# 149-01-71 3:149 ### Déclaration par le Père Maurice Avril *Par fidélité absolue au Christ, dont le sacrifice est réellement renouvelé, comme au calvaire, quoi­que d'une manière non sanglante,* *Par fidélité absolue à l'Église catholique ro­maine,* *Je déclare conserver exclusivement, comme le Droit me le permet toujours, et en Latin, seul écrin capable de receler le joyau de la Doctrine, la Messe Romaine codifiée par Saint Pie V.* *Seule cette Messe contient, et infailliblement, toute la Doctrine.* *Seule cette Messe maintient, et intégralement, toute la Tradition.* *Seule cette Messe retient, et sûrement, contre toutes déviations, ouvertures hasardeuses, orien­tations tendancieuses.* 4:149 *Seule cette Messe appartient, et merveilleuse­ment, à tous les siècles de l'Église, à toute l'écono­mie du Salut.* *Seule cette Messe soutient, et fortement, ma vie intérieure, ma vie d'amour enracinée dans le Dogme.* *Seule cette Messe entretient, et ineffablement, la joie de ma jeunesse, que personne ne pourra me ravir, la saveur de Jésus, substantiellement pré­sent, lui qui a vaincu le Monde.* Maurice Avril,\ prêtre. 5:149 ### Déclaration par l'Abbé Raymond Dulac Nous avons été les premiers à dénoncer le dé­faut radical, inguérissable, du nouvel *Ordo Missae.* C'était le 25 juin 1969, quelques jours après l'appa­rition en France de l' « édition *typique *» de cette messe réformée ([^1]). Nous y sommes revenus bien des fois, depuis cette date. Nos critiques étaient assez graves pour que nous ayons pu dès le début y trouver le motif d'un REFUS. Mais jamais nous n'avons dit que la nouvelle messe était « hérétique ». Hélas ! *elle est, pourrait-on dire,* PIS *que cela *: elle est ÉQUIVOQUE ; elle est flexible en des sens divers. Flexible *à volonté.* La volonté individuelle qui devient ainsi la règle et la mesure des *choses.* L'hérésie formelle et claire agit à la manière d'un coup de poignard. 6:149 L'équivoque agit à la manière d'un poison lent. L'hérésie attaque un article précis du dogme. L'équivoque, en lésant l'habitus lui-même de la foi, blesse ainsi *tous* les dogmes. On ne devient formellement hérétique qu'en le voulant. L'équivoque peut ruiner la foi d'un homme à son insu. L'hérésie affirme ce que nie le dogme, ou nie ce qu'il affirme. L'équivoque détruit la foi aussi radicalement en s'abstenant d'affirmer et de nier : en faisant de la certitude révélée une opinion libre. L'hérésie est ordinairement un jugement *con­tradictoire* à l'article de foi. L'équivoque est dans l'ordre de ce que les lo­giciens appellent le « disparate ». Elle est à *côté* de la foi. A côté même de la raison, de la logique. Eh bien, nous oserons dire : il y a pis encore, peut-être, que l'équivoque : il y a le *substitut* de la foi théologale, sa *contrefaçon,* son *ersatz :* son *succédané sentimental* ([^2])*.* 7:149 Et le plus détestable de ces succédanés, c'est celui qui dissimulerait l'artifice sous le vernis mystique ; celui qui, dans le cas de la Messe, mas­querait l'INDIGENCE THÉOLOGIQUE ou sa carence for­melle sous le sucre d'une mystique frelatée, com­me si l' « émotion », l' « expérience », l' « action » pouvaient suppléer aux omissions ou aux équivo­ques de la foi *intellectuelle :* « La sagesse mystique, goûtant *dans l'amour* cela même que la foi atteint comme *caché,* nous fait juger et estimer de façon meilleure ce que nous connaissons *par la foi,* mais ne nous décou­vre aucun OBJET de connaissance *que la foi n'at­teindrait pas.* Elle perfectionne la foi quant au *mode* de connaître, non quant à *l'objet* connu. » 8:149 C'est J. Maritain qui écrivait ces excellentes choses, -- en 1932 : le Maritain non point de l'*Hu­manisme intégral,* mais celui des *Degrés du Savoir* (3^e^ éd. ; p. 524). Et il ajoutait : « C'est une DÉSASTREUSE ILLU­SION de chercher l'EXPÉRIENCE MYSTIQUE *en dehors de la* FOI, d'imaginer une expérience mystique affranchie de la foi *théologale. *» Appliquez ces principes au nouvel Ordo Missae, vous le condamnez d'une façon irrémédiable. \*\*\* Ce qui d'emblée avait soulevé le sens catholi­que contre le nouvel O.M., c'était l' « *Institutio generalis* » qui précédait le Missel proprement dit : instruction en 341 articles, couvrant 63 pa­ges ! C'est ainsi que les Réformateurs du Concilium, entendaient « simplifier » la liturgie et réa­gir contre l'ancien « rubricisme » !... Parmi ces 341 articles, c'est le fameux art. 7 qui avait excité les plus vives protestations (« La Cène du Seigneur, autrement dit la Messe, est la sainte assemblée du peuple de Dieu qui se réunit sous la présidence du prêtre... », etc.). Il faut le dire, en le déplorant profondément chez beaucoup de catholiques, la considération de cette *Instruction* (...minimisée bientôt par ses au­teurs en simple « Présentation » !) est allée jus­qu'à éclipser le RITE lui-même de la nouvelle messe, dont les rubriques n'étaient pourtant que la formulation réglementaire ou la glose ! 9:149 Or c'est le RITE lui-même (*paroles, gestes* et *objets* sacrés), c'est le rite qui méritait la critique radicale, celle que la lettre à Paul VI des cardi­naux Ottaviani et Bacci avait exprimée en des termes si sévères : « Le nouvel O.M., à considérer ses éléments nouveaux, *même* si on les estime susceptibles d'une appréciation diverse..., représente, dans son ensemble comme dans ses détails, un IMPRESSION­NANT ÉLOIGNEMENT de la théologie catholique de la S. Messe... » Et cette critique du RITE nouveau devait, pour être lucide, porter dans un détail précis, sur qua­tre points : -- ses *suppressions --* ses *additions --* ses sub­*stitutions* ou *modifications* de paroles et de gestes. Tout cela convergeant au même but, à savoir : 1 ° -- Réduire la Messe à une cérémonie pure­ment commémorative, ou, tout au plus, à un sa­crifice de simple « action de grâces », nettement distinct d'un sacrifice « propitiatoire » pour la rémission des péchés. 2 ° -- Par voie de conséquence, *minimiser,* jusqu'à *l'anéantir,* la notion catholique du PRÊTRE célébrant : auteur *personnel* d'une ACTION distincte de la simple prière, agent d'une OBLATION vraiment *sacrificielle* accomplie *par la vertu même du rite* ordonné par Jésus-Christ. 10:149 L'examen minutieux, attentif, du RITE NOUVEAU révèle ainsi quantité de petites ruses verbales, d'arrière-pensées, de réticences, comme en sont seuls capables des... EXPERTS, non point tant ex­perts en théologie qu'en *psychologie :* psychologie de « groupe » et de « publicité » ! Le relevé exhaustif de ces leurres, pièges et chausse-trapes n'a point encore été fait. Nous y travaillons personnellement et nous exhortons nos amis à faire eux-mêmes ce travail pour leur pro­pre compte, dans un esprit de foi en Jésus-Christ et de fidélité à l'Église de toujours. Mais nous leur recommandons vivement la règle suivante : Ne pas se tenir satisfait et rassuré par un MOT, apparemment irréprochable. Il y a le mot, et il y a l'USAGE du mot : son usage *liturgique, traditionnel, sacré,* dont la signification UNIVOQUE était, dans le Missel de St Pie V, préservée par tout le contexte et par un emploi séculaire immuable. Exemple : le mot « *sacrifice *» porte *plusieurs* sens ! De même : « *offrande *»*.* Il y a déjà un CRITÈRE pour ce discernement les nouvelles TRADUCTIONS en langue vulgaire. Ce que le latin du nouvel O.M. *paraissait* encore maintenir se trouve entièrement altéré, et d'une manière *identique,* dans *toutes* les traductions ; nous disons : les traductions OFFICIELLES. -- Ainsi « offerimus » (« nous Vous offrons ») est tra­duit : « Nous vous *présentons *»* :* ce qui est tout autre chose qu'une maladresse : un contresens exprès d'inspiration protestante. \*\*\* 11:149 En publiant, il y a quelques semaines, une nouvelle édition « EXEMPLAIRE » de son O.M., la Commission Bugnini a cru ou voulu croire ou cherché à faire croire que quelques corrections verbales apportées à l'*Institutio generalis* suffi­raient sinon à lever les énormes défauts du RITE, du moins à calmer les protestations. Mais la Com­mission s'est bien gardée de toucher au RITE ! ... Si peu de gens savent *lire !...* Si peu sont capables de *méditer !...* Si nombreux sont ceux qui souffrent d'être *troublés* dans leur quiétude ! ... Si nombreux les lâches qui se déchargent des responsabilités de *leur* baptême et de *leur* confir­mation sur les « théologiens » ou les évêques. Disons-le fermement : l'édition « *exemplaire *» du nouvel O.M. destinée à clarifier, en 1970, l'édi­tion *déjà* « *exemplaire *» de 1969, est une moque­rie : A Dieu, Et au « peuple de Dieu ». Les correcteurs de 1970 n'ont rien corrigé *dans le* RITE de leur messe polyvalente. 12:149 Ce Rite continue à porter un PÉCHÉ ORIGINEL que nulle circoncision ne sera jamais capable de supprimer : le péché d'avoir voulu fabriquer une « messe » passe-partout, apte à être célébrée par un catholique et par un protestant. Tant que les prières d'OFFERTOIRE du Missel de St Pie V n'auront pas été rétablies, dans leurs termes séculaires, nous continuerons fermement : A SUSPECTER le nouvel O.M. A LE REFUSER. -- Nous le refusons, aujourd'hui comme hier. Raymond Dulac,\ prêtre. 13:149 ### Autorité et sainteté dans l'Église par R.-Th. Calmel, o.p. IL FAUDRAIT FAIRE VIOLENCE à l'Évangile, aux Actes des Apôtres, aux Épîtres et même à l'Apocalypse pour leur faire dire que l'autorité et la hiérarchie ne sont pas essentielles à l'Église fondée par Notre-Seigneur. Le mot hiérarchie peut n'avoir pas une résonance particu­lièrement mystique ; il peut être irritant non seulement pour notre orgueil, mais pour notre sentiment de l'honnê­teté, tant nous avons été rassasiés par les abus de pouvoir ou l'incapacité des chefs ; le terme *hiérarchie* peut nous sembler peu compatible au premier abord avec le terme *sainteté.* Il reste que l'Évangile qui est essentiellement *mystique* car il nous révèle, entre autres merveilles, ce qu'est la vie de la créature humaine quand elle est toute passée dans *les mystères de Dieu,* en le Christ Jésus, l'Évangile donc, Révélation plénière de la sainteté est, indivisible­ment, plénière Révélation d'une certaine autorité ; ce genre d'autorité qui a des pouvoirs adaptés à la sainteté : pou­voirs de faire les sacrements (en particulier le Saint Sacre­ment) et pouvoir d'annoncer de manière infaillible cette sorte de vérité qui est le secret de Dieu, c'est-à-dire les mystères surnaturels ; pouvoir enfin d'ordonner des prêtres qui, par la vertu du sacrement de l'ordre, et selon une juridiction déterminée, seront capables à leur tour de prê­cher les mystères et de faire les sacrements. 14:149 Enlevez de l'Évangile le choix des Douze, la primauté de Pierre parmi les Douze, l'ordination des seuls apôtres à consacrer le pain et le vin au Corps et au Sang du Fils de Dieu immolé pour nous, bref l'institution d'une hiérarchie rigoureusement constituée, vous supprimez alors l'Évangile ; vous lui faites subir une amputation d'une telle ampleur qu'il n'est plus reconnaissable et ne se soutient plus. Les Protestants l'ont essayé. Mais vingt fois la démonstration a été faite de la fausseté d'une thèse qui veut garder de l'Évangile la mys­tique et la sainteté tout en supprimant l'autorité et la hié­rarchie. Si nous lisons l'Évangile comme il est écrit, si nous cherchons d'abord à voir ce qui est, quelques désagréments ou tourments que nous devions en ressentir ([^3]), nous som­mes obligés de dire : la réalité de l'Église est affirmée par l'Évangile ; et réciproquement l'Église, dont l'Évangile nous garantit l'existence et la constitution, est une société hiérarchique de la vie surnaturelle ; ou si vous voulez, une société à la fois surnaturelle et hiérarchique de la vie avec Dieu. Fort bien. Mais depuis le blâme infligé à Pierre lui-même par Jésus nous savons tous que dans l'Église, la *sainte* Église, les détenteurs de l'autorité ne sont pas tou­jours des saints. Et il s'en faut. Et peut-être avons-nous fait surabondamment l'expérience de la vérité confondante de la réprobation de Jésus au chef des Apôtres : *Vade post me Satana.* Il arrive non seulement que les détenteurs de l'autorité, disons les prêtres, les évêques, le Pape -- chacun à leur rang -- commettent, en les déguisant sous des mas­ques convenables ou même sublimes, des péchés manifes­tement graves, des péchés horribles de tyrannie, d'orgueil, de jalousie, de lâcheté, de luxure, mais ils peuvent même en arriver, nous en avons la preuve sous les yeux, jusqu'à tenter de subvertir la forme d'autorité établie par le Sei­gneur. Dans son Église le Seigneur a voulu l'autorité per­sonnelle et l'a instituée personnelle. Or nous assistons de­puis le Concile à une gigantesque tentative de dépossession de l'autorité ; de personnelle qu'elle est par droit divin, nous la voyons se parlementariser, se collégialiser, on pour­rait dire se soviétiser. 15:149 Je m'explique. Vous pouvez tourner et retourner cha­cune des pages de l'Évangile, nulle part vous ne trouverez que l'enseignement de la foi est dévolu à quelque commis­sion soustraite de fait à la hiérarchie et dont évêques et prêtres ne sont que mandataires et exécutants. Je n'exagère pas. Et s'il n'en est pas ainsi dans la nouvelle église que Vatican II a essayé de monter, expliquez-moi pourquoi tel « bon » évêque qui enseigne à ses petits neveux un caté­chisme catholique, -- avec Marie toujours vierge, le Saint Sacrifice de la Messe, le péché originel et les saints Anges, -- impose néanmoins aux dizaines de milliers d'enfants de son diocèse un catéchisme, issu des commissions, dans lequel tous ces dogmes sont niés ou embrouillés et indis­cernables. Pourquoi ? Parce que ce « bon » évêque est dé­possédé de son pouvoir d'évêque par la collégialité et qu'il tente, dans le privé et comme grand-oncle, de se ressaisir et de faire taire les supportables morsures de sa conscience d'évêque. Même constatation pour l'évêque « passable » qui serait certainement épouvanté à l'idée que la petite cousine qu'il vient de marier n'hésite pas à recourir à la pilule, mais qui ne trouve pas horrible d'autoriser comme chef de diocèse et pour des dizaines de milliers de jeunes filles et d'épouses les diaboliques produits contraceptifs. Le Seigneur Jésus, vrai Dieu et vrai homme, a fait une Église sainte, une société au niveau des mystères et de la sainteté du Dieu unique en trois personnes : *et societas nostra sit cum Patre et cum Filio ejus, Jesu Christo* ([^4])*.* Il a muni cette Église de pouvoirs particuliers en vue de la sainteté. Ces pouvoirs sont hiérarchiques, assistés, person­nels ; hiérarchiques ils comportent des degrés, une or­donnance mutuelle, un droit de commander un devoir d'obéir (en un mot une *juri-diction,* une aptitude réelle à *dire le droit*) ; assistés, ces pouvoirs sont garantis par l'ac­tion de l'Esprit Saint contre l'hérésie dogmatique et l'in­validité sacramentelle ; personnels, ces pouvoirs sont déte­nus par une personne déterminée (vulgaire ou noble, sainte ou médiocre) en tout cas une personne personnellement res­ponsable ; ils ne peuvent être transférés à aucune de ces multiples variétés d'organisations de type rousseauiste et maçonnique, dans lesquelles le pouvoir réel est occulte et masqué tandis que la personne qui détient officiellement le pouvoir est dépossédée du pouvoir réel et transformée en agent d'exécution. 16:149 La fausse église qui se montre parmi nous depuis le curieux Concile de Vatican II s'écarte sensiblement, d'année en année, de l'Église fondée par Jésus-Christ. La fausse église post-conciliaire se contredivise de plus en plus à la sainte Église qui sauve les âmes depuis vingt siècles (et par surcroît illumine et soutient la cité). La pseudo-église en construction se contredivise de plus en plus à l'Église vraie, à la seule Église du Christ, par les innovations les plus étranges tant dans la constitution hiérarchique que dans l'enseignement et les mœurs. \*\*\* Que faire ? Le prêtre, le fils de saint Dominique qui écrit ces lignes, sait fort bien qu'il ne peut tenir la place d'aucun des prêtres du premier ordre qui sont entrés dans la *succession apostolique.* Du reste il n'en eut jamais le désir ou l'envie. Dominicain je suis et pas plus n'en deman­de. Plaise à Dieu et à Notre-Dame vouloir m'octroyer fidélité jusqu'à la fin. C'est tout. Donc nous autres prêtres ne pou­vons prendre la place des évêques ; pas plus que les évêques ne peuvent se faire pape. Et ce qu'il y a d'absurde et de criminel dans la collégialité c'est que cette organisation de type démocratique ([^5]), maçonnique et rousseauiste nous *papifie* les évêques. Nous avons des évêques personnelle­ment annulés mais, collégialement, en voie de *papification.* Quoi qu'il en soit des aberrations de l'autorité hiérar­chique dans la sainte Église et de la nouveauté collégialiste dans ces aberrations, les prêtres du second ordre ne peuvent tenir la place des évêques ni les laïques tenir la place des prêtres. Songeons-nous alors à mettre sur pied une immense et mondiale ligue ou association de prêtres et de chrétiens fidèles qui, devenus des « interlocuteurs valables » pour la hiérarchie officielle, l'obligeront à reprendre en main les rênes et à rétablir l'ordre ? Dessein grandiose, dessein émouvant, dessein chimérique. 17:149 Car enfin ce groupe qui se voudra d'Église mais ne sera ni diocèse, ni archidiocèse, ni paroisse, ni ordre religieux, qui n'entrera dans aucun des secteurs sur lesquels et pour lesquels s'exercent l'autorité dans la sainte Église, ce groupe sera artificiel : *arte-factum* étranger aux groupes réels établis et reconnus. Comme pour tout groupement le problème du chef et de l'autorité se posera pour ce groupe ; et même avec d'autant plus d'acuité que le groupe sera plus énorme. Nous ne tarderions pas à aboutir à ceci : un groupe qui, étant une association, ne peut éluder la question de l'autorité ; un groupe qui étant artificiel (par là même en dehors des associations selon la nature et selon la Révélation et la grâce) rendra insoluble la question de l'autorité. Des groupes rivaux ne tarderont pas à s'élever. La guerre en deviendra inévitable. Il n'exis­tera entre les groupes rivaux aucun moyen canonique de mettre fin à cette guerre ni même de la conduire. Sommes-nous alors condamnés à l'impuissance au mi­lieu du chaos, et souvent un chaos sacrilège. Je ne le crois pas. D'abord du fait d'être de Jésus-Christ l'Église est assurée d'une certitude absolue, de conserver, jusqu'à la fin du monde inclusivement assez de hiérarchie personnelle authentique pour que se maintiennent les sept sacrements, en particulier les Sacrements de l'autel et l'Ordre ; ensuite pour que soit prêchée et enseignée la doctrine du Salut, unique et invariable. « Voici que je suis avec vous chaque jour *jusqu'à la fin du monde *» (Matth. XXVII, 20). « Cha­que fois donc que vous mangerez ce pain et boirez ce calice vous annoncerez la mort du Seigneur *jusqu'à ce qu'il re­vienne *» (Ia Cor. XI, 26). « Si ces jours n'étaient pas abrégés nulle âme ne serait sauvée, mais ces jours *seront abrégés, à cause des élus *» (Matth. XXIV, 22). Ces textes disent ce qu'ils disent c'est-à-dire la certitude d'une permanence in­vincible de l'Église : doctrine, sacrement, sainteté, et ne souffrent pas de ré-interprétation désespérée ni désespéran­te. Par ailleurs même dans l'amenuisement progressif -- mais toujours limité -- de l'autorité hiérarchique person­nelle et réelle nous détenons tous, prêtres et laïques, cha­cun pour notre compte, une petite part d'autorité. Nous autres prêtres avons les pouvoirs de célébrer la vraie Messe, absoudre, prêcher. Les parents, malgré le totalitarisme éta­tique et la décomposition de la cité, n'ont pas perdu tout pouvoir de former et d'éduquer les enfants qu'ils ont mis au monde. 18:149 On ferait une remarque du même genre pour les écoles, pour ceux et celles qui en sont responsables : prê­tres, frères, religieuses ou laïques. -- Donc que le prêtre fidèle qui est apte à instruire et prêcher, absoudre et dire la messe aille jusqu'au bout de son pouvoir et de sa grâce de prêcher et d'instruire, de pardonner les péchés et d'offrir le Saint-Sacrifice dans le rite traditionnel ([^6]). Que la sœur enseignante aille jusqu'au bout de sa grâce et de son pou­voir de former les jeunes filles dans la foi, les bonnes mœurs, la pureté, les belles-lettres. Que chaque prêtre, chaque laïque, chaque petit groupe de laïques et de prêtres, ayant autorité et pouvoir sur un petit fortin d'Église et de chrétienté aille jusqu'au bout de ses possibilités et de son pouvoir. Que les chefs de fortin et les occupants ne s'ignorent pas et communiquent entre eux. Que chacun de ces fortins, protégé, défendu, entraîné, dirigé dans sa prière et ses chants par une autorité réelle, devienne autant que possible un bastion de sainteté : voilà qui assurera la continuité certaine de la vraie Église et préparera effi­cacement les renouveaux pour le jour qui plaira au Sei­gneur. Par là se fait la préparation, non par les immenses machines d'associations planétaires pour lesquelles le pro­blème du chef demeurera insoluble cependant que les aspi­rations à la sainteté s'évanouiront en bavardages frivoles et seront étouffées sous la multiplicité des circulaires et des bulletins, sans parler du lamentable pullulement de ces réunions en congrès... Ce qui reste toujours possible dans l'Église, ce que l'Église, assurera toujours, quoi qu'il en soit des essais diaboliques de la nouvelle église post-vaticanesque, c'est ceci : tendre à la sainteté réellement, pouvoir s'instruire de l'immuable et surnaturelle doctrine dans un groupe réel même fort petit, sous une autorité réelle et gardant l'assu­rance qu'il restera toujours à la fois des vrais prêtres et des évêques fidèles qui n'ont pas démissionné (peut-être sans même le voir) aux mains des commissions et de la collégialité. 19:149 Le moyen, me semble-t-il, pour permettre au combat chrétien d'atteindre toute son ampleur en échappant aux conflits intérieurs et aux rivalités extérieures, c'est de le mener par petites unités, qui se connaissent dans la me­sure où elles le peuvent, qui se portent secours à l'occa­sion, mais qui refusent d'entrer dans je ne sais quelles organisations systématiques et universelles. Dans ces diverses unités, telles qu'une modeste école, un humble couvent, une confrérie de piété, un petit groupement entre familles chrétiennes, une organisation de pèlerinage, l'au­torité est réelle et indiscutée ; le problème du chef ne se pose pratiquement pas ; l'œuvre à faire est précise. Il s'agit seulement d'aller jusqu'au bout de sa grâce et de son auto­rité dans la petite sphère dont on a certainement la charge, en se tenant relié, sans grandes machines administratives, à ceux qui font pareil. Le Seigneur brisera la collégialité, accordera des évêques qui exerceront personnellement et saintement leurs pouvoirs, fera lever un grand et saint Pape lorsqu'il verra dans son Église des âmes et des groupes assez fervents pour les accueillir. D'ici là le Seigneur ne permettra pas à la collégialité et à la démocratisation de jamais préva­loir. Il ne le permettra pas parce qu'il donnera toujours à son Église, pour rester sainte, c'est-à-dire pour faire les sacrements et sanctifier les âmes, la quantité indispen­sable de pouvoir hiérarchique et de pouvoir sacerdotal ordinaire. La Vierge élevée aux cieux, qui ne cesse d'in­tercéder pour l'Église, de son Fils, est toujours sûre d'être exaucée. Il est permis de lui dire : *Regina pastorum om­nium ora pro nobis.* R.-Th. Calmel, o. p. 20:149 ## CHRONIQUES 21:149 ### Les inconnus dans la maison par Luce Quenette TOUTES LES OBSERVATIONS qui suivent ont été faites à l'expérience, tant auprès des enfants de la Péraudière que de bien d'autres que nous avons rencontrés depuis fin septembre 1970. Ces observations sont graves. L'épouvantable vague de cor­ruption et d'impiété mord sur les enfants avec une accélération qui rend déjà caduques les expériences que nous signalions l'année dernière. Les enfants sentent : 1\) que dans les écoles on leur fait ou on laisse leur faire beaucoup de mal, 2\) que les parents ne peuvent pratiquement s'imaginer ce mal nouveau, inconnu d'eux (du moins le pensent-ils). Alors les enfants se cachent, se taisent, donnent le change, et hélas, par leur comédie, parviennent à rassurer les grandes personnes. J'écris pour vous enlever toute sécurité humaine, et, pour qu'il ne vous reste que les ressources surnaturelles. -- « As-tu dit cela à Maman ? » -- « Oh non ! » -- « Ton père sait-il ce que fait ce camarade ? » -- « Non ! » -- « Papa sait-il ce qui s'est passé dans ta classe ? » -- « Je n'ai pas osé ! » -- « Maman a-t-elle lu ce livre d'histoire naturelle que l'on t'a donné dans ton école ? » -- « Non, je ne l'ai pas montré, on a parlé du corps entre nous. » 22:149 -- « Quand vous jouez avec les enfants de la ferme, où est Maman ? Lui dites-vous le soir les sottises que vous avez fai­tes ? » -- « Oh non ! ce n'est pas la peine ! » -- « Ta Maman sait-elle que tu communiais dans la main ? » -- « Oh non, avec elle, je ne le faisais pas. C'était rien qu'avec un camarade, parce qu'il me l'avait fait promettre. » -- « Tu savais que c'était très mal, puisque tu le cachais ? » -- « Je n'y pensais pas ! » Et cette chère Maman bouleversée : « Mais je vois qu'il ne fait rien de rien en classe, Mademoiselle, j'avais fait confiance au test, au psychiatre, à l'examen d'entrée au lycée. » J'ai dit plusieurs fois et je le répète à l'occasion ici : Il suffirait à un père dont le fils est en terminale de *lire en entier le cours* que ce fils *est obligé d'apprendre* et les romans *qu'il doit* lire à seule fin, paraît-il, de passer le bac, pour que le père horrifié arrache le fils de cette marée de boue, si ce père est simplement honnête homme. Et les filles donc, bril­lantes dit-on et précoces qui, en classe mixte, ingurgitent même potage, dont maman, honnête ménagère, ne suppose même pas l'odeur. En effet, cette sorte de démon de Révolution est muet. Il y a des enfants qui ont vu des scandales, des choses hor­ribles qui nous auraient, nous enfants, jetés pleurant dans les bras de nos mères et qu'ils cachent aux leurs, tandis qu'ils en parlent à un camarade douteux. Aussi, dès que nous sommes sûrs de la foi authentique d'un père et d'une mère, nous répétons sans cesse : « Dis à ta Maman, raconte à Papa, pas aux camarades, à tes Parents. » Mais ces bons Parents nous diront avec simplicité : « C'est sans doute notre faute si nos enfants nous cachent leur véritable vie ! » Je répondrai que les enfants de ce temps sont travaillés par de telles aberrations, assaillis dans leur faiblesse de tenta­tions si bizarres, qu'il est vrai que la principale difficulté vient, non pas des parents, mais de l'inexprimable confusion où, en classé, on laisse vivre leur infortunée jeunesse. 23:149 « Je ne suis pas assez compréhensif et accueillant », me dit ce jeune père. Répondrais-je que pour attirer les confidences et les aveux, la *compréhensivité* telle qu'on la pratique aujour­d'hui et l'*accueillance* ne sont pas l'essentiel. Être compréhensif, n'est-ce pas, devant un crime, *l'expliquer* par des facteurs physiques ou sociaux qui *l'enlèvent à la catégorie du péché* pour le placer dans celle de phénomène nécessaire dont l'auteur est innocent, tandis que sont responsables la victime, peut-être, et la morale traditionnelle, sûrement... ! L'essentiel est donc tout à fait loin d'une humeur conci­liante et d'une indulgence préfabriquée. On constatait, autrefois, dans les collèges, que les enfants les plus profonds, les plus troublés et donc souvent les plus coupables, s'adressaient de préférence au « père spirituel » le plus austère et quelquefois le plus revêche. Les Jésuites, fort avisés dans ce temps-là, et qui avaient le choix, entretenaient dans chaque « génitoire » de la Compagnie un trio bien connu : le Père Jovial, le Père Brillant Savant, et le Père Ascétique. La plus intéressante clientèle des pécheurs repentants allait à celui-ci. C'est la leçon de l'expérience, mais c'est la leçon de la foi. Pour mériter la confiance des enfants, il faut avoir un senti­ment aigu, profond, médité, de l'horreur du PÉCHÉ. Il faut con­naître la loi de Dieu, les lois traditionnelles de l'Église, bien à fond, il faut savoir son catéchisme (de Pie X, ou mieux : de Trente) sur le seul vrai mal : péché mortel (ses conditions), péché véniel, originel, actuel, péchés capitaux, vertus opposées et le sacrement de Pénitence, et la satisfaction en ce monde et en l'autre, et, bien sûr, l'Enfer éternel, le Purgatoire, le Juge­ment, la Mort. Tout se tient ! et se tient à la Croix du Sauveur où l'ont fixé nos péchés et au Cœur de sa Sainte Mère qu'ils ont transpercé. Donnez-moi une Mère, voire une Grand'Mère tout imprégnée de cet enseignement, de cette crainte, de cette certitude que le péché est le plus grand mal -- et ses enfants iront à elle, même les enfants de 1971. La miséricorde n'est pas la volatilisation du péché, elle est la douce application des mérites de Jésus sur le Cœur repentant. Quelle belle confession sait préparer une Maman ainsi con­vaincue. Une bonne confession (même si l'oreille sacerdotale qui l'écoute est distraite ou pressée, ce n'est pas mon propos). #### Prendre au sérieux. La deuxième disposition pour que les enfants ouvrent leur cœur, *c'est l'expérience des périls de l'heure.* Trop de parents ne veulent pas savoir que c'est si grave. Ils sont perdus. 24:149 Prendre à la légère les malheurs et les enfants de ce temps, c'est jouer leur éternité (et sans doute la sienne propre). Prendre au sérieux est donc si difficile ! Oui... à l'égoïsme. En minimisant l'effroyable corruption où sont poussés l'intel­ligence, le cœur et la chair de la jeunesse, on se croit supérieur, indulgent, qui sait ? généreux. On est égoïste, mou et cruel. Donc prendre au sérieux d'abord ces périls immédiats qui les pressent de toutes parts et dont je vais vous donner quelques exemples, non pas les scandaleux, les énormes, dont vous pourriez dire que vous vous faites fort de protéger vos enfants (ce que je veux croire, quoique le danger s'enflamme) mais des « détails » quotidiens, courants, dont les enfants « des écoles » actuelles, nouveaux venus à la Péraudière, ont eu la douloureuse expérience. Je fais deux remarques préalables : 1\) Il s'agit de familles excellentes qui luttent à contre courant et dont le climat interne n'encourage en rien la glis­sade dans le vent. 2\) J'observe de plus qu'entre la rentrée des nouveaux de l'an dernier et ceux de cette année, il y a différence et coupure. Incroyable, ce fossé d'un an chez des bambins ! Véridique, et mesuré par *le cynisme.* Peu ou prou, le gamin 1970-1971, d'excellents père et mère, a bu et mangé, dans l'air ambiant, du cynisme religieux. Il a des réflexions soudaines de libertin. On a attaqué, en lui, le sacré. (Notez toujours que je ne parle pas de la masse, des familles progressistes ou mondaines, je parle des familles profondément estimables.) Or, la plus terrible expérience qui a « démoralisé » littéra­lement l'enfant, c'est celle de la Messe violée. Il suffit d'ailleurs de l'assistance régulière aux fantaisies « permises » de la nouvelle Messe, aux variantes innombrables, invérifiables dans le Missel, pénibles à l'attention et à l'oreille, avec la consé­cration acclamée, le tout couronné par le déplacement massif vers une communion sans adoration, où Papa et Maman poussent le rejeton dans la « bonne file », celle du prêtre, derrière les mains qui se tendent et lui donnent l'idée d'en faire autant, au moins lui suggèrent que ce pain saisi debout, galvaudé, posé *par exception* sur ses lèvres, est un pain ordinaire, tandis que les yeux du gosse ont tout le temps de considérer l'autre file, où un laïc, parfois « en bras de chemise retroussés » (authen­tique) tend une corbeille à qui en veut. Il voit Eugène ou Charles le lendemain, en classe, qui se moque de « son défilé » entre père et mère. Des paris s'engagent ! 25:149 C'est une seule Messe titubante qu'on a entr'aperçue au cours d'un voyage, où l'on est resté faute d'autre chose, dont on s'est sauvé quelques minutes trop tard : *les images grotesques ont marqué l'Eucharistie pour l'enfant.* Complétez par *le négatif,* je veux dire l'absence d'exhorta­tion, en classe de catéchisme, à la crainte, à la préparation, à l'adoration, à la foi en un mot. Si bien que la première mesure, avec ces âmes blessées et à la fois durcies, est d'interdire la Communion jusqu'à résur­rection de la conscience et de la foi. #### La défense du foyer. Quand on pense que certains croient « défendre le foyer » en prêchant l'abandon de la Messe traditionnelle, en attaquant le zèle sacré de saint Pie V qui, effrayé de la contagion des Cènes luthériennes et de l'hypocrite semblant d'unité du rite anglican, *s'était pressé,* malgré les protestations des amateurs de variété, de promulguer, ordonner, décréter le rite millénaire de l'Église de Rome, mère et maîtresse... Tandis que ces mêmes « défenseurs de foyers » vantent, sous le titre du Nouvel Ordo de Paul VI, les nouveaux ordos en lui contenus, évolutifs et modifiables, avec leurs innombrables lectures, leurs falsifica­tions des Saintes Écritures, leurs « prières universelles » invéri­fiables, leurs prières eucharistiques à quatre canons et leurs langues vernaculaires devenues les canaux de cette confusion... Car enfin, critiquer une traduction, est-ce remédier à l'abomi­nable obligation d'en fournir autant qu'il y a de nations, de dialectes et même de patois ? Prétend-on faire vérifier par Rome l'orthodoxie du breton, du basque et du zoulou, égale­ment en droit de célébrer officiellement devant les petits nègres et les petits Yvons les louanges expérimentales de la Divinité ? A saint Pie V résistaient ceux qui ne voyaient pas les dan­gers, pour l'Unité, des rites différents. A la Messe pluraliste de Paul VI s'oppose la minorité des derniers fervents de l'unité, de l'unique Saint Sacrifice catholique. 26:149 Il y a comparaison, certes. Mais il ne saurait y avoir parité. Une saison au milieu des enfants, ballottés dans ces odieuses messes, suffirait, il me semble, à faire d'un honnête chrétien, l'apôtre de la Messe éternelle, inchangée et même, pendant une telle Révolution, intouchable en ses moindres détails. Mais on ne prend pas les enfants au sérieux. Voilà le grand malheur ! #### Cynisme au catéchisme. Cynisme encore du petit enfant sorti de ces écoles et de ces messes : sait-on que s'est insinuée dans l'âme des enfants *la négation du péché originel ?* Croire à l'état de péché de la nature avant le baptême les révolte. Vous êtes étonné ! C'est la conséquence inconsciente et logique du Culte d'eux-mêmes, fondé sur ce « l'homme naît bon, c'est la société (des nantis) la corruptrice », d'où le devoir de la révolte. Aussi ce benjamin devient-il rouge de colère à la leçon de catéchisme : « *Moi je n'ai pas eu le péché originel jamais, jamais, je n'y croirai jamais ! *» Malheur à la grande personne qui sourit quand, sardonique, ce sept ans clignant de l'œil aux autres, récite brusquement : « *Un ange se tenait à la porte du Paradis pour chasser Adam et Ève. Ils n'avaient qu'à passer par la fenêtre ! *» Rire, c'est approuver le blasphème dont cet âge est capable. #### Le blasphème. Car le blasphème est entré dans l'enfance. Ce huit ans, furieux d'être puni, joint le nom de la Sainte Vierge à un mot ordurier. Prendre ce péché à la légère, c'est prédestiner l'enfant à la perte de son âme. « Pourquoi, malheureux, as-tu fait cela ? » -- « *Parce que vous m'avez puni ! *» En effet, l'enfant a compris, dans ces classes contestataires, avec ces maîtres conditionnés de révolution, qu'il était une puissance de révolte d'où ces regards noirs des jeunes yeux, quand tombe la mau­vaise note, le reproche, le devoir « à refaire », la punition afflictive. Sourire de ces mines de haine, parce que le joli visage a huit ans, imbécillité criminelle ! 27:149 Cette année, pour la première fois, des enfants, en va­cances, se sont sauvés, entraînés par un camarade de ren­contre, pour écouter ensemble, en cachette, un disque immonde sur l'adorable Personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le cas est loin d'être unique. « La première fois je me bouchais les oreilles, dit un malheureux. Mais après on l'a entendu sur la plage, au transistor d'un monsieur. » -- « Et tes Parents, que faisaient-ils ? » -- « Ils causaient, ils ne s'en occupaient pas. » -- « Tu ne leur as rien dit ? » Un regard étonné. C'est tout. Demandez à ces enfants s'ils savent que le péché conduit en Enfer. « Nous n'avons jamais entendu parler de l'Enfer ! » #### Oubli de la loi naturelle. Le plus grave est encore au delà. Il est dans la méconnaissance systématique de la loi natu­relle, de la raison, de la *conscience*. L'enfant qui blasphème, l'enfant impur ([^7]), l'enfant cruel, l'enfant révolté vous dit calmement : « Je ne savais pas que c'était mal ! » Ne faites pas l'erreur d'incriminer immédiatement les parents, qu'il est tout prêt à laisser accuser. Il faut lui dire : « Ta conscience te disait bien que c'était mal, puisque tu te cachais de Maman ? Puisque tu ne lui as rien dit ? » Et puis, une belle leçon bien claire sur la raison, la voix de Dieu dans l'intérieur du cœur, cette voix qu'on étouffe, qui reste cependant véhémente, qui nous distingue des animaux, qui nous rappelle sans cesse que Dieu nous a créés « pour Le connaître, L'aimer, Le servir et par ce moyen mériter la vie éternelle ». #### Le réveil des âmes. Et je veux chanter l'Espérance chrétienne avec la famille chrétienne. Sept semaines de classe. Voici la Fête de tous les Saints. Bilan noir de ce contact avec ces enfants jetés de leurs écoles dans nos cœurs par leurs parents effrayés ? Non ! Mais au contraire, bulletin de victoire modeste, timide, mais réelle. 28:149 En un mois de la Sainte Messe avec un saint Prêtre, heureu­sement présent tout le mois, qui, à chacune de ses messes fer­ventes, à propos de chaque vérité, a parlé de l'auguste et unique Sacrifice, les enfants blessés sont ressuscités. C'est le miracle de l'Eucharistie, dans la vraie pratique du Sacerdoce. J'évoque les jeunes regards attentifs quand ce Prêtre disait : « *Mes enfants, vous me voyez, ainsi couvert de ces orne­ments. C'est que je suis revêtu de Jésus-Christ. C'est en Son nom, c'est en sa Personne que je vais célébrer le Saint Sacrifice de la Messe. Je suis le ministre du Prêtre éternel, c'est Lui qui par mes lèvres dira : Hoc est enim corpus meum. *» Je puis témoigner que les cœurs inhabitués ont passé de l'étonnement à l'attention, à l'intérêt, à l'immobilité, au respect, au goût, à l'affection et vont à la ferveur, sans que jamais on ait eu besoin de rappeler sérieusement la discipline pendant la Sainte Messe. Gestes sacrés du prêtre, mains étendues, yeux toujours pen­sifs de l'intérieur, étrangers à tout ce qui n'est pas l'auguste action à lui seul dévolue. Quelle puissance sur ces pauvres en­fants enfin nourris selon la faim et la soif de leurs âmes ! Je me souviens du jour où nous parlâmes, avant la messe, des deux doigts de chaque main du prêtre, consacrés au Corps de Jésus : « *Vous les regarderez, ces doigts saints quand, après la consécration, le prêtre les unit en élevant ses mains lorsqu'il supplie Dieu le Père d'accepter le sacrifice sans tache, vous comprendrez le grand et unique privilège du Prêtre, et vous de­manderez pardon des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels Jésus dans l'Eucharistie est aujourd'hui offensé. *» Pendant cette Messe, par une permission providentielle, la lumière éclaira plus fortement les mains élevées, tous les re­gards des petits les suivirent avec une fervente curiosité. Alors, la conscience, dont on a bien expliqué la nature, se réveille, les impiétés apparaissent au cœur troublé, en même temps que la fragilité et l'importance de cette vie terrestre, un grand désir de confession, et en même temps, avec la rapidité imprévue et prodigieuse de l'enfance, un goût soudain pour la prière, le chapelet, pour une sainte médaille, l'eau bénite, et par-dessus tout pour le chant grégorien... Je sais, je sais que la tentation va renaître, mais je veux donner d'abord espoir et consolation aux Parents chrétiens : la Grâce est toujours puissante et présente. Les moyens millé­naires sont toujours merveilleusement efficaces et toujours adap­tés à l'inchangée nature humaine. 29:149 On voit s'éclairer les visages moroses, se détendre les traits grognons, on entend aux cours de catéchisme, ces ré­flexions sérieuses : « *Je n'avais pas pensé que l'Enfer ça durait toujours !... Alors, Maman, elle représente Dieu. Et le grand qui nous fait jouer, aussi ? *» Pour votre joie, chers Parents, apprenez que l'âme enfan­tine ne sera comblée que lorsque votre fils vous aura fait part de cette transformation, et de ce grand désir de bien faire. L'autodestruction de l'Église fait que, à la Péraudière, les pensionnaires viennent de toute région de France, non selon les commodités, mais selon la grande foi des Parents. Ainsi les enfants sortent peu, et les Parents prennent l'auto pour un week-end près de leurs écoliers. Ils ont donc une sainte Messe, voire les Vêpres avec leurs enfants. C'est le plus profond et intime revoir. Le petit bonhomme suit ardemment dans son gros missel, Maman s'efforce de l'aider et lit le latin avec lui (le latin, je dis bien !). La famille est unie, saintement. J'espère qu'elle se sent plus aimée et plus respectée. Les parents chrétiens qui constatent l'heureuse transformation, nous racontent les progrès du ravage dans d'autres écoles. Tel Papa, bienfaiteur d'une école religieuse, a dû sommer le directeur de laisser ou de remettre les crucifix des dortoirs. Il l'a menacé de les suspendre lui-même. Plus de prière ! Dans un autre collège, c'est un élève qui a la haute direction des Messes fantaisie, guitare et jazz. Nous souffrons ensemble, tandis que le petit pensionnaire regarde avec une tendresse passionnée ce visage de Maman, ces traits de Papa qu'il ne savait pas chérir à ce point. J'ai déjà raconté comment, dans les larmes mal retenues, se fait l'adieu. Sûre plus que jamais d'être approuvée, je dis : « Tu ne savais pas que tu avais une Maman si bonne, un Papa si sage ? » La grâce a vivifié et renouvelé la nature. Seulement, pour que ce ne soit pas nuée qui passe, rosée séchée à peine répandue, il faut *la sainteté.* Il faut que la famille marche à la sainteté. Méditation, ins­truction, présence aux enfants, expérience, clairvoyance, crainte et surveillance continuelle comme l'ont réalisée ces familles dont je vantais les sages vacances. En voilà encore un exemple : 30:149 « Somme toute, dit une mère très intelligente de trois lurons difficiles, nous avons passé d'excellentes vacances ! Mes bons­hommes étaient excités et désobéissants rien qu'à l'idée de quitter la classe. Alors, j'ai fait une *semaine de martinet.* Je vous donne la recette, j'ai démontré, sur peau, qu'on devait obéir à la maison, comme en classe. Puis je me suis associée à Madame L. qui a une grande propriété, ses grands fils à la Péraudière, une petite à la Providence. Nous avons organisé le programme... J'ai pris les études, elle a pris en charge l'aide aux Parents. Je recevais pour la classe sa fille avec la mienne et les garçons, toujours surveillés, jamais seuls. Elle me téléphonait : « Envoyez-moi Robert, le plus terrible, pour aider mon grand fils aux pêches. Envoyez-moi le cadet plus sage pour les pom­mes de terre nouvelles avec mon Louis, plus accommodant. » Et ainsi de suite. Joie, empressement, discipline. » « Entre les deux familles, nous avions beaucoup de fruits, nous leur avons inspiré de faire des confitures pour l'école, c'est-à-dire pour l'amour de Dieu. Ce fut de l'enthousiasme, le plus prenant des jeux et la joie de se figurer l'arrivée de ces grosses terrines bien pleines pour la rentrée ! Sur cette lancée, les petits ont, de leur bourse, acheté, toujours pour l'école, des lavettes en caoutchouc qui leur semblaient une invention fort pratique. Je peux garantir qu'il n'y a eu ni oisiveté, ni jeux douteux, ni liberté mal employée, ni lecture équivoque, ni ra­dio, ni télé. On a épluché pêches, poires, pommes avec l'ac­compagnement des Ave du Chapelet, et en général, chaque fois que le travail ne nécessitait pas l'usage de grands souffles pulmonaires, les « Je vous salue » s'envolaient au cœur de la Sainte Vierge, du moins, je l'espère. » Ces enfants sont rentrés en classe enchantés de leur école, et enchantés de leurs Parents. « Mais aussi, ajoute cette Ma­man, mon mari et moi, nous étions auparavant nerveux, sans cesse inquiets de situation et d'argent. Nous avons résolu de prier beaucoup plus, de nous abandonner à la Providence et de regarder comme l'essentiel le bien spirituel de nos enfants. D'où la paix qu'ils ont goûtée dans la maison. » La sainteté du Père et de la Mère, c'est d'abord l'abnégation. Cette « sainteté », entreprise, doit devenir, en ces jours, bien plus profonde. Car aux familles manque la Messe, manque le Prêtre. De plus en plus, trouver une Messe sainte, correcte, sérieuse, acceptable (je mesure les termes) est difficile. L'étau se resserre. 31:149 C'est pourquoi l'assistance *sous réserve --* et la réserve jusqu'à garder les enfants de ces offices, destructeurs de la foi, est une question d'espèce, de jugement éclairé par la piété et la pieuse pédagogie, mais vivifié par la sainteté des Parents. Si vous priez, si vous méditez chaque jour, si vous faites de saintes lectures, si vous devenez serviteurs de la Sainte Vierge par le chapelet quotidien, jamais négligé quoi qu'il arrive, tout doucement, vous saurez la décision à prendre, vous prendrez au moins toujours celle de lire en famille la Sainte Messe traditionnelle, de chanter ensemble le Kyrie, le Gloria, le Credo... « Qui enseigne quand une Église est privée de son évêque ? » écrivait saint Polycarpe à saint Ignace d'Antioche, lequel ré­pond ([^8]) : « L'honneur de Dieu, qui résulte du mariage, c'est l'éducation des enfant dans la crainte de Dieu. Cette éducation, c'est la Mère qui la donne, car en se donnant elle-même toute à l'enfant, âme et corps, elle lui donne tout ce qu'elle a et surtout ce qu'elle a de meilleur : la foi. « J'ai sucé la foi avec le lait de ma mère », l'expression revient sans cesse dans les Actes des Martyrs... » Luce Quenette. 32:149 ### Léviathan approche par Louis Salleron « IL FAUT EMPÊCHER la personne et la famille de se laisser entraîner dans l'abîme où tend à les jeter la sociali­sation de toutes choses, socialisation au terme de laquelle la terrifiante image du Léviathan deviendrait une hor­rible réalité. C'est avec la dernière énergie que l'Église, livrera cette bataille où sont en jeu des valeurs suprêmes : dignité de l'homme et salut éternel des âmes. » C'est ainsi que s'explique l'insistance de la doctrine sociale catholique, notamment sur le droit de propriété. » Qui parle ainsi ? Pie XII, dans son discours du 14 septem­bre 1952 au Katholikentag de Vienne. Mais qui donc est ce Léviathan dont parle Pie XII ? On ne s'en souvent pas très bien. Rappelons donc que c'est un gros animal, sorte de crocodile géant, ou le monstre marin au­quel la Bible fait parfois allusion, notamment dans le livre de Job où Yahvé le présente ainsi à son serviteur : *Et Léviathan, le pêches-tu à l'hameçon* *avec une corde comprimes-tu sa langue ?* *Fais-tu passer un jonc dans ses naseaux,* *avec un croc perces-tu sa mâchoire ?* *Est-ce lui qui te suppliera longuement,* *te parlera d'un ton timide ?* *S'engagera-t-il par contrat envers toi,* *pour devenir ton serviteur à vie ?* (*...*) *Son cœur est dur comme le roc,* *résistant comme une pierre de meule.* *L'épée l'atteint sans se fixer,* *de même lance, javeline ou dard.* *Pour lui, le fer n'est que paille,* *et l'airain, du bois pourri.* 33:149 *Les traits de l'arc ne le font pas fuir ;* *il reçoit comme un fétu les pierres de fronde.* *La massue lui semble un roseau,* *il se rit du javelot qui vibre, etc.* (Job, 40-41.) Une sale bête, en somme. Quand Nietzsche appelait l'État « le plus froid des monstres froids », il pensait sans doute à Léviathan. Hobbes, lui, a donné le nom de Léviathan à son célèbre traité politique. Contentons-nous de citer les quelques lignes par lesquelles Bertrand de Jouvenel conclut le chapitre qu'il lui consacre dans son livre sur la souveraineté : « Il semble que la lecture de Hobbes comporte un sérieux enseignement pour nos démocraties modernes. Dans toute la mesure où le progrès développe l'hédonisme et le relativisme moral, et où la liberté individuelle est conçue comme le droit d'obéir à ses appétits, la société ne peut se soutenir que par un pouvoir très fort. L'idée de liberté politique est liée à de tout autres tendances » ([^9]). \*\*\* Le mot « socialisation » a aujourd'hui deux sens : -- le premier, obvie et traditionnel, c'est celui de « passage au socialisme » ; -- le second, introduit par Teilhard de Chardin et pro­pagé dans l'Église, depuis Jean XXIII, c'est celui de « développe­ment de l'interdépendance des activités humaines par suite du progrès technique ». La socialisation, au second sens, n'est que le prolongement de la division du travail. Elle se traduit par une « complexi­fication » croissante de l'organisation sociale et pousse à la concentration. Les centres des décisions suprêmes se situent à des niveaux de plus en plus élevés, et le sort des individus est de plus en plus suspendu à ces décisions suprêmes. La socialisation au second sens coïncide-t-elle avec la socia­lisation, au premier sens, c'est-à-dire débouche-t-elle nécessai­rement dans le socialisme ? 34:149 Non ; elle ne mène au socialisme que par sa pesanteur propre, mais l'esprit peut s'y opposer. Ce n'est que dans la mesure où comme dit très bien Jouvenel, le progrès développe l'hédonisme et le relativisme moral et où la liberté est conçue comme le droit d'obéir à ses appétits, que la socialisation-complexification conduit au socialisme, c'est-à-dire à la tyrannie. Nous sommes engagés sur cette voie, et la figure du Lévia­than se profile à l'horizon. \*\*\* Comment en sortir ? D'abord, cela va de soi, par une juste doctrine de l'homme et de la société. Cette doctrine, nous la trouvons dans la théo­logie et la philosophie du catholicisme. A son point d'appli­cation au concret politique, elle constitue la doctrine sociale de l'Église. Ensuite, par la mise au point des règles juridiques corres­pondant à cette doctrine. Ces règles sont connues depuis toujours. C'est par la *pro­priété,* le *contrat* et la *responsabilité --* triple base du principe de *subsidiarité --* que s'organisent et se protègent les libertés personnelles. Pourquoi ces règles sont-elles aujourd'hui méconnues ? Parce que les dispositions concrètes de la propriété, du contrat et de la responsabilité, mises au point pour une société infiniment moins complexe que la nôtre, n'ont pas été modifiées comme il le fallait. C'est l'État qui s'est substitué aux personnes pour régler leurs problèmes qu'un Droit devenu inadéquat ne leur permettait plus de régler elles-mêmes. A cette *défaillance juridique* s'est ajoutée la *défaillance mo­nétaire.* Les gigantesques consommations de capital qu'ont réa­lisées les deux guerres sont prolongées par une consommation permanente que réalise *l'inflation.* Les patrimoines, c'est-à-dire la propriété constituée autour des personnes individuelles et sociales, sont dévorés par l'État. Celui-ci, obligé de venir au secours des individus, accroît sa *fiscalité,* qui les ruine de nouveau. Le processus de socialisa­tion se développe implacablement. Grâce à l'*informatique,* il ira toujours en s'accélérant. 35:149 En France, ce processus trouve ses meilleurs agents d'exé­cution dans les dirigeants qui sont au pouvoir depuis quelques années. Ils sont de la race des légistes. Race très française, dont la vocation est de travailler pour l'État. Ils ont servi l'État monarchique, l'État révolutionnaire, l'État républicain avec une égale probité et une égale compétence. Ils servaient l'État libé­ral. Ils servent l'État socialiste et lui donnent toutes ses chances. Aussi laborieux qu'intelligent, M. Giscard d'Estaing en est la parfaite incarnation. Antisocialiste de conviction, il accélère le passage au socialisme par conscience professionnelle. Mais ne sommes-nous pas alors désarmés en présence d'un tel déter­minisme ? Nous le serions sans aucun doute si des contreforces n'exis­taient. 1° La société est en train de se bloquer. Et il faudra inventer pour sortir du blocage. 2° Des catastrophes sont possibles, et probables. 3° Les hommes, qui sentent venir le Léviathan, aspirent éperdument à la liberté, ce qui permet de leur rappeler les vérités condition de cette liberté. Les deux premières contreforces sont redoutables, en ce sens qu'elles risquent de précipiter en « mutation » le pro­cessus d' « évolution » socialiste dans lequel nous sommes engagés. Mais elles peuvent constituer des chances si elles ren­contrent un courant d'idées et des équipes prêtes à retourner la situation. La troisième est presque aussi dangereuse, dans la mesure où le désir de liberté peut engendrer la peur et la panique ([^10]). Quoi qu'il en soit, la voie du salut n'est que dans la vérité, dans la passion de la servir et dans le rassemblement des hommes résolus à sauver la société en se sauvant eux-mêmes. Mais Léviathan a le cuir épais et il demeure peu probable que, comme Job, nous puissions contempler, dans l'opulence et la liberté, nos fils et les fils de nos fils jusqu'à la quatrième génération. Louis Salleron. 36:149 ### Un martyre de vingt-quatre ans par Roland Gaucher A LA FIN DE L'ANNÉE 1969, les Dominicains du 13^e^ arrondis­sement organisèrent dans une salle de la rue des Tan­neries un cycle de conférences. Le père Blanquart l'inaugura sur ce thème : « Foi et Politique ». Professeur à l'Institut Catholique de Paris, grâce à la haute protection de Mgr Haubtmann, le Dominicain Paul Blanquart est connu pour ses opinions avancées qui font de lui un fervent admirateur du régime castriste et de Guevara ([^11]). Nous décidâmes, Pierre De­bray et moi, d'aller lui porter la contradiction. Ce que nous fîmes, à la fin d'un exposé aride et confus, haché par les inter­ruptions parfois un peu vives de certains de nos jeunes amis, et par les répliques non moins véhémentes du camp adverse. Pour ma part, après une remarque sur les conceptions terro­ristes du « Che » ([^12]) qui ne nous paraissaient pas tout à fait compatibles avec la morale chrétienne, j'en vins à poser au père la question suivante : -- Êtes-vous solidaire des Dominicains actuellement empri­sonnés au Brésil ? -- Absolument, répondit le père avec une grande fermeté dans la voix. -- Bien. Savez-vous qu'au même moment un autre homme d'Église, l'Ukrainien Velytchkovskyi, arrêté au début de l'année dans la région de Lvov par les autorités soviétiques, a été em­prisonné à Moscou et qu'on est sans nouvelles de son sort ? 37:149 Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de cette arrestation ? Le père ne paraissait pas en penser grand chose. Une ombre passa sur son visage. J'eus l'impression que ma question l'im­portunait ou l'embarrassait. Et quand je lui proposai de nous accompagner dès le lendemain à l'ambassade soviétique pour y déposer une pétition, il eut un grand geste de refus comme pour dire : « Dieu me garde d'une telle insolence ! ». C'est alors qu'intervint un personnage à pipe, trapu, l'air et le geste assuré, fort civilement vêtu, qui paraissait être l'organisateur de ces conférences et, vraisemblablement, comme ne l'indiquait pas son costume, religieux de son état. -- Attendez ! s'exclama-t-il -- Attendez ! Velytch... Comment avez-vous dit ? Velytchkovskyi ? Ça me dit quelque chose, c'nom-là... Mais oui ! Y a une commission en France qui s'occupe de son cas ! Il cita là-dessus deux noms, dont celui du père Liégé, comme faisant partie de la commission-qui-s'en-occupait. Le père Blanquart, soulagé, retrouva son second souffle. -- Je m'en remets -- dit-il avec un geste large qui me parut désigner l'homme à la pipe -- à mon père prieur et à cette commission. J'admirai que ce révolutionnaire retrouvât soudain le sens de la discipline dès l'instant qu'elle lui procurait un alibi. \*\*\* Comme je le fis remarquer sur-le-champ, la commission-qui-s'en-occupe s'était montrée jusque là d'une discrétion singulière, et l'on pouvait opposer son effacement au tapage des aboyeurs de *Témoignage Chrétien* et autres traqueurs d'injustices, dès l'instant qu'ils la découvraient chez Franco, les colonels grecs ou les dirigeants brésiliens, Le nom du père Liégé ne me rassu­rait pas non plus. Je me disais que si on venait m'annoncer, étant détenu en U.R.S.S., que le père Liégé allait s'occuper de mon cas, j'en concevrais plutôt de l'inquiétude. (Il est vrai que les autorités soviétiques éviteraient de me communiquer cette nouvelle, ce qui m'allègerait d'un souci supplémentaire.) Mais c'étaient là, sans doute, des réflexions pessimistes et injustes, nées dans l'ambiance houleuse de cette salle. Cette commission menait peut-être, en secret, une négociation déli­cate, dont la libération du père Velytchkovskyi était le prix. 38:149 Nous n'avions pas le droit d'en compromettre la réussite éven­tuelle par des critiques prématurées ou par une publicité qui pouvait gêner son action. Je suis, pour ma part, absolument convaincu que la négociation secrète est le pire moyen pour obtenir quelque avantage des Soviétiques, lesquels redoutent au contraire toute campagne publique dirigée contre eux. Mais c'est là un jugement personnel, faillible, que d'autres sont libres de ne pas partager et que je ne chercherai jamais à imposer si j'ai le sentiment qu'il y a risque de compromettre la vie ou la liberté d'un homme. Plus d'un an, toutefois, s'est écoulé au moment où j'écris ces lignes, depuis ce bref dialogue. Une année, c'est un bon délai pour juger. En un an, on a assez de recul pour mesurer l'efficacité d'une action entreprise. Or, depuis un an, je n'ai jamais entendu parler de cette fameuse commission. Tous ceux que j'ai pu interroger à ce sujet, Français ou émigrés, ignorent son existence, partant ses activités. C'est la commission-mys­tère, ou c'est la commission-fantôme. Je ne puis cependant croire que les Dominicains du 13^e^ arrondissement nous auraient bernés en inventant cette histoire, dans le seul dessein de se tirer d'un mauvais pas. Non, je ne puis croire à ce subterfuge misérable. Mais enfin, les résultats sont là. Si la commission n'existait pas, l'effet serait le même : nul. En un an, la situation du père (ou de Mgr) Velytchkovskyi (nous reviendrons plus loin sur la question de son titre) n'a pas évolué. Il est toujours détenu dans un camp. Son cas est toujours, à de très rares exceptions près, étouffé. *L'action de la* « *commission *» *est un échec total.* Il est donc temps de parler de cette affaire qui, à travers quelques cas singuliers, pose le problème des millions de catho­liques persécutés, tous victimes de surcroît en France d'une abominable conjuration du silence. \*\*\* On ne peut pas dissocier le cas de l'ecclésiastique Velytchkov­skyi, de la situation de son peuple, et de celle de l'Église Ca­tholique Ukrainienne, toutes choses qui sont entièrement mé­connues, chez nous. Pour cela il faut faire un bref retour en arrière. 39:149 Quand, en 1939, l'U.R.S.S. et l'Allemagne hitlérienne se furent partagé les deux moitiés de la Pologne, les dirigeants soviétiques tentèrent de justifier leur rapine en affirmant que ces territoires leur appartenaient. La vérité, c'est que dans le Sud-Est de la Pologne d'avant-guerre, autour de Lvov, vivait une population essentiellement ukrainienne, en conflit perma­nent avec le pouvoir central polonais qui tentait de lui imposer sa langue et son autorité. Ces Ukrainiens de l'Ouest, toutefois, détestaient bien davantage le gouvernement de Moscou que ce­lui de Varsovie. Leur incorporation de force dans la pseudo-fédération des républiques soviétiques fut considérée par eux comme un grand malheur. Quand la Wehrmacht, en juin 1941, se rua à l'assaut du territoire soviétique, les dirigeants du mouvement nationaliste ukrainien crurent pour la plupart que l'heure de l'indépendance ukrainienne avait sonné. Ils formèrent donc à Lvov, dès l'entrée des troupes allemandes, un gouvernement provisoire. Quelques jours plus tard, celui-ci fut aboli par les autorités hitlériennes, qui ne voyaient dans l'Ukraine qu'une terre de colonisation. En conséquence, les nationalistes ukrainiens constituèrent bientôt des groupes de partisans qui se transformèrent par la suite en une véritable armée clandestine, forte de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, l'U.P.A. L'U.P.A. lutta d'abord contre les troupes allemandes, contre les partisans pro-soviétiques, puis, en 1944 après la retraite de la Wehrmacht, résista avec achar­nement aux entreprises des formations spéciales du N.K.V.D. L'homme qui était alors chargé de « pacifier » l'Ukraine était, il est bon de le rappeler, le « libéral » Krouchtchev. Cette résistance armée se poursuivit, dans le silence à peu près total de l'Occident, jusqu'en 1952. Elle se déroula simul­tanément en Ukraine soviétique, en Pologne du Sud-Est, à l'ex­trémité orientale de la Tchécoslovaquie (où est implantée une minorité ukrainienne). Parallèlement, d'autres unités de parti­sans opposaient une résistance désespérée aux Soviétiques, en Pologne proprement dite et dans les pays baltes, particulière­ment en Lituanie. Pour donner une idée de l'intensité de cette lutte, un seul exemple : comme l'armée polonaise communiste ne parvenait pas à venir à bout de l'U.P.A. dans le Sud-Est du territoire, on décida de déporter la minorité ukrainienne qui vivait dans cette région vers l'Ouest de la Pologne. On vidait l'eau pour empêcher le poisson, cher à Mao, d'y respirer. Et en effet, l'U.P.A. béné­ficiait de l'appui de la population ukrainienne. En dépit de cette mesure, elle réussit à prolonger sa résistance pendant en­core deux ans. 40:149 Nous voici bien loin de Velytchkovskyi ?... Pas du tout. Ces Ukrainiens de l'Ouest, étaient aussi à la quasi-unanimité des catholiques. Ils appartenaient à l'Église de rite oriental, dite « Catholique Uniate », ou Gréco-catholique, héritière du rite byzantin, mais fidèle à Rome. Ils formaient une commu­nauté solide d'environ 5 millions de fidèles. En 1938, cette Église comptait cinq diocèses dont trois en Pologne, et deux en Tchécoslovaquie. A sa tête se trouvait le métropolite Scheptytzkyi, qui mourut pendant la guerre. Son successeur fut le métropolite Slypyi, aujourd'hui cardinal. Les dirigeants soviétiques considéraient toutes les commu­nautés catholiques rattachées à Rome comme autant de foyers politiques hostiles, commandés par une puissance étrangère : le Vatican. Lors de la première occupation des territoires ukrai­niens de l'Ouest, en 1939, ils n'osèrent ou n'eurent pas le temps de prendre contre l'Église uniate des mesures hostiles. Tout changea en 1945. A l'égard des nationalistes ukrainiens, la hiérarchie de l'Église catholique uniate avait toujours eu une attitude très prudente. Néanmoins, il existait une osmose naturelle entre le courant nationaliste et la foi catholique. Le clergé fournissait l'armature spirituelle de la résistance. On peut voir sur quelques photographies un prêtre ukrainien célébrer la messe pour des partisans dans une clairière ([^13]). Les hommes de Moscou étaient parfaitement conscients que le nationalisme et la foi s'épau­laient spontanément. Ils étaient résolus à employer tous les moyens pour en venir à bout. Contre l'U.P.A. ils lancèrent les troupes du N.K.V.D. Contre l'Église ils employèrent la persé­cution systématique. Les premières arrestations eurent lieu à Lvov, le 11 avril 1945, avec celle du métropolite Slypyi, de ses coadjuteurs et de quelques autres ecclésiastiques. D'autres arrestations suivirent rapidement. Les évêques des cinq diocèses furent arrêtés et envoyés en déportation. L'Église catholique uniate se trouva ainsi décapitée. C'était l'époque où Staline utilisait l'Église orthodoxe com­me fer de lance du pan-slavisme à l'Ouest, ce qui n'empêchait pas de multiples atteintes à la libre expression de la foi en Union soviétique, pour les chrétiens orthodoxes comme pour les autres croyants ([^14]). L'objectif du pouvoir soviétique était d'anéantir toute communauté religieuse dépendant de Rome. 41:149 C'était -- c'est toujours -- impossible avec la population polo­naise presqu'entièrement catholique qui oppose au pouvoir un bloc sans faille. Mais l'assaut fut mené avec une brutalité in­croyable en Lituanie, en Biélorussie et en Ukraine de l'Ouest. En Ukraine, la manœuvre consista à rattacher de force l'Église catholique uniate à l'Église orthodoxe, privée de tous ses évêques. Un « comité d'initiative pour le passage des greco-catholiques à l'Église orthodoxe » fut constitué à Lvov, sous l'autorité de trois prêtres transfuges, Kustelnik, Melnik et Pelvetsky. Moscou confia aussitôt à ce comité la gestion des biens de l'Église uniate, et convoqua un synode qui se tint à Lvov du 28 février au 10 mars 1946. 214 prêtres seulement, sur les 1 270 que comptaient les cinq diocèses, et 19 laïcs (le peuple de Dieu à la mode Montaron-Lacambre !) abjurèrent les « erreurs latines » et votèrent leur rattachement à l'Église orthodoxe. Avant même la tenue de ce synode, le comité d'initiative avait été reconnu par les autorités soviétiques comme « le seul organisme juridico-ecclésiastique ayant le droit de gouverner sans réserve les paroisses gréco-catholiques ». *En contre-partie, ce comité devait communiquer aux autorités* (*i.e. au N.K.V.D.*) *la liste des doyens, curés ou supérieurs de couvents qui refusaient de se soumettre au comité d'initiative.* L'immense majorité des prêtres refusa. Il est impossible de donner un chiffre précis, mais on dit que dans les mois qui suivirent, près de 800 prêtres furent arrêtés. Voilà comment Moscou conçoit l'œcuménisme, n'en déplaise au père Wenger de *La Croix.* \*\*\* La situation abominable que nous venons de décrire *dure toujours.* A partir du 5 avril 1946, jour où une délégation de prêtres transfuges fut accueillie à Moscou par le métropolite orthodoxe Alexis, cinq millions de catholiques ukrainiens bas­culèrent dans la nuit de la clandestinité. L'Église catholique devint une Église des catacombes, illégale, traquée par la po­lice, guettée par les mouchards, exposée chaque jour, à travers ses membres fidèles, à l'arrestation et à la déportation. *Tout acte religieux qui exprimait la permanence de la foi dans cette Église était automatiquement un acte anti-soviétique.* 42:149 Cette situation dure depuis *vingt-quatre ans.* Et pourtant l'Église a tenu. Elle a tenu dans les camps. Des messes clandestines catho­liques y sont toujours célébrées. -- Des religieuses ont même, dit-on, réussi à y constituer des noviciats. Le chef de cette Église, le métropolite Slipyi a donné un magnifique exemple de résistance à la persécution. *Commencée en 1945, sa longue marche à travers les camps de concentration soviétiques ne s'achève qu'en 1963. Elle avait duré 18 ans.* Sa libération ne fut obtenue que contre la réception officielle du gendre de Krouchtchev, Adjoubeï, à Rome. Deux ans plus tard, Paul VI nomma Mgr Slipyi cardinal. Mais l'Église catholique se maintient aussi, hors des camps, en Ukraine. C'est ici que le cas Velytchkovskyi témoigne de la permanence de cette foi. Je ne sais s'il faut parler du père ou de Mgr Velytchkovskyi. Il est possible en effet qu'il ait été nommé évêque par cette Église de la persécution, par le peuple de Dieu, un peuple de Dieu authentique. Mais cette nomination est évidemment, tout comme d'ailleurs son ordi­nation, aux yeux des soviétiques, un acte illégal, un défi à leur autorité. C'est pourquoi, arrêté en janvier 1969, il a été condamné à trois ans de déportation, peine d'ailleurs qui peut être automatiquement prolongée ([^15]). Arrêté vers 1946, Velytchkovskyi avait déjà passé dix ans dans les camps de concentration de Sibérie. Il revint en Ukraine en 1958 et il continua à y exercer son sacerdoce. Il est utile de savoir et de faire savoir dans quelles circonstances il fut arrêté le 27 janvier 1969 par les « humanistes athées » chers à nos dialogueurs : il se rendait au chevet d'une malade qui avait demandé à être confessée. Vasil Velytchkovskyi ne fut pas seul à être jugé. Devant le tribunal comparurent soit comme co-accusés soit comme témoins d'autres prêtres et fidèles de cette Église ukrainienne. On leur reprocha simultanément de faire de la propagande antisoviétique ([^16]), de maintenir l'Église catholique d'Ukraine, et de *célébrer le sacrifice divin dans ce rite.* 43:149 Voilà le crime, du moins un des crimes : célébrer la messe. Il est bon d'ajouter que l'instrument du crime fut produit au cours du procès : c'était un pauvre autel que Velytchkovskyi avait installé dans sa cuisine entre le réchaud à gaz et l'évier, transformant ainsi, selon les termes mêmes de l'acte d'accu­sation, la moitié de cette pièce en « évêché » ([^17]). Je livre ce « délit » à la méditation du père Blanquart, des Dominicains du 13^e^ arrondissement, et du père Liégé de la commission-que-vous-savez. Sans trop d'illusions sur les con­clusions qu'ils peuvent en tirer. Il est bien certain qu'on ne veut pas parler de ces problèmes ; qu'on souhaite diffuser le minimum d'informations sur la persé­cution qui sévit à l'Est. ([^18]) Je vois là surtout une formidable dérobade, une peur pa­nique à l'idée d'écrire une ligne qui puisse déplaire aux maîtres soviétiques, au poussah à face de poisson-lune, et au lugubre employé style Borniol. C'est le même souci peureux qui m'a paru évident lors de la visite à Paris, en juillet, de Mgr Slypyi. Le cardinal Slypyi a été reçu à l'Élysée et à l'Hôtel de Ville avec une parfaite dignité. Il a eu aussi, je crois, un entretien avec Mgr Marty, mais à titre privé. L'archevêque de Paris n'était pas là, le dimanche 12 juillet... pour accueillir Mgr Slypyi sur le parvis de Notre-Dame. Il est vrai qu'il avait déjà quitté la capitale. J'appris par son meilleur attaché de presse, la Commère de *France-Soir,* qu'il était parti au volant de sa 2 CV, en toute sim­plicité, pour aider à la moisson dans son pays. Au banquet donné en l'honneur du cardinal Slypyi, ce fut Mgr de Provenchères qui fut chargé du discours d'accueil. Il fut tout à fait bref. J'ai totalement oublié ce qu'il a pu dire, et qui m'a paru d'une insignifiance totale. En revanche, je sais très bien ce qu'il n'a pas dit. 44:149 Rien sur la situation de l'Église catholique ukrainienne en U.R.S.S. Rien sur les 18 ans de captivité de son hôte. Rien sur les persécutions. Rien sur les procès. Rien sur les prisons. C'est un sujet très difficile, voyez-vous, c'est très « em­brouillé », c'est très « complexe ». Mieux vaut se taire. Le silence pour l'Église du silence. Qu'est-ce qui retient ces hommes ? La peur ? Il n'y a pas que cela. Je crains qu'il n'y ait chez eux, sous-jacent, un choix délibéré. Les ecclésiastiques emprisonnés à l'Ouest, l'ont tous été pour des actes *politiques.* Pour une certaine politique. C'est aussi pour cette raison que certains ecclésiastiques se consti­tuent à leur service. Quand ils croient, au contraire, discerner des mobiles politiques à l'emprisonnement des catholiques à l'Est, ils s'abstiennent. Cette politique-là (en admettant qu'elle existe), orientée peu ou prou contre le régime soviétique, est à leurs yeux condamnable. Nous risquons alors de nous trouver dans une situation sin­gulière. Toute une action diplomatique, qu'il faut suivre de près, est actuellement menée par Paul VI (qui vient de recevoir Gromyko) avec l'U.R.S.S. et avec la Yougoslavie. Il s'agirait, si l'on se réfère aux paroles du Pape, d'aboutir à un *modus vi­vendi :* l'État communiste aurait pleine autorité dans le tem­porel, tandis que l'Église obtiendrait sa liberté dans le domaine spirituel. Cet équilibre, pour être acceptable, exigerait un boulever­sement fondamental de la conception communiste de l'État, une refonte totale qui commencerait, par exemple, par accorder aux Églises la *liberté de la propagande religieuse* qui leur est sévèrement interdite, et je renvoie ici à tout ce que Madiran a pu écrire sur un pareil sujet, et qui est sans réplique. Il n'est pas concevable que Moscou puisse consentir à une pareille révolution : tout le système en serait formidablement ébranlé. La proposition de Paul VI ne pourrait guère aboutir qu'à un compromis médiocre, acceptable peut-être par prag­matisme -- mais d'une portée très limitée. Mais ce n'est pas mon propos d'examiner ici cet aspect de la question. Je veux simplement noter qu'un pareil *modus vivendi* implique la renonciation pour les citoyens soviétiques (ou de démocratie populaire) catholiques, *à toute activité hostile au régime.* 45:149 Nos progressistes trouveront que c'est la moindre des choses. Au même moment, ils mènent chez nous une furieuse campa­gne : la foi, disent-ils, est politique, implique des positions po­litiques (nous les connaissons). Ils soutiennent en même temps les activités politiques de certains catholiques (clercs ou laïcs) en Grèce, au Portugal, en Espagne, au Brésil. Certains vont même plus loin : ils refusent de considérer comme leurs frères ceux qui n'acceptent pas la lutte des classes. On voit par là la distinction qui s'esquisse : à l'Est, une Église catholique fermement invitée à se cantonner dans le spi­rituel (ce spirituel qu'on affecte ouvertement de mépriser ici) et à s'abstenir de toute politique contre le régime. A l'Ouest, la même Église invitée à se politiser de plus en plus, c'est-à-dire à se marxiser de plus en plus. Telle est la situation possible qui se dessine en pointillé. Il faudra dans les mois à venir lui accorder la plus grande attention. Dans l'immédiat, nous ne devons pas détourner notre esprit de la situation *véritable* des croyants derrière le rideau de fer. Malheureusement, pour en avoir un très faible aperçu, la presse catholique officielle n'est d'aucun secours, bien au contraire. Il est effarant de constater que ce sont parfois des publications adverses qui nous informent. C'est *Le Nouvel Observateur* qui signala, il y a quelques mois, la reviviscence de la foi en U.R.S.S. C'est dans *L'Aveu* que London donne honnêtement ce tableau de la vie du prison­nier : « *Dans ma deuxième cellule, je me suis trouvé seul communiste parmi quarante détenus. Chaque soir, après le couvre-feu, avait lieu malgré l'interdiction, une prière collective précédée d'un court sermon. Nous n'étions que deux, un Yougoslave et moi, à ne pas y participer. Le troisième jour, tout le monde savait qui j'étais. *» ([^19]) London ajoute qu'à partir de ce moment, pendant deux jours, il n'est pas arrivé à manger. On le bousculait chaque fois qu'il devait saisir sa gamelle, et le contenu s'en répandait sur le sol. Ses co-détenus avaient assurément quelques raisons d'en vouloir au communiste London. Mais les choses changèrent à partir du troisième jour : 46:149 « Le seul -- écrit London -- à faire face à cette menace et à me manifester de la sympathie est Klima, ancien député de droite du parti démocrate-national, qui, en 1938, avant Munich, avait formé avec Gottwald et Rasin, un autre député de droite, une délégation auprès du président Bénès pour lui exprimer la volonté de la nation de résister à la menace hitlé­rienne. Klima ne me l'a jamais dit, mais je suis sûr que c'est grâce à son intervention que mes co-détenus, à partir du troisième soir, changèrent d'attitude à mon égard. J'ai aperçu Klima discuter un long moment avec le jeune homme qui prononçait habituellement le sermon. Celui de ce soir-là fut le commentaire du verset : « Et que celui qui n'a jamais péché, même en pensée, lui jette la première pierre ! » ([^20]). Voilà comment la foi se perpétue au fond des prisons. Voilà comment s'exprime la morale chrétienne en action. Par ce pardon du persécuteur. Quel évêque a donné connaissance de pareils faits à ses diocésains ? Lequel d'entre eux a osé évoquer la conversion de la fille de Staline et montrer que les œuvres des jeunes opposants en Russie ([^21]), celle de Soljénitsyne, attestent en dépit de tout la vigueur de la foi à l'Est ? C'est en raison de cette permanence du fait chrétien que la persécution a pris ces derniers temps une nouvelle dimension. « Tout va à peu près bien » écrivait Laurentin en février 1970. Cette opinion lénifiante était aussi une opinion fausse. Et de toute façon, c'était une folie de croire que les bonnes dispositions du totalitarisme soviétique aient pu exprimer autre chose qu'une certaine pause tactique. En Tchécoslovaquie, en Hongrie, la persécution a repris. Une série de prêtres viennent d'être arrêtés. En Slovaquie, pays essentiellement catholique, on ferme des églises ; on annonce qu'on va les transformer en clubs sportifs, ce qui fera peut-être plaisir à Mgr Matagrin, qui souhaite faire à peu près la même chose à Grenoble. Allons-nous laisser cette persécution se développer sans protestation ? Il n'y a rien sur ce plan à attendre de la Hiérarchie. Il appartient aux prêtres et aux fidèles d'agir et de briser, en élevant la voix, la conspiration qui s'étend autour de l'Église du silence. Roland Gaucher. 47:149 ### Un anniversaire oublié *Le cinquantième anniversaire\ de la canonisation de Jeanne d'Arc* par Joseph Thérol Je glorifie mes saints et vous,\ vous les abaissez (*Message de l'Amour\ Mi­séricordieux aux petites âmes*)*.* IL S'EST PASSÉ quelque chose de très remarquable en France au cours de cette année 1970. Nous avons attendu jusqu'au dernier moment. Rien. Eh bien ! Prenons acte : l'Église de France a complètement oublié de fêter le cinquante­naire de la canonisation de sainte Jeanne d'Arc, patronne seconde de la France. Pourquoi ? On pourrait donner bien des raisons. Je crois que la principale est tout simplement l'ignorance. Notre clergé n'a plus de l'histoire de sainte Jeanne d'Arc qu'une connais­sance très vague. Autant que nous le pouvons, réparons cet oubli en contant brièvement les vicissitudes de la cause de Jeanne d'Arc que rappelle ce cinquantenaire. #### La Béatification. Il faudrait d'abord expliquer pourquoi, réhabilitée en 1456 grâce aux papes Nicolas V et Callixte III, Jeanne dut attendre 464 ans avant de se voir élever aux honneurs des autels. 48:149 Pie II, qui fut pape de 1458 à 1464, avait bien signalé dans ses Mémoires « cette vierge admirable qui, devenue chef de guerre, a conservé sa pureté au milieu des gens d'armes et dont la renommée ne fut jamais entachée d'aucune atteinte ». Benoît XIV, pape de 1740 à 1758, s'était avancé davantage dans son traité de la Communion des Saints : il y célébrait la parfaite virginité et le don de prophétie de cette Pucelle et se deman­dait pourquoi personne ne s'était donné pour tâche d'étudier l'héroïcité de ses vertus. En France, avant et après lui, bien des prédicateurs, évêques ou non, avaient dit leur admiration pour Jeanne. Mais cela restait affaire locale (Orléans, Rouen) à tel point qu'Auguste Comte pouvait écrire à Clotilde de Vaux : « *N'avez-vous pas remarqué avec indignation l'étrange lacune de nos calendriers théologiques envers l'héroïque vierge qui sauva la France au XV^e^ siècle ? *» En 1860, prononçant dans la cathédrale d'Orléans le pané­gyrique de la Pucelle, le futur Mgr Freppel, alors professeur en Sorbonne, suggéra du haut de la chaire que des évêques anglais intervinssent auprès du pape pour la béatification. L'idée fit son chemin. Quand en 1869 l'évêque d'Orléans, Mgr Dupanloup, proposa la cause à Rome, son instance fut appuyée non seule­ment sur l'accord de tous les évêques français, mais aussi sur celui de 95 évêques étrangers, dont 25 anglais, parmi lesquels les cardinaux Newman et Manning. Survint la guerre de 70 et la cause, suspendue, ne fut reprise qu'en 1874. En 1885 Rome demanda un complément d'enquête au successeur de Mgr Dupanloup, le cardinal Couillié. En 1887 nouvelle instance à Rome pour l'examen de plusieurs guérisons miraculeuses attribuées à l'intercession de Jeanne d'Arc. Enfin le 24 janvier 1894 Léon XIII signa le rescrit autorisant l'intro­duction de la cause. Jeanne devenait la « Vénérable Jeanne d'Arc ». Ainsi la nommait dans ses « Mémoires d'une Âme » une jeune carmélite qui lui attribuait sa vocation et que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, deuxième Patronne seconde de la France. 49:149 C'est au futur cardinal Touchet, successeur du cardinal Couillié à Orléans, qu'incomba la charge de pousser la cause jusqu'au succès final, et d'abord jusqu'à la béatification. Com­mencé le 3 septembre 1894, le procès de « Non Culte » se termina le 7 janvier 1895 et la sentence de Mgr Touchet -- confirmant que dans les commémorations de Jeanne la Pucelle rien n'était en opposition avec les règles de l'Église -- fut approuvée par Léon XIII le 7 mai 1896. Il fallut alors procéder à l'enquête sur la réputation de sainteté de la Vénérable et l'on s'attendait à ce qu'elle fût très longue. Mais Mgr Touchet n'avait pas manqué de prévoir cette phase de la procédure et, en réponse à celles qu'il avait envoyées, il avait déjà reçu 760 lettres de Patriarches (parmi lesquels celui de Venise, le cardinal Giuseppe Sarto), Évêques, Abbés, Chefs d'Ordres et de Congrégations, affirmant leur foi en la sainteté de Jeanne. Si bien que le 21 janvier 1897 Léon XIII lui envoyait l'ordre d'instruire « le Procès Apostolique sur chacune des vertus humaines et divines de la Vénérable Jeanne d'Arc ». Le tribunal, présidé par l'évêque d'Orléans, se réunit pour la première fois le 1^er^ mars 1897, entendit au cours de 122 séances de six heures au moins chacune, 46 témoins et, quand le procès fut déclaré clos le 22 novembre, ses actes remplis­saient un dossier de 2 000 pages qui fut envoyé à Rome. Léon XIII mourut le 20 juillet 1903. Son successeur, qui prit le nom de Pie X, fut ce cardinal Sarto qui, de Venise, avait écrit à Mgr Touchet qu'il croyait fermement à la sainteté de Jeanne. La cause n'en suivit pas moins le cours normal, dans toute la rigueur des formes. Le 6 janvier 1904, en présence de Pie X, de six cardinaux, de l'Ambassadeur de France au Vatican, fut lu le décret pro­clamant l'héroïcité des vertus : « En ce jour de l'Épiphanie où le Dieu sauveur s'est manifesté aux Gentils par une étoile et qui est le jour où naquit la Vénérable servante de Dieu, Jeanne, qui sera un jour, dans la terrestre et céleste Jérusalem, une lumière brillante, le Très Saint Père, après avoir célébré la Sainte Messe... a solennellement décrété qu'il est constant que la Vénérable Servante de Dieu, Jeanne d'Arc, a pratiqué à un degré héroïque les vertus théologales de Foi, d'Espérance et de Charité envers Dieu et envers le prochain, et les vertus cardinales de prudence, de courage, de tempérance et leurs annexes, et qu'on peut procéder *ad ulteriora. *» La Béatification en effet n'était pas acquise. Il fallait que des miracles vinssent manifester, pour ainsi dire, l'accord de Dieu. « Des miracles ! des miracles ! Et Nous la béatifierons votre Jeanne » dit Pie X à Mgr Touchet. Neuf guérisons présentées comme miraculeuses avait été signalées. Tandis que les évêchés d'Arras et d'Évreux étudiaient deux cas survenus sur leur ter­ritoire, Orléans en étudia sept. Le résultat des travaux fut transmis à Rome qui retint finalement trois cas : 50:149 -- Guérison instantanée, le dernier jour d'une neuvaine à la Vénérable Jeanne d'Arc, d'une religieuse bénédictine d'Or­léans, sœur Thérèse de Saint Augustin, atteinte d'un ulcère à l'estomac ; -- Guérison plus surprenante encore d'une autre religieuse, sœur Julie Gauthier (de Faverolles, diocèse d'Évreux) atteinte d'un ulcère spongieux au sein gauche ; les remèdes restant inef­ficaces et les médecins avouant leur impuissance, poussée par la souffrance, elle alla, accompagnée et soutenue par huit jeunes filles, jusqu'à l'église, pria Jeanne d'Arc de la guérir et fut exaucée le jour même ; -- Guérison, le cinquième jour d'une neuvaine à Jeanne d'Arc, de sœur Jeanne-Marie Sagnier (à Fruges, diocèse d'Arras) atteinte d'une ostéo-périostite tuberculeuse. A la demande des juges romains, expertises et contre-exper­tises se succédèrent, et cela pendant quatre ans. Enfin, le 13 décembre 1908, fut lu solennellement, dans la Salle du Consis­toire, le décret pontifical qui reconnaissait le caractère mira­culeux de ces trois guérisons. Mais personne ce jour-là ne représentait plus officiellement la France. La loi de séparation de l'Église et de l'État avait été votée -- l'anticléricalisme bat­tait son plein -- et nos relations diplomatiques avec le Vatican étaient rompues. Au discours de remerciement que lui adressa Mgr Touchet, Pie X répondit en disant son chagrin et son espérance. Citons encore une fois ces paroles célèbres : « Oui, nous sommes à une époque où nombreux sont ceux qui rougissent de se dire catholiques, où beaucoup d'autres prennent en haine Dieu, la Foi, la Révélation, la Religion et ses ministres, les nient ou se répandent en sarcasmes... A votre retour, vénérable Frère, vous direz à vos compatriotes que, s'ils aiment la France, ils doivent aimer Dieu, aimer la Foi, aimer l'Église, qui est pour eux une mère très tendre comme elle le fut pour leurs pères. A ce titre seulement la France est grande et glorieuse, à cette condition on pourra lui appliquer ce qui, dans les Livres Saints, est dit d'Israël : Personne ne s'est rencontré qui insultât à ce peuple sinon quand il s'éloignait de Dieu. » 51:149 Ces paroles de Pie X confirmaient ce qu'en 1891 avait écrit l'évêque de Verdun, Mgr Pagis : « Les souvenirs renaissants de Jeanne d'Arc et l'enthousiasme qu'ils provoquent sont des phé­nomènes providentiels ; nous croyons que Dieu les suscite pour les opposer comme un remède au mal dont nous souffrons depuis un siècle et qui tuerait la France si la France pouvait mourir. Quel mal ? Le Souverain Pontife l'a dénoncé bien des fois, notamment dans l'Encyclique IMMORTALE DEI : c'est le naturalisme. Au point de vue politique, il fait naître la discorde entre l'Église et l'État. A cette grande erreur, à ce mal de notre époque nous opposons Jeanne d'Arc : elle est le symbole le plus merveilleux, le plus éclatant, le plus populaire du surna­turel, de l'alliance nécessaire entre la France et l'Église ». Cette alliance, Jeanne d'Arc allait en effet la rétablir, nous le verrons plus loin. Cependant, lors de la Béatification, la France officielle était encore absente. Ce 12 janvier 1909, la S. Congrégation des Rites se réunit en Assemblée générale pour la session dite *de Tuto* (de sécurité) et son porte-parole posa cette question : « L'héroïcité des vertus de la Vénérable Jeanne d'Arc ayant été constatée, trois miracles dus à son intercession étant certains, peut-on procéder à sa béatification solennelle *en toute sécurité ? *» Tous répondirent oui, excepté le pape qui demanda que l'on priât le Ciel de l'éclairer. C'est le 24 janvier que Pie X, devant la S.C. des Rites de nouveau convoquée, donna son accord. Et la cérémonie fut fixée au 18 avril. Inutile d'en décrire les splendeurs et de rappeler l'enthou­siasme des 40 000 Français accourus à Rome. Voici seulement le passage du décret promulguant la béatification : « Touché des prières et des vœux des évêques de la France entière et aussi d'autres pays, nous permettons d'appeler à l'avenir du nom de Bienheureuse la Vénérable Servante de Dieu, Jeanne d'Arc dite la Pucelle d'Orléans, et de décorer ses images d'une auréole. De plus, en vertu de Notre même autorité, nous permettons que son office soit récité et sa messe célébrée chaque année selon le commun des Vierges, avec les oraisons propres approuvées par Nous. » Le lendemain 19 avril 1909, au cours d'une réception des pèlerins français dans Saint-Pierre, Pie X, répondant à une allocution de Mgr Touchet, revint sur la persécution religieuse qui sévissait en France et prononça ces autres paroles célèbres : « Fils bien-aimés, parce que vous prêchez et pratiquez sans respect humain et pour obéir à votre conscience les enseigne­ments de l'Église, on vous signale au mépris public, on vous marque de cette note infamante : « ennemis de la Patrie ». Il n'y a pas de plus indigne outrage pour votre honneur et a votre foi, car si le catholicisme était l'ennemi de la patrie, a il ne serait plus une religion divine. » 52:149 Et c'est aussi ce 19 avril qu'en quittant cette réception porté sur la Sedia Gestatoria, Pie X se leva devant le drapeau tricolore qui s'inclinait pour le saluer, en saisit l'étoffe et y posa ses lèvres : c'était le drapeau du patronage Saint-Aignan d'Orléans. #### La Canonisation. Mgr Touchet avait lancé à travers les monastères et, par les congrégations, à travers le monde catholique une campagne de prières pour demander les nouveaux miracles indispensables à la canonisation. Entre mai et octobre 1909 lui furent soumis six cas de guérisons. Il les examina et le 6 janvier 1910, d'accord avec M. Hertzog, procureur général de Saint-Sulpice et postu­lateur, il écrivit à Pie X pour le prier de permettre que la cause fût reprise en vertu de trois miracles dûment constatés et qu'il lui soumettait : -- Guérison de Mme Maria Antonia Mirandelle, d'Orléans, mère de trois enfants, atteinte d'un mal perforant plantaire médicalement inguérissable et très douloureux, et qui en fut complètement guérie le 6 février 1910 au cours d'une neuvaine à la Bienheureuse Jeanne d'Arc ; -- Guérison de Thérèse Belin, de Lyon, née le 7 avril 1892, atteinte de rhumatismes à 12 ans, puis soignée par dix médecins jusqu'en 1909 pour tuberculose pulmonaire et péritonéale. Après deux séjours au sanatorium de Sanary-sur-Mer elle était con­sidérée comme perdue quand sa marraine décida de la trans­porter à Lourdes où elle arriva le 19 août 1909. Le 20, le 21, à la piscine le matin, à la procession le soir, elle s'évanouit. Le 22, après une syncope le matin dans la piscine, elle était dans un tel état le soir, tandis qu'on la portait à la procession du S. Sacrement, qu'un médecin, appelé pour lui faire des piqûres, dit aux brancardiers : « Si celle-là en réchappe, je me fais chartreux. » Cependant, de passage à Lourdes, Mgr Touchet pensait tou­jours aux miracles indispensables à la cause de sa chère Pucelle. Prié de venir à l'Hôpital des Sept Douleurs bénir les malades, il leur avait conseillé de prier la Bienheureuse Jeanne d'Arc de demander leur guérison à Notre-Dame de Lourdes. Après son départ, les femmes qui s'occupaient de Thérèse, sa marraine Louise Fabret et deux hospitalières, Mesdemoiselles de Béarn et Hélène de Sabran, avaient suggéré à la malade de prier la Vierge de la guérir pour la gloire et au nom de Jeanne d'Arc. Thérèse avait accepté. 53:149 Le Saint Sacrement allait passer. Il était porté par Mgr Touchet, et celui-ci avait obtenu de l'évêque de Tarbes et de Lourdes, Mgr Schaepfer, qu'après les invocations habituelles à Notre-Seigneur et à Notre-Dame de Lourdes, la Bienheureuse Jeanne d'Arc serait invoquée elle aussi. Et voici la déposition de Louise Fabret ([^22]) : « Le visage de Thérèse est tellement décomposé, tellement celui d'une morte que je le cache avec mon ombrelle pour éviter une impression trop pénible à la foule. Le Saint Sacre­ment passe, Thérèse est bénie, elle ne fait aucun mouvement, j'ai un moment de défaillance et je me dis : c'est bien fini. On continue par les invocations à la Bienheureuse Jeanne d'Arc. A la première Thérèse se soulève sur son brancard et avant la fin de la troisième elle me dit : « Marraine, je suis guérie ». Et aussitôt elle entonne l'ADOREMUS IN AETERNUM d'une voix très forte avec toute la foule. Elle veut se lever mais Mademoiselle de Béarn l'en empêche en lui faisant remarquer qu'elle n'est pas vêtue. En effet, en la sortant de la piscine, on l'avait crue morte et l'on s'était contenté de l'envelopper d'un drap comme d'un suaire. » Le troisième miracle, moins évidemment prouvé, fut écarté par la S. C. des Rites qui fit examiner les deux autres avec tant de sévérité que lorsque survint la Grande Guerre, la cause était toujours pendante. Successeur de Pie X mort en 1914, Benoît XV fit reprendre l'examen des miracles. Il les ratifia par décret en séance de la S. C. des Rites le 6 avril 1919. L'évêque d'Orléans le remercia par un discours dont il faut citer ce passage non seulement pour son éloquence, mais parce qu'il constitue un très juste portrait de la Pucelle : 54:149 « Jeanne avait réitéré ses appels au Pape ; son instinct, sa foi la guidaient bien, jamais les Papes n'ont regardé cette créature, simple comme les agneaux de son troupeau, loyale et courageuse comme une lance de chevalier, pure comme un lis, amoureuse de l'Eucharistie, de la Vierge, des Saintes du Para­dis à en pleurer, humble, douce, pitoyable aux malheureux parmi les plus inouïs triomphes, patiente et résignée parmi les plus atroces martyres ; celle qui jouit de la familiarité des Anges, telle Françoise Romaine ; qui remit un peuple en posses­sion de son légitime souverain, telle Catherine de Sienne ; qui rayonna l'innocence telle Cécile la patricienne ; qui vit en esprit la bataille de Rouvray, tel Pie V la bataille de Lépante ; qui ressuscita l'enfant mort de Lagny, comme il advint à Colette de Corbie ; qui passait de longues heures nocturnes en prières ; qui menait parmi les camps et les prisons une vie de jeûne ; celle dont le bûcher consuma la chair tandis que l'âme s'élevait au ciel sous la forme d'une colombe comme avait fait l'âme de Scholastique ; celle qui pratiqua les vertus et reçut les dons de la sainteté autant que n'importe quel autre... celle-là donc, cette merveille de la nature et de la grâce, nul Pape ne l'a regardée au visage sans lui avoir rendu la chose dont elle avait besoin, la justice. » La réponse de Benoît XV fut tout aussi éloquente et belle et prononcée en français (excellent au dire d'un témoin) -- hommage sans doute à la « voix douce et humble, qui parlait le langage de France » et qu'entendait Jeanne. Après avoir proclamé que cette Bienheureuse devait être couronnée de fleurs innombrables, parce qu'innombrables étaient ses vertus, et de premier choix parce que ses vertus ont brillé d'un in­comparable éclat, le pape eut ces mots : « Nous trouvons si juste que le souvenir de Jeanne d'Arc enflamme l'amour des Français pour leur patrie que nous regrettons de n'être Fran­çais que par le cœur. Mais la sincérité avec laquelle nous sommes Français de cœur est telle qu'en ce jour Nous faisons nôtre la joie ressentie par les Français de naissance en consta­tant le grand progrès qu'a fait aujourd'hui la cause de Jeanne d'Arc. » \*\*\* Une question se posait : si Rome canonisait l'héroïne natio­nale, quelle allait être l'attitude de la France légale où la loi de séparation de l'Église et de l'État était toujours en vigueur ? Certes l'anticléricalisme haineux et niais d'avant 1914 avait perdu beaucoup de sa virulence. De tous les pays où les avait exilés le gouvernement de la République les religieux étaient revenus prendre leur place au feu et le clergé français avait, devant des millions de camarades et de témoins, versé sans compter son sang pour la France. 55:149 On parlait bien de reprendre les relations diplomatiques avec le Vatican mais, pour l'heure, elles restaient rompues. Hé quoi ! Le gouvernement de la Répu­blique française n'allait-il pas répondre à l'honneur que l'Église allait faire à la France ? Le 16 juillet 1919 Benoît XV déclara devant la S. Congré­gation des Rites réunie en Assemblée de tuto : « Il peut être procédé en toute sécurité à la canonisation de la Bienheureuse Jeanne d'Arc. » Et quand on sut que la solennité de la canoni­sation serait célébrée le 16 mai 1920, la question de la présence de la France officielle à Saint-Pierre devint tout à fait brû­lante. « Que la France me tende seulement le petit doigt et, moi, je lui tends les bras », dit Benoît XV. C'était bien l'appel au rétablissement des relations diplo­matiques et le gouvernement français n'en était plus à refuser d'y répondre. Mais en attendant que le Parlement votât la reprise, il était urgent d'assurer la présence de la France officielle aux cérémonies. Le gouvernement nomma donc pour l'occasion un ambassa­deur extraordinaire, l'académicien Gabriel Hanotaux, histo­rien de Jeanne d'Arc, lequel présenta le 15 mai ses lettres de créance à Benoît XV. Dans le discours de bienvenue du Sou­verain Pontife se trouvent ces réflexions : « La figure de Jeanne d'Arc est telle qu'on ne peut la bien connaître qu'à la lumière du surnaturel. Sans cette lumière trop de faits seraient inexplicables dans une enfant qui, devant entreprendre de telles œuvres guerrières, n'a été retenue ni par la faiblesse de l'âge, ni par la délicatesse de sa condition. Si l'on réfléchit qu'au contraire Jeanne ne pensa, ne dit ni n'accomplit rien par caprice ou motif naturel, mais qu'elle fut portée à tout accomplir par un sentiment surnaturel, disons mieux : par la voix même de Dieu, on ne peut ne pas être saisi d'admiration pour cette jeune vierge directement établie par le Seigneur comme sa messagère et son envoyée. » Ce 15 mai parut dans l'*Osservatore romano* un article d'un autre historien de Jeanne d'Arc, Mgr Henri Debout. On y lisait : « Jeanne avait dit à Rouen : J'en appelle au pape. Aujourd'hui le pape va répondre à Jeanne et lui dire : « Sainte Jeanne de France, je vous appelle au secours de votre Patrie et de l'univers catholique. » 56:149 Et le 16 mai plusieurs dizaines de milliers de Français, parmi lesquels 600 prêtres, emplissaient et débordaient Saint-Pierre, magnifiquement décorée et tendue de panneaux qui représentaient les miracles retenus pour la béatification et la canonisation. Ils virent entrer dans la basilique un cortège composé de 500 prélats, abbés mitrés, évêques, archevêques, cardinaux, entre autres 83 évêques français dont douze mis­sionnaires. On remarquait le cardinal Begin, archevêque de Québec, le cardinal Bourne, archevêque de Westminster, le car­dinal Mercier, archevêque de Malines. Après avoir défilé devant la « Confession », les prélats gagnèrent leurs places. L'ambassadeur extraordinaire de France était là, entouré de membres de l'ambassade française au Quirinal et de quatre-vingts députés et sénateurs. Parmi les Français présents figu­raient le duc et la duchesse de Vendôme, le duc d'Alençon, 150 descendants des frères de la Pucelle et trois grands chefs de la guerre 1914-1918, l'amiral Lacaze, les généraux Fayolle et de Castelnau. Le maréchal Foch était absent mais il avait assisté huit jours plus tôt aux fêtes traditionnelles d'Orléans en qualité de maréchal de France et... d'Angleterre, ce qui l'avait amusé. Parut enfin Benoît XV, porté sur la Sedia. Il sourit, en passant devant eux, aux représentants de la France, qu'il avait déjà grandement honorée les jours précédents en béatifiant Louise de Marillac le 9 mai et en canonisant le 13 sainte Mar­guerite-Marie Alacoque. Lorsqu'il fut installé à son trône dressé près de la chaire de saint Pierre, et que les évêques eurent prononcé le serment d'obéissance, le « Ponent » de la Canonisation adressa au Pape les trois « instances » rituelles, c'est-à-dire demanda par trois fois la décision pontificale. Alors, d'une voix ferme, Benoît XV lut la déclaration que voici : « Pour l'honneur de la Sainte et Indivisible Trinité, pour l'exaltation de la foi catholique et de la religion chrétienne, par l'autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, celle des Bien­heureux Apôtres Pierre et Paul et la Nôtre, après en avoir mûrement délibéré, après avoir souvent recouru à Dieu, après avoir pris le sentiment de nos frères les cardinaux, arche­vêques et évêques de l'Église Romaine présents dans la ville, Nous déclarons et définissons que la Bienheureuse Jeanne d'Arc, Vierge, est sainte, Nous l'inscrivons au catalogue des Saints, Nous ordonnons que sa mémoire soit pieusement rap­pelée dans l'Église chaque année. » ([^23]) 57:149 Ensuite se déroulèrent les pompes de la messe pontificale, qui fut suivie de la bénédiction urbi et orbi. Et tandis que le cortège se reformait pour la sortie, les journalistes notèrent que l'on porta au pape, suivant la coutume, les honoraires de sa messe, 7 lires et demie. Le soir à 6 heures, une cérémonie d'action de grâces eut lieu en l'église du Gesu. Elle fut assurée par les prêtres de la Procure de Saint-Sulpice, honneur que leur méritaient bien les efforts de leur procureur, M. Hertzog, postulateur de la cause depuis vingt-cinq ans, tandis que les chants étaient exécutés par les élèves du Séminaire français. En présence de Gabriel Hanotaux, des évêques, des parlementaires et de très nombreux pèlerins français, ce fut naturellement Mgr Touchet qui pro­nonça le panégyrique. Extrayons-en cette éloquente présenta­tion résumée de l'épopée johannique : « Des troupes s'avançant au chant du Veni Creator, l'hymne à l'Esprit de feu ; une mission perpétuelle prêchée aux hommes d'armes, des combats d'épopée, des escalades folles, des bles­sures, un courage qui se porte partout au danger en première ligne, des mots éclatants qui ont traversé les âges comme les flèches d'or tombées des étoiles traversent les nuits d'été, des prophéties quasi quotidiennes que l'événement docile ne manque jamais de réaliser, des acclamations, des enthou­siasmes, des Te Deum, des bombardes et des cloches déchaî­nées, la paysanne passant aux côtés du Capétien, les ponts-levis baissés, des Hosannah, des Noëls allant à celle-là plus encore qu'à celui-ci ; l'épée, l'honneur, la liberté de la patrie dans la main d'une enfant et dans sa tête tout le génie clair, joyeux, brave, de la race ; Orléans délivrée, Patay pour la première fois immortalisé, Jargeau et Beaugency enlevés, Troyes et Chalons conciliés, Reims ouvrant ses portes, la cathédrale du sacre -- en peut-on parler sans larmes aujourd'hui ? -- exul­tant et offrant au dernier-né des rois une goutte de la Sainte Ampoule, deux grands peuples sauvés -- oui, deux ! -- le peuple français, car il est sorti de son tombeau, le peuple anglais, car il a été contraint de quitter le continent et de chercher son avenir sur les océans ([^24]) comme jadis les Athé­niens de Thémistocle. Et dans ce tourbillon de soleil, par-dessus cette bousculade de l'histoire, elle ! elle qui hier, un râteau à la main ramassait, timide et candide, les foins séchés des prairies meusiennes. » 58:149 Et dans son invocation finale, après avoir demandé à sainte Jeanne d'Arc de prier pour le pape, pour la France, pour l'hu­manité, pour les petits dont elle fut et les grands qu'elle ne jalousa pas, pour tous les évêques et tous les prêtres, Mgr Tou­chet, la voix brouillée par l'émotion, termina ainsi : « Et s'il m'est permis de me présenter le dernier, ô reine de mon cœur après la Vierge Immaculée, me voici prosterné. Il y a longtemps que nous nous connaissons. Je ne te parle pas de mes services, j'ai fait ce que j'ai pu. Je te parle de mes besoins. Tu les connais mieux que moi. Bénis-moi. Sous cette bénédiction, mes frères, marchons tous vers le ciel. Au ciel nous la verrons et je le crois, de la voir notre éternité sera plus belle. » Le lendemain 17 mai 1920, une audience pontificale solen­nelle fut accordée aux pèlerins français. Mgr Touchet y prit la parole pour remercier encore Benoît XV, et la présence de l'am­bassadeur extraordinaire de France lui inspira ce mot : « Sainte Jeanne d'Arc, la seule dont les autels n'aient point d'athée chez nous, a déjà mis la main de la patrie dans celle que le pape lui tendait large ouverte. » Benoît XV répondit à l'évêque d'Orléans et termina son allocution par cette prière : « Ô Seigneur tout puissant qui, pour sauver la France, avez parlé à sainte Jeanne d'Arc et de votre propre voix lui avez indiqué le chemin à suivre, parlez aujourd'hui non seulement aux Français ici réunis, mais aussi à ceux qui ne sont pas ici. Parlez, Seigneur, et que votre parole soit la bénédiction qui soutienne les évêques, qui facilite aux autorités la tâche d'assurer la vraie grandeur de la patrie et qui persuade tous les Français de la nécessité d'écouter la voix de Dieu. Quant à Nous, Nous avons le bonheur de nous incliner devant l'hé­roïne, et de lui dire « Sainte Jeanne, priez pour nous, priez pour votre Patrie. » 59:149 Le soir de ce 17 mai, à 6 heures, s'ouvrit en l'église du Gesu un triduum solennel en l'honneur de sainte Jeanne d'Arc. Le panégyrique y fut prononcé par Mgr Foucault, évêque de Saint-Dié ([^25]), qui considéra en Jeanne la sainte de la paysan­nerie. Le 18, à Saint-Louis-des-Français, à 8 heures, messe de communion célébrée par le cardinal Bourne, à 10 heures messe pontificale célébrée par le cardinal Granito Pignatelli di Bel­monte ; le soir au Gesu, salut solennel et panégyrique par Mgr Gibier, évêque de Versailles dont nous ne citerons que ces quelques mots : « Jeanne est plus grande que nature parce que tout en elle plonge dans le surnaturel. Les saints sont plus grands que nature par la place qu'ils font à Dieu dans leur âme et dans leur vie. » Le 19 les messes du matin furent célébrées par le cardinal Mercier et le cardinal Dubois, archevêque de Paris, le panégy­rique du soir prononcé par l'évêque d'Arras, Mgr Jullien, qui médita le chemin de croix de Jeanne. Le 20, les célébrants furent le cardinal Billot pour la messe de 8 heures, et le cardinal Vico, préfet de la S.C. des Rites, pour celle de 10 heures. Le panégyrique du soir fut prononcé par Mgr Salotti, sous-Promoteur de la foi. La fin du triduum marqua celle des solennités de la cano­nisation. Le 27, Gabriel Hanotaux donna à Saint-Louis-des-Français une grande réception officielle d'adieux. Le cardinal Luçon, archevêque de Reims, y alla d'une allocution dont l'essentiel fut cette constatation : « La France revient à Rome et c'est Jeanne d'Arc qui l'y ramène. » L'ambassadeur extraor­dinaire ne sourcilla point. Il parla de l'affection que le monde entier manifestait à Jeanne d'Arc, à preuve les statues qui lui étaient déjà élevées dans trente villes des États-Unis. « Avant longtemps, dit-il, elles seront 3 000. » ([^26]) 60:149 Ce dernier chiffre est-il exagéré ou insuffisant ? Nous n'en savons rien. En tout cas ce même mois de mai 1920 vit Londres célébrer Jeanne d'Arc non seulement par une grand-messe à Westminster mais aussi par un grand cortège historique à travers des rues encombrées, paraît-il, par plus de 100 000 spec­tateurs. A Paris, offices dans toutes les églises, cortège histo­rique et reconstitution devant l'église Saint-Roch de la porte Saint-Honoré dont l'assaut en 1429 fut pour Jeanne l'occasion d'une blessure de plus. \*\*\* Les cortèges parisiens qui succédèrent à celui de 1920, nous y avons assisté ou participé personnellement jusqu'en 1939. On y pouvait voir, précédant le « Cortège Traditionnel a conduit par les chefs de l'Action Française, des centaines et des centaines de scouts, de guides, de membres d'organisa­tions catholiques menés par leurs aumôniers ; ils saluaient et fleurissaient au passage la statue de la Sainte, place des Pyra­mides. Depuis 1945, l'Archevêché de Paris et les organisations catholiques y brillent par leur absence. Morte est devenue pour eux cette lettre du cardinal Dubois datée du 1^er^ mai 1923 : « En union avec les cérémonies officielles, nous reverrons cette année le cortège si brillamment éployé l'an dernier : qu'il soit, si possible, plus magnifique encore, rien n'est trop beau pour célébrer Jeanne d'Arc. Français, pavoisez vos maisons ! Que les couleurs de Jeanne se mêlent aux couleurs nationales, aux couleurs des nations alliées ! Illuminez le soir, en signe de joie. La fête de Jeanne doit être une fête vraiment nationale, où la France n'ait qu'un cœur pour célébrer sa libération. « Pour nous, catholiques, cette libératrice est une sainte. Nous l'entrevoyons dans la gloire du ciel que lui ont méritée et l'héroïsme de ses vertus chrétiennes et son douloureux mar­tyre. L'Église nous la présente comme un modèle : elle nous invite à recourir à elle, comme à une protectrice toujours vivante et toujours secourable. Fidèles aux traditions natio­nales, tournons donc nos regards et nos cœurs vers... les célestes hauteurs où Jeanne, dominant les vicissitudes de notre histoire, continue d'aimer et de protéger sa patrie. » 61:149 En 1923 donc l'archevêque de Paris recommandait encore la fidélité aux traditions nationales. Il osait même écrire, ô triomphalisme : « rien n'est trop beau pour célébrer Jeanne d'Arc ». Et pourtant cette sainte n'avait pas encore été nom­mée par Pie XI Patronne seconde de la France. *Quantum mu­tati*... nos évêques français d'aujourd'hui ? Oui, l'on pourrait supposer bien des raisons au silence qu'a rencontré chez eux le cinquantenaire de la Canonisation. Celle-ci par exemple : en ce temps où l'un d'entre eux trouve bon que les cultivateurs ne demandent plus à Dieu ce qu'ils peuvent attendre de l'en­grais, comment ne serait-on pas gêné en haut lieu ecclésias­tique par une sainte dont l'histoire prouve qu'on ne peut rien attendre des armes si Dieu ne veut pas la victoire ? Une sainte qui aurait aussi bien pu dire, n'est-ce pas Monseigneur ? « Les cultivateurs répandront l'engrais et Dieu donnera les moissons. Par exemple encore cette autre raison qu'inspire le « mes­sage œcuménique » porté, à la demande de l'archevêque de Paris, à la connaissance de ses diocésains le dimanche 25 octo­bre 1970. Ce message invite à donner pour les pays du Tiers-Monde 1 % de nos ressources, à leur consentir des prêts à long terme, une ouverture plus large de nos marchés à leurs productions, un plus juste paiement de leurs matières pre­mières, une plus juste condition à leurs travailleurs immigrés, l'accès plus large aux connaissances et aux compétences, à quoi s'ajoute le conseil de renoncer à la course aux armements. Pour ce dernier point, c'est à la Russie et à la Chine qu'il le faut aller prêcher, car ce sont elles partout qui attaquent. Et quant au reste, outre que chacun de nous, pauvres diocésains, n'y peut « que pouic », nous y voyons bien de l'économie politique et sociale, nous n'y voyons rien de ce que des évêques devraient enseigner pour le salut des âmes qui leur sont confiées. Mais comment, tant occupés du Tiers-Monde, ces seigneurs violets et rouges verraient-ils ce qui se passe tout auprès d'eux ? A l'instar de l'astrologue qui, les yeux sur la lune, tomba dans un puits, nos évêques sont tombés dans cet oubli d'un cinquan­tenaire si important pour l'Église. C'est grand dommage. Du moins, grâce à la revue ITINÉ­RAIRES, cet anniversaire n'aura-t-il pas passé inaperçu. Joseph Thérol. 62:149 ### Chronique marginale par Jean Madiran Déclaration du *Bulletin de Paris* ([^27])*,* trois jours après l'an­nonce de la mort du général de Gaulle : « *Peut-être aurions-nous gardé le silence si depuis trois jours on n'imposait aux Français une version si déformée de l'histoire. Mais dans de telles circonstances le silence est lâche.* » #### I. -- L'offense à d'autres mémoires En citant cette déclaration du *Bulletin de Paris,* on ne vise pas d'abord le cardinal Daniélou, on y reviendra, qui voit dans le général de Gaulle un autre saint Louis et se prononce en faveur de sa canonisation. Le même cardinal a déjà plus ou moins canonisé Teilhard, Jean XXIII et Paul VI, ce qui révèle une certaine suite dans les idées. Mais il parle tellement, à tous propos, sur toutes les radios, qu'il en devient insignifiant. Il y a malheureusement des discours plus sérieux, et de plus de poids, qui portent à l'histoire de France des blessures plus précises. Nous ne sommes pas surpris qu'André Frossard honore et pleure le général de Gaulle, et nous n'aurions pas songé à le contredire, s'il n'avait lui-même, en hommage à son héros, apporté contradiction et offense à d'autres mémoires : 63:149 « Il nous aura sauvés un jour du déshonneur, en chas­sant l'occupant des âmes françaises bien avant que les armées vinssent lui signifier ce congé sur le terrain. » ([^28]) Si le général de Gaulle nous a sauvés du déshonneur, c'est donc que le maréchal Pétain nous y enfonçait. Et si le maré­chal Pétain ne nous enfonçait pas dans le déshonneur, de quel déshonneur donc le général de Gaulle nous aurait-il sauvés ? Le propos que nous relevons n'est pas celui d'un journa­liste ignorant, irresponsable et sans autorité morale. Le propos est d'André Frossard : écrivain du premier rang, écrivain catholique, écrivain habituellement bienveillant. Je répète que mon intention était de le laisser en paix honorer la mémoire de son héros. Mais voici donc que même André Frossard n'a pas pu honorer cette mémoire sans en offenser d'autres. Comme s'il n'y avait pas moyen de faire autrement. Comme si la réputation, la gloire et la légende du général de Gaulle devaient, sous peine de s'effacer, se fonder sur une violente injustice à l'égard du maréchal Pétain en particulier, et des « âmes françaises » dans leur ensemble. #### II. -- La mémoire du maréchal Pétain André Frossard commence d'ailleurs, du même coup, par s'offenser lui-même : je n'arrive pas à croire que, pour chasser l'occupant de son âme, il ait fallu Charles de Gaulle (et si Charles de Gaulle n'avait pas existé, l'âme d'André Frossard serait encore occupée par l'impérialisme allemand ?). Mais quoi qu'il en soit du témoignage d'André Frossard sur son cas personnel, ce qu'il dit n'est pas vrai pour les âmes françaises de l'été et de l'hiver 1940. Ce n'était pas vrai dans les Chantiers de la Jeunesse et dans la Légion des Combattants : sans y écou­ter le général de Gaulle, car c'était le maréchal Pétain que l'on y écoutait, les âmes n'étaient aucunement occupées par l'enva­hisseur. L'âme du Maréchal lui-même n'était point occupée ni prisonnière. Ni l'âme du général Weygand. Ni l'âme de l'amiral Auphan. Ni l'âme de Charles Maurras. Ni l'âme d'Henri Massis. Il y avait eu la défaite. Et il y avait eu le maréchal Pétain qui avait dit : 64:149 « Dès le 13 juin \[1940\], la demande d'ar­mistice était inévitable. Cet échec vous a sur­pris. Vous souvenant de 1914 et de 1918, vous en cherchez les raisons. Je vais vous les dire. Le 1^er^ mai 1917, nous avions encore 3 280 000 hommes aux armées, malgré trois ans de com­bats meurtriers. A la veille de la bataille ac­tuelle, nous en avions 500 000 de moins. En mai 1918, nous avions 85 divisions britanni­ques ; en mai 1940, il n'y en avait que 18. En 1918, nous avions avec nous les 52 divisions italiennes et les 42 divisions américaines. L'infériorité de notre matériel a été plus grande encore. L'aviation française a livré à un contre six ses combats. Moins forts qu'il a vingt-deux ans, nous avions aussi moins amis. Trop peu d'enfants, trop peu d'armes, trop peu d'alliés, voilà les causes de notre défaite. » Et aussitôt, le maréchal Pétain appelait les Français à tirer la leçon des batailles perdues : « Le peuple français ne conteste pas ses échecs. Tous les peuples ont connu tour à tour des succès et des revers. C'est par la manière dont ils réagissent qu'ils se montrent faibles ou grands. Nous tirerons la leçon des batailles perdues. Depuis la victoire \[de 1918\], l'esprit de jouis­sance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on n'a servi. On a voulu épargner effort ; on rencontre aujourd'hui le malheur. » ([^29]) Trois jours plus tard, le 23 juin 1940, le Maréchal parlait à nouveau : « Notre foi en nous-mêmes n'a pas fléchi. Nous subissons une épreuve dure. Nous en avons surmonté d'autres. Nous savons que la patrie demeure intacte tant que subsiste l'amour de ses enfants pour elle. Il arrive qu'un paysan de chez nous voit son champ dévasté par la grêle. Il ne déses­père pas de la moisson prochaine. Il creuse avec la même foi le même sillon pour le grain futur. » ([^30]) 65:149 Et le 25 juin 1940, le maréchal Pétain répétait les consignes du renouveau et de l'espérance : « Vous avez souffert. Vous souffrirez encore. Beaucoup d'entre vous ne retrouveront pas leur métier ou leur maison. Votre vie sera dure. Ce n'est pas moi qui vous bernerai par des paro­les trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. N'espérez pas trop de l'État qui ne peut donner que ce qu'il reçoit. Comptez pour le présent sur vous-mêmes et pour l'avenir sur les enfants que vous aurez élevés dans le sen­timent du devoir. Nous avons à restaurer la France. Montrez-la au monde qui l'observe, à l'adversaire qui l'occupe, dans tout son calme, tout son labeur, toute sa dignité. Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié. C'est à un redressement intellectuel et moral que, d'abord, je vous convie. » ([^31]) En tout cela, où voit-on un « déshonneur » dont le général de Gaulle aurait eu à nous sauver ? Où voit-on que les âmes qui répondaient à l'appel du maréchal Pétain auraient été occupées par l'envahisseur ? Mais on voit en tout cela des considérations dans lesquelles le général de Gaulle n'est jamais entré, ni dans la paix ni dans la guerre, ni au pouvoir ni dans l'opposition. Il n'a jamais appe­lé la France à un redressement intellectuel et moral : mais sim­plement à un redressement politique, d'ailleurs limité à l'exercice du pouvoir par lui-même. On voit, bien sûr, dans les déclarations du maréchal Pétain, la présence et le poids du malheur : la défaite de 1940 était l'une des plus grandes de notre histoire, et trente ans plus tard nous en subissons encore plusieurs conséquences. On ne suppri­mait pas cette défaite en proclamant : « *La France a perdu une bataille, elle n'a pas perdu la guerre. *» Cette prétention du gé­néral de Gaulle, qui d'ailleurs ne fut pas énoncée dans « l'appel du 18 juin » comme il l'a laissé dire par la suite ([^32]), était inexacte en ce qui concerne la France, elle n'était vraie qu'en ce qui concerne l'Allemagne : 66:149 celle-ci avait, contre la France, gagné une bataille, elle n'avait pas pour autant gagné la guerre contre le monde entier. Il eût été irréprochable de proclamer en 1940 : « *L'Allemagne a gagné une bataille, elle n'a pas gagné la guerre. *» Mais la France, pour sa part, avait perdu sa ba­taille et sa guerre. L'immense réputation mondiale du général de Gaulle a été fondée pour moitié sur cette clairvoyance : l'Allemagne n'a pas gagné la guerre. Et, pour moitié, elle est fondée sur une imposture : celle qui prétend que l'armistice de 1940 n'était pas nécessaire, que le Maréchal était un traître, que par lui et avec lui les âmes françaises, comme le répète encore Frossard trente années après, étaient occupées par l'ennemi, abandonnées à l'Allemand, données au nazisme, et qu'il fallut l'équipée de Charles de Gaulle pour nous sauver du déshonneur. A l'issue de la guerre, l'Allemagne sera finalement battue Charles de Gaulle eut raison de le deviner en 1940. Mais l'Alle­magne sera battue *par d'autres :* par d'autres que nous, par d'autres que la France, par d'autres que le général de Gaulle. La part militaire de la France dans la victoire alliée de 1945 est extrêmement modeste, même si elle est localement glorieuse : et cette part militaire revint principalement à l'armée d'Afrique que Weygand et Juin, d'ordre du maréchal Pétain, avaient maintenue et préparée. C'est un mensonge, ou au moins une illusion, en tous cas une contre-vérité, de prétendre comme fait le général de Gaulle qu'en 1944 « *sur le plan de la politique mondiale rien ne subsisterait bientôt plus de la situation de nation vaincue où la France avait paru tomber *» ([^33]). La chute de la France dans une terrible défaite, en 1940, n'était pas une apparence, mais une réalité. L'assomption de la France au rang des vainqueurs, en 1945, fut moins une réalité qu'une appa­rence. On ne voit d'ailleurs pas en quoi la Belgique, qui n'eut pas de général de Gaulle, en aurait été, en 1945, moins libérée que la France. #### III. -- Une lecture à refaire Il faut lire, ou relire, les explications du général de Gaulle concernant son refus, en 1944, de répondre à l'amiral Auphan et d'établir son gouvernement dans la filiation du maréchal Pé­tain ([^34]). 67:149 « *Quand le soir tombe* (*28 août 1944*)*, j'apprends le dernier acte du Maréchal* « *Chef de l'État *»*. Juin m'ap­porte une communication que l'amiral Auphan, ancien ministre de Vichy, lui a remise pour moi. Il s'agit d'une lettre et d'un mémoire que m'adresse l'amiral, me faisant connaître la mission qu'il a reçue du Maréchal et que ce­lui-ci a formulée en deux documents secrets. Le premier est un acte dit* « *constitutionnel *» *du 27 septembre 1943, chargeant un collège de sept membres d'assurer la fonc­tion de* « *Chef de l'État *» *si lui-même en est empêché. Le second, daté du 11 août 1944, est un pouvoir donné par lui à l'amiral Auphan* « *de prendre ; éventuellement con­tact de sa part avec le général de Gaulle, à l'effet de trou­ver au problème politique français, au moment de la libération du territoire, une solution de nature à empê­cher la guerre civile et à réconcilier tous les Français de bonne foi *»*. Le Maréchal précise qu'au cas où Auphan ne pourrait lui en référer,* « *il lui fait confiance pour agir au mieux des intérêts de la patrie *»*. Mais il ajoute :* « *Pourvu que le principe de légitimité que j'incarne soit sauvegardé. *» *L'amiral m'écrit que, le 20 août, ayant appris que le Maréchal était emmené par les Allemands, il a tenté de réunir le* « *collège *»*. Mais deux des membres désignés, Weygand et Bouthiller, se trouvent détenus en Allema­gne* (*...*)*. Auphan, se voyant seul avec Cavus, a considéré que le* « *collège *» *avait vécu avant d'être né et que lui-même se trouvait, désormais,* « *principal dépositaire des pouvoirs légaux du Maréchal *»*. Il me prie de le recevoir.* *La démarche ne me surprend pas. Je sais que depu*i*s le début d'août le Maréchal, qui s'attend à être sommé de partir pour l'Allemagne, a fait prendre des contacts avec des chefs de la Résistance* (*...*)*. Mais Pétain n'avait pas donné suite à ce projet, empêché sans doute de le faire par les mesures de surveillance prises par les Alle­mands avant qu'ils ne l'emmènent à Belfort et à Sigma­ringen. A présent, son mandataire me saisit d'une deman­de formelle de négociation.* 68:149 *Quel aboutissement ! Quel aveu ! Ainsi, dans l'anéan­tissement de Vichy, Philippe Pétain se tourne vers Char­les de Gaulle. Voilà donc le terme de cette affreuse série d'abandons où, sous prétexte de* « *sauver les meubles* »*, on accepta la servitude* (*...*)*. Mais quelle suite puis-je donner à cette communica­tion ? En l'espèce, le sentiment ne saurait compter en fa­ce de la raison d'État. Le Maréchal évoque la guerre civile. S'il entend par là le heurt violent de deux frac­tions du peuple français, l'hypothèse est tout à fait ex­clue. Car, chez ceux qui furent ses partisans, personne, nulle part, ne se dresse contre mon pouvoir. Il n'y a pas, sur le sol libéré, un département, une ville, une commu­ne, un fonctionnaire, un soldat, pas même un particulier qui fasse mine de combattre de Gaulle par fidélité à Pétain* (*...*)*.* *Par-dessus tout, la condition que met Pétain à un ac­cord avec moi est justement le motif qui rend cet accord impossible. La légitimité qu'il prétend incarner, le Gou­vernement de la République la lui dénie absolument, nota point tant parce qu'il a recueilli naguère l'abdication d'un parlement affolé qu'en raison du fait qu'il a accepté l'asservissement de la France, pratiqué la collaboration officielle avec l'envahisseur, ordonné de combattre les soldats français et alliés de la libération, tandis que, pas un seul jour, il ne laissa tirer sur les Allemands* (*...*)*. C'est moi qui détiens la légitimité* (*...*)*. Sans que je mé­connaisse l'intention suprême qui inspire le message du Maréchal, sans que je mette en doute ce qu'il y a d'im­portant, pour l'avenir moral de la nation, dans le fait qu'en fin de compte C'est vers de Gaulle qu'est tourné Pétain, je ne puis lui faire que la réponse de mon si­lence. *» Passons sur l'insoutenable bassesse de cette minutieuse et trompeuse ratiocination. C'est donc ainsi que le général de Gaulle, en 1944, écarte le maréchal Pétain et introduit dans son gouvernement les com­munistes et leur chef, le déserteur Maurice Thorez. Cher André Frossard, les laborieuses, les incroyables expli­cations de votre héros, que nous venons de relire, n'arrivent pas à rendre honorable le choix qu'il fit alors, et qui commanda la suite. #### IV. -- Portée du choix de 1944 Assurément il était impossible, même à Charles de Gaulle, d'avoir ensemble dans un même gouvernement l'amiral Auphan et Maurice Thorez. Il fallait inévitablement choisir entre le représentant du maréchal Pétain et le représentant du commu­nisme international. 69:149 En choisissant Maurice Thorez, le général de Gaulle fit qu'il n'y eut en France ni *légitimité,* ni *réconciliation :* échec qu'il dut avouer par son départ au début de l'année 1946, mais sans en reconnaître et peut-être sans en avoir compris la cause. Le général de Gaulle voulait en 1944 fonder ou restaurer un État et un gouvernement : mais il crut pouvoir les fonder sur une légitimité qui lui serait strictement personnelle ; comme si, d'une part, cette légitimité personnelle, réelle ou supposée, était à elle seule suffisante et efficace ; et comme si, d'autre part, l'établissement des communistes à l'intérieur du gouvernement n'était susceptible d'entamer en rien l'efficacité morale supposée de sa légitimité personnelle. Toujours est-il que cette légitimité personnelle du général de Gaulle ne fut pas reconnue dans les faits : elle lui fut, à lui aussi, comme au Maréchal, « *déniée absolument par le Gouver­nement de la République* ». De même la réconciliation nationale : elle pouvait être éclatante en 1944, à l'heure de la libération ; et d'autant plus facile qu'elle était attendue par la plupart des Français, persuadés que « de Gaulle et Pétain étaient secrètement d'accord ». En choisissant Thorez, en écartant Auphan, le général de Gaulle avait rejeté sans recours la réconciliation française : elle n'aura jamais lieu de son vivant, il mourra sans lui avoir laissé, à aucun moment, aucune chance. C'est dans d'autres circonstances, ne devant plus rien à la guerre mondiale, à ses réalités ni à ses mythes, qu'en 1958 il se trouvera à nouveau en situation de fonder un État et un gouvernement. #### V. -- L'autre blessure Je passe sur les horreurs de la libération, conséquences du choix par lequel le général de Gaulle avait préféré Maurice Thorez à l'amiral Auphan : en raison de la consécration pa­triotique et du rôle officiel ainsi donnés au Parti communiste, celui-ci (non pas lui seul, mais lui principalement) put multiplier les assassinats, les tortures, les exactions de toutes sortes. On estime que 100 000 personnes au moins furent « exécutées » sans jugement. Quant à « la loi », loin de protéger ceux que le Parti communiste voulait liquider, elle organisait contre eux toutes sortes de procédures d' « épuration » civique, adminis­trative et autre, confisquant les biens, les places, les fonctions, les journaux. 70:149 Préférer Maurice Thorez à l'amiral Auphan, c'était choisir et déchaîner la révolution : c'est bien une révolution, et sanglante, qui eut lieu en 1914-1945. Les journaux et les radios, ne donnant jamais la parole, de­puis un quart de siècle, aux survivants parmi les victimes de cette révolution, croient en avoir effacé le souvenir : ils n'en ont pas effacé l'injustice, ni cicatrisé la blessure. Le maréchal Pétain est mort au bagne, et il attend toujours sa sépulture. L'autre blessure nationale est celle du mensonge, sanglant lui aussi, que le général de Gaulle nous fit sur l'Algérie. Il s'en est expliqué ([^35]) « *Quand je parais* \[à Alger, le 4 juin 1958\] *au balcon du Gouvernement général, un déferlement inouï de vivats soulève l'énorme foule qui est rassemblée sur la place. Alors, en quelques minutes, je lui jette les mots appa­remment spontanés dans la forme, mais au fond bien calculés, dont je veux qu'elle s'enthousiasme sans qu'ils m'emportent plus loin que je n'ai résolu d'aller. Ayant crié :* « *Je vous ai compris ! *» *pour saisir le contact des âmes, j'évoque le mouvement de Mai auquel je prête deux mobiles nobles entre tous : rénovation et fraternité. *» J'ignore si André Frossard, lisant ce texte ligne à ligne et mot à mot, le trouve particulièrement glorieux : la tromperie décrite par le trompeur qui « saisit le contact des âmes » pour les faire « s'enthousiasmer » dans l'illusion et dans l'erreur, avec un sournois contentement qui glace le commentaire (sauf celui du cardinal Daniélou, qui admire : ce qu'il admire, l'imi­te-t-il ?) Danse l'allocution radiodiffusée et télévisée prononcée au Palais de l'Élysée, le 29 janvier 1960, le général de Gaulle dé­clarait notamment ([^36]) : « *Français d'Algérie, comment pouvez-vous écouter les menteurs et les conspirateurs qui vous disent qu'en ac­cordant le libre choix aux Algériens, la France et de Gaulle veulent vous abandonner, se retirer de l'Algérie et la livrer* à *la rébellion ? *» 71:149 « Vous abandonner, se retirer de l'Algérie et la livrer à la rébellion » : cela exactement fut fait, ceux qui l'annonçaient, ceux qui en accusaient le général de Gaulle n'étaient donc pas « menteurs » mais véridiques. Et le général de Gaulle n'était pas véridique mais menteur. #### VI. -- Le général de Gaulle et l'apostasie des nations En 1944 et en 1945, le général de Gaulle n'avait pas pu fon­der un État, il avait dû laisser la place à la IV^e^ République. En 1958-1969, non sans retouches successives, il a donné à la France une Constitution nouvelle qui, pour le moment, lui survit. L'abaissement relatif des partis, la diminution du parlementa­risme, le renforcement du pouvoir exécutif sont en eux-mêmes des changements heureux. En situation, leur portée est ambiguë et peut-être carrément dangereuse. Il faut qu'un gouvernement ait le pouvoir de gouverner : mais un gouvernement étranger à l'esprit de justice, et poursuivant la socialisation des personnes, des biens et des esprits, il vaudrait mieux qu'il ait moins de pouvoir... Au demeurant, le chaos intellectuel et moral, bientôt poli­tique et économique, dans lequel s'enfonce le monde occidental, en raison de son apostasie, dépasse et déborde de toutes parts les recours que l'on peut espérer du seul renforcement de l'exé­cutif. Le pouvoir exécutif a été renforcé dans une société sans foi ni loi morale. Elle ne sait plus ce qu'elle peut et ce qu'elle doit enseigner aux nouvelles générations. Ainsi la raison formelle de la société, sa raison d'être la plus fondamentale, qui est l'édu­cation intellectuelle et morale, disparaît : et cette disparition, subrepticement commencée depuis longtemps, s'est accomplie sous et malgré l'exécutif renforcé du général de Gaulle, de 1958 à 1969. Comment ne pas repenser à la duplicité du « silloniste » décrite par saint Pie X, sans nullement vouloir insinuer par là que le général de Gaulle aurait été littéralement plus « silloniste » que Paul VI : « *Il y a deux hommes dans le silloniste : l'individu, qui est catholique ; l'homme d'action, qui est neutre. *» ([^37]) 72:149 Combien connaissons-nous de personnages qui, ainsi, sont *individuellement* catholiques, alors que leur action ne l'est plus... Et leur « action », c'est souvent l'exercice d'une autorité publique, temporelle ou spirituelle. Cette duplicité, Charles de Gaulle en avait affirmé le principe avant de la mettre en application. Du commandement, du gouvernement, il écrivait, lui chrétien et catholique ([^38]) « *Ce n'est point affaire de vertu, et la perfection évan­gélique ne conduit pas à l'empire. L'homme d'action ne se conçoit guère sans une forte dose d'égoïsme, d'orgueil, de dureté, de ruse. *» Si Charles de Gaulle avait été en son for intérieur athée, ou panthéiste, ou n'importe quoi, cette conception de l'homme d'action, du commandement et de l'empire aurait pu être cohé­rente avec sa philosophie générale. Mais si, comme on l'a dit et comme il l'a laissé dire, il était catholique, alors la contra­diction est violente entre son catholicisme *individuel* et son idée de l'action qui n'est pas catholique. Cette idée est absolu­ment le contraire de ce que saint Louis, de ce que Jeanne d'Arc ont pensé, proclamé et vécu précisément dans les tâches du commandement politique et militaire. Ce qui n'empêche pas le malheureux cardinal Daniélou de canoniser le général de Gaulle comme incarnant « le type du laïc chrétien » : « *On parle beaucoup du laïcat en ce moment. de Gaulle est le type du laïc chrétien, à la fois dans la valeur de sa vie privée et, dans cet esprit de service, de don total de soi-même qu'il a poussé à un degré héroïque, au service non seulement de la France, mais de Dieu. *» ([^39]) François Mauriac, moins ahuri, avait remarqué que le géné­ral de Gaulle, parlant en public, ne parlait jamais en catholique, et il eut cette formule terrible : « *Charles de Gaulle, chrétien dans le privé *» ([^40]). 73:149 A titre, donc, individuel et privé, le général de Gaulle était sans doute catholique : nous n'en savons rien (Dieu le sait). L'homme d'État ni le mémorialiste n'en a jamais rien dit : ce qui est une étrange manière d'être catholique. Aux dernières pages de ses *Mémoires de guerre*, quand il décrit un paysage français, il n'y aperçoit point d'églises ; quand il parle de la mort, c'est « le froid éternel » ; et l' « espérance », qui demeure anonyme, ne laisse rien voir de surnaturel : « *Vieil homme, recru d'épreuves, détaché des entre­prises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter dans l'ombre la lueur de l'espérance ! *» ([^41]) 74:149 Le mouvement du texte, le contexte, et aussi les circonstan­ces dans lesquelles le volume est « achevé d'imprimer », le 25 septembre 1959, quinze mois après le retour au pouvoir, tout semble indiquer que l' « espérance » que « guette » Charles de Gaulle, dans le portrait de lui-même avant mai 1958, est une espérance politique, une espérance nationale, non point une espérance religieuse. S'il avait une espérance surnaturelle, il l'a bien caché. C'est-à-dire que si l'espérance chrétienne vi­vait chez le général de Gaulle, elle était individuelle, et privée, et secrète, et ne paraissait point dans l'action publique, pas même dans le discours ou dans l'écrit public, selon la dualité dépeinte par saint Pie X. Qu'un catholique, chef d'une nation catholique, se comporte ainsi avec l'approbation nationale, c'est la sainteté selon Da­niélou ; selon nous, c'est exactement l'apostasie au niveau des nations. #### VII. -- Une révélation de Domenach Le directeur de la revue *Esprit*, Jean-Marie Domenach, a écrit et publié avant la mort du général de Gaulle le bref récit suivant, qu'il situe « à l'automne 58 » : « Esprit *et* Témoignage chrétien *étaient menacés d'une condamnation du Vatican. Or* Esprit *-- comme* Témoi­gnage chrétien *-- était rien moins que favorable au nou­veau régime. Michelet n'hésita pas :* « *ça ferait trop plaisir à* Rivarol ». *Il en parla à de Gaulle qui intervint à Rome *» ([^42]) Donc, selon Domenach, à l'automne 1958, à peine revenu au pouvoir, le général de Gaulle est intervenu à Rome pour empê­cher une condamnation religieuse d'*Esprit* et de *Témoignage chrétien,* deux publications qui pourtant combattaient sa politi­que. Domenach ne l'invente certainement pas. Mais peut-être se trompe-t-il, ou a-t-il été trompé. Il nous paraît fort douteux qu'à l'automne 1958 le « Vatican » ait été sur le point de rendre pu­blique une « condamnation » contre *Esprit* et *Témoignage chrétien.* On a pu cependant le croire, en France, dans certains milieux. Que la crainte de Domenach ait été vaine ou fondée, ce n'est pas ce qui nous intéresse. L'important est que Domenach trouve naturelle, normale (en quelque sorte due) une telle in­tervention à Rome du général de Gaulle. 75:149 Celui-ci ne passe pas pour avoir souvent fait de cadeaux à ses adversaires politiques. Par delà l'opposition politique entre Charles de Gaulle et ces chrétiens-là il y avait donc quoi ? A Jean-Marie Domenach d'en donner, s'il l'a, l'explication. #### VIII. -- Le système pour faire marcher les évêques Édith Delamare exhume ([^43]) un texte fort éclairant, qu'elle a retrouvé dans *Témoignage chrétien* du 6 juin 1945. André Mandouze, alors rédacteur en chef de ce journal, écrivait pu­bliquement à Mgr Delay, évêque de Marseille : « *Monseigneur, humiliez-vous et reconnaissez vos erreurs. Si un certain nombre de vos fils, prêtres et laïcs, n'avaient pas eu le courage de vous désobéir pendant quatre ans, pour obéir à leur conscience, ni vous ni la plupart de vos confrères n'occuperiez actuellement vos palais épiscopaux. *» Charlatanisme et imposture, mais efficaces sur les caractères faibles et sur les esprits courts. Qu'est-ce à dire en effet ? S'il n'y avait eu aucun catholique dans la résistance gaulliste entre 1940 et 1944, le général de Gaulle aurait chassé ou emprisonné la plupart des évêques ? Et s'il ne l'a pas fait, c'est uniquement parce qu'il y a eu quelques catholiques dans les rangs de son parti ? -- Pendant quatre ans, c'est beaucoup et c'est trop dire, les gaullistes étaient fort rares en 1940 : mais c'est la part de l'enjolivement et de la lé­gende. La part du mensonge, c'est de faire croire qu'en participant à la résistance gaulliste, Mandouze et les siens ont sauvé la succession apostolique en France. S'ils ont sauvé les évêques français, c'est au demeurant sous condition : humi­liez-vous devant Mandouze, Monseigneur, reconnaissez vos torts devant *Témoignage chrétien*, et puisque vous êtes encore en vie et en liberté grâce à *Témoignage chrétien* et à Mandouze, veuil­lez strictement leur obéir désormais. 76:149 Cela ne tenait pas debout, n'avait aucune vraisemblance, mais la peur est aveugle et les évêques ont marché. Pendant quatre années, de 1940 à 1944, ils avaient recommandé l'obéis­sance civique et politique au maréchal Pétain, parce qu'il était le pouvoir civil légal et légitime, et aussi parce que son pro­gramme : *Travail -- Famille -- Patrie* était le plus proche (ou le moins éloigné) de la doctrine sociale de l'Église qu'on ait vu en France depuis un siècle et davantage. A quoi s'ajoutait en­core que le gouvernement du Maréchal reconnaissait la liberté de l'enseignement et donnait à cette liberté les moyens matériels de s'exercer. L'épiscopat français avait toutes les raisons, de principe et de circonstance, d'être activement favorable au ma­réchal Pétain : et ces raisons, l'épiscopat les a écoutées, il les a suivies, il s'y est conformé. Il eut ce mérite et il eut cet hon­neur. Il y fut, assurément, aidé et encouragé par Pie XII. Mais devant le débordement illimité d'assassinats, de séquestrations, de tortures et de pillages qui ponctuèrent en 1944-1945 l'établis­sement du gouvernement de Gaulle-Thorez, les évêques français furent saisis d'une panique d'ailleurs compréhensible. Elle dure encore. Ils ne veulent pas que demain ou après-demain, un régime communiste puisse les prendre à contre-pied, comme les avait pris à contre-pied le régime gaullo-communiste de 1944. En 1944, ils n'étaient pas en situation de dire : -- Mais si ! Nous en étions ! D'avance, nous étions pour vous ! D'avance, nous étions du bon côté ! D'avance, nous étions du côté du plus fort ! Voici nos témoins, voici nos preu­ves... Leurs preuves et leurs témoins, véridiques, sont prêts cette fois, en vue d'une éventuelle arrivée des communistes au pou­voir. (*Idem* en plusieurs lieux de l'Italie et du Vatican.) Ils feront alors connaître le détail des services rendus par eux aux hommes de la révolution, de la subversion, du totalitarisme marxiste. Ce détail anecdotique dépasse de beaucoup ce que nous pou­vons en savoir aujourd'hui : mais non pas ce que nous pouvons en pressentir, en deviner ou en présumer. D'autant plus que les lignes générales sont suffisamment apparentes. Le gaullisme a lessivé un épiscopat français dont la médio­crité ne demandait qu'à l'être. Quand Pie XII proclamait -- *C'est tout un monde qu'il faut refaire depuis les fondations,* il ne disait pas dans quelle mesure il incluait sous ce rapport le monde clérical dans le monde contemporain. Depuis lors, c'est le monde clérical lui-même qui s'est ouvert, livré, aban­donné, assimilé au monde contemporain et à son apostasie gé­nérale. C'est pourquoi aujourd'hui c'est du monde clérical aussi bien que du monde profane, tous deux apostats de la même apostasie, que nous répétons : -- *C'est tout un monde qu'il faut refaire depuis les fondations.* Jean Madiran. 77:149 ### Journal des temps difficiles par Henri Rambaud #### 5 septembre 1970 Mon fils aîné revient de la messe du samedi soir à la pa­roisse Saint-Géraud d'Aurillac. Deux files de communiants : l'une, où le prêtre, au choix du communiant, lui pose l'hostie sur la langue ou dans la main, pratique tristement régulière aujourd'hui ; mais l'autre aboutit à un laïc qui tient une cor­beille simplement recouverte d'un linge, et les fidèles puisent. Combien de temps faudra-t-il pour que soit affiché *Self-service de l'eucharistie ?* *-- *Si j'avais été dans la seconde file, me dit mon fils, je n'aurais eu d'autre ressource que de passer dans la première. Et Paul VI a pensé mettre un point d'arrêt à la décomposition de la liturgie en autorisant les évêques à permettre la commu­nion dans la main ! -- Pardon, lui fais-je observer, qui nous assure que Paul VI l'a pensé ? Il devait tout de même bien se douter qu'entr'ouvrir une porte par temps d'orage est courir le risque qu'une bour­rasque l'arrache des gonds. Je persiste dans mon idée que le grand dessein de Paul VI est que le visage de l'Église ne reste pas ce qu'il était avant lui. De là sa pente à accueillir les changements, quels qu'ils soient, sous la seule réserve qu'ils ne portent pas atteinte au message de la Révélation. Que cette condition soit remplie, et toute pra­tique nouvelle lui paraît un besoin de l'âge moderne : puisqu'il y a des gens pour l'introduire. 78:149 On va loin à s'abandonner si complaisamment au fil de l'eau. Le pilote a beau s'être fixé une limite, le navire y arrive avec trop de force et s'y brise en morceaux, dont une partie, em­portée par la vitesse, franchit le barrage. De fait, ce ne sont plus aujourd'hui les seules lois ecclésiastiques qui sont contes­tées ; déjà ce sont les dogmes. Résultat aisément prévisible de la résolution publiquement prise de ne point sévir contre l'in­soumission : chose bien pire que l'insoumission elle-même, qui n'est qu'un désordre plus ou moins grave ; tandis que sa tolé­rance systématique est proprement l'anarchie, laquelle, le mot le dit, est toujours défaillance du commandement. Ce n'est pas que je sois hostile à tout changement. Ce serait tomber dans le défaut inverse. Des changements, il y en a eu de tout temps dans l'Église, et il est normal qu'il y en ait encore du nôtre. Je pense seulement qu'il faut les faire avec prudence, pour que non seulement l'essentiel n'en soit pas blessé, mais en­core que ne soient pas mises en péril des choses de grande im­portance. La communion dans la main ne porte pas atteinte à la Révélation ; ce n'en est pas moins grave imprudence de l'avoir permise, parce que, sans aucun avantage spirituel, elle augmente le risque de sacrilège et tend à diminuer le respect dû au Corps du Christ. En revanche, la messe du soir, l'adoucisse­ment du jeûne eucharistique, innovations excellentes, pour la raison qu'elles rendent plus facile de venir fréquemment participer au sacrifice de la messe et, de plus, y communier. Et la messe du samedi soir à la place de celle du dimanche ? Car le dimanche est d'institution divine : c'est toujours le len­demain du sabbat qu'après la Résurrection le Christ apparaît à ses disciples. Mais précisément, à la condition que la messe du samedi soir ne soit pas messe du samedi, mais par anticipa­tion la messe du dimanche et que les chrétiens se souviennent que le dimanche est le jour de la semaine qui doit spécialement être sanctifié, je conçois que la loi ecclésiastique autorise cette anticipation : ce n'est pas violer la loi divine, mais seulement l'interpréter et la réglementer : ce qui est le rôle propre des lois ecclésiastiques. La considération capitale est qu'il est normalement impossi­ble aux chrétiens de se sanctifier sans la pratique des sacre­ments ; il y a, certes, des suppléances pour qui ne les connaît pas, mais les sacrements sont le moyen de sanctification institué par Jésus-Christ et qui les connaît n'a pas le droit de les refuser ni seulement de les négliger. 79:149 Or, c'est un fait que les habitudes d'aujourd'hui, qui font du dimanche le jour non seulement du repos, mais des déplacements, souvent avec un programme arrêté par des organisateurs insoucieux des lois de l'Église, ex­posent à la tentation de faire passer son plaisir avant son devoir. Je comprends que, maternellement, l'Église ait aménagé la lettre du précepte pour épargner à ses fils cette tentation. Reste qu'en temps de bouleversements, il y a des facilités en elles-mêmes légitimes qu'il est périlleux d'accorder parce qu'elles seront interprétées comme un relâchement de la loi. J'imagine le curé d'Ars devant cette innovation : il se réjouirait d'avoir moins d'absents à sa messe dominicale (messes du samedi soir et du dimanche réunies) et presserait d'autant plus les assis­tants de n'oublier pas qu'en prenant ce jour-là plaisir ou repos, leur dimanche doit rester le jour du Seigneur. #### 10 septembre 1970 *Du Monde,* sous la signature de Roger Mehl : *Si l'on tient compte de l'évolution décisive de la litur­gie eucharistique catholique, de la possibilité de subs­tituer au canon de la messe d'autres prières liturgiques, de l'effacement de l'idée selon laquelle la messe constituerait un sacrifice, de la possibilité de communier sous les deux espèces, il n'y a plus de raison, pour les Églises de la Réforme d'interdire à leurs fidèles de prendre part à l'eucharistie dans l'Église romaine.* J'entends bien que c'est un protestant qui parle. Mais peut-il être plus formellement déclaré qu'avec la nouvelle messe, après quatre siècles d'erreur, la théologie catholique se rallie enfin à la théologie protestante ? et quelle meilleure preuve que les barrières que le Concile de Trente avait élevées contre l'héré­sie ont disparu ? 80:149 N'importe : il se trouvera des catholiques pour penser qu'en­tre l'*Ordo missæ* de saint Pie V et le *Novus ordo missæ* les différences sont de pure forme et que nous nous battons parce que nous sommes trop vieux pour changer nos habitudes. #### 13 septembre 1970 Messe du soir à l'église du Sacré-Cœur d'Aurillac. Sermon véritablement *excellent* du curé, quoique trop long (22 minutes). Thème : que notre foi s'adresse fondamentalement à la per­sonne de Jésus-Christ et qu'il nous faut accepter Jésus-Christ tout entier, le crucifié comme le ressuscité, le chemin de la ré­surrection passant par la croix. Et il y aura des méchants pour prétendre que je ne me plais qu'à critiquer ! Pardon : je choisis. Et j'aime mieux louer. Ce sont les occasions qui ne sont pas aussi fréquentes. Fort peu de communions dans la main. J'avais autre chose à faire à ce moment-là qu'à compter, mais je n'en ai vu avec certitude que deux, sur plus d'une soixantaine de communiants, alors que dans ma paroisse lyonnaise il y en avait avant mon départ pour la campagne plus d'une sur trois. Je le note parce que je ne serais pas surpris que, dans l'une et l'autre de mes deux paroisses, l'aurillacoise et la lyonnaise, la personne du curé n'y fût pour quelque chose. En revanche, à Saint-Géraud, où, repartant ce matin pour Paris, mon fils était allé hier soir entendre la messe, ce fut, me dit-il, pire encore que la semaine précédente. Du moins de la part du curé, qui, devant le petit nombre des fidèles à choisir leur hostie dans la corbeille, se met en tête d'expliquer que la messe est un repas de famille et que, dans un repas de famille, on présente le plat aux convives en les laissant se servir. Je voudrais bien savoir si ce prêtre-là sait que la messe est *d'abord* un sacrifice. Et sans doute est-elle aussi un repas. Mais seconde­ment. 81:149 Je m'avise que la primauté du sacrifice sur le repas est net­tement marquée par la loi de l'Église. Il y a obligation de par­ticiper par sa présence au sacrifice tous les dimanches et, quoi­qu'il vaille mieux y communier, la communion n'est pas requise pour satisfaire au précepte, tandis qu'encore que la communion hors de la messe soit autorisée, ce ne serait pas satisfaire au précepte dominical que de communier le dimanche sans assis­ter à la messe. Il n'y a obligation de communier qu'une fois l'an, au temps de Pâques (quoiqu'une vie véritablement chré­tienne demande évidemment qu'on le fasse plus souvent). Un petit choc, par exemple, en entendant dans l'évangile du jour : « Passe derrière moi, Satan ! » C'est d'un ridicule ache­vé : on dirait qu'il s'agit d'une question de préséances. Pour­tant, vérification faite, c'est bien ainsi que traduit la Bible de Jérusalem, et je dois aussi convenir que ce français est littéralement calqué sur le grec comme sur le latin : «* Hupagé opisô mou *» ; «* Vade retro me *» (Mc., 8, 33). N'importe, je reste mal à l'aise. J'aime mieux la traduction traditionnelle, que je trouve dans mon Crampon (de 1928) : « Arrière, Satan ! » Elle avait au moins plus de naturel. Cependant, l'original sous les yeux, elle non plus ne me satisfait pas pleinement : elle ne rend pas exactement le sens. J'ai beaucoup réfléchi à ce problème de la traduction, avec toutes les versions grecques et latines que j'ai faites pour mes élèves. Je suis arrivé à cette conclusion qu'une fois le texte compris, le point est de faire exactement le départ de ce qui doit rester dans l'original et de ce qui doit passer dans la traduction, celle-ci ayant à rendre le plus possible de ce qui est de l'auteur, choses dites et façon personnelle de les dire, mais non ce qui relève de la langue puisqu'elle est écrite dans une autre. Bien sûr, c'est une évidence, étant la définition même de la traduction. Mais les applications du principe vont plus loin qu'on ne croit, parce que les lois d'une langue ne sont pas seulement celles que l'on trouve dans les grammaires ; il s'y joint quantité d'habitudes de langage, où l'auteur n'a guère plus de part que dans les règles proprement grammati­cales et qu'il observe de même sans les avoir inventées. Si, par exemple, le plaideur du *Trapézitique* se présente aux juges en ces termes : « J'ai pour père Sopaios », où nous dirions plu­tôt : « Je suis le fils de Sopaios », ce n'est pas qu'Isocrate pré­fère la première façon de dire à la seconde ni qu'elle soit le fait de son tempérament ; c'est seulement que la chose se dit ainsi en grec, tandis que spontanément le français exprime cette parenté en sens inverse. 82:149 Alors, même si la façon de dire de l'original peut être transportée dans notre langue sans violer les règles de notre syntaxe, que seulement elle offense quelqu'une de ces lois plus subtiles auxquelles le traducteur ne doit pas être moins attentif, c'est assez pour qu'elle ait à céder la place à la façon de dire qui nous est naturelle. Ou notre tra­duction aura l'infidélité de paraître une traduction quand l'original n'en est pas une. Ce ne sera pas sans doute une belle infidèle ; c'en sera une laide et cela ne vaudra pas mieux. « Difficulté de traduire, notait Montesquieu dans ses *Cahiers* ([^44]) *:* il faut d'abord bien savoir le latin, ensuite il faut l'oublier. » Excellente formule : une bonne traduction se fait le regard fixé sur la chose à dire, comme l'avait l'auteur, plus que sur la façon qu'il a eue de la dire, pour autant que celle-ci lui vient de sa tradition linguistique et n'a pas de valeur expressive. Ceci posé, je me demande comment je traduirais ces trois mots dont la transcription fait en français un si bizarre effet. Jésus vient d'annoncer à ses disciples qu'il sera mis à mort et le troisième jour ressuscitera. Puis (je prends la traduction de la Bible de Jérusalem) : « Alors, Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner. Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, admonesta Pierre et lui dit : « Passe derrière moi, Satan ! car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Pourquoi Jésus veut-il que Pierre « passe der­rière lui » ? Je ne vois qu'une réponse possible : parce que, si Pierre reste devant, il lui barrera la route qui doit le con­duire à la Passion. Maintenant, comment traduire ? Mon embarras n'eût pas été petit si j'avais eu l'honneur d'être consulté ; j'hésite en­core. J'aurais essayé de m'écouter proférant le même ordre tel qu'il me viendrait aux lèvres, et je crois bien que, sur cette voie, ce n'est pas proprement à un ordre, c'est à une défense que j'aurais abouti ; car c'est un des traits les plus marqués du français que d'avoir le goût de la négation, même de la double négation (sans parler des innocents qui en mettent une de trop et, prétendant savoir les lois de notre langue, se targuent véridiquement de n'être pas sans les ignorer). Et sans doute, pour garder le plus possible de l'image, aurais-je finale­ment proposé : « Ne te mets pas en travers, Satan ! » Mais l'endroit est certainement des plus délicats à bien rendre. 83:149 #### 15 septembre 1970 Je lis dans *Le Monde,* sous la signature de Fesquet, qu'au Congrès international de « Concilium », la messe a été célé­brée dimanche « dans la salle du Palais des Congrès, en pré­sence du cardinal Suenens et de Mgr Cardinale, nonce apos­tolique à Bruxelles. Tous deux côte à côte ont communié comme de simples fidèles en se servant dans des corbeilles d'osier qui circulaient dans les rangs de l'assemblée ». Curieux : ils n'avaient donc pas dit (ou ne devaient pas dire) leur messe ce jour-là ? J'entends bien qu'ils n'en avaient pas l'obligation. Tout de même cela surprend. Ont-ils voulu qu'à cette messe tout au moins leur sacerdoce fût confondu avec celui des fidèles ? Il s'en distingue pourtant essentiellement. Si je l'osais, je leur proposerais comme sujet de méditation un mot du P. Maydieu que je trouve très émouvant. Il était grand admirateur de Karl Barth. S'étant entretenu avec lui aux Rencontres internationales de Genève, il avait été frappé de la profondeur de sa vie spirituelle et sur bien des points le catholique et le protestant s'étaient trouvés d'accord. Pas jusqu'au bout cependant. « Le moment qui pour moi démine chaque journée, disait Barth, c'est celui où je prêche Jésus-Christ. -- Je ne puis vous suivre jusque là, avait répondu le P. Maydieu : le moment qui pour moi répand sa lumière sur toutes les heures qui le séparent du lendemain, c'est celui où je consacre. » Deux spiritualités : la protestante, qui donne la première place à la liturgie de la parole ; et la catholique, dont la cime est la liturgie du sacrifice. Et certes, Jésus-Christ est présent dans l'Écriture aussi ; mais d'une façon moins sublime, à la fois moins cachée et moins réelle, que dans cette hostie consa­crée qui, l'instant d'avant, était du pain et qui, maintenant, est Lui-même. Au fond, la spiritualité protestante implique le primat de l'intelligible sur le mystère, des pensées que Dieu nous donne sur la Réalité qui passe infiniment toutes nos conceptions. Mais je reviens à cette communion dans la corbeille. Passe pour le cardinal de la subversion ; mais le nonce apos­tolique, c'est-à-dire le représentant direct du pape auprès du gouvernement belge ! 84:149 Et l'on voudra nous faire croire que Paul VI n'a accepté la communion dans la main que contraint et forcé et pour mettre un frein aux innovations de l'indiscipline liturgique, qu'il est le premier à déplorer ! Paroles pour tranquilliser les fidèles. Il a ses pensées de derrière la tête et veut que les choses aillent plus loin qu'il ne dit. #### 11 octobre 1970 Remarquable article de Marcel Clément dans *L'Homme nouveau* (du 4 octobre) : développant qu'il est contradictoire de prôner une société pluraliste et de s'indigner que le docteur Habache se déclare prêt à déclencher une guerre mondiale pour peu que la Palestine y trouve avantage : si tout homme doit être laissé totalement libre d'avoir sa conception du monde, pourquoi celle du docteur Habache ne serait-elle pas que l'intérêt de la Palestine doit passer avant le bien du reste de l'humanité ? C'est faire mépris du droit des autres ? Certes, mais poser qu'il y a des droits humains fondamentaux aux­quels nul ne peut légitimement porter atteinte, c'est ne plus être pluraliste, c'est « fonder la société humaine sur un ordre moral et juridique déterminé ». Preuve, conclut Clément, qu'il faut une morale qui s'impose à tout le monde, ou ne reste plus que la loi du plus fort. Un certain pluralisme est conce­vable, mais seulement à l'intérieur d'une unité qui lui fixe des limites. Le pluralisme absolu est la barbarie pure et simple. Le raisonnement est irréfutable. Au fond, c'est toujours le problème de l'un et du multiple, lequel ne peut être le dernier mot de tout : parce que, là encore, pour parler comme Aris­tote, « il faut s'arrêter ». Et ce que Clément dit de l'huma­nité n'est pas moins vrai des sociétés particulières. Pas une qui, pour être véritablement société, n'exige une loi que tous ses membres reconnaissent, quand ce ne serait que « la loi du milieu » ; ou l'on n'a plus que des voisinages de fait. 85:149 Je suis conduit par là à m'interroger sur la société parti­culière qu'est l'Église catholique : comment y concilier l'unité nécessaire à toute société avec les diversités légitimes ? Préci­sément l'une des questions abordées par Paul VI dans son allo­cution du 12 août, si importante pour l'intelligence de sa pro­fonde pensée. (Ou me paraît-elle capitale parce que je l'ai lue avec plus d'attention ? Les citations que l'on fait d'un auteur sont toujours plus ou moins arbitraires, en ce sens que d'autres textes seraient aussi probants ; mais suffit que ceux que la mémoire vous présente le soient.) La réponse de Paul VI tient en deux propositions complé­mentaires. Ce qui fait l'unité de l'Église est tout ce que son magistère impose comme objet de foi : au contenu de cette foi tout catholique est tenu d'adhérer sans réserve aucune, parce que « la réalité divine qu'il contient ne saurait être modelée au gré des hommes ». Reste qu'à l'intérieur de cette adhésion sans réserve des diversités sont légitimes, même inévitables, en raison des capacités différentes des hommes qui partagent cette seule et même foi. De cet enseignement du magistère, aucun d'eux ne rejettera la moindre parcelle, il se mettrait par là hors de l'Église ; mais ils le feront diversement resplen­dir parce que tout homme a sa nature propre, faite des dons qu'il a reçus, de la formation qu'il s'est donnée, et que ces natures ne sont pas identiques. Pas de discussion possible sur le principe ainsi posé. Je ferai seulement deux observations. La première, qui vient à l'appui de la thèse de Paul VI, est que pareil partage de l'obligatoirement unanime et du légi­timement divers n'est pas une découverte de Vatican II. Ce pluralisme-là a toujours existé dans l'Église parce qu'il est dans la nature des choses. Pluralisme des spiritualités : tous les saints sont des imitateurs de Jésus-Christ, mais la sainte­té de Jésus-Christ étant inépuisable, chacun en reproduit de préférence les aspects que la nature qu'il a reçue de Dieu l'invite à mettre en lumière et c'est seulement par une vue de l'ensemble du corps mystique que nous pouvons prendre une idée, toujours insuffisante d'ailleurs, de ce que fut la source de toute sainteté. Pluralisme des liturgies aussi : la liturgie de l'Église d'Orient n'a jamais été celle de l'Église latine, et dans l'Église latine elle-même, l'*Ordo missæ* de saint Pie V admettait des dérogations : toute mon enfance a servi la messe tantôt au rite lyonnais et tantôt au rite romain selon qu'elle était célébrée par un prêtre de paroisse ou par un jésuite. 86:149 Ma seconde observation concerne la pratique de Paul VI. dont il faut bien dire que, sur l'un et l'autre point, elle ne s'inspire que d'assez loin de ses paroles : pas assez de fermeté dans le maintien de l'unité nécessaire ; pas assez de libéra­lisme dans l'acceptation des diversités légitimes. Il laisse pra­tiquement le champ libre à l'hérésie, ne s'y opposant que par l'affirmation de la vérité ; mais inversement, alors que l'*Ordo missæ* de saint Pie V agréait les liturgies qui pouvaient exciper de deux cents ans d'ancienneté (cas du rite lyonnais, du rite ambrosien), le rite romain a beau compter le double de cet âge, tout ce qu'il obtient de la bénignité de Paul VI est de pouvoir être employé jusqu'au 28 novembre 1971 par les prêtres qui célèbrent en latin dans les cas prévus par la loi. Cependant, quelle plus belle occasion, pour qui se réclame du pluralisme, de le mettre en pratique ? Car, s'il est une chose unanimement admise, même, je pense, par Mgr Bugnini, c'est bien que le missel de saint Pie V ne porte pas atteinte à la foi catholique. Faut-il croire que Paul VI s'est juré de prendre tout juste le contre-pied du mémorable alexandrin d'Auguste Comte : *Conciliant en fait, inflexible en principe ?* Mais d'ailleurs, pour moi, je n'ai garde d'en être surpris : les deux vont de pair, et leurs contraires aussi. J'ai dû l'écrire déjà : ce sont toujours les plus libéraux en doctrine qui le sont le moins dans l'appli­cation. Il faut bien rattraper dans la pratique ce que l'on a lâché sur le plan de la théorie. Un caprice de ma mémoire me souffle ici un rapproche­ment inattendu. Cette sorte de chassé croisé de la tolérance et de la rigueur, c'est exactement ce que Napoléon reprochait à son frère Louis, roi de Hollande, dans une de ses algarades les plus éloquentes : « Ayez dans votre intérieur, lui écrivait-il, ce caractère paternel et efféminé que vous montrez dans le gouvernement et ayez dans les affaires ce rigorisme que vous montrez dans votre ménage. Vous traitez une jeune femme comme on mènerait un régiment. » Et d'ajouter : « Malheu­reusement vous avez une femme trop vertueuse : si vous aviez une coquette, elle vous mènerait par le bout du nez. Mais vous avez une femme fière, que la seule idée que vous puissiez avoir mauvaise opinion d'elle révolte et afflige. Il vous aurait fallu une femme comme j'en connais à Paris. Elle vous aurait joué sous jambe et vous aurait tenu à ses genoux. Ce n'est pas ma faute, je l'ai souvent dit à votre femme. » ([^45]) 87:149 Est-il permis de trouver amer que de ses fils ce soient les plus attachés à l'intégrité de la foi catholique que Paul VI traite comme Napoléon reprochait à son frère Louis de traiter la reine Hortense ? Et faudra-t-il que nous suivions le conseil que l' « homme fort » de ce temps-là donnait à sa belle-fille et belle-sœur ? #### 13 octobre 1970 Je suis fort minutieux en matière de citations, je vérifie toujours les miennes sur l'original, non seulement pour qu'elles soient exactes, mais pour que l'oubli du contexte ne me fasse pas abuser d'une phrase, je vérifie parfois aussi celles des autres, et s'il est vrai que cela prend du temps, beaucoup de temps, ce temps-là n'est pas toujours du temps perdu. J'ai fait ainsi plus d'une curieuse découverte. C'est ce qui vient encore de m'arriver hier. L'article de Clément m'avait amené à réfléchir à la question du plura­lisme dans l'Église, plus précisément au pluralisme dont traite Paul VI dans son allocution du 12 août, le pluralisme des for­mulations (l'appellation ne figure pas dans le texte, mais elle s'en déduit immédiatement). Le pluralisme est-il légitime ? se demandait-il. Oui, « s'il porte sur l'expression des vérités de la foi et non sur leur contenu, ainsi que Jean XXIII l'a affirmé avec force dans le discours d'ouverture du Concile, en se faisant l'écho de la formule classique de saint Vincent de Lérins : les vérités de la foi peuvent être exprimées de diffé­rentes façons, pourvu qu'elles gardent toujours la même signi­fication ». C'est évidemment la réponse du bon sens, l'adhésion du croyant n'allant pas à des formules, mais aux vérités que ces formules expriment : supposé donc que l'on puisse exprimer par une autre formule la même vérité, identiquement la même, *eodem sensu eademque sententia*, selon l'expression de Jean XXIII partout citée, pas d'objection : puisque, par hypo­thèse, la chose exprimée est identiquement la même et que c'est à la chose qu'il est requis d'adhérer. 88:149 Restait un point qui m'intriguait : quelle était bien « la formule classique de saint Vincent de Lérins » à laquelle Jean XXIII avait fait écho ? Il ne me souvenait pas que ce saint fût nommé dans le discours d'ouverture du Concile et je ne me rappelais de lui d'autre formule célèbre que *quod semper, quod ubique, quod ab omnibus* qu'il ne me semblait pas non plus que Jean XXIII citât. Je repris le discours dans la traduction des Services de Presse du Concile : ma mémoire ne m'égarait pas : pas plus de saint Vincent de Lérins que de *quod semper ;* seulement la surprise, en revanche, de ne rien trouver dans le texte français qui répondît à l'*eodem sensu eademque sen­tentia*, que je croyais bien pourtant tiré de ce discours d'ou­verture. J'allais abandonner ma recherche quand l'idée me vint de prendre mon Denzinger (c'est l'édition de 1947) et d'y consulter l'index à *Vincentius Lirinensis*. Une seule référence, qui me renvoyait à la *Constitutio dogmatica de fide catholica* de Vatican I, *cap. 4,* où je lus ceci : *Hinc sacrorum quoque dogmatum in sensus perpetuo est retiniendus, quem semel declaravit sancta mater Ecclesia, nec unquam ab eo sensu altioris intelligentiae specie et nomine recedendum.* «* Crescat igitur... et mul­tum vehementerque proficiat, tam singulorum quam omnium, tam unius hominis quam totius Ecclesiæ, ætatum ac sæculorum gradibus, intelligentia, scientia, sapientia : sed in suo dumtaxat genere, in eodem scilicet dogmate, eodem sensu eademque sententia. *» ([^46]) L'énigme était résolue. La formule de saint Vincent de Lérins à laquelle Jean XXIII avait fait écho était le fameux *eodem sensu eademque sententia*, purement et simplement transcrit du *Commonitorium pro catholicæ fidei antiquitate*. Je n'avais voulu que satisfaire mon goût de l'érudition, que j'ai bien peur de pousser jusqu'au vice quand je pense à tout ce qu'il m'empêche de faire. Je me demande maintenant si ma petite découverte (car pour moi du moins c'en fut une) ne valait pas les minutes dérobées à des tâches plus sérieuses. A combien de gens en effet ces quatre mots ne parurent-ils pas une nouveauté capitale qui, en permettant de changer les for­mulations, délivrerait des étroitesses de l'ancienne théologie ! 89:149 Il n'est pas tellement dénué d'intérêt de constater que cette nouveauté libératrice a plus de quinze siècles d'âge et qu'elle avait déjà été reprise par Vatican I, qui ne passe pas précisé­ment pour un Concile progressiste. Serait-ce que Jean XXIII n'était pas si novateur qu'on l'a prétendu ? #### 14 octobre 1970 Longuement réfléchi à ce problème des formulations. Tout dépend évidemment de la nature du changement. Il me paraît qu'il peut être de trois sortes très différentes, et trois seulement, selon la relation de la nouvelle formulation à l'ancienne. Ou bien les deux formulations sont rigoureusement équiva­lentes, et l'on se trouve alors en présence d'une simple tra­duction : soit, au sens strict, d'une langue dans une autre ; soit, au sens large, par la substitution de termes plus accessibles aux termes techniques. Dans les deux cas, même opération, et, de plus, pareillement motivée par une cause extérieure : la chose dite ne change pas, ne change que la façon de la dire, et ce changement est rendu nécessaire par la personne à qui l'on s'adresse, qui serait hors d'état d'entendre le texte ori­ginal. Aucune difficulté du point de vue de l'orthodoxie. De pratique constante à toutes les époques de l'Église. Et l'on dirait la même chose des différentes manières d'exposer l'en­semble de la doctrine chrétienne : pourvu que la doctrine enseignée soit celle qu'enseigne le magistère, il est normal que, dans une large mesure, ces manières soient commandées par le public qu'il s'agit de toucher. Ou bien la nouvelle formulation comprend à la fois tout ce que dit l'ancienne (ou elle ne serait pas orthodoxe, puisque l'ancienne est de croyance obligée) et y ajoute. Elle ne lui est donc pas identique : il y a plus qu'un changement d'expres­sion motivé par la nécessité de se faire comprendre, le chan­gement est substantiel et répond à un progrès de la connais­sance. 90:149 Cette formulation nouvelle n'en doit pas moins être dite *eodem sensu eademque sententia*, puisque, par hypo­thèse, tout ce que contient l'ancienne, elle aussi le contient. On distinguera seulement deux cas, selon que l'ajouté est déclaré matière de foi ou matière libre : dans le premier cas, il y a substitution obligatoire de la nouvelle formulation à l'ancienne, dont l'affirmation subsiste toutefois, étant contenue dans la nouvelle formulation ; ce n'est que dans le second cas que l'on pourra parler d'un pluralisme de formulations, les fidèles alors pouvant, mais n'étant pas obligés, d'adhérer à la formu­lation nouvelle. Ou bien enfin la nouvelle formulation supprime quelque chose de l'ancienne, soit par une négation formelle, soit, plus ordinairement, en donnant des termes de la définition dogma­tique une interprétation contraire à celle de l'Église. Nous sortons ici de l'orthodoxie. Je voudrais bien savoir, des deux premières sortes de for­mulations nouvelles, toutes deux orthodoxes, celle que Jean XXIII avait dans l'esprit en donnant à entendre que les formulations pouvaient changer. La traduction que j'ai sous les yeux lui fait dire que du Concile « l'esprit chrétien, catho­lique et apostolique, dans le monde entier, attend une nette avance dans le sens de la pénétration de la doctrine » : cela donnerait à croire qu'il pensait plutôt aux formulations qui font progresser dans la connaissance du donné révélé. Cependant l'expression est équivoque : s'agit-il de pénétrer plus avant dans la doctrine ? ou de faire pénétrer plus avant la doctrine dans les âmes ? Et puis, ce n'est qu'une traduction et j'ai assez travaillé sur *Humanæ vitæ* pour n'avoir plus d'illusions sur le crédit que méritent les traductions prétendues « officielles » des documents pontificaux. Je ne saurai à quoi m'en tenir qu'en voyant le texte latin. #### 16 octobre 1970 Lu enfin le discours de Jean XXIII dans les *Acta Apostolicæ sedis*. Je transcris la phrase qui distingue « l'expression des vérités de la foi » de « leur contenu », pour reprendre les termes de Paul VI, ou plutôt de son traducteur : 91:149 *Est enim aliud ipsum depositum Fidei, seu veritates, quæ veneranda doctrina nostra contintentur, aliud modus, quo eaedem enuntiantur, eodem tamen sensu eadem­que sentenitia ; scilicet eae inducendae erunt rationes res exponendi, quae cum magisterio, cujus indoles præsertim pastoralis est, magis congruant.* ([^47]) Ce que je traduirais ainsi : *C'est une chose que ce qui est proprement le dépôt de la foi, c'est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, c'en est une autre que la manière de les exprimer, sens et pensée restant toutefois les mêmes ; de là qu'il y a lieu d'introduire des méthodes d'exposi­tion mieux accordées aux dispositions principalement pastorales du magistère*. ([^48]) J'ai la réponse à la question que je me posais : les formu­lations nouvelles envisagées par Jean XXIII étaient du pre­mier type, du type de la traduction. Aucune allusion à une con­naissance plus approfondie de la Révélation ; ce qui est im­muable, ce qui pour Jean XXIII est proprement « le dépôt de la foi », ce sont les vérités enseignées par l'Église, vérités déjà connues par conséquent, et qu'il s'agit seulement de mieux enseigner. Au surplus, le début du paragraphe ne manifestait pas moins nettement une intention pastorale, non doctrinale : il faut que la doctrine chrétienne tout entière, sans qu'aucune part en soit soustraite, touche de nos jours tout le monde 92:149 (*oportet ut universa doctrina christiana, nulla parte inde detrac­ta, his temporibus nostris ab omnibus accipiatur*), qu'elle soit plus complètement et plus profondément connue et que les âmes en soient plus intimement pénétrées et formées (*eadem doctrine amplius et altius cognoscatur eaque plenius animi imbuantur atque formentur*) ; par cela, qu'elle soit étudiée et exposée de la manière que réclame notre temps (*ea ratione per­vestigetur et exponatur, quæ tempora postulant nostra*)... Non vraiment, rien de révolutionnaire ni même de hardi dans cette dissociation des vérités de la foi et de la manière de les expri­mer, celles-là immuables, celle-ci variant avec les exigences de chaque époque. Pas de doute : ce que Jean XXIII a en vue, c'est une plus large diffusion de la doctrine chrétienne, ce n'est pas que cette doctrine elle-même progresse en ajoutant des vérités nouvelles aux vérités déjà connues, ce qui serait pourtant très orthodoxe. Et c'est bien la position qu'il y avait à attendre d'un homme de religion toute traditionnelle, même paysanne, qui renvoyait volontiers les gens à leur catéchisme, un catéchisme qui n'était pas celui d'aujourd'hui. Mais Paul VI est un intellectuel, type d'homme très diffé­rent, et ce n'est pas assez qu'il se réfère à ce discours de Jean XXIII, même rédigé par lui, pour que sa position soit certainement identique. On n'est pas entièrement libre quand on écrit pour un autre et il serait très naturel qu'avec une arrière-pensée doctrinale, il eût jugé plus sage de ne manifes­ter que l'intention pastorale qu'il ne pouvait manquer d'avoir aussi : *larvatus pro Deo*, suis-je tenté de me murmurer, s'il est permis d'écrire en trois mots ce que dans ses *Cogitationes privatæ* Descartes écrivait en deux. Au fait, le jeu même que, les années suivantes, le Concile mènera si brillamment. Je ne dis pas qu'il en ait été ainsi, je ne sais pas ce qu'avait dans l'esprit le cardinal Montini en rédigeant le discours de Jean XXIII. Je pense simplement que, plutôt qu'à ce discours, c'est aux propres paroles de Paul VI qu'il convient de deman­der comment il conçoit les formulations nouvelles qu'il en­visage. Un passage de cette allocution du 12 août me paraît parti­culièrement révélateur. Je transcris tout le paragraphe : *Est-ce à dire que rien ne soit à renouveler ? Non ! La vérité demeure avec toutes ses exigences. Il faut la connaître, l'étudier, la purifier dans ses expressions hu­maines. Nul ne saurait affirmer qu'il a compris la vérité tout entière.* 93:149 *Elle peut présenter des aspects susceptibles de recherche. La vérité demeure, mais elle a besoin de vulgarisation, de traduction, de formulations adaptées à la capacité des auditeurs ; et ceux-ci sont des hommes divers par l'âge, par la culture et par la civilisation. La religion admet donc le perfectionnement, la croissance, l'appro­fondissement ; elle admet les sciences tendues sans cesse vers une* *compréhension meilleure et vers une for­mulation plus heureuse.* Je relis les deux dernières phrases. La première parle manifestement des formulations du pre­mier type, motivées par la nécessité d'adapter l'exposition de la doctrine à la capacité des auditeurs. La seconde phrase traite non moins manifestement des formulations du second type, c'est-à-dire de celles qui sont, en elles-mêmes, plus heureuses parce qu'elles marquent un progrès dans la connaissance. Incontestablement l'une et l'autre sorte de formulations nouvelles sont légitimes, et la seconde est même de plus grand prix que la première, en ce qu'elle ajoute à la connaissance de la Révélation. Mais il y a bien dans cette rédaction un mot qui me gêne, probablement par la faute du traducteur : c'est le « donc » qui présente cette dernière phrase du paragraphe comme la conséquence de l'avant-dernière, alors qu'il s'agit de deux opérations substantiellement différentes. Il me semble que la pensée de Paul VI eût gagné en netteté si l'adaptation des méthodes d'exposition à la diversité des auditeurs et le progrès de la connaissance elle-même avaient été expressé­ment distingués. L'inconvénient de les mettre sur le même plan est d'autant plus grand qu'alors qu'il est ordinairement assez facile de s'assurer qu'une traduction est correcte en la comparant à la formulation dogmatique prise comme référence, les formula­tions substantiellement nouvelles posent un problème bien plus délicat : leur nouveauté est-elle homogène à la définition irréformable, ou l'altère-t-elle, lui donne-t-elle un sens qui revient à la détruire ? Nous sommes là sur un terrain où la plus grande prudence est requise. Je retiens simplement qu'à la différence de Jean XXIII, qui n'avait en vue que les formulations du premier type, c'est principalement aux formulations du second que pense Paul VI : 94:149 le début du paragraphe va trop nettement dans le sens de la dernière phrase pour que ce ne soit pas le progrès dans la connaissance du donné révélé qu'il ait surtout en vue. Et certainement, rien de plus désirable, mais est-ce bien de l'amélioration des formulations anciennes qu'il faut attendre ce progrès ? Je ne dis pas que cette amélioration soit inconce­vable. Mais qu'elle a peu de chances d'être trouvée s'il s'agit de définitions dogmatiques, dont la substance devra obligatoirement être incluse dans la formulation nouvelle ! et n'est-ce pas plutôt péril d'engager les théologiens sur cette voie ? On l'a bien vu avec la tentative de substituer *transfinalisation* à *trans­substantiation,* qui assurément n'explique rien, mais du moins affirme que ce qui, avant la consécration, était du pain, après est devenu Jésus-Christ tandis qu'avec *transfinalisation*, certes plus intelligible, ce pain est toujours du pain, qui seulement a changé de destination : le mystère est évacué. Il a fallu que *Mysterium fidei* déclarât que la formulation du Concile de Trente ne pouvait être abandonnée. #### 17 octobre 1970 Que cette question du pluralisme est donc irritante ! Non qu'elle soit en elle-même difficile ou complexe ; elle est fort simple, au contraire. Mais par le sens qu'elle prend aujour­d'hui. A quoi ai-je abouti, en effet, à relire attentivement ces jours-ci l'allocution où Paul VI déclare légitime le plura­lisme dans l'expression des vérités de la foi ? A des évidences. Nécessité de garder l'unité de la foi : parfait. A l'intérieur de cette unité, exhortation à la recherche : très bien aussi. Possibilité de formulations différentes, à la condition qu'elles disent identiquement la même chose, ou du moins, en y ajou­tant de l'homogène, l'incluent : pas d'objection. A partir de quoi deux cas : ou bien cet homogène est défini par le magis­tère comme vérité de foi, et c'est la proclamation d'un dogme nouveau ; ou bien il ne l'est pas, et, puisque, par définition, il ne contredit pas l'antérieurement défini, c'est une opinion libre. Et tout est dit, et il n'y a là rien de révolutionnaire, il n'y a même aucune découverte. Il en a toujours été ainsi dans l'Église. 95:149 Tel que le définit Paul VI, le pluralisme ne fait donc aucune difficulté, se réduisant à la distinction de ce qui est de foi et de ce qui ne l'est pas et le pluralisme des opinions libres étant légitime par définition. Selon la formule classique souvent attribuée, mais à tort, je crois, à saint Augustin, et je serais reconnaissant à qui m'en donnerait la référence : *in necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas*. Mais c'est ici que surgit la véritable question : pourquoi ce mot nouveau pour désigner une chose si ancienne ? La réponse s'entrevoit aisément pour peu que l'on jette un regard du côté des conséquences. La diversité des opinions libres n'a en soi rien d'inquiétant : le principal est assuré par la foi commune et le conflit des écoles théologiques pourra mettre en lumière des aspects complémentaires de l'unique, de l'inépuisable vérité. Mais avec le mot de pluralisme, même si la foi commune est toujours affirmée, elle ne sera plus sentie de la même manière ; elle cesse de paraître le principal, la diversité prend sa place, devient une valeur par elle-même, et, coupée de la source qui lui donne la vie et en fait le prix, n'est pas longue à franchir les limites où elle devrait être contenue. On ne le voit que trop aujourd'hui. Je voudrais bien savoir si ce mot de pluralisme n'a pas été inspiré à Paul VI par ses préoccupations œcuméniques. On a le sentiment qu'il voudrait persuader les protestants qu'ils peuvent devenir catholiques sans cesser d'être protestants. Henri Rambaud. 96:149 ### Journal logique par Paul Bouscaren #### Existe-t-il un langage des abeilles ? « Comment les abeilles se parlent », c'est le titre du cha­pitre XI dans la traduction, par André Dalcq (Albin Michel, 1956), du livre écrit en allemand par Karl von Frisch : « Vie et mœurs des abeilles ». Transcrivons quelques-uns des sous-titres de ce même chapitre : « Où l'on danse pour se faire comprendre... Comment les abeilles rapportent le parfum des fleurs à la ruche... La danse frétillante indique la distance à laquelle se trouve la récolte. -- La danse frétillante donne aussi la direction du butin. -- Les danses des pourvoyeuses de pollen... Les danses de l'essaim... \*\*\* Demandons au lecteur de bien vouloir se contenter ici d'un rappel des faits en deux mots. Tout se passe comme si l'abeille butineuse, ou l'abeille repéreuse d'un abri pour l'essaim, avait un langage pour dire ses découvertes et leur emplacement aux abeilles de sa grappe. Tout se passe comme si ce langage consis­tait en les danses découvertes par Karl von Frisch : l'abeille indicatrice, suivie par les abeilles en mal d'information, décrit sur un rayon de la ruche des cercles barrés d'un diamètre, et ce diamètre situe angulairement la position du lieu à butiner par rapport à la grappe, -- tandis que la distance commande le rythme de la marche dansante, celui-ci plus lent à mesure que croît la distance. Le butin est-il tout proche, pas de danse. \*\*\* 97:149 Les faits supposés bien établis, je fais une objection préa­lable à leur interprétation par un langage : un système de signes pris et perçus comme des signes ; dès que cette percep­tion est possible, -- réfléchie ou non, -- *tout peut être signifié,* au moins en droit ; on le voit bien chez le petit enfant, fabri­cateur de mots pour exprimer ce qu'il ne sait pas encore énon­cer dans la langue maternelle. Comment affirmer sans anthro­pomorphisme un langage, pour expliquer le comportement particulier des abeilles qui, certes, ferait penser à un langage entre des êtres humains, mais qui, chez les abeilles, n'appar­tient pas à une conduite langagière d'ensemble ? \*\*\* Hypothèse pour la transposition par les butineuses d'une danse exécutée sur le plan vertical du rayon, alors qu'il s'agit du vol horizontal ; penser à la transposition inverse faite par nous-mêmes, (et combien sauraient l'expliquer ?), de lignes réellement verticales, mais horizontales sur le papier posé à l'horizontale : dans la nature, pour l'homme en station verti­cale, l'horizon promène le regard de gauche à droite, la verti­cale le fait monter et descendre ; n'est-ce pas ce que nous faisons aussi avec les lignes qui nous apparaissent horizontales et verticales sur le papier ? Principe de la transposition hori­zontale de la danse des abeilles, le vol à l'horizontale sous le soleil ; la direction des rayons solaires commande le vol de l'abeille comme la direction de nos regards commande notre impression d'horizontale et de verticale, -- et aussi bien dans l'obscurité. Bref, l'abeille danse comme le Marseillais *monte* à Paris. Vérification de l'hypothèse dans le livre de Frisch, pages 158-159 ! « Leur ruche se trouvait près du sol, entre les pou­trelles d'un pylône de radiodiffusion. La table avec de l'eau sucrée avait été hissée au sommet du pylône..., et était exac­tement située au-dessus du trou de vol de la ruche. Il n'est pas prévu d'expression signifiant « en haut » dans le langage des abeilles. C'est qu'aucune fleur ne pousse dans les nuages. Est-ce sérieux ? Supposons les abeilles installées au bas d'un vallon, et, au-dessus d'elles, en surplomb, des plantes melli­fères, pourquoi pas ? Expérience à faire, l'inverse de celle du pylône, la ruche en haut, (n'est-ce pas la situation naturelle, celle des colonies dans les arbres ?) ; il semble bien que le résultat sera le même, ou du moins concordant. \*\*\* 98:149 Il n'y a pas de langage sans s'écouter ; tandis que faire voir par sa propre action ce qu'il faut faire, -- qu'il y ait ou non l'intention de faire voir, -- nous le faisons sans y regarder, par l'habitude que nous avons et que n'a pas celui à qui nous faisons voir. La butineuse ne peut-elle pas faire sur les rayons une reprise de direction qui n'ait rien de plus signifiant pour les autres abeilles que les cris des animaux ? Car il faut ratta­cher la danse, -- cercle et diamètre de direction, -- au vol de repérage au sortir de la ruche, plus exactement au sortir de la grappe ; dès que l'abeille se détache de la grappe, elle se repère sur elle, autant que de besoin, par des cercles de direction à son but d'éloignement. Le parfum qu'elle porte et son allégresse incitent les autres butineuses à suivre la danse, et, par là-même, à se mettre en état de voler suivant la même direction. \*\*\* Le langage est une communication interpsychique, (« Science et avenir », n° 243, article sur la linguistique), mais laquelle ? Car il y a sans aucun doute, chez nous et chez les bêtes, communication des émotions sans langage, par des gestes et mimiques, sans la pensée ni la volonté d'en faire ou d'y voir des signes permettant la communication ; or c'est une telle pensée et une telle volonté qui spécifient le langage entre les communications interpsychiques ; et qu'est-ce qui l'impose chez les abeilles, (ou chez les dauphins du premier article, *ibid.*) ? \*\*\* « Le langage des abeilles », expression admissible, si notre langage à nous était fait tout entier d'onomatopées, ou si, au rebours, et bien mieux, les danses des abeilles pouvaient tout dire ; le langage, en effet, ce n'est pas seulement la significa­tion, mais un système de procédés généraux de signification ; s'agit-il de s'orienter, nous disons Nord et Sud, haut et bas, exactement par le même procédé, qui n'est pas autre pour signifier naître et mourir, marcher, et manger, et dormir... « Les abeilles mentent-elles ? », demande Brice Parain, (« Pe­tite métaphysique de la parole », p. 110) ; c'est demander si les abeilles parlent, s'il y a pour elles un langage dont elles usent comme d'un outil, non comme d'elles-mêmes, et pour un effet de signification qu'elles distinguent de ce langage, -- choses sans aucune apparence, malgré les docteurs. Signe de la pensée, le langage en est aussi l'instrument, et c'est à titre d'instrument qu'il a valeur de langage dans chaque cas où l'on parle, c'est-à-dire où la pensée use des signes du langage pour se faire voir par la pensée d'autrui, pour faire la pensée d'autrui. La parole, c'est la pensée qui prend les signes du langage comme instruments pour faire à son image la pensée d'autrui. Alors, « comment les abeilles se parlent », non pas, Herr Doktor Frisch, mais : comment se parleraient-elles ? \*\*\* 99:149 La vie de la grappe d'abeilles a pour condition que les butineuses s'éloignent de la ruche, (sortent de la grappe), pour récolter nectar, pollen, eau, etc., et, bien entendu, reviennent à la ruche, (regagnent la grappe) ; il y a donc relation prééta­blie entre l'éloignement par le vol des butineuses et la situation de la grappe, moyennant la direction des rayons du soleil. A quoi s'ajoute le parfum qui imprègne l'abeille lorsqu'elle danse sur un rayon en battant des ailes. La danse est donc un signal, et non un signe. « Signum est per quod aliquis devenit in cogni­tionem alterius », (IIIa, 60, 4), -- alors qu'un signal provoque immédiatement une action, sans passer par une connaissance d'autre chose. \*\*\* N'importe quel triangle est le triangle, n'importe quelle expression en forme d'identité remarquable est cette identité remarquable ; pourquoi pas, de même, pour l'abeille butineuse, qui doit s'éloigner de la grappe et y revenir, n'importe quel cercle orienté, suivi en battant des ailes, le cercle orienté de son vol pour aller butiner et revenir avec son butin ? Pourquoi le parler automatisé de l'algébriste devrait-il, chez l'abeille, dépasser un langage automatique, (à l'instar de la technique infinitésimalement précise des alvéoles), sans rien de plus d'un parler invraisemblable en tant que parole ? Manifestement, *écrire* est une mise en œuvre du langage qui est une chose en deçà du langage ; mais *parler* ne le fait pas moins, si de moins évidente manière ; alors que la danse de l'abeille butineuse n'est rien de moins que le cercle du vol orienté qu'elle a fait et qu'elle va reprendre en quittant la grappe, -- nullement un symbole neutre par soi de ce vol. Butiner et parler, quel rapport nécessaire ? Car il s'agit, non des abeilles sans autre, mais des butineuses, ou autres repéreu­ses, c'est-à-dire des abeilles en leur troisième et dernier âge. Butiner et parler, quel rapport nécessaire, pour que les abeilles parlent afin de butiner, et c'est tout, avec le repérage d'un abri pour l'essaim ; disons donc : repérer et parler, quel rapport nécessaire a pour terme la grappe, où l'abeille doit revenir, l'ayant quittée, parce que l'abeille vit en grappe, et non point solitaire. Elle ne la quitte donc pas sans s'y rattacher par le vol circulaire de repérage, et ce vol commence à la surface de la grappe avec les danses, qui sont déjà la même action ; 100:149 cette action entraîne les autres abeilles prêtes à quitter la grappe elles aussi, et qui la quitteront pour un vol orienté de même par l'action même, sans aucun langage émis comme un langage et perçu comme un langage. Bien plus, non seulement il n'est pas établi que les abeilles ont à *parler* et à comprendre qu'on leur parle, mais on peut douter qu'elles aient besoin de la direction à prendre, *outre le parfum,* du moins pour le nectar et le pollen. \*\*\* Si l'on déplace une ruche de quelques mètres, elle perd ses butineuses, qui reviennent à l'ancien emplacement ; si l'on dé­place de plus de trois kilomètres, les butineuses se repèrent de nouveau et reviennent à leur ruche là où on l'a mise ; si l'on disloque la grappe en l'endormant au nitrate d'ammonium, il y a nouveau repérage à la première sortie, et l'on peut déplacer de quelques mètres la ruche sans perdre de butineuses. Il faut avoir à l'esprit de tels faits, pour demander : les abeilles peuvent-elles repérer, et comment, un lieu situé à la verticale de la grappe ? Pour s'élever en volant, que font-elles de faisable dans la ruche, -- *donc, sans voler ?* \*\*\* Inviter ses amis à sortir pour une promenade en forêt, ou sur la plage, on le fait par une action totalement hétérogène à l'action proposée, -- et c'est en quoi l'on parle, à son escient. Rien de tel chez l'abeille à sa danse sur la grappe, cette abeille fait là exactement ce qu'elle va faire en quittant la grappe, elle est déjà en train de la quitter en direction du nectar repéré ; il n'y a pas plus à penser qu'elle parle, ce faisant, que lors de la construction collective des alvéoles, aux angles si merveilleuse­ment mesurés, à coups infimes de lamelles tout juste visibles. Da­vantage, la disparité redouble, puisque les amis invités à la promenade ne font, au moment de l'invitation, rien d'autre que l'ouïr, tandis que les butineuses entrent dans la danse invita­toire, et, tout comme la butineuse invitante, font à mesure ce qu'il faudra faire au sortir de la ruche pour atteindre le butin et regagner la grappe. On doit reconnaître un langage lorsque la relation de l'action tenue pour auditrice avec l'action reçue comme parlante ne peut pas consister par association concrète de la première avec la seconde, en tant que respectivement cette action-ci et cette action-là. S'agit-il de pareille impossibilité avec la *danse* des abeilles ? Non, et ce n'est donc pas un *lan­gage* des abeilles. \*\*\* 101:149 Séparée de la grappe, l'abeille meurt vite ; ce que l'on prend chez elle pour la haute activité individuelle d'un langage pro­cède, au contraire, de son appartenance à la grappe comme à un organisme biologique second, mais réellement un organisme, -- que l'on exténue en impossible « société animale ». Avettes ne se parlent, aurait dit saint François de Sales, non plus que leurs yeux à leurs ailes, non plus que leur cœur à leurs pattes et leurs mandibules pour façonner leurs mignonnes logettes. #### Est-il possible à ce temps de parler chrétien ? « L'Église est-elle capable d'évangéliser le monde d'aujour­d'hui ? » se demande le cardinal Renard, (*Figaro,* 15 avril) ; si *évangéliser* veut dire semer la parole de Dieu *avec fruit,* la parabole du semeur et son explication par le Christ, (Matthieu, 13), exigent la réponse conditionnelle : oui et non, selon le genre de terrain que peut être, en fait, « le monde d'aujour­d'hui » ; je constate l'oubli actuel de cette parabole, et je l'ex­plique : on ne veut pas savoir s'il s'agit d'autre chose que d'une bonne terre ! « Il faut être de moins en moins crédule et de plus en plus croyant », dit aussi le cardinal Renard ; très bien, mais que reste-t-il du monde d'aujourd'hui, *crédulité en moins à son bel aujourd'hui, d'intelligence, de science, et de conscience modernes --* ces vauriennes de terre, ces terres de Sa­tan, dès qu'on y regarde les yeux ouverts ? \*\*\* « Le dialogue en lui-même paraît offrir la juste expression de l'autorité pastorale. » C'est Paul VI qui parle de la sorte, (*Figaro,* 13 avril) ; et peut-il le faire sans se démettre à mesure de l'autorité du pape dans l'Église ? \*\*\* -- Si Dieu lui-même a voulu vivre la vie d'un homme entre les hommes, est-ce pour que chacun de nous vive une autre vie que celle-là ? -- Dieu s'est fait homme, n'a-t-il pas dit pourquoi ? Si c'est pour le salut des hommes, n'a-t-il pas dit quel salut ? Si ce salut consiste à vivre selon son exemple à la lumière de sa prédication, et par les moyens qu'il nous a donnés, que signifie de *s'arrêter au fait* de Dieu vivant notre vie pour en tirer con­clusion sur notre vie ? 102:149 Qu'est-ce que cela, sinon réduire à zéro *les raisons de Dieu* de se faire l'un de nous ? \*\*\* « Fermentum significat caritatem propter effectum : quia scilicet panem facit sapidiorem et majorem. Sed corruptionem significat ex ipsa ratione suae speciei. » (IIIa, 74, 4.) Voilà-t-il pas une bonne règle de discernement de l'amour du monde, si ce levain est au non de Dieu ? A-t-il pour effet de rendre le pain évangélique plus abondant et plus savoureux parmi les hom­mes ? Ou s'agit-il d'un effet de décomposition, parce qu'il s'agit d'aimer le monde selon qu'il n'est pas Dieu et selon qu'il ne veut pas être besoin de Dieu à mesure ? \*\*\* Si la science moderne aboutit à l'absurde, tant pis pour la raison, l'absurde sera donc la triste vérité que Renan ne pré­voyait pas ; si la science trouve absurde la transsubstantiation eucharistique, ou la maternité divine de Marie, tant pis pour la foi, elle ne peut être la vérité aux dépens de la raison ; je conclus qu'il n'y a plus raison ni foi qui tienne devant la pré­tendue science et véritable superstition scientiste, à qui je fais le double pied de nez de ma raison et de ma foi. \*\*\* L'amour de Dieu est indispensable et irremplaçable comme l'amour du seul Être concret parfait, tout autre amour vit d'illusion ou meurt de désespoir ; cette très ancienne expérience de l'humanité semble inconnue du progressisme. Aimer, certes, aide toujours à vivre celui qui aime, et à mesure aussi qu'il aide à vivre celui qu'il aime ; en ce sens, tout amour est pain de vie, mais de quelle vie ? *Amare amabam*, saint Augustin le dit en confession de ses erreurs passées ; « il faut être fou à lier pour se croire à l'abri du préjugé et de l'illusion », Maur­ras l'a bien dit, mais n'est-ce pas un comble d'avoir cette pré­tention en amour, et que ce mot dise tout ? \*\*\* « La doctrine est plus forte que nous. Quand on l'expose bien, elle finit par entrer dans quelques âmes. Les autres, tant pis pour elles. » 103:149 Ce propos est du Père Pouget, en avril 1929. Dans l'Église au goût des nouveaux pères, « le christianisme, ce n'est pas une doctrine, c'est une personne ». Tout homme, chrétien ou athée, n'est-il pas une personne ? La Personne ap­pelée Jésus-Christ n'a-t-elle pas, sur Dieu et sur son Fils, et sur la mission de salut du Fils de Dieu, porté un témoignage explicite ? Le Christ ne s'inquiétait-il pas de ce que les hommes di­saient de lui, ne tenait-il pas compte de leurs idées fausses sur le Messie ? De la Pentecôte au vingtième siècle, la prédication chrétienne a fait la synthèse des témoignages du Sauveur et de ses Apôtres sur le Verbe incarné pour « rendre témoignage à la vérité », pour nous être « la voie, la vérité, la vie », sans qui « nous ne pouvons rien faire ». Selon la prédication actuelle, il ne s'agit pas de doctrine, il s'agit d'une personne, -- et dès lors, « oui, l'Église change, mais son axe ne bouge pas : le Christ », (cardinal Marty ; *Figaro*, 24 juin). La doctrine par synthèse théo­logique est-elle plus forte que nous, eh bien, refusons-la parce que doctrine, attentatoire à une personne ; quelle difficulté, en­suite, à passer de toutes les déclarations de l'Écriture sur Notre-Seigneur Jésus-Christ, à cette autre toute nouvelle et préférable à mesure : le Christ est l'axe immobile de l'Église en mou­vement ? \*\*\* Le dualisme évangélique ne cesse pas d'être ignoré par l'effroyable imbécillité du monisme moderniste ; rappelons des textes que tous devraient avoir assez présents à l'esprit pour faire barrage au flot de boue infecte. -- L'esprit est ardent, mais la chair est faible. -- Qui veut sauver sa vie la perdra. -- Qui n'est pas contre nous est pour nous ; qui n'est pas avec Moi est contre Moi. -- Je vous donne ma paix, non comme le monde la donne, et : ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. -- Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, mais... voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez donc prudents comme les serpents et simples comme les colombes. -- Heureux les pauvres, mais malheur à qui ne se soucie pas de leur venir en aide. -- Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël. \*\*\* L'homélie de M. le curé nous invite aujourd'hui, (5 juillet), à « vivre notre foi et à trouver Dieu dans notre vie quotidienne à l'exemple de la sainte Vierge : elle n'écoute que son affection pour sa cousine Élisabeth et franchit la montagne pour l'aller voir... » Ainsi, la foi trouve Dieu dans la vie de chaque jour, non pas en regardant cette vie à la lumière de la foi, mais en la vivant comme elle est terrestre ; 104:149 c'est là l'exemple de Marie, et sans doute aussi celui de son Fils... La foi de la sainte Vierge, ou le panthéisme naturaliste d'un nouveau prêtre ? Demandons-nous où il place la foi, dans une manière de vivre quotidienne qui peut et doit être pour l'incroyant sa vie incroyante. \*\*\* La langue se décompose inévitablement avec la pensée ; l'ancienne éducation apprenait à parler français en apprenant le catéchisme, cet incomparable modèle de pensée construite, de cathédrale de la pensée ; aujourd'hui, toute la pensée à vau-l'eau par principe de liberté en chasse d'on ne sait quoi, d'où vien­drait langue qui tienne ? L'intelligence progressiste, là-dessus, veut un nouveau catéchisme qui n'en soit pas un, afin de parler leur langue aux sourds-muets de l'absurdisme moderne. \*\*\* Comme il y a les biens et les maux, il y a la méfiance à l'égard de ceux-ci et la méfiance à l'égard de ceux-là ; nous le devons à notre faiblesse avec les uns et les autres, par une sa­gesse de tout temps difficile, impossible à la mentalité moniste des modernes. \*\*\* Le christianisme d'hier avait-il le tort d'installer les chré­tiens dans l'éternité, faut-il trouver bon aux nouveaux prêtres de tailler et retailler l'Évangile de façon à les installer eux-mêmes dans le temps ? Sans aucun doute, le cœur des curés s'est mis à l'aise, durant qu'ils en faisaient honte au cœur des chré­tiens ; cela, par le même aggiornamento, -- c'est drôle... C'est le cléricalisme devenu farce. \*\*\* Si l'on parle sans quiproquo du *réalisme* d'une science arrê­tée aux *phénomènes* comme à la *réalité* même, est-il possible de croire à la Présence réelle eucharistique, et c'est-à-dire à *une tout autre Réalité* que la réalité naturelle connaissable par ces phénomènes, alors que ceux-ci *demeurent ce qu'ils sont ?* Que veut dire la transsubstantiation dépassée, inconcevable à l'es­prit moderne, sinon le Réel de la foi éliminé par le réel scien­tifique, du moment que l'on croit à celui-ci comme il est *un refus du réel ?* \*\*\* 105:149 Mon vieil ami le père Raymond Ch... me parle une fois de plus de « l'ironie grinçante » de mes écrits, et je m'en étonne une fois de plus, ne voulant presque jamais user d'ironie ; à la fin, comment expliquer pareille erreur de lecture, de la part d'un esprit d'accord avec le mien sur les principes et sur beau­coup de conclusions ? Sans aucun doute, ce n'est pas mon genre de parler comme dans l'ignorance, pour faire éclater celle d'autrui, et rire de façon à faire grincer ; je n'ai en tête, comme j'écris, aucune de ces trois intentions ; mais alors, qu'est-ce qui en donne à un ami l'apparence indubitable ? Je suis tenté de me répondre : apparence pour un esprit trop différent du mien, auquel ce serait trop demander que de cheminer avec moi, fût-ce pour arriver au même endroit ; il se trompe sur mon compte, qu'il me suffise d'en être sûr ! Tentation aussitôt écartée : n'y a-t-il pas, que je puisse voir aussi, et plus utilement, quelque chose de mon fait, qui jette à pareille erreur ? Est-ce que je ne parlerais pas, sans intention ironique, de façon qui doive paraître de l'ironie grinçante plutôt, et peut-être de beaucoup, que mes réelles dispositions en parlant de la sorte ? Assez vite, je vois ceci : mon point de départ ordinaire est ce qui se dit, ou ce qui s'est dit, tel qu'il a été dit ; voilà quelle *réalité importante* il s'agit pour moi d'examiner, de critiquer, de juger. Cette réalité importante, j'y vois une double vérité : parler de la sorte a un sens pour celui qui parle, et ce sens n'est pas si manifestement faux que la sincérité soit impossible au propos en cause. Ce sens, je m'attache donc à le dégager nette­ment, d'abord ; ensuite, je le porte de mon mieux à la lumière de la vérité, non plus de ce que disent les gens, mais de ce que je connais des choses et de leurs rapports, et que, me semble-t-il, les autres doivent connaître de même, et néanmoins, voilà le mal qui est mon gibier critique, méconnaissent en disant ce qu'ils disent. A ce compte, que penser de mon ironie grinçante, au jugement de l'amical lecteur, sinon que j'use avec les propos des gens d'une naïveté par trop invraisemblable et dont je de­vrais, pour comble, avertir ? Eh bien, voilà qui est fait, Dieu bénisse le Père Ch... Mais encore, ma naïveté donne-t-elle peut-être aux propos des gens une importance qu'ils n'ont pas, mais les seules cho­ses ? Je ne puis le croire, si la vie sociale est langage... ou n'est qu'un mot. \*\*\* Si le respect de la vie humaine oblige à la gouverner par la raison humaine, il faut la raison d'autrui, lorsque la raison de l'intéressé en est incapable ; c'est le cas des enfants : ou bien leur vie est abandonnée à leur animalité, ou bien la raison d'au­trui s'impose cette direction de leur croissance appelée l'édu­cation ; 106:149 ou la raison des parents, ou celle de quelqu'un d'autre, -- mais alors sous réserve de ses titres à pareil rôle. C'est ainsi que les parents sont obligés, par la foi chrétienne, pour leurs enfants comme pour eux-mêmes : selon que la vie des enfants ne peut être respectée que gouvernée par la raison de leurs parents, donc, leur raison chrétienne par obligation de la foi. Mais alors, on doit demander deux choses. Est-il permis, oui ou non, d'apostasier pour quelque motif que ce soit, ou faut-il plutôt subir le martyre ? Est-il possible de renoncer au bap­tême pour ses enfants sans l'apostasie de renoncer à son propre baptême, -- par exemple, lorsque le conjoint s'y oppose ? Il est vrai que l'obligation éducative est commune au père et à la mère, et c'est-à-dire que l'enfant n'est simplement ni le père, ni la mère, mais l'un avec l'autre, au delà d'eux-mêmes ; peut-il s'ensuivre la neutralisation de la foi positive par la foi négative, de par l'indivision d'un droit antérieur à l'une et l'autre foi ? Manière de voir bien moderne, mais, de proche en proche, est-il douteux que ce facteur zéro ne laissera rien subsister de notre oui à Dieu en Jésus-Christ ? A quand le droit de l'amour à l'athéisme du bien-aimé ? \*\*\* Si vous regrettez d'avoir reçu le baptême, en quoi oblige-t-il votre liberté d'adulte ? Si vous faites grief à vos parents d'avoir choisi pour vous, est-ce donc que vous niez le droit et le devoir des parents d'éduquer leurs enfants ? Ou croyez-vous que l'édu­cation n'exige pas toutes sortes de choix ? Ou bien qu'il n'y a pas d'éducation religieuse ? Ou que l'éducation religieuse doit exclure le recours aux sacrements, c'est-à-dire à l'Esprit Saint comme il veut être l'Éducateur des âmes, selon la foi chrétien­ne ? *Liberté,* dites-vous ; et c'est pour la refuser aux parents et aux éducateurs, s'ils croient à la vie en Jésus-Christ de ceux que Jésus-Christ fait naître de nouveau. Liberté de ne pas croi­re, dites-vous aussi ; mais vous l'entendez *contre l'obligation de croire, et l'Évangile fait obligation universelle de croire ;* c'est ici le fond de l'inintelligence de la foi par votre liberté néga­tive, équivoque à mesure, puisqu'il y a liberté, si l'on parle moralement, soit faute d'obligation, soit faute de se voir obligé ; le second cas est celui de l'incroyant, mais non pas du chré­tien ; pour le premier cas, ce n'est celui de personne, quant à la nécessité de vouloir le baptême pour être sauvé en Jésus-Christ. D'où vient pareil quiproquo ? La prétendue liberté moderne est universellement négative, c'est le refus de tout droit de l'un sur l'autre selon qu'il y a l'un et l'autre ; or cette négation et ce refus confessent et accusent le regard au seul être humain abstrait de l'un et de l'autre, alors que la liberté joue dans l'existence, et, faute d'en regarder les conditions, se joue de l'existence ; 107:149 car l'existence humaine a pour condition sine qua non la société, *et la société ne peut vivre sans consti­tuer l'un en droit sur l'autre,* -- à commencer par le droit d'être père, c'est-à-dire de mettre au monde et d'éduquer cet autre qui est son enfant. Équivoque de la liberté négative, équivoque moderne de tous les grands mots ; équivoques parce qu'ils sont tabous. *L'égalité,* c'est la décomposition, c'est la destruction, aussi vrai que toute construction met en œuvre des éléments inégaux, du moins, par la mise en œuvre elle-même ; du point de vue de la vie des hommes en société, qui est le point de vue où l'on réclame l'égalité, il y a là un mot négatif, irréductiblement négatif, con­tradictoire au mot de société. A la démocratisation du christia­nisme, je dirai que les sociétés humaines imiteront sans folie la Trinité divine lorsque leurs membres égaux seront un seul homme tout de même qu'il y a égalité du Père et du Fils et l'Esprit en un seul Dieu, et c'est dire, davantage, l'absolue simplicité de l'Être que rien ne divise. Ni la famille des en­fants, ni celle des citoyens n'a d'existence par « moi et les autres », à égalité, mais par l'organisme familial et l'organisme politique, où chaque membre doit se voir et se vouloir à la place qui est la sienne par la vérité concrète de cet organisme ; hors de celui-ci, son moi et celui des autres sont des abstrac­tions incohérentes de vivants privés de leurs milieux. -- La *république* n'est pas la souveraineté du bien public, c'est la souveraineté de l'opinion publique, estimée en tant que telle le bien suprême de la vie sociale, exclusif à mesure du pouvoir monarchique, celui-ci ne pouvant se fonder que dans le bien public réel, commun et stable et non divisible et variable à merci ; la république est l'absence de tête couronnée, tant pis pour le bien public ! -- La *démocratie* n'est pas la souveraineté du peuple selon que peuple il y a et pour que le peuple subsiste ; peu importe ce peuple, ni même qu'il demeure un peuple, il s'agit du volontarisme de tous et de chacun disposant de tout au service de l'idée de l'homme, et c'est-à-dire sans obligation d'aucune sorte à l'existence du peuple, mais aussi bien anar­chiste. -- Le *progressisme* ne tient pas naïvement au progrès, mais à changer un présent qui ne satisfait point. Attention avec quelle virulence négative ! On veut changer, c'est-à-dire ne pas conserver : le progressisme est le contraire de la conservation. Attention derechef : pas de changement réactionnaire, c'est-à-dire à la lumière de quelque expérience heureuse du passé ; heureuse dans le passé, insignifiante pour l'avenir ; un chan­gement pour l'avenir, c'est dire qui détruise le présent à la seule lumière de nos idées de l'avenir. -- La *solidarité,* ce n'est pas la nécessité pour les hommes de vivre ensemble en un même tout, dans l'interdépendance mutuelle de ses parties, pour le meilleur et pour le pire de l'humaine existence, de la sorte réellement sociale ; 108:149 *objets* les uns aux autres, *moyens* les uns pour les autres, pas du tout, si notre solidarité ne doit pas être *seulement* cela ; et au contraire, la solidarité consiste, en cas de besoin absolument quelconque, signalé n'importe où, par n'im­porte qui, au nom de n'importe quoi de modernement humain,... à se conduire comme sans attache à aucun tout social, famille, nation, église, annulées à mesure par le facteur zéro de la prétendue solidarité. Paul Bouscaren. 109:149 ### Le cours des choses par Jacques Perret Si j'ose m'exprimer ainsi, le foyer des morts est un aspect original de la vie américaine. Mieux vaut dire que le funeral home appartient à l'american way of life ; comme le drugstore, le sourire colgate et les majorettes. Nous avons im­porté le drugstore, modèle riche et décor de rêve. Quand il sera tombé en roture dans les quartiers populaires et que le mot y aura trouvé sa forme gauloise, il faudra bien chercher quelque chose de neuf pour fouetter le commerce. On suppose alors qu'à la faveur de l'Islam triomphant nous pourrions fêter le retour du bazar et tous les rêves inclus dans le plus français des mots persans. Nous avons adopté aussi le sourire qui fait symbole et instru­ment de la prospérité américaine. Le chewing-gum nous a bien aidés à le mettre au point mais il n'est plus guère utilisé que dans le métro et par les derniers représentants de la jeunesse yéyé. Le général de Gaulle, tout remâcheur qu'il fût, ne mâchait pas de gomme, sauf erreur. Il est vrai qu'il ne souriait pas, ou mal, et ni aux anges ni à l'américaine, il n'avait pas la bouche pour. Mais les ministres, oui, et ça y allait, par tous les temps, la stabilité du sourire. Monté sur le trône M. Pompidou n'en est pas moins resté un excellent smile-man, dans le genre fin, le normal-sup installé dans son canular impossible. Pour tous les autres c'est le colgate réglementaire ; il n'est pas de binette faisant réclame d'elle-même ou d'autrui qui n'affiche le sourire de l'imbécile heureux, quelles que soient les circonstances et l'article à vanter, savonnette, accord diplomatique, réchaud à gaz, bilan, chrysanthèmes, slip et tour de chant, c'est la béatitude historique, tout le monde est gagnant, bouche fendue et dents blanches dans la foulée des majorettes visibles et invisibles. \*\*\* 110:149 Touchante coïncidence, à l'instant même où j'allais aborder la question du funeral home, le téléphone m'apprend le décès du général de Gaulle. Mieux encore, quelques lignes plus haut et sans y prendre garde, j'évoquais sa figure à l'imparfait prémonitoire. Mais peu importe, le voilà installé dans le futur inconditionnel, et s'il n'est plus il n'en sera que mieux. Infatigable combinateur de nos lendemains heureux, commissaire principal de l'Histoire, le vent qui l'apporta l'emporte, n'en parlons plus et revenons au cours de choses dont il fut le serviteur passionnément docile. \*\*\* J'en étais aux majorettes. Comme chacun sait l'Ile de France est une province pilote. Elle est en train de nous enlever sa muta­tion à vive allure. Il faut dire qu'elle revient de loin, hier encore embourbée dans son fatras mérovingien. Toujours est-il qu'au cœur de la France, de la petite France en Parisis que je connais un peu, les municipes rivalisent d'entrain. La compétition est particulièrement serrée sur trois points : industrialisation des terres à blé, urbanisation des villages, promotion et entraînement des majorettes. D'un village à l'autre on racole, on recrute, on soudoie, on négocie des transferts. En principe tout ce qui fai­sait enfant de Marie devrait passer majorette. Rien de tel pour balayer les derniers fantômes de la vie rurale qu'un défilé de majorettes en cuisses glamour et shakos Brooklyn. Sans doute le dancing, le cinéma, la télé, les commandos de chérubins affran­chis venus on ne sait d'où battre la campagne, et les processions de vélomoteurs à tout berzingue au clair de lune par vaux et hameaux avaient-ils déjà balayé le plus gros d'une crasse millé­naire cependant que les équipes sacerdotales manches retrous­sées, enterraient la superstition et déniaisaient les âmes. C'est alors qu'un beau jour les édiles ont appris, non sans étonne­ment d'ailleurs, qu'un progrès authentique et sûr de lui se voulait protecteur et animateur du folklore. Mais où trouver du folklore en Île de France à moins de l'emprunter à Chicago. Et allons-y pour les majorettes. On saura enfin pourquoi Nerval s'est suicidé. \*\*\* La mort se croyait à l'abri du progrès. A vrai dire sa posi­tion est encore très forte. Elle a bien cédé une dizaine d'année sur la moyenne des échéances, elle fait toujours un point noir à l'horizon, une fausse note dans l'allegro universel. Il va de soi qu'on en viendra à bout. En attendant elle fait plus peur que jamais, plus peur que du temps où l'enfer nous était conté. 111:149 En m'excusant d'y revenir, mais soit dit en passant, le géné­ral de Gaulle, paraît-il, n'a pas eu peur de la mort. Des fan­tômes ne sont pas venus s'asseoir sur son lit, ces choses-là n'arrivent qu'à Louis XI et Henri III. Brasillach non plus n'a pas eu peur de mourir ni Degueldre, Bastien-Thiry et quelques autres. Il leur avait accordé, soyons juste, la faveur et l'apai­sement d'un beau trépas, militaire, exemplaire, comme une image d'Épinal dont lui-même, hélas, n'a pu laisser aucun motif. Donc, c'est promis, l'immortalité nous l'aurons, un jour ou l'autre, peut-être demain, mais d'ici là quel suspens car on peut crever la veille, et alors, que dira le moribond à ses en­fants immortels ? Il y a des personnes qui se tiennent au courant et qui ont pris leurs dispositions pour l'immortalité de leur chair, mais d'une façon générale nous croyons à l'issue fatale. Toutefois, le moment venu, il y a un moyen d'atténuer certains aspects déplaisants de la mort ; c'est le compromis américain du cadavre heureux dans une ambiance relaxe. Toi­letté, souriant, vêtu de tweed et assis à son bureau il va passer au fumoir, du fumoir au bar et du bar au trou comme filant à l'anglaise, on ne sait où, à sa banque, à la plage, soyons discret, c'était un bon vivant, happy end. Le funeral home nous a été mainte fois décrit. Au commen­cement la chose nous a paru très bizarre, plus étrangère que les rites égyptiens ou hottentots ; elle suscitait un dégoût mêlé de rigolade. Ces gens-là n'ont pas fini de nous épater, disaient, un peu gênés, les admirateurs du nouveau monde. L'idée conti­nuait à nous répugner. Il nous reste encore quelque chose d'une longue et respectueuse familiarité avec la mort du temps que son image vermineuse nous inspirait moins d'horreur que de piété. Nous n'avions vraiment peur que d'une chose, que l'immense rumeur des requiem ne cessât de voltiger sous le ciel de la chrétienté. Or nos entreprises de pompes funèbres ont dû pratiquer elles aussi le voyage d'étude aux États-Unis et le stage de per­fectionnement. Sans être un fieffé nécrophile le Parisien lèche-vitrine n'a jamais dédaigné les devantures Borniol qui, sans nous cacher les hiérarchies du triomphalisme, nous propo­saient une méditation fugitive sur la vanité de tout autre négoce. Elles nous ont fait depuis peu la surprise d'une série de maquettes et photos en couleurs à l'avantage des premiers modèles français de funeral home. Toutefois cette appellation d'origine n'a pas été retenue. Il semblerait en effet qu'aux yeux de la clientèle aucune expression anglaise n'ait jamais rien désigné de sérieux. Dans la corporation aussi bien, atten­tive aux signes extérieurs de la gravité, on persiste à tenir l'an­glicisme pour une frivolité. C'est pourquoi nous aurons à choi­sir entre deux mots nobles : Funerarium ou Athana selon notre penchant pour Rome ou la Grèce. L'expression vernaculaire est à l'étude. Plusieurs édifices sont déjà en exploitation, les uns dans le style directoire maçonnique tirant sur le colonial virginien, les autres plus modernes évoquant la résidence secondaire dans le genre immobilier provençal sans qu'on sache tout de suite à quoi ça sert. 112:149 Pour ce qui est du coup d'œil tout cela est d'assez bon goût et rassurant. Les aména­gements intérieurs, sans vouloir insister sur le fonctionnel, sont évidemment conçus pour l'égarement tranquille et décent de la famille éprouvée : studio Barbès, le living et son canapé, plantes vertes et cendriers, c'est à la fois dépouillé, confor­table, excessivement hygiénique. Soyons honnête, il a été prévu un local cultuel à vocation pluraliste, avec autel et croix amo­vible. Il est probable qu'avant peu le funerarium aura déchargé les paroisses de leurs corvées funèbres. On y trouvera le confort week-end discrètement rehaussé d'un soupçon de méta­physique. Au cas ou un invité serait lecteur de la Série Noire il aurait tout juste l'impression de franchir le seuil d'une villa piégée dans la banlieue de Miami. Car nous baignons ici dans le soleil. Il a semblé qu'une telle expérience n'était pas à tenter dans le Jura mais sur la Côte d'Azur, dans un décor fleuri et de telle sorte que les cyprès ne puissent évoquer autre chose que la douceur du climat, sans arrière pensée. J'ignore si nos Athana sont en mesure de proposer aux familles la vraie mascarade à l'américaine. Je suppose que l'heure n'en est pas venue mais qu'elle peut venir. Tout le monde a bien senti jusqu'à maintenant que le fune­ral home était chez nous une singerie moins innocente que le drugstore et les majorettes. Pour dissiper nos préventions la notice qui fait réclame de la chose a trouvé moyen de lui mettre en épigraphe une citation de Bossuet. Sous nos cli­mats c'est encore un nom qui fait bonne référence quand il s'agit de la chose funèbre. Il est avantageux d'en user pour l'agrément des lettrés, l'édification des simples et l'apaisement des soupçonneux. Je ne voudrais pas m'exciter sur le cas de Bossuet qui n'est pas si grave après tout, Fénelon en a patronné bien d'autres et Jeanne d'Arc se plaindrait avec plus de raison qui, ayant fait réclame pour tant d'hérétiques et d'olibrius, est aujourd'hui requise pour cautionner vingt-cinq ans d'imposture. En l'occurrence l'usage de Bossuet ne fait qu'un défi bien modeste. On voit assez que les choses de la mort vont moins vite que celles de l'amour. Du train d'enfer où vont celles-ci ne verrons-nous pas des échoppes de bibelots érotiques s'ou­vrir à l'enseigne du curé d'Ars ou pire encore. \*\*\* 113:149 Cinquième jour de deuil planétaire. Le globe est toujours en panne dans le crêpe, le cirage et l'adulation extatique. On se demande quelle dose de haschich ils ont pu renifler tous pour nous gémir et bafouiller de tels mensonges que c'en est obscène. Le funerarium tremens est à son paroxysme, l'environnement a saisi le chroniqueur, je veux saluer le général qui passe, avant que sa mémoire tuméfiée n'éclate. Si le général de Gaulle a fait son entrée dans l'Histoire par la porte de service à plat-ventre sur le paillasson de Paul Rey­naud, il est sorti de ce monde comme d'un Krakatoa, assis en majesté sur le geyser incandescent de ses vertus. Ainsi projeté dans le planetarium des renommées historiques on ne saura jamais qui lui a cédé la place d'honneur : Alexandre, Bayard, Achille, Sarah Bernard, Ganelon, Fantômas, Regulus, Vidocq, Mme de Thèbes, Nick Carter, César, plus probablement Nasser. Mais peu importe, je crains que le trône ne lui soit disputé avant peu. Charlie Chaplin lui aussi peut terminer sa carrière en veilleuse, mais quand il va mourir, vous verrez ce raffut. C'est un redoutable challenger, un palmarès impressionnant, un public planétaire lui aussi, et du côté artiste, philanthrope, démocrate, vengeur des humbles, humaniste, prophète et même bouffon génial, il fait largement le poids. Ajoutez à cela que l'intelligentsia mondiale lui est entièrement acquise, il aura son gloria sans un couac. Et s'il ne faut qu'une option sur l'auréole pour équilibrer le combat, qu'à cela ne tienne, le cardinal Daniélou s'en chargera ; il a le nez assez fin pour déceler dans le cirque une odeur de sainteté comme il en a respiré dans l'odeur du mensonge. Quand paraîtra ce numéro il n'est pas sûr que la crise soit terminée, le ciel balayé de son nuage de soufre. Normalement une rémission est quand même à prévoir. Les crabes ont leurs affaires à régler, ils vont rentrer au panier. Aussi vais-je terminer cette chronique dans le calme et la dignité. Pour ce faire je décrirai une admirable vision dessinée par Char dans Rivarol. Il a supposé que le héros, tout grand chrétien qu'il fût, ne s'offenserait pas d'un passage en mythologie : Une délégation de tous les tués, fusillés, suppliciés, écrasés en son nom est descendue au bord du Styx pour le voir venir. Le paysage est désolé, le ciel vaporeux, le silence épais. La barque est encore dans l'ombre de la terre mais sur la rive en face, les silhouettes se détachent ans une inquiétante lumière. Elles sont assez nombreuses, paisibles, on dirait des badauds. Debout sur l'étrave le passeur efflanqué manœuvre à la perche dans le courant pâteux. Le passager est assis en poupe. Sans autre motif que sa corpulence et son poids il est seul. En tenue mais sans képi ni ceinturon ; on le sent bourré, capitonné, cuirassé de raison d'État, il est paré. Il ne lève pas les bras, il a les mains posées sur les cuisses. D'un œil vague et méprisant il considère là-bas les ombres maigres alignées sur la rive, pour lui faire un bain de foule. Jacques Perret. 114:149 ### Éléments pour une philosophie du réel *Chap. II -- suite* par le Chanoine Raymond Vancourt EN EFFET, si le langage ne nous révélait rien sur la nature des réalités avec lesquelles nous nous colletons, on ne voit pas bien comment il rendrait les services qu'on en attend, ni comment s'expliqueraient nos réussites. Ouvrant manifestement des perspectives sur le réel, le langage ren­ferme un « fonds métaphysique », produit de l'effort déployé par les générations pour se représenter les réalités de notre univers. Ce fonds métaphysique, incorporé aux catégories grammaticales, devient « à ce point indispensable qu'il semble que nous devrions cesser de penser, si nous renoncions à cette métaphysique » ([^49]). Celle-ci ne constitue évidemment pas un système techniquement élaboré ; elle traduit simplement l'idée que se fait du réel le commun des mortels. Il n'en demeure pas moins que vouloir s'en libérer, ce serait aban­donner le langage et quitter ainsi « la patrie de l'être » ([^50]), c'est-à-dire l'endroit où il se manifeste d'une manière privi­légiée. \*\*\* Mais si nous concédons au langage la place qui paraît lui revenir, une question surgit aussitôt : Le philosophe peut-il encore prétendre partir du réel ? 115:149 N'est-il pas plutôt astreint à commencer par ce que les hommes *disent* du réel ? -- En d'autres termes, peut-il espérer retrouver « les choses elles-mêmes » et les décrire telles qu'elles sont ? Ne devra-t-il pas, au contraire, se borner à l'analyse du langage par lequel nous nous exprimons sur les choses, puisqu'aussi bien celles-ci ne nous sont transmises que par son intermédiaire et que nous sommes incapables de remonter à un stade antérieur au dis­cours ? -- Husserl semble parfois nous inviter à mettre entre parenthèses le langage pour rétablir un contact immédiat avec les êtres. Mais en quoi consisterait ce contact ? Il s'identifierait sans doute à la sensation pure, isolée par hypothèse de tout ce qui s'est construit à partir d'elle. Mais, à supposer qu'on puisse ressusciter cette phase initiale de nos rapports avec le réel, rejoindre l'expérience qu'a l'enfant au début de sa vie consciente, que nous apprendrait-elle ? Nous fournirait-elle sur les choses des renseignements supérieurs à ceux que nous avons acquis au cours du développement de nos relations avec le monde ? Il ne semble pas ([^51]). -- En outre, ce retour à la sen­sation, à la connaissance immédiate ne s'opérerait jamais que par la réflexion, c'est-à-dire en mettant en jeu des concepts et des mots, dont on ne peut se passer dès qu'on veut parler de la sensation, fût-ce pour expliquer ce qu'elle était initiale­ment ([^52]). -- Ainsi, non seulement le retour de l'immédiat s'avè­rerait inutile, mais il ne supprimerait pas le rôle du langage, par lequel ce retour lui-même est rendu possible. -- Bref, il semble bien que le philosophe doive partir du langage et qu'il serait illusoire de vouloir commencer par je ne sais quel contact immédiat avec le réel. En d'autres termes, il ne débute­rait point par une description des réalités elles-mêmes, mais par une analyse du vocabulaire à l'aide duquel l'homme s'ex­prime sur la réalité. \*\*\* La conclusion paraît inévitable, mais n'est-elle pas dange­reuse pour la philosophie ? Ne va-t-elle pas donner l'impres­sion que, faute de pouvoir atteindre les choses, elle se contente de la paille des mots ? Ou encore, de confondre le langage et la connaissance authentique du réel, oubliant ainsi que les mots ne peuvent remplacer les choses et qu'ils n'ont d'autre rôle que de les indiquer ([^53]) ? 116:149 -- D'autre part, obligé de chercher le réel à travers une langue qu'il n'a pas créée, qui évolue sans cesse depuis les origines et qui est propre à une communauté déterminée, le philosophe ne devra-t-il pas renoncer, d'entrée de jeu, à tout espoir d'obtenir un jour sur le réel des connais­sances valables pour tous et définitivement ; des connaissances qui, par conséquent, seraient indépendantes des langues dans lesquelles on pourrait les traduire ? Ces problèmes, le philosophe les rencontre sur sa route dès la première étape de son itinéraire. Ils ne naissent pas, à pro­prement parler, du contenu de sa discipline -- ce contenu, il l'ignore encore ; mais plutôt de la situation où il se trouve en commençant. Vivant à une phase de l'évolution, appartenant à une communauté dont il emploie la langue, une langue qui traduit la conception de la réalité que s'est forgée la société où il est né et à laquelle il doit son éducation, acculé à prendre son point de départ dans le langage utilisé autour de lui, le philosophe devine immédiatement que cette situation tire à conséquence et qu'elle soulève de graves problèmes qu'il ne pourra esquiver. Mais il n'est pas encore armé pour les ré­soudre ; c'est seulement en poursuivant sa route qu'il se ren­dra compte de la possibilité ou de l'impossibilité d'une solu­tion ; qu'il pourra juger, par conséquent, si, en commençant par l'examen du langage, il est parti du bon endroit. Pour l'ins­tant, il ne voit pas comment faire autrement ([^54]). \*\*\* S'il hésitait, ses doutes se dissiperaient peut-être après réflexion sur la façon dont procèdent les deux grands maîtres de la philosophie grecque. Platon, lui aussi, se pose la ques­tion : Vaut-il mieux partir des mots ou des choses ? Impuis­sant à décider si les noms sont les copies exactes de celles-ci et permettent la fidèle traduction de leurs rapports, trouvant peu probante la thèse de « la justesse naturelle » du langage, Platon préférait avoir affaire directement aux choses. Après tout, image correcte ou non, le mot n'est jamais qu'une image du réel ; il serait dès lors plus expédient, semble-t-il, d'inter­roger d'abord celui-ci. A la fin du *Cratyle,* Socrate incline vers cette solution et demande à son interlocuteur de convenir « que ce n'est pas des noms qu'il faut partir, mais qu'il faut appren­dre et rechercher les choses à partir d'elles-mêmes » ([^55]). 117:149 Socrate néanmoins n'est pas très sûr de sa position, car il ne voit pas bien par quelle méthode on pourrait accéder direc­tement aux réalités, sans passer par le truchement du langage : « c'est là, peut-être, une question qui nous dépasse l'un et l'au­tre » ([^56]). L'hésitation de Platon transparaît davantage encore dans la *Lettre VII.* Sans doute, il continue de souligner que la pensée doit dépasser le langage et prendre contact avec le réel. Il se rend compte, cependant, que la philosophie peut diffici­lement débuter autrement que par l'analyse des mots, même si ceux-ci étaient, ce qui n'est point prouvé, le produit arbitraire d'une convention humaine ([^57]). \*\*\* Aristote, que son souci de réfuter les sophistes conduit à un examen plus approfondi du langage, estime que la recherche philosophique doit démarrer en s'appuyant sur ce qui est déjà connu ou passe pour tel, sur les opinions des hommes telles qu'elles s'expriment dans le vocabulaire courant ([^58]). De ce vocabulaire le philosophe s'efforce d'extraire le fonds méta­physique qu'il renferme, de l'inventorier, de l'apprécier. Ce fonds s'exprime en termes peut-être vagues, mais qui n'en sont pas moins des mots-clefs, sans lesquels le discours serait im­possible. Quand nous parlons, interviennent sans cesse les expressions : « à cause de », « afin de », etc., expressions lourdes de sens métaphysique. Aristote s'intéresse particuliè­rement au rôle que joue le verbe « être » dans la langue grecque, verbe qu'il n'a pas eu à créer « en vue d'exprimer quelque concept technique », mais qu'il a trouvé dans la langue commune ([^59]). 118:149 Il constate que ce mot s'emploie en plu­sieurs cas et il passe en revue les applications qu'on en fait, cherchant de quelles réalités de ce monde on peut dire qu'elles « sont », au sens le plus fort du terme, les autres réalités « n'étant » que d'une manière dérivée et affaiblie. L'analyse grammaticale qu'entreprend Aristote l'introduit aux ultimes questions ontologiques et lui permet d'en clarifier l'énoncé. En outre, cette analyse, parce qu'elle l'amène à déceler les im­précisions dont souffre le langage ordinaire, va exercer son influence sur celui-ci, introduire dans notre parler occidental des catégories dont il devient désormais impossible de se passer et qui contribuent fortement à sa précision ([^60]). \*\*\* On a reproché au Stagirite sa façon de faire. L. Brunschvicg l'accuse de « verbalisme » ([^61]), accusation étonnante, puis­qu'Aristote affirme qu'aucun discours ne saurait remplacer « la science de la chose » ([^62]). Aristote ne croit pas à l'omni­potence du langage ; il constate seulement que le philosophe, pour se renseigner sur le réel, ne peut pas trop compter sur la connaissance immédiate impliquée dans la sensation et qu'il est obligé, en conséquence, de commencer par l'examen de ce que les gens disent sur les réalités de ce monde. Aristote est convaincu -- comment ne le serait-on pas ? -- qu'on se passe difficilement du langage et qu'il importe de considérer en priorité ce qu'il laisse entendre au sujet du réel, quitte à préciser, voire à corriger ses indications ([^63]). 119:149 Ceux-là même qui, comme Nietzsche, mettent en garde contre « la croyance aux mots et à la grammaire » ([^64]), imitent en fait Aristote. Le Stagirite, lorsqu'il aborde, par exemple, les problèmes moraux, constate que les hommes appellent *bonheur* ce à quoi ils aspirent tous ; il recherche l'étymologie de ce terme et ce qu'il signifie dans le langage courant. Nietzsche procède de même, quand dans la *Généalogie* de la morale et ailleurs, il se demande quel sens les hommes ont conféré dans le passé aux mots : bon, noble, vertueux, etc. -- On a beau calomnier le langage courant ; on n'échappe pas à l'obligation de commencer par lui l'enquête philosophique. \*\*\* Certes, tout n'est pas dit pour autant. Il faudra ensuite que le philosophe examine de près ce qu'est le langage, qu'il explique comment naissent les concepts et les mots, qu'il accorde une place dans cette genèse aux exigences de la vie pratique et de l'affectivité. Il devra, avec un soin particulier, préciser le rapport que le vocabulaire entretient avec les choses, pour mesurer dans quelle mesure il nous dévoile le réel, Ce réel avec lequel la sensation nous mettait immédiate­ment en contact. Cette tâche, Aristote en avait deviné l'impor­tance avant Nietzsche, et aucun philosophe ne peut, sans se disqualifier, la négliger. -- Mais ces remarques n'enlèvent rien à la conclusion que nous sommes déjà en droit de tirer : Le phi­losophe doit nécessairement partir du langage, ou, si on pré­fère une autre formule, de ce que les hommes *disent* de la réalité. #### II. § 4. Comment le langage courant nous présente-t-il le réel ? Que veut-on dire quand on emploie les termes : réel, réa­lité ? -- Quand j'accole à quelque chose l'épithète de réel, j'entends souligner que ce quelque chose existe pour son propre compte, indépendamment de l'idée que j'en ai, de l'im­pression que j'en ressens, de mes désirs et de mes répulsions. 120:149 Le réel s'impose à moi, agit sur moi, pèse sur moi, parfois lour­dement. Je lui résiste difficilement. Quand je cherche à esquiver une réalité pénible ou désagréable, j'en suis réduit la plupart du temps à m'appuyer sur une autre réalité, à moins que, par manque de courage, je me contente de fermer les yeux sur ce qui m'importune. Les réalités auxquelles j'ai affaire sont aussi bien intérieures qu'extérieures. Mon tempé­rament, mon caractère, mes déceptions, mes succès, etc., sont réels autant que la table sur laquelle j'écris et peuvent me faire éprouver fortement leur présence. \*\*\* Le qualificatif : réel, s'emploie fréquemment avec une nuance laudative. Le réel s'identifie alors au solide, au vrai, à l'authentique ; on peut faire fond sur lui. Si je suis convaincu de la réelle amitié de quelqu'un, je ne lui marchande pas ma confiance. -- En assimilant le réel au vrai, le sens commun sous-entend qu'il y a des réalités d'une qualité inférieure, plus ou moins frelatées : le mensonge, l'hypocrisie, l'illusion, l'erreur, etc. ([^65]). Cette distinction, pour légitime qu'elle pa­raisse, risque cependant de créer une équivoque. Un homme d'une réelle vertu est certes le contraire d'un hypocrite et l'on ne confondra pas une femme réellement modeste avec une coquette. Néanmoins, l'hypocrisie et la coquetterie ne sont point, tant s'en faut, démunies de réalité, voire d'efficacité, pas plus que le mensonge, la faute, l'illusion, l'hallucination, le rêve, la folie, etc. -- Et quand on oppose le réel à l'imaginaire, on est obligé d'avouer que « l'objet irréel » sécrété par l'imagi­nation n'est pas, lui non plus, un pur néant. Le langage courant semble ainsi autoriser à conclure qu'en un sens, tout est réel tout, même l'idéal que j'oppose à la platitude de l'existence ; même le néant, car, à l'instant où j'en parle, je lui confère, par le langage, un embryon de réalité. Tout est réel, même l'apparence et le faux. \*\*\* 121:149 L'homme n'en introduit pas moins des degrés à l'intérieur de la réalité et le langage laisse percevoir le mécanisme par lequel cela s'opère. L'or réel ou véritable est celui dont la nature se trouve en accord avec ce que, communément, nous entendons désigner quand nous employons ce terme ; un ami réel répond à ce que nous avons l'habitude de mettre sous ce nom. Mais pourquoi distinguons-nous l'or authentique de ce qui en présente seulement les apparences, l'ami du flatteur intéressé ? -- Parce que nous avons intérêt à le faire. Quand il faut payer une facture, ce n'est point la même chose d'avoir à sa disposition une pièce d'or ou une pièce en cuivre ; et j'ai aussi grand besoin de reconnaître ceux à qui je puis me confier en toute sécurité. Bref, si on veut, dans ses actions, réussir, éviter l'échec, il importe de prendre conscience de la nature des réalités auxquelles on a affaire, de distinguer celles qui répondent à notre attente et qu'on pourra qualifier de vraies, d'authentiques, et les autres qu'il me faudra appeler appa­rentes, illusoires, mensongères. L'examen du langage courant prouve, sans conteste possible, que c'est bien ainsi qu'on pro­cède. -- Mais cela ne contredit nullement ce que nous disions il y a un instant : à savoir qu'en un sens, tout ce qui s'offre à nous, de quelque manière que ce soit, est bel et bien réel. \*\*\* Tout ce qui s'offre à nous présente, en effet, un double aspect qui définit précisément ce que nous appelons réalité. Ici encore, le langage met sur la voie. On s'aperçoit, en l'analy­sant, que, sur n'importe quoi, on ne se pose jamais finalement que deux questions. Nous nous demandons d'abord *ce qu'est* la chose que nous avons devant nous, de quoi elle est constituée. Qu'est-ce que cette table sur laquelle j'écris ? Cette affection que j'éprouve, cette indignation qui m'envahit, cette angoisse dont je ne parviens pas à me libérer, etc. ? -- Nous constatons en outre que certaines de ces innombrables et hétéroclites réa­lités, dont nous cherchons les structures, se ressemblent plus ou moins ; d'après leurs similitudes, nous les rangeons en diffé­rentes classes, sur chacune desquelles nous mettons une éti­quette, un nom qui s'applique à tout ce qui rentre dans cette classe. Mais les réalités auxquelles nous avons affaire, quelle que soit leur multiplicité et leur variété, ont ceci de commun qu'elles *existent,* chacune à leur manière et compte tenu de ce qu'elles sont. Les corps existent, mais aussi les sentiments, les idées, les nombres, les « objets » mathématiques, les événements, les situations sociales, etc., etc. L'examen du langage permet ainsi de constater que les hommes ont spontanément discerné dans le réel ces deux aspects, qu'en termes techniques on appellera l'*essence* et l'*existence.* \*\*\* 122:149 Bien plus, le langage permet d'entrevoir que de ces deux aspects, d'ailleurs inséparables, le principal, à certains égards, est l'existence. D'après le sens commun, le réel, c'est ce qui existe. Et, exister, pour une chose, ce n'est point se réduire à l'idée que j'en ai ou à l'impression que j'en ressens. Spontané­ment, nous admettons que le monde matériel au sein duquel nous vivons, que notre corps, notre tempérament, notre psychisme inconscient, etc., que tout cela existe, que nous y pensions ou non ; le langage humain tout entier porte la marque de ce « réalisme ». -- Si nous étions quelque peu ébranlés par les ac­cusations de simplisme portées contre les affirmations du sens commun, la science se chargerait de nous rassurer. Elle prouve, sans conteste possible, que l'univers a existé avant l'homme. La terre n'est apparue qu'à un moment tardif de l'évolution ; les plantes et les animaux nous ont précédés ici-bas. Comme nous ne connaissons pas d'autres êtres intelligents que l'homme, nous sommes forcés de conclure que, pendant une longue période, la matière inerte et la matière vivante ont constitué la seule réalité de ce monde, qu'elles ont, par conséquent, existé indépendam­ment de notre pensée. Il demeure sans doute vrai, comme le souligne Kant, qu'une création vide d'humanité serait un vaste désert, « sans objet et sans but final » ([^66]). Il est également cer­tain qu'avec l'homme est apparu, au sein de l'univers, un être capable de le connaître et d'agir, dans une certaine mesure, sur lui ([^67]). Mais cela ne modifie pas le statut fondamental du réel. La réalité n'attend pas, pour exister, que je la conçoive. C'est vrai des choses extérieures, mais aussi des réalités humaines. L'homme surgit dans l'existence comme un composé de ma­tière et d'esprit, doué d'activités conscientes et inconscientes. Qu'il le sache ou non, il n'en existe pas moins de cette manière. La connaissance (nous ne disons pas : la conscience) que nous avons de nous-mêmes, qu'elle revête une forme spontanée, scien­tifique, philosophique ou religieuse, ne signifie rien d'autre qu'un effort pour expliquer le type de réalité que nous sommes et qui se révèle aussi riche et aussi mystérieux que le monde de la matière et de la vie. Bref, notre connaissance n'est point créa­trice du réel, même pas de notre propre réalité ; le réel nous est donné et il existe indépendamment de ce que nous en pensons. \*\*\* 123:149 Les idéalistes objectent que cette indépendance s'avère, à l'examen, illusoire et ambiguë. Il ne s'agit jamais que d'une au­tonomie conçue, affirmée par nous, recevant sa signification de notre activité de penser et inévitablement conditionnée par elle. Rien ne nous devenant accessible que par la pensée, un au-delà de celle-ci est impensable. Par conséquent, un monde dont l'homme serait absent ne signifie rien ; il équivaut à une pure abstraction. Personne ne se trouvant là pour en parler et pro­clamer son autonomie ontologique vis-à-vis de notre pensée, c'est comme s'il n'existait pas ; c'est comme si on voulait évo­quer un astre dont personne n'aurait jamais soupçonné ou connu la réalité. \*\*\* L'objection, fort répandue et considérée par certains comme décisive, pourrait bien n'être qu'un pur sophisme. -- Incontes­tablement, c'est nous qui affirmons que le monde a existé avant l'homme. Il s'agit de savoir si, quand nous émettons ce juge­ment, nous sommes dans le vrai. En douter serait nier l'évidence même, contredire les présupposés les plus fondamentaux et les résultats les plus indiscutables de la science. N'est-on point, dès lors, en droit de conclure que le monde extérieur et les réalités humaines constituent pour notre connaissance un au-delà, qui ne se réduit pas à celle-ci et que notre activité cognitive se contente d'explorer ? \*\*\* Et si, impressionné par le postulat idéaliste, on se croyait obligé, malgré tout, de réduire le réel à la pensée, il faudrait expliquer de quelle pensée on parle. Veut-on évoquer une Pensée transcendante au monde ou une Raison universelle immanente, un *Logos* personnel ou impersonnel ? Au point où il en est, le philosophe n'a pas encore à se poser de tels problèmes. Il part de l'expérience et celle-ci ne lui révèle qu'un seul type de pen­sée : le nôtre. Si on déclare, par conséquent, d'entrée de jeu, que la réalité se ramène à la connaissance qu'on en a, il ne peut s'agir pour l'instant que de l'activité de connaissance déployée par l'homme. Celle-ci pourrait, d'ailleurs, s'entendre en un dou­ble sens ; désigner d'abord celle qui s'exerce en chacun de nous et porte les marques de la particularité, de la contingence et de l'imperfection. Il faudrait une certaine audace pour prétendre que le réel se ramène à la pensée ainsi conçue, l'individu n'étant ni l'auteur ni le centre de l'univers. -- La témérité serait pres­que aussi grande si on voulait faire dépendre le réel de la pen­sée humaine totale, de l'activité de connaissance des hommes du passé, du présent et de l'avenir. En effet, même élargie à cette dimension, la pensée n'en a pas moins surgi tardivement dans l'univers. 124:149 Qu'on additionne tant qu'on voudra les pensées de tous les humains, ce n'est point à elles que se réduit la réa­lité du monde extérieur ni celle de notre propre être. Et qu'est-ce qui prouve, après tout, qu'il y aura toujours dans l'univers des hommes pour en prendre conscience ? \*\*\* Bref, il s'avère impossible de réduire le réel à la connaissance que nous en avons. La réalité s'introduit de force en nous. C'est un fait contre lequel les protestations idéalistes ne peuvent rien, un fait que le sens commun et les sciences se bornent à enre­gistrer. Le philosophe se doit d'en prendre acte et il continuera de recueillir les précieux enseignements que le langage fournit sur les choses de ce monde. #### II. § 5. Contrastes à l'intérieur du réel. L'examen du langage lui apprendra que, pour le com­mun des mortels, la réalité présente des caractères opposés, plus ou moins contradictoires. Ici encore le philosophe enre­gistre d'abord ce que les hommes ont pensé et dit sur les pro­priétés du réel ; il se garde d'en privilégier une au détriment des autres et il ne se croit pas non plus obligé d'expliquer im­médiatement comment elles peuvent coexister. Pour l'instant, il lui suffit de constater leur présence simultanée, telle qu'elle se révèle à travers la pensée et le langage humains. \*\*\* Les réalités de ce monde agissent. L'inertie absolue équivau­drait au non-être. La physique enseigne que la matière possède une énergie et nous commençons à en mesurer l'ampleur. Chez le vivant, nous percevons une activité immanente dont le fruit demeure à l'intérieur de l'agent. Comme le vivant a besoin d'un milieu avec lequel il pratique de multiples échanges, cette acti­vité immanente se double d'une activité transitive qui la condi­tionne. L'homme, qui résume en les dépassant les modes infé­rieurs d'existence, constitue la synthèse des divers types d'ac­tivité qui se rencontrent dans l'univers et son action présente des particularités que personne ne songe à nier. Bref, les réa­lités de ce monde agissent, d'une manière de plus en plus com­plexe à mesure que nous nous élevons dans la hiérarchie des êtres. Goethe voulait sans doute traduire ce fait lorsqu'il pro­clamait : Au commencement est l'action. \*\*\* 125:149 En agissant, les êtres introduisent au sein de l'univers le changement. Celui-ci se révèle plus ou moins spectaculaire. Il est des mutations radicales : celles qui font naître ou mourir des êtres nouveaux. Certaines se réduisent à de simples dépla­cements ou à des augmentations et des diminutions de volume. D'autres enfin modifient les qualités les plus apparentes des choses, les embellissent ou les enlaidissent, les font changer de figure, de couleur, etc. Ces transformations n'affectent pas seu­lement les êtres matériels. Chacun de nous constate qu'il évolue sans cesse, que sa vie psychique est une création perpétuelle d'imprévisibles nouveautés. Et que dire des bouleversements que connaissent les sociétés et les institutions humaines ! -- De quelque côté qu'on se tourne, le changement se manifeste com­me un donné fondamental. Les humains se sont aisément rendu compte qu'ils appartenaient à un univers au sein duquel règne le devenir, au sein duquel les êtres naissent pour disparaître ; et ils ont traduit cette expérience dans leur langage. Même ceux qui, comme Parménide, s'efforcent d'exorciser le changement et d'en minimiser la portée, ne peuvent en nier l'existence. De nos jours, nous serions tentés d'en majorer le rôle. Tout un contexte fait paraître la réalité moins statique qu'à nos pré­décesseurs. L'impact de l'idée d'évolution contraint presque à conférer une nouvelle dimension à l'univers, que nous considé­rons désormais comme une « masse en cours de transforma­tion ». Sans doute les changements de la matière inerte et ceux des espèces vivantes ne frappent pas les regards de prime abord. L'on comprend que les anciens, moins avancés que nous sur le plan scientifique, n'aient point perçu toute la place qu'occupe le devenir dans la nature. Incontestablement, grâce aux sciences, nous avons de la réalité une image plus exacte, dont le philosophe doit tenir compte. « A la mesure de nos existences humaines, les montagnes et les astres paraissent un modèle de majestueuse fixité. Nous savons maintenant qu'obser­vée sur une grande profondeur de durée, l'écorce terrestre se modifie sans cesse sous nos pieds. » ([^68]) Et l'entropie laisse en­trevoir qu'il y a une histoire de l'univers. -- Si les sciences de la nature ne suffisaient pas à nous persuader de l'importance du devenir, la psychologie et la sociologie y suppléeraient. Le devenir, on le touche du doigt dans la vie de la conscience et dans celle des sociétés, qui se transforment sous nos yeux à une cadence accélérée et parfois inquiétante. 126:149 Pour toutes ces rai­sons, nous sommes un peu plus « héraclitéens » que l'était Aristote. \*\*\* Néanmoins, nous gardons le sentiment que certains aspects de la réalité échappent au changement. Les objets d'abord. Nous sommes sûrs de les retrouver chaque matin tels que nous les avons laissés la veille. Les espèces vivantes présentent aussi des caractères permanents qui justifient nos classifications. Même notre vie psychique, si mouvante, semble impliquer quelque chose de fixe. Malgré les changements innombrables qui se sont produits en moi depuis mon enfance, j'ai la conviction que je suis le même individu qui existait il y a cinquante ans. Nous en sommes tous persuadés, et c'est sans doute la raison pour la­quelle le mot « je » et ses équivalents ont été inventés par les humains. Les sociétés semblent également régies par des lois stables, car elles offrent à nos regards des structures qui se re­produisent constamment et permettent de les classer un peu comme nous classons les espèces vivantes. Nous disions tantôt que le devenir, dans l'univers, provient de ce que les êtres agissent et introduisent ainsi de perpétuels changements. Mais l'action elle-même, et spécialement l'action humaine, n'est possible qu'appuyée sur des points fixes. Com­ment et pourquoi agirions-nous, si nous étions incapables de prévoir le résultat de nos efforts ? Et comment expliquer cette prévision si les objets sur lesquels s'exerce mon action, em­portés par l'ouragan de l'évolution, devenaient à chaque ins­tant autres que ce qu'ils étaient auparavant ? Et si l'action des êtres ne surgissait pas de structures stables, n'importe quoi pourrait produire n'importe quoi et la vache donner naissance à un poulain. -- Incontestablement, s'il n'y avait rien de per­manent dans les êtres, notre pensée ne s'y retrouverait pas, comme l'avoue Nietzsche lui-même ([^69]). Mais il ne s'agit pas seulement d'une exigence de notre pensée, voire de notre ac­tion ; il s'agit d'une particularité que nous constatons dans le réel et au sujet de laquelle le sens commun n'a jamais hésité. \*\*\* Mouvantes et stables à la fois, les réalités de ce monde ap­paraissent également multiples, diverses, opposées et cependant unies entre elles dans une incontestable harmonie. Au sens plénier du mot, il n'existe que des êtres singuliers, dont le nom­bre défie toute imagination. 127:149 Chacun est unique en son genre. Sans doute peut-on déceler entre eux des ressemblances, mais la ressemblance n'est pas l'identité. Dans la sphère du réel, il ne se rencontre pas deux cas absolument pareils. C'est vrai des événements historiques, mais aussi des mouvements cosmiques ; des personnes, mais aussi des objets. L'expérience ne nous met en face que de réalités individuelles et « concrètes ». Un obser­vateur qui possède le « sens du réel » ne regarde pas seulement les choses « en gros. » ; il les examine dans le détail pour dé­couvrir les nuances qui les distinguent et l'originalité de cha­cune. Il aura sans doute l'impression, devant cette masse infinie de réalités diverses, que l'univers est touffu, surabondant, plé­thorique ; et il en conclura, non sans raison, que les théories qu'on échafaude pour l'expliquer n'en épuiseront jamais la richesse, mais feront toujours pâle figure en face de l'arbre de la vie, sans cesse verdoyant. Ces réalités innombrables, entassées dans l'espace et le temps, semblent, à première vue, séparées, indépendantes, ex­clusives les unes des autres. C'est vrai des êtres inférieurs, mais aussi des hommes. Notre organisme nous isole ; et on a beau parler de communication des consciences, celles-ci n'en sont pas moins fermées sur elles-mêmes et comme juxtaposées. Bref, la réalité apparaît « discontinue ». « Quand j'aperçois un arbre, un animal, un bloc de pierre, je n'ai pas la sensation que ces objets font partie d'un ensemble où tout se tient. L'idée de séparation s'impose, et plus un homme fait attention aux objets, plus cette idée lui semble conforme à la réalité. » ([^70]) Bien plus, les rapports entre les êtres, loin d'être harmo­nieux et paisibles, donnent l'impression d'une lutte perpétuelle. La chose est, hélas !, trop évidente quand il s'agit des humains, condamnés à devenir maîtres ou esclaves. La tension à laquelle ils sont soumis ne concerne pas d'ailleurs seulement les rapports sociaux ; elle existe aussi à l'intérieur de chacun. L'homme est un curieux mélange d'eau et de feu, d'animalité et de rationalité et la coexistence pacifique des deux éléments n'est jamais tota­lement réalisée. Ainsi, l'homme doit lutter contre la nature, contre les autres, contre lui-même. Il n'est d'ailleurs point seul dans ce cas. Les êtres vivants s'entredéchirent eux aussi ; le loup mange l'agneau, les gros poissons les petits ; le monde végétal est en proie aux attaques du monde animal et l'un et l'autre doivent se défendre contre les entreprises de l'homme. Les premiers philosophes avaient raison quand ils nous invi­taient à constater que « la guerre est commune à tous » ; que les êtres se combattent sans cesse, nourrissant les uns pour les autres « haine et jalousie ». ; et que nous vivons au sein de la désharmonie ([^71]). \*\*\* 128:149 Mais le sens commun s'aperçoit qu'il y a une contrepartie ; que malgré leurs oppositions, les êtres n'en dépendent pas moins les uns des autres, ils constituent des ensembles, forment un tout, ce qui atténue singulièrement l'impression d'éparpillement et de discontinuité qu'ils donnaient de prime abord. Les réali­tés matérielles se détachent, si on peut ainsi s'exprimer, sur un fond d'indivis, homogène, qu'on nomme espace, qui les unifie et établit entre elles une certaine continuité. Elles s'insèrent ainsi dans un milieu qui les comprend toutes et qui, à première vue du moins, n'est point simplement la somme des choses renfer­mées en lui, mais plutôt le principe d'unité qui les relie. -- On peut dire la même chose du temps. Les réalités de ce monde existent au sein d'un temps unique, que nous découpons en du­rées particulières pour mesurer l'existence des êtres singuliers. Le temps, principe totalisateur comme l'espace, diffère cepen­dant de celui-ci en ce que, dans l'espace, seules les réalités matérielles sont contenues, alors que le temps soumet tout à sa juridiction, même nos sentiments les plus intimes, les événements que nous vivons, etc. -- Se détachant sur ce double fond constitué par l'espace et le temps, les réalités matérielles agissent en outre les unes sur les autres de multiples manières. L'ensemble de ces interactions constitue une totalité que nous appelons la nature et qui nous interdit de voir dans les corps des êtres complètement isolés les uns des autres. On a de la sorte le sentiment que tout tient à tout et que le désordre constaté précédemment constitue seulement une face de la réalité. Pour paradoxal que cela puisse paraître, les sépa­rations et les conflits entre les êtres impliquent une certaine unité, engendrent des relations sans lesquelles on voit mal com­ment ils existeraient. Que serait un univers d'où on éliminerait toute opposition entre les parties composantes ? Que devien­drait l'homme qui n'aurait plus à lutter ni contre la nature, ni contre les autres, ni contre lui-même ? On serait assez enclin à voir dans cette situation l'équivalent de la mort. 129:149 Héraclite ne se trompe pas complètement lorsqu'il déclare : « Homère avait tort de dire : Puisse la discorde s'éteindre entre les dieux et les hommes ! Il ne voyait pas qu'il priait pour la destruction de l'univers, car si sa prière était exaucée, toutes choses péri­raient. » ([^72]) Par leur antagonisme même les êtres s'attirent et la réalité apparaît ainsi comme la *rerum concordia discors*. Elle est simultanément manque et présence d'harmonie. Et sous la diversité des êtres singuliers, on devine leur cohésion au sein d'une totalité qui les renferme ([^73]). \*\*\* Aucune des réalités de ce monde, prise à part, ne donne l'impression d'exister nécessairement. Un être vivant, par exem­ple, surgit grâce à un concours de circonstances qui aurait pu ne pas se produire. Un incident biologique infinitésimal pouvait empêcher notre conception et celle-ci tenait, pour une part, à la libre décision de nos parents. Une fois conçu, l'homme dé­pend du sein maternel dans lequel se poursuit le développement du fœtus, et, après la naissance, son existence se trouve, à chaque instant, conditionnée par une foule de réalités matériel­les, biologiques, sociales, historiques. Un rien, un accident stu­pide, la bêtise ou la méchanceté peuvent mettre un terme à une vie dont nous ressentons vivement la caducité. L'expérience prouve sans conteste possible que, dès le premier moment de notre existence, nous sommes assez vieux pour faire un mort ; que nous courons vers le point final de notre existence terrestre comme malgré nous, entraînés par le temps qui nous dévore seconde par seconde. Que nous y pensions ou non ne change rien à l'affaire ; cette situation tient à notre être même. Elle caractérise d'ailleurs toutes les réalités d'ici-bas. De chacune d'elles je suis en droit de penser, sans contradiction, qu'elle aurait pu ne pas exister. Sans doute, c'est un fait : elles existent, comme j'existe moi-même. Mais manifestement, il pou­vait en être autrement. Bref, les êtres qui constituent notre uni­vers apparaissent « contingents », pour parler comme les phi­losophes. Le sens commun, en des termes plus concrets et à l'aide d'images très parlantes, qu'on retrouve dans le langage ordinaire et les textes religieux les plus anciens, exprime à sa manière le sentiment de précarité que nous éprouvons en face de notre existence éphémère et de l'existence, non moins fragile, des réalités qui nous entourent ([^74]). \*\*\* 130:149 De ces réalités cependant la nécessité n'est pas totalement absente. D'abord, en exerçant mon activité de connaissance, je m'aperçois que lorsque j'ai posé les prémisses d'un raisonne­ment, la conclusion en découle nécessairement. Il s'agit d'une nécessité hypothétique, conditionnelle : si tous les hommes sont mortels et si Pierre est homme, il s'ensuit inévitablement que Pierre est mortel. Cette nécessité hypothétique, je la retrouve, sous une autre forme, dans les rapports que les êtres de la na­ture soutiennent les uns avec les autres. Lorsqu'un phénomène A est donné, je suis sûr qu'un phénomène B surgira. Si j'élève la température de l'eau à 100°, nécessairement elle va bouillir. Cette nécessité n'a rien de catégorique et ne signifie pas que l'eau et la chaleur doivent absolument exister. La nécessité ne concerne point leur existence, mais la relation qui les unit. Elle n'en est pas moins de première importance. Grâce à elle, nous pouvons prévoir les événements ou susciter leur apparition et, par conséquent, agir. Mais son rôle n'est pas exclusivement d'ordre pragmatique. La nécessité conditionnelle suppose, en effet, que les êtres possèdent des structures stables, grâce aux­quelles il s'établit entre eux un réseau de relations qui les rend intelligibles. Il ne s'agit donc point de je ne sais quelle inter­prétation utilitaire, sans fondement dans le réel, mais d'une constatation à laquelle nous ne pouvons échapper. Toutefois, répétons-le, cette nécessité ne supprime en aucune manière la contingence radicale des choses et toute explication qu'on proposera de la nécessité hypothétique devra, pour être confor­me aux données de l'expérience, respecter cette contingence. \*\*\* Bien que fini, imparfait, limité, éphémère, comme toute cho­se ici-bas, l'homme ne se distingue pas moins par des caractères que personne ne songe à nier. Il est seul à produire ses moyens de subsistance, seul à inventer des modes de production tou­jours plus perfectionnés et plus compliqués. Il est seul à forger, pour parler du réel, un langage cohérent qui lui donne prise sur ce réel. Il est seul à découvrir les rapports qui unissent les êtres les uns avec les autres, seul à constater que l'univers possède un fond d'intelligibilité, puisque, effectivement, on parvient à l'expliquer. 131:149 L'homme, qui se différencie ainsi de tous les autres êtres, a conscience de la distance qui le sépare d'eux. Ce recul, qu'il est capable de prendre, n'est-ce point précisément ce que nous appelons la liberté ; une liberté grâce à laquelle, au lieu d'être figé une fois pour toutes dans une situation donnée, l'homme demeure toujours capable de la refuser, de s'en éva­der, de la nier ? Certes, ce pouvoir dont il est nanti et qui le définit n'est pas absolu. La liberté humaine se conquiert à partir de conditions multiples auxquelles l'homme est assujetti et qu'il ne peut jamais totalement éliminer ; elle se construit en un conflit perpétuel avec le tempérament, l'hérédité, la sensi­bilité, le milieu, etc. qui la limitent de toutes parts. Elle n'en est pas moins réelle et c'est la raison pour laquelle l'homme s'estime placé au sommet de la hiérarchie des êtres de ce mon­de. Nietzsche ironise sur cette prétention. Elle est cependant fondée et Nietzsche lui-même partage ce préjugé, si préjugé il y a. L'humanité a toujours cru qu'elle constituait ce qu'il y avait de plus élevé ici-bas. Le langage porte la marque de cette conviction et de nombreux textes religieux la confirment. Bref, à ce qu'on appelle la « nature », à une nature qui d'ailleurs n'est pas seulement à l'extérieur, mais également en nous-mêmes, s'oppose la liberté, laquelle est manifestement notre apanage. \*\*\* Tel apparaît le réel à celui qui l'interroge sans prévention et scrute le langage dans lequel l'humanité a consigné les obser­vations qu'elle faisait à son sujet. Le réel, plein de contrastes, présente des aspects qui semblent, de prime abord, malaisément conciliables. Il est changeant et stable, un et multiple, contin­gent et nécessaire. Il renferme un type d'être : l'homme, qui fait à la fois partie de la nature et s'en distingue, exerçant sur elle une incontestable hégémonie. Le philosophe, au commen­cement de son périple, enregistre ces particularités, utilisant à cette fin tous les moyens d'information dont il dispose. Que va-t-il faire désormais ? \*\*\* Dans son travail de description le philosophe ne partait point de zéro ; il profitait des résultats acquis par ses prédé­cesseurs. Mais, en examinant de près ces résultats, il est amené à faire une constatation importante. Il s'aperçoit que les pro­blèmes dont les philosophes se sont occupés depuis les origines tournent sans cesse autour de quelques couples de notions, celles-là même que nous venons d'évoquer : l'être et le devenir, l'un et le multiple, la partie et le tout, le contingent et le né­cessaire, la liberté et la nature. 132:149 De ces problèmes, le sens commun avait conscience : le langage dont il se sert le prouve. Les philosophes se sont contentés de prendre le relais du sens commun. Après avoir explicité, complété, perfectionné sa des­cription des choses, les philosophes ont essayé de définir avec plus de précision les problèmes que pose la réalité et d'élaborer des solutions. Mais, pourquoi le philosophe entreprend-il une pareille tâ­che ? Nous avons dit, au chapitre précédent, qu'il le faisait parce qu'il recherchait la sagesse. La réponse demeure valable, mais elle est trop générale. Beaucoup d'hommes, après tout, tentent de s'approcher de la sagesse sans passer par la philoso­phie. Pourquoi certains prennent-ils ce chemin plutôt qu'un autre ? Quelles circonstances, quels mobiles, quels motifs les incitent à choisir cette voie ? Avant de suivre plus avant le philosophe dans l'itinéraire qu'il a décidé de parcourir, il importe de se poser la question et de la tirer au clair. (*A suivre*.) Chanoine R. Vancourt. 133:149 ## NOTES CRITIQUES ### Le nouveau Dumeige Ce recueil des définitions conciliaires ([^75]) classées par ordre analytique : Tradition et Écriture, Trinité, Création... est cer­tainement utile et utilisable. Non moins certainement la nouvelle édition qui est différente de la première est moins bonne. Non un progrès mais un recul. Les principales nouveautés et faiblesses consistent première­ment à avoir encombré le livre des textes de Vatican II, textes mous (en général) et qui de toute façon *n'ont pas l'autorité de définitions dogmatiques ;* deuxièmement à avoir supprimé tous les articles du *Code* sur les sacrements et le culte des saints ; enfin on a revu les *introductions* en donnant de fâcheux petits coups de pouce. C'est d'autant plus dommage que les premières *introductions* étaient excellentes et dépassaient de très loin, pour le sens de la foi et la rigueur des termes, ce qu'on trouve d'ordinaire dans ce genre de recueil. Voici quelques exemples du mauvais travail de la seconde édition. Dans *l'introduction* aux énoncés de la foi sur le péché originel le premier Dumeige notait, parmi les conséquences de ce péché : *affaiblissement de l'intelligence et de la volonté ;* puis il ajoutait : *le péché originel est effacé dans le baptême par les mérites satisfactoires du Christ.* Rien de cela dans le second Dumeige. Certes les textes définis s'y trouvent toujours et c'est de beaucoup le plus important. Et en définitive cela nous suffit. Mais quelle raison y avait-il de supprimer, dans l'introduction, des remarques particulièrement bien venues en ce qu'elles font barrage au néo-modernisme pélagien ? -- De même dans *l'in­troduction* aux textes relatifs à la Sainte Trinité, quelle raison y avait-il de supprimer, dans la nouvelle édition, le renvoi que l'on trouvait dans la première : *sur les rapports entre le Dieu un en trois personnes et l'homme objet de ses grâces, voir l'en­seignement sur la grâce au chapitre X.* On me dira : mais la nouvelle édition contient toujours les textes sur l'habitation de Dieu dans l'âme des justes. Tant mieux. Mais y avait-il le moin­dre inconvénient à conserver la référence première ? 134:149 En outre y avait-il le moindre inconvénient à conserver, dans *l'introduc­tion* au chapitre sur la grâce, les divisions classiques de la pre­mière édition : *grâce sanctifiante, grâce actuelle, doctrine de la prédestination.* Omissions légères sans doute puisque, encore une fois, les énoncés définis sont reproduits fidèlement. Mais omissions probablement intentionnelles : comment éviter de se le demander ? -- Et encore pour le *Péché originel* pourquoi la chinoiserie orthographique de la seconde édition : Justice et Péché originels ? Ce pluriel aussi grammaticalement irrépro­chable que doctrinalement inattendu n'est-il pas introduit là pour essayer de faire fléchir notre certitude sur *le* premier péché, péché *unique* commis par *le seul* Adam ? Qu'est-ce qu'il en coûtait d'écrire : justice originelle et péché originel ou sim­plement *le péché originel,* comme la première fois ? Il n'y avait pas non plus d'inconvénients, loin de là, à garder le grand texte admirable de la première édition tiré du premier Concile du Vatican : *premier projet de Constitution sur l'Église du Christ.* Les développements de *Lumen Gentium* à Vatican II n'ont pas approfondi ce premier projet ; ils s'étirent à côté et c'est malheureux à tous points de vue. Les explicitations très nécessaires par exemple sur la sainteté de l'Église n'ont rien gagné à ne pas s'insérer dans un ensemble rigoureux, précis, délimité, abrupt ([^76]), sur la structure juridique de l'Église. Par ailleurs les frères séparés n'ont trouvé aucun avantage véritable à ce que l'Église catholique qui les attend et les appelle ne leur ait pas dit avec la plus grande netteté ce qu'elle est et ce qu'elle réclame pour l'honneur même du Verbe Incarné Rédempteur, son Chef et son Époux. Le second Dumeige ayant omis en son entier le texte des enseignements et des réprobations du *premier projet de Cons­titution de Vatican I sur l'Église du Christ* nous pensons utile d'en reproduire les passages les plus formels et qui n'ont pas leur équivalent hélas ! dans Vatican II. *Ch. 1 : L'Église est le Corps mystique du Christ.* *Ch. 2 : La Religion chrétienne ne peut être pratiquée que dans l'Église et par l'Église fondée par le Christ.* ...Car la nature de la Loi de l'Évangile n'est pas que les vrais adorateurs adorent chacun séparément le Père en esprit et en vérité, sans aucun lien social, mais notre Rédempteur a *voulu* que sa religion fût si intimement unie à la société qu'il instituait qu'elle demeurerait complètement mêlée et, pour ainsi dire, prise en elle et qu'il n'y aurait aucune religion du Christ hors d'elle. 135:149 *Ch. 3 : L'Église est une société vraie, parfaite, spirituelle et surnaturelle.* *Nous enseignons et Nous déclarons* que toutes les qualités d'une société se trouvent dans l'Église. Cette société n'a pas été laissée par le Christ sans détermination ni sans forme, mais, comme elle tient de lui-même son existence, elle a aussi reçu, par sa volonté et sa loi, sa forme d'existence et sa constitution. Elle n'est membre ni partie d'aucune autre société et on ne peut la confondre ni la mêler à aucune autre. Mais elle est en elle-même si parfaite que, tout en se distinguant de toutes les autres sociétés humaines, elle est cependant élevée très au-dessus d'elles. Descendue de la source inépuisable qu'est Dieu le Père, fondée par le ministère et le travail du Verbe incarné lui-même, elle est établie dans l'Esprit Saint. Déversé d'abord à profusion sur les Apôtres, il continue en­core de se répandre abondamment sur les fils d'adoption, pour qu'éclairés par sa lumière, une unique foi dans leur cœur, ils s'attachent à Dieu, et soient unis les uns aux autres ; pour que, portant dans leur cœur le gage de l'héritage, ils arrachent les désirs charnels de la concupiscence corrompue qui est dans le monde et que, fortifiés par une bienheureuse et commune espérance, ils discernent la gloire éternelle promise par Dieu et « qu'ils affermissent leur vocation et leur élection par les bonnes œuvres » (2 P. 1, 10). Puisque ces biens et ces richesses font croître *les* hommes dans l'Église et que les liens du Saint-Esprit les forment en un tout dans l'unité, l'Église est une société spirituelle, d'un ordre absolument surnaturel. *Ch. 4 : L'Église est une société visible.* Que personne cependant n'aille croire que les membres de l'Église sont seulement unis par des liens intérieurs et mon apparents, qui en feraient une société cachée et tout à fait invisible... D'où ce magistère visible qui propose publique­ment la foi que l'on doit croire intérieurement et professer extérieurement. D'où aussi ce sacerdoce visible, dont la fonc­tion publique est de régler et veiller sur les mystères visibles de Dieu, par lesquels sont réalisés la sanctification intérieure pour les hommes et le culte dû à Dieu. D'où, ce gouvernement visible, qui ordonne la communion des membres entre eux, qui règle et dirige toute la vie extérieure et publique des fidèles dans l'Église, D'où enfin tout ce corps visible, auquel n'appartiennent pas seulement legs justes et les prédestinés, mais aussi les pécheurs qui lui sont encore reliés par la pro­fession et la communion d'une même foi. 136:149 *Ch. 5 : L'unité visible de l'Église.* La véritable Église du Christ étant telle, *Nous déclarons* que cette société visible à tous les regards est cette Église des promesses et des miséricordes divines, que le Christ a voulu distinguer et parer de tant de prérogatives et de privilèges... Elle n'est ni dispersée ni répandue à travers les divers groupe­ments de dénomination chrétienne, mais rassemblée totale­ment en elle-même et formant un véritable tout, elle présente, dans sa remarquable unité, le corps indivisé et indivisible qui est le Corps mystique même du Christ. C'est de lui que l'Apôtre dit : « Il n'y a qu'un corps, qu'un esprit, qu'une espérance selon l'appel que vous avez reçu, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (Eph. 4, 4). *Ch. 6 : L'Église est une société absolument nécessaire pour obtenir le salut.* ... C'est pourquoi *nous enseignons* que l'Église n'est pas une société facultative comme s'il était indifférent pour le salut de la connaître ou de l'ignorer, d'y entrer ou de la quitter. *Ch. 7 : Hors de l'Église personne ne peut être sauvé.* *... Nous réprouvons* et abhorrons la doctrine, aussi impie que contraire à la raison, de la valeur indifférente des religions, par laquelle les fils de ce siècle, en éliminant la distinction entre la vérité et l'erreur, disent que le havre de la vie éter­nelle est ouvert à tous, de quelque religion qu'ils viennent ; ou qui prétendent qu'on ne peut avoir sur la vérité de la reli­gion que des opinions plus ou moins probables, mais aucune certitude. *Nous réprouvons* aussi l'impiété de ceux qui ferment aux hommes le Royaume des cieux, en affirmant sous de faux prétextes qu'il n'est ni inconvenant ni aucunement nécessaire au salut d'abandonner la religion, même fausse, dans laquelle on est né, on a été élevé et formé ; que l'Église elle-même, qui déclare qu'elle est l'unique et la véritable religion, ne prescrit ni ne condamne les religions et les sectes séparées de sa com­munion. Comme s'il pouvait jamais y avoir une communauté entre la justice et l'injustice, une union entre la lumière et les ténèbres, un accord entre le Christ et Bélial ! 137:149 *Ch. 8 : L'indéfectibilité de l'Église.* Nous déclarons encore que l'Église du Christ, considérée dans son existence ou sa constitution, est une société éter­nelle et indéfectible, et qu'après elle il me faut pas attendre en ce monde une économie de salut plus plénière et plus par­faite. En effet, comme tous les hommes engagés dans le pèleri­nage de cette terre jusqu'à la fin du monde doivent être sauvés par le Christ, l'Église du Christ, qui est la seule communauté de salut, demeurera immuable et inébranlable en sa constitu­tion jusqu'à la fin du monde. Bien que l'Église grandisse, et -- plaise à Dieu qu'elle s'accroisse constamment dans la foi et la charité, pour que se construise le corps du Christ ! -- bien qu'elle se développe diversement, selon la variété des temps et des circonstances au milieu desquels sa vie militante se déroule, elle demeure cependant immuable en elle-même et dans la constitution qu'elle a reçue du Christ. C'est pourquoi l'Église du Christ ne peut jamais perdre ses propriétés et ses qualités, son saint magistère, son office sacerdotal et son gouvernement. Ainsi le Christ est perpétuellement, par son corps visible, la voie, la vérité et la vie pour tous les hommes. *Ch. 9 : L'infaillibilité de l'Église.* Avec l'approbation du saint Concile universel, *Nous ensei­gnons et déclarons* que le don de l'infaillibilité, révélé comme une prérogative perpétuelle de l'Église du Christ, qu'on ne doit pas confondre avec le charisme de l'inspiration et qui ne vise pas à enrichir l'Église de nouvelles révélations, a été conféré pour que la parole de Dieu, écrite ou transmise, soit affirmée et gardée entière dans l'universelle Église du Christ et exempte des corruptions de la nouveauté ou du changement, selon ce commandement de l'Apôtre : « Ô Timothée, garde le dépôt. Évite les discours creux et impies, les objections d'une pseudo­science. Pour l'avoir professée, certains se sont écartés de la foi. » (1 Tim. 6, 20-21.) Ce que le même Apôtre inculque encore, lorsqu'il écrit : « Prends pour règle les saines paroles que tu as entendues de moi, dans la foi et dans l'amour du Christ Jésus. Garde le bon dépôt, avec l'aide de l'Esprit Saint qui habite en nous. » (2 Tim. 1, 13-14.) *Nous enseignons donc* que l'objet de cette infaillibilité s'étend aussi loin que le dépôt de la foi et que le devoir de la garder le demande. Ainsi, la prérogative de l'infaillibilité, que possède l'Église du Christ, renferme en son domaine et la parole de Dieu universellement révélée *et tout ce qui, bien que non révélé, est nécessaire pour qu'elle puisse être conservée avec sécurité, proposée à croire et* *expliquée avec certitude et précision, ou pour qu'elle puisse être affirmée et défendue avec force contre les erreurs des hommes et les objections d'une pseudo science.* Cette infaillibilité, qui a pour fin la vérité sans tache de la doctrine sur la foi et les mœurs dans la société des fidèles, réside dans le magistère que le Christ a institué per­pétuel dans son Église, lorsqu'il a dit à ses Apôtres : 138:149 « Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au. nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde. » (Matt. 28, 19-20.) Le Christ leur a aussi promis l'Esprit de sa vérité, qui demeurerait éternellement avec eux, qui serait en eux et leur enseignerait toute vérité. (Jo., 14, 16-17.) *Ch. 10 : Le pouvoir de l'Église.* L'Église du Christ n'est pas une société d'égaux, dans la­quelle tous les fidèles jouiraient des mêmes droits. Non seule­ment parce que, parmi les fidèles, les uns sont clercs et les autres laïcs, mais surtout parce qu'il y a dans l'Église un pou­voir institué par Dieu, pour sanctifier, enseigner et gouverner, qu'ont reçu certains et que n'ont pas les autres... Je ne dis pas qu'on subodore du modernisme dans le nouveau Dumeige. Je dis que, dans la seconde édition, l'opposition au modernisme, qui est réelle, est moins énergique que dans la première édition. Or d'une édition à l'autre le modernisme a progressé et s'est installé. Le moment était mal choisi pour mollir dans la résistance. Nous sommes en cette période terri­ble de l'histoire de l'Église où les modernistes, qui sont des *âmes fuyantes,* nous fabriquent sous le regard de Rome jusqu'ici indifférent, *une religion fuyante,* une religion dont les dogmes et les rites sont en fuite vers le syncrétisme. On eût alors préféré que le Père Dumeige en revoyant son recueil non seu­lement n'eût pas omis les articles du *Droit Canon* sur les sacre­ments et le culte des saints qui font sentir à quel point le dogme est réaliste et touche terre, mais encore n'eût pas atténué cer­taines remarques des premières *introductions.* Et je ne dis rien de l'adjonction massive des discours-fleuves de *Gaudium et Spes.* Que viennent faire au milieu des *textes doctrinaux* des variations mondaines sur des airs connus ([^77]) dont les Pères du Concile nous ont dit, sur tous les tons, qu'elles n'étaient pas doctrinales ? -- J'ai écrit *le Père Dumeige.* Mais au fait avons-nous encore à faire à un Père jésuite ? La première édition por­tait : Gervais Dumeige s.j. Nous avons maintenant Gervais Du­meige et rien. Comme si nous devions cacher notre qualité de fils de tel ou tel ordre !... 139:149 Il reste que dans le recueil du Père Dumeige la traduction des textes est bonne. Et les textes choisis eux-mêmes, mis à part trop de passages verbeux et non formels de Vatican II, méritaient d'être choisis et demandent à être lus et médités, si nous voulons nourrir et défendre notre foi. Compte tenu des restrictions apportées, je recommande donc le second Dumeige, mais j'ajoute : si cela vous est possible uti­lisez le premier car il est bien meilleur. R.-Th. Calmel, o. p. ### Bibliographie #### Pierre Thuillier : Socrate Fonctionnaire (Laffont) « Il n'y a rien de plus triste qu'un philosophe de vingt-deux ans *à la fois* un peu cartésien et un peu heideggérien, un peu rationaliste et un peu lacanien, sincèrement structuraliste et plutôt antiscientiste, volontiers marxiste et très sensible aux charmes de l'idée de Dieu, tenté par l'incroyance mais impré­gné de Jaspers -- et (par-dessus tout) définitivement opposé à toute forme d'éclectisme. On fabrique couramment ce genre de monstre. C'est légal ; mieux, c'est institutionnel. Pour qui connaît un peu la philosophie telle qu'elle est au­jourd'hui pratiquée dans les facultés des Lettres, ce portrait ne paraîtra malheureusement pas exagéré : Pierre Thuillier, assis­tant à Nanterre, sait de quoi il parle. Ce qu'il dénonce, le pour­rissement de l'enseignement philosophique universitaire, relève d'abord de la simple observation des faits ; encore faut-il avoir le courage de s'y adonner, surtout lorsque l'on est soi-même partie prenante... On s'étonnera peut-être des conclusions par­fois contradictoires de son analyse, et du manque total d'effi­cacité de toutes ses conclusions pratiques, volontairement main­tenues au niveau d'une « utopie » qui trahit à nos yeux le propos pourtant essentiel de ce dernier chapitre : « Comment s'en débarrasser ». 140:149 De même, nous ne comprenons pas du tout ce que M. Thuillier entend par « cléricalisme universitaire », lorsqu'il accuse MM. Guitton, Gandillac, Ricœur, Lévinas, Du­mery et Tresmontant de vouloir ressusciter la Sorbonne théo­logique et thomiste (?). L'étude historique de la pensée médié­vale, voire de subtiles variations sur « l'idée de Dieu », ne sauraient tout de même pas être considérées comme la recher­che, théologique ou thomiste, de Dieu lui-même, en tant qu'ac­cessible aux lumières de notre raison... Mais, par-delà les multiples obscurités et ambiguïtés de cer­tains passages, nous voudrions surtout insister sur le principal mérite de ce livre où un professeur, méprisant les facilités d'une analyse trop abstraite de la situation, garde le rare souci péda­gogique de ne pas dissocier l'arbre de ses fruits, c'est-à-dire la déroute de l'enseignement magistral du désarroi des étu­diants, victimes obligées et souvent inconscientes du système. \*\*\* Pierre Thuillier l'a bien vu : le libéralisme universitaire est un leurre ([^78]), et l'enseignement d'une philosophie d'État « un grand mensonge institutionnel, une farce monstrueuse, dont les contradictions ne se comptent plus ». En matière de philoso­phie, la prétendue neutralité de l'enseignement officiel aboutit nécessairement au refus de philosopher, c'est-à-dire -- pour les plus décidés -- à une propagande idéologique à peine dissimu­lée, et -- pour tous les autres -- à une dissolution crois­sante de la recherche en une multitude de disciplines *sépa­rées,* où la technicité d'un jargon pompeux sert de masque au manque de sérieux et d'authenticité philosophiques. Ce n'est même plus l'idée qui tient lieu ici d'expérience, mais le mot qui est pris pour l'idée, et les vertus captivantes du langage pour les profondeurs d'une pensée métaphysique. Volupté des mots, culte du vide, dont témoigne si bien le succès démagogique d'un Jankélevitch, capable de balancer toute une année son auditoire entre le « déjà-plus » et le « pas-tout-à-fait », ou d'aligner 600 pages serrées sur « le je-ne-sais-quoi et le pas-encore »... (Notons que M. Jankélevitch est chargé à la Sorbonne des principaux cours de morale, lesquels ont le privilège d'être radiodiffusés à travers toute la France). Sans doute Platon n'avait-il pas tort de repousser l'âge des études philosophiques à celui de la maturité, pensant ainsi sous­traire ses disciples aux séductions de cette rhétorique délirante devant laquelle tombent si facilement, aujourd'hui, les esprits tendres et naïfs de nos jeunes bacheliers. Mais les principaux responsables du désastre ne sont-ils pas d'abord ceux dont le scepticisme et le verbalisme pourris ne craignent pas de s'af­ficher magistralement à tous les niveaux de l'enseignement, pré­parant ainsi le terrain aux graves aberrations mentales qui ravagent tant de jeunes intelligences ? 141:149 Lente intoxication des esprits, qui saura à l'occasion se montrer brutale à ceux qui lui résistent. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », disait Saint-Just. « Pas de quartier pour les amis de la vérité ! » telle est la formule jacobine du mandarinat philosophique de la Sorbonne, lequel n'hésitera pas à utiliser contre les réfractaires le vieil arsenal de l'autorita­risme professoral prétendument dépassé aujourd'hui. « C'est parce qu'ils ne croient plus en la *vérité philosophi­que,* écrit justement Pierre Thuillier, que les universitaires se sont repliés sur l'histoire (...) *L'histoire de la philosophie offre à ceux qui n'ont rien à dire la possibilité de le dire tout de même. *» A titre d'illustration, on nous permettra de ne pas citer d'autres noms que celui de M. Ricœur, parce que c'est lui qui a osé écrire : « Vous étudiez deux philosophes ; est-ce qu'ils sont vrais tous les deux ? *Nous fuyons cette question-là, et avec raison, car c'est finalement une fausse question :* le problème de la vérité n'est pas dans la position absolue de l'une ou l'autre phi­losophie, mais dans la possibilité de communication créée par leur apparition. » (Dans *La recherche philosophique peut-elle s'achever ?*, p. 20. -- C'est nous qui soulignons.) L'étudiant qui -- naïvement -- voudrait choisir entre Aris­tote et Kant, décider si Descartes a bien posé le problème de l'union de l'âme avec le corps, émettre un avis quelconque sur le bien-fondé de telle ou telle doctrine, est donc prévenu qu'il se fourvoie dans de faux problèmes. L'apprenti-philosophe n'a pas d'opinion personnelle à avancer, et rares sont ceux qui osent en fait dépasser les limites que des maîtres comme MM. Ricœur, Alquié, Belaval et tant d'autres ont eux-mêmes fixées à la critique philosophique. On comprendra facilement pour­quoi : il y a les examens. Depuis Hegel, et sous Hyppolite -- le plus autorisé de ses actuels commentateurs --, c'est une chose entendue que le phi­losophe vient trop tard (« L'oiseau de Minerve ne prend son vol qu'à la tombée de la nuit ») ; que la métaphysique, qui fut une science vivante, se ramène aujourd'hui à l'histoire de la métaphysique, à son archéologie, et à tous les raffinements méthodologiques qu'on voudra, chacun se spécialisant dans la dissection d'un petit domaine particulier : M. Ricœur commen­tant la Bible, M. Alquié les « Méditations », M. Belaval l' « Éthi­que », etc. Mais qui ose encore nous parler de l'homme, et de son destin, et de sa vérité ? 142:149 « On ne peut pas croire à la fois en *la recherche de la vé­rité,* dit très bien Pierre Thuillier, et anéantir systématiquement les questions relatives à la vérité des doctrines. » Affirmer qu'il n'y a pas d'erreur en philosophie, c'est supposer -- puisque les philosophes se contredisent quand même -- que l'Être doit rendre possible ces contradictions, ainsi que n'hésite pas à l'écrire M. Hyppolite. Autrement dit, plutôt que d'attribuer aux philosophes les contradictions de la philosophie, « *on préfère supposer que tous les philosophes ont raison et que la réalité a tort *»*.* Belle incitation en vérité, pour nos jeunes apprentis philo­sophes, à se donner toutes les facilités intellectuelles qu'ils voudront dans leurs recherches « métaphysiques », pour peu qu'elles préservent dans les mots quelque apparence de dialec­tique pseudo-hégelienne (car Hegel lui-même n'a jamais été jusque là). Les psychologismes, structuralismes, phénoménolo­gismes et consorts, conséquences directes de l'attitude anti­philosophique et anti-pédagogique de nos maîtres, témoignent par leur succès que la métaphysique est bien morte aujourd'hui dans l'Université ; et qu'il faudra la rebâtir ailleurs, avec So­crate, mais sans l'État. Fonctionnaires s'abstenir. Pierre Thuillier, pourtant, ne va pas jusqu'à tirer cette der­nière conclusion. Pourquoi... ? Hésiterait-il à assumer jusqu'au bout le risque d'une rupture avec le système qu'il condamne ? On demande des héros pour sauver la philosophie. Hugues Kéraly. #### Michel de Saint Pierre : Le Milliardaire (Grasset) *Michel de Saint Pierre est un écrivain de la tradition clas­sique, laquelle est peut-être pour une bonne part une tradition normande. Chez lui, comme chez La Varende ou chez Corneille, prévaut souvent le goût du dialogue signifiant, révélateur, qui à certains moments se cristallise en une formule importante. Dans le théâtre de Corneille, on trouve de nombreux caractères se­condaires, diplomates intrigants, administrateurs et politiques infatués de leur expérience, et qui révèlent dans leurs discours plus qu'ils ne le voudraient : quand ils exposent avec délecta­tion leurs projets subtils, ils laissent transparaître toujours les faiblesses essentielles de l'humaine condition ; derrière le grand homme qui manie avec une apparente maîtrise les affaires du monde, on discerne l'être sujet au doute ou à la crainte, voire le vieil enfant qui joue avec assez d'application pour prendre son jeu au sérieux.* 143:149 *Si Georges H. Fabre-Simmons est un homme mûr, Marcel Sangalles est déjà un vieillard : l'affrontement de ces deux puissances économiques, durant le déjeuner d'affaires, au début du roman, répond sans doute à ce que peut en atten­dre le lecteur qui a suivi naguère, dans les pages de son quo­tidien, des duels du même ordre, et combien retentissants ! Mais nous sentons derrière les formules la présence des hom­mes, vulnérables et violents : c'est le vieux Sangalles, au terme de l'entrevue, qui traduit en termes crus la réaction fruste, élé­mentaire, de l'homme menacé. A d'autres moments, c'est Fabre-Simmons qui nous la fera sentir : quand pour donner une leçon à son fils, contestataire hyper-maoïste et incendiaire de voitu­res, il met lui-même le feu à la* « *Triumph *» *de l'enfant prodi­gue, on hésite entre une manifestation pittoresque d'autorité et une situation comique non exempte de quelque enfantillage. Après tout, notre temps avait peut-être* (*comme toute époque*) *des trésors d'esprit d'enfance, dégradés en puérilité : les affai­res ont aussi un aspect* « *ludique *»*, et il n'est pas exclu que la puérilité apparaisse au moment où l'esprit d'enfance commence à se prendre au sérieux. On pourrait retrouver l'application de la même idée dans les personnages du fils et de la fille du mil­liardaire. Encore faut-il posséder un reste d'esprit d'enfance, avec ou sans puérilité, pour éveiller la sympathie. Pierre Maza­de, l'écrivain collaborateur de Fabre-Simmons, qui cherche à séduire l'épouse de son patron et qui échoue au moment où l'on pouvait croire à sa proche réussite, celui-là n'a gardé ni enfance ni désir véritable de se prendre au sérieux : est-ce pour cette raison qu'il ne pèse pas lourd, et que lors de son congédiement, nous mesurons le peu de sympathie que nous avions réellement pour lui ? Il n'en est point de même pour le vieux Sangalles, chassé de ses présidences et prérogatives après l'* « *Offre-Publique-d'Achat *» *lancée par son adversaire. Fabre-Simmons reste finalement le héros de l'action ; héros non sans reproches, mais dont le prestige tient à ce qu'il assume devant le lecteur l'ingrate situation de milliardaire avec une âme en­core assez pourvue de vibrations humaines. Du moins, lui, a-t-il quelque chose à risquer, ce qui n'est pas le cas de l'intellectuel Mazade. Nous sentons le P.D.G. plier sous le fardeau des affaires et des luttes, le père déçu ou inquiet dans ses affections, le mari en proie un instant aux pires tourments. Notre temps crée un type nouveau, le P.D.G., et les caricaturistes l'y aident volon­tiers. Comme pour d'autres échantillons sociaux, Michel de Saint Pierre se saisit du personnage au moment où il connaît la vogue et en même temps se durcit en un cliché simpliste, pour lui restituer la vitalité nuancée d'un caractère et faire ressortir les composants dramatiques de sa situation.* Jean-Baptiste Morvan. 144:149 #### Roger Ikor : Lettre ouverte aux Juifs (Albin Michel) A force de s'entendre acca­bler des mêmes reproches, les chrétiens, intellectuellement in­toxiqués, finissent par tenir les griefs pour fondés ou ne son­gent plus qu'à les discuter par­tiellement. Que nous ayons reçu une plus grande responsabilité que d'autres dans les affaires de ce monde, cela ne peut être certain que pour nous, et si nos adversaires nous font vo­lontiers une place privilégiée, il est encore de notre droit de leur en demander les raisons. Aussi, et sans y mettre de mali­ce, je ne suis pas mécontent de trouver à l'intérieur du débat familial engagé par R. Ikor quelques raisons de réconfort propres à amoindrir un com­plexe de culpabilité que cer­tains parmi nous cherchent à rendre chronique : là où nous ne sommes point présents, les problèmes humains ne sont ni différents ni plus clairs. Il est assez piquant de voir Ikor, in­telligence voltairienne, dans sa controverse avec ceux qu'on appellerait encore difficilement ses « coreligionnaires », usant d'arguments anticléricaux que l'on aurait pu croire réservés aux attaques anticatholiques. Parfois nous vient la tentation d'esquisser une défense du ri­tualisme juif durement carica­turé par Roger Ikor : il est im­pitoyable à l'égard des barbes, des papillotes et des calottes. On songe au cri de « A bas la calotte ! » qui, malgré les apparences, n'était peut-être pas primitivement une allusion au couvre-chef ecclésiastique, mais un mot désignant d'abord des amicales d'officiers, puis des coteries, et des groupes se­crets contre-révolutionnaires au temps du Directoire... Quoi qu'il en soit, Ikor, malgré quel­ques fiches de consolation et quelques phrases d'une indul­gence toute provisoire, a en horreur le formalisme tradi­tionnel encore appliqué rigou­reusement en Israël par la com­munauté de Méa Shearim ; il en arrive à considérer avec faveur la pratique des coerci­tions modernisantes et à louer un Pierre Le Grand d'avoir coupé les barbes des boyards. Nous ne méconnaissons pas, au-delà de ces détails, la gran­deur du problème posé, le cou­rage avec lequel Ikor l'aborde, et la noblesse de son sentiment profond : son angoisse de Français patriote (d'autant plus sensibilisée que son origine étrangère est encore récente) devant le problème du Sio­nisme et le dualisme moral des Israélites français en proie à l'attraction d'une sorte de na­tionalité secondaire, devant l'idée que ces Juifs puissent être considérés comme un État dans l'État, comme des Fran­çais douteux ou partagés. Mais quant à exhorter les Juifs à renoncer à l'idée de leur mis­sion sacrée et de leur élection divine, à leur conseiller de se faire voltairiens et de se débar­rasser de leur « complexe » religieux comme d'une maladie mentale, voilà à quoi nous ne pouvons consentir. Pour nous, la France ne passe pas par là, et rien ne nous paraît plus étranger à la France qu'un Is­raélite athée, communiste, trotskiste ou anarchiste qui n'aurait fait que transposer dans un messianisme révolu­tionnaire son antique fidélité à Israël. 145:149 Ikor, à mon sens, se dissimule le fait que l'anti­sémitisme en France, dû peut-être originellement à des griefs ou rancunes d'ordre économi­que et social sous le règne de Napoléon III, se cristallisa sur­tout ensuite sur des opposi­tions politiques, à cause des options « avancées » d'un nom­bre assez considérable d'Israé­lites. Autrement, la distinction entre les gens qui mangent du cochon et ceux qui s'en abs­tiennent me semble chez nous surtout folklorique et réservée à des historiettes dont le co­mique vulgaire et usé n'a rien de meurtrier. N'étant pas Juif, je ne puis juger de la question du formalisme rituel et de sa situation dans le monde actuel ; mais le principe évangélique de ne point éteindre la mèche qui fume encore me paraît im­poser énormément de pruden­ce ; je ne pense pas qu'on soit plus Français, dans la mesure où l'on s'appauvrit, mais dans la mesure où l'on s'approfon­dit. La haute culture d'un Ro­ger Ikor n'est point immédia­tement accessible à tous, hors de France surtout. Au reste, un Mazarin se souciait peu de prononcer « union » comme « oignon » et ne perdit point son temps à des leçons de pho­nétique : « Mon langage n'est pas français, mais mon cœur l'est. » Ikor prétend substituer à des éthiques routinières un « principe clair » : « le but suprême de l'homme, c'est l'ac­complissement de l'être indivi­duel ». Merci pour la clarté ! C'est aussi convaincant que la morale « hippie » : « Faites l'amour et non la guerre ! » Et je ne vois pas que l'Auvergnat ou le Breton accomplisse son être individuel en renonçant à son origine ; malgré certains excès un peu ingénus, il est parfois utile de mettre un cha­peau à brides, notre être indi­viduel risquant de faire la bête à vouloir trop faire l'ange. Ikor est un bon disciple du XVIII^e^ siècle dans sa passion des so­lutions abstraites apparemment simples et évidentes ; sur les problèmes du Juif français, j'avoue avoir été plus intéressé par ce qu'a écrit M. J. Bennat, autre Israélite de France, dans « Aspects de la France » du 19 mars 1970. Pourquoi le Juif craindrait-il de jouer une co­médie en adhérant à un patrio­tisme traditionaliste ? On n'a jamais, je crois, adressé un tel reproche à Gambetta en Fran­ce, à De Valera ou Patrick Pearse en Irlande : et pourtant tous ne se rattachaient à leurs patries que par la moitié de leur ascendance. Je reviens plus spécialement à ces problèmes où certains ont toujours voulu voir l'indi­gnité essentielle des États ca­tholiques ou chrétiens en gé­néral. Ikor refuse Machiavel, mais pourtant, quand il juge la Guerre des Six Jours, il dé­fend la légitimité de la guerre préventive. Pour justifier l'im­plantation des Juifs en Israël il fait appel à l'idée, selon lui essentielle à « la gauche », que la terre est à ceux qui la cul­tivent. Il faut vraiment alors que la gauche soit plongée ans une grande disette de rai­sons pour recourir à des for­mules aussi simplistes et aussi contestables : Il se trouvera toujours d'éventuels amateurs pour soutenir que la terre était mal ou trop peu cultivée ! Les Juifs pieux qu'il accuse d'être moyenâgeux pourraient bien lui retourner le compliment. Cet argument, tout comme le droit de conquête, le prix des victoires, la terre au premier occupant (qui n'est jamais le premier) ne constitue qu'une de ces raisons très humaines, terrestres et terreuses dont Pas­cal démontrait qu'en les con­testant et en les renversant on n'aboutissait qu'à des abus contraires et analogues : il eût sans doute trouvé dans la situa­tion actuelle du Proche-Orient des justifications supplémen­taires a son pessimisme. 146:149 Ikor, universitaire français, comme moi, est aussi mal à l'aise que moi quand on parle de mitrail­leuses ; mais on n'échappe pas toujours à la nécessité d'être derrière ou devant les mitrail­leuses. Il redoute le général Dayan, et le militarisme. Il souligne en même temps que « deux bons tiers de la pla­nète sont pour l'heure victi­mes des officiers socialistes, révolutionnaires, et tout et tout ; et pour le tiers restant, la moi­tié au moins, de la Chine à Cuba, est soumise à des hom­mes plus redoutables encore que des militaires de profes­sion : à des guerriers de voca­tion ». Voilà qui est bien dit ; et du reste Renan, dans la « Réforme intellectuelle et morale » prévoyait un temps où le pouvoir appartiendrait aux détenteurs et techniciens des armes automatiques. Ac­ceptons le témoignage d'Ikor : ce ne sont pas les États de tra­dition chrétienne qui scanda­lisent le plus ici humaniste de gauche honnête et sincère. Un trait encore : il a trouvé des Juifs français fort surpris qu'un Juif soit docker en Israël, parce qu'ils considé­raient qu'un Juif est trop in­telligent pour être docker ; il explique cette réaction par une contamination inconsciente des théories antisémites ! Passons sur cette explication risquée. Mais si dans le climat national sioniste un Juif peut admettre d'être docker, c'est qu'il re­trouve dans la nation un équi­libre humaniste le dispensant de chercher compensations mo­rales ou assurances pour l'ave­nir dans une autre condition. M. J. Bennat, cité plus haut, ne croit pas que la France soit in­capable d'offrir le même climat tutélaire. Les positions de gau­che, réduisant ou niant lek vertus essentielles de la na­tion, rendraient-elles la France plus habitable moralement à des Israélites inquiets ? Une brutale formule yankee dit à propos de la patrie : « Love it or leave it », aimez-la ou quit­tez-la. Le dilemme agressif est peu séduisant ; nous ne dirions volontiers aux Juifs que « Aimez-la » ; et ils ne sont pas contraints pour autant de ne pas aimer l'Israël loin­tain. On estime peu en France celui qui renie ses cousins. Et après tout, l'amour de la France n'a jamais été pour aucun Français sans problèmes ni difficultés ; la valeur de la tra­dition chrétienne consiste à ré­server le supplément nécessaire des possibilités d'amour et d'initiatives pour remédier aux difficultés ; et cela sans croire implicitement à l'homme bon par nature, ou à la possibilité d'une Histoire idyllique et inerte. Car nous refusons cette illusion charmeuse où toutes les dissonances humaines s'ex­pliqueraient aisément par la seule malignité du Christia­nisme, acharné à présenter une image désobligeante de l'hom­me et créant tous les drames par sa tyrannique dureté. J.-B. Morvan. 147:149 #### Robert Beauvais : L'hexagonal tel qu'on le parle (Hachette) Sans tomber pour autant dans une vision biologique du monde intellectuel, je crois qu'à propos de certains phéno­mènes contemporains, on peut parler de « rejets de greffes », à moins qu'il ne s'agisse d'une élimination de toxines. Il est assez curieux de constater que les mouvements de protestation et de libération ne viennent pas toujours du côté où l'on s'attendrait à les voir surgir. Au moins en apparence, la ré­volte contre le scientisme à la fin du XIX^e^ siècle s'est appuyée sur Taine, voire sur Renan ; la théorie déterministe du milieu, de la race et du moment, re­pensée par Barrès, aboutit au discours sur « la grande Pitié des églises de France ». Nous sommes plusieurs à avoir été un peu agacés de voir M. Étiemble dénoncer une cer­taine intoxication anglo-sa­xonne de notre langue dans « Parlez-vous Franglais ? » et chercher des alibis progressis­tes à sa louable crise de natio­nalisme linguistique. Sans avoir la moindre prévention contre Robert Beauvais, nous sommes surpris que tant d'es­prits graves, de chrétiens nour­ris aux meilleures sources de l'esprit français continuent à patauger avec fanatisme dans un jargon pédant et pesant, et qu'ils lui aient ainsi laissé la gloire de fustiger « l'hexago­nal » comme M. Étiemble avait dénoncé le « franglais ». Mais en somme, il en va fort bien ainsi, et R. Beauvais poursuit avec une allégresse joviale une critique irrévérencieuse : quali­tés bien françaises et dont l'absence est aujourd'hui trop sou­vent à regretter. Ce mot d' « hexagonal » est une trouvaille, comme le « franglais » : il a quelque chose de mécanique, de raide et d'anguleux qui s'adapte par­faitement à ce sabir où les doctes du temps présent pié­tinent comme le diable-en­fant de chœur des « Trois Messes Basses » dans le latin de la messe « en envoyant des éclaboussures de tous les cô­tés ». Les éclaboussures sont si fréquentes et nombreuses que l'on ne peut même pas repro­cher à l'auteur d'avoir exagéré sa polémique par la concentra­tion inévitable d'un recueil présenté sous forme de lexi­que ou de manuel de conversa­tion. Sans doute la langue fran­çaise gardera-t-elle de l' « hexa­gonal » comme du « fran­glais » un certain nombre d'expressions, car les synony­mes proposés ne sont pas tou­jours exacts. Mais on ne peut savoir lesquelles ont chance de survivre : les innovations de la Pléiade nous ont légué « aigre-doux » et « révolu », mais non « mal-rassis » ou « floride » ; la Préciosité, « enthousiasmer » et « incontestable », mais non « soupireur » ou « débruta­liser ». On peut supposer qu'une époque donnée ne connaît pas exactement les besoins authentiques de son propre langage. Pour cer­taines applications spéciali­sées, comme en philosophie, la critique est sans doute moins pertinente : la distinction du Bouilli et du Fumé, sans doute tirée de Lévi-Strauss, ne me scandalise pas plus que les subtiles définitions de Lavelle sur le Fade et l'insipide dans « La Dialectique au Monde Sensible ». 148:149 Admettons que le langage puisse devenir inso­lite quand il correspond à un certain degré de spécialisation dans la recherche. Mais pour l'ensemble, une constatation s'impose : on ne saurait mener une critique du langage à un moment donné sans y faire entrer une critique morale. La volupté inhérente au snobisme des imitations aussi bien qu'à la majesté du verbalisme, l'iner­tie mécanique dans la répéti­tion des clichés, sont autant d'éléments révélateurs de dé­fauts ou de vices de l'esprit. Ainsi tout ce vocabulaire pseu­do-scientifique autour des thè­mes sexuels : on veut appeler les choses par leur nom, mais on veut garder l'air grave et supérieur : alors, on change les noms... La fréquence de tel ou tel vocable prouve la pré­sence dominatrice, la dicta­ture masquée de certaines doc­trines, et peut-être aussi l'or­gueil d'une « nouvelle classe ». La remise en question du « nouveau langage » implique donc que certaines domina­tions soient discutées, criblées, invitées à un certain examen de conscience. Bien avant les dernières pages, on sent que Robert Beauvais a mesuré le risque et l'a accepté. On ne peut que l'en féliciter et lui répéter ce qui fut dit à La Bruyère : « Voilà de quoi vous attirer beaucoup de lecteurs et beaucoup d'ennemis. » J.-B. M. #### Mario Puzo : Le Parrain (Laffont) J'ai laissé échapper « Papil­lon », je le confesse ; j'ai prêté le livre à je ne sais plus qui, mais cela est d'ailleurs sans grande importance : ce qu'il y a de bon dans l'exégèse des « best-sellers », c'est que l'on peut toujours se rattraper avec le suivant. La fabrication de ces gros livres nous intéresse essentiellement pour l'attention perspicace portée par les au­teurs, et par les éditeurs plus encore, aux cheminements profonds de l'esprit populaire et aux tendances qui consti­tuent le « dénominateur com­mun » de tant de lecteurs dif­férents de classe et de culture. Faut-il même parler de « che­minement » ? L'âme secrète du grand public me paraît en somme assez conservatrice. J'a­vais retrouvé ainsi dans « Pa­pillon », avec la figure du bon évêque, comme une réminis­cence de Mgr Myriel des « Mi­sérables » ; et du reste « Pa­pillon » se présente un peu comme un autre Jean Valjean. « Papillon » prétend à l'exacte autobiographie, et je n'ai nulle­ment l'intention d'en discuter ; 149:149 je remarque simplement que « Le Parrain », qui adopte la forme de la fiction, s'efforce de faire vibrer les mêmes cor­des sensibles. La fin tient à être édifiante et le livre s'ar­rête sur le tableau de la com­munion, sur les prières que Kay adresse au Ciel pour le sa­lut de son mari Michael Cor­leone, gangster et notable de la Maffia (peut-être malgré lui) ; et Kay reçoit la communion à genoux et l'hostie sur les lè­vres, au risque de scandaliser nos progressistes liturgiques. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une remarque sans impor­tance : une autre attitude n'au­rait pas la même valeur pathé­tique. La religion apparaît sous son aspect expiatoire et ré­demptionnel, elle n'est ni sociale ni révolutionnaire. Le lecteur populaire a soif d'une histoire uniquement person­nelle, où violences et vengean­ces appellent en contrepartie l'intervention authentique du prêtre par le sacrement ; com­me pour un autre personnage féminin du roman, la machine humaine déréglée par l'éro­tisme déchaîné imposera le re­cours au médecin. Médecin et prêtre sont là comme dans les romans de Balzac, pour guérir et compenser la nature humi­liée et brisée au terme de son aventure orgueilleuse. Ce n'est pas que « le Parrain » soit une œuvre recommandable ; le sang versé, les scènes porno­graphiques y ont leur place, selon un dosage habile capa­ble de satisfaire « l'hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère » comme eût dit Baude­laire. Et les scènes de strip-tease sont devenues des orne­ments attendus, comme les fia­cres, les souterrains et les trap­pes de la littérature rocambo­lesque. Mais l'hypocrisie du lecteur n'abolit pas une conscience secrète des réalités et de leurs exigences : en fin de compte, en comparant ces volu­mes épais et simplistes avec les divagations raffinées des intel­lectuels, on peut se demander si le « best-seller » n'est pas plus capable de dire la vérité à son heure, comme l'ânesse de Balaam. « Le Parrain » peut offrir d'autres thèmes de médi­tations : La Maffia dans ses origines méditerranéennes pa­raît être un vestige de temps très antiques, à peu près con­temporains de l' « Orestie » d'Eschyle, des personnages plus encore que du poète. Insérée ensuite dans un féodalisme pri­mitif et mal christianisé, elle resurgit en plein XX^e^ siècle dans la démocratie américaine avec une aisance qui amène­rait les bonnes âmes à douter des vertus moralisantes de la­dite démocratie, toute puritaine qu'elle soit. Paradoxe appa­rent : les tenants fidèles de la vieille loi du talion, les bri­gands dont Hercule et Thésée n'ont pas réussi à purger la terre, se trouvent dans le mon­de le plus « moderne » comme le poisson dans l'eau. Et quand l'être humain entend à nouveau l'appel de la perfec­tion, il se retrouve comme Kay, au petit matin, dans une église, à genoux devant la Sainte-Table. J.-B. M. 150:149 #### Louis Delarue O. M. I. : Le P. Charles-Dominique Albini (Nouvelles Éditions Latines) Quand le P. Louis Delarue publia, sous le titre AVEC LES PARAS DU 1^er^ R.E.P. (chez le même éditeur), ses souvenirs d'aumônier-parachutiste, un au­tre Delarue, prénommé Jac­ques, fit savoir dans un article de la *Semaine Religieuse* de Paris qu'il ne tenait pas à être confondu avec cet homonyme. A vrai dire, personne, hormis ce Jacques lui-même, n'avait eu cette idée saugrenue... qui ne fut pas sans faciliter audit Jacques un avancement flat­teur. Et comment donc aurait-on pu confondre ? Voici en effet le curriculum vitae du P. Louis Delarue. Né le 19 mars 1913, il entre chez les Oblats de Marie Im­maculée, est « exempté défini­tif » du Service militaire en 1933, ordonné prêtre et envoyé aux missions oblates du Grand nord canadien (Colombie Bri­tannique et Yukon, de juin 1937 a mai 1940). Rappelé pour la guerre, il est fait pri­sonnier (juin 40 -- mars 41), missionne ensuite dans la ré­gion lyonnaise. Aumônier mili­taire en décembre 44 sur le front des Alpes (Maurienne), puis aumônier de chasseurs alpins au Vorarlberg (Autri­che) jusqu'en décembre 1953. Volontaire pour le poste d'au­mônier d'un groupement mo­bile en Indochine, il accepte le 10 mars 1954 celui d'aumônier-parachutiste au Tonkin. Le 30 mars il « saute » pour la pre­mière fois à Hanoï... et c'est « le coup de foudre ». Désolé d'être arrivé si tard, il saisit -- toujours avec l'accord de ses supérieurs -- la première oc­casion de rejoindre les Paras en Algérie, où il débarque di­rectement d'Indochine le 14 août 1955. On sait quelle pépi­nière de héros fut la congréga­tion des Oblats de Marie. Il suffit de lire AVEC LES PARAS DU 1^er^ R.E.P. pour se rendre compte que le P. Louis Dela­rue n'a laissé passer aucune chance de se montrer digne des plus valeureux de ses confrères. Il fut de tous les coups durs où se distingua ce régiment « fer de lance » de l'armée. Puis un jour, devant les cercueils de dix de ses lé­gionnaires tombés pour la France, il s'indigna publique­ment de ce qu'on fît encore tuer des hommes dont on avait, à Paris, déjà « vendu » la victoire. Et, sur ordre promp­tement venu de Paris, il fut « rembarqué » en caravelle le 14 janvier 1961. Depuis, il est tout à ses de­voirs de religieux mission­naire, ce qui ne l'a pas empêché de publier plusieurs autres ou­vrages. Il a révélé un remar­quable flair de découvreur d'archives et des dons d'histo­rien dans une brochure excel­lemment documentée sur No­tre-Dame-de-l'Osier, paroisse de l'Isère où, après un prodige -- le miracle de l'osier sanglant -- et une apparition de la T. S. Vierge au XVII^e^ siècle, de nom­breux miracles se produisirent jusqu'à la Révolution sur la tombe du voyant, Pierre Port-Combet. 151:149 Et voici un nouveau livre du P. Louis Delarue. Ouvrage d'un historien de plus en plus exigeant et exact, mais aussi d'un prêtre et d'un mission­naire. Il raconte la vie d'un des premiers Oblats de Marie, le P. Charles-Dominique Albi­ni (1790-1839) que S. S. Paul VI a proclamé « Vénérable » le 4 juillet 1968 en raison de l'héroïcité de ses vertus. A peu près inconnu hors de sa congrégation, ce religieux avait été pourtant signalé à l'attention de ses contempo­rains par quelques phénomènes prodigieux que, moins réser­vés que le P. Delarue, les té­moins ont qualifié de miracles. L'Église en décidera. En atten­dant, il est historiquement vrai que tels témoins ont vu, au moment de l'Élévation, le P. Albini soulevé de terre en même temps que l'hostie qu'il éle­vait ; que des dizaines d'audi­teurs l'ont entendu interrom­pre un de ses sermons pour annoncer qu'un homme se mourait à des lieues de là et demander des prières ; que des dizaines d'autres l'ont plu­sieurs fois vu redresser et mettre en place d'un signe de croix une lourde croix de mission qui s'écroulait sur la foule. En voici les témoignages sous la foi du serment. Et voici ce que pensait Mgr Eu­gène de Mazenod, évêque de Marseille et fondateur des Oblats, homme « positif » s'il en fut, comme on dirait au­jourd'hui : « Il ne s'agit rien moins que d'une suite de mi­racles qui mettent ce cher Père au niveau des saints thau­maturges qui ont annoncé en leur temps la Parole de Dieu » (Journal, 28 février 1839). Et ce qu'en écrivait le P. Guibert, supérieur du P. Albini et futur cardinal-archevêque de Paris : « Il donne seul la mission à Guagno avec un incroyable succès, on ne parle partout que des miracles qu'il opère, j'entends dire de véritables mi­racles. » Ce ne sont pas ces prodiges qui retiennent surtout l'atten­tion du P. Delarue, ce sont les succès apostoliques du mis­sionnaire dus à ses vertus : piété, docilité, désir « lanci­nant » de porter la bonne nou­velle du Salut, d'appeler à la pénitence qui réconcilie les pécheurs avec Dieu. A d'autres Oblats, les esquimaux ou les lointains Indiens des Barren Lands ! Le champ d'apostolat du P. Albini, après la Côte d'Azur, fut tout simplement la Corse, mais c'était a l'époque une Corse pour ainsi dire « sauvage », déchirée par la vendetta, corrompue par le désordre des mœurs, vrai « pays de mission », perdu dans l'ignorance religieuse, où la difficulté des communica­tions gênait les efforts d'un clergé rare et d'ailleurs insuf­fisant. A l'appel de l'évêque d'Ajaccio, Mgr de Mazenod se sépara du P. Albini qui passa en Corse. Et bientôt les conver­sions se multiplièrent. « quel­que chose de miraculeux, écrit le P. Guibert, accompagne la parole de cet homme, ou plutôt de ce prêtre. Il n'a qu'à ouvrir la bouche et tout le pays est terrassé. » Affluence aux pré­dications, foules au confession­nal, baptêmes, régularisation des unions, réconciliations d'ennemis mortels, c'était mi­racle en effet de voir les chan­gements profonds et durables qui s'opéraient au passage du P. Albini. Aussi ce livre d'histoire est-il d'une évidente actualité. Ce n'est pas à la soutane, au latin, au grégorien, au triomphalis­me, à la messe de saint Pie V, à l'ancien catéchisme, etc., qu'il faut attribuer la désaf­fection des peuples pour l'Église. 152:149 C'est la défaillance du clergé qui fait l'indifférence du peuple. Ministres du Sei­gneur, examinez-vous plutôt à la lumière de l'exemple qu'a­près tant d'autres saints prê­tres vous donne le P. Albini. Et je conclus (non sans im­prudence et quoi qu'en pense­ra le P. Delarue) sur ce mes­sage aux prêtres entendu à San Damiano : « Mes fils de prédilection, ne pensez pas tant aux choses matérielles, soyez des saints. » J. Thérol. 153:149 ## DOCUMENTS ### Le nouvel article 7 de l' « *Institutio generalis* » *Deux articles de Louis Salleron dans le numéro 128 de* « *la Pensée catholique *»*. Deux articles sur la nouvelle messe. Nous les reproduisons tous les deux.* *Le premier, que voici, concerne le nouvel arti­cle 7* (*dont nous avions commenté l'apparition dans le second supplément à notre numéro 145, pages 42 et suiv.*)*.* Les « Réflexions sur l'article 7 de l'*Institutio generalis* » que nous avions données à *la Pensée catholique,* et qui ont été publiées dans son numéro 126-127, avaient été écrites avant la sortie du Missale Romanum. Une « Note de la Rédaction » avait pu cependant porter à la connaissance du lecteur le texte modifié de l'article 7 dans sa version italienne publiée par l'*Osservatore Romano* du 12 juin 1970, juste au moment du « bon à tirer » de la revue. Maintenant nous disposons du *Missale Romanum* lui-même. Il nous est donc loisible de lire dans son texte latin l'*Institutio generalis* tout entière, ainsi que le Proemium qui, désormais, la précède. Le *Proemium* a été publié dans sa traduction française par « la Documentation catholique » (n° 1565, du 21 juin 1970). Les rectifications apportées à l'*Institutio generalis* ont fait l'objet d'un article des Notitiæ, l'organe de la S. Congré­gation pour le culte divin, dans son numéro de juin 1970. Cet article a été traduit en français et publié par « la Documen­tation catholique » dans son numéro 1568, du 2-16 août 1970. La rectification principale concerne l'article 7. Rappelons l'ancien texte : 154:149 «* Cena dominica sive Missa est sacra synaxis seu congregatio populi Dei in unum convenientis, sacerdote praeside, ad memo­riale Domini celebrandum. Quare de sanctae Ecclesiae locali congregatione eminenter valet promissio Christi :* «* Ubi sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum *» (Mt. 18, 20). » Le texte nouveau est le suivant : «* In Missa seu Cena dominica populus Dei in unum convo­catur, sacerdote praeside personamque Christi gerente, ad memoriale Domini seu sacrificium eucharisticum celebran­dum. Quare de huiusmodi sanctae Ecclesiae coadunatione locali eminenter valet promissio Christi :* «* Ubi sunt duo vel tres congretati in nomine meo ibi sum in medio eorum *» (*Mt. 18. 20*)*. In Missae enim celebratione, in qua sacrificium Crucis perpetuatur, Christus realiter praesens adest in ipso coetu in suo nomine congregato, in persona ministri, in verbo suo, et quidem substantialiter et continenter sub speciebus eucharis­ticis*. » \*\*\* Voici le commentaire que fait l'article des *Notitiae* à la rédaction nouvelle de l'article 7 (les notes sont de nous) a\) *En premier lieu, une attention spéciale a été portée au numéro 7 dont on a tant parlé, et qui a été rédigé de telle sorte qu'il donne une description plus complète de la messe :* N° 7. « A la messe ou Cène du Seigneur ([^79]), le peuple de Dieu est convoqué et rassemblé, sous la présidence du prêtre qui représente la personne du Christ, pour célébrer le mémorial du Seigneur, ou sacrifice eucharistique. C'est pourquoi ce ras­semblement local de la sainte Église réalise de façon éminente la promesse du Christ : « Lorsque deux ou trois sont rassem­blés en mon nom, je suis là, au milieu d'eux » (Matth., 18, 20). En effet, dans la cérémonie de la messe où est perpétué le sa­crifice de la croix, le Christ est réellement présent dans l'as­semblée elle-même réunie en son nom, dans la personne du ministre, dans sa parole, et aussi mais de façon substantielle et continuelle, sous les espèces eucharistiques. » *Ce numéro 7 a été entièrement refait pour qu'apparaissent plus clairement les vérités qui ont toujours été proposées par la révélation divine, par la tradition et le magistère de l'Église, et qui concernent directement le mystère eucharistique, c'est-à-dire la vérité du sacrifice, la nature sacramentelle du sacerdoce ministériel et la présence réelle.* 155:149 *Dans sa formulation littérale, qui certes ne prétend pas donner une définition doctrinale complète de la messe ; cet article ne commence pas, comme dans sa formulation précé­dente, par :* « *La Cène du Seigneur, autrement dit la messe* ([^80]) *est une synaxe sacrée, c'est-à-dire le rassemblement du peuple de Dieu *»*, mais :* « *à la messe, ou Cène du Seigneur, le peuple de Dieu est convoqué et rassemblé... *»*, pour indiquer la valeur du texte, lequel veut être une description simple, mais assez précise, de la structure générale, liturgique et rituelle, de la célébration eucharistique. Cela est d'ailleurs indiqué par le fait que cet article se situe dans la partie* « *Structure générale de la messe *» *du chapitre II, lequel est intitulé :* « *La structure de la messe, ses éléments et ses parties* ([^81]). » *La structure de la célébration eucharistique est établie à partir de la messe communautaire, ou avec le peuple, dans la­quelle se vérifie pleinement* « *l'action dit Christ et de l'Église *»*, c'est-à-dire* « *du peuple de Dieu organisé hiérarchiquement *» (*cf. Prés. gén., n. 1 ; Sacr. Conc., n° 7*)*, bien qu'à la messe sans peuple ou* « *privée *»*, doivent être reconnues une efficacité et une dignité complètes,* « *car elle est l'acte du Christ et de l'Église dans lequel le prêtre agit toujours pour le salut du peuple *» (*Prés. gén, n. 4*) *Il est dit du prêtre qui préside la célébration qu'il* « *repré­sente la personne du Christ *» *auprès du peuple de Dieu convo­qué et rassemblé pour célébrer le* « *mémorial du Seigneur *». « *Mémorial du Seigneur *» *dit la même chose que* « *sacrifice eucharistique *». *Est donc absolument exclue une représentation qui ne serait qu'une mémoire ou qui serait purement symbo­lique puisque est mise en lumière la nature sacramentelle et sacrificielle de la célébration qui est* « *la Cène du Seigneur *», *Cène du Seigneur, Sacrifice eucharistique et Mémorial du Sei­gneur constituent la même réalité de la messe, bien que sous des aspects différents* ([^82]). *En même temps est mis en lumière le caractère sacramental du sacerdoce ministériel parce que le prêtre, en tant que vrai ministre du Christ, accomplit la fonc­tion et tient la place de celui-ci.* 156:149 *Au rassemblement local de la sainte Église dans la célébration de la messe,* « *où est perpétué le sacrifice de la croix *», *s'applique la promesse que le Christ Seigneur a donnée de sa présence réelle. Cette présence se réalise de différentes maniè­res : le Christ est présent dans l'assemblée elle-même réunie en son nom* (*cf. Matth., 18, 20*) ; *le Christ est présent dans la per­sonne du ministre qui le représente ; le Christ est, présent dans sa parole, opérant efficacement ; Le Christ est présent mais* « *de façon substantielle et permanente *» *sous les espèces eucharis­tiques* (*cf. Instr.* Euchar. myst, n. 9). *Cette formulation met mieux en lumière la continuité de la tradition doctrinale de l'Église au sujet de la sainte Eucharistie, ainsi que son développement, particulièrement du Concile de Trente à nos jours* (...) ([^83]). L'article des *Notitiae* énumère ensuite tous les articles de l'*Institutio generalis* qui ont été modifiés : 1) soit pour ex­primer « plus pleinement ou plus clairement la doctrine » ; 2) soit concernant « la communion sous les deux espèces et la concélébration » ; 3) soit pour « rendre plus claires les rubri­ques ». Dans le 1) figurent les articles 48, 55 *d*, 60, et 56 et 56 *a*. C'est ainsi qu'à l'article 56 *d* « le récit de l'Institution... » devient « le récit de l'Institution *et la consécration*... » Dans le 2) figurent les articles 76, 242 et 158 *d*. Dans le 3) figurent les articles 95, 109, 125, 143, 158 *c*, 234 *a*, 235, 283, 290, 298, 299, 300, 308, 315, 316, 319, 322, 329 *a*, 330, 332, 333, 334, 336 et 337. On voit que les modifications sont nombreuses. Et pourtant elles ne sont pas toutes mentionnées (ce qui est étrange et marque un certain désordre, à défaut d'intention expresse). L'article des *Notitiae* oublie au moins les articles 80 et 117 qui sont fort importants. En effet, l'article 80 indique désormais que parmi les objets à préparer pour la messe il faut le plateau de communion -- «* patina pro communione fidelium *» ; et l'article 117 dit que le communiant doit tenir ce plateau sous son visage au moment de communier -- «* et, tenens patinam sub ore, Sacramentum accipit *». 157:149 On rapprochera ces deux articles de l'article 283. Celui-ci dit que « ...le pain eucharistique, tout en étant azyme *et confectionné selon la forme traditionnelle* (*et forma tradita confectus*), soit tel que le prêtre, à la messe célébrée avec le peuple, puisse vraiment rompre l'hostie en plusieurs morceaux et distribuer ceux-ci à quelques fidèles au moins ». Nous mettons en italique ce qui a été ajouté dans le nouveau texte de l'*Institutio genera­lis*. Les modifications apportées aux trois articles 80, 117 et 283 ont un sens clair : elles signifient *le refus de la communion dans la main* qu'impliquaient tacitement, quoique non néces­sairement, les rédactions antérieures. \*\*\* Nous ne pouvons pas entrer dans le détail de toutes les mo­difications apportées à l'*Institutio genera­lis*. Ce serait une tâche trop vaste pour nous. Notre seul dessein était de mettre en lu­mière les rectifications apportées à l'article 7, rectifications qui, en chaîne, en ont entraîné d'autres (dont nous avons cru devoir dire un mot) pour rendre à la Messe sa véritable na­ture. Mais nous voudrions, pour conclure, présenter quelques ob­servations qui nous paraissent importantes. *1^re^ Observation*. -- Les bureaux sont les bureaux, ils ne sont pas l'Église. On a toujours le droit d'examiner leur travail. On en a aujourd'hui le devoir, car c'est en leur sein principale­ment que s'opère l'autodestruction de l'Église. L'article 7 de l'*Institutio generalis* était monstrueux. Nul n'avait le droit de le laisser passer. Il est navrant que de bons catholiques aient cru, non seulement devoir l'accepter, mais le défendre, sous prétexte qu'il était l'œuvre de bureaux qualifiés. *2^e^ Observation*. -- Prêtres et laïcs se sentent pour ainsi dire totalement désarmés devant l'œuvre des bureaux parce que ceux-ci disposent d'un pouvoir immense. Ils sont légalement constitués et la réaction normale de l'autorité est de les « cou­vrir ». Eh ! bien, aujourd'hui la preuve est faite qu'une action énergique, quand elle est fondée, peut obliger les bureaux à faire machine arrière. La victoire qui vient d'être remportée contre eux, dans le cas de l'article 7 (et de quantité d'autres articles) de l'*Institutio generalis* doit rendre courage à ceux qui pensent que tout est perdu et les inciter à combattre vigoureu­sement pour la défense des vérités menacées. 158:149 *3^e^ Observation*. -- La confection de la nouvelle Messe s'ins­pirait visiblement de deux idées : le retour aux sources et l'œcuménisme. Le *retour aux sources* est, en soi, un souci légitime mais dont l'application est très délicate. Pie XII en a souligné les dangers dans *Mediator Dei*. S'il est bon, en effet, de retrouver la vraie tradition en redressant ce qui a été dévié, en élaguant ce qui a été abusivement ajouté, en remettant en valeur ce qui a été estompé, il est, d'autre part, nécessaire de ne pas donner dans ce que Pie XII appelle « l'archéologisme », d'éviter de sous-estimer les apports d'un développement normal, d'être parfai­tement sûr des « sources » invoquées, etc. Bref, il faut se mé­fier des « restaurations » du genre de celles qu'évoque en archi­tecture le nom de Viollet-le-Duc et se méfier davantage encore des « reconstitutions » aventureuses qui nous assureraient de la liturgie « authentique » des premiers temps de l'Église. On risque de tuer ou de blesser une liturgie vivante en voulant re­faire la liturgie primitive qui, dans sa forme extérieure, est une liturgie morte. L'*œcuménisme* est un souci non moins légitime et non moins louable. La division des chrétiens est le plus grand scandale du christianisme et rien ne doit être négligé pour refaire l'unité de l'Église. Mais c'est une tâche difficile et qui demande une grande loyauté. Un accord réalisé dans l'équivoque n'en est pas un. Il se rompra au moindre choc, créant une situation plus difficile encore que celle qui existait précédemment. Or, il est manifeste que, pour la confection de la nouvelle Messe, les dangers du retour aux sources ont été multipliés par la volonté d'œcuménisme. On était guidé par l'idée plus ou moins consciente qu'en remontant aux époques les plus loin­taines, et avant, par conséquent, les divisions récentes, on avait toute chance de retrouver les conditions de l'unité, d'où suivrait l'unité presque nécessairement. Cette idée contient sa part de vérité, mais ce n'est qu'une petite part. Car elle risque, d'abord, de minimiser la valeur de la tradition, et surtout elle néglige le fait que ce sont les vérités théologiques qui sont en cause et qu'un accord relatif sur le rite peut dissimuler, en risquant de l'envenimer, le désaccord sur la réalité qu'il exprime. Une *lex orandi* minimisée laisse dans le vague la *lex credendi* à laquelle elle ne correspond plus avec précision. D'où la confusion -- confusion qu'on renforce par l'usage de mots communs (retenus à l'exclusion des autres) dont le sens peut être différent : mémorial, présence réelle, cène, sacrifice, ministre, etc. Qu'il ait fallu, sur l'ordre du pape, corriger substantiellement nombre d'articles de *l'Institutio generalis* et y ajouter un *proe­mium* rappelant explicitement quelques vérités fondamentales relatives au sacrifice eucharistique, à la transsubstantiation et au sacerdoce ministériel, montre qu'on avait été trop loin et que la méthode de *l'équivoque* est vouée à l'échec. 159:149 *4^e^ Observation. --* Notre quatrième et dernière observation est la plus grave, en ce sens que, conclusion des précédentes, elle vise une situation désormais inscrite dans la vie catholique et qu'il ne sera pas facile de dénouer. L'*Institutio generalis* a été modifiée, mais l'ordo Missae lui-même ne l'a pas été, ou à peine. Or, il y a là quelque chose qui suscite l'inquiétude, pour une raison très simple. Ce sont les mêmes experts qui ont fait l'ordo *Missae* et l'*Institutio* generalis*.* En nous donnant l'*Institutio* generalis (première version) ils nous ont dit eux-mêmes le sens ambigu de leur messe nouvelle. D'où la déclaration du prieur de Taizé qu'il était désormais « théologiquement possible » aux protestants de se servir des prières et des rites de l'*ordo Missae* pour célébrer la cène. L'*Institutio generalis* a été corrigée pour redire exactement ce qu'est la Messe. Mais la nouvelle messe, inchangée, demeure susceptible d'être interprétée selon l'*Institutio generalis* pre­mière manière qui y correspond exactement. Que la nouvelle messe soit valide, ce n'est pas douteux. Qu'elle contienne certains changements heureux, on veut le croire. Mais qu'au total elle risque de porter les prêtres et les fidèles à une minimisation des vérités concernant l'eucharistie et le sacerdoce, c'est ce qu'on contesterait difficilement. L'in­terprétation spontanée qu'en ont donnée ses auteurs mêmes, celle qu'en donnent, plus audacieusement encore, ses plus chauds partisans, et la pratique qui se généralise des « célébrations », des « agapes », des « cènes » et des « partages » sont des si­gnes non douteux du péril installé au cœur de l'Église. Le rite traditionnel protégeait des vérités qui sont maintenant terrible­ment exposées. Il suffit de voir comment elles s'envolent à tous les vents du progressisme. Le travail poursuivi depuis plus d'un siècle par Solesmes, par Pie X, par Pie XII et tant d'autres permettait d'espérer que l'œuvre de restauration liturgique déjà aux trois quarts accom­plie aurait été menée à son terme dans la tranquillité. La per­versité des novateurs a été d'associer à leur entreprise des hommes sincères, savants en histoire et en liturgie, qui cau­tionnent les résultats obtenus. Ainsi nous devons payer quel­ques modifications, peut-être souhaitables mais secondaires, d'une division tragique instituée non seulement entre catholi­ques mais à l'intérieur même de l'esprit des meilleurs d'entre eux. Le sacrement de l'unité devient le sacrement du déchire­ment... 160:149 Arrêtons-nous, de peur de sombrer dans un pessimisme ex­cessif. Pour le moment, nous avons à nous réjouir de la recti­fication de l'article 7 et de tant d'autres articles de *l'Institutio generalis.* Ce n'est pas rien de retrouver dans les mots, les vé­rités qu'on avait tues afin de les faire disparaître. Paul VI a voulu ce redressement, contre les bureaux ([^84]). Nous devons nourrir l'espérance qu'il ira jusqu'au bout. Il importe, en effet, que les catholiques puissent retrouver *dans la Messe elle-même* les certitudes qui viennent de leur être rendues dans sa pré­sentation. 161:149 ### Le décret de promulgation du « Missale romanum » *Voici maintenant le second des deux articles de Louis Salleron paru dans le numéro 128 de* « *La Pensée catholique *»*.* A la première page de la nouvelle édition du *Missale Roma­num* figure le décret suivant que nous reproduisons in extenso : *DECRETUM* *Celebrationis eucharisticae Ordine statuto, atque approbatis textibus ad Missale Romanum pertinentibus per Constitutionem Apostolicam Missale Romanum a Summo Pontiflce Paulo VI die aprilis 1969 datam, haec Sacra Congregatio pro Cultu Divino, de mandato eiusdem Summi Ponti flcis, novam hanc editionem Missalis Romani ad norman decretorum Concilii Vaticani II confectam promulgat et uti typicam declarat.* *Ad usum autem novi Missalis Romani quod attinet, permitti­tur ut editio latina, statim ac in lucem edita fuerit, in usum assumi possit, opportunis adhibitis accomodationibus quae dies celebrationum Sanctorum respiciunt, donec Calendarium ins­tauratum definitive in praxim adducatur ; curae autem Confe­rentiarum Episcopalium committitur editiones lingua vernacula apparare, atque diem statuere, quo eaedem editiones, ab Apos­tolica Sede rite conflrmatae, vigere incipiant.* *Contrariis quibuslibet minime obstantibus.* *Ex aedibus Sacrae Congregationis pro Cultu Divino, die 26 martii anni 1970, Feria y in Cena Domini.* BENNO Card. GUT *Praefectus* A*.* BUGNINI. *Secretis* 162:149 Ce décret est parfaitement clair ([^85]). D'une part, il *promulgue* la nouvelle édition du Missel Ro­main. D'autre part, il en *fixe la date d'entrée en vigueur*, à savoir dès la publication du volume pour ce qui est de la messe en latin, et à la discrétion des Conférences épiscopales pour ce qui est de la messe en langue vernaculaire, étant précisé que les éditions en langue vernaculaire auront à être au préalable dû­ment confirmées par le Siège apostolique. On doit noter, en outre, que la nouvelle messe latine est simplement *autorisée*. « Permittitur », dit le texte. Ce qui revient à dire que : 1\) le rite traditionnel -- la Messe de saint Pie V -- est le rite normal, toujours en vigueur (en latin) ; 2\) le nouveau rite est autorisé dès maintenant en latin ; 3\) le nouveau rite sera autorisé dans les langues vernacu­laires quand les conférences épiscopales en décideront, mais seulement après confirmation par le Saint-Siège des éditions préparées dans ces langues. *On peut tourner et retourner le décret du 26 mars 1970 dans tous les sens, il dit cela et point autre* *chose.* 163:149 Or, ce décret est le dernier en date, et il figure dans le Mis­sel Romain lui-même. On est donc bien obligé d'en conclure que toutes les dispositions antérieures qui sembleraient en discor­dance avec lui sont désormais nulles et non avenues -- *contra­riis quibuslibet minime obstantibus*. On doit d'ailleurs faire observer qu'il n'y a pas conflit de pouvoirs entre deux instances différentes. Ce qui émanait de Rome émanait de la Congrégation pour le Culte Divin. Le car­dinal Gut et A. Bugnini sont donc mieux placés que quiconque pour savoir ce qu'ils ont voulu en signant ce décret. On va y opposer une réponse faite par la Congrégation à une question posée par l'ordre des Chevaliers de Notre-Dame. Voici le texte de la question et de la réponse tel qu'il est publié par « la Documentation catholique », n° 1568, du 2-16 août 1970 : *L'ordre des Chevaliers de Notre-Dame* (*Militia Sanctae Mariae, Confrérie érigée canoniquement en 1964 à Chartres, siège : 58, rue Lépou, 27 - Évreux*)*, a soumis à la S. congrégation du Culte divin les deux questions suivantes :* 1\. Un prêtre peut-il célébrer la messe en latin pour les fidèles qui le demandent, en vertu des « règles pratiques » rappelées par le Saint-Père dans son discours à l'audience générale du 26 novembre 1969, quelles que soient les dispositions générales de la Conférence épiscopale ou de l'Ordinaire du lieu ? 2\. La faculté concédée par le Saint-Père d'uti­liser jusqu'au 28 novembre 1971 l'ancien Ordo dit de saint Pie V, est-elle applicable directement, sans qu'il soit nécessaire de demander la permission à l'ordinaire du lieu ? *Voici la réponse du P. BUGNINI, secrétaire de la S. congrégation du Culte divin, adressée à Dom Marie-Gérard Lafond, OSB, de l'abbaye de Saint-Wandrille, et datée à Rome du 11 juin 1970 :* RÉVÉREND PÈRE, Nous avons examiné vos questions et nous vous répondons de la manière suivante : A la première question : un prêtre, quand il cé­lèbre la messe « cum populo », doit se conformer aux dispositions de la Conférence épiscopale et de l'Ordinaire du lieu. A la deuxième question : la faculté accordée par le Saint-Père d'utiliser l'ancien « Ordo » dit de saint Pie V est applicable sans qu'il soit nécessaire de demander la permission, seulement pour les mes­ses « sine populo », jusqu'au 28 novembre 1971. Veuillez croire, Révérend Père, à mes sentiments respectueux. A. BUGNINI, *secrétaire.* 164:149 Dans la mesure où l'on estimera que ce texte ne concorde pas avec le décret du 26 mars 1970, il faudra chercher les règles de solution du conflit ([^86]). En l'espèce, on notera simplement que la réponse d'A. Bu­gnini est une *réponse de bureau* et qu'on ne peut la mettre sur le même plan que le décret du 26 mars, qui est un *décret officiel,* signé du cardinal Gut et figurant en tête du *Missale Romanum.* C'est évidemment le décret qui prime. Si l'argument ne convainc pas, on en tirera la conclusion qu'actuellement nul ne peut plus rien savoir de ce qui est per­mis, obligatoire ou interdit. La Loi -- la notion de Loi et la Loi elle-même -- étant mise en accusation perpétuelle, elle se dissout en décrets, circulaires, réponses à des questions et fait place progressivement à l'anarchie. Nous en sommes là malheureusement. Tant que l'idée d'une *évolution* perpétuelle de la liturgie continuera de hanter les esprits, il sera vain d'espérer que la Foi puisse être assistée par la Loi. *Lex orandi, lex credendi.* 165:149 ### Un génocide spirituel *Reproduction intégrale de l'article publié par l'Abbé Raymond Dulac* *dans le* « *Courrier de Ro­me *» *numéro 76.* C'est du génocide des vocations que nous voulons parler ; des vocations cléricales et des vocations religieuses, les con­templatives en particulier. Laissons aujourd'hui les cléricales. Nous en parlerons un autre jour, en examinant de près le travail de démolition accom­pli dans les Séminaires et les Universités par notre condisciple du Séminaire français de Rome, le Cardinal Garrone, porté par les hasards du désastreux Concile à la tête de l'important dicas­tère des Études. -- Ce Séminaire français qui comptait 220 élèves de notre temps, et qui n'en aura plus, cette année, qu'une quarantaine ! Au point que les évêques de France songent (de quel droit ?) à *vendre* notre vieille maison, afin de construire quelque part, en Gaule, avec le prix de l'opération, un édifice fonctionnel pour leurs assemblées et leurs permanences. Nous allons porter notre attention, dans ce Courrier, à un autre cas de démolition. Cas particulier, mais qu'il sera facile de généraliser par la révélation qu'il donne d'un *procédé* et d'un *but* répétés ailleurs avec une telle constance qu'on est contraint d'y percevoir un PLAN soigneusement conçu par des conjurés : une POLITIQUE. Ce cas particulier est celui d'un Monastère de Carmélites, que nous avons des raisons personnelles de connaître. Nous nous ferons une obligation, du moins provisoire, de taire le nom du lieu et des personnes. Qu'il nous suffise aujourd'hui de dire que ce Carmel est situé dans la France méridionale, et que ses malheurs ont provoqué l'indignation et le scandale du chef-lieu de département où il menait paisiblement sa vie de prière et de pénitence. ([^87]) #### I. -- Le donjon menacé Ce donjon en péril, c'est la prière, et, d'abord, cette forme sublime de prière qu'est l'oraison contemplative d'âmes con­sacrées, avec ces grâces mystiques qu'il plaît à Dieu de lui donner parfois. 166:149 Elle est, dans l'âme, cette contemplation, la *béatitude* éter­nelle commencée. Elle est la *finalité,* consciente, inconsciente, des sociétés hu­maines politiques : « A bien considérer les choses, tous les emplois des hom­mes apparaissent au service de ceux qui contemplent la vérité. » (S. Thomas : *C. Gentes *: III, 37.) Elle est, enfin, la raison d'être ultime de toute *action,* pro­fane ou religieuse. La source où l'apostolat s'alimente, pour n'être point une agitation sans fruit. Tel fut l'apostolat de Saint Dominique, comme Dante l'a vu dans son *Paradis* (XII) *Poi, con dottrina e con volere insieme* *Con l'ufficio apastolico si mosse,* *Quasi torrente ch'alta vena prema,* ...... *Di lui si fecer poi diversi rivi* *Onde l'orto cattolico s'irriga,* *Si che i suoi arbuscelli stan più vivi.* On n'a jamais autant parlé de « mission » qu'en ces années postconciliaires, au point de lui sacrifier tout le reste, jusqu'à vendre aux enchères des calices et des ostensoirs, comme on l'a vu récemment à Versailles. -- « Au profit des missionnai­res », disait-on. Or, quand est ce que les missions ont été les plus fécondes dans la longue histoire de l'Église ? -- Quand fleurissait eu perfection la vie des moines et des ermites. Votre œcuménisme lui-même ne sortira de l'illusion et du bavardage, que si vous donnez aux Grecs, aux Russes séparés le modèle de cette vie monastique à laquelle ils restent si admira­blement fidèles. L'écho nous vient, de tous côtés, de la stupé­faction désolée des Orientaux, à la vue de *l'ancienne Rome* qui sacrifie, comme disait Paul VI, ses « vêtements vétustes de rei­ne » pour une liturgie de consommation. Le résultat ? -- Il est celui qu'un Prophète a, pour tous les temps, prédit (*Aggée :* I, 6-9) : « Vous avez semé beaucoup, et vous avez moissonné peu. Vous avez mangé, et vous n'avez pas été rassasiés. Vous avez bu, et vous n'avez pas été désaltérés. Celui qui a amassé de l'argent l'a mis dans un sac percé... Et pourquoi ? dit le Seigneur. *Parce que ma Maison est déserte... *» \*\*\* 167:149 Les chiffres ne disent pas tout, mais ils apportent une lu­mière : La *Docum. Cathol*. (n° 1563 : 17 mai 1970, pp. 494 et suiv.) a publié une « enquête nationale sur les Religieuses en France ». En voici les traits les plus caractéristiques : Il existe en France : -- 400 congrégations féminines de vie apostolique, dont les religieuses sont dispersées dans 11 000 maisons ; -- 370 monastères de *contemplatives* dont l'effectif moyen par maison est de 28 religieuses. Quant au taux de croissance, voici l'évolution passée et pré­visible des effectifs depuis 25 ans : 1945 : 117 300 religieuses ; 1950 : 116 100 ; 1955 : 114 200 ; 1960 : 110 500 ; 1965 : 105 900 ; 1969 : 100 500 ; (1975) : 90 900 (hypothèse moyenne) ; (1980) : 83 100 (hypothèse moyenne). « Dans l'effectif des religieuses, les contemplatives comptent pour 9 % : elles sont 10 470 en France, dont 410 novices-postu­lantes. » Au-delà de ces statistiques quantitatives, le directeur de la susdite enquête, A. Luchini, ajoute quelques informations dites « qualitatives » révélées par son ordinateur. Les voici : -- « Conscience éclairée (= chez les religieuses) de la conjoncture tant sociale qu'apostolique. Sens réaliste des *styles de vie qui s'imposent* aujourd'hui. » -- « Renouveau (qui) s'explique par *une grande sensibilité au monde*, auquel les religieuses sont plus *mêlées* qu'il ne pa­raît. » -- « Dans une problématique de *société sécularisée*..., le fondement de la vie religieuse n'est pas remis en question, mais *son style de réalisation*. » Attention à la suite : « La communauté religieuse était (jusqu'ici) conçue comme la *famille patriarcale* traditionnelle... », « autarcique ». Mais voici l'amorce de la GRANDE RÉFORME, sortie de la bouche mécanique de l'Ordinateur : « Par suite du déséquilibre démographique occasionné par la diminution des entrées, d'importants problèmes d'équilibre entre générations ou *âges mentaux* (?!) différents sont à ré­soudre : générations montantes, moyen âge doivent pouvoir conserver, *réformer* ou *créer* des modes de vie... dans un *plura­lisme* consenti, sans rien sacrifier à l'idéal commun. » On ne saurait dire les choses en termes plus galants, mais, aussi, plus vagues, plus obscurs, et plus redoutables d'autant. Toutes les maladies de « l'église post-conciliaire » sont réu­nies dans le tableau que nous venons de rapporter : 168:149 -- La soumission animale aux faits *bruts,* pris comme « si­gnes des temps », sans une volonté, éclairée par la raison et par la foi, de JUGER ces faits par rapport à une FIN supérieure, de leur RÉSISTER s'il le faut, et toujours de les ORIENTER dans le sens de la fin supérieure. Bref : le plus bas des positivismes. -- D'où : respect superstitieux de la sociologie, des statisti­ques et des « plans ». -- L'attachement mondain au « succès », à l'efficience VI­SIBLE, naturelle, et, de là, aux « rajeunissements », aux « ré­formes ». -- Enfin, psychologiquement : l'inhumanité du procédé gé­néral, qui lamine des créatures de chair et de sang sous des compresseurs arithmétiques. Où est, en tout cela, le jeu, la fantaisie, le hasard, le bon plaisir qui a guidé la Sagesse créatrice et le Verbe rédempteur ? Où est le libre Amour et ses incertitudes ? L'Ordre de Dieu n'a jamais été celui des ordinateurs. L'église que nous fabriquerait M. Luchini serait un effroya­ble phalanstère, qui laisserait très loin derrière, les tyrannies babylonienne et maoïste, parce qu'il mettrait ses contraintes sous la bénédiction d'un « Esprit Saint » appelé à la rescousse. Ce n'est pas certes que le sociologue dominicain néglige de mettre des formes de style pour faire passer religieuses et mo­niales sous son laminoir organisateur. Voici ce qu'écrit le même Luchini dans l'un des trois gros volumes de son « enquête » (La *Doc. cathol.,* l.c*.,* n'en donne que de minimes extraits) : « Le nombre des congrégations à effectifs réduits, le vieillis­sement... postulent une étude sérieuse de l'avenir » (...) « Le vieillissement se manifeste parfois avec plus d'acuité dans les monastères de contemplatives. Y remédier apparaît à la fois plus complexe et plus aisé. Plus aisé, car (...) » « Plus complexe : « Parce que chaque monastère jouit d'une certaine autono­mie. « Parce que lorsque le vieillissement d'une communauté entière et restreinte a dépassé le seuil critique (?), cette com­munauté ne dispose plus *du potentiel d'imagination et de déter­mination* pour concevoir et appliquer des décisions *radicales.* « Parce que le monastère est une structure qui appartient au paysage, à la commune, à la région, avec une histoire, un passé de rayonnement spirituel. « Dès lors on risque *l'immobilisme... *» Alors ? -- Le sociologue ne balance pas : 169:149 « Humainement et religieusement, il paraît *évident* qu'au­cune supérieure, a fortiori aucune autorité ecclésiastique, *ne peut* se permettre de temporiser, *quelle que soit la noblesse des motivations spirituelles. *» Car -- retenez bien ceci -- : « Au-delà d'un certain seuil, la DÉMOGRAPHIE devient CONTRAINTE ABSOLUE » : contrainte des chiffres sur les âmes ; de la Matière sur l'Esprit... Ces aimables perspectives sont proposées, t. II, p. 31, de l'Enquête Luchini, aux « Supérieures majeures de France », qui les boivent, paraît-il, comme de l'hydromel. (10, rue Jean-Bart -- Paris : 1969.) D'ailleurs, pour le cas où les communautés ne saisiraient pas la mécanique, le P. Luchini s'offre, nous dit-on, à aller faire des démonstrations à domicile, au prix de trente mille francs par jour pour son dérangement. #### II. -- Euthanasie pour monastères En pensant aux Probabilistes de son temps, Pascal disait : « Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience. » Que dire quand, à la conscience tranquillisée par quelque bon « principe réflexe », s'ajoute l'autorité mathématique d'un ordinateur, et manié par un jacobin ? -- « *Sœur, il faut mourir ! --* Le seuil est dépassé, où la démographie devient contrainte absolue. » La pauvre colombe derrière la grille demande timidement « Je veux bien, mais que dois-je faire ?... » Le jacobin répond comme cette entreprise de Pompes fu­nèbres aux États-Unis : « Mourez seulement ! Nous nous chargeons de tout le reste. » A la page 31 du t. II déjà cité, le P. Luchini écrit, sur l'ag­giornamento des monastères, ces mots suaves : « Des solutions allant du *transfert* à la *fermeture* sont sans doute envisagées ou mises en œuvre dans les cas *extrêmes.* Il paraît *souhaitable* de ne pas retarder inconsidérément des décisions MOINS DOULOUREUSES et plus RATIONNELLES lorsqu'elles sont prévues et préparées PROGRESSIVEMENT. » Sachant ce que nous savons et que beaucoup -- pas assez ! -- savent comme nous, nous déclarons ici : le miel superficiel de ces paroles dissimule hypocritement le plus abominable des poisons. 170:149 Pire que les savantes piqûres et les chambres à gaz destinées à épurer la Race en diminuant le nombre des gitans. Quelle est donc l'asphyxie indolore et rationnelle mise au point dans les laboratoires lyonnais d'*Économie et Humanis­me ?* C'est le « REGROUPEMENT ». On ne le décrit pas franchement, ce regroupement, mais le lecteur en voit apparaître de deux sortes au cours de l' « en­quête » : En premier lieu, un regroupement des religieuses du « troi­sième âge » dans des « anciennats » : aimable néologisme pour désigner quelques caveaux provisoires, où l'on enfermerait, pour l'amour de la sociologie, des moniales souvent parfaite­ment valides, mais qui auraient le tort d'avoir 40 ou 50 ans de profession religieuse dans la même maison. Elles recevraient, un beau jour, de l'Évêque du lieu, un ordre de départ vers quelque résidence inconnue, à l'autre bout de la France, sous un climat et dans un environnement souvent très différents. Le tendre cœur des seigneurs Gouyon (Rennes) et Maury (Reims) qui s'émeut de la TORTURE « ...au Brésil », reste de glace devant le supplice moral imposé ainsi à des vierges consacrées. S'il y a un *apartheid* intolérable, n'est-ce pas celui qui sépare les jeunes des vieux, quand ils ont prononcé, les uns et les au­tres, devant le même tabernacle, des vœux qu'on appelait *per­pétuels ?* ... Suite logique de la « limite d'âge », décidée au Vatican II pour les évêques et les curés ? -- Oui, suite logique, mais qui condamne les quelques centaines de cannibales-à-mitres qui l'ont décidée. Une société qui ne donne pas le plus grand honneur à ses vieillards est une société maudite. Quelle Catherine de Sienne dira à Paul VI qu'on se désin­téresse désormais de ses mercuriales gémissantes sur « la jus­tice et la paix », quand on voit comment il laisse traiter des prêtres et des religieuses, pleins de jours, mais, aussi, d'expé­rience et de cette douceur acquise au fil des ans ? C'est bien la peine ensuite de pérorer sur la « sécurité de l'emploi », la « promotion de la femme », la « dignité de la personne humaine » ! A quoi bon mettre le bonnet des docteurs sur le chef de Thé­rèse d'Avila, si vous imposez de force un bonnet de nuit sur la tête blanchie de la prieure et de la petite sœur tourière ? Et quelle duplicité ! La limite d'âge sert hypocritement à mettre aux Invalides le lucide cardinal Ottaviani, mais on maintient à la tête de la Consistoriale, un cardinal Gonfalonieri, âgé de plus de 77 ans, tête vide, mais homme à tout faire, et qui connaît de grands secrets, n'est-ce pas ? 171:149 Qui, d'ailleurs, déterminera l'âge *véritable*, non pas seule­ment celui des artères ou de la prostate, mais celui de la sen­sibilité et de l'intelligence ? Mgr Marty, né le 16 mai 1904, à Pachins (Aveyron), a donc, suivant la loi conciliaire, encore neuf ans à gouverner le mal­heureux diocèse de Paris. Mais qui ne perçoit, dès qu'il ouvre la bouche, les signes évidents de la sénilité ? Eh bien ! je vous dis : laissez-le, laissez-le néanmoins jus­qu'à sa fin à cette place. N'allez pas créer pour lui, à Brignoles ou Espalion, une *prélature nullius* pour présider à la Pastorale des Marchands de marrons. Ôtez-lui seulement la présidence de l'Assemblée des Évêques de France, et imposez-lui un rédac­teur pour ses discours. L'Athènes des Païens logeait ses vieillards dans son Pryta­née. Le Vatican II les expédie chez les Petites Sœurs des Pauvres. -- « Vous manquez de réalisme », nous susurre le sociolo­gue, qui ajoute ceci, qu'il faudra encadrer (l.c. : p. 30) : « La perspective d'entrer dans une congrégation où l'on sera « la novice », entourée de religieuses d'âge plus ou moins avan­cé, ne peut guère sourire aux JEUNES désireuses de SE CONSA­CRER à Dieu dans la vie religieuse. Il y a suffisamment... d'obsta­cles à la réalisation de cet idéal, *pour ne pas en ajouter* *d'au­tres* qui peuvent être *facilement levés. *» Est-ce assez beau ! Le « réalisme » de M. Luchini ne doit pas s'arrêter à mi-chemin sur cette allègre course à sauts d'*obstacles.* Après avoir « regroupé » les jeunesses, il faudra leur permettre la télévision, le bâton de rouge, et, pourquoi pas, un petit chien dans la cellule : « Il y a suffisamment d'obstacles à la réalisation de l'idéal religieux, pour ne pas... etc. » Moi je vous dis : une jeune fille qui songe à vouer au Dieu invisible sa virginité et qui calcule l'âge de ses sœurs du Mo­nastère n'est pas digne d'être reçue par ce Dieu pour son épouse. Il faut renvoyer la donzelle aux sociologues : elle est tout juste bonne pour astiquer l'ordinateur d'*Économie et Hu*­manisme. Malheur à ceux qui ne voient pas que ces « prospectives » mènent tout droit à la MORT de la VIE RELIGIEUSE ! On vous dira que ces inévitables mutations ne touchent pas l'essence de celle-ci, mais uniquement le « style de vie ». -- On MENT ! C'est à la CONSÉCRATION de l'âme qu'on en veut ! On *désacralise* la vie monastique, puis toute vie vouée, comme on a fait pour les au­tels, comme on a fait pour les calices. Comme on a fait pour les séminaires. Comme on veut le faire pour les prêtres déjà or­donnés. 172:149 L'abîme appelle l'abîme : Au regroupement « par âge » suc­cède déjà le regroupement par « affinité de but » ; d'un but progressivement *laïcisé*. « On peut se demander si des regroupements *dans des structures appropriées*, entre congrégations de même type, ne s'imposera pas de plus en plus. On y disposerait de *formatrices plus spécialisées* -- cela s'expérimente ici ou là... » (l.c*.* : p. 30.) ... Nous voyons d'ici ces structures « appropriées », ces formatrices « plus spécialisées » ! Instruments merveilleux de recyclages et lavages de cerveau pour la fabrication des reli­gieux et religieuses de l'ÈRE POST-CHRÉTIENNE, annoncée par le Supérieur Général des Frères des Écoles chrétienne (C. de R. : n° 72-73 : pp. 7-8). Rappelons-nous sa formule : « Élaguer du message évangélique tout ce qui est MYTHE. Rien d'ESSENTIEL n'est sacrifié : tout simplement, on a acquis de nouvelles façons d'ENVISAGER les CHOSES. » ... Comme pour la divinité de Jésus-Christ, pour sa naissance virginale, sa résurrection, sa présence réelle sous les espèces eucharistiques : on garde les MOTS et on leur donne un autre SENS. C'est cela votre changement de « STYLE », c'est cela la DÉMY­THIFICATION. Celle de l'idéal religieux ne va pas sans un véritable GÉNOCIDE. Nous allons le voir sur un exemple éclatant. #### III. -- La douloureuse passion du Carmel de Z... Le Carmel de Z... a un peu plus d'un siècle d'existence. Il comptait en 1969 dix-sept moniales, d'âges variés, mais vivant dans l'harmonie de la charité. La prieure en exercice arrivait au terme de sa charge triennale. Il fallait procéder à des élec­tions. Celles-ci s'annonçaient aussi paisibles que les précédentes. Seulement, voilà : le Monastère passait pour n'avoir pas « l'esprit du Vatican II »... Qu'est-ce que Vatican II, et qu'est-ce que son « esprit » ? Si vous le demandez au cardinal SUENENS, vous n'aurez pas la même réponse que celle du cardinal Wyszynski, et celle même du premier a fait du progrès depuis l'ouverture du Conci­le. C'est ce qu'on appelle la *dynamique* de Vatican II. 173:149 On ne peut pas demander à des contemplatives d'être aussi dynamiques qu'un aspirant à la tiare, fils d'un marchand de beurre. Celles de Z... continuaient à chanter la messe et l'office en latin. Elles ne communiaient pas dans la main. Les tourières ne servaient pas la messe à l'autel. La prieure ne gyrovaguait point dans les sessions et carrefours. Le monas­tère restait fidèle à la grille, etc. Selon une Loi des Suspects plus féroce que celle de septem­bre 1793, ce Carmel, c'est évident, était condamné à mort. Mais, comme dit le P. Luchini, avant d'en arriver à cette extrémité, il convenait de tenter une « décision moins douloureuse et plus rationnelle ». -- Laquelle ? -- Empêcher les élections et... im­porter une prieure étrangère à ce Carmel, une prieure dûment recyclée, qui apporterait sans douleur les chers rajeunissements. Le monastère, quasi unanime, refusa. Ce fut son arrêt de mort, signé par le Provincial, l'Évêque du lieu et... la Prieure « fédérale », car le Carmel de Z... avait eu la simplicité d'adhé­rer à ces « fédérations » de maisons religieuses, imprudem­ment fondées sous Pie XII, et qui sont devenues un instrument merveilleusement efficace au service de la démolition des Com­munautés : l'autorité « fédérale » coiffant l'autorité locale sou­vent trop « patriarcale », « autarcique », bref : autonome et indépendante, conformément à une tradition millénaire et bien­faisante. A partir du printemps 1969, le Provincial, l'Évêque, la Fédé­rale firent savoir aux moniales de Z... qu'on allait les REGROU­PER : « Rome l'avait décidé », afin de « porter secours » à d'au­tres carmels. -- Comment ne pas croire sur parole ces trois autorités et comment ne point obéir à « Rome » ? -- J'oubliais de vous dire qu'on faisait intervenir aussi « l'Esprit Saint » dans la décision : on s'était, en effet, assuré de son concours. Cependant, le bruit de la fermeture du cher Carmel avait soulevé une énorme émotion dans la ville. Comme dit encore l'enquête, déjà citée, du P. Luchini, « ...le monastère est une structure qui appartient au *paysage*, avec une histoire, un passé de rayonnement spirituel... » Il y eut une pétition du « Peuple de Dieu » à l'Évêque : plusieurs *milliers* de signatures. Les « silencieux » se manifes­taient, mais qui ne sait, sauf Z..., que les laïcs admis à « par­ticiper » au gouvernement des diocèses sont de braves cha­pons qui n'ont l'autorisation de faire cocorico qu'au signal de la baguette des seigneurs Etchegaray et Matagrin ? Timidement les carmélites demandaient et redemandaient à l'Évêque de leur montrer au moins l'écrit de Rome les con­damnant à mort. L'Évêque atermoyait : « J'attends le Pro­vincial, actuellement au Canada... » 174:149 Et -- ceci est capital : on ancrait insensiblement les mal­heureuses dans l'idée que la décision était *irréversible.* Peu à peu, une, deux, trois... se résignaient et partaient pour des résidences variées qu'on leur assignait. Le Monastère se vidait progressivement. Cette hémorragie « sans douleur » CRÉAIT le FAIT ACCOMPLI, et tendait à rendre ainsi sans raison d'être un recours à Rome ce recours semblait, en effet, ne pouvoir se justifier que si le Monastère gardait un nombre suffisant de moniales. On s'appliquait avec un zèle particulier à faire partir les Sœurs « tourières », celles, comme on le sait, qui vivent hors clôture, communiquent avec le monde extérieur, et sont ainsi comme les poumons du monastère. Le Provincial écrivait à la Prieure : « Sœur E. est très at­tachée à son Carmel, mais il vaut mieux qu'elle parte : le climat du Midi ne lui a *jamais réussi *»*.* Il y avait 34 ans que ce climat ne réussissait pas à sœur E... Quand, enfin, il parut à l'Évêque que le tour était joué, il se décida à communiquer au Monastère le rescrit de la Congré­gation des Religieux autorisant la suppression. Il remit une copie avec, en tête, DE SA MAIN, la mention « CONFIDENTIELLE ». Pourquoi « confidentielle » ? Un arrêt de mort, décidé par le Prince, peut être injuste. Il ne doit jamais être SECRET. Il n'y a de secret que les ASSASSINATS. Mais, ici encore, retenues par ce secret, les moniales seraient empêchées de demander le conseil qui aurait pu les guider *à temps* pour former un re­cours à Rome ! Ce n'est pas tout ! Le Rescrit de la Congrégation des Reli­gieux était rédigé en latin. De peur que les victimes n'aillent découvrir dans le texte original quelque réserve salvatrice, Mgr Y. se chargea de faire lui-même la traduction qu'il remit aux carmélites. --... Une traduction selon la recette consacrée avec tant de succès pour faire passer la messe polyvalente de Paul VI. Ceci vaut que nous y regardions de près... #### IV. -- Les versions latines d'un évêque post-conciliaire 1\. Voici le texte latin du Rescrit romain : « Vigore facultatum a S. Pontifice tributarum, S.C. pro Relig..., attentis expositis, Exc. Ordinario X*. benigne committit* ut petitam suppressionem pro suo *arbitrio* et conscientia ad effectum deducat, *servatis de jure servandis,* praesertim quod attinet ad obligationes provenientibus (sic !) ex piis legatis, si quae sint, atque ad *jura aliis quaesita* quae, prout res postulet, integra servanda sunt. « *Contrariis quibuslibet non obstantibus. *» 175:149 Nous avons souligné les mots caractéristiques : ceux que la traduction de Mgr Y. va trahir comme ne le ferait pas un élève de cinquième. 2\. Mais avant de rapporter la version épiscopale, donnons la traduction exacte : « En vertu des pouvoirs conférés par le S. Pontife, la S.C. pour les Religieux..., attendu (les faits) exposés, *commet volon­tiers* (ou : *veut bien* commettre ; ou : *consent à...*) l'Exc. Ordi­naire de X pour qu'il effectue la suppression demandée (il s'agit de la suppression du Carmel), selon son *jugement* et sa conscience, *étant observé ce qui doit être d'après le droit ob­servé,* principalement pour ce qui touche les obligations pro­venant de legs pieux, s'il y en a, et les *droits acquis par d'autres* (= des tiers), lesquels, autant que *la matière* l'exige, doivent être intégralement sauvegardés. « Ce, nonobstant toutes choses contraires. » 3\. Et voici la traduction de Mgr : « En vertu des pouvoirs qui nous ont été conférés par le S. Pontife, la S.C. pour les Religieux..., après examen des mo­tifs, ACCORDE SANS RÉTICENCE à S.E. l'Ordinaire de X, d'effectuer la suppression implorée, suivant Son LIBRE JUGEMENT et sa conscience, POUR QUE SOIENT SAUVEGARDÉES LES DISPOSITIONS DU DROIT, en particulier en ce qui concerne les obligations pro­venant de legs pieux, s'il y en a, et TOUS AUTRES DROITS dont l'intégrité doit être sauvegardée DANS LA MESURE où les CIRCONS­TANCES l'exigent. « SANS TENIR COMPTE de tout ce qui pourrait être opposé. » 4\. Nous avons écrit en capitales les gros contresens. Ils sont énormes. Sont-ils l'effet de la seule ignorance ? Le fait est qu'ils vont tous dans *la même direction :* étendre au maximum les pouvoirs de l'évêque et servir son parti pris. Il faudrait commenter un par un ces contresens. Nous n'en relèverons que trois : -- « Benigne committit. » : *Committere,* dans le style de la Curie, ne signifie pas « accorder » mais : « commettre » : le mot désigne non pas un pouvoir de *décision* mais d'*exécution.* Cette « exécution » est d'ailleurs soumise à des conditions es­sentielles, résumées *déjà* dans la seule incise : « *servatis de jure servandis *»*.* 176:149 Cette incise, exprimée par l' « ablatif absolu » de la gram­maire latine, doit être évidemment traduite par une phrase à sens *restrictif : pourvu que..., à condition que... sous réserve que... --* L'évêque lui donne le sens d'une proposition finale ! Comme si la suppression du Carmel, *comme telle,* était le but inscrit dans la commission du St Siège !! -- Contresens qui encourageait Mgr Y. à traduire « *beni­gne *» par l'extraordinaire : « sans réticence », complété, à la fin, par le : « Sans tenir compte de... » ; alors que cet adverbe veut simplement signifier que le Saint-Siège accorde à l'évêque un pouvoir qui ne lui appartient pas de droit et qu'il pourrait lui refuser, même sans motif. 5\. A ces remarques de grammaire élémentaire, nous en ajouterons trois autres d'ordre moral et juridique : *Primo :* Que penser de la « bénignité » d'une Curie qui ac­corde l'énorme pouvoir de raser un couvent à un commis qui n'est même pas capable de lire correctement les termes de sa commission ? *Secundo :* La même Curie confère ce pouvoir au vu d'un « exposé » des « faits » présenté par le *seul* évêque, sans en avoir contrôlé le bien-fondé, et, d'abord, sans l'avoir soumis à la contestation éventuelle des intéressées, qui sont ainsi con­damnées, comme firent les Terroristes pour Louis XVI, à « ...la mort *sans phrase *»*.* Comment interdire ensuite aux marxistes de parler de l' « aliénation » des catholiques ? *Tertio :* Que dire du procédé de l'évêque qui : a\) Exécute *en fait* la suppression du Carmel AVANT même d'en avoir reçu le pouvoir ? b\) Refuse de communiquer aux intéressés ce pouvoir, une fois qu'il l'a reçu, et ne le communique qu'avec l'ordre de le tenir secret ? 6\. Nous omettons volontairement plusieurs autres délits vio­lents qui ont accompagné cet abominable forfait. Et, d'abord, le dol joint à la contrainte. Une contrainte qui s'est exercée soit par une influence insinuante soit par la *menace :* l'une et l'autre singulièrement efficaces sur l'âme de femmes cloîtrées et ha­bituées à prendre la voix des Supérieurs pour la voix de Dieu. 7\. Mais il y a autre chose que nous avons le devoir de dire, en finissant. De dire et de crier sur les toits. 177:149 #### V. -- Il y a promoteur et promoteur L'organisation des curies diocésaines prévoit, depuis des siècles, un dignitaire appelé « Promoteur de la Justice » : il est (sous l'autorité de l'Évêque) le « tuteur de la Loi », chargé de veiller à l'ordre public et de poursuivre parfois d'office les délits. Comment ce titre, d'usage purement ecclésiastique, est-il passé à un personnage de création toute récente, que l' « ur­banisation » moderne a rendu singulièrement célèbre : le PRO­MOTEUR... IMMOBILIER ? Celui-ci n'est le tuteur d'aucune loi, sinon celle de Mam­mon : ce qui lui permet de latiniser son nom de famille et, éventuellement, d'épouser une princesse de sang royal. Nous avons des raisons précises de supposer que ces Pro­moteurs, en prospectant, sur tout le territoire français, les châ­teaux et terrains à vendre, avant de les transformer en immeu­bles (de luxe, le plus souvent), ont découvert un extraordinaire filon aurifère : les *séminaires* (« insuffisamment occupés », hélas !) et... les *couvents.* Ils auraient, dans de nombreux évêchés, des informateurs-rabatteurs qui leur dessineraient des cartes géographiques pour leurs chasses à courre. *Le Monde* du 19 août 1970 en a publié une, avec un article d'un certain Robert Solé, intitulé : « A la tête d'un vaste domaine immobilier, l'Église voudrait mettre de *l'ordre* dans ses propriétés ». -- De l'ordre ! Une carte portant les principales propriétés religieuses du VI^e^ arrondissement de Paris accompagne l'article. Nos lecteurs nous auront compris... et il n'est pas besoin qu'à la carte de M. Solé nous ajoutions un dessin. Après la dissipation des « biens nationaux », au lendemain de la Révolution française, il y eut ce qu'on appela la BANDE NOIRE : troupe de vautours et de requins qui s'enrichit des dépouilles de la Noblesse et du Clergé. L'Église ayant fait *elle-même* sa « révolution d'Octobre », selon le mot célèbre de Congar, il faut s'attendre à voir réappa­raître la BANDE NOIRE, avec -- pourquoi pas ? -- des auxiliaires commandeurs de Saint Grégoire, qui communient d'une main et, de l'autre, empochent le fric. Les « regroupements » sociologiques du jacobin Luchini donneraient un incomparable prétexte à cette SPOLIATION du patrimoine, matériel, spirituel de l'Église de France. 178:149 Que les chrétiens et que tout Français bien né du royaume de saint Louis découvrent, dénoncent et combattent cette braderie ! Le *Courrier de Rome* sonne aujourd'hui le tocsin. Que notre cri d'alarme soit *au plus tôt* et *partout* répercuté ! Et que l'étranger-de-passage soit, par tous les moyens, em­pêché d'installer une piscine là où des carmélites chantaient, depuis un siècle, les psaumes du roi David. 179:149 ### AVIS PRATIQUES #### Deux parutions importantes Deux ouvrages auront très probablement déjà paru au mo­ment où vous lirez ces lignes : **1.** *Explication des Commandements* par saint Thomas d'Aquin : la troisième des connaissances nécessaires au salut. Les deux premières (Explication du Credo, Explication du Pater) ont déjà paru : la série des trois connaissances né­cessaires au salut est maintenant complète. Ce sont des sermons de saint Thomas au peuple chrétien : ils conviennent très bien à l'instruction religieuse du simple fidèle. Ce troisième volume contient l'explication des dix comman­dements de la loi et celle des deux préceptes de la charité. Il comporte, comme les deux volumes précédents, le texte latin et la traduction française en regard. **2.** *La nouvelle messe :* le livre attendu de Louis Salleron. La revue ITINÉRAIRES le présentera dans son prochain numéro. Pour vous renseigner sur la parution de ces deux ouvrages téléphonez aux NOUVELLES ÉDITIONS LATINES (ODE. 77.42). #### Le programme du pèlerinage à Rome Jusqu'à Noël, ainsi que nous l'avons indiqué dans nos pré­cédents numéros, étaient reçues les suggestions concernant le programme du pèlerinage à Rome de la Pentecôte 1971. 180:149 Le programme provisoire que nous avons précédemment publié ne sera que très légèrement modifié. Dans nos prochains numéros nous donnerons le programme définitif. *Inscription des enfants\ avant le 15 février* Les enfants logés à Rome dans des monastères et institu­tions religieuses y suivront la retraite du 29 mai et y seront matériellement et spirituellement pris en charge jusqu'au soir du 31 mai, sauf pour le repas du jour de la Pentecôte qui sera pris avec les parents. Mais pour cela les enfants doivent être inscrits *avant le 15 février* au plus tard. Après cette date, les enfants amenés par leurs parents pour­ront encore participer aux exercices du pèlerinage des enfants, mais ils ne pourront plus être hébergés dans des institutions religieuses ni participer à la retraite du 29 mai. *Inscription des enfants :* auprès de Mme Élisabeth Gerstner, Centre catholique européen, 506 -- Bensberg-Immekeppel, Alle­magne occidentale. Pour la France, on peut s'inscrire auprès du secrétariat de M. l'abbé Louis Coache, à Montjavoult (Oise). *Remarque. --* A notre avis, la meilleure solution est que les enfants *demeurent avec leurs parents* avant et après les grou­pements nécessaires de préparation, cérémonies et processions. Mais cela ne sera possible que pour les parents qui se logeront à Rome par leurs propres moyens. Ceux qui seront hébergés collectivement ne pourront pas, dans la plupart des cas, garder leurs enfants avec eux. Il y a d'autre part le problème de la garde des enfants à certains moments (par exemple pendant la nuit de prière des adultes sur la place Saint-Pierre). Bien entendu, le choix de chaque solution pratique appartient aux parents. *Programme des chants* Les chants à faire dès maintenant répéter aux enfants qui prendront part au pèlerinage sont les suivants : 181:149 -- *Adeste fideles* (toutes les strophes). -- *Jesu dulcis memoria.* *-- Litanies de la T. S. Vierge* en latin (Manuel de chant, Desclée 1957, p. 70). -- *Lauda Jerusalem* (mélodie comme dans le manuel cité p. 16). -- *Magnificat* (mélodie comme à Lourdes). -- *Christus vincit.* *-- Salve Mater misericordiæ* (manuel cité p. 74). -- *Laudate pueri Dominum.* *-- Credo III.* *-- O sanctissima* (manuel p. 88). -- *Adoro te.* *-- Veni Sancte Spiritus.* *-- Benedictus qui venit* (mélodie de Lourdes). *La brochure* Pour faire connaître l'existence du pèlerinage à Rome, pour expliquer sa nature et ses raisons, diffusez notre brochure *Rendez-vous à Rome pour la Pentecôte* (l'exemplaire : 0,50 F franco). *Le tract* Notre tract de quatre pages : *Rendez-nous l'Écriture, le Catéchisme et la Messe* (texte publié en tête de notre numéro 148) est en vente *par mille et multiples de mille* (36 F franco le mille). Il comporte un bulletin d'abonnement à la revue ITINÉ­RAIRES et il peut être distribué dans toutes les occasions et dans toutes les assemblées. *Une conférence\ de l'amiral Auphan* Le mercredi 27 janvier à 20 h. 45, au Club du Livre civique (49, rue Des Renaudes), conférence de l'amiral Auphan : *Réponse à des questions sur le gouvernement de Vichy.* 182:149 *Un numéro spécial\ de "L'Ordre français"* L'excellente revue mensuelle *L'Ordre français* publie un important numéro spécial d'hommage à Salazar. On peut se procurer ce numéro en écrivant à L'Ordre français, boîte postale 11 à Versailles (78). *L' "arsenal"* Dans notre numéro 146, page 223 et suivantes : les livres et bro­chures que nous mettons à votre disposition : -- pour les connaissances religieuses de base ; -- pour la messe catholique ; -- pour le combat spirituel de notre temps. *Délai de livraison :\ un mois* Désormais, pour toutes les commandes adressées à la revue, nous demandons à nos lecteurs de prévoir un délai de livraison d'un mois. Dans beaucoup de cas, il se trouvera en fait qu'ils recevront leurs commandes plus rapidement. Mais le délai de livraison d'un mois signifie que : 1\. -- en aucun cas nous ne pouvons garantir une livraison plus rapide ; 2\. -- si nos lecteurs ont besoin de tracts et de brochures pour une circonstance déterminée, il leur faut prévoir de nous en adresser la commande plus d'un mois à l'avance ; 3\. -- les réclamations pour commandes non livrées ne seront pas prises en considération quand elles seront faites avant l'expiration de ce délai d'un mois. 183:149 *Les manuscrits non insérés\ ne sont pas rendus* Il arrive que des lecteurs nous adressent des manuscrits, puis nous demandent quelque temps après de les leur renvoyer. Nous ne sommes par une maison d'édition mais une revue men­suelle. Il est normal, habituel, conforme à la déontologie qu'une maison d'édition retourne à l'envoyeur les manuscrits des ouvrages qui lui sont proposés. Mais il est normal, habituel, conforme à la déontologie en vigueur, qu'une publication périodique ne retourne pas les manuscrits, qu'ils soient insérés ou non. Nos lecteurs sont donc prévenus que les manuscrits non insérés ne sont pas rendus, pas plus que la documentation qui nous est communiquée. *Le délai de 15 jours\ pour les abonnements* Les abonnements nouveaux entrent en vigueur 15 jours après leur réception effective : ils ne peuvent en aucun cas porter sur les numéros parus avant ou pendant ce délai. En conséquence, les abonnements nouveaux qui nous parviendront avant le 15 janvier entreront en vigueur avec l'envoi de notre numéro 150 qui paraîtra le 1^er^ février. Les abonnements nouveaux qui nous parviendront après le 15 janvier entreront en vigueur seulement avec l'envoi du numéro 151 qui paraîtra le 1^er^ mars. *Changements d'adresse* Les demandes de changement d'adresse doivent nous parvenir plus d'un mois à l'avance. Pour toute demande de changement d'adresse : joindre une bande d'envoi de la revue ou à défaut le numéro figurant sur cette bande avant l'adresse. Pour les abonnés de France : joindre trois timbres à 0,40 F. 184:149 Pour les abonnés *de* l'étranger ; les changements d'adresse sont gratuits. La distinction -- pour les tarifs d'abonnement et pour les chan­gements d'adresse -- entre abonnés *de France* et abonnés *de l'étran­*ger n'est pas une mesure de « discrimination » nationale mais une distinction postale. Elle s'établit donc d'après le critère postal suivant : -- sont considérés comme abonnés « de France » ceux qui, au lieu où ils *reçoivent* la *revue,* affranchissent leurs lettres avec un timbre français à 0,40 F. ; -- sont considérés comme abonnés « de l'étranger » tous les autres cas. #### Le dernier vendredi du mois, nos morts, le calendrier liturgique Le dernier vendredi de chaque mois, les rédacteurs, les lecteurs, les amis de la revue ITINÉRAIRES Vont à la messe là où ils peuvent trouver une messe catholique, priant les uns pour les autres et aux intentions de l'œuvre de réforme intellectuelle et morale entre­prise par la revue ; et faisant mémoire de nos morts : Henri POURRAT, Joseph HOURS, Georges DUMOULIN, Antoine LESTRA, Charles DE KONINCK, Henri BARBÉ, Dom G. AUBOURG, l'abbé V.-A. BERTO, Henri MASSIS et Dominique MORIN. Le dernier vendredi tombe ce mois-ci le 29 janvier, en la fête de saint François de Sales. \*\*\* Le culte des saints est présentement offensé, bafoué, en beaucoup d'endroits pratiquement supprimé par l'impiété des évêques réformés et du clergé recyclé. Il faut bien sûr réagir contre cette tyrannique impiété par l'ar­gumentation et par la protestation. Mais il est encore plus nécessaire que le culte des saints demeure véritablement vivant dans notre vie de chaque jour. 185:149 L'Antiquité païenne -- païenne mais formée aux vertus naturelles de piété et de religion -- disait déjà : *Pour le sage, tous les jours sont des jours de fête.* A cette piété naturelle, à cette vertu naturelle de religion, la reli­gion chrétienne ajoute le saint sacrifice de la messe de chaque jour par quoi il devient infiniment plus vrai que tous les jours sont des jours de fête pour l'homme pieux. Il n'est pas donné à tout le monde, dans l'organisation de la vie moderne, et dans l'organisation moderne de l'apostasie, d'avoir chaque jour à sa disposition une messe catholique, et la possibilité matérielle d'y assister. Mais il est toujours à la portée de tout le monde de lire et méditer chaque jour la messe du jour. \*\*\* Les indications que nous donnons ci-après sur les fêtes du mois de janvier ne sont pas complètes : elles insistent davantage sur ce qui risque le plus d'être estompé par l'impiété actuelle. -- 1^er^ janvier : *Circoncision de Notre-Seigneur*. La messe du jour célèbre l'octave de Noël. C'est pourquoi les chants de l'introït, du graduel, de l'offertoire et de la communion sont ceux de la messe du jour de Noël ; et l'épître est celle de la messe de minuit. -- Cette messe célèbre aussi la circoncision de Jésus : les enfants juifs étaient circoncis le huitième jour après leur naissance. -- C'est aussi une fête de la Sainte Vierge, peut-être la plus ancienne ; elle glorifie la maternité virginale de Marie en même temps que le mystère de l'Incar­nation. C'est pourquoi l'oraison, la secrète et la postcommunion sont tirées de la messe votive de la Sainte Vierge. -- 3 janvier : *Très saint nom de Jésus*. -- Mémoire de *sainte Geneviève*, vierge, patronne de Paris. -- 6 janvier : *Épiphanie de Notre-Seigneur*. -- 10 janvier : *la Sainte Famille*. Fête instituée par Léon XIII et étendue à l'Église universelle par Benoît XV en 1921. -- 14 janvier : *saint Hilaire*, évêque et docteur de l'Église. Né à Poitiers, en 315, d'une famille encore païenne ; profes­seur de lettres, père de famille, il se convertit et devint évêque de sa ville natale vers 350, au moment où l'hérésie arienne triomphait. Défenseur de la foi, Hilaire stigmatisa publiquement l'empereur Constance qui avait pris parti pour l'arianisme : il fut pendant quatre ans (356-360) exilé en Phrygie (Turquie), d'où ses lettres fortifiaient l'esprit de résistance des évêques gaulois. Rentré en Gaule, il présida plusieurs conciles contre l'arianisme et il institua la vie monastique qu'il avait connue en Orient. Il a été proclamé docteur de l'Église par Pie IX en 1852. 186:149 -- 15 janvier : *saint Paul*, premier ermite (III^e^ siècle). -- Bienheureux Pierre de Castelnau, prêtre et martyr : archi­diacre de Maguelonne (Hérault), moine cistercien à Fontfroide, légat du pape en Languedoc pour la répression de l'hérésie albigeoise, assassiné en 1208 à Saint-Gilles par un écuyer du comte Raymond VI de Toulouse. -- 16 janvier : *saint Marcel*, pape martyr (IV^e^ siècle). -- 17 janvier : 2^e^ dimanche après l'Épiphanie. -- Mémoire de *saint Antoine*, abbé. -- *Apparition de la Sainte Vierge à Pontmain* en 1871 : « Mais priez, mes enfants, Dieu vous exau­cera en peu de temps, mon Fils se laisse toucher. » On fête cette année le premier centenaire de l'apparition. -- *Saint Sul­pice le Pieux*, évêque de Bourges (mort en 647). -- 18 janvier : *chaire de saint Pierre à Rome.* -- 19 janvier : *sainte Gudule*, vierge, patronne de Bruxelles (morte vers 712). -- 20 janvier : *saint Fabien*, pape martyr (en 250) et saint Sébastien, martyr (en 288). -- 21 janvier : *sainte Agnès*, vierge, martyre à l'âge de treize ans (vers 304). Dénoncée et arrêtée comme chrétienne, préférant la mort à la perte de sa virginité, condamnée à avoir la tête tranchée, elle encourage son bourreau qui hésite : « Frappe sans crainte, car la fiancée fait injure à l'Époux si elle le fait attendre. » -- *Bienheureux Jean-Baptiste Turpin du Cormier,* curé de la Trinité à Laval (Mayenne), décapité par les révolutionnaires en 1794 avec treize autres prêtres. -- 22 janvier : *saint Patrocle*, martyr vers 259. Son culte est attesté à Troyes dès le VII^e^ siècle. -- 24 janvier : 3^e^ dimanche après l'Épiphanie. -- 25 janvier : *conversion de saint Paul.* -- 26 janvier : *sainte Bathilde*, reine et moniale : épouse de Clovis II, régente pour son fils Clotaire III, bienfaitrice des pauvres et des églises, morte en 680 au monastère de Chelles (Seine-et-Marne) où elle avait été reléguée. -- 27 janvier : *saint Jean Chrysostome*, évêque et docteur de l'Église (344-407). 187:149 -- 28 janvier : *sainte Agnès* pour la seconde fois : huit jours après son martyre, environnée d'un groupe de vierges res­plendissantes de lumière, elle apparut à ses parents venus prier sur son sépulcre. Cette commémoraison remonte au moins au V^e^ siècle. -- *Saint Pierre Nolasque*, prêtre : fondateur en 1218 de l'Ordre de Notre-Dame de la Merci pour le rachat des chré­tiens captifs des pirates musulmans : les religieux de cet Ordre s'obligeaient par vœu spécial à se constituer prisonnier, le cas échéant, pour obtenir la libération des captifs. Dès les pre­mières années, saint Pierre Nolasque racheta personnellement plus de 400 esclaves dans les provinces espagnoles encore occupées par les Sarrazins. Il mourut le 25 décembre 1258. -- 29 janvier : dernier vendredi du mois. -- *Saint François de Sales*, évêque et docteur de l'Église. -- 30 janvier : *sainte Martine*, vierge, martyre vers 228. Son culte était très répandu à Rome au VII^e^ siècle, où l'antique basilique de sainte Martine fut érigée sur le forum. En 1634, le pape Urbain VIII restaura la basilique et institua la fête. -- 31 janvier : 4^e^ dimanche après l'Épiphanie. -- Mémoire de *saint Jean Bosco*, prêtre. \*\*\* La revue ITINÉRAIRES paraît chaque mois avant le premier du mois : mais ici ou là elle arrive beaucoup plus tard en raison de la lenteur et de l'irrégularité de l'acheminement postal par les services d'État. (L'acheminement « rapide », consenti par les P.T.T. aux quo­tidiens et aux hebdomadaires, est refusé aux mensuels.) On nous a fait remarquer que, dans ces conditions, il serait souvent utile à nos lecteurs de donner ici non seulement le calendrier liturgique du mois, mais encore celui du mois suivant. Voilà donc à l'avance le calendrier de février. -- 1^er^ février : *saint Ignace*, évêque et martyr : second ou troisième successeur de saint Pierre à Antioche, condamné à être livré aux bêtes pendant la persécution de Trajan, martyrisé à Rome vers 107. -- 2 février : *Purification de la Sainte Vierge* et présentation de Jésus au Temple (4^e^ mystère joyeux du Rosaire). -- 3 février : *Saint Blaise*, évêque et martyr : évêque de Sébaste en Arménie (aujourd'hui Sivas en Turquie), décapité vers 316. Il est l'un des quatorze saints auxiliaires particulièrement renommés pour l'efficacité de leur invocation. L'Église reconnaît à saint Blaise « la prérogative de guérir toutes les affections de la gorge » (car il avait de son vivant miraculeusement sauvé la vie d'un enfant qui se mou­rait d'une arête prise dans son gosier) ; on donne à cet effet « la bénédiction de saint Blaise », avec deux cierges bénits. 188:149 On reconnaît saint Blaise à ce qu'il est représenté avec deux cierges croisés. -- Saint Anschaire, évêque : né vers 801 près de Corbie dans la Somme, moine à Corbie, missionnaire au Danemark et en Suède, évêque de Hambourg puis de Brême ; ce saint français est l'apôtre des pays scandinaves. -- 4 février : *saint André Corsini*, évêque (mort en 1373), -- *Sainte Jeanne de France*, reine : fille de Louis XI, épouse répudiée de Louis XII, elle se retira à Bourges, où elle fut pour le Berry « la bonne duchesse » ; elle y fonda l'Ordre des Annonciades en 1500 et y mourut en 1505. -- *Sainte Jeanne de Lestonnac*, veuve : nièce de Montaigne, elle éleva ses cinq enfants avant de fonder, dans son veuvage, les Filles de Notre-Dame pour l'éducation des jeunes filles ; elle mourut à Bordeaux en 1640. -- 5 février : *sainte Agathe*, vierge et martyre (III^e^ siècle). -- *Saint Avit*, évêque de Vienne (dans l'Isère), mort en 525. -- 6 février : *saint Tite*, évêque et confesseur : le disciple et compagnon de saint Paul, apôtre de la Crète. -- *Saint Vaast*, évêque d'Arras : un des apôtres des Francs ; participa à la conversion de Clovis ; mort vers 540. -- *Saint Amand*, évêque de Maestricht : mis­sionnaire itinérant dans le nord de la Gaule ; apôtre des Flandres ; mort vers 676. -- 7 février : dimanche de la Septuagésime. Ouverture du TEMPS DE LA SEPTUAGÉSIME, avec lequel commence le cycle qui a pour centre la solennité des solennités : la fête de Pâques. Trois étapes succes­sives vont nous amener progressivement au pied de la Croix : le temps de la Septuagésime, le temps du Carême, le temps de la Passion. « Septuagésime » veut dire soixante-dixième : désignant une période (approximative) de 70 jours avant Pâques, jours qui nous font revivre les 70 ans de la captivité de Babylone (dans le symbolisme biblique et liturgique, Babylone est la cité de la terre par opposition à Jérusalem, la cité de Dieu : c'est le temps de l'épreuve). Le temps de la Septuagésime nous introduit dans les profondeurs ténébreuses de la d'échéance humaine et nous fait médi­ter sur notre condition terrestre, pécheresse et souffrante. L'affirma­tion du dogme du péché originel et le tableau de ses lamentables suites font ressortir en Jésus son titre glorieux de Sauveur. Le temps de la Septuagésime commence toujours la neuvième semaine avant Pâques et compte trois dimanches : Septuagésime, Sexagésime, Quinquagésine ; il se termine au mercredi des Cendres. Ce temps est un prélude au temps du Carême ; le jeune n'y est pas encore de rigueur, mais la couleur des ornements est déjà celle des temps de pénitence : le violet ; à la messe, an ne chante plus ni le cantique dos Anges : le Gloria, ni le cantique des rachetés : l'Alleluia. Par quoi il nous est indiqué que ce temps est une exten­sion du Carême. Cette extension s'est faite progressivement. La Quinquagésime apparaît vers 520 ; la Sexagésime vers 550 ; la Sep­tuagésime remonte à la seconde moitié du VI^e^ siècle. 189:149 Mémoire de *saint Romuald*, abbé, fondateur d'une branche de l'Ordre de saint Benoît : les Camaldules ; mort en 1027. Et des bienheureux *Jacques Salés* et *Guillaume Saultemouche*, jésuites français, martyrs des huguenots à Aubenas (Ardèche) en 1593. -- 8 février : saint *Jean de Matha,* confesseur. Né en Provence en 1160 ; études à Paris ; peu après sari ordination sacerdotale, il fonda, avec le saint ermite Félix de Valois (fête le 20 novembre), l'Ordre des Frères de la Trinité pour le rachat des chrétiens captifs des pirates barbaresques ; approuvé par le pape Innocent III ; mort à Rome en 1213. -- 9 février : saint *Cyrille d'Alexandrie,* évêque et docteur de l'Église. -- 10 février : sainte *Scholastique,* vierge, sœur de saint Benoît de Nursie. -- Sur sainte Scholastique, voir l'article de D. Minimus dans ITINÉRAIRES, numéro 110 de février 1967. -- 11 février : *Apparition de la Sainte Vierge à Lourdes. --* Mé­moire des *bienheureux Pierre Paschal* et *Catallan,* prêtres et mar­tyrs : franciscains massacrés entre Chabeuil et Momtellier (Drôme) en 1321. -- 12 février : *les sept saints fondateurs des Servites*, confes­seurs : en 1888, Léon XIII canonisa et introduisit dans la liturgie sept marchands florentins qui, en 1233, avaient abandonné leur commerce pour se consacrer au service de la Vierge Marie dans la solitude du mont Senario. Le plus connu des sept est saint *Alexis Falconieri*. Ils voulaient être « serviteurs de Marie » par la péni­tence et la méditation constante de la Passion de Jésus et des dou­leurs de Marie : on les appela les Servites ; ils se constituèrent en Ordre religieux sous la règle de saint Augustin. -- *Saint Benoît*, abbé : né à Maguelonne (Hérault) vers 750, moine en Bourgogne puis abbé d'Ariane (Hérault), conseiller de Charlemagne et de Louis le Débonnaire, grand réformateur monastique, mort à Aix-la-Cha­pelle en 821. -- 13 février : bienheureux *Jean-Théaphane Vénard*, prêtre et martyr : né en 1829 à Saint-Loup-sur-Thouet (Deux-Sèvres), mission­naire (des Missions Étrangères de Paris) au Tonkin ; décapité en Annam le 2 février 1861. -- 14, février : dimanche de la Sexagésime. -- 15 février : *saints Faustin et Joville*, martyrs à Brescia vers 120. -- 16 février : *saint Honorat*, évêque : fondateur de l'abbaye de Lérins vers 410, évêque d'Arles en 426, mort le 16 janvier 429. 190:149 -- 17 février : *fuite de Notre-Seigneur en Égypte *: cette fête remonte au XIV^e^ siècle. -- *Bienheureux François Régis Clet*, prêtre et martyr : né à Grenoble en 1748 ; lazariste missionnaire en Chine en 1791 : martyr à Ou-Tchang-Fou le 48 avril 1820. -- 18 février : *sainte Bernadette Soubirous* (en certains diocèses le 16 avril). -- *Saint Siméon*, évêque et martyr : fils de Cléopas ; cousin du Seigneur ; successeur de saint Jacques le Mineur comme évêque de Jérusalem ; crucifié vers 105. -- Bienheureux *Jean-Pierre Néel*, prêtre et martyr : né à Sainte-Catherine (Rhône) en 1832, mis­sionnaire (des Missions Étrangères de Parie) au Kouang-Tchéou (Chine), décapité à Haï-Tchéou en 1862. -- 19 février : *saint Boniface*, évêque : né à Bruxelles en 1200 ; enseigne à Paris et à Cologne ; évêque de Lausanne de 1231 à 1239 ; mort en 1260. -- 20 février : *saint Éleuthère,* évêque de Tournai ; bien qu'il ait été massacré par des hérétiques vers 531, il n'est pas honoré comme martyr. -- 21 février : *dimanche de la Quinquagésine*. -- Mémoire du *bienheureux Noël Pinot*, prêtre et martyr : né à Angers en 1747, curé du Leuroux-Béoonnais (Maine-et-Loire), martyrisé en 1794 par les révolutionnaires : il monta à la guillotine à Angers, revêtu de ses ornements sacerdotaux, en disant : *Introibo ad altare Dei*. -- 22 février : *chaire de saint Pierre à Antioche* (messe comme au 18 janvier). -- 23 février : *saint Pierre Damien,* évêque et docteur de l'Église entré à vingt-huit ans dans un monastère de Camaldules d'obser­vance bénédictine, à Fonte-Avellana, dont il devint l'abbé, puis évêque d'Ostie et cardinal ; combat puissamment la décomposition de l'Église ; redevenu volontairement simple moine, meurt le 22 février 1072. -- 24 février : *mercredi des Cendres*. Début du TEMPS DU CARÈME, qui se divise en deux parties : a\) la première qui se termine avec le dimanche de la Passion ; b) la seconde qui est le temps de la Passion ou a grande quin­zaine s. Chaque jour du Carême a sa messe propre, qui l'emporte sur les fêtes des saints, sauf sur celles qui sont « double de 1^er^ ou de 2^e^ classe » : *Saint Mathias,* apôtre. -- 25 février : *Jeudi après les Cendres.* *-- *26 février : *vendredi après les Cendres*. Dernier vendredi du mois. 191:149 -- 27 février : *samedi après les Cendres. --* Mémoire de *saint Gabriel de l'Addolorata* (c'est-à-dire de la Vierge douloureuse, de Notre-Dame des Sept Douleurs), confesseur : entré à dix-huit ans dans l'Ordre contemplatif des Passionnistes, mort à vingt-quatre ans le 27 février 1862 ; béatifié par saint Pie X qui le proposa comme modèle intégral du jeune homme chrétien : l'exemple que tous peuvent imiter, de faire par amour de Dieu les actions de chaque jour. Benoît XV le canonisa en 1920 et Pie XI étendit sa fête à l'Église universelle en 1932. 28 février : *premier dimanche* de *Carême*. -- Mémoire de *saint Romain*, abbé fondateur du monastère de Condat qui devait devenir Saint-Claude (Jura) et de celui de La Balme pour les femmes (future abbaye de Saint-Romain de Roche) ; mort en 463. -- *Bienheureux Augutste Chapdelaine*, prêtre et martyr : né à La Rochette (Manche) en 1814, missionnaire (des Missions Étrangères de Paris) en Chine, martyrisé le 29 février 1856 avec vingt-cinq chrétiens chinois parmi lesquels, âgée de vingt-trois ans, la bienheureuse Agnès Tsaou-Kong. \*\*\* Que nos lecteurs veuillent bien comprendre et accepter que nous les engagions à un redoublement de prières. Nous proposons à nos amis de remettre en honneur la prière de l'*Angelus*, trois fois par jour, le matin, à midi, et de soir. C'est, avec le Rosaire, la prière des temps de grand péril pour l'humanité. Ceux qui ne la connaîtraient pas et n'auraient plus de missel la trouveront aux pages 20 et 21 du Catéchisme de S. Pie X. ============== fin du numéro 149. [^1]:  -- (1). Dans le *Courrier de Rome,* numéro 49. [^2]:  -- (2). Paul VI, allocution du 19 novembre 1969 : « Qu'il soit bien clair que rien n'est changé dans la substance de notre Messe traditionnelle. Quelqu'un peut se laisser peut-être impressionner par quelque cérémonie particulière, ou par quelque rubrique annexe, comme si c'était ou si cela cachait une altération, ou une diminution de vérités de la foi catho­lique pour toujours acquises et sanctionnées avec autorité ; en sorte que l'équation entre la loi de la prière, *lex orandi*, et la loi de la foi, *lex credendi,* s'en trouverait compromise. » Et voici le passage critique, qui suit immédiatement : « Mais il n'en est pas ainsi. Absolument. Avant tout parce que le rite et la rubrique correspondante *ne sont point de par soi* une DÉFINITION DOGMATIQUE, et sont susceptibles d'une *quali­fication théologique de valeur diverse suivant* le contexte liturgique auquel ils se réfèrent ; ce sont gestes et termes qui se rapportent à une ACTION RELIGIEUSE VÉCUE et VIVANTE d'un mystère ineffable de présence divine..., action que *seulement la critique théologique* peut analyser et exprimer en FORMULES DOCTRINALES logiquement satisfaisantes. » Il y a là une *réduction*, au moins apparente, des rites de la Messe à ce que Paul VI appelle « une ACTION religieuse VÉCUE et VIVANTE d'un mystère ineffable », tandis que la formation « doctrinale » de ces rites qu'il appelle «* logiquement satis­faisante *» est renvoyée par lui à une « théologie » qui semble ainsi exilée de la liturgie, comme étrangère ou profane, à la manière des catéchumènes ou des pécheurs publics, invités à rester à la porte pendant la célébration du Mystère. Cette dichotomie va loin. [^3]:  -- (1). Voir Pensées de Pascal n° 288 de Brunschvicg : « *Deux sortes de personnes connaissent* (*la religion*) *: ceux qui ont le cœur humilié et qui aiment la bassesse quelque degré d'esprit qu'ils aient, haut ou bas ; ou ceux qui ont assez d'esprit pour voir la vérité quelque oppo­sition qu'ils y aient. *» [^4]:  -- (1). *Et que notre société soit avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ.* (Ia Jo. I, 3.) [^5]:  -- (1). Je parle, on le voit par tout le contexte, de la démocratie his­torique et rousseauiste. [^6]:  -- (1). Il va sans dire que d'exercice de ces pouvoirs n'est pas inva­lidé par la *vacatio legis* quand elle survient dans l'Église. [^7]:  -- (1). Je laisse de côté aujourd'hui le problème de la pornographie sexuelle dans les écoles. [^8]:  -- (1). Cité par Édith Delamare, ITINÉRAIRES, numéro 133 de mai 1969, page 160. [^9]:  -- (1). B. DE JOUVENEL : « *De la souveraineté *», *A la recherche du bien politique*. Ed. Génin -- Librairie de Médicis, 1955, p. 312. [^10]:  -- (2). Les révoltes de commerçants (Poujade, C.I.D. etc.), les sur­sauts collectifs comme ceux de mai 68, le phénomène hippy, la drogue, l'érotisme, la ruée sur les routes, l'évasion des vacances sont autant de manifestations d'affolement en face du Léviathan qui avance ; mais elles ne font que favoriser sa marche. [^11]:  -- (1). Il appartient actuellement au Comité de Rédaction de *Politi­que-Hebdo.* [^12]:  -- (2). « L'homme doit être une machine à tuer », etc. [^13]:  -- (3). Cf. mon livre : *L'opposition en U.R.S.S.* (Albin Michel). [^14]:  -- (4). Toutefois, la persécution religieuse fut moins poussée du vi­vant de Staline, après la guerre, que sous le « libéral » Krouchtchev. Staline, pour des raisons de politique, ménageait l'Église orthodoxe. Ces faits sont généralement passés sous silence dans des milieux ca­tholiques français officiels. [^15]:  -- (5). Ce fut le cas pour le métropolite Slipyi. [^16]:  -- (6). Au procès, le père Roman Bakhtadovskyi fut accusé avec d'au­tres prêtres d'avoir tenu des propos anti-soviétiques et d'avoir tenté de détourner des Komsomols de jeunes communistes. Ce qui signifie sans doute qu'il chercha à les convertir. [^17]:  -- (7). *Cf. A.B*.*N.-Correspondance,* mai-juin 1970, pp. 46-47. Sur la situation de l'Église catholique uniate on pourra utilement consulter Nikita Struve : *Les Chrétiens en U.R.S.S.* [^18]:  -- (8). Velytchkovskyi et ses co-accusés furent condamnés en applica­tion des articles 181 et 138-2 du Code Pénal de la République d'Ukrai­ne. Ces deux articles prévoient une peine maximum de trois ans de détention. Ils ont été récemment introduits (à partir de novembre 1968) dans le Code Pénal soviétique dans le dessein précis de lutter contre le renouveau des pratiques religieuses en Ukraine. \[manque l'appel de note dans l'original. -- 2002\] [^19]:  -- (9). *L'Aveu,* p. 407. [^20]:  -- (10). *Ibid.,* p. 407. [^21]:  -- (11). Cf. à ce sujet Michel Slavinsky, *La Presse Clandestine en U.R.S.S.* (Nouvelles Éditions Latines). [^22]:  -- (1). Tout ceci d'après la brochure du Docteur E. Le Bec, Président du Bureau des Constatations : « Les Deux Miracles pour la Canoni­sation de Sainte Jeanne d'Arc. » Analyse du travail de la S. Congré­gation des Rites. -- Paris, 5, rue Bayard, 1922. [^23]:  -- (1). Ce qui rend inadmissible de la part d'un catholique fidèle, le doute, l'ironie, le scepticisme sur la personne, la vocation, la mission, les actes et les paroles de sainte Jeanne d'Arc. [^24]:  -- (1). Ce que, en 1931 à Rouen, le cardinal Bourne, Primat d'Angle­terre, devait confirmer en ces termes : « Peuple de France, tu honores ta Sainte et tu as raison puisqu'elle a sauvé ton indépendance ; mais nous aussi, Anglais, nous l'honorons et la bénissons dans une union fraternelle, car à nous aussi sa mission a été salutaire. Que faisions-nous sur votre terre, sur le continent, nous, gens des îles et de la mer ? Par son intervention nous sommes devenus nous-mêmes, nous avons été rendus à notre destinée. Nous devons à sainte Jeanne d'Arc notre grandeur et nos libertés. » [^25]:  -- (1). Ce n'est pas cet évêque qui aurait autorisé les mutilations qui ont récemment transformé la Chapelle Notre-Dame des Armées à Dom­rémy où, entre autres changements, le Saint-Sacrement n'occupe plus la place d'honneur mais est relégué dans un angle à droite de l'autel ! [^26]:  -- (2). S.E. le cardinal John. J. Wright, d'abord évêque de Worcester (Massachussets) puis de Pittsburgh, maintenant Préfet de la S. Congrégation du Clergé, a pour sainte Jeanne d'Arc une dévotion fervente. [^27]:  -- (1). Hebdomadaire politique publié 20, avenue Franklin-Roosevelt à Paris. [^28]:  -- (1). André Frossard dans *Le Figaro* du 11 novembre 1970. [^29]:  -- (1). Discours du 20 juin 1940. -- *Paroles aux Français du maré­chal Pétain,* messages et écrits, 1934-1941, Lardanchet 1941, pp. 43-44. [^30]:  -- (1). *Op. cit.,* p. 46. [^31]:  -- (2). *Op. cit.,* p. 51. [^32]:  -- (3). Il semble bien que la phrase : « *La France a perdu une ba­taille, elle n'a pas perdu la guerre *» n'ait été inventée par son auteur que deux mois plus tard. [^33]:  -- (1). Ch. de Gaulle*, Mémoires de guerre,* tome III, Plon 1959, p. 90. [^34]:  -- (1). Ch. de Gaulle, *Mémoires de guerre*, tome II, Plon 1956, pp. 319-321. [^35]:  -- (1). Ch. de Gaulle, *Mémoires d'espoir,* Plon 1970, pp. 51-52. [^36]:  -- (2). Ch. de Gaulle, *Discours et messages*, tome III, Plon 1970, p. 164. [^37]:  -- (1). Lettre à l'épiscopat français, 25 août 1910. [^38]:  -- (1). Ch. de Gaulle, *Le fil de l'épée* (première édition 1932), Berger-Levrault 1961, p. 77. [^39]:  -- (2). Déclarations du cardinal Daniélou à Radio-Monte-Carlo le 12 novembre 1970 ; reproduites dans *Le Monde* du 14 novembre, qui rappelle que le cardinal Daniélou « fut l'aumônier du général de Gaulle au lendemain de la libération » : ce détail pourrait apporter une explication, sans constituer une excuse. -- Après coup, le cardinal Daniélou a fait une « rectification » qui n'en est pas une, et qui n'est même pas faite par lui. On lit en effet dans *La France catholique* du 27 novembre : « *Précision à propos d'une émission de Radio-Monte-Carlo du 10 novembre. Le mot de* « *canonisation *» *à propos du géné­ral de Gaulle n'a pas été lancé comme on l'a dit, par le cardinal* *Daniélou, mais par le speaker de la Radio-Télévision allemande qui, annonçant la mort du général, a ajouté :* « *En d'autres temps, il serait canonisé. *» *Le cardinal Daniélou, à qui le texte de cette préci­sion a été soumis, a déclaré qu'il en était bien ainsi et qu'il donnait son complet assentiment à cette rectification. *» -- Comédie : car cette *rectification* rectifie *quoi* exactement ? -- Rien du tout ; absolument rien. Le mot de « canonisation » n'a pas été « lancé » par le cardinal Daniélou. Mais ce mot ayant été lancé, le cardinal Daniélou l'a approuvé. Il a déclaré (selon *Le Monde* du 14 novembre) : « *L'expres­sion ne me choque pas. Au fond, canoniser, c'est reconnaître une vie chrétienne d'un caractère exemplaire... *» Le cardinal Daniélou pro­fesse que la vie du général de Gaulle est une vie chrétienne d'un carac­tère exemplaire. Si (hypothèse malheureusement improbable) il venait à changer d'avis, il aurait à publier non point une pseudo-rectification, mais une véritable rétractation. -- Les jugements et les pro­cédés du cardinal Daniélou montrent les uns et les autres à quel point il est enfoncé dans l'imposture de ce temps. [^40]:  -- (1). F. MAURIAC, *de Gaulle*, Grasset 1964, p. 93. -- Plusieurs remarques, dans le même ouvrage, qui vont dans le même sens : « *Ce qui me gêne dans la France gaulliste, c'est une disproportion entre la politique de grandeur telle que le général de Gaulle la mène au dehors et l'indifférence à l'abaissement de l'esprit des Fonçais ; l'abandon dans lequel est laissée la jeunesse de France. *» (p. 92). Mauriac explique, excuse et finalement justifie, mais enfin il cons­tate : « *Ce grand chef temporel ne touche jamais au spirituel *» (p. 95). « *Cette grande âme ne parle pas volontiers le langage de l'âme... *» (p. 339). « *Ce prince* (*...*)*, nous serions en droit d'entendre enfin de sa bouche une parole qui ne serait plus celle du chef poli­tique, ou celle de d'administrateur responsable du patrimoine na­tional* (*...*). *Ah ! ce discours à la jeunesse que de Gaulle n'a jamais fait... *» (p. 340). « *Krouchtchev se fait-il faute de s'exprimer en athée et de se réclamer de son athéisme ? *» (p. 342). [^41]:  -- (2). Fin des *Mémoires de guerre*, tome III, Plon 1959, p. 290. [^42]:  -- (1). *Esprit*, numéro de novembre 1970, p. 831. [^43]:  -- (1). Dans *Rivarol* du 19 novembre 1970. [^44]:  -- (1). Éd. Grasset, 1941, p. 69. [^45]:  -- (1). *Correspondance de Napoléon I^er^*, t. XV, pp. 25-26 (4 avril 1807). [^46]:  -- (1). *Vincentii Lirinensis Commonitorium*, n° 28, [^47]:  -- (1). A.A.S., 29 octobre 1962, p. 792. [^48]:  -- (2). Je transcris, à titre de curiosité, la « traduction » des Ser­vices de Presse du Concile : « Autre est la substance de la doctrine antique contenue dans le dépôt de la foi, autre la formulation dont on la revêt : en se réglant, pour les formes et les proportions, sur les besoins d'un magistère et d'un style surtout pastoral. » Un chef-d'œuvre de malfaçon : mettre le contenant dans le conte­nu ! ne pas savoir que l'un des sens essentiels de ratio est « mé­thode » ! Et malfaçon qui pourrait bien ne pas être innocente. Il est caractéristique d'une pensée moderniste que le mot de « vérités » ait été omis et que la formulation soit présentée comme un simple « revêtement ». [^49]:  -- (1). NIETZSCHE *La volonté de puissance*, I, n° 97, p. 65. [^50]:  -- (2). C'est une expression de Heidegger. [^51]:  -- (1). D'où l'ambiguïté de la formule : *retour à l'immédiat*. Nous reviendrons sur ce point dans la suite. [^52]:  -- (2). Hegel l'a fort bien montré au début de la *Phénoménologie de l'esprit.* [^53]:  -- (3). Nietzsche écrit : « Il est possible que la même race d'hommes qui a plus tard inventé les systèmes philosophiques des Vêdântas ait inventé, des milliers d'années auparavant, en partant de langues encore imparfaites, un langage philosophique, qui n'était pas, à ce qu'ils croyaient un langage chiffré, mais la connaissance même de l'univers. Mais chaque fois, jusqu'à présent, que l'on a déclaré *Cela est,* il s'est trouvé une époque ultérieure plus affinée pour décou­vrir que ces mots n'avaient qu'un seul sens possible : *Cela signifie. *» (*La volonté de puissance,* I, n° 99, p. 66) [^54]:  -- (1). Il constate ainsi, dès l'abord que les problèmes en philosophie s'enchevêtrent et qu'on ne peut point séparer les questions de méthode et de contenu aussi aisément que dans les sciences. [^55]:  -- (1). *Cratyle,* 439b. [^56]:  -- (2). *Ibid*. [^57]:  -- (3). *Lettre VII,* 342 a-b. -- Platon distingue trois étapes prépara­toires à la science : le mot, la définition, l'image. Vient ensuite la science et enfin, « l'objet vraiment connaissable et réel ». Il faut passer par les premières étapes pour parvenir à l'objet. Du mot, Platon dit toutefois que « c'est un faible auxiliaire », et qu'aucun homme raisonnable ne se risquerait à confier ses pensées à ce véhi­cule, surtout quand les mots sont figés, comme le sont les caractères écrits. -- Que faire alors ? Manier « tous ces éléments, montant et descendant, de l'un à l'autre ». -- A force d'opérer ainsi, on arrive « péniblement à créer la science, quand l'objet et l'esprit sont tous deux de bonne qualité ». [^58]:  -- (4). *Topiques,* I, 1, 100b, 21-23 : Toute recherche doit s'appuyer sur les opinions « reçues par les hommes ou par la plupart d'entre eux, ou par les sages, et, parmi ces derniers, soit par tous, soit par la plupart, soit enfin par les plus notables et les plus illustres ». [^59]:  -- (1). *Cf.* sur ce point, GILSON, *L'être et l'essence,* Paris, Vrin, 1948. pp. 9 et ss. [^60]:  -- (2). GILSON, *Le philosophe et la théologie*, Paris, Fayard, 1960, pp. 141-142 : « Qu'il s'agisse de substance et accident, de forme et matière, d'acte et puissance..., le philosophe se demande simplement : Qu'entend-on par ces mots quand on en use en philosophie ? C'est ce qui fait que ses réponses à ces questions restent universellement valides. On peut exposer à peu près n'importe quelle philosophie dans la langue d'Aristote. Et c'est bien ce que l'on n'a guère cessé de faire au cours des siècles. On le fait encore aujourd'hui. Un simple regard sur le langage courant confirme cette remarque. La *matière* d'un procès ou d'une statue, le vice de *forme* d'un jugement... les *actualités* d'une bande de cinéma, les *possibilités* d'une affaire à réaliser..., cent autres mots du même genre qu'il est aisé de trouver, en sont autant d'exemples. Dans son fondement même, l'aristotélisme *est d'abord un parler*. Certains laïc lui reprochent comme une faiblesse, mais c'est ce qui assure son étonnante pérennité. » [^61]:  -- (3). L. BRUNSCHVICG, *Les âges de l'intelligence*, Paris, Alcan, 1934, chap. IV, *L'univers du discours,* pp. 57 ss. [^62]:  -- (4). ARISTOTE, *De partibus animalium*, I, 1, 639 a3. [^63]:  -- (5). Car, comme le fait remarquer Leibniz, « les hommes utilisent par une sorte de nécessité les vocables métaphysiques, et, se flattant eux-mêmes, ils croient comprendre des mots qu'ils ont appris à prononcer. Non seulement le terme général de substance, mais aussi ceux de cause, d'action, de relation, de ressemblance et une foule d'autres renferment des notions vraies et fécondes dont, manifeste­ment, le vulgaire n'a pas pleine conscience » (*De primæ philosophiæ emendatione et de notione substantiæ*, dans *Philosophische Schriften,* édit. Gerhardt, t. IV, p. 468).  [^64]:  -- (1). NIETZSCHE *La volonté de puissance,* I, n° 97, p. 65. [^65]:  -- (1). « Il arrive que, dans la vie ordinaire, on appelle d'une façon arbitraire et accidentelle réalité, le caprice, l'erreur, le mal et tout ce qui appartient à cet aspect de l'existence. ». (HEGEL, *Encyclopédie*, n° 6, remarque). [^66]:  -- (1). KANT, *Critique de la faculté de juger*, n° 86. [^67]:  -- (2). On proclame de nos jours que l'homme est en passe de se rendre maître du cosmos. Ce n'est vrai qu'en partie. Quand on réflé­chit aux dimensions de l'univers, la formule paraît exagérée. Même sur notre terre il existe tant de choses que nous connaissons mal et ne parvenons pas à modifier à notre gré. [^68]:  -- (1). TEILHARD DE CHARDIN, *Le phénomène humain*, pp. 50-51. [^69]:  -- (1). *La volonté de puissance*, I, n° 104, p. 67. [^70]:  -- (1). J.-H. BOEX-BOREL, *Le pluralisme. Essai sur la discontinuité et l'hétérogénéité des phénomènes*, Paris, Alcan, 1909, p. 97. [^71]:  -- (1). Pour Anaximandre, « les opposés dont notre monde est fait sont en guerre les uns contre les autres et leur lutte est marquée d'injustes empiètements de l'un sur l'autre » (BURNET, *L'aurore de la philosophie grecque,* Paris, Payot, 1952, p. 60). Héraclite dit la même chose : « *Polemos*, la guerre, est le père de toutes choses et le roi de toutes choses. De quelques-uns, il a fait des dieux, de quel­ques-uns des hommes ; de quelques-uns des esclaves, de quelques-uns des hommes libres. » (Diels, *Die Fragmente der Vorsokratiker,* 10° édit., Héraclite, fragment 53.) Point de vue analogue chez Empé­docle. [^72]:  -- (1). Fragment 12. [^73]:  -- (2). Fragment 51 : « Les hommes ne savent pas comment ce qui varie est d'accord avec soi. Il y a une harmonie des tensions oppo­sées, comme celles de d'arc et de la lyre. » [^74]:  -- (1). Qu'on pense, par exemple, à l'expression biblique : *Omnis caro foenum*, etc. [^75]:  -- (1). *La Foi Catholique,* textes doctrinaux du Magistère de l'Église, traduction et présentation de Gervais Dumeige, éditions de l'Orante, 23, rue Oudinot, Paris-6^e^. [^76]:  -- (1). On sait comment l'indispensable *nota prævia* fut ajoutée au dernier moment. On constate aussi tous les jours que la logique interne de *Lumen Gentium* exige par trop faiblement la *nota prævia* pour que cette note préalable ait empêché l'instauration d'une collé­gialité usurpatrice, c'est-à-dire d'églises nationales parlementarisées. [^77]:  -- (1). Le nouveau Dumeige insère *Gaudium et Spes* respectivement dans les chapitres sur la Création, le Péché Originel, Jésus-Christ, l'Église, les Fins dernières. Cette disposition présente l'avantage de faire ressortir en quoi et comment *Gaudium et Spes* est une sorte de corps étranger dans la doctrine définie des 20 premiers Conciles ; nous espérons revenir sur cette question. [^78]:  -- (1). On trouvera, faite par des étudiants, une critique analogue du « libéralisme universitaire » dans : *Pour rebâtir l'Université,* pp. 59 à 70 (C.E.L.U. -- La Table Ronde -- 1969). [^79]:  -- (1). Le texte de la *Documentation catholique* porte bien le mot « messe » avec un « m » minuscule et « Cène » avec un « C » majuscule. Est-ce à dessein ou par erreur typographique, nous l'igno­rons. [^80]:  -- (1). Même observation (ici et plus loin). Le texte latin (de l'article 7 non rectifié) était : « Cena dominica sive Missa... », avec un « M » majuscule. [^81]:  -- (2). Voilà des explications bien embrouillées. Le précédent article 7 se présentait, en réalité, comme une définition : « La Cène du Sei­gneur ou Messe est... » La rédaction nouvelle se présente comme une description, mais qui contient (à la différence de la rédaction précé­dente) les éléments d'une définition. Elle est, moitié-moitié, une description-définition, mais non pas une description « de la structure générale, liturgique et rituelle, de la célébration eucharistique ». Le fait que l'article se situe dans le chapitre consacré à la structure de la messe montre simplement qu'on avait voulu faire un tour de passe-passe pour nous faire « avaler » la cène protestante. Nous avions dénoncé cette entreprise dans nos « Réflexions » (pp. 104-105). [^82]:  -- (3). On peut le dire, mais alors pourquoi écrire, dans le même ar­ticle : « missa seu Cena... » et « memoriale seu sacrificium... » ? [^83]:  -- (1). Il est dommage qu'aucun éclaircissement ne nous soit ici fourni sur le développement doctrinal, au sujet de la sainte Eucharistie, du Concile de Trente à nos jours, [^84]:  -- (1). Sur le point de savoir si Paul VI a voulu cette rectification comme un redressement nécessaire, ou s'il l'a acceptée comme une concession provisoire, les opinions divergent ; ce ne sont, précisément, que des opinions, dont l'importance est secondaire. (Note d'ITINÉRAI­RES.) [^85]:  -- (1). Louis Salleron précisait en note : « A la date du 1^er^ octobre, ce Décret officiel qui figure en tête du *Missale romanum* n'a jamais été reproduit en France ». -- De fait, la *Documentation catholique* l'a donné seulement dans son numéro du 15 novembre 1970 (page 1009). Un décret de mars, publié en France seulement en *novembre !* Il est vrai que le texte officiel de ce décret de mars a paru dans les *Acta* seulement en août ! -- Voici la traduction française du Décret publiée par la Documentation *catholique :* « *L'Ordo de la célébration eucharistique étant établi, et les textes relatifs au Missel romain ayant, été approuvés par la Constitution apostolique Missale romanum, publiée par le Souverain Pontife Paul VI le 3 avril 1969, cette S. Congrégation du culte divin, par mandat du même Souverain Pontife, promulgue et déclare typique cette nouvelle édition du Missel romain établie conformément aux décrets du II^e^ Concile du Vatican. Pour ce qui est de l'utilisation du nouveau Missel romain, il est permis d'employer l'édition latine, dès qu'elle sera publiée, en faisant les adaptations opportunes en ce qui concerne le jour de la célébration des saints, en attendant que le calendrier réformé soit définitivement mis en application. Le soin de préparer les éditions en langue vernacu­laire, et de fixer le jour où ces éditions, dûment approuvées par le Siège apostolique, entreront en vigueur, est confié aux Conférences épiscopales. Nonobstant toutes choses contraires. Fait à la S. Congré­gation du culte divin, le Jeudi Saint, 26 mars 1970. *» (Note d'ITINÉRAIRES.) [^86]:  -- (1). Ces deux questions et ces deux réponses, diversement mais également aberrantes, ont été commentées en détail dans ITINÉRAI­RES, numéro 146 de septembre-octobre 1970, pages 29 à 35. Ce com­mentaire détaillé a été approuvé et reproduit par le bulletin de l'*Una Voce* française. (Note d'ITINÉRAIRES,) [^87]: **\***-- Cf. 34:155-07-71