Seigneur et son sacrifice sont rendus présents.
Voilà pourquoi du reste la communion donne la grâce d'une manière et avec une intensité qui lui est propre. La communion sacramentelle, en effet, produit dans une âme, déjà vivante de la vie divine et qui est bien disposée, une grâce d'union toute spéciale, resserre très étroitement les liens entre cette âme et Jésus-Christ et tout le corps mystique (et apporte en même temps soutien, force et consolation comme un aliment céleste). Mais la communion donne de tels fruits parce que le Seigneur a commencé par se rendre présent lui-même en personne, avec sa divinité et son humanité, en celui qui communie avec de dignes dispositions. Il a commencé par venir résider en personne dans le communiant. Comment exprimer l'abondance de grâces dont il nous comble par le fait de cette résidence et du contact qui est inséparable de cette résidence ? -- Le contact du Christ se trouve dans tous les sacrements. Le contact du Christ par le fait d'une résidence personnelle ne se trouve que dans le Saint-Sacrement. Dans l'ordre des signes sacramentels, l'Eucharistie est seule à jouir de ce privilège apporter la grâce parce que l'Auteur de la grâce s'est rendu présent en personne à notre personne chétive et pécheresse. Telle étant la dignité de l'Eucharistie, son excellence parmi les autres sacrements, on conçoit que son accomplissement exige davantage que la simple qualité de chrétien, si éminente soit-elle ; le caractère baptismal ne suffit pas ; il faut un pouvoir et un caractère uniques, comme sont uniques les merveilles de l'amour rédempteur ici réalisées.
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Sacramentel ne s'oppose pas à *réel *; sacramentel s'oppose d'une part à *manifeste* -- car le sacrement est un voile -- et sacramentel, d'un autre point de vue, s'oppose à : simplement *évocateur *; ou encore à *subjectif *; -- car le sacrement détient en lui-même sa consistance et son efficacité : *ex opere operato*. Bien loin de s'opposer à l'ordre réel, l'ordre sacramentel est l'ordre de l'action réelle du Christ ou de sa présence réelle mais sous un voile ; action réelle ou présence réelle du Christ qui a souffert pour nous, qui dans sa Passion, nous a mérité toute grâce, qui a présenté au Père le sacrifice parfait et qui, par les rites qu'il a institués, nous configure à sa propre sainteté et nous attire à sa propre gloire : *recolitur memoria Passonis ejus, mens impletur gracia et futuræ gloriæ nobis pignus datur* ([^66]).
##### 3. -- Convenances de l'ordre sacramentel
Voulons-nous entrevoir le pourquoi de l'ordre sacramentel et, à l'intérieur de cet ordre, le pourquoi de l'Eucharistie, nous devons alors nous rappeler certaines convenances profondes qui, sans être contraignantes pour la Sagesse et la Puissance divines, tiennent cependant de très près à l'économie de la Rédemption et à l'état concret de notre nature, tels qu'il a plu à Dieu de les vouloir. Il convenait donc que le Seigneur Jésus ayant souffert la Passion, étant ressuscité le troisième jour, remonte dans le Ciel sans tarder et qu'il siège à la droite du Père, afin que son nom soit élevé au-dessus de tout nom *puisqu'il s'était abaissé par amour et obéissance jusqu'à la mort de la croix*. -- Pour communiquer les grâces de la Rédemption à l'humanité pécheresse, née d'Adam et d'Ève, qui ne se limite pas évidemment à la génération qui fut contemporaine de la vie publique du Christ mais qui se perpétue jusqu'à la fin du monde, il convenait que le Seigneur Jésus se servît de moyens appropriés à notre nature blessée, charnelle et pécheresse, soumise à la succession dans le temps ;
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il convenait donc qu'il établît des rites sensibles et porteurs de grâce ; il convenait aussi, puisque notre nature est soumise à la succession et à l'histoire, que ces rites soient maintenus intègres tout au long des siècles par une société surnaturelle et hiérarchique, une Église, que le Seigneur garderait et assisterait infailliblement. Cependant une question se pose, pour peu que l'on se rende attentif à l'infinie miséricorde du Christ rédempteur, à sa volonté d'intimité avec chacun des hommes qu'il a rachetés : *proprias oves vocat nominatim* (Jo. X, 3)... Une fois retourné auprès du Père va-t-il nous soustraire sa présence ici-bas ? Le contact immédiat avec sa personne réellement présente ne sera-t-il accessible qu'après notre mort ? La présence réelle ne sera-t-elle pas accordée, même sous un voile et à travers des apparences étrangères ? Par ailleurs pour toutes les générations qui vont se succéder jusqu'à la Parousie -- au milieu de quelles vicissitudes, de quelles angoisses, de quelles iniquités -- pour ces générations qui ne peuvent pas plus se passer de sacrifice que de religion (car il n'existe pas de religion sans sacrifice) n'y aura-t-il pas de sacrifice sinon en souvenir, dans la commémoraison pieuse, mars privée de réalité objective et actuelle, de l'immolation du Vendredi-Saint ? Est-il inconcevable que le sacrifice du *Testament nouveau et éternel* demeure présent, serait-ce sous un voile, à la condition toutefois que le Christ se rende présent en personne comme victime et comme prêtre ? A ces questions si graves, *à ces questions solennelles de l'absence que ne peut éviter de se poser un cœur qui aime*, le Cœur du Christ qui aime sans mesure a répondu par la présence réelle, mais sous un voile ; le sacrifice réel et la communion véritable, mais sous un voile. ; le vrai sacerdoce, mais par un ministre validement ordonné à travers lequel c'est lui-même qui agit.
Donc sous un voile, comme il est normal pour la vie de Foi : vraie présence, vrai sacrifice, vrai pain du ciel, vraie communion, vrai sacerdoce : *Mysterium Fidei*. Ce sont là quelques-unes des convenances de l'amour d'un Dieu rédempteur. Le Seigneur Jésus ne les a pas éludées... *Cum dilexisset suos qui erant in mundo in finem dilexit eos* ([^67]).
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##### 4. -- Vérités incluses dans l'institution même de l'Eucharistie
Telle est donc la Foi catholique au sujet de la Messe. Pour sûr, le rite est accordé avec cette Foi, mais non pas d'un accord qui aurait été découvert après coup pour confirmer le dogme. L'accord entre la Foi et la pratique rituelle ne s'est pas fait en deux temps, comme si l'Église dans un premier temps eût défini l'essence de la Messe et, dans un second temps, à la suite de laborieuses et scientifiques recherches, eût fini par mettre au point un rite qui cadre exactement avec le dogme. C'est d'un même élan au contraire,
*Et d'une seule source et d'un seul portement*
que l'Église a cru au mystère de la Messe et a trouvé le cadre rituel le plus digne pour entourer, glorifier, présenter avec la plus belle transparence le sacrifice que son Époux lui a remis. Jamais d'hésitation. Un développement prompt et homogène du cadre rituel, (puisque la Messe romaine était pratiquement codifiée dès l'époque de saint Léon et saint Grégoire). Enfin la transmission pieuse et vénérante tout le long des siècles des rites qui, dès l'origine ; furent trouvés et adoptés selon une harmonie spontanée avec la Foi.
Pour la première fois le rite de la Messe, en ce qu'il a d'essentiel et sans être encore explicité, fut proposé à la croyance des Apôtres et confié à leur ministère le soir du Jeudi-Saint, lorsque le Seigneur accomplissant le miracle de la première transsubstantiation -- et d'une transsubstantiation séparée et sacrificielle -- changea le pain en son corps et le vin en son sang.
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Puis il rendit les Apôtres, et eux seuls, participants de ce pouvoir inouï, il leur conféra la dignité sacerdotale et ses Apôtres devinrent des prêtres. Or la Foi des saints Apôtres, premiers prêtres du Nouveau Testament, portait sur quatre points essentiels. Quatre vérités se trouvaient incluses nécessairement dans le rite, même non encore explicité, accompli par le Seigneur. Quatre vérités liées entre elles par une connexion infrangible : d'abord la Messe est un sacrifice propitiatoire, mais il est offert d'une manière non sanglante et sous les espèces du pain et du vin. -- Seconde vérité : présence réelle par transsubstantiation impliquée dans les paroles mêmes du sacrifice ; sans cela le sacrifice serait privé de réalité, le pain serait encore du pain, contrairement à la parole du Seigneur : *ceci est mon corps*. -- Troisième vérité : communion réelle, conformément à ce que dit le Seigneur : *prenez et mangez-en tous car ceci est mon corps*. -- Quatrième vérité : dignité du prêtre absolument à part ; c'est en effet aux Apôtres seuls et à leurs successeurs, ce n'est pas aux autres disciples, ni aux saintes femmes, ni à tous ceux qui croiraient en lui indistinctement, que le Seigneur a dit : *chaque fois que vous ferez ces choses vous les ferez en mémoire de moi*. -- En mémoire de moi signifie en vous souvenant de ce que j'ai fait, mais aussi du pouvoir que je vous ai donné de le faire ; -- en vous souvenant que je me suis livré à la mort pour vos péchés une fois pour toutes, mais aussi que, loin de vous retirer ce sacrifice définitif, je vous l'ai laissé sous forme de rite efficace, de sorte qu'il soit offert chaque jour, par chaque génération, jusqu'à mon retour glorieux.
##### 5. -- Excellence toute particulière du rite romain
Dès la première célébration par le Christ en personne, le rite de la Messe, avant d'être explicité, portait inclus en lui-même les quatre points majeurs de la Foi théologale que je viens de rappeler.
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Par la suite, et très rapidement, la célébration de la Messe par l'Église devait s'expliciter en conséquence, favoriser le rayonnement conjoint de ces quatre grands luminaires sans jamais les négliger, les séparer ou les isoler : vrai sacrifice, vraie présence, vraie communion, vrai sacerdoce. Et l'excellence des rites de la Messe romaine vient précisément de ce qu'ils rendent sensible, avec un rare équilibre, une transparence admirable, chacun des aspects du mystère eucharistique.
Les génuflexions, les agenouillements, les inclinations, les protestations de repentir, de dépendance et d'humilité s'accordent le moins mal possible au mystère de *la présence réelle.*
Par ailleurs, grâce à l'offertoire qui fait très explicitement mémoire de la Passion nous sommes avertis, dès le commencement de la Messe proprement dite, (ce qui précède n'étant que l'avant-Messe) que l'Église va faire *tout autre chose qu'un repas simplement commémoratif de la mort de Jésus et de la dernière Cène*. L'Église va rendre présent sur l'autel le sacrifice du Christ ; le Christ sera bientôt présent sous les apparences du pain et du vin comme réellement immolé : Voilà pourquoi l'Église apporte tant de soin à bien préciser, après avoir mais de côté le pain et le vin, qu'elle les réserve pour le sacrifice, qu'elle les offre déjà symboliquement en vue du saint sacrifice et de la communion. Dans cet offertoire il s'agit de tout autre chose que de remercier le Seigneur parce qu'il a fait fructifier les travaux des champs ; il s'agit de tout autre chose que de bénir la nourriture que Dieu donne, comme nous le faisons avant de nous mettre à table. Il s'agit d'offrir le pain et le vin en préparation de l'oblation que le Christ fera de son corps et de son sang quand il changera, par le ministère du prêtre, le pain en son corps et le vin en son sang. Dès l'offertoire, dès que nous découvrons le calice, dès que nous prenons en nos mains la patène chargée de l'hostie, dès que nous soulevons le couvercle du ciboire des petites hosties, nous tenons à marquer la destination sacramentelle du pain et du vin ; nous voulons nous disposer à ce que le Seigneur accomplira bientôt par notre ministère ; nous faisons le possible pour accorder notre offrande intérieure à l'offrande de nos mains ;
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nous voulons absolument, dès notre premier contact avec l'hostie et le calice, saisir et faire saisir la finalité sacramentelle de notre offrande et ne laisser aucune équivoque sur notre intention. C'est autre chose que la bénédiction d'un repas, serait-il plus religieux et plus solennel que d'habitude ; autre chose qu'une action de grâce pour les fruits de la terre et le labeur humain ; autre chose que la préparation à une commémoraison vide et inopérante de la dernière Cène. C'est une offrande dont le sens est unique : préparer le sacrifice du Christ qui sera offert en toute vérité par la double consécration ; préparer la communion qui sera réelle en vertu de la résidence en nous-même du corps du Christ sous l'apparence du pain ; préparer ces mystères sans nulle équivoque possible et nous y disposer intérieurement.
L'Église a établi très vite *le Canon* afin d'entourer le sacrifice, accompli par les paroles de la consécration, d'un ensemble de prières éminemment appropriées ; prières admirables par la dignité, l'universalité, le sens de l'oblation ; prières invariables parce qu'elles sont trop liées au rite suprême et invariable de la consécration pour n'être pas également invariables. Cette consécration elle-même l'Église la fait sans se lier à la lettre du texte de l'Écriture, parce qu'il ne s'agit pas précisément de lire l'Écriture mais de faire le sacrifice du Seigneur ; le faire évidemment dans la forme fixée par le Seigneur, mais cette forme n'a été consignée dans les Écritures qu'au terme de plusieurs années. Or avant cette rédaction officielle on célébrait déjà la Messe.
Paroles et gestes de l'offertoire et du Canon, formule de la consécration qui n'est pas *ad litteram* assujettie à l'Écriture, toutes ces explicitations de la Cène du Jeudi-Saint, l'Église les a trouvées comme sans les chercher dans la spontanéité de sa foi et de son amour d'Épouse. C'est encore la même ferveur de foi et d'amour qui lui a fait multiplier les témoignages d'humilité et d'adoration, découvrir tant d'expressions saisissantes de la crainte chaste et filiale, redire sous tant de formes et comme dans un gémissement inspiré par l'Esprit de Jésus : Père très clément, faites que notre sacrifice soit agréé. Il le sera évidemment puisqu'il est le seul sacrifice entièrement digne de votre sainteté ;
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le seul vraiment propitiatoire ; il est en effet le sacrifice de votre Fils en personne ; mais enfin c'est sur nous que doit retomber la rosée vivifiante du sang divin, nous qui risquons d'être aussi imperméables que la roche du Calvaire. Ne le permettez pas, quelle que soit notre indignité. Que le sacrifice de votre Fils que vous avez mis entre nos mains, -- entre nos mains débiles, entre nos mains impures, -- soit reçu par vous avec tant de bienveillance qu'il produise en nous tous ses effets. Que notre âme se prépare à être détrempée par votre grâce ; qu'elle devienne réceptive et se laisse doucement imprégner, de sorte que les semences de grâce y fructifient au centuple. Que notre sacrifice, Père très clément, vous soit agréable *en ce sens qu'il portera dans nos cœurs tous ses fruits*. -- Mais également qu'il vous soit agréable *en ce sens que notre pauvre offrande personnelle ne sera pas indigne d'être intégrée au sacrifice de votre Fils *; notre offrande à côté de la sienne ne sera pas dépareillée ; bien mieux elle se perdra dans son offrande parfaite comme la goutte d'eau dans le vin du calice.
Ceux qui reprochent à l'offertoire et au Canon romain d'avoir multiplié les *accepta habeas* n'ont pas bien compris que le sacrifice offert par l'Église n'est autre que celui du Christ lui-même. L'offrant avec amour, elle ne peut être que saisie d'une crainte chaste à la pensée qu'elle pourrait mettre obstacle, n'être pas suffisamment accordée au cœur de son Époux.
Le même amour qui fait multiplier les *accepta habeas* confère aux prières du Canon cette largeur, cette sollicitude et pour tout dire cette tendre catholicité que certains esprits -- par légèreté, par sécheresse, par goût du système, que sais-je encore ! -- tiennent pour une diversion ou un ornement superfétatoire. Comme si pouvait être superfétatoire l'intercession pour la hiérarchie ecclésiastique, pour les assistants et tous ceux qu'ils portent dans leur affection, pour le salut de leur âme et la santé de leur corps ; comme si pouvait être superflue la supplication pour la préservation du feu éternel ; pour la paix intérieure et une paix politique digne de ce nom ; comme si c'était une surcharge sans intérêt que le douloureux *memento* pour les serviteurs et les servantes de Dieu *qui nous ont précédés marqués du signe de la foi et qui dorment du sommeil de la paix*.
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Et je ne parle pas du recours aux saints de la loi de nature et de la loi écrite : Abel, Abraham, Melchisédech, qui offraient avec une âme pure des sacrifices figuratifs et qui saurant bien nous obtenir des dispositions très saintes pour offrir l'unique sacrifice véritable : *sanctum sacrificium, immaculatam hostiam*. Trouver superfétatoire et distrayante l'immense intercession de l'Église dans le Canon romain, prétendre la supprimer pour y substituer, juste après le Credo et avant l'offertoire, je ne sais quelle *prière universelle*, en général tendancieuse, unilatérale ou fantaisiste, c'est avoir oublié la portée du sacrifice sacramentel qui s'accomplit à la double consécration. Universel comme le sacrifice du Vendredi-Saint et d'une valeur réparatrice pareillement infinie, il touche directement et avec une force divine les vivants et les âmes du purgatoire -- les vivants pour les convertir, les garder, les purifier, les défunts pour les délivrer ; -- loin d'être sans répercussion sur le temporel il obtient du Père céleste que le temporel lui-même soit disposé par lui en vue de son Église et de notre vie spirituelle ; bref, pour reprendre les formules bien connues ([^68]) le sacrifice de la Messe est indivisiblement *latreutique et eucharistique* puisqu'il rend à Dieu une adoration et une action de grâce dignes de lui ; *propitiatoire*, puisqu'il satisfait pour nos péchés avec surabondance ; *impétratoire* puisqu'il intercède pour tous les biens spirituels et pour tous les biens temporels qui s'y trouvent reliés.
Après la consécration, dans la deuxième partie du Canon, la prière *Supplices te rogamus Omnipotens Deus*, sans oublier un instant le sacrifice, nous tourne plus directement vers la communion : *ut quotquot ex hac altaris participatione sacrosanctum Corpus et Sanguinem sumpserimus omni benedictione coelesti et gratia repleamur*. Pour achever de nous disposer à *communier dans la foi et dans la grâce, dans l'humilité et l'adoration*, à ce pain vivant qui est le Seigneur lui-même, nous récitons le *Pater, l'Agnus Dei*, nous nous frappons la poitrine par trois fois en répétant les paroles du Centurion. Enfin le prêtre dépose l'hostie sainte sur les lèvres du fidèle qui s'est mis à genoux.
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*Ainsi ordonné le rite de la communion est dans une convenance parfaite avec la Foi *: il s'agit bien d'un repas et d'une nourriture, mais c'est un repas mystique : cette nourriture est le pain céleste, Jésus-Christ, Fils de Dieu. Voilà pourquoi il est reçu à genoux, voilà pourquoi c'est au prêtre qu'il est réservé de le donner sauf des cas tout à fait exceptionnels ([^69]), car le prêtre a reçu du Souverain Prêtre, à l'égard du corps eucharistique, un pouvoir qu'il ne partage avec nul autre. Dans la communion, il s'agit bien d'une union avec nos frères, mais d'une union selon la grâce, qui dérive de l'union préalable à Jésus-Christ tête du Corps Mystique. Nous sommes infiniment loin d'une union de nature humanitaire ou politique. Nous sommes dans l'ordre de la grâce et, à l'intérieur de cet ordre, dans l'ordre suprême du Saint-Sacrement qui ne nous apporte la grâce, si toutefois nous vivons déjà de la vie divine, qu'à la suite de la résidence en nos cœurs de l'Auteur même de la grâce. Ce n'est plus comme en d'autres sacrements une purification ou une « confirmation », c'est une communion réelle et personnelle, parce que le Seigneur a commencé par établir sa résidence en nous-même. *Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et ego in eo* ([^70]).
##### 6. -- Raisons de refuser le nouvel Ordo
Si deux cardinaux et des prêtres de plus en plus nombreux, en attendant le tour des évêques successeurs des Apôtres, ont déclaré solennellement leur propos de s'en tenir à la Messe romaine de toujours, c'est à cause de la convenance de ses rites et de son formulaire avec le mystère de l'Eucharistie tel que le Seigneur l'a institué pour jamais : sacrifice réel, communion réelle, présence réelle, dignité spéciale du prêtre.
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Le refus du *Nouvel Ordo* est tout à fait autre chose qu'une opposition à des rubriques nouvelles ; c'est le refus d'un rite qui dissout le mystère de la Messe, qui, par ses équivoques, favorise l'abolition du sacrement de l'autel. -- « Vous faites beaucoup de train pour un offertoire » me disait un confrère. Mais une telle remarque passe à côté de l'objet, car il s'agit de beaucoup plus que de la suppression de l'offertoire, laquelle est déjà une transformation sans précédent. Il s'agit de transformations multiples et tellement profondes qu'elles tendent à ruiner la substance de la Messe. En effet il n'est plus de langage fixe et assuré même pour le Canon, puisque l'on rend quasi-obligatoires les langues nationales ou régionales ; de plus le sens du sacrifice s'affaiblit graduellement, moins encore parce que l'on supprime l'offertoire, ce qui est déjà très grave, que parce que l'on fait prévaloir (si pratiquement on ne l'impose pas) une prière eucharistique ultrarapide et peu consistante. ? Ajoutez à cela que le célébrant ne fait plus que très rarement la génuflexion ou supprime tout à fait cette marque d'adoration ; de plus on oblige souvent les fidèles à communier debout, dans la main, et après avoir rendu le recueillement impossible ; l'habitude s'introduit même de confier le ciboire de la communion à des laïcs et à des femmes.
Le vice radical du *nouvel Ordo* c'est d'avoir introduit dans la célébration de la Messe le système de rites ad libitum, de formulaires *ad libitum* et souvent imprécis qui autorisent, sous la garantie de la légalité, aussi bien la Messe véritable que le « mémorial » hérétique. A cette *Messe polyvalente*, comme dit si justement le *Courrier de Rome*, nous ne cesserons d'opposer un refus respectueux mais irréductible. -- Le *nouvel Ordo* est un *Ordo à tiroirs*. Par suite il arrive cette chose vraiment monstrueuse que le prêtre catholique et le prêtre moderniste sont également justifiés dans leur célébration. Tel prêtre orthodoxe et même pieux, en poussant un des tiroirs des lectures, des prières universelles, des « prières eucharistiques » et du rite de la communion réussit, tant bien que mal, à se composer une Messe à peu près convenable et certainement valide.
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A l'opposé, il suffira au prêtre moderniste, ne croyant pas plus à la présence réelle qu'à la réalité du sacrifice eucharistique et à la dignité spéciale du prêtre, de pousser un autre tiroir pour se composer sans difficulté une Messe en accord avec son hérésie ; ne croyant pas à la présence réelle il donnera la communion dans la main ou la fera distribuer par une fille ; ne croyant pas au Saint-Sacrifice il se servira du mini-canon ; il fera de la consécration une simple lecture du texte sacré, puis, tenant compte des « urgences pastorales », conformément à l'esprit du *nouvel Ordo*, il encadrera la pseudo-consécration d'invocations tendancieuses, comme auparavant il avait multiplié les demandes suspectes dans une prière universelle de son cru. Le prêtre moderniste agira de cette façon sans que vous puissiez lui adresser de reproches graves car le propre de la nouvelle Messe est d'avoir disposé des tiroirs tout à la fois pour le prêtre moderniste et le prêtre fidèle, il suffit de pousser. Quiconque dans un couvent supporte d'assister, en plus de la Messe concélébrée, aux Messes privées célébrées encore par différents Pères, peut constater la vérité de ce que j'avance. Mais du reste on le constate dans les paroisses qui ont un clergé nombreux et non encore totalement « conditionné » par le modernisme. Par la diversité des tiroirs le *nouvel Ordo* est arrangeant pour le moderniste comme pour le catholique. En quoi il est déjà très gravement équivoque. Mais il faut dire plus. Il faut dire et d'abord il faut voir qu'il est plus arrangeant pour le moderniste que pour le catholique. Le prêtre fidèle et le prêtre hérétique ne sont même pas également favorisés, ce qui déjà serait intolérable. Le prêtre fidèle est sournoisement contrecarré, car le nouvel Ordo, dans son esprit comme dans sa lettre, soumet le prêtre aux « options » de l'assemblée ; or tout le monde voit comment, dans une période d'anarchie, les hérétiques ont beau jeu pour extorquer de l'assemblée du peuple de Dieu des vœux et des motions hérétiques. Aussi bien, des prêtres fidèles qui ont cédé sur le *nouvel Ordo* en sont réduits à faire varier rites et formulaires d'après les caprices et l'importance numérique de l'assemblée.
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Le mini-canon, les prières universelles extravagantes, la distribution de l'hostie dans la main qu'ils n'admettent pas devant un petit groupe fidèle, ils s'y résignent devant une assistance plus nombreuse ; ils se résignent même alors à bien d'autres manipulations qui, en elles-mêmes, favorisent l'hérésie protestante et moderniste.
Comme si tout cela ne suffisait pas à rendre essentiellement équivoque le *nouvel Ordo* les traductions des textes sont faites selon le principe non de la conformité aux textes mais de la primauté des « urgences pastorales ». C'est une imposture de parler encore de traduction, On en viendra obligatoirement si ce n'est déjà fait, à fausser le texte de l'Écriture et à utiliser des formulaires qui rendent la Messe invalide. C'est parce que les équivoques du *nouvel Ordo* ont cette gravité que nous gardons la Messe romaine de toujours. Les rites et les formulaires de cette Messe, trouvés dès les premiers siècles, sont merveilleusement adaptés (*et sans glissement possible*) au mystère de l'Eucharistie tel que le Seigneur l'a fait, tel qu'il le gardera certainement dans son Église jusqu'à la Parousie : vrai sacrifice, vraie communion, présence vraie, substantielle, personnelle, vrai sacerdoce. Quelles que soient au-dedans de l'Église certaines faiblesses de l'autorité, quelles que soient, au dehors, les persécutions des ennemis, la Vierge Mère de Dieu obtiendra à l'Église catholique, la seule Église vraie, de garder la vraie Messe jusqu'à la fin.
> *Vous portâtes, digne Vierge, Princesse,*
>
> *Jésus régnant qui n'a ni fin ni cesse...*
>
> *Vierge portant sans rompure encourir*
>
> *Le sacrement qu'on célèbre à la Messe*
>
> *En cette foi je veux vivre et mourir* ([^71]).
R.-Th. Calmel, o. p.
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### Réapprendre le latin
AVIS : ceux qui ont *oublié* le latin, l'ayant *peu appris,* ou *mal appris,* ou longtemps cessé de le *pratiquer,* peuvent le réapprendre *facilement,* s'ils le veulent. ([^72])
Même des prêtres en grand nombre sont dans ce cas. Au séminaire le latin a été négligé ou saboté. Par la suite, ils se sont dispensés ou on les a dispensés du Bréviaire ; ou ils ont eu un Bréviaire moderne en langue vernaculaire. Depuis des années, ils pratiquent une liturgie vernac.
Et maintenant, parce qu'ils sont prêtres, et qu'ils veulent rester des prêtres catholiques, au milieu et à contre-courant de la décomposition générale, ils constatent expérimentalement combien le latin leur manque.
Ils constatent que, sans le latin, ils deviennent *des intrus et des profanes dans le domaine de l'expression religieuse.*
Le latin leur manque pour *revenir* au MISSEL ROMAIN : au moment où ils sentent la nécessité impérieuse d'un tel retour. Ils n'osent pas toujours avouer ni même regarder en face la paralysie où les tient leur ignorance. En quoi ils ont tort. Qu'ils reconnaissent avec simplicité : -- *Je sais que je ne sais pas.* C'est le début de toute connaissance.
Qu'ils ne s'imaginent pas condamnés à des années d'études, dont ils n'ont pas le temps, ni peut-être le courage.
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Il existe une méthode *simple et facile,* et *adaptée* à leur situation, quelques minutes chaque jour, pour réapprendre *le latin de la Vulgate et de l'Église.*
\*\*\*
A vrai dire, bien entendu, il existe plusieurs méthodes.
Nous indiquons ici les grandes lignes d'une méthode parmi d'autres.
Ce qu'il faut en saisir, c'est le principe.
Chacun, prêtre ou laïc, l'appliquera sans peine à son cas particulier.
\*\*\*
Il suffit de faire, chaque jour, *deux* lectures de l'évangile du jour.
1\. -- Première lecture : verset par verset :
*a*) en cherchant d'abord, sans regarder la traduction, à en comprendre le sens ;
*b*) en allant ensuite le découvrir, le compléter ou le vérifier dans la traduction ;
*c*) en arrêtant son attention aux mots que l'on ne connaissait pas ou aux expressions que l'on n'avait pas comprises.
2\. -- Seconde lecture : le texte latin ayant été bien compris verset après verset, le *relire tout entier à haute voix* (ou à mi-voix), non pas seulement de bouche, mais en fixant son attention sur la signification.
Naturellement, cet exercice n'exclut pas, mais propose une méditation quotidienne de l'évangile du jour. On fera cette méditation sur les expressions latines de l'évangile, une fois qu'elles auront été bien comprises (et leur signification bien vérifiée dans la traduction).
\*\*\*
183:146
*Parenthèse sur la lecture à haute voix. --* Il est bon, en même temps, de prendre l'habitude d'une prononciation correcte.
C'est-à-dire :
A. -- De marquer les accents (ils sont très soigneusement indiqués dans tous les textes latins des anciens missels).
B. -- De prononcer « à l'italienne ». Le latin étant *la langue vivante de l'Église,* il faut exclure les prononciations « à la française », « à l'allemande », « à l'anglaise », etc., qui aboutissent à une diversité de prononciations inintelligibles les unes aux autres. Il faut exclure également la prononciation dite « restituée » (*Kikero* pour *Cicero*)*,* parce qu'elle est artificielle, éventuellement contestable, et *sans référence vivante* à une langue actuellement parlée. Il faut se régler sur la prononciation *réellement pratiquée aujourd'hui à Rome,* c'est-à-dire sur la langue vivante de l'Église romaine (*Tchitchéro* pour *Cicero*)*.*
\*\*\*
A mesure que cette pratique quotidienne procurera une certaine aisance dans la compréhension du latin -- ou bien dès le début, les jours où l'on disposera de plus de temps -- on pourra y ajouter, selon la même méthode de la double lecture, l'introït, le graduel, l'épître, les oraisons de la messe du jour.
Il est bien entendu que ces exercices doivent être faits non point pendant la messe, mais en dehors (et de préférence avant, soit le matin, soit la veille au soir).
D'ailleurs, en beaucoup d'endroits on a adopté (ou on subit) le « nouveau calendrier », avec de nouveaux textes. Il n'y a donc aucune occurrence avec la messe du jour dans les anciens missels.
\*\*\*
184:146
Il est utile d'*apprendre par cœur* quelques textes latins.
Par exemple des psaumes.
Des psaumes courts comme le *De profundis* (psaume 129). Des psaumes de bonne longueur comme les psaumes de la pénitence, et en premier lieu le *Miserere mei* (psaume 50).
Pour apprendre un psaume par cœur, il suffit de le réciter chaque jour (livre fermé) jusqu'à l'endroit où on ne le sait plus, et de lire la suite à haute voix.
Mais toujours en portant son attention sur la signification, et en s'arrêtant pour la retrouver chaque fois qu'elle échappe.
\*\*\*
Vous découvrirez que le latin d'Église, spécialement le latin liturgique, est presque toujours une langue accessible et facile, à la seule condition de la pratiquer, *quelques minutes chaque jour.*
Les encycliques pontificales sont souvent d'une langue beaucoup plus difficile. Le Secrétariat aux lettres latines, composé d' « humanistes » distingués et savants, y emploie trop souvent une syntaxe et un vocabulaire « cicéroniens » ; ce sont d'admirables thèmes latins, mais artificiels et compliqués. La langue vivante de l'Église est d'abord celle de la Vulgate et de la liturgie romaine : véritable *langue maternelle* pour les peuples latins. A tous ceux qui ont appris un rudiment de latin, même s'il est passablement oublié, il est *simple et facile* de devenir ou redevenir *rapidement* capables de comprendre d'une manière courante le latin d'Église.
Il suffit de le remettre dans sa prière de chaque jour.
Jean Madiran.
185:146
### Comment apprendre le latin aux enfants
par l'abbé V.-A. Berto
L'abbé Berto apprenait le latin liturgique aux pauvres, aux plus déshérités, aux moins instruits des enfants de France. Comment faisait-il ? Il l'a dit au cours de sa grande étude : « Le latin dans la liturgie », parue en 1956 et en 1957 dans plusieurs numéros successifs de *La Pensée catholique,* que nous remercions d'avoir bien voulu nous autoriser à reproduire les extraits que voici :
NOUS NE SOMMES PAS ALLÉ en Avignon, nous n'avons pas assisté au « Congrès du latin vivant ».
Si nos occupations nous eussent permis le loisir d'assister au Congrès, et qu'on nous eût fait l'honneur de nous y donner la parole, nous eussions ainsi commencé :
« *Clarissimi auditores et auditrices reverendissimae... *» et nous ne serions pas allé plus loin, arrêté sur-le-champ par les « *Heus tu ! *» et les « *Proh pudor ! *» qui eussent jailli de tous les points de la salle.
Car *auditrix* n'est pas dans Cicéron et *reverendissimus* encore moins.
Or le Congrès semble avoir été captivé par ce que nous avons appelé une chimère, l'espérance absolument vaine de vouloir rendre vivant au XX^e^ siècle le latin de Cicéron, lequel n'était pas le latin vivant au temps même de Cicéron.
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« *Etsi vereor, iudices, ne turpe sit pro fortissimo viro dicere incipientem timere... *» Mettons en fait que du bon peuple qui écoutait le *Pro Milone*, les quatre cinquièmes au moins ont perdu le fil à *timere,* n'étant pas plus capables de suivre à l'audition cette phrase savamment construite que nos meilleurs élèves d'aujourd'hui ne le sont de la boire comme de l'eau, après cinq ou six ans de latin, et pas plus que l'homme de la rue n'est capable d'attraper au vol telle période de Chateaubriand qu'on lui déclamerait *ex abrupto.*
*-- *Mais le discours qui nous a été conservé a été récrit par Cicéron !
-- A merveille, c'est apporter de l'eau à notre moulin. Le discours récrit est un *fignolage* d'artiste, fait pour être admiré d'autres artistes. Latin vivant si l'on veut, mais qui ne l'était que grâce au support du latin courant, lequel n'était pas à beaucoup près ni si raffiné, ni même si correct. Aucune langue littéraire n'est vivante par elle-même, elle ne l'est que par la langue triviale dont elle est la fleur.
L'incorrect soutient dans l'être le correct, comme la « masse » soutient l'élite. La foule qui parle mal et qui ne peut pas ne pas parler mal comprend l'élite qui parle bien (et encore pourvu que l'élite ne raffine pas trop). Une langue correcte ne sera jamais que le privilège d'une élite insuffisante à la faire vivre, et par conséquent si l'on veut qu'une langue soit vivante, il faut faire bon marché de la correction, à plus forte raison d'une correction étroitement mesurée sur la grammaire et le style d'un quarteron d'auteurs, fussent-ils des Cicéron et des Virgile.
Les professeurs qui nous lisent lèvent sans doute les bras au ciel. Eh ! que font-ils d'autre tous les jours, pour enseigner la langue maternelle, que ce que nous disons qu'il faut faire hardiment pour le latin ?
C'est en s'appuyant sur la langue incorrecte que parlent leurs élèves qu'ils leur apprennent la grammaire. Ils enseignent la correction du français à des élèves qui savent le français, et qui l'ont appris d'abord un peu partout ailleurs qu'à l'école. Heureux professeurs de français qui tablent sur une langue incorrecte non pas, bien sûr, en tant qu'elle est incorrecte, mais quoiqu'elle le soit.
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Qu'ils plaignent donc leurs collègues de latin, qu'une erreur fondamentale de méthode oblige à enseigner la correction de la langue, ce qui a pour inévitable résultat que leurs élèves ne savent jamais le latin.
Nous disons *jamais.* Car c'est une dérision de dire qu'un élève sait le latin parce qu'il est capable, à seize ou dix-sept ans, après cinq ans d'apprentissage quotidien, en trois heures et avec un dictionnaire, de traduire vingt lignes de Tite-Live ou quatre strophes des Épodes.
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Nous avons fait ce qu'on est convenu d'appeler de fortes études, des études ferventes, à la Péguy, dans un petit lycée où rien n'avait bougé depuis le Consulat, où tout était sérieux, austère et même quasi-militaire ; dans un petit lycée où nos professeurs, à une exception près en treize ans, étaient des hommes d'une probité, d'une conscience, d'une application, d'un zèle à nous instruire, d'un soin à orner notre esprit, d'une délicatesse à former notre goût, auxquels nous croyons bien devoir le premier éveil en nous du beau sentiment de l'admiration.
Nos professeurs ne nous ont pas appris le latin.
A leurs propres yeux, le latin était une langue morte, que leur office était de nous faire étudier comme telle, c'est-à-dire comme un objet d'art, fait pour être considéré, tourné, retourné, caressé, nullement pour être employé, et à la fois comme un exercice merveilleusement précieux et fécond d'alacrité intellectuelle.
Le beau de la chose, c'est que la question que nous aurions pu poser nous ne songions pas à la poser. Nous trouvions naturel et nécessaire que le latin et l'anglais on l'allemand nous fussent enseignés selon des méthodes si diverses ; nous aurions trouvé indécent et impie qu'on nous ordonnât en latin de nous asseoir ou de prendre nos livres. La dignité du latin interdisait de le parler ; nous étions gagnés à la religion du latin langue morte.
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Quels étaient pourtant les résultats de ces méthodes opposées ? Nous avions parlé anglais dès la sixième, un anglais affreux d'abord, tant pis, on avançait tout de même, en dépit de la correction, mais non en dépit du bon sens, car c'était le bon sens même, et en première nous étions capables beaucoup mieux que de faire le marché en anglais : de goûter la beauté propre de la poésie anglaise, la rudesse de Burns, l'ampleur de Byron... Ainsi le résultat qu'on s'était proposé n'était pas atteint : l'anglais était censé nous être enseigné comme langue vivante, pour l'usage, et nous étions loin de compte ; pour l'usage d'une langue il faut plus de pratique qu'un élève n'en peut avoir au lycée ou au collège, mais un résultat qu'on ne s'était pas proposé était obtenu : nous savions assez de la langue pour sentir le charme original de la littérature, notamment poétique.
Or en latin c'était juste le contraire ; le système défaillait en cela même où il était censé devoir sortir son effet. A la vérité, de la « valeur d'aiguisement » de la discipline du latin langue morte (nous en dirions autant du grec), oui, nous avions profité. Mais la « valeur de beauté » nous échappait, et si quelques-uns d'entre nous en ont joui, ç'a été ceux-là seulement qui ont fait carrière des lettres classiques.
Un enseignement où tout est donné dès le principe à la grammaire, à la correction dans le thème, à l'exactitude et à l'élégance de la version, laisse ignorer presque tout de la langue. Pas plus maintenant qu'autrefois, le meilleur élève de première ne se hasarderait à entrer sans dictionnaire, au baccalauréat, dans la salle où il doit opérer sa version latine ; et vingt lignes de Cicéron, quinze de Virgile lui demandent encore trois heures. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas rompu au génie de la langue. Et pourquoi n'est-il pas rompu au génie de la langue ? Parce que non seulement il ne l'a jamais parlée, fût-ce à la diable, mais qu'il n'a pas lu de latin la centième partie de ce qu'il a lu d'anglais ou d'allemand.
Nous avions appris l'anglais un peu comme nous avions appris le français (et, en ce qui nous concerne, le breton) : par l'usage tel quel de la langue ; le latin et le grec, par la grammaire, le thème, la version, en vertu du préjugé, a priori invraisemblable, et un million de fois démenti par les faits, qu'une langue « morte » -- le fût-elle vraiment, alors que ni le latin ni le grec ne le sont -- n'a besoin d'être connue que comme pure ordonnance formelle des éléments de la phrase pour que ses beautés propres soient accessibles. La religion du latin langue morte fait évanouir l'idole qu'elle veut faire adorer.
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L'éminent professeur de la Faculté de Rennes, M. Marache constate que 80 % des candidats au baccalauréat confondent encore *vires* et *viros*. Il demande que ça change ; certainement ! Si nous le comprenons bien, il espère que « ça changera » par un retour au thème, trop négligé, selon lui, au profit de la version. S'il ne s'agit que d'obtenir de 80 % des candidats qu'ils ne confondent plus *viros* et *vires,* le remède peut suffire. S'il s'agit de passer de la stérile religion du latin langue morte au culte fécond du latin vivant, il faut autre chose !
Nos lecteurs doivent penser que nous réclamons l'emploi pour l'enseignement du latin de la « méthode directe ». Non, nous y mettons plus de nuances.
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Nous dirons ce que nous faisons aujourd'hui.
De notre métier, ou plutôt en vertu du ministère qui nous est confié par l'évêque dont nous sommes le sujet, nous sommes ce que le chanoine Timon-David appelait admirablement « un père de jeunesse ».
Les enfants privés de famille que nous élevons au Foyer Notre-Dame de Joie sont constitués en Manécanterie grégorienne, sous l'invocation de saint Pie X.
Ils nous arrivent à tout âge, et c'est la rentrée toute l'année ; dès leur arrivée, on les met au latin, qu'ils aient treize ou neuf ans, sans s'occuper de savoir s'ils ont assez de grammaire française pour analyser, l'analyse étant ici le dernier de nos soucis. De la méthode « indirecte » nous retenons les paradigmes, c'est sec, c'est austère, mais l'effort est nécessaire à toutes choses, et nous ne croyons guère plus au « latin sans larmes » qu'à l' « arithmétique en riant ».
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Donc, déclinaisons et conjugaisons, sans miséricorde, et sur le bout des doigts comme le *Pater.*
Avec ce bagage, en route.
Mais non vers le *Pro Archia* ou *Conticuere omnes*. Nos enfants nous quittent à quinze ans au plus tard, presque tous à quatorze ans. Ce sont des « manuels » d'origine, d'aptitudes et, à de très rares exceptions près, de goûts. Ce sont surtout des spontanés et des intuitifs ; on peut en faire des contemplatifs, on n'en fera pas des réflexes ; on peut leur apprendre à construire un syllogisme, on ne leur apprendra pas la grammaire. Et la vie est là qui les guette et les happe, qui en fait des ajusteurs, des tourneurs, des menuisiers, des horticulteurs, des peintres, des typos. A l'âge où les bacheliers sortent du collège, il y a beau temps que nos enfants gagnent leur pain. Nous nous consolons aisément de leur voir en mains la lime ou le tranchoir plutôt que la « Grammaire latine simple et complète » avec les « Exercices » adéquats.
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En latin, comme dans toutes les langues civilisées, il y a deux littératures, ou plus précisément deux types, deux ordres, selon nous très inégaux, de beauté littéraire, l'un accessible à qui connaît la langue courante, l'autre accessible aux seuls raffinés.
Un enfant de treize ans, convenablement préparé, peut sentir, nous en sommes bon témoin, la grandeur simple de Bossuet, admirer cet art toujours sincère qui se déploie pour faire valoir le sujet et non pour se faire valoir soi-même. Oui, qu'on nous donne un enfant de treize ans qui ne soit point un sot, nous nous chargeons de le faire frémir, non seulement de pitié pour Henriette d'Angleterre, mais d'admiration pour l'orateur : « Quoi donc ! Elle devait périr si tôt ! » et le reste. Un enfant de treize ans sent ici la beauté et la sent jusqu'à l'enthousiasme, jusqu'au transport. Mais Mallarmé ! Mais Valéry ! Mais toutes ces « écritures artistes » ! Artistes tant qu'on voudra, nous en faisons bon marché.
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Or il se trouve qu'*en latin,* la littérature *non savante* est la littérature *chrétienne.*
On pourrait excepter Plaute, mais Plaute n'est pas beau, il est trivial, il écrit moins le latin que l'argot du latin, il pue la crapule ; souvent étourdi de sa propre verve, ivre de son débraillé.
Tertullien, Cyprien, Hilaire, Ambroise, Augustin, Léon, Grégoire n'usent d'aucun raffinement de syntaxe, d'aucune architecture. L'antithèse est leur seule figure de rhétorique, l'assonance leur seule figure verbale, on y est fait en huit jours et -- ce qui était d'ailleurs le propos de ces hommes qui parlaient pour être compris -- ces procédés ne contrarient pas mais facilitent l'intelligence de leurs ouvrages. «* Imitari non pigeat, quod celebrare delectat *» dit Augustin ; et Ambroise : «* Qui contempserit saecularia, ipse merebitur sempiterna *». Déjà Cyprien : «* Quanto plus copiosa virginitas numero suo addit, tanto plus gaudium Matris augescit *». On citerait mille textes et dix mille, qui n'offrent aucune difficulté grammaticale, qui ne sont pas littérairement moins beaux que les Catilinaires ou les Décades, et qui sont en outre chargés d'une valeur spirituelle unique.
Avec les déclinaisons et les conjugaisons, on peut aborder les Pères, les Hymnes, les Préfaces, le Canon de la Messe.
Non seulement cela n'empêchera pas ceux qui poussent jusqu'au baccalauréat d'étudier Virgile et Tacite, mais cela seul rendra vivante et savoureuse la lecture de Virgile et de Tacite.
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Du reste, ce n'est pas des collégiens que nous nous occupons en ce moment : il s'agit des enfants du peuple, et de les introduire au latin liturgique.
Nous ne le redirons jamais assez, adapter la liturgie au peuple, c'est abaisser la liturgie sans élever le peuple ; adapter le peuple à la liturgie, c'est élever le peuple sans ravaler la liturgie.
Notre choix est fait.
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Appliqué depuis plus d'un quart de siècle à l'éducation des plus déshérités, parmi les enfants de ce peuple misérable, abominablement spolié par le laïcisme des richesses que lui offre l'Église à laquelle il appartient encore presque tout entier par le baptême, quoique presque tout entier cruellement éloigné d'elle dans sa vie, non certes, nous ne voulons pas d'une religion de mandarins ; non, nous ne voulons pas d'une religion pour classes sociales supérieures ; non, nous ne voulons pas d'une religion d'esthètes et de raffinés. Mais nous nions de toutes nos forces que la liturgie en latin soit un obstacle à la participation du peuple chrétien au culte chrétien. Justement parce que nous aimons le peuple, parce que nous ne respirons que pour son service, nous ne consentons pas qu'il soit dépouillé d'une once de son héritage. Il a droit à l'or pur, nous n'acceptons pas qu'on lui *refile* de la pacotille. Qu'on ne lui ferme pas la porte, qu'on la lui ouvre grande, qu'il ait libre accès à la millénaire beauté des paroles et des chants liturgiques latins. Nous ne sommes pas un démagogue, nous ne sommes pas un révolutionnaire, nous confessons qu'il faut des élites, qu'il faut des inégalités. Que les grands classiques païens soient pour l'élite, soit, peu nous chaut ; mais au peuple, à tout le peuple, la liturgie dans toute sa souveraine splendeur.
Et nous affirmons, pour en avoir fait et en faire chaque jour l'expérience, que cela peut se faire aisément.
Il suffit de ne pas viser plus haut que le but, ni à côté, de ne pas traiter des enfants qui n'ont devant eux que deux ans d'école avant l'apprentissage comme s'ils en avaient cinq ou six, d'aller droit à la pratique non exactement du latin langue vivante, mais du latin langue sacrée, de laisser les enfants se débrouiller entre les pari et imparissyllabiques, et tant pis s'ils ne se débrouillent pas ; ils peuvent très bien COMPRENDRE «* Patre *» comme un ablatif sans SAVOIR RÉFLEXIVEMENT que «* Patre *» est un ablatif, ce qui a son intérêt, mais d'un autre ordre ; bref, de ne pas tenir au latin correct, encore moins à l'analyse des formes.
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Plus d'un petit Romain du siècle d'Auguste a commencé par dire *vido matram* ou *legeo librem*, et c'est ensuite qu'il s'est accoutumé à dire *video matrem* et *lego librum*, encore s'y est-il accoutumé PAR LA PRATIQUE ET NON PAR LA GRAMMAIRE, comme les petits Français d'aujourd'hui disent d'abord *mes œils* ou *le dredon ;* de ces barbarismes ou solécismes, nous en entendons tous les jours sans sourciller, cela passe tout seul, et ENCORE PAR LA PRATIQUE.
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Et puis il y a le chant.
Nous sortirions de notre sujet en étudiant le chant grégorien en lui-même, mais enfin il est certain, expérimentalement certain, que le latin chanté se fixe plus aisément dans la mémoire que le latin lu, même à haute voix.
Que l'on fasse donc chanter les enfants, ils ne demandent que cela ; tout enfant chrétien aime connaturellement la louange liturgique. Il faut prendre garde seulement que la polyphonie ne dévore le grégorien. Il est abusif d'appeler Manécanteries des groupes d'enfants qui se font entendre trois ou quatre fois par an dans des motets qu'on a mis deux mois à leur apprendre. Honnêtement, une Manécanterie est un groupe d'enfants auquel il est confié de manière *habituelle,* dans une église *déterminée,* l'office du chant sacré. Et le chant sacré HABITUEL, c'est seulement, pour toutes sortes de raisons, le chant grégorien.
Du point de vue où nous nous plaçons en ce moment, seul aussi le chant grégorien permet une pratique véritable du latin, seul il met le latin dans l'oreille en même temps que dans l'âme, seul il opère lentement, mais profondément, l'imprégnation latine. C'est une de ces causalités réciproques dont le monde est plein : la célébration liturgique fait pratiquer le latin, la pratique du latin rend plus chère la célébration liturgique. Les enfants ont la dévotion courte, certainement ; nous voyons néanmoins les nôtres préférer la grand'messe à la messe basse, parce qu'ils y sont nécessaires ; à la messe basse, ils sentent qu'on pourrait se passer d'eux, et ils n'aiment pas ça.
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Ce que nous appelons de nos vœux, c'est dans toutes nos écoles chrétiennes une initiation au latin, telle que nous l'avons décrite, et une manécanterie.
Nous ne nous faisons pas d'illusion, et nous savons que nos garçons auront toujours besoin d'une traduction : un vocabulaire assez riche pour qu'ils puissent s'en passer, ce n'est pas en deux ou trois ans qu'ils peuvent l'acquérir.
Mais c'est autre chose de ne *rien comprendre au latin*, -- autre chose de *se reconnaître dans le latin avec le secours d'une traduction*, ce qui est le but que nous nous proposons, et qui constitue déjà, par rapport à l'ignorance pure et simple du latin, un bienfait incomparable.
V.-A. Berto.
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### Comment apprendre le grégorien
par Henri Charlier
POUR DONNER une oreille juste aux enfants il faut simplement qu'ils puissent s'en donner la peine, c'est-à-dire contrôler eux-mêmes la justesse, et il est indispensable pour cela de supprimer l'harmonium. Car avec cet outil les enfants tomberont toujours à peu près juste, mais ne se formeront pas l'oreille ; ils ne feront pas l'effort de discernement nécessaire. Voici comment il faut procéder.
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Sur un grand papier fixé à une planchette légère qu'on accroche pour la leçon de chant, on trace une portée comme ci-dessus. Le *la* du diapason est marqué ainsi que la place des ½ tons. Pourquoi la clef de sol ? Parce qu'il est plus facile de n'avoir qu'une clef à apprendre, et il existe des éditions grégoriennes en clef de sol. Comme nous avons tout essayé, nous estimons qu'il y a un grand gain de temps à agir ainsi.
On a un sifflet (diapason) donnant le *la* on le garde à la bouche et on part du *la* Les enfants descendent, remontent, montent, redescendent. Quand on arrive au la on donne un coup de sifflet. C'est juste ou non ; mais les enfants le constatent très bien et on recommence.
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Ils font ainsi pour chanter juste un effort dont les effets sont très rapides. Il y a des enfants qui chantent juste du premier coup. Il y a un petit nombre (5 % environ) qui sont vraiment incapables de chanter juste. Tous les autres y arrivent et leur oreille se forme très bien... provisoirement. Les mauvaises habitudes, la paresse, l'absence de bons maîtres produisent ici les mêmes effets qu'en toute chose.
Les enfants donnent en chantant le nom de la note mais il faut aussi les faire vocaliser sur *a* et aussi sur les autres voyelles, dès qu'ils sont un peu exercés. En général nous nous arrêtions au *ré* d'en bas. Les voix non exercées ne montent guère plus haut que le *ré* d'en haut ; et si une foule doit chanter, ou répondre ou répéter un membre de phrase comme *Kyrie eleison*, il est bon de le savoir, sinon les gens se tairont faute de pouvoir monter, ou bien ils hurleront.
Mais les enfants acquerront petit à petit par l'exercice une, deux, trois notes et même plus.
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Voici maintenant quels exercices il convient de faire ; ils se réduisent à apprendre avec justesse les différents intervalles. Le même tableau ci-dessus dessiné, sans livres, sans copies, suffit pour tous les exercices. Il suffit qu'il soit assez grand et les notes assez grosses pour être vu de tous ; assez léger aussi pour être très facilement déplacé. Avec une longue baguette et le diapason à la bouche, le maître indique les notes à chanter, secondes, tierces, etc.
On siffle au *la* et on recommence si ce n'est pas juste. La justesse est atteinte très rapidement. On passe ensuite aux tierces, puis aux quartes quand les enfants savent chanter correctement les tierces.
A mesure des progrès on passera aux quintes, aux sixtes, aux septièmes, à l'octave. Il est très important d'éviter la gamme de do, car les enfants ne s'habitueront jamais trop tôt aux *modes* de la musique grégorienne, ce pourquoi il suffit de faire les exercices tels que nous les indiquons.
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Dès que les enfants savent chanter les tierces, on peut leur faire déchiffrer des chants très simples dans l'ordinaire de la messe, ou même avec la baguette, sur le tableau, des chants populaires qu'ils ont plaisir à reconnaître comme *La tour prends garde* ou *Au clair de la lune*. C'est une distraction lors de commencements toujours arides.
Enfin, puisque les enfants sont entraînés à chanter juste sans accompagnement, on peut leur faire *serrer* les *demi-tons,* sans rien dire ; il suffit simplement de porter leur attention sur leur caractère. Instinctivement les enfants les feront *courts*, ce qui est d'un excellent effet car le caractère des modes en ressort mieux. Les anciens et les hommes du haut Moyen Age chantaient ainsi. C'est la gamme dite pythagoricienne. Dans un art simplement mélodique l'instinct y pousse et c'est là certainement un élément de beauté. Et si d'autre part on est obligé de donner la note à l'ensemble des fidèles, il est bon d'avoir un groupe exercé simplement mais finement, capable de chanter un graduel et un alleluia avec cette délicatesse. Sans accompagnement le résultat est une impression de pureté.
Ces exercices dureront plus ou moins longtemps, mais même lorsque les enfants sauront très bien déchiffrer et chanter, toutes les leçons de chant devront débuter par un exercice de ce genre, plus ou moins difficile, jusqu'aux arpèges, toujours avec le sifflet pour qu'ils contrôlent eux-mêmes la justesse. La souplesse des voix s'acquiert par les vocalises, on peut y consacrer cinq ou dix minutes au début de la leçon. Il arrive que l'humidité de l'air, la température obligent à s'exercer plus longtemps pour obtenir la parfaite justesse d'un chœur. Il est utile de vocaliser aussi sur chaque voyelle.
##### Étude des chants
Tout ce qui précède a trait à la formation des voix pour obtenir une véritable musicalité grégorienne quelle que soit la manière dont on procède ensuite pour faire participer les enfants aux offices.
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Il y a deux méthodes, le *déchiffrage* ou le *serinage*. La première est plus lente, car les enfants (et adolescents) retiennent très facilement une mélodie qu'on leur joue sur un instrument. Mais alors ils ne chanteront à peu près juste et correctement qu'avec un accompagnement bruyant et généralement improvisé et sans qualité. Non seulement sans qualité, mais innocemment contraire à l'esprit musical du chant grégorien.
Enfin une schola doit comprendre des chanteurs exercés à lire rapidement un texte musical nouveau, capables d'entraîner et de soutenir les chanteurs de bonne volonté mais moins doués. L'avenir du chant dans les paroisses en dépend. Celui qui sait solfier rapidement et correctement le sait pour toute sa vie. De plus il est impossible de faire chanter les jeunes gens dont la voix mue. S'ils savent convenablement solfier, ils peuvent pendant cette période prendre un instrument de musique, et quand leur voix sera fixée, ils pourront chanter ou jouer sans difficulté.
La voix des fillettes mue aussi, sans changer. Il est d'une insigne barbarie de les faire chanter sur un registre élevé. Entre quinze et vingt ans on devrait toujours ménager leur voix.
Il est bon de faire prendre les instruments aux garçons dès que la voix menace de muer et c'est leur donner une occupation très fructueuse pendant les loisirs de leur adolescence.
Mais il faut les faire participer le plus tôt possible à un office ou à une cérémonie dans des œuvres très simples qui les encouragent à persévérer. Par exemple aux laudes de Noël, l'antienne « Qu'avez-vous vu bergers, dites-le nous ? » était chantée au Mesnil-Saint-Loup en dialogue par les petites filles et les petits garçons. La clarinette accompagnant ceux-ci, la flûte accompagnant celles-là. Après l'Élévation de la messe de minuit, les mêmes instruments jouaient à la dixième un petit menuet de Campra pour les bergers d'une simplicité enfantine et d'une effet tout à fait adapté à la cérémonie.
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Il s'agit d'étudier maintenant un chant particulier. On commencera par des chants très simples, syllabiques, sans intervalles éloignés. On lit les notes, puis on les chante. Quand le chant est bien su, on y applique les paroles, et la plus grande attention est nécessaire ici. Il faut exiger une articulation excellente, il faut que les enfants mordent dans les consonnes pour que le texte soit entendu et que son accentuation contribue à la vie musicale du chant. Ne pas articuler est un défaut très fréquent chez les chanteurs français, qui les rend inférieurs (malgré de très belles voix) aux chanteurs étrangers. Cela vient de la première éducation. Il faut donc dès les premières répétitions d'un chant simple veiller à l'articulation et à l'accentuation des paroles.
Il est souvent nécessaire de transposer. Les enfants s'y habituent sans difficulté. Ils continuent à solfier (ou déchiffrage) sur le nom des notes : le sifflet correspond alors au *si* ou au *do* ou au *sol*.
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*Au rythme maintenant.* J'ai vu des maîtres enseigner d'abord à distinguer et chanter correctement chaque neume ; cette méthode n'est pas bonne. Elle est d'ailleurs contraire à la manière dont l'inspiration est venue au musicien, pour qui le grand mouvement mélodique est apparu d'abord à l'esprit. Il faut donc commencer par faire comprendre le grand rythme et celui de ses principales divisions. Ensuite on peut raffiner et ajouter à la perfection rythmique des détails. Et comme dans les beaux chants le rythme est dans un certain rapport avec les paroles, c'est le moment de faire entrer la schola plus avant dans la prière de l'Église, en lui expliquant le sens des paroles, leur origine, les tenants dans l'Histoire Sainte et leur sens religieux. La musique change fréquemment le sens spirituel des paroles, en s'envolant sur un mot plutôt que sur un autre, ou bien elle impose un sens identique à des paroles différentes. C'est ainsi que le graduel de la messe des morts (*Requiem aeternam...*) a le même chant que le graduel de la messe de mariage (*Uxor tua... Que ton épouse...*). La musique impose à ces paroles différentes, en des cérémonies en apparence si contraires, de chanter *l'espérance de l'éternité.*
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Mais sur les paroles identiques, le chant peut exprimer des sentiments spirituels différents. Le verset alleluiatique du XVIII^e^ dimanche est composé sur les paroles : *De profundis clamavi* et l'offertoire aussi. Tous deux sont composés de même et répètent pour finir la phrase musicale du début, tous deux sont en deuxième mode (*ré*)*,* mais dans le premier ce mode est en l'air, il est obtenu comme une modulation modale à la quinte du mode de *sol* par lequel il commence et finit. Le second s'étale au grave et descend d'une quarte au-dessous de la finale (*ré*)*.*
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Ainsi l'étude du chant dans la prière de l'Église (qui est celle du Saint Esprit lui-même) fait progresser la jeunesse dans la vie spirituelle et lui donne tout au moins le respect de la pensée de l'Église. Ce sont là des impressions puissantes pour l'avenir. Car une schola est composée non seulement de bons chrétiens, mais aussi de gens qui aiment tout simplement chanter. Ce goût qu'ils ont doit être tourné à leur profit spirituel. Les scholas sont certainement un moyen irremplaçable pour former la jeunesse, l'instruire (l'occuper aussi) et avoir une élite paroissiale. Je doute que les chants proposés aujourd'hui puissent jouer le même rôle. Car le moyen prédestiné par le Saint Esprit pour pénétrer dans la pensée de l'Épouse du Christ est assurément de participer aux offices et de les étudier ne fût-ce que par l'amour du chant. Mais l'amour du chant est par lui-même une prédisposition de l'esprit à un certain mode de *pensée*, de *connaissance* et de *contemplation* qu'il est précieux de développer au sein de la Révélation.
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##### Le rythme grégorien
Nous avons vu ([^73]) avec quelle audace les créateurs du chant grégorien avaient adopté une manière entièrement nouvelle de concevoir le chant. Ils adoptèrent, certes, les modes antiques, mais ils en renouvelèrent entièrement l'esprit, ils accentuèrent le caractère propre à chacun d'eux en les débarrassant du chromatisme et de toutes les nuances qu'y ajoutaient les musiciens de l'antiquité. Ils les rendirent ainsi propres à exprimer la grandeur, la force et la profondeur de la louange divine. La société antique était en pleine décadence et l'art, tourné à la sensualité et à la sentimentalité, était devenu incapable de la grandeur qu'il avait eue au temps de Sophocle.
Mais les artistes chrétiens avaient une supériorité sur Sophocle. Ils connaissaient la solution des problèmes que se posaient les tragiques grecs : celui du mal et celui du salut, c'est pourquoi leur réforme modale fut si profonde. Le mode de la tragédie était le mode de *mi* enharmonique, mode défectif d'une tragique douceur, devenu insupportable aux païens décadents. Nos chrétiens en lui rendant sa pureté diatonique en firent un « mode mystique ». Ils eurent un système modal capable de tous les sentiments mais profondément optimiste pour glorifier la nature et la grâce.
Enfin, ils avaient libéré la musique même de la métrique poétique en l'écrivant sur de la prose latine. Celle-ci quand elle est belle, l'est par son rythme, comme tout langage, et telles sont les traductions de saint Jérôme, mais ce rythme est libre. Les musiciens chrétiens y surajoutèrent la liberté de la musique même.
Ils y furent conduits par la vie chrétienne, qui débarrasse l'âme de beaucoup de contraintes accidentelles et la fait vivre sous l'influx de la grâce selon la vraie nature. L'âme est libre et ses mouvements sont entièrement nouveaux à chaque instant et imprévisibles. La musique d'une âme libre, libérée du péché, est une musique de rythme imprévisible et toujours neuf. La musique allemande qui depuis deux siècles impose sa suprématie rend à nos contemporains presqu'inconcevable cet esprit musical car la musique allemande nous a habitués au rythme *de la passion* et non plus à celui *de l'esprit*. Les mesures répétées avec un temps fort régulier, ces galopades de chevaux sont des artifices employés pour émouvoir la sensibilité et non plus l'âme.
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Sans doute cette époque a eu des musiciens inspirés et l'inspiration qui est une *communication* de l'être est toujours libre, mais l'influence d'une malheureuse époque, troublée plus encore par le désordre intérieur des consciences que par les événements, a poussé les musiciens à faire entrer leur inspiration dans la cage des barreaux de mesure pour obtenir un effet d'émotion ; il s'en est suivi un système musical qui amène la décomposition de l'art. Car de surenchère en surenchère dans le surfin et l'étonnant on est arrivé à la musique atonale et amodale qui ne peut être qu'une succession de sensations et d'impressions car elle s'est enlevé tout moyen d'un choix métaphysique et moral. La même misère avait atteint la musique antique.
Quant au *jazz,* il a pu avoir à ses débuts des musiciens très libres dans leur inspiration, mais il est devenu une plongée dans la barbarie sensuelle. Comme dans l'antiquité, il recherche certaines fausses notes enlevant sa pureté au diatonisme ; enfin sa *batterie* accentue l'animalité de cette musique.
Le rythme est toujours une succession d'élans et de repos, de levés et de posés généralement inégaux. La force s'y ajoute ici ou là, indiquée par l'accent des mots importants ; mais c'est souvent la mélodie qui indique quel est le mot et l'accent important et si la force est au *levé* ou au *posé.*
\*\*\*
Celui qui comprend le langage musical et pour qui il est vraiment le langage de son âme n'a besoin que de pratique et non d'explications.
Le chant grégorien se dirige donc non en battant une mesure, mais en levant la main sur les levés du rythme et en la baissant sur les posés. Mais les neumes (notes groupées) peuvent être l'un par rapport à l'autre levés et posés. La main simplifie ces mouvements, s'enroule, s'élève et s'abaisse suivant en quelque sorte la ligne mélodique.
203:146
Mais il est clair que celui qui est appelé à diriger un tel chant doit essayer de pénétrer lui-même le sens religieux des pièces qu'il fait chanter. Il approfondira ainsi le sens musical lui-même.
Henri Charlier.
204:146
### Le temps où votre foi devra suffire
par Luce Quenette
« *Nous rappelons ta mort, Seigneur ressuscité, et attendons que tu viennes. *»
« *Chaque fois que nous mangeons ce pain et buvons ce calice, nous annonçons ta mort, Seigneur, jusqu'à ce que tu viennes. *»
\*\*\*
J'écoutais les voix dociles, je voyais les têtes penchées sur l'invraisemblable missel de poche à l'affreuse couverture de roman pour concierge et le moutonnement soumis des vieux et des jeunes ; j'étais à côté d'une jeune femme aux traits flétris et animés qui répétait « l'acclamation » avec un évident plaisir.
Accablement.
Qui se doutait que ces nouveautés rongeaient le dogme, et ne rendaient plus compte de la Présence réelle -- les formules ambiguës lancées dans l'inconscience « glissaient » l'hérésie dans les cœurs.
La nouveauté, si dérisoire, si plate, si ennuyeuse faisait encore son effet et les enfants s'efforçaient d' « acclamer » avec les autres, Je me disais : Qu'il est aisé de fomenter l'hérésie !
205:146
« Nous annonçons ta mort jusqu'à ce que tu viennes ! » Toutes les voix soumises disaient à Jésus-Christ venu, présent, vivant sur l'autel : « jusqu'à ce que tu viennes » -- comme si sa façon de venir maintenant était un symbole, une irréalité.
« Nous annonçons ta mort »... et les « diverses réalités du sacrifice », de la communion, de la présence réelle, et, par-dessus le marché, du jugement dernier se trouvaient voilées, confondues, indéfinies. -- Encore que ce « nous annonçons ta mort » sentait son peuple de Dieu qui fait quelque chose, quelque consécration, quelque sacerdoce obscur avec le prêtre, comme le prêtre, sans que ce prêtre parût médiateur et seul consacré, mais président...
Ainsi se fabrique bonnement, dans cette église, une contamination assez digne -- comme s'était formée, au cours des siècles, un peuple de fidèles nourris de la pure Vérité -- puis conditionné, depuis dix ans, par la succession des changements, devenu ignorant, indifférent, distrait, habitué à l'acclamation collective, déshabitué de penser.
\*\*\*
A la sortie, je vis accourir un visage désolé -- un visage de soixante-dix ans -- une grand-mère bouleversée. Elle avait tout senti, tout compris, tout souffert. Non pas qu'elle pût analyser, mais son cœur était conscient de « toutes les omissions qui profanent et avilissent le mystère de l'Église ».
-- « *Je ne peux plus... me disait-elle, toute pâle, je vais en mourir, je connais un vieux monseigneur qui est mort cette semaine à Lyon, mort de douleur, le cœur ne peut pas supporter... *»
Les jeunes femmes sortaient aussi, l'une d'elles, qui connaissait la grand-mère, eut cette exclamation : « *Moi, ce que je regrette, ce sont les chants latins ; avec les chants latins, cette messe en vaut une autre *»... et elle ajouta : « *Dimanche passé, j'ai eu une grand-messe latine à la Communauté de X, oh, que j'étais contente de chanter tout ce que j'ai appris à la chorale ! *»
206:146
Pour celle-ci, la Messe était SOUVENIR, HABITUDE, POÉSIE. Qu'on collât sur le nouveau culte les chants familiers, appréciés de son bon goût, il suffisait -- le glissement se ferait convenable, feutré, insensible...
Je savais qu'une toute jeune fille était allée faire une retraite dans une Communauté qui « *tourne *», comme on a coutume de dire tristement aujourd'hui, qui tourne au vent... J'avais déconseillé ce séjour. Elle vient à moi, l'air riant : « Eh bien ? » lui dis-je. -- « Oh, je suis contente, j'ai compris bien des choses ! » -- « Que signifie *bien des choses ? *» -- « Je vais vous dire : au début tout me choquait, la nouvelle Messe, les attitudes, la Communion dans la main ! Pendant deux jours, j'ai été hérissée. Et puis, on nous a si bien expliqué qu'*il suffisait d'aimer ! *» (... l'air est rêveur, irradié d'enthousiasme).
J'insiste : « Alors ? ». -- « Alors, j'ai pris *mon parti de souffrir*, et mes problèmes ont disparu ! » -- « C'est-à-dire que depuis votre parti pris de souffrir, vous ne souffrez plus ! » -- « C'est cela, en effet », répondit l'ingénue.
(Je précise : une fille intelligente, bachot, Faculté, etc.). Son père écoutait la jeune romanesque : « Et le bon sens, ma fille ? » soupira-t-il.
Quant aux enfants, ils sortaient de l'église bousculants, chamailleurs, sans souvenir et sans regret, *formés à leur insu*.
\*\*\*
Pour la grand-mère : supplice de l'âme.
Pour la jeune femme : nostalgie.
Pour l'adolescente : sentiment ! (qu'on mesure, dans le contexte d'une « révision de vie », en retraite, avec d'autres jeunes, le danger mortel de cette ambiguïté : « il suffit d'aimer » !) ; pour elle et pour les enfants : *formation hérétique*, irrésistible.
\*\*\*
207:146
Si l'on continue de conduire, en routine, sans intervenir, toute la famille à cette « Cène du Seigneur », l'hérésie deviendra, sous les yeux aveuglés des parents, le climat naturel de leurs propres enfants. Un jour, le Père se trouvera brusquement en face d'eux, au cours d'une discussion, d'un conflit familial, chrétien de la religion millénaire, mais pour eux : religion oubliée, différente, inconnue.
Un jour, deux bons petits enfants attendaient leur maman en visite à la Péraudière ; je les fis entrer à la leçon de chant où les élèves apprenaient la messe du prochain dimanche. La petite fille et son frère écoutaient avec une attention étonnée. Ils coururent ensuite à leur mère et lui murmurèrent quelque chose à l'oreille. Elle était pieuse, elle soupira et me dit : « Ma fille me demande si je sais en quelle langue chantaient tout à l'heure vos élèves, elle n'a jamais entendu un chant latin, elle n'a jamais su que l'Église parlait latin. »
C'est pourquoi je reviens sur la tragique situation de l'enfance. Vous, vous écoutez cet ORDO dans l'angoisse, dans l'ennui, peut-être dans l'indifférence. Vos enfants en SUBISSENT l'évidente FORMATION.
Qui les protègera -- sinon vous.
Dans les semaines qui vont suivre, quand le doute sur la validité deviendra consistant, ce sont les enfants qu'il faudra ne plus conduire à la messe frelatée.
« Ah, me dit un père de famille, que faut-il penser ? J'entre dans une église au cours d'un voyage -- le curé parle : il dit que *le baptême est superflu*. Puis-je assister à sa messe, puis-je y communier ? »
Je réponds : NON -- et il ne faut pas conduire les enfants dans cette église où se risque une telle prédication. -- L'occasion est dangereuse. Et y exposer les enfants, c'est pécher.
\*\*\*
208:146
« Vous donnez trop d'importance à des détails, me dit-on, l'important c'est l'assistance à la Messe. »
Non, je ne donne rien, *je fais voir* l'importance immense, capitale, de la FORMATION du CŒUR par la MESSE.
Ce n'est pas pour minimiser le danger de son invalidité possible, de son blasphème, de son sacrilège possibles et donc du témoignage défendu que nous lui donnerions.
Mais, *pour les enfants*, j'attire l'attention des parents sur la Messe *formatrice*, la Messe *éducatrice* ou (le dirai-je ?) la messe, la fausse messe, *corruptrice*.
L'attentat contre le Catéchisme était direct contre l'enfance. L'objectif de Satan, c'est bien l'enfance -- la facile conquête, l'esprit, le cœur, l'imagination in-formés ; les êtres neufs auxquels on dit au catéchisme : « Communiez dans la main ! » et les pauvres petits obéissent, en assistant à la « nouvelle messe » :
Un prêtre m'explique : « Il y a, en effet, deux sortes de gens qui demandent la Communion dans la main : les naïfs, les arrogants. Les naïfs : quelques vieilles femmes *et des enfants* auxquels un confesseur, un aumônier a donné cet ordre. » (Les arrogants : on sait ce que c'est des militants du progressisme, des espions qui viennent voir si le prêtre obtempère.)
Mais les naïfs, les enfants !
Arracher les enfants à cet engrenage, à cette emprise ! Pour eux, être aux aguets et ne plus les mener à la messe douteuse « dans l'atmosphère invraisemblable qui sera créée dans l'église par la ronde incessante du prêtre, du diacre, du sous-diacre, du psalmiste, du commentateur (le prêtre lui-même réduit à ce rôle, invité à « expliquer » ce qu'il va accomplir) lecteurs (femmes et hommes) clercs ou laïques, qui accueillent... accompagnent, font la collecte, portent et trient les offrandes. Et, au milieu d'une telle furie... la présence de la femme qui, pour la première fois dans la tradition de l'Église, sera autorisée à lire les leçons de la Sainte Écriture et à accomplir « certains ministères ».
209:146
Enfin, la manie de la concélébration qui achève de détruire la piété eucharistique du prêtre, d'estomper et de dissoudre la figure centrale de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » (Extrait du *Bref examen critique* présenté au Pape.)
Il est absolument certain que, lorsqu'on en est là, il faut garder les enfants chez soi, leur donner les graves explications que j'ai dites ([^74]), dans le calme, le respect, l'union à la Messe intégrale qui sur la terre se célèbre encore.
Si l'on connaît cependant une messe recueillie, grave, digne, quoique nouvelle, sans doute peut-on y mener les enfants sous réserve -- *encore quelques fois...*
Mais à la moindre manifestation douteuse, agitée, anormale, les préserver, les recueillir, *les garder.*
Car une génération d'insolents « désacralisés » ([^75]) se lèvera à notre propre foyer sous l'influence démoniaque, cachée (si peu) dans cette trahison prodigieuse que l'on appelle maintenant, à bon droit sans doute : Cène dominicale, Repas pascal, Participation commune à la Table du Seigneur, Liturgie de la Parole *et* Liturgie eucharistique ; tout, sauf « Saint Sacrifice de la Messe ».
Il faut organiser cette préservation et cette sanctification du dimanche par l'organisation préalable du Catéchisme régulier *à la maison*. Les choses sont si avancées !
Je connais un prêtre militant, dans le vent, très en pointe il y a deux ans, et même d'une suffisance insupportable, qui a dû, à cause de la foi qui lui reste et de la dignité sacerdotale à laquelle il croit encore, intervenir lui-même au catéchisme d'équipe, par lui organisé, pour arrêter l'expression trop crue de l'hérésie dans la bouche d'une « Sœur » et d'un clerc plus frais que lui, qui le scandalisaient !
210:146
Alors, honneur aux mamans qui se groupent et, munies des catéchismes indispensables (« Pie X », « catéchisme de la famille chrétienne », « catéchisme du Concile de Trente », *ancienne* « Miche de Pain ») expliquent et font apprendre ce qu'on n'apprend plus à la paroisse détruite et à l'école libre (qui n'est plus libre).
Nous prenons une place laissée vacante -- nous protégeons *d'un spectacle* qui ruine la foi, surtout la foi en l'Eucharistie dans le cœur de nos enfants.
Nous regrettons, nous espérons le prêtre, le vrai.
En attendant, nous usons de nos droits et nous faisons notre devoir de parents.
Je répète que, quand on parle sérieusement et doctrinalement de la situation aux enfants, ils en sont soucieux, mais non troublés. Et c'est avoir confiance en l'Église de se rappeler alors que les parents ont la grâce *comme baptisés* et comme fondateurs du foyer par le *Sacrement de mariage*, et que les enfants, *étant aussi baptisés*, ont la grâce (toute prête) de comprendre.
On a dit et démontré qu'actuellement, aucun acte du nouveau rite ne pouvait être accepté que *sous réserve *; mais « *sous réserve *», (Madiran, numéro de janvier) cela veut dire *en veillant.*
*Veillez -- Vigilate !*
Cet ordre, cette prière de Jésus agonisant est impérative, absolument, aujourd'hui. Et pour ceux qui obéiront et que le Maître, à la deuxième, ou troisième, ou quatrième veille, « trouvera veillant », il y a grâce actuelle d'éducateurs.
Les vrais serviteurs doivent cultiver et augmenter en eux *le flair de la Foi*, car le malheur qui se passe est, lui-même, affaire de Foi, puisque c'est affaire du Diable -- ; la Foi nous fait reconnaître l'œuvre de Satan.
Et je dis que,
lorsqu'on aura pris la résolution d'étudier sérieusement *en quoi* cet Ordo Missae est l'objet des observations présentées au Pape par les cardinaux Ottaviani et Bacci, on aura établi solidement, en soi, ce flair catholique, cette certitude de choix, cette promptitude de décision, cette prudence, cette discrétion qui semblent si difficiles.
211:146
Tirer un bien excellent d'un désastre, c'est l'affaire du fidèle serviteur. C'est ce que produira en nous l'étude sérieuse de l'ORDO MISSÆ.
On comprend bien que, par l'étude réfléchie du *Bref examen critique* s'enfoncera dans notre cœur une certitude plus clairvoyante de la véritable nature, valeur, vertu de la vraie Sainte Messe, de la Sainte Eucharistie. Plus éclairés sur la Présence et sur le Sacrifice, nous saurons mieux ce qu'il faut faire pratiquement dans nos circonstances particulières -- dans quel cas donner notre présence -- dans quel cas nous abstenir -- retenir nos enfants, sans trembler, sans appréhender de *refuser avec discernement* « *l'obéissance* (du fidèle) *à l'insoumission* (du clerc) », sans le moindre esprit de séparation d'avec l'Église vraie, au contraire, dans l'angoisse de la vraie fidélité.
Il faut mesurer, dans cette étude de l'ORDO MISSÆ, l'effondrement de la Messe -- et par l'effondrement de la Messe, accepter de sentir, d'éprouver l'effondrement général.
\*\*\*
Alors, *l'obligation d'être Saint*, depuis toujours absolue, *est maintenant pressante*. La Sainte Vierge l'a dit à La Salette : qu'il faudrait nous passer, un jour, de tout secours extérieur, que notre foi devait suffire.
Et qui cette obligation de Sainteté presse-t-elle plus vivement ? *Les pères, les mères, les enfants.*
LES PERMISSIONS DE DÉTRUIRE ont fait place à la Terreur ; NE DEMANDONS PAS LA PERMISSION d'être saints, saints à Dieu, dans la fidélité à l'Église de toujours... nous ne l'obtiendrions pas. Et si, du bout des lèvres, on semblait nous la donner, ce serait pour rire de nous, pour trouver ridicule notre désir de prière et de contemplation.
Sans doute, l'Église sera restaurée par sa hiérarchie même. Rien ne peut remplacer, en l'Église, la tête et l'autorité.
212:146
Mais *tout est mérité par la Sainteté.*
Le pape excellent, les évêques, les prêtres que nous prions Dieu de susciter, sont suscités -- sans doute ! Ils vivent, ils sont choisis, il faut que les mères et les pères élèvent ces élus, enfants ou jeunes gens, il faut qu'ils trouvent la sainteté dans leurs éducateurs.
« L'Église est sainte et a toujours produit des saints. »
C'est le moment de SE METTRE A RESSUSCITER.
Car « *le Christianisme renaît toujours en faisant référence non point au plus récent état de décadence de la théologie, mais à son premier état de lumière intégrale : non point en faisant référence aux théologiens de la dernière pluie, fût-ce pour les corriger partiellement, mais en faisant référence à la foi de saint Pierre et de saint Paul dans son immuable intégrité et dans son éternelle actualité *». Nous ne sommes pas appelés à une opération d'arrangement et de compromis, ni « *à une opération de sauvetage comme si nous avions à sauver l'Église, alors que c'est elle qui nous sauve et qui nous sauvera *». « *Nous sommes appelés à consentir et à participer à une opération de résurrection : le christianisme, comme le Christ, ne ressuscite pas à moitié, dans un compromis de partage négocié avec la mort ou avec le monde. Nous sommes appelés à une opération de résurrection intégrale... *». « *C'est par résurrection qu'une Église ouverte au monde et apparemment promise à la mort renaît dans la splendeur originelle de son institution divine. *» ([^76])
Cette semaine, à Dijon, l'abbé XXX, *aumônier des lycées*, annonçait la dissolution naturelle de l'Église !
C'est donc le moment de sauver et de sanctifier les enfants -- c'est le moment d'entraîner des jeunes filles et des jeunes hommes à l'absolu. C'est le moment d'ouvrir de petites, saintes et solides écoles. Il y a dans le monde des âmes jeunes qui ne sont pas du monde, des prêtres qui ne demandent pas la permission de dire la Messe de toujours, ni la permission d'être saints.
213:146
Ils considèrent l'effondrement comme une obligation absolue de sainteté. L'Église a des serviteurs clairvoyants. L'usage et la culture de l'intelligence naturelle et du don spirituel d'intelligence produit, dans les serviteurs les plus humbles de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la CLAIRVOYANCE.
\*\*\*
La clairvoyance est un état terrible qui élève l'âme, la remplit de force et parfois, enlève la vie du corps.
La clairvoyance a enlevé la vie à l'abbé Berto. « *Beati mortui *» m'écrit un prêtre dans l'angoisse.
Quel que soit le prix de la clairvoyance, voyons clairement le pire. *Le pire, c'est la messe attaquée, -- le* *sang viendra après.*
\*\*\*
« Le démon a continuellement mis tout en œuvre pour faire cesser, sur la terre, le Saint Sacrifice de la Messe, par le moyen des hérétiques, précurseurs de l'Antichrist, lequel, avant tout, tâchera d'abolir, *et abolira en effet*, le Sacrifice de l'autel pour la punition des péchés des hommes, d'après cette prophétie de Daniel : il a reçu la puissance contre le Sacrifice perpétuel. » ([^77])
Voilà ce que disait saint Alphonse de Ligori, effrayé de la négligence de certains prêtres dans la célébration de la Messe.
Je relève ce trait, rapporté aussi par saint Alphonse, nous y verrons *de quoi a besoin un cœur pour abjurer son erreur :*
214:146
« Il y avait à Rome un hérétique qui avait formé la résolution d'abjurer ses erreurs et en avait fait la promesse au pape Clément XI. Mais, ayant vu un prêtre dire la Messe d'une manière indévote, il en fut tellement scandalisé qu'il se porta près du Saint-Père, lui déclara qu'il avait changé de résolution et qu'il s'obstinait dans sa croyance, étant persuadé que les prêtres et le Pape lui-même n'avaient pas la foi aux enseignements de l'Église Catholique. Le Pape lui dit que le manque de dévotion d'un prêtre, même de plusieurs, ne pouvait préjudicier aux vérités de foi qu'enseigne l'Église. L'hérétique en convint volontiers, -- mais, ajouta-t-il, si j'étais Pape, si je savais qu'il y eût un prêtre qui dît la Messe avec si peu de respect, je le ferais brûler vif ; et, voyant des prêtres qui célèbrent si indignement à Rome même, sous les yeux du Pape, *et qui ne sont pas punis*, je suis persuadé que le Saint-Père lui-même n'a pas plus de foi qu'eux ! et, ce disant, l'hérétique se retire, refusant son abjuration... »
Depuis combien d'années connaît-on des messes scandaleuses ? *Qui a été puni ? Pour cela ?* Et ceux qui ont perpétré ces abominations, ces omissions, ces fantaisies, ces inventions, n'ont-ils pas, en place d'un interdit, d'un châtiment, leur triomphe dans la nouvelle Messe ? Si la validité en reste possible, ne peuvent-ils se vanter d'avoir obtenu, sinon l'approbation, du moins le silence, et, officiellement, les mutilations de la Messe millénaire ?
\*\*\*
La clairvoyance nous oblige à dire que *cela va vers le sang*. On attend qu'ils soient punis ou qu'ils s'en aillent. Or, ils ne sont pas punis et ils ne s'en vont pas.
Ils sont installés et ils font avaler à l'Église toutes leurs destructions ; un étudiant hollandais a exprimé cela : « Rome a bien avalé notre catéchisme -- l'abolition du célibat des prêtres donnera des coliques au Pape, mais il digérera ça comme le reste » (cité par Pierre Debray).
*Cela va vers le sang*. On ne peut pas profaner le Saint Sacrifice avec une malice aussi habile sans que le Sang du Calice retombe sur les profanateurs. Ne serait-ce que cette introduction subreptice du pain ordinaire à la place du pain azyme ! Admirons la fourberie : « On veillera à ce que le pain *ne devienne pas trop dur* et puisse *être mâché* par les fidèles. » Le tour est joué.
\*\*\*
215:146
*Les Serviteurs, eux, le savaient...* (St Jean I. 8.) Voulez-vous que nous nous reposions, que nous dilations notre cœur pour l'Espérance, en méditant, dans les noces de Cana, cette clairvoyance que Dieu donne à ses humbles serviteurs.
« Lui (le maître du festin) ne savait pas d'où venait ce vin. »
Le monde ne sait les *vraies causes* de rien.
« Mais les serviteurs, eux, le savaient bien. »
Ils savent, eux, parce qu'il leur a été donné de tout voir, et parce qu'ils ont fait fidèlement leur service, accompli fidèlement leur petit rôle.
\*\*\*
Les serviteurs savaient comment les choses s'étaient passées -- c'est-à-dire comment les choses se passent toujours pour les cœurs éclairés : le vin avait manqué. Ils l'avaient dit, qui sait, à deux ou trois dames discrètes. Une Dame en avait pris souci tout de suite. Une Dame avait pris très au sérieux ce que les serviteurs avaient dit -- ou plutôt murmuré, en s'encourageant les uns les autres, dans leur confusion, n'osant pas le dire à leur Maître, au Marié. Cette Dame s'était tout de suite dérangée. Elle ne leur avait rien dit qui ressemblât à : « Débrouillez-vous, qu'y pouvons-nous ? » Pas du tout, Elle était partie tout droit à la table principale. Les serviteurs avaient vu tout cela en détail. Elle était allée vers son Fils -- elle avait dit quelque chose, très bref, à son oreille : « Ils n'ont plus de vin ». Exactement ce que les serviteurs avaient dit. Il n'y a plus de vin. *Et le Fils avait répondu autre chose que oui -- et autre chose que non.* Elle n'avait point pris l'air déçu. Elle avait gardé son air tranquille -- mais peut-être en plus assuré. -- Cela s'était passé tout bas, comme toute cette affaire, qu'il fallait obligatoirement mener avec discrétion.
216:146
Alors, Elle leur avait dit, près d'eux, bas, mais bien articulé, avec un air de grâce et de sûreté : « Faites tout ce qu'Il vous dira ! » Ce qui avait fait dans leur cœur qu'ils étaient prêts à tout -- qu'ils n'auraient jamais eu l'idée de désobéir à une telle Patronne, de critiquer le moindre de ses désirs.
Et ils étaient restés les yeux fixés sur Lui. Qu'allait-Il leur commander ? Avait-Il des réserves de vin chez lui ? ou de l'argent pour en acheter ?
Il avait dit tout bas, tout bas pour que personne ne sût rien, pour eux seuls -- *parce qu'ils étaient les serviteurs*, ceux qui doivent connaître toutes les difficultés, et toutes les inquiétudes, et tous les arrangements du service : « Remplissez d'eau ces grandes urnes ! ».
C'est ainsi qu'ils étaient entrés dans le miracle -- dans l'action, dans la confiance au Maître des Merveilles. Ils n'avaient rien objecté : le « Faites tout ce qu'Il vous dira » leur brûlait le cœur. Rien, rien ne les aurait empêchés d'aller sur la place, puiser de quoi remplir ces urnes -- même le service, même les questions qu'on a pu leur poser -- et qui étaient plaisantes et dangereuses comme celle-ci : « Serait-ce qu'il n'y a plus de vin, pour que vous veniez chercher tant d'eau ? »
Et pour remplir des urnes d'ablution de 60 litres ! Car Il n'a pas indiqué de petites bouteilles ordinaires, pour le vin, des carafes ou des pots -- mais des urnes à bain, à lavages, beaucoup trop grandes, où on n'aurait jamais eu l'idée de mettre de la boisson. C'était des contenants improvisés pour un cadeau du Créateur, pour une surabondance de noces divines, comme ces flots d'un sang divin qui arroserait toute la terre. Ils n'avaient ni ri, ni protesté, ils avaient rempli à bord -- et maintenant ils se demandaient jusqu'à quel point ils avaient eu confiance -- ou curiosité -- ou s'ils étaient médusés par l'impérial commandement de la Dame... « Faites tout ! »... ils auraient fait tout.
217:146
Quand les urnes furent en rang, bien pleines, l'un d'eux était allé Lui demander, toujours discrètement, ce qu'il fallait faire maintenant. Il parlait avec les autres convives -- Il se détourne et sans doute, Il sourit. « Maintenant, dit-Il tout bas, puisez ! » Voilà ! leur travail était déjà fini : il n'y avait plus qu'à puiser. Il avait tout fait. Sans regarder -- sans se déranger. « Maintenant, puisez ! » A cause de l'ordre de la Dame, ils étaient prêts à toutes sortes de choses. Et c'était déjà fait. Leur rôle avait été bien petit, encore qu'utile. Le Maître pouvait sourire en disant : « Puisez, *maintenant !* » Il ne leur a pas dit : allez et goûtez, voyez que c'est devenu du vin, rendez-vous compte. Ils étaient serviteurs. Il leur a dit avec confiance, ce qui était infiniment honorable pour eux : « puisez et portez au Maître du festin ». Il était sûr d'eux. Il savait qu'ils sauraient tout de suite que c'était du vin (peut-être qu'ils ne savaient pas la qualité de ce vin ; mais il est vrai qu'il y avait le parfum). Il s'est appuyé sur leur foi. Il ne leur a pas dit : Vérifiez, puis portez -- mais : puisez et portez -- sans en boire, pour voir, même une petite goutte. Ils en ont bien assez bu ensuite, quand tout le monde fut servi. Mais, pour ce moment de foi, Il ne leur en fait point goûter, à ses serviteurs, à ses complices, pour ce bon tour. Et avec Lui, ils pensaient à la tête que ferait le Maître du festin. Ce Maître qui était du monde et qui était si peu Maître. Car le Maître du Festin, c'était Lui Seul. Lui qui préparait le Dessert, la Surprise, ce qui ne se fait que dans les dîners organisés par Lui. Les serviteurs étaient, avec Lui, plus maîtres du festin que le Maître du Festin. Et il y avait une Maîtresse du Festin, dont la prière et l'ordre étaient premiers.
Le Maître du festin était le plus benêt, inconscient. Il n'avait rien vu, rien su, rien compris. Seulement, Notre-Seigneur a quand même voulu que ce fût lui qui goûtât avant tous les autres : Parce qu'il avait le titre. Il avait cette dignité reconnue d'organiser (en apparence) les festins, de porter (en apparence) les responsabilités. Jésus reconnaît : « Portez-en au Maître du festin. »
218:146
Et Il regardait avec les serviteurs ce qui se passait dans le Maître du festin, pendant qu'il goûtait. C'était un tour que Lui et eux (et Elle) lui avaient joué. Ils n'ont pas attendu longtemps -- à cause du goût du vin -- et parce que c'était un connaisseur de vins, comme il y a dans le monde des gens de métier qui ont étudié quelque spécialité de ce monde -- et qui en gagnent leur vie -- ce qui est bon et légitime, -- s'ils ne se croyaient pas si malins -- et s'ils ne trouvaient pas des plaisanteries pour expliquer ce qu'ils ne comprennent pas.
Tout le monde écoutait le petit discours du maître (apparent) du festin qui tournait sa grande surprise en compliment (très grande surprise, non seulement pour un connaisseur, mais parce que les puissants du monde ont de la peine, parfois, à prix d'argent, à se procurer d'aussi bon vin).
Comme il avait l'aisance du monde, il a fait un toast réussi -- que les serviteurs entendaient en souriant -- parce qu'eux, et Lui, et Elle savaient le miracle et voyaient l'effet que le miracle fait sur le monde, qui ne sait rien, qui ne s'y attend jamais -- parce qu'il est aveugle.
Eux savaient : « ceux qui avaient puisé l'eau savaient » ; ils savaient le processus qui n'est pas du monde -- dont le monde n'use pas -- mais que les petits serviteurs, les petits échansons, les petits porteurs d'eau -- de Dieu -- savent très bien :
Tout commence par Elle.
Par son intercession.
Chronologiquement, dans le temps, tout commence par intercession. C'est quelqu'un qui prie pour quelqu'un. Et c'est toujours Elle -- même quand ce sont les autres Saints. Tout passe par Elle -- qui le prend au sérieux, et puis, aux pieds de son Amour, Elle demande, Elle avance les heures ; alors les serviteurs font quelque chose de petit qu'Il leur ordonne, qui est court, dans leur capacité et soumission, sans proportion avec la Toute Puissance, et cependant en rapport. Et c'est fini -- le Monde pousse des cris.
219:146
Les serviteurs connaissent le secret : d'abord Elle, puis leur petit travail, puis la Toute Puissance de Jésus-Christ. Une union -- une Unité. -- Et ensemble, ils regardent la surprise du Monde.
Luce Quenette.
220:146
### Remarque finale
ON *découvre aujourd'hui, dans les documents de l'Église présentés comme officiels, des anomalies graves, des ambiguïtés suspectes, des omissions inexplicables, et jusqu'à des altérations de l'Écriture sainte imposées comme* « *obligatoires *» *dans le nouveau catéchisme et dans la nouvelle liturgie.*
*Nous l'avons écrit au pape Paul VI :*
« *Une seule falsification de l'Écriture, niant la divinité de Notre-Seigneur, suffit à frapper d'une suspicion légitime et nécessaire l'ouvrage entier du Lectionnaire français, et tous les détenteurs de l'autorité ecclésiastique qui l'ont garanti, confirmé et imposé. *» ([^78])
*Nous l'avons écrit au cardinal Gut, préfet de la Congrégation romaine du culte divin :*
« *Nous en voici donc arrivés à ce point extrême où nous est procuré et imposé dans l'Église un texte de l'Écriture falsifié de manière à nier la divinité de Jésus. A qui aura-t-on désormais le droit de faire confiance ? *»
221:146
*Louis Salleron l'a écrit à Mgr Boudon, président de la commission internationale des traductions des textes liturgiques latins pour les pays de langue française :*
« *Il est évident qu'on ne peut obliger indéfiniment les prêtres à devoir choisir entre l'obéissance au Magistère et l'obéissance à Dieu. Il est évident qu'on ne peut les obliger davantage à vérifier toutes les traductions qui leur sont fournies par le Lectionnaire. *»
*Nous sommes dans une situation impossible, humainement insupportable.*
*Il n'y a plus, en fait, pour les textes religieux actuellement publiés, de garantie certaine.*
*Il faudrait tout vérifier par soi-même, et la plupart des prêtres et des fidèles n'en ont ni le temps, ni les moyens, ni la compétence.*
*Quelles que soient les causes qu'on y assigne et les conséquences que l'on en tire, il est avéré que les nouveaux catéchismes ne sont pas sûrs, que les nouveaux missels ne sont pas sûrs, que les nouvelles mœurs et les nouveaux rites ecclésiastiques ne sont pas sûrs. Cela constitue une catastrophe universelle. Et pour le moment l'autorité dans l'Église coexiste tranquillement avec cette catastrophe sans y apporter aucun remède.*
222:146
*Il est avéré que les enfants sont non pas éduqués, mais avilis par les méthodes, les pratiques,* les *idéologies qui prévalent le plus souvent, désormais, dans la société ecclésiastique. Les innovations qui s'y imposent en se réclamant à tort ou à raison du concile et de Paul VI font lever dans le monde entier une génération d'apostats et de sauvages, chaque jour mieux préparés à demain s'entre-tuer aveuglément.*
*Bien sûr, nous gardons l'Écriture sainte, et* le *catéchisme romain, et la messe catholique. Nous les gardons dans les éditions antérieures à l'* « *évolution *» *dite* « *conciliaire *»*, parce que nous savons que dans ces éditions-là, il n'y a pas lieu d'en vérifier d'abord chaque page et chaque ligne.*
*Mais il est clair que l'ensemble du peuple chrétien et du clergé catholique n'auront pas le courage ou le discernement de les garder s'ils n'y sont pas positivement incités par l'autorité spirituelle que Dieu a établie pour cela.*
*C'est pourquoi, tournés vers les responsables de la hiérarchie ecclésiastique, nous faisons entendre une réclamation ininterrompue :*
*-- Rendez-nous le texte authentique de l'Écriture.*
*-- Rendez-nous le catéchisme romain. -- Rendez-nous la messe catholique.*
*Nous vous réclamons notre pain quotidien et vous ne cessez de nous jeter des pierres. Mais ces pierres mêmes crient jusqu'au ciel contre vous.*
Jean Madiran.
223:146
### L'arsenal
Voici « l'arsenal » que nous mettons à votre disposition, dans les circonstances présentes :
1\. -- pour votre instruction personnelle ;
2\. -- pour l'étude à plusieurs en groupes et cellules de travail ;
3\. -- pour la diffusion auprès de tous ceux, prêtres et laïcs, qui en ont besoin ;
4\. -- pour la constitution de bibliothèques : car ces livres et ces brochures *actuellement disponibles,* il n'est nullement assuré qu'il sera possible à tout moment de les rééditer ; il importe donc que partout LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES organisent des groupes locaux et constituent des bibliothèques munies (de préférence en plusieurs exemplaires) de tous les ouvrages de base, qui pourront ainsi être consultés, utilisés, prêtés même lorsque les éditions actuelles en seront épuisées.
\*\*\*
Cet « arsenal » comporte trois sections :
I. -- *Les connaissances religieuses de base,* c'est-à-dire le « catéchisme » des enfants et des adultes.
II\. -- *La messe catholique :* qui bien entendu fait partie des connaissances religieuses de base ; c'est seulement pour la commodité du classement, et en raison de son importance actuelle, que nous en faisons une section particulière.
224:146
III\. -- *Le combat spirituel de notre temps *: celui que mène depuis bientôt quinze ans la revue ITINÉRAIRES, selon sa DÉCLARATION FONDAMENTALE.
\*\*\*
Pour chacune de ces trois sections, et pour chacun des ouvrages qu'elles comportent, nous donnons des indications précises qui les caractérisent et qui en constituent comme le « mode d'emploi ».
#### I. -- Les connaissances religieuses de base
Comprenez-le, répétez-le autour de vous : *il n'est pas vrai que nous puissions lire l'Évangile sans* *connaître le catéchisme*. Il n'est pas vrai que nous puissions lire l'Évangile sans l'Église : sans le guide de l'enseignement permanent de l'Église, résumé dans le catéchisme romain. *L'Évangile n'est pas livré à* *l'interprétation de chacun selon son humeur ou ses lumières propres*. Il n'est pas livré non plus aux inventions subjectives, arbitraires et provisoires d'hommes d'Église qui veulent « s'ouvrir au monde » et « construire le socialisme ». Le CATÉCHISME ROMAIN est l'indispensable vade-mecum de chaque chrétien, son *point fixe* au milieu du déluge universel de la subversion, de l'apostasie immanente, de la décomposition.
\*\*\*
225:146
Il faut *apprendre *: apprendre *ce que l'Église en tant que telle a toujours enseigné.*
Il ne s'agit pas de l'inventer. Il ne s'agit pas de le « réformer ». Il s'agit de le retrouver, de le garder, de le maintenir, de le transmettre.
C'est *la seule assurance sur l'avenir*, c'est le seul avenir que nous puissions connaître en toute certitude : *ce que l'Église a toujours enseigné*, c'est à coup sûr ce que, à travers et au-delà de ses propres crises, même effroyables, *elle enseignera toujours.*
\*\*\*
Il faut l'apprendre pour acquérir *les connaissances nécessaires au salut*, et pour en vivre.
Il faut l'apprendre pour être en mesure de *ne pas se laisser tromper* par les fariboles tristes des prêtres recyclés ou par les sournoiseries brutales des mauvais, prêtres frais émoulus.
Il faut l'apprendre pour être capable de *reconnaître* les prêtres fidèles, les aider et les défendre.
Il faut l'apprendre parce que le catéchisme est la base, le centre, le guide non seulement pour *l'unique nécessaire*, mais encore pour le *surcroît*.
Le catéchisme est évidemment le seul *principe* sûr du *choix* inévitable entre les messes *différentes* qui nous sont maintenant proposées.
Mais il est aussi le guide, le centre, la base *de toute éducation intellectuelle et morale, de toute* *formation civique, de toute action culturelle, de toute activité sociale.*
Car C'EST DANS LE CATÉCHISME que se trouve l'énoncé certain de la LOI NATURELLE et son explication : c'est dans le catéchisme que se trouvent l'énoncé et l'explication du DÉCALOGUE, qui est lui-même le résumé de la loi naturelle. Dans le catéchisme catholique : dans le catéchisme romain.
\*\*\*
226:146
Ce qui stérilise actuellement et dégrade l'action des catholiques, leur action familiale, leur action sociale, leur action scolaire, leur action civique tout autant que leur vie spirituelle c'est leur méconnaissance du catéchisme.
Cette méconnaissance était déjà grave mais moins rapidement ruineuse, tant qu'ils étaient instinctivement imprégnés du catéchisme catholique ; tant que le catéchisme catholique, même plus ou moins méconnu, *existait inchangé *; tant que l'on n'avait pas installé un NOUVEAU catéchisme *à la place* du catéchisme ROMAIN.
Aujourd'hui, cette méconnaissance est mortelle. L'urgence prioritaire est au catéchisme.
Sans déserter aucune autre tâche, parallèlement à toutes celles qui sont entreprises, il importe que les catholiques, dans leurs familles, dans leurs écoles, dans leurs associations et organisations, dans leurs groupes et cellules d'études, se mettent au catéchisme : sans quoi leurs meilleurs efforts *resteront vains* et ils seront *eux-mêmes perdus,* bientôt emportés par le courant de l'apostasie immanente et de la barbarie moderne.
Pour alimenter, irriguer, animer la remise en vigueur des connaissances religieuses de base, LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES *étudient et diffusent* les catéchismes que voici :
1\. Catéchisme de la famille chrétienne\
par le P. Emmanuel
Ce n'est pas un exposé « sec et abstrait » des vérités de la foi : les questions que deux enfants posent à leurs parents et leurs digressions enfantines y donnent une forme aimable, en même temps que profonde, à l'enseignement des dogmes et aux applications de la doctrine chrétienne dans la pratique de la vie quotidienne.
Il est utile à toute la famille, *en famille :* aux grands et aux petits, aux parents et aux enfants.
227:146
Si vous avez déjà plusieurs autres catéchismes, celui-ci ne fera pas double emploi avec eux.
Voir sa table des matières dans ITINÉRAIRES**,** numéro 135 de juillet-août 1969, pages 246 à 260.
Toutefois, il n'est pas (explicitement) suffisant face aux attaques actuelles contre la messe catholique : il faut là-dessus se reporter aux deux catéchismes suivants et au *Bref examen critique* (voir ci-après).
Un volume cartonné de 544 pages in-16 Jésus. -- ATELIER DOMINIQUE MORIN.
2\. Catéchisme\
du Concile de Trente
Numéro 136 de la revue ITINÉRAIRES : 584 pages in-8° carré, 25 F. franco. A commander aux bureaux de la revue. C'est la source, la référence, *le seul* catéchisme romain : aucun Concile ni aucun Pape n'a ordonné la composition d'un catéchisme *différent.* Tous les autres catéchismes romains sont un résumé ou une adaptation de celui-ci.
C'est un catéchisme « biblique », infiniment plus -- et infiniment plus exactement -- que les soi-disant « catéchismes bibliques » qu'on a essayé d'inventer.
C'est un livre d'étude, de formation, de méditation pour adultes : destiné d'abord aux curés de paroisse, il est devenu, par la volonté des Papes successifs, le *manuel de religion* des éducateurs, des professeurs, des prêtres. C'est, si l'on veut, le « niveau supérieur » : mais parfaitement accessible, à la seule condition de travailler.
Nous recommandons aux utilisateurs de faire *relier* ce numéro (qui est simplement broché, comme les autres numéros de la revue).
Si l'on veut en acheter des exemplaires déjà reliés, on en trouvera (prix de la reliure en sus) aux NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
3\. Catéchisme de S. Pie X
Il est moins *explicatif* que les deux précédents. Son avantage principal est double :
228:146
a\) il convient mieux pour une consultation immédiate, sur un point précis ; il donne de brèves et nettes *définitions ;*
b\) les formules de ces définitions peuvent être plus facilement apprises par cœur (on peut ainsi *garder* les points essentiels *fixés* dans la mémoire).
Ces définitions, ces formules peuvent être expliquées, éclairées, méditées à l'aide des deux catéchismes précédents. Avec le CATÉCHISME DE S. PIE X, *on sait immédiatement ce qui est vrai et ce qui est* faux. Il est donc d'une utilité directe pour *démasquer* instantanément les discours trompeurs sur la messe, sur les sacrements, sur les dogmes, sur le Décalogue, etc. Il est par excellence le guide sans équivoque qui énonce les points fixes, les vérités à croire, le *résumé net* de la pensée permanente et obligatoire de l'Église ; il est en somme *la théologie scolastique au niveau du catéchisme.*
C'est pourquoi de grands esprits, qui n'avaient pas dédaigné de s'instruire dans ce « petit catéchisme », y ont trouvé les lumières et les grâces de la conversion.
En un seul volume de 400 pages in-8° carré : Premières notions. -- Petit catéchisme. -- Grand catéchisme. -- Instruction sur les fêtes. -- Petite histoire de la religion.
A commander aux bureaux de la revue : c'est le supplément à notre numéro 143 ; l'exemplaire : 15 F. franco. -- Nous recommandons aux utilisateurs de faire *relier* ce supplément (qui est simplement broché, comme les autres suppléments de la revue). Si l'on veut en acheter des exemplaires déjà reliés, on en trouvera (prix de la reliure en sus) aux NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
4\. Catéchisme des plus petits enfants\
par le P. Emmanuel
Destiné non pas aux petits enfants eux-mêmes (il concerne ceux qui ne savent pas encore lire) mais aux mamans.
Le but du P. Emmanuel dans cet ouvrage est de « *former la mère chrétienne à la science de première catéchiste de ses enfants *»*.*
Un volume de 64 pages in-8° Jésus. -- ATELIER DOMINIQUE MORIN.
229:146
5\. Lettres à une mère sur la foi\
par le P. Emmanuel
Complément de l'ouvrage précédent.
Un volume de 64 pages in-8° Jésus. -- ATELIER DOMINIQUE MORIN.
6\. L'explication du Credo\
par saint Thomas d'Aquin
La première des trois connaissances nécessaires au salut ce qu'il faut croire, vertu théologale de foi.
Ce sont des *sermons* de saint Thomas *au peuple chrétien* ouvrage adéquat à *l'instruction du simple fidèle.*
Un volume de 240 pages. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
7\. L'explication du Pater\
par saint Thomas d'Aquin
La seconde des connaissances nécessaires au salut : ce qu'il faut désirer, vertu théologale d'espérance.
Comme l'ouvrage précédent, ce sont des *sermons au peuple chrétien,* convenant à l'instruction du *simple fidèle.*
Un volume de 192 pages -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
8\. L'explication des Commandements\
par saint Thomas d'Aquin
La troisième des connaissances nécessaires au salut : ce qu'il faut faire, vertu théologale de charité.
230:146
Explication des dix commandements du Décalogue et des deux préceptes de l'amour.
L'ouvrage doit paraître à l'automne 1970. La revue ITINÉRAIRES vous annoncera sa parution.
9\. Notre action catholique
Ce qui est possible, ce qui est nécessaire, les *principes* et les *modalités* de *l'action* que nous recommandons aujourd'hui : « *les cinq lignes directrices *».
C'est en somme le mode d'emploi des catéchismes cités, dans le contexte des circonstances actuelles.
Une brochure de 60 pages.
#### II. -- La messe catholique
1\. Le Bref examen critique\
présenté à Paul VI\
par les cardinaux Ottaviani et Bacci
Nous y avons fait suivre le texte du *Bref examen* par des extraits du *Catéchisme du Concile de Trente* et du *Catéchisme de S. Pie X* sur la messe et l'eucharistie.
C'est ainsi, en ce qui concerne la messe, l'indispensable *vade-mecum* de tout catholique.
Il faut l'étudier et il faut le faire connaître. Tout le monde en a plus ou moins parlé en France, mais sans en avoir le texte. Une brochure de 56 pages.
2\. Notre numéro sur la messe
C'est le présent numéro spécial.
231:146
#### III. -- Le combat spirituel de notre temps
Voici maintenant les ouvrages de base concernant le *combat spirituel* mené depuis bientôt quinze ans par la revue ITINÉRAIRES Selon sa DÉCLARATION FONDAMENTALE. Ces ouvrages constituent en quelque sorte le noyau central indispensable de toute bibliothèque des clubs, groupes et cellules des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES.
1\. Henri et André Charlier :\
Le chant grégorien
Ce livre est un livre de doctrine, d'enseignement, de sanctification : le livre d'aujourd'hui pour le combat spirituel de maintenant. Un livre indispensable aux familles et aux écoles chrétiennes.
Beaucoup ont cru, sans s'y arrêter davantage, que le chant grégorien était sympathique sans doute, intéressant, souhaitable, mais secondaire par rapport au drame religieux que nous vivons : alors qu'il est absolument central.
Henri et André Charlier ne sont pas nés dans une famille chrétienne. Ils sont des convertis de l'âge adulte. Ils sont venus *du monde moderne à la foi chrétienne* (contrairement à l'itinéraire de décomposition qui veut nous conduire de *la foi chrétienne au monde moderne.*)
Et personne en notre temps n'a compris, pratiqué et enseigné le chant grégorien comme ils l'ont fait, avec des fruits spirituels aussi manifestes et aussi durables.
Ils témoignent d'une chose qu'ils n'ont pas inventée, et ils l'expliquent : une chose qui appartient à la tradition, à la sagesse, à la pédagogie de l'Église, et que dans l'Église on est en train de méconnaître et d'oublier. *A savoir qu'en matière d'éducation chrétienne, le grégorien est plus surnaturel, plus simple, plus universel, plus populaire que tout le reste.*
232:146
L'Ouvrage comporte un chapitre sur la méthode pratique pour enseigner le chant grégorien aux enfants.
Un volume de 158 pages -- ATELIER DOMINIQUE MORIN.
2\. R.-Th. Calmel, o.p.\
Sur nos routes d'exil\
les Béatitudes
L'Ouvrage fondamental du P. Calmel sur la vie spirituelle : « élévations et instructions sur quelques vérités évangéliques ». L'esprit d'enfance et l'esprit évangélique. La pratique du commandement nouveau. Charité surnaturelle et noblesse humaine. Prudence de la chair et prudence de l'esprit. Charge du temporel et primauté du Royaume de Dieu. Héroïsme et gentillesse. Sens politique et pureté. Réponse intégrale aux iniquités politiques.
Un volume de 172 pages in-8° carré. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
3\. Henri. Charlier :\
Culture, École, Métier
Tout le problème de la formation intellectuelle dans une éducation chrétienne. *S'adresse spécialement aux parents ; aux enseignants ; aux responsables de l'action culturelle et de la formation civique.*
Le livre de base de la « réforme intellectuelle et morale » à laquelle travaille la revue ITINÉRAIRES dans la ligne de sa « Déclaration fondamentale ».
Un volume de 208 pages in-8° carré. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
4\. Marcel De Corte :\
L'homme contre lui-même
L'Ouvrage principal de Marcel De Corte sur la barbarie moderne :
233:146
Pour comprendre la décomposition spirituelle du monde contemporain : explication de « la haine que l'homme moderne éprouve contre lui-même » : la pathologie de la liberté, la crise du bon sens, la crise des élites, le déclin du bonheur, le mythe du progrès.
« La philosophie a perdu le sens des vérités simples, ingénues, élémentaires, et s'est enfoncée dans les ténèbres du philosophe lui-même ». Avec Marcel De Corte, la philosophie redevient *la science des évidences vitales*.
Un volume de 320 pages in-8° carré. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
5\. André Charlier :\
Que faut-il dire aux hommes
Cet ouvrage est la synthèse de la pensée d'André Charlier. Il est la mise en œuvre et l'illustration de Sa maxime : « Là règle la plus importante de la vie spirituelle est qu'il nous faut sans cesse rafraîchir, le regard que nous portons sur les choses essentielles ».
L'âme moderne en face de l'être. L'Occident et la pensée abstraite. Vocation de la France. Péguy et la détresse du monde moderne. Ramuz ; Copeau ; le cas Gide. L'illuminisme du XX^e^ siècle. Lettre à Jean Madiran sur la civilisation chrétienne. Confession vespérale.
Un volume de 384 pages in-8° carré. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
6\. Antoine Lestra :\
Histoire secrète\
de la Congrégation de Lyon
Une histoire qui nous apporte des exemples très concrets, très pratiques, très actuels de véritable « action catholique » en période de subversion.
Un volume de 368 pages in-8° carré. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
234:146
7\. Henri Massis :\
De l'homme à Dieu
La synthèse de l'œuvre religieuse d'Henri Massis : l'ouvrage qu'il écrivit spécialement pour la COLLECTION ITINÉRAIRES et pour le *combat spirituel* de la revue ITINÉRAIRES.
Un volume de 480 pages in-8° carré. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
8\. Louis Salleron :\
Diffuser la propriété
Une doctrine naturelle et chrétienne de l'activité économique dans le monde industriel.
Les principes de toujours. Les solutions pratiques pour demain.
Un volume de 224 pages in-8° carré. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
9\. Jean Madiran :\
L'hérésie du XX^e^ siècle
Lors de sa publication en 1968, cet ouvrage parut à certains aventuré ou excessif.
A le relire (ou à le lire) aujourd'hui, c'est-à-dire désormais sans étonnement ni scandale, le lecteur y découvre l'*explication doctrinale* de la crise religieuse que nous vivons ([^79]).
Un volume de 312 pages in-8° carré. -- NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
============== fin du numéro 146.
[^1]: -- (1). *Osservatore romano* du 27 novembre 1969.
[^2]: -- (1). L'étude de ces cas, et des textes réglementaires sur lesquels ils se fondent, est développée en détail ci-après, dans l' « annexe au memento ».
[^3]: **\***-- Cf. 17:145.
[^4]: -- (1). L'apparition du « processus » de la communion dans la main est un fait capital et décisif, par tout ce qu'il comporte et par tout ce qu'il révèle. On trouvera plus loin dans le présent numéro notre étude intitulée : Le processus *de la communion dans la main.*
[^5]: **\*** -- cf. *Itin*. n° 117, p. 87, note 1 : non pas *conservé* mais *observé*.
[^6]: -- (1). Référence de la *Documentation catholique* aux *Notitiae* de la Congrégation, numéro de mars 1970, page 104.
[^7]: -- (1). Ou : « dans les cas prévus par la législation ». C'est nous qui soulignons. Paul VI a fait cette lecture en italien (*Osservatore romano* du 27 novembre 1969) : « I sacerdoti che celebrano in latino, in private, *o anche in publico per i casi previsti dalla legis*tatione... »
[^8]: -- (1). Il y en a même un cinquième, concernant les célébrations liturgiques dans les Séminaires.
[^9]: -- (2). La Congrégation « des rites » a simplement changé de nom, elle est devenue Congrégation du « culte divin ».
[^10]: -- (3). Comme on le sait, cette traduction française de la loi conciliaire est faible. Il n'est pas dit : *sera conservé*, mais, plus fortement *doit être* conservé.
[^11]: -- (1). Déclaration du cardinal Gut, *Documentation catholique* du 16 novembre 1969, page 1049 (souligné, en italiques, par nous).
[^12]: -- (1). Ce qu'une telle « législation » peut avoir de navrant dans sa pensée et dans son style décadents, voire son allure de machiavélique sournoiserie, saute aux yeux. Nous ne nous y arrêtons pas. Nous ne plongeons là-dedans que pour en tirer les « cas prévus par la loi. »
[^13]: -- (1). *Documentation catholique* du 21 décembre 1969, page 1102.
[^14]: -- (1). De quoi certains tirent argument pour prétendre que ce n'est donc point une décision officielle. Mais ils se trompent, ou ils mentent. Il n'est nullement obligatoire que les décisions des Congrégations romaines soient publiées aux *Acta* pour être valides ; de fait, beaucoup d'entre elles n'y figurent point.
[^15]: -- (1). S. Pie V n'a pas inventé ni fabriqué une messe. Il a codifié la messe de toujours. C'est pourquoi cette *messe* est nommée : la messe « *dite de *» S. Pie V ; elle n'est pas de lui. -- Mais la promulgation, elle, est bien «* de *» S. Pie V. C'est pourquoi l'on dit : le Missel «* de *» S. Pie V, l'Ordo «* de *» S. Pie V.
[^16]: **\***-- ici : successivement \[2002\]
[^17]: **\***-- Cf. 26:139.
[^18]: -- (1). cf. *Itinéraires*, n° 141.
[^19]: -- (1). Voir l'éditorial de notre numéro précédent : numéro 138, pages 13 et suiv.
[^20]: -- (2). *Fonds obligatoire. Catéchisme français du cours moyen :* page 143.
[^21]: -- (1). Voir *Le Monde* du *29* novembre *1969 et Le journal la croix* du 1^er^ décembre.
[^22]: -- (1). Constitution conciliaire sur la liturgie, numéro 36.
[^23]: -- (2). Discours du 26 novembre 1969.
[^24]: -- (3). Constitution citée, numéro 116.
[^25]: -- (4). Discours du 26 novembre 1969.
[^26]: -- (5). Même discours.
[^27]: -- (1). Discours du 26 novembre 1969.
[^28]: -- (1). Édité par l'ATELIER DOMINIQUE MORIN (27, rue Maréchal Joffre, 92 -- Colombes ; C.,1C.P. Paris 82.86.87). L'ouvrage : 19,50 F franco.
[^29]: -- (2). Voir l'éditorial : « Le livre de la résistance », dans ITINÉRAIRES, numéro 118 de décembre 1967.
[^30]: -- (1). *Figaro* du 1^er^ décembre 1969.
[^31]: -- (1). « *Traducibile nella sua conversazione profana*. » Discours du 26 novembre 1969.
[^32]: -- (1). Propos entendu, publié et attesté par Louis Salleron : cf. ITINÉRAIRES, numéro 138 de décembre 1969, page 6.
[^33]: **\***-- Cf. 98:140.
[^34]: **\***-- Cf. 74:139.
[^35]: -- (1). Entre autres, *Pensée catholique* n° 122 et *Courrier de Rome* depuis le n° 49.
[^36]: **\***-- Cf. 48:142.
[^37]: -- (1). « Comme l'établit suffisamment, pour bref qu'il soit, l'examen critique joint à cette supplique, le *Novus Ordo Missæ* constitue, aussi bien en sa ligne générale qu'en ses considérants particuliers, un impressionnant écart, eu égard à la doctrine catholique concernant la Sainte Messe telle qu'elle fut formulée au cours de la XXII^e^ session du Concile de Trente, lequel \[entendit\] élever une barrière que ne pût franchir aucune hérésie susceptible d'altérer l'intégrité du mystère, \[précisément\] en fixant définitivement par des « canons » le rite \[de la Sainte Messe\]. »
[^38]: **\***-- Cf. 34:140.
[^39]: **\***-- Cf. 12:141.
[^40]: -- (1). Texte intégral de la lettre du cardinal Ottaviani à Paul VI dans les « Documents » du présent numéro.
[^41]: -- (2). Voir son étude détaillée dans notre numéro 140 de février 1970, pages 34 à 51.
[^42]: -- (1). Voir notre éditorial : « Sous réserve, pas plus. » : numéro 139 de janvier 1970.
[^43]: **\***-- Cf. 2:142.
[^44]: -- (1). *La charte de notre action :* les cinq lignes directrices, en tête de notre numéro 141 ; et dans la brochure : *Notre action catholique* (chap. I).
[^45]: -- (1). Sur ce dernier point, voir : *Journal écrit pendant un Synode*, dans ITINÉRAIRES, numéro 138 de décembre 1969, page 190.
[^46]: -- (2). Voir sur ce point : *Journal écrit pendant un Synode*, numéro cité à la note précédente, pp. 181-182 et 189-190 ; et voir dans notre numéro 141 de mars 1970 les pages 187 (en bas) et 188 (en haut).
[^47]: -- (1). Le « point précédent », ou « premier point », est la première « ligne directrice » qui a été citée plus haut.
[^48]: **\***-- Cf. 88:140.
[^49]: -- (1). Office des Religions Unies.
[^50]: -- (1). Un exemple particulièrement significatif : *L'initiation à la foi catholique,* de Monseigneur Poupard (Fayard éditeur à Paris, 1969).
[^51]: **\***-- Cf. 62:141 : omis dans l'original. \[2002\].
[^52]: -- (1). Dans son livre : *Orthodoxie*, paru en 1909, Chesterton parlant de ce même livre le décrit ainsi : « ...Le titre de l'un d'eux attire mon regard. C'est la *Jeanne d'Arc* d'Anatole France. Je n'y ai jeté qu'un coup d'œil, mais ce coup d'œil m'a suffi pour me rappeler la « Vie de Jésus » de Renan. C'est la même étrange méthode du respectueux sceptique. Discréditer des histoires surnaturelles qui ont un fondement en racontant des histoires naturelles qui n'en n'ont pas. »
[^53]: **\***-- Cf. 10:142.
[^54]: -- (1). *Documentation catholique* du 7 décembre 1969, pp. 1078-1079.
[^55]: -- (1). Et laquelle *Institutio generalis,* justement, a été modifiée, rectifiée, remaniée profondément par le Saint-Siège moins d'un an après sa première édition.
[^56]: -- (2). « Instruction sur l'application progressive de la Constitution apostolique *Missale romanum *» : dans la *Documentation catholique* du 16 novembre 1969, pp. 1007-1008.
[^57]: -- (1). Voici très précisément en quoi consiste cette contradiction. Après le cas des « prêtres âgés » (traité à l'art. 19 de l'Instruction romaine et à l'art. 10 de l'Ordonnance française), viennent les *autres cas particuliers.* Ils seront soumis au *Saint-Siège,* stipule l'art. 20 de l'Instruction romaine. Non pas : *à l'Ordinaire,* décrète l'art. 11 de l'Ordonnance française
[^58]: -- (1). Cet article a été publié en août 1969 : dans le 3^e^ supplément à notre numéro 135. C'est *au cours de l'année 1969*, et point seulement mais notamment par cette affaire de la « communion dans la main », que *les choses se sont dévoilées* et que *les hommes se sont démasqués,* d'une manière désormais certaine, inscrite en clair dans leurs propres documents. Avant 1969, il y avait des signes : depuis 1969 il y a, dans les actes et discours, *la preuve* répétée de la *duplicité* (duplicité de fait, au sens premier du mot dans le Littré ; nous la constatons, sans prétendre prononcer aucune qualification morale).
[^59]: **\***-- Cf. 36:142.
[^60]: -- (1). Prières de l'Offertoire au Rite dominicain.
[^61]: -- (2). Comme étude accessible et sûre, profonde et pieuse, sur la Messe en général et le Canon en particulier, je ne me lasse pas de recommander, dans la collection Je sais, Je crois (chez Fayard, éditeur à Paris) le petit livre de 125 pages de François Amiot, sulpicien, *Histoire de la Messe.* Paru en 1956 ce très grand petit livre est bien oublié. Il est cependant, et de très loin, plus éclairant et édifiant que les petits livres de Jungmann, parus au *Cerf* vers 1954. On gagnera toujours à lire l'opuscule de Maritain *Liturgie et Contemplation* (Desclée de Brouwer à Paris, 1959).
[^62]: **\***-- Cf. 1:143.
[^63]: -- (1). J'emploie le mot mystique, comme la liturgie le fait souvent dans les secrètes ou les postcommunions, au sens de sacramentel, pour désigner ces réalités du Salut qui sont accomplies ou présentes en vertu de l'institution divine, du fait d'être signifiées ; elles sont réelles mais sous un voile. *Efficiunt quod significant*...
[^64]: **\***-- Cf. 17:144.
[^65]: -- (1). Voir l'épître de la messe de la Fête-Dieu.
[^66]: -- (1). La mémoire de la Passion nous est rappelée (efficacement), la grâce se répand à flot dans nos âmes et nous recevons le gage de notre gloire à venir (Antienne des II^e^ Vêpres du Saint-Sacrement au Magn.).
[^67]: -- (1). Ayant aimé les siens qui étaient en ce monde il les aima jusqu'à la fin. (Jo. XV, 1.)
[^68]: -- (1). Voir les Canons du *Concile de Trente* sur la Messe ; notamment Canon 3, n° 950 dans Denzinger (édit. de 1955).
[^69]: -- (2). Pour éviter par exemple une profanation.
[^70]: -- (1). Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. (Jo. VI, 57.)
[^71]: -- (1). VILLON, *Ballade pour prier Notre-Dame*.
[^72]: **\***-- Cf. 33:145.
[^73]: -- (1). Dans le livre : *Le chant grégorien,* par Henri et André Charlier, dont sont extraites les présentes pages.
[^74]: -- (1). Voir plus haut : *Quoi faire,* par Luce Quenette.
[^75]: -- (2). On m'a dit qu'on avait dressé une troupe d'enfants à venir pendant la Messe *réclamer les* *nouveautés* (Mao ?).
[^76]: -- (1). Jean Madiran, au Congrès de Lausanne 1968.
[^77]: -- (1). De la célébration de la Sainte Messe et de la récitation de l'Office divin. Opuscule de Saint Alphonse de Ligori.
[^78]: -- (1). Notre lettre à Paul VI est du 11 juin 1970, notre lettre au cardinal Gut du 12 juin. Elles ont été, à leur date, envoyées par la poste. La lettre à Paul VI a fait l'objet, au début de juillet, d'un accusé de réception verbal qui nous a été transmis par la Nonciature apostolique à Paris.
[^79]: -- (1). Ce volume est le tome I, le seul actuellement paru, de *L'hérésie du XX^e^ siècle*. Le tome II, en préparation, paraîtra, peut-être en 1971, sous le titre : Le sac de Rome.