# 153-05-71 1:153 ### *Rendez-vous à Rome pour la Pentecôte* Il y a ceux qui ne pourront pas venir : nous comptons sur eux aussi. Nous comptons sur leur prière en union avec la nôtre. Pendant que, sur la place Saint-Pierre, du crépuscule jusqu'à l'aube, nous ferons notre veillée de prière, ils pourront faire la leur, là où ils seront. Ils pourront la faire individuellement ; ou en famille ; à plusieurs amis ou à plusieurs familles ; ou, si cela se trouve, en paroisse, dans leur église paroissiale, curé en tête. Dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 mai. A eux aussi, donc, à tous ceux qui ne pourront pas venir mais qui seront de cœur avec nous, je rappelle le rendez-vous de la Pentecôte. Le bureau romain\ du pèlerinage Tous les renseignements matériels ont été donnés dans les « Avis pratiques » de nos précédents numéros et aux pages 2 et 3 de la dernière édition de notre brochure : « Rendez-vous à Rome pour la Pentecôte » (en vente à nos bureaux : 0,50 F l'exemplaire). Nous n'en répéterons ici qu'un seul : n'oubliez pas de noter et d'emporter l'adresse du BUREAU DU PÈLERINAGE qui sera ou­vert à Rome du 25 mai au 1^er^ juin : Corso Vittorio Ema­nuele, 21. Pèlerins dans le rang Ceux qui participent au pèlerinage à l'invitation de la revue ITINÉRAIRES et des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES ne porteront du­rant le Pèlerinage aucun signe de reconnaissance autre que (facultativement) l'insigne du Pèlerinage lui-même. 2:153 Ils s'abstiendront de toute apparence d'activités fraction­nelles, de toute distribution de tracts, de toute controverse et de toute réclame pour leurs propres activités. S'il se trouve que d'autres ne s'en abstiennent pas, ils évite­ront de les juger ou de leur marquer une désapprobation posi­tive, mais se tiendront à l'écart. Notre brochure du Pèlerinage est à faire circuler *avant* le Pèlerinage : surtout, maintenant, parmi ceux qui n'y viennent pas, pour les informer, pour les éclairer et pour solliciter leur prière en union avec la nôtre. Natte tract : « Rendez-nous l'Écriture, le Catéchisme et la Messe » résume très bien, croyons-nous, la pensée principale du Pèlerinage. Mais ni ces tracts ni cette brochure (qui n'engagent que nous-mêmes) ne seront distribués *pendant* le Pèlerinage, qui est de prière et de pénitence, et de silence des pensées particulières devant la liturgie commune de l'Église. C'est *après* la fin du Pèlerinage qu'aura lieu l'unique acti­vité qui nous sera propre : une messe sera célébrée aux inten­tions de la revue dans la matinée du mardi 1^er^ juin. Les amis de la revue ITINÉRAIRES qui voudraient assister à cette messe en connaîtront l'heure et le lieu en les demandant le soir du 31 mai au Bureau romain du Pèlerinage. Aux hésitants Ceux qui hésitent, c'est qu'il ne leur est pas absolument impossible de venir. 3:153 Alors, qu'ils viennent ! Même sans « réservations ». Le Pèlerinage à Rome est la prière spécifique pour répondre à l'état présent de l'Église. Nous n'y cherchons pas à faire nombre pour faire nombre. Il nous suffira d'être quelques-uns, -- le nombre que Dieu vou­dra ; mais dans la foi en la promesse : « *Iterum dico vobis, quia si duo ex vobis consenserint super terram, de omni re quacum­que petierunt, fiet illis a Patre meo qui in caelis est *» (Mt., XVIII, 19 ; évangile du mardi de la 3^e^ semaine de carême). Nous n'avons pas non plus l'autorité, ni l'intention, d'en faire « un devoir » à qui que ce soit. Mais il me sera bien permis de dire que j'espère y retrouver tous ceux qui comprennent notre action ; je leur y donne rendez-vous. Rappel I Les pèlerins de juin 1970 n'avaient pas forcément, et tous ceux de la Pentecôte 1971 n'auront pas forcément, jusque dans le détail, des appréciations identiques sur *la cause proportionnée* de l'actuelle auto-démolition de l'Église. Ils peuvent estimer diversement que : a\) soit par sa faute, b\) soit sans qu'il y ait de sa faute, Paul VI est prisonnier : *Petrus servabatur in carcere* (cf. Actes, chap. XII). Prisonnier, en notre temps : a\) soit de lui-même : *Petrus dormiens*, b\) soit d'une double maffia, ecclésiastique et mondaine *vinctus catenis duabus*, c\) soit des deux à la fois, *et custodes ante ostium custodie­bant carcerem*. Le Pèlerinage à Rome n'est pas un congrès académique où l'on confronte ces éventuelles divergences (ou complémentarités) d'opinion. C'est une démarche de prière et de pénitence : *Et Petrus qui­dent servabatur in carcere. Oratio autem fiebat sine intermissione ab Ecclesia ad Deum pro eo*. 4:153 Dans le Pèlerinage à Rome la fidélité au trône de Pierre et à la succession apostolique n'implique et n'impose aucun hom­mage à la personne privée ou aux sentiments personnels du Pontife régnant ; ni le contraire. Il ne s'agit en aucune manière de flatter cette personne privée par des louanges de courtisans, ni de la prendre à partie par des algarades de contestataires. Il s'agit de s'adresser au Dieu Vivant et Vrai, ad Deum pro eo, le priant et le suppliant de MAINTENIR DANS LA RELIGION CA­THOLIQUE LE PAPE, LES ÉVÊQUES ET LES PRÊTRES. C'est une prière parfaitement liturgique, c'est une supplica­tion des Grandes Litanies : *ut domnum apostolicum et omnes ecclesiasticos ordines in sancta religione conservare digneris, te rogamus audi nos*. Cette prière pour le pape, cette prière qui demande à Dieu que Pierre soit Pierre encore aujourd'hui, c'est sur le tombeau de Pierre, c'est en procession à Saint-Pierre de Rome qu'il convient le mieux de la faire. *Oratio autem fiebat sine intermissione ad Deum pro eo*. Nous pouvons la faire tous ensemble, sans qu'une opinion particulière y soit impliquée plutôt qu'une autre : telle fut l'une des principales démonstrations du Pèlerinage à Rome de juin 1970. Rappel II Le Pèlerinage à Rome s'adresse à Dieu, *ad Deum pro eo*, il ne s'adresse pas aux hommes par mode de communication hu­maine. Il n'est pas une « manifestation » au sens habituel du terme, -- encore que les manifestations de cette sorte puissent être par­faitement légitimes, et que lui-même puisse en être une par sur­croît. Il est d'abord une manifestation de pénitence, de prière et de foi. Il n'entend faire pression sur personne, n'exercer de vio­lence sur personne sauf, sur Dieu seul, la pression et la violence surnaturelles qu'Il nous demande, celles d'une prière qui ne cesse point. *Violenti rapiunt illud* (Mt. XI, 12). Et au jour choisi par Dieu de toute éternité, son Ange revien­dra dire au successeur de Pierre : *Surge velociter* (*Ac*. XII, 7). 5:153 Rappel III Dans l'Église, par obéissance à l'Église, nous sommes en possession légitime, en possession résolue du Missel romain et du Catéchisme romain. Une série de promulgations atypiques, incertaines, douteuses, renforcées par des actes de persécution administrative, ont voulu depuis quelques années nous imposer progressivement un ORDRE NOUVEAU du catéchisme et de la messe : un ORDRE NOU­VEAU qui culmine et se démasque dans de spectaculaires falsi­fications de l'Écriture sainte. Notre résistance est de tous les jours. Mais tant que dureront cette agression et cette épreuve, il sera nécessaire de recommencer sans cesse, *sine intermissione*, vers Rome et dans Rome, une marche de pénitence et de prière, suppliant Dieu avec véhémence de nous faire miséricorde et de nous envoyer son secours : car tous les jours des âmes périssent, en commençant par celles des enfants. C'est pourquoi les enfants, cette année, viennent à Rome en pèlerinage. Ils sont les premières victimes de la fausse religion moderne. Ils sont criminellement privés de l'éducation que rien ne rem­place, celle qui se fait par le catéchisme, par le rite romain, par le grégorien. Le grégorien, le rite romain, le catéchisme sans lesquels, on le voit chaque jour dans les écoles, dans les rues, dans les églises, ils deviennent des apostats et des sauvages. *Oratio fiebat sine intermissione *: le Pèlerinage à Rome, aussi longtemps que continuera le massacre des enfants, ne cessera plus. \*\*\* Que Dieu nous donne, en ces jours et toujours, l'esprit de prière, selon qu'il est écrit : *Neque enim in justificationibus nostris prosternimus preces ante faciem tuam, sed in miserationibus tuis multis* (Livre de Daniel, IX, 18 ; épître du lundi de la 2^e^ semaine de carême). *Ce n'est pas en invoquant nos jus*­*tifications que nous présentons nos prières devant ta face ; mais c'est dans l'espérance de tes* *miséricordes nombreuses.* J. M. 6:153 ANNEXE I #### Lettre à quelques amis *extraits* **1. **-- *Si je n'ai pas accepté, quand on me l'a proposé, d'être au nombre des organisateurs du Pèlerinage, ce n'est nullement pour esquiver les responsabilités morales qui étaient à prendre. Ces responsabilités, je les ai prises publiquement, à l'égard du Pèlerinage, dans* ITINÉRAIRES ; *et je continue. -- De leur côté, les organisateurs du Pèlerinage n'ont, eux, en tant que tels, au­cune responsabilité publique à prendre qui soit d'ordre moral ; ils n'ont aucune direction intellectuelle ou religieuse à exercer sur les pèlerins ; ni aucun titre à prétendre les* « *représenter *»* ; ils n'ont à s'occuper que de l'organisation matérielle ; et ils ont à s'en occuper sous la direction et selon les consignes d'Élisa­beth Gerstner. Elle est la fondatrice et l'animatrice du Pèlerina­ge. Les organisateurs, à quelque niveau qu'ils se situent, n'ont d'autre tâche que de l'aider.* **2. **-- *Il n'y a, il ne doit y avoir aucun problème de* « *déclaration *» *à rédiger, de* « *supplique *» *à présenter, ni rien de ce genre : car il ne peut, il ne doit exister aucune supplique ni aucune déclaration rédigée au nom du Pèlerinage.* *D'une part,* PERSONNE N'A LE DROIT *de parler au nom du Pè­lerinage ; d'autre part,* IL N'Y A RIEN A DIRE. *Il s'agit d'une prière publique et non pas d'une proclamation publique. Ou si* pro­*clamation il y a, c'est par surcroît ; et c'est uniquement la pro­clamation du Credo et de la prière liturgique catholique.* 7:153 **3. **-- *Quand j'ai apporté au Pèlerinage l'adhésion publique et active de la revue* ITINÉRAIRES, *ce fut à la condition ex­presse que dans le cadre et au nom du Pèlerinage, rien ne serait énoncé, déclaré, proclamé, murmuré, crié ou chanté qui ne soit une prière liturgique en usage depuis plusieurs siècles dans l'Église. Cette condition a été acceptée.* **4. **-- *Il n'y a rien à proclamer au sujet et au nom du Pèlerinage parce que tout est très clair.* CE QU'EST *le Pèlerinage ? Il est le recommencement du Pèlerinage de 1970, dans le même esprit et pour les mêmes raisons : se référant ainsi à un acte déjà accompli, à une réalité déjà existante, plutôt qu'à des dis­cours abstraits et des projets théoriques.* CE QU'IL DEMANDE ? *C'est à Dieu qu'il le demande, et selon les formules les plus tra­ditionnelles de la liturgie catholique. Un pèlerinage est une marche de prière et non pas une démonstration de pétitionnai­res.* *Et s'il est quand même une manifestation, c'est par surcroît, sans avoir cherché à être rien d'autre que ce qu'il doit être.* **5. **-- *Si malgré tout les circonstances rendaient nécessaire ou souhaitable qu'une déclaration, qu'une mise au point ou qu'un communiqué soit publié au nom du Pèlerinage, c'est à Élisabeth Gerstner et à elle seule qu'il appartiendrait de le pu­blier. C'est elle qui a fait le Pèlerinage à Rome. Elle l'a fait, bien sûr, avec l'aide précieuse de beaucoup d'amis, notamment sur place, à Rome. Mais enfin, c'est elle que l'on a suivie, c'est à elle que font confiance les pèlerins qui viennent de trois ou quatre continents, c'est sa direction qui seule est universelle­ment connue et reconnue. Partout le Pèlerinage à Rome a été annoncé comme s'organisant* « *sous la direction du Docteur Élisabeth Gerstner *»* : et c'est la vérité. Dans le cas où il serait indispensable que quelqu'un parlât au nom du Pèlerinage, c'est elle et elle seule qui pourrait le faire ; ou tout prêtre du Pèle­rinage parlant avec son accord, comme on l'a vu en 1970.* **6. **-- *Vous craignez que quelques personnalités laïques qui ont pieusement et de tout cœur participé au pèlerinage de l'année dernière n'y reviennent cette année avec le dessein d'en profiter pour faire un geste spectaculaire de leur invention ou pour publier un retentissant communiqué de leur façon.* 8:153 *Il faut bien exactement les prévenir que s'ils prétendaient le faire* AU NOM *du Pèlerinage, ce serait de leur* *part une escroquerie et une imposture qui appellerait un immédiat démenti public. Ils ne peuvent faire leur communiqué ou leur geste qu'en précisant qu'il est individuel et n'engage qu'eux-mêmes ou leur groupe mais alors, qu'ils n'aient pas l'énorme indiscrétion, qui serait une offense aux pèlerins, de le faire pendant le Pèlerinage. Dans un pèlerinage, chacun a ses pensées personnelles et ses intentions particulières : il ne les proclame pas, il les garde en silence dans son cœur, par* RESPECT *pour tous les autres pèlerins. Seule* L'INTENTION COMMUNE *du pèlerinage* *peut avoir la parole pendant le pèlerinage : or il a été convenu et décidé, je le répète, que cette intention commune s'exprimerait seulement par la prière liturgique de l'Église.* *A tous ceux que chatouille l'envie de prendre des initiatives intempestives, je vous adjure de demander qu'ils nous fassent la charité de nous laisser, pendant le Pèlerinage, prier avec la prière commune de l'Église, dans le silence imposé aux opi­nions et aux tendances individuelles. Toute l'année nous écri­vons des articles, nous rédigeons des répliques, nous publions des communiqués : qu'ils nous fassent la charité de ne pas nous contraindre, pendant le Pèlerinage, à en rédiger pour démentir les initiatives ou déclarations qu'ils inscriraient indûment au compte du Pèlerinage. Qu'ils nous fassent la charité, de la pre­mière à la dernière heure des trois journées du Pèlerinage, de ne pas nous obliger à sortir du rang pour élever la voix contre ce qui serait un abus de confiance. Qu'ils viennent plutôt dans le rang, avec nous, sans insignes ni pancartes, en simples pèle­rins. Avec tous les simples pèlerins qui viennent à Rome en procession de prière et de pénitence : ils n'y viennent point pour que l'on fasse prétendument en leur nom des déclarations, des pétitions ou des suppliques sur lesquelles on ne leur aurait d'ailleurs pas demandé leur sentiment.* *...Mais je m'assure que vos craintes sont trop promptes à s'alarmer de quelques paroles en l'air, qui sans doute n'étaient même pas un projet ; et que personne parmi nos amis -- surtout point parmi nos amis italiens, si chevaleresques et si fraternels -- ne risquera aucune des initiatives particulières, inopportunes et indécentes que vous redoutez...* J. M. 9:153 ANNEXE II #### L'arsenal sur le Saint Sacrifice de la Messe La pensée sans doute la plus ardente des pèlerins de Rome est de demander à Dieu que nous ne soyons pas privés de la Sainte Messe, -- la Messe catholique de toujours, avec son offer­toire et son canon romain, sa liturgie latine et son chant gré­gorien. Pour faire connaître cette pensée, voici l'arsenal d'instruction et de documentation qui est à votre disposition. 1\. -- Le livre de Louis Salleron :\ « La nouvelle messe » Un volume de 192 pages paru aux Nouvelles Éditions Latines. Georges Bidault écrit sur ce livre : « *Clair, franc, documenté. Pas de pieux encensements, pas de détours dans la pensée, pas de lacune dans l'argumentation, pas de fausses prudences dans les jugements et dans la conclusion... Lisez Salleron. Ouvrez les yeux et les oreilles. Silencieux, rompez le silence, et rendez témoi­gnage *» ([^1]). Édith Delamare écrit sur ce livre : « *Il est clair et pratique. Clair, car il réussit ce tour de force d'expliquer en termes simples, à la portée de tout le monde, ce qui est affreusement compliqué. Pratique, parce qu'il réunit tout ce qu'il faut savoir sur la nouvelle messe, y compris les principaux textes officiels... Le livre de Louis Salleron donne aux fidèles la documentation, les références, bref les armes nécessaires au combat de la foi. *» ([^2]) 10:153 Louis Salleron lui-même, en marge de son livre, a fait cette décisive déclaration : « *En présence du désordre actuel, les catholiques attachés à leur foi n'ont pas la même réaction.* *Les uns, comme le cardinal Daniélou, pensent qu'il faut accepter sans réserve la nouvelle messe, en lui donnant le sens authentique que rappelle la version rectifiée de l'Institutio generalis*. *Les autres, dont je suis, ne croient pas qu'il soit possible de* « *rattraper *» *la nouvelle messe par une simple déclaration d'inten­tion qui ne correspond pas à l'intention première dont elle est l'expression et dont les effets néfastes sont dès maintenant visibles. Ils estiment qu'au 28 novembre deux décisions claires devraient intervenir :* *-- la première, autorisant sans condition tous les prêtres à célébrer la messe traditionnelle, dite de S. Pie V ;* *-- la seconde, apportant à la nouvelle messe les rectifications nécessaires. *» ([^3]). 2\. -- « Déclarations sur la Messe » Recueil des déclarations sur la Messe publiées dans ITINÉRAIRES par le P. Calmel, l'abbé Dulac, le P. Avril et le P. Guérard des Lauriers. 3\. -- Le « Bref examen critique »\ présenté à Paul VI\ par les cardinaux Ottaviani et Bacci La traduction française intégrale du *Bref examen* y est suivie d'extraits du *Catéchisme du Concile de Trente* et du *Catéchisme de S. Pie X* sur la Messe et l'Eucharistie. 11:153 4\. -- Notre numéro spécial (n° 146) « Le Saint Sacrifice de la Messe » Le recueil des principales études théologiques, liturgiques et canoniques parues dans ITINÉRAIRES sur la nouvelle messe. \*\*\* Pour les autres connaissances de base, voir le reste de « l'arse­nal » dans notre numéro 146, pages 223 à 234. 12:153 ## ÉDITORIAL ### La leçon des Rameaux ■ Ils n'ont pas été d'accord entre eux : ni sur l'épître à pro­clamer, ni sur les explications à en donner. Il y a maintenant une fissure, il y a une faille dans le bloc administratif qui de­puis trois ans impose de fausses versions de l'Écriture dans la liturgie et dans la catéchèse. Ce fait nouveau n'annonce pas que la réformation va, d'elle-même, battre en retraite : mais il est, pour beaucoup qui demeuraient mal informés et mal instruits, une clarification. ■ Le Conseil permanent de l'épiscopat, plus que jamais retran­ché dans la falsification de l'épître des Rameaux, affirme la vo­lonté farouche de s'y maintenir jusqu'à la mort. Il est d'ailleurs en train d'en mourir : organisme tyrannique, il achève par là de se disqualifier, et c'est tant mieux. Mais ce qui guette ses membres, c'est de sombrer dans l'impénitence finale. ■ Donc, le dimanche des Rameaux 4 avril 1971, l'empire de la réformation a spectaculairement vacillé. Il a vacillé parce qu'un certain nombre de nos lecteurs, fai­sant violence à leur tempérament paisible et réservé, ont ac­cepté de distribuer des tracts et de protester à haute voix dans les églises. La faille, dans le bloc jusque là sans fissure de la tyrannie administrative, a commencé avec l'annonce de protestations phy­siques, et très précisément avec l'apparition des tracts. ■ L'important en cette affaire, le plus important, le seul impor­tant, ce sont les âmes fidèles et droites qui n'étaient pas encore alertées et qui enfin ont pu toucher du doigt la prévarication des hiérarques recyclés. Elles ont vu l'autorité épiscopale désavouer ses propres œu­vres, parce que ces œuvres étaient trop visiblement mauvaises, trop visiblement indéfendables. 13:153 Elles ont vu la première traduction du nouveau Lectionnaire universellement abandonnée. Plus personne ne la défend, plus personne ne la réclame. Et pourtant, l'épiscopat prévaricateur l'avait fait approuver par le Saint-Siège le 16 septembre 1969, il l'avait fait proclamer dans toutes les églises vernaculaires le dimanche des Rameaux de l'année dernière, le 22 mars 1970. Donnant ainsi la preuve et signant l'aveu qu'il eût beaucoup mieux fait d'être moins autoritaire et moins pressé... Et elles ont vu la seconde traduction du nouveau Lection­naire, la traduction soi-disant rectifiée, abandonnée à son tour par un nombre d'évêques qui allait croissant jusqu'au coup de force du Conseil permanent, le 19 mars 1971 : mais le Conseil permanent a ordonné en vain le maintien de la seconde fal­sification, il n'a pas été obéi, il n'avait pas à l'être, il n'a aucune autorité légitime et voici qu'évêques et prêtres commencent à s'en souvenir. Ce spectacle à épisodes aura été suffisamment clair pour que les âmes fidèles et droites aperçoivent en toute évidence le de­voir de ne plus faire aveuglément confiance aux menteurs, aux falsificateurs, aux prévaricateurs. Qu'on les dépose ou qu'ils s'en aillent, mais qu'ils soient remplacés, -- ou, par un miracle du Dieu tout-puissant, enfin convertis. Car tels qu'ils sont présentement, non. ■ Sans intervention à la radio, sans séquence à la télévision, sans conférence de presse, sans rassemblement de masse, sans communiqués dans les journaux, sans interview nulle part, nous avons parfaitement réussi à mobiliser l'attention publique sur l'épître des Rameaux. Nous l'avons voulu et nous l'avons fait, sans effort extraordinaire, sans aucune espèce de contorsion. Il est vrai que l'O.R.T.F., les périphériques et la plupart des journaux, même *L'Homme nouveau,* ont « attribué » protesta­tions et manifestations à n'importe qui sauf à nous ; et *La Croix* à des « milieux traditionalistes » entièrement anonymes. Mais qu'est-ce que ça peut nous faire ? Nous ne cherchions point la réclame. Ce n'est pas sur nos personnes que nous avions dessein de mobiliser l'attention pu­blique : mais sur *l'opposition entre l'interprétation tradition­nelle et l'interprétation actuellement officielle de l'épître des Rameaux.* Tout le monde est aujourd'hui averti de cette oppo­sition. Chacun selon sa conscience peut s'en désintéresser, ou bien se mettre à l'étude pour en mesurer les dimensions et en scruter la profondeur. Notre but immédiat est atteint. 14:153 ■ L'important, le plus important, le seul important est que *les moyens matériels et extérieurs soient au service des réalités in­térieures et spirituelles.* Les protestations du dimanche des Ra­meaux 1971 ont fait toucher du doigt aux âmes fidèles et droites que si elles ne veillent pas, si elles ne s'instruisent pas, si elles ne s'arment pas de doctrine et de piété, elles seront insensible­ment entraînées en dehors de la foi catholique. ■ C'est donc *pour notre instruction* qu'aux pages suivantes nous examinons et discutons en détail les « explications » qui ont été données pour « justifier » la falsification de l'épître. Depuis trois ans, les manipulations de l'Écriture nous étaient imposées par voie d'autorité, dans le nouveau catéchisme et dans la nouvelle liturgie, sans aucun exposé des motifs. Voici donc que pour la première fois les hiérarques recyclés donnent leurs arguments : il ne fallait pas omettre de mesurer très précisément à quel point ils sont faibles. ■ En matière d'interprétation de l'Écriture, ce qui compte d'abord, c'est l'avis des Pères de l'Église, des docteurs de l'Église, dans leur éventuelle unanimité, dans leur continuité à tra­vers les âges successifs. Une hypothèse, même séduisante, de l'exégèse contemporaine, ne peut avoir priorité sur une tradi­tion solidement établie. Constatez-le : aucun évêque, aucun expert officiel, aucun communiqué ni aucun mandement, dans ce débat, n'a tenu compte de *l'interprétation traditionnelle.* Dans leurs bons ou dans leurs mauvais mouvements, ils ont oscillé entre des solutions millésimées seulement de 1955 à 1971. Leurs hésitations ou leurs disputes ont été entre la traduc­tion de la Bible de Jérusalem, celle du Lectionnaire de 1964 et les deux falsifications successives du nouveau Lectionnaire. Ils ne connaissent rien d'autre. ■ Ils ignorent ou ne veulent plus savoir que de saint Jérôme au moins (auteur de la Vulgate, mort en 420) jusqu'au P. Lagrange inclus (fondateur de l'École biblique de Jérusalem, mort en 1938), il y eut une interprétation de l'épître aux Philippiens qui était cohérente avec l'ensemble du donné révélé. Ils ignorent ou ne veulent plus savoir que cette interpréta­tion traditionnelle a été expliquée par saint Thomas d'Aquin, docteur commun de l'Église. Ils ne produisent nulle part aucune raison de rejeter cette interprétation traditionnelle ; ils ne la réfutent point ; ils font comme si elle ne méritait même pas d'être prise en considéra­tion ; même pas d'être mentionnée ; comme si elle n'avait ja­mais existé ; comme si elle avait été anéantie. 15:153 Par leur ignorance feinte ou réelle, mais coupable, ils joi­gnent l'impiété à la prévarication. ■ L'Église n'a pas commencé en 1969, ni en 1964, ni à Vatican II, ni en 1955. Ce qui a commencé vers 1955-1969, c'est au con­traire l'un des plus grands obscurcissements qu'aient connus l'histoire du monde et celle de l'Église. Cet obscurcissement en­ténèbre présentement toutes les sciences ecclésiastiques, exé­gèse, histoire, théologie, droit canon ; et toutes les institutions ecclésiastiques. Ce n'était vraiment pas le moment d'aller se croire capables de refaire de fond en comble, à partir de zéro, à partir de soi-même, tout le catéchisme et toute la liturgie ! ■ Eh bien voilà l'important : *relever autant qu'il est en nous l'interprétation traditionnelle.* Lui rendre droit de cité, ne serait-ce d'abord qu'entre nous, parmi nous, dans nos cœurs. L'étudier et la faire connaître. Et par nos œuvres, s'il plaît à Dieu, la défendre et l'illustrer. Et la transmettre ! Pour la transmettre, tenir fermes, jusqu'à ce que *tempora bona veniant,* comme on le demande dans les acclamations ca­rolingiennes. Qu'ils viennent ! Mais jusque là, jusqu'à la remise en ordre de l'Église par l'Église, nous tiendrons pour ce que l'Église a toujours enseigné, et contre ce qu'elle n'avait jamais dit. 16:153 ## La bataille du verset 6 *Une Commission épiscopale* (*celle de liturgie*) *avait secrète­ment autorisé les évêques à lâcher la traduction officielle. Treize d'entre eux avaient déjà plus ou moins profité de cette permis­sion par un acte public qui interdisait ou déconseillait dans leur diocèse la falsification du nouveau Lectionnaire. C'est alors que le Conseil permanent est intervenu pour maintenir et faire pro­clamer malgré tout la version falsifiée. D'où la situation qui est résumée dans l'éditorial qu'on a lu aux pages précédentes.* *Ici, maintenant, nous continuons d'analyser en détail les divers documents et éléments de cette bataille pour la défense de l'Écriture sainte : la seconde et dernière partie d'Angoulême* (*dont la première partie a paru dans les* «* Notes critiques *» *de notre précédent numéro*)* ; Fréjus ; Metz* (*oui : Metz !*)* ; Nice ; l'intervention du Conseil permanent ; etc.* *Puis, à la suite :* *-- une note de Louis Salleron sur la critique interne du texte* (*grec*) *contesté ;* *-- le commentaire et l'interprétation de saint Thomas d'A­quin.* 17:153 ### Angoulême a pris position (II) #### V. -- Suite de la lecture Reprenons le texte de Mgr Kerautret à l'endroit où nous l'avions laissé : « Mais le commentaire que je fais montre que ce sens n'apparaît pas nécessairement à l'auditeur distrait ou peu familiarisé avec les subtilités de la langue. Pour cette raison, je pense que la traduction de la Bible de Jérusalem était meilleure, car, elle rivait l'avantage d'être admise par tous et je souhaite qu'elle soit reprise. » Cet alinéa décisif nous suggère cinq brèves remarques : 1° Mgr d'Angoulême semble ignorer que ce qui était admis par tous, au moins en pratique, ce n'était pas la traduction de la Bible de Jérusalem *ut sic*, mais son utilisation à un mot près (un mot d'ailleurs équivalent : « avidement » au lieu de « jalou­sement ») par le Lectionnaire français de 1959 (*cinquante-neuf*) ([^4]). 2° Mgr Kerautret pense et déclare que la traduction de la Bi­ble de Jérusalem était *meilleure* que la traduction même corrigée du nouveau Lectionnaire. Dont acte. Cette courageuse déclara­tion, à sa date du 14 février 1971, était un fait nouveau, d'une portée considérable. 3° *Meilleure*, mais *en quoi*, mais *pourquoi *? Hélas ! Seulement pour cette raison qu' « *elle avait l'avantage d'être admise par tous *». C'est en effet un avantage. Mais ce n'est pas le seul critère ; ni le principal. 4° D'ailleurs, *admise par tous*, il faudrait s'entendre. 18:153 Ce qui était et ce qui demeure admis par tous, ou presque tous, c'est que la traduction de la Bible de Jérusalem (et donc celle du Lectionnaire français officiel de 1959) n'est *ni blasphé­matoire, ni hérétique, ni équivoque.* C'est-à-dire que cette traduc­tion se situe du bon côté de la ligne de démarcation tracée par saint Thomas entre les deux manières de comprendre le verset 6. -- Mais, cela dit, on peut trouver *meilleure* soit la traduction de Maritain, soit celle du chanoine Osty, soit telle autre (à com­poser) qui s'inspirerait directement de l'interprétation plus traditionnelle proposée par le P. Lagrange. \*\*\* Parenthèse à propos de la *culture biblique.* La discussion, la controverse, la polémique, comme on voudra, est publique de­puis le mois de juin 1970. Nous y avons apporté quelques ren­seignements à ceux qui auraient pu en avoir besoin. Entre au­tres, nous avons rappelé qu'il existe une traduction Maritain de ce passage. Rappelé qu'il existe une traduction Médebielle, au tome XII du Pirot et Clamer (avec un commentaire qui compte, auquel nous renvoyons le lecteur). Rappelé l'interprétation donnée par le P. Lagrange. Rappelé le commentaire exégétique et théologi­que de ce verset par saint Thomas d'Aquin. Nous limitant là au plus important parmi le plus accessible. Mais tout cela reste (volontairement ou involontairement) ignoré par les évêques modèle Vatican II recyclé 1971. -- Nous avons pourtant donné les références, cité les textes, ils n'avaient pas de recherches la­borieuses à faire dans les bibliothèques, nous leur apportions les points de repère essentiels. Zéro. Pour eux, l'exégèse et la culture bibliques *commencent aujourd'hui,* les travaux qui ont plus de dix ans d'âge leur paraissent aussi périmés qu'une auto­mobile, qu'un aéronef ou qu'un calculateur électronique vieux de dix années. -- Seulement, quand ces ravagés de la chronologie ont en outre le charlatanisme de se prétendre juchés sur une in­comparable « culture biblique », inaccessible aux méprisables roturiers qui n'ont pas reçu les initiations ésotériques et mu­tantes de leur club de lumières, ils courent le risque supplémen­taire de finir par se tromper eux-mêmes et de rendre incu­rable leur érudite ignorance. Ce sont toujours les plus ignorants qui font le plus les malins. Les Pères de *Marchons,* numéro de janvier 1971, page 18, n'en ratent pas une, et surtout pas celle-là ; une fois de plus, ils marchent à fond et font marcher leurs lecteurs. S'attribuant dès l'abord la renommée de gens qui auraient « *fait de sérieuses études exégétiques et théologiques *», ils montrent aussitôt qu'ils sont en réalité dépourvus de toute théologie et de toute exégèse sérieuses. 19:153 Ils prétendent en effet que la falsi­fication du Lectionnaire est une traduction «* plus exacte *» que les précédentes, et même tellement exacte qu'elle en est devenue « *trop exacte *»*,* mais oui : trop exacte « *pour le gros public *», -- étant entendu sans doute que les Pères en question ne sont pas, eux, gros public, mais fins connaisseurs. Le gros public ignorant et imbécile, c'est probablement Maritain protestant contre « les indignes traductions » qu'on nous « oblige à en­tendre à la messe » ([^5]) ; c'est Louis Salleron ; et moi avec eux, merci mes Révérends Pères. Ils ajoutent sentencieusement que « *le souci d'exactitude des traducteurs a été peut-être une mala­dresse *», tiens, tiens, que voilà une remarque finement intelli­gente, et sûrement morale, -- d'une moralité, d'une finesse qui se précisent et s'affirment par l'énoncé d'une merveilleuse maxime : « *Mieux vaut employer des formules imparfaites scientifiquement, mais exemptes de toute ambiguïté doctrinale. *» A partir de quoi vous pourrez vous casser la tête pour essayer de saisir ce qu'il faudrait donc entendre par « scientifique » et par « doctrinal » : l'ambiguïté doctrinale provenant de (ou accompagnant) la perfection scientifique, et l'imperfection scientifique étant inévitable quand on veut exclure toute ambi­guïté doctrinale ! Fin de la parenthèse. \*\*\* Mais seconde parenthèse. Le même article du bulletin des Pères de Chabeuil invoque l'autorité de « M. André Feuillet », -- c'est-à-dire de M. l'abbé André Feuillet, -- qui fit de la question « une étude sereine et nuancée » dans *Esprit et Vie --* c'est-à-dire dans *L'Ami du Clergé* -- du 17 décembre 1970. Nous avons lu en son temps l'étude de M. l'abbé André Feuillet. Nous avons remarqué que plusieurs s'y sont référés ou l'ont reproduite en déclarant y trouver un soulagement de leur conscience (une telle confidence nous demeurant entièrement inintelligible). Nous avons même entrepris un commentaire critique détaillé de cette étude. Mais, par respect pour la per­sonne et les travaux antérieurs de M. l'abbé Feuillet, nous nous sommes ravisés, et nous avons finalement préféré n'en rien dire. Voici maintenant que l'organe des Pères de Chabeuil donne, sous l'autorité scientifique et morale explicitement invoquée de M. l'abbé Feuillet, « *le sens *» du verset 6. Ce sens, donné comme étant selon M. André Feuillet, est ainsi énoncé : *Le Christ, image du Père, n'a pas cherché,* EN TANT QU'HOMME, à revendiquer (*prendre comme butin de guerre, conquérir*) *la gloire extérieure de la* *divinité comme avait fait Adam.* 20:153 C'est nous qui soulignons : « en tant qu'homme ». En tant qu'homme ! Je vous le disais : ils n'en ratent pas une. Cette interprétation, je me hâte de le préciser, ne figure ni littéralement ni explici­tement dans l'étude de M. l'abbé Feuillet. C'est du Feuillet revu largement et largement corrigé par Chabeuil. Mais enfin, c'est une interprétation contre laquelle le lecteur de Feuillet n'était pas suffisamment défendu par la lecture de Feuillet. Et l'évêque d'Angoulême pourrait bien être lui-même un de ces lecteurs. C'est pourquoi j'y insiste au passage. *En tant qu'homme *: c'est bien l'interprétation que saint Thomas déclare hérétique et absurde : *hoc esset haereticum... repugnat etiam rationi*. Pour­quoi, les Pères de Chabeuil ont-ils omis de consulter saint Thomas ? Mais ont-ils seulement, dans les bibliothèques de leurs principales maisons, sa *Super epistolas S. Pauli lectura *? Ou bien font-ils semblant ? \*\*\* 5° L'alinéa décisif de Mgr Kerautret appelle une dernière observation, concernant les *deux limites* fort étroites à l'inté­rieur desquelles sa saine réaction est malheureusement enfer­mée au point d'en être presque étouffée : a\) Une limite intellectuelle. Il est mal et peu instruit de la question. Il a beau, avec des mines de connaisseur, parler de « grec dur », de « mots rares », de la nécessité de « toute une culture biblique », il a beau dire que ce passage fut « de tout temps le tourment des exégètes et des traducteurs » : il ignore visiblement ces traductions et ces exégèses, il en parle par ouï-dire et de seconde main. Nous l'avons montré. Il croit même que le mot *image* figure dans le texte grec et dans le texte latin de ce passage, ne sachant pas que lorsque saint Paul dit que Jésus est « image » du Père, il emploie un autre terme que MORPHI, et la Vulgate un autre terme que *forma*. Cela aussi, nous l'avons montré. Nullement dans l'intention d'humilier l'évêque d'Angoulême. Mais parce qu'*il faut qu'enfin la vérité éclate*, il faut qu'elle éclate, concernant les évêques, *aux yeux des évêques eux-mêmes :* ils ne savent quasiment rien, ce qui d'ailleurs n'est pas très grave s'ils le reconnaissent, et s'ils tra­vaillent à s'instruire, et d'aventure ils y travaillent, mais à contresens, car ils vont s'instruire auprès de faux experts qui sont des ânes savants. D'où le résultat. Au moment même où Mgr Kerautret, instinctivement et par grâce -- par instinct surnaturel, si l'on peut dire -- agit en prêtre et en évêque, déclare mauvaise une altération caractérisée de l'Écriture, se prononce en faveur d'une traduction honnête, -- à ce même moment, dans « le commentaire » qu'il ajoute, il tombe dans une opinion que saint Thomas déclarait hérétique et absurde. 21:153 Sa réaction instinctive était bonne. Sa doctrine et sa culture religieuses demeurent beaucoup trop courtes, bernées, de sur­croît par des érudits qui sont des charlatans. b\) Et l'autre limite est celle de sa volonté, de son caractère, de son courage, -- peut-être aussi de son imagination. Assuré­ment, je le répète et je lui en fais un hommage public, avec un très affectueux respect, il a été le premier, il a été courageux. Mais aussitôt cloué sur place, paralysé. *Je souhaite*, dit-il. Est-il évêque pour exprimer, en une telle matière, dans un tel cas, un simple souhait ? « Je souhaite qu'elle soit reprise » : mais voyons, mais enfin, reprise *par qui*, si ce n'est point *par l'évêque ?* La collégialité fausse et funeste dans laquelle on veut emprisonner les évêques n'est forte que de leur timidité. Mgr d'Annecy, Mgr de Fréjus et Mgr de Nice n'ont pas été timides. Ils n'ont pas souhaité. Ils ont *ordonné*... Mgr d'Angoulême n'a pas imaginé qu'il pourrait ordonner. Ou il ne s'est pas souvenu qu'il le pouvait. Ou il n'a pas osé. Ou peut-être était-il mal convaincu qu'il le devait... \*\*\* Suite de son exposé : « *Toujours est-il que malgré les efforts des traducteurs, la contestation continue. Il y a des chrétiens qui avaient crié au scandale à la première traduction et que la seconde n'a pas désarmés. Parmi eux, il s'en trouve pour croire que cette traduction est hérétique et même qu'elle a été faite intention­nellement pour minimiser ou nier la divinité du Seigneur.* *Une certaine agitation s'exprime dans des revues, des feuilles ronéotypées ou dans des lettres manuscrites que cer­tains de vous ont reçues.* *Dans ces remous j'accepte de faire aussi large qu'on voudra la part d'un légitimé souci d'orthodoxie, la part des réactions contre le laisser aller théologique ; la part de la peur face à une dégradation de la foi.* *S'il y a, par ailleurs, dans ces polémiques des intentions équivoques, je ne les jugerai pas. Je dirai seulement... *» Avant de voir ce que Mgr Kerautret « dira seulement », on peut s'arrêter encore, au moins un instant, sur ce qu'il a déjà, dit. 22:153 Il est parti de « *discussions *» entre chrétiens. Il a déclaré son intention de « *s'expliquer *» sur ces discussions. Nous avons remarqué que, contrairement à cette intention déclarée, il ne donnait en réalité ni explications, ni raisons, ni motifs, ni arguments susceptibles de justifier les oracles qu'il multi­pliait dans une complète gratuité. Mais chemin faisant, en même temps, les *discussions* dont il avait fait mention au début devenaient sous sa plume une *contestation*. Puis la contestation se transforme en *agitation *; l'agitation devient *remous*, puis les remous *polémiques ;* et celles-ci entraînent la mention d'*inten­tions équivoques.* Bref, une insensible et continuelle gradation dans le péjoratif. Ce glissement perpétuel d'un mot à l'autre aura pour résultat de discréditer plus ou moins les personnes qui ont énoncé pourtant des *critiques méritées :* mais ces cri­tiques, on ne saura même pas ce qu'elles disaient. Tout cela, il est d'ailleurs probable que Mgr Kerautret ne le fait pas exprès. Le milieu ecclésiastique (moderne et mon­dain) où il a grandi, où il s'est formé, où il a fait carrière, lui a enseigné à être tel, à agir ainsi, à penser de cette façon, à écrire de cette manière, et lui a en outre fait croire, peut-être définitivement, que cela est charitable et pastoral. Il y faudrait désormais une conversion. Et pour une telle conversion, sans doute un choc. A condition qu'il n'en soit pas « choqué » seulement, et *sans comprendre,* comme il nous le dit maintenant : « ...*Je dirai seulement que je me sens blessé de voir que cette campagne s'organise sur un fond de défiance systé­matique à l'égard des théologiens et des exégètes et sur un obscur procès à l'égard des Évêques qui n'épargne pas toujours le Pape lui-même. *» Assez bien vu : *le fait* est à peu près celui-là. Mais Mgr d'Angoulême ne paraît point apercevoir la *raison* de ce fait. Ni même la rechercher. Ni même, semble-t-il, ima­giner qu'il puisse en exister une. Il paraît ne pas pouvoir imaginer que la défiance à l'égard des exégètes et théologiens (actuellement en vogue) va de soi car ce sont ceux (ou des disciples directs de ceux) qui étaient *tenus en suspicion*, ils le disent eux-mêmes, jusqu'en 1958, par Pie XII et par le Saint-Office. On a pu supprimer le Saint-Office, ensevelir Pie XII dans l'oubli ou dans le mépris, « réha­biliter » les Pères Congar, Chenu et autres, ils ne se rendent pas compte qu'en rappelant sans cesse eux-mêmes les « persécu­tions », comme ils disent, subies par eux avant-hier, ils se discréditent de leurs propres mains : 23:153 aux yeux, du moins, des fidèles pour qui les autorités qui condamnaient de tels auteurs conservent beaucoup plus de poids moral que les autorités qui les ont réhabilités. Mgr Kerautret n'y changera rien ; mais il pourrait le comprendre. Toutefois, c'est sur l'*obscur procès à l'égard des évêques* qu'il me paraît le plus important d'éviter toute équivoque et toute confusion. #### VI. -- Le procès fait aux évêques n'est absolument point obscur Oui, quelque chose qu'on peut à la rigueur appeler un pro­cès est publiquement fait à l'épiscopat ; oui, ce procès n'épargne pas toujours, en un sens, le pape lui-même. Mgr Kerautret a parfaitement le droit de trouver que ce procès est *injuste :* il aura d'autant mieux ce droit qu'il sera davantage capable de démontrer cette injustice. Si ce procès est fondé sur des malen­tendus ou sur des erreurs d'interprétation, il faut et il suffit alors qu'on en apporte la preuve par voie d'argumentation. Mais il est incroyable que Mgr Kerautret répute *obscur* un procès qui est tout à fait clair. Nous reprochons à l'épiscopat l'altération de l'Écriture dans le nouveau catéchisme et dans la nouvelle liturgie. Cela est vrai ou cela est faux ; cela n'est nullement obscur. Nous accusons la nouvelle liturgie et le nouveau catéchisme d'être *inséparables* de ces altérations auxquelles, en fait, ils ne veulent pas renoncer, malgré toutes les réclamations. Le Conseil permanent de l'épiscopat, désavouant les évêques qui bron­chaient devant la falsification, a décidé le 19 mars de main­tenir la version falsifiée de l'épître des Rameaux : il a parfai­tement compris le fond des choses, à savoir que pour mainte­nir le catéchisme réformé et la liturgie réformée, il faut néces­sairement maintenir les altérations de l'Écriture qui en sont indissociables. Cela est vrai ou cela est faux : mais obscur, non. \*\*\* 24:153 Ce qui serait obscur, et choquant, et tel qu'il suffirait de l'énoncer pour le condamner, ce serait un « procès » qui contesterait la succession apostolique et la primauté du Siège romain : un procès qui rejetterait l'autorité des évêques et éventuellement du pape. Obscur, certes, dans ce cas : obscur parce qu'il serait fait par des catholiques qui du même coup auraient cessé de l'être. Mais tel n'est point le cas. Nous croyons à la succession apostolique. Nous reconnaissons que ses actuels détenteurs en sont les détenteurs légitimes : mais prévari­cateurs. Si un évêque ou même le pape m'intime l'ordre de perpétrer un assassinat... (ce qui est un cas extrême, mais non pas une hypothèse purement théorique, l'histoire de l'Église en donne de bien réels exemples) ... je n'ai pas à leur obéir ; s'ils insistent, je les dénonce publiquement comme fomentant des homicides. Aujourd'hui les évêques n'ont pas compris (du moins on le présume, et on l'espère) que ce qu'ils veulent nous imposer en matière d'Écriture, de Catéchisme et de Messe *est plus grave et aussi clairement condamnable qu'un assassinat*. Ayant pris le temps d'en sursauter, ce qui est bien normal, puis d'en être blessé, ce que je ne cherchais point, Mgr Kerau­tret pourra ensuite, quand il le voudra, en discuter avec nous. Si contre toute attente il demeure pour lui, en la matière, quelques obscurités, nous y apporterons les explications souhai­tables. Nous ne faisons en somme rien d'autre : nous expli­quons encore et toujours. Continuons donc. #### VII. -- Un fait bien établi J'ai affirmé qu'il existe une liaison intrinsèque entre l'actuelle réformation liturgico-catéchétique et les altérations que l'on impose à l'Écriture dans les nouvelles traductions obligatoires. Mais cette liaison, on peut ne pas la comprendre du pre­mier coup. Nous allons donc en faire abstraction et nous en tenir au fait lui-même : *l'altération de l'Écriture.* Sans examiner pour le moment si ce fait est prémédité ou fortuit, remarquons que son existence est irrécusable ; et que, simultanément, ni l'évêque d'Angoulême ni jusqu'ici aucun autre à ma connaissance n'ose vraiment le regarder en face, tel qu'il est et pour ce qu'il est. On préfère se bercer de fables « sécurisantes », et se répéter l'un à l'autre que notre igno­rance, jointe à notre conservatisme borné et à notre opposi­tion au mouvement quel qu'il soit (comme l'a dénoncée le P. Congar), explique suffisamment l'inexactitude certaine de nos accusations. 25:153 Seulement, il est bien difficile, il est même honnêtement impossible de reléguer Maritain dans la même catégorie. Maritain, le malheureux, *accepte de bon cœur toutes les réformes* de la réformation post-conciliaire ; de bon cœur il accepte explicitement la *réforme liturgique*, il accepte l'*usage de la langue vulgaire*, il n'arrête pas d'insulter à ce propos comme aux autres le *zèle amer de l'intégrisme* ([^6]) ; il enseigne, proposition en A, affirmative universelle, que *l'intégrisme est la pire* (il dit bien : « la pire ») *offense à la Vérité divine et à l'intelligence humaine* ([^7]). Eh ! bien, c'est Maritain qui vous le dit pourtant, c'est Maritain qui vous crie son *dégoût devant les indignes traductions qu'on nous oblige à entendre à la messe* ([^8]) ; c'est Maritain qui proteste que l'on n'avait pas le droit, *non licet*, de faire ce que l'on a fait à l'Écriture : « *Il n'est pas permis de changer la lettre sainte sous prétexte de la traduire. *» ([^9]) Maritain trouve indignes, il trouve dégoûtantes, il trouve moralement non permises les versions de l'Écriture sainte qui nous sont imposées dans la liturgie nouvelle. Vous ne pouvez lui répondre qu'il est un intégriste, un conservateur, un ignorant sans culture, « un auditeur distrait ou peu familiarisé avec les subtilités de la langue » ; vous ne pouvez non plus laisser tomber à son sujet : « s'il a par ailleurs des intentions équivoques, je ne les jugerai pas » ; ni aucune des roueries verbales de cette sorte, qui sont réservées à des parias comme nous. Prêtez donc attention à Maritain ; car le procès que l'on vous fait, il est là ; il commence là ; déjà à ce point et à ce niveau, et sans aller plus loin, le crime est capital. C'est en votre nom et par votre autorité d'évêques que sont imposées comme obligatoires ces altérations manifestes de l'Écriture. Il n'est nullement obscur, il est parfaitement clair que cela déjà suffit à motiver l'avertissement que vous connaissez sans doute et que je répète une fois encore, avec une entière netteté : -- *Vous êtes en train de vous damner pour l'éternité. Ne mourez pas dans cet état.* 26:153 #### VIII. -- Le contexte et la responsabilité Évêques de France, vous avez retiré du nouveau catéchisme l'affirmation explicite que Jésus-Christ est *vrai Dieu et vrai homme.* Vous n'y dites pas le contraire : mais vous n'y ensei­gnez plus cela. Vous y appelez Jésus « le Fils de Dieu » et vous y appelez Marie « la Mère de Jésus », vous y évitez l'affirmation directe et habituelle de la divinité de Notre-Seigneur. Vous ne l'avez pas rétablie, malgré toutes les réclamations. Dans le contexte de cette carence du catéchisme, vous faites maintenant proclamer, le dimanche des Rameaux, et aussi le 14 septembre, que Jésus-Christ est *image de Dieu.* La plupart des auditeurs se disent : -- *Donc, comme l'homme ? Comme Adam et Ève, créés à Son image ?* A elle seule et considérée isolément, l'introduction du terme *image* au verset 6 de l'épître des Rameaux pourrait n'être qu'une malfaçon matérielle. Mais cette malfaçon n'est pas isolée. L'une après l'autre disparaissent les affirmations disant clairement et catégoriquement de Notre-Seigneur : -- *Il est Dieu.* Cela s'est fait de par l'autorité des évêques, mais sans doute grâce à la distraction, la négligence, la somnolence de beau­coup d'entre eux. Les voici réveillés pourtant par l'affaire du dimanche des Rameaux. Appelés d'urgence en consultation par le Conseil permanent, les experts neuroleptiques s'efforcent de rendormir l'épiscopat. Contre quoi nous élevons la voix et nous répétons : -- *Évêques responsables, vous êtes en train de vous damner pour l'éternité. Ne mourez pas dans cet état.* #### IX. -- Les sept points principaux du procès fait à l'épiscopat Si vraiment, dans sa bonne ville d'Angoulême, Monseigneur l'évêque n'est au courant de rien, si vraiment il ne sait pas ce qui se passe, à son intention je vais recommencer l'énumération nullement obscure des six points principaux du « procès » fait à l'épiscopat. Un septième est venu s'y ajouter depuis le 19 mars 1971. 27:153 Comment croire pourtant que Mgr Kerautret n'en sache rien ? Il est depuis longtemps à la direction des affaires. Vicaire général du diocèse de Quimper depuis 1958. Coadjuteur de l'évêque d'Angoulême depuis 1961 (sacré évêque le 30 novembre). Et, depuis mai 1965, évêque d'Angoulême. D'ailleurs, mon énumération ne remonte pas si loin. Elle ne remonte pas au-delà de l'Assemblée plénière de l'épiscopat qui s'est tenue à Lourdes en 1966. Non qu'il n'y ait rien eu auparavant. Mais c'est elle, comme je l'ai souvent fait observer, qui a franchi le point de non-retour doctrinal. Mgr René Kerautret en était. Il était « collégialement » responsable du nouveau catéchisme français, adaptation locale du catéchisme hollandais et vade-mecum de la nouvelle religion. **1. -- **Outre cette adoption épouvantable d'un nouveau catéchisme qui n'est plus catholique, et qui introduit comme obliga­toires des versions falsifiées de l'Écriture sainte ([^10]), l'Assem­blée plénière de 1966 décrète l'incroyable REJET des notions de NATURE et de PERSONNE telles qu'elles « étaient au V^e^ siècle ou dans le thomisme ». Ce rejet a pour conséquence inévitable de faire perdre l'intelligence des formules dogmatiques. Nous l'avons exposé sans craindre ni rencontrer aucune tentative de réfutation ([^11]). Tout, dès lors, était joué, et tout était perdu. Quand un épiscopat entier s'engage aussi vigoureusement (fût-ce sans y rien comprendre) dans une prévarication aussi radi­cale, aussi fondamentale, les conséquences suivent comme elles ont suivi, de plus en plus catastrophiques. -- Et cet épiscopat n'en peut plus sortir ? -- Il n'en peut plus sortir que par des événements surnaturels qui sont de la catégorie du miracle, du déluge, de l'apocalypse. **2. -- **La DÉCLARATION du Conseil permanent en date du 20 juin 1968 est une adhésion de l'épiscopat français à la Révolu­tion. Mgr Kerautret ni aucun autre évêque n'a contredit ou désavoué cette DÉCLARATION ([^12]). 28:153 **3. -- **La NOTE PASTORALE du 8 novembre 1968 annule implici­tement la loi naturelle ([^13]). Pas moins ! Mais cette mons­truosité n'est qu'une conséquence inévitable de la négation, deux ans plus tôt, de la permanence des notions de « nature » et de « personne ». **4. -- **Les ORIENTATIONS DOCTRINALES de la même Assemblée plénière de novembre 1968 se tournent vers le socialisme marxiste. Pour se donner cette liberté de manœuvre, elles ren­versent les fondements de la théologie et elles décrètent que la théologie morale catholique est « encore rudimentaire ». Ce document-là est probablement le moins connu de toute la série. Il n'est pas le moins important ([^14]). **5. -- **Le RAPPORT DOCTRINAL rédigé par Mgr Paillet, *approuvé et publié par* cette même Assemblée plénière de novembre 1968, est un témoignage définitif de l'état mental de la Conférence épiscopale française : la liturgie des Rogations est un condam­nable héritage païen ; on ne doit plus continuer de demander à Dieu ce que le paysan moderne demande à l'engrais ; et autres divagations, notamment sur la nature de la foi ([^15]). **6. -- **La DÉCLARATION du Conseil permanent en date du il juin 1970 est une manifestation particulièrement intempérante de la prétendue « évolution conciliaire », que l'on déclare « authentifiée par le pape et l'épiscopat universel ». *Authenti­fiée* après coup. C'est en marge de cette DÉCLARATION, et dans le même sens, que le cardinal Marty jetait le masque dans *Le Figaro* du 24 juin 1970, en ces termes définitivement explicites : « *Notre option est missionnaire. Elle n'est pas nouvelle :* DEPUIS PLUS DE QUARANTE ANS *l'Église de France tente de* « *passer aux païens *»*, de servir tout l'homme et tous les hommes. Le Concile a* AUTHENTIFIÉ *ce choix. *» -- Ainsi l' « authentifié » du cardi­nal Marty vient éclairer l' « authentifier » de la DÉCLARATION. Ces meneurs et réformateurs se sont moqués de nous en nous racontant (Mgr Marty lui-même a fréquemment excellé dans cette clownerie-là) quelle soudaine illumination les avait bou­leversés au Concile Vatican II, illumination par laquelle ils en étaient revenus soi-disant tout différents de ce qu'ils étaient en y arrivant. 29:153 En vérité, ils l'ont enfin avoué après coup, en 1970 seulement, ils étaient restés *les mêmes,* obstinément retranchés dans l'*option* particulière qui était celle de leurs groupes et de leur secte *depuis quarante ans *; et par complot et intrigue ils ont imposé, à travers les ambiguïtés du Concile, soit la réalité soit l'apparence d'une *authentification rétrospective* de leur choix, qui était fait depuis longtemps. Cette « option » dite missionnaire, qui était faite « depuis plus de quarante ans » par « l'Église de France », la DÉCLA­RATION du 11 juin 1970 la déguise en « *évolution conciliaire *» et la fait consister (notamment) dans la rupture avec *la forme qu'a pu connaître l'Église au temps de la chrétienté médiévale ou de la contre-réforme :* soit une bonne quinzaine de siècles jetés par-dessus bord ([^16]). **7. -- **Et voici le septième document, dont on ne sait pas trop encore, au moment où j'écris, quels peuvent être le nom et la nature : communiqué, avis, déclaration, note ? En tout cas c'est un acte du Conseil permanent, qui figure dans *La Croix* datée du 20 mars 1971, par lequel il donne « *son plein accord *» : il « *approuve totalement *» la falsification du verset 6 de l'épître aux Philippiens, -- tout en assurant supplémentaire­ment que ce passage de saint Paul est d'une « *christologie encore fruste *». Sur les six points qui ont précédé le septième, et qui lui composent en effet comme *un fond de défiance et de procès à l'égard des évêques,* si Mgr Kerautret veut s'informer, il n'a qu'un mot à dire, qu'un signe à faire : notre délégué à Angou­lême lui communiquera volontiers les pièces authentiques de ce qui, dans ce « procès », constitue notre « accusation » et notre « réclamation », l'une et l'autre extrêmement précises. En résumé, et en prenant une vue d'ensemble des résultats chaque jour plus accentués de la défaillance des évêques, nous *reprochons* à l'épiscopat d'avoir altéré l'Écriture, désintégré le Catéchisme, défiguré la Messe. Nous *réclamons* de l'épiscopat, sans exclure de cette récla­mation l'évêque de Rome, qu'il nous rende l'Écriture, le Caté­chisme et la Messe. Nous *avertissons* les évêques qui font mine de ne pas en­tendre que, ce faisant, ils sont en train de se damner pour l'éternité. 30:153 #### X. -- A côté, à côté, toujours à côté Malgré toutes précisions et explications patiemment multi­pliées, renouvelées, réitérées, nos évêques nous répondent par des considérations qui n'ont rien à voir avec ce qu'on leur dit : et qui se situent toujours à côté de ce qui est en question. Mgr d'Angoulême, ayant témérairement réputé « obscur » le procès fait aux évêques, ne veut (ou ne peut) y voir qu' « atti­tudes passionnelles ». Il ajoute en effet : « *Mais je m'interdirai de répondre par des réactions per­sonnelles d'amour propre ou d'entêtement aux attitudes pas­sionnelles que je suis tenté de reprocher aux autres. Il ne faut pas qu'une mauvaise querelle se développe autour d'un point fondamental de la foi* *qu'aucun chrétien ne saurait mettre en doute et qui a besoin aujourd'hui d'être vigoureusement affirmé et défendu, contre des doutes qui s'insinuent, hélas, par des chemins divers. *» Navrant ; hélas ; navrant. Fervorino sentimental sans rapport avec ce qui est en cause. « Réactions personnelles », « amour-propre », « entête­ment », « attitudes passionnelles », « mauvaise querelle » : ce vocabulaire vient prendre la suite (logique) de celui qui l'a précédé et préparé : « contestation », « agitation », « re­mous », « polémiques », « intentions équivoques ». Dans tout cela, *pas une idée,* pas une raison, pas un argu­ment qui soit en relation avec l'objet du débat. #### XI. -- La suite, si vous en voulez Et ça continue. Il y en a encore deux pages du Bulletin diocésain d'Angoulême. J'ai dit que j'en ferai la reproduction intégrale. Les lecteurs qui auront l'amer courage de pour­suivre pourront le faire. Ils verront comment le fervorino sen­timental s'éloigne de plus en plus de la question annoncée « *L'épître du dimanche des Rameaux : quel en est le sens ? com­ment le traduire ? *» Voici donc : 31:153 « *Où sont les dangers et quels en sont les signes ? Avant de les indiquer, il faut prendre conscience et proclamer que jamais sans doute les chrétiens n'ont autant parlé du Seigneur, de Jésus mort et ressuscité, jamais tant manifesté leur volonté missionnaire de le révéler aux hommes. Cet accent de fierté chrétienne, ce souci de vie évangélique de proclamation du Mystère de Jésus dans les réalités vécues sont des signes positifs d'une vitalité poussée parfois jusqu'à un véritable héroïsme, par des laïcs et par des prêtres.* *Raison de plus pour que nous nous efforcions de préserver ces promesses contre des risques évidents. Voici parmi bien d'autres des signes qui donnent à réfléchir : la crise de la vie spirituelle et de la prière ; la dévaluation des sacrements et d'une manière générale l'amenuisement du culte ; un imma­nentisme qui est en train d'effacer pratiquement de la conscience chrétienne l'idée d'une survie de l'âme ; une insistance si grande portée aux tâches humaines de transformation du monde, que le christianisme semble s'y réduire et qu'il de­viendrait, à la limite, une idéologie d'appoint au service d'une promotion humaine.* *Dans ce contexte global, il arrive que des intentions apos­toliques, des activités généreuses, un vocabulaire qui garde les mots traditionnels puissent donner le change et dissimuler une mutation grave de la foi. On parte du Christ avec sincérité, mais sait-on bien qui il est ? On fait référence au mystère pascal de mort et résurrection à propos des réalités humaines et l'on a raison : le rattache-t-on assez à l'événement unique vécu par Jésus-Christ et qui doit déployer par nous son infinie richesse pour sauver les hommes, corps et âme, dans ce temps et pour l'éternité ? Garde-t-on assez fervente la foi en l'Eucharistie, qui est précisément le mémorial de cette Pâque ?* *Faisons un pas de plus. Il ne manque pas de livres, hélas ! ni de revues qui systématisent en idées ces déviations diffuses et ces insuffisances de la pratique et qui, du même coup, les stimulent. Il y a toute une théologie de la* « *Kénose *» *qui sème comme une traînée de mort.* « *Dieu est mort en Jésus-Christ. *» J*ésus-Christ meurt à son tour dans l'homme et l'homme privé de Dieu ne sait plus lui-même où raccrocher sa vie*. » (D'aussi vagues généralités n'ont évidemment aucun impact réel sur les esprits, sur les cœurs, sur les âmes, qui continueront d'être emportées à la dérive, -- la dérive épiscopale.) 32:153 « *Ces idées fausses prennent parfois appui sur le texte de l'Épître aux Philippiens* « heauton ekenosen » « exinani­vit »* *; «* il s'est dépouillé *». *C'est pourquoi ce texte doit être expliqué et, bien au-delà du problème d'une traduction qui restera toujours difficile, c'est d'une explication claire que les fidèles ont besoin. *» (Quel aveu, mais celui qui le fait n'en aperçoit probablement pas la portée. Si les fidèles ont *besoin davantage d'une explica­tion que d'une traduction,* il fallait laisser la liturgie en latin ; et l'expliquer en français ; comme on avait toujours fait.) « *L'Épître des Rameaux nous parle directement de Jésus dans son incarnation terrestre. L'enchaînement des idées est le suivant :* *Il est Dieu, établi en condition divine : telle est la certitude de fond sur laquelle se développe l'histoire du Verbe devenu homme : Jésus-Christ.* *-- Il aurait pu revendiquer sur terre les honneurs divins. Cette prétention n'eût pas été de sa part un vol, une rapine, mais l'expression d'un droit.* (*Le mot grec* « harpagmon » *est l'un des plus difficiles à traduire.*) *-- Mais librement il a renoncé à ce droit et... *» (Mais en quoi consistent donc les « honneurs divins » dont Mgr Kerautret parle sans autre précision ? -- Ils consistent évidemment à être *adoré, aimé, obéi comme un Dieu.* Le Christ des Évangiles n'a pas refusé ces honneurs ni renoncé à ce droit pendant sa vie terrestre. Il a seulement fait en sorte que les hommes aient la liberté de les lui reconnaître ou de les lui refuser. -- Il a assumé la nature humaine, -- et en cela consistent son humiliation, son exinanition, sa kénose, -- mais sans rien abandonner de sa nature divine. -- C'est une erreur de supposer que la description de la « kénose » commence dès cette seconde partie du verset 6 (alors qu'elle commence seulement au verset 7). Cette erreur est moderne ; elle conduit à contredire les faits que rapportent les Évangiles ; elle incite à estomper la vérité dogmatique des deux natures dans Jésus-Christ. -- Contre cette erreur, nous réclamons le retour intégral à l'interprétation que saint Thomas d'Aquin ([^17]) donnait de cette épître.) « ...*dans sa volonté de s'assimiler aux hommes, il a accepté tous les abaissements dont saint Paul nous détaille les étapes visage d'homme, condition du serviteur, obéissance poussée jusqu'à l'acceptation de la mort, d'une mort qui est la plus ignominieuse de toutes : la mort sur la Croix.* 33:153 *Voici qu'au bas de cette courbe d'humiliation, éclate en réponse à cette obéissance la glorification de Jésus-Christ.* « *C'est pour cela que Dieu l'a exalté et Lui a donné le Nom qui au-dessus de tout Nom, afin que tout genou fléchisse et que toute langue confesse sa Seigneurie. Ainsi, bien loin que sa divinité se soit évanouie en l'homme, c'est l'homme qui est* divinisé en Jésus-Christ. \*\*\* *L'exégèse des textes de la Sainte Écriture, la formulation exacte des vérités de la foi n'ont d'autre but que de trans­former notre vie.* « *Malheur à la connaissance qui ne tourne pas à l'amour *». *A quoi nous servirait-il de disserter sur le texte de l'Épître aux Philippiens, si nous n'en retirions pas un surcroît de vie ? Je ne puis évoquer le Christ dans la gloire sans m'ouvrir à Lui comme au principe dont je reçois tout bien, sans le prier dans l'action de grâces comme le Seigneur du Monde, sans le chercher à la trace dans les événements de ma vie, sans aller à sa rencontre dans les sacrements qu'il nous a laissés et en particulier dans l'Eucharistie, sans attendre son retour glorieux et l'éternité bienheureuse.* *Mais je ne puis davantage oublier ses abaissements, son incarnation en pleine pâte humaine, ses combats menés jusqu'à la mort. La leçon de toute sa vie à qui il donnait comme pré­face le texte d'Isaïe :* « *Guérir les malades, rendre la vue aux aveugles, libérer les captifs, évangéliser les pauvres, annoncer une année de grâce *»*, m'oblige à faire comme Lui qui a* « *passé en faisant le bien *»*. Je serais radicalement infidèle à son message si je ne travaillais pas à construire le Royaume de Dieu parmi les hommes. *» (Comme tous les autres recyclés, Mgr d'Angoulême a mis *une rhétorique à la place de la religion révélée :* mais sans au­cunement s'en rendre compte, j'en jurerais.) « *Le Cardinal Marty, à l'Assemblée de Lourdes rapprochait deux faits :* « *Il y a 2 000 ans Jésus mourait pour sauver les hommes *». « *Aujourd'hui plus de deux milliards d'hommes ignorent encore son Nom *». « *Accueillons dans nos cœurs le choc électrique de ces deux faits. De leur rapprochement laissons jaillir une étincelle :* 34:153 « *N'avons-nous pas mieux à faire que de nous opposer les uns aux autres ? Ne s'agit-il pas pour tous de travailler en Église au salut total des hommes dans la reconnaissance et la louange du Nom qui est au-dessus de tous les autres noms : celui de Jésus-Christ ? *» (Le choc *électrique,* voilà donc à quel niveau les recyclés le ressentent désormais. Deux mille ans... Deux milliards d'hommes... Oui, une rhétorique.) \*\*\* On aperçoit, bien sûr, des *sentiments* dans l'exposé de Mgr Kerautret. Des sentiments humains : je veux dire, presque toujours sans rien de surnaturel. Une vibration verbale et senti­mentale fort banale, celle de tout le monde, celle qui est à la mode, celle que ressassent les journaux et les radios, travailler en Église, deux milliards d'hommes, salut total, surcroît de vie, chercher à la trace... On n'a pas besoin d'évêques pour dégoi­ser ces formules mondaines que tous les chers auditeurs savent déjà par cœur. Daigne Mgr d'Angoulême ne pas s'y tromper : c'est sans brutalité et sans dérision, c'est en toute affection et en tout respect que nous lui disons cela. Nous l'avions prévenu en commençant : *amicus episcopus sed magis amica veritas*. Ayant donné à la *magis amica* ce qui lui était dû, au moment de le saluer nous revenons d'un cœur plus libre à l'*amicus.* S'il n'est pas allé bien loin, il a du moins fait un premier pas. Nous l'en félicitons. Et puis surtout, vous l'avez remarqué ? il a tout de même, au détour d'une phrase, trouvé le moyen d'écrire ce que l'on n'écrit plus. De Jésus Notre-Seigneur, il a écrit ce que la réformation actuelle retranche progressivement du caté­chisme et de la liturgie : -- « IL EST DIEU. » Qu'il en soit remercié. Qu'il en soit salué. Qu'il en soit béni. Et que, par des miracles que nous ne méritons pas, mais qui sont apparemment devenus indispensables au salut du peuple chrétien, Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme instruise, éclaire et fortifie les évêques catholiques qui confessent sa divinité. J. M. 35:153 ### Fréjus et Toulon Révélation de l'existence d'une Note secrète Le Bulletin diocésain intitulé *Église de Fréjus et Toulon* a publié dans son numéro 5 de 1971, daté du 14 mars, une ordon­nance de l'évêque qui apporte une considérable révélation : POUR L'OFFICE DES RAMEAUX La Commission épiscopale de liturgie a envoyé une note récente où elle montre que la traduction de l'épître de saint Paul aux Philippiens (II, 6-11) des nouveaux Missels liturgiques peut s'interpréter d'une manière très orthodoxe ; mais il faut être initié au langage biblique pour la bien comprendre. Selon les indications de la même Commission, qui laisse le choix entre deux traductions, nous prendrons pour le Diocèse celle de l'ancien Lectionnaire français (édition 1964). Ainsi la première phrase de d'épître sera : « *Le Christ Jésus étant de condition divine, Il ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. *» > (signé :) Gilles Barthe. Remarques. I. -- Merveille ! Il y a donc une Note de la Commission épis­copale de liturgie. Jusqu'à présent secrète. On nous a caché jusqu'à son existence. Mais Mgr Barthe révèle quelque chose de son contenu : quelque chose d'essentiel. II\. -- Dans cette Note secrète, la Commission épiscopale *montre* que la traduction nouvelle et soi-disant rectifiée, celle que nous appelons la falsification numéro 2, celle qui est dans les missels des fidèles pour 1971, PEUT s'interpréter d'une manière très orthodoxe. 36:153 Elle le *peut...* Si l'on y tient... L'aveu est important. III\. -- Bien qu'elle *puisse* être interprétée d'une manière orthodoxe, il est INÉVITABLE QUE LES FIDÈLES LA COMPRENNENT DE TRAVERS. On ne peut, d'après le texte, discerner en toute certi­tude si ce second aveu : -- appartient explicitement à la Note secrète de la Commis­sion épiscopale de liturgie ; -- est une conclusion que Mgr Barthe tire de cette Note ; -- ou bien est une objection que personnellement il lui oppose, le « *mais *» étant sien : « *mais il faut être initié au lan­gage biblique pour la bien comprendre *»*.* A notre avis, cela doit appartenir plus ou moins à la Note elle-même, à cause de l'invocation charlatanesque de l' « initia­tion au langage biblique ». IV\. -- Le « langage biblique » auquel il faudrait être « ini­tié » est donc bien leur excuse. Rappelons que, pour une double raison, cette excuse ne vaut rien : 1° Les traductions nouvelles, la vernacularisation systé­matique et, d'une manière générale, la réformation liturgique dans son ensemble avaient pour intention déclarée de tout rendre plus *facilement intelligible.* Voici les réformateurs avouant qu'ils se sont au contraire fourvoyés en pleine langue initiatique. Les traductions précédemment en usage étaient comprises sans « *initiation *», et sans erreur d'interprétation, par tout chrétien normalement catéchisé. 2° Mais l'excuse est en outre un mensonge dont nous avons démasqué la charlatanerie ([^18]). Dans le langage employé par la falsification numéro 1 et par la falsification numéro 2, il n'y a *rien qui soit spécifiquement biblique.* -- Pris la main dans le sac, les falsificateurs jouent la comédie du savant méconnu, de l'incompris supérieur, parlant une langue qui échappe au commun. V. -- La Commission épiscopale de liturgie avait *laissé le choix entre deux traductions :* non pas entre la falsification numéro 1 (qui est définitivement abandonnée) et la falsifica­tion numéro 2 ; mais entre la falsification numéro 2 et la tra­duction officielle de 1964. 37:153 C'est-à-dire que la Note secrète de la Commission liturgique donnait aux évêques français la faculté d'abandonner le nou­veau Lectionnaire. VI\. -- La version du Lectionnaire de 1964 est quasiment identique, pour les versets 6 et 7, à celle du Lectionnaire de 1959. Elle s'en distingue seulement par deux mots : 1. -- elle reprend le *jalousement* de la Bible de Jérusalem à la place de *avidement ;* 2. -- elle dit : la condition de *serviteur* au lieu de la condition d'*esclave.* \*\*\* Mgr de Fréjus et Toulon a fait, selon droit et son devoir, un acte d'autorité. En docteur et pasteur de son diocèse. Hon­neur à lui. 38:153 ### A Metz, Mgr Schmitt et avec lui la Belgique Le Bulletin officiel de l'évêché de Metz, *Église de Metz,* numéro 3 de mars 1971, a publié dans sa partie officielle, en page 83/19, la note suivante de Mgr Paul-Joseph Schmitt : DEUXIÈME LECTURE DU DIMANCHE DES RAMEAUX\ ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR Des controverses se sont élevées au sujet de la tra­duction, dans le Lectionnaire T, de la deuxième lecture de ce dimanche (Phil. 2, 5-11). Sans prendre parti à ce sujet, et en attendant pour les années à venir les décisions des instances compétentes, l'évêque de Metz demande aux prêtres de son diocèse d'utiliser cette année, pour cette lecture, la traduction du Lectionnaire français de 1964, dont voici le texte : Lecture de l'Épître de saint Paul aux Philippiens (2, 5-11). *Frères, ayez en vous les sentiments qui furent dans le Christ Jésus. Étant de condition divine, il ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu ; mais il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur, se faisant semblable aux hommes ; et reconnu à son aspect pour un homme, il s'abaissa en se faisant obéissant jus­qu'à la mort, et la mort de la croix.* *C'est pourquoi Dieu l'a élevé souverainement et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom* (*ici on fléchi le genou*)*, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, aux cieux, sur terre, et aux enfers ; et que tout langue proclame :* « *Jésus Christ est Seigneur *»*, à la gloire de Dieu le Père.* Remarques. I. -- « Sans prendre parti à ce sujet », « en attendant les décisions des instances compétentes », déclare l'évêque... l'évêque ! ... Nous lui faisons grâce du commentaire sur ce point. 39:153 II\. -- Les « instances compétentes » sont sans doute la Com­mission épiscopale de liturgie et la Commission internatio­nale de traduction. III\. -- Usant de la faculté concédée par la Note secrète de la Commission liturgique, Mgr Paul-Joseph Schmitt écarte de son diocèse, cette année, la version falsifiée du nouveau Lec­tionnaire. Dont acte. Bravo. \*\*\* Mais voici qui est bien étrange. Le cardinal Suenens, archevêque de Malines-Bruxelles, Mgr van Zuylen, évêque de Liège, Mgr Charles-Marie Himmer, évêque de Tournai, et Mgr de Namur ont, chacun dans son dio­cèse, dans un mandement personnel, *recopié exactement* le man­dement de Mgr Schmitt : « *Des controverses se sont élevées... Sans prendre parti à ce sujet et en attendant pour les années à venir les décisions des instances compétentes*... » Deux d'entre eux, Liège et Namur, ont explicitement ajouté, chacun de son côté, mais dans les mêmes termes : « *La même décision vient d'être prise, notamment, par Mgr Schmitt, évêque de Metz* (« *Église de Metz *»*,* mars 1971, p. 19). » Que signifie cette référence explicite ? Et, avec ou sans référence, que signifie cet alignement auto­matique et littéral de la Belgique sur Mgr Schmitt ? Un fief ? Et Suenens lui-même, vassal de Saint-Avold ? \*\*\* Ou bien plutôt, dans un affolement complet, on se raccroche à n'importe quoi ? 40:153 ### L'ordonnance de Nice Le Bulletin diocésain *Les Nouvelles religieuses* de Nice a publié dans son numéro du 5 mars 1971, page 9, l'ordonnance suivante : DIMANCHE DES RAMEAUX A propos de la deuxième lecture de la messe : Phil. II, 6-11, le Lectionnaire traduit ainsi le verset 6 : « Le Christ Jésus, tout en restant l'image de Dieu, n'a pas voulu revendiquer d'être pareil à Dieu. » Le terme « image » faisant actuellement l'objet de controverses, on emploiera la traduction parue dans le Lectionnaire de 1964 : « Le Christ Jésus étant de condition divine, Il ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. » Nice, le 1^er^ mars 1971,\ Jean Moulisset\ évêque de Nice. Un acte d'*autorité* au service de la *vérité :* très bien. Mais trois observations. I. -- Le motif énoncé est que *le terme* « *image *» *fait actuel­lement l'objet de controverses.* Hélas ! Quel langage... (et peut-être : quelle pensée...) Ou bien, en effet, cela ne veut rien dire, ou bien c'est la mineure d'un syllogisme dont la majeure serait : -- *Ce qui fait l'objet de controverses doit être écarté.* A ce compte, la divinité de Notre-Seigneur ayant toujours été *l'objet de controverses,* on la passera sous silence (comme fait le nouveau catéchisme). Le terme « image » est à écarter non point parce qu'il fait l'objet de controverses, mais *parce qu'il est, en cet endroit, arbi­traire et trompeur.* En le disant carrément, Mgr Mouisset n'au­rait pas affaibli sa position : il l'aurait fortifiée et il l'aurait fait respecter. 41:153 II\. -- Ce n'est pas seulement (ni surtout) le terme « image » qui constitue une altération du texte de saint Paul. C'est tout autant (ou plus encore) la seconde partie du verset 6, qui s'aligne sur l'interprétation que saint Thomas déclarait absurde et hérétique. III\. -- Mgr Mouisset, comme les autres, se meut à l'intérieur des limites étroites concédées par la Note secrète de la Commis­sion liturgique. Il reprend la version du Lectionnaire de 1964. Ni lui ni aucun autre évêque n'a osé reprendre une version con­forme à l'interprétation traditionnelle. -- Ils n'en ont pas eu l'idée ; ou ils ont pensé qu'ils n'en avaient pas la permission... 42:153 ### L'intervention du Conseil permanent : l'unité sans la vérité LE 19 mars 1971, le Conseil permanent se trouvait en face d'un refus croissant de l'épiscopat. Angoulême avait pu­bliquement SOUHAITÉ le retour à l'ancienne traduction (14 février). Peu avant ou peu après, une Note secrète adressée aux évêques par la Commission épiscopale de liturgie leur avait PERMIS ce retour ([^19]). Usant d'une telle permission, Metz l'avait DEMANDÉ, Annecy ([^20]), Fréjus et Nice l'avaient ORDONNÉ à leur clergé. Le matin même du 19 mars, ou la veille, avait paru *Présence et dialogue,* périodique qui sert de Bulletin diocésain commun aux huit évêques de la région parisienne ([^21]) : Paris, Versailles, Corbeil, Pontoise, Créteil, Nanterre, Saint-Denis, Meaux. Une note *pour le dimanche des Rameaux* y déclarait facultative la lecture de l'épître : « *Le prêtre qui préside* (sic)*... pourra choisir comme lectures préparant celle de la Passion soit le texte d'Isaïe, soit celui des Philippiens, soit les deux *» ([^22]) ; et pour ceux qui tiendraient à lire l'épître, on les dispensait de l'usage du nouveau Lectionnaire : « *La traduction de l'ancien Lectionnaire pourra encore être utilisée pour ce texte. *» Un gros morceau, la région parisienne : qui d'un seul coup faisait défection lui aussi. Bref, la faille grandissait. Le Conseil permanent a donc voulu rétablir « l'unité » de l'épiscopat. 43:153 Mais l'unité *sans* la vérité, cela ne peut jamais marcher ; ou cela ne peut marcher qu'avec les formes et les moyens de l'Enfer. \*\*\* Voici le texte intégral, paru le 19 mars au soir dans *La Croix* datée du 20, de l'intervention du Conseil permanent. (Rien n'indique si c'est un communiqué, une déclaration, ou s'il s'agit d'une note d'orientation paraphrasée plus ou moins librement par l' « informateur religieux » de *La Croix,* en l'occurrence M. Robert Ackermann. Mais c'est ainsi, par ce journal, sous cette forme et dans ces termes que le clergé, les fidèles, l'opinion ont reçu cet acte.) L'EPITRE AUX PHILIPPIENS Une campagne d'opinion se déroule depuis quelque temps dans diverses revues ou feuilles plus ou moins confidentielles qui accusent « d'hérésie » la traduc­tion du passage de l'Épître de saint Paul aux Phi­lippiens lu à la messe des Rameaux. Une première traduction avait été élaborée par des exégètes et des pasteurs entre janvier et juillet 1969. En septembre 1970, à la suite des remarques d'un exégète membre de la Commission des théolo­giens, un nouveau texte fut élaboré. Ce texte, approuvé par la Commission internatio­nale de traduction pour les pays francophones, est désormais le suivant : « *Le christ Jésus, tout en restant l'image même de Dieu, n'a pas voulu reven­diquer d'être pareil à Dieu. *» A partir des conclusions de plusieurs spécialistes de l'exégèse de l'Épître aux Philippiens (« *la tra­duction proposée est conforme à la christologie en­core fruste de cette hymne pré-paulinienne, qui ne dit pas tout sur le Christ Fils de Dieu, comme d'ailleurs de nombreux autres textes du Nouveau Testament *» ; il n'y a pas aujourd'hui de risque d'hérésie à partir de cette traduction), le Conseil permanent de l'épis­copat a donné son plein accord à ces termes et ap­prouvé totalement la traduction actuelle. Pour apaiser certaines craintes, toutefois, les pas­teurs expliqueront avant la lecture de cette Épître le sens du texte, par exemple par l'introduction sui­vante : « *la lettre de saint Paul aux Philippiens que nous allons entendre nous révèle qui est Jésus et ce qu'il a fait pour notre salut :* 44:153 *Jésus, le Fils uni­que de Dieu, est l'image même de son Père. Son obéissance filiale l'a conduit à mourir sur une croix pour le salut des hommes. Étant ainsi le Sauveur du monde, Jésus ressuscité est le Seigneur : il est celui qui règne sur l'univers. *» I. -- « *Une première traduction avait été élaborée par des exégètes et des pasteurs entre janvier et juillet 1969. *» « Première » est équivoque : il faut entendre *la première des deux* (la première des deux falsifications successives du nou­veau Lectionnaire français) : *prior* et non point *prima.* Ce n'était nullement la première traduction française officielle de l'épître des Rameaux ([^23]). On omet de rappeler que cette « première » (*prior*) traduc­tion fut approuvée par la « Commission internationale de tra­duction pour les pays de langue française » ; et *confirmée* par le Saint-Siège le 16 septembre 1969 ; et *publiée* dans le nou­veau Lectionnaire et dans les missels pour l'année 1970 ; et *proclamée* le dimanche des Rameaux de l'année dernière, le 22 mars 1970. II\. -- « *En septembre 1970, à la suite des remarques d'un exégète de la Commission des théologiens, un nouveau texte fut élaboré. *» On ignore quelle est au juste cette « commission des théolo­giens ». Quant à l'exégète, la rumeur assure que ce fut M. l'abbé An­dré Feuillet. Mais s'agissant d'un texte qui avait été déjà *approuvé* par la Commission internationale, *confirmé* par le Saint-Siège, *publié* dans le nouveau Lectionnaire et dans les missels, *proclamé* le 22 mars 1970 dans toutes les églises soumises au rite réformé, eh bien ! septembre 1970 était un peu tard, et un exégète en retard était un peu court. Il y avait eu autre chose. Il y avait eu, le 10 juin 1970, la publication dans *Carrefour* d'une lettre ouverte de Louis Salleron à Mgr Boudon, alors pré­sident de la Commission internationale de traduction. Il y avait eu ma lettre à Paul VI du 11 juin 1970. 45:153 Et ma lettre du 12 juin au cardinal préfet de la Congréga­tion romaine du culte divin : « *J'ai l'honneur d'informer Votre Éminence -- comme je l'ai déjà porté à la connaissance du Saint-Père -- que je prends l'initiative d'inviter les fidèles à empêcher physiquement, dans les églises, la proclamation des blasphèmes falsificateurs du nouveau Lectionnaire français. *» Ce n'est point là « une campagne d'opinion dans diverses re­vues ou feuilles plus ou moins confidentielles ». *Confidentiel,* selon Littré : « qui se communique en confi­dence ». Selon Robert : « qui se dit, se fait sous le sceau du secret ». La lettre de Louis Salleron était au contraire une lettre ou­verte. Mes lettres au pape Paul VI et au cardinal-préfet, plus d'un mois après être parvenues à leurs destinataires, furent égale­ment publiées. En un autre sens, que ne connaissent ni Littré ni Robert, « confidentiel » se dit par manière de métaphore et d'ironie, pour tourner en dérision les « revues ou feuilles » dont le tirage et la diffusion sont très faibles. Considération hors de propos et même misérable quand il s'agit non pas d'opérations lucratives ou de réclame mondaine, mais de la vérité de la Parole de Dieu. Au demeurant, considération grotesquement aberrante (ou per­fidement trompeuse) concernant la « feuille » hebdomadaire *Carrefour* et la « revue » mensuelle *Itinéraires.* III\. -- Ce nouveau texte est « *approuvé par la Commis­sion internationale de traduction *» ; en outre « *le Conseil permanent de l'épiscopat a donné son plein accord à ces termes et approuvé totalement la traduction actuelle *». Les falsificateurs s'obstinent. Mais leur autorité morale étant tombée au-dessous de zéro, leur obstination ne fait aucune im­pression. Ces organismes avaient donné leur plein accord à la falsi­fication précédente ; ils l'avaient approuvée totalement. Ils ont dû l'abandonner. Ils devront abandonner celle-là aussi, elle n'est pas plus soutenable. IV\. -- On ne nous parle plus, pour cette nouvelle tra­duction, de l'approbation pourtant indispensable du Saint-Siège. Non que cette approbation soit aujourd'hui une garantie certaine. Le personnel mis en place dans les bureaux vaticans a perdu lui aussi son autorité morale, et notre confiance, en approuvant une falsification, la première, tellement énorme que ses auteurs responsables eux-mêmes n'osèrent pas la maintenir. 46:153 (Ce même personnel avait rédigé et fait signer par Paul VI la première version de l'*Institutio generalis* de la nouvelle messe, avec cet article 7 et quelques autres qui étaient d'une monstruo­sité éclatante, et que l'on n'a ni osé ni pu conserver.) Quoi qu'il en soit du collapsus accidentel mais profond où gisent actuellement les organes du Saint-Siège, leur approbation demeure nécessaire pour qu'une traduction liturgique puisse entrer en vigueur. Et *l'existence d'une telle approbation ne se présume pas :* elle doit être promulguée ou positivement attestée (notamment par l'indication de sa date). Faute de quoi, nul n'a le droit de prétendre, comme fait témérairement le Conseil per­manent : «* Ce texte est désormais le suivant. *» La nouvelle traduction officielle française est aussi fausse, aussi blasphématoire, aussi hérétique, aussi illégitime que la précédente : elle est en outre illégale. V. -- «* La traduction proposée est conforme à la christo­logie encore fruste de cette hymne pré-paulinienne. *» Tel est l'oracle, rapporté entre guillemets, de «* plusieurs spécialistes de l'exégèse de l'Épître aux Philippiens *». Nous tenons ici la preuve. Donnée par le Conseil permanent lui-même. Entre guillemets. La preuve de quoi ? -- La preuve que l'épiscopat consulte, comme experts et spécialistes, de *faux savants*. Les vrais savants, les véritables spécialistes ne disent pas « cette hymne pré-paulinienne ». Ils disent que ce passage est paulinien et non pas pré-pauli­nien : il appartient bien au texte de saint Paul, il est authenti­que, il ne résulte pas de l'interpolation d'un copiste. Mais quelques-uns font *l'hypothèse* que les versets 6 à 11 pourraient être une sorte de citation : saint Paul, ici, repro­duirait ou plus vraisemblablement paraphraserait « un morceau liturgique préexistant ». Hypothèse littéraire. Hypothèse sub­tile. Hypothèse séduisante si l'on veut. Mais qui n'est nullement prouvée et qui n'a aucune *certitude*. Dire, comme si cela était une conclusion vérifiée, un fait assuré, une vérité bien établie : « cette hymne pré-paulinienne », c'est afficher une ignorance radicale de la nature des considé­rations exégétiques que l'on invoque : hypothétiques et non pas démontrées. Il s'agit de *conjectures*. 47:153 De vrais et honnêtes savants auraient dit à l'épiscopat : ce passage est « peut-être » une hymne pré-paulinienne. Et ils au­raient ajouté, comme l'a précisé l'un d'entre eux, qu'il est « peu vraisemblable que saint Paul se soit contenté de citer un texte venu d'ailleurs sans lui imprimer sa marque personnelle ». VI\. -- Donc, les spécialistes et les experts que consulte le Conseil permanent, ceux dont il invoque, adopte et re­produit les «* conclusions *», sont des charlatans. Écoutant les charlatans, l'épiscopat se moque bien des vrais experts, spécialistes et savants, comme cela s'est vérifié pour la traduction du *Pater*. Voici en effet ce que nous apprenons par le dernier numéro de *Nova et Vetera*, la revue que dirige le cardinal Journet ([^24]) : après la nouvelle traduction française du *Pater* (celle qui est récitée ou chantée depuis plusieurs années déjà dans les messes vernaculaires), *dont plusieurs expressions font violence aux règles les plus élémentaires de la philologie et, du même coup, à la saine théologie* ([^25]), *il s'est passé ceci : la presque totalité des exégètes français avaient pris nettement position pour la révi­sion de la version française... Une supplique très déférente avait été adressée dans ce but à l'ensemble de l'épiscopat français ; elle resta lettre morte malgré l'autorité scientifique des signa­taires.* » Les experts, les spécialistes, les savants ou supposés tels ne sont écoutés que si leurs avis vont dans un certain sens : le sens de la nouvelle religion, le sens du catéchisme hollandais et de son adaptation locale, le nouveau catéchisme français. VII\. -- L'hypothèse « *hymne pré-paulinienne *» est en outre une hypothèse que ses auteurs et partisans reconnaissent comme nouvelle. Ce n'est pas l'une de ces hypothèses littéraires ou historiques longuement scrutées par les générations successives de cher­cheurs et d'érudits et qui de ce fait, sans devenir *certaines*, de­viennent néanmoins *classiques* et, à défaut d'adhésion obligatoi­re, appellent considération et respect. 48:153 Non, c'est l'hypothèse de quelques saisons, l'hypothèse d'un temps, appuyée sur des motifs bien faibles. Saint Paul ne parle pas de la rédemption dans ces versets 6 à 11, alors que la ré­demption est un « thème éminemment paulinien ». Il ne men­tionne pas non plus ici la résurrection, alors qu'ailleurs il la « met souvent en relief ». Il ne fait pas davantage allusion à l'Église, alors qu'en d'autres passages, quand il célèbre les pré­rogatives du Christ, il parle aussi de l'Église ! -- Va-t-il falloir désormais tenir que tout verset qui parle du Christ sans emplo­yer explicitement les termes « rédemption », « résurrection », « Église », ne saurait être de la main de saint Paul ? VIII\. -- N'y aura-t-il personne pour enseigner au Conseil permanent et rappeler à l'épiscopat français qui sont les *experts* et qui sont les *spécialistes* à consulter en matière d'interprétation de l'Écriture sainte ? Sans parler des décrets du Saint-Siège et des conciles, qui l'emportent sur tout le reste, mais à notre connaissance il n'y en a pas sur l'interprétation de ce passage, les compétences à consulter sont *premièrement les Pères de l'Église :* c'est-à-dire les écrivains chrétiens des huit premiers siècles, le dernier d'Occident étant saint Isidore de Séville, mort en 636, le der­nier d'Orient saint Jean Damascène, mort en 749 ; et parmi eux, bien sûr, plus spécialement les quatre grands docteurs de l'Église d'Orient, qui sont saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire de Naziance, saint Jean Chrysostome, et les quatre grands docteurs de l'Église d'Occident, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire le Grand. Il faut consul­ter *secondement les docteurs des âges ultérieurs,* principalement le « docteur commun » saint Thomas d'Aquin qui, selon la célè­bre formule de Cajetan reprise par Léon XIII dans *Æterni patris*, a si profondément vénéré les Pères et docteurs de l'Église qu'il a hérité en quelque sorte de leur intelligence à tous. C'est la fondamentale piété intellectuelle de saint Thomas qui lui a per­mis de recueillir, d'ordonner et de synthétiser toute la pensée des saints docteurs. *Illorum doctrines,* expose Léon XIII, *velut dis­persa cujusdam corporis membra, in unum Thomas collegit et coagmentavit, miro ordine digessit :* leurs doctrines, comme les membres dispersés d'un même corps, Thomas les réunit et les ordonna... En consultant saint Thomas, ce n'est pas seule­ment saint Thomas que l'on consulte, mais tout le patrimoine dont il est le filial et fidèle intendant. Et bien entendu il con­vient aussi, *troisièmement,* de consulter les experts modernes et les experts contemporains ; mais les plus sûrs parmi eux ne vont pas s'imaginer qu'il est facile de savoir le grec et l'hébreu mieux que saint Jérôme. 49:153 Car saint Jérôme, à la différence des exégètes d'aujourd'hui, était en contact intellectuel, par une tra­dition linguistique directe et encore vivante, avec l'univers verbal et mental des auteurs du Nouveau Testament. Et pour l'Ancien pareillement, les vrais savants rendent à la Vulgate un hommage résolu : « *Tous ceux,* écrit Édouard Dhorme ([^26]), *qui ont confronté le texte de Jérôme avec l'original hébreu rendent hommage à la fidélité et à la vigueur de cette traduction. *» Pour l'épître aux Philippiens, on peut se référer et s'en remettre à la Vulgate, il n'y a aucune raison d'y changer quoi que ce soit. IX\. -- D'ailleurs, qu'est-ce que cela change, que ces ver­sets 6 à 11 soient ou non la citation d'une hymne pré-pauli­nienne ? Cela ne change rien à MORPHI ([^27]) qui veut toujours dire *forma* et non pas *image* ([^28]). 50:153 Cela ne change rien à OUK IGHISATO, qui veut toujours dire *non arbitratus est* et non point *il n'a pas voulu.* Cela ne change rien à *revendiquer,* invention introduite dans un texte qui, paulinien ou pré-paulinien, ne contient en tout cas aucune idée de revendication. La traduction imposée est parfaitement arbitraire. X. -- Ce qui probablement les séduit dans l'hypothèse de l' « hymne pré-paulinienne », c'est le vocabulaire qui l'ac­compagne ordinairement, et qui leur permet de proclamer d'un air supérieur que ce passage est d'une « *christologie encore fruste *». Les exégètes de la dernière pluie rapprochent ces versets 6-11 et les discours de saint Pierre dans les *Actes,* et ils leur trouvent une commune « christologie encore tâtonnante », un commun « caractère archaïque de la doctrine », une commune « terminologie primitive et rudimentaire » ([^29]). Il y aurait beau­coup à dire sur l'usage soi-disant *scientifique* qui est fait de ces termes prétendument *scientifiques* dans les milieux exégétiques réputés *scientifiques.* J'y vois surtout une grande méconnaissance du langage, de la pensée naturelle, de la pensée religieuse. Ce passage supposé pré-paulinien de saint Paul « *ne dit pas tout sur le Christ Fils de Dieu, comme d'ailleurs de nombreux au­tres textes du Nouveau Testament *» : il y aurait donc d'autres textes qui, eux, DISENT TOUT sur le Christ, et d'un seul coup ? FRUSTE signifie : *grossier, balourd, inculte, lourdaud.* Ce qui les a séduits, c'est sans doute de pouvoir officiellement, doctoralement, épiscopalement qualifier de lourdaud, d'inculte, de balourd, de grossier un passage de saint Paul. Car ce passage, ils l'ont en travers de la gorge (et ils n'ont pas fini de l'y avoir) ; on dirait qu'ils ont voulu s'en venger. 51:153 XI\. -- « *Il n'y a pas aujourd'hui de risque d'hérésie à partir de cette traduction. *» Le risque de cette traduction est d'estomper ou de paraître nier la divinité du Christ Notre-Seigneur. Le Conseil permanent déclare qu'il n'y a aujourd'hui aucun risque de ce genre : c'est-à-dire que personne ne met en doute la divinité de Jésus-Christ. D'ailleurs, aujourd'hui, il n'y a plus jamais aucun risque d'aucune hérésie. C'est la thèse officielle de la Conférence épis­copale française depuis son Assemblée plénière de 1966 et sa réponse à la « circulaire » du cardinal Ottaviani. XII\. -- « *Pour apaiser certaines craintes *», le Conseil permanent explique « *le sens du texte *» par un commentaire qui ESQUIVE L'AFFIRMATION EXPLICITE DE LA DIVINITÉ DU CHRIST. Ce commentaire, d'ailleurs, sous la date anticipée du 19 mars, avait déjà paru deux ou trois jours plus tôt dans le Bulletin diocésain de Mgr Gérard Huyghe, évêque d'Arras ([^30]). 52:153 Il emploie, ce commentaire, les formules : « ...*Fils unique de Dieu... image même de son Père... Sauveur du Monde... Sei­gneur... qui règne sur l'univers... *» Mais vous pouvez relire plus haut le texte entier de cette « explication du sens ». Il esquiva spectaculairement la seule affirmation qui importe ici. La traduction falsifiée du nouveau Lectionnaire, dans sa seconde comme dans sa première version, incite à croire que Jésus-Christ *n'est pas Dieu*. Eu tout cas, c'est de cela précisément qu'elle est accusée. C'est à cela qu'il faut répondre. C'est cette « crainte »-là qu'il convenait d' « apaiser », si l'on voulait vraiment, comme on l'assure, « apaiser » les « craintes » provoquées par la traduction. Il était donc nécessaire et suffisant de déclarer : -- *Le sens, c'est que Jésus-Christ est Dieu.* Le Conseil permanent ne l'a pas voulu. Il a évité, en donnant « le sens », d'énoncer l'affirmation : *Il est Dieu.* XIII\. -- Il y a eu encore une page presque entière dans *La Croix* du 26 mars : avec un article de Mgr Robert Coffy sur « Le Christ image même de Dieu » et une « Note tech­nique de la commission de traduction ». Ces deux documents n'apportent rien de plus. Mgr Coffy, successeur de Mgr Boudon, écrivant ès qualités de « président de la Commission de liturgie » ([^31]), démontre que le mot image convient très bien quand saint Paul emploie le mot icône (EIKON) : mais cela ne prouve nullement que le mot « image » convienne encore quand saint Paul *n'emploie pas* le mot « icône », mais le mot *forme* (MORPHI). -- Puis Mgr Coffy assure que Jésus-Christ « *n'a pas revendiqué d'être pareil à Dieu, d'être traité comme un Dieu *» *:* ce qui contredit l'Évangile (*aequalem se faciens Deo,* Jean V, 18 ; *tu homo cum sis, facis teipsum Deum*, X, 33), comme nous l'établirons plus loin en étudiant le commentaire et l'interprétation de saint Thomas ; 53:153 nous y verrons que cette erreur de Mgr Coffy était déjà connue et stigmatisée par les Pères de l'Église, notamment saint Jean Chrysostome et saint Augustin. -- La « Note technique », pas plus que l'article de Mgr Coffy, n'apporte rien qui réclame que l'on s'y arrête longuement ([^32]). L'un et l'autre veulent en défi­nitive que Jésus-Christ ait été « image de Dieu » et « image de l'homme ». On ne dira donc plus (le néo-catéchisme ne le dit plus) qu'en Jésus-Christ il y a une personne et deux natures. On dira bientôt qu'il fut un mythe en deux images. Du moins, Mgr Coffy déclare vouloir affirmer -- et nous lui donnons acte de cette intention -- que le Christ « est aussi réellement homme qu'il est réellement Dieu ». Mais justement c'est bien cette affirmation qui a été *ôtée* de l'épître des Ra­meaux : au moins en ce sens que même si on pouvait à la ri­gueur prétendre qu'elle y est encore un peu, c'est en tous cas d'une manière qui a été rendue inintelligible pour la plupart de ceux à qui cette lecture vernaculaire est destinée. La nouvelle mode est de parler de Dieu, de la Trinité, du Christ en évitant désormais les termes traditionnels de « subs­tance » (*consubstantiel, transsubstantiation*), de « forme » (MOR­PHI) et de « nature » (nature divine et nature humaine dans le Christ). -- On travaille même à changer la définition tradi­tionnelle de la « personne » pour inventer enfin une théologie moderne de la Trinité ([^33]). -- Même ceux qui adoptent cette mo­de sans mauvaise intention, simplement par ignorance, par sottise, par conformisme, en sont conduits à dépasser l'arianis­me pour tomber dans une apostasie paradoxalement immanente, voire inconsciente, mais finalement totale. \*\*\* Prévaricateurs et falsificateurs se cramponnent donc à leur crime avec une obstination farouche et noire. S'ils continuent, ils ne l'emporteront pas en Paradis, mais en Enfer. Seule la mé­ditation des Fins dernières, aidée par une grâce ou peut-être un miracle du Dieu tout-puissant, peut encore sauver l'âme des évêques qui composent le noyau dirigeant de l'épiscopat fran­çais. J. M. 54:153 ### Verdun résiste ? Le 26 mars, le Bulletin diocésain *Église de Verdun,* numéro 6 de 1971, paraissait avec la note suivante de « pastorale liturgi­que » : POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX\ LES LECTURES DE LA MESSE En ce jour, toute la liturgie de la Parole est orientée vers la Passion du Christ. Le prêtre qui préside aura à déterminer la meilleure manière dont le peuple chrétien peut méditer le mystère de la mort du Christ : lecture dialoguée, homélie, temps de silence, etc. Dans cette même perspective, et selon la rubrique du lectionnaire, il pourra choisir comme lectures préparant celle de la Passion soit le texte d'Isaïe, soit celui des Philippiens, soit les deux. Si on lit l'épître de Paul aux Philippiens 2, 6-11), on veillera à ce que le texte soit bien compris des fidèles. 1\. On pourra le présenter, par exemple, par l'intro­duction suivante : « La lettre de saint Paul aux Philippiens que nous allons entendre nous révèle qui est Jésus et ce qu'il a fait pour notre salut : Jésus, le Fils unique de Dieu, est l'image même de son Père. Son obéissance filiale l'a conduit à mourir sur une croix pour le salut des hommes. Étant ainsi le Sauveur du monde, Jésus ressuscité est le Seigneur : il est celui qui règne sur l'univers. » 2\. On rappelle que la traduction du verset 6 parue en 1969 dans le lectionnaire T a été reprise et qu'elle est maintenant la suivante : Le Christ Jésus,\ tout en restant l'image de Dieu,\ n'a pas voulu revendiquer d'être pareil à Dieu. (voir « Corrections au fascicule T » publiées en annexe du fascicule C ; ou se reporter aux Missels des fidèles parus pour 1971). 3\. La traduction de l'ancien lectionnaire français (éd. 1964) pourra encore être utilisée pour ce texte. 55:153 Cette note de Mgr Pierre Boillon est *postérieure* à l'interven­tion du Conseil permanent *décidant* que la falsification nu­méro 2 était maintenue et serait obligatoirement proclamée le dimanche des Rameaux. L'évêque de Verdun reprend, en son paragraphe 1, l' « in­troduction » que le Conseil permanent a mise en circulation (et qui évite l'affirmation explicite de la divinité du Christ). Mais, en son préambule, Mgr Boillon suggère au prêtre qui *préside* (sic) de s'en tirer en passant l'épître sous silence. Les évêques des huit diocèses de la région parisienne avaient déjà lancé cette solution « élégante » : mais eux, c'était *avant* l'in­tervention du Conseil permanent. Et en son paragraphe 3, Mgr de Verdun *autorise* l'emploi de la traduction du Lectionnaire de 1964. Il use de la permission concédée par la Note secrète de la Commission liturgique. Mais il ne peut ignorer que cette Notre secrète et sa permission ont été *annulées* par le Conseil permanent du 19 mars 1971. C'est donc, à Verdun, la résistance. Une résistance timide, débile, presque imperceptible... \*\*\* ...Mais significative ? Peut-être que oui. Peut-être que non. Les interventions et manifestations épiscopales s'entourent d'une obscurité croissante, où le « non » semble souvent signi­fier « oui », et inversement. Le texte de Verdun que nous venons de citer a été reproduit *mot à mot* dans la « partie officielle » du Bulletin diocésain d'Aix-en-Provence : *Vie diocésaine* du 27 mars, page 98. Cette reproduction littérale n'était pas donnée pour une citation de Verdun, mais pour une décision d'Aix. Mgr l'archevêque d'Aix aurait-il donc recopié, pour la reprendre à son compte, la décision de Mgr l'évêque de Verdun ? Ou bien Verdun et Aix ont-ils tous deux puisé à une source commune ? D'autre part, ce texte qui paraît, à la lecture, manifester un refus de se soumettre à l'oukase du Conseil permanent, peut en réalité provenir d'intentions obscures et contraires. En effet, à la page suivante de la même « partie officielle » du Bulletin d'Aix, une « Brève note exégétique » adhère totalement à la traduction du nouveau Lectionnaire (falsification numéro 2), déclarée « parfaitement légitime et orthodoxe », sous la seule réserve qu' « on peut toujours chercher à l'améliorer » ; elle assure avec agressivité qu' « on ne saurait *loyalement* accuser la traduction proposée de manquer d'orthodoxie ». -- Si l'on pense cela, et avec tant de certitude, pourquoi autoriser le re­tour à l'ancienne version ? 56:153 En tous cas, l'archevêque d'Aix prouve par le fait que l'on peut donc faire mine de céder devant l'indignation des fidèles tout en restant un partisan résolu de la falsification numéro 2. En dernière analyse, il est possible que nous ayons tort de rechercher une explication cohérente à ce qui n'en a peut-être aucune. \*\*\* Le même mandement a été encore recopié mot à mot par l'évêque de Grenoble : *Église de Grenoble,* numéro du 1^er^ avril, page 364. Annexes :\ bourdes en série Dans la revue *Études* du mois de mars (pp. 627-628), un « Père de la rédaction des *Études *», Louis de Vaucelles, résume et soutient, à propos de l'épître des Rameaux, tous les thèmes du conformisme subversif à la mode. Il le fait, bien sûr, d'un air très supérieur et d'un ton très compétent. Mais il commence par cette bourde (c'est nous qui soulignons) : « *L'hymne christologique de l'Épître aux Philippiens est lue* MAINTENANT *le dimanche de la Passion. *» Le dimanche que le rite réformé rappelle « dimanche des Rameaux et de la Passion », et que le rite catholique appelle « dimanche des Rameaux ou second dimanche de la Passion » est le même dimanche : le dimanche qui précède immédiatement le dimanche de Pâques. Ce n'est point *maintenant* qu'on y lit l'épître aux Philippiens, II, 6-11. En ce même jour, on faisait cette même lecture avant le Concile ; ce n'est pas une nouveauté post-conciliaire, c'est une survivance anté-conciliaire. La seule différence est qu'avant la réformation, on commençait la lecture au verset 5 et non pas au verset 6. Très compétent d'allure et très supérieur d'attitude, le P. Louis de Vaucelles n'en sait rien. Il pontifie : « L'hymne christologique de l'Épître aux Philippiens est lue maintenant le dimanche de la Passion ». 57:153 A nouveau Mgr Maury Dans son Bulletin diocésain du 26 mars, Mgr Maury, archevêque de Reims, publie « une importante réflexion » qui est à nouveau reproduite dans *La Croix* (31 mars). A nouveau : cela était déjà arrivé pour un autre texte de Mgr Maury, parfaitement scandaleux : entre autres, il y inventait des encycliques qui n'ont jamais existé. Voir là-dessus : ITINÉRAIRES, numéro 147 de novembre 1970, pp. 284 et suivantes. Voir aussi, sur le même sujet, la très vive et très juste protestation de *Per­manences*, numéro 77 de février 1971, pp. 19 et suiv., qui dénonce dans ce texte précédent de Mgr Maury « *la forme de subversion la plus dangereuse *». Le nouveau texte de Mgr Maury, cette fois sur le « pluralisme liturgique », est une nouvelle collection de bourdes scandaleuses. Voici le passage qui est peut-être le plus significatif : « *Les traditionalistes sont dépassés et leur génération disparaîtra. Ils ne représentent certainement pas l'avenir et le combat qu'ils mènent pour maintenir certaines formes anciennes de célébration n'est qu'un combat d'ar­rière-garde. Nous en sommes bien convaincus. Mais ils ont droit, eux aussi, à trouver dans l'Église un mode d'expression correspondant à leur psychologie. Au lieu de les brimer, ils serait meilleur, parce qu'ils ont la foi, de les aider à évoluer progressivement vers des anodes de célébration eucharistique et sacramentelle dont ils conviendront eux-mêmes qu'ils sont plus significatifs de ce qu'ils croient. *» Riche contenu, quasiment inépuisable. Retenons du moins ceci : 1° Les traditionalistes sont « brimés » : le fait est officiellement reconnu. Mgr Maury suggère qu'il suffirait bien de les mépriser, selon l'exemple qu'il en donne. 2° Les « certaines formes anciennes de célébration » que dé­fendent les traditionalistes « correspondent à leur psychologie », mais disparaîtront avec eux, c'est l'affaire d' « une génération », « nous en sommes bien convaincus ». Or ces « formes anciennes de célébration » que défendent les « traditionalistes » sont, rappelons-le, les suivantes : -- la messe en latin ; -- chantée en grégorien ; -- le canon romain ; -- l'offertoire ; 58:153 -- et d'une manière générale la messe catholique de toujours telle qu'elle a été codifiée par saint Pie V. Pour Mgr Maury, tout cala : *a*) est affaire de psychologie parti­culière ; *b*) est moins « significatif de ce que nous croyons » que les liturgies nouvelles en train de se décomposer sous nos yeux *c*) disparaîtra avec notre « génération » (il ne précise d'ailleurs point quelle génération ; si c'est celle des rédacteurs d'ITINÉRAIRES, nous lui signalons qu'elle commence au-dessous de vingt-cinq ans et qu'elle s'étend au-delà de quatre-vingts ; ce qui à soi seul représente déjà deux ou trois générations...). Bref, pour l'accumulation de bourdes en série, Mgr l'archevêque de Reims est actuellement en train de battre les solides records précédemment établis à Saint-Avold. 3° Il faut donc « aider » les traditionalistes à entrer dans le recyclage et le lavage de cerveau : les « *aider à évoluer progressive­ment vers des modes de célébration eucharistique qui... *». ... qui, en tous cas, rejetteront l'offertoire, le canon romain, le grégorien, le latin, et d'une manière générale la messe catholique de toujours telle qu'elle a été codifiée par saint Pie V. Mgr Maury se trompe beaucoup, il se trompe du tout au tout sur la « psychologie » des « traditionalistes »... Et voici Leurs Grandeurs\ Gand et Riobé A cette collection de « bourdes en série », ajoutons encore le texte paru dans *La Croix* des 4 et 5 avril 1971. Il ne concerne pas la liturgie ; il n'est pas uniquement épiscopal. Mais que deux évêques -- dont, le responsable des nouveaux catéchismes -- aient pu signer une proclamation d'une telle démagogie, d'une telle sottise, d'une telle bassesse, voilà un *signe des temps *; et voilà une indication sur *le contexte historique* où se situe la bataille du verset 6 ; voilà le genre d'évêques que nous avons présentement... La revue diocésaine d'Orléans du 4 avril publie un texte signé par des évêques, des prêtres, des laïcs et une religieuse sur le thème « *Les adultes, et les jeunes aujourd'hui *». Face à diverses circonstances et responsabilités ac­tuelles, les auteurs ont pensé « *qu'une réflexion commune de chrétiens qui n'ont pas l'habitude de s'exprimer en­semble publiquement peut avoir une signification *». Le texte constate d'abord « *qu'un fossé paraît s'être creusé entre les générations *» et que « *le malentendu tourne parfois au tragique. Les parents ne comprennent pas la priorité que leurs enfants donnent à la politique, la liberté de leurs comportements, le mépris dans lequel, s'ils sont nés chrétiens, ils tiennent la foi ou son ex­pression par l'Église *»... 59:153 Ce malentendu peut aller jusqu'à donner l'impression d'un *racisme* envers les jeunes. Le texte note la stupeur d'un groupe de jeunes ruraux découvrant, lors d'une première visite, à Paris, les déploiements policiers au quartier Latin : « *On s'habitue à tout. On a tort. Avec ou sans déploiement de forces policières, la méfiance des adultes à l'égard des jeunes est en train de ressem­bler, dans tous les pays du monde, au racisme. *» La profondeur de la crise tient à ce que la société change. Ainsi par exemple : « *Autrefois, la guerre était une interruption de la paix. Aujourd'hui, l'arme nu­cléaire rend toute paix dérisoire car elle absorbe, avant d'avoir explosé, le meilleur de notre énergie et peut, si elle explose, tout détruire.* \[...\] *Autrefois, on prêchait le travail pour mettre l'industrie en marche et remédier à la pénurie ; mainte­nant, l'industrie ne sait que faire de ses produits et, pour ne pas interrompre le rythme de sa croissance, elle crée de nouveaux besoins sans chercher à savoir ce qu'est un homme et ce dont il a besoin. *» Cependant, souligne le texte, il ne faut pas croire que « *tous les jeunes seraient des prophètes *», ni qu'ils sont tous semblables ; « *rien ne nous paraît plus ridicule qu'une certaine manière de porter la jeunesse aux nues, ruse de démagogues ou dérobade d'adultes qui croient se rajeunir *». « *Cependant, des jeunes posent des questions que la plupart des adultes n'ont guère le courage de poser sérieusement.* *Celles-ci, par exemple : pourquoi les producteurs de café, ou de pétrole, ou de viande, vivent-ils difficilement de leur travail, alors que les grossistes, intermédiaires, transformateurs, revendeurs, consommateurs, vivent bien de leur travail de grossistes, d'intermédiaire, de reven­deurs, de transformateurs ? Pourquoi peut-on construire une fusée qui va dans la Lune et ne peut-on pas cons­truire sur la terre des maisons décentes pour tous les terriens ?* \[...\] *Pourquoi un sous-prolétariat dont on se désin­téresse ? Pourquoi la déportation de travailleurs mi­grants dans les pays industriels au lieu d'une planifi­cation internationale ?* \[...\] *Quelques-uns ajoutent : pourquoi les chrétiens sont-ils si souvent dans le camp de ceux qui vivent d'injustice ? *» Face à cet ensemble de questions, les auteurs « *n'ont pas la naïveté de croire qu'il suffirait d'en appeler à la bonne volonté des jeunes et des adultes pour dissoudre les oppositions dans un vague dialogue *» ; de longues recherches sont nécessaires. 60:153 Dès maintenant, poursuivent les signataires, « *on peut analyser le contenu politique, économique, social, culturel de ce conflit... La télévision devrait être l'un des lieux où se déroulerait cette réflexion contradictoire. Si les adultes qui détiennent le pouvoir préfèrent le monologue et la célébration du pauvre présent, qu'ils ne s'étonnent pas de ce qu'ils récoltent, qu'ils imaginent ce qu'ils préparent.* *La psychologie devrait nous empêcher de tomber dans le piège des sentiments exprimés. Tel jeune, qui tranche de tout, ne fait peut-être que manifester son désarroi. Tel adulte, qui redoute la mort des* « *valeurs *», *a peut-être toujours douté de leur existence.* *... Ne faut-il pas aussi apprendre à* « *respirer *» *? La violence, dont les adultes se plaignent, est d'about celle du système infernal qu'ils ont fabrique depuis que l'ar­gent et la puissance sont devenus les dieux de la société... Ne pouvons-nous reprendre notre souffle, rire un peu au nez de ces idoles ?* » Aussi, demandent les auteurs, « *pourquoi des chrétiens, ayant dénoncé pendant des dizaines d'années le monde moderne coupable d'écraser l'homme, ne voient-ils pas que l'homme cherche à se remettre debout ? Pourquoi se méfient-ils de ceux qui refusent la médio­crité ?* *Si Jésus-Christ paraît aujourd'hui incroyable à beau­coup, c'est parce qu'on l'utilise au lieu de l'écouter. L'Évangile est fait pour être lu et relu, par toutes les générations, chacune selon son expérience et son attente *». Et le texte conclut : « *Nos générations sont les premières qui affrontent ensemble tant de nouveautés. Au fond, la partie décisive ne se joue pas entre elles. C'est à nous tous qu'un défi est lancé. Nous devrions penser moins à ce que nous quittons qu'à ce que nous cherchons. *» Cette proclamation a donc paru dans le Bulletin diocésain d'Or­léans. Elle est signée par Mgr Riobé, ordinaire du lieu ; par Mgr Gand, évêque de Lille ; et par sept autres personnages, laïcs ou ecclésias­tiques de moindre importance. I. -- Le point, capital est que cette proclamation se situe dans la ligne de la nouvelle tactique révolutionnaire : la classique lutte de classe remplacée par la lutte des jeunes contre les adultes, des enfants contre les parents, des apprentis contre les maîtres. Bref, la subversion la plus totale et en même temps la plus abjecte. *Deux évêques* s'adressent *aux jeunes* pour leur *garantir* que vraiment « les adultes » sont contre « les jeunes », que vraiment ils mobi­lisent contre eux « les forces policières » -- et que c'est un racisme !!! 61:153 (Cette dernière sottise a oublié de considérer que personne ne peut changer la race de sa naissance, tandis qu'inversement aucun jeune -- à moins de mourir prématurément -- ne peut éviter de devenir un adulte... Mais comme il s'agit de faire du bruit, d'exacerber les passions, d'exciter la haine, on ne regarde pas au sens des mots ni à la réalité des faits, on dit *racisme*, ce qui est absurde en l'occurrence, mais efficacement provocateur.) II\. -- « *Aujourd'hui l'arme nucléaire absorbe le meilleur de notre énergie. *» Le meilleur de l'énergie de qui ? Des évêques Gand et Riobé, peut-être ? Tiens, tiens... Ou des « jeunes » qui actuellement fréquentent plus ou moins un lycée ou une faculté ? III\. -- « *Rien ne nous paraît plus ridicule qu'une certaine ma­nière de porter la jeunesse aux nues, ruse de démagogues... *» Or c'est bien ce que fait cette proclamation quand elle prétend grotesquement : « *Des jeunes posent des questions que la plupart des adultes n'ont guère le courage de poser sérieusement. *» Ces « questions » concernent : les circuits commerciaux inter­médiaires ; les fusées construites au lieu de maisons d'habitation le « sous-prolétariat » ; la « déportation » des travailleurs migrants ; les chrétiens et l'injustice. Si des jeunes se posent à eux-mêmes ou posent aux autres des « questions » sur ces sujets, *c'est à partir de la documentation* (*vraie ou fausse*) *et des explications* (*bonnes ou mauvaises*) *qui leur ont été d'abord fournies par des adultes ; à moins que Nos Seigneurs Gand et Riobé aient rencontré des* « *jeunes *» *ayant la science infuse *: des « jeunes » qui sauraient tout (par eux-mêmes) sans avoir rien appris (chez les adultes). -- Tant que Nos Seigneurs une nous auront pas présenté de tels phénomènes, nous tiendrons les dits Seigneurs pour des ahuris ou pour des menteurs (l'un n'excluant d'ailleurs point l'autre). Au demeurant, on ne voit vraiment pas quand ni en quoi « des jeunes » auraient, sur les thèmes indiqués, posé des questions iné­dites. On voit au contraire que ces questions étaient agitées déjà, et par des adultes, avant la naissance de l'actuelle génération de « jeunes » : je parle bien sûr des questions sur les circuits com­merciaux, sur le sous-prolétariat, sur les chrétiens et l'injustice sociale ; mais aussi, en substance, de la question : « Pourquoi peut-on construire une fusée qui va dans la lune et ne peut-on pas cons­truire sur la terre des maisons décentes pour tous les terriens ? » Cette question était déjà posée avant qu'il existât des fusées lu­naires, et à propos d'autre chose que ces fusées ; mais c'est bien toujours la même question : celle d'un progrès technique non mesuré par une finalité... 62:153 On ne voit pas non plus que ces questions soient *posées sérieu­sement* dans les termes qui sont ceux du document : termes au contraire aberrants, démagogiques ou provocants. Par exemple : « *Pourquoi les chrétiens sont-ils si souvent dans le camp de ceux qui vivent d'injustice ? *» Voilà donc comment se « pose sérieusement », selon les évêques Riobé et Gand, la question des chrétiens et de l'injustice sociale ? Voilà donc, dans cette vieille rengaine, la question inédite inventée par les jeunes d'aujourd'hui ? ... Cette vieille rengaine révolutionnaire et menteuse, qui pré­suppose, comme une vérité évidente ou certaine, qu'il existerait *un* camp, qu'il existerait *le* camp de *ceux qui* vivent d'injustice... Mensonge meurtrier, mensonge éternel de la Révolution, au­jourd'hui garanti par deux évêques, à l'adresse des jeunes, pour empoisonner leur âme... \*\*\* On ne va pas discuter point par point une proclamation aussi lamentable, aussi délirante. Mais on a reproduit en entier ce qui en a paru dans *La Croix*, pour prendre date et garder ce point de repère. C'est un document qui achève, pour les contemporains et pour la postérité, de situer l'évêque post-conciliaire. Sauf miracle, vraiment irrécupérable. 63:153 ### Critique interne de Philipp. II, 1-8 par Louis Salleron « *Le Christ Jésus est l'image de Dieu ; mais il n'a pas voulu conquérir de force l'égalité avec Dieu. *» Telle est l'opinion des Bureaux de l'épiscopat français qui, pour nier la divinité du Christ, sont prêts à faire dire n'im­porte quoi à saint Paul. Soyons patients. Pour commencer, reproduisons l'ensemble du texte où se trouve cette petite phrase -- en grec, en latin et en français. EI TIΣ OUN ΠAΡAΚΛEΣIΣ 'EN ΧΡIΣTΩ, EI TI ΠAΡAMUΘION 'AΓAΠEΣ, EI TIΣ KOINΩNIA ΠNEUMATOΣ, EI TIΣ ΣΠΛANΧNA KAI OIΚTIΡMOI, ΠΛEΡΩΣATE MOU TEN ΧAΡAN 'INA TO AUTO ΦΡONETE, TΗN AUTΗN 'AΓAΠΗN 'EΧONTEΣ, ΣUMΨUΧOI, TO 'EN ΦΡONOUNTEΣ, MΗΔEN KAT'EΡIΘEIAN MΗΔE KATA KENOΔOXIAN, 'AΛΛA TE TAΠEINOΦΡOΣUNΗ 'AΛΛΗΛOUΣ 'ΗΓOUMENOI 'UΠEΡEΧONTAΣ 'EAUTON, MΗ TA 'EAUTΩN 'EKAΣTOI ΣKOΠOUNTEΣ, 'AΛΛA KAI TA 'ETEΡΩN 'EKAΣTOI. TOUTO ΦΡONEITE 'EN 'UMIN 'O KAI 'EN ΧΡIΣTΩ 'IΗΣOU, 'OΣ 'EN MOΡΦΗ ΘEOU 'UΠAΡΧΩN 'OUΧ 'AΡΠAΓMON 'ΗΓΗΣATO TO 'EINAI 'IΣA ΘEΩ, 'AΛΛA 'EAUTON 'EΓENΩΣEN MOΡΦΗN ΔOUΛOU ΛABΩN, 'EN 'OMOIΩTATI 'ANΘΡΩΠΩN ΓENOMENOΣ ; KAI ΣΧΗMATI 'EUΡEΘEIΣ 'ΩΣ 'ANΘΡOΠΩN 'ETAΠEINΩΣEN 'EAUTON ΓENOMENOΣ 'UΠΗKOOΣ MEΧΡI ΘANATOU, ΘANATOU ΔE ΣTAUΡOU. *Si qua ergo consolatio in Christo, si quod solacium caritatis, si qua societas spiritus, si qua viscera miserationis, implete gaudium meum ut idem sapiatis, eamdem earitatem habentes, unanimes, idipsum sentientes, nihil per contentionem neque per inanem gloriam, sed in humilitate superiores sibi invicem arbitrantes, non quae sua sunt singuli considerantes, sed ea quae aliorum.* 64:153 *Hoc enim sentite in vobis, quod et in Christo Iesu, qui cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est esse se aequalem Deo, sed semetipsum exinanivit formant servi accipiens in similitudinem hominum factus et habitu inventus ut homo. Hu­miliavit semet ipsum factus oboediens usque ad mortem, mor­tem autem crucis.* *Ainsi je vous en conjure par tout ce qu'il peut y avoir d'appel pressant dans le Christ, de persuasion dans l'Amour, de communion dans l'Esprit, de tendresse compatissante, mettez le comble à ma joie par l'accord de vos sentiments : ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment ; n'accordez rien à l'esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun par l'humilité estime les autres supérieurs à soi ; ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, vinais plutôt que chacun songe à ceux des autres. Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus.* *Lui, de condition divine,* *ne retint pas jalousement* *le rang qui l'égalait à Dieu.* *Mais il s'anéantit lui-même,* *prenant condition d'esclave,* *et devenant semblable aux hommes.* *S'étant comporté comme un homme,* *il s'humilia plus encore,* *obéissant jusqu'à la mort* *et à la mort sur une croix !* (*Bible de Jérusalem.*) #### Sur quelques mots La phrase en discussion -- TOUTO PHRONEITE etc. -- est difficile. Quelques mots appellent des observations préalables. 1\) MORPHÈ. -- Le mot MORPHÈ, en latin *forma,* veut dire *forme.* Ou bien donc il faut le traduire par *forme* -- quitte à en expliquer le sens dans des commentaires ; ou bien il faut choisir le mot français qui se rapproche le plus du sens grec de *forme.* 65:153 Ce pourrait être « condition », « nature », « essence », « substance », d'autres encore. Tous ces mots ont leurs avantages et leurs inconvénients. On doit noter que saint Paul emploie le même mot, un peu plus loin, pour dire que le Christ s'est fait esclave. D'un côté, Jésus-Christ est « *subsistant dans la forme de Dieu *» ; de l'autre, on le voit « *prenant la forme d'esclave *»*.* On doit donc veiller à garder le même mot, pour conserver le parallélisme voulu manifestement par saint Paul. Nos tout-puissants Bureaux ont choisi le mot « image », sous prétexte qu'on trouve en grec le mot MORPHÈ dans le sens d'*image.* Que MORPHÈ puisse vouloir dire *image,* c'est possible ; je n'en sais rien ; on ne nous donne aucune référence. A la rigueur, « forme » pourrait aussi vouloir dire « image » en français. Mais tout s'oppose à une telle traduction : A\) -- Saint Paul dit que Jésus-Christ est « *dans la forme* de Dieu », alors qu'il prend *la forme* de l'esclave. Il ne dit pas qu'il est *la forme* de Dieu. Jésus-Christ qui *est* DANS *la forme* de Dieu *prend la forme* d'esclave. On peut garder l'équilibre en disant, comme la Bible de Jérusalem, que Jésus-Christ « de condition divine », a pris « condition d'esclave ». Avec le mot « image », c'est impossible. Les Bureaux n'ont pas osé dire que Jésus-Christ, qui « est l'image de Dieu », a pris « l'image de l'esclave ». Ils disent donc « *devenant* l'image même du serviteur ». Mais le grec et le latin disent « *prenant* la forme l'esclave » (LABÔN, *accipiens*)*.* B\) -- On nous explique qu'ailleurs saint Paul emploie le mot « image » à propos du Christ. (Col. 1, 15 ; Rom. 8, 29 ; Cor. II, 4, 4). Parfaitement ; mais pour le dire il emploie le mot grec qui veut dire « image » : EIKÔN (icône). Si donc, dans l'épître aux Philippiens, il n'emploie pas le mot « image », c'est qu'il a ses raisons, lesquelles sont visibles. Il n'emploie pas le mot « image » pour la même raison qui le fait choisir par les Bureaux, c'est qu'ici ce mot eût été im­propre, car il eût signifié, dans le contexte, le contraire de ce que veut faire saisir saint Paul. A l'inverse, dans l'épître aux Colossiens (1, 15), saint Paul nous dit que le Christ est « l'image du Dieu invisible » (EIKÔN TOU THÉOU TOU AORATOU, *imago Dei invisibilis*)*.* Le mot « image » s'imposait. 66:153 L'épître aux Romains (8, 29) est plus complexe et elle est intéressante parce qu'on y retrouve les deux mots : « forme » (en composition : *conformes,* SUMMORPHOUS) et « image ». Ceux que Dieu a discernés, « il les a aussi prédestinés à devenir conformes à l'image de son Fils » (SUMMORPHOUS TÉS EIKÔNOS TOU HUIOU AUTOU, *Conformes fieri imaginis Filii sui*). Ce qui veut dire, (pesamment), que les élus sont prédestinés à entrer dans la forme du Fils de Dieu, qui est l'image visible du Dieu invisible dans la forme duquel il subsiste. C\) -- En français, le mot « image » s'oppose à la « réalité ». Quand les fidèles entendent : «* Le Christ Jésus est l'image de Dieu ; mais il n'a pas voulu conquérir l'égalité avec Dieu *», ils comprennent : «* Le Christ Jésus est d'image de Dieu et il n'en est que l'image... *» C'est d'ailleurs également ce qu'ils comprennent, et à juste titre, dans la version édulcorée : «* Le Christ Jésus, tout en restant l'image même de Dieu, n'a pas voulu revendiquer d'être pareil à Dieu. *» Les Bureaux savent parfaitement l'idée qu'ils veulent faire entrer dans le crâne des fidèles : Jésus-Christ n'est pas Dieu. 2\) HARPAGMON. -- *Harpagmon* est le substantif du verbe *har­pazô* qui veut dire « ravir, enlever de force » etc. Les Bureaux en déduisent que l'on doit conserver dans le substantif l'idée de rapt, d'enlèvement par force, de con­quête, etc. D'où leurs traductions : « n'a pas voulu *conquérir de force *», « n'a pas voulu *revendiquer *». C'est ignorer les lois les plus élémentaires de la séman­tique. Quand un *verbe* exprime une action, quand il est transitif, les *substantifs* qui en dérivent, et fréquemment *le même subs­tantif,* peuvent signifier soit l'*action* elle-même, soit l'*objet* de l'action, soit une *modalité* de l'action, soit le *sujet* de l'action, etc. Par exemple, au verbe *voir* correspond le substantif *vue* qui peut signifier soit le fait de voir (« c'est une vue exacte de la question »), soit le sujet (« il a une bonne vue »), soit l'objet (« la vue est magnifique »), etc. Ou encore le verbe *prendre,* assez proche de HARPAZÔ. Le substantif *prise* peut signifier l'acte de prendre (« la prise de la Bastille »), ou l'objet pris (« Une belle prise », « une prise de guerre »), ou des formes diverses de préhension (« une prise de courant », « une prise de judo », « une prise de vue »), etc. 67:153 Le verbe *ravir* lui-même, traduction normale de HARPAZÔ, a un substantif, *rapt,* qui signifie l'acte de ravir, mais un autre substantif, *rapine,* qui signifie généralement l'objet ravi (il peut signifier aussi l'acte de ravir). Le mot HARPAGMON peut donc signifier aussi bien l'*objet ravi* que le *fait de ravir.* Sa désinence tend à faire penser que le premier sens est plus probable. Les mots français de « rapine », « proie », « butin » et même « propriété » (usurpée), peuvent le traduire correctement. C'est ce qui explique que les idées de « conquête », de « revendication » ou d' « avidité » par lesquels on voudrait l'illustrer pour le faire mieux comprendre peuvent tout aussi bien, et, nous semble-t-il, beaucoup mieux, être remplacés par ceux de « possessivité », de « jalousie », d' « avarice », d' « égoïsme », etc. En effet, dans un acte de conquête, de prise par force, de pillage, c'est le sentiment de violence agressive et cupide qui domine ; mais quand l'acte a abouti, quand la proie est saisie on affirme sur elle son droit de propriété jalouse. Le lion qui bondit sur la gazelle a un sentiment d'avidité. Quand la gazelle est sous sa patte il la défend, possessivement, hargneusement, contre ceux qui voudraient la prendre. Bref, dans toute prise violente, dans toute rapine, il y a un *avant* et un *après.* Les sentiments profonds demeurent les mêmes, mais ce qui était conquête devient propriété et ce qui était avidité devient avarice. Le personnage d'Harpagon exprime très bien tout cela. Il est donc tout à fait conforme au mot HARPAGMON de dire que Jésus-Christ n'a pas regardé sa divinité comme un butin à garder jalousement, car ce n'était pas un butin, acquis par la violence, c'était une propriété véritable, une possession légi­time -- la possession d'état d'égalité à Dieu. #### Sur le contexte Que les versets 6 à 11 du chapitre 2 de l'épître soient ou non une hymne antérieure à saint Paul et insérée par lui dans son épître, il y a, entre les versets 2-4 et les versets 5-11, une correspondance évidente, soulignée par le verset 5 : « Ainsi donc, ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus... » etc. D'un paragraphe à l'autre, les mêmes mots sont employés. (en latin comme en grec) : 68:153 -- « ...idipsum *sentientes *» (3) « ...hoc enim *sentite... *» (5) -- « ...sibi invicem *arbitrantes* » (3), « ...non rapinam *arbi­tratus est... *» Exactement comme c'est le même mot -- « *forma* Dei », « *formam *» servi -- qui est employé dans le second paragraphe. Or que dit saint Paul aux Philippiens dans le premier para­graphe ? Il leur dit : « Ne vous disputez pas, ne soyez pas orgueilleux, ne vous estimez pas supérieurs aux autres, ne considérez pas ce qui est à vous, mais plutôt ce qui est aux autres, etc. » Tout cela est l'inverse de ce que nous voyons dans le Christ. Lui pouvait se glorifier (étant dans la forme de Dieu), lui pou­vait faire la comparaison entre lui-même et les autres, lui pou­vait conserver à bon droit ce qui lui appartenait en exclusivité la condition divine et l'égalité à Dieu. Eh ! bien, c'est le contraire qu'il a fait. Il a pris la forme de l'esclave, etc. Bref toute la courbe du chapitre 2 éclaire vivement le ver­set 6 et en rend plus certain encore le sens général, lui-même non douteux, même si on s'en tient au verset isolé du contexte. #### Conclusion Nous nous trouvons aujourd'hui en présence de trois tra­ductions : -- la *première* est celle des Bureaux : « *Le Christ Jésus est l'image même de Dieu ; mais il n'a pas voulu conquérir de force l'égalité avec Dieu *». Cette traduction viole grossièrement la lettre et l'esprit du texte original. Elle est absurde. Elle est naturellement hérétique. Son aménagement : « *Le Christ Jésus, tout en restant l'image même de Dieu, n'a pas voulu revendiquer d'être pareil à Dieu *», entend dire la même chose et le dit, en effet, mais de manière équivoque. -- la *seconde* est de M. Feuillet. Il ne l'a pas donnée telle quelle, mais on peut la reconstituer d'après son article d'*Esprit et Vie* (17 décembre 1970) : « \[Jésus-Christ qui était\] *subsistant dans la forme de Dieu, n'a pas cherché à ravir de force, comme un butin de guerre, d'être traité à l'égal de Dieu *» (c'est-à-dire de recevoir les honneurs divins auxquels il avait droit). Cette traduction a le mérite de bien cadrer avec le contexte. Cependant elle nous semble contestable. D'une part, le mot HARPAGMON est étiré à l'excès dans son sens le moins probable (où est le « chercher à ravir de force » dans le texte ?) ; et d'autre part, le « traité à l'égal de Dieu » est ambigu. 69:153 C'est probablement « traité en Dieu » que veut dire M. Feuillet. Sens possible, en effet, -- suggéré par le caractère possible­ment adverbial du mot grec ISA ; sens séduisant pour l'esprit, mais qui paraît bien éloigné du texte original TO EINAI ISA THEÔ. -- la *troisième,* c'est... tout l'ensemble des traductions qui existent depuis toujours et qui ne se différencient les unes des autres que par la variété infinie des nuances qu'autorise un texte d'une densité redoutable. La meilleure ? A chacun selon son goût. J'en ai lu d'excel­lentes, du XVII^e^ siècle, que je n'ai malheureusement pas notées. Celle de la Bible de Jérusalem me convient fort bien. (Il paraît que ses auteurs la renient maintenant.) Celle du chanoine Osty -- « Lui, qui était de condition divine, ne se prévalut pas d'être l'égal de Dieu » -- n'est pas moins bonne. Mais je ne vais pas les passer toutes en revue. Peut-on améliorer ? On peut toujours améliorer, mais ce n'est pas facile. Pour moi, je demanderais qu'on traduise MORPHÈ. par *forme* -- « dans la forme de Dieu », en donnant les explications néces­saires, qui s'imposent aussi bien pour « de condition divine ». Les théologiens à la mode nient la divinité du Christ parce que, nulle part dans l'Évangile ni dans saint Paul, nous ne voyons écrite noir sur blanc l'égalité : « *Jésus-Christ est Dieu *». En effet, cette phrase n'existe pas. La divinité du Christ éclate partout sans être déclarée expressément dans les mots. (Il y a, à ce silence, des raisons qui me paraissent aussi simples qu'évi­dentes mais que je ne vais pas examiner ici.) En 581, le sym­bole de Nicée-Constantinople le proclamera : « ...Et en un Seigneur Jésus-Christ, le *Fils unique de Dieu,* engendré du Père avant tous les siècles ; lumière de lumière, *vrai Dieu de vrai Dieu,* engendré, non créé, consubstantiel au Père par qui tout a été fait... » Comme les ariens et tant d'autres, nos théologiens novateurs, ne voulant connaître dans le Christ que le « Fils de Dieu », cherchent à donner à cette expression tous les sens possibles qui excluent formellement la divinité du Christ. D'où cette falsification de l'épître aux Philippiens. D'où la suppression, dans le Nouveau Catéchisme, de l'en­seignement selon lequel Jésus-Christ est « vrai Dieu et vrai homme ». D'où la suppression du « consubstantiel » dans le *Credo,* en attendant la suppression du *Credo* lui-même, à quoi l'on tra­vaille ferme, et son remplacement par quelque profession de foi œcuménique dans laquelle Jésus-Christ ne sera plus Dieu. 70:153 Un mini-credo nous a été déjà passé à la télévision où l'on a pu entendre (*à la place* du symbole de Nicée) : « *Je crois au Christ, le Fils de Dieu. Il a partagé notre condition humaine. Il nous a aimés à en mourir... *» Aucune instance hiérarchique, Archevêques ou Bureaux, n'a condamné, ni désavoué, ni blâmé ce nouveau *Credo.* Le processus de la dé-divinisation du Christ est engagé. C'est aux fidèles de l'arrêter. Louis Salleron. 71:153 ### L'interprétation de saint Thomas d'Aquin *traduction et commentaire\ par Jean Madiran* « (5) Hoc enim sentite in vohis quod et in Christo Jesu. (6) Qui cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est esse se aequalem Deo ; (7) sed semetipsum exinanivit, formam servi acci­piens... » *Tel est le passage de la Vulgate dont saint Thomas donne le commentaire que nous traduisons ci-après.* *Cette traduction n'a rien d'officiel ; nous traduisons selon les principes et les méthodes que nous avons exposés dans l'aver­tissement de la* « *Collection Docteur commun *» ([^34])*.* *De toutes façons, ceux qui le veulent peuvent se reporter au texte latin, qui est véritablement accessible, par exemple dans l'édition Marietti* ([^35]) *: les deux volumes de la* « *Super Epis­tolas S. Pauli lectura *»*. Nous suivons l'édition Marietti de 1953 et, en reproduisant la numérotation des paragraphes de cette édition, nous donnons la première moitié de la lectio II du second chapitre de la* « *Super Epistolam ad Philippenses lec­tura *»*.* 72:153 *L'ignorance érudite des modernes méprise, en saint Thomas, encore plus le commentateur de l'Écriture que le philosophe et le théologien.* *Mais le pape Pie XII disait le 14 janvier 1958, dans son grand discours sur saint Thomas aux supérieurs, aux profes­seurs et aux élèves de l'Angelicum* ([^36]) « *Les commentaires de saint Thomas sur les livres de l'An­cien et du Nouveau Testament, et en tout premier lieu sur les Épîtres de saint Paul, au dire des meilleurs juges en la ma­tière, se distinguent par tant de profondeur, de finesse et de discernement, qu'ils peuvent être comptés parmi les plus grandes œuvres théologiques du Saint... Si quelqu'un les négli­geait, on ne pourrait dire qu'il fréquente le Docteur Angélique de façon intime et parfaite. *» *... En tout premier lieu sur les Épîtres de saint Paul ? C'est justement le cas.* **51. -- **Après l'exhortation qu'il vient de faire aux versets 1 à 4, saint Paul tire maintenant de l'exemple du Christ une exhortation à la vertu d'humilité : 1° il invite à l'imitation de Jésus-Christ (verset 5) ; 2° il le cite en exemple : *Qui cum in forma,* etc. **52. -- **Saint Paul écrit donc : Soyez humbles, comme je vous l'ai dit, et pour cela *hoc sentite,* c'est-à-dire éprouvez les sentiments qui étaient *in Christo Jesu.* (...) **53. -- **Quand saint Paul dit ensuite : *Qui cum in forma Dei,* etc., c'est alors qu'il met sous nos yeux l'exemple du Christ. Premièrement, il met en avant la majesté du Christ ; seconde­ment, il montre au verset 7 son humilité : *Semetipsum,* etc. ; et troisièmement, au verset 9, ce sera son exaltation : *Propter quod,* etc. Saint Paul met d'abord en avant la majesté du Christ, pour donner plus de relief à son humilité. Il présente deux choses qui appartiennent à la dignité du Christ : la vérité de sa nature divine (première moitié du verset 6), et son égalité avec Dieu qui n'est point *rapina.* 73:153 **54. -- **Donc saint Paul écrit : *Qui* (le Christ) *cum in forma,* etc. Chaque chose en effet est rangée dans un genre ou dans une espèce d'après sa forme : la forme indique la nature d'une chose. En raison de quoi, être « in forma Dei », cela veut dire être « in natura Dei » ; par quoi l'on comprend qu'il est véri­tablement Dieu. Cf. I Jean, dernier chapitre, verset 20 : *Ut simus in vero filio ejus Jesu Christo.* Mais il ne faudrait pas aller supposer que la « forme » de Dieu serait autre chose que l'être même de Dieu : dans les êtres simples et immatériels ([^37]), la forme est la même chose que l'être lui-même ; à plus forte raison en Dieu. Pourquoi saint Paul a-t-il dit *in forma* plutôt que *in natura ?* Parce que cela convient aux trois noms qui sont proprement ceux du Fils. On l'appelle en effet « fils », « verbe » et « image ». Le fils est celui qui est engendré ; et engendrer, c'est engendrer une forme. Donc, pour montrer que le Christ est parfaitement le fils de Dieu, saint Paul dit : « dans la forme », c'est-à-dire possédant parfaitement la forme du Père. Pareillement, un « verbe » ([^38]) n'est parfait que s'il conduit à connaître la nature de la chose qu'il désigne : c'est pourquoi le Verbe de Dieu est dit « dans la forme de Dieu », parce qu'il a tout entière la nature du Père. Et pareillement encore, une « image » ne saurait être dite parfaite si elle n'a pas la « forme » de ce dont elle est l'image. Cf. l'épître aux Hébreux, I, 3 *: Cum sit splendor gloriae, et figura substantiae ejus,* etc.. **55. -- **Mais le Christ possède-t-il parfaitement cette forme ? -- Oui, puisque : *non rapinam,* etc. Cette seconde partie du verset 6 pourrait s'entendre de deux manières. D'une première manière en la rapportant à la nature hu­maine. Ce n'était pas la manière de saint Paul, car ce serait hérétique. Ce serait bien une *rapina* s'il s'agissait ici de la nature humaine. C'est pourquoi il faut l'expliquer d'une autre manière : ce membre de phrase se rapporte à la nature divine du Christ. 74:153 Même la raison naturelle n'accepte pas qu'il en soit autrement : la nature de Dieu, en effet, ne peut être reçue dans une ma­tière ; or le fait qu'un être existant dans une certaine nature participe plus ou moins à cette nature, cela lui est donné par sa matière ; mais ici ce n'est pas le cas ; donc il faut dire qu'*il n'a pas pensé que ce soit une usurpation*, à savoir d'*être égal à Dieu*, car il est dans la forme de Dieu et il connaît bien sa nature. Et parce qu'il sait cela, on dit de lui dans l'évangile de Jean (V, 18) : *Aequalem se Deo facit *: mais ce n'était point une *rapina* ([^39]), à la manière du diable et de l'homme voulant s'égaler à Dieu. Cf. *Is*. XIV, 14 : *Ero similis Altissimo*, etc., et *Gen*. III, 5 : *Eritis sicut dii*. Là c'était bien une *rapina*, et c'est cette *rapina* que le Christ est venu expier, ainsi qu'il est dit au psaume 68 (verset 5) : *Quae non rapui, tunc exsolvebam*, ce que je n'ai pas volé, voilà que je dois le rendre. **56. -- **Enfin quand saint Paul écrit : *Sed semetipsum,* etc., il met en valeur l'humilité du Christ. Premièrement dans le mystère de l'incarnation (verset 7) ; secondement dans le mystère de la passion, au verset 8 : *Humi­liavit*, etc. Saint Paul montre d'abord l'humilité, ensuite sa manière et sa forme. **57. -- ***Sed semetipsum* etc : le Christ était rempli de la divinité, s'en est-il donc vidé ? Non point. Ce qu'il était, il l'est resté ; ce qu'il n'était pas, il l'a assumé. (...) Ainsi il est « des­cendu du ciel », non pas en ce qu'il aurait cessé d'y être, mais en ce qu'il a commencé à exister d'une nouvelle manière sur la terre. De la même façon il s'est « rendu vide » non pas en déposant la nature divine, mais en assumant la nature humaine. 75:153 Il « s'est rendu vide », *exinanivit*, cela est très bien dit. « Vide » est le contraire de « plein ». La nature divine est aussi pleine qu'on peut l'être, car elle est toute perfection. Cf. Ex. XXXIII, 19 : *Ostendam tibi omne bonum*. Mais la nature hu­maine, mais l'âme humaine n'est pas « pleine », elle est seule­ment apte à la plénitude ; elle est au départ comme une table rase. La nature humaine, en ce sens, est « vide ». Saint Paul dit que le Christ *exinanivit*, s'est rendu vide, parce qu'il a assumé la nature humaine. **58. -- **Saint Paul parle donc de la nature humaine assumée par le Christ quand il dit : *formam servi accipiens*, prenant la forme de l'esclave. L'homme en effet, de par sa création, est l'esclave de Dieu, et la « forme de l'esclave », c'est la nature humaine. (Cf. Ps. XCIX, 3 ; Is. XLII, 1 ; Ps. III, 4.) Pourquoi « forme de l'esclave » est-il plus exact qu' « es­clave » tout court ? Parce qu' « esclave » désigne une personne. Le Christ n'a pas assumé une personne mais une nature : la nature assumée est distincte de la personne qui assume. Le Fils de Dieu n'a pas assumé un être humain, lequel serait resté un autre être que le Fils de Dieu ; tandis que le Fils de Dieu s'est fait homme. Il a pris une nature dans sa personne, en sorte qu'une seule et même personne soit fils de Dieu et fils de l'homme. RREPRENONS *l'interprétation du verset 6 de saint Paul à partir du rapprochement que saint Thomas en fait avec l'évangile de saint Jean* (*V, 18*) *: rapprochement indi­qué ci-dessus au paragraphe* *55, et que nous avons déjà, par une note, souligné au passage.* *Aequalem se Deo facit : il s'est fait l'égal de Dieu. Comme aucun être humain ne saurait y parvenir* réellement, l'accusa­tion «* aequalem se faciens Deo *» *signifie : il a fait semblant d'être l'égal de Dieu, il s'est attribué* (*verbalement*) *l'égalité avec Dieu* ([^40]). 76:153 *Tel est le blasphème, telle est la folie aux yeux de ceux qui ne croient pas.* *C'est inévitablement dans le contexte de cette incroyance que saint Paul parle du Christ et que nous pouvons comprendre ce qu'il énonce. Par quoi je ne prétends point que le verset 6 aurait pour intention et pour objet de répondre à l'accusation de l'incroyance. Mais il est éclairant de rechercher quelle réponse à l'accusation fournit la doctrine de chaque interprétation du verset.* *Il a commis le crime de se faire égal à Dieu ?* *-- L'accusation est fausse car* (*selon la pensée de saint Paul telle que la comprend saint Thomas*) *Jésus était véritablement Dieu.* *-- Mais non, l'accusation est fausse* (*selon la pensée de nos modernes traducteurs et falsificateurs*) *parce que Jésus n'a nul­lement voulu s'attribuer une quelconque égalité avec Dieu.* *Autrement dit, les modernes traducteurs et falsificateurs ne nient peut-être pas la divinité de Jésus-Christ ; ils ne l'affirment pas non plus ; leur version est en marge ; elle assure que, durant sa vie terrestre, Jésus n'a pas voulu conquérir de force l'égalité avec Dieu* (*qu'il y ait eu droit ou non*) ; *ou qu'il n'a pas voulu revendiquer d'être pareil à Dieu* (*qu'il l'ait été ou non*)*. En cela éclate son humilité. Et c'est justement son humilité que saint Paul entend mettre en relief dans ce passage.* *Comme nous tournions et retournions ces considérations, à bonne allure sur l'autoroute du dernier vendredi du mois, An­toine Barrois me dit brusquement :* *-- Je me demande où ils ont pu prendre que Notre-Seigneur n'a pas voulu, pendant sa vie terrestre, être traité en Dieu.* *La remarque est de poids.* *Jésus a refusé la royauté temporelle* (*Jean VI, 15*)*. Il n'a ja­mais refusé la foi due à Dieu, l'adoration due à Dieu, l'amour dû à Dieu, l'obéissance due à Dieu.* *Dans le texte de saint Paul, il n'y a au verset 6 ni* REVENDI­QUER *ni* VOULOIR, *ces deux idées sont inventées et ajoutées. Mais en outre, cette interpolation attribue au Christ Jésus une atti­tude qui n'est absolument pas la sienne ; cette falsification fait énoncer par saint Paul une contre-vérité historique. Tout au contraire, en effet, Notre-Seigneur a* VOULU, *Notre-Seigneur a* REVENDIQUÉ, *au point précisément que les Juifs cherchaient à le faire mourir parce qu'il se faisait l'égal de Dieu* (*Jean, V, 18*) ; 77:153 *et qu'ils lui criaient :* « *Tu, homo cum sis, facis teipsum Deum *» (*Jean X, 33*)*. -- Le langage* « *revendicatif *» *n'est pas celui qui convient exactement : mais si l'on tient à employer le mot* « *re­vendiquer *»*, il est impossible de prétendre que Jésus* N'A PAS VOULU REVENDIQUER : *ses droits de Dieu, sa dignité divine, sa puissance divine sont au contraire constamment affirmés, depuis l'adoration des bergers et celle des mages jusqu'aux réponses à Caïphe et à Pilate. Et quand les Juifs lui disent* (*Jean X, 33*) : « *Toi, qui n'es qu'un homme, tu te fais Dieu *»*, saint Jean Chrysostome remarque que le Seigneur ne conteste pas, bien au contraire, l'interprétation selon laquelle il a revendiqué un rang divin :* «* Dominus autem non destruxit opinionem Judaeorum aestimantium quod se Deo parem diceret ; sed mages contra­rium fecit... *» ([^41]) *Son humilité dans sa vie terrestre n'a donc point consisté à cacher ou à nier qu'il était Dieu, à refuser* « *l'égalité avec Dieu* » *ou à ne pas vouloir être traité comme* « *pareil à Dieu *»*. Son humilité n'est pas dans une feinte, dans un camouflage ou dans un abandon de son identité. Telle que saint Paul la décrit au verset 7, l'humilité de Jésus est d'avoir assumé une nature hu­maine* (*mais sans rien perdre de la nature divine ; paragraphes 56 et 57 du commentaire de saint Thomas*)*. C'est-à-dire que l'humilité du Christ est dans le mystère de* l'incarnation, *et, au verset 8, dans le mystère de la passion. Mais point dans un sup­posé refus d'être traité en Dieu.* \*\*\* *Nous disons donc que le verset 6 tout entier concerne la ma­jesté divine du Christ ; le portrait de son humilité terrestre commence seulement au verset 7.* *Les faux traducteurs et les vrais faussaires sont partis sans doute de l'idée que le portrait de l'humilité du Christ commence déjà avec la seconde partie du verset 6.* *Cette erreur initiale, ils ne l'ont pas inventée, ils l'ont hé­ritée. Elle était celle de la Bible de Jérusalem, du Lectionnaire de 1959 et du Lectionnaire de 1964. Elle était celle d'Osty ; et celle de Maritain. En revanche elle n'est, cette erreur moderne, ni chez Tricot* (« *nouvelle traduction* *Crampon 1960 *»)*, ni dans le P. Lagrange.* 78:153 *Chez Maritain, chez Osty, dans le Lectionnaire de 1964, dans celui de 1959 et dans la Bible de Jérusalem cette erreur n'était qu'une erreur de traduction : elle n'était encore ni une hérésie ni une falsification.* *Dangereuse pourtant. Proclamer que Jésus* « *ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu *»*, ou qu'il* « *ne s'est pas retranché comme un avare dans son égalité avec Dieu *»*, cela risque de donner à entendre qu'il s'est donc dépouillé de sa divinité ; que lorsqu'il fut descendu du ciel sur la terre, il était sur la terre mais n'était plus au ciel ; que lorsqu'il s'est* « *vidé *»*, il s'est vidé de sa nature divine. A quoi saint Thomas, ci-dessus au paragraphe 57, et la foi catholique répondent :* « *Le Christ était rempli de la divinité, s'en est-il donc vidé ? Non point... Il s'est rendu vide* (*exinanivit*, EKENÔSEN) *non pas en dé­posant la nature divine, mais en assumant la nature humaine. *» *Voilà ce qu'il ne faut jamais lâcher ni oublier quand on consi­dère la* «* kénose *» ([^42])*.* \*\*\* *Par là, nous refaisons la constatation déjà faite ailleurs : avant la subversion accélérée que ses protagonistes nomment* « *évolution conciliaire *»*, il y avait eu de longues préparations. Il y avait de longue date ces édulcorations et ces affadissements que Péguy déjà dénonçait : il les dénonçait notamment dans les tra­ductions de l'Écriture sainte. Et il y avait eu ces glissements, ces pertes de substance et finalement ces contresens que permettent les affadissements et les édulcorations : La crise du catéchisme nous avait ainsi amenés à découvrir que depuis longtemps le ca­téchisme français se séparait de plus en plus du catéchisme romain : et que par exemple l'une des* « *trois connaissances nécessaires au salut *»*, qui est l'instruction de la vertu théologa­le d'espérance par* « *l'explication du Pater *»*, avait partielle­ment ou totalement disparu de nos catéchismes ;* *au moment on l'on en aurait eu le plus besoin : au moment on la crise morale du monde moderne s'affirmait de plus en plus comme une crise de finalité, -- comme une crise de l'espérance...* 79:153 *Et pareillement, nous découvrons maintenant que les traduc­tions et interprétations de l'épître aux Philippiens qui avaient cours avant le nouveau Lectionnaire étaient médiocres et faibles, et penchées déjà vers le contresens. Non point encore falsifi­catrices ni hérétiques : mais ayant perdu le contact, ayant perdu la continuité vivante avec la richesse et la profondeur exactes de l'interprétation traditionnelle ; et comme punies déjà de cette rupture, déjà en train de perdre la tête. On le voit à la manière de comprendre* ARPAGMOS, *c'est-à-dire* « *rapina *»* : une rapine, un vol, un rapt, une usurpation ; soit l'acte de ravir quel­que chose par la violence, soit la chose ainsi ravie : une proie, un butin. Bon. Mais un butin, fruit de la violence injuste, est une chose* A RESTITUER, *telle était l'interprétation traditionnelle. Les modernes se sont mis à comprendre* (*mais sans bien compren­dre ce qu'ils disent, on l'espère pour eux*) *qu'un tel butin est au contraire chose à* CONSERVER AVIDEMENT, *ou à* GARDER JALOU­SEMENT, *ce qui fait une étrange moralité, mais ce qui n'a arrêté ni Médebielle, ni la Bible de Jérusalem, ni le Lectionnaire de 1959, ni celui de 1964.* *Le P. Lagrange comprenait comme saint Jérôme et comme saint Thomas : -- Il ne pensait pas que l'égalité avec Dieu fût une usurpation* (*dont il eût à rendre compte ; ou qu'il eût à restituer ; c'est au contraire de son propre mouvement qu'il a accompli l'exinanition, la kénose qui consiste à assumer la na­ture humaine*)*.* *Ne voulant plus connaître ni saint Jérôme, ni saint Thomas, ni même le P. Lagrange, on s'est mis à comprendre :* Il n'a point pensé que l'égalité avec Dieu fût une proie à conserver (*d'où l'idée qu'il s'en est dépouillé, qu'il a bien dû déposer au moins un petit peu sa nature divine et sa puissance divine...*) \*\*\* *De Jésus-Christ on peut penser :* 1\. -- *Soit qu'il est un homme qui* (*frauduleusement*) *se fait Dieu : il a réellement la nature humaine, il n'a point la nature divine qu'il prétend s'attribuer. C'est la pensée des Juifs en Jean V, 18, X,* *33* (*etc.*)*.* 80:153 2\. -- *Soit qu'il est un Dieu qui* (*mystérieusement*) *se fait homme : il est vrai Dieu et vrai homme, il assume la nature humaine sans abandonner la nature divine. Telle est forcément la pensée de saint Paul.* *Voilà donc les deux explications que peut recevoir ce fait mystérieux : le Jésus des évangiles est comme un homme qui se prétend Dieu ; il a l'apparence non dissimulée d'un homme qui se fait Dieu :* « *aequalem se faciens Deo *»* *; « *facis teipsum Deum *»*.* *Cette apparence s'explique, pour les Juifs incrédules, par une volonté de tromperie.* *Pour saint Paul et tous les croyants, cette apparence est ex­pliquée, cette apparence est justifiée par la réalité : cet homme est Dieu.* 3\. -- *Mais voici qu'une troisième position vient d'être inven­tée par la fausse traduction : à savoir que cette apparence n'a jamais existé. Jésus n'a pas eu les paroles et l'attitude d'un hom­me qui se fait Dieu. Il s'en est soigneusement gardé. Il n'a pas voulu revendiquer d'être traité en Dieu : sans doute parce qu'il avait rompu avec le triomphalisme et qu'il s'était rallié à la pastorale post-conciliaire, à l'ouverture au monde et à l'œcumé­nisme pluraliste.* *En cela, le Christ de la traduction du Lectionnaire, main­tenue par l'épiscopat français, n'est plus le Christ de l'Évangile.* \*\*\* *Mais que dis-je : qu'ils ont inventé cette troisième position ? Cette nouveauté, comme beaucoup d'autres, est une très vieille nouveauté. On la trouve mentionnée par exemple dans le com­mentaire que saint Jean Chrysostome fait de Jean V, 18 :* «* æqua­lem se faciens Deo *» *:* « *Il y en a qui ne veulent pas entendre de bonne foi ce passage ; ils disent que le Christ ne s'était point fait égal à Dieu ; que c'étaient seulement les Juifs qui l'en soupçonnaient *»*.* 81:153 *Et saint Augustin, commentant le même pas­sage, note qu'en cela les Juifs avaient bien compris ce que les sectateurs d'Arius ne comprennent pas* ([^43]). *Dans l'incompré­hension actuelle, il y a aussi un* *net relent d'arianisme.* \*\*\* *C'est donc intégralement l'interprétation de saint Thomas d'Aquin que je propose comme la seule qui soit pleinement adé­quate et véritable.* *En quoi je ne soutiens nullement qu'il aurait été plus ou moins défini par l'Église que l'on devrait obligatoirement suivre sur ce point l'opinion de saint Thomas ; ni que tout ce qui s'écar­terait de cette opinion serait, ipso facto, positivement hérétique.* *Je dis que les raisons avancées aujourd'hui pour s'écarter de l'interprétation traditionnelle sont tantôt très faibles et tantôt tout à fait nulles.* *Sur le texte grec, nous avons publié dans notre numéro pré­cédent les observations d'un helléniste éminent, Édouard Dele­becque, professeur à la Faculté d'Aix ; et dans le présent numé­ro la* « *critique interne *» *de Louis Salleron. Nous avons lu les études et les déclarations de M. l'abbé Feuillet* ([^44]). *Nous avons écouté les explications données par les responsables des deux versions falsifiées.* 82:153 *Nous scrutons le sens de ce verset 6 depuis presque dix mois. Ce n'est donc ni du premier coup, ni sans ré­flexion, ni sur sa seule autorité morale que finalement je me rallie pour ma part, sans réserves et en tous points, à l'interprétation de saint Thomas d'Aquin. Elle seule, toutes réflexions faites, apparaît pleinement cohérente avec l'ensemble de la doctrine révélée*. Jean Madiran. 83:153 ## CHRONIQUES 84:153 ### Travail et capital par Louis Salleron ON A PRIS L'HABITUDE, depuis de longues années, d'affir­mer la suprématie du *travail* sur le *capital* en arguant que le *capital* n'est que de la *matière*, tandis que le *travail* étant indissociable de la personne du *travailleur* serait en lui-même quelque chose de spirituel. C'est introduire une confusion dangereuse dans un domaine où il est important de respecter toutes les distinctions à faire. S'il s'agit de dire que le *travailleur* est, à tous égards, supé­rieur au *capital*, c'est-à-dire à la *machine* ou à l'*argent*, cela va de soi, et nul, à notre connaissance, ne le conteste. Et s'il s'agit encore de dire que, derrière le *travail* il y a le *travailleur*, et qu'en conséquence on ne doit jamais traiter des questions du *travail* sans avoir présentes à l'esprit les consé­quences qui peuvent en résulter pour le travailleur, c'est éga­lement un point sur lequel tout le monde tombera d'accord. Ceci dit, quand on ne considère plus le problème *politique*, c'est-à-dire celui de l'organisation totale de la société humaine, mais le problème *économique*, c'est-à-dire, essentiellement, celui de l'organisation de la production, des échanges et de la con­sommation, les signes se renversent, ou du moins les choses deviennent plus compliquées. Le *capital* a souvent été défini du « travail cristallisé ». L'homme, en tant que *travailleur*, est un animal qui *capitalise*. Il utilise son *travail* à trois fins : d'une part, à obtenir directement ses moyens de subsistance (consommation), d'autre part, à créer des réserves de subsistance (épargne), enfin, à créer des moyens nouveaux et « artificiels » de production qui lui permettent de produire plus et mieux tout en *travaillant* moins ou plus agréa­blement (investissement). 85:153 L'épargne et l'investissement correspondent au capital. Tout homme travaille pour faire du capital, afin d'accroître sa sécu­rité et son épanouissement humain. Le capital n'est donc pas une espèce de donnée abstraite qui serait extérieure à l'homme et au travail. Il est plutôt un « mo­yen » de l'homme et un « but » du travail. On le voit très bien aux réalités élémentaires de l'Économie. Le Robinson échoué sur une île, après avoir bu l'eau du ruisseau et mangé les fruits des arbres, n'a rien de plus pressé que de se bâtir une cabane et de se constituer des « moyens de produc­tion » (un arc, des pièges pour attraper gibier et poissons) bref de se faire un capital pour survivre et pour mieux vivre. L'homme a domestiqué les animaux et fabriqué des outils, c'est-à-dire a fait du capital, pour développer son humanité. Mais comme *l'homme* ce sont *les hommes*, ceux qui travaillaient le plus et le mieux ont entendu ne pas être frustrés du produit de leur travail, et ce fut l'invention de la *propriété*, qui n'est autre chose que la *catégorie juridique du capital*. Le paysan, luttant pour devenir le maître de son bien (la terre et le cheptel), est l'image même du *travail* demandant à la société politique de garantir par la *propriété* le *capital* qu'il a créé. (Il est typique que le mot « cheptel » soit le doublet du mot « *capital* ».) Tout cela, qui saute aux yeux dans les formes naissantes de la société, se voile dans la complexité sociale moderne. On oppose travail et capital comme des entités ontologique­ment distinctes et contraires. C'est oublier leur nature réelle, et c'est aussi les déformer par la réduction à une simplicité exces­sive de la multiplicité de leurs éléments composants. Le *travailleur*, c'est tout ensemble l'*homo faber* et l'*homo sa­piens*. En lui-même, le *travail* n'est qu'une dépense d'énergie pénible. Mais le *travail humain* est cette dépense d'énergie *orientée à une fin*. Le bœuf qui tire la charrue ne « travaille » que parce que l'homme le fait travailler, c'est-à-dire oriente sa dépense d'énergie. Le moulin à eau ou à vent qui broie le grain pour faire de la farine ne « travaille » (s'il travaille) que parce qu'il est l'instrument -- le capital -- du meunier. Le travail humain est toujours un travail capitaliste, c'est-à-dire une dépense d'énergie appliquée à un capital utilisé com­me moyen multiplicateur de la production. C'est de plus en plus vrai à mesure que les inventions se multiplient. L'homme à la bêche puis l'homme à la charrue, l'homme qui conduit des ; bœufs puis qui conduit un tracteur, *travaillent* en utilisant un *capital* de plus en plus puissant. Tout *travailleur* est donc un *capitaliste qui travail*le. 86:153 Fort bien, dira-t-on, mais justement le *travailleur* moderne n'est plus *capitaliste,* en ce sens qu'il n'est plus le *propriétaire* du capital. Voilà, la question. Quand on examine le problème des relations du *travail* et du *capital,* on débouche nécessairement sur le problème de la *propriété.* Seulement, quand on étudie ce problème en vue de le ré­soudre, on s'aperçoit qu'il n'est pas simple. Il est, en effet, évident que le travailleur individuel n'a plus en face de lui un capital qui soit à sa dimension personnelle, c'est-à-dire appropriable par lui. Si le paysan peut être proprié­taire de son champ, de ses animaux et de son tracteur, l'ouvrier ne peut pas être propriétaire de sa machine. Quand bien même y eût-il correspondance entre son travail personnel et une petite machine, celle-ci n'est un instrument de production qu'en rela­tion avec d'autres, et c'est l'ensemble qui constitue le capital au sein d'une unité de production qui s'appelle l'entreprise. Mais l'entreprise elle-même est en dépendance étroite de tout un système et, pour commencer, elle exige un capital-argent dont l'importance est rarement à la dimension d'un individu. De fil en aiguille, on s'aperçoit que l'Économie moderne, comme le reste de la société, est un réseau d'une complexité infinie et que c'est cette complexité même -- division du tra­vail, spécialisation des activités, diversité des tâches, multiplicité des canaux de la circulation de l'argent, différenciation des fonctions du crédit, etc. -- qui est la condition du progrès. Le problème est de trouver les *formes de la propriété* correspon­dant à cette évolution, pour que soient assurées, autant qu'il se peut, la justice, la liberté et l'efficacité. *Le vrai retard est dans l'évolution juridique.* Dire : « Il n'y a qu'à donner au travailleur la propriété du capital », c'est ne rien dire du tout, car il faut savoir *comment.* Or il faut bien se rendre compte que la *diffusion de la propriété,* que nous préconisons, suppose, pour être bien faite, non seule­ment une connaissance précise de la complexité sociale, mais une vue juste, tant des fins de la *propriété* (qui doit servir, au delà du *travail*leur en tant que tel, l'*homme* total, la famille, les associations, etc.) que de la nature du *capital* et de son rôle prédominant dans l'Économie évoluée. Quant à vouloir supprimer la propriété privée pour faire de l'État le propriétaire unique -- solution du communisme -- c'est contredire à la justice, à la liberté et à l'efficacité, parce que c'est contredire à la nature de l'*homme* et de la société. 87:153 Le drame de l'exaltation frénétique du travail, c'est de pousser au communisme en ne voulant connaître que l'homme-travailleur. Ainsi, l'homme-travailleur est réduit à la condition de *travail incarné.* Il n'est plus *homme,* mais *animal doué d'éner­gie,* voire *machine,* c'est-à-dire un *instrument de production.* Le retournement, 1'inversion de la société est alors réalisé. L'individu n'est plus que du *capital humain* au service du « plus froid des monstres froids », l'État. La *Matière socialisée* fait de l'homme un *esclave* de *l'ordre économique :* produire pour détruire, et détruire pour pro­duire -- ce qui est l'ordre de l'action opposé à celui de la contemplation, l'ordre de la temporalité opposé à celui de l'éternité. Louis Salleron. 88:153 ### La faillite de l'aide aux sous-développés par Thomas Molnar DEPUIS VATICAN II et *Populorum Progressio* il ne se passe pas de semaine sans qu'on nous rappelle, en milieux ecclésiastiques, la nécessité et l'urgence de venir en aide aux régions pauvres du Tiers-Monde. Le Pape lui-même, sans parler de son encyclique, le recommande dans des termes toujours plus pressants aux fidèles, lors de ses déclarations publiques, jusqu'à en faire une question de conscience pour les Catholiques. A l'occasion des colloques et symposia, des tables rondes et interviews, des ecclésiastiques moins pondérés nous rebattent les oreilles d'appels à ouvrir nos bourses, à donner et à donner encore afin d'assurer le salut (socialiste) à nos âmes de bourgeois. La vente des indulgences aux temps de Luther ne pouvait pas se faire d'une façon plus publicitaire que ne se fait actuellement la vente du pardon révolutionnaire par l'aide au Tiers-Monde. \*\*\* Il est donc important d'examiner la question, justement parce qu'on en fait aujourd'hui une question de conscience, de conscience chrétienne. Bien entendu, personne ne peut rester indifférent au problème de la faim, de la misère, du manque d'éducation dont souffrent nos frères humains dans une grande partie du monde. Mais précisément parce qu'il s'agit d'une ques­tion de conscience, il faut que des arguments raisonnables et une intelligence informée éclairent cette conscience avant que nous ne passions à l'action. \*\*\* 89:153 Réduite à sa simple expression, « aide au Tiers-Monde » veut dire donner de l'argent, des facilités de paiement, des expertises, des bourses d'études, de l'équipement agricole et industriel, et ainsi de suite. Il y a aussi les formes plus sophis­tiquées de cette aide, notamment la stabilisation du prix mon­dial es matières premières, les moyens de réduire l'inflation galopante, la construction d'une infrastructure en vue de l'ex­ploitation de certains produits. On voit, par conséquent, que les appels émotionnels n'ont aucune prise sur la réalité, et que le sentiment de culpabilité pour la période coloniale n'a qu'une justification très limitée : dans la plupart des cas aucune. Ma thèse est que la pratique et la notion même d'aide aux sous-développés sont conçues de façon à ne pas atteindre le but apparemment poursuivi. Ce n'est peut-être pas à dessein, mais certainement la démagogie, les préjugés, l'ignorance, l'hypocrisie et l'opportunisme, ainsi que l'appétit du gain, y jouent un rôle important, suffisamment important pour que le chrétien refuse sa participation. Des quelques soixante-dix pays que j'ai visités depuis une bonne douzaine d'années, quarante-cinq au moins sont qualifiés du titre de « sous-déve­loppés ». Sans chercher des comparaisons, je constate que M. J.-P. Sartre, qui en a lui aussi visité un bon nombre, est arrivé à la conclusion que les « damnés de la Terre » le sont du fait de la méchanceté de l'homme blanc en général, et de la bourgeoisie, en particulier, et que dans leur misère actuelle seul le marxisme pourrait les élever au niveau suprême, celui de la liberté conçue et vécue selon l'existentialisme sartrien. Je ne mentionnerais pas le nom de Sartre si certains prêtres et évêques (le notoire Helder Camara parmi eux) ne se servaient du même langage fumeux que l'apôtre du marxisme révisé, semant ainsi la confusion dans les âmes déchirées par tant de théories contradictoires. \*\*\* Le champ d'action du *foreign aid* est devenu tellement vaste et complexe que l'on n'en peut envisager ici que quelques aspects. Je me propose de suivre en imagination les sommes d'argent déboursées par le contribuable afin, lui dit-on, de contribuer à élever le niveau de vie dans les pays sous-déve­loppés. Ces sommes risquent, d'ailleurs, de devenir plus fortes au cas où les recommandations de l'O.N.U., de diverses autres organisations, et dernièrement du Vatican seraient écoutées : un pourcentage plus élevé du produit national serait consacré au développement des pays pauvres. 90:153 Encore une fois, il ne s'agit pas de refuser l'aide à ceux qui en ont besoin, mais d'examiner si la forme actuelle d'aide est valable, mal conçue, ou même nuisible. Chaque unité d'aide reçue implique la création d'une machinerie administrative, une bureaucratie. Cela en soi ne serait pas une pure perte car, une fois mis sur pied, ces bureaux et ces fonctionnaires appor­teraient leur talent et leur expérience aux transactions futures. Mais comme il s'agit de pays où l'élite n'a pas le sens des res­ponsabilités, au contraire, elle cherche à profiter des nouveaux privilèges, la bureaucratie nouvelle bloque plutôt qu'elle ne facilite l'écoulement des produits envoyés, des machines, des pièces détachées, de l'équipement de toute sorte. René Dumont dont on ne peut pas mettre en question les certificats progres­sistes, dénonçait, il y a des années, l'Afrique noire « mal par­tie », et surtout les nouvelles élites africaines. Là, en effet, est le nœud du problème, dans l'élément humain. Le membre de la nouvelle élite, à peu d'exceptions près, est un être rapace, arrogant, facile à suborner, -- traits qu'il n'a pas trouvés chez le colonisateur blanc mais dans sa propre tradition tribale du féodale. Il est potentat (local, régional, ou national) comme son ancêtre l'avait été, simplement dans un autre style. Parlant de l'Amérique du Sud, on condamne généralement l'absentéisme des propriétaires ruraux et des plantations. *Populorum pro­gressio* recommande, suivant les prêtres-sociologues français et belges travaillant dans ce continent, la confiscation de ces grandes propriétés, leur étatisation. Or, personne n'ose parler de l'absentéisme des hauts fonctionnaires nouvellement ins­tallés dans les pays africains et ailleurs ; comme ces messieurs suivent la tradition que je viens de mentionner, et comme ils cumulent plusieurs situations (chacune rémunérée séparément), on ne les trouve guère là où ils devraient remplir des taches précises, au contraire, on les trouve « en voyage », invités à tel congrès mondial, à tel colloque du Ford Foundation, à telle festivité, à tel symposium. Le résultat est que leurs subordon­nés imitent leur exemple, mais comme ils ne sont pas « in­vités » à l'étranger, simplement ils négligent leur travail, sans parler de la corruption qui leur assure, ainsi d'ailleurs qu'à leurs chefs (sur une échelle beaucoup plus élevée), un mode de vie plus distant encore de celui de leurs « administrés ». Cet absentéisme est tellement notoire qu'on aime monter en épingle une noble exception, celle du premier ministre de Singapore, Lee Kuan Yew, qui n'accepte que très peu d'invita­tions, sort très rarement, et lorsqu'il est obligé d'assister à une réunion publique, se retire tôt afin de travailler. \*\*\* Une première conclusion est que l'élite du Tiers-Monde tra­vaille très peu, et que son indolence, aggravée par sa corrup­tion, est de la même nature que celle de la population -- qu'elle ne cesse pourtant de fustiger afin de lui faire porter, aux yeux de l'étranger, la responsabilité du peu de progrès qu'on réalise. 91:153 Mais, dira-t-on, il y a à cela deux remèdes : le premier -- et cela doit faire partie intégrante de notre aide -- est de faire venir les jeunes gens de ces pays dans les universités occiden­tales afin qu'ils apprennent les méthodes efficaces et le sens des responsabilités civiques. Mais la grande majorité, et le chiffre augmente, de ces jeunes « choisit la liberté », c'est-à-dire préfère vivre de peu dans l'Occident plutôt que retourner dans son pays en qualité de médecin, d'infirmière, d'ingénieur, d'instituteur. Lorsqu'il décide de rentrer, c'est qu'il avait été choisi par son gouvernement parmi les fils à papa, ou les neveux des ministres, pour bénéficier de l'aubaine de passer gratuite­ment quelques années hors du pays. De toute façon -- et là-dessus les Israéliens ont une expérience très riche des pays asiatiques et africains -- les éléments jeunes qui suivent des cours ou un entraînement quelconque ne veulent acquérir que la théorie : la pratique, les travaux salissant les mains, sont méprisés, ils veulent même faire biffer de leur certificat toute mention de travaux manuels. Mais prenons le cas du jeune Africain ou Asiatique (le Chi­nois faisant absolument exception à tout ce qui est dit ici) qui rentre enfin dans son pays. Trop souvent son éducation a été incomplète, parce que les universités occidentales lui ont per­mis de suivre des cours peu exigeants, trop brefs ou mal orga­nisés, tandis que les universités communistes le soumettent à l'endoctrinement plutôt qu'à l'assimilation d'un savoir sérieux. Cependant, il rentre avec l'auréole d'un diplômé, ce qui ne prouve pas nécessairement sa compétence mais le rend quand même exigeant au point de vue du salaire et du poste à occuper. C'est ainsi que s'accumulent les incompétences et que même aujourd'hui, derrière toute entreprise dans le Tiers-Monde, qu'elle soit une industrie ou un hôtel pour touristes, se trouve un homme blanc gérant les affaires sérieuses. Ajoutons à cela que la structure de la société (qui, malgré les « révolutions » répétées, n'a pas véritablement changé) rend extrêmement dif­ficile aux rares jeunes compétents et honnêtes de percer vers les postes de responsabilité et de faire valoir les connaissances acquises dans des études sérieusement poursuivies. \*\*\* Le deuxième remède à la carence des élites, disions-nous, pourrait être l'envoi d'experts occidentaux, soit détachés par tel gouvernement -- comme le fait Paris auprès des pays afri­cains francophones, ou Bonn en Indonésie, au Lesotho et ail­leurs -- soit membres d'un organisme international, donc des fonctionnaires internationaux mobilisables en vue d'un service normalement de deux ans. 92:153 Or, dans cette catégorie on trouve un nombre trop élevé de carriéristes escomptant que leur in­compétence et leur absence d'intérêt pour les problèmes locaux ne seront pas remarqués dans l'immense et croissant tohu-bohu de la bureaucratie mondialiste. Il est notoire que les fonction­naires à tous les niveaux envoyés à de nombreux postes par l'O.N.U. (y compris l'administration onusienne à New York) sont engagés dans toutes sortes d'opérations aboutissant dans leur poche : les livres d'anciens fonctionnaires sont éloquents et irréfutables là-dessus. Eh bien, cela est vrai (encore qu'il y ait des exceptions notables, d'un grand dévouement) des autres organisations aussi, et cela est à peu près inévitable : les res­ponsabilités sont trop peu précises, le travail, fourni ou non, est peu contrôlable, le résultat accompli peu visible en un temps si court : le désir de réaliser sa tâche manque, ou bien il est paralysé par un milieu mou où la bonne volonté d'un seul reste sans impact sérieux. Cela est malheureusement vrai des fonctionnaires détachés par leur gouvernement, ayant donc plus de temps à leur disposition (normalement) et une sphère de responsabilités assez étendue, du moins en théorie. Dans ces cas la corruption et le manque d'intérêt sont rares ; par contre, ces gens trouvent que plus leur autorité est grande, plus elle est entourée d'obstacles créés par les groupes d'intérêt locaux, lesquels ne veulent pas ce genre d'insertion étrangère dans l'édifice administratif en train de se construire, avec ses situa­tions acquises et ses opérations clandestines. L'activité du fonctionnaire étranger en question finira par s'exercer dans le vide, quoique parmi les sourires et les politesses de part et d'autre. \*\*\* Voilà le côté humain de l'aide aux pays sous-développés, que l'on pourrait résumer en disant que les responsabilités sont éludées, le travail généralement mal accompli, la corruption dépassant toutes les bornes imaginables et le « leadership » se trouvant dans la main de ceux qui l'exercent contre l'intérêt des administrés. Le côté matériel de l'aide ne peut que suivre le même che­min, étant donné la carence des élites. Le signe le plus frap­pant du sous-développement est l'absence de coordination des innombrables projets dus à l'initiative des Ministères locaux, des agences internationales, et d'autres groupes ad hoc, chacun ayant son objectif, ses moyens de l'emporter sur rivaux et adver­saires, sur le régime précédent ou sur l'idéologie qu'il s'agit avant tout de combattre. Je me souviens avoir vu dans la Vallée des Rois, en Égypte, les restes de l'immense temple-palais de la Reine Hatshepsout qui, dans sa rage contre le pharaon pré­cèdent, a fait effacer tout ce qu'on a fait de beau et de grand pendant son règne. 93:153 Dans les pays sous-développés aujourd'hui on ne prend ni le temps ni les moyens de détruire les projets favoris du régime précédent ; on fait pire, on les laisse ina­chevés, de façon qu'une grande quantité d'argent soit gaspillée et que les échecs restent sur place. Cela est dû en partie aussi à ce que les régimes qui se succèdent, et même les régimes qui durent mais qui changent périodiquement d'orientation, for­mulent assez souvent une « nouvelle politique », lancent un « nouvel élan » sous un slogan neuf, élaborent un « nouveau plan quinquennal » : chaque fois on repart à zéro (ou bien on le prétend) afin d'obtenir une nouvelle aide, un prêt de tel gouvernement étranger, de telle banque internationale. La consé­quence en est un gaspillage incroyable du matériel obtenu et qui pourrit ou rouille dans des dépôts ou même sous les étoiles. Combien de fois n'ai-je pas vu des amas d'appareils de radio neufs et de la meilleure manufacture, des jeeps, des instruments de toutes sortes rendus inutilisables (mais toujours sujets à des vols et déprédations) car les personnes censées s'en charger sont incompétentes, les bureaux responsables ne sont pas coor­donnés, les administrateurs supérieurs n'ayant pas cure de s'en occuper au delà du prestige de les avoir obtenus comme cadeau d'un gouvernement étranger. Ce n'est pas une contradiction de dire que dans certains secteurs les pays sous-développés ne le sont guère, mais que l'absence de coordination et, encore une fois, de responsabilités exactement délimitées, débouchent dans l'absorption sans laisser de trace des ressources locales ainsi que de l'aide venue d'autres pays. En plus vaste, c'est exactement, et à peu près pour les mêmes raisons, la situation dans les pays communistes où la planifi­cation aux mains du Parti tout-puissant débouche dans l'absence de responsabilités à tous les échelons, puis dans la corruption chez les habiles et le gaspillage à tous les niveaux de la pro­duction, depuis le planificateur dans son Ministère jusqu'au contremaître et jusqu'à l'ouvrier d'usine. Un des plus grands dangers que courent les pays sous-développés est l'adoption du régime dit « socialiste » : dans leur cas comme dans celui des pays communistes, c'est un alibi pour éviter l'effort et la res­ponsabilité. Dans le cas des pays pauvres c'est une manière de perpétuer la stagnation, le désœuvrement, et la tyrannie des potentats. \*\*\* Mais alors tout est-il mauvais et sans espoir dans le grand problème du développement du Tiers-Monde ? Une réponse qui doit être nécessairement brève n'a d'autre choix que de constater qu'en effet *le phénomène du sous-développement durera très longtemps, sans autre remède que très partiel et limité à certains endroits.* 94:153 Car voici ce qui arrive sur une échelle mondiale -- et que j'essaie de montrer en un raccourci : il y a une quarantaine d'années, la Birmanie (pour prendre un exemple) était un pays pauvre mais où le paysan moyen, égale­ment pauvre, cultivait quand même son lopin, gagnait un peu d'argent dans la rizière et par ses travaux domestiques. Le gou­vernement de Londres décida un jour que la terre devait être mise en valeur, et importa des milliers de paysans indiens, leur distribuant des terres. Ils se sont, en effet, enrichis, modéré­ment mais assez naturellement lorsqu'on donne à un groupe sélectionné une motivation et des moyens hors de ce qu'il possède normalement. Le résultat, quarante ans plus tard, est que la Birmanie est un pays plus riche, mais que ses paysans autochtones sont plus pauvres qu'auparavant car ils sont conscients de leur pauvreté, partant de leur échec. L'effort de développer le Tiers-Monde (pour en revenir à notre échelle après cette brève excursion en Birmanie) aura les mêmes conséquences : certains lieux, certaines branches de produc­tion seront mis en valeur peut-être même d'une façon specta­culaire, et cela profitera à un groupe local d'ouvriers et de paysans, et au secteur responsable des dirigeants ; mais cette réussite aura comme contrecoup la mise en évidence des échecs ou simplement de la stagnation ailleurs, elle aiguisera les jalousies et les malveillances. Le véritable développement, c'est le bon sens même, se trouve au bout d'efforts soutenus, et en premier lieu de l'effort hon­nête, compétent et dévoué d'une élite, souvent d'un seul homme, car les sociétés sous-développées possèdent encore, d'une ma­nière générale, le sens du respect des supérieurs hiérarchiques, partant le sens de l'obéissance. (Ce qui a pour conséquence d'accentuer encore le rôle, trop souvent néfaste, des élites actuelles). A l'encontre de l'exemple birman : celui de Singapore. Il est vrai que les Chinois, surtout les Chinois d'outre-mer (de San Francisco à Madagascar), sont des gens exceptionnellement disciplinés, solidaires et diligents, avec une mentalité qui est même un peu trop tournée vers les affaires terrestres à l'exclu­sion d'autres dimensions et considérations. Peu importe, nous parlons maintenant de développement économique. Singapore, formé de deux îles à l'extrémité sud de la Malaisie, a été jus­qu'ici une base navale britannique, dont le budget a été couvert à 40 % par les dépenses de la garnison et des familles de sol­dats et de marins. Le retrait britannique, qui sera terminé à la fin de 1971, laissera donc un vide dans l'économie de cet État minuscule où quatre races et quatre langues coexistent : Chi­nois (la majorité, plus de 80 %), Malais, Indiens et Anglais. La reconversion de l'économie est en train de se faire, précisé­ment afin d'éviter de tomber dans le sous-développement. 95:153 Les mesures prises sont indicatives de l'effort d'un gouvernement sage et ferme, sous la direction de l'homme exceptionnel qu'est Lee Kuan Yew. Les bases navales abandonnées seront converties en chantiers navals ; l'aérodrome militaire sera repris par Boeing de Seattle, avec des ateliers de réparation et pièces détachées ; l'investisseur étranger bénéficiera de cinq années d'exemption d'impôts, période pendant laquelle il pourra récu­pérer les sommes investies ; seuls les citoyens peuvent obtenir du travail, ce qui a permis à Singapore de se débarrasser de vingt mille Indiens qui préféraient rentrer aux Indes avec leur épargne (que le gouvernement a permis d'exporter) plutôt que d'opter pour la citoyenneté de Singapore ; des lois strictement observées assurent à l'employeur des bénéfices raisonnables, tout en protégeant les droits des employés (cela assure à Sin­gapore l'investissement japonais, très important, car les sa­laires à Singapore sont compétitifs avec les salaires qui ont cours au Japon). La fermeté du gouvernement Lee Kuan Yew se manifeste dans d'autres domaines aussi, apparem­ment sans rapport avec la vie économique et la victoire dans la bataille du développement, mais en vérité essen­tiels du point de vue psychologique et du climat d'inves­tissement. Il y a trois ans, lors des agitations à l'une des deux universités, celle de Nanyang, de langue chinoise, le premier ministre y envoya des soldats et fit arrêter et expulser une cen­taine d'étudiants. Jamais plus on n'entendit parler à Nanyang, que j'ai visité et trouvé en plein travail, de manifestations estu­diantines, bien que, de temps en temps, des professeurs amé­ricains en visite officielle déballent leur marchandise empoi­sonnée incitant les étudiants à se sentir les égaux des profes­seurs, à établir la démocratie et la participation. Dans un autre cas, lorsque quelques Malais furent assassinés à Singapore (dans la Malaisie voisine, les étudiants ont massacré des centaines de Chinois au printemps dernier) le gouvernement fit investir les quartiers chinois, fit arrêter et châtier les coupables, mettant ainsi une fin rapide à une politique d'attentats mutuels entre races antagonistes, politique qui aurait pu enflammer ce petit État fondé sur la paix raciale. Lee Kuan Yew déclara à cette occasion : « Nous croyons à la fraternité. Mais auparavant nous sommes décidés à maintenir l'ordre et le droit à la propriété. » La seule raison pour laquelle j'ai (brièvement) décrit la situation de Singapore est que son exemple nous montre plu­sieurs facteurs de transition saine vers le développement, quoique j'admette, bien entendu, que ce petit État se trouve, de par sa position géographique, dans une situation assez favorable. Mais au fond chaque pays possède quelques atouts qu'il faut savoir mettre en valeur au lieu de les neutraliser, comme c'est souvent le cas. Voilà les mouvements habiles du gouvernement de Singapore : 96:153 1\) un gouvernement nettement orienté vers l'Occident, sans vouloir jouer le rôle douteux et à la longue peu payant de maître chanteur entre l'Est et l'Ouest ; 2) un gouvernement formé par la participation des quatre groupes ethniques, assurant par conséquent la coexistence des races ; 3) prévoyance de l'avenir (retrait des Anglais) et offre faite aux investisseurs étrangers ; 4) encouragement aux petits entrepreneurs locaux et leur protection contre tout syndicalisme turbulent ; 5) un effort considérable pour scola­riser tous les enfants et pour trouver les quelques 18 000 emplois nécessaires chaque année à ceux qui sortent des écoles et des universités. C'est une œuvre magnifique car Singapore est petit et ne dispose pas des ressources de pays beaucoup plus vastes, peu­plés et riches, mais qui sont et probablement seront, pendant longtemps encore, engloutis dans le sous-développement. Thomas Molnar. 97:153 ### Le cours des choses par Jacques Perret LES GAIETÉS DE LA SÉMANTIQUE. Un élève de troisième avait été amené, au cours d'une rédaction, à écrire le mot nègre. Il m'a certifié avoir eu sincèrement besoin d'un nègre, non pour le faire travailler à sa place, mais pour figurer dans le récit. Il m'assure encore n'avoir pas eu l'impression de commettre une faute ni même une imprudence en écrivant ce mot et je dois dire que le personnage en question se trou­vait dépeint sous des couleurs plutôt sympathiques. Le mot lui est revenu biffé à l'encre rouge dont le pouvoir stigmatiseur est bien connu. Il faut écarter tout de suite l'hypo­thèse où la violence du trait ferait soupçonner une intention de génocide par envoûtement. La rature était bien celle d'un professionnel dénonçant le barbarisme. Plus exactement le professeur zélé aura voulu signifier que dans certains cas l'im­propriété de terme est aussi grave qu'un barbarisme ou que la propriété elle-même est devenue impropre. Toujours est-il que, dans la marge, il avait calligraphié la seule expression tolérée noir. C'est le cas le plus ordinairement cité en exemple des modifications imposées au sens des mots par les fluctuations de la morale universelle. N'empêche que les arrêts soulignés à l'encre rouge me font toujours une très forte impression. On sait bien que les doublets ne se réclament pas du principe d'identité, pas plus que les jumeaux ne se veulent confon­dus. Les mots ont leur amour-propre et leur quant à soi, et l'économie du langage répugne au synonyme parfait. Nous avons tôt fait de lui inventer la nuance qui le distinguera, allant parfois jusqu'à servir de repoussoir à son concurrent. Pendant longtemps, noir fut tenu pour synonyme honorable de nègre avant que celui-ci fût déclaré désobligeant et peccamineux. C'est peut-être un signe des temps que la version populaire d'un mot soit jugée flatteuse au regard de sa formation plus voisine du latin. 98:153 Il reste bizarrement admis que dans la bouche du plus fanatique des antiracistes, quelques expressions comme tête-de-nègre et nègre-blanc respirent encore l'innocence. N'empêche que « nègre » est un nom substantif commun ne pouvant désigner qu'un nègre parmi d'autres et s'il est employé par image (travailler comme un nègre) c'est par réfé­rence à l'espèce ainsi nommée. En revanche le mot « noir » qui lui est préféré n'est qu'un adjectif pris substantivement et pouvant désigner tout autre chose qu'un nègre. Attention aux malentendus. Le professeur y veillera. Un homme vêtu de noir n'est pas forcément un colon habillé d'une peau de nègre, pas plus que le « noir animal » n'est un nègre de qualité bestiale ou que « broyer du noir » n'est piler du Zoulou dans une gamelle. Le mot « blanc » hélas, n'a pas de doublet. Blanc d'œuf peut désigner autre chose qu'un arien d'origine ovipare, « blanc de baleine » n'est pas seulement un sobriquet de Jonas et « blanc de blanc » n'est pas toujours l'appellation contrôlée d'un occidental à pédigri sans tache. La sémantique est jonchée de pelures d'oranges. S'il existe encore un élève de troisième pour appeler un nègre un nègre c'est qu'il en est encore à dire qu'un chat est un chat. Ou qu'il est élevé dans un milieu raciste à l'influence duquel ses maîtres et confesseurs n'ont pu le soustraire. Il est possible aussi qu'en rayant le mot nègre le professeur n'ait voulu que paternellement le mettre en garde contre l'indigna­tion des sots. Mais le trait rouge à bien regarder trahissait juste­ment la sottise aggravée de passion doctrinaire, et grossie d'une peur des mots assez naturelle chez certains professeurs qui n'osant plus s'appeler professeur se veulent enseignants. Après quoi, s'avisant qu'il est difficile d'enseigner sans professer, ils se font dialoguistes à la disposition d'un auditoire souverain. Il m'étonnerait que le susdit enseignant se fît beaucoup d'illusions sur le bonheur du mot noir. C'est un pis aller. Il ne fait pas rançon de l'injure des blancs. Quand tout le monde saura que « noir » veut dire « nègre », cela fera du bruit dans les Landerneau de la conscience démocratique et les chercheurs n'auront pas encore inventé le vocable égalitaire, indistinct et incolore où la notion de race, même sous le doux nom d'ethnie, ne sera pas soupçonnable. Mais la solution n'est pas là. Puisque nous ne pouvons sortir du noir il faut l'expliquer, reconnaître honnêtement que le noir n'est pas autre chose qu'une sorte de blanc ou vice-versa. Le professeur a du retard. Il en est encore à l'époque où le blanc feignait d'être noir pour complaire au noir qui rêvait d'être blanc. Tout cela est fini. Le blanc rougit d'être blanc et le noir se veut nègre. Instruit par nos soins des valeurs de la *négritude* il s'y fortifie, tantôt fou jusqu'à rêver pour nous d'esclavage, tantôt sage et nous tendant la main pour aider le pénitent blanc à se remettre debout. 99:153 J'espère qu'avant sa retraite le professeur en question aura au moins la prudence d'honorer à haute voix l'antique et beau nom de nègre, lequel, entre parenthèses, n'avait jamais disparu de son langage intérieur. \*\*\* Le programme des gangsters est si chargé, la concurrence des faits divers si pressante que le holdup de Toulouse n'a tenu l'affiche que vingt-quatre heures, il méritait mieux que ça. Le banditisme est un secteur de l'économie nationale en pleine expansion. Le progrès ne laisse rien à la traîne, tout le monde suit, l'État, l'Église, l'industrie, le sexe, la pègre, l'intelligence, la sottise, la finance, les beaux arts et la chienlit. Il s'en suit que Philippe le Bel est une petite tête à côté de M. Pompidou, Athanase un esprit obtus au regard de Suenens et que la bande à Bonnot fait un peu sourire les affiliés du S.A.C. L'affaire du Courrier de Lyon ferait sans doute aujourd'hui une colonne à la trois mais pas tant de bruit qu'on en dût parler toujours en l'an 2144. Hier encore le grand Larousse accordait cinquante lignes au malheureux Lesurque. Ce héros des annales judiciaires serait aujourd'hui condamné à cinq ans au bénéfice du doute et sans espoir de renommée. Il faut croire que le 8 Flo­réal de l'an IV, à peine sortie des fureurs de la Révolution, la population française avait retrouvé assez de calme et de vertu pour s'émouvoir d'un désordre. Sans doute les voyous ne man­quaient-ils pas mais se tenaient-ils à carreau ; ou alors on leur coupait aisément la tête et ils ne recommençaient pas. Autre­ment dit les citoyens vivaient sous la protection des lois. \*\*\* Il semblerait qu'aujourd'hui les lois fussent appliquées ou modifiées de telle sorte qu'elles tinssent lieu de savon sur la pente du vice, ou de courte échelle pour en escalader les som­mets. Quelle que soit l'accélération, l'ampleur et le génie des grands coups à venir, le hold-hup de Toulouse mériterait de faire date. Partis pour jouer le répertoire les acteurs ont im­provisé un chef-d'œuvre. De quoi rire et trembler, la farce à l'italienne, le mélodrame élisabéthain, les situations cornéliennes et les surprises à la Feydeau. Mais pas d'Amélie ni d'Antigone, pas d'honneur ni de patrie, une seule passion les habitait : le fric. Rien ne laissait croire que d'autres amours eussent armé leurs bras. Ce n'était que le pognon, le pur pognon, l'oseille amère, la braise ardente à sa proie tout entière attachée, le pèze épique où nous voyons s'émouvoir le génie de ses héros dans la fatalité de ses péripéties. 100:153 Puissant ressort dont les acteurs de Toulouse ont tiré un impromptu forain si parfaitement arti­culé qu'on l'eût dit médité, fignolé dans tous les détails de la mise en scène. Du commencement à la fin l'action s'est déroulée sans bavure ni temps morts, haletante et rigoureuse dans le respect des unités de temps et de lieu. Si la troupe s'est laissé cueillir à la sortie des artistes, peu importe, ils ne paieront pas cher et la pièce est jouée. \*\*\* Dès le lendemain quelques moralistes en ont fait la critique, un peu timidement à mon avis. La grosse question tournait au­tour du principe des otages, apparenté lui-même au vieux casse-tête de la fin et des moyens. Abordée comme une alternative elle vous accule au dilemme. Aucun rhéteur et peu de moralistes oseront dire que tous les dilemmes sont faux. Si la question des otages m'était posée à chaud il faudrait bien que je la tranchasse d'une façon ou de l'autre et contrairement peut-être aux réso­lutions que j'eusse prises à la fraîche, buvant un rhum dans la paix de mon jardin. La prise d'otage est un procédé qui choque de plus en plus notre sensibilité occidentale. Il est flétri par la conscience mon­diale dans tous les cas où elle ne passe pas l'éponge. Il n'en connaît pas moins dans les opérations de violence un renouveau de faveur du fait même que la presse, la radio, l'opinion exci­tent plus régulièrement à la pitié pour les otages qu'à la punition expéditive des ravisseurs. Naturellement porté à ne pas contra­rier les salopards, le bon public leur payera plutôt le champagne et jettera des pierres à quiconque s'aviserait d'un geste impru­dent. Nous avons pu, ces temps derniers, nous émouvoir sur le sort de nombreux otages et de toutes sortes : beaucoup d'en­fants, deux ou trois doyens, quelques ministres et ambassa­deurs, les passagers d'innombrables avions détournés, enfin le holdup de Toulouse et dans les jours qui suivirent une kyrielle d'agressions plus ou moins réussies sous le couvert d'otages. L'une d'elle au moins aura démontré qu'en tirant, je ne dis pas dans le tas mais en prenant des risques, les représen­tants de la loi ont une chance de trancher la question de telle sorte que force ne reste pas aux brigands. Il est probable que les dits policiers auront été, selon la coutume, félicités pour le résultat, blâmés pour l'initiative. Dans tous les cas énumérés ci-dessus, sauf un ou deux je crois, les otages ont été rendus vivants et les criminels satisfaits. 101:153 Pour la plupart sinon tous, les otages ont manifesté, par atti­tude ou messages, leur attachement très vif à l'existence, chose naturelle. Les cas sont inégaux bien sûr, l'ambassadeur et le bébé par exemple. Ne prenons que l'ambassadeur, ou le minis­tre. S'il est un moyen de faire passer un billet à son gouverne­ment, il peut lui recommander quelque solution qui le rendrait vivant au service de l'État. Il pourrait aussi bien le rassurer en ces termes : « J'ose vous rappeler que ma personne vaut moins cher que les intérêts qu'elle représente, alors je vous en prie, pas de faiblesse ni de chichis, allez y carrément. » Et s'il est con­traint d'écrire tout autre chose et sous la dictée d'un parabellum, libre à lui aussi bien de dire à ses ravisseurs : « Je n'en ferai rien, mecs, tirez donc s'il vous plait. » Ces cas-là se font rares. Valeurs en mutation, ambiance morale, maturité politique, en­vironnement, que sais-je. De toutes façons je n'aurais pas le temps ni le talent de dire en quelques lignes pourquoi et comment des mots comme sacri­fice et honneur en sont venus parfois à désigner des notions et attitudes anachroniques. Ainsi le chevalier d'Assas n'est-il plus qu'un petit crâneur auvergnat et Regulus un vieil imbécile rayé des programmes. Disons-nous quand même que l'étoffe, n'en est pas perdue et que par mode ou nécessité, nous en retrouverons peut-être l'emploi. \*\*\* Il y a le sort des otages, la raison de ceux qui les prennent, et aussi le point de vue de ceux qui passent outre. La valeur d'un otage est liée au coût officiel de la vie. Le prix de celle-ci est parfois si haut qu'on doit mettre des gants pour toucher au cheveu d'un assassin. Ce n'est pas le moment alors d'abattre à coups de D.C.A. un avion piraté sous prétexte que dès lors et pour longtemps la sécurité des voyageurs serait assurée ; on entendrait crier la conscience mondiale. Mais il y a des pério­des où la vie ne vaut pas cher et les otages ne peuvent même plus compter sur la prudence de leurs amis. Le camp où il ont été prélevés peut se montrer farouchement résolu à passer outre, le cœur navré sans doute mais la conscience en paix. Il arrive même qu'un partisan bien stylé aille tirer dans le dos d'un bi­dasse attardé à seule fin d'en obtenir le carnage réclamé dont sa cause avait besoin. Il aura la croix, peut-être une rue à son nom, voire un chapitre au *De Viris* recyclé. \*\*\* 102:153 Pour les besoins de la conscience américaine, l'affaire du lieutenant Calley a eu le privilège de venir en justice et d'y faire grand tapage au bénéfice de l'innocent vietcong. Le lieutenant, matériellement responsable des 102 civils massacrés à Song My, proteste de son obéissance aux ordres reçus. Son capitaine a été appelé au tribunal et inculpé. Le colonel aussi. Il n'y a pas eu de *quousque,* l'escalade s'est enrayée au niveau du général, il était temps. Tout le paquet retombera sur la cause dernière, c'est l'ordinaire économie de la justice et des hiérarchies. Il ressort du procès que les victimes de Song My n'étaient pas stratégiquement justifiables. Le petit lieutenant payera pour les fantastiques bouillies humaines de Dresde, Hambourg, Hiroshima et autres actions à jamais blanchies pour avoir sauvé la démo­cratie. \*\*\* On joue *Nicomède* à la Comédie française. Pauvre décor et combien prétentieux, que d'alexandrins passés à la moulinette, mais, bonne surprise, Corneille n'est pas cuisiné à la Brecht et c'est bien Nicomède qu'on joue. Admirable tragédie au dire même de l'auteur. Depuis que le théâtre s'adresse à des électeurs, Nicomède a toujours du succès. Quel que soit le régime, deux répliques au moins font murmurer la salle : « *Ah ne me brouillez pas avec la République ! *» et « *Pour comble de bonheur l'amitié des Romains *»*.* Ce soir-là le public a marqué le coup sur un hémistiche qui passait jusqu'alors inaperçu : « *il faut ordre nouveau *»*.* L'ordre dont il s'agit n'est qu'une prescription verbale ou écrite attendue par l'envoyé de Rome au royaume du Pont. Mais le public a feint de croire que Flamarius plaidait soudain la cause d'une faction d'extrême-droite qui déjà grondait dans les coulisses. Or il s'est trouvé qu'en effet, le lendemain soir, une violente échauffourée mettait aux prises les cohortes gauchistes et la milice de l'Ordre Nouveau. L'affaire devait éclater sur les mar­ches du palais d'Hespaure, tyran mythologique assoiffé de cla­meurs populaires. Les documents iconographiques publiés peu après nous ont montré les deux armées rangées face à face et nous étions en effet quelque part entre la Cappadoce et la Bi­thynie. A la lueur des torches on voyait se détacher dans la nuit les guerriers coude à coude avec leur boucliers bord à bord, ici le scutum des légionnaires mais plus souvent le bouclier rond à la grecque, en l'occurrence emprunté aux techniciens de la poubelle (*pubes bellum,* guerre adulte). Malgré le disparate ha­bituel aux armées de fortune on devinait déjà un souci de l'équi­pement homogène et distinctif. L'armement lui-même compre­nait encore une grande quantité d'objets contondants, soit de poing soit de jet, visiblement détournés de leurs fonctions pa­cifiques et choisis pour leurs aptitudes aux coups et blessures. En revanche les vétérans se trouvaient dotés du manche de pioche réglementaire, de la fronde ou de l'épieu et, de temps à autre, on distinguait dans l'éclair d'un feu grégeois le hérisse­ment décoratif des javelots tubulaires. 103:153 La plupart des combat­tants avaient coiffé le casque blanc, d'aucuns la bourguignotte noire arrachée à l'ennemi et quelques-uns avaient bricolé des sortes d'ustensiles en manière de bassinets à la mode sarmate. Dans l'épaisseur de la nuit et non loin de leurs chariots, station­nait la sombre phalange des prétoriens en réserve, reconnaissa­bles à leurs boucliers d'ordonnance, à leur courte massue et à l'espèce de morion à visière translucide et mentonnière mobile qui les faisaient ressembler à des myrmidons. La mêlée fut confuse et les combattants s'échauffaient en larmes dans un brouillard de soufre. Prusias dormait sans doute mais où chercher Attale et que faisait Araspe ? Méfions-nous des comparaisons, pas de personnalités, arrêtons le parallèle. Disons néanmoins qu'ici et là s'énervait Laodice reine d'Auteuil en haillons égyptiens, quelqu'Arsinoé princesse de Sociologie en long fourreau de lapin craspek, et peut-être un sophiste bigleux sur tréteaux de vieux bidons s'épuisait-il en vain à détourner sur lui la rudesse des gendarmes. On ne voyait ni drapeaux ni enseignes mais les querelles se distinguaient assez pour un observateur sagace. La faction des sinistraires offrait bien, dit-on, les apparences d'une troupe animée de thèmes orientaux alors que, paraît-il, on rêvait de chevalerie dans le camp des ambidextres, en partie constitué par les tenants d'une Europe intégrée en faisceau. Europe gallo-teutonique légèrement romanisée sur les bords du Sud, et bas­tion des valeurs occidentales, je veux bien. Mais serait-il prévu par hasard que nos jeunesses carnutes et bellovaques pussent aller au casse-pipe aux accents de Wagner ? Serait-il prévu que pût exister une Europe intégrée ailleurs qu'en chrétienté, ou que celle-ci pût renaître si Rome n'est plus dans Rome ? Devons-nous croire aussi que le serpent se laisse écraser si la Vierge n'y met le pied ? Enfin peut-on rêver sérieusement de chevale­rie sans croix ? Jacques Perret. 104:153 ### Le cinéma comme il est *Westerns et policiers :\ quatre films sur la police* par Hugues Kéraly QUE LE CINÉMA SOIT CAPABLE, pour le meilleur comme pour le pire, de s'approprier n'importe quel sujet, d'utiliser ou de découvrir chaque jour de nouveaux styles, cela semble aujourd'hui suffisamment prouvé. Mais il n'y a en défi­nitive, et il n'y a jamais eu, que deux genres cinématographi­ques à part entière : le *western* et le *policier.* Deux genres qui s'avèrent pourtant, quant à leur inspiration, totalement dénués d'originalité. \*\*\* Le western classique repose en effet sur une réserve fort restreinte de schémas dramatiques extrêmement épurés, aux ressorts simples, et dont on a assez souligné la parenté avec ceux de l'épopée médiévale. Car le western est, comme l'épopée, un genre essentiellement populaire : un genre épique, héroïque, volontiers moralisateur, parfois même authentiquement moral lorsque les vertus personnelles du héros se trouvent ordonnées au service d'une autre cause que celle de sa propre glorifica­tion. Toutefois -- on oublie trop souvent de le préciser -- de l'épopée au western, ce ne sont pas seulement les circonstances historiques qui diffèrent ; c'est aussi la morale, où ne sont plus magnifiées les valeurs de la Chrétienté, mais plutôt celle du pro­testantisme. Cela devrait d'ailleurs nous faire réfléchir, que le seul genre cinématographique qui se soit voulu explicitement moral -- et qui y soit parfois parvenu -- ait été un cinéma d'inspiration indiscutablement protestante. 105:153 Quant au « policier », il se peut qu'il ait à l'origine puisé son inspiration dans la littérature du même nom ; il n'en constitue pas moins aujourd'hui un genre bien à part, qui pos­sède ses lois spécifiques, ses héros et sa morale propres -- les­quels, tout bien pesé, ne diffèrent pas substantiellement des traits caractéristiques que nous venons d'évoquer à propos du wes­tern ; c'est pourquoi nous sommes tenté de voir quelquefois dans le policier une sorte de western transposé ; peut-être un peu moins moralisateur, mais certainement aussi « idéaliste », aussi intemporel en quelque sorte que ce dernier. Comme le western, le policier constitue en effet un genre qui doit tout au génie de ses propres constructions dramatiques, et pratiquement rien à la vérité ou à l'actualité de ses person­nages et de ses situations. Cette logique interne, abstraite, qui anime le vrai film policier et lui permet de se consacrer entière­ment à la peinture d'un certain nombre de types moraux (l'idéa­liste, le justicier, le meneur, le traître, etc.), constitue certaine­ment la meilleure garantie de son succès populaire. Car ce dont le peuple a soif, et que les maîtres du genre ont parfaitement compris, ce n'est pas d'un cinéma-vérité à prétention sociolo­gique ou révolutionnaire, mais d'*héroïsme* et de *morale --* dût-il pour cela se contenter du plus obscur manichéisme. Il suffit pour s'en persuader de relire ce que déclarait récemment avec beaucoup de lucidité Jean-Pierre Melville, le célèbre auteur du *Doulos,* du *Samouraï* et du *Deuxième Souffle :* « Aujourd'hui, en France, pour dire ce que je veux dire, le véhicule le plus commode me paraît être l'intrigue policière. Dans ces batailles entre gendarmes et voleurs, il est facile de faire entrer la tragédie. Et cela seul m'intéresse ; je ne suis pas le documentariste qui cherche à réaliser des films « ac­tuels ». Je suis, ou plutôt j'essaie d'être, un *moraliste* (*...*)*.* Je sais que la pègre que je décris n'est pas la vraie pègre... D'ail­leurs je ne suis pas le réaliste que l'on prétend. Mes films sont des films rêvés. Je pars d'une idée, d'une réflexion, d'une vision, jamais d'un fait divers. J'invente ma réalité. » Westerns et policiers ne sont certainement pas toujours des films irréprochables, loin de là ; et l'on pourrait disserter long­temps sur le rôle de deséducation massive que revêt un tel ciné­ma quand il devient la proie de réalisateurs sans intelligence ou sans scrupules... Il reste que ces deux genres cinématographi­ques mettent en œuvre des techniques qui en font les enfants chéris du septième art, en quelque sorte ses produits les plus exclusifs, et que le cinéma dit « de masse » leur doit à ce jour l'essentiel de sa popularité. \*\*\* 106:153 Il fallait bien cependant, dans la grande dégringolade où s'engage actuellement la production cinématographique, que ces « bastions » vinssent eux-mêmes à se fissurer. Tous les pu­ristes en conviendront : le western entre actuellement dans l'ère de sa propre *parodie.* Nous ne nierons certes pas l'humour qu'y déploie par exemple un Sergio Leone (*Le Bon, la Brute et le Truand* en 1967, *Il était une fois dans l'Ouest* en 1969, etc.) ; mais qu'est-ce que le western italien, sinon un western radicale­ment vidé de tout contenu épique, un western qui a perdu la foi dans les valeurs (fussent-elles protestantes) qui l'animaient, préférant alors se réfugier dans un comique de gestes au second degré, signe certain de sa totale *dévitalisation *? Le western meurt également d'une autre façon, moins visible, mais non pas moins définitive : en sombrant dans l'érotisme, lui aussi, par petites doses grandissantes qui commencent à tout envahir. Ô le mortel ennui, quand il faut subir sans broncher un bon quart d'heure de coucherie avant d'entr'apercevoir le sabot d'un cheval ou l'ombre d'un six-coups ! Les temps sont proches hélas, où les chevaux et les colts de nos bons vieux westerns seront tout juste bons pour le générique, les jeux de l'amour et du plumard prenant désormais la place de ceux de la conquête et de l'aventure... Décidément oui : la phase terrible que tra­verse actuellement le western est comparable (toutes propor­tions gardées) à celle où s'aventurèrent les lettres françaises au XVI^e^ siècle, avec l'apparition envahissante de la femme dans la littérature : un sentimentalisme féminisant prit chez les meil­leurs la place de la vertu guerrière -- parfois même de la vertu tout court -- et le joli petit mollet de Monsieur de Nemours fit oublier Roland et Perceval. On a eu là les conséquences ; on les aura ici. Quant au genre policier, il semble bien qu'il s'engage lui aussi dans une évolution dévitalisante parallèle à celle du wes­tern, et ploie chaque jour davantage sous les prétentions psycho­sociologiques, métempirico-métaphysiques (ou tout ce qu'on voudra) de réalisateurs assez stupides pour ruiner ainsi à terme la poule aux veufs d'or. Il n'est pas jusqu'à Melville qui ne s'abandonne à la tentation de faire peau neuve, comme en té­moigne cette prétentieuse sentence bouddhique placée en exer­gue de son dernier film, *Le Cercle rouge :* « Quand des hommes même s'ils l'ignorent doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'eux... inexorablement ils seront réunis dans le cercle rouge » (?). Rien n'est plus étranger pourtant aux personnages habituels de Melville que cette notion de fatalité inexorable, notion dont l'histoire et le style du *Cercle rouge* ne contiennent d'ailleurs à notre avis aucune illustration convain­cante. Ce qui anime au contraire le cinéma de Melville, ainsi que le souligne fort bien André Besseges dans *La France Catholique* du 13 novembre 1970, c'est « la reprise du mythe du héros so­litaire, admirable dans le monologue intérieur qui le justifie et l'exalte, le purifie quelle que soit la cause misérable qu'il sert ». 107:153 D'une façon plus générale, il semble que les réalisateurs soient de moins en moins enclins aujourd'hui à traiter en tant que telles de nouvelles intrigues policières, et entreprennent plu­tôt des films *sur* la police et les policiers, *sur* le « milieu » et ses truands. Du coup, c'est « la police », c'est « la société » qui se trouvent directement mises en cause dans leurs films. Et on pourra certainement le regretter pour le genre policier, qui glisse ainsi dans le domaine déjà suffisamment pourri en France du film à thèse ; mais bien plus encore pour la police et la société elles-mêmes, qui se seraient bien passées de cette con­frontation supplémentaire avec les visions absurdistes, dégra­dantes et notoirement haineuses d'une certaine intelligentsia. \*\*\* Parmi les films récents qui témoignent de cette nouvelle tendance des réalisateurs de policiers, certains méritent d'être examinés de près ; et d'abord celui qui a obtenu en France la critique la plus favorable, le dernier film de Claude Sautet : *Max et les ferrailleurs.* Ancien juge d'instruction, Max est entré dans la police parce qu'un jour -- faute de preuves -- il a été contraint de signer un non-lieu... Depuis, l'idée de surprendre les malfaiteurs pro­fessionnels en flagrant délit l'obsède formidablement. A tel point qu'après avoir accumulé les échecs auprès de bandes bien orga­nisées, il ira jusqu'à inciter lui-même une poignée de « zo­nards » nanterrois, truands de troisième catégorie, à organiser l'attaque d'un petit établissement bancaire où ses hommes se sont postés pour les cueillir au moment opportun. Le procédé est d'autant plus révoltant que ces minables petits « ferrail­leurs » n'auraient jamais eu d'eux-mêmes l'idée de tenter un pareil hold-up, et que Max utilise pour les y inciter la maîtresse d'un de ses anciens amis, devenu chef de la bande en question. ... Un bien sale policier, ce Max, personne ne dira le con­traire. Il est vrai qu'avec *Un Condé, Le Conformiste,* et surtout *Enquête sur un Citoyen au-dessus de tout soupçon,* nous som­mes plutôt gâtés, depuis quelques temps, en matière de corrup­tion policière : chantage, abus de pouvoir, tortures, vengeances, terrorisme, mégalomanie, tout se passe comme si d'un seul coup l'étonnant florilège de vices que recèle la société des hommes avait abandonné le camp des malfaiteurs pour rejoindre celui de l'appareil policier. Finis les thèmes par trop « manichéens » (mais somme toute assez rassurants) du bon détective et du méchant criminel : les méchants sont passés de l'autre côté du manche, et on ne leur a pas demandé pour autant de changer de besogne, ni de voiture ou d'uniforme, ni d'artillerie, mais sim­plement de bien vouloir se présenter le matin pour pointer à la P.J. Après quoi... 108:153 *Un Condé*, le film d'Yves Boisset, retrace l'histoire d'un poli­cier qui n'hésite pas à user et abuser des moyens les plus brutaux, les plus illégaux, pour venger un collègue assassiné dans l'exercice de ses fonctions... Ce film aux qualités techni­ques et artistiques plutôt médiocres (malgré le talent de Michel Bouquet dans le rôle principal) serait probablement passé pres­que inaperçu du public si la censure n'avait eu la fâcheuse idée de s'en inquiéter. Il y a longtemps d'ailleurs que les réa­lisateurs de films ont compris tout le parti qu'on pouvait tirer des fameuses « inquiétudes » de la censure cinématographique française, lesquelles ont pour principale vertu de manquer to­talement d'efficience -- et d'abord de cette force d'exécution qui fait de la justice autre chose qu'un sentiment de contempla­tion affligée du mal. Car il devient réellement comique de voir avec quelle facilité la censure, tout en prenant parfaitement conscience des voies où s'engage aujourd'hui le cinéma (ce n'est pas trop tôt), accepte immanquablement de se constituer *complice* des films qu'elle condamne ; et mieux vaudrait encore garder le silence, que de lever ainsi qu'elle le fait à la première semonce les rares interdictions totales prononcées contre cer­tains films, assurés alors d'y trouver une propagande supplémen­taire gratuite très appréciée des producteurs. Le cas d'*Un Condé*, qui finit par paraître à la fin de l'année dernière simple­ment amputé d'une scène de torture jugée trop violente (mais est-ce que la violence fondamentale du film s'en trouve pour autant modifiée ?), est tout à fait symptomatique du rôle d'in­citation et de provocation publicitaires joué par la censure à l'égard du cinéma. Comment n'aurait-il pas bénéficié d'une poi­gnante auréole au martyrologe de la lutte pour la liberté d'expression, ce *Condé* si longtemps retenu dans les cartons de la censure et à ce point menacé par les forces obscures de la répression fasciste qu'une Société de réalisateurs de films prési­dée par Jacques Doniol-Valcroze y trouve -- paraît-il -- l'occa­sion de renouveler une scène digne du Serment du Jeu de Pau­me ? *Le Conformiste,* de Bernardo Bertulocci, aborde pour sa part le problème de la corruption policière sous l'angle d'une im­pitoyable analyse de comportement, inspirée d'un récent roman de Moravia. On y voit en effet un jeune bourgeois de la société italienne des années trente, fils d'une mère dépravée et d'un père fou, entrer dans les polices parallèles du fascisme pour échapper -- en devenant « comme les autres » -- au souvenir de sa première émotion homosexuelle (précisons qu'il s'agit là d'une interprétation simplement probable, le film laissant place à bon nombre d'obscurités). 109:153 Il n'y avait vraiment que Jean-Louis Trintignant pour se sentir à l'aise dans un pareil rôle, et lui donner par là-même un peu de crédibilité. Car c'est bien un personnage incroyablement lâche, sournois et ambigu que Mo­ravia, et avec lui Bertolucci, ont tenu à choisir pour illustrer cette curieuse étude sur la psychologie du fascisme. *Rien n'est cruel comme un lâche*, semble nous dire Bertolucci, et on nous permettra sur ce point de partager pleinement ses convictions. Mais -- grâce à Dieu -- tous les lâches n'ont pas le courage de se faire fascistes. Sans quoi on n'aurait plus le temps de les compter ; ni sans doute d'en parler aussi librement. Quant au film d'Elio Petri, *Enquête sur un Citoyen au-dessus de tout soupçon*, il met en scène un haut fonctionnaire de la police (italienne également) qui décide de prouver sa puissance et son invulnérabilité en assassinant sans aucune discrétion sa propre maîtresse... Ce long-métrage est peut-être, psychologique­ment et humainement, un des plus convaincants qu'il nous ait été donné de voir au cours de ces dernières années, car l'im­mense talent de Gina-Maria Volonté -- dans le rôle du commis­saire mégalomane -- triomphe à chaque instant de l'invrai­semblance de l'histoire. Parce qu'il confère à ce film d'une perfection technique indiscutable le style corrosif et brillant qui fait parfois défaut aux deux précédents, *Enquête etc*. est aussi le plus troublant comme le plus dangereux de tous ceux qui ont été réalisés autour d'un tel sujet. Si l'on ajoute maintenant à ce charmant tableau des mœurs de la police contemporaine les critiques non moins violentes dont elle a fait récemment l'objet, sur le plan politique, à travers des films comme *Z* ou l'*Aveu*, on ne doutera pas que le pro­blème du maintien de l'ordre en général -- et plus spécialement des rapports entre la police et le pouvoir -- soit à l'ordre du jour chez les cinéastes. \*\*\* Certes, dans les rangs des appareils policiers comme partout ailleurs, la faiblesse et la méchanceté humaines continuent d'exister, et conduisent sans doute certains individus à abuser de leurs pouvoirs dans des perspectives n'ayant que peu de chose à voir avec celles de la justice. On voit mal comment il en serait autrement, et nous ne nous donnerons pas pour notre part le ridicule de le nier. Il semble clair également que la Cité est en droit d'attendre, de ceux qui acceptent d'en devenir les gardiens, sinon une parfaite intégrité, du moins une particulière vigilance à l'égard de leurs propres « brebis galeuses », et que toute indulgence coupable en ce domaine passe à bon droit pour un grand scandale... Car qui donc, s'ils ne s'en chargent pas eux-mêmes, gardera les gardiens de la Cité ? 110:153 Cela établi, et puisqu'il est ici question de justice, qu'on nous permette deux distinctions importantes, absolument né­cessaires à notre avis pour que le problème de la corruption policière soit justement posé (surtout en un moment où la police subit dans notre pays une campagne de dénigrement systéma­tique particulièrement venimeuse, dont elle commence d'ailleurs elle-même à s'étonner...). Précisons que notre intention n'est pas du tout d'épuiser ainsi en quelques pages un tel débat, mais simplement -- comme disent certains -- de le « dépassionnali­ser », de le ramener en quelque sorte sur son véritable terrain. Tout d'abord, il est clair pour nous que le problème ne se posera pas du tout de la même façon selon qu'il s'agit de police tout court, ou de police dite *parallèle*, voire *politique*. En éta­blissant entre les deux une relation d'équivalence absolue, nos gauchistes et autres barbares ont tout de même un peu trop simplifié la question... Car enfin, l'existence même d'une police parallèle dans un pays ne plaide-t-elle pas avec certitude en faveur de sa police régulière, quelles que soient par ailleurs ses faiblesses et ses imperfections ? (A condition, bien sûr, que ce ne soient pas les mêmes... encore que le seul fait de changer d'uni­forme en changeant de besogne -- sans rien excuser -- n'en témoigne pas moins d'un reste de considération à l'égard du véritable rôle de la police.) A la limite, et compte tenu de cette désastreuse conception moderne de la vie politique qui fait du pouvoir exécutif la « cho­se » dont s'emparent alternativement les partis ou groupements nationaux, nous serions presque tenté de considérer comme suspect un gouvernement ne manifestant aucune tendance à entretenir dans l'ombre, avec plus ou moins de vigueur, plus ou moins de discrétion, l'existence d'une police parallèle. Car cela signifierait sans doute qu'il n'en a pas besoin... soit parce que nous nous trouvons en présence d'un gouvernement angéli­que et comme indifférent à son misérable destin terrestre (mais est-ce bien probable) ?... soit aussi parce que la police officielle se montrerait suffisamment docile aux pressions que le dit gou­vernement pourrait être amené à lui faire subir afin de mener en dehors de toute légalité les actions publicitaires, totalitaires ou terroristes requises pour sa propre conservation. Qu'on nous comprenne bien : nous ne cherchons pas du tout à insinuer, en méchant fasciste, que l'existence même d'une po­lice parallèle est nécessaire au maintien de l'ordre social, et comme postulée pour la sauvegarde légitime du bien commun. Nous constatons simplement que la nature spécifique des partis politiques, et les conditions nécessairement publicitaires, to­talitaires ou terroristes de leur lutte pour l'obtention et la con­servation du pouvoir, imposent en quelque sorte ce recours à l'appareil policier -- qu'il s'agisse de l'institution officielle ou, le cas échéant, de sa caricature. 111:153 Nous ne prétendons pas non plus que la police officielle oppose immanquablement à cette situation de fait un héroïsme sans faille et une intégrité au-dessus de tout soupçon : trop d'exemples récents, surtout depuis ces dix dernières années, se presseraient aussitôt en foule dans l'esprit du lecteur pour nous contredire. Nous observons sim­plement que, dans l'exercice habituel du pouvoir en ce pays, la police régulière a sans doute la sagesse de ne pas se montrer trop docile, sans quoi l'existence des juridictions d'exception, des organismes para ou pseudo-nationaux et du reste ne s'ex­pliquerait pas ; que les exemples évoqués plus haut ne consti­tuent pas encore chez nous la règle, mais bien plutôt l'exception, l'anomalie, le pathologique ; enfin qu'il faut supposer la présence d'une personnalité singulièrement taillée à la mesure de l'ex­ceptionnel, l'anormal et le pathologique pour imposer à la pru­dence ([^45]) traditionnelle de la police de tels dérèglements... On nous aura facilement compris. Est-il besoin d'ajouter que cette première remarque ne sau­rait en aucun cas s'appliquer aux pays où le pouvoir politique se passe fort bien de police parallèle, pour la simple raison que ce pouvoir est déjà lui-même organisé en parti unique, et mo­nopolise à ses fins totalitaires propres tous les moyens de ré­pression dont dispose normalement l'appareil policier ? D'une façon plus générale, il nous semblerait également in­juste -- lorsqu'il est question de corruption policière -- de ne vouloir établir aucune distinction entre les vices et crimes im­putables à la seule méchanceté humaine, et ceux imputables *aux principes et à l'esprit du système* au sein duquel ces crimes ont lieu. Cette distinction n'est pas nouvelle, on voudra bien nous en excuser. Mais l'on ne saurait sans y recourir juger des errements éventuels d'une quelconque société ou institution humaine ; de même que l'on ne saurait apprécier à sa juste valeur les mérites d'une vertu égale, si l'on ne remonte aux dispositions parfois héroïques qui en ont préparé et permis l'exercice. Il faudrait, autrement dit, rechercher si les dérèglements et scandales dont il est question ne dérivent pas d'une disposition aberrante du système lui-même, d'une sorte de perversion in­trinsèque, et voir en définitive si cette institution nous semble conforme ou non aux principes du droit naturel... Non que le problème de l'organisation policière d'un pays relève directe­ment de la loi naturelle. C'est le droit *positif*, nous le savons, qui fixe le caractère spécifique de chaque institution, dans un souci parfaitement légitime d'en adapter les structures aux modalités pratiques, et aussi changeantes que variées, de la sauvegarde et de la promotion du bien commun dans chaque pays. 112:153 Mais de même que le contremaître ne peut exiger l'obéissance en de­hors du plan d'ensemble dressé par l'architecte, de même les dispositions concrètes prises par le législateur ne seront-elles pleinement acceptables que dans la mesure de leur conformité aux exigences minima de la loi naturelle -- c'est-à-dire au sens strict du *Décalogue* ([^46]) -- dont elles tirent à la fois leur inspiration, leur raison d'être, et leur efficacité. Et certes, le droit positif ne peut pas toujours être *conclu* des principes du droit naturel. Il se présenterait plutôt comme une série de choix souvent arbitraires, toujours délicats, où interviennent à chaque instant la prudence et la sagesse du législateur. Néan­moins le principe de non-contradiction avec la loi naturelle elle-même peut et doit rester la préoccupation de base de ceux qui cherchent à faire progresser vers une plus grande justice sociale les dispositions pratiques du droit positif. Telle est en tout cas la barrière à ne pas franchir. Dans cette perspective, s'il est absolument indéniable que les pays subissant actuellement le joug totalitaire d'un parti unique ne sauraient en aucun cas bénéficier d'une organisation politico-policière conforme au droit naturel, ni même accepta­ble au regard des prescriptions simplement négatives d'un tel droit, il semble pour les mêmes raisons au moins aussi évident que les pays échappant à ce joug ne peuvent sans abus leur être assimilés. Le scandale d'une police politique terroriste, omnipo­tente, ouvertement immorale et criminelle, constitue dans les pays totalitaires un scandale permanent, officiel, institutionnalisé : il tient au système lui-même, *il est dans l'ordre voulu par le législateur.* Et si trop souvent ce scandale n'apparaît pas comme un dérèglement, mais comme une situation de fait dont on ne distingue plus très bien au dehors la monstrueuse per­versité, c'est précisément parce qu'il est condition d'un certain ordre politique et social sans faille aucune, dont on peut dire cependant qu'il réalise à ce jour l'inversion la plus radicale de l'ordre naturel de la Cité. \*\*\* A l'opposé, les scandales de la corruption policière en pays civilisé ne crèveraient pas tant les yeux de leurs concitoyens (ou plutôt de leurs cinéastes) s'ils étaient réellement provoqués par quelque vice inhérent au système lui-même, tel qu'il est institué par la loi. Quels qu'en soient le nombre et la gravité, ceux-ci restent des scandales, c'est-à-dire des exceptions, et à ce titre seulement on doit les condamner. 113:153 Or c'est une impression exactement inverse que le spectateur moyennement crédule retire de l'actuelle série de films sur la police, dont on s'acharne à lui représenter avec un grand luxe de détails l'irrémédiable et foncière *méchanceté.* Rien dans cette campagne ne semble laissé au hasard, comme s'il fallait à tout prix associer dans la mentalité des honnêtes gens -- à l'idée de police -- celle d'un système parfaitement bien organisé pour susciter, entretenir et protéger en son sein les pires canailles, les plus froids criminels de notre société... *Le Condé* peut as­souvir en toute tranquillité sa soif de vengeance personnelle, retourner contre le « milieu » les plus sanguinaires méthodes qu'il y ait lui-même observées, il est assuré que ses supérieurs n'auront pas un instant la sotte idée de se montrer trop curieux sur ces agissements. *Max* peut monter de toutes pièces la dia­bolique machination du hold-hup, acculer patiemment au sui­cide les victimes qu'il s'est inventées faute d'avoir su pincer un seul des vrais coupables, leur faire payer de mort au besoin l'idée lancinante de sa propre médiocrité, il est bien tranquille qu'on lui donnera si nécessaire bénédiction, promotion, appui moral et coup de main. Quant au brillant commissaire princi­pal de *l'Enquête etc.,* il faut voir avec quel pusillanime empres­sement ses collaborateurs et subordonnés s'efforcent de lui dé­montrer son innocence dans un crime dont il se reconnaît pour­tant lui-même coupable : mais non, voyons, ne vous excusez pas ; c'est bien naturel... Puisqu'on ne cesse de vous répéter que vous êtes -- Messieurs les Policiers -- au-dessus de tout soupçon ! Eh bien non, il faut protester contre cette escalade dans le mensonge, aussi déshonorante pour la police que pour la société qui le tolère. Car c'en est absolument ridicule, de voir avec quelle facilité on arrive aujourd'hui à faire passer pour un cinéma réaliste, défenseur impitoyable de la vérité, une mas­carade aussi grossière que celle qui nous est ainsi imposée. \*\*\* Naturellement, si la situation venait à changer, nous serions tout près à applaudir et soutenir dans nos critiques une coura­geuse révolte des cinéastes européens contre l'installation dans nos pays de régimes authentiquement totalitaires et policiers. Mais aurons-nous alors autant de « pain sur la planche » ? On peut légitimement en douter... Hugues Kéraly. 114:153 ### Note sur la 54^e^ leçon *suite et fin* par Marcel De Corte INLASSABLE DANS SA LONGUE ANALYSE, Comte s'arrête toutefois un moment pour regarder le chemin parcouru : « Ainsi, note-t-il, le catholicisme, afin de constituer et de maintenir l'unité nécessaire à sa destination sociale -- et surnaturelle, ajouterions-nous, -- a dû contenir autant que possible le libre essor individuel, inévitablement discordant, de l'esprit reli­gieux » ([^47]). Que cet « individualisme », s'il n'est maintenu par la volonté du fidèle surélevée par la grâce au strict niveau du surnaturel, soit générateur du « libre examen » et des hérésies concomitantes les plus diverses, c'est ce que montre toute l'his­toire l'Église. De plus, « les historiens catholiques ont juste­ment noté que toutes les hérésies de quelque importance se trouvaient habituellement accompagnées de graves aberrations morales ou politiques » ([^48]). La plus importante est indubitable­ment l'arianisme, hérésie fondamentale et toujours renaissante qui résulte infailliblement de la chute de niveau du surnaturel, puisqu'elle considère le Christ comme une créature humaine et lui refuse la condition divine ([^49]), et qui envahit à nouveau l'Église contemporaine sous la forme démocratique de la sub­stitution de l'homme à Dieu. 115:153 Là encore, Auguste Comte va, d'un coup, au fond des choses : « L'histoire nous manifeste, d'une manière très variée et fort décisive, la secrète prédilection opiniâtre de la plupart des rois pour l'hérésie d'Arius, où leur instinct de domination sentait confusément un puissant moyen de diminuer l'indépendance pontificale et de favoriser la prépondérance sociale de l'auto­rité temporelle » ([^50]). S'il est vrai que le Christ n'est pas la se­conde personne de la Sainte-Trinité et pleinement Dieu, il est trop clair que sa doctrine ne peut plus opposer une infranchis­sable barrière au pouvoir temporel. Au contraire, la foi au Christ est privée de son immuable noyau. Son écorce et sa pulpe sont désormais perméables à toutes les infiltrations du siècle, en l'occurrence, à la démocratie, aux « droits de l'homme » et aux volontés de puissance qui les manœuvrent. Ainsi, à la faveur de l'hérésie arienne contemporaine où le Christ se dilue dans l'hu­manité, évolue avec elle et se change en une sorte d'entité fluente apte à recevoir toutes les formes, même les plus aberran­tes, ce ne sont plus les rois qui se soumettent l'Église, mais l'idéologie dominante qui y imprime son moule. Par un mouve­ment inverse dont nous avons parlé plus haut, l'Église démocra­tisée démocratise alors à son tour le monde et les débris de société réelle qu'il charrie encore. Comme le prouve avec éclat l'histoire de l'arianisme, celui-ci n'est pas seulement la cause des empiètements du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel et, à la limite, de l'absorption du second par le premier, mais également celle du maintien du pouvoir spirituel *désurnaturalisé* dans un monde abandonné aux seules manipulations psycholo­giques, sociologiques et physiques de l'opinion. Une bonne partie du clergé, imprégnée d'un humanisme qui n'est que la forme actuelle de l'arianisme, s'immerge dans la démocratie et dans « la socialisation de toutes choses », prélude au règne du Léviathan, dans l'espoir de participer un jour à leur triomphe temporel. \*\*\* 116:153 Malgré l'arianisme dans lequel presque toute la Hiérarchie avait sombré, l'Église « manifeste hautement, en beaucoup d'oc­casions capitales, l'heureuse influence habituelle de l'interven­tion catholique pour prévenir ou atténuer les dangers » ([^51]) qui résultaient des invasions barbares. « Cette intervention fonda­mentale du catholicisme » contribua largement « à imprimer à l'organisation féodale le caractère qui la distingue, en y dévelop­pant et en perfectionnant les principes essentiels qui résultaient de la nouvelle situation sociale », à cette réserve près que l'Église, non plus que la grâce, ne peut rien transformer à partir de rien et qu' « en général », l'action spirituelle ne saurait, par sa nature, jamais obtenir d'efficacité que sur des éléments préexis­tants, et d'après des dispositions antérieures et spontanées. Si la nature ne peut être, à soi seule, restaurée comme nature, il n'empêche que *gratia naturam supponit*. L'Église a pu bâtir la société chrétienne du Moyen Age parce que la chute de l'Empire romain n'avait pas détruit en l'homme de cette époque les ulti­mes réserves sociales indispensables à la reconstruction de communautés vivantes. « Cette pourriture de l'Empire, écrira Péguy après Comte, était pleine de germes ; elle n'avait pas ces promesses de stérilité que la nôtre possède aujourd'hui. » Répé­tons ici que ni Lamennais ni ses innombrables épigones actuels qui prétendent édifier une société nouvelle sur une mystique chrétienne de la justice (du reste de plus en plus sécularisée en fonction des nécessités que la concurrence des idéologies politiques leur impose) n'ont aperçu ce principe immédiatement évident. Sans une restauration simultanée des communautés naturelles élémentaires et sans la répudiation expresse du col­lectivisme que, leur disparition a engendré au titre d'*ersatz*, il est vain d'introduire « le ferment dans la pâte » : à la société d'Ancien Régime disparue n'a succédé aucune *société*. Le plus actif ferment ne fera jamais lever des grains de sable épars, fussent-ils méthodiquement et militairement juxtaposés par une propagande idéologique constante et par un appareil policier draconien. L'Église a contribué à la réfection sociale du Moyen Age en secondant le régime féodal né des invasions dans sa transforma­tion graduelle « de système primitif de conquête en système essentiellement défensif » ([^52]). Elle a effectivement discipliné l'esprit guerrier des envahisseurs et l'a progressivement converti en protection contre l'anarchie ambiante. 117:153 En soumettant les vainqueurs et les vaincus qui constituèrent la nouvelle hiérar­chie sociale à la foi en un même Dieu et en maintenant aussi strictement que possible la distinction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, elle a pu instaurer un état de choses relativement pacifique où les réserves sociales se sont accrues et par le jeu de leurs combinaisons alors possibles ont constitué le régime féodal. Que serait-il arrivé si l'Église avait opté pour l'esprit militaire des Barbares d'alors comme elle tend de plus en plus à faire le jeu de l'esprit révolutionnaire des barbares d'aujourd'hui ([^53]) ? Paul VI n'a-t-il pas prononcé, le 6 janvier 1967, au cours de la Messe de l'Épiphanie à Saint-Pierre, une homélie stupéfiante où il célèbre la révolution culturelle déclen­chée par les Gardes Rouges et par la jeunesse chinoise à l'insti­gation de Mao ? « Nous voudrions reprendre les contacts (avec la Chine rouge) pour faire savoir avec quel émoi et quelle affec­tion Nous considérons son aspiration présente vers des idéaux de vie nouvelle, laborieuse et prospère, dans la concorde ! » Dans cette nouvelle société en formation, le catholicisme « guidé par un sentiment profond, quoique confus, des vraies nécessités sociales du Moyen Age » ([^54]), a favorisé sans exception la transmission héréditaire du pouvoir temporel. Sans hérédité en effet, point d'attachement durable au sol, point de traditions politiques, point d'intérêt profond du supérieur à l'égard de ses inférieurs. Pour que la société féodale fondée sur « les principes corrélatifs d'obéissance et de protection », avec tout ce que ceux-ci comportent de rapports personnels, limités comme tels à la durée de la vie humaine, pût se stabiliser, il fallait que ses fonctions fussent héréditaires. « La propriété essentielle de l'hérédité, en effet, consiste dans la préparation morale de cha­cun à sa destination sociale » ([^55]), autrement dit à son intégra­tion active dans un ensemble qui le dépasse et le prolonge dans le temps. Sans l'hérédité, il n'est point de société possible : tout serait à recommencer à chaque génération. L'hérédité est la défense de la société temporelle contre le temps qui l'emporte et qui la consume. Elle est l'imitation de l'éternité promise à l'Église. Comment celle-ci pourrait-elle du reste nouer une rela­tion quelconque entre son essence immuable et une « société » (si l'on peut encore l'appeler ainsi) toujours changeante ? Aussi bien, à mesure que le catholicisme moderne admet le rejet du principe héréditaire dans les multiples organes de la société profane où ce dernier fonctionnait, il se prend à douter de lui-même et de ses invariants, et, l'effet se transformant en cause, il se mue, comme il le fait sous nos yeux, en adorateur de la « mutation » et de l'innovation radicale, sans commune mesure avec le passé de toutes les formes de la vie sociale. 118:153 Nier l'héré­dité dans la sphère propre du temporel, c'est y introduire la révolution permanente. L'Église médiévale s'en est bien gardée ! « Enfin, l'influence nécessaire du catholicisme n'est pas moins irrécusable sur la transformation universelle de l'escla­vage en servage, qui constitue le dernier attribut essentiel de l'organisation féodale. La tendance générale du monothéisme à modifier profondément l'esclavage, au moins en adoucissant la conduite des maîtres, est sensible jusque dans le mahométisme, malgré la confusion fondamentale qui y persiste entre les deux grands pouvoirs sociaux. Elle devait donc être extrêmement prononcée dans le système catholique, qui ne se bornant pas à une simple prescription morale, quelle qu'en fût l'imposante recommandation, interposait directement, entre le maître et l'esclave ou entre le seigneur et le serf, une salutaire autorité spirituelle, également respectée de tous deux, et continuellement disposée à les ramener à leurs devoirs mutuels » ([^56]). On ne saurait mieux faire entendre que la distinction et la complémen­tarité des pouvoirs spirituel et temporel, dans une civilisation imprégnée de monothéisme, délivrent l'homme de l'esclavage, tandis que leur confusion, dans une « civilisation » -- entre guillemets ! -- où chaque *moi* se divinise -- l'y plonge totale­ment. C'est la situation actuelle d'une moitié de la planète : la seconde en instaure les fondations. Comment l'Église, après avoir enseigné aux hommes ce prin­cipe essentiel de la vie sociale qui sauvegarde à la fois la différence entre la nature et la grâce ainsi que leurs interfé­rences mutuelles, a-t-elle pu l'effacer à ce point par des com­promissions répétées ? Comment ne s'aperçoit-elle pas que la pseudo-mystique de libération de l'homme qu'elle incorpore à ses croyances a pour conséquence inéluctable l'esclavage ? Comment clame-t-elle sur tous les toits le dogme menteur de l'égalité de tous les hommes, avec son corollaire : la suppres­sion de tout lien social naturel et de toute hiérarchie, dont le résultat s'inscrit déjà depuis deux siècles dans l'histoire sous la forme éclatante d'un asservissement irréversible de l'homme à l'État, et dont l'autre conséquence est la menace de sa propre disparition ? \*\*\* Pour mieux comprendre encore l'étendue et la profondeur de cette aberration de l'Église contemporaine, comparons, en pro­longeant Comte, « l'institution de la chevalerie » au Moyen Age à celle de « l'Action Catholique » en ce XX^e^ siècle. 119:153 La première « a spontanément réalisé un admirable résumé permanent des trois caractères essentiels dont nous venons de compléter l'appré­ciation sommaire dans l'organisation temporelle de l'épo­que » ([^57]). Bien que la chevalerie soit issue de la notion de hié­rarchie, partout présente dans la société médiévale et qui fait d'elle l'analogue d'un corps vivant dont les organes s'échelon­nent dans un ordre de subordination tout en se prêtant un mu­tuel appui, elle échappe cependant à cet ordre fortement struc­turé par la place prédominante qu'elle attribue au mérite per­sonnel « sur la naissance et même sur la plus haute autorité ». Aussi dessinait-elle dans cet ensemble une faille : ses membres ne tardèrent pas à rêver à « une nouvelle concentration des deux puissances élémentaires », la religieuse et la profane, entre leurs mains, ainsi que le montre « la célèbre histoire des Tem­pliers » : « cet ordre fameux doit être regardé comme cons­titué par sa nature même -- où le spirituel et le temporel se confondent -- en une sorte de conjuration permanente, mena­çant à la fois la royauté et la papauté » ([^58]). Ceux-ci conjurèrent « le plus grave danger politique qu'ait dû rencontrer l'ordre social du Moyen Age » ([^59]) en prononçant sa dissolution. « L'Action Catholique » est le pendant démocratique de la chevalerie médiévale. Établie à la limite du spirituel et du temporel, pour défendre, maintenir et faire pénétrer la foi dans un environnement indifférent ou athée, elle a fini par revendiquer pour elle-même, ouvertement ou furtivement, la possession des deux pouvoirs, et elle rêve, elle aussi, à une réorganisation de la société par l'Église dont elle se prétend l'aile la plus agissante. C'est sans doute à son niveau qu'on aperçoit le mieux combien l'Église s'est trompée en la créant. En effet, le propre de « l'Action Catholique » est de rassembler les fidèles dans des associations artificielles qui épousent exac­tement les structures des groupes de pression dont la *dissociété* démocratique se compose infailliblement, et selon les mêmes critères de ressemblance purement extérieure entre les indi­vidus qui les composent. Quel lien social effectif et vécu au­trement qu'en imagination y a-t-il, dans la J.O.C. par exemple, entre tel jeune ouvrier de Liège et tel autre d'Anvers ? Aucun. Pour maintenir ensemble ces monades disparates et dépourvues de relations organiques, il faut recourir sans cesse aux artifices de la propagande et faire appel à l'appétit de revendication qui les travaille. Les groupements d' « Action Catholique » constituent de la sorte des États démocratiques en réduction dans l'Église et dans l'État. 120:153 Ils forment des *dissociétés* d'élé­ments juxtaposés qui tendent à faire masse dans la ligne d'une socialisation croissante de leurs exigences collectives, comme le montre leur évolution récente, et qui coopèrent avec les groupements profanes analogues à la transformation de la *dissociété* individualiste en système communiste, à cette diffé­rence près qu'ils utilisent les énergies religieuses de leurs membres à des fins temporelles. Qu'il s'agisse là d'une « conjuration permanente » contre la véritable restauration de l'ordre social à partir des commu­nautés naturelles élémentaires, personne n'en peut plus douter depuis que « l'Action Catholique » est devenue, de son propre aveu, la pépinière où se forment les agitateurs les plus dan­gereux et les missionnaires de la subversion. Les groupements patronaux catholiques eux-mêmes qu'on imaginerait immunisés contre cette déviation ne laissent pas d'y succomber : il suffit de lire leurs périodiques pour se persuader qu'eux aussi mettent tous leurs espoirs dans la « socialisation » de l'humanité, grâce suprême que le Seigneur accorde à notre temps. D'ores et déjà, malgré un travail de sape quasiment invisible parce qu'il s'exécute en profondeur au niveau des dernières réserves so­ciales de l'homme, il est visible que « l'Action Catholique » peut réussir à démanteler l'Église et la société -- ou plutôt ce qui en reste ; contrairement à l'Ordre des Templiers dont l'autorité ecclésiastique prononça à temps la dissolution. \*\*\* Sans doute, Comte s'abuse-t-il en négligeant dans son ana­lyse la part prépondérante occupée par la doctrine catholique dans la régénération de la société. « Plus on méditera sur ce grand sujet, écrit-il, mieux on se convaincra, j'ose l'assurer, que la grande efficacité morale du catholicisme a essentielle­ment dépendu de sa constitution sociale, et très accessoirement tenu à l'influence propre et directe de sa seule doctrine » ([^60]). Prisonnier de son optique d'incroyant qui visait à reprendre l'armature sociale du catholicisme et à y introduire la doctrine et la religion positivistes dont il était en quelque sorte le pape laïc, il ne pouvait conclure autrement. Mais pour un croyant formé par l'enseignement traditionnel de l'Église, il est certain que la Vérité surnaturelle et l'autorité de la Hiérarchie vont de pair : « sans l'active intervention continue d'un pouvoir spi­rituel convenablement organisé et suffisamment indépendant » ([^61]) du pouvoir temporel et des séductions du monde, la Vérité ne peut être transmise en son intégrité, mais séparée de cette Vérité immuable dont elle a la garde, il n'est aucune autorité qui tienne, sauf en déployant sous le regard médusé des fidèles tous les stratagèmes de la mystification. 121:153 Il n'empêche que la Vérité ne peut *pratiquement* se conser­ver ni se répandre en dehors de la structure sociale hiérarchisée de l'Église catholique qui l'a reçue de son divin Fondateur, et qu'à ce titre l'autorité spirituelle est première dans l'ordre de l'action. Aussi toute défaillance du pouvoir spirituel dans sa fonction de défense et d'illustration de la Vérité est-elle immédiatement sanctionnée par la relativisation, sinon même par la disparition, des réalités objectives de la foi. « La Révo­lution d'Octobre » introduite par Vatican II dans la consti­tution sociale de l'Église catholique, est, de toute évidence, accompagnée d'une révolution dans la foi. Les conséquences de l'apathie de Jean XXIII et de Paul VI dans leur fonction de gardien *effectif* d'une Vérité qu'il ne s'agit pas seulement de *dire*, mais de maintenir *par des actes de chef* responsable de son intégrité dans l'Église universelle, sont à cet égard incalculables. La formule de Bossuet est sans ambiguïté : « La véritable prudence n'est pas seulement considérée, mais encore tranchante et résolutive ». Or, nous l'avons déjà dit et nous devons le redire, tant cette évidence est aujourd'hui obturée dans l'esprit de nos contem­porains, l'autorité du chef en matière de foi ne se nourrit pas seulement de la Vérité surnaturelle pour ne point défaillir, mais aussi des vérités naturelles les plus élémentaires (par exemple : on ne fait pas une société avec des individus ; on ne naît pas libre, on le devient à mesure où l'on est meilleur et plus rai­sonnable ; l'égalité des hommes, des sexes et des peuples ne résiste pas un seul instant à l'examen, etc.). Il n'est point d'autorité spirituelle véritable, si la personne qui la détient est dépourvue de *sens commun : gratia naturam supponit*, au­trement dit si elle a l'esprit faux, incapable de correspondance aux réalités les plus obvies de l'existence quotidienne. Auguste Comte ne s'est pas trompé en l'occurrence : « Nous devons regarder la force morale du catholicisme comme ayant dû tenir essentiellement, aux époques mêmes de la plus grande intensité, à son aptitude nécessaire... à se constituer spontané­ment *en organe régulier des opinions communes, dont l'irré­sistible universalité devait naturellement tirer une nouvelle énergie continue de leur active reproduction systématique par un clergé indépendant et respecté *» ([^62]). Entendons ici par opinions communes, non pas les préjugés du siècle ni les fluctuations de la mode, plus tyrannique dans le domaine de la pensée et des conduites qu'en celui de l'habillement, mais le sens commun et les *vérités communes* qu'il véhicule. 122:153 L'Église catholique a toujours été la protectrice du fonc­tionnement normal de l'intelligence humaine et du *principe d'identité* qui le gouverne, tant dans l'ordre de l'être (rien ne peut être et ne pas être à la fois et sous le même rapport) que dans l'ordre de l'agir (que votre parole soit oui, oui ; non, non). S'il n'y a pas de natures ou d'essences toujours identiques à elles-mêmes sous les changements divers qui peuvent les affec­ter accidentellement, comment l'homme pourrait-il connaître Dieu par la raison ou par la foi associée à la raison ? En ce cas, il n'existe aucune vérité immuable et le sens commun qui se réclame de ces invariants n'est qu'une faculté trompeuse. Entre le dogme inaltérable et le sens commun, les corré­lations sont aussi étroites que possible : c'est pourquoi toutes les vérités de la foi, sans rien perdre de leur mystère surnaturel, sont accessibles à toute intelligence d'homme, en tout temps et en tout lieu. Aussi l'Église avertit-elle sans se lasser les fidèles de ne point laisser leur intelligence sombrer dans le *devenir* propre aux réalités qui affectent nos sens. Le catholicisme a horreur du changement qui dégrade l'homme en privant son intelligence de son objet propre : *ce qui est*, et dès lors ne change pas, et qui permet à chacun de renier les pro­messes faites à autrui comme un animal sans mémoire, plongé dans le flux du temps. Il sait que l'homme, depuis le péché originel qui a blessé sa nature et qui ne permet plus à celle-ci de s'accomplir sans l'intervention de la grâce, aspire cons­tamment *à devenir autre que ce qu'il est*, malgré les avertisse­ments du sens commun qui le met en garde contre les inéluctables dangers de cette impossible aventure. La foi catho­lique n'admet aucune nouveauté proprement dite. Les inno­vations qui ne seraient pas originellement contenues d'une manière virtuelle dans la Révélation, lui répugnent constituti­vement. Si elle les recevait, il y aurait une autre *espèce* de foi, puis encore une autre *espèce,* et ainsi de suite, distinctes les unes des autres. La foi et l'Église qui la garde seraient soumises à des *mutations* successives. C'est ce qui s'affirme aujourd'hui de bas en haut de la Hiérarchie, sans crainte de heurter de front « l'opinion com­mune » des fidèles, le sens commun, le principe d'identité et les requêtes les plus impérieuses de toute intelligence qui tente de comprendre la foi. Le mot *mutation* introduit dans les textes conciliaires ([^63]) a joué le rôle d'un explosif destructeur des croyances et de l'Église millénaires, faisant ainsi place nette pour une nouvelle religion et une nouvelle Église. Il a été l'*alibi* d'une imposture inouïe dans l'histoire du catholicisme. Voici, par exemple, la déclaration publique et officielle de l'évêque Schmitt de Metz : 123:153 « La mutation de civilisation que nous vivons entraîne des changements, non seulement dans notre comportement extérieur, mais dans la conception même que nous nous faisons tant de la création que du salut apporté par Jésus-Christ. Les remises en question les plus fondamen­tales engagent non seulement une nouvelle pastorale, mais plus profondément une conception plus évangélique -- à la fois plus personnelle et plus communautaire -- du dessein de Dieu sur le monde » ([^64]). Il s'agit donc bien là d'une *autre* religion : à monde mutant, foi mutante. Le théologien Schillebeeckx n'hé­site pas à dire que « Dieu est en *révision *». Dieu est donc mis en harmonie avec les circonstances, puisque c'est ainsi que les dictionnaires définissent la *révision*. Les circonstances chan­geant, Dieu change. \*\*\* Paul VI, dans son discours de clôture du *concile*, noti­fiait au monde, dans une de ces phrases entortillées dont il a mis la technique au point et où il viole constamment le principe d'identité, que « l'Église s'est pour ainsi dire proclamée la *servante de l'humanité *». « Tout cela a-t-il fait dévier la pensée de l'Église vers les positions *anthro­pocentriques* prises par la culture moderne ? », se deman­dait-il alors. « Non, répondait-il, l'Église n'a pas dévié, mais *elle s'est tournée* vers l'homme. *Tout* a été orienté au *concile* à l'utilité de l'homme ». La Constitution *Gaudium et Spes* de Vatican II proclamait du reste que « *tout* sur terre doit être ordonné à l'homme comme à son centre et à son sommet ». Un évêque, offusqué par cette formule péremptoire, digne d'un congrès radical socialiste, proposa un amendement : « ordonné à l'homme et, par conséquent à Dieu qui est la fin dernière ». Cette correction, qui dissipait toute équivoque, fut repoussée. La Révolution était entrée dans l'Église sans tambour ni trom­pette. ([^65]) Si « se tourner vers l'homme » d'une manière *totale* et *sans réticence* n'est pas « prendre l'homme pour centre » et des lors adopter une position anthropocentrique, c'est que les mots n'ont plus de signification. Nous pourrions citer cent exemples analogues de prêtres, d'évêques, de cardinaux et de théologiens, qui proclament leur foi en une Église en devenir, abandonnant sa nature pour en revêtir une autre en fonction du monde en devenir, et se déles­tant, au cours de sa *mutation*, des « opinions communes » ainsi que des lois de l'intelligence et du réel dont elle s'était jus­qu'ici constituée la gardienne. 124:153 L'Église *en mutation*, c'est l'Église en proie à la dialectique et à la volonté de puissance qui en est la source et qui veut imprimer dans une foi dialectisée et on­doyante le moule de son arbitraire : « Tous doivent lui obéir *quoi qu'il ordonne *». *Habemus confitentem reum*. \*\*\* Revenons à l'Église telle que Comte l'a vue à l'époque de sa gloire : « La profonde sagesse du catholicisme, en constituant enfin la *morale* -- répétons que Comte entend sous ce mot ce que nous entendons par *surnaturel* -- au-dessus de toute l'existence humaine afin d'en diriger et contrôler sans cesse les divers ac­tes quelconques, a donc certainement établi le principe le plus fondamental de la vie sociale » ([^66]). Sans société surnaturelle or­donnée et stable comme la Vérité dont elle vit, point de société temporelle réglée par la loi naturelle. « L'aptitude morale du catholicisme s'est surtout manifestée dans l'heureuse organisation de la morale domestique, enfin placée à son rang véritable, au lieu d'être absorbée par la poli­tique, suivant le génie de toute l'antiquité. Par la séparation fondamentale entre l'ordre spirituel et l'ordre temporel, et par l'ensemble du régime correspondant, on a été conduit, au Moyen Age, à sentir que la vie domestique devait être désormais la plus importante pour la masse des hommes » ([^67]). Instauration d'un « juste sentiment des devoirs mutuels », « consécration solennelle de l'autorité paternelle », « amélioration de la condi­tion sociale des femmes », éloignement de celles-ci des fonc­tions sacerdotales et même des fonctions politiques proprement dites afin de « les concentrer davantage dans leur existence essentiellement domestique, en garantissant la juste liberté de leur vie intérieure », « indissolubilité du mariage », tels sont les traits *naturels* de la société familiale que le catholicisme du Moyen Age peut se flatter d'avoir fortifiés et qui semblaient en­core *naturels* à l'immense majorité des fidèles jusqu'à une époque récente. Dans l'Église de Hollande à l'état aigu, partout ailleurs à l'état endémique, se constate un effritement de la cohésion familiale que les prêtres les plus haut perchés ne laissent pas d'approuver sinon même d'encourager en permettant aux di­vorcés de se marier religieusement et en exhortant les enfants à revendiquer leur indépendance à l'égard de leurs père et mère. Nous avons personnellement entendu un prédicateur légiférer à ce sujet : « A partir de dix-huit ans, l'obéissance aux parents n'est plus requise ! » Quant au droit de la femme mariée à « l'autodétermination » en matière de grossesse, sinon d'avor­tement, il lui est accordé avec une générosité non-pareille par de nombreux épiscopats nationaux en réponse à l'encyclique *Huma­nae vitae*. 125:153 Le refus de toute aliénation propre aux membres de la dissociété contemporaine disloque la dernière communauté naturelle qui puisse survivre à toutes les crises de civilisation. Être à jamais cet homme-ci, né dans telle famille qu'il n'a pas choisie, dans telle patrie qu'il n'a pas élue, est désormais into­lérable. Là aussi il faudra que l'Église s'ouvre aux exigences du monde. En tout cas, après le grand coup de chapeau que Vatican II a donné à la famille, nulle part nous n'avons vu « la mentalité post-conciliaire » lui accorder la moindre attention. Auguste Comte pensait autrement : « L'obligation de confor­mer sa vie à une insurmontable nécessité, loin d'être réellement nuisible au bonheur de l'homme, en constitue ordinairement, au contraire, pour peu que cette nécessité soit tolérable, l'une de ses plus indispensables conditions, en prévenant ou en conte­nant l'inconstance de nos vues et l'hésitation de nos desseins ; la plupart des individus étant bien plus propres à poursuivre l'exécution d'une conduite dont les données fondamentales sont indépendantes de leur volonté qu'à choisir convenablement celle qu'ils doivent tenir, on reconnaît aisément, en effet, que notre principale félicité morale se rapporte à des situations qui n'ont pu être choisies, comme celles, par exemple, de fils et de père. En indiquant, au chapitre suivant les graves atteintes que le protestantisme a tenté d'apporter à l'institution fondamentale du mariage catholique, j'aurai lieu de faire plus directement sentir que la dangereuse faculté du divorce, loin de perfectionner une telle institution, au profit réel d'aucun sexe, tendrait, au con­traire, si elle pouvait s'introduire réellement dans les mœurs modernes, à constituer une imminente rétrogradation mo­rale » ([^68]). *Aurea dicta !* Quand donc entendrons-nous la voix d'un prêtre nous presser, non seulement à supporter les nécessités qui nous pénètrent, mais à les aimer ? « Agir en esclave et contempler avec amour », allait jusqu'à dire Simone Weil. Le refus de subir la nécessité est le refus de Dieu, de l'Être néces­saire. Le refus de l'épreuve et de la souffrance est le refus de la Croix. Le refus de l'injustice est le refus du Juste qui a subi l'in­justice par excellence. Il n'est pas exagéré de prétendre que la plupart des responsables de l'Église sont pris d'une sainte ve­nette à la pensée que la religion pourrait encore être accusée par les marxistes d'être « l'opium du peuple » et qu'ils se hâtent, au contraire, de prêcher non point la révolution de l'Évangile et la conversion personnelle qu'elle exige de chacun, mais l'évangile de la Révolution. 126:153 Tout se passe comme si, dans l'Église contemporaine, la cha­rité était une vertu théologale révolue et comme s'il fallait la remplacer, sous la pression d'une « mutation » nécessaire dont « le monde » donne l'exemple, par la *socialisation.* Une fois encore, Comte rappelle aux clercs d'aujourd'hui qu'il est vain de vouloir remplacer l'amour du prochain par les mécanismes sociaux dont la manipulation amène tôt ou tard le triomphe d'un totalitarisme plus impitoyable aux pauvres que les pires des­potes du passé. « Le grand principe catholique de la fraternité ou de la charité universelle », écrit-il, est « le moyen le moins imparfait de remédier, autant que possible, surtout en ce qui concerne la répartition des richesses, aux inconvénients insé­parables de l'état social, et dont, à l'aveugle imitation des an­ciens, *on cherche aujourd'hui la vaine solution dans des mesu­res purement matérielles ou politiques, aussi impuissantes que tyranniques et susceptibles de conduire aux plus graves per­turbations sociales.* Il est clair, en principe, *que la seule sépa­ration rationnelle des deux pouvoirs organisant la haute indé­pendance de la morale envers la politique peut permettre, dans l'avenir comme dans le passé, d'imposer à chacun, sans danger pour l'économie temporelle de la société, l'obligation impérieuse, mais purement morale, d'employer directement sa fortune,* et tous ses autres avantages quelconques, *en raison de sa position, au soulagement de ses semblables ;* tandis que la philanthropie métaphysique n'a pu réaliser jusqu'ici, à cet égard, d'autre solution pratique que d'instituer des cachots pour ceux qui de­mandent du pain » ([^69]). « Telle fut l'heureuse source de tant d'admirables fondations, destinées à l'adoucissement varié des misères humaines, et que la politique métaphysique -- celle du siècle des Lumières et de la Révolution -- a eu l'étrange cou­rage de condamner, au nom de la prétendue science de l'écono­mie, tandis qu'il reste aujourd'hui, en les réorganisant, à les étendre et à les compléter ; institutions totalement inconnues à l'antiquité, et d'autant plus merveilleuses, qu'elles provinrent presque toujours des dons volontaires d'une magnificence privée, à laquelle la coopération publique se joignait rarement » ([^70]). Un tel texte tombe, comme un pavé dans une mare pleine de grenouilles croassantes, dans les appels au secours en faveur du Tiers-Monde que l'Église catholique lance sans arrêt en cette seconde moitié du XX^e^ siècle et dont le Vatican se fait le porte-voix fracassant lorsqu'il exige, en son message du 20 novembre 1970 aux Nations Unies, la création, sous le contrôle de l'O.N.U., d'un système mondial d'impôts destiné à financer l'aide aux pays pauvres. 127:153 Ce document qui émane de la Commission ponti­ficale pour la Justice et pour la Paix, prolongement révolution­naire de Vatican II dans le monde -- j'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer -- a l'impudence d'exciter, en des termes où le vocabulaire chrétien décanté de toute charité sur­naturelle se mêle au vocabulaire insidieusement subversif de la « justice » au sens marxiste -- « l'amertume des pays en voie de développement lorsque l'aide reçue leur est offerte avec une attitude proche de la condescendance et du paternalisme et lorsqu'on demande aux bénéficiaires de témoigner leur gratitude pour ce qui est, selon eux, non de la générosité, mais une miette de justice ». Comme tous ces pays en voie de développement ont opté pour le socialisme autoritaire qui permet le maintien au pouvoir d'une clique de parasites, il convient donc, selon l'Église actuelle, d'instaurer, à l'échelle mondiale, un socialisme supérieur qui étendra son parasitisme à la planète et qui réa­lisera ce monde que le génie de Goethe prévoyait : « ressem­blant à un immense hôpital où chacun sera l'infirmier de son voisin ». Tel est le monde de la charité bureaucratique, fiscale et obli­gatoire, « aussi impuissante que tyrannique », dont rêvent Paul VI et tous les organisateurs des « carêmes de partage », où la charité effective envers le prochain en chair et en os sera considérée comme *inefficace,* inutile et condamnable. Le Dieu qui a tant aimé le monde qu'il lui a donné son propre Fils a pratiqué la condescendance et le paternalisme les plus blâma­bles, et il n'est nullement étonnant que, loin de lui témoigner de la reconnaissance pour tant de générosité, le monde se soit adressé à la Justice pour condamner l'Envoyé du Père et pour lui réclamer son propre dû. D'ores et déjà, on a les conséquences pressenties par Comte : l'état de ces peuples est pire qu'à l'épo­que du pire « capitalisme exploiteur » et la situation du pauvre plus misérable encore après la décolonisation. Aux acclama­tions des clercs de la nouvelle Église, César s'y substitue à Dieu et distribue aux malheureux les pierres idéologiques d'une libération illusoire au lieu des pains qu'ils attendent. Que les nouvelles nations nées de l'écroulement des empires coloniaux européens (sauf l'empire soviétique qui reste intact) se bâtissent sur le dos de leurs populations affamées et dopées est le scandale du XX^e^ siècle. Ils ont des yeux et ils ne voient point. Une Église fascinée par le monde ne peut être qu'aveuglée par la volonté de puis­sance. Si *tout* doit être tourné à *l'utilité de l'homme,* comme l'affirme Paul VI à la suite de Vatican II, il est évident que l'homme dépendra radicalement de ceux-là qui lui dispenseront ce *tout*. Dès lors, dresser des plans d'ensemble et créer des or­ganismes planificateurs entrera dans les projets de l'Église. On comprend de cette façon le fameux discours de Paul VI à l'O.N.U. où il compare l'ébauche de société planétaire qu'elle trace à l'Église catholique universelle et où il préconise l'instaura­tion d'un gouvernement mondial qui exercerait dans l'ordre temporel le même pouvoir que le Pape exerce dans l'ordre spi­rituel. 128:153 Comme le gouvernement mondial de l'O.N.U. et celui de l'Église nouvelle sont l'un et l'autre tournés *vers l'utilité de l'homme,* c'est-à-dire *vers son existence temporelle et tout ce que celle-ci requiert,* les deux pouvoirs *se confondraient et n'en feraient plus qu'un seul.* Si l'on se fixe l'humanité et la *totalité* de ses exigences comme fin de l'Église, il est impossible de re­fuser cette conséquence : la fin poursuivie la commande né­cessairement. Le pouvoir temporel planétaire absorbera le pou­voir spirituel œcuménique ou inversement. Lorsque les fron­tières entre les deux pouvoirs deviennent aussi floues et aussi indécises qu'elles le sont aujourd'hui, ces deux rêves propres aux illuminés de tous les temps et qui se retrouvent en mainte hérésie, deviennent indiscernables. La socialisation intégrale de la vie humaine qu'ils impliquent constitue leur essence commune et les fait coïncider. Une analyse plus complète de ce phénomène de contamina­tion révèle combien il est logique. Il est indubitable en effet que l'Église se compose d'indivi­dus. Elle n'est pas comme la société d'Ancien Régime une société de sociétés. Cc qui rassemble ces individus dans une unité plus puissante que toute relation sociale d'ordre naturel, plus puissante que celle de la famille elle-même est un principe surnaturel : le Christ, Dieu fait homme et continué dans l'Église où il est répandu et communiqué. Or ces individus ne laissent pas d'avoir une nature sociale et d'être intégrés dans diverses sociétés naturelles et semi-naturelles. C'est par leur intermédiaire que l'Église peut influencer les structures sociales et politiques dans lesquelles d'autres individus sont impliqués avec eux et qui ne sont pas encore entrés dans l'Église. Le catholicisme s'est propagé en Europe et dans le monde en convertissant, cer­tes, des individus qui appartenaient à tous les niveaux de la société de l'époque, mais surtout en amenant à adhérer à ses croyances ceux-là d'entre eux qui occupaient les plus hauts de­grés de la hiérarchie sociale et qui, par là même, pouvaient et devaient influencer leurs subordonnés. Le baptême de Clovis ame­na la conversion générale des Francs. Un père de famille converti au catholicisme fait rayonner sa foi sur tous les membres de sa famille, etc. Le Cardinal Pie ne craint pas d'écrire : « Tant que le Prince n'est pas conquis à la vérité, l'apostolat peut multi­plier les conquêtes individuelles, il ne remporte pas de victoire définitive. Avec Constantin, le monde entier, je veux dire le monde connu et civilisé, ne tarde pas à devenir chrétien... Les peuples ne sont entrés en masse dans l'Église qu'à la suite de leur prince » ([^71]). 129:153 La pénétration de l'Église dans le monde est liée à l'existence de structures sociales et politiques hiérarchisées, dont elle con­tribue par ailleurs à renforcer le caractère naturel précaire. Il ne faut pas hésiter à dire, contrairement à la fameuse et sotte proclamation de l'archevêque de Paris aux étudiants lors de l'émeute de mai 1968, que *Dieu est conservateur.* Si ces structures n'existent plus ou ne jouent plus qu'un rôle social et politique effacé, l'Église se trouve devant l'impossible et inépuisable tâche de convertir une multitude d'individus un à un. Le pouvoir temporel, d'autre part, se trouve également en présence d'une multitude d'individus qu'il ne pourra jamais rassembler sans recourir à un succédané du principe surnaturel qui unit entre eux les membres de l'Église et sans jouer, au plan temporel qui est le sien, le rôle de distributeur de grâces qui est celui de l'Église. Une idéologie quelconque, simili-religieuse, *né­cessairement socialiste,* et un État-Providence aggloméreront entre eux les membres de cette *dissociété.* Nous l'avons dit plus haut, mais il faut le redire : toute conception individualiste de la société -- ou plutôt de la *dissociété* -- entraîne infailliblement l'apparition, larvée, tamisée ou étalée au grand jour, d'un État socialiste, et de plus en plus socialiste. Il n'est point d'exception à cette règle. Or ce qui est au commencement se trouve aussi à la fin, sous une autre forme. Le propre de l'État socialiste est de *cimenter,* par tous les moyens psychologiques, économiques, bureaucra­tiques, etc. en son pouvoir, les membres de la *dissociété* de manière à ce qu'ils constituent un tout sans fissures, *une sorte d'individu gigantesque.* Tout État socialiste tend à devenir aussi *monolithique* que possible. La nation de type jacobin est à cet égard l'archétype de toutes les autres tentatives ultérieures. Elle est un *bloc*. La France révolutionnaire, dira Michelet, est une *personne.* Il en est de même, avec de simples nuances diverses, du Peuple, de la Classe ouvrière, du Prolétariat, etc. dans les­quels d'autres *dissociétés* et d'autres États socialistes ou socia­lisants se concentrent. Ce sont là sans doute des abstractions, des illusions, des représentations mentales que les individus isolés, stimulés par les propagandes, projettent comme des êtres colossaux hors de leur imagination, et qui semblent à leurs yeux évoluer réellement sur la scène de l'Histoire. Ces chimères n'existent pas, mais leurs conséquences, elles, existent, et elles sont terribles. Manœuvrés par des minorités agissantes, par des groupes de pression, par les machinistes du parti unique, en tout ou en partie -- voyez à cet égard la plu­part de moyens de communication monopolisés partout par des bandes organisées d' « intellectuels » communisants ; les États et les *dissociétés* hypostasiées par leur socialisation res­semblent à d'énormes Cyclopes automatisés, qui tantôt se heur­tent dans des guerres inexpiables ou tantôt se rassemblent, comme s'ils étaient des personnes, dans des groupements où le verbe remplace les armes, appelés S.D.N. ou O.N.U. 130:153 Et l'infernal processus recommence : de même que les individus se fondent dans l'Individu national géant, de même ces Individus géants se fondent dans un Individu colossal qui se confond lui-même avec toute la planète et qui évolue, en dépit des dissensions in­ternes qu'il éprouve et de « la paix » dont il a sans cesse le nom seul sur les lèvres, vers la mécanisation intégrale de son être sous la direction d'un gouvernement socialiste mondial. La conscience individuelle, la seule qui soit, se dissout dans la conscience nationale de style jacobin, et celle-ci à son tour se noie dans la conscience universelle, toutes ces consciences n'étant que des marionnettes entre les mains des puissants de ce monde. La logique du système est implacable. Ce n'est point par goût baroque du symbole que cette direction soit aujourd'hui assumée par ces Titans qu'on appelle « les cinq Grands », avec une majuscule, lesquels se réduisent à deux. Que ceux-ci s'en­tendent provisoirement ou se détruisent réciproquement, la *dissociété* mondiale l'exige, comme l'exigent sur une surface plus restreinte les *dissociétés* nationales : les individus privés de leurs communautés naturelles et semi-naturelles *sont con­traints*, par l'invisible choc en retour de leur nature sociale vio­lée, à s'agglutiner en une « société » artificielle sous le pavillon de la socialisation intégrale de toutes choses. Personne n'en peut douter à présent. Avec un ensemble ex­traordinaire, à peine grignoté par un pourcentage infime d'op­posants et grâce à une unanimité préfabriquée selon les procédés les plus classiques de l'ambiguïté verbale et les pressions psy­chologiques adéquates, l'Église catholique contemporaine évo­lue dans le même sens et apporte sans remords son appui à la socialisation de l'humanité. Les digues qui continrent pendant des siècles l'individualisme inhérent à la religion chrétienne dispensatrice du salut personnel à chaque âme assez ouverte à la grâce qui lui est faite sont aujourd'hui lézardées. Cet indi­vidualisme, tout nous montre qu'il fut dilué, jusqu'à disparition totale, dans l'Église surnaturelle et société parfaite, dotée, comme toute société véritable, d'une organisation hiérarchique, mais tout nous montre également qu'il se reconstitue dès que l'Église laisse déchoir *cette double et indivisible* fonction qui la cons­titue. L'histoire de la Réforme est probante. La dégradation du pouvoir spirituel, c'est-à-dire des deux aspects inséparables de l'Église : le social, lié au pouvoir, et la doctrine, liée à la spi­ritualité, délie les individus qui en sont membres et qui, con­servant l'esprit religieux, versent inéluctablement dans l'indi­vidualisme sous ses deux aspects conjoints : l'autonomie, de plus en plus radicale, et le libre examen, de plus en plus dis­solvant. 131:153 Le délabrement du pouvoir spirituel est ainsi à l'origine de la seule source de toutes les hérésies : l'individualisme, le culte du moi, l'autodivinisation. Lorsque le pouvoir spirituel se ressaisit, comme à l'époque du *Concile de Trente* et de la Con­tre-Réforme, il expulse de son sein les hétérodoxes, mais lors­qu'il tergiverse, apeuré, ou, pis encore, lorsqu'il pactise avec la corruption du dogme, maintenant à tous les degrés de la Hiérarchie des *individus* -- il n'y a pas d'autre mot -- qui sapent la discipline et le dogme, il est trop évident qu'il se di­vise et, du même coup, qu'il s'affaiblit. Telle est la situation ac­tuelle de l'Église catholique depuis le modernisme, incrusté comme un cancer dans tous les degrés, et jusqu'aux plus hauts, de l'état ecclésiastique. L'*autodémolition* de l'Église dont gémit Paul VI est son œuvre : le pape n'exerce plus son pouvoir spi­rituel ou, s'il le fait, c'est pour accentuer le processus de pul­vérisation de l'Église et sa restructuration sur des principes déjà mis en œuvre dans la société profane et à des fins où le spiri­tuel et le temporel se confondent. Il est en effet très curieux de constater -- mais nous le fai­sons ici pour la première fois, du moins à notre connaissance -- que l'Église catholique passe par les mêmes phases, et pour les mêmes raisons, que la dissociété moderne issue de l'in­dividualisme révolutionnaire. Que l'adage *tot capita tot sensus* soit aujourd'hui la règle dans l'anarchie dont souffre l'Église et qui, peu à peu, descen­dant des plus hauts échelons de la Hiérarchie, atteint la com­munauté des fidèles qui se disloque en partis, groupes et grou­puscules de toute couleur, est malheureusement un fait. Le vi­rus hérético-social de l'individualisme, transmis par l'Église à la société profane depuis la Réforme et depuis une Contre-Ré­forme qui, après un trop court éclat, n'a cessé de piétiner puis de reculer, et enfin de se convertir en son contraire au cours de ces deux derniers siècles, malgré la vigilance de certains papes ([^72]), s'est répandu de plus en plus dans l'Église elle-même. Il est inutile ici d'évoquer les élucubrations et les aberra­tions de toute espèce qui poussent, comme l'ivraie, en plein cœur du dogme et de la liturgie, sans parler du comportement privé ou public des clercs. *L'Église est en train de subir le même sort que la société d'Ancien Régime*. Rongée par le subjectivisme, elle entre dans le même cycle -- nous allions écrire : *infernal* -- de démembrement et de remembrement *artificiel*, pur *décalque* de l'histoire profane depuis la Révolution. L'Église fait sa Révo­lution française. Elle a eu son Assemblée Constituante, sinon sa Convention, en Vatican II qui provoqua un changement ra­dical dans la substance même, spirituelle, intellectuelle et mo­rale du catholicisme. 132:153 *Elle choit dans le chaos démocratique* -- quelques îlots de santé subsistent, comme subsistera longtemps un archipel de communautés naturelles après l'effondrement continental de l'Ancien Régime -- *et se reconstitue en Églises nationales* de type jacobin, fermées sur elles-mêmes, pourvues de leur dogmatique et de leurs services du culte propres. Le récent voyage du pape en Asie prouve qu'il ne s'agit point là d'un pro­cessus strictement indépendant de la volonté humaine, mais d'un plan soigneusement prémédité : l'appel de l'Église aux énergies nationalistes et pseudo-religieuses qui pourraient la revigorer est patent. La politique vaticane à l'égard des pays du Tiers-Monde ne l'est pas moins. Partout, nous observons la contamination réciproque du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Le cas de l'arche­vêque d'Alger est remarquable : il a mis son pouvoir spirituel au service de la subversion temporelle et celle-ci lui a conféré, à sa demande, le titre de citoyen du pays qu'il a contribué à ruiner et dont le relèvement -- éventuel -- contribuerait, à ses yeux, au relèvement, -- plus problématique encore -- de l'Église en Islam, sinon à une sorte de traité d'alliance entre la reli­gion musulmane et la religion catholique ([^73]). *Ces Églises nationales, à leur tour, évoluent vers un œcumé­nisme où elles s'absorberaient en même temps que les autres communautés religieuses de la terre dans un vaste Parlement des religions et des sectes analogue à celui de l'O.N.U*. Le mouve­ment est en cours, et, dans le rêve de ses promoteurs, il n'est pas douteux qu'il est destiné à investir l'organisation interna­tionale temporelle et à lui insuffler une religiosité délayée, en­tièrement « tournée à l'utilité de l'homme », et à rejoindre « l'hu­manisme » babélique de notre temps. Il est à peine besoin d'ajouter que, derrière ces transformations de l'Église, se pro­filent les volontés de puissance des « tireurs de ficelles », tech­nocrates et bureaucrates, instruits des mécanismes de la praxis marxiste qu'ils ne font que transposer, et qui utilisent l'utopie qu'ils inoculent aux fidèles stupéfaits pour réaliser leur chi­mérique espoir de domination universelle. Comte avait déjà perçu les signes avant-coureurs de cette révolution : « On ne peut douter que l'influence de l'éducation catholique, fournissant à chaque individu le moyen et, à cer­tains égards, le droit de juger tous les actes humains personnels et collectifs, d'après une doctrine fondamentale, en harmonie avec la division générale des deux pouvoirs élémentaires, n'ait ultérieurement concouru à développer l'esprit universel de dis­cussion sociale qui caractérise les peuples modernes » ([^74]). 133:153 Mais il n'avait évidemment pas prévu que cet individualisme, tou­jours prêt à exploser en hérésie à la fois religieuse et sociale ([^75]), s'organiserait au sein de l'Église elle-même au point d'en ren­verser les structures de pensée et d'action traditionnelles, de les remplacer par d'autres, toutes artificielles, et de faire place à une hiérarchie parallèle rompue à leur manipulation. Il n'avait pas davantage sondé *le mystère d'iniquité* qui se dissimule sous ces transformations : c'est celui même de la Révolution par excellence, que Joseph de Maistre qualifiait à bon droit de *satanique*. Tout individualisme s'accompagne nécessairement, en effet, de la conviction que l'individu est naturellement bon et que les institutions sociales seules peuvent le rendre mauvais. Comment pourrait-il en être autrement ? Si l'individualisme cohérent est la rupture de tous les liens na­turels que nous avons avec autrui, qui s'imposent à nous, par le destin de la naissance, et qui ne dépendent dès lors en aucune manière de notre volonté propre, il est, du même coup, rupture de l'ordre naturel que l'intelligence découvre et dont elle rap­porte l'existence à Dieu, rupture aussi de l'intime relation de l'homme à Dieu et, dès lors, puisque l'homme ne peut se passer de Dieu, autodéification. L'homme est donc né bon. Le mal, la souffrance, l'injustice, la mort ne peuvent donc provenir de lui. D'où sortent-ils sinon de l'agencement déplorable et fu­neste de ses rapports avec autrui ? L'enfer, c'est les autres, écrit Sartre sans sourciller. Il suffit de modifier radicalement les structures sociales pour que le bonheur soit à portée de main : « le bonheur est une idée neuve en Europe », tel est le cri de Saint-Just, répercuté en mille échos jusqu'à nos jours, qui justifie le prurit d'innovation et de « réformes de structure » dont la *dissociété* contemporaine est tourmentée et qui a gagné, de la politique et de l'économie, les institutions les plus véné­rables et les plus solides de la civilisation occidentale l'Université, fondée sur l'enseignement des vérités philosophi­ques et scientifiques immuables, l'Église catholique fondée sur l'inaltérable doctrine de la Révélation Surnaturelle. *La négation implicite ou explicite du péché originel est à la racine de la Révolution qui infecte la société spirituelle et la société temporelle. C'est elle qui fait passer le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel des mains légitimes qui les possèdent décorativement encore, entre les mains des puis­sances occultes qui tentent de s'approprier le gouvernement de la planète et, en définitive, pour tout croyant qui ne doute pas de la Parole de Dieu, entre les mains du Prince de ce Monde*. 134:153 L'extraordinaire succès et le triomphe de la mythologie de Teilhard qui exclut la réalité du péché originel de son histoire fabuleuse du Progrès humain, individuel et collectif, son acceptation effective ou tacite par les ténors du catholi­cisme contemporain et le silence que pratiquent les figurants de la Hiérarchie devant *ce refus du dogme fondamental de la foi catholique,* sans lequel tous les autres s'effondrent, sont la preuve éclatante de la pénétration de « la philosophie des Lumières » dans la mentalité des clercs et du ralliement, secret ou avoué, de l'Église au principe de la Révolution qui la détruit. Comme toujours, Auguste Comte l'a soupçonné : « en consti­tuant une doctrine morale, pleinement indépendante de la politique, et placée même au-dessus d'elle, le catholicisme a fourni directement à tous les individus un principe fondamental d'appréciation sociale des actes humains, qui, malgré la sanc­tion purement théologique qui pouvait seule en permettre l'in­troduction primitive, devait tendre nécessairement à se ratta­cher de plus en plus à l'autorité prépondérante de la simple raison humaine » ([^76]). Ce diagnostic a besoin d'être complété et, du coup, rendu vrai : c'est la dégénérescence du surnaturel, sa réduction à un déisme diffus, prélude de l'athéisme, comme disait Bayle, sa sécularisation et le transfert de toutes ses caractéristiques à l'individu désormais autonome et désormais devenu leur seul et légitime possesseur, *qui explique la crise du catholicisme.* « L'humanisme » de l'Église contemporaine, le nom d' « experts en humanité » dont se targuent ses chefs dans leurs propos et dans leur conduite, la mise en veilleuse de tout ce qui est pro­prement surnaturel en elle -- consécration, sacrements, pra­tiques de piété, etc. -- au profit du seul service de l'homme, bref le renversement, de Dieu au monde, de ses préoccupations essentielles ([^77]), démontrent qu'elle est en train d'autoriser et de soutenir en dehors d'elle *et* en elle le principe de la Révolution. Depuis la Renaissance, que Chesterton appelait la Rechute, et surtout depuis le XVII^e^ siècle, tout humanisme véhicule la Subversion. \*\*\* Si l'analyse de Comte est exacte -- dans ses lignes essen­tielles prolongées sous la lumière de la foi -- la conclusion de la cinquante-quatrième leçon du *Cours de Philosophie posi­tive* ne laisse pas cependant d'être partielle, en raison même, on le devine, de l'espérance que le fondateur du positivisme plaçait dans le progrès de l'esprit humain, codifié selon la loi des trois états, et dont l'accomplissement parfait s'effectuerait sous le signe de la religion de l'Humanité, dernière étape, toujours susceptible de perfectionnement, de sa laborieuse odys­sée. La religion catholique devait, à son sens, mourir et être remplacée par la religion positiviste. 135:153 Or, « ce qui devait nécessairement périr ainsi, dans le ca­tholicisme, selon l'optique comtienne, *c'était la doctrine, et non l'organisation,* qui n'a été passagèrement ruinée que par suite de son inévitable adhérence à la philosophie théologique, destinée à succomber graduellement sous l'irrésistible éman­cipation de la raison humaine ; tandis qu'une telle constitution, convenablement reconstruite sur des bases intellectuelles à la fois plus étendues et plus stables, devra finalement présider à l'indispensable réorganisation spirituelle des sociétés modernes, sauf des différences essentielles spontanément correspondantes à l'extrême diversité des doctrines fondamentales » ([^78]). Pour un catholique, la doctrine de Jésus-Christ est indivisiblement liée à l'organisation de l'Église, et vice-versa : le pouvoir spirituel n'est pouvoir que parce qu'il est spirituel, et il n'est spirituel que parce qu'il est pouvoir. Le centre de rayonnement de l'analyse comtienne reste cependant une source de lumière inépuisable pour quiconque a le souci de la foi catholique : la distinction des deux pou­voirs, spirituel et temporel, capitale aux yeux de Comte pour la détermination des bienfaits que l'Église a répandus sur les hommes : leurs relations mutuelles au sein de ce chef-d'œuvre de l'esprit humain -- surélevé par la grâce -- qu'est la civili­sation catholique du Moyen Age ; leur refus de toute confusion qui leur aurait donné la maîtrise du monde. Un pouvoir spirituel, disons plutôt : *le* pouvoir spirituel de l'Église est nécessaire aux pouvoirs temporels s'ils veulent bien mener leur tâche propre : il fait des chrétiens de bons citoyens. Le pouvoir temporel est nécessaire au pouvoir spirituel (si ce pouvoir temporel est l'expression d'une société saine, formée de communautés naturelles et semi-naturelles, qu'il dirige en retour) parce que l'Église ne peut répandre la Parole de Dieu sans l'appoint d'une nature à la robustesse de laquelle la grâce contribue : *gratia naturam supponit*. Lorsque le pouvoir spiri­tuel se trouve devant le vide social, en présence d'une « socié­té » qui se défait et tente sans cesse de se refaire en se pulvé­risant davantage et en recourant en fin de compte à la massi­fication totalitaire, l'Église est non seulement incapable de transmettre son message d'une manière étendue et durable, mais elle se laisse en outre tenter par la perspective de prendre la relève du pouvoir temporel défaillant, de se confondre avec lui, de manifester une volonté de puissance que seule la sain­teté la plus purifiée peut expulser, et surtout, lorsqu'elle se laisse gagner en ses membres par la désagrégation ambiante et que le pouvoir spirituel ne réagit pas avec une pleine lucidité, de se corrompre elle-même. 136:153 Ce n'est pas la première fois que l'Église est tentée par la mort fardée en vie et en renouvellement de la Vérité : l'aria­nisme et ses compromissions temporelles en sont un exemple. Le monde actuel à la séduction duquel l'Église succombe, charrie un poison infiniment plus subtil : l'amour de l'humanité, fruit vénéneux de l'amour de soi et caricature de l'amour du pro­chain. Le monde est le stupéfiant de l'Église, présenté comme une panacée miraculeuse par les faussaires et les trafiquants de la foi. Il se transforme sous nos yeux en une poussière d'individus agglomérés en un gigantesque Léviathan. S'il prend la place de Dieu, nous le savons avec certitude, c'est sa propre fin qu'il annonce. Si cette perspective doit être reportée, les hommes ne seront sauvés temporellement et spirituellement, qu'à la condition nécessaire d'une restauration des deux pouvoirs, temporel et spirituel, que rien ne laisse prévoir. Nous entrons dans une interminable Nuit. *Il faut sans cesse prier pendant ce temps-là, et* OMNIA *quaecumque petieritis in oratione* CREDEN­TES, *accipietis* (Math., 21, 22). TOUT ce que vous demanderez dans votre prière *en esprit de foi surnaturel,* vous l'obtiendrez. La promesse ne souffre pas *une seule* exception. Mais prenons garde ! Dieu *seul* est maître du temps, parce qu'il est au-dessus du temps. Nous serons exaucés. Quand ? Il n'importe ! Dans un siècle, dans deux siècles peut-être ? Ou plutôt : *immédiatement,* dans l'éclair même de l'instant que voici et qui est ici-bas l'imitation la moins imparfaite de l'éter­nité. Le *Graduel* du quatrième dimanche de l'Avent nous l'affir­me : *Prope est Dominus invocantibus eum, omnibus qui invo­cant eum* IN VERITATE, le Seigneur est *proche* de tous ceux qui l'invoquent, enveloppés dans la Vérité surnaturelle. Nous sommes alors *dans la société surnaturelle* qui nous la transmet. Nous sommes, avec tous ceux qui invoquent avec nous le Sei­gneurs, *dans l'Église,* et dans l'Église *sainte et visible* en eux, en nous, ne restât-il qu'un seul évêque ou un seul prêtre pour profes­ser la VÉRITÉ, et quel que soit le témoignage de nos yeux de chair sur tout le reste. Avons-nous le courage de supporter, un seul instant, d'être hissés, d'un seul coup, *hors du temporel ?* Est-ce que nous n'en perdons pas le souffle ? 137:153 Il faut choisir : ou la pesanteur du temps ou la grâce, relier entre eux ces instants dis­continus dans lesquels nous échappons au temps par la prière, prendre part dans l'intervalle, en exerçant ses devoirs d'état, aux humbles sociétés temporelles dont l'inlassable renaissance à chaque génération reproduit vaille que vaille l'éternité, et *attendre* le moment où nous entrerons, s'il plaît à Dieu, dans l'Église triomphante. C'est ce qu'ont fait nos pères, le moins mal qu'ils ont pu, alors que se déployait sous leurs yeux le même spectacle que celui qui s'offre aux nôtres, en des siècles moins hypocrites peut-être, moins fardés de romantisme religieux, où Tartuffe n'était pas légion. Telle est la leçon qui se dégage de l'incomparable cinquante-quatrième leçon du *Cours de Philosophie positive.* Marcel De Corte,\ professeur à l'Université de Liège. 138:153 ### Journal logique par Paul Bouscaren QU'EST-CE que ne vouloir l'ordre que par la justice, et c'est-à-dire par le respect des droits de chacun, sinon pré­tendre au bien commun par la somme des biens indi­viduels, -- alors que toute la réalité concrète de ceux-ci tient à l'existence sociale, avec son ordre, non autrement ? L'or­dre par la justice, l'existence par l'idéal, scier la branche sur laquelle on se trouve par nécessité... Le sophisme qui passe de l'obligation, *pour l'homme et le chrétien,* d'être humain et chré­tien en tout ce qu'il veut, à une fantastique obligation, pour cha­cun de nos vouloirs, d'être *d'abord et formellement* humain et chrétien *comme il est tel vouloir,* -- ici, le vouloir civique ; mais aussi bien, pourquoi pas ? le vouloir matrimonial (de pur amour), le vouloir professionnel (d'universelle entraide), le vou­loir national (humanitaire, et non nationaliste), le vouloir-vivre (altruiste), le vouloir médical (au service des hommes et non de leur santé, donc, euthanasique et abortif à discrétion de volonté générale)... Bref, les *relations de liberté* des êtres humains et chrétiens n'ont plus à partir d'un ordre de l'existence par *rela­tions de nécessité* faisant un bon sens immédiat de toutes sortes d'arts de vivre, ou de politiques, toujours irréductibles à la phi­lanthropie, humaine ou divine, parfois aussi éloignés de la « pri­se de conscience », ainsi appelée, que peut l'être le diagnostic d'une maladie. Notre-Seigneur guérissait les malades par mira­cles, et on l'entendit répondre à une réclamation de justice : « Homme, qui m'a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ? » (Luc, 12/14) ; nos pères évêques modernes font la petite bouche de M. Jean Guitton sur les miracles de l'Évangile et des saints, et pour cause : le monde n'a pas de maux qu'ils ne se chargent de guérir sans miracle, par la foi en l'homme qui est la vraie foi au Sauveur des hommes, professent-ils ; et quant à faire nos partages, laissez donc parler le nouvel évêque de Marseille, le jour même de son intronisation : 139:153 « Je voudrais être très proche de tous pour montrer que l'Évangile a quelque chose à dire dans tous les événements de la vie des hommes... Les chrétiens devraient être des thermostats qui transforment et règlent la température de leur milieu. » (*Figaro,* 18 janvier). Je ne crois pas que Jésus ait mis sous le boisseau la lumière de son Évangile, je ne crois pas que Jésus ait manqué d'action chré­tienne sur son milieu ; je crois plutôt nos évêques, archevêques, et archimarseillais, ivres-morts de cléricalisme moderniste au point de faire alliance, comme Churchill, avec le même diable que lui ! \*\*\* Devoir mettre l'Évangile au niveau et à la portée de tous les hommes, quelle abominable fausseté ! « Ne donnez pas aux chiens ce qui est saint, et ne jetez pas vos perles devant les pour­ceaux », (Matthieu, 7/6), voilà l'Évangile ! \*\*\* Liberté, mais de quoi, mais liberté de qui ? « La liberté con­siste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » : qui dois-je entendre par autrui, sinon quiconque n'est pas la même personne que moi ? Quel est donc le faire ou non-faire qui va de personne à personne autrement que dans l'existence réelle, où la réelle solidarité sociale est la vérité, pour le meilleur et pour le pire, et, à mesure, un autre qui n'est pas moi, le mensonge idiot ? Si la liberté consiste à choisir par soi-même ce que l'on fait et ne fait pas, et si l'obéissance, elle, consiste à faire et ne pas faire par le choix d'un autre, il y a donc opposition contra­dictoire d'obéir à être libre, -- et voilà vingt siècles d'aveugle­ment de l'Église enfin jetés à la lumière moderne ! Mais, quelle différence à faire d'une liberté ainsi comprise pour les hommes, avec celle des animaux en liberté, par opposition aux animaux domestiques ? Certes, la liberté consiste à choisir par soi-même, mais à choisir d'être soi-même en tout ce que l'on fait, et ne fait pas, librement, d'où que vienne la détermination de la conduite en tant que telle, -- détermination qui n'appartient pas plus à moi qu'à un autre, et peut s'imposer de nécessité physique, ou d'obligation morale pour tous ; de la sorte, que penser des ténè­bres d'une conscience moderne incapable de la liberté de l'hom­me et du chrétien qui veut être librement lui-même en faisant sien le choix d'autrui, -- par un droit d'autrui socialement in­dispensable, -- quant à un faire ou un non-faire qu'il serait inco­hérent d'identifier avec la personne libre, soit celle qui obéit ou celle qui commande ? 140:153 Remarquons-le : une liberté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui distingue les seules personnes, ignorant leur commune existence ; une liberté de choisir arrêtée au choix du comportement réduit à zéro chaque personne, confondue avec ce qu'elle fait dans l'existence ; effacer la différence du citoyen, qui existe, à l'homme, qui doit être, c'est le tour de passe-passe de la Déclaration : égale liberté de tous, pas de liberté hors de la volonté générale, qui n'est la volonté de personne, exige même la mort de toute volonté personnelle à l'égard des lois ; « pas de liberté (de chacun) contre la liberté (de la volonté généra­le) ». Il est beau de voir la Déclaration, sur la foi de Jean-Jac­ques Rousseau, (Contrat social, IV, 2), et tout le monde moderne dans son fanatisme de la Déclaration, obliger chacun à la mythi­que volonté générale, d'une manière que saint Thomas d'Aquin écarte en ce qui concerne l'obéissance à la volonté divine, (Ia IIae, 19, 10) ! A cela près, l'Église a « pris conscience » d'un monde moderne où « prendre conscience » fait l'universel em­ploi... \*\*\* L'obligation d'obéir a une condition nécessaire et suffisante, c'est que le chef légitime exerce son autorité de manière non douteuse pour qui relève de cette autorité ; je ne vois pas que tel soit le cas lorsque le chef légitime, au lieu de donner ses ordres ou d'intimer ses prohibitions, procède par la mise en œuvre, plus ou moins sinueuse, voire en des directions opposées, des *pouvoirs* de tout ordre, qu'il tient de sa « nature » ou de son « établissement », mais qui sont tout autre chose que son *auto­rité *; ce chef sait-il bien ce qu'il veut, il ne le fait pas, de la sorte, bien savoir, et il ne peut être question d'obéir, c'est-à-dire de faire sienne la volonté au moins douteuse d'un pareil chef qui n'agit pas en chef. \*\*\* « Pour soutenir la nature éperdument vaste et profonde, ce n'est pas trop d'un Dieu » ; volontiers ma foi en Dieu retour­nerait cette conclusion philosophique d'Octave Hamelin en point de départ d'oraison : si la nature est éperdument vaste et pro­fonde, n'est-ce pas pour nous ouvrir dès ce monde à l'admira­tion éperdue où nous jettera pour l'éternité la vue de Dieu ? Et se peut-il rien de si insane que de faire grief de triomphalisme à une liturgie *en harmonie avec la création* profonde, profonde, jusqu'à l'éternité ? \*\*\* 141:153 « Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, des millions d'hommes de partout avaient les yeux fixés sur une même image : celle d'un homme marchant sur la lune. Il m'a semblé que c'était le début d'un âge nouveau. » Pour la première fois de leur histoire, les hommes de partout n'ont pas un même sens commun de leur vie terrestre, la plupart sont arrachés de ce sens commun jusque dans l'Église catholique, et elle y con­sent ; qu'attendre pour l'humaine vie des images communes au lieu du commun bon sens ? \*\*\* « Ce sont les idées qui mènent le monde », ce sont les fausses idées modernes qu'il faut rendre responsables des malheurs du monde moderne, si l'on ne veut pas se voir imposer des remèdes encore pires que les maux ; ni l'esclavage prolétarien ne s'expli­quait sans pétition de principe par l'expansion industrielle, ni davantage, ou d'autre sorte, le technocratisme d'une part, l'idio­tie devant Dieu d'autre part, ne nous viennent de la science expérimentale, elle aussi en expansion dite trop rapide pour l'homme historique ; les faux principes de la révolution de 1789 ont démuni les hommes, d'un seul et même coup, de leur milieu moral intérieur et de leur milieu social organique ; voilà ce qu'il s'agit de rendre à la vie des hommes, ou les voir mourir de leur bêtise, peu importe sous quel travesti de liberté humaine ou divine. Oui, mais, en fait de travesti, le *Syllabus,* on a bonne mine avec celui-là ! Certes, mais relisez donc, en saint Luc (14/25-35), ce qui est dit de la bonne mine des gens qui pré­tendent construire la tour de l'Évangile et en restent aux fonda­tions, mener la guerre de l'Évangile et n'ont pas les forces qu'il y faut, doivent être le sel du monde et en sont le fumier, comme tout le monde ; et que fait donc le *Syllabus,* s'il ne demande pas au monde moderne de renoncer à tout ce qu'il possède en tant que moderne, et, s'il est impossible d'attendre du monde moderne rien de ce genre, s'agit-il oui ou non d'être idiot, à le vou­loir disciple de Jésus-Christ ? \*\*\* Ce qui fut jadis un privilège est devenu le moderne droit égal de tous, par exemple savoir tout sans avoir rien appris, -- les étudiants non exceptés. \*\*\* 142:153 « L'homme naît bon, la société le déprave » ; donc, l'homme peut être dépravé ; on est donc fou de compter sur sa bonté native, pour sa conduite effective, autrement que sous bénéfice d'inventaire. Mais il y a autre chose ; la vérité concrète de l'homme est sociale, c'est la vérité d'un membre du corps so­cial, qui ne peut être l'homme qu'il est que dans une dépendance inévitable et profonde à l'égard de la société ; ou bien la société est la bonne terre où croît le bon arbre humain, ou bien la mauvaise terre fait le mauvais arbre ; société neutre, cercle carré. De la sorte, non seulement la société ne peut se construire sur une bonté de l'homme sujette à tourner mal, mais la bonne existence des hommes suppose un milieu social construit pour l'obtenir, parce qu'elle est chimérique autrement. Ce bon sens dualiste de l'humain concret laïcise-t-il le mys­tère chrétien du péché originel, communément opposé à la thèse rousseauiste de l'homme né bon ? Oui, si l'homme bon étant celui qui agit bien, le péché originel devait consister par action mau­vaise ; or si cela est cru comme l'on semble le dire, (abusé peut-être par le nom de péché), il faudrait enfin se décider à consul­ter la Somme de théologie (Ia Iae, au moins les q. 82 et 85), et se voir encore plus loin de la sagesse de l'Aquinate que de la déraison du Genevois ; car cette déraison se trouve, non pas dans la double thèse, mais dans les conséquences aberrantes ; et cette sagesse parle du mystère chrétien moyennant plusieurs distinctions capitales, ignorées par le recours vulgaire à ce qu'on appelle le péché originel, mais sans plus de droit que d'autres n'en veulent rien dire, par un silence non moins vulgaire. \*\*\* Je mets en fait que l'enregistrement d'un seul bulletin d'in­formation de *France-Inter* peut suffire à prouver l'intolérable abaissement du langage, pour quiconque a gardé tant soit peu le sens de « l'honneur des hommes ». Je mets en fait qu'il doit suffire, de même, à un chrétien, de lire avec quelque atten­tion tel document, présenté à la presse au nom de l'épiscopat français (*Figaro*, 11 février), pour voir, de ses yeux voir, ce qui s'appelle voir, les perles de l'Évangile foulées aux pieds par les pourceaux. \*\*\* La cité antique était religieuse en tant même que cité ; les États chrétiens se distinguaient de l'Église comme de la Mère de leurs peuples dans le Christ ; non seulement l'État moderne est sans Dieu, mais il sépare de Dieu la société même, qu'il distingue de lui-même de moins en moins ; adapter l'Église à la société moderne détruit le dernier barrage à son absorption par l'État totalitaire, -- c'est là un refus apocalyptique du der­nier service que l'Église pouvait rendre à l'humanité. \*\*\* 143:153 « Parce que tel est notre bon plaisir » prétendait une auto­rité souveraine, au-dessus de tout jugement d'autrui quant à l'exercice d'un pouvoir qui n'était pas, pour autant, illimité, mais absolu dans ses limites de toutes sortes, morales et poli­tiques ; tandis que la volonté générale du volontarisme démo­cratique dispose de la société comme des individus absolu­ment au mépris de toutes limites. (Direz-vous : hormis celles de son expression en lois ? Mais non, puisque nous avons vu quantité de braves gens frappés au nom de lois postérieures aux actes reprochés...) \*\*\* J'entends bien que l'on veut *raisonner* la foi comme le reste, comme la société, comme l'univers physique ; j'objecte ce que je constate, je l'objecte d'autant plus fort que je trouve moins de gens pour le constater : *la même déraison* du démocratisme, du progressisme, et du scientisme, -- soit dans les postulats, soit dans l'absurdité où ils amènent, dite sans vergogne l'absurdité du réel, tout en professant très haut ne partir en effet que des postulats de sa pensée, et agir par volontarisme. \*\*\* Nous devons regarder Dieu comme une personne, *et non pas comme une chose*, aucun doute là-dessus ; mais quant à dire *et non pas comme une idée*, -- je distingue ; d'accord pour ne réduire Dieu, ni à l'existence d'une idée, ni à l'être saisi par telle idée, ou tel ensemble d'idées, que nous concevons sous le nom de Dieu ; mais pas du tout d'accord pour ce que l'on pré­tend dire de la sorte : que regarder Dieu comme une personne s'interdit de le regarder au moyen de telles idées excluant telles autres idées ; non seulement cela se soutient par quiproquo, (une idée est une chose, certes, mais c'est la chose par quoi nous saisissons intelligemment toute chose, et sans quoi rien n'est pour nous à niveau de raison), mais encore ce quiproquo a l'incohérence de s'attacher à l'idée de personne comme s'il ne s'agissait pas là d'une idée entre les autres. Paul Bouscaren. 144:153 ### Éléments pour une philosophie du réel *Chap. III -- suite* par le Chanoine Raymond Vancourt « Ne concluons pas trop vite et interrogeons plutôt les psychologues. Ceux-ci estiment que, même à ce stade, le besoin de connaître pour connaître n'est pas absent et qu'il exerce son influence. De ce besoin, ils vont jusqu'à trouver des indices chez les animaux supérieurs, où l'on perçoit une curiosité sans but utilitaire, « un désir de voir, d'entendre ; de voir clairement, d'entendre distinctement ; de tirer au clair et de comprendre ce qu'on voit ou qu'on entend à chaque ins­tant » ([^79]). Ce besoin, qui pousse l'animal à s'approcher de l'objet, à l'observer attentivement, à le manipuler, est aiguil­lonné par la présence inopinée de quelque chose de nouveau. Les psychologues en tirent la conclusion : « La relation qui unit l'organisme à son milieu comporte des activités prouvant que l'organisme, à un certain degré d'évolution, est capable de s'orienter vers l'objet, *de s'y intéresser pour lui-même. C'est là peut-être la source de cette puissante motivation d'objectivité ou de soumission à l'objet, qui caractérise l'homme en certaines de ses conduites et aspirations *» ([^80]). Car la curiosité désinté­ressée existe chez tous les humains, et il serait erroné de croire qu'elle constitue l'apanage d'une élite. On le comprendra d'ail­leurs aisément : 145:153 « La connaissance ne peut être biologique­ment utile, utile à l'homme dans la pratique, dans la conserva­tion de la vie et de l'espèce que si elle reflète une vérité indé­pendante de l'homme. » ([^81]) Nous en prenons conscience lorsque nous subissons les conséquences néfastes de nos erreurs. Si je me trompe en absorbant du poison au lieu d'un liquide inoffensif, les conséquences en seront désastreuses ; il me faut, dans mon intérêt, savoir au préalable ce qu'il en est de ce liquide. En d'autres termes, les préoccupations utilitaires ne suppriment pas, bien au contraire, la nécessité de connaître les réalités auxquelles j'ai affaire. C'est la raison pour laquelle, en toute activité de connaissance, on peut déceler un côté désintéressé, un effort pour appréhender ce qui est. L'ethnologie confirme cette interprétation. Parlant des arts compliqués : poterie, tissage, agriculture, domestication des animaux, etc., inventés par l'homme à l'époque néo-lithique, Lévi-Strauss écrit : « Pour élaborer ces techniques, souvent longues et complexes, il a fallu, n'en doutons pas, une curiosité assidue et toujours en éveil, *un appétit de connaître pour le plaisir de connaître,* car une petite fraction seulement des expé­riences, dont il faut bien supposer qu'elles étaient inspirées, d'abord et surtout, *par le goût du savoir,* pouvait donner des résultats pratiques immédiatement utilisables. » ([^82]) \*\*\* Cette curiosité désintéressée cesserait-elle de jouer un rôle dans les sciences, du moins dans les sciences telles que nous les comprenons et pratiquons depuis la découverte de la phy­sique mathématique ([^83]) ? Le savant, certes, s'occupe des réalités de ce monde ; il prétend même ne s'intéresser qu'à elles et ne point s'aventurer hors de la caverne où s'écoule notre existence. Il cherche les liens entre les événements qui s'y déroulent et les exprime en un langage chiffré ; il espère pouvoir ainsi mieux prévoir ce qui doit arriver et dominer plus sûrement la nature. Ce langage chiffré ne constitue pas à vrai dire une explication du réel ; c'est plutôt une notation abrégée des faits, se recom­mandant par sa commodité, sa précision et la prise qu'elle donne sur notre milieu ([^84]). Le savant paraît moins préoccupé de scruter l'univers que de nous procurer les moyens de vivre aisément sur cette terre. 146:153 On retrouve dans son comportement quelque chose des vieux rêves de la magie. L'idée d'une connais­sance désintéressée, d'un « savoir contemplatif », semble s'estomper dans son esprit, devant le souci d'une action effi­cace, laquelle passe au premier plan de ses préoccupations. En d'autres termes, le savant contemporain donne l'impression d'être attentif davantage aux besoins de l'*homo faber* qu'aux aspirations de l'*homo sapiens.* \*\*\* Cependant, il en est de la science comme de la connais­sance vulgaire. Si on l'examine de près, on y décèle une volonté d'appréhender le réel tel qu'il est. Le savant se montre sponta­nément « réaliste » ; il affirme qu'il existe un monde indé­pendant de lui ; il cherche à s'en faire une image plus vraie que celle élaborée par le sens commun, persuadé, d'ailleurs à juste titre, que de l'exactitude de cette image dépend l'effi­cacité de la technique. Par conséquent, il est mû, au moins partiellement, par un appétit de connaître qu'il veut satisfaire et qui dépasse les fins que lui assignent les nécessités de l'action humaine ([^85]). S'il n'y avait pas, chez le savant, cette curiosité, ce désir de comprendre la réalité, pourquoi s'astreindrait-il à pratiquer cette vertu, précieuse et difficile, qu'on appelle l'objectivité et qui exige de lui soumission au réel, sacrifice de ses opinions, prudence, sérieux, loyauté, souci de rigueur intellectuelle ? Pourquoi considérerait-il l'expérience comme l'instance suprême devant trancher en dernier ressort les controverses et per­mettre l'accord des esprits ? Le savant est manifestement con­vaincu que le réel lui laisse entrevoir au moins certains de ses aspects. S'il est mû par le désir d'agir sur les choses, il l'est aussi par l'espoir d'en découvrir les structures. Nietzsche, mal­gré son penchant pour une interprétation pragmatiste des sciences, le concède ; 147:153 il déclare même à l'occasion que « la science cherche la connaissance et rien de plus » ([^86]), et il admet que, pour atteindre cette fin, elle exige de ses adeptes des qua­lités fort respectables. Nous sommes donc en droit de conclure que le désir de connaître pour connaître n'est pas absent de la mentalité du savant ([^87]). Cela ne signifie nullement qu'il rêve « d'une connaissance pure et sans conséquences », recherche de préférence les vérités inutiles ([^88]), se désintéresse des besoins de l'homme. Les romans campent parfois des savants de ce type ([^89]). S'il en existe, ils doivent constituer une infime exception, car les sciences modernes sont nées, pour une large part, du désir de transformer la réalité et pas seulement de la contempler. Nous avons déjà noté que si la curiosité eût suffi à les engendrer, les Grecs les auraient inventées. Ils étaient portés vers la recherche gratuite et avaient conscience des exigences théoriques aux­quelles doit répondre une certitude fondée en raison. Ils n'ont cependant pas créé nos sciences, pour plusieurs raisons sans doute ([^90]), mais en particulier parce qu'ils ne se croyaient pas autorisés à transformer la nature, réalité divine sur laquelle il faut se garder de porter une main sacrilège, et qu'on peut seulement admirer. La doctrine judéo-chrétienne, en proclamant que les choses de ce monde ont été confiées à l'homme pour qu'il les façonne au mieux de ses besoins, a levé un sérieux obstacle qui s'opposait à la naissance de nos sciences. 148:153 Preuve évidente que celles-ci n'émanent pas exclusivement du désir de connaître. Néanmoins ce désir, que le savant a d'ailleurs hérité du philosophe et qui est d'ailleurs inhérent à la nature humaine, demeure présent dans son comportement. Comme le dit Maurois, la science contemporaine est le fruit « d'une longue et systéma­tique curiosité » ; par ce trait, elle ressemble à la philosophie. \*\*\* Celle-ci toutefois, si on en croit Aristote, surpasse le savoir vulgaire et les sciences par la pureté de son désintéressement. Elle ne cherche rien d'autre que la connaissance elle-même ; elle ne vise ni à faciliter la vie quotidienne, ni à améliorer nos conditions matérielles d'existence : ce n'est point son rayon. L'avantage qu'escompte le philosophe -- car on agit toujours dans l'espoir d'une satisfaction, les considérations développées au début de ce chapitre l'ont suffisamment prouvé ; cet avantage est d'ordre purement théorique. -- En est-il bien ainsi ? -- La question doit être examinée de près, car elle met en cause les relations qu'entretiennent la philosophie et les sciences. Seulement, dès qu'on entame cet examen, on se heurte immé­diatement a une difficulté. N'est-il point prématuré de s'enga­ger dans cette recherche, alors que nous ne savons pas encore ce qu'est la philosophie. Nous le savons d'autant moins que nous entendons parler, depuis Feuerbach et Marx, d'un type nouveau de philosophie, destiné à balayer ce qui a existé auparavant. Si nous partons d'une définition erronée et caduque ; quelle portée auront nos conclusions sur le caractère désinté­ressé de cette discipline ? -- Ne nous laissons cependant pas trop impressionner par cette objection. Nous l'avons dit : il faut bien partir de quelque part. Et comme, depuis Platon jusqu'à Hegel, la philosophie a été comprise, quant à l'essen­tiel, de la même manière par ceux qui l'ont cultivée, nous avons le droit d'appuyer notre réflexion sur cette interpréta­tion traditionnelle. Ce sera d'ailleurs le meilleur moyen de savoir s'il faut l'abandonner pour faire place à une « philosophie radicalement nouvelle » ([^91]). Ce que les philosophes ont cherché de tous temps est, semble t-il, assez clair. Ils ont voulu connaître les causes suprêmes de ce qui existe, les principes au-delà desquels il n'est plus possible de remonter, les fondements en dessous desquels il n'es plus nécessaire de creuser. 149:153 Ils estiment avoir atteint ce but en démontrant l'existence d'une réalité absolue, invisible, que nos concepts, fabriqués pour désigner les choses de ce monde expriment malaisément. Cet Absolu, ils le considèrent comme la source de l'univers ; et ils pensent que l'homme trouve son bonheur, réalise sa destinée en retournant à cette source En affirmant ces thèses, les philosophes prétendent avoir étanché notre insatiable soif de connaître, que ni la connaissance vulgaire, ni les sciences ne parviennent à apaiser. \*\*\* En s'attribuant comme mission de satisfaire adéquatement notre désir de savoir, les philosophes admettent implicitement que l'affectivité joue, dans leur comportement, un rôle non négligeable. En effet, qui dit désir dit besoin, inquiétude, satis­faction ou déception, joie ou souffrance ; toutes ces compo­santes se retrouvent dans notre soif de connaître, cette soif qu'on peut appeler la curiosité. Celle-ci entre en jeu lorsqu'on rencontre quelque chose qui ne se ramène point à du déjà connu ; elle est aiguillonnée par la présence de réalités rares et inattendues. Ces réalités peuvent ébranler notre sensibilité à des degrés divers. Si, dans un jardin zoologique, je passe devant la cage d'un animal exotique jamais vu, je jette un regard amusé, mais placide et sans passion. Dans d'autres cas, au con­traire, les êtres nouveaux ou les événements inopinés auxquels j'ai affaire me troublent profondément. Je crains que leurs aspects mystérieux ne recèlent un danger ; ou, à tout le moins, qu'ils dérangent mes habitudes de penser et d'agir... A l'arrière plan de la curiosité apparaît ainsi un besoin de sécurité que Nietzsche a fort bien analysé et dont il a montré les multiples implications. La curiosité, désir de connaître pour connaître, n'est donc point nécessairement synonyme de détachement et de désintéressement. Sans doute nous pousse-t-elle d'abord à vouloir comprendre ce qui se présente et à découvrir la vérité ; mais peut-être, inconsciemment, cherchons-nous des « vérités » qui confirment ce que nous avons admis auparavant et consi­déré comme l'assise solide sur laquelle reposait notre existence. Ne croyons pas cependant que le souci de notre sécurité gauchisse nécessairement dans tous les cas notre désir de connaître. Ce désir peut exister à l'état pur et il laisse alors en­trevoir ce qu'il a de vraiment spécifique. Désirer savoir con­sistera désormais à vouloir appréhender le réel tel qu'il est, sans céder à la tentation de le triturer dans l'espoir d'y trouver un éventuel réconfort ; on accepte de le contempler à nu, sans apprêt ni déguisement, et sans craindre les conséquences qui résulteraient d'une telle vision. Désormais, la curiosité semble purifiée d'éléments étrangers ; 150:153 elle apparaît en toute sa noblesse, et aussi avec les risques qu'elle peut nous faire courir. Elle implique une volonté tenace d'échapper aux illusions, d'attein­dre le vrai coûte que coûte, même si nous devions, au terme de nos efforts, nous trouver face à face avec ces « vérités ter­ribles » dont parle Nietzsche, et qui font mal parce qu'elles ébranlent nos convictions et troublent le climat de sérénité hors duquel il nous paraît impossible de vivre. Bref, le désir de connaître, en ce qu'il a de plus élevé, implique la décision de bâtir son existence, non sur des « idéologies » trompeuses, mais sur la réalité telle qu'elle est. \*\*\* Ce désir, déjà présent à l'arrière-plan de la connaissance vulgaire et des sciences, le philosophe estime qu'il apparaît chez lui en toute son authenticité et à l'état pur. Il prétend égale­ment que la discipline qu'il cultive s'avère seule capable de satisfaire notre insatiable besoin de savoir. Que valent ces deux prétentions ? Est-ce de l'orgueil ou de l'illusion ? Pour en décider, il faudra les examiner l'une et l'autre. Nous commen­cerons par la seconde. #### III. § 3. L'intérêt théorique de la philosophie. Notre désir de savoir ne peut être assouvi, à en croire les philosophes, que si nous connaissons tout. Ils ne veulent point dire par là que l'homme puisse devenir omniscient, c'est-à-dire embrasser d'un regard l'ensemble du réel et le détail de chacun des êtres et des événements qui le constituent. Hegel lui-même, malgré sa prétention à un « savoir total », n'a jamais rêvé d'une chose pareille. Il n'en demeure pas moins que l'homme aspire à un « achèvement » de ses connaissances, achèvement que la philosophie aurait comme tâche et pour privilège de réaliser. -- Animal raisonnable, limité dans le temps et l'espace, l'homme se rend compte qu'il ne connaît qu'un faible secteur du réel et imparfaitement. Mais il prend conscience de cette situation parce qu'il est capable de dépasser, au moins mentalement, les frontières étroites entre lesquelles son existence se trouve murée. Se sentir limité dans ses connaissances suppose qu'on possède l'idée d'une connaissance achevée, toile de fond sur laquelle se détachent nos savoirs partiels. Connaître signifie aussi, à certains égards, rassembler, unifier les réalités qui nous entourent, et nous ne sommes satisfaits qu'après avoir opéré une synthèse suprême, en ramenant tout ce qui existe à un prin­cipe au delà duquel il n'est plus possible de remonter. 151:153 Ainsi, le dynamisme même de la pensée pousse à aller sans cesse de l'avant, jusqu'à un terme indépassable, origine et fin des êtres de l'univers. Aristote avait entrevu ce besoin incoercible de notre esprit, qui conduit, dans la recherche des causes effi­cientes, finales, matérielles et formelles, à poser des causes premières au-delà desquelles il n'y a plus rien à rechercher ([^92]). Dans un contexte différent, Kant explique comment la raison, en quête d'une unité toujours plus grande, s'élève à l'idée d'un Absolu, auquel il faut finalement s'arrêter. Cette idée n'est point « formée arbitrairement », mais exigée « par la nature même de la raison », qui ne peut se dispenser de la former ([^93]). En d'autres termes, l'esprit humain offre cette particularité qu'il est capable de se détacher de tout ce qu'il est ou fait à un moment déterminé. Il s'arrête dans ce processus de « néga­tion » une fois parvenu à un terme indépassable. Cela se constate pour la volonté et l'amour, mais aussi pour la con­naissance. Nous ne sommes satisfaits en ce domaine que lors­qu'il s'avère impossible et inutile de pousser plus avant notre recherche, ayant atteint le fondement ultime de ce qui existe. \*\*\* Évidemment tout n'est point dit pour autant : un problème de première importance surgit qui devra être résolu avec préci­sion et sans équivoque. Cet Absolu que j'affirme en vertu du dynamisme de mon esprit, n'est-il qu'une idée émanant de moi et destinée à assurer l'intégrité et la cohérence purement internes de ma pensée ? Ou bien y a-t-il « quelque chose » ou « quelqu'un » qui lui correspond dans la réalité ? Cette ques­tion, essentielle à coup sûr, mérite un examen approfondi ; au point où nous en sommes nous pouvons le remettre à plus tard ([^94]). Que l'Absolu se réduise à une idée que nous nous for­geons nécessairement ou qu'il soit un être indépendant de nous, dans les deux cas, en effet, il permet la synthèse de notre savoir et confère à celui-ci son intégrité et sa cohérence ([^95]). 152:153 Dans les deux cas, le philosophe s'estime autorisé à parler d'un « achèvement » de la connaissance, en quoi consiste précisé­ment l'intérêt exceptionnel qu'offre, d'après lui, la philosophie sur le plan théorique. (*A suivre*) Chanoine Raymond Vancourt. 153:153 ### La Révolution veut les enfants *Lettre de retour* par Luce Quenette DANS CES JOURS étranges de faiblesse, de souffrance con­fuse, où la prière est plus respirée que formulée, on me lisait vos lettres affectueuses. J'écoutais ces témoi­gnages d'amitié chrétienne avec beaucoup d'attention, une grande reconnaissance et, je dois le dire, un étonnement. Non, je ne savais pas que nos cœurs étaient si unis, le lien entre nous, si vivant. J'ai donc reçu avec recueillement la forte et douce leçon qui jaillissait de tous vos messages. En effet, on me disait de guérir, on me disait que la Sainte Vierge me guérirait, pour que je puisse continuer le combat en l'honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour que nous puis­sions, tous ensemble, sauver l'âme des enfants. C'était bien là mon seul désir, ma seule intention, mais fortifiée par vos sou­haits et par vos prières. Le sacrifice de la vie est bien utile, car mourir volontiers, c'est la démarche sainte par excellence, « précieuse » aux regards de Dieu. Le sacrifice ou le labeur. Non recuso laborem. C'est le labeur que Dieu a choisi, pour quelques années peut-être encore. Les forces reviennent doucement, mais, il me semble, sûrement. Et j'ose remercier la droite du Seigneur qui fait tout mon courage et dire : Non moriar, sed vivam et narrabo opera Domini... Je ne mourrai pas encore, mais je vivrai pour parler de Notre-Seigneur. Quel trésor de messes, de chapelets, de prières a été mis à la disposition de ma faiblesse ! Comme il faut main­tenant que je les fasse fructifier ! 154:153 J'ai reçu aussi d'autres lumières et d'autres grâces. J'ai fait des expériences très fécondes. D'abord, j'ai été opérée dans un hôpital suisse excellemment organisé, par un chirurgien de grande valeur, modeste, laconique, fort, entouré d'un personnel merveilleusement formé où nul ne s'épargne, parce que le maître qu'on admire ne s'épargne pas, une vraie armée qui fait bloc au service du malade. Et pourtant, toutes les nations sont pré­sentes : c'est l'attrait de la Suisse. Infirmières ou médecins, suisses, anglais, yougoslaves, coréens, hollandais, norvégiens, iraniens. Le Français n'est présent que par la langue... plutôt pittoresque, maniée par tout un monde né loin d'elle. Tout un monde à sa tâche, dans un zèle régulier, efficace. Mais Dieu, Jésus-Christ, la religion ? (Je leur en parle libre­ment, ainsi qu'à mon habitude.) La religion est dans tous ces cœurs, affaire ABSOLUMENT PRIVÉE -- et par la plupart, non pratiquée -- les protestants parce qu'un protestant vraiment exact au culte est rare -- et les catholiques, tous, avec cette seule, lamentable raison : « Maintenant, il n'y a plus rien, tout est changé, tout est permis -- la Messe, on n'y va plus, d'ailleurs personne ne nous ordonne, ne nous conseille, ne nous parle même d'y aller. » L'aumônier n'a rien de tapageur. Il est de physionomie effa­cée, flottante, insaisissable. Cependant, on m'indique une Messe dans une chapelle toute neuve, attenante à l'hôpital. Nous y allons : chapelle pour tous les cultes, affreuse, des bancs énormes, pas d'agenouilloirs bien entendu, un mur de fond en briques entassées par blocs asymé­triques, une croix à droite, nue, une masse informe qui peut être l'autel, et un ambon de brique -- le prêtre, lunaire, sans chasuble. La Messe Nouvel Ordo, atone, d'où ne ressort que d'interminables « prières universelles » à l'Offertoire, où il est question du Vietnam, bien entendu. Communion dans le vent, puis le prêtre s'assoit sur un des bancs, et enfin, plus vague que jamais, dit aux sept personnes présentes que « cette ren­contre » dans une messe a peu attiré ; demande quelle autre « rencontre, EN DEHORS DE LA MESSE » aurait plus d'attrait pour la semaine prochaine. Nous n'avons pas attendu le reste. 155:153 Au retour (c'était la veille de l'opération) m'attendait le courroux de ma jeune infirmière yougoslave. Il vous instruira : « Vous avez voulu y aller, s'écrie-t-elle, à cette Messe, épuisée comme vous êtes, au lieu de garder des forces. Vous avez vu, c'est un CULTE HUGUENOT. Moi je suis catholique, je n'irai jamais, jamais à ça ! » Alors, elle ne va jamais à la Messe. Et son courroux était pertinent ! Ainsi s'établit une morale indépendante de toute croyance -- uniquement professionnelle, basée sur une conscience de solida­rité avec un chef estimé qui ne tolère pas la moindre négligence. Mais, aux questions directes, s'ouvrent les cœurs, s'expriment la nostalgie, la soif d'une inspiration religieuse et se découvrent des âmes toutes prêtes pour Dieu, SI QUELQU'UN LEUR EN PARLE. « Je n'ai pas, dans ma vie, me confie cette courageuse infir­mière portugaise, une amie, un être qui ose ainsi me parler de Dieu et de mon âme. » « Est-il donc possible de prouver l'existence de Dieu ? » me dit brusquement une jeune et ardente Vaudoise en prenant son service de nuit. Cependant, tandis que le cancer de l'Église endort la plupart dans l'indifférence, soudain, je découvre une âme de foi, croyante et pratiquante, qui lutte seule, et à laquelle le mal am­biant sert d'aiguillon. La lâcheté des autres est le creuset de son courage. Quelle joie de lui ouvrir « l'arsenal » de notre combat, de lui dire qu'elle est bénie et riche de mérites. \*\*\* C'est dans la clinique où se font les préparations et les conva­lescences que cette main intelligente me tendit « le petit livre rouge des écoliers et lycéens » édité à Lausanne par la maison d'édition de la Ligue marxiste révolutionnaire, Cedips, dans ce canton de Vaud de tout repos, où l'infamie se porte si bien. Je n'en dirai, aujourd'hui que ceci : L'ENFANCE IMPORTE A LA RÉVO­LUTION. Cette horreur codifie et aiguise et met en pleine lumière l'effroyable investissement de l'innocence. Et ces bons Suisses, tant habitués à l'ordre civique, à la tranquillité, au confort, à la bonne vie bien garantie, sont mordus de l'inquiétude de ne pas se montrer aussi canailles, aussi crapules, aussi à la page que le peuvent être les malins Français, leurs modèles. \*\*\* 156:153 C'est ainsi que, devant l'horrible manuel, si les « braves gens ordinaires » s'indignaient, se scandalisaient, il fut de bon ton, dans un cercle mondain soi-disant instruit, éclairé, de hocher la tête, de prendre un air entendu, de supputer des avantages, d'oser dire qu'au point où en étaient les enfants... Pour l'hon­neur de Jésus-Christ, l'honnêteté chrétienne eut des défenseurs, vaillants et douloureux, qui vinrent me dire leur écœurement. Je les soutins de toutes mes forces. Je félicitai le journaliste André Marcel, rédacteur à la Nouvelle Revue de Lausanne, qui attaqua avec une violence suffisante l'immonde éditeur et refuse encore avec lui tout accommodement. Naturellement, dès qu'en Suisse on sut que le ministère français avait condamné l'œuvre, le canton s'émut à son tour pour faire comme la France. Mais ce que je veux vous dire, qui s'est imprimé en moi, comme au fer rouge, c'est que LES JOURS QUI VIENNENT SONT CEUX DE L'ACHARNEMENT DE SATAN CONTRE LES ENFANTS, et donc que notre combat, notre douleur est là. J'apprends qu'en Allemagne, l'étouffement pornographique s'étend, l'angoisse des parents, jusque là fidèles, s'atténue par une horrible habitude, encore que d'humbles mères de famille, simples ouvrières, crient leur détresse à des évêques sourds ou complices. Mme Gerstner se demande ce que je ferais, si cette atroce pornographie touchait mes enfants. Je les emporterais, je les arracherais ! Ainsi ont fait de fortes familles chrétiennes au Canada, bravant même la prison. Parents, puisque je ne suis pas morte, et que je revis, je vais vous crier, vous crier sans cesse : Sauvez-les ! Défendez-vous ! Autant que vous pouvez, plus que vous ne pouvez, quels que soient les risques, ne laissez pas les enfants recevoir cette sexua­lité, cet endoctrinement révolutionnaires. Et que crierais-je aux Parents qui pensent froidement enle­ver leurs pauvres adolescents à la paix d'une école intacte pour les livrer à la mixité, à la corruption, à la déliquescence révolu­tionnaire d'une « grande boîte » pour de fallacieux avantages temporels ? Honneur, au contraire, à ces familles unies tendre­ment, qui se séparent avec courage de leurs chéris pour l'amour de leurs âmes, estimant de « la balayure » ces douceurs d'autre­fois dont il faut savoir se priver en temps de guerre. Que la droite du Seigneur soit notre force ; 157:153 Armons-nous pour défendre les enfants. Leurs anges courroucés nous accompagnent, eux qui voient sans cesse leurs jeunes âmes en danger et la face du Père qui est dans les cieux. Luce Quenette. 158:153 ### Apologie pour l'Église de toujours par R.-Th. Calmel, o.p. #### III. -- Les définitions dogmatiques et l'ordonnance rituelle Les vingt premiers conciles avec leurs définitions, proté­gées par des anathématismes, ont explicité, mais non modifié, le donné de la Révélation. Ces explicitations touchant les mys­tères du Dieu unique en trois personnes, l'Incarnation, la Vierge Marie, le premier péché, bref ces développements de l'en­semble de notre foi sont rigoureusement homogènes à la Parole de Dieu. Nicée ou Éphèse, Chalcédoine ou Orange ([^96]), disent la même chose que les quatre Évangiles et les Actes des Apôtres, les Épîtres et l'Apocalypse. Ils le disent en face d'erreurs nou­velles, en se servant de termes nouveaux qui, sans faire le moindre tort au langage des Écritures, présentent l'intérêt d'en circonscrire le contenu avec le maximum de netteté et d'hon­nêteté. Les vingt premiers conciles ne risquent pas de tromper parce qu'ils prennent le moyen de ne pas tromper qui est de définir la vérité. 159:153 Et même ces conciles, non contents de définir, poussés comme par un surcroît de franchise, en même temps qu'ils formulent la proposition de foi prennent la peine d'expri­mer exactement la proposition contraire, afin de pouvoir mieux la repousser par un anathématisme en bonne et due forme. Voyez par exemple les textes célèbres de Trente sur l'eucha­ristie, la messe, le prêtre. Vraiment il serait difficile d'apporter plus de soins à prévenir toute équivoque et toute ambiguïté. Que voilà un langage honnête. *Est, est ; non, non*... « Si quel­qu'un dit qu'après la consécration le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ ne sont pas dans l'admirable sacrement de l'Eucharistie, mais qu'ils n'y sont que lorsqu'on en use, quand on les reçoit, ni avant, ni après, et que le vrai corps du Seigneur ne demeure pas dans les hosties ou les parcelles consa­crées qu'on garde ou qui restent après la communion, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que, dans le saint sacrement de l'Eucharistie, on ne doit pas adorer le Christ, Fils unique de Dieu, d'un culte de latrie qui soit aussi extérieur, et, par suite, qu'on ne doit pas le vénérer par une solennité particulière ni le porter en procession selon le rite et la coutume louable et universelle de la sainte Église ; ou qu'il ne doit pas être proposé publiquement à l'adoration du peuple, et que ceux qui l'adorent sont des idolâtres, qu'il soit anathème. » ([^97]) « Si quelqu'un dit qu'à la Messe on n'offre pas à Dieu un sacrifice véritable et authentique, ou que cette offrande est uni­quement dans le fait que le Christ nous est donné en nourri­ture, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que, par ces pa­roles : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc XXII, 19 ; -- la Cor. XI, 24), le Christ n'a pas établi les Apôtres prêtres, ou qu'il n'a pas ordonné qu'eux et les autres prêtres offrissent son corps et son sang, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que le sacrifice de la Messe n'est qu'un sacrifice de louange et d'action de grâces, ou une simple commémoration du sacrifice accom­pli à la Croix, mais non un sacrifice propitiatoire ; ou qu'il n'est profitable qu'à ceux qui reçoivent le Christ et qu'on ne doit l'offrir ni pour les vivants ni pour les morts, ni pour les péchés, les peines, les satisfactions et autres nécessités, qu'il soit ana­thème. » ([^98]) 160:153 « Si quelqu'un dit que l'ordre ou l'ordination sacrée n'est pas vraiment et à proprement parler un sacrement institué par le Christ Notre-Seigneur ; ou qu'il est une invention humaine, imaginée par des hommes qui n'entendent rien aux choses ecclé­siastiques ; ou seulement un rite par lequel on choisit les mi­nistres de la parole de Dieu et des sacrements, qu'il soit ana­thème. » ([^99]) Après cela, il n'est que d'ouvrir Vatican II pour constater que les Pères ont décidément rompu avec cette Tradition de langage net et sans équivoque. Je n'ignore pas les quelque : textes vigoureusement formels comme la *nota praevia* qui remet en ordre certains développements mous et dangereux de *Lumen Gentium* sur le pouvoir des évêques. Il n'en reste pas moins d'abord que, même l'admirable *nota praevia* ne se donne pas comme une définition de foi et ne porte aucun anathème, en suite et surtout que, habituellement, la façon de s'exprimes propre à Vatican II est imprécise, bavarde et même fuyante Quelle est par exemple la doctrine politique et sociale de l'Église catholique ? Autant le *Syllabus*, les encycliques de Léon XIII à Pie XII nous l'exposent clairement, autant *Gaudiun et Spes* et *Dignitatis Humanae* nous laissent dans le vague et l'incertain. Comment du reste nous en étonner ? On sait depuis longtemps que ce sont des textes de compromis. On sait encore qu'une fraction modernisante voulait imposer une doctrine hérétique Empêchée d'aboutir, elle est quand même parvenue à faire adopter des textes non formels ; ces textes présentent le double avantage pour le modernisme de ne pouvoir être taxés de propositions carrément hérétiques, mais cependant de pouvoir être tirés dans un sens opposé à la foi. Nous attarderons-nous à les combattre directement ? Un moment nous y avions pensé. La difficulté c'est qu'ils ne donnent pas prise à l'argumentation ; ils sont trop mous. Lorsque vous essayez de presser une formule qui vous paraît inquiétante voici que, dans la même page, vous en trouvez une autre entièrement irréprochable Lorsque vous cherchez à étayer votre prédication ou votre enseignement sur un texte solide, impossible à tourner, propre à transmettre à votre auditoire le contenu traditionnel de la foi et de la morale, vous vous apercevez bientôt que le texte que vous avez choisi au sujet par exemple de la liturgie, de l'épiscopat, du devoir des sociétés à l'égard de la vraie Religion ce texte dis-je est insidieusement affaibli par un second texte qui, en réalité, exténue le premier alors qu'il avait l'air de le compléter. 161:153 Les décrets succèdent aux constitutions et les mes­sages aux déclarations sans donner à l'esprit, sauf exception rarissime, une prise suffisante. Dans l'ensemble vous avez l'im­pression d'être écrasé sous des piles d'édredons. Mais on ne réfute pas des édredons. Et si l'on veut vous étouffer sous leur entassement, vous tirez votre couteau, vous donnez quelques bons coups en long et en travers et vous faites voler les plumes au vent. En l'occurrence le couteau représente les définitions des conciles antérieurs à Vatican II. \*\*\* On nous objecte que, pour la pastorale et pour ramener au bercail les égarés, la méthode qui définit et condamne n'est pas la bonne. Fort bien. En existe-t-il une autre de loyale ? Faute de définitions vous n'amènerez les âmes errantes qu'à du vague et de l'à-peu-près. Je vois mal comment vous pourrez ainsi prétendre *faire de la pastorale*, chercher le bien des âmes, -- la vérité pour l'esprit, la conversion pour le cœur. -- Certes, chaque fois que j'aurai affaire à un « frère séparé » j'expliquerai du mieux possible le contenu de la foi ; je veillerai à découvrir le meilleur chemin d'approche de façon à le ren­contrer au point exact où ses difficultés surgissent. Mais l'expli­cation sera commandée et mesurée par la définition. Pour expli­quer le donné révélé je ne me servirai pas forcément du style impersonnel et abstrait qui est celui des définitions ; j'essaierai de m'adapter à la subjectivité de mon interlocuteur ; mais aussi je prendrai garde à ce que l'adaptation ne reflue pas sur la définition pour lui enlever, si peu que ce soit, de son tran­chant. Sous prétexte d'adaptation pastorale, faire fléchir tant soit peu la formule dogmatique que l'on tâche d'expliquer, c'est détourner de cela même vers quoi l'on essaie de conduire. Je suppose que vous ayez un entretien avec un protestant qui cherche la lumière sur le mystère du prêtre. Vous commen­cerez par marquer la position catholique en rappelant les énoncés du *Concile de Trente* ; ensuite vous passerez sans doute à l'examen des textes de l'Écriture relatifs au sacerdoce ; vous pourrez poursuivre en disant à votre interlocuteur que vous êtes d'accord avec lui sur l'existence d'un sacerdoce com­mun à tous les baptisés : les hommes, les femmes et jusqu'à ces pauvres êtres privés de l'usage de la raison mais renés dans le Christ ; 162:153 vous conviendrez encore, probablement, de malfa­çons regrettables dans certaines célébrations de la Messe qui négligent tranquillement l'assemblée et semblent méconnaître le sacerdoce commun des chrétiens ; vous plaiderez quand même les circonstances atténuantes, faisant observer qu'il n'est pas d'exemple que des rites, même ordonnés avec beaucoup de sagesse et en tenant compte de tout et de tous, se soient perpé­tués pendant deux millénaires en se préservant de toute bavure ou négligence ; mais enfin au terme de toute sorte de recherches, confrontations, explications et exégèses, vous serez bien obli­gés, à moins de tromper votre protestant, d'en revenir au point de départ, à la fameuse définition au sujet de laquelle vous étiez aux prises et qu'il n'y a pas moyen de déplacer ni de faire fléchir : « Si quelqu'un dit qu'il n'y a pas dans le Nouveau Testament, un sacerdoce visible et extérieur, ou qu'il n'y a pas un pouvoir de consacrer, d'offrir le vrai corps et le vrai sang du Seigneur et de remettre ou de retenir les péchés, mais seulement une fonction et un simple ministère de la prédica­tion de l'Évangile ; ou que ceux qui ne prêchent pas ne sont plus prêtres, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que l'ordre ou l'ordination sacrée n'est pas vraiment et à proprement parler un sacrement institué par le Christ Notre-Seigneur ; ou qu'il est une invention humaine, imaginée par des hommes qui n'enten­dent rien aux choses ecclésiastiques ; ou seulement un rite par lequel on choisit les ministres de la parole de Dieu et des sa­crements, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que le Saint-Esprit n'est pas donné par l'ordination sacrée et que c'est en vain que l'évêque dit : « Reçois le Saint-Esprit » ; ou que l'or­dination n'imprime pas un caractère ; ou que celui qui a été une fois ordonné prêtre peut redevenir laïque, qu'il soit ana­thème ([^100]). » Seul le sacerdoce du prêtre détient un pouvoir qui, pour être confondant, n'en est pas moins réel et extrêmement précis : offrir le Saint Sacrifice par la transsubstantiation séparée du pain et du vin. Le sacerdoce des simples baptisés n'approche de ce pouvoir ni de près ni de loin. Il est autre et se tient dans une autre zone. Cela vient en définitive de ce que l'Église, étant hiérarchique par institution divine, certains de ses membres, mais non tous ses membres indistinctement, jouissent de certains pouvoirs. De plus, et toujours en vertu de l'institution divine, ces pouvoirs sont conférés à titre personnel et non délégués à un collège, par la majorité des suffrages, sur consultation dé­mocratique du peuple de Dieu... 163:153 Bienveillance, patience, compréhension, agilité d'esprit pour écouter et pour s'expliquer, mais en même temps et d'abord rigueur inflexible pour proposer les définitions de la foi : telle fut en tout temps et depuis l'origine la double loi de la pastorale catholique. Nous n'avons aucune envie d'y toucher, même si le dernier concile a prétendu faire mieux. Notre pastorale conti­nuera donc de s'arc-bouter aux conciles précédents qui, ayant délibérément choisi de définir, de départager le vrai du faux, ont pris le seul moyen de conduire les brebis vers les pâturages salubres, accomplissant par là une œuvre pastorale digne de ce nom. Nous désirons, certes, le retour des protestants à l'intégrité et l'unité catholique. Mais que ce retour s'accomplisse dans l'honneur, qu'il ne se fonde pas sur des équivoques. Que les protestants soient donc avertis d'emblée, entre bien d'autres choses, que l'Église tient leur cène pour une corruption de l'institution évangélique et, par suite, leur demande d'y renon­cer. De même, et toujours par souci, par besoin d'honnêteté, nous dirons aux musulmans que l'Église de Jésus-Christ tient comme le seul vrai Dieu non pas le leur, mais le sien et le nôtre ; non pas le Dieu qui exclut de son mystère la Trinité des personnes et l'Incarnation du Fils, non pas le Dieu de Caïphe et de l'énigmatique fondateur de l'Islam ([^101]), mais le Dieu d'Abraham et de Jésus-Christ ; car Abraham, sans con­naître encore la Trinité des personnes, avait adoré leur unité avec tant de soumission et d'amour qu'il était prêt à recevoir la Révélation plénière au sujet de Yavhé c'est-à-dire à croire ex­plicitement dans la Sainte Trinité. Souvenons-nous en effet de la grande parole de Jésus, le Verbe Incarné : « Abraham, votre père, a tressailli de joie à la pensée de voir mon jour : il l'a vu et il s'en est réjoui. » Jn VIII, 56.) \*\*\* 164:153 La pente de l'Évangile est toujours vers la plus grande netteté. Si l'Évangile est infiniment mystérieux, il ne demande pas moins que nous nous formions une idée précise de son mystère. Cha­que verset est une invitation à nous ouvrir à la divine clarté, à prendre conscience le plus nettement possible de la Révélation ineffable : *Sic Deus dilexit mundum...* Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique (Jn. III, 16). Pour être entendu tel qu'il est l'Évangile ne peut se passer des déterminations conciliaires formelles, et ces déterminations à leur tour s'enraci­nent dans l'Évangile, fleurissent à partir de la lettre de l'Écri­ture. Ces déterminations sans doute ne sont pas toujours le fruit de gloses exégétiques ; il reste que c'est bien la méditation assidue de l'ensemble des Écritures par l'Église contemplative et théologienne qui a fait naître les définitions dogmatiques ; et parce qu'elles sont destinées au salut de tous l'Église les a formulées dans les deux langues particulièrement aptes à trans­mettre l'universel, les langues par excellence du *logos *: le grec et le latin. Si tant de paraphrases de l'Évangile, si de nos jours la plu­part des homélies dominicales sont d'une pauvreté affligeante, si elles suintent de sentimentalité plus ou moins trouble ou s'égarent en divagations politiques, à la fois infantiles et révo­lutionnaires, cela provient en grande partie de ce que les pré­dicateurs ont oublié, en faisant réflexion sur le texte sacré, aussi bien les définitions dogmatiques que les simples réponses du catéchisme. Leur réflexion n'a pas été conduite dans la foi, ou elle l'a été trop faiblement, faute d'avoir pris le moyen conve­nable c'est-à-dire le recours aux définitions de la foi. Le remède à l'indigence si pénible de ces soi-disant prédications bibliques n'est pas d'abandonner le commentaire de l'Évangile pour celui du seul catéchisme ou des seules formules définies, mais plutôt d'avoir présentes à l'esprit les réponses du catéchisme et les grandes expositions conciliaires lorsque l'on fait une lecture commentée de l'Évangile. Car nous avons trois livres dans l'Église catholique, trois livres essentiels encore qu'ils ne soient pas sur le même plan la Bible, le Missel ([^102]) et le Catéchisme. Et non pas, et jamais, la seule Bible ; mais la Bible et en plus le Missel et le Catéchisme. A quoi chacun ajoutera, dans la mesure de ses possibilités, quel­ques auteurs spirituels, peut-être quelques extraits des Pères de l'Église, l'*Enchiridion Symbolorum et Definitionum* et la *Som­me Théologique* ([^103])*.* 165:153 L'étude de la Bible, en particulier du Nouveau Testament, nous invite sans cesse, pour comprendre le texte dans sa profon­deur, à nous reporter aux définitions dogmatiques ou, plus sim­plement, aux réponses du catéchisme. -- Relisons par exemple dans saint Luc le récit de l'Annonciation. Nous voyons entrer l'archange Gabriel et nous l'entendons saluer Marie *pleine de grâce.* Nous sommes saisis par la grande question : *Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d'homme ?* Plus encore nous sommes émerveillés par la réponse : *L'Esprit Saint viendra sur vous et la force du Très-Haut vous couvrira de son ombre, c'est pourquoi l'Enfant qui naîtra de vous sera saint, il sera appelé le Fils de Dieu...* Eh ! bien, quand nous aurons achevé de lire le chapitre et que nous serons tout pénétrés du charme de sa beauté céleste, il n'est pas probable que nous allions nous plonger aussitôt et sans reprendre haleine dans le recueil de *Denzinger* pour y chercher les anathématismes du concile d'Éphèse. Chaque chose en son temps, et nous voulons dans un premier temps, sans hâte ni discours, nous laisser imprégner de la parole de Dieu dans sa simplicité, telle que l'Évangile la rapporte. Mais cela ne nous empêchera pas, dans un second temps, de nous reporter aux conciles, -- j'entends aux conciles antérieurs à Vatican II -- pour étudier selon nos forces les expli­cations et précisions que nous fournit le magistère solennel, divinement assisté. De cette manière nous entrerons plus avant et en toute sécurité dans le texte des Écritures. Nous verrons en particulier que si les formules d'Éphèse sur Marie *Theotokos* passaient à côté de la question, alors c'est aussi le récit de saint Luc qui passerait à côté de la réalité. Il se réduirait finalement à une construction harmonieuse mais vide, un message séduisant mais irréel, alors qu'il est le récit historique et véridique de l'Incarnation du Verbe de Dieu, le message du Salut par Jésus-Christ qui est devenu homme grâce au *Fiat* de Marie toujours vierge. Illusoire antinomie dont on nous rebat les oreilles, celle qui oppose le dogme défini et le pur Évangile. L'un appelle l'autre. Qu'il y ait donc un va-et-vient fréquent de la lettre des Écritures aux formules des conciles et du Catéchisme. 166:153 Passons de la lettre de l'Ancien ou du Nouveau Testament aux définitions conciliaires ou pontificales pour mieux saisir le contenu exact, la portée véritable du texte sacré ; ensuite revenons des conciles et du Catéchisme au simple texte de l'Écriture pour ne jamais perdre de vue le donné vivant, concret, surnaturellement inépui­sable dont les formulations du magistère ecclésiastique expri­ment, avec toute la précision requise, la profondeur et le mys­tère. Parce que nous croyons que le contenu de l'Évangile est tout ce qu'il y a de plus précis, parce que nous voulons l'annoncer dans toute sa vérité ainsi que doivent le faire des pasteurs di­gnes de ce nom, nous entendons ne pas séparer textes évangé­liques et propositions définies, livres de l'Écriture et leçons du Catéchisme, méditations sur l'Évangile et réflexions sur les anathèmes. \*\*\* Du *signe* sacramentel institué par le Christ aussi bien que de l'ordonnance du *rite* qui met le signe en lumière et qui l'entoure d'honneur, l'Église garde le dépôt. Elle est gardienne du signe sacramentel pour le maintenir intègre et immuable car il appar­tient en propre au Seigneur Jésus ; c'est lui-même qui l'a établi une fois pour toutes, aux jours de sa vie terrestre ; et c'est lui encore-qui, chaque jour, dans la gloire céleste, lui confère son efficacité. -- L'Église d'autre part est gardienne de l'ordon­nance rituelle pour la fixer avec l'assistance de l'Esprit Saint et pour la défendre une fois établie. Les changements qu'il lui revient, d'introduire en certaines occasions, selon les époques et les provinces, les diocèses ou les ordres religieux, sont ri­goureusement mesurés par la nécessité de garder valide le rite sacramentel et de le célébrer avec la plus grande dévotion. C'est dire que les changements possibles sont contenus dans des limi­tes étroites. Certains nous disent alors : mais on ne peut quand même pas imposer à la liturgie cette fixité qui est la loi des définitions dogmatiques ; car la liturgie relève de l'art, au moins dans une certaine mesure ; or *les beaux-arts,* comme la philosophie nous l'enseigne, sont *soumis à une nécessité spéciale de renouvelle­ment* ([^104]). Nous répondons : nécessité spéciale quand il s'agit des arts de la cité terrestre. Mais cette sorte d'art qui est la liturgie relève de la cité sainte, de la *Jérusalem qui descend d'en haut.* 167:153 Le but de cet art tout à fait particulier n'est point de traduire dans une matière proportionnée l'idée créatrice d'un poète lyrique ou dramatique, mais plutôt de donner le plus beau rayonnement au signe sacramentel voulu et choisi par le Verbe incarné ; ce qui exige de faire corps, en quelque manière, avec le signe divin. L'ordonnance *rituelle* trouvée par l'Église étant réglée sur l'immuable *signe* fixé par le Christ ne supportera qu'un jeu très limité dans ses variations. Les différences qui existent par exemple entre le rite dominicain de la Messe et le rite romain ne sont en rien comparables aux différences entre le théâtre du Moyen-Age et le théâtre classique. La mesure de ces œuvres dramatiques est une beauté qui est de la terre ; la mesure de l'ordonnance des rites est un mystère d'ordre surna­turel. Pour situer les uns par rapport aux autres dogmes, sacre­ments et rites nous dirons ceci : à la Messe le *Credo* de Nicée n'a pas à varier selon les temps et les lieux, car il définit la foi catholique qui est identique pour tous et à toutes les époques. La formule consécratoire n'a pas à varier non plus, puisqu'elle est constitutive du sacrifice sacramentel, institué à jamais par le Seigneur. Le Canon lui-même tient de trop près à l'immuable consécration, il est garanti par une tradition trop vénérable, pour envisager sans une impiété horrible de le soumettre à des trans­formations. Même remarque pour l'offertoire qui, sans être défi­nition dogmatique ou signe sacramentel, est cependant intime­ment lié à la consécration pour en rendre sensible la portée sa­crificielle. Quant aux autres parties de la Messe, à supposer que quelques menus changements soient désirables, ils ne pourraient être que très exceptionnels, et le Pape ne serait fondé à les permettre que pour des raisons très graves, en tous points justes et saintes. Jamais, cela va sans dire, pour gagner la faveur des Protestants, encore moins pour forger, comme Paul VI a osé le faire, une Messe polyvalente qui leur serait assimilable. *Diviserunt sibi vestimenta mea* (Jo. XIX, 24). Désormais ce sont les prêtres de Jésus-Christ, non les soldats de Pilate, qui se partagent les vêtements du Roi crucifié. En détruisant l'unité et la stabilité des rites reçus de la Tradition, en les manipulant au gré de leurs caprices et de leurs fantaisies, les prêtres du Seigneur mettent en péril l'institution sacramentelle indivisible et universelle, à moins que par leurs transformations sacrilèges ils ne l'aient déjà supprimée. Cependant la tunique de Jésus *qui était d'un seul tenant depuis le haut* ne fut point partagée ; elle fut tirée au sort mais demeura indivise et entière. 168:153 Cette tunique, dont quelques pieux auteurs nous rapportent qu'elle avait été tissée par les mains de Notre-Dame, est l'image fidèle de la robe somptueuse des rites sacrés que la Tradition de l'Église, depuis les origines, a tissés tout autour des signes sa­cramentels, particulièrement tout autour du Corps eucharistique de Jésus. Ce n'est pas sans une intercession spéciale de la Vierge Marie, Mère et Médiatrice, que l'Église a taillé et arrangé exac­tement ces vêtements de gloire. Et la même intercession de la Vierge Immaculée obtiendra à l'Église de les préserver dans leur intégrité et leur noblesse. De mauvais prélats pourront bien menacer et persécuter ceux qui maintiennent le rite afin de ne pas détruire le sacrement, ils n'empêcheront pas l'Église catho­lique de susciter jusqu'à la fin des laïcs, des prêtres, des évêques, des Papes pour préserver, en vertu de la foi aux sacrements, l'unité et la stabilité de l'ordonnance rituelle. C'est ainsi qu'ils garderont entière et indivise la robe sans couture. (*A suivre*.) R.-Th. Calmel, o. p. 169:153 ### Le Sacerdoce et la Messe *Instruction spirituelle\ donnée à une récollection sacerdotale\ au mois de mars 1971* par Mgr Marcel Lefebvre QUE LES RESPONSABLES de votre Fraternité soient remerciés de leur aimable invitation. Depuis que votre Association s'est constituée, un grand espoir est né dans les cœurs des évêques et des prêtres qui vous estiment. En effet, il est évident que la grande souffrance de l'Église d'aujourd'hui lui vient de tant de prêtres parjures, de tant de prêtres qui, méprisant leur caractère sacré, se sécularisent, prennent l'esprit du Monde, abandonnent la seule vraie sagesse que Notre-Seigneur nous a enseignée ; la sagesse de la Croix. Devant ces trahisons, ces abandons, vous avez par votre attitude, par vos déclarations et vos publications réagi saine­ment, affirmant votre foi. Soyez remerciés, félicités, encouragés pour le saint exemple que vous avez donné et que vous donnez encore à tous les prêtres du monde entier. Puisque vous m'avez fait l'honneur de me demander de venir vous adresser quelques mots, je voudrais, avec la grâce de Dieu et en toute humilité, vous poser en quelques interro­gations un problème vital pour le Prêtre, pour tout Prêtre catholique. Vous reconnaissez que beaucoup de prêtres ont perdu le vrai sens du Sacerdoce, qu'ils se demandent ce qu'est le Prêtre, quel est son rôle dans la Société ! 170:153 Eh bien ! je me permets de vous poser cette question : quel est le rôle essentiel du Prêtre, ce pourquoi il a été établi par Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Il nous faut pour guérir ces prêtres qui doutent d'eux-mêmes, savoir nous-mêmes ce qu'est le Prêtre, à la fois pour aider nos confrères hésitants et en danger de se dévoyer et aussi pour nous-mêmes, pour notre propre sanctification. Certes vous avez déjà répondu à la question : qu'est-ce que le Prêtre ? Vous y répondez dans vos cœurs, je pense, par ces paroles qui ont présidé à la naissance du sacerdoce : « Faites ceci en mémoire de moi... » En effet, l'Église a toujours cru et affirmé que c'est par ces paroles que les Apôtres ont reçu la participation au sacerdoce de Notre-Seigneur, c'est-à-dire le Sacrement de l'Ordre. Paroles brèves, certes, mais combien lourdes de significa­tion : « ceci », « en mémoire de moi ». *Ceci :* c'est le Sacrifice de la Croix continué, perpétué dans sa réalité physique et mystique, c'est le Sacrifice de la Croix continué par le Pain et le Vin consacrés et devenus substan­tiellement le corps et le sang de Jésus. *Ceci :* c'est le sacrifice d'oblation non sanglante du Christ vivant immolé sur la Croix une fois pour toutes et continuant d'intercéder pour nous. *Ceci :* c'est ce corps et ce sang de Jésus ressuscité devenant la nourriture de son corps mystique, car c'est de ce Sacrifice de la Croix que viennent les grâces de résurrection des âmes des fidèles au baptême, à la pénitence, à l'extrême-onction et toutes les grâces des sacrements. Participant au sacerdoce du Christ Jésus, Ministre des mystères divins, choisis et marqués par l'élection de Notre-Seigneur comme prêtres pour l'éternité, nous le sommes pour le sacrifice de la Sainte Messe et par le sacrifice de la Croix, les deux étant substantiellement le même et unique sacrifice de Notre-Seigneur. Ainsi à l'évocation du Prêtre se dresse la Croix où est atta­ché le Prêtre par excellence et la Victime par excellence, rai­son d'être du Verbe Incarné, raison d'être du Rédempteur. *Tota vita crux et martyrium !...* Le Prêtre n'a de raison d'être, de sens, que dans le Sacri­fice de la Messe. 171:153 Essayons donc de mieux comprendre notre Messe, pour mieux comprendre notre Sacerdoce. Nous dirons quelques mots du Sacerdoce et du sacrifice en général, puis du sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, enfin de ce sacerdoce continué dans la Sainte Messe par le mi­nistère des prêtres. #### I. -- Religion, Sacrifice, Sacerdoce Pie XI*, Ad Catholici Sacerdotii,* 20 décembre 1935 : « *Le genre humain a toujours éprouvé le besoin d'avoir des prêtres, c'est-à-dire des hommes qui, par une mission officielle à eux confiée, soient des médiateurs entre Dieu et l'humanité et qui, consacrés entièrement à cette médiation, en fassent la tâche de leur vie ; des hommes choisis pour offrir à Dieu des prières officielles et des sacrifices au nom de la société, qui, elle aussi, comme telle, a l'obligation de rendre à Dieu ce culte public et social, de reconnaître en Lui le suprême Seigneur et le principe premier, de tendre à Lui comme sa fin dernière en le remerciant et en cherchant à Le rendre propice.* « *En fait, chez tous les peuples dont nous connaissons les usages, lorsque du moins ils ne sont pas contraints par la vio­lence à renier les lois les plus sacrées de la nature humaine,* on *trouve des prêtres, quoique souvent au service de fausses divi­nités ; partout où l'on professe une religion, partout où se dressent des autels, il y a également un sacerdoce, entouré de marques spéciales d'honneur et de vénération... *» Léon XIII disait le 25 juillet 1898 dans son Encyclique *Cari­tatis studium :* «* Necessitatem sacri ficii vis ipsa et natura reli­gionis continet... Remotisque sacri ficiis nulla nec esse nec cogi­tari religio potest. *» Saint Thomas dans la IIa IIae, à la question 81^e^, nous montre très clairement que la religion, qui est une vertu annexe à la vertu de justice, nous relie à Dieu : « *Religio proprie importat ordinem ad Deum *»... « *Religio habet duplicem actus : quosdam immediatos et proprios quos elicit, per quos homo ordinatur ad solum Deum sicut sacri h­care, adorare et alla huiusmodi... *» 172:153 « *Alios quos mediantibus virtutibus producit quibus imperat ordinans eos in divinam reverentiam sicut visitare pupillos et viduas... *» Le sacrifice qui signifie l'oblation et la soumission de l'homme à Dieu est l'acte extérieur qui convient le plus parfai­tement à la nature de l'homme. A la question 85, art. 1, saint Thomas nous dit : « *Ex naturali ratione procedit quod homo quibusdam sensi­bilibus rebus utatur offerens eus Deo, in signum debitae subiec­tionis et honoris, secundum similitudinem eorum qui dominis suis aliqua offerent in recognitionem dominii. Hoc auteur per­tinet ad rationem sacri ficii. Et ideo oblatio sacri ficii pertinet ad ius naturale... *» Rien n'est donc inscrit aussi profondément dans la nature humaine que la religion et son acte essentiel, le sacrifice. Or, pour accomplir une chose sacrée, « sacrum facere », il faudra aussi des personnes consacrées, désignées, capables d'appro­cher de Dieu et de le servir. Cette personne sera le prêtre, « sacerdos », « sacra dans ». Nous verrons comment Dieu, dans son infinie bonté et miséricorde, a tout disposé pour qu'un culte digne de Lui soit rendu par des hommes qui se sont éloi­gnés de Lui. #### II. -- Sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus Christ S'il est vrai, en effet, que l'ordre de la nature demande que la *religion,* le *sacrifice* et le *sacerdoce* soient intimement unis, à ce point qu'on ne peut les dissocier l'un de l'autre sans ruiner totalement la religion, l'ordre de la révélation nous le confirme d'une manière admirable. On ne peut comprendre l'Incarnation du Fils de Dieu sans appliquer à Jésus ces notions fondamentales qui sont la raison d'être de son Incarnation. « *Ego te glorifcavi super terram, opus consummavi quod dedisti mihi ut faciam... Manifestavi nomen tuum hominibus... *» (*S.* Jean, 17, 4) Jésus est le religieux de Dieu par excellence, il est l'oblation, la victime par excellence. 173:153 Jamais nous ne méditerons assez ces réalités sublimes et divines. Saint Paul nous a décrit en termes émouvants la gran­deur du sacerdoce de Notre-Seigneur, la sublimité de son obla­tion et de son sacrifice. Jésus est essentiellement Prêtre-Médiateur, l'Oint, c'est-à-dire le Christ -- par son union hypostatique. Il sera toujours le seul et l'unique vrai prêtre, la seule et vraie victime agréable à Dieu. « *Tu es sacerdos in æternum secundum ordinem Melchi­sedech. *» Ainsi les actes essentiels de notre religion naturelle et sur­naturelle sont déterminés pour toujours par Dieu en Jésus-Christ son divin Fils. Admirons donc comment Dieu a disposé les choses qui con­cernent désormais le culte qui lui est dû. Il va de soi que ce que Dieu a disposé sera disposé pour l'Éternité et qu'aucune créature quelle qu'elle soit ne pourra en changer les normes essentielles. Le Père Garrigou-Lagrange explique ces choses d'une ma­nière admirable dans son livre *L'amour de Dieu et la Croix de Jésus,* car c'est bien cela qui désormais va dominer toute notre sainte religion ici-bas et dans le ciel : la Croix de Jésus, autel où s'est immolé le Prêtre et la Victime, et quel Prêtre et quelle Victime !... « *Habemus Pontifcem magnum qui penetravit caelos, Jesum, Filium Dei *» (Haeb. IV. 14). « S'il est une doctrine révélée qui peut nous faire entrevoir toute la grandeur du sacrifice de la Messe, dit le P. Garrigou, c'est incontestablement celle du sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » On pourrait équivalemment dire : s'il est une doc­trine révélée qui nous fait entrevoir ce qu'est le Prêtre que nous sommes et ce qu'il devrait être, c'est incontestablement celle du sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Permettez-moi d'attirer spécialement votre attention sur les lignes qui vont suivre : de même que toute la grandeur de Marie, tous ses privilèges et tout ce qu'est la source de sa gloire aujourd'hui lui viennent de sa Maternité divine, -- de même la dignité du prêtre, ses privilèges, ses obligations lui viennent de sa participation au sacerdoce du Christ qu'il réa­lise essentiellement lorsqu'il prononce les paroles de la consé­cration dans la célébration du Saint Sacrifice de la Messe. 174:153 Son caractère sacerdotal, sa virginité, son pouvoir radical sur les sacrements et sur le corps mystique de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui viennent de son pouvoir sur le corps et le sang de Notre-Seigneur lui-même. Comme le dit le Père Garrigou-Lagrange : plus on sonde les richesses ineffables du sacerdoce de Notre-Seigneur, de sa Pas­sion, de sa Croix, de sa Résurrection, et plus on pénètre les réalités mystérieuses du Sacrifice de la Messe. Ainsi l'on com­prend mieux les définitions du Concile de Trente contre les luthériens : « Dans le divin sacrifice qui s'accomplit pendant la Messe, le Christ qui s'est offert sur l'autel de la Croix, en versant son sang pour nous, est immolé d'une façon non san­glante ; c'est la même victime, c'est aussi le même prêtre... *idem nunc offerens sacerdotum ministerio*, il s'est offert sur la Croix, il s'offre maintenant par ses ministres, seul le mode d'oblation diffère... » (Conc. Trid., sess. 22, c. 2, Denz. 940.) C'est donc le même sacrifice en substance. Ainsi pour mieux mesurer : 1° l'importance du sacrifice de la Messe, 2° la réalité du caractère sacerdotal qui configure le prêtre à Notre-Seigneur lui-même uni au Verbe hypostatique­ment, et 3° la vérité de la présence substantielle de Notre-Seigneur sous les espèces du pain et du vin, il faut reconnaître dans l'Évangile toute la place que Notre-Seigneur lui-même a donnée à son sacerdoce, à la Cène et à la Croix dans sa vie ici-bas, -- et pour les temps à venir. C'est sur sa Croix qu'il dira : « *Consummatum est *». La tâche est accomplie. C'est cette heure qui le hante toute sa vie « *Nondum venit hora mea *» *...* « *Sciens Jesus quia venit hora eius. *» « *Venit hora ut clarificetur Filius hominis... *» (S. Jean.) Cette heure que Jésus entrevoit, c'est l'heure du sacrifice ; il la désire, il la veut par conformité à la volonté de son Père. Cette heure domine toute sa vie, c'est la raison d'être de sa venue. C'est à la fois l'heure de sa mort et l'heure de son triomphe sur les puissances des ténèbres. Et celui qui accomplit ce sacrifice et se donne en victime pour la rédemption du Monde c'est le Verbe de Dieu fait homme. C'est ce même sacrifice que nous accomplissons sur nos autels, c'est à ce même sacerdoce que nous participons. Saint Paul dans son Épître aux Hébreux décrit la supério­rité infinie du sacerdoce de Notre-Seigneur sur celui de Lévi. Jésus est supérieur aux anges, -- supérieur à Moïse, -- incompa­rablement supérieur aux grands-prêtres de l'ancienne loi. 175:153 « *Novissime diebus istis locutus est nobis in Filio... tanto melior, angelis efectus, quanto differentius prae illis nomen haeridi­tavit... *» (Haeb, c. X.) #### III. -- Sacrifice de la Messe, Sacerdoce des Prêtres Si vous désirez savoir le pourquoi de la réalité de la Sainte Messe, de la réalité de votre Sacerdoce, de la nécessité du céli­bat (le prêtre marié ne pouvant être qu'une tolérance, une excep­tion qui devrait tendre à disparaître), scrutez la grandeur du sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ et la sublimité de son sacrifice. Vous comprendrez alors que tout votre être sacerdotal est fait pour continuer le sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ et en conséquence pour amener les âmes à cette source inépui­sable de grâces pour leur sanctification et leur glorification. Comme le dit très justement le Père Garrigou : « De même que le sacerdoce est la fonction sacrée par excellence, le sacri­fice, comme son nom l'indique, est l'action sacrée par excel­lence. Pas de sacerdoce sans sacrifice. Pas de sacrifice sans sacerdoce » (p. 757). Entre ces deux termes il y a une relation transcendantale, essentielle. Jésus est le plus parfait des prêtres, la plus sainte des vic­times, le plus uni avec son corps mystique. En effet Jésus comme prêtre ne pouvait être plus uni à Dieu, étant Dieu lui-même. Il ne pouvait pas être plus uni à la Victime, étant lui-même la victime. Il ne pouvait être plus uni aux hommes, étant la tête du corps mystique et ayant pris la même nature qu'eux. A la Messe, c'est toujours le même Prêtre, la même Victime, le même Corps mystique uni au prêtre qui est le Christ. Les mi­nistres n'offrent le sacrifice qu' « *in persona Christi *». Plus nous avançons dans ces considérations et plus nous devons conclure que le lien est profond, réel entre la Croix et la Messe -- que le lien est nécessaire entre le Prêtre éternel et ses ministres. 176:153 Nous touchons même du doigt que trois réalités sont essen­tielles à la Messe pour être la continuation du sacrifice de la Croix : *la réalité du sacrifice*, c'est-à-dire de l'oblation de la victime réalisée dans la consécration, la *présence substantielle* et réelle de la Victime qui doit être offerte : et donc nécessité de la transsubstantiation ; nécessité d'*un prêtre ministre* du Prêtre principal qu'est Notre-Seigneur, et consacré par son Sacerdoce. L'Église à laquelle Notre-Seigneur a légué son Sacerdoce ministériel pour l'accomplir jusqu'à la fin des temps, a réalisé avec amour, avec dévotion le sacrifice de la Messe, elle en a disposé les prières, les cérémonies, les rites pour signifier ses réalités et pour garder notre foi en ces réalités voulues et déter­minées par Dieu lui-même. Le Concile de Trente nous l'apprend (22° Session, c. V) « La nature de l'homme étant telle qu'il ne peut aisément et sans quelques secours extérieurs s'élever à la méditation des choses divines, l'Église, comme une bonne Mère, a établi certains usages, comme de prononcer à la Messe des choses à voix basse, d'autres d'un ton plus haut ; et elle a introduit, suivant la disci­pline et la Tradition des Apôtres, des cérémonies comme les bénédictions mystiques, les lumières, les encensements, les orne­ments et plusieurs autres choses semblables, pour rendre par là plus recommandable la majesté d'un si grand sacrifice et pour exciter les esprits des fidèles par ces signes sensibles de piété et de religion à la contemplation des grandes choses qui sont cachées dans ce sacrifice. » Nous devons à la vérité de dire et d'affirmer sans crainte de nous tromper que la Messe codifiée par saint Pie V exprime clairement ces grandes réalités du *sacrifice*, de la *présence réelle*, et du *sacerdoce des prêtres*, -- ainsi que la relation essentielle avec le sacrifice de la Croix d'où vient toute la vertu surnaturelle de la Messe. Diminuer, estomper l'expression de notre foi en ces réa­lités qui constituent l'essence même du sacrifice que nous a légué Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même peut conduire aux conséquences les plus désastreuses, -- le Sacrifice de la Messe étant le cœur, l'âme, la fontaine mystique de l'Église. Toute l'histoire du protestantisme est une illustration de cette parole blasphématoire de Luther : « Détruisons la Messe et nous détruisons l'Église. » Les martyrs anglais récemment canonisés ont scellé cette vérité de leur sang. 177:153 Les malheurs de l'Église et la diminution rapide de la foi, des vocations, la ruine des sociétés religieuses, tous ces tristes effets dont nous sommes les témoins bouleversés, n'auraient-ils pas leur cause dans la ruine des autels remplacés par les tables du repas eucharistique... Je livre ces pensées à votre réflexion. #### Conclusion Voici quelques citations qui contribueront à notre sanctifi­cation. Pie XII, *Menti nostræ* 23 septembre 1950 : « De même que toute la vie du Sauveur fut ordonnée à son propre sacrifice, ainsi toute la vie du prêtre, qui doit repro­duire en soi l'image du Christ, doit être avec Lui, par Lui et en Lui un sacrifice agréable à Dieu (...) » « Uni si étroitement aux mystères divins le prêtre ne peut pas ne pas avoir faim et soif de justice \[de sainteté\] ; devant s'offrir et s'immoler lui-même avec le Christ, il ne peut pas ne pas sentir le besoin d'adapter sa vie à sa haute dignité, et d'orienter toute sa conduite vers le sacrifice. Aussi bien ne se bornera-t-il pas à célébrer la Sainte Messe, il la vivra intime­ment. Ainsi pourra-t-il puiser la force surnaturelle qui le trans­formera complètement et le fera participer à la vie de sacri­fice du divin Rédempteur (...) » « Le prêtre s'efforcera donc de reproduire dans son âme ce qui se produit sur l'autel du Sacrifice (...). C'est l'avertisse­ment de saint Pierre Chrysologue : « Soyez le sacrifice et le prêtre de Dieu. » (...) « Prêtres et fils bien-aimés, nous avons dans nos mains un grand trésor, la perle la plus précieuse, à savoir les richesses inépuisables du sang de Jésus-Christ ; puisons le plus large­ment dans ce trésor pour être, par le sacrifice total de nous-mêmes au Père avec Jésus-Christ, les vrais médiateurs de sain­teté en ce qui regarde le culte de Dieu... » 178:153 Le Pape Jean XXIII, reprenant ces paroles de son prédé­cesseur, ajoutait : « C'est cette haute doctrine que l'Église a en vue quand elle invite ses ministres à une vie d'ascèse et leur recommande de célébrer avec une profonde piété le Sacrifice eucharistique. N'est-ce pas faute d'avoir bien compris le lien étroit et comme réciproque qui unit le don quotidien de soi-même à l'offrande de la Messe que des prêtres en sont venus peu à peu à perdre la ferveur première de leur ordination ? Telle était l'expérience acquise par le Curé d'Ars. « La cause, disait-il, du relâchement du prêtre c'est qu'on ne fait pas atten­tion à la Messe. » (Enc. « Sacerdotii nostri primordia », 1^er^ août 1959.) Enfin ce conseil du Père Garrigou-Lagrange (*l. c.*, p. 771) « Pour terminer par une conclusion pratique : on ne saurait trop recommander aux âmes intérieures d'avoir une grande dévotion à la Consécration qui est l'essence même du sacrifice de la Messe et le moment le plus solennel de chacune de nos journées. Jésus, en instituant l'Eucharistie, leva les yeux au ciel, son visage s'éclaira et il eut un très vif désir de s'anéantir en quelque sorte sous les espèces du pain et du vin jusqu'à la fin des temps pour rester ainsi réellement et substantiellement présent parmi nous, en se donnant à nous comme nourriture. « Ainsi, au moment de la consécration, le prêtre Ministre du Médiateur universel, doit comme lui lever les yeux au ciel avec un ardent désir de s'unir à l'oblation du Christ toujours vivant qui ne cesse d'intercéder pour nous et qui ne cesse d'offrir avec soi à son Père tous les membres vivants de son corps mys­tique, particulièrement ceux qui souffrent à son exemple. Un poète, Jacques Debout, dans son poème « Les Trois contre l'Autre », exprime par la bouche de Satan qui parle contre Notre-Seigneur, ce qu'est le prix d'une MESSE : LE DÉMON DES RICHESSES > *Que nous oppose-t-il ?* SATAN *L'éternel Sacrifice* > *Qui m'a broyé la fête et malgré ces efforts* > > *m'arrache tous les jours des vivants et des morts.* > > *...* 179:153 > *Dans le destin caché, mais vrai des nations* > > *Les Messes sont autant de Révolutions.* > > *Celles qu'on ne voit pas et qui, seules profondes,* > > *Savent bouleverser l'intérieur des Mondes.* > > *La Messe, débordant le Prêtre et le Missel,* > > *est un événement toujours universel.* > > *Et quand, à quelque obstacle impuissant,* je *me butte,* > > *C'est que dans une église, une grange, une hutte,* > > *Un homme infirme et pauvre a tenu dans sa main* > > *La formidable Hostie et le terrible Vin.* Marcel Lefebvre,\ Arch. De Synnada en Phrygie. 180:153 ## NOTES CRITIQUES #### Jean-François Chiappe : Georges Cadoudal ou la liberté (Librairie académique Perrin) *L'opinion d'Édith Delamare*... Six cent cinquante pages grouillantes d'hommes et d'évé­nements, tel est le monument érigé par Jean-François Chiap­pe pour le deux centième an­niversaire de la naissance du héros. Six cent cinquante pa­ges abattues avec la joie de ferrailler. Chaque personnage de quelqu'importance est cam­pé avec une vérité historique qui fait de ce « Cadoudal » une somme d'érudition, érudi­tion surmontée à force de vie, de style et de talent. Guerre de Vendée, « virée de Galerne », expédition et désastre de Quiberon (coup monté par les Anglais pour dé­truire le « Grand Corps » de nos officiers de Marine), gué­rilla dans les ajoncs et enfin, conspiration contre la vie de Napoléon, quel roman d'aven­tures pour nos jeunes gens qui ne savent plus rien de nos héros ! Le récit de l'arrestation des conspirateurs vaut le meil­leur des romans policiers : la trame en a été tissée par Fou­ché. Et c'est le procès, inique, que La Varende comparait à celui de Jeanne d'Arc : « Mê­me simplicité, même sûreté et l'accent indicible » : « -- Je m'appelle Georges Cadoudal, âgé de trente-trois ans, natif de Brech près d'Au­ray, département du Morbihan, militaire, sans domicile à Pa­ris... » Trente-trois ans : l'âge de la plénitude du sacrifice. Ni Jeanne, ni Cadoudal, ne pou­vaient être acquittés et mou­rir dans leur lit. Les cla­meurs de son domestique, Louis Picot, retentissent en­core dans le prétoire : « -- Le citoyen Bertrand a envoyé l'officier de garde et lui a dit d'apporter un chien de fusil et un tournevis pour me serrer les doigts. Il m'a fait attacher. Il m'a fait serrer les doigts autant qu'il a pu... C'est la vérité, les officiers de garde peuvent le dire... J'ai eu crainte, après ce que j'avais souffert, qu'on ne recommen­çât. J'ai été chauffé au feu, les doigts écrasés avec un chien de fusil... » « Voici venu le temps des tueurs », écrit Jean-François Chiappe. La torture, abolie par Louis XVI, fait irruption dans le monde moderne après une courte éclipse. « Pour avoir préféré l'exactitude des dili­gences au respect des libertés, nos pères ont abandonné Ca­doudal à Bonaparte. » D'où le titre du livre : « Georges Ca­doudal ou la liberté ». 181:153 Georges a-t-il mené un com­bat retardataire, voué d'avance à être perdu ? J.-F. Chiappe ne le pense pas, qui cite ce mot de Monsieur de Charette « Rien ne se perd ! » Ce com­bat mené contre l'emprise to­talitaire est le nôtre, aujour­d'hui. Les idées ne meurent pas, ni dans un camp, ni dans l'autre. Les gauchistes de Jean-Paul Sartre profanent le Sa­cré-Cœur au nom de la Com­mune et Cadoudal est plus actuel que jamais. Hymne à la terre bretonne chantée par un Corse, le livre se ferme sur le mausolée de Kerléano, près d'Auray, où re­posent côte à côte Georges et son fidèle Mercier la Vendée. L'auteur a profondément res­senti « l'étrange douceur » qui règne en ce lieu. « Georges étendrait-il sa protection mys­tique sur les campagnes bre­tonnes ? » Bien au-delà de la Bretagne, il l'étend sur ceux qui continuent sa lutte. Édith Delamare. *... et celle de Jean-Baptiste Morvan* Est-ce parce que le premier essai littéraire que j'ai com­posé fut une « Apologie pour Cadoudal », publiée en 1954 dans la revue rennaise « Fon­taines de Brocéliande » et ré­digée d'après les notes éparses, consignées aux heures de sieste avant de retourner à la mois­son, dans une campagne d'Ille-et-Vilaine aux derniers mois de l'occupation ? L'histoire de Cadoudal garde toujours pour moi un étonnant privilège de pouvoir envoûtant. Si le per­sonnage reste un symbole tu­télaire, cela tient peut-être à ce que la lecture du livre de Lenôtre me l'avait révélé en une période, de détresse et de dispersion dont je n'ai pas en­core l'impression que nous soyons guéris. J. F. Chiappe nous dit dans son avant-pro­pos : « Le lecteur ne manquera point de discerner, entre le temps de Georges et celui qu'il nous faut vivre, passable­ment d'analogies ; nous ne les avons pas recherchées, c'est été une méchante façon d'é­crire l'histoire. Au demeurant les événements peuvent se comparer mais non pas les hommes. Ceux d'aujourd'hui sont tout juste assez grands pour comprendre ceux d'hier. Ils ne les approchent pas. » Nous voyons bien à quels événements songe l'auteur. Mais par delà les souvenirs de l'Algérie, c'est toute période de déchirement et d'incertitude qui peut retrouver dans l'his­toire de Cadoudal son sym­bole, son thème central de mé­ditation. Peu m'importe au fond que l'ouvrage de J.-F. Chiappe ren­ferme ici et là quelque erreur d'orthographe ou qu'entraîné par l'accélération tragique du récit, il nous propose quelque phrase obscure. Nous lui se­rons tout d'abord reconnais­sants d'avoir fait foisonner au­tour de Cadoudal l'abondance arborescente d'un univers fran­çais : 182:153 Il ne s'agit point d'une guerre enfermée dans les li­mites d'une province, d'une in­carnation spécifique, voire raciale, du seul génie celtique et du tempérament breton ; il ne s'agit pas non plus de telle ou telle conspiration solitairement élaborée par un de ces groupes restreints dont on se deman­dera, éternellement et vaine­ment, s'ils furent « en avan­ce » ou « en retard » sur leur temps. J.-F. Chiappe trouve dans la biographie de Cadou­dal, où la réalité dépasse si souvent la fiction, un climat indiscutablement romanesque et pourtant essentiellement op­posé au romantisme. Ce n'est ni l'homme sombre, ni l'hom­me seul, même au cœur de la tragédie, même à son paroxys­me sanglant : « Quand vous aurez terminé votre office, n'oubliez pas de montrer ma tête à mes compa­gnons, afin de leur ôter l'idée que j'aie pu leur survivre. » Et dans le mausolée de Ker­léano, le squelette de Cadou­dal ; arraché à l'amphithéâtre médical de Larrey, repose près des ossements de son ami Mercier et des morts de sa famille. L'épopée la plus touchante et la plus vraie se distingue toujours de la fiction romantique par la présence solidaire des familles et des amitiés, tout au long de l'action et jusque dans les épilogues. L'épopée n'éli­mine pas non plus les traits spirituels, le pittoresque plai­sant des situations, des atti­tudes, des propos : certaines phrases de Georges par leur profondeur et leur piquant, sont bien dignes de son siè­cle et figureraient sans dom­mage auprès de quelques-uns des mots de Chamfort (de même qu'on souhaiterait voir figurer aux anthologies le tes­tament de Louis XVI, non moins représentatif du style du temps que les harangues de Mirabeau ou de Robespierre). Notre auteur suit la voie tra­cée par La Varende dans son propre ouvrage sur Cadoudal en n'omettant point la poésie des paysages, le décor intime et humain, les armoires pay­sannes, les bolées de cidre, les barques de la rivière d'Auray, les forêts de Normandie aussi et les boutiques de Paris où les chouans trouvèrent amitiés et refuges. Cadoudal, paysan, peut-être issu d'une ancienne race noble, clerc de notaire, chef de guerre, représentant le personnage idéal pour servir de centre à tout un monde où nous voyons, tous deux colo­nels, un Talleyrand-Périgord et un notaire morbihannais ; et Mercier-La-Vendée, fils d'au­bergiste, et le frère de Char­lotte Corday, et des meuniers, des menuisiers, et l'ancien pro­priétaire d'un café rouennais : réseau d'imprévu où toutes les conditions sociales se retrou­vent. Cette France si riche d'a­nimation et de vitalité, ce pays réel dont la protestation s'ex­prime dans la chouannerie, présente une communauté ori­ginelle à laquelle les adver­saires eux-mêmes se trouvent associés ; n'étaient-ils pas tail­lés dans la même étoffe ? Qu'on lise dans le portrait de Hoche : « Élevé par sa tante, une brave fruitière de Montreuil, il est devenu caporal aux gardes-françaises. Il s'est alors assuré des économies par la confec­tion et la vente des travaux de broderie avant d'abandonner l'aiguille pour embrasser les idées nouvelles. » 183:153 Une légère ironie aide sou­vent à resituer les personnages sans, à proprement parler, les « démythifier », ce qui impli­que toujours une sèche et dé­daigneuse agressivité. Il en ressort même une constante impression de sympathie fra­ternelle, de large indulgence humaine. Ces portraits qui ont la grâce spontanée des des­sins à l'emporte-pièce sont nourris d'une réflexion pru­dente et équitable : ainsi en est-il des pages qui nous pré­sentent le futur Louis XVIII et la cour exilée de Vérone ; l'es­time et la sévérité y gardent leur part respective, la man­suétude n'affadit pas la vivacité du trait. J'attache pour ma part un grand prix au développement consacré à l'histoire et à la personnalité de Pichegru ; et si l'on vient à reprocher à J.-F. Chiappe d'avoir fait trop de place à Pichegru dans un tra­vail consacré à Cadoudal, il pourra toujours se consoler en se souvenant que la même cri­tique a été adressée à Bossuet, à cause du portrait de Tu­renne dans l'Oraison funèbre de Condé. Loin d'amoindrir la présence de Cadoudal, l'his­toire de Pichegru aide à la mieux situer, et à tracer les contours des autres personna­lités importantes de cette his­toire en faisant ressortir les éléments typiquement fran­çais de leurs caractères. On en éprouve une sorte de réconfort moral et spirituel : à travers les tumultes et les inconsé­quences d'une époque destruc­trice, ces caractères nous prouvent que les qualités es­sentielles acquises à partir d'un héritage ancien peuvent subsister en l'homme. Grâce à J. F. Chiappe, en ce livre qui, malgré des sympathies affir­mées, ne stigmatise jamais et n'accable pas volontiers, c'est la France éternelle qui parle. Le talent, l'expérience du pré­sentateur et du dialoguiste, le sens du mouvement cinémato­graphique dans un sujet qui le réclame impérieusement, donnent la parole à ces repré­sentants grandioses ou mo­destes du génie national, avec toute la netteté désirable. Les retours en arrière, souvent uti­lisés, répondent au souci gé­néral d'expliquer les vies par leurs antécédents, par leurs racines profondes. Mais l'au­teur se garde de penser que tout est explicable, et ces « flash-back » ont souvent une utilité plus poétique que ra­tionnelle. Les mystères sub­sistant autour de Cadoudal, de Pichegru, charmaient, dit-on, l'âme rêveuse de Nodier ; ils inspirèrent Sainte-Beuve quand il écrivit « Volupté ». Ce mys­tère, c'est ici la prudence même de l'historien qui nous le conserve, par exemple à pro­pos des étranges intrigues qui entourèrent l'affaire de Qui­beron, ou des secrets que déte­nait peut-être Pichegru. Mais le vrai et le plus authentique mystère, c'est celui qui s'ou­vre vers le surnaturel. Cadou­dal ou la liberté : la liberté des enfants de Dieu. Si le sujet est propre à séduire l'écrivain, il porte aussi à la méditation, à la prière : c'est elle qui ins­pire les dernières lignes de l'ouvrage. Jean-Baptiste Morvan. 184:153 #### La Varende : Cadoudal (Nouvelles Éditions Latines) Après l'oubli l'an dernier par l'Église de France du cin­quantenaire de la canonisation de Jeanne d'Arc, la France ca­tholique oubliera-t-elle cette année le centenaire de la nais­sance de Georges Cadoudal ? Cette question nous est ve­nue à l'esprit en lisant, enfin ré­édité, le « Cadoudal » de La Varende. Pourquoi ? Parce qu'il rapproche du Procès de Jeanne d'Arc le procès du fa­meux chef de la chouannerie bretonne, et non sans raisons majeures... Même foi, même fidélité jusqu'à la mort, même vaillance sans faiblesse. Certes les réponses du héros ont été prononcées sur un autre ton, mais elles sont marquées du même coin. En exemple : cette repartie de Cadoudal au juge Thuriot, qu'il appelle Tue-Roi et qui cherche à lui faire livrer ses compagnons : « Je ne con­nais d'autres chefs que moi », comment ne as rapprocher cette riposte de Jeanne à son juge Jean de Châtillon : « De mes faits et de mes dires, je ne charge personne, ni mon roi ni un autre. Et s'il y a eu faute, elle est à moi et non à d'autres » (2 mai 1431). Plus on approfondira ce que La Varende laisse entrevoir et plus on trouvera ces rappro­chements justes, émouvants et dignes d'être proposés à la méditation. La source en est la même : l'esprit de la che­valerie chrétienne. Bien qu'il ait tout lu sur le sujet, qu'il ait en outre bénéficié de traditions familiales et qu'il suive de très près l'his­toire, La Varende n'a pas fait ici œuvre d'érudition. Et c'est tant mieux ! De ces pages où l'on entend claquer l'oriflam­me, ressurgit vivant et superbe le héros tant admiré de Napo­léon, qui tenta vainement de se l'attacher et ne se sentit tran­quille qu'après l'avoir fait guillotiner. Descendant d'une famille de laboureurs nobles, tout com­me saint Yves dont le père gui­dait sa charrue l'épée au côté, le voici jeune écolier, partant pour le collège Saint-Yves de Vannes dans le costume local breton à quoi ressemblera tel­lement quelques années plus tard son costume de chouan : « Petit paysan trapu et cossu, vif et bondissant, explosif, à peine lesté par son bissac qui contient cahiers et nourritu­re. » Mais des portraits de son personnage, La Varende en brosse tant au long de ces trois cents pages qu'on ne peut les reproduire tous. En voici seulement un autre, le plus im­portant, qui montre Cadoudal tel qu'il était au moment de se lancer dans la lutte pour la Foi et le roi. « Il était bâti en force cour­te, l'athlète au torse de puis­sance sur des jambes réduites, l'homme trapu qui surclasse tous les gaillards sans fin, les sots en longueur, conformation qui va toujours avec une vi­gueur érotique spéciale. Quelles convictions fallut-il pour l'écar­ter de la femme... » 185:153 Et ici La Varende exprime une idée qu'il reprendra plu­sieurs fois au cours de ce récit d'exploits heureux et malheu­reux : « Une telle retenue ne peut guère s'expliquer que par une volonté religieuse de renonce­ment : un renoncement de prê­trise. « Georges a vécu en ascète. Il s'est refusé non seulement le plaisir, mais le simple confort autant que la bonne chère... Chaste et abstinent, il prendra la sévérité intellectuelle des thébaïques, des martyrs volon­taires... Il y avait une idée de derrière la tête et celle-là ne pouvait être qu'un appel, que l'espoir d'un sacerdoce auquel il renonça mais qui lui a lais­sé une foi indéfectible et cette empreinte de la chasteté. » Nous n'avions rien trouvé là-dessus dans les biographies de Cadoudal que nous avons lues avant celle-ci. On savait qu'il était amoureux de la sœur de son ami et compagnon d'armes Mercier La Vendée. On savait qu'ayant obtenu de ses hom­mes qu'aucun d'eux ne pensât au mariage avant la fin des combats -- autre rapproche­ment : Jeanne d'Arc n'imposa-t-elle pas aux siens d'éloigner leurs « ribaudes » ? -- il don­na lui-même l'exemple. Comme celle de la Pucelle, la vocation de Georges était donc une vo­cation religieuse providentiel­lement détournée vers le ser­vice des armes *ad fidem ac atriam tuendam* (oraison de messe de Ste Jeanne d'Arc) pour la défense de la foi et de la patrie. « Modèle de fidélité à une mission très haute, modèle de foi solide et agissante, modèle de force au milieu des épreu­ves », ainsi Pie XII a-t-il qua­lifié Jeanne d'Arc. Les mêmes mots peuvent s'appliquer à Ca­doudal. A ce beau livre, nous sou­haitons donc la plus large dif­fusion. Non seulement parce que c'est du grand La Varende, mais aussi parce qu'en ces temps d' « évolution » et de « mutation » comme ceux qu'il a vécus, Cadoudal « ardent et chaste, violent et doux, épais et fin... » est l'un des meilleurs exemples que l'on puisse pro­poser aux jeunes. Joseph Thérol. 186:153 ## AVIS PRATIQUES Le dernier vendredi de chaque mois, les rédacteurs, les lec­teurs, les amis de la revue ITINÉRAIRES vont à la messe là où ils peuvent trouver une messe catholique, priant les uns pour les autres et aux intentions de l'œuvre de réforme intellectuelle et morale entreprise par la revue ; et faisant mémoire de nos morts : Henri POURRAT, Joseph HOURS, Georges DUMOULIN, An­toine LESTRA, Charles DE KONINCK, Henri BARBÉ, Dom G. AU­BOURG, l'abbé V.-A. BERTO, Henri MASSIS et Dominique MORIN. Le dernier vendredi tombe ce mois-ci le 28 mai, en la fête de saint Augustin de Cantorbéry, premier évêque d'Angleterre. -- C'est également le jour de l'arrivée à Rome pour le pèleri­nage dont les exercices commencent le samedi 29 mai, en la vigile de la Pentecôte. \*\*\* Le *temps pascal,* qui a commencé avec la vigile de Pâques (10 avril) se termine le samedi des Quatre-Temps de Pentecôte (5 juin). Durant tout le temps pascal, *l'Angelus* est remplacé par le *Regina cœli*, qui se récite debout. \*\*\* \[Le calendrier de mai.\] -- *Mois de Marie :* le mois de mai, consacré par la dévotion catholique à honorer la Sainte Vierge (par des litanies, des fleurs, des cantiques, des récitations en commun du cha­pelet, etc.) est une pratique qu'inaugurèrent à Rome des étu­diants du Collège romain, dans les années qui précédèrent immédiatement l'année 1789. Elle se répandit dans toute la Chrétienté pendant le premiers tiers du XIX^e^ siècle. -- 1^er^ mai : *saint Joseph artisan.* Fête instituée par Pie XII voir son discours du 1^er^ mai 1955. La signification et la portée de cette fête ont été plusieurs fois expliquées dans ITINÉRAIRES ; voir notamment : -- Marcel CLÉMENT : *La fête chrétienne du travail :* numéro 5 de juillet-août 1956. -- *Préparons le Premier Mai :* premier édi­torial du numéro 12 d'avril 1957. 187:153 -- D. MINIMUS : *Saint Joseph artisan :* numéro 12 d'avril 1957 (second éditorial) ; reproduit dans le numéro 32 d'avril 1959. -- *Préparons le Premier Mai :* éditorial du numéro 22 d'avril 1958. -- 2 mai. Troisième dimanche après Pâques. Mémoire de *saint Athanase,* évêque et docteur de l'Église ; nommé *saint Athanase le Grand,* car il est l'un des « quatre grands » docteurs de l'Église d'Orient. Héros de la lutte contre l'arianisme au IV^e^ siècle, au moment où cette hérésie avait pour elle toutes les puissances du monde, les pouvoirs politiques, les savants, les philosophes et les riches, l'opinion publique et l'ensemble d'un épiscopat qui se voulait moderne, ouvert aux idées nouvelles, recyclé selon son temps, réformateur et mutant : « mais la partie était encore égale tant qu'un tel homme restait debout ». Évêque d'Alexandrie pendant 45 ans (328-373), il fut cinq fois exilé. -- 3 mai. Invention de la sainte Croix (« invention », c'est-à-dire : découverte). Après la victoire que Constantin remporta grâce à la Croix qui lui apparut dans les airs, et dont il repro­duisit le signe dans le Labarum, sainte Hélène, sa mère, alla à Jérusalem pour y rechercher la vraie Croix et la découvrit dans le sol du Calvaire. -- 4 mai : *sainte Monique,* veuve ; mère de saint Augustin, elle avait tant pleuré et prié pour la conversion de son fils que saint Ambroise lui avait dit : « Le fils de tant de larmes ne saurait périr ». -- 5 mai : *saint Pie V,* pape et confesseur. Petit berger de la province d'Émilie, en Italie septentrionale, Michel Ghisleri entre à quatorze ans dans l'Ordre de saint Dominique et y devient prêtre neuf ans plus tard. Il conserva toute sa vie le goût de la pauvreté qui était, jusqu'à ces derniers temps, une des caractéristiques de la vie dominicaine. En 1566, il publia le Catéchisme du Concile de Trente ; en 1567, il proclama saint Thomas d'Aquin docteur de l'Église, puis fit obligation aux Universités catholiques d'enseigner la Somme de théologie ; en 1568, il publia le Bréviaire romain et en 1570 le Missel romain (Bulle de promulgation *Quo primum,* le 19 juillet 1570) ; en 1571, victoire de Lépante -- quatrième centenaire cette année ([^105]) -- dont le fruit fut la dévotion au Rosaire. 188:153 « Toute l'armature de la pensée catholique moderne, de sa vie liturgique et de sa piété, porte en quelque sorte la signa­ture de saint Pie V. » Mort le 1^er^ mai 1572. Le quatrième cente­naire de sa mort tombera donc l'année prochaine. Cette année, en la fête de saint Pie V, nous lui recomman­derons plus spécialement la préparation et les intentions du *pèlerinage à Rome* qui aura lieu à la fin du mois ; nous lui demanderons d'obtenir aux prêtres catholiques le courage de rester fidèles au Catéchisme romain et au Missel romain. *Oraison :* « Ô Dieu qui, pour écraser les ennemis de votre Église et restaurer le culte divin, avez daigné choisir pour sou­verain pontife le bienheureux Pie, accordez-nous le secours de sa protection et faites que, fidèlement attachés à vous servir, nous triomphions des pièges de tous nos ennemis et goûtions les joies de l'éternelle paix. » -- 6 mai : *saint Jean de la Porte latine.* Il s'agit de saint Jean l'évangéliste : nous savons, par une tradition que rap­portent Tertullien et saint Jérôme, que l'empereur Domitien fit amener Jean à Rome, où il fut plongé dans une chaudière d'huile bouillante. Par l'effet d'un miracle éclatant, il en sortit « plus sain et plus vigoureux ». On éleva à cet endroit, près de la Porte latine, un sanctuaire dédié au saint Apôtre. -- 7 mai : *saint Stanislas,* évêque et martyr (XI^e^ siècle). L'un des patrons de la Pologne. -- 8 mai : *apparition de saint Michel archange :* en 492, sur le mont Gargano, en Apulie (Italie méridionale), près de l'Adria­tique, pour demander qu'on lui élevât un sanctuaire où l'on rendrait à Dieu un culte en mémoire de lui et de tous les Anges. Le 8 mai est l'anniversaire de la dédicace de ce sanctuaire, qui devint célèbre par de nombreux miracles. C'est le 8 mai (1429) que saint Michel obtint de Dieu pour Jeanne la délivrance d'Orléans. C'est aujourd'hui le *samedi après le 3^e^ dimanche après Pâques :* au Luxembourg on célèbre la fête de la *Bienheureuse Vierge Marie, consolatrice des affligés,* patronne principale du Grand-Duché du Luxembourg. -- 9 mai : quatrième dimanche après Pâques. *Fête nationale de sainte Jeanne d'Arc,* vierge. -- La fête est le 30 mai ; la solennité est *le dimanche après le 8 mai* (et, quand ce dimanche est empêché, le dimanche dans l'octave de l'Ascen­sion). *Oraison :* « Ô Dieu, qui avez suscité d'une façon merveil­leuse la bienheureuse Jeanne pour protéger la foi et la patrie, faites, nous vous en prions, en raison de son intercession, que votre Église, ayant triomphé des pièges de ses ennemis, jouisse d'une paix perpétuelle. » 189:153 Mémoire de *saint Grégoire de Naziance,* évêque et docteur, dit *Grégoire le Théologien,* l'un des « quatre grands » docteurs de l'Église d'Orient. Né près de Naziance en Cappadoce (aujour­d'hui Nenizi en Turquie), il étudia en Palestine, à Alexandrie et à Athènes en compagnie de son ami saint Basile par qui il fut sacré évêque en 372 ; devint évêque de Constantinople (380-381), démissionna par horreur des conflits de personnes. Théo­logien de la Sainte Trinité et adversaire de l'arianisme, vécut surtout dans la solitude et mourut en 389. -- 10 mai : *saint* Antonin, évêque : dominicain à Florence, supérieur et ami de Fra Angelico ; puis archevêque de Florence en 1446. *Sainte Solange,* vierge et martyre. Patronne du Berry où elle vécut au IX^e^ siècle. Martyre de la chasteté en des circonstances semblables à celles où mourut sainte Maria Goretti. -- 11 mai : *saint Philippe et saint Jacques,* apôtres. *Saint Mamert,* évêque de Vienne (Isère) au V^e^ siècle : il institua les Rogations en une période de calamités publiques. *Bienheureux Augustin Schoeffler,* prêtre et martyr. Mission­naire (des M.E.P.) au Tonkin en 1847, décapité à Son-Tay en 1851. -- 12 mai : *les saints martyrs Nérée, Achille, Pancrace et sainte Domitille,* vierge et martyre. -- 13 mai : *saint Robert Bellarmin,* évêque et docteur. Né près de Florence en 1542, entré à 18 ans dans la Compagnie de Jésus. Professeur, prédicateur, théologien, membre de la Curie romaine, cardinal, lutta sans trêve contre l'hérésie protestante. Mort en 1621. Canonisé par Pie XI en 1930 et proclamé docteur de l'Église l'année suivante. Anniversaire de la première apparition de Notre-Dame à Fatima, le 13 mai 1917. -- 14 mai : *saint Boniface,* martyr de Tarse (aujourd'hui Tarsous en Turquie) au IV^e^ siècle sous Dioclétien ; ses reliques furent transportées à Rome. *Saint Pierre,* évêque de Tarentaise au XIIe siècle : moine cis­tercien, fondateur de l'abbaye de Tamié (Savoie). *Saint Michel Garicoïts,* prêtre. Né à Ybarre (pays basque) en 1797, prêtre en 1823, supérieur du séminaire de Bétharram en 1831, fondateur en 1841 des Prêtres du Sacré-Cœur de Béthar­ram. 190:153 -- 15 mai : *saint Jean-Baptiste de la Salle,* confesseur. Né à Reims, en 1651, d'une famille illustre, il entra jeune dans la cléricature, étudia en Sorbonne et à Saint-Sulpice avant de prendre à la Faculté de Reims ses grades en théologie. Devenu chanoine du diocèse de Reims, il renonça à son canonicat et distribua ses biens aux pauvres, afin de se consacrer à l'édu­cation des enfants pauvres : il fonda les *Frères des écoles chré­tiennes.* Durant les vingt dernières années de sa vie, tandis que ses écoles se multipliaient partout, il fut « trahi, renié, persé­cuté, condamné, flétri, proscrit ». Mort à Rouen en 1719. Cano­nisé par Léon XIII ; Pie XII l'a donné comme patron à tous les éducateurs de la jeunesse. -- 16 mai : cinquième dimanche après Pâques. Mémoire de *saint Ubald,* évêque de Gubbio (Italie centrale) au XII^e^ siècle. -- 17, 18 et 19 mai : lundi, mardi et mercredi des Rogations. Trois journées de prières publiques pour éloigner tous les fléaux qui sont des conséquences du péché. Instituées par saint Mamert (voir plus haut à la date du 11 mai), les Rogations furent étendues à toute la France par le concile d'Orléans en 511 ; en 816, le pape Léon III les adopta pour Rome, d'où elles se répan­dirent dans toute l'Église. Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) « Le jour de saint Marc et les trois jours des Rogations, l'Église fait des processions et des prières solennelles pour apai­ser Dieu et nous le rendre propice, afin qu'il nous pardonne nos péchés, éloigne de nous ses châtiments, bénisse les fruits de la terre qui commencent à se montrer et pourvoie à tous nos besoins tant spirituels que temporels. -- Les processions de saint Marc et des Rogations sont très anciennes : le peuple y prenait part pieds nus dans un véritable esprit de pénitence et en grand nombre laissant toute autre occupation, pour venir s'y associer. « Que faisons-nous par les Litanies des Saints ? « 1° Nous implorons la miséricorde de la T.S. Trinité ; et, pour être exaucés, nous nous adressons en particulier à Jésus-Christ par ces paroles : *Christe audi nos, Christe exaudi nos*, c'est-à-dire : *Christ écoutez-nous, Christ exaucez-nous ;* « 2° nous invoquons le patronage de la Sainte Vierge, des Anges et des Saints du ciel, en leur disant : *ora pro nobis,* c'est-à-dire : *priez pour nous ;* « 3° nous nous adressons encore à Jésus-Christ et nous le prions par tout ce qu'il a fait pour notre salut, de nous délivrer de tous les maux et principalement du péché, en lui disant *libera nos, Domine,* c'est-à-dire : *délivrez-nous, Seigneur ;* 191:153 « 4° nous lui demandons le don d'une vraie pénitence et la grâce de persévérer dans son saint service, et nous le prions pour tous les ordres de l'Église, pour l'union et la félicité de tout le peuple de Dieu, en disant : *te rogamus, audi nos,* c'est-à-dire : *nous vous en supplions, exaucez-nous ;* « 5° nous terminons cette prière par les paroles qui l'ont commencée, c'est-à-dire en implorant la miséricorde de Dieu et en lui disant de nouveau : *Kyrie eleison,* etc. » Comment devons-nous assister aux processions ? -- Nous devons assister aux processions : 1° en bon ordre et avec le véritable esprit de pénitence, chantant lentement et avec piété ce que chante l'Église ; ou, si nous ne savons pas, nous unissant de cœur et priant en particulier ; 2° avec modes­tie et recueillement, ne regardant pas à droite et à gauche et ne parlant pas sans nécessité ; 3° avec une vive confiance que Dieu exaucera nos gémissements et nos prières communes et qu'il nous accordera ce qui nous est nécessaire pour l'âme et pour le corps. « Pourquoi dans les processions met-on la Croix en tête ? « -- On met la Croix en tête des processions pour nous en­seigner que nous devons toujours avoir devant les yeux Jésus-Christ crucifié afin de régler notre vie et nos actions selon ses exemples et afin de l'imiter dans sa passion en supportant pa­tiemment les peines qui nous affligent. » -- 20 mai : l'Ascension. Catéchisme de saint Pie X (Instruction sur les fêtes) « Dans la fête de l'Ascension, on célèbre le jour glorieux ou Jésus-Christ en présence de ses disciples, monta au ciel par sa propre puissance, quarante jours après sa Résurrection. « Jésus-Christ est monté au ciel ; 1° pour prendre possession du royaume éternel conquis par sa mort ; 2° pour nous prépa­rer notre place et nous servir de médiateur et d'avocat auprès du Père ; 3° pour envoyer le Saint-Esprit à ses Apôtres. « Le jour de l'Ascension, Jésus-Christ n'entra pas seul au ciel ; il y fit entrer avec lui les âmes des anciens Patriarches qu'il avait délivrées des limbes. « Jésus-Christ, au ciel, est assis à la droite de Dieu le Père ; c'est-à-dire que, comme Dieu, il est égal à son Père dans la gloire et, comme Homme, il est élevé au-dessus de tous les Anges et de tous les Saints et établi le Seigneur de toutes choses. « Pour célébrer dignement la fête de l'Ascension nous devons faire trois choses : 192:153 1° adorer Jésus-Christ dans le ciel comme notre médiateur et notre avocat ; 2° détacher entièrement notre cœur de ce monde comme d'un lieu d'exil, et aspirer uniquement au Paradis comme à notre vraie patrie ; 3° prendre la résolution d'imiter Jésus-Christ dans son humilité, sa mortification et ses souffrances, pour avoir part à sa gloire. « De la fête de l'Ascension à la Pentecôte, les fidèles doivent, à l'exemple des Apôtres, se préparer à recevoir le Saint-Esprit par la retraite, le recueillement intérieur, la prière persévé­rante et fervente. « Le jour de l'Ascension, après l'évangile de la Messe solen­nelle, on éteint et on enlève le cierge pascal pour représenter Jésus-Christ disparaissant du milieu des Apôtres pour monter au ciel. » -- 21 mai : *saints Cassius, Victorin, Maxime et leurs compa­gnons,* martyrs en Auvergne au III^e^ siècle. -- 23 mai : dimanche après l'Ascension. -- 24 mai : *saints Donatien et Rogatien,* martyrs à Nantes au III^e^ siècle. *Saint Vincent de Lérins,* prêtre au V^e^ siècle, auteur de la célèbre règle de foi : « Tenir pour vrai ce qui a été cru tou­jours, partout, par tous : *quod semper, quod ubique, quod ab omnibus *» ; et de la célèbre formule : *eodem sensu eademque sententia.* *-- *25 mai : *saint Grégoire VII,* pape (1073-1085). *Sainte Madeleine-Sophie Barrat,* religieuse (1779-1865), fon­datrice des Dames du Sacré-Cœur pour l'éducation des jeunes filles. -- 26 mai : *saint Philippe Néri,* prêtre, mort en 1595 ; fon­dateur de la Congrégation de l'Oratoire. -- 27 mai : *saint Bède le vénérable,* prêtre et docteur. Entré à sept ans, en 680, chez les Bénédictins d'Angleterre, il est par­faitement représentatif de ces moines qui, au sein de la bar­barie, conservaient dans leurs monastères le trésor des sciences sacrées et profanes. Commentateur de l'Écriture (le bréviaire lui emprunte souvent ses commentaires), auteur d'un martyro­loge, il écrivit en outre une Histoire ecclésiastique de la nation anglaise. Proclamé docteur de l'Église par Léon XIII. 193:153 *Saint Jean I^er^*, pape et martyr (523-526) : victime de la politique arienne de Théodoric, qui le mit en prison à Ravenne et l'y fit mourir de faim et de soif. *Sainte Restitue,* vierge et martyre du IV^e^ siècle honorée à Calenzana (Corse). -- 28 mai (dernier vendredi du mois) : *saint Augustin de Cantorbéry,* évêque. Il était moine bénédictin dans le monastère fondé dans sa propre maison à Rome par saint Grégoire le Grand, quand celui-ci le choisit comme chef des quarante moines missionnaires qu'il envoyait en Angleterre (596). Ils se fixèrent à Cantorbéry, capitale du royaume de Kent dont le roi Ethelbert se convertit à la Pentecôte 597. A Noël de la même année, dix mille Anglais reçoivent le baptême. Augustin établit à Cantorbéry le premier siège épiscopal d'Angleterre. Par une correspondance fréquente et détaillée, saint Grégoire le Grand dirigeait lui-même la mission : c'est pourquoi Pie XII a pu déclarer que « le vrai berceau du christianisme anglais est à Rome ». Cantorbéry demeurera jusqu'au XVI^e^ siècle le siège primatial de l'Angleterre catholique romaine. *Oraison :* « Ô Dieu qui avez daigné éclairer de la lumière de la vraie foi les peuples de l'Angleterre par la prédication et les miracles de votre évêque saint Augustin, faites que par son intercession les cœurs égarés reviennent à l'unité de votre vérité, et que nous soyons tous unis de cœur en votre volonté. » *Saint Germain,* évêque de Paris au VI^e^ siècle et fondateur de l'abbaye qui devait devenir Saint-Germain-des-Prés. -- 29 mai : *premier jour du pèlerinage à Rome.* Vigile de la Pentecôte. Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) « Dans la solennité de la Pentecôte, l'Église honore le mys­tère de la venue du Saint-Esprit. -- La fête de la venue du Saint-Esprit est appelée *Pentecôte,* c'est-à-dire 50^e^ jour, parce que la venue du Saint-Esprit eut lieu cinquante jours après la résur­rection de Jésus-Christ. -- La Pentecôte était aussi une fête très solennelle chez les Hébreux ; elle était la figure de celle qui se célèbre chez les chrétiens. -- La Pentecôte chez les Hébreux fut instituée en souvenir du don que Dieu leur avait fait sur le mont Sinaï, au milieu des tonnerres et des éclairs, de la Loi écrite sur deux tables de pierre, cinquante jours après la pre­mière Pâque, c'est-à-dire après la délivrance de la servitude d'Égypte. -- Ce qui était figuré dans la Pentecôte des Hébreux s'est accompli dans celle des chrétiens en ce que le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres et les autres disciples de Jésus-Christ, réunis avec la Vierge Marie dans un même lieu, et imprima la nouvelle loi dans leurs cœurs par son divin amour. 194:153 « Lors de la descente du Saint-Esprit, on entendit tout à coup un bruit dans le ciel comme celui d'un vent impétueux, et il apparut comme des langues de feu qui se posèrent sur cha­cun de ceux qui étaient assemblés. « Le Saint-Esprit descendant sur les Apôtres les remplit de sagesse, de force, de charité et de l'abondance de tous ses dons. -- Les Apôtres, quand ils eurent été remplis du Saint-Esprit, d'ignorants devinrent intelligents pour les plus profonds mys­tères et les Saintes Écritures ; de timides ils devinrent coura­geux pour prêcher la foi de Jésus-Christ ; ils parlèrent diverses langues et firent de grands miracles. « Le premier fruit de la prédication des Apôtres après la descente du Saint-Esprit fut la conversion de trois mille per­sonnes à la prédication faite par saint Pierre le jour même de la Pentecôte, conversion bientôt suivie de beaucoup d'autres. « Le Saint-Esprit n'a pas été envoyé seulement aux Apôtres, mais aussi à l'Église et à tous les fidèles. -- Le Saint-Esprit vivifie l'Église et la dirige par sa perpétuelle assistance ; et de là vient la force invincible qu'elle a dans les persécutions, la victoire sur ses ennemis, la pureté de sa doctrine et l'esprit de sainteté qui persiste en elle au milieu de la corruption du siècle. « Les fidèles reçoivent le Saint-Esprit dans tous les sacre­ments et spécialement la Confirmation et l'Ordre. » \*\*\* A Rome : veillée de pénitence et de prière des pèlerins, sur la place Saint-Pierre, du crépuscule jusqu'à l'aube. Tous ceux qui ne peuvent participer physiquement au pèlerinage pourront s'y associer là où ils seront : en veillant eux aussi du crépus­cule jusqu'à l'aube, en union de cœur avec les pèlerins. \*\*\* -- 30 mai : Pentecôte. *Second jour du pèlerinage à Rome.* Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) « En la fête de la Pentecôte nous devons faire quatre choses 1° adorer l'Esprit Saint ; 2° le prier de venir en nous et de nous communiquer ses dons ; 3° nous approcher dignement des Sacrements ; 4° remercier le divin Sauveur d'avoir, conformément à ses promesses, envoyé le Saint-Esprit et d'avoir ainsi consommé tous les mystères et la grande œuvre de l'établissement de l'Église. » 195:153 -- 31 mai : lundi de la Pentecôte. *Troisième jour du pèleri­nage à Rome : consécration à la Sainte Vierge.* Mémoire de *Marie-Reine :* fête instituée par Pie XII dans son encyclique *Ad cœli reginam* du 11 octobre 1954 ; « Nous avons décidé d'instituer *la fête liturgique de la Sainte Vierge Marie Reine.* Nous n'entendons pas proposer par là au peuple chrétien une nouvelle vérité à croire, car le titre même et les arguments qui justifient la dignité royale de Marie ont déjà de tout temps été abondamment formulés et se trouvent dans les documents anciens de l'Église et dans les livres litur­giques (...). « Par Notre autorité apostolique, Nous décrétons et insti­tuons la fête de Marie Reine qui se célèbrera chaque année dans le monde entier le 31 mai. *Nous ordonnons également que ce jour-là on renouvelle la consécration du genre humain au Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie.* C'est là en effet que repose le grand espoir de voir se lever une ère de bonheur où règneront la paix chrétienne et le triomphe de la religion. » \*\*\* La Royauté de Marie fut proclamée par Pie XII le jour de la Toussaint 1954 (voir son discours de ce jour à l'occasion de la cérémonie de proclamation ; voir aussi son très important dis­cours du lendemain aux évêques qui étaient venus à Rome pour cette proclamation). Le 28 novembre suivant, Pie XII, dans une lettre au cardi­nal-vicaire de Rome, le cardinal Micara, annonce son intention de renouveler le 8 décembre, pour la clôture de l'Année mariale, la consécration du genre humain au Cœur Immaculé de Marie (c'est nous qui soulignons) « Comme Nous avons commencé à la Basilique Sainte-Marie-Majeure cette année particulièrement consacrée à la Vierge Bienheureuse, Nous voudrions, si *Dieu le permet,* la terminer de même (...). Nous aimerions consacrer à nouveau à notre Mère très aimante, à la Reine du Ciel, le genre humain tout entier, blessé par le péché, désuni par un trop grand amour des réalités terrestres, troublé et angoissé par les événements présents et futurs. Et, Nous n'en doutons pas, *ce que Nous allons faire ici, si Dieu le permet,* Nos frères et Nos fils dans le Christ, *tous* joyeusement en union avec Nous, *chacun de son côté va le refaire dans son église.* 196:153 Texte émouvant et terrible, Pie XII y répète deux *fois :* SI DIEU LE PERMET. Dieu ne le permit point. Pie XII invitait une fois encore l'univers catholique à accom­plir ou renouveler la Consécration au Cœur Immaculé EN UNION AVEC LE PAPE. On sait que ce dernier point, par la défaillance et la mauvaise volonté de nombreux évêques, est celui qui n'a jamais été réalisé que partiellement, incomplè­tement, insuffisamment. Malgré ce qu'avaient été les enseignements, l'insistance et l'exemple même de Pie XII, l'univers catholique, en décembre 1954, à la clôture de l'Année mariale, n'avait pas suffisamment fait avancer le Règne de Marie dans les cœurs. La maladie va terrasser Pie XII et l'empêcher de renouveler une consécration du genre humain à laquelle -- on peut du moins l'imaginer, et le craindre -- l'univers catholique et une grande partie de l'épiscopat n'étaient nullement disposés à s'associer d'un cœur vrai. Depuis lors, les deux successeurs de Pie XII ont progressive­ment écarté puis tout à fait placé sous le boisseau l'exigence mariale d'une consécration renouvelée du genre humain. -- Les conséquences ont suivi, pour le genre humain dans son ensemble, pour la société civile et pour la société ecclésiastique. Mais cette défaillance au sommet n'empêche nullement les personnes, les familles, les écoles, les associations chrétiennes de renouveler individuellement ou collectivement leur consé­cration au Cœur Immaculé de Marie. On se reportera à notre numéro spécial : *La Royauté de Marie et la consécration à son Cœur Immaculé* (numéro 38 de décembre 1959). Ce numéro est épuisé. On le trouvera dans les bibliothèques privées ou publiques qui ont une collection com­plète de la revue ITINÉRAIRES. ============== fin du numéro 153. [^1]:  -- (1). *Carrefour* du 31 mars 1971. [^2]:  -- (2). *Rivarol* du 11 février 1971. [^3]:  -- (1). *Carrefour du* 25 mars 1971. [^4]:  -- (1). Sur le Lectionnaire français de 1959 (cinquante-neuf), voir ITINÉRAIRES, numéro 150 de février 1971, pages 83 et 84. [^5]:  -- (1). Maritain, *De l'Église du Christ*, Desclée de Brouwer 1970, page 333, [^6]:  -- (1). Maritain, *op. cit.,* p. 333. [^7]:  -- (2). Maritain : *Le Paysan de la Garonne,* Desclée de Brouwer 1966, page 235. -- Voir sur ce point : « Le Paysan et le Ruminant »*,* dans ITINÉRAIRES, numéro 112 d'avril 1967. [^8]:  -- (3). *De l'Église du Christ,* p. 333. [^9]:  -- (4). Même ouvrage, p. 342. [^10]:  -- (1). Tous les détails, comme on le sait, dans nos trois brochures *Le nouveau catéchisme ; Commentaire du communiqué ; Le catéchisme sans commentaires.* [^11]:  -- (2). *L'Hérésie du XX^e^ siècle,* Nouvelles Éditions Latines 1968, pages 33 à 74. [^12]:  -- (3). Citée et commentée dans le même ouvrage, pages 271 à 304. [^13]:  -- (1). Commentaire dans : « Situation de l'épiscopat », numéro 129 d'ITINÉRAIRES (janvier 1969). [^14]:  -- (2). Commentaire dans le même numéro d'ITINÉRAIRES, pp. 33 à 38 et pp. 71 à 74. [^15]:  -- (3). Commentaire dans : « Chronique des grandes litanies », ITINÉRAIRES numéro 135 de juillet-août 1969*.* [^16]:  -- (1). Commentaire dans ITINÉRAIRES, second supplément au numéro 145, pp. 21 à 34. [^17]:  -- (1). Voir plus loin dans le présent numéro : « Le commentaire et l'interprétation de saint Thomas d'Aquin » [^18]:  -- (1). Voir dans notre numéro précédent, aux pages 141 et suiv. *La bonne blague du* « *sens biblique *» *à donner au mot* « *image *»*.* [^19]:  -- (1). Existence et contenu de cette Note secrète attestés dans l'or­donnance de Mgr Barthe (Fréjus) citée plus haut. [^20]:  -- (2). Le texte d'Annecy a été reproduit et commenté dans notre précédent numéro (pp. 151-153). [^21]:  -- (3). Nous comptons huit évêques parce qu'il y huit diocèses. Mais, avec les auxiliaires, ils sont au total une douzaine pour cette « région apostolique ». [^22]:  -- (4). Ce qui fit écrire à M. Georges Merchier dans *L'Aurore* du 29 mars : « *Quelle bizarre échappatoire que d'escamoter une épître pour éviter que les fidèles ne manifestent leur mécontentement ! N'est-ce pas reconnaître implicitement qu'ils n'ont pas si tort que cela ? *» [^23]:  -- (1). Sur le Lectionnaire de 1959, voir ITINÉRAIRES, numéro 150 de février 1971, pp. 83-84. [^24]:  -- (1). Numéro de janvier-mars 1971, page 80. La revue *Nova et Vetera* allègue un article signé M. Delcor dans le « Bulletin de littérature ecclésiastique de Toulouse, n° 2, avril-juin 1970, n° 127 » (sic) : nous ne recevons pas cette publication et nous faisons appel à ceux de nos lecteurs qui pourraient nous en procurer ce numéro. [^25]:  -- (2). C'est aussi notre avis. Voir Alexis Curvers : « *Le nouveau Pater *», dans ITINÉRAIRES, numéro 103 de mai 1966 et numéro 104 de juin 1966. [^26]:  -- (1). *La Bible,* édition de la Pléiade 1956, tome I, page XXV. [^27]:  -- (2). Nous transcrivons en lettres latines : *morphi*, et non pas *morphè*. La lettre finale de ce mot est la septième de l'alphabet grec. Les Grecs la nomment : « ita » ; les Allemands la nomment : « êta », prononciation dite érasmienne. Nous ne voyons aucune raison de prononcer le grec comme le prononcent les Allemands plutôt que comme le prononcent les Grecs. -- Et la transcription du grec en lettres latines étant une transcription phonétique, nous transcrivons la septième lettre de l'alphabet grec *ita* par la lettre latine *i*. -- Même remarque pour la transcription *igisato* (on si l'on y tient, mais nous n'y tenons pas : *higisato*) au lieu de : *êgésato* (ou *hêgêsato*). C'est d'ailleurs IGUISATO (ou de pré­férence : IGHISATO) qu'il vaut mieux écrire. [^28]:  -- (3). Dans une nouvelle intervention dont il aurait mieux fait de s'abstenir, M. l'abbé André Feuillet approuve la traduction de MORPHI par « image » parce que : 1° cela «* demeure certes une hypothèse *» (sic !) et 2° cette hypothèse «* correspond à une tendance de plus en plus accentuée de l'exégèse actuelle *» (*Le Monde* du 25 mars). -- Nous ne voulons nullement empêcher les « exégètes actuels » de faire des « hypothèses » et d'avoir des « tendances ». *Mais nous refusons de laisser imposer leurs hypothèses et leurs tendances à la place de nos certitudes*. -- Et spécialement ici : avant de donner tort à saint Jérôme (et à toute l'exégèse catholique du V^e^ siècle jusqu'au XX^e^) qui comprend que MORPHI en grec veut dire *forma* en latin et *forme* en français, -- oui, avant de donner tort à cette interprétation longuement, fortement, solidement établie, il faudrait alléguer davantage qu'une hypothèse et autre chose que la mode intellectuelle du moment. -- Les travaux antérieurs de M. l'abbé Feuillet sur l'épître aux Philippiens ne nous paraissent pas exempts de toute responsabilité dans la formation de l'état d'esprit qui a présidé aux deux falsifications successives du nouveau Lectionnaire français. Cf. son volume : *Le Christ sagesse de Dieu d'après les épîtres pauliniennes,* Gabalda 1966, pp. 34 et suiv. L'ou­vrage est préfacé par le P. Congar : il n'en faut pas plus (mais sans doute n'en faut-il pas moins) pour que des journaux qui n'avaient jamais parlé de l'abbé André Feuillet, qui ignoraient tout de sa personne et de ses travaux, se mettent à écrire avec une définitive assurance, comme *Le Monde* du 6 avril 1971 : «* Le Père Feuillet, exégète faisant autorité... *» L'autorité, quand il s'agit d'une autorité morale, ne survit pas au mauvais usage que l'on en fait... [^29]:  -- (1). Sans apparemment s'être avisés que ces discours de saint Pierre sont des *résumés* ou encore de brefs *extraits*, et nullement une sténographie complète ou un enregistrement magnétique intégral. Cf. d'ailleurs *Actes*, II, 40 : «* aliis etiam verbis plurimis* (*Petrus*) *testificatus est... *» [^30]:  -- (1). *Église d'Arras*, numéro 6 de 1971, page 167. -- Imposant à son clergé « la traduction nouvelle », c'est-à-dire la falsification n° 2 du nouveau Lectionnaire français, Mgr Huyghe le fait en recopiant et reprenant à son compte, par dérision, la formule qu'employait Mgr d'Annecy. Ce dernier, en ordonnant une traduction honnêtement rectifiée (voir notre numéro précédent, pp, 151-153), avait ajouté en conclusion : « *Cette traduction nouvelle* (*il s'agit ici de la traduction nouvelle, et correcte, imposée par Mgr Sauvage à son clergé*) *coupera court à toute campagne de protestation qui pourrait se dérouler ici ou là au risque éventuel de troubler l'assemblée liturgique elle-même. *» Mgr Huyghe, imposant au contraire la « nouvelle » version falsifiée, conclut en ricanant, à l'intention de Mgr Sauvage : « *La traduction nouvelle coupera court à toute campagne de protestation qui pourrait se dérouler ici. ou là, au risque de troubler l'assemblée liturgique. *» A ce qu'il semble, on est en présence d'un plagiat sarcastique et ostensiblement affiché, assez révélateur des sentiments de Mgr Huyghe (notamment à l'égard de Mgr Sauvage...). -- Mais une autre hypothèse n'est pas exclue. Elle se fonde sur la remarque suivante : Mgr Huyghe n'a pas recopié absolument jusqu'au bout le texte de Mgr Sauvage. Il a omis les mots « éventuel » et « elle-même », qu'il aurait (sans doute) conservés si son intention était bien de singer et ridiculiser l'évêque d'Annecy. D'où cette seconde hypothèse : peut-être ont-ils tous deux brodé -- et dans un sens différent -- sur un même canevas. Quel canevas ? fourni par qui ? Nous n'en savons rien. -- Mais nous savons que, plus souvent qu'on ne croit, les évêques ne font, dans leurs mandements, que recopier ou paraphraser les documents secrets qui leur sont périodiquement envoyés, pour éclairer leur religion, par le Secrétariat général de l'épiscopat. -- D'ailleurs voici qu'à son tour Toulouse publie, exactement recopié, le texte d'Arras ! Sur quoi l'archevêque de Toulouse a-t-il copié en fait ? Sur Arras directement, on sur une commune source secrète ? (Cf. *Foi et vie de l'église au diocèse de Toulouse,* numéro du 28 mars, page 144.) [^31]:  -- (1). Pourquoi donc, plutôt qu'ès qualités, qui sont aussi les sien­nes, et qui en l'occurrence sont davantage *ad rem,* de président de la Commission internationale de traduction ? -- Peut-être pour effacer le « laxisme » qu'avait autorisé cette Commission de liturgie par sa Note secrète aux évêques. [^32]:  -- (1). *Elle est d'une telle faiblesse qu'elle a l'air d'avoir été rédigée pour justifier nos critiques,* remarque Louis Salleron dans *Carrefour* du 31 mars. [^33]:  -- (2). C'est par exemple le dessein que propose Ghislain Lafont O.S.B. : *Problématique* (premier volume de *Peut-on connaître Dieu en Jésus-Christ,* Éd. du Cerf 1969). -- Critiqué par A. Patfoort O.P. dans « Vers une réévaluation de la notion de personne ? », revue, *Angelicum* (fasc. I de 1971). [^34]:  -- (1). En introduction à Saint Thomas d'Aquin, *Les principes de la réalité naturelle,* texte latin et traduction française en regard, Nouvelles Éditions Latines 1963. Cf. pp. 15-21. [^35]:  -- (2). Édition Marietti à Turin : que procurent en France, notam­ment, la Librairie Lethielleux et la Librairie Vrin. [^36]:  -- (1). Texte intégral de ce discours dans ITINÉRAIRES, numéro 22 d'avril 1958, pp. 113 et suiv. [^37]:  -- (1). L'édition Marietti porte : *in simplicibus et materialibus.* Il faut évidemment corriger en : *immaterialibus.* Les « êtres simples et immatériels » sont *simples* en ce qu'ils ne sont pas *composés* de « matière » et de « forme ». Ce sont les « purs esprits ». [^38]:  -- (2). C'est-à-dire : un mot. [^39]:  -- (1). Contexte dans Jean : les Juifs cherchaient à le faire mourir... parce qu'il appelait Dieu son Père, se faisant l'égal de Dieu. -- Le rapprochement que fait saint Thomas avec ce passage de l'évangile de Jean est extrêmement éclairant. Et l'exégèse de saint Thomas, si méconnue aujourd'hui, nous paraît avoir trouvé ainsi le véritable contexte intellectuel dans lequel se situe et se comprend la phrase de saint Paul. On a reproché au Christ de *se faire l'égal de Dieu*, c'est-à-dire de prétendre s'attribuer frauduleusement (et vainement) l'égalité avec Dieu. -- Réponse : il ne s'attribue pas cette égalité, il la possède ; et qu'il n'y ait pas à voir là un vol (une usurpation, une fraude), il le sait très bien, il le sait mieux que personne, puisqu'il est dans la forme de Dieu. [^40]:  -- (1). Cf. le commentaire de saint Thomas (*Super evangelium S. Joannis lectura,* paragraphe 743 de l'édition Marietti) : « L'évangéliste a écrit : *se æqualem faciens Deo *; non point que le Christ se soit fait lui-même l'égal de Dieu, il l'était par génération éternelle ; mais il parle ici selon le sentiment des Juifs qui, ne croyant pas que le Christ soit Fils de Dieu par nature, comprirent de ses paroles qu'il se disait Fils de Dieu, comme s'il voulait se faire l'égal de Dieu ; et les Juifs ne croyaient pas qu'il le fût, cf. plus loin en Jean X, 33 : « N'étant qu'un homme, tu t'es toi-même fait Dieu », c'est-à-dire : tu t'es verbalement attribué la divinité... » [^41]:  -- (1). Cité (dans cette version latine) par saint Thomas dans la *Catena aurea*, p. 478 du tome II de l'édition Marietti. [^42]:  -- (1). Sur la kénose, voir pareillement le commentaire de saint Thomas sur Denys : *De diviniis nominibus*, cap. II, lect. 5, paragra­phe 207 de l'édition Marietti : « *Per* EXINANITIONEM *ineffabilem, de qua Apostolus loquiitur ad Phiilipp. 77,* (*...*) *nihil diminutum est de plenitudine suae deitatis ; non enim dicitur* « EXINANITUS » *per dimi­nutionem deitatis, sed per assumpfionem nostrae naturae deficien­tis.* » [^43]:  -- (1). Et à son tour saint Thomas dans son commentaire de Jean V, 18 (paragraphe 742 de l'édition Marietti) : « Il est énorme, l'aveu­glement des sectateurs de l'arianisme : ils disent que le Christ n'est pas aussi grand que le Père, ils n'arrivent pas à saisir dans les paroles du Seigneur ce que les Juifs pourtant saisissaient. Les Ariens prétendent que le Christ ne s'était pas fait l'égal de Dieu, mais que c'était seulement les Juifs qui l'en soupçonnaient. Mais il est manifeste, par le texte de Jean lui-même, que la vérité est autre. L'évangéliste dit que les Juifs harcelaient le Christ parce qu'il violait le sabbat, parce qu'il appelait Dieu son propre Père, et parce qu'il se faisait égal à Dieu. Ou bien le Christ est menteur, ou bien il est égal à Dieu. Mais s'il est égal à Dieu, c'est donc qu'il est Dieu par nature. » -- Saint Thomas y revient encore dans son commentaire de Jean X, 33 : *Tu homo cum sis, facis teipsum Deum* (paragraphe 1456 de l'éd. citée) : « Les Juifs, mieux que les Ariens unit compris la parole du Christ disant : *Ego et Pater unum sumus*. Ils s'en indignèrent, parce qu'ils comprirent que cette parole du Christ impliquait l'égalité entre le Père et le Fils... » [^44]:  -- (2). C'est-à-dire premièrement son livre, préfacé par le P. Congar : *Le Christ sagesse de Dieu d'après les épîtres, pauliniennes*, Gabalda 1966 (pages 340-349) ; secondement son article de *L'Ami du clergé* du 17 décembre 1970 : *L'hymne christologique de l'Épître aux Phi­lippiens*. Troisièmement sa lettre au journal *Le Monde,* numéro du 25 mars 1971. -- (Il y a encore son article dans la *Revue biblique*, année 1965 : je ne l'ai pas lu.) [^45]:  -- (1). Au sens usuel, et non philosophique du terme : qualité du caractère consistant dans la réflexion et la prévoyance par lesquelles on évite les dangers de la vie. [^46]:  -- (1). La loi naturelle, comme son nom l'indique, n'est pas seu­lement vérité révélée par Dieu dans le Décalogue : elle peut aussi être comprise et acceptée de façon autonome par la raison pratique convenablement exercée. Mais sa dépendance vis à vis des erreurs toujours possibles de la raison augmente alors considérablement. Voir sur ce point Madiran : « La civilisation dans la perspective de la piété », *Itinéraires*, n° 67. [^47]:  -- (1). P. 200. [^48]:  -- (2). P. 205. [^49]:  -- (3). Exactement comme dans la traduction de l'épître de saint Paul aux Philippiens, II, 6, falsifiée sans vergogne dans le Nouveau Missel ! [^50]:  -- (1). P. 203. [^51]:  -- (1). P. 212. [^52]:  -- (2). P. 213. [^53]:  -- (1). N'a-t-on pas vu le Pape actuel recevoir récemment des révo­lutionnaires angolais et leur donner sa bénédiction 7 [^54]:  -- (2). P. 214. [^55]:  -- (3). P. 215. [^56]:  -- (1). Pp. 215-216. [^57]:  -- (1). P. 216. [^58]:  -- (2). P. 217. [^59]:  -- (3). *Ibid*. [^60]:  -- (1). P. 222. [^61]:  -- (2). *Ibid*. [^62]:  -- (1). P. 225. [^63]:  -- (1). Notamment dans la constitution *Gaudium et spes* du 7-XII-1965, in *Actes du Concile du Vatican*, Paris, Éd. du Cerf, 1966, p. 522. [^64]:  -- (1). Citée par J. MADIRAN, *L'Hérésie du vingtième siècle*, p. 101. Comme l'écrit Madiran, p. 105, « ce n'est pas la formulation que vous voulez changer, c'est la conception », d'où « les remises en question les plus fondamentales ». [^65]: **\*** -- cf. It. 354:127 [^66]:  -- (1). P. 229, cf. même éloge, p. 226. [^67]:  -- (2). P. 232. [^68]:  -- (1). P. 234. [^69]:  -- (1). P. 236. [^70]:  -- (2). P. 237. [^71]:  -- (1). Cité par J. Ousset, « Ch. Maurras et nous », dans *L'Ordre Français,* juin 1970, n° 142, p. 44. [^72]:  -- (1). Disons en gros : surtout depuis que le *Syllabus* a été enterré­. [^73]:  -- (1). Dont on nous affirme sans vergogne, en haut lieu, à l'encontre de toutes les déclarations antérieures de l'Église, qu'elle adore le même Dieu que celui du catholicisme. [^74]:  -- (1). P. 243. [^75]:  -- (2). Cf. p. 205, texte cité plus haut. [^76]:  -- (1). P. 251. [^77]:  -- (2). La naturalisation de l'Évangile, *le naturalisme*, comme on disait au siècle dernier. \[manque l'appel de note dans l'original -- 2002\] [^78]:  -- (1). P. 259. [^79]:  -- (1). J. Nuttin, *La motivation*, dans *Traité de psychologie*, publié sous la direction de Fraisse et Piaget, fasc. V, P.U.F., 1963, p. 30. [^80]:  -- (2). *Op. cit.,* pp. 37-38. [^81]:  -- (1). Lénine, *Matérialisme et empirio-criticisme*, dans *Œuvres*, t. XIII, p,. 112. [^82]:  -- (2). Lévi-Strauss, *La pensée sauvage*, Paris, Plon, 1962, p. 23. [^83]:  -- (3). La science n'a pas toujours été comprise comme on l'inter­prète de nos jours. La physique mathématique réduit tout à la quantité ; mais il y a eu, chez les Grecs, une physique qualitative, plus proche, dirions-nous, de la réalité vécue. Husserl a fait, à ce sujet, d'excellentes remarques. Nous y reviendrons. [^84]:  -- (4). « La science, telle qu'on la pratique de nos jours, est un essai de créer pour tous les phénomènes un langage chiffré commun, qui permette de calculer, donc de dominer plus aisément la nature. Mais ce langage chiffré, qui résume toutes les lois observées, n'ex­plique rien ; c'est une sorte de description des faits, aussi brève, aussi abrégée que possible » (Nietzsche, *La Volonté de puissance*, t. I, liv. 11, n° 349, p. 305.). -- Et encore : « Rendre le monde calcu­lable, exprimer en formules tout ce qui s'y passe, est-ce vraiment le concevoir ? Qu'aurait-on saisi de la musique, une fois qu'on aurait calculé tout ce qui est calculable en elle et tout ce qui peut être abrégé en formules » (*Op. cit.,* n° 344, p. 304.). [^85]:  -- (1). Jaspers insiste beaucoup sur cet aspect de la recherche scientifique. Cf. *Philosophie,* I, Springer, Berlin, 1932, p. 136, p. 168, p. 256. [^86]:  -- (1). Nietzsche, *Humain, trop humain*, trad. Desrousseaux, Paris, Mercure de France, 1943, Ire Partie, 1, ne 6, p. 23. -- *La Volonté de puissance,* I, n° 42, p. 44. [^87]:  -- (2). Nous parlons de « l'essence » du comportement scientifique. Un savant peut évidemment être mû par les mobiles les plus divers. Nietzsche prétend que, chez la plupart des savants, un psy­chologue averti découvrirait des mobiles de tous genres : « Il suffit, souvent de l'amour-plaisir de la connaissance (curiosité), de l'amour-vanité, vanité, de l'habitude de la science avec son arrière-goût d'honneurs et de pain quotidien. Il suffit même, pour beaucoup, de ne savoir comment passer le temps, s'ils ne lisent, ne collectionnent, classent, observent, racontent. Leur penchant scientifique n'est autre que leur ennui » (*Le Gai Savoir,* trad. Vialatte, N.R.F., 1950, liv. III, et 123, p. 167.). -- C'est possible : mais cela n'infirme pas ce que nous venons de dire sur l'essence du comportement scientifique. [^88]:  -- (3). Encore ne faut-il pas oublier, comme le. fait remarquer justement Jaspers, que la recherche scientifique s'attaque aux problèmes les plus difficiles et dont la solution ne semble pas comporter, au moins immédiatement, d'application pratique. [^89]:  -- (4). Tel le docteur Barron, personnage d'un roman d'Agatha Chris­tie, lequel déclare : « J'aime mon travail, c'est entendu, mais non parce que je puis rendre service à l'humanité. Je laisse cela aux imbéciles et aux incapables. La recherche me procure une jouissance égoïste, purement intellectuelle, et c'est pour cela surtout qu'elle m'intéresse » (*Destination inconnue*, tract. Le Houbié, Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1968, p. 181.). [^90]:  -- (5). Que nous essaierons d'analyser dans un chapitre ultérieur. [^91]:  -- (1). Feuerbach, *Nécessité d'une réforme de la philosophie,* dans *Manifestes philosophiques,* p. 96. [^92]:  -- (1). Aristote, *Métaphysique,* a 2. [^93]:  -- (2). Kant, *Critique de la raison pure,* p. 270. [^94]:  -- (3). Nous y consacrerons le chapitre *Philosophie et religion.* [^95]:  -- (4). Même s'il ne s'agissait que d'une idée élaborée inévitablement par la raison, cela prouverait du moins que nous ne sommes pas conduits à affirmer l'Absolu uniquement par le jeu inconscient de l'instinct sexuel ou par un processus de compensation destiné à me faire oublier les duretés de l'existence, qu'elles soient d'origine so­ciale ou non. [^96]:  -- (1). Synode Provincial, tenu en 529 sous la présidence de saint Césaire, mais dont les décisions furent reprises par le Concile œcuménique de Trente. [^97]:  -- (1). Trente. Canons sur le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie, dans Dumeige n°s 748 et 750. [^98]:  -- (2). Trente. Canons sur le Très Saint Sacrifice de la Messe, dans Dumeige N°^s^ 776, 777, 778. [^99]:  -- (1). Trente. Canons sur le Sacrement de l'Ordre, dans Dumeige n° 901. [^100]:  -- (1). Concile de Trente. Canons sur le Sacrement de l'Ordre, dans Dumeige N° 899, 901, 902. [^101]:  -- (1). Voir les travaux du Père Théry, o.p. (Hanna Zakarias) sur *L'Islam Entreprise Juive,* surtout le tome IV ; (Jean d'Halluin éd. 1, rue Lobineau, *Paris VI^e^*)*.* [^102]:  -- (1). Le Missel jusqu'à Pie XII inclusivement, et même à la rigueur jusqu'à la mort de Jean XXIII. [^103]:  -- (2). Un certain nombre d'articles de la Somme de Saint Thomas, parfois une question entière, aussi bien dans la Prima Pars que dans la Secunda et surtout la Tertia Pars, sont accessibles aux chré­tiens ayant reçu une bonne formation doctrinale. On souhaite qu'un fils de saint Dominique compose un recueil de ces articles et de ces questions, en les situant dans l'ensemble de la Somme et mettant en lumière l'argument central du Traité dont ils sont tirés. [^104]:  -- (1). Maritain, *Art et Scolastique* (chez Desclée de B. éditeur à Paris) chap. VI. [^105]:  -- (1). Sur la victoire de Lépante, voir l'article de l'amiral AUPHAN : « Pour les marins de Lépante », dans ITINÉRAIRES, numéro 112 d'avril 1967.