# 150-02-71 1:150 ### Dimanche des Rameaux 4 avril 1971 *L'épître falsifiée* Voici le début de l'épître lue le dimanche des Rameaux. (saint Paul aux Philippiens, II, 6). Ci-dessous, à *gauche* ([^1]), l'ancienne traduction française officielle (Lectionnaire de 1959) ; à *droite,* la traduction qui figure dans le nouveau missel pour 1971, et qui est la version « recti­fiée », par feuille volante, du nouveau Lectionnaire : LECTIONNAIRE FRANÇAIS OFFICIEL DE 1959 : Étant *de condition divine,* il (le Christ) ne *retint* pas avidement le rang qui *l'égalait à Dieu.* NOUVEAU LECTIONNAIRE VERSION RECTIFIÉE POUR 1971 : Le Christ Jésus, tout en restant *l'image* même de Dieu, *n'a pas voulu* reven­diquer d'*être pareil à Dieu.* La feuille volante qui contient cette version rectifiée, ajou­tée en septembre 1970 au nouveau Lectionnaire, est intitulée « Corrections au fascicule T du Lectionnaire dominical. » Dans tous les cas où la feuille volante se sera, selon sa vo­cation, envolée, on retombera sur la page 57 non rectifiée du nouveau Lectionnaire (version qui figurait dans le missel pour 1970, et qui a été proclamée dans les églises, l'année dernière, au dimanche des Rameaux). Voici donc ci-dessous, *à gauche,* à nouveau l'ancienne tra­duction officielle et honnête de 1959 ; *à droite,* la version origi­nale et non rectifiée du nouveau Lectionnaire : 2:150 LECTIONNAIRE FRANÇAIS OFFICIEL DE 1959 : Étant *de condition divine,* il (le Christ) ne *retint* pas avidement le rang qui *l'éga­lait* à *Dieu.* NOUVEAU LECTIONNAIRE VERSION ORIGINALE PROCLAMÉE EN 1970 : Le Christ Jésus est *l'ima­ge* de Dieu ; mais il n'a pas voulu *conquérir* de force *l'égalité* avec Dieu. La version de 1971 comme la version de 1970 est falsifica­trice et blasphématoire. L'une et l'autre version, dans la langue française d'aujour­d'hui, sont immédiatement comprises par les auditeurs d'au­jourd'hui comme signifiant que le Christ Jésus *n'est pas* égal à Dieu, *n'est pas* pareil à Dieu, et donc qu'il *n'est pas Dieu.* Que faire ? 1\. -- Premièrement : *avant* le dimanche des Rameaux (4 avril 1971) : -- *avertir, informer, documenter* le clergé et les fidèles, en leur mettant les textes sous les yeux par le présent tract, et par la brochure contenant toutes explications complémentaires (*la falsification de l'épître du dimanche des Rameaux*) ; -- *prévenir* que la lecture blasphématoire ne sera pas tolé­rée ; -- *prévoir* et *s'organiser* pour faire obstacle à la proclama­tion du blasphème. 2\. -- Secondement : *le jour même* du dimanche des Ra­meaux : Il sera facile de reconnaître *le début* du blasphème, si l'on s'obstine, malgré tous avertissements, à lire le texte falsifié. Dès que retentira le mot : *image,* alors, à haute et puissante voix, les protestations couvriront la voix du lecteur pour em­pêcher que la phrase blasphématoire soit proclamée. 3:150 Si l'on se trouve isolé, on peut au moins crier : « *Blasphè­me ! *» et sortir immédiatement de l'église. Pour que cette manifestation nécessaire soit comprise par l'ensemble du peuple chrétien, il importe qu'il ait été averti par une *distribution de tracts avant la messe,* dès le dimanche pré­*cédent* 28 mais (dimanche de la Passion) ; distribution à re­commencer avant toutes les messes du dimanche des Rameaux. Les protestataires devront : -- soit obtenir par leur manifestation que le déroulement de la messe soit suspendu ; -- soit sortir de l'église si la cérémonie continue. En effet, une « messe » où est proclamée une négation blas­phématoire de la divinité du Christ ne saurait être présumée valide en toute assurance et sûreté ; l'assistance à une telle « messe » ne satisfait pas avec certitude au précepte dominical. ■ Le texte ci-dessus est édité en un tract de *quatre* pages, qui porte la dénomination : tract n° 2. ■ Ce tract, qui peut être distribué dans toutes les occasions et dans toutes les assemblées, est à la disposition de nos lecteurs en quantités illimitées : mais seulement par mille ou multiples *de* mille. ■ Prix : 36 F le mille. ■ Attention : délai de livraison : un mois. Veillez à *ENVOYER SANS RETARD VOS COMMANDES,* afin d'avoir constitué vos stocks de tracts en vue des distributions du dimanche de la Passion 28 mars. 4:150 ### Lettre à Paul VI TRÈS SAINT PÈRE, *Par un acte en date du 16 décembre 1969, la Congréga­tion romaine du culte divin, au nom du Saint-Siège et de Votre Sainteté, a* « *confirmé *» *le nouveau Lectionnaire français, contenant entre autres la nouvelle version française de l'épître aux Philippiens, II, 6, imposée comme désormais obligatoire, et obligatoirement proclamée à la messe du dimanche des Rameaux.* *Cette nouvelle version est une falsification qui saute aux yeux ; blasphématoire et sacrilège ; effaçant la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et la niant explicitement.* *La divinité du Sauveur, dans la version liturgiquement obligatoire de l'Écriture, peut-on en dire : --* De minimis non curat praetor ? *Nous sommes en présence d'un acte d'autorité manifestement criminel.* *Ce n'est pas le premier. Depuis bientôt deux ans, la France vit sous le régime de la falsification de l'Écriture sainte, imposée à tous les catéchistes et à tous les caté­chismes.* *La plainte et la réclamation incessante des fidèles ont été ignorées du Saint-Siège et n'ont pas eu accès au cœur du Saint-Père.* *Le système de la falsification, toujours impuni, tou­jours imposé, par un nouveau progrès s'introduit mainte­nant dans la* « *liturgie de la parole *»*. Il revient donc aux simples fidèles, selon une tradition catholique solidement attestée, de faire physiquement obstacle dans les églises à la proclamation du blasphème et du sacrilège ;* 5:150 *Il leur revient aussi de prendre acte du fait qu'une seule falsification de l'Écriture, niant la divinité de Notre-Seigneur, suffît à frapper d'une suspicion légitime et néces­saire l'ouvrage entier du Lectionnaire français, et tous les détenteurs de l'autorité ecclésiastique qui l'ont garanti, confirmé et imposé.* *Librement prosterné devant le trône de Pierre, j'exprime à Votre Sainteté mon filial attachement à la Primauté du Pontife romain irréformablement définie par la sainte Église.* Jean Madiran. Cette lettre a été envoyée au Saint-Père, par la poste, le 11 juin 1970. Le Saint-Père en a accusé réception à Jean Madiran par un message oral de la Nonciature apostolique à Paris, au mois de juillet 1970. Au mois de septembre 1970, une « rectification » sur feuille volante a été ajoutée au nouveau Lectionnaire français. Les mis­sels français pour 1971 publient cette traduction prétendument « rectifiée ». L'épître du dimanche des Rameaux disait dans la version falsifiée de 1970 que le Christ est « *image de Dieu *» et qu'il n'a « *pas voulu conquérir de force l'égalité avec Dieu *»*.* La version falsifiée de 1971 dit : « *Tout en restant l'image même de Dieu il n'a pas voulu revendiquer d'être pareil à Dieu *»*.* Après comme avant ce tripatouillage soi-disant rectificateur, c'est la même altération du texte sacré et c'est le même blas­phème. Le sens obvie de l'une et de l'autre version, pour les audi­teurs d'aujourd'hui, est que le Christ *n'est pas égal* à Dieu, *n'est pas pareil à* Dieu, *n'est pas Dieu.* La précédente traduction officielle, celle du Lectionnaire de 1959, affirmait au contraire avec clarté et netteté la divinité du Christ : 6:150 « *Étant de condition divine, le Christ ne retint pas avide­ment le rang qui l'égalait à Dieu ; mais il se dépouilla lui-même,* etc. » Catholiques ! Avertissez vos prêtres. Avertissez vos frères. Le 4 avril 1971, dimanche des Rameaux, la version falsifiée de l'épître aux Philippiens *ne doit pas* être proclamée dans nos églises. Obtenez à l'avance de vos prêtres l'assurance formelle qu'ils feront lire l'ancienne traduction officielle, celle de 1959. Si au contraire ils s'obstinent, alors, selon l'antique tradition catholique, et selon ce qui a été promis au Saint-Père dans la lettre du 11 juin 1970, vous ferez obstacle à la proclamation du texte falsifié. A haute et puissante voix, vous crierez : « *Blas­phème ! *» et vous scanderez la proclamation : « *Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme. *» ■ Le texte ci-dessus est édité en un tract de quatre pages, qui porte la dénomination : tract n° 3. ■ Ce tract est à la disposition de nos lecteurs en quantités illimitées mais seulement par mille ou multiples de mille. ■ Prix : 36 F. le mille. ■ Attention : délai de livraison : un mois. Donc : *PASSEZ SANS RETARD VOS COMMANDES,* pour que vos stocks de tracts soient constitués avant de dimanche de la Passion 28 mars. 7:150 ## ÉDITORIAL ### Le livre de Louis Salleron sur la nouvelle messe «* Nous n'assistons ni à l'éclosion d'une messe nouvelle, ni à la fin d'une messe ancienne. Nous assistons à l'éclipse de la messe éternelle. *» Tous, ou presque, se taisent. Ils se taisent sur l'essen­tiel qui, pour un catholique, est la messe. Hébétés, stu­pides, ou machiavéliques, ils parlent tous d'autre cho­se : par inconscience ; ou consciemment. Le plus grand changement qui ait jamais été introduit dans la religion catholique, qu'on l'approuve ou qu'on le désapprouve, cet événement extraordinaire et capital, c'est Salleron qui le premier, et jusqu'à présent le seul, en a fait un livre. #### I. -- L'anomalie au sommet Ceux qui ont voulu la nouvelle messe, ceux qui l'ont fabri­quée, ceux qui l'ont imposée, ceux qui l'ont adoptée -- bref, tous ceux qui en sont les partisans chaleureux ou résignés -- pourquoi donc n'en disent-ils rien ? Car, notez-le bien, ils de­meurent silencieux là-dessus : ils se taisent comme s'ils ju­geaient vaine toute tentative de justification, ils se taisent comme sur leur plus grande honte ([^2]). 8:150 On devait pourtant leur supposer une grande quantité de raisons solides et pressantes. Pour inventer, pour imposer, pour accepter un changement aussi formidable, il faut des motifs im­périeux ; des motifs immenses. Pourquoi ces motifs demeurent-ils clandestins ? Le pape Paul VI en a évoqué quelques-uns, par allusion rapide, dans deux brèves allocutions ; il a passé com­plètement sous silence le motif *œcuménique* dont il serait bien difficile d'admettre qu'il n'ait pas joué un rôle essentiel ; puis il n'en a plus parlé, comme si la transformation de la messe catholique avait été un épisode tout à fait secondaire et passager, un détail presque anecdotique, beaucoup moins important, en tout cas, que les problèmes temporels et mondains, humanistes et démocratiques, onusiens et pluralistes auxquels il consacre tant de paroles, de gestes et d'efforts... Ce silence du pape, ce désintéressement apparent, cette apparence de distraction ou d'indifférence est à coup sûr une fort volumineuse anomalie. Paul VI parle quasiment tous les jours de quasiment tous les sujets, mais point de la réforme de la messe, à laquelle il n'aura consenti en tout et pour tout que les quelques phrases ellipti­ques, énigmatiques et paradoxalement fugitives de novembre 1969. Cette anomalie de l'attitude pontificale, quand on y réflé­chit, justifie au moins une inquiétude. Les auteurs, producteurs et partisans de la nouvelle messe ont imité le silence du pape. Tout se passe comme si la réforma­tion de la messe était une affaire trop secrète dans sa nature véritable, dans ses raisons profondes, dans ses buts réels, pour que ses promoteurs puissent accepter d'en débattre publique­ment par voie d'argumentation et de réponse aux objections. On attendait d'eux qu'ils établissent par raison démonstrative pour­quoi la nouvelle messe de Paul VI est supérieure à l'ancienne messe catholique ; 9:150 qu'ils exposent, preuves à l'appui, en quoi la messe de l'Église était insuffisante, superflue ou dépassée ; qu'ils prouvent théologiquement que les nouvelles « prières eucharistiques » remplacent à bon droit le canon romain. Mais non. Rien. Constat de carence. Et l'on voudrait que nous n'y trouvions point un motif de suspicion majeure ? #### II. -- Les monuments d'une résistance Les promoteurs de la messe réformée, s'ils ne voulaient pas, pour quelque obscure raison, prendre l'initiative d'un tel débat public, auraient dû au moins, normalement, moralement, ac­cepter de le subir : c'est-à-dire répondre aux objections capitales élevées contre leur entreprise. 1° Le premier, été 1969, le *Courrier de Rome,* sur l'initiative et sous la responsabilité doctrinale de l'abbé Raymond Dulac, a stigmatisé et refusé la messe réformée. 2° A l'automne 1969, ce fut le *Bref examen critique,* présenté à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci. 3° Puis, aussitôt après, la *Déclaration* du P. Calmel, brève, dense, définitive. Tout ce qui a été énoncé de plus sérieux, de plus solide, de plus décisif contre la « messe polyvalente » relève, doctri­nalement et pratiquement, de ces trois sources initiales : l'abbé Raymond Dulac, le *Bref examen,* le P. Calmel. Il y eut ensuite 4° la *Déclaration* du P. Guérard des Lau­riers : où, publiquement, il revendiquait la responsabilité per­sonnelle d'avoir été l'un des principaux théologiens (et sans doute faut-il dire le principal) qui aient travaillé à l'élaboration du *Bref examen.* Dans l'affreux malheur où l'Église de France a une part considérable et directe de culpabilité, il est cependant permis à des Français de goûter cette consolation : *c'est la pensée théolo­gique française qui aura été la première au premier rang de la lutte contre la réformation.* D'autres sans doute, en France et ailleurs, ont prononcé, en face de la messe réformée, des refus qui ne furent pas sans mérite ni sans efficacité ; ils étaient mus par l'instinct de la foi, par la fidélité au catéchisme. 10:150 Mais pour les nécessaires *explications doctrinales,* ce sont trois prêtres français, c'est l'abbé Raymond Dulac, c'est le P. Guérard des Lauriers et c'est le P. Calmel qui nous les ont données, et qui continuent. Ces explications doctrinales, personne ne les a réfutées. Et maintenant, voici Louis Salleron. #### III. -- Salleron et la liturgie La subversion de la liturgie, sous le double rapport de sa nature intrinsèque et de ses conséquences universelles, personne sans doute ne l'a mise en lumière au fur et à mesure, et même à l'avance, comme l'a fait Louis Salleron. Nos lecteurs peuvent relire aujourd'hui, dans leur collection de la revue ITINÉRAIRES, des articles tels que ceux-ci : -- *Le latin, langue vivante de l'Église :* numéro 63. -- *L'Opinion publique, tentation moderne du christianis­me *: numéro 68. -- *Problèmes de l'aggiornamento *: numéro 79. -- *Pour la seconde fois le monde va-t-il se réveiller arien *: numéro 80. -- *Les deux œcuménismes :* numéro 83. -- *Subversion de la liturgie *: numéro 117. -- *Le contexte des mutations liturgiques *: numéro 120. -- *Le catéchisme du nouvel arianisme *: numéro 124. Si l'on confronte le contenu de ces articles avec leur *date,* on constatera qu'en effet Salleron avait, des années à l'avance, discerné la nature et annoncé les conséquences de la subversion religieuse. Et si quelqu'un demandait *de quel droit* ou *par quelle au­torité* Louis Salleron publie aujourd'hui tout un livre sur les transformations de la messe, il suffirait de répondre : -- Par la simple autorité morale que confère (et selon le droit certain que fonde) le fait d'avoir eu si constamment et si tôt raison. #### IV. -- La vraie situation Dès le début de son ouvrage sur *La nouvelle messe*, Louis Salleron rappelle quelle est la situation légale. Le plus récent décret romain sur la nouvelle messe est celui du 26 mars 1970. Il figure en tête de la nouvelle édition (réfor­mée) du *Missale romanum* ([^3]). 11:150 De ce décret, il ressort sans contestation possible que : Il y a désormais : 1\) La messe traditionnelle, dite messe de saint Pie V, qui est la messe normale, en latin ; 2\) La nouvelle messe, qu'il est *permis* de dire *en latin*, dès maintenant ; 3\) La nouvelle messe qui pourra être dite *en français* (pour notre pays) quand la Conférence épiscopale en aura fixé la date d'entrée en vigueur, après que l'édition (c'est-à-dire la traduction et la pré­sentation) en aura été dûment autorisée par le Saint-Siège. Le catholique de bonne volonté qui lit ces lignes doit ouvrir de grands yeux. « Mais c'est tout le contraire qui se passe ! » Eh ! oui. Qu'y puis-je ? Je lui livre le décret le plus récent et le plus officiel, celui-là même qui est incorporé au *Missale romanum* et qui précise in fine : «* Contrariis quibuslibet mi­nime obstantibus. *» ([^4]) La situation *de fait* est absolument contraire à la situation *de droit*. La nouvelle messe n'est pas « permise », elle est im­posée par un abus de pouvoir général, antérieur même au décret du 26 mars 1970, -- abus de pouvoir perpétré et universalisé par la hiérarchie parallèle installée dans l'Église, abus de pou­voir approuvé tacitement ou explicitement par la hiérarchie légitime. (Mais l'imbroglio de la situation ecclésiastique tient, comme on le sait, à ce que de nombreux membres de la hiérar­chie parallèle révolutionnaire sont maintenant, d'autre part, détenteurs du pouvoir légal.) La messe *légalement normale*, qui est la messe dite de S. Pie V célébrée en latin, est quasiment partout interdite en fait par une odieuse tyrannie. 12:150 On peut nous dire, si on le pense et si on l'ose, qu'il est tout à fait agréable, opportun et moderne qu'il en soit ainsi. Mais si l'on vient prétendre en outre que cet état de fait résulte de l'obéissance, alors on dit tout autre chose, et d'abord un mensonge. C'est par *désobéissance aux lois de l'Église*, auxquelles elle est moralement soumise elle aussi, que la hiérarchie actuelle interdit la messe catholique légale et normale, et impose comme obligatoire une messe nouvelle qui est seulement permise par la législation en vigueur. Et c'est commettre, au moins matériellement, une *désobéis­sance* à l'Église que de suivre les hiérarques en place dans leur arbitraire, dans leur infidélité, dans leur tyrannie contraire aux lois de l'Église ([^5]). Qu'on n'aille pas chuchoter que l'interprétation donnée par Salleron dû décret du 26 mars 1970 n'est pas la bonne : car de ce décret, *il n'existe aucune autre interprétation*. Louis Salle­ron en est à ce jour le seul commentateur. Aucun autre auteur, ni ecclésiastique ni laïc, n'en a dit, à notre connaissance, un seul mot. Le livre de Salleron sur la nouvelle messe n'apporterait-il que cette précision, elle serait déjà décisive. Mais ce n'est encore que l'introduction de l'ouvrage. #### V. -- Le contenu du livre Il comporte quatre grandes parties : 1\. -- L'aggiornamento de la messe (quatre chapitres). 2\. -- L'abandon du latin (quatre chapitres). 3\. -- L'imbroglio de la nouvelle messe (trois chapitres). 4\. -- La messe évolutive (neuf chapitres). 13:150 #### VI. -- Sa principale force On y suit, au fil des chapitres, la chronique d'un désastre, son cheminement depuis la constitution conciliaire (ou plutôt depuis la fin de la guerre : c'est le chapitre III de la première partie, et c'est l'un de ceux où se manifeste le mieux l'esprit extraordi­nairement aigu de Salleron, quand il montre dans *la guerre*, la seconde guerre mondiale, une *cause de la subversion* présen­te, même liturgique et religieuse) ; on y voit à l'œuvre les « thè­mes de l'aggiornamento » : le *retour aux sources*, la *désacrali­sation*, l'*intelligibilité*, le *communautarisme*, le *culte de l'hom­me *; on y parcourt les étapes successives du drame, la constitu­tion apostolique *Missale romanum*, la lettre des cardinaux Otta­viani et Bacci, l'instruction du 20 octobre 1969, l'ordonnance du 12 novembre 1969 de l'épiscopat français, les deux allocutions de novembre 1969, l'adhésion de Taizé, l'affaire de l'article 7, la promulgation du nouveau Missel romain... Et le processus de la communion dans la main, la célébration par petits groupes, le missel-agenda, l'intercommunion et le reste... La qualité du livre est celle de l'observateur, pénétrant et informé, dont chaque jugement, chaque opinion, fût-ce de détail, retient l'attention et, même si d'aventure on ne l'approuve pas tout à fait sur un point particulier, excite la réflexion, éclaire la pensée. Mais la force principale du livre est dans sa netteté absolue sur l'essentiel. La pensée de Salleron ne fléchit pas. Son expression n'est pas voilée. La nouvelle messe est mauvaise. La nouvelle messe est dé­testable. La nouvelle messe est dangereuse. La nouvelle messe est une désintégration de la religion catholique : « *A quel moment sort-on du culte catholique pour entrer dans le vaudou ? Dieu seul le sait. Mais il est certain qu'à la limite on est plus prés de la magie que de la messe. *» ([^6]) Que l'article 7 -- et beaucoup d'autres -- de l'*Institutio ge­neralis* aient été rectifiés ne change rien au nouveau rite. C'est le nouveau rite, c'est le nouvel ORDO MISSÆ lui-même, et non pas seulement ni principalement l'*Institutio generalis*, qu'incri­mine le « Bref examen critique » présenté à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci ([^7]). Le fameux article 7, c'était l'aveu de l'intention qui a présidé à la confection de la nouvelle messe. 14:150 Retirer l'aveu, retirer seulement l'aveu de l'intention, ce n'est nullement retirer ce que l'intention a produit : « Quand une idée inspire un texte soigneusement construit elle finit toujours par s'imposer. L'inten­tion de l'auteur assure la cohérence intime du texte et aboutit, à la fin, au résultat cherché. Or l'inten­tion des rédacteurs de la nouvelle messe nous est connue. Ils l'ont exprimée eux-mêmes dans l'*Institu­tio generalis* qui, ne l'oublions pas, est la présenta­tion, l' « exposé des motifs » de l'ORDO MISSÆ S'il a fallu rectifier profondément l'*Institutio* par des corrections substantielles apportées aux articles les plus importants, c'est que leur doctrine était pour le moins équivoque. Ils voulaient faire une messe « œcuménique », acceptable aux protestants, et don­naient de la messe une définition qui était bien plu­tôt celle de la cène luthérienne. La « présentation » de la messe a été modifiée, mais le « texte » même de la messe est resté tel quel. » ([^8]) D'ailleurs, *il n'y a pas* en réalité « une » ou « la » nouvelle messe : ni en intention ni en fait. Cette observation de Salleron rejoint la solennelle Déclaration du P. Calmel. Salleron : « Où est la messe là-dedans ? Ce n'est pas le nou­vel ORDO MISSÆ qui remplace l'ancien. C'est une « messe a perpétuellement nouvelle, variée à l'infini, qui remplace LA messe, dans un devenir sans limite. » ([^9]) Le P. Calmel : « En réalité, cet ORDO MISSÆ n'existe pas. Ce qui existe, c'est une Révolution liturgique universelle et perma­nente, prise à son compte ou voulue par le pape actuel, et qui revêt pour le quart d'heure le masque de l'ORDO MISSÆ du 3 avril 1969 (...). Commencée par le pape puis abandonnée par lui aux églises nationales, la réforme révolutionnaire de la messe ira son train d'enfer. » ([^10]) Et voici comment Louis Salleron termine son livre : « Tout, aujourd'hui, s'effrite ensemble. Tout ne sera restauré qu'ensemble. 15:150 Nous n'assistons ni à l'éclosion d'une messe nou­velle, ni à la fin d'une messe ancienne. Nous assis­tons à l'éclipse de la messe éternelle. Les éclipses ne durent qu'un temps. » ([^11]) De telles conclusions ont été énoncées et démontrées, par Salleron lui-même comme par les auteurs ecclésiastiques cités plus haut, depuis maintenant plus d'une année. Il importe de savoir, et de faire savoir, qu'elles n'ont pas été réfutées. Le seul faux-semblant de réfutation accuse d'être « schis­matiques » les « intégristes » qui prétendent que le texte latin, publié à Rome, du nouvel ORDO MISSÆ est *positivement* héréti­que, et que la messe célébrée selon ce rite est *de soi invalide.* Mais l'abbé Raymond Dulac n'a jamais dit cela. Ni le *Bref examen* et le P. Guérard des Lauriers. Ni le P. Calmel. Et pas davantage Louis Salleron. Dont voici le livre. Si les partisans de la messe réformée veulent s'y attaquer, qu'ils s'y attaquent donc. Par raisons démonstratives. Enfin. S'ils le peu­vent. S'ils l'osent... #### VII. -- La nouvelle messe est pour une foi nouvelle Le plus probable est qu'ils n'oseront pas. Un vrai débat sur la messe contraindrait les réformateurs à déclarer leur idée de derrière la tête. Car c'est seulement leur idée de derrière la tête qui *justifie* à leurs yeux leur réforme. Et cette idée hétérodoxe, si elle était clairement énoncée, il leur faudrait la désavouer aussitôt, comme ils ont dû faire pour l'*Institutio generalis* qui la laissait un peu trop entrevoir. « *Tout cela, dira-t-on, n'empêche pas que la nouvelle messe a été adoptée partout... *», s'objecte à lui-même Louis Salleron ([^12]), « ...*et que les fidèles s'en accommodent fort bien. *» 16:150 Il répond : « *C'est exact -- réserve faite d'un malaise assez général et qui va croissant -- mais notre observation ne concerne pas l'acceptation ou le refus de la nouvelle messe, elle porte sur le fait que celle-ci est acceptée comme une nouveauté et qu'en conséquence c'est une foi nouvelle et non pas la foi tradition­nelle qu'elle tend à nourrir. *» Même si Louis Salleron se fait ici une idée exagérément pes­simiste de cette «* adoption partout *» (car enfin il y a tout de même 1° les lieux où la nouvelle messe n'est pas adoptée, à commencer par celui, qui est loin d'être le seul, où l'on voit Salleron en personne assister à la messe dominicale, et 2° les lieux où la nouvelle messe est subie sans être acceptée), -- l'im­portant n'est pas là. L'important n'est pas dans le décompte nu­mérique des acceptations et des refus, mais dans l'observation qui dépasse ce décompte : «* la nouvelle messe *», quand elle est acceptée, «* est acceptée comme une nouveauté *» ; et EN CONSÉ­QUENCE, dit très bien Salleron, «* c'est une foi nouvelle et non pas la foi traditionnelle qu'elle tend à nourrir *». Le décompte numérique des acceptations ou des refus importe assurément pour mesurer les dimensions de la catastrophe ; il n'importe aucunement dans le débat intérieur de chaque conscience s'in­terrogeant sur son devoir. La messe nouvelle est la messe du nouveau catéchisme ; et le nouveau catéchisme est celui d'une autre religion. Quand bien même le monde entier, par aveugle­ment, par lâcheté ou par perversité, l'accepterait, cela n'atté­nuerait en rien le fait que la messe nouvelle est tendancielle­ment orientée en direction d'une foi nouvelle, qui pour autant précisément qu'elle est nouvelle n'est plus la foi catholique. Une foi désormais *évolutive* est au cœur d'une liturgie elle-même de­venue *évolutive *: « ...La liturgie est devenue évolutive. Ne l'était-elle pas déjà ? Non, elle ne l'était pas. Elle obéissait à la loi du développement, non à celle de l'évolution. Il ne s'agit pas d'une nuance entre deux notions voi­sines, il s'agit d'une différence totale. Un enfant qui devient un homme obéit à la loi du développement. Un singe qui devient un homme (si cela se trouve) obéit à la loi de l'évolution. » ([^13]) C'est le changement de religion et de foi qui inspire secrè­tement la réformation de la messe : 17:150 « La messe, des origines à nos jours, s'est « déve­loppée », quoiqu'à vrai dire elle ait été à peu près fixée dès le V^e^ siècle. Les changements qu'on lui fait subir sont présentés par Paul VI comme des manifes­tations de développement, mais ils sont revendiqués par les novateurs comme un phénomène d'évolution, annonciateur de changements nouveaux. Autrement dit, ce n'est pas la même messe, expres­sion d'une même foi, qui, pour les novateurs, vient de naître, c'est une nouvelle messe, expression d'une foi nouvelle -- prolongement, certes, de l'ancienne, mais dans un renversement dialectique qui ne per­met pas de préjuger du futur. Au moment où, dans le monde de la science, la notion d'évolution n'est plus retenue que comme un cadre de travail et de raisonnement, sans qu'aucun savant se hasarde à en préciser le contenu ou même simplement la signification, elle se répand dans les milieux religieux comme le dogme unique où se dissolvent les Vérités de la foi. » ([^14]) Parce qu'il est de Louis Salleron, parce qu'il est sur la messe, et parce qu'il est ce qu'il est, ce livre est un événement. « *Il est heureux qu'un certain nombre de prêtres tiennent à continuer à dire la messe de saint Pie V *», déclare en terminant Louis Salleron ([^15]) : « *ils préservent les chances d'un redressement qui, sans être pour demain, interviendra bien tout de même un jour ou l'autre. *» #### VIII. -- C'est un livre à faire connaître et à faire circuler A vues humaines en effet, selon le processus prévisible des causalités mesurables par la raison, ce n'est pas « pour demain » que l'on peut escompter les effets sensibles d'un redressement. Supposé que cette année, ou l'année prochaine, il nous soit donné tout d'un coup un autre saint Pie V, un autre saint Pie X, disons si vous voulez un saint Pie XIII, comment gouvernerait-il une société ecclésiastique que l' « évolution conciliaire » a sys­tématiquement rendue ingouvernable ? Le désordre fondamen­tal et universel qui s'est installé dans l'Église depuis dix ans, mais dont les racines remontent beaucoup plus loin, ce n'est pas d'un trait de plume et par simple décret qu'on pourra l'annuler. 18:150 Il y faudra l'autorité légitime, il y faudra la sainteté authenti­que, aidées l'une et l'autre par quelques miracles de première grandeur. Pour la messe elle-même, si cela avait dépendu de nous, nous n'aurions jamais laissé s'instituer universellement l'usage ex­clusif d'un vernaculaire liturgique qui contredit toute la tradi­tion et toute la pédagogie de l'Église, y compris la constitution apostolique *Veterum sapientia* promulguée par Jean XXIII et y compris la constitution conciliaire sur la liturgie promulguée par Paul VI. Mais inversement, le jour où l'autorité légitime dans l'Église entreprendra de restaurer la foi, les sacrements et la liturgie, nous ne réclamerons ni n'attendrons point d'elle que d'un seul coup elle rende à nouveau la messe obligatoire en latin pour tous et d'un bout à l'autre. Des transitions, des concessions seront pratiquement nécessaires : elles sont moralement possi­bles sur cette partie de la messe que l'on appelait autrefois « avant-messe ou messe des catéchumènes ». (Et même, dès au­jourd'hui, dans les cas où ils ne peuvent faire autrement que consentir quelque concession à la pression administrative pour éviter un plus grand mal, c'est sur cette première partie de la messe que les prêtres et les paroisses fidèles peuvent éventuelle­ment admettre des retranchements, déplorables mais non pas vitaux.) Mais il faudra bien restaurer universellement le mini­mum indispensable, qui est dès aujourd'hui le minimum à con­server dans tous les cas : l'intégrité de cette partie de la messe que l'on appelait « messe des fidèles » ; avec l'offertoire et le canon romain intégralement en latin dans l'Église latine. Peut-être cependant est-il tolérable et sera-t-il toléré que par exem­ple l'offertoire soit dit en vernaculaire : car il vaut mieux, il vaut infiniment mieux un véritable offertoire maintenu ou res­tauré en vernaculaire que pas d'offertoire du tout ; et il faut bien comprendre que les habitudes vernaculaires données à des masses de prêtres et de fidèles, et imposées dès le catéchisme pendant des années et des années, ne pourront être supprimées du jour au lendemain. L'autorité hiérarchique, quand elle entre­prendra de remonter la pente au lieu de continuer à la descen­dre, se trouvera en face de très difficiles problèmes « pasto­raux », prudentiels et pédagogiques dont la solution n'est pas donnée d'avance. Quoi qu'il en soit de telles spéculations prospectives, dès maintenant et toujours il faut sans exception *préférer* le canon romain aux autres « prières eucharistiques » et il faut sans exception *maintenir* l'offertoire plutôt que l'omettre ou le rem­placer. Les prêtres qui tiennent fermement à ce minimum sont persécutés, sont méprisés, ou dans le meilleur des cas sont tout juste tolérés. On saura que le redressement est commencé quand ils seront au contraire honorés par l'autorité hiérarchique, en­couragés et cités en exemple. Mais bien entendu, ceux qui ont le courage et la générosité de ne pas s'en tenir parcimonieuse­ment au minimum, c'est la messe catholique de toujours qu'ils célèbrent intégralement, et c'est à ces prêtres-là d'abord, c'est à ces prêtres-là surtout que nous invitons sans cesse nos lec­teurs à apporter leur soutien matériel et moral. 19:150 C'est eux surtout qui, dans l'actuelle société ecclésiastique, sont, au mieux, tout juste tolérés avec mépris, et plus souvent persécutés. On saura que le redressement est commencé dans l'Église quand les évê­ques, ou au moins un, de Rome ou d'ailleurs, à haute et officielle voix proclamera avec autorité ce que déclare Louis Salleron : « *Il est heureux qu'un certain nombre de prêtres tiennent à continuer à dire la messe de saint Pie V *». Que des messes tron­quées, résumées, des messes-digest, des messes en pilule, des messes vernac, purgées toutefois de ce qui les rendrait invali­des ou scandaleuses, soient à la rigueur tolérables et demeurent en fait tolérées, ce n'est pas à nous d'en juger, et en tous cas nous n'élèverons point de réclamations là-contre si telle est la prudente concession de l'autorité hiérarchique quand elle aura été restaurée après son collapsus actuel. Mais dans l'attente de ce jour nous ne cesserons pas de redire, avec Salleron et comme Salleron : « *Il est heureux qu'un certain nombre de prêtres tiennent à continuer à dire la messe de saint Pie V *». Nous ne cesserons pas d'assurer à ces prêtres tous les secours en notre pouvoir. Nous ne cesserons pas, comme Salleron, avec Salleron, d'en répéter et d'en faire entendre la raison : «* Il n'y a pas, à regarder le fond du problème, de débat entre l'ancienne messe et la nouvelle messe. Il n'y a que le problème de la messe en elle-même... Nous n'assistons ni à l'éclosion d'une messe nou­velle, ni à la fin d'une messe ancienne. Nous assistons à l'éclipse de la messe éternelle. Les éclipses ne durent qu'un temps *». Dans l'ordre de l'action attachons-nous chaque jour à ce qui dépend de nous. Le livre de Louis Salleron est une arme supplémentaire et capitale qui vient de nous être donnée. Pour l'information, pour la documentation, pour la réflexion des laïcs et des clercs, -- et spécialement de ceux qui tiennent la réformation de la messe pour une affaire secondaire, relevant en somme d'une sorte d'option libre, ou bien pour un problème ésotérique réservé à quelques grands initiés, -- on fera connaî­tre et on fera circuler le livre de Louis Salleron. Il est un témoignage. Il est un acte. Il inoculera des vitamines aux masses d'hésitants et aux as­semblées de silencieux. Il raffermira les résolutions et il ranimera l'espérance. J. M. 20:150 ## CHRONIQUES 21:150 ### Préservez les petits par Luce Quenette LA MISÈRE SPIRITUELLE des jeunes enfants est insondable. C'est un étouffement, une marée de boue, les plus petits sont les premiers submergés. Et il ne semble pas que ce massacre fasse lever une grande force de résistance et de colère. Les personnes pieuses voient-elles comment les jeunes enfants de trois ans à huit ans (ce sont limites arbitraires) sont ravagés, blessés, empoisonnés. J'ai dit que tous les enfants avaient tendance à se conduire comme des « inconnus dans la maison » -- je crois l'avoir démontré ([^16]). Mais peut-être n'ai-je pas marqué assez l'immi­nence et la grandeur du danger pour les plus petits. Nous *expérimentons* actuellement qu'il est beaucoup plus difficile de remettre d'aplomb ces plus petits que les dix ou douze ans. C'est un phénomène qui nous a paru d'abord étrange, un peu décourageant, anormal. Nous raisonnions dans l'abstrait, presque selon la quantité : cet âge est le plus tendre, le plus confiant, le plus crédule, il est donc le plus aisé à redresser. Erreur profonde : cet âge est marqué par les violentes images plus irrémédiablement que ce qu'on a appelé avec raison l'en­fance adulte qui se place environ entre 9 et 13 ans. L'affreuse pédagogie « psychiatrique » freudienne de notre temps s'attaque avec plus d'efficacité aux « sujets » de trois à huit ans. Deux plaies sont ouvertes aux cœurs de ces petits là par la pédagogie régnante et la nouvelle religion qui en est insépara­ble : l'impiété et la méchanceté. 22:150 #### **L'impiété.** Alain, sept ans, ne cesse, en catéchisme, de vouloir raconter « cette messe où un Évêque lui a mis un calice dans les mains en le forçant à boire, où des religieuses puisaient à même dans des corbeilles, de grosses hosties, où une file de gens recevaient d'un monsieur à col ouvert et en bras de chemise, des hosties dans la main, etc. ». L'enfant est intelligent et équilibré. Ce souvenir l'obsède. J'en parle à ses parents. « Mais, me disent-ils, le pauvre petit n'a jamais assisté à une messe pareille. Ce qu'il raconte se distribue entre sept ou huit dimanches où nous avons erré pour trouver « le moindre mal ». Le coup du calice s'est perpétré dans une abbaye où nous devions assister à une Première Communion. Alors, ajoute le père très intelligent, je vois que, dans son imagination, tous les scandales dispersés se sont fixés sur un seul tableau obsédant : la mauvaise Messe. » Le papa a raison et je dois ajouter : l'enfant évoque ce tableau synthétique sans horreur, avec une certaine curiosité d'autres *distractions* possibles, du même genre. Puis cette vague d'impiété se dissipe, Alain suit sa bonne Messe avec ardeur, c'est même lui qui, tout absorbé, a lu à demi-voix, sans s'en apercevoir, les actes avant la Communion. Seulement, quand l'excitation revient et la paresse et l'insolence, le sou­venir de la fameuse messe robot revient aussi. C'est pourquoi, un jour où on lui défendait de reparler de cet affreux souve­nir, il fit cette question à laquelle seule l'obsession de cette *diabolique* messe donne son sens : « C'est un péché de penser au diable ? » Brusquement, un petit camarade du même âge s'écrie en leçon de catéchisme : « Les grosses hosties, très grosses (il veut dire épaisses) quand on les mange, *ça fait biscuit ! *» Le but de Satan dans cette ruse infâme était bien visé. Et celui-ci, 8 ans : « Je ne veux plus aller à la paroisse, en voyant la Sœur donner la Communion, ça me prenait l'envie de toucher l'hostie. Une fois, il y avait une petite fille avant moi, M. le Curé a fait tomber une hostie par terre, elle a eu peur, mais il a dit : « ramasse ! » Elle a ramassé. Je pense à ça. » « Moi, j'ai vu une autre petite fille, elle a pris l'hostie dans la main, *mais elle ne l'a pas mangée,* j'en suis sûr, *je l'ai tout le temps regardée,* elle l'a emportée à sa place. » 23:150 Et cet autre : « Le prêtre avait fait tomber une hostie ; la dame devant moi a dit : « Monsieur l'Abbé, ramassez-la, ra­massez-la ! » et il n'a pas voulu ! » « Je suis entrée dans cette Messe en musique bizarre », dit cette maman, « Jean avait quatre ans, il *s'est mis à se trémous­ser en mesure,* je l'ai pris sur mes genoux, *sans pouvoir le calmer.* Pourquoi suis-je restée ? » J'entends l'objection : Mais nous ne savions pas que nos enfants pensent à tout cela ! J'ose renvoyer à notre méditation sur *Les inconnus dans la maison.* C'est la leçon de catéchisme, c'est l'habituelle conversation sur Dieu aux âmes, c'est la réfé­rence familière à Dieu qui fait déborder le torrent des ques­tions, éclairer et conjurer l'angoisse inconsciente. Les mamans qui font le Catéchisme, les mamans *inquiètes de l'état de grâce,* savent que je dis vrai. Mais, direz-vous encore, vous mettez au jour des refoule­ments obscurs, vous appliquez donc ce freudisme dont vous avez horreur ? Je fais juste le contraire : L'enfant se tait devant vous sur ces troubles curiosités im­pies dont il parle aux autres et qui lui pourrissent le cœur, je ne les lui révèle pas comme savoureuses et légitimes, *je les juge, au nom de Jésus-Christ,* péchés, ou au moins occasions de péchés, impiétés *qu'il faut confesser* et auxquelles il est dé­fendu de jamais penser après l'absolution. Mais je signale que, dans la conscience in-formée des tout jeunes, les images sont tenaces et particulièrement dangereuses. Quand, sous les yeux d'un être si faible, le grand mystère divin au lieu de pénétrer et courber l'âme, excite les convoi­tises, la moquerie, la curiosité et se présente sous une forme diabolique, *voire amusante,* mesurez l'effrayante difficulté du sauvetage. Les six, cinq ans, quatre ans sont de plus en plus nom­breux qui n'ont pas vu une Messe digne. #### **La méchanceté.** Quant à la méchanceté des petits, il faut en parler. Elle se signale en nos jours par le péché d'envie : la joie maligne de voir punir l'autre et surtout l'ardeur maligne à le faire gronder, priver, et à ajouter à son chagrin le spectacle de ses petites prospérités à soi. 24:150 Que la charité, l'amour fraternel soit parti­culièrement offensé quand, dans le cœur du petit enfant, l'amour de Dieu, le respect et l'adoration ont été souillés et moqués, qui s'en étonnera ? *Et la révolte,* la haine des jeunes yeux chargés d'un pareil désir de vengeance, ne doivent-ils éveiller dans les parents que cette stupide « révision de vie » : *En quoi l'ai-je frustré* Qu'ai-je donné de plus à la petite sœur ? De quoi est-il jaloux ? A quoi *a-t-il droit* dont je l'aurais inconsciemment volé ? Questions vides, fausses, meurtrières, mal posées. Mais trop de problèmes sont soulevés là pour que nous les traitions en quelques lignes ! Le freudisme qui n'est que la putréfaction de la philosophie pédagogique de Rousseau a pénétré partout, absolument partout ; la société (parents -- enfants -- éducateurs) en est gavée à son insu. Et quand on parle du malheur spirituel de l'enfance, il faut soulever et faire craquer l'énorme croûte d'aberrations qui cache les principes éternels de l'éducation chrétienne. C'est pourquoi je suis amenée à redonner ici mon étude sur « *les méchants petits enfants *»*.* Je supplie, pour l'amour des âmes, qu'on la lise comme *un témoignage vécu dans des expé­riences innombrables,* et qu'au lieu d'y voir une sévérité ou un pessimisme d'opinion, on y *étudie* les évidentes consé­quences des principes révolutionnaires au cœur de la famille chrétienne. #### **Les méchants petits enfants.** Ce titre seul, qui est une affirmation, paraît un blasphème contre les dogmes admis sur lesquels non pas repose, mais meurt notre société. Ces mensonges érigés en dogme sont le fruit de la philo­sophie révolutionnaire. Toute philosophie engendre immédia­tement une pédagogie. Aristote l'affirme, mais cela va de soi. Notre pédagogie est donc une pédagogie moderniste, et l'erreur moderniste étant le cloaque de toutes les hérésies, la pédagogie actuelle en est l'application aux pauvres petits enfants des hommes. 25:150 Qui sont ceux qui imposent pratiquement ce joug insensé aux éducateurs ignorants et naïfs ? *Les* « *psychiatres *»*,* et der­rière eux les prêtres dévoyés qui ont pris, à leur école, horreur des notions éternelles catholiques : le Péché originel -- la concupiscence -- la responsabilité -- l'ascèse -- la pénitence -- la chasteté -- l'obéissance à la loi morale -- l'expiation par la Croix -- les fins dernières -- le jugement de Jésus-Christ... ([^17]) Tout le monde, ainsi, apprend la pédagogie des psychiatres. Il en faudrait, des psychiatres, quatre fois plus, lisais-je dans une revue médicale ! Et je répète que, lorsque, du psychiatre, on en appelle au prêtre dans le vent, on trouve un disciple respectueux et admiratif. I. -- Les psychiatres sont eux-mêmes les disciples de J.-J. Rousseau, avant d'être ceux de Freud. Ils *interdisent absolu­ment de croire à la méchanceté de l'enfant.* L'enfant est *tabou.* II\. -- Or, *l'enfant tabou est méchant,* naturellement, consciemment, gravement. Il est responsable et coupable. Nous verrons dans quelle mesure. Mais le croire innocent, irrespon­sable et inconscient, c'est le pervertir. III\. -- L'éducation des petits exige donc : *a*) l'horreur du psychiatre ([^18]) ; *b*) la présence continue de la mère CHRÉTIENNE, armée de toute sa Foi et particulièrement convaincue de ce dogme le péché originel. Hors de cette Foi et de cette conviction, la mère la plus attentive est une absente, une « coupable absente ». Cette *absence de la mère,* absence *morale,* est la cause pro­fonde de la perversité de la première éducation. Le remède est tout trouvé ! Or, quand un bébé est intenable, on va chez le médecin, et, avec les calmants, il vous prouve que la pharmacie est édu­catrice. Si elle reste impuissante, si les colères et les exigences de bébé dépassent l'endurance des parents, il y a le psychiatre. 26:150 Allez donc chez le Mage ! Après deux heures d'entretien, il vous sera démontré que dans votre enfance, la frustration qui a suivi pour vous, par exemple, le déménagement de vos parents en province, a pro­duit un complexe dont vous vous vengez sur votre enfant, par des exigences qui le compriment et expliquent son compor­tement. On vous donne des conseils honteux, difficilement répétables, qui doivent remédier à la situation. Vous partez, dégoûtée de vous découvrir si animale, si méprisable, et prête à toutes les abdications. Tous les conseilleurs vous apprendront à fouiller « *dans les mauvaises pensées *» que votre éducation chrétienne vous avait appris à renier et à chasser comme des tentations, et où, paraît-il, il vous faut trouver l'explication des caprices, des tyrannies et des sottises de vos tout petits. Et les amies vous aideront dans ce bel exa­men de conscience ! -- « Oh, ma chère, vous le privez ! vous le fessez ! vous le grondez ! vous le dressez ! mais il ne comprend pas, vous allez lui donner des complexes. Attendez qu'on puisse le raisonner -- toutes ces colères viennent de l'alimentation. Main­tenant, on laisse les petits s'épanouir beaucoup plus ; observez, *n'intervenez pas !* Moi je n'interviens que pour la sécurité, je laisse faire ! ils sont si drôles, *tellement plus développés qu'au­trefois ! *» Le principe-maître, dominateur absolu, celui dont l'appli­cation répare enfin des siècles d'aberrante éducation autori­taire, c'est le dogme de l'EXPRESSION LIBRE. Pourtant, dans la nature et dans la raison et dans la civili­sation, et jusque dans la vie animale et végétale, il est écrit que le petit est abandonné, faible et impuissant, aux soins, à la prudence, à la transmission généreuse des adultes. Eh bien, la pédagogie de Jean Jacques arrache l'essentiel de cette évi­dence majeure. L'adulte est fait *pour regarder l'expression libre de la vitalité informe.* Cela va loin : la « monitrice » consentante entièrement déshabillée et battue par la libre expression des tout petits défoulés ; le moniteur ligoté et peint au mercurochrome, puis enfermé joyeusement dans le placard. Je cite pour montrer l'aboutissement du principe. 27:150 Mais le même principe interdit de dire au gosse gribouil­lard ce blasphème : *ton dessin est laid ;* au gosse criard : *tu chantes faux.* Votre devoir, c'est une extase dévotieuse devant l'expression sacrée, librement jaillie. Hein ! plus d' « enfants gâtés », mais : -- gosses qui affirment leur personnalité, -- qui ont bien les pieds sur terre, -- qui savent bien ce qu'ils veulent... allez ! D'où les monstres ! Je parle des âmes, non des corps. Quoique le physique des petites âmes monstres exprime une vanité, une suffisance, une arrogance, une domination, une tyrannie, c'est-à-dire, en de si faibles créatures, une stupidité qui aliène et déforme la grâce proprement enfantine. Oui, notre « civilisation », notre « pédagogie » nous fait de méchants petits enfants. Or le psychiatre nous assure que l'enfant est innocent. Parlons Jean-Jacques, c'est tellement plus simple que le jargon des freudisants : l'enfant naît bon ; c'est la société qui le corrompt. Protégez-le de toute société : il reste innocent. Toute la méchanceté, la sournoiserie, la malice apparentes de l'enfant lui viennent de l'adulte dont les « motivations in­conscientes » sont toutes inavouables ! Comprenons bien : ces apparences troublantes chez l'en­fant n'ont pas pour causes une éducation immorale ou anti­chrétienne, mais des frustrations instinctives que lui imposent les complexes et les refoulements des adultes. Lui, l'enfant, est « incondamnable » -- il est assuré d'impunité. Je vous le dis amenez n'importe quel petit gosse furieux au psychiatre, il l'innocentera et découvrira en vous un scorpion, un crapaud inconscient, cause de l'état affreux de l'enfant innocent. « Le petit être humain est considéré comme intouchable, à l'abri de tout soupçon, incapable de toute vilenie, de toute méchanceté. » Dans son article « le tabou de l'enfance », Claude Elsen ([^19]) s'en étonne. Il y voit une contradiction avec cet étalage de l'atrocité intérieure, spécialité de nos remueurs de cloaque. Mais voyons ! C'est la fidélité à Jean-Jacques ! Ils ne le savent pas, mais ils sont ses fils. Toujours bien simple l'homme naît bon, c'est la société qui le gâte ! 28:150 Quid de la société ? Freud, en bon disciple, chipe la ré­ponse à Jean-Jacques : la Société, c'est l'ordre moral, c'est la contrainte de la convenance, c'est le refoulement érigé en loi, c'est la tyrannie du permis, du défendu, du légal, du légi­time, du décent. D'où : éducation = libération = révolution. La mère affligée d'un petit méchant fixe ses beaux yeux pathétiques et confiants sur le prophète qui, armé d'une pin­cette, cueille dans la cochonnerie ignorée de son inconscient à elle, des horreurs refoulées que la maman constate en plein jour ; elle sanglote, mais elle a confiance, et elle s'en va, « expli­quée » par son Directeur, ayant transposé sur cet imbécile ce besoin chrétien des âmes de recevoir, d'un saint interprète, des conseils d'amendement et de perfection. Il ne reste plus qu'à envoyer le mari subir la même opération, et puis de pleurer ensemble devant la petite idole, victime de tant... « de travestissements des tendances secrètes d'une libido insatisfaite ou mal évoluée » ! Et voilà le petit enfant livré au diable, c'est-à-dire : «* com­pris *» -- «* observé *», qu'il ne faut *ni cabrer, ni braquer, ni frustrer, ni dresser*. Quoi, ange ou bête, ou ni ange, ni bête, mais surtout pas homme -- pas né dans le péché, pas racheté par Jésus-Christ ; et, bien que baptisé, comme ne l'étant pas. L'élevage du monstre est commencé ! *Les parents sont absents* puisqu'ils ne connaissent ni son âme, ni son corps, ni sa définition, ni Dieu en lui, ni sa desti­née surnaturelle. Vous direz : mais ils sont chrétiens, ils veulent bien faire. Ils le grondent quand même, ils lui donnent parfois des raclées, ils lui disent souvent qu'il est méchant. Oui, mais *au nom de quels principes ?* C'est ce que nous allons expliquer. On m'a reproché, quelquefois, de voir les enfants en beau, de juger sur une petite élite « élevée en serre chaude » (cette affreuse expression !) et même « en ghetto » ! Je vais faire preuve de mon réalisme. Voyons l'enfant laissé à *la nature*, à *l'éducation négative* de Jean-Jacques, et dans son âge « le plus innocent » comme on dit, tout petit, entre deux et six ans. Selon mon habitude, je ne livre que quelques expériences vécues, authentiques, prises comme plus caractéristiques dans des centaines du même genre, quelques exemples de ce que les gardes rouges appellent en Chine « une terreur de nursery ». 29:150 « Celui-ci, me dit une jeune maman, ce Robert de trois ans, c'est notre gangster, il est effrayant, il fait marcher tout le monde et il ne cède jamais. » -- « Mais vous le corrigez ? » -- « Bien sûr, son père le rosse, c'est sans résultat ; il fait même comme s'il ne sentait rien ! » Je restais seule, un instant, au jardin, près de la table garnie de boisson et de petits fours. Robert s'en vient à petits pas, sa tête atteint juste le bord de la table, la petite main se lève, saisit un gâteau. « Robert, dis-je, laisse ce gâteau ! » « Non ! » répond une voix décidée, tranquille. Mais maman accourt : « Robert, veux-tu demander ! » « Non ! » dit Robert. « Alors, n'en prends qu'un ! » Mademoiselle s'occupe du dernier né. Mademoiselle a 16 ans, 17 ans, 18 ans, elle est Suédoise, Finlandaise, Allemande, An­glaise, Norvégienne, sa robe est mini, ses grandes cuisses bercent le benjamin et elle doit avoir l'œil sur Robert, dans la salle contiguë au grand salon, plein de monde. A Robert s'est joint son cousin Paul, trois ans également, et deux petits tri­cycles : un neuf, un usagé. Robert parcourt la salle sur l'usagé -- il pousse un rugissement à l'entrée de Paul qui met la main sur le tricycle neuf, Paul, qui est timide, se retire, Robert grimpe sur le beau tricycle, et Paul, encouragé par Mademoi­selle s'empare de l'autre, les deux cyclistes se croisent au grand dam du mobilier -- une certaine accalmie ! Soudain, Robert pousse un cri strident, saute du tricycle neuf, se précipite en hurlant sur Paul pour lui arracher le vieux tricycle. Paul sanglote mais, débonnaire, descend et va enfourcher le neuf. Cris et colère de Robert. Il est clair qu'il veut les deux, et à la fois. Mademoiselle tamponne les yeux, chouchoute, argumente, je me lève, je m'approche de Robert et j'applique une bonne gifle sur sa joue ronde. Les cris stridents dépassent toute me­sure. Grand-père, du salon, vient voir ce qui se passe. Made­moiselle est rouge, Paul pédale, Robert hurle. 30:150 Made­moiselle explique que Robert veut les deux tricycles, elle me regarde et je dis aussi calmement que je puis : « J'ai giflé Robert ! » -- « Vous l'avez giflé ! » dit le grand-père épouvanté, « mais madame, cela ne regarde que sa mère ! » Grand-père s'oblige à rester là pour éviter un autre éclat. Robert hurle toujours. Mademoiselle et grand-père me re­gardent avec réprobation. Cependant, les cris s'apaisent : la force physique abandonne le jeune enragé. Grand-père, et moi causons poliment. Tout à coup, une petite tête s'appuie sur mon genou, le visage souriant de Robert s'approche du mien avec l'intention évidente de se faire embrasser ! Mais bientôt ce doux visage se froisse et se tourmente : Robert veut faire du tricycle dans le grand salon. Il est rouge, prêt à éclater. De nouveaux cris alertent enfin sa mère, Mademoiselle explique le dernier caprice. Maman refuse, mais les pieds, les mains, les cris vont leur train. Maman permet alors de traverser le salon pour aller pédaler dans le hall. La transaction se peint en triomphe sur la figure de Robert, il sait qu'il a conquis la région de transit. Dans un instant, un autre caprice, un autre tourment, une autre transaction, et, me dit le grand-père, à la fin, son père horripilé donnera la raclée, à tour de bras, dans l'exaspération. \*\*\* Voici, aujourd'hui, en visite à la Péraudière, ce couple charmant avec cette toute petite fille de deux ans. Je remarque l'extrême intelligence des regards de bébé. Je n'ai que faire ! on me vante le chef-d'œuvre, on me raconte ses exploits qui tous vont à obtenir la satisfaction des pires caprices. Cepen­dant, papa dont on tire la cravate veut poser la petite mer­veille à terre. En un instant, c'est une furie, et les petits poings serrés tombent comme grêle sur papa... *enchanté.* Il rit, se cache et Lise court en le frappant de toutes ses forces jusqu'à ce que, les nerfs détendus par la boxe, sa rage se change en rire, tandis que papa mime une terreur de chien battu derrière sa chaise. Passe-temps fréquent : battre papa ! Réflexion de maman : « elle n'oserait pas sur moi ! » J'ai remarqué que cette lamentable, affreuse habitude de laisser les bébés frapper les parents se répandait comme un jeu presque courant : c'est symbolique ! \*\*\* 31:150 Christine, 4 ans, tourne, vire, reçoit de chacun un compli­ment. Qu'elle est jolie ! qu'elle sait bien passer les gâteaux ! quelle jolie robe ! On me dit qu'elle apprend à danser dans la classe enfantine. « C'est très bien, dit grand-mère, mais ne va-t-elle pas se croire une étoile ? » « Oh, répond la jeune mère, pour la naïveté, il y a long­temps qu'elle n'en a plus ! Maintenant, les filles se savent jolies avant de savoir lire ! On n'y peut rien ! » \*\*\* Denis a dix mois, on l'a assis dans sa voiture et ses petits jouets sont devant lui, il saisit le canard et le jette par-dessus bord. Maman ne se détourne pas. Il saisit le cygne qui suit le canard. Maman ne dit rien. Quand le chat en plastique rejoint le cygne, je ne résiste plus : « Vous ne l'empêchez pas ? » dis-je. Réponse : « C'est inutile, à cet âge, il ne peut com­prendre, j'attends qu'on puisse le raisonner ! » Je dis : « Mais vous pouvez, au moins, le dresser ! » -- « Oh, taisez-vous, dit la jeune femme scandalisée, mon enfant n'est pas un animal ! » Pendant ce temps, Denis a précipité le reste de la ménagerie, il crie de rage. Maman n'a plus qu'à ramasser le tout et le replacer devant Denis pour un autre voyage. -- « *Quand il m'agace trop, dit-elle, je le laisse seul, attaché dans sa voi­ture, et je m'en vais. Il grogne tant qu'il veut ! *» C'est cela : ni homme, ni bête ! \*\*\* L'arrière grand-mère de Germain est très vieille et un peu sourde, elle fait lire son alphabet à Germain. Le vieux doigt montre un *i*, Germain : « Hou, ou ! » Grand-mère qui a bien entendu : « C'est un *i*, dit-elle, pas un *O !* » -- « Je l'ai dit ! » réplique Germain. Grand-mère montre un *O*. 32:150 Germain glousse : « i, i ! » -- « Mais c'est un *O !* » dit grand-mère. « Je l'ai dit ! » réplique Germain. « Ah, je suis sourde, mon pauvre petit », soupire grand-mère. La jeune maman vient chercher Germain au milieu de ce jeu cruel et me dit *en riant :* « Vous avez dû comprendre : il fait exprès de dire n'importe quoi pour *faire croire à grand-mère que c'est elle qui n'entend pas bien. *» \*\*\* Pierre a battu sa sœur, détruit et cassé tout ce qu'il a pu, papa prive de dessert, mais permet un morceau de fromage. Pierre, cynique, bien haut : « Le fromage, c'est du dessert ! » Malheur au père, s'il rit ! \*\*\* On obtient facilement de Renée, cinq ans, un moment de répit si on lui dit *d'aller surveiller* l'ouvrier qui repeint le cabinet de toilette. \*\*\* Antoine joue avec le plus débonnaire des chiens, il le taquine, il lui tire la queue ; sa marraine-gâteau apparaît, Antoine pousse un horrible cri. « Qu'y a-t-il ? » se précipite sa marraine. « Il m'a mordu ! » -- « Mon Dieu, mon Dieu, la sale bête ! où donc, mon chéri ? » Et mon chéri montre un doigt rose intact. On l'en croit cependant, on le console, on maudit le pauvre chien qu'on n'ose frapper car il appartient à un invité. Tandis que marraine va chercher quelque bonbon consolateur, je dis tranquillement à Antoine : « Il ne t'a pas mordu, tu as crié pour faire croire à marraine ? » Le petit visage triangulaire aux yeux faux rougit, on me regarde, on voit que « *je suis sûre *» et, très bas : Non, il ne m'a pas mordu ! » \*\*\* Georges, le grand frère, est en première classe : il a disposé un fauteuil de la salle à manger devant sa petite table de travail et la table devant la fenêtre avec son texte, son brouillon de version, son dictionnaire. Il se lève pour aller chercher ses feuilles de copie. Danielle, trois ans, blonde et mignonne, se précipite, écarte le fauteuil et s'y installe. Georges revient : 33:150 « Sors de là ! » Elle bouche l'accès à la table. Georges tremble pour ses papiers, son stylo, et sa tranquillité : « Sors de là ! » Hurlements. Maman accourt : « Qu'y a-t-il ? » -- « C'est Georges qui m'a pris mon fauteuil ! » -- « Je t'en prie, ne taquine plus ta petite sœur, tu la fais crier ! » Il proteste. La gosse se carre sur le siège. Il faut déménager ! \*\*\* Arlette, 7 ans, a résisté toute la matinée à sa grande sœur, elle grogne, refuse tout travail, se moque, enrage, boude, l'aînée n'en peut plus. Une gifle depuis longtemps méritée. Papa paraît, Arlette se précipite, en larmes : « Jeanne est méchante ! » -- « Pourquoi l'as-tu frappée ? » dit papa. -- « Elle ne veut rien faire ! » soupire Jeanne. Et Arlette : « Mais si, papa, je veux bien, que voulez-vous que je fasse, papa ? » et câline, flatteuse, cachée dans les bras de papa. « Heureusement que j'ai mon bon papa ! » Lui, bouleversé, à Jeanne : « Tu ne sais pas la prendre ! » Cette scène peut se reproduire chaque jour, avec de très petites variantes. \*\*\* Et la colère vengeresse ! « J'avais six ans, me raconte une maman très consciente, une dent de lait branlante dont on parlait depuis trois jours. Je jouais devant l'atelier de papa. Papa dit : « Ouvre la bou­che ! » En une seconde, avec une rapide adresse, de ses pinces, il enlève la dent. Je n'avais rien senti. Mais je me mis à hurler *pour faire de la peine à papa,* pour lui faire croire que j'avais très mal. Je n'oublierai jamais le regard paternel, hésitant, et mon affreuse habileté d'aller dire à maman : « Ça m'a fait tant mal : papa l'a prise avec une grosse tenaille. » \*\*\* Tous les dimanches, dans la famille de Françoise, 6 ans, on passe devant chacun l'assiette de gâteaux fourrés, variés, avec la permission « de prendre celui que tu préfères ». Fran­çoise préfère très fort l'éclair au chocolat, mais l'amour-propre la tient tellement qu'elle ne veut pas qu'on sache com­bien elle désire passionnément ce gâteau-là. 34:150 Elle prend donc le croquet sec qui est à côté. Et puis, elle éclate d'une rage folle, hebdomadaire et incompréhensible, quand Marie-Claude sa sœur, prend « son » éclair au chocolat qu'elle n'a pas voulu. \*\*\* Jacqueline, quatre ans, est insupportable. Papa n'en peut plus. « Ma main me démange de te donner une gifle ! » sou­pire le pauvre faible. « Donne ta main, papa ! dit l'effrontée, que je la gratte ! » La famille, meurtrière, *rit !* \*\*\* Vous remarquerez que je ne vous dis que des « sottises » d'enfants normaux, ordinaires, de familles civilisées et chré­tiennes. Je ne vous présente aucun fait divers effroyable, de vicieux, de contre nature. Je ne me sers pas des romanciers. Je ne vous cite que pour mémoire cette petite Bette, de Balzac, qui voulait arracher le nez trop joli de sa cousine Adeline ; ou cette toute petite coquine dont parle Colette qui savourait les accents angoissés de sa mère le long de l'étang, tandis qu'elle se cachait dans les buissons. Je ne parle pas des sottises de Sophie dans l'admirable livre de Mme de Ségur, parce que ce sont des péchés sans la perversité qui nous fait peur dans de si petits. Et je finis par quelques traits terribles, pris toujours chez des enfants de familles normales, chrétiennes, actuelles, mais livrés simplement à cette pédagogie meurtrière qui observe, excuse, laisse faire, ou éclate en désespoirs et en sévices phy­siques passionnés. Le chapitre de la cruauté des petits enfants est hélas bien garni. La cruauté envers les bêtes, non pas cette cruauté in­consciente du bébé qui tripote le chaton. C'est la mère, ici, la vraie cruelle. Mais ce petit de trois ans qui dirige à travers la cour son tricycle contre le ventre du gros chien pacifique et rit aux éclats de ses gémissements. On a mangé, ce jour de Noël, en famille, chez le grand-père de Sylvain, cinq ans, deux canards rôtis, délicieux. L'après-midi, la fermière emmène Sylvain à la basse-cour et lui montre les poulets, les lapins, les canards. 35:150 « Et ceux qu'on a mangés ? » dit Sylvain pensif, « pour les tuer, on les a fait souffrir ? » -- « Le moins possible ! » répond la fermière étonnée. « Tant pis ! » reprend Sylvain, « il fallait les *faire bien souffrir ! *» De quel enseignement *en classe enfantine* relevait cet atroce défoulement ? Cruauté presque fétichiste, cette action « rituelle » de ce petit sept ans qui, après un reproche de son père, retourne la photo de celui-ci contre le mur et l'y maintient pendant huit jours. On a dit à Odette que tante Jeanne a des cors au pied qui lui font bien mal. Odette, de son tout petit pied de trois ans, frappe celui de tante Jeanne en criant : « Odette méchante ! Odette méchante ! » \*\*\* Je vais vous dire maintenant, l'incroyable : Alain, cinq ans, après six mois de classe enfantine par un disciple de Freud. Alain veut s'emparer du jouet de son petit frère. Maman dit non. Soudain Alain bondit sur l'appui de la fenêtre (4° étage) tourne les deux jambes dans le vide et, farouche, à sa mère terrorisée : « Tu me le donnes, ou je saute ! » Un autre jour, il a été insupportable en voiture, maman conduit, elle ren­contre le regard noir, chargé de rancune de son petit garçon. Elle ne sait que faire, ni que dire. On arrête, maman ouvre la portière, et, au moment de la claquer derrière elle, mue par un pressentiment inexplicable, elle se retourne : Alain a placé ses deux doigts dans la rainure de fermeture, il attend, l'œil fixé sur la portière « qui aurait dû claquer ». -- La mère : « Tu l'as fait exprès pour que je te fasse mal ? » La voix sèche : « Oui, pour que tu pleures ! » -- Je vous assure qu'Alain était normal, je l'ai eu ensuite en classe. Quelle perversion avait-on inoculée *dans la classe maternelle,* à ce bel enfant équilibré et porté à la piété que nous avons « converti » ? Cinq ans ! Je vous fais horreur ? Je vous assure que je n'exagère pas, que j'évite tous les traits relevant d'un psychisme malade, classé dans « anormaux » ou « caractériels ». \*\*\* Et j'en viens à l' « inconscience », l' « irresponsabilité » du petit enfant ? Quand j'avais huit ans, au pensionnat, un très bon Père nous fit un sermon sur l'Enfer (obligatoire dans une retraite de ce temps-là) : 36:150 je revois exactement la chapelle, nos rangs, je sens encore le consentement de ma raison quand il nous raconta l'histoire de la petite fille de quatre ans qui était en Enfer... on le savait par une révélation particulière, et celle de la toute petite fille qui mourait et qui appelait le prêtre à grands cris. On la croyait « un ange ». La bonne, épouvantée, lui demande : « Mais pourquoi ? vous êtes confes­sée ! » -- « J'ai caché que, quand mon petit frère s'est noyé, je l'avais poussé ! » Inconscience ? Irresponsabilité ? -- Rai­sonnons ! *Nous ne mesurons pas la gravité* des péchés des petits enfants. Nous ne jugeons pas la culpabilité d'Alain ou de Jacqueline. Nous estimons infiniment lourde par compa­raison, l'effroyable responsabilité des éducateurs. Mais enfin, nous respectons la *nature humaine,* dans le petit enfant, et la grâce. -- Il est évident que l'enfant est *un animal raisonnable*. Il répond à cette définition dès sa conception. Il faut donc le traiter comme tel dès sa conception. C'est pourquoi nous avons exposé les devoirs physiques et spirituels de la mère pendant la grossesse et dès la naissance ([^20]). Deux sortes de devoirs envers le plus petit : ANIMAL, d'où le *dressage ;* RAISONNABLE, BAPTISÉ, d'où : *l'éducation* *surnaturelle.* Sous la présidence d'une conviction religieuse : la concupis­cence (ô l'excellent terme théologique, à lueur sombre, pro­noncé depuis tant de générations chrétiennes), oui toute la concupiscence vient du *péché originel*, racheté quant à sa tache spirituelle par le sang de Jésus-Christ au baptême, mais vivant avec ses suites : les tentations, l'attrait au mal. J'ai mis au monde une *chair de péché*, un enfant de colère. Dès les pre­miers mois, je DISTINGUE entre ses plaintes DE SOUFFRANCE et ses sanglots DE COLÈRE. Le Mal vient *en lui*, non de l'Ordre Social, non de l'exté­rieur, car en effet, s'il n'avait pas en l'âme sa racine, les in­fluences extérieures ne sauraient être des tentations. Cet enfant que l'attrait du mal menacera jusqu'à son der­nier soupir, je dois le soumettre, le dompter *selon l'Ordre de Jésus-Christ*. C'est-à-dire, je dois diriger toute la vie de mon petit vers Dieu, tout de suite, avec toute mon intelligence et toute mon ingéniosité, par une présence d'esprit, une présence de grâce dont j'ai toute seule la charge, au début, parce que je suis la mère. Le père l'a aussi, cette grâce, cette mission, mais ni la nature, ni l'ordre social, ni l'ordre divin ne requiert de lui la continuelle présence dont je parle. 37:150 Mais, direz-vous, la raison n'est pas éveillée dans l'enfant, ni la connaissance de Dieu ! Précisons ! Que signifie : rai­son éveillée ? C'est une image qui, comme toute image sen­sible, laisse imprécise la réalité philosophique. La raison *est présente* dans l'enfant. *Elle est*. Tandis qu'elle *est absente* dans l'animal. Or le contenu essentiel de la raison, c'est l'idée de Dieu. Nous nous hâtons, nous brûlons les étapes. Nous ne perdons pas notre temps, avec cette petite créature rachetée, à compter les principes, les idées, les raisonnements. «* Signatum est super nos vultus tui Domine. *» Voici l'image et la ressemblance de Dieu ; cette intelligence enveloppée dans cette chair, endormie si vous voulez, n'est faite que pour l'idée de Dieu « marque de l'Ouvrier sur son ouvrage ». Première et habituelle méditation de la Mère : MÉTAPHYSIQUEMENT, cet être est *d'abord raisonnable et racheté *; PSYCHOLOGIQUEMENT, dans l'ordre progressif de son développement, il est *d'abord animal*. Alors l'idée directrice sera toujours celle-ci : je dois inspirer continuellement à mon fils, 2 ans, 3 ans, 5 ans, l'amour de Dieu, mais la tâche imposée qui va me prendre *le plus de* temps, c'est le *dressage de l'animal*. Eh bien, parlons du dressage d'un animal qui n'est qu'ani­mal. (J'en reparlerai un jour, pour les animaux eux-mêmes et pour la gloire de Dieu.) J'en donne, aujourd'hui, une définition précise et morale : *dresser les bêtes légitimement, c'est sou­mettre leurs instincts, selon leur nature propre, à l'intelligence de* *l'homme.* L'intelligence du maître dirige à une fin supé­rieure l'instinct de l'animal. L'intelligence est dans le maître. L'instinct, que je crois, dans l'ordre voulu par Dieu, avide de la direction du maître (c'est ce que nous appelons fidélité dans le chien) se développe *selon son bien,* par l'obéissance à la sagesse humaine (si sagesse il y a, bien entendu !) Or, dans l'enfant, cohabitent l'instinct animal et l'intelli­gence. Sa nature veut que l'instinct soit gouverné. Ce gouver­nement de soi-même pour l'amour de Dieu, voilà le programme. A exécuter quand ? Mais, tout de suite ! De même qu'au baptême, comme nous l'avons expliqué, la décision surnaturelle des parents prend la place de la volonté non opposée mais en puissance du nouveau-né, dans l'éduca­tion, la mère dompte et organise la chair du petit enfant, pour que sa raison et sa volonté, sanctifiées par la grâce, trouvent au fur et à mesure de leur éveil, un instrument corporel assou­pli, moins rétif, habitué à la soumission. 38:150 Il me semble que je réponds là à cette objection puérile de certaines jeunes femmes : « J'attends qu'il comprenne pour le gronder, ce n'est pas un animal, etc. » Mais, alors, *quand il* « *comprendra *»*, il trouvera en lui un corps exigeant, indomp­table et souffrant.* Car si vous avez bien lu mes exemples, vous avez vu que les petits enfants qu'on observe au lieu de les mater paisiblement et à mesure, sont des TOURMENTÉS, des in­quiets, *exaspérés par leurs désirs* qu'on a enregistrés et satis­faits au lieu de les RÉGLER ; des souffrants tyrannisés « par leur chair » autant qu'ils sont les tyrans de leur entourage. Et puis, que savez-vous de ce fameux éveil de la raison. Mais, Madame, c'est *un mystère.* Une mère chrétienne, c'est-à-dire clairvoyante, s'aperçoit des mystères insondables de l'enfance. A cette question : quand naît le souvenir ? Bergson répond très justement : « Mais dès la première sensation, évidem­ment ! » En effet, il suffit que l'AME soit en lui, pour que la raison agisse. Comment ? à quel degré ? Je ne le saurai jamais. Mais sûrement, évidemment, tout de suite. Si elle n'était pas pré­sente au premier instant, comment naîtrait-elle au deuxième ou au millième ? Elle est là, aussi mystérieuse que la Grâce, objet de foi comme elle, pour ainsi dire. Cette foi, cet amour surna­turel qui inspire votre dressage, tout votre dressage, jusqu'à la discipline horaire de la toilette, « de la petite et de la grosse commission », croyez qu'il façonne la petite notion d'ordre, allumée dans cette âme « et déjà amie de la raison et son propre objet » (Bossuet). L'ordre : les mains propres, *les jouets rangés,* cette maî­trise, après le jeu dont on est las, de tout remettre dans la boîte, patiemment ! Je ne les approuve pas, ces mères mo­dernes qui permettent aux quatre, cinq ans de barbouiller les murs tapissés de la chambre d'enfants. « Je change la tapis­serie quand il y a trop de leurs exercices ! » Étrange liberté, défoulement dangereux, qui éloigne l'idée du *respect de la maison.* #### **Le farouche devoir.** J'arrête ici cette étude sur la déformation et la formation des tout petits : j'ai voulu montrer l'extrême fragilité de ces trop jeunes intelligences, la concupiscence aisément aiguisée de ces petits rachetés, les péchés, peut-être non délibérés, cor­rupteurs actifs des tendres et impressionnables facultés. J'ai surtout voulu éveiller une crainte profonde dans l'âme des édu­cateurs. 39:150 Le principe de leur devoir, Notre-Seigneur l'a donné dans cette scène merveilleuse où les mères lui présentaient leurs enfants, tandis que les Apôtres « increpabant » : « Laissez venir à moi les petits enfants ». Le devoir des parents est bien d'offrir continuellement le jeune enfant à Notre-Seigneur « par le Cœur Immaculé de Marie » et, pour l'accomplir, de ranimer leur propre foi en la grâce présente, exigeante et me­nacée qui veut habiter les âmes de leurs enfants. L'ennemi de ces âmes paraît aujourd'hui invincible, omniprésent, d'une diabolique ingéniosité. Toute la société « évangélisée » depuis 200 ans par J. J. Rousseau a perverti enfin les rapports de l'enfant avec les parents, avec la patrie, avec la tradition, avec Dieu. On cherche les éducateurs qui « laissent venir les petits enfants au Sauveur ». Tout est scandale aux enfants, tout est étonnement, tout est fait pour attiser en eux la concupiscence originelle, pour souiller la fragile pureté de leurs cœurs. La tâche positive des parents, nous l'avons répété, c'est de référer à Dieu, à Jésus-Christ Dieu, toute tendresse, toute sévérité, toute correction, toute louange ; et puis, en même temps, d'instruire l'enfant de la religion dont il doit vivre éternelle­ment : 1° en s'instruisant eux-mêmes dans les Catéchismes in­faillibles réédités, 2° en se servant directement pour le premier âge des petits de la méthode du Père Emmanuel, de l'ancienne Miche de pain, de leur science à eux, de leur patience, sans mollesse, sans mièvrerie, loin de ce culte idolâtrique du petit, qui est une cruauté, qui est la cruauté même du diable. Nous avons toujours, et de bien des façons, rappelé cette tâche positive ; *mais aujourd'hui,* effrayés par nos expériences nouvelles, *nous constatons* dans les tout jeunes *des signes évi­dents d'une perversité en marche.* C'est l'œuvre, dans ces tendres créatures, de l'*apostasie immanente.* *Nous devons avertir solennellement les parents de préserver les au-dessous de dix ans* (*et peut-être au delà*) *de toute nou­velle messe où se glisse le scandale de l'Eucharistie dans la main, la distribution par la religieuse ou le laïc.* C'est fini ; la preuve est faite, nous serions ouvriers de scandale. Malheur à celui qui scandalise un de ces petits ! 40:150 Le préserver, *le garder loin de cette abomination du sanc­tuaire.* Ce n'est point l'arracher à sa Mère, l'Église qui l'a enfanté. C'est le lui garder. Mais alors quel soin, quel zèle pour trouver une Messe sainte où Jésus Hostie est soustrait, au moins visiblement, à ces contacts et à ces honteuses distribu­tions. Je connais une famille où l'on fait chaque dimanche deux cent cinquante kilomètres ! Mais dans l'impossible, que maman reste à la maison avec les plus petits. Et qu'elle fasse prier en s'aidant du Missel de la vraie sainte Messe. Qu'elle fasse prier pour que bientôt les prêtres reviennent tous conver­tis au saint ministère ; qu'elle fasse désirer cette belle messe absolue qu'aucune apostasie n'a blessée ! Vous avez bien lu et bien compris ce danger précisé de perversion. *Or l'assistance à la Messe, selon le commandement de l'Église, n'est obligatoire qu'à partir des sept ans. N'emmenez pas aux messes des nou­veaux règlements les moins de sept ans.* Mais le devoir sacré d'éviter le scandale aux petits chrétiens s'impose de lui-même : 8 ans, 9 ans, 10 ans ! c'est infiniment impressionnable et si vite malicieux ! De plus, l'instruction laïque, le confort, la télévision, le surmenage des parents ont retardé chez les enfants le déve­loppement de la raison. Leur vivacité moderne donne le change sur l'aveuglement de leur conscience. Ils sont hélas, par tous les procédés dans le vent, *sensibilisés aux images.* Je l'ai dé­montré. Alors, *préservez-les !* que leurs yeux ne suivent pas ces gestes, cette désinvolture affreuse envers le Corps du Seigneur. J'appuierai un autre jour sur un autre point : *préservez-les le plus longtemps possible des écoles.* Décidez de leur instruc­tion, d'abord, essentiellement, selon la garde de leur âme. Mais là-dessus, il y a tant à déplorer, tant à combattre, tant à vain­cre ! Nous devrons y revenir. Heureux si nous avons éveillé la sainte terreur dans un seul cœur de mère. #### **Fausse sécurité.** Je veux détruire toute sécurité que vous tirez de ces préjugés imbéciles : les petits ne voient pas, ne remarquent pas, ne re­tiennent pas, ne raisonnent pas, ils sont trop petits, ils pensent à leurs jeux, ils ne prennent pas tout cela au sérieux. Je n'ajoute, pas : ils n'ont pas tant de malice, parce que j'ai mis toutes mes forces à vous démontrer ici le contraire. 41:150 Mais, pauvres adultes, pour la faculté d'observation et pour la mémoire des images, c'est vous, les aveugles, les sourds et les insensibles. Des petits, surtout pendant une cérémonie, un spectacle à grandes personnes, observent et enregistrent d'une façon prodigieuse, d'une façon sauvage, car ils n'ont, à cet âge, dès que vous cessez de vous occuper d'eux, et que l'ambiance (l'église, l'assemblée) les contraint à une certaine immobilité, d'autre source de plaisir que cette convoitise des yeux, qu'une conscience plus mûre ou qu'une sensibilité mieux nourrie de piété pourraient contenir. La Messe traditionnelle, la gravité des attitudes, l'émouvante beauté des chants, la dignité impressionnante du Prêtre, les saints détails dont l'Église entourait nos faibles cœurs, per­mettaient cette formation pieuse, cette discipline des jeunes yeux et des jeunes oreilles. Mais maintenant, tout est tentation, occasion d'épier, de guetter, de pouffer, ou de tellement s'en­nuyer que le cortège de la Communion est la seule forte dis­traction, et les incidents, les accidents, les sacrilèges que votre recueillement n'aura pas remarqués, la petite tête les aura suivis comme au cinéma. Et conservés. Toujours selon cette loi de psychologie que, moins forte et moins profonde est la vie de l'intelligence, plus brutalement s'incruste dans la mémoire l'image insolite. Les missionnaires de la brousse le savent bien. Et vous aussi, quand vous acceptez de revivre votre enfance. Préservez-les : *vous serez jugés.* Gardez-les à l'Église éter­nelle qui revivra et les trouvera fidèles. Arrachez-les à l'apostasie immanente qui escompte sur ces créatures naissantes une ignoble et facile victoire, arrachez-les au joug de Satan. Hier, au chapelet, à genoux devant le Saint Sacrement, tous les petits répondaient avec ferveur. Pour le mystère de Noël, de la troisième dizaine, la Maîtresse rappela ce qu'un saint prêtre avait dit récemment « de ce joug très doux et très léger du Sei­gneur Jésus ». Un court silence avant de commencer le Notre Père. Tout près d'elle, un des plus petits, soudain se penche, et lui dit à l'oreille : « C'est le joug du diable qui est très lourd ! » Soyez bouleversés. Luce Quenette. 42:150 ### Le drame de l'Église vécu avec nos enfants par Elisabeth Gerstner J'ÉTAIS SUR LE POINT DE PARTIR pour le pèlerinage à Rome, au mois de juin 1970, quand mon petit Daniel, sept ans, pressentant le chagrin de sa mère qui ne pouvait l'em­mener avec elle à cause de l'école, s'accrochait à ma jupe et, pour me consoler : -- Tu sais, maman, j'ai une bonne nouvelle ! mon profes­seur en religion doit être traditionaliste comme nous ! -- Pourquoi crois-tu cela ? -- Je vais t'expliquer, maman. Hier j'ai demandé à Madame le professeur si nous ferions aussi le Nouveau Testament. Et elle a répondu : non, toute l'année nous ferons seulement l'Ancien Testament... Avant de partir, j'ai dû éclairer mon petit garçon ; il avait tellement entendu parler à la maison de l'ancienne et de la nouvelle messe, qu'il ne pouvait imaginer qu'un Testament « nouveau » pût être bon. Il fut surpris d'apprendre que souvent des choses nouvelles sont meilleures que des choses anciennes, et que le Nouveau Testament n'est pas inférieur à l'Ancien, mais qu'il en est le couronnement et l'accomplissement. Ému par cette confusion dans la tête de son fils, mon mari me dit à cette occasion : « Faisons attention à ce que nos enfants ne devien­nent pas des fanatiques. » Je lui ai répondu : une seule chose est importante, toujours expliquer avec patience aux enfants, afin qu'ils sachent distinguer ; mais on ne peut les tenir à l'écart des questions agitées en famille, ils prennent part à la vie de la famille. L'idée me vint d'écrire, à mon retour du pèleri­nage, les mémoires d'une mère de famille vivant le drame de l'Église avec ses enfants. \*\*\* 43:150 J'avais été prévenue en 1958 que le mal allait s'emparer de l'Église. Mais j'étais alors fiancée, à la veille de mon mariage, et je ne voulais pas croire aux prophéties d'un vieux moine bénédictin. C'était le P. Kunibert Mohlberg, ami intime de Pie XII, professeur de théologie, écrivain, célèbre exorciste, expert en parapsychologie. Je lui rendais visite le dimanche après-midi, après les vêpres, dans son couvent S. Anselmo sur l'Aventino à Rome. On était à la fin du règne de Pie XII ; je travaillais au Vatican (au Vat' comme on disait) ; et comme je ne me sentais pas à mon aise là où je travaillais -- c'était au Comité permanent pour l'organisation des congrès internatio­naux de l'apostolat des laïcs -- comme je flairais une espèce de conspiration en préparation, j'allais souvent me lamenter chez le P. Kunibert, sachant qu'il avait l'oreille du pape. -- Comment ! me dit-il un jour dans son aimable patois de Cologne, d'où il était originaire, mais non, que me dites-vous, vous avez l'intention de vous marier ? Mais non, ma fille, ne faites pas ça ! Mais non, ce ne sont plus des temps pour se marier, non, non, non, vous allez vous en mordre les doigts, je vous l'assure ! Se marier ! alors viennent des enfants... Vous regretterez de les avoir mis au monde ! -- Mais, mon Père, vous m'étonnez, il n'est pas très catho­lique de parler ainsi... On a toujours reproché à Kierkegaard d'avoir eu de telles idées pour lui-même. Plus il y a d'enfants, plus grande est la gloire de Dieu, voilà ce que dit l'Église ! Que me racontez-vous ? Je ne comprenais plus ce saint prêtre. Nous étions, comme je l'ai dit, en 1958, quelques mois avant la mort de Pie XII. Le P. Kunibert m'avait amenée dans un coin du parloir et il s'était assis sous une grande croix. D'une voix presque monotone, il poursuivit : -- Quand vous sortirez d'ici, vous penserez que je suis un peu toqué, que ce que je dis n'est qu'un galimatias sénile. Je ne vous en blâme pas. Personne ne veut me croire, sauf le Saint-Père, qui lui aussi voit ce qui vient. Ma fille, laissez-moi vous expliquer ; préparez-vous. Pour moi, je serai mort quand tout cela va se vérifier, quand ce que je vois s'approcher, aussi clair que la lune, va se réaliser : ça va commencer bientôt, dans deux ou trois ans. 44:150 Oui, je serai mort, et ce qui va commencer sera effrayant. Écoutez : il n'y a plus de foi dans l'Église. Ils l'ont tous perdue, je dis tous. Ils sont tous possédés, je dis tous, mais surtout le clergé, les évêques, proie du diable ; et surtout les couvents. Partout où je vais, on ne croit plus, je cherche en vain l'eau bénite dans leurs églises, dans leurs cellules, ils me rient au nez si j'en réclame. Ah, c'est effrayant, et tout cela deviendra bientôt évident pour le monde entier. Oui, je sais, vous pensez dans votre petite tête que ce moine est devenu complètement fou, qu'il est très âgé, frappé de sénilité, mais je vous assure, un temps viendra où vous penserez chaque jour au P. Kunibert. Vous y penserez mille fois dans les prochaines années, je serai ici à S. Anselmo dans la paix de la tombe, et vous vous souviendrez que j'avais raison en voyant noir, noir, noir pour l'Église catholique et le monde entier. Et alors vous regretterez d'avoir mis au monde des enfants. Ils se préparent à *bouleverser tout*, je dis tout. Il vous sera bien difficile de proté­ger et sauver vos enfants. Les prêtres, c'est probable, vous manqueront complètement. On aura l'apostasie générale ! » Le P. Kunibert me tint plusieurs fois un discours semblable : ses visions devenaient plus sombres chaque fois et plus épou­vantables. La dernière fois que je lui fis visite, j'étais venue avec mon fiancé pour l'inviter à notre mariage. A la porte du couvent, un jeune moine crut nécessaire de nous avertir, frap­pant sa tête avec son doigt, le Père était devenu complètement fou, sa sénilité était évidente, il fut étonné que nous insistâmes quand même pour le voir. Le Père nous donna sa bénédiction et il nous dit : -- Bon, c'est décidé, vous allez vous marier. Vous aurez des enfants. Il sera très difficile de les élever dans la foi, dans la sagesse de Dieu, tout dépendra de vous-mêmes. *Votre foi devra suffire*. (Je ne connaissais pas encore Luce Quenette ; quand en 1970 j'ai lu son article dans ITINÉRAIRES ([^21]), je croyais lire une citation du P. Kunibert.) Dans l'Église du monde entier, Satan va régner : souvenez-vous alors du Père Kunibert ! Cou­rage, mes enfants, courage. Mais ne vous y trompez pas, ce sera un martyre pour vous. Oui, je le répète, beaucoup de bonnes gens regretteront d'avoir mis au monde des enfants... 45:150 Le jeune homme que j'allais épouser, et qui avait justement ce jour-là assisté à une messe solennelle dans la basilique Saint-Pierre avec le Pape Pie XII, et pour qui le catholicisme était source de joie et de fierté, me dit : -- Mon Dieu, je suis content que cette visite ne se soit pas prolongée. Ne crois-tu pas qu'il est vraiment très sénile ? Je n'en étais pas aussi sûre que lui, et je me taisais. Bon Père Kunibert Mohlberg ! Chaque fois que je me trouve à Rome en ces années post-conciliaires, je viens à votre tombe pour m'excuser auprès de vous. Comme vous aviez tout prévu ! Je ne voulais pas vous croire alors, je ne voulais pas croire qu'un jour je pourrais regretter d'avoir mis au monde des en­fants. Comme tout est devenu difficile pour nous les parents ! Même si nous avions, quant à nous, reçu un bon enseignement de nos propres parents et, autrefois, de nos prêtres, comme il nous est devenu difficile de rester fidèles ! Et nos enfants, qui doivent aller à une école corruptrice, et que souvent l'on ne peut plus envoyer à l'église... *Votre foi devra suffire !* \*\*\* Donc, nous avions fondé une famille. Il était inévitable que les enfants participent aux conversations, au fur et à mesure qu'ils grandissaient. Au commencement du combat, ils enten­daient tout le temps parler d'Uns Voce : les parents, le grand-père, la grand'mère, les oncles et les tantes y étaient engagés dès la promulgation de la constitution liturgique. Ils avaient deux, trois et cinq ans et s'étaient fait une chanson (qui rimait, en allemand) : *Du matin jusqu'au soir, dans la nuit aussi, aux repas et à la promenade, toujours* *Una Voce, rien qu'Una Voce... Ceux qui viennent à la maison, ceux qui téléphonent, ceux qui* *envoient des lettres, toujours Una Voce, rien, rien rien qu'Una Voce*... Ils chantaient cela, les soirées d'hiver, sur une mélodie de Noël. Souvenir déjà ancien... Quelques années plus tard, autre souvenir souriant, car il faut garder précieusement les souvenirs qui sourient, à travers la misère du temps, et à travers la misère de ce temps pour l'Église, le monde étant encore aujourd'hui ce qu'il était pour saint Augustin, *pulcherrima carmen, etiam cum sinistra parte*, -- quelques années plus tard, donc, j'avais achevé l'édition d'un opuscule : *Lettres ouvertes au pape Paul VI*, avec le sous-titre : 46:150 *On ne réforme pas l'Église*. L'expédition des livres se faisait à la maison. On en parlait assez à table, naturellement. Les en­fants demandaient : « Combien de commandes aujourd'hui ? Ils demandaient aussi : « Et des prêtres ? » On était content si je pouvais dire : « Aujourd'hui, dix commandes ! » On parlait aussi avec les enfants du contenu du livre. Que l'Église est notre mère ; qu'elle n'a pas besoin d'une opération-cosmétique. Qu'on ne doit pas toucher aux choses saintes. Les enfants compre­naient bien. Miriam, la plus grande, disait : « Ceux qui veulent réformer l'Église, ce sont les protestants, n'est-ce pas ? » Pendant cette même période où je faisais l'expédition du livre, j'avais dit un soir aux enfants : -- Nous avons des invités qui arrivent à sept heures pour une réunion importante. Il faut que vous alliez au lit tout de suite. Restez dans vos chambres et ne protestez pas. C'est tôt, je sais ; mais allez vite, j'ai encore mille choses à faire. Quelques heures plus tard, le salon était plein de prêtres amis, je croyais les enfants endormis. Les voici, en pyjama, qui ouvrent la porte, entrent et défilent en procession autour du salon, portant une pancarte contestataire sur laquelle la plus grande (qui avait alors huit ans) avait écrit : -- *Man reformiert die Kinder nicht !* (« On ne réforme pas les enfants. ») Et sans un mot, ils rentrent dans leurs chambres. L'anticipation de l'heure du coucher leur avait paru une déplorable réforme. Je traduisais en allemand *La Tunique déchirée*. Miriam, qui était née quand nous étions encore à Rome, parle italien. Un prélat romain lui ayant demandé ce que faisait sa maman, elle répondit : -- *Sempre occupata colla tunica dracciata* (pour *stracciata*). Mais voici que l'autre jour -- elle a maintenant onze ans -- elle a demandé à lire le livre de Tito Casini, car elle veut « comprendre de quoi il s'agit ». Un ami nous demandait récemment : -- Vos enfants n'entendent-ils pas trop parler de tout cela ? Je lui ai répondu que j'avais connu dans mon enfance une situation analogue. J'étais la fille d'un père qui s'occupait de politique (il était président régional du *Zentrum*, qui était le parti catholique) ; pour moi, le monde avait été pendant toute ma jeunesse, divisé en deux parts : les nazis et les anti-nazis. Quand quelqu'un venait à la maison, je demandais à mon père : « Est-ce un nazi, ou pense-t-il comme nous ? » A l'école, je savais exactement quelles filles étaient d'une famille nazie, et quelles non ; 47:150 je savais si les familles étaient celles d'hitlériens à cent pour cent, ou simplement celles de couards. Le pourcentage des adversaires du nazisme fut partout très réduit, c'était une minorité qui luttait *spes contra spem*, comme nous le faisons aujourd'hui sur un autre plan. Je me souviens que, par delà toutes les différences sociales, professionnelles, intellectuelles, ceux qui étaient opposés à la tyrannie se connaissaient, s'ai­maient, s'entraidaient : comme aujourd'hui ! A la maison, quand j'étais enfant, on ne parlait que de politique, nuit et jour, jus­qu'au grand jour de la libération : comme aujourd'hui nos en­fants n'entendent parler en famille, nuit et jour, que du grand drame de l'Église. Il est normal qu'ils nous demandent après chaque visite : « Était-ce un traditionaliste ou un progressis­te ? » Ils sont heureux comme d'une grande bataille gagnée quand on peut leur dire : « Ah, c'est un grand traditionaliste ! » Alors leurs yeux brillent, comme les miens brillaient au temps d'Hitler quand la maison de mon père était pleine d'anti-nazis, tandis que dehors il n'y avait que « les autres », « les enne­mis », « les criminels », « les tyrans ». Aux amis qui me disent que nos enfants en entendent trop, je réponds qu'ils n'en mourront pas, pourvu que les parents prennent la peine de bien expliquer. Certes, ce n'est pas com­mode, surtout pour les plus petits. On voudrait que tout soit en harmonie, au dehors comme au dedans. A ceux qui sont préoccupés de la paix et de l'insouciance des enfants, je ré­ponds que, lorsque j'étais enfant, mon père avait voulu que ses enfants aussi sachent que la patrie faisait fausse route, que no­tre gouvernement était criminel, qu'il y avait un devoir de ré­sistance active ou, en cas d'impossibilité, au moins passive. Je me souviens que j'essayais toute la journée de nuire en quelque manière au régime nazi ; j'y risquais même ma vie, à dix-huit ans, en aidant par exemple des prisonniers de guerre français à s'évader de leur *Stalag*. A l'école, j'aurais préféré mourir plutôt que de chanter les chants du « Troisième Reich » : comme on devait toujours en chanter, en toutes occasions, j'ouvrais seule­ment la bouche, comme si je chantais, mais aucun son n'en sortait (j'avais pourtant une belle voix !). Et que me disent aujourd'hui mes enfants ? Ils reviennent de la nouvelle messe, où on les oblige à chanter des chants d'une invraisemblable idiotie ; prêtres et professeurs les assaillent : « Tu dois chanter ceci, comme les autres ! » Eux aussi ont trouvé la solution : ils ouvrent la bouche, en faisant bien attention à n'émettre aucun son. La messe est devenue pour eux le lieu où leur « héroïsme » est mis à l'épreuve : 48:150 ils communient à genoux, sur les lèvres, les yeux fermés, eux seuls « non-conformistes », quelquefois contre l'ordre *expressis verbis* du jeune vicaire : « Lève-toi... » Ils refusent de battre des mains pendant la consécration, ils inci­tent leurs camarades à refuser ce geste stupide. Mes filles refu­sent de servir la nouvelle messe, en protestant qu'elles ne sont pas des garçons ; le garçon déclare qu'il ne sait pas servir cette messe-là. Ils refusent de toucher les vases sacrés ; ils portent ostensiblement leur missel au lieu du nouveau livre de la nou­velle messe ; ils font de multiples génuflexions ; pendant le sermon ils prennent leur chapelet ; ils entendent quand même le sermon et, rentrés à la maison, ils racontent : « Aujourd'hui, c'était sur le programme d'Eurovision d'hier soir, que c'est bête... Cet après-midi l'enseignement religieux est supprimé, nous devons tous rentrer à la maison pour regarder l'émission sur l'Amérique latine où des millions d'hommes meurent de faim... Dimanche prochain il faudra faire une danse à la messe pour ces pays-là, et donner de l'argent. Dis, maman, n'est-ce pas, il ne faut pas que j'y aille dimanche ? » L'hitlérisme de mon enfance était moins épouvantable : ce n'était que la patrie temporelle qui était défigurée. Tout demeu­rait en ordre à l'église en ce temps-là ; on y trouvait, dès qu'on y allait, les consolations nécessaires. On y voyait des prisonniers de guerre, priant le même Dieu que nous, dans la même langue. Nos processions étaient, en même temps qu'une manifestation de foi, et par le fait même, des démonstrations anti-hitlérien­nes : la Gestapo prenait des photos pour calomnier ensuite les participants dans le *Völkischer Beobachter *; à l'école le pro­fesseur nazi nous maltraitait pour avoir participé à la proces­sion ; on n'en était que plus fier ! Quand on n'en pouvait plus, on se réfugiait dans une église, ou bien on sonnait chez Mon­sieur le Curé : les prêtres étaient sûrs, à cette époque, dans la proportion de 99 % ; il n'y avait alors quasiment pas de traîtres dans le clergé catholique. Donc, même si la nation était engagée dans une guerre criminelle, il y avait la famille qui résistait à la tyrannie, et il y avait l'Église qui encourageait cette résis­tance. A treize ans, j'avais reçu du curé de la paroisse tout un enseignement théologique sur le tyrannicide, fondé sur les doctrines de quelques éminents jésuites. Oui, c'est pire, aujourd'hui, pour nos enfants. \*\*\* 49:150 Parfois ils tournent tout cela en jeu, et je leur laisse cette liberté. Je les entends se chamailler, le petit invective ses sœurs : « Progressistes ! » Les filles viennent se plaindre auprès de moi : « Daniel est vraiment méchant, il nous a appelés *progressistes !* Mais lui-même est un couard : l'autre jour, quand le curé a demandé à qui la nouvelle messe ne plaît pas, avec ses chants, ses danses et ses guitares, il n'a pas levé la main ! Donc il est pire qu'un progressiste, il est un couard... » Au dernier Carnaval, le curé s'était déguisé en soldat ; je laissais mon fils habillé en shérif courir sus au curé, pistolet au poing, en lui criant : « Progressiste ! » Le curé riait. Plus tard, mon fils a vu le curé, toujours déguisé en soldat, danser dans la rue avec notre belle voisine déguisée en Hollandaise. Sobre commentaire de mon fils : « Ce n'est pas un vrai prêtre, celui-là. » Notre souffrance en raison des maux de l'Église domine tout ; elle pèse aussi sur nos enfants. Au temps du nazisme, je demandais sans cesse à mes parents : « Quand tout cela finira-t-il ? » Mon père, -- on dit qu'il avait un don de double vue, -- nous avait promis : « Attendez Pâques 1945. » Ce fut sans sur­prise que je vis les premiers Américains dans la nuit du samedi saint 1945. Mais quand aujourd'hui, au sujet de l'Église, nos enfants nous demandent : « Quand tout cela finira-t-il ? » nous ne savons que leur répondre. Même leur grand-père, si clair­voyant en politique, si sage, ne sait pas. Il dit seulement : « Je refuse de mourir avant, je demande à voir la fin de tout ce progressisme, qu'au moins le Bon Dieu me laisse voir encore la défaite de la Maffia moderniste, au moins ça ! » Il y a entre les enfants de grandes différences de sensibilité, de tempérament, d'intelligence. Ainsi, dans notre famille, la plus sensible de nos enfants se mit à se lever la nuit avec de mauvais rêves qui la tourmentaient, Avant minuit, quand nous étions encore debout, environ deux fois par mois elle prenait l'habitude de quitter son lit, les yeux grand ouverts, avec des gestes épouvantés et en poussant des cris d'effroi ; elle déam­bulait sans reconnaître qui venait l'embrasser et la calmer. Pendant une dizaine de minutes elle était hors d'elle-même : « Non, non, disait-elle, c'est terrible, ah je n'en peux plus, non, je n'en peux plus, au secours, maman, je n'en peux plus, où es-tu, ah que c'est affreux... » Elle semblait se défendre avec ses mains contre un ennemi invisible. On essayait de l'éveiller ; mon mari versait de l'eau froide sur son visage qui était baigné d'une sueur glacée. Elle tremblait comme une feuille et généra­lement s'éveillait au bout d'une dizaine de minutes. 50:150 Mon mari, qui n'en dormait plus, me dit un jour qu'il avait pris rendez-vous pour Susanna chez un fameux psychiatre de Cologne : première séance le jeudi suivant. J'en étais épouvantée, j'étais contre, absolument contre ; mais mon mari insistait. Jamais comme ce jour-là je n'ai prié le Bon Dieu pour un miracle. Et le soir de ce même jour, il se trouvait justement que Susanna se levait et s'avançait en trébuchant avec toujours les mêmes mots : « Quand cela finira-t-il, je n'en peux plus, quand cela finira-t-il ? » -- « Mais quoi, Susanna, qu'est-ce qui doit finir ? » La petite ne m'écoutait pas : « Pourquoi tout cela, pourquoi, ah pourquoi tout cela ne finit-il pas ? » Elle tomba par terre, moitié dormant encore, moitié réveillée, et enfin elle entendit ma question : « Mais qu'est-ce qui doit finir, dis-le... » La réponse venait cette fois : « ça avec l'Église, ça avec l'Église ». Ce fut en famille une grande et solennelle réconciliation. Je pardonnais aussitôt à mon mari d'avoir voulu contre ma volonté l'amener à un psychiatre : voici que l'enfant avait parlé, il n'était plus question de faire rechercher par un psychiatre de quoi elle souffrait. Mon mari promettait d'annuler le rendez-vous chez le psychiatre ; et moi je devais promettre de ne plus parler aux enfants du « combat de la foi ». Je promis. Mais depuis ils ont grandi, ils ne sont plus si petits et si délicats, ils sont devenus robustes. Et même la plus délicate, dès qu'elle en a eu parlé, n'a plus eu de ces mauvais rêves : elle avait été guérie en exprimant ce qui l'opprimait et la paralysait. Je l'emmenais avec moi en Italie pendant un mois : seule avec sa mère, elle pouvait causer de mille choses, et même de l'Église si elle le voulait. J'ai compris qu'elle n'avait pas bien vu jusqu'alors que tout cela est permis par le Bon Dieu pour nous mettre à l'épreu­ve. Tant d'occasions de faire entrer dans cette petite tête des idées justes ! Que « la loi du nombre » ne nous importe pas. Que le monde n'aime pas la vérité, parce que la vérité oblige. Que « noblesse oblige », que « savoir oblige ». Le sacrement de la confirmation. Qu' « un saint triste est un triste saint ». Contemplation de l'*ave crux spes unica.* Que la loi de Dieu est une *douce loi ;* que l'Église sortira de tout cela plus belle en­core... Susanna appelait ces causeries : « Nos leçons de philo­sophie ». « J'aime bien ces leçons de philosophie, maman ! » Pendant ce mois de vacances, la pâle et maigre petite fille prit des joues rebondies. Elle ne nous a jamais plus fait de ces his­toires pendant la nuit. *Deo gratias !* 51:150 Elle a écrit l'autre semaine une composition sur la messe pour Monsieur le Curé. J'y lisais, selon ce qu'on lui avait ensei­gné à l'école : « La messe est la cène du peuple de Dieu, j'y vais le dimanche avec mes parents pour recevoir le pain bénit. » -- « N'est-ce pas, maman, tu n'es pas d'accord, mais c'est ainsi que je dois écrire. » Je me taisais. Je pensais à ces cauchemars qu'elle avait, il n'y a pas encore tout à fait un an, à cause de l'Église... Et puis voici qu'elle m'a fait la surprise, une heure plus tard, de venir me demander : « Et si tu me dictais ce que c'est que la messe ? Monsieur le Curé m'interroge presque toujours, peut-être qu'il faudra que je lise ma composition : mais il n'est pas méchant, il ne sera pas fâché. » Alors je lui ai dicté ce qu'est la messe, la vraie messe. Le lendemain elle est revenue de l'école les joues rouges d'animation : « Maman, j'avais un peu peur, mais je l'ai lu, et il a dit : ta maman t'a très bien dicté, ta composition est très bien, Susanna. Et puis Erika a dû lire la sienne, et elle parlait de la cène, et il a dit très bien aussi. » Le soir j'ai téléphoné à Monsieur le Curé pour le remercier d'avoir eu pitié de nos pauvres enfants et d'avoir été généreux. Il m'a répondu : « Madame, vous savez bien que je resterai toujours traditionaliste. » Ce vieux curé, *Dio lo bene­dica !* n'est ni chaud ni froid, il est un malheureux, un couard, un lâche. Mais dans son cœur, dans sa conscience, il est catho­lique. Si le nouveau vent n'était pas venu d'en haut, il serait sans doute un excellent prêtre. Je lui envoie encore les enfants pour la confession ; ils sont instruits à désirer l'absolution en latin, et chaque fois il leur dit : « Dites à maman que je donne à tout le monde et toujours l'absolution en latin, n'oubliez pas de le lui dire ! » Il fait ce qu'il peut, il cherche selon son ex­pression à « sauver l'essentiel ». Ce n'est ni un saint ni un héros. On dit qu'avant de se faire prêtre il fut un petit nazi. Et son intelligence est limitée. Que voulez-vous ! Patience ! \*\*\* Daniel avait été méchant et je l'avais grondé. Cela se passait le mois dernier. « Eh bien, me dit-il, puisque c'est ainsi, à la prochaine messe, je vais battre des mains à la consécration, comme les autres, na ! » -- « Tu feras ce que tu voudras », lui dis-je avec résignation. Mais à son retour de la messe il avait complètement oublié son mauvais propos : « Tu as donc battu des mains comme au théâtre ? » -- « Mais je t'en prie ! Je ne suis pas fou ! » 52:150 Notre conseil de famille vient de décider de ne plus envoyer les enfants à la messe de la paroisse. Le dimanche on les amène en voiture à Cologne pour une vraie messe chez un prélat de nos amis. S'il y a un empêchement, ils devront le dimanche « rester dans le besoin », comme tant d'amis déjà y sont con­traints ; jusqu'au grand jour où l'ordre sera rétabli dans l'église. Cette décision se préparait depuis longtemps ; et un jour de cet automne mon mari a finalement dit avec autorité un grand *basta, basta !* Cette semaine-là le professeur d'allemand avait demandé aux enfants de peindre ou dessiner une image repré­sentant « le plus beau souvenir des vacances ». Tout le monde s'était mis à peindre les joies de la mer et de la plage, les dames en bikini, les gros ventres des messieurs... Mon fils avait composé une belle image d'un lac d'Autriche, toute la famille dans l'eau, et lui qui faisait la pêche. Susanna avait été la seule à peindre une maison : la maison de Mozart à Salzbourg, et elle avait inscrit en grandes lettres sur l'entrée : « Ici est né le grand musicien Wolfgang Amadeus Mozart ». A midi, mes deux enfants ont une expression triste lorsqu'ils rentrent à la maison. Daniel m'explique : « Quand on nous a demandé de peindre le plus beau souvenir des vacances, on ne nous a pas dit que c'était pour l'église. Ah, si je l'avais su, j'aurais dessiné la cathédrale de Salzbourg ou les montagnes d'Autriche avec une grande croix, sur le sommet. Quand les images étaient déjà faites, le profes­seur a dit que nous devions les porter à la messe dimanche prochain. » Ce dimanche-là pour la première fois, mon mari convint qu'il ne fallait plus les envoyer à la paroisse. Le lundi, l'organiste, qui est aussi sacristain, et qui donne des leçons de piano aux enfants, est venu nous raconter que le jeune vicaire avait fait installer autour de l'autel (c'est-à-dire, en l'occurrence, autour de la « table de Calvin ») une exposition de ces images, et qu'il avait prié ainsi : « Oh Dieu, accepte ce pain, ce vin et ces belles images de nos enfants », et que tous les enfants avaient le plus grand mal à s'empêcher d'éclater de rire, car la plupart des images représentaient des corps à moitié nus et déformés, avec des ventres trop gros et des poitrines trop basses. Il y eut le dimanche suivant une autre innovation : les enfants devaient apporter cette fois des lettres écrites au Bon Dieu, qu'ils avaient faites en composition, sans être préve­nus que c'était pour la messe, pour l' « offertoire » du dimanche. « Cher Bon Dieu, avait écrit une petite camarade de Daniel, est-ce que là-haut il pleut aussi tout le temps, comme ici ? » C'était la moins stupide des lettres... -- Qu'as-tu écrit, Daniel ? Dis-moi la vérité ! 53:150 -- Je ne savais pas quoi écrire, alors j'ai écrit le Notre Père, et à la fin j'ai peint la croix : je pensais bien que ce serait encore pour être porté à l'église... A l'église, nos enfants n'y vont plus. C'est maintenant la grande mode, au lieu de faire prier, de lire à l'assemblée les compositions des enfants adressées au Bon Dieu. Et Monsieur le Curé encourage tout cela : « Il est bien permis, dit-il, de s'amuser à l'église. Ici chacun est chez lui, dans sa maison ; on peut se saluer, s'embrasser, et communiquer à tout le monde les prières innocentes de nos enfants. Car, voyez-vous, ce qui tuait la prière, c'était la prière récitée de mémoire. Écoutez plutôt comme elle est belle, cette prière enfantine : *Très cher Bon Dieu, on dit que tu es invisible. Cela ne* me *plaît pas du tout, car je voudrais voir ton visage. Est-ce que tu es jeune ou vieux ?* Ou bien cette lettre d'une petite fille, c'est la plus jeune élève de notre cher M. Muller, elle a sept ans : *Cher Dieu, mon chat est mort hier, ne peux-tu pas m'envoyer tout de suite un petit Pouzzi ? Merci cher Dieu, n'oublie pas qu'il doit être blanc. *» Ce même curé, il n'y a guère, s'interrompait toujours pendant son sermon si quelqu'un osait entrer en retard dans l'église, et il attendait en silence qu'il ait pris place sous le regard réprobateur de toute la paroisse, -- ce même curé maintenant invite l'assemblée à rire avec lui : « Il n'est pas défendu de rire à l'église, ah ah ah ! » Je suis heureuse que nos enfants ne soient plus livrés à ces sottises depuis que mon mari a pris la décision de ne plus les confier aux prêtres de la paroisse, ceux-ci n'en manifestent d'ailleurs aucun mécontentement : « C'est aux parents à en décider, dit le vieux doyen, de votre point de vue vous avez raison de ne plus les envoyer... » -- « Mais, Monsieur le Curé, c'est du relativisme. Dans l'Église on devrait avoir un seul point de vue. Permettez-moi de vous inviter à venir en parler un peu, pour l'amour de Dieu ! » -- « Ah, j'ai tant à faire, et puis c'est inutile, puisque vous êtes décidée. » Ils n'ont jamais de temps pour nous, ces prêtres de l'église post-conciliaire ! -- « Et si je vous envoie mes articles, Monsieur le Curé, si je vous envoie nos publications, les lirez-vous ? » 54:150 -- « Ah, Madame, on ne peut tout lire. » -- « Mais bien sûr, Monsieur le Curé, vous ne pouvez pas tout lire. Puis-je vous prier de lire ce qui est important, ce qui est de bonne théologie ? » -- « Je ne m'intéresse pas tant à la théologie, Madame, je cherche à exercer la charité chrétienne. En quoi personne ne peut rien me reprocher. » -- « Et la charité envers nos enfants, dont on assassine la foi ? » -- « Mais je vous en prie, Madame, n'exagérez pas ! Toutes ces histoires à cause du latin que vous aimez tant ! » -- « Mais qui vous parle du latin, Monsieur le Curé ? Vous ne me répondez pas sérieusement... » -- « Bonsoir, Madame, saluez Monsieur votre mari et vos chers enfants, je bénis toute la famille. » Fin de la conversation avec M. le Curé, qui habite à côté et que l'on voit se dépenser dans un activisme sans limite. Il est là pour les soirées des clubs et pour les parties de football, il est là pour les cours de couture, pour examiner les jupes mini et maxi et pour donner son avis très à la page, il est là pour les cours de cuisine, où il goûte les gâteaux, pour les cours de dialectique, où il enseigne le rôle de l'*advocatus diaboli,* pour les cours de dessin, de bricolage, de politique, de statistique, de sociologie. Bref il est toujours là et s'occupe de tout cela, comme si le salut des âmes en dépendait. Mais jamais de temps pour parler de nos problèmes religieux : on y échappe, on les évite. Et pas seulement ici dans la paroisse, mais ailleurs aussi, partout, nos amis nous disent qu'il en va de même : « La communication est interrompue. » Pour nous, le clergé n'a ni temps ni tolérance... \*\*\* Ainsi le monde extérieur à la famille devient pour nos enfants de plus en plus pénible et pesant. La plus grande me raconte qu'à l'école elle ressent la nostalgie de la maison, de ses parents. Dans cette école mixte, nous n'en avons pas d'autres ici, et la scolarité est obligatoire, on enseigne aux enfants « tout sur le sexe ». Ma fille connaît plus de détails de gynécologie que n'en connaît sa mère. 55:150 Les lecteurs français tomberaient sans doute en syncope si je leur montrais le livre d'éducation sexuelle qu'elle doit étudier, avec la photographie des organes génitaux, de la syphilis, de l'érection, etc., et la description minutieuse de l'orgasme. « Je hais ton école », lui disais-je, et elle me répond : « Moi aussi, maman, je la hais. » On n'oserait pas publier dans une revue les détails de l' « éducation sexuelle » donnée aux enfants. Je balbutie et je répète dans ma tête : -- Assassins de la foi... Criminels... Massacre de nos en­fants... L'Église catholique n'est ici d'aucune aide aux parents ; au contraire ; les écoles tenues par des religieuses ou par des pères jésuites sont souvent les pires à cet égard. Mes amis me disent : « Dans les écoles religieuses, l' « éducation sexuelle » n'est pas enseignée seulement en biologie, mais on en parle par­tout, en classe d'allemand, au catéchisme, à chaque occasion ! » Il y a une chose que je sais bien : si j'avais su tout ce que doit apprendre ma fille de onze ans, j'aurais eu la curiosité d'expérimenter mon corps « avec lequel on peut se donner tant de plaisir inouï », dit la leçon. Oui, c'est ce que dit le livre : « inouï », et : « indiciblement voluptueux » ! Et que « personne n'y résiste » ! Et que la masturbation est normale chez les petits enfants... Et que 99 % des jeunes gens la pra­tiquent... en sorte que ceux qui s'en abstiennent constituent une « anomalie ». Ignobles mensonges : mais je suis presque la seule à dire que ce sont des mensonges. Notre pays est devenu un cloaque. Il suffit de regarder nos émissions de télévision, où « il n'y -- a aucun tabou », ou de feuilleter nos magazines illustrés. Si Luce Quenette était à ma place, je pense qu'elle s'enfuirait n'importe où avec ses enfants, dans n'importe quel autre pays, comme s'il y avait une épidémie de peste. Mais ce qui ravage notre pays est bien pire que la peste, le choléra ou le déluge, c'est la mort des âmes. \*\*\* Tout se répète dans la vie. Moi aussi, au temps de l'hitlé­risme, j'avais comme une névrose chaque dimanche soir, à l'idée de rentrer à l'école le lendemain. Le lundi était pour moi la pire journée de la semaine, je ne supportais pas la perspective d'avoir devant moi une semaine entière d'ensei­gnement nazi dont je haïssais tout. 56:150 Le mardi j'allais déjà un peu mieux, le mercredi ma nostalgie pour le week-end en famille était encore immense, mais enfin la semaine se raccourcissait, je commençais à compter les heures encore devant moi comme une montagne, jusqu'à midi le samedi, heure de la délivrance. Et chaque dimanche après-midi me reprenaient des maux de tête, le complexe « école » provoquait en moi une sorte de psychose. A cause de la *Weltanschauung* nazie ! Je disais l'autre jour à mon mari : -- Nous semblons tout avoir, belle maison, les commodités de la vie ; rien ne manque. Mais la vérité est que nous sommes des déshérités qui ne peuvent même pas assurer une bonne école à leurs enfants. Je rêve d'un grand *exodus* avec les trois enfants que je voudrais emporter avec moi dans un pays étranger, dont ils ne connaîtraient pas encore la langue ; mais ils seraient loin de leur père qui doit travailler en Allemagne. Peut-être en France chez Luce Quenette, si elle nous acceptait... Ou bien j'étudie s'il ne serait pas légalement possible de retirer les en­fants de toute école, et de leur donner une éducation privée, comme on faisait autrefois dans les familles qui en avaient les moyens. Quelle situation ! Je me demande ce qui a pu provoquer un tel bouleverse­ment de la morale chrétienne. Je lisais l'autre jour que le même bureau où j'avais travaillé au Vatican s'était comporté en « médiateur », au dernier Congrès de l'apostolat des laïcs, entre le pape et les groupes qui réclamaient que l'Église se prononce en faveur de la « pilule ». Laissez-moi donc vous raconter ce qui m'est arrivé avec la directrice de ce secréta­riat de la Piazza S. Calisto, au moment de la naissance de ma première fille. Cette femme est la première de son sexe qui ait reçu une charge dans la Curie. Je téléphonais à cette collègue, de la clinique où mon enfant était née, pour lui annoncer la belle nouvelle. « Tu dois comprendre, me dit-elle, que je ne vienne pas regarder cet enfant avant son baptême : je ne regarde jamais les enfants qui ne sont pas encore baptisés. » La jeune mère que j'étais se sentait quelque peu mal à l'aise en entendant ce discours de la fameuse Rosemary Goldy. Je pris sur moi pour dire : « Je te comprends, Rosemary, je sais que les mères catholiques se sont souvent abstenues d'embrasser leur enfant avant le baptême, c'était une sorte de pénitence. Mais d'autre part, je t'assure que Miriam n'est pas un monstre, on peut bien la regarder même avant son baptême ! » 57:150 J'étais un peu fâchée contre ma collègue Rosemary qui avait osé me parler si peu aimablement de mon enfant. Je raconte ce sou­venir parce que je reste ébaubie devant le fait que cette même personne, qui avait de telles idées au temps de Pie XII, a pu sous notre pape Paul VI défendre ceux qui voulaient la « pi­lule » pour les femmes catholiques. Comment expliquer un changement aussi énigmatique ? Et cette autre collègue qui me faisait des reproches quand elle était venue me visiter dans ma clinique d'accouchement à Rome. Je lui avais raconté que l'enfant avait failli naître dans le taxi. « Des choses de la vie et de la mort, on ne peut pas parler, me disait-elle, c'est tabou ici ! » Je rengainais mon étonnement et je me taisais. Mais comment voulez-vous que je m'explique que ces mêmes collègues soient devenues aujour­d'hui partisans de « la vague du sexe » et du « siècle de l'orgasme » ? Je reste stupéfaite. Il y a dix ans, on ne regar­dait pas un enfant qui n'était pas encore baptisé ; dix ans plus tard, on est pour la pilule ; il y a dix ans, une mère ne pouvait pas raconter à une amie adulte que son enfant avait failli naître dans un taxi, dix ans après ces amies défendent les théories d'un Oraison. C'est bien mon ancien bureau, c'est lui qui avait proposé le comité que devait consulter le Saint-Père sur les problèmes du contrôle des naissances, c'est là que l'on avait choisi cette mère qui avait ensuite déclaré à la presse qu'elle avait toujours pris la pilule quand ce comité tenait ses sessions d'étude. Moi j'étais mère aussi, j'étais connue à Rome, j'allais trouver le cardinal Ottaviani pour lui dire que, si je pouvais participer aux travaux du comité, je lutterais contre la pilule du point de vue de la morale. Mais un vent nouveau soufflait, on ne me voulait pas, et le Cardinal ne pou­vait pas m'aider : « Ils ne m'écoutent pas ! » *Qui autem scandalizaverit unum de pusillis istis, qui in me credunt, expedit ei ut suspendatur mola asinaria in collo ejus, et demergatur in profundum maris* (Mt., XVIII, 6). J'avais fait mettre ce texte sur le billet d'invitation à la Première Com­munion de ma fille Susanna, l'an dernier quand nous l'avons célébrée à Rome, et je l'envoyais aussi aux prêtres de notre paroisse en Allemagne. Il y eut un télégramme de M. le Curé : « Chère Susanna, je te souhaite une joyeuse fête, ton curé B. ». Une joyeuse fête ! Pourquoi, mon Dieu, pourquoi nos enfants doivent-ils subir une telle injustice ? Qu'ils n'entendent plus la vérité qu'à la maison, que tout le monde extérieur soit pestiféré, quelle injustice cruelle ! Je retraduis de l'allemand en fran­çais ce que je lis dans votre grand Ernest Hello que j'aime beaucoup : 58:150 « Quand l'enfant fait connaissance pour la première fois avec l'injustice, quand l'enfant... en subit pour la première fois, en sent le goût pour la première fois, alors l'enfant vieillit de plusieurs années. Injustice et jeunesse sont des choses étonnamment contraires, et la première fois que l'injustice souille la jeunesse, elle commet un crime tout spécial et par­fois elle tue pour toujours ce qu'elle envahit. Parfois la bles­sure ne peut jamais être guérie, ouverte elle ne se ferme ja­mais plus. L'injustice est un incendie qui diminue les facultés de l'âme, qui les consume jusque dans des profondeurs incon­nues. Entre tous les crimes l'injustice est un crime tout spécial, son nom doit être le même que *péché. *» (E. Hello, Paroles de Dieu.) Allons donc, chères mères catholiques, allons donc crier notre protestation contre le crime dont nos enfants sont vic­times, allons la crier au ciel et au cœur de l'Église. Je parle du Pèlerinage à Rome de la Pentecôte 1971 et je cite votre Jean Madiran : « Le pèlerinage à Rome ne cessera plus aussi longtemps que continuera le *massacre* des enfants. » Il a bien dit le MASSACRE. Défendons tous ensemble nos droits de pa­rents ! Sans quoi nos enfants deviendront, comme dit Madiran, « des apostats et des sauvages ». Élisabeth Gerstner. 59:150 ### La classe soixante et l'amitié française par Antoine Barrois DE L'HOMME DU 18 JUIN, à nous qui avions quelques semaines, quelques mois, quelques années au plus en quarante, on a d'abord appris, en le rabâchant sur tous les tons et de toutes les façons, qu'il s'appelait comme ça. De l'homme qui, en trente ans, nous a fait vivre deux guerres civiles ; qui nous a laissé, en guise de succession, ce qu'il faut d'hommes en place et de situations explosives pour qu'on s'inquiète de la suivante. De l'homme qui a pris, quitté, repris et abandonné le pouvoir dans des circonstances qu'il contri­buait fortement à créer et qu'il exploitait sans pitié ; qui a ramené la France à ses dimensions géographiques naturelles (de Dunkerque à Perpignan) dans le sens nord-sud et lui a donné ses nouvelles dimensions idéologiques (de l'Atlan­tique à l'Oural) dans le sens ouest-est. De l'homme qu'on confronte avec ceux qui en vingt siècles firent la France et qui disait incarner la légitimité française depuis que nous sommes au monde. De cet homme-là, tout ce qu'on nous a appris ensuite c'est qu'il s'appelait *l'homme du 18 juin*, pour toujours rangé sous ce titre parmi ceux qui, tous les jours de toutes les années de tous les siècles passés, s'occupèrent d'autre chose que d'être l'homme d'un jour et firent la France. Ça mérite une protestation. Cette comédie a assez duré. Il faut le dire tout net : il en a fait bien d'autres. \*\*\* 60:150 Mais, j'en tombe d'accord avec la Renommée, celle-là est des meilleures. On n'imagine pas tout ce qu'on a pu nous mettre dans la tête sous le couvert de cette appellation. Pour commencer, une prodigieuse indifférence à l'égard des gens et des événements de ce moment, hormis lui ce jour-là. Au point que, sortir de cette indifférence est un exploit qu'il faut saluer ; à moins que ça ne se fasse par hasard, an coup de pot ou par secrète disposition de la Providence. Mais quelle que soit la raison, que de questions à se poser, quelle enquête à mener ! Et les autres ? Et les autres jours ? Est-ce qu'ils étaient des hommes le 18 ? Et le 15, le 16, le 17, le 19, le 20 et les jours précédents et suivants ? Est-ce que par hasard, ils étaient des Français ces jours-là ? Par hasard ou de façon constante ? Disons tout de suite que j'ai entrepris cette enquête. Avec des moyens de fortune, au petit bonheur la chance, selon les personnes rencontrées et les livres lus, mais en recoupant les renseignements des uns avec ceux des autres, compte tenu des opinions et des tempéraments, des erreurs d'interpréta­tion et des marges d'incertitude, je l'ai menée à terme avec quelques traverses. Donc, renseignements pris, au terme d'une enquête que je tiens pour sérieuse et honnête, je délivre deux conclusions. Je suis aujourd'hui en mesure d'affirmer que le mois de juin quarante a bien comporté trente jours. Que ceux qui dirigeaient la France et ceux qui la peu­plaient étaient des hommes et des Français tous les jours du mois de juin quarante y compris le 18. (C'est important. Parce que l'appellation qu'on nous a fourrée dans la tête conduit facilement ceux de la classe soixante à considérer que les dirigeants de la France (et les dirigés -- entre autres leur père) étaient tout autre chose que des hommes et des Français ce jour-là et, peut-être, habituel­lement. Parce que c'est déjà fort (sans doute unique) d'être l'homme d'un jour pendant trente ans, mais que c'est encore plus fort d'avoir été le seul homme et le seul patriote ce jour-là. Parce qu'enfin c'est tellement fort de nous l'avoir fait croire qu'on se prend à tout vérifier pour retrouver un peu de réel.) 61:150 Par contre, je n'affirme pas qu'il se soit passé quelque chose, en France, le 18 juin de très différent de ce qui se pas­sait le 16 ou le 17. J'ai même des doutes. Ils viennent des réponses que l'on a fait à ma deuxième question (éculée sans doute mais nécessaire à la poursuite de mon enquête) et qui était la suivante : A quoi s'occupaient donc les Français qui étaient en France le 18 juin et qui n'avaient pas la radio ? Et ceux qui étaient sourds ? Je dois dire que, dans l'ensemble, j'ai été mal accueilli. Toutefois je crois pouvoir donner le compte rendu suivant de ce qui m'a été répondu : frappés de stupeur, aveuglés ou trompés, lâches ou héroïques, les Français (même ceux qui avaient la radio) tentaient de survivre dans la débâcle ; ils attendaient de leurs chefs qu'ils mettent fin à ce chaos épouvantable. \*\*\* Préparant d'autres questions lorsque la lecture d'un article du R.P. Riquet a modifié le cours de l'enquête à peine com­mencée. Cet article contient, parmi d'autres trésors, l'affirma­tion suivante : « C'est un fait, lui seul, le 18 juin 1940, eut assez de clairvoyance et de courage, pour dire et faire ce qui devait, par la suite, rendre à la France son prestige et son indépendance. » Alors je pose une question au R.P. Riquet : Doit-on con­clure de son affirmation que : *le ramassis d'aveugles et de lâches qui, le 18 juin 1940, dirigeait la France et la peuplait, ne se pré­occupait que de dire et de faire ce qui devait, immé­diatement et pour toujours faire perdre à la France son prestige et son indépendance dans le monde ?* Parce que, s'il veut absolument insulter mes parents, mes grands-parents et ceux qui les dirigèrent, je me fâcherai. Mais je suis sûr qu'il ne le veut pas, sûr d'avance. Ce qu'il y a, c'est qu'il ne sait plus très bien ce qu'il pense. Sa longue habitude de ne pas distinguer nettement tunique et tablier, équerre et paire de tenailles, branche de compas et clou, doit y être pour quelque chose. Qu'il fasse attention ! oh qu'il fasse attention : ce genre de phrases et de confusions le mènera tout droit à un poste important au ministère de l'Éducation nationale. 62:150 (Cette phrase ou une autre, mais celle-là est véritablement un bon résumé et je me permets de la recommander aux auteurs du chapitre 1940 dans un prochain manuel d'histoire à l'usage des écoles de France. Tout de même qu'ils se méfient ceux de l'Éducation nationale et particulièrement les ministres -- le présent et les futurs. Si leur intention est de faire apprendre cette imposture à mes enfants comme on a tenté -- et réussi pendant un moment -- de me l'apprendre, je les préviens que je suis décidé : je vérifierai moi-même ce qu'ils disaient et faisaient le 18 juin 1940.) \*\*\* Mais revenons-en au texte du R.P. Il m'inspire une singu­lière question que je soumets volontiers au Cardinal Daniélou (mais qu'il fasse bien attention au ton qu'il emploiera et se rappelle qu'il a toutes libertés de répondre) A supposer (ce que je suis prêt à admettre) que l'homme du 18 juin ait été un homme et un Français (à admettre mais avec démonstration) et que cet homme et ce Français ait été le seul à voir clair ce jour-là, quelle conclusion peut-on en tirer ? Qu'il a eu raison en ce sens qu'il a gagné un pari selon le monde ? Oui certes, en ce sens qu'il a triomphé personnel­lement dans le monde. Qu'il a été inspiré ? C'est bien possible. Mais par qui ? Parce que voir clair, gagner selon le monde et dans le monde, ce n'est pas nécessairement un brevet de sainteté. N'est-ce pas Monsieur le Cardinal ? \*\*\* Je l'ai dit, l'article du R.P. Riquet contient d'autres trésors. Mais les neuf paragraphes qu'il consacre au « très beau livre » de M. E. Pognon sur « de Gaulle et l'histoire de France, trente ans éclairés par trente siècles » m'ont fait peur. Ils m'ont fait peur parce que j'ai appris, ma génération a appris, apprend et apprendra à se méfier des coups de projecteurs en forme de V. Ils ont fait trop de victimes. 63:150 Les *aveugles* et les *lâches* qui dirigeaient la France de 1940 à 1944 en première ligne d'une horrible hécatombe. Les cir­constances de l'anéantissement de cette première ligne, c'est, dans ce qu'on nous a fait apprendre à propos du 18 juin et de son homme, ce qu'on nous a raconté de plus faux et de plus dangereux. Le plus grave pour nous qui, sauf quelques privilégiés, n'avons pratiquement rien connu de l'histoire de notre pays que par l'homme du 18 juin et par son parti, c'est le mythe du partage de la France et de l'impossibilité d'une réconci­liation des Français à la fin de la guerre. Comme si notre pays n'en avait pas vu d'autres. Quoi qu'il se soit dit en sourdine et selon les opportunités politiques, nous avons été élevés dans un climat de haine. Larvée, endormie, cachée ou militante, elle était toujours là la haine des traîtres. Les traîtres, c'étaient les aveugles et les lâches qui avaient signé l'armistice. Les historiens ont com­mencé à dire et diront ce qu'il en était des possibilités de choisir une autre solution. Mais nous n'avons pas besoin d'eux pour dévoiler la ma­nœuvre qui s'est faite à l'abri de l'appel du 18 juin. On nous a raconté que les Français avaient choisi -- choix drama­tique mais nécessaire et accepté -- pendant la guerre et dès 1940 entre les collaborateurs, vichyssois, traîtres, germano­philes, etc. qui trahissaient et les autres, résistants, gaullistes, patriotes qui résistaient. Tout ça est faux. Fausse la nécessité de choisir ; fausse la réalité du choix ; fausse l'image de la collaboration ; fausse l'image de la résistance ; fausse l'image de Londres ; fausse l'image de Vichy ; fausse l'image de la guerre nationale ; fausse l'image de la guerre civile. Tout est faux. La seule chose vraie, c'est que nous y avons cru. Oui, j'ai cru cela et j'affirme que, dans son ensemble, ma génération le croit encore. J'ai cru, et ma génération croit encore dans son ensemble, qu'il fallait être aveugle et lâche pour ne pas savoir, dès le 18 juin 1940 et au plus tard le 19, que l'Alle­magne perdrait la guerre. Comme il fallait être aveugle et lâche le 13 mai 1958, pour ne pas savoir que, moins de quatre ans plus tard, on en serait au cessez-le-feu en Algérie. \*\*\* 64:150 On nous a raconté beaucoup de mensonges. Je dis men­songes et non erreurs parce que ce qu'on nous disait masquait ce qu'on nous cachait. Ce qu'on a caché derrière la nécessité d'en finir avec les traîtres, c'est que, du même coup, on en finissait avec la Révo­lution nationale. Non que tous les dirigeants et tous les Fran­çais qui ont rempli une mission officielle ou qui ont vécu sous Vichy, aient compris l'esprit de cette restauration et y aient travaillé. Non, sans doute, que cette restauration ait été parfaite et sans reproche. Mais en liquidant, en fusillant, en enfermant, en dégradant les collaborateurs-traîtres-vichyssois-germanophiles, on liquidait, fusillait, enfermait, dégradait aussi ceux de la Révolution nationale. On anéantissait ses troupes -- physiquement et sociologi­quement -- au profit de celles (qui s'étaient ralliées à temps) du Front populaire qui jouaient leur jeu en jouant celui de l'homme du 18 juin ([^22]). Dans cette manœuvre politique, j'ai perdu, ma génération a perdu l'héritage de la Révolution nationale. Qui d'entre nous sait ce qu'a pu être la Charte du travail et la Corporation paysanne, à part quelques privilégiés et quelques spécialistes ? Ne parlons pas du reste : on nous a interdit -- physiquement et sociologiquement -- de recevoir cet héritage. Car on n'hérite pas des traîtres, ils sont une détestable discontinuité de notre histoire, si on en croit le R.P. Riquet (tiens, le revoilà : ça doit être qu'il ne me fait pas si peur que je le croyais) qui parle de « l'admirable continuité de notre histoire » à propos de l'homme du 18. Toujours est-il que pour récupérer cet héritage français, pour renouer des liens, pour retrouver la trame, que de diffi­cultés, que d'obstacles, que de temps dont la Révolution inter­nationale profite. C'est pourtant à ce travail que nous sommes appelés car nous sommes « ceux de la « classe soixante » qui peut-être referont l'amitié française ou qui alors ne feront rien » selon la dédicace du Brasillach de Jean Madiran. \*\*\* 65:150 En écrivant ces lignes je pense aux petits garçons qu'ils étaient en 1944 et 45, ceux de la classe soixante. Et qui avaient plus ou moins peur de tous les uniformes car ceux qu'ils con­naissaient étaient ceux des boches, des fritz, des schleus qu'il fallait haïr. Ce sont les mêmes qui ont fait le maintien de l'ordre, en Algérie, en 1962, dans les mois qui précédèrent l'indépen­dance. Et dans des villages et dans des grandes villes ils se sont fait injurier, quelquefois des heures durant, par des petits Français de trois, de quatre, de cinq ans qui leur refusaient tout sauf des injures. La peur et la haine ; vingt ans ; la haine et la peur. Quelle peine, quelle horreur du gâchis, quelle longue habi­tude des vicissitudes de cette vallée de larmes guidait la vieille Bônoise qui venait nous porter du café au lait sur les cinq heures du matin, je ne le sais pas. Ce que je sais c'est que nous aurions pu être ses petits-fils, qu'elle était pied-noir et nous métropolitains ou martiniquais et que nous passions la nuit en bas de chez elle, entre la casbah et la ville européenne. Que tous les matins pendant des semaines les garçons de ce poste ont eu, grâce à elle, un café au lait brûlant, maternel et fran­çais : honneur lui soit rendu ! honneur à cette mère française ! En écrivant ces lignes je pense aussi aux petits garçons qui sont ceux de la classe quatre-vingt-cinq : aurons-nous refait l'amitié française quand ils auront vingt ans ? Si Dieu le veut. « Alors on célébrera Philippe Pétain. On dira de lui qu'il fut, comme nos premiers rois, un patient mainteneur et assem­bleur de terres françaises. On évoquera le dévouement de ceux qui n'abandonnèrent leur pays ni matériellement ni morale­ment pendant sa grande épreuve. Et sur toutes les mesquine­ries de l'époque la piété patriotique jettera un voile d'oubli, comme l'amour néglige les mouvements d'humeur d'un être cher irrité par la souffrance et par la faim. » ([^23]) Antoine Barrois. 66:150 ### Toujours l'inflation par Louis Salleron DANS le numéro 141 (mars 1970) d'ITINÉRAIRES nous avons essayé de projeter quelque lumière sur le phénomène mystérieux qui a nom « inflation ». Tout en renvoyant à ce que nous avons dit dans ce pre­mier article, nous voudrions y ajouter quelques réflexions. En premier lieu, nous constatons que l'inflation -- c'est-à-dire la hausse régulière des prix -- continue. Elle continue partout, et d'abord aux États-Unis, où elle avoisine 6 p. 100 l'an. Le fait est notable, parce que le gouvernement a tenté d'en­rayer l'inflation et n'a abouti qu'à augmenter le chômage, assorti d'une légère récession. Peut-être, s'il n'avait rien fait, l'inflation eût-elle été plus forte. Certains pensent le contraire. En tout cas, les mesures prises ont été sans effet. Des mesures analogues ou différentes n'ont pas connu plus de succès dans les divers pays d'Europe. Pourquoi ? On peut dire, sans risque d'erreur, que la raison actuelle de l'échec est que la cause *directe et immédiate* de l'inflation, surtout aux États-Unis, est l'impossibilité de freiner la hausse des salaires. C'est donc ce qu'on appelle l'inflation par « les coûts » (sans négliger l'effet second de la hausse des salaires qui est l'accroissement des revenus, cause de l'inflation par « la demande »). Les patrons ne s'opposent que mollement à la hausse des salaires parce qu'elle ne les gêne pas. Ils sont encore en mesure de la répercuter dans les prix de vente. Subsidiairement, elle allège leurs dettes sociales. 67:150 Même chose pour l'État. L'inflation rembourse ses dettes et augmente ses rentrées fiscales, tant pour les impôts indirects qui suivent la courbe des prix que pour les impôts directs qui, non seulement frappent une masse accrue de revenus, mais font passer dans des tranches supérieures (plus lourdement taxées) les revenus de chacun. Bref tout le monde est content. Tout le monde sauf probablement quelques-uns qui doivent bien faire les frais de l'opération. Car s'il y a des débiteurs, il y a aussi des créanciers. Et s'il y a tant de gens pour dé­noncer le nombre de pauvres qui existent dans les sociétés riches, c'est qu'il y a au moins quelques pauvres. Pour comprendre ce qui se passe, il faut avoir présent à l'esprit le mécanisme de l'inflation, qui seul nous révèle sa nature profonde. Qu'est-ce que l'inflation ? L'inflation, c'est *d'abord* un *transfert* de richesse. C'est la conversion d'un *capital* en *revenus,* ces revenus étant, pour une part, distribués et, pour une autre part, conver­tis eux-mêmes en un *capital nouveau.* On voit clairement le phénomène dans les deux cas de la guerre et de l'après-guerre. Pendant la *guerre,* toute la production est orientée à la destruction. La production des biens consommables est réduite au minimum. Malgré tous les contrôles, le décalage entre les biens et les revenus d'une part, et la substitution d'une pro­duction de destruction à la production de biens échangeables et consommables d'autre part, créent l'inflation. *L'après-guerre* se présente différemment. Le pays se trouve en face d'un capital -- en biens durables et en biens de pro­duction -- considérablement réduit. Il faut refaire ce capital. On ne peut le refaire qu'avec le travail, le crédit et le capital subsistant. Celui-ci, étant universellement réparti, ne peut être universellement appelé à fournir sa contribution que par l'in­flation, qui le liquéfie en quelque sorte pour être refondu en un capital neuf mieux réparti et plus productif. 68:150 Théoriquement, le contrôle des prix, des salaires, de tous les revenus et de tous les circuits permet de limiter l'inflation au minimum. Mais si les destructions sont importantes il ne peut l'éviter complètement, car la répartition et la meilleure utilisation du capital subsistant ne pouvant se faire en nature, la conversion en monnaie de ce capital ne peut s'effectuer sans un certain décalage entre la masse monétaire créée et la masse des biens en présence. L'inflation n'est qu'un impôt sur le capital généralisé. De nos jours, le phénomène inflationniste se présente en­core différemment. Nos pays disposent d'une richesse énorme. Les destructions de la guerre sont depuis longtemps remplacées par un capital neuf, infiniment supérieur à celui qui existait précédemment. Alors d'où vient l'inflation ? Nous en voyons trois causes. Nous avons déjà indiqué les deux premières, mais nous allons les redire pour la clarté de l'exposé. La troisième, inédite, est très difficile à formuler. Les voici toutes les trois. 1\) Visiblement, la cause *directe et immédiate* de l'inflation, aujourd'hui, dans tous les pays développés est la hausse des salaires. Cette hausse a été, depuis des années, aussi heureuse éco­nomiquement que socialement. Elle favorisait la productivité et le progrès technique et créait une nouvelle classe moyenne, facteur d'équilibre social. Mais maintenant la hausse est trop forte. Elle écrase les couches les plus défavorisées (petits sala­riés, vieux, tous les faibles etc.). Elle est en train de tout désé­quilibrer. 2\) La seconde cause de l'inflation est le *désordre monétaire international*. Ce désordre ne peut être surmonté que de deux manières : soit par la domination incontestable d'une grande puissance, soit par l'automatisme d'un mécanisme régulateur accepté de tous. Avant la première guerre, les deux moyens étaient combinés. La puissance était la Grande-Bretagne et le mécanisme était l'or. Aujourd'hui on refuse l'or ; et les États-Unis, rongés d'ailleurs par l'inflation, ne peuvent imposer un dollar contesté. Les perpétuels ajustements des monnaies na­tionales dans leurs rapports mutuels, effets des désordres in­ternes (inflation) jouent, par réaction, comme causes. Bref le climat inflationniste mondial favorise les inflations nationales. 69:150 3\) La troisième cause est extrêmement difficile à saisir et à analyser. Personne ne l'indique. Aussi ne l'avançons-nous qu'avec timidité. Elle consiste, nous semble-t-il, dans *l'accélé­ration d'un progrès technique qui pousse à créer un capital neuf avant amortissement du capital antérieur*. Autrement dit, le progrès joue le rôle de la guerre. Il *détruit* et *transfère* pour *construire*. Notons bien que la vie -- et la vie économique comme tout autre aspect de la vie -- est toujours *destruction* en vue de la *construction*, toujours *consommation* en vue de la *production*. Mais la vie *normale* est un *rythme* et une *proportion* entre l'aspect destruction et l'aspect construction, entre l'aspect consommation et l'aspect production. Ce rythme et cette proportion étaient précédemment assu­rés, d'une part par l'autorégulation des mécanismes monétaires axés sur l'or, d'autre part par la relative lenteur du progrès technique. Dès l'aube du capitalisme, le problème avait été perçu. Si les économistes classiques ont mis l'accent sur la production-construction, on ne doit pas oublier que le XVIII^e^ siècle est très « consommationniste », et Malthus, seul des grands classiques, souligne avec force la nécessité d'équilibrer la production par une consommation adéquate. Après les guerres napoléoniennes, pendant un siècle, on ne connaîtra que la production-construction, réglée par l'éta­lon-or. Les suites de la première guerre mondiale commencèrent à ébranler les théoriciens. L'inflation régnait partout. Les auto­matismes étaient brisés. N'était-ce pas le signe qu'il y avait quelque chose de vrai dans l'inflation ? Puisqu'elle existait, ne correspondait-elle pas à quelque réalité de l'ordre naturel ? On rit de Daladier lançant l'idée de la « monnaie fon­dante », mais on prit au sérieux Keynes qui disait savamment la même chose, tout en redécouvrant le XVIII^e^ siècle et Malthus. Aujourd'hui, Keynes est détrôné, mais l'inflation continue. On ne pense plus qu'à lui assigner des limites. Mais de quelle manière ? En sur-produisant, pour fournir une contrepartie au flot des revenus. 70:150 Les *transferts* de richesse continuent. Du plus petit au plus gros. Du plus faible au plus fort. De l'individu au groupe, et du groupe à l'État. Il n'y a plus qu'un *automatisme *: celui de la *construction de Léviathan, qui pompe le sang et la moelle de toutes les cellules vivantes -- de toutes les libertés.* L'inflation *détruit* le capital des individus, des familles, des associations, des petites et moyennes entreprises, pour *cons­truire* le capital du monstre totalitaire qui armé de ses ordi­nateurs, asservit et planifie à tour de bras la chair et l'esprit de l'humanité. On n'en sortira qu'après la catastrophe -- à condition d'avoir une doctrine de l'homme et de la société capable de fonder une doctrine économique. Pour l'instant, dans le domaine des idées, c'est le désert. Louis Salleron. 71:150 ### Le cinéma comme il est par Hugues Kéraly ELLIOT GOULD, devenu avec « M.A.S.C.H. » (1969) l'acteur le plus populaire des États-Unis, est actuellement la seule vedette dont les cachets surpassent en impor­tance ceux du fabuleux Charles Bronson. Cela ne l'empêche pas de manifester dans le choix de ses rôles une attitude net­tement anti-conformiste, voire révolutionnaire, à l'égard de la civilisation de consommation qui le nourrit si bien... Dans « *Campus *»*,* le dernier film de Laszlo Kovacs, ce grand mil­liardaire de la contestation incarne le rôle d'un étudiant revenu à l'Université pour passer son agrégation, et qui finit par man­quer délibérément son examen pour rejoindre le camp des étudiants en grève : « Je ne suis pas de votre clan... Je déteste cette vie truquée... Je ne veux pas d'une génération pour qui l'essentiel serait de savoir signer un chèque », déclare-t-il tout d'un coup aux examinateurs médusés, avant de se mettre en demeure de « tout casser » dans les locaux de la Faculté. Le film, qui a été tourné dans le cadre de l'Université de Eugène (Oregon), réalise sous forme de comédie dramatique un savant mélange de contestation étudiante inspirée par des faits récents et de coucherie, l'une et l'autre semblant d'ailleurs évoluer du même mouvement vers leur paroxysme, comme pour donner raison à certain slogan inscrit en mai 1968 sur les murs de la Sorbonne : « Plus je fais l'amour et plus j'ai envie de faire la Révolution ; plus je fais la Révolution, et plus j'ai envie de faire l'amour. » Il n'y a rien de plus superficiel à notre avis que cette façon de réduire la « révolution » étudiante à une réaction de mécon­tentement contre le manque de liberté sexuelle imposé sur les campus universitaires par les autorités. Certes, le dérègle­ment des mœurs sous toutes ses formes est en période révolu­tionnaire une des conséquences les plus visibles du renver­sement radical des valeurs qui assurent dans la société la permanence de l'ordre naturel. 72:150 Mais l'instinct de jouissance sexuelle ne suffit pas pour autant à expliquer la Révolution, dont une interprétation exclusivement psychanalytique risque­rait de donner une idée aussi fausse que celle dont se contente pour sa part le matérialisme dialectique. On comprend toutefois que de Marx à Freud, le pas soit vite franchi, à tel point qu'en mai 1968 l'Amphithéâtre Binet de la nouvelle Faculté de Médecine ait été rebaptisé Amphithéâtre « Freud-Che Guevara »... Cette association « spontanée » avait pourtant de quoi étonner aussi bien les partisans de la psychanalyse que ceux de la révolution permanente. On sait en effet que Freud ne peut admettre l'explication marxiste de l'homme, laquelle nie radicalement toute influence des fac­teurs psychologiques sur le comportement (« ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience »). Aussi Freud -- dans la dernière de ses « Nou­velles Conférences » -- rejette-t-il cette interprétation : « Il est inadmissible de négliger le rôle des facteurs psy­chologiques quand il s'agit des réactions d'êtres vivants hu­mains. Non seulement ces facteurs participent à l'établissement des conditions économiques, mais encore ils déterminent ensuite tous les actes des hommes, lesquels ne peuvent réagir que par leurs pulsions primitives, leur instinct de conserva­tion, leur agressivité, leur soif d'amour, leur besoin de chercher le plaisir et de fuir le déplaisir. » Pour leur part, les marxistes ont souvent accusé Freud d'être le promoteur d'une théorie où se reflète l'idéologie bourgeoise du XIX^e^ siècle (toute pensée, pour les marxistes, est *reflet* de l'évolution des forces économiques dans la société), tandis que la psychanalyse en général était assimilée par eux à une technique d'adaptation au système social existant ([^24]). Mais si l'on a assez bien vu jusqu'ici les points sur lesquels se séparent le psychanalyste et le marxiste, on tend générale­ment à laisser de côté ce qui les unit pourtant profondément, nous voulons dire cette vision moniste -- simpliste même -- de la condition humaine, où toute activité est ramenée à un principe d'explication qui dans un cas comme dans l'autre, échappe à la volonté. Pour Marx en effet, l'homme n'est rien d'autre que « le complexe de ses rapports sociaux », c'est-à-dire la résultante des forces matérielles en évolution et, plus précisément, de l'organisation économique de ces forces dans un système donné de production. Aussi l'infrastructure éco­nomique est-elle en définitive déterminante de toute produc­tion humaine, du droit, des lettres, des arts, de la religion et de la morale, qui n'en sont que les « superstructures » idéo­logiques, les reflets. 73:150 Pour Freud la « libido », nœud vital du subconscient, est ce qui détermine en fin de compte tous nos états de conscience, toutes nos réactions ; c'est autour des pulsions primitives de l'individu que s'échafaude l'organisation familiale, morale et politique de toute société. Ici encore, le mouvement est le même, qui voudrait rendre compte de toute activité humaine en faisant d'elle la résultante d'une force mystérieuse et quelque peu mythique (la matière en mouvement, les pulsions du subconscient) sur laquelle l'homme n'a point de prise, parce qu'il en est avant tout la victime. D'où la nécessité pour le révolutionnaire de favoriser partout où cela est possible la *prise de conscience* des contradictions dans l'organisation sociale de la production économique. Les techniques du psy­chanalyste reposent sur une hypothèse similaire, qui veut que l'action perturbatrice de l'inconscient prenne fin quand celui-ci est ramené à la conscience. Marxisme et psychanalyse ont en commun un certain mé­pris de ce qu'est véritablement la nature humaine, avec sa réelle et mystérieuse complexité, à laquelle ils préfèrent subs­tituer les fantasmes abstraits de leur orgueilleuse et irration­nelle spéculation. Au contact de l'expérience, leurs théories s'effondrent nécessairement. Aussi ne peuvent-elles séduire que les adolescents, les débiles mentaux, les séminaristes, et mal­heureusement aussi -- les cinéastes. Hugues Kéraly. 74:150 ### Le cours des choses par Jacques Perret LE très chaste et vénérable *Petit Écho de la Mode* s'est fondu avec *Femme d'Aujourd'hui.* Le procédé de fusion s'est rendu indispensable au progrès social et écono­mique. Une vigoureuse campagne est même entreprise pour en faire application au progrès spirituel visant à l'œcuménisme : la fusion des églises est le moyen court. Mon propos ne va pas si loin. Il s'en tiendra au secteur de la presse féminine pour se limiter au cas de ces deux magazines confusionnés. Bien conduite la fusion doit s'opérer à petit feu. On débar­rassera la vieille boutique de ses vieilleries mais sans brusquer la clientèle qui fait le principal de l'actif. Pour parler en technocrate l'absorbant doit ménager l'absorbé. En l'occurrence il s'agissait de rassurer les éléments conservateurs du fichier tout en donnant satisfaction à son aile marchante. Certes, en éliminant le titre ancien, *Femmes d'Aujourd'hui* semblait narguer les femmes d'autrefois, mais le ton général restait un peu le même. Les lectrices auront conclu tout bon­nement que si la mode avait changé son écho demeurait sin­cère et même fidèle à cet accent de bonhomie qui fait aimer la sagesse. Il m'est tombé sous les yeux un numéro de ce maga­zine. Je lis un article intitulé *Faisons peau neuve,* titre hardi, mais bien sûr qu'en faisant attention, mademoiselle, on peut changer de peau et garder son âme. Il s'agit de filles scoutes. Sans renoncer à leur nom de guides elles ont adopté, selon l'âge, les noms de *jeannette, aventure, caravelle* et *jem* qui est le sigle heureux des « jeunes en marche ». Voici deux extraits de ce papier : *Donc, révision complète de la pédagogie scoute. Avec pour les caravelles, prise de conscience collégiale et, pour l'ex-cheftaine devenue* « *responsable *» *un rôle de sugges­tion* (*au lieu d'imposition*) *et une grande dose de compré­hension. Car il faut les suivre, comme on dit... L'uni­forme par exemple. Rayé, supprimé, éliminé, oui mais voilà ! En* « *civil *»*, elles se sont senties disparates.* 75:150 *Il n'y avait plus d'unité ; alors elles en ont voté un, à la surprise de Marie-Claude. Jupe bleue et polo rouge. Esprit de contradiction ? Surtout pas. Mais* (*qu'on me pardonne ce jargon*) *souci d'authenticité, ressource­ment, sens rajeuni des symboles.* Voilà ce que l'auteur, Mlle Thérèse Ledré, sans ironie patente, appelle authenticité, ressourcement, etc. Ce disant elle ne jargonne pas, elle contribue seulement à faire jargon de mots qui étaient jusqu'ici du domaine public, honorables abstractions galvaudées pour ne rien dire. Le langage est la première victime des mutations en chienlit, ou le complice, ou le fauteur. Mlle T. L. n'a pas à demander pardon de ce jargon s'il lui semble adéquat au sujet et irremplaçable ; si elle en a honte ou scrupule, qu'elle aille chercher d'autres mots et si elle n'en trouve pas qu'elle laisse tomber les explications. L'uniforme. Hors la condition religieuse où il était heureu­sement désigné sous le nom de voile, tout uniforme semblait jadis inconvenant aux dames et demoiselles, encore que les nourrices, les veuves et les soubrettes fissent connaître leur état par le costume, comme le faisait d'ailleurs tout un chacun. Nous savions ainsi à première vue à qui nous avions affaire, mais il s'agissait de costume et non pas d'uniforme. Aujour­d'hui que voici les personnes du sexe empressées ou contraintes à seconder les hommes dans les disciplines portant livrée, nous ne demandons pas mieux que de les admirer, les aimer, les respecter encore dans leurs tenues de factrice ou de contrac­tuelle. Ainsi faisions-nous pour les guides en tenue de cam­pagne. Sous le harnais bien sûr elles songeaient moins à séduire qu'à servir, chose louable, et tout semblait dire que, faute de ménage, de pouponnage ou d'air pur, elles allaient chercher à Cucufa des fatigues méritoires et les enrichisse­ments de l'esprit de corps au sein de la nature. J'aime bien les déguisements et j'aime aussi l'uniforme quand il n'est pas un déguisement. Celui-ci n'engage à rien, celui-là oblige. Foin des obligations : l'abandon de l'uniforme chez les guides avait été probablement imposé, au moins suggé­ré, par les pédagogues libérateurs. Ce sont les filles, caravelles ou jems, qui auront découvert l'insanité de la réforme. Il a fallu quelques mois pour en arriver là mais le temps n'est pas perdu qui fait retrouver le bon sens comme une trouvaille person­nelle. La leçon de ces fillettes est bien réjouissante. Les tailleurs du quartier Saint-Sulpice font provision de drap noir, sergé, grain-de-poudre et cheviote, et petits boutons ronds innom­brables, en prévision d'un retour aux extérieurs authentiques. Et l'enquête sur la peau neuve se continue comme suit : 76:150 *La chose est particulièrement frappante en ce qui con­cerne la promesse, ou plus exactement l'ex-promesse, car celle-ci a disparu par une progression en trois étapes l'adhésion, l'appartenance, l'animation. Pour l'appartenance par exemple, les filles ont choisi elles-mêmes une cérémonie nouvelle et symbolique.* Malheureusement nous ne saurons rien des cérémonies nou­velles et les rites de l'adhésion, de l'appartenance et de l'ani­mation ne se laissent pas deviner comme ça. On comprend bien que cette progression en trois étapes s'inscrit dans le dispositif général qui a prévu l'abolition des épreuves trauma­tisantes telles que le baptême, le baccalauréat, le mariage et le jugement dernier. Par sa promotion adulte la prime jeunesse est admise aux avantages du libre choix en tout domaine et révocable à tout instant par décret de conscience. Un certain nombre d'attitudes signifiantes pourraient être improvisées au cours de la progression et adoptées à titre temporaire pour éviter le vieillissement des symboles. Si rien ne nous est dit sur le cérémonial des trois étapes c'est que la conscience du groupe se fortifie dans le secret, ou que Mlle T. L. a simplement omis de nous en instruire ou que déjà les protocoles sont remis en question. Nous aurions aimé en savoir quelque chose avant que ces filles-là n'éprouvent le besoin de s'appuyer sur des mots plus solides et difficiles. Telles qu'on les connaît maintenant elles ne tarderont pas à redécouvrir humblement la promesse, la très simple et merveilleuse exigence de la parole donnée. Ce serait une bonne façon de faire peau neuve quand le vrai et le faux sont tournés en salade avec le bien et le mal. En retrouvant l'usage de la promesse, la jeannette et la caravelle sauront au moins que tout n'est pas permis. Elles apprendront à dire que celui qui tient sa promesse est un homme de foi et celui qui ne la tient pas un félon. Par l'usage provocant de ces vocables féodaux elles s'affirmeront rénovatrices, contesta­taires authentiques et hautement ressourcées. Elles sauront alors, entre autre, apprécier à sa valeur inouïe le sacrifice du général de Gaulle qui se rendit félon pour la grandeur de son peuple. Elles comprendront enfin que le bon emploi des faux serments serait inconcevable dans une société où le nombre des promesses tenues serait tombé si bas qu'on y perdrait jusqu'à la notion de parjure. \*\*\* A propos de promesse, une instruction précieuse nous est venue du tribunal de Dijon. On y jugeait le cas de M. Ali Ben Mohamed Mejaoui président d'une amicale d'anciens harkis. Le malheur des temps l'avait contraint à solliciter l'appui de hautes personnalités politiques plus ou moins gaullistes, M. Foccard entre autres, lesquelles s'engagèrent à payer les frais d'un méchoui de charité au profit des harkis indigents. 77:150 Malheureusement rien ne fut payé pas même le drapeau de l'amicale. Convaincu de bonne foi Mohammed a été relaxé avec le conseil suivant, de la bouche du président du tribunal : « Il ne faut jamais croire les promesses des hommes poli­tiques, quel que soit leur parti. C'est déjà cela que ce procès doit vous enseigner. » On ne soupçonne pas le président du tribunal de s'être livré à une plaisanterie amère. Il a simplement donné l'exemple d'une justice paternelle et indépendante. Sans aller toutefois jusqu'à faire citer les personnalités en cause. N'empêche que ces harkis sont incorrigibles. Assez d'entre eux, une heure avant de mourir écorchés vifs, ne croyaient-ils pas encore aux promesses d'un personnage très haut placé ; et combien d'autres ne furent-ils pas bouillis au pied d'un dra­peau qu'ils n'avaient pas payé. \*\*\* Un dernier mot sur les scouts. J'ai attrapé l'autre jour quelques passages d'un débat radiophonique sur l'évolution du scoutisme. Plusieurs dirigeants y participaient, tous consciencieux zélateurs de la mutation et connaissant au moins le béaba du métier. De loin le meilleur d'entre eux était une dame qui s'exprimait avec l'autorité d'une langue magnétique se déroulant à quatre-vingts tours minute. Les honnêtes ques­tions posées par quelques auditeurs timides furent proprement écrasées sous le patipata dialectique, anéanties sous les mes­sages libérateurs qui leur tombaient dessus comme une chape de cirage. Dire qu'il y avait là de quoi écœurer le plus naïf des esclaves, c'est un jugement d'esthète anti-social. On voit bien que ces gens-là ont inventé le dialogue à seule fin de le réduire par le monologue. La vérité ne souffre pas le dialogue et l'élo­quence se moque bien de l'éloquence quand on a le génie de la phonétique asphyxiante. Pour peu qu'ils aient dit quelque chose j'ai cru entendre que la grande question restait la mise à mort du chef dont le souvenir même doit être aboli par l'avènement du respon­sable à responsabilité limitée. Elle disparaît devant les impé­ratifs de la conscience collégiale du groupe. Avec ça on va nous fabriquer des hommes. C'est que justement il s'agit de ne pas fabriquer des hommes. Il s'agit de promouvoir à leur place une abstraction majusculaire. Si vous désirez en savoir plus long adressez-vous au premier sociologue ou tribun venu, en cinq minutes vous aurez douze références à l'Homme. \*\*\* 78:150 Telle qu'elle se présente aujourd'hui la conscience mon­diale est une sorte de pression atmosphérique obtenue par une société industrielle de morale et d'opinion à succursales multiples. Elle se présente aussi comme une espèce de météore sentimental provoqué par les flambeaux de la philosophie, des arts et des lettres du music-hall et de la vertu. Le phénomène est régulièrement béni par nos évêques, assez sages toutefois pour différer de vingt-quatre heures au moins leur prestigieux renfort. Plus concrètement encore elle se présente comme le gron­dement d'une vaste ménagerie parcourue de perruches criardes et pour l'instant elle déchaîne ses clameurs, sanglots, gémis­sements, trémolos et hurlements généreux en faveur des pri­sonniers de Burgas. Nous n'attendions pas moins d'une conscience mondiale dont la passion maîtresse est la justice. Car c'est la même qui pieusement laissa fusiller Degueldre et Bas­tien-Thiry, entre autres. A l'heure où j'écris ces lignes elle redouble d'effort pour interdire aux insolents massacrés polo­nais toute tentative de diversion ou subversion. Ne pas con­fondre le nationalisme des Basques, ferment historique de liberté, avec le nationalisme polonais ou pied-noir qui est déviation criminelle. \*\*\* Le Saint-Siège fait appel à la clémence du gouvernement espagnol, « conformément à la haute mission religieuse et humanitaire qui lui est propre ». En vertu de cette même mis­sion le même Saint-Siège avait accordé aux 110 méchants chrétiens mitraillés dans le dos à l'Isly, la grâce de son paternel silence. Nous n'avons pas grand plaisir à répéter ces choses-là ; on nous y force. Mais nous cesserons de les répéter quand, demain, tous ses cardinaux étant coffrés à Regina Cœli, Paul VI encadré de commissaires indulgents au folklore, bénira du haut de son balcon dix mille cosaques rangés en armes sur la place Saint-Pierre. \*\*\* Quand on s'engage dans les voies de la rébellion il faudrait accepter les risques du métier, entre autre que la rébellion provoque en général la répression et que la mort y est à craindre. Il faut reconnaître au gouvernement le mieux haï le droit de se défendre. Je n'ai jamais, sans trop le dire, contesté au général de Gaulle, dont je n'aimais ni la politique ni les manières, le droit de punir ou de fusiller ses rebelles ; 79:150 il aurait même pu en fusiller bien davantage sans s'écarter de la coutume des potentats parvenus ni faire broncher la conscience mondiale. Je lui ai seulement reproché le parjure, la trahison, la petitesse, et la ridicule pagaille de ses entreprises judiciaires. Homme vraiment fort il eût laissé les juges à leur justice et institué en pompes solennelles un tribunal suprême de la raison d'État, emblèmes, fanfare et grands costumes. Nul n'aurait moufeté. Lui-même y eût retrouvé d'un seul coup le sombre honneur du malfrat qui fait tomber le masque. La constance dans la fourberie a dénoncé le faux dur. Réflexion faite je me demande si le présent tintamarre de la conscience mondiale n'aurait pas pour objet de soutenir la fortune d'un vieil humaniste, peintre à ses heures, bolchevik entre temps, et célèbre auteur d'une extrapolitisation artistique relative au malheur d'une bourgade espagnole endommagée par trois bombes. Ce serait le prix qu'il faut payer pour le som­meil d'une conscience que ni Dresde, ni Hiroshima ni les char­niers de l'épuration et de la Sibérie n'ont su troubler. Il faut rappeler qu'au poids de la vérité Guernica dépasse à peine la libération de Paris par les Parisiens. Les effets de la conscience magnétique ne cesseront-ils pas un jour de nous émouvoir ? Il est vrai que leur monotonie extrême nous rend particulièrement sensibles aux petits inci­dents qui paraissent quelquefois la troubler. Ainsi dans l'una­nime vocifération en faveur d'une clémence qui n'a d'autre objet que de remettre à feu et à sang une nation aliénée par quarante ans de paix et de pain quotidien, avons-nous eu la surprise d'un aimable petit couac. Il nous vient de *Charlie-Hebdo,* successeur d'*Hara-Kiri,* où précisément la mémoire de Degueldre est jetée à la tête des brailleurs de justice. Pour avoir une ou deux fois parcouru ce journal j'en avais conclu qu'il avait tout pour me déplaire sauf qu'il était plus drôle que le *Canard* et qu'il tapait quelquefois dans le mille, c'est l'avantage des anarchistes. Pour ce coup-là donc, un coup de chapeau. Je glisse dans mon calepin la rarissime fleur d'un ennemi loyal, elle y sèchera sans doute et le memento restera ; sans me faire oublier que les anarchistes ont fait lourdement chorus avec les zélateurs de Katz et Debrosse. Dix ans après il faut encore un peu de courage pour saluer leurs victimes. Il se pourrait que l'anarchiste, un jour venant, fatigué ou inquiet de jouer les supplétifs dans la pétaudière maoïste, sartrienne et gaulliste, vint échanger quelques mots de pourparler avec le réactionnaire ultra lui-même fatigué d'être encore confondu avec les coquins et les patte-mouilles de la droite parlementaire. Ce que j'en dis ne fait pas invitation. Nous avons nos anar­chistes, et ne sommes pas encore en état de protéger tous ceux qui nous viendraient de l'extérieur. 80:150 Cette semaine l'affichette hara-kiri fait image du Noël basque avec un pendu prématuré, tandis qu'en Pologne on mitraille l'ouvrier. Je veux croire que, sans attendre dix ans et dès la semaine prochaine, il nous sera fait une belle image des massacrés de Stettin. Éléments d'information sur le cours des valeurs en muta­tion dans la conscience religieuse à la date du 25 décembre. L'abbé de Nantes est accusé d'avoir éveillé la vocation d'une jeune fille et provoqué son entrée en religion. C'est la famille qui se plaint. L'abbé de Nantes, par la tête, le caractère, les mœurs et la prudence est un homme difficile à épingler. Suscitée ou providentielle l'occasion est à saisir et exploiter. Au­trement plus riche et efficace qu'un faux pas doctrinal. On est tout de suite confondu de voir à quel point les informateurs et chroniqueurs des journaux dits sérieux sont devenus igno­rants des choses de l'Église, ou font semblant de l'être. Les âneries qu'ils peuvent écrire. Et si pressés de les écrire qu'ils en ont bâclé un feuilleton Zola : les pratiques moyenâgeuses, la pénitente envoûtée, un étrange directeur de conscience, et les sous-entendus qu'on imagine. Quoi qu'il arrive il en restera quelque chose. On aura au moins dénoncé l'attentat à la liberté de conscience, le détournement des âmes au bénéfice de Dieu, le flagrant délit de conversion, le défi à l'esprit nouveau. Soit dit en passant, la jeune fille est âgée de 24 ans et les nouveaux droits de l'homme, femme comprise, le font naître adulte ; il faudrait savoir. Dans la même semaine la télévision nous invitait à une dé­monstration de strip-tease pastorale exécutée par un prêtre ca­tholique. Sans trac ni fausse honte il faisait étalage de ses con­victions homosexuelles, au nom sacré de toutes les libertés qu'on voudra. D'ailleurs le cardinal Daniélou était là, présent, pro­moteur canonique du général de Gaulle et témoin du confesseur pédérastique. Il était là, tout yeux, tout oreilles, bouche cousue. Sa qualité, bien sûr, ne lui permet pas de donner caution à telle ou telle marque de sexualité, encore moins d'en blâmer aucune car elles sont toutes belles et bonnes quand elles répondent sincèrement à un élan d'amour ; l'amour de Dieu se confond avec l'amour ; l'amour de Dieu passe par les hommes et toutes les amours fusionnent dans le divin creuset de la nature etc. Toutefois il convenait d'expliciter tant soit peu le silence du cardinal et c'est pourquoi un communiqué épiscopal a au moins précisé qu'en tout état de cause nous garderons le respect des personnes. Bien. La cochonnerie sincère fait le cochon respec­table, comme le fait de l'errant l'erreur sincère et du gredin la gredinerie sincère. Et, par exemple, si je demande à quel signe on connaît la cochonnerie sincère on me dira c'est une question de conscience et que de toutes façons les cochonneries insin­cères sont très rares. Bien. 81:150 L'ecclésiastique en question peut donc s'adonner à la conversion des jeunes gens anxieux de s'accomplir pleinement par les moyens qui lui sont propres et pour attester la gloire de Dieu dans le plaisir des minets. Selon les indications de sa pentecôte intime l'ecclésiastique en cause accomplira sa mission tantôt proprio motu, in tenebris ou tele­visu sans que jamais lui soit contesté le zèle apostolique. Dans le cas où les parents du converti ne ressentiraient pas à son égard une gratitude sincère ils observeront au moins le silence respectueux et cardinalice qui est dû à la personne, en toutes circonstances. A la suite de cette émission Mgr Daniélou s'est présenté au tribunal du peuple siégeant au Rond-Point pour y faire publi­cation de son autocritique. Cette démarche aura sans doute éclairé ceux de nos amis qui doutaient encore. Jacques Perret. 82:150 ## NOTES CRITIQUES ### Falsification renforcée de Philipp. II, 6 dans la nouvelle liturgie MGR BOUDON A SAUTÉ : mais la falsification demeure. Prési­dent de la commission qui avait falsifié l'épître du dimanche des Rameaux, Mgr Boudon a perdu sa présidence : non sans avoir au préalable remplacé la première falsification par une autre. Il ne fait plus dire à saint Paul : « *Le Christ Jésus est l'image de Dieu ; mais il n'a pas voulu conquérir de force l'égalité avec Dieu. *» Il lui fait dire maintenant : « *Le Christ Jésus, tout en restant l'image même de Dieu, n'a pas voulu revendiquer d'être pareil à Dieu. *» Cette nouvelle falsification résulte d'une « rectification » opérée au mois de septembre 1970. Et c'est cette version faussement rectifiée qui figure dans le missel à l'usage des fidèles pour 1971. Toutefois la nouvelle falsification (version pour 1971) ne se réclame d'aucune approbation du Saint-Siège, tandis que la première falsification (version pour 1970) avait reçu cette appro­bation par un acte de la Congrégation romaine du culte divin en date du 16 septembre 1969. Une traduction fausse, mais approuvée par le Saint-Siège, a donc été modifiée, apparemment sans autorisation du Saint-Siège ; et en catimini, par une nuit sans lune ; sans rien dire, sans rien expliquer. Enfin, cette pseudo-rectification figure sur une feuille volante intitulée : « Corrections au fascicule T du Lectionnaire domi­nical. » -- Quand cette feuille volante se sera, selon sa vocation, envolée, alors il restera comme devant la page 57 du Lection­naire dans sa première version 1969-1970. Bref, l'anarchie est complète. \*\*\* 83:150 Au point où en sont venues les choses, il ne reste plus qu'à se préparer à agir, avec résolution et dignité, le dimanche des Rameaux, 4 avril 1971. Avant de dire quelles actions nous proposons, nous allons rappeler l'état de la question, pour que tout soit parfaitement clair dans les esprits. #### I. -- Référence La traduction officielle de 1959 Le premier point à rappeler est aussi le plus important. Les versions falsificatrices, celle de 1970 et celle de 1971, ne sont pas les premières traductions officielles. Elles représentent la *substitution* d'une traduction officielle à une autre. C'est en examinant *quoi* a été substitué *à quoi,* que l'on peut le mieux comprendre la portée véritable des actuelles manipu­lations. La traduction française officielle de 1959 disait que le Christ *est de condition divine.* On a donc REJETÉ cette traduction. On l'a REMPLACÉE par : « image de Dieu ». Mettre : *image de Dieu* à la place de : *condition divine,* c'est CHANGER LA SIGNIFICATION DU TEXTE pour les oreilles qui l'écou­tent aujourd'hui. On escompte que nous avons tout oublié, et l'on veut nous faire croire que la lecture en français de l'épître et de l'évangile, c'est à la réforme post-conciliaire que nous la devons. Nous la devons, pour l'évangile, à un très ancien usage ; et pour l'épître, nous la devons à Pie XII. La lecture de la traduction de l'évangile était en France d'usage immémorial. Toutefois elle avait lieu non point *à la place,* mais *à la suite* de la proclamation *en latin* du texte sacré *par le célébrant.* Le maintien de la proclamation en latin com­pensait ou atténuait le dommage des faiblesses et des variations éventuelles de la traduction française. Cet usage immémorial fut consacré par Pie XII, et par lui étendu à l'épître (indult du Saint-Office en date du 17 octobre 1956) : permission confirmée que « les ministres sacrés à la messe solennelle et le célébrant lui-même à toute messe avec assistance de fidèles, qu'elle soit chantée ou lue, puissent pro­clamer l'épître et l'évangile d'abord en latin, puis dans la langue du peuple ». 84:150 Dans cette intention fut composé, et « adopté officiellement par l'Assemblée des cardinaux et archevêques », puis publié en 1959, le « *Lectionnaire latin-français en vue de la procla­mation publique des épîtres et des évangiles des dimanches et des fêtes *». Imprimatur donné à Tours par l'archevêque Louis Ferrand. Propriété littéraire et commerciale de l' « *Association épiscopale liturgique *», qui existait et commerçait déjà en 1959, dans l'inattention générale. Édité par Desclée, Dessain et Mame, « imprimeurs-éditeurs de la Sacrée Congrégation des Rites ». Le « *concordat cum originali *» avait été signé à Paris, le jour de Noël 1958, par le Père A. M. Boguet O.P. Pour faciliter la comparaison, nous donnons ci-dessous *gauche* ([^25]) cette traduction officielle de 1959 ; en regard à *droite,* la falsification du Lectionnaire de 1969 et du missel pour 1970 : LECTIONNAIRE FRANÇAIS OFFICIEL DE 1959 : Étant *de condition divine,* il (le Christ) ne *retint* pas avide­ment le rang qui *l'égalait à Dieu.* NOUVEAU LECTIONNAIRE OFFICIEL VERSION 1969-1970 : Le Christ Jésus est *l'image* de Dieu ; mais il n'a pas vou­*lu conquérir* de force *l'égalité* avec Dieu. Encore à *gauche,* ci-dessous, nous reproduisons une seconde fois cette traduction officielle de 1959, pour la mettre cette fois en regard de la pseudo-rectification ajoutée au nouveau Lec­tionnaire par une feuille volante de septembre 1970, et utilisée par le nouveau missel pour 1971 : LECTIONNAIRE FRANÇAIS OFFICIEL DE 1959 : Étant *de condition divine,* il (le Christ) ne *retint* pas avide­ment le rang qui *l'égalait* à *Dieu.* NOUVEAU LECTIONNAIRE VERSION RECTIFIÉE POUR 1971 : Le Christ Jésus, tout en res­tant *l'image* même de Dieu, *n'a pas voulu* revendiquer d'être *pareil à Dieu.* En l'espace de seulement dix années, l'épiscopat français à officialisé trois versions successives, et différentes, de l'épître du dimanche des Rameaux. La version honnête de 1959 était celle de l'épiscopat anté­conciliaire. 85:150 Les deux versions falsifiées de 1970 et de 1971 sont celles de l'épiscopat post-conciliàire. Le même épiscopat post-conciliaire avait commencé par fal­sifier l'Écriture dans le catéchisme ; il s'est tenu accroché à ses falsifications sans en démordre ; malgré nos protestations ininterrompues depuis le début de l'année 1968, il n'en à rec­tifié aucune ([^26]). L'injure et la violence ainsi faites au peuple chrétien sont donc parfaitement claires. #### II. -- Réponse à quelques objections A nos réclamations, l'épiscopat responsable n'a jamais opposé la moindre tentative de justification ou d'explication. Les objections ne viennent donc pas des faussaires, mais de chrétiens qui s'interrogent et qui cherchent à comprendre l'exacte portée des altérations que l'on fait subir aux textes sacrés. A ces objections honnêtes, nous avons volontiers répondu. Voici le rappel de nos réponses. *Objection 1. -- Est-il en soi hérétique et blasphématoire d'appeler Jésus-Christ :* « *image de Dieu *»* ?* Nullement. Et nous n'avons, quant à nous, jamais prétendu cela ; au contraire ([^27]). Si l'on peut appeler Jésus-Christ *image de Dieu,* ce n'est d'ailleurs pas principalement ni d'abord en ce sens qu'en lui Dieu invisible est rendu visible ; mais c'est au sens théologique, si fréquent chez les Pères de l'Église, surtout grecs, où le Fils est « l'image du Père », et où le Saint-Esprit est « l'image du Fils ». Le lecteur qui n'a pas les Pères grecs sous la main pourra du moins se reporter commodément là-dessus à saint Thomas d'Aquin, question 35 de la première partie de la *Summa theo­logiae.* 86:150 Mais il faut alors entendre ce que, théologiquement et dans ce cas, signifie « image ». Autrement dit : il faut faire aux auditeurs une leçon préala­ble de théologie (une... ou plusieurs...). Et cette leçon consistera à leur expliquer que, si l'on emploie le mot « image » dans la traduction de ce passage de saint Paul, c'est pour signifier que le Christ *est de condition divine.* Comme le disait très exactement l'ancienne traduction officielle de 1959. Que tout le monde comprenait immédiatement et sans risque d'erreur. Tandis que, lorsqu'on dit que le Christ est « image de Dieu », tout le monde comprend immédiatement que, donc, il *n'est pas* Dieu. Au sens théologique, et pour des auditeurs familiers avec le langage des Pères et des Docteurs de l'Église, dire que Jésus-Christ est « image » de Dieu n'a rien de blasphématoire ni d'hérétique. Mais au sens obvie, pour les simples fidèles, proclamer que Jésus-Christ est image de Dieu, c'est nier la divinité du Christ. *Objection 2. -- Croyez-vous que le peuple chrétien compren­drait mieux le mot* « *forme *»* ?* La traduction normale du terme grec MORPHI, du terme latin *forma,* c'est le français « forme » : en un sens lui aussi savant, qui demande une préalable explication philosophique et théo­logique. Mais justement : aucune des traductions françaises existantes n'employait le mot « forme ». Elles disaient : *de condition divine* (traduction Officielle de 1959), ou plus simplement : *il était Dieu.* Tout le monde comprenait immédiatement ce qu'il fallait comprendre : une affirmation de la divinité du Christ. Cette affirmation a été SUPPRIMÉE et REMPLACÉE par quelque chose que tout le monde comprend immédiatement comme une négation. La *portée pratique* d'une telle *substitution* est équivalente à l'énoncé d'une hérésie et d'un blasphème. 87:150 *Objection 3. -- Mais quel est donc exactement le sens de la seconde partie de ce verset 6 ?* L'ancienne traduction Officielle de 1959 disait : *il ne retint pas avidement le rang qui l'égalait à Dieu.* La Bible de Jérusalem (presque identique) : *il ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.* La traduction Osty : *il ne se prévalut pas d'être l'égal de Dieu.* La traduction du missel Feder : *il n'a pas jugé devoir garder jalousement ses droits d'égalité avec Dieu.* La traduction Médebielle (dans Pirot et Clamer, tome XII) *il n'a pas considéré son égalité avec Dieu comme un butin* (*ja­lousement gardé*). La traduction Maritain (dans son livre sur *La pensée de saint Paul,* Corréa s.d. (1947), page 166) : il *ne s'est pas retranché comme un avare dans son égalité avec Dieu.* La traduction Tricot (publiée sous l'appellation de nouvelle traduction Crampon 1960) : *il n'a pas tenu pour une proie son égalité avec Dieu.* On peut penser que toutes ces traductions convergentes sont faibles, Ou même plus ou moins erronées. Le latin dit : *non ra­pinam arbitratus est esse se aequalem Deo.* Le grec dit : OUK ARPAGMON IGISATO TO EINAI ISA THEO. Même jugées erronées, ou faibles, les traductions existantes n'étaient pas falsificatrices de la pensée de saint Paul, elles n'étaient pas blasphématrices de la divinité du Christ. Tandis que, au contraire, les versions officielles nouvelles supposent ou insinuent une négation de cette divinité. La version falsifiée de 1970 : *il n'a pas voulu conquérir de force l'égalité avec Dieu* (s'il a refusé de la conquérir, c'est donc qu'il ne l'avait pas...). La version falsifiée de 1971 : *il n'a pas voulu revendiquer d'être pareil à Dieu* (il ne l'était donc point, pareil à Dieu...). Avant d'être difficile à traduire, cette seconde partie du ver­set 6 est certainement difficile à comprendre. Mais on pouvait, on devait exclure d'avance toute interprétation et toute traduc­tion qui serait blasphématoire : qui énoncerait ou insinuerait une négation de la divinité de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme. C'est contre ce blasphème que nous avons élevé notre réclamation, puis notre protestation, et maintenant notre réso­lution. \*\*\* 88:150 S'il nous est obligatoire de rejeter toute interprétation et toute traduction blasphématoires, en revanche il est trop évident qu'il ne nous appartient pas de trancher quel est le sens exact de ce verset. Il nous sera permis néanmoins d'avouer notre préférence pour l'interprétation du Père M.-J. Lagrange O.P., fondateur de l'École biblique de Jérusalem : *il ne pensait pas que l'égalité avec Dieu fût une usurpation dont il eût à rendre compte ; c'est de son propre mouvement qu'il s'est dépouillé...* Cette interprétation est en relation normale avec le contexte, avec le mouvement de la pensée et la suite des idées, comme il apparaît par l'ensemble de la paraphrase qu'en donnait le P. Lagrange : « *Celui qui a pris la forme de l'esclave n'est pas un grand archange créé par Dieu, ni une âme hu­maine récemment produite, ni un homme caché quelque part en attendant sa manifestation : il était dans la forme de Dieu. Un être céleste en devenant homme s'humiliait par là-même, mais pour le Christ qui étant Dieu est le Maître, c'est prendre la forme de l'esclave, et cet abaissement est tellement inouï que le Christ a dû en quelque sorte se dégarnir, se dénuder, se vider de toute splendeur inséparable de la divinité, pour avoir la simple apparence d'un homme... Le Christ était en possession de l'égalité avec Dieu, il ne pensait pas que ce fût là une usur­pation dont il eût à rendre compte ; c'est de son propre mouvement qu'il s'est dépouillé et qu'il a choisi l'humilité. Dieu n'avait pas à récompenser pour ce choix cet être préexistant, car il n'y avait rien à ajouter à la forme de Dieu ; ruais cette nature d'esclave qui avait enduré si docilement la Croix devait ère glorifiée. *» #### III. -- Que faire pour le dimanche 4 avril 1971 L'épître du dimanche des Rameaux n'est pas le seul passage de l'Écriture qui soit altéré dans la nouvelle liturgie. Mais c'est sans doute le passage dont la falsification est le plus manifeste, et le blasphème le plus provocant. C'est pourquoi nous y portons notre insistance principale. L'autorité hiérarchique responsable a voulu rester sourde aux arguments raisonnables qui lui ont été présentés. Si d'ail­leurs ces arguments lui paraissaient déraisonnables, elle pouvait montrer en quoi et pourquoi. 89:150 Depuis sa naissance jusqu'à Vatican II, l'Église avait toujours apporté le plus grand soin à ex­pliquer, à démontrer, à répondre aux objections, à réfuter les thèses erronées, à justifier par une argumentation détaillée ses enseignements, ses décisions, ses recommandations. Depuis Vatican II au contraire, nous subissons une cascade de mesures autoritaires qui bouleversent tout sans jamais rien justifier, qui ne donnent ni raisons ni explications, qui jamais ne répondent aux questions ou aux réclamations. Il y a là un signe, absolu­ment nouveau... Puisque l'argumentation, puisque la réclamation, puisque les protestations sont restées sans effet, il faut maintenant passer à l'action : et interdire le 4 avril prochain, dimanche des Ra­meaux, que le blasphème soit proclamé dans toutes les églises de langue française. Mais premièrement et avant tout, il convient d'informer le clergé et le peuple chrétien. La plupart des prêtres et des fidèles n'avaient pas remarqué la falsification ; s'ils avaient vaguement ressenti quelque anoma­lie, ils n'en avaient pas perçu la portée véritable, faute d'y avoir suffisamment arrêté leur attention. Et il était bien qu'il en soit ainsi : cela laissait à l'autorité hiérarchique, saisie de nos réclamations, tout loisir et toute possibilité de réparer, discrètement et sans aucun scandale, l'in­tolérable altération du texte sacré. Mais puisque, au contraire, la falsification et le blasphème demeurent, et que leur proclamation publique, déjà faite le 22 mars 1970, va recommencer, si l'on n'y met le holà, le 4 avril 1971, il faut demander aux prêtres et aux fidèles d'y réfléchir sérieusement. Pour cela, il faut leur mettre sous les yeux les différentes versions, et le rappel des réclamations qui ont été faites en vain. Deux tracts de quatre pages chacun ont été composés dans cette intention ([^28]). Et le présent article, tiré en brochure ([^29]). D'ici le 4 avril 1971, il faut donc diffuser partout ces tracts et cette brochure. *Le but *: obtenir dans chaque paroisse l'assurance formelle du clergé qu'aucune des deux versions blasphématoires ne sera lue à la messe des Rameaux. *Sinon *: empêcher la proclamation du blasphème. \*\*\* 90:150 Le 11 juin 1970, j'avais écrit au pape Paul VI : « *Le système de la falsification, toujours impuni, toujours imposé, par un nouveau progrès s'introduit maintenant dans la* «* liturgie de la parole *». *Il re­vient donc aux simples fidèles, selon une tradition catholique solidement attestée, de faire physique­ment obstacle dans les églises à la proclamation du blasphème et du sacrilège*. » Le 12 juin 1970, j'avais écrit au préfet de la Congrégation romaine du culte divin : «* ...Les réclamations incessantes et solennelles des fidèles contre ces falsifications de la Parole de Dieu n'ont, depuis bientôt deux années, obtenu aucune attention de l'épiscopat local ni du Saint-Siège.* *Au contraire : le système de la falsification s'étend maintenant, après le catéchisme, à la* «* liturgie de la parole *» *telle qu'elle est imposée dans vos nou­veaux rites de la messe.* *J'ai l'honneur d'informer Votre Éminence -- com­me je l'ai déjà porté à la connaissance du Saint-Père -- que je prends l'initiative d'inviter les fidèles à empêcher physiquement, dans les églises, la procla­mation des blasphèmes falsificateurs du nouveau Lectionnaire français.* » Plus d'un mois après être parvenues à leur destinataire, ces deux lettres ont été rendues publiques, la seconde quinzaine du mois de juillet 1970. On m'a demandé de toutes parts : -- Qu'entendez-vous par empêcher *physiquement,* par faire *physiquement* obstacle ? Le moment est venu de l'expliquer, puisque le moment est venu de passer aux actes. Je n'entends par là aucune violence contre les personnes ni les lois ni les mœurs actuelles ne prévoient plus de châti­ments physiques pour les blasphémateurs ; d'ailleurs, nous ne sommes pas un tribunal ayant fonction de châtier qui que ce soit ; enfin, on peut raisonnablement présumer qu'en l'occur­rence les blasphémateurs qui liront la version falsifiée de saint Paul sont inconscients de leur blasphème, en raison d'une part de leur aveuglement (fait d'un mélange de conditionnement sociologique et d'ignorance religieuse), en raison d'autre part de la caution donnée par l'autorité hiérarchique à la version falsifiée. 91:150 L'obstacle ou empêchement *physique* qui a été promis est un obstacle ou empêchement *vocal*. Il n'est pas seulement permis, il est certainement recom­mandé d'élever la voix et même de crier dans une église, quand il s'agit de NE PAS ADHÉRER PAR SON SILENCE à la proclamation d'un blasphème. -- Mais que peut-on crier ? -- Dans un tel cas, on peut précisément crier : « *Blasphè­me ! *» Et la clameur de protestation, si elle est assez forte, submer­gera la proclamation blasphématoire. Quand il y aura lieu de prévoir l'obstination du lecteur ou du célébrant, il sera sans doute utile d'avoir préparé des inter­ventions vocales prolongées, comme le chant du *Credo :* dans chaque paroisse et dans chaque cas, LES MEILLEURES dispositions pratiques seront celles qui auront été arrêtées sur place, par les paroissiens eux-mêmes. \*\*\* Si les protestataires sont assez nombreux et assez organisés, ils n'auront aucune peine à imposer l'interruption de la céré­monie. S'ils ne sont pas en mesure d'imposer cette interruption, ils n'auront, après leur protestation à haute et puissante voix, qu'à se retirer : une « messe » dont la « liturgie de la parole » pro­clame ou insinue la négation de la divinité de Jésus-Christ, on ne voit vraiment pas comment on pourrait encore la présumer valide avec une assurance et une sûreté suffisantes. \*\*\* Mais bien entendu, dans chaque cas, on essayera d'abord de faire prévaloir *la solution la plus pacifique :* qui consiste à obtenir, par conversations ou négociations préalables, que l'épître soit lue dans une traduction non falsifiée. L'accord pratique devrait pouvoir se faire facilement sur la traduction officielle du Lectionnaire de 1959. Dans *beaucoup de cas,* il sera très aisé d'obtenir du clergé paroissial l'assurance, donnée volontiers et de bon cœur, que le blasphème ne sera pas proclamé dans l'église. On découvrira que *beaucoup de prêtres* avaient spontanément l'intention de ne pas utiliser la version falsifiée. 92:150 Dans *certains cas,* pour obtenir gain de cause, il sera néces­saire de formuler la menace ferme et raisonnable d'une opposition physique, telle qu'elle est annoncée dans les deux tracts. Dans *d'autres cas,* il sera indispensable de passer aux actes. On évitera les affrontements violents à l'intérieur de l'église ; si le clergé fait proclamer le blasphème sous la protection d'hom­mes de main, de barbouzes ou de forces de police, la protesta­tion vocale et la sortie immédiate constitueront une manifesta­tion suffisante. #### IV. -- Le fondement doctrinal d'une telle action Voici ce qu'écrivait Dom Guéranger dans *L'Année liturgi­que,* pour la fête de saint Cyrille (9 février), au sujet de l'évêque Nestorius et du laïc Eusèbe : « Le jour de Noël 428, Nestorius, profitant du concours immense des fidèles assemblés pour fêter l'enfantement de la Vierge Mère, laissait tomber du haut de la chaire épiscopale cette parole de blasphème : « Marie n'a point enfanté Dieu ; son fils n'était qu'un homme, instrument de la divinité. » Un frémissement d'horreur parcourt à ces mots la multitude ; interprète de l'indignation générale, le scolas­tique Eusèbe, simple laïc, se leva au milieu de la foule et protesta contre l'impiété. Bientôt une protestation plus explicite fut rédigée au nom des membres de cette Église désolée, et répandue à de nombreux exemplaires, décla­rant anathème quiconque oserai dire : « Au­tre est le Fils unique du Père, autre celui de la Vierge Marie. » Attitude généreuse qui fut la sauvegarde de Byzance, et lui valut l'éloge des Conciles et des Papes. Quand le pasteur se change en loup, c'est au troupeau a se défen­dre tout d'abord. Régulièrement sans doute la doctrine descend des évêques au peuple fidèle, et les sujets, dans l'ordre de la foi, n'ont point à juger leur chefs. Mais il est dans le trésor de la Révélation des points essentiels dont tout chrétien, par le fait même de son titre de chrétien, a la connaissance nécessaire et la garde obligée. Le principe ne change pas, qu'il s'agisse de croyance ou de conduite, de morale ou de dogme. Les trahisons pareilles à celle de Nestorius sont rares dans l'Église ; 93:150 mais il peut arriver que des pasteurs restent silencieux, pour une cause ou pour l'autre, en certaines circonstances où la religion même serait en­gagée. Les vrais fidèles sont les hommes qui puisent dans leur seul baptême, en de telles conjonctures, l'inspiration de leur ligne de conduite ; non les pusillanimes qui, sous le prétexte spécieux de la soumission aux pou­voirs établis, attendent pour courir à l'ennemi, ou s'opposer à ses entreprises, un programme qui n'est point nécessaire et qu'on ne doit point leur donner. » On retiendra, on méditera ces affirmations doctrinales qui ont la lumière de l'évidence : 1\. -- Quand le pasteur se change en loup, c'est au troupeau à se défendre tout d'abord. 2\. -- Régulièrement, sans doute, la doctrine descend des évêques au peuple fidèle, et les sujets, dans l'ordre de la foi, n'ont point à juger leurs chefs. 3\. -- Mais il est dans le trésor de la Révélation des points essentiels dont *tout chrétien,* par le fait même de son titre de chrétien, a la *connaissance nécessaire* et la *garde obligée.* 4\. -- Ces principes sont valables aussi bien pour la croyance que pour la conduite ; aussi bien pour le dogme que pour la morale. La *négation de la divinité de Jésus-Christ* n'est pas un point obscur, difficile et compliqué que seuls peuvent entendre les théologiens. L'affirmation de cette divinité est manifestement l'un des points essentiels dont tout chrétien a la « connaissance nécessaire » et la « garde obligée ». La *falsification de l'Écriture sainte,* avant même d'être un blasphème, est manifestement contraire à la loi naturelle : toute conscience a l'évidence sûre qu'un tel crime est intolérable. \*\*\* Bien sûr, c'est Dieu lui-même qui défend, qui maintient et qui sauve son Église, et qui, selon les temps, les lieux et les moyens fixés par lui de toute éternité, y rétablira l'ordre naturel et surnaturel aujourd'hui profondément subverti. 94:150 Mais, gratuitement, Dieu nous réclame comme obligatoire notre concours pourtant inutile. Déjà la sagesse simplement naturelle nous l'enseignait : -- *Aide-toi, et le Ciel t'aidera.* En toutes circonstances il nous appartient donc de faire, sans omission, ce qui dépend de nous. Il dépend manifestement de nous de *ne pas adhérer par notre silence* à la proclamation dans nos églises, le dimanche 4 avril 1971, d'une falsification blasphématoire de l'Écriture. Que chacun, à sa place, de sa place, porte son témoignage et fasse son devoir. Dieu ne nous en demande pas davantage. Il se charge du reste. Jean Madiran. ### Bibliographie #### Michel Tournier : Le Roi des Aulnes (Gallimard) *L'auteur a-t-il cru à son sujet ? a-t-il vécu avec son person­nage d'une manière assez étroite, et dans une coexistence assez prolongée ? Pour le sujet, il tient du canular ingénieux et labo­rieux. Un ordinateur très personnel a mis en connexion une ballade de Goethe, la légende de saint Christophe, le mythe de Barbe-Bleue, une documentation très complète sur les organisa­tions de jeunesses hitlériennes, et une érudition non moins impressionnante relative à l'art de la vénerie et de la chasse au cerf tout particulièrement. Comme dit le peuple :* « *Il faut le faire ! *» *Fallait-il le faire, en vérité ?* *Laissons-là les questions préalables... Il est du moins cer­tain que pour relier cet ensemble étonnant, on avait besoin d'un personnage central monstrueux. On ne saurait refuser à Michel Tournier l'art de nuancer les monstres en en multi­pliant les virtualités psychologiques.* 95:150 *Doué du nom de Tiffauges évocateur de Gilles de Rais, traumatisé dès l'enfance par un effroyable collège religieux, déçu dans ses amours, injustement accusé de viol, le héros est* « *complexé *» *autant qu'il est pos­sible. Une obscure passion le pousse à porter les jeunes garçons sur ses épaules, et il a pour eux des tendresses équivoques. Notez bien qu'il est difficile d'affirmer qu'il soit pédéraste, et l'auteur tient au contraire à faire surgir lentement le saint Christophe du Barbe-Bleue. Ajoutez à cela les tourments d'un monologue intérieur évoluant entre le sadisme, la scatologie et l'ésotérisme. J'avoue pour ma part que les savants dosages de cette pharmacie littéraire me font regretter le Père Ubu. Les illuminations, télépathies, presciences et signes divers dont bé­néficie Tiffauges ne me paraissent guère plus convaincants que la divination par le Bottin ou les prophéties du somnambule vaticinant les pieds dans un baquet de vin rouge, dans* « *Les Copains *» *de Jules Romains.* *On peut se demander si le propos essentiel de Tournier n'est pas humoristique : un humour assez spécial, parodiant les thèmes fétides de la littérature contemporaine, procurant à l'auteur la joie de duper une majorité de lecteurs qui pren­draient au sérieux un jeu de virtuose et s'en indigneraient naï­vement. Si cela était, nous tiendrions là un défaut majeur. Car ce genre d'humour ne saurait coexister avec le comique direct, hyperbolique et rabelaisien, en lui-même fort réussi, de l'épi­sode de Goering. Tiffauges, garagiste dans le civil, puis prison­nier de guerre devenu spécialiste des forêts et de la chasse, assiste au spectacle saugrenu quotidiennement donné par l'énorme Maréchal et Grand-Veneur du Reich dans ses exploits gastronomiques, vestimentaires et cynégétiques. Le sujet était excellent, l'épisode bien mené et l'on regrette que tout le roman ne soit pas de ce style. Comment passer de là au miracle final, l'enfant juif sur lequel brille l'étoile de David, et Tif­fauges qui le porte s'enfonçant dans les marais ? Il peut exister une vraisemblance propre au récit fantastique : encore le lec­teur doit-il y être préparé dès le début. Si cette parodie trop sensible de la* « *légende Dorée *» *n'est qu'un jeu, elle est finale­ment aussi déplaisante pour les Juifs que pour les Chrétiens.* *Quant à la haine du catholicisme, au tableau du Collège reli­gieux* « *tout à fait atroce *» (*comme dirait Chazot*)*, on peut évi­demment les mettre au compte de Tiffauges et non de l'auteur ; mais cette caricature est si grinçante, quelques autres déclama­tions sont si virulentes qu'on ne peut s'empêcher de rester per­plexe. Un roman a sans doute le droit d'être ambigu si vérita­blement il pose des questions en profondeur et si l'on sent dès le début qu'il a l'intention d'en poser. Le* « *Prix Goncourt *» *de 1970 ne nous offre qu'une mosaïque d'incertitudes stériles et d'interrogations superficielles.* Jean-Baptiste Morvan. 96:150 #### Michel Déon : Les poneys sauvage (Gallimard) Ce terme de « sauvage » au­ra connu une belle fortune en notre temps : « grèves sau­vages », « économie sauva­ge » et même « camping sau­vage ». De la pureté et de la liberté primitives imaginées par Rousseau, le mot s'inflé­chit vers une signification assez différente : état de dis­persion et d'incohérence sou­vent consécutif à des crises, des troubles variés. Dans le roman de Déon, le symbole central paraît toucher a l'un et à l'autre sens. L'auteur lui-même insiste davantage sur la valeur de jeunesse et de li­berté de cette image des po­neys sauvages entrevus dans la New-Forest voisine de Lon­dres, par un des personnages au début de la guerre. Mais les quatre anciens étudiants de Cambridge, et le narrateur lui-même qui fut leur ami avant de devenir leur biographe, ne sont-ils pas aussi les poneys sauvages courant à travers un monde désorganisé ? Ce se­rait alors l'autre sens de l'ad­jectif : la sauvagerie, vestiges épars et mutilés d'un état et d'une pensée antérieurement constitués, incomplétude agi­tée des deux aventuriers précipités dans le communisme, ou torpide comme celle du « hippie » lamentable et dro­gué, personnage épisodique mais nécessaire pour para­chever la peinture de notre paysage historique. Je me suis un jour amusé à sou­tenir que les Papous anthro­pophages n'étaient que les restes d'un « Festival-Pop » préhistorique dont les partici­pants n'avaient pu retourner chez eux par suite de quelque tragédie obscure ou cataclys­me oublié... La course effarée des « poneys » durant la guerre et l'après-guerre, leurs rêves, leurs amours frénéti­ques ou honteuses, leurs dé­vouements tournés en dérision par les puissances ou les évé­nements, tout cela fournit un climat typiquement romanes­que et des héros byroniens. Ils tendent à n'être plus d'au­cune nation et, comme dans les tragédies raciniennes, tou­jours un navire les attend au port. « Again to sea !... » Mais à ce déroulement d'ac­tion pure se superpose, dis­crètement et pourtant effica­cement, une conscience ré­flexive : elle est réservée au narrateur et au vieux profes­seur de Cambridge qui s'ef­force de rester en relations avec ces enfants prodigues ou ces enfants perdus. Il est probable que certai­nes gens feront la grimace à la lecture d'événements pré­sentés au cours du récit ou sous forme de documents an­nexes : ainsi la partie perdue volontairement en Algérie lors des intentions de reddi­tion de la willaya IV, le ma­chiavélisme des services se­crets relaté dans l'appendice intitulé « Mission I et Mis­sion II ». On retrouve trop de souvenirs pour s'enchanter du récit comme d'une fiction : 97:150 n'est-ce pas l'affaire Burgess-Mac Lean qui transparaît dans l'aventure de Horace Mac Kay et de Barry Roots ? ou quel­que autre semblable ? On n'a que l'embarras du choix. Le lecteur est donc averti de temps à autre que l'aventure romanesque ne doit point être l'unique ressort de son atten­tion. Et ce n'est point par hasard que le professeur Der­mot Dewagh déteste l'œuvre de Byron et plus encore sa vie, « une longue suite de ca­prices odieux, de reniements, de cynisme et de bravades so­ciales ». Encore faudrait-il que l'Occident ne semblât pas prendre à tâche de découra­ger ses fils et de tendre à leur existence des pièges absurdes ou odieux. Au-delà des cour­ses et des navigations affolées, on sent la perspective criti­que de Michel Déon : un homme qui rend continuelle­ment, du rivage extrême de l'Irlande ou du balcon de Spetsaï, une conscience de l'Occident -- une conscience inquiète et attristée. J.-B. M. #### Bertrand Poirot-Delpech : La folle de Lituanie (Gallimard) Un mouvement continu, une animation fébrile, un sens agressif du détail des­criptif et de la notation inci­dente, un dynamisme commu­nicatif, telles sont les qualités premières de cette odyssée imaginaire en route vers la folie. Nous prenons parti pour le personnage de la jeune femme insatisfaite de la vie, passion­nément attachée à la création de ses fictions tendres, poéti­ques, haineuses ou tragiques ; et peu s'en faut que nous ne finissions par prendre parti pour sa folie. Nous cherchons secrètement une porte de sor­tie vers un monde où le rêve prendrait valeur de réalité ; nous nous résignons mal à ce que Nastenka, la Lituanienne errante, sa prétendue compa­gne d'enfance, n'ait jamais existé que dans le domaine magique de ses rêveries com­pensatrices. Si naïf et rudi­mentaire que soit l'exotisme baltique de ses forgeries, je connais bien des lecteurs du poète lituanien Milosz qui y suppléeront en apportant la « Symphonie de Septembre » : « Ô pays de l'enfance ! ô sei­gneurie ombreuse des ancê­tres... » et qui tressailliront de toutes les fibres secrètes de l'âme au long de cette chasse désespérée. Et pour des rai­sons variées, que l'héroïne ne soupçonne guère, beaucoup di­ront volontiers avec elle : « C'est peut-être ça, vieillir : s'en tenir à ce qu'on a ressen­ti et que démentent les vrais bilans. » Pourtant l'auteur, avec cette savante cruauté qui est souvent nécessaire à la création littéraire, n'omet rien, dans les propos de Ca­dine, de tout ce qui révèle la marche de la névrose et la progression de la transe. 98:150 No­tre attention se situe sur deux plans : sur celui de la revan­che poétique, mais aussi sur celui du scepticisme clinique, au point que, parvenus à la fin du roman, nous nous deman­dons ce que certains person­nages pouvaient avoir de réa­lité authentique. Nous ne sommes point sans éprouver quelque humeur à l'égard du romancier, et c'est sans doute la meilleure récompense de son travail. La pitoyable aventure de Cadine pose des problèmes passionnants. D'abord celui de la tentation : la mythoma­nie de Cadine est à la fois contraire et analogue à la quête d'Emma Bovary, qui cherchait dans la réalité l'in­carnation dérisoire de ses songes. Le Chrétien, lui, sait que le monde ne nous appar­tient pas, que les dispersions et les déceptions sont dans la nature de notre état ; mais il sait aussi qu'il existe un univers complémentaire, ce­lui du surnaturel. Il se mé­fiera un peu en voyant que tout recours à un supplément d'âme puisse être facilement dénoncé comme un préalable à la névrose. Les jeux inté­rieurs de l'âme ne sont, bien sûr, pas toujours portés vers l'aspiration surnaturelle. Mais sont-ils nécessairement vio­lents, agressifs ? Ne peuvent-ils pas constituer une « pros­pective », un répertoire de projets, la plupart inutiles sans doute, mais dirigés vers une expérience du meilleur, vers une conciliation des âmes ? Nous sommes trop accoutumés à ne concevoir en ce monde qu'une partie con­crète, matérielle et mécani­que, doublée d'une partie abs­traite sans existence, sans poids, sans portée et sans effi­cacité. Le bon sens ordinaire se gausse, et non sans raison, de toutes les hypothèses rela­tives à ce qui se serait passé si le nez de Cléopâtre avait été plus court. Il y discerne trop bien la fantaisie, le ca­price, la passion d'instabilité tournoyant comme la corneille qui abat des noix et qui cham­barde le réel. Mais la théolo­gie ne dédaigne pas la ques­tion des « futuribles » ; et dans le domaine spirituel, nous ne sommes pas tenus à une démarche aussi linéaire ; les secrètes et passagères exal­tations, les enthousiasmes ju­véniles prolongés qui en­tourent ces illuminations inté­rieures du quotidien peuvent être l'objet d'un exercice poé­tique d'abord, et spirituel en­suite. En réfléchissant à d'heu­reuses rencontres, à des inci­dents où il nous a été donné de connaître ou de répandre une certaine lumière de cha­rité spontanée, nous avons parfois pensé qu'il n'avait manqué à ces événements qu'une chose, en somme : c'est d'avoir été auparavant rêvés et attendus. Un retour d'esprit peut les apprécier rétrospectivement comme s'ils avaient été couvés dans la chaleur de la familiarité idéale ; il y a alors une action de grâces à en tirer. Notre monde intérieur fa­milier construit des histoires de services rendus, de surpri­ses à faire, de révélations utiles à donner à des gens qui ne le sauront jamais, qui ne se douteront même pas qu'ils sont entrés dans ces psycho­drames spontanés où l'âme commence à élaborer artisti­quement des surplus de vita­lité et d'intelligence. Nul doute aussi que nous n'en­trions dans les psychodrames des autres et dans leur fami­liarité surréelle. 99:150 Ces jeux ne sont point sans danger : ils imaginent trop volontiers la tragédie où se manifestent les belles âmes. Le roman sans doute peut, pour l'auteur ou le lecteur, en récupérer l'in­discrète abondance, mais d'au­tres risques surviendront alors, et d'abord celui des décep­tions du romanesque. Nous en voulons au familier réel, con­cret et quotidien, de démentir ce « merveilleux » où pour­tant tout est conçu comme du naturel et du possible, qui ne sen sépare que de l'épaisseur d'un cheveu -- intervalle pourtant infranchissable ; il peut aussi arriver que nous fassions grief au domaine idyllique de nous faire per­dre contact avec le monde concret et de nous priver de ses profits matériels. Nous ne pouvons à vrai dire abolir ni l'un ni l'autre de ces modes du familier. Le familier idyl­lique a toujours conduit sur ses routes les troupeaux d'une pastorale imaginaire ; et le quotidien, l'enchaînement cou­rant des événements, avec sa platitude, n'est pas vraiment familier ; du moins, il ne nous appartient pas immédiatement en tant que tel. Pour qu'il le devienne, il faut à chaque ins­tant qu'il soit pressenti et abordé dans une autre lu­mière. La prière conciliatrice et rédemptrice peut éclairer le réel quotidien et sauver le domaine enchanté dans la seule perspective où il ait chance d'être sauvegardé : une oblation des superfluités du cœur, une offrande de dîmes, une consécration des récoltes excédentaires du sen­timent. J.-B. M. #### Mao ou Maurras ? (Beauchesne) Cette discussion entre Pa­trice Sicard, défendant le point de vue maurrassien, et le marxiste-léniniste Philippe Hamel, est la deuxième publi­cation d'une série « Carrefour des Jeunes ». Fort intéres­sante en elle-même, elle est heureusement complétée dans ses trente dernières pages par quelques chapitres : « En sur­volant le débat », « En marge du débat », « Par-delà le dé­bat », « En guise de conclu­sion », « Lexique », « Biblio­graphie », « Postes de ré­flexion ». Méthode excellente qui s'imposait tout particuliè­rement ici : car il est évident qu'une discussion entré un maoïste et un maurrassien ne pouvait s'engager que dans une perspective très particu­lière. Autrement, « Mao ou Maurras » serait un dilemme qui ne paraîtrait pas telle­ment s'imposer. Si l'on est in­téressé par l'élaboration ac­tuelle, entreprise par les maurrassiens, de problèmes tels que la « buro-technocra­tie », les structures sociales et économiques présentes, il n'en demeure pas moins que la plus grande partie de la pen­sée de Maurras débordait lar­gement ces applications. 100:150 La présence d'un marxiste au­thentique dans un débat d'i­dées le rend toujours ingrat et incomplet. La somme des négations absolues et tran­chantes qu'ils ont toujours à offrir, le dédain doctrinal et l'ignorance volontaire qu'ils manifestent pour beaucoup de problèmes, amènent à décou­per arbitrairement et à res­treindre le terrain, au point que l'on risque bien malgré soi de ne présenter la thèse adverse que dans une pers­pective faussée. Mais comme la jeunesse intellectuelle a été depuis longtemps déjà, par nombre de ses maîtres univer­sitaires (sans oublier ses au­môniers), endoctrinée de ma­nière à ne plus orienter sa pensée en dehors de l'écono­mique et du social, il fallait bien qu'on partît de ce do­maine-là ; on espère que ce sera première invite à l'émancipation des esprits et à la redécouverte d'autres problè­mes. J.-B. M. #### Guy Le Rumeur : Apocalypse mariale Cet ouvrage porte en sous-titre : *La Salette et Fatima, Ké­rézinen*, *Garabandal, San Da­miano.* C'est assez dire de quoi il traite. Nous le signalons tout particulièrement, même et sur­tout aux pèlerins et aux lec­teurs qui se croient assez ren­seignés déjà. Il est en effet extrêmement riche en détails inédits ou peu connus. Et les rapprochements que fait l'au­teur entre les événements con­tés de manière très prenante, l'analyse qu'il donne des mes­sages projettent une vive lu­mière sur les temps que nous vivons et sur ceux que nous allons vivre, sur l'état actuel de l'Église et l'extraordinaire renouveau prévu par saint Pie X et annoncé par S.S. Pie XII. Livre à lire, à relire, à faire lire, car, tout imprégné de vraie foi catholique, il éveille, réveille, attise dans les cœurs l'amour et la reconnaissance pour Notre-Seigneur et sa très sainte Mère, qui est aussi la nôtre. (Chez l'auteur : 79 - Ar­genton-l'Église.) J. Thérol. 101:150 #### Jacques Houlet Les psychomachies dans l'art (Nouvelles Éditions Latines) A côté des scènes de l'Écriture sculptées sur ces « Bibles de pierre » que sont les por­ches romans et gothiques, on remarque d'autres sculptures que l'on pourrait appeler des « sermons de pierre ». Elles illustrent en effet le combat spirituel (psychomachie) au moyen de personnages qui fi­gurent les vertus et les vices. Ce sont ces sermons de pierre que Jacques Houlet étudie ici, après en avoir, à la suite d'Emile Mâle et de Paul Des­champs, attribué l'inspiration à Tertullien (*de spectaculis*) et à Prudence (*la Psychomachie*)*.* Les plus guerrières de ces interprétations plastiques sont évidemment celles de l'époque romane. On en jugera d'après les très belles héliogravures qui enrichissent cet ouvrage et qui, entre autres merveilles, montrent les ensembles et nombre de détails de quelques églises de Saintonge, de Guyen­ne et du Poitou : Fénioux, Aul­nay de Saintonge, Fontaines d'Ozillac, Civray ou Blasimon. C'est la grande époque des af­frontements singuliers, des corps à corps chevaleresques : sous la forme de belles jeunes femmes en harnois de guerre, les Vertus terrassent chacune son contraire, ce Vice souvent réduit à un petit monstre, gri­maçant sous la lance qui le cloue aux pieds de la victo­rieuse. Le plus éloquent de ces sermons de pierre, Jacques Houlet le situerait volontiers au portail central de la façade occidentale d'Aulnay de Sain­tonge : là les géniaux tailleurs de pierre ont imagé les duels Colère-Patience, Luxure-Chas­teté, Orgueil-Humilité, Avarice-Charité, Foi-Idolâtrie, Discor­de-Concorde. Et telle était leur habileté, leur maîtrise qu'ils ont su se plier au cadre archi­tectural, subordonner ces or­nements aux lignes principales et loger tout ce monde sur le cintre étroit d'une voussure, des autres recevant la théorie des Vier es sages et folles, une troupe Anges ou les Vieil­lards de l'Apocalypse. Ah ! l'heureux temps ou la techni­que servait la Foi. Les sculpteurs gothiques n'ont pas déployé moins de verve ou d'imagination. Mais déjà l'esprit n'était plus aussi rigoureusement fidèle. Et si l'on retrouve encore dans des monuments de cette époque les combats singuliers des siècles romans, plus souvent les Ver­tus sont des femmes « noble­ment assises » et comme trô­nant dans la certitude de leur victoire, sinon dans le désir du repos ; accompagnées d'at­tributs parfois difficiles à dé­chiffrer, elles sont sculptées au-dessus de petites scènes symboliques où l'on voit par exemple une femme qui comp­te son argent (l'avarice), un homme qui fuit devant un liè­vre (la lâcheté). Ce sont enco­re d'admirables œuvres, mais, de moins en moins combats, les psychomachies commen­cent aussi à quitter les vous­sures, qui imposaient tant de gêne, pour orner des chapi­teaux (voir le magnifique af­frontement de *Largitas* et d'*Avaritia*, à Notre-Dame du Port, à Clermont-Ferrand) ou des piliers (transept sud de Chartres, piédroits du portail sud de Reims). Le thème a même échappé aux sculpteurs ; on le retrouve sur des fresques (Tavant), sur des coffrets (trésor de la ca­thédrale de Troyes) sur des vi­traux (grande rose de Notre-Dame de Paris). Plus tard, tombé dans la pu­re allégorie, il n'est plus que simple ornement, faute sans doute de piété et de foi. Aussi bien en chercherait-on vaine­ment une quelconque représen­tation dans les bâtisses suppo­sées « fonctionnelles » qui sor­tent aujourd'hui de chantiers plus ou moins cardinalices. 102:150 On a coutume d'appeler ou­vrages d'art, non seulement les grands travaux comme le bar­rage de Génissiat ou le pont de Tancarville, mais aussi ces gros bouquins de grande taille (et de prix élevé) reliés ou car­tonnés, qu'on a souvent peine à loger dans sa bibliothèque. Ce livre de Jacques Houlet, vé­ritable ouvrage d'art, n'est ni de cette taille ni non plus et fort heureusement, de ce prix. Mais il est si riche de substan­ce, et si richement illustré, que je me rappelle à son pro­pos ce conte de je ne sais plus quel oriental où l'on voit un enfant pleurer à chaudes lar­mes parce que son petit ca­marade, emportant un gros bouchon de carafe, détale en ne lui laissant qu'un petit dia­mant. J. T. 103:150 TABLE DES MATIÈRES du numéro 101 au numéro 150. \[se reporter à la table générale\] 149:150 ## AVIS PRATIQUES Préparez-vous\ pour le 4 avril Deux tracts et une brochure. Le texte de ces deux tracts, de 4 pages chacun, est repro­duit en tête du présent numéro. La brochure reproduit l'article des « Notes critiques », dans le présent numéro, sur la falsification renforcée de l'épître du dimanche des Rameaux. Attention : en raison du DÉLAI DE LIVRAISON des commandes, qui est de UN MOIS, c'est TOUT DE SUITE que nos lecteurs doivent nous faire parvenir leurs commandes de cette brochure et de ces deux tracts, s'ils veulent être en mesure de les diffuser EN TEMPS UTILE. La brochure est intitulée : *la falsification de l'épître du di­manche des Rameaux.* L'exemplaire : 0,50 F franco. Le premier tract (nommé : tract n° 2) est intitulé : *Dimanche des Rameaux.* Le second tract (nommé : tract n° 3) est intitulé : *Lettre à Paul VI.* On peut utilement y joindre notre tract précédent (nommé tract n° 1) intitulé : *Rendez-nous l'Écriture, le Catéchisme et la Messe* (texte de ce tract publié en tête de notre numéro 148). Les tracts sont à commander *seulement par mille ou par multiples de mille.* Le mille : 36 F franco. \*\*\* La brochure et les deux tracts sur l'épître du dimanche des Rameaux sont diffusés par les divers groupes des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES depuis la première quinzaine du mois de jan­vier. Tous ceux de nos lecteurs qui désirent participer directe­ment à notre action ont intérêt à se mettre en relations avec le groupe local des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES S'il en existe un dans leur localité, et à en fonder un s'il n'en existe pas encore. 150:150 Précision\ sur l'inscription des enfants\ pour le pèlerinage à Rome Comme nous l'avons indiqué dans notre précédent numéro, c'est *avant le 15 février* qu'il faut inscrire les enfants qui doi­vent être hébergés collectivement à Rome dans des institutions religieuses pendant le pèlerinage. Après cette date, les enfants amenés par leurs parents pour­ront encore participer aux exercices du pèlerinage (à la condi­tion d'être munis d'une aube blanche descendant jusqu'aux pieds) : mais ils ne pourront plus être hébergés collectivement à Rome dans des institutions religieuses. *Mais, contrairement à ce que nous avions dit dans notre pré­cédent numéro, les enfants pourront participer à la retraite des enfants le 29 mai, même si leur inscription est postérieure au 15 février.* Les inscriptions sont faites, par les parents, auprès de Mme Élisabeth Gerstner, Centre catholique européen, 506 -- Bensberg-Immekeppel, Allemagne occidentale. Pour la France, on peut s'inscrire au Secrétariat du Combat de la Foi, à Montjavoult (Oise). \*\*\* La liste des chants à faire dès maintenant répéter aux en­fants a paru dans notre numéro 149 de janvier, pp. 180-181. \*\*\* Dans notre prochain numéro : le programme des journées du pèlerinage. (Ce programme a déjà paru dans nos numéros 147 et 148 ; mais quelques modifications matérielles ont dû y être apportées.) \*\*\* Pour faire connaître l'existence du pèlerinage, pour expli­quer sa nature et ses raisons, diffusez notre brochure : *Rendez-vous à Rome pour la Pentecôte* (l'exemplaire : 0,50 F franco). 151:150 Conférence à Paris\ de Marcel De Corte Le lundi 15 mars, à 20 h. 45, Marcel De Corte fera à Paris une conférence : *La crise intellectuelle du catholicisme*. Tous renseignements (et cartes d'invitation) au CLUB DE LA CULTURE FRANÇAISE, 14, rue Eugène-Manuel, Paris XVI^e^. ####### Délai de livraison : un mois Désormais, pour toutes les commandes adressées à la revue, nous demandons à nos lecteurs de prévoir un délai de livraison d'un mois. Dans beaucoup de cas, il se trouvera en fait qu'ils recevront leurs commandes plus rapidement. Mais le délai de livraison d'un mois signifie que : 1\. -- en aucun cas nous ne pouvons garantir une livraison plus rapide ; 2\. -- si nos lecteurs ont besoin de tracts et de brochures pour une circonstance déterminée, il leur faut prévoir de nous en adresser la commande plus d'un mois à l'avance ; 3\. -- les réclamations pour commandes non livrées ne seront pas prises en considération quand elles seront faites avant l'expiration de ce délai d'un mois. ####### Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus Il arrive que des lecteurs nous adressent des manuscrits, puis nous demandent quelque temps après de les leur renvoyer. Nous ne sommes pas une maison d'édition mais une revue mensuelle. Il est normal, habituel, conforme à la déontologie qu'une maison d'édition retourne à l'envoyeur les manuscrits des ouvrages qui lui sont proposés. Mais il est normal, habituel, conforme à la déontologie en vigueur, qu'une publication périodique ne retourne pas les manuscrits, qu'ils soient insérés ou non. Nos lecteurs sont donc prévenus que les manuscrits non insérés ne sont pas rendus, pas plus que la documentation qui nous est communiquée. 152:150 Le délai de 15 jours\ pour les abonnements Les abonnements nouveaux entrent en vigueur 15 jours après leur réception effective : ils ne peuvent en aucun cas porter sur les numéros parus avant ou pendant ce délai. En conséquence, les abonnements nouveaux qui nous parviendront avant le 15 février entreront en vigueur avec l'envoi de notre numéro 151 qui paraîtra le 1^er^ mars. Les abonnements nouveaux qui nous parviendront après le 15 février entreront en vigueur seulement avec l'envoi du numéro 152 qui paraîtra le 1^er^ avril. Changements d'adresse Les demandes de changement d'adresse doivent nous parvenir plus d'un mois à l'avance. Pour toute demande de changement d'adresse : joindre une bande d'envoi de la revue ou à défaut le numéro figurant sur cette bande avant l'adresse. Pour les abonnés de France : joindre trois timbres à 0,50 F. Pour les abonnés de l'étranger : les changements d'adresse sont gratuits. \*\*\* La distinction -- pour les tarifs d'abonnement et pour les changements d'adresse -- entre abonnés de France et abonnés de l'étranger n'est pas une mesure de discrimination. nationale mais une distinction postale. Elle s'établit donc d'après le critère postal suivant : -- sont considérés comme abonnés de France : ceux qui, au lieu où ils reçoivent la revue, affranchissent leurs lettres avec un timbre français à 0,50 F. ; -- sont considérés comme abonnés de l'étranger tous les autres cas. #### Le dernier vendredi du mois et l'Angelus trois fois par jour Le dernier vendredi de chaque mois, les rédacteurs, les lec­teurs, les amis de la revue ITINÉRAIRES vont à la messe là où ils peuvent trouver une messe catholique, priant les uns pour les autres et aux intentions de l'œuvre de réforme intellectuelle et morale entreprise par la revue ; et faisant mémoire de nos morts : 153:150 Henri POURRAT, Joseph HOURS, Georges DUMOULIN, An­toine LESTRA, Charles DE KONINCK, Henri BARBÉ, Dom G. AU­BOURG, l'abbé V. A. BERTO, Henri MASSIS et Dominique MORIN. Le dernier vendredi tombe ce mois-ci le 26 février, vendredi après les Cendres. \*\*\* Le culte des saints est présentement offensé, bafoué, en beau­coup d'endroits pratiquement supprimé par l'impiété des évê­ques réformés et du clergé recyclé. Il faut bien sûr réagir contre cette tyrannique impiété par l'argumentation et par la protestation. Mais il est encore plus nécessaire que le culte des saints de­meure véritablement vivant dans notre vie de chaque jour. L'Antiquité païenne -- païenne mais formée aux vertus na­turelles de piété et de religion -- disait déjà : *Pour le sage, tous les jours sont des jours de fête.* A cette piété naturelle, à cette vertu naturelle de religion, la religion chrétienne ajoute le saint sacrifice de la messe de cha­que jour : par quoi il devient infiniment plus vrai que tous les jours sont des jours de fête pour l'homme pieux. Il n'est pas donné à tout le monde, dans l'organisation de la vie moderne, et dans l'organisation moderne de l'apostasie, d'avoir chaque jour à sa disposition une messe catholique, et la possibilité matérielle d'y assister. *Mais il est toujours à la portée de tout le monde de lire et méditer chaque jour la messe du jour.* \*\*\* Les indications que nous donnons ci-après sur les fêtes du mois de février ne prétendent pas être exhaustives : elles cherchent seule­ment à insister davantage sur ce qui risque le plus d'être estompé par l'impiété actuelle. -- 1^er^ février : *saint Ignace,* évêque et martyr : second ou troisième successeur de saint Pierre à Antioche, condamné à être livré aux bêtes pendant la persécution de Trajan, martyrisé à Rome vers 107. -- 2 février : *Purification de la Sainte Vierge* et présenta­tion de Jésus au Temple (4^e^ mystère joyeux du Rosaire). 154:150 C'est l'une des plus anciennes solennités de la Sainte Vierge elle occupait à Rome, au VII^e^ siècle, le second rang après l'As­somption. Elle se célèbre le 2 février parce que, par soumission à la loi mosaïque, Marie devait aller à Jérusalem 40 jours après la naissance de Jésus pour y offrir le sacrifice prescrit pour la purification de la mère, et pour verser le rachat imposé pour tout premier-né en souvenir de la protection accordée aux pre­miers-nés des Israélites lors de l'extermination de ceux des Égyptiens par l'ange du Seigneur. « Aujourd'hui, la T.S. Vierge recouvre des ombres de l'humilité sa divine maternité, et en même temps l'adorable majesté de Jésus. Mystères d'abaisse­ment, mystères d'humilité qui nous instruisent, nous édifient et nous purifient. » (Père Emmanuel.) Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) : « La loi de purification était cette loi de Moïse qui obligeait toutes les femmes à se purifier après la naissance de leurs enfants en venant au temple pour y offrir un sacrifice. La T.S. Vierge n'était pas obligée par la loi de la purification, parce que, de­venue mère par l'opération du Saint-Esprit, elle avait conservé sa virginité. Elle se soumit, sans y être obligée, à la loi de la purification, pour nous donner l'exemple de l'humilité et de la soumission à la loi de Dieu. » Nommée aussi fête de la Chandeleur à cause des cierges qu'on y bénit avant la messe et que l'on porte en procession le cierge symbolise Jésus, « lumière des nations » selon la pro­phétie de Siméon (Luc, II, 32), et la procession rappelle le voyage de Marie et de Joseph montant au temple de Jérusalem. On emporte des cierges bénits dans sa maison où on les allume aux heures de péril, et lors des visites du prêtre aux mourants. Le temps de Noël qui se termine, pour le cycle temporal, au jour octave de l'Épiphanie (13 janvier), se termine aujourd'hui pour le cycle sanctoral. C'est pourquoi en ce jour on défait les crèches. -- 3 février : *saint Blaise*, évêque et martyr : évêque de Sébaste en Arménie (aujourd'hui Sivas en Turquie), décapité vers 316. Il est l'un des quatorze saints auxiliaires particulière­ment renommés pour l'efficacité de leur invocation. L'Église reconnaît à saint Blaise « la prérogative de guérir toutes les affections de la gorge » (car il avait de son vivant miraculeuse­ment sauvé la vie d'un enfant qui se mourait d'une arête prise dans son gosier) ; on donne à cet effet « la bénédiction de saint Blaise », avec deux cierges bénits. On reconnaît saint Blaise à ce qu'il est représenté avec deux cierges croisés. -- Saint Ans­chaire, évêque : né vers 801 près de Corbie dans la Somme, moine à Corbie, missionnaire au Danemark et en Suède, évêque de Hambourg puis de Brême ; ce saint français est l'apôtre des pays scandinaves. 155:150 -- 4 février : *saint André Corsini*, évêque (mort en 1373). -- *Sainte Jeanne de France*, reine : fille de Louis XI, épouse répu­diée de Louis XII, elle se retira à Bourges, où elle fut pour le Berry « la bonne duchesse » ; elle y fonda l'Ordre des Annonciades en 1500 et y mourut en 1505. -- *Sainte Jeanne de Lestonnac*, veuve : nièce de Montaigne, elle éleva ses cinq enfants avant de fonder, dans son veuvage, les Filles de Notre-Dame pour l'éducation des jeunes filles ; elle mourut à Bordeaux en 1640. -- 5 février : *sainte Agathe*, vierge et martyre (III^e^ siècle). -- *Saint Avit*, évêque de Vienne (dans l'Isère), mort en 525. -- 6 février : *saint Tite*, évêque et confesseur : le disciple et compagnon de saint Paul, apôtre de la Crète. -- *Saint Vaast*, évêque d'Arras : un des apôtres des Francs ; participa à la conversion de Clovis ; mort vers 540. -- Saint Amand, évêque de Maestricht : missionnaire itinérant dans le nord de la Gaule ; apôtre des Flandres ; mort vers 676. -- 7 février : dimanche de la Septuagésime. Ouverture du TEMPS DE LA SEPTUAGÉSIME, avec lequel commence le cycle qui a pour centre la solennité des solennités : la fête de Pâques. Trois étapes successives vont nous amener progressivement au pied de la Croix : le temps de la Septuagésime, le temps du Carême, le temps de la Passion. « Septuagésime » veut dire soixante-dixième : désignant une période (approximative) de 70 jours avant Pâques, jours qui nous font revivre les 70 ans de la cap­tivité de Babylone (dans le symbolisme biblique et liturgique, Babylone est la cité de la terre par opposition à Jérusalem, la cité de Dieu : c'est le temps de l'épreuve). Le temps de la Sep­tuagésime nous introduit dans les profondeurs ténébreuses de la déchéance humaine et nous fait méditer sur notre condition terrestre, pécheresse et souffrante. L'affirmation du dogme du péché originel et le tableau de ses lamentables suites font res­sortir en Jésus son titre glorieux de Sauveur. Le temps de la Septuagésime commence toujours la neuviè­me semaine avant Pâques et compte trois dimanches : Septua­gésime, Sexagésime, Quinquagésime ; il se termine au mercredi des Cendres. Ce temps est un prélude au temps du Carême ; le jeûne n'y est pas encore de rigueur, mais la couleur des orne­ments est déjà celle des temps de pénitence : le violet ; à la messe, on ne chante plus ni le cantique des Anges : le Gloria, ni le cantique des rachetés : l'Alléluia. Par quoi il nous est in­diqué que ce temps est une extension du Carême. Cette exten­sion s'est faite progressivement. La Quinquagésime apparaît vers 520 ; la Sexagésime vers 550 ; la Septuagésime remonte à la seconde moitié du VII^e^ siècle. 156:150 Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) : « On appelle dimanches de la *Septuagésime,* de la *Sexagésime* et de la *Quinquagésime* les septième, sixième et cinquième dimanches avant celui de la Passion. -- L'Église, du dimanche de la Sep­tuagésime au Samedi Saint, supprime dans les offices *l'Alleluia* qui est un cri de joie et use d'ornements violets, couleur de tris­tesse, pour éloigner par ces marques de tristesse les fidèles des vaines joies du monde et les porter à l'esprit de pénitence. -- D'où vient que malgré les intentions de l'Église, dans le temps de la Septuagésime, de la Sexagésime et de la Quinquagésime plus qu'en tout autre temps on voit tant de désordres chez une partie des chrétiens ? On voit tant de désordres chez une partie des chrétiens, en ce temps plus qu'en tout autre, par la malice du démon qui, voulant contrarier les desseins de l'Église, fait ses plus grands efforts pour amener les chrétiens à vivre selon les suggestions du monde et de la chair. -- Pour nous confor­mer aux desseins de l'Église pendant le carnaval, il faut nous tenir éloignés des spectacles et des divertissements dangereux, apporter plus d'empressement à la prière et à la mortification, faisant quelque visite extraordinaire au Très Saint Sacrement, surtout s'il est publiquement exposé à notre adoration ; et tout cela pour réparer les grands désordres qui offensent Dieu en ce temps. -- Celui qui par nécessité se trouve à quelque dangereux divertissement du carnaval doit implorer le secours de la grâce divine pour éviter tout péché ; puis il doit s'y comporter avec beaucoup de modestie et de retenue, et, après, recueillir son esprit dans la considération de quelque maxime de l'Évangile. » Mémoire de *saint Romuald,* abbé, fondateur d'une branche de l'Ordre de saint Benoît : les Camaldules ; mort en 1027. Et des *bienheureux Jacques Salés et Guillaume Saultemouche,* jé­suites français, martyrs des huguenots à Aubenas (Ardèche) en 1593. -- 8 février : *saint Jean de Matha,* confesseur. Né en Proven­ce en 1160 ; études à Paris ; peu après son ordination sacerdo­tale, il fonda, avec le saint ermite Félix de Valois (fête le 20 novembre), l'Ordre des Frères de la Trinité pour le rachat des chrétiens captifs des pirates barbaresques ; approuvé par le pape Innocent III ; mort à Rome en 1213. -- 9 février : *saint Cyrille d'Alexandrie,* évêque et docteur de l'Église. -- 10 février : *sainte Scholastique,* vierge, sœur de saint Benoît de Nursie. -- Sur sainte Scholastique, voir l'article de D. Minimus dans ITINÉRAIRES, numéro 110 de février 1967. -- 11 février : *Apparition de la Sainte Vierge à Lourdes.* -- Mémoire des *bienheureux Pierre Paschal et Catallan,* prêtres et martyrs : franciscains massacrés entre Chabeuil et Montellier (Drôme) en 1321. 157:150 -- 12 février : *les sept saints fondateurs des Servites,* confes­seurs : en 1888, Léon XIII canonisa et : introduisit dans la litur­gie sept marchands florentins qui, en 1233, avaient abandonné leur commerce pour se consacrer au service de la Vierge Marie dans la solitude du mont Senario. Le plus connu des sept est *saint Alexis Falconieri.* Ils voulaient être « serviteurs de Marie » par la pénitence et la méditation constante de la Passion de Jésus et des douleurs de Marie : on les appela les Servites ; ils se constituèrent en Ordre religieux sous la règle de saint Augus­tin. -- *Saint Benoît,* abbé : né à Maguelonne (Hérault) vers 750, moine en Bourgogne puis abbé d'Aniane (Hérault), conseiller de Charlemagne et de Louis le Débonnaire, grand réformateur monastique, mort à Aix-la-Chapelle en 821. -- 13 février : *bienheureux Jean-Théophane Vénard,* prêtre et martyr : né en 1829 à Saint-Loup-sur-Thouet (Deux-Sèvres), missionnaire (des Missions Étrangères de Paris) au Tonkin ; décapité en Annam le 2 février 1861. -- 14 février : *dimanche de la Sexagésime.* *-- *15 février : *saints Faustin et Jovite,* martyrs à Brescia vers 120. -- 16 février : *saint Honorat,* évêque : fondateur de l'abbaye de Lérins vers 410, évêque d'Arles en 426, mort le 16 janvier 429. -- 17 février : *fuite de Notre-Seigneur en Égypte :* cette fête remonte au XIV^e^ siècle. -- *Bienheureux François-Régis Clet,* prêtre et martyr : né à Grenoble en 1748 ; lazariste missionnaire en Chine en 1791 : martyr à Ou-Tchang-Fou le 18 avril 1820. -- 18 février : *sainte Bernadette Soubirous* (en certains dio­cèses : le 16 avril). -- *Saint Siméon,* évêque et martyr : fils de Cléophas ; cousin du Seigneur ; successeur de saint Jacques le Mineur comme évêque de Jérusalem ; crucifié vers 105. -- *Bien­heureux Jean-Pierre Néel,* prêtre et martyr : né à Sainte-Ca­therine (Rhône) en 1832, missionnaire (des Missions Etrangères de Paris) au Kouang-Tchéou (Chine), décapité à Kaï-Tchéou en 1862. -- 19 février : *saint Boniface,* évêque : né à Bruxelles en 1200 ; enseigne à Paris et à Cologne ; évêque de Lausanne de 1231 à 1239 ; mort en 1260. -- 20 février : *saint Eleuthère,* évêque de Tournai ; bien qu'il ait été massacré par des hérétiques vers 531, il n'est pas honoré comme martyr. 158:150 -- 21 février : *dimanche de la Quinquagésime. --* Mémoire du *bienheureux Noël Pinot,* prêtre et martyr : né à Angers en 1747, curé du Louroux-Béconnais (Maine-et-Loire), martyrisé en 1794 par les révolutionnaires : il monta à la guillotine à Angers, revêtu de ses ornements sacerdotaux, en disant : *Introibo ab altare Dei.* *-- *22 février : *chaire de saint Pierre à Antioche* (messe comme au 18 janvier). -- 23 février : *saint Pierre Damien,* évêque et docteur de l'Église : entré à vingt-huit ans dans un monastère de Camal­dules d'observance bénédictine, à Fonte-Avellana, dont il devint l'abbé, puis évêque d'Ostie et cardinal ; combat puissamment la décomposition de l'Église ; redevenu volontairement simple moi­ne, meurt le 22 février 1072. -- 24 février : *mercredi des Cendres.* Début du TEMPS DU CARÊME, qui se divise en deux parties : a\) la première qui se termine avec le dimanche de la Pas­sion ; b\) la seconde qui est le temps de la Passion ou « grande quinzaine ». Chaque jour du Carême a sa messe propre, qui l'emporte sur les fêtes des saints, sauf sur celles qui sont « double de 1^er^ ou de 2^e^ classe ». *Saint Mathias,* apôtre. Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) : « Le carê­me est un temps de jeûne et de pénitence institué dans l'Église par tradition apostolique. -- Le carême est institué : 1° pour nous faire connaître l'obligation où nous sommes de faire péni­tence tout le temps de notre vie dont, selon les saints Pères, le carême est la figure ; 2° pour imiter dans une certaine mesure le jeûne rigoureux de quarante jours que Jésus-Christ fit au désert ; 3° pour nous préparer par la pénitence à célébrer la fête de Pâques. -- Le premier jour du carême est appelé jour des *Cendres* parce que ce jour-là l'Église met des cendres sur le front des fidèles, afin que : 1° nous nous rappelions que nous sommes faits de poussière et qu'après la mort nous devons être réduits en poussière ; 2° nous nous humilions et fassions pé­nitence de nos péchés tandis que nous en avons le temps. 159:150 Nous devons recevoir les cendres avec un cœur contrit et humilié, et avec la sainte résolution de passer le carême dans les œuvres de pénitence. -- Pour bien passer le carême selon l'esprit de l'Église nous devons faire quatre choses : 1° observer exacte­ment le jeûne et nous mortifier non seulement dans les choses illicites et dangereuses, mais encore, autant que possible, dans les choses permises, par exemple se modérer dans les amuse­ments ; 2° faire des prières, des aumônes et autres œuvres de charité chrétienne envers le prochain, plus qu'en tout autre temps ; 3° entendre la parole de Dieu, non par pure coutume ou par curiosité, mais avec le désir de mettre en pratique les vérités qu'on entend ; 4° avoir le souci de nous préparer à la confession pour rendre le jeûne plus méritoire et pour nous mieux disposer à la communion pascale. -- Le jeûne consiste à ne faire par jour qu'un seul repas et à s'abstenir des aliments défendus. Les jours de jeûne, l'Église permet une légère colla­tion le soir, ou à midi si l'unique repas est renvoyé au soir. Ceux qui ne sont pas obligés au jeûne ne sont pas dispensés de toute mortification, parce que nul n'est exempt de l'obligation générale de faire pénitence ; aussi doivent-ils se mortifier d'une autre manière selon leurs forces. » -- 25 février : *jeudi après les Cendres.* *-- *26 février : *vendredi après les Cendres.* Dernier vendre­di du mois. -- 27 février : *samedi après les Cendres. --* Mémoire de *saint Gabriel de l'Addolorata* (c'est-à-dire de la Vierge doulou­reuse, de Notre-Dame des Sept Douleurs), confesseur : entré à dix-huit ans dans l'Ordre contemplatif des Passionnistes, mort à vingt-quatre ans le 27 février 1862 ; béatifié par saint Pie X qui le proposa comme modèle intégral du jeune homme chré­tien : l'exemple que tous peuvent imiter, de faire par amour de Dieu les actions de chaque jour. Benoît XV le canonisa en 1920 et Pie XI étendit sa fête à l'Église universelle en 1932. -- 28 février : *premier dimanche de Carême, ou* dimanche de la Quadragésime. -- Mémoire de *saint Romain,* abbé fonda­teur du monastère de Condat qui devait devenir Saint-Claude (Jura) et de celui de La Balme pour les femmes (future abbaye de Saint-Romain de Roche) ; mort en 463. -- *Bienheureux Au­guste Chapdelaine,* prêtre et martyr : né à La Rochette (Manche). en 1814, missionnaire (des Missions Étrangères de Paris) en Chine, martyrisé le 29 février 1856 avec vingt-cinq chrétiens chinois parmi lesquels, âgée de vingt-trois ans, la bienheureuse Agnès Tsaou-Kong. \*\*\* 160:150 La revue ITINÉRAIRES paraît chaque mois avant le premier du mois : mais ici ou là elle arrive beaucoup plus tard en raison de la lenteur et de l'irrégularité de l'acheminement postal par les services d'État. (L'acheminement. « rapide » consenti par les P.T.T. aux quotidiens et aux hebdomadaires, est refusé aux mensuels). On nous a fait remarquer que, dans ces conditions, il serait souvent utile à nos lecteurs de donner ici non seulement le calendrier liturgique du mois, mais encore celui du mois suivant. Voilà donc à l'avance le calendrier de mars. \[cf. 151-03-71\] \*\*\* 164:150 Que nos lecteurs veuillent bien comprendre et accepter que nous les engagions à un redoublement de prières. Nous proposons à nos amis de remettre en honneur la prière de l'*Angelus* trois fois par jour, le matin, à midi, et le soir. C'est, avec le Rosaire, la prière des temps de grand péril pour l'humanité. Ceux qui ne la connaîtraient pas et n'auraient plus de missel la trouveront aux pages 20 et 21 du *Catéchisme de S. Pie X.* ============== fin du numéro 150. [^1]: **\***-- Ici et plus bas : *d'abord* et *ensuite*. [^2]:  -- (1). On objectera qu'il existe tout de même une certaine « note » sot-disant « doctrinale » pour la défense de la nouvelle messe. L'es­sentiel de cette note consiste à démontrer que le nouvel ORDO MISSÆ n'est pas positivement hérétique, que la nouvelle messe n'est pas de soi invalide dans son texte latin original, et que ceux qui l'ont prétendu sont d'affreux méchants : mais justement personne, à notre connaissance, et en tout cas aucun auteur sérieux de langue fran­çaise, n'a prétendu que le texte latin du nouvel ORDO MISSÆ tel qu'il a été publié à Rome, contient des propositions positivement héréti­ques et rend de soi invalide la messe célébrée selon ce rite. Cette « note » relève donc de la manœuvre polémique (et l'utilisation fré­nétique qui en a été faite, de la calomnie pure et simple). et nulle­ment de la controverse doctrinale. -- Il a existé aussi une brochure, signée d'un ecclésiastique plein de bonne volonté, alors directeur d'un périodique catholique : le point culminant de cette brochure consis­tait à soutenir que l'article 7 de l' « *Institutio generalis *» était, *dans sa première version*, tout à fait épatant. -- Par quoi l'on voit que ni la note ni la brochure n'étaient *ad rem*, et n'émanaient point d'au­teurs responsables et au courant. C'étaient d'ailleurs des auteurs plus ou moins « traditionalistes », ralliés à la nouvelle messe : les pro­moteurs de la réforme, eux, se taisent. Ce silence des promoteurs n'est en rien atténué par les bavardages irresponsables de quelques ralliés. [^3]:  -- (1). Voir le texte intégral de ce décret reproduit dans ITINÉRAIRES (avec le commentaire de Louis Salleron) : numéro 149 de janvier 1971 ; texte latin page 161 ; traduction page 162, en note. [^4]:  -- (2). Louis SALLERON, *La nouvelle messe*, p. 10. Voir aussi pp. 108-109, et d'une manière générale les trois chapitres consacrés à *l'imbroglio de la nouvelle messe* (pp. 95 et suiv.). [^5]:  -- (1). Cela est vrai, le cas échéant, même en ce qui concerne le pape. Salleron en donne un exemple manifeste (p. 84). C'est bien Paul VI, hélas, l'auteur du mot d'ordre de remplacer, dans la liturgie, le latin par le vernac. Mais c'est un mot d'ordre clairement contraire à la Constitution conciliaire dont le même Paul VI proclame qu'elle est et demeure loi de l'Église. D'où ce commentaire de Salleron : «* C'est dans des allocutions que le pape donne son mot d'ordre. Mais des allocutions ne sont pas des décisions. Le pape indique une pré­férence personnelle, mais il n'abroge pas, comme il en a le droit, la Constitution conciliaire sur la liturgie. Seule celle-ci demeure la loi, et c'est nécessairement la loi qui prime. On peut donc espérer qu'on y reviendra. *» [^6]:  -- (1). SALLERON, op. rec., p. 173. [^7]:  -- (2). *Op.* rec., p. 179. [^8]:  -- (1). *Op. rec., pp. 178-179.* [^9]:  -- (2). *Op. rec., p. 183.* [^10]:  -- (3). *Déclaration* du P. Calmel, publiée dans notre numéro 139 de janvier 1970 ; reproduite dans notre numéro spécial sur *Le Saint Sacrifice de la Messe* (numéro 146 de septembre-octobre 1970)... [^11]:  -- (1). *Op. rec.,* p. 184. [^12]:  -- (2). *Op. rec.,* p. 181. [^13]:  -- (1). *Op. cit.,* p. 181. [^14]:  -- (1). *Op. rec.,* pp. 181-182. [^15]:  -- (2). *Op. rec.,* p. 183. [^16]:  -- (1). Voir : *Les inconnus dans la maison*, ITINÉRAIRES, numéro 149 de janvier. [^17]:  -- (1). Très sinistre et amusante, cette jolie décision de déplacer la Fête du Christ Roi au dernier dimanche de Pentecôte et ainsi d'éva­cuer ce 24^e^ avec son effrayante prophétie de la fin du monde. D'autant plus, me disait naïvement un prédicateur soulagé, qu'avec le premier dimanche de d'Avent qui en parle encore, ça faisait « deux sermons là-dessus ». Et voilà envolée la grandiose et terrible conclusion de toute l'année chrétienne. [^18]:  -- (2). Je dis « psychiatre », *je le définis :* l'homme de Jean-Jacques et de Freud. -- Un médecin des enfants est concevable. Ce psycho­logue éducateur peut exister, j'en connais un. Ne l'appelons pas psychiatre. [^19]:  -- (1). *Écrits de Paris,* mars 1969. [^20]:  -- (1). Voir : *L'éducation des tout petits enfants avant leur naissance*, dans ITINÉRAIRES, numéro 131 de mars 1969. [^21]:  -- (1). Voir Luce QUENETTE : *Votre foi devra suffire*, dans ITINÉRAIRES, numéro 141 de mars 1970. (Article reproduit dans le numéro spécial 146.) [^22]:  -- (1). Il serait curieux de savoir comment se porterait la conscience universelle si le général Franco, privé de ses troupes par le général Mola par exemple, avait pris le pouvoir avec l'aide des bri­gades internationales... C'est ça qui simplifierait la « question basque ». [^23]:  -- (1). A. FABRE-LUCE, *Journal de la France*, tome II. Paris, 1942, p. 311. \[manque l'appel de note dans l'original -- 2002\] [^24]:  -- (1). Le psychanalyste André Stéphane souligne fort bien l'oppo­sition des deux systèmes dans un article de *Contrepoint,* n° 1, mai 1970. [^25]: **\***-- Ici et plus bas : *d'abord* et *ensuite*. [^26]:  -- (1). Les plus caractéristiques falsifications de l'Écriture dans les nouveaux catéchismes français sont reproduites dans notre brochure *Le catéchisme sans commentaires* (en vente à nos bureaux : 1 F franco). [^27]:  -- (2). Voir ITINÉRAIRES, numéro 148 de décembre 1970, page 178. [^28]:  -- (1). Voir leur texte aux premières pages du présent numéro ; et, à la fin, les « Avis pratiques » pour la diffusion. [^29]:  -- (2). Sous le titre : *La falsification de l'épître du dimanche des Rameaux*. Voir les « Avis pratiques ».